De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique: Étude de l’anamnèse comme principe structurant de l’Église (Europäische Hochschulschriften / ... Universitaires Européennes) (French Edition) 9783034315463, 9783035107715, 3034315465

Ce livre présente le fruit d’une recherche scientifique approfondie autour d’un thème si important et fondamentale de la

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De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique: Étude de l’anamnèse comme principe structurant de l’Église (Europäische Hochschulschriften / ... Universitaires Européennes) (French Edition)
 9783034315463, 9783035107715, 3034315465

Table of contents :
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Table des matières
Remerciements
Première partie : L’anamnèse : question des fondements
Chapitre I : Données bibliques
Chapitre II : Auditus fidei : les apports de la théologie à partir des Pères de l’Église jusqu’au concile de Trente
Chapitre III : L’enseignement du magistère sur l’anamnèse eucharistique à partir du concile Vatican II
Deuxième partie : L’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse
Chapitre IV : La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse
Chapitre V : La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table de la parole de Dieu et sa circularité avec l’épiclèse
Chapitre VI : Les retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église
Conclusion générale
Sigles et abréviations
Bibliographie

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P. Jacques Sungu-Maigende, avant d'aller terminer à Rome ses études en théologie dogmatique au sein de l'Université Grégorienne, a travaillé comme formateur dans la maison de formation des Capucins de la RD Congo et comme professeur de théologie à l’Institut Supérieur des Sciences Religieuses de Mbandaka. Il est actuellement professeur à l’Université Saint Augustin de Kinshasa.

P. Jacques Sungu-Maigende · De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique

Ce livre présente le fruit d’une recherche scientifique approfondie autour d’un thème si important et fondamentale de la foi chrétienne à savoir l’eucharistie. Ce thème est étudié ici dans une de ses dimensions capitales qui est l’anamnèse qui n’est pas seulement comprise comme commémoration d’un passé mais comme une actualisation de la présence réelle du Christ dans les deux grandes parties de la célébration eucharistique : la table eucharistique et la table de la Parole. Agencement intéressant dans l’articulation de ce travail que l’auteur adopte expressément pour marquer l’originalité de ses recherches. La célébration eucharistique, mémoire du Christ, devient en même temps mémoire de l’Église et moteur régulateur de l’Église, de sa structure et de sa vie.

XXIII/951

European University Studies

P. Jacques Sungu-Maigende

De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique Étude de l’anamnèse comme principe structurant de l’Église

www.peterlang.com

Peter Lang

De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique

European University Studies Europäische Hochschulschriften Publications Universitaires Européennes

Series XXIII Theology Reihe XXIII Série XXIII Theologie Théologie Vol./Band 951

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

P. Jacques Sungu-Maigende

De l’anamnèse eucharistique à l’anamnèse ecclésiologique Étude de l’anamnèse comme principe structurant de l’Église

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

Information bibliographique publiée par «Die Deutsche Nationalbibliothek» «Die Deutsche Nationalbibliothek» répertorie cette publication dans la «Deutsche Nationalbibliografie»; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur Internet sous ‹http://dnb.d-nb.de›.

ISSN 0721-3352 ISBN 978-3-0343-1546-3 pb. ISBN 978-3-0351-0771-5 eBook Cette publication a fait l’objet d’une évaluation par les pairs. © Peter Lang SA, Editions scientifiques internationales, Berne 2015 Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Berne, Suisse [email protected], www.peterlang.com Tous droits réservés. Cette publication est protégée dans sa totalité par copyright. Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur le copyright est interdite et punissable sans le consentement explicite de la maison d’édition. Ceci s’applique en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms, ainsi que le stockage et le traitement sous forme électronique. Imprimé en Suisse

Table des matières

Remerciements........................................................................................... 7 Chapitre I Données bibliques.................................................................................... 35 Chapitre II Auditus fidei : les apports de la théologie à partir des Pères de l ’Église jusqu’au concile de Trente..................................................... 69 Chapitre III L’enseignement du magistère sur l’anamnèse eucharistique à partir du concile Vatican II ................................................................. 141 Chapitre IV La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse................................ 203 Chapitre V La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table de la parole de Dieu et sa circularité avec l’épiclèse...............................281 Chapitre VI Les retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église..................................................................... 347 Conclusion générale............................................................................... 419 Sigles et abréviations............................................................................. 439 Bibliographie.......................................................................................... 445

Remerciements

Au terme de ce temps d’exercice intellectuel hardi et sans répit, la mémoire de notre âme se sent dans l’obligation d’être reconnaissante envers toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à ce travail qui sanctionne la fin de notre troisième cycle en théologie dogmatique. Notre expression de gratitude va aux trois personnes de la Très Sainte Trinité, par qui nous tenons le souffle de la vie et à travers qui nous recevons l’étincelle de la connaissance et de la vraie science, l’amour et le grand bien. Créé à son image et appelé à vivre selon notre image originelle, nos yeux se sont ouverts aux merveilles de Dieu et nous avons pris connaissance de ce que nous sommes à travers vous nos parents qui, après s’être rendus disponibles à la volonté de Dieu comme de bons chrétiens, nous avez donné la vie et guidé nos pas à la découverte et au vécu des valeurs évangéliques. Dans le ciel où vous nous avez précédés, marqués du signe de la foi, recevez toutes nos gratitudes. À vous mes frères et sœurs, cousins et cousines, tantes et oncles qui constituent la cellule familiale dans laquelle nous avons été et continuons à être accueilli pour notre réalisation tant humaine que religieuse, nous exprimons ici notre reconnaissance. Le fondement de notre être reçu en famille serait sans flamme et nos pensées seraient sans ailes sans cet espace vital de notre famille religieuse dans la quelle nous nous sommes intégré et senti accueilli comme frère. À notre Ordre des frères mineurs capucins, nous adressons tous nos remerciements, en commençant par le ministre général Mauro Jöhri et à notre vice provincial Jean Bertin Nadonye qui nous ont donné la possibilité de faire ce troisième cycle. Grand merci à mes confrères du Congo, avec qui, plus que jamais nous partageons les joies et les peines de notre vie franciscaine. Nous pensons dans la même optique au collège international Saint Laurent de Brindes qui nous a hébergés pendant notre séjour à Rome et qui, avec sa structure et son personnel, nous a offert le maximum des convenances possibles pour notre épanouissement tant religieux et intellectuel qu’humain. Notre gratitude va spécialement à l’ancien recteur et vice-recteur qui nous a reçu au collège  : P. Agapit Moroso et John Petrikovic. À leurs successeurs  : Isidore Peterhans et Rodrigues Bona Marcel,

grand merci. Nous adressons notre gratitude aux P. Luca Piatanida et Sisto Zarpellon, l’un s’occupant du matériel et l’autre du spirituel, qui nous ont été d’un grand soutien sans lequel ce travail n’arriverait pas à bon port. À vous tous et à toute la famille stable, notre grande reconnaissance. Que tous les personnels, avec une mention spéciale à ceux de la bibliothèque de notre collège, étudiants du collège Saint Laurent de Brindes, trouvent dans ces lignes l’expression de notre gratitude. Nous avons le devoir moral de remercier aussi l’Université Pontificale Grégorienne qui nous a accueilli en son sein pour cette dernière étape de notre étude. Nous voulons ici nommer le chef du Département de la théologie dogmatique, le professeur Sergio Bonani et toute l’équipe administrative de l’université. Profonde gratitude au professeur Dario Vitali, notre maître et directeur de ce travail. Plus qu’un professeur vous êtes devenu pour nous un modèle d’un théologien qui, dans un esprit fraternel, nous a toujours porté à chercher les profondeurs des choses divines. En baliseur, votre sens scientifique et votre rigueur théologique sont pour nous un héritage que notre mémoire gardera toujours. Notre gratitude va aussi au professeur Nunzio Capizzi, son accompagnement, ses conseils judicieux et combien importants ont donné une tonalité spéciale à notre travail. Il serait injuste de ne pas remercier le professeur William Henn, comme confrère et professeur, il a toujours disposé volontiers de son temps pour nous malgré ses multiples occupations. Cher confrère nous vous disons merci. Le meilleur pour la fin, nous voulons exprimer en dernier lieu notre gratitude à la Paroisse de Bagnacavallo dans le diocèse de Faenza qui nous a permis pendant tous les temps de notre étude de rester connecté à la réalité pastorale. La liste est tellement longue qu’on ne saurait citer tout le monde. Nous distinguerons Monsignore Luigi Guerini, Monsignore Pietro Magnanini, Don Marco, Don Antonio, la famille Giangrandi… Vous, avec qui nous avons actualisé notre amitié tant humaine que divine autour des repas et du pain eucharistique, que tous lisent dans ces lignes l’expression de notre reconnaissance. À vous les sœurs capucines du monastère Saint Jean Baptiste de Bagnacavallo ; les mots seront très pauvres pour vous dire merci ; que le lien fraternel établi entre nous reste gravé dans nos mémoires comme manifestation de l’amour de Dieu dans ce monde. Profonde gratitude à vous Madre Stéphanie Monti, présidente de la confédération capucine italienne, à toutes vos consœurs pour tout ce que vous étiez pour nous. 8

Que la profondeur infinie de la bonté divine qui, de la création jusqu’à la fin des temps, couvre des bienfaisances tous ceux qui se disposent à son amour, récompense vous tous qui, d’une manière ou d’une autre, avez contribué à la réalisation de ce travail.

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Introduction Générale

Présentation Du Travail « L’Église et l’Eucharistie se font, chaque jour, l’une par l’autre  : l’idée de l’Église et l’idée de l’Eucharistie doivent pareillement se promouvoir et s’approfondir l’une par l’autre »1. Henri de Lubac développera clairement cette formule ébauchée dans Corpus Mysticum, dans son livre  : Méditation sur l’Église, dans lequel naîtra la formule  : « C’est l’Église qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’Église »2. Cette affirmation nous expose l’importance que constitue l’Eucharistie dans la vie de l’Église. Sur cette thèse de Lubac, on gloserait hypothétiquement que l’Église cesserait d’exister s’il n’y avait plus de célébrations eucharistiques. L’Église, on le sait, est portée par l’Eucharistie, elle vit de l’Eucharistie et cette Eucharistie ne peut être célébrée que par l’Église, dans l’Église et pour le monde. Le Concile Vatican II, nous présentera l’Eucharistie comme le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps comme la source d’où découle toute sa vertu3. Dans ce travail la tâche qui nous incombe est d’approfondir ce grand mystère de notre foi, en tant qu’il est connu à la lumière de la révélation divine comme Mémoire 4 de Jésus de Nazareth mort, ressuscité et qui 1 H. De Lubac, Corpus mysticum, 292–293. 2 H. De Lubac, Méditation sur l’Église, 113. 3 Cf. SC, 10. 4 Cf. Il est évident qu’actuellement il y a de grandes études sur la mémoire pour connaître comment elle fonctionne, sa constitution, son évolution, sa décadence, la tentative de sa guérison… mais quand nous parlons de la mémoire, qu’est-ce que cela signifie ? Écoutons ce Père de l’Église : « La mémoire en général est la cause et le réceptacle du souvenir et de la remémoration. » Nous voyons apparaître deux autres mots qui sont corollaires à la mémoire : souvenir et remémoration. Le souvenir est l’image que laisse une perception sensorielle apparue à la suite d’un acte ou encore la conservation d’une perception et d’une intellection. Ici l’âme saisit ou sent les objets sensibles au moyen des organes des sens et ainsi se forme l’opinion ; elle perçoit les objets intelligibles au moyen de l’intellect et ainsi se forme le concept. Quand elle conserve les empreintes tant des opinions que des concepts qu’elle s’est formé,

reviendra  : « Anamnèse ». Cette mémoire qui, comme nous tenterons de le démontrer, n’est pas seulement une remise en mémoire, une remémoration de ce que l’Église a conservé de l’acte de la dernière Cène de Jésus avec ses disciples, mais une actualisation de la présence de Jésus et de son mystère pascal tel que célébré dans la table eucharistique et dans la table de la Parole. Nous essaierons ainsi d’acquérir une connaissance toujours plus claire et profonde de ce mystère de l’épanouissement et de la monstration de l’amour de Dieu, préparé dans l’Ancien Testament et accompli en son Fils Jésus Christ dans le Nouveau Testament5. Cette mémoire du Christ, expression de son amour, célébrée dans l’Eucharistie qui, en fait, devient mémoire de toute l’histoire du salut, est en même temps mémoire pour l’Église qui la constitue, la structure et la fait vivre. C’est un amour engagé et engageant : Dieu qui aime son peuple s’est engagé pour lui en se sacrifiant. Dans cet amour, Dieu demande aussi d’être aimé par son peuple, ceci non pour son bien, mais pour celui de son peuple. Et le moyen le plus simple pour répondre à cet amour et y rester c’est faire mémoire, c’est-à-dire rendre toujours actuel l’amour originel du Christ qui nous a sauvé par sa mort et sa résurrection. Le refus de cette mémoire est le péché et la négation de l’être même de l’Église. En renchérissant sur ce que le Pape Benoît XVI dit du « péché comme non-écoute de la Parole de Dieu »6, nous concrétisons sur l’anamnèse que le péché est le refus de la commémoration permanente de l’amour salvifique du Christ. L’Église ne peut pas vivre sans cette mémoire, elle en fait son identité, et surtout qu’elle a reçu l’ordre de son Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Co 11, 24  ; Lc 22, 19). La mémoire de la mort et de la résurrection du on dit qu’elle se souvient. Il faut reconnaître que la saisie des intelligibles n’a lieu qu’à partir d’un savoir ou d’une intuition de nature, non à partir d’une sensation ; car alors que les objets sensibles sont par eux-mêmes objets de mémoire, des objets intelligibles nous gardons un souvenir si nous les avons en quelque façon étudiés, mais de leur substance nous ne possédons pas de souvenir. La remémoration est le recouvrement d’un souvenir disparu par oubli ; l’oubli est la perte du souvenir. L’imagination, en effet, perçoit les objets matériels par le moyen des sensations et les transmet à l’intelligence ou au raisonnement (car les deux sont identiques) ; celles-ci accueillent et jugent ces objets et puis les transmettent à la mémoire. L’organe de la mémoire est la cavité postérieure du cerveau, que l’on appelle le cervelet, ainsi que le souffle vital qui s’y trouve : Cf. J. Damascène, « La foi orthodoxe », 326–327. 5 Cf. DV, 4. 6 Benoît xvi, Verbum Domini, 26.

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Christ devient constitutive de la vie de l’Église. Portant en soi un caractère diachronique, la mémoire devient un fait anachronique qui sort de son temps à cause de sa dimension divine, et embrasse tous le temps présent et à venir. L’Église, en obéissant à l’ordre de son Seigneur, fait chaînon dans une tradition, transmet une tradition tout en la créant et entre en même temps dans l’intemporalité de la mémoire qu’elle célèbre. De la lex orandi, nous arrivons à la lex credendi. La mémoire eucharistique devient une mémoire ecclésiologique, ce que nous célébrons devient notre vie, notre modus vivendi. L’anamnèse, dimension inéluctable de l’Eucharistie, devient en même temps dimension constitutive à partir de l’Eucharistie, de l’ecclésiologie. L’anamnèse met en relation l’Église avec son Christ, avec ses membres et à partir d’elle, l’Église se structure ad intra et ad extra. Cette grande dimension de l’Eucharistie qui est la mémoire, ne peut être rendue possible sans la grâce de l’Esprit Saint : « le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). L’anamnèse eucharistique telle que nous l’étudierons, selon la foi de l’Église catholique, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, ne doit pas être prise dans le sens d’une simple remise en mémoire : elle est une actualisation, un vécu réel dans notre aujourd’hui de l’événement pascal du Christ tel que nous le célébrons dans la totalité de l’Eucharistie. Puisque le Christ nous a promis, promesse réalisée avec la venue de l’Esprit Saint pour nous enseigner et nous rappeler tout ce qu’il avait dit. Il existe une circularité intrinsèque entre l’anamnèse et l’épiclèse : l’une ne va pas sans l’autre. Cette (autre) dimension de l’Eucharistie, loin d’être un appendice, est un autre pivot incontournable de l’Eucharistie et de la vie ecclésiale. Nous l’étudierons dans ce travail. Ces deux dimensions de l’Eucharistie : anamnèse et épiclèse, constituent l’Église et la portent à son accomplissement. L’Église née de la Pentecôte, continue à vivre de l’Esprit Saint qui la soutient dans son cheminement. Cet Esprit doit continuellement être invoqué sur elle pendant l’anamnèse eucharistique pour l’actualisation de l’Evénement rédempteur du Christ. C’est dans cette dynamique de l’anamnèse et de l’épiclèse que l’Église peut se structurer du point de vue relationnel et continuer sa mission jusqu’à la fin des temps. En un mot, tout en étudiant le fondement de l’anamnèse dans la Bible, dans la tradition, spécialement chez les Pères de l’Église et dans le Magistère de l’Église catholique avec une insistance sur le concile Vatican II, nous chercherons à faire ressortir la dimension 13

anamnético-ecclésiologique dans les deux tables de l’Eucharistie et la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse. Cette dernière partie sera scrutée en visitant les trois traditions chrétiennes : Orthodoxe, Protestante et Catholique. C’est ce qui nous conduira dans le dernier chapitre à mettre en évidence les retombées positives de l’anamnèse dans la vie de l’Église. Partant de la liturgie comme notre lieu théologique, nous verrons comment l’anamnèse dans sa circularité avec l’épiclèse, au niveau des deux tables de l’Eucharistie, peut faire l’Église et vice versa. Comment elle peut structurer l’Église du point de vue ecclésial et œcuménique.

Status Quaestionis Le caractère inépuisable de richesse dont est revêtue la célébration de la mort et de la résurrection de Jésus fait que ce sacrement est désigné par différents noms qui tentent de rendre ce que ce sacrement est et vaut pour la vie de l’Église. Les documents fondamentaux7 de l’Église le démontrent dans les différentes appellations qu’ils ont données à ce sacrement. Ces appellations, n’étant que des tentatives de l’intellect humain face au grand mystère divin, évoquent seulement quelques aspects de ce sacrement que l’homme essaie d’appréhender pour son salut. On notera les études théologiques faites à partir de ces différentes appellations pour comprendre le mystère de notre rédemption et de l’Église. H. de Lubac partira de l’appellation « Eucharistie » pour fonder le corpus mysticum christi8. Il voit dans l’Eucharistie le corpus mysticum sous trois aspects : premièrement, l’Eucharistie est corpus mysticum en tant que sacrement, « c’est-à-dire encore dans la célébration des mystères : corps que cachent tout en le donnant le pain ou les apparences visibles dans le rite liturgique, corps que signifie ou figure le pain ‹ mystique › »9. Deuxièmement, l’Eucharistie est corpus mysticum pour autant qu’elle fait référence entièrement au sacrifice de la croix dans lequel Jésus accompli en perfection les Écritures Saintes. « Elle est elle-même sacrifice tout en 7 8 9

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P.-A Martin, éd., Concile Vatican II, 2007 ; CEC, 1998 ; CIC, 1984. H. De Lubac, Corpus mysticum, 2009. H. De Lubac, Corpus mysticum, xii.

étant et parce qu’elle est sacrement »10. Troisièmement, l’Eucharistie est corpus mysticum parce qu’elle a comme finalité le corps ecclésial, elle nous intègre dans la vie ecclésiale pour vivre pleinement la charité et l’unité. « Elle est alors sacrifice et sacrement du ‹ vrai › sacrifice, du sacrifice intérieur et spirituel par lequel se réalise la société sainte de tous ceux qui adhérent à Dieu »11. L. Bouyer dit vouloir faire « la théologie de l’Eucharistie » pour combler l’abîme « entre les théologies eucharistiques qui ont foisonné dans l’Église catholique et hors d’elle »12. La liturgie constitue pour lui l’organe principal et par excellence de l’approche du mystère eucharistique. Ne voulant pas faire une théologie sur l’Eucharistie, L. Bouyer prône une théologie de l’Eucharistie qui est « une théologie qui procède d’elle (Eucharistie), au lieu de venir s’y appliquer du dehors, tant bien que mal, ou se réduire à la survoler sans jamais daigner prendre contact avec elle »13. C’est ainsi que parlant de l’anamnèse eucharistique, L. Bouyer la fonde d’abord à partir de sa racine et la tradition hébraïque pour ensuite la définir comme une institution établie par Dieu, donnée et imposée par lui à son peuple, pour perpétuer à jamais ses interventions salvatrices. Non seulement le mémorial assurera subjectivement les fidèles de leur efficacité permanente, mais d’abord il assurera celle-ci, comme un gage qu’ils pourront et devront lui représenter, gage de sa propre fidélité14. 

B. de Margérie de son côté fera une étude sur l’ordre d’anamnèse « à la lumière de la totalité de la Bible, dans le contexte des déclarations doctrinales de l’Église sur lui et de la vie spirituelle dont il est la source »15. Abordant ainsi le problème de l’anamnèse, B. de Margerie parcourt les Écritures Saintes, la tradition apostolique et le concile Vatican II. Il précise les divers sens de l’anamnèse en la prenant premièrement dans son sens large tel qu’elle est définie par L. Bouyer. Deuxièmement en la considérant dans son sens limité tel que la définissent les liturgistes, comme « une formule spéciale de l’anaphore ou du canon de la messe qui suit immédiatement le récit de l’institution eucharistique … Cette formule 10 H. De Lubac, Corpus mysticum , xii. 11 H. De Lubac, Corpus mysticum, xii. 12 L. Bouyer, L’Eucharistie, 11. 13 L. Bouyer, L’Eucharistie, 11. 14 L. Bouyer, L’Eucharistie, 107. 15 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 21.

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rappelle le souvenir des grands mystères de l’économie rédemptrice : passion, mort, résurrection, ascension, second avènement »16. De ces quelques études sur l’Eucharistie, il en existera beaucoup d’autres, nous pouvons encore citer en passant celle de G. Dix17, O. Casel18, de J. Mouroux19, de Jesús Espeja20, de R. Prophete 21. Ces études sur la célébration de la mort et la résurrection du Christ, perpétuant ainsi son œuvre salvatrice, ont abondé au cours de l’histoire de l’Église. Elles ont toujours cherché à mettre en évidence un aspect important de l’inépuisable richesse du mystère pascal tel que célébré par l’Église. Nombreux sont ceux qui partiront de l’Eucharistie pour fonder l’ecclésiologie, la communion fraternelle, l’œcuménisme, la charité fraternelle, le lien avec la religion juive … Respectant et prenant en considération les grands travaux jusque là réalisés sur la recherche de la cognoscibilité de ce grand mystère de notre foi, nous avons voulu nous aussi apporter notre contribution en approchant ce mystère à partir de son appellation et de sa célébration comme mémorial en le situant dans le cadre qui lui est propre, à savoir celui de la liturgie. Théologiser à partir de cette cellule mère pour mieux comprendre le mystère de notre rédemption. Revenant au deux sens de l’anamnèse tel que donné par B. de Margérie qui précise que « le sens limité est celui des liturgistes ; le sens plus large, celui des dogmaticiens et des exégètes »22. B. de Margerie considère le sens limité comme anamnèse-commémoraison qui est la prière ecclésiale de l’Unde et memores tandis que le sens large comme anamnèse-mémorial comme (= c’est-à-dire action du Christ-prêtre au sein de son Église. Nous n’avons pas voulu appliquer au mystère du Christ l’un ou l’autre sens séparément. Le sens de l’anamnèse-mémorial en tant qu’agir théandrique et transcendant du Christ qui continue personnellement comme l’unique vrai prêtre à célébrer son sacrifice au sein de son Église doit aller en consonance avec le sens de l’anamnèse-commémoraison qui est la réponse du oui fidèle de l’Épouse du Christ, l’Église. Nous avons fait option de partir de la matrice de ce mystère – la liturgie – pour mieux 16 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 22–23. 17 G. Dix, The shape of the liturgy, 1945. 18 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 1962. 19 J. Mouroux, Faites ceci en mémoire de moi, 1992. 20 Jesus Espeja, L’Église, mémoire et prophétie, 1987. 21 J. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 2000. 22 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 23.

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comprendre à partir de l’action permanente de l’œuvre rédemptrice du Christ comme l’unique vrai prêtre et la réponse de son Église, la grandeur même de ce mystère. Cette option nous a conduit à étudier ce mystère tel qu’il a été révélé dans la Bible, compris par la tradition et le magistère de l’Église, célébré dans les différentes traditions chrétiennes. L’approche du mystère du Christ tel qu’il est célébré comme mémorial ne peut être séparée de l’épiclèse étant donné que le Christ lui-même lie la compréhensibilité de son message à l’action de l’Esprit Saint23. Du point de vue méthodologique, le rapprochement des deux sens de l’anamnèse, cela nous permettra de voir si le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ tel que célébré dans nos liturgies chrétiennes est perceptible dans chaque partie de nos célébrations ou s’il apparait seulement dans une partie ? La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est-elle vécue dans la totalité de la célébration ou est-elle limitée elle aussi à une partie de nos célébrations ? En faisant l’état de lieu de ce qui a été dit jusque là sur ce grand mystère de notre foi, il apparait qu’une étude orientée dans ce sens n’a pas encore été faite. Nous pensons que cette étude aboutira au renforcement positif de la connaissance et du vécu de notre foi chrétienne du point de vue liturgique, ecclésiale et œcuménique.

Notre originalité Les études faites jusque là sur la dimension ecclésiologique de l’Eucharistie ont pour la plupart mis à part, pour ne pas dire négligé l’anamnèse pour s’axer davantage sur l’épiclèse. C’est ainsi que nous voulons, par le présent travail, ouvrir cette nouvelle piste d’approche ecclésiologique à partir de l’anamnèse et de la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse, c’est-à-dire faire voir qu’à partir de l’anamnèse eucharistique et de la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse, nous pouvons mieux arriver à structurer l’Église du point de vue œcuménique et liturgique, afin d’arriver à une ecclésiologie qui serve à tous. Le Christ nous a donné l’ordre : « Faites ceci en mémoire de moi » ; ce « faire ceci » ne doit pas seulement être limité 23 Jn 14, 26.

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à la fraction du pain dans l’Eucharistie mais qui doit aussi s’étendre à l’écoute de sa Parole et au vécu de ce mystère dans notre vie en société. Comment notre Église hic et nunc, confrontée à des problèmes à caractère multidimensionnel, peut-elle se structurer du point de vue relationnel pour que cet ordre soit vécu et respecté par toutes les communautés ecclésiales pour qu’elles ne perdent pas leur identité ? La dimension anamnético-ecclésiologique vue au niveau de deux tables de la parole et de l’Eucharistie ne peut-elle pas être une autre pierre relationnelle de construction du mouvement œcuménique dans le sens de la guérison de nos mémoires négatives, séparatrices, pour une restauration de la mémoire positive, unificatrice de l’Église primitive pour une sincère complémentarité mutuelle ? L’anamnèse et l’épiclèse étant deux réalités inséparables, comment dans notre liturgie arrivons-nous à concilier les deux au niveau des deux tables de la Parole et de l’Eucharistie  ? A partir de deux dimensions susmentionnées, nous essaierons de former des propositions à caractère théologique et pratique en donnant certaines suggestions pour une meilleure structuration de l’Église.

Notre Méthode La théologie dogmatique étant l’ensemble de la théologie surnaturelle qui s’occupe des vérités sur Dieu, autant qu’elles sont connues à la lumière de la révélation divine, notre méthode sera positivo-spéculative. Nous partirons de la doctrine théologique proposée à notre croyance par le magistère ecclésiastique (élément symbolique) qui se trouve contenue dans les sources de la révélation, Écriture24 et Tradition (élément biblique et patristique), pour appliquer la raison humaine à ce contenu révélé de notre foi afin de voir comment structurer notre vie ecclésiale. Nous prendrons en considération toutes les ressources de la critique historique et de la rationalité philosophique pour une approche fructueuse des vérités de la foi telles que connues par la révélation de Dieu. Plutôt que d’utiliser une heuristique, qui procède par évaluations successives et hypothèses provisoires, nous tenterons par une herméneutique 24 Cf. Le Concile Vatican II considère l’Écriture comme « l’âme de toute la théologie » : OT, 16.

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d’ « organiser sainement, en s’efforçant systématiquement de ressaisir les vérités de la foi dans leur unité et leur cohérence interne (le nexus mysteriorum), en montrant simultanément leur correspondance avec la quête de sens des hommes de chaque génération »25.

Limitation Du Travail Etant donné la complexité et la grandeur du mystère de l’Eucharistie, le champ de recherche sur l’Eucharistie est tellement vaste que toute étude, sans démarcation, sur ce grand mystère de notre foi chrétienne court le risque d’une perdition dans un océan sans issue. C’est ainsi que sans négliger ou minimiser d’autres dimensions utiles de l’Eucharistie, nous avons voulu délimiter notre travail en axant notre étude sur la dimension anamnétique dans l’Eucharistie. Anamnèse prise non dans le sens restrictif d’éthique de la proclamation faite après la consécration et le canon qui s’en suit, mais dans un sens extensif, c’est-à-dire la dimension anamnétique dans la table de la Parole et dans la table de l’Eucharistie. C’est sur cette base que nous avons construit notre étude sur l’anamnèse, en essayant d’en tirer la dimension ecclésiologique et en mettant en lumière la circularité qui la lie essentiellement avec l’épiclèse. Pour y arriver, nous avons commencé d’abord par fonder l’anamnèse dans la Bible, la tradition patristique et le magistère de l’Église. Là aussi nous avons délimité notre champ d’étude. Pour la Bible nous avons évidemment eu à faire face aux deux Testaments : l’Ancien et le Nouveau. Pour la tradition patristique, nous avons choisi des figures remarquables des pères d’Orient et d’Occident. Nous avons aussi étudié dans cette partie quelques théologiens du haut et du bas Moyen-Âge qui ont un intérêt particulier pour notre thème. Ce qui nous a conduits à donner un aperçu du Concile de Trente sur l’anamnèse eucharistique. Pour ce qui concerne le magistère de l’Église à partir du concile Vatican II, nous avons étudié les documents ante-préparatoires, préparatoires et les actes du concile Vatican II dans leur totalité. A cela nous avons aussi ajouté certains écrits du magistère post-conciliaire. 25 E. Brito, « Dogmatique (Théologie) », 415.

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Cette partie de fondement nous a permis d’aborder ensuite avec assurance la dernière partie de notre étude – qui elle aussi pour ne pas être trop vaste a eu à se tracer certaines limites – axée sur l’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse. Nous avons délimité cette deuxième partie en étudiant la dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse. Nous avons fait cette étude en parcourant certains rites des traditions chrétiennes pour avoir une vision d’ensemble en vue de mieux comprendre et d’étudier notre rite catholique romain. La même étude a été faite pour la table de la Parole dans le cinquième chapitre. Le dernier chapitre a eu quant à lui à tirer des retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église. Après avoir montré comment l’anamnèse est principe de l’Église et pourquoi elle la structure, nous avons délimité notre contribution comme suit : parti de la liturgie comme notre lieu théologique, nous nous sommes appuyé sur l’affirmation de H. de Lubac : « C’est l’Église qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’Église » pour affirmer à notre tour que « c’est l’anamnèse qui fait l’Église, mais c’est aussi l’Église qui fait l’anamnèse » dans les deux tables de l’Eucharistie. Cette affirmation nous a conduit à faire de l’anamnèse une matrice ecclésiologique au niveau de la table eucharistique et de la table de la Parole, et à prôner un rééquilibrage entre l’anamnèse et l’épiclèse au niveau de la table de la Parole. Les applications ecclésiales ont mis au jour l’apport structurant de l’anamnèse aux niveaux ecclésial et œcuménique. Le minutage académique nous a mis dans l’obligation d’être parfois concis sur certains points, comme celui de la dimension coextensive de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire, que l’on aurait approfondi à main libre. Mais cela n’est qu’une partie remise qui crée en même temps une ouverture pour des recherches ultérieures.

Articulation Du Travail Notre travail s’articule en deux grandes parties : la première traite de la question des fondements de l’anamnèse. Dans cette partie, à la suite de B. Botte, nous avons posé la question des fondements de l’anamnèse dans 20

la liturgie eucharistique à deux niveaux : celui de son origine et celui de son développement. Le premier se rattache à la question générale de la structure et du fondement, le deuxième à celle de la comparaison entre les différentes approches d’anamnèse. On comprend qu’il s’agit ici du problème du développement de l’anamnèse26. Ce phénomène, nous l’avons étudié à partir de données bibliques, d’apports de plusieurs Pères de l’Église, de théologiens du Moyen-Âge, de documents du Concile Vatican II et du magistère post-conciliaire. La structure de cette première partie de notre travail fournit trois chapitres : Le premier chapitre axé sur les données bibliques nous conduira, à partir de certaines études déjà faites, telles que celles de M. Macina27, de B. de Margérie28 et de X. Léon-Dufour 29, à approfondir l’enracinement biblique de l’anamnèse, sa forme et sa racine juive (haggadah), son sens polysémique dans l’Ancien Testament, son développement dans le Nouveau Testament et dans la tradition chrétienne. Nous nous donnerons comme tâche dans le deuxième chapitre un auditus fidei qui nous portera à étudier les apports de la théologie à partir des Pères de l’Église jusqu’au concile de Trente. Cette étude nous conduira à découvrir combien abondants sont les témoignages sur l’anamnèse eucharistique chez les Pères de l’Église et chez les théologiens du MoyenÂge. Le concile de Trente, pour répondre aux réformateurs, sera très déterminant en ce qui concerne l’Eucharistie comme mémoire, actualisant, d’une manière non sanglante, le sacrifice du Christ. Dans le troisième chapitre de cette première partie, notre étude sera concentrée sur l’enseignement du magistère à partir du concile Vatican II sur l’anamnèse eucharistique. Nous aurons à étudier les documents ante-préparatoires et préparatoires du concile Vatican II en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique, étude qui nous conduira aux documents du concile Vatican II pour répertorier les références directes ou indirectes à l’anamnèse eucharistique. Evoquant rarement et surtout d’une manière implicite l’ordre d’anamnèse du Seigneur, le Concile ne traite pas d’une manière claire et systématique de l’anamnèse eucharistique. Le concile et le magistère post conciliaire useront plus d’autres terminologies pour 26 Cf. B. botte, « Problèmes de l’anamnèse », 16. 27 Cf. M. Macina, « Fonction liturgique », 3–25. 28 Cf. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi. 29 Cf. X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 200–208.

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faire référence à l’anamnèse eucharistique. Ce qui sera déterminant pour le concile Vatican II et le magistère post conciliaire, en commençant par Paul VI, en passant par Jean-Paul II et jusqu’à Benoît XVI, est la considération de l’Eucharistie comme mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, de l’événement pascal. Par l’actualisation du sacrifice du Christ tel que stipulée par le concile de Trente, on rend présent dans la célébration eucharistique tout l’événement pascal du Christ. La deuxième partie de notre travail traitera de l’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse. Après avoir réfléchi dans la première partie sur le fondement de l’anamnèse, la deuxième et dernière partie de notre travail, par une analyse systématique à partir des sources liturgiques, celle de l’Orient et de l’Occident, tâchera d’étudier la structuration théologique de l’anamnèse et sa circularité avec l’épiclèse dans les rites orthodoxes, protestants et catholiques. Ces traditions portant en elles un grand nombre de rites, nous avons eu à choisir pour la tradition orthodoxe, les rites byzantin, alexandrin et éthiopien. Pour la tradition protestante, nous avons pris comme objet de notre étude, les rites luthérien et calviniste. Quant à la tradition catholique, nous nous sommes arrêté aux rites gallican, mozarabe, ambrosien et romain. Etant donné que notre étude est davantage basée sur l’anamnèse dans le rite catholique romain, nous allons davantage approfondir notre étude sur ce rite. Le but de l’extension de notre étude à d’autres traditions chrétiennes est de nous permettre d’avoir une large vision sur la dimension anamnético-ecclésiologique et sur la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la célébration de la mémoire du Christ en vue d’une ecclésiologie qui serve à tous ; voir comment les différents éléments de l’Eucharistie y sont organisés et quels en sont les critères d’organisation. L’étude sur l’anamnèse ne peut pas être restreinte seulement à la parole de la consécration. Elle touche toute l’Eucharistie qui actualise, par la lecture de toute l’histoire du salut, la parole de Dieu autrefois adressée à son peuple en forme de promesse, parole remémorée par l’assemblée des chrétiens qui la relient non plus comme une promesse, mais y voient un accomplissement en Jésus Christ  par l’offrande de son corps et son sang pour leur rachat. Acte objectif et unique accompli une fois pour toute dans l’histoire que l’Église, par la grâce de l’Esprit Saint, rend actuel dans la célébration eucharistique. A partir des analyses faites sur les deux 22

tables de l’Eucharistie, la visite faite aux différentes traditions chrétiennes : orthodoxe, protestante et catholique ; nous aurons alors la possibilité de tirer du neuf. Organisée elle aussi en trois chapitres, allant du quatrième au sixième chapitre, la deuxième partie de notre travail sera plus axée sur la célébration eucharistique proprement dite. Dans le quatrième chapitre de notre travail, nous allons étudier la dimension anamnético-ecclésiologique de la table eucharistique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. En suivant l’ordre de la messe, on aurait commencé par la table de la Parole, mais pour donner un peu plus de signification à notre travail qui trouve son noyau central dans l’anamnèse, qui est aussi bien explicitement exprimée et célébrée par l’Église dans la table eucharistique, nous avons logiquement opté pour commencer par la table eucharistique. Comme nous l’avons notifié plus haut, la dimension anamnéticoecclésiologique apparaît clairement dans la table eucharistique pour ce qui concerne les rites de traditions chrétiennes orthodoxe et catholique. Les deux anamnèses fortes apparaissent au niveau de la prière de la consécration et de Unde memores. On pourrait même par extension dire que toute la prière anaphorique est anamnèse de l’œuvre du salut de Dieu. Cette œuvre du salut trouve son plein accomplissement dans la mort et la résurrection du Christ. La mémoire de la mort et de la résurrection du Christ faite pendant la consécration, porte l’Église à étendre cette mémoire sur tous les membres vivants et défunts de l’Église, pour que Dieu continue à actualiser en eux son œuvre du salut. Anamnèse réalisée dans la prière consécratoire, grâce à l’invocation du Saint Esprit, sur le pain et le vin pour qu’ils soient transformés en corps et sang du Christ, anamnèse étendue à tous les membres de l’Église pour qu’ils bénéficient, grâce toujours à l’Esprit Saint, des dons de l’unité terrestre et céleste, pour enfin jouir ensemble du royaume des cieux. Il existe une très forte circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse, à tel point qu’on ne peut pas avoir l’une sans l’autre. Les rites orthodoxes, privilégiant apparemment un peu plus l’aspect pneumatologique, laisseront, avec les rites catholiques, apparaître clairement la dimension anamnético-ecclésiologique de la table eucharistique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. La mémoire du Christ célébrée dans l’Eucharistie ne sera pas seulement une remise en mémoire d’un fait passé, mais l’actualisation dans notre présent de l’événement pascal 23

du Christ. Quant aux rites protestants, à cause du principe de Sola sriptura qui conduira Calvin à un autre principe : Soli Deo gloria, la doctrine eucharistique sera aussi divergente entre les différents groupes à tel point que la conception de la mémoire aura un caractère plutôt simpliste. Les luthériens soutenant la théorie de la consubstantialité rendue possible à cause de l’ubiquité du Christ, Zwingli rejetant catégoriquement la théorie de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, réduisant ainsi le pain et le vin aux simples symboles du Christ qui est au ciel ; quant aux calvinistes, ils affirment une présence spirituelle du Christ rendue possible grâce à l’Esprit Saint. La célébration de la mémoire du Christ, loin de tout caractère sacrificiel, sera comprise comme une remise en mémoire des bienfaits de Dieu qui suscite en nous la foi30 en vue de l’obtention des biens éternels, la grâce, la consolation … La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse apparaît dans la réduction de l’espace qui sépare le divin et l’humain, dans le don de la foi et dans l’unité que l’Esprit Saint crée parmi les membres de l’Église. Nous étudierons toutes ces approches protestantes pour essayer de mieux comprendre le caractère anamnético-ecclésiologique dans la célébration de la Sainte Cène, pour nous poser la question sur le caractère souverain et suffisant de la Parole de Dieu, quant à sa force performative, sur le pain et le vin. Le cinquième chapitre, faisant la même étude, que celle faite dans le chapitre précédent, devra nous conduire à étudier la table de la Parole dans la structure complète de l’Eucharistie. Jadis considérée comme avant messe, comme préliminaire de la messe, la table de la Parole sera peu à peu restituée à sa place comme partie étroitement unie à celle de la table eucharistique : DV 21, SC 24, 56. Cette restitution de la table de la Parole, surtout à partir du concile Vatican II, nous aidera à mettre en exergue la dimension anamnético-ecclésiologique de la table de la Parole. Nous nous attèlerons aussi à voir comment est célébrée la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans cette partie de l’Eucharistie. Les rites orthodoxes, à travers différentes prières de bénédiction des lecteurs et rituels, trouvera un équilibre entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole. Les rites protestants privilégiant la Parole de Dieu, comme nous l’avons mentionné précédemment, étant parmi les trois principes moteurs (Sola scriptura, Sola gratia et Sola fide) de la Réforme, la Parole de Dieu constitue le moment anamnétique capital de la célébration de la Sainte Cène. Le Christ 30 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 230.

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lui-même nous parle à travers sa Parole. Par la prédication, inspirée par l’Esprit Saint, chaque chrétien peut entrer en contact avec le Christ, avoir la grâce de la foi pour être sauvé. Dans le dernier chapitre qui constitue le sixième chapitre que nous avons intitulé : « Les retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église, nous partirons de l’espace liturgique pour voir comment l’anamnèse peut faire l’Église et comment l’Église » la seule à qui cet ordre a été donné, peut y obéir. Ce qui nous portera à étudier comment est célébrée et vécue la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la célébration eucharistique et quelles sont les applications ecclésiales que nous pouvons en faire.

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Première partie L’anamnèse : question des fondements

1. Présentation À la suite de Dom B. Botte, nous pouvons poser la question des fondements de l’anamnèse dans la liturgie eucharistique à deux niveaux : celui de son origine et celui de son développement. Le premier se rattache à la question plus générale de la structure, du fondement. Le deuxième se réfère à la comparaison entre les différentes approches d’anamnèse ; il s’agit ici du problème de son développement31. Nous étudierons les deux aspects à partir de données bibliques, d’apports de quelques Pères de l’Église, de théologiens du Moyen-âge et de seize documents du concile Vatican II. Les origines de la prière eucharistique sont un terrain de recherche discuté. La raison principale de la difficulté est évidemment l’absence de documents eucharistiques indubitables avant l’anaphore du sacre de l’évêque dans la « tradition apostolique ». Mais la cause complémentaire, aussi importante que la première, est la pluralité des compétences qui se disputent un sujet qui appartient à l’exégèse du N.T., à l’histoire des origines chrétiennes et à la science liturgique32.

L’interférence des problèmes exégétiques, des origines chrétiennes avec la liturgie est ici mis à jour. Quant aux problèmes bibliques qui interfèrent avec la liturgie, ils sont au nombre de deux : Le premier est celui du caractère pascal ou non pascal de la dernière Cène de Jésus ; pendant longtemps la discussion fut vive. Joachim Jeremias, dans la première édition de son ouvrage fondamental, Die Abendmahlsworte Jesu, réunissait un nombre sensiblement égal des représentants des deux opinions. Aujourd’hui les passions se sont apaisées. L’exégèse contemporaine, résumée par Rupert Feneberg33, considère la querelle comme dépassée ; on s’orienterait sur la théorie d’une « atmosphère pascale ». De leur côté les liturgistes s’étaient toujours montrés réservés et indépendants sur ce sujet. Oesterley34, Lietzmann35, G. Dix36 pensaient naguère, et le P. Louis Bouyer37 estime encore aujourd’hui, que la dernière Cène ne comporta pas d’agneau pascal et qu’il n’est pas nécessaire de recourir au sédèr de la Pâque juive pour expliquer 31 Cf. B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 16. 32 L. Ligier, « Les origines de la prière eucharistique », 181. 33 Cf. R. Feneberg, Christliche Passafeier und Abendmahl, 1971. 34 Cf. W.O.E. Oesterley, The Jewish Background, 1925. 35 Cf. H. Lietzmann, Mass and Lord’s Supper, 1979. 36 Cf. G. DIX, The Shape of the Liturgy. 37 Cf. L. Bouyer, Eucharistie.

l’origine de notre messe. Quant au P. Jungmann38, il admet que Jésus a célébré la Pâque, mais il se contente de la liturgie commune de la table juive pour expliquer la célébration eucharistique. Bref, pour la plupart, le caractère pascal de la Cène est un problème ouvert39.

Le deuxième problème est « la question de savoir si le récit de l’institution s’est transmis par tradition liturgique ou par la voie évangélique commune. Il est vrai que les liturgistes en discutent rarement. Mais le problème est régulièrement à l’arrière-plan de la critique néo-testamentaire »40. L. Ligier quant à lui dira que les récits institutionnels ont une origine liturgique. Comme on pouvait le supposer, cette thèse rassemble des exégètes traditionnels comme Joachim Jeremias41, Josef Schmid42 et Johannes Betz 43, et des protestants libéraux comme Ernest Lohmeyer 44 et Ernest Käsemann 45. On y ajoutera aussi l’argument de L.M. Chauvet 46 qui dit que la Bible tire aussi son origine d’un cadre liturgique47. Quant au P. Giraudo, il parlera de la dynamique embolistique de la prière eucharistique48. On fera ici très attention quant au deuxième problème : « En attribuant à ces récits une origine liturgique, on peut tout autant évacuer leur valeur historique que souligner leur importance traditionnelle »49. Sans vouloir faire un glissement terminologique vers l’Eucharistie, il faut admettre que la nature de l’anamnèse ne peut être étudiée qu’en lien avec celle de l’Eucharistie. C’est ainsi que cet enracinement nous permettra de mieux comprendre l’une et l’autre. Le problème d’interférence posé plus haut pour la liturgie, se pose avec autant de pertinence pour l’anamnèse.

38 Cf. J. A. Jungmann, Missarum sollemnia, 1951–1954. 39 L. Ligier, « Les origines de la prière eucharistique », 181–182. 40 L. Ligier, « Les origines de la prière eucharistique », 182. 41 Cf. J. Jeremias, La Dernière Cène, 1972. 42 Cf. J. Schmid, Introduzione al Nuovo Testamento, 1981. 43 Cf. J. Betz, Die Eucharistie in der Zeit, 1955–1964. 44 Cf. E. Lohmeyer, Lord of the Temple, 1961. 45 Cf. E. Käsemann, Essais exégétiques, 1972. 46 Cf. L.M. Chauvet, Symbole et sacrement, 2008. 47 Cf. L. Ligier, « Les origines de la prière », 182. 48 Cf. C. Giraudo, « Le récit de l’institution dans la prière eucharistique ? », 513–536. 49 L. Ligier, « Les origines de la prière eucharistique », 182.

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Si notre Eucharistie actuelle est l’obéissance de l’Église au commandement du Seigneur comme nous le dit E. Mazza : l’origine de l’Eucharistie chrétienne se trouve dans la dernière cène : Jésus prit le pain, bénit Dieu, rompit le pain et le donna à ses disciples en leur disant d’en prendre et d’en manger parce que c’était son corps. De même, après le repas, il prit la coupe, rendit grâces et la donna à ses disciples en disant qu’ils la prennent et en boivent parce que c’était la coupe de l’alliance en son sang. A la fin il dit : « Faites cela en mémoire de moi. » Par cette action, il pose un modèle afin que nous fassions de même, autrement dit que nous fassions ce que lui-même a fait. C’est cela l’Eucharistie : obéir au commandement du Christ de faire ce que lui-même a fait50.

Il s’ensuit donc que l’Eucharistie devient « le faire-mémoire de la Cène du Seigneur », un faire qui n’est pas imitation, bien que l’Eucharistie corresponde de par sa constitution au rite que Jésus avait accompli au Cénacle. Faut-il encore préciser ici que : même si l’Eucharistie de l’Église correspond à ce rite, on doit noter qu’elle en diffère sensiblement. La Cène demeure, en effet, un repas, tandis que, déjà au début du IIème siècle, le rite eucharistique se trouve séparé du repas. De plus, à la Cène de Jésus on trouve deux prières d’action de grâces bien distinctes et séparées, l’une pour le rite du pain et l’autre pour le rite de la coupe, tandis que dans la messe il en existe une seule, la prière eucharistique ou anaphore, qui est dite et sur le pain et sur la coupe, étant donné que le rite du pain est entièrement fusionné avec celui de la coupe51.

Étant devenu un rite « transformé transformant », l’Eucharistie se transmue en une source à partir de laquelle le Jésus commémoré, fait couler à flot les rivières de la vie à travers son Église. Quels fondements bibliques, patristiques, théologiques et magistraux pourrait alors avoir notre anamnèse eucharistique ? Voilà la question à laquelle nous allons tenter de répondre dans cette première partie. Mais avant d’en arriver là, voyons rapidement ce que les recherches scientifiques nous disent sur la mémoire humaine ; ceci nous permettra de mieux démêler la polysémie et de déterminer des aspects de la richesse que porte cette réalité unique spécifique de l’être humain qu’est la remémoration.

50 E. Mazza, L’action eucharistique, 31. 51 E. Mazza, « De la Cène du Seigneur à l’Eucharistie de l’Église », 97.

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Regard sur les recherches scientifiques actuelles concernant la mémoire L’intérêt des sciences humaines pour la mémoire va de croissant ces derniers temps. Ceci pour la simple raison que la mémoire joue un rôle capital dans l’existence humaine : elle permet à l’homme de revivre et surtout d’assumer son passé, de projeter son avenir et aussi de profiter de l’expérience des autres en la conservant et en s’en servant. Les chercheurs, en ce domaine, tentent même de lire les pensées passées, présentes et futures de l’homme. On ne serait pas surpris si demain ou après demain cette recherche incarnait une réalité certaine et vécue. En effet l’histoire de la pensée scientifique relative à la mémoire, a été longtemps dominée par l’idée, tacitement admise, selon laquelle la mémoire est unitaire ou monolithique. Les doutes parfois exprimés à propos de la valeur de cette idée ont pris la forme de spéculations philosophiques différentes relatives à des « types » ou des « formes » se démarquant les un(e)s des autres à un niveau phénoménologique et parfois fonctionnel. L’homme par le truchement des sciences humaines se connaîtra davantage. Mais ce fait ne constitue pas encore une garantie que l’homme arrivera à maîtriser totalement l’homme, d’autant plus que son être est et restera toujours un « prévu imprévu » grâce au divin qui est en lui. Un des moyens le plus prôné et privilégié dans ces recherches pour plus de compréhension de la mémoire humaine est l’étude des dysfonctionnements de celle-ci. L’homme n’a pas seulement la capacité de mémoriser les faits, mais il est doté bien plus de la capacité de remémoration. Un professeur de psychologie de l’université de Harvard, D. L. Schacter, dans son étude, résume en « sept péchés »52 les dysfonctionnements de la mémoire ; il décrit comme des « mécanismes qui nous servent bien la plupart de temps, et qui occasionnellement nous créent des problèmes »53.

52 D.L. Schacter, The Seven Sins of Memory, 2001. Le terme « péché » est employé ici dans un sens non-religieux cité par c. morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 11. 53 D.L. Schacter, The Seven Sins of Memory, 187 cité par C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 11.

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Il les classe en deux catégories : les trois premiers sont des « péchés d’omission »54, les quatre derniers, les « péchés de commission »55. A ce propos le Père Morerod note que, « les trois premiers ‹ péchés de la mémoire › sont assez clairs et ne demandent guère d’explication. Les quatre derniers sont moins évidents et illustrent des aspects de la mémoire qui passent en général inaperçus »56. Toute personne en bonne santé peut connaître ces dysfonctionnements, disons « normaux », de la mémoire ; bien qu’il y ait d’autres cas de dysfonctionnements de la mémoire dûs aux problèmes physiques ou à des maladies. Une autre psychologue, E. Loftus, se spécialisera quant à elle dans l’étude de dysfonctionnement de la mémoire dans le contexte des affaires criminelles. Elle expliquera que : One the things that we know about memory is that when you experience something extremely upsetting or traumatic, you don’t just record the event like a video tape machine would work, the process is much more complex and what’s happening is you’re taking in bits and pieces of the experience, you’re storing some information about the experience, but it’s not some indelible image that you are going to be able to dig out and replay later on57.

54 – L’« éphémérité » (transience) : la mémoire s’affaiblit avec le passage du temps ; – La « distraction » (absent-mindedness) ; – Le « blanc » (blocking) : incapacité de se rappeler de quelque chose de familier.  Expression traduite et citée par C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 11. 55 – La « misattribution » : attribution d’un souvenir à une autre source ; – La « suggestibilité » : souvenirs implantés en nous par des suggestions ; – Le « parti pris » (bias) : modification d’un souvenir en fonction de son désir ou de son système de croyance. On notera que les « Cinq types différents de ‹ parti pris › illustrent les moyens dont la mémoire sert ses maîtres. La consistance et le changement nous amènent à reconstruire le passé comme, en gros, semblable au présent, ou différent de celui-ci. La sagesse d’après-coup révèle que le souvenir des événements passés est filtré par la connaissance actuelle. Les partis-pris égocentriques illustrent le rôle puissant du soi dans l’orchestration des perceptions et des souvenirs de la réalité. Les partis-pris stéréotypiques montrent que les souvenirs génériques forment l’interprétation du monde, même lorsque nous sommes inconscients de leur existence ou de leur influence ». – La persistance (persistence) : incapacité d’oublier un souvenir pénible. Expression traduite et citée par C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 13. 56 C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 12. 57 E. Loftus, Interview publiée sur internet : . Repris par C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 16.

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Au-delà de fonction purement individuelle, la mémoire semble revêtir aussi, une fonction sociétaire non négligeable : 1. 2. 3. 4.

La mémoire a aussi une fonction dans l’oubli ; Elle est orientée vers le présent et le futur ; Elle est une croyance à composante socio-culturelle ; Elle fait intervenir le corps58.

Sans pourtant trop vouloir nous étendre sur ce débat immense des sciences humaines, notre intérêt porte sur la complexité même de fonctionnement de la mémoire. L’homme vivra cette complexité non seulement dans son rapport interpersonnel avec les autres hommes, mais aussi avec le divin. Ainsi au cours de l’histoire, l’homme tentera-t-il de mettre en place un système sociétaire, culturel et cultuel, pour faire face à ces disfonctionnements de la mémoire humaine, en cherchant à cerner le sens polysémique et la richesse de la mémoire, et le soutenir par des rites ; pour montrer le lien, d’une part, entre la perception des faits divins dans son passé, d’autre part, le lien entre son présent et la tension vers son futur. L’histoire du salut révélée par la Bible nous sert d’exemple immédiat.

58 Cf. C. Morerod, Tradition et Unité des chrétiens, 17.

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Chapitre I  Données bibliques

1. Introduction Pour ce chapitre nous nous inspirons, sans négliger les autres approches, de belles études faites par M. Macina59, B. de Margérie60 et de X. LéonDufour61 sur la genèse, la forme et les racines juives de la notion d’anamnèse. Partant d’une analyse sémiologique, Menahem nous fait voir « que le verbe grec anamimnèskein et son substantif correspondant anamnèsis servent parfois, dans la Septante, à rendre la racine hébraïque ZKR, qui signifie ‹ se souvenir ›, ‹ faire mémoire ›, et ses dérivés : zekher = ‹ souvenir ›, zikkaron = ‹ mémorial ›, azkarah = ‹ rappel ›, ‹ évocation › »62. Mais prenant en compte des travaux de la majorité d’autres chercheurs, nous remarquons qu’ils considèrent son usage comme plus technique que le mot usuel, pour rendre ces notions : mnèmoneuein, et ses dérivés. On pense, en effet, généralement, qu’il y a une différence notable entre les rendus grecs anmnèsis, mnèmosunè, mnèmosunon des mots hébreux : zakhar, zekher, zikkaron, azkarah, utilisés, dans l’A.T., pour rendre la notion de souvenir et de commémoration. Quant à l’utilisation d’anamnèsis, dans le N.T., il paraît évident qu’elle a uniquement une connotation cultuelle. Or, un coup d’œil sur les textes va nous montrer que, pour l’un comme pour l’autre Testament, la réalité est plus nuancée, et que, dans la pratique, ces mots s’avèrent souvent interchangeables 63.

59 Cf. M. Macina, « Fonction liturgique », 3–25. 60 Cf. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 1989. 61 Cf. X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 200–208. 62 M. Macina, « Fonction liturgique et Eschatologique », 5. 63 M. Macina, « Fonction liturgique et eschatologique », 5.

2.  Regard sur l’Ancien Testament 2.1  Le sens polysémique de la mémoire dans la Bible Dans les Écritures Saintes, l’idée de la mémoire, de souvenir a une place de choix. Sans cesse l’homme est appelé à se souvenir (Dt 8, 2. 18 ; 9, 7). En effet, la foi et la piété des juifs et des chrétiens sont fondées sur des événements sauveurs, qui demandent à être remémorés dans la prière et commémorés dans le culte. La révélation judéo-chrétienne ne se rapporte pas à une méta-histoire d’ordre mythique ; elle s’inscrit dans une histoire, mieux : elle fait cette histoire64.

C’est ainsi que dans le peuple d’Israël, les termes qui expriment la mémoire ont un sens polysémique : en hébreu, il tire sa racine de zkr qui a comme verbe zakar et comme substantifs zikkaron, azkarah… – Le verbe hébreu Zakhar (au hiphil), est rendu deux fois, dans la Septante (titres des Psaumes 38 et 70), par eis anamnèsin (Vulg. Ps. 38 [37], selon le grec : in rememorationem ; selon l’hébreu : in commemoratione ; Ps 70 [69], selon le grec : in rememoratione ; selon l’hébreu : ad recordandum). – Zekher, dans les deux seuls cas où il a sûrement le sens de « mémorial » (Ex 3, 15 et Ps 135, 13) est rendu, dans la Septante, par mnèmosunon (Vulg : memoriale). – Zikkaron est rendu presque uniquement, dans la Septante, par mnèmosunon. Pourtant, en Nb 10, 10 il est rendu par anamnèsis (Vulg. : recordatio). – Azkarah est rendu, 4 fois sur 5, dans la Septante, par mnèmosunè (Vulg. : mémoriale, monumentum). Mais, en Lv 24, 7 il l’est par anamnèsis65. Etudiant en détail l’usage polysémique du terme « anamnèse » dans l’Ancien et le Nouveau Testaments, pour ne pas répéter le même travail quand nous aborderons le Nouveau Testament, nous nous rendons compte d’ores et déjà que :

64 A. Solignac, « Mémoire », 992. 65 Cf. M. Macina, « Fonction liturgique et eschatologique », 5–6.

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• •







Le terme « mémoire » est utilisé dans le sens de mémoire de Dieu, Dieu qui se souvient : Gn 8, 1 ; 19, 29 ; Ex 2, 24 ; 1 S 1, 19 ; Ne 13, 14 ; Ps 98, 3 ; Jr 2, 2, Lc 1, 54 ; Ac 10, 4.31. Ici Dieu se souvient de l’homme pour le combler de sa miséricorde, de ses bienfaits. On notera chez le prophète Osée un souvenir punitif de Dieu envers son peuple, mais tout ceci, toujours en vue de la conversion d’Israël (Os 8, 13). On parlera aussi du mémoire dans le sens de souvenir que l’homme doit avoir de Dieu, des hauts faits que Dieu a accomplis : Sg 12, 22 ; Lc 24, 6–9, Ac 11, 16. La mémoire sera aussi utilisée dans la Bible dans le sens de se souvenir des personnes : 1 M 12, 11 ; Sg 10, 7. Jésus lui donnera un accent particulier, invitant ses disciples à faire ceci en mémoire de lui : Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 23–24. Les bonnes œuvres et les hauts faits des bonnes personnes deviennent aussi objet de mémoire. Mémoire comme immortalisation des personnes justes et héroïques : 1 M 3, 7 ; 13, 29 ; Pr 10, 7 ; Si 49, 9. A l’opposé des œuvres et des bonnes personnes dont on doit faire mémoire, la Bible invite à effacer de la mémoire les pécheurs, les personnes malfaisantes et les mauvaises œuvres passées : Dt 25, 19 ; Jb 24, 20 ; Si 44, 9. Un autre sens très intéressant que la mémoire aura dans la Bible est celui : « de conserver dans le cœur » : Dt 11, 18 ; Jdt 11, 10 ; Pr 3, 1–3 ; 4, 4 ; 4, 21 ; 7, 1–3 ; Lc 2, 19 ; 1 Co 4, 17. La parole ou les haut faits de Dieu devraient être conservés dans le cœur pour ne pas être oubliés. Marie, le réceptacle de la Parole de Dieu, conservait tout dans son cœur et revivait tous les événements de sa vie à la lumière et dans la commémoraison de ce qu’elle avait dans son cœur. Certains écrits, certains livres seront considérés dans la Bible comme mémoire : 2 Ch 13, 22 ; 24, 27 ; Esd 4, 15 ; Est 6, 1. Ces matériels conservaient et aidaient le peuple de Dieu à se rappeler les hauts faits de Dieu dans leur histoire.

Pour mieux comprendre l’anamnèse dans l’Ancien Testament, nous visiterons la tradition hébraïque pour étudier l’Haggadah qui, en fait est le récit pascal juif, le cœur du mémorial juif. Quant aux sacrifices synagogaux dans la tradition juive, ils ne nous donnent pas assez de garantie pour dire qu’il y avait dans la liturgie synagogale des sacrifices mémoriaux66. 66 Cf. « Il est significatif qu’aucun sacrifice juif de l’Ancienne Alliance ne soit appelé que l’expression minhat zikkaron » (Nb 5, 15.18). Les mots azkrah et minhat zikkaron

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Ici une fois de plus les chercheurs ne s’accordent pas pour trancher cette discussion ; nous tirons du débat le soubassement d’une anamnèse célébrative et offrande qui a bel et bien constitué et porté les sacrifices et les cultes vétérotestamentaires. On ne pouvait pas repasser la Mer Rouge. Pourtant, chaque génération devait entrer dans la grâce de l’événement historiquement accompli pour la génération du passé. Pour y parvenir, on avait le « souvenir », le « mémorial », compris au sens où Israël l’entend. En effet, « se souvenir » n’équivaut pas simplement à « penser » quelque chose du passé, un dynamisme vers l’action. Dieu se souvient, mais, dans ce « souvenir », la puissance de son dessein primordial se trouve engagée, excitée, incitée à se déployer. L’homme se souvient, mais ce « souvenir » implique l’exigence de la Loi. Bref, le zikkarôn, qui est l’acte rituel (sacramentel) de ce souvenir, « stimule la mémoire de Dieu, et ses actes de mémoire sont synonymes de ses actes d’intervention. Le zikkarôn stimule aussi la mémoire d’Israël qui amène (pour la tradition sacerdotale et cultuelle) une participation à l’ordre du sacré ». Par là, sous le tissu du symbolisme liturgique, se nouent la mémoire de Dieu (et, pour lui, « se souvenir » c’est agir comme il l’a fait) et la mémoire du Peuple de Dieu (et, pour lui, « se souvenir » c’est entrer dans l’exigence de l’Alliance et la vivre). Ainsi s’actualise, devient vraie, pour aujourd’hui, la rencontre de Dieu et l’homme, historiquement accomplie autre fois, dans un événement déterminant67.

2.2  La Haggadah A Pesach, la Pâque hébraïque, qui tombait en pleine lune de printemps, à la moitié de mois de Nisan, les israélites se rappelaient comment ils avaient quitté en toute précipitation la terre d’Egypte pour se mettre en route vers la terre promise. Cette sortie de la terre d’Egypte pour les hébreux marquait pour toute leur histoire par un fait inoubliable pour toutes les générations présentes et avenir.

ne s’accordent pas pour nous dire de quel type de sacrifice s’agit-il. Le Père de Vaux le dira : « une poignée de cette farine et tout l’encens sont brûlés sur l’autel, le reste (de l’offrande végétale appelée minhah) revient aux prêtres […] Ce qui est ainsi brûlé de toutes ces offrandes s’appelle azkarah. Le sens précis est discuté : ou bien un ‹ mémorial › qui rappelle l’offrant au souvenir de Dieu, ou bien un ‹ gage ›, une petite partie qui est donnée à Dieu, lui fait penser au tout et en tient lieu » : M. Macina, « Fonction liturgique et Eschatologique », 8. 67 M. Macina, « Fonction liturgique et eschatologique », 10.

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En toute et toute génération, c’est une dette pour l’homme de se voir comme si luimême était sorti de Mitsraïm. Car il est dit : Et tu raconteras à ton fils, en ce jour-là, disant : en vue de tout ceci, Adonaï agit pour moi, quand je sortis de Mitsraïm. Non point nos Pères seulement, il les sauva, le Saint, béni soit-il ; car il est dit : Et il nous fit sortir de là-bas, afin de nous mener dans le pays qu’à nos pères, il avait juré. C’est pourquoi la dette est sur nous de remercier, de louer, de louer, de célébrer, de hausser, d’exalter, de magnifier, de glorifier, et de bénir celui qui fit pour nos Pères et pour nous tous ces signes : qui nous tira de la servitude vers la liberté, de la détresse vers la joie, du deuil vers la fête, et des ténèbres vers la lumière grande, et de l’oppression vers l’affranchissement. Et chantons devant sa face un chant nouveau : Allélouïa68.

Cette sortie mettait fin à une histoire et constituait un début d’une autre ; d’un peuple sans nation, sans terre pour pratiquer librement leur religion, Israël entrait dans une nouvelle ère de son histoire, se constituer une identité nationale et aller à la conquête de la terre promise pour vivre librement et pleinement sa religion. La sortie d’Egypte devenait en fait sa genèse. La Pâque hébraïque est pour Israël une fête de libération universelle que tout bon juif devrait commémorer. Commémorer parce que Pâque veut dire « Passage », ce qui implique quelque chose de subjectif à transmettre pour faire vivre et faire entrés les autres dans l’événement qui est devenu avènement pour tous. E. Loewenthal dira : La ricorrenza ci impone infatti non solo la memoria, ma un vero e proprio transfert identitario : dobbiamo immedesimarci nel passato, immaginare di essere noi stessi liberati, questa notte. In prima persona. È difficile ritrovarsi laggiù, in quell’evento cruciale, in quei momenti così grandi e tremendi : vedere e ascoltare il passagio di Dio, che uccide i primogeniti dell’Egitto, uomini e animali, ma « passa » tra i figli d’Israele, risparmiandoli perché li ha riconosciuti dal marchio di sangue ch’essi hanno apposto sullo stipite, ma anche delle loro porte […] In questo giorno Dio passa sull’Egitto. Dio passa oltre le case degli ebrei. Gli ebrei passano dalla schiavitù alla libertà. Dall’ignoranza alla consapevolezza di sé 69.

Ce qui est intéressant dans cette fête anniversaire est le terme « passage ». Dieu passe, et son passage pour ceux qui lui obéissent (les Israélites) est source de la conservation de la vie ; par contre pour ceux qui n’écoutent pas ses ordres (les Egyptiens), est source des calamités, de la mort.

68 H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 17–18. 69 E. Loewenthal, Haggadah, VII–VIII.

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Cette fête de la Pâque juive coïncide avec la fête des azymes qui tombait aussi au printemps ; fête pendant laquelle on célébrait le passage de l’inertie de la nature à la fertilité. L’innesto della dimensione storica in quella ecologica è fondamentale : originariamente si trattava di due celebrazione separate, seppure congiunte da una coincidenza temporale. Vi era la Pasqua come festa della libertà e dell’uscita dall’Egitto. In questo contesto, il sacrificio dall’agnello è il simbolo di quell’identità distinta che Dio riconobbe e risparmio la notte in cui travolse l’Egitto con l’ultima piaga dei primogeniti. Poi vi è la Pasqua in quanto festa degli azzimi : celebrazione del primo raccolto, attraverso un’offerta al Signore70.

Ces deux fêtes, bien que distinctes, se rencontrent et donnent sens à l’histoire d’un peuple de génération en génération. La Pâque juive, rappelant le passage de Dieu, rappelle aussi le sang de l’agneau immolé qui sauva les premiers-nés de la tribu d’Israël. Ces événements ne faisaient pas objet d’un discours magistral durant la commémoration, mais chaque famille les transmettait à sa progéniture en forme de récit durant la célébration de la Pâque. Quant à l’histoire de cette célébration, il suffit de lire quelques passages suggestifs de l’Ancien Testament : Ex 6,1–13 ; 7,1–14.31 ; Dt 6,21–23. En ce qui concerne son institution, Ex 23,15 ; Lv 23,4–9 ; Nb 28,16–25, sont pour nous des références parlantes. « L’intero rituale esposto nella Haggadah non è altro che una serie di interrogazioni e risposte, in un incontro fra padri e figli, madri e figlie »71. Ce rituel de Haggadah qu’on trouve dans la Mishnah, qui est le premier code normatif de l’hébraïsme, nous fait voir que le récit de la Pâque juive commémorait l’exode de l’Egypte et la fête des azymes. Durant cette commémoration pascale, le « Dialogue » était la méthode utilisée pour faire entrer les autres dans ce qui s’était passé : « Perché questa sera è diversa da tutte le altre sere ? »72, question que les enfants posent aux parents ; ainsi le narrateur répond à la question en racontant le récit de l’Exode. « Il rito si compie attraverso la condivisione dell’esperienza e della memoria. La Haggadah, cioè il ‹ racconto › dell ‹uscita dall› Egitto cosi come si configura in questo antico testo, è lo strumento per condividere tale esperienza »73. Le repas était le cadre dans lequel se narrait tout 70 71 72 73

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E. Loewenthal, Haggadah, VIII. E. Loewenthal, Haggadah, IX. E. Loewenthal, Haggadah, X. E. Loewenthal, Haggadah, X.

ces événements en suivant un seder, qui n’est autre que l’ordre indiquant le déroulement et l’ensemble de la cérémonie74. On notera que cette cérémonie de commémoration de la fête pascale juive n’était pas seulement composée de récits qu’on racontait à la jeune génération. Le narrateur accompagnait son récit des gestes pour mieux faire comprendre et vivre ceux qui l’écoutaient. Comme l’agneau occupait une place de choix dans le récit de la sortie d’Egypte, le narrateur devait exhiber l’os de l’agneau pour faire voir à ses auditeurs que c’est par le sang de l’agneau mis sur les montants des portes que les premiers-nés d’Israël furent épargnés de la mort lors du passage de Dieu durant la nuit pascale. Mais après la destruction du temple, comme il n’y avait plus de lieux où offrir le sacrifice au Seigneur, l’exhibition de l’os de l’agneau était remplacée seulement par la parole. L’herbe amère rappelle la vie dure de l’esclavage en Egypte ; mais ouvrait en même temps une issue joyeuse, et donnait espoir d’une nouvelle vie qui était en train de naître au printemps. Pour ne pas reprendre ici tous les autres éléments de la célébration, on notera aussi que le pain azyme constituait un élément très important de la Haggadah : « Il pane azzimo, pane di schiavitù e libertà. Pane dell’afflizione e del riscatto, dell’umile povertà ma anche della padronanza di sé »75. Le pain azyme comme l’herbe amère, rappelant aussi l’esclavage en Egypte et le renouvellement de la saison, laisse pointer à l’horizon une ère de bonheur environnemental et social. La Haggadah comme récit pascal, constitue la mémoire par excellence de l’Ancien Testament ; c’est une fête intime, dans le sens qu’elle fait retrouver à chaque israélite son identité et sa liberté ; elle est en même temps une fête familiale, lieu de catéchèse familiale qui rassemble chaque famille autour d’une histoire, un destin commun où chacun trouve réponse à son passé, pour mieux vivre son présent et orienter ainsi son avenir. C’est dans ces terroirs culturel et cultuel que Jésus, dans le Nouveau Testament, mènera à sa perfection le culte mémorial de l’Ancien Testament.

74

Cf. pour plus d’information détaillée, nous vous invitons à lire le livre de E. Loewenthal, Haggadah, 2009. 75 E. Loewenthal, Haggadah, XI.

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3.  Regard sur le Nouveau Testament 3.1  Le cadre contextuel de l’anamnèse dans le Nouveau Testament Dans le Nouveau Testament, bien qu’étant peu explicite, la mention de la mémoire, est pourtant très importante. Il suffit de lire les auteurs précités pour s’en rendre compte. Pour la simple raison que la foi chrétienne fondée sur le Christ est la continuation de la réalisation de l’œuvre du salut, préparée dans l’A.T et accomplie en Jésus. La venue de Jésus, fils de Dieu qui a parlé, posé des gestes concrets, qui a vécu parmi les hommes, sera annoncée par les apôtres comme l’accomplissement des annonces prophétiques de l’Ancien Testament (Ac 2, 14–36 ; 3, 12–16 ; 8, 29–35). Aux païens, ils évoqueront sa vie (Ac 10, 36–43 ; 15, 13–18 ; 26, 19–23). Les Évangiles fixeront le souvenir des paroles et gestes du Christ tels qu’ils eurent reçus par ceux qui furent ses témoins oculaires (Lc 1, 2 ). Nous cernons cette rubrique autour de quatre passages de l’institution de l’Eucharistie nous invitant à l’anamnèse : Mt 26, 26–28, Mc 14, 22–24, Lc 22, 19 et 1 Co 11, 23–25. L’absence de mention explicite de l’anamnèse dans les textes de Matthieu et de Marc creuse déjà une différence de contexte d’avec le texte de Luc et Paul dont l’invitation à l’anamnèse saute aux yeux. Pourquoi cette différence ? Signalons en passant, cette hypothèse selon laquelle certains exégètes et théologiens qui font remonter à la seule communauté chrétienne l’origine de textes de l’institution. Respectant cette hypothèse, nous la trouvons pourtant un peu dangereuse : elle viderait d’abord l’Eucharistie de tout son sens ; ensuite elle rendrait la communauté primitive responsable de l’institution de l’Eucharistie et non Jésus. Enfin l’Eucharistie serait tarie de sa sève sacramentelle qui coule du dernier repas de Jésus avec ses apôtres. Notons en revanche la réponse de J. Galot, réponse que nous trouvons suffisamment équilibrée : On ne voit pas comment cette attribution à la communauté pourrait se concilier avec le témoignage formel de Paul, qui assure transmettre une tradition dont l’origine remonte au Christ (1 Co 11, 23), ou avec le récit des évangélistes, où tout indique la démarche personnelle de Jésus. On ne s’expliquerait pas non plus comment la communauté aurait pu par son initiative changer le sens du repas eucharistique en en faisant le repas du corps et du sang du Christ. Seul le Christ lui-même a pu instituer

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une telle nouveauté. On est souvent perplexe devant la facilité avec laquelle certains auteurs attribuent à la communauté la génialité qui n’appartenait qu’au Christ76.

En mentionnant dans notre introduction cette partie dangereuse qui risquerait de remettre en doute le caractère anamnétique de l’Eucharistie, son authenticité même ; parce qu’on attribuerait à Jésus ce qui ne ressort pas de sa volonté. Et les effets même de cette mémoire ne seront qu’illusoires et de pures fictions. Nous n’allons pas nous embarquer dans cette hypothèse qui plonge ses racines dans la canonicité même du Nouveau Testament. Visitons plutôt les points de vue des exégètes pour savoir lequel de ces textes est le plus anciens. Ici encore les discussions entres les exégètes sont très intéressantes. Usant des différends réitèrent (réitérant ?) : philologiques, chronologique. D. Borobio rapportant la position de Marxsen, dit : « Marxsen crede che le parole riguardanti il vino, con l’alleanza al primo posto, in Lc-Cor siano più antiche, mentre quelle di Mc, che insistono di più sul sangue, riflettono un’evoluzione cristologica ulteriore »77. Léon Dufour, quant à lui, dit que « la prima evocazione dell’usanza cristiana dell’eucaristia è fornita da S. Paolo nella prima lettera ai Corinzi […] Il racconto della Cena è proposto come la citazione di un dato tradizionale della catechesi ricevuta da Paolo ad Antiochia negli anni 35–40 »78. Pour ne citer que ces deux cas ci-dessus, les points de vue des exégètes ne concorderont pas sur cette question du texte le plus ancien racontant l’institution de l’eucharistie. D. Borobio dira que Le conclusioni degli studiosi non sono unanimi. Per alcuni sarebbe Mc il più antico (Benoît, Jeremias, Dupont, Patsch, Pesch) ; per altri sarebbe Lc (soprattutto Schürmann), e per altri ancora sarebbe Cor (Leenhardt, Betz, Marxsen) […] Ultimamente gli studiosi tendono a relativizzare il problema, con un certo tono di scetticismo sulla possibilità di determinare quale racconto sia più antico, perché in ciascuno di essi esistono indizi che portano nell’una o nell’altra direzione. Secondo Patsch : « In ogni racconto troviamo strati più antichi o più recenti ; non si puo determinare un processo cronologico ; non si puo arrivare alle ipsissima verba Jesu ». Gli studiosi condividono questo scetticismo sulla possibilità di ricostruire le parole esatte pronunciate da Gesù sul pane e sul vino, al di là del loro contenuto comune79.  76 J. Galot, « Eucharistie et incarnation », 551. 77 D. Borobio, La celebrazione nella Chiesa, 226. On peut aussi lire W. Marxsen, Das Abendmahl als christologisches Problem, 1963. 78 X. Léon-Dufour, Il pane della vita, 81–82. 79 D. Borobio, La celebrazione nella Chiesa, 227. Pour ce qui concerne la bibliographie sur ce sujet, nous vous référons à la note 40 du livre cité de D. Borobio.

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Cette question d’ancienneté des textes de l’institution de l’Eucharistie laisse entrevoir les divergences qui peuvent en découlées. Pour mieux nous rendre compte de la différence, un tableau synoptique des récits de l’institution de l’Eucharistie nous servirait80 : 3.2  Synopse des récits de l’institution du Nouveau Testament Mt 26, 26–29

Mc 14, 22–25

Lc 22, 15–20

1Co 11, 23–26

15. Et il leur dit : « J’ai désiré d’un (grand) désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ; 16. car je vous dis que je ne la mangerai jamais plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. » 17. Et ayant reçu une coupe, ayant rendu grâce, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous ; 18. Car je vous (le) dis, je ne boirai pas dorénavant du produit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu vienne ». 26. Or tandis 22. Et tandis qu’ils manqu’ils mangeaient, Jésus, geaient,

23. Le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré,

ayant pris du pain

ayant pris du pain,

19. Et, ayant pris du pain,

pris du pain, 24.

et ayant prononcé la bénédiction,

ayant prononcé la bénédiction,

ayant rendu grâces,

Et, ayant rendu grâces,

(le) rompit

il (le) rompit

il (le) rompit

(le) rompit

et, l’ayant donné aux disciples,

et, (le) leur donna

et (le) leur donna,

dit :

et dit :

disant :

80 Cf. M. Quesnel, « Les Epîtres aux corinthiens », 49–51.

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et dit :

« Prenez, mangez, ceci est mon corps. »

« Prenez,

27. Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces il (la) leur donna

23. Et ayant 20. Et la coupe de même une coupe, après le repas, et ayant rendu grâces, il (la) leur donna et ils en burent tous. 24. Et il leur disant : dit :

disant : « Buvez-en tous, 28. car ceci est mon sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup en rémission de péchés. 29. Or je vous (le) dis, je ne boirai pas désormais de ce produit de la vigne jusqu’à ce jour-là où je le boirai avec vous, nouveau dans le royaume de mon Père. »

ceci est mon corps. »

« Ceci est mon corps qui est donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. »

« Ceci est mon corps qui (est) pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. » 25. Et de même la coupe après le repas

disant :

« Ceci est mon sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup.

« Cette coupe (est) la nouvelle alliance dans mon sang qui est répandu pour vous. »

« Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang :

25. En vérité, je vous dis, que je ne boirai plus

18. « Car je vous (le)dis,

Ceci, faites-le, chaque fois que vous boirez, en mémoire de moi. Car chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il

du produit de la vigne

je ne boirai pas dorénavant du produit de la vigne

jusqu’à ce jusqu’à ce que jour-là où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu le royaume de vienne. » Dieu. »

vienne. »

Ce tableau de synopse des récits de l’institution du NT81 est d’une grande importance pour mieux comprendre l’anamnèse, ses retombées 81 Cf. H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 24–25.

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cultuelles et ecclésiales. Dès la première approche, les quatre textes se rapprochent deux par deux ; et nous pouvons les regrouper en deux blocs : Matthieu-Marc et Luc-Paul. Avant de voir les particularités de chaque bloc, nous faisons ces observations : les quatre textes ont un tronc commun : les ressemblances qui se retrouvent dans les deux familles. Les thèmes du pain, de la coupe, de bénir, de rompre, du corps, du sang, de l’alliance et de l’eschatologie unissent les deux familles. Nous pouvons aussi noter ces points communs entre Matthieu, Marc et Luc : le don du corps, l’aspect sotériologique de son sang répandu pour beaucoup. Luc sera le seul synoptique à faire clairement mention du contexte pascal juif de la célébration de la dernière cène de Jésus avec ses disciples, bien que nous trouvions cette coloration d’une manière voilée chez Mt (26, 30) et Mc (14, 26) qui font mention de Ps 115 à 118, qui sont habituellement prévus à la fin du repas pascal. On note aussi le doublet chez Luc du caractère eschatologique du pain et du vin. Quant à Paul, il dira un peu avant : « Le Christ notre Pâque, a été immolé » (1 Co 5, 7 ). Il y a chez tous les quatre une certaine théologie de la proximité de la fête de la Pâque juive, mais sous une présentation différente. Paul fera une exception dans sa première épître aux Corinthiens par un doublement de l’ordre de réitération. Pour ce qui concerne les différences entre les deux blocs, nous retiendrons ce qui suit : Matthieu – Marc

Luc – Paul

• Ayant prononcé la bénédiction • Ceci est mon corps • Ayant rendu grâces, il (la) leur donna • Mon sang de l’alliance

• Ayant rendu grâce • « Ceci est mon corps qui est donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi » • Après le repas • La nouvelle alliance dans mon sang

3.3  L’anamnèse chez Matthieu et Marc (Mt 26, 26–29 ; Mc 14, 22–25) « La recension de la Cène par Matthieu/Marc (Mt 26, 26–28 = Mc 14, 22–24) présente la parole sur la coupe dans la perspective du sacrifice mosaïque de l’Alliance »82. Moïse, en prenant le sang de l’agneau et en le répendant sur le peuple, introduit celui-ci dans l’Alliance avec Dieu et l’engage au respect et à la mémoire de cette Alliance (Ex 24, 8 ). Mais 82 X. Léon-dufour, « Faites ceci en mémoire de moi » Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 25 » 200.

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cette Alliance de Dieu avec son peuple était entachée d’infidélité de la part d’Israël. Israël était continuellement infidèle à l’Alliance, il la rompait et mettait parfois Dieu à dure épreuve. Dieu devait pardonner et recommencer. Jusqu’au jour où il annonça une alliance éternelle inscrite dans les cœurs (Ez 16, 60), « afin qu’ils sachent enfin que je serai leur Dieu et qu’ils seront mon peuple » (Ez 37, 26–28). Jésus, pour conclure cette Alliance avec les siens dira : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Mt 26, 26–28). Dans l’original grec, nous dit X. Léon-Dufour : la formulation est fort embarrassée : « Ceci est mon sang de l’alliance. » Tout se passe comme si le sang de Jésus (« mon ») était le véritable sang de l’alliance mosaïque, remplaçant définitivement le sang des taureaux immolés au Temple en commémoration du sacrifice pascal (cf. He 9, 19–20). C’est comme si Jésus disait : « Le sang de l’Alliance est désormais le mien. » L’action même du dernier repas de Jésus est cultuelle83.

Jésus se présente lui-même comme le vrai et le parfait agneau de Dieu qui enlève le péché du monde et conclut l’alliance éternelle avec le peuple de Dieu. On comprend mieux ici Jean Baptiste quand il présente Jésus sous cette appellation d’agneau de Dieu (Jn 1, 29). Le titre donné par Jean Baptiste à Jésus est très riche de signification. Des centaines d’années avant Jésus, pendant l’exil en Egypte, le sang de l’agneau pascal sur les montants des portes des israélites a sauvé leurs familles de l’ange de la mort, qui a tué les premiers-nés des Egyptiens, nous rappelle la Haggadah. Et Moïse put alors conduire le peuple choisi vers la terre promise. Le Christ est l’agneau de Dieu qui s’offre en sacrifice ; par son sang versé sur la croix, il enlève nos péchés et nous ouvre la terre promise du royaume de Dieu. Jésus, tout en restant dans ce cadre de Pâque juive, le marque par une ouverture et une originalité sans précédent : il accompagne la fraction du pain « d’une parole interprétative qui transforme l’ensemble en parole gestuée, en action symbolique » ; le pain rompu représente le corps de Jésus, c’est-à-dire sa personne : « le don du pain symbolise donc en quelque façon le don que Jésus fait de lui-même84. 83 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 201. 84 H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 28.

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Cet acte accompli par Jésus acquiert en soi une efficacité salvifique que les disciples devaient réitérer pour eux et pour la multitude ; c’est ainsi que pour Matthieu et Marc, « Il était dès lors inutile d’exprimer ce qui était l’évidence même : une action liturgique se réitère toujours »85. On notera encore cette autre hypothèse, selon laquelle la tradition marcienne aurait gommé l’anamnèse, en partant du principe selon lequel une rubrique s’accomplit, mais ne s’énonce pas. Si l’exégèse pouvait faire remonter l’ordre de réitération à la dernière cène, cela signifierait que Jésus a également présenté la fraction du pain comme le repas du temps intermédiaire, du temps courant entre sa mort et la venue du Règne de Dieu86.

Hypothèse qui, selon notre avis, a son poids dans l’ordre donné par le Seigneur « Faites ceci en mémoire de moi », surtout qu’il s’agit de la rubrique traitant de notre salut. En attendant son retour glorieux, l’Église, dans son cheminement se nourrit et se fortifie dans la réitération de la dernière cène du Seigneur. Ainsi on peut expliquer et comprendre l’absence de la mention explicite de l’anamnèse dans le récit de l’institution chez les deux évangélistes. 3.4  L’Anamnèse chez Luc et Paul (Lc 22, 15–20 et 1 Co 11, 23–26) La progression est d’un autre ordre chez Luc et Paul. Chez Paul, au verset 26, nous assistons au doublet de l’anamnèse précédemment signalé : « chaque fois que vous mangez » (1 Co 11, 26). « Paul montre que c’est lui qui a vraisemblablement doublé l’anamnèse : celle-ci ne devait être prononcée qu’après la parole sur le pain. Et encore faut-il nuancer cette affirmation, car ni Matthieu ni Marc ne connaissent l’anamnèse »87. Certaines hypothèses iront jusqu’à dire que même si la formule remonte à Jésus personnellement, elle ne fait pourtant pas partie de la rubrique du récit de l’institution. Considérant l’insertion de cette formule dans la rubrique du récit de l’institution par Paul et Luc, nous la trouvons très logique si l’on considère le moment de la consécration comme la récapitulation et le noyau de Parole faite chair dont l’Église doit perpétuellement faire mémoire. « C’est une prescription destinée à donner le sens de l’action 85 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 201. 86 H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 29. 87 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 200.

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liturgique, une rubrique en quelque sorte ; or, comme l’a fort bien dit le Père P. Benoît, ‹ On ne récite pas une rubrique, on l’exécute › »88. En approfondissant cette mention explicite chez Luc et Paul de l’ordre de réitération, nous comprenons encore mieux la revendication de l’implication divine dans les paroles de la consécration même du corps et du sang du Christ. Les disciples ne pourront faire ce que Jésus a fait et dire : « Ceci est mon corps » qu’en agissant en mémoire de lui. Seul celui qui est Dieu peut rendre leur parole efficace. Prononcer les paroles de la consécration, c’est reconnaître le pouvoir divin du Christ qui se rend présent dans son corps et dans son sang89.

Cette mémoire célébrée actualise la présence réelle du Christ, et une telle actualisation dépasse toutes les capacités d’un souvenir purement humain, et n’est possible que in persona Christi. Contrairement à Matthieu et Marc dont la recension se rattache au sacrifice mosaïque, sinaïtique (Ex 24, 8 ) ; celle de Paul et de Luc, qu’on appelle aussi antiochienne à cause de leur relation avec les antiochiens, se rattache plutôt au sacrifice du Serviteur souffrant. Elle relève du registre prophétique avec la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31–34). « En effet, elle insiste sur le pain ‹ donné pour vous › et sur la coupe qui est non pas le sang (Mt / Mc), mais ‹ la Nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous ›. Très nettement, le sacrifice personnel du Serviteur de Dieu évoqué (Is 53) »90. Faisant ici un lien avec le sacrifice mosaïque, pour l’Alliance, auquel font référence Matthieu et Marc, cette Alliance sera Nouvelle (Jr 31, 31) et pleinement réalisée par le Serviteur de Yahvé, dont Dieu luimême dira : « Je t’ai désigné comme Alliance du peuple et Lumière des nations » (Is 42, 6). Pour X. Léon-Dufour, Jésus comprend sa mort à l’aide de la prophétie d’Isaïe. En ces conditions, il est utile, sinon indispensable, de déclarer qu’il fallait accomplir toujours de nouveau cette action en relation avec Jésus lui-même. Autrement dit, alors que la tradition Matthieu / Marc était immédiatement une tradition liturgique impliquant du fait même une réitération, la tradition antiochienne acquiert par l’anamnèse cette dimension temporelle91. 88 89 90 91

X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 200. J.Galot, « Eucharistie et incarnation », 552–553. X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 201. X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 201.

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Ces deux approches, apparemment divergentes, nous donnent au contraire une vision complète et unifiée de l’œuvre du salut commencée dans l’Ancien Testament et pleinement accomplie en Jésus. L’Alliance Nouvelle et éternelle c’est Jésus-Christ qui la réalise. Il prend le rôle du Serviteur, si profondément inséré dans les Évangiles : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45). Cela s’accomplit sur la croix 92.

Par la Cène, Jésus accomplit une anamnèse parfaite du passé et anticipe mystérieusement dans le présent son heure, qui est l’accomplissement du dessein du salut ; et le temps continue, pour enfin manifester aux siens la dimension supratemporelle de son action. Dans l’anamnèse, il faut qu’on arrive à comprendre ces deux types de relations qui ont comme plaque tournante Jésus : relation qui s’établit entre Jésus (en mémoire de moi) et la communauté des disciples constituée par lui en les invitant à un style de vie (faites) ; relation entre les disciples et l’Ancienne Alliance accomplie par Jésus Christ : « ceci est mon sang de l’Alliance, qui est répandu pour la multitude ». Jésus reprend ici Moïse, Jérémie, le Serviteur souffrant d’Isaïe, il dit : « Ceci est mon sang de l’Alliance, qui est – et qui sera-répandu pour la multitude (Mc 22, 23) ; ceci est « le calice de la Nouvelle Alliance, (scellée) en sang » (Lc 22, 20), « ceci est mon sang de l’Alliance, qui est – et qui sera répandu pour la rémission des péchés » (Mt 26, 28)93.

Dans ces relations, on notera deux types d’actions : l’une qui est accomplie ou va l’être par Jésus lui-même qui en s’offrant sur la croix, rachète une multitude de peuple ; l’autre action est celle qui a été accomplie par les israélites et celle que les disciples de Jésus rassemblés en Église doivent continuer à accomplir au cours du temps à venir. Dans ces actions, on notera avec Léon-Dufour : L’une concerne un passé qui, comme les autres actions des hommes, tend à s’immerger dans l’oubli. L’autre concerne un projet qui doit se modeler en fonction de ce passé. Sous un premier aspect, les deux actions ne peuvent pas être confondues, sinon par une imagination qui évacue le réel. L’action des disciples n’est pas identique à celle de Jésus. Et cependant, sous un autre aspect et en vertu de la relation

92 J. Mouroux, Faites ceci en mémoire de moi, 25–26. 93 J. Mouroux, Faites ceci en mémoire de moi, 26.

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qu’établit Jésus entre elles, l’action des disciples n’a de sens qu’en fonction de l’action même de Jésus ; elle doit même s’identifier avec celle de Jésus94.

En changeant le pain et le vin en son corps et en son sang, Jésus rend présent et parfait le sacrifice de l’Ancienne Alliance, nous réconcilie avec son Père, fait entrer nos actions dans l’éternité et nous établit dans une Nouvelle Alliance fondée sur son corps et son sang. L’Eucharistie, comme le dira J. Mouroux, est le mémorial – l’anamnèse – du sacrifice du Seigneur. Elle n’est pas un souvenir subjectif (saint Paul a un autre mot pour cela), mais une commémoraison rituelle, objective, par l’acte liturgique, qui rend mystérieusement présents le sacrifice et la victime de la croix. Et l’acte liturgique est « proclamation », mémoire, et annonce de l’avenir : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26)95.

Comment rendre compréhensible ces bénéfices immenses de l’anamnèse décelés dans les Saintes Écritures ? Réconciliation avec le Père, immortalisation des actes humains, et établissement dans une Nouvelle Alliance ? L’intelligibilité de tout ceci n’est possible qu’à travers la compréhension du temps biblique ; un temps que nous avons tenté de parcourir, à travers l’histoire du peuple d’Israël, une histoire qui ne s’est pas présentée à nous comme un cadre vide dans lequel viendraient s’inscrire et sombrer les actions des hommes ; mais une histoire riche, faite de haut et de bas, des générations humaines qui se succèdent et dans lesquelles se transmet le flambeau de vie, don de Dieu. En bref, il s’agit d’une histoire faite des plusieurs tentatives de réconciliation face à l’Alliance de Dieu et la réponse d’Israël : une histoire cultuelle. C’est dans cette histoire du peuple d’Israël qui constitue le temps biblique par excellence que le temps humain trouve sens et accomplissement. Le temps devient, comme le dira X. Léon-Dufour, une « projection dans l’espace de la vie qui en définitive est Dieu même et qui est communiquée par lui aux hommes »96. Dans cet éclatement de l’éternité dans le temps limité de l’homme, le présent humain n’est plus un intermédiaire éphémère entre un passé et un futur incertain, le présent devient expression de l’éternité même de Dieu. C’est dans ce temps humain divinisé par 94 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 202. 95 J. Mouroux, Faites ceci en mémoire de moi, 27. 96 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 203.

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Dieu que les actes humains en synergie et selon la volonté de Dieu sont immortalisés : « Paraisse ton œuvre pour tes serviteurs, ta splendeur soit sur leurs enfants ! La douceur du Seigneur soit sur nous ! Confirme l’ouvrage de nos mains ! » (Ps 90, 16–17). Par la présence de l’éternel dans le temps de l’homme, l’œuvre humaine, qui en fait devient l’œuvre divine, s’immortalise. C’est ainsi que « pour la Bible, l’instant est un ‹ présent ›, il exprime la présence même de Dieu. C’est la totalité de l’action historique de Dieu qui, à chaque instant, se rend présente à son peuple. Ce temps biblique n’a rien à voir avec le temps cyclique. Il intègre Dieu même, où il n’est pas »97. Il revient alors à l’étant humain de découvrir chaque fois, par l’anamnèse, la présence de l’Eternel dans son temps pour faire surgir la réelle et la vraie dimension de son étant et de ses actions, qui s’originent en Dieu et trouvent leur fin en lui. Observons tout de suite qu’à ce niveau apparaît le grand hiatus de l’homme, sa peccabilité qui le pousse à exclure le divin, à ne plus constituer une communauté anamnétique divine, à tuer continuellement l’Etant divin dans son étant temporaire pour vivre en maître absolu du monde, à faire de son temps un temps sans Dieu. C’est alors que s’écroulent les unes après les autres ses macro et micro systèmes sans Dieu : « Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs ; si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille » (Ps 127, 1 ). Mais Yahvé rappellera toujours à son peuple ses multiples miracles (Ex 15,22ss ; 16,1 ss ; 17,1 ss ; Dt 8,2.18 ; 9,7 ) ce qu’il avait fait et est en train de faire pour eux. Les réactions de Jésus face à l’incrédulité de ces auditeurs, ses disciples (Mc 8, 1 ss ; 8, 12ss.14–21 ; Jn 6, 30–31) seront toujours une anamnèse de hauts faits divins dans l’histoire de l’humanité pour réconcilier l’homme avec lui-même et avec Dieu. Toute l’histoire d’Israël sera la conclusion de l’Alliance (Ex 24,1 ss), l’infidélité (Ex 15,22ss ; 16,1 ss ; 17,1 ss ; 32,1 ss…), et le renouvellement de l’alliance (Ex 34,1ss), jusqu’au jour où Yahvé, par la voix de son prophète Jérémie, dira : Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où je conclurai avec la maison d’Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle. Non pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte – mon alliance qu’eux-mêmes ont rompue bien que je fusse leur Maître, oracle de Yahvé ! Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Ils n’auront plus à 97 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 203.

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instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : « Ayez la connaissance de Yahvé ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle de Yahvé – parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché (Jr 31, 31–34).

C’est le paroxysme de l’heure divine, la Nouvelle Alliance conclue par le sang du propre Fils de Dieu ; par la venue et la mort de son Fils, Dieu a posé des actes qui, en les considérant pour eux-mêmes et non par une quelconque imagination des hommes, ont dominé, dominent et domineront éternellement le flux du temps. Les actes divins en Jésus ont une dimension d’éternité qui les arrache à l’oubli. L’événement Jésus devient pour le monde, une présence constante et fidèle de Dieu aux hommes dignes de mémoire. C’est ainsi que déjà à partir de l’Ancien Testament, en passant par le Nouveau Testament jusqu’à nos jours, l’homme est sans cesse rappelé au devoir de se souvenir de Dieu et, spécialement en ces temps qui sont les derniers, de Jésus Christ. Et Paul le clame : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, issu de la race de David, selon mon Évangile » (2 Tm 2, 8 ). Un chant de l’anamnèse française exprime encore à merveille l’invitation et le pourquoi de la mémoire98. Ayant une dimension d’éternité qui l’arrache à l’oubli, l’anamnèse est l’éternité intégrée dans la fluctuation du temps humain et la voie de salut pour l’humanité. Dieu étant toujours présent à son peuple, il domine le temps et est le fidèle par excellence. Par l’anamnèse, l’homme intègre ses peines, ses joies, son espérance, pour recevoir en retour toute grâce, la paix, le salut et la gloire. Les actions éphémères de l’homme, par l’anamnèse, sont transférées auprès de Dieu et acquièrent ainsi valeur d’éternité. L’anamnèse nous assure que la communion – qui s’était exprimée de façon privilégiée dans le passé entre Jésus et ses apôtres par la communauté de table – perdure et perdurera jusqu’à l’accomplissement des temps. On ne pourra terminer cette approche de fondement biblique de l’anamnèse sans souligner cette limite que porte l’anamnèse dans le Nouveau Testament et spécialement dans les quatre Évangiles. Elle est à peine voilée chez Matthieu et Marc, et Jean ne fait nullement mention de 98 Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts. Il est notre salut, notre gloire éternelle : 1. Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous souffrons avec lui, avec lui nous règnerons. 2. En lui sont nos peines, en lui sont nos joies. En lui l’espérance, en lui notre amour. 3. En lui toute grâce, en lui notre paix. En lui notre gloire, en lui le salut. 

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l’anamnèse. Comment pourrions-nous comprendre cette absence si ostensible ? Au fait, l’anamnèse du Christ ne peut pas être considérée comme un maillon isolé de toute la vie de Jésus, elle doit être mise en lien avec la vie entière de Jésus. Dans un sens large, nous disons qu’écrire la vie de Jésus en vue de la faire connaître et faire entrer en communion avec lui est toujours déjà une invitation à l’anamnèse du Christ d’autant plus que notre vie ne sera plus modelée sur nous-mêmes mais sur le Christ qui est mort et ressuscité pour nous. Dans ce sens, nous pouvons dire que toute la parole de Dieu est anamnèse du Christ et on n’a pas à s’en prendre à tel ou tel auteur de la parole de Dieu parce qu’il n’a pas explicitement mentionné cette invitation « faites ceci en mémoire de moi ». On le remarquera dans le développement au cours de l’histoire de l’anamnèse, il y en a qui mettront l’accent sur l’incarnation, d’autre sur la mort, la résurrection, l’ascension … Tout ceci pour nous faire comprendre que la vie du Christ est un tout ; une parole sur une dimension de la vie du Christ en appelle toujours une autre pour plus de lumière sur l’éventail de son mystère. Dans un sens strict, l’Évangile de Jean nous livre assez de références ayant trait à l’Eucharistie. Mieux, Jean nous faut apparaître la structure même de l’Eucharistie dans son Évangile. A commencer par les célébrations de fêtes de Pâque juive, les noces de Cana et les différentes de pains. Pendant les noces de Cana Jésus déclare : « Mon heure n’est pas encore venue » (Jn 2, 4 ). De quelle heure s’agit-elle sinon de l’heure de la Pâque définitive pendant laquelle il va se livrer pour le rachat du monde ? En attendant son heure, Jésus par ces miracles, – les noces de Cana et la multiplication des pains, – anticipe la vraie Eucharistie qui est l’offrande de sa vie. Le miracle de Cana apporte une lumière sur ce que sera le nouveau repas pascal. La transformation de l’Ancienne Alliance en Nouvelle Alliance est suggérée par l’utilisation des jarres « destinées aux rites de purification des juifs » (Jn 2, 6 ). Ces jarres servent maintenant à donner le vin du banquet messianique99.

La voie même utilisée par Jésus pour opérer ce miracle est très suggestive pour nous. Il change l’eau en vin. Tous les débats postérieurs sur la transsubstantiation, sur le pouvoir du prêtre qui célèbre l’Eucharistie in persona Christi, trouvent ici une lueur de réponse. 99 J. Galot, « Eucharistie et Incarnation », 554.

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Enonçant les circonstances de la multiplication des pains, Jean écrira :  « La Pâque, la fête des juifs, était proche » (Jn 6, 4 ). C’est dans ce contexte pascal juif que Jésus opère ce miracle pour donner de manière anticipée à la Pâque juive une nouvelle valeur qui sera pleinement accomplie par son être Parole fait chair qui fait pleinement vivre. La multiplication des pains revêt son sens comme événement pascal. « Non seulement l’évangéliste présente Jésus sur la montagne, assis avec ses disciples, souverain dans sa manière d’affronter le problème de la faim des foules, mais dans le discours eucharistique il rapporte des déclarations qui soulignent son autorité divine »100. En dernière analyse, Jean écrit : « Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1 ). La Pâque juive étant comprise comme passage, Jean revient sur cette compréhension pour nous présenter la mort de Jésus aussi comme un passage de ce monde à son Père. A la différence de la Pâque juive, du passage de Jésus de ce monde à son Père, Jésus ne fait pas seulement un passage mais un retour à son origine première, dans sa divinité (Jn 13, 3 ). Accomplissant le vrai passage de ce monde vers la vraie et éternelle terre promise, Jésus pose durant la Cène le geste extrême de l’amour comme voie à suivre et garantie de notre passage vers le Père. Il ressort de cette approche johannique un lien étroit entre la dernière cène et la Pâque juive, la grandeur et la nouveauté de ce que Jésus va faire durant la dernière cène et ses recommandations : « Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous » (Jn 13, 15). Quel exemple le Christ a-t-il donné ? Seulement le lavement des pieds ? Nous pensons que c’est plus que cela, c’est tout le cadre de la Cène commenté par Jean et le lavement des pieds, qui sont la démonstration et l’anticipation de l’amour figuratif qui s’effectueront pleinement sur la croix, qui constituent l’exemple à suivre. A la perspective christologique centrée sur l’être même de Jésus succède l’invitation à une imitation qui relève de l’agir liturgique et éthique au sein même de la communauté des apôtres. Cet ensemble nous livre simultanément deux messages importants sur la vie de Jésus. Le premier constitue une vie perpétuellement pour les autres, une vie eucharistiée ce que le chapitre sixième de l’Évangile de Jean nous démontre largement : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). Le second constitue l’invitation 100 J. Galot, « Eucharistie et Incarnation », 555.

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faite, en forme de recommandation à ses disciples à faire mémoire de cette vie en se conformant à son être. L’apôtre Jean, en privilégiant ce double aspect christologique et éthique, ne néglige en rien l’aspect ecclésiologique, parce que le recentrage sur le Christ doit nous amener à vivre le primat de la charité au sein de la communauté. Une telle vie, comme celle de Jésus, toute entière obéissance et don total de soi, est non seulement racontée mais devient elle-même un défi et un modèle de vie. En synthèse, nous pensons au sujet du fondement biblique de l’anamnèse, que les éléments vétéro-néotestamentaires relevés ci-dessus ont contribué efficacement à sa formulation, à sa compréhension et à son développement, dont nous affichons à présent la quintessence. 3.5  Développement de l’anamnèse En abordant étymologiquement le mot anamnèse dans l’Ancien Testament, nous nous sommes rendus compte que ce mot renvoie tour à tour à la réminiscence, au souvenir, à la commémoraison. La Sainte messe l’appliquera à la partie qui suit la consécration : C’est le Unde et memores de la messe romaine […] Il ne faut hésiter à faire rentrer dans la catégorie des anamnèses une série d’oraisons qui, dans les liturgies latines, portent différents noms, ceux de collatio post pridie, ou simplement de post pridie (chez les mozarabes), de post mysteria, et post secreta (liturgies gallicanes). On s’est même demandé si l’on ne devait pas ramener dans cette classe, du même coup, toutes les secrètes de la liturgie romaine. Les oraisons super oblata seraient aussi, à ce compte, d’anciennes anamnèses101.

Le problème du développement de l’anamnèse ne peut être mieux abordé qu’en lien avec celui du récit de l’institution. « L’anamnèse apparaît comme solidaire de ce récit, dont elle est le développement. Impossible donc qu’une anaphore ait une anamnèse sans avoir de récit de l’institution »102. Face à cette logique quasi naturelle des anaphores, l’histoire nous prouve que dans les liturgies syriennes orientales, il y a « une très ancienne anaphore qui ne contient pas le récit de l’institution et, par conséquent, pas davantage d’anamnèse »103. Cette position sera soutenue par 101 F. Cabrol, « Anamnèse », 1880. 102 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 17. 103 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 17.

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G. Dix qui tentera de prouver que les formes originelles de la célébration eucharistique peuvent n’avoir pas comporté dans leur texte les paroles de l’institution104. Mais la faiblesse des preuves avancées par G. Dix rendra son point de vue peu valable pour beaucoup105. Cette position de G. Dix peut être comprise du fait qu’au cours du développement de l’anamnèse, il fut une période dans la liturgie syro-orientale où nous trouvons certains manuscrits dans lesquels le formulaire principal de la messe des apôtres ne contient pas les paroles de l’institution. Dix essaie de montrer que ce serait un formulaire de la messe particulièrement ancien, où aurait survécu une tradition originale. Mais la critique philologique faite précédemment a montré que ce formulaire date d’une époque où l’Église syroorientale s’était séparée du reste de la chrétienté à cause de l’hérésie nestorienne, et où l’ « épiclèse » avait commencé à tenir une place importante106.

Il y a alors à noter ici l’importance donnée à l’épiclèse dans les Églises orientales face à l’anamnèse à partir de certaines hérésies qu’a connues l’Église romaine. Mais cette position de G. Dix sera encore plus faible suite aux autres découvertes qui se feront au cours du temps. Suivant la logique de Dom Botte, s’il est vrai qu’une anaphore sans récit d’institution ne peut pas avoir d’anamnèse, il serait tout aussi vrai qu’une anaphore qui a une anamnèse doit avoir au moins eu un récit d’institution. C’est donc le cas de l’anaphore des Apôtres Addaî et Mari107 qui fut en usage chez les Nestoriens, les Chaldéens et les chrétiens du Malabar, dans laquelle on y trouve une belle formule à ce sujet108. Sans la qualifier d’anamnèse, on y trouve presque tous les éléments de l’anamnèse : la commémoration de deux grands piliers de l’anamnèse, à savoir « la mort et la résurrection du Seigneur ».

104 Cf. G. DIX, The Shape of Liturgy, 240. 105 Cf. M. Bevenot, « Some Flaws in the Shape of the Liturgy », 50–57. 106 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 112. 107 Cf. Concernant l’anamnèse dans l’anaphore des apôtres d’Addaî et Mari, nous vous renvoyons à V. Raffa, Liturgia eucaristica, 623–624. 108 Cf. « Et nos quoque, Domine, servi tui fragiles et debiles et infirmi, qui congregati sumus in nomine tuo et stamus coram te in tempore hoc, et accepimus in traditione typum qui a te (est), laetantes et glorificantes et commemorantes et agentes hoc magnum et tremendum et sanctum et divinum mysterium passionis et mortis et sepulturae et resurrectionis. Domini nostri salvatoris nostri Jesu Christi » dans B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 17.

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Ce qui est intéressant dans cette tradition syrienne, ce qu’on y retrouve un type particulier du récit de l’institution qui nous est conservé par Aphraate, saint Ephrem et la liturgie dite de Théodore de Mopsueste. Il se caractérise par deux traits : 1. L’ordre de manger et de boire est donné après les paroles du Christ : « Ceci est mon corps, etc. » 2. Il se termine par ce membre de phrase : « Vous ferez cela quand vous serez réunis (en mon nom) »109. Dom Botte notera que cette dernière variante est particulièrement caractéristique, puisqu’elle est absente de tous les récits bibliques. Or le début de l’anamnèse s’articule exactement à ce récit : « qui congregati sumus in nomine tuo. » Il n’y a pas l’ombre d’un doute : l’anamnèse de l’anaphore des Apôtres a été faite pour s’adapter à ce récit, et celui-ci comble l’hiatus qui existe dans le texte actuel110.

Nous voyons ici combler le vide qu’avait ce texte syro-oriental, bien que mettant plus en avant l’épiclèse, la complémentarité entre les deux est enfin accomplie par cette récupération. Quant à l’origine de ce récit, on pense qu’Aphraate et Ephrem, qui sont les deux grands témoins du Diatessaron, auraient reproduit seulement le texte de Tatien. Pour ce qui concerne la reformulation d’autres anamnèses, comme celles des Constitutions apostoliques, nous pouvons dire que l’anamnèse syrienne a joué alors un rôle très important. Ceci pour les raisons suivantes : 1. Cette anamnèse a un caractère absolument original. Or, si on avait voulu introduire une anamnèse et un récit, à une époque plus ou moins tardive, sous l’influence d’autres liturgies, on aurait tout naturellement pris un type d’anamnèse qui était courant en Syrie, comme dans les Constitutions Apostoliques, le Testamentum Domini, l’anaphore de saint Basile ou de saint Jacques. En d’autre termes, on aurait conformé l’anaphore des Apôtres aux autres, au lieu de créer un type absolument nouveau. 2. Cette anamnèse se rattache à un récit de l’institution qui appartient au plus ancien fonds de la tradition syrienne et non à la tradition plus récente qu’on trouve dans toutes les autres anaphores syriennes. 109 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 17–18. 110 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 18.

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3. Cette anamnèse n’a pas été faite pour compléter l’épiclèse. Dans toutes les liturgies, l’anamnèse sert de transition entre le récit de l’institution et l’épiclèse. Ici au contraire, l’épiclèse apparaît comme une enclave dans l’anamnèse. Au-delà de l’invocation du Saint-Esprit, le texte reprend : « Et propter omnem dispensationem hanc magnam et mirabilem erga nos, confiteamur tibi. » Cette dispensatio n’est autre que la passion, la mort et la résurrection du Seigneur dont il était question avant l’épiclèse. Il suffit de lire le texte débarrassé de l’épiclèse pour voir qu’on a affaire à une pièce complète qui se suffit à elle-même et qui a été coupée maladroitement par un corps étranger111. Beaucoup de témoignages s’accordent à dire que l’anamnèse de la tradition apostolique de saint Hyppolite est la plus ancienne112. Mais vu le développement qui s’en suivra, nous noterons tout d’abord la substitution de passionis à mortis chez saint Ambroise et dans la liturgie romaine. Est-ce un fait purement latin ? On sait que passio, notamment pour les martyrs, ne désignait pas seulement les souffrances, mais englobait aussi la mort. On pourrait donc croire que c’est un pur latinisme. Cependant nous trouvons pα’qoj dans la plus ancienne tradition grecque pour désigner aussi la mort du Christ. Ainsi saint Ignace oppose pα’qoj et α’nastasij, Irénée pα’qoj et egersij. Justin nous parle de ce que le Seigneur a ordonné de faire eij α’namnhsin tou paqouj. Les plus anciens symboles orientaux, à l’opposé des occidentaux qui parlent de la crucifixion, ne signalent la mort que par le participe paqwn. Ainsi le symbole de Nicée, celui d’Arius, d’Eusèbe de Césarée. Au Concile d’Antioche de 341, les trois premières formules n’emploient non plus que paqwn et peponqenok, et la mort ne fait son apparition que dans la quatrième. Une formule pseudo-athanasienne dit : paqonta, toutestistaurwqentas ; la mention de la passion au lieu de la mort est donc courante en Orient et elle semble la plus commune avant 341113. Dans ce développement, il est utile de savoir que, les liturgies syriennes suivront cette trilogie : paqhmata, stauroj et tafh. L’anaphore de saint Jacques, y ajoutera qantoj après stauroj ; tandis que celle des apôtres procèdera par : paqoj, qanatoj et tafh. Quant à l’anaphore alexandrine, elle gardera seulement qanatoj.

111 Cf. B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 18–19. 112 Cf. « La plus ancienne anamnèse est celle de la Tradition apostolique de saint Hippolyte : ‹ Memores igitur mortis et resurrectionis eius offerimus tibi panem et calicem, gratias tibi agentes qui dignos nos habuisti adstare coram te et tibi ministrare › » Cfr. B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 19. 113 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 19–20.

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Le plus remarquable de tous ces développements sera : celui des mystères glorieux. Les textes bibliques disaient, d’une part : « Faites ceci en mémoire de moi » et, d’autre part : « Vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Il est remarquable que toutes les anamnèses anciennes sans exception ont joint la résurrection à la mort du Christ. Il ne faut pas s’en étonner, vu l’importance de la résurrection qui est essentielle au message chrétien. Mais les développements suivants sont moins attendus. L’ascension apparaît dès la fin du quatrième siècle, avec le De sacramentis en Occident et Les Constitutions apostoliques en Orient. L’Occident en est resté là, à part quelques pièces mozarabes manifestement inspirées de prières orientales ; mais en Orient le développement s’est poursuivi : Les Constitutions Apostoliques ont ajouté la parousie ; puis la session à la droite du Père est venue s’insérer entre l’ascension et la parousie, dans toutes les liturgies anciennes, à l’exception de l’anaphore des Apôtres et des liturgies éthiopiennes qui ne parlent que de la résurrection, comme Hippolyte114.

Un autre développement apparaîtra tardivement, qui ajoutera les faits salutaires qui précèdent la passion. L’anaphore de Timothée d’Alexandrie nommera la « nativité », celle de Grégoire de Nazianze mentionnera : la conception virginale de Marie, la nativité, le baptême du Christ, bref toute l’économie du salut. La nativité apparaîtra aussi au IXe siècle dans le canon romain dans certains manuscrits « tam admirabilis nativitatis quam beatae passionis »115. Excepté l’anaphore des apôtres, nous retrouvons encore dans le développement de l’anamnèse, outre la transition avec le récit de l’institution et l’énumération des mystères du Christ, une troisième partie : une prière d’offrande. Cette partie est-elle primitive ? Elle est assurément très ancienne. Chez saint Paul le caractère sacrificiel de la cène n’est exprimé que par sa relation avec le sacrifice de la croix. Mais l’idée que l’eucharistie est le sacrifice des chrétiens, le sacrifice pur annoncé par Malachie 1, 10–12, qui doit être offert en tout lieu, apparaît dès les plus anciens écrits. Ce texte n’est pas cité moins de quatre fois dans le Dialogue avec Tryphon de saint Justin116.

Ce que nous pouvons encore mentionner dans ce développement de l’anamnèse est que, malgré le contenu même de l’anamnèse qui a connu bien des changements, c’est avec l’anaphore d’Hippolyte117 au milieu de 114 115 116 117

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B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 20–21. B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 21. B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 21–22. Cf. Pour ce qui concerne l’anamnèse dans l’anaphore d’Hippolyte, vous pous pouvez lire V. Raffa, Liturgia eucaristica, 614–617.

Ve siècle que l’évolution de la prière eucharistique est presque arrivée, si on peut dire, à la structure qu’on connaît aujourd’hui. Il ne manquera que quelques détails à cette structure par rapport aux textes actuels. Avec l’anaphore de la tradition apostolique, attribuée à Hippolyte, l’action de grâce se transforme en récit dont l’objet est l’histoire du salut dans toutes ses étapes qui culminent dans la passion, la mort et la résurrection du Christ et sa descente aux enfers. Comment pouvons-nous justifier tout ces développements ? « Faut-il les mettre en rapport avec l’évolution de l’année liturgique, comme le pensait dom O. Casel ? A mesure qu’on développait le mystère du Christ en diverses solennités, on aurait éprouvé le besoin d’expliciter aussi dans l’anamnèse les différentes phases de l’économie du salut »118. En prenant en compte certains paramètres, il est difficile de corroborer cette affirmation pour la simple raison que certains faits de la vie du Christ qu’on retrouve dans l’évolution de l’anamnèse, comme l’ensevelissement, la parousie, ne sont pas inscrits parmi les solennités à célébrer dans la liturgie. Les faits christologiques qui constituent l’anamnèse dans son développement, sont les éléments qui sont plus objet du symbole de la foi que des solennités liturgiques. C’est le cas de la crucifixion, l’ensevelissement, la session à la droite du Père et la parousie, qui apparaissent dans les professions de foi de Ier Concile de Nicée en 325 et de Constantinople en 381. En donnant la raison de l’institution de sacrement de l’Eucharistie, le Concile de Trente dit clairement que notre Sauveur, allant quitter ce monde pour le Père, a institué ce sacrement dans lequel il a en quelque sorte répandu les richesses de son amour divin pour les hommes, « laissant un mémorial de ses merveilles » (Ps 110, 4 ), et il nous a donné dans la réception de ce sacrement de célébrer sa mémoire (Lc 22, 19 ; 1Co 11, 24) et d’annoncer sa mort jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11, 26) pour juger lui-même le monde119.

A partir du Concile de Trente, on voit apparaître clairement les trois grands éléments du mémorial de notre Eucharistie qui culmine dans l’anamnèse par la proclamation de la mort, la résurrection et la venue du Seigneur.   Quand on a voulu donner plus d’ampleur à l’anamnèse, on l’a développée sous l’influence du symbole. Il y a un certain parallélisme avec le développement de l’année liturgique. De part et d’autre on a voulu détailler les étapes du mystère du 118 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 21. 119 D, 439.

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salut ; mais la formulation est toute différente, et les rapprochements entre l’anamnèse et le symbole montrent que c’est bien à l’influence de ce dernier qu’il faut attribuer le développement de cette partie de l’anaphore120.

Somme toute, l’élément « anamnèse », enraciné dans la tradition juive, se retrouve presque dans tous les grands documents de l’histoire de la liturgie chrétienne. Elle nous donne le vrai sens de notre liturgie à partir du récit de l’institution ; bien que certains anciens documents comme la Didaché passent sous silence le récit de l’institution et les paroles de réitération. Ils « y est pourtant clairement fait référence à l’Eucharistie, sans que toutes les occurrences du terme y aient toujours un sens identique et y désignent à coup sûr le repas eucharistique »121. Prenant certaines prières telles que : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Église pour la délivrer de tout mal et la parfaire dans ton amour ; et rassemble-la des quatre vents, cette (Église) sanctifiée, dans ton royaume que tu lui as préparé ; car à toi sont la puissance et la gloire pour les siècles », que nous retrouvons dans la Didachè ; « Faisant donc mémoire de sa mort et de sa résurrection, nous t’offrons le pain et le calice, et nous te rendons grâces de ce que tu nous as rendus dignes de nous tenir devant toi et de te servir », prière tirée dans la liturgie de la tradition apostolique ; « Souviens-toi aussi, Seigneur, de ton Église sainte, une (mones), catholique et apostolique ; donne-lui la paix, à elle que tu as acquise par le sang précieux du Christ ; et (souviens-toi) de tous les évêques orthodoxes qui sont en elle », de l’anaphore byzantine de S. Basile. En somme, presque toutes les anaphores de l’Église portent en elles la dimension anamnétique122. Ce qui précède, nous fait trouver équilibré le point de vue de Dom Botte qui soutient : d’anaphore sans anamnèse, nous n’en connaissons pas, malgré ce qu’on a dit et ce qu’on répète encore aujourd’hui. Cependant, si cette pièce de la structure de l’anaphore a subi certains développements, on a fait de l’anamnèse une profession de foi christologique en énumérant tous les faits salutaires, depuis la passion jusqu’à la parousie, du moins en Orient ; parfois même on y a inclus la conception et la naissance du Christ et même toute l’« économie » du salut123.

La proclamation solennelle après la consécration n’est que le point culminant d’une longue anamnèse eucharistique. Etant dans sa totalité 120 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 21. 121 H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 35. 122 Cf. E. Lanne, « L’Église une dans la prière eucharistique », 328–336. 123 B. Botte, « Problèmes de l’anamnèse », 22–23.

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anamnèse, comme nous l’avions déjà notifié dans l’introduction, l’Eucharistie célèbre la mémoire du Christ à travers sa Parole et l’offrande de son corps et de son sang. Avant de clore ce parcours de développement de l’anamnèse eucharistique, nous voulons répondre à une question qui nous semble essentiel pour plus de compréhension de l’anamnèse. Si l’anamnèse eucharistique était aussi importante pour la vie de l’Église et qu’on devait toujours la célébrer, quel était le cadre dans lequel ce mémorial était célébré ? Les études faites sur ce point ne donnent pas assez des résultats précis ; mais une chose nous semble jusqu’à présent sûre, c’est que le cadre dans lequel le mémorial du Seigneur était célébré était celui du repas. Parce que remontant au temps après la résurrection du Seigneur, nous remarquons que Jésus s’est fait connaître dans la plupart des cas pendant le repas par la fraction du pain (Mc 16, 14 ; Lc 24, 30–32 ; Lc 24, 41–43 ; Jn 21, 9–15). Voulait-il dans ce cadre confirmer sa résurrection en chair et en os ? Voulait-il indiquer aux apôtres le cadre approprié de l’anamnèse de sa mort et sa résurrection ? Ou simplement saisissaient ce moment important du repas, où tous pouvaient être là, pour se manifester ? Une chose nous semble plus probable : l’Eucharistie étant instituée au cours d’un repas, le Christ ressuscité continue à se manifester aux siens dans la plupart des cas au cours de repas ; le repas pour les premiers chrétiens était le cadre indiqué pour faire mémoire du Christ. « La plus ancienne célébration de l’Eucharistie prit la forme d’un repas, du moins en certains lieux et du moins pour un petit nombre d’années. La preuve en est fournie par la première épître de saint Paul aux Corinthiens, dans la péricope concernant le Repas du Seigneur »124. A croire saint Paul qui relate dans sa lettre aux Corinthiens (1 Co 11,17s), « la célébration se faisait dans le cadre d’un repas normal, puisque saint Paul considère cette disposition comme admise et ne cherche nullement à l’abolir ; son unique souci est de mettre un terme aux abus »125. Le cadre du repas avait une grande importance dans la culture juive. La libération d’Israël sera célébrée au cours d’un repas (Ex 12,1–14). Et le Seigneur d’une manière solennelle invite son peuple : « Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé, dans vos générations vous la fêterez, c’est un décret perpétuel » (Ex 12,14). La Haggadah, dont nous avons parlé plus haut, est célébrée au cours d’un repas. « L’une des images favorites de la splendeur messianique était le 124 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 54. 125 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 54.

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festin. Saint Luc enregistre la réflexion d’un des auditeurs du Christ : ‹ A ces mots, l’un des convives lui dit : Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu › (Lc 14, 15–24) »126. De tout ce qui précède, nous pensons à la suite de J.A. Jungmann, que les apôtres et les premières communautés chrétiennes, par souci de fidélité à ce que le Seigneur avait fait lors de l’institution de l’Eucharistie au cours d’un repas, ont tenu à conserver le cadre du repas comme étant le mieux indiqué pour faire mémoire du Christ. Les abus, à commencer à l’époque de saint Paul, comme lui-même le fustige dans son épître précitée, fera que petit à petit le cadre du repas comme autrefois fera place au cadre que nous avons actuellement127. Mais nous recueillons encore beaucoup de temps après, le témoignage selon lequel, les chrétiens maintiendront ce lien entre l’Eucharistie et le repas. Le jeudi saint par exemple, à l’époque de saint Augustin encore, c’était la coutume – pas seulement en Afrique du Nord, mais ailleurs, dans les Églises d’Orient aussi bien que l’Occident – de souper à la maison avant d’aller à l’église pour la messe et la communion. C’était un effort pour imiter ce qui s’était passé à la Cène, lors du premier jeudi saint128.

Pour préserver cet aspect repas pendant la célébration eucharistique, on constate qu’il y avait, plusieurs siècles après, une pratique curieuse pour les néophytes qui venaient d’acéder au baptême. À cette messe, les néophytes recevaient la sainte communion pour la première fois. Cela se passait ainsi : d’abord ils recevaient le corps du Seigneur ; ensuite, avant le précieux Sang, on leur présentait une coupe de lait et de miel, puis une autre remplie d’eau. C’est en dernier seulement qu’ils recevaient le calice eucharistique. Ainsi entre la communion au pain et la communion au calice prenait place ce qu’on pourrait considérer comme un faible rappel du repas d’autrefois. Lait et miel sont les aliments du nouveau-né : quasimodo geniti infantes, et, de plus, les signes de la Terre Promise129.

Ce cadre dans lequel la mémoire du Christ était célébrée avait une grande importance pour le vécu de ce grand sacrement de la charité du Christ qui devrait porter tous ceux qui participaient à ce sacrement à la charité fraternelle, au partage selon les besoins de chacun (Ac 2, 44). C’est dans 126 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 55. 127 Cf. Ce thème est plus développé par j.a. jungmann dans son livre que nous avons cité ci-dessus. 128 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 61. 129 J.a. Jungmann, La liturgie des premiers siècles, 55.

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ce sens que nous pouvons comprendre le travail de diacre, qui se chargeait du service de la table, et non seulement portait aux absents le corps du Christ mais aussi veillait à ce que les faibles, veuves, malades, aient quelques choses à manger physiquement (Ac 6, 1–7)130.

Conclusion En faisant une relecture de tout ce parcourt anamnétique dans l’Ancien et le Nouveau Testament, et en voyant son développement au cours de l’histoire, nous nous rendons à l’évidence que sans cesse l’homme est rappelé au devoir de se souvenir. Ceci lui est demandé pour se retrouver lui-même, retrouver sa vraie identité, entrer dans l’histoire des enfants de Dieu et ainsi maîtriser le temps. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, les recommandations de faire mémoire affluent. Cette bataille pour échapper à la pesanteur de l’oubli s’exprimera encore par la tradition qui nous retrace tout le développement de l’anamnèse. « Le croyant, c’est un homme qui a reçu et qui transmet le souvenir de ses pères et, à travers eux, le souvenir de l’action merveilleuse de Dieu en faveur de son peuple. Les événements majeurs par lesquels le peuple a été fondé sont donc appelés des ‹ mémoriaux › de l’action divine »131. 130 Cf. Nous voulons noter ici une pratique simple, mais que nous trouvons interpellante qui se vit dans nos églises locales de la RDC. Chaque fois qu’il y a célébration de la messe ou de la parole de Dieu, il y a toujours quelques mamans qui sont chargées de préparer de la nourriture qu’elles apporteront pendant la célébration. D’autres seront chargées apporter la boisson. Tout ceci, on l’offrira au Seigneur pendant la célébration avec d’autres offrandes en nature. Mais que fait-on avec ces offrandes ? Au village, la nourriture et la boisson apportées serviront de repas, aux hôtes, aux N’kumu ou au prêtre en visite pastorale après la célébration. Quant aux offrandes en nature, on les partagera aux pauvres et aux malades. Nous lisons quant à nous dans cette pratique, une fidélité assidue au cadre du repas dans lequel l’anamnèse du Christ était célébrée et qui en principe devrait encore, selon les adaptations et les besoins de chaque milieu, être célébrée. Le pire est qu’aujourd’hui, sous d’autres cieux, nous faisons disparaître non seulement cette pratique de la charité eucharistique qui devrait nous porter au partage, mais nous privons même les viellards, les malades, du corps du Christ en refusant de leurs apporter cela à la maison. Ce cadre dans lequel était célèbré l’anamnèse eucharistique nous interpelle encore aujourd’hui dans la structuration de notre Église. 131 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 205.

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Le terme « anamnèse » est moins une équivalence qu’une correspondance de la Pâque juive : « Ex 12, 14 ; l’hébreu zikkarôn équivaut à eis anam nèsin. Pour en saisir le sens, il suffit de citer un passage de la tradition juive sur la Pâque, disant qu’en célébrant la fête on doit ‹ faire comme si l’on était soi-même sorti d’Egypte › (Pesahim X, 5) »132. Nous avons tenté de le dire, parlant de la Haggadah ; le peuple d’Israël, partant d’une réalité qui a de la valeur encore aujourd’hui pour lui, par la Haggadah, il actualise en prenant part lui-même, quel que soit l’époque, le temps écoulé, à l’histoire fondatrice de sa vie. Pour Israël, la Haggadah n’est pas un souvenir subjectif d’un passé lointain, mais une réalité objective dans son présent qui le rejoint continuellement et le fait vivre. Les actes posés par Dieu dans l’AT, à titre préparatoire de l’accomplissement par Jésus dans le NT, feront de l’anamnèse un fait intrinsèquement inhérent à l’être chrétien. Matthieu et Marc verront dans le récit de l’institution l’accomplissement de l’Alliance mosaïque, alors que Luc et Paul y décèleront l’image parfaite de Serviteur souffrant dont parle le prophète Isaïe (Is 42.49) et la conclusion d’une Alliance Nouvelle telle qu’annoncée par le prophète Jérémie (Jr 31, 31). Le sang de l’agneau servi autrefois en Egypte pour la libération du peuple d’Israël pour le conduire au mont Sinaï en vue de conclure une alliance avec Dieu, laquelle alliance sera continuellement entachée des infidélités de la part d’Israël ; sera remplacée par le sang de Jésus qui l’a versé sur le mont Golgotha pour racheter et sceller une nouvelle alliance, éternellement fidèle avec le monde entier. De l’anamnèse de sang du l’agneau de l’AT, on passe à l’anamnèse du sang de Jésus dans le NT ; de l’anamnèse de l’alliance conclue avec un peuple, on passe à l’anamnèse de l’alliance avec tous les enfants de Dieu dispersés dans le monde. Sans réduire l’anamnèse de l’AT, nous pouvons dire qu’elle est plutôt une anamnèse préparatoire et figurative du NT. À la suite des travaux de Dix, Bouyer, Ligier, C. Giraudo, on voit mieux comment la prière et l’anamnèse eucharistiques s’enracinent dans les structures de la prière de l’Israël selon la chair. En gros, il paraît clair que la prière eucharistique, au cours de laquelle ont lieu la double consécration, le rappel de l’ordre d’anamnèse du Christ suivi de l’anamnèse verbale de la communauté ecclésiale, se sert d’une structure déjà longuement et souvent manifestée dans les prières de l’Ancien Testament, mais en la mettant au service de la radicale nouveauté que constituent les paroles de la consécration133. 132 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 205. 133 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 31–32.

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Au-delà de la valeur fonctionnelle qu’on peut retracer dans les deux anamnèses, le Christ par son corps et son sang communique une nouvelle vie aux hommes ; par son sang répandu pour la multitude, il étend en même temps la valeur de sa vie en vertu de son sacrifice, au-delà de ceux qui font mémoire de lui. On décèle ici un aspect universel dans la valeur fonctionnelle de l’anamnèse du NT, de telle sorte qu’on ne peut vouloir la mesurer au seul cercle des participants, d’un peuple, d’une tribu, d’une langue ; l’efficacité du mystère dépasse ceux qui commémorent pour embraser le monde entier, le « pour vous » et le « pour la multitude » le soulignent à l’évidence. Une autre dimension, non la moindre, qu’on soulignerait dans cette anamnèse du NT, est l’actualisation de la présence réelle du Christ parmi les siens, à la différence du repas pascal juif où l’agneau pascal ne se rendait pas réellement présent. Jésus se rend réellement présent aux siens. C’est cela la nouveauté absolue et l’inédit dans les autres anamnèses. La réalité du corps présent donne à l’anamnèse du NT sa consistance. On dirait que la perpétuité de la valeur fonctionnelle de l’anamnèse résulte de sa valeur ontologique ; Jésus qui, à chaque anamnèse, se rend présent parmi les siens, renouvelle l’œuvre rédemptrice de sa passion et maintient ainsi les siens dans la fidélité à l’alliance. Dans cette perspective, l’anamnèse de Jésus transpose sur Jésus ce qui était dit de la Pâque juive et requiert des disciples qu’ils procèdent de la même façon que l’Israélite se comportait lors de la fête pascale. À la différence de l’interprétation précédente selon laquelle c’est Dieu qui est invité à se souvenir, ici c’est l’homme qui doit activer en lui la mémoire de Jésus, sa présence. L’homme doit lutter contre sa tendance à oublier l’acte fondateur de l’Église par Jésus. Il doit laisser affleurer l’action même de Jésus134.

Dans la même idée, l’anamnèse eucharistique ne doit pas constituer un monument érigé en une langue, un style qui est intouchable, non susceptible de changement et d’adaptation, elle doit au contraire être considérée comme actualisation de l’essence d’un événement passé dans mon présent aujourd’hui, parce que l’acte accomplit par Jésus est au-delà de notre temps, de nos langues et cultures. « Le ‹ jour › est un jour qui, aujourd’hui encore, est jour pour moi ; la fête est aujourd’hui encore fête pour moi. C’est une appréhension de l’éternel dans le temps »135. Ce qui fera qu’on 134 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 206. 135 X. Léon-Dufour, « Faites ceci en mémoire de moi », 206.

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maintienne l’aspect actif de l’anamnèse, pour ne pas célébrer l’anamnèse comme une action déjà effectuée, ce qui nous ferait tomber dans la monotonie, dans un esprit de rubrique ; mais nous devons célébrer l’anamnèse comme une action qui est en train de se faire aujourd’hui, dans l’aujourd’hui et dans le maintenant de ma vie avec toutes ses contingences. Le chapitre qui va suivre nous dira comment les Pères de l’Église ont compris cet ordre du Seigneur à ses disciples.

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Chapitre II Auditus fidei : les apports de la théologie à partir des Pères de l’Église jusqu’au concile de Trente

1. Introduction Le témoignage sur l’anamnèse eucharistique est abondant : il se récolte aussi bien chez les Pères de l’Église que chez les théologiens du MoyenÂge et dans les grands conciles qu’a connus l’Église. Pour ce qui est des Pères de l’Église leurs leur mérites historico-théologiques surplombes la majeure documentation littéraire de l’Église pour plusieurs raisons dont : l’ancienneté des fonds de l’enseignement traditionnel de l’Église, l’appartenance à la période de la gestation de l’Église, période intense de la foi, de l’héroïsme chrétien. Se passer d’eux, serait bâtir sur le sable. « L’Église catholique d’aujourd’hui et de demain est et sera toujours l’Église des Pères, qui continuent de l’évangéliser par leurs écrits ; évêques pour la plupart, ils demeurent des interprètes privilégiés du mémorial du Seigneur au sein de la mémoire de l’Église »136. Quant aux théologiens du Moyen-Âge, ils porteront quasi à la perfection théorique la problématique de la transsubstantiation. Ils « feront de la théologie de l’Eucharistie un terrain majeur d’innovation, tant pour la philosophie du langage (avec la découverte de la dimension du ‹ performatif ›) que pour la logique ou la physique »137. Cette période du Moyen-Âge a contribué d’une manière notable à la rationalisation de la foi chrétienne ; surtout la théologie scolastique qui aura un double bilan d’originalité, philosophique et théologique : « d’avoir contribué au rationalisme en général en contribuant à la rationalisation religieuse en particulier »138. Une étude actuelle sur le mystère de la vie du Christ ne peut ignorer ces différents moments importants de la foi chrétienne. 136 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 55. 137 A. De Libera, « Scolastique », 1316. 138 A. De Libera, « Scolastique », 1316.

Les écrits de ces différentes périodes regorgent d’une importance incontestable. Nous allons parcourir dans ce chapitre quelques Pères de l’Église, quelques théologiens du Moyen-Âge et chercher avoir un aperçu du concile de Trente pour voir comment l’Église a réfléchi sur l’anamnèse des mystères de la vie du Christ dans la célébration eucharistique.

2.  Quelques figures des Pères de l’Église A ces illustres auteurs chrétiens qui ont vécu pendant les six premiers siècles de l’Église, nous devons notre déférence non seulement pour leur importance dans l’histoire de la littérature grecque et latine mais surtout pour ce qu’ils nous ont laissé comme héritage au point de vue forme et fond de la doctrine chrétienne que l’Église catholique admet et tient, à côté des Écritures Saintes, comme source de la foi. Leur antiquité, leur sainteté de vie, l’orthodoxie de leurs enseignements et l’approbation par l’Église de leur doctrine, feront de ces premiers chrétiens les Pères de l’Église et les piliers de la foi chrétienne. Les différentes considérations qu’ils feront en matière de foi et spécialement en ce qui concerne l’Eucharistie, ont donné à la génération future l’opportunité de continuer à découvrir la richesse immense que porte ce grand mystère de notre foi catholique. Ce point nous aidera à découvrir la multiplicité de leurs affirmations à propos de l’anamnèse eucharistique. De Méthode d’Olympe à Jean Chrysostome, en passant par Justin et Cyprien jusqu’à Augustin. Nous mettrons au jour les charismes combien immenses qu’avaient reçu ces Pères de l’Église dans l’exposition du mystère eucharistique. Ils ont su dans les premiers siècles de la foi, grâce à leur dispositionibilité à l’Esprit Saint, jeter les bases de la foi chrétienne et dégager les grandes valeurs du mystère divin qui restent encore permanentes et valables jusqu’à ce jour. Nous partirons des Pères d’Orient pour terminer par ceux d’Occident. 2.1  Les Pères d’Orient Ce groupe des Pères d’Orient, dont la classification commence par Ignace d’Antioche, en passant par Cyrille de Jérusalem et tant d’autres, s’arrête 70

en principe à Jean Damascène, bien que la tendance soit « de descendre jusqu’au début du IXème s., pour atteindre la fin de la querelle iconoclaste, où nous trouvons encore un docteur catholique d’une haute valeur, saint Théodore Studite »139. Hormis la situation sociale qui divisait l’Orient et l’Occident : l’empire romain divisé à la fin de IVème s. paraissait davantage se maintenir en Orient qu’en Occident qui définitivement était livré aux barbares ; on notera aussi la tendance intellectuelle qui séparait les deux blocs. L’Orient plus spéculatif et philosophique avait en face de lui l’Occident qui par ses goûts mettait plus en avant son génie pratique. Ces tendances intellectuelles conduiront l’Orient et l’Occident chrétien à affronter en différente langue, les différents problèmes doctrinaux qui se posaient à leurs communautés. L’Orient, en langue grecque devrait faire face à l’éclosion du nestorianisme et du monophysisme, alors que l’Occident, en langue latin, devrait répondre aux controverses semi-pélagiennes sur la gratuité de la grâce et la prédestination. La littérature de l’Orient chrétien en majeure partie théologique au début du christianisme, avait pour point focal la christologie. Le Christ placé au centre de la vie de l’Église, surtout de l’Eucharistie, ne pouvait que naturellement conduire les pères d’Orient à répondre aussi au problème de l’anamnèse eucharistique. Ces quelques figures de Pères de l’Église que nous avons choisies nous donneront certaines considérations sur ce sujet. 2.1.1  Méthode d’Olympe (+ 311) Bien que les écrits sur sa vie soient moins abondants, il essaiera lui aussi à l’instar de ses contemporains de défendre la foi chrétienne face aux différentes hérésies de son temps. Les renseignements sur sa vie restent très confus. Le plus que l’on puisse dire, c’est que l’auteur du Banquet était certainement un maître chrétien, qu’il fut peut-être aussi un évêque et un martyr, qui exerça son activité apostolique dans certaines localités de Lycie (comme Olympe, Patara, Termessus) durant la deuxième moitié du troisième siècle. Il serait trop audacieux d’aller au-delà de ce maigre résultat140.

Quant à ses œuvres, « le Banquet est la seule œuvre qui ait été conservée intégralement en grec. D’autres œuvres – qui subsistent seulement dans 139 F. Cayre, Patrologie et histoire de la Théologie, 1. 140 H. Musurillo, « Méthode d’Olympe, Le Banquet », 11.

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des traductions fragmentaires de l’ancienne Église slave -, les plus importants sont : le Traité du libre arbitre (De autexusio), et Aglaophon ou Traité sur la résurrection du corps (De resurrectione) »141. Chose très intéressante dans ses considérations, il donne une place de choix à l’Eucharistie et arrive à établir une identification entre l’anamnèse et la récapitulation. Il écrira : « Crescite et multiplicamini ; dum ipsa Ecclesia per Verbi copulam et communionem, etiamnum adhuc se nobis inclinantis, et per passionis commemorationem exstasim facientis, in magnitudinem et decorem ac multitudinem augetur »142. Ce passage nous fait voir qu’en célébrant le mémorial du Christ, nous célébrons tous les mystères de sa vie, son entrée dans notre monde par son incarnation, sa vie, sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension et sa venue dans la gloire. L’anamnèse unifie et récapitule tout l’événement Christ dans l’aujourd’hui de l’Église. « L’anamnèse se dévoile ici comme souvenir unifié et unifiant, comme ‹ mémorial du rassemblement ›, implicitement comme récapitulation de toutes les souffrances de tous les justes du monde (Mt 23, 35) »143. On voit apparaître ici une dimension d’une grande importance de l’anamnèse dans cette considération de Méthode d’Olympe, l’anamnèse qui récapitule tout à partir de l’incarnation du Christ jusqu’à son retour. En faisant mémoire du Christ dans la célébration eucharistique, renouvelant tous ces moments importants de sa vie, l’Eucharistie est considérée comme une nouvelle naissance, mort, résurrection et venue du Seigneur. O. Casel commentant une citation de De la virginité, III, 8 de Méthode, écrira : L’œuvre rédemptrice du Christ, qui consiste dans l’incarnation et la passion, devient donc une nouvelle réalité dans une anamnesis qui est si réelle que le Seigneur descend et meurt à nouveau et, par son union avec l’Église, donne naissance spirituellement à de nouveaux enfants de la grâce144.

Ici l’anamnèse franchit un nouveau seuil, parce qu’elle n’est pas seulement le recommencement des mystères de la vie du Christ, mais une occasion de donner à l’Église des nouveaux-nés. L’anamnèse acquiert un rôle important dans le baptême. Elle devient génératrice des nouveaux 141 142 143 144

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H. Musurillo, « Méthode d’Olympe, Le Banquet », 10. Methodius, Convivium decem virginum, I, cap VIII, PG – L XVIII, 74. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 71. O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 69.

croyants ; or à l’époque, le baptême solennel se célébrait seulement pendant la fête de Pâques afin d’y puiser son plein sens de nouvelle vie dans le Christ mort et ressuscité. L’anamnèse devenait alors étroitement liée à la fête de Pâques qu’on célébrait chaque année pour commémorer la mort et la résurrection du Seigneur et au court de laquelle on accueillait les nouveaux-nés dans la foi. Ce lien de l’anamnèse avec la fête de Pâques sera étendu à toutes les célébrations eucharistiques dominicales et quotidiennes parce que toute célébration eucharistique est toujours déjà une célébration de la Pâques de notre Seigneur. Méthode d’Olympe fait un rapprochement très intéressant, nous l’avions vu, entre l’anamnèse et l’événement pascal du Seigneur, sa mort et sa résurrection, et le baptême, sacrement pendant lequel le païen meurt pour les péchés pour naître à une nouvelle vie dans le Christ ressuscité. Cette approche créative de Méthode d’Olympe sur l’anamnèse nous conduit à un autre Père d’Orient à savoir : Jean Chrysostome. 2.1.2  Saint Jean Chrysostome (349–407) Annonçons que Jean est nommé Chrysostome (bouche d’or) à cause de son éloquence145 ; et il est « le meilleur témoin de l’antiquité en faveur de la doctrine catholique de l’Eucharistie : aussi est-il appelé le docteur de l’Eucharistie. Il en parle très souvent et avec une rare précision »146 pour la simple raison qu’aucun Père de l’Église n’a autant approfondi ce thème comme lui. Face à l’usure des commerçants de son époque, face à la dégénération de pouvoir autoritaire qui se tournait à l’idolâtrie de l’impératrice Eudoxie et face aux différentes calomnies, qui le conduiront à la mort en exil, l’évêque Jean Chrysostome restera un excellent prédicateur de la miséricorde de Dieu, et de la charité envers les pauvres. Ses affirmations théologiques sur l’anamnèse eucharistique se trouvent exposées dans ses deux grandes homélies : 17 (faite sur l’épître aux Hébreux)147, et 82 (faite sur l’évangile de Matthieu)148. L’homélie 17 : « montre et situe la multiplicité des anamnèses en relation avec l’unique sacrifice de la croix »149. Tandis que l’homélie 82, traite de comparaison entre l’anamnèse chrétienne et celle mosaïque : 145 Cf. J. Laporte, Les pères de l’Église, Les pères grecs, 203. 146 Rauschen, Eléments de patrologie et d’histoire des dogmes, 222–223. 147 Cf. Joannes Chrysostomus, Homilia XVII, PG – L 63, 127–133. 148 Cf. Joannes Chrysostomus, Homilia LXXXII, PG – L 58, 737–746. 149 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 74.

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 Iterum quoque mortis causam dicit, qui pro multis effundetur in remissionem peccatorum : aitque, hoc facite in meam commemorationem. Viden quomodo a Judaicis abducat et avocet moribus? Nam sicut illud, inquit, celebrabatis in commemorationem miraculorum in Aegypto editorum, ita et hoc in meam commemorationem facite. Illud effusum est ad salutem primogenitorum : hic est enim sanguis meus, inquit, qui effundetur in remissionem peccatorum. Hoc porro dixit, ut simul ostenderet passionem et crucem esse mysterium, atque hac ratione iterum discipulos consolaretur. Et sicut Moyses ait, hoc vobis memoriale sempiternum (Exod.3. 15) : sic et ipse, In meam commemorationem (Luc 22.19), donec veniam. Idcirco ait, desiderio desideravi hoc pascha manducare ; id est, vobis res novas tradere, et pascha dare, quo vos spirituales reddam. Et ipse quoque ex illo bibit150.

Jean Chrysostome voit dans le mémorial mosaïque la préfiguration du mémorial du Christ : « C’est précisément en tant qu’il doit durer jusqu’à son retour glorieux que le mémorial du Christ (1 Co 11, 26) accomplit la divine pérennité garantie par Dieu au mémorial de son Nom confié à Moïse (cf. Ex 3, 15) »151. On voit apparaître une théologie intéressante du nom divin que Chrysostome développe dans son étude sur l’anamnèse mosaïque. Cette théologie sera grandement exaltée et parfaitement accomplie par le mémorial du Christ. De cette théologie du nom divin, nous pouvons dégager une bonne théologie de la consubstantialité du Père et du Fils qui amène à l’union ecclésiale : Je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les dans ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous. Quand j’étais avec eux, je les gardais dans ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé et aucun d’eux ne s’est perdu, sauf le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie (Jn 17, 11–12).

Cette théologie du nom divin qui marque la Trinité divine, sera développée non seulement par Jean Chrysostome mais aussi par Basile qui voyait dans le nom du Christ la synthèse des trois noms divins : Père, Fils et SaintEsprit. Aussi dira-t-il :  « Nam Christi appellatio, totius est professio : declarat siquidem et Deum qui unxit, et Filium qui unctus est, et Spiritum Sanctum qui est unctio »152, faisant ainsi allusion à Ac 10, 38153. 150 151 152 153

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Joannes Chrysostomus, Homilia LXXXII.1, PG – L 58, 739. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 74. Basilius Magnus, Liber de Spiritu Sancto, cap XII. 28, PG – L 32, 116. Cf. La culture africaine qui a un grand respect, pour ne pas parler de culte, envers le « nom ». En Afrique, le nom représente la personne, est la personne. Un enfant ne peut jamais appeler son papa ou sa maman par son nom propre, c’est un manque de

Cette conception de nom se retrouve aussi dans la culture juive, telle que F.-M. Braun nous le notifie : Pour peu qu’on se rende attentif au fait que, selon la conception des Hébreux, le nom d’une personne exprime son être personnel et tout ce qui la caractérise, on comprendra que, si le Père est dans le Fils et le Fils est dans le Père, le Nom de l’un et le Nom de l’autre s’incluent réciproquement154.

Jésus, durant toute sa vie terrestre, cherchera à nous faire comprendre cette communion de vie qui l’unissait au Père (Jn 4, 34 ; 17, 10), ceci non pas seulement pour nous faire voir l’authenticité de sa mission reçue du Père (Jn 4, 34 ; 8, 26–29), mais plus encore pour nous faire entrer dans cette communion divine (Jn 14, 23) et nous faire vivre dans la communion (Jn 17, 21–23). Par le baptême, nous recevons le nom de chrétiens, alter Christus, Jésus nous donne son nom, nous fait entrer en communion avec lui, avec la Sainte Trinité, et pourrions-nous dire, par l’anamnèse eucharistique, nous invite à nous reconnaître fils et filles d’un même Père parce que portant tous le même nom. Le Faites ceci en mémorial de moi, accomplit et perpétue le Je suis de l’Exode (Ex 3, 14) par son caractère unique et non réitérable. Le Je suis de l’exode qui avait libéré d’une manière unique le peuple d’Israël (Ex 3, 13), sera accompli et, parfait par le Je suis du Christ (Jn 8, 28) sur la croix et commémoré dans la sainte Eucharistie pour la libération et le rassemblement de tout l’univers (Jn 11, 52 ; 12, 28.32) : le mémorial du premier Exode voulait commémorer seulement les miracles de l’Egypte et une partielle libération temporelle, l’anamnèse du Christ veut célébrer un Exode universel et définitif : « miracles d’Egypte […] le sang, hier, n’était répandu

respect grave. Evoquer le nom de quelqu’un, c’est évoquer sa personne, entrer en communion avec elle, surtout en cas de danger ou des difficultés. Dans certaines cultures africaines, comme chez les ngbandi, les ngombe…, on ne peut crier le nom de quelqu’un la nuit de peur de laisser emporter cette personne par les mauvais esprits. Le nom représente la personne, sa famille. Prendre en ridicule le nom d’un membre de la famille, c’est ridiculiser la famille entière, tout comme nommer un membre de la famille, c’est toucher toute la famille. C’est ainsi qu’on trouvera des membres d’une même famille qui portent le même nom ou pour renforcer les liens d’amitié, de communion entre deux familles, on fait porter le nom d’un parent d’une autre famille à un enfant d’une famille amie. 154 F.-M. Braun, Jean le théologien, 115.

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que pour sauver les premiers-nés, mais celui-ci est répandu pour la rémission des péchés du monde entier »155.

En faisant mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, l’approche chrysostomienne de l’anamnèse nous fait réellement remettre en mémoire dans la foi ce que le Seigneur a vécu pour notre rédemption, et suscite en nous la compassion et la dévotion au sujet de ce fait historique qui nous engage à sa suite. Hormis les grands mérites dans l’approche de l’anamnèse par Jean Chrysostome qui l’a conduit à la théologie du Nom divin, à la différenciation-continuité entre l’anamnèse mosaïque et chrétienne, pour éviter aux nouveaux convertis au christianisme un probable glissement dans les erreurs de Valentinien, Marcion, Manès qui minimisaient, de diverses manières, la passion et la mort rédemptrice du Christ156. Jean Chrysostome aura aussi le mérite de pénétrer l’intelligence exacte de l’unicité et de la multiplicité du mémorial de Jésus157. Cette dernière a une grande importance dans l’approche chrysostomienne de l’anamnèse parce qu’il souligne deux implications fondamentales de l’ordre d’anamnèse donné par Jésus : la multiplicité des mémoriaux ou commémoraisons, dans le temps et l’espace, et

155 B.De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 75. 156 Cf. Joannes Chrysostomus, Homilia LXXXII.1, PG – L 58, 740. 157 Cf. « Per hostiam suam apparuit ; hoc est, manifestatus est Deo, ad eum accessit. Non igitur quoniam sacerdos hoc saepe facit in anno, putes hoc uicumque et non ob infirmitatem fieri : si non ob infirmitatem, cur tandem fiebant  ? sublatis vulneribus, non amplius opus est medicamentis. Propterea jussit. Inquit, semper afferri propter infirmitatem, utque peccata revocarentur in memoriam. Quid vero? Anon nos quotidie offerimus ? Offerimus quidem, sed ejus mortem revocamus in memoriam : et ipsa una est, non multae. Quomodo una est, non multae ? Quoniam semel fuit oblata, sicut illa fuit in sancta sanctorum. Hoc est figura illius, et ipsa istius : eumdem enim simper offerimus, non nunc aliam, cras aliam ovem, sed simper eamdem. Quamobrem unum est sacrificium propter hanc rationem : alioquin hac ratione, quoniam multis in locis offertur, multine sunt Christi ? Nequaquam, sed unus ubique Christus, qui et hic est plenus, et illic plenus, unum corpus. Ut ergo multis in locis oblatus unum est corpus, et non multa corpora : ita etiam unum est sacrificium. Pontifex noster ille est qui obtulit hostiam, quae nos mundat. Illam nunc quoque offerimus, quae tunc fuit oblata, quae non potest consumi. Hoc fit in recordationem ejus quod tunc factum est : Hoc enim facite, inquit, in meam commemorationem (Luc. 22, 19). Non aliam hostiam, sicut pontifex, sed eamdem simper facimus, vel potius sacrificii facimus commemorationem » : Joannes Chrysostomus, Homilia XVII, in Epist. Ad Hebraeos, cap IX, 3, PG – L 63, 131.

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l’unique sacrifice qu’ils célèbrent. Le Christ, Agneau unique, a voulu, à travers ses disciples, faire ceci de multiples fois, faire un unique ceci, à savoir renouveler l’unique sacrifice de sa mort rédemptrice. Le patriarche de Constantinople oppose clairement aux multiples sacrifices successifs des prêtres de l’Ancienne Alliance l’unique sacrifice du Prêtre unique de l’Alliance Nouvelle et Éternelle. Ceux-là, faibles et impuissants, constituaient une accusation et non une libération des péchés (categoria hamartèmatôn kai ou lusis) et Dieu avait ordonné de les offrir toujours (c’est-à-dire : de le répéter) afin qu’il y eût une constante « anamnèse des péchés » (anamnèsis hamartiôn). Celui-ci, unique, comme le Christ même, sauve vraiment158.

Nous avons atteint ici le sommet de l’approche de l’anamnèse de Jean Chrysostome. Le patriarche décrit d’une manière extraordinaire l’essence même de l’anamnèse eucharistique : La messe n’est pas un sacrifice au sens de l’Ancien Testament, c’est-à-dire un sacrifice indépendant, mais la mémoire de l’unique sacrifice du Nouveau Testament : la mort du Christ. C’est aussi pourquoi la mort du Christ, avec toutes les mémoires qu’on en fait, ne constitue qu’un seul sacrifice, absolument comme un seul Christ est présent sous tous les éléments consacrés. De même que le Christ est partout un et le même, ainsi le sacrifice est-il toujours un et le même en dépit de sa multiplication extérieure. L’unique sacrifice du Seigneur peut sans cesse être remis en mémoire, parce qu’il est inépuisable159.

Pour Jean Chrysostome, la célébration eucharistique est une mémoire sacrificielle du Christ, il l’identifie au sacrifice de la croix. Pour le docteur de l’Eucharistie, comme nous pouvons le remarquer, l’offrande sacrificielle de chaque jour nous fait célébrer la mémoire de la mort du Christ. C’est la même victime que nous offrons. Il y a une identité ontologique entre l’offrande du Christ et celle de l’Église aujourd’hui. Tout en affirmant le lien étroit entre la mémoire et le mystère, tel que nous avons vu plus haut chez Cyprien, il affirme pourtant qu’on peut avoir mille et une célébrations, dans des diverses places qui constituent cette mémoire mais l’objet de la mémoire est toujours unique. Ce théologien visionnaire déjà dans ces premiers siècles de gestation du christianisme jetait les jalons de l’inculturation de la foi. Le Christ est et restera le même, professé par un chinois en sa langue, par un sud africain en zoulou ou par un italien dans plusieurs dialectes … Le Christ lui-même ne l’a-t-il pas dit à ses disciples : « Ne l’en empêchez pas, car il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi. Qui n’est pas contre nous 158 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 78. 159 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 82.

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est pour nous » (Mc 9, 39–40)? Camper dans le conformisme extrême, c’est demeurer encore dans l’anamnèse de l’Ancienne Alliance. L’anamnèse de l’Ancienne Alliance, celle du Nom divin, préfigurait l’anamnèse de la Nouvelle Alliance. Mais faible et impuissante intrinsèquement à cause de sa libération sectorielle et temporelle, l’anamnèse mosaïque accusait chaque fois les péchés du peuple qu’elle ne pouvait pas expier. Avec le Christ, le Je suis de Dieu fait chair, ce hiatus sera comblé ; et par la multiplicité de son mémorial, anamnèse unique de la Nouvelle Alliance, l’humanité sera toujours renouvelée. Au-delà du cadre de ces deux Alliances, Jean Chrysostome fait des considérations sur l’anamnèse dans le sens de l’alliance noachique et des coutumes funéraires de l’Église de son temps. Partant de Gn 1, 28, il fait une bonne application avec la croissance de l’Église à l’ordre : « ceci est mon corps… faites cela… », donné par le Seigneur160. L’obéissance de l’Église à cet ordre fait toujours accroître l’Église par des nouveaux membres ; Jean Chrysostome appliquait ici dans le cadre eucharistique, la vision classique des Pères de l’Église sur le récit de la création d’Adam et d’Eve comme la préfiguration de la nouvelle création d’Eve nouvelle, l’Église, par le nouvel Adam, le Christ. Le Christ de la Cène, dominant en Dieu les siècles futurs jusqu’à son retour, donnait à ses paroles, répétées par ses prêtres, une efficacité analogue à celle de son ordre de croissance et de multiplication physique au début de l’histoire humaine. L’allusion à l’ordre de réitération est incluse dans celle du retour parousiaque de Jésus : « Jusqu’au retour du Sauveur », évocation claire de 1 Co 11, 26. Tout comme les couples humains coopéreraient librement avec le Dieu créateur pour se multiplier au cours des siècles, ainsi la nouvelle Eve, l’Église, à travers ses ministres, actualiserait sans cesse, dans l’ici et le maintenant de l’histoire, l’ordre eucharistique du nouvel Adam, dans une libre et constante obéissance, pleine de foi161. Pour ce qui concerne les coutumes funéraires de l’Église de son temps, on voit donc quelles sont, pour Chrysostome, l’étendue et les limites de l’anamnèse eucharistique : elle exclut la commémoraison des défunts non baptisés, même croyants, même 160 Cf. « Hoc est corpus meum, inquit. Hoc verbum transformat ea, quae proposita sunt. Ac quemadmodum vox illa : Crescite, et multiplicamini, et replete terram (Gen. 1. 28), semel quidem prolata est, omni vero tempore naturae nostrae vim praebet ad filiorum procreationem ; ita et vox haec semel prolata in Ecclesiis ad unamquamque mensam, ab illo ab hodiernum usque tempus et usque ad adventum ejus, sacrificium perfectum efficit » :  Joannes Chrysostomus, In proditionem Judae, Homilia I, 6, PG – L 49, 380. 161 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 80.

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candidats au baptême ; mais cependant, les fidèles peuvent les aider s’ils donnent aux pauvres en leur faveur, même s’ils ne peuvent obtenir ainsi que les noms de ces défunts soient rappelés pendant la célébration des saints Mystères162.

La raison de cette position, peut-être comme le dit B. de Margerie : « L’anamnèse se manifeste ainsi comme un ordre visant le Moi total du Christ : elle correspond à un ‹ faites ceci en mémoire de Moi, Tête et corps›. ‹ Faites-le en mémoire de moi, en tant que je prolonge en mes membres baptisés › »163. L’idée de fond ici, n’est pas comme on peut le penser, l’exclusion des non-baptisés, mais l’invitation à la charité envers les pauvres au bénéfice des défunts. L’anamnèse des défunts, surtout les catéchumènes, devrait nous porter à la charité envers les membres démunis du corps souffrant du Christ qui sont les pauvres. Le mémorial des défunts baptisés, inférieur et inclus dans celui du Christ, les destine dans l’unique mort et la victorieuse résurrection du Christ. Cette approche si riche et équilibrée de l’anamnèse de Jean Chrysostome, peut énormément nous aider à pénétrer et à comprendre beaucoup d’autres approches futures et avoir une large vision sur l’anamnèse des mystères de la vie du Christ, qui au-delà de l’Eucharistie, nous montre l’accomplissement de l’Ancienne Alliance en Jésus et l’inauguration de la Nouvelle Alliance. Le mystère de la Trinité est en même temps célébré dans l’anamnèse du Christ, manifestation parfaite de Dieu, la communion verticale et horizontale de l’Église, avec Dieu, les défunts, les pauvres. Venons-en maintenant aux Pères d’Occident. 2.2  Les pères d’Occident En introduisant les pères d’Orient, nous avons déjà dit un mot ci-dessus sur des caractères distinctifs des pères d’Orient et d’Occident. Pour ce qui concerne la délimitation temporelle des pères d’Occident, la position des patrologues est fluctuante, « certains auteurs pour l’Occident ne dépassent guère saint Grégoire le Grand, au début du VIIème s. Nous croyons qu’on peut aller jusqu’au début du VIIIème s. en tenant compte de saint Bède, que l’on exclut d’ordinaire de la patrologie pour des raisons qui ne

162 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 83. 163 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 83.

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semblent pas absolument déterminantes »164. Par opposition à l’esprit plutôt spéculatif et philosophique oriental de l’époque, les Pères de l’Occident s’appliquent plus aux questions pratiques, telles que celle de la morale, de l’organisation pratique de la vie ecclésiale. Portés à répondre aux problèmes des semi-pélagiens concernant la grâce et la prédestination, les Pères d’Occident ne pouvaient pas passer sous silence l’Eucharistie source de toutes les grâces. C’est ainsi que nous visiterons certains Pères d’Occident pour connaître leurs considérations sur l’anamnèse eucharistique. 2.2.1  Saint Justin (vers 100 – vers 165) L’environnement contextuel, à savoir celui de la persécution, dans lequel vivra Justin fera de lui un grand apologiste de la foi chrétienne. C’est ainsi qu’  il écrivit, je ne dis pas contre les juifs, mais sur les rapports de l’ancienne et de la nouvelle alliance, pour attirer à la foi les fils d’Israël. Quand il se fait l’avocat des chrétiens, il s’adresse aux empereurs avec l’intention, qu’on peut traiter d’ingénue, de les convertir. Son traité sur les hérésies, que nous ne possédons plus, devait avoir le même but, employer les mêmes méthodes, être rempli des mêmes exhortations165.

Sa défense de la foi chrétienne consistera surtout dans l’exposition claire de la doctrine de la foi. S’affrontant aux multiples problèmes qui se posaient en son temps, surtout à celui du gnosticisme, Justin y répondra à travers ses divers écrits. Pour indiquer aux gentils la vraie source de la connaissance et leur prouver que tout ce que les poètes et les philosophes leur ont appris n’étaient que des fables et des erreurs en matière de religion et qu’il fallait chercher la connaissance dans les livres saints, Justin écrira  aux gentils166. Le  Dialogue avec Tryphon167, s’attachera à démontrer aux juifs, par les prophéties, la vérité du christianisme. Le  Traité de la Monarchie168 répondra à la question de l’unité de Dieu. 164 F. Cayre, Patrologie et histoire de la Théologie, 1. 165 M.-J. Lagrange, Saint Justin, Philosophe, Martyr, 24. 166 Cf. Justinus, Gentilium Philosophorum Irrisio, PG – L 6, 1167–1179. 167 Cf. Justinus, Dialogus cum Tryphone Judaeo, PG – L 6, 470–800. 168 Cf. Justinus, Liber de monarchia, PG – L 6, 311–326.

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Dans son apologie adressée à l’empereur Antonin pour les chrétiens, S. Justin, philosophe et martyr pour avoir refusé de sacrifier aux dieux quand Junius Rusticus était le préfet de la ville, nous laisse une mine d’études sur l’ordre d’anamnèse de la Cène tel que rapporté par Lc 22, 19 et par Paul dans 1 Co 11, 24–25. Il écrira à l’Empereur, au Sénat et au peuple romain, disant : Nam apostoli in commentariis suis, quae vocantur Evangelia, ita sibi mandasse Jesum tradiderunt : eum scilicet accepto pane, cum gratias egisset, dixisse : Hoc est corpus meum ; et poculo similer accepto, actisque gratiis dixisse : hic est sanguis meus, ipsisque solis tradidisse169.

L’ordre donné par le Christ de faire ceci en mémoire de lui, n’est pas seulement l’ordre de répéter une cérémonie quelconque , mais le rend réellement présent parmi les siens à travers le pain et le vin qui deviennent son corps et son sang. Sur cette présence réelle du Christ dans l’Eucharistie Justin déclare : nous ne prenons pas ceci, dit-il, comme une nourriture commune ni comme un breuvage ordinaire ; mais, de même que Jésus-Christ notre sauveur fait homme par la parole de Dieu, a pris chair et sang pour notre salut, de même, on nous a appris que cette nourriture bénie par une parole de prière sortie de ses lèvres, et qui, en se transformant, devient notre propre chair et sang, est le corps et le sang de ce Jésus fait homme170.

Justin ne considère pas seulement l’anamnèse qui nous révèle le mystère de la vie de Jésus comme un ordre, mais il va jusqu’à inverser « la séquence lucanienne et paulinienne, en mettant l’ordre d’anamnèse avant les deux consécrations »171. B. De Margerie note : on ne pouvait dire plus clairement que les présidents des communautés chrétiennes, à l’époque de Justin, avaient conscience d’accomplir une volonté solennelle du Christ Jésus intimée à l’instant où il se préparait à sacrifier sa vie pour le salut du monde172.

La célébration de l’anamnèse du Christ chez Justin consistait non seulement en un ordre auquel on devait obéir, elle était une nécessité vitale pour la vie même de l’Église et des chrétiens. Justin parlait d’une manière anticipative de la vision sacramentelle de l’évangélisation que 169 170 171 172

Justinus, Apologia prima pro christianis, 66, PG – L 6, 430. Raushen, Éléments de patrologie, 70. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 56. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 56.

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reprendra EN 14173. L’écho de sa pensée, consistant à considérer l’Eucharistie comme source et sommet de toute évangélisation, se retrouvera dans PO 5174. L’Eucharistie comme mémorial de la passion et de la résurrection du Christ « paraît déjà ici, bien avant Vatican II, vue comme le sommet de l’évangélisation, transmission de mémoires dont le mémorial est le centre »175. L’anamnèse des mystères de la vie du Christ pour S. Justin n’était pas seulement close en Jésus Christ, mais à travers Jésus elle nous ouvrait à voir les merveilles que Dieu a opérées dans le monde. Le saint martyr écrivait à ce propos : Similae quoque oblatio, viri, aiebam, pro iis, qui a lepra purgabantur, praescripta, figura erat panis Eucharistiae, quem Dominus noster Jesus Christus in recordationem passionis pro his qui ab omni pravitate purgantur susceptae fieri praecepit ; ut et simul gratias agamus Deo, tum quod mundum et omnia, quae in eo sunt, propter hominem creaverit ; tum quod nos a nequitia, in qua fuimus, liberaverit, et principatus et protestates funditus profligaverit per eum qui de ejus voluntate passioni factus est obnoxius176.

Ici l’agir créateur et rédempteur du Père à travers son Fils Unique devient aussi objet de mémoire. L’ordre transmis par Jésus de faire mémoire de sa mort et de sa résurrection devient un ordre visant non seulement un passé proche de ses mystères mais aussi un passé lointain qui englobe toute l’histoire du salut à partir de la création et l’ouvre vers un avenir que Jésus rendra parfait. Tout a été créé en Lui, par Lui et sans Lui rien a été créé (Jn 1,1–3). L’anamnèse devient une régénération perpétuelle de la création jusqu’au retour triomphal du Christ. 173 Cf. EN 14 : « Evangelizzare, infatti, è la grazia e la vocazione propria della Chiesa, la sua identità più profonda. Essa esiste per evangelizzare, vale a dire per predicare ed insegnare, essere il canale del dono della grazia, riconciliare i peccatori con Dio, perpetuare il sacrificio del Cristo nella S. Messa che è il memoriale della sua morte e della sua gloriosa risurrezione ». 174 Cf. PO, 5 : « In Sanctissima enim Eucharistia totum bonum spirituale Ecclesiae continetur, ipse scilicet Christus, Pascha nostrum panisque vivus per Carnem suam Spiritu Sancto vivificatam et vivificantem vitam praestans hominibus, qui ita invitantur et adducuntur ad seipsos, suos labores cunctasque res creatas una cum Ipso offerendos. Quapropter Eucharistia ut fons et culmen totius evangelizationis apparet, dum catechumeni ad participationem Eucharistiae paulatim introducuntur, et fideles, iam sacro baptismate et confirmatione signati, plene per receptionem Eucharistiae Corpori Christi inseruntur. » 175 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 56. 176 Justinus, Dialogus cum Tryphone Judaeo, cap 41, PG – L 6, 563.

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Dans le chapitre LXX de son Dialogue avec Tryphon177, Justin pointe la double anamnèse évoquée par le texte paulinien, « la première est plus relative à l’incarnation dont le caractère souffrant est cependant mentionné et la seconde plus liée à la passion, le double ordre d’anamnèse visant ainsi à nous faire commémorer la totalité du mystère du Christ depuis son entrée en ce monde jusqu’à sa sortie »178. La totalité de l’eucharistie, dès le IIème siècle, on peut déjà le déceler ici, faisait mémoire de ce double aspect : l’incarnation et la passion du Seigneur. Ces deux dimensions constituaient l’anamnèse eucharistique. O. Casel, en approfondissant cette approche justinienne de l’anamnèse, écrira : « Le repas eucharistique n’est donc pas seulement corps et sang de l’homme-Dieu mais son accomplissement (ou son offrande sacrificielle) est, en tant qu’action, mémoire de l’incarnation et de la mort rédemptrice »179. La prescription par le Seigneur de faire ceci en mémoire de lui, est une exhortation à une célébration symbolique de son incarnation et de sa mort rédemptrice. Les paroles et les gestes qui 177 Cf. « Liquet igitur in hac quoque prophetia et et de pane illo praedici, quem nobis Christus noster facere praecepit in memoriam corporis a se propter eos qui in ipsum credunt, assumpti, propter quos et passibilis factus est ; et de calice, quem in memoriam sanguinis sui cum gratiarum actione fieri praecepit atque hunc ipsum Regem gloria circumfluentem nos visuros eadem prophetia declarat : ac futurum etiam ut populus, qui in eum praenoscebatur crediturus, timorem Dei meditaretur, id praecognitum fuisse, ipsa prophetiae verba clamant ; denique eos qui litteras Scripturarum scire sibi videntur, prohetiarum intelligentiam, etiam cum eas audiunt, non habere, similiter hae Scripturae vociferantur » : Justinus, Dialogus cum Tryphone Judaeo, cap 70 , PG – L 6, 642. 178 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 58. Sur cette citation, B. De Margerie insère une note dans son livre précité que nous reprenons ici : J. Betz, Encyclopédie de la foi, 74 : « Ce qui est actualisé, selon les anciennes liturgies, c’est toute l’œuvre salvifique de Jésus, depuis son incarnation, en passant par la crucifixion et la résurrection, jusqu’à son ascension et même, selon plus d’un formulaire, jusqu’à la parousie. » Ici, la correspondance insinuée par Justin entre chair du Christ et mystère de l’Incarnation, sang du Christ et Passion rédemptrice, est en parfaite harmonie avec ce que laisse entendre l’épître aux Hébreux (10, 5 .9–10 ; 13, 12 ; 2, 10 ; 9, 12.25 ; 13, 20) : le corps paraît symboliser le début de la vie humaine de Jésus, le sang la fin de sa vie terrestre (Cf. Dussaut, Eucharistie, 1972) ; ce point de vue déjà entrevu par Justin fut clairement dégagé par saint Thomas d’Aquin dans son commentaire de 1 Co11, 23–26 : « Corpus Christi repraesentat mysterium Incarnationis sed Sanguis Christi directe repraesentat Passionem. » – j. galot, « Eucharistie et incarnation », 549–566, sans mentionner Justin, a bien exposé la relation entre incarnation et ordre de réitération. 179 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 50.

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accompagnent cette célébration le montrent clairement : prendre le pain qui devient son corps livré pour vous, prendre le vin qui devient son sang et verser pour vous. L’anamnèse eucharistique peut donc être considérée comme une mémoire du Seigneur dans la re-présentation de la mort historique du Seigneur. Cette re-présentation correspond exactement à la présence, très clairement enseignée par les paroles du Seigneur et de Saint Paul, du corps du Seigneur : aussi sûrement et réellement celui-ci est-il présent, aussi réellement la mort du Seigneur est actuelle180. 

L’Église, pour Justin, arrive par l’obéissance à cet ordre du Christ au point culminant de toute l’œuvre évangélisatrice, car l’annonce de l’Évangile vise à donner le Sauveur au monde en vue du royaume des cieux. C’est ainsi que pour Justin, l’ordre de l’anamnèse lui a été donné non seulement par l’Église, comme l’affirme S. Paul (1 Co 11, 23), mais par le Seigneur Jésus lui-même181. Nous voyons apparaître ici dans l’approche justinienne de l’anamnèse, un double ordre de l’anamnèse. Celui donné par le Christ qui devient structurant et légiférant pour l’Église : mémorial ; et celui évangélisateur de l’Église182. Hormis les éclairages, tels que l’ouverture qu’il donne à l’anamnèse à l’agir créateur et rédempteur du Père à travers le Fils, la valorisation de « faire » qui le pousse à employer d’une manière absolue le verbe eucharistein, bien que la doctrine des Douze Apôtres utilise aussi largement ce verbe, nous pensons que Justin n’aurait pas pris assez de précautions, en disant avoir reçu du Seigneur lui-même l’ordre de l’anamnèse, bien qu’il reconnaisse le rôle de l’Église dans la transmission de cet ordre du Seigneur reçu des Apôtres. Quelles seront les considérations de S. Cyprien sur l’anamnèse eucharistique ? Le point qui suit nous le dira.

180 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 46. 181 Cf. « Qui ergo per illius nomen sacrificia ipsi offerunt ea, quae a Jesu Christo praescripta, id est quae in eucharistia panis et calicis a christianis in omni terrarum loco offeruntur, hos omnes in antecessum Deus gratos sibi esse o testatur. Quae vero a vobis ac per vestros illos sacerdotes offeruntur, ea respuit, cum dicit : ‹ Et sacrificia vestra non suscipiam de manibus vestris : quoniam ab ortu solis usque ad occasum nomen meum glorificatur in gentibus : vos autem profanatis illud › » : Justinus, Dialogus cum Tryphone Judaeo, cap 117 , PG – L 6, 746. 182 Cf. Justinus, Apologia prima pro christianis, 66, PG – L 6, 430.

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2.2.2  Saint Cyprien (200–258) L’évêque de Carthage ne sera pas en reste pour nous offrir ses considérations sur le mémorial du Seigneur. Exilé de son diocèse pour échapper à la persécution de l’empereur Dèce, il dirigera par correspondance sa communauté pendant au moins un an et demi. Il subira lui aussi le martyre sous Valérien. La grande question à laquelle il a eu à répondre est celle des apostats183. Il exhorte ceux qui sont tombés à ne pas réclamer un pardon immédiat, mais à faire pénitence et à faire des aumônes comme signe de renoncement à ce qu’ils auraient dû abandonner en allant en exil pour ne pas sacrifier aux faux dieux. Pour refaire l’unité de l’Église fissurée par les lapsi (tombés)184, il prônera la fidélité185. La doctrine de l’Eucharistie ne sera pas du reste dans ses différentes considérations théologiques, il y dédiera une bonne partie de ses écrits dans lesquels il nous laisse son apport en ce qui concerne l’anamnèse du Seigneur186. Il aura ici à faire face au problème des encratites, c’est ainsi qu’il réagira très fort contre certains comportements de ses collègues qui voulaient célébrer la sainte Eucharistie seulement avec de l’eau sans le vin. En citant 1 Co 11, 23–25, il ajoute : Quod si et a Dommino praecepitur, et ab Apostolo ejus hoc idem confirmatur et traditur, ut quotiescunque biberimus, in commemorationem Dominni hoc faciamus quod fecit et Dominus, invenimus non observari a nobis quod mandatum est, nisi eadem quae Dominus fecit nos quoque faciamus, et calicem Domini pari ratione miscentes a divino magisterio non recedendum non esse, et eadem quae magister docuit et fecit discipulos quoque observare et facere debere, constantius et fortius alio in loco beatus Apostolus docet dicens : Miror quod sic tam cito demutamini ab eo qui vos vocavit ad gratiam, ad aliud evangelium, quod non est aliud, nisi si sunt aliqui qui vos conturbant et volunt convertere Evangelium Christi. Sed, licet aut nos aut angelus de coelo aliter annuntiet praeterquam quod annuntiavimus vobis, anathema sit. Sicut 183 Cf. Cyprianus, Liber de lapsis, PL 4, 478–510. Cf. Cyprianus, De lapsis de Ecclesiae Catholicae Unitate, CCSL 3, 218–242. 184 Cf. Cyprianus, Liber de unitate ecclesia, PL 4, 510–535.Cf. Cyprianus, De lapsis de Ecclesiae Catholicae Unitate, CCSL 3, 244–268. 185 Cf. « Il fonde l’unité ecclésiale sur la cohésion de la Trinité » (§6, citant 1 Jn 5, 8 ) et surtout sur les signes concrets : la tunique du Christ (§7) ; la famille rassemblée chez Rahab (§8, d’après Ex 12, 46) ; la colombe venue sur Jésus à son baptême (b.), « oiseau simple et joyeux, sans fiel », dont les couples connaissent « la concorde et la paix » (§ 9). A l’unité de l’Église correspond un épiscopat « un et indivisible » (§5). Cf. J.-M. Salamito, « Cyprien de Carthage », DCrT, 362. 186 Cf. Cyprianus, Epistola 63, PL 4, 383–401.

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praediximus, et nunc iterum dico : Si quis vobis annuntiaverit praeterquam quod accepistis anathema sit (Galat., 1, 6–9)187.

Partant de l’authenticité de la transmission de l’ordre de l’anamnèse garantie par les apôtres qui l’ont directement reçu du Seigneur, Cyprien écarte toutes tentatives de remise en question de cet ordre. Cet ordre constituait pour lui un sacrosaint auquel on ne pouvait pas toucher. Le tenter aurait été une atteinte à l’Évangile même et on en pouvait être anathématisé. L’évêque de Carthage considère l’ordre donné par le Seigneur avant sa passion à ses apôtres, de réitérer les mystères de sa vie, comme le commandement propre et suprême de la Nouvelle Alliance. Il y insistera en disant que Quod si nec minima de mandatis Dominicis licet solvere, quanto magis tam magna, tam grandia, tam ad ipsum Dominicae passionis et nostrae redemptionis sacramentum pertinentia fas non est infringere, aut in aliud quam quod divinitus institutum sit humana traditione mutare ?188

Pour Cyprien, l’ordre donné par le Seigneur ne peut même pas être pris comme émanant d’une tradition humaine, il est vraiment une institution divine. On pouvait arriver à penser que l’évêque de Carthage, en insistant sur l’ordre donné par le Seigneur comme étant exclusivement une institution divine réduirait son aspect d’anamnèse. Pouvons-nous penser que ce commandement du Seigneur serait extrinsèque, « omettant d’accentuer le lien entre l’objet du commandement et les sujets qui doivent l’accomplir »189. B. de Margerie tente de répondre à cette objection en citant encore la lettre de Cyprien : Nam, si Jesus Christus Dominus et Deus noster ipse est summus sacerdos Dei Patris, et sacrificium Patri se ipsum primus obtulit et hoc fieri in sui commemorationem praecipit, utque ille sacerdos vice Christi vere fungitur qui id quod Christ fecit imitatur, et sacrificium verum et plenum tunc offert in Ecclesia Deo Patri, si sic incipiat offerre secundum quod ipsum Christum videat obtulisse190.

Faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ implique pour l’évêque de Carthage une imitation du Christ même dont on fait mémoire ; 187 188 189 190

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Cyprianus, Epistola 63, X, PL 4, 393. Cyprianus, Epistola 63, XIV, PL 4, 397. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 62. Cyprianus, Epistola 63, XIV, PL 4, 397.

ce fait n’est pas seulement un accomplissement d’un ordre à un niveau formel d’obéissance, mais devient existentiel et engage notre être. La participation des croyants à la passion du Christ devient une implication de vrai mémorial du sacrifice du Christ, ceci met en communion les fidèles qui célèbrent ce mémorial avec le Christ, et est symbolisé par le mélange du vin avec de l’eau : Nam, quia nos omnes portabat Christus, qui et peccata nostra portabat, videmus in aqua populum intelligi, in vino vero ostendi sanguinem Christi. Quando autem in calice vino aqua miscetur, Christo populus adunatur, et credentium plebs ei in quem credidit copulatur et conjungitur. Quae copulatio et conjunctio aquae et vini sic miscetur in calice Domini ut commistio illa non possit ab invicem separari. Unde et Ecclesiam, id est plebem in Ecclesia constitutam, fideliter et firmiter in eo quod credidit perseverantem, nulla res separare poterit a Christo quominus haereat semper et maneat individua dilectio. Sic autem in sanctificando calice Domini offerri aqua sola non potest, quomodo nec vinum solum potest. Nam, si vinum tantum quis offerat, sanguis Christi incipit esse sine nobis : si vero aqua sit sola, plebs incipit esse sine Christo191.

Combattant ses collègues évêques qui célébraient parfois avec de l’eau sans vin, l’évêque de Carthage utilise cette image de l’eau et de vin pour nous faire voir que la célébration du mémorial du Christ symbolisé par le mélange dans le calice de ces deux éléments renvoie à l’union de l’Église avec le Christ. Une approche intéressante de l’anamnèse qui nous fait comprendre que le mélange d’eau et de vin que nous pouvons considérer comme éléments préliminaires ne pouvaient pas être négligé au risque de mettre à mal l’idée de fond de l’anamnèse qui est l’union du Christ avec son Église. Comme l’eau et le vin s’intègrent l’un à l’autre, le mémorial des mystères de la vie du Christ doit intégrer les fidèles dans la dynamique même de la vie du Christ. « Faites ceci en mémoire de moi : ces mots ne signifient pas seulement qu’il faut répéter les gestes du Christ à la cène, mais encore qu’il faut s’associer aux dispositions intimes avec lesquelles il les posait »192. Cette citation, venant renforcer la grandeur de la théologie de Cyprien sur l’anamnèse eucharistique du Christ, nous fait déceler en même temps la double dimension de l’anamnèse. La première dimension concerne les chrétiens qui ont reçu le sacrement de l’ordre et qui sont mandatés par leur ministère à perpétuer le mémorial du Christ. Ils ne doivent pas négliger dans la célébration de ce 191 Cyprianus, Epistola 63, XIII, PL 4, 395–396. 192 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 64.

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mémorial le mélange de l’eau, qui représente le peuple de Dieu, et du vin, qui représente le Christ ; parce que ce mélange renvoie à une réalité beaucoup plus grande qu’un simple geste rituel, celle de l’union du Christ avec son peuple. Nous pouvons encore renforcer cette théologie de l’anamnèse de Cyprien par les paroles mêmes que le prêtre dit en accomplissant ce geste : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être uni à la divinité de celui qui a pris notre humanité »193. La seconde dimension concerne le peuple de Dieu, les dispositions intimes qu’il doit avoir en célébrant ce mémorial. Nous pouvons penser ici à ce que l’apôtre Paul dit dans 1 Co 11, 27–29, une disposition intime qui nous prépare à célébrer et à recevoir dignement le mémorial du Christ et qui nous engage à sa suite jusqu’au sacrifice suprême. En replaçant l’évêque de Carthage dans son contexte socio-religieux, – où le gnosticisme éliminait le mémorial de la passion du Christ, méprisait le vin, le corps, la matière –, son approche de l’anamnèse nous amène à une communion avec le Christ incarné, qui a souffert la passion pour nous sauver. Nous aussi, en célébrant les mystères de sa vie, nous devons entrer dans cette logique et cette dynamique qui ont conduit toute sa vie. Cyprien, déjà au IIIe siècle, à l’époque des martyrs, nous permet de mieux voir que l’eucharistie de Jésus et de son Église est un sacrement d’immortalité et de résurrection qui ne dispense pas de souffrir et de mourir, mais donne au communiant la force d’accepter dans la joie sa souffrance et sa mort en les unissant à celles du Christ victorieux194.

Le fait de considérer comme Cyprien que l’anamnèse est la commémoration du Seigneur, surtout de sa mort est plus réaliste. C’est ainsi que Cyprien considérera l’Eucharistie comme dominicae passionis et nostrae redemptionis sacramentum, c’est-à-dire une présentation mystique de la passion du Seigneur et de notre rédemption, donc d’une action qui ne peut être représentée que par une action »195. On voit apparaître un mot nouveau dans cette approche de Cyprien : présentation mystique. L’anamnèse du Christ célébrée dans l’Eucharistie n’est possible que si elle est en lien étroit avec la mémoire personnelle du sacrifice personnel du Christ. Le renouvellement de ce que le Christ avait autrefois fait devient sacramentum, c’est-à-dire « présence mystique sous le rite que le Seigneur institua 193 MAD, Prières pour la préparation des offrandes. 194 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 65. 195 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 54.

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lui-même et que les prêtres imitent : « sacerdos vice Christi vere fungitur, qui id quod Christus fecit imitatur »196. La passion du Christ constitue, pour Cyprien, l’objet même de l’anamnèse. Il y a d’un côté l’objet en soi et de l’autre côté le fait de commémorer qui devient mystère dans le sens de « commemoratio, le sacramentum de ce même événement, c’est-à-dire une action rituelle qui renferme en soi de façon mystérieuse la réalité du fait historique : autrement dit un mysterium »197. On comprend alors ici pourquoi pendant le Moyen-Age, le mot sacramentum qu’on traduisait par mystère désignait l’Eucharistie. Après, toujours pendant le  Moyen Age, l’Eucharistie signifiera simplement mystère. Comment expliquer ce lien entre l’anamnèse et le mystère ? Le recours à l’antiquité nous éclaire sur les nuances du vocable « anamnèse ». Pour mieux comprendre tout ceci, il faut nous replacer dans l’antiquité pour voir les diverses acceptions que le mot « anamnèse » comportait. Dans le monde religieux d’autrefois, le mot « anamnèse » jouait un grand rôle, il y avait une pratique courante de Memoriam mortuorum. L’ordre du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » comportait le risque de rappeler aux chrétiens les repas des sacrifices funéraires. Jean Chrysostome, distinguant deux types de mémoires, les rapproche pourtant en ces termes : Tu fais la mémoire du Christ et tu méprises les pauvres et tu ne trembles pas ! Mais dans le cas où tu célébrerais la mémoire d’un fils ou d’un frère défunt, ta conscience te reprocherait de manquer aux usages et de ne pas inviter les pauvres. Et pourtant lorsque tu célèbres la mémoire de ton Seigneur, tu ne partages rien de la table198.

Notons tout de suite que pour les chrétiens des premiers siècles, il y avait une nette différence entre la mémoire des défunts et celle qu’ils faisaient pour le Christ dans la célébration eucharistique. Le Christ, après avoir connu la mort, est bel et bien ressuscité, vivant et entré dans la gloire de son Père. En faisant mémoire de ce Christ, nous professons aussi notre foi en sa divinité. A l’inverse, l’épiphanie sous une forme humaine de certains dieux, qui subissaient la souffrance et même la mort, faisait partie de la croyance dans l’antiquité païenne. Ces dieux, après de dures épreuves, revenaient à la vie sous la forme humaine et avaient une existence renouvelée après avoir parcouru certains rites dramatiques. Les affiliés de 196 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 55. 197 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 55. 198 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 58.

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ces dieux, s’ils voulaient entrer en communion avec eux et être divinisés, devaient aussi parcourir ces rites. « Ces célébrations prennent de ce fait, surtout à l’époque hellénistique, un caractère mystique accentué, pour autant que celui qui y prend part entre par elles en relation personnelle avec la divinité et que cette relation se poursuit après la mort dans une vie bienheureuse »199. Loin de rester à ce niveau païen, l’hellénisme réunissant le courant religieux oriental et hellénique en son sein, nous offrira une nouvelle forme du vécu de l’anamnèse. On passe d’une simple invocation et offrande à la divinité à une participation effective aux actes de la divinité et à l’assimilation de ses actes dans son agir. La nouveauté et la particularité de l’anamnèse chrétienne se fait encore voir ici une fois de plus par rapport à la Haggadah. Dans son aspect mystique, le peuple d’Israël commémorait chaque année au court de la célébration de leur libération d’Egypte, il y puisait la force d’être constitué de manière permanente en une nation. Il ne faisait pas de cette célébration un mystère avec un objectif dans l’au-delà, mais envisageait seulement sa constitution et sa consolidation au niveau terrestre. Quelques idées mystiques qu’on retrouve chez les prophètes ne se rattachent pas au culte. Face aux mystères païens qui ne s’arrêtaient qu’au stade de la religion naturaliste et qui contenait dans la plupart des cas des cérémonies immorales, face à la haggadah juive telle que vue plus haut, l’anamnèse chrétienne propose un « logos », une doctrine et une morale ; mais ce n’était pas là son essence déterminante. Les apôtres annoncent partout le Sauveur Jésus-Christ crucifié et ressuscité, dont le Pneuma vit dans l’Église ; celle-ci est son Église, non pas d’abord du fait de sa doctrine à lui et de sa loi morale mais de son propre fait à lui, son époux. L’Église est entièrement bâtie sur la personne de l’Homme-Dieu. Il faut s’unir à lui ; mais cela n’est possible qu’en s’insérant dans son œuvre de rédemption, et celle-ci atteignit son sommet avec sa mort offerte en sacrifice, sa résurrection et son ascension par lesquelles il est allé de ce monde à son Père et a « acquis l’éternelle rédemption »200.

Les chrétiens, pour entrer en communion avec le Christ et bénéficier ainsi des faits bienfaisants de cette communion à partir de cette terre et dans l’au-delà, doivent suivre la voie indiquée par leur maître qui, étant encore sur cette terre, disait : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6 ). 199 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 59. 200 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 61–62.

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Cette suite s’avère cultuelle dans le rite du don de lui-meme qu’il a célébré symboliquement avant sa mort et qu’il a recommandé de faire en sa mémoire. Cette anamnèse chrétienne devient mysterium de notre foi parce qu’elle nous fait vivre, entrer en communion et modèle notre vie sur la mort, la résurrection de Jésus et nous oriente vers une espérance d’un monde à venir avec le Christ assis à la droite du Père. Le mérite de Cyprien consiste à nous montrer ce lien étroit au niveau du vécu historique entre l’anamnèse païenne et l’anamnèse chrétienne, le lien entre mémoire et mystère, et nous livre la particularité, pour ne pas dire la nouveauté, de l’anamnèse chrétienne qui en puisant dans les us de son temps en matière commémorative, lui donne une perspective d’éternité bienheureuse dans le temps présent et dans l’au-delà à la fin du temps. Cette expérience de Cyprien nous conduit à écouter un autre écho, à savoir celui de Gaudence de Brescia. 2.2.3  Saint Gaudence de Brescia (327–411) La vie humble et discrète de S. Gaudence caractérise ce grand fils de l’Église que ses diocésains ont aussitôt découvert en l’élisant comme leur évêque. Il aura un renom œcuménique : « La prima fu quando Ambrogio lo richiese ai vescovi dell’Oriente come presule da preporre alla Chiesa di Brescia ; la seconda quando…fu mandato a Costantinopoli per ottenere la revoca dell’esilio inflitto a Giovanni Crisostomo »201. C’est chez lui que nous trouvons d’une manière unique et originale l’approche de l’anamnèse comme ayant une portée universelle et ecclésiale constante. En bon défenseur de la foi chrétienne, Gaudence lègue à l’Église vingt-et-un discours adressés à Bénévale pour l’instruction de la postérité. Le deuxième discours est un bel exposé sur l’Eucharistie et la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ202. Gaudence nous laisse une leçon d’une grande valeur sur l’anamnèse dans son sermon sur l’Exode qu’on retrouve dans le deuxième discours. Il écrira : Voluit enim beneficia sua permanere apud nos, voluit animas pretioso sanguine suo redemptas semper sanctificari per imaginem propriae passionis ideo discipulis fidelibus mandat, quos primos et ecclesiae suae constituit sacerdotes, ut indesinenter ista vitae aeternae mysteria exercerent, quae necesse est a cunctis sacerdotibus per singulas totius orbis ecclesias celebrari, usque quo iterum Christus de caelis adveniat, 201 Gaudence Di Brescia, I sermoni, 7. Pour d’autres détails sur Gaudence, nous vous renvoyons au même numéro cité. 202 Cf. S. Gaudentii, Tractatus, CSEL 68, 275.

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quo et ipsi sacerdotes et omnes pariter fidelium populi, exemplar passionis Christi ante oculos habentes cottidie et gerentes in manibus, ore etiam sumentes ac pectore, redemptionis nostrae indelebilem memoriam teneamus et contra venena diaboli dulcem medicinam sempiterni tutaminis consequamur, sicut spiritus sanctus hortatur : Gustate et videte, quoniam suavis[est]dominus203.

Ce passage de l’homélie de Gaudence de Brescia est d’une richesse immense. Dès les premières lignes, on voit apparaître le choix et l’institution par Jésus, parmi ses disciples, du sacrement de l’Ordre pour son Église. En deuxième lieu, l’ordre de célébrer sans interruption, et cela en tout lieu, sa mémoire : l’universalité géographique de l’anamnèse ; l’intemporalité jusqu’à la parousie de cette célébration. En troisième lieu l’entrée en communion entre nous, prêtres et fidèles (Mt 23, 8 ; 1 Th 2, 12 ; Col 1, 13), et avec la passion du Christ qui doit nous servir de modèle permanent pour la construction de royaume de Dieu204. En quatrième lieu, le souvenir indélébile de notre Rédemption comme protection contre le mal. L’évêque de Brescia nous donne deux raisons de l’ordre donné par le Christ à ses apôtres faites ceci en mémorial de moi : Primum, ut immaculatus dei agnus hostiam mundam mundato populo traderet celebrandam sine ustione, sine sanguine, sine bromo, et quae omnibus ad offerendum prompta esset ac facilis. Deinde quoniam panem de multis tritici granis in pollinem redactis per aquam confici et per ignem necesse est consummari, rationabiliter in eo figura accipitur corporis Christi, quem novimus ex multitudine totius humani generis unum esse corpus effectum, [et] per ignem sancti spiritus consummatum205.

Grâce à la célébration quotidienne de tous les prêtres en différents lieux du monde, la communion quotidienne de tous les fidèles est chaque fois refaite et vécue ; le vrai pain qui est le corps du Christ est donné pour la vie du monde. Le Christ, en donnant cet ordre, a en vue cette double fin : opérer chez tous les prêtres et chez tous les fidèles la communion, et par le souvenir ineffaçable de sa passion rédemptrice leur donner le vrai pain de vie. Soulignons en cinquième lieu ce caractère non négligeable de l’anamnèse eucharistique que Gaudence met en lumière. Il la considère 203 S. Gaudentii, Tractatus, 31. 204 Cf. Idée reprise par Vatican II : PO 9 : « Cependant, avec tous les chrétiens, ils sont des disciples du Seigneur, que la grâce de l’appel de Dieu a fait participer à son Royaume. Au milieu de tous les baptisés, les prêtres sont des frères parmi les frères, membres de l’unique et même Corps du Christ dont la construction a été confiée à tous. » 205 S. Gaudentii, Tractatus, 31–32.

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comme l’accomplissement parfait et vrai de l’agneau pascal de l’ancienne pâque : In umbra illius legalis paschae non unus agnus occidebatur, sed plures ; singuli enim occidebantur per domos, nam sufficere unus non poterat universis, quoniam figura erat, non proprietas dominicae passionis. Figura etenim non est veritas ; nam et homo ad imaginem dei factus est, nec tamen idcirco deus est, tam [en] etsi ea ratione, qua imago dei dicitur, dicatur et deus, quoniam natura unus deus est, positione plures. – Ergo in hac veritate, qua sumus, unus pro omnibus mortuus est et idem per singulas ecclesiarum domos in mysterio panis ac vini reficit immolatus, vivificat creditus, consecrantes sanctificat consecratus206.

Reprenons pour conclure cette approche de l’anamnèse par Gaudence de Brescia, la citation de B. de Margerie : l’ami de Chrysostome et d’Ambroise a eu surtout le mérite de percevoir la complexité, la richesse et l’universalité spatio-temporelle de l’ordre d’anamnèse. Aucun autre commentaire patristique ne laisse si clairement entendre l’équivalence entre le commandement suprême du Christ et l’institution par lui d’une Église unique et universelle destinée à traverser toute l’histoire humaine dans l’indéfectible célébration d’une Alliance tout à la fois ancienne, nouvelle et éternelle207.

Gaudence est l’un des Pères de l’Église qui, sans trop d’esprit de grandeur, nous a laissé d’une manière simple mais bien précise la finalité de l’anamnèse, le salut commun de notre vie à tous, pour les prêtres qui célèbrent et pour tous les fidèles. Si nous voulons pousser encore plus loin notre réflexion sur cette approche de l’anamnèse par Gaudence, nous pouvons lire en filigrane la reconnaissance d’une part du sacerdoce ministériel, et d’autre part la reconnaissance du sacerdoce baptismal de tous les chrétiens qui tous par la confession et la mémoire des mystères sacrés de la vie du Christ sont bénéficiaires de l’œuvre rédemptrice du Christ. Prenons un autre Père, non le moindre, Augustin d’Hippone. 2.2.4  S. Augustin d’Hippone (354–430) Considéré par l’Abbé Migne comme faisant partie du petit nombre de ces hommes qui, par les luttes les plus pénibles, se sont préparés, dès les premiers jours de leur jeunesse, à des travaux extraordinaires208, Augustin 206 S. Gaudentii, Tractatus, 25–26. 207 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 91. 208 Cf. A. Migne, Nouvelle Encyclopédie Théologique, 20, 534.

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par ses œuvres209, et spécialement dans ses Confessions210 nous livre sa vie et son âme. Ses œuvres sont la résultante d’une lutte et d’une victoire d’abord sur lui-même avant d’être un combat et une victoire sur les hérésies de son époque (manichéisme, donatisme, pélagianisme211) qui 209 Cf. Augustinus, Opera omnia, PL 32–47. 210 Cf. Augustinus, Confessionum, Libri tredecim, CSEL 33, 396. 211 Cf. * Manichéisme : doctrine fondée par Mani, né le 14 avril 216 à Mardînu, en Babylonie du Nord. Sa doctrine est consignée principalement dans deux ouvrages : « Le Shabuhragan, qui expose les bases du dualisme manichéen à travers la doctrine de deux principes, et la Pragmateia, qui développe la cosmogonie manichéenne. Celle-ci s’effectue en trois temps. Au moment antérieur, il y a seulement dualité des principes ‹ bon › et ‹ mauvais ›. Au moment médian, divers affrontements entre le roi de la Ténèbre et le Père de la Lumière donnent lieu à plusieurs émanations, dont la Mère des vivants, l’homme primordial, l’esprit vivant, les archontes, Jésus splendeur… Le moment final n’est pas encore réalisé ; l’eschatologie manichéenne attend un jugement dernier et le triomphe final du Mani » : R. Braun, Marcionisme, dans DCT, 836. Augustin rejettera cette hérésie dans les Six traités anti-manichéens : œuvres de saint augustin, Deuxième série : Dieu et son œuvre : Six traités Anti-manichéens, 827. Il montre que le mal n’est pas le fruit d’un quelconque principe mais le résultat d’un libre choix de la volonté humaine. * Donatisme : C’est un mouvement de contestation qui doit son origine à Donat. Ce mouvement eut précisément pour origine la question des lapsi, terme utilisé pour désigner ceux qui étaient tombés, ceux qui avaient renié la foi catholique lors des persécutions, à l’époque de Cyprien. L’Église, pendant le synode de 251, proposera leurs réadmission après un temps de pénitence. Mais les donatistes firent alors preuve d’intransigeance à l’égard des lapsi et de la position de l’Église universelle, les bannissant à jamais de l’Église. Ils voulaient une Église des purs, aspirant au martyre, proclamant qu’il n’y a qu’un seul baptême, une seule Église, ils proclamaient que la validité des sacrements dépendait de la sainteté des ministres. Dans : – œuvres de saint augustin, Troisième série : la grâce. La crise Pélagienne I. 671. – œuvres de saint augustin, Troisième série : la grâce. La crise Pélagienne Ii, 925. L’évêque d’Hippone argumente en mettant au premier plan la catholicité de l’Église, son universalité qui dépasse les limites de l’Afrique. Et contre une ecclésiologie qui excluait les pécheurs, il fait aussi ressortir le fait que le baptême peut être conféré par tout chrétien et que, si les ministres peuvent changer, les sacrements restent immuables et que leur sainteté vient du Christ seul. Cf. M.-A. Vannier, « Donatisme », 421–422. * Pélagianisme : le représentant le plus connu est Pélage. Il propage la doctrine selon laquelle l’homme est libre, qu’il participe en tant que créature à la grâce du Créateur, et qu’il peut devenir par ses seules forces la véritable image de Dieu. Il affirme également que certains peuvent être sans péché, et que certains ont été libérés du péché avant de mourir. Il rejette l’idée de péché originel et propose

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servirait à la destinée de l’Église. Dirigeant avec une intelligence incomparable le développement de la discipline ecclésiastique, S. Augustin constitue une des plaques tournantes indéniables de l’histoire de l’Église. L’immensité de ses œuvres ne trouveront pas assez de place dans ce paragraphe à lui consacré, c’est ainsi que nous nous intéresserons plutôt directement à son apport à l’anamnèse eucharistique. Il nous semble difficile de trouver chez Augustin la mention de l’ordre de l’anamnèse d’une manière explicite. Pourtant il y fait régulièrement allusion. Synthétisant le mémorial et la réalité commémorée dans sa lettre à Simplicien de Milan en 397, S. Augustin compare la prêtrise de Jésus à celle de Melchisédech. L’unique différence est que Jésus comme grand prêtre s’est offert lui-même en sacrifice et a fait de son sacrifice un mémorial212. Et le but de l’ordre donné par le Christ de célébrer le mémorial de sa passion est de rendre universel le sacrifice du grand prêtre Melchisédech (Gn 14, 18). Ce but visé par l’ordre de l’anamnèse est de mettre le Christ au rang de grand prêtre selon Melchisédech plutôt qu’à celui particulier et temporaire d’Aaron et rend universel les bienfaits de l’anamnèse. Augustin fait référence à l’Ancien Testament, mais à la différence de Jean Chrysostome qui parle de l’anamnèse du Christ par rapport à celle de Moïse, l’évêque d’Hippone nous renvoie au sacrifice offert avant la Loi mosaïque, dans le temps de la promesse, lors de l’Alliance noachique. Commentant l’évêque d’Hippone, Margerie dit : « L’ordre de l’anamnèse oppose à cette figure le présent quasi immédiat du sacrifice sanglant, et l’avenir, la mémoire d’un sacrifice rituel, suivant un schème ternaire : figure, réalité, mémoire »213. C’est dans le Contra Faustum214 qu’il d’abandonner le baptême des petits enfants (qu’il accepte à titre de coutume) pour revenir au baptême à l’âge adulte. Il veut surtout une Église de purs, de chrétiens parfaits. Dans : – œuvres de saint augustin, Quatrième série : traités Anti-donatistes I, 784. – œuvres de saint augustin, Quatrième série : traité Anti-donatistes II, 665. – œuvres de saint augustin, Quatrième série : traité Anti-donatistes III, 834. – œuvres de saint augustin, Quatrième série : traité Anti-donatistes IV, 897. – œuvres de saint augustin, Quatrième série : traité Anti-donatistes V, 786. Augustin, face aux considérations erronées de Pélage, rédige en réponse la vraie doctrine de l’Église Catholique. Cf. M.-A. Vannier, « Pélagianisme », 1061. 212 Cf. Augustinus, De diversis quaestinibus 83, q. 61.2. 213 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 93. On peut aussi consulter : Augustinus, Contra Faustum XVIIII, 13–16, CSEL 25.1, 510–512. 214 Cf. Augustinus, Contra Faustum, 249–797.

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expliquera d’une manière détaillée sa pensée. Il considère « les figures » comme unde pro nobis prius respondemus sic illa iam non esse in operibus nostris, ut ea tamen in mysteriis diuinarum scripturarum ad intellegenda, quae his praenuntiata sunt, amplectamur, quia et ipsa figurae nostrae fuerunt et omnia talia multis et uariis mods unum sacrificium, cuius nunc memoriam celebramus, significauerunt215.

Le sacrifice du Christ est la réalité et le meilleur de tous les sacrifices de l’Ancienne Loi. Le Christ, bien qu’étant Dieu et en communion avec son Père, reçoit les sacrifices des hommes ; il est lui-même le sacrifice et le Prêtre qui offre au Père ce sacrifice parfait et veut que son Église perpétue ce sacrifice216. C’est dans ce « vouloir » du Christ que l’Evêque d’Hippone décèle l’ordre d’anamnèse eucharistique donné par le Christ. Ce qui est intéressant dans l’approche augustinienne de l’anamnèse, c’est qu’il voit dans cet ordre un acte du Christ Prêtre, présupposant chez Jésus le sacerdoce éternel selon l’ordre de Melchisédech ; le Christ est prêtre en tant qu’homme et c’est donc comme Dieu que le Christ Dieu-Homme donne l’ordre de lui offrir (en tant que Dieu) le sacrifice qu’il préfère être en tant qu’homme217.

Allons toujours plus en profondeur. Pour l’Évêque d’Hippone, l’anamnèse est le prolongement et la manifestation de la kénose glorifiée du Verbe fait chair, Prêtre et Victime, Prêtre universel et éternel selon l’ordre de Melchisédech, instituant une Église universelle précisément dans et par l’institution du sacrifice qu’il confie : Voluit quotidianum ecclesiae sacrificium. Dans cette perspective augustinienne, l’ordre d’anamnèse signifie que le Christ Jésus, Prêtre et Roi, veut manifester à travers le suprême et constant agir sacrificiel de l’Église l’être qu’il lui donne et déploie sans cesse dans le temps et dans l’espace. Comme s’il lui avait dit : « Tu es et seras d’autant plus que tu agiras sans cesse, en mémoire de moi, mon agir sacrificiel »218.  215 Augustinus, Contra Faustum, 290–291. 216 Cf. « Unde uerus ille mediator, in quantum formam serui accipiens mediator effectus est Dei et hominum, homo Christus Jesus, cum in forma Dei sacrificium cum Patre sumat, cum quo et unus Deus est, tamen in forma serui sacrificium maluit esse quam sumere, ne uel hac occasione quisquam existimaret cuilibet sacrificandum esse creaturae. Per hoc et sacerdos est ipse offerens ipse et oblatio. Cuius rei sacramentum cotidianum esse uoluit ecclesiae sacrificium, quae cum ipsius capitis corpus sit, se ipsam per ipsum discit offerre » : Augustinus, De Civitate Dei Cité X , cap 20, CCSL 47, 294. 217 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 94. 218 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 95.

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Si pour l’évêque d’Hippone l’Église ne peut continuer à rester Église que si elle continue à offrir ce sacrifice, nous pouvons nous risquer à dire que l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse, sans remise en question de la formulation de H. de Lubac : l’Eucharistie fait l’Église, l’Église fait l’Eucharistie219, pour rester ici dans la perspective purement augustinienne, de l’anamnèse comme sacrifice du Christ. De plus cette assertion ne serait-elle pas bénéfique dans un sens ecclésial, en affirmant aussi que – « l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse » – nous y reviendrons un peu plus loin. On notera aussi ce rapprochement intéressant que Augustin établit entre l’offrande de l’Ancienne Alliance objet de l’anamnèse de l’Ancien Testament,  et celle du Christ, objet de l’anamnèse du Nouveau Testament ; et enfin celle de l’Église, objet de la continuité de l’anamnèse du Christ. A ce sujet il écrit : Huius sacrificii caro et sanguis ante aduentum Christi per uictimas similitudinum promittebatur, in passione Christi per ipsam ueritatem reddebatur, post ascensum Christi per sacramentum memoriae celebratur, ac per hoc tantum interest inter sacrificia paganorum et Hebraeorum, quantum inter imitationem errantem et praefigurationem praenuntiantem220.

L’évêque d’Hippone voit dans l’offrande du Christ la plénitude de tous les sacrifices, elle est l’offrande par excellence, l’offrande de l’agneau pascal ne constitue qu’une similitude, la Haggadah juive est pleinement accomplie en lui par le sacrifice de la croix. Il devient alors par le fait même inutile ; il faut maintenant une nouvelle Haggadah chrétienne, fondée non sur l’agneau mais sur le Christ même. Aux dires d’O. Casel parlant du sacrifice du Christ : « Ce sacrifice a et a eu des similitudines, des images. Image, le sacrifice païen lui-même en est une, mais d’abord le sacrifice juif. Le premier était une contrefaçon démoniaque, le second une prophétie. La messe est une mémoire du vrai sacrifice »221. La sainte messe, étant une mémoire du sacrifice véritable, devient une mémoire mystérique qui ne se contente pas seulement, à travers un rite somptueux, de signifier, de commémorer un sacrifice mais va au-delà jusqu’à contenir pleinement et réellement ce qui est célébré, son essence même. Dans cet échange entre le signifiant qui constitue l’offrande et le signifié qui est Jésus, les chrétiens que nous sommes, 219 Cf. H. De Lubac, Méditation sur l’Église, 113. 220 Augustinus, Contra Faustum, cap.21, 564.  221 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 104.

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pour bénéficier des dons inépuisables de ce mystère, doivent s’incorporer aussi dans ce mystère. Clarifions tout de suite le fait que, par cet échangeabilité, le signifiant acquiert les propriétés du signifié et devient égal à lui. Somme toute, l’approche augustinienne de l’anamnèse est plus basée sur une constance de la célébration de l’Eucharistie, sacrifice de l’Église, que sur une constance du souvenir de la Passion Rédemptrice, comme on pouvait en trouver chez S. Gaudence de Brescia. Prenons une autre figure, celle de Fauste de Riez. 2.2.5  Fauste de Riez (vers 408–vers 495) La personne de Fauste marquera l’Église des premiers temps au point qu’il est difficile de parler des pionniers qui ont défendu la foi chrétienne sans le citer. Il était aussi célèbre que ses écrits le furent, surtout après sa mort. Comme ses contemporains, l’évêque de Riez, d’abord abbé de Lérins, écrit au diacre Gratus, tombé dans l’hérésie d’eutychianisme222, pour réfuter les erreurs de cette hérésie. Fauste, en bon rhétoricien et philosophe, renversait les principes des principaux hérésiarques et utilisait leurs propres armes pour les vaincre. A part la lettre à Gratus, il écrira beaucoup d’autres œuvres223 pour défendre et exposer la foi saine de l’Église catholique face aux dévillances de l’époque. C’est dans son homélie sur le Corps et le Sang du Christ que l’évêque de Riez, dans les Alpes, nous livre sa réflexion sur l’anamnèse du Seigneur : parce que la Rédemption continuait sans cesse et chaque jour pour le salut des hommes, le sacrifice de la Rédemption devait aussi être continuel et cette victime vivre perpétuellement en mémoire et être toujours présente dans la grâce (« perpetua redemptionis oblatio et perennis illa victima viveret in memoria praesens semper in gratia »)224. 222 Cf. *Eutychianisme : doctrine d’Eutychès,  abbé d’un monastère de Constantinople, qui n’admet qu’une seule nature en Jésus-Christ. Il professe une seule nature composée de la divinité et de l’humanité en Jésus-Christ. Pour lui, le Verbe en descendant du ciel, était revêtu d’un corps qui n’avait fait que passer par celui de la sainte Vierge comme par un canal. Il attribuait au Fils de Dieu un corps fantastique. Très inconstant dans la pensée, il soutient que l’âme de Jésus avant l’incarnation avait été unie à la divinité, donc Jésus avait deux natures avant de s’incarner. Mais après l’incarnation la nature humaine avait été engloutie par la divinité. Ses partisans sont appelés les Eutychiens ou les Monophysites : A. Migne, Encyclopédie Théologique, 34, 671–677. 223 Cf. Fautus Reiensis, Praeter Sermones Pseudo-Eusebianos, CSEL 21, 505. 224 Homélie ancienne mise au nom d’Eusèbe d’Emèse et attribuée (depuis 1899) par a. engelbrecht à Fauste de Riez (Studien über die Schriften des Bischofs von Reii. Faustus). Texte cité par B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 102.

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Fauste de Riez souligne le lien étroit qui existe entre l’offrande quotidienne renouvelant le sacrifice du Christ qui constitue le mémorial objectif, et la grâce que le Verbe incarné donne aux fidèles dans la célébration eucharistique par le prêtre qui constitue la mémoire subjective. C’est cette dernière qui met l’accent sur l’agir du Christ entre sa dernière cène et son retour glorieux : C’est en s’offrant au Père qu’il opère le souvenir de Lui-même et de son sacrifice passé et renouvelé dans le présent de son disciple, par sa grâce, de manière gratuite. C’est parce qu’il continue d’offrir sa mort sur l’autel qu’il peut vivre dans la mémoire de son membre225.

Fauste de Riez mettra l’accent sur la dimension de perpétuité dans la célébration de l’anamnèse. Cette dimension fait que le Christ, par ses célébrations, continue sa domination sur l’histoire entière de l’humanité à travers la permanence agissante dans l’oblation de sa passion passée toujours actualisée dans l’Église. Partant du fait que le sacrifice de rachat a été offert une fois pour toute et que la rédemption continuait sans cesse et cela chaque jour pour notre salut, Fauste de Riez affirme que le sacrifice de rédemption devrait continuer à être perpétuellement commémoré afin que soit toujours présente la grâce. Pour démontrer une fois de plus la nécessité d’une célébration quotidienne de la mémoire du Christ, il part du fait de la peccabilité quotidienne de l’homme. Puisque les péchés sont quotidiens dans la vie de l’homme, leur pardon s’obtient par une célébration réelle et quotidienne du sacrifice de rédemption. Nous assistons à une tendance un peu réductionniste du sacrement de l’Eucharistie par Fauste, se cantonnant au pardon des péchés que ce sacrement apporte pour la vie des chrétiens ; il y a beaucoup d’autres grâces que l’anamnèse eucharistique nous apporte : la communion, la charité, l’espérance, pour ne citer que celles-là. On devrait élargir davantage l’horizon de l’approche de l’anamnèse du Christ dans la célébration eucharistique pour ne pas la considérer seulement comme source de pardon de nos péchés. L’évêque de Riez considère que l’ordre de l’anamnèse ne peut être pensé qu’au sein de la double conscience : divine et humaine de Jésus. C’est dans cette double conscience de ce qu’il était que Jésus donne cet ordre en vue de rester présent dans la mémoire de ses fidèles par sa grâce 225 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 102.

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divine. Dans une homélie qui sera attribuée par A. Engelbrecht226 en 1899 à Fauste, nous trouvons résumée la pensée de l’évêque de Riez sur l’anamnèse eucharistique : Et quia nec nos habebamus unde viveremus, nec ille unde moreretur, materiam de nostra mortalitate suscepit, ut sua immortalitate collocata, mori posset vita pro mortuis. Et ideo qui corpus assumptum ablaturus erat ex oculis nostris, et sideribus illaturus, necessarium erat ut nobis in hac die sacramentum corporis et sanguinis consecraret ut coleretur jugiter per mysterium quod semel offerebatur in pretium, ut quia quotidiana et indefessa currebat pro hominum salute redemptio, perpetua etiam esset redemptionis oblatio et perennis victima viveret in memoria, et semper praesens esset gratia, ac unica et perfecta hostia fide aestimanda non specie, nec exteriori censenda visu, sed interiori aspectu227.

L’institution de sacrement de l’Eucharistie qui nous fait commémorer la passion et la résurrection du Christ a été voulue par le Christ pour garantir sa présence parmi les siens. Il recommande à ses disciples de le célébrer continuellement pour perpétuer et actualiser dans le monde l’œuvre du salut. Ce survol de la pensée de Fauste de Riez sur l’anamnèse eucharistique nous conduit à un autre Père de l’Église : Fulgence de Ruspe. 2.2.6  Fulgence de Ruspe (462–527) De son nom complet : Fabius Claudius Gordianus Fulgentius, Fulgence sera l’un des témoins courageux de la foi chrétienne. De l’abbé à l’évêque, il connut un cheminement de vrai homme de Dieu, marqué par l’amour pour les pauvres, la simplicité et la persécution. La Vita qu’on attribue communément au diacre carthaginois Ferrand est la première et la principale source qui nous relate d’une manière ordonnée et sûre la vie de Fulgence. Une vie si mouvementée entre les études et la vie pastorale, entre la vie solitaire au désert et l’exil ; Fulgence reste pour l’Église un modèle de chrétien et de pasteur épris par le souci de s’instruire et d’instruire, de se sanctifier et de sanctifier. J. Fraipont nous le révèle dans son étude sur ce saint africain qui passe parfois inaperçu228. L’immensité de ses œuvres montre son ardeur pour la défense de la foi chrétienne. Ses

226 Cf. A. Engelbrecht, Studien über die Schriften des Bischofss, 1899. Pour plus de détails on peut aussi consulter : CSEL 21. 227 Dionysius Exiguus, Homilia V, PL 67, 1052. 228 Cf. Fulgentius Ruspensis, Opera, CCSL 91, 1134.

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premiers écrits : Trois livres à Monime229, retracent tour à tour son souci d’instruire son ami Monime sur la vraie foi et démontrent la fausseté de l’arianisme230 qui sévissait à cette époque. Il nous laissera un point de vue critique et approfondi sur l’évêque de Riez, malheureusement perdu. Mais sa lettre XIV à Ferrand nous retrace sa pensée en ce qui concerne l’ordre de l’anamnèse en rapport avec les sacrifices de l’Ancien Testament. Pour l’évêque de Ruspe, le « ceci, faites-le en mémoire de Moi » commente Margerie, veut dire : « Cessez de célébrer les sacrifices de l’Ancienne Alliance, désormais inutiles : car ils promettaient le ceci que je viens d’accomplir et que je vous invite à renouveler : les célébrer à nouveau, ce serait nier leur accomplissement en Moi et dans mon mémorial »231. Pour mieux illustrer cela, Fulgence de Ruspe fait référence à Lc 22, 17, comme se rapportant à l’Ancienne Alliance, et à Lc 22, 20, comme signifiant la Nouvelle Alliance. En donnant ces deux calices, qui représentent les deux alliances, à ses disciples, Jésus les invite, à l’aide du don de la sagesse céleste, à faire le discernement entre ce qu’il faut accomplir et ce qu’il ne faut pas : Hunc itaque calicem, in quo uetus insinuari diximus testamentum, ideo Dominus accipiendum diuidendumque mandauit, ut apostoli dono sapientiae caelestis instructi, sic scripturam ueteris testamenti reuerenter acciperent, ut in ipsis praeceptis quid agendum quidue omittendum esset accepto discretionis spiritu cognouissent232 ;

Il faudra éviter d’accomplir tous sacrifices qui n’avaient qu’un caractère prometteur du Christ. « C’est ce que l’Église a compris en discernant les temps : en omettant ces sacrifices, elle offre celui qui nous manifeste la Passion passée du Christ »233. En insistant sur le discernement des deux alliances, l’évêque de Ruspe ne les sépare pas totalement, il les maintient dans l’unité de 229 Cf. Fulgentius Ruspensis, Opera omnia, PL 65. On peut aussi lire CCSL 91, 1134. 230 Cf. *Arianisme : doctrine du diacre Arius qui radicalisait l’enseignement d’Origène sur les fonctions hiérarchisées du Père, du Fils et de l’Esprit Saint dans l’économie du salut. Arius transposait cette hiérarchie dans les hypostases divines elles-mêmes : le Père seul est Dieu à proprement parler ; le Fils, avec tout ce qui existe, est suscité dans l’être par la volonté du Père ; comme l’Esprit, il n’est appelé Dieu que par métaphore : C. Kannengiesser, « Arianisme », 105–107. 231 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 103. 232 Fulgentius Ruspensis, Opera, CCSL 91, 439. 233 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 103.

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la foi234. L’abolition du sacrifice de l’Ancienne Alliance par celui du Christ qui constitue la Nouvelle Alliance n’est pas clairement exprimée, mais le Christ en instituant la Nouvelle Alliance, si l’on peut paraphraser Fulgence, voulait dire à ses disciples : « Ne faites pas cela », c’est-à-dire : les sacrifices de l’Ancienne Alliance qui le réduisait à un « encore attendu », alors qu’il était « un déjà donné », à la seule condition que si vous voulez accomplir en toute vérité le « Ceci » que je vous commande de réitérer235. La dernière Cène sera pour le Christ l’espace dans lequel il extériorisera ce qu’il portait dans son intérieur et que les Écritures Saintes ont longtemps exprimé : Ps 40, 7–9 ; Hb 10, 8–10. « Faites ceci en mémoire de moi », doit nous amener à ne plus continuer à faire cela qui était en prévision de ceci, le cela s’accomplit dans le ceci. L’ordre de l’anamnèse signifie pour l’évêque de Ruspe l’accomplissement et le dépassement de l’Ancienne Alliance. Nous trouvons ce point de vue intéressant bien que négligeant un peu l’aspect communautaire et social de ce « faire ceci en mémoire de moi ». Malgré les divergences que nous avons soulignées entre l’Orient et l’Occident, malgré la situation sociale et les différentes langues utilisées, nous noterons une chose plus importante : toutes ces divergences notables d’objet et des préoccupations les ramenaient tous à une foi unique et indivisible. L’Orient et l’Occident à l’époque des Pères de l’Église étaient unis « dans un commun attachement à la foi traditionnelle, le dévouement à l’Église et la soumission à son unique chef, l’évêque de Rome »236. C’est dans cette unité qu’ils ont su jeté les bases de la foi en matière d’Eucharistie, de christologie et de beaucoup d’autres articles de foi. En ce qui concerne l’Eucharistie, nous l’avions vu, elle constitue le centre de la vie de l’Église. L’Eucharistie célébrée par l’évêque entouré par son presbyterium et ses chrétiens manifestait l’Église et était signe visible de la communion ecclésiale. Sortir de ce cadre ecclésial, c’est nier la présence du Christ dans son Église et se priver soi-même du salut. Le Moyen-Âge va formuler les différentes bases de notre foi en des concepts de pensée bien structurés. 234 Cf. « Quippe una est fides Novi et Veteris Testamenti. Haec in antiquis patribus credebat promissa, quae in nobis jam credit impleta » : Fulgentius Ruspensis, Opera, Epistola XIV, 47, 444. 235 Cf. Fulgentius Ruspensis, Opera, Epistola XIV, 43, 438. 236 F. Cayre, Patrologie et histoire de la Théologie, 2.

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2.3  Le Moyen-Âge Cette période qui s’étend de l’antiquité aux temps modernes est traditionnellement limitée par la chute de l’empire romain d’occident (476), et la découverte du monde nouveau en Occident (1492). Certains théologiens vivant les premiers moments de cette période sont contemporains à certains Pères de l’Église, mais les critères qui sanctionnent cette appellation ne donnent pas à tous ce privilège. Ces théologiens sont pourtant restés utiles à l’Église ainsi que d’autres nommés docteurs de l’Église à cause de l’orthodoxie de leurs doctrines, de la sainteté de leurs vies, et de l’approbation par l’Église de leurs enseignements. Cette période fera faire à la théologie une avancée spectaculaire dans le cadre de la compréhension des mystères divins. L’apport de la scolastique sera notablement déterminant. Bien qu’avant certains Pères de l’Église, Jean Damascène dans ses quatre livres De la Foi orthodoxe237, se soit servi de la philosophie d’Aristote pour éclaircir nos dogmes ; les apologistes, avant lui, s’étaient aussi attachés à faire voir que plusieurs vérités révélées avaient été, du moins confusément, aperçues par les meilleurs philosophes. Les théologiens du Moyen-Âge, spécialement les scolastiques, malgré certaines déviations, introduiront dans la théologie un esprit analytique, feront d’elle un seul corps où les questions sont distribuées par ordre, de manière que l’une pût contribuer à éclaircir l’autre. Le tout deviendra un système lié, suivi et complet. Les règles de la logique seront utilisées dans les raisonnements théologiques ; ils se serviront des notions de la métaphysique, chercheront à concilier la foi avec la religion, la religion avec la philosophie238. Ce nouveau souffle aidera énormément à l’exposition et à la compréhension de la foi chrétienne en matière doctrinale. Le septénaire sera clairement défini, l’exposition du mystère concernant l’Eucharistie qui fait la plus essentielle partie de la foi catholique sera faite en des termes précis et moins ambigus. Le présent point nous aidera à partir des quelques figures que nous avons choisies, compte tenu de la délimitation de notre travail et de notre intérêt, pour voir comment ces quelques théologiens du MoyenÂge ont étudié l’anamnèse eucharistique.

237 Cf. Joannes Damasceni, Opera omnia, PG 94, 95, 96. 238 Cf. A. Migne, Encyclopédie Théologique, 35, 741.

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2.3.1  Le Haut Moyen-Age Pour mieux mener notre étude nous avons trouvé bon de subdiviser cette partie du Moyen-Âge en deux. La première partie consacrée à l’étude des théologiens qui viennent directement après les pères de l’Église, que nous situons dans la période du haut Moyen-Âge, qui va de 500–987. D’autres qui viennent un peu plus tard que nous mettons volontiers à l’époque des scolastiques, de 987–1500. Cette subdivision est encore discutable pour la simple raison que certaines figures, comme Bède le Vénérable, serait pour d’autres patrologues placée parmi les Pères de l’Église. Tenant compte des patrologues récents, comme J. Laporte239, nous avons opté de les placer parmi les théologiens du Moyen-Âge. 2.3.1.1  Bède le Vénérable (vers 672–735) Homme de grande culture, sa vie est couverte de grands éloges. Son zèle pour la vérité, sa foi et la pureté de ses mœurs, son savoir et sa modestie feront que sa vie passera sans interruption de la prière à l’étude, de l’étude à la prière. Il laissa à L’Angleterre la première histoire de l’Église de cette terre et sa première chronique abbatiale. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le résume de sa vie donnée par Wolfgang, Hohlwec et Otto240. On ne s’attarderait pas ici à citer l’immensité de ses œuvres, la plus ample édition de ses ouvrages a été publiée en 1850 à Montrouge par l’Abbé Migne241. L’étendue de ses connaissances et le grand nombre de ses écrits ont pour but l’éclaircissement des vérités de la religion. C’est ce qui l’amènera à faire ses considérations et à mettre en relief l’aspect sanctificateur que porte l’obéissance quotidienne à l’ordre de l’anamnèse. Il dira : Non solum autem lavit nos peccatis nostris in sanguine suo, quando sanguinem suum dedit in cruce pro nobis, vel quando unusquisque nostrum mysterio sacro sanctae passionis illius baptismo aquae ablutus est, verum etiam quotidie tollit peccata mundi. Lavat itaque nos a peccatis nostris quotidie in sanguine suo, cum ejusdem beatae passionis ad altare memoria replicatur, cum panis et vini creatura in sacramentum carnis et sanguinis ejus ineffabili Spiritus sanctificatione transfertur : sicque corpus 239 Cf. J. Laporte, Les pères de l’Église, 2001. 240 Cf. Wolfgang Buchwald – A. Hohlwec – Otto Prinz, Dictionnaire des auteurs grecs et latins, 111–112. 241 Cf. Venerabilis Beda, Opera omnia, PL 90–95. On peut aussi lire : CCSL 118A, 269. 119, 119A, 119B, 120, 121A, 122, 123.

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et sanguis illius non infidelium manibus ad perniciem ipsorum funditur et occiditur, sed fidelium ore suam sumitur in salutem. Hujus [At., cujus] recte figuram agnus in lege paschalis ostendit, qui semel populum de Ægyptia servitude liberans, in memoriam ejusdem liberationis, per omnes annos immolatione sua populum eumdem sanctificare solebat, donect veniret ipse cui talis hostia testimonium dabat, oblatusque Patri pro nobis in hostiam odoremque sua vitatis, mysterium suae passionis oblato agno in creaturam panis vinique transferret, sacerdos factus in aeternum, secudum ordinem Melchisedech242.

L’anamnèse du Christ nous fait passer de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle. Ce qui est intéressant dans cette approche de Bède le Vénérable, est l’image de l’agneau pascal comme figure de l’eucharistie pour autant que cet agneau pascal était aussi offert chaque année comme mémorial de libération de l’Egypte. Contrairement à l’agneau pascal qui était immolé une fois par an, le mystère de l’Eucharistie est célébré quotidiennement. Bède voit dans la célébration juive, la préfiguration de la célébration du sacrifice du Seigneur. Remportant ses écrits, O. Casel livre ce message : « les juifs célébraient, dans leurs sacrifices sanglants, la passion future du Seigneur, et nous, in oblatione panis et vini, la passion désormais accomplie. L’Eucharistie est la ‹ mémoire de la rédemption › »243. Le respect quotidien à cet ordre du Seigneur, de faire toujours mémoire de sa passion, nous montre l’efficacité de cet ordre par rapport à l’inefficacité de l’immolation annuelle de l’agneau pascal juif. Le chrétien, en communiant quotidiennement au corps et sang du Christ, reçoit la rémission de ses péchés. Le concile de Trente reviendra sur les effets purificateurs de l’Eucharistie par rapport aux péchés véniels et quotidiens. Autre fait aussi à retenir est cette circularité que Bède nous présente entre l’anamnèse et l’épiclèse : le pain et le vin sont changés en corps et sang du Christ par l’ineffable sanctification de l’Esprit. Le bénédictin anglais souligne aussi dans son approche de l’anamnèse, surtout dans la perspective paulinienne (1 Co 11, 25–27), l’invitation lancée aux chrétiens de se rappeler non seulement la mort du Christ, mais aussi son Retour glorieux. Nous voyons déjà apparaître ici le caractère eschatologique de l’anamnèse. Ecoutons à présent la voix de quelques théologiens du Moyen-Âge.

242 Venerabilis Beda, Homilia XIV, PL 94, 75. 243 O.casel, Faites ceci en mémoire de moi, 126.

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2.3.1.2  Paschase Radbert (790–865) Saint Paschase Radbert était un homme de grande culture et le meilleur écrivain de son siècle. Contre Félix d’Urgel et son disciple Claude de Turin, tombés tous deux dans l’adoptianisme244, Paschase écrira pour démontrer la fausseté de leur croyance245. Sa lutte pour la défense de la vraie foi fera de lui un grand écrivain de son temps246. C’est ainsi que Paschase abonde davantage sur le problème de la présence réelle du Christ et celui du symbolisme dans la théologie ; il abordera aussi d’une manière systématique le problème de l’anamnèse du Christ. Il sera le premier à comparer d’une manière claire, comme le dira B. de Margerie, la parole de Jésus : « jusqu’à ce que » qu’on trouve dans les deux anamnèses mosaïque et chrétienne247. Reprenant le thème cher aux Pères de l’Église de la comparaison de la figure du Christ à celle de l’agneau pascal, du caractère sanctificateur de l’anamnèse quotidiennement célébrée, il le clarifie et le précise dans les différends chapitres de son traité Sur le Corps et le Sang du Christ248. Il écrira : Iteratur autem cotidie haec oblatio, licet Christus semel passus in carne, per unam eandemque mortis passionem semel saluauerit mundum, ex qua morte idem resurgens ad uitam, mors ei ultra non dominabitur : quia profecto sapientia Dei Patris necessarium pro multis causis hoc prouidit ; primo siquidem quia cotidie peccamus,

244 Cf. Adoptianisme : doctrine monarchienne, attribuée à Paul de Samosate au IIIème s. et à Photin de Sirmium au IVe siècle, selon laquelle Jésus n’est qu’un homme, adopté par le Père lors du baptême et habité par le Verbe divin. Cette doctrine hérétique continuera jusqu’au VIIIème s. prétendant que Jésus-Christ, en tant qu’homme, n’était pas fils propre ou fils naturel de Dieu, mais seulement son fils adoptif. Le concile de Francfort en 794, celui de Forli en 795 et peu de temps après celui de Rome sous le Pape Léon III condamneront cette hérésie. L’erreur sera réfutée avec succès par saint Paulin, patriarche d’Aquilée, et par Alcuin. Cf. A. Migne, Encyclopédie Théologique, 33, 111. 245 Cf. Paschasius Radberti, Opera omnia, PL 120. On peut aussi consulter : CCCM 16, 56, 56A, 56B, 56C, 85, 97. 246 « Paschasius Radbertus, abbot of Corbie, was on of the key figures in revival of theological writing during the reign of Charles the Bald (840–877). His contemporaries include the canonist and ecclesiastical politician, Hincmar of Reims ; the most brilliant plilosopher of the century, John Scotus Eriugena ; the ‹ unfortunate monk ›, Gottschalk of Arabais ; and that other noted monk of Corbie, Ratramnus » dans CCCM 56C, 9. 247 Cf. B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 106. 248 Cf. Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, CCCM 16, 251.

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saltim peccatis sine quibus mortalis infirmitas uiuere non potest, quia licet omnia peccata donata sint in baptismo, infirmitas tamen peccati adhuc in carne manet249.

Radbert épouse le point de vue de Bède le Vénérable quand il le cite au chapitre IX. Nous l’avons cité un peu plus haut. Paschase reprend la comparaison faite par Bède : de la figure de l’agneau pascal à celle du Christ, en présentant le Christ comme celui à qui l’agneau pascal juif rendait témoignage. L’agneau pascal qui avait libéré une seule fois le peuple d’Israël de la captivité d’Egypte, pouvait continuer à le sanctifier chaque année en mémoire de cette libération unique accomplie dans l’histoire jusqu’à la venue du vrai agneau qui est le Christ250. Avec une autre intuition d’approche, Radbert fait surgir un caractère exclusif de l’anamnèse chrétienne par rapport à l’anamnèse mosaïque, en nous faisant voir que « comme la Pâque mosaïque ne devait être célébrée que jusqu’à la venue de celui qui est l’Agneau Pascal de tous les temps et de tous les hommes, ainsi son mémorial à lui ne pourra et ne devra être célébré que jusqu’à son retour glorieux de juge »251. On pourra lire dans cette citation le caractère transitoire de l’anamnèse de l’Ancienne Alliance qui servira aussi dans l’anamnèse chrétienne. Notons encore pour plus d’éclaircissement cette approche de « jusqu’à ce qu’il vienne » paulinien que souligne Radbert : Non itaque sic accipiendum, donec mors Christi ueniat, qui iam ultra non moritur, sed donec ipse Dominus ad iudicium ueniat. Interdum autem semper mors est Christi pro saeculi uita posteris nutianda, ut discant qua caritate suos dilexit, qui pro eis mori dignatus est. Cui omnes uicem debemus rependere caritatis, quia ad hoc nos prior dilexit, cum essemus gehennae filii, ut diligeremus eum a morte iam liberati252.

L’Eucharistie–mémorial est pour Radbert une parfaite redamatio, c’està-dire un retour d’amour. Par ce sacrement, le Christ continue à nous manifester son amour et en échange, il stimule aussi notre amour vers lui. Cet amour est vécu de notre part, de la part de l’Église par l’obéissance à l’ordre même de l’anamnèse253. L’amour du Seigneur démontré par sa 249 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, PL 120, 52. 250 Cf. Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, PL 120, 54. 251 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 107. 252 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, PL 120, 57. 253 Cf. « Quia ergo Redemptor noster hoc totum quod tempore passionis suae semel gessit, adhuc usque hodie cotidiana eiusdem beatae passionis commemoratione peragit, hanc inprimis praecipuam esse causam puto, quare nos sacrosanctae mortis eius recordationem sacratissimum corpus et sanguinem ipsius cotidie super altaris aram

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mort sur la croix est aussi pour tous ceux qui le célèbrent comme source permanente de rémission des péchés. S. Paschase Radbert rejoint ici ces prédécesseurs ; le Christ qui s’offre chaque jour dans le mystère de l’Eucharistie, nous purifie aussi chaque jour parce que nous péchons chaque jour. L’ordre de l’anamnèse donné par le Christ avant sa mort est très suggestif pour Radbert. Le Christ pouvait bien donner cet ordre après sa résurrection, mais s’il ne l’a pas fait c’est pour souligner l’identité entre son faire en tant Dieu fait homme et le nôtre, entre sa mort et celle des chrétiens. Le moment même de donner cet ordre met bien en relief la finalité visée par le Christ en instituant ce mémorial : « Et ideo quotiens ista comedimus, mortem Domini adnuntiamus, quia de morte ista immortalia meruimus,donec ipse ueniat uiuus et inmortalis, ut cum eo etiam et nos tali longe diuque refecti inmortalitatis cybo[+ipsi]per eum inmortales regnemus »254. On comprendra mieux ici que le Christ encore mortel ne pouvait que se donner à nous étant encore mortel, pour être mieux compris et nous acheminer, comme le dira l’épître aux hébreux (Hb 2, 15), par sa victoire vers notre victoire sur la mort. Résumons en citant B. De Margerie : « l’anamnèse de la mort et du retour du Seigneur inclut, en nous préparant à elle, la promesse de notre résurrection : ‹ Faites ceci en mémoire de ma mort jusqu’au moment où, parce que vous l’aurez refait, je vous referai et vous ressusciterai en me montrant à vous tous ressuscité › »255. La perspective anamnestique de Radbert nous met en surface la dimension eschatologique du mémorial du Christ et la double nature de sa personne au moment de l’institution de ce mémorial. Jésus n’a pas voulu donner cet ordre après sa résurrection mais avant sa mort, comme homme, pour mieux se faire comprendre en tant qu’homme et nous conduire dans sa divinité manifestée par sa résurrection prémisse de la nôtre. « Il ne pouvait mourir et inviter à l’annonce de sa mort jusqu’à son retour qu’en étant homme, il ne pouvait ainsi dominer humainement l’histoire des hommes qu’en étant aussi le Créateur éternel de cette histoire temporelle »256. immolantes assidue replicamus. Unde oramus : dimitte nobis debita nostra. Quia si dixerimus quod peccatum non habemus, ipsi nos seducimus et ueritas non est in nobis » : Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, PL 120, 54. 254 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. XVIII, PL 120, 101. 255 B.De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 109. 256 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 110.

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Un autre mérite de Paschase dans l’approche de l’ordre de l’anamnèse est qu’à cette perspective du caractère récapitulateur que porte l’anamnèse, qui lie l’avenir au passé et vice versa, il ressort le rôle important de l’Esprit Saint dans la réalisation du « faire anamnésique ». Il souligne l’aspect très réaliste de son approche du mystère de l’Eucharistie, en mettant en exergue le rôle de l’Esprit Saint qui rend réellement présent le corps et le sang du Christ dans la consécration mystique. Fulgence de Ruspe en avait aussi parlé mais plutôt dans le cadre de l’obéissance au Testament du Seigneur ; mais ici Radbert réalise un progrès doctrinal important en disant que le prêtre qui prononce les paroles de consécration, n’est qu’un instrument du Verbe éternel et de son Esprit Saint : Reliqua omnia quae sacerdos dicit aut clerus canit, nihil aliud quam laudes et gratiarum actiones sunt aut certe obsecrationes fidelium, postulationes, petitiones. Verba autem Christi sicut diuina sunt, ita efficacia, ut nihil aliud proueniat quam quod iubent, quia aeterna sunt. Caelum inquit et terra transient, uerba autem mea non transibunt, sed facient omnia ad quae praemissa sunt, quia Patris non nisi unum et substantiuum et consubstantiale [+ac] sempiternum est Verbum257.

En parlant du prêtre comme instrument du Verbe et de son Esprit, Radbert voulait éviter à l’exécution de cet ordre d’anamnèse toute désagrégation ; c’est le Christ lui-même qui, à travers son ministre, prononce ces paroles de consécration et nous invite toujours à réitérer cet événement de notre salut. L’Église dit que le prêtre agit in persona Christi. Tout en étant des paroles humaines du Verbe Incarné, elles deviennent par la force de l’Esprit Saint, paroles divines pleines de puissance et d’efficacité. Puisqu’il s’agit de la commémoraison de la Passion du Christ et pour ne rien manquer à cette commémoraison, les apôtres trouvaient logique de mêler l’eau au vin en mémoire du sang et de l’eau qui jaillirent du côté transpercé du Christ sur la croix (Jn 19, 31–37). Nous voyons apparaître un point de vue original de Radbert en ce qui concerne l’anamnèse et l’interprétation de la raison du mélange de l’eau et du vin pendant l’anamnèse258. Loin de se mêler à la lutte contre les aquariens qui, en principe à son époque, n’existaient presque plus en Europe, Radbert a plutôt le souci d’expliquer pourquoi l’eau doit être mêlée au vin dans le calice pendant la célébration du mémorial du Christ. 257 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. XV, PL 120, 93. 258 Cf. Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. XI, PL 120, 72–75.

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Très original dans son approche de l’anamnèse, Radbert voit dans le mélange de l’eau et du vin dans le calice le mystère spirituel de l’Église. Il dira : « Nam si uinum sine aqua offeratur, sanguis Christi incipit esse sine nobis. Si autem aqua sola, iam plebs uidetur esse sine Christo. Quando autem utrumque myscetur et coniungitur, tunc recte mysterium ecclesiae spiritaliter perficitur »259, à la suite des apôtres, dans l’eau et le sang qui jaillirent du côté transpercé de Jésus que l’Église doit commémorer les sacrements de l’Eucharistie, du baptême et la naissance de l’Église. Faisons cette longue citation qui pour nous est d’une grande importance et à laquelle nous reviendrons. B. de Margérie nous y livre la pensée de Radbert : le mémorial et la mémoire de la Passion et de tout le mystère pascal de Jésus implique, aux yeux des apôtres, qu’on se souvienne encore de l’Église, Épouse de l’Agneau, jaillissant (avec le Sang et l’Eau) de son côté transpercé. On ne peut correctement et pleinement faire mémoire de Jésus crucifié si l’on ne fait pas mémoire de son Église. L’ordre donné à l’Église comporte qu’elle se commémore elle-même, en quelque manière… Pour lui, l’ordre d’anamnèse, lu dans le contexte de la Transfixion, implique et la réalisation effective et objective du mémorial eucharistique et la mémoire subjective de ce mémorial objectif. L’Église, en faisant mémoire de son Fondateur, se souvient non seulement de sa Passion passée, mais encore de son agir présent dans la vie sacramentelle, culminant dans l’Eucharistie, comme enfin de son ultime retour, toujours imminent260.

L’importance de cette citation culmine pour nous dans le fait qu’il nous donne une vision assez large et profonde de l’anamnèse eucharistique. L’anamnèse ne rend pas seulement présent le Christ mort, ressuscité et toujours vivant dans son Église par ce sacrement, mais porte l’Église aussi à une rétrospection sur elle-même, à faire mémoire d’elle-même. L’anamnèse lie l’Église qui célèbre aujourd’hui avec son passé, la tradition apostolique pour mieux orienter son avenir. Les caractères diachronique et synchronique de l’anamnèse sont ici mis à jour. Par l’anamnèse, l’Église est invitée à relire son histoire et à voir aussi dans le présent comment continuer à célébrer et à vivre la mémoire du Christ dans les différents événements du monde. Radbert dans ses affirmations sur l’anamnèse renouvelle l’interprétation du « Ceci, faites-le en mémoire de Moi », ordre donné par le Christ avant de mourir pour montrer son humanité et son être prêtre offrant et renouvelant son sacrifice pour notre salut. Il nous fait aussi voir 259 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. IX, PL 120, 73. 260 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 113.

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la connexion entre les paroles et le geste de la consécration et les paroles recréatrices de la nouvelle création : « Cuius ergo potentia creata sunt prius, eius utique uerbo ad melius recreantur. Quia nemo creator alicuius rei, aut recreator nisi unus Deus catholice praedicatur »261. Puisque les paroles de la consécration sont les paroles du Christ même, elles sont efficaces en elles-mêmes et ont un caractère éternel. Radbert réussit dans son approche de l’anamnèse à présenter une vision très équilibrée du réalisme et du spiritualisme de l’anamnèse ; tout en nous mettant en communion avec Dieu à travers son Fils et le Saint Esprit, l’anamnèse nous ramène dans notre histoire et les événements quotidiens de notre vie. Son réalisme s’allie, si on peut ainsi dire, à un spiritualisme enraciné dans une pure sève chrétienne qui naît de la foi. Les deux dimensions ne s’excluent pas, elles se complètent l’une l’autre. On éviterait toute conception réductionniste du réalisme dont parle Radbert en ne tombant pas dans le rang de ses adversaires qui l’accusaient d’un réalisme grossier. En parlant de réalisme dans la célébration du mystère de la mémoire du Christ, sans exclure la dimension diachronique et synchronique de l’Église que nous avons souligné un peu plus haut, Radbert professait non pas une répétition (impossible) de l’acte historique mais une mort in mysterio, cet in mysterio exprimant comme le montre l’antithèse de mort in facto, le mode spécial selon lequel se présente cette mort ; in mysterio vaut pour mystice et signifie la re-présentation réelle de cette mort unique sous le voile sacramentel262.

Approche très intéressante qui pourra aujourd’hui nous aider à éviter tout spiritualisme évasif qui ruine nos sociétés. Jetons à présent un regard sur une autre figure, celle de Bérenger de Tours. 2.3.2  Le Bas Moyen-Âge Cette période englobe les théologiens de la scolastique et ceux qui l’ont précédée. Allant de 987–1500, elle sera plus marquée par le travail combien louable des scolastiques qui arriveront à construire un système spéculatif conciliant la philosophie, spécialement celle d’Aristote, avec les dogmes chrétiens. Les dogmes de l’Église, spécialement celui de l’Eucharistie, seront formulés en des termes précis pour permettre une meilleure compréhension et un meilleur vécu de la foi chrétienne. 261 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. XV, PL 120, 92. 262 O. Casel, Faites ceci en mémoire de moi, 140.

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Cherchant à répondre à notre interrogation, nous aborderons dans cette partie certains théologiens du Bas Moyen-Âge pour voir comment ils ont systématisé la question de l’anamnèse eucharistique. 2.3.2.1  Bérenger de Tours (1010–1088) On notera de cette figure qu’il fut un des adversaires les plus résolus et dont les affirmations hérétiques par les études et les discussions théologiques qu’elles suscitèrent, firent le plus progresser le dogme de l’Eucharistie. Elève de Fulbert de Chartres, encore très jeune, Bérenger n’a pas tardé à inspirer d’énormes et graves inquiétudes quant à ses points de vue théologiques. Quant il deviendra archidiacre d’Angers et écolâtre de Tours, il commencera à faire école et à attirer autour de lui un grand nombre d’auditeurs pour répandre sa doctrine erronée sur l’Eucharistie. Bérenger aura pour soutien l’appui du pouvoir, son ami Geoffroy comte d’Anjou, et sa base philosophique. Féru de dialectique, il utilisera le langage d’Aristote et de Porphyre pour se défendre. À Lanfranc qui lui reprochait son amour excessif pour la dialectique au détriment des autorités ecclésiales263, Bérenger répond en considérant la raison comme le meilleur des guides auquel il faut toujours recourir264. Il fera passer au feu de la dialectique toutes les données de la foi, la raison sera soumise au sens et toute connaissance à l’expérience sensible. Les sens, affirme-t-il, perçoivent à la foi l’accident et la substance, l’un et l’autre inséparables et ne se différenciant que par une distinction logique. L’œil, en apercevant la couleur, saisit le coloré ; ce qui est présent est visible. Il n’existe que ce que l’on voit et touche, et l’on ne touche et voit que la substance connaturelle à l’accident265.

Il est évident qu’avec une telle approche la foi en la réalité du mystère eucharistique ne devrait que souffrir et être prise à mal. Bérenger rejettera la doctrine de la transsubstantiation et de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Il dit : Dum dicit « solummodo esse sacramenta », si utrumque concedebat, et quod enunciatur : panis in altari consecratus est sacramentum, et quod enunciatur : panis in 263 Cf. B. Lanfrancus, De corpore et sanguinis Christi Domini, PL 150, 407–442. 264 Cf. Berengarius, De Sacra coena, 100. F. Vernet, « Bérenger de Tours », 728. Pour d’autres approfondissements nous vous référons à Berengarius Turonensis, CCCM LXXXIV, 244. 265 F. Vernet, « Bérenger de Tours », 728–729.

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altari consecratus est Christi corpus, apponere debuit ratione dicendi adverbium « etiam », ut ita scriberet : quae astruere conatur panem et vinum, quae ponuntur in altari, post consecrationem solummodo esse sacramenta et non etiam verum Christi corpus et sanguinem266.

Ses affirmations seront condamnées par plus de cinq conciles (les conciles de Rome en 1050, de Reims en 1050, de Verceil en 1050…), plusieurs évêques et abbés écriront contre lui. Parmi les plus fameux on citera : Guitmond267, Lanfranc268, Alger269 et Brunon de Segni270. Ce qui est intéressant dans la vie de Bérenger est qu’il finira par se rétracter et revenir à la vraie foi de l’Église catholique. L’anamnèse eucharistique professant justement le contraire des affirmations de Bérenger, c’est-à-dire la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, en quoi Bérenger nous est-il utile dans notre étude ? Hérétique au début et croyant à la fin de sa vie, il nous est utile en premier lieu, comme nous l’avions notifié au début, par le fait qu’il a marqué l’histoire de la théologie eucharistique ; il « fut le premier à enseigner corpus et sanguinem Christi non esse in hoc sacramento nisi sicut in signo »271. Cette position suscitera alors un engouement de recherche théologique sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Bérenger sera une felice colpa pour la théologie eucharistique, il nous aidera ici à voir l’envers de ce que nous célébrons dans l’anamnèse eucharistique pour mieux conforter notre foi. Sa conversion nous est utile en deuxième lieu comme accueil de la grâce quotidienne que nous offre l’anamnèse eucharistique. Sans extrapolation, nous exposerons sa doctrine de l’Eucharistie et nous y déduirons ce que pourrait être son point de vue sur l’aspect de l’anamnèse dans la célébration eucharistique et nous verrons surtout le texte de sa rétractation qui pour nous renferme et souligne l’anamnèse eucharistique. Enraciné dans l’empirisme sensible, Bérenger de Tours rejette toute théorie de changement du pain en corps du Christ et du vin en sang du Christ pendant la célébration eucharistique, puisque le mot transsubstantiation n’existait pas encore. Il considère que le sens ne constatant aucun 266 Berengarius Turonensis, CCCM LXXXIV, 64. 267 Cf. Guitmundus, De corpore et sanguinis Christi veritate in eucharistia, PL 149, 1427–1494. 268 Cf. B. Lanfrancus, De corpore et sanguinis Christi Domini, PL 150, 407–442. 269 Cf. Algerus, De sacramentis corporis et sanguinis Dominici, PL 180, 743–852. 270 Cf. Bruno Astensis, Opera omnia, PL 164 -165. 271 F. Vernet, « Bérenger de Tours », 729.

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changement au moment de la consécration de la substance du pain et du vin, rien alors ne change ni dans la substance, ni dans les accidents de ces deux corps. Bérenger considère que le pain et le vin demeurent réellement, mais par la consécration, deviennent seulement la figure, le signe, le gage du corps et du sang de notre Seigneur272. Puisqu’aucun changement ne s’opère pendant la consécration, il lui était difficile pour ne pas dire impossible d’affirmer la présence réelle du Christ dans la célébration eucharistique. Sans une profession claire en ce qui concerne la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, Bérenger aura un langage ambigu et obscur. C’est sous le mode de l’impanation qu’il tentera en premier lieu de parler de la présence du Christ qui coexisterait avec le pain et le vin qui resterait les mêmes. Cette forme de présence du Christ serait immatérielle à côté de la présence matérielle et réelle du pain et du vin. Dans d’autres textes, il faut plutôt croire à une présence dynamique du Christ, dans le sens de l’action plus qu’à la réalité du corps et sang mêmes du Christ. Soumettant ailleurs le Christ aux lois de l’espace, il n’admet qu’une présence partielle du Christ. Bérenger ne pouvait pas comprendre la multiplication des présences réelles et totales de cette humanité unique du Christ dans l’Eucharistie. Le Christ ne peut être que partiellement présent dans chaque hostie. Bérenger trouvait illogique la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Etant incorruptible, le corps du Christ serait nécessairement indivisible, son état glorieux lui empêchait toute multiplication dans des hosties sur les autels de la messe273. Face à cette hérésie qui sape la foi catholique, le concile de Latran tenu en 1079, ramènera Bérenger sur le droit chemin en lui faisant confesser la vraie foi en l’Eucharistie. Voici le texte de sa rétractation : Ego Berengarius corde credo et ore confiteor panem et vinum, quae ponuntur in altari, per mysterium sacrae orationis et verba nostri Redemptoris substantialiter converti in veram et propriam ac vivificatricem carnem et sanguinem Jesu Christi Domini nostri, et, post consecrationem, esse verum Christi corpus, quod natum est de Virgine et quod, pro salute mundi oblatum, in cruce pependit, et quod sedet ad dexteram Patris, et verum sanguinem Christi, qui de latere ejus effusus est, non tantum per signum et virtutem sacramenti, sed in proprietate naturae et veritate substantiae, sicut in hoc brevi continetur, et ego legi et vos intelligitis. Sic credo, nec contra hanc fidem ulterius docebo. Sic me Deus adjuvet et haec sancta Dei Evangelia274. 272 Cf. Hildebertus, Sermones de diversis, PL 171, 776. 273 Cf. J.-A. Chollet, La doctrine de l’Eucharistie, 28. 274 Cf. D, 700.

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Etant donné qu’il mériterait ainsi par son hérésie la croyance dans l’indéterminé, nous pouvons nous imaginer de quelles productions théologiques la réflexion eucharistique de Bérenger fut l’occasion. Mille et une production étudiant, approfondissant la vérité attaquée, d’autres la défendant, multipliant les arguments en terme de concepts et d’analyse ; on peut alors dire que l’hérésie de Bérenger fut un leitmotiv d’une période fructueuse de la théologie eucharistique. Les dogmes de la transsubstantiation et de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie sont exposés encore avec plus de clarté et de précision bien qu’ils aient toujours été professés. Les grands savants comme Pierre Lombard, Alexandre de Halès, S. Bonaventure, S. Thomas d’Aquin élaboreront sur des bases solides une théologie dogmatique de l’Eucharistie. Sans vouloir reprendre ici la grande discussion qui a eu lieu au cours du Moyen-Âge et à laquelle les éminents savants précités ont valablement répondue, fixons-nous sur ce qui nous intéresse, l’aspect de l’anamnèse dans les affirmations de Bérenger. En niant la transsubstantiation et la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, toute la notion de l’anamnèse telle que comprise par l’Èglise Catholique, comme commémoration actualisante de la passion et la résurrection du Seigneur qui le rend réellement présent parmi les siens, est alors sapée. Peut-être en précurseur inconscient de Luther, Béranger fera que ce dernier aura les mêmes affirmations que lui sur l’Eucharistie275. En lisant entre les lignes ses affirmations, l’anamnèse eucharistique, pour Bérenger, avant sa rétractation, n’était qu’une remise en mémoire d’un événement désuet qui n’avait pas force dans le présent ni dans l’avenir de ceux qui le célébraient. Nous pouvons l’imaginer, cette considération privait ipso facto le peuple de Dieu des dons immenses de ce grand sacrement ; puisque le Christ n’était pas présent pour renouveler les bienfaits de sa passion. Les paroles de la consécration n’avaient plus la force performatrice et le sacrement de l’ordre était aussi remis en question. Sa rétractation est une reconnaissance et une remise en valeur avec tout ce que cela comporte comme retombée positive sur l’anamnèse eucharistique. La formule même de sa confession est pleine de sens. Prenons quelques paroles : « credo et ore confiteor panem et vinum, quae ponuntur in altari, per mysterium sacrae orationis et verba nostri Redemptoris substantialiter converti in veram et propriam ac vivificatricem carnem et sanguinem Jesu Christi Domini nostri ». Per mysterium sacrae orationis, 275 Cf. A. Migne, Encyclopédie Théologique, 34, 642.

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de quelle oraison s’agit-il sinon de la prière consécratoire  qui change le pain en corps du Christ et le vin en son sang comme conséquence de la foi et de l’obéissance de l’Église à la verba Redemptoris : « Ceci, faites-le en mémoire de moi. » En obéissant à sa parole, l’Église rend réellement présent son Seigneur, qui continue à la vivifier. La présence du Christ est vivifiante, structurante pour l’Église. Par cette profession, Bérenger rattrape la vraie foi qu’il avait perdue, reconnaît l’ordre de l’anamnèse donné par le Christ aux siens, ses retombées positives et la force performatrice de la prière consécratoire. Il reconnaît aussi implicitement le caractère particulier de sacrement de l’ordre par lequel certains chrétiens reçoivent par l’ordination le pourvoir de changer le pain en corps du Christ et le vin en son sang ; parce que sans mandat cette mysterium sacrae orationis perd son sens de mystère et du sacré. Bérenger, par sa nouvelle conversion, redécouvre une des retombées de l’anamnèse eucharistique à travers l’Église, celle du pardon. Faisant mémoire de son Seigneur dans l’Eucharistie, l’Église actualise le grand pardon du Christ offert au monde, le vit et le transmet à tous ceux qui l’accueille. L’anamnèse eucharistique est la garantie de la présence permanente du Christ dans l’Église. Une compréhension erronée de l’anamnèse eucharistique peut être aussi pour nous source d’éloignement de la vraie foi ; Bérenger aurait-il négligé cette dimension  ? L’Église, à travers le concile du Latran en 1079276 et ses théologiens, a répondu à Bérenger. Nous citerons parmi les théologiens : Lanfranc, Guitmond d’Aversa, Alger de Liège et Brunon de Segni. A propos des trois premiers, Pierre le Vénérable écrira : horum primus (Lanfranc) de veritate corporis et sanguinis Christi, quae sacramentorum velamine tegitur, bene, plene, perfecte ; sequens (Guitmond) melius, plenius, perfectius ; ultimus (Alger) optime, plenissime, perfectissime disseruit, adeo ut nihil etiam scrupulosissimo lectori quaerendum reliquerit277.

Nous prenons un de ces théologiens, en la personne de Brunon de Segni, pour voir comment il a répondu à Bérenger en stigmatisant ses positions erronées.

276 Cf. D, 298. 277 Petrus Venerabilis, Tractatus contra Petrobrusianos, PL 189, 788.

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2.3.2.2  Brunon de Segni (1044–1123) Grand pasteur de Segni, Brunon fut un homme connu dans l’Église à cause de sa culture, fruit de son éducation chez les bénédictins du monastère de Saint-Perpet, dans les environs de Segni en Piémont (Italie). Théologien, polémiste, hagiographe, il se fera un nom surtout en ce qui concerne l’exégèse. On note de ce qui nous reste de lui : discours, homélies, six livres de Sentences et trois petites discussions théologiques. Il écrit aussi l’opuscule De symoniacis pour la réforme ecclésiastique de saint Grégoire VII. Hormis ces quelques œuvres citées à titre illustratif, l’évêque de Segni a laissé tant d’autres écrits qui ont servi et continuent encore à servir l’Église278. Chanoine régulier d’abord dans sa ville, il se rendra ensuite à Rome pour faire face à la doctrine erronée de Bérenger sur l’Eucharistie devant le concile de Latran qui s’ouvrait en 1079. C’est au cours de ce concile semble-il qu’il se fera un renom279. In quello tempo doveva essere discussa presso il papa Gregorio VII, che risiedeva nel palazzo del Laterano, una grave questione. Si trattava del sacramento del corpo e del sangue di nostro Signore Gesù Cristo. Un certo maestro Berengario non insegnava questo sacramento secondo la fede. Né se trovava alcuno che osasse discutere con tale maestro sul mistero eucaristico : sia perché quel maestro era molto abile nelle discussione, sia perché l’umana ragione, a proposito di questo mistero, non offre alla fede prove di esperienza. Ma era giunto il tempo in cui la probità e la scienza di Bruno dovevano risplendere a tutti nella curia romana. Dal sommo pontefice egli accetto l’incarico di disputare con quel maestro, e con ragionamenti serrati lo convinse, riportandolo dall’errore alla verità e, per grazia di Dio lo riporto all’unità cattolica 280.

Certains avancent même qu’il recevra le titre de « docteur eucharistique » pour avoir prouvé à Bérenger la fausseté de sa doctrine et l’avoir convaincu de professer la vraie foi en l’Eucharistie. Hypothèse peu probable281. Brunon de Segni n’a pas explicitement traité le problème de l’anamnèse eucharistique, il a répondu à l’hérésie de Bérenger qui considérait l’Eucharistie comme une figure, une similitude, symbole du corps et du sang du Christ. Bérenger, comme nous avons notifié plus haut, niait 278 Cf. Bruno Astensis, Opera omnia, PL 165. 279 Cf. P. Godet, « Brunon d’Asti ou de Segni », 1150. 280 Vita S. Bruni Seu Brunonis ab Anonimo Descripta, Venetia 1651. repris par D. Vitali, « L’Eucaristia in Bruno di Segni », 220. 281 Cf. D. Vitali, « L’Eucaristia in Bruno di Segni », 220–223.

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la doctrine de la transsubstantiation et celle de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, affirmant seulement une présence spirituelle. C’est à cela que l’évêque de Segni répondra. Dans ses différends écrits, De sacrificio azymo282, De sacramentis Ecclesiae283, on ne trouve pas grand chose sur l’Eucharistie. C’est dans ses sermons insérés au chapitre IX du livre IV des Sententiae : In coena Domini284, que nous trouvons sa réflexion sur l’Eucharistie. Nous trouvons aussi des indications sur l’Eucharistie dans ses différents commentaires : Expositio in Leviticum285, Commentaria in Matthaeum286, Commentaria in Lucam287 et Commentaria in Joannem 288. C’est dans ses différentes réflexions que nous lirons à travers les lignes la dimension anamnesique de sa réflexion eucharistique. Dans expositio in Leviticum, Brunon, pour introduire la discussion avec Bérenger, commence par commenter un texte de l’Ancien Testament traitant de sacrifice de la communion : Lv 7, 16ss : « Si la victime est offerte à titre de sacrifice votif ou volontaire, elle sera mangée le jour où on l’offrira ainsi que le lendemain, mais on jettera au feu le troisième jour ce qui resterait de la chair de la victime. » Brunon identifie le premier jour avec l’Ancien Testament qui est orienté au Christ, le second avec le Nouveau Testament qui est la manifestation du Christ « immolato e creduto, mangiato e bevuto », le troisième jour avec le temps présent qui est  « tenebroso, senza sole né luce, cieco ed erroneo, pieno di dottrine eretiche, che suonano come bestemmie »289. Conclut en faisant appel à 1Co 11, 29 pour inviter les communiants à un examen de conscience avant la communion afin de ne pas se condamner eux-mêmes en communiant indignement au corps et au sang du Christ. La communion faite dignement est signe d’appartenance à l’Église. Celui qui croit aux enseignements erronés sur l’Eucharistie et ne communie pas s’exclut lui-même de l’Église. Brunon voit dans la célébration eucharistique, non l’accomplissement de l’Ancien Testament qui est orienté vers le Christ, mais la commémoration du sacrifice du Christ qui nous unit ; la non participation à cette 282 Cf. Bruno Astensis, De sacrificio azymo ad Leonem monachum, PL 165, 1085–1090. 283 Cf. Bruno Astensis, De sacramentis Ecclesiae, PL 165, 1090–1110. 284 Cf. Bruno Astensis, Sententiae, Liber IV, cap. IX, PL 165, 1001–1007. 285 Cf. Bruno Astensis, Expositio in Leviticum, PL 164, 377–464. 286 Cf. Bruno Astensis, Commentaria in Matthaeum, CIV, PL 165, 286–308. 287 Cf. Bruno Astensis, Commentaria in Lucam, XLVIII, PL 165, 444. 288 Cf. Bruno Astensis, Commentaria in Joannem, XVI–XIX, PL 165, 493–503. 289 D. Vitali, « L’Eucaristia in Bruno di Segni », 224.

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commémoration sacrificielle qui rend présent le Christ parmi les siens nous sépare du corps du Christ qui est l’Église. L’anamnèse eucharistique est selon cette première approche un sacrifice de communion. Refuser de croire et de participer au caractère vrai et réel de ce sacrifice, c’est se mettre hors de la communauté. En bon exégète, Brunon lira les Écritures Saintes dans l’unité de projet de Dieu qui trouve dans le sacrifice du Christ leur accomplissement. Le Christ, puisque accomplissant l’Ancien Testament, sera comparé suite à son innocence à l’agneau pascal, et suite à la similitude de la chair avec le péché, au chevreau,  il sacrificio a cui i due animali rimandano è quello della croce, che i giudei hanno dimenticato e che la chiesa invece assume assiduamente. Se vengono sacrificati tanto il capretto quanto l’agnello, è soltanto l’agnello che viene mangiato dal popolo, perché mangiare è essere trasformato in cio che si mangia290.

L’assiduité de l’Église dans l’offrande continuelle de l’agneau, pour ne pas laisser tomber dans l’oubli ce sacrifice rédempteur, est signe de l’obéissance de l’Église à l’ordre de l’anamnèse donné par le Christ. Les chrétiens dans cette commémoration ont le rôle de communier, de manger l’agneau pour participer à son sacrifice et faire un avec lui. Dans le Commentaria in Matthaeum, Brunon parle du récit de l’institution en faisant appel à la « virtute ineffabili » de Jésus dans la transformation du pain et du vin en son corps et en son sang : « Ecce sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech panem et vinum virtute eneffabili in sui corporis et sanguinis substantiam convertit »291. Cette transformation opérée autrefois par le Christ, continue actuellement au sein de l’Église à travers le prêtre qui reçoit par son ordination cette force ineffable pour réitérer dans l’Église ce que Jésus avait fait lors de la dernière cène. La foi est l’unique voie pour la compréhension de cet acte. L’Église, qui continue à offrir l’agneau, le fait à travers ses ministres ordonnés qui ont reçu le pouvoir de transformer le pain et le vin en corps et sang du Christ. Ne voyons-nous pas dans l’anamnèse eucharistique accomplie par l’Église l’institution du sacrement de l’ordre ? En soutenant la doctrine de la transsubstantiation, Brunon ne pouvait pas ne pas penser au sacerdoce ministériel qui constitue et institue les agents de ce miracle que Jésus continue à opérer. La transformation opérée autrefois par la force de la parole du Christ continue aujourd’hui à 290 D. Vitali, « L’Eucaristia in Bruno di Segni », 225. 291 Bruno Astensis, Commentaria in Matthaeum, CIV, PL 165, 290.

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travers les sacerdoces qui agissent au nom du Christ. La parole performative du Christ continue encore à l’être à travers ses ministres. L’anamnèse eucharistique qui n’est pas la commémoration d’un absent, mais du Christ rendu présent à travers le pain et le vin transsubstantiés, est la compréhension et la confession de l’Église, en d’autres termes, de la doctrine de la présence réelle du Christ défendue par Brunon de Segni. Le rôle des chrétiens, étant de communier à ce sacrifice, le rôle des prêtres sera de transformer le pain et le vin en corps et sang du Christ292. Dans son Commentaria in Lucam, Brunon continue sa réflexion eucharistique en parlant de désir ardent de Jésus de manger la Pâque avec ses disciples (Lc 22, 14). L’intention de Jésus était déjà de faire un acte mémorial de la culture des juifs, qui célébraient chaque année la Haggadad, mais au-delà de cette culture juive, son intention profonde était « di dare compimento alle cose antiche e passare finalmente alle nuove »293, c’est-àdire un nouveau mémorial qu’il transmettra à ses disciples. L’anamnèse eucharistique peut être comprise ici comme accomplissement des anciennes choses de l’Ancien Testament et le passage aux nouvelles choses du Nouveau Testament que l’Église doit perpétuer jusqu’au retour de Christ. Le Commentaria in Joannem axé sur le chapitre 6 invite à la foi au pain et vin transformés substantiellement (substantialiter mutaretur) au corps et au sang du Christ comme source de vie. Cette transformation s’opère grâce à la bénédiction céleste par la parole sacerdotale294 : « In hoc igitur comeditur, et comesta non minuitur ; quae nunquam comederetur, nisi panis iste Christi benedictione in eam substantialiter mutaretur »295. L’obéissance à l’ordre anamnestique permet à Jésus de continuer à donner son corps comme nourriture et son sang comme breuvage. C’est ce que l’Église continue à faire, et c’est à cause de cela qu’elle ne meurt pas (Jn 6, 57). Les différents points de vue de Brunon de Segni sur l’Eucharistie : la présence réelle du Christ, la transsubstantiation, l’identité du corps historique et du corps eucharistique296…, portent en eux un soubassement anamnestique profond. Ses considérations ne sont possible qu’en obéissant à l’ordre du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi. » L’anamnèse 292 Cf. Nous pensons ici au sacerdoce ministériel et royal dont Vatican II parlera longtemps après : LG, 10–11. 293 D. Vitali, « L’Eucaristia in Bruno di Segni », 228. 294 Cf. Bruno Astensis, Commentaria in Joannem, PL 165, 499 C –500, 312. 295 Bruno Astensis, Commentaria in Joannem, PL 165, 500. 296 Cf. Bruno Astensis, Opera omnia, PL 165.

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eucharistique nous faisant vivre continuellement la présence réelle du Christ, ne peut qu’aller de concert avec les considérations eucharistiques de Brunon de Segni. Une anamnèse figurative nie en soi la doctrine de la transsubstantiation et rejette les effets efficients de cette célébration. Prenons à présent un autre scolastique, S. Bonaventure, chez qui la notion de l’anamnèse ne souffre d’aucune ombre. 2.3.2.3  Saint Bonaventure (1217–1274) Bonaventure a su joindre dans sa vie les vertus d’un religieux franciscain parfait et les connaissances rares de son siècle ; il recevra le nom de docteur séraphique. L’un des plus célèbres théologiens du Moyen Âge, spécialement de la période scolastique, il lèguera à l’Église huit fameux volumes dans lesquels il traite de l’Écriture Sainte, des sermons, des sentences, de morale et de piété, de la vie religieuse297. Pour ce qui nous concerne, voyons directement quelle approche S. Bonaventure fait de l’anamnèse eucharistique. Le docteur séraphique commente les paroles de Jésus : « Ceci, faitesle en mémoire de moi », sous deux aspects. Dans le chapitre VI de son « De praeparatione ad missam »298, il examine l’importance de cette parole du Seigneur face au prêtre et aux chrétiens quand ils se préparent pour la sainte messe. Dans son commentaire sur l’Évangile de S. Luc299, il approfondit l’aspect objectif de mémorial sacrificiel de l’anamnèse. Commentant Lc 22, dans  De praeparatione ad missam, il affirme que tout ce qui se passe à la messe, les ornements, les chants et les cérémonies, tout ne représente qu’une chose : « la Passion du Sauveur ». Il le dira lui-même : « propter hoc quidquid agitur in Missa, et omnis ornatus et caerimonia, nihil aliud repraesentat, nisi Christi passionem »300, c’est ici que nous sommes invités à décortiquer le but de cet ordre que le Seigneur donne à ses disciples. La passion du Seigneur occupe une place de choix dans l’anamnèse eucharistique. Le docteur séraphique approfondissant sa réflexion sur ce premier aspect de l’anamnèse du Christ dans la messe, cite 1 Co 11, 26 : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » Précisant ainsi le sens et la cause de ce retour du Seigneur, 297 Cf. A. Migne, Encyclopédie Théologique, 33, 587. 298 Bonaventurae, De preparatione ad missam, 282. 299 Cf. Bonaventurae, Expositionis in Evangelium Sancti Lucae, 180. 300 Bonaventurae, De preparatione ad missam, 282.

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Bonaventure parle du retour du Seigneur pour le jugement : « Unde ipse Christus ait : Hoc facite in meam commemorationem. Et ejus Apostolus : Quotiescumque manducabitis, etc., mortem Domini annunciabitis, donec veniat ; scilicet ad judicium »301. L’accent mis par Bonaventure sur le mémorial de la passion du Seigneur ne relègue en rien la résurrection à la dernière place, parce que la dimension de jugement que le docteur séraphique souligne en citant S. Paul, fait apparaître la réalité de la résurrection dans l’anamnèse eucharistique. L’apôtre des gentils, parlant du repas du Seigneur, souligne cet aspect de jugement, pour nous faire prendre conscience que nous communions réellement au corps et au sang du Christ ressuscité, qui est vivant, qui reviendra pour le jugement du monde ; et pour ne pas être condamnés, il faut nous préparer et communier dignement à ce repas de notre salut. La repentance et la conversion sont donc nécessaires pour nous conformer à ce que nous célébrons. Pour Paul – et c’est ce que Bonaventure constate -, l’annonce de la mort sacrificielle du Christ est inséparable de la proclamation des jugements opérés par Lui, continuellement, au cours de l’histoire, comme du jugement final – particulier, puis collectif – lors du retour glorieux de la victime de notre salut 302.

Par l’anamnèse eucharistique, quand nous communions, nous annonçons non seulement la passion du Seigneur, mais aussi sa résurrection et son retour pour le jugement du monde. Ce jugement qui, notons-le, devient gage de notre propre résurrection. Cette partie préparatoire à la célébration de l’anamnèse eucharistique conduira le docteur séraphique à réfléchir sur l’aspect objectif du mémorial sacrificiel. Dans le commentaire fait sur l’Évangile de S. Luc, Bonaventure voit dans l’ordre donné par le Seigneur : « Ceci, faites-le en mémoire de moi », une transmission aux apôtres du pouvoir de consacrer le pain et le vin et de les rendre corps et sang du Christ. Jésus par cet ordre, disons-le, institue l’ordre sacerdotal en vue de l’exécution de son commandement, c’est-à-dire de la célébration de l’anamnèse eucharistique. L’ordre de l’anamnèse devient générateur des sacrements de l’ordre et de l’Eucharistie. Deux sacrements jumeaux, ordonnés l’un pour l’autre et l’un en vue de l’autre. 301 Bonaventurae, De praeparatione ad missam, 282–283. 302 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 129.

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Parlant de la cause de cette mémoire, le docteur séraphique note, parce que le Seigneur voulait laisser aux siens : « in memoriale dominicae mortis : ‹ Quotiescumque manducabitis panem hunc, et calicem bibetis, mortem Domini annuntibitis, donec veniat › »  303, un mémorial de la mort du Seigneur, qui est la monstration de son amour dans le passé, qui continue dans le présent et qui s’accomplira pleinement dans l’avenir. La deuxième raison de ce mémorial est « in memoriale dominicae virtutis : ‹ memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus › »304. Par l’anamnèse eucharistique, le Christ continue à sanctifier, à expier, à pardonner et à fortifier ses disciples ; il unifie dans son amour le passé, le présent et l’avenir dans son unique sacrifice. Quant à la matière même qui constitue cette célébration, elle est porteuse d’une grande signification. Elle symbolise la nature même de la mémoire. S’étant présenté comme le « grain de blé qui meurt afin de porter beaucoup de fruit » (cfr. Jn 12, 24), trituré lors de la flagellation, broyé par la meule de la croix, cuit dans le four sépulcral, le Christ est le grain de Blé qui meurt pour nourrir, dans la contrition qui broie, nos mémoires infidèles du mémorial de sa mort305.

La communion au corps et au sang du Christ devient pour les chrétiens, source de vie et du salut. Se tenir à l’écart de cette mémoire et de cette manducation, c’est se condamner à la mort spirituelle. Du docteur séraphique passons au docteur angélique en la personne de S. Thomas d’Aquin. 2.3.2.4  S. Thomas D’Aquin (1226–1274) Célèbre religieux dominicain et docteur de l’Église, Thomas d’Aquin a consacré toute sa vie à l’étude et au service de l’Église. On l’appellera docteur angélique ou l’ange de l’école, « parce qu’aucun autre n’a traité la théologie scolastique avec autant de clarté, d’ordre et de solidité que lui ; aussi aucun autre n’a eu autant de réputation, soit pendant sa vie, soit après sa mort »306. A côté d’autres écrits, la Somme Théologique constituera le chef d’œuvre de méthode et de dialectique que Thomas d’Aquin nous a laissé comme grand héritage scientifique. Nommé par le Pape Pie XI 303 304 305 306

Bonaventurae, Expositionis in Evangelium Sancti Lucae, 180. Bonaventurae, Expositionis in Evangelium Sancti Lucae, 180. B.De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 131. A. Migne, Encyclopédie Théologique, 35b, 765.

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docteur eucharistique307, Thomas d’Aquin, tout en montrant la dimension inéluctablement ecclésiale de l’anamnèse eucharistique, l’étudiera sous divers aspects que nous tâcherons d’étudier. Disons de prime abord que, le docteur angélique voit dans l’anamnèse eucharistique l’institution par le Christ du sacrement de l’ordre, l’invitation lancée par le Christ aux siens de célébrer son sacrifice-mémorial et d’y communier sacramentellement. Parcourons à présent les différents aspects de l’anamnèse traités par l’Aquinate. A la question 82, le docteur eucharistique pose dans l’article I : « La consécration de ce sacrement appartient-elle en propre au prêtre ? »308. Sa réponse suit une graduation. Affirmant que la consécration est faite par la vertu des paroles qui sont la forme de ce sacrement, Thomas affirme qu’elle peut être prononcée par un prêtre ou par quelqu’un d’autre, donc n’importe qui d’autre peut consacrer ce sacrement. Le prêtre consacre ce sacrement en tenant la place du Christ. Mais le laïc qui est saint est uni au Christ par la charité. Citant Jean Chrysostome qui affirme que « tout saint est prêtre », Thomas continue sa réflexion en disant que comme ce sacrement est ordonné au salut de l’homme, comme le baptême ; autant un laïc peut baptiser, il n’est donc pas réservé au prêtre de consacrer ce sacrement. En bon scolastique, le docteur angélique nous amène graduellement dans la profondeur de ce sacrement en disant que ce sacrement s’accomplit dans la consécration de la matière. Mais la consécration d’autres matières – le chrême, l’huile sainte et l’huile bénite – appartient à l’évêque seul. Pourtant leur consécration n’a pas une aussi grande dignité que la consécration de l’Eucharistie, dans laquelle il y a le Christ tout entier. Il n’est donc pas réservé au prêtre, mais à l’évêque seul, de consacrer ce sacrement309.

Ici intervient alors la conclusion du docteur eucharistique à cette question qui nous donne en même temps les destinateurs de l’ordre de l’anamnèse. Il affirme : Ce sacrement est d’une telle dignité qu’il n’est consacré que par celui qui tient la place du Christ. Or quiconque agit à la place d’un autre doit faire en vertu d’un pouvoir que celui-ci lui a concédé. Or, de même que le baptisé a reçu du Christ le pouvoir de consommer ce sacrement, de même le prêtre, lorsqu’il est ordonné, reçoit le pouvoir de consacrer ce sacrement en tenant la place du Christ. Car c’est par là qu’il est mis au rang de ceux à qui le Seigneur a dit : « Faites ceci en mémoire de 307 Cf. Pie xi, Studiorum Ducem, 320. 308 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III. 82. Art. 1. 309 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III. 82. Art. 1.4.

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moi ». Et par conséquent il faut dire que la consécration de ce sacrement appartient en propre aux prêtres310.

Nous portant ainsi au sommet de ce grand sacrement de notre foi, S. Thomas nous fait comprendre que la vertu sacramentelle ne réside pas seulement en une seule réalité. Comme la vertu du baptême réside dans la parole et l’eau, la vertu consécratoire incluant naturellement la parole, réside aussi dans le pouvoir qui est confié au prêtre dans son ordination par cette parole de l’évêque : « Recevez le pouvoir d’offrir le sacrifice dans l’Église, tant pour les vivants que pour les morts », ce pouvoir transmis par l’évêque qui a la plénitude du sacerdoce et agit in persona Christi est pour le bien du corps entier du Christ. Le laïc qui est juste et uni au Christ par la foi et la charité possède le sacerdoce spirituel pour offrir ces hosties spirituelles dont parlent le Ps 50 : « Le sacrifice offert à Dieu, c’est le cœur contrit » et l’épître aux Romains : « Offrez vos corps comme une hostie vivante »311. Thomas d’Aquin fait une différence dans l’ordre de l’anamnèse, en conférant aux laïcs le pouvoir de consommer l’Eucharistie pour les aider à mieux se souvenir de mystère de la Passion du Christ et s’incorporer à lui ; il est évident que tous sont tenus de manger au moins spirituellement, car ce n’est pas chose que s’incorporer au Christ […] Il est donc évident que l’on est tenu de consommer ce sacrement, non seulement par une loi de l’Église, mais encore par le commandement du Seigneur, qui dit : « Faites ceci en mémoire de moi »312.

et aux prêtres par leur ordination, le pouvoir de consacrer le pain et le vin en corps et sang du Christ in persona Christi. Procédant par un raisonnement inclusif, Thomas sans négliger l’une ou l’autre catégorie, nous montre que l’ordre de l’anamnèse est bel et bien confié aux laïcs et aux prêtres. En accomplissant cet ordre in persona Christi, le prêtre, par la réitération de l’ordre anamnestique, réitère en même temps le mystère de la résurrection du Seigneur. Parce que le ministre ordonné n’agit pas en son propre pouvoir et en son propre nom, mais au nom du Christ, c’est le 310 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III. 82. Art. 1.4. 311 Cf. S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III. 82. Art. 1.,S.1. Il insiste sur ce point pour nous dire que le baptisé possède bien plus que le sacerdoce spirituel, il possède aussi le sacerdoce liturgique en vertu de son baptême qui le consacre au culte et lui donne le droit et le devoir de participer activement à l’anamnèse eucharistique, pour offrir avec le prêtre et communier dans la communauté. Et c’est là que l’Église se réalise pleinement. 312 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III. 80. Art. 11.

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Christ lui-même à travers lui qui consacre le pain et le vin en son corps et en son sang, le Christ lui-même se rend présent. Le docteur angélique arrive à déceler dans la réitération du sacrifice du Christ l’accomplissement de la promesse de Jésus (Mt 28, 20) et la pérennité de l’anamnèse eucharistique. Portant encore plus loin sa réflexion sur ce grand mystère de notre rédemption, S. Thomas d’Aquin nous conduit dans la profondeur de la transcendance de l’anamnèse eucharistique dans l’institution des autres sacrements quand il compare les rôles des ministres dans l’administration des autres sacrements et dans l’Eucharistie :  Ce sacrement diffère des autres en deux points : d’abord en ce qu’il est achevé dans la consécration de la matière, tandis que les autres s’achèvent dans l’usage de la matière consacrée. Ensuite parce que, dans les autres sacrements, la consécration de la matière consiste seulement en une bénédiction d’où la matière consacrée reçoit à titre d’instrument une vertu spirituelle qui, par le ministre, – lequel est un instrument animé, – peut atteindre jusqu’aux instruments inanimés. Tandis que, dans ce sacrement, la consécration de la matière consiste en une conversion miraculeuse […] C’est pourquoi le ministre en accomplissant ce sacrement n’a pas d’autre action que d’émettre des paroles. Et parce que la forme doit être appropriée à la réalité sacramentelle, la forme de ce sacrement diffère de celles des autres sacrements en deux points. Le premier, c’est que les formes des autres sacrements se rapportent à l’emploi de la matière, par exemple le baptême dans l’eau et la consignation avec le saint chrême ; tandis que la forme de ce sacrement se rapporte uniquement à la consécration de la matière, qui consiste dans la transsubstantiation ; à savoir lorsqu’on dit : « Ceci est mon corps » ou : « Ceci est le calice de mon sang ». La deuxième différence, c’est que les formes des autres sacrements sont émises au nom personnel du ministre, soit en le désignant comme exerçant un acte, quand il dit : « je te baptise » ou « je te confirme » […] Tandis que la forme de ce sacrement est émise au nom personnel du Christ lui-même qui parle ; on donne à entendre que, dans l’accomplissement de ce sacrement, le ministre ne fait rien d’autre que de proférer les paroles du Christ313.

Comparaison qui nous aide à comprendre combien est grande l’anamnèse eucharistique. Le concile Vatican II n’aura pas tort de donner à ce sacrement la place qui lui est due en le considérant comme le sommet de tous les sacrements. Comme cause instrumentale dans les autres sacrements, les prêtres exercent une activité propre surélevée par la cause principale qui est le Christ ; alors que dans la célébration eucharistique, le prêtre ne fait que prononcer des paroles qui ne sont pas siennes mais qui sont 313 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III.78. Art. I, 4.

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celles du Christ. Autre élément que nous voulons souligner, la précision dans la parole même de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi. » Faire ce qu’il a fait lui, ne rien ajouter et ne rien retrancher. « Faites ceci : ces mots signifient : que votre agir soit, non pas matériel, mais uniquement formel et verbal ; renoncez à faire (au sens ordinaire, transitif, en donnant une autre forme à la même matière) en vue de Me laisser exercer, par vos voix, un agir formel et verbal »314. Ne retrouvons-nous pas ici un appel à la fidélité à l’ordre donné par le Seigneur ? Faire ce qu’il nous a ordonné, en son nom, non au nôtre, pour rester ses amis (Jn 15, 14). La portée ontologique de l’ordre de l’anamnèse se fait ici voir comme expression de la volonté toute puissante du Christ, Dieu fait homme, un homme extraordinaire qui demande à ses ministres, des personnes ordinaires, baptisées et ordonnés comme ses prêtres, d’être ses instruments, à travers lesquels il peut continuer à opérer l’extraordinaire. Par l’intermédiaire des prêtres pendant la sainte Eucharistie, Jésus continue à être Emmanuel. L’Emmanuel qui nous fait prendre conscience de nos péchés et nous rappelle continuellement le sacrifice de sa vie pour notre rachat. L’anamnèse eucharistique, comme l’affirme Thomas d’Aquin, est identique au sacrifice du Christ : « Quant au sacrifice quotidien qui est offert dans l’Église, il n’est pas un sacrifice différent de celui du Christ, il en est seulement la commémoration » ; et il nous fait souvenir les péchés non à cause de l’inefficacité du sacerdoce du Christ, ou de son insuffisance à expier les péchés, « mais à cause de ceux qui ne veulent pas participer à son sacrifice, tels les infidèles pour lesquels nous prions afin qu’ils se convertissent de leurs péchés ; c’est encore à cause de ceux qui, après avoir participé au sacrifice du Christ, s’en écartent en tombant dans le péché »315. La célébration de l’anamnèse eucharistique devient un principe qui crée, maintient et structure l’Église. Elle ouvre l’Église, par ses prières, aux autres, spécialement à ceux que S. Thomas appelle les infidèles. L’ordre de l’anamnèse eucharistique reçoit chez le docteur angélique une portée interpersonnelle et personnalisante qui ne peut plus renfermer l’Église sur elle-même, il l’ouvre et le porte dans un élan d’amour, prête à se sacrifier elle aussi pour les autres. L’ordre de l’anamnèse eucharistique manifestant l’amour de Jésus pour son Église et pour le monde, s’adresse à chacun et tous les membres de l’Église, chacun par l’Église, de l’Église et dans l’Église de continuer à bâtir avec le Christ son Église jusqu’à son retour. 314 B. De Magerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 136. 315 S. Thomas D’Aquin, Somme théologique, III.22.3.2.

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Ce sacrement des sacrements qui est l’Eucharistie a singulièrement marqué la pensée théologique du Moyen-Âge. Les scolastiques, en particulier, y attacheront un intérêt spécial. Les spéculations erronées, dues à l’usage abusif de la philosophie d’Aristote, ont données l’occasion à la pensée médiévale chrétienne d’enrichir l’enseignement eucharistique sur diverses dimensions que l’intellectus fidei continuera à décortiquer pendant un long moment. La pensée médiévale établira en des concepts clairs et distincts la manifestation singulière de la toute puissance divine dans la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ : la transsubstantiation… La présence réelle du Christ sous les saintes espèces sera clairement définie. Bien d’autres points sur l’eucharistie qui faisaient objet des enseignements erronés seront rectifiés. Le concile de Trente se servira beaucoup de ces points de vue des théologiens du Moyen-Âge et érigera officiellement un bon nombre de fruits de ces études théologiques en vérités de foi.

3. Aperçu du concile de Trente sur l’anamnèse eucharistique Le Concile de Trente, qui a eu à faire face à l’un des grands schismes qu’a connu l’Église, à savoir celui de Luther, a dû répondre au problème que posaient les luthériens en ce qui concerne le sacrement de l’ordre, la communion eucharistique et le sacrifice de la messe. La position officielle des réformateurs luthériens sur le sens de la commémoraison que le Seigneur a demandé à ses disciples sera prise en 1531 avec la confession d’Augsbourg. Pour nous faire une idée de cette position des Luthériens, nous reprenons ici l’article 24.322 de la dite confession : C’est cet usage du Sacrement, quand les cœurs frappés de terreur sont vivifiés grâce à la foi, qui constitue le culte dans la Nouvelle Alliance […] Et c’est en vue de cet usage que le Christ a institué le Sacrement, quand il ordonne : « Faites ceci en mémoire de moi ». En effet, garder mémoire du Christ, ce n’est pas célébrer paisiblement un spectacle ou procéder à une célébration instituée pour servir d’exemple […] c’est garder mémoire des bienfaits du Christ et les recevoir par la foi, afin d’être vivifié grâce à eux316. 316 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 230.

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Dans leur approche anamnesique, Luther et ses disciples souligneront exclusivement les aspects communionnels et subjectif de l’anamnèse. La célébration de la mémoire du Christ aide les chrétiens seulement à se réunir pour rendre grâce au Seigneur de ce qui a été fait. On fait ici mémoire non du Christ, ni de sa passion, ni même de sa résurrection, mais on se souvient de bienfaits du Christ pour en éprouver les bénéfices dans le présent. Pour les luthériens on fait mémoire des bienfaits d’un absent. On comprend que dans une telle commémoration la présence réelle de Jésus n’est pas évoquée ; ce qui prime, sont les bienfaits accomplis pour en tirer le plus possible profit. La communion étant préservée dans la célébration, le bénéfice que chaque membre de la communauté doit tirer de cette célébration met en relief le caractère subjectif de l’anamnèse et réduit en importance la présence de ministre ordonné. N’importe quelle personne peut bien rappeler les bienfaits sans rappeler les faits qui exigent un mandat. Le monde protestant pense obéir complètement à l’ordre de réitération donné par Jésus à la Cène à travers une communion suivant la répétition non sacrificielle des paroles de consécration, prononcées par des ministres qui n’ont pas reçu un sacrement distinct de celui du baptême en vue de les habiliter à consacrer317.

On comprend immédiatement ici la mise à part des aspects objectif et sacrificiel de l’anamnèse eucharistique. La substance propre et intégrale du mystère eucharistique n’existe pas, et le hic et nunc sacramentel du sacrifice du Christ n’est plus opérationnel. Une telle approche de l’ordre de l’anamnèse donné par le Seigneur, remettait de facto en doute le caractère sacrificiel et le sens profond de l’Eucharistie et aussi l’institution même de sacrement de l’ordre. Les discussions conciliaires avant la définition tridentine du sacrifice de la messe furent houleuses et riches. La réaction de la théologie catholique ne tardera pas à se faire entendre318. Observons pour terminer, avant la position officielle du concile de Trente, que le Cardinal Thomas de Vio, dit le Cajétan, sera l’un des plus grands qui se sont profondément penchés sur l’ordre d’anamnèse donné par le Christ. Il analysera chaque terminologie de l’ordre de l’anamnèse pour en dégager le sens profond, ses retombées sacramentelles et ecclésiales. Il suffit de lire à ce sujet son opuscule 317 B. De Magerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 171. 318 Cf. J. Riviere, « La messe durant la période », 1099–1112.

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de 1531 : « De Missae sacrificio et ritu adversus lutheranos », pour s’en rendre compte. Par exemple, il affirme que le sacrifice de la messe étant le mémorial d’un sacrifice déjà offert en réalité, ce caractère ne contredit pas et ne s’oppose pas au fait qu’il soit renouvelé et soit un véritable sacrifice : « Cum haec duo nequaquam ad invicem pugnent esse sacrificium et esse memoriam sacrificii, sed ratione habita ad diversa magno inter se consensu conveniant »319. Le Cardinal Thomas de Vio affirme ici le caractère représentatif du sacrifice de la messe et le rôle du prêtre qui agit in persona Christi, l’unique sacrifice du Christ est rendu présent jusqu’à la fin des temps par l’anamnèse eucharistique. Ces présupposés aideront les théologiens tridentins et le concile, à prendre une position officielle face à l’anamnèse eucharistique. A la position des luthériens sur l’anamnèse comme commémoration d’un absent dans le pain et le vin, Laynez, cité par B. de Margerie répond : « Il y a trois manières de représenter quelqu’un : par les paroles d’un historien, ou comme un comédien (se masquant pour représenter un autre) ou enfin quand le représentant est identique au représenté »320. Les deux premières manières ne sont pas celles vécues dans la célébration eucharistique, le Christ dans l’Eucharistie représente lui-même le mystère de sa passion en la personne du ministre célébrant. Le célébrant ici ne remplit ni le rôle d’un historien, ni celui d’un comédien, moins encore celui d’un metteur en scène. Une autre question surgira : « Celle de savoir si l’ordre de l’anamnèse était donné à tous les chrétiens ou seulement aux apôtres ». Là encore les théologiens tridentins y porteront leurs contributions. Relevons celle du prélat canoniste Pighini qui assène : « Le Christ, à la cène, en prononçant les paroles ‹ Faites ceci en mémoire de moi ›, n’a donc pas formulé un commandement aux baptisés, ne s’est pas adressé – à travers les apôtres – à l’ensemble des chrétiens, mais a institué un sacrement : celui du sacerdoce »321. Le point de vue du prélat soulève une question de distinction : l’ordre de l’anamnèse serait-il un précepte de droit divin ou une institution par le Christ de sacrement de l’ordre ? En s’appuyant sur le précepte divin, on afficherait un caractère imposant, direct et légitime sur une ou plusieurs 319 Thomas de vio, De Missae sacrificio, cap VI, Opuscula, 428. Nous recommandons aussi l’article de J. Riviere, « La messe durant la période », 1108. 320 B. de Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 196. 321 B. de Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 197.

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personnes bien catégorisées, de poser un acte ou de l’omettre, surtout dans le sens d’urger l’observation de la loi. Mais si par contre on s’adosse à l’institution par le Christ du sacrement de l’ordre, alors certains fidèles institués et constitués ministres sacrés, le sont par le caractère indélébile dont ils sont marqués. Aussi sont-ils consacrés et députés pour être pasteurs du peuple de Dieu, chacun selon son degré, remplissant en la personne du Christ Chef les fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement322. Partant des considérations de S. Pighini323, l’ordre de l’anamnèse ne constitue pas un précepte de droit divin mais une institution. Le précepte ayant un caractère obligeant, alors que l’institution n’oblige pas, le Christ par cet ordre institue le sacrement de l’ordre. Si l’ordre de l’anamnèse constituait un précepte divin, tous les baptisés seraient des prêtres ministériels. Mais bien que dépourvue de caractère obligeant, l’institution porte en elle par contre une certaine organisation et une structure qui la réglementent de l’intérieur ; ce qui laisse déjà profiler à l’horizon dans cet ordre de l’anamnèse, la naissance de l’Église. Le commandement de l’anamnèse, dont naîtra le sacrement de l’ordre, engendre de facto l’Église qui constitue l’espace et le cadre appropriés dans lequel ce sacrement est vécu. De l’anamnèse eucharistique, on ne peut pas ne pas accéder à l’anamnèse ecclésiologique. Les deux se compénètrent et se complètent. La dimension sociale de l’engagement chrétien comme prêtre ou comme laïc transmue l’ordre de l’anamnèse en précepte divin. Les baptisés que nous sommes, ne sont pas obligés de recevoir les sacrements de l’ordre ou du mariage. Mais une fois que nous nous engageons, la forme et la structure interne de ses sacrements nous mettent dans les conditions et l’obligation de respecter et de vivre conformément au cadre institutionnel tracé par le Seigneur. L’ordre de l’anamnèse devient ontologiquement nécessaire à l’être chrétien. Revenons à cette différenciation entre l’institution et le précepte ; le « Faites ceci en mémoire de moi », tout en étant une institution, devient en même temps un précepte divin pour ceux qui s’y engagent. Les deux ne sont pas incompatibles. C’est aussi cette position qu’adoptera le Concile de Trente en stipulant clairement que : 322 Cf. cic, can 49 et 1008. 323 Cf. Nous trouvons le résumé de sa proposition dans Concilium Tridentinum VII, A, 173.

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Salvator noster, discessurus ex hoc mundo ad Patrem, sacramentum hoc instituit, in quo divitias divini sui erga homines amoris velut effudit, « memoriam faciens mirabilium suorum » [Ps 110, 4], et in illius sumptione colere nos sui memoriam[cf. Lc 22, 19 ; 1Co 11, 24] praecepit suamque annuntiare mortem, donec ipse ad iudicandum mundum veniat [cf. 1Co 11, 26]324.

Le Concile associera ce que le prélat voulait séparer ; l’anamnèse du Christ, étant une institution, est en même temps un précepte divin pour ceux qui l’accueillent. A qui en fait ce précepte divin de l’ordre de l’anamnèse tel que l’affirme le Concile de Trente était-t-il destiné  ? La réponse du Concile suivra une certaine évolution. Soulignant le caractère sacramental de l’Eucharistie comme un signe de communion de tous les baptisés, prêtres et laïcs, le Concile interprétait cet ordre comme destiné à tous les fidèles. A ce stade, la dimension sacrificielle de l’Eucharistie n’était pas encore très valorisée par le Concile. Il faudra attendre en 1562, lorsque le Concile aura approfondi, avec l’aide des travaux accomplis par certains théologiens. De ceux-ci. Ruard Tapper lit dans la célébration de l’anamnèse du Christ le symbolisme sacrificiel et ensuite le symbolisme communionnel. Melchior Cano dit quant à lui que : la messe n’est pas seulement mémorial de la Cène, mais encore de l’oblation accomplie sur la croix. De même que si nous ne mangeons pas, nous ne représentons pas la Cène du Christ, ainsi, si nous n’offrons pas, si nous ne sacrifions pas, nous ne représentons pas le sacrifice du Christ offert sur la croix325.

Le Concile, avec les fruits de toutes ses recherches et l’exégèse de Lc 22,19b, verra dans l’ordre de l’anamnèse un précepte de célébration sacrificielle. Un tel aspect vient compléter le caractère communionnel que porte l’anamnèse. B. de Margerie, en paraphrasant J. Couvillon, écrit : L’ordre de l’anamnèse impliquait et contenait une double institution : celle du sacrement de l’Ordre – ici l’institution visait les destinataires immédiats de l’ordre du Christ – et celle du sacrifice eucharistique, finalisé par la communion eucharistique : ici l’ordre de Jésus visait les destinataires médiats, les fidèles. Les fidèles ne peuvent communier en obéissant ainsi, à leur niveau, à l’ordre de Jésus, que si les apôtres et leurs successeurs ont d’abord obéi, à un niveau supérieur, à l’ordre d’anamnèse sacrificielle326. 324 D, 1638. 325 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 203. 326 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 206.

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Il existe une certaine harmonie et interdépendance entre les deux, la réitération du sacrifice du Christ est en vue de la communion des fidèles, et la communion des fidèles est pleinement réalisée dans et par cette réitération sacrificielle. Le Concile de Trente, dans sa position officielle en forme d’affirmation positive pour ce qui concerne la réitération sacrificielle, déclare : Sacerdotem secundum ordinem Melchisedech se in aeternum [cf. Ps 110,4 ; Hbr 5,6 ; 7,17] constitutum declarans, corpus et sanguinem suum sub speciebus panis et vini Deo Patri obtulit ac sub earundem rerum symbolis Apostolis (quos tunc Novi Testamenti sacerdotes constituebat), ut sumerent, tradidit, et eisdem eorumque in sacerdotio successoribus, ut offerrent, praecepit per haec verba : « Hoc facite in meam commemorationem » [Lc 22,19 ; 1Co 11,24], etc., uti semper catholica Ecclesia intellexit et docuit [can. 2]327.

Cette affirmation du Concile fait sortir la nouveauté du sacrifice du Christ par rapport au sacrifice de l’Ancienne Alliance. Le Concile, tout en restant sur la ligne des Pères de l’Église, souligne l’accomplissement de la Pâque ancienne par le Christ et la dimension libératrice de son sacrifice. Il affirme encore : Nam celebrato veteri Pascha, quod in memoriam exitus de Aegypto multitude filiorum Israel immolabat [cf. Ex 12], novum instituit Pascha, se ipsum ab Ecclesia per sacerdotes sub signis visibilibus immolandum in memoriam transitus sui ex hoc mundo ad Patrem, quando per sui sanguinis effusionem nos redemit « eripuitque de potestate tenebrarum et in regnum suum transtulit » [Col 1, 13]328.

L’approche anamnésique faite par le Concile de Trente a su cerner en profondeur la problématique de l’ordre de l’anamnèse dans sa dimension sacrificielle, oblative, libératrice et récapitulatrice. Cet ordre, donné en vue de la communion chrétienne, met en valeur certains membres de la communauté choisis par le Christ pour réitérer son sacrifice et tenir ainsi vivante la communauté. Partant de Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24ss, W. Kasper dit que c’est aux Douze qu’a été confié la charge de célébrer l’Eucharistie. Il note qu’ on ne peut pas dériver ni le ministère presbytéral ni l’Eucharistie d’« en bas » et de la communauté. L’Eucharistie a son fondement dans le « par avance » et le « d’abord »

327 D, 1740. 328 D, 1741.

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de l’agir salvifique de Dieu dans la croix et la résurrection, et elle est le signe accompli de la sollicitude et de condescendance continues de Dieu en Jésus-Christ329.

L’expression symbolique et sacramentelle de ce « par avance » et de ce « d’abord », de cette venue du salut « de l’extérieur » et « d’en haut » se réalisent dans l’envoi du prêtre dans la communauté et dans le rapport direct, le vis-à-vis à la communauté. Quand nous faisons un lien avec la position de Pighini, qui affirmait plus haut que l’ordre de l’anamnèse a été donné aux apôtres et à leurs successeurs, chez W. Kasper il y a une nuance que nous soulignons dans sa position. En parlant de présidence, de la sacramentalité du salut dans le vis-à-vis à la communauté dans la célébration de l’anamnèse eucharistique, W. Kasper ouvre ainsi un espace au saint peuple de Dieu et confirme ce que le concile Vatican II affirme dans LG 10. Fidèle dans la communauté, représentant du Christ vis-à-vis à la communauté, la tension entre le « dans » et le « vis-à-vis » du prêtre et de la communauté est fondamentale pour le ministère presbytéral tout comme pour l’identité de la communauté en tant que communauté face à l’ordre de l’anamnèse du Christ. Une anamnèse eucharistique sans presbytre n’est pas complète, on n’emploierait même pas l’adjectif « eucharistique » ; une anamnèse eucharistique sans communauté couperait le Christ de ses membres. Les deux dimensions sont inéluctablement inséparables pour une bonne, vraie et complète célébration de l’anamnèse eucharistique. Les vestiges passés et actuels de la vie chrétienne nous le prouvent. Le Pape Jean-Paul II, dit dans une de ses exhortations concernant cette unité de l’Eucharistie qui représente l’unité de l’Église : Chaque Eucharistie est en effet célébrée en communion avec l’évêque propre, avec le Pontife romain et avec le collège épiscopal et, à travers ces derniers, avec les fidèles de l’Église particulière et de toute l’Église, de telle sorte que l’Église universelle est présente dans l’Église particulière, et que celle-ci est insérée, avec les autres Églises particulières, dans la communion de l’Église universelle330.

Ne voit-on pas pointer à l’horizon ce que nous dira LG 10 quand il nous parle de sacerdoce commun ? L’obéissance à l’ordre de l’anamnèse nous fait tous participer au sacerdoce du Christ qui s’est offert lui-même pour nous. Les baptisés que nous sommes, en entrant dans cette dynamique de l’anamnèse du Christ, participent tous à l’unique sacerdoce du Christ. Citons LG 10 pour mieux élucider ce jalon déjà posé par le Concile de Trente : 329 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 24. 330 Jean Paul ii, Pastores gregis, 57.

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Unum enim et alterum suo peculiari modo de uno Christi sacerdotio participant.  Sacerdos quidem ministerialis, potestate sacra qua gaudet, populum sacerdotalem efformat ac regit, sacrificium eucharisticum in persona Christi conficit illudque nomine totius populi Deo offert…, fideles vero, vi regalis sui sacerdotii, in oblationem Eucharistiae concurrunt, illudque in sacramentis suscipiendis, in oratione et gratiarum actione, testimonio vitae sanctae, abnegatione et actuosa caritate exercent331.

À la lumière des destinataires de l’ordre du Seigneur de la vision unificatrice du Concile de Trente, nous pouvons avoir une clé de lecture importante du vécu du sacerdoce commun et d’une vraie ecclésiologie anamnestique. La différence essentielle de deux sacerdoces ne les sépare pas, au contraire les ramène tous à un seul but, la participation, bien que de différentes façons, à l’unique sacerdoce du Christ. Ce sacerdoce du Christ, transmis aux apôtres qui, à leur tour, ont transmis à leurs successeurs, nos évêques, en signe d’apostolicité et d’ecclésiologie jusqu’à nos jours, ne peut pleinement être vécu que dans l’Église avec le saint peuple de Dieu. L’après concile préservera et approfondira les acquis dogmatiques tels que définis par le concile. Les papes tels que : Pie XII332 et Léon XIII333 en témoigneront dans leurs encycliques et lettres apostoliques qui ont énormément servis Vatican II et servent encore l’Église aujourd’hui pour la compréhension et le vécu du mystère de l’Eucharistie.

Conclusion Les différentes approches des Pères de l’Église et de quelques théologiens du Moyen-Âge sur la parole du Seigneur « Ceci, faites-le en mémoire de moi », sont très riches ; le choix de quelques figures que nous avons opéré nous sert d’illustration typique. Leurs interprétations variées sont souvent conditionnées par leurs situations socio-religieuses. Ils devaient chercher à répondre aux besoins ecclésiaux et pastoraux de leur temps. Justin devait s’en prendre à une célébration apparente et irréelle de l’Eucharistie ; Jean Chrysostome éveillait plus la charité envers les pauvres, alors que Gaudence invitait plus à la fréquence à la communion eucharistique ; 331 LG 10. 332 Cf. Pie xii, Mediator Dei, 1947. 333 Cf. Léon xiii, Mirae Caritatis, 1902.

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quant à Fauste de Riez, il insistera sur les effets continus de la rédemption à travers l’anamnèse. Paschase Radbert se penchera de manière plus claire sur les grandes lignes doctrinales. Et les scolastiques, face à la méthode dialectique de la philosophie qui montait en puissance, introduiront la dialectique dans la théologie pour faire face aux différents courants de l’intellectualisme qui menaçaient la vraie foi. La théologie ne sera plus seulement un art, une simple apologie défensive de la religion, elle deviendra une science. Malgré toutes ces diverses approches de l’anamnèse, la célébration de l’Eucharistie manifeste l’universalité de l’ordre de l’anamnèse du Christ et sa place de choix dans la vie de l’Église. Nous pouvons dégager de ces différentes considérations des Pères de l’Église et des approches faites par les théologiens du Moyen Âge, la portée passée de l’ordre de l’anamnèse du Christ, dans le monde religieux juif ou non juif. L’anamnèse du Christ récapitule toute l’histoire de l’humanité. Le Je unique et concret du Christ devient englobant dans son avènement pascal. Cette universalité de l’anamnèse consiste dans le passé du Christ (tout fut par lui, et sans lui rien ne fut : Jn 1, 3 ) ; dans l’aujourd’hui du Christ qui continue à tout maintenir et à tout recréer par son anamnèse ; et dans le demain englobant de son retour glorieux pour tout récapituler en lui. L’approche anamnésique des Pères de l’Église et de ces quelques théologiens du Moyen-Âge, semble être pivotée par la pensée de l’épître aux hébreux : « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui et il le sera pour l’éternité » (He 13, 8 ) et de saint Paul : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. » Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11, 23–26).

Nous faisons mémoire du Christ, préparé par la Loi et les Prophètes (Mt 5, 17), donné à son Église à travers ses Apôtres pendant la dernière Cène et continuellement Rédempteur de son Église et du monde dans l’Eucharistie jusqu’à la consommation du temps. L’ordre de l’anamnèse domine toute l’histoire humaine, ceci pour la simple raison que ces quelques figures de l’Église que nous avons étudiées en sont d’accord, que l’auteur de cet ordre est Auteur et Maître de l’histoire, il en est le Centre et le Terme en tant que Juge de l’univers. 136

Il est bel et bien évident que la manière d’approche et de compréhensibilité de l’anamnèse à partir de Justin, Paschase Radbert jusqu’à Brunon d’Asti, a notablement connu une évolution ; des grands progrès ont été fait et cela a rendu plus compréhensible la foi en l’Eucharistie malgré certains enseignements erronés qui ont secoué la croyance en ce sacrement de notre salut. La plupart des considérations des Pères de l’Église, pour un bon nombre soutenues et continuées par les scolastiques, nous démontrent le caractère préfiguratif de l’anamnèse de l’Ancienne Alliance face à l’anamnèse de la Nouvelle Alliance inaugurée par le Christ pendant la dernière Cène. Le contraire n’est pas possible. L’anamnèse mosaïque, qui préparait la Nouvelle Alliance, avait pour finalité à l’époque, le renouvellement périodique de l’Ancienne Alliance ; la Nouvelle, chrétienne pourtant, est toute orientée vers le Christ qui récapitulera tout pour l’offrir à son Père, pour que Dieu soit tout en tous (1 Co15, 24–28). Ces deux finalités semblent suffisantes pour percevoir la différence entre les deux anamnèses sur le plan de l’efficacité et sur le plan spacio-temporel. Sur le plan de l’efficacité, l’anamnèse du Christ actualise ce qu’elle commémore, la mort et la résurrection du Christ, et rend présent le Christ parmi les siens à travers le pain et le vin changés en son corps et en son sang. Alors que l’anamnèse juive est seulement une remise en mémoire d’un passé salvifique et identitaire à préserver. Sur le plan spacio-temporel, l’anamnèse eucharistique n’est pas sectorielle et limitée à un temps précis, elle est universelle et récapitule tous les temps contrairement à l’anamnèse juive qui est sectorielle et accomplie une seule fois dans le passé. A la suite de Jean Chrysostome, Radbert affirme que « uerbo enim Patris dictum est : crescite et multiplicamini. Et ecce adhuc hodie ex eo cuncta creantur animantia, non noua, sed ex eodem semine »334. Luc, dans le livre des Actes des Apôtres, fait allusion à cette croissance de l’Église dans la célébration de l’anamnèse du Christ (Ac 2, 41 ; 5, 14 ; 6, 7 ; 11, 24 ; 19, 20) ; une croissance qui la porte toujours à la mission en vue de salut du monde (1 Co 11, 26 ; 15, 3 ). Cette signification de la croissance de l’Église par la célébration de l’anamnèse du Christ nous fait comprendre que cette nouvelle anamnèse fut doublement préparée par l’ancienne, en nature et en genre humain (Ex 29, 38–42 ; Gn 1, 11 et 9, 3 ). Nous pouvons 334 Paschasius Radberti, De Corpore et Sanguine Domini, cap. XII, 77.

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alors dire que la commémoration de l’anamnèse du Christ pour la libération éternelle implique la commémoration de l’anamnèse ancienne qui était celle d’une libération temporelle d’Israël. Le Christ, par son sacrifice, accomplit et mène à la perfection tous les sacrifices de l’Ancienne Alliance. Pour marquer la continuité de son sacrifice, il ordonne aux siens de continuer à faire cela en sa mémoire. Aux apôtres et à leurs successeurs, de changer le pain et le vin en son corps et en son sang ; aux fidèles, communier dignement à ce repas du salut tout en s’associant à son sacrifice à travers une vie de charité envers tous. Tous se passe donc comme si la Nouvelle Alliance, conclue à la Cène et sur la croix, était l’échange réciproque d’une promesse nuptiale : l’Église-Epouse veut récompenser son Epoux d’être mort pour elle, l’Epoux-Seigneur lui promet d’être luimême sa récompense dans le mémorial. Le tout est situé dans le contexte d’une étonnante « fusion » entre l’objectivité du mémorial présent et la subjectivité du souvenir qui représente le Seigneur qui commande en promettant, promet en commandant335.

L’anamnèse eucharistique, qui est la commémoration de la passion et de la résurrection du Christ, n’est pas souvenir d’un absent, elle est une actualisation réelle de l’œuvre rédemptrice accomplie par le Seigneur. Cette actualisation rend réellement présent le Christ parmi les siens par la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ. Les Pères de l’Église l’ont affirmée dans leurs différentes considérations, les scolastiques à leur tour à travers la philosophie, spécialement celle d’Aristote, la dialectique l’ont prouvée. Beaucoup d’enseignements intellectuellement structurés à l’époque des scolastiques chercheront à mettre en doute, ou carrément à nier la présence réelle du Christ dans l’anamnèse eucharistique pour saper la foi en ce grand mystère de notre salut. C’est le cas de Jean Scot Erigène, Bérenger et les Bérengariens. L’Église, à travers les scolastiques et de nombreux conciles, ont démontré la fausseté de ses enseignements et rappelé à la vraie foi ceux qui étaient perdus. Les uns se convertiront, d’autres non. Bérenger sera l’un de ses grands convertis à la vraie doctrine eucharistique. La grosse erreur qui conduisait à cette perdition, n’est pas seulement à situer au niveau du rationalisme empirique qui régnait à l’époque, mais aussi au niveau du fait qu’ils ne prenaient les paroles de l’anamnèse eucharistique dans la théologie unique et transcendantale du Christ en sa nature humaine et surtout de prendre le prêtre comme instrument séparé de l’instrument moteur qui 335 B.De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 123.

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est le Christ. En nous donnant l’ordre de faire mémoire de lui, le Christ se rend lui-même présent parmi nous et continue à s’offrir au Père pour notre salut. Le prêtre ne dit pas les paroles du Christ en son nom propre comme individu, il les dit in persona Christi. C’est ce que les Pères de l’Église et tant d’autres scolastiques prouveront dans leurs enseignements sur l’Eucharistie. Le Christ en tant que Dieu opère à travers les paroles de la consécration, la transformation du pain et du vin en son corps et son sang qui est son œuvre continue en tant que Dieu par l’intermédiaire de ses ministres. Pour les Pères de l’Église continués par les scolastiques, l’anamnèse du Christ nous aide à vivre cette parole du prophète Malachie : « Mais, du levant au couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu un sacrifice d’encens est présenté à mon Nom ainsi qu’une offrande pure. Car grand est mon Nom chez les nations! dit Yahvé Sabaot » (Ml 1, 11). Ceci à travers la révélation pleine de Dieu par son Fils qui s’est offert lui-même au Père comme l’offrande parfaite et par les ministres du Christ qui ont reçu de lui l’ordre : « Ceci, faites-le en mémoire de moi », en vue de perpétuer cette offrande de la croix (1 Co15, 26) pour la recréation continue du monde. Ce chapitre nous ouvre à l’enseignement du magistère à partir de Vatican II sur l’anamnèse eucharistique.

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Chapitre III L’enseignement du magistère sur l’anamnèse eucharistique à partir du concile Vatican II

1. Introduction Bien que le magistère à partir du Concile Vatican II évoquent souvent implicitement l’ordre d’anamnèse du Seigneur, ils traitent rarement de manière claire et systématique, de l’anamnèse eucharistique. Sans trop parler de l’anamnèse dans le sens du mémorial de la passion du Christ, le concile Vatican II et le magistère post-conciliaire préfèrent user d’autres terminologies pour faire référence à l’anamnèse eucharistique. On peut distinguer trois types d’allusions : au commentaire paulinien de cet ordre (visant ce que l’on pourrait appeler « une couverture anamnétique de l’histoire jusqu’à la Parousie »), à la célébration du mémorial dans les messes de l’Église, et aussi des Églises séparées d’Orient, enfin – et là est le développement doctrinal – à sa commémoraison tout à la fois subjective et extérieurement manifestée dans les communautés ecclésiales des frères séparés d’Occident336.

Nous voulons noter au début de cette partie de notre étude que, malgré l’évocation implicite de Concile Vatican II, de l’ordre d’anamnèse à la paulinienne 1 Co 11, 26, qu’on ne trouve que cinq fois d’une manière explicite dans trois documents Conciliaires : LG 8 et 28, SC 6 et 47, PO 2. Vatican II par contre, en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique du Christ telle qu’elle doit être célébrée et vécue, par et dans l’Église, en fait une évocation polysémique. Il la nomme : Eucharistie, sacrifice de la croix, offrande du saint sacrifice, action de grâce, mystère de la foi, Sainte liturgie, messe, sacrifice de la messe, les saints sacrifices, action sacrée … Toutes ces terminologies pour parler de la célébration de l’anamnèse du Christ dans l’Eucharistie.

336 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 299.

Nous tâcherons dans ce chapitre d’étudier l’approche conciliaire de Vatican II et du magistère post-conciliaire sur l’anamnèse eucharistique et, nous chercherons à mettre en lumière le caractère structurant de l’anamnèse dans la vie de l’Église. Cette recherche, nous l’espérons, nous aidera à inventorier tous les termes relatifs à l’anamnèse eucharistique, et nous imprégner de la variété synonymique du mot « anamnèse ». Mais avant d’en arriver là, nous ferons d’abord un travail de statistiques sur les textes officiels de concile Vatican II qui nous offrira la possibilité de faire nos premières observations sur la valeur et la place que Vatican II accorde à l’anamnèse eucharistique. Puis nous chercherons à connaître dans les documents antépréparatoires, préparatoires et les Actes Synodaux du concile Vatican II la place qu’occupe l’anamnèse eucharistique. Enfin nous aborderons l’enseignement de Vatican II et le magistère post-conciliaire sur l’anamnèse pour ainsi boucler cette partie de notre étude.

2.  Les documents antepréparatoires du concile Vatican II Vu l’importance que l’Église voulait donner à ce concile pour mieux répondre aux attentes du peuple de Dieu, il fallait une bonne préparation pour ne rien laisser au hasard. C’est ainsi qu’il y aura d’abord la constitution d’une commission antépréparatoire qui aura pour tâche : prendere gli opportuni contatti con l’Episcopato Cattolico delle varie Nazioni per averne consigli e suggerimenti ; raccogliere le proposte formulate dai Sacri Dicasteri della Curia Romana  ; tracciare le linee generali degli argomenti da trattare nel Concilio, uditi anche i pareri delle facoltà teologiche e canoniche delle Università Cattoliche  ; suggerire la composizione dei diversi Organi (Commissioni, Segretariati, ecc …), i quali dovranno poi curare la preparazione prossima dei lavori, che il Concilio sarà chiamato a svolgere337.

Le concile Vatican II, officiellement annoncé le 25 Janvier 1959, en la fête de la conversion de S. Paul, par le Pape Jean XXIII, ne connaîtra le début des travaux que quelques mois après. La première réunion présidée par le Pape lui-même n’aura lieu que Mardi 30 Juin 1959338. 337 OR, 1959. Cf. ADCOV, Series I, Vol. I, 22–23. 338 Cf. OR, 1959. ADCOV, Series I, Vol. I, 40.

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S’il faut prendre les repères chronologiques qui structurent ce temps préparatoire, nous pouvons les échelonner en quatre périodes : – L’annonce du concile à la fin de janvier 1959, explicitée par la suite avec des nuances diverses  ; – La phase antépréparatoire à partir de la Pentecôte de la même année comportant une consultation générale des évêques  ; – L’inauguration de la phase préparatoire à la Pentecôte 1960, avec l’institution des commissions préparatoires (dont le Secrétariat pour l’unité des chrétiens) et les réunions d’une Commission centrale secondée par une commission des amendements  ; – La bulle d’indiction Humanae salutis (25 décembre 1961), précisée par le motu proprio Consilium (2 février 1962), marque une nouvelle étape décisive, dont les discours des 11 septembre et 11 octobre 1962 constituent l’expression la plus achevée et la plus autorisée339. Sans vouloir ici nous plonger dans l’historique de concile Vatican II340, notre étude pour cette première partie du concile, consistera à voir dans ces travaux antépréparatoires si le thème concernant l’anamnèse était abordé ou du moins suggéré de quelque part. Annonçant avec émotion, le nom et la proposition d’une double célébration : di un Sinodo Diocesano per l’Urbe, e di un Concilio Ecumenico per la Chiesa universale, espérant de ces célébrations l’aggiornamento del Codice di diritto Canonico, che dovrebbe accompagnare e coronare questi due saggi di pratica applicazione dei provvedimenti di ecclesiastica disciplina, che lo Spirito del Signore Ci verrà suggerendo lungo la via341.

Il ne paraît aucune orientation sur l’anamnèse eucharistique comme attente du concile qui pointait à l’horizon, sauf cette ouverture à l’Esprit du Seigneur qui pourra suggérer aux pères conciliaires cet aspect. Notons que Jean XXIII, restera pour l’Église catholique un monument qui a su au cours de son bref pontificat (octobre 1958 – juin 1963) marquer l’histoire de l’Église par cette convocation du concile Vatican II. Accusé de ne pas 339 Cf. J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 11. 340 Cf. Pour plus des données historiques du Concile Vatican II, on peut consulter J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 1998. 341 ADCOV, Series I, Vol. I, 5.

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être « suffisamment attentif à la préparation et à l’organisation de cette assemblée […] , il n’en reste pas moins vrai que l’inspiration fondamentale du concile, sa convocation audacieuse et sa dynamique interne conçue dans un esprit de liberté étaient et restent le mérite exceptionnel de ce pape »342. Diriger sans commander en maître, Jean XXIII avec l’audace tranquille que lui donnaient l’Évangile et la confiance en l’Esprit Saint, ce pape a osé s’avancer sur une route où aucun de ses prédécesseurs depuis un siècle ne s’était aventuré. En effet il y a chez lui une inversion de tendance. Comme on l’a justement souligné, la convocation de Vatican I et les projets conciliaires sous Pie XI et Pie XII étaient destinés à ratifier des contenus programmés par le pape et par les collaborateurs de celui-ci, tandis que Vatican II a mis en mouvement une dynamique de corresponsabilité et une collégialité jusqu’alors inhabituelles. Ne devrait-on pas parler de la mise en œuvre d’un concile de type nouveau, afin de mettre l’Église en condition de répondre aux exigences renouvelées de l’évangélisation ?343

Le cardinal Montini, au cours d’une messe célébrée à Milan, fera l’éloge du brave pape en disant : « Si nous voulions jeter un regard sur sa tombe désormais scellée, nous pourrions parler de son héritage que la tombe ne peut pas renfermer, de l’esprit qu’il a infusé à notre époque et que la mort ne pourra étouffer »344. C’est sous cet élan que le cardinal Montini, qui deviendra par la suite Paul VI continuera et achèvera les travaux du concile. Il jouera lui aussi un rôle crucial dans l’histoire du concile Vatican II, spécialement dans la rédaction de la déclaration Dignitatis humanae. « Pendant l’automne 1965, alors que l’opposition reste tenace et que la majorité semble frappée d’apathie, c’est le pape qui remplit un rôle particulièrement actif, permettant de sortir le projet d’une impasse de procédure »345. Nous citons cette intervention seulement à titre illustratif, il suffit de lire l’histoire du concile Vatican II pour se rendre compte de ce que ces deux papes ont fait pour l’Église et le monde à partir des travaux du concile Vatican II.

342 J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 3. 343 G. Alberigo, Giovanni XXIII, Profezia nelle fedeltà, 71. Cité et commenté par J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 3–4. 344 RDM, 1963, 368–369. Cité et traduit par J. Grootaers Actes et acteurs à Vatican II, 56. 345 J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 59.

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2.1 L’anamnèse eucharistique dans les travaux ante-préparatoires du concile Vatican II Voyons à présent les travaux et les résultats de la commission antepréparatoire en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique. Comme on pouvait s’y attendre, la commission ne fera pas référence d’une manière explicite et claire à l’anamnèse eucharistique. Elle parlera de la messe comme mémoire du Christ dont le Christ lui-même est l’offrande et le sacerdoce visible comme instrument de son propre agir : « In documentis pontificiis recenter editis memoratur Christum in Missa esse principalem offerentem, sacerdotem visibilem partes instrumentales tantum agere ; hanc ad doctrinam catholicam et non tantum ad opinionem theologorum pertinere declarare debet Concilium »346. La commission anté-préparatoire mentionne l’utilité d’évoquer l’Église dans cette mémoire du Christ : « Utile erit in memoriam revocare Ecclesiam profiteri Missam rationem sacrificii habere »347. Elle réaffirme la doctrine de la transsubstantiation et de la présence réelle du Christ dans la messe : Iterentur definitiones de transubstantiatione contra errores Theologiae Novae ; Videtur optandum esse ut dogmata transubstantiationis et realis praesentiae denuo explanentur, diligenter investigando, quid in rem conferre possint inventa et placta hodierna ; Non desunt hodie inter catholicos, qui ita sacrificalem S. Eucharistiae aspectum exaltant ut videantur nimis deprimere aspectum Praesentiae Realis ; opportunum forte esset reaffirmare Ecclesiae doctrinam de adoratione debita Ss. Sacramento ; Recens symbolismus eucharisticus reiciatur, utpote qui in discrimen ponit realem Christi praesentiam in Ss. Eucharista 348.

Dans l’appendix voluminis II de la Pars II, le thème de l’Eucharistie sera abordé dans un sens plutôt structurel et règlementaire349. Dans ce travail antépréparatoire, la commission votera qu’on puisse aussi faire mémoire des vivants et des morts pendant la messe : « Transferatur ‹ Memento vivorum › post consecrationem, ita ut fiat una oratio cum ‹ Memento mortuorum › »350. 346 ADCOV, Series I, Vol.II, P.I, 157. 347 ADCOV, Series I, Vol.II, P.I, 157. 348 ADCOV, Series I, Vol.II, P.I, 158. 349 Cf. ADCOV, Series I, Vol.II, P.II, 43–73. 350 ADCOV, Series I, Vol.II, P.II, 275.

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La commission supprimera dans la formule de consécration la parole « Mysterium Fidei » pour la mettre à la fin de la consécration : « In formula consecrationis vini supprimantur verba : ‹ Mysterium Fidei ›, potius dicenda post verba consecrationis panis dum celebrans genuflectit ».  « Verba ‹ Mysterium Fidei › in consecratione aboleantur ; sed ea diaconus clara voce proferat in Missa solemni, minister vero submissa voce in Missa lecta pronuntiet »351. 2.2 Observations De tout ce qui précéde, nous faisons les observations suivantes : a. Les travaux ante-préparatoires n’ont pas traité de l’Eucharistie dans le sens de l’anamnèse, comme mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur. Quand ils parlent de la messe comme mémoire, c’est pour présenter le Christ comme offrande et prêtre. b. Réaffirmant la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, la commission a confirmé ainsi un grand acquis de l’anamnèse eucharistique, qui n’est pas mémoire d’un absent mais du Christ qui est lui-même présent parmi les siens. c. La place donnée à la proclamation de Mysterium fidei, apparaît pour nous comme l’épicentre qui porte toute la célébration eucharistique ; mise au centre de la célébration eucharistique pour éclairer toute la célébration et donner sens à la foi et à la vie chrétienne. d. Un élément que nous avons trouvé intéressant dans les travaux de la commission concernant l’anamnèse eucharistique est cette insertion de la dimension ecclésiale. Quand nous faisons mémoire du Christ, nous sommes aussi invités à faire mémoire de l’Église, de prier pour l’Église. Nous voyons apparaître ici la dimension d’intercession dans la mémoire. Cette dimension ne sera pas seulement recommandée pour l’Église et ses membres qui sont vivants mais aussi pour les morts352. C’est alors le vrai Unde memores que 351 ADCOV, Series I, Vol.II, P.II, 276. 352 Cf. « Souviens-toi Seigneur de ton Église … Souviens-toi aussi de nos frères qui se sont endormis dans l’espérance de la résurrection … » Cette dimension ecclésiale qui est plus clairement exprimée dans le canon de la prière eucharistique II, se retrouve dans tous les autres canons de prière eucharistique. Cf. MAD, 524–539.

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les travaux ante-prératoires mettent au jour. La mémoire du Christ célébrée dans l’Eucharistie englobe tous les membres de son corps, ceux qui sont encore en pèlerinage sur cette terre et ceux qui ont terminé leur pèlerinage terrestre. L’anamnèse eucharistique reçoit ici une dimension ecclésiologique non négligeable. Limitée dans ses attributions et ayant une mission précise, la commission ante-préparatoire, bien qu’étant ouverte au souffle du Saint-Esprit, devait se borner à ce qui lui était tracé comme cadre, recueillir les suggestions, les conseils des évêques, des dicastères, des théologiens … et préparer les discussions des commissions préparatoires. Logiquement il ne fallait pas attendre plus que cela. La commission, par souci d’abord de fidélité à l’idée première du pape Jean XXIII, lors de l’annonce du concile, a voulu rester dans l’ordre règlementaire, juridique de l’Eucharistie : ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Acceptant ensuite tout ce qui avait été dit de positif sur le mémorial du Christ dans la célébration eucharistique par le concile de Trente et Vatican I, la commission invitera sagement à un aggiornamento de la vie de l’Église en général. L’anamnèse eucharistique ne sera traitée que d’une manière voilée à partir de la célébration eucharistique. C’est à peine si nous pouvons lire à travers les lignes la dimension anamnétique dans la célébration eucharistique. Quant à la dimension de l’anamnèse comme principe structurant l’Église, la commission n’en parle pas. Quelle sera la place de l’anamnèse eucharistique dans les travaux préparatoires ? Voyons cette étape.

3.  Les documents préparatoires du concile Vatican II Après avoir parcouru les documents ante-préparatoires du concile Vatican II, voyons à présent comment l’étape préparatoire continuera les travaux. Cette étape se subdivise en deux parties : celle d’octobrenovembre 1962 et celle de décembre 1962-juin 1963353. Onze Commissions seront constituées pour préparer les thèmes à discuter dans la salle. On aura : la commissio theologica avec comme président le Cardinal Ottaviani, la commissio de episcopis et de dioceseon 353 Cf. J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 23–26.

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regimine avec comme président le Cardinal Marella, la commissio de disciplina cleri et populi christiani avec comme président le Cardinal Ciriaci, la commissio de reliogiosis avec comme président le Cardinal Valeri, la commissio de disciplina sacramentorum avec comme président le Cardinal Masella, la commissio de sacra liturgia avec comme président le Cardinal Cicognani, la commissio de studiis et seminariis avec comme président le Cardinal Pizzardo, la commissio de ecclesiis orientalibus avec comme président le Cardinal Cicognani, la commissio de missionibus avec comme président le Cardinal Agagianian, la commissio de apostolatu laicorum avec comme président le Cardinal Cento. La commissio Caerimoniali avec comme président le Cardinal Tisserant. A coté de ces différentes commissions, quatre grands secrétariats seront constitués : secretariatus de scriptis prelo edendis et de spectaculis moderandis avec comme président Monseigneur Martini O’Connor, le secretariatus ad christianorum unitatem fovendam avec comme président le Cardinal Bea, le secretariatus pro rebus oeconomicis avec comme président le Cardinal di Jorio, le secretarii generalis tenu par le Cardinal Felici354. Nous n’avons pas voulu citer ici les sous-commissions et secrétariats des différentes commissions. Suite aux difficultés éprouvées pendant la première période de cette étape, une autre commission sera établie comme « pièce maîtresse, qui doit assurer la continuité du renouveau amorcé au cours de la première période conciliaire, […] une nouvelle commission de coordination chargée de diriger les travaux du concile »355. C’est dans les documents fournis durant ces deux périodes que nous étudierons comment les commissions ont traité le thème de l’anamnèse eucharistique. 3.1 L’anamnèse eucharistique dans les travaux préparatoires du concile Vatican II Nous tâcherons dans cette partie de parcourir toutes les commissions et les comptes-rendus de secrétariats et de notifier des considérations relatives à l’anamnèse eucharistique. – La commission de la sainte liturgie parlant de l’Eucharistie, dégage les considérations suivantes : 354 Cf. ADCOV, Series II, Vol.II, P.I., 750–751. 355 J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 25.

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La Sainte liturgie tire sa nature de Dieu, elle est l’œuvre de Dieu, préparée par les prophètes et accomplie en Jésus-Christ, pour le salut de tous les hommes et pour notre réconciliation avec Dieu : « [Opus salutis a Deo praenuntiatum, in Christo eiusque opere impletur… ]. Deus, qui ‹ omnes homines vult salvos fieri et ad agnitionem veritatis venire › (1Tm 2, 4)… Quare in eius persona et vita ‹ nostrae reconciliationis processit perfecta placatio, et divini cultus nobis est indita plenitudo › »356. La persévérance de l’Église dans l’exercice de la liturgie est la continuation de l’œuvre rédemptrice de Dieu accomplie en Jésus-Christ : [In Ecclesia perseverat, et in eius liturgia perficitur, …]. Nam, sicut Christus missus est a Patre, ita ipse, « totius Ecclesiae mirabile sacramentum » instituens, Apostolos eorumque successores misit, non solum ut, praedicantes evangelium omni creaturae, annuntiarent Filium Dei morte sua nos a potestate satanae et a morte liberasse, ac resurrectione sua in regnum Patris transtulisse, sed etiam ut opus salutis, quod annuntiabant, per sacramenta efficerent357.

La communion à la Cène du Seigneur comme annonce de sa mort jusqu’à ce qu’il vienne : « Quotiescumque demum dominicam cenam manducant, mortem Domini annuntiant donec veniat »358. La célébration de l’Eucharistie comme actualisation de la victoire et du triomphe de Jésus sur la mort : « Tum Eucharistiam celebrando, in qua ‹ mortis eius victoria et triumphus repraesentatur › »359. La présence du Christ dans les actions liturgiques, spécialement dans la messe et dans la personne du ministre pendant la célébration eucharistique : Ad tantum vero opus perficiendum, Christus Ecclesiae suae semper adest, praesertim in actionibus liturgicis, ipse qui promisit : « Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum » (Mt 18, 20). Ipse est qui loquitur dum verba sacrae scripturae in Ecclesia leguntur ; qui laudes Deo Patri indesinenter persolvit ; qui opus salutis, quod degens in terra patraverat, in Sacramentis pergit ; ipse denique nunc in Sacrificio Missae se offert « sacerdotum ministerio, qui seipsum tunc in Cruce obtulit »360.

356 357 358 359 360

ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 11. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 11. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 11–12. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 12. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 12.

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La liturgie terrestre est considérée comme un prélude, un avant-goût de la liturgie céleste : « In terrena liturgia caelestem illam praelibamus, quae in sancta civitate Jerusalem »361 . À la fin des quatre premiers points, la commission fait une déclaration sur la liturgie en la définissant comme célébration du mystère pascal du Christ : « Unde sacra liturgia celebrat praecipue paschale Christi mysterium, id annuntians lumine Veteris Testamenti, eius recolens memoriam Eucharistia Sacramentisque et festis, divina eius praesentia, fruens et gratia, exspectans beatam spem »362. La liturgie structure la vie des chrétiens : « Vicissim, ipsa Liturgia impellit fideles ut ‹ paschalibus sacramentis › satiati, fiant ‹ pietate concordes › ; orat ut ‹ vivendo teneant quod fide perceperunt » ; renovatio vero foederis Domini cum hominibus in Eucharistia eos in urgentem caritatem Christi trahit »363. Le sacrifice de la messe fait de nous une éternelle offrande : « Unde Dominum in Missa exoramus ut, ‹ hostia spiritualis oblatione suscepta, nosmetipsos › sibi perficiat ‹ munus aeternum › »364. À partir des numéros 9–13, la commission parlera plutôt de la formation ayant trait à la liturgie. Elle reviendra sur la participation des fidèles au numéro 14, les autres points qui vont suivre s’occuperont des choses plutôt pratiques, organisationnelles, de la liturgie tout en mettant un accent particulier sur les Saintes Écritures365. C’est à partir du deuxième chapitre que la commission abordera plus théologiquement le mystère de l’Eucharistie. Nous reprenons ici l’introduction, qui pour nous est la concentration de l’anamnèse eucharistique, l’ordre donné par le Seigneur, le but de l’anamnèse, les destinataires de cet ordre : Salvator noster, in cena novissima qua nocte tradebatur, Apostolis paschale convivium in sui memoriam donec veniat iterandum praecepit, ita ut « mortis eius victoria et triumphus » repraesentaretur ; et Ecclesiae dilectae Sponsae suae fieret magnum sacramentum pietatis, fons et exemplar unitatis, sacrificium laudis, pignus et figura caelestis convivii. Itaque curat Ecclesia ut christifideles huic mysterio fidei non velut inertes et muti spectatores intersint, sed ut ritus et preces bene intellegentes, 361 362 363 364 365

150

ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 12. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 13. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 14. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 14. Cf. ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 14–25.

ea actuose, conscie et pie participent, mensa cum verbi tum corporis Domini reficiantur, immaculatam hostiam una cum sacerdote offerendo seipsos offere discant, et de die in diem ad perfectiorem unitatem transferantur ut sit Deus omnia in omnibus366.

–  La commission théologique L’Eucharistie est comprise comme source de l’unité des chrétiens : « cum de uno pane eucharistico participent, in unitate unius Corporis consummantur : ‹ Quoniam unus panis, unum corpus multi sumus, omnes, enim ex uno pane participamus › (1 Co 10, 17) »367. Le prêtre offre le sacrifice de la messe in persona Christi : « In sacrificio Missae offerendo et sacramentis administrandis et ipsi in persona Christi agunt »368. Les prêtres sont les seuls ministres du sacrifice eucharistique : « Ipsi soli in sacrificio eucharistico verba consecrationis in persona Christi proferunt, et in eo offerendo totam Ecclesiam repraesentant, ut ‹ quod populus agit voto, sacerdotes, peragant mysterio › »369. La nécessaire participation du peuple de Dieu au sacrifice eucharistique : « Sacrificium eucharisticum participantes, vota sua cum votis ministri litantis iungentes, divinam Victimam per manus sacerdotis Deo offerunt, et hac maxime ratione partes activas in liturgia agunt »370. Parlant de l’œcuménisme, la commission souligne le grand obstacle qui réside dans la communion liturgique, que la commission considère comme don du Christ à son Église pour son unité et avant-goût de l’unité céleste :  « Principale autem obstaculum communionis liturgicae inter catholicos atque dissidentes, natura est illius communionis in sacris, qua ipsi filii Ecclesiae inter se iunguntur. Communio enim membrorum Ecclesiae inter se donum est ipsius Christi, uni suae Ecclesiae datum, quo unio in fide sub uno supremo pastore consummatur, quodque signum exstat illius unitatis in veritate et caritate qua Ecclesia Corpus Christi mysticum est, et iam hic in terra figura et inchoatio unitatis in Christo caelestis »371.

366 367 368 369 370 371

ADCOV, Series II, Vol.III, P. II, 29. ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 136. ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 143. ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 155. ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 156. ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 198–199.

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–  La commission de la discipline des clercs et du peuple chrétien Elle souligne la centralité du sacrifice de la sainte Eucharistie dans la vie paroissiale et spirituelle des chrétiens : Sacrosanctum Missae Sacrificium sit centrum vitae parocialis et fidelium pabulum spirituale. Nulla habita ratione eorum originis et conditionis socialis, omnes fideles « actuosa participatione » Eucharistico Sacrificio intersint, et, verbo Dei enutriti, caritate fraterna intimius semper ac perfectius inter se in Domino uniantur372. Les autres considérations faites par la commission seront plus règlementaires que théologiques. –

La commission des Églises orientales

D’une manière spéciale la commission des Églises orientales, parlant de la communion pascale, souligne l’aspect mémorial dans l’Eucharistie, son institution par le Seigneur, la responsabilité confiée à l’Église d’annoncer la mort du Seigneur jusqu’à son retour pour juger le monde : Mirabile Sanctissimae Eucharistiae Sacramentum pro salute hominum haberi debet tamquam christianae vitae centrum ; fornax est ardentissimae caritatis et arbor vitae. Salvator noster, ait Concilium Tridentinum (Sess. XIII, ap. 2), discessurus ex hoc mundo ad Patrem, Sacramentum instituit, in quo divitias divini sui erga homines amoris veluti effudit, memoriam praecepit, suamque annnuntiare mortem, donec ipse ad iudicandum mundum veniat373.

La communion au corps et au sang du Christ, vécue par les apôtres, les fidèles, les vierges, les martyres … devenait signe et gage de l’unité : Manducaverunt proinde cibum hunc et potum caelestem biberunt Jesu Christi apostoli eorumque discipuli ; itemque Christi fideles « uno ore et corde » laudantes Dominum ; manducavit martyrum candidatus exercitus, manducavit virginum agmen, confessorum manducarunt veritatis exurentia labia, manducarunt doctorum sapientissimi coetus, cibum hunc angelicum pro quotidiano etiam usu commendantes374.

3.2 Observations Les observations que nous allons faire découlent des travaux préparatoires des différentes commissions que nous avons parcourues tout au long de 372 ADCOV, Series II, Vol.III, P.I, 382–383. 373 ADCOV, Series II, Vol.III, P.II., 210. 374 ADCOV, Series II, Vol.III, P.II., 210.

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cette étude. Nous n’avons presque rien trouvé dans d’autres commissions en matière de considérations relatives à l’anamnèse eucharistique. Les considérations faites par les commissions liturgique, théologique, de discipline des clercs et du peuple de Dieu, des Églises orientales sur l’Eucharistie nous ont parues beaucoup plus annonciatrices de l’anamnèse eucharistique ; c’est ainsi qu’en les mentionnant ici, nous voulons faire ces observations pour extraire la dimension anamnétique que les travaux des commissions ont accordés à l’Eucharistie. a. La première chose qui saute aux yeux, c’est l’usage fréquent du terme « liturgie » au lieu de l’« Eucharistie ». Les commissions parlent de la sainte liturgie pour désigner d’abord l’Eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection de notre Seigneur, et ensuite pour désigner d’autres pratiques chrétiennes. C’est sous couvert de ce terme, si l’on peut ainsi dire, que l’anamnèse eucharistique peut être comprise. b. Les considérations sur le mystère de l’Eucharistie, avec un sens marqué de mémorial, seront abordées avec plus de clarté et de précision dans la commission liturgique et la commission des Églises orientales : l’institution du sacrifice eucharistique lors de la dernière Cène, l’ordre de l’anamnèse eucharistique ,est donné à l’Église pour perpétuer le sacrifice de la mort et de la résurrection jusqu’au retour du Christ. Ce sacrifice est sacrement de l’amour, signe de l’unité et lien de charité, source de grâce et gage de la gloire future. L’anamnèse eucharistique reçoit un caractère structurant de l’Église. c. En affirmant que la liturgie est de nature divine, les commissions affirment en même temps que l’ordre de l’anamnèse que l’Église accomplit dans la liturgie est elle aussi de nature divine. Elle tire son origine de Dieu et est pour le salut de tous les hommes. L’Église en persévérant dans l’accomplissement de cet ordre, continue l’œuvre de salut de Dieu préparée par les prophètes et accomplie en Jésus-Christ. L’obéissance à l’ordre de l’anamnèse devient salvifique pour l’Église et pour le monde. d. Dans leurs considérations, les commissions précitées réaffirment la présence réelle du Christ dans la liturgie. C’est cette affirmation qui donne à l’anamnèse eucharistique de l’Église catholique une singularité particulière. Le Christ commémoré dans la liturgie eucharistique est réellement présent parmi les siens. On réitère la passion et la résurrection du Seigneur à travers le prêtre, son ministre qui agit in persona Christi. L’anamnèse est la célébration du mystère pascal du 153

Christ. Cette célébration est pour l’Église un avant-goût de la liturgie céleste où nous verrons le Christ lui-même tout récapituler pour l’offrir à son Père. e. Etant une action divine célébrée par le peuple de Dieu, l’anamnèse eucharistique est confiée et destinée à l’Église, peuple de Dieu, pour son unité et le salut de tous. Les travaux des commissions n’ont pas clairement abordé la question de l’anamnèse eucharistique. Les commissions étaient plus axées sur la réglementation de l’Eucharistie, comment la structurer pour la rendre plus ecclésiale ; ce qui n’a pas empêché les travaux des commissions de préparer le projet d’approfondissement de ce qui a été affirmer par les conciles de Trente et Vatican I sur le dogme de l’Eucharistie. Ces considérations faites par les commissions feront l’objet de discussions en ce qui concerne l’Eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection de notre Seigneur. Les Pères conciliaires en dégageront les enseignements clairs pour la compréhension et le vécu ecclésial de ce grand mystère de notre foi. Qu’en était-il alors des discussions à propos de l’anamnèse eucharistique ? C’est ce qui fera objet du point suivant.

4.  Les actes du concile Vatican II Les travaux des commissions préparatoires ont jeté les bases des discussions. Elles seront fructueuses car les résultats qui sont les textes définitifs, officiels que nous avons, approfondiront le thème de l’anamnèse eucharistique en rapport avec l’Église. Dans son discours sur la liturgie, le Cardinal Montini dira : « Licet sacra liturgia non amplectatur totum ambitum actionis Ecclesiae, est tamen in suo centro, quod est Divinum Eucharistiae Sacrificium, culmen ad quod omnia tendere debent, et simul a quo omnia procedunt »375. Après avoir cherché dans la partie préparatoire à déduire l’aspect anamnètique dans différents textes, pour cette partie nous étudierons les textes à caractère strictement anamnètique proposé à la discussion pour voir s’ils ont été amendés par les Pères conciliaires. 375 Cf. ASSCOV, Vol. I., P. I., 314.

154

4.1 L’anamnèse eucharistique dans les différents schémas des actes du concile Vatican II –

Schémas des constitutions de la sainte Liturgie : • « Quotiescumque demum dominicam cenam manducant, mortem Domini annutiant donec veniat. » Le texte amendé sera : « Similiter quotiescumque dominicam cenam manducant, mortem Domini annuntiant donec veniat »376. • « Salvator noster, in cena novissima qua nocte tradebatur, Apostolis paschale convivium in sui memoriam donec veniat iterandum praecepit, ita ut ‹ mortis eius victoria et triumphus › repraesentaretur ; et Ecclesiae dilectae Sponsae suae fieret magnum sacramentum pietatis, fons et exemplar unitatis, sacrificium laudis, pignus et figura caelestis convivii. Itaque curat Ecclesia ut christifideles huic mysterio fidei non velut inertes et muti spectatores intersint, sed ut ritus et preces bene intellegentes, ea actuose, conscie et pie participent, mensa cum verbi tum corporis Domini reficiantur, gratias Deo agant, immaculatam hostiam una cum sacerdote offerendo seipsos offerre discant, et de die in diem ad perfectiorem unitatem transferantur ut sit Deus omnia in omnibus. Quapropter Sacrosanctum Concilium, ut Sacrificio Missae restituat, etiam in forma rituali, plenam pastoralem efficacitatem ea quae sequuntur decernit. » Le texte amendé sera : « Salvator noster, in Cena novissima, qua nocte tradebatur, Sacrificium Eucharisticum Corporis et Sanguinis sui instituit, quo Sacrificium Crucis in saecula, donec veniret, perpetuaret atque adeo Ecclesiae dilectae Sponsae memoriale concederet Mortis et Resurrectionis suae : sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis, convivium paschale, ‹ in quo Christus sumitur, mens impletur gratia et futurae gloriae nobis pignus datur ›. » « Itaque Ecclesia sollicitas curas eo intendit ne christifideles huic fidei mysterio tamquam extranei vel muti spectatores intersint, sed per ritus et preces id bene intellegentes, sacram actionem conscie, pie et actuose participent, verbo Dei instituantur, mensa Corporis Domini reficiantur, gratias Deo agant, immaculatam hostiam, non tantum per sacerdotis manus, sed etiam una cum ipso

376 ASSCOV, Vol.I., P. III., 696.

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offerentes, seipsos offerre discant, et de die in diem consummentur, Christo Mediatore, in unitatem cum Deo et inter se, ut sit tandem Deus omnia in omnibus. » « Quapropter, ut Sacrificium Missae, etiam rituum forma, plenam pastoralem efficacitatem assequatur, Sacrosanctum Concilium, ratione habita Missarum, quae concurrente populo celebrantur, praesertim diebus dominicis et festis de praecepto, ea quae sequuntur decernit »377. Schémas des constitutions dogmatiques de l’Église : • « Sic per patientiam commissas sibi partes implet, ut omnes homines, quos ardentissima caritate ad se vocat, ad regnum caeleste in gloriam Patris perducat. » Le texte amendé sera  : « ‹ Inter persecutiones mundi et consolationes Dei peregrinando procurrit › ecclesia, crucem et mortem Domini annuntians, donec veniat (cf. 1Co 11, 26) »378. • « In sacrificio Missae offerendo et sacramentis administrandis et ipsi in persona Christi agunt, fideles ad iugem orationem exhortantur et dirigunt, eosque multiformi praedicatione verbi Dei instruunt et ad communicandum sacrificium Christi et Ecclesiae in perfecta oboedientia fidei et amoris perducunt. » Le texte amendé sera : « Quod munus sacrum maxime exercent in Eucharistico cultu, quo in persona Christi agentes. Eiusque mysterium proclamantes, cum fidelibus, devotione et vita Capiti suo coniunctis, unicum sacrificium Novi Testamenti, Christi scilicet sese Patri immaculatam hostiam semel offerentis (cf. He. 9, 14–28) in sacrificio Missae usque ad adventum Domini (cf 1 Co. 11, 26) repraesentant et applicant »379. Schémas des Decreti De Ministerio et De Vita presbyterorum : • « Hoc ministerium verbi peculiariter requiritur vel exigitur ab ipso ministerio sacramentorum, praesertim pro illis qui parum intelligere videntur quae frequentant, et ab ipso Sacrificio Missae, in quo annuntiatio mortis Domini donec veniat (1 Co 11, 26) et responsum populi audientis uniuntur inseparabiliter cum ipsa oblatione Christi Novum Testamentum disponentis in Sanguine suo, cui fideles, et votis et sacramenti perceptione,

377 ASSCOV, Vol.II., P.II., 283–284. 378 ASSCOV, Vol.III., P.I., 168. 379 ASSCOV, Vol.III., P.I., 225–226.

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communicant. » Le texte officiel sera : « Hoc ministerium verbi multiformiter exercetur. Peculiariter tamen requiritur vel exigitur ab ipso ministero Sacramentorum, praesertim pro illis qui parum intellegere videntur quae frequentant. Requiritur praecipue in Missarum celebratione, in qua annuntiatio mortis Domini donec veniat (cf 1 Co 11, 26) et responsum populi audientis uniuntur inseparabiliter cum ipsa oblatione Christi Novum Testamentum disponentis in Sanguine suo, cui fideles, et votis et Sacramenti perceptione, communicant »380. 4.2 Observations De ces textes à caractère anamnètique auxquelles les discussions font référence, il ne résultera pas assez de modifications. Dans beaucoup de cas, le fond du texte sera gardé tel que présenté par les commissions préparatoires, certaines expressions seront ajoutées ou carrément supprimées pour plus d’harmonie et de clarification. Faisons tout de même ces quelques observations : – Dans le premier texte, tiré de SC 6, nous voyons apparaître le mot « similiter » que nous pouvons traduire par « semblablement ». Nous pensons que les Pères, en ajoutant ce mot, ont voulu souligner le lien qui existe entre le sacrement du baptême et celui de l’Eucharistie. Nous faisant participer, par le baptême, au mystère pascal du Christ, et devenir aussi fils adoptifs de Dieu par ce sacrement, l’Eucharistie comme lieu par excellence de la commémoration de la mort et de la résurrection du Christ, nous fait entrer et vivre en plénitude toutes ces grâces du baptême par cette communion unique avec le Christ et entre nous. – Bien que le deuxième texte de SC 47 préserve l’idée de fond, à savoir celle du caractère anamnètique de la sainte Eucharistie, beaucoup d’éléments enrichissants le texte apparaîtront : l’institution de la sainte Eucharistie par le Seigneur lui-même en vue de perpétuer son sacrifice de la croix jusqu’à son retour ; l’Eucharistie comme sacrifice du corps et du sang du Christ. Ce sacrifice est confié à l’Église comme mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur et devient en 380 ASSCOV, Vol. IV., P. IV., 340.

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même temps signe de l’amour, de l’unité, de la charité, de la structuration de l’Église et gage de sa gloire future. L’anamnèse eucharistique est ici pleine d’efficacité théologique et pastorale. Elle vient du Christ comme signe de maintient de son amour et de la structuration de l’Église. Le document officiel fera de ce point une suite des trois points, les numéros 48, 49, 50, pour nous imprégner de la grandeur de ce mystère. – Cette dernière partie de LG 8 sera un texte complètement nouveau par rapport au texte proposé au départ. Les Pères, dans leurs relations, feront des amendements qui feront naître un autre texte à caractère purement anamnètique. L’Église est soutenue par le Christ pour affronter les défis tant intérieurs qu’extérieurs. L’anamnèse eucharistique devient une force porteuse et vivificatrice de l’Église ad intra et ad extra. – LG 28 sera complètement nouveau par rapport au texte proposé ; les Pères inséreront un nouveau texte renvoyant au concile de Trente, à l’encyclique Mediator Dei de Pie XII381 ; pour faire voir qu’à travers la célébration liturgique le sacrifice de la croix est perpétuellement répresenté et que c’est le Christ réssuscité lui-même qui continue l’exercice de sa fonction sacerdotale382. –  Cette dernière partie de PO 2 ajoute un élément important dans le dernier texte qui sera reconnu et deviendra officiel, « le prêtre comme représentant » du Christ. Le Christ étant l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, le prêtre en agissant in persona Christi, offre le sacrifice spirituel des chrétiens en union avec l’unique sacrifice parfait du Christ au Père. Sans faire ombre à l’unique médiateur qui est le Christ, le prêtre reçoit ici un double rôle représentatif : il représente Dieu aux hommes et offre les hommes à Dieu. L’anamnèse eucharistique plus qu’une représentation est plutôt une récapitulation de tout l’univers en Dieu. Le Christ n’est pas seulement présent parmi les siens mais régénère le monde en Dieu et l’offre perpétuellement à son Père. Nous avons graduellement essayé tout au long de cette étude de voir comment, à partir des travaux de la commission ante-préparatoires, des commissions préparatoires et les discussions, la dimension anamnètique de 381 Cf. D, 938 (1743) et 2300 (3850). 382 Cf. SC, 7.

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l’Eucharistie a pu, grâce au souffle de l’Esprit Saint, se dessiner dans les travaux du concile Vatican II. L’Eucharistie, qui célèbre la mémoire de la mort et de la résurrection de notre Seigneur, étant le centre de la vie de l’Église, comme le réaffirmera le cardinal Montini avant de succéder au Pape Jean XXIII, ne peut pas ne pas faire partie de la vie de cette Église, car c’est elle justement qui la fait naître, vivre et la porte à son plein accomplissement. Prenant l’anamnèse dans la dynamique de l’Eucharistie, ce qui est tout à fait juste et logique, les travaux ante-préparatoires, préparatoires et les discussions en séance ont bel et bien, à des niveaux différents, tenu compte de cette grande dimension de la vérité de notre foi ; bien qu’ils l’aient très peu nommée séparément de l’Eucharistie. C’est dans ce grand ensemble de l’Eucharistie qu’il faut lire la dimension anamnètique avec tout ce que cela comporte de son caractère originel, ecclésial, pastoral et théologique. Voyons à présent l’enseignement de Vatican II sur l’anamnèse que, d’une manière ou d’une autre, nous avons déjà abordé dans la partie précédente.

5.  Les documents du concile Vatican II Les seize documents publiés par le concile Vatican II, fruit d’un grand travail accompli par beaucoup de chrétiens, constituent un trésor d’une grande valeur où l’Église doit encore puiser pour continuer à se rénover. La lecture de ces seize documents nous donne l’impression que l’Église jusque là n’a pas encore pleinement accueilli et habité ce don que Dieu lui a fait. La tendance humaine en général, nous porte toujours vers la nouveauté ; c’est ainsi que certaines voix veulent relayer le concile Vatican II dans les oubliettes de l’histoire et réclamer ainsi un nouveau concile ; à ceux-là nous disons : « Il faut retourner aux documents qu’il (le concile) a promulgués, les ‹ recevoir › tels qu’ils furent et tels qu’ils sont, leur prêter attention »383. Les documents conciliaires nous serviront encore aujourd’hui et dans l’avenir à résoudre beaucoup de problèmes théologiques, pastoraux et sociaux. Il nous suffit de découvrir les facettes cachées de ces documents et de les vivre réellement. 383 P.-A. Martin, Vatican II, 9.

159

Les seize documents conciliaires sont repartis en trois groupes. On y trouve d’abord le premier groupe constitué de quatre constitutions à caractère doctrinal : sur la liturgie (Sacrosanctum concilium), sur l’Église (Lumen Gentium), sur la Révélation (Dei Verbum) et sur l’Église dans le monde (Gaudium et spes). On a ensuite le deuxième groupe constitué de neuf décrets sur la vie de l’Église ad intra et ad extra, concernant : les questions de communication sociale (Inter mirifica), les problèmes de l’Orient chrétien (Orientalium ecclesiarum), l’œcuménisme (Unitatis redintegratio), la charge pastorale des évêques (Christus dominus), la formation des prêtres (Optatam totius), la vie religieuse (Perfectae caritatis), les laïcs et leur engagement pastoral (Apostolicam actuositatem), l’activité missionnaire (Ad gentes), les prêtres dans leur ministère (Presbyterorum ordinis). Enfin nous avons le groupe des déclarations aux divers sens du mot. On aura : la première déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae), la deuxième sur l’éducation chrétienne (Gravissimum educationis), la troisième sur les religions non-chrétiennes (Nostra aetate). C’est à travers ces documents que nous commencerons d’abord par un travail de statistique à inventorier tous les termes relatifs à l’Eucharistie, nous ferons ensuite nos observations. Nous utiliserons pour cette partie le texte intégral de la traduction française des seize documents conciliaires publiés en 2007 sous la direction du R.P. Paul-Aimé Martin. 5.1 Tableau statistique de l’anmnèse dans les documents du concile Vatican II a. De Sacra Liturgia (Sacrosanctum Concilium) Terminologies

Numéros

Nombres

1, 2, 3, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 21, 22, 23, 24, 25, 29, 32, 33, 35, 36, 37, 40, 43, 46, 52, 56, 61, 90, 109, 112, 116, 127, 128

60

• Sacrifice de l’Eucharistie

2

1

• Fraction du pain

6

1

6, 41, 42

5

6, 10

2

6, 10, 41, 47, 83, 106

8

• Liturgie

• Vie liturgique • La Cène du Seigneur • L’Eucharistie

160

Terminologies

Numéros

Nombres

7, 11, 26, 35, 45, 97, 112, 113, 116, 118, 124

14

7, 12, 49

3

• Espèces eucharistiques

7

1

• Célébration liturgique

7, 28

2

8

2

• Les actions liturgiques • Sacrifice de la messe

• La liturgie terrestre • La liturgie céleste

8

2

• Sacrifice

10, 55

2

• Celle-ci (la liturgie)

11, 21

2

14, 28, 35, 41

4

17

1

• Actions sacrées

20, 48

3

• Saint Sacrifice

20

1

• La célébration de la liturgie

24

1

• Célébration de la messe

27

1

27, 36, 42, 49, 50, 52, 54, 55, 56, 57, 66, 71, 78, 80, 82, 95, 113

36

• Ministère liturgique

29

1

• Grand ministère

29

1

• Les célébrations sacrées

35

1

• Le sacrifice eucharistique

47

1

• Mémorial de sa mort et de sa résurrection

47

1

• Sacrement de l’amour

47

1

• Signe de l’unité

47

1

• Lien de charité

47

1

• Banquet pascal

47

1

• Mystère de la foi

48

1

• Le (mystère de la foi)

56

1

• Liturgie de la Parole

56

1

• La liturgie eucharistique

56

1

• Commémoration sacrée

102

1

• Mémoire de la résurrection

102

1

6, 106

2

• Célébrations liturgiques • Les saints mystères

• Messe

• Le mystère pascal

161

b. De Ecclesia (Lumen Gentium) Numéros

Nombres

• Sacrifice de la croix

Terminologies

3

1

• Sacrement du pain eucharistique

3

1

6, 26, 67

3

7

1

• Annonçant la croix et la mort …

8

1

• Hostie vivante

10

1

• Offrande eucharistique

10

1

• Sacrifice eucharistique

10, 11, 17, 45, 50

5

11, 45

2

• Liturgie • Fraction du pain eucharistique

• Action liturgique • Sublime sacrement

11

1

15, 26, 29, 33, 42

5

• Mystère de la Cène du Seigneur

26

1

• Assemblée eucharistique

26

1

• Célébration eucharistique

34

1

• Célébration de l’Eucharistie

26

1

• Eucharistie

• Participation au corps et au sang du Christ

26

1

26, 28

2

• Culte divin

28

1

• Synaxe eucharistique

28

1

• Office liturgique

29

1

• Saint sacrifice

41

2

• Célébrations liturgiques

42

1

• La Sainte liturgie

50

1

• Liturgie de la parfaite gloire

51

1

• Culte liturgique

67

1

Numéros

Nombres

• Sacrifice de la messe

c. De Divina Revelatione (Dei Verbum) Terminologies • Fraction du pain

10

1

21, 23, 25

4

• Table de la Parole de Dieu et du Corps du Christ

21

1

• Mystère eucharistique

26

1

• Sainte liturgie

162

d. De Ecclesia in mundi huius temporis (Gaudium et Spes) Terminologies • Repas de la communion

Numéros

Nombres

38

1

e. De Pastorali Episcoporum Munere in Ecclesia (Christus Dominus) Terminologies

Numéros

Nombres

• Eucharistie

11, 15

2

• Liturgie

14, 30

2

• Vie Liturgique

15

1

• Sacrifice eucharistique

30

1

f.

De Presbyterorum ministerio et vita (Presbyterorum Ordinis) Terminologies

Numéros

Nombres

2, 5

7

2

1

2, 13, 14

3

• Dons et sacrifices pour les péchés

3

1

• Liturgie de la parole

4

1

4, 5

2

• L’Eucharistie • Sacrifice du Christ • Sacrifice eucharistique

• Célébration de la messe • Célébrations sacrées

5

1

5, 8, 13

3

• Elle (Eucharistie)

5

1

• Sainte Eucharistie

5

1

• Assemblée eucharistique

5

1

5, 13

2

• Célébrations liturgiques

5

2

• Ministère liturgique

5

1

6, 7

2

• Celle-ci (Eucharistie)

6

1

• Concélébration liturgique

7

1

• Concélébration de l’Eucharistie

8

1

• Actes liturgiques

12

1

• Mystère de la mort du Seigneur

13

1

• La messe

13

1

• La liturgie

• Sacrifice de la messe

• Célébration de l’Eucharistie

163

Terminologies

Numéros

Nombres

• Celui-ci (sacrifice eucharistique)

14

1

• Autel du sacrifice

14

1

• Deux tables de la Bible et de l’Eucharistie

18

1

• La Sainte Eucharistie

18

1

g. De Institutione sacerdotali (Optatam Totius) Terminologies

Numéros

Nombres

• Sainte liturgie

4

1

• Sacrifice eucharistique

4

1

• L’Eucharistie

8

1

• Culte liturgique

19

1

h. De Accommodata Renovatione Vitae religiosae (Perfectae Caritatis) Terminologies • Sainte liturgie

Numéros

Nombres

6, 15

2

• Sainte Eucharistie

6

1

• Eucharistie

15

1

i.

De Apostolatu laicorum (Apostolicam Actuositatem) Terminologies

Numéros

Nombres

• Sainte Eucharistie

3

1

• Sainte liturgie

4

1

• Cène eucharistique

8

1

• Vie liturgique

10

1

• Culte liturgique

11

1

• L’Eucharistie

17

1

• Actes liturgiques

24

1

j.

De activitate missionali Ecclesiae (Ad Gentes) Numéros

Nombres

•  Parole de Dieu et Pain eucharistique

Terminologies

6

1

•  La Sainte Eucharistie

9

1

14, 16, 19

5

•  La liturgie

164

Terminologies

Numéros

Nombres

• Le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur

14

1

•  Sacrifice eucharistique

15

1

•  Action liturgique

17

1

36, 39

2

•  L’Eucharistie

k. De Ecclesiis orientalibus catholicis (Orientalium Ecclesiarum) Terminologies •  Rites liturgiques •  La liturgie

Numéros

Nombres

1, 6

2

3

1

•  L’Eucharistie

15, 26

2

•  Divine liturgie

15

1

•  Divines louanges

15

1

•  Sainte Eucharistie

15

1

l.

De Oecumenismo (Unitatis Redintegratio) Numéros

Nombres

•  Sacrement de l’Eucharistie

Terminologies

2

1

•  Culte divin

2

1

•  Célébration eucharistique

4

1

•  Rites liturgiques

4

1

•  La liturgie

14

1

•  Sainte liturgie

15

1

•  L’Eucharistie

15

3

•  Patrimoine liturgique

15, 17

2

•  La vie liturgique

17

1

•  La communion eucharistique

22

1

•  Mystère eucharistique

22

1

•  La Sainte Cène

22

1

• Le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur

22

1

•  La Cène du Seigneur

22

1

•  L’antique liturgie

23

1

165

m. De Educatione christiana (Gravissimum Educationis) Numéros

Nombres

•  Culte liturgique

Terminologies

2

1

•  Mystère liturgique

4

1

5.2  Tableau récapitulatif Terminologies

Documents Conciliaires

Nombres

Les Treize documents précités

75

• Messe

"

37

• Eucharistie

"

32

• Les actions liturgiques

"

17

• Le sacrifice eucharistique

"

12

• Sainte liturgie

"

10

• Célébration liturgique

"

9

• Vie liturgique

"

8

• Sacrifice de la messe

"

7

• Sainte Eucharistie

"

6

• Culte liturgique

"

4

• Actions sacrées

"

3

• Célébration de l’eucharistie

"

3

• Celle-ci (liturgie, eucharistie)

"

3

• Célébration de la messe

"

3

• La Cène du Seigneur

"

3

• Rites liturgiques

"

3

• Saint Sacrifice

"

3

• Actes liturgiques

"

2

• Assemblée eucharistique

"

2

• Célébration eucharistique

"

2

• Culte divin

"

2

• Fraction du pain

"

2

• La liturgie céleste

"

2

• La liturgie terrestre

"

2

• Liturgie

166

Terminologies

Documents Conciliaires

Nombres

• Le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur

"

2

• Le mystère pascal

"

2

• Les célébrations sacrées

"

2

• Liturgie de la parole

"

2

• Ministère liturgique

"

2

• Mystère eucharistique

"

2

• Patrimoine liturgique

"

2

• Sacrifice

"

2

• Annonçant la croix et la mort

"

1

• Autel du sacrifice

"

1

• Banquet pascal

"

1

• Celui-ci (sacrifice eucharistique)

"

1

• Cène eucharistique

"

1

• Commémoration sacrée

"

1

• Concélébration liturgique

"

1

• Deux tables de la Bible et de l’Eucharistie

"

1

• Dons et sacrifices pour les péchés

"

1

• Divines louanges

"

1

• Divine liturgie

"

1

• Elle (Eucharistie)

"

1

• Espèces eucharistiques

"

1

• Fraction du pain eucharistique

"

1

• Grand mystère

"

1

• Hostie vivante

"

1

• L’antique liturgie

"

1

• La célébration de la liturgie

"

1

• La liturgie eucharistique

"

1

• La Sainte Cène

"

1

• Le (mystère de la foi)

"

1

• Les Saints mystères

"

1

• Lien de charité

"

1

• Liturgie de la parfaite gloire

"

1

167

Terminologies

Documents Conciliaires

Nombres

• Mémoire de la résurrection

"

1

• Mémorial de sa mort et de sa résurrection

"

1

• Mystère de la Cène du Seigneur

"

1

• Mystère de la mort du Seigneur

"

1

• Mystère de la foi

"

1

• Mystère liturgique

"

1

• Office liturgique

"

1

• Offrande eucharistique

"

1

• Parole de Dieu et Pain eucharistique

"

1

• Participation au corps et au sang

"

1

• Repas de la communion

"

1

• Sacrement de l’amour

"

1

• Sacrement de l’Eucharistie

"

1

• Sacrement du pain eucharistique

"

1

• Sacrifice de la croix

"

1

• Sacrifice de l’Eucharistie

"

1

• Sacrifice du Christ

"

1

• Signe de l’unité

"

1

• Synaxe eucharistique

"

1

• Sublime sacrement

"

1

• Table de la parole de Dieu et du corps du Christ

"

1

5.3 Observations Ce travail de statistique nous montre quelle place occupe l’Eucharistie dans les documents conciliaires parcourus. Loin de revenir sur les discussions concernant le commandement de l’anamnèse, problème déjà résolu par les Pères de l’Église et le Concile de Trente, Vatican II se donne plutôt pour tâche d’en étayer la richesse, par la polysémie terminologique et de chercher à utiliser des termes qui nous ramènent plus à l’unité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église. Voyons de près la dimension anamnètique que nous pouvons tirer de cette polysémie terminologique de l’Eucharistie que nous livre le concile 168

Vatican II et comment il nous présente ce sacrement comme principe structurant de l’Église : Les seize documents conciliaires étudiés, mentionnent cinq fois, à la paulinienne 1 Co 11, 26, le commandement de l’anamnèse donné par le Seigneur : – «  ‹ Inter persecutiones mundi et consolationes Dei peregrinando procurrit ›, ecclesia, crucem et mortem Domini annuntians, donec veniat (cf. 1Co 11, 26) »384. – « Eiusque mysterium proclamantes, vota fidelium sacrificio Capitis ipsorum coniungunt, et unicum sacrificium Novi Testamenti, Christi scilicet Sese Patri immaculatam hostiam semel offerentis (cf. He 9, 11–28), in sacrificio Missae usque ad adventum Domini (cf. 1Co 11, 26) repraesentant et applicant »385. – « Similiter quotiescumque dominicam cenam manducant, mortem Domini annuntiant donec veniat »386. – « Salvator noster, in Cena novissima, qua nocte tradebatur, Sacrificium Eucharisticum Corporis et Sanguinis sui instituit, quo Sacrificium Crucis in saecula, donec veniret … »387. – « Per Presbyterorum autem ministerium sacrificium spirituale fidelium consummatur in unione cum sacrificio Christi, unici Mediatoris, quod per manus eorum, nomine totius Ecclesiae, in Eucharistia incruente et sacramentaliter offertur, donec Ipse Dominus veniat »388. Ce commandement de l’anamnèse, qui en fait constitue la mission évangélisatrice de l’Église, s’accomplit pleinement dans la célébration eucharistique 389, où le Christ lui-même, à travers les ministres ordonnés, continue à faire découvrir au monde le dessein de salut de Dieu, et se donne perpétuellement pour nous. L’Église, en obéissant à l’ordre de son Seigneur, continue à rendre présent le Christ et bénéficie des dons célestes pour son pèlerinage terrestre. Elle anticipe en même temps la venue glorieuse de son maître. L’Église, disons-le, « expérimente, dans la

384 LG, 8.  385 LG, 28 386 SC, 6  387 SC, 47  388 PO, 2  389 Cf. PO, 5 ; EN, 14

169

célébration du mémorial, au sein de l’encore-attendu, le déjà-donné. L’histoire de l’humanité devient ainsi histoire de la célébration du mémorial de Jésus au sein de toutes les histoires humaines qui trouvent en lui leur expiation, leur consommation et leur unité »390. L’anamnèse eucharistique est présentée ici sous forme de couverture d’une anamnèse ecclésiologico-eschatologique qui porte l’Église et toute l’histoire de l’humanité jusqu’à la parousie. Vatican II continue à mettre plus en lumière ce que le concile de Trente affirmait quant au caractère ecclésial de l’anamnèse, parlant de la vie des chrétiens qui doit être unie à l’offrande de la vie du Christ pour être offerte au Père. Le dernier paragraphe de LG 34 le démontre amplement quand il dit : Omnia enim eorum opera, preces et incepta apostolica, conversatio coniugalis et familiaris, labor quotidianus, animi corporisque relaxatio, si in Spiritu peragantur, imo molestiae vitae si patienter sustineantur, fiunt spirituales hostiae, acceptabiles Deo per Iesum Christum (cf. 1Pt 2, 5 ), quae in Eucharistiae celebratione, cum dominici Corporis oblatione, Patri piissime offeruntur. Sic et laici, qua adoratores ubique sancte agentes, ipsum mundum Deo consecrant 391.

SC 48 y revient avec plus de clarté quand il parle de la participation des fidèles à l’action sacrée : « Immaculatam hostiam, non tantum per sacerdotis manus, sed etiam una cum ipso offerentes, seipsos offerre discant, et de die in diem consummentur, Christo Mediatore, in unitatem cum Deo et inter se, ut sit tandem Deus omnia in omnibus »392. La grande contribution du concile Vatican II en matière ecclésiologique sera la mise en évidence de l’épiphanie de l’Église dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques. SC 41 nous le notifie : Quare omnes vitam liturgicam dioeceseos circa Episcopum, praesertim in ecclesia cathedrali, maximi faciant oportet : sibi persuasum habentes praecipuam manifestationem Ecclesiae haberi in plenaria et actuosa participatione totius plebis sanctae Dei in iisdem celebrationibus liturgicis, praesertim in eadem Eucharistia, in una oratione, ad unum altare cui praeest Episcopus a suo presbyterio et ministris circumdatus393. 390 B. de Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 300. 391 LG, 34  392 SC, 48  393 SC, 41

170

Ce texte, qui à première vue peut nous porter à penser plus à l’unité entre l’évêque et son clergé, va bien au-delà de cette interprétation. Il nous montre, nous le pensons, l’unité autour de l’évêque du saint peuple de Dieu pendant la célébration eucharistique. Par la participation plénière et active à l’Eucharistie du peuple de Dieu autour de son évêque, on assiste à une manifestation plénière de l’Église. Il est évident que le seul et unique vrai prêtre est le Christ lui-même. C’est lui le célébrant par excellence de l’Eucharistie. Par la présence de l’Esprit Saint, le Christ est rendu présent sous de multiples manières à son Église pendant la célébration eucharistique (SC 7). L’évêque représentant le Christ, tête de ce corps qui est l’Église, a cette grande tâche de promouvoir la participation active, joyeuse, consciente et pieuse du saint peuple de Dieu. La participation active ne doit pas être comprise faussement comme participation purement extérieure et « activiste ». Elle s’exprime avant tout dans la prière et le chant communs. Mais il est tout aussi important que dans la célébration de l’Eucharistie les tâches soient réparties le mieux possible394.

Nous pouvons dire que : l’évêque avec le saint peuple de Dieu dans l’Eucharistie forment l’Église et contribuent à son épiphanie dans le monde. La célébration de l’anamnèse du Christ ne peut être pleinement et parfaitement célébrée que si ces deux dimensions sont représentées et toutes deux actives. C’est ainsi que tous, cherchant l’accès au royaume de Dieu, en faisant mémoire du Christ, nous devons chercher à aimer comme le Seigneur, unir l’offrande de notre vie à la sienne. Une attitude chrétienne contraire, sans intégration active et totale dans l’oblation du Christ, risquerait de rendre impossible toute vraie réitération de son offrande, tout accueil fructueux de sa présence et toute manifestation de l’Église au monde. L’anamnèse du Christ pleinement célébrée et vécue nous aide à mieux comprendre et manifester l’Église. La concentration de la pensée ecclésiologique qui caractérise le Concile Vatican II, le fait passer pour un concile ecclésiologique. Karl Rahner le définira comme « un concilio della Chiesa sulla Chiesa »395. G. Alberigo, mettant en évidence « la souveraineté de la Parole de Dieu » dans DV, « la centralité de la liturgie » dans SC, affirme sans aucun détour 394 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 23. 395 K. Rahner, « Il nuovo volto della Chiesa », 398.

171

que le thème principal qui caractérise les travaux de Concile Vatican II est l’Église comme communion396. S. Pié-Ninot, parlant de la lecture essentielle des textes des quatre constitutions conciliaires, cite la rédaction finale du Synode de 1985 sur Vatican II intitulé : « La Iglesia (LG), bajo la palabra de Dios (DV), celebra los misterios de Cristo (SC), para la salvación del mundo (GS) »397 ; il le commente disant que ce titre sirve de pauta para presentar los elementos esenciales (la « doctrina católica ») de las cuatro constituciones conciliares que tienen precisamente como sujeto a la Iglesia y pueden sintetizarse asi : La opcion por una Iglesia comunional (LG) ; la primacia de la palabra de Dios en la Iglesia (DV) ; la centralidad de la liturgia y la eucaristia (SC), y el diálogo amistoso con el mundo contemporáneo (GS)398. 

J. Ratzinger, à propos de Concile Vatican II, note : « Praticamente in tutta la chiesa cattolica si era del parere che il tema dovesse essere la Chiesa […] cercare una visione globale della chiesa appariva essere il compito urgente dell’imminente concilio. Cio emergeva anche dal clima culturale dell’epoca »399. Le Concile Vatican II n’était pas un concile de l’anamnèse eucharistique, il était plutôt un concile ecclésiologique, mais une ecclésiologie fondée sur la parole de Dieu et l’Eucharistie. Une ecclésiologie anamnétique pour autant qu’elle rend l’anamnèse eucharistique ecclésiologique, vit et se structure de l’anamnèse eucharistique. C’est le nœud de notre étude que nous croyons être l’épicentre de notre ecclésiologie et de tant d’autres disciplines ecclésiales. Vatican II, riche de son passé théologique, arrivera à voir dans la célébration de l’anamnèse du Christ la source et le fondement de la construction de l’Église (LG 26). Le mémorial de la passion et de la résurrection du Christ célébré dans l’Eucharistie est le lieu par excellence où l’Église manifeste sa communion, sa foi, sa charité de manière divino-humaine et son espérance du monde futur. Bref, c’est le lieu où les vertus théologales sont vécues pleinement. Le Christ lui-même, en la personne du prêtre continue à réaliser sa promesse d’être parmi les siens jusqu’à la fin des temps (Mt 28, 20). Nous trouvons cinq références faisant mention de l’« Anamnèse » dans les seize documents conciliaires étudiés. Mais nous noterons que le 396 Cf. G. Alberigo, Breve storia del Concilio Vaticano II (1959–1969), 58. 397 S. Pié-ninot, Eclesiologia, 85. 398 S. Pié-ninot, Eclesiologia, 85. 399 J. Ratzinger, « Ecclesiologia della constituzione ‹ Lumen gentium › », 6.

172

concept de mémorial qui, aujourd’hui, est devenu assez courant, comme le dit G. Tangorra, « non lo era ancora al tempo del concilio, emarginato a seguito del significato di pura evocazione con cui era stato interpretato dalla controriforma »400. Les différents documents du concile feront mention de la mémoire en ces termes : –

« Atque adeo Ecclesiae dilectae Sponsae memoriale concrederet Mortis et Resurrectionis suae … »401. – «  Pia Mater Ecclesia suum esse ducit Sponsi sui divini opus salutiferum, statis diebus per anni decursum, sacra recordatione celebrare »402. – « Hac enim die christifideles in unum convenire debent ut, verbum Dei audientes et Eucharistiam participantes, memores sint Passionis, Resurrectionis et gloriae Domini Iesu, et gratias agant Deo qui eos ‹ regeneravit in spem vivam per Resurrectionem Iesu Christi ex mortuis › (1Pt 1, 3 ) » 403. – « Deinde per initiationis christianae sacramenta liberati a potestate tenebrarum, Christo commortui, consepulti et conresuscitati, Spiritum accipiunt adoptionis filiorum, et memoriale mortis et resurrectionis Domini cum cuncto Populo Dei celebrant »404. – «  Communitates ecclesiales a nobis seiunctae, quamvis deficiat earum plena nobiscum unitas ex baptismate profluens, et quamvis credamus illas, praesertim propter sacramenti Ordinis defectum, genuinam atque integram substantiam Mysterii eucharistici non servasse, tamen, dum in Sancta Coena mortis et resurrectionis Domini memoriam faciunt, vitam in Christi communione significari profitentur atque gloriosum Eius adventum exspectant »405. L’Eucharistie, mémorial du mystère pascal du Christ, constitue la vie même de l’Église. Parlant de ce mémorial, le Concile tient à nous faire comprendre et croire que la célébration eucharistique est l’objectivation de cet événement, mémoire qui est la Pâque du Christ. Par cette commémoration, l’Église « non moltiplica il sacrificio di Cristo, 400 G. Tangorra, La Chiesa secondo il Concilio, 194. 401 SC, 47. 402 SC, 102. 403 SC, 106. 404 AG, 14. 405 UR, 22.

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ma lo rende presente liturgicamante, perché la comunità possa esserne coinvolta »406. 1. Les autres termes, si abondants et polysémiques comme : sacrifice de la croix, sacrement du pain eucharistique, sacrifice eucharistique, sacrifice de la messe, sacrifice, la cène du Seigneur, banquet pascal, action sacrée, messe, Eucharistie, sacrifice de la messe, saint sacrifice, assemblée eucharistique…, mettent en exergue la célébration du mémorial dans la messe, en valorisant l’un ou l’autre aspect de l’Eucharistie avec un fond ecclésiologique et œcuménique très subtil. Cet esprit œcuménique paraîtra très fort dans Sacrosanctum Concilium, document consacré entièrement à la Sainte liturgie. Il utilisera plus de cinquante fois, sans compter les autres documents, le terme « Liturgie » pour parler soit de la célébration de l’anamnèse eucharistique, soit de la prière des heures, soit de la formation y afférant, soit encore de tout ce qui concerne les rites sacrés. L’emploie très fréquent de cette terminologie dans Sacrosanctum Concilium est pour nous faire voir plus le caractère ecclésiologique de l’Eucharistie et nous pousser à la communion avec nos frères des Églises Orientales, qui emploient plus le terme « liturgie » pour parler du culte divin. Quant à l’anamnèse eucharistique, comprise comme principe structurant l’Église dans l’unité et la charité, les documents conciliaires étudiés en font mention à travers les effets liés à l’Eucharistie : – «  Simul sacramento panis eucharistici repraesentatur et efficitur unitas fidelium, qui unum corpus in Christo constituunt (cf. 1Co 10, 17) »407. – «  In fractione panis eucharistici de Corpore Domini realiter participantes, ad communionem cum Eo ac inter nos elevamur. ‹ Quoniam unus panis, unum corpus multi sumus, omnes qui de uno pane participamus › (1Co 10, 17) »408. – «  Porro corpore Christi in sacra synaxi refecti, unitatem Populi Dei, quae hoc augustissimo sacramento apte significatur et mirabiliter efficitur, modo concreto exhibent »409. 406 G. Tangorra, La Chiesa secondo il Concilio, 194. 407 LG, 3. 408 LG, 7. 409 LG, 11.

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– «  In quavis altaris communitate, sub Episcopi sacro ministerio, exhibetur symbolum illius caritatis et ‹ unitatis Corporis mystici, sine qua non potest esse salus › »410. – «  Eucharisticum ergo sacrificium celebrantes cultui Ecclesiae coelestis vel maxime iungimur communicantes… »411. – « quod praecipue valet pro Liturgia verbi in Missarum celebratione, in qua inseparabiliter uniuntur annuntiatio mortis et resurrectionis Domini, responsum populi audientis et oblatio ipsa qua Christus Novum Foedus confirmavit in Sanguine suo, cui oblationi fideles, et votis et Sacramenti perceptione, communicant »412. De toutes ces observations, nous pouvons dire que les seize documents conciliaires que nous avons étudiés nous indiquent que l’Église et son unité sont fondées sur la personne de Jésus rendu présent dans la célébration eucharistique. Faire mémoire de sa mort et de sa résurrection devient le principe perpétuellement structurant de la vie même de l’Église : pierre rejetée des bâtisseurs qui est devenue pierre d’angle (Ps 117, 22 ; Mt 21, 41 ; Ac 4, 11 ; 1 P 2, 7 ). Le Christ est vraiment alors le nucléo originé et originant de tout (tout a été effectivement créé par lui et pour lui) ; sans lui rien ne peut alors exister et tenir. Saint Paul, dans sa première épitre aux Corinthiens (1 Co 3, 11–12), l’exprimera merveilleusement en disant : « De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, c’est-à-dire Jésus Christ. Que si sur ce fondement on bâtit avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de la paille. » L’Église, grande maison des enfants de Dieu construite avec différents matériels, est fondée sur le Christ. Nous pouvons aussi appliquer ici l’unicité et la structuration de l’Église que nous pouvons fonder sur la commémoration de l’unique Christ malgré nos diversités. L’anamnèse eucharistique comme mémorial actualisant la passion et la résurrection du Christ, le rend présent parmi les siens, les unit et devient principe structurant de l’Église en tant qu’espace culminant de la réalisation du projet de salut de Dieu préparé dans l’Ancien Testament et accompli en Christ. Quand l’Église célèbre ce mémorial, elle fait ce qu’a fait le Christ et s’unit dans sa diversité, qui fait sa richesse, avec l’histoire passée, présente et future du salut. 410 LG, 26. 411 LG, 50. 412 PO, 4.

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Qu’il nous soit permis la reprise intégrale du passage de SC : Salvator noster, in Cena novissima, qua nocte tradebatur, Sacrificium Eucharisticum Corporis et Sanguinis sui instituit, quo Sacrificium Crucis in saecula, donec veniret, perpetuaret atque adeo Ecclesiae dilectae Sponsae memoriale concrederet Mortis et Resurrectionis suae : sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis, convivium paschale, « in quo Christus sumitur, mens impletur gratia et futurae gloriae nobis pignus datur »413.

Cette citation de SC 47, par la mise en évidence du sacrifice eucharistique institué par le Christ, nous montre par ailleurs et sans méandre que l’ordre de l’anamnèse émane du Christ et fut confié à l’Église pour la suite des temps. Ce numéro précité de SC fonde en outre le Christ comme principe de l’Église qui la structure autour de lui par son amour pleinement exposé, dans l’unité et la charité en vue de la gloire future. 5.4  L’enseignement de Vatican II sur l’anamnèse eucharistique L’enseignement magistérielle Vatican II sur l’anamnèse eucharistique bien qu’exposé sous diverses formes dans les différents documents, se trouve pourtant magnifiquement synthétisé dans SC 47 que nous avons déjà cité un peu plus haut. Le Concile a clairement montré que l’institution de l’Eucharistie émane du Seigneur, et que l’Eucharistie est la commémoration non seulement de la mort mais aussi de la résurrection du Seigneur dans l’attente de sa venue. C’est ici la nouveauté du Concile Vatican II par rapport au Concile de Trente en ce qui concerne la mémoire du Seigneur célébrée dans la Sainte Eucharistie. Nous y reviendrons. L’Église a reçu l’ordre de perpétuer ce mystère de notre salut jusqu’au retour de son Seigneur. Voulant accomplir jusqu’au bout l’œuvre du salut commencé par son Père dans l’Ancienne Alliance, le Christ, sans aucune intention de négliger ce que l’Ancien Testament célébrait comme libération par l’agneau pascal, accomplit ce rite ancien et en tire du nouveau. Par sa venue, sa passion sur la croix et sa résurrection, le Christ nous fait passer de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle, de l’Ancien Testament au Nouveau Testament, de l’agneau pascal au sacrifice de lui-même comme vrai agneau qui porte la libération définitive. Les Pères de l’Église en ont suffisamment parlé. Le Concile de Trente y est revenu d’une manière 413 SC, 47.

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patente pour nous montrer que la Pâque juive constituait une préfiguration de la nouvelle Pâque du Christ. Etant lui-même la victime, le Christ remplace l’agneau de l’Ancienne Alliance et, par son passage au Père – qui en fait est son retour – ouvre à l’humanité la voie du salut. Le but de ce commandement sera aussi clairement définit par le Concile Vatican II dans le même numéro précité de SC, « atque adeo Ecclesiae dilectae Sponsae memoriale concrederet Mortis et Resurrectionis suae »414. L’Église a reçu du Seigneur un grand patrimoine, un héritage qu’elle doit préserver et perpétuer. C’est ici, comme nous l’avions notifié plus haut, qu’apparaît une nouvelle nuance du Concile Vatican II : « la messe, mémorial de la résurrection du Christ et non seulement de sa mort », nouveauté « non par rapport à la tradition liturgique et patristique, qui y fait souvent allusion, mais par rapport à l’exposition tridentine »415. Le Concile de Trente dans son chapitre traitant de l’institution de la messe, fait mention de l’anamnèse en la présentant comme un sacrifice qui soit visible, faisant allusion à la nature humaine, pour représenter ainsi le sacrifice sanglant de la croix. La dimension de la résurrection n’étant pas clairement représentée, Vatican II palliera à ce hiatus en présentant l’Eucharistie comme mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur. Le texte de Vatican II « estende inoltre il contenuto del memoriale alla morte e alla risurrezione di Cristo, riunite in un significato pasquale, che orienta l’interpretazione degli avvenimenti come passaggio dalla morte alla vita, creazione di un’alleanza nuova ed eterna »416. Le banquet eucharistique est le cadre approprié de ce mémorial où le Christ reçu en nourriture se rend présent aux siens et perpétue son Alliance. Cette dimension de la résurrection soulignée par le concile Vatican II dans le mysterium fidei devient la plaque tournante de la vie et de la foi ecclésiale. La résurrection du Seigneur donne sens à sa mort et à la nôtre, elle éclaire sa divinité et assure notre marche vers la patrie célèste. Tout ce qu’on vient de faire ressortir comme avancée dans la compréhension de l’anamnèse eucharistique par Vatican II sera marqué par un apport beaucoup plus important. Vatican II verra dans l’anamnèse eucharistique « l’admission d’une certaine analogie graduée dans la réalisation de son ordre : ‹ Faites ceci en mémoire de Moi › »417. Il l’exprimera dans UR 22 : 414 SC, 47. 415 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 300. 416 G. Tangorra, La Chiesa secondo il Concilio, 194. 417 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 301.

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Baptismus igitur vinculum unitatis sacramentale constituit vigens inter omnes qui per illum regenerati sunt. Attamen baptismus per se dumtaxat initium et exordium est, quippe qui totus in acquirendam tendit plenitudinem vitae in Christo. Itaque baptismus ordinatur ad integram fidei professionem, ad integram incorporationem in salutis institutum, prout ipse Christus illud voluit, ad integram denique in communionem eucharisticam insertionem. Communitates ecclesiales a nobis seiunctae, quamvis deficiat earum plena nobiscum unitas ex baptismate profluens, et quamvis credamus illas, praesertim propter sacramenti Ordinis defectum, genuinam atque integram substantiam Mysterii eucharistici non servasse, tamen, dum in Sancta Coena mortis et resurrectionis Domini memoriam faciunt, vitam in Christi communione significari profitentur atque gloriosum Eius adventum exspectant418.

Soulignons, du texte de B. de Margerie, que le Concile Vatican II préfère utiliser le terme « mémoire » à « mémorial » : sa fréquence en est un signe clair. Le double emploi (mémorial-mémoire) d’une part souligne l’aspect objectif du souvenir qui porte au rite extérieur qui est le mémorial, et d’autre part accentue le souvenir subjectif qu’est la mémoire. Pour le Concile, le mémorial ‹ pointe vers une conservation de « la substance propre et intégrale du mystère eucharistique › »419. C’est ici la pomme de discorde avec nos frères séparés protestants. Reconnaissant l’ordre du Seigneur qui nous invite à faire mémoire de sa mort et de sa résurrection, les protestants imitent et reproduisent la Cène du Seigneur ; sans reconnaître l’existence du sacrement de l’ordre et l’intention de leur ministre d’agir in persona Christi, puisque cela n’est qu’une imitation de ce que le Seigneur avait fait. Nos frères protestants ne voient pas dans cette célébration la présence réelle du Ressuscité dans le pain et le vin, bien que ce soit la communion avec le Christ mort et glorifié, dans le sens d’une simple remise en mémoire, qui soit visée. Ce que nous retiendrons de positif, c’est la bonne intention et la volonté de nos frères protestants de communier à une certaine volonté et présence non substantielle du Christ. Présence qui, pour nous, est substantielle et d’une manière unique dans l’Eucharistie comme l’affirme le Pape Paul VI : On reste émerveillé devant ces divers modes de présence du Christ et on y trouve à contempler le mystère même de l’Église. Pourtant bien autre est le mode, vraiment sublime, selon lequel le Christ est présent à l’Église dans le Sacrement de l’Eucharistie. C’est pourquoi celui-ci est parmi tous les Sacrements « le plus doux pour la dévotion, le plus beau pour l’intelligence, le plus saint pour ce qu’il renferme » ; oui il renferme le 418 UR, 22. 419 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 302.

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Christ lui-même et il est, « comme la perfection de la vie spirituelle et la fin à laquelle tendent tous les Sacrements ». Cette présence, on la nomme « réelle », non à titre exclusif, comme si les autres présences n’étaient pas « réelles », mais par excellence ou « antonomase », parce qu’elle est substantielle, et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier420.

Quant à nos frères des Églises Orientales, le Concile n’emploie non plus le mot mémorial pour désigner leur célébration eucharistique, ceci pour la simple raison que, ce mot n’est pas tellement usuel dans leur schème liturgique et théologique. Le Concile dans SC, document concernant la liturgie, emploie plus le mot « liturgie » pour désigner la célébration eucharistique en vue de préserver l’esprit d’unité avec nos frères d’Orient. De ces points de vue du Concile Vatican II sur l’anamnèse eucharistique du Christ face à nos frères séparés protestants et à ceux de l’Église d’Orient, nous proposons une ouverture pour une ecclésiologique anamnétique d’ensemble. Ceci est possible par le fait que, tous cherchant à réaliser l’ordre du Seigneur, nous nous mettons en communion soit à partir de l’amont soit à partir de l’aval avec le Christ ressuscité et entre nous. Communion réalisée dans chacune de nos différentes Églises qui en principe devait s’ouvrir aux autres Églises du Christ. L’Église catholique, ayant le nucléo de cette communion, s’emploie à accomplir parfaitement l’ordre de son Seigneur et continue avec la présence réelle et substantielle du Christ à se construire de l’intérieur et de l’extérieur. Elle cherche, ensemble avec les frères d’autres Églises, dans un esprit de complémentarité, l’accomplissement parfaite de la charité, la vérité de la foi en vue de la parfaite communion eschatologique. Inviter toujours à un « ‹ Duc in altum – Avance au large › » (Lc 5, 4 ) : pourrions-nous approfondir cette belle distinction faite par Vatican II entre mémoire et mémorial dans ce sens ? Le mémorial sacrificiel et sacramentel du mystère renvoyant plus à la structure, au rite extérieur de l’Église terrestre, ne doit pas nous laisser à la superficialité. Nous devons toujours chercher à aller en profondeur de ce que nous célébrons pour chercher de jour en jour à faire habiter le mystère en nous pour plus de communion avec le divin et entre nous. Nos rites romain, congolais ou byzantin, nos chants grégoriens ou en lingala421 sont des structures qui doivent nous aider à approfondir et à mieux vivre le mystère divin que nous célébrons. 420 Paul vi, Mysterium Fidei, 40–41. Version française du site officiel : . 421 Cf. Une des quatre langues nationales (Lingala, Kikongo, Swahili, Shiluba) parlées en rdc.

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Le Christ lui-même ne dit-il pas : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront point » (Mc 13, 31)  ? Le mémorial sacrificiel et sacramentel du mystère, renvoyant plus à la structure, au rite extérieur de l’Église terrestre, avons-nous dit, passera, mais le commandement de l’anamnèse eucharistique, dont l’accomplissement dans l’obéissance rend présente la parole de Dieu pour le salut subjectif et communautaire de l’Église, ne passera jamais pour les chrétiens ; parce qu’il constitue la mémoire subjective et collective de la parole de Dieu. Le Christ commémoré dans nos cadres structurés qui constituent son mémorial, continue luimême à offrir au Père à travers son Église, le sacrifice le plus parfait pour notre continuelle rédemption. Notre offrande individuelle et ecclésiale est récapitulée par lui et offerte d’une manière parfaite au Père. Ecoutons à ce propos l’évêque d’Hippone : Profecto efficitur, ut tota ipsa redempta civitas, hoc est congregatio societasque sanctorum, universale sacrificium offeratur Deo per sacerdotem magnum, qui etiam se ipsum obtulit in passione pro nobis, ut tanti capitis corpus essemus, secundum formam servi. Hanc enim obtulit, in hac oblatus est ; quia secundum hanc mediator est, in hac sacrificium est422.

Pour le Concile Vatican II, l’Église, peuple de Dieu en marche vers la patrie céleste, continue la mission rédemptrice du Christ par l’offrande de son corps et de son sang, offrande à laquelle elle unit la sienne et la rend acceptable par le Père grâce à l’Esprit Saint. En distinguant nos offrandes qui constituent la Cène-mémorial du Christ, il existe pourtant grâce à l’action de l’Esprit Saint un lien avec la Cène-mémoire du Christ, son corps et son sang offerts une fois pour toute. Nos rites, nos offrandes, nos chants trouvent en Lui leur sens et leur plein accomplissement pour le salut du monde. L’ordre de l’anamnèse donné par le Christ aux siens, devient en fait le gage de la présence permanente du Christ parmi les siens : c’est lui en fait à travers eux qui continue à prier son Père et à se sacrifier pour nous. Citons encore pour terminer le Pape Paul VI dans cette merveilleuse référence :  Le Christ est présent à son Église qui prie, étant Lui-même Celui qui « prie pour nous, qui prie en nous et qui est prié par nous : il prie pour nous comme notre Prêtre ; il prie en nous comme notre Chef ; il est prié par nous comme notre Dieu » ; c’est lui-même qui a promis : « Là où se trouveront réunis en mon nom deux ou trois, je m’y trouverai au milieu d’eux »423. 422 Augustinus, De civitate Dei, X.6, PL 41, 284. 423 Paul vi, Mysterium Fidei, 31–32.

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Nous pouvons dire que l’ordre de l’anamnèse donné par le Christ aux apôtres devient perpétuellement divin parce qu’au mouvement de respect et d’obéissance humain à cet ordre, c’est Jésus lui-même qui continue son acte d’obéissance au Père, celui de donner la vie éternelle à tous les êtres en faisant connaître son Père comme le seul véritable Dieu (Jn 17, 2–3). L’obéissance de l’Église à cet ordre est la continuation de l’obéissance même de Jésus à son Père. Plus l’ordre exécuté devient lui-même une personne, plus le verbe fait chair continue à prier le Père qui est prié par les hommes. On comprend alors mieux la doxologie de la messe qui, pour nous, exprime et fait éclater en toute beauté, intelligence et dévotion l’anamnèse eucharistique : « Par lui, avec lui et en lui, a toi Dieu le Père tout Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Faire mémoire du Christ, c’est faire mémoire de la Sainte Trinité. On ne peut évoquer l’un sans l’autre, ni adorer l’un sans la force de l’autre.

6.  Le magistère postconciliaire Un thème de si grande importance, que celui de l’anamnèse eucharistique ne peut pas ne pas intéresser le magistère post-conciliaire. Il est vrai que, pour l’unité de l’Église et pour une vraie profession de foi catholique, les textes des différents magistères de l’Église n’ont certainement pas manqués d’aborder ce thème. C’est dans cette optique que nous voulons dédier cette partie aux textes du magistère après Vatican II pour voir son approche de l’anamnèse eucharistique. Les interventions des papes ayant traité de l’Eucharistie en général, en commençant par le Pape Paul VI, en passant par Jean Paul II jusqu’à Benoît XVI, sont immenses. Nous essayerons dans notre étude de parcourir tout ce que les Papes après Vatican II ont publié comme magistères concernant l’Eucharistie et en faire sortir, pour ce qui nous concerne, la dimension anmnètique qui en porte. 6.1  Le Pape Paul VI Dès l’introduction de sa lettre encyclique sur la doctrine et le culte de la Sainte Eucharistie, Mysterium fidei, le pape Paul VI parle de l’Eucharistie comme « mystère de foi, don accordé à l’Église, par son Epoux, en gage 181

de son immense amour, l’Eucharistie a toujours été religieusement gardée par l’Église catholique comme un trésor du plus haut prix… »424. Ce fait de considérer l’Eucharistie comme un don, comme un trésor du plus haut niveau, sans pour autant encore souligner l’ordre du donateur de se rappeler de lui à travers ce don précieux, l’Eucharistie comme tout don porte en soi un caractère anamnétique ontologique indéniable. Ce caractère devient encore plus exigeant par l’ordre du donateur de le rendre toujours présent en faisant mémoire de ce don. Le pape réaffirme la foi en ce que le concile de Trente a dit sur l’Eucharistie et reprend d’une manière particulière SC 47 pour souligner le caractère anamnétique de l’Eucharistie, son origine et sa finalité. Animé par le souci pastoral, le pape Paul VI cherchera dans Mysterium fidei l’unité des chrétiens en ce qui concerne la profession de la vraie foi au sujet des messes privées, du dogme de la transsubstantiation et du culte eucharistique425. Le pape Paul VI réagit face à certaines spéculations erronées qui sèment la confusion dans la profession et le vécu authentique de l’Eucharistie ; il souligne ce qui fait la sommité du sacrement de l’Eucharistie :  Dans le mystère eucharistique est représenté de façon merveilleuse le Sacrifice de la Croix consommé une fois pour toutes sur le Calvaire ; ce Sacrifice y est sans cesse rendu présent à notre souvenir et sa vertu salutaire y est appliquée à la rémission des péchés qui se commettent chaque jour. Notre-Seigneur Jésus-Christ en instituant le mystère eucharistique a scellé de son sang la Nouvelle Alliance dont Il est le Médiateur, comme déjà Moïse avait scellé l’Ancienne Alliance dans le sang des victimes. L’Évangile le rapporte : à la dernière Cène, « ayant pris le pain, Il rendit grâces et rompit le pain puis le donna aux Apôtres en disant : Ceci est mon Corps donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Pareillement Il prit la coupe, après le repas, en disant : Ceci est la coupe de la Nouvelle Alliance dans mon sang répandu pour vous ». En prescrivant aux Apôtres de faire cela en souvenir de Lui, Il voulait du même coup que le geste se renouvelât perpétuellement426.

L’Église, à l’instar de la première communauté chrétienne (Ac 2, 42), est restée fidèle à cet ordre du Seigneur pour sa réalisation propre, pour bénéficier du don de la présence du Christ, de la rémission des péchés des vivants et des morts, et pour structurer sa vie non selon les habitudes d’autrefois mais selon le Christ. Il se créait ainsi dans la vie ecclésiale 424 Paul vi, Mysterium fidei, 1. 425 Paul vi, Mysterium fidei, 10. 426 Paul vi, Mysterium fidei, 12–15.

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une rupture avec le passé pour une nouvelle vie modelée par le Christ qui excluait toute ambivalence. Reprenant le Concile de Trente, le pape Paul VI voit dans la mémoire eucharistique un « symbole de son unité et de la charité par laquelle Lui-même veut voir tous les chrétiens intimement unis entre eux », « et donc comme un symbole de ce Corps unique dont Il est la Tête  »427. La lettre encyclique Mysterium fidei de Paul VI réaffirme les grands enseignements du Concile de Trente sur l’Eucharistie : sacrement du mémorial des merveilles du Christ, aliment spirituel qui nous nourrit et nous fortifie quotidiennement, gage de notre gloire et de notre félicité éternelle qui nous unit au Christ et entre nous dans la foi, l’espérance et la charité428. Par l’obéissance à cet ordre, l’Église se réalise et montre en même temps son amour envers son Seigneur et son souci pour le salut de tous les hommes. L’Eucharistie, don par excellence du Christ à son Église, doit être célébrée par le prêtre qui agit in persona Christi avec la participation de tout le peuple de Dieu. Le pape condamne l’interprétation erronée selon laquelle l’ordre de l’anamnèse dans son sens sacrificiel a été donné à tous les baptisés. C’est le prêtre, le ministre du Christ qui seul, au nom du Christ, rend présent son sacrifice en répétant les paroles de Jésus avec conviction et foi. Cette clarification du pape Paul VI n’exclut pas les chrétiens de la participation au mémorial du Christ. Par la communion, ils participent eux aussi au sacrifice du Christ. Le pape continuait ici, en portant un peu plus de lumière, ce qu’affirmait le pape Pie XII dans Mediator Dei429. La lettre encyclique Mysterium fidei de Paul VI a su mettre en lumière la centralité de l’Eucharistie dans la vie liturgique de l’Église et la responsabilité qui incombe à chaque membre de corps du Christ dans le « faites ceci en mémoire de moi ». Le point qui suit nous donnera l’apport de Jean-Paul II. 6.2.  Le pape Jean-Paul II Le pape Jean-Paul II lèguera à l’Église une série énorme de lettres concernant l’Eucharistie. D’autant que chaque année, il avait l’habitude d’écrire, pour la journée du Jeudi Saint, une lettre aux évêques et aux prêtres 427 Paul vi, Mysterium fidei, 44. 428 Cf. D, 1638. 429 Cf. Pie xii, Mediator Dei et hominum, 564.

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soulignant l’un ou l’autre aspect du sacrement de l’Eucharistie et de l’ordre ; nous ne nous attarderons pas sur cela. Sa lettre apostolique : Mane nobiscum Domine, et son Encyclique : Ecclesia de Eucharistia, retiendront notre attention. Après l’étude de toutes ces lettres, nous avons réalisé que les grandes lignes concernant l’aspect dogmatique de notre recherche se retrouvent dans sa lettre encyclique sur l’Eucharistie : Ecclesia de Eucharistia. C’est dans cette lettre encyclique que la dimension anamnétique de l’Eucharistie est exposée d’une manière systématique. Comme le titre de la lettre encyclique le stipule, le pape clarifie le rapport de l’Eucharistie avec l’Église en montrant que l’Eucharistie réalise dans l’Église la promesse du Christ d’être parmi les siens tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20) : Dans l’Eucharistie, par la transformation du pain et du vin en corps et sang du Seigneur, elle jouit de cette présence avec une intensité unique. Depuis que, à la Pentecôte, l’Église, peuple de la Nouvelle Alliance, a commencé son pèlerinage vers la patrie céleste, le divin Sacrement a continué à marquer ses journées, les remplissant d’espérance confiante430.

La présence réelle du Christ parmi les siens, englobe toutes les dimensions de l’Eucharistie ; c’est ce qui fait la spécificité de l’anamnèse eucharistique. Comment cette présence du Christ peut-elle être permanente sinon par la commémoration, qui quotidiennement le rend réellement présent tous les jours parmi les siens  ? Nous pouvons déjà à ce niveau lire le caractère anamnètique de l’Eucharistie dans les premières lignes de la lettre encyclique du pape. Il rend lui-même grâce à Dieu d’avoir obéi à l’ordre du Seigneur en célébrant l’Eucharistie, au cours du grand Jubilé de l’an 2000, au Cénacle lieu de l’institution de ce très saint sacrement ; il écrira : « Je rends grâce au Seigneur Jésus de m’avoir permis de redire au même endroit, dans l’obéissance à son commandement ‹ Vous ferez cela en mémoire de moi › (Lc 22, 19), les paroles qu’il a prononcées il y a deux mille ans »431. L’obéissance à l’ordre du Seigneur, qui nous donne la possibilité de faire quotidiennement l’expérience de la présence du Christ, doit être pour nous motif d’action de grâce. Nous comprenons alors mieux la joie qu’éprouvaient les disciples à chaque fois qu’ils faisaient l’expérience de la présence du Christ, lors de ses différentes apparitions après sa résurrection (Lc 24, 41 ; Jn 20, 20). 430 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 1. 431 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 2.

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Soulignons tout de suite ces points que Ecclesia de Eucharistia de Jean-Paul II voit dans l’anamnèse eucharistique. Le mémorial du Christ actualise le mystère pascal dans sa totalité et étant donné que l’Église naît du mystère pascal, le mémorial de la passion du Christ célébré dans l’Eucharistie est au centre de la vie même de l’Église. Et à travers elle, l’Église actuelle continue ce que faisait la première communauté chrétienne (Ac 2, 42) : « Deux mille ans plus tard, nous continuons à réaliser cette image primitive de l’Église »432. Nous voyons apparaître dans le mémorial de la passion du Christ deux faits d’une grande importance : l’actualisation de tridium pascal qui entre dans une mystérieuse contemporanéité au cours des siècles, et la continuation de l’action de l’Église primitive. Un troisième fait s’ajoutera aux deux premiers : la célébration de l’Eucharistie, actualisant en nous le moment dramatique de la passion du Christ, nous fait aussi entrer à l’heure de Jésus qui devient l’heure de notre rédemption. Par la proclamation durant la messe du Mysterium fidei, « l’Église désigne le Christ dans le mystère de sa Passion, et elle révèle aussi son propre mystère : Ecclesia de Eucharistia »433. L’Église se réalise Église chaque fois qu’elle fait mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur. La mémoire du Christ devient la mémoire de l’Église, devient la vie et la lumière même de l’Église. Voyons de près à présent ces différentes dimensions anamnétiques du Mysterium fidei, tel que nous les présente le pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia. Pour le pape, « le Sacrement de l’Eucharistie est le ‹ Mysterium fidei › par excellence ». C’est le titre même qu’il donne au premier chapitre de sa lettre encyclique434. Au cours de la célébration eucharistique, dit le pape, nous actualisons la mort et la résurrection du Seigneur et nous attendons sa venue. Ce sont là les trois grandes dimensions que porte l’anamnèse eucharistique et que nous rendons présentes pendant chaque Eucharistie. Le Christ pour le salut du genre humain s’est livré, il a sacrifié son corps sur la croix pour nous. Pour rendre toujours présent ce don de son corps parmi les siens, le Christ a célébré de manière anticipée ce sacrifice de son corps avec ses disciples en instituant l’Eucharistie comme don par excellence de lui-même pour le salut perpétuel de l’humanité.  « Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection de 432 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 3. 433 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 4–5. 434 Cf. Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 11.

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son Seigneur, cet événement central du salut est rendu réellement présent et ainsi ‹ s’opère l’œuvre de notre rédemption › »435. Le sacrifice accomplit par Jésus est capital pour notre salut, et l’Eucharistie, qui rend continuellement présent ce sacrifice, est le moyen que le Christ a laissé à tous les fidèles d’y participer afin d’en goûter les fruits d’une manière inépuisable. L’anamnèse eucharistique continue à nous faire vivre cet amour infini de don de soi du Christ pour nous : « La Messe est à la fois et inséparablement le mémorial sacrificiel dans lequel se perpétue le sacrifice de la Croix, et le banquet sacré de la communion au Corps et au Sang du Seigneur »436. Le pape voit dans cette commémoration que l’Église a reçu, la charge de faire la vie même de l’Église. La messe ne peut pas être réduite seulement à un simple souvenir de foi, de ce qui s’est passé, comment le Christ a souffert pour nous ; elle doit nous mettre en contact aujourd’hui avec le sacrifice du Christ, perpétuer d’une manière sacramentelle ce sacrifice au sein de chaque communauté chrétienne qui le célèbre. Ceci n’est pas un double ou un triple sacrifice de la croix que nous célébrons : La Messe rend présent le sacrifice de la Croix, elle ne s’y ajoute pas et elle ne le multiplie pas. Ce qui se répète, c’est la célébration en mémorial, la « manifestation en mémorial » (memorialis demonstratio) du sacrifice, par laquelle le sacrifice rédempteur du Christ, unique et définitif, se rend présent dans le temps437.

Nos différentes célébrations eucharistiques constituent ce que le pape a appelé memorialis demonstratio de l’unique sacrifice du Christ. Dans nos messes, c’est l’unique sacrifice du Christ qui est représenté. Nos messes n’offrent pas un nouveau ou un autre sacrifice en dehors du celui qui a été offert une fois pour toute par le Christ au Golgotha, c’est le même et l’unique sacrifice du Christ que l’Église continue à offrir pour continuer l’œuvre de rédemption du Christ. Le sacrifice de la mort du Christ doit être pris dans un sens propre non générique. Il n’est pas seulement une nourriture spirituelle que le Christ donne aux fidèles, il est en premier lieu don de son amour et manifestation de son obéissance à son Père. « En donnant son sacrifice à l’Église, le Christ a voulu également faire sien le sacrifice 435 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 11. 436 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 12. 437 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 12.

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spirituel de l’Église, appelée à s’offrir aussi elle-même en même temps que le sacrifice du Christ »438. Nous assistons ici à une récapitulation de nos offrandes dans celle du Christ, afin que vraiment Dieu soit tout en tous (1 Co 15, 28). Limiter la communion avec Dieu au niveau de nos offrandes que nous lui offrons spirituellement, serait nous mettre nous-mêmes, notre corps, à l’écart du salut de Dieu c’est ainsi que l’apôtre Paul exhorte les romains en disant : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12, 1 ). Offrir non seulement extérieurement ou spirituellement mais s’offrir soi-même, sa personne. Une telle offrande ne peut être possible et comprise qu’à partir de la compréhension de la miséricorde de Dieu dont nous sommes bénéficiaires à partir du Christ qui s’est offert lui-même pour nous. L’anamnèse eucharistique nous fait entrer dans cette dynamique de l’offrande du Christ qui devient pour l’Église et chaque chrétien un défi à relever. L’Eucharistie ne fait pas seulement mémoire du sacrifice de la mort du Christ, elle rend aussi présente sa résurrection. A travers le pain et le vin qui deviennent réellement le corps et le sang du Christ, le Christ continue à se faire connaître à nous, à ouvrir nos yeux comme il l’a fait avec ses disciples après sa résurrection. « En effet, le Sacrifice eucharistique rend présent non seulement le mystère de la passion et de la mort du Sauveur, mais aussi le mystère de la résurrection, dans lequel le sacrifice trouve son couronnement »439. Reprenons les paroles de ces deux Pères de l’Église cités par le pape : S. Ambroise, à ceux qui étaient nouvellement convertis au christianisme, dira que « si le Christ est à toi aujourd’hui, il ressuscite pour toi chaque jour ». S. Cyrille d’Alexandrie quant à lui dira à propos de l’Eucharistie qu’elle « est vraiment une confession et un rappel que le Seigneur est mort et qu’il est revenu à la vie pour nous et en notre faveur »440. La célébration de ce saint mystère, pouvons-nous dire, est toujours et déjà une actualisation de la résurrection du Christ. Le Christ se rend présent parmi les siens, leur explique la parole et rompt le pain comme il avait fait avec les disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13–35). Il revient alors à chacun de nous d’avoir le cœur ardent quand nous écoutons sa parole et de le reconnaître à chaque fraction du pain eucharistique. C’est vraiment le 438 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 13. 439 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 13. 440 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 14.

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Mysterium fidei qui est un don de Dieu demandant en même temps l’accueil de l’homme : « Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme » (Lc 24, 29). Faire mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur nous met en synergie avec le Christ ressuscité et nous fait vivre en tension vers l’éternité, vers l’eschatologie, vers la patrie céleste là où se trouve notre maître assis à la droite du Père. Saint Paul avait raison quand il disait aux Colossiens de chercher les réalités d’en haut s’ils sont ressuscités avec le Christ (Col 3, 1 ). La mémoire faite avec vénération de Marie, mère du Seigneur, des saints apôtres, des anges, tant dans les différentes anaphores orientales que les prières eucharistiques latines, montre bien le lien entre l’Église terrestre et l’Èglise céleste. « L’Eucharistie est vraiment un coin du ciel qui s’ouvre sur la terre! C’est un rayon de la gloire de la Jérusalem céleste, qui traverse les nuages de notre histoire et qui illumine notre chemin »441. L’anamnèse eucharistique nous oriente vers notre vrai terme qui est la patrie céleste. Cette orientation ne nous soustrait pas à nos responsabilités présentes, mais réveille et cultive en nous le souci de cette terre442, leur donne quotidiennement un nouveau souffle et un sens d’éternité. Proclamer la mort du Seigneur « jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26) implique, pour ceux qui participent à l’Eucharistie, l’engagement de transformer la vie, pour qu’elle devienne, d’une certaine façon, totalement « eucharistique ». Ce sont précisément ce fruit de transfiguration de l’existence et l’engagement à transformer le monde selon l’Évangile qui font resplendir la dimension eschatologique de la Célébration eucharistique et de toute la vie chrétienne : « Viens, Seigneur Jésus! » (Ap 22, 20)443.

La lettre encyclique du pape Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, a su bien cerner toutes les dimensions anamnétiques dans la célébration eucharistique. L’Eucharistie célébrant la mort, la résurrection et la venue du Seigneur est un mystère de foi qui nous demande de faire comme l’apôtre Jean lors de la résurrection du Seigneur : de courir vers le tombeau du Seigneur, d’y entrer, de voir et de croire (Jn 20, 8 ). C’est seulement à ce niveau que naturellement la dimension missionnaire de l’anamnèse nous conduira vers les autres pour annoncer qu’il était mort mais qu’il est ressuscité et reviendra dans la gloire. Quant à ceux qui ont reçu la charge de cette annonce, il y a d’abord les apôtres et leurs successeurs, à partir 441 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 19. 442 Cf. GS, 39. 443 Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia, 20.

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du Jeudi Saint : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co, 25) et après la résurrection du Seigneur : « De cela vous êtes témoins » (Lc 24, 48), avec les apôtres tous le peuple saint de par le baptême. Les deux tables du Seigneur : la table de la Parole et celle du Pain, célébrées dans l’Eucharistie, constituent le lieu par excellence et de la plénitude de mysterium fidei. Les textes magistériels du pape Benoît XVI nous livrent aussi ses enseignements sur l’anamnèse eucharistique du Christ. 6.3  Le Pape Benoît XVI Dans la lettre encyclique Deus caritas est et dans son exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, le pape Benoît XVI traite de l’Eucharistie dans ces diverses dimensions. La dimension anamnétique apparaîtra davantage exposée dans Sacramentum Caritatis que nous étudierons ici d’une manière plus approfondie. Portée par le souci d’instruire, l’exhortation apostolique du pape aura pour finalité « de développer certaines lignes fondamentales d’engagement, destinées à raviver dans l’Église un nouvel élan et une nouvelle ferveur eucharistiques »444. Le caractère anamnétique de l’Eucharistie ressort dès les premières lignes de l’introduction de la lettre apostolique du pape Benoît XVI qui nous présente l’Eucharistie comme un don que Jésus fait de lui-même. Un don, comme nous l’avions notifié plus haut, est toujours déjà un objet de commémoration, de souvenir. Pour ce qui concerne l’Eucharistie, il ne s’agit pas d’un don quelconque mais du Christ en personne. Ici l’objet qui nous fait souvenir devient sujet même du souvenir qui nous lave les pieds, qui nous aime quotidiennement jusqu’au bout (Jn 13, 1 ) en nous donnant son corps et son sang. L’anamnèse eucharistique devient pour nous un lieu de contemplation et d’émerveillement de l’amour infini de Dieu qui chaque jour se fait chair sous nos yeux et dans nos mains. Ce sacrement de l’amour de Dieu pleinement manifesté dans l’Eucharistie, notifie le pape, est le grand mystère de notre foi. Il est le résumé et la somme de notre foi. L’Eucharistie, sacrement de l’Église, doit être vécue dans la foi. Il ressort ici la complémentarité entre la foi et les sacrements qui constituent la vie ecclésiale. Les sacrements qui 444 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 5.

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sont les sources de la grâce de Dieu doivent être vécus dans la foi. Sans la foi, les sacrements n’ont pas de sens, et sans les sacrements, la foi est vide. La foi s’exprime dans le rite et le rite renforce et fortifie la foi445. L’Eucharistie comme mémoire de la mort, de la résurrection du Seigneur et de sa venue devient le lieu de la renaissance continuelle de l’Église. L’Eucharistie devient le cordon ombilical qui fait vivre l’Église et sans lequel nous ne pouvons imaginer une vie ecclésiale et missionnaire authentiquement chrétienne. Parlant de l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène, le pape la situe d’abord dans son contexte qui est celui du repas rituel qui commémorait la libération du peuple d’Israël, au cours duquel on immolait et on mangeait l’agneau pascal en mémoire du sang de l’agneau qui avait sauvé les premiers-nés d’Israël (Ex 12, 1–28.43–51), c’« était la mémoire du passé, mais en même temps cette mémoire était aussi prophétique, c’est-à-dire annonce d’une libération future »446. Cette libération partielle était les prémices d’une grande libération définitive que tout le peuple d’Israël attendait et attend encore aujourd’hui. Vu que son histoire était entachée d’esclavage et de péché, le « mémorial de l’antique libération s’ouvrait ainsi à la question et à l’attente d’une sagesse plus profonde, plus radicale, plus universelle et plus définitive »447. Jésus partira de ce contexte du mémorial juif pour introduire la nouveauté de son mémorial qui englobe toute l’histoire qui trouve en lui son accomplissement et son exaltation. Jésus se révèle comme le véritable agneau immolé (1 P 1, 18–20) qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29) pas seulement celui d’Israël. L’offrande de sa vie célébrée d’une manière anticipée dans l’institution de l’Eucharistie préfigure sa mort et sa résurrection pour la vraie et définitive libération de tous les enfants de Dieu. Du point de vue de la valeur, l’antique mémorial ne vaut plus devant la majestueuse offrande de la vie même du Christ fils de Dieu. Comme il se donne lui-même, le sens et les effets de son sacrifice reçoivent un caractère plus universel et plus efficace. Le mystère de l’offrande de sa vie qu’il a voulu rendre continuellement présent par l’institution de l’Eucharistie « devient ainsi une réalité qui renouvelle l’histoire et le cosmos tout entier. L’institution de l’Eucharistie montre en effet que cette mort, en soi violente et absurde, 445 Cf. Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 6. 446 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 10. 447 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 10.

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est devenue en Jésus un acte suprême d’amour et pour l’humanité une libération définitive du mal »448. L’ancien mémorial juif est considéré comme « figura [qua] transit in veritatem : ce qui annonçait les réalités futures a désormais laissé place à la vérité elle-même. L’ancien rite s’est accompli et il est définitivement dépassé à travers l’offrande d’amour du Fils de Dieu incarné. La nourriture de la vérité, le Christ immolé pour nous, dat figuris terminum »449. L’ordre donné par le Seigneur à son Église « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 25), nous invite d’abord à accueillir ce grand don d’amour suprême de la vie de notre Seigneur, et sous la conduite de l’Esprit Saint à le vivre sacramentellement. « En effet, le mémorial de son offrande parfaite ne consiste pas dans la simple répétition de la dernière Cène, mais précisément dans l’Eucharistie, c’est-à-dire dans la nouveauté radicale du culte chrétien. Jésus nous a ainsi laissé la mission d’entrer dans son ‹ heure › »450. Faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ devient quelque chose d’exigeant et d’engageant. Elle ne nous laisse pas statique, elle nous met dans une dynamique de conversion radicale, d’une « fission nucléaire »451 pour utiliser le langage du pape, qui ébranle le monde pour la transformation de la réalité terrestre en vue du royaume de Dieu. L’anamnèse eucharistique récapitulant l’anamnèse juive, rend toujours présent le don unique de la vie du Christ pour le monde, et nous engage courageusement à continuer notre pèlerinage terrestre en symphonie avec le Christ en vue de la communion finale avec Dieu. Notons encore cet autre aspect relatif à l’anamnèse eucharistique que le pape souligne dans sa lettre apostolique : célébrer l’Eucharistie jour après jour en mémoire du Christ, c’est un fait qui doit nous lier historiquement et liturgiquement dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire nous donner de rester en communion dans les formes liturgiques que l’Église a connues et vit actuellement en rendant en même temps sacramentellement présent le Christ dans toutes les cultures. Travail de fidélité, d’unité et d’inculturation qui doit être fait dans la plus grande foi en Jésus-Christ, dans l’écoute et l’obéissance à l’Esprit Saint qui nous parle à travers l’Église. 448 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 10. 449 Bréviaire Romain, Hymne de l’Office des Lectures de la Solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Cité par Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 11. 450 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 11. 451 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 11.

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L’ordre donné par le Christ « faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 25) établit intrinsèquement un lien entre le sacrement de l’Eucharistie et le sacrement de l’ordre. Le Christ, en instituant l’Eucharistie pendant la dernière Cène, avait vécu de manière anticipée le mystère de sa passion et de sa résurrection en étant lui-même l’offrant et l’offrande. Il se présente comme le seul vrai prêtre : médiateur entre Dieu le Père et le peuple (He 5, 5–10), il est la victime d’expiation (1 Jn 2, 2 ; 4, 10). En dehors du Christ, personne ne peut remplir cette fonction. En disant explicitement à ses disciple « faites ceci en mémoire », il leur transmet ce pouvoir de faire ce que lui avait fait, il leur donne un mandat c’est ainsi que « Personne ne peut dire ‹ ceci est mon corps › et ‹ ceci est la coupe de mon sang › si ce n’est au nom et en la personne du Christ, unique souverain prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance (He 8–9) »452. Le mandat reçu par les apôtres fut la conséquence de leur choix par Jésus et disons même de leur temps d’initiation auprès de leur maître. Après ce temps passé avec le maître, avant de leur confier ce mandat, Jésus leur dira : Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne (Jn 15, 15–16).

Seuls les prêtres ordonnés sont revêtus de ce pouvoir de faire ce que Jésus avait fait et ils le font au nom de celui qui les a envoyés, sans porter ombrage à Jésus le seul vrai protagoniste de l’Eucharistie. L’ordre de l’anamnèse établit un lien étroit entre le sacrement de l’ordre et celui de l’Eucharistie ; sans prêtre ordonné, on ne peut avoir une Eucharistie et sans Eucharistie la prêtrise est vide de son essence primaire. Soulignant l’aspect eschatologique qui constitue l’anamnèse eucharistique, le pape voit dans la vocation des douze apôtres, qu’il lie avec les douze tribus d’Israël, et le mandat confié aux apôtres par Jésus lors de la dernière Cène de célébrer le mémorial de sa mort et de sa résurrection, la volonté du Christ de vouloir « transférer à toute la communauté qu’il avait fondée le devoir d’être, dans l’histoire, le signe et l’instrument du rassemblement eschatologique, inauguré en lui. En toute célébration eucharistique se réalise donc sacramentellement le rassemblement eschatologique 452 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 23.

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du peuple de Dieu »453. Chaque fois que nous faisons mémoire de l’œuvre rédemptrice accomplie par Jésus célébrée de manière anticipée lors de la dernière Cène, nous vivons nous aussi d’une manière anticipée le banquet eschatologique auquel nous aspirons et vers lequel nous tendons. Une vie de foi accrue en l’Eucharistie et dédiée aux autres devient la résultante de l’obéissance à l’ordre anamnétique du Seigneur. C’est à travers l’Eucharistie que l’Église continue d’une manière unique l’œuvre rédemptrice du Christ. Sans souligner la dimension de la résurrection dans l’anamnèse eucharistique, la lettre encyclique du pape que nous avons étudiée met plus l’accent sur l’aspect sacrificiel de l’anamnèse en y voyant l’accomplissement du mémorial juif. Dans l’accomplissement de cet ordre du Seigneur, le rôle de prêtre est unique et irremplaçable. Le sacrement de l’ordre ainsi lié intrinsèquement à celui de l’Eucharistie nous fait participer, sous la conduite de l’Esprit Saint, anticipativement d’une manière unique au banquet eschatologique et renforce le lien de communion entre l’Église terrestre et l’Èglise céleste.

Conclusion En guise de conclusion de l’enseignement du Concile Vatican II sur l’anamnèse, nous nous rendons compte d’après l’étude des documents ante-préparatoires, préparatoires, les actes du concile, les documents officiels du Concile Vatican II et le magistère post-conciliaire, que l’Église, à partir du concile Vatican II, prend bien en considération l’ordre donné par son Seigneur de perpétuer le sacrifice de sa mort et de sa résurrection. Partant d’une analyse chronologique454 des documents conciliaires, on arrive à une découverte graduelle de l’accent mis par le concile Vatican II sur la dimension résurrection dans l’anamnèse eucharistique par rapport au concile de Trente qui a plus insisté sur la dimension sacrifice de l’anamnèse. Cette importance de la résurrection, qui n’obscurcit pas les autres dimensions de l’anamnèse, nous amène à considérer la célébration 453 Benoît xvi, Sacramentum Caritatis, 31. 454 Cf. SC : 04. 12. 1963 ; LG : 21. 11. 1964 ; DV : 18. 11. 1965 ; PO : 07. 12. 1965.

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de l’anamnèse eucharistique pas seulement comme principe fondamental structurant la célébration eucharistique, mais aussi l’Église (SC 41, 47 ; LG 13, 23, 26, 28). A travers la liturgie de la parole et de l’Eucharistie, le Christ ressuscité présent dans son Église, continue à représenter le Père et à lui offrir le sacrifice qui sauve continuellement le monde. Il maintient son Église dans la communion divine et continue à la conduire par l’intermédiaire de ses ministres. Le concile Vatican II et le magistère post-conciliaire parlent de l’anamnèse eucharistique en terminologie diversifiée avec grande intelligence et dévotion, pour inviter tous les chrétiens à vivre intensément ce mystère de leur foi qui les unit au divin et entre eux. Dans le vaste enseignement conciliaire et post-conciliaire, l’ordre de l’anamnèse n’est pas explicitement mentionné, mais ce qui nous est apparu certain c’est que l’enseignement de l’Église à partir de Vatican II considère ce mystère qui est le cœur de l’histoire du salut, comme le fondement de l’Église et l’épicentre à partir duquel la vie de l’Église doit être structurée. L’anamnèse eucharistique est la source et le lieu par excellence de l’expression de l’unité divino-humaine, de l’Église céleste et terrestre, des chrétiens entre eux et de l’évangélisation ; elle est la démonstration de la charité sublime qui ne peut laisser indifférent qui y participe avec de bonnes dispositions. Les documents étudiés nous ont montré que l’enseignement de l’Église à partir de Vatican II est resté sur la ligne de la théologie d’approche de l’anamnèse de l’Ancien et du Nouveau Testaments, des Pères de l’Église, des théologiens du Moyen-Âge et du concile de Trente, reconnaissant dans l’anamnèse du Christ son caractère d’accomplissement de l’ancienne anamnèse judaïque, et surtout son caractère d’universalité, montrant l’importance du prêtre et de l’assemblée, pour une célébration de l’anamnèse eucharistique accomplie. Vatican II nous présente ce moment de la commémoration de la mort et de la résurrection du Seigneur comme le moment par excellence où l’Église est pleinement réalisée et portée à annoncer le Christ mort, ressuscité et qui reviendra pour tous les hommes. C’est peut-être ce qui justifiera l’approche de l’anamnèse par le concile et après concile dans le sens de plus de recherche de dialogue et d’œcuménisme. Nous sommes tentés d’affirmer que le concile et le magistère post-conciliaire, par souci peut être de dialogue, d’ouverture et d’œcuménisme, sans altération du sens vrai et profond de l’anamnèse eucharistique, a plus utilisé des termes compréhensibles par d’autres Églises ; mais 194

les valeurs incluses dans la célébration de la Cène du Seigneur resteront inchangeables. Vatican II rendra plus claire par la célébration et l’intelligibilité de ce sacrement le niveau de rapprochement avec les différentes Églises. Parlant plus explicitement des Églises d’Orient, qui nous sont plus proches par rapport aux protestantes, nous pouvons affirmer avec le Concile que ces différentes communautés tendent toutes vers la plénitude sacramentelle et sacrificielle de l’anamnèse du Christ ; elles affirment avec l’Église catholique le sens profond et les retombées de la célébration de l’anamnèse eucharistique du Christ. Les communautés protestantes par contre connaissent encore des fissures dans l’acceptation du sens profond de l’anamnèse eucharistique et ses retombées ecclésiales qui nous conduisent à la communion. Le concile reconnaît pourtant en ces différentes Églises orientales et en ces diverses communautés protestantes, à travers leurs baptisés, l’existence des grâces et le déploiement initial des missions du Christ ressuscité et de l’Esprit. Voilà pour nous une cheville ouvrière capitale pour bâtir une unité ecclésiologique par la guérison de notre mémoire. Ce qui nous ramenera à l’anmnèse originelle des premiers temps de l’Église. Nous y reviendrons dans notre dernier chapitre. « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (He 13, 8 ). Le Christ célébré dans divers et multiples cènes-mémoriales à travers le monde est le même, en gardant l’essence substantielle de sa mémoire, de sa représentation ; dans l’anamnèse eucharistique, nous sommes portés par amour et avec patience à le faire découvrir aux autres qui cheminent avec lui dans beaucoup de brouillard. B. de Margerie spécifie : Il y a donc distinction sans coupure entre ces Cènes-mémoires et l’unique CèneMémorial partout offerte par l’unique Église universelle. Les premières, en aspirant – sous l’effet de la grâce – à la seconde, s’y intègrent en quelque manière. Leur commencement d’obéissance à l’ordre d’anamnèse les achemine logiquement – à travers les dialogues œcuméniques et toutes leurs difficultés – vers une plénitude d’obéissance déployant celle du Christ, jusqu’à la mort455.

De bonne foi et sans aucune intention de superbe et de complexe de supériorité, l’Église catholique dans sa célébration de l’anamnèse du Christ offre d’une manière mystérieuse au Père à travers son Fils et dans l’Esprit Saint, les membres et les oblations du monde entier ; portant ce 455 B. de Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 308.

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monde dans ses prières, l’Église le conduit courageusement vers la patrie céleste. Cette approche de l’anamnèse à partir du concile Vatican II ouvre l’Église à l’œcuménisme et met en exergue dans la célébration eucharistique, les deux grandes tables de la messe, pour nous aider à vivre pleinement la mémoire du Christ.

7.  Conclusion de la première partie Nous avons tenté dans cette première partie de notre étude de démontrer le fondement biblique, traditionnel et magistériel de l’anamnèse. L’ordre donné par le Seigneur à ses apôtres avant sa passion ne doit pas être pris comme étant sans fondement. Venu dans le monde dans un cadre bien précis, à savoir juif, qui avait une histoire, des pratiques qui portaient et faisaient vivre cette communauté, Jésus s’inscrit dans cette communauté, en suit les us, mais s’en démarque par la nouveauté de son message : « Vous avez entendu qu’il a été dit […] Eh bien ! Moi je vous dis […] » (Mt 5, 27ss). Le « Vous avez entendu qu’il a été dit » est une prise en considération de la tradition par Jésus. Il n’a pas minimisé ce qu’il avait trouvé, mais l’a porté à la perfection : « Eh bien ! Moi je vous dis. » Du nouveau non à partir de nul mais à partir du déjà entendu pour du jamais atteint. C’est dans cette optique qu’il faut tenter une compréhension de l’anamnèse. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17), dira-t-il à ceux qui l’écoutaient. Dans le cadre de la célébration pascale juive prescrite par la Loi et les prophètes, Jésus accomplit parfaitement la vraie Pâque pour le salut du monde entier. Il concrétise toutes les prophéties au sujet du serviteur souffrant pour la vraie libération. De l’Ancienne Alliance mosaïque conclue sur le mont Sinaï, Jésus passe à la Nouvelle Alliance conclue par son sang sur le Golgotha. Un tel événement, devenu un avènement et une Nouvelle Alliance, ne pouvait pas ne pas être mémorable. Jésus, conscient de la grandeur de ce qu’il faisait et par amour pour les siens, leur donnera cet ordre d’actualiser l’acte posé jusqu’à son retour. Par la Haggadah, le récit pascal juif continuait à tenir présente toute l’histoire de la libération. Par l’anamnèse eucharistique, les chrétiens 196

rendent présent le Christ et renouvellent continuellement le mystère pascal qui est le sommet de l’histoire du salut. L’anamnèse eucharistique nous met en relation avec le Christ mort et ressuscité ; et à travers lui avec le mystère de Dieu dans sa totalité. Elle nous plonge dans les origines de l’histoire du salut qui trouvent dans le mystère pascal leur accomplissement, un accomplissement qui atteindra sa plénitude à la fin des temps. L’anamnèse juive d’une manière sectorielle et non mystérique a eu comme grand mérite la préparation de l’anamnèse chrétienne, qui par son caractère universel, mystérique et perpétuel fait naître et progresser l’Église vers le royaume de Dieu. Matthieu, Marc, Luc et Paul le souligneront dans leurs approches respectives de l’anamnèse (Mt 26, 26–29 ; Mc 14, 22–25 ; Lc 22, 15–20 ; 1 Co 11, 23–26). Le choix des Pères de l’Église et des théologiens du Moyen-Âge nous a montré à l’envie les essais d’approfondissement de la tradition millénaire de l’Église pour rester fidèle à elle-même et surtout obéir à l’ordre de son Seigneur. La messe, pour les Pères de l’Église, est la mémoire réelle, qui rend effectivement présent le sacrifice du Christ. La messe est « sacramentum » de la passion du Christ ; elle accomplit d’une manière sacramentelle et mystique le sacrifice de la croix. Faisant ressortir les multiples richesses de la foi que porte l’anamnèse eucharistique, les Pères de l’Église, les théologiens du Moyen-Âge et le concile de Trente nous ont laissé un héritage précieux sur le caractère sacrificiel de l’anamnèse eucharistique qui a déterminé et déterminera encore toute la vie de l’Église. Le concile Vatican II, riche en héritages bibliques, patristiques, théologiques et conciliaires, élargira davantage son horizon dans l’approche de l’anamnèse du Christ en y mettant plus en lumière la résurrection du Seigneur, en y décelant l’épiphanie de l’Église et sa mission, une bonne perspective qui rassure et structure la vie de l’Église. « Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi », nous dira saint Paul (1 Co 15, 14). En effet, le mystère de notre foi, qui célèbre notre libération et notre salut, ne peut pas s’arrêter au sacrifice et à la mort du Christ. L’expérience des apôtres nous enseigne énormément : la mort du Christ les disperse mais sa résurrection les rassemble et les structure en une communauté autour de la parole de Dieu et la fraction du pain. Le libérateur ne meurt jamais, il reste toujours présent dans la vie des siens pour maintenir la libération. La mort du Christ sans la résurrection rend nul notre salut et l’Église ne serait qu’une absurdité. 197

Mais la mort suivie de la résurrection donne sens au sacrifice du Christ et à la vie même de l’Église célébrée dans celle du Christ dans l’Eucharistie. Le Christ mort et ressuscité, qui se rend continuellement présent parmi les siens dans l’Eucharistie, continue par la force de l’Esprit Saint à enseigner son peuple et à s’offrir pour lui. Le Christ mort et ressuscité, pleinement présent pour les catholiques et ceux de l’Église orientale dans l’anamnèse eucharistique, devient l’élément moteur qui structure la vie de l’Église et la porte vers son accomplissement. Il nous ouvre à la communion avec nos frères des Églises Orientales et à un engagement au dialogue avec nos frères séparés des communautés protestantes. La compréhension et le vécu du commandement de l’anamnèse eucharistique par le concile Vatican II et le magistère post-conciliaire seront plus orientés dans le sens « Construisez avec l’Église – mon Église – en mangeant ma chair crucifiée par vos péchés, en buvant mon sang versé pour les expier »456. L’étude faite à partir des documents du concile Vatican II et le magistère après Vatican II, nous a conduits à la hauteur que l’Église porte sur le commandement de son Seigneur en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique. Le fait se vérifie par l’accent sur la résurrection dans l’anamnèse et la grande diversité terminologique à laquelle le concile recourt pour parler de ce sacrement, et par l’importance que tout le magistère, pendant et après le concile Vatican II, lui accorde dans la vie même de l’Église. C’est dans l’anamnèse, annonce de la mort, de la résurrection et l’attente de la venue du Seigneur que toute la vie de l’Église s’origine, se structure et se tend (SC 47). La mort ou la survie de l’Église dépendent du respect et du vécu de cet ordre du Seigneur qui constitue la plaque tournante de notre foi. La deuxième et dernière partie qui va suivre nous donnera l’opportunité d’étudier l’anamnèse dans les deux tables de la célébration eucharistique en circularité avec l’épiclèse, pour mieux nous imprégner de toutes les dimensions de l’anamnèse en exercice dans l’Eucharistie et voir comment l’anamnèse peut structurer l’Église.

456 B. De Margerie, Vous ferez ceci en mémorial de moi, 305.

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Deuxième partie  L’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse

Présentation Si pour fonder l’anamnèse eucharistique nous avons voulu parcourir dans la première partie les données bibliques, la tradition chrétienne et le magistère de l’Église catholique, c’est pour arriver à faire voir que notre anamnèse actuelle telle que nous la célébrons dans notre Eucharistie n’est pas une adjonction, ni un quelconque complèment à notre Eucharistie. Elle a été préparée, vécue dans la tradition de l’Église et fait ainsi partie constutive de l’Eucharistie. L’anamnèse eucharistique, comme l’affirme W. Kasper, nous permet d’actualiser « la présence de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ, médiatisée sacramentellement par la commémoration en parole et en actes, [qui] est donc le fondement interne de l’unité des différents aspects de l’Eucharistie »457. C’est cette commémoration en Parole et en actes qui fait l’Eucharistie. Ces deux grandes dimensions rendent sacramentellement présentes, avec la force de l’Esprit Saint, la mort et la résurrection du Christ ; et le Christ lui-même sous les espèces du pain et du vin, nourrit et rassemble les siens en seul corps. L’étude de l’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse qui constitue le point focal de cette deuxième partie de notre étude portera principalement sur cette commémoration en Parole, dans la table de la Parole, et en Actes, dans la table eucharistique, de l’œuvre de notre redemption telle qu’accomplie en Christ. Par cette célébration, nous reconaissons l’amour de Dieu pour nous, pour le monde. Par l’incarnation de son fils, sa mort et sa resurrection, l’homme reconnaît la grandeur et la gloire de Dieu458 et cette reconnaissance fait redécouvrir à l’homme sa propre identité, la fin vers laquelle il doit tendre. La célébration de l’anamnèse eucharistique nous

457 W. Kasper, Sacrement de l’unité eucharistie et Église, 95–96. 458 Cf. Il y a à ce sujet un bel article de J. Zumstein qui voit dans le logos fait chair l’espace de la gloire de Dieu. Nous avons voulu interpréter, dans l’anamnèse qui rend perpétuellement présent le Jésus historique qui a souffert, qui est mort mais qui est ressuscité et qui reviendra, une manifestation aussi de la gloire perpétuelle de Dieu dans l’Église et dans le monde. Vous pouvez lire l’article de J. Zumstein, « Mémoire et relecture pascale », 156.

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aide à revivre ces faits. Vouloir vivre et se structurer en dehors de ce cadre divin est simplement une autodestruction comme l’affirme GS 13459. Après une première partie sur le fondement de l’anamnèse, cette deuxième et dernière partie de notre travail, par une analyse systématique à partir des sources liturgiques, celles de l’Orient et celles de l’Occident, tâchera d’étudier la structuration théologique de l’anamnèse et sa circularité avec l’épiclèse dans les rites orthodoxe, protestant et catholique. Cette étude nous amènera à parcourir certains rites chrétiens pour voir comment apparait la dimension anamnesico-ecclésiologique et sa circularité avec l’épiclèse. Comment ces deux piliers de l’Eucharistie y sont organisés et quels en sont les critères d’organisation. Cette enquête positive à partir des données liturgiques nous conduira à la fin de cette partie à une synthèse théologique en cherchant à intégrer les données recueillies dans le vécu et l’expression de notre foi ecclésiale. À la base de cette analyse, nous serons alors conduits à faire des propositions concrètes en ce qui concerne la célébration de l’anamnèse du Christ dans l’Eucharistie et le vécu de cette anamnèse dans l’Église. Cette dernière partie de notre travail suivra l’ordonnancement suivant : le quatrième chapitre sera axé sur la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse. Le cinquième chapitre étudiera la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu et sa circularité avec l’épiclèse. Le sixième chapitre, en termes de retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église, tâchera de donner notre contribution pratique.

459 Cf. GS, 13 : « Deum tamquam principium suum saepe agnoscere renuens, etiam debitum ordinem ad finem suum ultimum, simul ac totam suam sive erga seipsum sive erga alios homines et omnes res creatas ordinationem disrupit ».

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Chapitre IV La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse

1. Introduction Sans chercher pourtant à négliger le caractère englobant de l’anamnèse dans l’Eucharistie, nous tâcherons dans ce chapitre de l’étudier dans sa particularité à l’intérieur même de la célébration eucharistique. Le mot anamnèse, tel que nous le connaissons dans la célébration eucharistique, est cette partie de la messe qui suit la consécration. En considérant les liturgies grecques qui commencent à qualifier d’anamnèse, le Unde et memores de la messe romaine, en considérant la fonction anamnestique, selon laquelle in varie azioni liturgiche si suole richiamare l’avvenimento passato della storia della salvezza che ha maggiore attinenza con ciò che si sta compiendo. L’idea si fonda sulla speranza che, come Dio ha accordato il suo beneficio nel passato, lo ripeta al presente nelle circostanze consimili. Si rileva perciò la connessione dell’evento storico con l’azione in corso460.

L’anamnèse dans la célébration eucharistique ne peut pas être étudiée en se restreignant à la parole de la consécration. Elle touche toute l’Eucharistie qui actualise, par la lecture de toute l’histoire du salut, la parole de Dieu autrefois adressée à son peuple dans le passé en forme de promesse, parole remémorée par l’assemblée des chrétiens qui la relient non plus avec les lunettes d’une promesse, mais y voit une promesse accomplie en Jésus Christ,  par l’offrande de son corps et de son sang pour leur rachat. Acte objectif et unique accompli une fois pour toute dans l’histoire, que l’Église, par la grâce de l’Esprit Saint, rend actuel dans la célébration eucharistique. 460 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 464.

Une étude sur l’anamnèse dans la liturgie eucharistique doit en premier lieu nous amener à déceler la dimension anamnésique de l’Eucharistie, non dans le sens d’une simple remise en mémoire, mais dans le sens d’une actualisation réelle de la présence du Christ ressuscité parmi nous. En deuxième lieu la situer dans les deux tables : celle de la parole et la table eucharistique, sans la séparer de l’ensemble du tout de l’Eucharistie. Ce qui pourra nous aider à mieux comprendre la dimension anamnésicoecclésiologique de l’Eucharistie. Nous pourrions commencer par la table de la Parole, compte tenu de l’ordre de la messe. Mais en suivant la logique de notre étude, ce quatrième chapitre se consacrera à l’étude de la dimension anmnesicoecclésiologique de la table eucharistique. Ce qui nous permettra de faire ressortir cette dimension qui apparaît si clairement dans le rite romain qui constitue la plaque tournante de notre travail. A la lumière de ce que nous étudierons, nous aurons la possibilité d’aborder la table de la Parole. Nous voyons ici se profiler à l’horizon le point de base de ce quatrième chapitre qui s’assignera pour tâche l’étude de la dimension anamnésicoecclésiologique de la table eucharistique. Nous aurons, pour ce faire, à visiter différents rites de la tradition chrétienne : les rites orthodoxes, protestants, et catholiques. Étant donné que sous la dénomination de rites orthodoxes se masquent plusieurs autres petits groupes (Syrien, Byzantin, Alexandrin, Ethiopien, syro-francophone …) notre analyse portera sur trois d’entre eux à savoir le rite byzantin, le rite orthodoxe alexandrin, et le rite éthiopien, que nous prendrons comme échantillon pour notre étude. Pour la tradition protestante qui a en son sein un amalgame d’autres rites (luthérien, calviniste, pentecôtiste, méthodiste, baptiste…), nous nous limiterons aux rites luthérien et calviniste. Nous allons parcourir, autant que possible les rites catholiques, qui regroupent eux aussi beaucoup de rites (gallican, ambrosien, mozarabe, celtique, romain…). Nous étudierons, hormis le rite romain sur lequel notre étude s’oriente et qui sera abordé d’une manière plus approfondie ; d’autres rites catholiques, en l’occurrence le rite ambrosien, gallican, mozarabe pour voir comment ils peuvent nous aider à avoir une vision plus large de la dimension anamnésico-ecclésiologique de la célébration eucharistique. Une telle étude pourrait être sujet d’une autre thèse à défendre, mais nous l’abordons ici en un chapitre comme point obligé pour souligner la complexité du sujet abordé et par conséquent la contrainte du choix à opérer. Tourner le dos à cette dimension, serait un hiatus scientifique 204

énorme ; à s’y hasarder en l’étudiant en un chapitre, on frôlerait le risque d’omission. Nous chercherons à étudier d’une manière approfondie la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table eucharistique dans le rite romain en pratiquant quelques jauges dans les rites précités. Ceci nous permettra de voir comment l’anamnèse peut structurer l’Église. La tradition protestante, partant d’un de ces principes de la Réforme, Sola scriptura, quelle est la dimension anamnestico-ecclésiologique de la table eucharistique dans sa célébration de la Sainte Cène ? Et quelle conception de la circularité établit-elle entre l’anamnèse et l’épiclèse au niveau de la table eucharistique ? Pour « les traditions orthodoxe et occidentale » qui sont si liées théologiquement quant à la célébration eucharistique, comment ressortent-elles et célèbrent-elles la dimension anamnestico-ecclésiologique de la table eucharistique et quelle en est la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse ? Etant donné que la présence du Christ est considérée pour les uns dans sa Parole, qui est souveraine et suffisante, et pour les autres dans le pain et le vin qui deviennent le corps et le sang du Christ ; sans pourtant vouloir retomber dans la vieille discussion sur la présence réelle du Christ, n’y a-t-il pas moyen, à partir de l’anamnèse, de reconcilier notre conception de la présence du Christ dans les deux tables de la célébration eucharistique par une guérison de nos mémoires en revenant à la conception de la première communauté chrétienne, pour une ecclésiologie qui serve à tous ? En concevant surtout l’anamnèse non comme une simple remise en mémoire d’un fait passé, mais comme actualisation dans notre présent du Christ mort et ressuscité qui nous prêche encore sa Parole, nous l’explique, qui fractionne le pain et nous le donne pour ouvrir nos yeux afin de le reconnaître. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse n’est-elle pas un élément moteur de cette présence dans les deux tables ? Nous tenterons dans ce chapitre de répondre à toutes ces interrogations et de voir comment nous pouvons structurer notre vie en Église à partir de ces données.

2. La table eucharistique comme anamnèse de Dieu et sa dimension ecclésiologique dans les rites orthodoxes Notre étude étant axée sur l’anamnèse eucharistique dans le rite catholique romain, nous trouvons utile, pour une vision plus large, d’examiner d’autres 205

rites, pour voir comment est mise en exergue la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table eucharistique. Pour ce faire, nous avons choisi différents rites qui se célèbrent dans différentes traditions chrétiennes, à savoir : orthodoxe, protestante et catholique. Notre choix de ces rites est dû au fait que, malgré les différences historiques et actuelles que nous trouvons entre ces rites, il existe pourtant une symétrie originaire et actuelle qui les lie et les oriente tous vers un seul but : l’expression et la communion aux réalités saintes telles que révélées par Jésus-Christ. Nous appuierons sur SC 21 et 34, qui, bien que parlant de rite dans divers sens, insiste pourtant sur le fait que les rites doivent être simples, adaptés à la capacité des fidèles pour exprimer avec clarté les réalités saintes qu’ils signifient. Nous tâcherons de lire dans les différents rites que nous allons étudier, comment les réalités saintes sont exprimées en ce qui concerne l’anamnèse et l’ecclésiologie. Nous nous limiterons à étudier comment l’histoire du salut est mise en exergue dans toutes ces célébrations, sur quels critères se fonde l’agencement de leur célébration dans la table eucharistique. Ceci nous permettra d’en déceler la dimension anamnestico-ecclésiologique. Pour plus de clarté, notons de prime à bord que l’Orient a deux grandes familles liturgiques : la liturgie d’Antioche-Jérusalem et celle d’Alexandrie, toutes deux antérieures au IVème s. Chacune de ces deux liturgies aura à sa suite une série des rites. De la liturgie d’Antioche-Jérusalem naîtront les rites arménien, persan, jacobite, maronite… et sous l’influence de l’Église de Césarée de Cappadoce naîtra aussi le rite byzantin que nous retenons pour notre étude. Du côté de la liturgie alexandrine naîtront le rite copte d’Alexandrie et le rite éthiopien ou abyssin. Nous retiendrons pour notre étude les deux rites dans cette catégorie de la liturgie. La table eucharistique constituant le noyau de l’Eucharistie dans les rites orthodoxes est célébrée avec un très grand faste et un très grand respect. C’est le moment le plus important de la célébration eucharistique où l’actualisation de l’acte rédempteur du Christ s’opère dans l’aujourd’hui de l’assemblée. Nous tâcherons dans cette partie d’étudier la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table eucharistique dans trois rites orthodoxes : byzantin, alexandrin et éthiopien, pour essayer de voir comment est célébrée et vécue cette dimension de l’Eucharistie. Cette étude nous conduira aussi à faire ressortir la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse. 206

2.1  Le rite byzantin Issu de la liturgie d’Antioche-Jérusalem, l’une des deux grandes familles de la liturgie orientale, le rite byzantin aura une grande influence à partir de Théodore III Balsamon (entre 1185 et 1191) qui l’imposa dans le patriarcat grec d’Antioche et de Jérusalem461. La liturgie de saint Jacques sera remplacée par le rite byzantin qui sera célébré soit en arabe, soit en grec, soit dans les deux langues à la fois. Ce rite s’étendra dans les Balkans et dans les pays Slaves. Le rite byzantin, comme tous les autres rites orientaux, est marqué par un caractère anamnesico-ecclésiologique très fort et la circularité avec l’épiclèse dans la célébration de l’anamnèse du Christ est au premier plan au risque, pour certains, de réduire la célébration eucharistique à un acte émanant seulement de l’Esprit Saint. Malgré cette vision, qu’on qualifierait un peu d’extrémiste, la dimension anamnestique n’est pas négligée dans le rite byzantin ; déjà au niveau de la disposition de l’église grecque en général et celles de rite byzantin en particulier, l’ornement, la richesse qui s’y trouve, avec toute son iconostase, témoignent d’un espace spécial et particulier où ne peut habiter qu’un être hors des communs ; un lieu qui inspire respect et élévation pour entrer en contact avec le divin qui y est présent. La disposition de l’église est toujours déjà un fait anamnesique qui nous inspire et nous rappelle la présence du Seigneur. Quant à la célébration eucharistique proprement dite, le rite byzantin peut être subdivisé en trois parties. Il y a : La prothèse, qui contient la partie préparatoire, est déjà marquée par des parcelles de commémoraison462 ; suit la messe des catéchumènes, dans laquelle on trouve la table de la Parole ; enfin, la dernière partie est la messe des fidèles, dans laquelle nous pouvons situer la table de l’Eucharistie. La prothèse est marquée par une longue cérémonie de préparation : « Le diacre demande la bénédiction du prêtre, et prie le Saint-Esprit, roi du ciel et Esprit de vérité, de venir le purifier »463. Cette préparation est faite par les prières adressées à Jésus et à Marie devant leurs icônes, le découpage du pain avec la lance en souvenir du Christ, de Marie, des archanges, des patriarches, des 461 Cf. I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1437. 462 Cf. F. Mercenier, La Prière des Églises I, 204. Pour approfondissement, nous vous recommandons cet ouvrage. 463 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1465.

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docteurs : Basile, Grégoire … Cette cérémonie démontre une fois de plus la dimension anamnesico-ecclésiologique de la célébration eucharistique de rite byzantin. Les icônes rendant présentes les réalités divines, deviennent des supports anamnesiques d’une grande importance dans la célébration eucharistique byzantine. Tout ce qui se passe pendant la préparation constitue « un petit drame réaliste qui reproduit celui de la croix, et un signe extérieur de la réalité du sacrifice qui va s’accomplir sur l’autel »464. Ce temps de préparation s’achève avec la bénédiction et la permission que le célébrant principal accorde à l’archidiacre afin de commencer la Sainte liturgie. La formule qui marque cette bénédiction et la suite de litanies portent une dimension anamnesico-ecclésiologique et cosmique465. Le rite byzantin, tout comme tous les autres rites orientaux, attache une grande importance à la table eucharistique. C’est dans la prothèse et la messe des fidèles que nous pouvons situer la table eucharistique. Bien que totalement célébrée dans la messe des fidèles, on amputerait la table eucharistique d’une de ses parties, si on excluait la prothèse qui est cette partie préparatoire des oblats. Après des prières demandant la purification et le pardon des péchés pour rendre les célébrants dignes d’offrir le sacrifice du Christ, la prothèse fait entrer dans les rites, à caractère purement anamnestique du sacrifice du Christ. « Le prêtre bénit le pain – il est fermenté et assez épais – et avec une lance, il en découpe la partie portant l’empreinte carrée et la détache à l’invitation du diacre ; il plante la lance dans le côté droit puis il fait une entaille en forme de croix sur le morceau détaché »466. Cette cérémonie se fait dans un dialogue entre le prêtre et le diacre qui actualise toute l’histoire du salut : •

464 465

Le prêtre : « En mémoire de Notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ. – Comme une brebis, il a été conduit à la boucherie … Qui racontera sa génération ? »

I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1466. Cf. Il est temps de sacrifier au Seigneur. Seigneur très-saint, bénissez. Sa Sainteté donne son consentement et bénit avec la formule : Béni soit notre Dieu en tout temps… L’Archidiacre : Seigneur très-saint, prie pour moi. Sa Sainteté, bénissant : Que le Seigneur dirige vos pas vers toute bonne œuvre. Et de nouveau le Diacre : Souvenez-vous de moi, Seigneur très-saint. Sa Sainteté répond : Que le Seigneur se souvienne de vous dans son royaume, en tout temps… dans scEo, La divine liturgie en rite byzantin, 13–15. 466 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1466.

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• • • • • •

Le diacre : « Enlevez, Seigneur. » Le prêtre : « Parce que sa vie est enlevée de la terre. » Le diacre : « Immolez, Seigneur. » Le prêtre (en faisant l’entaille) : « L’agneau de Dieu est immolé, celui qui enlève le péché du monde pour la vie et le salut du monde. » Le diacre : « Percez, Seigneur. » Le prêtre : « Un des soldats lui perça le côté de sa lance et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau, celui qui l’a vu en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai »467.

Le prêtre, en continuant la préparation, divise le pain en parcelles triangulaires et chaque parcelle de pain est destinée pour un souvenir particulier. Celle qui a l’empreinte carrée sera destinée à l’agneau. La parcelle ayant l’empreinte carrée… est en souvenir du Christ. Il en mettra maintenant à droite et à gauche et en-dessous, en souvenir de la Vierge, des archanges, des patriarches et prophètes, des apôtres, des docteurs : Basile, Grégoire le théologien, Chrysostome… de l’épiscopat orthodoxe et spécialement de l’évêque, des prêtres concélébrants, de tout le clergé, des frères vivants et décédés468.

Cette préparation des oblats pour le sacrifice dans sa continuation intercale des prières de demande de l’Esprit Saint et se termine avec cette belle prière qui englobe en son sein la gloire rendue à Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans la réalisation de l’histoire de notre rédemption : O Dieu, vous qui avez envoyé le pain céleste nourriture du monde entier, NotreSeigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, notre Rédempteur et bienfaiteur, qui nous bénit et sanctifie, bénissez vous-même cette prothèse et recevez-la à votre autel céleste. Souvenez-vous, dans votre bonté et votre amour pour les hommes, de ceux qui l’ont offerte et de ceux pour qui ils l’ont offerte et gardez-nous sans reproche dans l’accomplissement de vos divins mystères. Parce que a été sanctifié et glorifié votre nom très honorable et magnifique, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen ; ainsi soit-il469.

Il ne ressort pas seulement ici la dimension anamnesique de la prothèse mais aussi la dimension ecclésiologique de cette cérémonie de préparation 467 C. Charon, Les saintes et divines liturgies, 7 cité par I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1466. 468 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1466. 469 C. Charon, Les saintes et divines liturgies, 11–12, cité par I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1467.

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des oblats pour le sacrifice. Les oblats ont été offerts par les chrétiens, ils seront sanctifiés pour le bien de ceux qui les ont offerts et leurs intentions particulières. Ces intentions particulières ne seront pas seulement réduites à ceux qui sont là présents mais s’élargiront à toute l’Église, les pasteurs, les patriarches, les martyrs, les chrétiens qui sont vivants et décédés. Une ecclésiologie qui unit l’Église terrestre et céleste. Le Seigneur est invité à se souvenir de sa bonté et de son amour d’autrefois pour les actualiser encore dans le présent de son peuple afin de le rendre capable d’accomplir les divins mystères. L’anamnèse n’actualise pas seulement le mystère pascal du Christ mais toute l’histoire du salut, la bonté et l’amour de Dieu qui trouve leur plein accomplissement dans le sacrifice du Christ. Cette partie préparatoire dispose les célébrants et l’assemblée à continuer, après la messe des catéchumènes, la messe des fidèles où sera célébré avec tout son déploiement le mystère du Christ. Etant donné la priorité faite au Christ dans la célébration de la mémoire de sa mort et de sa résurrection, la continuation de la table eucharistique dans la messe des fidèles est marquée par la préséance faite au Christ dans la prière que le prêtre récite avant la grande entrée et l’offertoire : « Rendez-moi capable […] de consacrer votre corps saint et immaculé, et votre sang précieux… c’est vous qui offrez et qui êtes offert, qui recevez et qui êtes distribué, ô Christ notre Dieu, et c’est à vous que nous rendons gloire avec votre Père éternel »470. Le Christ est au centre de la célébration eucharistique, c’est lui l’offrant et l’offrande. Le prêtre qui est là représente le Christ, il agit en son nom, in persona Christi. La grande entrée et l’offertoire ouvrent la grande cérémonie de la commémoration de la mort et de la résurrection du Christ. Par une solennelle procession de la prothèse au maître-autel, on amène la patène et le calice ; le prêtre par une prière qui révèle le caractère salvifique du tombeau du Christ comme source de notre résurrection, encense les oblats. L’Eucharistie continue par une sorte de rupture avec l’assemblée par la fermeture de l’iconostase471. Une rupture qui, nous le pensons, montre le caractère divin du sacrifice même ; le Christ qui se dévoile en se voilant. C’est à ce moment que le diacre rejoint les fidèles et les invite à la prière pour se réconcilier avec Dieu et avec eux-mêmes. Ne voit-on pas là aussi la réalisation de la parole de Jésus : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu 470 C. Charon, Les saintes et divines liturgies, 39–40 cité par I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1470–1471. 471 Cf. I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1471.

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te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5, 23–24) ? Parce qu’après ce temps de prière avec l’assemblée, au moment où le prêtre fait l’offertoire, intervient le baiser de paix et le credo qui permet d’entrer dans l’anaphore. L’anaphore eucharistique est essentiellement la grande prière d’action de grâces et de supplication au cours de laquelle s’opère le mystère sacré. On y rattache aussi un certain nombre de textes qui la précèdent ou la suivent. Il y a deux formulaires anaphoriques : l’un est attribué à saint Jean Chrysostome, l’autre à saint Basile472.

C’est autour de ces deux anaphores que le rite byzantin articule sa liturgie eucharistique. Celle de S. Chrysostome qui est la plus utilisée, elle est attribuée à la liturgie ordinaire, quotidienne. Celle de saint Basile est la moins utilisée. On l’utilise pendant les vigiles de Noël et de l’Epiphanie, sauf si elles tombent le samedi ou le dimanche ; les fêtes de Noël et de l’Epiphanie si elles tombent le dimanche ou le lundi ; la fête de saint Basile (1er janvier) ; les dimanches du grand carême, sauf celui des Rameaux, le Jeudi Saint et le Samedi Saint473.

C’est dans ces anaphores que se célèbre la mémoire de l’œuvre rédemptrice du Christ telle que commencée par le Père dans la création, accomplie par la mort et la résurrection du Christ continuée par l’Esprit Saint. La structure générale de l’anamnèse dans le rite byzantin peut être présentée de la manière suivante : « Anamnesi-memoriale : post-Sanctus (transizione), Storia della salvezza (sintesi), Narrazione dell’Ultima Cena (istituzione dell’eucaristia), offerta del sacrificio »474. Les deux anaphores privilégiant l’un ou l’autre aspect de l’histoire du salut se complètent. On notera aussi la liturgie des présanctifiés qu’on attribue à saint Grégoire. On la célèbre le mercredi et le vendredi du grand carême et les jours de fête qui tombent pendant le carême475. La dimension anamnesique apparait dans ces anaphores, d’abord dans celle de saint Jean Chrysostome, où on fait la commémoration des attributs de Dieu (ineffable, inconcevable, invisible et incompréhensible) 472 F. Mercenier, La Prière des Églises de rite byzantin I, 201. Pour approfondissement, nous recommandons le livre de S. Rosso, La celebrazione della storia, 2010. 473 F. Mercenier, La Prière des Églises de rite byzantin I, 201. 474 S. Rosso, La celebrazione della storia.178. 475 Cf. F. Mercenier, La Prière des Églises de rite byzantin I, 202.

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en passant par ses bienfaits dans la création, l’économie du salut accomplie en Jésus Christ jusqu’à l’action transformante du Saint-Esprit. Le récit de l’institution et le memores offerimus (ce qu’on appellerait dans le rite romain : le canon romain) sont les deux grands moments de l’anamnèse dans l’anaphore de saint Jean Chrysostome476. Ensuite dans celle de Basile, où on commémore aussi les attributs du Père, du Fils et du Saint-Esprit, « Dio Padre è colto con un’aggettivazione apofatica ; il Verbo è proclamato sapienza, santificazione, potenza e luce ; lo spirito è il datore dei doni. Si tratta di un’economia trinitaria e storica »477. L’anaphore de Basile présentée sous deux forme : une plus courte, utilisée par la tradition alexandrine, une autre plus longue, celle utilisée par la tradition byzantine. Située dans le récit de l’institution et dans le memores offerimus, l’anaphore de saint Basile, chef d’œuvre des anaphores que nous pouvons imaginer, est parsemée des dimensions anamnestiques du début à la fin478. L’anamnèse chez saint Basile comporte un enseignement dogmatique d’une grande richesse : manifestant la cohérence, l’unité et l’harmonie du dessein de Dieu sur l’homme créé à son image, par l’anamnèse, l’opposition entre le premier homme Adam, désobéissant, porteur du péché dans le monde, et le nouvel homme, est vaincue par le Christ. Le fils de Dieu, prenant notre condition d’homme (Ph 2, 6 ss), rend à l’homme sa gloire première d’être créé à l’image de Dieu479. La dimension anamnesique sera plus encore mise en évidence dans les paroles de consécration chez saint Basile, qu’il écrira « alors qu’il était sur le point d’aller à sa volontaire, mémorable et vivifiante mort »480. Il y soulignera clairement la recommandation du Christ « faites ceci en mémoire de moi. Toutes les fois, en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez ma mort, vous confessez ma résurrection »481. Notons cette petite différence qui apparaît entre le texte de saint Paul (1 Co 11, 24) et celui de saint Basile : Paul emploie un style indirect et dans son texte il n’utilise pas le mot « résurrection », alors que saint Basile emploie un style direct et nous voyons surgir chez lui le mot « résurrection ». 476 Cf. V. Trapani, « Memoriale di salvezza », 151–156. On peut aussi lire S. Rosso, La celebrazione della storia, 202–203. 477 S. Rosso, La celebrazione della storia, 211. 478 Cf. S. Rosso, La celebrazione della storia, 209–212. 479 Cf. L. Ligier, « Célébration divine et anamnèse », 171ss. 480 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1472. 481 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1473.

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Nous pensons que saint Basile a voulu rendre plus directe la recommandation de Jésus aux chrétiens de faire mémoire de sa mort et de sa résurrection. Saint Paul, sans négliger ses aspects, le fera plutôt d’une manière indirecte peut-être pour ne pas trop heurter la sensibilité des Corinthiens. L’anamnèse telle que célébrée dans l’anaphore de saint Basile peut-être comprise comme mémoire que partant de l’ opera della creazione e attraverso le tappe delle antiche alleanze, si spinge alla manifestazione decisiva del mistero, mediante l’incarnazione di Cristo e la sua offerta sacrificale sulla croce…, primizia di quanto verrà definitivamente compiuto dalla comunità ecclesiale nel tempo dell’ultima venuta. Dopo la narrazione della Cena, l’anafora prosegue ricordando sinteticamente la morte in croce, la sepoltura, la risurrezione, l’ascesa nei cieli in attesa della seconda venuta del Cristo, i momenti quadro dell’azione salvifica. Nelle vastità di queste prospettive l’intero formulario delle anafore va considerato come una anamnesi del progetto salvifico di Dio, tale da caratterizzare l’intera composizione482.

L’anaphore des présanctifiés soulignera l’un ou l’autre des aspects des deux premières anaphores. Quant à la dimension ecclésiologique, elle apparaîtra d’abord par l’avertissement fait aux fidèles par le diacre de bien se tenir, d’être attentifs et par l’ouverture de l’iconostase. La participation des fidèles est aussi perceptible après chaque formule de consécration, ils répondent par un « Amen » qui marque leur foi. Tous ces appels à une participation consciente et cette réponse responsable après les formules de consécration unissent les fidèles au corps du Christ pour former l’Église et tous se sentent liés autour d’une foi unique qui les a sauvé : la foi en la mort et la résurrection du Christ. C’est autour de lui qu’ils retrouvent leur identité et qu’ils se structurent. La dimension ecclésiologique est encore plus marquée par la partie de dittici qui est une commémoraison-intercession pour la communion avec la hiérarchie de l’Église (évêques…), l’Église du ciel, les défunts et tous les vivants483. Bien que cela se justifie par le fait que nous commémorons un mystère qui nous échappe toujours, la dimension ecclésiologique est un peu souvent atténuée par les fermetures de l’iconostase qui brisent cet élan de communion au moment de la célébration.

482 S. Rosso, La celebrazione della storia, 212. On peut aussi lire m. arranz, « L’économie du salut », 46–75. 483 Cf. S. Rosso, La celebrazione della storia, 207.

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2.2  Le rite alexandrin Le rite copte d’Alexandrie fait partie des rites issus de la grande famille liturgique d’Alexandrie. Entièrement indépendant de la liturgie d’Antioche-Jérusalem, le rite copte d’Alexandrie subira certaines influences du rite byzantin. Quant à l’origine chrétienne de l’Église d’Alexandrie, les sources historiques restent obscures et confuses : une tradition à partir du IVème s. donne comme fondateur de cette chrétienté d’Alexandrie, l’évangéliste Marc, qui est en même temps considéré comme le premier évêque de cette Église484. Le rite eucharistique copte d’Alexandrie, comme tous les autres rites orientaux, est marqué avant tout par une longue préparation au cours de laquelle le célébrant principal et les clergcs concélébrants préparent le pain et le vin qui seront offerts comme sacrifice du Christ. Ce rite suit à peu près les memes étapes que le rite byzantin tel que nous l’avons décrit plus haut. La table eucharistique se situe dans la messe des fidèles. Cette messe revêt déjà dans sa structuration un caractère anamnesico-ecclésiologique d’une grande valeur. La prière des fidèles qui exceptionnellement se situe dans cette partie porte dans ses intentions non seulement les fidèles présents à la messe, mais aussi les catéchumènes congédiés. Cette prière des fidèles est suivie du credo et du baiser de paix qui est un signe d’unité du corps mystique du Christ. C’est après ce baiser de paix que va se déployer l’anaphore. Initialement on reconnaîtra au rite alexandrin une seule anaphore, celle de saint Marc ; suite à son contact avec d’autres rites, spécialement le rite jacobite, il arrivera à avoir deux anaphores : celle de saint Basile et celle de saint Grégoire485. Il faut que nous notifiions toute de suite que l’anaphore de saint Marc sera retouchée par saint Cyrille, et elle sera appelée par certains « anaphore de saint Cyrille ». Pendant la prière de l’anaphore, les chrétiens sont invités par le diacre, à s’approcher, à bien se tenir et à regarder vers l’orient. Remarquons que la position de l’autel est toujours tournée vers l’orient, la direction vers laquelle s’élève le soleil. Cette invitation du diacre et ces positionnements des chrétiens et de l’autel sont déjà un symbolisme anamnesique d’une grande importance. En rappelant dans l’anaphore les grandes œuvres de Dieu réalisée dans l’histoire, on se tourne vers le côté 484 Cf. G. Bardy, « Alexandrie », 310. Pour ce qui concerne l’histoire de l’Église d’Alexandrie, on peut lire l’article de l’auteur précité. 485 Cf. I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1480.

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où s’élève le soleil qui rappelle aux chrétiens le vrai soleil qui est le Christ, accomplissement de l’œuvre de Dieu, qui va encore une fois sur l’autel actualiser son œuvre de salut. Un symbolisme synergique qui relie le passé au présent et actualise ce passé pour l’avenir. L’anaphore qui englobe toutes les prières eucharistiques, est marquée par le memento des patriarches et des évêques qui est suivi par une litanie, manière de rappeler à Dieu, qui a accompli des hauts faits dans le passé, de continuer à les accomplir dans le présent de son Église. Les paroles de consécration de toutes les anaphores portent en elles une forte dimension anamnesico-pneumatico-ecclésiologique. A commencer par le Vere Sanctus, qui, en reprenant le thème du Sanctus, amène une prière qui a une très forte ressemblance avec l’épiclèse : Imple hoc sacrificium tuum Domine, benedictione quae a te est per illapsum super illam Spiritus tui sancti + : (le peuple) Amen : et benedictione benedic + (le peuple) : Amen : et purificatione purifica + (le peuple) : Amen. Haec dona tua veneranda proposita coram te, hunc panem et hunc calicem486.

Il existe une harmonie symphonique entre l’anamnèse, l’épiclèse et l’ecclésiologie à tel point que les séparer devient une entreprise difficile. La consécration du pain et du calice qui contient le vin en corps et sang du Christ est accomplie par la force du Saint-Esprit, et les fidèles face à ce mystère marquent leur adhésion individuelle et ecclésiale après chaque partie par le « Amen ». Il suffit encore, pour mieux se rendre compte de cet aspect ecclésiologique, de prendre l’anaphore de saint Grégoire. Les chrétiens, après chaque parole importante répondent par : « credimus » ou « Amen ». Le « hoc facite in meam commemorationem » se retrouve dans toutes les anaphores de rite alexandrin. Et à cette recommandation du Seigneur, les chrétiens marquent leur adhésion en forme de foi en ce qui est en train de se faire et en forme d’obéissance dans la continuation, dans le respect de cette recommandation pour l’avenir. La dimension anamnesico-ecclésiologique apparaît encore plus clairement dans le rite alexandrin quand après la parole de consécration « le célébrant commence par donner l’ordre du Christ dans le style direct ; ensuite le prêtre et le peuple font chacun l’anamnèse »487. L’ordre donné autrefois par le Christ à ses apôtres est encore actualisé par le prêtre qui représente le Christ, et le peuple ainsi 486 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1481. 487 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1482.

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que le prêtre personnalisent cette anamnèse du Christ en s’engageant euxmêmes dans l’anamnèse. Loin d’être seulement un fait qu’on accueille de l’extérieur, l’anamnèse devient un fait intrinsèque que chaque chrétien intériorise. Cet accueil lie l’individu au Christ, à la communauté de jadis qui avait accueilli le même ordre du Christ, à sa communauté présente et à la commnauté future qui accueillera le même commandement. La confession de foi, par le « Credimus » ou « Amen » de l’assemblée pendant la consécration et celle du prêtre encore avant la communion, sont des actes de foi en la présence réelle du Christ. L’anamnèse eucharistique dans les rites orientaux en général, et en particulier dans le rite alexandrin, est une actualisation de la présence réelle du Christ, non un rappel dans l’esprit de l’œuvre du salut. La table eucharistique telle que célébrée dans le rite alexandrin porte en elle non pas seulement une dimension anamnesico-ecclésiologique mais aussi une dimension pneumatologique, dont on parlera dans le point concernant la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. 2.3  Le rite éthiopien ou abyssin Le rite orthodoxe éthiopien appartient à la famille des rites orthodoxes de la liturgie d’Alexandrie488. La structuration de l’Eucharistie dans le rite éthiopien est un peu spéciale par rapport aux autres rites que nous avons jusque là étudiés. Dans les missels récents de rite éthiopien, il y a : l’avant-préparation, qui contient une série des prières déprécatoires, la préparation des vases sacrés pour la messe, et la préparation à la messe. Il s’en suit alors la pré-anaphore qui englobe en son sein tout ce qui se récite pendant la préparation. On y trouve

488 Cf. Il faisait partie de patriarcat d’Alexandrie qui comprenait en soi 14 diocèses dont 5 sont en Egypte et 9 dans d’autres parties de l’Afrique. Parmi ces 9 diocèses, 6 étaient à l’intention des grecs dont celui de l’Éthiopie. On peut lire à ce propos G. Zananiri, « Orthodoxes », 284. Il faut notifier tout de suite que ce lien de dépendance entre l’Église orthodoxe éthiopienne et le patriarcat d’Alexandrie cessera en Janvier 1953 ; Abouna Basilios chef de l’Église éthiopienne qui résidait à Addis-Abéba, sera le premier à jouir d’une autonomie totale à l’égard du patriarche copte d’Alexandrie. Il sacrera lui-même ses premiers 9 évêques pour les différents diocèses de son pays. Nous vous recommandons l’article de B. Velat, « Éthiopienne (Église) », 566–567.

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tout ce qui se récite depuis la préparation jusqu’au Credo, elle se divise en prière d’action de grâces, prières de l’offertoire, absolution, diverses supplications, encensements ; de plus, la pré-anaphore, comporte la lecture d’un passage de l’Écriture Sainte : de S. Paul, des Apôtres, des Actes, le trisagion, l’Évangile, de nouveau les supplications, puis le Credo489.

Cette première partie n’est pas seulement usuelle pendant la messe, mais aussi pendant d’autres offices. C’est dans cette deuxième partie que nous pouvons situer la table de la Parole que nous étudierons dans le chapitre suivant. Il y a une partie transitoire d’avant anaphore, faite de l’ablution des mains et de l’échange de paix. Après cette partie intervient alors la partie des anaphores, dans laquelle nous trouvons « l’action de grâces, la fraction, le Pater noster, l’élévation, la communion, l’action de grâces finale »490. C’est dans cette dernière partie que nous situerons la table eucharistique de rite romain. Récapitulant toutes ces différentes parties de la messe de rite éthiopien, M. Chaîne la subdivise en huit parties :  « l’offertoire, la lecture des épîtres, l’évangile, les grandes oraisons, l’action ou consécration suivie de l’épiclèse, la prière de la fraction, la communion et l’action de grâce »491. Pour cette partie de notre travail, nous étudierons la dimension anamnesico-ecclésiologique dans la troisième partie de la messe éthiopienne. Ayant connu un certain nombre d’additions dans leur évolution, les missels de rite éthiopien peuvent être placés en trois séries différentes : missels anciens ou missels premiers, missels intermédiaires et missels récents492. Pour ce qui nous concerne, nous utiliserons pour notre étude les missels récents. Soulignant plus l’aspect trinitaire et christologique, la théologie et la liturgie orientale seront déterminées par cette idée de base. C’est ce qui fera que la célébration eucharistique orientale en général, et éthiopienne en particulier, sera marquée par un caractère très solennel. Elle est vraiment un culte divin au sens premier du mot. Le décret conciliaire UR 15 reconnaîtra ce grand amour et cette grande solennité avec lesquels les Églises d’Orient célèbrent l’Eucharistie. Ayant son office des heures propre de composition originale, la liturgie eucharistique éthiopienne aura une quinzaine d’anaphores dont plusieurs 489 Tekle-Mariam Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 39. 490 Tekle-Mariam Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 60. 491 M. Chaine, « La consécration et l’Épiclèse dans le rite Éthiopien », 181. 492 Cf. Tekle-Mariam Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 12.

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seront des compositions originalement éthiopiennes. Partant du point de vue théologique de départ, qui souligne l’aspect trinitaire et christologique, la liturgie éthiopienne dans sa structure eucharistique est la célébration du sacrifice du Christ. La dimension sacrificielle constitue le pivot de cette célébration. Etant le sacrifice du Christ même, le rite éthiopien, comme tant d’autres rites non romains, met dans son début un accent particulier sur la préparation au service divin493. Cela se lit à travers une série d’invitations fortes adressées au peuple par le diacre de se souvenir de ses péchés et de se disposer au pardon du Seigneur : « O my brother, think of thy sins and ask forgiveness so that thou mayest obtain mercy before going out of the church where the pure sacrifice is offered on their own be half and thine »494. Ces invitations sont suivies par une série des prière de sanctification des offrandes, des objets liturgiques, de demande de pardon, de purifications du peuple faites par le prêtre pour que toute la communauté se rende pure en vue de la célébration du sacrifice parfait du Seigneur495. Le sacrifice du Christ est mis au centre de la célébration, la première partie de la prière est adressée à Dieu, l’unique Saint, capable d’envoyer l’Esprit Saint pour la sanctification des offrandes et la purification du peuple. La deuxième partie de la prière est adressée au Fils et au Saint-Esprit pour la bénédiction et la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ. Cette montée graduelle de la prière, devient en fait une prière adressé à la Sainte Trinité : « O God the Father, God the Son, God the Holy Spirit accept this pure incense, this light, this sacrifice and this prayer »496. Notons en passant que dans l’absolution donnée au peuple, le prêtre, comme chrétien, bien qu’agissant in persona Christi et ecclesiae, se donne aussi lui-même l’absolution497 comme dans le rite copte d’Alexandrie. Dans cette seconde partie de la messe que l’Eucharistie de rite romain qualifie de table de l’Eucharistie, le rite éthiopien la place en troisième place, dans la partie traitant des anaphores tel que nous avons dit plus haut. 493 Cf. M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 5–68. On peut aussi lire J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia, III, 218–228. 494 M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 7. 495 Cf. M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 9. 496 M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 37. 497 Cf. I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. On peut aussi lire cette série de prières faites par le prêtre pour demander le pardon de ses péchés dans M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 10.

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La dimension anamnesico-ecclésiologique dans le rite éthiopien pour cette partie est si forte que déjà dans la partie pré-anaphore, nous pouvons déjà lire comment la mémoire du Christ célébrée pendant la messe, ne se limite pas seulement à l’événement pascal mais commence par la mémoire de son incarnation par la prière du linceul : Now also, our God, lover of man, send down thine hand and the power of thy divinity upon these cloths which will cover thy holy body, thou who didst send power on the cloths which were wrapped around thy holy body in the sepulchre. Let these also be made in the likeness of those that are in heaven498,

le célébrant couvre chacune des offrandes, le pain et le vin de voile, non en mémoire de l’ensevelissement mais en mémoire de l’emmaillotage de notre Seigneur Jésus-Christ à Bethléem quand sa mère l’entourait des langes lors de sa naissance. Alors que « la mise au tombeau par Joseph d’Arimathie et Nicodème serait figurée […] par le rite dans lequel le célébrant, avant la consécration enlève le pain sur la patène »499. Au-delà de la mémoire de la mort, de la résurrection et du retour du Christ, le rite éthiopien, par un symbolisme plein de sens, fait aussi mémoire de l’incarnation du Christ. A ce symbolisme anamnesique préparatoire à l’entrée du grand mystère du Christ, s’ajoute un autre symbolisme ecclésiologique qui prépare aussi les chrétiens à mieux célébrer la mémoire du Christ, à savoir : l’échange du signe de paix. Les chrétiens se donnent le signe de paix pour marquer l’harmonie, la communion ecclésiale, et rendre ainsi acceptable leurs offrandes en vue de la communion divine. Riche d’une quinzaine d’anaphores, le rite éthiopien dans toutes ses anaphores, celles issues de la liturgie de S. Marc, de S. Cyrille, S. Basile… toutes font une mention spéciale de mémoire des saints, des vivants, des morts, de l’Assemblée, de la paix… Toutes les anaphores de rite éthiopien portent une dimension anamnesique indéniable qui, en rappelant à Dieu divers domaines de la vie, lui demande sa bénédiction et sa protection. Cette série des commémoraisons est toujours faite dans une perspective ecclésiologique et de communion qui unit les patriarches, les clercs, les chrétiens, et qui ouvre l’Église à la communion universelle. Nous arrêtant seulement sur l’anaphore des Apôtres, celle qui est la plus utilisée dans le rite éthiopien, le moment de la consécration est un 498 M. Daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 13–14. 499 Tekle-Mariam Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 42.

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des moments les plus forts où la dimension anamnesico-ecclésiologique est le plus vécu. Ce moment marqué par une foi forte de la présence réelle du Christ, écarte tout malentendu, selon lequel nos frères de rite éthiopien ne croieraient pas à la doctrine de la transsubstantiation ; il suffit pour s’en convaincre de lire les différentes anaphores qui portent chacune une consécration particulière500. Nous pouvons tout de suite notifier que dans ces différentes formules de consécration, on trouve la mention « Faites ceci en mémoire de moi » sous diverses formes que ce soit pour le pain soit pour le vin. S’appuyant peut-être plus sur le fond que sur la forme, nous trouvons très riches ces diverses formes qui, déterminant les mystères de toute la vie du Christ que nous devons commémorer, mettent l’accent sur la mort, la résurrection et l’ascension du Seigneur. Les paroles du prêtre sur le pain et sur le vin sont toujours marquées par une réponse du peuple en forme d’expression de foi au mystère qui se célèbre501. Sans négliger ou tenir à l’arrière-plan le rôle du prêtre, l’anamnèse du Christ devient un fait qui engage toute la communauté chrétienne. A l’anamnèse qui suit la consécration succéderont toutes les autres anamnèses des vivants et des morts, de l’assemblée… comme que nous l’avons notifié plus haut. Toutes les autres anaphores suivront presque le même schéma et marqueront le rite éthiopien d’une grande dimension anamnesico-ecclésiologique qui nous laisse dans l’admiration. Suite à de grandes affinités qui existent entre les rites orthodoxes, nous étudierons en un seul point la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse qui existe dans les rites que nous avons parcouru dans le point 4. 500 Cf. M. Chaine, « La consécration et l’épiclèse », 182–186. 501 Cf. Priest : In the same nigth in which they betrayed him he took bread in his holy, blessed and spotless hand. People : We believe that this is he, truly we belive. Priest : He looked up to heaven toward thee, his Father gave thanks, blessed and broke… People : Amen amen amen : we believe and confess, we glorify thee, O our Lord and our God ; that this is he truly believe. Priest : And likewise also the cup… People : Amen amen amen : We believe and confess… Priest : And as often as ye do this do it in remembrance of me. People : We proclaim thy death, Lord, and thy holy resurrection ; we believe in thy ascension and thy second advent : m. daoud, The liturgy of the ethiopian Church, 74–75.

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3. La table eucharistique comme anamnèse de Dieu dans les rites protestants Nous parlerons plus exactement des rites des communautés réformées, c’est la terminologie qu’on pourra utiliser pour parler du protestantisme. Sous le terme « Réforme », nous attendons le grand bouleversement qui ébranla la chrétienté catholique occidentale au début du XVIème s. Mais leur origine est cultuelle et plus spécifiquement religieuse. Une nouvelle manière s’impose progressivement, mais rapidement, d’envisager les modalités du salut du chrétien d’une manière différente de celle à laquelle s’était attachée jusqu’alors la Tradition Catholique. D’où l’éclosion et la distanciation d’Églises, de confessions ou dénomination « réformées » qui perdurent jusqu’à nos jours502.

La Réforme visera une nouvelle manière de vivre la foi du point de vue doctrinale, liturgique et ecclésiologique… Pour cette partie de notre étude, sans chercher à étaler ici les causes, l’historique de la Réforme503, nous nous limitons à l’aspect liturgique pour y déceler la dimension anamnestico-ecclésiologique de deux rites des Églises réformées. Pour ce faire, nous étudierons le rite luthérien et le ritecalviniste. Les deux rites sont différents sur certains points, mais sont tous issus de la grande Réforme initiée par Luther. Calvin, comme fondateur du calvinisme, « dépassa Luther par sa clarté d’esprit et son charisme d’organisation. Mais il en dépendit très nettement sur le plan de la pensée théologique »504. En étudiant séparément ces deux rites, nous chercherons à déceler l’idée fondamentale de la dimension anamnesico-ecclésiologique des rites des Églises de la Réforme qui, en réalité, ont toutes comme père Luther. 3.1  Le rite luthérien Le rite luthérien reconnaît l’importance et la valeur de la sainte messe dans le vécu de la foi chrétienne. Dans le livre de Concorde de la confession d’Augsbourg dans son article XXIV, il est stipulé : 502 F. Frost, « Réforme », 591. 503 Cf. F. Frost, « Réforme », 591–641. 504 F. Frost, « Réforme », 598.

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C’est à tort qu’on accuse nos Églises d’abolir la messe. En effet, la messe chez nous, est maintenue et célébrée avec le plus grand respect. Et on observe presque toutes les cérémonies en usage, hormis qu’aux chants en latin on a mêlé, en quelques endroits, des cantiques en allemand qui ont été ajoutés pour instruire le peuple505.

Rejetant pourtant certaines parties de la messe de rite romain, spécialement le canon de la messe, il leur substitue un rite révisé qu’on trouve dans la Formula missae qui était avant en latin mais qui sera après traduite en allemand. Elle suivra l’agencement suivant : un confiteor public qui est suivi par une absolution du célébrant. S’en suivent un hymne d’entrée, le kyrie, le gloria, la collecte, les lectures, la prédication, la profession de foi (symbole de Nicée). C’est ce qui constitue la liturgie de la Parole. Quant à la liturgie de l’Eucharistie ou ce que nous appelons table de l’Eucharistie, elle se compose de : la prière de l’Église, la préface, le sanctus et la prière eucharistique, l’élévation de l’hostie et du calice et l’invitation à l’Eucharistie. L’Agneau de Dieu, qui est chanté par le clergé, communion pour ceux qui se sentent dignes, prière après la communion, bénédiction finale et fin de la célébration. Luther soulignera dans la confession d’Augsbourg que « d’ailleurs, aux cérémonies publiques de la messe, aucune modification sensible n’a été apportée, sauf qu’en quelques endroits »506. Un chrétien catholique de rite catholique romain ne serait pas tellement dépaysé en assistant à la célébration de la Sainte Cène dans les rites des Églises de la Réforme parce que beaucoup de choses se retrouvent dans l’agencement des deux rites. Notons que cet agencement sera suivi, peut-être avec de petits changements, par une grande partie des Églises de la Réforme. L’Eucharistie étant l’un des deux sacrements retenu par nos frères de la Réforme, ils la fondent sur le rite pascal juif. Pour faire comprendre à ses disciples ce qu’il allait bientôt vivre, sa mort en vue de notre rachat, ces vérités pouvaient être un motif de scandale pour eux, Jésus a voulu, à partir de l’ancien rite pascal juif, expliquer le nouveau. Il voulut fixer la vérité encore incomprise dans un cadre ferme, qui la préservât et la rappelât, alors que les disciples, dans leur désarroi, ne seraient que trop enclins à la déformer ou à l’oublier. La mémoire des paroles appuyant la mémoire des gestes, et inversement aussi, l’ensemble rappelant le rite séculier de la rédemption, Jésus

505 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 64. 506 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 67.

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pouvait s’assurer que cet enseignement résisterait mieux aux circonstances qui les menaçaient507.

L’Eucharistie étant instituée par le Christ, vérité reconnue par nos frères de la Réforme, devient ainsi un héritage pour les disciples du Christ et un rite à commémorer pour revivre leur rédemption, chanter à Dieu leur reconnaissance, renouveler leur vocation et leur espérance. La raison intrinsèque de la mort de Jésus, le rachat de chaque homme, réclame par elle-même d’être commémorée. En recourant au rite pascal, Jésus « n’y recourt pas seulement pour donner un enseignement suprême sous une forme durable. Il a par-dessus tout l’intention d’instituer un rite : les gestes qu’il accomplit, les parole qu’il prononce devront être répétés »508. C’est ici que commence la divergence dans la compréhension de fond de l’Eucharistie, et spécialement de la table eucharistique, entre catholiques et les protestants. Considérant le caractère souverain et suffisant de la Parole de Dieu, qui doit être commémorée pour toujours régir notre vie et nous mettre en contact avec Dieu et nous procurer les biens éternels, louant Dieu pour son œuvre de salut dans les préfaces… nous voyons cette même Parole de Dieu être vidée de son caractère performant dans la table de l’Eucharistie. Pour nos frères de la Réforme, faire mémoire de Jésus dans l’Eucharistie c’est répéter ses paroles et ses gestes. Il ne s’agit pas ici d’une actualisation dans notre présent de ce fait objectif et historique de notre rédemption, mais une remise en mémoire par une répétition de l’intention de Dieu réalisée en Jésus. Et puisque l’intention de Dieu est toujours véridique, cette remise en mémoire de l’intention de Dieu devient réelle. La confession d’Augsbourg le dira : le Christ, au contraire, ordonne de faire ceci en mémoire de lui. C’est pourquoi la messe a été fondée afin que soit rappelée en ceux qui usent du sacrement la foi qui reçoit ses bienfaits grâce au Christ […] En effet, garder mémoire du Christ, c’est garder mémoire de ses bienfaits et penser qu’ils nous sont réellement présentés509.

C’est ce qui conduira toute la théologie et la compréhension de la célébration de la mémoire du Christ dans la table de l’Eucharistie dans le rite 507 J. Franz – Leenhardt, Le sacrement de la Sainte Cène, 106. 508 J. Franz – Leenhardt, Le sacrement de la Sainte Cène, 107. 509 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 66. Pour approfondissement, nous recommandons de lire la Confession d’Augsbourg, Art. XXIV.

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luthérien. Si beaucoup de Réformateurs étaient d’accord, en général, avec Luther sur ses principes : Sola fide, Sola gratia, Sola Scriptura, il n’en sera pas de meme sur la doctrine de l’Eucharistie dont, en commençant par Zwingli, en passant par Oecolampade et Calvin, chacun aura sa conception510. La célébration eucharistique, loin d’être un sacrifice expiatoire, nous aide à avoir la foi qui nous fera obtenir la rémission des péchés, la grâce, la consolation, l’union… qui sont le but de la Sainte Cène. On rejoint ici un des trois principes moteurs de la Réforme : Sola fide. Pour Luther et les siens, quand le Christ a ordonné « faites ceci en mémoire de moi », cela ne veut pas dire seulement « Célébrer paisiblement un spectacle ou procéder à une célébration instituée pour servir d’exemple […] au contraire, c’est garder mémoire des bienfaits du Christ et les recevoir par la foi, afin d’être vivifié grâce à eux »511. Cette dimension anamnesique intentionnelle qui conduit à une actualisation de l’intention de Dieu réalisée en Jésus, déterminera aussi la conception théologique de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Sans vouloir ici reprendre ce que l’Église catholique romaine a merveilleusement répondu sur le plan théologique pendant le Concile de Trente, nous voulons seulement faire remarquer que : Luther, tout en croyant à la présence véritable et substantielle du Christ dans la Sainte Cène512, rejettera la théorie de la transsubstantiation513 à laquelle il opposera celle de la consubstantiation514. Ici, dans la consécration, la mémoire du Christ franchit un pas décisif pour atteindre une actualisation non seulement de l’intention de Dieu qui devient réalité puisqu’accomplie par Jésus Christ, mais le Christ lui-même par cette mémoire se rend présent comme accomplissement de toute l’œuvre du salut. Cette présence du Christ, bien qu’étant réelle, à cause de l’ubiquité qui appartient au Verbe de Dieu, est simultanée dans le pain et le vin de l’Eucharistie (consubstantiation). Ici le faire mémoire, dans les paroles et les gestes divins de Jésus, se coupe de son caractère performatif. 510 Cf. C. Boyer, Calvin et Luther, 184–196. 511 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 230. On peut aussi lire pour une plus large information la Formule de concorde de 1577, Art. 7, surtout 1054 dans le même livre précité. 512 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 163. Pour beaucoup d’autres détails sur la présence réelle du Christ dans la Sainte Cène, sur la nature, le but et la réception de la Cène, nous recommandons la lecture de l’art. 6 de Smalkalde et de l’art. 10 de la Confession d’Augsbourg, tous contenus dans livre précité. 513 Cf. D, 1652. On peut aussi lire 1651–1655. 514 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 271.

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Luther, en affirmant cette thèse de la consubstantiation, nie la puissance performative de la Parole de Dieu et ainsi entre en contradiction avec lui-même dans sa thèse sur la souveraineté et la suffisance de la Parole de Dieu. Puisque la Parole de Dieu est souveraine et suffisante, elle opère ce qu’elle dit. Jésus le soir du Jeudi Saint, en disant que le pain et le vin qu’il avait en main étaient son corps et son sang, cela était réellement et substantiellement transformé. Nous aussi aujourd’hui, en faisant mémoire de ce que Jésus a fait, puisqu’il nous l’a commandé, avec ses Paroles et ses gestes divins, et en agissant in persona Christi, principe que Luther accepte515, le pain et le vin que nous avons sur l’altare changent et restent le corps et le sang du Christ, dignes de vénération et d’adoration. Nos frères de la Réforme devrait être conséquents jusqu’à la fin avec la grande thèse de la souveraineté et de la suffisance de la Parole de Dieu dans l’anamnèse avec cette Parole comme commandement reçu du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Co 11, 24 ; Lc 22, 19). La dimension ecclésiologique est mise en exergue par la recommandation que Luther fait de célébrer une seule messe commune à tous. Bien qu’il voulût plus par là éviter la simonie (le fait de faire de la messe un objet de commerce), nous pouvons aussi y lire une dynamique ecclésiologique d’une grande importance. S’appuyant sur les pères de l’Église, qui parlent souvent d’une messe commune, Luther stipule dans l’art. 24, 45, l’exigence d’« une seule messe commune à tous, où le sacrement est offert à ceux qui le demandent »516. La Sainte Cène est l’espace où on prie et où on partage le repas de la communion. Dans cette dynamique ecclésiologique, les chrétiens sont unis au Christ, mais seulement spirituellement, pas avec la chair en tenant compte de la théorie de la consubstantialité. Luther accepte la présence réelle du Christ à l’Eucharistie, une présence simultanée dans le pain et le vin, sans que le pain et le vin soient transformés en corps et sang du Christ. La communion au pain et au vin, qui selon lui ne sont pas le corps et le sang du Christ, nous unit au Christ uniquement d’une manière simultanée et spirituelle, seulement pour un instant. On parlerait d’une ecclésiologie à risque d’éclatement après la messe. Comment soutiendrons-nous la théologie de 1 Co 12, 27ss, si on n’est membre que spirituellement et temporairement ? Comment la communion entre nous peut-elle être durable si le Christ ne demeure pas en nous ? La théorie de la consubstantialité a des effets néfastes sur l’ecclésiologie à tel 515 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 159. 516 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 68.

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point que nos prières pendant la célébration de la Sainte Cène risqueraient de perdre leur efficacité si nous n’arrivions pas à réaliser une vraie communion durable, physique et spirituelle, avec le Christ et entre nous. Toute la célébration de la Sainte Cène et spécialement de la table eucharistique sera guidée par ces grandes lignes de la théologie de la Réforme, et c’est autour de ces idées que toutes les autres branches de la Réforme se structureront. 3.2  Le rite calviniste Plus jeune que Luther de 25 ans, Calvin marquera son empreinte dans le mouvement de la Réforme par son charisme au niveau théologique, organisationnel, dialectique et systématique. A la différence de Luther, sa conversion, comme nous le notifie Y. Congar, « ne porta pas tant sur le contenu de ses idées, comme cela avait été le cas de Luther, que sur une consécration résolue de son intelligence et de ses forces au service de Dieu et à l’étude des choses religieuses, bref, au service de Dieu par le labeur théologique »517. Sans se réclamer de Luther, qu’il ne rencontrera jamais, Calvin aura une grande admiration par le mouvement mené par Luther. Il épousera certaines de ses idées, surtout celles de la liberté du chrétien et de la souveraineté de l’Écriture Sainte à partir de laquelle il tire sa grande doctrine « Soli Deo gloria ». Et il ira au-delà de la pensée de Luther. Pour ce qui concerne l’Eucharistie en général, Calvin, en entrant dans la Réforme, sera mise en face de cette division très forte qui existait entre Luther, Zwingli et Oecolampade. Ces deux derniers s’opposaient farouchement à la doctrine de Luther sur la présence consubstantielle du Christ dans le pain et le vin pendant l’Eucharistie. Pour eux, le pain et le vin dans l’Eucharistie sont seulement des simples signes ou symboles du corps livré et du sang versé du Christ, le Christ n’est vraiment qu’au ciel518. Calvin prendra distance de ces deux derniers, même pour ce qui concerne la lecture de leurs écrits ; il reprendra la lecture des écrits de Zwingli après la réunion de Marbourg. « Il en vint ainsi à se rapprocher de Zwingli pour refuser la présence corporelle et en proposa un autre »519. A la question de 517 Y. Congar, « Calvin », 407. 518 Cf. C. Boyer, Calvin et Luther, 186. 519 C. Boyer, Calvin et Luther, 187.

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savoir si dans la Cène nous avons seulement des simples représentations des choses, Calvin répond clairement que : Jésus étant la vérité même, il ne faut pas douter que les promesses qu’il fait dans la Cène, n’y soient accomplies, et que ce qu’il y figure, ne s’y effectue véritablement. Ainsi, suivant qu’il nous le promet et nous le représente, je ne doute pas qu’il ne nous rende participants de sa propre substance pour nous unir à lui dans une même vie520.

Enseignement qui rend ambigü la position de Calvin sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Refusant la présence corporelle du Christ à l’Eucharistie, il accepte pourtant notre participation à la substance propre du Christ. Sa position sera définie quand il précisera que le Christ nous fait participer à sa substance en vertu incompréhensible de son Esprit qui lui donne la capacité de joindre les choses séparées à distance. Et là Calvin affirme que le pain et le vin sont seulement des représentations des vérités divines, qu’il faut élever nos cœurs en haut au ciel, où est Jésus521. Cette prise de position nous permet de déceler le caractère anamnesique du rite calviniste. Si le pain et le vin ne peuvent pas devenir le corps et le sang du Christ, la célébration de la Sainte Cène dans le rite calviniste loin d’être une actualisation, autant substantielle que spirituelle, dans notre aujourd’hui de l’événement pascal du Christ, est réduite à un souvenir spirituel de l’œuvre salvifique de Dieu accomplie en Jésus dans le passé. C’est ainsi qu’en affirmant que le Christ nous a commandé de célébrer la Sainte Cène à son exemple522, Calvin recommande aux chrétiens d’y participer fréquemment pour se maintenir chrétien et pour ne pas désavouer le Christ523. La mémoire de la mort du Christ, célébrée à travers le pain et le vin, donne aux chrétiens une participation spirituelle aux réalités signifiées par ces deux signes. Grâce à l’Esprit Saint qui réduit la distance entre les signifiants et le signifié, entre le matériel et le spirituel, les chrétiens peuvent alors pendant la Sainte Cène avoir accès au Christ. Suivant une dialectique qui ne le rapproche pas de la doctrine catholique, ni de celle de Zwingli et Oecolampade, ni de celle de Luther, Calvin agence sa conception de la mémoire eucharistique comme une actualisation spirituelle, à travers les signes du pain et du vin, du corps et du sang de Jésus, auxquels les chrétiens ne peuvent avoir accès que grâce à l’Esprit Saint. 520 CG, 123. 521 Cf. CG, 123–124. 522 Cf. CG, 127. 523 Cf. CG, 126.

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Partons de la thèse de la mémoire comme actualisation spirituelle du Christ parmi les fidèles, telle que la souligne assez fortement Calvin. Notons pour rendre encore plus claire la position de nos frères de la Réforme systématisée par Calvin : On dit souvent, parmi les catholiques, que, pour les protestants – on entend : les calvinistes – le Christ n’est pas réellement présent dans l’Eucharistie. Ce n’est pas parfaitement exact et les protestants récusent le reproche […] plus injustement encore, de « présence matérielle » la présence réelle des catholiques […] Il y a pour eux, vraiment une présence substantielle du Christ, qui se donne en nourriture au fidèle. Mais pour nous et pour la tradition unanime de l’Église, tant d’Orient que d’Occident, le miracle et donc la présence, sont localisés par les espèces eucharistiques, puis, par elles, dans le fidèle. Pour les calvinistes, ils sont seulement dans l’âme du fidèle, plutôt à l’occasion ou en accompagnement de la célébration extérieure du sacrement que par celle-ci : présence purement spirituelle et pour la foi. On pourrait dire que, selon eux, il n’y a pas de présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, mais qu’il y en a une dans le communiant524.

La dimension ecclésiologique de la table eucharistique dans les rites protestants en général, et calviniste en particulier, est déterminée par ce rapport avec le Christ. La vie chrétienne est plus une affaire individuelle qu’ecclésiale. Mon salut dépend de la foi reçue du Christ : Sola gratia, Sola fide. L’aspect ecclésiologique encouragé et favorisé par les messes communes, par les prières des fidèles dites pendant la Sainte Cène, se voit fissuré intrinsèquement par l’absence de l’aspect de la présence réelle du Christ qui se donne d’abord à l’Église et ensuite, à travers son Église aux fidèles. Le pain et le vin transformés en corps et sang du Christ sont le don suprême que Jésus fait, de lui-même, à son Église. Le don n’est pas le pain et le vin, mais le pain et le vin qui deviennent le corps et le sang du Christ. Il nous commande de faire ceci en sa mémoire, c’est-à-dire de continuer à faire ce qu’il a fait : de transformer le pain et le vin à son corps et son sang et les donner au monde pour le rassemblement des enfants de Dieu. Comment cette mémoire qui rend spirituellement présent le Christ se réalise-t-elle ? Quelle est la place de l’Esprit Saint dans cette mémoire ? Le point traitant de la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse tentera de répondre à ces questions.

524 Y. Congar, « Calvin », 418.

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4. La dimension anamnestico-ecclésiologique de la table eucharistique dans les rites catholiques Les parties précédentes nous ont permis d’étudier les rites orthodoxes et protestants. Dans cette partie, nous nous donnons pour tâche d’étudier les rites catholiques. La liturgie de la messe en Occident s’offre à nous suivant deux usages liturgiques principaux : le gallican et le romain. Cependant, ce ne sont pas les seules, puisqu’on possède, en plus de l’Afrique, les liturgies mozarabe, ambrosienne, celtique, anglo-saxonne qui, toutes, se rattachent au type gallican525.

Pour plus de concision, nous nous attèlerons dans cette partie sur quatre rites : ambrosien, gallican, mozarabe et romain. Etant donné que notre étude est axée sur le rite romain, la dimension anamnesico-ecclésiologique y sera étudiée d’une manière plus approfondie par rapport aux trois autres rites. 4.1  Le rite gallican D’après les recherches faites par le P. J.-B. Thibaut, la liturgie gallicane que nous pouvons situer géographiquement en Gaule (France), en Espagne, en Irlande et en Grande Bretagne, eut pour initiateur et pour père Jean Cassien de Serta qui fut le fondateur de l’abbaye Saint Victor de Marseille. Le rite gallican, d’origine monastique, a énormément subit l’influence des rites orientaux : rites éphésien et syro-chaldéen. La liturgie gallicane rayonnera sur tout l’Occident au point de supplanter, aux Vème et VIème s., la liturgie gallo-romaine526. Ce rite d’origine latine gardera le même fond que le rite romain mais il va s’en différencier en ce qui concerne la forme. Organisée en deux parties, la messe en rite gallican, dans sa première partie, communément appelée : messe des catéchumènes, est subdivisée en plusieurs parties. On a : l’entrée de l’évêque officiant, les cantiques d’ouverture, les lectures et la prophétie, l’Évangile, l’homélie, la prière litanique et le renvoi des catéchumènes. La deuxième partie, appelée la 525 H. Leclercq, « Messe », 641. 526 Cf. J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 1929.

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messe des fidèles, est composée de : la procession des oblats, la prière du voile, lecture des diptyques, le baiser de paix, la contestatio ou immolatio, la formule de consécration, l’épiclèse, la fraction et la commixtion, l’oraison dominicale, la bénédiction, la communion, l’action de grâce et le renvoi527. A ce stade de notre étude nous allons nous occuper de la deuxième partie : la messe des fidèles. La première partie sera étudiée dans le chapitre suivant. La dimension anamnesique apparaît dés le début de la table eucharistique. La procession des oblats était entourée des honneurs particuliers rappelant ainsi le Ps 150, 3 qui invitait le peuple à louer Dieu par le son du cor. Saint Germain rattache ce mot au précepte de Moïse ordonnant aux lévites de sonner des trompettes d’argent quand on offrait une victime, quando offerebatur hostia, afin que ce signal annonça au peuple à quelle heure on célébrait l’oblation, qua hora inferebatur oblatio, et afin qu’à cette heure tous se courbassent pour adorer le Seigneur jusqu’à ce que vînt la colonne de feu ou de nuées (c’est nous qui soulignons) qui bénirait le sacrifice528.

Arrêtons-nous un instant sur quelques points soulignés par saint Germain. Cette pratique est rattachée à l’Ancien Testament. Le rite chrétien ne rappelle pas seulement une histoire préparée dans l’Ancien Testament mais célèbre son accomplissement dans le Christ. Si dans l’Ancien Testament on sonnait au cor pour une victime qu’on devrait offrir à Dieu pour la rémission des péchés d’un peuple, dans le Nouveau Testament on rend les honneurs au Christ, vraie et unique victime offerte pour le rachat de toute l’humanité. Les honneurs particuliers rendus à Dieu pendant la procession célèbrent la vraie victime qui est le Christ, accomplissement de toute l’histoire du salut. Une anamnèse d’une victime ancienne, parfaite et accomplie en Christ. Comme le souligne saint Germain : « Afin qu’à cette heure tous se courbassent pour adorer le Seigneur jusqu’à ce que vînt la colonne de feu ou de nuées. » Les honneurs du peuple n’ont pas seulement une fin de louange ou d’action de grâce, ils deviennent une invocation de feu ou des nuées du ciel pour la sanctification des dons. Nous pouvons déjà lire ici la présence de l’Esprit Saint, la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dont nous parlerons plus loin. Soulignons en passant la générosité des fidèles qui pourvoyaient à l’offrande du pain et du vin, signe de 527 Cf. H. Leclercq, « Messe », 652–674. 528 H. Leclercq, « Messe », 660.

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leur union et participation à l’offrande du Christ pour le rachat du monde. Tout homme était appelé à offrir des présents qui, ensemble, avec ceux des autres, devaient être offerts sur l’autel ; s’abstenir à cette participation leur aurait fait éprouver un sentiment de honte vis-à-vis de la communauté529. Le rite gallican, dès le début de sa table eucharistique, est marquée par une forte dimension anamnesico-ecclésiologique, cela à partir même des ustensiles liturgiques : « Le corpus Christi est porté dans un vase en forme de tour, parce que […] le tombeau dans lequel le corps du Sauveur fut déposé avait la forme d’une tour. Le Sanguis Christi est dans un calice, parce que le Christ, la veille de sa Passion, consacra le vin de l’Eucharistie dans un calice »530. Déjà présente dans l’idée de fond qui motivait la procession, l’anamnèse de la passion du Christ sera encore la finalité à atteindre pour les oblats : « Patena autem vocatur ubi consecratur oblatio, quia misterium euc(h)aristi(a)e in commemoratione offertur passionis Domini »531. Cette finalité anamnesique de la passion du Seigneur était aussi remarquable dans le rite de préparation des oblats, couverts de trois voiles, chaque voile portant une commémoraison du mystère de la passion du Christ. Prenons le cas du deuxième voile : « Corporis palla pura linea est super quam oblatio ponitur, en souvenir du linceul de pur lin dans lequel le corps du Seigneur fut enveloppé avec des aromates dans le tombeau ; ce voile est ce que nous nommons aujourd’hui la ‹ nappe › d’autel »532. Notons, pour terminer cette partie préparatoire, qu’après les honneurs particuliers rendus à Dieu pour les oblats, avec un fond anamnesique de la victime autrefois offerte dans l’Ancien Testament, une fois que les oblats sont couverts par le voile sur l’autel, le peuple chante trois fois Alléluia. On termine les honneurs rendus à la victime par l’Alléluia de l’apocalypse. On rappelle la mort du Christ qui s’offre comme victime, on chante sa victoire, sa résurrection. C’est ce qui va ouvrir l’assemblée à la grande prière du voile qui récapitule l’œuvre du salut de Dieu réalisée par l’incarnation, la mort du Christ et l’infusion de l’Esprit Saint. La lecture des diptyques faisait mémoire des morts, par la nomination de leurs noms, et des vivants qui offraient les

529 Cf. J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 45. 530 J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 46. 531 H. Leclercq, « Messe », 661. 532 H. Leclercq, « Messe », 661.On peut aussi lire concernant les voiles J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 46–47.

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oblats, qu’on recommandait à Dieu pour une intention particulière533. Ceci marquait aussi la communion entrent les membres vivants de l’Église et nos frères et sœurs défunts. Cette communion était chaque fois créée et consolidée par le baiser de paix qui suivait la lecture des diptyques. Le récit de l’institution tel que récité dans le rite gallican suit celui de saint Matthieu et de saint Luc. Ces deux récits de l’institution tels que nous les avons étudiés dans la première partie, ne comportent pas la mention « Faite ceci en mémoire de moi » que nous retrouvons chez Paul et Luc. Sans reprendre ce que nous avons déjà dit plus haut, nous faisons remarquer que, vu l’importance que le rite gallican accordait à cette partie de la messe, le récit de l’institution n’était même pas mentionné dans les anciens livres gallicans, ils se limitaient seulement à une amorce des premiers mots534. Chaque prêtre devait le connaître par cœur, parce qu’il constituait le cœur de la messe. Le « Faire ceci en mémoire de moi », au lieu d’être écrit dans le missel, devait être gravé dans la mémoire du prêtre, dans sa vie. Le verbe « recordare » retrouve sa pleine signification qui n’est pas seulement etre sur une feuille de papier mais qui touche le cœur ; nous rejoignons ici le Dt 6, 4 ss. L’anamnèse de la passion du Christ telle que célébrée dans le rite gallican actualise cette passion, d’une manière non sanglante, en rendant présent le Christ par la transformation du pain et du vin en son corps et en son sang. Cette présence du Christ évoquée pendant la consécration, sera confirmée avant la communion par le rite de la commixtio au court du quel l’officiant trempe dans le calice une ou plusieurs parcelles consacrées et en laisse tomber une dans le calice. Sous cette forme, et avec les paroles dont il est accompagné dans plusieurs liturgies, ce rite ne semble avoir d’autre but que de montrer aux fidèles avant la communion que c’est bien le corps et le sang du Christ qu’ils vont recevoir535.

Le peuple de Dieu pourvoyant à ce pain et ce vin qui seront transformés en corps et sang du Christ montre leur adhésion au sacrifice qui sera offert et leur communion avec le Christ et entre eux. Si la communion entre eux est blessée par les imperfections, elle est toujours réparée par le pardon obtenu par le sacrifice du Christ et partagé par le baiser de paix. La dimension ecclésiologique vécue par tous ces aspects aura un sceau particulier par la 533 Cf. J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 54. 534 Cf. H. Leclercq, « Messe », 665. 535 H. Leclercq, « Messe », 670.

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communion qui unit physiquement et spirituellement les chrétiens avec le Christ et entre eux. Bien que ce rite n’existe presque plus, cette brève approche du rite gallican nous laisse dans l’admiration, surtout pour ce qui concerne l’intériorisation des paroles de la consécration, dont les anciens missels du rite gallican, pour arriver à cette fin, amorçaient seulement les premiers mots, obligeant ainsi les prêtres à mémoriser le reste par cœur. Pratique qui peut être qualifiée de positive si cela est fait non seulement avec la tête mais avec le cœur, elle peut devenir négative pour les prêtres qui perdent mémoire ou ceux qui mémorisent seulement pour réciter. Un aperçu d’un autre rite catholique nous aiderait encore davantage à mieux saisir la dimension anamnestico-ecclésiologique de la table eucharistique. 4.2  Le rite mozarabe Appartenant à la grande famille des rites catholiques, le rite mozarabe est le rite utilisé par la grande liturgie hispanique, développée en Espagne autour du Vème siècle. Les recherches attribuent la paternité de cette liturgie à un groupe d’auteurs hispano-romains « dont des noms célèbres comme ss. Léandre (c.450–600) et Isidore de Séville (c.560–636), Eugène III (+ 657), Ildephonse (c 610–667) et Julien de Tolède (+ 652), Juste d’Urgell (1ère moitié VIème s.), Pierre de Lérida (VIème s.), Conantius de Palencia (+ 639) »536. Cette liturgie deviendra très célèbre au VIIème s. dans la péninsule ibérique et dans la Gaule Narbonnaise. Notons que « la qualification ‹ mozarabe › dérive de l’arabe, signifie les ‹ tributaires ›, c’est-à-dire les chrétiens qui vivaient sous le régime musulman. Le terme est passé dans l’usage chrétien, semble-t-il à Tolède dans la dernière période de l’occupation arabe »537. Comme tous les autres rites catholiques de l’époque, le rite mozarabe a eu lui aussi des points de contact avec d’autres rites. On penserait volontiers aux rites romain, gallican et ambrosien. Malgré ces points de contact, le rite mozarabe a su pourtant avoir une certaine originalité de forme qui 536 M. Ferotin, Le liber ordinum, 10. 537 M. Ferotin, Le liber ordinum, 10.

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le distingue des autres rites catholiques. On notera par exemple sur le plan de l’ordonnancement de la messe, l’agencement suivant : l’Avant-messe, qui constitue la première partie, est composée de : Préparation, Introït, Gloria et Collecte, Lectures, Psallenda, Trait, Prières diaconales, Epître, Evangile, Lauda. La deuxième partie, qu’on appelle la Messe des fidèles, est composée de : préparation immédiate, Offertoire, Missa. Intervient alors la troisième partie, nommée Sacrifice, composée de : Illatio, Sanctus et Consécration, Oratio post pridie, Credo, Fraction, Pater, Commixtion, Bénédiction, Communion, Renvoi538. C’est dans la première partie que nous situons la table de la Parole qui fera l’objet de notre étude dans le cinquième chapitre. Nous nous occuperons pour ce chapitre des deuxième et troisième parties dans la quelle nous étudierons la table eucharistique. C’est à partir de cet agencement de base que se structurent les différents ordonnancements de messe pour les différentes circonstances539. Suivant à peu près le même cheminement de fond que le rite gallican, la préparation des oblats dans le rite mozarabe est plus détaillée. « Le missel mozarabique contient toute la cérémonie dans le plus grand détail. Il la contient même deux fois : avant l’entrée des célébrants et après la procession de l’oblation »540. Dans les différentes oraisons que nous pouvons trouver dans cette partie de la messe des fidèles, l’allusion est faite au Christ comme offrande que l’Église offre au Père. On notera ici aussi les mêmes cérémonies des voiles qui l’époque se retrouvent presque dans tous les rites catholiques. L’offertoire, très marqué par la dimension ecclésiologique, sera caractérisée par l’apport de toute la communauté : « Les hommes offraient d’abord, par ordre de dignité, puis les femmes, puis les prêtres, les diacres, les clercs, et l’évêque lui-même offrait le dernier »541. Le grand respect qui entourait les offrandes et qui faisait que ceux qui les offraient ne pouvaient même pas les toucher de la main, nous fait comprendre que le sacrifice constituait le critère régisseur de la célébration de la table eucharistique dans le rite mozarabe. On faisait mémoire du sacrifice du Christ. A l’instar de ce grand sacrifice saint et irréprochable, les offrandes et les offrants ne devaient être soupçonnés d’aucune impureté. Les oraisons qui suivent cette partie de l’offertoire qu’on appelle Missa, englobent dans leurs prières la mémoire des vivants et des morts. Le Liber 538 Cf. H. Leclercq, « Messe », 674–690. 539 Cf. M. Ferotin, Le liber ordinum, 77–303. 540 H. Leclercq, « Messe », 660. 541 H. Leclercq, « Messe », 678.

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offerentium, que les mozarabes appellent aussi « le petit missel », contient des prières des fidèles à caractère commémoratif dans lesquelles le diacre cite nommément les fidèles vivants et morts dont on fait mémoire. Cette nomination s’étendra jusqu’aux patriarches, aux prophètes de l’Ancien Testament : Auditis nominibus offerentium : te pietatis Dominum deprecamur […] offerentium nomina celestibus scribas in paginis : promissionem tuam manifestes in Sanctis : misericordiam ostendas in perditis […] advocamus in suffragio precum nostrarum receptos in celesti collegio Patriarchas : repletos divino spiritu Prophetas 542.

La mémoire du sacrifice du Christ porte en elle la mémoire de toute l’histoire du salut, de toute l’Église céleste et terrestre. Le rite mozarabe ne sépare pas la mémoire des morts de celle des vivants. Le rite romain, que nous étudierons plus bas, gardera la même structure. La Messe des fidèles, avec ses différentes parties : préparation immédiate, offertoire et missa, plantera le décor tant du point de vue extérieur qu’intérieur pour entrer dans la partie concernant le sacrifice. Les offrandes étant préparées, les diverses oraisons étant dites pour demander la purification et le pardon de Dieu, le baiser de paix étant échangé pour marquer l’union ecclésiale dans la paix du Christ, on pouvait alors, comme Église purifiée et réconciliée avec Dieu et avec elle-même, offrir le sacrifice. Cette dernière partie de la messe en rite mozarabe, qui contient la prière d’anaphore, sera marquée par la dimension anamnesico-ecclésiologique, en commençant par la Illatio (qui correspond à la contestatio du rite gallican et à la praefatio du rite romain), dans laquelle l’officiant, en union avec l’assemblée, loue Dieu en rappelant ses œuvres réalisées dans l’histoire du salut ; en passant par le sanctus et la consécration qui constituent le noyau de la messe, jusqu’à la commixtion, la communion et le renvoi. Sans vouloir négliger la dimension anamnestico-ecclésiologique dans d’autres parties du Sacrifice, le sanctus et la consécration marquent d’un trait décisif le caractère anamnesico-ecclésiologique de la table eucharistique dans le rite mozarabe. Le missale mixtum le souligne clairement : Adesto Jesu bone pontifex in medio nostri … Dominus noster Jesu Christus in qua nocte tradebatur accepit panem […] dixit ac fregit […] Quotiescumque manducaveritis : hoc facite in meam commemorationem. Similiter et calicem postquam cenavit dicens […] Quotiescumque biberitis hoc facite in meam commemorationem. 542 Missale Mixtum, Pars I, PL, T. 85, 483.

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Et cum perventum fuerit ubi dicit. In meam commemorationem […] Quotiescumque manducaveritis panem hunc et calicem istum biberitis : mortem Domini annunciabitis donec veniet. In claritatem de celis. R/ Chorus : Amen543.

Le rite mozarabe, contrairement au rite gallican, et comme nous l’étudierons pour les autres rites catholiques, souligne fortement cet ordre du Seigneur de « faire ceci en mémoire de moi ». Cet ordre apparaît pour le pain et pour le vin, chose que nous ne trouvons pas dans les autres rites catholiques. Le sacrifice de la mort régissant cette mémoire reçoit ici une dimension eschatologique : annoncer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. Le « Amen » de l’assemblée à la fin de ce récit de consécration exprime l’unité de l’Église, son adhésion à ce grand mystère de la rédemption et le renouvellement toujours nouveau de l’engagement à obéir à l’ordre du Seigneur. Notons, sans pourtant vouloir trop insister ce changement qui s’est opéré à une date qu’on ne saurait fixer dans la liturgie mozarabe et qui est l’un des plus audacieux dont la liturgie ait gardé la trace, on a bouleversé cette formule sacrée par l’introduction de la prière Adesto Jesu bone en remplaçant le qui pridie par l’in qua nocte qui est la version de toutes les liturgies grecques et orientales. Chose peut-être plus extraordinaire encore : les réformateurs ne cherchèrent même pas à effacer les traces de ce changement, et continuèrent à appeler l’oraison qui suit le récit de l’institution : oratio post pridie544.

Cette petite incohérence interne affaiblira un peu, du point de vue de la logique systématique, le rite mozarabe. Mais la dimension anamnestique sera d’une clarté évidente dans ce récit de la consécration plus que dans d’autres parties de la messe. Bien que d’autres textes de l’institution viendront s’ajouter après et qu’on finira par adopter celui de rite romain, celui de missale mixtum porte un caractère anamnesique d’une grande valeur. Un autre point plus frappant dans le rite mozarabe est la fraction du pain. Elle se fait d’une manière très spéciale ; elle porte une dimension anamnestique des mystères de la vie du Christ et de la Sainte Trinité. Le prêtre fractionne le pain et le dispose en forme de croix, chaque partie rappelant un des mystères de la vie du Christ et de la Sainte Trinité : Mors, Nativitas, resurrectio, corporatio, circumcisio, apparitio, passio. Deux morceaux feront référence à la Gloire et au Regnum545. Ce symbole de la 543 Missale Mixtum, Pars I, PL, T. 85, 116–117. 544 H. Leclercq, « Messe », 684. 545 Cf. Missale Mixtum, Pars I, PL, T. 85, 118.

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fraction du pain ne marquera pas seulement le caractère anamnestique de l’Eucharistie mais toute l’Eucharistie, à tel point que l’Eucharistie sera même appelée fraction du pain en un certain moment de l’histoire de la chrétienté. La dimension anamnesico-ecclésiologique apparaîtra encore dans la récitation du Pater Noster entrecoupée par le Amen de l’assemblée ; il en sera de même pour la bénédiction qui intervient après le Pater : l’assemblée pour marquer sa disponibilité à la grâce de Dieu et sa volonté de cheminer ensemble comme Église sous la protection de Dieu, intervient toujours par le Amen. Le rite de la communion soulignera encore davantage l’aspect ecclésiologique de l’Eucharistie. La communion n’unira pas seulement les vivants avec le Christ, mais le prêtre fera aussi mémoire des défunts pour qu’ils s’unissent au Christ546. Etant lui aussi un rite ancien quasiment disparu, le rite mozarabe est un rite catholique assez équilibré en ce qui concerne la dimension anamnesico-ecclésiologique. Bien que la dimension ecclésiologique puisse encore être renforcée, par la récitation de toute l’assemblée de prières telle que celle du Pater Noster, par la communion moins marquée par la hiérarchie, le rite mozarabe mérite tout notre respect à cause de sa liturgie très riche en matière théologique et pastorale. 4.3 Le rite ambrosien Le rite ambrosien fait partie du grand ensemble des rites catholiques qui ont marqué l’histoire de la foi chrétienne. « Il est le rite propre à l’Église de Milan et à certaines Églises de l’Italie du Nord qui étaient sous son influence »547. Remontant à l’évêque S. Ambroise à qui l’on attribue, non sans réserve la paternité, le rite ambroisien dès son origine connaîtra une grande diffusion dans toute l’Italie du Nord jusqu’au Sud de Bologne, au Sud-Est de l’Allemagne et en Suisse. Mais au cours de l’histoire, beaucoup de communautés qui pratiquaient le rite ambrosien passeront au rite romain, ceci suite aux multiples vicissitudes historiques qu’a connu ce rite : Le Pape Grégoire I, voulant au VIème s. étendre le rite romain dans toutes les Eglises latines, supprimait pour cet effet tous les autres rites, mais les rites 546 Cf. Missale Mixtum, Pars I, PL, T. 85, 119–120. 547 A. Bonnet, « Ambrosien », 418.

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ambroisien et mozarabe y survivront. Après lui, Grégoire VII et Eugène IV tenteront la même entreprise mais sans succès548. Sa légitimation définitive interviendra au Concile de Trente, grâce à l’évêque S. Charles Borromée, évêque de Milan, qui fut la pièce maîtresse de ce Concile. On notera tout de suite que dans l’ensemble, le rite ambrosien est presque identique en fond et en forme au rite romain malgré quelques petites différences qu’on peut noter çà et là au niveau structurel549. Dans le rite ambrosien de jadis, pour marquer le début de cette autre partie de la messe, on terminait celle de la table de la Parole par un chant qui était chanté après l’Évangile précédé de Kyrie répété trois fois550. Ce Kyrie et ce chant mettaient fin à la liturgie de la Parole, renvoyait les catéchumènes et ouvrait la voie à la préparation de l’autel pour la liturgie de l’Eucharistie. Actuellement le renvoi des catéchumènes après l’Évangile n’est plus pratiqué, c’est avec le chant après l’Évangile ou l’homélie, chant qui exprime la joie de ceux qui ont été bénéficiaires de la Bonne Nouvelle, et avec la prière des fidèles, que la table de l’Eucharistie commence. La table de l’Eucharistie de rite ambrosien est très fortement marquée par la dimension anamnesico-ecclésiologique. Déjà dans ses débuts, la préparation de l’autel est faite avec un grand soin, avec des tissus en lin en mémoire du tissus en lin sur lequel Joseph d’Arimathie avait déposé le corps du Seigneur dans le tombeau : quia tunc eam sacerdos dicit, quando sindon, id est lineus, pannus, super altare ponitur, ut in eo corpus et sanguis Domini consecretur. Syndon enin grece, latine dicitur lineus pannus. Decrevit autem ecclesiastica consuetudo, ut non alibi quam in lineo panno, corpus et sanguis Domini consecretur, quia Joseph ab Arimathia veniens, accepta a Pilato licentia, corpus Domini de cruce depositum in sindone, id est in lineo panno, involvit551.

L’aspect anamnesique apparaît déjà dans la préparation de l’autel. Cet élément externe devait porter les chrétiens à se préparer intérieurement, ecclésiologiquement, par l’échange de paix (Mt 5, 23–24), avant d’apporter leur offrande au Seigneur. 548 Cf. P. Dejay, « Ambrosien », 1375. Pour toute étude approfondie sur le rite ambrosien, on se référera au même article. 549 Cf. A. Bonnet, « Ambrosien », 421. 550 Cf. G. Molon, La nostra Messa ambrosiana, 1982. 551 F. Brovelli, « La  Expositio Missae Canonicae », 45. Cité aussi par C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 148.

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Ma il rituale ambrosiano della Messa non soltanto ricorda che la pace e l’unione fraterna è condizione necessaria per accostarsi all’Eucaristia ; esso riafferma con forza anche il principio che nessuna Eucaristia può essere legitimamente celebrata se non nella communione cattolica, ossia nella communione di tutte le Chiese che conservano e condividono la vera fede trasmessa dagli Apostoli552.

Tout ce qui va suivre ne sera que le déploiement de ces préparatifs. Des prières aux différents rituels, le rite ambrosien est rempli des formules et des gestes anamnestico-ecclésiologiques de la mort et de la résurrection du Seigneur. Le costume rituel, jusqu’à présent, pour la plupart de cas, est encore celui de l’époque médiévale. Dans la prière de présentation des dons, le pain et le vin sont présentés à Dieu ont comme finalité de devenir corps et sang du Christ. Après la présentation des dons, intervient la profession de foi pour marquer « l’adesione dello spirito credente alle tre Persone divine, che si sono manifestate nella storia della salvezza ; è la preparazione più necessaria per entrare nel cuore del mistero eucaristico cui si partecipa »553. Bien qu’étant la mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, par la profession de foi placée à la charnière entre ces deux moments de la célébration, la célébration eucharistique s’ouvre à une plus grande dimension divine, à savoir la dimension trinitaire. L’œuvre du salut accomplie d’une manière unique par Jésus, que l’Église rend présente, est l’œuvre de la Sainte Trinité. Les prières des préfaces qui suivront loueront Dieu pour ce qu’il a accompli dans la création à travers son Fils et l’Esprit Saint. Pendant la consécration, l’Église, à travers le prêtre, demande au Père d’envoyer l’Esprit Saint sur le pain et le vin afin qu’ils deviennent le corps et le sang du Christ. Nous voyons se déployer dans l’acte mémorial du Christ toute l’histoire du salut : acte de la Sainte Trinité. Le prêtre, en invitant l’assemblée à la l’action de grâce pendant la préface, constitue justement cette Église qui est destinée à rendre grâce à Dieu pour son œuvre de salut dans le monde. Le peuple à travers le prêtre rappelle à Dieu ce qu’il a autrefois accompli, pour susciter encore sa bienveillance envers son peuple. Le rite ambrosien marquera encore davantage la dimension ecclésiologique dans la célébration du mémorial du Christ, pendant la prière eucharistique, en invitant l’assemblée à accompagner les prières eucharistiques, une manière de faire ecclésia, en restant à genou. 552 C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 151. 553 Missale Ambrosiano, Liturgia Eucaristica, 971.

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La majorité des prières eucharistiques dans le rite ambrosien suivront ce schéma : action de grâce rendue à Dieu par l’Église à travers le prêtre, pour son œuvre du salut accomplie par la mort et la résurrection de Jésus, œuvre qui, grâce à l’Esprit Saint, rassemble l’Église céleste et terrestre, donne les béatitudes aux vivants et aux morts, et devient héritage mémorable de l’Église pour le salut du monde. Nous n’entrerons pas tellement ici dans les détails, étant donné que certaines choses qu’on pourrait dire ici seront dites dans la partie consacrée au rite romain, vu le lien très étroit qui existe entre les deux rites. Soulignons tout de même certains points anamnesico-ecclésiologiques qui se trouvent dans les prières eucharistiques de rite ambrosien. Mises à part d’autres prières eucharistiques pour diverses circonstances, le rite ambrosien a au total huit prières eucharistiques ordinairement. Déjà dans la première prière eucharistique, le prêtre demande au Père d’accepter et de bénir les dons, considérés comme saints, comme sacrifice immaculé. Le but de cette offrande est pour l’unité de l’Église, sa paix, la protection de ceux qui la gouvernent. Il apparaît dans ces premières lignes de la prière eucharistique I, une dimension anamnesticoecclésiologique très forte de la table de l’Eucharistie. Cette dimension continuera à se déployer par la suite dans la mémoire des fidèles, les vivants et les morts, pour nous faire comprendre que la mémoire du Christ ne peut être célébrée qu’en communion avec l’Église terrestre et céleste. Elle unit tous les membres de l’Église au Christ : vivants et morts, tous appelés au salut. L’institution et la consécration, hormis la formule habituelle que nous retrouvons dans le rite romain, aura un caractère anamnestique spécial par le fait que le rite ambrosien mentionne explicitement dans beaucoup de ses prières de consécration, la mémoire du Christ comme un commandement du Seigneur aux siens. A titre illustratif nous notons celle de la prière eucharistique I : « Diede loro anche questo comando »554. La prédication de la mort du Christ, l’annonce de sa résurrection et l’attente confiante de son retour constituent le noyau de la célébration de l’anamnèse du Christ dans le rite ambrosien. L’Église se fonde sur ce noyau, en vit, se structure et s’oriente vers sa plénitude. Vouloir penser et structurer l’Église en dehors de ce cadre, c’est la détourner de son sens et objectif premiers et la pousser à la désobéissance au commandement reçu de son Seigneur. L’obéissance 554 Missale Ambrosiano, Liturgia Eucaristica, 976.

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de l’Église à ce commandement est la continuation de l’obéissance du Christ au Père. En obéissant à ce commandement, l’Église se trouve en synergie avec l’obéissance du Christ au Père et devient, par la grâce de l’Esprit Saint, source du salut pour le monde. Dans cette mémoire du Christ, le rite ambrosien associe aussi les défunts qui, grâce à la passion et à la mort du Christ, sont rendus participants à sa résurrection. On demande la miséricorde de Dieu sur eux afin qu’ils communient à la béatitude des saints. Il se forme ainsi par l’anamnèse du Christ une ecclésiologie divino-humaine qui réunit l’Église terrestre avec l’Èglise céleste555. Toutes les autres prières eucharistiques (I–VIII), présentant la synthèse de l’histoire du salut qui trouve son accomplissement dans le mystère de la vie de Jésus commémoré dans l’Eucharistie, se structureront presque toutes de la même façon. Mettant au centre le mystère pascal du Christ, sommet de l’expression de l’amour du Père pour nous, l’Église, comme ecclésia, prie le Père, par la force de l’Esprit Saint, de pouvoir continuer à rendre présent cet amour pour le salut du monde :  Manda tra noi in questa azione sacrificale colui che l’hai istituita perché il rito che noi compiamo con fede abbia il dono della presenza del Figlio tuo nell’arcana sublimità del tuo sacramento. E a noi, che in verità partecipiamo al sacrificio perennemente offerto nel santuario celeste, concedi di attingere la viva e misteriosa realtà del corpo e del sangue del Signore556.

Le rite ambrosien, dans ses prières eucharistiques, est presque identique au rite romain. Nous trouvons la même structure, quasiment les mêmes prières eucharistiques. Il suffit de lire les prières eucharistiques des deux rites pour s’en rendre compte. Ce que nous avons pu dire pour le rite ambroisien vaut aussi pour le rite romain, ce que nous dirons d’une manière approfondie pour le rite romain vaudra aussi pour le rite ambrosien.

555 Cf. « Veramente santo sei tu, o Padre, ed è giusto che ogni creatura ti lodi. Per mezzo di Gesù Cristo, tuo Figlio e nostro Signore, nella potenza dello Spirito santo fai vivere e santifichi l’universo, e continui a radunare intorno a te un popolo, che da un confine all’altro della terra offra al tuo nome il sacrificio perfetto » : Missale Ambrosiano, Preghiera Eucaristica III, 982. 556 Missale Ambrosiano, Preghiera Eucaristica VI, 993.

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4.4  Le rite romain En ce qui concerne la situation dans le temps du rite romain, les données historiques à ce sujet restent très incertaines. Parlant du christianisme latin, J.-A. Jungmann affirme que « c’est en Afrique du Nord, vers la fin du IIème siècle, qu’est apparu pour la première fois en Occident un christianisme latin, à une époque où l’influence grecque était encore prédominante à Rome »557. Comme nous ne pouvons pas imaginer un christianisme sans rite, nous pouvons penser que le rite romain, à partir de cette période, était déjà en gestation. Gestation ne signifie pas pleine constitution, moins encore une naissance d’un rite structuré avec des gestes et des formules précises. Vers les années 150–160, S. Justin donne « le cadre d’une messe telle qu’on célèbre à Rome à cette date et pendant une longue période de temps précédent, car S. Justin décrit un rite déjà affermi dans ses gestes et dans ses formules et qui est régulièrement célébré le dimanche ; mais il ne donne aucun texte, aucune formule »558. Le début précis du rite romain sera enveloppé d’une grande obscurité si bien qu’il nous est difficile d’en parler avec exactitude. Ce qu’on pourrait dire à ce sujet serait que le rite romain doit sa formation en un ensemble coordonné dans la plupart de ses éléments à l’effort plusieurs fois séculaire, auquel s’ajoutera l’effort de plusieurs papes, principalement à partir de saint Damase jusqu’à saint Grégoire. Le liber pontificalis, les Ordines romani et tant d’autres documents nous informent à l’envi sur le périple de la constitution du rite romain. « Jusqu’à la fin du IVème s., la messe romaine, telle que nous pouvons la reconstituer, ne présente pas de traits originaux ; elle appartient à un ensemble au sein duquel on ne peut déterminer des familles liturgiques distinctes »559. La distinction des différentes familles liturgiques commencera à apparaître seulement après la fin du IVème s. Les éléments purement romains de la messe sont la collecte, l’épître, la bénédiction avant la lecture de l’évangile, l’évangile, l’Orate fratres et la secrète, la préface, le canon, l’oraison dominicale, la postcommunion et l’Ite missa est. Il faut y ajouter les quatre pièces de chant : introït, graduel, offertoire et communion, qui furent adoptés à Rome dès leur apparition560. 557 J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia, I, 72–73. 558 H. Leclercq, « Liturgie romaine », 3016. Pour d’autres informations sur le début du rite romain, on peut lire J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia, I, 72–106. 559 H. Leclercq, « Messe », 702. 560 H. Leclercq, « Messe », 702.

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Par rapport à d’autres rites catholiques, le rite romain présente des particularités qui ne interdisent de le confondre avec aucun autre rite. On notera « l’absence des litanies diaconales, [la] suppression presque complète de la fonction du diacre, sauf pour la lecture de l’Évangile, [la] présence du baiser de paix immédiatement avant la communion, […] [la] disposition du canon »561. Le rite romain se constituera au cours de l’histoire, spécialement à partir du VIème et VIIème s., et d’une manière particulière avec la constitution du Missale romanum, né de la fusion avec le gallican sous Charlemagne vers 780. Il deviendra, chemin faisant, un rite organique tel que celui que nous connaissons actuellement avec les deux tables : celle de la Parole et celle de l’Eucharistie. Pour cette partie nous nous limiterons à la table eucharistique. C’est sur ces deux tables que nous orientons notre étude sur la dimension anamnesico-ecclésiologique de l’Eucharistie. Sans trop nous perdre dans les différentes réformes liturgiques qu’a connues le rite romain, nous étudierons la célébration eucharistique réformée selon les principes du concile Vatican II562. « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). Cette parole importante prononcée par Jésus, est déterminante pour toute sa vie, « elle contient une fulguration dont tout l’éclat n’a pas encore été manifesté, […] elle désigne quelque chose d’essentiel qui, par le Christ, s’est produit dans l’épaisseur obscure de l’humanité, dans l’histoire aveugle de la terre »563. Dans la première partie de la messe, la table de la parole, le Christ commémoré se rend présent parmi les siens par sa parole. La deuxième partie de la messe, autrefois comme dans le rite ambrosien, commençait par le renvoi des catéchumènes, pratique révolue. Actuellement cette partie commence après la prière des fidèles ; le Christ dans cette partie concrétise une fois de plus la mission pour laquelle il est venu : donner sa vie en rançon pour la multitude. C’est à cause de cela qu’il est venu dans le monde. Un don d’une telle valeur ne pouvait pas être oublié de l’histoire. Pour échapper à tous les aléas et à la facticité du temps, et surtout pour continuer à aimer les siens, les combler des bienfaits de son amour, le Christ fera de don de sa vie : La Mémoire. Une Mémoire non seulement dans le 561 H. Leclercq, « Messe », 702. On peut aussi pour approfondissement de l’aspect historique de la messe lire l’article précité. 562 M. Barba, La riforma conciliare dell’ « Ordo missae », 2008. 563 F. Marneffe – Lebrequier, Faites ceci en mémoire de moi, 9.

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sens de souvenir, mais La Mémoire de toutes les mémoires qui va au-delà du souvenir pour devenir une présence « agie et agissante ». Nous tenterons dans cette partie d’étudier la dimension anmnesicoecclésiologique de la table eucharistique dans le rite romain. Au-delà du fond liturgique, les prières eucharistiques, nous étudierons cette dimension de la table de l’Eucharistie d’abord pour rappeler une attitude naturelle de l’être humain qui, face à un don reçu, ne peut oublier le donateur. Ensuite nous montrerons qu’à la différence d’un don quelconque, le don de la vie du Christ a un caractère unique, permanent et incomparable, lui-même sachant son efficacité intemporelle nous dit : « Faites ceci en mémoire de moi ». Enfin nous tâcherons de comprendre que le faire que nous demande Jésus n’est pas seulement un faire répétitif mais un faire qui rend encore le ressuscité présent parmi nous, nous incorpore à lui, fait de nous un seul corps et structure notre vie ecclésiale. De par son caractère rédempteur, le don de la vie du Christ devient motif d’action de grâce, sacrifice toujours actuel pour nous et principe d’une nouvelle vie ecclésiale. Le Christ, don de Dieu au monde, acceptera volontiers de s’offrir pour le salut de ses frères et sœurs. Cette offrande de sa vie, fruit de sa liberté et de son amour, devient pour nous un défi chaque fois que nous en faisons mémoire et que nous communions à son corps et à son sang ; défi d’entrer plus en intimité avec l’offrande du Christ et de faire de notre vie une offrande pour le monde en vue du royaume des cieux. Etant donné l’immensité du thème de l’anamnèse eucharistique, nous essaierons dans cette partie, de parcourir les prières qui constituent la table eucharistique, dont les différentes parties s’entrecoupent, pour faire ressortir la dimension anamnesico-ecclésiologique de l’offrande du Christ. 4.4.1  Action de grâce comme anamnèse Il ne fait aucun doute pour l’Église que quand elle fait mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, son attitude première est celle de l’action de grâce, de la bénédiction, de la louange. Le Catéchisme de l’Église Catholique, parlant de l’Eucharistie, la définit comme « un sacrifice d’action de grâces au Père, une bénédiction par laquelle l’Église exprime sa reconnaissance à Dieu pour tous ses bienfaits, pour tout ce qu’il a accompli par la création, la rédemption et la sanctification. Eucharistie signifie d’abord ‹ action de grâces › »564. 564 CEC, 1360.

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Dans la célébration eucharistique, cette action de grâce est plus concentrée dans les préfaces qui constituent la première partie anamnesicocélébrative composée de trois parties : le Vere dignum initial, le corps central qui est souvent variable et le Pré-Sanctus565. Dans la structure générale des préfaces, « il y a une évocation générale de ce que Dieu a fait pour nous et qui culmine dans le mystère du Christ, puis nous rendons grâces parce que ce mystère nous donne, maintenant et pour toujours, accès à Dieu, et nous permet l’acclamation : le récit devient par là une confession de Jésus-Christ »566. L’action de grâce est toujours rendue à Dieu le Père par Jésus-Christ. La plupart des préfaces suivront ce schéma, d’autres feront plus intervenir l’action de l’Esprit Saint, comme dans le cas des préfaces des prières eucharistiques pour la réconciliation. Les préfaces dans lesquelles la recommandation du mémorial est clairement stipulée sont les préfaces de l’Eucharistie567 et la préface commune V568. Ici les raisons de l’action de grâce sont vraiment les mystères de la passion, de la résurrection et de la venue du Christ. Dans le récit de la consécration, Jésus rend grâce au Père pour les dons du pain et du vin qui deviennent son corps et son sang : « En te rendant grâce il le (la) bénit »569. Jésus, représentant l’Église et étant lui-même le don par excellence, rend grâce au Père pour le don de son corps et de son sang qui sont les dons uniques et parfaits que Dieu a fait aux hommes. Par cette action de grâce du pain et du vin, Jésus rend acceptable, à travers les dons de son corps et de son sang, nos offrandes humaines. L’action de grâce de l’Église pendant l’Eucharistie, est la mémoire de l’action de grâce originelle du Christ et rend acceptable l’offrande de l’Église à l’image de celle du Christ.

565 Cf. Pour une étude sur les Préfaces, nous vous recommandons V. Raffa, Liturgia eucaristica, 666–672. 566 G. Lafont, Eucharistie, 84. 567 Cf. MAD, Préfaces de l’Eucharistie I et II, 577–578 : « C’est lui le prêtre éternel et véritable, qui apprit à ses disciples comment perpétuer son sacrifice […] Il nous a prescrit d’accomplir après lui cette offrande pour célébrer son mémorial […] Dans le dernier repas qu’il prit avec ses apôtres, afin que toutes les générations fassent mémoire du salut par la croix […] ».   568 Cf. MAD, Préface Commune V, 580 : « Le rappel de sa mort provoque notre amour, l’annonce de sa résurrection ravive notre foi, et la promesse de sa venue nourrit notre espérance. » 569 MAD, Récit de la consécration I, II, III, IV, 526, 529, 533, 537.

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L’anamnèse eucharistique nous aide à rendre grâce à Dieu en Jésus-Christ pour ses bienfaits dans notre histoire. Ces bienfaits de Dieu matérialisés par la personne de Jésus, homme-Dieu, qui nous donne la possibilité de faire mémoire non seulement des faits passés, mais d’une personne vivante qui continue à rendre actuelle la bienfaisance de Dieu à travers son Église. Le Christ devient pour nous la voie rendant possible et efficace l’œuvre de salut de Dieu, il est pour nous le sacrement de Dieu. L’action de grâce est rendue au Père, par le Christ et dans l’Esprit tout en rappelant l’œuvre du salut réalisée dans l’histoire des hommes par la Sainte Trinité. L’action de grâce porte en elle une dimension anamnestique de toute l’histoire du salut accomplie par le Christ et l’espérance de l’Église de vivre pleinement ce salut à la fin des temps. L’Église, en célébrant l’anamnèse eucharistique, centre le motif de son action de grâce sur le Christ, accomplissement de l’œuvre rédemptrice de Dieu : elle ne vise pas d’abord à faire Dieu « se souvenir » pour qu’il se hâte d’achever son dessein, mais […] elle veut surtout épeler devant lui son droit à la louange. La supplication ardente pour que vienne l’avenir attendu s’inscrit là, dans le débordement de confiance que nourrit le rappel des merveilles passées. Le mémorial tient de la bénédiction son climat propre de fête, de célébration joyeuse570. 

Sans vouloir se limiter seulement à son emploi cultuel – tel fut la célébration de la Pâque juive – l’Église va au-delà de ce cadre pour mettre davantage en évidence le caractère sacramentel de l’anamnèse eucharistique. Paraphrasant Tillard, nous pouvons dire que dans l’anamnèse eucharistique, il y a à la fois une continuité et un dépassement de l’anamnèse juive, la Haggadah571. Faisant mémoire de hauts faits de Dieu, l’anamnèse eucharistique rend grâce à Dieu pour ce qu’il a fait dans l’histoire et qui a atteint son plein accomplissement en Jésus-Christ, et attend dans l’espérance la venue du Christ pour le couronnement de ce dessein de salut de Dieu. L’anamnèse eucharistique est « le déjà et le pas encore » de l’action de grâce de la multitude du peuple de Dieu en marche vers le royaume céleste. Englobant le temps, l’anamnèse nous fait sortir du temps et nous ouvre à l’avenir pour l’accomplissement plein de mystère de salut de Dieu. 570 J.-M.R. Tillard, « Le mémorial dans la vie de l’Église », 37. 571 Cf. A propos de l’anamnèse juive : E. Loewenthal, Haggadah, 2009.

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Le SC 8 nous parle de la liturgie terrestre comme « avant-goût de la liturgie céleste »572. Parler ainsi d’événement de salut et de célébration revient d’abord à affirmer que dans le mémorial chrétien se nouent un acte de Dieu et un acte du Peuple chrétien : l’acte du Père ré-actuant pour les siens et dans l’Esprit Saint ce qu’il a accompli une fois pour toutes dans la Pâque, l’acte du Peuple célébrant cette intervention salvifique dans la foi et l’espérance. Deux niveaux de réalité s’y compénètrent donc, l’un qui n’est perceptible que dans la foi et où la puissance de l’Esprit de Dieu se déploie, l’autre qui relève de l’homme et de sa relation de croyant face à Celui qu’il sait être Dieu-avec-lui. Il s’agit essentiellement d’un acte où se célèbre mais aussi se vit l’alliance avec ce qu’elle implique et de la part de Dieu et de la part de l’homme, sans que l’acte de l’homme soit coupé de celui de Dieu ni l’acte de Dieu coupé de celui de l’homme573.

Quand dans l’anamnèse nous rendons grâce à Dieu en faisant mémoire de ses hauts faits, il y a un double engagement qui se fait simultanément : d’une part Dieu dans son œuvre de salut, d’autre part l’homme dans la foi et l’espérance. Dieu qui a accompli une fois pour toute dans le temps son œuvre de salut et a promis sa bienveillance à toute la descendance d’Abraham, est appelé par notre anamnèse, à se souvenir de ce qu’il avait fait et promis (Gn 12, 1–3 ; Ne 1, 8–9). Nous lui rendons grâce pour ce qu’il avait autrefois accompli, et nous l’implorons à continuer à être bienfaisant envers son peuple fidèle. C’est ici que l’action de grâce anamnesique engage la foi et l’espérance du peuple célébrant ; Dieu étant toujours fidèle à ses promesses, il revient à l’homme de se mettre dans une attitude existentielle de foi et d’espérance pour accueillir le don de Dieu. Le climat joyeux du mémorial prend source dans le « souvenir » de ce que Dieu a opéré pour les siens, et ce « souvenir » traverse la joie elle-même. La communauté se réjouit de ce que son Dieu est pour elle, de ce dont il la gratifie. La participation à l’Evénement pascal par la communion au corps du Seigneur la renvoie, nous savons maintenant pourquoi, à la totalité de l’action de Dieu à son endroit, donc à ce qu’il a fait et à ce qu’il fera. On ne saurait alors parler ici de désintéressement absolu, de 572 Cf. « In terrena liturgia caelestem illam praegustando participamus, quae in sancta civitate Ierusalem, ad quam peregrini tendimus, celebratur, ubi Christus est in dextera Dei sedens, sanctorum minister et tabernaculi veri(22) ; cum omni militia caelestis exercitus hymnum gloriae Domino canimus ; memoriam Sanctorum venerantes partem aliquam et societatem cum iis speramus ; Salvatorem exspectamus Dominum nostrum Iesum Christum, donec ipse apparebit vita nostra, et nos apparebimus cum ipso in gloria » SC, 8. 573 J.-M.R. Tillard, « Le mémorial dans la vie de l’Église », 26.

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louange purement gratuite. Si le Peuple ne bénit pas dans le but de recevoir davantage, il bénit cependant parce qu’il a reçu et parce qu’il sait que Dieu mènera la Promesse à son achèvement ; L’oublier serait fausser le sens de la joie eucharistique574.

C’est ainsi que dans la Haggadah juive, le peuple d’Israël rendait grâce à Dieu pour ce qu’il avait fait autrefois : sortir son peuple de l’esclavage, action accomplie une fois dans l’histoire et que chaque génération devait habiter pour faire sien cet événement unique ; entrer matériellement dans le passé par la commémoration, avec une tension vers le futur en restant toujours fidèle au Seigneur en vue de l’attente messianique. E. Loewental parlant de la Haggadah cite la Mishnah et dit que toutes les générations d’Israël pendant ce mémorial de la Haggadah se considéreront eux-mêmes comme personnellement sorties d’Egypte575. Cette célébration juive, réconciliait les générations à venir avec leur passé et entre elles. Aucun vrai juif ne pouvait s’en passer. C’est ainsi que pour donner à tous l’occasion de célébrer cet événement de leur identité et de leur communion, sans équivoque de date, la diaspora célèbre deux fois la fête de Pâque pour ne pas se tromper de date. Commémoration importante qui engage tous les juifs du point de vue de la célébration, elle est encore plus engageante du point de vue existentiel dans la fidélité à Dieu et dans la communion fraternelle. L’Eucharistie, Pâques du Christ, gardant ce lien de fond avec la commémoration de la Pâque juive, devait aussi être conduite à ces mouvements de retombée de son anamnèse comme action de grâce, sentir le besoin de la célébration eucharistique comme une nécessité intrinsèque pour son identité et sa communion autour de Jésus ressuscité qui est l’accomplissement de la promesse de Dieu, chercher et vivre la réconciliation comme une attitude existentielle de son être. Parce que l’histoire qui l’a précédée n’était pas seulement un préalable temporel sans signification durable. On comprend alors que recevant à la Sainte Cène ce Corps du Seigneur pour qu’il la transforme, l’Église entre dans le mystère d’une réconciliation et d’un Salut frappés à la marque de l’histoire avec ses méandres, ses drames, ses déchirements mais aussi l’inaltérable fidélité de Dieu576.

Le concile Vatican II dira à ce sujet de la participation des fidèles à l’action sacrée que : 574 J.-M.R. Tillard, « Le mémorial dans la vie de l’Église », 38. 575 Cf. « In ogni generazione si è tenuti a considerare se stessi come se personalmente fossimo usciti dall’Egitto ». E. Loewenthal, Haggadah, IX. 576 J.-M.R. Tillard, « Le mémorial dans la vie de l’Église », 33.

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Itaque Ecclesia sollicitas curas eo intendit ne christifideles huic fidei mysterio tamquam extranei vel muti spectatores intersint, sed per ritus et preces id bene intellegentes, sacram actionem conscie, pie et actuose participent, verbo Dei instituantur, mensa Corporis Domini reficiantur, gratias Deo agant, immaculatam hostiam, non tantum per sacerdotis manus, sed etiam una cum ipso offerentes, seipsos offerre discant, et de die in diem consummentur, Christo Mediatore, in unitatem cum Deo et inter se(38), ut sit tandem Deus omnia in omnibus577.

Si cette attitude existentielle de l’Église était plus vécue que prêchée, l’imbroglio du monde serait affronté avec plus de profondeur et de perspicacité ; l’anamnèse du Christ mort et ressuscité deviendrait réellement le socle d’une ecclésia réconciliée et réconciliante. À la demande continuelle du monde de lui montrer un signe, la vie même ad intra et ad extra de l’Église serait une réponse suffisante. Sans pourtant nier tout ce que l’Église est en train de faire dans ce sens, le défi actuel du monde pousse l’Église à aller toujours in altum dans la recherche de l’unité autour de Jésus ressuscité. Pour cela, la mémoire et le vécu du don et du sacrifice du Christ constituent des éléments non négligeables de la vie de l’Église. 4.4.2  La dimension anmnesico-ecclésiologique de l’offrande du Christ « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » (He 1, 1–2). Toute l’histoire de la révélation est résumée par ces mots, de la préparation, en passant par les différentes manifestations de Dieu, jusqu’à sa pleine révélation en son propre Fils.  Dans les versets cités, la phrase qui retient surtout notre attention est : « Après avoir […] sous maintes formes […] en ces derniers temps […] nous a parlé par le Fils. » Toutes ces démarches de Dieu, sont les fruits de la monstration de son « tant aimé le monde » qui pour lui, au cours de l’histoire de l’humanité, l’a amené non seulement à la parole et aux divers dons à son peuple, mais l’a conduit jusqu’au don de son propre fils. C’est ainsi que, nous gardant de modifier la parole de Dieu que nous avons citée dans ces versets de l’épître aux Hébreux, nous osons paraphraser cette citation en disant : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, fait don jadis aux pères par les prophètes, Dieu, en 577 SC, 48.

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ces jours qui sont les derniers, s’est donné lui-même par son Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses. » On comprend ici alors que la parole de Dieu, les différentes manifestations de sa révélation, en commençant par le livre de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, sont les dons gratuits de son amour, de sa révélation qui le porte au don suprême de son propre fils. Ce don de la vie du Christ, qui constitue la révélation pleine de Dieu, exige une réponse vitale de l’homme, un changement de vie, un vécu qui essaye de correspondre au don reçu. C’est ainsi que S. Paul dit : En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’il a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables (Rm 1, 18–20).

Ce sont tous les hauts et les bas que connaîtra le peuple d’Israël lors de sa traversée du désert ; le livre de l’Exode en est une grande illustration. Jésus l’affrontera aussi face à l’incrédulité de ses apôtres et d’autres auditeurs (Lc 24, 35–43 ; Mt 14, 22–33 ; Jn 8, 31–59). Les différents dons de Dieu deviennent anamnèse, objet de mémoire pour l’homme. L’homme est appelé à faire toujours mémoire des dons reçus de Dieu par une vie de fidélité à Dieu. Sortir de cette logique devient ingratitude du point de vue humain ; péché du point de vue divin, donc objet de condamnation (Ex 32, 1–10 ; Mt 21, 43). Quand on aime vraiment, on est prêt à faire l’extraordinaire. Puisqu’il a tant aimé le monde, Dieu donnera son propre Fils, plus seulement la manne au désert, les miracles ou sa parole à travers les prophètes, mais son propre et unique Fils, fruit de l’amour du Père. L’amour appelle l’amour ; à l’amour du Père envers son Fils et le monde, le Fils répondra par l’amour envers son Père en donnant sa vie pour le monde578. Et à celui qui répondra à cet amour du Fils pour lui, le Fils en réponse se manifestera à lui. Ce don de sa vie, le Christ l’instituera en sacrement à travers le pain et le vin, deux signes vitaux importants de la création et donnera explicitement l’ordre aux siens d’en faire mémoire ; c’est ce qui constituera 578 Cf. « Personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même. J’ai pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » Jn 10, 18.

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la seconde partie anamnesico-célébrative de la table eucharistique579 :  « Et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : ‹ Ceci est mon corps, qui est pour vous (c’est nous qui le soulignons) ; faites ceci en mémoire de moi. › De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : ‹ Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi › » (1 Co 11, 24–25). On pourra aussi lire les textes parallèles, bien que avec certaines différences580 : Mt 26, 26–28 ; Mc 14, 22–24 ; Lc 22, 19–20. Dans la formule de la prière consécratoire, l’aspect du don, qui deviendra sacrifice, sera souligné dans la recommandation de Jésus : « livré pour vous », « versé pour vous et pour la multitude »581. Le don de son corps et de son sang déterminera et orientera sa vie ; il est venu pour cela, c’est son heure (Jn 7, 8 ) et la voie de notre sanctification (He 10, 10). Le commandement de Jésus de répéter ses gestes et ses paroles « jusqu’à ce qu’il vienne » ne demande pas seulement de se souvenir de Jésus et de ce qu’il a fait. Il vise la célébration liturgique, par les apôtres et leurs successeurs, du mémorial du Christ, de sa vie, de sa mort, de sa résurrection et de son intercession auprès du Père582.

Le Christ, en donnant sa vie pour nous, n’accomplit pas seulement un mouvement du haut vers le bas, c’est-à-dire un don descendu du ciel ; mais donne aussi à l’homme la possibilité de partir du bas vers le haut. Le don de la vie du Christ a la capacité d’un double mouvement descendant et ascendant (Ep 5, 2 ). Le Concile de Trente dit que le Christ s’offre sur la croix, il le fait sous le symbole du pain et du vin pendant la dernière Cène, et à la fin, il le fait pendant la messe à travers le ministère de l’Église qui agit selon son commandement583. Il existe alors une identité entre l’unique offrande du Christ offerte sur la croix et celle de l’Église offerte par le ministère sacerdotal. La seule différence, notera le Concile de Trente, est dans le fait que celle de la croix fut cruelle et celle de l’Église non cruelle584. Le sacrifice de la vie du Christ est le don par excellence que Dieu a fait au monde et en même temps le seul don parfait capable de plaire au Père. Par l’unique sacrifice du Christ, le pain et le vin, fruits du travail humain, 579 Cf. V. Raffa, Liturgia eucaristica, 692–704. 580 Cf. Hormis la différence littéraire que nous pouvons noter, l’ordre de réitérer, de faire mémoire ne se retrouve que chez Luc et chez Paul. 581 Cf. MAD, Prières consécratoires. 582 CEC, 1341, 339. 583 Cf. D, 1239–1242. 584 Cf. D, 1743.

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sont capables de devenir le pain et le vin de la vie et du royaume éternel585. L’Église, en faisant mémoire de la Pâques du Christ dans la célébration eucharistique, rend toujours présent et restitue, par le pain et le vin, le don de la vie même du Christ à travers ses gestes et symboles. Partant de l’expérience humaine, un don précieux reçu de quelqu’un est toujours signe de la présence du donateur. On reconnaît combien sont fructueuses les études faites sur la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie, nous ne voulons pas ici y revenir. En faisant mémoire de ce don, l’Église n’actualise pas seulement le don mais aussi toute l’histoire du salut initiée par le donateur : Dieu le Père. La dimension anamnestique de l’offrande de la vie du Christ porte en soi un caractère représentatif important : la mémoire du Christ comme don du Père au monde, représente l’amour infini et toujours présent de Dieu pour nous. L’offrande de l’Église rendue acceptable au Père, grâce à l’intégration à celle du Christ, représente l’action de grâce perpétuelle de l’Église, à travers le Christ, au Père. L’offrande de l’Église est en fait le Christ lui-même, représentant toute son Église, qui s’offre encore au Père en signe d’action de grâce. L’Eucharistie, au-delà du fait d’être un don reçu de Jésus, est la réactualisation même du mystère pascal, le Christ lui-même qui continue à se donner aux siens, et l’Église par l’intermédiaire du Christ, continue à rendre grâce à Dieu pour l’œuvre du salut réalisée par son Fils. Par la célébration eucharistique, l’Église maintient toujours vivante l’efficacité rédemptrice du don de la vie du Christ. « La présence réelle est d’abord ordonnée à cette réactualisation et le mode sacramentel de la présence du corps et du sang de Jésus doit être d’abord pensé et compris dans le mystère global de l’‹ absence-présence ›  du Christ »586. Cette absence-présence, Jésus y a préparé ses disciples587. Une absence temporaire qui nous invite à la vigilance et à l’engagement. Annonçant en outre son départ imminent (Jn13, 33 ; 8, 21), il rassure pourtant les siens de sa présence (Jn 14, 18–19.28 ; Jn 16, 16.19), renforcée par celle du consolateur que le Père enverra en son nom (Jn 14, 26). Du don de la vie du Christ sacrifiée pour nous, l’Église est renforcée par un autre don, non moindre, celui de l’Esprit Saint qui nous rappellera 585 Cf. MAD, Préparation de l’autel et présentation des dons à Dieu, 522. 586 F. Marneffe – Lebrequier, Faites ceci en mémoire de moi, 34. 587 Cf. Plusieurs paraboles dans le Nouveau Testament en témoignent : « la parabole des dix vierges (Mt 25, 1–13), la parabole des talents (Mt 25, 14–30), la parabole des mines (Lc 19, 11–27) » pour ne citer que celles-là.

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tout ce que Jésus a fait et dit. Du don du Christ nous passons au don de l’Esprit pour nous faire vivre toujours dans la mémoire les hauts faits de Dieu. La mémoire eucharistique, au-delà du fait d’être seulement la mémoire du Christ, don unique et parfait de Dieu, s’ouvre à une dimension beaucoup plus large pour devenir une mémoire du don reçu de la Sainte Trinité. En actualisant le don qui est le Christ, nous rendons aussi présente toute la Sainte Trinité. Faire mémoire de don de la vie du Christ dans l’Eucharistie, c’est entrer dans la dynamique trinitaire du dessein de salut de Dieu. Cette dynamique qui, à cause de son efficacité intrinsèque, continue à s’actualiser dans le monde par la vie de l’Église, nous ouvre à la communion trinitaire, et par la formule même ecclésiale de l’ordre donné par Jésus aux siens : « Faites ceci », crée et nous maintient dans l’ecclésia. Le concile Vatican II le dit encore avec beaucoup plus de pertinence : Quoties sacrificium crucis, quo « Pascha nostrum immolatus est Christus » (1Cor 5, 7), in altari celebratur, opus nostrae redemptionis exercetur. Simul sacramento panis eucharistici repraesentatur et efficitur unitas fidelium, qui unum corpus in Christo constituunt (cf. 1Cor 10, 17). Omnes homines ad hanc vocantur unionem cum Christo, qui est lux mundi, a quo procedimus, per quem vivimus, ad quem tendimus588.

Ces dimensions trinitaire et ecclésiale de mémoire du don de la vie du Christ courrent un grand risque dans le monde moderne, celui de mettre à l’arrière-plan la dimension personnelle de l’être chrétien. En réalité, on ne saurait exagérer l’aspect de la communion au détriment de la personne parce que l’Eucharistie de par sa nature est le sacrement de l’unité de l’Église ; mais la grosse erreur serait l’illusion d’une ecclesia dont l’aspect du don comme mémoire, devenu motif de notre action de grâce que l’Église célèbre, n’est pas compris et vécu en harmonie avec la vie de chaque chrétien. « Vivre en cohérence avec l’Eucharistie, c’est donner sa propre vie comme le Christ a donné la sienne. Pour donner la nôtre, nous sommes invités à offrir, à entrer dans l’offrande de Jésus »589. On comprend ici nos héros de la foi qu’on appelle « martyres » : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Ce qui présuppose pour chaque chrétien et chaque communauté, à l’instar de Jésus, une bonne dose du vrai sens de la liberté et du sacrifice. L’assiduité à l’enseignement et à la fraction du pain doit nous amener à la charité 588 LG, 3 589 F. Marneffe – Lebrequier, Faites ceci en mémoire de moi, 59.

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fraternelle, à faire volontairement de notre vie un don sacrificiel comme fit Jésus. 4.4.3  Le caractère anamnestique du sacrifice eucharistique Visitant les Écritures Saintes, nous pouvons constater que la notion de sacrifice est extrêmement complexe. La Bible fait mention de sacrifices votifs ou volontaires (Lv 7, 16) ; il existait aussi dans la tradition juive des sacrifices de communion et d’action de grâce (Lv 3, 1 ss ; Dt 12, 12ss, Ps 50, 14 etc …). Le peuple hébreu était invité à offrir à Dieu toutes les prémices de vie : humaine, animale et végétale 590. Il offrait à Dieu les sacrifices sanglants et non sanglants qui avaient des contenus et des significations diverses. Par ces oblations, l’homme hébreu intendeva celebrare la sovranità assoluta di Jahvé, inoltre, secondo i casi, espiava i propri peccati e ne invocava da lui il perdono, lo lodava e gli rendeva grazie, entrava in comunione salvifica con lui, manifestava la sua fedeltà all’alleanza e intendeva promettere la coerenza di vita591.

En ce qui concerne les prémices, il ne revenait pas à l’homme de se les approprier. Les fruits les plus sains et enviés revenaient à la divinité, donateur de tous les dons excellents qu’on peut imaginer. On devait les lui offrir comme offrande la plus parfaite et pure. Déjà apparaît ici le caractère anamnestique du sacrifice : l’homme qui se souvient qu’il reçoit tout de la main de Dieu, lui rend en forme de sacrifice le meilleur don reçu, pour frappeler à Dieu de continuer à donner. L’homme qui se souvient de la miséricorde de Dieu envers ses attenants, implore la même miséricorde à travers son sacrifice. Pouvons-nous alors arriver à dire que tout sacrifice devenait mémorial  ? Question intéressante à laquelle il faut répondre. De tous ces sacrifices de l’Ancien Testament, aucun n’avait un caractère parfait et non répétitif, aucun de ces sacrifices anciens n’avaient une efficacité de purification et de réconciliation pérenne. Parlant de l’inefficacité des sacrifices anciens, l’auteur de l’épître aux Hébreux présente 590 Cf. « Consacre-moi tout premier-né, prémices du sein maternel, parmi les Israélites. Homme ou animal, il est à moi » Ex 13, 2 .« Tu céderas à Yahvé tout être sorti le premier du sein maternel et toute la première portée des bêtes qui t’appartiennent : les mâles sont à Yahvé » Ex 13, 12. 591 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 1000.

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Jésus comme le sacrifice libre, parfait et sanctificateur592. Commémorant le sacrifice de l’ancienne Alliance, Jésus se présente lui-même comme le vrai sacrifice, libre, parfait et sanctificateur. Vrai sacrifice parce que prophétisé d’abord par le prophète (Is 53, 7 ), ensuite présenté par Jean le Baptiste comme l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde (Jn 1, 29), il dira enfin lui-même pendant la dernière Cène qu’il donne sa chair pour nous et qu’il verse son sang pour la multitude (Mt 26, 26–28 ; Mc 14, 22–24 ; Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 23–25). Malgré les paramètres extérieurs qui l’ont conduit au sacrifice suprême, c’est librement que Jésus donne sa vie (Jn 10, 18). Tuttavia al di sopra degli interventi di questa turba di persone vi fu la volontà spontanea e libera di Cristo di accettare la propria immolazione in omaggio alla volontà del Padre. Cristo si offri spontaneamente al compimento del sacrificio della sua persona. Il suo certo non fu un suicidio. Suo fu l’atteggiamento oblativo, come atto interiore, intenzionale, rigidamente personale593.

C’est par le don libre de sa vie comme accomplissement de la volonté du Père, que la vraie valeur salvifique de son sacrifice se manifeste (Jn 17, 19 ; He 10, 10). L’efficacité expiatoire du sacrifice du Christ commémorée pendant la messe sera une des données les plus professées dans l’Église, que le concile de Trente érigera en doctrine pour raffermir la foi des chrétiens594. Les prières eucharistiques, spécialement celles de la consécration, reprendront toutes ces caractéristiques en les synthétisant merveilleusement dans cette formule : Au moment d’être livré, et d’entrer librement dans sa passion, il prit le pain, il rendit grâce, il le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous. » De même, à la fin du repas, il prit la coupe ; de nouveau il rendit grâce, et la donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi »595. 592 Cf. « Il commence par dire : Sacrifices, oblations, holocaustes, sacrifices pour les péchés, tu ne les as pas voulus ni agréés – et cependant ils sont offerts d’après la Loi -, alors il déclare : Voici, je viens pour faire ta volonté. Il abroge le premier régime pour fonder le second. Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes » He 10, 8–10. 593 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 998. 594 Cf. D, 1743. 595 MAD, Récit de la consécration I, II, III, IV. (C’est nous qui mettons en exergue).

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Le caractère vrai, parfait, libre, sanctificateur et mémorable du sacrifice du Christ est clairement exprimé dans ces paroles de consécration de l’Eucharistie. Librement le Christ entre dans sa passion où il sera sacrifié en donnant lui-même son corps et son sang pour les siens et pour la multitude. A la différence d’autres sacrifices, inconscients, non libres, le Christ donne librement sa vie en sacrifice saint. Sainteté due à la qualité même du don qui est saint parce qu’étant le don du Fils unique de Dieu. Comme les autres sacrifices anciens rappelaient la libération d’un peuple de l’esclavage de l’Egypte et l’ancienne alliance, le sacrifice du Christ sanctifie son Église, la libère du péché et ouvre le salut au monde pour une nouvelle alliance qui est éternelle. L’Église, sacramentellement et d’une manière non sanglante fait mémoire de ce sacrifice pour rendre toujours présent le sacrifice et le sacrifié, parce qu’il est ressuscité et éternel, pour obtenir le pardon des péchés et surtout pour entrer individuellement et communautairement dans la dynamique sacrificielle du Christ : « Nous présentons cette offrande vivante et sainte pour te rendre grâce. Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Église, et daigne y reconnaître celui de ton Fils […] Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire »596. L’anamnèse, jusque là célébrée dans toute l’Eucharistie, trouve dans les paroles de la consécration sa totale concentration et signification. C’est ainsi qu’après cette partie le peuple exprime la plénitude de mystère célébré, en forme d’acclamation : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. » Mystère qui fait et rassemble l’Église ; mystère qui structure et devient la plaque tournante de la foi de l’Église. Le sacrifice du Christ étant intrinsèquement lié à la commémoration du sacrifice de l’Ancien Testament, devient tout à fait un nouveau sacrifice, par son caractère vrai, libre, parfait, sanctificateur, universel, unique et éternel que l’Église est appelé à actualiser jusqu’au retour du Christ. « Al valore effimero succede quello perenne, a quello frammentario, dovuto all’insufficienza delle singole immolazioni veterotestamentarie, si sostituisce quello ripetibile per l’intrinseca insufficienza si passa a quello irripetibile in se stesso perché bastevole per ogni richiesta »597. Par le sacrifice de sa propre vie à son Père, Jésus conclut tous les autres sacrifices 596 MAD, Prières eucharistiques, III, 534. 597 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 1000.

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et les récapitule dans son unique sacrifice pour notre bénédiction598. C’est ainsi que l’Église à travers l’unique sacrifice du Christ, offre à Dieu ses prémices, ses dons. On comprend alors ici l’Eucharistie comme mémorial du sacrifice du Christ, parce que, le Christ étant l’unique et parfait homme-Dieu, ne pouvait qu’instituer l’Eucharistie comme mémorial de son sacrifice, pour qu’il soit accepté par Dieu et que cela soit perpétuellement source de bénédiction pour son Église et la multitude. En effet en dehors de la mémoire de son sacrifice, l’Église ne peut offrir aucun autre sacrifice parfait qui plaise à Dieu à l’instar de celui du Christ, puisqu’il est le meilleur, le plus parfait de toutes les prémices. C’est dans ce Vrai, Unique et Parfait sacrifice du Christ que tous les autres sacrifices trouvent leur accomplissement et leur acceptabilité. Le Christ, en s’offrant au Père pour les hommes, donne au Père ce que l’homme a de plus parfait. Son sacrifice est le plus parfait et l’unique. C’est ainsi que l’Église doit le commémorer. L’Église ne peut pas le répéter parce qu’il est unique, elle le rend présent, le ré-actualise. C. Giraudo dira : La notion de re-praesentatio sacramentelle nous fait comprendre que, dans la messe, ce n’est point le sacrifice ephapax de la croix qu’on renouvelle, mais bien plutôt le mémorial du sacrifice ephapax. Car, dans le signe sacramentel du pain et du vin que le Seigneur a laissé à son Église, nous sommes réellement re-présentés (c’est-à-dire « rendus à nouveau présents ») au mystère de sa mort et de sa résurrection599.

Nous ne pouvons parfaitement comprendre la notion de « sacrifice » que quand à la messe nous faisons mention de la notion de « mémorial » du sacrifice du Christ : sortis de ce cadre, il nous sera difficile d’appréhender et de vivre l’Eucharistie comme sacrifice parfait et unique du Christ pour son Église. Le Catéchisme de l’Église Catholique, en confirmant ce qu’affirmait le concile de Trente600, dit : « L’Eucharistie est donc un sacrifice parce qu’elle représente (rend présent) le sacrifice de la Croix, parce qu’elle est le mémorial et parce qu’elle en applique le fruit »601. Ici encore, l’unique sacrifice du Christ, qui s’identifie à celui de l’Eucharistie, joue un double rôle représentatif : il représente le meilleur don que l’homme a reçu de Dieu et en même temps le meilleur sacrifice que l’homme à travers 598 Cf. « Lui au contraire, ayant offert pour les péchés un unique sacrifice, il s’est assis pour toujours à la droite de Dieu » : He 10, 12. 599 C. Giraudo, « Vers un traité de l’Eucharistie », 884. 600 Cf. D, 1740. 601 CEC, 1366.

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le Christ peut offrir à Dieu. C’est ainsi que dans le mémorial du sacrifice du Christ, sans parler d’effet unificateur de ce mémorial qui sera l’objet du point qui suivra, le ministre offre toute l’Église : le pape, les évêques, les prêtres, les chrétiens présents et absents et même ceux qui nous ont précédés dans l’au-delà602. Tout vrai sacrifice porte en soi alors un caractère anamnestique « en ce sens qu’il a cette fonction de rappeler à Dieu celui qui l’offre, ou tel événement, telle promesse »603, même l’oblation de jalousie avait aussi un aspect de mémorial : « Cet homme conduira sa femme devant le prêtre, et fera pour elle une offrande d’un dixième de mesure de farine d’orge. Il n’y versera pas d’huile et n’y mettra pas d’encens, car c’est une ‹ oblation de jalousie ›, une oblation commémorative, qui doit rappeler une faute » (Nb 5, 15). En nous appuyant encore ici sur les Saintes Écritures, nous pouvons arriver à dire avec plus de précision que le mémorial est une partie du sacrifice ; ainsi dans l’Ancien Testament :  « Il l’apportera aux fils d’Aaron, les prêtres ; il prendra une pleine poignée de fleur de farine et d’huile, plus tout l’encens, ce que le prêtre fera fumer à l’autel à titre de mémorial, mets consumé en parfum d’apaisement pour Yahvé » (Lv 2, 2 ). L’Église, à travers SC 47, nous exprime à merveille l’institution du sacrifice eucharistique comme mémorial voulu par Jésus et nous fait comprendre comment ce mémorial devient une source de bénédiction à mesure que le sacrifice s’intériorise dans l’être même de l’Église604. Le Christ sacrifié se constitue en objet et sujet même de l’Eucharistie et l’Église est invitée à perpétuer ce sacrifice dans la liturgie eucharistique pour rendre ce sacrifice toujours présent au sein de l’Église, et donner le corps et le sang de Jésus en nourriture et breuvage aux siens : « Puis, prenant du pain […] le rompit et le leur donna, en disant : ‹ Ceci est mon corps, donné pour vous ; faites cela en mémoire de moi. › Il fit de même pour la coupe après le repas, disant : ‹ Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous › » (Lc 22, 19–20). 602 Cf. CEC, 1368, 1369, 1370, 1371. 603 J. H. Nicolas, Synthèse dogmatique de la Trinité à la Trinité, 886. 604 Cf. « Salvator noster, in Cena novissima, qua nocte tradebatur, Sacrificium Eucharisticum Corporis et Sanguinis sui instituit, quo Sacrificium Crucis in saecula, donec veniret, perpetuaret atque adeo Ecclesiae dilectae Sponsae memoriale concrederet Mortis et Resurrectionis suae : sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis, convivium paschale, ‹ in quo Christus sumitur, mens impletur gratia et futurae gloriae nobis pignus datur ›» SC, 47.

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L’Eucharistie, sacrement de la présence réelle et permanente du Christ, ne nous a pas été donnée « en premier lieu pour qu’il soit contemplé et adoré. Il nous a été donné tout d’abord pour qu’on le mange, afin de communier – à travers la manducation du corps sacramentel – au mystère du Christ mort et ressuscité, pour être ainsi transformés au corps ecclésial, eschatologique, mystique »605. L’Église, en faisant mémoire du sacrifice du Christ, obtient pour elle la rémission de ses péchés, « car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Mt 26, 28) ; et elle s’offre elle-même avec tous ses membres au Père. Il y a un échange mystérieux qui s’opère dans la mémoire du sacrifice du Christ : le sacrifié qui devient nourriture pour l’Église en vue de la rémission des péchés. C’est ainsi que le mémorial du sacrifice du Christ devient la meilleure voie d’unité, de sanctification de toute l’Église. Unité entre les vivants et la Sainte Trinité, unité entre l’Église terrestre et l’Èglise céleste.

5.  La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse Avant de commencer à parler de l’Esprit Saint, nous avons jugé bon de faire ce petit paragraphe pour essayer de comprendre ce que nous entendons par l’épiclèse selon la foi catholique. C’est cette compréhension qui guidera toute la suite de notre discours sur l’Esprit Saint. En considérant étymologiquement le terme épiclèse à partir de son origine grecque : epi : sur, et Kaléô : appeler, Pierre-Marie Gy parlera « d’invocation, c’est-à-dire à la fois d’hommage religieux et de recours à Dieu et à son nom »606. Pour certains liturgistes, l’anamnèse est d’ailleurs appelée Invocatio. C’est le cas spécialement dans les liturgies grecques. Mais comme le notifie F. Cabrol, on devrait réserver ce nom plus spécialement pour l’épiclèse qui est vraiment l’invocation du Saint-Esprit, mais comme l’épiclèse suit presque invariablement l’anamnèse et même parfois ne fait qu’un avec elle, cette confusion s’explique facilement. Cependant, si l’on y prend garde, on verra que même dans ces liturgies, l’épiclèse est introduite par un paragraphe qui n’est autre que l’anamnèse607. 

605 C. Giraudo, « Vers un traité de l’Eucharistie », 885. 606 P.-M. GY, « Épiclèse », 472. 607 F. Cabrol, « Anamnèse », 1880–1881.

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On voit apparaître dans cette invocation deux dimensions importantes : hommage religieux rendu à Dieu et un recours de son intervention pour nous, puisque c’est seulement par la grâce de l’Esprit que nous sommes fils de Dieu et que nous pouvons mieux prier, rendre hommage à Dieu en l’appelant Abba (Rm 8, 15) ; c’est encore et seulement à travers l’Esprit Saint que nous recevons tout bien venant de Dieu. L’Epiclèse prise dans son sens étymologique comme un appel sûr, une invocation, revêt un sens d’hommage ; nous rendons grâce à Dieu par la force de son Esprit pour les biens reçus de lui, et en même temps un sens de demande, nous appelons encore sur nous sa grâce, à travers le même Esprit. « Dans le domaine liturgique, le terme est traditionnellement employé pour demander à Dieu le Père d’envoyer son Esprit Saint sur une personne ou une réalité matérielle afin de la sanctifier »608. L’épiclèse, nous aidant à approcher le Père, nous aide en même temps à demander au Père l’envoi de l’Esprit Saint, pour la continuation de l’œuvre rédemptrice du Fils. Originé dans la Sainte Trinité, l’Esprit Saint nous ouvre à la reconnaissance de Dieu et de ses bienfaits en vue de lui rendre hommage, et nous sanctifie en vue de Dieu. L’Esprit Saint devient pour nous cette personne qui, dans la Sainte Trinité, nous ouvre toujours au vécu et à la contemplation de l’amour de Dieu tel que manifesté dans l’histoire du salut. Il devient comme la personnification de l’amour même de Dieu. Son dynamisme au sein même de la Trinité rend difficile toute précision sur ce qui le concerne. Sa relation au Père et au Fils n’est pas comme celle de la paternité qui lie le Père au Fils ni celle de la filiation qui lie le Fils au Père, mais sa relation avec les deux est celle de la procession. Procédant du Père et du Fils, l’Esprit Saint se trouve d’ores et déjà dans une circularité trinitaire de par sa nature même. S. Thomas d’Aquin dira que « le Saint Esprit en Dieu est proprement l’amour, au sens où ‹ amour › désigne, non l’acte d’aimer, mais l’être aimé en tant que rendu présent à l’intime de l’aimant par l’acte même d’aimer »609.  Cette lumière que Thomas d’Aquin nous apporte sur l’Esprit Saint, nous ouvre à la compréhension multidimensionnelle de l’accomplissement de l’œuvre du salut. Etre aimé en tant que rendu présent à l’intime de l’aimant par l’acte même d’aimer, situe d’abord l’Esprit Saint au sein de la Sainte Trinité, confirmant ainsi l’unité d’un seul Dieu en trois personnes ; ensuite, si l’œuvre du salut est la manifestation de l’amour de 608 P. Rouillard, « L’épiclèse dans les prières eucharistiques », 8. 609 S. Thomas D’Aquin, Somme Théologique, 1, 37.

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Dieu à partir de la création, qui trouve son accomplissement dans la mort et la résurrection de Jésus, nous comprenons encore ici combien est grand le rôle de l’Esprit Saint dans l’accomplissement de cette œuvre à partir de la création (Gn 1, 2 ss ; Ps 104, 30 ; Ps 33, 6–9) jusqu’en Jésus Christ. Enfin l’amour intemporel de Dieu, manifesté par la création et accompli en Jésus, confié à l’Église sous forme de mémorial, ne peut être mieux vécu, encore une fois ici, que par la force et la grâce de l’Esprit Saint qui est l’être aimé en tant que rendu présent à l’intime de l’aimant par l’acte même d’aimer manifesté au sein de la Sainte Trinité, dans la création, par la mort et la résurrection de Jésus, et qui continue à se manifester dans le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur jusqu’à la fin des temps. A n’importe quel plan où l’on se situe dans l’œuvre du salut, nous débouchons toujours d’une manière ou d’une autre dans l’acte de l’Esprit Saint. Paraphrasant S. Irénée de Lyon, on pourrait dire que, le Verbe et l’Esprit Saint sont alors vraiment les deux mains du Créateur qui par elles a créé, recréé, et continue à actualiser le dessein de son amour jusqu’à la parousie610. L’Esprit est traditionnellement connu dans l’histoire religieuse à cause de ses différents dons particuliers accordés à certaines personnes choisies par Dieu : faisant des prophètes, remplissant les rois de la sagesse, de la connaissance et de la crainte du Seigneur ; le Christ, en instituant l’eucharistie, établit un cadre privilégié, un espace approprié où l’Esprit est donné en abondance. L’anamnèse du Christ devient une source de la plénitude de l’Esprit Saint. Sans vouloir ici nier la présence de l’Esprit Saint dans d’autres actions sacramentelles de l’Église, nous pouvons affirmer que c’est dans l’Eucharistie que, d’une manière unique et incomparable, la mission de l’Esprit Saint se réalise pleinement. Aussi comprend-t-on que l’Église demande à Dieu d’envoyer son Esprit sur ceux qui reçoivent le baptême ou la confirmation, sur ceux à qui est confié un ministère ecclésial au moment de leur ordination, sur ceux aussi qui se marient ; et l’Église invoque également la venue de l’Esprit Saint pour sanctifier l’eau du baptême, les diverses huiles sacramentelles, et bien sûr le pain et le vin de l’Eucharistie. L’épiclèse eucharistique n’est donc pas un fait isolé dans la liturgie de l’Église, mais un des moments où l’action de l’Esprit envoyé par le Père est le plus déterminant 611.

610 Cf. Irenée De Lyon, Adversus Haeresis, IV, 20, 1. 611 P. Rouillard, « L’épiclèse dans les prières eucharistiques », 8. (C’est nous qui soulignons)

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Le concile Vatican II n’a donc pas eu tort en considérant l’Eucharistie comme le sommet de la vie de l’Église, toutes les actions de l’Église tendent vers l’Eucharistie ; c’est là la source d’où découlent toutes les vertus possibles612. On ajoutera encore que c’est là que l’histoire du salut est vécue dans son aujourd’hui d’une manière unique, de façon individuelle et communautaire. C’est là que tous les sacrements qui constituent la vie de l’Église peuvent être reçus et le « Amen » de foi qui engage l’Église dans l’espérance est exprimée. Procédant du Père et du Fils, la mission de l’Esprit Saint est pleinement accomplie dans la célébration de la mémoire du Christ. Le Christ rendu présent d’une manière mystérieuse parmi les siens, souffle continuellement sur ses disciples comme il l’avait fait au soir de sa résurrection (Jn 20, 22). Etant considérée en soi comme espace le mieux indiqué pour la réalisation de la mission de l’Esprit Saint, l’Eucharistie, si on peut ainsi dire, nous donne tous les biens nécessaires de l’Esprit en Jésus réellement présent parmi les siens. Le Christ se manifeste encore aujourd’hui dans la célébration de la sainte Eucharistie à ses disciples, et par la force de l’Esprit Saint engage l’Église dans une dynamique de transformation pascale en vue du royaume à venir. La présence de l’Esprit dans l’Eucharistie brise les limites de l’acte temporel accompli par Jésus une fois dans l’histoire pour le rendre contemporain et actuel. Il fait sortir l’Église dans le temps actuel pour la faire entrer dans l’intemporalité de l’événement Jésus en vue du royaume. L’invocation de l’Esprit Saint pendant la commémoration de la mort et de la résurrection de Jésus donne sens à la perspective eschatologique de la foi de l’Église. L’Église entre dans la dynamique de l’Esprit Saint qui vient de Dieu et la ramène vers Dieu. L’anamnèse du Christ étant l’espace où nous apprenons à recevoir, à connaître et à entrer en contact avec l’amour du Père que le Christ a manifesté et que le Père continue à répandre maintenant dans tout l’univers par l’Esprit Saint, la célébration de cette anamnèse devient le lieu où nous accueillons la vérité de l’amour de Dieu, tel qu’il est et non tel que nous voudrions qu’il soit. L’anamnèse devient le lieu où nous allons vers Dieu, comme lui vient vers nous. La dynamique de l’Esprit Saint, commandée par sa procession, dans laquelle l’Église entre pendant la célébration eucharistique, permet à l’Église d’accéder aux biens éternels, à la nature divine : « Il a plu à Dieu 612 Cf. SC, 10.

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dans sa sagesse et sa bonté de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine »613. Cette pré-gustation, cette anticipation d’accès aux biens eschatologiques constituent la finalité et la mission même de l’Église. Et l’Église ne peut arriver à accomplir cette mission qu’étant elle-même en synergie avec ces biens eschatologiques. L’Esprit Saint dans la célébration de l’anamnèse du Christ la comble de ces biens, il fait réellement vivre l’Église dans la foi telle que le Pape Benoît XVI le dit dans son encyclique Spe Salvi : Elle (la foi) nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue, et la réalité présente constitue pour nous une « preuve » des biens que nous ne voyons pas encore. Elle attire l’avenir dans le présent, au point que le premier n’est plus le pur « pas-encore ». Le fait que cet avenir existe change le présent ; le présent est touché par la réalité future, et ainsi les biens à venir se déversent sur les biens présents et les biens présents sur les biens à venir614.

L’Esprit Saint, dans l’anamnèse, fait situer l’Église dans une perspective eschatologique en la décentrant de l’immédiateté du présent pour l’ouvrir à une plénitude qui ne peut être atteinte sur cette terre. C’est vraiment pendant l’anamnèse du Christ que l’Église, grâce à l’Esprit Saint, expérimente l’espérance au sens chrétien du mot. L’espérance intervient alors, car c’est elle qui nous permet de vivre l’au-delà aujourd’hui. C’est en elle que s’incarne ce mystère de la communion des saints. L’espérance est une attitude qui nous fait habiter aujourd’hui l’au-delà de la mort, qui nous fait habiter la communion des saints et qui nous permet de l’incarner. Elle nous fait tenir « dans la peur du lendemain, vaincue par la patience d’aujourd’hui … dans la peur de la mort violente, vaincue par la présence du Vivant »615.

L’Esprit Saint, par sa nature divine, donne à l’Église, dans l’anamnèse du Christ, l’avant goût de la grande assemblée des enfants de Dieu et du bonheur du royaume à venir. L’apôtre Paul dira : « Nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps » (Rm 8, 23). Procédant de Dieu, Père et Fils, l’Esprit invoqué dans la célébration eucharistique 613 DV, 2. 614 Benoît xvi, Spe Salvi, 7. 615 C. Salenson, Une théologie de l’espérance, 169–170.

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nous conduit à Dieu et nous reconduit quotidiennement dans nos différents engagements. Comme chrétiens, il nous fait, à chaque Eucharistie, vivre ce qu’avaient vécu les apôtres lors de l’ascension de Jésus : « les yeux levés au ciel et le retour à Jérusalem » (Ac 1, 11–12). L’invocation de l’Esprit Saint prend dans l’Eucharistie une importance capitale, à tel point que toute négligence risquerait d’entamer la crédibilité et les effets mêmes de l’Eucharistie. Elle fait de l’Église, une Église anamnesico-pneumatique c’est-à-dire une Église qui en se constituant et en vivant de l’anamnèse du Christ, pénètre, avec la force de l’Esprit Saint, dans la profondeur des deux tables de l’Eucharistie pour devenir ainsi vivante et évangélisatrice. C’est de ce point de vue que nous étudierons la circularité de l’épiclèse avec l’anamnèse dans les deux tables eucharistiques des différents rites que nous allons parcourir. 5.1 La circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse dans la table eucharistique : le cas des rites orthodoxes Les rites orthodoxes en général sont marqués par une dimension pneumatologique indéniable. L’Eucharistie étant la célébration du Saint sacrifice du Christ, elle ne peut être mieux célébrée que grâce à la force de l’Esprit Saint qui nous purifie et nous rend dignes de ce grand mystère. Déjà dans le rite de préparation, pour ne prendre que le cas du rite byzantin, gloire est rendue à Dieu avec une forte invocation de l’Esprit Saint : « Gloire à Vous, notre Dieu, gloire a Vous. Roi céleste, consolateur, Esprit de vérité, partout présent et remplissant tout, trésor de tout bien et Maître de vie, venez, habitez en nous, purifiez-nous de toute souillure et, Dieu bon, sauvez nos âmes »616. D’autres rites orthodoxes feront aussi des invocations similaires dans la partie préparatoire de la messe. Dans le rite alexandrin, duquel sera issu le rite éthiopien, « le prêtre s’habille, en récitant le Ps. XXIX, exaltabo te Domine, et le Ps. XCII, Dominus regnavit. Il fait une prière au Christ miséricordieux pour qu’il le rende digne de se présenter au service. Solus sine peccato, et potens ad remissionem peccatorum concedendam »617. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse apparaît déjà au niveau préparatoire de la messe. Le Christ pardon de Dieu pour son peuple est rendu 616 F. Mercenier, Prière des Églises de rite byzantin I, 14. 617 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1477.

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actuel par la force de l’Esprit Saint. Revenons un peu sur cette fameuse prière préparatoire de rite byzantin. L’Esprit Saint est nommé Roi, Consolateur, Esprit de vérité, Trésor de tout et Maître de vie. Tous ces attributs, si l’on veut ici réfléchir par analogie, sont des attributs qu’on retrouve aussi en Jésus. Jésus annoncé comme Roi (Dn 7, 13–14 ; Is 9, 5–6, Za 6, 16–13, Mi 5, 1–3), prédit comme consolateur de son peuple qui souffre (Is 40, 1–2), présenté comme la Vérité et la vie (Jn 1, 14 ; 14, 6 ). On assiste à une circularité intrinsèque entre les deux, si bien qu’on ne peut pas parler de l’un sans l’autre. Les attributs du Christ sont rendus concrets dans la vie des chrétiens par l’Esprit Saint. L’Esprit concrétise en nous les attributs du Christ que lui-même porte. Cette circularité entre les deux est en vue du Père. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est en vue de la trilogie, c’est ainsi que toutes les invocations de l’Esprit Saint pendant la célébration du Saint sacrifice se terminent toujours par : Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit. La Sainte Trinité occupant une place de choix dans la théologie orientale, les personnes qui constituent cette Sainte Trinité restent intimement liées entre elles. Dans les préliminaires de la table eucharistique, pour ne prendre que le cas du rite byzantin, la demande adressée à Dieu le Père par le célébrant d’être purifié afin de mieux offrir le sacrifice pour tout le peuple, montre la circularité qui dépasse le cadre de l’anamnèse et l’épiclèse pour atteindre toutes les trois personnes de la Sainte Trinité. La prière est adressée au Père, en vue de la purification, œuvre de l’Esprit Saint, afin d’offrir le sacrifice, le Christ, pour tout le peuple. Une circularité trinitaire et ecclésiologique. Le dialogue, formulé à partir de 2 Co 13, 13, entre le prêtre et le chœur avant la préface insiste encore davantage sur ce caractère trinitaire de la table de l’Eucharistie. Les deux autres rites : alexandrin et éthiopien, en des formules similaires suivront la même structure de fond. C’est ainsi que l’épiclèse dans les rites orthodoxes a deux objectifs : Si chiede anzitutto al Padre che mandi lo Spirito a transformare il pane e il vino nel corpo e sangue del Signore (epiclesi consacratoria o epiclesi sui doni) ; 2. Questa è una funzione della koinonia, ossia perché i celebranti-comunicanti siano coesi fino a formare un cuore solo e un’anima sola, uniti nel corpo di Cristo, e siano essi stessi trasformati (epiclesi di comunione o epiclesi sui comunicanti)618.

Quant à la parole de consécration, sans négliger le caractère trinitaire de l’Eucharistie qui marque la liturgie orientale, la circularité entre l’anamnèse 618 S. Rosso, La celebrazione della storia, 205.

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et l’épiclèse sera encore plus remarquable dans cette partie. Mais avant de voir de près cette circularité, jetons un coup d’œil sur la tradition. Avant d’arriver à la conciliation de deux propositions qui caractérisaient la tradition d’Orient et d’Occident jusqu’au VIIIème s., la doctrine de cette période sur la formule consécratoire eucharistique concernant l’épiclèse pouvait se résumer en deux points : La plupart des textes des trois premiers siècles et plusieurs encore aux siècles suivants parlent de la prière consécratoire en général, c’est-à-dire de ce que nous appelons aujourd’hui le canon. C’est certainement le sens qu’il faut donner aux termes de prière invocation […] supplication, et autres semblables, où l’on aurait tort de voir exclusivement l’épiclèse proprement dite. Cependant, un bon nombre des paroles de Jésus-Christ et leur efficacité propre. A partir de la seconde moitié du IIIème s., nous constatons que la consécration est attribuée à la fois à Jésus-Christ et à l’Esprit-Saint, et les attestations à l’épiclèse proprement dite commencent. Mais des affirmations très catégoriques, tant en Orient qu’en Occident, surtout à partir du IVème s., indiquent que ce sont les paroles de l’institution qui jouent le rôle de forme, et non pas l’épiclèse619.

Positions qui nourriront énormément les discussions théologiques, beaucoup de Pères de l’Église se rallieront à la première proposition, la Didascalie et saint Cyprien seront pour la seconde proposition620. Les rites orthodoxes, en particulier le rite byzantin, quant à leur structuration formelle, les deux anaphores, celle de saint Basile et celle de saint Jean Chrysostome, attribueront la transformation du pain et du vin au Saint-Esprit pourvu que cela soit concilié avec le témoignage concernant le récit de la cène et les paroles du Sauveur621. Saint Grégoire de Nysse parlera de la sanctification du SaintEsprit conférée au pain et au vin, en vertu de laquelle ils deviennent corps et sang du Christ622. Saint Basile parlera de Fils et du Saint Esprit comme source de sanctification623. Saint Jean Chrysostome, quant à lui, attribue la transformation du pain et du vin et le sacrifice à la vertu invisible du Saint-Esprit agissant par le ministère du prêtre624. Ces idées basilaires conduiront toute la structuration des anaphores des rites orthodoxe. La consécration du pain et du vin en corps et sang du Christ est intimement liée à l’action de l’Esprit Saint. Parole du Christ 619 S. Salaville, « Épiclèse eucharistique », 232. 620 Cf. S. Salaville, « Épiclèse eucharistique », 232–236. 621 Cf. S. Salaville, « Épiclèse eucharistique », 236–237. 622 Cf. Gregorii Nysseni, « In baptismum Christi », PG, T. 46, 582. 623 Cf. Basilii Magni, « Epistolarum classis I. Epist. VIII », PG, T. 32, 250. 624 Cf. Joannes Chrysostomus, « De sacerdotio Liber tertius », PG, 48, 642.

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vivifiée par la force de l’Esprit Saint. Actes du Fils et du Saint Esprit comme accomplissement de l’acte primaire du Père. Dans l’épiclèse du rite byzantin, le prêtre, à l’invitation du diacre, demande au Père l’envoi de l’Esprit Saint pour faire du pain et du vin, le corps et le sang du Christ625. Dans le rite alexandrin « la prière est adressée au Christ pour que lui-même opère le changement du pain et du vin ; dans les autres anaphores on demande au Père d’envoyer l’Esprit Saint pour le même changement. Le peuple répond toujours par une profession de foi et par l’Amen »626. Alors qu’en prenant le cas du rite éthiopien : « la demande de changement des espèces est faite pour les deux à la fois. Mais, dans toutes les anaphores, le changement n’est demandé, qu’en vue de la sanctification des âmes, et de leur transformation »627. Organiquement liées entre elles, l’anamnèse et l’épiclèse sont deux éléments importants qui actualisent le mystère du salut dans les anaphores des rites orthodoxes. L’invocation de l’Esprit Saint est présente dans toutes les célébrations sacramentelles des Églises orientales ; le vécu du mystère de notre salut dans l’Église ne peut pas être séparé de l’invocation de l’Esprit Saint. L’Église catholique l’exprimera assez timidement dans ses différentes célébrations, alors que cela est clair dans les célébrations orientales. Avant d’arriver aux rites catholiques, voyons ce que nous suggère la tradition protestante. 5.2 L’anamnèse et l’épiclèse : pas l’une sans l’autre dans la table eucharistique de rites luthérien et calviniste Luther, dans plusieurs numéros, que ce soit de la confession d’Augsbour ou des articles de Smalkalde628, accepte que le corps et le sang du Christ sont vraiment dans le pain et le vin eucharistiés sans nous préciser l’impact 625 Cf. I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1473 : * Le diacre : Seigneur, bénissez le pain saint. * Le prêtre (bénit l’hostie et dit) : Et faites ce pain le corps précieux de votre Christ. * Le diacre : Ainsi soit-il. Seigneur, bénissez l’un et l’autre. * Le prêtre : Les changeant par votre Saint-Esprit. * Le diacre : Ainsi soit-il (trois fois). * Le prêtre : Afin qu’ils soient pour les communiants la purification de l’âme, la rémission des péchés, la communication du Saint-Esprit. 626 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1482. 627 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1482. 628 Cf. A. Birmelé – m. lienhard, La foi des Églises luthériennes, 591.

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de l’Esprit Saint dans cette action. Il justifie officiellement cette companation par le fait de l’ubiquité du Christ. En tenant compte de sa thèse de la consubstantiation non de la transsubstantiation, non pouvons comprendre que la circularité est quasi inexistante entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la consécration. La Sainte Cène étant considérée comme une remise en mémoire de bienfaits de Dieu accomplis en Jésus-Christ qui procure la foi, la consolation … au fidèle qui y participe et communie au pain et au vin avec foi de recevoir le Christ, tel que nous l’avons dit plus haut ; elle laisse apparaître davantage la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Parce que les différents dons que nous procurent la communion au pain et au vin, qui sont consubstantiels au corps et au sang du Christ, sont les fruits de l’Esprit Saint : L’Esprit Saint produit la foi, il maintient dans la foi …629. Par delà toutes ses considérations, quand nous prenons la table eucharistique en général, dans ses intercessions et ses différentes prières demandant la grâce et la foi au Père, par le Christ et dans l’Esprit Saint, la circularité dans le rite luthérien dépasse non seulement le rapport entre le Fils et l’Esprit Saint mais elle devient une circularité trinitaire qui met ensemble la Sainte Trinité. Il faut attendre Calvin pour voir la systématisation de cette circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse, surtout en ce qui concerne la présence du Christ dans la table eucharistique. Face à Luther qui tenait au réalisme eucharistique, confessant la présence réelle et consubstantielle du Christ à l’Eucharistie, et face au symbolisme de Zwingli qui réduisait le pain et le vin aux simples symboles du corps et du sang du Christ, Calvin se tracera une voie moyenne. Nous l’avons déjà notifié plus haut en citant la 53ème section du catéchisme de Jean Calvin quand nous avons abordé la question de la présence réelle du Christ. Calvin le dit avec force, il ne faut pas qu’on doute de la promesse du Christ faite dans la Cène, il nous rend véritablement participants de sa propre substance, pour nous unir à lui dans une même vie. Mais à la question de savoir comment cela se réalise, c’est ici qu’en génie, Calvin montre la circularité entre le Christ commémoré et l’Esprit Saint. Il dira : De deux côtés nous reconnaissons cette vérité que dans la cène est donnée une communication du Christ. Ensuite quand nous ajoutons notre explication, il se fait par une secrète et incompréhensible vertu de l’Esprit, que le Christ nourrit vraiment du 629 Cf. A. Birmelé – m. lienhard, La foi des Églises luthériennes, 569.

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haut du ciel nos âmes de la substance de sa chair et de son sang et que le pain et le vin sont le véritable gage des choses célestes qu’ils figurent, car tout ce que le ministre promet sur l’ordre du Christ, cela est accompli par l’action du Christ630.

L’Esprit est pour Calvin celui qui relie le ciel et la terre, celui qui nous donne accès aux choses divines. « Mangeant le pain, buvant le vin, le fidèle reçoit une participation spirituelle à la réalité signifiée. La distance entre le signe et la chose signifiée n’est pas un obstacle car l’Esprit Saint, qui est l’Esprit du Christ, porte l’influence des réalités là où s’accomplit le service des signes »631. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans les différents rites protestants, bien qu’un peu obscurci par les différentes conceptions de la présence réelle du Christ dans le pain et le vin, sera, hormis dans d’autres prières qui encadrent la table eucharistique, mieux systématisée par Calvin dans la partie consécratoire. Ce bref parcours de ces deux rites des Églises de la Réforme, nous amènent maintenant à étudier les rites catholiques. 5.3 La circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse dans la table eucharistique des rites catholiques L’histoire du salut est parsemée des actions de l’Esprit Saint qui accompagne, qui réalise la volonté de Dieu. On le voit bâtir un peuple de prophètes (Nb 11, 16–17.24–30) ; on le voit combler le roi de sagesse, d’intelligence, de la connaissance et de la crainte du Seigneur (Is 11, 2 ) ; il fait marcher le peuple selon les lois du Seigneur et le fait vivre selon les coutumes de Dieu (Ez 36, 27) ; il donne vie aux ossements desséchés (Ez 37, 1–14) ; il couvre Marie de son ombre pour concevoir le Fils de Dieu (Lc 1, 35). Il descendra sur Jésus lors de son baptême (Mc 1, 10) ; il sera encore sur Jésus pour lui donner la force de porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance … proclamer une année de grâce du Seigneur (Lc 4, 17) ; il sera promis par Jésus aux apôtres pour leur enseigner tout et leur rappeler tout ce que Jésus avait dit (Jn 14, 26) ; il donnera courage aux apôtres pour annoncer le Christ ressuscité (Ac 2, 1 ss) … Pour ce qui est de la mission de l’Esprit Saint, la liste d’actions 630 J. Calvin, Ultima admonitio ad Westphalum, 11, 244. Cité par C. Boyer, Calvin et Luther, 189. 631 C. Boyer, Calvin et Luther, 188.

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n’est pas exhaustive. Tout ce qui est de la mission divine s’appliquerait tellement à l’Esprit Saint qu’on pourrait avoir l’impression que, mettant à part la venue du Christ au monde, l’Esprit Saint seul est envoyé à l’intime de la personne créée pour la réalisation de l’œuvre du salut dans le monde. Cette mission de l’Esprit Saint se réalise d’une manière exceptionnelle dans l’Eucharistie qui est l’actualisation et la célébration de l’accomplissement de l’œuvre du salut, réalisée par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. C’est en vue de cette donation que la loi et les prophètes ont été donnés et c’est pour cette fin que l’apostolicité et la mémoire du Christ portent la vie de l’Église grâce à l’Esprit Saint jusqu’à la plénitude des temps. Avant d’étudier ces points, qui s’entrecoupent dans la table eucharistique, dans les rites catholiques usuels, jetons un regard rétrospectif sur les rites catholiques, qui sont quasi désuets, que nous avons parcouru. « La prière désignée sous le nom d’épiclèse développe tantôt l’idée de la commémoration du Seigneur, tantôt celle de la transformation eucharistique par l’opération du Saint-Esprit »632. A ce niveau, il apparaissait déjà la difficulté de séparer l’anamnèse et l’épiclèse. Rappelons-nous toutes les discussions théologiques inhérentes à la question de savoir si la transsubstantiation intervient suite à la parole de la consécration ou suite à l’action de l’Esprit Saint. Beaucoup de théologiens disserteront là-dessus. Cette discussion aura un impact sur la circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse dans les rites catholiques tombés en désuétude. Les anciens livres de la liturgie désigneront l’épiclèse « sous les noms de post secreta, post mysteria, post eucharistiam »633. Comme nous pouvons le remarquer, la tendance était plutôt à séparer pendant la consécration l’action de l’Esprit Saint et celle du Christ. Mais certaines oraisons, comme celle de rite mozarabe que nous trouvons dans le missale mixtum, laissent voir la prière adressée au Père demandant l’envoi de sa force sanctificatrice pour la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ : Complentes igitur atque servantes praecepta unigeniti Filii tui, precamur, omnipotens Pater, ut his creaturis, superpositis altario tuo sanctificationis munus infundas, ut per transfusionem caelestis atque invisibilis sacramenti, panis hic transmutatus in carnem, et calix transformatus in sanguinem, sit offerentibus gratia, sumentibus medecina634. 632 H. Leclercq, « Messe », 668. 633 H. Leclercq, « Messe », 668. 634 Missale Mixtum, 281.

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Citant seulement en passant cette oraison post mysterium de rite mozarabe, nous pouvons aussi en trouver d’autres similaires dans le rite gallican. On notera que d’autres oraisons post mysterium ne feront pas mention de l’invocation de l’Esprit Saint635. Mais la tendance générale qui se dégage dans ces rites catholiques antiques, est que les oraisons post mysterium nous font voir que dans la consécration, la transsubstantiation est accomplie par les paroles de l’institution. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse sera alors suspendue dans la consécration. L’invocation de l’Esprit Saint interviendra dans d’autres oraisons de la messe. En jetant un regard d’ensemble sur les textes liturgiques officiels des rites catholiques actuels, spécialement du canon romain, surtout d’avant Vatican II, nous restons surpris par la discrétion avec laquelle ces textes font référence à l’Esprit Saint dans la célébration eucharistique. La surprise grandit encore plus, après le parcours de document du concile Vatican II consacré à la liturgie, SC, qui, en principe devrait palier à ce hiatus dans les numéros 47–58, dans lesquels il nous donne le concentré doctrinal de l’Eucharistie. On pouvait s’attendre à voir élaborée dans ces deux numéros précités, la relation entre l’anamnèse et l’épiclèse ; malheureusement tel ne sera pas le cas. Certains documents du concile Vatican II évoqueront le rôle de l’Esprit Saint dans différentes activités de l’Église en ce qui concerne la mission (LG 4, AG 4), mais pour ce qui concerne la célébration de la mémoire du Christ, l’Esprit Saint est évoqué avec une très grande discrétion. Pouvons-nous parler d’oubli ou d’accent particulier que les Pères conciliaires ont voulu mettre sur le mystère de l’Eucharistie ? Comparativement à nos frères d’Orient, l’épiclèse occupe une place qui ne souffre d’aucune ombre dans la célébration eucharistique. La tentative de réponse que nous proposons de donner à cet apparent hiatus ne peut être liée qu’au sens même de l’Eucharistie. Etant donné que l’Eucharistie est la célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur, l’événement pascal a toutes les raisons d’être mis au premier plan. Notons tout de suite que cela ne fait pas obstruction à la place du Père dans l’œuvre du salut et moins encore à celle de l’Esprit Saint, bien que d’autres documents conciliaires comme : LG et AG fassent explicitement référence à l’Esprit Saint pour la vie et la mission de l’Église, comme nous l’avions mentionné plus haut ; nous pensons que les Pères conciliaires ont 635 Cf. H. Leclercq, « Messe », 669.

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voulu mettre un accent particulier sur l’événement pascal célébré dans l’Eucharistie, qui constitue l’anamnèse du Christ mort, ressuscité et qui reviendra. On éviterait aussi de voir dans cette apparente mise à l’écart de l’épiclèse, que ce soit dans SC ou encore le peu de fois que les prières eucharistiques actuelles après Vatican II, font nommément référence à l’Esprit Saint, une peur de considérer l’Esprit Saint comme un substitut de Jésus, comme quelqu’un qui viendrait prendre la place de Jésus, puisqu’il est absent. Un retour à l’Évangile, et spécialement celui de S. Jean, nous montre dans une lecture sectorielle que l’Esprit Saint succède à la manifestation de Jésus (Jn 16, 7 ). Mais une lecture d’ensemble, voit dans l’Esprit Saint une présence qui ne substitut ni n’élimine celle de Jésus, mais l’accompagne, la renforce et lui donne plus de sens en tant que ressuscité. La venue de l’Esprit Saint pour demeurer avec les disciples du Christ fait alors demeurer toute la Trinité en eux ; ce ne sont plus seulement le Père et le Fils qui vont demeurer chez ceux qui gardent sa parole, mais aussi l’Esprit Saint (Jn 14, 23). Les personnes de la Sainte Trinité ne doivent pas être comprises séparément. La figure de l’une ou l’autre prise ou célébrée séparément ne fait qu’endommager la beauté, la grandeur et l’amour de toute la Trinité. Suivant la même structuration de fond, le rite ambroisien et le rite romain sont tellement liés, sauf quelques minimes différences en ce qui concerne la forme, que parler de l’un nous fait mieux retrouver dans l’autre. Pour ne pas nous répéter, nous nous en tiendrons ici au rite catholique romain, dont les éléments théologiques de fond se retrouvent pareillement dans le rite catholique ambroisien. Dans la messe romaine d’après Vatican II, les nouvelles prières eucharistiques II, III et IV comportent une double épiclèse : l’Esprit Saint est invoqué une première fois avant les paroles du Christ, en vue de la transformation du pain et du vin au corps et au sang du Christ, et une deuxième fois après l’anamnèse, en vue de la sanctification des communiants636.

Cette structuration se retrouve aussi dans le rite ambrosien actuel. Mais notons avant toute chose que ces prières eucharistiques II, III et IV, d’après Vatican II, suivront cet ordonnancement : anamnèse et épiclèse consécratoire, ensuite anamnèse et épiclèse de communion. 636 P-M. Gy, « Épiclèse », 473.

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On fait mémoire des hauts faits de Dieu dans l’histoire du salut dans les préfaces, sanctus, la partie consécratoire, et après on demande à Dieu d’envoyer l’Esprit Saint sur les offrandes, spécialement sur le pain et le vin, afin d’en faire le corps et le sang du Christ. Après ce premier bloc, vient le deuxième bloc qui fait mémoire du récit de l’institution, l’acclamation pascale, la mémoire des saints, des vivants et des morts, bien que l’ordre ne soit pas toujours le même dans les différentes prières eucharistiques637, et invocation de l’Esprit Saint sur les participants pour faire « ecclésia ». Faisons remarquer que dans ce dernier bloc, qu’on qualifierait volontiers de bloc ecclésial, la circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse s’étend à l’humanité à travers la personne de la Vierge Marie et des saints, des personnes qui ont su dire oui à Dieu, qui ont laissé Dieu se manifester en eux, et sont ainsi entrées en communion avec lui. L’Église fait mémoire de ces gens pour rendre hommage à Dieu, pour les merveilles qu’il a accomplies à travers ces personnes, pour demander sa miséricorde pour ceux qui sont morts dans le péché et pour rappeler aussi à l’homme présent sa potentialité d’entrer en communion avec Dieu, faire « ecclésia » céleste et terrestre, par son fiat à la volonté de Dieu. Nel canone romano si avrebbe il primo blocco nel quale : prefazio, Sanctus, postSanctus … costituiscono il polo anamnetico. È la grande anamnesi. Seguono poi le formule In primis, Memento, Communicantes, Hanc igitur, Quam oblationem. Esse costituiscono il polo propriamente epicletico del primo blocco. Proseguendo abbiamo dopo, sempre nel Canone romano, il secondo blocco, in cui il polo anamnetico (racconto, aggancio anamnetico, acclamazione pasquale, Unde et memores, Supra quae propitio) è seguito dal polo epicletico (Supplices, Memento dei morti, Nobis quoque, Per quem)638.

637 Cf. * Anafore II, IV, anafora per varie necessità, fanciulli II, riconciliazione II. In questi formulari l’ordine è : vivi, morti, santi. La serie è dopo la seconda epiclesi. Nella II manca la menzione dei santi. Nella II di riconciliazione (redazione del 1974) mancava il ricordo dei morti. È ora presente nell’edizione del 2002. In fanciulli III manca tuttora il ricordo dei morti. * Anafora III : santi, vivi, morti dopo la seconda epiclesi. * Fanciulli I : preghiera con la gerarchia e con i santi. Solo in questa anafora si trovano a precedere l’epiclesi di consacrazione. La preghiera per i vivi e i morti segue la seconda epiclesi. * Riconciliazione I : vivi, santi, morti. Cf. V. Raffa, Liturgia eucaristica, 641. 638 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 637.

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On éviterait de penser à une dissonance entre les deux blocs. Il existe, comme l’affirme A. Raffa une symétrie générique entre le premier bloc bipolaire et le deuxième bloc, lui aussi bipolaire639. Le dynamisme de l’Esprit Saint, à partir de l’acte objectif du Christ, l’actualise en rendant encore le Christ présent parmi les siens, et constitue l’Église instituée par le Christ en la consolidant davantage. L’Esprit Saint sanctifie pour unir avec Dieu et avec les autres. Dieu étant Un et Trine, son Esprit n’est pas un esprit de division mais d’union malgré nos différences qui font la richesse de multiples dons du même Esprit. Cette structure se retrouve aussi dans les prières eucharistiques de la réconciliation et celles des assemblées d’enfants. Voyons alors concrètement la place qu’occupe l’épiclèse dans ces différentes prières eucharistiques précitées dans le sens d’invocation : •





« Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur », « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en seul corps »640. « Sanctifie-les par ton Esprit pour qu’elles deviennent le corps et le sang de ton Fils, Jésus-Christ, notre Seigneur, qui nous a dit de célébrer ce mystère », « quand nous serons nourris de son corps et de son sang, et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta droite »641. « l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification. Que ce même Esprit Saint, nous t’en prions, Seigneur, sanctifie ces offrandes : qu’elles deviennent ainsi le corps et le sang de ton Fils » ; « accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de ta gloire »642.

639 Cf. V. Raffa, Liturgia eucaristica, 637. 640 MAD, Prière eucharistique II, 529–530. 641 MAD, Prière eucharistique III, 533–534. 642 MAD, Prière eucharistique IV, 537–538.

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Les prières eucharistiques pour la réconciliation et pour assemblées d’enfants auront aussi des éléments semblables : •



• •



« Regarde ton peuple ici rassemblé, et mets à l’œuvre la puissance de ton Esprit : que ces offrandes deviennent pour nous le corps et le sang de ton fils bien-aimé », « qu’ils deviennent ensemble, par la force de l’Esprit, le corps de ton Fils ressuscité, en qui sont abolies toutes les divisions »643. « Nous t’en prions, Père sanctifie ces offrandes par la puissance de ton Esprit, alors que nous accomplissons ce que Jésus nous a dit de faire » ; « Donne-nous dans ce repas ton Esprit Saint : qu’il fasse disparaître les causes de nos divisions »644. « unis dans la joie de l’Esprit Saint pour recevoir le corps et le sang de ton Fils »645. « Il a promis que l’Esprit Saint serait avec nous chaque jour pour que nous vivions de sa vie. Dieu notre Père, nous te prions d’envoyer ton Esprit, pour que ce pain et ce vin deviennent le corps et le sang de Jésus, notre Seigneur » ; « donne ton Esprit d’amour à ceux qui partagent ce repas ; qu’ils soient de plus en plus unis dans ton Église »646. « Par l’Esprit Saint, il ouvre nos yeux et nos oreilles, il change notre cœur », « Père, nous allons recevoir à cette table, dans la joie de l’Esprit Saint, le corps et le sang du Christ »647.

La célébration eucharistique, comme nous l’avions dit plus haut, étant l’actualisation de l’événement pascal de notre Seigneur par son Église, il ne fait aucun doute que le noyau central est la mort et la résurrection du Seigneur dont on célèbre avec la pleine assurance le retour. Ceci est rendu possible, comme on peut le déceler dans les prières eucharistiques, par la présence et la force de l’Esprit Saint. La première raison de l’invocation de l’Esprit Saint dans la table eucharistique est la sanctification des offrandes, et d’une manière spéciale, la sanctification du pain et du vin, offrande par excellence, pour que ce pain et ce vin deviennent corps et sang du Christ. Pouvons-nous risquer de dire que sans la force de l’Esprit Saint, il n’y a pas la présence réelle 643 MAD, Prière eucharistique pour la réconciliation I, 540–542. 644 MAD, Prière eucharistique pour la réconciliation II, 544–545. 645 MAD, Prière eucharistique pour assemblées d’enfants I, 547. 646 MAD, Prière eucharistique pour assemblées d’enfants II, 550–551. 647 MAD, Prière eucharistique pour assemblées d’enfants III, 553–554.

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du Christ dans l’Eucharistie ? Jésus est-il conditionné par l’Esprit Saint ? Réfléchir en ces termes, serait ignoré la complémentarité amoureuse qui lie la Sainte Trinité. On ne parlerait pas en termes de complémentarité et de dépendance mais en termes de complémentarité essentiellement amoureuse. Nous atteignons ici le sommet de la circularité qu’on ne verrait pas seulement dans la célébration eucharistique mais tout au long de la réalisation de l’œuvre du salut : Gn 1, 26 ; Sg 9, 9 ; Lc 1, 26–38 ; Mc 1, 9–11. Pour ce qui nous concerne, hormis la circularité primaire, due à la nature même des personnes divines, cette circularité continue entre l’anamnèse et l’épiclèse d’une manière intrinsèque dans la substantialité du corps et du sang du Christ, rendu possible par la force de l’Esprit Saint. S. Augustin affirme : « quod cum per manus hominum ad illam uisibilem speciem perducatur non sanctificatur ut sit tam magnum sacramentum nisi operante inuisibiliter spiritu dei »648, S. Paschase Radbert renchérit en disant : « Vera utique Christi caro, quae, crucifixa est et sepulta, vere illius carnis sacramentum, quod per sacerdotem super altare in verbo Christi per Spiritum Sanctum divinitus consecratur : Unde ipse Dominus clamat : Hoc est corpus meum (Luc XXII, 19) »649. Toute réflexion a tendance exclusive de l’action de l’Esprit Saint et de la parole consécratoire de Jésus, serait un amoindrissement de la réalisation en ce qui concerne la transsubstantiation du pain et du vin en corps et sang de Jésus. On ne peut pas avoir le corps et le sang du Christ sans la force de l’Esprit Saint, tout comme on ne peut pas avoir pleinement l’Esprit Saint sans la célébration de l’anamnèse du Christ. L’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ qui rend le corps et le sang du Christ présents parmi les siens ne 648 A. Augustinus, De Trintate III, IV, 10, CCSL 50–50 A, 136. On peut aussi lire œuvres de saint augustin, 2ème Série : Dieu et son œuvre, La Trinité (livre I-VII), 290. Dans ce dernier ouvrage nous trouvons le texte synthétique qui résume merveilleusement l’enseignement eucharistique de saint Augustin. « L’Eucharistie est un sacramentum : il faudrait traduire ‹ mystère › autant que ‹ sacrement › au sens formel du terme. Comme la Parole de Dieu, parlée ou écrite, elle nous donne le Christ, mais aliter, d’une façon toute singulière : elle est le corps du Christ et son sang. Elle est faite d’éléments matériels, apparences visibles, empruntés par le travail des hommes aux fruits de la terre. Mais quand intervient la ‹ prière mystique › de la consécration, – on notera ce sens du mot mystique, tout entier tourné vers les mystères du culte chrétien, – l’action invisible de l’Esprit de Dieu en fait un sacramentum, sacrement et mystère qui nous donne le corps et le sang du Christ. Nous le recevons dans le rite de la communion, à la fois en mémoire de la passion du Seigneur, et pour obtenir le salut de notre âme. » 649 Paschasii Radberti, Opera omnia, IV, 3, PL 120, 1279.

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devient vivifiante que par l’Esprit. Il « donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création »650. Le Christ qui se situe en amont de cette mémoire, se retrouve au centre et en aval de son anamnèse, avec la force de l’Esprit Saint. Le Christ, physiquement présent parmi les siens, devrait partir pour que l’Esprit vienne afin de le (le Christ) rendre encore sacramentellement plus présent (Jn 16, 7 ; 14, 12–31). L’Esprit sanctificateur se présente dans l’Eucharistie comme le continuateur, comme celui qui poursuit l’œuvre du salut dans le monde ; il le fait non d’une manière isolée mais en communion avec la Sainte Trinité. La deuxième raison de l’invocation de l’Esprit Saint est celle de rassembler tous les enfants de Dieu, représentés par ceux qui participent à l’Eucharistie. On voit apparaître ici une harmonisation de la mission du Fils et de celle de l’Esprit Saint dans la célébration eucharistique. Il suffit de lire pour cela la parole de Dieu (Jn 4, 42 ; 10, 16 ; 11, 52) et certaines prières eucharistiques pour s’en convaincre. Citons à titre illustratif : « Pour accomplir jusqu’au bout ta volonté et rassembler du milieu des hommes un peuple saint qui t’appartienne, il étendit les mains à l’heure de sa passion, afin que soit brisée la mort, et que la résurrection soit manifestée »651. C’est ce qui fut la mission de Jésus en venant dans le monde, c’est ce qui constituait son heure : « Et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32). Cette mission de rassembler, de faire ecclésia, le Christ l’a accomplie une fois pour toute par sa mort sur la croix. L’anamnèse eucharistique, par la force de l’Esprit Saint, actualise cette mission, et l’Église qui commémore ce fait, entre dans cette dynamique grâce à l’assurance qu’elle reçoit de la présence de son Seigneur et de l’Esprit Saint. Une mission accomplie par le Christ que l’Esprit Saint à travers l’Église maintien et continue. Empruntant ces anciennes affirmations de l’Église : celle de la génération éternelle du Fils par le Père et de l’Esprit par le Père et le Fils, Filioque, nous pouvons encore ici réaffirmer la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Envoyés tous deux par le Père pour la réalisation de son œuvre de salut dans le monde, ces deux personnes de la Sainte Trinité agissent ensemble sans confusion : le Fils par sa passion et sa résurrection accomplit la volonté du Père, il en institue le mémorial, patrimoine laissé à 650 PO, 5. 651 MAD, Prière eucharistique II, 528.

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l’Église. L’Esprit préparant cet accomplissement en Jésus, l’a accompagné jusqu’à la réalisation de la volonté du Père et continue à être avec l’Église pour l’actualisation de ce grand mystère de notre salut. Toutes les prières eucharistiques, dans le rite romain aussi bien que dans le rite ambrosien, étant attribuées au Père, elles nous ramènent toutes à lui et c’est de lui que nous viennent tous les biens à travers son Fils et l’Esprit Saint. La célébration du mémorial de l’événement pascal du Christ en forme de circularité trinitaire, nous met en communion avec la Trinité et crée l’ecclésia. On commettrait une erreur si on réduisait l’ecclésiologie de l’Église Catholique à une ecclésiologie purement christologique sans l’Esprit Saint ou vice versa. L’anamnèse du Christ, fondement et principe de cette ecclésiologie, ne peut être conçue qu’en circularité avec l’Esprit Saint qui avec son dynamisme, intériorise et actualise au sein de l’Église comme communauté et dans chaque chrétien comme individu, à travers différents temps et lieux, l’acte objectif et unique de Jésus pour le salut du monde.

Conclusion A l’aide de l’ancienne théorie de l’analogie, on peut mieux comprendre la quintessence et la place qu’occupe l’anamnèse dans le sommet de l’expression de la vie chrétienne qui est l’Eucharistie, cette expression dans laquelle se fait la rencontre, d’une manière unique, de l’humain et du divin. On pourrait dire que l’Eucharistie, qui est le « mémorial de la Passion » du Christ, ne peut être pleinement célébrée qu’à travers la table de la Parole de Dieu et celle de l’Eucharistie que nous risquons ici de qualifier de « forma » et « materia » de la mémoria Passionis Jesu. Sorti des deux tables, le mémorial de la Passion se dénature et la vie chrétienne n’existe plus. Ce premier parcours, sur la table eucharistique, que nous avons fait tout au long de ce chapitre, la visitation des rites des traditions chrétiennes : orthodoxe, protestante et catholique, nous ont tous mis sur un dénominateur commun qui porte la célébration de l’Eucharistie : la centralité de la mémoire de l’événement pascal du Christ. C’est à partir du souci de rester fidèle à l’ordre reçu du Seigneur : « Faites cela en mémoire 278

de moi », que toutes les célébrations eucharistiques, particulièrement la table eucharistique, tirent leur origine et se structurent. La mémoire de l’événement pascal constitue l’élément moteur et le critère de base à partir duquel la table eucharistique est structurée dans ces rites. Bien que ces différents rites essayent de célébrer cet événement différemment, cette diversité, par delà des querelles humaines sur le mystère du Christ, a influé sur les célébrations liturgiques. Nous pensons selon notre humble avis que ces différents modes constituent plutôt la démonstration de la richesse inépuisable du mystère du Christ que l’homme ne peut totalement exprimer par un quelconque rite. Le fond reste le même : mémoire du Christ mort, ressuscité, monté au ciel et qui reviendra. La tradition orthodoxe, en soulignant un peu plus l’aspect divin du mystère christique, rendra sa célébration très solennelle, et à travers divers rituels, icônes et symboles, fera mémoire de l’événement pascal du Christ. L’anamnèse eucharistique, telle que célébrée dans la tradition orthodoxe, n’est pas seulement une remise en mémoire d’un fait passé, mais elle est une actualisation dans le présent célébratif de notre rédemption. Le pain et le vin, grâce à la force de l’Esprit Saint, se transforment en corps et en sang du Christ pour rendre encore actuel l’unique sacrifice du Christ pour notre salut. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est d’une grande importance pour rendre l’Eucharistie fructueuse. On accuserait à tort la liturgie orthodoxe si on la considérait trop pneumatologique. Toute invocation de l’Esprit Saint dans le rite orthodoxe est en vue de la Sainte Trinité. Sans réduction de la dimension pascale qui constitue l’Eucharistie, les rites orthodoxes célèbrent dans cette mémoire l’œuvre de la Sainte Trinité. C’est autour de cette foi que l’Église se rassemble et se constitue de jour en jour. La dimension anamnesico-ecclésiologique et pneumatologique est mieux exprimée et célébrée dans les rites de tradition orthodoxe. Les rites de tradition protestante partent de l’un des principes moteurs de la réforme : Sola Scriptura, lequel a donné diverses thèses au sein de la Réforme concernant la présence réelle du Christ à la table eucharistique. Luther parlera de consubstantialité, Zwingli réduira le pain et le vin aux simples symboles, alors que Calvin, trouvant la voie médiane, parlera de la présence spirituelle. Ces thèses influant sur la conception de la mémoire de la Sainte Cène, feront que la Sainte Cène ne sera pas considérée comme la mémoire d’un fait passé. Pour la tradition protestante, la Sainte Cène n’est pas l’actualisation du sacrifice du Christ, parce qu’il n’y en a eu qu’un seul, celui du Golgotha. La Sainte Cène, par la grâce de l’Esprit 279

Saint, est la commémoration des bienfaits de Dieu qui permet aux fidèles d’acquérir et d’augmenter la foi en vue d’obtenir la consolation, les biens éternels … Quant aux rites de tradition catholique, à quelques petites différences de formes près, ont tous le même fond théologique du point de vue anamnesico-ecclésiologique. L’Eucharistie telle que célébrée dans la table eucharistique, actualise, d’une manière non sanglante, le sacrifice du Christ source de notre rédemption. L’anamnèse eucharistique rend réellement présent le Christ parmi les siens. Par la force de l’Esprit Saint, le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ, les fidèles sont unis avec le divin et entre eux en vue du royaume. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse paraîtra très forte dans la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ et dans l’accomplissement de la mission du Christ, qui devient aussi celle de l’Esprit Saint : le rassemblement des enfants de Dieu dispersés dans le monde. De ces rites de tradition catholique, beaucoup seront désuets. De ce qui reste,  on notera le rite ambroisien et le rite romain. La table de l’Eucharistie de ces deux rites aura des similitudes fortes du point de vue prières eucharistiques, qu’il est difficile de les séparer. La célébration des mystères du Christ comme accomplissement de l’œuvre du salut, dans tous les rites parcourus, devient une célébration d’action de grâce à la Sainte Trinité. Elle nous fait commémorer tout ce que le Père a fait par le Fils et continue à faire dans le Saint-Esprit. La mort et la résurrection du Christ, marquant l’accomplissement de l’œuvre du salut, deviennent source unique et permanente de la rédemption du monde. L’Église catholique les recevra en héritage, comme mémoire à perpétuer pour elle-meme et le salut du monde. La mémoire du Christ ne doit pas seulement être célébrée dans la table eucharistique. La table de la Parole constituant, avec la table eucharistique, l’Eucharistie, porte en elle aussi la dimension anamnesico-ecclésiologique et l’épiclèse devrait y avoir une place significative. C’est le sujet qui fera l’objet de notre avant-dernier chapitre.

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Chapitre V La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table de la parole de Dieu et sa circularité avec l’épiclèse

1. Introduction Ce chapitre cinquième est intimement lié au quatrième, vu qu’en lisant l’introduction du chapitre précédent, nous trouvons retracée la morphologie structurale, que nous abordons à présent. Les grandes traditions chrétiennes (orthodoxe, protestante et catholique) sont presque toutes unanimes quant à la structuration de la célébration de la mémoire de notre Seigneur, l’Eucharistie, telle qu’on la nomme dans les traditions orthodoxe et catholique, et la Sainte Cène dans la tradition protestante. Elle est structurée en deux grandes parties : la liturgie de la Parole ou table de la Parole, et la liturgie de l’Eucharistie ou table eucharistique. Si dans le chapitre précédent nous avons eu à étudier la dimension anamnesico-ecclésiologique dans la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse, ce cinquième chapitre se penchera sur la même étude mais cette fois-ci sur la table de la Parole qui constitue la première partie de l’Eucharistie. Cette investigation nous aidera à élargir la vision sur l’anamnèse eucharistique qui pour beaucoup, en général, se limite seulement à la proclamation après la consécration dans la table eucharistique et la prière qui s’en suit. Sans vouloir nier ici cette place officielle et juste que l’Église accorde à l’assemblée pour marquer par l’acclamation sa participation et sa foi en ce qui se célèbre – mémoire de la mort, de la résurrection et la venue définitive du Christ – et la prière du canon qui suit cette acclamation, nous voulons tout au long de ce chapitre montrer que toute l’Eucharistie est anamnèse, en commençant par la table de la Parole. La proclamation que nous faisons après la consécration, le canon qui s’en suit, sont des confessions charnières qui portent toute l’Eucharistie. Et comme nous l’avons déjà montré, dans la partie préparatoire du concile Vatican II, le mysterium fidei faisait corps avec le récit de la Cène ; il en sera détaché pour suivre immédiatement le récit de la Cène afin de signifier que

« l’eucaristia attua la Pasqua del Cristo. Si tratta di un mistero fondamentale della fede cattolica. Nel nuovo messale lo afferma il presidente celebrante ormai dopo il racconto. Lo conferma l’assemblea con l’acclamazione »652. Cette acclamation nous fait percevoir que toute la célébration eucharistique, à partir de la liturgie de la Parole jusqu’à celle de l’Eucharistie, est le mémorial du mystère pascal du Christ, mystère que l’Église vit dans la foi, et que cette mémoire est une donnée performative. Jésus lui-même instruit son peuple à travers les Saintes Écritures, et sa parole se réalise, par la force de l’Esprit Saint, dans la transformation du pain et du vin en son corps et son sang. A ceci s’ajoute l’orientation vers la parousie qui est le couronnement de toute l’histoire du salut653. C’est l’une de mutations liturgiques opérées par la réforme liturgique du concile Vatican II. Dans la tradition protestante, qui part du principe de la Sola Scriptura, quelle est la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole dans la célébration de la Sainte Cène ? Et quelle conception de la circularité établit-elle entre l’anamnèse et l’épiclèse au niveau de la table de la Parole ? Comment les traditions orthodoxe et occidentale, qui sont si liées théologiquement quant à la célébration eucharistique, font-elles ressortir et célèbrent-elles la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole et quelle en est la circularité avec l’anamnèse et l’épiclèse ; étant donné que pour les uns la présence du Christ est plus dans sa Parole qui est souveraine et suffisante et pour les autres dans son corps et dans son sang ? Sans pour autant vouloir retomber dans la discussion sur la présence réelle du Christ que nous avons un peu abordée dans la partie précédente, et voyant le progrès théologique accompli de part et d’autre, n’y a-t-il pas moyen, à partir de l’anamnèse, de concilier la présence du Christ dans les deux tables de la célébration eucharistique, en concevant surtout l’anamnèse non comme une simple remise en mémoire d’un fait passé, mais comme actualisation dans notre présent du Christ mort et ressuscité qui nous prêche encore sa Parole, nous l’explique, qui fractionne le pain et nous le donne pour ouvrir nos yeux afin de le reconnaître? La circularité de l’anamnèse et de l’épiclèse n’est-elle pas un élément moteur de cette présence dans les deux tables ? Nous tenterons dans ce chapitre de répondre à toutes ces interrogations et de voir comment nous pouvons structurer notre vie en Église à partir de ces données. 652 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 697. 653 Cf. V. Raffa, Liturgia eucaristica, 696–700.

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Suivant le cheminement parcouru pour la table eucharistique, nous procéderons de la même manière pour cette partie sur la table de la Parole. D’abord, nous jetterons un coup d’œil dans les rites des différentes traditions chrétiennes précitées. Ensuite nous chercherons à aller en profondeur dans le rite romain, qui constitue notre intéret central, pour faire sortir à partir d’une approche analytico-critique la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole dans ces différents rites et la circularité qui y existe entre l’anamnèse et l’épiclèse. Mais avant d’étudier tous ces rites, nous voulons dédier cette sous-partie à la liturgie synagogale pour avoir une idée de ce qu’avait vécu Jésus.

2. Jésus face à la lecture des Écritures dans la liturgie synagogale Pour mieux étudier la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu dans les différentes traditions chrétiennes, il faut un petit saut à l’intérieur de la genèse de la liturgie synagogale pour voir l’attitude du Verbe fait chair face aux Écritures. Cette liturgie synagogale comme un projecteur illuminera et déterminera celle des traditions chrétiennes. « Il est vrai que la liturgie chrétienne, et l’Eucharistie par excellence, est une des créations les plus originales du christianisme. Mais, si originale qu’elle soit, ce n’est assurément pas une création ex nihilo »654. La liturgie chrétienne, avec tout ce qu’elle contient comme théologie, comme richesse spirituelle, constitue un grand édifice dont la fondation a été harmonieusement posée par les Prophètes et la Loi. On ne parlerait pas d’accomplissement sans cette fondation. Si l’urgence de la connaissance du judaïsme paraît si évidente pour toutes études sérieuses sur le christianisme, il sera encore plus urgent pour la compréhension du Nouveau Testament de regarder les Prophètes et la Loi qui constituent le noyau du judaïsme. « On a surtout étudié les courants propres au Judaïsme contemporain de notre ère et cette connaissance est désormais jugée irremplaçable par quiconque aborde les écrits du Nouveau Testament »655. Nous 654 L. Bouyer, Eucharistie, 21. 655 R. Le Déaut, Liturgie juive et Nouveau Testament, 7. 

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n’entrerons pas ici en détail dans ce grand sujet qui a fait couler beaucoup d’encre656, nous nous arrêterons pour notre part seulement à un seul point : l’attitude de Jésus face aux Écritures. L’importance des Écritures Saintes est indubitable tant dans la vie de Jésus que dans celle du peuple de l’Ancienne Alliance : chaque Sabat, un bon juif devait monter à la synagogue pour la prière et l’écoute de la parole de Dieu qui était lue à haute voix. Après la destruction du temple, l’ardeur et le goût de l’écoute de la Parole de Dieu demeureront inchangés chez le peuple d’Israël : « Tout le peuple se rassembla comme un seul homme sur la place située devant la porte des Eaux. Ils dirent au scribe Esdras d’apporter le livre de la Loi de Moise, que Yahvé avait prescrite à Israël… » (Ne 8, 1 ss). Les livres de la Loi et des Prophètes constituaient le peuple d’Israël, ils faisaient leur vie, leur unité. Raison pour laquelle on devait les lire devant tous ceux qui étaient capables d’entendre, pour rappeler à tous et à chacun la volonté du Seigneur afin de permettre à tous ceux qui écoutent cette Parole de vivre selon la volonté du Seigneur. Quelle importance Jésus, qui est lui-même le Verbe fait chair (Jn 1, 14) donnait-il aux Écritures Saintes? Jésus lui-même a-t-il lu les Écritures ? Etant le Verbe de Dieu, Jésus ne possédait pas seulement la Parole de Dieu mais il constituait l’essence de cette Parole. Il est l’exégèse parfaite de la Parole de Dieu, la Parole performative. C’est ainsi qu’il s’est révélé comme l’accomplissement de toute la Parole de Dieu (Mt 5, 17). La Parole de Dieu n’était pas pour Jésus quelque chose qu’il possédait de l’extérieur, elle le constituait. « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34), cette volonté exprimée à travers la Loi et les Prophètes, accomplie en perfection par Jésus. C’est ainsi que une unique fois, tel que nous le lisons dans le Nouveau Testament, et cela au début de son ministère public, comme nous le dit Luc, Jésus lut les Écritures, et il le fait dans un cadre liturgique dans la synagogue. Et voici ce qu’il lut : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18–20). Il termine cette lecture 656 Cf. Sur ce point beaucoup d’études ont été faites ; nous citerons par exemple : L. Bouyer, Eucharistie, 2009 ; o. casel, Le Mémorial du Seigneur, 1945 ; e. schussler fiorenza, En mémoire d’elle. Janv. 1986 ; R. Le Déaut, Liturgie juive et Nouveau Testament, 1965 ; H. Cazelles, « Eucharistie, bénédiction et sacrifice dans l’Ancien Testament », 7–28 ; H. Cousin, « Les récits fondateurs de l’Eucharistie », 17–18 ; M. Macina, « Fonction liturgique et Eschatologique », 7–51.

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de la prophétie d’Is 61, 1–2 en ajoutant : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 21). Il est intéressant, pour ne pas dire merveilleux, de voir et d’écouter la Parole lire les Écritures. G. Boselli dira : « Beata quell’assemblea perché è la sola ad aver ascoltato con i suoi orecchi la Parola leggere le Scritture »657. Jésus lut les Écritures, pour rappeler encore le grand projet de Dieu sur l’humanité, et termina cette lecture en se révélant comme la réalisation, l’accomplissement de ce projet de Dieu. En lui, la Parole devient réalité et la réalité retrouve son vrai sens. Par delà l’importance de la Parole et la lecture qu’on peut en faire, les Écritures Saintes constituent la vie même de Jésus. Il est cette Parole, il est venu pour cette Parole et veut que nous vivions de cette Parole. Jésus en bon juif respectait la coutûme religieuse juive, allait à la synagogue pour écouter la lecture des Écritures Saintes, déjà très jeune il marquera son intérêt pour les Écritures : « Et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant » (Lc 2, 46). Si au commencement de son ministère, tel que nous le présente Luc, Jésus commence liturgiquement avec la lecture des Écritures, à la fin de son ministère, à partir du cadre de la célébration pascale juive, il va faire du nouveau avec l’institution de l’Eucharistie, où l’amour de Dieu exprimé dans l’Ancien Testament devient fait : don de la vie de Jésus pour le salut du monde. « Ciò che accade nella liturgia sinagogale di Nazaret è l’istituzione della liturgia cristiana della Parola, ne è il týpos, allo stesso e identico modo in cui ciò che accade nella camera alta di Gerusalemme, nel corso dell’ultima cena, è l’istituzione della celebrazione eucaristica cristiana »658. La lecture des Écritures faite au début de son ministère, reçoit toute sa valeur et son plein accomplissement par l’acte de la Cène. C’est dans ce cadre que Jésus, Parole de Dieu faite chair, lira les Écritures Saintes et concrétisera par sa personne ce qu’il venait de lire. D’après cette péricope de Luc, le premier geste public de Jésus est un geste liturgique au cours duquel, il lut les Écritures et rendit chair les Écritures par sa personne. L’Eucharistie suivra la même dynamique, geste liturgique au cours duquel les Écritures Saintes sont lues, et sont en même temps accomplies par la mort et la résurrection de Jésus. L’attitude de Jésus face à la lecture des Écritures dans la liturgie synagogale sera d’abord l’obéissance aux Écritures Saintes. Il dira lui-même qu’il n’était pas venu abolir, 657 G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, 3. 658 G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, 5.

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mais accomplir (Mt 5, 17). Ne pas abolir déterminera sa première attitude, accomplir sera ensuite la deuxième attitude de Jésus face aux Écritures. Et la force pour obéir et accomplir les Écritures était l’Esprit Saint qui était sur lui.

3. La table de la parole comme anamnèse de Dieu dans les rites orthodoxes Etant donné que dans le quatrième chapitre nous avons déjà abordé les rites de cette tradition dans leurs grandes lignes, nous nous limiterons pour cette partie à étudier l’aspect anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole et la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse dans les différents rites de cette tradition. Nous ne reprendrons pas certains aspects historiques déjà soulignés dans le chapitre précédent. Le chapitre cinquième nous a brièvement tracé le cadre historique et théologique de l’éloignement de nos frères orthodoxes. Toutes ces divergences interprétatives n’ont pas porté une scission, nous parlerons plutôt d’une fissure entre les deux Églises, parce qu’elles sont restées unies sur la foi en Christ crucifié et glorieux. Ce principe de foi de base vu avec des regards différents, est en fait « une seule colonne éclairée par deux projecteurs situés à des angles opposés »659. Ces divergences de vue se retrouveront exprimées non seulement dans les doctrines et dans la vie spirituelle mais s’étendront même au point culminant de l’expression chrétienne : la célébration eucharistique. Nous laisserons aux publications spécialisées relatives à la discipline liturgique les questions ayant trait aux recherches sur l’origine et au développement660 des divers rites pour nous concentrer sur la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole que nous pouvons lire à travers les différents rites que nous allons étudier.

659 G. Zananiri, « Orthodoxie », 287. 660 Cf. S. Rosso, La celebrazione della storia, 2010.

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3.1  Le rite byzantin Après la partie préparatoire de la messe, comme nous l’avions notifié dans le chapitre précédent, intervient la messe des catéchumènes, qu’on appelle aussi : le petit introït, que nous pouvons considérer comme la partie ayant trait à la table de la Parole. Le rite de la célébration de la Parole de Dieu est fait de diverses parties ; chaque partie comporte une dimension anamnesique importante qui actualise l’œuvre du salut en invoquant l’incarnation du Fils, sa mort et sa résurrection661. Au niveau de l’année liturgique, nous restons frappés par le caractère anamnestique que porte l’ordonnancement annuel de la liturgie byzantine : L’année liturgique byzantine est composée de trois cycles qui se superposent, se compénètrent de façon à lui donner une incomparable variété. Ce sont : le cycle hebdomadaire de l’Octoèque ; le cycle annuel des fêtes mobiles qui précèdent et suivent Pâques : le cycle pascal ; le cycle annuel des fêtes fixes : le cycle des Ménées662.

Le cycle hebdomadaire de l’Octoèque ou Paraclétique est fait de huit séries de sept offices, qui s’étendent aux sept jours de la semaine. Ce qui est frappant dans ces offices est qu’à « chacun des jours de la semaine est rattaché le souvenir d’un mystère, d’un saint ou d’un groupe de saints »663. Cette dimension anamnesique de la célébration eucharistique ne s’étend pas seulement sur le cycle hebdomadaire, mais sur chaque mois de l’année. La commémoration des mystères de la vie du Christ crée et prend en son sein toute l’histoire du salut telle que révélée à travers les hommes, les prophètes, les saints, les patriarches … 661 Cf. S. Rosso, La celebrazione della storia, 151–166. 662 F. Mercenier, Prière des Églises de rite byzantin II, les fêtes I, grandes fêtes fixes, XV. 663 F. Mercenier, Prière des Églises de rite byzantin II, XVI : Pour approfondissement voir le même auteur : « Le Dimanche, comme il a été dit, on fait la mémoire de la Résurrection du Sauveur : c’est une petite Pâque hebdomadaire. A ce souvenir, on joint celui de la Mère de Dieu. Le lundi est consacré aux saints Anges. Le mardi est dédié au Précurseur saint Jean Baptiste. Le mercredi, où se perpétra la trahison de Judas, et le vendredi, jour de la mort du Sauveur, sont sanctifiés par le souvenir de la croix et de la Vierge au pied de la croix. Le jeudi, on fête les saints Apôtres et le grand thaumaturge Nicolas évêque de Myre, type du successeur des Apôtres. Le samedi enfin, qui garda le tombeau du Christ, on célèbre la mémoire de tous les saints et des fidèles défunts. De plus, chaque jour de la semaine, on commémore la Mère de Dieu et les saints Martyrs. »

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Arrêtons-nous un instant sur le rite concernant l’Évangile. Cette partie est marquée par le baisé de l’évangéliaire par le célébrant principal avant d’entrer dans le sanctuaire. Le diacre élevant l’Évangile chante en le présentant comme la Sagesse et invite tout le monde à se tenir débout. A ce moment tous les prêtres concélébrants s’inclinent profondément devant le célébrant principal et s’avancent vers l’autel en chantant : « Venez et prosternons-nous devant le Christ, Fils de Dieu, qui est ressuscité des morts ; sauvez-nous, nous qui vous louons : Alléluia »664. Gestes que nous considérons comme plein de sens théologique : l’Évangile du Christ présenté comme Sagesse, inclination profonde vers le célébrant principal comme représentant de cette Sagesse, rendue encore présente par le président de l’Eucharistie qui agit inpersona Christi, et le chant en l’honneur du Christ, Fils de Dieu, ressuscité des morts, notre sauveur. Par delà la théologie de la représentation que nous pouvons voir dans cette cérémonie, s’ajoute ici une théologie de l’anamnèse qui n’est pas seulement un souvenir, une remise en mémoire d’un fait passé, mais une remise en vie d’une personne présente qui nous parle dans notre aujourd’hui. C’est ainsi que, dans le rite byzantin, avant la lecture de l’Évangile, le diacre demande la bénédiction au célébrant en disant : « Bénissez, Seigneur, celui qui va annoncer l’Évangile du saint apôtre et évangéliste »665. Le célébrant n’est pas appelé père, prêtre ou évêque, mais directement Seigneur. L’invitation du prêtre au peuple : « Tenons-nous debout avec sagesse. Ecoutons le saint Évangile. Paix à tous »666. Rappelons-nous cette parole de Jésus ressuscité, plusieurs fois où il apparaissait à ses apôtres, avant de leur expliquer les écritures concernant l’accomplissement de la promesse faite par Dieu à son peuple : Il disait souvent « Paix à vous » (Jn 20, 19.20 ; Lc 24, 36). C’est avec ces mêmes paroles de Jésus ressuscité que le célébrant s’adresse au lecteur à la fin de la lecture de l’épître, à l’assemblée avant la lecture de l’Évangile et au diacre à la fin de la lecture de l’Évangile. Le Christ ressuscité, représenté par le célébrant principal est, dans le rite byzantin, le critère principal dans la structuration et l’agencement de la table de la Parole. C’est lui, le Christ ressuscité, à travers le célébrant principal considéré lui-même comme l’icône du Christ, qui unit les lectures (de l’Ancien et du Nouveau Testament) en sa personne et offre la vraie paix qui émane de la lecture et de l’écoute de sa Parole. 664 SCEO, La divine liturgie en rite byzantin, 18. 665 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1469. (C’est nous qui soulignons). 666 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1469. On peut aussi lire J. Mateos, La célébration de la Parole, 1971. (C’est nous qui soulignons).

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Après l’homélie, prêchée par le célébrant principal, le diacre fait une longue prière à caractère anamnesico-ecclésiologique incluant même les catéchumènes : « Prions pour les catéchumènes. Afin que le Seigneur leur fasse miséricorde. Qu’il les instruise de la parole de la vérité. Qu’il leur révèle l’Évangile de la justice. Qu’il les unisse à sa sainte Église catholique et apostolique »667. Cette prière demandant à Dieu de combler les catéchumènes de sa miséricorde et de l’intelligence de sa Parole était faite pour les catéchumènes de chaque Église particulière, locale mais en même temps avec l’ouverture à d’autres Églises sœurs. C’est ce qui caractérisera aussi l’ecclésiologie orthodoxe. Unis par l’unique Seigneur, dans la même foi, même baptême et même espérance (Ep 4, 5–6), chaque Église, tout en gardant son autonomie, vit dans la communion avec les autres Églises. C’est le système de conciliarité ecclésiologique qui diffère du système centraliste et uniforme défini par la primauté de Rome668. Par cette prière du diacre qui sera conclue par celle du célébrant principal, on arrive à la fin de la table de la Parole. Le diacre demandera aux catéchumènes de sortir, pour les prières préparatoires à la messe des fidèles ou au grand introït que nous pouvons considérer comme table de l’Eucharistie. A côté de cette liturgie d’Antioche-Jérusalem duquel naîtra le rite byzantin que nous avons étudié, nous trouvons aussi dans la liturgie orientale un autre courant liturgique : la liturgie d’Alexandrie, de laquelle naîtront le rite copte d’Alexandrie et le rite éthiopien ou abyssin qui feront L’objet des points suivants. 3.2  Le rite copte d’Alexandrie Revenons sur la partie préparatoire qui caractérise les rites orthodoxes en général, et le rite alexandrin en particulier. La préparation n’est pas seulement axée sur le pain et le vin à offrir, mais elle vise aussi une purification intérieure qui dispose toute l’assemblée à l’écoute de la Parole de Dieu et à la commémoration du mystère pascal. C’est ainsi que ceux qui participaient à l’Eucharistie, le clergé et l’assemblée, par différentes prières, demandaient à être purifiés pour se rendre dignes de faire mémoire du sacrifice du Christ. On notera qu’au court du rite d’absolution, le célébrant principal 667 SCEO, La divine liturgie en rite byzantin, 28. 668 Cf. S. Rosso, La celebrazione della storia, 49.

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se retourne vers le peuple et le clergé et développe méthodiquement l’origine du pouvoir des clefs : le Christ l’a pratiqué et l’a communiqué à ses apôtres et à leurs successeurs. Il demande au Christ de pardonner les péchés de toute l’assemblée. Ce disant, il bénit le clergé, le peuple et trace sur lui-même un signe de croix669.

Représentant du Christ, le célébrant principal ne se dissocie pas de l’assemblée du peuple de Dieu : il se reconnaît pécheur, offre à son peuple le pardon de Dieu dont lui-même est aussi bénéficiaire. Exerçant son sacerdoce ministériel pour l’assemblée, il exerce en même temps son sacerdoce baptismal avec l’assemblée. Ici l’exercice du sacerdoce commun dans le sacrement de la pénitence devient un fait qui ne se limite pas seulement à l’assemblée qui reçoit du célébrant l’absolution de Dieu, mais touche aussi le célébrant qui, malgré sa mise à part, a aussi besoin de la miséricorde de Dieu. Les autres Églises, dont les Églises catholiques, profiteront énormément de cette pratique pour approfondir et surtout encourager les prêtres, qui souvent se limitent à offrir le pardon du Seigneur aux chrétiens, à chercher eux-aussi à vivre le sacrement de la réconciliation. Il ne s’agira pas ici de se donner l’absolution, mais de la demander et de l’accueillir comme don que le Seigneur nous offre à travers ses ministres institués. Ceci nous met dans la meilleure disposition pour célébrer la mémoire de notre Seigneur. Le rite copte, comme tous les autres rites orientaux, donne une place de choix aux icônes, à travers lesquelles il rend présents les personnages que ces icônes représentent. C’est ainsi que le rite de l’encensement est souvent fait pour les icônes de Jésus, de Marie, des saints. Après l’encensement de ces icônes, on encense le représentant du Christ présent à la célébration en la personne du prêtre célébrant qui peut être un patriarche, un évêque ou un autre prêtre. C’est dans la partie de la messe des catéchumènes qu’intervient la table de la Parole. « Outre l’Évangile, on fait trois lectures ; la première de saint Paul, la seconde des épîtres catholiques et la troisième des Actes »670. Ces quatre lectures sont faites par des personnes instituées par l’Église. La seconde lecture est faite par le sous-diacre et les deux autres sont laissées à la charge du diacre671. Ceci est important pour la dimension anamnestique 669 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. 670 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. 671 Cf. Nous pensons que le respect de cette pratique donne un autre caractère à la Parole de Dieu. Dans l’Église catholique, on parle des lecteurs institués, mais il faut encore que ces lecteurs soient toujours préparés et prennent toujours conscience que ce qu’ils lisent n’est pas n’importe quelle parole, il s’agit de la Parole de Dieu.

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de la Parole de Dieu : elle est une Parole vivante, non seulement dans le sens qu’elle donne la vie, mais aussi dans le sens qu’elle se fait entendre encore aujourd’hui à travers de la voix d’une personne vivante qui la proclame clairement comme autrefois sur les montagnes, dans les synagogues et sur les places d’Israël. Cette dimension anamnestique de la Parole de Dieu, qui rend encore présente la voix de Dieu à travers les lecteurs préparés et institués par l’Église, revêt aussi une dimension ecclésiologique par les différentes langues utilisées lors de la lecture : « Chaque lecture est faite en deux langues ; d’abord en copte, ensuite en arabe ; pendant chaque lecture en langue arabe le prêtre prie pour que Dieu, par l’intercession de l’apôtre, donne au peuple l’intelligence de sa parole sainte »672. L’intelligence de la Parole, don de Dieu, est favorisée par la compréhension de la Parole lue dans la langue du peuple. Si une langue unit différents peuples sur le plan économique, social…, elle joue aussi un grand rôle sur le plan ecclésiologique. La compréhension de la même Parole de Dieu, sans édulcoration, par différents peuples et en différentes langues, crée une ecclésia unie autour de la même Parole rendue vivante dans nos diverses langues. Hormis le caractère ecclésiologique que porte en soi la Parole de Dieu, la compréhension de cette Parole en nos langues aide à entrer et à vivre dans cette ecclésia. Le rite copte d’Alexandrie, dans la structuration de la table de la Parole de Dieu promeut cette dimension anamnesicoecclésiologique, par des lectures faites par des personnes préparées et en langue compréhensible par le peuple de Dieu. Par delà cette structure externe, la structure qui entoure la lecture de l’Évangile est encore plus anamnesico-ecclésiologique. Bien que l’encensement soit prévu pendant d’autres lectures, il est encore plus abondant au moment de l’Évangile. Voyant dans l’Évangile la présence même du Christ, le célébrant « félicite les fidèles de voir et d’entendre ce que les patriarches de l’Ancien Testament n’ont ni vu ni entendu »673. Dans l’Évangile, toute l’histoire du salut s’accomplit. Tout ce que l’Ancien Testament à travers les prophètes et les patriarches, a proclamé et désiré voir est là : le Messie, la Parole même de Dieu faite chair ; c’est cela la Bonne Nouvelle. Le rite copte d’Alexandrie fait suivre cette prise de conscience par l’adoration. Le diacre dit : « Orate pro Evangelio. Chaque prêtre baise l’Évangile : adoro evangelium »674. Faisant le lien avec l’annonce de Noël 672 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. 673 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1479. 674 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1479.

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par les anges aux bergers (Lc 2, 10–20), sans négliger d’autres aspects du mystère de la vie du Christ que le calendrier de l’Église copte d’Alexandrie commémore tous675, le mystère de l’incarnation, comme dévoilement de Dieu, la venue du Messie annoncé et attendu qui se révélera encore plus dans la résurrection et pleinement à la fin des temps, constituent avec le sacrifice du Christ les éléments fondamentaux de la table de la Parole de Dieu dans le rite copte d’Alexandrie. A cette dimension anamnestique de la table de la Parole de Dieu se joint la dimension ecclésiologique qui apparaît à la fin de la lecture de l’Évangile : le diacre présente l’Évangile à baiser en premier lieu au clergé et en second lieu au peuple ; ils se sentent ainsi tous sauvés et unis par la Parole de Dieu. Le fait de se mettre debout pour écouter la Parole de Dieu, de la baiser après sa lecture, indiquent le respect, l’unité, l’accueil et l’unanimité qui se créent autour de cette Parole. Le peuple accepte d’être conduit et de suivre la Parole entendue. Nos frères de rite copte Alexandrin, et même aussi éthiopien, ne lisent pas l’Ancien Testament dans la célébration eucharistique. Ceci pour la simple raison que l’Ancien Testament a été la préparation du Nouveau Testament ; maintenant que nous avons le Nouveau Testament, il ne faut plus, dans la célébration de l’accomplissement de ce qui a été préparé, qu’on revienne à l’Ancien Testament. La lecture de l’Ancien Testament dans la célébration eucharistique n’a plus de sens parce que nous avons le Nouveau Testament qui est l’accomplissement de l’Ancien Testament. Cette absence de la lecture des livres de l’Ancien Testament pendant la célébration eucharistique nous laisse un peu sur notre soif. La félicitation adressée à l’assemblée n’est pas un acte isolé, il a été préparé ; il est tout à fait logique de commémorer ce tout de l’histoire de notre salut pour mieux se féliciter d’entendre et de voir l’accomplissement. De la liturgie d’Alexandrie naîtra aussi le rite éthiopien qui en beaucoup de points est similaire au rite copte d’Alexandrie, mais il aura son originalité en ce qui concerne la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu que nous allons découvrir.

675 Cf. N. Nilles, Calendrier de l’Église copte d’Alexandrie, 1898.

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3.3  Le rite orthodoxe éthiopien ou abyssin Le rite éthiopien appartenant à ce grand ensemble des rites Orientaux, il n’échappera pas aux principes fondamentaux de la célébration de la foi que nous avons soulignés plus haut. Il sera très étroitement lié au rite copte et incorporera de nombreux usages venus de Syrie, de Jérusalem et même d’Occident. Mais malgré tous ces liens, il fera « une large place aux compositions autochtones, en particulier à une hymnographie dont la floraison poétique contraste avec la sobriété – on serait tenté de dire la pauvreté – de celle des coptes »676. L’ordonnance de la table de la Parole est faite en quatre lectures. Après une prière de l’encens, qui marque la présence de Dieu, et d’une longue litanie, « on fait trois lectures ; la première de saint Paul, la seconde des épîtres catholiques et la troisième des Actes »677. De toutes ces lectures, nous pouvons encore notifier qu’à la différence du rite copte d’Alexandrie, dans l’usage général, la première lecture est faite par le diacre, la deuxième par le sous-diacre, le prêtre assistant lit la troisième et l’Évangile est lu par le célébrant principal. Chaque lecteur commence et termine sa lecture par une brève prière678. Le prêtre, après la lecture de l’Évangile, en baisant la Parole de Dieu dit : ‹ Caelum et terra transibunt, verbum autem meum non transibit ›679, parole marquant la présence, la véracité et l’éternité de Jésus, Verbe de Dieu fait chair. Ces prières à caractère anamnesico-pneumatologique marqueront la table de la Parole du rite éthiopien. Nous reviendrons sur ce petit détail quand nous étudierons la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Nous voulons à ce stade souligner un fait très marquant de la liturgie éthiopienne : le symbolisme. Ces lectures sont lues aux quatre points cardinaux pour marquer l’universalité de la Parole de Dieu. Avant la lecture de l’Évangile, le prêtre bénit les quatre points cardinaux en disant : « Deus Altissimus benedicat omnes nos »680. L’Évangile est lu au centre pour marquer la centralité du Christ qui vient pour rassembler tout le peuple des quatre coins du monde : il s’agit ici d’un symbolisme à caractère ecclésial formidable qui se passe de tout commentaire. Après les trois premières lectures, intervient la lecture de l’Évangile 676 I.-H. Dalmais, « Liturgie », 881. 677 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. 678 Cf. Tekle-Maria M Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 49. 679 Tekle-Maria M Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 53. 680 Tekle-Maria M Semharay Selim, La messe Éthiopienne, 52.

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caractérisé par, le grand respect qui l’entoure : l’encensement qu’on en fait avant la lecture, le silence absolu qu’on doit avoir lors de la lecture … Autre élément marquant dans la lecture de l’Évangile, l’annonce et la finale spéciales accordées à chaque Évangile selon le message principal de chaque évangéliste681. Le respect qui entoure la lecture de l’Évangile sera étendu à toutes les lectures parce que c’est Dieu qui parle et on lui doit le maximum de respect sous peine de s’attirer des ennuis : When reading the word of God at the time of prayer and at the time of mass there must be silence and awe … When the message of the heavenly King is being read no one may speak ; he will suffer punishment and tribulation, how much greater punishement will he suffer who speaks while the message of the heavenly King is being read ?682.

Cette éducation, en forme de menace d’être maudit, loin de faire passer la Parole de Dieu pour une Parole qui attire sur son peuple la malédiction, éduque à l’écoute attentive de la Parole, au respect pour faire sienne la Parole, et surtout la vivre. C’est ainsi qu’après chaque lecture, le prêtre fait de longues prières pour lui et pour la communauté, demandant le pardon des péchés, rappelant à Dieu de combler son peuple, les vivants et les morts, les voyageurs et les malades … de ses bienfaits, de renforcer la communauté dans le vécu de la Parole écoutée. Pour permettre au peuple de Dieu d’écouter tous les Évangiles, la lecture des Évangiles est échelonnée sur quatre ans, on consacre chaque année à la lecture d’un évangéliste. Cette dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole dans le rite éthiopien nous laisse pourtant insatisfaits en ce qui concerne la lecture de l’Ancien Testament et d’autres épîtres du Nouveau Testament (l’épître aux Hébreux, l’Apocalypse), qui en fait constituent un tout de l’histoire du salut qui trouve son plein accomplissement en Jésus. On pourrait étudier dans la structuration des lectures pendant la messe, comment faire entendre au peuple de Dieu, à ce moment unique de la commémoration de l’événement de son salut, ces autres dimensions qui le constituent. On évitera ici toute interprétation erronée de la déconsidération de l’Ancien Testament par nos frères de rite éthiopien. L’Ancien Testament est bien considéré comme faisant partie des livres canoniques reconnus, mais on ne lit pas pendant la messe mais pendant d’autres circonstances ou assemblées chrétiennes. 681 Cf. M. Daoud, The liturgy of the ethiopian church, 57. 682 M. Daoud, The liturgy of the ethiopian church, 58.

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Le fait de considérer la messe surtout comme mémoire du sacrifice pur du Christ, couperait l’Eucharistie de cette autre dimension d’une importance non moindre : la résurrection. L’Eucharistie n’est pas seulement la commémoraison du sacrifice du Christ, mais aussi de sa résurrection. Le Christ se rend encore présent parmi les siens pour leur offrir la paix malgré leurs différentes défections. Le risque est grand de tomber dans le purisme exclusiviste si on s’arrêtait seulement à la dimension sacrificielle de l’Eucharistie. C’est peut être ce qui justifierait l’abondance de kyrie eleison dans le rite éthiopien. Bien que certains hymnes populaires soient en amharique et d’autres langues locales, la langue liturgique reste le Guèze683, langue moins familière à beaucoup de chrétiens. Nous pensons que nos frères de rite éthiopien se serviraient mieux, pour plus de communion ecclésiologique comme peuple de Dieu pendant ce moment spécial de la célébration de la mémoire du Christ, de l’expérience du rite romain face à sa langue liturgique officielle de jadis qui était le latin684 : sortir de ce qui est moins compris par le peuple de Dieu pour ce qui est plus compris en vue d’une participation plus active et plus engageante. Nous admirons pourtant le caractère anamnesico-ecclésiologique que porte la table de la Parole dans le rite éthiopien. Ce parcours très concis peut maintenant nous permettre d’étudier la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans les rites orthodoxes parcourus.

4. La table de la parole comme anamnèse de Dieu dans les rites protestants La Bible dans la Réforme protestante étant considérée comme seule norme de la vie chrétienne, la centralité de la Parole de Dieu qui tient toute son importance de Jésus, Parole faite chair, est indéniable dans les rites protestants. L’Église sera considérée comme « la communauté des croyants qui se mettent à l’écoute de la parole de Dieu et célèbrent ensemble les sacrements »685. 683 Cf. Langue sémitique parlée en Éthiopie ancienne, et qui subsiste dans la liturgie copte. 684 Cf. SC, 54 ; 63. 685 A. Birmelé, « le protestantisme », 1144.

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Cette centralité de la Parole de Dieu dans la Réforme conduira les réformés jusqu’à considérer les options éthiques comme résultant de l’écoute constante, communautaire et individuelle de la Parole de Dieu. Comme nous l’avions souligné plus haut, la Parole de Dieu est souveraine et suffisante en elle-même, à travers elle Dieu nous parle, par la grâce de l’Esprit Saint, nous comble des biens éternels et du don de la foi. Quelle sera la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole dans les rites protestants ? Existe-t-il une circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la célébration de la liturgie de la Parole dans les rites de nos frères de la Réforme ? Les deux rites illustratifs que nous étudierons nous donnerons la réponse à ces questions. 4.1  Le rite luthérien Partons de trois principes fondamentaux à partir desquels Luther et les réformateurs ont voulu focaliser leur œuvre de Réforme, à savoir la gratuité absolue du salut (Sola gratia), la foi comme unique condition d’accueil de ce salut (Sola fide), la souveraineté et le caractère suffisant de l’Écriture en matière de contenu de la foi objective (Sola scriptura). Le dernier principe, la souveraineté et le caractère suffisant de l’Écriture, nous fait déjà voir l’importance et la place de choix qu’occupe l’Écriture dans la célébration et le vécu de la foi dans le rite luthérien. L’écoute de la Parole conduit l’homme à s’abandonner au mystère miséricordieux du salut de Dieu. Sans une mise à part de l’Église, chargée de la transmettre et de l’interpréter avec autorité, la souveraineté de l’Écriture repose sur le ressort existentiel de la corrélation qui existe entre l’Écriture et foi croyante. Ce ressort profond explique l’insistance de Luther non pas tant sur la lettre de l’Écriture que sur la prédication qui la rend vivante et qui est une voie d’accès à la foi686. L’objectivité du salut portée par l’Écriture est indéniable, elle fortifie notre foi et nous donne la certitude de notre salut687. Mais, pour atteindre la conversion, il faut encore la prédication de l’Église qui fait retentir dans l’intimité subjective de chaque croyant cette Écriture qui l’engage et le transforme. Nous sommes ici devant deux dimensions importantes de la Parole de Dieu : sa souveraineté et sa suffisance intrinsèque pour le salut, 686 Cf. F. Frost, « Réforme », 591–641. 687 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 527.

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et le rôle de l’Église de la rendre vivante par la prédication. C’est à ce niveau que nous pouvons situer la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole célébrée dans le rite luthérien. Puisqu’elle est souveraine et suffisante pour le salut, il devient alors nécessaire de le commémorer et de la rendre vivante par la prédication de l’Église pour l’Église. Le Concile Vatican II parlera de la force, de la puissance que comporte la Parole de Dieu, qui constituent pour l’Église un point d’appui, une vigueur, une force de la foi, une nourriture de l’âme, une source permanente de vie spirituelle (DV 21). C’est ce qui régira l’agencement de la Parole de Dieu dans la célébration de la sainte Cène. La lecture de la Parole de Dieu et la prédication occuperont une place de choix dans la célébration de la Cène du Seigneur. A cause de sa souveraineté et sa suffisance, la Parole de Dieu est la présence du Christ qui nous parle en personne, et grâce à la force de l’Esprit Saint, qui inspire le prédicateur, chaque chrétien peut entrer en contact direct avec lui. Notons tout de suite que cette dimension anamnesico-ecclésiologique de la Parole de Dieu est pourtant insuffisante au niveau de la foi ecclésiologique. Puisque le chrétien doit aboutir à la certitude de son salut personnel, par un tête-à-tête avec le Christ à travers sa Parole, l’Église ne lui garantit rien. Son croire n’est pas un acte ecclésial mais individuel, en dehors de toute interprétation normative de la Parole de Dieu par l’Église, qui à ce stade est amputée de ce rôle. Hors en prenant en considération le caractère anamnestique de la Parole de Dieu, dans le sens d’une actualisation perpétuelle au cours de l’histoire, nous nous rendons compte qu’il ne s’agit pas seulement d’une actualisation d’une Parole abstraite mais d’une Parole qui a pris chair et forme dans une tradition bien déterminée. Et qu’en la commémorant, nous n’entrons pas seulement dans ce chaînon de la tradition, mais nous constituons avec les autres le grand chaînon de la foi pour l’avenir. Ma foi d’aujourd’hui n’est pas un fait isolé, elle rend présente la foi des autres en moi, me fait entrer dans cette foi et ouvre la mienne aux autres. Le rite luthérien reconnaît l’importance et la valeur de la sainte messe dans le vécu de la foi chrétienne. Dans le livre de Concorde de la confession d’Augsbourg, à l’article XXIV, il est stipulé : C’est à tort qu’on accuse nos Églises d’abolir la messe. En effet, la messe chez nous, est maintenue et célébrée avec le plus grand respect. Et on observe presque toutes les cérémonies en usage, hormis qu’aux chants en latin on a mêlé, en quelques endroits, des cantiques en allemand qui ont été ajoutés pour instruire le peuple688. 688 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 64.

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Rejetant pourtant certaines parties de la messe de rite romain, spécialement le canon de la messe, il leur substitue un rite révisé qu’on trouve dans la Formula missae qui était avant en latin mais qui sera après traduite en allemand. Elle suivra l’agencement suivant : un confiteor public qui est suivi par une absolution du célébrant. Il s’en suit un hymne d’entrée, le kyrie, le gloria, la collecte, les lectures, la prédication, la profession de foi (symbole de Nicée). C’est ce qui constitue la première partie que nous pouvons qualifier de la liturgie de la Parole. Dans cette partie, comme nous avons tenté de le faire voir, la lecture des Écritures Saintes, Ancien et Nouveau Testaments, sauf les livres qu’ils tiennent pour non canoniques, constitue avec la prédication, le cœur de la célébration. La lecture de l’Évangile se fait avec grand respect et dévotion parce qu’on y voit la source de toutes les grâces qu’on peut recevoir de la bonté de Dieu. Dans divers articles de la confession d’Augsbourg du 25 juin 1530, l’Évangile est présenté comme voie par laquelle nous obtenons l’Esprit Saint (Art. 11 ; 185), source de l’unité (Art. 13), rémission des péchés grâce au Christ (Art. 95 ; 98 ; 144 ; 204 ; 896…). Il nous transmet les biens éternels eux-mêmes (Art. 185), il nous apporte le commencement de la vie éternelle (Art. 259)689. Ces quelques références prises à titre illustratif nous font voir la place qu’occupe la Parole de Dieu dans le rite luthérien. Revenant au troisième principe Sola scriptura pour les luthériens, l’Écriture Sainte constitue la seule autorité à laquelle aucune autre chose ne peut faire face, elle occupe une place de choix dans la liturgie de la Sainte Cène et mérite tout le respect possible. Nous reconnaissons au rite luthérien le mérite de valoriser la Parole de Dieu dans la liturgie de la Sainte Cène que nous appelons Eucharistie. Et surtout le fait de chercher à rendre accessible la Parole à tous en la traduisant et en la prêchant en langue vernaculaire, un fait anamnestique de grande valeur. Le Verbe commémoré continue à se rendre présent parmi les siens dans leur langage et leur culture. Il reste pourtant un hiatus que nous avons déjà souligné plus haut en ce qui concerne l’aspect ecclésiologique. La foi en Christ à travers sa Parole n’est pas un fait individuel, c’est un fait ecclésial puisque « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (He 13, 8 ). C’est par ce Jésus-là, ancien, parce qu’il fut hier, mais toujours nouveau, parce qu’il est et sera, que les autres ont cru hier et qu’aujourd’hui je crois et que demain l’autre croira, que je peux 689 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 2008.

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me déclarer chrétien. Faire mémoire de la Parole de Dieu me constitue en Église passée, actuelle et future. 4.2  Le rite calviniste Pour ce qui concerne le ministre de la Parole de Dieu, le rite calviniste dira que « la charge de ministre de la Parole de Dieu […] ne pouvait pas se limiter à donner quelques instructions ; elle devait tendre à façonner toute la vie des citoyens et de la cité elle-même, selon la vraie connaissance de Jésus-Christ »690. La charge de ministre de la Parole ne se limitait pas seulement à instruire le peuple de Dieu, il devait veiller au vécu ecclésial de la Parole. La Parole de Dieu devait devenir en quelque sorte la loi de la cité. Dans son catéchisme, il écrira : « Il faut la recevoir avec une pleine certitude de conscience, comme une vérité émanée du ciel, nous y soumettant avec docilité, l’aimant avec affection vraie et entière, et l’imprimant dans nos cœurs pour la suivre, et nous y conformer »691. Concernant l’importance de la Parole de Dieu dans le rite calviniste, il conviendrait de partir de sa doctrine Soli Deo gloria. Considérant le fait qu’à Dieu seul soit attribuées toute initiative, toute vertu et toute gloire qui nous feront reconnaître sa souveraineté, ce critère interne de la doctrine calviniste est rendu connaissable par « la révélation qu’il (Dieu) fait de lui et de sa volonté, par sa Parole. A l’absolu du Soli Deo gloria correspond l’absolu du Sola Scriptura »692. La confession de foi de 1537 stipule clairement que la règle de la foi et de la religion calviniste est l’Écriture, elle ne doit être mêlée à aucune chose du sens humain sans la Parole de Dieu. Il écrira : Premièrement nous protestons (déclarons), que pour la règle de notre foi et religion nous voulons suivre la seule Écriture, sans y mêler aucune chose qui ait été controuvée (inventée) du sens des hommes sans la Parole de Dieu : et ne prétendons pour notre gouvernement spirituel recevoir autre doctrine que celle qui nous est enseignée par icelle Parole, sans y ajouter ni diminuer, ainsi que notre Seigneur le commande693.

690 Y. Congar, « Calvin », 409. 691 CG, 105. 692 Y. Congar, « Calvin », 413. 693 Calvin, Homme d’église. Œuvres choisies du réformateur, 15.

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Oubliant ici la marque ecclésiale que porte l’Écriture, Calvin néglige une dimension importante : la couche ecclésiale, sans édulcoration, de l’Écriture. Etant une règle objective de la vie de l’Église, l’Écriture est et demeure une règle intérieure de l’Église. La Parole de Dieu, seule laissée et commandée par notre Seigneur, doit être toujours remémorée pour être notre guide et règle de vie, mais nous ne pouvons pas perdre de vue le cheminement dans la Tradition que porte cette Parole de Dieu. Suivant l’ordonnancement du rite luthérien, la table de la Parole dans le rite calviniste, aura encore un aspect anamnestique très fort dans la personne des vrais ministres de la Parole qui, en nous prêchant la Parole de Dieu, rendent présent le Christ même qui prêche : « Comme nous recevons les vrais ministres de la Parole de Dieu comme messagers et ambassadeurs de Dieu, lesquels il faut écouter comme lui-même »694. C’est in persona Christi que les vrais ministres de la Parole nous transmettent la Parole de Dieu. Un aspect anamnestique fort qui en principe devrait conduire à une foi in ecclesia, est que c’est dans l’Église que nous recevons la Parole de Dieu, donc il nous semble tout à fait logique de croire aussi dans et en Église. A la question de savoir s’il suffit de lire la Parole de Dieu en particulier ou dans l’assemblée, Calvin répond : « Oui, lorsque Dieu nous en donne les moyens […] parce que Jésus-Christ a établi cet ordre dans son Église, non pour deux ni pour trois fidèles, mais pour tous généralement ; et qu’il a déclaré que c’est là le seul moyen d’édifier et de maintenir son Église »695. Sans préciser de quelle assemblée, s’agit-il, nous retenons le caractère ecclésial de l’écoute de la Parole de Dieu dans le rite calviniste dont le catéchisme de Calvin donne la preuve. L’écoute de la Parole de Dieu en assemblée est vivement recommandée, et c’est seulement à ce niveau que l’Église est édifiée et maintenue. Serait-ce forcer les choses de pousser plus loin cette réflexion de Calvin en disant que « la Parole de Dieu fait l’Église » ? Cette thèse serait plausible compte tenu de cet extrait de son catéchisme, mais l’Église ne peut pas faire la Parole de Dieu en prenant en considération la thèse de la Sola scriptura et Soli Deo gloria. Sans pourtant nier le caractère souverain de la Parole de Dieu, nous ne cesserons pas de revenir sur la dimension ecclésiale dans la constitution, la transmission, la cognoscibilité et le croire de la Parole de Dieu. Bien que nos frères de la Réforme reconnaissent le rôle de l’Église, des ministres de 694 Calvin, Homme d’église. Œuvres choisies du réformateur, 25. 695 CG, 106.

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la Parole dans la transmission, la prédication de la Parole, la foi en cette Parole est presque un acte isolé de l’individu face à l’Église. Ici la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole est amputée de l’un de ses aspects importants que nous déplorons : la foi ecclésiale en la Parole de Dieu.

5. La dimension anamnestico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu dans les rites catholiques Regroupant jadis en son sein divers rites qui actuellement, pour un bon nombre, sont tombés en désuétude, les rites catholiques ont joué un très grand rôle dans l’histoire de la célébration de la mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Leur structuration en général a eu un impact d’une manière ou d’une autre sur beaucoup d’autres rites chrétiens. La célébration eucharistique, telle que nous la connaissons actuellement, est structurée en deux grandes parties : la liturgie de la Parole et la liturgie de l’Eucharistie. Cet agencement inspirera les autres rites de tradition chrétienne dans leur célébration eucharistique. Nous faisons remarquer que cette structuration eucharistique est la résultante d’un long processus ; il suffit de lire l’histoire de la messe pour s’en rendre compte696. Nous étudierons dans cette partie certains de ces rites catholiques : gallican et mozarabe, ambrosien et romain. Bien que les rites gallican et mozarabe soient désuets, nous tâcherons dans cette étude d’extraire la dimension anamnesico-ecclésiologique de leur structure. Ceci nous conduira à étudier d’une manière approfondie le rite romain auquel nous appartenons. 5.1  Le rite gallican C’est la première partie, où nous situons la table de la Parole, qui fera l’objet de notre présente étude. Nous étudierons dans le chapitre qui suivra la deuxième partie. 696 H. Leclercq, « Messe », 513–774.

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La table de la Parole dans le rite gallican porte en elle une grande dimension anamnesico-ecclésiologique. Nous pouvons déjà la déceler dans la structuration même des lectures. Les lectures sont choisies pour rendre encore présente dans l’aujourd’hui toute l’histoire du salut : La première était prise aux prophètes, lectio prophetica, son but est de censurer le mal et d’annoncer les choses futures, afin que l’on comprenne que c’est Dieu luimême qui a parlé avec éclat dans les prophéties et qui a resplendi dans la lumière de l’Évangile. La seconde leçon était prise aux épîtres apostoliques ; ce que le prophète annonce comme futur, l’apôtre le proclame accompli. Au temps pascal on lisait aussi les Actes des apôtres ou l’Apocalypse de saint Jean ; en Carême, les « histoires » de l’Ancien Testament, et aux fêtes des confesseurs et des martyrs, le récit de leur vie697.

Toutes ces lectures avaient pour but de rendre présents dans l’aujourd’hui des chrétiens les promesses de Dieu et leur accomplissement en Jésus. Ainsi les chrétiens étaient motivés à entrer dans la dynamique de cette histoire du salut en imitant la vie de certains martyrs. Ici la dimension anamnesico-ecclésiologique n’est pas seulement une actualisation dans la communauté présente des faits passés, mais une actualisation qui unit le passé au présent et engage les auditeurs actuels à imiter les acteurs du passé. La lecture de l’Évangile marquera d’un sceau particulier la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole dans le rite gallican. Le symbolisme qui entoure la lecture de l’Évangile rend présent l’accomplissement de l’histoire du salut en Jésus et appelle à la communion ecclésiale dans l’unique Seigneur : La troisième leçon, l’Évangile, est entourée d’une grande pompe. L’Évangile, précédé de sept luminaires symbolisant les sept dons du Saint-Esprit, est porté processionnellement à l’ambon qui représente le trône du Christ […] L’annonce de la Parole de vie est suivie de l’acclamation : Gloria tibi Domine qui est commune à toutes les liturgies latines. La lecture terminée, l’Évangile revient processionnellement au chant du Sanctus que chantent les clercs à la manière des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, jetant leurs couronnes devant l’Agneau en proclamant sa gloire, son honneur et sa puissance (Apoc. IV, 10–11)698.

L’Évangile, au-delà de la dimension anamnesico-ecclésiologique qu’il comporte, fait entrer les chrétiens dans la dimension eschatologique où 697 J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 35. 698 J.-B. Thibaut, L’ancienne liturgie Gallicane, 40.

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le Christ comme Seigneur, assis sur son trône, représenté par l’ambon, reçoit tout honneur et est proclamé trois fois saint. Reprenons point par point le symbolisme entourant l’Évangile : une grande pompe, signe de l’importance et de la majesté qui entoure la Parole de Dieu. Elle n’est pas une parole comme toutes les autres paroles, elle est la Parole de Dieu, donc sa lecture doit être faite dans une grande pompe pour marquer son caractère sacré et unique. Les sept luminaires qui symbolisent les sept dons du Saint-Esprit : apparaît déjà ici la circularité entre la Parole de Dieu et l’épiclèse. La Parole de Dieu ne peut être lue et comprise sans la grâce de l’Esprit Saint : c’est lui qui nous donne la connaissance de la Parole de Dieu et nous remplit des dons nécessaires pour l’accueillir dans l’Église et la vivre en communion avec les autres. L’ambon qui représente le trône du Christ : il s’agit ici d’un Christ victorieux, établi Seigneur et maître de l’univers, un Christ ressuscité qui, comme autrefois après sa résurrection apparaissait à ses apôtres, leur rappelant tout ce qui avait été écrit sur lui, pour leur faire comprendre que la promesse est accomplie et qu’il est lui le vrai Seigneur annoncé qui reviendra à la fin des temps. C’est vers lui que nous cheminons comme Église en procession, chantant sa gloire pour ce qu’il a accomplit, ce qu’il est en train d’accomplir aujourd’hui dans son Église et ce qu’il accomplira dans la perfection à la fin des temps. C’est ce qui symbolisent les clercs rassemblés, in persona ecclesiae, pour porter le livre des Évangiles en chantant pour la lecture et le rapporter à son lieu d’honneur après la lecture. Puisqu’il ne faut rien laisser au hasard, l’homélie est faite à base d’un support de recueils d’homélies des Pères, dont l’officiant peut s’en inspirer pour commenter les lectures et donner des conseils pratiques pour la vie conformément à la Parole de Dieu. Loin de constituer une restriction de l’homélie, ce support, nous le pensons, évitait toute divagation superflue et servait au cas où « le prêtre de paroisse étant empêché par la maladie, il [fallait] se garder de l’improvisation de ses diacres et y couper court en leur mettant en mains un recueil d’homélies et d’expositions des Pères »699. 699 H. Leclercq, « Messe », 656. Hormis les divagations et l’improvisation des prêtres ou des diacres qui sont des raisons qui soutiennent cette pratique, vu la situation actuelle de nos Églises tant occidentales qu’africaines qui souffrent de la carence de prêtres et qui voient beaucoup de leurs communautés être tenues par des laïcs engagés, le retour à cette pratique trouverait toutes les raisons de sa mise en application actuellement.

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Nous restons seulement dans l’admiration de la dimension anamnesicoecclésiologico-eschatologique que porte la table de la Parole dans le rite gallican et nous formulons le vœu d’un recours au support de recueil d’homélies fait par l’Église et recommandé aux ministres de la Parole pour une homélie ou une prédication saine et orthodoxe. Etudions à présent un autre rite occidental, à savoir le rite mozarabe, pour essayer de dégager la dimension anamnesico-ecclésiologique de sa table de la Parole. 5.2  Le rite mozarabe La table de la Parole, structurée quasiment comme celle du rite gallican, est marquée par les lectures de l’Ancien Testament, de saint Paul et de l’Évangile. La première s’appelait la Prophétie, la seconde l’Épître ou l’Apôtre, la troisième l’Évangile […] La prophétie est supprimée le dimanche ; en carême et les jours de jeûne, on a quatre leçons, deux de l’Ancien Testament et deux du Nouveau ; de Pâques à la Pentecôte, la première leçon est tirée de l’Apocalypse, celle de l’Ancien Testament est supprimée700.

Comme nous pouvons le remarquer, le rite mozarabe essaie de parcourir tous les livres de la Bible pour permettre aux chrétiens de revivre toute l’histoire du salut. Une mémoire qui actualise par la lecture de l’Ancien et du Nouveau Testament toute l’histoire du salut telle que préparée par les prophètes et accomplie en Jésus. Dans cette commémoration de l’histoire du salut à travers les Écritures Saintes, Jésus est l’épicentre de tout. Son sacrifice sur la croix récapitule le passé et ouvre la voie à la nouveauté de la vie chrétienne. Le critère commandant la table de la Parole de rite mozarabe est le sacrifice du Christ comme accomplissement de la prophétie. C’est dans ce sens que nous comprenons le souhait adressé par le prêtre au peuple après l’oraison qui suit les lectures : Dominus sit semper vobiscum. Et le peuple répondait : Et cum spiritu tuo. Cette idée du sacrifice, comme dans le rite gallican, était encore renforcée par les psallenda qui suivaient la lecture de la prophétie au court de laquelle on chantait le cantique des trois enfants avec le premier verset du psaume confitemini (Ps 104, 1 ). La mémoire du sacrifice du Christ laisse entrevoir la grandeur, la puissance de Dieu qui 700 H. Leclercq, « Messe », 675.

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autrefois s’étaient manifestées par la victoire de Daniel et ses compagnons dans la fournaise, par la victoire du Christ sur la mort et qui continue dans l’Église à travers la vistoire de ses saints sur la force du mal. Ce caractère anamnestique du sacrifice du Christ dans la table de la Parole sera encore marqué par une rubrique après la lecture de la prophétie : la préparation du calice, au court de laquelle le prêtre mettait le vin et l’eau, et de la patène, dans laquelle il posait l’hostie pour le sacrifice. Et par ce rite le prêtre au nom de tous les chrétiens disait : indulgentiam postulamus. Cette intercalation de la table de l’Eucharistie dans celle de la Parole, tout en nous montrant l’unité entre les deux tables, nous enseigne en même temps l’accomplissement de la prophétie par le sacrifice du Christ qui devient source de l’indulgence pour son peuple. Pour la poursuite des lectures, le prêtre ordonnait le silence : silentium facite, pour inviter le peuple au respect et à l’écoute assidue de la Parole de Dieu. Le peuple, pour marquer son adhésion à la Parole de Dieu, répondait : Deo gratias à l’annonce de l’Epître et Amen à la fin de la lecture. Quant à l’Évangile, le diacre après la réception de la bénédiction de l’évêque, avant d’aller à l’ambon disait : Laus tibi ; le peuple avec le clergé répondaient : Laus tibi, Domine Jesu Christe, rex aeternae gloriae. A l’annonce de l’Évangile à l’ambon, le peuple répondait Gloria tibi, Domine en se signant. A la fin de la lecture intervenait encore l’Amen du peuple. La lecture de l’Épître et de l’Évangile dans un premier temps était faite par un lecteur, après elle sera confiée au diacre. Cette participation des chrétiens laisse entrevoir formellement la dimension ecclésiologique que nous pouvons lire entre les lignes dans la table de la Parole telle que célébrée dans le rite mozarabe. La Parole de Dieu lue dans l’Église était accueillie ecclésialement et la foi en cette Parole était exprimée elle aussi en ecclesia par l’Amen des chrétiens, qui les unissait au Christ et entre eux. Les louanges et la gloire rendues à Jésus comme Seigneur, Roi éternel expriment une dimension de la présence réelle du Christ dans l’anamnèse de sa Parole. C’est le Christ lui-même qui est encore présent parmi son peuple pour l’instruire. Écouter sa parole aujourd’hui, c’est l’écouter lui-même. Bien qu’elle ne soit pas formellement mentionnée dans l’ordonnancement de la messe, nous pensons que par l’homélie, l’officiant expliquait les Écritures et invitait les chrétiens, constitués en ecclesia, à vivre l’aujourd’hui de la Parole de Dieu. Nous déplorerions que cette dimension importante de la table de la Parole soit omise dans le rite mozarabe. 305

5.3  Le rite ambrosien C’est aussi un des anciens rites catholiques ; son passé historique est riche d’éléments théologiques en matière anamnesico-ecclésiologique. Les différentes réformes liturgiques qui ont constitué ce rite jusqu’à sa forme actuelle nous portent à ne pas entrer, pour ce paragraphe, dans les détails historiques de son cheminement mais à nous en tenir seulement au nouveau lectionnaire. Dans le nouveau lectionnaire ambrosien réformé, paru le 20 mars 2008, la liturgie ambrosienne accorde une place de choix à la Parole de Dieu. Porté par le souci pastoral d’instruire et de faire croître la foi du peuple de Dieu, le rite ambroisien, spécialement dans son dernier lectionnaire réformé, cherchera plus à concrétiser SC concernant la lecture de la Parole de Dieu : présenter aux fidèles avec plus de richesse la table de la parole de Dieu, leur ouvrir largement les trésors bibliques par la lecture dans un nombre d’années déterminé de toute l’histoire du salut701. Cet agencement permet d’actualiser, de tenir toujours présente dans la vie des fidèles l’histoire de leur salut, et ainsi d’entrer dans la dynamique de cette histoire. Déjà dans la tradition des écrits de S. Ambroise et surtout dans ses homélies, la catéchèse pour les chrétiens, la liturgie de la Parole était plus centrée sur l’événement pascal que les chrétiens devaient mieux connaître et tenir toujours présent dans leur vie : Già nell’omiletica e più in generale negli scritti di Ambrogio era possibile cogliere il riflesso di un ciclo annuale di celebrazioni, il cui pilastro fondamentale era la Pasqua (c’est nous qui soulignons), ma che pure conosceva la festa della manifestazione del Verbo divino nella carne e un certo numero di ricorrenze in onore di specifici santi702.

Sans pourtant négliger la commémoration d’autres dimensions de la vie du Christ et de l’histoire du salut en général, en commençant par l’Ancien Testament, en passant par le Nouveau Testament jusqu’à l’Église de son temps, le cycle de célébration du rite ambrosien, spécialement en ce qui concerne la table de la Parole, avait comme pilier principal l’événement pascal, vers lequel tous les autres événements de l’histoire du salut et de la foi s’orientent, convergent et trouvent leur sens703. 701 Cf. SC, 51. 702 C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 73. 703 Cf. Pour approfondissement de ce qui concerne l’ordonnance des lectures, nous vous recommandons l’étude faite par P. Carmassi, Libri liturgici e istituzioni ecclesiastiche a Milano in età medievale, 2001.

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Bien que les données chronologiques sur la présence de deux ambons ne soient pas certifiées, certains, comme H. Leclercq penserait volontiers que « l’existence de deux et même de trois ambons attribuait souvent leur élévation à la dignité des lectures qui s’y faisaient, Évangile, écrits des apôtres, prophètes »704. Les ambons, si on peut ainsi approfondir la réflexion, représentent les deux grands moments de l’histoire de notre salut : l’Ancien et le Nouveau Testaments. La mémoire de ces deux moments forts est représentée par deux ambons. Le Christ préparé par les prophètes, prêché par les apôtres et l’Église, est représentée par un ambon, le Christ présent, à travers son ministre et sa parole qui nous parle encore aujourd’hui, est représenté par un autre ambon trône, du Christ parmi son peuple. On notera ce fait qui a marqué le rite ambrosien dans la liturgie de la Parole en ce qui concerne le cycle de l’année et l’ordonnance des lectures dans la systématisation carolingienne qui, jusqu’à présent, est préservée comme patrimoine important, que il nesso che le lega non è, filologicamente, la riproposizione di forme e immagini letterarie nei diversi testi, ma il comune riferimento al contenuto salvifico dell’evento, di cui l’azione cultuale fa memoria. Lo scopo della scelta, pertanto, non è mostrare continuità testuali, e neppure trasmettere una dottrina sull’evento celebrato : il fine delle letture è rendere il credente partecipe del contenuto di salvezza di quell’evento, che la Chiesa rivive mystikôs nel suo culto705. 

Cette idée de fond, qui marque la tradition du rite ambrosien dans l’agencement des lectures, est pour nous une base anamnestique de grande valeur que porte la table de la Parole telle que célébrée dans ce rite. Le croyant qui commémore l’événement de son salut est appelé à travers les actions cultuelles à dépasser le simple fait de rendre présent ce qu’il commémore, il doit, par delà l’actualisation de fait, participer au contenu du salut célébré, faire sien l’événement commémoré. L’histoire du salut devient son histoire, il se l’approprie. Le caractère anamnestique de la Parole de Dieu est encore plus clairement exprimé, quand dans ses notes introductives de la liturgie de la Parole, le rite ambrosien stipule que « nella liturgia della Parola, Dio parla al suo popolo, gli manifesta il mistero della redenzione e della salvezza e gli offre un nutrimento sprituale. Cristo stesso è presenteper mezzo della 704 H. Leclercq, « Ambon », 1339. 705 C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 79.

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sua Parola tra i fedeli »706. La liturgie de la Parole dans le rite ambrosien porte en soi deux grandes dimensions : elle actualise la présence du Christ qui parle à son peuple réuni et devient en même temps nourriture spirituelle pour ce peuple qui l’écoute. Nous pouvons lire ici en filigrane tout le discours de Jésus sur le Pain de vie (Jn 6). Jésus Parole de Dieu, vrai pain descendu du ciel, nourrissant la foule du pain matériel, l’invitera à chercher à travailler pour la nourriture qui demeure éternellement (Jn 6, 27). La liturgie de la Parole telle qu’agencée et célébrée dans le rite ambrosien fait surgir ces deux dimensions de Jn 6, Jésus Parole présente et vivante qui donne à son peuple la vraie nourriture spirituelle de sa Parole. « Con le letture si offre ai fedeli la mensa della Parola di Dio e si aprono loro i tesori della Bibbia »707. La lecture de l’Évangile dans le rite ambrosien est marquée par un grand respect, tous les chrétiens doivent se mettre débout pour l’écouter parce que c’est Jésus lui-même qui parle : « Alla lettura del vangelo si deve il massimo rispetto, lo insegna la liturgia stessa, perché la distingue dalle altre letture con particolari onori. In modo speciale Cristo è presente e parla ai fedeli, i quali ascoltano la lettura stando in piedi »708. Ce maximum de respect que les chrétiens doivent avoir à la lecture de l’Évangile marque encore davantage l’aspect anamnestique du Christ dans la table de la Parole telle que célébrée dans le rite ambrosien. La position debout est une position non seulement de respect mais aussi d’accueil. On ne s’arrête pas seulement à écouter Jésus qui nous parle, mais on l’accueille aussi dans notre vie, pour qu’il demeure en nous : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3, 20). Arrêtons-nous un instant sur ce fait d’accueil de Jésus à travers sa parole. Dans la plupart des cas, on n’accueille que celui qu’on aime, l’accueil fait à Jésus est en même temps la démonstration de notre amour en réponse à son amour qui nous parle. Ceci nous met en communion avec lui (Jn 14, 23) et nous unit aussi entre nous en nous faisant prendre conscience de notre identité de fils adoptifs et d’appartenance à une Église. Le rite ambrosien soulignera : Quanto poi alla coerente riproposizione delle strutture formali, che caratterizzano la liturgia della Parola nella tradizione ambrosiana, si tratta di aspetto che può offrire 706 MA Liturgia della Parola, 967. (C’est nous qui avons souligné). 707 MA, Liturgia della Parola, 967. 708 MA, Liturgia della Parola, 968. (C’est nous qui avons souligné).

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anch’esso un prezioso contributo sul piano « ecclesiologico », contribuendo a rendere immediatamente evidente un’identità ecclesiale e aiutando a sviluppare nel clero e nei fedeli la consapevolezza della propria appartenenza a una specifica Chiesa, con le implicazione che questo comporta in riferimento alla communione cattolica e all’ecumene cristiana709.

La liturgie de la Parole de rite ambrosien, dans sa structure de fond et de forme, n’est pas seulement anamnestique, elle est en même temps ecclésiologique et communionelle. Elle met les fidèles en communion avec l’Ancien Testament, accompli en Jésus dans le Nouveau Testament, crée l’Église et ouvre aux autres religions chrétiennes. Saint Ambroise, pour montrer l’accomplissement en Jésus de toute l’histoire du salut, dira : « Prius propheta legitur, et apostolus, et sic evangelium »710. Ceci pour tenir présente toute l’histoire du salut qui devait faire l’objet de la mémoire du Christ, accomplissement de ce que les prophètes ont préparé et de ce que les apôtres et l’Église doivent continuer jusqu’à son retour. Cette recommandation fait entrer et lier en même temps l’Église actuelle à celle des apôtres, à la tradition, à l’Ancien Testament. C’est le même sang qui a coulé dans les veines de l’Ancien Testament, certifié par le Christ, transmis à l’Église primitive, qui continue à couler dans l’Église actuelle. Gardant l’idée théologique de base qui porte la liturgie de la Parole de rite ambrosien, la structuration formelle du lectionnaire actuel s’articulera sur le fait que al duplice ordinamento delle letture corrisponde, peraltro (e per evidenti ragioni) una medesima pericope evangelica. Quest’ultima sviluppa in lettura semicontinua (cfr de cotidianis dell’Evangelistario di Busto) la presentazione dei quattro Vangeli, in successionne e secondo il seguente ordine : Matteo, Marco, Giovanni, Luca711.

Cette structuration formelle porte en soi une grande contribution théologique du point de vue ecclésiologique : comme nous l’avons noté plus haut, les chrétiens redécouvrent en eux d’abord une identité ecclésiale d’appartenance à un ensemble faisant lui-meme partie d’un grand ensemble qui est l’Église catholique occidentale. Ce qui ne les enferme pas, mais au contraire les ouvre aux autres en vue de la communion. Il est évident que 709 C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 95. 710 S. Ambrosius, Expositio in Psalmum CXVIII, 17, 10, PL XV, 1443. 711 C. Alzati, Il lezionario della chiesa Ambrosiano, 89.

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le risque d’enfermement ou d’exclusion est toujours là, il faut pour y faire face une étroite collaboration avec la sainte mère l’Église romaine dans le respect, de part et d’autre, des documents du Concile Vatican DV 21 et SC 4. La table de la Parole, ainsi étudiée dans le rite ambrosien, nous conduit à présent à visiter un autre rite catholique : le rite romain. 5.4  Le rite romain Les Écritures Saintes, qui nous parlent de l’œuvre du salut de Dieu, trouvent leur plein accomplissement dans la mort et la résurrection de Jésus. La Parole de Dieu rend connaissable l’acte suprême de Jésus, et inversement l’acte suprême de Jésus nous fait vivre la véracité de la Parole de Dieu. Les rites catholiques en général, suite à une certaine spiritualité et théologie mystiques, ont considéré la table de la Parole comme une partie secondaire de la messe. Il suffit de lire l’ordonnancement de la messe tel que nous l’avons notifié plus haut pour s’en rendre compte. Sans y revenir, la première chose que nous mentionnerons, face à cette situation de jadis, est l’importance que l’Église catholique romaine reconnaît de plus en plus à la Parole de Dieu. La thèse selon laquelle : « la lecture de la Sainte Écriture représente l’objet propre de l’avantmesse, comme le Sacrement du corps et du sang du Christ forme le noyau du Saint Sacrifice »712, est petit à petit en train d’être dépassée par des positions telles que celles de : DV 21 ; SC 24 ; 56 et de l’exhortation Apostolique Verbum Domini de Benoît XVI713 qui affirment que la table de la Parole n’est pas une avant-messe, elle constitue la messe et sans elle nous ne pouvons pas parler de messe. C’est ainsi que la structuration des lectures est faite autour de la totalité de l’histoire du salut telle que préparée dans l’Ancien Testament et accomplie en Jésus-Christ dans le Nouveau Testament. Les années liturgiques reparties en années A, B et C nous permettent de parcourir les grands moments de l’histoire du salut tant dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament pour 712 J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia, T. II, 153. 713 Cf. La Parole et l’Eucharistie sont corrélées intimement au point de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre : la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l’événement eucharistique. L’Eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la Sainte Écriture, comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour le Mystère eucharistique : Benoît xvi, Verbum Domini, 55.

310

avoir une vision assez globale et précise de l’accomplissement de cette histoire en Jésus-Christ. L’Eucharistie ayant comme point focal l’événement pascal, centré sur le mystère christique, pendant l’année liturgique A on lit le mystère de la vie du Christ tel que relaté par l’évangéliste Matthieu, l’année liturgique B est consacrée à la lecture de l’Évangile de Marc et l’année liturgique C à celui de Luc. L’Évangile de Jean est lu pendant les moments forts de l’année liturgique : les temps de Noël et de Pâques. Quant aux deux premières lectures, la première généralement est toujours tirée de l’Ancien Testament, pour faire comprendre aux chrétiens comment Dieu a préparé, par la Loi et les Prophètes, son peuple à l’accomplissement de l’histoire du salut. La deuxième lecture est généralement tirée des écrits du Nouveau Testament, hormis les Évangiles, pour voir comment est née l’Église à travers les premières communautés chrétiennes, leur témoignage de vie et de foi face au mystère du Christ. Cette structuration, qui tire son inspiration originale de l’ordonnancement des lectures de la synagogue714, permet de faire comprendre aux chrétiens les Saintes Écritures, à partir de la Loi et des Prophètes jusqu’aux apôtres pour une meilleure fraction du pain. C’est dans ce cadre que la table de la Parole de Dieu, dans le rite romain, reçoit sa dimension anamnesico-ecclésiologique. La Parole de Dieu est un don que Dieu fait à son peuple. Comme don, elle doit être reçue par le peuple de Dieu et devenir ainsi structurante de sa vie communautaire. Ayant une dimension structurante de la communauté, la Parole de Dieu se revêt d’une dimension mémorielle qui maintient le peuple de Dieu toujours dans le droit chemin. Nous étudierons d’une manière plus large cette dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu dans le rite romain en abordant tous les points susmentionnés. 5.4.1  Tableaux de cycle des lectures dominicales Pour mieux comprendre le sens de l’anamnèse chrétienne et voir comment se déploie panoramiquement l’actualisation à travers la table de la Parole de toute l’histoire du salut et du mystère du Christ715, nous avons pensé bon, avant d’étudier quelques points intéressants de la table de la Parole, de mettre à disposition ces tableaux de cycle des lectures dominicales 714 Cf. Pour plus d’informations, on peut lire J.- A. Jungmann, Missarum sollemnia, II, 156–226. 715 SC, 102.

311

(A, B, C) du temps ordinaire. Ceci nous permet de voir comment toute l’histoire du salut est commémorée à travers les différents livres de la Sainte Bible. Nous avons choisi les tableaux tels que présentés dans le Missel anglais716 que nous avons trouvés très détaillés et clairs : Readings for Sundays in Ordinary Time – Cycle A  (for use in 2002, 2005, 2008, 2011, 2014, 2017, etc.) Date

#

1/9/11

21

1/16/11

64

1/23/11

67

1/30/11

70

2/6/11

73

2/13/11

76

2/20/11

79

2/27/11

82

3/6/11

85

Sunday

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

The Feast of the Baptism of the Lord – A [begin 1st Week in Ordinary Time] 2nd Sunday in Ordinary Time – A 3rd Sunday in Ordinary Time – A 4th Sunday in Ordinary Time – A 5th Sunday in Ordinary Time – A 6th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 42 :1–4, 6–7

Ps 29 :1–2, Acts cf. Mark 3–4, 3b+9b-10 10 :34–38 9 :7

Isa 49 : 3, 5–6

Ps 40 :2+4, 1 Cor 7–8a, 8b-9, 10 1 :1–3

7th Sunday in Ordinary Time – A 8th Sunday in Ordinary Time – A 9th Sunday in Ordinary Time – A

Isa Ps 27 :1, 4, 8 :23b–9 :3 13–14

Gospel Matt 3 :13–17

John John 1 :14a+12a 1 :29–34 cf. Matt 4 :23

Zeph 2 :3 ; Ps 146 :6c-7, 3 :12–13 8–9a, 9b-10

1 Cor 1 :10–13, 17 1 Cor 1 :26–31

Isa 58 :7–10

Ps 112 :4–5, 6–7, 8–9

1 Cor 2 :1–5

John 8 :12

Matt 5 :13–16

Sir 15 :16–21 diff

Ps 119 :1–2, 4–5, 17–18, 33–34

1 Cor 2 :6–10

cf. Matt 11 :25

Lev 19 :1–2, 17–18 Isa 49 :14–15

Ps 103 :1–2, 3–4, 8+10, 12–13 Ps 62 :2–3, 6–7, 8–9

1 Cor 3 :16–23

1 John 2 :5

Matt 5 :17–37 or 5 :20–22a, 27–28, 33–34a, 37 Matt 5 :38–48

1 Cor 4 :1–5

Hebr 4 :12

Matt 6 :24–34

Deut Ps 31 :2–3a, 11 :18, 3b-4, 17+25 26–28, 32 (diff)

Rom 3 :21–25, 28

John 15 :5

Matt 7 :21–27

716 The catholic lectionary for mass, USA 1998.

312

Alleluia

Matt 4 :12–23 or  4 :12–17 Matt 5 :12a Matt 5 :1–12a

Date X

#

Sunday

88

10th Sunday in Ordinary Time – A [omitted in 2011]

First Responsorial Second Reading Psalm Reading Hos 6 :3–6 Ps 50 :1+8, 12–13, 14–15

Alleluia

Gospel

Rom 4 :18–25

cf. Luke 4 :18

Matt 9 :9–13

Rom 5 :6–11

Mark 1 :15 Matt 9 :36–10 :8

[6/12/11] 91

11th Sunday Exod in Ordinary 19 :2–6a Time – A [Pentecost 2011]

Ps 100 :1–2, 3, 5

[6/19/11] 94

12th Sunday in Ordinary Time – A [Trinity 2011]

Jer 20 :10–13

Ps 69 :8–10, Rom 14+17, 33–35 5 :12–15

John Matt 15 :26b–27a 10 :26–33

[6/26/11] 97

13th Sunday in Ordinary Time – A [Corpus Christi 2011]

2 Kgs 4 :8–11, 14–16a

Ps 89 :2–3, 16–17, 18–19

Rom 6 :3–4, 8–11

1 Peter 2 :9 Matt 10 :37–42

7/3/11

100 14th Sunday in Ordinary Time – A

Zech 9 :9–10

Ps 145 :1–2, 8–9, 10–11, 13–14

Rom 8 :9, cf. Matt 11–13 11 :25

Matt 11 :25–30

7/10/11

103 15th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 55 :10–11

Ps 65 :10, 11, 12–13, 14

Rom 8 :18–23

(no bibl. ref.)

Matt 13 :1–23 or  13 :1–9

7/17/11

106 16th Sunday in Ordinary Time – A

Wis 12 :13, 16–19

Ps 86 :5–6, 9–10, 15–16

Rom 8 :26–27

cf. Matt 11 :25

Matt 13 :24– 43 or  13 :24–30

7/24/11

109 17th Sunday in Ordinary Time – A

1 Kgs 3 :5, Ps 119 :57+72, Rom 7–12 76–77, 127–28, 8 :28–30 129–30

cf. Matt 11 :25

Matt 13 :44–52 or  13 :44–46

7/31/11

112 18th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 55 :1–3 Ps 145 :8–9, 15–16, 17–18

Matt 4 :4b

Matt 14 :13–21

8/7/11

115 19th Sunday in Ordinary Time – A

1 Kgs 19 :9a, 11–13a

Ps 85 :9ab+10, Rom 11–12, 13–14 9 :1–5

cf. Psalm 130 :5

Matt 14 :22–33

8/14/11

118 20th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 56 :1, 6–7

Ps 67 :2–3, 5, 6+8

Rom 8 :35, 37–39

Rom cf. Matt 11 :13–15, 4 :23 29–32

Matt 15 :21–28

313

Date

#

Sunday

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

Gospel

8/21/11

121 21st Sunday in Ordinary Time – A

Isa 22 :19–23 (diff)

8/28/11

124 22nd Sunday in Ordinary Time – A

Jer 20 :7–9 Ps 63 :2, 3–4, 5–6, 8–9

Rom 12 :1–2

cf. Eph 1 :17–18

9/4/11

127 23rd Sunday in Ordinary Time – A

Ezek 33 :7–9

Ps 95 :1–2, 6–7b, 7c-9

Rom 13 :8–10

2 Cor 5 :19 Matt 18 :15–20

9/11/11

130 24th Sunday in Ordinary Time – A

Sir 27 :30— 28 :7

Ps 103 :1–2, 3–4, 9–10, 11–12

Rom 14 :7–9

John 13 :34 Matt 18 :21–35

9/18/11

133 25th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 55 :6–9 Ps 145 :2–3, 8–9, 17–18

Phil cf. Act 1 :20c–24, 16 :14b 27a

9/25/11

136 26th Sunday in Ordinary Time – A

Ezek 18 :25–28

Ps 25 :4–5, 6–7, 8–9

Phil 2 :1–11  or 2 :1–5

10/2/11

139 27th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 5 :1–7

Ps 80 :9+12, Phil 13–14, 15–16, 4 :6–9 19–20

cf. John 15 :16

Matt 21 :33–43

10/9/11

142 28th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 25 :6–10a

Ps 23 :1–3a, 3b-4, 5, 6

Phil 4 :12–14, 19–20

cf. Eph 1 :17–18

Matt 22 :1–14  or 22 :1–10

10/16/11 145 29th Sunday in Ordinary Time – A

Isa 45 :1, 4–6

Ps 96 :1+3, 4–5, 7–8, 9–10

1 Thess 1 :1–5b

Phil Matt 2 :15d–16a 22 :15–21

10/23/11 148 30th Sunday in Ordinary Time – A

Exod 22 :20–26

Ps 18 :2–3a, 3b-4, 47+51

1 Thess 1 :5c-10

John 14 :23 Matt 22 : 34–40

10/30/11 151 31st Sunday in Ordinary Time – A

Mal 1 :14b- Ps 131 :1, 2, 3 1 Thess 2 :2b, 8–10 2 :7b-9, 13

Matt Matt 23 :9b+10b 23 :1–12

11/6/11

Wis 6 :12–16

1 Thess 4 :13–18  or 4 :13–14

Matt Matt 24 :42a+44 25 :1–13

1 Thess 5 :1–6

John 15 :4a+5b

154 32nd Sunday in Ordinary Time – A

11/13/11 157 33rd Sunday in Ordinary Time – A

314

Ps 138 :1–2a, 2b-3, 6+8

Alleluia

Ps 63 :2, 3–4, 5–6, 7–8

Prov Ps 128 :1–2, 31 :10–13, 3, 4–5 19–20, 30–31

Rom Matt 16 :18 Matt 11 :33–36 16 :13–20 Matt 16 :21–27

Matt 20 :1–16a

John 10 :27 Matt 21 :28–32

Matt 25 : 14–30 or  25 :14–15, 19–21 (diff)

Date

#

Sunday

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

11/20/11 160 34th or Last Ezek Ps 23 :1–2a, Sunday in 34 :11–12, 2b-3, 5, 6 Ordinary 15–17 Time – A :  The Solemnity of Our Lord Jesus Christ the King

Alleluia

Gospel

1 Cor Mark Matt 15 :20–26, 11 :9b+10a 25 :31–46 28

Readings for Sundays in Ordinary Time – Cycle B (for use in 2003, 2006, 2009, 2012, 2015, 2018, etc.) Date

#

1/9/12 21 [Monday]

1/15/12

65

1/22/12

68

1/29/12

71

2/5/12

74

2/12/12

77

2/19/12

80

[5/27/12] 83

Sunday The Feast of the Baptism of the Lord – B [begin 1st Week in Ordinary Time] 2nd Sunday in Ordinary Time – B 3rd Sunday in Ordinary Time – B 4th Sunday in Ordinary Time – B 5th Sunday in Ordinary Time – B 6th Sunday in Ordinary Time – B 7th Sunday in Ordinary Time – B 8th Sunday in Ordinary Time – B [Pentecost 2012]

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

Alleluia

Gospel

optional : 1 John 5 :1–9or reading from Year A 1 Sam Ps 40 :2+4, 1 Cor 3 :3b-10, 7–8a, 8b-9, 10 6 :13c-15a, 19 17–20 Jon 3 :1–5, Ps 25 :4–5, 1 Cor 10 6–7, 8–9 7 :29–31

cf. John 1 :29

Deut 18 :15–20

1 Cor 7 :32–35

Matt 4 :16 Mark 1 :21–28

1 Cor 9 :16–19, 22–23 1 Cor 10 :31– 11 :1 2 Cor 1 :18–22

Matt 8 :17 Mark 1 :29–39

cf. Luke 4 :18

Mark 2 :1–12

2 Cor 3 :1b-6

James 1 :18

Mark 2 :18–22

optional : Isa 55 :1–11 or reading from Year A

optional : Isa 12 :2–3, 4bcd, 5–6 or Psalm from Year A

Ps 95 :1–2, 6–7b, 7c-9

Job 7 :1–4, Ps 147 :1–2, 6–7 3–4, 5–6 Lev 13 :1–2, 44–46 Isa 43 :18–19, 21–22, 24b-25 Hos 2 :16b, 17b, 21–22

Ps 32 :1–2, 5, 11 Ps 41 :2–3, 4–5, 13–14

Ps 103 :1–2, 3–4, 8+10, 12–13

Mark 1 :7–11

John John 1 :41+17b 1 :35–42 Mark 1 :15 Mark 1 :14–20

Luke 7 :16 Mark 1 :40–45

315

Date

#

[6/3/12]

86

[6/10/12] 89

6/17/12

92

[6/24/12] 95

Sunday

9th Sunday in Deut Ordinary Time – 5 :12–15 B [Trinity 2012]

Ps 81 :3–4, 5–6, 7–8, 10–11

10th Sunday in Ordinary Time – B [Corpus Christi 2012] 11th Sunday in Ordinary Time – B 12th Sunday in Ordinary Time – B [2012 : Birth of John the Baptist] 13th Sunday in Ordinary Time – B

Gen 3 :9–15

7/1/12

98

7/8/12

101 14th Sunday in Ordinary Time – B 104 15th Sunday in Ordinary Time – B 107 16th Sunday in Ordinary Time – B 110 17th Sunday in Ordinary Time – B 113 18th Sunday in Ordinary Time – B 116 19th Sunday in Ordinary Time – B 119 20th Sunday in Ordinary Time – B

7/15/12

7/22/12

7/29/12

8/5/12

8/12/12

8/19/12

316

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

Alleluia

Gospel

2 Cor 4 :6–11

cf. John 17 :17b+a

Ps 130 :1–2, 3–4, 5–6, 7–8

Mark 2 :23– 3 :6 or  2 :23–28 2 Cor John Mark 4 :13—5 :1 12 :31b-32 3 :20–35

Ezek 17 :22–24

Ps 92 :2–3, 13–14, 15–16

2 Cor 5 :6–10

(no bibl. ref.)

Job 38 :1, 8–11

Ps 107 :23–24, 2 Cor 25–26, 28–29, 5 :14–17 30–31

Wis 1 :13–15, 2 :23–24

Ps 30 :2+4, 5–6, 11–12a+13b

2 Cor 8 :7, cf. 2 Tim 9, 13–15 1 :10

Ezek 2 :2–5

Ps 123 :1–2a, 2bc, 3–4

2 Cor 12 :7–10

Amos 7 :12–15

Ps 85 :9ab+10, Eph 1 :3– 11–12, 13–14 14 or 1 :3– 10 Jer 23 :1–6 Ps 23 :1–3a, Eph 3b-4, 5, 6 2 :13–18

Mark 4 :26–34

Luke 7 :16 Mark 4 :35–41

cf. Eph 1 :17–18

Mark 5 :21–43 or 5 :21– 24, 35–43 (diff) Mark 6 :1–6 (diff) Mark 6 :7–13

John 10 :27

Mark 6 :30–34

cf. Luke 4 :18

2 Kgs 4 :42–44

Ps 145 :10–11, Eph 4 :1–6 Luke 7 :16 John 15–16, 17–18 6 :1–15

Exod 16 :2–4, 12–15 1 Kgs 19 :4–8

Ps 78 :3–4, 23–24, 25+54

Eph 4 :17, Matt 4 :4b John 20–24 6 :24–35

Ps 34 :2–3, 4–5, 6–7, 8–9

Eph John 6 :51 John 4 :30—5 :2 6 :41–51

Prov 9 :1–6

Ps 34 :2–3, Eph 4–5, 6–7 (diff) 5 :15–20

John 6 :56 John 6 :51–58

Date

#

Sunday

8/26/12

122 21st Sunday in Ordinary Time – B

9/2/12

125 22nd Sunday in Ordinary Time – B

First Responsorial Second Reading Psalm Reading

Gospel

Ps 34 :2–3, Eph 16–17, 18–19, 5 :21–32  20–21 (diff) or 5 :2a, 25–32 (new) Deut Ps 15 :2–3a, Jas 4 :1–2, 6–8 3b-4a, 4b-5 1 :17–18, 21b-22, 27 Isa Ps 146 :6c-7, Jas 2 :1–5 35 :4–7a 8–9a, 9b-10

cf. John 6 :63c+ 68c

John 6 :60–69

James 1 :18

Mark 7 :1– 8, 14–15, 21–23

cf. Matt 4 :23

Mark 7 :31–37

Isa 50 :4–9a

Ps 116 :1–2, 3–4, 5–6, 8–9

Jas 2 :14–18

Gal 6 :14

Mark 8 :27–35

Wis 2 :12, 17–20

Ps 54 :3–4, 5, 6–8

Jas cf. 2 Thess Mark 3 :16—4 :3 2 :14 9 :30–37

Num 11 :25–29

Ps 19 :8, 10, 12–13, 14

Jas 5 :1–6

Gen 2 :18–24

Ps 128 :1–2, 3, Heb 4–5, 6 2 :9–11

1 John 4 :12

Wis 7 :7–11

Ps 90 :12–13, 14–15, 16–17

Heb 4 :12–13

Matt 5 :3

10/21/12 146 29th Sunday in Ordinary Time – B

Isa 53 :10–11

Ps 33 :4–5, 18–19, 20+22

Heb 4 :14–16

Mark 10 :45

10/28/12 149 30th Sunday in Ordinary Time – B 11/4/12 152 31st Sunday in Ordinary Time – B 11/11/12 155 32nd Sunday in Ordinary Time – B

Jer 31 :7–9 Ps 126 :1–2a, 2b-3, 4–5, 6

Heb 5 :1–6 cf. 2 Tim 1 :10

Mark 9 :38–43, 45, 47–48 Mark 10 :2–16 or 10 :2–12 Mark 10 :17–30  or  10 :17–27 Mark 10 :35–45  or  10 :42–45 Mark 10 :46–52

Deut 6 :2–6

Ps 18 :2–3a, 3b-4, 47+51

Heb 7 :23–28

John 14 :23

Mark 12 :28b-34

1 Kgs 17 :10–16

Ps 146 :6c-7, 8–9a, 9b-10

Heb 9 :24–28

Matt 5 :3

Mark 12 :38–44 or 12 :41–44

9/9/12

128 23rd Sunday in Ordinary Time – B 9/16/12 131 24th Sunday in Ordinary Time – B 9/23/12 134 25th Sunday in Ordinary Time – B 9/30/12 137 26th Sunday in Ordinary Time – B 10/7/12 140 27th Sunday in Ordinary Time – B 10/14/12 143 28th Sunday in Ordinary Time – B

Josh 24 :1–2a, 15–17, 18b

Alleluia

cf. John 17 :17b+a

317

Date

#

Sunday

11/18/12 158 33rd Sunday in Ordinary Time – B 11/25/12 161 34th or Last Sunday in Ordinary Time – B : The Solemnity of Our Lord Jesus Christ the King

First Responsorial Second Reading Psalm Reading Dan 12 :1–3

Ps 16 :5+8, 9–10, 11

Dan 7 :13–14

Ps 93 :1a, 1b-2, 5

Alleluia

Heb Luke 10 :11–14, 21 :36 18 Rev 1 :5–8 Mark 11 :9b+10a

Gospel Mark 13 :24–32 John 18 :33b-37

Readings for Sundays in Ordinary Time – Cycle C (for use in 2001, 2004, 2007, 2010, 2013, 2016, etc.) Date

#

Sunday

First Reading

1/10/10

21

The Feast of the Baptism of the Lord – C [begin 1st Week in Ordinary Time]

optional : Isa 40 :1–5, 9–11 or reading from Year A

1/17/10

66

1/24/10

69

2nd Sunday in Ordinary Time – C 3rd Sunday in Ordinary Time – C

1/31/10

72

4th Sunday in Ordinary Time – C

Jer 1 :4–5, 17–19

Ps 71 :1–2, 3–4, 5–6, 15+17

2/7/10

75

5th Sunday in Ordinary Time – C

Isa 6 :1–2a, 3–8

Ps 138 :1–2a, 2b-3, 4–5, 7–8

2/14/10

78

6th Sunday in Ordinary Time – C

Jer 17 :5–8

Ps 1 :1–2, 3, 4+6

318

Responsorial Psalm

opt. : Ps 104 :1b-2, 3–4, 24–25, 27–28, 29b-30 ;  or Psalm from Year A Isa 62 :1–5 Ps 96 :1–2a, 2b-3, 7–8, 9–10 Neh 8 :2–4a, Ps 19 :8, 9, 5–6, 8–10 10, 15

Second Alleluia Gospel Reading opt : Titus cf. Luke 2 :11–14 ; 3 :16 3 :4–7 or reading from Year A

Luke 3 :15–16, 21–22

1 Cor 12 :4–11

cf. 2 Thess 2 :14 Luke 4 :18cd

John 2 :1–11 (diff) Luke 1 :1–4 ; 4 :14–21

Luke 4 :18cd

Luke 4 :21–30

Matt 4 :19

Luke 5 :1–11

Luke 6 :23ab

Luke 6 :17, 20–26

1 Cor 12 :12–30   or  12 :12–14, 27 1 Cor 12 :31— 13 :13 or 13 :4–13 1 Cor 15 :1–11   or 15 :3– 8, 11 1 Cor 15 :12, 16–20

Date

#

Sunday

First Reading

Responsorial Psalm

7th Sunday in Ordinary Time – C [omit in 2010] 8th Sunday in Ordinary Time – C [Pentecost 2010] 9th Sunday in Ordinary Time – C [Trinity 2010] 10th Sunday in Ordinary Time – C [Corpus Christi 2010] 11th Sunday in Ordinary Time – C

1 Sam 26 :2, 7–9, 12–13, 22–23 Sir 27 :5–8 (diff)

Ps 103 :1–2, 3–4, 8+10, 12–13 Ps 92 :2–3, 13–14, 15–16

1 Cor 15 :45–49

John 13 :34

Luke 6 :27–38

1 Cor 15 :54–58

Phil 2 :15d+ 16a

Luke 6 :39–45

1 Kgs 8 :41–43

Ps 117 :1–2

Gal 1 :1–2, John 6–10 3 :16

Luke 7 :1–10

1 Kgs 17 :17–24

Ps 30 :2+4, 5–6, 11–12a+13b

Gal 1 :11–19

Luke 7 :16

Luke 7 :11–17

2 Sam Ps 32 :1–2, 5, Gal 2 :16, 12 :7–10, 13 7, 11 19–21

1 John 4 :10b

12th Sunday in Ordinary Time – C 13th Sunday in Ordinary Time – C 14th Sunday in Ordinary Time – C

Zech 12 :10–11 ; 13 :1 (diff) 1 Kgs 19 :16b, 19–21 Isa 66 :10–14c

Ps 63 :2, 3–4, Gal 5–6, 8–9 3 :26–29

John 10 :27

Luke 7 :36– 8 :3 or  7 :36–50 Luke 9 :18–24

Ps 16 :1– 2a+5, 7–8, 9–10, 11 Ps 66 :1–3, 4–5, 6–7, 16+20

Gal 5 :1, 13–18

1 Sam 3 :9 ; John 6 :68c Col 3 :15a+ 16a

Ps 69 :14+17, 30–31, 33– 34, 36a+37 or Ps 19 :8, 9, 10, 11 (diff) Ps 15 :2–3a, 3b-4, 5

Col 1 :15–20

cf. John 6 :63c+ 68c

Col 1 :24–28

cf. Luke 8 :15

Luke 10 :38–42

Ps 138 :1–2a, 2b-3, 6–7a, 7b-8 Ps 90 :3–4, 5–6, 12–13, 14+17 (diff)

Col 2 :12–14

Rom 8 :15bc

Luke 11 :1–13

X

81

X

84

X

87

X

90

6/13/10

93

6/20/10

96

6/27/10

99

7/4/10

102

7/11/10

105

15th Sunday in Ordinary Time – C

Deut 30 :10–14

7/18/10

108

Gen 18 :1–10a

7/25/10

111

8/1/10

114

16th Sunday in Ordinary Time – C 17th Sunday in Ordinary Time – C 18th Sunday in Ordinary Time – C

Gen 18 :20–32 Eccl 1 :2, 2 :21–23

Second Alleluia Gospel Reading

Gal 6 :14–18

Luke 9 :51–62 Luke 10 :1–12, 17–20 or 10 :1–9 Luke 10 :25–37

Col 3 :1–5, Matt 5 :3 Luke 9–11 12 :13–21

319

Date 8/8/10

# 117

Sunday 19th Sunday in Ordinary Time – C

First Reading

Responsorial Psalm

Second Alleluia Gospel Reading

Wis 18 :6–9 Ps 33 :1+12, Heb 18–19, 20–22 11 :1–2, 8–19 or 11 :1–2, 8–12

Matt 24 :42a+ 44

Luke 12 :32–48   or  12 :35–40

[8/15/10] 120

20th Sunday Jer 38 :4–6, in Ordinary 8–10 Time – C [2010 :  Assumption of the Blessed Virgin Mary]

Ps 40 :2, 3, 4, 18

Heb 12 :1–4

John 10 :27

Luke 12 :49–53

8/22/10

123

21st Sunday in Ordinary Time – C

Isa 66 :18–21

Ps 117 :1, 2

Heb 12 :5–7, 11–13

John 14 :6

Luke 13 :22–30

8/29/10

126

22nd Sunday in Ordinary Time – C

Sir 3 :17–18, Ps 68 :4–5, 20, 28–29 6–7, 10–11

Heb Matt 12 :18–19, 11 :29ab 22–24a

Luke 14 :1, 7–14

9/5/10

129

23rd Sunday in Ordinary Time – C

Wis 9 :13–18b

Ps 90 :3–4, 5–6, 12–13, 14+17

Phlm 9–10, 12–17

Psalm 119 :135

Luke 14 :25–33

9/12/10

132

24th Sunday in Ordinary Time – C

Exod 32 :7–11, 13–14

Ps 51 :3–4, 1 Tim 12–13, 17+19 1 :12–17

2 Cor 5 :19

Luke 15 :1–32 or 15 :1–10

9/19/10

135

25th Sunday in Ordinary Time – C

Amos 8 :4–7 Ps 113 :1–2, 4–6, 7–8

1 Tim 2 :1–8

cf. 2 Cor Luke 8 :9 16 :1–13 or 16 :10–13

9/26/10

138

26th Sunday in Ordinary Time – C

Amos 6 :1a, Ps 146 :6c-7, 4–7 8–9a, 9b-10

1 Tim 6 :11–16

cf. 2 Cor Luke 8 :9 16 :19–31

10/3/10

141

27th Sunday in Ordinary Time – C

Habb 1 :2–3 ; 2 :2–4

Ps 95 :1–2, 6–7b, 7c-9

2 Tim 1 :6–8, 13–14

1 Peter 1 :25

Luke 17 :5–10

10/10/10 144

28th Sunday in Ordinary Time – C

2 Kgs 5 :14–17

Ps 98 :1, 2–3a, 3b-4

2 Tim 2 :8–13

1 Thess 5 :18

Luke 17 :11–19

10/17/10 147

29th Sunday in Ordinary Time – C

Exod 17 :8–13

Ps 121 :1–2, 2 Tim 3–4, 5–6, 7–8 3 :14–4 :2

320

Heb 4 :12 Luke 18 :1–8

Date

#

10/24/10 150

10/31/10 153

11/7/10

156

11/14/10 159

11/21/10 162

Sunday

First Reading

Responsorial Psalm

Second Alleluia Gospel Reading

30th Sunday in Ordinary Time – C 31st Sunday in Ordinary Time – C 32nd Sunday in Ordinary Time – C

Sir 35 :12– 14, 16–18 (diff) Wis 11 :22–12 :2 (diff) 2 Macc 7 :1–2, 9–14

Ps 34 :2–3, 2 Tim 17–18, 19+23 4 :6–8, 16–18 Ps 145 :1–2, 2 Thess 8–9, 10–11, 1 :11—2 :2 13b-14 Ps 17 :1, 5–6, 2 Thess 8+15 2 :16—3 :5

2 Cor 5 :19

Luke 18 :9–14

John 3 :16

Luke 19 :1–10

Rev 1 :5a+6b

33rd Sunday in Ordinary Time – C 34th or Last Sunday in Ordinary Time – C : The Solemnity of Our Lord Jesus Christ the King

Mal 3 :19–20a

Ps 98 :5–6, 7–8, 9

2 Thess 3 :7–12

Luke 21 :28

Luke 20 :27–38 or 20 :27, 34–38 Luke 21 :5–19

2 Sam 5 :1–3

Ps 122 :1–2, 3–4a, 4b-5

Col 1 :12–20

Mark 11 :9b+ 10a

Luke 23 :35– 43

Structurellement organisées en un cycle de trois années A, B, C, les lectures sont divisées en sections correspondant aux trois années liturgiques. Nous pouvons au total compter à peu près sept sections : Avent, Noël, Carême, Triduum pascal et Pâques, Temps pascal, Solennnités du Seigneur (Sainte Trinité, Saint-Sacrement, Sacré-Cœur), les 34 dimanches du temps ordinaire. On notera que certaines fêtes ou solennités (présentation du Seigneur, Transfiguration, Christ Roi de l’univers, saint Jean Baptiste …) peuvent aussi être célébrées le dimanche pour nous révéler toujours l’accomplissement de l’œuvre du salut. Les tableaux ci-dessus nous font voir comment à travers cette structuration toute l’histoire du salut est actualisée : première lecture (Ancien Testament ou Actes des Apôtres), Psaumes ou cantique, deuxième lecture (Épître ou Apocalypse), Évangile (Matthieu, Marc, Luc, Jean). C’est toute l’histoire du salut, telle que révélée dans les Écritures Saintes, qui est rendue présente durant les trois années liturgiques pour nous faire vivre l’amour de Dieu tel qu’il fut, tel qu’il est et tel qu’il sera jusqu’à l’accomplissement des temps. Nous n’avons pas voulu prendre les cycles de lectionnaires férial et sanctoral pour raison de concission, mais ils constituent un tout qui actualise et continue à nous révéler l’œuvre de notre salut. 321

5.4.2  La Parole de Dieu comme don que Dieu fait à son peuple Par le destin de son amour, Dieu, d’une manière gratuite, a créé le monde, fruit de sa parole créatrice. Nous pouvons dire que la révélation première et originelle de Dieu est le fruit de sa parole gratuite717. Sans vouloir entrer ici dans la consubstantialité de la Parole et de la chair donnée de Jésus, nous voyons déjà pointer dans le passage de Saint Jean l’unité entre la Parole et le « se faire chair » de Jésus. Le don de la Parole de Dieu porte en lui une force créatrice du monde qui se fait voir à partir du premier livre de l’Ancien Testament718. À propos du don de la Parole de Dieu qui a en elle une force créatrice, le XIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des évêques sur la Parole de Dieu dira : Le créé ne naît pas d’une lutte entre dieux, comme l’enseignait l’antique mythologie mésopotamienne, mais d’une parole qui vainc le néant et crée l’être. Le Psalmiste chante : « Par la parole du Seigneur, les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée ; […] Il parle et cela est, il commande et cela existe » (Ps 33, 6 .9). Et saint Paul répétera : « Dieu donne la vie aux morts et appelle le néant à l’existence » (Rm 4, 17)719.

Le don de la Parole de Dieu n’a pas seulement en lui une force créatrice pour l’humanité, puisque tout a été gratuitement créé par la Parole ; mais « la Parole divine, efficace, créatrice et salvatrice est […] à l’origine de l’être et de l’histoire, de la création et de la rédemption. Le Seigneur vient à la quête et à la rencontre de l’humanité, proclamant : « J’ai parlé et je fais! » (Ez 37, 14) »720. Ce don de la Parole de Dieu devient pour l’humanité création et rédemption de son histoire entière. Dieu crée l’humanité par sa Parole et c’est toujours par sa Parole qu’il la sauve. Verba volant, sed scripta manent, c’est ainsi que Dieu, pour palier dès les premiers temps de l’histoire, au caractère fluide de la mémoire humaine, très susceptible à l’oubli, a matérialisé le don de sa Parole en le rendant : Graphé ou […] Graphaï … Moïse était descendu du sommet du Sinaï tenant « en main les deux tables du Témoignage, tables écrites des deux côtés, écrites sur l’une et l’autre face. Les tables étaient l’œuvre de Dieu et l’écriture était celle de Dieu » 717 Cf. Jn 1, 1–3 : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut ». 718 Cf. Gn 1–2. 719 Message Au Peuple De Dieu 1. (C’est nous qui avons souligné). 720 Message Au Peuple De Dieu, 3.

322

(Ex 32, 15–16). Et Moïse imposa à Israël de conserver et de recopier ces « Tables du témoignage » : « Tu écriras sur ces pierres toutes les paroles de cette Loi : grave-les bien » (Dt 27, 8 )721.

Cette recommandation de Moïse, montre une fois de plus la gratuité de la Parole de Dieu ; chaque fils d’Israël devait avoir la Torah, la Parole de Dieu chez lui. Elle souligne aussi le fait que la Parole de Dieu devait être conservée pour ne pas tomber dans l’oubli et devait toujours être commémorée : Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restent dans ton cœur ! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout ; tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes (Dt 6, 6–9).

Ce don constituait Israël en peuple de Dieu qui avait sa Parole, privilège que les autres peuples n’avaient pas. Le don de la Parole de Dieu à son peuple dans l’Ancien Testament était pour Israël son héritage, un code de vie qui le rassemblait en un seul peuple et structurait sa conduite. Le prophète Isaïe exprimera aussi à merveille cette gratuité de la Parole de Dieu722. La naissance de Jésus, le Verbe de Dieu fait chair, sera prédite par le prophète Isaïe comme un don de Dieu : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné » (Is 9, 5 ). Dans l’original grec, nous dira le XIIème Assemblée Générale ordinaire des évêques sur la Parole de Dieu : il n’y a que trois mots fondamentaux : Lógos sarx eghéneto, « le Verbe/Parole se fit chair ». C’est ici le sommet, non seulement de ce joyau poétique et théologique qu’est le Prologue de l’Évangile de Jean (1, 14), mais aussi le cœur même de la foi chrétienne. La Parole éternelle et divine entre dans l’espace et dans le temps, prend un visage et assume une identité humaine, tant et si bien qu’il est possible de s’en approcher directement en demandant, comme le fit ce groupe de Grecs présents à 721 Message Au Peuple De Dieu, 3. 722 Cf. « Ah! Vous tous qui avez soif, venez vers l’eau, même si vous n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; venez, achetez sans argent, sans payer, du vin et du lait. Pourquoi dépenser de l’argent pour autre chose que du pain, et ce que vous avez gagné, pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez, écoutez-moi et mangez ce qui est bon ; vous vous délecterez de mets succulents. Prêtez l’oreille et venez vers moi, écoutez et vous vivrez. Je conclurai avec vous une alliance éternelle, réalisant les faveurs promises à David » Is 55, 1–3.

323

Jérusalem : « Nous voulons voir Jésus » (Jn 12, 20–21). Les paroles sans un visage ne sont pas parfaites, parce qu’elles n’accomplissent pas en plénitude la rencontre, comme le rappelait Job, arrivé au terme du drame de son itinéraire de recherche : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (42, 5 )723.

On pourrait lire dans les premières lignes de l’Évangile de S. Jean, le mystère de la Préexistence éternelle de la Parole dans le sein du Père. Le Verbe éternel qui existait dans le sein du Père se fera chair, se donnera un visage pour se faire librement don et parler aux hommes. Ce qui pourra mieux nous aider à comprendre ce que l’auteur de l’épître aux Hébreux nous dit dans son introduction724. Par le don de sa Parole qui nous parle en langage humain, la parole de l’homme est divinisée et devrait normalement être purifiée de toute fausseté pour revêtir la performance et l’éternité de la Parole de Dieu. Nous sommes ici devant le fait sanctificateur et performatif du don de la Parole de Dieu face à la parole de l’homme. La parole humaine est sanctifiée par la Parole divine et reçoit la capacité de faire du nouveau à partir de ce que Dieu a créé par sa Parole. Cette capacité que reçoit la parole de l’homme de faire du nouveau, n’est possible que si la parole de l’homme reste dans la logique et la trajectoire de la Parole divine, c’est-à-dire en faisant de l’anamnèse de la Parole de Dieu sa vie ; ceci pour nous faire habiter la Parole de Dieu en nous, faire nôtre la Parole de Dieu, accueillir le don de sa Parole parce que c’est lui qui fut le premier à adopter notre parole sans altération de sa Parole éternelle. Quant aux Pères grecs, dira Tillard, ils exprimeront à la fois le lien essentiel et pourtant la différence entre ces deux états de la Parole de Dieu. La Parole révélée jaillit de la Parole éternelle. Mais d’une part, l’être de Dieu transcende abyssalement l’être créé et, d’autre part, Dieu n’a « pas de voix qu’on puisse entendre », pas d’écriture. Seule la créature humaine a une voix, une écriture. Le logos éternel où s’exprime le mystère se « révélera » donc en des voix, des mots, des signes humains, cela même dans le Christ Jésus, de par l’Incarnation. La foi, d’où l’Esprit fera naître l’Église, sera ainsi l’accueil d’une « révélation » de Dieu entendue, lue, perçue dans un langage humain725.

723 Message Au Peuple De Dieu, 4. 724 Cf. « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » He 1, 1–2. 725 J.-M.R. Tillard, Église d’églises, 140–141.

324

Jésus reconnaîtra en lui non seulement l’accomplissement de ce don de la Parole de Dieu726, mais s’identifiera à la Parole même comme donateur de vie727. Jésus accomplit ainsi le grand dessein de l’amour de Dieu, celui de sauver et de rassembler tous les hommes ; c’est ce qu’exprimera le Concile Vatican II728. Se montrant comme l’accomplissement de la Parole de Dieu et s’identifiant à la Parole même, Jésus nous fait comprendre que les premiers destinateurs de ce don de Dieu, sont les « pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés ». Tout en laissant à l’exégèse l’interprétation systématique de cette catégorie privilégiée de don de Dieu, nous osons croire que cette catégorie constitue bien évidemment en premier lieu les vrais pauvres, les laissés pour compte, les marginalisés, mais en allant au delà de cette première considération, nous pouvons aussi dire que les pauvres dont parle Jésus ne doivent pas être compris dans le sens de l’opposition pauvretérichesse mais dans le sens de pauvreté-pouvoir, car la pauvreté matérielle de Jésus ne peut être comprise et vécue qu’à partir de sa pauvreté ontologique (Ph 2, 6). Il nous faut encore pour cela un grand sens du discernement pour ne pas passer outre nos frères et sœurs qui souffrent. Jésus nous fait comprendre aussi le cadre dans lequel ce don est reçu : « Venez à moi » (Mt 11, 28), « Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25) : Comme la sagesse divine dans l’Ancien Testament a bâti sa maison dans la cité des hommes et des femmes la faisant reposer sur sept colonnes (cf. Pr 9, 1 ), ainsi la Parole de Dieu a sa maison dans le Nouveau Testament : c’est l’Église qui a son modèle dans la communauté-mère de Jérusalem, l’Église fondée sur Pierre et sur les Apôtres et qui aujourd’hui, par les évêques en communion avec le Successeur de Pierre, continue d’être gardienne, annonciatrice et interprète de la Parole (cf. LG 13)729. 726 Cf. « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés. Alors il se mit à leur dire : ‹ Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture. › » Lc 4, 18–21.  727 Cf. « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » Mt 11, 28. « Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s’écria : ‹ Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive celui qui croit en moi ! › selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive » Jn 7, 37–38. « Jésus lui dit : ‹ Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ? › » Jn 11, 25–26. 728 Cf. SC, 2 et lG, 2. 729 Message Au Peuple De Dieu, 6.

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Dieu continuant à voir la misère de son peuple, il lui répond toujours à travers le don de sa Parole. Cette Parole n’étant pas une parole d’homme, l’Esprit Saint illumine, inspire les hommes choisis par Dieu pour percevoir l’intelligence du mystère de la Parole de Dieu afin de la transmettre fidèlement, dans leur langage, leur culture, en fonction de leur propre situation, celle de leurs lecteurs et de leurs auditeurs. Ainsi Dieu a-t-il agit dans l’Ancien Testament et l’a parfaitement accompli en son Fils Jésus-Christ. La prédication de Jésus a eu pour tâche de chercher à faire comprendre au peuple d’Israël que la promesse faite par Dieu à son peuple dans l’Ancien Testament trouvait en lui son accomplissement. La lecture de la Parole de Dieu faite par l’Église, reçoit à partir de la résurrection de Jésus un sens nouveau, une lumière qui grâce dans l’Esprit Saint engage l’Église à la conquête du royaume céleste. L’Église, spécialement dans la célébration eucharistique où le peuple de Dieu vit d’une manière unique sa communion avec le Christ ressuscité, devient le lieu et l’espace primaire et privilégié où nous pouvons trouver la Parole de Dieu. « En considérant l’Église comme ‹ la demeure de la Parole ›, on doit avant tout prêter attention à la sainte liturgie. C’est vraiment le lieu privilégié où Dieu nous parle dans notre vie présente, où il parle aujourd’hui à son Peuple qui écoute et répond »730. C’est dans l’Église que Dieu continue à instruire son peuple, la réponse du peuple est marquée par sa conversion ou sa non conversion (Jn 1, 11–12). L’Église de son côté est invitée à tenir compte du caractère culturel que porte ce don précieux de Dieu : reçue par un peuple, dans une culture spécifique, la Parole de Dieu, tout en gardant son caractère divin, porte les stigmates culturels, linguistiques, sociétaires du peuple qui la reçoit et la transmet. C’est ainsi que quand nous prenons la Parole de Dieu en général, dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, nous constatons qu’elle est toujours une parole transmise par les hommes pour les hommes. Cette transmission atteindra son point culminant quand la Parole s’incarnera pour mieux atteindre les hommes. La Parole de Dieu pour l’Église ne sera qu’une Parole dans l’Église, ce qui nécessite une grande vertu d’écoute et d’attention aux signes des temps. Tenant compte de ce caractère incarné du don de la Parole de Dieu, l’Église avec discernement et respect pour ce don divin apportera la Parole de Dieu sans l’édulcorer par une culture quelconque. C’est ici que nous 730 Benoît xvi, Verbum Domini, 52.

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pouvons faire remarquer que, bien qu’étant une parole qui est toujours déjà incarnée, la Parole de Dieu revêt en elle un caractère universel inaliénable par aucune culture. Elle fut, elle est et sera la Parole de Dieu qui ne peut être enfermée et possédée pleinement par une quelconque culture. C’est ce caractère suprême de la Parole de Dieu qui fait que, malgré son incarnation, sa transmission et son accueil par un peuple déterminé, elle échappe à toute réduction et à toute possession. Les juifs qui se croyaient les plus grands érudits de la Parole de Dieu n’arriveront pas à comprendre certains discours de Jésus (Jn 3, 3–10 ; 10, 6 …). Toute lueur de compréhension de cette Parole ne peut être que don de la grâce de l’Esprit Saint. Le don de la Parole de Dieu ne devient utile et utilisable par l’homme que grâce à un autre don : celui de l’Esprit Saint. C’est ainsi que le don de la Parole à l’homme reste pour lui une source intarissable de sagesse, une forêt immense à explorer et à exploiter grâce à l’Esprit Saint. C’est ce qu’il fut dès l’origine. L’Esprit de Dieu a inspiré les prophètes dans l’Ancien Testament (Is 61, 1–2 ; Jl 3, 1–2 …), le Nouveau Testament et l’Église ne seront pas en reste (Mt 10, 20 ; Jn 15, 26). L’Église de Dieu est fondée sur une démarche qui ne peut venir que de Dieu seul et dont Dieu a voulu lui dévoiler le sens pour qu’elle le possède et le transmette en mots humains. Mais c’est elle qui, dans cette découverte du sens et son expression en langage humain, avec la garantie de l’Esprit, fait de l’intervention de Dieu, transcendant tout entendement créé, laissé à ses seules forces, une Parole audible, puis lisible, émergeant dans le monde de la communication humaine731.

L’Église reçoit ici une grande responsabilité : corps du Christ et porteuse du don de sa Parole qui est divine, elle doit essayer toujours d’adopter, sans édulcorer la Parole de Dieu, la parole humaine pour faire entendre la Parole de Dieu ; faire anamnèse de ce grand héritage reçu de Dieu dans le langage de l’homme. Il ne s’agit pas ici de transformer ce don de la Parole de Dieu : le don reste et restera le même pour les siècles ; mais il faut savoir le rendre utile chaque fois que le besoin se présence pour susciter toujours la foi à ce don. Foi dont l’herméneutique ne peut se faire qu’à base des Saintes Écritures en référence à la Sainte liturgie, « où la Parole est célébrée comme une parole actuelle et vivante : ‹ ainsi, dans la liturgie, l’Église suit-elle fidèlement la manière de lire et d’interpréter l’Écriture qui fut celle du Christ, lui qui, depuis l’aujourd’hui de sa venue, exhorte à 731 J.-M.R. Tillard, Église d’Églises, 142.

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scruter attentivement toutes les Écritures › »732. C’est là le rôle de l’Église, ce qui exige un grand discernement et une grande lucidité de la part du récepteur du don. Pour cela il faut parvenir à avoir des yeux pour voir, la lucidité de l’esprit et le courage pour conquérir, habiter la Parole de Dieu. 5.4.3  La dimension anamnestique de la Parole de Dieu Écoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restent dans ton cœur ! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout ; tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes (Dt 6, 4–9).

Ce beau passage de l’Ancien Testament qui nous montre que l’amour de Dieu n’est pas quelque chose à proposer au choix, est un commandement ; un amour que Dieu exige de son peuple pour répondre à son amour. Cet amour est engagé et engageant. Dieu qui aime son peuple, s’est engagé pour lui, demande aussi à être aimé par son peuple, ceci non pour son bien, mais celui de son peuple même. Et le moyen le plus sûr pour rester dans cet amour de Dieu est de faire mémoire de sa Parole, de la répéter, de la garder gravée partout et en toutes circonstances de la vie. Le refus de cette mémoire de la Parole de Dieu, de ce don gratuit de Dieu pour notre salut est le péché. En renchérissant sur ce que le Pape Benoît XVI dit du « péché comme non-écoute de la Parole de Dieu »733, nous disons que le péché est le refus de la commémoration permanente de la Parole de Dieu. Du fait qu’il n’a pas toujours en mémoire la volonté de Dieu, qu’il ne cherche pas à actualiser cette volonté de Dieu, exprimée à travers sa Parole, l’homme se met à l’écoute d’une autre voix qui n’est pas celle de Dieu. La mémoire de la Parole de Dieu est remplacée par une autre mémoire. On actualise plus dans sa vie la volonté de Dieu mais une autre volonté qui ne conduit pas à Dieu. Jésus, quant à lui, invitera ses disciples à garder sa Parole734. Comment garder sa Parole sinon en se souvenant toujours de cette Parole  ? 732 Benoît xvi, Verbum Domini, 52. 733 Benoît xvi, Verbum Domini, 26. 734 Cf. « Jésus lui répondit : ‹ Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et vous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui › » Jn 14, 23.

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Garder la Parole de Jésus nous met en communion avec Lui et son Père et devient signe de notre amour envers Dieu735. Ici l’accomplissement de Dt 6, 4 est évident dans la prédication de Jésus, et sa communion avec le Père n’a plus aucune ombre. Sa Parole, que ses disciples sont vivement invités à garder, se résumera dans l’amour envers Dieu et le prochain, dont lui-même nous donnera la preuve par sa mort ; et il nous invitera à faire cela en mémoire de lui. Parlant lui-même de la venue de l’Esprit Saint736, Jésus lui donne comme premier rôle qu’il  vous rappellera, pas n’importe quoi, mais sa Parole. C’est ainsi que lui-même après sa résurrection fera se remémorer aux disciples d’Emmaüs les Écritures Saintes (Lc 24, 13–35) ; et la première communauté autour des apôtres, était assidue à l’enseignement des apôtres (Ac 2, 42). Mais en fait, quel est le noyau de cette mémoire que l’Église doit toujours commémorer ? L’apôtre Paul écrit à Timothée : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts, issu de la race de David, selon mon Évangile. Pour lui je souffre jusqu’à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée » (2 Tm 2, 8–9). C’est en fait le kérygme qui constitue le noyau de cette mémoire de la Parole de Dieu : l’accomplissement en Jésus, mort et ressuscité, de la promesse de Dieu au peuple (Ac 2, 22–24). En faisant mémoire de la Parole de Dieu, l’Église fait mémoire de Jésus ressuscité (c’est nous qui soulignons) qui est l’exégèse par excellence de Dieu même : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1, 18). Faire mémoire de Jésus-Christ, c’est faire mémoire de Dieu même qui se révèle et nous parle pleinement en son Fils ; ceci nous conduit naturellement à dire que par la Parole de Dieu, le Dieu Un et Trine se révèle et se donne aux hommes. La Parole de Dieu devient ainsi un élément qui explicite et définit la foi de l’Église. Portant en soi un caractère diachronique, la parole de Dieu devient anachronique, une parole qui sort de son temps pour embrasser tous les temps présent et avenir : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » (Lc 21, 33). La mémoire de la Parole de Dieu devient constitutive de la vie même de l’Église, elle crée sa tradition et la fait entrer dans l’intemporalité. 735 Cf. « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé » Jn 14, 24. 736 Cf. « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » Jn 14, 26.

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L’Église et toute sa tradition reçoivent par ce souvenir permanent de la Parole de Dieu un caractère intemporel. L’Église de Jérusalem continue à être la même Église jusqu’à nos jours parce qu’elle vit de la même sève de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu comme mémoire devient porteuse d’une tradition qui passe de génération en génération. Elle porte en elle un dynamisme de vie qui se transmet à toutes les générations malgré les aléas du monde. Du fait qu’il lit la même Parole qu’on a lue il y a de cela plus de deux mille ans, l’homme actuel s’unit à ses ascendants dans la foi, et ouvre son être, avec tout ce qu’il comporte à l’avenir. N’est ce pas « le déjà » du jugement auquel on s’affrontera à la fin des temps  ? La Parole de Dieu remet en notre mémoire actuelle la vie de ceux qui nous ont précédé dans la foi ; et elle nous unit avec les bons et nous désunit d’avec les méchants. Comme il en est avec nos ascendants aujourd’hui, ainsi il en sera avec nous dans l’avenir. E. Lévinas dira du judaïsme, assertion qui a toute sa valeur aussi pour la religion judéo-chrétienne, qui est habitée et portée, comme le judaïsme par la Tradition, qu’il est « une non-coïncidence avec son temps, dans la coïncidence […]. La simultanéité d’une jeunesse attentive au réel et impatiente de la changer et d’une vieillesse ayant tout vu, remontant à l’origine des choses »737. La Parole de Dieu, perpétuée dans la tradition de l’Église est en meme temps présente dans l’histoire de l’Église : sans s’être enfermée dans cette histoire, elle s’y enferme tout en l’englobant. Parlant encore de la tradition de l’Église, Tillard dit : « Elle est un passé qui dépasse le présent, un centre antérieur à celui-ci, demeurant alors que tout change, et néanmoins recueillant ce que la marche en avant apporte d’authentique au sens de la Parole »738. La tradition devient porteuse permanente de la Parole de Dieu, l’espace dans lequel la Parole est perpétuellement commémorée, l’humus vivifiant de la Parole de Dieu. Mais cette mémoire, à la fois transcendant l’aujourd’hui et toujours ouverte aux efforts du temps, permet une intégration de nombreuses traditions dans une seule Tradition. On voit alors naître un pluralisme d’expressions, de traductions profondément enracinées dans les cultures, les contextes sociaux, les hérédités historiques tout en demeurant en pleine communion les unes avec les autres et avec celles qui depuis les origines les ont précédées, plusieurs étant disparues non sans laisser leur marque 737 E. Lévinas, Difficile liberté, 297. 738 J.-M.R.tillard, Église d’Églises, 182.

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sur la conscience chrétienne. Nous retrouvons ainsi – mais cette fois au niveau de la Parole – l’essentielle question de la catholicité739.

La lecture des documents du concile Vatican II, spécialement de LG, nous fait comprendre que la source de la communion se situe d’une manière unique et spéciale dans la célébration de la passion et de la résurrection du Seigneur. Cette célébration est l’expression de notre foi en celui qui est mort et ressuscité pour nous740. La foi en Jésus, mort et ressuscité, célébrée dans la sainte liturgie, à travers la table de la Parole et de l’Eucharistie, devienne pour nous source de communion chrétienne.  La communauté des frères plonge ses racines dans une communauté de foi […] La foi des disciples n’est pas de l’ordre de la génération spontanée. Elle naît et grandit, suscitée et nourrie par la Parole : » La Parole de Dieu […] vous l’avez accueillie, non comme une parole d’homme, mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu, qui est aussi à l’œuvre en vous, les croyants » (1 Th 2, 13)741.

Nous pouvons alors arriver à dire que la perception et la recherche permanente de la Parole de Dieu nous fait entrer dans l’Église (Ac 8, 29–38) et nous ouvre à la communion. L’annonce de la Parole de Dieu suscite la foi en Jésus, cette foi célébrée dans le mémorial fait par l’ecclesia : « Dans le mémorial, le Christ construit et affermit l’unité de son corps : l’Eucharistie est ordonnée à la communion »742. La Parole de Dieu, on le voit, se donne à l’homme dans son contexte de vie, dans sa culture, et c’est dans ce cadre vital de l’homme que cette Parole donnée doit être célébrée, commémorée. Nous comprenons ici tout l’effort fourni par l’Église de proclamer et chercher à faire habiter la Parole de Dieu dans la langue et la culture de chaque peuple qui l’accueille, tout ceci sous la conduite de l’Esprit Saint en vue de l’unité dans l’orthodoxie. Cette Parole de Dieu qui appartient à la mémoire de l’Église, et dont l’Église doit continuer à perpétuer la mémoire, nous fait entrer et demeurer dans une longue chaîne de communion à partir de l’histoire du peuple d’Israël, en passant par celle de Jésus avec ses apôtres jusqu’à celle de l’Église de nos jours. Ceci avec tout ce que ce périple porte en lui : de l’esclavage à la traversée du désert jusqu’à la terre promise ; de la naissance à 739 740 741 742

J.-M.R.tillard, Église d’Églises, 182. Cf. LG, 3 J. Rigal, L’Ecclésiologie de communion, 114. J. Rigal, L’Ecclésiologie de communion, 115.

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la crucifixion-résurrection, de la persécution à l’extension de l’Église ; de l’extension au vécu plus responsable de la vie chrétienne.  Je porte aujourd’hui dans ma vie de foi le drame d’Israël, le fruit des coûteuses discussions de Nicée et de Chalcédoine, ce que François d’Assise a fait affleurer des secrets de la pauvreté évangélique, ce que des milliers d’obscurs croyants ont attesté de la puissance de l’espérance dans leurs réponses aux persécuteurs. Et nos successeurs à leur tour seront enrichis de ce que, par exemple, dans leur contexte, les christianismes africains et latino-américains élaborent sous nos yeux743.

Objet de souvenir, la parole de Dieu porte en elle toute une tradition, nous fait entrer dans cette tradition et nous rend en même temps acteurs d’une tradition pour l’avenir. La Parole de Dieu à laquelle j’adhère m’atteint avec la patine de toutes les générations qui lui ont donné sa forme humaine, l’ont mise en œuvre dans leur vie, en ont scruté le sens. En un mot, elle me rejoint non dans un face à face solitaire avec Dieu mais dans cette épaisseur de communion humaine et fraternelle des croyants, jam ab Abel justo, que la Tradition garantit, garde, approfondit, transmet744.

Dans cette partie sur la dimension anamnestique de la Parole de Dieu, il est juste et logique de notifier que notre foi est suscitée et explicitée par la Parole de Dieu, cette Parole qui par son essence, est Dieu-même qui vient et se donne à l’homme, une quête de Dieu à l’homme. C’est Dieu qui crée l’homme par sa Parole, fait le pas vers l’homme, lui adresse sa Parole et le sauve par sa Parole faite chair. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, la Parole de Dieu, intrinsèquement, habite dans l’homme. C’est cette parole à l’intérieur de l’homme qui lui permet d’être interlocuteur de Dieu, de le prier ; le pape Benoît XVI dira : « La Parole divine introduit chacun de nous dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu qui parle nous apprend comment nous pouvons parler avec lui »745. Par l’invocation, grâce à l’Esprit Saint, l’homme arrive par une sorte d’enquête – évocation à percevoir et à faire sien le trésor mis en lui. « Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme vient à trouver » (Mt 13, 44ss). C’est cela en fait toute la dynamique de la Parole de Dieu, un don que Dieu offre à l’homme et que l’homme doit percevoir et conquérir 743 J.-M.R. Tillard, Église d’Églises, 184. 744 Idem. 745 Benoît xvi, Verbum Domini, 24.

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progressivement grâce à l’Esprit Saint et au travail missionnaire de toute l’histoire du salut ; à commencer par l’Ancien Testament, en passant par le Nouveau Testament jusqu’au travail des apôtres et de l’Église actuellement. L’histoire de la Parole de Dieu a connu diverses étapes d’évolution, en commençant par la création, les prophètes dans l’Ancien Testament, en passant par Jésus dans le Nouveau Testament, les apôtres jusqu’à l’Église actuellement. En prenant en considération ces cinq étapes, nous pouvons dire avec B. Sesboüé que « le Seigneur est mis en tête, car toute la transmission de l’Évangile part de l’ordre d’annoncer, tel qu’il s’exprime dans les finales des synoptiques »746. La venue de Jésus jette une nouvelle lumière sur toute la Parole de Dieu jusque là révélée, il la vit lui-même et toute sa vie devient Parole de Dieu, c’est ainsi qu’il le dira lui-même : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin » (Jn 4, 34). Quelle peut être cette grande œuvre de Dieu sinon l’œuvre du salut pour le rachat de l’homme, image de Dieu  ? On comprend toutes les raisons de l’incarnation, de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus comme démarche de restauration de l’état originel de l’homme. En prenant notre chair, Dieu ne fait que confirmer son image dans l’être humain ; par sa passion, sa mort et sa résurrection, il restaure la Parole dans l’homme et lui trace la voie à suivre pour sa pleine restauration. De la transmission des messages, comme le faisaient les prophètes, avec Jésus, on arrive à transmission de la vie. C’est ce que les apôtres recevront comme mission, et l’Église à leur suite continuera. La perception de ce don de Dieu fait chair, sa réception, devient une conquête pour l’homme ; l’homme se sent toujours convoqué par la Parole de Dieu qui change et structure sa vie : « En effet, par la Loi je suis mort à la Loi afin de vivre à Dieu : je suis crucifié avec le Christ ; et ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 19–20). Le témoignage de la vie de Jésus devient structurant pour la vie de ceux qui l’accueillent et devient un patrimoine à conserver. Pour qu’il ne soit pas perdu, il sera mis par écrit soit par ses apôtres eux-mêmes, soit par ceux qui ont écouté le témoignage apostolique. L’Église en communion avec toutes ces lignes ascendantes vivra et transmettra dans la fidélité et sous la mouvance de l’Esprit Saint ce don reçu de Dieu. S. Irénée dira : 746 B. Sesboüé, La Parole du salut, 533.

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La prédication de l’Église présente à tous égards une inébranlable solidité, demeure identique à elle-même et bénéficie, ainsi que nous l’avons montré, du témoignage qui englobe « le commencement, le milieu et la fin », bref la totalité de l’« économie » de Dieu et de son opération infailliblement ordonnée au salut de l’homme et fondant notre foi. Dès lors, cette foi, que nous avons reçue de l’Église, nous la gardons avec soin, car sans cesse, sous l’action de l’Esprit de Dieu, tel un dépôt de grand prix renfermé dans un vase excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase même qui la contient747.

La Parole de Dieu ne peut pas être séparée de la mémoire eucharistique que le Christ recommande à ses apôtres748 : « Infatti si tratta di un unica mensa dove viene offerto in nutrimento dello spirito sia la parola di Cristo, sia il suo corpo e il suo sangue. Però siccome il sacrificio conviviale è il cuore dell’intera azione, tutto converge, nella realtà oggettiva, verso di esso »749. Le Christ ne recommandera pas seulement à ses disciples de faire mémoire de la fraction du pain mais de tout son enseignement qui trouve pleine réalisation et concrétisation dans le don en sacrifice sans tâche de son corps et de son sang pour nous : È probabile quindi che nel comando di ripetere in sua memoria quanto da lui fatto in quell’occasione rientrasse anche il ricordo di lui nelle Scritture. Sulla via di Emmaus prima spiegò le Scritture che si riferivano a lui e poi compì quella frazione del pane, che permise ai discepoli di riconoscerlo (Lc 24, 13–49)750.

Cette mémoire n’est possible qu’avec l’aide de l’Esprit Saint qui nous enseignera et nous rappellera tout ce que Jésus avait dit (Jn 14, 26). En comprenant ainsi la Parole de Dieu comme anamnèse, nous pouvons mieux comprendre le sens de la table de l’Eucharistie non seulement comme répétition des gestes mais comme actualisation des réalités salvifiques annoncées dans la table de la Parole751 que nous devons d’abord célébrer, ensuite intérioriser et enfin traduire dans notre vie.

747 Irenée De Lyon, Adversus Haeresis III, 24, 1. 748 Cf. SC, 56. 749 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 323–324. 750 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 306. Raffa, dans le livre que nous avons cité, montre le lien étroit qui existe entre la liturgie de la Parole et celle de la fraction du pain. On ne pouvait pas, déjà à partir de S. Jean, les Pères de l’Église, célébrer l’Eucharistie sans les lectures et l’homélie. 751 Cf. OL, 10, 48.

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6. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole 6.1 La circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse dans la table de la Parole : le cas des rites orthodoxes Pour ce qui concerne la table de la Parole de Dieu, la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse apparaît clairement dans les différentes prières que nous trouvons dans les rites orthodoxes avant ou après les lectures. Si nous prenons la prière récitée par les concélébrants avant la lecture de l’Évangile dans le rite byzantin, nous lisons dans ses dernières lignes : « Car vous êtes la lumière de nos âmes et nos corps, ô Seigneur Jésus, qui êtes notre Dieu, et nous vous rendons gloire, ainsi qu’à votre Père Éternel, et à votre Très-saint, bon et vivifiant Esprit, maintenant, toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il »752. Quant au rite alexandrin « pendant chaque lecture en langue arabe le prêtre prie pour que Dieu, par l’intercession de l’apôtre, donne au peuple l’intelligence de sa parole sainte »753. L’action de grâce rendue au Christ, à travers sa parole, comme lampe et lumière sur nos pas (Ps 119, 105), ne peut être intelligible que grâce à l’action de l’Esprit Saint qui a cette mission (Jn 14, 26). La liturgie de la parole dans les rites orthodoxes est toujours déjà l’actualisation de la présence de Christ qui continue à souhaiter la paix à ses disciples à travers le célébrant qui agit in persona Christi, et qui par sa bénédiction répand l’Esprit Saint sur les siens pour l’intelligence des Écritures.  A la fin de l’épître le célébrant dit au lecteur : paix à toi, puis le diacre qui doit lire l’Évangile se présente avec les Évangiles devant le prêtre, s’incline pour demander l’intelligence des Évangiles et le prêtre le bénit en disant : « Que Dieu, par les prières du saint et glorieux apôtre et évangéliste N., te donne, à toi qui l’annonces, une parole pleine de force (c’est nous qui soulignons), pour la proclamation de l’Évangile de son Fils bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ »754. Nous pouvons dire que dans la table de la Parole dans les rites orthodoxes, c’est le Christ même, par le ministère du prêtre célébrant, qui opère la prédication et l’enseignement 752 SCEO, La divine liturgie en rite byzantin, 23. 753 I. Ziadé, « Orientale (Messe) », 1478. C’est nous qui soulignons. 754 J. Mateos, La célébration de la Parole dans la liturgie byzantine, 128.

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de la Parole de Dieu : le célébrant est nommé directement Seigneur, à qui on demande la bénédiction, et l’intelligence de l’Évangile nous est accordée par son intercession. Et c’est par la grâce et la vertu du Saint Esprit que la connaissance et la mise en oeuvre de cette Parole sont rendus possibles. Le Christ commémoré dans sa Parole est rendu lui-même présent dans la personne du prêtre qui est appelé Seigneur, qui bénit pour que Dieu envoie l’Esprit Saint afin de donner l’intelligence de l’Écriture aux fidèles : « Je prierai le Père, il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais » (Jn 14, 16).Commémorant le Christ, la prière de bénédiction du prêtre rend présent le Christ en concrétisant ce qu’il a fait et ce qu’il continue à faire pour son Église. L’invocation de l’Esprit Saint étant du domaine du divin, le prêtre, icône vivante du Christ, le réalise au nom du Christ. Ainsi la table de la Parole reçoit toute sa dimension prophétique par la présence de l’Esprit Saint qui nous donne le courage de proclamer la Parole, de la prêcher et de la vivre. Le Christ, ayant lui-même vécu cette circularité lors de sa première sortie pastorale où lui-même comme Parole a lu les Écritures avec la force de l’Esprit Saint, continue à faire vivre à son Église la même expérience. C’est cette circularité qui dans cette prière continue à se réaliser. Le diacre qui va lire l’Évangile, qui annonce l’accomplissement de l’œuvre du salut en Jésus-Christ, demande la bénédiction au prêtre pour avoir la grâce de l’Esprit Saint. « Diversamente dalla preghiera romana, quella bizantina ha carattere di epiclesi : è la preparazione alla lettura e ne chiede a Dio i frutti per gli uditori, stimolandone il progresso nella vita cristiana »755. La lecture, la réceptivité et les fruits de la Parole de Dieu sont inséparables de l’action de l’Esprit Saint. Les diverses prières de la liturgie de la Parole qu’on retrouve dans la divine liturgie de saint Jean Chrysostome, de saint Basile le Grand, des Présanctifiés756, qui sont les plus usuelles dans les rites orthodoxes, témoignent de cette circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Étant donné la multiplicité des rites orthodoxes, c’est sur ce fond de base qu’ils se structureront, en accentuant l’un ou autre aspect, ils garderont pour la plupart le principe de base : une profonde circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole. Notons avant de clore cette approche que dans les rites orthodoxes en général, et dans le rite éthiopien en particulier, la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse reçoit une dimension 755 S. Rosso, La celebrazione della storia, 163. 756 Cf. F. Mercenier, La prière des Églises de rite byzantin I, 225–307.

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trinitaire dans la bénédiction avec l’encens avant la lecture de l’Évangile757. La mémoire de la Parole de Dieu, célébrée dans la table de la Parole, n’est pas possible dans son annonce, sa prédication et son vécu sans la grâce de l’Esprit Saint qui nous ouvre aux bienfaits de la Sainte Trinité. Après ce bref parcours de la tradition orthodoxe, il nous serait très enrichissant d’étudier en quelques lignes une autre tradition, celle protestante, pour voir dans ces rites la dimension anamnesico-ecclésiologique qui se dégage de la table de la Parole. 6.2 L’anamnèse et l’épiclèse : pas l’un sans l’autre dans la table de la Parole des rites luthérien et calviniste La Parole de Dieu étant mise au centre des deux rites protestants parcourus, parole considérée comme message de Dieu même qui doit être commémorée pour une vie régénérée, la foi protestante exprimée dans ses rites ne sépare pas l’anamnèse de la Parole de Dieu de l’épiclèse. Cette circularité se vit sur les grands points que nous tenterons d’étudier. D’abord sur le plan d’authentification de la Parole même de Dieu. Il existe une circularité intrinsèque entre la vraie Parole de Dieu et l’Esprit Saint. Grâce à l’Esprit Saint nous pouvons reconnaître la Parole de Dieu. La doctrine protestante, spécialement calviniste, répond à une question décisive : « D’où nous vient cette connaissance, voire cette certitude, que les écrits réunis dans la Bible sont la parole de Dieu  ? Calvin, comme l’avait fait déjà Luther, mais beaucoup plus nettement que lui, répond : du témoignage intérieur du Saint-Esprit »758. L’Esprit Saint nous fait connaître la Parole de Dieu, il ouvre notre intelligence à la connaissance de cette parole et en retour l’acceptabilité de cette parole nous offre les biens éternels eux-mêmes759. Quel peut être le grand bien éternel sinon le don de l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint, pouvons-nous dire, nous fait découvrir la Parole de Dieu, et l’accueil de cette Parole nous fait don du grand bien éternel qui est l’Esprit Saint. Nous assistons ici à une compénétration entre la Parole de Dieu qui constitue l’anamnèse du Christ et l’épiclèse qui constitue l’invocation de la présence de l’Esprit Saint. 757 Cf. M. Daoud, The liturgy of the ethiopian church, 53. 758 Y. Congar, « Calvin », 414. 759 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 157.

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Ensuite, au sujet de la thèse avancée plus haut sur l’édification et la maintenance de l’Église à partir de la Parole de Dieu lue en assemblée qui nous a poussés à dire que « la Parole de Dieu fait l’Église », on doit affirmer que cette thèse n’est possible que grâce à l’action de l’Esprit Saint.  Il est, en effet, nécessaire de comprendre quelle est la chose qui particulièrement fait de nous des membres vivants de l’Église. Si nous nous bornons à dire que l’Église est une organisation extérieure […] les gens ne comprendront pas que le royaume du Christ est constitué par la justice du cœur et par le don du Saint Esprit760.

La foi des Églises protestantes en la Parole de Dieu est si forte qu’elles affirment que la lecture de cette Parole ne nous rappelle pas seulement ce que Jésus a dit ou fait, mais elle le rend effectivement présent parmi les siens et édifie l’Église. L’anamnèse de la Parole de Dieu n’est pas seulement une remise en mémoire de ce qu’avait dit ou fait Jésus, mais une actualisation réelle, grâce à la force de l’Esprit Saint, de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu édifie et maintient l’Église grâce à l’Esprit Saint. La Parole de Dieu enfin, par la prédication, qui elle aussi est rendue possible grâce à l’Esprit Saint, met à nu nos péchés, suscite en nous la contrition et nous obtient la rémission des péchés à cause du Christ et de l’Esprit Saint.  Cette contrition a lieu quand les péchés sont rendus manifestes par la Parole de Dieu, car le but suprême de la prédication de l’Évangile est de rendre les péchés manifestes et d’offrir la rémission des péchés, la justice à cause du Christ, le Saint-Esprit et la vie éternelle, afin qu’étant régénérés nous fassions le bien761.

La circularité entre l’anamnèse de la Parole de Dieu et l’épiclèse apparaît encore ici en ce qui concerne la rémission des péchés que nous procure l’annonce et la prédication de cette Parole de Dieu. La Vérité de Dieu exposée dans sa Parole, met l’homme devant sa propre vérité qui pour la plupart des cas n’est que péché et infidélité. Ce face-à-face suscite en l’homme la contrition pour ses péchés qui l’amène à la repentance et à l’obtention de la rémission des péchés grâce au Christ, Parole faite chair, et à l’Esprit Saint. La célébration de l’anamnèse de la Parole de Dieu dans les rites luthérien et calviniste, comme célébration de la présence même du Christ 760 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 157. 761 A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 168.

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qui nous parle, ne peut pas être séparée de l’action de l’Esprit Saint qui nous fait découvrir la Parole du Christ même, rend possible l’édification et la maintenance de l’Église et nous obtient la rémission de nos péchés. La table de la Parole, l’acte du Christ, est rendue possible par l’acte du Saint-Esprit. Cette brève étude de la dimension anamnestico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu et sa circularité avec l’épiclèse dans la tradition protestante nous a aidé à mettre encore une fois en lumière la souveraineté de la Parole de Dieu telle que célébrée dans les deux rites étudiés. Porteuse en soi d’une dimension anamnestique inéluctable à cause de sa souveraineté, la Parole de Dieu ne doit pas seulement régir notre vie spirituelle, elle doit structurer notre vie en société, notre être dans le monde. Cette dimension anamnestique qui n’est pas seulement une remise en mémoire, mais une présence réelle du Christ qui nous parle encore aujourd’hui, grâce à l’Esprit Saint, édifie et maintient l’Église. Le chrétien est vivement invité à écouter la Parole de Dieu dans l’assemblée et à entrer individuellement en contact avec le Christ. C’est à cette dernière dimension ecclésiologique que nous appelons à la reconnaissance et à la valorisation de la foi ecclésiale. Ma foi en la Parole de Dieu, bien qu’étant un acte individuel et responsable, est une foi dans et avec l’Église. Elle me fait entrer dans une tradition et m’engage dans et pour la tradition. 6.3 La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole des rites catholiques Nous tenons à ce que nous avons dit sur le sens catholique de l’épiclèse plus haut ; hormis quelques prières que nous pouvons trouver parsemées dans différents rites catholiques, qui ne sont pas aussi explicites s’il s’agit de l’invocation de l’Esprit Saint dans la table de Parole, il nous est très difficile de dire que cette circularité est clairement vécue dans les rites catholiques, étant donné que la plupart de ces rites ne sont plus pratiqués dans beaucoup d’endroits, ou sont carrément disparus : « In effetti nella Spagna tuttora sussiste la tradizione ispano-visigota o mozarabica, ma limitata a una presenza quasi simbolica nella capella del Corpus Christi della cattedrale primaziale di Toledo e a poche altre saltuarie presenze nel resto del Paese »762. Nous voulons, suite à cette quasi disparition d’autres 762 C. Alzati, « Epiclesi eucaristica », 124–125.

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rites occidentaux, faire une note particulière sur le rite romain actuel, qui, comparé au rite ambrosien, est presque le même. A lire et à vivre de près le rite romain tel qu’il existe actuellement, nous pouvons percevoir un malaise dans la célébration de la table de Parole en ce qui concerne l’épiclèse dans le sens d’invocation. Il est un peu triste de constater que dans la table de la Parole, l’invocation de l’Esprit Saint dans la partie touchant les lectures, l’homélie ou la prédication passe presque inaperçue. Pourquoi cette quasi absence si flagrante de l’invocation de l’Esprit dans cette partie si nécessaire à l’Eucharistie ? Ceci n’est-il pas dû à une vieille conception qui considérait la table de la Parole comme une sous-partie de la table de l’Eucharistie ? Cette conception à présent dépassée ne doit pas nous maintenir dans l’optique de considérer la table de la Parole comme étant moindre que la table de l’Eucharistie. Le concile Vatican II nous présente les deux tables comme étant constitutives de la messe, elles sont si étroitement unies et liées entre elles qu’elles font un seul acte cultuel763. Cette valorisation de la table de la Parole, devrait aller de pair avec la valorisation de l’épiclèse. Dans une large interprétation de l’épiclèse allant au-delà de l’invocation, incluant des intentions et des supplications variées, nous pouvons peut-être lire dans ces prières une épiclèse voilée. Mais l’invocation claire et explicite de l’Esprit Saint dans la table de la parole fait encore défaut dans les rites romain et ambrosien. Ceci porte un grand dommage au caractère anamnesico-pneumatique de la Parole de Dieu. Comment la parole de Dieu peut-elle être actuelle sans la force de l’Esprit  ? Comment pouvons-nous discerner le hic et nunc de cette parole sans celui qui nous enseignera tout ? Comment puis-je prêcher cette parole sans l’intelligence de l’Esprit ? Pouvons-nous vraiment proclamer et comprendre la parole de Dieu sans la grâce de l’Esprit Saint ? Autant des questions que nous pouvons nous poser sur l’importance de l’Esprit Saint dans la table de la Parole de Dieu. Grande est notre satisfaction de constater que l’exhortation apostolique post-synodale : Verbum Domini de Benoît XVI souligne l’importance de l’Esprit dans l’inspiration, la réception, la compréhension et le vécu de la Parole de Dieu, bref dans l’œuvre de salut accomplie en Jésus-Christ, Parole de Dieu faite chair764. Le Pape dira : « Aucune compréhension authentique de la Révélation chrétienne 763 Cf. SC, 56 ; DV, 21. 764 Cf. Benoît xvi, Verbum Domini, 15.

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ne peut être atteinte en dehors de l’action du Paraclet »765. La révélation pleine de Dieu à travers son Verbe fait chair, œuvre de l’Esprit Saint, ne peut être, sans l’aide de ce dernier, pénétrée par l’esprit humain. Jésus luimême nous le dit (Jn 14, 26 ; 15, 26 ; 16, 13) et les Pères de l’Églises, par l’intermédiaire de leurs écrits, nous le confirment. Le Pape cite quatre Pères de l’Église que nous reprenons ici : Saint Jean Chrysostome affirme que l’Écriture « a besoin de la Révélation de l’Esprit, afin qu’en découvrant le véritable sens des choses qui s’y trouvent, nous en tirions abondamment profit ». Saint Jérôme est lui aussi fermement convaincu que « nous ne pouvons arriver à comprendre l’Écriture sans l’aide de l’Esprit Saint qui l’a inspirée ». Saint Grégoire le Grand souligne à son tour de manière suggestive l’œuvre du même Esprit dans la formation et dans l’interprétation de la Bible : « Il a lui-même créé les paroles des Saints Testaments, c’est lui-même qui les ouvre. » Richard de Saint-Victor rappelle qu’il faut des « yeux de colombe », illuminés et instruits par l’Esprit, pour comprendre le texte sacré766.

L’Esprit Saint ne doit pas être pris comme un appendice de la Parole de Dieu ; depuis les origines, il la constitue et nous la fait découvrir. Il existe une symphonie indissociable entre la Parole de Dieu et l’Esprit Saint, entre la compréhension de la Parole de Dieu et l’Esprit Saint, entre le dévoilement du Verbe et l’Esprit Saint. « L’Esprit Saint habite la Parole, il n’est pas dans une fuite devant la Parole. La Parole est le lieu de l’Esprit ; Jésus est la source de l’Esprit. Plus nous entrons en lui, plus nous entrons réellement dans l’Esprit et plus l’Esprit pénètre en nous »767. Dans la pratique actuelle des Églises catholiques en général, et de l’Église romaine en particulier, il est certes vrai qu’une messe célébrée par un évêque ou un prêtre accompagné d’un diacre, devrait liturgiquement amener le diacre avant la proclamation de l’Évangile, telles que l’exigent les lois liturgiques, à demander la bénédiction au célébrant principal. Le missel romain notifie : « Le diacre qui va proclamer l’Évangile, incliné devant le prêtre, demande la bénédiction, en disant à mi-voix : Père, bénissez-moi. Le Prêtre dit alors à mi-voix : Que le Seigneur soit dans votre cœur et sur vos lèvres pour que vous proclamiez la Bonne Nouvelle, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit »768. Cette bénédiction, qui n’a aucun caractère épiclétique, demande l’intervention du Père, du Fils et du 765 Benoît xvi, Verbum Domini, 15. 766 Benoît xvi, Verbum Domini, 15. 767 J. Ratzinger, Le Dieu de Jésus-Christ, 115. 768 MAD, Liturgie de la parole, 519.

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Saint-Esprit sans un accent particulier sur l’une ou l’autre personne de la Trinité. Reconnaissant l’agir en commun de trois personnes de la Sainte Trinité, la dimension épiclétique est un peu moins ressentie compte tenu du rôle de l’Esprit Saint en ce qui concerne la proclamation et l’interprétation de la Parole de Dieu. Et dans le cas où il n’y a pas de diacre, le prêtre incliné devant l’autel dit à voix basse : « Purifie mon cœur et mes lèvres, Dieu très saint, pour que je fasse entendre à mes frères la Bonne Nouvelle »769. Même dans cette formule, la prière reste confuse et trop générale. Il reste à savoir combien le font et quelles sont les paroles qui se disent, autant pour le diacre que pour le prêtre ! Nous restons surpris que le missel notifie en rouge que toutes ces paroles doivent être dites à voix basse. On ne s’attarderait pas sur le fait que ces paroles soient dites à haute voix ou à mi-voix, mais il reste surtout à savoir l’importance que nous accordons à ce moment. Combien de prêtres passent outre cette demande masquée de l’Esprit Saint ? En ce qui concerne les autres lectures de la messe, à part l’Évangile, dans le rite romain, aucune mention n’est faite demandant aux lecteurs d’implorer la grâce de l’Esprit Saint soit par une prière soit par la bénédiction du célébrant. Ici encore toutes nos interrogations reviennent sur la force missionnaire de la proclamation de la parole de Dieu (Lc 4, 18). Un coup de sonde dans la tradition de l’Église pourrait nous être utile. Reprenant encore les anciennes prières faites avant la proclamation des lectures et au terme de l’homélie, citées par le Pape dans son exhortation Verbum Domini, « envoie ton Esprit Saint Paraclet dans nos âmes et fais-nous comprendre les Écritures qu’il a inspirées ; et concède-moi de les interpréter de manière digne, pour que les fidèles ici réunis en tirent avantage » ; et après l’homélie : « Dieu sauveur […] nous t’implorons pour ce peuple : envoie sur lui l’Esprit Saint ; que le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu’il parle aux consciences de tous et qu’il prépare les cœurs à la foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des Miséricordes »770, nous découvrons dans ces prières la profondeur théologique, au niveau de la circularité de l’épiclèse et de l’anamnèse, et au niveau de la foi et du vécu de la Parole de Dieu grâce à la force de l’Esprit Saint. 769 MAD, Liturgie de la parole, 519. 770 Sacramentarium Serapionis II (XX) : Didascalia et Constitutiones apostolorum, ed. F. X. Funk, II, Paderborn, 1906, 161. Cité par Benoît xvi, Verbum Domini, 15.

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Notons ici un apport très important du rite romain pour l’Église du Congo, apport qui, nous le pensons, peut aider à redonner un peu plus de place à l’épiclèse dans la table de la Parole. Dans le rite romain pour l’Église du Congo, hormis ce qu’il est recommandé au diacre et au prêtre de faire avant la proclamation de l’Évangile par le rite romain, il est clairement prévu pour les lecteurs avant la lecture, durant la messe, d’aller demander la grâce de l’Esprit Saint auprès du célébrant principal avec cette formule : « Prêtre ! Bénissez-moi, afin que l’Esprit du Seigneur soit sur moi », et le célébrant bénit la personne en disant : « Que l’Esprit Saint soit avec toi, qu’il ouvre tes yeux et ta bouche pour que tu nous lises clairement la parole de Dieu »771. Nous pensons que pour valoriser la circularité entre l’épiclèse et l’anamnèse dans la célébration de la table de la Parole et rendre la Parole plus vivante, l’espace accordé à l’épiclèse devrait être plus valorisé et vécu avec plus de respect et de dévotion. Pourquoi reprendrait-on pas ces belles prières anciennes dans notre liturgie actuelle, pour marquer cette circularité au niveau de la table de la Parole ? Jésus lors de son baptême a reçu la grâce de l’Esprit Saint, non parce qu’il était moins Dieu, mais pour marquer la communion trinitaire dans sa mission. Si Jésus lors de sa première apparition pastorale a commencé par lire le texte d’Is 61, 1 ss, n’est-ce pas pour montrer l’importance de l’Esprit Saint dans la proclamation de la Parole de Dieu ? Il ne nous revient pas de fissurer cette communion, ni de mettre à l’arrière-plan l’importance de l’Esprit Saint dans la mission de l’Église dans la célébration eucharistique, le lieu par excellence de l’évangélisation. Reconnaissant la valeur énorme des différentes réformes liturgiques du concile Vatican II et dans d’autres rites occidentaux, il serait encore mieux de rendre plus explicite la circularité de l’épiclèse avec l’anamnèse dans la table de la Parole et de recommander sa célébration avec plus de respect et de dévotion.

Conclusion Notre étude tout au long de ce chapitre a consisté en premier lieu à sortir la dimension anamnesico-ecclésiologique de la table de la Parole de Dieu 771 Missel De Rite Romain Pour L’église Du Congo.

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dans trois traditions chrétiennes : orthodoxe, protestante et catholique, à travers les différents rites que nous avons parcourus. En deuxième lieu nous avons tenté à travers ces rites de faire ressortir la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse. La dimension anamnesico-ecclésiologique dans ces rites nous est apparue assez clairement. Quant à la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse, les rites occidentaux dans leur structure actuelle, par rapport à d’autres rites étudiés, ont accusé un certain hiatus dans l’expression explicite de cette circularité. Les rites orthodoxes, à tendance plutôt plus pneumatique, ont su concilier la dimension anamnesique à la dimension ecclésiologique, et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est clairement exprimée et célébrée dans la table de la Parole. Les rites protestants, de leur côté, à cause de l’un des principes moteurs de la réforme, Sola scriptura, verront dans la Parole de Dieu lue dans la Sainte Cène l’unique autorité souveraine et suffisante en elle-même. Sa lecture dans l’assemblée est la présence du Christ en personne qui parle à son peuple, il leur apporte la rémission des péchés, les biens éternels et la grâce de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint nous aide à reconnaître la Parole de Dieu et inspire le prédicateur dans la transmission de cette Parole. Ici la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est pleinement vécue dans la forme et le fond liturgique qui entoure la célébration de la Parole de Dieu. La dimension anamnesique de la Parole de Dieu, dans le sens de présence réelle du Christ, est vitale pour la vie ecclésiale. En édifiant et en maintenant l’Église, la Parole de Dieu aide chaque membre individuellement à entrer en contact avec le Christ et à croire en lui. Ma foi est une grâce que je reçois de Dieu seul, elle est indépendante de l’humus de l’Église. C’est ici que nous avons relevé la lacune de la dimension ecclésiologique de la Parole de Dieu en ce qui concerne la foi que cette Parole suscite. Ma foi, bien qu’étant une grâce de Dieu, m’est donnée dans un terroir passé qui détermine mon être chrétien d’aujourd’hui et m’oriente vers l’avenir. Mon accueil aujourd’hui de la Parole de Dieu me fait entrer dans une foi ecclésiale passée qui me fait vivre en chrétien aujourd’hui. Vu le hiatus qu’accusent les rites catholiques, particulièrement le rite romain auquel nous appartenons, en ce qui concerne la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole, la lecture de l’exhortation apostolique Verbum Domini, dans laquelle le pape Benoît XVI fait voir l’importance de l’Esprit Saint dans la parole de Dieu, nous pousse à proposer à ce niveau de notre étude, tant aux liturgistes qu’à d’autres 344

théologiens, de voir comment faire apparaître davantage l’invocation de l’Esprit Saint dans la table de la Parole en vue d’abord de ne pas fissurer la communion trinitaire, bien que la célébration eucharistique soit la célébration de l’événement pascal ; ensuite en vue de vivre pleinement la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans cette partie de notre célébration de la mémoire du Christ qui est la table de la Parole, et enfin en vue de permettre et de favoriser davantage l’unité avec nos frères tant d’Orient que d’autres Églises qui avant ou après les lectures de la parole de Dieu, donnent assez d’espace à l’invocation de l’Esprit Saint. Nous avons évoqué à cette occasion le cas du missel romain pour l’Église du Congo, qui laisse apparaître un peu plus explicitement l’invocation de l’Esprit Saint dans la table de la Parole. On pourrait aussi reprendre ces anciennes prières dont le Pape fait mention dans son exhortation Verbum Domini, que nous avons souligné plus haut. C’est alors que la table de l’Eucharistie sera pour nous une épiphanie de Dieu, nos yeux s’ouvriront comme ceux des disciples d’Emmaüs pour reconnaître davantage le Seigneur.

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Chapitre VI Les retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église

1. Introduction Le dynamisme du mémorial est la base fondamentale qui, de nos jours, est présente au-dedans de chaque Église de tradition chrétienne. Il existe dans toutes les Églises, des célébrations qui ont comme fond lde chercher à rendre présent le Christ à travers un certain rituel. Certaines Églises le font à partir de la Parole de Dieu, d’autres Églises, riches d’une longue tradition, voient dans la célébration du mémorial du Christ, le respect d’un ordre reçu directement du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi », et un héritage légué par le Seigneur pour la continuation de son œuvre rédemptrice jusqu’à son retour. Ces célébrations du mémorial du Christ, nommées différemment par diverses Églises : Sainte liturgie, Eucharistie, Sainte Cène, Saint sacrifice… chercheront à rendre présent le Christ dans l’assemblée soit à travers les Écritures Saintes, soit à travers le pain et le vin qui deviennent le corps et le sang du Christ. Cette recherche d’actualisation, de représentation du Christ parmi les siens réunis en assemblée, fait naître diverses conceptions théologiques de nos célébrations. Pour les uns, il s’agit d’une représentation réelle, pour les autres, il s’agit seulement d’une représentation spirituelle. Par delà toutes ces conceptions théologiques, le dynamisme mémorial reste une dimension importante qui se retrouve dans toutes nos célébrations. Etant considérée comme une dimension importante de nos célébrations chrétiennes, tel que nous l’avons vu dans les chapitres précédents, l’anamnèse ne devient-elle pas une dimension incontournable de toutes les ecclésiologies ? Réunis en assemblée pour faire le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, qui est le sacrement de l’amour, le signe de l’unité, le lien de la charité …772, tel que nous l’enseigne l’Église 772 Cf. SC, 47.

catholique, le dynamisme du mémorial eucharistique ne devient-il pas un principe régulateur de nos relations, de nos structures ad intra et ad extra ? Pour arriver à toutes ces considérations de l’anamnèse, nous partirons de la liturgie comme lieu théologique de l’anamnèse pour montrer d’abord à partir d’elle pourquoi l’anamnèse est un principe qui structure l’Église, en nous fondant sur l’affirmation démontrée par H. de Lubac : « L’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’Eucharistie »773. Les documents du concile Vatican II, spécialement LG, donnent une vision assez large des effets de la célébration de la mémoire du Christ dans l’Eucharistie. Il affirme : « Quoties sacrificium crucis, quo ‹ Pascha nostrum immolatus est Christus ›, in altari celebratur, opus nostrae redemptionis exercetur. Simul sacramento panis eucharistici repraesentatur et efficitur unitas fidelium, qui unum corpus in Christo constituun »774. Renforcés par cette prospective du concile Vatican II, nous appliquerons à notre réflexion l’affirmation de H. de Lubac afin de voir comment l’anamnèse à travers la table de l’Eucharistie nous constitue en unum corpus, una caro divino-umano et comment à travers la table de la Parole elle fait un peuple. Cette dimension ecclésiologique de l’anamnèse, qui n’est possible qu’en circularité avec l’épiclèse, nous conduira enfin à différentes applications, au niveau ecclésial et œcuménique.

2. La liturgie eucharistique comme matrice de l’anamnèse ecclésiologique L’Eucharistie étant un lieu de confluence des recherches théologiques, nous l’avons prise comme notre lieu théologique, l’espace propice où l’Église peut être étudiée et comprise. C’est dans cet espace que l’Église naît et renaît continuellement. L’Église réfléchit sur elle-même et ne se comprend qu’à partir de l’Eucharistie. C’est ainsi que toute bonne ecclésiologie ne peut se faire qu’à partir de ce lieu fondamental qui est le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ. 773 H. de Lubac, Corpus Mysticum, 113. 774 LG 3. De cette référence citée de LG peuvent être rapprochés LG 7 et 11 qui voient dans la célébration de l’Eucharistie la sanctification de tous les membres constituant le corps du Christ. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui sont présents pendant la célébration du mémorial du Christ mais de tout le peuple de Dieu.

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Le concile Vatican II voit dans l’Eucharistie le sommet de toute la vie de l’Église, source de toutes les grâces que nous pouvons imaginer775. Enlevez à l’Église ce sacrement, il nous devient très difficile de parler et de comprendre l’Église, malgré l’existence d’autres sacrements qui font eux-aussi la vie de l’Église. Le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, soubassement de toute l’Eucharistie, devient pour nous le principe indicateur dans la structuration théologique et de la vie de l’Église. Le « Faites ceci en mémoire de moi » devient la concrétisation et l’actualisation du message biblique dans la vie quotidienne du peuple de Dieu et un élément moteur de son unification. 2.1  Anamnèse eucharistique comme principe dans la vie de l’Église Considérer l’anamnèse comme principe, c’est la considérer comme une notion particulièrement importante, fondamentale, pour ne pas dire essentielle, dans la structuration de l’Église. La libération du peuple d’Israël, un fait marquant et déterminant pour son identité, restera pour Israël un principe important digne de mémoire pour toutes les générations avenir. Aucun fils d’Israël ne pouvait s’en passer au risque de perdre même son identité. Le peuple d’Israël retenait divers faits rappelant les merveilles de Dieu à partir desquels il structurait sa vie : « Merveilles que fit pour nous Yahvé, nous étions dans la joie » (Ps 126, 3 ), ces merveilles ne doivent pas être oubliés, il fallait les commémorer : « afin que vos descendants sachent que j’ai fait habiter sous des huttes les Israélites quand je les ai fait sortir du pays d’Egypte ; je suis Yahvé votre Dieu » (Lv 23, 43). Pour ne citer que cette référence, la mémoire fut et est encore un principe important pour le peuple d’Israël parce que la communauté juive était portée et vivait de ces éléments fondamentaux qui la constituaient (Ex 12, 14 ; 13, 9 ; 17, 14 ; Nb 10, 10 ; 17, 5 ; Jos 4, 7 …), la mémoire faisait et fait encore le peuple d’Israël. Le survol de la Haggadah fait précédemment nous le démontre clairement. La notion de mémoire et son vécu devenait pour Israël un élément spécialement constituant de sa vie, elle structurait ses relations avec Dieu, régularisait le rapport interpersonnel entre hébreux et non hébreux. C’est ainsi que la mémoire aura toujours un double sens : subjectif et objectif. 775 Cf. SC, 10.

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Subjectif dans le cas où Dieu est le sujet (Ps 20, 3 ; 111, 5 ; 106, 4 …) : Du fait que le Seigneur se souvient de son peuple, il fait abonder sur lui ses bienfaits, il le pardonne (Ex 32, 11–14 ; Dt 9, 26–29 ; Ez 20, 9–44) et le protège (Dt 33, 3 ). Soulignons-le encore, le fait subjectif de la mémoire de Dieu pour son peuple ne doit pas nous amener à penser un Dieu qui a des trous de mémoire mais un Dieu dont l’amour est d’une permanence intemporelle : le fait d’inviter Dieu à se souvenir est en fait le retour confiant de l’homme dans la dynamique de l’amour de Dieu. L’homme retourne à Dieu qui a toujours été bon et bienfaisant dans le passé, et en invoquant son être bon, l’homme espère que Dieu, qui fut toujours bon, actualisera encore ce qu’il avait accompli dans le passé. Ce n’est pas en fait Dieu qui oublie l’homme, c’est plutôt l’homme qui oublie et néglige la bonté, les bienfaisances de Dieu et se disperse dans le mal. Rappelons-nous la parabole de l’enfant prodigue (Lc 15, 11–31), la prière du bon larron (Lc 23, 42) ; à ce dernier, Jésus ne répond pas en termes de futur mais de présent : « En vérité, je te dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Faire appel à Dieu pour qu’il se souvienne de nous, c’est actualiser dans notre présent et nous rassembler autour de son amour qui est de toujours, c’est le retour à l’amour intemporel du Père qui chaque jour nous attend. Le sens objectif pose le peuple qui fait mémoire comme sujet de la mémoire (Ps 102, 13 ; 105, 5 …). Se souvenir était pour Israël un principe constitutif pour une bonne conduite de vie : « Rappelle-toi les jours d’autrefois, considère les années, d’âge en âge. Interroge ton père, qu’il te l’apprenne, tes anciens, qu’ils te le disent » (Dt 32, 7 ). Les pères de familles, les chefs de tribus et les envoyés de Dieu, qui représentaient le peuple, avaient un souci profond, qui devenait en réalité un devoir, de transmettre à leurs enfants les faits mémorables qui constituaient leur vie (Dt 6, 20–21 ; Jos 4, 6–7 ; 21–24). La mémoire fait Israël et Israël à travers ses représentants fait la mémoire. Pour Israël, « se souvenir, c’est se sauver, et ne pas se souvenir, c’est se perdre »776. L’anamnèse comme principe régulant la vie dans l’Ancien Testament se retrouvera aussi dans la vie du Nouveau Testament : « Dans le Nouveau Testament, nous retrouvons toutes les harmoniques de la ‹ mémoire › dans la prière et le culte de l’Ancien Testament »777. C’est ainsi qu’on verra un Jésus qui monte chaque année avec ses parents à Jérusalem pour la fête 776 R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 24. 777 R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 36.

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de pâque (Lc 2, 41–42), un Jésus qui va à la synagogue selon la coutume le jour du sabbat (Lc 4, 16), qui envoie ses disciples préparer la pâque (Lc 22, 1–13). Jésus entrera dans cette logique, de faire des différentes anamnèses juives des principes qui structurent sa vie, et accomplira en perfection toutes les anamnèses anciennes pour nous laisser l’unique anamnèse qui récapitule toutes les autres et structure toute notre vie chrétienne : l’anamnèse de sa mort et de sa résurrection. Les anciennes anamnèses juives trouvent leur sens dans l’unique anamnèse du Christ et celle du Christ illumine toutes les anciennes anamnèses. L’anamnèse du Christ sortant du cadre restreint juif, s’ouvre à un cadre universel pour faire l’Église. Il la donnera comme ordre à ses disciples comme signe de leur amour envers lui et comme signe de la reconnaissance de leur identité comme ses disciples (Jn 13, 35 ; 14, 15 ; 15, 14). Les disciples du Christ auront ainsi, par cet ordre donné par leur Seigneur, la charge et la responsabilité de faire mémoire. Tout chrétien a sa part de responsabilité et de participation dans la célébration de ce mémorial : « Omnes in liturgica actione partem propriam agunt »778. Le commandement de l’amour qui culmine dans la mort et la résurrection de Jésus, objet de l’anamnèse eucharistique, devient le noyau fondateur et fondamental qui fait l’Église et qui confirme l’amour de l’Église pour son Seigneur. Les apôtres et les premiers chrétiens le comprendront : c’est ainsi qu’ils seront assidus à la prière et à la fraction du pain (Ac 2, 42). Les apôtres ne pourront sous aucun prétexte négliger le service de la parole pour un quelconque autre service (Ac 6, 2 ) : parce que là résidait le service fondamental, essentiel pour la vie de la communauté. L’Église reconnaît cette place centrale, fondamentale du mémorial du Christ dans sa vie779,   la liturgie est le « sommet auquel tend l’action de l’Église et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10). Source et sommet : Vatican II réemploie ces deux termes dans un contexte analogue pour exprimer le rapport de l’Eucharistie et l’évangélisation (PO 5.2) ou la relation de l’Eucharistie à la vie chrétienne (LG 11.1) ou à la communauté des chrétiens (PO 6.5)780.

Renchérissant sur ces références au concile Vatican II, H. Bourgeois dit que « parler de source et de sommet revient à envisager le rôle de la liturgie comme celui d’une force et d’un sens qui, tout à la fois, instaurent 778 LG, 11. 779 Cf. LG, 3 ; 11 ; PO, 5 ; Jean Paul ii, Ecclesia de eucharistia 1. 780 H. Bourgeois – B. Sesboüé – P. Tihon, Histoire des dogmes, III, 269.

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ou fondent, et finalisent ou orientent le don divin et la foi des fidèles »781. L’Eucharistie, dans laquelle est célébré le mémorial de la mort et de la résurrection, est réellement le pivot de la vie de l’Église. Elle sera qualifiée d’action sacrée par excellence de l’Église782. Le Pape Benoît XVI parlera de l’Eucharistie qui est mémorial de la mort et de la résurrection du Christ comme principe causal de l’Église. L’Eucharistie fait entrer les fidèles dans l’« heure » même de Jésus783 qui est le modèle de toutes les heures de la vie chrétienne. La mémoire de la mort et de la résurrection du Christ illumine notre vie et nous indique le chemin sur lequel nous sommes invités à marcher (Jn 14, 6 ). En étudiant attentivement la sacramentaire du concile Vatican II, sans négliger la communion trinitaire dans l’œuvre du salut, nous nous rendons compte qu’elle est plus christologique784 que trinitaire785. Le Christ mort et ressuscité est davantage au centre du mystère de notre salut célébré par l’Église dans les sacrements. Ce qui confirme une fois de plus le caractère fondamental du mémorial de la mort et de la résurrection du Christ qui, d’une manière co-extensive, se retrouve dans tous les sacrements de l’Église. « Citons également l’intégration de la vie sacramentelle de l’Église dans le schéma ternaire des trois offices du Christ, ce qui donne aux célébrations un rapport structurant à l’évangélisation et à l’unité ecclésiale (LG 1–3, 25–27, 34–36) »786. Faisant l’Église, l’anamnèse eucharistique, comme un grand testament787 du Seigneur aux siens, a été confiée à l’Église comme son plus grand patrimoine. C’est l’Église, avec ses pasteurs et tous les fidèles, qui fait l’anamnèse du Christ788. Etant principe de la vie de l’Église, comment l’anamnèse eucharistique peut-elle à partir de la table eucharistique et de la table de la Parole, faire de nous un seul corps ? 781 H. Bourgeois – B. Sesboüé – P. Tihon, Histoire des dogmes, III, 269. 782 Cf. LG 1. 783 Cf. Benoît xvi, Sacramentum caritatis, 14. 784 Cf. LG, 7 ; 26 ; PO, 2 ; 4 ; 5 ; 12 ; AG, 36 ; UR, 22. 785 Cf. Pour ce qui concerne la place du Père dans les sacrements, il n’est que timidement évoqué : LG, 11 ; 64 ; AG, 14 ; 21 ; UR, 22. Quant à l’Esprit Saint, le Concile en fait un peu plus mention : LG, 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 44 ; 64 ; GS, 38 ; 48 ; OE, 2 ; PO, 2 ; 5 ; 12 ; AA, 3 ; AG, 7 ; 11 ; 15. 786 H. Bourgeois – B. Sesboüé – P. Tihon, Histoire des dogmes, III, 278. 787 Cf. W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 81–89. 788 Cf. H. De Lubac, Méditation sur l’Église, 123–129 ; LG, 10 ; 11 ; 26 ; SC, 6 ; 11 ; 14 ; 19 ; 21 ; 27 ; 30 ; 41 ; 48 ; 50. On peut aussi lire W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 19–30.

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2.2 L’anamnèse dans la table eucharistique : Unum corpus, una caro divino-umana Dans la table eucharistique, l’Église arrive à la concrétisation et au vécu du logos sarx eghéneto, « le Verbe/Parole se fit chair », et ainsi la caro spiritualis ou la caro mystica devient un réel noyau du corpus Ecclesiae ou mieux du corpus mysticum. La célébration de l’Eucharistie devient réellement source de grâce pour chaque chrétien individuellement et communautairement789, chacun s’y réalise comme membre utile du corps divino-humain de Jésus et y puise l’abondance de grâce qu’offre l’Eucharistie790. Ce concordisme d’unification de la caro spiritualis ou caro mystica au corpus-Ecclesia, luimême en passe de devenir corpus mysticum, H. de Lubac, à qui nous avons emprunté toute cette terminologie, dira que cela « devait s’opérer, non sans tâtonnements, dans le cadre de la théorie sacramentaire qui distinguait dans le mystère eucharistique un triple élément : sacramentum-tantum, res-etsacramentum, res-tantum »791. Puisque nous voulons étudier cet unum corpus et cette una caro divino-umana dans le cadre de l’anamnèse eucharistique, voyons un peu ce que nous font découvrir les prières eucharistiques. Toutes les prières eucharistiques de rite romain sont ordonnées dans le sens de unum corpus, una caro divino-umana : de la table de la Parole à la table de l’Eucharistie, de la préparation de l’autel et de la présentation des dons à Dieu jusqu’au rite de conclusion. Prenons pour illustration cette prière de présentation, faite à voix basse : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité »792. L’eau et le vin représentant l’humain, la créature, sont d’abord unis entre eux dans le calice pour enfin implorer l’union avec le divin. Le renvoi du peuple : « Allez dans la paix du Christ »793, est un envoi en mission qui ne peut être réalisé d’une manière isolée, mais en groupe, deux à deux, « allez » non pas seul mais avec les autres (Mc 6, 7 ) annoncer la paix du Christ ressuscité avec qui vous êtes entrés en communion et qui est avec vous jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Les quatre prières eucharistiques ont cela en commun de faire du peuple de Dieu en 789 Cf. LG 11 ; CD 30. 790 Cf. SC 10, LG 11. 791 H. De Lubac, Corpus Mysticum, 189. 792 MAD, Préparation de l’autel et présentation des dons à Dieu, 522. 793 MAD, Rite de conclusion, 563.

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prière unum corpus et una caro divino-umana. La prière d’action de grâce adressée au Père par Jésus-Christ est la prière de l’Église pour l’Église. Commentant l’anaphore d’Hippolyte, Raffa affirme que « la chiesa fa da sfondo a tutta la preghiera, in quanto impersonata nel noi offerenti, nel noi memori, nel noi beneficiari »794. Avant même la consécration, dans le canon romain, on assiste déjà à une anamnèse générique qui rappelle à Dieu de se souvenir de son Église, de lui donner la paix, de la garder dans la vérité et la sainteté, de la tenir unie ; de se souvenir de ses serviteurs. La communion entre l’Église terrestre et l’Église céleste est mise en exergue. Une deuxième unde et memores interviendra après la consécration donnant la raison de notre célébration liée à la mémoire de la passion, de la résurrection, de l’ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. A cause de cette mémoire l’Église implore Dieu le Père d’accepter ses offrandes, d’être miséricordieux envers les vivants795 et les défunts796. Il se crée une sorte d’unité d’abord humaine (entre les vivants et ceux qui sont passés de ce monde vers l’au-delà), de l’Église réunie qui célèbre la mémoire de son Seigneur, et ensuite une unité divino-humaine, de l’Église terrestre avec l’Église céleste797. Le unde et memores de la prière eucharistique II qui commence après la consécration, suivra aussi l’idée de fond que nous avons illustrée dans le canon romain : l’action de grâce rendue à Dieu le Père à cause de la mémoire qui actualise par le pain et le vin l’accomplissement de l’œuvre de salut réalisée par la mort et la résurrection du Christ. L’Église demande d’être rassemblée par l’Esprit Saint en un seul corps ; elle rappelle au Seigneur de prendre soin de son Église répandue à travers le monde, de ses pasteurs à travers qui nous voyons aussi les chrétiens, et de nos frères qui se sont endormis dans l’espérance de la résurrection. L’Église par ce mémorial vit dans l’espérance d’une communion future avec le Christ798 et avec tous les saints qui ont proclamé et vécu dans leur 794 V. Raffa, Liturgia eucaristica, 620. 795 Cf. La mémoire des vivants qui avant, faisait seulement référence à ceux qui étaient présents à la messe, sera ensuite étendue à tous les chrétiens, présents et absents à la messe. Les raisons de cette extension sont diverses : on pense à l’absence des offrandes des chrétiens pendant la messe, au nombre croissant des messes privées pour les fidèles absents. Mais l’idée de fond était que tous les chrétiens présents et ceux qui n’étaient pas inclus parmi ceux qui offraient puissent jouir des bienfaits de l’Eucharistie : V. Raffa, Liturgia eucaristica, 658. 796 Cf. MAD, Les prières eucharistiques. 797 Cf. MAD, Prière eucharistique I, 524–527. 798 Cf. LG, 50.

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chair le mystère pascal du Christ799. La partie anamnéstique de la prière eucharistique II qui suit la consécration nous mène aussi à unum corpus et una caro divino-umana800. Quant à la prière eucharistique III, l’après-consécration porte une forte dimension anamnéstique à caractère ecclésial communionel de l’Église terrestre avec l’Èglise céleste. L’Église, attendant l’avènement du Seigneur, doit faire mémoire de la mort, de la résurrection et de l’ascension de son Seigneur en implorant la grâce de l’Esprit Saint d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ, de devenir une éternelle offrande à la gloire du Seigneur en vue de la communion, déjà anticipée dans la célébration, avec les saints et les martyrs, communion qui atteindra sa plénitude dans l’accomplissement des temps. Dans la mémoire du sacrifice et de la résurrection du Christ, la prière eucharistique III rappelle à Dieu également ses serviteurs, la famille chrétienne assemblée devant Lui, ceux qui sont dispersés et ceux qui ont quitté ce monde, dont Dieu seul connaît la droiture. Nous assistons ici à une anamnèse à caractère ecclésial indubitable. Le rappel de la mort, de la résurrection et de l’ascension du Seigneur jusqu’à son retour devient le socle d’une ecclésiologie qui nous unit, grâce à l’Esprit Saint, entre nous, avec le Christ, les saints, nos frères dispersés801 et ceux qui nous ont précédés auprès du Père802. La prière eucharistique IV suivra la même idée que les autres prières étudiées précédemment. L’anamnèse après la consécration proclamera les mystères de la mort, de la résurrection et de l’ascension du Seigneur jusqu’à son retour. L’Église a reçu mission pour son salut et celui du monde de célébrer ces mystères jusqu’à la fin des temps. Ceux qui communient à la célébration de cette mémoire qui rend le Christ présent à travers le pain et le vin qui deviennent son corps et son sang, sont rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps pour devenir dans le Christ une vivante offrande. La mémoire du Christ qui le rend présent parmi les siens à travers le pain et 799 Cf. SC, 104. 800 Cf. MAD, Prière eucharistique I, 528–531. 801 Cf. En tenant compte de la parole du Christ : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur » (Jn 10, 16), en offrant le sacrifice de la messe en priorité pour les membres de l’Église catholique, on tiendra aussi compte du caractère universel du salut apporté par Jésus (1 Tm 2, 4 ). V. Raffa, Liturgia eucaristica, 684–685. 802 Cf. MAD, Prière eucharistique III, 1997, 532–535.

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le vin devient source de communion et de transformation pour ceux qui en mangent et en boivent803. La lex orandi des prières eucharistiques fait de nous unum corpus et una caro divino-umana. Cette lex orandi devrait nous conduire à la lex credendi qui doit faire du Christ ressuscité dont nous faisons mémoire dans la célébration eucharistique l’unique principe qui structure notre vie et notre ecclesia. Car c’est lui le ressuscité qui se rend présent dans le mémorial eucharistique pour continuer à révéler le Père au monde (Jn 14, 9 ) et en même temps nous représenter auprès du Père (Jn 16, 23). Reprenant l’idée de sacramentum tantum et celle de res sacramentum, non séparément mais étroitement unies entre elles, nous pouvons dire qu’avec la table eucharistique, la présence de l’anamnèse dissipe encore plus l’équivoque des deux mots. Entre le Christ, que nous considérons comme le sacramentum Dei, le sacramentum tantum par excellence, et l’Ecclesia qui offre le pain et le vin, res sacramentum de ce sacrement de Dieu, et demande dans l’anamnèse, que l’Esprit Saint fasse de nous (Église) une éternelle offrande à sa droite804, il n’y a plus alors aucune séparation : l’Ecclesia est vraiment son corpus mysticum. H. de Lubac parlant de res ou de virtus, dit que « la res, c’est essentiellement l’unité de l’Église, c’est le corps unique formé par la réunion d’une multitude de membres ». Tandis que la virtus, « c’est l’efficacité spirituelle du sacrement, considéré surtout sous son aspect de nourriture »805. Pour H. de Lubac, la res nous renvoie concomitamment au sacramentum et à la res-et-sacramentum, c’est-à-dire aux espèces eucharistiques et au Christ même qui se cache sous les espèces du pain et du vin. Et la virtus, par contre, sera comprise comme l’efficacité spirituelle du sacrement considéré surtout sous son apparence de nourriture806.  Le corps ecclésial est composé de membres unifiés et très purs comme les membres du corps né de la Vierge pure, comme les grains de pur froment ou les gouttes de raisin dont le pain et le vin sont formés : ex multis granis et multis acinis confecti, ex multis purissimi frumenti granis. La seconde est procurée par la chair et le sang du Christ, qui symbolisent respectivement la vie éternelle du corps et de l’âme807.

803 Cf. MAD, Prière eucharistique IV, 536–539. 804 Cf. MAD, Prière eucharistique III, 534. 805 H. De Lubac, Corpus Mysticum, 191. 806 Cf. H. De Lubac, Corpus Mysticum, 191. 807 H. De Lubac, Corpus Mysticum, 191.

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La chair et le sang du Christ, symboles de la vie éternelle, seront à leur tour symbolisés par le pain et le vin pour la vie et l’unité de l’Église : « d’un côté, donc, le cibus et potus, en rapport avec la vita aeterna ; de l’autre, le panis et vinum, signe de l’unitatis ecclesiastici corporis »808. L’anamnèse du Christ célébrée dans l’Eucharistie fait alors de nous un seul corps, une seule chair divino-humaine. Le divin qui autrefois s’unit à l’humain par son incarnation, continue dans le mémorial de sa mort et de sa résurrection cette union, pour s’offrir lui-même à travers le créé au divin, et ainsi réhabiliter l’humain dans son être créé à l’image de Dieu, pour enfin lui donner la possibilité d’appeler Dieu Père. La table eucharistique continue la divinisation de l’humain grâce à l’invocation de l’Esprit Saint sur les dons que l’Église offre et sur ceux qui s’offrent eux-mêmes pendant la messe. C’est l’Esprit Saint qui constitue l’élément vivificateur de cette chair divino-humaine que l’anamnèse eucharistique rend toujours présente. Nous comprenons alors mieux l’ordre suivi par la Sainte Eucharistie : l’écoute de la Parole de Dieu, l’invocation de l’Esprit Saint sur le pain et le vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang du Christ et sur l’assemblée809, les participants sont rendu capables de dire le Notre Père en appelant Dieu Abba. Par l’anamnèse eucharistique le lien filial se régénère et nous devenons continuellement fils adoptifs de Dieu. Cette régénérescence filiale se réalise à des niveaux différents : d’abord au niveau individuel de chaque chrétien qui s’unit à Jésus, Fils unique de Dieu, et aux autres membres de l’Ecclesia ; ensuite au niveau ecclésial qui unit la communauté à Jésus et aux autres communautés chrétiennes ; enfin au niveau universel qui unit l’Église à son Maître, à l’univers entier et à la Sainte Trinité. L’humanité devient par l’anamnèse eucharistique, d’une manière réelle et anticipée, unum corpus, una caro divino-umana. Cette unité se concrétise pendant la communion eucharistique, moment pendant lequel le Christ se donne lui-même aux siens pour leur donner la vie éternelle : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 54). Constituant un seul corps et une seule chair avec le Christ, les chrétiens, par la communion, entrent en possession de l’efficacité spirituelle que possèdent la chair et le sang du Christ. Le Christ n’est plus seulement Emmanuel : Dieu 808 H. De Lubac, Corpus Mysticum, 192. 809 Cf. Nous vous recommandons la belle conférence faite par D. Vitali, « L’Eucarestia edifica il popolo sacerdotale », 27–38.

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avec nous, mais devient Dieu en nous, non pour se laisser transformer en nous mais pour nous transformer en lui810. Mais il faut encore pour y arriver, mieux se préparer et être en état de grâce, il faut « que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps » (1 Co 11, 28–29). Les Pères de l’Église parlent avec une profonde clarté de l’union entre le corps eucharistique du Christ et le corps ecclésial :  Corpus ergo Christi si vis intelligere, Apostolum audi dicentem fidelibus : « Vos autem estis corpus Christi, et membra » (1Cor 12, 27). Si ergo vos estis corpus Christi et membra, mysterium vestrum in mensa Dominica positum est : mysterium vestrum accipitis. Ad id quod estis, Amen respondetis, et respondendo subscribitis. Audis enim, Corpus Christi ; et respondes : Amen. Esto membrum corporis Christi, ut verum sit Amen811.

Saint Jean Chrysostome dira lui-aussi : Quid est enim panis ? Corpus Christi. Quid autem fiunt communicantes ? Corpus Christi ; non corpora multa, sed unum corpus. Sicut enim panis ex multis granis constans, unitus est, ita ut grana nusquam appareant ; sed sint quidem ipsa, non manifesta autem sit illorum differentia propter conjunctionem : sic nos et mutuo et cum Christo conjungimur812.

Par la communion eucharistique, nous nous intégrons dans le Christ et nous nous unissons entre nous813. Cette unité, qui est toujours refaite par l’anamnèse eucharistique, tire son fondement de l’unique pain et de l’unique coupe partagés : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? […] Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous nous participons à ce pain unique » (1 Co 10, 16–17). La communion fait de nous, comme l’apôtre Paul le dit, le « corps du Christ » (Rm 7, 4 ), un corps non seulement humain mais divino-humain. L’anamnèse eucharistique devient la réponse positive de l’homme à l’incarnation perpétuelle du divin, à travers 810 «  Non me in te mutabis, sicut cibum carnis tuae, sed tu mutaberis in me » : Augustinus, Confessions, 1. 7, c. 10, 16, PL 32, 742. 811 Augustinus, Sermo 272, dans PL 38. 812 Joannes Chrysostomus, Homiliae XXIV in primam ad Corinthios Epistolam, dans P G-L X. 813 Cf. LG, 7.

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sa Parole, le pain et le vin. L’homme entre ainsi dans le dynamisme divin par l’accueil de la Parole de Dieu et la communion eucharistique. Bien que cette référence renvoie d’abord au Christ physique, le chrétien que nous sommes intégre aussi ce corps du Christ par son baptême et par l’Eucharistie (1 Co 12, 13–27 ; Gal 3, 28 ; Rm 12, 5 ). Jean-Paul II, après avoir affirmé dans son encyclique Ecclesia de Eucharistia au chapitre deuxième intitulé « L’Eucharistie édifie l’Église » que, « par le sacrement du pain eucharistique, est représentée et rendue effective l’unité des fidèles qui forment un seul corps dans le Christ »814, renchérit en disant que « l’incorporation au Christ, réalisée par le baptême, se renouvelle et se renforce continuellement par la participation au sacrifice eucharistique, surtout par la pleine participation que l’on y a dans la communion sacramentelle »815. La célébration de l’anamnèse du Christ nous constitue, grâce à l’Esprit Saint, comme membre du corps du Christ et nous introduit dans l’intimité divine de la vie même du Christ. Nous devenons fils adoptifs, capables d’hériter le royaume. Nous avons alors d’une part une réalité objective et sociale, quoique également intérieure : l’unité de la communauté chrétienne : panis iste indicat unitatem ; toute l’Église se préparant et s’achevant dans ce Pain. D’autre part, une réalité « subjective », inhérente à chaque communiant : la vie, ou plutôt la vivification, la réfection de l’homme spirituel : virtus et plenitudo spiritualis refectionis, – virtute sacramenti interior homo satiatur816.

Comme l’effet dépend toujours de sa cause, la res sacramenti considérée à part comme effet émanant du sacramentum, la virtus sacramenti demeure beaucoup plus attachée au sacrement dont elle est la vertu, « terme dynamique, et non plus substantiel. Si la res est effectus, la virtus est plutôt efficacia ou, mieux, efficientia »817. L’anamnèse, faisant de nous dans l’Eucharistie un unum corpus, une caro divino-umana, la res de cette unité peut, suite aux aléas extérieurs, connaître des difficultés à se manifester ; mais la virtus est quelque chose qui reste et que nous porterons toujours avec nous. « Unum corpus et Una caro » est une expression qui a beaucoup intéressé les théologiens dans leurs recherches eucharistique et ecclésiologiques ; certains comme Pseudo-Haimon et Honiorius d’Autun les 814 815 816 817

Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia 21. Jean Paul ii, Ecclesia de Eucharistia 22. H. De Lubac, Corpus Mysticum, 192. H. De Lubac, Corpus Mysticum, 193.

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traiteront d’une manière juxtaposée. D’autres comme Abélard dans les « Sententiae Parisienses », Maître Herman dans l’« Epitome Theologiae christianae » et Guillaume de Saint-Thierry dans le « Liber de sacramento altaris » les traiteront plutôt d’une manière dualiste. Tant d’autres approches du problème s’en suivront ; c’est avec Pierre Lombard que tout écart se trouve brusquement supprimé818. L’effet du mystère apparaît unique, la virtus s’identifie à la res. Comme tout le monde, Pierre Lombard juxtapose les deux symbolismes des espèces : nourritures de l’homme intérieur, confection de l’unité ecclésiastique. Mais, dans l’unité des membres de l’Église rassemblés en un seul corps, ou unitatis fidelium, il n’hésite pas à voir la mystica caro Christi en quoi consiste la « chose » dernière du sacrement. Res-et-non-sacramentum, mystica ejus caro. La terminologie est ainsi unifiée : mystica caro et corpus mysticum vont devenir interchangeables. La première expression aura efficacement frayé la voie à la seconde819.

Le fait de prendre la table eucharistique comme anamnèse du Christ mort, ressuscité et qui reviendra, élimine toute juxtaposition, tout dualisme autour de unum corpus et una caro, parce que le Christ lui-même, par sa mort sur la croix, rassemble les enfants de Dieu dispersés sur toute la terre en un seul corps et les offre à travers sa chair à son Père sur l’autel de la croix en sacrifice parfait et unique, que l’Église dans la Sainte Eucharistie doit toujours actualiser. L’incarnation unit le divin à l’humain, sa mort sur la croix rassemble en un seul corps tous les humains, sa résurrection nous fait vivre en homme et femme transfigurés jusqu’à sa venue. Le Christ est lui-même l’offrande parfaite à laquelle tous ceux qui s’offrent au Père par lui s’unissent ; ils deviennent alors une seule chair par son incarnation et la communion eucharistique, et un seul corps par sa crucifixion, grâce à l’Esprit Saint. Le Christ lui-même offert sous les espèces du pain et du vin est, comme le dit le Pseudo-Bède, « super hanc dulcem escam unitatis, scilicet corporis Christi et caritatis Christi, quam etiam commendat Apostolus dicens : ‹  unus panis, unum corpus nos omnes in Christo sumus › »820. Pour la consécration et la matérialisation de cette unité, le principe moteur est l’Esprit Saint. La circularité entre l’épiclèse et l’anamnèse se manifeste ici au niveau de l’acceptabilité de l’offrande, de la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ et du maintien de l’unité 818 Cf. H. de Lubac, Corpus Mysticum, 194–196. 819 H. de Lubac, Corpus Mysticum, 196. 820 Pseudo – Bede, In Psalmum 68. Cité par H. De Lubac, Corpus Mysticum, 203.

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de l’Église821. Quand nous offrons au Seigneur ce que nous recevons de sa main, cette offrande ne peut lui être agréable qu’à travers celle de son fils qui est plein de son Esprit Saint ; nous pouvons alors être amenés à dire que c’est par le Fils et dans l’Esprit Saint que nous offrons au Père nos dons : dons qui sont consacrés par l’Esprit Saint pour faire et parfaire notre unité. De ce qui précède, nous osons affirmer que la table eucharistique porte intrinsèquement en elle un caractère anamnéstique de grande valeur. Le don de la vie du Christ pour le rachat de l’humanité est le sacrifice suprême et unique que l’histoire ait connu. Le Christ qui donne sa vie en sacrifice, clôture et parfait tous les sacrifices passés et futurs en son propre être ; tous nos dons trouvent en lui leur sens et leur acceptabilité auprès du Père. C’est au court de la dernière Cène que le Christ, devant ses apôtres, vivra d’une manière anticipée ce grand moment de son heure fatidique, et laissera aux siens son « faites ceci en mémoire de moi » qui, en définitive, est le résumé de toute sa vie et le modèle de la structuration de la vie chrétienne. La dernière Cène devient le cadre originé et originant de notre Eucharistie qui est le mémorial de la passion et de la résurrection du Christ. L’Église, en faisant mémoire de son Christ dans la célébration eucharistique, ne pose pas un acte de mise en scène d’un passé intéressant, mais entre dans une dynamique de vie qui l’engage à redécouvrir au cours de chaque célébration eucharistique le lien filial établi par le Christ, le caractère rédempteur et perpétuel du don de sa vie et de son sacrifice. L’Église est ainsi portée dans cette continuelle actualisation de l’événement pascal à vivre en cohérence avec le don de la vie du Christ en redevenant ellemême durant chaque Eucharistie l’assemblée des fils adoptifs qui renouvelle l’Alliance. Faire mémoire de quelqu’un c’est entrer en communion avec la personne dont on fait mémoire, et se reconnaître appartenant à une même 821 Cf. Le pape Jean Paul ii démontre l’unité à laquelle arrive l’Église dans la célébration du mémorial du Christ quand il écrit au n° 24 de l’encyclique Ecclesia de Eucharistia : « Le don du Christ et de son Esprit, que nous recevons dans la communion eucharistique, accomplit avec une surabondante plénitude les désirs d’unité fraternelle qui habitent le cœur humain ; de même, il élève l’expérience de fraternité inhérente à la participation commune à la même table eucharistique jusqu’à un niveau bien supérieur à celui d’une simple expérience de convivialité humaine. Par la communion au corps du Christ, l’Église réalise toujours plus profondément son identité : elle ‹ est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ›. »

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famille. Quand l’Église fait mémoire du Christ, elle n’entre pas seulement en communion avec le Christ, mais elle revit et renouvelle continuellement la communauté originelle et transmet toute la tradition de la première communauté chrétienne. Cette actualisation met l’Église en synergie avec tous les enfants de Dieu dispersés dans le monde en différentes communautés avec ses fissures et ses soudures, ses joies et ses peines, mais vivants toujours en tension permanente vers la communion céleste. L’Église, à l’instar du Christ, doit toujours entrer dans l’offrande du Fils de Dieu pour s’ouvrir à la volonté du Père et laisser cette volonté orienter et dynamiser sa vie. N’est-ce pas là l’un des plus grands secrets de la vie même du Christ ? « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8, 35). En effet, vivre la dimension anamnésique de l’Eucharistie, c’est soumettre sa vie au souffle de Dieu, et par le fait même devenir maître de soi. L’Église, qui continuellement vit de la présence du Christ dans l’Eucharistie, est invitée elle aussi à donner sa vie comme le Christ. L’offrande de soi demeure un acte d’une grande importance dans la vie de l’Église, elle lui permet, à travers les vertus théologales, de rejoindre le dessein de salut de Dieu, pleinement réalisé en son Fils, et de contribuer à l’avènement de son royaume. On retiendra que : l’offrande de Jésus est l’héritage sacré que l’Église a en dépôt et qu’elle met en œuvre en toute Eucharistie : « En rappelant la mort de Jésus-Christ, en proclamant sa résurrection et son ascension à ta droite dans le ciel, en attendant aussi qu’il vienne dans ta gloire, nous t’offrons son corps et son sang, le sacrifice qui est digne de toi et qui sauve le monde » (Prière eucharistique IV)822.

Ce Verbe, la Parole de Dieu que nous écoutons dans la table de la parole, se rend palpable par nos mains dans la table de l’eucharistie grâce à l’action de l’Esprit, il devient pour l’Église une mission et un motif d’espérance. 2.3  Peuple uni par la mémoire de la Parole de Dieu De par sa création, la centralité de la Parole de Dieu est intrinsèquement liée à l’être humain. Créés par le Verbe de Dieu (Jn 1, 3 ), tous les êtres 822 F. Marneffe – Lebrequier, Faites ceci en mémoire de moi, 60.

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humains se trouvent essentiellement unis entre eux et avec le divin. « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1, 11), le refus de l’accueil de la Parole de Dieu nous met originellement en dehors de nous-mêmes. L’homme se rejette soi-même en rejetant la Parole de Dieu. Les écrits de l’Ancien Testament soulignent l’importance de la Parole de Dieu dans la tradition juive ; la Loi et les Prophètes constituaient le patrimoine du peuple d’Israël (Dt 33, 4 ) ; il les accueillait avec enthousiasme et se constituait autour d’eux : « Et le peuple entier, d’un commun accord, répondit : ‹ Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons. › Moïse rapporta à Yahvé les paroles du peuple » (Ex 19, 8 ). Tout bon juif devait connaître ce patrimoine, le répéter (Dt 6, 4–8) et tous ceux qui avaient l’âge de raison devaient se rassembler avec les autres pour écouter la Parole de Dieu (Ne 8, 2 ). Après l’exil à Babylone, la communauté d’Israël, qui était dispersée, se reconstituera encore autour des Écritures : Tout le peuple se rassembla comme un seul homme (c’est nous qui soulignons) sur la place située devant la porte des Eaux. Ils dirent au scribe Esdras d’apporter le livre de la Loi de Moïse, que Yahvé avait prescrite à Israël. Alors le prêtre Esdras apporta la Loi devant l’assemblée, qui se composait des hommes, des femmes et de tous ceux qui avaient l’âge de raison. C’était le premier jour du septième mois (Ne 8, 1–2).

C’est comme un seul peuple que tous se rassemblent pour écouter les Écritures et renaître dans la joie et l’espérance de continuer à vivre. La venue de Jésus ne perturbe pas ces pratiques religieuses juives. Lui-même, quand il atteindra l’âge de la raison, il entrera à la synagogue pour accomplir son devoir religieux. Entrer dans la synagogue pour écouter la Parole n’était pas seulement un acte religieux qu’un bon juif devait accomplir, mais portait en soi une profonde signification ecclésiologique : « ‹ Entrò nella sinagoga › significa dunque molto di più che accedere a un luogo fisico, significa invece convenire insieme ai credenti in uno stesso luogo (epì tò autò : 1 Co 11, 20) per essere membro del qehal Adonaj, la convocazione del Signore »823. On allait à la synagogue pour écouter les Écritures et pour répondre à la convocation de Dieu et faire partie d’un peuple qui lui aussi a écouté les mêmes Écritures. La lecture des Écritures Saintes pour les juifs remettait toujours en mémoire les promesses de Dieu et unissait le peuple autour de cette promesse. Jésus, l’unique fois où il lira les Écritures, dira à la fin de sa lecture « aujourd’hui s’accomplit à 823 G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, 10.

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vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 21). Mais avant, l’évangéliste Luc note : « Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui » (Lc 4, 20), comme s’il voulait dire que désormais le point unificateur était Jésus lui-même ; c’est lui qui est venu accomplir l’unité et c’est en lui que nous devons fixer notre regard et être unis. L’incarnation de Jésus porte à la perfection le caractère unificateur des Écritures Saintes. Les Écritures Saintes passent du stade de la promesse au stade de faits accomplis, qui unissent Parole et signes tangibles. Dieu autrefois, à travers sa Parole, transmettait sa volonté de rassembler Israël et cherchait à lui communiquer sa vie ; avec l’incarnation de son Fils, sa Parole reçoit une tangibilité sans pareille et la communion avec l’homme est désormais parfaitement scellée en la personne de Jésus qui devient le sacrement de la volonté de Dieu. Placuit Deo in sua bonitate et sapientia Seipsum revelare et notum facere sacramentum voluntatis suae, quo homines per Christum, Verbum carnem factum, in Spiritu Sancto accessum habent ad Patrem et divinae naturae consortes efficiuntur. Hac itaque revelatione Deus invisibilis ex abundantia caritatis suae homines tamquam amicos alloquitur et cum eis conversatur, ut eos ad societatem Secum invitet in eamque suscipiat824.

C’est ainsi que l’apôtre Jean dira : Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie […] ce que nous avons vu et entendu (c’est nous qui soulignons), nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 1–3).

L’anamnèse de la Parole de Dieu qui se fait dans l’annonce de ladite Parole nous fait entrer dans une chaine de foi ecclésiale qui nous porte à vivre dans la communion entre nous, avec ceux qui nous ont précédés, avec ceux qui viendront, et nous fait même entrer en communion avec la Sainte Trinité. Les apôtres et les premiers chrétiens comprendront l’importance du caractère ecclésiologique de la Parole, raison pour laquelle ils s’y engageront sans répit. Les apôtres spécialement, quant à eux, diront : « Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables » (Ac 6, 2 ), demandant ainsi à la communauté de se choisir des diacres pour s’occuper du service des tables afin de se consacrer entièrement à l’annonce de la Parole de Dieu parce que par cette annonce l’Église était 824 DV, 2.

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unie et faisait de nouveaux croyants. Puisque la Parole s’est faite chair et s’est donnée à nous, l’Eucharistie était devenue pour la première communauté, et pour toute l’Église dans la suite, le cadre approprié de l’annonce de la Parole de Dieu. Dans l’Eucharistie, la Parole ne se révélait pas seulement en mots mais sous des signes palpables pour se faire comprendre des hommes et continuer l’œuvre du salut. L’Église parle de la sacramentalité de la Parole825, « ‹ la force et la puissance › sont inhérentes à la Parole de Dieu qui est ‹ vivante et efficace › (selon He 4, 12), ‹ soutien et vigueur › de l’Église et ‹ nourriture de l’âme ›. Ces caractéristiques sont celles d’un sacrement »826. Cette sacramentalité concrétisée en Jésus, est confiée à l’Église dans toute l’Eucharistie. Revenant sur le thème de la sacramentalité de la Parole, Benoît XVI note que : La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés. En nous approchant de l’autel et en prenant part au banquet eucharistique, nous communions réellement au Corps et au Sang du Christ. La proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration implique la reconnaissance que le Christ lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté827.

Accueillant positivement la théorie de la sacramentalité de la Parole, nous prolongeons ici la réflexion en affirmant analogiquement que le même effet rassembleur produit par l’anamnèse de la table eucharistique est aussi produit par la table de la Parole. Le Christ présent et qui nous parle dans la table de la Parole, nous unit d’abord par l’unicité de sa Parole pour ensuite nous partager le même pain et le même vin qui sont devenus son corps et son sang afin de nous intégrer, par la force de l’Esprit Saint, dans son unique corps. 825 Cf. Benoît xvi, Verbum Domini, 56 ; on peut aussi lire Jean Paul ii, Fides et ratio, 13. Dans ce numéro, Jean Paul ii, parlant de l’attitude de la raison face au mystère, souligne l’importance de la foi qui nous aide à tenter de comprendre le mystère de Dieu. Mais il note aussi que : « Les signes présents dans la Révélation viennent aussi en aide à la raison qui cherche l’intelligence du mystère. Ils servent à effectuer plus profondément la recherche de la vérité et à permettre que l’esprit, de façon autonome, scrute l’intérieur même du mystère … On est renvoyé là, d’une certaine façon, à la perspective  sacramentelle  (c’est nous qui soulignons) de la Révélation et, en particulier, au signe eucharistique dans lequel l’unité indivisible entre la réalité et sa signification permet de saisir la profondeur du mystère. » 826 B. Sesboüé – C. Theobald, Histoire des dogmes, IV, 553. DV, 21 traite aussi du même sujet. 827 Benoît xvi, Verbum Domini, 56.

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Revenons à DV que nous avons cité précédemment ; le dessein de Dieu, tel que révélé par son Fils, Parole faite chair, sacramentum Dei, qui est de donner aux hommes accès à la communion de la vie trinitaire, s’actualise continuellement dans l’anamnèse de la table de la Parole. Par l’anamnèse de la Parole de Dieu, Dieu continue à parler aux hommes comme à des amis828, parce que son propre Fils s’est fait l’un d’eux, pour les rassembler et les amener à la communion divine. L’incarnation du Fils de Dieu accomplit en perfection la révélation et tout le dessein de Dieu sur l’homme829, tout ce que Dieu avait à communiquer ou à faire à l’homme, il l’a accompli par son Fils. Le peuple de Dieu, pour continuer à bénéficier des biens de l’œuvre du salut, n’a plus à aller chercher ailleurs ou à attendre une autre révélation, mais à actualiser dans la mémoire de la Parole les œuvres accomplies par Jésus Christ. « Oeconomia ergo christiana, utpote foedus novum et definitivum, numquam praeteribit, et nulla iam nova revelatio publica expectanda est ante gloriosam manifestationem Domini nostri Iesu Christi »830. La Loi et les Prophètes ayant conduit à l’Ancienne Alliance et à la constitution du peuple Israël, le Nouveau Testament, accomplissement parfait de la Loi et des Prophètes, scelle la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’univers entier et constitue l’Église, nouveau peuple de Dieu. La table de la Parole continue à faire l’Église, à la structurer selon la volonté du Seigneur, et l’Église continue à recréer la Parole de Dieu en la rendant toujours une Bonne Nouvelle pour chaque génération. L’anamnèse de la Parole de Dieu telle que célébrée dans la table de la Parole, nous introduit dans une Tradition active qui, en faisant le lien des Prophètes à Jésus, de Jésus aux apôtres et des apôtres à l’Église, nous unit et nous engage dans une transmission continue de l’Évangile831. Remontant à l’objet de ce qui a été transmis par les apôtres, nous nous rendons à l’évidence qu’il « embrasse non seulement la doctrine mais aussi la vie et le culte, c’est-àdire tout ce qui permet ‹ l’accroissement de la foi › »832. La Parole de Dieu n’aura pas seulement pour rôle d’unifier le peuple de Dieu, elle va aussi 828 Cf. Contrairement au concile Vatican I qui établissait ce rapport entre Dieu et les hommes dans le sens de l’obéissance que l’homme doit à Dieu qui se révèle dans sa Parole, ici la transmission de la Parole de Dieu revêt le caractère d’un langage de communication, d’une rencontre où s’établit une relation et une invitation à la communion. 829 Cf. DV, 4 ; 7 ; 17. 830 DV, 4. 831 Cf. Le chapitre II de DV traitera amplement de la transmission de la révélation divine. 832 B. Sesboüé – C. Theobald, Histoire des dogmes, IV, 536.

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structurer sa vie ecclésiale, son culte. Benoît XVI traite d’une manière élargie de la Parole de Dieu dans son encyclique précitée, sur le plan tant théologique que pastoral. Il consacrera un point à la Parole de Dieu et l’engagement dans le monde pour souligner l’importance de la Parole de Dieu dans la structuration de la vie ecclésiale. Il dira à ce propos : La Parole divine éclaire l’existence humaine et appelle la conscience de chacun à revoir en profondeur sa propre vie, car toute l’histoire de l’humanité est soumise au jugement de Dieu : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui » (Mt 25, 31–32)833.

Créé par le Verbe de Dieu, l’homme est destiné à la Parole de Dieu, c’est elle qui en principe devrait le conduire, lui montrer la route à suivre pour le ramener à sa source originelle qui est Dieu. 2.4 Rééquilibrage relationnel entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la célébration de la table de la Parole La Sainte Eucharistie constituant le cœur de la vie même de l’Église, source de toutes les grâces que nous pouvons imaginer, le Concile Vatican II n’a pas eu tort de la considérer comme le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu834. C’est le lieu et l’espace par excellence où la mémoire du Christ est célébrée dans toute sa plénitude. Le Christ, accomplissement de toutes les promesses de Dieu, Parole de Dieu vivante, se rend encore présent parmi les siens pour actualiser l’œuvre rédemptrice de sa passion, à travers sa Parole, son corps et son sang. La dimension anamnésique que nous avons étudiée dans les deux tables eucharistiques a mis en évidence l’importance de la circularité qui doit exister entre l’anamnèse et l’épiclèse. Circularité qui, pour les rites catholiques en général, et romain en particulier, apparaît plus dans la table eucharistique835, que dans la table de la Parole. Le survol d’autres rites de 833 Benoît xvi, Verbum Domini, 99. 834 Cf. SC, 10. 835 Cf. l’étude que nous avons faite sur la dimension anamnésique de la table eucharistique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. On peut aussi lire à ce propos l’article de D. Vitali, « l’Eucarestia edifica il popolo sacerdotale », 27–38.

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tradition chrétienne nous a montré l’équilibre trouvé dans les rites orthodoxes en ce qui concerne la circularité au niveau des deux tables, quant aux rites protestants, la circularité plus célébrée dans la table de la Parole. Face au déséquilibre constaté au niveau de la table de la Parole dans le rite catholique romain, nous proposons dans ce point le rééquilibrage relationnel pour tenter de combler ce hiatus. Pour ce faire, nous partirons d’abord de la vie même du Christ comme caput libri, qui l’unique fois où il a lu les Saintes Écritures, bien qu’il était lui-même Parole faite chair, a clairement montré l’importance de cette circularité dans l’actualisation de la Parole de Dieu par la force de l’Esprit Saint : Le Verbe sans le Souffle produira un légalisme ; le Souffle sans le Verbe donnerait quoi ? « On ne sait ni d’où il vient ni où il va. » Concrètement, le Verbe c’est la forme, c’est la Parole, la doctrine, ce sont des structures. La vérité est dans l’articulation des deux. Car, sans Souffle, le Verbe ne sort pas de la gorge, l’Évangile ne remplit pas l’histoire jusqu’à l’eschatologie836.

Ensuite nous proposerons à partir de certains documents de l’Église, une structuration de la liturgie où la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse peut davantage apparaître dans la table de la Parole. 2.4.1  Christ caput libri Dans le chapitre quatrième sur la table de la Parole, nous avons eu à faire mention de l’unique fois où Jésus a lu les Écritures, tel que nous le notifie l’évangéliste Luc : Il vint à Nazara où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture […] L’Esprit du Seigneur est sur moi (c’est nous qui soulignons), parce qu’il (c’est nous qui soulignons) m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il (c’est nous qui soulignons) m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 16–21).

Ce qui reste frappant dans la péricope du prophète Isaïe lue par Jésus (Is 61, 1–2), est la place accordée à l’Esprit Saint dans la lecture, dans la concrétisation de la prophétie. Jésus est consacré et envoyé proclamer 836 Y. Congar, La Parole et le Souffle, 301.

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la Bonne Nouvelle avec la force de l’Esprit Saint. Jésus est celui dont parlent les Écritures et il accomplit les Écritures avec la force du même Esprit Saint. Mais avant cet acte liturgique accompli par Jésus, la circularité entre le Christ et l’Esprit Saint apparaît déjà dès l’annonce de la naissance de Jésus : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35). Le baptême de Jésus, plus que d’une circularité entre Jésus et l’Esprit Saint deviendra une démonstration d’une circularité trinitaire (Lc 3, 21–22). De diverses manières, la Loi et les Prophètes ont annoncé et préparé l’accomplissement de la promesse de Dieu en Jésus. Ils annonceront sa naissance (Is 7, 14 ; 11, 1–10 ; Mi 5, 2 …), sa passion et sa mort (Is 50, 5–7 ; 53, 1–10 ; Ge 11, 19–20 …), sa résurrection (Is 52, 13–15 ; 53, 11). L’unique fois où la Parole lut les Écritures, tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui, comme pour exprimer leur émerveillement de ce qu’ils venaient d’écouter, leur attente et leur adhésion à la réalisation imminente de ce que les prophètes ont jusque là annoncé. Et Jésus, pour combler leur attente et confirmer leur foi, ajoute : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture. » Pour leur signifier que c’est de lui que les prophètes ont parlé, qu’il est le centre de la réalisation de toutes les promesses de Dieu, qu’il est le chef, l’objet principal de tout ce qui est écrit : « Voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté » (He 10, 7 ). « ‹ In capite libri scriptum est de me ›, traduce Girolamo il testo greco del salmo (en kephalídi biblíou) ; Cristo è il caput libri, la testa, l’inizio, il principio del libro nel quale sta scritta la volontà del Padre »837. Jésus, confirmant que c’est de lui que les prophètes ont parlé, confirmera encore que sa nourriture est de faire la volonté de celui qui l’a envoyé … (Jn 4, 34). La volonté de Dieu transmise à travers la Loi et les Prophètes et mise par écrit, trouve sa réalisation concrète en la personne de Jésus. Le Christ est le « liber maximus »838. C’est vers le Christ que conduisent toutes les Écritures Saintes : « Le mot ‹ Bible › signifie livre, et tous les textes de ce livre parlent de lui et veulent conduire à lui »839. Dans le discours sur la

837 G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, 4–5. 838 G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, 5. Nous recommandons aussi l’article De J. Leclercq, « Jésus Livre et Jésus Lecteur », 207–215. 839 J. Leclercq, « Jésus Livre et Jésus Lecteur », 207.

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nativité du Seigneur, Garnerio di Rochefort affirme que : « Ut igitur breviter exponamus, liber maximus est filius incarnatus, quia sicut per scripturam Verbum unitur pelli, ita per assumptionem hominis Verbum Patris unitum est carni »840. La volonté de Dieu telle que révélée à travers sa Parole trouve en lui son plein accomplissement. En sa personne les Écritures deviennent une réalité inépuisable et toujours actuelle pour toutes les générations. Le Fils de Dieu est un livre haut en couleurs. Ce livre précieux n’est jamais fermé, ses pages ne jaunissent pas avec le temps. Il est plus lisible la nuit que le jour. C’est un livre de grande valeur, un Livre de grande pureté ; un Livre pour tous les temps, à lire et à confier au coeur841.

L’expression officielle et liturgique de cet accomplissement de la Parole de Dieu en Jésus-Christ nous sera donnée par la lecture que Jésus fera luimême des Écritures avant d’entrer dans le vif de sa mission. Une lecture qui détermine l’envoyeur, l’envoyé, sa mission et la force avec laquelle la mission sera accomplie. Le Père qui envoie son Fils proclamer la Bonne Nouvelle, pourvoit à cette mission et à sa continuité par le don de l’Esprit Saint. On dirait que sans la force de l’Esprit Saint, la mission ne peut pas être parfaitement accomplie. Volonté du Père accomplie par le Fils avec la force de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint dans la proclamation et l’accomplissement de la volonté de Dieu, telle qu’exprimée dans les Écritures, devient un élément incontournable. Il est celui qui est toujours là pour accompagner la Parole de Dieu dans sa transmission et dans sa réalisation. Toute tentative de proclamation et d’approche de la Parole de Dieu sans la grâce préalable de l’Esprit Saint est vaine, Jésus nous l’a notifié en parlant de l’Esprit Saint comme de celui qui nous rappellera et qui nous enseignera.  « Quand les bras de Jésus furent étendus sur la croix, le Livre fut ouvert. Quand Jésus, après la résurrection, donna son Esprit aux Apôtres ‹ afin qu’ils puissent comprendre les Écritures ›, le Livre fut interprété »842. La compréhension authentique de l’Écriture ne peut être que celle qui émane de l’Esprit et dont l’Église est la première bénéficiaire. Etant lui-même la Parole et l’unique vrai herméneute autorisé de cette Parole, par la lecture de la prophétie d’Isaïe au début de son ministère, Jésus nous indique la voie pour la 840 D. Garnerii, Sermones, De nativitate Domini, 6, PL 205. 841 J. Leclercq, « Jésus Livre et Jésus Lecteur », 210–211. 842 J. Leclercq, « Jésus Livre et Jésus Lecteur », 208.

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proclamation, l’interprétation et l’accomplissement de la Bonne Nouvelle de Dieu. La présence de l’Esprit Saint dans le ministère du Christ n’est pas une présence qui comble un manque en Jésus, mais une présence qui marque la communion trinitaire dans la réalisation de l’œuvre du salut. La révélation du Père faite par Jésus nous est rendue possible et accessible grâce à l’Esprit Saint. Jésus caput libri, devient en même temps le centre de l’accomplissement de l’œuvre du salut de Dieu (Lc 24, 44). Il concrétise dans sa vie toute l’histoire du salut et la récapitule en lui afin de l’offrir à la fin des temps au Père. Il est vraiment l’Alpha et l’Oméga qui se trouve au début, au centre et à la fin des Écritures. L’Esprit Saint nous aide à comprendre et à entrer dans la dynamique de l’accomplissement de la volonté du Père telle que vécue par Jésus ; il rend témoignage au Fils dans l’accomplissement de la volonté du Père (Jn 15, 26). La proclamation et l’accomplissement des Écritures en Jésus sont rendus possibles par la force de l’Esprit Saint, étant donné que lui-même est le Saint et l’Oint de Dieu. Il existe, au niveau de la Trinité économique, une relation de circularité dans la mission entre le Christ et l’Esprit Saint. Cette circularité ne peut pas être négligée dans la célébration de la Parole qui actualise l’œuvre du salut telle qu’accomplie en Jésus-Christ et dans l’Esprit Saint. Parce que c’est encore Jésus en personne, à travers ses ministres institués dans l’Église, qui proclame et interprète, avec la force de l’Esprit Saint, la Bonne Nouvelle. La lecture et l’interprétation de la Parole de Dieu reçoit une nouvelle lumière par la lecture et l’accomplissement par Jésus-Christ. Jésus donne à l’Église un nouveau modus legendi et vivendi de la Parole de Dieu. C’est ainsi que la commission biblique, en faisant référence à DV 4, dit que « l’Église lit l’Ancien Testament à la lumière de l’événement pascal – mort et résurrection du Christ Jésus -, qui apporte une radicale nouveauté et donne, avec une autorité souveraine, un sens décisif et définif aux Écritures »843. L’événement pascal, qui est le sommet de l’accomplissement des Écritures, devient pour l’Église la clef avec laquelle elle lit les Écritures. La mort et la résurrection du Christ, tout en accomplissant les Écritures, donnent sens à l’actualisation par l’Église de cet événement rédempteur dans la lecture des Écritures. Par la lecture et l’interprétation des Écritures Saintes, l’Église entre, comme son maître, dans la dynamique de l’accomplissement de cette 843 CPB, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 2919, 1600.

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Parole avec la force de l’Esprit Saint. Elle doit chercher à dégager le sens spirituel de la Parole lue pour tenter de l’accomplir dans son aujourd’hui. La règle pour y parvenir est de lire les Écritures « sous l’influence de l’Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte […] Il est donc normal de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit »844. L’exégèse patristique empruntera le même chemin845. En plus de cette attention au texte dans son contexte historique originel, l’Église compte sur des exégètes animés par le même Esprit qui a inspiré l’Écriture, pour assurer qu’« un aussi grand nombre que possible de serviteurs de la Parole de Dieu soient en mesure de procurer effectivement au peuple de Dieu l’aliment des Écritures »846.

Le pape Benoît XVI, dans son exhortation apostolique Verbum Domini, revient sur l’importance de la place de l’Esprit dans la lecture et l’interprétation de la Parole de Dieu. Partant des Écritures Saintes, en passant par les Pères de l’Église et les documents conciliaires, le Pape met un accent particulier sur le rôle de l’Esprit Saint dans la Parole de Dieu847. De ces considérations bibliques et théologiques, la célébration de la mémoire du Christ dans la table de la Parole devrait se structurer en tenant compte de l’équilibre de cette circularité entre l’anamnèse de l’œuvre du salut accomplie par le Christ et l’épiclèse. En deux mots, tenir compte de l’équilibre entre la christologie et la pneumatologie dans la table de la Parole. C’est ainsi que dans le point qui va suivre, nous voulons proposer un rééquilibrage qui prendrait en considération cette dimension. 2.4.2  Pour une table de la Parole anamnésico-épiclétique La transmission de la volonté de Dieu autrefois réalisée par la Loi et les Prophètes a atteint son sommet par l’incarnation de son propre Fils, l’herméneute par excellence de la Parole de Dieu. La Parole éternelle qui s’exprime dans la création et qui se communique dans l’histoire du salut est devenue dans le Christ un homme, « né d’une femme » (Ga 4, 4 ) ; 844 CPB, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 3003, 1650. 845 Cf. CPB, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 3043–3053, 1672–1676. 846 CPB, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 3061. On peut aussi lire DV, 23 ; PIE xii, Divino afflante Spiritu, 24. 847 Cf. Benoît xvi, Verbum Domini, 15.

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la Parole ne s’exprime plus ici d’abord à travers un discours, fait de concepts ou de règles. Ici nous sommes mis face à la Personne même de Jésus848.

Puisque le Verbe s’est fait chair et est venu habiter parmi nous (Jn 1, 14ss) et que personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le fils veut le révéler (Mt 11, 27), le Fils devient de facto le modèle et la voie qui conduit à la connaissance du Père. Nous ne pouvons connaître et accomplir la volonté du Père que telle que nous l’a révélée le Fils. Caput libri de la révélation de la volonté du Père, le Christ devient en même temps le maître qui nous enseigne comment nous pouvons lire et accomplir cette volonté. L’actualisation de l’accomplissement de l’œuvre du salut dans la lecture de la Parole de Dieu, rend présent le Christ qui nous révèle encore pleinement la volonté du Père. Ici nous allons directement à notre proposition : faire du modus legendi du Christ, le modus legendi de l’Église. C’est-à-dire lire la Parole de Dieu comme l’a lue le Christ : avoir sur soi l’Esprit du Seigneur. Le Christ, l’Oint de Dieu, l’unique fois où il a officiellement et liturgiquement lu la Parole de Dieu, ne s’est pas empêché de faire mention de l’Esprit du Seigneur qui est sur lui pour la proclamation de la Bonne Nouvelle. Saint Jean Damascène affirme qu’« il faut que le Verbe possède aussi un Esprit : aussi bien même notre verbe n’est pas sans avoir part à l’Esprit »849. La question qui nous vient tout de suite en tête est la suivante : comme Fils de Dieu, le Verbe avaitil vraiment besoin de l’Esprit Saint ? Là encore le Père de l’Église répond : Dans le cas de la nature divine, qui est simple et non composée, on doit avec un respect religieux confesser qu’il existe un Esprit de Dieu, parce que le Verbe de Dieu n’est pas en défaut par rapport à notre verbe et par ailleurs il n’est pas religieux de penser que l’Esprit est un élément qui s’introduit en Dieu du dehors, comme dans notre cas à nous qui sommes composés. Mais de même qu’ayant appris qu’il y avait un Verbe de Dieu, nous ne l’avons pas cru dépourvu de substance ni résultant d’une connaissance acquise ni se manifestant au moyen de la voix […], mais comme un être doué de substantialité, capable de choix libre, agissant et tout puissant ; de même, instruits de l’existence d’un Esprit de Dieu, qui va de pair avec le Verbe et manifeste son activité, nous ne le concevons pas comme une haleine dépourvue de substance850.

La présence de l’Esprit Saint dans le Verbe de Dieu n’est pas un besoin externe à l’être du Verbe, mais est essentiellement constitutif à l’être du 848 Benoît xvi, Verbum Domini, 11. 849 Jean Damascène, « La foi orthodoxe », 158–159. 850 Jean Damascène, « La foi orthodoxe », 159.

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Verbe. « En effet, jamais ni le Verbe n’a fait défaut au Père ni l’Esprit au Verbe »851. Revenons au passage du prophète Isaïe lu par Jésus : la mention explicite de l’Esprit Saint dans la proclamation et l’accomplissement de la volonté de Dieu, exprimée dans les Saintes Écritures, nous montre la circularité qui existe, et qui doit exister entre l’actualisation de l’œuvre du salut, telle que relatée dans la Parole de Dieu, et l’épiclèse. Puisque l’Esprit Saint est un don de Dieu, et que le Christ l’a promis à son Église, les lecteurs de la Parole de Dieu, même institués, doivent demander au célébrant principal, qui agit in persona Christi, le don de l’Esprit Saint avant la lecture de la Parole de Dieu. Pratique qui est déjà courante dans le rite romain pour l’Église du Congo, mais qui est cruellement absente dans le rite romain. La prière de demande faite par le lecteur pourrait être : « Père, bénissez-moi pour que l’Esprit du Seigneur soit sur moi afin que je puisse lire la Parole du Seigneur. » Et le célébrant peut bénir le lecteur en disant : « Que l’Esprit du Seigneur soit sur toi, qu’il ouvre tes yeux et ta bouche pour nous lire clairement la Parole du Seigneur. » Cette cérémonie marquera d’une manière explicite la circularité entre la dimension anamnésique et la dimension épiclétique de la table de la Parole dans le rite romain, et elle fera revêtir et vivre encore plus le caractère prophétique aux lecteurs de la Parole de Dieu. Si ce manque est si fort au niveau des lecteurs, nous assistons par ailleurs à un manque similaire au niveau du célébrant principal face à la lecture de l’Évangile. Il est évident que quand l’Évangile est lu par un diacre, ce dernier demande la bénédiction au prêtre célébrant. Même là encore la formule de cette demande n’est pas du tout explicite s’il s’agit d’une demande d’invocation de l’Esprit Saint. Le prêtre qui bénit le diacre est lui-même aussi dans la confusion, parce que nombreux sont ceux qui ne savent pas la formule type qui est prévue pour une telle bénédiction, on donne une bénédiction qui là aussi n’est pas une bénédiction qui fait suite à une prière à caractère pneumatologique. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse se voit encore très fissurée, si la lecture de l’Évangile est faite par le célébrant lui-même ou par un autre prêtre qui, liturgiquement et théologiquement, n’a pas besoin de demander une bénédiction quelconque. Beaucoup de prêtres, avant et

851 Jean Damascène, « La foi orthodoxe », 161.

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après la lecture de l’Évangile, ne font aucune prière demandant la grâce de l’Esprit Saint pour la lecture de la Parole de Dieu. Pour ceux qui le font, puisqu’il n’existe aucune formule type prévue dans le missel dans ce sens, ils se laissent inspirer par ce qui leur vient dans la tête et le cœur. Chaque prêtre sait ce qu’il dit pendant ce moment. Il y a un vide liturgique et théologique grave pendant ce moment important de la table de la Parole. Certains peut-être pour éviter ce vide, par une inclination rapide sans rien dire, vont faire la lecture de l’Évangile sans tenir compte de l’importance à donner à ce moment de la table de la Parole. Il serait vivement souhaitable, pour marquer la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole, d’avoir des formules claires de prières d’invocation de l’Esprit Saint pour le diacre qui demande la bénédiction et la prière de bénédiction à caractère pneumatologique pour celui qui concède la bénédiction. On pourrait s’inspirer, pour les diacres, de la prière que nous avons proposée pour les lecteurs. Quant aux prêtres qui font la lecture de l’Évangile pendant la célébration eucharistique, nous proposons, pour marquer cette circularité, ces anciennes prières citées par Benoît XVI, prières qui se faisaient avant et après la proclamation des lectures. Le prêtre célébrant avant la lecture de l’Évangile peut dire cette prière : « Envoie ton Esprit Saint Paraclet dans nos âmes et fais-nous comprendre les Écritures qu’il a inspirées ; et concède-moi de les interpréter de manière digne, pour que les fidèles ici réunis en tirent avantage. . Et après l’homélie, il peut conclure par cette autre prière : « Dieu sauveur […] nous t’implorons pour ce peuple : envoie sur lui l’Esprit Saint ; que le Seigneur Jésus vienne le visiter, qu’il parle aux consciences de tous et qu’il prépare les cœurs à la foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des Miséricordes »852. Cette structuration au niveau de la liturgie permettra à l’Église et aux chrétiens de percevoir pleinement la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole, circularité que Jésus a lui-même vécue en vue de l’accomplissement de la volonté de Dieu. La vie et la mission prophétique de l’Église, de chaque chrétien, en dépend.

852 Sacramentum Serapionis,  II (XX),  Didascalia et Constitutiones apostolorum,  ed. F. X. Funk II, Paderborn 1906, 161 cité par Benoît xvi, Verbum Domini, 16.

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3.  Applications ecclésiales Si dans les chapitres précédents nous avons cherché par des analyses à fonder l’anamnèse dans les Écritures Saintes, dans la tradition chrétienne, dans le magistère de l’Église catholique romaine et dans la célébration eucharistique en étudiant certains rites des traditions chrétiennes, nous voulons extraire de toutes les analyses précédentes les applications ecclésiales importantes pour voir comment l’anamnèse, comme principe, peut structurer l’Église pas seulement du point de vue liturgique mais aussi ecclésial et œcuménique. Partant de la dimension anamnéstique, quel type de relation peut-il exister au niveau de l’ecclésia ? Sur le point de vue œcuménique, l’anamnèse ne peut-elle pas être une pierre importante qui aiderait au rétablissement de l’unité première  ? Voici autant de questions auxquelles ce point tentera de répondre sous la forme des retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église. 3.1  Application au niveau ecclésial Créé à l’image de Dieu853, l’être humain porte Dieu en lui, ce Dieu qui a tout créé par sa Parole : Parole qui était auprès de lui dès l’origine, Parole qui s’est faite chair et qui est venue habiter parmi les hommes (Jn 1, 14) pour devenir une nourriture qui donne la vie éternelle. L’homme créé à l’image de Dieu est de par sa création le réceptacle de Dieu, la demeure de Dieu. C’est ainsi que la vie humaine est sacrée : l’apôtre Paul considérera l’être humain comme temple de Dieu854. On irait même trop loin pour risquer de dire que l’homme devient l’expression vivante de Dieu, et sur ce, Irénée n’aurait pas eu tort en disant que : « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vie de Dieu. Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre, combien

853 Cf. « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » Gn 1, 27. 854 Cf. « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, celui-là, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous » 1 Co 3, 16–17.

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plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu! »855. Tout homme porte en lui incognito les empreintes créatrices et bienfaisantes de Dieu. Mais ceci ne suffit pas ; il faut encore que quelqu’un, envoyé par la grâce de Dieu vienne lui rappeler sa vraie identité d’être créé à l’image de Dieu, et qu’il doit vivre, se structurer selon la volonté de son modèle originel qui est Dieu. Dans l’Ancien Testament, les envoyés de Dieu l’ont fait, mais cette mission atteindra son apogée avec l’envoi du Fils de Dieu lui-même qui non seulement rappellera à l’homme son identité, mais par son incarnation fera coïncider le divin et l’humain, confirmant ainsi à l’homme qu’il est réellement créé à l’image de Dieu. L’homme par son être créé à l’image de Dieu devient le représentant de Dieu, le lieutenant de Dieu sur la terre. La venue du Verbe en notre chair, sa mort et sa résurrection, feront de nous des vrais fils adoptifs de Dieu. Pour nous maintenir dans cette dynamique des fils, le Christ nous laissera le mémorial de sa mort et de sa résurrection : l’Eucharistie, actualisation complète de la présence du Christ et source de toutes les grâces nécessaires pour le peuple de Dieu. A travers elle, le Christ continue à instruire son peuple, le nourrir et l’inviter à un nouveau style de vie au niveau relationnel sous le modèle pascal : sa mort et sa résurrection. L’Église catholique romaine, grande héritière de ce patrimoine exceptionnel, devrait toujours essayer de structurer sa vie à base de ce grand patrimoine où s’actualise la présence du Christ et où tous les membres de son corps sont vivifiés. L’anamnèse eucharistique devient par le fait même une plate forme commune sur laquelle chaque membre du corps du Christ se meut et se réalise selon les différents dons reçus par l’Esprit Saint dans l’Eucharistie. L’unité ecclésiale est plus que jamais créée et renforcée par cette unique plateforme anamnésique et les discriminations au sein de l’Église jetées dans les oubliettes de l’histoire. Le caractère coextensif de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire ne viendrait que renforcer cette unité dans la foi et ferait de nos différents ministères un service pour l’unique anamnèse. Le développement des dogmes et les différents enseignements de l’Église n’auront d’autre matrice que l’anamnèse du Christ telle que célébrée par l’Église, dans les différents sacrements au cours des siècles. 855 Irenée de Lyon, Contre les hérésies, IV, 20, 7.

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Nous proposerons dans ce point, se basant sur le caractère anamnésique qui se trouve dans tous les sacrements, mais spécialement dans l’Eucharistie, sommet qui oriente toutes les actions pastorale, spirituelle et organisationnelle de l’Église et en même temps la source d’où découle toute sa vertu856 et toutes les grâces nécessaires, un renforcement d’unité des différentes structures de l’Église à partir de l’unique anamnèse qui est le point de départ et le point d’aboutissement de notre foi et de toutes nos structures. Chaque chrétien, par la célébration de l’anamnèse du Christ dans divers sacrements, devient le représentant du Christ. Faisant la vie même de l’Église, l’anamnèse du Christ devient l’unique référence sur laquelle devraient se fonder toute la vie et toutes les doctrines de l’Église. 3.1.1  Le caractère structurant de l’anamnèse dans la vie de l’Église En tenant compte de la structure actuelle de l’Église, faite de l’Église universelle et locale dans laquelle on trouve la hiérarchie, le peuple de Dieu établi dans des différentes communautés, la finalité de cette structure de l’Église est de représenter et d’actualiser le plus possible la présence du Christ à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église. L’Église jouant le rôle de la représentation de la présence du Christ, a en même temps, intrinsèquement les rôles prophétique et missionnaire. Etant donné que cette structure de l’Église est construite et vivifiée à base des diverses dimensions, nous nous limiterons, sans mettre à l’arrière-plan d’autres dimensions, à la dimension anamnésique. L’Église joue pleinement ce rôle de représentativité du Christ dans la liturgie eucharistique et dans toute l’économie sacramentaire en général à travers ses ministres. Mais si l’on tient compte de la grande dimension de la représentativité de l’Église, force est de constater que cette représentativité ne peut pas être réduite non seulement dans le domaine eucharistique, mais dans toute la vie ecclésiale. Les ministres ordonnés, représentants du Christ auprès de son peuple, sont en même temps représentants du peuple auprès du Christ. L’évolution de la théorie de la représentativité au XXème s., fait redécouvrir la dimension mystérique de l’Église, sa dimension de peuple de Dieu, le rôle central qu’a l’événement de la communio dans l’Église. C’est justement la conscience renouvelée de l’Église comme sacrement de la communio trinitaire qui exige une juste théologie et une pratique correcte de la repraesentatio857. 856 Cf. SC, 10. 857 G. Ruggieri, « Le dynamisme ecclésial de l’Eucharistie », 64.

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Tous appartiennent à un seul corps du Christ qui est l’Église et jouent différents rôles :  Chacun de nous a reçu sa part de la faveur divine selon que le Christ a mesuré ses dons […] c’est lui encore qui « a donné » aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ (Ep 4, 6–12).

Cette charge étant reçue de Dieu pour la vie de la communauté, personne ne peut se l’arroger, ni se l’attribuer en dehors de la base commune du baptême et de l’Église qui donnent accès à ses différentes responsabilités. Le baptême actualisant, par la force de l’Esprit Saint858, la mort et la résurrection du Christ , « le signe de la croix, au seuil de la célébration, marque l’empreinte du Christ sur celui qui va Lui appartenir et signifie la grâce de la rédemption que le Christ nous a acquise par sa croix »859 ; la cérémonie du vêtement blanc qui « symbolise que le baptisé a ‹ revêtu le Christ › (Ga 3, 27) : est ressuscité avec le Christ »860, nous ouvre à la participation à la vie du Christ à travers divers ministères au sein de l’Église. Le sacrement de la confirmation étant plus épiclètique861, nous revêt d’une force spéciale de l’Esprit Saint et nous oblige à répandre et à défendre la foi par la parole et par l’action en vrais témoins du Christ862. Elle est l’accomplissement de la grâce baptismale et parfait notre configuration au Christ l’Oint de Dieu. Le baiser de paix avec l’évêque, à la fin du rite, scelle le lien de communion et d’unité ecclésiale avec toute l’Église. Témoins à part entière du Christ, en union avec toute l’Église, nous sommes appelés par les paroles et les actes à rendre présent le Christ mort et ressuscité comme les apôtres après la Pentecôte. Ici apparaît la dimension anamnesico-ecclésiologique qui, grâce à l’Esprit Saint, rend présent le Christ dans le chrétien et l’engage à une mission prophétique. Quant au sacrement de l’onction des malades, elle achève de nous conformer à la mort et à la résurrection du Christ, comme le baptême avait commencé de le faire. Elle parachève les onctions saintes qui jalonnent toute la vie chrétienne ; celle du baptême avait scellé en nous la vie nouvelle ; celle de la 858 Cf. CEC, 1238, 1241. 859 CEC, 1235, 1262 et 1269. 860 CEC, 1243. 861 Cf. CEC, 299. 862 Cf. LG, 11, cEC, 1285.

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confirmation nous avait fortifiés pour le combat de cette vie. Cette dernière onction munit la fin de notre vie terrestre comme solide rempart en vue des dernières luttes avant l’entrée dans la maison du Père863.

Toute l’Église unie recommande les malades au Christ souffrant et glorifié et exhorte les malades à s’associer aux souffrances du Christ pour enfin participer à l’œuvre du salut accomplie par le Christ pour le bien du peuple de Dieu864. Le Christ souffrant se rend présent dans les malades (Mt 8 ; 17 ; 25, 36) et l’Église se voit associée par ses membres souffrants, qui sont aussi les membres du corps du Christ, aux souffrances du Christ et implore à son maître de donner le salut à ses membres souffrants. Salut qui pour l’Église ne s’arrête pas seulement au temps présent mais qui s’ouvre à un accomplissement parfait dans la félicité éternelle. Le Christ ressuscité donne l’Esprit Saint à ses apôtres et leur demande de continuer son œuvre du salut dans le monde, aux uns il donne le charisme de guérison (Ac 9, 34 ; 14, 3 ss), aux autres celui de la prédication pour témoigner et manifester qu’il est bel et bien vivant et continue à guérir physiquement et spirituellement au sein de son Église. C’est ainsi que dans la formule de prière du rite de l’onction, il est clairement notifié : « Par cette onction sainte, que le Seigneur, en sa grande bonté vous réconforte par la grâce de l’Esprit Saint. Ainsi, vous ayant libéré de tous péchés, qu’il vous sauve et vous relève »865. Ici encore, l’onction des malades unit l’Église souffrante, à travers ses membres, aux souffrances du Christ. Le Christ se rend présent à travers ses membres souffrants, par la force de l’Esprit et la prière de l’Église, le salut spirituel et physique est concédé par la miséricorde du Christ qui a vaincu la souffrance et la mort par sa résurrection. L’actualisation de la passion du Christ, à travers ses membres et la victoire sur la souffrance, tant spirituelle que physique, actualisant la victoire du Christ sur la mort, renforce l’unité non pas seulement ecclésiale mais plus encore l’unité entre le Christ et son Église, dans ses membres souffrants. Le Christ souffrant y est représenté et sa résurrection y est continuellement vécue. Les sacrements de l’ordre et du mariage, par rapport aux sacrements d’initiation et de la miséricorde de Dieu, font partie des sacrements du 863 CEC, 1523. 864 Cf. CEC, 1499 et 1505. 865 CEC, 1513. Pour plus d’approfondissement on peut aussi lire : Sacram unctionem infirmorum, Rome 1972. SC, 73 ; LG, 11 ; CIC, can 1003 ; 1004 ; 1005 ; 1007 ; D, 1697 ; 1719.

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service de la communion, ils renforcent l’unité ecclésiale à travers la vocation à la sainteté et à la mission d’évangéliser le monde866. Ils rendent présent le Christ qui, par sa mort et sa résurrection, a donné sa vie pour nous, à travers les services et le don de notre vie pour les autres : ceux qui reçoivent le sacrement de l’Ordre sont consacrés pour être, au nom du Christ, « par la parole et la grâce de Dieu les pasteurs de l’Église ». De leur côté, « les époux chrétiens, pour accomplir dignement les devoirs de leur état, sont fortifiés et comme consacrés par un sacrement spécial »867.

Arrêtons-nous un instant sur le verbe « consacrer » qui se retrouve avec une forte résonnance dans les deux sacrements. Consacrer signifie sacrer en dédiant à un Dieu, à une divinité ; cela fait d’un être ou d’une chose l’instrument de la manifestation de la puissance de Dieu, au risque de devenir représentation même de Dieu. Par les sacrements de l’ordre et du mariage, le prêtre et les époux se consacrent à Dieu, ils sont dédiés à Dieu pour enfin le représenter dans le monde. Le sacrement de l’ordre par un sacrement propre donne la responsabilité et le pouvoir à un certain nombre de chrétiens d’exercer le sacerdoce ministériel au service du sacerdoce commun dont est revêtu tout baptisé868. Cette charge que le Christ, à travers son Église, donne à certains de ses membres « est un des moyens par lesquels le Christ ne cesse de construire et de conduire son Église »869. Nous comprenons ici que c’est en la personne du Christ, tête et chef de l’Église que le sacerdoce ministériel est exercé. Le Christ qui par sa mort et sa résurrection a rassemblé les enfants de Dieu dispersés, maintient et continue son œuvre à travers ses ministres qui le représentent et agissent in persona Christi Capitis870. Chaque ordination sacerdotale nous donne un alter Christus pour son peuple, symbole et artisan de l’unité pour le peuple de Dieu. Le contraire de ce témoignage n’est que trahison à la mission du Christ. Représentant et donneur du Christ, le prêtre agit aussi au nom de l’Église : « le sacerdoce ministériel n’a pas seulement pour tâche de représenter le Christ – tête de l’Église – face à l’assemblée des fidèles, il agit aussi au

866 Cf. CEC, 1533. 867 CEC, 1535. On peut à ce sujet lire LG, 11 ; GS 48, 2. 868 Cf. LG, 10. 869 CEC, 1547. 870 Cf. LG, 10 ; 21 ; 28 ; SC, 33 ; CD, 11 ; PO, 2 ; 6. pie xii, Mediator Dei, 1947.

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nom de toute l’Église lorsqu’il présente à Dieu la prière de l’Église et surtout lorsqu’il offre le sacrifice eucharistique »871. Le sacrement de l’ordre, par la grâce de l’Esprit Saint, rend présent le Christ dans son ministre et dans le ministère pour maintenir et porter jusqu’à la fin des temps l’œuvre rédemptrice du Christ, le grand prêtre par excellence. Le Christ s’unit à ses membres et ses membres comme un seul peuple s’unissent à l’offrande du Christ pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Quant au sacrement du mariage, il tire son origine du dessein même de Dieu : « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance […] Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 26–27). Le sacrement du mariage consacrant la communion entre l’homme et la femme, les fait essentiellement vivre en représentants de Dieu dans leur union, « c’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24). Les deux redeviennent une seule chair pour représenter l’unique image de Dieu créateur. Si dans l’Ancien Testament l’alliance avec Israël était vue par les prophètes872 sous l’image d’un amour conjugal, dans le Nouveau Testament l’amour conjugal sera vu plutôt à l’image de l’amour du Christ qui aime et qui donne sa vie pour son Église : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église ; il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier […] voici que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme […] ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Ep 5, 25–31). Le sacrement du mariage devient la concrétisation et la confirmation de l’amour du Christ pour son Église. Le mariage devient « un signe efficace de la présence du Christ »873. La dimension anamnésique de la donation totale du Christ jusqu’à la mort devrait toujours être actualisée et vécue par les époux chrétiens. C’est ainsi que l’événement pascal de la vie du Christ devient pour les époux chrétiens le lieu originaire de leur amour et leur force dans les difficultés. 3.1.2  La coextensivité de l’anamnèse à l’économie du salut La dimension coextensive de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire nous fait voir que toute la vie chrétienne porte la marque de l’amour 871 CEC, 1552–1553. sC, 33. 872 Cf. EZ 16, 23 ; JR 2–3 ; IS 54, 1–17 ; 62, 1–12 ; OS 1–3. 873 CEC, 1613.

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total du Christ pour son Église, cet amour qui l’a poussé jusqu’au sacrifice de la croix. Cet amour du Christ, l’Église continue à le vivre à travers les sacrements qui l’actualisent, et comblent l’Église des diverses grâces pour ses différents ministères. Le mystère pascal rendu présent dans chaque sacrement renforce l’unité ecclésiale et rend chaque chrétien, selon le don reçu de l’Esprit Saint, capable de représenter le Christ dans les différents ministères de la vie ecclésiale. A travers son Esprit, le Christ glorieux continue à « être parmi » ceux qui se réunissent en son nom et opèrent des fruits. En effet historiquement la communauté confessante s’articule à son intérieur en des ministères, en des institutions et en des activités différentes, mais c’est la présence opérante du Christ qui est considérée non seulement comme source de légitimation, mais aussi comme principe de la vérité et de l’efficacité de toutes ces articulations874.

En un mot, on pourrait dire que l’anamnèse du Christ, qui est coextensive à toute l’économie sacramentaire, est nécessaire pour la vie de l’Église et de chacune des communautés. Cette nécessité est d’abord pour la vie même de l’Église, parce que sans cette dimension anamnésique, qui selon notre étude ne consiste pas seulement en un simple rappel, mais en une présence réelle, la légitimation et l’efficacité de toute l’économie sacramentaire célébrée dans la liturgie seront remises en question. On assisterait à un affadissement de la vie chrétienne et à sa mort. Ainsi suite à la dimension coextensive de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire et à la théorie de représentativité qui est intimement liée à l’anamnèse, la vie ecclésiale se voit essentiellement renforcée dans son unité et l’esprit de collaboration s’augmenterait de jour en jour pour faire face aux nouveaux défis qui se posent à l’Église875. La situation actuelle de l’Église invite avec plus d’insistance, comme le dit Jean-Paul II876, à la collaboration pastorale. Le Pape continue en disant que nous en trouvons un témoignage, entre autres, dans le nouveau style de collaboration entre prêtres, religieux et fidèles laïcs ; dans la participation active à la liturgie, à l’annonce de la parole de Dieu, à la catéchèse ; dans les multiples services et tâches confiés aux fidèles laïcs, qui les ont si bien assurés ; dans la floraison vigoureuse de groupes877. 874 G. Ruggieri, « Le dynamisme ecclésial de l’Eucharistie », 65. 875 PO, 9. 876 Cf. Jean Paul ii, Christifideles laici, 2. 877 Jean Paul ii, Christifideles laici, 2.

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Cette nouvelle approche du mystère de la vie du Christ à partir de l’anamnèse et son caractère coextensif à toute l’économie sacramentaire, ferait de nos différentes communautés un espace missionnaire où les différents représentants du Christ actualiseraient la présence du Christ et son œuvre de salut. La célébration du mémorial du Christ, comme actualisation de sa présence et expression toujours actuelle de son suprême amour pour nous, devrait être la relation horizontale qui traverserait toutes nos relations verticales et ministérielles dans nos différentes structures. L’anamnèse du Christ, spécialement célébrée dans l’Eucharistie, laquelle nous fait actualiser la Parole de Dieu, partager le pain devenu le corps du Christ et le vin transformé en son sang qui ouvrent nos yeux pour le connaître, devrait être la plaque tournante à partir de laquelle, sous la mouvance de l’Esprit Saint, l’Église structure ses relations de jour en jour et marche courageusement vers le royaume de Dieu. L’Église, en se structurant à partir du mémorial du Christ, ne peut pas se passer de l’Esprit Saint. Jésus soulignera l’importance de l’Esprit Saint dans la vie de l’Église : « Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13). L’Esprit Saint n’introduit pas seulement l’Église dans la vérité toute entière mais, grâce à sa présence qui assure aussi en même temps la présence perpétuelle du Christ, l’Église reçoit toujours des nouvelles illuminations sur le contenu de sa mission : « leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 20). L’unité ecclésiale essentiellement renforcée par le caractère coextensif de l’anamnèse, la représentativité du Christ étendue à chaque chrétien, selon les dons reçus de l’Esprit Saint, tous les enseignements et dogmes de l’Église ne peuvent avoir d’autre source et finalité que l’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ. Approfondissant cette réflexion sur le rôle structurant de l’anamnèse dans l’Église, l’espace accordé à l’Esprit Saint pour illuminer et orienter les relations au sein de l’Église est cristallisé par l’expression selon laquelle l’Église nous communique les vérités de foi en forme de dogme pour le raffermissement dans la profession et le vécu de la foi chrétienne. Ces dogmes de l’Église, ne s’arrêtent pas seulement à la foi professée, mais touchent le vécu quotidien des chrétiens dans le monde. C’est ainsi que leurs élaborations doivent seulement être le fruit de l’unique magistère officiel de l’Église fondé sur la Parole de Dieu qui trouve son accomplissement dans l’anamnèse de la mort et de la 384

résurrection du Christ telle que célébrée par l’Église au cours de l’histoire comme symbiose du sensus fidei des tous les croyants878. La relation inter chrétienne est invitée à être traversée par une relation régie par la mort et la résurrection du Christ, qui met chacun à l’écoute de l’autre et tous à l’écoute de la Parole de Dieu sous la mouvance de l’Esprit Saint879. Ainsi donc tous les membres de l’Église ont un rôle dans l’interprétation des Écritures. Dans l’exercice de leur ministère pastoral, les évêques, en tant que successeurs des apôtres, sont les premiers témoins et garants de la tradition vivante dans laquelle les Écritures sont interprétées à chaque époque880.

Les prêtres en tant que collaborateurs des évêques ont aussi leur rôle dans l’interprétation de l’Écriture881. Chaque chrétien, selon le don de l’Esprit Saint, est caractérisé par le sensus fidei qui doit être pris en considération pour une vie ecclésiale harmonieuse :  Atque hanc suam peculiarem proprietatem mediante supernaturali sensu fidei totius populi manifestat, cum « ab Episcopis usque ad extremos laicos fideles » universalem suum consensum de rebus fidei et morum exhibet. Illo enim sensu fidei, qui a Spiritu veritatis excitatur et sustentatur, Populus Dei sub ductu sacri magisterii, cui fideliter obsequens, iam non verbum hominum, sed vere accipit verbum Dei, « semel traditae sanctis fidei », indefectibiliter adhaeret, recto iudicio in eam profundius penetrat eamque in vita plenius applicat882.

Se référant « à une déclaration dogmatique, à une proposition qui exprime une partie du contenu de la révélation divine et qui est publiquement proposée comme telle par l’Église et de façon à être approuvée dans la foi »883 ; les doctrines ne sont pas l’affaire d’un individu ou d’une personnalité isolée, elles sont l’affaire de l’Église pour l’Église. Elles mettent ensemble tout le peuple de Dieu en symbiose avec ses pasteurs pour une compréhension, une relation divine et interpersonnelle vécues d’une manière plus authentique selon la pleine révélation de Dieu en Jésus-Christ. 878 Cf. D. Vitali, Sensus fidelium, 1993. On peut aussi lire G. Albano, Il sensus fidelium 2008. 879 Cf. 1 Th 2, 13 ; LG 12. 880 CPB, « L’interpretation de la Bible dans l’Église », 3056, 1678. LG 25. 881 Cf. PO, 4. 882 LG, 12. 883 G.F. Mansini, « Dogme », 291.

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Parlant de l’écoute mutuelle qui doit régner au sein de l’Église, force est de recommander toujours que les deux instances : le sensus fidei des croyants et celui de la hiérarchie de l’Église soient toujours en consonance, fondés sur la mort et la résurrection du Christ. Notons-le clairement, cette interconnexion relationnelle ne peut bien être réalisée que s’il existe une parfaite communion au sein de l’Église. C’est ainsi que le Concile Vatican II, dans LG, reconnaissant le sens de la foi et les charismes dans le peuple chrétien (c’est nous qui soulignons), notifie que « iudicium de eorum genuinitate et ordinato exercitio ad eos pertinet, qui in Ecclesia praesunt, et quibus speciatim competit, non Spiritum exstinguere, sed omnia probare et quod bonum est tenere »884. La hiérarchie de l’Église en symphonie avec le sensus fidei des croyants, concrétise selon le temps et l’espace, le rôle structurant du mémorial du Christ. Y-a-t-il danger de réduction du mémorial du Christ et de l’action de l’Esprit Saint à la manipulation de l’ecclesia docens ou de l’ecclesia discens ? Tous doivent garder en tête le sensus fidei qui s’enracine dans la Parole de Dieu, Parole qui est la norma normans qui guide toute l’Ecclesia docens et discens. Nous ne pouvons non plus être tentés de parler du magistère comme étant pris en « otage par l’opinion des laïcs ». Penser ainsi, c’est d’abord nier le caractère baptismal que portent en eux ceux qui ont la charge officielle du magistère de l’Église. Comme chrétien, ils portent tous en eux le sensus fidei baptismal qu’ils sont appelés à vivre en relation communionelle avec les autres chrétiens. Ensuite, cela remettrait aussi en doute les différents dons infus de l’Esprit Saint qui fait des uns des prophètes, d’autres des missionnaires … et pourvoit à toutes ces fonctions pour le bien du corps entier. Enfin cela remettrait en danger la dynamique de la foi et de la communion. Un manque de soumission à Dieu, aux dons de l’Esprit Saint, conduira l’Église inéluctablement à un conflit relationnel interne qui serait un contre témoignage. Cette chaine d’unité dans la relation qui doit exister entre les croyants et la hiérarchie de l’Église, doit d’abord être interne à chacune de ces deux instances. La hiérarchie prise séparément dans la recherche locale de la structuration relationnelle et du vécu de la foi selon le mémorial du Christ célébré dans la table de la Parole et la table de l’Eucharistie, doit être en communion avec l’Église universelle représentée par le Vicaire du Christ en la personne de l’évêque de Rome, successeur 884 LG, 12.

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de Pierre. Le « Romanus Pontifex, ut successor Petri, est unitatis, tum Episcoporum tum fidelium multitudinis, perpetuum ac visibile principium et fundamentum »885. Comme principe perpétuel, visible et fondement d’unité, le Pontife romain est invité à vivre en collaboration avec le collège épiscopal dans la foi et la charité. Ce mouvement de collaboration que LG 22–23 traite largement, étant une relation verticale du haut en bas, est en même temps, une relation horizontale, traversée par l’amour qui engage tout le collège épiscopal pour le bien du peuple de Dieu. La tradition catholique maintient qu’en certaines circonstances et à certaines conditions l’évêque de Rome peut porter un jugement infaillible sur un point important touchant à la foi ou à la vie évangélique. Tête du collège épiscopal, il exerce alors l’autorité dont l’Esprit a doté celui-ci. Car il est tête du collège, il l’est en tant qu’évêque et à ce titre n’agit que dans la solidarité avec tous ses frères dans l’épiscopat. C’est non son point de vue personnel mais celui du collège entier, bien plus celui de tous les évêques qui depuis les origines ont été dans la communion avec le collège apostolique, qu’il exprime alors. D’ailleurs, quoi qu’il en soit d’une consultation préalable de tout l’épiscopat, l’évêque de Rome ne peut alors se prononcer qu’après avoir « écouté » et scruté la foi de toutes les Églises confiées par l’Esprit au collège épiscopal ; il définit non sa foi mais celle des Églises locales886.

Ce rôle important de communion de l’évêque de Rome ne doit pas surtout être pris et compris dans le sens juridique comme on semble souvent le penser, mais il doit nous amener à le prendre dans le sens de la foi en revenant à la primauté même de Pierre à la base de sa profession de foi. C’est dans une profession de foi non hérétique que l’infaillibilité de l’évêque de Rome est prise en considération. Revenons à ce texte très suggestif de la profession de l’apôtre Pierre : Mt 16, 13–23, que nous considérons comme un apport important dans la compréhension relationnelle en ce qui concerne l’infaillibilité de l’évêque de Rome. En proclamant Jésus « tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16), qui est le vrai titre de Jésus, l’apôtre Pierre sera proclamé Heureux et comme quelqu’un à travers qui Dieu parle, il devient la pierre sur qui l’Église sera bâtie et restera inébranlable face au pouvoir du mal ; il reçoit les clefs du Royaume des cieux … Mais le revers des choses commence et Jésus ordonne à Pierre de passer derrière lui quand il fait une profession hérétique, qui ne cadre pas avec la vérité du Christ : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (Mt 16, 22). On dirait que Pierre perd pour un instant 885 LG, 23. 886 J.-M.R.Tillard, Église d’Églises, 151–152.

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son infaillibilité, sa primauté dans la foi. L’évêque de Rome, successeur de l’apôtre Pierre, reste et restera infaillible quand il parle ex cathedra dans la profession de la vraie foi887 telle que révélée dans la Parole de Dieu, célébrée dans le mémorial du Christ. Et c’est sur cette base qu’il jouira de tous les pouvoirs de relation verticale confiés à l’apôtre Pierre. Soulignons-le, cette infaillibilité, dans l’Église catholique, est encore plus garantie par la collégialité888 des évêques qui diminue au maximum le risque d’une confession de foi hérétique par le successeur de l’apôtre Pierre. Les croyants de leur côté, doivent aussi établir une relation de communion entre eux. Parlant des croyants, nous mettons ici aussi les théologiens qui ne font pas partie de la hiérarchie de l’Église. S. Thomas d’Aquin reconnaissait l’existence de deux chaires : la cathedra pastoralis de ceux exerçant ce que nous avons appelé le magistère hiérarchique ou ordonné, la cathedra magistralis des théologiens et des docteurs889. La cathedra magistralis, composée d’experts avertis, jouera le rôle de relais entre le peuple de Dieu et la cathedra pastoralis. Son expertise étendue sur deux directions, aidera d’une part à ouvrir les pistes nouvelles à la cathedra pastoralis, compte tenu des nouvelles découvertes des sciences et des nouveaux défis du monde actuel. D’autre part elle sera un porteparole du monde pour aider l’Église à tenir compte des signes de son temps pour ne pas rendre le message de la Bonne Nouvelle trop désincarné. Pour ce faire, la cathedra magistralis cherchera toujours à vivre en communion ad intra et ad extra, bien que le choc des idées parfois au lieu de produire la lumière, produit l’obscurantisme et plonge le peuple de Dieu dans la division, le scepticisme et la confusion. Les deux instances guidées et éclairées par le mémorial du Christ, unies entre elles, au niveau local et universel, chercheront le bien du peuple de Dieu, tout en sachant que cette marche vers le grand et le vrai bien est un processus dynamique dans le temps et l’espace avec ses aléas. L’histoire de l’Église, avec ses différents conciles et les positions actuelles de l’Église face aux défis politiques, sanitaires… nous instruisent et nous interpellent énormément. Le mémorial permanent du Christ qui nous annonce l’accomplissement en Jésus, mort et ressuscité, de l’œuvre du salut, servira toujours de gouvernail pour toutes les couches de l’Église et deviendra le fondement de sa vie missionnaire. 887 LG, 25. 888 Cf. LG, 22–23. 889 Cf. S. Thomas D’Aquin, Quodlibet III, 9, ad 3.

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3.2  La dimension missionnaire de l’anamnèse L’anamnèse de la mort et de la résurrection de Jésus constitue toujours un point de départ de la mission qui ne laisse pas inertes ceux qui la célébrent. L’exemple des apôtres nous en témoigne à l’envi : Lc 24, 13–35 ; 1 Co 9, 16…Après avoir fait l’expérience de la présence de Jésus, les apôtres iront jusqu’à braver le Sanhédrin qui leur interdisait d’annoncer le Christ mort et ressuscité : « Il faut obéir à Dieu, plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). L’Église primitive a compris et vécu cette force missionnaire intrinsèque de l’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ, l’Église universelle et chaque Église locale sont appelées à leur tour à témoigner de cette présence du Christ dans les vicissitudes quotidiennes de la vie. 3.2.1  L’exemple de l’Église primitive Notre parcours sur l’étude de l’anamnèse nous avait conduit à voir l’importance que ce mot occupait et occupe encore dans la culture religieuse juive. La Haggadah, que nous avons étudiée plus haut, nous a fait comprendre que pour les juifs, le fait de faire mémoire n’est pas seulement un rituel commémoratif qui s’arrête dans le rappel d’un événement passé, mais il est une action. Une action de Dieu qui suscite en même temps celle de l’homme qui fait mémoire. Nous pouvons dire ici dans la culture juive que la mémoire est une mission qui se fait en trois niveaux. Au premier niveau, Dieu, dans l’histoire, s’était engagé par une action salvifique pour l’homme. L’actualisation de cette action par l’homme, suscite et appelle au deuxième niveau encore l’engagement de Dieu de continuer à intervenir pour son peuple comme il l’avait fait autrefois. L’homme qui actualise ces faits passés se voit au troisième niveau engagé à témoigner de sa fidélité envers Dieu et à annoncer les bienfaits de Dieu aux autres. « ‹ Dieu se souvient ›, cela signifie que Dieu intervient. Et lorsque l’homme biblique se souvient de Dieu, c’est qu’il agit conformément à la loi de Dieu, à la parole de Dieu et à son Esprit. Vivre l’alliance, c’est s’en souvenir, et inversement »890. Les célébrations commémoratives, spécialement la Haggadah, faisaient non seulement participer les célébrants à ce qui était arrivé une fois dans l’histoire et qui les mettaient en synergie avec tout le passé, mais était en même temps une manière d’entrer dans la logique de l’auteur de l’action passée pour bénéficier de ses bienfaits qui sont de toujours. 890 R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 79.

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« La mémoire cultuelle juive n’est pas un simple souvenir (‹ mneia › = mention, anniversaire) ni un mémorial (‹ mnèmè ›, ‹ mnèmeion› = emblème, monument commémoratif), mais une action qui, en les évoquant, actualise tel ou tel acte de Dieu : elle fait se souvenir »891. C’est sur cette base de fond que la célébration du mémorial du Christ se célébrera dans la culture religieuse de la première communauté chrétienne après des siècles jusqu’à nos jours. Les premières chrétiens après la résurrection du Christ, tels que les décrit le livre des Actes des apôtres, « se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 4, 42). Et ils voyaient dans leur célébration l’actualisation de l’œuvre rédemptrice même du Christ. L’apôtre Paul, chez qui nous reviendrons, le mentionnera pour avertir les Corinthiens de l’importance de l’Eucharistie qui rend présent le corps et le sang du Christ, il dira : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? » (1 Co 10, 16). L’assiduité dans l’actualisation et la communion à l’œuvre rédemptrice du Christ n’actualisait pas seulement l’œuvre en soi mais était devenue pour les apôtres un motif missionnaire. Ils pouvaient braver les autorités juives pour ne pas taire l’annonce des merveilles de Dieu accomplies en Jésus-Christ. Devant la foule Pierre dira : Hommes d’Israël, écoutez ces paroles. Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes, cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité (c’est nous qui soulignons), le délivrant des affres de l’Hadès (Ac 2, 22–24).

Ils étaient comme portés de l’intérieur pour annoncer le Christ ressuscité. Rien ne pouvait les arrêter, Pierre et Jean bravant le grand sanhédrin, leur rétorqueront face à l’interdiction imposée aux apôtres de ne plus parler de Jésus : « S’il est juste aux yeux de Dieu de vous obéir plutôt qu’à Dieu, à vous d’en juger » (Ac 4, 19). Le livre des Actes des apôtres, comme le titre lui-même le laisse deviner, démontre l’engagement missionnaire des apôtres qui interférait avec leur assiduité à la célébration du mémorial du Christ. Ils proclamaient ce qu’ils célébraient et célébraient ce qu’ils proclamaient. 891 X. Léon – Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 145.

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La vie de l’Église dans les premiers siècles du christianisme jusqu’à nos jours essaiera de suivre les témoignages des Apôtres. C’est ainsi qu’on comptera dans l’Église une multitude de saints, de martyrs, hommes et femmes, qui ont fait de la célébration du mémorial du Christ une vie. Leur vie était syntonisée par la mort et la résurrection du Christ qu’ils célébraient dans la Sainte Eucharistie. L’anamnèse eucharistique était devenue pour eux une anamnèse ecclésiologique. Comme les apôtres, ils vivaient à l’unisson avec le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur qu’ils célébraient. Parlant de deux mémoires du chrétien, X. Léon-Dufour fait un beau parallélisme entre : « Faites cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19) et « C’est un exemple que je vous ai donné afin que, en raison de ce que moi j’ai fait, vous fassiez vous aussi » (Jn 13, 15)892. La célébration cultuelle du mémorial du Christ doit toujours nous conduire à un engagement existentiel qui témoigne de notre foi. C’est ici le grand défi qui nous incombe à nous aujourd’hui après chaque célébration du mémorial du Christ. Défi à relever tant au niveau de l’Église universelle que locale. 3.2.2  La dimension missionnaire de l’Église Revenons à l’affirmation à laquelle nous avons fait référence plus haut : « L’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’eucharistie », dans le cadre de notre travail, nous sommes arrivés aussi à affirmer ; à partir de notre étude que « l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse ». Cette affirmation est aussi forte que l’anamnèse du Christ actualisant sa mort et sa résurrection, qui en fait s’origine dans son obéissance au Père ; l’Église en actualisant l’obéissance du Christ, par la communion à son corps et à son sang, entre aussi dans la dynamique de cette obéissance de faire elle aussi ce que le Christ a fait. Un engagement missionnaire qui touche toute l’Église sans distinction aucune : Jean-Paul II dans son encyclique Redemptoris missio, a essayé de montrer que toute l’Église, dans sa structure à commencer par tous les baptisés, les prêtres, évêques, religieux et religieuses, est missionnaire893. Il est aisé d’en déduire que l’anamnèse porte intrinsèquement en son sein une dimension missionnaire indéniable. Encore faut-il mesurer la portée chrétienne de ce que cela signifie ! Le fait de faire mémorial de la mort et de la résurrection du Christ dans la Sainte Eucharistie, nous porte à actualiser d’abord la mission du Fils qui est venu 892 Cf. X. Léon – Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 143. 893 Cf. Jean Paul ii, Redemptoris missio, 1999.

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nous sauver et nous faire entrer ensuite dans la dynamique de cette mission qui nous engage automatiquement. La célébration du mémorial du Christ dans l’Eucharistie est le lieu par excellence de l’accomplissement de la mission chrétienne. Le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres affirmera clairement que : In Sanctissima enim Eucharistia totum bonum spirituale Ecclesiae continetur, ipse scilicet Christus, Pascha nostrum panisque vivus per Carnem suam Spiritu Sancto vivificatam et vivificantem vitam praestans hominibus, qui ita invitantur et adducuntur ad seipsos, suos labores cunctasque res creatas una cum Ipso offerendos. Quapropter Eucharistia ut fons et culmen totius evangelizationis apparet …894.

La célébration du mémorial du Christ est l’accomplissement parfait, le sommet de la mission, de l’« heure », comme lui-même le dira :  « Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme » (Jn 12, 23), de la mission accomplie de Jésus. Il est le cœur de l’élan missionnaire de l’Église. C’est là que l’Église célèbre la mission dans sa perfection, reçoit le contenu de sa mission et puise en même temps la force de son accomplissement. Saint Paul, parlant de l’objet de sa proclamation, le dira clairement : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens » (1 Co, 1, 23). C’est ce Christ crucifié, ressuscité et qui reviendra qui fait le nœud de ce que l’Église célèbre dans l’Eucharistie. Pour proclamer ce qu’elle célèbre et célébrer ce qu’elle proclame, l’Église doit d’abord syntoniser sa vie avec ce qu’elle célèbre pour ensuite tenter de l’annoncer aux autres afin de célébrer ses saints. Par la célébration du mémorial du Christ – tant dans la table de la Parole que dans la table eucharistique – c’est le Christ lui-même qui nous invite à faire de notre vie ce qu’il a fait de sa vie pour nous : nous offrir en éternelle offrande à la gloire du Père pour le salut de nos frères et sœurs. La vie cultuelle doit être synchronisée avec la vie ecclésiale. L’Eucharistie, qui célèbre le mémorial du Christ, est bien un envoi en mission, communément aussi appelé messe qui, si nous voulons aller à l’étymologie de ce mot, tire son origine du verbe latin mittere qui signifie « envoyer ». Nous trouvons très suggestive cette terminologie qualifiant ainsi le mémorial du Christ dans lequel le Christ, après avoir actualisé son œuvre de salut, nous envoie faire de même pour tous les hommes. C’est cette dynamique d’envoi qui déterminera la parole finale de la célébration : 894 PO, 5.

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« Ite missa est », qui n’est rien d’autre qu’un envoi officiel en mission qui nous fait participer à la parfaite mission du Christ dans le quotidien de notre vie. Quand nous faisons réellement mémoire de la mort et de la résurrection du Christ en nous ouvrant à la grâce de l’Esprit Saint et en faisant habiter le Christ en nous, nous nous laissons saisir par l’amour du Christ comme le dit l’apôtre Paul : « Car l’amour du Christ nous presse, à la pensée que, si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 14–15). La célébration du mémorial du Christ doit d’abord nous amener à une mission à l’intérieur de nous-mêmes pour ensuite nous ouvrir au monde. Etre missionnaire de la mort et de la résurrection du Christ, c’est savoir d’abord soi-même mourir avec le Christ pour être ressuscité avec lui dans la totalité de sa vie, ensuite l’annoncer tel quel aux autres dans le contexte de leur vie. La mission doit toujours être faite en tenant compte de ces éléments importants : l’annonce de la mort et de la résurrection du Seigneur. Ces éléments doivent être contextualisés dans la vie de chaque peuple qui accueille la Bonne Nouvelle du salut. C’est ainsi que chaque Église, là où est célébré le mémorial du Christ, doit savoir, avec la grâce de l’Esprit, trouver les voies de la mission895. Pour ne pas reprendre toutes les belles idées déjà écrites sur la mission896, Nous nous permettons à ce niveau de dire un petit mot sur la dimension missionnaire de l’anamnèse pour l’Afrique en général et particulièrement pour la RDC. 3.2.3 L’exemple de l’Église en Afrique L’Afrique en général et la rdc en particulier célébrant avec faste, joie et enthousiasme une multitude d’Eucharisties, mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur, quelle doit être la dimension missionnaire du mémorial du Christ célébré en Afrique ? L’Afrique proclame-t-elle ce qu’elle célèbre et célèbre-t-elle ce qu’elle proclame  ? L’Afrique appartenant à l’Église catholique ne se soustrait pas à la doctrine universelle de l’Église concernant la Sainte Eucharistie. La célébration eucharistique est mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur pour l’Église 895 Cf. Jean Paul ii, Redemptoris missio, 41–60. 896 Cf. Nous pouvons citer à titre illustratif : concile œcuménique vatican ii. Ag, 1965. Paul vi, Message pour la journée mondiale des missions, 1972. EN, 1975. Jean Paul ii, Redemptor hominis, 1979. Jean Paul ii, Redemptoris missio, 1999.

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universelle, elle l’est aussi pour les Églises locales d’Afrique. Le problème qui nous préoccupe ici est la proclamation de ce que les Églises locales d’Afrique célèbrent et la célébration de ce qu’elles proclament. En tenant compte de la situation des chrétiens en Afrique en général et en RDC en particulier, nous pouvons dire, pour être plus concret, que l’Église en RDC proclame bel et bien ce qu’elle célèbre c’est-à-dire le Christ mort et ressuscité. Les statistiques en sont une preuve. La RDC reste pour l’Afrique l’un des pays où on compte le plus de chrétiens catholiques. Ce nombre, nous le pensons, est le résultat de la proclamation de ce que l’Église de la RDC célèbre. Le peuple, comme au temps des apôtres, en écoutant le discours des successeurs des apôtres, qui actuellement sont nos Pères les évêques, se pose la question : « Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2, 37), et la réponse de Pierre qui encore aujourd’hui est celle de l’Église de l’Afrique, de la RDC : « Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit » (Ac 2, 38). Le nombre élevé des chrétiens en Afrique en général et en RDC en particulier est la résultante de cette proclamation. Mais le problème de la chrétienté en Afrique et en rdc réside au niveau de la célébration de ce qui est proclamé, c’est-à-dire la célébration des vies chrétiennes syntonisées avec la mort et la résurrection du Christ. Les apôtres, après la proclamation de ce qu’ils célébraient, ne célébraient-ils pas leur proclamation pour rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’ils avaient subi comme persécution au nom du Seigneur ? Une fois relâchés, ils se rendirent auprès des leurs et rapportèrent tout ce que les grands prêtres et les anciens leur avaient dit. À ce récit, d’un seul élan, ils élevèrent la voix vers Dieu et dirent : « Maître, c’est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve ; c’est toi qui as dit par l’Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur : Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples ?… » Tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance (Ac 4, 23–31).

Il ne faut pas seulement proclamer ce qu’on célèbre, mais il faut arriver à célébrer ce qu’on proclame pour faire de notre célébration une communion avec la passion et la résurrection du Christ. C’est à ce niveau qu’on s’engage résolument dans la voie de la sainteté. La situation générale de l’Afrique et de la RDC en particulier nous pousse à nous demander, si les chrétiens, qui ont reçu le baptême, la confirmation, sont devenus témoins du Christ pour le proclamer par leur 394

vie, célèbrent encore ce qu’ils proclament ? Les guerres, les génocides, la corruption, la dictature, le viol en série, le mensonge… la liste est tellement longue que chercher à tout énumérer nous demanderait une autre thèse : ne sont-ce pas là les faits marquant la célébration de ce que les chrétiens africains proclament de leur identité ? Chaque message de nos Pères évêques a tenté d’une manière ou d’une autre de stigmatiser ces anti valeurs qui rongent et ruinent la société congolaise et africaine et empêchent les chrétiens africains de célébrer ce qu’ils proclament. C’est dans cette situation que l’Église en Afrique et en rdc continue à proclamer ce qu’elle célèbre, espérant un jour célébrer avec faste et avec un grand nombre de ces chrétiens mieux convertis ce qu’elle proclame. Cette proclamation de l’Église à temps et à contre temps (2 Tm 4, 2 ) se lie dans les homélies, les messages de nos Pères évêques… Nous n’allons pas ici reprendre tous ces beaux messages de la CENCO, mais nous voulons faire une mention spéciale à la lettre des évêques catholiques de la rdc, lettre adressée aux acteurs politiques catholiques à l’occasion du jubilé d’or de l’indépendance du pays (1960–2010)897. Cette lettre qui pour nous, résume le hiatus qui caractérise nos célébrations africaines et congolaises en particulier : le manque de célébration par une vie cohérente de ce qui est proclamé dans le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur. La participation à l’Eucharistie qui nous porte à communier au corps et au sang du Christ, signifie que Jésus veut impliquer les disciples dans son destin propre, par une assimilation et même une transformation en lui. Lorsque le croyant célèbre l’Eucharistie, il descend aux tréfonds de sa mémoire, il rencontre Jésus, l’envoyé de Dieu qui a été fidèle à sa mission, qui a été ressuscité et qui, désormais, se rend présent pour communiquer la vie. La mémoire cultuelle a pour fonction de reconnaître, de l’Absent, la présence active et permanente898.

C’est à cela que doit porter notre participation à la Sainte Eucharistie, ce qui peut nous donner la chance de laisser vivre le Christ en nous dans nos différents engagements. Concernant les destinataires de leur lettre, les évêques stipulent clairement : « Nous venons nous adresser spécialement à vous, acteurs politiques catholiques, hommes et femmes, vous qui avez la lourde responsabilité d’être, de par votre baptême et votre confirmation, les « ambassadeurs 897 CENCO, Lettre des évêques catholiques de la rdc aux acteurs politiques (1960– 2010), 2010. 898 X. Léon – Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 146.

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du Christ » (2 Co 5, 20) dans les milieux politiques »899. Les destinataires de cette lettre, confirment l’unité de l’Église de la RDC avec l’Église universelle en ce qui concerne l’engagement des chrétiens dans le monde. Sans se dérober à ses devoirs face à sa mission dans le monde, les chrétiens doivent porter leur aide à l’activité humaine900. Cet engagement des chrétiens dans le monde est l’espace de la proclamation par leur vie de ce qu’ils célèbrent dans le mémorial du Christ. Revenant sur le Synode des évêques africains sur la réconciliation, la justice et la paix, la CENCO souligne le but de son adresse en disant aux acteurs politiques catholiques que :  « Vous êtes l’Église de Dieu dans les lieux publics de notre société. Grâce à vous, la vie et le témoignage de l’Église sont rendus plus visibles au monde. » Nous voulons nous en faire l’écho non seulement pour y attirer votre attention, mais aussi puisque nous sommes convaincus que, en tant que domaine des décisions fondamentales, la politique reste le haut lieu de la pratique de la charité. C’est elle qui englobe les autres activités, les conditionne et fait passer dans les faits les différentes conceptions de la vie, même celles qui heurtent notre conscience901.

C’est ici pour nous le grand défi de la mission à relever en Afrique en général et en RDC en particulier. L’Église en proclamant ce qu’elle célèbre dans le mémorial du Christ : sa mort et sa résurrection. Les chrétiens en accueillant cette proclamation doivent essayer de vivre en cohérence avec leur foi pour faire de leur vie une célébration de ce qui est proclamé. Passer de la célébration cultuelle à une célébration existentielle. L’anamnèse du Christ célébrée dans l’Eucharistie doit devenir une anamnèse ecclésiologique. Le Christ a donné sa vie pour nous, nous aussi nous sommes appelés à donner la nôtre pour les autres, c’est ça la voie qui conduit à la résurrection finale qui en principe devrait déjà commencer ici sur terre par une société où règne la paix, la justice, la fraternité, le respect de la vie, le bien-être, les valeurs évangéliques … X. Léon – Dufour parle de deux mémoires du chrétien : le « faire cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24–25) doit être lu et vécu synchroniquement avec « c’est un exemple que je vous ai donné afin que, en raison de ce que moi j’ai fait, 899 CENCO, Lettre des évêques catholiques de la rdc aux acteurs politiques (1960– 2010), 2010. 900 Cf. GS, 43. 901 CENCO, Lettre des évêques catholiques de la rdc aux acteurs politiques (1960– 2010), 2010.

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vous fassiez, vous aussi » (Jn 13, 15). Qu’est-ce que Jésus a fait ? Pour ne pas reprendre tous les périples de sa vie, arrêtons-nous à ce grand dernier « faire » de Jésus qui résume et anticipe tous les faires de sa vie : « la dernière cène ». L’apôtre Jean, comme nous l’avons souligné plus haut, ne mentionne pas la recommandation « faites ceci en mémoire de moi ». Mais il renconte merveilleusement la dernière cène qui nous présente Jésus qui rompt le pain et le donne à ses disciples, qui quitte sa place de maître et se met à laver les pieds de ses disciples et qui à la fin passe son message : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que, en raison de ce que j’ai fait, vous fassiez vous aussi » (Jn 13, 15). Chaque geste de Jésus devient interpellatif pour nous : Jésus qui rompt le pain, crée par ce geste le sacrement de l’Eucharistie. Il le donne à ses disciples, créant ainsi l’Église tout en lui donnant ce de quoi vivre pour son pèlerinage terrestre. Le lavement des pieds est le modus vivendi de son Église, dans la charité, le service fraternel réciproque. C’est à cela que la célébration du mémorial de la mort et de la résurrection du Christ doit nous conduire. Célébrer l’Eucharistie pour nous refaire tant spirirtuellement qu’ecclésialement en vue du service fraternel mutuel. C’est par un « faire » que l’une et l’autre parole caractérisent le groupe des disciples : à la foi qui est présupposée, le « faire » va donner expression. Le verbe poieîv désigne aussi bien l’action liturgique que le comportement dans la vie ordinaire. Faire cultuel et faire existentiel dépendent constitutivement de Celui qui les demande aux disciples : l’un et l’autre sont spécifiés par leur relation avec ce que Jésus a posé d›abord ; ainsi le « faire » sera efficace902.

Le tableau sombre de l’Afrique et de la RDC, qui en sont les auteurs ? Ce sont dans la plupart des cas les personnes qui viennent chaque dimanche à la célébration du mémorial du Christ, qui font du mariage chrétien un rituel somptueux d’exhibition de leur richesse, qui portent leurs morts à la messe pour se calmer la conscience… Bref ce sont les chrétiens qui sont presque toujours là présents à la messe pendant les grands événements de la vie. Quel impact la célébration du mémorial du Christ a-t-il sur leur vie ? A cette question, la lettre des évêques de rdc répond : En cinquante ans d’indépendance, le  Congolais  a fini par croire qu’il ne peut rien pour son pays comme son pays ne peut rien pour lui. A force de l’entendre, il s’est mis dans la tête qu’il est incapable de créer, d’inventer ou d’innover. Cette perte 902 X. Léon – Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 147.

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de confiance en soi mine tous les efforts pour le développement. Le Congolais ne sait plus voir les réalisations positives dont il doit être fier903.

Ces cinquante ans d’indépendance peuvent être interprétés comme suit : toutes les fois que le mémorial du Christ est célébré en terre africaine, depuis que les fils et filles du continent, chrétiens pour la plupart, ont pris en main la responsabilité de la chose publique… l’impact de ces célébrations, au lieu d’être l’espérance d’une vie meilleure, de paix, de justice, de résurrection… qui doivent se traduire par des réalisations concrètes, ce sont plutôt le désespoir, la peur, le viol, la misère, la corruption, les anti valeurs qui hantent le quotidien du chrétien africain et le poussent à la recherche d’une terre promise qui pour les uns peut être : vivre en Europe, aux USA … terre promise que beaucoup n’atteindront pas ; et pour ceux qui pensent l’avoir atteinte, vivent dans la nostalgie de leur terre natale, les autres dans un enrichissement à tout prix, même malhonnête s’il le faut. On ne pourra pas saper d’un seul coup le petit reste des chrétiens qui ont essayé et essaient encore aujourd’hui de célébrer leur foi dans les contradictions, les tortures, les enlèvements, les prisons en cherchant à vivre selon leurs convictions religieuses comme le soulignent les évêques congolais dans leur lettre : Etre catholique ne se réduit pas à une certaine pratique religieuse ni à quelques choix très personnels d’ordre moral. De toutes les façons, pour être « acteur politique à part entière et vrai disciple du Christ », il faut une vie imprégnée de vérités de foi, des convictions religieuses profondes qui interdisent tout nomadisme politique s’adonnant à une sorte de transhumance éhontée indigne d’un chrétien ou contraire aux exigences de l’engagement, tout simplement pour toujours se retrouver du « bon côté »904.

L’Afrique, la RDC doit toujours rendre hommage à ces dignes fils et filles du continent et du pays qui ont lavé et lavent encore leur robe par le sang de l’agneau (Ap 7, 14) pour témoigner leur adhésion au Christ mort, ressuscité et qui reviendra dans leurs différents engagements. La dimension missionnaire de l’anamnèse en Afrique en général et particulièrement en RDC, devra porter l’Église en ce coin du monde d’abord à la réconciliation avec le Christ : « Nous vous en supplions au nom 903 CENCO, Lettre des évêques catholiques de la rdc aux acteurs politiques (1960– 2010), 2010. 904 CENCO, Lettre des évêques catholiques de la rdc aux acteurs politiques (1960– 2010), 2010.

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du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20). Cette réconciliation avec Dieu conduira ensuite à la réconciliation avec soi-même qui créera l’unité autour du Christ, autour des valeurs évangéliques, non autour de quelconques intérêts politiciens, tribaux… C’est à ce niveau enfin, que l’aide que l’Église, par les chrétiens, cherchera à apporter à l’activité humaine, sera une célébration de la proclamation de la foi qui, à chaque Eucharistie, sera comme un retour à la source pour puiser les forces neuves. Les évêques congolais ont parfaitement eu raison d’adresser leur lettre, après un parcours du pays de cinquante ans, aux acteurs politiques catholiques. Parce que comme la sagesse populaire le dit : « Il n’ya pas des mauvais troupeaux, il n’y a que des mauvais bergers. » La conversion des ceux qui ont la gestion des choses publiques peut conduire à une société plus humaine, plus chrétienne où la célébration du mémorial du Christ n’est pas en dissonance avec la vie quotidienne. Cela n’est-il pas une voie d’orientation de la mission pour l’Afrique ? Et pour la RDC? L’Église, nous le pensons pour l’Afrique, devrait s’atteler plus, sans négliger les autres couches de la société, à évangéliser les chrétiens qui ont la gestion de la cité. Le risque qui demeure pour les Églises d’Afrique, est celui d’être converties par ces politiciens qui se disent chrétiens plutot que de les convertir ; ce qui exige de la part de l’Église une très grande vigilance et un sens profond de discernement pour ne pas se laisser porter par les cadeaux et promesses fallacieux. Pour accomplir cette tâche missionnaire de l’Église d’Afrique, nous trouvons importante l’unité entre des Églises locales d’Afrique ; la formation d’un leadership chrétien pour la société à travers nos institutions ecclésiales ; l’éducation des chrétiens au sens politique et au bien public, comme cela se fait déjà dans beaucoup des diocèses en RDC. Sans faire la politique, l’Église en Afrique doit avoir le courage de dénoncer clairement tout ce qui va à l’encontre du respect et de la dignité de l’être humain dans tous ses droits et devoirs. Sur ce dernier point, nous en profitons pour présenter nos hommages à nos Pères évêques de la RDC qui ne manquent aucune occasion pour appeler et rappeler les consciences sur la bonne voie. Ce que nous avons dit pour les Églises d’Afrique, et particulièrement pour l’Église de la RDC, vaut également pour les autres Églises qui se trouvent confrontées à peu près au même défi sous une autre forme. L’Église doit avoir une vision, grâce à l’aide de l’Esprit Saint de ce qu’elle célèbre dans la proclamation, inciter les chrétiens à arriver à célébrer ce qu’ils proclament dans leur vie de chaque jour et dans l’Eucharistie pour faire de la vie un espace ananmésique de l’œuvre du salut. 399

3.3  Application au niveau œcuménique La diversité des situations religieuses, sociales et économiques fait que nous nous trouvons dans un monde où l’unité pour la plupart de cas est très souvent mise en panne. Ce manque d’unité extérieure, pourrions-nous dire, est la résultante d’un bouleversement, d’une brisure intérieure de l’homme d’aujourd’hui qui n’arrive plus à vivre en harmonie avec soimême et avec son créateur. La société tente par de multiples méthodes de proposer à l’homme les voies qui peuvent l’amener à retrouver l’harmonie, mais souvent ces méthodes n’apportent qu’une harmonie éphémère qui après une courte durée replonge l’homme dans la dissonance intérieure et extérieure. Illuminé par la Parole de Dieu qui nous dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28), l’homme voit s’ouvrir devant soi une issue qui lui permet de se retrouver soi-même et de vivre en communion avec son créateur et avec les autres humains. Comment venir à Jésus sinon à travers le mémorial de sa mort et de sa résurrection où il se rend pleinement présent? N’est-ce pas là que l’homme peut retrouver l’harmonie brisée avec son créateur, avec soi-même et avec les autres êtres humains et avec toute créature  ? L’Eucharistie est vraiment la source et le sommet de la vie de notre Église et de chaque communauté905. Les diversités historiques au sein de l’Église font que malheureusement « dans la situation actuelle il n’est pas possible, au nom de la vérité, que tous les chrétiens se rassemblent autour de l’unique table du Seigneur et participent à l’unique Repas du Seigneur, ce qui constitue une blessure profonde infligée au corps du Christ et en fin de compte un scandale »906. Ayant centré notre étude sur l’anamnèse eucharistique qui est la célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur, nous voulons dans ce point porter notre contributions en ce qui concerne l’œcuménisme à partir de notre étude. Les caractéristiques de l’œcuménisme anamnésique doivent être inscrits dans un horizon plus vaste que restrictif. Force est de constater qu’en ce qui concerne les avancées œcuméniques sur l’Eucharistie, des grands pas ont été effectués, mais comme le dit le Cardinal W. Kasper, « l’œcuménisme est un processus de croissance de la vie. Sur ce chemin qui est celui de la croissance et de la maturation, beaucoup de pas intermédiaires sont nécessaires qui doivent déboucher dans la communion 905 Cf. LG, 11. 906 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 7.

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dans l’Eucharistie, le sacrement de l’unité »907. En quoi l’anamnèse eucharistique peut-elle être utile à l’œcuménisme ? Nous partirons du commandement même du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Co 11, 23–25 ; Lc 22, 19), pour enfin proposer l’anamnèse comme une des pierres de construction de l’œcuménisme. 3.3.1  Faites ceci en mémoire de moi (1 Co 11, 24–25 ; Lc 22, 19) Ce commandement du Seigneur, que nous avons longuement étudié, constitue le cœur de son testament légué à ceux qui croiront en son nom. La vie chrétienne n’a de sens et ne peut être définie que dans le cadre de ce commandement. C’est ce qui peut nous conduire à comprendre l’assiduité de la communauté primitive autour de l’écoute de la Parole et de la fraction du pain (Ac 2, 42). Vu que depuis les commencements des temps apostoliques, le rassemblement autour des apôtres pour l’écoute de la Parole et la fraction du pain se faisait le premier jour de la semaine, c’est-à-dire le Dimanche, Dies Domini908, la vie chrétienne se définissait par la participation à ce jour. « Selon une formule des premiers temps de l’Église, être chrétien signifie ‹ observer le dimanche ›. Une autre formule, venue de l’Église des martyrs, dit : ‹ Nous ne pouvons pas vivre sans célébrer le jour du Seigneur › »909. Le commandement du Seigneur avait une telle importance que la vie chrétienne se résumait autour du respect de ce commandement. Ceci pour la simple raison que la vie de la communauté émanait du respect de ce commandement. En obéissant à ce commandement du Seigneur, l’assemblée renouvelle comme de l’intérieur sa vitalité, reçoit des forces neuves pour continuer à vivre. Comme nous l’avions déjà souligné plus haut, c’est aussi pendant la célébration du mémorial du Christ que la communauté reçoit le contenu de sa mission, la finalité de sa vie. « Ainsi, de célébration en célébration, annonçant le mystère pascal de Jésus « jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26), le peuple de Dieu en pèlerinage « s’avance par la porte étroite de la croix » (AG 1) vers le banquet céleste, quand tous les élus s’assiéront à la table du Royaume »910. L’œuvre du salut se trouve une fois de plus parfaitement accomplie dans le respect de ce commandement du Seigneur : 907 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 8. 908 Cf. CEC, 1343. 909 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 16. 910 CEC, 1344.

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Dans la célébration de l’Eucharistie en effet nous faisons mémoire de l’acte sauveur central de Dieu : la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Elles deviennent présentes lors de la célébration de l’Eucharistie comme le fondement et la source de notre espérance. Enfin dans l’Eucharistie le Christ est présent lui-même comme nourriture spirituelle pour cette vie et pour la vie éternelle911.

Vu la centralité de ce commandement dans la vie chrétienne, nous pouvons dire que tous les chrétiens, orthodoxes, catholiques, protestants, selon la grâce reçue du Seigneur, sont appelés à obéir à ce commandement. L’importance de ce commandement est intrinsèquement liée à l’être même du chrétien. L’Église catholique, dans le n° 1247 du CEC, stipule que : « Les dimanches et les autres jours de fête de précepte, les fidèles sont tenus par obligation de participer à la Messe, de plus ils s’abstiendront de ces travaux et de ces affaires qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au jour du Seigneur »912. Plus qu’une obligation, la participation au mémorial du Christ doit reposer sur la conscience d’une nécessité, sur la conviction qu’elle est indispensable à la vie chrétienne. Une vie chrétienne qui ne fait pas régulièrement mémoire de la mort et de la résurrection du Christ est condamnée un jour à disparaître, parce qu’elle se vide de l’intérieur, elle devient pratiquement une vie sans fondement. La participation au mémorial du Christ est une exigence de notre foi en Jésus et le témoignage de notre amour envers lui qui nous maintient dans son amour infini. Le grand catéchisme de Luther parlant de l’importance de la Sainte Cène et d’une communion faite indignement dit : Voilà donc, la première chose, en particulier pour ceux qui sont froid, et négligents, afin qu’ils méditent sur eux-mêmes et qu’ils se réveillent ! Car ceci, en toute certitude est vrai, comme je l’ai expérimenté dans ma propre vie et comme chacun le découvrira dans la sienne : s’il l’on s’en abstient ainsi, on devient, de jour en jour, plus fruste et plus froid et on va jusqu’à le jeter au vent913.

Pour les Églises luthériennes, l’abstention à la Sainte Cène nous porte à devenir frustes et plus froids. On est alors invité à participer, et cela d’une manière digne, à la Sainte Cène. Calvin en mettant d’abord l’accent sur l’importance des sacrements en général, écrit : « Quiconque s’abstient volontairement de l’usage des sacrements, croyant qu’il n’en a pas besoin, 911 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 17. 912 CIC, can 1247. On peut aussi lire aas 90, 1998, 713–766. Jean Paul ii, Dies Domini, 1998. 913 A. Birmelé, – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 403–404.

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méprise Jésus-Christ, rejette sa grâce et éteint son Saint-Esprit »914. Il ira encore plus loin ; à la question de savoir s’il faut participer vraiment au corps et au sang du Seigneur, il répond sans détour en disant : « Oui ; car puisque toute l’assurance de notre salut consiste en l’obéissance qu’il a rendue à Dieu son Père, parce qu’elle nous est imputée comme si elle était nôtre, il faut que nous le possédions, ses biens n’étant pas à nous, si auparavant il ne se donne lui-même à nous »915. Il ressort de ce petit survol que le commandement du Seigneur « Faites ceci en mémoire de moi » a une importance commune pour la vie de tous les chrétiens. La célébration de la mort et de la résurrection de Jésus devient le fondement qui nous lie tous et qui nous pousse à l’unité. Toutes les traditions chrétiennes d’une manière ou d’une autre ont vu et ont cherché à souligner pour une vie chrétienne vivante et fructueuse, l’importance de mise en application de ce commandement. Une vie chrétienne n’est pas possible en dehors de ce commandement du Seigneur célébré dans le cadre de l’Eucharistie pour les uns, pour les autres dans le cadre de la Sainte Cène. Si la célébration du mémorial du Christ est importante pour toutes les traditions chrétiennes, ne devient-elle pas aussi en même temps une des dimensions constructives de l’œcuménisme ? 3.3.2 L’anamnèse eucharistique comme une des dimensions constructives de l’œcuménisme Intimement lié au projet de Dieu, l’œcuménisme, à proprement parler, se fonde sur l’être même de Dieu qui est Un et Trine et sur la foi en Jésus comme Seigneur et Sauveur916. Nous pensons que pour mieux comprendre l’œcuménisme et mieux le vivre, il faut partir de Dieu Trinité. L’amour qui unit les trois personnes divines en un seul Dieu et en une seule nature devrait inspirer et guider notre recherche de l’unité malgré nos différences. Le débordement de cet amour interne au sein de la Sainte Trinité qui engage les trois personnes divines dans la création et l’œuvre du salut, devrait être encore une fois de plus la synergie qui devrait engager toutes nos Églises ensemble à témoigner de notre foi en Jésus et à la Sainte Trinité par des œuvres concrètes. 914 CG, 111. 915 CG, 120. 916 Cf. UR, 1.

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Essentiellement enraciné en Dieu, l’œcuménisme fait partie du vouloir profond de Dieu pour l’humanité. Cela se trouve révélé dans sa Parole dès l’Ancien Testament et jusqu’au Nouveau. Le peuple d’Israël, considéré comme le prototype du futur peuple de Dieu, fera l’expérience de ce vouloir de Dieu de rassembler son peuple malgré ses infidélités et péchés. C’est tout le processus de l’Alliance conclue (Gn 9, 9–17 ; 17, 19–21 ; Ex 24, 1–11), rompue (Dt 9, 6 ; Lv 26, 41 ; Gen 6, 10 ; 9, 25…), rétablie (Is 10, 22 ; Mi 2, 12 ; 4, 6–7 ; So 2, 7–9 ; 3, 12) par Dieu avec son peuple. Tous ces processus maintenaient d’abord les membres du peuple liés avec Dieu et entre eux. Mais cela n’était que pour un peuple particulier : Israël. La Nouvelle Alliance devait intervenir pour parfaire l’Ancienne et avoir ainsi une dimension universelle. La conclusion de cette Nouvelle Alliance qui rassemblera tous les hommes sera faite par la mort et la résurrection de Jésus (Is 53, 1 ss ; Ps 22 ; Ps 16). La mort et la résurrection de Jésus a comme finalité ultime le rassemblement dans l’unité des enfants de Dieu dispersés sur toute la terre (Jn 11, 52). Jésus, avant son arrestation, dans sa prière sacerdotale, priera pour cette unité (Jn 17, 1 ss) et l’apôtre Paul, dans son épître aux Éphésiens que nous voulons ici reproduire soulignera le fruit obtenu par la mort de Jésus sur la croix en ce qui concerne l’unité entre Juifs et païens ; texte qui peut être encore aujourd’hui utilisé pour l’unité des chrétiens comme le notifie W. Kasper917. L’apôtre Paul écrit : Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ. Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine. Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père. Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. Car la construction que vous êtes a pour fondation les apôtres et prophètes, et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même. En lui toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur ; en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l’Esprit (Ep 2, 13–22).

917 Cf. W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 58.

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L’Église, à travers divers magistères918, pour faire face au scandale de la division, qui va à l’encontre du vouloir de Dieu, cherche par l’intermédiaire de diverses initiatives à concrétiser le vouloir de Dieu de rassembler tous ses enfants dispersés dans le monde. Fondant dogmatiquement l’œcuménisme sur la foi en Dieu Un et Trine et en Jésus Christ919, le concile Vatican II « affirme par là sans équivoque que le mouvement œcuménique repose sur le socle commun de la confession de foi de l’Église non encore divisée des premiers siècles, sur la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu et sur la foi en Dieu Trinité »920. Ces socles bibliques de la foi primitive et dogmatique qui fondent l’œcuménisme ont conduit certains spécialistes en œcuménisme, comme W. Kasper, à parler de l’œcuménisme de la vie et de l’œcuménisme spirituel. Entendant par l’œcuménisme de la vie « la vie nouvelle qui nous est donnée dans le baptême au nom du Dieu Trinité : la vie en Jésus-Christ et dans le Saint-Esprit. Par l’unique baptême tous les baptisés sont plongés dans l’unique corps du Christ, l’unique Église (Ga 3, 28 ; 1 Co 12, 13 ; Ep 4, 4 ) »921. Cet œcuménisme de vie davantage basé sur les institutions qui nous offrent la vie en Jésus-Christ ne peut tenir sans l’œcuménisme spirituel qui nous permet d’etre les prophètes de notre temps922, qui ouvrent la voie aux différents charismes dans nos différentes Églises. Le travail œcuménique à ce niveau consistera à faire de l’Église la maison et l’école de communion, comme le dit Jean Paul ii en essayant de vivre une spiritualité de communion qui consistera : avant tout en un regard du cœur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés. Une spiritualité de la communion, cela veut dire la capacité d’être attentif, dans l’unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme « l’un des nôtres », pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde. 918 Cf. Nous citons à titre illustratif : UR ; Jean Paul ii, Ut unum sint, 1995.  Des nombreux documents publiés par la Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Nous citons celui sur Le Repas du Seigneur, élaboré par la commission mixte catholique-luthérienne, 1979 ; l’autre sur le baptême, Eucharistie et ministère, déclaration de Lima, 1982 ; et celui de la Déclaration commune sur la Doctrine de la justification, 1999 … 919 Cf. UR, 1. 920 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 59. 921 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 59.

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Une spiritualité de la communion est aussi la capacité de voir surtout ce qu’il y a de positif dans l’autre, pour l’accueillir et le valoriser comme un don de Dieu : un « don pour moi », et pas seulement pour le frère qui l’a directement reçu. Une spiritualité de la communion, c’est enfin savoir « donner une place » à son frère, en portant « les fardeaux les uns des autres » (Ga 6, 2 ) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies923.

A ces différents types d’œcuménisme : vital et spirituel, basés sur les données bibliques, sacramentaires et pneumatologiques, nous voulons, à partir de notre étude faite sur l’anamnèse eucharistique, ajouter une autre pierre de construction, celle de l’anamnèse. Nous voulons avant toute chose inviter toutes les religions chrétiennes à une anamnèse de l’Église primitive. Il faut remonter à la source, aux origines du christianisme, au temps de l’Église indivise. Malgré les divergences de points de vue qui pouvaient exister entre les chrétiens de l’Église primitive, ils étaient tous unis autour de la foi en la mort et résurrection du Christ. La Parole de Dieu nous dit : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42). Il s’agit ici de procéder à la guérison de notre courte mémoire négative actuelle pour revenir à la mémoire de l’unité des premiers temps chrétiens où il n’y avait pas de divisions pour espérer une possible unité actuelle. Il est bien évident que la possible unité dont on parle ne consistera pas en une uniformité mais plutôt en une complémentarité, comme nous le verrons plus bas. Ce premier pas peut alors nous conduire au deuxième pas : la construction d’un œcuménisme vital ou spirituel basé sur la dimension anamnésique de la mort et de la résurrection de Jésus. Le rappel de la vie du Christ, telle que relatée dans les Écritures Saintes, célébrée dans l’Eucharistie pendant des siècles dans l’Église primitive, qui doit susciter en nous aujourd’hui l’envie de nous mettre à sa suite pour avoir accès au don de l’Esprit Saint. Nous pouvons alors arriver à découvrir que sa mort et sa résurrection n’étaient pas seulement pour moi seul, dans ma petite Église d’un siècle passé, mais aussi pour les autres qui l’ont professé trois siècles avant moi et que je considère perdus parce qu’ils n’appartiennent pas à la même Église que moi. Cette base n’aiderait-elle pas à dissiper certains malentendus comme celui du ministère pétrinien par exemple ? De la Tradition qui toujours déjà fait partie de la mémoire ? 923 Jean Paul ii, Novo millennio ineunte, 43.

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Notre étude nous a conduit à déceler dans toutes les traditions chrétiennes la recherche de l’accomplissement au sens large de toute la célébration eucharistique, du commandement : « Faites ceci en mémoire de moi ». Le caractère anamnésique ressort dans toutes les traditions chrétiennes bien que cela ait des interprétations différentes, comme nous l’avions démontré plus haut. L’œuvre de salut du Dieu Un et Trine pleinement accomplie par la mort et la résurrection de son Fils Jésus reste la plate-forme commune, le dénominateur commun que chaque Église chrétienne cherche à commémorer dans sa vie et sa célébration. Les unes en mettant l’accent sur la table de la Parole, les autres sur la table de l’Eucharistie. Partant du fait de faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, comme accomplissement de l’œuvre du salut, qui nous provoque tous, nous pouvons arriver à une complémentarité de notre foi, sans minimiser l’un ou l’autre aspect. Cette complémentarité, résultat du dialogue924 profond et sincère, ne peut aboutir qu’à « un échange de dons »925. Si nos frères des Églises de la Réforme mettent un accent particulier sur la Parole de Dieu, par l’invocation de l’Esprit Saint qui doit inspirer le prédicateur dans l’interprétation et l’actualisation de la Parole de Dieu, l’Église catholique bénéficierait de cette dimension importante par un aggiornamento de sa liturgie. De même aussi pour nos frères des Églises de la Réforme, ils bénéficieraient du caractère souverain et suffisant de la Parole de Dieu qui transcende tout les temps et qui est performante en elle-même, telle que vécue par les catholiques dans la table de l’Eucharistie en ce qui concerne la transsubstantiation du pain et du vin. Chacune de nos Églises, au lieu de s’appauvrir, s’enrichirait de l’expérience et de la foi de l’autre. On éviterait ici toute interprétation d’un syncrétisme chrétien ; chacune des Églises, en restant elle-même, reconnaîtra la vérité dans l’autre et dans un esprit de dialogue et d’écoute s’engagera avec les autres, dans l’espérance, sur le chemin de l’unité parfaite déjà atteinte sur certains points de la foi et de la vie mais qui doit arriver à sa perfection quand le Christ rassemblera tout pour remettre tout au Père afin que Dieu soit tout en tous. L’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ constitue le point de départ et le point d’arrivée qui nous réunis tous. L’œuvre de rédemption accomplie par Jésus, en raison de son caractère unique et divin, est au-delà du temps et est de toujours ; vouloir ou chercher à commémorer cette œuvre, c’est la rendre présente et entrer en même temps dans la dynamique de cette œuvre. La célébration eucharistique ou la Sainte Cène n’est 924 Cf. Jean Paul ii, Ut unum sint, 28. 925 Jean Paul ii, Ut unum sint, 28.

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pas la mémoire d’un fait quelconque, mais il s’agit du mémorial d’un fait rédempteur divin, que nous ne faisons pas entrer dans notre temps mais qui nous fait entrer dans l’œuvre de Dieu par la grâce de l’Esprit Saint. Il est évident que le mouvement œcuménique a fait énormément de chemin ; le Cardinal W. Kasper l’affirme en disant que : nous nous trouvons ainsi du point de vue œcuménique dans une situation intermédiaire. Des choses déterminantes se sont déjà passées. Tous ceux qui par la pensée peuvent revenir en arrière de quelques décennies, savent que durant ces quelques décennies il s’est passé plus de choses que durant des siècles auparavant926.

Nous ne voulons pas ici revenir sur ce long processus qu’emploient les Églises pour rendre plus visible l’unité du corps du Christ. L’œcuménisme devient une nécessité missiologique pour toutes les Églises du Christ ; « tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine ; et nulle ville, nulle maison, divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir. Un royaume divisé ne peut tenir » (Mt 12, 25). L’œcuménisme devient une nécessité pour le maintien du royaume de Dieu établi par la mort et la résurrection de Jésus, et une urgence pour nos différentes Églises. Jean-Paul II, dès le début de sa lettre encyclique, insistera sur cette nécessité en disant que : L’appel à l’unité des chrétiens, que le deuxième Concile œcuménique du Vatican a proposé à nouveau avec une détermination si passionnée, résonne avec toujours plus d’intensité dans le cœur des croyants, particulièrement à l’approche de l’an 2000 qui sera pour eux un saint jubilé, mémoire de l’Incarnation du Fils de Dieu qui s’est fait homme pour sauver l’homme927.

Cette nécessité est le fruit de la mémoire d’un fait central de notre vie que nous avons reçu de ceux qui nous ont précédés dans la foi qu’aujourd’hui nous vivons et que demain nous transmettrons à nos descendants.

Conclusion Nous touchons au terme de ce sixième chapitre qui, sous la forme des retombées positives de l’anamnèse, nous a donné la possibilité de recueillir 926 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 62. 927 Jean Paul ii, Ut unum sint, 1 .

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à partir de la liturgie – que nous avons considérée comme notre lieu théologique – des données théologiques et pastorales qui peuvent aider à la structuration de l’Église catholique romaine au niveau ecclésial et œcuménique. Parti de la liturgie comme matrice de l’anamnèse ecclésiologique, nous nous sommes appuyé sur la théorie de H. de Lubac qui dit que « l’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’Eucharistie » pour arriver aussi à dire que « l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse » à travers la table de la Parole et la table eucharistique. Le Christ mort et ressuscité, principe de notre foi et de la vie ecclésiale, chaque fois qu’il est rendu vivant à travers l’anamnèse eucharistique, réactualise l’œuvre de notre salut qui chaque fois fait l’Église. Par la mémoire de sa mort et de sa résurrection, l’Église se récrée et se régénère continuellement par le Christ lui-même. Grâce à l’Esprit Saint, la communauté chrétienne se reconstitue en un seul corps et une seule chair dans le Christ. Et l’Église héritière de ce patrimoine, est la seule chargée et digne de faire mémoire de cette anamnèse de son Seigneur. Elle se sent comme obligée de l’intérieur, ceci par obéissance à l’ordre de son Seigneur et pour sa survie, à accomplir le « faites ceci en mémoire de moi ». Ne pas le faire, c’est se dénaturer, la faire faire par un autre serait une haute trahison. Puisqu’on ne peut pas parler de l’anamnèse sans épiclèse, l’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ, l’attente de son retour célébrée dans la Sainte Eucharistie doivent être faites en synergie avec l’épiclèse tant au niveau de la table de la Parole que de la table eucharistique. Notre étude nous a conduits à constater un grand hiatus en ce qui concerne cette circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole dans le rite catholique romain. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la liturgie du rite catholique nous avons proposé une structuration au niveau de la table de la Parole pour faire ressortir davantage cette circularité. L’invocation de l’Esprit Saint a une grande importance dans la proclamation, l’interprétation, la prédication et le vécu de la Parole de Dieu928. Le Christ caput libri nous démontre au début de son ministère l’importance de l’Esprit Saint dans l’annonce et l’accomplissement de la Bonne Nouvelle. C’est par la force de l’Esprit Saint que la Parole faite chair lit les Écritures Saintes et s’engage à libérer les opprimés… (Lc 4, 16ss). Cette mission accomplie par Jésus sera confiée aux apôtres pour continuer 928 Cf. DV, 7–8 ; CPB, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », 3027, 1662. Benoît xvi, Verbum Domini, 15–16.

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à communiquer à tous les hommes les dons divins929. Réconfortés par la grâce de l’Esprit Saint, quod quidem fideliter factum est, tum ab Apostolis, qui in praedicatione orali, exemplis et institutionibus ea tradiderunt quae sive ex ore, conversatione et operibus Christi acceperant, sive a Spiritu Sancto suggerente didicerant, tum ab illis Apostolis virisque apostolicis, qui, sub inspiratione eiusdem Spiritus Sancti, nuntium salutis scriptis mandaverunt930.

De Jésus aux apôtres, des apôtres à l’Église et tout cela sous la mouvance de l’Esprit Saint. L’Église aujourd’hui dans la célébration du mémorial du Christ, lieu par excellence de l’annonce de la Bonne Nouvelle et de l’évangélisation, ne peut pas se passer de l’invocation de l’Esprit Saint. Le hiatus étant constaté dans le rite romain actuel, nous avons proposé des prières concrètes pour rendre l’équilibre entre la christologie et la pneumatologie dans la table de la Parole. Du point de vue ecclésial, le caractère coextensif de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire nous a conduits au renforcement de l’unité au sein de l’Église à cause de la dimension anmnésique qui se retrouve dans chaque sacrement, qui vivifie et fait de chaque chrétien, selon le don reçu de l’Esprit Saint, le représentant du Christ mort et ressuscité. Cette base commune de notre foi et de notre vivification sacramentaire devient un socle d’encouragement de l’esprit de collaboration plutôt que celui de discrimination ou de domination ; d’engagement à une vie missionnaire qui nous amènerait à proclamer ce que nous célébrons et à célébrer ce que nous proclamons. La dimension anamnésique touchant et encadrant ainsi toute la vie chrétienne, doit susciter au retour chez les chrétiens une réponse qui les engage à annoncer le Christ mort et ressuscité qu’ils célèbrent dans la liturgie. Faire de l’anamnèse eucharistique une anamnèse ecclésiologique, une anamnèse de vie. Comme nous l’avons souligné : proclamer ce qu’ils célèbrent et célébrer ce qu’ils proclament. La dimension missionnaire de l’anamnèse doit arriver à porter les chrétiens qui participent à l’Eucharistie à faire de leur vie une annonce de l’Évangile. En effet, le culte agréable à Dieu n’est jamais un acte purement privé, sans conséquence sur nos relations sociales : il requiert un témoignage public de notre foi. Évidemment, 929 Cf. DV, 7. 930 DV, 7.

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cela vaut pour tous les baptisés, mais s’impose avec une exigence particulière pour ceux qui, par la position sociale ou politique qu’ils occupent, doivent prendre des décisions concernant les valeurs fondamentales, comme le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, comme la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d’éducation des enfants et la promotion du bien commun sous toutes ses formes931.

Les évêques de la CENCO n’ont pas eu tort de le stipuler, surtout à ceux qui ont la charge de la chose publique. Chaque Église locale doit chercher concrètement comment arriver à proclamer ce qu’elle célèbre pour arriver à célébrer un jour ce qu’elle proclame. C’est le grand défi anamnésique que l’Église dans son ensemble et sa particularité doit chercher à relever. C’est ce qui l’ouvrira aux autres et fera de l’anamnèse une pierre de construction de l’œcuménisme. Conduit au point de vue œcuménique, l’anamnèse comprise comme actualisation de la présence du Christ qui nous parle dans la table de la Parole et qui nous donne son corps et son sang comme nourriture et breuvage, se trouve à différent niveau, sous différentes interprétations et accentuations, dans toutes les traditions chrétiennes. Cette plateforme commune pourrait bien servir à bâtir une ecclésiologie qui pourrait servir à toutes nos Églises chrétiennes dans le sens de la complémentarité. Mais avant d’y arriver, nous sommes tous invités, orthodoxes, protestants et catholiques, à faire une anamnèse de l’Église primitive. Cette Église indivise qui, malgré ces petites querelles internes, a su garder l’unité autour de la commémoration de l’événement pascal dans la célébration eucharistique. Cette mémoire de l’Église primitive nous ramènerait à l’unité primitive et nous engagerait à sa recherche malgré nos diversités actuelles. Considérer l’anamnèse eucharistique comme une des dimensions de la construction de l’œcuménisme, c’est nous mettre tous, orthodoxes, catholiques et protestants, au même point de départ de l’Église primitive à partir duquel nos différentes constructions peuvent se lever harmonieusement. Le fait que dans la situation actuelle il n’est pas possible, au nom de la vérité, de voir ceux qui se disent tous appartenir au Christ, ne peuvent pas s’engager main dans la main pour témoigner du Christ mort et ressuscité ; c’est seulement un énorme scandale et une crucifixion perpétuelle du Christ par les siens. Pleinement vrai dans sa réalité, la célébration eucharistique qui est l’extériorisation d’un désir profond : celui de faire 931 Jean Paul ii, Ut Unum sint, 83.

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mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, bien que célébrée différemment, peut encore nous aider à vivre déjà l’unité que nous espérons célébrer dans la parfaite unité divine. Ceci ne doit pas nous décourager de travailler pour qu’advienne le pas encore de la parfaite célébration céleste qui, déjà par quelques initiatives, pointe par ci par là. Pour accélérer cet avènement merveilleux, il faut que déjà à partir de nos différentes célébrations liturgiques, nous arrivions à trouver l’équilibre dans la célébration de tous les mystères divins. Cette étude peut être aussi utile à nos frères et sœurs de la même tradition chrétienne. Ils peuvent étudier comment donner à l’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ toute sa valeur et comment à partir d’elle tirer une structuration de la vie ecclésiale pour qu’ensemble nous puissions arriver à une ecclésiologie qui serve à tous.

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Conclusion de la deuxième partie

Notre deuxième et dernière partie a eu comme tâche d’étudier l’anamnèse dans la célébration eucharistique tout en cherchant à démontrer la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse, parce qu’on ne peut pas parler de l’anamnèse sans épiclèse et vice versa. Les deux s’interchangent en vue de la pleine révélation de la Sainte Trinité et de l’accomplissement de l’œuvre du Salut. Nous avons tenté de faire cette étude en parcourant un bon nombre de rites de tradition chrétienne, spécialement les rites orthodoxes, catholiques et protestants, pour avoir une vision plus large de l’anamnèse eucharistique et de sa circularité avec l’épiclèse. Cette étude nous a permis d’aborder au quatrième chapitre la dimension anamnestico-ecclésiologique de la table eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse. On aurait pu commencer par la table de la Parole pour suivre l’ordre tel que le missel nous le présente. Mais nous avons fait choix de ce schéma pour être plus logique, et en tenant compte du point saillant de notre travail, donner plus de sens au point focal de notre recherche. Etant donné la place fondamental qu’occupe l’anamnèse dans notre recherche, les rites de tradition chrétienne que nous avons parcourus nous ont porté à mettre en évidence la centralité de la recherche de l’accomplissement de l’ordre donné par le Seigneur « Faites ceci en mémoire de moi » dans toutes traditions chrétiennes. Bien que cette recherche ait été accomplie et interprétée différemment, nous avons noté un fossé assez grand entre la tradition protestante et les traditions orthodoxe et catholique. Un fossé dû à la conception théologique de la non transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ. Rejetant la doctrine de la transsubstantiation932, nos frères de la Réforme préfèrent, spécialement les luthériens, parler de la consubstantiation933 ou la companation rendue possible grâce à l’ubiquité de Jésus. Notons encore que, au sein même du mouvement réformiste, les positions seront très divergentes sur ce sujet. Calvin accepte une présence spirituelle du Christ pendant la Sainte Cène, présence rendue possible grâce à 932 Cf. D, 1652. On peut aussi lire 1651–1655. 933 Cf. A. Birmelé – M. Lienhard, La foi des Églises luthériennes, 271.

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l’action de l’Esprit Saint, tout en rejetant lui aussi la doctrine de la transsubstantiation. Quant à Zwingli, il réduira le pain et le vin aux simples signes qui n’ont rien à voir avec le vrai corps et le vrai sang du Christ qui est au ciel. Cette conception théologique déterminera la conception même du mémorial du Christ pour nos frères de la Réforme. Pour eux, il s’agira simplement d’une remise en mémoire des bienfaits de Dieu qui suscite en nous la foi et nous acquiert les biens éternels. La dimension ecclésiologique est un peu affaiblie horizontalement quant à la transmission ecclésiale de la foi. Quant à la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse, elle apparaît aussi clairement chez Calvin que chez Luther et Zwingli. Les traditions orthodoxe et catholique, considérant la doctrine de la transsubstantiation qui professe la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ, voient dans le mémorial du Christ l’actualisation non sanglante du mystère pascal du Christ, de l’œuvre même de notre rédemption. L’œuvre de notre rédemption accomplie une fois pour toute par le Christ s’actualise encore aujourd’hui dans la célébration de l’Église. Le Christ continue à rassembler par sa mort et sa résurrection les enfants de Dieu dispersés dans le monde. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est si forte que l’actualisation de l’œuvre rédemptrice du Christ nous est rendue possible par la grâce de l’Esprit Saint. C’est par sa force que nous sommes unis à la Sainte Trinité, entre nous et avec tous nos frères et sœurs qui nous ont précédés marqués du signe de la foi. Le cinquième chapitre, faisant à peu près la même étude et suivant aussi le même schéma, est axé plutôt sur la table de la Parole. Nos frères de la Réforme, suivant un des principes moteurs de celle-ci : Sola Scriptura, mettront un accent particulier sur la table de la Parole dans laquelle l’anamnèse et l’épiclèse sont pleinement célébrées. La Parole de Dieu souveraine et suffisante en elle-même tient la première place dans la célébration de la Sainte Cène. C’est la partie centrale et la plus importante de la Sainte Cène parce que c’est le Christ en personne qui nous parle à travers les Écritures Saintes, et le ministre qui a la lourde charge de prêcher la Parole de Dieu doit invoquer la grâce de l’Esprit Saint pour transmettre fidèlement le message du Christ. Par la grâce de l’Esprit Saint, les fidèles qui écoutent la Parole de Dieu et sa prédication peuvent avoir accès à la foi et aux divers dons divins. L’invocation de l’Esprit Saint aide non seulement le prédicateur de la Parole de Dieu à maintenir l’orthodoxie de sa prédication, mais aussi les fidèles qui l’écoutent à bénéficier des biens éternels et à renforcer le 414

lien ecclésial. La vie de foi ecclésiale au sens horizontal, c’est-à-dire de la foi transmise, bien que la foi soit toujours déjà don de Dieu, est un peu négligée dans la tradition chrétienne protestante. Les autres rites de tradition chrétienne, comme les orthodoxes par exemple, essaieront eux-aussi, bien que de tendance plus pneumatologique, à trouver l’équilibre entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la célébration de la table de la Parole. La dimension ecclésiologique y est garantie par la présence du Christ qui parle aux chrétiens et par la force de l’Esprit Saint qui est invoqué. Quant aux rites de tradition chrétienne catholique, la table de la Parole sera dans un premier temps considérée un peu au second plan, avec l’avènement du concile Vatican II934, elle reprendra petit à petit sa place au sein de la célébration eucharistique comme faisant partie à part entière de l’Eucharistie. Affirmant la présence du Christ qui nous parle dans les Saintes Écritures, l’invocation de l’Esprit n’est pas explicitement exprimée dans la table de la Parole de rite catholique, particulièrement romaine. Nous sommes restés sur notre faim en ce qui concerne ce manque de circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole dans le rite catholique. La dimension ecclésiologique étant marquée par l’écoute et l’accueil communautaire de la Parole, l’aspect de l’épiclèse est pourtant inaperçu alors que son importance n’est pas la moindre dans la compréhension et le vécu de la Parole annoncée. Le sixième et dernier chapitre de notre travail, en forme de retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église, nous a conduit, à partir de la liturgie, à voir comment l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse. L’anamnèse eucharistique étant le principe fondateur de l’Église, sa célébration dans la table de la Parole et dans la table eucharistique rend présent le Christ qui, comme avec les disciples d’Emmaüs, explique encore aujourd’hui à ses disciples les Écritures en commençant par l’Ancien Testament jusqu’au Nouveau Testament. Fractionne le pain et donne à chacun pour ouvrir leurs yeux afin de le reconnaître. Par la célébration de l’anamnèse eucharistique, l’unité ecclésiale se récrée de jour en jour et la communion avec le divin se renforce. L’Église devient Unum corpus et una caro divino-umana. Le peuple convoqué par le Seigneur se retrouve comme un seul peuple, uni autour de la Parole de Dieu.

934 Cf. DV, 21 ; SC, 24 ; 56.

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Ce renforcement de la vie de l’Église à partir de la célébration de la mémoire de son Seigneur est rendu possible par la grâce vivificatrice de l’Esprit qui continue à rappeler à l’Église ce que le Christ avait dit, et par la parole du Seigneur faisant du pain et du vin le corps et le sang du Christ. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est capitale dans la célébration du mémorial du Christ. Le hiatus constaté au niveau de la table de la Parole nous a conduits à proposer le rééquilibrage de cette circularité au niveau de la table de la Parole pour ce qui concerne le rite catholique romain. Les applications ecclésiales émanant de la célébration du mémorial du Christ structurent l’Église d’abord du point de vue ecclésial, ensuite œcuménique. Pour ce qui concerne la vie ecclésiale, les différentes structures de l’Église ont pour tâche première la représentation du Christ ad intra et ad extra de l’Église. Cette représentativité faite à travers la vie sacramentaire et d’autres engagements de l’Église, le caractère coextensif de l’anamnèse dans la vie sacramentaire, viennent renforcer l’unité au sein de l’Église et responsabiliser chaque chrétien, selon les dons reçus de l’Esprit Saint, à être un autre Christ, à se conformer à lui par sa mort et sa résurrection. La célébration de l’anamnèse du Christ, comme à l’époque apostolique, ne peut plus nous laisser enfermer dans nos églises, dans nos maisons. Elle nous porte à la mission, à l’annonce par la vie et les paroles des merveilles de Dieu. L’anamnèse eucharistique porte intrinsèquement en elle une dimension missionnaire indéniable. L’annonce de la Bonne Nouvelle du Christ devient une exigence pour ceux qui célèbrent sa mort et sa résurrection, parce ce que c’est encore là dans l’Eucharistie que le Christ ressuscité réitère l’ordre donné à ses apôtres après sa résurrection : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19–20). On peut aussi ajouter Mc 16, 15ss pour se rendre compte de l’importance de la mission dans la vie de l’Église suite à l’ordre donné par le Seigneur. L’Église, comme l’affirme le concile Vatican II, tire de là le devoir qui lui incombe dans la propagation de la foi et du salut apporté par le Christ935. La célébration eucharistique est le premier espace indiqué pour la vie missionnaire de l’Église, cet espace 935 Cf. AG, 5.

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d’où découlent toutes les grâces nécessaires pour la vie chrétienne ; la mission de l’Église s’étend alors à travers toute la vie chrétienne en vue de la communion de tous les hommes : Omnes enim christifideles, ubicumque vivunt, exemplo vitae et testimonio verbi novum hominem, quem per baptismum induerunt, et virtutem Spiritus Sancti, a quo per confirmationem roborati sunt, ita manifestare tenentur, ut ceteri bona eorum opera considerantes glorificent Patrem, et genuinum vitae humanae sensum et communionis hominum universale vinculum plenius percipiant936.

La lettre de la CENCO aux acteurs politiques catholiques à l’occasion du jubilé d’or de l’indépendance de la RDC nous a servi dans la concrétisation de la dimension missionnaire de l’anamnèse. L’anamnèse eucharistique doit devenir une anamnèse ecclésiologique. En faisant le mémorial du Christ mort et ressuscité, notre vie ecclésiale doit, elle aussi, devenir une vie pour les autres, une vie qui se donne, à l’instar du celle du Christ, pour le bien, le salut des autres. La dimension missionnaire de l’anamnèse nous porte à proclamer ce que nous célébrons et à célébrer ce que nous proclamons. Quant à l’application ecclésiale au niveau œcuménique, notre étude sur l’anamnèse nous a fait transparaître la dimension anamnésique dans toutes les traditions chrétiennes, bien qu’à des interprétations différentes. Le fait de chercher à faire mémoire, de rendre présent le Christ soit à travers sa Parole soit à travers son corps et son sang, ceci devient pour nous une pierre importante qui nous unit et sur laquelle nous pouvons bâtir l’unité dans la complémentarité de notre manière de faire mémorial du Christ. Mais pour y arriver nous avons préconisé d’abord une anamnèse de l’Église primitive, pour guérir nos mémoires de séparation par la mémoire d’union de l’Église des premiers temps du christianisme. Nos eucharisties n’existeraient pas s’il n’y avait pas au départ pour tous l’idée de faire mémoire du Christ mort et ressuscité. Et puisqu’il ne s’agit pas ici d’un quelconque mémorial, on a ici à faire mémoire d’un fait divin qui, ayant été accompli dans le temps, sort du temps et l’englobe. Le scandale de la division actuel étant un élément de fait, l’anamnèse de l’Église primitive nous engagerait d’une manière plus apaisée à la recherche de l’unité dans la complémentarité et nous rapprocherait toujours plus du fait originel et des biens divins. 936 AG, 11.

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Conclusion générale

« Alea jacta est », ce vieux proverbe latin nous conduit à la fin de notre parcours à tirer cette conclusion générale pour marquer le terme de notre étude et assumer les résultats auxquels nous sommes parvenus après ce long pèlerinage intellectuel. Notre champ d’étude basé sur l’anamnèse eucharistique, nous a aidé à chercher à pénétrer le grand mystère de l’Eucharistie comme mémorial de la mort et de la résurrection de notre Seigneur tel que célébré dans sa totalité dans la table de la Parole et dans la table eucharistique. Cette étude nous a donnés la possibilité d’extraire la dimension ecclésiologique que revêt l’anamnèse qui, par le fait même, devient un principe important dans la structuration de l’Église. Faisant de la liturgie notre lieu théologique937, nous avons cherché à y trouver les repères fondamentaux qui valent pour notre foi chrétienne. La liturgie nous permet de célébrer ce en quoi nous croyons. Nous sommes partis de la lex orandi vers la lex credendi. Les mystères de notre foi, « transmis par les apôtres, […] sont célébrés uniformément dans le monde entier et dans toute l’Église catholique, pour que la loi de la prière constitue la loi de la foi »938. C’est dans ce cadre d’interdisciplinarité que nous avons évolué tout en gardant notre intellect fixé sur l’objectif : celui de partir de l’anamnèse eucharistique vers une anamnèse ecclésiologique, tout en démontrant que l’anamnèse constitue le principe fondant et fondamental dans la structuration de l’Église. 937 Cf. Parler de la liturgie comme lieu théologique, cela ne doit pas être compris dans un sens restrictif, parce qu’en tenant compte du caractère si ample du mystère divin, on ne peut pas seulement se figer à un seul lieu théologique pour la connaissance du mystère de Dieu. On parlerait plutot des lieux théologiques que du lieu théologique. Si nous avons choisi la liturgie comme notre lieu théologique, c’est parce que nous y avons trouvé la concentration et la célébration d’autres lieux théologiques. Le Père J. Wicks parle des lieux théologiques comme d’« un ensemble de principes organisateurs standard qui régissent les travaux de théologie ». On peut lire son article : « Lieux théologiques » 730–732. Pour approfondissement nous vous recommandons aussi A. Gardeil, « Lieux théologiques », 712–747 ; E. Marcotte, La nature de la théologie, 1945 ; A. Scola, « Chiesa e metodo teologico in Melchior Cano », 203–234. 938 D, 246. On peut aussi lire D. De Raynal, « Liturgie », 798.

Comme nous avons évolué sur un terrain d’interdisciplinarité théologique, l’issue heureuse à laquelle nous sommes parvenu nous a conduit à porter notre contribution au niveau ecclésiologique, œcuménique et liturgique. Cette conclusion s’attèlera à retracer, en tenant compte de l’agencement de notre travail, les deux grandes parties qui ont constituées notre étude. La première partie est axée sur la question du fondement de l’anamnèse du point vue d’abord biblique, ensuite des apports de la théologie à partir des Pères de l’Église jusqu’au Concile de Trente et enfin de l’enseignement de magistère du Concile Vatican II. La deuxième partie est orientée vers l’étude de l’anamnèse dans la liturgie eucharistique comme principe structurant l’Église et sa circularité avec l’épiclèse.

1.  La question des fondements Une étude sur l’anamnèse eucharistique ne peut se faire qu’à partir de l’exploration du fond de la foi chrétienne sur lequel se construisent les langages théologiques. C’est ainsi que cette première partie de notre travail, remonte aux sources, et d’une manière particulière au langage biblique, vers l’étude de l’auditus fidei, des apports de la théologie à partir des pères de l’Église jusqu’au concile de Trente, et au magistère du Concile Vatican II, non pour l’adopter servilement, mais du moins pour comprendre les différents rameaux et données anamnestiques qui nous ont permis de fonder l’anamnèse eucharistique. Cette étude nous a conduits à déceler au niveau des deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, l’importance accordée à l’anamnèse, au fait de commémorer. S’il faut encore tenir ici au terme « Testament » qui en soi a comme soubassement la mémoire, le peuple de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament est constitutivement fait de mémoire. La religion de l’Ancien Testament, pour une bonne part, était construite sur la mémoire : mémoire des hauts faits de Dieu, spécialement la Haggadah, où dans le cadre cultuel, le peuple rendait présente l’histoire de sa libération d’Egypte et le début de sa constitution comme peuple ayant une identité précise. Cette mémoire permettait chaque fois au peuple d’Israël une profonde prise de conscience de son identité, d’une appartenance à une grande lignée : « Et quand vos fils vous diront : ‹ Que signifie pour vous 420

ce rite ? › vous leur direz : ‹ C’est le sacrifice de la Pâque pour Yahvé qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’il frappait l’Égypte, mais épargnait nos maisons › » (Ex 12, 26–27). Du mémorial des hauts faits de Dieu, on passait au mémorial des maisons des ancêtres épargnées de la destruction. La mémoire de Dieu conduit à la mémoire des ancêtres. Elle lie ceux qui sont présents à ceux qui les ont précédés. Elle crée une communion avec les ancêtres. « La mémoire des hauts faits de Dieu fait partie intégrante de la religion juive ; appliquée d’abord à l’histoire du peuple à partir de la sortie d’Egypte, cette mémoire s’étend progressivement aux ancêtres, et bientôt à l’œuvre de la création »939. La notion de la mémoire telle que célébrée et vécue dans la l’Ancien Testament et dans la tradition juive formait et forme encore le noyau de la vie sociétale. Son importance au sein de la communauté lui revêt d’un grand polysémisme. Tirant sa racine du zkr, qui forme comme verbe zakar et comme substantifs zikkaron, askarah, ce terme est utilisé par le peuple juif dans diverses circonstances : ils utilisent le verbe Zakhar pour appeler Dieu à se souvenir d’eux, surtout dans l’angoisse : Ps 38 (37) ; 70 (69) …, ils emploient aussi Zekher pour se rappeler Dieu, ses hauts faits accomplis dans le passé : Ex 3, 15 ; Lv 23, 43 ; Ps 126, 2–4 ; 135, 13… Le substantif Zikkaron est aussi utilisé pour appeler le peuple à se souvenir de Dieu : Ex 12, 14 ; 13, 9 ; 17, 14 ; Nb 10, 10. Le substantif Azkarah est aussi utilisé pour se souvenir de Dieu en vue de l’honorer : Lv 24, 7 940. Le mémorial dans la tradition juive tel que nous le trouvons, pour une bonne part, mentionné dans l’Ancien Testament est toujours orienté dans deux sens. Le premier est l’appel adressé à Dieu de se souvenir de son peuple, Dieu est sujet de la mémoire : Is 43, 25 ; Lm 5, 1 ; Ps 8, 5 ; 74, 2 ; 103, 14… Le deuxième est l’appel adressé au peuple de se souvenir de Dieu, le peuple est le sujet de la mémoire : Dt 32, 7 ; Ps 63, 7 ; 102, 13 ; 105, 5 … La Haggadah constituait le mémorial cultuel par excellence du peuple juif au cours duquel on racontait le récit pascal de la libération de l’esclavage d’Egypte. Chacun retrouvait dans ce mémorial son identité, sa liberté. C’est ainsi que le mémorial pascal juif ; bien qu’étant un fait passé, 939 R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 21. On peut lire aussi ces quelques références bibliques qui démontrent bien cette mémoire des bienfaits de Dieu qui conduit aussi à la mémoire des ancêtres : Is 45, 4 ; 51, 2 ; 54, 7–8 ; Ps 30, 5 ; 105, 5 . 940 Cf. on peut lire à ce sujet l’article de M. Macina, « Fonction liturgique et Eschatologique », 7–51 ; R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 2000.

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engageait dans la même dynamique ceux qui le commémorait, chacun le vivait personnellement comme si ce fait arrivait dans son aujourd’hui941. Le caractère limité de l’anamnèse juive la réduisait au peuple d’Israël, on n’y trouve aucune dimension ni de perspective d’universalité. Le peuple d’Israël était le peuple élu, libéré par la main puissante du Seigneur, les autres étaient des païens. Il n’y avait pas d’ouverture à une quelconque dimension mystérique. La libération accomplie par Dieu est un acquis terrestre à conserver jusqu’à la venue du Messie qui prendra le trône de David pour un règne terrestre. Il faut attendre le Nouveau Testament pour élargir les horizons et ouvrir une nouvelle perspective de l’anamnèse. L’anamnèse dans le Nouveau Testament, loin de se séparer de celle de l’Ancien Testament, partira elle aussi de la base de l’anamnèse de l’Ancien Testament : la pâque juive. Jésus lui-même l’affirmera : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17). C’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’anamnèse dans le Nouveau Testament. Elle est orientée elle aussi dans deux sens comme celle de l’Ancien Testament : on notera dans l’anamnèse du Nouveau Testament, Dieu qui se souvient de son peuple et le peuple qui est invité à se souvenir de Dieu, de sa Parole et de son œuvre du salut parfaitement accomplie par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Dieu se souvient de son peuple pour lui pardonner ses péchés, pour le combler de ses bienfaits, pour prendre soin de lui (Lc 1, 54 ; 23, 42 ; He 2, 6 ; 10, 17). Répétons-le, quand nous disons que Dieu se souvient de l’homme, cela ne veut pas dire que Dieu oublie l’être humain créé à son image. Oublier l’homme, c’est s’oublier soi-même, chose impensable pour Dieu. Le fait d’invoquer Dieu à se souvenir de l’homme, est la reconnaissance de l’amour permanent et l’ouverture en forme de disponibilité de la part de l’homme à l’accueil de cet amour de Dieu. « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 15). Ce parallélisme humain, qui peut tenter de nous faire comprendre l’amour de Dieu envers l’homme, reste toujours très faible en comparaison à la nature qui lie l’homme à l’homme et l’homme à Dieu. Si une mère est liée à son fils biologiquement et par le système limbique, siège des émotions qui nous pousse à l’altruisme et susceptible de 941 Cf. E. Loewenthal, Haggadah, 2009 ; on peut aussi lire B. Beit – Hallahmi, Identités Israéliennes, 1993 ; R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 2000.

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défection, Dieu par contre est essentiellement lié à l’homme d’un mode symbiotique parce que celui-ci est créé à son image et à sa ressemblance. Les hommes se souviennent de Dieu, de sa Parole pour revenir à lui, confirmer la puissance de Dieu et s’engager de nouveau sur sa voie : Mc 11, 21 ; 14, 72 ; Jn 2, 22… Faire mémoire de Dieu, c’est s’engager toujours dans un processus d’humanisation et de divinisation de l’homme. Toute la mémoire de l’Ancien Testament se trouve concentrée d’une manière unique et incomparable dans la mort et de la résurrection de Jésus. L’histoire de l’homme doit toujours rester l’histoire de Jésus mort et ressuscité, parce qu’en dehors de cette histoire de Jésus, l’humain se déshumanise. Le mémorial de Jésus fait de l’homme un espace de l’épiphanie continuelle de l’œuvre rédemptrice passée, présente et future de Jésus. Le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ tel que célébré par l’Église n’est plus une simple reprise ou restitution du passé, elle devient une rétrospection illuminatrice de l’histoire de l’Église et de l’humanité entière. L’événement pascal qui constitue son soubassement illumine et donne sens à la vie de l’humanité. La célébration de la mémoire de leur Seigneur étant reçue comme commandement de la part de Jésus, les disciples du Christ doivent toujours revenir par elle à leur image originelle pour se découvrir eux-mêmes et mieux se réaliser. C’est ainsi que la mémoire de Jésus, homme-Dieu, est la mémoire de l’homme par excellence. Jésus, accomplissant la Loi et les Prophètes, lui le véritable agneau pascal, laisse à ces disciples le mémorial de sa mort et de sa résurrection comme signe de la Nouvelle Alliance, de la vraie libération du péché pour la multitude. Les contextes bibliques qui nous relatent la dernière Cène du Seigneur, mettent différemment l’accent sur le caractère mémorial de son geste. Matthieu et Marc, ne mentionnant pas explicitement l’ordre du Seigneur : « Faites cela en mémoire de moi », rapportent pourtant la dernière Cène de Jésus comme un fait d’une grande importance, un repas pas comme les autres que Jésus a pris avec les siens avant sa mort en se donnant lui-même comme nourriture et breuvage (Mt 26, 26–28 ; Mc 14, 22–25). Ils rattachent le sacrifice du Christ au sacrifice mosaïque qui était destiné à la conclusion de l’Ancienne Alliance. Par son sacrifice, Jésus parfait l’ancien sacrifice pour la conclusion de la Nouvelle Alliance. Luc et Paul au contraire mentionnent explicitement l’ordre donné par Jésus à ses disciples : « Faites cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19–20 ; 1 Co 11, 23–25) en y voyant la réalisation de la prophétie faite par Isaïe 423

(Is 42, 49) et la conclusion de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31). Insistant sur le « Faire », Luc et Paul n’entrent pas en contradiction avec Matthieu et Marc, au contraire ils les complètent. Le Christ ayant conlu par son corps et son sang la Nouvelle Alliance qui rassemble tout le peuple, rendant parfaite et universelle l’Ancienne Alliance qui ne rassemblait que le peuple d’Israël, les disciples du Christ sont vivement invités à un nouveau modus vivendi à l’exemple de leur maître pour continuer à rendre présente cette grande œuvre du salut. C’est ici que nous pouvons aussi faire le lien avec l’évangile de Jean, chez qui nous ne trouvons pas de récit de la dernière Cène. Racontant la vie de Jésus qui culmine par le sacrifice de sa vie, de son heure, Jean fait de l’événement Jésus toujours déjà un mémorial. Il donne sa vie pour nous, il le vit de manière anticipée avec les siens, dans la dernière Cène, comme nous le racontent Mt, Mc, Lc et Paul. L’apôtre Jean, à sa façon, raconte le geste anticipatif de ce don par le discours eucharistique (Jn 6, 1–66), le lavement des pieds des apôtres (Jn 13, 1–20) et par l’invitation de Jésus aux siens de faire ce qu’il a fait (Jn 13, 15). X. Léon-Dufour souligne bien le lien entre Lc 22, 19–20 ; 1 Co 11, 23–25 et Jn 13, 15942. L’Église, à partir des apôtres, continuera à respecter ce commandement en actualisant dans la célébration du repas du Seigneur l’œuvre de notre rédemption et l’accomplissement de l’Ancien Testament. De la Didachè, – bien que n’ayant pas une formule explicite de l’anamnèse malgré l’accent mis sur l’Eucharistie en ses chapitres IX et X-, au missel actuel, l’Église tantôt se placera comme sujet du mémoire, tantôt elle placera Dieu comme sujet du mémoire943. Mais ici avec la nouveauté que tout est centré sur la mort et la résurrection du Christ qui se rend réellement présent parmi les siens, à la différence du repas pascal juif où on ne bénéficie pas de la présence réelle de l’agneau. La valeur ontologique de la présence réelle du Christ donne à l’anamnèse chrétienne sa consistance. Ces éléments constitueront le noyau de l’anamnèse chrétienne. Située dans le Unde memores de la messe romaine, le développement de l’anamnèse chrétienne sera lié à celui du récit de l’institution dans lequel nous trouvons explicitement l’ordre donné par Jésus à ses disciples de faire cela en mémoire de lui. Certains manuscrits des très anciennes anaphores 942 Cf. X. Léon – Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 143–151. 943 Cf. R. Prophete, Mémoire, Sacrifice, Présence réelle, 26–27. On peut ajouter à cette référence les prières eucharistiques que nous pouvons trouver dans le MAD, 1997.

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sortiront de cette norme, en l’occurrence celui de l’Église syro-orientale, séparée du reste de la chrétienté suite à l’hérésie nestorienne. Ces anciennes anaphores ne contiendront pas le récit de l’institution, par conséquent manqueront aussi l’anamnèse. Ces anaphores mettaient plus l’accent sur l’épiclèse que sur l’anamnèse. Mais toutes les autres anaphores chrétiennes ont su mettre en exergue l’anamnèse de la vie du Christ à partir du récit de l’institution et en soulignant dans le Unde memores les différents aspects du mystère de la vie du Christ. Les unes soulignaient sa mort et sa résurrection qui constituaient les deux grands piliers de l’anamnèse. Les autres mettront l’accent sur son incarnation, sa mort, sa résurrection et son ascension. Compte tenu de l’importance du message chrétien de l’époque de la gestation du christianisme, la résurrection, qui constituait le noyau de ce message, apparaissait dans toutes les anamnèses chrétiennes de l’époque. On notera dans ces différentes anaphores chrétiennes la recherche de l’équilibre entre l’anamnèse et l’épiclèse. Cherchant à privilégier l’une ou l’autre, les anaphores chrétiennes ont su trouver l’équilibre entre ces piliers de notre Eucharistie. L’aspect actif de l’anamnèse chrétienne fera de la célébration de l’Eucharistie une célébration toujours actuelle et vitale, non pas quelque chose du passé dont on a la nostalgie. L’événement qu’on célèbre s’accomplit encore dans notre aujourd’hui, il nous rassemble et structure notre vie ecclésiale. Les Pères de l’Église, les théologiens du Moyen-Âge et le Concile de Trente nous ont laissé un héritage louable en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique. Compte tenu de l’ancienneté du fond de leur enseignement, les pères de l’Église et les théologiens du Moyen-Âge constituent une base incontournable pour tout langage théologique sur le mémorial du Christ. Appartenant à la période de la naissance du christianisme, les Pères de l’Église, d’une manière variée, ont cherché à répondre aux problèmes multidimensionnels de leur temps pour enraciner la vraie foi chrétienne. Ils le feront soit au niveau de la foi eucharistique, soit au niveau de l’harmonie entre la foi professée et vécue en ce qui concerne la charité fraternelle, soit encore au niveau des différents courants intellectualistes qui menaçaient la vraie foi. Les théologiens du Moyen-Âge, face au vent violent du gnosticisme, élaboreront, spécialement à partir de S. Thomas d’Aquin, d’une manière claire la théorie de la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ. Il fallut attendre le Concile de Trente pour qu’intervienne la terminologie de la transsubstantiation pour désigner théologiquement cette transformation. On assistera, à cette époque, à la rationalisation de la 425

foi. Ces bases serviront à l’élaboration des vérités de la foi par les divers conciles, mais d’une manière décisive pour ce qui concerne l’Eucharistie par le Concile de Trente. Les différentes approches faites par les Pères de l’Église et les théologiens du Moyen-Âge sur l’anamnèse eucharistique, laissent se profiler la portée passée de l’ordre de l’anamnèse du Christ dans la culture religieuse juive. Il existe des affinités entre l’anamnèse du Christ et l’anamnèse juive. L’anamnèse du Christ, récapitulant toute l’histoire du salut, récapitule et rend parfaite celle juive en l’ouvrant à l’univers entier. Elle réalise la promesse faite au peuple d’Israël et ouvre le monde entier à une autre promesse qui sera accomplie à la fin des temps. Partant de l’Épître aux Hébreux, les Pères de l’Église et les théologiens du MoyenÂge ont bâti l’universalité de l’anamnèse du Christ en la faisant reposer sur son être d’hier, d’aujourd’hui et d’éternité (He 13, 8 ). La cognoscibilité de l’anamnèse chez les Pères de l’Église a connu une certaine évolution graduelle. Ils ont approfondi les grands aspects de mystère de la vie du Christ auxquels nous conduit la célébration eucharistique : la mort, la résurrection, l’ascension du Christ, la communion ecclésiale et la croissance de l’Église. Les théologiens du Moyen-Âge vont rationaliser les acquis des Pères de l’Église pour faire percevoir la différence entre l’anamnèse ancienne, la juive, et la nouvelle, celle du Christ, sur ce qui concerne l’efficacité et sur le plan spacio-temporel. L’actualisation de l’événement pascal, la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ et la perspective eschatologique à laquelle nous ouvre ce mémorial témoignent de l’efficacité du mémorial du Christ par rapport à celui des juifs qui -, malgré l’actualisation de leur pâque qui engage tous ceux qui la célèbrent-, ne comporte pas un caractère mystérique qui transforme l’agneau en un quelconque agneau, d’autant plus qu’avec la destruction du temple ils n’avaient plus de lieu pour une telle cérémonie. Quant au plan spacio-temporel, comme nous l’avons souligné plus haut, la célébration de l’anamnèse du Christ n’est pas sectorielle et limitée à un temps quelconque ; étant accomplie dans le temps, elle englobe le temps, le récapitule pour le salut de tous, sans distinction de races, de tribus ; contrairement à l’anamnèse juive qui est sectorielle et accomplie une seule fois dans le passé. Le Concile de Trente, riche des travaux des Pères de l’Église, des scolastiques et des théologiens de son temps, répondra à la Réforme qui attaquait avec virulence la doctrine de l’Eucharistie en ce qui concerne la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ, qui niait le caractère sacrificiel de l’Eucharistie. Le Concile répond par la 426

doctrine de la transsubstantiation et en mettant un accent particulier sur le caractère sacrificiel de l’Eucharistie et de son institution944. La célébration eucharistique est le mémorial du sacrifice du Christ, elle actualise d’une manière non sanglante le sacrifice de la croix945. La problématique du commandement de l’anamnèse dans ses différentes dimensions a été mieux cernée par le Concile de Trente qui a su mettre en relief les caractères sacrificiel, oblatif, libérateur et récapitulateur du mémorial du Christ et le rôle du sacerdoce ministériel qui agit in persona Christi dans la célébration de ce mémorial. Le chemin étant déjà balisé par les acquis du Concile de Trente, le Concile œcuménique Vatican II approfondira le mystère du mémorial de la mort et de la résurrection du Christ en articulant autour de lui toute la vie de l’Église et en engageant de l’intérieur et de l’extérieur une grande réforme au niveau liturgique et œcuménique pour un meilleur vécu de ce sacrement. Le chapitre consacré à l’enseignement du concile Vatican II sur l’anamnèse eucharistique nous a fait voir le peu d’espace qu’occupe l’anamnèse eucharistique, explicitement évoquée cinq fois dans les travaux et les acquis du concile946. Le Concile préfère utiliser une variété des terminologies pour parler de l’anamnèse eucharistique. Le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur sera toujours évoqué et interprété à l’intérieur d’autres terminologies comme : sacrifice de la croix, mystère de la foi, offrande du saint sacrifice, Sainte liturgie, messe, sacrifice de la messe … Etant plus un Concile ecclésiologique qu’eucharistique, il usera de cette diversité des terminologies pour favoriser une ecclésiologie qui serve à toutes les Églises de tradition chrétienne en vue de favoriser l’esprit d’unité et de communion autour de ce grand mystère de notre foi. Loin de chercher à rétrograder le commandement du mémorial du Christ, le Concile procède graduellement à la valorisation en lui de la dimension de la résurrection dans le mémorial du Christ dans lequel il voit la source de toutes les grâces et les vertus nécessaires pour la vie et la structuration de l’Église947. L’étude que nous avons faite à partir des documents ante-préparatoires, préparatoires, les documents officiels du Concile Vatican II et le magistère 944 Cf. D, 1642 ; 1739–1743. 945 Cf. D, 1638. 946 Cf. LG 8 et 28, SC, 6 ET 47 ; PO, 2. 947 Cf. SC, 41, 47 ; LG, 13, 23, 26, 28.

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post-conciliaire, nous a fait voir comment l’enseignement du magistère à partir de Vatican II jusqu’à nos jours considère le mémorial du Christ comme l’épicentre de la vie de l’Église à partir duquel se réalise anticipativement et concrètement l’unité divino-humaine, l’unité de l’Église terrestre avec l’Èglise céleste, l’unité des chrétiens entre eux et l’évangélisation parfaite de l’Église. Sous la conduite de l’Esprit Saint rénovateur, les documents du concile Vatican II et le magistère post conciliaire resteront sur les traces de l’approche biblique et de la tradition de l’Église en ce qui concerne l’anamnèse eucharistique. Mettant plus en lumière la dimension pascale dans la célébration du mémorial du Christ, le concile Vatican II souligne davantage le caractère d’accomplissement de l’anamnèse du Christ par rapport à l’anamnèse juive. L’anamnèse du Christ illumine et donne sens à l’anamnèse juive, elle l’ouvre à l’univers et lui donne une perspective eschatologique divine. Accomplie dans le temps, l’anamnèse du Christ sort du temps, elle l’englobe et l’ouvre à l’éternité. Le rôle du prêtre qui agit in persona christi est irremplaçable dans la célébration du mémorial du Christ. Participant à l’unique sacerdoce du Christ, le prêtre « potestate sacra qua gaudet, populum sacerdotalem efformat ac regit, sacrificium eucharisticum in persona Christi conficit illudque nomine totius populi Deo offert »948. Le Concile et le magistère post-conciliaire en soulignant le rôle du prêtre, ne remettent pas à l’arrière-plan le sacerdoce royal dont jouissent tous les baptisés, « fideles vero, vi regalis sui sacerdotii, in oblationem Eucharistiae concurrunt, illudque in sacramentis suscipiendis, in oratione et gratiarum actione, testimonio vitae sanctae, abnegatione et actuosa caritate exercent »949. La célébration du mémorial du Christ telle que le concile Vatican II nous la présente, est la vraie image de l’Église où chacun selon les dons reçus de l’Esprit Saint est au service des autres, pour la construction et l’harmonie du corps mystique du Christ. La mort et la résurrection du Christ célébrées dans la table de la Parole et dans la table eucharistique deviennent pour l’Église un programme de vie à partir d’où toute l’activité, l’enseignement doctrinal, moral… de l’Église doivent partir. Célébrer le mémorial du Christ, pour l’Église, devient une exigence en même temps qu’une nécessité.

948 LG, 10. 949 LG, 10.

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2. L’anamnèse dans la liturgie eucharistique et sa circularité avec l’épiclèse Cette partie plutôt systématique nous a permis de resituer l’anamnèse dans les deux tables qui constituent l’Eucharistie : table eucharistique et table de la Parole. Considéré comme principe structurant l’Église, le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ a été un peu mis à mal dans la table de la Parole. Souvent comprise comme avant-messe, la table de la Parole, par le concile Vatican II950 et le magistère post conciliaire, en l’occurrence celui de Benoît XVI951, retrouve petit à petit sa place comme partie constituante et nécessaire de la Sainte Eucharistie. C’est dans ce tout que l’actualisation de la mort et de la résurrection de Jésus, dans l’attente de son retour, se célèbrent en concert avec l’épiclèse qui constitue sa colonne. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse a constitué un des points forts de notre étude en cette dernière partie de notre travail pour marquer l’unité divine dans l’œuvre rédemptrice opérée par le Père en son Fils et continuée par l’Esprit Saint au sein de l’Église. Pour tenter d’être le plus exhaustif possible, nous avons fait cette étude en visitant les sources liturgiques, à savoir celles de l’Orient et de l’Occident, pour y déceler la structure anmnesico-ecclésiologique et la circularité qui existe entre l’anamnèse et l’épiclèse. Nous avons étudié pour ce faire des rites orthodoxes, protestants et catholiques. Pour ce qui concerne les rites orthodoxes, nous avons choisi, pour être un peu plus concis, les rites : byzantin, alexandrin et éthiopien. Pour les rites protestants, nous avons fait le choix d’étudier les rites luthérien et calviniste. Quant aux rites catholiques, nous avons étudié plus en profondeur le rite romain, tout en faisant quelques coups de sonde dans les rites gallican, mozarabe et ambrosien. L’étude de tous ces rites nous a conduit au point de vue du fond à mettre en évidence un dénominateur commun qui guide les célébrations de tradition chrétienne  des rites orthodoxes et catholiques : le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, compris non dans le sens d’une simple remise en mémoire mais dans le sens d’une actualisation réelle de l’événement pascal. Le Christ mort et ressuscité se rend réellement présent parmi les siens à travers le pain et le vin qui se 950 Cf. DV, 21 ; SC, 24, 56. 951 Cf. Benoît xvi, Verbum Domini, 55.

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transforment en son corps et en son sang. Cette transformation opérée par la force de la parole du Christ et par la présence de l’Esprit Saint invoquée sur le pain et le vin, devient source des biens éternels pour l’unité et la vie de l’Église. La dimension anamnésico-ecclésiologique et la circularité de l’anamnèse avec l’épiclèse sont si fortes dans la table eucharistique qu’elles ne souffrent d’aucun doute. Les rites orthodoxes à tendance plutôt plus pneumatologique trouveront, par leur caractère somptueux et plus solennel avec son iconoclaste plein de sens théologique, l’équilibre entre la dimension christologique et pneumatologique. Toute invocation est une ascension graduelle de la louange de la Sainte Trinité. Les rites catholiques, modestes par rapport aux rites orthodoxes, vivent la table de l’Eucharistie comme l’épicentre de la célébration du mémorial du Christ. Par la force de l’Esprit Saint et le ministère de son Église, le Christ luimême se rend présent et se donne en nourriture et breuvage aux siens et l’Église réalise ainsi sa communion terrestre et céleste. Les anaphores étudiées nous le démontrent à l’envi. La circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table eucharistique paraît très forte dans les canons de la messe. Le Christ ressuscité continue dans le mémorial de sa mort et de sa résurrection à nourrir les siens par le pain de la vie et la coupe du salut, il les rassemble par l’Esprit Saint en un seul corps952. Beaucoup de ces rites de tradition catholique seront désuets ; dans ce qui reste, nous compterons les rites ambroisien et romain. Les deux resteront si similaires et unis du point de vue du fond que les séparer devient une entreprise difficile. Marqués par le mouvement de la Réforme, les rites protestants resteront distants en ce qui concerne le fond dans la célébration de la table eucharistique par rapport aux autres rites chrétiens. Privilégiant la thèse de la consubstantialité, de la companation à celle de la transsubstantiation, la théologie protestante ne cautionne pas la thèse de la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ. La foi en la présence réelle du Christ, présence qui doit être considérée seulement comme spirituelle et temporaire, à côté du pain et du vin, sera professée par tous les différents mouvements réformistes à l’exception de Zwingli. Cette conception théologique réduira l’anamnèse eucharistique à une simple commémoration, dans le sens d’une simple remise en esprit d’un événement passé. Cela n’a rien à voir avec l’actualisation du sacrifice du Christ qui, pour eux, n’a 952 Cf. MAD, Prière eucharistique II, 530.

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eu lieu qu’une seule fois et qu’on n’a pas à répéter ou à actualiser dans la célébration eucharistique. Par la grâce de l’Esprit Saint, nous commémorons dans la Sainte Cène les bienfaits de Dieu dans le passé qui suscitent la foi chez les chrétiens et leur donne accès aux biens éternels. L’Esprit Saint nous aide à nous remémorer les bienfaits de Dieu ; Calvin précisera encore l’action de l’Esprit Saint dans la table eucharistique en disant que c’est grâce à l’action de l’Esprit Saint que la distance entre le divin et l’humain est réduite dans la célébration de la Sainte Cène. C’est l’Esprit Saint qui rend possible la présence spirituelle du Christ à côté du pain et du vin. La dimension ecclésiale au sens horizontal est ainsi réduite parce que ma foi est directement le fruit de mon contact avec Dieu. L’Église, la tradition ne contribuent en rien à la transmission de la foi. Cette conception, nous l’avons souligné plus haut, nous coupe de la grande chaîne ecclésiale. Ma foi d’aujourd’hui, bien qu’étant le fruit de la grâce de Dieu, est la résultante d’une anamnèse de la foi vécue par ceux qui nous ont précédés ; en y adhérant, j’entre dans cette grande chaîne pour transmettre aussi la foi aux autres. Nous nous passons le témoin comme dans une course de relais. La thèse de la companation ou de la consubstantialité remet en doute le caractère souverain et suffisant de la Parole de Dieu. Placée non seulement au dessus de tout, la Parole de Dieu porte en elle une dimension d’intemporalité et de performance qui lui donne un caractère de véracité et de puissance intemporelle pour l’éternité (Is 40, 8 ; Ps 119, 89.160 ; Mt 5, 18 ; 24, 35 ; 1 P 1, 25). La dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique dans les rites protestants se trouve fissurée par la thèse de la consubstantialité qui ne favorise pas la communion anticipative entre l’Église terrestre et l’Eglise céleste et qui n’ouvre pas à l’avenir les biens éternels du présent. Vu certaines divergences de fond qui sont apparues dans ces différents rites, surtout entre les rites protestants et les rites orthodoxes et catholiques, la forme de la célébration de la table eucharistique revetira elle aussi certaines légères différences. Les orthodoxes, plus solennels, et les catholiques, suivant à peu près la même forme, donneront tous deux plus de respect et de dévotion à cette partie de l’Eucharistie. Quant aux protestants, la forme de la table eucharistique sera divergente de celle des deux autres compte tenu de leur base de fond théologique. La table eucharistique ainsi étudiée nous donne accès à la table de la Parole. Si dans le quatrième chapitre nous avons étudié la dimension anamnésico-ecclésiologique de la table eucharistique et la circularité entre 431

l’anamnèse et l’épiclèse dans la table eucharistique, le cinquième chapitre a fait la même étude mais axée cette fois-ci sur la table de la Parole. Le but d’étendre cette étude sur les deux tables, est de montrer d’abord que l’Eucharistie forme un tout, comme nous l’avons plusieurs fois souligné à partir des documents du concile Vatican II. Nous ne pouvons pas séparer les deux tables. Ensuite, tenter de voir s’il existe dans nos différentes célébrations de la table de la Parole la dimension anamnésico-ecclésiologique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Enfin chercher à avoir une idée de ce que peut être notre table de la Parole soutenue par ces piliers. L’étude précédente a clairement mis en évidence la dimension anamnésico-ecclésiologique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table eucharistique pour ce qui concerne les rites orthodoxes et catholiques. Quant à la table de la Parole, ces dimensions apparaissent très clairement dans les rites protestants et orthodoxes. Les rites catholiques accuseront d’un manque énorme en ce qui concerne la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse. Donnant à la Parole de Dieu tout son caractère divin, comme le moment important où la Parole fait chair continue à nous révéler le Père, l’invocation de l’Esprit Saint nous enseignera et nous rappellera tout manque dans cette partie de l’Eucharistie dans les rites catholiques. Les rites orthodoxes trouveront un équilibre entre l’anamnèse et l’épiclèse dans la table de la Parole, tandis que les rites protestants, avec le principe de la Sola scriptura, feront de la table de la Parole la partie centrale de la célébration de la Sainte Cène. Pour les protestants, c’est la partie capitale de la Sainte Cène où le Christ lui-même nous parle par la voie de son ministre. Par l’écoute de la Parole de Dieu, les fidèles entrent dans l’intimité subjective avec lui. La prédication de l’Église, remplie de l’Esprit Saint, rend vivante la Parole de Dieu et engage tous et chacun à la conversion. L’approche anamnésico-ecclésiologique et la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse est plus riche dans la table de la Parole dans les rites protestants que dans les autres rites étudiés. Le dernier chapitre de cette étude, en forme de retombées positives de l’anamnèse eucharistique dans la structuration de l’Église, nous a permis de mettre à profit notre étude à partir de la liturgie en nous appuyant sur la thèse de H. de Lubac qui affirme que « l’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’Eucharistie » pour affirmer à notre tour à travers la table de la Parole et la table eucharistique que « l’anamnèse fait l’Église et l’Église fait l’anamnèse ». L’Église ne restera Église du Christ que si elle continue à obéir à l’ordre de son Seigneur. Cette obéissance confirme son identité, la recrée 432

et la maintien par la présence perpétuelle de son Seigneur. L’anamnèse devient ainsi pour l’Église un patrimoine d’une grande importance pour son identité et sa survie. Confié à l’Église, chaque chrétien selon les dons reçus de l’Esprit Saint, y participe953 et y puise les grâces nécessaires pour son pèlerinage terrestre jusqu’au retour de son Seigneur. L’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ devient un principe fondamental dans la structuration relationnelle de la vie ecclésiale. Par la force vivificatrice de l’Esprit Saint, l’Église, en célébrant le mémorial de son Seigneur, renforce son unité et chaque chrétien est redynamisé dans sa mission prophétique comme représentant du Christ. C’est ainsi que notre étude a porté à différents niveaux notre contribution : au niveau liturgique, ecclésial et œcuménique. Au niveau liturgique : partant d’un des points fort de notre étude, la circularité entre l’anamnèse et l’épiclèse, nous nous sommes rendu à l’évidence de ce manque concernant la table de la Parole dans les différents rites catholique, spécialement le rite catholique romain auquel nous appartenons. Pour parer à ce hiatus, nous avons proposé, en partant du Christ caput libri, son modus legendi. L’unique fois que la Parole faite chair a lu les Écritures (Lc 4, 16–21), elle nous a montré avec quelle force nous pouvons les lire et les accomplir : c’est avec la force de l’Esprit Saint que Jésus porte la Bonne Nouvelle aux pauvres, qu’il annonce la délivrance aux captifs et la vue aux aveugles, qu’il proclame une année de grâce du Seigneur… et surtout qu’il accomplit dans l’aujourd’hui ce qui a été dit de lui. Par sa lecture, le Christ devient le modèle et la clé de notre lecture. Nous ne pouvons lire les Écritures que comme lui-même, Parole faite chair, les a lues. C’est de lui que toutes les Écritures ont parlé et c’est à partir de lui et comme lui que nous pouvons lire les Écritures. Le Christ continue encore à travers son Église à nous expliquer les Écritures, mais il faut encore la Pentecôte dans la proclamation et la prédication dans la table de la Parole pour une mission anamnesique forte comme celle des apôtres dans les premiers temps de l’Église. Nous avons proposé pour, ce faire, l’introduction des prières à caractère pneumatologique dans la table de la Parole pour y permettre une pleine circularité explicite entre l’anamnèse et l’épiclèse. Quant au niveau ecclésial, l’unité au sein de l’Église se voit renforcer par l’anamnèse qui est célébrée dans chaque sacrement et par lequel chaque chrétien est vivifié. L’anamnèse de la mort et de la résurrection du 953 Cf. LG, 11.

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Christ devient le dénominateur commun de toute la vie ecclésiale. Par la grâce de l’Esprit Saint, l’anamnèse fait naître et vivre l’Église. Le caractère coextensif de l’anamnèse à toute l’économie sacramentaire devient le socle de l’unité ecclésiale et rend chaque chrétien représentant du Christ. La collaboration au sein de l’Église est plus que jamais une exigence essentielle et la mission de chaque chrétien ne consiste pas seulement dans la proclamation de ce qu’il célèbre mais aussi dans la célébration de ce qu’il proclame. L’anamnèse cultuelle de la mort et de la résurrection de Jésus célébrée dans l’Eucharistie devient une anamnèse existentielle ecclésiale qui structure la vie de l’Église et de tous les chrétiens. On passe ici de l’anamnèse eucharistique à une anamnèse ecclésiologique qui fait que ce que nous célébrons devienne une vie. L’invitation à manger et à boire signifie que Jésus veut impliquer les disciples dans son destin propre, par une assimilation et même une transformation en lui. Lorsque le croyant célèbre l’Eucharistie, il descend au tréfonds de sa mémoire, il rencontre Jésus, l’envoyé de Dieu qui a été fidèle à sa mission, qui a été ressuscité et qui, désormais, se rend présent pour communiquer la vie. La mémoire cultuelle a pour fonction de reconnaître, de l’Absent, la présence active et permanente954.

La mémoire de la mort et de la résurrection du Christ implique l’Église dans le destin de son Seigneur qui est mort et ressuscité. L’Église se voit transformer par ce destin et la vie de chaque chrétien devient un défi de la présence active et permanente du Christ mort et ressuscité. Saint Paul relevant ce défi ne dit-il pas : « Je suis crucifié avec le Christ ; et ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). La dimension missionnaire de l’anamnèse porte le chrétien qui actualise cultuellement la mort et la résurrection du Christ à participer existentiellement à cet événement dans le quotidien de sa vie pour tirer chaque jour du neuf de l’ancien, grâce au redoutable travail herméneutique de l’Esprit Saint. Les évêques de la CENCO dans leurs divers messages, et spécialement celui adressé aux acteurs politiques catholiques à l’occasion du jubilé d’or de l’indépendance du pays, stipulent justement ce fait d’être des ambassadeurs du Christ dans nos différents engagements. Loin de vouloir reléguer au dernier plan son engagement dans le monde, le chrétien qui 954 X. Léon-Dufour, « Les deux mémoires du chrétien », 146.

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célèbre le mémorial du Christ trouve dans ce qu’il célèbre les valeurs phares de son comportement quotidien955.   En ce qui concerne l’apport de l’anamnèse à la construction du mouvement œcuménique, il est plus que jamais intrinsèque à la foi chrétienne pour la simple raison que la division autour d’une même confession d’un Dieu Un et Trine et de Jésus comme Seigneur et Sauveur956 qui a été mort et ressuscité, est en réalité un véritable scandale et une contradiction. Si nous avons tous une même confession de foi autour de Jésus que nous célébrons dans nos différentes liturgies, comment ne pouvons-nous pas être unis entre nous ? « Le Christ est-il divisé ? Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » (1 Co 1, 13). Les Églises chrétiennes, bien que les interprétations théologiques sur la célébration de l’événement pascal du Christ dans la liturgie diffèrent, de plus en plus conscientes de ce scandale, se voient comme obligées de l’intérieur à s’engager sur la voie de l’unité. Le concile Vatican II fera du mouvement œcuménique l’un de ces buts principaux957, le Pape Jean Paul II dans son encyclique sur l’œcuménisme le qualifiera d’une urgence958. Prenant en considération l’engagement et la bonne volonté qui anime toutes les Églises de traditions chrétiennes à l’unité, et surtout considérant les grandes avancées réalisées pour l’unité, « tous ceux qui par la pensée peuvent revenir en arrière de quelques décennies, savent que durant ces décennies il s’est passé plus des choses que durant les siècles auparavant. Des textes importants ont été élaborés qui témoignent d’un rapprochement considérable »959. Malgré ces avancées, il reste toujours le grand scandale autour de l’unité essentielle : l’unité eucharistique. L’anamnèse de la mort et de la résurrection du Christ qui est célébrée dans l’Eucharistie, actualise la présence du Christ à des moments différents de la célébration selon les différentes confessions religieuses. Nos frères de la Réforme mettront l’accent sur la table de la Parole dans laquelle ils voient la présence du Christ qui nous parle, qui à travers ses ministres, plein de l’Esprit Saint, prêche afin de susciter en nous la foi qui nous conduit au salut. On comprend ici le principe de la Sola Scriptura qui est en soi souveraine 955 Cf. Is 58, 1–12 ; Mt 23, 3–33 ; Mc 7, 10–13 ; GS, 43. 956 Cf. UR, 1. 957 Cf. UR, 1. 958 Cf. Jean Paul ii, Ut Unum sint, 1. 959 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 62.

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et suffisante. Comme ils prônent la théorie de la companation ou de la consubstantiation, qui exclut la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ, pour ce qui concerne la table eucharistique, l’anamnèse ici n’est qu’une simple remise en mémoire d’un fait passé. Les Églises orthodoxes et catholiques, par la théorie de la transsubstantiation, grâce à la parole de Jésus et à la force de l’Esprit Saint, voient dans la table eucharistique la présence réelle du Christ qui vient parmi les siens pour les combler de grâces. L’anamnèse eucharistique est ici l’actualisation réelle de l’événement pascal du Christ. Le concile Vatican II960 comblera le hiatus constaté entre la table de la Parole et celle de l’Eucharistie. Les deux tables constituent un seul tout, on ne peut pas avoir l’une sans l’autre, le Christ qui nous nourrit par sa Parole dans la table de la Parole est le même Christ qui nous donne son corps et son sang dans la table eucharistique. Ce qui rend notre étude intéressante à ce niveau œcuménique est cette idée de fond qui se retrouve dans toutes les traditions chrétiennes : l’actualisation tant au niveau spirituel que matériel de la présence du Christ dans nos différentes célébrations. Déjà à ce niveau nous avons franchi un grand pas pour le renforcement de cette unité eucharistique essentielle. Nous pourrons continuer à célébrer nos différentes Eucharisties ou Saintes Cènes du Seigneur dans un esprit d’accueil mutuel et de complémentarité fondé sur la recherche commune de l’actualisation de la présence du Christ dans la table de la Parole et dans la table eucharistique. Pour prendre un exemple : dans les dernières décennies nous avons beaucoup appris de nos frères chrétiens protestants concernant l’importance de la Parole de Dieu, la lecture et l’interprétation de l’Écriture Sainte ; ils s’instruisent actuellement auprès de nous pour ce qui concerne l’importance des symboles liturgiques et des célébrations liturgiques961.

Un pas de géant vers l’unité essentielle, autour de l’Eucharistie se réaliserait, dans le mouvement œcuménique, si nous arrivions par l’anamnèse à faire l’anamnèse de l’Église primitive indivise, unie autour des apôtres et de leurs successeurs dans les premiers siècles du christianisme. Cette Église des premiers siècles du christianisme, avec les Pères de l’Église, qui étaient tous unis, et qui constituent un héritage appartenant à nous tous, l’Occident et l’Orient ; et qui, à leur époque, étaient tous unis autour du sacrement de l’Eucharistie qui rend réellement présent le Christ parmi 960 Cf. DV, 21 ; SC, 24, 56 961 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 66.

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les siens, les faisant entrer en communion avec lui et renforçant l’union fraternelle. Saint Paul l’affirmera aux chrétiens de Corinthe : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ  ? » (1 Co 10, 16). Nous avons prôné pour ce faire une guérison de nos mémoires négatives des séparations pour un rétablissement de la mémoire positive de l’unité de l’Église primitive. Il faut pour cela « la conversion personnelle, la sanctification sans cesse recommencée des fautes du passé, la purification de la mémoire à propos de nos propres fautes, le service humble et l’amour désintéressé »962. L’anamnèse ainsi célébrée et vécue dans les sacrements et toute la vie des Églises de tradition chrétienne non seulement nous fera professer et actualiser le Christ mort et ressuscité dans nos cultes et dans nos vies, mais elle deviendra une tension toujours dynamique, qui nous attire et nous ouvre à la communion trinitaire malgré nos diversités963.

962 W. Kasper, Sacrement de l’unité Eucharistie et Église, 74. On peut aussi lire à ce sujet UR, 6–9. 963 1CO 12, 12–27. LG, 6–7.

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Sigles et abréviations

Pour ces sigles et abréviations, nous avons suivi Siegfried M. Schwertner qui a mis à la disposition des théologiens et chercheurs de science sacrée des sigles et abréviations normatifs standardisés pour environs 7.500 titres de revues, de séries, de dictionnaires et éditions de sources. Les sigles sont faits d’après les normes internationales (Format français : NF Z 44– 002 Code d’abréviation des titres de périodiques en langue française, mai 1944, Paris)964. Le peu de sigles que nous n’avons pas trouvés chez Siegfried, nous les avons créés en suivant les principes et les usages établis. AA  : AAS : Ac : ADCOV : AG : AISR : Art. : Ap : ASCOV : ASgr : AT : Bess. : can. : Cath :

Apostolicam actuositatem, L’apostolat des laïcs (Vatican II). Acta Apostolicae Sedis. Actes des Apôtres. Acta et documenta concilio oecumenico vaticano II apparando. Ad gentes, l’activité missionnaire de l’Église (Vatican II). Académie internationale des sciences religieuses. Article. Apocalyse. Acta Synodalia Sacrosancti Concilii Oecumenici Vaticani Secundi. Assemblée du Seigneur. Ancien Testament. Bessarione. Canon. Catholicisme.

964 S. M. Schwertner, Internationales Abkürzungsverzeichnis für Theologie und Grenzegebiete, Zeitschriften, Serien, Lexika, Quellenwerke mit bibliographischen angaben, 2., ûberarbeitete und erweiterte auflage, Berlin, – New York 1992. Nous voulons faire remarquer aux chercheurs que ce livre très bien fait est traduit en quatre langues (français, italien et espagnol). Vous le trouverez en français sous le titre de : Index international des abréviations pour la théologie et domaines apparentés.

CChr.CM : CCis : CCSL : CEC : CG : CENCO : CE : CD : Cf : Ch (1ou2) : Christus : Co (1–2) : CIC : Col : Commu : CPB : CSEL : CTePa : D : DACL  : DCApo : DC : DCrT : Did : DS : Dt : DThC : DV : DThF : EcOra : EeV : EN : EnchVat : EphL : 440

Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis. Collectanea Cisterciensia. Corpus Christianorum Series Latina. Catéchisme de l’Église Catholique. Catéchisme de Genève Conférence épiscopale nationale de la République Démocratique du Congo. Cahiers Evangile. Christus Dominus, la charge pastorale des évêques. Confer (invitation au lecteur à se référer à l’indication qui suit). Chroniques (1–2). Christus. Cahiers spirituels. Corinthiens (1–2). Codex iuris canonici. Colossiens. Communion. Verbum caro. commission Pontificale Biblique Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum. Collana di Testi Patristici. Enchiridion symbolorum. Ed. : Heinrich Denzinger. Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie. Didascalia et constitutiones apostolorum. Documentation Catholique. Dictionnaire critique de théologie. Didaskalia. Dictionnaire de Spiritualité. Deuteronome. Dictionnaire de Théologie Catholique. Dei verbum, Constitution dogmatique sur la révélation divine. Dictionnaire de théologie fondamentale. Ecclesia Orans. Esprit et Vie. Evangeli Nutiandi. Enchiridion Vaticanum. Ephemerides Liturgicae.

EphLi : Esd : Est : etc. : Ets : Ex : EV : Ez : Ga : Gn : GS : He : Ir : Is : Ist : Jb : Jdt : JEH : Jos : Jn : Jr : Lc : LG : LO : LV (Bruges) ou (Lyon) : LV : Lv : M (1–2) : MA : MAD : Mc : MmT : MD : Mi : Ml : MSILi :

Ephemérides Liturgiques. Esdras. Esther. et cetera. Etudes. Exode. Esprit et vie. Ezéchiel. Galates. Genèse. Gaudium et Spes. Hébreux. Irénikon. Isaïe. Istina. Job. Judith. Journal of ecclesiastical History. Josué. Jean. Jéremie. Luc. Lumen gentium. Constitution dogmatique « De Ecclesia » Lex orandi. Lumière et Vie. Lumen Vitae. Lévitique. Maccabé (1 ou 2). Missale Ambrosiano. Missel de l’Assemblée Dominicale. Marc. La mémoire et le temps. La Maison-Dieu. Michée. Malachie. Monumenta studia instrumenta liturgica.

441

Mt : Nb : Ne : Not : NRTh : NSg : NT : Numen : NV : OE : OR : OrChrP : OrSyr : Os : OT : P (1–2) : PG : PG – L : PL : PO : Pr : Ps : QuLi : RB : rdc. : RDE : RDM : RdT : RETM : Rm : RSLR : RSR : RThAM : RThom : 442

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