Dernières pensées du Roi de P***

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Dernières pensées du Roi de P***

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#

DERNIERES

PENSÉES

DU ROI DE P ***,

JAPONES

R

노래

DERNIÈRES

PENSÉES

DU ROI DE P *** ,

ÉCRITES DE SA MAIN.

A BERLIN. M. DCC. LXXXVII

i

+

Bayerische Blaatsbibliothek München

(

5 )

DERNIÈRES

DU

ROI

PENSÉES

DE

P ***,

ÉCRITES DE SA MAIN. ( * )

MEs maux deviennent tous les jours plus férieux , ils font de nature à ne pas me laiffer vivre longtemps ; à l'âge où je fuis , ils font des progrès rapi des ; dans quelques mois , dans quel ques femaines , dans

quelques

jours

peut- être je n'existerai plus ; j'enviſage ce moment , & je me défends con tre la peine qu'il me caufe , en atten

(* ) Ce petit manufcrit a été vendu par un huffard à un étranger qui étoit à Potzdam , pen dant le temps de la mort du roi : cet étranger a lu ce manufcrit à ſes amis , il l'a prêté , & il lui en a été pris une copies 'A

(

6

)

dant qu'il arrive , je penfe & je réflé chis : la vie

eft dans la penfée , &

j'écris aujourd'hui celles qui me vien -nent parce qu'elles peuvent être utiles , & que l'on jouït mieux des pensées que l'on arrête fur le papier , que de celles qu'on laiffe échapper , d'ailleurs. mes défaillances m'en font perdre le fil , il me faut du temps pour le re trouver , & je n'ai plus de temps à perdre ; je me demande à moi- même fi je regrette beaucoup la vie , les maux & les infirmités m'en détachent infen fiblement ; mais la douceur de régner defpotiquement fur cinq ou fix millions: de fujets , la jouiffance d'une espèce. de gloire acquife par des années de peines & de travaux , me ramènent au fentiment commun de ſouhaiter ma confervation , lorfque je fouffre je vois approcher ma fin fans peine 9: l'avenir ne m'offre plus que des maux

( 7 ) & des infirmités , & un roi vieux & malade n'a plus qu'une exiſtence affez trifte pour lui & pour fes peuples ; je jouïs cependant encore fort bien de la mienne , quand les fouffrances m'en laiffent la liberté , je fais le bien que je

crois jufte

je ne permets

& néceffaire , &

de mal que celui qui

eft utile au gouvernement ; je porte mes 1 regards alternativement fur le paffé & fur l'avenir , je

vois

d'un

côté un régne de quarante- cinq ans , affez bien rempli , & de l'autre une place affez diftinguée dans les faftes de l'hiſtoire ; aujourd'hui ce font mes jouiffances , & je fuis content : j'em porte le furnom de Grand , que mes fujets , les

poëtes & les

almanachs

m'ont donné , je ne fais fi la pofté rité me le confervera ; je puis le croire en me comparant à ceux qui l'ont ob tenu : j'ai fait des conquêtes , j'ai ré

A ij

( 8 ) fifté aux revers de la fortune , & au

nombre des ennemis ; je n'ai pas fait plus de mal qu'un autre , & je crois avoir rendu meilleur le fort de mes fujets. C'est le caractère des rois qui fait le bonheur ou le malheur des peu ples

dans les maux que ceux- ci font

appelés à fouffrir , on peut fans doute compter rant ;

le régne d'un roi conqué,

cependant , il n'eft pas indif

férent pour une nation de jouïr d'une certaine gloire , & des conquêtes qui augmentent la puiffance du fouverain font des biens qui entrent dans une famille , lorfque le gouvernement eft fage & économe , &

il doit l'être

s'il veut conferver ce qu'il a acquis ; on doit plaindre les fujets d'un prince foible , borné , ignorant , bigot ; ils ont à craindre voifins

&

leur prince ,

& leurs

le fort qui fait les rois laiffe

leur caractère , leur tempérament au

( 9 ) hafard des circonftances , & rarement il s'accorde avec les moyens de ren dre un peuple plus heureux & plus floriffant. La nature m'avoit donné un efprit actif, une mémoire heureuſe, & une difpofition à la philofophie & au travail ; les premier mots qui frap pèrent mon attention furent les élo ges que j'entendois faire de

Charles

XII , l'Europe rétentiffoit encore du bruit de

fes exploits , il m'infpiroit

l'intérêt & l'admiration , & lorſque le bon Jordan vouloit me

repréſenter

l'excès de fon ambition & la folie de fa bravoure , je lui répondois par une épigramme fur les grands grenadiers ; j'ai reconnu enfuite la fageffe de fes raifonnemens , mais alors je ne pou vois m'empêcher de condamner le feu roi de s'être ligué avec le Danemarck & la Saxe pour affièger ce héros dans Stralfund ; c'étoient les idées de la

A iij

(

10

)

jeuneffe ; j'étois élevé dans une cour foumife à une étiquette rigoureufe ,. dont l'efprit étoit minutieufement mi litaire , & dont la politique avoit pour baze l'economie ; je fouffris bientôt de la fujettion qui

étoit impofée au

prince royal , je voulois voir , je vou-. lois connoître & m'inftruire , je m'é levois contre

les entraves

que l'on:

}

m'impofoit , j'aimois l'étude , je cul tivois la littérature & les connoiffan ces utiles &

agréables ; l'activité de

mon efprit trouvoit particulièrement un aliment dans les ouvrages qui

4 avoient pour objet la philofophie & l'hiftoire ; j'aimois la langue françoiſe ; la politeffe , la facilité de ce langage. contraftoit pour moi avec la rudeffe de l'idiome allemand ; j'eus l'ambition de parler parfaitement françois , & même la vanité de faire des vers dans. cette langue ;

les premiers , quoique

( I

)

très médiocres , furent cependant affez bons pour flatter un prince Allemand ; mies- facultés poétiques fe développé rent mieux enfuite , & Voltaire à qui je confiai quelquefois mes poéfies, avoit très- peu de corrections à faire pour la

pureté de la verfification : je me

livrai entièrement à ce genre d'occu pation , je lifois avec paffion , j'écri vois avec plaifir , j'entretenois des cor refpondances avec des gens d'efprit & de réputation , je leur adreffois des vers ; les premiers ouvrages de Vol taire avoient excité mon admiration , & je le regardois déjà comme le pre mier génie du fiècle : bientôt toutes: ces occupations ne me fuffirent point , j'eus envie de voyager ; le roi n'ap prouvoit aucun de mes goûts , il ne voyoit dans les hommes que des fol dats & des fujets , & s'il attiroit des François dans les états , c'étoit pour A iv

( 12 ) en faire des Allemands ; mon " envie de voyager fut hautement condam → née ; le projet que j'en fis fut regardé comme une rébellion , & il fut arrêté dès les premiers pas , -les voyages d'un prince royal étoient contre l'éti quette , & contre les idées reçues , ceux du Czarowitz n'en avoient pas fait changer ; mes reffources à Cuftrin furent encore la lecture , l'étude & les occupations de l'efprit , je m'ap pliquai à la muſique , pour laquelle j'a vois beaucoup de goût . & quelque ta lent ; compofer de la mufique a été un de mes plaiſirs , je n'ai pas tou jours été content de mes fuccès , & cent mille hommes ne peuvent pas empêcher un parterre de bailler ; com battre Machiavel , étoit digne de mon envie d'écrire & d'écrire en françois : dans l'efpèce de perfécution que j'ef fuyois , il n'étoit pas indifférent de faire b 2:00-451 % 1550 1:0 "I

J

>

(

13

)

connoître la façon de

penfer

d'un

prince qui étoit appelé à régner : quoi que les principes de Machiavel foient ceux fuivant lefquels fe conduiſent néceffairement les fouverains de tous les états , ils portent un caractère de dureté , & d'intérêt perfonnel qui ré volte , & qui doit en faire rejeter la théorie , & le fyftême qui paroît en réfulter ; la réputation d'une bonne morale eft auffi importante pour les princes que pour les particuliers ; la défiance qu'infpire

le caractère fait. bientôt naître les ligues & les allian ces , le fuccès qui juftifie tout n'eft

jamais affez affuré ; il eft un hafard dans les circonftances que l'habileté ne peut prévoir , il faut au moins lorsqu'il eft contraire qu'il n'ait pas l'air d'être une punition l'Anti-Machiavel ne parut que quelques

années après ; le manufcrit en fut confié à Voltaire , ce qu'il vou, X315 A v

(

14 )

lut y ajouter le fit imprimér à la Haye par une autre voie. Mon mariage fut une des conditions de ma fortie de Cuftrin , le roi vint l'exiger lui - même, & je cedai à ce que je craignois le plus : la nature ne m'a fait ni galant , ni chaffeur , ni gourmand , j'ai connu le plaifir des femmes , & il a eu peu d'attrait pour moi ; là- dedans, la na ture n'a pas été affez parfaite pour mes fens , j'ai méprifé les moyens de con • ferver l'eſpèce humaine , & l'amour m'a toujours paru pitoyable ; j'ai vu quelques femmes à Cuftrin , d'abord par curiofité , bientôt venoit l'ennui & enfuite elles

m'infpiroient le dé

goût ; le moral de l'amour , furtout , n'eft jamais entré dans mon imagi 1 nation , les femmes ont toujours été fans pouvoir fur moi , je n'ai pas fu me foumettre à l'avantage qu'elles ont fur les hommes dans les plaifirs

( 15 ) fai fui

cette dégradation dont elles

profitent toujours , quand

elles

ont

de l'adreffe ; elles s'en font vengées par des conjectures > les mauvais efprits les ont fecondées , je les ai mé prifés les uns & les autres , je ne puis fouffrir un être foible qui domine : je comprends

ce qui chez quelques na

tions a fait placer les femmes dans. une fujettion totale , ce

fentiment

je l'ai éprouvé même dans la fociété ordinaire des femmes ; j'ai vu qu'elles mettent par - tout les petites paffions. qui écartent la raifon , & qui ramè nent tout à l'amour - propre

& à la

galanterie ; il en eft , cependant , qui méritent d'être

diftinguées : la reine mère étoit d'un caractère vraiment

aimable , la margrave de Barheit , mat fœur , avoit infiniment d'efprit , elle étoit

au-deffus de fon fexe par fa

raifon & fa philofophie , & elle avoit

A vj

1

(

16

)

toutes les grâces du fien ; Mde . de B avoit auffi un efprit charmant & très cultivé ; avec ces femmes j'ai goûté véritablement le plaifir de la conver Mde . de & de la fociété .

fation B **.

avoit un mari & un amant ,

c'étoit trop de chofes entr'elle & moi ; quoiqu'il en foit , il n'y a jamais eu dans mon efprit un vuide à placer le befoin des femmes. Le roi , féduit par les invitations de Sekendorf, s'étoit fendu à Prague auprès de l'empereur , il n'en rapporta que les regrets d'a voir donné le fpectacle d'un inférieur qui va voir fon fupérieur , que la certi tude que les promeffes qu'on lui avoit faites étoient vaines , & que le projet de marier fon fils à la nièce de l'impé ratrice ;

mon mariage fut un événe

ment de la vie du prince royal ; mais point le commerce d'un fexe avec un autre ; les noces , qui fe firent je crois

#0

(

17

)

par économie chez le prince de Wolffembuttel , ne m'inſpirèrent que de l'ennui : la princeffe royale jouït de la part de fon époux de tous les refpects que méritoient fes vertus , fa dévotion ,

& la foumiffion à fes de

voirs ; fon caractère férieux & difpofé à la trifteffe n'empêcha point de fen tir qu'elle méritoit d'être plus heu reufe

je

gagnai la liberté de vivre

loin de la gêne d'une cour dont l'ef prit étoit entièrement foumis à la dif cipline militaire , où tout étoit compaffé fur la régle du fervice ; le roi aimoit l'oftentation militaire , il établiffoit la force de fon armée fur la haute taille des hommes , & fur l'exactitude ma chinale des manoeuvres ; tout refpi roit cet efprit de fubordination extrê 1 me : plus libre à Rufpin , je m'y livrois à mon goût pour la

lecture & pour

l'étude ; je m'appliquai à la mufique

(

18

)

où je voulois exceller ,

à la poéfie

françoife fur laquelle je voulois acqué rir de la facilité , & à l'hiftoire , que je voulois connoître profondement : je fis le plan de quelques opéras , & je traçai celui de l'hiftoire de Branden bourg

je paroiffois peu à la cour ;

lorfque j'y étois , je cherchois à m'en tretenir avec les gens de lettres , j'ai mois la converſation du vieux prince d'Anhalt- Deffau , fon efprit rude & prefque

féroce

me

plaifoit ,

c'étoit

un vrai Vandale , on retrouvoit chez lui le caractère que leur donne Taci te ; mes occupations furent inter rompues par un voyage avec le roi à l'armée impériale

fur le Rhin , il

vouloit jouir de la beauté de fes trou pes, & nous eûmes la mortification d'êrre témoin de la prife de Philis bourg fous les yeux du prince Eugêne : les dernières étincelles

de fon génie

1

( 19 ) fe bornèrent à conferver

les forces

de fon maître , qu'une victoire même eut pu trop affoiblir

je vis l'armée

françoife , je fus frappé de la misère & de la bravoure du foldat François ; je ' compris la néceffité d'une difcipline exacte & févère , avec des foldats. dont la foumiffion eft le principal ca ractère ; dans ce voyage , je pus très peu fatisfaire ma curiofité , je fis con noiffance ....... ( ici il y a plusieurs lignes indéchiffrables ) ... la fanté du roi devenoit tous les jours plus mau vaiſe , cependant , il veilloit avec foin à toutes les parties de tion , les

l'adminiſtra→

colonies d'étrangers

éta

blies , les fabriques privilégiées , l'éco nomie dans les finances ; tout étoit ordonné & fuivi avec fageffe , le roi portoit par - tout fon

goût pour la difcipline militaire , & l'état étoit gou

verné par les mêmes loix que l'ar

!

(

20 )

mée. La paffion pour les foldats de haute taille fut plus que jamais celle des dernières années de fa vie ; pro curer un géant , faire l'éloge des grands grenadiers de Potsdam étoit un moyen sûr de faire fa cour ; une fois que l'on exaltoit l'exceffive beauté de ce corps , je demandai quels exploits il avoit fait , &

à quelle fatigue il étoit propre ;

le filence fuccèda à

ma queſtion , le

férieux fe peignit fur les phyfiono mies , & je vis que ma demande étoit regardée

comme un blafphême ; ce

pendant , j'avois l'attention que mon régiment d'infanterie fut un des plus beaux de l'armée , j'ai

eu

occafion

de reconnoître que la tenue minutieufe & exacte du foldat contribue infini ment à la difcipline ; l'homme eft plus qu'on ne penfe difpofé à être ma chine , & autant qu'on le peut , il faut mettre l'habitude à la

place de

(

21

)

la réflexion : j'espèrois bien qu'un jour ces foldats fi bien tenus , fi bien exer cès feroient mieux que des parades . Une armée de foixante mille hom mes parfaitement difciplinée , un trẻ for rempli ,

une adminiſtration sûre

& tranquille , laiffoient au fucceffeur du roi les moyens d'entreprendre ce que les circonftances offriroient de fa vorable , elles fe préfentèrent bientôt ; les grands grenadiers furent reformés , & l'armée fut augmentée

d'un tiers

avec beaucoup de promptitude & de facilité ; l'envie d'avoir des

grands

hommes pour foldats les avoit fait re chercher par toute l'Europe , il s'en étoit formé l'art de faire des recrues: cet art , qui tire les hommes de tous les pays voifins , & qui employe tous ceux qui peuvent l'être , a été con fervé & perfectionné avec foin ; l'ar mée d'un état doit être regardée com

(

22

)

me le réſervoir de fes forces , qui fouf fre une déperdition journalière , à la quelle il faut fuppléer par un entre tien journalier ; & lorfqu'il ne fe fait qu'aux dépends des habitans du pays , l'armée , au lieu d'être le foutien d'un état , en devient le Vampire , & fi le foldat eft condamné au célibat , c'eft bien plus d'un homme que chaque mon infanterie foldat coûte à l'état n'a jamais été compofée que d'envi ron un tiers de fujets Pruffiens , les deux

autres ont été fournis

par la

Pologne , par la Saxe , par les autres provinces d'Allemagne , & beaucoup par la France ; la conduite obfervée avec les recrues étrangères , & la po lice

établie empêchent la défertion ;

à la paix , & après les exercices , les fujets du pays font renvoyés eux , & Fréderic

repeuplent I

chez

les campagnes.

avoit foutenu la

ma

( 23

)

jefté du trône par le luxe , l'éclat & la magnificence. Fréderic - Guillaume a donné une vraie folidité à fa puif fance ; il reftoit à leur fucceffeur à faire valoir des prétentions juftes , à agrandir fes états , & à faire fentir à l'Europe de quel poid il devoit être dans la balance politique : il en coûta d'abord quelqu'argent à l'Evêque de Liége , pour quelques parties de la fuc ceffion d'Orange que la cour de Vienne n'avoit pas voulu garantir , malgré fes promeffes , & la hauteur avec laquelle le roi avoit été reçu à Prague n'avoit pas été oubliée ; cependant , il falloit attaquer une puiffance dont l'armée nombreuſe & aguerrie avoit combattu & été fi fouvent victorieufe fous le prince Eugêne , & dont les généraux avoient été fes élèves. Une ou deux batailles décidoient du fort de la guerre; l'armée pruffienne étoit encore peu

( formidable par elle

24 ) fon

expérience , &

paroiffoit avoir été formée bien

plus pour la parade

que pour une

guerre difficile , mais tel eft l'avantage de la difcipline , qu'elle fupplée à l'ex périence , & de ce côté-là il n'y avoit rien à défirer , les généraux Schwe-* rin & le prince Anhalt ajoutoient à ma confiance , je connoiffois leur habileté & leur valeur ; la conquête de la Siléfie fut facile , & une campagne heureuſe fuffit pour aguerrir des trou pes difciplinées à la bataille de Mol witz ,

mon infanterie devoit nécef-

fairement avoir la fupériorité , par la célérité de fon feu , par la précifion de fes mouvemens ; & par la promp titude de fes manoeuvres ; il n'en étoit O. pas de même de la cavallerie; les vieux cuiraffiers Autrichiens , accou tumés à combattre contre les Turcs , devoient naturellement avoir l'avan tage

( 25 ) tage fur la cavalerie pruffienne qui

connoiffoit peu encore l'art de com battre ; fi Neuperg fut refté derrière le village de Molwitz , & fe fut borné à foutenir fa cavalerie , je ne fais à quoi en feroit aujourd'hui la puiffance pruffienne ; l'effet d'une première vic toire ne peut être mefuré , celle de Molwitz fit connoître mes forces , & celle de Czaſlau en fut une fuite ; la paix affura le fuccès de mes armes : depuis, j'ai eu deux fois à foutenir les forces réunies de deux empires qui euffent pu chacun engloutir le marquis de

Brandenbourg ; la fortune & le

courage m'ont foutenu : jamais mes reffources n'ont été épuifées , le tré- . for n'a jamais manqué d'argent , ni le pays d'hommes ; l'art de porter la guerre dans le pays ennemi , & d'en tirer des hommes & de l'argent , y a toujours pourvu ; après les campagnes B

( 26 ) de 59 & de 60 , il y avoit encore des forces pour réfifter à tous les ennemis, & une troisième fois la paix fut faite d'une manière avantageufe : celle de 63 laiffa des facilités pour l'arrondiffe ment du royaume de Pruffe , par les arrangemens qui ont été faits enfuite avec la Pologne : fi cette acquifition , qui ne coûta point de fang , n'étoit pas fondée fur une juftice rigoureuſe , elle l'étoit fur la raiſon , qui demande que des peuples voifins ne foient pas en través par des limites indécifes , & enclavées les unes dans les autres : la morale a des reffources pour tous les hommes , elle ne fauroit en manquer pour les rois , & les convenances ter◄ ritoriales peuvent entrer dans fes prin cipes ,

comme contribuant au plus

grand bonheur des peuples . Je laiffe à mon fucceffeur un pa

trimoine que j'ai augmenté , une puiſ¬

( 27 ) fance folide & refpectable , une ar mée de cent cinquante mille bons fol dats , des généraux habiles , for rempli pour foutenir au

un tré moins.

trois campagnes même malheureuſes 2. un peuple qui aime fon roi , une ad miniſtration sûre & facile , & une na tion reſpectée de ſes voiſins . Le prince royal mon neveu a l'efprit jufte , l'ame ferme & tranquille

qu'il maintienne

la puiffance que je lui confie , & fon. régne fera affez glorieux ; il ne doit afpirer à aucune conquête ;

aujour

d'hui , étendre fa domination ce feroit l'affoiblir ; il attendra la réunion des margraviats d'Anfpach , de Barheit & de Schwed , & dans l'avenir il profi tera de quelque circonftance favora ble pour échanger les duchés de Berg & de Juliers & le pays de Clèves con tre quelque partie du Mecklembourg. On ne verra plus de longues guer Bij

( 28 ) les nombreufes armées avec lef

quelles il faut entrer en campagne & foutenir la guerre , les fraix immenfes qu'elles exigent , ont bientôt épuifé les plus grandes puiffances ; on fera tou jours obligé de faire la paix au bout de fix ou fept campagnes 9 & je laiffe de quoi les foutenir fans ruiner le pays ; avec ces idées je meurs tranquille . En réfléchiffant fur le bonheur des rois , je crois avoir été un des plus heureux : j'ai jouï amplement de tou tes les facultés que la nature m'avoit accordéès ; fi j'ai eu quelques foiblef fes d'amour - prore , j'ai eu auffi des jouiffances ; dans les différens genres où j'ai cherché des fuccès , la poëfie françoiſe eft ce qui m'a donné le plus de peine , & de mes ouvrages ce font ceux qui pafferont le moins à la poſ térité. Le tems le plus heureux de ma vie eft celui où , encore prince royal,

M

(

29

)

j'étois devenu plus libre, & où, n'ayant

1

ni peine , ni foucis , ni aucun foin pé nible , je me livrois au goût que j'a vois pour les occupations de l'eſprit & pour les talens agréables : loin de la cour je m'y livrois en liberté , à Ruppin j'ai eu des momens heureux. Le tems le plus agréable a été celui où , après la paix de 48 , qui affuroit mes con quêtes , je pus me livrer aux foins du gouvernement , auquel je voulois faire les changemens & les reformes qué me dictoient la

raifon & la philofo

phie ; je rendis les loix plus fimples , plus uniformes , j'abrégeai les procès je facilitai les mariages , je favorifai l'agriculture & les manufactures , j'a joutai encore à la liberté de confcien ce , j'affurai le bien - être

du foldat ,

j'introduifis les fêtes & les plaifirs à la cour

j'avois un bon opéra & une mu

fique excellente, j'attirai auprès de inoi

B iij

( 30 )

les favans & les hommes d'efprit. Vivre en liberté avec des gens aimables a été le plaifir auquel j'ai été le plus fenfible , c'est trop difficilement celui des rois : j'appelai Voltaire, je l'admis à une fo ciété familière ; fa gaieté , fes faillies , l'aménité de fon efprit nous faifoient paffer des momens délicieux ; avec lui étoient Algaroti & Maupertuis , mais ils étoient bien loin de fournir les mêmes agrémens

bientôt j'eus à fouffrir de

l'inégalité de l'humeur de Voltaire; ado rable quand il vouloit plaire , il n'é coutoit rien dans fes momens d'hu meur , & les grâces & les honneurs ne l'attachoient point par la reconnoif fance ; jaloux , & voulant jouir exclu fivement , il ne favoit pas mettre cer taines bornes à fon efprit : j'avois rap proché

les barrières qui nous fépa

roient , il voulut les

franchir ; je vis

que le defpotiſme des hommes de gé

1

(

31 )

nie étoit encore pire que celui des rois : je fus obligé de l'éloigner, ce ne fut ni pour mon linge fale qu'il avoit à blanchir, ni pour les bêtifes de Mau pertuis.

Voltaire oublia que fon af

cendant ne devoit pas aller au-delà des agrémens de la fociété , & que la fa miliarité d'un roi ne va pas chercher l'oubli de fon amour- propre : il me quitta avec légéreté , il ne fit rien pour rentrer , en grâces ; je le punis à Franc fort des regrets qu'il me laiffoit ; il en fut vengé , parce que ne pouvant me paffer d'un efprit comme le fien , je recommençai une correfpondance avec lui. Les momens brillans dont j'avois jouï après les batailles de Rosbach & de Liffa , qui furent fuivies de la prife de Breslau & de Liegnitz , rendirent plus fenfibles les malheurs de la batail le de Cunnersdorf, & de la prise de Biv

( 32

)

Schweidnitz par Loudhon : mes en nemis étoient à la veille de jouir de leur triomphe ,

mais la fortune me

devoit fes faveurs ; un paix heureuſe fut conclue & les maux de la guerre ont été bien vite reparés. Le temps fatisfaifant pour moi a été

le plus

celui de la paix de 78 ; cette fois la guerre

avoit été entreprite pour la

caufe de la juftice & de l'équité , la paix

fuivit de près ,

& le fang fut

épargné ; l'Allemagne a pu juger que la nouvelle puiffance qui s'eft élevée dans l'empire affure fon indépendan ce ; depuis lors ma vie a été douce & tranquille ; j'ai cherché le bonheur de mes

peuples autant que l'intérêt

de l'état le comporte , j'aurois voulu rendre meilleure une adminiftration qui n'eft junais fans défaut ; les finan ces font un objet fi délicat

qu'il eft

même dangereux dans corriger les vi

( 33 ces ; le crédit

public

) &

particulier

ayant peu de reffort dans un état plus militaire que commerçant , les moyens les plus promts font ceux qui doivent être préférés pour entretenir les

re

venus de l'état ; ce feroit un grand mal fi la recette n'excédoit pas tou jours la dépenfe , c'eft par cette rai fon que j'ai dû quelquefois mettre en ufage des moyens extraordinaires : j'ai employé des François dans ce dépar tement , comme plus habiles dans cette eſpèce de calcul ; d'ailleurs , il eft plus sûr que des étrangers feront furveillés par des gens jaloux de leur emploi & de leur nation. Je fuis fâché que Mr. Necker fe foit refufé aux invita tions que je lui ai fait faire : mon fuc ceffeur pourra mieux que moi perfec tionner cette partie ; s'il n'a pas la mê me façon de penfer que moi , il aura au moins le même but ; j'ai bien moins By

( 34 ) cherché une vaine gloire

que l'éta

bliffement d'une puiffance folide , qui

ove put affurer la tranquillité & la proſpé rité d'une nation , en faifant refpec ter fes fouverains ; ce font là les fuc cès dont je jouïs. J'ai peu connu les jouiffances du commun des rois ; la pompe des cours , le fafte du trône " l'ennui de l'étiquette , l'orgueil du def potifme ont été fans mérite pour moi ; ce n'eft pas en voyant ramper que j'ai cru régner , ni en rendant le phyfique de la vie ennuyeux par des cérémo nies , que je me fuis apperçu que j'é tois roi ; le moral & le phyfique ont été fi

fingulièrement combinés dans

mon exiſtence , que je ne puis favoir ce que je dois à l'un où à l'autre , la nature ne m'avoit fait que pour être roi, je n'ai connu ni la cr..d ... u ( ici il A y a trois mots effacés que l'on n'a pu lire ) ni l'amitié , ni l'amour , j'ai eſti

( 35 ) mé la valeur des hommes par l'utilité dont ils pouvoient être , & je n'ai mis de prix à leur mérite que

celui qui

éroit néceffaire pour l'exciter : l'em ployer eft la première récompenſe , &

+

l'opinion eft un grand moyen. Je n'ai mis ni magnificence , ni prodigalité dans les bienfaits & dans les faveurs j'ai cherché que le bien- être fut éga lement répandu fur mes fujets fuivant leurs fituations , leur fort & leur état ; je hais l'accumulation des richeffes chez les particuliers , il eft d'une bonne politique qu'elles fe partagent , la force d'un état eft dans le bien- être du peu ple , & non dans les richeffes entaf fées dans quelques villes , & chez des hommes

opulens : le peuple fe laiffe

bien plus aifément retrancher de fon néceffaire , que les riches de leur fu perflu ; enrichir la cour , c'eft appau vrir les provinces ; j'ai fait des mé

B vj