En avant Mars !: Histoire et avenir de l'exploration martienne 9782759826117

Vous pensiez tout connaître sur la planète Mars ? Il est vrai que la littérature et les légendes populaires ont forgé

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En avant Mars !: Histoire et avenir de l'exploration martienne
 9782759826117

Table of contents :
Table des matières
Introduction
1. Pourquoi la planète Mars nous fascine-t-elle ?
2. Que connaissait-on de Mars avant l’ère Spatiale ?
3. Mars est-elle la petite cousine de la Terre ?
4. Comment envoyer une mission vers Mars ?
5. À qui appartient la Planète Mars ?
6. Quand a débuté l’exploration de Mars ?
7. Quel temps fait-il sur Mars ?
8. Pourquoi Mars est-elle rouge ?
9. Que nous apprennent les missions en cours ?
10. Pourquoi y a-t-il autant de trous à la surface de mars ?
11. Y a-t-il de l’eau liquide sur Mars ?
12. Comment poser un robot sur Mars ?
13. Peut-on poser un robot n’importe où ?
14. Pourquoi les volcans martiens sont-ils gigantesques ?
15. Quelles roches trouve-t-on sur Mars ?
16. Que nous apprend le grand canyon martien ?
17. Que retenir de l’histoire géologique de Mars ?
18. Mars a-t-elle pu un jour abriter la vie ?
19. Que nous réservent les prochaines missions vers Mars ?
20. Comment envoyer des êtres humains sur Mars ?
21. Pourra-t-on un jour habiter sur Mars ?
22. La terraformation de Mars est-elle possible ?
Épilogue
Remerciements
Les auteurs

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EN AVANT MARS

EN AVANT MARS Histoire et avenir de l’exploration martienne NICOLAS BECK, SYLVAIN BRETON ET JESSICA FLAHAUT

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2610-0 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2611-7 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2022

Table des matières Introduction 1.

2.

3.

4.

5.

6.

9

Pourquoi la planète Mars nous fascine-t-elle ?

13

Mars, divinité associée à la guerre Le mystère des premières observations Dans la littérature et la fiction

13 15 19

Que connaissait-on de Mars avant l’ère Spatiale ?

23

Des astronomes grecs à Johannes Kepler Premières observations à la lunette Le début du XXe siècle

23 25 28

Mars est-elle la petite cousine de la Terre ?

33

Des origines communes Une surface martienne très ancienne… et un problème de taille !

33

Comment envoyer une mission vers Mars ?

41

Une cible en mouvement En route vers Mars

42 44

À qui appartient la Planète Mars ?

49

Un traité international Nuances Et Mars, alors ?

50 51 52

Quand a débuté l’exploration de Mars ?

57

Les premières images Un taux de réussite limité, mais… Les missions se multiplient Plus ou moins de succès

57 59 60 63

35

5

7.

8.

9.

Quel temps fait-il sur Mars ?

67

Des températures glaciales Une bonne dose d’UV Du vent, des tempêtes et des tornades Des saisons marquées Des calottes polaires

68 70 71 74 76

Pourquoi Mars est-elle rouge ?

79

Une affaire de rouille Et si on enlevait la poussière ? Tant pis pour les orbiteurs !

79 81 82

Que nous apprennent les missions en cours ?

85

Des satellites aux aguets InSight à l’écoute de Mars Tout roule pour Curiosity et Perseverance ! La Chine sur Mars

85 88 90 97

10. Pourquoi y a-t-il autant de trous à la surface de mars ? Les cratères de météorite Une aubaine pour la science Des trous pas comme les autres Des morceaux de Mars tombés sur Terre 11. Y a-t-il de l’eau liquide sur Mars ? Mars aujourd’hui : un désert de glace Des lacs, des rivières, des océans ? 12. Comment poser un robot sur Mars ? 7 minutes de terreur Attention, contact ! 13. Peut-on poser un robot n’importe où ? Un vrai casse-tête Où nous sommes-nous déjà posés ? Quel site pour le prochain robot européen de la mission ExoMars ? 6

EN AVANT MARS

99 99 102 104 105 109 109 113 117 117 120 125 126 128 129

14. Pourquoi les volcans martiens sont-ils gigantesques ? À quoi ressemblent les volcans martiens ? Pas d’éruption en cours ? De gigantesques points chauds

135 136 139 140

15. Quelles roches trouve-t-on sur Mars ?

145

Un sol pas comme les autres Dessous... un monde de basalte Une diversité inattendue Le rôle de l’eau

145 147 149 151

16. Que nous apprend le grand canyon martien ?

155

Une origine controversée Une coupe naturelle unique De l’eau... pendant très, très longtemps La mémoire géologique de Mars ?

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17. Que retenir de l’histoire géologique de Mars ?

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La chronologie de Mars L’époque pré-noachienne L’ère noachienne L’ère hespérienne L’ère amazonienne 18. Mars a-t-elle pu un jour abriter la vie ? Le Noachien, une période propice Les ingrédients de la vie À la recherche de biosignatures La vie a-t-elle pu s’installer durablement ?

165 166 169 171 172 175 175 176 179 181

19. Que nous réservent les prochaines missions vers Mars ?

187

Le rover ExoMars : l’Europe sur la planète rouge ? Le défi du retour d’échantillons Tant de zones inexplorées...

187 189 194

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20. Comment envoyer des êtres humains sur Mars ? Deux ans et demi Multiples dangers Le facteur humain Un vol avec escale ? 21. Pourra-t-on un jour habiter sur Mars ? S’adapter aux conditions extrêmes Des habitats à inventer 22. La terraformation de Mars est-elle possible ? Mars, planète refuge ? Rouge, bleue, verte... Un défi de taille Des suggestions hors du commun Vers une nouvelle espèce sur Mars ?

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197 198 199 201 202 207 207 209 215 215 216 217 219 220

Épilogue

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Remerciements

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Les auteurs

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EN AVANT MARS

Introduction Puissante et fascinante planète Mars… Que l’on soit petit ou grand, passionné d’astronomie ou simple curieux, la planète rouge nous a tous interpellés un jour, nous amenant à nous interroger sur notre place dans l’Univers ou nous renvoyant à la vertigineuse question de l’origine de la vie. Si Mars est observée et étudiée depuis des siècles, elle n’en demeure pas moins une planète aux multiples mystères, que l’exploration actuelle tente de percer les uns après les autres. La prochaine mission martienne, ExoMars, une première pour l’Europe, constituera une étape cruciale pour l’analyse scientifique de la planète rouge : avec son rover Rosalind Franklin, dit Rosa, cette aventure inédite approfondira nos connaissances de Mars et déterminera si la vie a pu s’y cacher un jour. Alors que Rosa devait commencer son périple au cours de l’année 2022, les événements internationaux en ont décidé autrement, remettant en question les collaborations internationales dans le domaine spatial. Malgré tout, nous vous proposons de partir en compagnie de Rosa pour découvrir un panorama complet des questions liées à la planète rouge, en attendant impatiemment son départ dans quelques années. À travers un aperçu de son histoire géologique, nous tenterons d’en savoir plus sur la formation de la planète rouge et les raisons qui expliquent sa couleur actuelle. Rosa nous invitera aussi à comprendre les principales différences entre Mars et la Terre, tandis que nous nous pencherons sur les caprices du climat martien. Nous verrons également pourquoi la présence d’eau liquide sur Mars revient régulièrement dans les discussions scientifiques… Les volcans géants, les canyons démesurés et les nombreux cratères qui couvrent la surface de Mars n’auront plus de secret pour vous. Enfin, vous aurez la possibilité de vous replonger dans les principales missions d’exploration martienne passées, de comprendre comment on envoie 9

INT R O DU CT IO N

Crédits : NASA

un robot sur place, mais aussi de découvrir les projets des années à venir. Ceci sans oublier la préparation des futurs vols habités, déjà étudiés de manière approfondie par les agences spatiales. Au fil de ce voyage, Rosa ne sera jamais loin pour nous accompagner, non sans une touche d’humour, dans cette découverte originale de Mars, à l’aide de questions accessibles à tous les publics. Alors c’est parti, en avant Mars !

Mars, prise en photo par Viking, dévoile une palette de couleurs rougeâtres. Les symboles étoilés indiquent les sites visités par des missions au sol.

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EN AVANT MARS

Crédits : NASA

INT R O DU CT IO N

Carte des reliefs de Mars en fausses couleurs, mesurés par l’instrument MOLA. En l’absence d’océans sur la planète rouge, le niveau zéro est défini par l’altitude moyenne de la surface.

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Pourquoi la planète Mars nous fascine-t-elle ?

B

ien avant que les récents rovers ne prennent le chemin de la planète rouge, Mars a été remarquée dans le ciel nocturne dès l’Antiquité, notamment parce que sa couleur a interpellé les observateurs. À tel point qu’une véritable fascination s’est développée au fil des siècles : on en trouve des traces dans de nombreuses civilisations anciennes mais aussi dans la littérature et les fictions cinématographiques. Voici un tour d’horizon de l’impressionnante aura qui se dégage de Mars.

MARS, DIVINITÉ ASSOCIÉE À LA GUERRE Sans imaginer une seconde que l’humanité serait, au XXIe siècle, capable d’y envoyer des robots et peut-être même d’y poser le pied, les peuples de l’Antiquité étaient déjà largement fascinés par Mars. L’éclatante planète rouge et ses étonnants mouvements dans le ciel nocturne ont, à défaut d’explications rationnelles, fortement influencé les religions, qui à l’époque faisaient la part belle à l’astronomie et aux

La divinité de la guerre, Mars, est largement représentée dans la sculpture romaine antique. À Rome, on lui dédie même un espace spécifique, le Champ de Mars, où sont célébrées les festivités liées à la guerre. Ici, un fragment de statue exposé au Metropolitan Museum, à New York.

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P O URQ UO I LA PLA NÈT E M A R S NO U S FA SCINE-T- ELLE ?

planètes. Si Mars était vénérée dans les croyances antiques, c’est qu’elle impressionnait véritablement : sa vive couleur rouge, sa trajectoire… Associée à la mort chez les Romains, elle était liée à une divinité extrêmement respectée et parmi les plus importantes : Mars, le dieu de la guerre. Représenté équipé d’un casque et d’une épée, le dieu Mars était le fils de Jupiter et de Junon, mais également le père de Romulus et Rémus, les fondateurs et protecteurs de Rome. En plus de donner son nom au mois ouvrant la saison des guerres (allant de mars à octobre), le dieu romain Mars a aussi donné son nom à la planète rouge, couleur du sang. En Mésopotamie, berceau de l’astronomie, les observations du ciel étaient d’une grande importance dans la vie quotidienne. L’influente planète Mars était associée à Nergal, le dieu des enfers, qui prédisait de futurs conflits interprétés de l’observation directe de la planète. Dans la religion hindoue, c’est Karttikeya qui représente Mars, une divinité maléfique et agressive, fils de Shiva et Parvati. Karttikeya possède six têtes, douze bras et douze yeux. Placé à la tête des forces divines, il commande l’armée des dieux. Parallèlement, les hindous accordent une importance particulière à la planète rouge, l’un des neuf astres à la base de la religion. Selon eux, les planètes influencent la vie des êtres humains et de la société, en lien étroit avec la puissance des dieux. Les anciens Égyptiens, ayant observé le mouvement rétrograde de Mars, lui ont conféré le nom de Sekded-ef em khetkhet, qui signifie « celle qui voyage en reculant ». Dans la Chine antique, le nom de Mars est Ying Huo, l’étoile du feu associée à la guerre. Et les exemples pourraient être multipliés : dans toutes les régions du monde, depuis l’Antiquité, Mars interpelle et influence les civilisations, avant même qu’on ait pu observer la planète rouge de plus près.

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EN AVANT MARS

Crédits : NASA/JPL-Caltech

À l’aide

P O URQ UOI LA PLA NÈT E M A R S NO U S FA SCINE-T- E LLE ?

Depuis la Terre, Mars effectue un mouvement apparent d’est en ouest dans le ciel, sauf durant certaines périodes au cours desquelles la planète semble revenir en arrière, si l’on note sa position chaque soir. On appelle ce phénomène le mouvement rétrograde de Mars, qui a été observé dès l’Antiquité.

LE MYSTÈRE DES PREMIÈRES OBSERVATIONS La fascination engendrée par la planète Mars n’a rien d’un phénomène récent lié aux missions d’exploration ! Après le Moyen Âge, l’influence de la planète dans les religions est moins marquée. La Terre étant considérée au centre de l’Univers, l’existence d’une vie extraterrestre n’est pas d’actualité et Mars reste dans l’ombre. À partir du siècle des Lumières (XVIIe), les observations astronomiques, permises par les premières générations de télescopes, aident les scientifiques à comprendre un certain nombre de phénomènes physiques. Mais plus on perçoit de détails de la planète rouge, plus le mystère s’épaissit !

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P O URQ UO I LA PLA NÈT E M A R S NO U S FA SCINE-T- ELLE ?

Camille Flammarion, qui s’est donné pour mission de vulgariser l’astronomie à travers plusieurs ouvrages, consacre plus de 600 pages à discuter du sujet dans La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité, paru en 1892. À cette période, les observations se multiplient et se précisent : on voit sur Mars des taches, des zones sombres, des étendues plus claires. À Milan, l’astronome italien Schiaparelli pointe son télescope vers Mars et entreprend d’établir une première carte : c’est là qu’apparaissent noir sur blanc les canali, les fameux canaux martiens qui suggèrent l’existence d’ouvrages réalisés par des habitants de la planète rouge. Et Camille Flammarion de surenchérir en affirmant que ces canaux, bien trop rectilignes, pourraient bien être un système d’irrigation à l’échelle de la planète… Le mythe des canaux martiens s’ancre solidement dans l’imaginaire collectif.

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EN AVANT MARS

P O URQ UOI LA PLA NÈT E M A R S NO U S FA SCINE-T- E LLE ?

À l’aide

Giovanni Schiaparelli (1835-1910) est un astronome italien qui s’est largement intéressé à l’observation de Mars. Son nom a aussi été donné à un rover de l’Agence spatiale européenne, qui s’est malheureusement écrasé sur Mars lors de son atterrissage en 2016.

Crédits : NASA/JPL

Les premiers croquis de Schiaparelli, dessinés à partir de ses observations, laissent croire à la présence de canaux à la surface de Mars. Ces images feront le tour du monde, comme cette carte de Mars qu’il a réalisée en 1886. DR

Cette photographie, qui montre à qui veut bien le croire un visage humain sculpté en 3D, a été prise lors du premier survol de Mars par la sonde Viking, en 1976. Alors que les observations astronomiques ont pourtant bien progressé sans jamais révéler de civilisation martienne, l’image a attisé le mythe des Martiens en relançant les spéculations.

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P O URQ UO I LA PLA NÈT E M A R S NO U S FA SCINE-T- ELLE ?

La théorie des canaux contribue à développer les fantasmes d’une planète occupée par des Martiens, idée reprise et amplifiée par Percival Lowell, un riche homme d’affaires, mathématicien et astronome amateur américain passionné par Mars. Ce dernier s’acharne à démontrer, à force d’observations douteuses, l’existence de centaines de canaux rectilignes servant à alimenter en eau des régions martiennes désertiques. L’histoire se tient si bien qu’elle est largement reprise et racontée, notamment par H. G. Wells dans La Guerre des mondes. Les croyances populaires autour de la planète Mars s’enflamment ! DE LA TERRE A MARS Il ne s’agit pas d’un roman à la Jules Verne, ni de quelque paradoxale amusette imaginée par un mystificateur : une souscription vient de s’ouvrir dans le but de réunir les fonds nécessaires à l’établissement d’appareils qui permettraient aux habitants de la Terre d’entrer en relation avec ceux de la planète Mars au moyen de signaux lumineux ! Le projet n’est assurément pas banal. Il l’est même si peu qu’à un autre moment il aurait été accueilli par une singulière explosion de propos hilares et sceptiques. Mais nous sommes au lendemain de la découverte de la télégraphie sans fil et il n’y a pas très longtemps que la radiographie est venue ajouter ses merveilles à l’ordre de nos connaissances physiques les plus certaines. Ces événements ont gagné d’évidentes sympathies aux inventeurs et nous nous trouvons animés à leur égard des intentions les plus bienveillantes.

En mai 1899 dans Le Petit Parisien, une souscription est lancée par monsieur Mercier, membre de la Société astronomique de France. Le but ? Mettre en place une sorte de télégraphe planétaire, pour étendre le réseau de télécommunications en cours de développement sur Terre à la planète Mars, au moyen de puissants réflecteurs. On pense alors que Mars est plus âgée que notre planète, faisant par conséquent de ses habitants les membres d’une civilisation plus développée, capable de recevoir les signaux envoyés depuis la Terre.

Cette image prise par la sonde HiRISE fait parler d’elle en 2021 alors qu’un YouTubeur est persuadé d’y avoir identifié un objet de forme circulaire, de type ovni, posé sur Mars. Des millénaires après sa découverte, Mars fait toujours le buzz ! Le fin mot de l’histoire ? Une dune coincée entre deux strates géologiques.

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DANS LA LITTÉRATURE ET LA FICTION Avec son roman à succès, La Guerre des mondes, H. G. Wells a entrouvert une porte qui n’est toujours pas refermée, en alimentant le mythe d’une planète Mars habitée par des êtres intelligents. Dans ce livre d’anticipation publié en 1898, l’auteur décrit des extraterrestres hostiles, cherchant à fuir une planète devenue asséchée. Cette œuvre majeure de la littérature ne s’est pas construite par hasard, mais bien en lien étroit avec l’actualité scientifique et la controverse des canaux martiens, qui défrayait la chronique de cette fin de XIXe siècle. En cohérence avec la fascination qu’elle exerce sur l’humanité, Mars a nourri bien d’autres récits de science-fiction. La littérature regorge de titres dont l’intrigue s’appuie sur des civilisations martiennes parfois peu enthousiastes à l’idée de rencontrer des êtres humains. Comme chez H. G. Wells, on trouve ce type de récit dans plusieurs œuvres marquantes, notamment le roman soviétique Aelita (Alexis Tolstoï, 1923) ou La Voie martienne (Isaac Asimov, 1952). Durant la guerre froide, alors que la conquête spatiale connaît ses premiers succès, les auteurs se laissent emporter par l’idée séduisante d’un voyage de l’Homme vers Mars, soit pour observer, soit pour s’installer. Dans Les Navigateurs de l’infini, écrit par J.-H. Rosny Aîné en 1925, trois astronautes français en exploration sur Mars rencontrent des formes de vie vertébrée proches des humains (malgré leurs trois jambes et six yeux) menacées d’extinction. Isaac Asimov, Philip. K. Dick, ou plus récemment Stephan Baxter, font partie des nombreux auteurs qui ont usé leur plume autour d’une histoire en lien avec Mars. Sans doute la trilogie de Kim Stanley Robinson (Mars la rouge, Mars la bleue, Mars la verte), parue entre 1992 et 1996, est-elle l’une des plus marquantes publications du genre. Le récit relate la formidable aventure d’un groupe de cent hommes et femmes colonisant Mars et se préparant à transformer la planète rouge pour qu’elle ressemble à la Terre.

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© Éditions Denoël, 2019

Les Chroniques martiennes, de Ray Bradbury, constituent un recueil de nouvelles qui traitent avec philosophie de la capacité d’autodestruction de l’humanité, partie coloniser Mars. Après la guerre, en pleine crise, l’image d’une civilisation qui se tourne vers Mars comme une échappatoire fait écho à la réalité de l’époque. Chroniques martiennes, de Ray Bradbury, traduction française par Jacques Chambon et Henri Robillot.

Une partie de ces œuvres littéraires a rapidement inspiré un cinéma en plein développement au début du XXe siècle. L’un des premiers films sur le sujet, A trip to Mars, est l’œuvre d’un certain Thomas Edison (l’inventeur américain de l’ampoule et de l’ancêtre du cinéma !). Se succéderont de nombreuses tentatives plus ou moins réussies, de Flash Gordon’s trip to Mars (1938) à Flight to Mars (1951), en passant par Angry Red Planet (1959), ces productions laissant place à une diversité de missions spatiales plus ou moins rocambolesques et à des habitants martiens parfois loufoques. Les débuts de la télévision voient aussi naître des documentaires très populaires en lien avec l’exploration spatiale, notamment portés par Walt Disney. Le producteur aborde avec pédagogie le sujet de l’être humain dans l’espace, alors que l’Amérique déploie des moyens colossaux pour envoyer ses premiers satellites, en pleine guerre froide. Pour ces présentations télévisées très populaires, Disney s’associe à Wernher von Braun, ingénieur nazi concepteur de fusées, exilé aux États-Unis. L’épisode Mars and Beyond (Mars et au-delà), diffusé en 1957 et vu par des dizaines de millions de personnes, achève d’apporter aux Américains une culture populaire de la conquête spatiale. Le cinéma récent s’empare régulièrement du sujet avec des œuvres comme Capricorn One (1978), relatant la supercherie d’une fausse mission spatiale vers Mars, dont les images sont en réalité tournées sur

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EN AVANT MARS

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Terre. Les productions hollywoodiennes à plus gros budget arrivent au début des années 2000 avec Mission to Mars, qui remporte un certain succès, avant que Seul sur Mars (2015) ne vienne se propulser dans les meilleurs scores du box-office. Surfant sur cette vague martienne, les producteurs de séries ont également été inspirés, en proposant Mars (2016) ou encore Away (2019), préparant tout doucement l’humanité à l’idée d’une mission habitée.

Pour en savoir plus

D’OÙ VIENT LE MYTHE DES BONSHOMMES VERTS ? La première mention des Martiens verts dans la littérature daterait de 1912, dans le livre Une Princesse de Mars, d’Edgar Rice Burroughs. L’auteur y décrit des êtres vaguement humanoïdes de plus de 4 m de haut, plutôt repoussants et animés de mauvaises intentions. La couleur verte, reprise dans d’autres romans (notamment The Green Man, 1946), est quasi systématiquement associée à une forme humanoïde, probablement plus facile à accepter et à comprendre pour un lecteur. Tandis que l’existence possible d’une vie sur Mars fait débat d’un point de vue scientifique, les clichés prennent racine dans la culture populaire, créant des bonshommes verts provenant de Mars et prenant une place prépondérante dans la science-fiction et dans les médias, la télévision et les films enfonçant le clou à leur tour.

Première représentation d’un Martien, conforme aux connaissances scientifiques de l’époque (Science and Invention, 1924). DR

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Que connaissait-on de Mars avant l’ère Spatiale ?

M

ars est une planète qui a travaillé l’imagination des Hommes depuis l’Antiquité. Ces légendes s’ancrent dans des observations scientifiques bien réelles. Cependant, avant les missions d’exploration, les observations de Mars restent difficiles et incomplètes, même si le début du XXe siècle apporte un lot de connaissances importantes. Que savait-on de Mars avant d’envoyer les premiers appareils photo vers sa surface ?

DES ASTRONOMES GRECS À JOHANNES KEPLER

Ptolémée (100-168), Copernic (1473-1543) et Kepler (1571-1630) sont trois célèbres astronomes qui ont chacun apporté leur pierre à l’édifice pour comprendre le fonctionnement du Système solaire, notamment grâce à l’observation de Mars.

23

Q UE C O NNA ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA L E ?

Les cinq planètes les plus brillantes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, étaient déjà connues des astronomes égyptiens 1 500 ans av. J.-C. Très tôt, les astronomes ont différencié les étoiles, fixes les unes par rapport aux autres, et les planètes, qui changent de position dans le ciel au cours du temps. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui vaut leur nom à ces dernières, « planète » pouvant se traduire par « errant », en grec. En effet, contrairement au Soleil, à la Lune et aux étoiles, qui depuis la Terre semblent se déplacer dans le ciel d’est en ouest, les planètes adoptent un mouvement plus complexe, avec des phases rétrogrades au cours desquelles elles se déplacent d’ouest en est. C’est le cas de Mars, dont le mouvement rétrograde est connu depuis l’Antiquité (voir chapitre 1). L’apparente immobilité des étoiles et leur mouvement relatif autour de la Terre ont conduit les astronomes antiques à considérer la Terre comme le centre de l’Univers, autour duquel orbitaient les autres corps célestes. Ce modèle, dit géocentrique, n’expliquait cependant pas du tout le mouvement rétrograde des planètes. Pour le comprendre, les astronomes grecs, en particulier Ptolémée au IIe siècle, se sont appliqués à décrire géométriquement ce mouvement apparent par l’utilisation de mouvements circulaires dans l’orbite des planètes appelés épicycles. Les travaux de Ptolémée ont ensuite servi de référence jusqu’au XVIe siècle pour prévoir les trajectoires des planètes, même s’il a fallu réajuster plusieurs fois les prédictions lorsque les imprécisions s’accumulaient. En 1543, Nicolas Copernic propose un nouveau modèle inédit mais largement controversé pour expliquer le mouvement rétrograde des planètes. Dans cette théorie, dite héliocentrique, la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil selon des orbites circulaires. La position relative de la Terre et des planètes donne l’impression d’un mouvement rétrograde. Même s’il est proche de la réalité, ce modèle n’explique cependant pas encore parfaitement les mouvements observés.

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EN AVANT MARS

Q UE C O NN A ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA LE ?

La théorie géocentrique a été défendue pendant près de 1 500 ans par les astronomes. Elle justifiait le mouvement rétrograde de Mars grâce aux épicycles, ces mouvements circulaires effectués par les planètes. Ce modèle expliquait les variations observées dans les mouvements apparents des planètes.

Il faut attendre 1609 et l’astronome allemand Johannes Kepler pour affiner le modèle héliocentrique : grâce à plusieurs années d’observation de Mars, Kepler introduit des orbites elliptiques. Il est intéressant de noter, au crédit de la planète rouge, que ces observations ont été facilitées par la forte excentricité de l’orbite martienne. Si Kepler avait choisi d’observer une autre planète, il aurait fallu plus de temps et de précision pour arriver à ces résultats.

PREMIÈRES OBSERVATIONS À LA LUNETTE L’apparition de la lunette astronomique, démocratisée par Galilée au début du XVIIe siècle, permet des observations jusqu’alors impossibles. C’est en 1659 que Christian Huygens décrit pour la première fois la surface de Mars. Grâce à ses observations et à ses calculs, il estime aussi la durée du jour martien, affinée la même année par Copernic à 24 heures et 40 minutes. Huygens est aussi le premier 25

À l’aide

Q UE C O NNA ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA L E ?

L’excentricité d’une planète est forte quand son orbite l’amène parfois très loin du Soleil. Contrairement à la Terre, la planète Mars possède une orbite très excentrique. Lorsqu’elle est la plus proche de notre étoile, Mars est au périhélie, alors que lorsqu’elle est la plus éloignée, elle est à son aphélie.

Parmi les observations de Copernic, on peut noter le calcul de la distance Terre-Mars en 1671 à partir de deux observations, l’une réalisée à Paris et la seconde à Cayenne. Cela lui permettra non seulement de connaître la distance Terre-Mars, mais aussi d’en déduire les distances au Soleil de toutes les planètes à partir des lois de Kepler.

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EN AVANT MARS

Q UE C O NN A ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA LE ?

astronome à donner un ordre de grandeur au diamètre de la planète, l’évaluant à un peu plus de la moitié de celui de la Terre, soit environ 3 400 km. Le XVIIIe siècle voit les études télescopiques de la surface de Mars se multiplier. Parmi les observations notables, la découverte des calottes polaires aux pôles Sud et Nord de Mars fait sensation : l’astronome William Herschel va jusqu’à remarquer les variations saisonnières de l’étendue des calottes, suggérant qu’elles sont composées de glace. C’est aussi à cette période qu’il est fait mention pour la première fois des tempêtes martiennes, lorsqu’un astronome français, Honoré Flaugergues, décrit un « voile de couleur ocre » qui obscurcit la surface. Plus on lui accorde d’attention, plus la planète rouge dévoile ses mystères ! Au XIXe siècle, l’amélioration des télescopes amène à des observations plus précises de la surface martienne et aux premières cartes détaillées de la surface, comme celle de Giovanni Schiaparelli en 1877. C’est également cette année-là qu’un astronome américain,

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Q UE C O NNA ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA L E ?

Asaph Hall, observe pour la première fois les deux lunes de Mars, Phobos et Déimos, pourtant difficiles à repérer du fait de leur très petite taille : elles font moins de 20 km de diamètre (voir chapitre 3) !

LE DÉBUT DU XXE SIÈCLE

À l’aide

Les observations de Mars continuent de progresser au XXe siècle, précisant et confirmant un grand nombre de paramètres physiques de la planète, comme sa masse et sa période de rotation. En 1924, la température de surface est estimée de manière précise en mesurant l’énergie renvoyée par le sol grâce à un télescope situé à l’observatoire du mont Wilson aux États-Unis. Grâce à cette technique, les scientifiques disposent d’une première fourchette de la température locale, évaluée entre −86 °C et +7 °C, avec de très fortes variations entre le jour et la nuit. Ces valeurs seront par la suite confirmées et affinées avec les mesures prises par les robots, sur place, quelques décennies plus tard. Dans les années 1930, les premières analyses spectroscopiques permettent de déterminer la composition de l’atmosphère martienne, très pauvre en vapeur d’eau et très riche en dioxyde de carbone (CO2). Bien avant de s’y poser, on a donc réussi à obtenir de précieux renseignements sur la planète rouge !

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La spectroscopie est une technique qui analyse la lumière (visible, mais aussi au-delà, comme les UV et les infrarouges) émise, absorbée ou réfléchie par un échantillon. On peut alors déterminer sa « couleur » de façon très précise et en déduire la composition chimique ou minéralogique d’une substance ou d’un objet, y compris à très grande distance !

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Q UE C O NN A ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA LE ?

Ces observations sont reportées dans des livres d’astrophysique, mais les véritables avancées scientifiques cohabitent encore avec des spéculations plus hasardeuses : des encyclopédies des années 1950-1960 font encore référence à la présence de végétation aux couleurs changeantes en fonction de la période de l’année. En effet, les télescopes montrent des variations saisonnières de l’atmosphère et de la surface, mal interprétées par les observateurs, sur un fond de mythe selon lequel la planète abriterait des êtres vivants. L’avènement des premières missions martiennes dans les années 1970 viendra complètement changer la donne. Mais si les premières images de Viking montrant une surface désertique et inhabitée déçoivent, Mars n’en reste pas moins une planète intrigante et riche de mystères !

Pour aller plus loin

CARTE DU CIEL INTERACTIVE Pour savoir où et quand regarder pour trouver Mars dans le ciel, on peut s’aider d’une carte du ciel. Ce lien vous emmènera vers une carte interactive : il vous suffira alors de régler la date, l’heure et votre position pour savoir dans quel coin du ciel votre planète favorite sera visible.

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Q UE C O NNA ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA L E ?

Jean-Luc Dauvergne est journaliste scientifique pour le magazine Ciel et Espace. Il est spécialisé en astronomie, qu’il pratique en amateur. Passionné de photographie, il réalise de nombreux clichés du ciel et des planètes du Système solaire.

Quel est le meilleur moment pour observer Mars ? En moyenne, Mars est en opposition tous les 2 ans et 49 jours. Il faut donc attendre ces périodes, où la planète se trouve dans la direction opposée au Soleil, pour pouvoir la détailler au télescope. Ces oppositions offrent de bonnes conditions de visibilité pendant environ 2 à 3 mois. La visibilité de Mars varie néanmoins d’une opposition à l’autre, car son orbite est notablement elliptique. De ce fait, sa taille apparente à l’opposition oscille quasiment du simple au double ! Les oppositions les plus favorables se produisent tous les 15 ans, mais elles sont plutôt basses dans le ciel pour les observateurs de l’hémisphère nord. Pour vous tenir au courant de ce genre d’actualité, je vous invite à consulter les magazines spécialisés. On dit qu’une planète est en opposition quand elle est située à l’opposé du Soleil par rapport à la Terre.

De quel matériel ai-je besoin si je souhaite voir plus qu’un point lumineux dans le ciel ? Lorsque Mars est en opposition, le moindre instrument pour l’astronomie permet de voir plus qu’un point. Une lunette de 50 mm de diamètre suffit. Cependant, pour vraiment distinguer beaucoup de détails à la surface, il faut plutôt miser sur un télescope d’au moins 200 mm. •••

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Crédits : Jean-Luc Dauvergne

Interview

MARS VUE DE LA TERRE

Q UE C O NN A ISSA IT- O N DE M A R S AVA NT L’ÈR E SPAT IA LE ?

Avec du bon matériel, que peut-on voir de Mars depuis la Terre ?

Crédits : Jean-Luc Dauvergne

Dans de bonnes conditions, on peut observer des détails de l’ordre de 100 à 200 km. La calotte polaire est le point le plus évident lorsqu’elle est visible (tout dépend de la saison et de l’inclinaison de la planète). En observation visuelle, nous pouvons surtout détecter de grandes structures comme le bassin d’Hellas ou Syrtis Major. Les techniques d’imagerie moderne permettent de compiler plusieurs photos, ce qui corrige les effets de l’atmosphère et améliore la résolution ; on découvre alors sans peine les plus grands volcans, comme le dôme de Tharsis et bien entendu Olympus Mons. Valles Marineris est également facilement identifiable.

Cette photo a été prise le 21 septembre 2020 depuis Paris, à l’aide d’un télescope équipé d’une lentille de 300 mm, par l’astronome amateur Jean-Luc Dauvergne. On y distingue très bien les calottes polaires Nord et Sud de la planète.

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Mars est-elle la petite cousine de la Terre ?

L

es instruments des rovers nous donnent des pistes sur l’histoire passée de Mars, planète la plus semblable à la Terre en matière de distance et de conditions de surface. Malgré une formation par des processus similaires, Mars a cependant connu une évolution très différente de notre planète, car elle ne se serait pas formée au bon endroit, au bon moment.

DES ORIGINES COMMUNES Au moment de la formation du Système solaire, il y a 4,5 milliards d’années, les deux planètes, Mars et la Terre, sont nées par le même processus, à savoir par accrétion ou accumulation de petits blocs rocheux. Les protoplanètes (que l’on pourrait comparer à des embryons de planètes) ont grossi progressivement, en attirant et amassant les petits corps sur leur orbite et dans leur voisinage. On estime que l’énergie de toutes ces collisions a été transformée en chaleur faisant fondre les roches, et que la Terre, tout comme Mars, au début de son histoire, était recouverte d’un gigantesque océan de magma. La différence de densité entre les métaux et les roches sur ces protoplanètes partiellement liquides va entraîner la différenciation des planètes, avec les métaux qui « coulent » vers le centre de la planète et les roches qui flottent à la surface. Cette migration figée lors du refroidissement et de la solidification de l’océan de magma est responsable de la structuration interne des planètes. Comme la 33

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Terre, Mars est devenue une planète rocheuse que l’on qualifie de différenciée, c’est-à-dire que son intérieur est structuré en plusieurs enveloppes concentriques : un noyau métallique au centre, un épais manteau solide mais visqueux, ainsi qu’une croûte en surface. Même si l’océan magmatique s’est refroidi et solidifié pour former les croûtes des planètes, ces dernières ont conservé assez de chaleur pour entraîner localement la fusion des roches, ce qui se traduit en surface par des éruptions volcaniques parfois spectaculaires. Tout comme la Terre, Mars est donc parsemée de volcans ! En dehors de ces monstres de feu, on retrouve de nombreuses curiosités géologiques bien connues des Terriens à la surface de la planète rouge :

La formation des planètes rocheuses par accrétion permet d’accumuler une grande quantité de chaleur initiale, souvent responsable de la présence d’océans de magma. La solidification de cet océan magmatique au fur et à mesure que la planète se refroidit contribue très largement à sa différenciation en un noyau métallique dense, un manteau intermédiaire et une croûte rocheuse plus légère. Cette étape n’aurait pris que 20 à 40 millions d’années, pour aboutir à une planète intérieurement structurée et majoritairement solide.

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canyons, failles, plateaux, plaines, dunes, glaciers, anciennes rivières, lacs… et bien sûr, de gigantesques trous correspondant à de nombreux cratères d’impact (voir chapitre 10).

UNE SURFACE MARTIENNE TRÈS ANCIENNE… ET UN PROBLÈME DE TAILLE ! Ces cratères, formés par des milliers d’impacts accumulés depuis la formation de la planète, témoignent de l’âge très ancien de la surface de Mars. Si de tels cratères existent sur Terre (par exemple, le Meteor Crater aux États-Unis), ils sont beaucoup plus rares, car la croûte terrestre est plus jeune. En effet, sur Terre, l’enveloppe la plus superficielle est constamment recyclée par un phénomène géologique fondamental, véritable moteur de notre planète : la tectonique des plaques. Les « vieilles croûtes », enfouies et détruites dans les zones de subduction, laissent la place à une nouvelle croûte fraîche produite au niveau des dorsales océaniques, là où les plaques se séparent. La tectonique des plaques constitue une façon efficace pour la Terre d’évacuer sa chaleur en utilisant des mouvements mantelliques dits de convection. Mars étant 2 fois plus petite que la Terre, elle n’a pas besoin de ces mouvements de plaques : la planète rouge se refroidit suffisamment de manière passive, par conduction. En l’absence de tels processus, sa surface est donc bien plus ancienne que celle de la Terre. Sa différence de taille avec la Terre a donc changé son destin ! La taille de Mars explique donc ses principales différences avec la Terre. En étant 2 fois plus petite, Mars est aussi 10 fois moins lourde. La gravité sur Mars est donc bien plus faible que sur Terre : 3,73 m/s2, contre 9,81 m/s2. On se sentirait plus léger sur Mars, mais avec une gravité aussi faible, Mars rencontre bien des difficultés à garder son atmosphère autour d’elle ! Les gaz légers qui composent l’air martien ont tendance à s’échapper dans l’espace, et il ne reste quasiment que du dioxyde de carbone, qui occupe actuellement 96 % 35

M A RS EST- ELLE LA PET IT E CO U SINE DE LA T ER R E ?

Pour en savoir plus

MAIS POURQUOI MARS EST-ELLE PLUS PETITE ? De nombreux chercheurs se sont creusé les méninges sur cette question ! On a longtemps pensé que Mars avait pu se former à un endroit plus lointain que sa position actuelle, avant de migrer vers l’intérieur du Système solaire – mais cette idée ne colle pas avec sa composition, pas si différente de celle de la Terre. Récemment, des chercheurs français ont proposé un nouveau modèle de formation du Système solaire permettant d’expliquer la petite taille de Mars, un modèle baptisé « le Grand Tack ». Il est basé sur une idée originale : la migration de la planète géante Jupiter aurait repoussé tous les petits corps rocheux, appelés planétésimaux (les briques élémentaires des planètes) vers le Soleil, formant un anneau compact. Mars se serait formée en périphérie de cet anneau et aurait eu moins de matière à amasser que la Terre, située plus au centre. Mars serait donc restée sur sa faim !

de l’atmosphère martienne, avec un peu d’azote et d’argon. Cette dernière est aussi beaucoup plus fine que l’atmosphère terrestre, avec une pression en surface environ 170 fois plus faible que sur Terre. À ceci s’ajoute l’absence de couche d’ozone et de champ magnétique actuel, qui seraient pourtant tous les deux bien utiles pour se protéger des radiations du Soleil et de l’espace. Et si le champ magnétique de Mars a disparu aujourd’hui, c’est probablement encore une fois à cause de sa taille : il n’aurait fallu que quelques centaines de millions d’années à son noyau pour se solidifier entièrement, stoppant alors les mouvements de métal à l’origine du champ magnétique (voir chapitre 17). L’air irrespirable de Mars n’est d’ailleurs pas le seul aspect qui la rend très inhospitalière. Étant plus loin du Soleil que la Terre, il y fait plus froid (en moyenne −63 °C) et le thermomètre dépasse rarement les 0 °C. Ainsi, dans les conditions actuelles, l’eau liquide n’est pas stable en surface : elle est rapidement vaporisée, ou gelée.

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À l’aide

LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE C’est la pression qu’exerce le mélange gazeux constituant l’atmosphère sur la surface d’une planète. Plus l’on monte en altitude, plus la pression diminue, puisque le poids de la colonne d’air située au-dessus est moindre. L’atmosphère de Mars étant assez fine, la pression à la surface de Mars est faible, ce qui n’est pas sans conséquence ! La pression influe en effet sur l’état solide/liquide/gazeux des molécules comme l’eau, mais aussi sur la météo martienne.

Avec des roches et des objets géologiques ressemblant à ceux qu’on trouve sur Terre, les deux planètes nées d’une même histoire sont bien deux cousines proches. Mais malgré leurs nombreux points communs, leur destin aura été finalement bien différent, tout ça pour un problème de croissance. La petite planète rouge a pris un autre

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M A RS EST- ELLE LA PET IT E CO U SINE DE LA T ER R E ?

chemin… Pour comprendre ce qui a bien pu lui arriver, de nombreuses missions ont été envoyées sur place. Mars nous réserve sans doute encore bien des surprises !

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Si Mars et la Terre possèdent des lunes, c’est que ces dernières ont été capturées ou formées après la naissance de leur planète. Mais la Lune, Phobos et Déimos n’ont pas grand-chose d’autre en commun. Les deux petits satellites de Mars mesurent respectivement 27 et 15 km de long, avec une forme « patatoïde ». Rien à voir avec notre Lune et son diamètre de 3 474 km ! Si la Lune influence la Terre en produisant des effets de marée et en stabilisant son axe d’obliquité, les petites lunes de Mars ont des effets beaucoup plus limités. On a longtemps pensé que Phobos et Déimos étaient des astéroïdes capturés au passage de Mars, mais des recherches récentes suggèrent qu’ils pourraient avoir été formés comme notre Lune, par un impact géant éjectant des morceaux de Mars dans l’espace. La vérité éclatera peut-être grâce à la mission japonaise MMX qui prévoit d’aller étudier Phobos et Déimos en 2024 (voir chapitre 19). Si tout se passe comme prévu, la mission rapportera un échantillon de Phobos.

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

Pour en savoir plus

PAS UNE, MAIS DEUX LUNES POUR MARS !

Phobos (gauche) et Déimos (droite), les deux lunes de Mars, mesurant respectivement 27 et 15 km de long, ont été capturées par la caméra HiRISE de la mission NASA Mars Reconnaissance Orbiter.

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Comment envoyer une mission vers Mars ?

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ller découvrir les mystères de Mars en lançant des sondes et des robots vers la planète rouge semble une mission presque banale. Pourtant, rien n’est gagné d’avance dans ce défi de haute technologie, y compris pour des rovers comme Curiosity ou Perseverance ! À quel moment partir ? Quelle trajectoire suivre ? Avant le décollage, jetons un œil au chemin à emprunter pour une visite de la planète rouge.

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C O M M ENT ENV O YER U NE M ISSIO N V ER S M A R S ?

UNE CIBLE EN MOUVEMENT 687 jours : c’est la durée de la révolution de Mars autour du Soleil, soit presque deux années terrestres. Sa vitesse dans l’espace n’est pas non plus la même que celle de notre planète (environ 21 km/s pour Mars contre 30 km/s pour la Terre). Une simple observation de ces chiffres et du mouvement relatif des deux planètes amène une conclusion simple : la distance entre la Terre et Mars varie tout le temps. Au plus près, elles se trouvent à environ 55 millions de kilomètres l’une de l’autre et sont alors dites « en opposition », c’est-à-dire que la Terre se trouve intercalée entre Mars et le Soleil. Durant ces périodes d’opposition, on observe aisément à l’œil nu la couleur rouge de Mars dans le ciel nocturne. À l’inverse, la planète rouge peut se situer à plus de 400 millions de kilomètres de la Terre, quand Mars, le Soleil et la Terre sont alignés dans cet ordre. Compte tenu de ces éléments, le calcul du trajet d’une mission Terre-Mars s’avère complexe, puisque notre planète de départ est en mouvement et que l’on cherche à atteindre Mars, en mouvement

Si l’on considère, en simplifiant, que les orbites de Mars (en marron) et de la Terre (en bleu) sont circulaires et contenues dans le même plan de l’écliptique, l’orbite de transfert est tangente à celle des deux planètes (en vert), comme l’a démontré Hohmann. Suivre cette orbite de transfert est la solution la plus rapide et la moins coûteuse en énergie pour un voyage de la Terre à Mars.

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Pour aller plus loin

elle aussi. C’est le scientifique allemand Walter Hohmann qui, en 1925, a défini le premier avec précision le trajet que doit emprunter un objet entre deux planètes : en supposant que les orbites de Mars et de la Terre soient circulaires et contenues dans le même plan, il a démontré qu’un voyage interplanétaire, pour être le plus économe en carburant possible, devrait se dérouler selon une ellipse tangente aux orbites des deux planètes. On appelle cette trajectoire l’orbite de transfert de Hohmann.

Calculez votre trajectoire vers Mars ! À l’aide de ce site de la NASA sur lequel vous pouvez rentrer tous les paramètres de vol (date de départ, vitesse...), visualisez le temps de trajet et le parcours d’un vol vers la planète rouge.

Pour optimiser le trajet et être certain d’arriver, il convient donc de ne pas partir n’importe quand. Selon la date du départ de la Terre, la durée du trajet et la distance parcourue ne seront pas les mêmes : des calculs complexes démontrent que, pour une sonde ou un vaisseau, entre 228 et 333 jours sont nécessaires pour atteindre Mars, et qu’il existe une fenêtre de tir tous les 26 mois pour effectuer un lancement. Pour un envoi de mission, il s’agit de ne pas rater le départ, sans quoi il faudrait à nouveau attendre deux années avant d’envisager un nouveau lancement.

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C O M M ENT ENV O YER U NE M ISSIO N V ER S M A R S ?

EN ROUTE VERS MARS Maintenant que l’on y voit plus clair sur la route à emprunter et le temps de trajet, tentons d’en savoir plus sur le meilleur moyen de transport à choisir pour aller sur Mars. Pour cela, nous bénéficions de l’expérience tirée des précédentes missions envoyées depuis plusieurs dizaines d’années. Même si elles sont nombreuses à avoir échoué, les plus récentes laissent à penser que les techniques de décollage et surtout d’atterrissage deviennent de mieux en mieux maîtrisées. Plusieurs agences spatiales, dont l’ESA – l’Agence spatiale européenne –, ont relevé le défi d’envoyer des sondes en orbite martienne avec succès, mais à ce jour, seules la NASA et l’agence spatiale chinoise ont été en mesure de faire parvenir des robots sur la poussière du sol martien : les atterrisseurs Viking 1 et 2, Pathfinder, Phoenix, InSight et les

Les nombreux appareils scientifiques envoyés autour de Mars ou à sa surface nécessitent une mise au point sur le vocabulaire. La sonde (A), aussi appelée orbiteur ou satellite, gravite autour de la planète. Un rover ou astromobile (B) est capable de se déplacer à la surface, tandis qu’un atterrisseur (C) est un robot fixe au sol. L’hélicoptère (D) est un engin volant qui, dans le cas d’Ingenuity, se déplace à proximité du rover auquel il est associé.

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rovers Sojourner, Spirit, Opportunity, Curiosity et plus récemment, Perseverance et Zhurong. La mission ExoMars, qui devait faire du rover Rosalind Franklin le premier astromobile européen sur le sol de la planète rouge, a malheureusement été reportée. Il va falloir patienter encore un peu !

40 % C’est le taux de réussite des missions envoyées vers Mars, si l’on compte toutes les tentatives depuis les années 1960.

Bien entendu, la première phase délicate de tout lancement concerne le décollage depuis la Terre : le vaisseau partant vers l’espace doit atteindre une poussée suffisante pour décoller et échapper à la gravité, tout en se dirigeant dans la bonne direction. Afin d’y parvenir, il est nécessaire de disposer d’un lanceur adapté à la masse du rover ou du satellite à envoyer, qui s’ajoute à la quantité de carburant emportée. Ces deux éléments sont absolument cruciaux et chaque kilogramme compte. En effet, plus le matériel est lourd, plus il faut d’énergie pour décoller mais également pour freiner en arrivant sur place. On pourrait diminuer la durée du vol vers Mars, mais au prix d’une dépense énergétique plus élevée et d’un lanceur plus puissant. Tout est donc une question de compromis, sorte d’équation à multiples paramètres que cherchent, au mieux, à résoudre les ingénieurs des agences spatiales avant de s’accorder sur une masse critique à ne pas dépasser, un lanceur adapté et une date de départ. Les fusées actuelles sont envoyées dans l’espace grâce à un mode de propulsion chimique : le propergol solide ou liquide réagit en 45

Crédits : NASA/Joel Kowsky

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Perseverance est parti à bord d’une fusée Atlas V le 30 juillet 2020, depuis Cap Canavéral en Floride. Au lancement, le rover se trouvait dans une capsule située dans la coiffe de la fusée, à sa tête. Rapidement après le décollage, une fois en orbite terrestre, les éléments de la fusée se sont séparés, les étages inférieurs retombant sur Terre et la capsule se libérant pour poursuivre son chemin.

produisant une très forte énergie, expulsant des gaz à grande vitesse. Ce déplacement de gaz fournit une forte poussée vers le bas qui résulte en un déplacement vers le haut. D’autres modes de propulsion sont à l’étude, afin d’atteindre des vitesses supérieures et donc de réduire de temps de voyage et éventuellement d’augmenter le poids embarqué : la propulsion thermique nucléaire fait, par exemple, partie des possibilités envisagées, car elle permettrait d’atteindre une poussée plus élevée qu’un moteur standard. L’utilisation de ce type de technologie dans l’espace fait toutefois débat, car les risques sont importants. Pour limiter la contamination dans la zone de décollage en cas d’explosion, le réacteur nucléaire ne pourrait être activé qu’une fois en orbite terrestre. Les modules destinés à Mars embarquent également du carburant, pour se diriger en ajustant éventuellement les trajectoires, mais également pour freiner en arrivant à proximité de la destination. Après des mois de voyage dans le froid de l’espace à –270 °C, il devra réussir son approche pour ne pas s’écraser sur la planète rouge ni partir dans les confins de l’Univers. Du début à la fin, les 46

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À l’aide

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Le propergol est un mélange de substances utilisées pour la propulsion des fusées. Il contient à la fois un comburant et un combustible, qui peuvent être solides – sous forme de poudre ou de pâte –, liquides, ou gazeux. Les substances contenues dans le propergol sont très variées (nitrate de potassium ou perchlorate d’ammonium pour les ergols solides, hydrogène et oxygène liquides...). Selon leur nature, on obtient des réactions aux caractéristiques différentes.

risques sont nombreux, à toutes les étapes... Une défaillance technique à n’importe quel niveau risque de mettre en péril l’ensemble de la mission, d’où un travail à la fois précis, minutieux et exigeant, qui nécessite des milliers de tests et de nombreuses validations, pour ne pas laisser de place au hasard. Cet aperçu des lourdes contraintes techniques explique le coût important des missions spatiales et le temps nécessaire à la préparation des missions, long de plusieurs années. Même si on a déjà ouvert la voie en allant sur Mars avec des premiers robots, y retourner reste un défi de taille. Quant aux vols habités sur lesquels les agences spatiales planchent déjà, les problématiques de trajet seront les mêmes, mais les paramètres à prendre en compte seront encore plus complexes : matériel plus conséquent, trajet retour à anticiper… Mais ça, c’est une autre histoire ! (Que l’on vous raconte au chapitre 20.)

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C O M M ENT ENV O YER U NE M ISSIO N V ER S M A R S ?

Pour en savoir plus

COMBIEN COÛTE UNE MISSION ?

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Le coût d’une mission vers Mars est bien évidemment conséquent, de l’ordre du milliard d’euros. À titre d’exemple, la mission Curiosity cumule un coût de 2,8 milliards d’euros après 10 ans passés sur Mars. Le record est détenu par les missions Viking 1 et 2, premières à réaliser l’exploit de se poser sur le sol martien, pour lesquelles les dépenses se sont chiffrées à 6,2 milliards d’euros. Si ces montants semblent faramineux, ces missions permettent de récupérer des données pendant de nombreuses années. Ainsi, la mission MRO (1,5 milliard d’euros) prend des photos de la surface de Mars depuis 16 ans. On tombe donc à un coût de moins de 100 millions d’euros par an pour cette sonde qui fonctionne encore, soit environ 1 % du budget annuel alloué à la recherche en France ou à peine 0,04 % du budget total de l’État. Par ailleurs, les progrès réalisés ces dernières années par les agences spatiales permettent de largement diminuer les dépenses, avec des missions low cost comme InSight, qui n’a coûté que 50 millions d’euros. Dans tous les cas, le coût de développement reste un investissement sur les technologies futures, puisque de l’exploration spatiale découlent de nombreuses applications qui envahissent notre quotidien : smartphones, GPS, couvertures de survie, tenues de pompier, n’en sont que quelques exemples.

EN AVANT MARS

À qui appartient la Planète Mars ?

L

Crédits : CNSA. DR

es nations qui investissent dans la course à l’espace se multiplient, redoublant d’efforts pour envoyer des missions vers l’orbite et le sol martien, souvent à grand renfort de communication. Verra-t-on un jour un partage des territoires martiens ? Ces terres vierges peuvent-elles devenir la propriété d’un État ou d’un milliardaire ?

En 2021, la Chine et les Émirats arabes unis atteignent Mars pour la première fois, rejoignant l’Inde, les États-Unis et l’Europe : ça en fait, du monde, en orbite martienne ! La sonde Tianwen-1 en profite pour faire le buzz sur les réseaux sociaux avec un selfie (en réalité, un montage de plusieurs photos) pris devant la planète rouge.

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À Q UI A PPA R T IENT LA PLA NÈT E M A R S ?

UN TRAITÉ INTERNATIONAL En pleine guerre froide et quelques années à peine avant que le premier être humain ne pose le pied sur la Lune, les grandes puissances mondiales ont lancé une réflexion sur l’exploration spatiale, débouchant sur un traité paru en janvier 1967. Le « traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes », aussi appelé « traité de l’espace », est porté par les Nations unies, avec comme objectif de réunir les États qui le ratifient autour de valeurs partagées concernant la conquête spatiale : « pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays », en « facilitant la coopération internationale ». Le deuxième article apporte une précision quant à la propriété de la planète Mars, mais pas seulement : « Art. II/ L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. » À l’époque, ce traité a été signé par les puissances spatiales existantes : les ÉtatsUnis, l’URSS, le Royaume-Uni puis, un peu plus tard, par la France.

En 1967, la signature du traité de l’espace par les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni est un moment historique. Les puissances spatiales qui ont émergé sur la scène internationale depuis, comme la Chine ou les Émirats arabes unis, n’étaient pas invitées à l’époque. DR.

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À Q U I A PPA R T IENT LA PLA NÈT E M A R S ?

NUANCES

Pour aller plus loin

Jusqu’ici, tout allait dans le sens d’une belle coopération scientifique au bénéfice de l’humanité, mais… c’était sans compter sur la forte pression engendrée par la recherche de nouvelles ressources et les enjeux économiques et politiques associés. En effet, si le traité de l’espace interdit l’appropriation de corps célestes, il n’interdit pas clairement et strictement l’appropriation de ressources issues de l’espace. Une ambiguïté dont s’emparent plusieurs États, s’engouffrant dans cette faille à l’heure où l’exploitation d’éventuelles ressources de l’espace ne semble plus être de la science-fiction. Ainsi, en 2015, les États-Unis lancent le « SPACE Act », qui ouvre la possibilité aux citoyens américains d’exploiter commercialement les ressources de l’espace. Le Luxembourg suit le mouvement en 2017 et déclare possibles l’extraction et l’appropriation de ressources spatiales pour les entreprises qui s’installeraient sur son sol. Dans la foulée, les Émirats arabes unis puis le Japon adoptent des textes équivalents au cours des années 2020 et 2021. En octobre 2020, les accords Artemis pilotés par la NASA apportent des précisions au traité de 1967, à la fois sur l’exploration, l’exploitation des ressources mais aussi sur la question épineuse des débris spatiaux. Des accords surtout rédigés en vue de l’exploration imminente de la Lune prévue en 2024, dans le cadre du programme éponyme.

Rendez-vous sur le blog SpaceLaw, spécialisé en droit de l’espace. Il traite, par des articles réguliers, des sujets liés à l’exploitation des ressources, les débris spatiaux, et même la délicate question des crimes commis dans l’espace (et aussi @DroitSpatial sur Twitter et Facebook).

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À Q UI A PPA R T IENT LA PLA NÈT E M A R S ?

ET MARS, ALORS ? De quoi s’interroger au sujet de l’exploration martienne en plein développement, portée à la fois par des acteurs publics mais aussi des compagnies privées. Si Américains, Européens, Russes et Chinois ont déjà posé des robots sur le sol, qu’en sera-t-il le jour où des êtres humains auront la capacité de venir sur place ? Verra-t-on se déployer le drapeau des premiers arrivés, s’appropriant les terres à la façon du Far West ? D’un point de vue juridique, la question n’est pas évidente. Qui peut décider à qui appartient une planète ou qui peut utiliser ses ressources ? Pourrait-on imaginer exploiter les ressources d’une planète qui n’appartient à personne ? Le cadre reste flou. Si nous avons encore probablement plusieurs dizaines d’années à attendre avant des premières missions scientifiques habitées, il faudra sérieusement se

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À Q U I A PPA R T IENT LA PLA NÈT E M A R S ?

Crédits : NASA

pencher sur cette question avant de laisser partir quiconque. Toujours est-il que pour les missions à venir, les futurs rovers n’auront pas besoin de passeport pour aller sur place !

La compagnie américaine SpaceX, portée par le milliardaire Elon Musk, prépare un aller simple vers Mars, annoncé dès 2026. Les volontaires se pressent pour aller coloniser la planète rouge… En cas de succès, ces pionniers de l’espace peuvent-ils pour autant s’installer comme s’ils étaient chez eux ?

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À Q UI A PPA R T IENT LA PLA NÈT E M A R S ?

Philippe Clerc est référent « conformité et éthique » au Centre national d’études spatiales. Il s’intéresse depuis plus de 30 ans à un droit pratique de l’espace, en lien étroit avec des institutions publiques et privées.

Une nation ou une entreprise pourrait-elle s’approprier Mars aujourd’hui ? Non, sans équivoque. L’article II du traité de l’espace de 1967 des Nations unies indique que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation ». Ceci permet d’éviter concrètement que le premier arrivé sur un corps céleste déclare sa souveraineté ou y dicte sa seule loi économique. Cette disposition est opposable à des États souverains et par conséquent aux entreprises ou individus qui relèvent de leur juridiction, responsabilité, autorisation et surveillance continue suivant les articles VI et VII du même traité. Cette interdiction ne vise pas explicitement l’appropriation des ressources naturelles ou minières qui pourraient s’y trouver. Elle vise surtout la pleine appropriation, c’est-à-dire une propriété qui serait illimitée dans le temps et dans l’usage. On pourrait toutefois envisager des aménagements sur la base de consensus ou d’usages internationaux pour des utilisations temporaires ou pour des besoins d’intérêt général, y compris à des fins économiques, notamment sous forme de concession ou de bail, à condition bien sûr de respecter les autres grands principes du traité, comme l’intérêt des générations futures, l’apanage de l’humanité (art. I) ou la préservation de l’environnement planétaire (art. IX). •••

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Crédits : CNES

Interview

LE DROIT DE L’ESPACE

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Une structure privée ne peut donc s’affranchir des règles prises par son État, qui plus est lorsque celles-ci découlent d’un traité qui oblige internationalement ce dernier, comme avec le traité de 1967 ! Dans ces conditions, un individu comme Elon Musk, avec son entreprise SpaceX, ne peut agir sans l’accord exprès du gouvernement des États-Unis. À cet égard, le SPACE Act, élaboré sous l’administration Obama, qui permet l’appropriation privée des ressources, la subordonne à une licence préalable du gouvernement, laquelle sera accordée dans le respect les engagements internationaux de ce pays, dont le traité de 1967. Il n’y a donc aucun « chèque en blanc » accordé aux entrepreneurs privés, mais davantage un signal clair et positif de cette administration en faveur de la protection juridique des investissements vers l’espace. La législation sur les ressources adoptée au Luxembourg repose sur le même objectif. Celle-ci devra toutefois composer avec le droit de l’Union européenne, notamment en matière économique et financière, fiscale et de juste concurrence.

Le traité de 1967 reste donc la référence ? Oui, sur les questions d’appropriation des territoires fonciers ou des espaces orbitaux, ou encore sur la juridiction concernant les véhicules et les activités humaines conduites vers ou sur des espaces extra-atmosphériques. Mais pas directement sur les services dérivés d’information tournés vers la Terre, comme les télécommunications, l’observation, la météorologie, la localisation, en quelque sorte les activités descendantes. Celles-ci s’intègrent progressivement au cadre juridique s’appliquant aux mêmes services lorsqu’ils sont réalisés sur Terre. Rappelons aussi que le traité de 1967 est resté muet sur la question de l’exploitation et l’appropriation des ressources extraterrestres. En cela, l’accord sur la Lune élaboré au sein de l’ONU en 1979 n’a pas apporté de solution satisfaisante. D’une part, •••

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il n’a pas été signé et ratifié par un nombre significatif de puissances spatiales représentatives (ni la Russie, ni les États-Unis, ni la Chine…) et d’autre part, dans son contenu, il ne précise pas dans quelles conditions il serait possible de s’approprier de telles ressources, en se contentant de renvoyer à un hypothétique régime international futur, « lorsque cette exploitation sera sur le point de devenir possible ».

Comment les experts travaillent-ils sur ce sujet à la fois complexe et sensible ? Les représentants des États se réunissent régulièrement dans le cadre du Comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique pour discuter des évolutions et de la bonne application des traités sur l’espace. Ce dialogue est important pour préserver un cadre pacifique et de coopération internationale. Cette instance a été très active dans les années 1960, mais n’est plus à même aujourd’hui, et ce depuis l’élaboration du traité sur l’immatriculation en 1975, de proposer un nouveau texte de droit dur. Autre handicap, cette instance n’organise pas de dialogue direct avec les entrepreneurs privés, lesquels, pourtant, dans le contexte du New Space, affichent des ambitions de plus en plus crédibles pour l’établissement de bases habitées opérationnelles, autonomes et commerciales sur la Lune ou sur Mars !

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Quand a débuté l’exploration de Mars ?

A

lors que les observations se précisent au cours du XXe siècle, avec la mise au point de matériel astronomique plus performant, les scientifiques et ingénieurs préparent les premières missions qui se dirigent vers la planète Mars à partir des années 1960. Le vrai visage de la planète rouge apparaît soudain…

LES PREMIÈRES IMAGES Si la période d’après-guerre peut laisser penser que Soviétiques et Américains ont surtout les yeux tournés vers la Lune, la planète Mars, qui apparaît logiquement comme l’étape suivante, fait déjà l’objet de plusieurs projets. Entre 1960 et 1962, l’Union soviétique prévoit d’envoyer plusieurs missions de survol et même un atterrisseur, mais toutes se soldent par des échecs cuisants. Il faudra attendre 1964, année de l’envoi de la sonde Mariner 4 par la NASA, pour obtenir les premières photographies prises depuis l’orbite d’une planète autre que la Terre. Et quelles images ! Une série de clichés noir et blanc, pris par la sonde à une altitude de près de 10 000 km. Après un passage unique au-dessus de Mars les 14 et 15 juillet 1965, les images sont transmises grâce à un signal radio aux ingénieurs sur Terre, qui patienteront plusieurs jours pour reconstituer ces clichés extraterrestres inédits. L’exploration spatiale martienne a démarré !

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C’est le temps qui a été nécessaire pour transmettre les 22 images prises par Mariner 4 jusqu’à la Terre. Les clichés obtenus par Mariner 4 lors du premier survol de Mars déçoivent le grand public, qui ne peut que constater l’aspect aride de la planète rouge, couverte de cratères. Pas de Martiens à l’horizon… Cette photo, la première de la surface martienne prise depuis l’espace, ouvre la voie à l’exploration martienne qui ne fait que débuter.

Crédits : NASA/JPL

Crédits : NASA

Pour en savoir plus

UNE SEMAINE COMPLÈTE

Lorsque la première image en provenance de Mariner 4 est arrivée sur la Terre, les ingénieurs de la NASA n’avaient aucun moyen de savoir si l’enregistrement avait réellement fonctionné. Pour être certains de récupérer des données, ils ont reconstitué en temps réel la première image en collant des bandes de papier et en coloriant à la main chaque pixel en fonction de la luminosité. Petit à petit, ils ont vu apparaître la surface martienne… Ce document exceptionnel est aujourd’hui précieusement archivé par la NASA. 58

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UN TAUX DE RÉUSSITE LIMITÉ, MAIS…

Crédits : NASA/JPL

Les missions se diversifient au fil des années 1960 et 1970, mais les premières ne sont que de simples survols, prenant des photos au passage de Mars pour être ensuite perdues dans l’espace. Le premier satellite qui réussit à se placer autour de Mars est soviétique : il s’agit de Mars 2, entré en orbite le 21 novembre 1971, qui effectue 362 tours complets de la planète. Son petit frère, Mars 3, envoyé à quelques jours d’intervalle, déploie un atterrisseur qui se pose pour la première fois sur la surface, mais ne transmet qu’une image partielle et perd le contact après seulement 20 secondes au sol. La série noire continue pour l’URSS, qui envoie sans succès Mars 4, 5, 6 et 7 et finit par abandonner la planète rouge pour se tourner vers Vénus ! Les missions Viking 1 et Viking 2 portées par la NASA en 1975 seront bien plus concluantes. Elles achèveront cette première série de projets d’exploration martienne, avec un succès notable : les orbiteurs offriront des vues d’ensemble et des vues détaillées de Mars, mais aussi de ses satellites Phobos et Déimos, tandis qu’au sol, deux atterrisseurs resteront opérationnels pendant plusieurs années. L’ensemble du programme Viking sera un succès incontestable, rapportant un ensemble de vues en haute résolution de toute la surface martienne, mais également des analyses du sol, de l’atmosphère, et des mesures météorologiques.

L’atterrisseur Viking 1 a réalisé la toute première image du sol martien, juste après son atterrissage le 20 juillet 1976.

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Après le succès de l’ambitieux programme Viking, l’exploration martienne connaît une longue période creuse jusqu’aux années 1990. Il faut attendre 1996 pour que la NASA déploie de nouveaux moyens, avec les missions Mars Global Surveyor (orbiteur), Mars Pathfinder (atterrisseur) et son mini-robot Sojourner qui sont toutes les deux des réussites : désormais, l’agence spatiale américaine a montré qu’elle maîtrise les techniques d’envoi en orbite mais aussi d’atterrissage en douceur. Les images magnifiques qui résultent de ces missions contribuent à largement médiatiser l’exploration martienne, mais les avancées scientifiques ne sont pas moins significatives : de ces missions découlent la carte topographique détaillée de Mars, la mesure de son champ gravitationnel et de son champ magnétique passé, tandis que les caméras haute résolution laissent deviner des activités géologiques intéressantes et parfois intrigantes : ravines, cavités, traces de tourbillons de poussière, coulées de lave anciennes et récentes…

LES MISSIONS SE MULTIPLIENT L’Agence spatiale européenne envoie sa première mission vers Mars en juin 2003 : il s’agit de Mars Express, un orbiteur toujours en activité. Si l’atterrisseur qui y était associé (Beagle 2) n’a pas donné signe de vie, la sonde poursuit sa quête de précieuses données scientifiques sur l’atmosphère de Mars, la détection de poches d’eau ou de glace dans le sous-sol martien, tout en cartographiant avec précision des zones d’intérêt de sa surface. Mars Express a notamment confirmé l’existence de minéraux hydratés à la surface de Mars, un résultat essentiel pour comprendre la géologie et l’évolution de la planète. Sa caméra HRSC (High Resolution Stereo Camera) a apporté un nouvel éclairage sur le volcanisme martien, dont certains épisodes pourraient être bien moins anciens qu’on ne le pensait (voir chapitre 14).

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Doté de 6 roues et haut de 30 cm, Sojourner est le premier robot mobile, ou rover, à se déplacer à la surface de Mars. Un véritable progrès, puisqu’il peut analyser des rochers ciblés à proximité de son site d’atterrissage dans Ares Vallis. Doté d’une caméra et d’un petit spectromètre, il réalise des analyses chimiques qui suggèrent que les roches volcaniques rencontrées sont de type andésitique. Les scientifiques se rendront rapidement compte que ces analyses sont faussées par la présence de poussière et d’une pellicule d’altération en surface des roches, et qu’il s’agit plutôt de basaltes altérés (des roches contenant moins de silice que les andésites) : c’est pourquoi les robots suivants seront équipés de ponceuse. Sur la durée de la mission de 3 mois, Sojourner aura parcouru près de 100 m aux alentours de son atterrisseur, Pathfinder, avec pas moins de 230 manœuvres.

Crédits : NASA-JPL

Pour en savoir plus

SOJOURNER, LE PREMIER SOJOURNER, ROBOT MARTIEN

Sojourner en pleine analyse du rocher « Yogi », capturé par la caméra du mât de Pathfinder. Les deux collines visibles en arrière-plan à gauche ont été surnommées les « Twin Peaks ».

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Crédits : NASA/JPL-Caltech

2003 est aussi l’année au cours de laquelle sont partis, à un mois d’intervalle, les deux rovers jumeaux Spirit et Opportunity. Leur atterrissage, en janvier 2004, n’est que le début d’une mission exceptionnelle qui durera bien plus longtemps que prévu. La NASA, avec cette double mission, avait pour objectif d’en savoir plus sur la géologie de la planète, et en particulier de démontrer la présence d’eau liquide sur Mars par le passé, en allant analyser des zones précises repérées pour leur intérêt par les sondes en orbite. Alors qu’Opportunity arpente les plaines de Meridiani Planum, riches en hématite grise et sulfates depuis l’orbite, et interprétées comme le littoral d’une ancienne mer salée peu profonde, Spirit se pose dans le cratère Gusev, où l’on espère trouver un ancien lac. Les deux robots armés de diverses caméras, d’un microscope et de différents spectromètres, scrutent les roches et leur environnement. Leur bras articulé équipé d’une meule abrasive complète les fines analyses réalisées. Au cours de son parcours, Spirit étudie une grande variété de roches volcaniques qui recouvrent le fond du cratère Gusev et mettra quelque temps à détecter des indices prouvant

Les deux robots jumeaux Spirit et Opportunity ont été les premiers rovers à explorer si longuement la surface martienne. Ici en 2003, les ingénieurs de la NASA réalisent les derniers tests avant leur lancement.

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Crédits : NASA/JPL-Caltech/Cornell/USGS

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Opportunity, en 2004, dévoile ces intrigantes petites sphères bleutées, surnommées « myrtilles ». Riches en fer, ces concrétions de quelques centimètres de diamètre seraient les témoins de la présence d’eau sur Mars dans le passé.

qu’il y a eu une ancienne étendue d’eau. Pendant ce temps, son robot jumeau collecte des informations sur une série de roches sédimentaires. Après des soucis liés à ses panneaux solaires, Spirit cesse finalement de fonctionner en 2010 tandis qu’Opportunity bat le record de distance parcourue sur Mars (45,16 km) et explose la durée initiale de 90 jours prévue pour sa mission : le rover ne coupe le contact qu’en 2019, victime d’une tempête de sable après 15 ans de bons et loyaux services. Une réussite exceptionnelle ! Les jumeaux Spirit et Opportunity seront rejoints par l’atterrisseur Phoenix, envoyé à proximité de la calotte polaire Nord en 2008. Durant 5 mois, Phoenix a effectué des mesures météorologiques complètes et notamment confirmé la présence de glace dans le sol martien. Suivra une série de robots et de rovers plus perfectionnés et des satellites de plusieurs nationalités venant peupler le paysage martien, et envoyant toujours aujourd’hui de précieuses informations sur l’histoire et l’évolution de la planète rouge (voir chapitre 9).

PLUS OU MOINS DE SUCCÈS Tandis que la NASA affine ses techniques d’atterrissage, les autres agences spatiales tentent de rattraper leur retard pour envoyer des missions scientifiques vers la planète rouge. La réussite de Mars Express amène l’Agence spatiale européenne à un projet

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Crédits : ESA/ATG medialab

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Passer de 20 000 à 0 km/h en quelques minutes reste un défi de taille ! Cette vue d’artiste représente le module Schiaparelli devant se poser sur Mars en 2016 : cette première tentative d’atterrissage européenne a été un échec. Lors de cette mission, la sonde TGO (Trace Gas Orbiter) a toutefois été placée en orbite pour étudier notamment le méthane de l’atmosphère martienne, une mission qui se poursuit actuellement.

plus ambitieux : l’atterrisseur Schiaparelli, lancé dans le cadre du programme ExoMars en 2016, aux côtés de l’agence russe Roscosmos. L’engin de près de 600 kg a pour mission de détecter des traces de vie actuelles ou passées, mais l’enjeu est ailleurs pour l’ESA : réussir à se poser sans encombre sur Mars. Car si la NASA dispose déjà des technologies adaptées et maîtrise l’atterrissage (voir chapitre 12), ce n’est pas encore le cas des autres agences spatiales. Malheureusement, l’histoire en a voulu autrement... Schiaparelli vient rejoindre une liste déjà longue de missions ratées comme Mars Climate Orbiter (NASA), Mars Polar Lander (NASA), Nozomi (JAXA) ou encore Phobos-Grunt (Roscosmos) et son prédécesseur européen l’atterrisseur Beagle 2. Les leçons tirées de cet atterrissage raté ne pourront que servir à mieux préparer celui de la mission ExoMars, qui pourrait reposer sur la même technologie.

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Avec plus de 40 missions internationales lancées vers Mars, l’exploration continue son chemin, améliorant d’année en année les techniques d’atterrissage et apportant une multitude d’informations scientifiques. Si le taux d’échec a parfois été important (avoisinant 60 % en moyenne), toutes les missions – réussies ou non – constituent une base solide pour l’exploration de la planète rouge d’aujourd’hui et de demain !

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Quel temps fait-il sur Mars ?

P

our préparer une mission vers Mars, les ingénieurs et techniciens se demandent quel temps il va faire sur place. Après tout, un robot n’aime ni la pluie ni le givre, et pour bien fonctionner, certains rovers ont aussi besoin de l’énergie du Soleil. Voici donc un petit point sur la météo martienne.

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DES TEMPÉRATURES GLACIALES

Crédits : NASA/JPL-Calech/University of Arizona

La surface de Mars est très froide, avec des températures autour de –63 °C en moyenne. Mais tout comme sur Terre, ces températures changent fortement selon les saisons et la latitude. Ainsi, au niveau des pôles, la température peut descendre jusqu’à –150 °C, tandis que l’on enregistre des températures grimpant jusqu’à 20 °C au niveau de l’équateur. Pourquoi la température est-elle si faible ? Eh bien tout simplement car Mars, située une fois et demie plus loin du Soleil que la Terre, reçoit 2 fois moins d’énergie de notre étoile sur une surface équivalente. Un second facteur vient également amplifier la différence de température entre la Terre et Mars : l’épaisseur de l’atmosphère martienne. En effet, sur Terre, sans l’atmosphère et ses gaz à effet de serre, il ferait en moyenne –18 °C. Bien que l’atmosphère de Mars soit principalement composée de CO2, elle est si ténue que l’effet de serre est négligeable, ne permettant pas de réchauffer la surface de Mars, contrairement à ce qui se passe sur notre planète.

Vue d’artiste de Phoenix, atterrisseur américain qui a visité le pôle Nord de Mars en 2008. Ce robot disposait d’une station météo miniature. Il a mesuré la température et la pression dans la basse atmosphère et a même pris en flagrant délit des flocons de neige en altitude !

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À l’aide

S’il fait si froid, doit-on s’attendre à rouler dans la neige ? A priori non, car l’atmosphère martienne reste beaucoup trop sèche pour observer des précipitations sur Mars. En revanche, localement, l’air se trouve parfois assez humide pour former des nappes de brouillard temporaires et de fins nuages de glace. On peut aussi observer du givre se former autour du pôle Nord, comme le montraient déjà les premières images envoyées par les atterrisseurs Viking. La sonde Phoenix, qui s’est posée près du pôle Nord, a aussi détecté la présence de quelques flocons de neige 4 km au-dessus d’elle en septembre 2008. Mais ces flocons n’ont jamais atteint le sol ! Ils se sont sublimés en gaz très rapidement et ont disparu.

La matière, qui existe sous différents états (solide, liquide et gazeux), passe de l’un à l’autre lors d’un changement de température ou de pression. Sur Terre, on peut facilement observer ce phénomène avec l’eau. Le passage de l’état solide (glace) à l’état liquide est appelé fusion et la transformation inverse se nomme solidification. Le passage de l’état liquide à l’état gazeux (vapeur) est appelé vaporisation et la transformation inverse liquéfaction. Dans certaines conditions, on peut aussi passer directement de l’état solide à l’état gazeux, c’est la sublimation.

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Crédits : ESA/DLR/FU Berlin/J. Cowart

Pour en savoir plus

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Cette photo intrigante prise au-dessus d’Arsia Mons donne l’impression qu’un panache de fumée s’échappe du volcan. Il n’en est rien, ce nuage étant produit par un phénomène bien connu des météorologues terrestres : c’est un nuage orographique. Lorsqu’une masse d’air est poussée contre une montagne, l’air refroidit au fur et à mesure qu’il monte en altitude. Cette chute de température entraîne la condensation de l’eau, formant alors ces nuages dits orographiques au-dessus du côté sous le vent de la montagne. Ce phénomène se produit chaque printemps sur Mars, quand les vents d’est se lèvent et font gravir les pentes du volcan à l’air.

UNE BONNE DOSE D’UV Si la surface de Mars peine à se réchauffer, il faut pourtant se méfier des coups de soleil ! En effet, sur Terre, une partie des rayons solaires est directement absorbée dans l’atmosphère, notamment par la couche d’ozone. D’autres rayons se trouvent déviés, bien plus loin de la surface, par le champ magnétique de notre planète. Mais Mars ne possède ni atmosphère épaisse, ni couche d’ozone, ni champ magnétique pour protéger sa surface des rayonnements solaires les plus dangereux. La quantité de rayons ultraviolets (UV), responsables des coups de soleil, est bien plus importante que sur Terre. Et d’autres rayonnements à haute énergie, tels que le vent solaire et les 70

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rayonnements cosmiques, atteignent la surface dans des quantités dangereuses pour tout être vivant qui se trouverait sur place. L’inexistence de champ magnétique sur Mars a même une conséquence irréversible pour sa fragile atmosphère. En l’absence de cette précieuse protection, certains rayons solaires très énergétiques brisent les molécules de gaz de l’atmosphère, qui deviennent alors tellement légères qu’elles échappent à la gravité martienne et fuient définitivement vers l’espace : Mars perd donc son atmosphère au cours du temps (voir chapitre 9).

DU VENT, DES TEMPÊTES ET DES TORNADES

Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS

Rajoutant au climat inhospitalier de Mars, des vents balaient fréquemment la poussière très fine, surtout au cours de grandes tempêtes. Tous les étés martiens (soit tous les 2 ans sur Terre), on observe de tels phénomènes dans l’hémisphère sud. Des nuages de poussière couvrant une grande partie de Mars sont alors observables depuis la Terre. Il arrive même que certaines de ces tempêtes s’étendent à l’ensemble

Ces deux images prises à environ un mois d’écart montrent le changement d’aspect de la planète lors d’une tempête globale. À gauche, on peut distinguer la surface, certains des plus grands cratères, des zones plus ou moins sombres ou encore la calotte polaire Sud. À droite, on ne voit qu’une boule ocre colorée par la poussière en suspension dans l’atmosphère.

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Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

de la planète, rendant son atmosphère opaque aux rayons du Soleil et faisant drastiquement chuter les températures en surface. Les vents martiens s’expliquent, comme sur Terre, par la combinaison de deux mécanismes : les contrastes thermiques importants et la rotation de la planète. Les missions d’atterrissage martiennes ont permis de poser des instruments météo à la surface, recueillant des informations sur la circulation de l’air sur Mars. En temps normal, le vent martien souffle à une vitesse de 15 à 30 km/h, mais cette vitesse peut atteindre des pointes d’environ 120 km/h lors de tempêtes. Cependant, contrairement à un vent terrestre de cette vitesse, un humain sur Mars ne sentirait qu’une légère brise, en raison de la faible pression atmosphérique ! La différence de force d’un vent terrestre et d’un vent martien de même vitesse est comparable à la différence de force exercée par

Autour du pôle Nord, la différence de température entre la calotte et ses alentours provoque de forts courants d’air : ces vents dits catabatiques sont responsables de la formation de gigantesques champs de dunes que l’on peut voir avancer de quelques mètres par an entre deux passages de satellite. Des champs de dunes similaires sont fréquemment observés au fond des cratères et des dépressions topographiques sur Mars : leur forme et leur orientation sur les images à haute résolution donnent des indications sur la direction et la force du vent responsables de leur mise en place.

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Pour aller plus loin

un courant d’eau et un vent terrestre de même vitesse : plus le fluide en mouvement est dense, plus la force qu’il exerce est grande.

Crédits : NASA/JPL-Caltech

Lors de la mission InSight, les ingénieurs et chercheurs de la NASA ont réussi à enregistrer le son du vent en train de souffler sur Mars... Le tout sans micro. Pour obtenir cette courte piste audio, il a fallu utiliser les vibrations enregistrées par le sismomètre ainsi qu’un capteur de pression atmosphérique embarqué sur l’atterrisseur. Mais encore une fois, la faible pression qui règne sur Mars nous joue des tours et le son du vent est tellement grave qu’il a fallu le rendre plus aigu pour qu’il soit audible.

Bien qu’il en ait croisé moins que son jumeau Spirit, Opportunity a aussi observé des dust devils, petits tourbillons de poussière créés par une colonne ascendante d’air chaud.

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Pour en savoir plus

DES ROVERS ET DU VENT Si un rover ne risque pas de s’envoler pendant une tempête martienne, le vent et la poussière soulevés restent dangereux pour les engins. En effet, toute la poussière dans l’air obscurcit le ciel et réduit fortement l’énergie reçue par les panneaux solaires des robots en les recouvrant petit à petit. Heureusement pour les rovers, on a pu remarquer que de petites tornades étaient capables de soulever la poussière et de nettoyer les panneaux solaires. Grâce à ces courants d’air salvateurs, appelés « dust devils », les missions de Opportunity et Spirit ont duré respectivement 5 250 et 2 249 jours, bien plus que la mission initialement prévue.

DES SAISONS MARQUÉES Tout comme sur Terre, les températures changent au cours d’une année martienne. En fonction de l’inclinaison de la planète par rapport aux rayons de soleil incidents, les hémisphères nord et sud reçoivent une quantité d’énergie solaire différente. Mais sur Mars, un second

Comme sur Terre, les saisons martiennes sont contrôlées par la face que Mars présente au Soleil. Mais chez notre voisine, l’excentricité de la planète vient amplifier les saisons dans l’hémisphère sud et les atténuer dans l’hémisphère nord.

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facteur vient jouer sur les saisons : son orbite autour du Soleil est plus ovale que ronde (autrement dit, son orbite est fortement elliptique), ce qui signifie que sa distance à notre étoile varie fortement au cours d’une année. Lorsque Mars est la plus proche du Soleil (le périhélie), elle reçoit 40 % plus d’énergie solaire qu’au moment où elle en est le plus loin (l’aphélie) (voir chapitre 2). Ce second effet influe largement sur la durée et l’intensité des saisons martiennes. Les hivers dans l’hémisphère nord ont lieu au moment du périhélie. Ils y sont donc doux et courts tandis que les étés y sont longs et froids. Inversement, les hivers de l’hémisphère sud sont plus longs et froids, alors que les étés y sont courts et chauds. Ces saisons ont des conséquences marquantes sur le climat martien. Ainsi, les tempêtes de sable ont plus particulièrement lieu au périhélie (au moment de l’été dans l’hémisphère sud), lorsque l’énergie solaire plus importante déclenche des vents plus violents. La différence d’intensité des saisons entre les hémisphères nord et sud joue aussi un rôle majeur dans la composition et la dynamique des calottes polaires. Lors de l’hiver de l’hémisphère sud, les températures descendent fortement et une part importante du CO2 de l’atmosphère martienne se condense sous forme de glace, diminuant la pression atmosphérique de la planète. Mais ce cycle saisonnier n’est pas le seul à influencer le climat martien. Au cours de ces derniers millions d’années, l’intensité des saisons et la distribution de la glace ont probablement changé de nombreuses fois. En effet, sur Terre, l’inclinaison de l’axe de la planète par rapport au plan orbital moyen, appelé obliquité, est stabilisée autour de 23,4° par la présence de la Lune. En conséquence, les pôles se présentent toujours au Soleil avec le même angle tous les étés. En revanche, l’absence de satellite massif autour de Mars entraîne une forte oscillation de son obliquité à l’échelle de la centaine de milliers d’années : l’ensoleillement des pôles en été varie largement, et la glace a tendance à s’accumuler tantôt aux pôles, tantôt près de l’équateur, lorsque la planète bascule sur son 75

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axe ! Outre les modélisations numériques, la présence d’anciennes langues glaciaires sur les flancs de Tharsis en témoigne : même si elle reste froide et sèche, Mars connaît de fréquents chamboulements climatiques depuis plusieurs millions d’années.

DES CALOTTES POLAIRES Repérées au télescope dès 1666 par Cassini et quelques années plus tard par Huygens, les calottes polaires martiennes ont été décrites comme deux taches blanches aux pôles. Les mêmes observations permettent déjà de remarquer l’existence d’un cycle saisonnier avec des calottes de taille variable, ainsi que des cycles de condensation et de vaporisation de la glace entre l’hiver et l’été. Il reste cependant toujours une calotte résiduelle dite « pérenne », épaisse de 2 km et large d’environ 1 000 km au nord, contre 3 km d’épaisseur pour 400 km de largeur au sud. Les calottes polaires Nord et Sud ne se ressemblent donc pas, du fait des saisons inégales entre les deux hémisphères, mais aussi de leur forte différence d’altitude. En effet, la base de la calotte Sud culmine à plus de 6 000 m au-dessus de celle du pôle Nord. La variation de pression est donc suffisante pour modifier les conditions de stabilité de la glace de CO2 (dite glace sèche). Les spectres acquis dans le domaine infrarouge par les orbiteurs martiens confirment un fort contraste de température entre les deux calottes : –130 °C pour la calotte Sud et –120 °C pour la calotte Nord en hiver, et –100 °C au Sud et –50 °C au Nord en été. Ainsi, les calottes présentent de légères différences de composition. Au Sud, les étés sont froids et courts : ces conditions permettent la formation d’une couche de glace sèche permanente, d’environ 8 m d’épaisseur, qui recouvre la glace d’eau. En été, cette glace sèche se sublime parfois localement, formant les fameux « gruyères » ou « Swiss cheese » de la NASA.

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Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

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Les calottes pérennes de Mars possèdent des bords assez raides, qui ont permis d’étudier leur structure interne : elles semblent formées d’un empilement de dépôts stratifiés composés de poussière et de glace. En été, la couche de glace de CO2 qui recouvre la calotte polaire Sud se sublime partiellement. Au creux des zones fondues, on peut alors apercevoir la calotte pérenne composée de glace d’eau. Cet aspect bien particulier de la calotte Sud a été qualifié de « gruyère » par les chercheurs. Les « araignées » martiennes apparaissent au moment du printemps dans l’hémisphère sud. Elles seraient dues à la sublimation de la glace de dioxyde de carbone en profondeur : la formation de poches de gaz ferait craquer la surface et provoquerait alors des mini-geysers de poussière. Cette poussière, plus sombre que la couche de givre de CO2, serait responsable des taches sombres ou « dark spots ». 77

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Au Nord, les hivers plus chauds et la pression atmosphérique plus forte entraînent la sublimation de la totalité du mètre de glace sèche déposé durant l’hiver. Explorer les calottes polaires serait très intéressant pour comprendre l’histoire récente de Mars et mieux connaître la quantité d’eau présente sur la planète. Cependant, aucune mission ne s’est encore aventurée sur les calottes de Mars : il y fait froid, mais il y a aussi peu de luminosité aux pôles, et la calotte n’est pas toujours très lisse.

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EN AVANT MARS

Pourquoi Mars est-elle rouge ?

M

Crédits : NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS

ars la verte, Mars la bleue… certains auteurs l’ont rêvée en couleurs, mais la planète « rouge » est définitivement ocre. C’est d’ailleurs à cause de sa couleur sang qu’elle a été associée dès l’Antiquité aux divinités de la guerre et de la destruction. Mais d’où lui vient cette teinte ?

La colline martienne de Santa Cruz photographiée le 29 avril 2021 par le rover Perseverance.

UNE AFFAIRE DE ROUILLE Les robots posés à la surface nous l’ont confirmé : Mars est bien rouge partout. Du moins en surface ! La poussière qui la recouvre est composée d’oxyde de fer, autrement connu sous le nom de… rouille. Mars n’a cependant pas rouillé à cause de la pluie, mais 79

P O U R Q U O I M A R S EST- ELLE R O U G E ?

plutôt à cause de son atmosphère. Lentement, depuis des milliards d’années, les gaz qui la composent réagissent avec la surface riche en fer, et l’oxydent. Ce phénomène est accentué par les rayonnements UV du Soleil, qui viennent briser les rares molécules d’eau de l’atmosphère martienne, libérant ainsi de l’oxygène qui réagit avec le fer des roches. Il est donc possible – sachant que l’atmosphère était probablement différente par le passé – que Mars n’ait pas toujours été rouge. Et sur Mars, même le ciel apparaît rouge, à cause de la poussière martienne en suspension dans l’atmosphère. Le rouge de Mars est tantôt accentué par les tempêtes globales qui secouent la planète, soulevant des nuages de sable rougeâtre, tantôt atténué par temps calme (voir chapitre 7). Pour se débarrasser de tout ce rouge, il nous faudrait donc un bon coup d’aspirateur !

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EN AVANT MARS

PO U R Q U O I M A R S EST- ELLE R O U G E ?

ET SI ON ENLEVAIT LA POUSSIÈRE ?

Crédits : NASA/JPL-Caltech/Cornell

Sous le sol rougeâtre de Mars se cachent des roches de compositions d’origines variées (voir chapitre 15) : des coulées de lave basaltique noire, des sulfates et sels blanchâtres, des argiles grises, vertes, marrons… Sans sa poussière, Mars serait presque aussi colorée que les roches de notre planète ! Les robots l’ont vérifié : équipés d’un outil d’abrasion pour polir la surface des roches avant d’effectuer des mesures, Spirit et Opportunity ont montré que l’intérieur des roches posées sur la surface possédait des couleurs distinctes. Spirit a même accidentellement formé une tranchée avec l’une de ses roues coincée, révélant la présence de sables blancs riches en silice sous le sol des Columbia Hills. Il est donc important pour nos robots de nettoyer ou creuser avant d’effectuer des analyses. Creuser, c’est d’ailleurs ce qu’a fait Curiosity, avec son système de forage. En échantillonnant le sol à quelques centimètres sous la surface, il a découvert une palette de couleurs variées. Si Curiosity détient pour l’instant le record du trou le plus profond sur Mars, avec une tranchée de 6,5 cm, le rover Rosalind Franklin de la mission ExoMars devrait disposer d’une foreuse qui lui permettra de creuser à 2 m de profondeur.

En traînant sa roue avantdroite bloquée, Spirit a creusé une tranchée au jour 1 150 de sa mission. Il y révèle du sable blanc, très pur en silice, situé juste sous la surface.

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Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS

P O U R Q U O I M A R S EST- ELLE R O U G E ?

La trentaine de trous de Curiosity réalisés pendant les 3 172 premiers jours martiens de sa mission, soit jusqu’au 9 juillet 2021. Un vrai patchwork de couleurs !

TANT PIS POUR LES ORBITEURS ! Si la poussière martienne donne une couleur exotique à la surface, elle est tout de même un peu gênante pour certains instruments placés sur les satellites en orbite autour de Mars. Dans certaines régions très poussiéreuses, comme les dômes volcaniques de Tharsis ou d’Elysium, impossible d’étudier la composition des roches par spectroscopie de réflectance par exemple : on ne voit que la poussière qui les recouvre ! Il faut alors chercher des affleurements clés dans les murs pentus de cratères ou de canyons, comme le grand canyon de Valles Marineris, où la poussière n’adhère pas. Cependant, puisqu’elle n’est pas distribuée de manière homogène sur Mars (Pourquoi ? Excellente question ! Nous n’avons pas la réponse), certaines régions affleurent mieux que d’autres, et constituent des « fenêtres d’observation spectrale ». C’est donc dans ces régions que l’on a le plus détecté d’anciennes 82

EN AVANT MARS

PO U R Q U O I M A R S EST- ELLE R O U G E ?

Crédits : hématite par Transpassive, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org ; gypse par Didier Descouens – travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org

traces d’eau comme des argiles. Mais cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas ailleurs. La poussière provoque donc aussi de jolis biais d’observation sur Mars.

La spectroscopie de réflectance est une méthode de télédétection permettant d’étudier la composition minéralogique des objets planétaires, passivement et à distance, en analysant de façon très précise la manière dont ils absorbent ou réfléchissent la lumière du Soleil. On peut voir ici l’exemple des spectres de réflectance de trois minéraux différents détectés sur Mars : un silicate (l’olivine, principal composant des manteaux terrestres et martiens), un oxyde de fer (l’hématite rouge, principal composant de la poussière martienne) et un sulfate (le gypse, connu aussi sous le nom de rose des sables). Les creux dans leurs spectres, qui correspondent à des bandes d’absorption, ont permis de les détecter sur Mars, le tout depuis l’orbite ! Le même type d’instrument est embarqué sur Persévérance.

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Que nous apprennent les missions en cours ?

A

ctuellement, huit orbiteurs, trois robots et deux atterrisseurs sont en service sur la planète rouge. La plupart ont réalisé de jolies trouvailles cette dernière décennie ! Petit aperçu des instruments qui auscultent la planète jour après jour et nous envoient les dernières nouvelles de Mars.

DES SATELLITES AUX AGUETS Depuis que l’exploration martienne s’est intensifiée au début des années 2000, l’orbite de la planète rouge grouille d’activité, avec plusieurs satellites européens et américains, mais aussi un satellite indien, chinois et émirati en service. Si une partie de ces orbiteurs a pour fonction principale de servir de relais de communication avec les robots, les instruments qu’ils transportent s’attaquent à différentes problématiques scientifiques. Alors que la caméra HiRISE sur la sonde Mars Reconnaissance Orbiter s’intéresse à l’évolution de la surface martienne (et capture au passage de magnifiques images de tornades, d’avalanches, d’écoulements liquides, grâce à sa résolution exceptionnelle), d’autres comme Hope se penchent sur la météo de Mars et la structure de son atmosphère. MAVEN se concentre sur l’atmosphère de Mars et la couche qui se situe juste au-dessus, en contact avec l’espace : « l’exosphère ». MAVEN a d’ailleurs montré que la faible gravité de Mars entraînait la perte des

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Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

Q UE NO US APPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

La caméra HiRISE de la mission MRO est un petit bijou de technologie : située à environ 300 km de la surface de Mars, elle peut réaliser des images en couleur à une résolution de 25 cm/pixel, ce qui veut dire que l’on peut observer des objets à peine plus gros que ce livre depuis l’orbite ! Elle capture les mouvements à la surface de Mars, comme lors du passage de mini-tornades (les « dust devils », en haut) et d’avalanches (au milieu). Elle mesure aussi le déplacement des dunes au fil des ans (en bas).

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EN AVANT MARS

Q UE NOU S A PPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

Liste des missions en cours d’exploitation : ça s’active sur Mars !

Année de lancement

Type de sonde

2001

orbiteur

Mars Odyssey

NASA

2003

orbiteur

Mars Express

ESA

Nom

Agence spatiale

2005

orbiteur

Mars Reconnaissance Orbiter

NASA

2011

rover

Curiosity

NASA

2013

orbiteur

Mangalyaan

ISRO (Inde)

2013

orbiteur

MAVEN

NASA

2016

orbiteur

ExoMars Trace Gas Orbiter (TGO) ESA

2018

atterrisseur

InSight

NASA

2020

orbiteur

Hope

UAE (Émirats)

2020

rover

Perseverance

NASA

2020

orbiteur + atterrisseur + rover

Tianwen 1/Zhurong

CNSA (Chine)

gaz les plus légers de son atmosphère, qui s’échappent continuellement vers l’espace. C’est notamment le cas de la vapeur d’eau. Trace Gas Orbiter, la première partie du programme ExoMars, examine à la loupe le méthane martien, un gaz détecté pour la première fois en 2004 depuis la Terre, puis par Curiosity récemment. Cette molécule interpelle par son origine, car sur notre planète, elle est principalement libérée par des organismes vivants. Mais ce n’est pas tout, car sa simple présence dans l’atmosphère martienne n’est pas logique : le méthane devrait être très rapidement détruit dans cet environnement. Si on le détecte, c’est donc qu’il vient juste d’être produit. Cependant, malgré sa forte sensibilité, Trace Gas Orbiter ne le retrouve pas : est-il trop rapidement dilué dans l’atmosphère martienne, ou s’oxyde-t-il ? Quelle est son origine ? Qu’il soit produit 87

Q UE NO US APPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

par des volcans, des formes de vie, ou encore des poches de gaz piégées dans le sous-sol martien, nous n’en savons rien et le mystère reste entier. Les vieilles sondes ne sont pas non plus en reste : après plus de 15 années de bons et loyaux services, Mars Express refait parler d’elle en 2020 en découvrant trois lacs souterrains, vraisemblablement remplis d’eau salée, à proximité de la calotte polaire Sud de Mars (voir chapitre 11). Les huit satellites martiens qui continuent d’envoyer leurs précieuses données vers la Terre nous réservent sans doute encore d’étonnantes découvertes pour les décennies à venir...

INSIGHT À L’ÉCOUTE DE MARS Posé le 26 novembre 2018 dans l’étendue martienne d’Elysium Planitia, l’atterrisseur InSight s’intéresse à la structure interne de Mars. Pour écouter battre le cœur de la planète, il est équipé pour la première 88

EN AVANT MARS

Crédits : NASA/JPL-Caltech

Q UE NOU S A PPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

À gauche : Vue d’artiste de la mission InSight. À droite : le sismomètre SEIS a été déployé à la surface par un bras robotisé. Il écoute l’intérieur de Mars sous son bouclier protecteur. SEIS a mesuré ses trois plus gros séismes sur Mars après son 1 000e jour ; de magnitude 4,1-4,2, l’un d’entre eux a duré plus de 90 minutes !

fois d’un séismomètre, l’instrument SEIS, d’une sonde de mesure des flux de chaleur nommée HP3, ainsi que d’une expérience de radioscience, RISE. Cette mission internationale à petit budget – elle a d’ailleurs repris le châssis de son prédécesseur Phoenix – s’est pourtant fixé de très grands objectifs, comme la première mesure de la taille du noyau. InSight détecte son premier séisme sur Mars le 7 avril 2019. Depuis, plus de 700 séismes ont été mesurés par SEIS : c’est bien plus de tremblements de Mars que n’imaginaient les scientifiques, cependant leur intensité est plus faible qu’attendu. Grâce au trajet des ondes mesurées, InSight a accompli une partie de sa mission en évaluant la taille du noyau à environ 1 800 km de diamètre et a estimé l’épaisseur de la croûte de Mars entre 20 et 80 km, avec une stratification en 2 ou 3 couches verticales. Alors que RISE surveille encore les oscillations de la planète pour déterminer si le noyau de Mars est plutôt solide ou plutôt liquide, la NASA a renoncé en janvier 2021 à utiliser la sonde HP3, que le robot n’arrivait pas à enfoncer dans le sol martien. Prévue initialement pour durer 2 ans, la mission InSight devrait s’éteindre courant 2022

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Q UE NO US APPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

à cause des poussières qui s’accumulent sur les panneaux solaires et qui l’empêchent de renouveler son stock d’énergie.

TOUT ROULE POUR CURIOSITY ET PERSEVERANCE !

À l’aide

Si InSight reste immobile à l’écoute des battements de Mars, c’est plutôt la course du côté de ses trois compagnons à roues : Curiosity et Perseverance, les deux robots envoyés par la NASA, ainsi que Zhurong, le premier robot chinois. Posé dans le cratère Gale, Curiosity a pris un peu d’avance en se promenant sur Mars dès 2012, malgré une odométrie plutôt modeste. Curiosity n’avance pas beaucoup, car il a croisé régulièrement des objets d’intérêt le long de son chemin. Alors que le robot a été envoyé dans le cratère Gale pour étudier les argiles et les sulfates détectés dans la pile de sédiments retrouvés au centre du cratère, il a multiplié les découvertes inattendues en chemin. Finalement, il lui aura fallu plusieurs années pour atteindre son objectif initial, le mont Sharp, où il se trouve actuellement. Posé en périphérie du cratère Gale, Curiosity a d’abord atterri dans le lit d’un ancien torrent, où il s’est régalé en analysant des galets de toutes les couleurs et de compositions inattendues, encore jamais mesurées sur

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L’odométrie est la mesure d’un déplacement. On utilise ce terme pour parler de la distance totale parcourue par un rover. Elle se compte souvent en centaines de mètres voire kilomètres pour les robots martiens. Si Curiosity n’a parcouru que 26,72 km au 12 décembre 2021 (soit au 3 324e jour de mission) et ne dépasse pas quelques dizaines de mètres par jour, il est encore loin de son petit frère Opportunity qui, avec une odométrie totale de 45,16 km à l’issue de sa mission de 15 ans, détient un record de distance dans tout le Système solaire.

EN AVANT MARS

Q UE NOU S A PPR ENNENT LES M ISSIO NS EN CO U R S ?

Crédits : NASA/JPL-Caltech/ASU/UA

Mars (voir chapitre 15). Il s’est ensuite déplacé vers des terrains clairs observés depuis l’orbite juste à l’est de son site d’atterrissage, pensant ne perdre que quelques jours : il est finalement resté près d’un an à Yellowknife Bay. En effet, il y a découvert des roches finement stratifiées, riches en argiles, dans lesquelles il a effectué un forage. Les échantillons qu’il a prélevés ont été récupérés dans son laboratoire portatif pour être vaporisés dans des fours. Curiosity a alors détecté des molécules organiques complexes, composées d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’azote, d’oxygène, de phosphore ou de soufre, importantes car nécessaires au développement de la vie (voir chapitre 18). Avant même d’arriver au mont Sharp, Curiosity avait donc largement rempli les objectifs de sa mission : montrer que Mars était habitable, à l’époque où le cratère Gale était occupé par un lac, il y a environ 3,7 milliards d’années. Reconstituer l’histoire géologique de Gale ne sera pour autant pas si simple pour le robot : il a aussi observé des fractures claires remplies de gypse, ce qui montre que de l’eau chargée en minéraux a circulé après la mise en place des dépôts lacustres. L’eau a remanié physiquement et chimiquement une grande

Image 3D du cratère Gale, qui mesure 154 km de diamètre. On remarque un monticule central, le mont Sharp, formé de dépôts sédimentaires riches en argiles et sulfates. Le cercle jaune indique la zone d’atterrissage prévue de Curiosity. Puisqu’il a fallu le poser en périphérie du cratère, dans un endroit relativement plat, Curiosity a mis des années à rejoindre le mont Sharp, qui était son objectif principal ! 91

Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS

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Au 868e jour de sa mission, en janvier 2015, Curiosity commençait seulement l’ascension du mont Sharp : on le voit ici sur le site de Mojave, prenant un selfie devant la colline qui l’attend (au fond à gauche).

partie des roches observées dans le cratère Gale. Aujourd’hui, toujours à l’assaut des pentes du mont Sharp, Curiosity continue d’assembler les pièces du puzzle de l’histoire du cratère. Le succès de Curiosity a poussé la NASA à envoyer un robot similaire dans le cratère Jezero en 2021. Perseverance, qui dispose du même châssis, possède quant à lui une instrumentation plus pointue, adaptée à sa double mission : chercher la présence de traces de vie passée, mais aussi préparer un futur retour d’échantillons martiens (voir chapitre 19), qu’il collectera dans cet ancien lac. Équipé de 43 tubes de prélèvement, Perseverance a déjà commencé à creuser dans le fond du cratère, dans les roches volcaniques où il s’est posé. Il fait désormais route vers un delta plus à l’ouest, afin d’étudier des dépôts sédimentaires qui semblent contenir argiles et carbonates, d’après ce qu’en disent les satellites martiens. Perseverance est aidé dans ses aventures par Ingenuity, petit drone de 1,8 kg qui vole en éclaireur à proximité. Même si Ingenuity ne transporte qu’une caméra pour prendre des photos, il a réussi l’exploit de démontrer que l’on pouvait voler sur Mars, malgré les faibles pressions. Ça promet pour les prochaines missions ! 92

EN AVANT MARS

Crédits : NASA/JPL-Caltech

Crédits : NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS

Crédits : NASA/JPL-Caltech

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Mission réussie pour Perseverance, qui a prélevé deux échantillons dans le rocher « Rochette » en septembre 2021. Pour s’en assurer, il a même pris en photo le contenu du tube. En effet, sa première tentative avait échoué et le tube ayant servi pour le prélèvement raté est désormais considéré comme « un échantillon atmosphérique ». Ces tubes seront déposés par Perseverance dans 1 ou 2 points de collecte... en attendant qu’un prochain robot aille les chercher pour les rapporter sur Terre. Cela nous donnera une deuxième chance de chercher des traces de vie dans ces échantillons, car la recherche sur place, dans les roches si anciennes, n’est pas une mince affaire !

i le parcours de Perseverance et admirer Pour suivre ses dernières photos, suivez ce lien !

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Crédits : OMP – S. Chastanet

Interview

DES ROBOTS À CONTRIBUTION FRANÇAISE

Sylvestre Maurice, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse, est membre des missions Curiosity, Perseverance, ExoMars et Zhurong. En tant que responsable scientifique des instruments ChemCam et SuperCam embarqués à bord, il nous en dit plus sur ces missions et la contribution de la France à l’exploration martienne.

Quel rôle ont joué les laboratoires français dans les missions Curiosity et Perseverance ? Il y a 20 ans, on ne savait rien de la composition des roches et du sol de Mars. Quand Pathfinder a apporté des éléments de réponse en découvrant des roches magmatiques, nous avons eu l’idée d’un instrument mesurant à distance la composition élémentaire des roches : ChemCam. Ce spectromètre, retenu par la NASA pour équiper un robot lourd, a été livré en 2009 et parcourt la planète rouge sur Curiosity depuis 2012. L’instrument, développé aux deux tiers en France, a rassemblé 150 ingénieurs et techniciens pour sa conception : l’instrument est devenu un symbole de la présence française sur Mars. ChemCam effectue des mesures chimiques, sans contact : équipé d’un laser, il pulvérise les roches à distance et analyse la composition du plasma formé par spectroscopie d’émission. Il dispose aussi d’une caméra pour voir où l’on vise. Si ces mesures se font sur des trous de moins d’un millimètre, elles sont nombreuses puisqu’on a atteint aujourd’hui les 885 000 tirs lasers, soit autant de mesures de composition chimique ! À la suite du succès de ChemCam, la NASA nous a proposé de candidater sur la mission suivante, pour aller chercher des traces de vie. Nous avons alors imaginé un instrument plus performant, qui, en plus de la mesure chimique, est équipé de spectromètres additionnels pour l’étude de la minéralogie. SuperCam, le gros œil cyclope du rover Perseverance, en fonction depuis février 2021, contient 5 instruments, là où il y en ••• 94

EN AVANT MARS

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Crédits : NASA/JPL-Caltech

avait 2 sur ChemCam. Il a nécessité environ 300 personnes pour son développement en France et mobilise une cinquantaine d’ingénieurs et de scientifiques pour ses opérations quotidiennes.

SuperCam, l’œil de Perseverance, est made in France !

Que retenir de l’exploration du cratère Gale par Curiosity ? Gale est avant tout un gros cratère d’impact, rempli plus tard par de l’eau et des sédiments, puis soumis à différentes phases d’érosion au cours de son histoire. Si Curiosity a rapidement retrouvé des traces d’écoulement d’eau en se posant, il s’est vite confronté à une géologie beaucoup plus compliquée que ce que l’on attendait. L’une de ses plus belles découvertes lui vient sans doute de Yellowknife Bay, où il a démontré l’habitabilité passée de Mars. Il y avait dans Gale les conditions physico-chimiques pour l’apparition de la vie (sorte de conditions nécessaires mais non suffisantes). Il manque pourtant un paramètre fondamental difficile à établir : la durée de cette habitabilité. Curiosity nous a réservé d’autres belles découvertes, comme des roches de nature très continentale (voir chapitre 15) ou encore des veines blanches de « plâtre de Paris » (un sulfate de calcium nommé bassanite) qui racontent une belle histoire : celle de la circulation d’eau douce chauffée à 50 °C environ. Ce qui est ••• 95

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intéressant dans notre métier n’est pas juste la mesure, mais l’interprétation que l’on en donne !

Quelle est la suite pour Curiosity, et combien de temps le rover pourra-t-il poursuivre sa mission ? Après 25 km pour atteindre le mont Sharp, le robot détecte aujourd’hui des dépôts légèrement plus récents, qui pourront sans doute aider à estimer la durée et la fin de l’habitabilité. Cela contribuera à comprendre l’histoire géologique très complexe révélée par Curiosity, qui n’est pas toujours en accord avec les données orbitales. Il y a donc encore beaucoup à faire ! Quant à dire combien de temps peut encore durer Curiosity, c’est difficile à prédire. Si la mission nominale devait durer 2 ans, nous tâchons de construire nos instruments pour qu’ils fonctionnent pendant au moins 3 fois cette durée. Nous allons donc tout faire pour garder Curiosity, surtout que les scientifiques ont tendance à penser que la plus belle découverte est toujours à venir.

Que fait la France sur Mars ? Pour le savoir, suivez ce QR code vers la page dédiée du CNES.

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EN AVANT MARS

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LA CHINE SUR MARS

Crédits : CNSA. DR

Perseverance n’était pas le seul voyageur à arriver sur Mars en 2021, puisqu’il a été suivi de près par Zhurong, le premier astromobile chinois, et son atterrisseur. Posé dans les plaines d’Elysium Planitia, le rover devrait pouvoir étudier des dépôts datés de l’Hespérien et de l’Amazonien, soit de moins de 3,7 milliards d’années. Si cette période est moins propice pour la recherche de vie martienne, Zhurong nous permettra tout de même d’en savoir plus sur l’histoire récente de Mars. Équipé de 6 instruments mais dépourvu de bras, Zhurong a pour objectifs de déterminer la présence de glace sous la surface, grâce à un radar embarqué, mais aussi d’étudier la composition de l’atmosphère. À l’aide de ses caméras et de spectromètres qui peuvent analyser la composition et sonder la nature des roches sans les toucher, il espère aussi apporter des éléments de réponse sur la possible présence passée d’un océan recouvrant les plaines du Nord. Si ses résultats scientifiques ne sont pas encore publiés à l’heure où nous écrivons, les investigations semblent prometteuses puisque l’agence spatiale chinoise, la CNSA, vient de prolonger l’expérience à l’issue des 90 jours définis pour la mission primaire. Au 98e jour de sa mission, Zhurong a d’ailleurs fêté son premier kilomètre parcouru sur Mars, et ça n’est que le début.

À gauche : Vue du robot Zhurong, pris en photo par son atterrisseur alors qu’il vient de se poser et se prépare à s’éloigner lentement. À droite : Juste avant de descendre le long de ses deux rampes, Zhurong envoie sa première photo en direct de Mars !

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Pourquoi y a-t-il autant de trous à la surface de mars ?

S

i, depuis l’espace, on aperçoit sur Terre des océans, des continents et des montagnes, la planète rouge apparaît bien différente. On peut notamment y observer de nombreux trous à peu près circulaires. Quel phénomène géologique a bien pu façonner ces paysages ?

LES CRATÈRES DE MÉTÉORITE Lorsque l’on regarde la surface de la Lune, même sans lunette, on peut observer de gros trous ronds, ou en termes plus scientifiques, des dépressions circulaires. Ces dépressions couvrent toute la surface de notre satellite, avec des tailles allant de la centaine de kilomètres au mètre, ces derniers étant uniquement observables par les astronautes des missions Apollo ou sur les données envoyées par les sondes lunaires. On retrouve sur Mars ces mêmes formes caractéristiques, aussi bien à très grande échelle – visibles dans la topographie globale de la planète – qu’à plus petite échelle, sur les images haute résolution. Malgré l’omniprésence de ces dépressions sur la Lune, Mars, Mercure ou même les satellites des géantes gazeuses, ces trous ne nous sont pas familiers sur Terre. Qu’elles soient encore visibles sur la Lune ou quasi disparues sur Terre, ces dépressions proviennent de l’explosion causée par l’impact, à très grande vitesse, d’un bolide (fragment d’astéroïde ou de comète) sur la surface d’un corps solide : on parle de cratères de météorite. 99

P O URQ UO I Y A-T- IL A U TA NT DE T R O U S À LA SU R FA CE DE M A R S ?

Crédit : Grahampurse/ Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0

Crédit : Copernicus Sentinel-2, ESA, CC BY-SA 3.0 igo ;

Ils ne doivent pas être confondus avec les cratères volcaniques, bien qu’ils puissent leur ressembler à première vue. Lorsqu’un impact se produit, le choc entre la météorite et la surface de la planète cause une énorme explosion. L’expulsion de matière jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres entraîne alors la formation de dépressions circulaires que l’on observe aujourd’hui sur la Terre, la Lune et Mars. Si une partie de la matière retombe à proximité du cratère formant une crête autour, une grande partie est également vaporisée. Enfin, en fonction de la vitesse et taille de l’impacteur, des fragments de la surface peuvent s’échapper vers l’espace, devenant à leur tour des météorites ! Mais y a-t-il tant de météorites que cela qui croisent le chemin de la Lune et des planètes du Système solaire ? Pas vraiment. La plupart des petits corps rocheux et/ou métalliques se situent dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, une région du Système solaire qui contient des centaines de milliers de débris, d’une taille allant du centimètre à plusieurs centaines de kilomètres. Ces astéroïdes n’ont pas pu former une planète par le passé, sans doute à cause de la géante Jupiter. Contrairement à ce que l’on peut voir dans les films de science-fiction, la distance entre deux corps est très grande, à tel point que depuis un astéroïde donné, il est impossible de voir ses voisins.

Même si quelques cratères de météorite sont observables sur Terre, comme celui de Manicouagan au Québec (à gauche), ils sont souvent dégradés par l’action de l’érosion. Dans le désert de l’Arizona, le cratère Barringer (à droite) est l’un des mieux conservés, grâce aux faibles précipitations et à l’absence de végétation qui permettent de l’observer de façon idéale.

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EN AVANT MARS

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À l’aide

MÉTÉORITE, COMÈTE, ASTÉROÏDE... QUELLE DIFFÉRENCE ? Les astéroïdes sont des morceaux de roches et/ou de métaux orbitant autour du Soleil. Les comètes, composées quasi exclusivement de glace et de poussières, proviennent des confins du Système solaire et se rapprochent périodiquement de notre étoile en raison de leur orbite très excentrique. Si un astéroïde ou une comète croisent la route d’une planète et pénètrent dans son atmosphère, on emploie alors le terme de météorite. Sur les planètes possédant une atmosphère, la plupart des petites météorites sont vaporisées en altitude et ne touchent jamais la surface du sol.

Il arrive parfois que ces objets quittent leur orbite et traversent le Système solaire en finissant par croiser une planète, mais ce genre d’événement est aujourd’hui très rare, aussi bien sur Terre que sur Mars et la Lune. Pour vous donner une idée, sur Mars, on attend une météorite de plus de 1 km environ tous les millions d’années ! Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le nombre de météorites atteignant la surface était bien plus important lorsque ces planètes étaient plus jeunes. Ainsi, il y a 4 milliards d’années, une météorite de plus de 1 km se formait tous les 2 500 ans à peine ! Une sacrée pluie de cailloux géants qui a modelé la surface de Mars durant son premier milliard d’années d’existence. Cette phase de bombardement intense entre 4,5 et 3,8 milliards d’années a été commune à toutes les planètes du Système solaire, même si la Terre n’en garde plus aucune trace. La surface de Mars, telle qu’on l’observe aujourd’hui, est largement marquée par ces cratères d’impact à différentes échelles. Dans l’hémisphère sud, deux gigantesques bassins figurent parmi les plus grands cratères du Système solaire. Hellas et Argyre mesurent respectivement 2300 et 1800 km de diamètre, soit 2 fois la largeur de la France ! Au nord, les plus grands bassins formés il y a plusieurs milliards d’années sont partiellement ou complètement recouverts par des coulées de 101

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

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La plupart des cratères observés à la surface de Mars sont très anciens, jusqu’à 4,1 milliards d’années pour les plus gros. On peut malgré tout observer la formation de nouveaux petits cratères entre deux passages de satellite. L’appareil HiRISE traque ces nouveaux cratères, très rares, pour mieux comprendre l’intensité du bombardement météoritique actuel.

lave, comme Isidis (1 500 km de diamètre). On suspecte même que l’ensemble des plaines de l’hémisphère nord ont été formées par un gigantesque impact qui ferait alors près de 10 000 km de diamètre, et aurait arraché une partie de la croûte dans l’hémisphère nord de Mars (expliquant alors la fameuse différence d’altitude, ou dichotomie Nord/Sud), mais ceci reste très débattu.

UNE AUBAINE POUR LA SCIENCE La présence de cratères est particulièrement utile pour les scientifiques : en plus de creuser des trous naturellement (et donc, d’exposer du matériel provenant de sous la surface), leur distribution en taille

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Pour en savoir plus

L’ÉNERGIE LIBÉRÉE PAR UN IMPACT DE MÉTÉORITE Quelques petits calculs permettent d’estimer l’énergie libérée par un impact de météorite sur Terre. On considère que la météorite en mouvement est porteuse d’une énergie liée à sa masse et à sa vitesse. Lors de l’impact avec la surface, la vitesse de la météorite est réduite à zéro : l’énergie dite « cinétique » de la météorite est donc libérée brutalement et partiellement transformée en chaleur tandis qu’une autre partie se transmet aux matériaux de la surface qui sont expulsés, entraînant la formation de la dépression caractéristique des cratères d’impact. Énergie cinétique : E = ½ m v2 Pour une météorite rocheuse de 100 m de diamètre, on estime sa masse à environ 14 000 000 tonnes. À son arrivée sur Terre, la vitesse d’impact est d’environ 20 km/s. L’énergie cinétique d’une telle météorite heurtant la surface terrestre est donc E = ½ m v2, soit approximativement 3 u 1018 joules. Cela équivaut à environ 100 000 fois l’énergie libérée par la bombe nucléaire d’Hiroshima !

est aussi très utilisée pour estimer indirectement l’âge de la surface des planètes. En effet, plus la surface d’une planète est ancienne, plus elle aura été exposée aux bombardements de météorites, et donc, plus elle est couverte de cratères. En comparant la taille et le nombre de cratères sur différentes surfaces géologiques d’une planète, on peut donc dire laquelle est la plus vieille. Si l’on applique ce principe à Mars, la Terre et la Lune, on peut alors affirmer que la surface de la Terre est globalement bien plus jeune que celles de notre satellite et de notre voisine rouge. Si la surface de la Terre est si jeune, c’est qu’elle est en permanence renouvelée par la tectonique des plaques et la forte activité de l’eau liquide à sa surface, qui la remodèle. Sur la Lune et sur Mars, une grande partie de la surface date de plus de 3,5 milliards d’années, alors que

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sur Terre, il est extrêmement rare de trouver des roches aussi vieilles. Ceci peut paraître anecdotique, mais tous les âges donnés dans ce livre, comme ceux des grandes ères de Mars, dérivent de cette méthode de comptage de cratère. On n’a en effet jamais pu dater de roches martiennes, ce type d’analyse étant impossible à réaliser avec un robot. Il nous faudra donc attendre le retour d’échantillons martiens pour vérifier les prédictions faites à partir des densités de cratères, et par comparaison à la Lune.

DES TROUS PAS COMME LES AUTRES Si l’on compare les cratères lunaires et martiens plus en détail, on peut constater deux différences marquantes qui nous renseignent sur l’histoire géologique de la planète Mars. Sur la planète rouge, de nombreux cratères sont remplis et ne forment plus qu’une faible dépression. Ensuite, si le nombre de gros cratères lunaires et martiens est comparable, il y a bien moins de petits cratères inférieurs à 2 km de diamètre sur Mars. Ces deux observations témoignent de l’existence de phénomènes qui ont partiellement rajeuni la surface de Mars en remplissant les cratères par de nouveaux matériaux. Certains cratères ont été comblés par des coulées de lave qui se sont préférentiellement dirigées dans ces dépressions, comme le robot Spirit l’a observé dans le cratère Gusev. D’autres cratères ont subi une accumulation de sédiments témoignant du fait qu’un lac avait pris place dans cette région. Ces anciens lacs sont souvent ciblés par les missions spatiales, comme c’est le cas pour Jezero ou encore Gale, où se trouvent respectivement Perseverance et Curiosity. Enfin, d’autres sont témoins de l’accumulation de sable volcanique et il n’est pas rare d’observer des champs de dunes sombres sur leur sol. Ces nombreux exemples de cratères remplis sur la quasi-totalité de la surface martienne confirment que l’histoire de Mars a été riche en érosion, sédimentation et volcanisme, contrairement à la Lune.

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Crédit : ESA/DLR/FU Berlin, CC BY-SA 3.0 IGO

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Pour observer des cratères de météorite, il suffit de lever les yeux vers notre satellite, la Lune. Même à l’œil nu, on peut voir l’importance des cratères dans le paysage lunaire (image de gauche). Chez notre voisine rouge, on retrouve ces cratères d’impact partout à la surface (image de droite). Si, au premier abord, ces deux paysages paraissent semblables, on s’aperçoit en zoomant que les petits cratères martiens sont souvent remplis et effacés par une activité géologique ultérieure.

DES MORCEAUX DE MARS TOMBÉS SUR TERRE S’il n’existe pour l’instant aucun échantillon rapporté depuis Mars, on peut malgré tout trouver sur Terre des roches provenant de la planète rouge. Ces roches ont été arrachées à la surface de Mars par d’énormes impacts de météorites ayant eu lieu il y a probablement 1 à 20 millions d’années. Une fraction infime de ces fragments a fini par voyager jusqu’à la Terre, traversé notre atmosphère puis touché le

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sol. Une chance pour les scientifiques, qui peuvent étudier directement les roches martiennes ! Les laboratoires de recherche disposent aujourd’hui d’une centaine de fragments de météorites qui proviendraient de 7 à 12 impacts martiens. Ces échantillons ont été identifiés grâce à plusieurs techniques. La première repose sur le fait que l’atome d’oxygène – présent dans les roches – existe en différentes versions appelées isotopes. Chaque planète du Système solaire a une composition isotopique en oxygène caractéristique (car elle ne s’est pas formée au même endroit du Système solaire que les autres), et celle de ces météorites est différente de celle des roches terrestres. La seconde approche consiste à étudier les gaz piégés dans ces météorites qui s’avèrent être similaires à la composition de l’atmosphère martienne. Par ailleurs, leur observation indique que ces roches relativement jeunes proviennent d’un corps différencié, volcaniquement actif

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Crédits : NASA

jusqu’à récemment. Tous ces arguments suggèrent que ces météorites ont une origine martienne ! En 1996, la météorite martienne Allan Hills 84001 avait fait le buzz, car on pensait y avoir trouvé des traces de vie (voir chapitre 18). Aujourd’hui, c’est une autre météorite provenant de la planète rouge qui a la cote : Northwest Africa 7533/7034, ramassée en 2012, pesant 941 g. Elle est la plus ancienne, avec un âge de 4,4 millions d’années, et la plus originale de son genre avec une texture unique dite en brèche. Surnommé « Black Beauty », ce trésor scientifique se vend aujourd’hui aux alentours de 10 000 à 15 000 € pour un seul gramme, ce qui en fait la météorite la plus chère au monde ! Un morceau de Mars, c’est rare, et ça se mérite...

Black Beauty, la petite merveille martienne, fait partie de la centaine de météorites martiennes retrouvées sur Terre. L’ensemble de ces météorites pèse environ 1 tonne et constitue une importante source d’informations sur la composition de la surface de Mars.

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Y a-t-il de l’eau liquide sur Mars ?

E

xcellente question ! La possible présence d’eau, indispensable à l’apparition de la vie telle qu’on la connaît sur Terre, a longtemps décontenancé les chercheurs. Des mystérieuses traces d’écoulement découvertes par la sonde Mariner à la fin des années 1970, aux possibles ruissellements d’eau salée capturés par Mars Reconnaissance Orbiter en 2015, faisons le point sur un débat vieux de plusieurs décennies.

MARS AUJOURD’HUI : UN DÉSERT DE GLACE Avec une température moyenne de –63 °C et une pression atmosphérique de 6 mbar, l’eau ne peut pas se maintenir à l’état liquide sur la surface de Mars : elle se trouve essentiellement sous forme de glace. On peut d’ailleurs facilement observer au télescope les deux calottes polaires recouvrant les pôles Nord et Sud de Mars, constituées majoritairement de glace d’eau (voir chapitre 7). Sur place, les atterrisseurs Viking avaient aussi montré dans les années 1970 la présence de givre à la surface, tandis que plus récemment, la sonde Mars Odyssey a mis en évidence l’existence d’un pergélisol aux moyennes et hautes latitudes : de quelques centimètres à quelques mètres de profondeur se trouve une couche de glace dans le sol de Mars. L’atterrisseur Phoenix, en creusant sous ses pieds à 68° de latitude nord, a d’ailleurs révélé une belle tranchée blanche, confirmant

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Crédits : NASA/JPL-Caltech/University of Arizona

la présence de glace dans le sous-sol. Si cette glace peut rapidement se sublimer lorsque la température augmente, l’eau aurait besoin de plus de pression pour passer à l’état liquide… Serait-il possible qu’il y ait aujourd’hui, en profondeur dans le sol de Mars, de telles poches d’eau ? C’est justement l’une des questions que se posent les ingénieurs de la mission ExoMars, qui fouillera dans le sous-sol à la recherche d’eau liquide mais aussi de traces de vie martienne, actuelle ou passée (voir chapitres 18 et 19).

La tranchée « Dodo-Goldilocks » creusée par Phoenix en juin 2008 montre la présence de glace à quelques centimètres sous la surface seulement.

À part dans le sous-sol, l’eau liquide pourrait, sur Mars, exister dans les conditions actuelles si elle était mélangée à des produits permettant d’abaisser son point de fusion, comme des sels. Et justement, il existe divers types de sels sur Mars : du chlorure de sodium (notre sel de table), des sels soufrés (sulfates) ou encore des perchlorates de

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magnésium et de sodium. Les eaux salées formées par ce mélange pourraient être liquides à des températures inférieures à 0 °C. En 2015, la caméra HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter a justement observé de petits écoulements transitoires, sur les pentes de cratères ou de canyons exposées au soleil aux heures les plus chaudes des journées estivales. Ce phénomène correspondrait à des écoulements d’eau salée, saisonniers et limités à des latitudes équatoriales, et nommés RSL pour Recurrent Slope Lineae (ligne de pente récurrente) par la NASA. En général étroits, mesurant moins d’un mètre de largeur, ils peuvent cependant atteindre des longueurs de plusieurs centaines de mètres. Les RSL pourraient contenir les éléments nécessaires au développement d’une forme de vie. Ainsi, il est interdit de les visiter avec le moindre rover... pour ne pas les contaminer avec nos microbes terrestres (voir chapitre 18).

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Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

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Crédits : ESA/NASA/JPL/ASI/Univ. Rome

Écoulements d’eau salée (ou RSL) dans le cratère de Newton, vus par la caméra HiRISE.

Vue en coupe de la surface de la calotte polaire Sud à partir des données du radar MARSIS de la sonde Mars Express : alors que le premier kilomètre de la surface est recouvert par les dépôts stratifiés riches en poussière et glace de la calotte, la présence d’un lac est indiquée en bleu.

Nous ne sommes toujours pas au bout de nos surprises en ce qui concerne l’eau sur Mars. En effet, en 2020, la sonde Mars Express a détecté la présence de trois ou quatre lacs larges d’une dizaine de kilomètres (d’eau hypersalée très probablement) enfouis à environ 1,5 km sous la calotte polaire Sud de Mars. Encore un paradis potentiel pour la vie martienne ?

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DES LACS, DES RIVIÈRES, DES OCÉANS ? L’eau en surface n’a pas toujours été gelée sur Mars, comme en témoignent de nombreuses traces morphologiques creusées par un fluide, telles que les réseaux de vallées asséchées ou encore les chenaux de débâcle. De toute évidence, l’eau liquide a, dans le lointain passé de Mars, sculpté une partie des paysages que l’on observe aujourd’hui. À ces preuves anciennes de la présence d’eau liquide s’ajoutent les détections réalisées par le spectro-imageur français OMEGA de la mission Mars Express en 2004 : il démontre la présence d’argiles et de sulfates sur Mars. Ces minéraux dits « hydratés » contiennent de l’eau dans leur structure et nécessitent la présence d’eau liquide pour se former. À quand remonte la présence d’eau liquide en surface ? Les réseaux de vallées asséchées et les argiles de Mars, majoritairement observés dans des terrains anciens, très cratérisés, dits de l’ère « noachienne », sont vieux de plus de 3,7 milliards d’années. En revanche, les sulfates et les chenaux de débâcle sont associés à des dépôts sédimentaires « hespériens » (entre 3 et 3,7 milliards d’années). Ils suggèrent une présence d’eau liquide de plus en plus localisée et transitoire, avec des pH plus acides. Enfin, on retrouve très peu de traces d’eau liquide dans les terrains amazoniens, datés de moins de 3 milliards d’années : l’eau se trouvait déjà probablement sous forme solide à cette époque. Ces observations suggèrent que Mars a connu un important changement climatique et qu’elle a pu être plus chaude et humide par le passé, il y a plus de 3 milliards d’années. Comment l’eau liquide pouvait-elle être stable en surface ? Cette question reste au cœur des recherches actuelles, car nous ne comprenons pas encore les mécanismes de ce changement climatique. Mars a peut-être eu une atmosphère plus épaisse, augmentant la pression en surface, et des températures plus élevées par le passé, probablement dues à un effet de serre. Les rovers Opportunity, sillonnant les plaines riches en sulfates de Meridiani Planum (ancien littoral d’une mer salée), et Curiosity, forant

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À l’aide

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Les chenaux de débâcle sont des vallées généralement larges mais dénuées d’affluents et de ramifications, qui prennent souvent leur source au niveau de terrains dits chaotiques, car ils semblent s’être effondrés sur eux-mêmes. L’absence de ramifications laisse penser que ces vallées ont été creusées très rapidement par la libération catastrophique d’un fluide, par exemple lors d’une fonte de glace, et que cette activité fluviatile, bien qu’intense, a probablement été de courte durée.

Crédits : NASA

Crédits : ESA/DLR/FU Berlin/J. Cowart, CC BY-SA 3.0 IGO

À gauche : Réseaux de vallées asséchées dans la région de Warrego Valles. À droite : Chenaux de débâcle dans la région de Aurorae Chaos.

les argiles du cratère Gale, un ancien lac, ont tous deux confirmé sur place la présence d’eau liquide à la surface de Mars dans le passé. Les sondes en orbite continuent de nous en apprendre chaque jour, en découvrant des deltas comme celui de Jezero, qui témoigne de la présence d’un ancien lac dans le cratère du même nom, exploré actuellement par Perseverance. Les instruments des sondes ont aussi mis en évidence de nouveaux minéraux hydratés (voir chapitre 15), ou encore d’anciennes lignes de rivage le long de la dichotomie martienne (voir chapitre 10 et encadré), suggérant que l’hémisphère nord a pu être occupé par un ou plusieurs océans. À proximité de

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Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS/JHU-APL

ces rivages hypothétiques, on a même récemment trouvé des dépôts de sédiments atypiques, interprétés comme les traces d’un tsunami martien ! Cependant, l’existence d’un océan dans les plaines du Nord est encore loin d’être consensuelle au sein de la communauté des chercheurs. Même si nous savons désormais qu’il y a eu de l’eau liquide sur Mars, beaucoup de questions subsistent quant à la durée pendant laquelle elle s’est écoulée en surface. On ignore encore tout de la raison du changement climatique martien, ou de la présence d’un ou de plusieurs océans sur Mars et au rôle que l’eau aurait pu jouer dans l’apparition voire le maintien de la vie. Une affaire à suivre de près.

Large de 9 km, le delta du cratère Jezero s’est formé à l’embouchure d’une rivière qui se jetait dans un lac il y a environ 3,7 milliards d’années. Depuis l’orbite, on observe aujourd’hui les signatures de divers minéraux (en couleurs), dont des argiles hydratées, présentes dans les sédiments déposés sur le pourtour du lac, mais aussi dans le delta et sur le fond du cratère où Perseverance s’est posé en 2021.

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Les travaux récents s’accordent sur le fait qu’à la fin du bombardement météoritique intense, il y a environ 3,8 milliards d’années, le sous-sol de Mars devait contenir suffisamment d’eau pour remplir un océan global de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Si les vallées martiennes et minéraux hydratés attestent d’un climat plus clément, la topographie de Mars suggère que cet océan aurait dû s’accumuler dans les plaines de basses altitudes de l’hémisphère nord de Mars, et recouvrir au moins 19 % de la surface de la planète. Les gigantesques bassins d’Hellas et d’Elysium dans l’hémisphère sud et les chasmata de Valles Marineris (voir chapitre 16) auraient pu également contenir des lacs. Même si certains pensent observer d’anciennes lignes de rivage et que le radar MARSIS considère même avoir trouvé d’anciens sédiments aujourd’hui enterrés sous des kilomètres de lave, la présence de cet océan est toujours très controversée. Si certains planétologues pensent que Mars n’a jamais possédé d’eau liquide stable pendant de longues périodes, d’autres affirment que Mars a peut-être connu plusieurs océans, formés de façon cyclique pendant les premiers millions d’années de son histoire.

Crédits : NASA/GSFC

Pour en savoir plus

UN OU PLUSIEURS OCÉANS SUR MARS ?

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Vue d’artiste de Mars couverte d’eau, comme elle aurait pu l’être il y a environ 4 milliards d’années.

Comment poser un robot sur Mars ?

U

n vaisseau envoyé depuis la Terre arrive, en moyenne, à plus de 20 000 km/h en orbite autour de Mars. Afin d’atterrir en toute sécurité, il est nécessaire de ralentir à moins de 100 km/h. Un sacré freinage qui a de quoi inquiéter notre rover, d’autant plus que l’atterrissage ne s’est pas toujours bien passé pour ses prédécesseurs.

7 MINUTES DE TERREUR Lorsqu’un engin spatial arrive aux alentours de Mars, son énorme vitesse impose un ralentissement très important. La première étape de freinage est possible grâce à l’atmosphère de Mars, qui, bien que ténue, entraîne assez de frottements pour commencer à faire ralentir l’atterrisseur. Cependant, ce frottement intense génère une forte production de chaleur : il est donc nécessaire de protéger les instruments que l’on souhaite déposer à la surface de ces très hautes températures à l’aide d’un bouclier thermique qui entoure le robot. Cette protection absorbe l’énergie en se sublimant en gaz grâce à un matériau bien spécifique (tout comme l’évaporation de notre transpiration nous refroidit quand nous avons trop chaud). Toute séquence d’atterrissage commence par une phase de ralentissement atmosphérique qui débute à une cinquantaine de kilomètres au-dessus de la surface de Mars et se termine environ à 10 km d’altitude. Elle permet d’atteindre des vitesses bien inférieures, de 117

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Les différentes étapes de l’atterrissage de Perseverance sur la surface martienne. En dessous, une courbe permet de suivre la vitesse du module d’atterrissage en fonction de l’altitude. L’écart de vitesse est tel entre l’arrivée et l’atterrissage qu’il faut trois échelles différentes pour bien visualiser chaque étape de freinage.

l’ordre de 1 000 à 2 000 km/h. À cette altitude, le freinage doit continuer à faire ralentir le module et même s’intensifier à l’aide d’autres technologies. La seconde phase de freinage commence, avec l’ouverture d’un ou plusieurs parachutes qui font diminuer la vitesse de l’atterrisseur. À cause de la finesse de l’atmosphère, les parachutes restent moins efficaces que sur Terre : par conséquent, les toiles doivent couvrir une très grande surface. Ainsi, le parachute du rover Curiosity mesurait 118

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Pour aller plus loin

Lors de sa mission, Opportunity a eu la chance de passer près des débris de son bouclier thermique. Une fois le freinage atmosphérique terminé, ce dernier se sépare du reste du module et chute alors vers la surface d’une hauteur de plus de 10 km. L’impact du bouclier a légèrement creusé la surface, faisant apparaître du sable plus rouge (à droite). Sous le choc, le bouclier a été déformé et cassé en deux parties, visibles au second plan.

Jetez un œil à cette vidéo tournée dans une salle de contrôle de la NASA au moment de l’atterrissage de Perseverance en février 2021. Bien que la vidéo soit en anglais, on sent parfaitement la concentration et la tension qui règnent dès le début du freinage, ainsi que le soulagement et la joie au moment de la confirmation que le robot s’est bien posé. Cette tension s’explique par le fait que les ingénieurs assistent alors à des événements qui se sont déroulés 20 minutes auparavant à cause du délai de transmission des communications entre Mars et la Terre. Si le moindre souci survient, il est donc impossible de corriger quoi que ce soit à temps, et ils ne pourront qu’assister, impuissants, au crash du robot.

16 m de diamètre ! Peu après l’ouverture du parachute, l’atterrisseur se débarrasse du bouclier thermique qui devient alors inutile puisque la vitesse est suffisamment faible pour limiter l’augmentation de température par les frottements. 119

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Si le déploiement du parachute réduit largement la vitesse de l’atterrisseur, ce dernier arrive encore à plusieurs centaines de kilomètres par heure droit vers le sol. Le dernier kilomètre de descente est donc un moment critique pour poser le robot sans dommages. Pour parfaire l’atterrissage, il est indispensable de compléter ce freinage par l’action de rétrofusées, disposées sous l’atterrisseur ou sur la grue, qui produisent une poussée opposée à la chute.

ATTENTION, CONTACT ! Si la partie du freinage décrite précédemment est assez classique, les techniques de fin de vol ont évolué avec le temps pour s’adapter à l’augmentation de la masse des engins envoyés à la surface de Mars. Ainsi, pour les atterrisseurs des missions Viking,

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qui ne pesaient que 600 kg, l’utilisation de parachute et de rétrofusées était suffisante. Les missions robotiques Spirit et Opportunity ont déployé un système différent sur les derniers mètres : après que les parachutes ont été détachés à 10 m de la surface, un système d’airbag s’est activé pour protéger les rovers de la chute finale et amortir le choc lors du contact avec le sol. Une fois l’atterrisseur stabilisé à la surface, les airbags se sont dégonflés et les rovers ont été déployés. Les derniers rovers de la NASA, Curiosity et Perseverance, pèsent près d’une tonne. Il a donc été indispensable d’adapter leur mode d’atterrissage. Pour ces deux missions, la phase finale a été réalisée par une grue volante, ralentissant et se positionnant 7 m au-dessus du site d’atterrissage grâce à des rétrofusées. Une fois la grue stabilisée, les rovers ont été délicatement déposés au sol par un système de câbles. Le module de descente finale est alors allé s’écraser à bonne distance du rover. Ce mode d’atterrissage novateur, développé par la NASA pour Curiosity, présente l’énorme avantage d’être très précis et plus sûr, car l’analyse du terrain en direct pendant la descente permet d’éviter les obstacles évidents si nécessaire (voir chapitre 13).

Les airbags servant à amortir la chute des atterrisseurs sur Mars avaient fait leurs preuves avant d’être utilisés pour Spirit et Opportunity. On peut ici voir des ingénieurs en train de tester le système utilisé lors de la mission Pathfinder.

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Au fur et à mesure que l’expertise de la NASA pour poser des robots sur Mars s’améliorait, leur taille a augmenté, permettant d’emporter des instruments scientifiques plus complexes et plus nombreux. Cette photo réalisée par la NASA illustre bien cette évolution. À gauche au premier plan, le robot Sojourner, pesant 11 kg avec 3 instruments scientifiques et 3 appareils photo embarqués. À gauche au second plan, le modèle utilisé pour Spirit et Opportunity, pesant 185 kg avec 5 instruments scientifiques et 3 appareils photo à bord. Enfin, à droite, le châssis du robot ayant servi pour Curiosity et Perseverance. Ce dernier, de la taille d’une voiture, pèse plus de 1000 kg avec 7 instruments et plus de 19 appareils photo dédiés aux analyses scientifiques et à la navigation du robot. À cause de leur taille plus conséquente, Curiosity et Perseverance ne peuvent pas fonctionner sur panneaux solaires : ils sont alimentés par des réacteurs nucléaires.

Crédits : NASA/JPL-Caltech

Pour en savoir plus

DES ROBOTS DE PLUS EN PLUS GROS !

Et pour Rosalind ? La mission ExoMars et son rover ne disposent pas d’une telle technologie d’atterrissage : la phase finale devrait donc être assez classique, avec l’ouverture d’un premier puis d’un second parachute plus grand, là encore accompagnés de rétrofusées pour se poser en douceur sur la fin. Si l’on se conforme au projet initial, Rosa devrait être enfermée dans une plateforme avec des pieds permettant d’absorber le choc final. Le rover descendra alors de la plateforme le long d’une rampe ou d’un toboggan, comme cela a été le cas pour Sojourner après l’atterrissage de Pathfinder (voir chapitre 6), et plus récemment, pour ••• 122

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le rover chinois Zhurong (voir chapitre 9). Cependant avec une actualité politique mouvementée en 2022, Rosa, qui avait acheté son ticket pour Mars via une plateforme de descente et une fusée russes, devra peut-être trouver un autre moyen d’arriver à bon port.

Pour en savoir plus

LA DESCENTE INFERNALE DE SCHIAPARELLI Si une partie du trajet est complexe, c’est bien cette descente infernale, avec toutes ces étapes cruciales. Une seule erreur et c’est le crash ! En 2016, l’atterrisseur Schiaparelli a justement rencontré un sérieux problème lors de sa descente vers la surface. Que s’est-il donc passé ? Le 16 octobre, l’atterrisseur se sépare de son satellite. Il passe 3 jours en orbite autour de Mars à une vitesse de 21 000 km/h. Alors qu’il entame son entrée dans l’atmosphère à 122 km d’altitude, sa chute est correctement ralentie par l’atmosphère, et les frottements sont absorbés par le bouclier thermique. Arrivé à 11 km d’altitude, le parachute se déploie tandis que la chute se poursuit à une vitesse de 1 700 km/h. Quelques secondes plus tard, le bouclier thermique se détache et les appareils de bord commencent à fonctionner. Jusque-là, tout se déroule au mieux, mais... La suite normale voudrait qu’à 1200 m d’altitude, le parachute se détache puis que les rétrofusées prennent le relais, cependant la situation se dégrade brutalement avant cette étape. Peu après l’activation des instruments de bord, l’un d’entre eux sature et ne calcule plus correctement en raison des importantes oscillations : l’ordinateur de bord est alors informé que le robot se trouve à une altitude négative. Convaincu d’être arrivé au sol, l’atterrisseur complète la séquence de vol en libérant le parachute, en activant les rétrofusées pendant 3 secondes et en allumant les instruments de surface… le tout à 3 700 m d’altitude ! La sonde termine donc son voyage en chute libre et s’écrase sur la surface à une vitesse de plusieurs centaines de km/h. À part les informations du début de la descente, Schiaparelli n’a plus donné signe de vie.

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Peut-on poser un robot n’importe où ?

C

hoisir un site d’atterrissage pour son robot martien est loin d’être facile ! En effet, non seulement nous ne pouvons pas nous poser n’importe où, mais nous ne voulons pas non plus aller à n’importe quel endroit. Petit aperçu des principales contraintes prises en compte par les ingénieurs et scientifiques des agences spatiales.

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P EUT- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

UN VRAI CASSE-TÊTE

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

La sélection d’un site d’atterrissage constitue avant tout un compromis entre les contraintes techniques pour se poser correctement et pouvoir rouler, et les intérêts scientifiques. Ces derniers sont liés à la méthode d’atterrissage, mais aussi et surtout au design et aux objectifs de la mission : chaque robot a un programme bien à lui ! Cependant, la plupart des missions ont des points communs, par exemple dans les caractéristiques du site recherché : on favorisera une région relativement plate (faible pente), lisse, sans obstacle majeur (ni de champs de dunes ni de gros rochers) et pas trop poussiéreuse, où il sera possible de se poser en toute sécurité mais aussi de pouvoir avancer. Aujourd’hui, les robots utilisent tous des parachutes lors de leur descente, mais l’atmosphère de Mars est très fine : il convient donc de viser des régions de faible altitude, car plus la descente est longue, plus le parachute sera efficace. À lui seul, ce critère d’altitude exclut plus de la moitié de la surface de Mars, dont la majeure partie de l’hémisphère sud, composée de hauts plateaux cratérisés et très accidentés.

Cette image exceptionnelle a été prise par le satellite MRO en orbite autour de Mars par l’appareil photo très haute résolution HiRISE. On y voit Perseverance en cours d’atterrissage – avec son parachute ouvert, ralentissant sa chute vers le fond du cratère Jezero et son delta.

Ensuite, la plupart des robots fonctionnant grâce à des panneaux solaires, il sera indispensable de les poser près de l’équateur martien, où ils recevront davantage d’énergie et opéreront plus longtemps (même si certains, comme Spirit et Opportunity, ont été programmés 126

EN AVANT MARS

P EU T- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

À l’aide

pour hiberner en hiver). L’ensemble de ces contraintes réduit donc les possibilités de sites d’atterrissage. Finalement, il n’est pas possible d’explorer la majeure partie de la surface martienne et certains sites exceptionnels comme le grand canyon de Valles Marineris ou le volcan Olympus Mons restent totalement inaccessibles avec les technologies actuelles. Le développement de nouvelles méthodes d’atterrissage remédiera peut-être à ce problème. En attendant, la NASA a mis au point une grue volante capable de poser un robot avec une précision de 7,5 km, quand d’autres agences spatiales définissent encore des ellipses d’atterrissage de plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres de longueur ! Ce type de grue a été utilisé à deux reprises, pour Curiosity et Perseverance.

Sans pilote et avec une dizaine de minutes de latence dans les communications avec la salle de contrôle sur Terre, il est impossible de poser un robot sur un point précis de Mars. Les ingénieurs ne peuvent donner qu’une zone d’atterrissage dans laquelle le robot a 99 % de chances de se poser. Cette zone prend la forme d’un cercle aplati que l’on appelle ellipse d’atterrissage.

Outre l’optimisation des caractéristiques physiques du site, il faut identifier dans ces ellipses des cibles d’intérêt scientifique bien réparties, afin que le robot remplisse sa mission ; cela peut être les roches d’un ancien lac, d’un delta, ou encore des minéraux hydratés détectés depuis l’orbite… La sélection et la caractérisation fine d’un site (cartographie des obstacles mais aussi des cibles potentielles) relèvent donc d’un long processus, entamé par les scientifiques plusieurs années en amont d’une mission. 127

Crédits : NASA/JPL-Caltech

P EUT- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

La grue volante équipée de rétrofusées est une technique révolutionnaire utilisée pour poser les derniers robots de la NASA, plus lourds, directement sur la surface martienne, sans airbags ni plateforme d’atterrissage.

OÙ NOUS SOMMES-NOUS DÉJÀ POSÉS ? À ce jour, cinq atterrisseurs (Viking 1 et 2, Pathfinder, Phoenix, InSight) et cinq robots (Opportunity, Spirit, Curiosity, Perseverance, Zhurong) ont foulé le sol martien. La plupart de ces missions se sont posées près de l’équateur martien ou dans l’hémisphère nord, où les terrains ont de plus faibles altitudes. À l’exception de Phoenix, dont l’objectif était de s’approcher de la calotte polaire Nord, toutes ces missions ont atterri à des latitudes inférieures à 50° (soit entre l’équateur et les tropiques) afin de maximiser leur durée de vie. En suivant tous les critères listés précédemment, on constate que toutes ces missions finissent en général dans les mêmes régions : celle de Chryse Planitia, à l’embouchure de Valles Marineris (où se situent les sites de Viking 1, Pathfinder et le site d’atterrissage prévu pour Rosalind Franklin) et celle d’Isidis/Elysium Planitia, située de l’autre côté de la planète, où opèrent InSight et Perseverance, entre autres. Ces deux régions, dominées par des terrains hespériens voire amazoniens près d’Elysium, offrent des affleurements de roches de moins de 3,7 milliards d’années. Comme évoqué dans le chapitre dédié à la 128

EN AVANT MARS

Crédits : NASA/JPL/Goddard Space Flight Center

P EU T- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

Les sites d’atterrissage des précédentes missions, indiqués par des étoiles blanches, sont représentés sur une carte des reliefs de Mars. Tous les robots ont atterri dans des plaines de basse altitude, situées non loin de l’équateur.

géologie (voir chapitre 17), cet âge n’est pas le plus représentatif de la surface martienne, dominée par des terrains noachiens, ni le plus propice à la recherche de vie passée. On trouve tout de même dans ces terrains des minéraux hydratés et des traces d’activité fluviale pour occuper nos robots. Mais il nous reste de très gros progrès technologiques à faire pour pouvoir explorer le reste de la planète rouge, qui nous réserve sans aucun doute beaucoup de surprises. Aujourd’hui, nous sommes encore très loin de pouvoir nous poser où nous le souhaiterions.

QUEL SITE POUR LE PROCHAIN ROBOT EUROPÉEN DE LA MISSION EXOMARS ? À l’issue d’un long processus, impliquant les ingénieurs de l’Agence spatiale européenne et la communauté scientifique européenne, le site d’Oxia Planum, dans la région de Chryse Planitia, a été retenu parmi les 8 candidats en lice, tous situés dans les deux régions citées 129

P EUT- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

précédemment, à cause des contraintes techniques. Oxia Planum, dont le nom a été officialisé en 2019 seulement, est le site choisi pour le rover Rosalind Franklin après une réflexion sur les contraintes de la mission : situé près de Mawrth Vallis (un site également en finale de ce processus de sélection), il montre aussi des signatures d’argiles noachiennes depuis l’orbite, mais présente une topographie de bassin beaucoup plus avantageuse. À l’est de l’ellipse d’atterrissage, une vallée débouche sur un dépôt sédimentaire qui pourrait être un ancien delta. Si c’est le cas, cela impliquerait que ce bassin, et donc une bonne partie de l’hémisphère nord, aurait été sous l’eau. Aperçu des contraintes imposées par les ingénieurs chargés du rover Rosa. Ces dernières ont fortement orienté le choix du site d’atterrissage.

Contrainte

130

Prérequis

Commentaire

Latitude

entre 5° S et 25° N

Liée à l’alimentation du robot par panneaux solaires

Altitude

< –2 km

Liée au besoin de freinage atmosphérique

Taille de l’ellipse

19 km × 104 km (initialement)

Liée à la précision de l’atterrissage

Orientation 88° à 127° de l’ellipse

Mesurée par rapport au nord, liée à la trajectoire d’arrivée

Pente

< 15°

Pour se poser sans risque

Présence de rochers

150 m-2 s-0,5 K-1

Permet d’éviter les zones poussiéreuses et sableuses

Albédo

entre 0,1 et 0,26

Lié à l’environnement thermique du rover

Réflectivité

entre –15 dB et 27,5 dB

Important pour le bon fonctionnement du radar de descente, à l’atterrissage

EN AVANT MARS

P EU T- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

Un autre avantage certain du site d’Oxia Planum est qu’il se trouve dans des dépôts argileux. Ces dépôts, ainsi que les potentiels sédiments apportés par la rivière et le delta, ont été recouverts par une coulée de lave à l’Hespérien, qui s’érode peu à peu. Si des traces de vie passée se cachent dans les dépôts sédimentaires noachiens, elles auront donc été protégées des radiations sous les roches volcaniques pendant plusieurs millions d’années, du moins jusqu’à ce qu’un robot vienne forer dans le coin !

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P EUT- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

Interview

OXIA PLANUM, UN SITE DE CHOIX Explications de Damien Loizeau, chercheur à l’Institut d’astrophysique spatiale et membre du comité de sélection du site d’atterrissage du robot Rosalind Franklin pour l’ESA.

Quelle procédure suivent les agences spatiales pour choisir leur futur site d’atterrissage ? Tout commence par une consultation de la communauté des planétologues. Les agences s’interrogent sur les priorités scientifiques, ce qui va déterminer le type de terrain sur lequel on veut atterrir. Les agences créent ensuite un programme préliminaire de la mission, et mandatent des industriels pour travailler sur la faisabilité, ce qui constitue la liste des contraintes techniques (latitude, altitude, type de terrain, etc.), et la taille de l’ellipse d’atterrissage. Le processus implique en réalité des allers-retours nombreux entre les agences et la communauté scientifique et les ingénieurs pour établir la liste détaillée des prérequis scientifiques et techniques. Une fois les éléments de la mission finalisés, c’est-à-dire quand les contraintes sont claires, la plupart des agences comme la NASA et l’ESA publient un appel d’offres à destination de la communauté scientifique internationale, qui est invitée à proposer les sites les plus intéressants scientifiquement, respectant à la fois les désirs scientifiques et les contraintes techniques listées. Dans le cas de Rosalind Franklin, le robot du programme ExoMars, un comité de sélection constitué par l’ESA comprenant des experts scientifiques et ingénieurs a été rassemblé. Le comité et la communauté scientifique se sont réunis une à deux fois par an depuis 2014 pour évaluer, classer et sélectionner une partie des sites à étudier plus en détail, jusqu’à ce qu’un seul site reste en lice. Le comité responsable de la sélection a soumis le site d’Oxia Planum aux directions des agences spatiales pour validation en novembre 2018. ••• 132

EN AVANT MARS

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Et finalement, pourquoi Oxia Planum ? La mission robotisée ExoMars présentait beaucoup de contraintes, laissant peu d’endroits accessibles sur Mars. Vu que c’est une mission de recherche de traces de vie passée, il fallait des roches anciennes, formées à l’époque où l’eau était abondante et où des sédiments auraient pu préserver des signes de vie éventuelle. Comme le robot ne parcourra pas plus de quelques kilomètres, nous devions aussi retenir un site où ces roches soient présentes un peu partout. Et heureusement, Oxia Planum répondait à tous ces critères !

Que peut-on attendre de l’exploration d’Oxia Planum par Rosalind Franklin ? L’exploration in situ par Rosa nous donnera accès à une quantité de détails que l’on n’arrive pas à deviner depuis l’orbite, provoquant un saut qualitatif dans les données à disposition. Nous devrions pouvoir découvrir énormément sur la géologie du lieu, juste avec les images prises depuis le sol. Rosa sera aussi le premier robot à avoir un accès au sous-sol, à la fois avec un radar mais aussi une foreuse, qui permettra de récolter des échantillons jusqu’à 2 m de profondeur, et de les donner à étudier au laboratoire analytique du robot. Au-delà des capacités techniques du robot, la mission devrait faire avancer plusieurs questions scientifiques, telles que la recherche d’anciennes traces de vie dans le sol martien : mieux équipée que ses prédécesseurs pour cette tâche, Rosa apportera certainement des éléments de réponse. Elle s’intéressera aussi aux sédiments les plus anciens que l’on ait pu étudier sur Mars. Ces roches semblent être exposées dans leur état originel au moment où la vie avait le plus de chance d’être présente, et n’ont pas été remaniées physiquement ou chimiquement. Elles devraient donc être bien préservées. Enfin en bonus, Rosa permettra peut-être de comprendre si Oxia Planum était bien situé sur le pourtour d’un ancien océan martien, à supposer que le cône de débris alluviaux présent à l’est du site soit bien un delta. ••• 133

P EUT- O N PO SER U N R O B O T N’IM PO R T E O Ù ?

Qu’est-ce que le critère de « protection planétaire » ? N’est-ce pas contre-intuitif pour un robot qui part chercher des traces de vie sur Mars ?

Crédits : Cathy Quantin-Nataf et al., 2021

On recherche si la vie est apparue sur Mars, mais l’on ne veut pas apporter de la vie terrestre pour la détecter ! C’est ce que l’on appelle la protection planétaire : il s’agit de protéger Mars de la contamination terrestre. Les robots que nous envoyons sont très propres (nous les stérilisons avant départ), mais cela ne suffit pas, car involontairement, on emporte probablement quelques bactéries terrestres. Par conséquent, nous nous interdisons l’exploration de certaines régions où ces bactéries pourraient se développer, surtout des zones où de la glace d’eau pourrait devenir liquide et où les bactéries pourraient s’installer. Paradoxalement, si l’on veut trouver de la vie martienne actuelle, c’est dans ce genre de régions spéciales que l’on devrait aller. Avant de pouvoir les explorer, il faudra prouver que l’on peut atteindre un niveau de stérilisation plus élevé.

L’ellipse d’atterrissage de Rosa recoupe une partie du delta situé à l’est, mais comprend aussi de très nombreux dépôts argileux (en rouge). Les deux ellipses en noir indiquent les positions extrêmes en fonction de la date de lancement et d’arrivée de la mission.

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EN AVANT MARS

Pourquoi les volcans martiens sont-ils gigantesques ?

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Crédit : NASA

n observant la carte de Mars, difficile de ne pas remarquer ces énormes sommets culminant à plus de 20 km d’altitude… Ces édifices volcaniques géants sont caractéristiques de la planète rouge et recouvrent plus du quart de la surface martienne. Comment expliquer ce phénomène géologique ?

Au sommet d’Olympus Mons, point le plus haut de la planète Mars, on remarque plusieurs énormes cratères volcaniques, des caldeiras, dont la plus profonde s’enfonce à près de 3 km sous le sommet. Cette image, prise en orbite par la caméra HRSC, montre bien la forme circulaire, dite en bouclier, de ce volcan.

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À QUOI RESSEMBLENT LES VOLCANS MARTIENS ?

Crédits : NASA/JPL/University of Arizona

La planète Mars n’est pas couverte que de plaines caillouteuses ou sableuses, loin de là ! Le volcanisme a largement marqué l’histoire géologique de la planète et de nombreuses traces en témoignent, à commencer par plusieurs volcans gigantesques. S’il est facile de repérer ces immenses montagnes sur une carte d’altitude martienne, quels indices montrent que ce sont bien des volcans ? L’observation de la surface à haute résolution permet déjà d’identifier les formes bien spécifiques d’une activité volcanique. Ainsi, dans la région de Tharsis, on observe des coulées de lave, des tunnels de lave effondrés ou encore des cratères aux caractéristiques bien marquées. L’un des exemples les plus remarquables est le sommet du point culminant de Mars, Olympus Mons. Haut de 26 km (soit plus de 3 fois la taille du mont Everest, la plus haute montagne sur Terre) et large de 600 km, c’est de loin le plus grand volcan de tout le Système solaire ! Il comporte au moins 6 dépressions de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Ces creux bien caractéristiques dans les édifices volcaniques sont provoqués par l’effondrement des chambres magmatiques sous le volcan une fois la lave sortie à la surface : on les appelle des caldeiras.

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La province volcanique de Tharsis est entaillée par de nombreux canyons, comme celui de Valles Marineris, et de nombreux cratères d’impact. Ces tranchées naturelles permettent d’avoir un aperçu des kilomètres de coulées de lave empilées ayant formé toute cette région.

EN AVANT MARS

Crédits : ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum)

P O URQ UO I LES V O LCA NS M A R T IENS SO NT- ILS G IG A NT E SQ U E S ?

On observe sur Mars de nombreuses coulées de lave s’étant épanchées sur les flancs des volcans ou dans les plaines. Ici, une coulée sur le volcan Arsia Mons dans la région Daedalia Planum.

Olympus Mons est l’un des volcans de la région de Tharsis, une zone entièrement formée par différentes coulées de lave superposées sur une épaisseur de plusieurs kilomètres. La province volcanique de Tharsis n’est pas la seule qui possède ces caractéristiques. De l’autre côté de Mars, on trouve aussi la province d’Elysium, qui ne fait toutefois « que » 16 km d’altitude. Ces deux volcans gigantesques possèdent une morphologie bombée caractéristique des « volcans-boucliers », comme ceux que l’on peut observer sur Terre du côté d’Hawaii. D’autres volcans ressemblant à des galettes, les paterae, sont également visibles à proximité. Plus anciens, ils pourraient avoir été formés par des éruptions tantôt effusives, tantôt explosives, relâchant parfois d’épais nuages de cendres de type nuée ardente. Même si la plupart des volcans martiens se concentrent dans les régions de Tharsis et Elysium, on retrouve des provinces volcaniques plus anciennes à proximité des bassins de Hellas (Hesperia Planum) et d’Isidis (Syrtis Major), mais les structures volcaniques y sont moins bien préservées.

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À l’aide

EFFUSIF OU EXPLOSIF ? Tous les volcans n’ont pas les mêmes caractéristiques ! Certains édifices volcaniques se distinguent par des laves fluides qui s’écoulent le long des pentes et forment des coulées en refroidissant. On parle alors de dynamisme effusif ou encore de volcans rouges. D’autres volcans, qui possèdent sous leur surface un magma plus visqueux, chauffent comme des cocottes-minute avec une forte accumulation de pression qui finit par provoquer une explosion. Ce volcanisme, qualifié d’explosif, concerne les volcans gris. Il faut cependant garder à l’esprit qu’un volcan peut changer de dynamisme au cours du temps.

Si les dépôts de cendres anciens sont difficiles à identifier sur Mars, puisqu’ils ont été recouverts, altérés et remaniés, une preuve indéniable du volcanisme martien est apportée par le basalte qui se trouve à sa surface. La présence de cette roche volcanique, formée par solidification de la lave et identifiée par les rovers sur place, a aussi été confirmée grâce à l’analyse minéralogique depuis les orbiteurs, et en étudiant les météorites martiennes tombées sur Terre.

Crédits : NASA

Un troisième type de volcan, les « Tholus » (ici Unarius Tholus en haut, Ceraunius Tholus en bas), est présent spécifiquement dans la région de Tharsis. Plus petits et plus pentus, ils pourraient être liés à l’écoulement de laves visqueuses.

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EN AVANT MARS

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Crédits : NASA/JPL/ University of Arizona

Pour en savoir plus

DES GROTTES DE LAVE

Les volcans laissent parfois derrière eux de drôles de formations géologiques que l’on appelle tunnels de lave. Lorsque le magma atteint l’air libre et qu’une coulée de lave se répand, elle commence à refroidir à sa surface. Il arrive que l’intérieur de la coulée reste assez chaud et continue à s’écouler plus loin, sous la surface, laissant un vide sous un toit de lave solidifié. On retrouve ce phénomène aussi bien sur la Lune, sur Mars ou sur Terre, où ces tunnels de lave font le bonheur des spéléologues, une fois l’éruption terminée. Même si nous n’en avons jamais visité sur Mars, on devine l’existence de ces tunnels depuis l’orbite, lorsqu’ils se sont effondrés, créant alors des cavités parfois alignées. La gravité moindre de la Lune et de Mars permet la formation de tunnels de lave bien plus grands que sur la Terre. Toutes ces caractéristiques en font d’excellents sites candidats pour installer de futurs habitats humains (voir chapitre 22) ! Ces tunnels de grande taille avec un plafond assez épais pour se protéger des radiations et des changements de température externe constitueraient de bons abris. La difficulté restera de repérer un tunnel suffisamment dégradé pour qu’on y trouve une entrée, mais assez préservé pour que l’intérieur du tunnel constitue une protection suffisante.

PAS D’ÉRUPTION EN COURS ? À ce jour, personne n’a observé la moindre éruption sur Mars : pas de coulée de lave brûlante ou d’explosion de cendres à craindre en ce moment ! Si l’on date les surfaces des coulées de lave en comptant le nombre de cratères, on se rend compte que les volcans martiens 139

P O URQ UO I LES V OLCA NS M A R T IENS SO NT- ILS G IG A NT ESQ U ES ?

sont éteints depuis un bon moment. La plus grande partie de l’activité volcanique martienne s’est concentrée dans les temps très anciens, au Noachien, il y a plus de 3,7 milliards d’années, mais les grandes provinces volcaniques d’Elysium et Tharsis semblent un peu plus récentes, avec une activité qui s’est maintenue au cours de l’Hespérien et de l’Amazonien. Localement, certaines coulées de lave d’Olympus Mons datent de moins de 100 millions d’années, ce qui, à l’échelle des temps géologiques, est très récent. Pourquoi tous les volcans martiens semblent-ils éteints alors que l’on observe encore aujourd’hui des volcans actifs sur Terre ? Pour l’expliquer, il faut d’abord comprendre l’origine du volcanisme. En effet, sur Terre comme sur Mars, c’est la chaleur emmagasinée lors de la formation de la planète qui fait localement fondre les roches du manteau. S’il y a suffisamment de chaleur accumulée, le magma remonte, traversant la croûte pour arriver à la surface et édifier un volcan. Or, Mars est plus petite que la Terre : elle s’est donc refroidie plus vite que notre planète et aujourd’hui, l’énergie interne de Mars est devenue trop faible pour faire fondre les roches de son manteau. On ne s’attend donc pas à un regain d’activité volcanique sur la planète rouge, même si l’on ne peut pas exclure l’arrivée d’une petite coulée de lave d’ici quelques millions d’années. D’ailleurs, les détections de méthane réalisées au-dessus de la province de Syrtis Major restent mystérieuses. Si certains pensent qu’elles seraient dues à une activité volcanique dans cette région, l’origine de ces émissions reste très controversée (voir chapitre 9).

DE GIGANTESQUES POINTS CHAUDS Sur Terre, on ne trouve pas les volcans n’importe où. La plupart sont alignés dans des zones bien spécifiques, comme dans les Andes ou encore en Islande, partie émergée d’une grande chaîne de volcans au milieu de l’Atlantique. Cette distribution bien particulière

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est liée à la tectonique des plaques : les volcans se forment principalement au niveau des limites de plaques en raison des conditions spécifiques qui y règnent. Il existe cependant quelques volcans plus isolés, comme ceux de La Réunion ou d’Hawaii : c’est le volcanisme de point chaud, qui s’explique par d’importantes remontées de chaleur dans le manteau terrestre, localisées, indépendantes de la tectonique des plaques.

Comparaison de la taille des reliefs de la Terre et de Mars. Sur Terre, le point culminant est l’Everest, avec ses 8,8 km d’altitude au-dessus du niveau de la mer. L’île d’Hawaii culmine à plus de 10,2 km au-dessus du fond marin, ce qui fait de cette île le plus grand volcan terrestre.

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Sur Mars, les volcans ne forment pas de chaînes caractéristiques de la tectonique des plaques, mais se rassemblent plutôt en amas dans les grandes provinces volcaniques. Mars ne possédant pas de plaques tectoniques, les volcans que l’on y observe sont forcément dus à la présence de points chauds, à l’aplomb de gigantesques panaches (des remontées de roches chaudes) dans le manteau martien. Mais pourquoi Hawaii ou encore La Réunion se contentent de culminer à 10 km de haut, puisque le type de volcanisme est identique à celui

L’une des explications de la taille imposante des volcans martiens est l’absence de tectonique des plaques sur Mars. Le magma, se formant en profondeur dans le manteau, remonte à la surface en grande quantité au même endroit, s’accumulant en de gigantesques volcans comme Olympus Mons. Sur Terre, la surface est emportée par la tectonique des plaques, et le volcan résultant de la remontée de magma va peu à peu se déplacer, laissant une ligne de volcans éteints derrière lui.

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d’Olympus Mons ? Les causes sont multiples : absence de tectonique des plaques sur Mars, gravité moindre et absence d’érosion sont autant de spécificités de la planète rouge qui permettent l’existence de ces reliefs. Non seulement les volcans martiens ont subi une accumulation de laves bien plus importante que sur Terre, mais ils ont aussi été préservés par la faible gravité de Mars et l’absence d’érosion. En effet, sur Terre, les montagnes s’effondrent rapidement sous leur propre poids, avec le transport de matière depuis les sommets vers les plaines, permis en grande partie par les rivières. Sur Mars, tout est plus léger, y compris les montagnes, et bien que l’on observe de nombreux glissements de terrain de très grande taille sur les flancs des volcans, ces provinces ne s’effondrent pas aussi vite que les volcans terrestres.

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Quelles roches trouve-t-on sur Mars ?

E

n dehors du régolite martien, formé par la poussière et les blocs rocheux présents en surface, Mars présente une diversité de terrains géologiques et de types de roches, souvent enfouies, reflétant toute la complexité de son histoire.

UN SOL PAS COMME LES AUTRES

Crédits : NASA/JPL-Caltech/Cornell

La surface de Mars n’est pas constituée de sol comme sur Terre, mais d’un mélange de blocs de roches fragmentés par les météorites : le régolite. Certains utilisent tout de même le terme de « sol martien », choisissant de contourner la définition de sol telle que nous la connaissons, qui implique une composante biologique. En effet, sur Terre, le sol résulte de la transformation de la couche superficielle de la roche-mère,

Les plaines de basaltes arpentées par Spirit dans le cratère Gusev : un bel exemple de régolite martien. 145

Q UELLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

dégradée et enrichie en matières organiques par les organismes vivants. Sur les autres planètes, la formation du régolite implique plutôt une altération chimique, voire physique : ces sols sont donc quasi exclusivement constitués de matière minérale. Moins épais que sur la Lune, le régolite martien a aussi été remanié par le vent et l’eau et lentement altéré au contact de l’atmosphère, gardant en mémoire une grande partie des événements qui ont façonné la surface de la planète rouge.

Pour en savoir plus

PETIT GLOSSAIRE DU GÉOLOGUE h terrestres sont divisées en trois grandes catégories. Les roches - Les roches magmatiques sont liées à l’activité volcanique et issues du refroidissement et de la solidification d’un magma. Certains magmas refroidissent lentement en profondeur, formant alors des roches avec de gros cristaux : elles sont dites plutoniques ou intrusives (ex. : les granites). D’autres magmas remontent à la surface et refroidissent plus rapidement : on parle alors de roches volcaniques ou effusives (ex. : les basaltes). - Les roches sédimentaires proviennent de l’accumulation de sédiments qui se déposent le plus souvent en couches appelées strates. L’eau liquide joue alors un rôle important dans le transport des sédiments et la formation de ces roches, mais elle est parfois remplacée par le vent. Elles peuvent avoir une origine détritique, lorsqu’elles se forment par l’accumulation de débris tels que des matériaux érodés provenant d’autres roches (ex. : les grès). Les roches sédimentaires peuvent également avoir une origine chimique ou biochimique quand elles se forment sur place par précipitation des minéraux présents dans l’eau (ex. : les calcaires ou les évaporites). - Les roches métamorphiques résultent de la transformation des roches précédentes en raison de modifications importantes de pression et de température, par exemple lors d’un enfouissement dans une zone de collision continentale ou de subduction.

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EN AVANT MARS

Crédits photos : CRPG Nancy

Q UE LLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

Tous ces types de roches, résultant de divers processus géologiques (éruption, érosion, enfouissement), sont présents sur Mars.

DESSOUS... UN MONDE DE BASALTE Sous sa poussière riche en oxyde de fer (voir chapitre 8), la surface de Mars est essentiellement composée de roches volcaniques nommées basaltes, formant de grandes plaines. On pourrait les comparer aux « mers » lunaires, ou encore aux grandes plaines volcaniques qui recouvrent la surface de Mercure. Ces basaltes abondants témoignent de prolifiques éruptions effusives, qui ont quasi entièrement recouvert la croûte originelle de Mars, dont on ne connaît pas exactement la nature, mais qui pourrait aussi être basaltique (voir chapitre 17). Tout comme sur Terre, la variation de composition des basaltes indique une diversité des contextes de formation des magmas. Si la plupart des basaltes détectés sur Mars (et des météorites martiennes) sont de nature tholéitique, Spirit et Curiosity ont aussi trouvé des basaltes avec des compositions plus alcalines. Les chercheurs estiment donc que les magmas à l’origine de ces roches pourraient s’être formés plus ou moins profondément dans le manteau martien. En plus des basaltes issus de coulées effusives, on retrouve aussi parfois des 147

Q UELLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

Sur Terre, il existe une diversité de basaltes, qui peuvent avoir été produits dans des conditions très différentes. Par exemple, le basalte de la croûte océanique formé au niveau d’une dorsale (1) est un basalte dit « tholéitique », saturé en silice. À l’aplomb d’un point chaud (2), on trouve plutôt du basalte tantôt tholéitique (points chauds océaniques), tantôt alcalin (points chauds océaniques et continentaux), riche en sodium et potassium tandis que dans des zones de subduction (3), le basalte est calco-alcalin, c’est-à-dire pauvre en silice, mais riche en calcium et sodium. La formation de ces roches est donc pleinement dépendante du contexte géodynamique et des conditions de température et de pression des magmas. Sur Mars, la composition de la croûte actuelle ressemble à celle des basaltes de la croûte océanique (1) et des points chauds océaniques (2) terrestres. Cependant, celle des volcans de Tharsis comme Olympus Mons reste méconnue.

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EN AVANT MARS

Q UE LLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

Crédits : NASA/JPL-Caltech/USGS/Cornell

dépôts formés de cendres et de bombes volcaniques. Appelés dépôts pyroclastiques, ils témoignent d’éruptions plus explosives. Cependant, leur plus grande friabilité les a très certainement rendus moins résistants à l’érosion et il n’est pas toujours facile de les repérer sur Mars.

À son arrivée à Home Plate, Spirit découvre de jolies strates, probablement des couches de cendre, à en juger par la présence de bombes volcaniques (à gauche, la flèche indique un fragment explosif de 4 cm). Ces dépôts pyroclastiques sont issus d’une éruption explosive, qui peut se produire lorsque des magmas sont riches en silice et en gaz, ou lorsqu’un magma rencontre une nappe d’eau liquide.

UNE DIVERSITÉ INATTENDUE Des coulées de lave, des cendres volcaniques et même des roches sédimentaires… Mars nous dévoile de nouvelles roches à chaque nouvelle mission. Ainsi Curiosity, dans le cratère Gale, est venu élargir la collection martienne en échantillonnant des galets dans un ancien lit de torrent à sec. Parmi les roches formant ces galets, on retrouve des roches volcaniques effusives de compositions variées : principalement des basaltes mais aussi des roches plus riches en 149

Q UELLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

Lorsqu’un magma refroidit en profondeur, les minéraux cristallisent progressivement sur les bords de la chambre magmatique, dans un ordre bien précis : on parle de cristallisation fractionnée. Lorsque la fraction liquide restante du magma est éjectée vers la surface, elle peut s’être enrichie ou appauvrie en de nombreux éléments chimiques. De manière générale, l’évolution chimique des magmas tend à former des magmas (et donc des roches magmatiques) plus riches en silice au cours du temps, aussi dits plus « différenciés », ou plus acides.

Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS

À l’aide

silice (dites plus différenciées), comme des trachytes, qui impliquent des magmas de composition et/ou de profondeur d’origine différente, et/ou des processus géologiques particuliers, comme de la cristallisation fractionnée au sein de la chambre magmatique.

Curiosity a aussi échantillonné des roches magmatiques plutoniques proches des granites, typiques de la croûte continentale sur Terre. Cette roche large de 6 cm, photographiée le 27e jour de sa mission, est particulièrement atypique par sa couleur claire et sa composition très différenciée. Sur notre planète, ces roches se forment souvent à la suite d’un processus de fusion des plaques d’une ancienne croûte au niveau des zones de subduction : aurait-on trouvé d’anciennes traces de continents martiens ? Comment est-ce possible sans tectonique des plaques sur Mars ?

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EN AVANT MARS

Q UE LLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

La découverte de plus d’une dizaine de météorites sur Mars par les robots Spirit, Opportunity et Curiosity a étonné les scientifiques. Il s’agit essentiellement de météorites de fer, particulièrement résistantes à l’érosion, montrant néanmoins une patine lisse qui suggère qu’elles n’y ont pas complètement échappé. Ces météorites de fer sont issues d’anciennes protoplanètes, détruites par collision, et témoignent de la phase de formation des gros corps rocheux du Système solaire. On en retrouve aussi sur Terre, où elles représentent environ 5 % des chutes de météorites connues. Des météorites « rocheuses » sont probablement aussi présentes sur Mars, mais elles seraient plus difficiles à identifier avec certitude par les rovers. Crédits : NASA/JPL-Caltech/LANL/CNES/IRAP/ LPGNantes/CNRS/IAS/MSSS

Pour en savoir plus

DES ROCHES EXTRATERRESTRES SUR MARS !

La météorite de Lebanon, trouvée par Curiosity au 640e jour de sa mission (25 mai 2014), mesure 2 m d’envergure – et n’a définitivement rien de martien. Ci-dessus, un montage d’images panoramiques et d’images plus ciblées et mieux résolues, prises par deux caméras distinctes.

LE RÔLE DE L’EAU Le sol martien offre aussi une incroyable diversité de roches sédimentaires, témoignant du rôle majeur qu’a joué l’eau dans l’histoire géologique de la planète. Ainsi, on retrouve de nombreuses roches détritiques, dont les éléments ont été transportés et déposés par d’anciennes rivières. Par exemple, Curiosity a observé des conglomérats, 151

Q UELLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

roches formées de galets agglomérés, dans le cratère Gale. On a aussi détecté depuis l’orbite de Mars la présence de minéraux hydratés tels que des argiles et sulfates. Malgré tout, il est difficile de déterminer à quelles roches ils appartiennent, ou même de savoir s’ils ont été transportés par l’eau ou s’ils se sont formés sur place. Les argiles et les sulfates pourraient en effet provenir de l’altération de basaltes ou bien être déposés par sédimentation dans une étendue d’eau. On trouve aussi des roches formées par évaporation d’eaux chargées en minéraux, comme le gypse (la fameuse rose des sables) ou l’halite (notre vulgaire sel de table). Finalement, Mars est aussi un petit coin de paradis pour les géologues !

À l’aide

ROCHE OU MINÉRAL ? Un minéral est un assemblage de molécules organisées dans une forme bien spécifique. Une roche est composée d’un ensemble de minéraux.

Enfin, l’eau ne se contente pas de s’écouler ou jaillir en surface : elle circule aussi en profondeur, parfois chaude, altérant la croûte martienne. Ce phénomène, connu sous le nom d’hydrothermalisme crustal, serait responsable des rares traces de serpentinites, de carbonates de fer et de magnésium détectées sur Mars. À noter que la planète rouge ne compte pas de carbonates de calcium (que l’on connaît sous le nom de calcaires) : il ne faut pas oublier que les calcaires terrestres ont surtout une origine biologique ! Sans doute reste-t-il d’autres minéraux à découvrir ? Comme sur Terre, la circulation de divers fluides chauffés en profondeur est sans doute à l’origine de la précipitation de minerais et métaux d’intérêt économique. Alors, à quand la ruée vers l’or sur la planète rouge ? 152

EN AVANT MARS

Q UE LLES R O CHES T R O U V E-T- O N SU R M A R S ?

Terre

Crédits : Steven W. Ruff et Jack D. Farmer, 2016

Mars

La silice hydratée photographiée par Spirit à Home Plate (à gauche) ressemble en tout point aux concrétions observées dans les champs de geysers d’El Tatio au Chili (à droite). Ce genre de dépôt est fréquent à proximité des sources chaudes, fumerolles et geysers sur Terre. Home Plate ressemblait-elle à Yellowstone ou l’Islande il y a 3,5 milliards d’années ? Possible !

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Que nous apprend le grand canyon martien ?

L

Crédits : NASA/JPL-Caltech

a surface de Mars est marquée par un gigantesque canyon qui s’étend sur plus de 4 000 km, soit près d’un quart de la planète, le long de son équateur. Nommé Valles Marineris en l’honneur de la sonde Mariner 9 qui l’a découvert en 1972, ce canyon profond de près de 10 km est aussi le plus grand du Système solaire.

Valles Marineris, le grand canyon de Mars, pourrait recouvrir tous les États-Unis dans la longueur. Le canyon est si grand qu’il est divisé en sous-parties appelées chasmata (chasma au singulier).

UNE ORIGINE CONTROVERSÉE Il est communément admis que le canyon de Valles Marineris possède une origine tectonique, c’est-à-dire qu’il est lié à des déformations de la croûte martienne en surface (attention, on peut avoir de la tectonique sans tectonique des plaques !). Cependant, les mécanismes 155

Q UE NO US A PPR END LE G R A ND CA NYO N M A R T IEN ?

La formation de Valles Marineris, vue en coupe, est la conséquence d’une combinaison de mouvements horizontaux et verticaux, ces derniers étant facilités par les dépôts de sédiments au moment de l’ouverture du canyon.

précis de formation du canyon ne font pas encore consensus dans la communauté scientifique. La mise en place des imposants volcans de Tharsis situés plus à l’ouest du canyon aurait bombé et fait « craquer » la croûte martienne, formant de nombreux fossés d’effondrement. Si l’on sait donc que Valles Marineris n’a pas été creusée par l’eau comme la plupart des canyons terrestres, c’est la nature précise du mouvement de la croûte qui fait encore débat. Certains chercheurs pensent en effet que ce mouvement a été horizontal avec la croûte étirée de part et d’autre du canyon : on qualifie cette action de « rifting ». Récemment, la découverte de cheminées volcaniques alignées avec le canyon a démontré que des intrusions de magma ont certainement poussé le canyon à s’ouvrir : on parle alors de rifting actif. 156

EN AVANT MARS

Q UE NO U S A PPR END LE G R A ND CA NYO N M A R T IE N ?

Un fossé tectonique ou fossé d’effondrement est le résultat d’un affaissement entre deux compartiments rocheux, à cause d’un volcanisme sous-jacent et/ou de la présence de failles extensives. Si ce phénomène se produit sur une grande longueur, comme dans la région de Tharsis où les fossés atteignent plusieurs centaines de kilomètres, les géologues parlent d’une vallée de rift.

Crédits : ESA/DLR/F U Ber

lin (G. Neukum)

À l’aide

D’autres scientifiques prônent plutôt un effondrement vertical, voire une combinaison asymétrique des deux mécanismes.

Le canyon s’est vraisemblablement formé par une extension nord-sud, résultant en un ensemble de fossés d’effondrement alignés est-ouest, et profonds de plusieurs kilomètres, comme ici dans la région de Coprates Chasma.

UNE COUPE NATURELLE UNIQUE Formé il y a environ 3,5 milliards d’années, le gigantesque canyon de Valles Marineris dévoile des roches d’âges variés qui témoignent de l’histoire géologique de Mars. Les parois du canyon, plus grande cicatrice naturelle de la planète, présentent un enregistrement géologique unique sur près d’une dizaine de kilomètres de profondeur – soit plus de 5 fois celle du Grand Canyon aux États-Unis. Cet empilement de couches géologiques sur les versants du canyon permet aux planétologues d’accéder aux plus anciennes roches exposées à la surface de la planète. En effet, le canyon s’est formé dans un 157

Q UE NO US A PPR END LE G R A ND CA NYO N M A R T IEN ?

empilement de roches plus vieilles que son ouverture. Le principe de superposition, très utilisé en géologie, stipule qu’une couche est plus récente que celle qu’elle recouvre et plus ancienne que celle qui la recouvre. Ainsi, dans Valles Marineris, les roches les plus anciennes (incluant des dépôts d’argiles) sont celles qui affleurent à la base des versants, au fond des profondes gorges du canyon, alors que des kilomètres de laves basaltiques, de plus en plus récentes, s’accumulent jusqu’au sommet des plateaux. Souvent, les parois de Valles Marineris sont le siège d’impressionnants glissements de terrain, qui forment de vastes lobes de débris transportés jusqu’à 100 km de leur source. Leur géométrie semble dépendre du degré de confinement des canyons où ils se mettent en place, mais pas de leur âge. Avec des volumes de roches déposées qui varient de 10 km3 jusqu’à plus de 5 000 km3, ces glissements sont bien plus importants que les glissements terrestres.

DE L’EAU... PENDANT TRÈS, TRÈS LONGTEMPS D’autres phénomènes témoignent de l’activité géologique intense de la région de Valles Marineris. En effet, les murs du canyon sont parfois recouverts de cônes alluviaux, des amas de matériaux sédimentaires déposés par des rivières ou fleuves prenant leur source au niveau des plateaux environnants. Ces cônes diffèrent des glissements de terrain par leurs dépôts de forme triangulaire vus du ciel, mais aussi par la présence d’une vallée nourricière en amont, sur le plateau d’où proviennent les sédiments. À d’autres endroits, en particulier à l’embouchure de Valles Marineris à l’est, les murs sont découpés en terrasses, qui constituent des zones planes, étagées, incisées au sein des murs par une activité fluviatile répétée. Les parois du canyon ne sont toutefois pas les seuls témoins du passage de l’eau, puisqu’elle a aussi coulé, érodé, sculpté et redéposé des sédiments à de nombreuses reprises à l’intérieur même du canyon ! Grâce aux sondes en orbite, ces traces d’écoulement 158

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Crédits : NASA/JPL/GSFC/ASU

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Glissements de terrain observés dans Coprates Chasma, dans la partie centrale de Valles Marineris. On observe deux glissements provenant du mur Nord, longs d’une cinquantaine de kilomètres, dont l’un est recouvert par un glissement plus récent, provenant du mur Sud. Dans leur partie supérieure, les versants du canyon dévoilent une morphologie typique dite « en éperon et ravines » qui pourrait s’expliquer par une combinaison de mécanismes d’érosion et de tectonique extensive.

aident à reconstituer l’histoire géologique complexe de la région, mais aussi de la planète tout entière. Certains mystères de Valles Marineris n’ont cependant pas encore été dévoilés. Par exemple, dans sa partie centrale, le canyon est élargi, formant de nombreuses dépressions interconnectées, appelées « chasmata », qui sont fréquemment recouvertes de dépôts sédimentaires. Ces dépôts stratifiés, épais de plusieurs kilomètres, à sommet étrangement plat, et à fort albédo (c’est-à-dire plus réfléchissants), semblent être constitués d’un matériau différent des roches formant les versants et le sol des canyons. Si leur origine est inconnue, plusieurs 159

Crédits : ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum)

Q UE NO US A PPR END LE G R A ND CA NYO N M A R T IEN ?

Dépôts stratifiés remplissant le canyon dans la région de Ophir/ Candor Chasmata, vus par la caméra HRSC de Mars Express. La butte à droite de l’image mesure environ 60 × 60 km pour une épaisseur de 3 km. Des roches plus claires et plus réfléchissantes sont visibles sur les flancs moins poussiéreux de la butte de gauche. On distingue, à l’arrière-plan, les parois du canyon.

hypothèses ont été formulées pour les expliquer : une sédimentation dans un ancien lac, la formation de volcans sous-glaciaires, ou l’accumulation de dépôts éoliens ou volcaniques altérés. Par ailleurs, les instruments de spectroscopie sur les sondes en orbite ont révélé que ces dépôts étaient riches en sulfates ; leur taille gigantesque fait de Valles Marineris le plus grand réservoir de sulfates à la surface de la planète. Ceci implique la présence d’eau liquide en surface au moment de leur formation, ou peu après, mais ne permet toujours pas de trancher sur leur origine. Mais de quand datent ces étonnants dépôts sulfatés ? Les dépôts, forcément postérieurs à l’ouverture du canyon, sont eux-mêmes érodés par de très larges traces d’écoulement mesurant plus de 500 km et datées de 2 milliards d’années. Valles Marineris voyait donc toujours passer ponctuellement des écoulements d’eau liquide de grande ampleur après le changement climatique martien, alors qu’une grande partie de la planète était déjà sèche (peut-être en lien avec des éruptions des volcans de Tharsis qui faisaient fondre la glace du sous-sol ?).

LA MÉMOIRE GÉOLOGIQUE DE MARS ? En résumé, Valles Marineris est en quelque sorte la mémoire géologique de Mars, avec des roches ayant enregistré les moments clés de l’histoire de la planète, comme : 1) les roches anciennes et argiles 160

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Crédits : ESA/Roscosmos/CaSSIS, CC BY-SA 3.0 IGO

noachiennes (plus de 3,7 milliards d’années) détectées à la base des murs ; 2) un empilement volcanique plus récent exposé de façon unique sur plusieurs kilomètres ; 3) des rides de compression du Noachien, des fossés d’effondrement hespériens, montrant des changements de régimes tectoniques importants ; 4) des sulfates hespériens, marqueurs de la transition climatique, formant de gigantesques dépôts à l’intérieur du canyon ; 5) des écoulements d’eau tardifs, de type chenaux de débâcle il y a 2 milliards d’années, mais aussi des écoulements saisonniers observés tout récemment (voir chapitre 11).

La ride de Solis Dorsum, capturée par l’orbiteur TGO, témoigne de contraintes compressives dans la région de Tharsis. Ces rides compressives contrastent avec les fossés d’effondrement qui ont une origine extensive, et sont ici plus anciennes. Tout comme sur la Lune, leur présence suggère une contraction de la croûte martienne, possiblement lors du refroidissement de la planète.

Alors pourquoi ne sommes-nous toujours pas allés faire un tour dans Valles Marineris, avec un rover ou un atterrisseur ? Malheureusement, à cause de ses reliefs arpentés, il est bien trop risqué de s’y rendre avec les méthodes d’atterrissage actuelles. Mais la NASA garde dans le collimateur Valles Marineris, et notamment les dépôts sédimentaires riches en sulfates qui représentent une très grande réserve d’eau, pour d’éventuelles missions habitées. C’est donc un lieu qui vaudra sans aucun doute le détour dès que possible ! 161

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Interview

ZOOM SUR LE GRAND CANYON L’avis de Cathy Quantin-Nataf, professeure en planétologie à l’université de Lyon. En plus d’être à l’origine de la découverte d’Oxia Planum, le site d’atterrissage choisi pour Rosa, Cathy est l’une des plus grandes expertes internationales sur le sujet du grand canyon martien.

Qu’est-ce qui fait de Valles Marineris un lieu si particulier sur Mars ? Il l’est par sa taille et sa profondeur. C’est la première structure que l’on remarque sur une carte de Mars. Les paysages doivent y être tout aussi spectaculaires, au moins autant qu’au bord du Grand Canyon américain ! Valles Marineris est aussi un lieu qui a énormément à nous apprendre. C’est l’entaille la plus profonde de Mars, nous livrant les secrets de la composition des entrailles de Mars, mais l’étudier n’est pas si facile !

Justement, comment étudie-t-on le grand canyon martien ? Pour le moment, on ne peut l’étudier qu’à partir des mesures de satellites (images et spectroscopie pour comprendre la composition des roches). Sa taille rend la tâche complexe, car il y a énormément de données à analyser. L’étape suivante logique, et cruciale, serait une exploration in situ (avec un rover ou pourquoi pas un hélicoptère comme Ingenuity). Mais l’atterrissage dans ce profond canyon dont on ne connaît pas les régimes de vent est périlleux et c’est un risque que les agences spatiales ne préfèrent pas prendre, vu le coût des missions d’exploration. Les techniques d’atterrissage progressent de mission en mission et pourraient dans un avenir proche ouvrir la voie à l’exploration de Valles Marineris. •••

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Quelles sont les principales problématiques scientifiques à aborder dans Valles Marineris ? Valles Marineris, c’est plusieurs mondes. Si l’on s’intéresse au feu et à la glace, il faut étudier Noctis Labyrinthus à l’ouest : ce labyrinthe de canyons serait la partie la plus récente de Valles Marineris, renfermant coulées de lave tardives et preuves de l’action de l’eau sur ces laves. Si les anciens marais salants vous intéressent, il faut regarder Melas Chasma au centre de Valles Marineris, où des dépôts de sulfates de plusieurs kilomètres de haut et sur des milliers de kilomètres carrés sont préservés. Si l’on se questionne sur le refroidissement de la couche extérieure des planètes (la croûte), il faut viser Coprates Chasma ; ce canyon étroit expose des roches uniques témoins de la formation de la croûte martienne. Et enfin, si l’on préfère visiter le plus gros glissement de terrain de moins de 100 millions d’années, c’est-à-dire datant d’hier à l’échelle des temps géologiques, il faut se rendre tout à l’est, dans Gangis Chasma. Il y a donc de quoi faire dans le grand canyon martien !

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Que retenir de l’histoire géologique de Mars ?

D

u vent, de l’eau, des volcans, et quelques coups de soleil, l’histoire de Mars depuis sa formation il y a 4,5 milliards d’années est loin d’être tranquille ! Faisons le point sur les faits marquants à l’échelle des temps géologiques.

LA CHRONOLOGIE DE MARS Comme nous l’avons vu précédemment, les géologues ont daté la surface de Mars à partir de la densité de cratères de météorites. Ils ont alors défini 3 grandes périodes : le Noachien (entre 4,1 et 3,7 milliards d’années), l’Hespérien (entre 3,7 et 3 milliards d’années) et l’Amazonien (de 3 milliards d’années à aujourd’hui). Chacune de ces périodes est marquée par des événements caractéristiques et porte le nom d’une région typique de cette époque sur Mars (par exemple, Noachis Terra pour le Noachien). Un découpage en ères géologiques bien plus simple que sur Terre, avec cependant une forte incertitude sur les âges des transitions. Mais pourquoi cette échelle ne commencet-elle pas juste après la formation de Mars ? Il est en réalité difficile de savoir ce qui s’est passé avant 4,1 milliards d’années, à l’époque dite « pré-noachienne », mais l’on peut s’appuyer sur des modèles pour tenter d’y voir plus clair.

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Q UE RETENIR DE L’HIST O IR E G ÉO LO G IQ U E DE M A R S ?

L’échelle des temps géologiques martiens est divisée en 3 grandes ères : le Noachien, l’Hespérien et l’Amazonien. Les âges des transitions ont été obtenus à partir de la densité de cratères à la surface et sont donc à prendre avec des pincettes, surtout si l’on souhaite comparer ces ères à celles de la Terre.

L’ÉPOQUE PRÉ-NOACHIENNE L’histoire géologique de Mars débute en théorie il y a 4,5 milliards d’années lorsque la planète nouvellement formée se différencie en un noyau, un manteau et une croûte. Le fer en fusion migre vers le centre de la planète et les éléments plus légers s’accumulent au sommet d’un océan de magma, formant une croûte rocheuse en se solidifiant (voir chapitre 3). Même s’il n’y a pas encore de consensus sur la nature de la première croûte de Mars, dite « croûte primitive », car il n’existe pas de surfaces exposées datant de cette époque, on pense qu’elle a pu être de composition basaltique, comme les roches volcaniques formées plus tardivement.

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Cette carte indique l’âge approximatif de formation des terrains exposés à la surface de Mars. Une grande partie de la surface est recouverte de formations très anciennes datant de plus de 3 milliards d’années, comme les hauts plateaux noachiens de l’hémisphère sud, et les plaines volcaniques hespériennes au nord. Les terrains amazoniens sont formés par les provinces volcaniques, les calottes polaires et les cratères d’impact les plus jeunes. La dichotomie martienne est indiquée par un trait noir ; bien visible dans la région d’Isidis et Elysium, son contour est plus difficile à tracer à proximité du mégadôme volcanique de Tharsis.

La présence d’un champ magnétique fossile, enregistré dans les portions de croûte ancienne (> 3,7 milliards d’années), a été détectée par la sonde MGS en 1997. Cette observation démontre que Mars avait une dynamo active au début de son histoire, c’est-à-dire que son noyau externe liquide devait être en rotation autour de son noyau externe solide, générant un courant électrique, qui à son tour produisait un champ magnétique. Il est probable que le noyau martien, à cause de sa petite taille, se soit totalement solidifié en quelques millions d’années, mettant fin au champ magnétique de Mars et signant sans doute le début d’une grande période de chamboulements. C’est probablement aussi tout au début de son histoire que s’est formée la dichotomie martienne, cette différence importante d’altitude et d’épaisseur de croûte entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud : elle marquera l’ensemble de la topographie martienne pour le reste de

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Crédits : NASA/JPL

Q UE RETENIR DE L’HIST O IR E G ÉO LO G IQ U E DE M A R S ?

À cause d’un panneau solaire cassé, la sonde MGS est passée plus lentement au-dessus de Mars et a mesuré de manière totalement inattendue un champ magnétique fossile, ou rémanent, au-dessus des portions les plus anciennes de la surface. L’alternance de bandes de polarité positive (en rouge) et négative (en bleu) pourrait laisser penser que le champ magnétique de Mars s’est inversé plusieurs fois, comme sur Terre.

son histoire géologique. La formation de la dichotomie martienne reste encore mal comprise, car les plaines du Nord ont été complètement recouvertes par des coulées de lave et les terres du Sud fortement modifiées par l’érosion, le volcanisme et les cratères d’impact. Si certains chercheurs expliquent cette différence d’altitude par des processus dits « exogènes », comme un impact de météorite géant qui serait venu arracher une partie de l’hémisphère nord de Mars, d’autres proposent une origine « endogène », liée à la formation de Mars elle-même, comme des mouvements de convection dans le manteau. On suppose l’existence de nombreux cratères d’impact géants ayant été formés à cette époque, mais aujourd’hui enfouis, comme le bassin de Chryse ou d’Acidalia Planitia. Durant cette période, les impacts de météorites, plus fréquents, ont complètement façonné la surface de Mars, tout en alimentant en partie l’atmosphère primitive en gaz. Comme pour la Terre, il est difficile de savoir quelle fraction de ces éléments volatils était déjà présente dans la jeune planète et quel est l’apport des impacteurs. 168

EN AVANT MARS

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L’intensité des impacts est telle au pré-Noachien qu’il ne subsiste finalement aucune surface datée de cette époque-là.

L’ÈRE NOACHIENNE

Crédits : ESA/DLR/FU Berlin (CC BY-SA 3.0 IGO)

La première ère géologique de Mars débute avec la formation du bassin d’impact d’Hellas, il y a 4,1 milliards d’années. Durant cette période, le flux d’impact est très important et les éjectas des cratères créent d’épais dépôts à l’échelle de toute la planète. Le volcanisme noachien provoque des traces encore visibles aujourd’hui avec le tout début de la formation de la province de Tharsis. L’ère noachienne est également marquée par de nombreuses traces d’écoulement d’eau liquide, avec des réseaux de vallées bien développés, des dépôts de deltas, des cratères remplis par des lacs, des minéraux hydratés de type argiles omniprésents… Il y a donc eu, indubitablement, de l’eau liquide sur Mars à cette époque. Certains chercheurs avancent même l’hypothèse d’un océan qui aurait recouvert la plus grande partie des plaines de l’hémisphère nord.

Situé à proximité de la dichotomie martienne, le site de Mawrth Vallis est unique par sa minéralogie variée (telle que la voit Mars Express depuis l’espace). C’est un très bon représentant de toute la diversité et complexité de l’activité hydrologique au Noachien.

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La question du climat martien au Noachien est encore largement débattue, avec plusieurs modèles qui s’affrontent. Un premier débat porte sur la température moyenne de cette période : les réseaux de vallées ont-ils été plutôt formés par des précipitations de pluie ou bien par la fonte périodique d’une couche de neige ? Dans le cas du second scénario, on ne s’attend pas à ce que les étendues d’eau persistent pendant de longues durées. Un autre sujet non résolu porte sur la stabilité des conditions de pression et de température permettant l’existence d’eau liquide. En effet, malgré les observations géologiques témoignant de ces traces d’eau liquide, les scientifiques s’accordent sur le fait que des quantités énormes de gaz à effet de serre seraient nécessaires dans l’atmosphère martienne pour atteindre ces conditions. Si certains événements comme un impact géant ou une très grosse éruption peuvent réchauffer la surface et libérer massivement des gaz à effet de serre, l’atmosphère martienne disparaît rapidement en l’absence d’une gravité suffisante et de champ magnétique, entraînant un retour à des conditions impropres à l’existence de l’eau liquide en quelques milliers d’années. Un autre point important concerne la présence ou non d’un champ magnétique martien durant cette ère. Si les premières études ont laissé penser que le champ magnétique avait disparu très tôt au cours du Noachien, des résultats plus récents repoussent la disparition du champ magnétique à la fin du Noachien, il y a 3,7 milliards d’années. Cette découverte a de nombreuses implications sur l’habitabilité de la surface à cette époque et sur la stabilité de l’atmosphère martienne. En effet, le champ magnétique aurait alors protégé la surface des rayonnements solaires, dangereux pour la vie et qui détruisent aujourd’hui l’atmosphère martienne. La réponse à ces questions constitue un enjeu majeur pour étudier la possibilité de découvrir des formes de vie extraterrestre sur Mars. Mieux comprendre ce qu’il s’est passé au Noachien et notamment la durée des épisodes humides qui auraient rendu Mars habitable reste donc l’un des objectifs majeurs des missions à venir. 170

EN AVANT MARS

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L’ÈRE HESPÉRIENNE L’ère hespérienne succède au Noachien aux alentours de 3,7 milliards d’années. Cette nouvelle période est marquée par un flux d’impact de météorites plus faible qu’au Noachien, tandis que le paysage commence de plus en plus à être modelé par le volcanisme. En effet, c’est durant l’Hespérien que se forment la plus grande partie des provinces volcaniques visibles actuellement, avec dans l’ordre, l’apparition de Syrtis, Hesperia, Elysium et enfin Tharsis. Les chercheurs estiment que près de 30 % de la surface de Mars a été recouverte de lave à l’Hespérien. L’ouverture du canyon de Valles Marineris reste difficile à dater, mais le processus a probablement débuté à l’Hespérien en même temps que l’accumulation de lave dans la province de Tharsis. Si l’intensité du volcanisme reste forte, l’activité érosive de l’eau diminue largement. On observe des réseaux hydrologiques uniquement de façon locale, par opposition aux réseaux noachiens présents sur toute la surface. Il s’agit d’ailleurs plutôt de chenaux de débâcle, moins ramifiés, très linéaires, avec d’immenses dépôts à leur embouchure dans les plaines du Nord (voir chapitre 11). Ceci suggère que l’eau était beaucoup moins stable et que ces vallées ont été formées par la fonte locale de neige ou de glaciers. La forme et la profondeur de ces vallées indiquent des écoulements d’eau gigantesques et ponctuels, ce qui laisse penser que des impacts de météorites ou encore des éruptions volcaniques peuvent être à l’origine d’une fonte brutale de glace présente dans le sol ou à la surface. L’Hespérien reste donc une période de transition entre Mars jeune présentant des conditions stables pour l’eau et Mars actuelle, aride et froide. Cette période est aussi caractérisée par la formation de sulfates, des minéraux hydratés nécessitant eau et soufre (probablement apportés par les volcans), qui se concentrent dans les régions de Valles Marineris (voir chapitre 16) et Meridiani Planum. La transition entre argiles noachiennes et sulfates hespériens pourrait indiquer la présence d’eaux liquides plus acides en surface, mais aussi plus 171

Q UE RETENIR DE L’HIST O IR E G ÉO LO G IQ U E DE M A R S ?

Crédits : NASA/JPL-Caltech/Cornell

localisées. L’étude de cette transition est importante pour comprendre si le climat humide du Noachien était vraiment stable ou constitué d’une succession d’événements chauds entrecoupés d’épisodes froids, et pourquoi il aurait changé à l’Hespérien.

La « Burns Formation », unité à sulfates et myrtilles étudiée par Opportunity à Meridiani Planum, illustre parfaitement la disparition progressive de l’eau sur Mars et la probable acidification de la surface à l’Hespérien.

L’ÈRE AMAZONIENNE La limite entre l’Hespérien et l’Amazonien n’est pas très bien définie : selon les chercheurs, elle a eu lieu entre 3 et 2 milliards d’années. L’Amazonien est donc l’ère martienne la plus longue, mais malgré cette durée importante, la surface de Mars n’a pas beaucoup changé ces trois derniers milliards d’années. Le flux d’impact a encore diminué par rapport à l’Hespérien, tandis que l’activité volcanique a presque disparu et les chenaux de débâcle et réseaux de vallées deviennent vraiment très rares et moins étendus qu’à l’Hespérien. D’autres phénomènes géologiques, moins intenses, marquent cependant le paysage. C’est notamment au cours de l’Amazonien que se forment les calottes polaires actuelles ainsi que les paysages glaciaires des hautes latitudes. Les processus éoliens deviennent dominants en l’absence d’activité hydrologique, avec des champs de dunes dont on peut observer le mouvement, mais aussi des zones peu à peu érodées par le vent. 172

EN AVANT MARS

Q UE RET ENIR DE L’HIST O IR E G ÉO LO G IQ U E DE M A R S ?

Si l’étude de cette période n’est pas la plus prometteuse du point de vue de la recherche d’une vie extraterrestre, elle est importante pour planifier au mieux les missions d’exploration de Mars. Ainsi, il est intéressant d’explorer une zone actuellement en érosion, car cela signifie que les roches ne sont en surface que depuis une courte période et donc longtemps protégées des radiations solaires. Certains chercheurs considèrent aussi que quelques endroits très spécifiques (près de l’équateur sur des versants très bien exposés ou en profondeur dans le sol) ont pu voir le maintien de conditions propices à des formes de vie extraterrestres. L’étude de la stabilité de ces niches habitables au cours de l’Amazonien constitue donc un autre enjeu de l’exploration de Mars. Même si l’Amazonien semble plus calme, Mars est loin d’être une planète morte : avec des impacts toujours présents, des avalanches, des tempêtes, des séismes, des éruptions récentes (et actuelles ? Bonne question, le méthane martien pourrait être un indice, voir chapitre 9), il se passe encore des choses sur Mars ! 173

Crédits : ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum), CC BY-SA 3.0 IGO

Q UE RETENIR DE L’HIST O IR E G ÉO LO G IQ U E DE M A R S ?

La caméra HRSC de Mars Express a capturé ce superbe dépôt de glace au centre et dans les murs d’un cratère sans nom de 35 km de diamètre, situé près du pôle Nord (70,5° N, 103° E). Ces dépôts de glace, tout comme les calottes polaires, se sont probablement accumulés au gré des variations climatiques de l’Amazonien. On grelotte sur Mars !

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Mars a-t-elle pu un jour abriter la vie ?

D À l’aide

epuis que l’on sait que de l’eau liquide a coulé à la surface de Mars, les scientifiques se sont demandé combien de temps avaient duré ces conditions potentiellement favorables à l’apparition de la vie. D’ici quelques années, les instruments du programme ExoMars tenteront de trouver des biosignatures dans le sol martien. Comment les scientifiques s’y prennent-ils pour partir à la recherche de la vie sur Mars ?

Une biosignature est une trace chimique ou physique (par exemple, une anomalie isotopique, un fossile, des excréments...) laissée par une forme de vie.

LE NOACHIEN, UNE PÉRIODE PROPICE Au travers des chapitres précédents, nous avons constaté que la surface de Mars était marquée par des traces indiquant la présence d’eau liquide, majoritairement sur les terrains les plus anciens. Ainsi, la plupart des vallées et sédiments datent de l’époque du Noachien (entre 4,1 et 3,7 milliards d’années), tandis que la fréquence de ces 175

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traces diminue grandement à l’Hespérien (entre 3,7 et 3 milliards d’années) et qu’elles disparaissent presque complètement à l’Amazonien (3 milliards d’années à aujourd’hui). L’eau liquide, si elle n’est plus présente en surface actuellement, a donc contribué à façonner Mars durant ses premiers milliards d’années. Son existence à l’état liquide, au moment même où apparaissaient les premières formes de vie sur Terre, a-t-elle permis l’éclosion de la vie sur Mars ?

Sur Terre, les premières traces de vie sont datées de 4 à 3,5 milliards d’années. Cependant, les formes de vie à cette époque se limitaient à des organismes microscopiques, composés d’une cellule unique. Les organismes pluricellulaires émergent beaucoup plus tard, il y a 2 à 0,5 milliard d’années suivant les théories. Quant aux mammifères, ils sont apparus il y a seulement 220 millions d’années. La naissance des premières cellules sur Terre correspond donc à l’époque où l’eau liquide coulait encore sur Mars et que la surface était peut-être encore protégée par son champ magnétique. Assez de coïncidences pour pousser les scientifiques à chercher des traces de bactéries martiennes.

LES INGRÉDIENTS DE LA VIE Si l’on compare les ères géologiques martiennes avec ce que l’on connaît de l’apparition de la vie sur Terre, on constate que l’apparition des premières formes de vie coïncide avec l’époque où Mars possédait aussi de l’eau liquide à sa surface, avec des rivières, des lacs et peut-être même un océan. Son noyau, encore suffisamment actif

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À l’aide

à l’époque, engendrait un champ magnétique la protégeant comme la Terre, jusqu’à la fin du Noachien. Enfin, la composition chimique des roches indique des environnements propices, dits « habitables ». Curiosity a en effet détecté dans les anciens sédiments du cratère Gale des molécules organiques complexes ainsi que les éléments CHNOPS (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore, soufre), soit toutes les briques élémentaires nécessaires au développement de la vie telle qu’on la connaît sur Terre.

Le carbone constitue la base de la matière dite organique, par opposition à la matière minérale. Cette matière organique compose les parties molles de la plupart des êtres vivants. (Attention, les os sont constitués de matière minérale, d’où l’importance du calcium et des sels minéraux !) Il existe cependant de la matière organique produite sans intervention d’un organisme vivant, qu’on qualifie alors de « abiotique ». On la retrouve notamment dans les météorites. Les molécules organiques produites par les êtres vivants sont souvent complexes, par opposition aux molécules abiotiques, souvent plus simples.

Si l’on ignore encore où et comment la vie est apparue sur Terre, de nombreux scientifiques se sont penchés sur la question. Selon les dernières études, il semblerait que la vie ait besoin de seulement quelques ingrédients spécifiques pour apparaître : de l’eau liquide, de la matière organique, des minéraux (de la famille des phyllosilicates) et une source d’énergie. On a longtemps pensé que cette énergie sur Terre a pu être apportée par l’activité hydrothermale à proximité des cheminées volcaniques, au fond des océans, nommées « fumeurs blancs », mais aujourd’hui, certains chimistes favorisent plutôt une

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Crédits : CC – Clément Bardot

émergence en milieu continental, par exemple dans des sources chaudes, qui auraient pu servir de gigantesques « soupes primordiales » pour le développement de la vie. Or sur Mars, on a également trouvé des traces d’hydrothermalisme continental, comme l’a prouvé Spirit à Home Plate (voir chapitre 15).

La soupe primordiale, conceptualisée en 1924 par le biochimiste russe Alexandre Oparin, est un mélange physico-chimique décrit et étudié par les scientifiques qui cherchent à comprendre le scénario d’apparition de la vie sur Terre. Les environnements hydrothermaux comme le lac Grand Prismatic Spring à Yellowstone sont de bonnes soupes primordiales, avec des températures élevées et un environnement réducteur (absence d’oxygène) ; ils pourraient ressembler aux environnements qui ont permis l’émergence de la vie sur Terre… et sur Mars ?

Comme on retrouve bien tous ces ingrédients sur Mars à l’époque du Noachien, se demander si la vie n’est pas apparue sur Mars en même temps que sur Terre n’est finalement pas si incongru : l’apparition de la vie a bien pu s’y produire, puisque les conditions y étaient similaires à celles de la Terre. Cependant, quelques points noirs viennent ternir cette hypothèse et les connaissances de cette époque de Mars restent encore trop parcellaires pour affirmer que la vie y est forcément apparue. La plus grosse incertitude est liée à la stabilité ou non du climat chaud et humide de Mars. 178

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À LA RECHERCHE DE BIOSIGNATURES Sur Terre, il n’existe que très peu de roches datées de plus de 3,8 milliards d’années, âge de la plus vieille trace présumée de vie terrestre, identifiée dans les roches d’Akilia au Groenland. Les roches anciennes sont presque toutes soit enfouies, soit détruites par la tectonique des plaques... Ce qui n’est pas le cas sur Mars ! L’abondance de vieilles roches accessibles en surface représente un véritable avantage pour qui recherche des traces de vie ancienne sur la planète rouge. Les chances de dénicher des formes de vie primitive ou des témoignages de leur activité passée en fouillant les roches ne sont pas négligeables. Cependant, les rayonnements solaires qui bombardent la surface de Mars depuis la disparition de son champ magnétique compliquent un peu la situation : ils ont probablement fait disparaître la plupart des composés organiques des roches depuis un moment. Autre problème que pourraient rencontrer nos robots : des perchlorates (composés chimiques toxiques et bactéricides) ont été détectés dans le sol de Mars par Viking 1 et Curiosity. Ces composés risquent d’avoir détruit toutes

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Crédits : Bernard Marty

traces d’une vie passée. On ignore cependant l’étendue de ces dépôts, et par ailleurs, l’effet bactéricide semble activé par les rayonnements UV, donc uniquement en surface. Ce n’est donc probablement pas sur le sol que l’on pourra détecter d’anciennes traces de vie, mais dans le sous-sol. Voilà pourquoi le rover Rosa sera équipé d’une foreuse pour prélever des roches à plusieurs dizaines de centimètres sous la surface, seul endroit où des biosignatures pourraient avoir été préservées. Découvrir d’anciennes traces de vie sur Mars aiderait à renforcer nos connaissances sur le processus qui a permis l’apparition de la vie sur Terre. Mais, il reste difficile d’affirmer avec certitude, et ce même sur Terre, si une anomalie de composition chimique, une détection de méthane (comme celle réalisée par Curiosity), ou la présence de matière organique résulte bel et bien de l’action d’un être vivant ou d’un processus abiotique. Il faudra donc collecter des indices issus de mesures et d’instruments différents afin de pouvoir affirmer avoir détecté de la vie sur la planète rouge.

Les roches présentes à la surface de la Terre sont pour la plupart très jeunes. Alors que l’on trouve localement des terrains datant de 3,8 milliards d’années comme ici dans la région d’Akilia au Groenland, les roches ont été fortement déformées, chauffées et compressées, n’offrant qu’un témoignage incomplet des conditions de cette époque.

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LA VIE A-T-ELLE PU S’INSTALLER DURABLEMENT ?

Crédits : NASA 

Si les conditions au Noachien étaient potentiellement favorables à l’apparition de la vie, les indices géologiques repérés par les géologues montrent que le contexte s’est dégradé radicalement dès l’Hespérien avec la déstabilisation des conditions chaudes et humides. Mais ce n’est pas tout : la disparition du champ magnétique il y a 3,7 milliards d’années a sans doute constitué une étape clé de l’évolution de Mars très tôt dans son histoire. Avec ce changement majeur, la surface devient subitement exposée à des rayonnements solaires très énergétiques, susceptibles d’abimer l’ADN des cellules d’êtres vivants éventuellement présents en surface. Si la vie était bien apparue avant la

Des Martiens dans ALH84001 ? En 1996, une équipe de chercheurs de la NASA affirme avoir trouvé des fossiles de bactéries sous la forme de dépôts minéralogiques allongés (voir photo) dans une météorite nommée ALH84001 provenant de la surface de Mars et retrouvée en Antarctique. Cependant, cette météorite est tombée sur Terre il y a plusieurs milliers d’années et a donc été exposée à des contaminations par des formes de vie terrestre. Les preuves que cette trace de vie serait d’origine martienne sont donc ténues. Cette théorie a même été définitivement écartée par l’observation de formes similaires dans un fragment de la météorite Tataouine, tombée en 1931. Ce fragment, resté pendant 60 ans à l’extérieur, est le seul à présenter ces traces, contrairement aux fragments qui ont été mis à l’abri dès 1961. D’autres scientifiques ont également démontré plus tard que ces traces pouvaient correspondre à des microcristaux fabriqués abiotiquement.

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disparition du champ magnétique, impossible alors qu’elle se perpétue comme si de rien n’était : c’est pourquoi les scientifiques pensent qu’elle a pu se développer dans des environnements plus propices comme sous terre, protégée des rayonnements solaires et à proximité de poches d’eau glacée ou liquide. En comparant encore une fois l’évolution de la vie sur Terre et les ères géologiques martiennes, on constate que les formes de vie pluricellulaires sont apparues sur Terre largement après que les conditions d’habitabilité se sont dégradées sur Mars. Les seules formes de vie que l’on peut espérer trouver sont donc probablement unicellulaires. Aucune chance de trouver des petits hommes verts ! S’il n’y a pas de formes de vie complexes sur Mars, pourrait-il y avoir des formes de vie venues de la Terre ? En effet, comment peut-on être certain que quelques bactéries terrestres ne se sont pas glissées dans la fusée de notre rover ? Pour cette raison, Rosa, ses instruments et sa capsule, comme tous les objets envoyés vers l’espace, sont assemblés dans de gigantesques « salles blanches », en conditions très propres, avant départ. Ils subissent également une stérilisation avancée avant de partir afin d’éviter d’envoyer des microbes terrestres qui pourraient supplanter d’hypothétiques microbes locaux, et tromper les futures analyses des échantillons martiens. Cependant, la stérilisation n’étant pas parfaite, le choix des zones d’atterrissage est aussi réalisé en tenant compte de ce risque de contamination : les régions martiennes dites « spéciales », dans lesquelles a été détectée la présence d’eau liquide actuelle, sont exclues des lieux de mission pour l’envoi de rovers par le critère de « protection planétaire » (voir chapitre 13). On ne rigole pas avec les microbes dans l’autre sens non plus ! En effet, les futurs échantillons rapportés de la surface martienne devront être strictement maintenus dans des laboratoires spéciaux, habilités à stocker des microbes dangereux pour la santé. S’il y a peu de danger que ces microbes martiens soient une menace directe pour l’être humain, le risque qu’ils se comportent comme une espèce envahissante vis-à-vis de nos micro-organismes terrestres, indispensables à de nombreuses plantes et animaux, est bien réel (voir chapitre 19). 182

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Crédits : ESA

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L’atterrisseur Schiaparelli lorsqu’il était en cours d’assemblage dans la salle blanche dédiée, à Turin, en Italie. Des échantillons d’air sont prélevés régulièrement dans cette pièce afin de contrôler le niveau d’activité microbienne : hors de question d’amener des petits Terriens sur Mars !

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Interview

À LA RECHERCHE DES TRACES DE VIE MARTIENNE Caroline Freissinet est chercheuse au CNRS et astrochimiste au Laboratoire « Atmosphères, Milieux et Observations spatiales » (LATMOS) à Guyancourt. Elle est spécialiste de l’étude de la matière organique dans le Système solaire. Cette expertise l’amène à participer à l’élaboration et l’exploitation d’instruments envoyés sur Mars, Titan, et d’autres mondes-océans du Système solaire.

Que cherche-t-on concrètement lorsque l’on cherche la vie sur Mars ? Les traces de vie qu’on peut s’attendre à trouver sont anciennes et non pas actuelles, d’environ 3,5 à 4 milliards d’années. Concrètement, on tente de découvrir des fossiles moléculaires qui auraient survécu jusqu’à aujourd’hui. Pour trouver des traces biologiques, on envoie donc des expériences de chimie sur Mars. Les conditions sont très oxydantes à la surface martienne et donc défavorables à la préservation des molécules biologiques. On tente donc de détecter des molécules de petite taille et moyennement complexes, issues de la dégradation de molécules plus complexes, d’origine biologique. La difficulté, c’est que ce genre de molécules peut aussi être produit par des phénomènes abiotiques (ne faisant pas intervenir la vie) : il faudra donc réussir à distinguer ces deux origines, biologique et purement chimique.

En basant nos analyses sur les traces de vie terrestres, ne risque-t-on pas de passer à côté d’une forme de vie plus exotique ? Bien sûr, il y a un biais anthropocentrique, puisqu’on connaît uniquement des formes de vie terrestres, mais il faut bien partir de quelque chose de concret et construire les instruments pour aller analyser les roches martiennes. Mais les chercheurs essaient ••• 184

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d’élargir au maximum le champ d’études, en considérant des caractéristiques qui seraient universelles à toute forme de vie. Par exemple, certaines molécules organiques existent sous deux formes miroirs : on parle de chiralité. Les assemblages de molécules avec la même chiralité (droite ou gauche) sont plus stables et on pense qu’un excès d’une forme par rapport à l’autre constitue une biosignature agnostique, c’est-à-dire universelle à toute forme de vie.

Est-ce que l’on traque uniquement des molécules, ou bien y a-t-il d’autres formes de biosignatures ? Il existe effectivement d’autres méthodes. Par exemple, la vie va utiliser préférentiellement les versions les plus légères des atomes (les isotopes légers) présents dans le milieu, les molécules formées par le vivant vont donc présenter un excès de ces formes légères. On a là un autre type de biosignature agnostique. Une autre utilisation indirecte des molécules consiste à analyser leurs tailles. On sait que dans le cas d’une formation chimique, on va avoir beaucoup de molécules simples puis une décroissance en allant vers les molécules complexes. Alors que, dans un système vivant, les molécules les plus utilisées par la forme de vie vont être majoritaires, indépendamment de leur complexité. On cherche séparément différents indicateurs pour distinguer au mieux une origine abiotique d’une origine biologique.

Quels sont les instruments dont on a besoin pour faire les analyses mentionnées ? Il y a plusieurs instruments possibles, mais il faut distinguer les instruments idéaux, mais trop compliqués à envoyer dans l’espace, et les instruments qui ont déjà fonctionné avec succès vers lesquels on va préférer se tourner pour les futures missions spatiales. Typiquement, celui sur lequel je travaille, qui a fonctionné avec succès sur la mission Curiosity, utilise la technique de la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de ••• 185

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masse. Ce n’est pas la technique idéale, qu’on utiliserait en laboratoire, mais c’est la plus facilement implémentable sur une mission spatiale et elle a fait ses preuves en découvrant les premières molécules organiques sur Mars. C’est d’ailleurs celle qui sera sur le rover Rosalind Franklin avec l’instrument MOMA (analyseur de matière organique martienne), qui étudiera la chiralité des molécules et la répartition des tailles de molécules.

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Que nous réservent les prochaines missions vers Mars ?

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ars a été le centre de toutes les attentions cette décennie, avec de nombreuses missions envoyées vers la planète rouge. Nous sommes pourtant toujours loin d’avoir résolu toutes les énigmes de son histoire géologique et encore plus d’avoir exploré tous ses recoins ! Petit aperçu des prochaines missions en préparation.

LE ROVER EXOMARS : L’EUROPE SUR LA PLANÈTE ROUGE ? L’arrivée du robot Rosalind Franklin, dit Rosa, aux côtés de ses cousins Perseverance et Zhurong fera le buzz dans tout le Système solaire cette décennie. Représentant la deuxième moitié du programme ExoMars, entamé en 2016 avec la mise en orbite du satellite Trace Gas Orbiter, Rosa s’intéressera à la recherche de traces de vie actuelle ou passée et à la caractérisation géochimique du sol in situ. Équipé de 9 instruments scientifiques, le rover Rosa combinera les observations et les mesures pour déterminer ce qui fait d’une trace chimique ou physique une biosignature, c’est-à-dire une trace de vie ancienne ou présente (voir chapitre 18). En effet, détecter des traces de vie n’est pas toujours une mince affaire. Le robot disposera d’un avantage certain par rapport à ses prédécesseurs grâce à son système de forage. Cet exploit technique lui permettra d’atteindre des roches enfouies à 2 m de profondeur, à l’abri des radiations de la surface,

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là où la vie aurait pu se réfugier et où des biosignatures auraient pu être préservées. Rosa se posera dans les très anciennes plaines d’Oxia Planum, où elle utilisera ses panneaux solaires pour faire avancer les 310 kg de matériel embarqué. À quand cet exploit européen ? C’est une excellente question. Après plusieurs reports liés à des problèmes de développement, Rosa est en 2022 victime de la situation géopolitique en Europe et la mission qui devait être lancée par l’agence spatiale russe se voit suspendue, en attendant les prochaines fenêtres de tir vers Mars, fin 2024, fin 2026/2028 ou début 2029.

Pour en savoir plus

QUI ÉTAIT ROSALIND FRANKLIN ?

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Cette scientifique britannique née en 1920 a été pionnière dans le domaine de la biologie moléculaire : elle a découvert la structure de l’ADN, cette molécule qui constitue la base des cellules de tous les êtres vivants. Rosalind Franklin n’a pas bénéficié de la reconnaissance qu’elle aurait méritée pour cette découverte, qui a été attribuée à ses collègues Crick et Watson, récipiendaires quelques années plus tard d’un prix Nobel. Il aura fallu attendre plusieurs dizaines années après la mort de la chercheuse en 1958 pour voir apparaître son nom associé à cette grande découverte. En guise de reconnaissance, l’Agence spatiale européenne a donc décidé de lui dédier le nom du prochain rover martien, choisi après un concours dans les pays membres : une belle revanche pour Rosa !

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Crédits : Jorge L. Vago et al., 2017

Q UE NO US RÉS ER V ENT LES PR O CHA INES M ISSIO NS V E R S M A R S ?

Le robot de la mission ExoMars, Rosa, sera équipé de 2 caméras panoramiques (PanCam) et d’un spectromètre infrarouge (ISEM) sur sa tête, d’un radar (WISDOM) et d’un détecteur de neutrons (ADRON) à l’arrière, ainsi que de divers spectromètres de masse (MOMA), infrarouge (Ma-MISS, MicrOmega) et Raman (RLS). Avec son laboratoire analytique et son système de forage, voilà de quoi réaliser de superbes mesures en surface et en profondeur.

LE DÉFI DU RETOUR D’ÉCHANTILLONS Perseverance, arrivé en février 2021 sur Mars, n’en est qu’au début de sa mission, qui doit s’étaler sur plusieurs années. Déjà à l’œuvre pour collecter des roches et remplir des tubes d’échantillons, le robot a commencé à déposer dans plusieurs points de récupération le matériel à analyser. La suite de cette périlleuse mission : aller prélever ces tubes et les rapporter vers la Terre, afin de pouvoir effectuer des analyses plus fines et plus complètes dans nos laboratoires. Les agences spatiales américaines et européennes se penchent déjà sur ce défi

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technique sans précédent : une solution consiste à envoyer à la surface martienne un robot destiné à collecter les tubes de Perseverance, puis à les acheminer vers un atterrisseur équipé d’une fusée qui renverra les capsules d’échantillons en orbite martienne. Depuis l’orbite, un satellite récupérera les capsules lors d’un rendez-vous très millimétré et les rapportera alors vers la Terre. En résumé, pas moins de trois missions longues et complexes pour un coût estimé à plus de 4 milliards d’euros ! Et un retour des échantillons sur Terre en 2033 au plus tôt, en tenant compte de toutes les fenêtres de tir et du temps de trajet.

Le scénario compliqué du retour d’échantillons de Mars sur Terre, prévu au plus tôt pour… 2033.

Outre la réflexion sur la logistique complexe pour un retour d’échantillons de Mars, la communauté scientifique s’agite également sur le stockage et la manipulation de ces échantillons une fois rapportés sur Terre : quelles normes de sécurité faut-il envisager ? Dans quelles conditions peut-on estimer qu’il est suffisamment raisonnable de laisser sortir un échantillon vers un laboratoire d’analyse pour des mesures

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Crédits : NASA/JPL-Caltech

diverses, sans risque de contaminer la Terre avec une éventuelle trace de vie martienne ? Ces questions, à l’étude par diverses agences spatiales, seront utiles pour l’exploration future de divers corps autres que Mars, comme les astéroïdes et lunes glacées de Jupiter et Saturne.

Illustration d’artiste représentant le « Mars ascent vehicle », atterrisseur muni d’une fusée visant à renvoyer les tubes collectés par Perseverance vers l’espace, pour un retour futur vers la Terre.

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Crédits photo : Julie Noury-Soyer

Interview

L’ÉTUDE D’ÉCHANTILLONS EXTRATERRESTRES Evelyn Füri est chargée de recherche CNRS au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy (CRPG). Ses travaux se concentrent sur l’analyse des éléments volatils (hydrogène, azote et gaz rares) dans les échantillons terrestres et extraterrestres, incluant des météorites martiennes, des échantillons lunaires rapportés par les missions Apollo et des fragments d’astéroïdes collectés lors des missions Hayabusa.

Pourquoi aller chercher des échantillons sur Mars alors que l’on a déjà des météorites martiennes sur Terre ? On dispose d’une centaine de météorites martiennes, mais elles proviennent d’endroits aléatoires. On ne connaît ni leur origine sur Mars ni leur contexte géologique. Un autre problème est qu’elles sont rarement issues de chutes observées et donc sont retrouvées quelque temps après leur arrivée sur Terre : elles ont alors été soumises à de l’altération (aqueuse notamment) et de la contamination par le milieu terrestre. Si l’on s’intéresse à la question de la vie sur Mars, il semble plus pertinent d’aller à des endroits ciblés, où l’eau liquide et la vie telle que nous la connaissons auraient pu être présentes, et où nous pouvons prélever des échantillons « frais ».

Qu’est-il advenu des échantillons rapportés par des missions spatiales à destination des astéroïdes et de la Lune ces dernières décennies ? Une partie des roches et grains de régolite ont été analysés dans des laboratoires et certains ont été exposés dans des musées. Mais la plus grande partie de ces échantillons reste volontairement inexploitée : ils sont en général préservés dans des espaces de stockage que l’on appelle centres de « curation ». ••• 192

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Ces échantillons mis de côté pourront bénéficier des progrès dans les techniques d’analyse futures. En 2019, pour fêter les 50 ans des missions Apollo, la NASA a ainsi ouvert et analysé un échantillon d’Apollo 17 qui était scellé depuis 47 ans. On fait aujourd’hui encore de nombreuses découvertes sur la formation et l’histoire de la Lune en étudiant ces échantillons vieux de plusieurs décennies. Le centre de stockage principal Apollo est le NASA Johnson Space Center à Houston, où les échantillons lunaires sont conservés dans des conditions ultrapropres, sous atmosphère inerte (azote). Mais chaque agence spatiale possède ses propres centres et protocoles de curation.

Pourquoi un protocole particulier pour Mars ? A-t-on les moyens disponibles en France ? La mission Mars2020 (Perseverance) a pour but de rapporter des échantillons qui pourraient contenir des traces de vie : dans ce cas, il faut nous protéger d’éventuels micro-organismes qui pourraient s’échapper, mais il faut aussi protéger les échantillons eux-mêmes de la biosphère terrestre. Contrairement aux échantillons lunaires, il est donc nécessaire de disposer d’un centre de curation qui garantisse une protection suffisante contre le risque biologique. Les laboratoires qui s’en rapprochent le plus sont les laboratoires de type P4, comme ceux qui étudient les virus Ebola et Covid-19. Il en existe 3 en France, dont un laboratoire civil, celui de l’INSERM à Lyon. Une option serait de convertir ces laboratoires pour accueillir des échantillons martiens, ou de construire un nouveau centre dédié à l’échelle de l’Europe, mais le coût reste un facteur limitant. Dans tous les cas, les échantillons devront être stérilisés pour pouvoir sortir du centre de curation principal et être envoyés dans d’autres laboratoires (par exemple, géologiques) pour y être étudiés.

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TANT DE ZONES INEXPLORÉES...

Crédits : NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS

Comme nous l’avons vu, le programme des missions spatiales contraint les capsules d’atterrissage à se poser dans des régions équatoriales de Mars, de basse altitude, laissant encore de très grandes portions de la surface largement inexplorées. Si le succès des vols du petit hélicoptère Ingenuity laisse penser que l’on pourra peut-être survoler les hauts plateaux et volcans martiens à l’aide de drones ou d’avions dans le futur, les agences spatiales et les chercheurs planchent aussi sur d’autres concepts tout aussi osés : des « hoppers » (robots se déplaçant par petits bonds), des forages de centaines de mètres dans les glaces polaires, ou encore des robots capables de descendre explorer des grottes comme les tunnels de lave repérés sur la planète (voir chapitre 14).

Ingenuity, petit hélicoptère accompagnant Perseverance, a réalisé le premier vol sur Mars en 2021. Avec plus de 23 décollages et 42 minutes de vol consécutives au moment où nous écrivons, il détient tous les records sur Mars. C’est le seul engin d’aviation à être allé sur la planète rouge !

De l’intrigante Valles Marineris au géant Olympus Mons, en passant par les dunes bleutées du cratère Lyot sans équivalentes sur Terre, la planète regorge de paysages insolites et de phénomènes géologiques

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encore très peu connus. C’est aussi le cas de ses satellites, Phobos et Déimos, qui sont loin d’avoir dévoilé les mystères de leur formation et de leur composition. La mission MMX pilotée par l’agence spatiale japonaise devrait nous en apprendre plus dans les prochaines années à leur sujet ! Toutes ces missions préparent, sans doute à très long terme, l’arrivée de l’être humain sur Mars. Bien avant cela, un certain nombre de défis techniques et scientifiques restent à résoudre. Mars a donc encore de beaux jours devant elle en termes d’exploration spatiale – et ne se débarrassera pas de ses amis terriens de sitôt !

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2024 marquera le lancement de la mission MMX (Martian Moons Exploration) qui va pour la première fois s’intéresser à Phobos et Déimos (voir chapitre 3). Équipée d’un satellite japonais et d’un robot conçu par la France et l’Allemagne, MMX se posera sur Phobos pour analyser sa composition et collecter un échantillon qui pourrait revenir vers la Terre en 2029... soit avant le retour des échantillons de Mars collectés par Perseverance ! MMX devrait enquêter sur l’origine des deux lunes : sont-elles des astéroïdes capturés ? Ou bien sont-elles nées d’un impact sur Mars, comme notre Lune ? Sont-elles similaires ? S’il s’agit d’astéroïdes capturés, dans quelle mesure les satellites de Mars ont évolué différemment des astéroïdes standards ? Réponse dans quelques années.

Crédits : CNES

Pour en savoir plus

UN RETOUR D’ÉCHANTILLONS DE PHOBOS, AVANT CELUI DE SA PLANÈTE ?

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Vue d’artiste du rover franco-allemand de la mission MMX roulant à la surface de Phobos.

Comment envoyer des êtres humains sur Mars ?

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i faire atterrir des robots dans la poussière martienne semble une technologie relativement maîtrisée, les missions habitées ne sont pas encore pour demain. En effet, le défi à relever s’avère bien plus complexe pour garantir la sécurité des astronautes. Du vol interplanétaire à l’installation sur place, en passant par l’atterrissage, tour d’horizon des étapes à franchir.

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C O M M ENT EN V O YER DES ÊT R ES HU M A INS SU R M A R S ?

DEUX ANS ET DEMI Depuis plus de 20 ans, des êtres humains se relaient en permanence dans l’espace en occupant notamment la station spatiale internationale. Avec plus de 100 astronautes qui y ont « mis les pieds » et l’apparition du tourisme spatial, le voyage dans l’espace pourrait paraître banalisé et facile d’accès ! Malgré les apparences, le voyage vers la planète rouge constitue pourtant un véritable défi qui n’a rien à voir avec un vol vers l’ISS.

600 C’est le nombre d’astronautes ayant volé à plus de 100 km d’altitude, depuis Youri Gagarine en 1961. La plupart sont restés dans la proche banlieue terrestre !

Les premiers éléments à prendre en compte concernent les aspects techniques liés au vol : la durée totale d’une mission scientifique étant évaluée à minimum deux ans et demi pour un aller-retour, il est évident que l’équipe envoyée devra être totalement autonome autant d’un point de vue technique, alimentaire que médical. Une fois l’équipage en route vers Mars, aucun retour ne sera possible, contrairement à la station spatiale qui autorise des rapatriements d’urgence en quelques heures seulement. Une difficulté est également liée à la communication : l’éloignement progressif d’un vaisseau à plusieurs centaines de millions de kilomètres rendra les échanges avec la Terre de plus en plus décalés. Le temps de transmission d’un simple message pourra atteindre 20 minutes, balayant la possibilité d’une conversation classique entre astronautes et équipes au sol. En cas d’urgence, les astronautes ne pourront donc compter que sur eux-mêmes. 198

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Le scénario le plus probable d’un vol habité avec aller-retour et séjour sur place implique un voyage d’une durée totale de deux ans et demi (avec cet exemple : 174 jours de voyage aller, 539 jours sur place, 201 jours de voyage retour). Si ce n’est pas la seule option possible, elle semble l’un des meilleurs compromis pour un séjour d’une durée raisonnable sur place.

Enfin, la question du coût vient inéluctablement se glisser dans les discussions autour d’un tel projet : il va sans dire que compte tenu des contraintes et de la durée des missions qui s’étalent sur plusieurs années (voire plusieurs dizaines d’années !), le coût élevé constituera un obstacle majeur. Cette problématique ne sera résolue qu’au prix de collaborations fructueuses entre agences spatiales, intégrant très probablement des financements privés.

MULTIPLES DANGERS Si l’on arrive à intégrer les considérations liées à l’éloignement et au coût, la préparation doit aussi impérativement anticiper les nombreux dangers liés à une mission spatiale de longue durée. Et c’est loin d’être simple, car le corps humain est fait pour vivre sur le plancher des vaches ! Les risques pour la santé des astronautes se comptent par dizaines et certains paraissent compliqués à contourner. Les principales difficultés proviennent de l’exposition aux radiations d’une part, et de l’absence de gravité d’autre part. Ces deux phénomènes constituent un vrai casse-tête pour réussir à limiter le risque au maximum.

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À l’aide

Les dangers liés aux radiations durant le voyage proviennent des rayons cosmiques, susceptibles de provoquer de graves problèmes de santé voire la mort, et ce dès le début du voyage interplanétaire. Il est impératif de pouvoir protéger l’équipage de ces rayonnements nocifs, avec un vaisseau équipé de parois garantissant une protection suffisante. En l’absence de la protection générée par l’atmosphère et le champ magnétique terrestre, les organismes seront soumis à ces rayons émettant suffisamment d’énergie pour modifier ou détruire les molécules d’ADN. Les conséquences, non négligeables à court terme, peuvent s’avérer dramatiques en cas de longue exposition.

Les rayons cosmiques sont des particules très énergétiques (principalement des protons) qui se déplacent dans l’espace. Certains sont émis par le Soleil, mais d’autres proviennent de l’espace plus profond.

Enfin, l’absence de gravité est susceptible de causer, sur la durée, de multiples problèmes de santé pour les astronautes. Si ce sujet est bien connu grâce aux nombreuses expérimentations menées dans la station spatiale internationale, il n’en reste pas moins que de nombreuses inconnues subsistent. Quels effets se produiront à long terme ? Seront-ils irréversibles ? Comment y remédier ? Après avoir quitté la Terre, le corps des astronautes ne sera plus soumis à aucune attraction. La conséquence la plus directe concerne la masse musculaire, qui menace de diminuer rapidement, l’astronaute ne sollicitant plus les muscles servant à se tenir debout ou à marcher. Comme dans l’ISS, la meilleure façon de limiter le phénomène pour les voyageurs vers Mars sera de faire plusieurs heures de sport chaque jour, même si cela n’est pas suffisant pour

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Crédits : NASA

compenser totalement la perte musculaire, certains astronautes pouvant alors être sujets à des troubles du métabolisme osseux. L’absence de gravité perturbe aussi largement la circulation des fluides corporels. Le sang se concentrant dans le haut du corps, la taille du cœur diminue, et la pression intracrânienne est amenée à augmenter, allant jusqu’à provoquer des troubles de la vision ou la cécité.

De la tête aux pieds, les risques liés à l’absence de gravité et les rayonnements cosmiques sont multiples.

LE FACTEUR HUMAIN Un paramètre complexe entre aussi en jeu dans la préparation des longs vols habités : l’aspect psychologique lié à la durée de la mission et à la promiscuité. Et c’est sans doute là la difficulté la plus importante à anticiper pour les agences spatiales… En effet, quelle que soit la composition de l’équipage qui partira sur Mars, ce sera une grande première. Jamais un être humain n’est parti aussi loin de la Terre ! Comment réagiront des hommes ou des femmes à une

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distance inégalée de la planète bleue, à tel point qu’elle ne sera plus qu’un point brillant dans le ciel ? Voilà bien un paramètre totalement impossible à anticiper. La complexité d’un vol habité vers Mars réside également dans les conditions de vol extrêmes, impliquant des difficultés quotidiennes pour n’importe quel équipage, même très entraîné. Outre la promiscuité, les astronautes devront gérer le stress dû à cette mission hors norme, tout en faisant face à d’éventuels désordres physiologiques. Pas simple de rester concentré sur son travail et de garder sa bonne humeur tout au long d’une mission aussi longue et difficile ! Le défi des agences spatiales consistera donc à recruter puis préparer les candidats au profil idéal : la première ou le premier astronaute martien sera à la fois multicompétent, maîtrisant un peu d’informatique, tout en étant familier avec le pilotage et en ayant connaissance des techniques médicales de base. Bien sûr, il ou elle sera aussi géologue ou exobiologiste, car les missions scientifiques exigent que des spécialistes soient du voyage. Il ou elle disposera aussi d’un caractère adapté à un travail en équipe soumis à la pression : être à l’écoute des autres, calme, flexible. Ces qualités semblent indispensables pour survivre dans un vaisseau exigu durant plusieurs mois, et dont la taille pourrait engendrer des conflits. Et pour couronner le tout, les prétendants au vol vers la planète rouge auront besoin de justifier d’une excellente condition physique, le voyage dans l’espace étant extrêmement éprouvant pour les organismes.

UN VOL AVEC ESCALE ? Si le vol n’est pas simple d’un point de vue humain, rien n’est évident non plus du côté technique. Quel type de vaisseau emprunter pour partir sur Mars ? Quel mode de propulsion utiliser ? Doit-on imaginer un vol indirect, en passant par l’orbite terrestre ou même la Lune ? Différents scénarios sont à l’étude, et ce depuis des années, car la

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meilleure technologie et la stratégie à retenir pour un vol habité vers Mars font l’objet de nombreuses discussions. Alors qu’atterrir sur Mars peut passer pour une formalité, puisqu’on a déjà réussi à y envoyer plusieurs rovers, la logistique se trouve en réalité bien plus complexe pour un vol habité : l’atterrissage doit être maîtrisé totalement, y compris dans sa précision. Pas question d’envoyer une équipe à 100 km de la base martienne censée les héberger ! Il faudra aussi faire parvenir sur le sol martien tout l’équipement indispensable à la sécurité et au bon déroulement de la mission à l’avance. Autrement dit, une mission habitée n’aura le feu vert pour le départ de la Terre que si tout est prêt pour l’accueillir sur place. C’est en tout cas l’un des scénarios privilégiés par la NASA, qui étudie le sujet de près. Le vol retour fait également partie du casse-tête : si embarquer le carburant nécessaire depuis la Terre semble difficile, on pourrait envisager de le produire sur place, notamment à partir de la glace d’eau martienne ou des minéraux hydratés, fournissant hydrogène et oxygène (au même titre que l’eau et l’oxygène nécessaires aux astronautes sur place). Plusieurs missions tests d’extraction de ressources, et notamment d’eau, sont prévues sur la Lune dans la décennie à venir pour déterminer les processus les plus à même d’être utilisés dans le cadre de missions habitées. Le voyage vers Mars implique donc une anticipation forte et une logistique lourde, étalée sur plusieurs années, avec des missions dites « cargo » qui devront préparer le terrain. Mais pourquoi ne pas tout miser sur une mission complètement équipée, qui transporterait du matériel en plus de l’équipage ? Principalement pour une question de poids : une mission de deux ans et demi nécessite de grandes quantités de matériel : nourriture pour l’équipage, équipements de protection, moyens de déplacement, vaisseau pour repartir... Impossible, avec les moyens de propulsion actuels, d’envisager de faire décoller une fusée avec, à son bord, de quoi assurer une mission aussi longue. Et surtout, impossible de faire

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Crédits : NASA

atterrir un aussi lourd chargement, qui arriverait en orbite martienne sans pouvoir freiner suffisamment !

Cette vue d’artiste présente le projet de station spatiale autour de la Lune (le « Lunar Gateway ») qui remplacera l’ISS, et sera, à partir de 2026, un potentiel tremplin pour acheminer un équipage sur Mars depuis la banlieue de notre satellite.

Pour assurer des vols habités vers Mars, faut-il attendre de mettre au point d’autres moyens de propulsion plus rapides afin de réduire la durée de vol ? Doit-on multiplier les stations en orbite terrestre ou lunaire pour optimiser les lancements et réduire le coût énergétique des missions ? Les idées ne manquent pas, mais bien que certains milliardaires annoncent régulièrement des vols pour bientôt, l’heure du départ n’a pas encore sonné pour les premiers astronautes martiens.

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Romain Charles, aujourd’hui ingénieur en médecine spatiale pour le Centre national d’études spatiales, a participé en 2010-2011 à une mission Mars 500. Après une rude sélection, il a passé, avec 5 autres collègues médecins et ingénieurs, 520 jours enfermé dans un faux vaisseau spatial dans la banlieue de Moscou. Le but ? Simuler une mission habitée vers Mars, vol et séjour sur place compris.

Crédits : IBMP

Interview

MIEUX SE PRÉPARER GRÂCE AUX MISSIONS ANALOGUES

Comment s’est déroulée la mission Mars 500 au quotidien ? Nous étions très organisés pour cette vie en équipe un peu particulière. L’emploi du temps était construit selon un cycle de 3 fois 8 heures autour de trois activités : sommeil, temps libre, travail. Pour la partie scientifique, nous recevions chaque vendredi l’emploi du temps de la semaine suivante. Chacun était responsable d’une série d’expériences qu’il fallait répéter fréquemment, pour comprendre l’impact d’un confinement sur la psychologie et la physiologie des individus. Concrètement, nous devions assurer les expériences, récupérer les données et les transmettre. Quant au temps libre, chacun avait ses activités personnelles : pour ma part, j’ai amélioré mon russe, je pratiquais la guitare et lisais des livres techniques. Ce temps était aussi dédié aux repas en commun, autour de notre bouilloire et notre micro-ondes, les seuls équipements à disposition.

Que ressent-on quand on est coupé du monde si longtemps ? Disparaître de la surface de la Terre pendant près de 2 ans demande des préparatifs. Au fur et à mesure que la date de début de mission approchait, la tension montait, d’autant que les sollicitations des scientifiques, des journalistes et de nos ••• 205

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familles se sont multipliées. Lorsque ça a réellement commencé, ça a d’abord été un soulagement ! Ensuite, le quotidien a d’abord demandé beaucoup d’énergie pour prendre ses marques, puis la vie au jour le jour a pris le dessus, même si j’ai eu moins de patience à certaines périodes. Les contacts avec l’extérieur ont été très limités : d’abord, nous avions des appels directs du centre de contrôle, puis un délai incrémental a été mis en place pour simuler l’éloignement de la Terre. Les messages mettaient jusqu’à 17 minutes à nous parvenir ou être transmis, ce qui nous obligeait à un format d’échange très sommaire. Sans internet, sans radio, sans télé, nous communiquions presque comme au siècle dernier ! Mais même si ça perturbe, on s’y fait.

Qu’a changé cette mission pour vous ? Déjà, je suis fier que la mission ait été un succès. Nous étions toujours 6 à la sortie, et nous avons toujours travaillé ensemble efficacement. Il est donc possible d’avoir un groupe stable sur une si longue période ! D’un point de vue personnel, Mars 500 a changé ma vie de manière radicale. Alors que le domaine spatial me passionnait déjà, je travaillais dans le secteur automobile avant cette expérience. Aujourd’hui, j’aide le Centre national des études spatiales à Toulouse à développer la structure « SpaceShip FR », un projet de lieu d’innovation et de démonstration dédié à l’exploration spatiale. Je peux donc me consacrer en permanence aux projets de mission habitée. Et sinon, pour la petite anecdote, j’ai eu l’occasion de discuter de l’expérience Mars 500 lors d’un congrès en Italie, avec le célèbre Buzz Aldrin ! Si ça, c’est pas la classe...

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Pourra-t-on un jour habiter sur Mars ?

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lors que les volontaires pour s’envoler vers la planète rouge semblent se bousculer, la surface martienne reste toutefois très hostile, quand on n’est pas un rover ! Trouver des solutions pour protéger les futurs astronautes est impératif, avant d’imaginer une quelconque installation plus durable.

S’ADAPTER AUX CONDITIONS EXTRÊMES La quasi-absence d’atmosphère sur Mars est à l’origine de conditions en surface qui seront extrêmement difficiles à supporter pour un équipage d’astronautes, ou a fortiori pour ceux qui souhaiteraient s’y installer définitivement. À commencer par les températures très changeantes, mais surtout très froides : rarement au-dessus de 0 °C, le thermomètre descend facilement jusqu’à –80 voire –90 °C, même en pleine journée. Ensuite, l’air n’étant pas respirable, cela imposera de disposer d’un système de production locale d’oxygène à partir de l’atmosphère, des glaces ou des roches martiennes. Rien d’impossible, si l’on en croit les récentes expériences à bord de Perseverance, qui, en 2021, ont abouti à la fabrication de 6 g d’oxygène pur à partir de l’air martien. L’un des instruments du rover baptisé MOXIE (Mars Oxygen In-Situ Resource Utilization Experiment) a réalisé cette prouesse très prometteuse, même s’il reste de nombreuses étapes à franchir pour obtenir de plus grandes quantités, indispensables pour faire respirer

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Crédits : NASA/JPL-Caltech

des astronautes ou utiliser l’oxygène comme comburant afin de faire repartir un vaisseau depuis la surface.

En comprimant très fort le CO2 à 800 °C puis en l’électrolysant, il est possible d’arracher les atomes d’oxygène du gaz carbonique et de les recombiner. C’est ce qu’a réussi MOXIE, l’un des instruments embarqués à bord de Perseverance.

Crédits : Boeing

Enfin, pour se protéger du froid mais aussi des radiations, tout habitant qui voudra se déplacer sur Mars devra porter une combinaison de haute technologie. Sur ce sujet, de nombreux travaux sont en cours, pour inventer la « seconde peau » des astronautes de demain, qui combinera sécurité absolue et souplesse d’utilisation. Les lourds

La combinaison de demain sera à la fois pressurisée et ventilée pour plus de confort. Des gants spéciaux autoriseront l’utilisation de tablettes tactiles, tandis que le système de fermeture sera simplifié pour apporter une souplesse d’utilisation.

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Pour en savoir plus

équipements des missions Apollo seront sans doute bien loin : place à des matières légères, de quelques kilos seulement, mais très solides, pour optimiser le confort et faciliter l’utilisation de ce qui sera l’outil quotidien des futurs pionniers martiens. Malgré tout, la manipulation d’objets avec des gants, dans le vide ou à des faibles pressions reste un geste complexe.

La gravité sur Mars est moins élevée que sur Terre. Les astronautes s’y sentiront plus légers, ce qui pourrait faciliter le quotidien en cas d’équipements de protection à porter de manière systématique. Mais l’intérieur de leur corps pourrait souffrir davantage, car tout le système cardiaque et la tension artérielle sont conçus pour la gravité terrestre. S’il est fort probable que le corps humain s’adapte à Mars, une surveillance accrue est à prévoir au retour, quand le cœur devra à nouveau fournir un effort important pour se réadapter à la gravité terrestre.

DES HABITATS À INVENTER Rester sur Mars plusieurs mois implique aussi de disposer d’endroits sécurisés en guise d’habitats. Contrairement aux missions lunaires des années 1960 au cours desquelles les vaisseaux ont servi d’abris, les astronautes martiens resteront à la surface bien plus longtemps et devront donc pouvoir loger dans des espaces dédiés à la vie courante mais aussi aux expériences scientifiques et aux cultures. L’une des premières solutions consisterait à utiliser d’anciens tunnels de lave comme abris naturels (voir chapitre 14), mais détecter un bon site et l’aménager de manière sécurisée s’avèrent complexes. 209

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Crédits : NASA

Autre option : construire un habitat. Fabriquer des modules et les transporter un à un vers Mars constituerait une opération longue et surtout incroyablement coûteuse en argent et en énergie. L’option d’utiliser des ressources locales est donc sérieusement envisagée pour optimiser le voyage : la NASA réfléchit déjà à réaliser des imprimantes 3D géantes qui pourraient fabriquer des abris avec la matière première que constituent les roches martiennes ou la glace. Un défi technologique sans précédent, sur lequel travaillent des architectes que l’agence spatiale a mobilisés dans le cadre de plusieurs concours ces dernières années. Rien n’est interdit dans la conception de futurs habitats martiens, qui stimule la créativité des scientifiques, toujours à la recherche de solutions nouvelles. Une équipe travaille même sur la réalisation de réseaux souterrains construits à partir du mycélium de champignons ! Ce concept appelé myco-architecture a permis de mettre au point des briques, possibles constituants d’un dôme combinant eau glacée et cyanobactéries, dans un ensemble aux caractéristiques écologiques hors norme.

Sur le papier, l’habitat martien déchaîne les passions ! Nombreuses sont les propositions d’architectures aux formes originales conçues par les architectes spatiaux. Entre contraintes liées à l’environnement et faisabilité technique, le défi est de taille. Cette maison de glace réalisée par la Team Space Exploration Architecture et le Clouds Architecture Office of New York a remporté le premier prix d’un concours organisé en 2015.

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Pour aller plus loin

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Visualisez les dizaines de projets originaux reçus par la NASA dans le cadre du concours d’architecture sur l’habitat martien.

Habiter durablement sur Mars, en toute sécurité, relève encore du fantasme. Nombreuses sont les expérimentations à mener, autant sur la fabrication d’air respirable en quantité suffisante que sur des tenues et des habitats capables de protéger le corps humain, si vulnérable dans cet environnement hostile. En attendant, rien n’interdit de rêver !

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Interview

DES PLANTES DANS L’ESPACE  Lucie Poulet travaille à la NASA, en Floride, en tant que chercheuse au Kennedy Space Center. Cette spécialiste des systèmes de croissance des plantes dans l’espace nous raconte comment on prépare et étudie des cultures extraterrestres.

Quelles plantes peut-on faire pousser dans l’espace ? Nous en sommes au début des expérimentations dans le domaine, qui cherchent à démontrer la faisabilité de la production de plantes comestibles. À l’heure actuelle, des projets sont en cours dans la station spatiale internationale, à petite échelle : des piments poussent en ce moment même au-dessus de nos têtes. Ils seront les premiers fruits de l’espace ! Mais tout cela est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il est d’abord nécessaire de sélectionner des végétaux aux caractéristiques adaptées : petite taille, pousse rapide, peu d’entretien, mais aussi intéressants d’un point de vue nutritionnel et gustatif. Car si l’on cultive des plantes, c’est avant tout pour pouvoir, à terme, nourrir les astronautes.

Les futurs astronautes pourraient donc manger des salades, comme on le fait sur Terre ? Actuellement, la nourriture des astronautes est préemballée et son contenu nutritionnel diminue fortement avec le temps. Le corps humain a aussi besoin de vitamines apportées par de la nourriture fraîche, qui peuvent être contenues dans des légumes verts comme la salade, en effet. S’il existe d’autres alternatives, comme les insectes, les plantes seront sans doute du voyage sur Mars lors d’un vol habité, pour mettre en place des cultures en hydroponie. Selon une étude récente, il serait nécessaire de disposer de 500 à 1 500 m² de cultures pour subvenir aux besoins d’une équipe de 4 personnes… C’est là qu’on perçoit l’un des ••• 212

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problèmes de cultures à plus grande échelle : avoir recours à une surface importante ne sera pas forcément possible. Et aussi, les astronautes auront autre chose à faire que de passer des heures à entretenir et récolter des plantes, il faudra donc des dispositifs les plus autonomes possible. Les piments, dans l’ISS, ont dû être pollinisés manuellement par l’équipage, car en milieu naturel, cela se fait grâce au vent. Imaginez si cela devait être le cas pour des centaines de plants !

Crédits : NA

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L’hydroponie est un dispositif de culture hors-sol, sur un substrat neutre et inerte. L’apport d’eau et de sels minéraux est strictement contrôlé grâce à ce système.

Le piment a aussi été sélectionné pour son piquant ! En effet, en l’absence de gravité, les astronautes perdent en odorat et en goût, ce qui nécessite de leur proposer une nourriture relevée. 48 graines de piments ont été semées en juillet 2021 dans la station spatiale internationale. 4  plants ont été sélectionnés pour croître jusqu’à maturité.

Donald Pettit, astronaute américain, a écrit le « Diary of a Space Zucchini » [Journal d’une courgette de l’espace] en 2012, dans un blog qui raconte le quotidien d’une courgette poussant dans l’espace. L’astronaute avait cultivé des courgettes illégalement dans la station spatiale, en les dissimulant à la NASA et à ses coéquipiers. ••• 213

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Le sol martien permettrait-il de réaliser des cultures à grande échelle ? Pour l’instant, cela ne semble pas une très bonne idée. Le sol contient des perchlorates et du sel, qu’il faudrait éliminer, tandis qu’il serait indispensable d’ajouter de la matière organique. Le régolite martien n’a donc rien d’un sol idéal… Des recherches sont malgré tout menées sur des cyanobactéries capables de transformer le régolite pour le rendre cultivable. Pour le moment, même si des études semblent indiquer que ce soit possible, rien n’est encore démontré en dehors du laboratoire. Le système hydroponique reste donc le plus adapté et le plus facile à contrôler d’un point de vue microbiologique et chimique. À noter qu’on réalise aussi des études sur le comportement des plantes en fonction de différents types de lumières auxquelles elles sont exposées : selon les longueurs d’onde utilisées, il est possible d’améliorer le rendement, le volume ou la taille des plantes. Par exemple, les piments de l’ISS sont soumis à un éclairage enrichi en lumière bleue pour qu’ils ne dépassent pas une certaine taille. Des recherches et des expérimentations sont également menées sur l’arrosage, ou encore sur la ventilation en gravité réduite et son influence sur la photosynthèse. D’autres études sur des graines irradiées et sur le recyclage d’eau et d’air sont en cours d’approfondissement. Donc avant que le sol martien ne permette les premières récoltes de pommes de terre comme dans Seul sur Mars, il nous reste beaucoup à apprendre...

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La terraformation de Mars est-elle possible ?

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ransformer la planète Mars pour lui faire retrouver une atmosphère, de l’eau liquide en surface voire de la végétation : ce concept s’intitule la terraformation de Mars. Elle pourrait alors ressembler à notre planète bleue, avec des conditions propices à la vie humaine sur place. Si cette idée inspire des romanciers, certains scientifiques se penchent aussi sur la question très sérieusement.

MARS, PLANÈTE REFUGE ? Dans le prolongement des voyages humains vers Mars, la littérature de science-fiction n’hésite pas à évoquer une future planète Mars totalement métamorphosée, prête à accueillir l’humanité en péril sur la Terre dévastée. L’avenir de l’humanité est-il sur la planète rouge ? C’est en tout cas le point de vue du courant transhumaniste, argumentant que Mars offrirait la possibilité de se libérer de la Terre, aux ressources limitées, en proie au réchauffement climatique et à la pollution. Au-delà d’une fascination pour l’humanité, la planète rouge pourrait bel et bien devenir son refuge. Buzz Aldrin, l’un des premiers astronautes ayant posé le pied sur la Lune, a récemment décrit cette option comme un sujet à prendre très au sérieux, dans un article paru en 2019 dans le Washington Post : « It’s time to focus on the great migration of humankind to Mars » qui peut se traduire par : « Il est temps de se consacrer à la grande migration de l’humanité vers

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Mars. » Si cette idée peut paraître saugrenue, elle fait notamment partie des très sérieuses ambitions d’Elon Musk, le milliardaire américain propriétaire de SpaceX, qui déploie des moyens considérables pour développer un projet d’aller simple habité vers la planète rouge. Elle est aussi au cœur du programme spatial des Émirats arabes unis, qui envisage déjà d’établir des colonies sur Mars d’ici 2117. Et dans ce cas, transformer la planète Mars pourrait devenir une priorité…

La trilogie de Kim Stanley Robinson, Mars la rouge (1992), Mars la verte (1993), Mars la bleue (1996), évoque la terraformation de Mars.

ROUGE, BLEUE, VERTE... La trilogie de Kim Stanley Robinson parue dans les années 1990 propose un scénario qui, petit à petit, amène Mars à devenir une planète sur laquelle les océans et les forêts constituent les paysages principaux. Cependant, cette transformation est-elle seulement possible ? Comme les robots envoyés sur place nous l’ont confirmé depuis plusieurs dizaines d’années, Mars est inhospitalière, avec ses températures glaciales, son absence d’eau liquide en surface ou encore son atmosphère ténue et dépourvue d’oxygène. Si le sous-sol profond abritait des éléments essentiels à la vie, pourquoi ne pas imaginer

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Crédits : NASA/MAVEN/Lunar and Planetary Institute

redonner place à cette vie en surface ? Le défi technologique est gigantesque, mais sur le papier, l’idée tient la route, car Mars possède aussi des caractéristiques favorables : sa distance et son inclinaison par rapport au Soleil, la période de sa rotation sur elle-même ainsi que la gravité en surface, qui jouent en faveur d’une possible terraformation.

La terraformation de Mars pourrait permettre de faire redevenir la planète comme elle a sans doute été dans le passé, avec de l’eau en surface. Et pourquoi pas une atmosphère respirable pour l’être humain ?

UN DÉFI DE TAILLE Concrètement, pour parvenir à terraformer Mars, il conviendrait de commencer par transformer son atmosphère en recréant un effet de serre suffisant, qui, sur Terre, génère un équilibre subtil, assurant des températures clémentes à sa surface. Sur Mars, une solution théorique consisterait à libérer de grandes quantités de dioxyde de carbone possiblement piégé dans le sous-sol ou dans les zones glacées des pôles martiens. À partir des gaz et de l’eau, une atmosphère artificielle plus dense pourrait alors se reconstituer, enclenchant petit à petit la mise en route de l’effet de serre. Mais comment libérer le CO2 ? Elon Musk, jamais à court d’idées, a suggéré d’envoyer des

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bombes thermonucléaires pour parvenir à relâcher le précieux gaz, mais doit-on pour autant irradier toute la surface pour libérer ce CO2 ?

« Atomisez Mars ! » C’est le message qu’a publié Elon Musk le 16 août 2019 sur Twitter.

Si l’effet réel reste d’ailleurs à prouver, la NASA a rapidement mis en cause ce scénario, en estimant que la quantité de gaz disponible ne serait pas suffisante pour débuter la terraformation de Mars. Encore faudrait-il pouvoir retenir cette atmosphère, car la gravité n’est actuellement pas suffisante et l’absence de champ magnétique entraîne la destruction continue des gaz autour de Mars. Nos technologies actuelles ne permettent donc pas, selon l’agence spatiale américaine, de se lancer pour le moment dans l’aventure de la terraformation. Ces affirmations de l’agence spatiale américaine n’empêchent pas des idées d’émerger, y compris les plus ambitieuses techniquement. Pour modifier le climat martien, James Lauer Green, un ancien directeur de la NASA, proposait, fin 2021, de recréer le champ magnétique de Mars en mettant en place un bouclier magnétique géant autour de la planète : un anneau de particules au sein duquel circulerait un courant créerait, selon lui, un champ magnétique global protégeant l’atmosphère et la surface des rayonnements à haute énergie. Ses collègues de la NASA rebondissent immédiatement sur la question en proposant de ioniser et d’accélérer les particules de la lune Phobos pour créer un nuage de plasma orbitant, qui pourrait lui-même générer un nouveau champ magnétique. C’est toutefois loin d’être gagné d’avance, tant il faudrait d’énergie pour terraformer la planète rouge... 218

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DES SUGGESTIONS HORS DU COMMUN

Crédits : C. Eeckhout

Les scientifiques n’ont pas pour autant dit leur dernier mot. En effet, une étude de Dennis J. Nürnberg, spécialiste des bactéries de l’extrême à l’Imperial College de Londres, s’est intéressée à la cyanobactérie Chroococcidiopsis thermalis, qui prolifère dans des milieux particulièrement hostiles de notre planète. En quasi-absence de lumière et par des températures très froides, elle effectue la photosynthèse et produit donc de l’oxygène. Cette petite bactérie serait-elle en mesure de faire la même chose sur Mars, afin de la rendre respirable ? Après tout, c’est bien ce phénomène qui a contribué à faire évoluer, depuis 4 milliards d’années, l’atmosphère terrestre… Envoyer de telles superbactéries sur la planète rouge pourrait être une solution pour la faire changer de couleur ! Mais rien ne dit que cette solution théorique puisse se concrétiser aussi simplement qu’en envoyant quelques bestioles sur Mars. Un tel projet serait, par ailleurs, en totale contradiction avec les accords internationaux sur la protection des planètes.

Sur Terre, la photosynthèse est à l’origine de la production d’oxygène à partir de la lumière. Le phénomène a, au cours de l’histoire de la Terre, fait évoluer la composition de l’atmosphère. Les cyanobactéries (ici constituées en communautés appelées stromatolithes, photographiées en Australie) ont joué un rôle fondamental.

Pour atteindre des températures plus clémentes sur Mars, un étudiant de l’université de Tucson (Arizona) a imaginé une autre solution : la mise en orbite de miroirs géants autour de la planète, afin de renvoyer localement les rayons du Soleil. Rigel Woida – c’est son nom – a obtenu un prix pour son projet, qui prévoit le déploiement de ballons métallisés en forme de miroirs, assurant l’illumination et 219

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le chauffage d’une surface qui couvrirait environ 60 ha. De quoi atteindre une température adaptée pour les futurs colons martiens, mais aussi faire fondre la glace sous la surface, selon l’étudiant américain, ce qui constituerait un premier pas vers la terraformation. Si les idées ne manquent pas, il reste un grand pas à franchir avant que Mars ne scintille en vert et bleu dans le ciel nocturne...

VERS UNE NOUVELLE ESPÈCE SUR MARS ? Le jour où, comme Elon Musk et d’autres l’envisagent, des êtres humains effectueront le long trajet sans retour vers Mars, ils passeront leur vie (par définition) sur place, et pourraient avoir une descendance. Pour résister au voyage et aux conditions de vie sur Mars, certains imaginent qu’il faudra sélectionner, voire modifier des êtres humains : augmenter la masse musculaire, modifier l’oreille interne pour lutter contre la différence de gravité, utiliser des nanomatériaux

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pour protéger la peau des radiations… À terme, les colons martiens connaîtraient une modification progressive de leur patrimoine génétique, qui serait amplifiée par les conditions locales et notamment la plus faible gravité sur Mars : le corps humain serait inévitablement amené à s’adapter. Petit à petit, la réalité dépasserait la fiction : en quelques générations, des Homo sapiens s’installant sur Mars pourraient développer des traits physiques caractéristiques et devenir une espèce à part entière. Les questions liées à la terraformation et à l’évolution éventuelle de l’espèce humaine doivent avant tout amener à s’interroger sur nos actes : la fascination pour la planète rouge ne doit-elle pas plutôt permettre de prendre de la hauteur en nous aidant à reconsidérer notre condition de Terrien ? Ne serait-il pas plus urgent de prendre soin de notre planète Terre plutôt que d’en recréer une autre ?

Pour aller plus loin

LA MARS SOCIETY Dans de nombreux pays, dont la France, la Suisse et la Belgique, la Mars Society réunit ceux qui s’intéressent à la planète rouge, sous toutes ses formes. Qu’ils soient chercheurs, ingénieurs ou simplement amateurs passionnés de Mars, chacun des membres profite des actualités et des rencontres sur le sujet, tandis que les dirigeants communiquent, organisent des conférences ou supervisent des travaux étudiants. Les questions de l’exploration martienne, des vols habités et de la terraformation de Mars font partie des thèmes régulièrement abordés par les membres de cette communauté. Pour en découvrir un aperçu, nous vous proposons de visiter le blog de Pierre Brisson, président de la branche suisse de la Mars Society, qui publie très régulièrement des articles sur l’actualité spatiale.

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Crédits @Mars Society Switzerland

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Le site web de la Mars Society propose des ressources dédiées à la planète rouge et les dernières actualités sur le sujet.

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Épilogue Puissante et fascinante planète Mars ! Si elle continue de nous faire rêver après autant de missions, c’est que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, avec une planète rouge qui continue de se révéler et soulève de plus en plus d’interrogations au fur à mesure de son exploration. Des ressources minérales ? de la vie ? une future colonie ? Quels mystères et atouts Mars a-t-elle encore dans son sac ? Mars détonne par sa singularité dans tout le Système solaire. Et si elle n’était pas la seule à briller de rouge, là-haut ? Serait-elle aussi en train de paver la route vers d’autres super-Mars ou super-Terres, tournant autour d’autres étoiles ? Avec près de 5 000 exoplanètes détectées à ce jour, notre aventure vers d’autres mondes ne fait que commencer...

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Remerciements Les auteurs tiennent à remercier toutes celles et tous ceux sans qui ce livre n’aurait pu voir le jour. Pour ses conseils, sa confiance et le suivi de l’édition depuis le début de cette aventure, nous remercions chaleureusement France Citrini. Pour l’illustration et tout le suivi technique, un grand merci à PierreÉtienne Bertrand (peb), qui a également réalisé avec Aurélien Heckler (fox) tous les dessins de cet ouvrage. Bravo à eux ! Pour leur disponibilité pour les interviews, nous remercions : Romain Charles, Lucie Poulet, Philippe Clerc, Evelyn Füri, Damien Loizeau, Sylvestre Maurice, Caroline Freissinet, Cathy Quantin-Nataf, Jean-Luc Dauvergne. Merci également à tous nos collègues des laboratoires, ingénieurs, chercheurs et techniciens qui forment une belle et forte communauté géologue et martienne en France. Pour leur relecture attentive et leur précieux regard sur le contenu du livre, un grand merci à Évelyne Flahaut, Émilie Guitreau, Chloé Alder, Albert Tumanyan, Pierre Brisson. Pour les autorisations d’utilisation d’images dans l’ouvrage, merci à : Bernard Marty, Justin Cowart, Steve Ruff, le Centre de recherches pétrographiques et géochimiques, l’Agence spatiale européenne, la NASA, les Éditions Presses de la Cité, Boeing, le Centre national des études spatiales, les Éditions Denoël. Et merci à vous, chère lectrice, cher lecteur, d’avoir partagé ce fabuleux voyage vers Mars avec nous !

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Les auteurs Nicolas Beck a suivi une double formation en sciences de la Terre et de l’Univers puis en communication des sciences. Spécialiste de médiation scientifique et culturelle, il exerce ses fonctions en tant que directeur de la vie universitaire et de la culture à l’université de Lorraine. À ce titre, il organise des événements destinés à rapprocher et à faire dialoguer le grand public et le monde de la recherche. Nicolas Beck a publié En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique (Quae, 2017) et s’est lancé dans l’écriture d’un premier roman d’anticipation scientifique qui emmène le lecteur vers Mars, Nix Olympica (Lucca éditions, 2020). Il est également rédacteur régulier pour le magazine Cosinus, une revue scientifique destinée aux adolescents, disponible en kiosque. Sylvain Breton est diplômé en sciences de la Terre à l’université Claude-Bernard de Lyon. Il y a réalisé sa thèse de doctorat, soutenue en 2019, intitulée Dynamique des surfaces planétaires actives. Sa thèse porte sur l’étude de la forme et du nombre de cratères d’impact à la surface de Mars pour mieux comprendre l’intensité de l’érosion et de la sédimentation dans son passé. Sylvain Breton enseigne aujourd’hui les sciences de la vie et de la Terre au niveau collège et lycée, tout en poursuivant ses recherches en planétologie au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/Université de Lorraine) de Nancy. Avec ce premier livre, il souhaite partager sa passion de l’étude de Mars au plus grand nombre. Jessica Flahaut est chargée de recherche en planétologie au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/ Université de Lorraine) de Nancy. Géologue de formation, elle est spécialisée dans l’étude des surfaces planétaires, en particulier celles de Mars, de la Lune et de Mercure. Ses travaux de thèse, intitulés

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Minéralogie de Valles Marineris par télédétection hyperspectrale : histoire magmatique et sédimentaire de la région, ont été soutenus à l’École normale supérieure de Lyon en 2011. Depuis, Jessica Flahaut est fortement impliquée dans de nombreuses missions spatiales (y compris ExoMars), et ses travaux de recherche parus dans plus de 40 publications à comités de lecture ont été plusieurs fois récompensés à l’international. Elle partage aussi régulièrement sa passion auprès du grand public à travers des conférences et des interventions au sein de l’association « Les p’tits cueilleurs d’étoiles ». peb & fox (Pierre-Étienne Bertrand, scénariste, et Aurélien Heckler, dessinateur) sont deux auteurs de bande-dessinée lorrains. Issus du dessin d’humour et de la presse, ils ont également développé divers projets de médiation scientifique par le dessin (BD, illustrations, vidéos d’animation…) avec des structures telles que l’Université de Lorraine, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ou le CEA.

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