Congo-Brazzaville: Chronique du génocide des Lari du Pool 2343157138, 9782343157139

Depuis la période révolutionnaire (1963-1991), les gouvernements successifs ont mis en place une politique qui a martelé

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Congo-Brazzaville: Chronique du génocide des Lari du Pool
 2343157138, 9782343157139

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Les différents conflits armés qui se sont déroulés au Congo (1993, 1994, 1997, 2000, 2002) ont tous visé les Lari. À tout moment, ils ont été des victimes expiatoires. Des Orgues de Staline, des hélicoptères de combat et des avions de chasse ont bombardé les quartiers, villages et forêts des pays lari. Tout ceci s’est déroulé dans le silence de la communauté internationale, en toute impunité. Ce livre relate quelques actes de génocide perpétrés entre octobre 1997 et décembre 1999.

Nsaku Kimbembe est un ancien prêtre. Il a étudié la théologie et la philosophie au grand séminaire de Mfua (Brazzaville) avant d’exercer à Kindamba et Kinkala (Congo) où il a été témoin de certaines scènes macabres. Parti du Congo en 2000, il a officié à la paroisse de Saint Germain-Laval (42) en France.

Illustration de couverture : © J. Allain - Jalka Studio

ISBN : 978-2-343-15713-9

17,50 €

Nsaku Kimbembe

Depuis la période révolutionnaire (1963-1991), les gouvernements successifs ont mis en place une politique qui a martelé un discours ouvertement anti-Lari afin d’isoler ceux-ci et de les exterminer. Le Pool, département du sud du pays, étant perçu comme un nid de la contre-révolution qu’il faut mater en permanence.

Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool

Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool

Nsaku Kimbembe

CongoBrazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool

CONGO-BRAZZAVILLE : CHRONIQUE DU GÉNOCIDE DES LARI DU POOL

Nsaku Kimbembe

Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool

© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-15713-9 EAN : 9782343157139

Merci à mon frère B.K. pour ses conseils

SOMMAIRE

PRÉAMBULE ................................................................. 15 INTRODUCTION ........................................................... 17 CHAPITRE 1 L’esquisse d’un ethnocide ............................................... 19 CHAPITRE 2 Une approche guerrière imparable .................................. 39 CHAPITRE 3 La phase exécutoire de l’extermination........................... 75 CHAPITRE 4 Les effets induits du génocide ....................................... 147 CONCLUSION ............................................................. 163

9

Nitu’ani ya bîya1 Kuend’andi ku ntole kuani Meno nitu’ani ya bîya kua yena Kuend’andi ku ndingi kuani Meno na yika yêbo… Kuend’andi ku nsotse kuani Meno nitu’ani ya beba kua yena Kuend’andi ku ndîngi luaza Meno na yika yêbo… Ah Nzengolo, Meno nitu’ani ya bîya kua yena Kuend’andi ku ntadi kuani bindeso Meno na yika yêbo…

1

Franklin Bukaka, artiste musicien exécuté en 1972. Il avait 32 ans.

11

Mes pensées à : Armand Bitsindu, jeune catéchiste de Kindamba exécuté par les Cobras Jean Guth, curé de Mayama, enlevé et exécuté par les Ninjas de Ntumi Tous mes paroissiens et toutes les victimes de cette haine viscérale du Lari Eh nkabi, eh nkabi ku fuila mu yà diani ko mayà mamingi kua me kô2.

2

Oh antilope, oh antilope, ne viens pas mourir dans mon champ, il y en a beaucoup d’autres.

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PRÉAMBULE

J’ai exercé le ministère presbytéral pendant de nombreuses années. Dans l’exercice de celui-ci, j’ai été confronté à différentes scènes dont celle du génocide des Lari dans la région du Pool où je travaillais au moment des faits. Ce travail se veut être un témoignage devant le monde et devant l’Histoire. Témoignage de ce que j’ai vécu ; de ce que nous avons vécu. Nos souffrances et notre douleur de perdre des confrères, des amis, des collègues, des parents. Je notais ces évènements que je vivais, que je voyais ou qui m’étaient rapportés. Le présent ouvrage est un témoignage. Des faits. Du vécu. Malgré les pressions de toutes sortes. Cet ouvrage est un hommage à deux personnes : – Armand Bitsindu, ce jeune catéchiste de Kindamba exécuté par les Cobras après un interrogatoire qui a tourné autour de ma personne. – Le Père Jean Guth, curé de Mayama, enlevé et exécuté par les Ninjas du pasteur Ntumi. Les meurtriers n’ont jamais été inquiétés. Ma conscience de pasteur me pousse à dénoncer toutes ces injustices ; mais nous avons affaire à une machine redoutable qui broie tout et tout le monde. C’est ainsi que je me suis décidé de porter un témoignage à Paris, lors de l’audience du 28 février 2001 dans le procès de l’ouvrage 15

Noir Silence, où des dictateurs ont attaqué en justice l’auteur de l’ouvrage, François-Xavier Verschave (Association Survie). C’est le seul moyen que j’aie trouvé pour tenter d’élever ma voix. Les évènements ci-dessous rapportés se déroulent au Congo (Brazzaville). Les victimes sont des citoyens de nationalité congolaise, des Lari qui habitent leurs villages dans les districts suivants : Kinkala, Luingi, Boko, Mbanza-Ndunga, Ngoma Tsetsa, Mayama, Kindamba, Vinza et Minduli.

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INTRODUCTION

Les évènements qui sont relatés dans le présent ouvrage se déroulent au Congo-Brazzaville dans la région du Pool. Dans ce travail, nous relatons la situation dramatique qui prévaut dans les villages et les hameaux lari de la région du Pool entre 1997 et 1999, notamment dans les districts de : – Minduli où vivent des ba-sundi et des ba-hangala qui appartiennent aux clans issus des Ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. – Kindamba, Vinza et Luingi où vivent des ba-sundi qui appartiennent aux clans issus des Ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. – Kinkala, Mayama, Ngoma-tsetsa, Mbanza-Ndunga, où vivent des ba-lari qui appartiennent aux clans issus des Ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. – Dans une moindre mesure dans les districts de Boko et Lumo où vivent aussi des ba-sundi notamment dans la zone de Luingi ; – Ngabe où vivent essentiellement des ba-téké n’est pas touché par le génocide3. Nous présumons que des exactions similaires sont commises dans les pays du Niari (Buenza, Lekumu, 3

Parler de la guerre du Pool est une falsification des faits. Dans les villages, nous assistons au massacre des populations civiles non armées par des hommes en armes.

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Niari)4. Le présent travail traite uniquement des exactions subies dans des districts des pays lari de la région du Pool qui englobent les districts ci-dessus cités. Avec l’espoir que dans les pays du Niari (où se commettraient les mêmes exactions) un travail similaire s’accomplit pour pouvoir éclairer notre peuple et bâtir enfin cette unité nationale si recherchée et si mise à mal par des hommes politiques sans scrupule. Après la victoire militaire du 15 octobre 1997, Sasu a mis en place un État militaro-policier fondé sur la peur. Les militaires et les Cobras bénéficient de l’impunité totale pour réprimer toute attitude de défiance envers le régime. Des journalistes courageux sont jetés en prison (comme Dombe-Mbemba) ainsi que les défenseurs des droits de l’homme (comme Christian Munzeo et Brice Makoso). Tous les organes de sécurité sont directement rattachés à Sasu : – Sasu est lui-même ministre de la Défense ; – Jean-Dominique Okemba (son neveu) est le patron du Conseil national de sécurité ; – Général Blaise Adua5 s’est vu confier la direction de la sécurité présidentielle ; – Général Jean-François Ndenget6 s’est vu confier la direction générale de la Police nationale ; – Commandant Kubemba Rémi alias Khamar7 s’est vu confier la direction régionale de la Police dans le Pool.

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Dans ces régions, les habitants appartiennent aux clans issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. 5 Un proche de Sasu. 6 Un autre proche de Sasu. 7 Un proche du ministre de l’Intérieur.

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CHAPITRE 1 L’esquisse d’un ethnocide

Les Lari

Wa sala manima minkusi mi muyukuti8

Le kikongo est la langue qui se parle dans tout l’espace culturel kongo. Elle est composée de différents accents (parlés dans différentes communes). Ainsi pour dire « Moi », nous avons : mono (moi), meno (moi), me (moi), munu (moi) : – Mono ntele (moi, j’ai dit) – Mono mvovele (moi, j’ai dit) – Mono ngohele (moi, j’ai dit) Meno ou sa contraction « Me » – Meno ntele (moi, j’ai dit) – Me ntele (moi, j’ai dit) – Munu ku tuba (moi, je dire)9 Lorsque l’on parle des Lari, ceux-ci suscitent des sentiments divers. Les Lari sont des Bakongo10 issus des clans Nsaku, Mpanzu, Nzinga comme tous les citoyens 8

Qui marche derrière (les autres) est rassasié de pets. C’est du faux kikongo devenu langue officielle ou kikongo de l’État. 10 Les Bakongo sont les descendants de l’Ancêtre Kongo-Nimi et son épouse Ngunu. Dans les villages, il se dit : mukô Ngunu, mutiê Ngunu. Ngunu est l’ancêtre des Bakongo et des Batéké. 9

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issus de la culture kongo. Ils parlent la langue kikongo avec l’accent : « meno ntele » ou sa contraction « me ntele » (moi, j’ai dit) contrairement au « munu ku tuba » (moi, je dire). Regardons notre Histoire ; et non sa version qui s’est écrite à « Paris, Bruxelles ou Washington »11. Autrefois, l’État fédéral du Kongo (Kongo dia Ntotela12) était divisé en 144 Mimvuka (communes). Chaque mumvuka (commune) portait un nom. Suivant le nom de la commune, les Bakongo portaient des surnoms. Ainsi avons-nous entre autres : – Les Ba-luangu qui sont des Bakongo qui habitent la commune de Luangu. – Les Ba-kongo qui sont des Bakongo qui habitent la commune de Kakongo13 – Les Ba-wumbu qui sont des Bakongo qui habitent la commune de Wumbu. – Les Ba-lari qui sont des Bakongo qui habitent la commune où coule la rivière Lulari (dans l’actuelle région de la Lekumu ; territoire qu’occupent actuellement les Batéké). Avec les mouvements migratoires, les Ba-lari se sont retrouvés dans le Pool actuel jusque dans le territoire de Luwozi en RDC. Ces communes constituent une diversité de richesse pour les descendants des ancêtres Nsaku, Mpanzu, Nzinga et non des facteurs de division. Chez les hommes de culture kongo, la chose la plus importante est la parenté (luvila) ou le clan (kanda)14. Ce sont les clans ancestraux 11

Lumumba Patrice. Un nom qui donne de la nausée à certaines personnes. 13 Ils ne sont pas plus « Bakongo » que les autres, comme le Congolais de Liranga n’est pas plus congolais que celui de Sibiti. Historiquement parlant, la notion de « Bakongo de Boko » est un non-sens. On est Mukongo par l’appartenance à un clan (issu des ancêtres Nsaku, Mpanzu, Nzinga) et non par rapport à un lieu géographique donné. 14 Luvila : parenté ; mvila : des parentés. 12

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qui unissent le pays. Quelle que soit sa commune, un parent reste un parent ; le clan reste le clan ; la kanda demeure la kanda. Le « Luvila » et la « kanda » prônent la fraternité. Ils constituent la patrie15. La patrie est composée de l’ensemble des mvila et des makanda. Aussi la sagesse kongo enseigne-t-elle : Mpemberi nding’andi muzombo ka mpangi’aku muna mazinga ma mvila (Mpemberi est d’accent de zombo16, mais il reste ton frère et ton compatriote par les affinités de parenté). Les Européens ont fait de ces noms de communes des races et des ethnies (race vili, race bembe, race téké, race lari). Les actes de naissance de ceux qui sont nés avant les indépendances portent la mention : « race » et on y signale le nom de la commune (ba-lari, ba-bembe, ba-luangu…). C’est cette notion coloniale qui colle dans le mental de certains dirigeants politiques actuels qui provoquent des guerres et génèrent des génocides au nom de la notion inventée et coloniale de l’ethnie. Il est regrettable que l’instruction (si poussée soit-elle) ne parvienne toujours pas à désaliéner le mental de nos élites. Certains responsables politiques et leurs savants conseillers n’arrivent pas à se démarquer du schéma colonial qui nous détruit tant. Nos hommes politiques n’arrivent toujours pas à libérer nos historiens pour nous enseigner notre vraie Histoire. Même s’il parle avec un accent différent du mien, à partir du moment où l’on est un citoyen du royaume kongo, nous avons une parenté (mvila, luvila). La vraie identité consiste à décliner : 15

J’aurais tendance à parler de matrie à l’instar du professeur José Do Nascimento. 16 C’est-à-dire de n’importe quelle commune du royaume.

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– son nom ; – le nom de son clan (qui est celui de la mère) ; – le nom du clan de son père ; – le nom du clan du grand-père maternel ; – le nom du clan du grand-père paternel. Cette identification propulse les clans et minimise les tribus ou les ethnies parce que dans tout l’espace kongo, on trouve les mêmes clans. Les accents de la langue (que l’on traduit par ethnies) n’ont aucune importance. Le lieu géographique ne détermine jamais un citoyen du Kongo fédéral (Kongo dia Ntotela). C’est l’appartenance au clan qui le détermine (peu importe l’accent de la langue qu’il parle). Tous les clans bakongo sont issus des mêmes Ancêtres : Nsaku, Mpanzu et Nzinga17. Dans les territoires coloniaux actuels qui portent les noms de Républiques du Gabon, du Congo, d’Angola et RDC, l’on trouve les mêmes clans et les mêmes ancêtres. Les ethnies (qui sont des créations coloniales) divisent ; tandis que les clans (qui sont une organisation locale) unissent. Il est regrettable qu’en cette période postindépendance, nos responsables n’aient pas eu la présence d’esprit d’inclure le clan dans nos actes de naissance ; ce qui nous éviterait certaines déconvenues. Nsaku est l’ancêtre des Bakongo qui appartiennent aux clans (makanda-mvila) suivants : – kinsaku, lemba, madingu, ndingi, kimbunda, kihunda, nkokolo, kimbata, kikota, kilunda, mukukulu, mulaza, kivimba, kilau, kinkunku, kisengele, kimbuila, kindongo, kividi, kiyidi, mayidi, kuimba, mansanga, kinsembo, kiyimbu, kingimbi, masembo, kiyemvo, kimvimba, kimbakala, kinsembo, kinseke, kinimbi, kimbanda… 17

Dans la commune lari, Nzinga est connu sous le nom de Ngongo. De nombreuses femmes y portent ce nom. Dans d’autres communes, Nzinga est désignée sous le nom de Lukeni.

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Mpanzu est l’ancêtre des Bakongo qui appartiennent aux clans (makanda-mvila) suivants : – kimpanzu, kilufu, kinzundu, kidondo, kindundu, kikuanza, kikesa, kibangu, kikuangu, kiluangu, kingungu, kimbungu, kivungu, kimfutila, kinuani, kinsundi, kawunga, kimbembe, mbe, kingombe, kibumbu, kimpombo ou kingoma, mpanga ou kawunga, kimpaka, kindamba, kingandu, kimbuala… Nzinga est l’ancêtre des Bakongo qui appartiennent aux clans (makanda-mvila) suivants : – kingoyi, kinanga, kindunga, kisanzala, kinzamba, kinkenge, kiyinda, kingundu, kibuende, kimbenza, miyamba, kimbala, kibambi, muabi, muyabi, kiyanzi, kiyangu, kianza, kiyambi, kinzinga, kizinga, kituma, kitshunga, kimbinda, mazinga, kingoyo, kinkenge, kanda, makanda… Tous ces clans (Nsaku, Mpanzu et Nzinga) se retrouvent dans la commune lari. Ce sont des hommes politiques qui font des uns les ennemis des autres ; alors qu’ils sont des frères de sang.

Le paradis des milices

Piki ka y’e ko ntombokolo nsinga18

À travers tout ce témoignage, vous trouverez des concepts tels Ninjas, Cobras, Ninjas-Nsilulu. Ces noms désignent des milices (privées) qui sont au service de certains hommes politiques. Les milices sont un phénomène dont le Congo n’arrive pas à se débarrasser. Nous sommes passés des milices

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Le palmier à raphia ne brûlerait pas sans les raphias.

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« d’État »19 aux milices privées20 qui obéissent à des individus. 15 août 1963 : chute du régime de l’abbé Fulbert Yulu. Du lundi 29 juin au jeudi 2 juillet 1964 Assises constitutives du MNR (Mouvement National de la Révolution), un parti de masse. M. Alphonse MasambaDeba, président de la République en est aussi le secrétaire général. La JMNR (Jeunesse du Mouvement National de la Révolution) est créée. Elle unifie les organisations de jeunes qui sont essentiellement des associations confessionnelles (jeunesses catholiques et protestantes). Monsieur André Hombesa en est le président. Plus tard, la JMNR sera armée21 et entrainée par le sous-lieutenant Kimbuala-Nkaya avec la collaboration de Sasu. Année 1965 Le corps de la Défense civile est créé. Cette milice (qui n’est pas ethnique) est placée sous le commandement d’Ange Diawara qui est aussi un haut responsable de la JMNR. Elle est encadrée par des officiers cubains.

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La branche armée de la JMNR, la Défense civile et la Milice populaire. Les Cobras se réclament du PCT (Sasu-Ngeso), les Ninjas se réclament du MCDDI (Kolela), Zulu, Cocoy, Mamba, Aubevillois se réclament de L’Upads (Lisuba), Requins se réclament du RDPS (T. Tchicaya), les Faucons se réclament du RDD (Yhomby-Opango), les Ninjas-Nsilulu se réclament du « pasteur » Ntumi. 21 Les éléments de la JMNR qui militaient dans les sections du quartier Wenze (Brazzaville) avaient facilité l’enlèvement de Lazare Matsocota (un Lari), Masueme (un Punu) et Puabu (un Vili) membres des clans ancestraux Nsaku, Mpanzu, Nzinga et qui furent assassinés sur la route du Nord. 20

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Lundi 5 août 1968 Le Cnr (Conseil National de la Révolution) est mis en place. Il est dirigé par le capitaine Marien Nguabi. Mercredi 4 septembre 1968 Le capitaine Marien Nguabi pousse le Président Masamba-Deba à la démission. Mardi 31 décembre 1968 Le Cnr est déclaré organe suprême de la nation. Le capitaine Marien Nguabi devient président de la République et chef de l’État. Les milices sont dissoutes. Certains miliciens sont intégrés dans l’armée, « d’autres dans le tissu industriel naissant ». Certains responsables sont placés sous le contrôle du président de la JMNR. Mercredi 31 décembre 1969 Fondation du PCT (Parti Congolais du Travail). Année 1970 Quelques mois après sa fondation, le PCT crée sa milice dite « populaire »22. Si elle est commandée par Messieurs Ekamba Elombe et Michel Ngakala, Sasu en est le responsable politique. Elle est (pour certains) une passerelle sûre pour intégrer l’armée23.

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En créant la République populaire, le PCT a aussi créé sa milice populaire. Entre 1964 et 1991, le Congo n’aura tenu qu’un an sans milice (31 décembre 1968-31 décembre 1969). 23

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Année 1991 L’armée rompt ses liens politiques avec le PCT. Les militaires reçoivent l’ordre de se dissocier du PCT et de rester neutres. Un acte de la Conférence nationale souveraine dissout la milice populaire et met fin au règne des milices. Lundi 4 février 1991 Le Président Sasu accepte le principe de la Conférence nationale. Lundi 25 février 1991 Début de la Conférence nationale. Lundi 10 juin 1991 Début de la transition politique sous la direction du Premier ministre André Milongo. Année 1992 Persuadé qu’il perdra les élections libres et transparentes, Sasu crée sa milice Co-Bra (Combattants de Brazzaville) avant les élections. Dimanche 9 août 1992 Premier tour des élections présidentielles. C’est la première fois depuis 1963 qu’une élection ne se déroule pas en Congrès interne d’un parti politique. Mardi 11 août 1992 Signature d’un accord de gouvernement entre le PCT de M. Sasu et l’UPADS de M. Lisuba.

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Dimanche 16 août 1992 Second tour des élections présidentielles qui voit s’affronter les candidats Kolela et Lisuba. Sasu a été éliminé dès le 1er tour. Pascal Lisuba est élu confortablement (61,32 %). Lundi 31 août 1992 Investiture du Président élu Pascal Lisuba. Des élections législatives sont organisées après le succès de Pascal Lisuba à l’élection présidentielle. Les résultats sont contestés par le camp présidentiel. Un conflit armé éclate dans les quartiers sud de Brazzaville.

Paul Mbot, le cerveau des milices privées Ngandu ka ku dia mfûndu ba na mamba24

Dans la création des milices privées, se trouve un personnage central : le colonel Paul Mbot25. C’est lui qui propose au Président Lisuba de créer un Corps Spécial de Police, parallèle et personnelle du chef de l’État, c’est-àdire une milice privée. Cet officier est originaire de la région de la Sangha (nord du pays). Lundi 30 novembre 1992 Une imposante manifestation est organisée par l’opposition pour protester contre le refus du pouvoir de

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Si le crocodile te mange, il s’est entendu avec l’eau. En 1993, le colonel Paul Mbot est directeur général de la Police nationale sous le Président Lisuba, il a ensuite été nommé préfet de la Sangha par le Président Lisuba. En 1997, Paul Mbot est passé du côté de l’ex-président Sasu-Ngeso, affrontant les mêmes milices privées créées et formées sur ses conseils. 25

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nommer un Premier ministre issu de ses rangs puisqu’elle est à présent majoritaire à l’Assemblée. Deux cortèges partent l’un du quartier Bakongo (zone sud de la ville) avec à sa tête B. Kolela, l’autre du quartier Poto-Poto (zone nord de la ville) avec à sa tête SasuNgeso. La jonction est prévue au CCF (centre culturel français) pour ensuite prendre ensemble la direction du palais présidentiel. Le cortège de Sasu a changé d’itinéraire26. Au lieu du Plateau comme convenu, il se dirige vers le rond-point de Mungali. Les manifestants du quartier Bakongo sont arrivés les premiers au CCF. Ils attendent leurs alliés qui viennent de Poto-Poto pour les rejoindre. « Nsombe za kela mubaku27 », dit-on en lari ; les alliés des quartiers nord n’arrivent pas et n’arriveront jamais. Du rond-point du CCF et du ministère de l’Intérieur, des coups de feu sont tirés. Bilan : – Trois morts (issus des quartiers Bakongo et Makelekele) ; – Plusieurs blessés (issus des quartiers Bakongo et Makelekele). C’est le début de la crise. Brazzaville baigne dans un climat d’insurrection ; celui-ci débouche sur des affrontements armés. Des barricades sont érigées dans les rues des quartiers sud. Les affrontements fratricides se multiplient entre les originaires des régions du Niari, de la Buenza et de la Lekumu (supposés être des partisans du pouvoir)28 et les

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Pour quelles raisons ? Vers palmistes dont le renard attend une sortie improbable (ils ne sortent jamais). 28 Ils appartiennent historiquement aux clans issus des Ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. 27

28

Lari originaires du Pool (supposés être des adversaires du pouvoir)29. Les partisans de Pascal Lisuba, originaires des trois régions sont appelés « Nibolek » ; les Lari censés être des partisans de Kolela originaires du Pool sont appelés « Tchek ». Les Nibolek seront chassés des quartiers Bakongo et Makelekele30 ; les Tchek seront chassés des quartiers Diata et Mfilu. Ces tristes évènements signent l’homogénéité ethnique de ces quartiers de Brazzaville. Les Lari (supposés être des partisans de Kolela) seront chassés des régions du Niari, de la Buenza et de la Lekumu. Leurs biens sont détruits et confisqués. On comptera des centaines de morts en moins d’un an du pouvoir Lisuba. Les violences se sont étendues dans les trois régions du Niari, Buenza et Lekumu dont les habitants appartiennent aux mêmes clans, issus des mêmes Ancêtres Nsaku, Mpanzu, Nzinga que les Lari du Pool. Ce sont des membres de mêmes clans qui s’affrontent au nom d’une création coloniale : l’ethnie. Les autochtones de ces régions se livrent à une véritable chasse à l’homme de leurs compatriotes Lari du Pool31. Le nombre exact de victimes de ces affrontements fratricides ne sera jamais connu. Les conséquences sont désastreuses pour de nombreuses familles qui perdent leurs proches et leurs biens. Curieusement, les auteurs des coups de feu du 30 novembre 1992 qui ont déclenché ces affrontements fratricides, qualifiés « d’ethniques » (selon la vision 29 Ils appartiennent historiquement aux clans issus des Ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. 30 Le 14 octobre 1997, l’aviation angolaise venue en renfort aux Cobras a bombardé les quartiers de Bakongo et Makelekele censés être les fiefs électoraux lari de Kolela. Les quartiers de Mfilu et Diata censés être des fiefs électoraux de Lisuba n’ont pas été bombardés. 31 Les Batéké du Pool n’étaient pas attaqués.

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coloniale) n’ont jamais été inquiétés ni poursuivis. Le Président Lisuba protège ses soldats et laisse s’entretuer ses partisans et ceux de ses adversaires qui sont pourtant des frères de sang. Il ne sévit pas pour rétablir l’autorité de l’État en ordonnant l’arrestation des coupables et leur traduction devant les tribunaux32. Dans cette période à Brazzaville, des citoyens (des Lari) sont enfermés vivants ou décapités et jetés dans le fleuve ; d’autres sont enterrés vivants. Tout ceci se passe sous les yeux de Paul Mbot, directeur général de la Police qui va jusqu’à inspecter quotidiennement les victimes, les suppliciés (des Lari) dans divers centres de tortures. Du jeudi 29 au vendredi 30 juillet 1993 Le Rapport d’activités de la commission de médiation et de négociation fait allusion aux quatorze citoyens congolais (des Lari) extraits des geôles du commissariat central et remis à un Corps de Police, le SASPN ; ceux-ci sont portés disparus. Mardi 3 août 1993 Le Président Lisuba adresse une lettre aux ministres de la Défense et de l’Intérieur. À l’issue du conseil du colonel Mbot au Président Lisuba, un Corps parallèle de la Police33 est créé. Il sera sous les ordres de Monsieur Da Costa34. Dans les années 1964-1965, celui-ci s’était illustré dans des sombres affaires de meurtres politiques.

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FCD, Sasu-Ngeso ou l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique, 2010, Paris, L’Harmattan, page 41. 33 Ce seront les Cocoy (commando compagny), mamba et zulu. 34 Son frère fut Premier ministre.

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« Ceci est pourtant contraire aux dispositions de la Constitution ; il constitue un crime contre la paix et c’est un crime contre l’humanité ». À cette période, dans les services d’État, on voit des cadres de la Mouvance présidentielle se promener avec des armes35. Dans le même temps, au lieu de stopper la pratique des civils, partisans de la Mouvance présidentielle de porter les armes dans les rues et sous ses yeux, Paul Mbot préfère organiser des razzias sous prétexte d’aller ramasser les armes de guerre que détiendraient des Lari, membres et partisans de l’opposition36.

1993-1994, années de guerre Lors de la guerre civile des quartiers Bakongo et Makelekele, les Lari de Brazzaville sont secoués ; pas ceux des villages dans le Pool. Cette guerre a installé un climat de tensions permanentes et d’insécurité. Les partis politiques se regardent avec beaucoup de méfiance et certains d’entre eux entretiennent des milices privées. Lors de cette guerre, des armes de guerre ont été distribuées à des jeunes de manière anarchique. Certains grands Partis se dotent de milices. Ainsi : – L’UPADS entretient les milices suivantes : les Aubevillois, les Mambas, les Zulu et les Cocoy. Ils obéissent aux ordres de Pascal Lisuba. – Le MCDDI entretient la milice « Ninja ». Elle obéit aux ordres de B. Kolela. – Le RDPS entretient la milice « les Requins ». Elle obéit aux ordres de J.P.T. Tchicaya. 35 36

Notamment des pistolets. À l’époque, Sasu-Ngeso est aussi à l’opposition comme Kolela.

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– Le PCT entretient la milice Cobra. Elle obéit aux ordres du général Denis Sasu-Ngeso. – Le RDD entretient la milice « les Faucons ». Elle obéit aux ordres du général Yhomby-Opango37.

Les Ninjas et les Cobras dans le camp de l’opposition Kiula, kiula luata m’lele, dià, ku nseha’andi ; meno bumputu buani bua yuku38

a) Les Ninjas Les Ninjas qui sont affiliés au MCDDI (dirigé par Bernard Kolela) sont une milice formée à l’issue d’un accord signé entre le PCT dirigé par Sasu et l’URD39 dirigé par Kolela40. C’est Sasu qui arme les Ninjas. Leur formation est assurée par des officiers supérieurs qui sont restés fidèles à Sasu. Ils sont aussi encadrés par des anciens cadres de la milice populaire créée en 1970 par le PCT. Cette milice populaire était elle-même sous l’autorité de Sasu. Contrairement à ce que l’on pense, le vrai fondateur et formateur des « Ninjas » est Sasu lui-même. Les deux milices Cobra et Ninjas sont ses créations. Ceci explique la porosité entre ces deux formations miliciennes. Des « Ninjas » passent facilement chez les « Cobras »41. Les jeunes qui se sentent politiquement proches du MCDDI

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Plus tard les Ninjas-Nsilulu obéiront aux ordres du « pasteur » Ntumi. Crapaud, crapaud habille-toi, mange ; ne te moque pas de moi, je suis habitué à la pauvreté. 39 Union pour le Renouveau Démocratique. Le MCDDI de Kolela et le RDPS de T. Tchicaya en font partie. 40 À l’époque, ils étaient alliés. 41 Le « pasteur Ntumi » n’a jamais exécuté un seul Cobra de Sasu ; on ne dira pas la même chose à propos des Ninjas de Kolela. 38

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(URD) s’engagent en masse chez les « Ninjas ». Kolela est devenu un allié de Sasu. Il est établi que Kolela ne dispose d’aucun moyen financier ni militaire pour pouvoir organiser et financer une milice. Le vrai organisateur et financier des « Ninjas » n’est autre que Sasu. Mardi 30 novembre 1993 Lorsque le régime en place attaque le quartier Bakongo, pour se défendre, les armes proviennent de Mpila42. Depuis son village d’Oyo, Sasu a fait parvenir sept millions de francs à son allié Kolela (par le truchement de Célestine Nkuakua) et 45 millions de francs par l’intermédiaire de Michel Mampuya, un très proche de Bernard Kolela. Celui-ci a enrôlé des jeunes Lari des quartiers sud de la ville. Certains d’entre eux étaient d’anciens militaires43, d’autres de simples admirateurs du redoutable opposant qu’est Bernard Kolela. Lors du conflit, un officier de l’armée congolaise, proche du pouvoir aurait été intrigué par la manière de se défendre des partisans de Kolela. Ils se camouflaient et étaient rompus aux techniques de guérilla urbaine. Il aurait demandé : – Qui sont ces combattants qu’on ne voit pas ? Ce sont des Ninjas ?44 C’est de là que découle cette dénomination « Ninja » du groupe d’autodéfense de Bernard Kolela.

42

Fief de Sasu. Avec une certaine expérience. 44 FCD, op. cit. 43

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b) Les Cobras Les Cobras sont affiliés au PCT dirigé par Sasu-Ngeso. Ils ont été mis en place depuis 199245. Sachant qu’il allait perdre le pouvoir, Sasu s’est constitué une armée privée composée de ses fidèles. Les tout premiers éléments de cette armée privée sont les membres de l’unité spéciale d’intervention de la Police nationale (GIPN) qu’il avait créée. Cette unité (restée fidèle à Sasu) avait gardé l’armement et refusé d’intégrer l’armée régulière sous le président élu, Pascal Lisuba. Sasu a créé cette armée privée (les Cobras) en prévision d’un éventuel coup de force. Le Président Lisuba ne s’est pas montré assez ferme face aux hommes de ce GIPN qui ont refusé de rendre les armes et continuent à percevoir leur salaire alors qu’ils n’exercent plus leurs fonctions pour le compte de l’État, mais pour le compte du particulier Sasu. Dans l’opposition, seul Sasu dispose de ressources financières conséquentes, d’armes de guerre en nombre suffisant et d’hommes formés pour organiser ou aider à organiser la résistance armée à Pascal Lisuba. Parmi les Cobras, l’on compte des officiers de haut rang dans l’armée, jusqu’aux généraux. L’exemple du général de brigade Norbert Dabira est éloquent : – « Après le 5 juin, j’ai fait partie des militaires qui se sont révoltés contre le Président Lisuba et qui ont rejoint les milices du Président Sasu-Ngeso, les milices Cobras »46. Aujourd’hui encore, lorsque l’on observe la forme de l’armée actuelle, son mode de recrutement, son mode de fonctionnement, l’organisation de sa chaîne de commandement, elle fonctionne plus comme une milice 45 46

C’est-à-dire avant la création des Ninjas. Verschave (F-X), Noir procès, Paris, 2001, les Arènes, page 124.

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privée au service de Sasu qu’une armée nationale et républicaine.

Décembre 1994 : Forum National pour la Culture de Paix Il était question de dissoudre les milices. Pour cela, un Forum est organisé avec le soutien de l’UNESCO. M. Major en personne y a participé. Les miliciens devraient être intégrés à la Force publique. Samedi 24 décembre 1994 Un Pacte de Paix est signé par les leaders des Partis politiques qui entretiennent des milices.

Année 1996 : mère de tous les dangers C’est l’année qui précède les élections. Trois mille miliciens intègrent les Forces armées congolaises, la Police et la Gendarmerie nationales. Ce Pacte de Paix n’a jamais été suivi d’un désarmement des milices, encore moins de leur dissolution47. La méfiance est la pièce maîtresse qui guide les hommes politiques du Congo en cette année préélectorale. – Pascal Lisuba est le candidat unique de la Mouvance présidentielle. – Kolela et Sasu (de l’opposition) sont aussi candidats.

47

Le maintien de la milice Ninja donnera plus tard un prétexte en or pour opérer le génocide des Lari que l’on présentera comme étant une opération de police et plus tard une guerre contre les Ninjas.

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Samedi 4 mai 1996 La Commission nationale de recensement administratif spécial est lancée. L’élection présidentielle est prévue pour le 27 juillet 1997.

Le ciel s’assombrit

Ngola ua vua bandà ua yika muivi bikedi48

Paris décide d’assombrir le ciel du Congo. Vendredi 1er novembre 1996 Entrevue secrète à l’Élysée entre les Présidents Jacques Chirac et Omar Bongo en présence de l’ex-président SasuNgeso. C’est le jour où est scellé le sort du régime Lisuba, démocratiquement élu49. Mardi 21 janvier 1997 Denis Sasu-Ngeso, revenu de France est accueilli en grande pompe à l’aéroport de Brazzaville par les militants de son groupe politique, les FDU dont il est le président. Bernard Kolela, président de la coalition URD-FDU ne s’y est pas rendu. Les militants du MCDDI non plus. Sasu-Ngeso a déjà entrepris sa précampagne dans les régions de la Cuvette, Cuvette-ouest, Plateaux et PointeNoire. L’un de ses gardes du corps a abattu Ngasaki Makoye, un faucon (milicien de Yombi-Opango) à Owando. Les violences éclatent dans le nord du pays. Elles auront fait 12 morts. Des centaines de partisans de

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Le silure qui est le propriétaire de l’étang est taxé de voleur de tubercule de manioc qu’il y trouve. 49 Verschave (F-X), Noir silence, op. cit.

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Sasu résidant à Owando et les proches du PCT trouvent refuge à Oyo, le village de Sasu-Ngeso. Dans son édition du 27 mai 1997, le Canard Enchaîné fait état de ce complot sans être démenti. Le journal annonce « la reprise prochaine du pouvoir par Sasu ». Dans son édition du 11 juin 1997, le Canard Enchaîné est encore plus précis : « Le sort du Congo se joue au fond d’un puits de pétrole… » Dans son édition du 9 juillet 1997, le Canard Enchaîné a fait les révélations suivantes : « Les services de renseignements français DGSE ont découvert un trafic d’armes à destination du Congo-Brazzaville trafic organisé par un lobby français favorable à Sasu via le Gabon ». Dans son édition du 13 août 1997, le Canard Enchaîné : « Découverte d’un devis et d’un contrat d’affrètement signés et exécutés par Transvalair et Euralair le 17 et le 24 avril 1997, avec comme donneur d’ordre la présidence du Gabon, pour un cargo DC8 LXTLB. Ce chargement soi-disant pour la campagne électorale présidentielle du Congo était constitué de caisses de 4 m sur 2 m avec une charge totale de 24 813 kg ». Le journal conclut : « difficile de croire que des teeshirts ou du matériel électoral aient un tel poids sauf si les tee-shirts n’avaient été tissés en fil de plomb »50.

50

Cité par FCD, Sasu-Ngeso ou l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique, 2009, Paris, L’Harmattan.

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CHAPITRE 2 Une approche guerrière imparable

Kindamba

« Masangi ma beto meka bisuamunu »51

Kindamba est habité par des citoyens appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga Mardi 15 avril 1997 À Kindamba. De nombreux hommes, femmes et enfants déferlent sur Kindamba. Ils sont exténués, fatigués. Ce sont des familles entières de fonctionnaires et autres individus, tous Lari originaires du Pool qui viennent d’être chassés de Djambala et autres localités de la région des Plateaux. Ils sont arrivés à pied. Parmi eux, se trouve le président du tribunal de Djambala (un Lari) que j’héberge cette nuit au presbytère. L’opération a été menée par des éléments armés fidèles à Sasu-Ngeso (des Cobras). Lisuba Pascal est encore président du Congo. Ces malheureux emprunteront des véhicules de commerçants le lendemain Mercredi 14 avril 1997 pour regagner Minduli et Brazzaville. 51

Nos forêts deviennent des refuges, Josys Ntungamani, Nkondibila.

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Août 1997 À Kinkala. Monsieur Samuel Badinga52 et Mgr Anatole Milandu53 créent le Comité Régional de Paix. L’évêque encourage les curés de s’impliquer dans ce Comité pour dialoguer avec les miliciens Ninjas54 proches de Kolela afin de les persuader de déposer leurs armes et d’éviter d’entrer dans la guerre qui oppose Lisuba à Sasu. Dimanche 16 novembre 1997 À Kindamba. Des dizaines de véhicules de toutes marques déferlent sur la ville. Ce sont des Ninjas (restés fidèles à Kolela et défaits à Brazzaville) qui arrivent avec près de 100 véhicules dont celui du Père Christian de la Bretèche, ravi à Minduli. Des coups de feu crépitent toute la nuit sans arrêt. Jeudi 20 novembre 1997 Les habitants de Kindamba ne remarquent plus que deux véhicules qui circulent dans la ville. Seuls quelques Ninjas sont restés sur place. Tous les autres seraient partis du côté du village « Douze-Manières » (dans la région de la Lekumu). Une rumeur circule selon laquelle les Ninjas seraient allés se faire initier dans les techniques traditionnelles de blindage anti-balles et d’invisibilité auprès d’un érudit pygmée aux environs du village « Douze-Manières » dans la région de la Lekumu. Lundi 3 novembre 1997 Les chefs Ninjas (restés fidèles à Kolela) sont convoqués auprès du Comité Local de Paix pour leur 52

Maire de Boko. Évêque de Kinkala. 54 Les Ninjas qui vivent dans les villages. 53

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donner une ligne de conduite. Ils sont reçus par le 1er viceprésident du Comité, le député-MCDDI Mahuka. Ces Ninjas acceptent toutes les conditions. Vendredi 28 novembre 1997 Le Comité Local de Paix convoque une réunion présidée par le ministre Hilaire Babasana dans la grande salle du district. Objet de la réunion : sensibiliser les anciens Ninjas pour la remise des armes. À cette occasion, un ex-Ninja a tenu des propos qui méritent d’être retenus : – « Comme vous nous le demandez, nous allons remettre les armes ; mais que les Cobras ne cherchent pas à nous poursuivre jusque dans les forêts où nous sommes retranchés. S’ils osent le faire, nous n’hésiterons pas à reprendre les combats, même avec des machettes. Nous savons que Khamar nous en veut à mort. Qu’il arrête de jouer au jeu qu’il joue. Qu’il sache qu’on ne se laissera pas faire. Nous acceptons ce que vous nous demandez ; nous remettons les armes ». Propos auquel « Ya-Clem » a répliqué : – « On vous demande seulement de remettre les armes, c’est tout ! » « Ya Clem » est un habitant de Kindamba, membre du PCT et très proche de Mvuba Isidore (qui lui-même est très proche de Sasu-Ngeso). En effet, les « commandants » ont discipliné leurs troupes qui commencent à remettre leurs armes. De mon côté, en ma qualité de 2e vice-président du Comité Local de Paix, je me suis vu remettre 4 armes (3 PMK et 1 PA) à cette date. À mon tour, j’ai remis ces armes à la souspréfecture. Les Ninjas que j’ai côtoyés à Kindama se sont mis au travail de la terre.

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Mercredi 4 juin1997 À Brazzaville. Dans la soirée, Mme Sophie MukuyuKimbuala annonce que les poursuites judiciaires sont engagées contre Pierre Aboya et Bonaventure Engobo soupçonnés d’être les instigateurs des fusillades d’Owando et d’Oyo. Dans la nuit du mercredi 4 au jeudi 5 juin Les militants des FDU se sont mobilisés dans leurs quartiers (qui sont les fiefs de Sasu-Ngeso). Des armes de guerre toutes neuves sont distribuées à des jeunes sans aucun contrôle. Ceux-ci viennent grossir les rangs des Cobras. Mercredi 4 juin 1997 Au Gabon, « arrivée du chargement du matériel de guerre de Sasu à M’vengue-Franceville ». Jeudi 5 juin 1997 À Brazzaville. Les fantassins et policiers équipés de blindés encerclent la résidence de Sasu-Ngeso au quartier Mpila pour arrêter Engobo et Aboya, soupçonnés d’être à l’origine des tueries qui ont endeuillé Owando. En vertu du mandat d’arrêt signé du Procureur général de la République près la Cour suprême, monsieur Henri Balard. La présence des engins blindés a augmenté la tension qui régnait déjà dans les quartiers Poto-Poto, Wenze, Talangaï, Mikalu. Des échanges de coups de feu ont (alors) pris l’ampleur d’une fusillade dans toute la zone nord de Brazzaville. Cela s’est rapidement transformé en une guerre civile.

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Fait curieux : le général Paul Mbot55 se bat contre sa propre création et ses propres créatures auprès des Cobras de Sasu. Vendredi 6 juin 1997 Au Gabon, « le chargement de matériel de guerre a passé la frontière pour Oyo »56. Mercredi 11 juin 1997 À Brazzaville. « Le gouvernement de Lisuba annonce l’échec d’un coup d’État dont l’instigateur est Sasu-Ngeso. Un Comité National de Médiation est créé. Il est présidé par Bernard Kolela. Omar Bongo, président du Gabon et gendre de Sasu préside le Comité international de Médiation auquel s’est joint M. Mohamed Shanun, émissaire de l’ONU. Les cessez-le-feu sont violés par les belligérants (Aubevillois, les Mambas, les Zulu, les Cocoy et les Cobras)57. Avec l’utilisation des armes lourdes, les populations sont terrorisées. Le nord du pays est sous contrôle des Cobras. Parmi les Cobras se trouvent des civils et des officiers de grande valeur, tous partisans de Sasu. Ils sont en majorité originaires du nord. Lisuba est originaire du sud-ouest »58. Dimanche 15 juin 1997 La tentative de médiation échoue.

55

Le cerveau penseur qui a poussé le Président Lisuba à créer ses milices privées. 56 Op. cit. 57 À cette date, les Ninjas ne sont pas impliqués dans la guerre. 58 FCD, op. cit.

43

Lundi 8 septembre 1997 L’UPADS de Lisuba et le MCDDI de Kolela créent l’ERDDUN (Espace Républicain de Défense de la Démocratie et de l’Unité nationale). C’est en son sein que Bernard Kolela est choisi pour remplacer Charles-David Ganao au poste de Premier ministre. Les militants du MCDDI sont mécontents, furieux et le font savoir. Ils ne comprennent pas le choix de leur leader. Ils contestent ce choix. Kolela reste indifférent à la contestation de ses partisans : – J’agis selon ma conscience, lance-t-il à ses militants. Ceux-ci n’ont pas oublié la guerre que leur ont imposée le Président Lisuba et les barons de l’UPADS entre 1992 et 1994. Ils se sentent trahis. Samedi 13 septembre 1997 Le nouveau Premier ministre (de l’ERDDUN) publie son gouvernement de quarante postes dont quatre sont attribués aux FDU et 1 au MDS de Paul Kaya. Les deux mouvements déclinent l’offre. Du dimanche 14 au lundi 15 septembre 1997 Au Gabon. Sommet de Libreville. Sept chefs d’État se sont rendus à Libreville pour tenter un accord avec les belligérants ; ce sont : Abdou Diouf du Sénégal, Alpha Kondé du Mali, Ange Patassé de la RCA, Gnassingbé Eyadema du Togo, Idriss Déby du Tchad, Bongo du Gabon, Teodoro Obiang de Guinée équatoriale. Sasu s’y est rendu. Pascal Lisuba n’y est pas allé. Les efforts de ces sept chefs d’État n’aboutissent pas à la signature d’un accord de paix définitif entre Sasu et Lisuba. À la suite de l’échec du sommet de Libreville, Kolela jette ses miliciens Ninjas dans la bataille aux côtés des 44

forces loyalistes. Pour les partisans de Kolela, c’est une catastrophe : – Comment ose-t-il jeter les Ninjas dans une guerre qui ne nous concerne pas directement ? Les Ninjas vont devoir participer à la guerre civile contre les Cobras de Denis Sasu-Ngeso (les alliés d’hier) aux côtés des Cocoy (les ennemis d’hier). Sasu remporte la victoire avec l’aide de l’armée angolaise. Messieurs Kolela et Lisuba partent en exil. La décision de sa conscience de rejoindre Lisuba a des conséquences incalculables pour les électeurs supposés de Bernard Kolela à qui Sasu fera payer la note de la trahison59. Elle sera très lourde : c’est le génocide des Lari. Voici les propos du Président Sasu : – « La guerre du Pool60, c’est la faute du Président Kolela. C’est à ce niveau que nous devrions rechercher les causes de la guerre du Pool… Sachez bien que nous avions un accord avec le Président Kolela. Cet accord, nous l’avons signé en présence de témoins importants ; des notables du Pool tels que le vieux Senso ou Miakakela et des notables de la Cuvette : mon aîné Ewenget et d’autres, chez Tchibambelela. La trahison du Président Kolela a été lourde de conséquences pour le Pool. Jamais nous ne pourrons jamais pardonner à Kolela61. » 59 Bernard Kolela, le traître insupportable aux yeux de Sasu. Le génocide se produit essentiellement dans les zones lari où le MCDDI est majoritairement implanté. 60 Il parle de guerre ; personnellement, j’ai vu des soldats gouvernementaux munis d’armes de guerre redoutables opérer des massacres dans les villages ; j’ai vu aussi quelques jeunes civils armés de bâtons, de fusils de chasse et de quelques kalachnikovs. Les victimes sont essentiellement les habitants des villages. Les populations massacrées ne sont pas armées. Cela ressemble à un génocide masqué en guerre. 61 Propos tenu devant des personnalités du Pool, le 7 novembre 2002 à Oyo. Les armées de Lisuba et celles de Sasu se sont affrontées du 5 juin au 15 octobre 1997 ; c’était une guerre civile. Les massacres actuels des populations lari du Pool ne sont pas une guerre civile car il n’y a pas d’armée

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M. Sasu semble avoir oublié que l’accord dont il parle et qui fait le malheur des populations est un accord entre deux partis politiques : le MCDDI et le PCT. Ses engagements politiques ne concernent que son parti et luimême. Toutes les victimes des bombardements ne sont pas du MCDDI. Il fait payer aux populations des villages les infidélités de son partenaire politique. La première conséquence pour Kolela est la scission de sa milice. Si certains le suivent, d’autres rejoignent le camp de Sasu pour combattre Lisuba auprès des Cobras et combattre désormais le pouvoir du duo Lisuba-Kolela. Les plus célèbres d’entre eux sont : – Willy Mansanga, – Vital Bakana (de sinistre mémoire). Ils formeront plus tard les groupes Delta Force et Mobil One qui vont terroriser les populations civiles dans les pays lari du Pool. Leur mission consiste à nettoyer les quartiers Bakongo-Makelekele et les pays lari en éliminant tous les Ninjas n’ayant pas rejoint les Cobras. C’est ainsi que dans la foulée, seront éliminés des grands Ninjas comme Yelengenge au village Binionia. Mardi 14 octobre 1997 L’armée angolaise vient grossir les effectifs des Cobras. Elle lance un assaut sur le Palais présidentiel et les quartiers Bakongo et Makelekele62 au sud de Brazzaville. Elle largue les bombes au moyen des MIG-25 lari du Pool en face de celle de Sasu. Les Ninjas-Nsilulu du pasteur Ntumi ne sont que des figurants qui pillent, volent et massacrent le même peuple que les soldats de Sasu ; ils le font pour faire croire à l’existence d’une guerre civile. Pour mieux embobiner les populations, un mythe entoure les Ninjas-Nsilulu d’être mystiquement puissants, invisibles, dotés de forces surnaturelles qui les empêchent d’être touchés par des balles ennemies et de mourir au combat. 62 Bakongo et Makelekele sont censés être les fiefs électoraux du MCDDI de Kolela et censés être habités par des Lari.

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de fabrication soviétique. Ces raids aériens mettent en déroute les forces gouvernementales auxquelles s’étaient joints les Ninjas de Kolela, devenu Premier ministre. Les quartiers Diata et Mfilu63 sont épargnés de bombardement. Lisuba, Yombi, Ganao, Kolela64 prennent le chemin de l’exil. On compte plusieurs milliers de morts et de nombreux déplacés65. Sasu-Ngeso s’autoproclame président de la République. Samedi 25 octobre 1997 Il prête serment devant la Cour suprême qu’il a constituée lui-même et qui est présidée par Placide Lenga. Dimanche 2 novembre 1997 Le gouvernement est publié. Il compte essentiellement des membres des FDU et proches. On y compte aussi un membre du MCDDI : Michel Mampuya et un membre de l’UPADS : Martin Mberi. Décembre 1997 Le nouveau régime issu du putsch dissout le Comité régional de paix. Les Ninjas refusent de remettre leurs armes aux vainqueurs Cobras.

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Diata et Mfilu sont censés être les fiefs électoraux de l’Upads de Lisuba. Kolela n’aura gouverné qu’un petit mois. 65 Dans ces quartiers ethniquement homogènes (Lari du Pool). 64

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Janvier 1998 : le génocide se précise Nuni na nuni ka zonza kuandi, kâ ntoyo ka mana zonza, bika ka ta bika66

Après la victoire des FDP, commence la chasse aux sorcières. Les partisans réels ou supposés de l’ancien régime sont exécutés. Les exécutions sommaires deviennent monnaie courante. En ville et dans les villages du Pool, des policiers Cobras exécutent de nombreux jeunes lari sous prétexte d’être ou d’avoir été des Ninjas de Kolela. Le chiffre ne peut être précisé parce que bon nombre d’entre eux ont été jetés dans le fleuve ou incinérés. Voici les districts où sévit le génocide : Minduli, Kinkala, Kindamba, Mayama, Vinza, Ngoma-Tsetsa, Mbanza-Ndunga et Luingi (dans une moindre mesure). Dans tous les pays organisés et disciplinés, les armes de guerre ne circulent pas sans contrôle. Au Congo, de nombreux jeunes appartenant aux milices de certains leaders politiques67 se promènent librement avec des armes de guerre. Parmi les jeunes qui s’engagent dans ces milices, l’on trouve des désœuvrés et même des voleurs reconnus et célèbres68. Ils utilisent les armes en leur possession pour commettre divers forfaits à des fins personnelles ou pour l’intérêt du parti auquel ils se réclament. Ainsi :

66 Tous les autres oiseaux peuvent chanter, mais si le ntoyo chante, c’est qu’il annonce du malheur. 67 Fort heureusement, tous les leaders politiques n’entretiennent pas de milice privée. 68 Le cas du Ninja « Donget » est bien connu ; grand voleur devant l’Éternel au marché Total. Ils sont nombreux dans ce cas.

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Mardi 21 janvier 1997 À Minduli69. 4 h du matin à côté du grand marché, des commerçants mauritaniens ont été victimes d’attaque à main armée. Mercredi 22 janvier 1997 En gare de Kibozi70, des hommes en armes dévalisent une boutique. Lundi 17 février 1997 À Brazzaville. 22 h : une dizaine de Ninjas, armés de fusils de marque Uzi et de bombe lacrymogène, attaquent M. Masengo Delmas71 à son domicile72. Celui-ci est blessé grièvement. Il est président de l’Association des Fils et Filles du Pool créée en 1996. Durant les années 1998 et 1999, la distinction est difficile à établir entre la Police nationale et la milice privée Cobra de Denis Sasu-Ngeso. Lorsqu’ils prétendent traquer les bandits armés (ou qu’ils interviennent dans les quartiers populaires), ils participent au climat général d’insécurité qui règne dans les agglomérations et villages. Il est même arrivé plusieurs fois que des agents de la Police nationale refusent d’assurer la sécurité dans un quartier quand ils connaissent l’écurie des Cobras qui y terrorise. Ainsi, la police n’intervient jamais dans les quartiers Mikalu, Talangaï et même Wenze (en zone nord de Brazzaville).

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Fief du MCDDI. Fief du MCDDI. 71 Celui-ci est un ancien membre du MCDDI. 72 Au quartier Bakongo. 70

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Vendredi 31 janvier 1997 6 h 15 : les policiers du commissariat de Mikalu (nord de Brazzaville) reçoivent un présumé voleur et d’autres individus. Ils seront tout simplement exécutés à 6 h 50. Ce sont : – Mundele Didier (présumé voleur, abattu avant d’être placé en garde à vue), – Mbongo Henri, – Mbama Jean-Claude, – Mpiaka Anaclet73. L’arbitraire tant décrié sous le Président Lisuba continue avec la victoire du camp Sasu. Pointe-Noire est la ville du pétrole. Elf et Agip y sont implantées. Les différentes guerres ne frappent pas cette ville. Cependant, elle est loin d’être un havre de paix pour tous les citoyens. Si les installations pétrolières n’ont pas été saccagées, de nombreux citoyens ont été exécutés pour des raisons de leur appartenance « ethnique », régionale ou leur conviction politique. Nous pouvons citer : – André Kibamba ; – Jean-Jacques Ngulu. Ces deux hommes sont exécutés le jeudi 15 octobre, c’est-à-dire le lendemain de la victoire militaire des FDP. L’exécution a lieu à Pointe-Noire au quartier Tié-Tié. Il leur est reproché d’être membres de l’UPADS de Pascal Lisuba et originaires de la région de la Buenza74.

73 74

Anaclet Mpiaka a été enlevé au quartier Makelekele. Fils de clan issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu ou Nzinga.

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Terreur dans le train

Mbua ka kuma kônko mbingu yi uîdi75

Mercredi 2 juillet 1997 Masamba Auguste est commerçant. Il est exécuté dans le train Express en partance pour Pointe-Noire. Le malheureux avait tenté de dissuader les Cobras de rançonner les voyageurs. Lundi 7 juillet 1997 Uenazo prend le train à Minduli pour Brazzaville. Il vient du village Simu-Lukuni. Les Cobras lui extorquent 80 000 francs. Uenazo ne se laisse pas faire, il réagit. Il est abattu. U ku bakidi ni ngandu, ni mamba kala ?76 Ce génocide frappe les Lari qui sont des descendants des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga et qui habitent la région du Pool. Une fois revenu au pouvoir, Sasu ne cesse de s’en prendre aux populations civiles dont le seul tort est d’appartenir au même groupe ethnique que Kolela (son rival lari). Mardi 14 octobre 1997 Jean-Marie Tasua, alias général Giap, ordonne aux miliciens Cobras sous ses ordres de piller pendant 48 heures les quartiers sud de Brazzaville77. Les propriétaires des biens qui résistent sont systématiquement abattus. 75 Un chien qui se met à pourchasser des sauterelles a perdu son habileté à renifler. 76 Une fois dans la gueule du crocodile, as-tu encore les moyens d’éviter l’eau ? 77 Quartier devenu ethniquement homogène depuis les tristes évènements de 1993.

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Dans ces quartiers, les jeunes qui sont en âge de porter des armes sont des cibles privilégiées. À Brazzaville et l’intérieur des pays lari, les Cobras s’installent dans les commissariats et y font régner la terreur. Mercredi 15 octobre 1997 La guerre contre Lisuba est terminée. Commencent désormais la guerre contre la partie sud du pays et la préparation du génocide des Lari. Les Ninjas, privés de commandement, se divisent en deux groupes : Le premier groupe rejoint les Cobras. Le second groupe gagne la campagne environnante (les pays lari du Pool) où faute d’argent, ils s’adonnent à la culture du chanvre indien sous la protection du commandant Kubemba Rémi, alias Khamar. Ce dernier fait plutôt figure des yeux et des oreilles de Sasu par son ministre de l’Intérieur, Pierre Oba dans la région du Pool. Khamar n’est pas n’importe qui. Originaire de Kindamba (Pool), policier, il est un grand Cobra, l’homme indiqué pour pénétrer le milieu Ninja dans les villages. Il est à l’origine d’une cascade d’évènements qui vont précipiter les pays lari dans l’abîme. Le départ en exil de Kolela provoque des divisions au sein des Ninjas. Certains sont devenus des Ninjas-Nsilulu ou Condors. Ils sont dirigés par un inconnu qui tombe du ciel : le pasteur Ntumi. Ntumi. Parlons-en. D’entrée de jeu, personne ne connaît son village dans le Pool, encore moins ses liens claniques (mvila). D’où sort Ntumi ? Qui est-il ? Alors que la « guerre du Pool » a muté en un effroyable génocide, le Président Sasu qualifie Ntumi d’un illuminé qui relève du droit commun. Voici ce qu’il dit :

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« Le Congo est un pays en paix. On y travaille. On y circule librement. Les médias racontent ce qu’ils veulent. Certes, dans le Pool, il y a un débile à la tête d’une secte mystique, mais les agissements de cet illuminé n’ont aucun caractère politique. Ils relèvent du droit commun. » Monsieur Ndala Graille (un connaisseur expérimenté du système politique congolais) nous éclaire un peu plus sur ce personnage. Dans son intervention du 7 novembre 2002 lors de la rencontre des personnalités du Pool avec le Président Sasu à Oyo, voilà ce que dit Monsieur Ndala Graille : « Denis, je répète ici que j’interviens ici comme fils du Pool. Il faut avoir le courage de ses opinions et dire la vérité sur ce que l’on sait et ce que l’on a vu… J’ai été condamné plusieurs fois, je n’ai donc plus rien à craindre ; j’ai vaincu la peur. « Qui est donc Ntumi ? Cette question que tout un chacun se pose, certains d’entre nous ici connaissent la réponse précise pour avoir été à l’origine de ce qui s’est passé dans le Pool parce qu’ils y avaient des responsabilités. « Ntumi est bien une création du pouvoir à la fin de la guerre le 15 octobre 1997 : « C’est au cours d’une réunion tenue chez le général Giap avec quelques officiers angolais que la question avait été examinée. « Comment neutraliser les nombreux hommes en armes (militaires réguliers, cocoy, zulus mambas, ninjas), fidèles au régime déchu de Lisuba et Kolela, qui constitueront inévitablement une menace réelle pour le nouveau pouvoir, à partir de leurs bases du Pool et du Nibolek ? « Personne ici ne peut me démentir, sauf à vouloir rechercher une confrontation entre nous tous qui étions à cette réunion ».

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Le ministre Ndala Graille est arrêté net dans son développement par Monsieur le Président de la République qui reprend aussitôt la parole : « Patriarche, il s’agit là d’une affirmation grave sur laquelle il faudra revenir… « Nous pouvons dire beaucoup de choses sur le passé politique du Pool et nous savons tous ici, et ce n’est pas le doyen Miakasisa qui peut nous démentir, que le Pool s’est toujours opposé à tous les pouvoirs qui se sont succédé dans ce pays. « Il s’est même opposé à ses propres fils, nous voulons parler des Présidents Yulu et Masamba-Deba qui étaient (nous le disons) des fils de cette région. Que veulent les populations du Pool ?78 « Beaucoup pensaient que le Pool voulait reconstituer l’ancien royaume aujourd’hui disparu de Kongo dia Ntotela79. Que c’est pour cela qu’ils n’ont jamais voulu qu’un “autre fils de ce pays appartenant à une ethnie autre que les Lari ou les Kongo dirige ce pays”. « Pourquoi donc et de quel droit prétendez-vous être les propriétaires de ce pays ? Hein !? Président Milongo, Président Ganga-Zanzu, pourquoi cela ? « Tout le monde a voulu toujours vivre en paix dans ce pays, sauf le Pool, malgré tous les torts qu’il a toujours causés aux autres80. « Nous prenons seulement un ou deux exemples : vous savez que le premier coup d’État dans ce pays a été opéré par le Pool en 1958, si notre mémoire ne nous trompe pas, 78

Le district de Ngabe fait partie du Pool. Dans cette question, les pays batéké (du district de Ngabe) ne sont pas concernés. Sont concernés les pays lari. 79 Le Royaume Kongo dia Ntotela ne concerne pas que les populations lari du Pool ; il concerne aussi les populations du Kuilu, du Niari, de la Lekumu, de la Buenza, s’agissant de l’actuel territoire colonial de la République du CongoBrazzaville d’aujourd’hui ; ils sont tous membres des clans issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. 80 On aurait bien voulu connaître ces torts.

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le doyen Miakasisa peut nous corriger, mais c’est quand le Président Yulu a volé les votes du Président Opango qui avait pourtant la majorité au Parlement à Pointe-Noire81. À l’époque, c’est là-bas que siégeait cette institution territoriale ; c’est donc au moment où le Président Yulu a acheté le député Yambo du MSA que les premiers affrontements à caractère ethnique ont commencé dans ce pays avec les évènements de 1959… « Le Président Opango qui était un grand Homme avait su comprendre l’intérêt national… Il avait scellé avec son adversaire politique un pacte de paix qui l’avait amené à rejoindre le Président Yulu en prison alors que ceux qui venaient de renverser ce dernier voulaient lui confier le pouvoir. Il avait estimé qu’il s’agissait là d’une trahison d’un pacte auquel il croyait profondément. « Nous les Mbochi, nous savons ce que c’est qu’un pacte, ce que c’est qu’une alliance. Entre la liberté et le pouvoir qu’on lui proposait et la fidélité à un pacte librement consenti, le Président Opango avait choisi d’aller rejoindre le Président Yulu en prison à la maison Tchad où il était en résidence surveillée. N’est-ce pas là une grande leçon historique de fidélité ? « J’étais ce jeune officier, désigné pour aller à MayaMaya, chercher le Président Opango qui rentrait de mission en Italie. Alors qu’avec mon équipe, nous nous apprêtions à le conduire chez lui, il nous a demandé : “Jeune homme, où est le président ?” Le Président Opango ne me connaît même pas, il ne savait pas que j’étais du même coin que lui ; quand il a su où se trouvait le Président Yulu, il m’a dit : “Amenez-moi chez le président, ma place est à ses côtés.” Nous nous sommes exécutés.

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M. Sasu appelle cela un coup d’État.

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« La guerre du Pool c’est la faute du Président Kolela. C’est à son niveau que nous devrions rechercher les causes de la guerre du Pool… Nous avions un accord avec le Président Kolela…82 »

Les Ninjas de Kolela, un prétexte en or

Nsibizi ka mana vutuka manima, lufua ka ta tomba83

Jeudi 16 octobre 1997 Avant la fin de la session des ouvriers apostoliques, Jean-Louis Ngamo84 fait une course rapide en gare de Minduli à bord du véhicule Toyota appartenant au père Christian de la Bretèche. Les Ninjas qui sont de passage pour Kindamba s’en emparent. Il circulera quelques jours dans Kindamba, puis disparaîtra à tout jamais. Dimanche 19 octobre 1997 À Minduli. Vers 18 heures : les Ninjas braquent le journaliste Maxime Diekaho-Diahomba. Ce dernier habite le quartier Yulubienge. Ils lui exigent du carburant. Vers 22 heures : les Ninjas débarquent à la paroisse des Martyrs. Ils dépouillent les prêtres de leurs biens, emportant : – le véhicule tout neuf (de marque Toyota), – le gazole, – des habits, – de l’argent, – des produits pharmaceutiques, – un magnétoscope. 82 Cité par Fcd, Sasu-Ngeso ou l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique, Paris, 2009, 265-266. 83 Quand le nsibizi revient sur ses pas, il cherche la mort. 84 Un aspirant à la communauté de la Thébaïde.

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Quelque temps après, le véhicule est récupéré par un autre groupe de Ninjas qui exige une forte somme d’argent. Le véhicule ne reviendra jamais à la paroisse. Mardi 21 octobre 1997 À Minduli. Incursion des Ninjas dans la communauté religieuse des Frères des écoles chrétiennes dans les locaux de l’ancienne paroisse Sainte-Barbe ; ils arrivent aussi au couvent des religieuses de Saint-Joseph de Cluny où ils s’emparent du gazole qui se trouve dans le véhicule. Une rumeur de pillage du couvent des sœurs par les Ninjas circule dans la ville. Les religieuses prennent cette rumeur au sérieux. Ceci les poussera à partir pour Miyamba (RDC). Quelques jours plus tard, les Frères des écoles chrétiennes (qui tiennent le petit séminaire de Minduli) les rejoignent. Depuis la défaite militaire, les Ninjas sèment l’insécurité dans les villages. À partir de ce 21 octobre, commencent à apparaître dans tous les districts des banderoles louant le vainqueur de la guerre : Vive Denis Sasu-Ngeso le libérateur ! Devant une de ces banderoles, un vieil homme de confession chrétienne avertit : « Ah, c’est lui Jésus ? Faisons attention : les messianismes laïcs ne conduisent qu’en enfer. C’est mal parti. Il est dangereux que quelqu’un se prenne pour un libérateur. Il n’y a que Dieu qui libère. » Hélas ! Tout ce que nous constatons et voyons de nos yeux donne raison à ce vieil homme. Vendredi 24 octobre 1997 Venant de Kinkala, le Comité régional de paix qui est passé à Minduli a continué son périple vers l’intérieur de la région pour prêcher la paix. 57

Ce même vendredi, un Ninja de Minduli est assassiné par un des leurs pour un problème de partage de butin. Mardi 14 octobre 1997 Prise de Brazzaville par les Cobras qui sont sérieusement aidés par l’armée angolaise avec leurs MIG25 (des avions de guerre de fabrication soviétique) qui ont bombardé le quartier Makelekele habité en grande majorité par des Lari du Pool et fief électoral de l’ennemi Kolela. Diata et Mfilu (les fiefs de l’ennemi Lisuba) n’ont pas été bombardés. Du 15 octobre 1997 jusqu’à nos jours (15 octobre 1998), les miliciens Cobras, les soldats angolais, les mercenaires hutu ruandais, des soldats mobutistes zaïrois (appartenant au groupe Gbande) et autres se sont toujours livrés à des patrouilles de nuit dans les villages et les quartiers des bourgs. Des exactions innommables sont commises. Dimanche 21 décembre 1997 À Brazzaville. Des hommes en uniforme (visiblement des Cobras) interpellent Simon Mbiene85, un homme de 40 ans. Il est bembe86, originaire de la région de la Buenza. Ils le conduisent dans un endroit inconnu. Il a disparu. Lundi 22 décembre 1997 À Pointe-Noire. 17 h 30 à la grande gare, un Cobra déshabille, roue de coups et fusille un militaire. Il lui reproche d’avoir combattu à Brazzaville dans le camp de Lisuba.

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C’est un militant de l’Upads de Pascal Lisuba. Fils de clan issu des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga.

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Samedi 25 octobre 1997 À Brazzaville. Le nouveau président est investi. À Minduli. Des hommes en armes tuent six personnes ; les bourreaux sont des Ninjas et les victimes sont sept hommes non identifiés qui arrivent à Minduli en véhicule avec des armes. Ces malheureux viennent du côté de Lutete. D’aucuns parlent de miliciens Cocoy ou Cobras qui auraient attaqué un garagiste de Minduli appelé Guyvano. Deux d’entre eux seraient originaires de LulomboKimbedi (région du Pool). Leur véhicule tombe en panne et ils le font réparer chez Guyvano à côté du grand marché. Les Ninjas, qui disent assurer la sécurité dans la ville, apprennent la présence de ces hommes. Ils se renseignent sur ces intrus qui prennent leur repas ; ils sont mitraillés. Six d’entre eux succombent. Il y a un rescapé.

Kinkala, le symbole d’une recherche de paix Ua tina nsoni, nsoni u ku didi87

Novembre 1997 À Kinkala. Une cérémonie de remise d’armes est organisée. Les ex-Ninjas vaincus doivent remettre leurs armes à la Force publique (constituée essentiellement de leurs ennemis jurés, les Cobras). Les ex-Ninjas sont représentés par capi-Justin, un de leurs responsables. Du côté des autorités, il est noté la présence du ministre de l’Intérieur, le général Pierre Oba88. Les ex-Cobras sont représentés par Willy Mansanga (un ancien Ninja passé chez les Cobras). Le Comité régional de paix est représenté par Mgr Anatole Milandu, évêque de Kinkala et 87 88

Si tu as honte, la honte te mangera. Il est un des formateurs des miliciens Ninjas.

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d’autres membres de son bureau. Le Comité de paix avait déjà mené un travail de conscientisation auprès des jeunes ex-Ninjas qui ont accepté de remettre leurs armes. En retour, il fallait garantir leur sécurité. À la suite de cette cérémonie et grâce à la présence d’un contingent angolais, la paix règne (en effet) à Kinkala. Chaque paroisse et chaque communauté ont vécu le drame qui secoue la région du Pool.

Minduli, l’espoir brisé

Mu mpaka nsunsu ka ba tsinina’aka mo ko89

La ville de Minduli est habitée par des clans issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga. Le drame qui déchire les pays lari de la région du Pool prend l’allure d’une transcription de la guerre de Brazzaville (juin 1997) sur les localités lari du Pool. En réalité, c’est la même guerre qui continue jusqu’à 1999. La guerre est déclenchée le jeudi 5 juin 1997 à Brazzaville. À l’instar des jeunes Brazzavillois, quelques jeunes de Minduli, fidèles au MCDDI de Bernard Kolela, forment un bataillon Ninja dans la ville. Visiblement, ils sont soutenus par le maire MCDDI, M. Nsingani. Ces nouveaux Ninjas se mettent à terroriser les populations. Ainsi : Lundi 29 septembre 1997 À Minduli. Vers 22 h, les Ninjas assassinent le jeune Mukomfia, un habitant du quartier Palace. C’est probablement pour une histoire de fille. La victime vendait des cigarettes et possédait (à cet effet) un kiosque à mallettes. Le groupe d’assassins Ninja est composé de : 89

Dans le poulailler, personne n’y danse.

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– Laurent le capitaine qui dirige la troupe, – Masakata, – Abel Mpakasa, – Roch, – Mubarak (Mbemba Herman de son vrai nom). Le père de Mbemba est un cheminot qui est en poste à Brazzaville. Sa mère est connue à Minduli sous le nom de Mama na Lomé. Pendant le forfait, les parents de Mubarak sont absents de la ville. En apprenant le crime, les jeunes du quartier Palace se révoltent. En réaction, ils pillent, cassent et incendient les maisons des parents de certains Ninja comme : Mubarak et Laurent. La résidence du maire est attaquée. La Police locale saisit les autorités de Kinkala par la phonie de la paroisse. Les Ninjas de Minduli prennent la fuite et se réfugient à Brazzaville. Mercredi 1er octobre 1997 Inhumation de la victime (Mukomfia) dans sa concession. Jeudi 2 octobre 1997 Les Ninjas assassins qui avaient pris la fuite reviennent cette nuit. Ils sont accompagnés de redoutables Ninjas du quartier général de Brazzaville. De nombreux jeunes du quartier Palace sont arrêtés et roués de coups par ces derniers. Les Ninjas de Minduli servent d’indicateurs. Parmi les jeunes appréhendés ce jour, se trouve TireBouchon, le propriétaire de la buvette Container, située au marché central de Minduli. Les Ninjas s’y mettent à boire sans payer et confisquent l’appareil de musique. À leurs prisonniers, les Ninjas exigent une grosse rançon. Certains seront relâchés. Quatre d’entre eux seront transférés à la prison privée du quartier général du MCDDI à 61

Brazzaville. D’autres encore seront retenus à Minduli ; deux seront exécutés; il s’agit de : – Serge, un membre de la chorale de Nzambi ni kembela, – Vieux Bal, un musicien qui jouait de la batterie dans l’orchestre du quartier Palace. Quant aux deux autres, ils sont transférés à la prison privée du quartier général du MCDDI à Brazzaville. Ils doivent leur libération grâce à l’offensive militaire des troupes de Sasu ce mercredi 15 octobre 1997. Ce jeudi 2 octobre 1997 est véritablement un jeudi noir pour la ville de Minduli. De nombreux habitants prennent la fuite. D’autres s’enferment chez eux. Vendredi 3 octobre 1997 Retour des Ninjas sur Brazzaville. Du lundi 13 au jeudi 16 octobre Session des ouvriers apostoliques du diocèse de Kinkala à Minduli. Kibuende90 Kibuende est un village habité par des citoyens appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga. Lundi 17 novembre 1997 Les Cobras arrivent et brutalisent de nombreux jeunes dans les quartiers Faranka, Paul-Mudimba et Yetela. Ils entrent brutalement dans des maisons, sous prétexte de 90

Administré par la sous-préfecture de Kinkala et fief du MCDDI.

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rechercher des armes de guerre (qu’auraient cachées les Ninjas). Le même jour, l’opération se poursuit dans les villages suivants : – Manieto où ils ont brutalisé une personne du 3e âge (Monsieur Bondo Anatole) ; il était assis devant la porte de sa maison, en face du temple de l’Armée du Salut dont il est membre, – Mavuela où ils ont pourchassé des moutons. Ils en ont attrapé 4 et les ont emportés sous les yeux ahuris des habitants : « Nous avons combattu contre Lisuba et nous ne percevons aucun salaire », se justifient-ils. – Mbamu : de nombreuses maisons sont fouillées et des biens privés emportés. La population civile se doit de participer à l’effort de guerre qui a chassé Lisuba du pouvoir (guerre pourtant terminée depuis un mois)91. Après la victoire militaire des FDP, les Cobras sont recrutés officiellement dans les Forces armées congolaises (FAC) et dans la Police nationale. Il leur est conféré un statut officiel. Leurs interventions sur les populations civiles deviennent plus musclées. En même temps, ils continuent à se comporter en miliciens ou mercenaires privés à la solde d’un individu. Les Cobras sont une milice privée de Sasu comme l’étaient les Cocoy, Zulu, Aubevillois, Mamba sous le Président Lisuba92. Lisuba et Sasu : mêmes méthodes, mêmes stratégies, même ennemi : le Lari du Pool.

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Le 15 octobre 1997. Le Président Lisuba avait créé la Réserve ministérielle d’Aubeville, une milice essentiellement composée des ressortissants du Nibolek (Niari, Buenza, Lekumu qui sont les régions dont sont issus les principaux dirigeants du parti Upads, y compris le Président P. Lisuba). Ces régions situées au sud-ouest du Congo constituent le vivier électoral de l’Upads. 92

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Cauchemars dans les déplacements Ku n’zingu kukedi mfula ka kue binuani ko93

Pour les habitants de Kindamba, Vinza et Mpangala, le voyage pour Brazzaville est un exercice périlleux en cette année 1998. Des points de contrôle, qui sont tenus par des Cobras ou autres mercenaires armés, découragent tout voyageur. Les Cobras tiennent les redoutables points de contrôle de Mayama, Minduli et Kinkala. Ce qui réduit considérablement la volonté et la liberté de mouvement des habitants de Kindamba qui désirent se déplacer vers Brazzaville94.

Retranchés dans les villages et forêts Les anciens Ninjas et les Cocoy défaits se sont retranchés dans les villages et les forêts. Ils attendent une amnistie en bonne et due forme. Celle-ci ne vient pas. « Nsombe za kela mubaku », disent les Lari. Pendant ce temps, les Cobras, les soldats angolais et les mercenaires de tous bords (hutu ruandais tchadiens, ngbande zaïrois mobutistes) se comportent en vainqueurs dans les régions du Pool, de la Buenza, de la Lekumu et du Niari. Ils violent, volent, pillent et tuent à volonté. Dans ces régions, les citoyens ne se sentent en sécurité nulle part dans le pays. Ainsi : Mercredi 15 octobre 1997 À Pointe-Noire, Kubaka Fabrice, jeune élève d’un collège, est fusillé à bout portant par un militaire qui porte 93

La poudre de chasse est revenue de la guerre ! C’est qu’il n’y avait pas de vrais guerriers. 94 Ces lieux étant des passages obligés.

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un uniforme. La victime est lari du Pool. Il a été assassiné devant son domicile. Le même jour, Paul Tsumu (un cheminot), originaire de la même région que le président déchu, est exécuté par des hommes en uniforme. Le même jour à Minduli, le point de contrôle est installé au CPR95 à l’entrée de la ville (lorsque l’on vient de Kindamba). Un calvaire épouvantable et un casse-tête pour le transporteur et ses passagers. Un calvaire pour celui qui a oublié sa pièce d’identité dans son village. Ces natifs de Kindamba et Vinza y sont brutalisés ; quelques cas de tortures y ont été signalés. Oublier sa pièce d’identité est un délit grave. Le contrevenant se voit infliger une amende allant jusqu’à 10 000 francs. Cette somme n’est pas versée au Trésor public. Les transporteurs et leurs clients sont régulièrement victimes de racket et de rançonnage sous la menace des armes. Quant au gouvernement, il reste sourd aux plaintes de ces populations lari. Il en va de même sur les points de contrôle installés à Madiba (à l’entrée de Kinkala). Des agents de police et des militaires sont responsables d’entraves à la liberté de circuler sur les principaux axes routiers. Officiellement, ils sont mandatés pour empêcher le trafic d’armes de guerre. En même temps, ce sont ces mêmes militaires qui commettent des exactions, rançonnent des passants sous la menace des armes et extorquent leurs marchandises. Exemples précis : Mercredi 15 octobre 1997 À Ngoma Tsetsa, les Cobras et les soldats angolais emportent les biens des habitations visitées sous prétexte de rechercher des armes de guerre. 95

Centre de progrès rural.

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Jeudi 16 octobre 1997 À Brazzaville, de nombreux commerçants sont victimes d’attaques à main armée opérées par des miliciens du pouvoir. De nombreux Ouest-Africains ont été dépossédés de leurs recettes journalières. Jeudi 16 octobre 1997 Ce même jour à Brazzaville, M. Gabriel Matsiona, ancien ministre du Tourisme et de l’Environnement dans le gouvernement déchu, est exécuté par des hommes en armes (probablement des Cobras) à son domicile du quartier Masisia (sud de Brazzaville). Gabrielle, sa jeune fille de 3 ans (qui assiste à la scène de l’exécution de son père), est morte d’émotion. Bernard Bibimbu (le frère du ministre) est présent lors de la fusillade. Il reçoit (lui aussi) une balle, il en mourra le lendemain. À Pointe-Noire, deux hommes portant des uniformes (probablement des Cobras) exécutent le commandant Destin Ebaka à son domicile. Celui-ci est originaire d’Owando, fief de Yomby-Opango, ancien Premier ministre du régime déchu. Il est un fils de Jean-Michel Ebaka, ancien compagnon du Président Yomby-Opango (1977-1979). Samedi 18 octobre 1997 À Kubola, à 1 h du matin, la maison de Jacques est investie par un groupe de dix Cobras. Ils sont arrivés à bord d’un pick-up de marque Toyota Hilux, cabine allongée de couleur blanche. Jacques est un ancien Ninja qui a combattu en 1993. En 1997, il est resté dans son village. Perçu comme un traître, il est abattu au bas de sa maison.

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À Kinkala, il est 7 h du matin. La maison d’un vieux commerçant (qui veut garder l’anonymat) est prise à sac par un groupe de Cobras. Samedi 18 octobre 1997 À Brazzaville, M. Roger Itoua, qui est journaliste à la télévision, est exécuté par les Cobras au quartier Wenze (zone nord de Brazzaville). Il lui est reproché d’avoir continué à travailler à la télévision nationale (de gouvernement) pendant la guerre. Mardi 21 octobre 1997 À Brazzaville, M. Jacques-Robert Kimpo (un ancien ambassadeur du Congo en Égypte) est exécuté en compagnie de six autres personnes non identifiées, et enterrés dans une fosse commune au croisement de l’avenue du Château d’eau et de l’avenue qui vient du quartier Kinsundi. Samedi 25 octobre 1997 À Brazzaville. Déclaration de Politique générale. L’ancien-nouveau chef de l’État prend l’engagement, entre autres, de garantir les Droits de l’Homme, de pacifier le pays et de sécuriser les populations96. Rien de tout cela n’est réalisé à ce jour (7 mars 2000). La persécution bat son plein dans le pays lari. Les ethnies et les tribus sont l’objet d’une exploitation politique. Jeudi 30 octobre 1997 À Brazzaville. Il est 21 h. Au terminus des bus de Kinsundi, Franck Bitemo est assassiné par le chef de poste 96

Pendant ce temps, les milices n’ont été ni désarmées, ni dissoutes.

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de contrôle Cobra. Après l’avoir interpellé, les Cobras lui ont imposé de se jeter dans une mare d’eau puante. D’autres personnes appréhendées s’y vautraient déjà. Bitemo refuse de subir une telle humiliation. Il est fusillé sur-le-champ. Vendredi 31 octobre 1997 À Luomo. 21 h. Un pick-up de marque Toyota et de couleur blanche, avec beaucoup de Cobras à bord, arrive au village Luomo. Ils tirent des rafales et investissent le village. Ils exigent de l’argent à tous les habitants. Ceux qui ne leur en donnent pas sont roués de coups, ainsi que ceux qui n’en donnent pas assez. Samedi 1er novembre 1997 À Bisinza. Des Cobras, qui circulent à bord d’un pickup de marque Toyota de couleur blanche et cabine allongée, s’arrêtent au village Bisinza. Ils interpellent Makumbu Armand. Ils le taxent d’ancien Ninja de Kolela. Dans le refus de celui-ci, la colère des Cobras monte. Ils le torturent et le laissent pour mort. Quant au pillage, il s’est généralisé dans tout le pays lari. Mercredi 12 novembre 1997 À Brazzaville. Le commandant Osala Michel interpelle le sergent Mabiala. Il lui est reproché d’être de la Buenza97 et d’avoir combattu pour le gouvernement pendant la guerre du 5 juin dernier.

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Où vivent des personnes appartenant à des clans issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu et Nzinga.

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Lundi 17 novembre 1997 À Brazzaville. Les Cobras mettent en état d’arrestation M. Mabundu Raphaël et le conduisent au ravin situé entre la présidence et le quartier de la Glacière (Bakongo). Il est relâché après qu’ils aient constaté qu’il n’est pas de l’ethnie du Président Lisuba. Mardi 18 novembre 1997 Un Cobra interpelle le journaliste Mulungu Eugène. Ce Cobra le conduit derrière le bâtiment abritant le ministère des Transports, de l’Aviation civile pour l’exécuter. Il n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention d’une femme qui suivait le spectacle. Plus tard, il subira une autre humiliation au beach de Brazzaville. Lundi 24 novembre 1997 À Pointe-Noire, un agent de police exécute un jeune vendeur de produits pharmaceutiques. La victime aurait refusé de répondre à son appel. Cela a suffi pour l’éliminer physiquement. Aucune poursuite judiciaire n’est engagée contre tous ces criminels. Les Cobras assassinent en toute impunité les anciens miliciens d’autres bords qui ne sont plus armés et qu’ils continuent à considérer comme leurs pires ennemis. Le Président Sasu-Ngeso a engagé comme mercenaires les soldats hutu ruandais (défaits chez eux) et les soldats zaïrois de la Division spéciale présidentielle. Ceux-ci s’adonnent à cœur joie pour tuer, voler et piller.

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Exécution des policiers consciencieux Ba malavu ba luona dio ka ndelo ko98

La loyauté se paie cher dans l’armée républicaine et la Police nationale. Le pouvoir de Sasu s’appuie sur sa milice Cobra. Les policiers subissent le même sort que les autres citoyens, a fortiori, s’ils sont originaires des régions et zones « maudites » ; ainsi : Selon l’Observatoire congolais des Droits de l’Homme : « Dans la nuit du lundi 24 au mardi 25 novembre 1997 « Le sergent de police Jacques Kimbatsa a été exécuté au quartier Siafumu à Pointe-Noire par des hommes armés et en uniforme. » « Ce lundi 24 novembre 1997 à 23 h 59 « Les sergents Kimbatsa et Mitumona, auxquels s’étaient joints les combattants Nguala et Niangu, montant la garde au commissariat de police de Tié-Tié 2, décident de partir pour une intervention dans les environs du marché de la Liberté. Sur le parcours, ils rencontrent un véhicule pick-up de marque Mitsubishi, de couleur grise, à double cabine, transportant environ vingt hommes (visiblement des Cobras) coiffés de bérets rouges pour les uns et noirs pour les autres. « Les Cobras ont demandé aux quatre policiers en mission dans leur circonscription de décliner leurs identités. Ayant constaté que les quatre policiers avaient été recrutés et promus sergent sous le régime précédent, les Cobras les ont traités de miliciens à la “solde de

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Le palmier est vanté pour son vin succulent et non pour sa glissance.

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Lisuba”. Désarmés et déshabillés, ils ont été embarqués dans le véhicule des Cobras. « Après avoir été promenés à Mbota (ouest de PointeNoire), au centre-ville vers la discothèque 36-15 et à l’État-major militaire, les quatre policiers ont été finalement conduits vers le cimetière du quartier Siafumu au nord-ouest de la ville pour y être exécutés. « Au cours de ce tour de ville, les quatre infortunés ont été victimes de tortures et de mauvais traitements. Pendant la fusillade, les combattants Nguala et Niangu ont réussi à s’enfuir. Le sergent Kimbatsa a trouvé la mort sur place. Aucune poursuite judiciaire n’a été engagée, alors qu’il s’agissait des policiers en fonction. » Mardi 2 décembre 1997 À Brazzaville. Au débarcadère, le journaliste Mulungu Eugène se rend à Kinshasa. Il est traité de journaliste génocidaire et d’espion à la solde de Lisuba. Mardi 9 décembre 1997 10 h. Un train circule en direction de Pointe-Noire et transporte des Cobras. Ceux-ci déclenchent une fusillade intensive à l’arme automatique à partir de la gare de Kibozi jusqu’à celle de la Haute-Madziya en passant par Kibuende. Cette fusillade a plongé les paysans et paysannes qui travaillent leurs plantations dans une grande insécurité. Heureusement, aucune victime n’a été déplorée. Jeudi 11 décembre 1997 Les enfants Masengo perdent leur père au village Kindunga-école (district de Mayama). Deux des plus jeunes se rendent à Brazzaville pour les achats funéraires. Ils prennent le train en gare de Kibuende pour Brazzaville. 71

Les Cobras leur extorquent les 100 000 francs qu’ils détiennent pour leurs courses. Les jeunes qui se trouvent dans le train ne contiennent pas leur indignation pour cet acte odieux. Les Cobras répondent en arrêtant quatre d’entre eux. Ils ont disparu. Bino kuna na Kibuende mutu makasi, sik’oyo bo ko mona !99 Vendredi 12 décembre 1997 À la Haute-Madziya. Jour du marché. Il est 13 h. Une dizaine de Cobras descendent du train et prennent des marchandises au marché de la Haute-Madziya : manioc, fruits, poisson, viande, sans payer. Pour intimider la population, ils tirent des rafales en l’air. Il n’y a pas de victimes. Cependant, le marché est dispersé. Débandade dans le village. Samedi 20 décembre 1997 À Brazzaville, vers 8 h. Les Cobras récemment recrutés dans l’armée ont pris d’assaut le marché Total du quartier Bakongo (Brazzaville). Les coups de feu sont intensifs. Les vendeurs sont dispersés. Les nouvelles recrues se livrent au pillage systématique des magasins et boutiques. Lundi 22 décembre 1997 À Misafu. Nzaba est agriculteur. Il habite Misafu. Il prend le train pour aller vendre ses produits à Brazzaville. Dans le parcours, tout se passe bien pour lui. Arrivé à Brazzaville, les Cobras viennent l’entourer : – Tous les produits que tu as amenés sont à nous ! Ils se sont partagé toute sa marchandise sans le payer en retour. 99

Vous à Kibuende, vous êtes têtus ; cette fois-ci, vous allez voir !

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Le même jour, à Brazzaville. M. Mpasi Jacob est enlevé par des hommes en armes à son domicile du quartier Météo à Brazzaville. Il a disparu. À 22 h. Les Cobras de la Police nationale exécutent M. Mafuta à son domicile de la rue Mbochi à Wenze (Brazzaville) non loin du poste de police. Mardi 23 décembre 1997 Des personnes en armes (visiblement des Cobras) traquent de nombreux jeunes gens au quartier Mbama (Brazzaville). Ils circulent à bord d’un véhicule Toyota Hilux de couleur blanche, cabine longue sans plaques d’immatriculation. 16 h. Entre Kinkala et Minduli, le véhicule de marque Mercedes du diocèse de Kinkala100 est en route pour Kindamba. À un virage dangereux, Jacques (le chauffeur) ralentit et serre à sa droite. En face, arrive à toute vitesse un véhicule militaire. Il percute le véhicule de Jacques ; le rétroviseur (du véhicule de Jacques) est cassé. Les soldats s’arrêtent et menacent très violemment avec leurs armes Jacques et l’abbé Georges Kimbembe. Ce même jour à 22 h à Brazzaville : Des hommes en uniforme avec des armes s’introduisent chez Maxime Bumputu à son domicile du quartier Mungali. Ils ne l’ont pas trouvé. Ils menacent son épouse et ses enfants. Samedi 27 décembre 1997 À Brazzaville. 1 h du matin : des hommes en armes s’introduisent chez Mbemba Alain au quartier Masina. Ils emportent tout : table, chaises, salon, électroménager. Toute la famille est 100

Immatriculé 035 E 12.

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enfermée dans une chambre. À la fin, ils lui ont exigé 50 000 francs qu’il leur a versés.

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CHAPITRE 3 La phase exécutoire de l’extermination

Mambi ka kisita ko101

Les vainqueurs de la guerre de juin-octobre 1997 peinent à transformer leur victoire militaire en victoire politique. Aucun accord de paix n’est signé. La situation conflictuelle du pays est gérée par la seule force militaire dominée par les Cobras et autres mercenaires zaïrois, tchadiens, marocains, camerounais, ukrainiens, angolais, sénégalais, libanais, français, israéliens, libyens (les femmes amazones). En réalité, avec l’apparition des milices privées en 1992, l’armée congolaise est en déconfiture. À la défaite militaire des forces gouvernementales, Bernard Kolela promet d’organiser « par tous les moyens, la désobéissance civile contre la prise de pouvoir par la force, tel que le recommande la Constitution du 15 mars 1992 »102. Pascal Lisuba déclare : « Si la force prime sur le droit, nous avons été dépossédés de notre pouvoir par la force, pourquoi trouverait-il anormal que par la force nous 101 102

Le crime n’est pas stérile. RFI, 15 janvier 1998.

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cherchions à le récupérer ? Si la règle, c’est la force alors qu’il la laisse jouer »103. Ces deux propos montrent bien que l’instabilité sera permanente pendant un bon bout de temps. La population s’inquiète : – Pourquoi toutes les milices ne sont-elles pas dissoutes, ni désarmées avec la victoire d’un camp ? Les armes de guerre continuent de circuler et constituent une source permanente d’instabilité.

Janvier 1998, mois sanglant Le commandant Kubemba Rémi, alias Khamar, opère des exécutions dans les villages suivants : – Mansiedi (district de Kinkala) ; – Madidi (district de Kinkala) ; – Matumbu (district de Kinkala) ; – Kinkala-centre où il exécute des jeunes en fin de matinée (entre 11 h 30 et 12 h) contre le mur de l’école Mundongo104. Les écoliers viennent de sortir des classes. Les malheureuses jeunes victimes sont alignées contre le mur de ladite école. Khamar en personne commet le forfait. Après sa besogne, il va s’asseoir au bistrot « La Pépêche » qui se trouve en face du lieu d’exécution et prend une bière ngok. Il porte des lunettes noires. Ceux qui ont assisté à la scène sont choqués. Les écoliers qui assistent à la scène sont traumatisés. À Minduli, les Cobras disent assurer la sécurité dans le train. Il n’en est rien ; ils rançonnent les passagers. Les

103 104

JAE du 15 décembre 1997 au 4 janvier 1998. C’est la plus grande école primaire du Pool avec 5 000 élèves (en 1998).

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citoyens ordinaires sont sommés de récompenser leurs efforts de guerre. Des cas de viol, d’arrestations et d’exécutions sommaires sont signalés. Les jeunes, censés avoir été des Ninjas autrefois (1993-1994) sont les cibles privilégiées. Ils sont considérés comme des traîtres. Il ne fait pas bon d’être jeune (lari) par les temps qui courent. L’atmosphère devient lourde pour la population lari. Personne n’a le droit de contester les actes barbares des Cobras ni les dénoncer. Ils se comportent en maîtres absolus des lieux. Le fait d’avoir combattu leur octroie tous les droits, y compris celui de tuer. C’est ainsi qu’ils ont assassiné le colonel Frédéric Nkunku le 2 avril 1998 à Minduli comme nous le verrons plus bas en détail. Du lundi 5 janvier au mercredi 14 janvier 1998 Forum national pour la réconciliation reconstruction : 1421 participants.

et

la

Lundi 5 janvier 1998 « Le cadavre du lieutenant-colonel François Nguba a été retrouvé dans les environs du lieu de son travail. Les assurances de sa hiérarchie se sont révélées nulles ». Jeudi 22 janvier 1998 À Minduli, une équipe de Cobras qui descendent du train se mettent à frapper les marchands du petit marché de la gare. Le même jour en gare de Ngoma Tsetsa, les Cobras montent dans le train et exigent 500 francs à chaque voyageur. Ils ont brutalisé de nombreuses personnes ; certaines d’entre elles ont été blessées.

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Samedi 24 janvier 1998 À Brazzaville. « Les Cobras ont abattu Makita Paul, alias “Alakuenda” au quartier Diata ». Lundi 26 janvier 1998 À Pointe-Noire. Mafuta-Ndandu Jerry (26 ans) est un Lari originaire du Pool105. Son corps est retrouvé criblé de balles en face du commissariat central. C’est visiblement l’œuvre des Cobras. Mardi 27 janvier 1998 À Brazzaville. 22 h : dans le bar dancing Saï-Saï au quartier Makelekele, non loin du poste de police, une dizaine de policiers débarquent et passent à tabac tous ceux qui s’y trouvent. Les voisins et les passants ne sont pas épargnés. Jeudi 29 janvier 1998 À Brazzaville. « Le sergent-chef Ngoma (du Gap) a subi le même sort que le lieutenant-colonel Nguba. Il a été exécuté dans cette caserne par de nouvelles recrues Cobras qui l’accusaient d’être un infiltré puisqu’il n’avait pas combattu avec eux pour le compte de Sasu. Ses origines ethniques aggravaient les circonstances pour sa situation ». 105

Bien que majoritaires, tous les lari ne sont pas sympathisants du MCDDI. Le génocide ne vise pas les sympathisants d’un parti comme tel (MCDDI) mais les membres d’une Commune kongo (les lari). C’est ce qui explique que les villages lari soient bombardés. Nous ne parlons pas de « génocide du Pool » parce que ce ne sont pas tous les villages du Pool qui sont bombardés mais des villages situés dans les zones des lari. Ngabe fait partie du Pool ; cependant aucun village du district de Ngabe (constitué essentiellement des hommes d’ethnie Téké) n’a été soumis à ce génocide. Parler de « génocide du Pool » n’est pas approprié. Parlons de « génocide lari ».

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Le même jour à 20 h. M. Masamba André est enlevé à son domicile de Wenze et conduit au poste de police. Son épouse est absente lors de l’opération. Elle arrive quelques minutes après et se précipite aussitôt au poste de police en larmes. Elle hurle en mbochi. M. André Masamba est relâché. Mardi 3 février 1998 À Brazzaville. La paroisse Saint-Augustin de la Tsieme est victime d’un braquage. La caisse a été emportée. L’opération « colombe » qui consiste à ramasser les armes de guerre détenues illégalement par des citoyens apparait comme un prétexte en or pour commettre des vols et des exactions exercées sur les populations civiles, aussi bien dans les villes que dans les villages. En cette année 1998, la prudence est de mise pour circuler (même de jour) au centre-ville de Brazzaville. Il est encore plus imprudent de circuler le soir dans tous les quartiers. Le gouvernement n’impose aucune discipline aux miliciens qu’il a armés. Cette faiblesse consacre leur impunité. Jeudi 26 février 1998 « Au camp d’Ornano à Brazzaville, dans l’après-midi, une personne non identifiée est exécutée par des hommes en uniforme. La victime a été coupée avec des couteaux. Un véhicule civil a ramassé le cadavre et a disparu »106.

106

OCDH.

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Mars-août 1998 : Une série de provocations pour justifier le génocide en préparation

Ngazi ku dia ba nsekoso, lêmina ku baka ba nsuîni107

Les tracasseries dans le train sont quotidiennes. Elles sont le fait de la milice de Sasu, les Cobras. Ils s’en prennent essentiellement aux civils et aux militaires non armés, originaires des régions du Pool (pays lari), Buenza, Niari et Lekumu. Retrait des soldats angolais de Kinkala. Ces derniers étaient une force qui assurait la sécurité dans la ville. Ils sont remplacés par les ex-Cobras. Parmi eux, certains sont des lari, originaires du Pool, mais qui résident dans les quartiers nord de Brazzaville ; d’autres sont d’anciens Ninjas. Ils prennent soin d’éviter de parler la langue du terroir. Les ex-Ninjas demeurés fidèles à Kolela sont en danger et traqués. À Kinkala, l’on compte six exécutions publiques de jeunes présentés comme des « bandits » ; parmi eux, se trouve un ex-Ninja (demeuré fidèle à Kolela). La population de Kinkala est choquée. Avril 1998 Les anciens miliciens Cocoy, proches de l’ancien Président Lisuba se soulèvent à Muyonzi (région de la Buansa). Mai 1998 Les choses semblent rentrer dans l’ordre. La négociation et le dialogue triomphent ; mais ils ne sont que de façade car les véritables revendications des anciens 107

Une catégorie d’oiseaux mange les noix de palme et c’en est une autre qui souffre de soif.

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miliciens défaits ne sont pas prises en compte. Ceux-ci portent trois réclamations : – l’amnistie générale de tous les miliciens (quel que soit leur bord) ; – le retour des exilés ; – une vraie Table Ronde d’où sortirait une vraie réconciliation nationale. Août 1998 Les ex-Ninjas (de Bernard Kolela) organisent un mouvement de rébellion dans la région du Pool. Ils se disent fatigués de vivre dans les villages et les forêts. Entre septembre et décembre 1998, l’armée, constituée en majorité de Cobras, ratisse certaines localités lari de la région du Pool : – Ngoma tsetsa-centre ; – Kibozi (district de Ngoma Tsetsa) ; – Kibuende (district de Kinkala) ; – Haute-Madziya (district de Kinkala) ; – Minduli-centre ; – Misafu (district de Minduli) ; – Masembo-Lubaki (district de Minduli) ; – Kinkala-centre. Ainsi que des dizaines d’autres hameaux et villages. Des dérapages sont observés. Ces Unités militaires confondent ou mettent dans le même sac (délibérément), population rurale (lari) et Ninjas de Kolela. Le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes du Congo propose une médiation. Celle-ci se termine par un bain de sang. Six religieux sont exécutés à Minduli (région du Pool). Il s’agit de : – Benjamin Manangu ; – René-Zacharie Kinzonzi ; – Alphonse Bidie ; 81

– Émile Mabiala ; – Fidèle Lubelo ; – Eugène Nsingani. Les causes et conséquences de cette escalade de violence ne sont pas prises en compte. C’est la porte ouverte à la mort gratuite, à la razzia et à la chasse aux sorcières. Des tueurs s’y illustrent : Willy Mantsanga, Vital, Khamar, tous lari originaires du Pool, tous anciens alliés. Ils entretiennent une haine implacable contre la personne de Bernard Kolela, contre son parti (le MCDDI) et par extension les Lari originaires du Pool (qui sont censés être ses soutiens politiques)108. Dimanche 8 mars 1998 Un jeune garçon d’environ 20 ans non identifié a été exécuté dans le train et son corps jeté sur la rivière Madziya à Kibuende. Le crime est probablement signé des Cobras qui patrouillaient dans le train chaque jour. Nuit du dimanche 8 mars au lundi 9 mars 1998 À Pointe-Noire. Deux sergents de la Police nationale, classe 94 ont été enlevés au quartier Saint-Pierre et conduit au quartier Siafumu pour y être exécutés ; il s’agit de : – Cyriaque Muinga ; – Bill Enoch Kibongi-Nsueki. « À l’issue de la fusillade, le sergent Nsueki est mort sur le coup ; Cyriaque Muinga a survécu avec des balles dans la poitrine. Il est conduit et interné à l’hôpital A.Cissé de Pointe-Noire.

108

Ils sont eux-mêmes lari.

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Lundi 9 mars 1998 « Cyriaque Muinga a été rattrapé par ses assaillants. Ceux-ci l’ont sorti de la salle des soins, l’ont battu avant de l’exécuter publiquement de trois balles dans la tête, à la morgue voisine de l’hôpital. « Ses exécuteurs tentaient d’ailleurs de le placer vivant dans un casier de la morgue. Les agents des pompes funèbres avaient refusé. Les malades se trouvant dans la même salle que l’infortuné Muinga ont été brutalisés, malmenés, visiblement dans le but de leur faire avouer la cachette du sergent avant qu’ils ne l’aient rattrapé ». Dimanche 22 mars 1998 À Kindamba, il est 16 h. La force publique (Cobras) arrive. Ils sont environ une centaine d’éléments. À peine arrivés, ils s’introduisent dans des maisons ; volant, pillant tout ce qu’ils y trouvent. Ils ont un prétexte en or : – nous recherchons des Ninjas, vos amis et vos parents que vous cachez. Ils ressortent avec des biens des particuliers : marmites, matelas, appareils de toutes sortes, argent, mortiers, pilons… Mulala est le premier quartier de Kindamba, victime de ces exactions de militaires Cobras. Lundi 23 mars 1998 À Kindamba. Le commandant de la troupe organise un meeting. Il tente de rassurer la population, mais personne n’est dupe et n’y croit. Tout le monde a été témoin des exactions de la veille au quartier Mulala par ses troupes. Il insiste. Il répète qu’il assure la sécurité des personnes et des biens. Les populations qualifient ces propos du commandant de plaisanterie de mauvais goût. Il demande avec insistance que soient remises les armes détenues illégalement. 83

Mardi 24 mars 1998 À Kindamba. Les Cobras capturent trois personnes en face de la boulangerie Kuba. Ce sont des religieux. Il s’agit de tata Daniel, chef spirituel de la communauté ngunza de Kindamba et deux de ses collègues venus de Vinza et Mpangala. Ils sont exécutés vers le village Kindongo (sur l’axe de Muyonzi). Ces trois religieux étaient en plein exercice de leur ministère. Ils se rendaient au village Inkala-Matiba pour une séance d’exorcisme109. Tata Daniel était habillé d’un grand boubou rouge (couleur liturgique). Motif d’assassinat qu’évoquent les Cobras : C’est vous qui priez pour Kolela. En apprenant la nouvelle, Kindamba est en émoi, les habitants sont effondrés. Mercredi 25 mars 1998 À Kindamba. La population découvre les cadavres de ces trois religieux. Elle constate aussi l’absence de la troupe dans le village ; elle est retournée à Brazzaville. Elle n’aura passé que trois jours à Kindamba. Mardi 17 mars 1998 « À Ludima, un jeune homme non identifié a été exécuté par des nouvelles recrues Cobra à la gare de Ludima. À partir de Nkayi, ce jeune homme avait pris le train en provenance de Brazzaville pour Pointe-Noire. Sa destination était Ludima, la prochaine gare. Dans le train, il rencontre le contrôleur à qui il signifie n’avoir pas pu obtenir un titre de voyage en gare. Ce dernier lui demande alors d’attendre un moment pour régler son amende. C’est à ce moment-là que le Cobra affecté au voyage du train 109

Le sous-préfet de Kindamba paiera cher ce triple meurtre.

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l’interpelle et lui demande son titre de transport. Il lui intime l’ordre de payer 450 francs, la somme correspondant au trajet Ludima-Nkayi. Le refus du jeune homme incite le Cobra qui le menace avec son arme et réussit à lui extorquer tout son argent (80 000 francs). À la descente du train à Ludima, le Cobra interpelle de nouveau le jeune homme pour lui demander des explications sur sa résistance dans le train. Il l’a fusillé à bout portant devant les voyageurs tous choqués et scandalisés »110. Dimanche 12 avril 1998 (Pâques) Kindamba. Au quartier Camp-Maçons, un homme de 25 ans est dépouillé de ses habits devant les filles et femmes de son quartier. Un véhicule de marque Toyota appartenant à M. Nkodia (inspecteur des Sports) lui est ravi. Il sert désormais de véhicule de commandement aux Cobras. Même les animaux d’élevage sont objets de pillage. C’est ainsi que les militaires abattent deux taureaux dans le village de Musolo-Dakar (près de Kindamba). Viol de deux filles au quartier Mulala. Kindamba se vide de sa population qui trouve refuge dans les forêts environnantes. Elle veut être loin de toutes ces tracasseries. Ces souffrances poussent les autorités locales à négocier le départ de ces soldats indélicats. Mardi 7 avril 1998 À Kindamba. Un détachement de 38 éléments Cobras arrive sur Kindamba, à bord du véhicule marque DAF 1800 d’Atlas Logistique. Ils ont obligé le chauffeur de les y emmener. En temps normal, ce véhicule transporte du 110

OCDH.

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paddy pour le compte de Caritas-Kinkala qui s’investit dans le développement de la culture du paddy que l’organisme a relancé en 1996. Ce détachement n’a ni foi ni loi. Les éléments n’obéissent à personne. La force publique organise ellemême un grand désordre dans le village : vol, viol, pillage, braquage. La vie devient impossible à Kindamba. Samedi 11 avril 1998 À Kindamba. Au quartier Ludzuri, un garçon est contraint de violer sa sœur devant ses parents. L’horreur a atteint son paroxysme. Un vieil homme s’indigne : Du temps du Moyen-Congo, j’ai connu la bastonnade des miliciens coloniaux. Mais du haut de mon âge, je n’ai jamais rien vu de pareil. Ce que je vois aujourd’hui de mes yeux est inconcevable. Cela ne s’est jamais vu. Certes, les miliciens coloniaux nous frappaient, mais ils n’allaient pas jusqu’à nous humilier comme le font les Cobras. Qu’avons-nous fait ? Sont-ils vraiment dotés d’une moindre étincelle d’humanité ou ne sont-ils que de véritables fauves dotés d’une forme humaine ? Je n’ai jamais vu pareille chose durant la période coloniale. Dimanche 29 mars 1998 À Kinkala Trop d’exactions et d’indiscipline (ce qui n’honore pas une armée digne de ce nom). Les responsables militaires désarment quelques éléments Cobras stationnés à Kinkala et les renvoient à Brazzaville. Vu le climat malsain qui règne, la population doute de la sincérité de ce geste.

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Jeudi 2 avril 1998 (Jeudi saint) À Minduli. Il est 10 h. Au séminaire Saint-Pierre-Apôtre, les élèves sont en classe. Les Cobras arrivent et somment le directeur111 de leur remettre les clés de la voiture de l’établissement prétendant avoir quelques courses à faire. Le directeur s’oppose mais devant la menace grandissante avec armes, il cède. Juste après leur départ, accompagné de l’abbé Isaac Bitsumanu, le Frère Félix Kabata porte plainte auprès du commissariat de police où ils rencontrent d’autres victimes des braquages qu’opèrent les Cobras. Le véhicule du séminaire est déjà en route pour Brazzaville. L’évêché (à Kinkala) qui est rapidement informé (par phonie), saisit la Direction régionale de la police que dirige le commandant Kubemba Rémi alias Khamar. Celui-ci minimise. Les Cobras pillards passeront quelques heures après à Kinkala avec la voiture volée sans s’inquiéter. Les Cobras ont commis beaucoup de violence sur les populations civiles dans la ville de Minduli. Vers 17 h. Un train venant de Buansa et affrété spécialement pour les Cobras est en stationnement en gare de Minduli. Ceux-ci tirent plusieurs coups de feu, semant une atmosphère de guerre dans la ville. Les habitants courent dans tous les sens. Les Cobras profitent pour voler des sacs de farine de manioc, des moutons et tout ce qu’ils peuvent trouver. À Kingoyi, la vie n’a pu reprendre qu’après le passage de ce même train. Vers 19 h. Les Cobras braquent les voisins immédiats du séminaire, emportant de l’argent et beaucoup d’autres objets. Ils mettent trois personnes aux arrêts ; ce sont :

111

Le Frère Félix Kabata.

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– Frédéric Nkunku, un colonel de l’armée congolaise. Il est arrêté à son domicile dans le quartier Travers-Banc, près du marché « Commission » de Minduli ; – Biawa Jacques (alias Criquet) est un adjudant-chef de police ; – Itua, est un sergent de police. Ils sont conduits vers la gare ferroviaire. Avec la guerre qui a éclaté le 5 juin 1997, le colonel s’est établi à Minduli. Le Cobra Ondongo reproche au colonel sa non-participation à cette guerre112. Aux yeux du Cobra, cette non-participation équivaut à une complicité. Il lui fait subir un bref interrogatoire devant ses codétenus. Ils sont disposés dans l’ordre suivant : le colonel Nkunku est placé à gauche, l’adjudant-chef Biawa alias Criquet est au milieu et le sergent Itua à droite. Ils sont mis à genoux. Le Cobra Ondongo : – Tu es colonel et tu ne combats pas. Tu es pour Lisuba ? Non, tu es un Lari, tu es plutôt pour Kolela. C’est vous les traîtres. Le colonel Nkunku : Je suis militaire. Je suis un officier. Je ne peux retourner mon arme contre mon concitoyen, quel qu’il soit. Dans pareilles circonstances, je n’userai jamais de mon arme. L’arme, c’est quelque chose de sacré pour un soldat. Nous ne devons pas la profaner en l’utilisant n’importe comment. Cette guerre est une stupidité. Il ne fallait pas compter sur moi. Ce n’est pas une guerre. C’est une suite de crimes et de meurtres que les deux camps se sont faits. La preuve, ils rivalisent d’horreur. Faire la guerre est une chose, commettre des crimes en est une autre. Mon honneur d’officier ne me permet pas de

112

Cette guerre est en réalité un coup d’État qui a renversé le Président Lisuba démocratiquement élu.

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plonger dans des crimes. Un officier n’est pas un meurtrier. À ces mots, le Cobra Ondongo le mitraille ; il s’effondre. Les deux autres sont choqués et traumatisés. Le sergent Itua hurle sa douleur en sa langue maternelle. Il est originaire du nord du pays. Ils sont relâchés. Vendredi 3 avril 1998 (Vendredi saint) Les Cobras dressent une liste de maisons à piller dans la ville113. Dans la nuit même, quelques-unes sont visitées. Ils exigent de l’argent aux habitants et accaparent tout ce qui leur plaît dans les maisons. La pluie qui tombe ce vendredi avec ses coups de tonnerre redoutables114 les pousse à arrêter momentanément leur opération de pillage. Cette pluie soulage les populations. Mais ce n’est que partie remise. Samedi 4 avril 1998 (samedi saint) Au lever du jour ; les Cobras reprennent l’opération. Ils s’activent tous. Personne ne veut rentrer à Brazzaville les mains vides. En gare, toutes les boutiques sont pillées. Un train arrive de Pointe-Noire pour Brazzaville115. Ils intiment l’ordre au conducteur du train d’attendre jusqu’à ce qu’ils aient terminé d’embarquer leurs butins pour démarrer. Le train traîne pendant des heures en gare de Minduli. De nombreux habitants de la ville se sont réfugiés au village voisin de Kingoyi (à 11 km de Minduli).

113

Minduli compte 15 000 habitants en 1998. Les Cobras interprètent ces coups de tonnerre comme étant une réplique mystique des habitants de Minduli. 115 Seuls les trains qui transportent les militaires (Cobras) sont autorisés à circuler dans le Pool. 114

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Dimanche 5 avril 1998 (dimanche de Pâques) Une nouvelle tombe. Gênées, les autorités militaires de Brazzaville ont renvoyé sur Minduli les deux wagons remplis d’objets pillés la veille116. Jeudi 23 avril 1998 Entre-temps, le directeur de la police de Brazzaville117 a réussi à retrouver le véhicule du séminaire qu’ont emporté les Cobras. Il est ramené à Minduli. Samedi 9 mai 1998 Le Préfet du Pool (M. Ngoma Enoch) intronise le nouveau sous-préfet de Minduli : M. Albert Sabukulu. Ce dernier est politiquement proche de Sasu-Ngeso. Le Préfet prononce des discours incendiaires tournés contre la personne de Kolela. Manquant de pudeur, il cite nommément les femmes que les Cobras ont violées.

Le feu prend dans le district de Minduli C’est d’un village de 2 000 habitants que tout est déclenché. Vendredi 28 août 1998 Kindamba-Nguedi est habité par des personnes qui appartiennent aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga. Le deuxième épisode du conflit intra-congolais part de ce village de 2 000 habitants, administré par la souspréfecture de Minduli ce 28 août. À propos des 116

Une question : qu’ont-ils fait des objets revenus sur Minduli puisqu’ils n’ont jamais été remis à leurs propriétaires ? 117 Le colonel Muhani Edgar est originaire de Kindamba-Nguedi (Minduli).

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évènements de Kindamba-Nguedi, beaucoup de choses se disent. Nous avons retenu les versions suivantes. Un homme proche du pouvoir donne cette version : « Six jeunes producteurs de chanvre indien ont été tabassés à mort par leurs camarades. Ils ont été accusés de détournement de fonds. Le commissaire de police de Minduli signale l’évènement à son chef hiérarchique à Kinkala, le commandant Khamar. Celui-ci les fait appréhender dans leur village de Kindamba-Nguedi. Arrivés à la colline appelée Muetango, sur l’axe Minduli-Kindamba, trois d’entre eux sont sommairement exécutés et négligemment enterrés ». Une autre version de la scène telle que me la raconte un homme de Kindamba-Nguedi118 : – « Les jeunes119 sont arrêtés par Khamar lui-même à Kindamba-nguedi. Arrivés sur la colline de Muetango, le véhicule qui emmène les prévenus subit une petite panne. Ils s’arrêtent pour la réparation. Pendant ce temps, les détenus sont en train de discuter entre eux. À un certain moment, ils se mettent à rire. L’officier Khamar s’emporte : “pourquoi vous rigolez ? Ne savez-vous pas que je peux vous zigouiller ? Je n’ai pas de comptes à rendre ! De toutes les façons, il n’y a plus de prisons. Les bandits, il faut les zigouiller !” Et il a tiré sur trois d’entre eux qui meurent sur-le-champ ». Certains parlent d’une implication personnelle du commandant Kubemba Rémi, alias Khamar dans le trafic de drogue.

118

Il y aura beaucoup de versions ; nous en rapportons quelques-unes. Ces jeunes seraient des ninjas demeurés fidèles à Kolela. Après la défaite, ils se seraient retirés dans ce village et se sont mis à la culture du chanvre indien pour survivre. 119

91

Voici ce que dit un autre habitant de KindambaNguedi : – « Les jeunes de Kindamba-Nguedi cultivent du chanvre indien. Le commandant Kubemba Rémi, Khamar, de connivence avec le capitaine Nkuka Joseph de Minduli, achètent le produit. Ils le prennent régulièrement à crédit. Au moment de régler les comptes, le commandant sort ses griffes en exhibant son grade et ses responsabilités administratives : je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous ; d’ailleurs, je ne paierai pas ! En gros le commandant Khamar cherche à escroquer. Il choisit la méthode forte en arrêtant les six jeunes producteurs qui ont osé lui demander leur dû. Il n’hésite pas d’en assassiner trois et jeter les autres en prison ». Témoignage du Ninja A : « Kindamba-Nguedi est un village administré par la sous-préfecture de Minduli qui abrite un commissariat de police ; le commissaire en est le capitaine Nkuka Joseph. C’est le commandant Kubemba alias Khamar, résidant à Kinkala qui met ces jeunes en état d’arrestation dans leur village de Kindamba-Nguedi. En route, il élimine les trois, les plus intraitables d’entre eux. Les trois prisonniers restants ne sont pas conduits à la prison de Kinkala. Ils sont enfermés dans la prison de Minduli chez le capitaine Nkuka ». « Les gens de Kindamba-Nguedi cultivent du chanvre ; ce n’est un secret pour personne. Les six jeunes vivent de ce travail. Ils fournissent du chanvre indien au commandant Khamar et au capitaine Nkuka Joseph, le commissaire de Minduli. Ces deux officiers viennent vendre ce chanvre dans un milieu connu d’eux seuls (probablement parmi les Européens de la place). Ce trafic se déroulait normalement pendant quelque temps. Les jeunes producteurs étaient les derniers à être servis en argent. Le commandant et le capitaine prennent le produit 92

à crédit. Ils ne versent une somme d’argent aux producteurs qu’après avoir vendu aux clients connus d’eux seuls. À une dernière vente, la première partie de l’opération se déroule normalement. Comme d’habitude, le produit est pris à crédit. Mais à la fin, les producteurs n’ont rien perçu. Alors, ces derniers menacent. Pris d’impatience, ils commencent à divulguer le secret. Même la police s’engage dans de sombres activités. Pour les forcer au silence, les deux officiers décident de mettre aux arrêts ces bouillants garçons. C’est ce qu’ils font. Malheureusement (pour eux), ils n’ont pas prévu le retournement que prendrait leur calcul ». Samedi 29 août 1998 Le ministre des Mines et de l’Industrie, président du MCDDI, Michel Mampuya, séjourne à Minduli dans le cadre des activités de son Parti avec une équipe de journalistes. Très tôt le matin, une dizaine de jeunes venus de Kindamba-Nguedi entourent la résidence du commissaire de police de Minduli (le capitaine Nkuka). Celui-ci est abattu au bas de sa porte après avoir lui-même abattu un éclaireur du groupe. Bilan des troubles survenus à Minduli à cause de cette situation : – 4 morts ; – 1 blessé par balles, Biawa Jacques alias Criquet120. Les 4 morts sont : – Nkuka Joseph (capitaine de police) ; – Miantuadi (un récolteur de vin de palme) abattu vers 6h;

120

Adjudant-chef de police assigné à la retraite mais vit encore dans les locaux de la Police.

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– L’assaillant (non identifié et abattu par le capitaine Nkuka) ; – Fabien Bitumbu (journaliste accompagnant Michel Mampuya), abattu vers 10 h sur la terrasse d’un café de la gare. Objectif des assaillants : venger les morts de la veille et libérer les prisonniers. À la suite de ces assassinats, Minduli est vidé de ses habitants.

Le Lari et le Ninja Suite aux différentes attaques des insurgés Ninjas (ceux-ci sont réellement traqués), Minduli est érigé en base militaire. Plus d’une centaine de Cobras y sont stationnés. Ils sont sous les ordres d’un colonel. Son influence s’étend jusqu’à la grande forêt de Bangu (district de Kindamba) qui est censée être le refuge des Ninjas demeurés fidèles à Kolela. Dans la ville, les éléments du GIPN (qui sont aussi des Cobras) venus de Brazzaville « assurent la sécurité ». L’armée (composée de Cobras) impose un couvre-feu qui n’a pas d’heure fixe de début : tantôt, il débute à 18 h, tantôt à 19 h, voire plus tard. Sous le couvert de ce couvrefeu, s’opèrent des enlèvements, des viols et des pillages. La situation est grave et dramatique dans les districts de Minduli, Kindamba, Vinza, Kinkala, Mayama, Ngoma tsetsa et Mbanza-Ndunga. Depuis (bientôt) plus de deux mois, de violents affrontements opposent les contingents de forces qui se réclament du gouvernement (les Cobras) aux forces dites « d’autodéfense » (les Ninjas) que le gouvernement qualifie de « bandes armées121 ». Ces « bandes armées » 121

Ils ne sont armés que de fusils de chasse et de quelque kalachnikov.

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sont constituées essentiellement d’anciens Ninjas qui ont fait le choix de rester fidèles à Bernard Kolela devenu Premier ministre et qui a perdu la guerre. Ceux-ci se disent traqués par les services de sécurité et donc forcés de vivre dans la forêt depuis une année. Parmi les Cobras, l’on trouve d’anciens Ninjas qui ont fait le choix de rejoindre les Cobras après la nomination à la Primature de Bernard Kolela par le Président Lisuba contre qui ils avaient combattu en 1993 et 1994122. Ces durs et meurtriers combats font des victimes parmi les belligérants mais bien plus parmi les paisibles habitants civils des villages qui sont la cible sans défense des uns et des autres. Outre les exécutions sommaires qu’ils commettent, les Cobras et Ninjas-Nsilulu pratiquent le pillage des biens publics et privés à grande échelle. Toutes les paroisses du diocèse de Kinkala et les autres édifices religieux des confessions sœurs sont attaqués et pillés. L’évêché de Kinkala n’a pas été épargné. Partout, des personnes ont été menacées et molestées. Un prêtre polonais a été assassiné dans sa paroisse. Un prêtre congolais a été blessé. Une délégation de religieux a été massacrée à Minduli. Les Ninjas-Nsilulu ont enlevé et exécuté le Père Jean Guth, curé de Mayama. Les jeunes filles et les femmes d’âge mûr sont violées. Les jeunes garçons dans les villages sont soupçonnés d’appartenir à la milice Ninja de Kolela ; pour cela, ils sont traqués et exécutés. Tout Lari habitant en zone lari du Pool est soupçonné appartenir à la milice Ninja du fugitif Kolela.

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Beaucoup de Ninjas qui ont combattu en 1993 et 1994 ont jeté l’éponge. Certains se sont établis dans des villages. Ils n’ont donc pas pris part à la guerre de 1997. Le fait d’avoir été Ninjas en 1993 (même si vous avez jeté l’éponge) suffit pour être considéré comme un traître et traqué comme tel par les Cobras. De nombreux cas sont signalés dans cet ouvrage.

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La violence qui s’est installée dans les pays lari du Pool est indescriptible. Devant tant de cruauté, d’excès et d’humiliation, la (presque) totalité des populations civiles ont déserté les bourgs, villages et hameaux pour trouver refuge dans la forêt. Elles sont livrées à elles-mêmes, sans soin ni nourriture ; dans le dénuement total. La situation est tendue et plus tragique encore avec l’arrivée des pluies. L’interruption du trafic ferroviaire et routier depuis bientôt deux mois n’arrange rien. L’insécurité demeure préoccupante dans les zones lari de la région du Pool depuis la fin de l’épisode de la guerre du 5 juin 1997 à Brazzaville. Les ex-Ninjas restés fidèles à Kolela qui se sentent traqués s’organisent et réagissent. Samedi 12 septembre 1998 À Kindamba. Le soir, une vingtaine de ces ex-Ninjas arrivent à bord d’un véhicule de commerçant. Les fonctionnaires des Eaux et Forêts et quelques policiers de la ville prennent la fuite emportant toutes leurs armes à bord de l’ambulance de l’hôpital. Le sous-préfet s’est réfugié chez M. Mbabi, un militant du MCDDI et ancien commissaire de police à la retraite. Samedi 12 septembre 1998 Au village Mayalula (district de Mbanza-Ndunga). 3 h du matin. Un groupe de militaires-Cobras est venu directement de Brazzaville au village Mayalula. Ils encerclent la maison de Paul, un ex-Ninja qui avait combattu en 1993. Depuis, il s’était retiré dans son village. Il est abattu devant sa maison. S’ensuit le pillage de toutes les maisons du village.

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Dimanche 13 septembre 1998 Kindamba. Les habitants qui redoutent un affrontement de la force publique (Cobras) et les ex-Ninjas restés fidèles à Kolela se dirigent dans la forêt où ils pensent être en sécurité. Lundi 14 septembre 1998 À Kindamba. Ces ex-Ninjas prennent des vivres dans la boutique des Mauritaniens sans payer. À Mbanza-Ndunga. Les habitants de Mayalula se plaignent auprès du souspréfet de Mbanza-Ndunga. Ce dernier ne peut qu’exprimer son impuissance devant ce drame : « Ce sont des Cobras. Ils bénéficient de solides soutiens », dit-il. Le sous-préfet n’est pas assez fort pour s’imposer et punir ces éléments indisciplinés. La plainte des habitants de Mayalula est restée sans suite jusqu’aujourd’hui (5 octobre 1999). Mardi 15 septembre 1998 À Kindamba. Certains jeunes du village profitent pour piller les boutiques des Mauritaniens. Les ex-Ninjas s’efforcent de ramener de l’ordre. Mercredi 16 septembre 1998 Dans les rues de Kindamba un ex-Ninja resté fidèle à Kolela lance un message : « Nous sommes obligés de réagir parce que nous, les Ninjas (de Kolela) sommes assassinés les uns après les autres. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés devant 97

des voyous et des vauriens de Cobras qui prennent du plaisir en violant nos femmes, nos mères et nos sœurs. Sasu est revenu pour tuer ce pays. Les 13 années (19791992) de son 1er règne ont été catastrophiques ; la situation économique et sociale du pays a été chaotique. Il a développé la corruption et le vol. Maintenant qu’il est revenu par la force, le voici qui développe le crime et le meurtre à l’instar de son ami Lisuba ; économiquement parlant, ce ne sera guère mieux ; ce sera même pire. Il a déjà commencé à nous traquer. Aujourd’hui, ce sont les ex-Ninjas (fidèles à Kolela), demain, ce seront tous les Lari. Il nous fera payer son échec aux élections de 1992. S’il continue à régner, il nous fera payer le fait de ne l’avoir pas élu en 1992. Nous connaissons bien ses manières de faire. Nous connaissons bien comment fonctionne ce monsieur. Il ne recule devant rien ». Les ex-Ninjas se rendent à la paroisse catholique et s’emparent de : – la phonie ; – une somme de 300 000 francs ; – des produits pharmaceutiques ; – du carburant. La même opération est répétée à la paroisse protestante qui sera incendiée ultérieurement par la force publique (Cobra). Jeudi 17 septembre 1998 À Kindamba. Les ex-Ninjas assassinent Nzutani Albert (alias Dédé) un infirmier politiquement poche du PCT à son domicile. Ils y récupèrent deux armes de guerre. Dimanche 20 septembre 1998 La force publique arrive à Kindamba. Elle s’installe à Kingoma (un faubourg de Kindamba). Cette fois-ci, on 98

note une certaine discipline dans les rangs de la force publique. Elle est commandée par le lieutenant Samba. Celui-ci cherche à rétablir un climat de paix et de confiance. Les éléments indisciplinés qui sèment le désordre sont désarmés devant la maigre population restée sur place. Lundi 21 septembre 1998 Les nouvelles recrues Ninjas-Nsilulu aux ordres de « Mulé » sont aux entraînements, gais, joyeux, enthousiastes et chantants. Ils sont heureux de vouloir libérer le pays d’un tyran sanguinaire qui a repris le pouvoir par la force des armées étrangères, décapitant ainsi le processus démocratique si durement engagé. La force publique a déjà encerclé le village ; les Ninjas ne le savent pas. Elle permet aux habitants de sortir de Kindamba et non d’y entrer. D’après les témoignages qui nous sont parvenus, ce sont les Nnjas qui auraient commencé à ouvrir le feu. – Romaric (nouvelle recrue Ninja) est déchiqueté par une roquette. – Le « commandant » Mulé est capturé. Torturé, il affirme s’appeler « Jean Nkenzo », que son père serait commerçant. Il donne une fausse information. Celle-ci donnera un prétexte à la force publique de piller la maison de M. Nkenzo qui est effectivement un commerçant. Obligation est faite à Mulé de dénoncer ses Ninjas. Il est abattu peu après avec cinq de ses compagnons. Les personnes proches du MCDDI de Kolela prennent la fuite. Celles qui sont proches du PCT sont rassurées et reviennent au village.

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– M. Ngilas, 60 ans, un inconditionnel du MCDDI et agent de contrôle dans le marché, est promené nu à travers tout le village. Les Cobras l’ont abattu vers 16 h. – M. Batantu (un agent de santé) est arrêté et torturé. Il n’a eu la vie sauve que pour avoir consenti à verser 50 000 francs et deux taureaux aux Cobras. – Mpiaka (un malade mental) est abattu. Les jeunes proches du MCDDI et tous les militants prennent la fuite. Ils se réfugient dans les forêts environnantes. Les plantations sont abandonnées. M. Lubasu André. Les Ninjas-Nsilulu reprochent à cet ancien inspecteur des écoles son appartenance politique. Ligoté, il est aspergé d’essence et brûlé vif dans son village de Mukamba (près de Kindamba).

Autour de Kibuende tout brûle Lundi 28 septembre 1998 À Kibuende. La police impose un couvre-feu à partir de 19 h jusqu’à 6 h. Une rumeur parle d’un train pillé en gare de Kibozi. Il y aurait eu des morts à Kibozi et Ngoma Tsetsa. La peur s’installe à Kibuende. Mardi 29 septembre 1998 À Kibuende. La police impose un couvre-feu à partir de 17 h 30. Dans la nuit du mardi à mercredi, les autorités locales ont pris la fuite. Les agents de police se sont retirés à Kinkala.

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Mercredi 30 septembre 1998 À Kibuende. Tout le monde est inquiet. L’arrivée de la guerre se précise.

Octobre 1998 Vendredi 2 octobre 1998 À Kibuende. Vers 12 h, fusillade nourrie à la gare. Ce sont les Ninjas qui occupent Kibuende. Ils forment des bouchons dans des intersections. À la Haute-Madziya. Il est 16 h 30. Panique générale. Deux cents Cobras viennent d’effectuer une entrée fracassante dans le village. Ils viennent de Kinkala ; ils sont arrivés par l’axe de Matumbu. Tout le village est alerté. Certains habitants s’enferment dans leurs maisons ; d’autres s’éloignent de la gare et des quartiers environnants. Les jeunes prennent la fuite. Ils sentent que les choses vont se gâter pour eux. Les moins chanceux d’entre eux sont arrêtés et subissent de rudes interrogatoires. Certains habitants se voient ravir les habits et les chaussures qu’ils portent. Les femmes se voient ravir leurs bijoux. Avant le coucher du soleil, les Cobras ont envahi tout le village. Nombreux d’entre eux font le porte-à-porte, tuant et séquestrant des habitants. Les braquages ne se comptent plus ; les viols encore moins. La peur et la terreur règnent dans le village. La nuit est trouble et dangereuse.

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Samedi 3 octobre 1998 À Kibuende. 8 h. Les Ninjas-Nsilulu cherchent à accaparer le véhicule du Père Joseph Mermier123. L’un d’entre eux a déjà pillé de nombreux objets chez le curé. Ce dernier tente de négocier. Il se fait restituer presque tout sauf la phonie. Ils exigent la voiture. Sous la menace des armes, le Père va la chercher au cimetière où il l’a cachée. 9 h 30. Fusillade nourrie avec tirs de roquettes du côté des quartiers Mayaka et Carrière. C’est la force publique (Cobra) qui arrive à pied de la Haute-Madziya. Bilan. Des témoins parlent de plusieurs victimes sans déterminer de chiffre. Le dispensaire (Ngolobuani) se vide. Une femme accouche sur le chemin le long de la concession du couvent des religieuses124. Une autre femme arrive avec le mollet traversé par une balle. Samedi 3 octobre 1998 À la Haute-Madziya. Très tôt le matin, plus de la moitié de l’effectif des Cobras foncent sur la ville de Kibuende pour l’attaquer. Pendant ce temps, ceux qui sont restés à la Haute-Madziya poursuivent les exactions sur les populations. Dans l’après-midi, en direction de Kibuende, on entend des coups de feu. Ce sont les Cobras qui en reviennent. Les Ninjas viennent de les repousser. Peu de temps après, ils tirent des rafales dans le bourg. 16 h : effrayés et par peur d’être rattrapés par les Ninjas de Kolela, les Cobras quittent précipitamment la HauteMadziya pour Kinkala.

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Français, prêtre de la congrégation du Saint-Esprit. Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

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Dimanche 4 octobre 1998 Le curé négocie la voiture que les Ninjas avaient embarquée la veille. Elle lui est restituée. Il s’en va chercher les blessés (tous des civils) au quartier Mayaka en compagnie de la sœur Marie-Agnès qui est infirmière et de l’abbé Brice Kayi. Quelques Ninjas-Nsilulu montent dans le véhicule. Ils trouvent deux blessés graves et un autre qui peut encore marcher. Deux autres avaient été transportés au dispensaire protestant de la Haute-Madziya. Les blessés sont conduits au couvent des religieuses où une infirmerie de fortune est ouverte. On parle de plusieurs morts aux quartiers Mayaka et Carrière. Des maisons sont en flammes dont celle de M. Nkatudi (le président du Conseil paroissial). Ce dernier a même failli être exécuté. Les Cobras ont abattu encore deux personnes (non identifiées). Les témoins ont vu (encore) deux cadavres sur la route. Des cadavres partout dans Kibuende. Parmi eux, deux victimes sont formellement identifiées : – Mâ Nsona, 55 ans. – M. Hervé, 35 ans, un chrétien de confession protestante. Dimanche 4 octobre 1998 À la Haute-Madziya. Le soir, l’on remarque la présence de sept véhicules de marque Toyota Hilux à double cabine de couleur blanche. Ils sont positionnés sur la colline près du village Kihumunu. C’est le célèbre tueur Vital, ancien ninja devenu cobra. Il est là avec son équipe de tueurs. Ils sont armés jusqu’aux dents. Déjà à leur passage au village Kololo (12 km de la Haute-Madziya), ils ont ouvert le feu sur la population.

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Bilan : un mort et deux blessés graves. La population a pris refuge dans la forêt. Sur la colline du village Kihumunu, Vital et sa troupe attendent la nuit pour opérer sur le grand bourg de la Haute-Madziya. Mais malheureusement (pour eux), pendant qu’ils se préparent, Mâ-Lumpangu, depuis sa plantation a tout vu. Elle se précipite au village et rapporte tout ce qu’elle a vu. Certains jeunes expriment des doutes. Ils gravissent la colline par l’autre versant. En effet, ils voient l’équipe des tueurs. Ils en savent désormais davantage et donnent raison à Mâ-Lumpangu. Malheureusement pour les imprudents jeunes, les Cobras en capturent quelques-uns et les gardent en otage. Ce sont eux qui finiront par servir de guide dans le bourg. La nuit avec leurs otages, ils inspectent le terrain et recherchent des Ninjas (demeurés fidèles à Kolela). La nuit est calme. On ne distingue rien. Alors, ils foncent sur Kibuende (qui est leur fief des Ninjas). En pleine nuit, ils libèrent les otages dans une forêt proche de Kibuende. Ils partent attaquer Kibuende, brûlent tout à leur passage et pillent boutiques et maisons. Lundi 5 octobre 1998 À Kibuende. 6 h 55 : la force publique (les Cobras) arrive avec sept véhicules. À Voka ce même jour, M. et Mme Marquès un couple de commerçants portugais installé à Kinkala depuis 1954 arrive à Voka. Ils se sont éloignés de Kinkala où règne une grande insécurité. Lundi 5 octobre 1998 À la Haute-Madziya ce même jour. Vers 6 h, les Ninjas (qui viennent de Kibuende) sont dans Madziya. Ils sont arrivés en draisine. 104

6 h 30, la Haute-Madziya est encerclée, recherchant des Cobras et surtout des fusils de chasse auprès des habitants. Ils contactent quelques anciens Ninjas (ayant combattu en 1993 et 1994) et les invitent à rejoindre le mouvement : – Nous en avons marre d’être traqués ainsi. Ils accaparent les armes de chasse auprès des habitants. Ceux qui s’y opposent sont roués de coups, séquestrés et menacés de mort. Un commando Ninja fait irruption à la paroisse catholique Sainte Jeanne d’Arc. Il réclame la phonie et un éventuel véhicule. Pendant ce temps, d’autres procèdent au recrutement et trouvent une vingtaine de jeunes qui se portent volontaires pour « libérer le pays de la tyrannie cobra ». Une seconde équipe de Ninjas repart sur Kibuende. Les Cobras ont pris la fuite par la route qui passe par le village Manieto où ils ont molesté un vieil homme de 80 ans, M. Bondo Anatole. Les Ninjas quant à eux, ont emprunté le chemin de fer pour se rendre à la Haute-Madziya ; c’est ce qui explique qu’il n’y a pas eu d’affrontements entre Cobras et Ninjas ce jour-là. Mardi 6 octobre 1998 À la Haute-Madziya. Les Ninjas débarquent encore dans le bourg. Ils incendient la maison de la gare et celle du chef de village. Ils le trouvent proche du régime tyrannique actuel. Ils sont les maîtres de la HauteMadziya. Mercredi 7 octobre 1998 À la Haute-Madziya. Les Ninjas-Nsilulu exécutent M. Ntela. Motif : il détient une photo de son beau-frère, Maurice Kihunzu, alias Maurel, grand Cobra et qui est un très proche de Sasu-Ngeso.

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En 1998, Kihunzu n’est pas membre du PCT. Cependant, une solide amitié le lie à Sasu-Ngeso. Au nom de celle-ci, il a combattu à ses côtés en 1997 comme milicien Cobra. Ses prouesses lui ont valu le titre de « colonel ». C’est lui qui aurait dynamité la maison de Bernard Kolela au quartier Bakongo. Il a été nommé maire du 1er arrondissement de la ville de Brazzaville (Makelekele). Les Ninjas profèrent des menaces à tous les sympathisants du PCT ou même ceux qui, de près ou de loin ont des parents dans ce Parti. Depuis ce jour, le malaise est palpable dans la Haute-Madziya. La population est partagée entre deux feux. Le bourg commence à se vider petit à petit. Les Ninjas exécutent les personnes suivantes : – M. « Diamant » ; – L’épouse de M. « Diamant »125 ; – M. Lufua, exécuté chez lui ; – M. Kinsekua, exécuté chez lui. Au fil des jours, la situation se dégrade. On apprend des échos de massacres de Masembo-Lubaki par les Cobras, des affrontements à Kinkala et Matumbu, des pillages et incendies de maisons à Kinkala et villages situés sur le long de la route nationale n° 1. On entend de plus en plus de coups de feu. Le nombre de Ninjas sur la HauteMadziya augmente de plus en plus. Ils y installent un poste. Leur présence inquiète la population. Ils commencent à menacer les citoyens de mort et commencent à prendre librement ce qui les intéresse dans des maisons. Le mécontentement monte et la population déserte le bourg. Une semaine après, c’est l’accalmie. Les gens sont revenus dans le bourg. 125

Le couple a été exécuté à la place du village.

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Mercredi 14 octobre 1998 À Kibuende. Fusillades nourries avec roquettes nombreuses. Tous les habitants prennent la fuite. La force publique (constituée des Cobras) est à la gare. Elle est dirigée par un civil, un certain « commandant » Vital Bakana, un Ninja (93-94) passé chez les Cobras de Sasu, après que Kolela l’ait jeté en prison pour inconduite. Grand assassin devant l’Éternel. 13 h 30. Fin de la fusillade. C’est la désolation dans le village : de nombreuses maisons sont incendiées. Quatre personnes âgées ne pouvant se déplacer ont été mitraillées au pont de la rivière Madziya ; il s’agit de : – Tà-Kayi ; – 3 femmes âgées non identifiées qui vivaient en face de l’habitation du premier ; – 2 blessés qui sont morts peu après. Les quartiers Saint-Paul et Gare sont dans une désolation flagrante : – Des dizaines de cadavres abandonnés sur la route du marché ; – Des dizaines de maisons calcinées ou encore en feu ; – Des dizaines de femmes mortes ou blessées dans leurs maisons. La plus belle maison du quartier Gare, appartenant à monsieur Lukolo est en flammes. M. Noel Milandu, le pharmacien du village soigne une femme blessée au ventre. Elle mourra quatre jours plus tard. La force publique (Cobra) dirigée par le civil Vital pille la maison de M. Milandu et le menace de mort. Quelques rares victimes identifiées au quartier de la Gare : – Mayembo, 35 ans ;

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– Kinkonda, plus de 70 ans ; ce dernier est exécuté pour avoir été accusé d’appui spirituel de ninjas de Kolela ; – M. Mfuilu Romuald, 60 ans, enseignant retraité ; – Mme Nsunga, 58 ans ; – Mâ Niesi (Agnès), 60 ans ; – Un homme originaire de la Haute-Madziya. Mardi 6 octobre 1998 À Kibuende. On essaie d’évaluer la catastrophe. Des blessés donnent les récits des faits : Vers 9 h, les armes crépitent dans Kibuende. Un groupe de femmes s’enfuient et prennent la direction du village Ngabangola. Elles ont traversé la rivière Ngabangola. Une roquette éclate au milieu de ce groupe de femmes ; beaucoup d’entre elles sont touchées, 3 sont décédées sur le coup : – deux d’entre elles ne sont pas identifiées ; – Mâ Misakila Denise, 62 ans (est connue de tout le monde) est la seule qui soit identifiée formellement. – Il y a plusieurs blessées ; parmi elles : – Martine Moke ; – une des filles de Martine Moke ; – une fillette. À Masembo-Lubaki. Le même jour. Des Cobras arrivent dans le village à bord de six véhicules de marque Toyota Hilux de couleur blanche, double cabine. Ils déploient des drapeaux blancs et crient à la paix. La population réfugiée dans la forêt est rassurée. Des habitants font confiance. De nombreux habitants regagnent le village. Parmi eux, l’on compte de nombreux jeunes. Pour éloigner tout soupçon et toute méfiance, les Cobras offrent deux dames-jeannes de vin de palme aux 108

jeunes. Ils trinquent tous ensemble. Ceux-ci sont plus que rassurés par ces marques d’amitié. Les amis de circonstance se quittent en début de soirée dans la joie et la confiance. Les militaires Cobras évitent de passer la nuit à Masembo-Lubaki, ils vont la passer au village Nkamu à 5 km de Masembo. Mercredi 7 octobre 1998 À Kibuende. De nombreuses personnes tentent de sortir de la forêt pour s’enquérir de la situation au village. On essaie de récupérer des affaires (pour ceux qui le peuvent). Ce même jour à Voka, première incursion des NinjasNsilulu. Ils cherchent à s’emparer de la voiture de M. Marquès. Ils viennent demander le véhicule de la paroisse de Voka qu’ils aperçoivent ; mais celui-ci est en mauvais état ; il ne démarre pas. Le Frère Jo126 leur remet 3 000 francs. Ils se retirent. À peine sont-ils partis que les gendarmes arrivent. Ceux-ci demandent aux habitants de Voka de rester calmes. Ils rassurent M. Marquès et le convainquent de rentrer avec eux à Kinkala. À Masembo-Lubaki. Le même jour, de grand matin : ces mêmes militaires Cobras (qui rassuraient la veille) se lèvent et vont enlever 20 personnes dans leurs maisons. Alors qu’ils ne se doutent de rien, ces personnes sont surprises. Arrêtées, elles sont conduites dans la concession du chef de village. 6 h 30 : les 20 personnes sont exécutées au domicile du chef de village qui est traumatisé. Ils seront enterrés sur le lieu du crime. Nous ne disposons pas (actuellement) des noms de ces 20 personnes. Le village est sous le choc.

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De nationalité française et de la congrégation des Marianistes.

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Vendredi 9 octobre 1998 À Kibuende. Coups de feu et de roquettes. Nouvelle panique. On tire du côté des quartiers Mpika-Mbana et Saint-Paul. 12 h. Une voiture circule avec des Ninjas-Nsilulu à bord. C’est la voiture de la mission de Mbamu que les Ninjas ont ravi aux prêtres du lieu. Les Ninja-Nsilulu incendient la maison de la gare. Ce même jour à Voka, devant la progression Ninja, les Cobras se replient. Les autorités politiques et administratives de Boko prennent la fuite. Vendredi 9 octobre 1998 À Masembo-Lubaki. Les Cobras organisent un deuxième massacre en assassinant (encore) 20 personnes à la fois. Cette fois-ci, nous disposons de leurs noms. Il s’agit de : – Batola Marcel, alias « La Pointe », quartier Yengo ; – Mulunda, quartier Yengo ; – Samba Rutch, quartier Yengo ; – Théo, quartier Yengo ; – Suaka vivien, quartier Yengo ; – Vladhi, du quartier Yengo ; – Milongo Auguste, alias « Nkabas », quartier Yengo ; – Milongo Borderel, 24 ans, quartier Yengo ; – Mbuku, 21 ans, quartier Yengo ; – Zoba, 72 ans, quartier Yengo ; – Mbumba-Tukuna, 70 ans, quartier Nsompi ; – Misilu-Velola, 26 ans, quartier Ngari ; – Mbungu, 41 ans, cheminot, quartier Yengo ; – Henri « Gaulois », 38 ans, quartier Yengo ; – Nanitelamio, 49 ans, quartier Yengo ; – Le petit-fils de Mâ-Bukonzo, 21 ans, quartier Yengo ;

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– L’oncle de Mme Gaullois, cheminot, originaire de Matumbu, en séjour à Masembo-Lubaki ; – Le cadet de Mme Gaullois, originaire de Matumbu, en séjour à Masembo-Lubaki ; – Un neveu de M. Gaulois ; – Un cadet de M. Gaulois. Quarante exécutions en l’espace de 48 h, dans un village de 9 000 habitants, le traumatisme est énorme. Nous notons qu’il ne s’agit pas d’un affrontement. Jusquelà, il n’y a eu aucun affrontement avec les Ninjas dans ce bourg. Samedi 10 octobre 1998 À Kibuende, un camion de la force publique, isolé (avec à son bord quelques Cobras) est venu (probablement pour continuer le pillage). Ils ont surpris la voiture des prêtres de Mbamu avec des Ninjas-Nsilulu à l’intérieur. La voiture est mitraillée. Ce même jour à Voka, les Ninjas occupent Voka sans piller. Ils en contrôlent le secteur. Les habitants retrouvent confiance mais ce sera de courte durée. Dimanche 11 octobre 1998 À Voka. Les Ninjas informent les habitants de la contre-offensive imminente des Cobras. Ceux-ci trouvent refuge dans la forêt. Le village se vide. Seule l’équipe pastorale (prêtres et religieuses) est restée sur place. Lundi 12 octobre 1998 Voka. Il plane dans le village un lourd silence. 11 h : des coups de canon déchirent le lourd silence du village. Les Ninjas n’y sont pas. Une cinquantaine de

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jeunes qui sont venus passer le BEPC à Boko ont été accueillis dans la paroisse. 15 h 15 : les Cobras arrivent à la mission (paroisse). Ceux-ci fouillent les chambres, emportant quelques objets. Ils demandent de l’eau et de l’argent. Ils violent dix jeunes filles (parmi les candidats au BEPC) à l’intérieur de l’église de Voka. 16 h 15 : une seconde équipe de Cobras arrive. C’est le début du calvaire. Ils arrivent à la mission (paroisse) en compagnie du chef de village qu’ils ont pris en otage. Ils tirent des rafales et réclament des véhicules (ceux-ci sont cachés dans la forêt). 23 h 30 : c’est la 5e équipe de Cobras qui passe à la paroisse. Ils exigent une voiture pour pouvoir rentrer à Brazzaville. Ces militaires Cobras extorquent beaucoup d’argent au Frère Jo. Un Cobra lui remet 5 000 francs sur l’argent qu’il venait de lui extorquer. Frère Jo lance un appel de détresse à la phonie ; en vain. Mardi 13 octobre 1998 Voka. 0 h 30 : les religieux partent clandestinement de Voka et trouvent refuge chez un de leurs fidèles. 8h : Frère Jo rejoint prudemment la paroisse et tente de lancer un nouvel appel de détresse à la phonie. Cette foisci, l’appel est capté. 17 h 30 : Un commandant et un capitaine arrivent à Voka à bord des véhicules blindés. C’est un convoi militaire qu’a négocié l’Ambassade de France. Ce convoi arrive en véhicule blindé et emporte aussi du renfort de troupes gouvernementales destinées à combattre à Kinkala. Celles-ci sont constituées essentiellement des Cobras. 17 h 40 : tout le personnel de la mission : – les religieuses, 112

– les prêtres, – les religieux, – 1 jeune aspirant à la vie religieuse et – 1 médecin (avec sa famille). Ils sont évacués sur Brazzaville. Ils prennent la route et arrivent à Kinkala. La ville est sous les feux. Les combats sont rudes entre Cobras et Ninjas. Les véhicules blindés (avec à l’intérieur le personnel religieux) entrent dans les combats pendant presque une heure. 19 h 40 : reprise de la route pour Brazzaville. Vers Ngela, entre Kinkala et Brazzaville, ces véhicules entrent de nouveau dans les combats. Mercredi 14 octobre 1998 2 h 30 : les religieux évacués de Voka arrivent à Brazzaville. À Masembo-Lubaki. Les Ninjas-Nsilulu viennent venger ces morts en exécutant des personnes soupçonnées d’être proches du pouvoir et du PCT. Il s’agit de : – Ngatse André ; – Nsikasisa Pascal ; – Lubamba André ; – Nanitelamio Ferdinand. Ce sont tous des cheminots. Dimanche 18 octobre 1998 À Kibuende. 8 h : début de coups de roquettes et des rafales. Un train arrive ; il roule au pas. 9 h : cinq Cobras font irruption au couvent des religieuses. Ils terrorisent les blessés qui s’y trouvent, prétendent chercher des Ninjas127 et commencent à piller.

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Alors que lorsqu’ils les rencontrent ils prennent la fuite.

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Des tirs se poursuivent. Ils cherchent et exigent de l’argent auprès des blessés et des religieuses. 12 h. Une seconde équipe de Cobras débarque au couvent des religieuses. Débute alors le pillage systématique : voitures, machines à laver, congélateurs ; tout est embarqué. L’un d’eux tente de violer une postulante (Marie-Fernande). À plusieurs reprises, ils menacent de mort l’infirmière sœur Marie-Agnès qui soigne les blessés. Ils pillent même le dispensaire de Ngolobuani128. Tout Kibuende est simplement en feu. C’est l’apocalypse. Il faut avoir vu pour comprendre et saisir. Chaque habitant de Kibuende est suspecté d’être un Ninja de Kolela et abattu sans explication. 17 h 30 : le train (qui est arrivé ce matin à 8 h) repart, rempli des produits du pillage. Dimanche 18 octobre 1998 À la Haute-Madziya. Un grand nombre de fidèles assistent à la messe que préside l’abbé Jacques Nziendolo, en l’honneur du 20e anniversaire du Pontificat de JeanPaul II. On remarque la présence de nouvelles recrues Ninjas dans le village. Le matin de ce dimanche est plutôt calme. Vers 15 h, alors que la vie est revenue presque à la normale dans le bourg, malgré la présence des Ninjas, les Cobras venus de Kibuende lancent une offensive sur la Haute-Madziya à la surprise de tous les habitants. Peur. Panique. Tout le monde se dirige vers la forêt et les hameaux environnants. Il n’y a pas eu affrontement. Les Ninjas battent en retraite et certains se mêlent à la population. Pendant ce temps, les Cobras se livrent à leurs activités favorites : piller et incendier des maisons. 128

Où je suis né.

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Bilan : – 1 mort (non identifié), – 9 maisons incendiées, – 3 Cobras blessés. Le bourg se vide. Les portes de toutes les maisons sont ouvertes ou cassées. C’est la désolation. À la paroisse, profanation de l’église ; les portes de la sacristie et du tabernacle sont cassées. Les vases sacrés sont détruits. Les hosties consacrées sont éparpillées dans tous les sens. Les Cobras ont marché dessus. À la sacristie, c’est le grand désordre : tous les linges sacrés et ornements liturgiques sont déchirés ; ceux qui n’ont pu l’être sont éparpillés dans tous les sens. Lundi 19 octobre 1998 Les tirs se poursuivent. La population est cachée dans les forêts. Le bilan est catastrophique : une centaine de morts environ peut-être trois à quatre centaines de blessés. La ville de Kibuende est bombardée, pilonnée à fond et saccagée. La vie y sera dure pour la population pendant longtemps. Les Cobras ont emporté toutes les tôles de toutes les maisons. Je dis bien toutes les maisons : les maisons particulières, le dispensaire, les écoles, les commerces, même les tôles du clocher de l’église qui mesurent 40 cm sont emportées. Les conditions de vie y seront très difficiles et pendant très longtemps. Dimanche 4 octobre 1998 À Minduli. Le commandant des troupes est en déplacement. En son absence, les Cobras organisent de nombreuses arrestations au quartier Palace. Les victimes sont tous des jeunes. La population découvre un ancien Ninja entré dans les rangs Cobras ; son petit nom est 115

Mubarak. C’est lui qui a commandité le meurtre du jeune Mukomfia du quartier Palace dans la nuit du 29 septembre 1998. Sept jeunes sont arrêtés ; quatre d’entre eux seront relâchés. Nuit du lundi 5 au mardi 6 octobre 1998 Sept jeunes sont arrêtés au quartier Palace ; quatre d’entre eux sont relâchés tandis que trois sont portés disparus ; ce sont : – « Guy Laroche » ; – Mbala129 ; – Un non-identifié. Vendredi 9 octobre 1998 À Minduli, une réunion est convoquée à la souspréfecture pour redéfinir les rapports devant régir les populations et l’armée (constituée de Cobras). Sont réunis autour du Sous-préfet, les chefs des quartiers, les responsables des confessions religieuses, et les responsables des Forces armées congolaises (les Cobras) et de la police. La population dénonce les méfaits des Cobras et leurs braquages. Dimanche 18 octobre 1998 À Misafu. Le village de Misafu tombe dans les mains des insurgés Ninjas. La panique est générale. Toute la population se déverse sur Minduli. 5 h 15 : des coups de feu crépitent. C’est une vingtaine de Ninjas qui attaquent les Cobras. Les premiers affrontements sont de courte durée (environ 30 minutes) mais intenses et violents. Ils se déroulent à deux endroits simultanément : 129

Fils du chef de quartier Palace.

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– à la gare ferroviaire (près de la Mucodec) ; – à la station terrienne des Postes et télécommunication. Des témoins parlent d’une hécatombe du côté Cobra. Quelques survivants Cobras abandonnent la bataille et vont chercher du renfort à Minduli situé à 18 km. En moins d’une heure, les Ninjas sont maitres des lieux. Pour se rassurer du retrait effectif des éléments Cobras, les Ninjas fouillent toutes les maisons du village. La paroisse catholique est encerclée. D’un ton menaçant, ils exigent café, lait, huile des malades (à la place de l’huile d’olive et de l’encens de Saint-Michel) qu’ils réclament pour leurs prières et dévotions. L’ennemi Cobra parti, les armes cessent de crépiter. La population profite de cette accalmie pour prendre la fuite. Les Ninjas incendient la maison de la gare et le poste de police. Vers 9 h, les tirs à la roquette détonnent. C’est le renfort Cobra qui arrive de Minduli ; les Cobras arrivent en draisine. Des affrontements plus violents s’engagent. Des témoins rapportent que les Cobras ont essuyé de sévères pertes matérielles et humaines. Les Ninjas ont incendié la draisine qui a transporté les Cobras de Minduli. Trois renforts de Cobras ont été massacrés. Il a fallu l’intervention musclée de l’armée angolaise pour faire reculer les Ninjas. C’est alors que les Cobras profitent de la victoire de l’armée angolaise pour piller systématiquement le village. Tous les biens sont emportés, même les ustensiles de cuisine, les mortiers, pilons, pétrins, meubles, volaille, même les animaux sont massacrés. La paroisse est saccagée jusqu’aux bougies ; les objets de culte sont profanés, ils brûlent la voiture de la paroisse. Ils exécutent des personnes proches du MCDDI. C’est ce jour-là qu’est exécuté l’ancien député-MCDDI Hombesa.

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Lundi 19 octobre 1998 Minduli qui a reçu la population de Misafu est déjà une ville morte. Mardi 20 octobre 1998 Minduli. Aucun Cobra ne déambule dans la ville. Ils sont réunis en gare et demandent aux cheminots de les acheminer à Lutete (région de la Buenza) par la draisine. Depuis des semaines, le train venant de Pointe-Noire n’arrive plus dans la région du Pool. Il s’arrête à Lutete. Le Pool étant déclaré zone dangereuse. 19 h. Les prêtres partent de Minduli et marchent vers Lulombo. Ils prendront l’avion le 27 octobre 1998 à Lutete pour Brazzaville. Mercredi 21 octobre 1998 Jacques Nziendolo (prêtre congolais) est blessé au bras à la Haute-Madziya ; c’est l’œuvre des Cobras. Depuis le 26 août 1998 à ce jour (27 décembre 1998), des combats sanglants secouent le pays Lari dans la région du Pool. L’ensemble du diocèse de Kinkala est dans le collimateur. La situation est grave et dramatique. Vendredi 23 octobre 1998 Les insurgés ex-Ninjas attaquent et s’emparent de Minduli. Dimanche 25 octobre 1998 Un train transporte des Cobras. Du train, ceux-ci tirent sur tout ce qui bouge. Ils investissent Minduli. Bilan : de nombreuses victimes (chiffre non déterminé) par contre, trois personnes sont formellement identifiées :

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– M. Victor Kimbembe, commerçant et (pourtant) membre du PCT130. – Mana (12 ans), petit Yambote131 de la paroisse. – M. Philippe Kikota, infirmier retraité.

Les évènements de Lulombo Samedi 24 octobre 1998 À Lulombo vers 20 h, les abbés Alain Biniakunu (venu de Misafu), Bernard Kisakolo (venu de Minduli), Mukambu, grand séminariste du diocèse de Matadi (RDC) et Jan CZUBA (curé de Lulombo) sont assis au balcon du presbytère. Ils viennent de terminer leur repas. Ils aperçoivent un groupe de quatre individus rôdant autour de la paroisse. Ce sont des Ninjas-Nsilulu du pasteur Ntumi. Ceux-ci sont persuadés que les armes du poste de police sont dissimulées au presbytère. Les prêtres flairent une atmosphère nauséabonde. Ils se montrent prudents et prennent des précautions. Ils projettent d’aller passer la nuit dans la forêt la plus proche. Le séminariste Mukambu s’oppose à cette idée. Il leur propose des chambres chez ses parents. Vers 21 h. Ce même groupe de Ninjas-Nsilulu dévalise la boutique de M. Banzuzi, située vers la gare. Ensuite, ils se rendent au poste de police, attaquer l’officier (Emmanuel Mialebama). Ce dernier (informé de leur présence) s’enfuit dans la forêt située près de la paroisse, à 130

L’exécution de Victor Kimbembe fait penser qu’on n’attaque pas des militants d’un parti (MCDDI) mais des Lari. M. Kimbembe a eu la présence d’esprit de se présenter comme membre du PCT avant d’être abattu. Dans cette folie, les Cobras abattent tout individu (quelle que soit son appartenance politique) pourvu qu’il soit Lari. 131 Yambote est un mouvement d’enfance chrétienne.

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800 m du presbytère. Les prêtres n’en sont pas informés. Il était parti dans la plus grande discrétion. Dimanche 25 octobre 1998 Des jeunes de Lulombo manifestent le désir de poursuivre ces voleurs (c’est ainsi que pour l’instant, ils considèrent les Ninjas-Nsilulu)132. Ils partent réclamer des armes à l’officier de police qui leur oppose un refus formel : « Il est formellement interdit de donner une arme de guerre à un civil », leur répond-il. La pression est forte. Quelque temps après, l’officier prend (encore) la fuite. Sa disparition consolide les soupçons des Ninjas-Nsilulu selon lesquels les armes seraient cachées à la paroisse ; que les prêtres les auraient dissimulées dans leur presbytère. À la messe, l’abbé Jan Czuba (de nationalité polonaise) attire l’attention des jeunes sur le climat malsain que traverse le village. Il leur demande d’être sages afin d’éviter de jeter la poudre au feu. Vers 11 h. Le climat est tendu. La paroisse est menacée. Le Conseil paroissial se réunit. Il se tient dans la paillote paroissiale. Il est demandé à l’abbé Jan Czuba de s’éloigner de Lulombo car il est manifestement visé. Le seul moyen d’éviter la tragédie est son départ de la paroisse. C’est la seule manière de garantir sa sécurité. Czuba donne sa réponse : – « Si je pars de Lulombo, les chrétiens vont aussi fuir. Autant mieux mourir à côté de mes fidèles ». À 15 h. Cette fois-ci, le chef de village convoque une réunion urgente ; y sont conviés : – M. Anatole Milandu, président du Conseil paroissial. 132

Plus tard, on se rendra compte que ces jeunes étaient de nouvelles recrues des ninjas-nsilulu de Ntumi.

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– M. Emmanuel Mialebama, chef de la police (qui est revenu entre-temps). – Jan Czuba (en sa qualité de président local du Comité local de Paix). Ce Comité se charge de ramasser paisiblement les armes détenues par des civils engagés dans des milices privées, notamment les Ninjas de Kolela (parce que c’est d’eux qu’il s’agit). Toute l’assistance condamne l’acte des bandits (qui sont en fait des Ninjas-Nsilulu). Des mesures sont prises. Certains jeunes sont condamnés à des amendes pour leur inconduite dans le village. D’autres sont condamnés à payer 30 000 francs ; d’autres encore sont expulsés du village et priés de regagner leurs villages et leur pays (ils sont de l’autre côté de la frontière de la RDC voisine). Les jeunes133 expriment leur désaccord sur ces mesures. Ils insistent sur les armes qui seraient cachées à la paroisse. Lundi 26 octobre 1998 À Lulombo, devant la pression et les menaces grandissantes, l’officier de police prend (de nouveau) la fuite. Il s’en va sans avertir les prêtres ni les religieuses. Sa fuite consolide encore les soupçons des jeunes (devenus ouvertement Ninjas-Nsilulu). Aux environs de 23 h, les jeunes (Ninjas-Nsilulu) dévalisent le poste de police, cherchant armes et munitions. Ils ne trouvent rien.

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Ces jeunes sont (en fait) des ninjas-nsilulu qui ne sont pas encore connus du grand public et n’ont rien à voir avec les ex-ninjas restés fidèles à Kolela. Ils obéissent au nouveau venu qu’est Ntumi.

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Mort de l’abbé Jan Czuba

Nkandi ya lembana ngulu-m’situ, nge ngulu têta yo ?134

Mardi 27 octobre 1998 Dans la matinée, l’agitation continue. Elle est même plus accentuée. Le prêtre Jan Czuba est de plus en plus menacé. Ses confrères sentent le danger et l’interpellent pour s’en aller. Il ne veut rien entendre. 13 h 30 : arrivée à la gare des Ninjas-Nsilulu135. Des gamins viennent avertir la communauté des religieuses et le curé de l’arrivée des Ninjas-Nsilulu. Cela se passe juste après le repas qui s’est pris au presbytère ensemble avec les religieuses. Les prêtres lavent la vaisselle. L’abbé Jan Czuba demande aux religieuses de regagner leur couvent. Celles-ci s’exécutent. Jan Czuba et Bernard Yindula restent au presbytère. Un premier groupe de Ninja-Nsilulu arrive à la paroisse. Ces Ninjas-Nsilulu obligent les prêtres de sortir les armes que l’officier de police y aurait cachées dans le presbytère. Ils procèdent à une perquisition générale dans tout le presbytère. Ils ne trouvent rien. Ce premier groupe de Ninjas-Nsilulu ne doute pas de la sincérité des prêtres. Un second groupe arrive. Il dénonce le manque de fermeté avec lequel le premier groupe a traité les prêtres. Il réagit violemment. Ce second groupe de Ninjas-Nsilulu menace de ligoter le curé si jamais il ne leur remet pas les armes que le commissaire aurait dissimulées dans le presbytère. Un vif échange s’établit entre le curé et les « Ninjas-Nsilulu » Le Père explique : « Je ne suis pas venu au Congo pour prêcher la guerre mais la paix ». 134

La noix de palme que le sanglier n’a pas pu casser, toi cochon tu la casseras ? 135 Les Ninjas-Nsilulu sont d’obédience Ntumi.

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Ces paroles excitent de plus belle les Ninjas-Nsilulu. Le chef du groupe, répondant au petit nom de « Foro », les yeux rouges de colère et de haine, réagit en lui disant trois fois en lari : – « Na ku kubula ? Na ku kubula ? Na ku kubula ? » (Tu veux que je te tire dessus ?). – « Tu peux tirer sur moi ; je ne connais absolument rien sur cette affaire » répond calmement le père. Le coup est parti. Foro a tiré. Le curé s’écroule. Pas un mot ne sort de sa bouche. Seul un souffle en est sorti. C’est la fin. La fin de cette vie missionnaire. Il a été touché de deux balles sur le côté droit de son bassin. Arrive le tour de l’abbé Bernard Yindula d’encaisser les menaces. Il est harcelé pendant quelques bonnes minutes. Un cauchemar. Les Ninjas-Nsilulu partent chercher la voiture du curé qu’ils viennent d’exécuter et se dirigent ensuite vers le couvent des religieuses. À une date inconnue, le père Jean Guth (prêtre français) est enlevé et exécuté alors qu’il effectuait une tournée pastorale ; c’est l’œuvre des Ninjas-Nsilulu136. Ces trois faits montrent comment la situation est explosive dans cette partie du Pool et l’intensité de la violence et la barbarie qui s’est installée dans le territoire du diocèse de Kinkala.

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Le silence de sa Congrégation, du Vatican et de la France est incompréhensible.

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Le calvaire des religieuses de Lulombo137 Tuà kua mbêle tadi, luzingu lua muntu makutu138

Les sœurs religieuses sont dans leur maison. À peine un quart d’heure après leur départ du presbytère, elles entendent un coup de feu crépiter à la paroisse. Entre cinq et sept Ninjas-Nsilulu font irruption à la paroisse et abattent le curé Jan Czuba. Ils sont allés chercher la voiture que le curé a cachée dans la forêt. Ils arrivent chez les religieuses, frappent à la porte pour qu’elles sortent. Ces dernières ne résistent pas. Elles sortent. Les assaillants Ninjas-Nsilulu s’introduisent dans la maison, fouillent et demandent aux religieuses de leur montrer les armes censées être cachées dans leur maison. Deux des Ninjas-Nsilulu s’enferment dans une chambre et menacent la sœur Laurette avec leurs armes : Montre les armes sinon nous t’abattons. Regarde à la fenêtre. Sœur Laurette aperçoit le curé allongé par terre ; elle ne réalise pas encore qu’il est mort. Les Ninjas-Nsilulu demandent finalement aux religieuses de sortir de leur maison et les conduisent au presbytère. Aux religieuses, ils demandent les clés du magasin où sont stockées les provisions de carburant de la paroisse. Les religieuses n’en disposent pas. Elles suggèrent de casser la porte et de prendre de l’essence. Ils le font et prennent un bidon de 25 litres d’essence. L’un des Ninjas-Nsilulu va chercher la batterie qui se trouve dans le bureau du curé. La Hollandaise, sœur Ancilla égrène son chapelet. Le Ninja-Nsilulu Foro vient le lui ravir violemment en disant : 137

Elles appartiennent à la Congrégation de Marie-Madeleine Postel. Le tranchant d’un couteau est sa meule, la vie d’un être humain ce sont les oreilles. 138

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« Tu penses qu’il n’y a que toi qui sais prier ! Moi aussi, je prie Saint-Michel » Il entonne le cantique : Santu Mishele anjelu nkua bukindi… En lui ravissant le chapelet, la religieuse lui a répondu : Fais attention. Et Foro de répliquer : – « Attention pourquoi ! Si tu blagues, je te tue comme j’ai tué ton frère. Nous ne voulons plus de Blancs. Allezvous-en. Votre Toyota Prado, je l’ai ravi à Kinkala. Votre évêque, j’ai failli le tuer, heureusement pour lui qu’il a pris la fuite ! » Jusque-là, sœur Ancilla ne s’aperçoit pas que Jan Czuba est mort. Après le départ de Ninja-Nsilulu, sœur Ancilla s’adresse à l’abbé Bernard Yindula : – vous allez vous arranger avec le Père. Les Ninja-Nsilulu s’éloignent de la paroisse ; c’est là que Foro s’adresse aux religieuses : – Enterrez-le ; si vous ne le faites pas, je viendrai le faire moi-même ! Abasourdies, les religieuses repartent à leur domicile. Constant Bubayi vient chercher les religieuses et leur propose d’aller se reposer chez lui. Une foule s’attroupe devant le couvent. Celles-ci se décident à partir. Dans le village, personne ne connaît la direction qu’elles prennent. De 14 h à 20 h 30, elles marchent. Elles veulent atteindre le village de Kinkumba. Un homme les avertit de la présence des militaires (Cobras) dans ce village. Elles se décident à passer la nuit dans la brousse. Une grosse pluie tombe de 23 h à 7 h du matin.

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Mercredi 28 octobre 1998 La commande du cercueil du curé est lancée. Il est inhumé ce même mercredi à 17 h. Dans la fuite, M. Bunsakudi (l’ancien chef de village) récupère les religieuses pour les conduire dans son campement (en pleine forêt). Laissant sœur Ancilla (bien âgée) dans le campement, les autres religieuses partent récupérer un sac à Kinkumba auprès de Constant Bubayi. Vers 12 h, les voilà en route pour Kindinga où elles passent la nuit. Jeudi 29 octobre 1998 Le Conseil paroissial de Lulombo se réunit pour étudier les modalités et les stratégies pour protéger les biens paroissiaux. Vers 9 h 30, l’armée (constituée de Cobras) appuyée de soldats angolais rentre dans Lulombo. Toute la population se disperse et la réunion est suspendue. Les hommes en uniforme (vraisemblablement des Cobras gouvernementaux) se mettent à piller la paroisse. Les religieuses prennent la route pour Mpangala situé à 7 km de Miyamba (RDC). C’est là que s’est retrouvé l’abbé Bernard Yindula. En cours de route, la Hollandaise sœur Ancilla n’en peut plus. Quatre jeunes gens ont construit un brancard sur lequel ils ont transporté la religieuse jusqu’à Mpangala où ils arrivent à 18 h. Elles se sont enregistrées auprès de la police de RDC. Le commandant Freddy était à Miyamba avertir les prêtres de la paroisse et venir récupérer les religieuses. Le curé de Miyamba est un expatrié belge, en vacances en Belgique. L’abbé Christophe Bikuika assure l’intérim. Il ne dispose que d’une moto. Ce sont finalement les soldats stationnés à Miyamba (RDC) qui viennent chercher les religieuses. 126

12 h. Toutes trempées, elles embarquent dans le véhicule militaire et arrivent à Miyamba le samedi 31 octobre 1998. Samedi 31 octobre 1998 Elles sont bien accueillies et logent au presbytère. Elles y restent jusqu’au jeudi 5 novembre 1998. Pendant ce temps, l’abbé Bikuika tente d’entrer en contact avec le Centre interdiocésain des œuvres (Cio) à Brazzaville en passant par Kinshasa. En même temps, il avertit la paroisse de Mangembo. L’abbé Bruno de Mangembo est à Kinshasa. À son retour il envoie chercher les religieuses. Il est proposé à sœur Ancilla de rentrer en Hollande à partir de Kinshasa. C’est ce qu’elle fait le samedi suivant. Vendredi 6 novembre 1998 En RDC, l’abbé Bruno conduit sœur Ancilla au Consulat de Hollande à Kinshasa. Samedi 7 novembre 1998 Sœur Ancilla s’envole pour la Hollande. De là, elle avertit la Maison-Mère (en France) qui avertit à son tour la communauté de Brazzaville (Mfilu) les informant de la position des religieuses de leur communauté de Lulombo : elles se trouvent à Mangembo. Ces dernières sont restées attendre l’abbé Bruno. Elles entrent à Brazzaville par Kinkambu (RDC) d’où elles sont parties à 7 h en passant par Mbanza-Nganga (Congo) où elles prennent un véhicule. Elles arrivent à Brazzaville le 15 novembre 1998 à 19 h. Douze heures de voyage les a complètement épuisées.

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Novembre 1998 Ce mois est tragique pour les populations lari du Pool. Un climat d’insécurité est organisé et entretenu dans les pays lari. Les interventions incendiaires du ministre de la Communication François Ibovi en témoignent. Une psychose est créée pour ensuite lancer une répression sanglante dans les pays lari. Les personnes se déplacent moins. À Kindamba où je me trouve, les véhicules sont rares. Les gens se rendent à Brazzaville à pied (270 km). Seuls les plus courageux osent. Alors que les Cobras ont détruit toutes les pirogues, le commandant Bakua (un proche de Sasu) et ses éléments annoncent la découverte des camps d’entrainement et de trafic d’armes entre Lunzolo et la rivière Lufulakari (en pays lari). À Ngoma Tsetsa et Kibozi, des civils sont assassinés, les autorités ne sont pas épargnées (le sous-préfet). Les populations se plaignent de nombreuses exactions que commettent les Cobras. Le préfet Ngoma Enoch (originaire de Masembo-Lubaki dans le Pool) en nie l’existence. Par contre, le général Yves Motando (originaire de la Likuala) et chef d’état-major général demande à ses hommes d’avoir plus de considération pour les civils139. Des exécutions extrajudiciaires de civils, les vols à main armée et les viols sont nombreux dans les villages lari de la région du Pool. Les acteurs sont les Cobras. Pour couvrir tout cela, la Radio nationale annonce régulièrement les attaques des « bandes armées » alors que l’armée est présente sur le terrain avec des Cobras gouvernementaux.

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Quelque temps après, il sera viré de son poste.

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Dans tous les villages, des biens sont arrachés aux habitants. Le samedi 14 novembre 1998

L’assassinat de six membres de la délégation de la Médiation U ba una ue na meso140

Comment résoudre la crise ? De nombreuses personnes sont convaincues que la résolution de la crise passe par la négociation avec lesdits rebelles. Les Autorités sollicitent le concours du Conseil œcuménique des Églises. Croyant aux vertus du dialogue, celui-ci s’engage à apporter son concours. Un comité de médiation est créé. Il est chargé de contacter les chefs de villages et aussi les ex-Ninjas demeurés fidèles à Kolela et qui sont réfugiés dans des villages situés sur le chemin de fer141. Une délégation du Conseil œcuménique est attaquée à Minduli et six des neuf membres sont froidement assassinés. L’option du dialogue est ainsi mise à mal et arrêtée. Un sentiment d’impuissance gagne la population. Le gouvernement privilégie l’option militaire. Le ministre Mvuba déclare : « Nous privilégions désormais l’option de la force ; nous avons déployé suffisamment d’efforts pour le dialogue. Ces bandits sont allés jusqu’à assassiner les

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Celui qu’on a trompé c’est celui qui a des yeux ouverts. Dans le public, personne ne soupçonne l’existence de Ntumi avec ses ninjas-nsilulu. 141

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religieux médiateurs. Nous privilégions désormais la force »142. Des Cobras massacrent une délégation de religieux à Minduli. Le pouvoir en rejette la responsabilité sur les Ninjas de Kolela. Le jeudi 19 novembre 1998 Le porte-parole du gouvernement présente des documents censés apporter la preuve de la responsabilité de Bernard Kolela et Bukaka-Uadiabantu143 dans les incursions des Ninjas. Décembre 1998 Le colonel Oboso qui est à la tête de la colonne qui poursuit les Ninjas est abattu et son unité décimée au village Tadi. La propagande du pouvoir présente cet évènement comme « un acte barbare des Lari du Pool ». Le colonel Oboso est mbochi du Nord. Le 14 décembre 1998 Les Cobras marchent sur Nganga-Lungolo. Ils y opèrent des massacres, des pillages, des viols. Les populations se réfugient vers les quartiers sud de Brazzaville. C’est aussi là que se sont réfugiés certains rescapés des villages du Pool. Les Cobras entrent en scène dans les pays Lari du Pool. Parmi eux se trouvent d’anciens Ninjas lari ayant déserté 142

Le ministre Mvuba profère un gros mensonge ; en tant que membre du gouvernement, il n’ignore pas que cette opération de sabotage est menée par Vital (ninja passé chez les Cobras) et Mungabio, des Cobras réputés. Le général Esongo a bien reconnu avoir envoyé Mungabio pour une mission parallèle à celle des Médiateurs. Cette opération a bien relevé des Autorités officielles dont fait partie Mvuba. 143 Un ancien ministre.

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le camp Kolela après la trahison de celui-ci et rejoint le camp Cobra de Sasu. Vainqueurs de la guerre avec l’aide de l’armée angolaise, les Cobras se croient en terre conquise. Se réclamant du PCT les Cobras installent leur loi dans les zones lari du Pool. À l’instar des NinjasNsilulu, ils commettent les exactions sur les populations. Ils ne sont nullement interpellés par les autorités judiciaires ou militaires. Les populations lari du Pool ne savent plus à quel saint se vouer. Elles sont aussi bien la cible des Ninjas que des Cobras. À Kinkala Les Cobras règnent en conquérants. La Direction régionale de la police est confiée au commandant Kubemba Rémi, alias Khamar, un ancien prisonnier des Ninjas, alors qu’il avait été autrefois l’un des leurs dans la guerre de 1993-1994 qui a opposé les milices du Président Lisuba à la milice Ninja de l’opposant Kolela. Il y a subi la torture dans la prison privée du quartier général du MCDDI de Bernard Kolela. Il est un membre actif de l’Ujsc (Jeunesse du PCT). Il ne doit sa libération que grâce à l’offensive aérienne angolaise d’octobre 1997. Entre-temps, les Autorités régionales font circuler une rumeur farfelue; selon laquelle : – « il n’y aura plus de prison ; il faut simplement exécuter les indésirables de la société ». À Kindamba, les Ninjas-Nsilulu enlèvent à leur domicile des hommes qu’ils jugent proches du PCT. C’est le cas de : – M. Nkunku Auguste, ancien chef de district de Kindamba. – M. Malonga-ma-Bikuku, un militaire retraité. – M. André Lubasu, un inspecteur à la retraite et ancien député PCT. Ils sont conduits sur la colline du quartier Mataka (direction Brazzaville) où ils sont exécutés. M. Nkunku a 131

été sauvé grâce à son épouse (Simone) qui a eu l’idée de soudoyer un Ninja-Nsilulu. Comme convenu, lorsque les Ninjas-Nsilulu ont tiré une rafale, M. Nkunku est tombé en même temps que toutes les victimes.

Mort de M. Donatien Munsambote, Sous-préfet de Kindamba Nzadi ka dia’aka madia mole ko144

Les Ninjas-Nsilulu arrivent à Luwolo145. Un habitant du village réussit à les devancer. Celui-ci arrive à Kindamba et avertit le sous-préfet de l’arrivée imminente des NinjasNsilulu. Le sous-préfet en avertit M. Mpena (connu sous le petit nom de Zeus) son gendre. Celui-ci est le mari de sa fille Hortense. Zeus est un ancien militant du MPC146. À Kindamba, les membres du MCDDI soupçonnent ce parti d’être proche du PCT. Après la victoire militaire du PCT, M. Munsambote (alors président de la cellule PCT de Kindamba) aurait encouragé ce rapprochement. Le sous-préfet avertit Pierrette (une de ses épouses) et lui demande de déplacer certains de leurs biens et de se mettre elle-même en lieu sûr. C’est ainsi que Judith, Hortense et toute la famille vont trouver refuge dans les environs du parc de M. Malonga, le médecin accoucheur de Kindamba. Le sous-préfet décide de s’éloigner à son tour. Il est accompagné de Nkewa147, un agent du CPR148. Les deux hommes traversent la rivière Ludzuri à la nage et regagnent la route. Il fait encore jour. Un objectif les 144

Le fleuve ne mange pas deux repas. Luwolo est un village situé à 45 km de Kindamba. 146 Mouvement Patriotique Congolais. 147 Il est le frère de son épouse Pierrette. 148 Centre de Progrès Rural. 145

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anime : atteindre Muyonzi et regagner la voie ferrée pour se rendre à Pointe-Noire. À la tombée de la nuit, ils sont arrivés au village téké d’Inkala-Matiba (40 km de Kindamba). Ils continuent jusqu’au bac sur le fleuve Nduo. Les deux hommes se présentent chez le chef de village qui les accueille. La langue parlée à Inkala-Matiba est le téké. Les deux hommes ne la maîtrisent pas. La nuit se passe normalement. Le lendemain matin, les hôtes demandent à être acheminés de l’autre côté du fleuve (dans le district de Muyonzi en commune Bembe). Le jeune qui se porte garant de leur traversée exige 30 000 francs. Le sous-préfet les lui remet. Finalement, la traversée n’aura jamais lieu. Les habitants du village viennent nombreux (essentiellement des hommes). Messieurs Munsambote et Nkewa sont entourés. Entre eux, les habitants du village engagent une discussion en langue. L’un d’eux s’adresse au sous-préfet en ces termes : – C’est toi qui as fait venir les Cobras à Kindamba ? Le sous-préfet répond : – Non. Je ne suis pas assez puissant pour faire venir des Cobras. Ce sont mes chefs qui les ont envoyés. Moi aussi j’obéis à des chefs. Sans tarder, ils se saisissent de lui et lui ligotent les pieds. – Si vous voulez, tuez-moi, mais laissez l’autre partir. Il n’est que mon beau-frère ; il n’a fait que m’accompagner, poursuit le sous-préfet. Ils se sont saisis de lui et l’ont jeté dans le fleuve. Un des habitants du village a trouvé la mort ce jour-là par noyade. Par la mort du sous-préfet, la population d’InkalaMatiba vient de venger les trois religieux que les Cobras ont exécutés le 24 mars dernier.

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En effet dans Kindamba, une rumeur avait couru, selon laquelle le sous-préfet aurait sollicité la présence des Cobras pour consolider son pouvoir. Le beau-frère revient sur ses pas vers Kindamba, avertit Pierrette (sa sœur) de la situation qui prévaut et trouve refuge à Pointe-Noire. Dans la ville océane, il est logé chez Monsieur Kifula (président local du MPC). Il ne lui en souffle mot. Les habitants d’Inkala-Matiba ont retiré de l’eau le corps de leur ami et laissé traîner celui du sous-préfet149. Au village Kilebe-Musia (un autre village téké), des habitants auraient vu passer ce cadavre. Ils se seraient abstenus d’en parler pour éviter les représailles Ninjas. Toute la famille du défunt résidant à Pointe-Noire n’est pas informée. Nkewa restera discret pendant des mois. Pendant ce temps à Brazzaville la veuve (Pierrette) affirme que son mari se trouverait à Sibiti auprès d’un ami. Les Ninjas rentrent dans Kindamba et se dirigent directement vers la résidence privée de monsieur Munsambote (le sous-préfet). Ils y rencontrent : – Édith (une fille du sous-préfet) est rouée de coups. – Willy (un neveu du sous-préfet) est abattu alors qu’il tentait de s’échapper ; il ignorait que la maison était encerclée. – Wawa (un autre neveu) a eu la présence d’esprit de se cacher longtemps avant dans la concession voisine. Il a eu la vie sauve.

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D’après certains témoignages, son cadavre serait resté une semaine dans le fleuve Nduo.

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Nuit du vendredi 11 décembre au samedi 12 décembre 1998 À Nkayi Les Cocoy prennent de nouveau les armes. Une dizaine d’entre eux attaquent la ville de Nkayi. Leurs cibles sont essentiellement les bâtiments administratifs et postes de police. Saris, la société sucrière est saccagée. S’en suivent des assassinats et les pillages. Trois citoyens français sont pris en otage. Le reste de l’armée (en réalité les Cobras), appuyé par un contingent de l’armée angolaise lance une offensive. Mercredi 9 décembre 1998 À Mbanza-Ndunga Étant informées de l’arrivée imminente des NinjasNsilulu, toutes les équipes (de Cobras) stationnées dans le bourg prennent la fuite. Du mardi 10 novembre 1998 au mardi 20 avril 1999 Mbanza-Ndunga est presque devenu la capitale de la région du Pool. Avant les massacres de décembre 1998, les tracasseries des Cobras150 dissuadaient les transporteurs de l’axe routier Brazzaville-Mbanza-Ndunga d’exercer leur métier. Les tracasseries sur les populations sont aussi nombreuses. Rien qu’à Mbanza-Ndunga-centre l’on compte trois points de contrôle. Les paysannes revenant de leurs plantations doivent présenter leur carte nationale d’identité. Ce rythme est inhabituel. On parle d’insécurité publique que sèment les Cobras. 150

Vainqueurs de la guerre civile de 1997 contre le Président élu Pascal Lisuba.

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Samedi 12 décembre 1998 À Mbanza-Ndunga. Vers 12 h, arrive une nouvelle équipe de Cobras pour (soi-disant) « sécuriser la population ». 16 h : les Ninjas entrent dans Mbanza-Ndunga en chantant. Vers le village Sangi-di-Yakasa, les habitants leur annoncent la présence des Cobras et les informent de la présence d’un nouveau bataillon (de Cobras) dans le bourg, depuis quelques heures. Les Ninjas-Nsilulu organisent militairement leur entrée. L’affrontement Ninjas-Cobras (en effet) a lieu. Par rapport à l’armement des Cobras celui des Ninjas-Nsilulu est scandaleusement rudimentaire. Ils ne disposent que de quelques kalachnikovs et beaucoup d’armes de chasse (calibre 12). Les Ninjas-Nsilulu tirent des rafales. Les Cobras (qui attendent leur repas) sont surpris. Cette attaque-surprise se déroule au district. Parmi les tués, on compte quatre Cobras. Les habitants qui voient arriver les Cobras vers 12 h, se préparent à se planquer dans les forêts-galeries (les m’pati) environnantes. La population prend la fuite. Les Cobras aussi. Mbanza-Ndunga se vide. 17 h : les Ninjas sont maîtres, ils contrôlent MbanzaNdunga. 18 h. La deuxième équipe Cobra stationnée à Lunzolo vient en renfort à Mbanza-Ndunga. Manque de pot, ils rencontrent des Ninjas à Mabasa (faubourg de MbanzaNdunga). Ce soir-là tombe une grosse pluie sur MbanzaNdunga. Les Cobras rebroussent chemin avec tous leurs engins qui s’embourbent. Ils les abandonnent sur la route ; notamment à Lukami et sur la colline Musaki (à côté de Lunzolo). Les Ninjas-Nsilulu viennent fouiller le presbytère de Mbanza-Ndunga pour s’assurer qu’il ne s’y cache aucun Cobra. Ils font le tour du salon sans aller dans les chambres. Ils sortent et s’en vont. 136

Un groupe de Ninjas passe cette première nuit sous la véranda du presbytère. À l’intérieur, le curé tremble comme une feuille. Dimanche 13 décembre 1998 Il n’y a plus grand monde à Mbanza-Ndunga. Le curé ne célèbre pas la messe. Tous les fidèles ont pris la fuite. Les Ninjas accaparent tout (objet) dans le commissariat de police. La résidence du sous-préfet est en flammes (les Ninjas l’ont incendiée). L’on remarque un afflux de jeunes vers Mbanza-Ndunga. Ils viennent des villages environnants se faire enrôler dans les rangs des NinjasNsilulu. Beaucoup déclarent fièrement : – « Ngiele mu kue kula nsi mpasi zi yokele » (Je m’engage pour libérer le pays ; trop c’est trop). Les Ninjas-Nsilulu traquent deux Cobras qui s’étaient cachés dans la forêt. En tentant de sortir, ils sont capturés et exécutés. Lundi 14 décembre 1998 Le premier convoi Ninja-Nsilulu quitte MbanzaNdunga pour Lunzolo. Mbanza-Ndunga est toujours triste. Les habitants se sont réfugiés du côté du village Masamba-Mbiki. Lundi 14 décembre 1998 Du côté de Brazzaville, des rumeurs font état de l’infiltration des Ninjas dans les quartiers situés après le pont de la rivière Dzue151.

151 Comment ont-ils pu réussir alors que l’Armée, la Police et les Cobras sillonnent sans arrêt dans ces quartiers et dans toute la ville ?

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Mardi 15 décembre 1998 À Mbanza-Ndunga, les gens reviennent petit à petit dans le bourg. Jeudi 17 décembre 1998 La vie reprend timidement dans le bourg. La présence des Ninjas semble plutôt rassurante. Jeudi 17 décembre 1998 À Brazzaville. Des tirs à l’arme automatique sont entendus entre le camp militaire de la Zone autonome de Brazzaville (Zab) et le Centre culturel français (Ccf). Pris de peur, chacun rentre chez soi. Les marchés se vident. Les commerçants ferment leurs boutiques. C’est la débandade. Les Autorités laissent entendre qu’il s’agit d’une simple opération de police qui vise à stopper l’appétit des Cobras pillards. Près de quatre cents cadavres gisent sur le sol de Nganga-Lungolo. Ce sont tous des civils non armés, des Lari. La presse nationale et la presse internationale gardent un silence (incompréhensible) sur le massacre. La confusion règne. Le général Oba s’explique en ces termes : – « La mise en œuvre de ce déploiement a créé une confusion et a touché, malheureusement, sur les actes de vandalisme que le gouvernement ne saurait tolérer. Dès ce jour, toutes les dispositions sont prises et des instructions fermes ont été données aux autorités civiles et militaires… ».

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Nuit du jeudi 17 au vendredi 18 décembre 1998 Le ministre de l’Intérieur152 déploie des unités de la force publique pour « assurer la sécurité » dans les quartiers situés après le pont du Dzue, mais celles-ci se mettent à voler, à piller, à violer et à assassiner froidement des innocents citoyens, parce que Lari. Elles tueront près de 400 personnes à Nganga-Lungolo153. C’est un carnage que le gouvernement prendra soin de dissimuler. La force publique (constituée essentiellement des Cobras) décime de nombreuses familles entières. Ce massacre est resté sans échos. Où sont donc passées les Presses nationales et internationales ? Vendredi 18 décembre 1998 À Brazzaville. Vers 8 h. Un groupe de Ninjas, armés de fusils de chasse, de machettes et de quelques kalachnikovs sont entrés dans Brazzaville (pourtant bien bouclée par la Force publique). L’armée et les Cobras du pouvoir lourdement armés sont ridiculisés par ces Ninjas dotés d’armes rudimentaires. Depuis 1993-1994, les quartiers sud de Bakongo et Makelekele sont ethniquement homogènes ; ils sont habités en grande majorité par les Bakongo et Lari originaires du Pool. Vers 13 h. Retournement de la situation. Après d’âpres combats, les Ninjas sont repoussés. À la radio nationale, François Ibovi154 promet l’enfer aux habitants des quartiers ethniquement homogènes de Bakongo et Makelekele. Il déclare :

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Le général Pierre Oba. Ce quartier est habité essentiellement par des Lari. 154 Porte-parole du gouvernement en 1998. 153

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– Nous allons raser Bakongo, quartier par quartier, rue par rue, maison par maison. En effet, c’est ce qui se fait. C’est une avalanche d’obus qui s’abat sur les quartiers Bakongo et Makelekele. Très denses ces quartiers sont pilonnés à l’arme lourde. Des morts (essentiellement des Lari) se comptent par milliers. Les ¾ de la population de ces deux quartiers se rendent dans l’arrière-pays Lari que les Cobras ont déjà saccagé depuis des mois. Une infime partie va gagner les quartiers nord par un couloir humanitaire que l’armée a mis en place. Des jeunes gens s’y font assassiner ; des femmes s’y font violer ; tout le monde s’y fait dépouiller. Les Cobras et d’autres troupes gouvernementales déployées dans le Pool regagnent Brazzaville. Les habitants des quartiers Bakongo et Makelekele se rendent dans les villages (lari) du Pool sans trop de difficultés, mais ceux-ci ont déjà été saccagés. Les nouveaux arrivants n’y trouveront rien à manger ; tout étant détruit : plantations brûlées, arbres fruitiers coupés, habitations incendiées ou cassées, cours d’eau empoisonnés. Jusqu’au 31 janvier 1999, l’accès aux quartiers Bakongo et Makelekele est interdit à la Croix-Rouge internationale. – « Les Cobras avaient tué tous ceux qui n’avaient pas encore quitté les quartiers : femmes, vieillards et enfants compris. Puis, ils ont pillé les maisons et dépouillé les corps des victimes… Si des forces gouvernementales tuent toute personne venant d’un certain peuple, le terme de génocide doit être appliqué. Au Congo-Brazzaville c’est le cas », reconnaît un diplomate. La Fiacat (Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture) évoque « les premiers actes d’un génocide ». Le père Eugène Jubault (un missionnaire) à OuestFrance : 140

La violence déployée contre les Lari prend l’allure d’un ethnocide. Son collègue Pierre Loubier en est tellement convaincu qu’il affirme avoir perçu : Une volonté manifeste de supprimer les Lari155.

Doucement mais sûrement, le génocide des Lari du Pool s’installe

Nkandi ya lembana ngulu-m’situ, nge ngulu têta yo ?156

Nous retenons la réflexion de ce père de famille habitant le quartier Bakongo (Brazzaville) dont les quatre garçons de 25, 23, 21 et 19 ans ont été exécutés sous ses yeux. Il disait : – « Quand le régime commanditaire de ces horreurs et de ces évènements approchera de sa chute, il cherchera à se laver les mains en niant en bloc tous les crimes qu’ils commettent : assassinats collectifs, enlèvements, viols, pillages, sacrifices humains, anthropophagie. Nous le savons déjà : tout cela sera nié avec des arguments savamment montés et brillamment défendus par de grandes figures mondiales de la défense. Ces marxistes et autres léninistes ne manquent pas d’intelligence pour monter une désinformation tellement efficace que nul n’osera leur résister ».

155 156

FCD, op. cit., page 73. La noix de palme que le sanglier n’a pu casser, toi cochon, tu la casseras ?

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Les belligérants

Ba nuana bole, ua batatu hambudi157

Les ex-Ninjas, traqués depuis une année par les services de sécurité sont obligés de vivre en forêt. Il y a de l’électricité dans l’air. La crise couve. Deux forces antagonistes s’épient. D’un côté, l’armée constituée en majorité d’anciens miliciens Cobras, appuyés par des soldats angolais et de l’autre les rebelles, pour la plupart des ex-Ninjas qui ont refusé de rejoindre le camp Sasu.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase Mbele ya tabukila mu n’sangavulu158

C’est le samedi 29 août 1998 qu’explose ouvertement la crise sur une colline159 près de Minduli. Ce jour-là, trois jeunes gens sont froidement exécutés et négligemment enterrés par des agents de la sécurité. Alors, une dizaine de jeunes s’attaquent au poste de police de Minduli avec un objectif précis : venger les morts et libérer leurs amis détenus dans le poste de police. Bilan : quatre morts et un blessé. C’est le point de départ d’une série bien noire. Cependant, à leur exigence de libération et de liberté, s’ajoutent bientôt des revendications politiques : – le retour sans conditions de tous les exilés politiques ; – l’organisation d’une Table Ronde pour une véritable réconciliation. En peu de temps, le mouvement gagne presque tout le pays lari de la région du Pool. 157

Il y a deux pour se battre, le troisième les sépare. Le couteau qui brise sur un roseau. 159 La colline de Muetango. 158

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Les Ninjas attaquent les postes de police des secteurs lari de la région ; ils y récupèrent les armes et incendient les symboles de l’État comme les résidences des souspréfets. Cependant, le pays Téké de Ngabe (qui fait partie du Pool) n’est pas touché ; Boko et Lumo ne le sont que dans une moindre mesure. Tous les autres districts connaissent une hécatombe.

La folie des jeunes en armes De durs et meurtriers affrontements font plusieurs victimes parmi les guerriers mais beaucoup plus parmi les paisibles paysans. Ils sont les cibles sans défense des uns et des autres. Les Églises chrétiennes œcuméniques sont particulièrement visées, notamment l’Église catholique. La plupart des 13 paroisses du diocèse ont été attaquées et saccagées ; des églises ont été profanées. L’évêché n’a pas été épargné. Partout, le personnel a été menacé ou molesté. Les biens matériels, meubles et véhicules, emportés aussi bien par les Cobras que par les Ninjas-Nsilulu. Des maisons, des églises et presbytères sont détruits ou simplement incendiés. Kibuende160 et Kindamba161 en sont de parfaites illustrations. Des femmes et des filles sont violées. À la paroisse de Voka, c’est dans l’église que les Cobras ont violé cinq jeunes filles. Des jeunes gens soupçonnés d’être de mèche avec ceux que l’on qualifie de « bandes armées » subissent les représailles de l’armée (constituée des Cobras). Cette armée commet plus de méfaits qu’elle ne sécurise la population. 160

L’église et le presbytère de Kibuende sont réduits en un amas de terre, c’est l’œuvre des Cobras. 161 Le presbytère de Kindamba a été incendié par des mercenaires rwandais.

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La situation est rendue plus tragique avec l’arrivée des grandes pluies, l’interruption des trafics ferroviaires et du transport routier. Presque tous les ouvriers apostoliques du diocèse (prêtres, religieux, religieuses et autres pasteurs des confessions sœurs) se trouvent à Brazzaville avec leur évêque, fuyant la folie et la barbarie de cette jeunesse armée sans foi ni loi qui pille, viole et tue. Vendredi 18 décembre 1998 Mbanza-Ndunga. Rien de spécial à signaler. Samedi 19 décembre 1998 Mbanza-Ndunga commence à recevoir des personnes qui viennent de Brazzaville. Dimanche 20 décembre 1998 Mbanza-Ndunga. C’est une foule innombrable qui déferle sur le bourg. Tout le bourg est envahi. Les gens dorment à la belle étoile. Il n’y a plus grand-chose à manger. Depuis la victoire du camp Sasu du 15 octobre 1997, Mbanza-Ndunga connaît une asphyxie économique du fait du rançonnage permanent des Cobras sur les véhicules de tous les commerçants desservant le bourg et ses environs. Empêchant ainsi les biens de circuler librement entre Brazzaville et Mbanza-Ndunga et ses environs et viceversa. C’est un embargo économique. Depuis la victoire du 15 octobre 1997, Mbanza-Ndunga vit sous embargo économique. Les Cobras empêchent tout commerce de se dérouler normalement. La vie y est très chère. Par chance, en cette saison, les mangues sont abondantes. Les gens s’en nourrissent essentiellement. 144

En ces temps-ci, les Ninjas se remarquent par leur respect des personnes et des biens. Ils se montrent différents des ripoux Cobras. Ces derniers volent, violent et pillent. Les Ninjas se montrent corrects et polis. Cette situation dure un mois (de décembre 1998 à janvier 1999). Dans les villages, des comités se sont formés pour nourrir les Ninjas. Autour de Mbanza-Ndunga ce comité existe dans tous les villages sauf à Mbanza-Ndunga-centre. Les Ninjas-Nsilulu organisent des veillées de prière. Ils en ont organisé deux à Mutampa 1. Le chef d’état-major Yogoshi qui réside à Lukami contrôle la zone.

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CHAPITRE 4 Les effets induits du génocide

La situation des Lari du Pool Novembre 1998-Novembre 1999 Eh kimpete, kimpete katuka ha dianga! Meno ni ha na bakila bulombi 162 Jusqu’en novembre 1998, 120 000 habitants vivent dans la peur et l’insécurité la plus totale. Cette population horrifiée a trouvé refuge dans des forêts où elle est exposée à toutes sortes de maladies et aux intempéries naturelles. L’on assiste à la destruction de la population par : – Les exécutions délibérées et à grande échelle de jeunes soupçonnés d’être des Ninjas de Kolela dans les districts de Mbanza-Ndunga, Ngoma tsetsa, Kinkala, Mayama, Kindamba, Minduli, Vinza ; – La propagation du VIH à cause de nombreux cas de viols de femmes et jeunes filles ; – Des familles éclatées : plus de 20 % d’enfants ne retrouvent plus leurs parents ; plus de 25 % de familles sont dispersées ;

162

Kimpete, kimpete, quitte le marais ! C’est ici que j’ai obtenu ma noirceur.

147

– 97 % de la population fuyarde est confrontée à l’inhumaine épreuve de la faim et au manque de couverture sanitaire ; – 100 % des pharmacies de ces localités ont été pillées ; – 100 % des dispensaires et hôpitaux ne fonctionnent pas ; – 100 % du personnel médical est en fuite.

La scolarisation est anéantie Le génocide est aussi d’ordre culturel et éducationnel. Les écoles sont saccagées et détruites dans la presque totalité des villages lari. 15 000 candidats ont été privés du BEPC dans les pays lari du Pool, soit 50 % de l’effectif total de la région. Aucune reprise de ces épreuves n’est envisagée. La rentrée des classes 1998-1999 reste compromise dans cette partie de la région. L’illettrisme et l’analphabétisme guettent les générations futures dans les pays lari si la situation perdure.

Des champs abandonnés Le génocide est aussi d’ordre économique. Depuis la victoire des FDP, les pays lari du Pool sont sous embargo économique. Les Cobras empêchent les marchandises de circuler entre Brazzaville et l’intérieur (les villages lari). Ils rendent la vie dure aux commençants qui exercent dans les axes menant dans les villages. Ils font régner une épouvantable insécurité. L’argent n’y circule plus. C’est le moment des grandes récoltes. 80 % des champs sont abandonnés pour des raisons d’insécurité. Ce qui posera dans les mois à venir un grand problème d’autosuffisance alimentaire déjà précaire dans la région, 148

car 90 % de produits agricoles consommés à Brazzaville (900 000 habitants) proviennent de cette région. Des Cobras incendient des plantations et coupent des arbres fruitiers dans les villages. Tout le cheptel est abattu. Tout matériel de fabrication de manioc est embarqué et vendu dans les quartiers nord de Brazzaville au vu et au su de toutes les autorités. Plus de 90 % de la population des pays lari a été touchée par les pillages et les destructions systématiques de leurs biens. La situation matérielle (déjà fragile) est rendue plus grave. Les jeunes de tous bords, munis d’armes, prennent en otage toute la population. Cette guerre de milices autrefois alliées, tourne au génocide des populations civiles Lari dans la région du Pool. La situation interpelle la solidarité nationale et internationale, tant du point de vue de l’aide alimentaire d’urgence (soins médicaux) que du point de vue des programmes à moyen et à long terme concernant la réhabilitation des structures saccagées et la mobilisation des jeunes sur les programmes de réinsertion socioéconomique.

Renforcement du dispositif militaire en zone lari du Pool Kuedi kumba nzadi kua yika na yokoso163

La situation ici brossée est celle qui prévalait jusqu’à la fin du mois de novembre 1998. À ce jour, elle est loin de refléter la réalité concrète du drame humanitaire qui sévit dans les pays lari du Pool.

163

Où coulait un fleuve, c’est devenu un désert.

149

Début décembre 1998 Le dispositif militaire a été renforcé avec l’envoi des soldats angolais et l’acheminement de l’armement lourd. Nous craignons un pilonnage aveugle et injustifié comme cela se murmure dans certains milieux. Aucune aide, aucune action humanitaire n’y sont organisées ; cela fait déjà quatre mois. Les évènements sanglants qui ont récemment gagné les quartiers sud de Brazzaville ont plongé dans l’oubli ; nous sommes sans nouvelles. L’intérieur des pays lari est interdit d’accès depuis le renforcement du dispositif militaire. Les témoignages de quelques personnes forcées de venir à pied à Brazzaville concordent pour affirmer que la situation est désespérée dans les villages. Une fois la paix revenue, il faut attendre le retour dans le diocèse pour établir un état des lieux exact, dresser un bilan crédible de destructions matérielles et des pertes en vies humaines.

Finie la vie…

Ya-nianzi luika m’kento’aku, meno nkutu n’ti ni luata164

Certains hommes en uniforme et d’autres habillés en civil se livrent à de flagrantes exécutions sommaires. Ils sont visiblement assurés de bénéficier d’appuis qui les exemptent de poursuites judiciaires. La justice est amorphe et semble être corrompue et aux ordres. Les Cobras agissent (manifestement) sur l’initiative des autorités hiérarchiques. Depuis cette nouvelle arrivée de Sasu au pouvoir, ils se livrent à de nombreuses arrestations

164

Mouche, habille ta femme, pendant que moi je porte des bûches.

150

arbitraires suivies de détentions à durée plus ou moins longue et sans procédures légales. Mercenaires étrangers et Cobras ne se privent pas de violences sexuelles sous la menace des armes. Les victimes ne parlent pas ou peu. Dans tous les villages, les miliciens de tous bords commettent des excès en toute impunité. Les victimes redoutent les représailles de la part des agresseurs qui font partie de la force publique qui a donné à Sasu sa victoire militaire. Celle-ci semble leur conférer un pouvoir absolu sur la population lari.

Janvier 1999 à Mbanza-Ndunga Par manque de soins et de médicaments165, de nombreux cas de décès sont enregistrés à MbanzaNdunga.

Février-mars 1999 Ntumi166, le chef suprême des Ninjas-Nsilulu a établi sa résidence au presbytère de Lunzolo. Ceux-ci ont pillé le presbytère et le couvent des religieuses de Lunzolo. Ces derniers ne dissimulent pas leur anticléricalisme et leur anti-catholicisme. Les trois religieuses de Saint-Joseph de Cluny encore présentes au couvent (Constance, Georgina et Séraphine) sont obligées de partir pour MbanzaKubatika. Des attaques sont désormais régulières à Bisinza et Nganga-Lungolo. Le champ de bataille s’étend du pont de la rivière Dzue jusqu’à Bisinza. Durant toute cette

165 166

Ils sont vendus très cher. Ce nom signifie : l’envoyé. Envoyé par qui ?

151

période, le curé de Mbanza-Ndunga (Félix Mabundu) célèbre les messes sans être inquiété. Les Cobras occupent Lunzolo. Le poste avancé Ninja est déplacé à Lukami. À partir de ce moment vis-à-vis des populations, les Ninjas-Nsilulu montrent leurs griffes. Il faut désormais se plier à leurs trois exigences fondamentales que sont : – Marcher pieds nus ; – Prier les mercredis ; – Nettoyer les cimetières. La population rurale n’arrive plus à nourrir les NinjasNsilulu. Ces derniers commencent à la harceler. Ils exigent plus de nourriture que d’argent. Ces exactions se passent souvent au marché. En mars 1999, Mbanza-Ndunga a enregistré environ 10 morts par jour. Un enfant d’un membre de la garde rapprochée de Yogoshi meurt. Ce dernier accuse le personnel soignant de négligence. Ce jour-là onze bébés sont morts. Depuis, le nombre de décès est passé à plus de 10 par jour. L’hôpital est fermé pendant deux semaines sur ordre de Yogoshi. À la réouverture (après d’âpres négociations), il est retrouvé complètement vidé de tous les produits pharmaceutiques. Seul Yogoshi en détenait les clés. Le personnel de l’hôpital perd sa motivation. Le phénomène de l’infiltré prend de l’ampleur. Tout le monde soupçonne tout le monde d’infiltré. L’assassinat des présumés sorciers prend de l’ampleur. Exemples : – À Mutampa 1, les Ninjas-Nsilulu arrêtent neuf présumés sorciers et en exécutent cinq. – À Mbanza-Ndunga, ils en abattent un. – « Quelqu’un » (un présumé sorcier) a été enterré vif. Certains présumés sorciers sont enterrés vifs. Des Ninjas-Nsilulu accusent les personnes âgées de travailler 152

contre eux ; les soupçonnant de « lécher mystiquement » leurs blessures occasionnées lors des affrontements. Une véritable chasse aux sorciers est ouverte. Les clans en profitent aussi pour régler leurs contentieux. Samedi 24 avril 1999 Mbanza-Ndunga est survolé par un hélicoptère portant les sigles « elf congo ». Il bombarde du côté de Lunzolo et de Kimpanzu 2. Bilan : 1 mort (non identifié) à Kimpanzu 2. La rumeur selon laquelle les Ninjas attendraient un hélicoptère qui déposerait armes et munitions circule déjà. À l’arrivée de l’hélicoptère « elf » personne ne se doute de rien. Tout le monde croit à l’arrivée du fameux hélico qu’attendent les Ninjas-Nsilulu. Mercredi 28 avril 1999 Ce sont les hélicoptères militaires MI-24 qui bombardent des villages lari du côté de Lunzolo et le village de Kimpanzu où sont réfugiés des milliers d’individus. Jeudi 29 avril 1999 Les hélicoptères militaires MI-24 de fabrication soviétique, survolent Mbanza-Ndunga et bombardent le village lari de Mabasa. Là encore, ce sont des milliers d’individus qui y sont réfugiés. Déjà dans la nuit du mercredi à jeudi, le grand Ninja qui répond au non de Ma-Nsheshe167 avait déplacé sa famille au village Mutampa. 23 h : à Mbanza-Ndunga et les villages environnants, le geste du grand Ninja pousse les gens à vider les lieux. Des 167

Mbemba, de son vrai nom.

153

guerriers bien informés comme Ma-Nsheshe ne peuvent pas déplacer leurs familles si rien de fâcheux ne se prépare. Vendredi 30 avril 1999 16 h 30 : Mbanza-Ndunga est bombardé. Sept obus sont lancés sur la place du marché et le collège ; deux lieux de grande concentration humaine. Un autre est tombé plus bas. On compte de nombreux morts et blessés. Bilan : encore inconnu ; le sera-t-il jamais ? Les victimes sont toutes des civils sans défense. Pas un seul Ninja-Nsilulu n’a trouvé la mort dans ce bombardement. Par contre, parmi les blessés, l’on en compte trois. Toute la population vide Mbanza-Ndunga. Ne sont restés que quelques irréductibles Ninjas-Nsilulu qui se livrent au pillage. Le curé prend la fuite et se rend à Nkankata. Les déplacés qui entendent parler de l’existence d’un couloir humanitaire se décident à rentrer à Brazzaville. Le but du couloir est (normalement) de permettre et de sécuriser le retour ou le départ des personnes vers Brazzaville « pacifiée ». Ces couloirs humanitaires sont ouverts sous le contrôle des Cobras que l’on dénomme force publique et les troupes angolaises. Dans ces couloirs, ce sont des centaines de personnes qui sont kidnappées168. Le motif est classique : soupçonné d’être Ninja de Kolela. Cela s’est vu à Brazzaville entre décembre 1998 et janvier 1999. Mercredi 3 mars 1999 L’armée-Cobra sort des déplacés qui se sont cachés vers Kimpanzu 1 et 2. Ils les ramènent à Brazzaville. À 168

Où est la sécurité ?

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Mbonza, cette même armée (Cobra) exécute Matsiona qui cherchait à les éviter169. Ce même jour, les soldats ramènent les déplacés de Mbonza 1 et Mbonza 2. Du lundi 3 mai au dimanche 16 mai 1999 La population réfugiée ne se sent en sécurité nulle part : ni dans les villages ni dans les forêts. Beaucoup y meurent de faim. Le harcèlement des hommes en armes est total. Il n’y a aucun répit pour cette population fragilisée. Yogoshi a trouvé la mort un jour d’avril au cours d’une attaque à Lunzolo. Il est immédiatement remplacé par le « commandant » « Stoy » comme chef d’état-major des Ninjas. Aux yeux des populations, Ma-Nsheshe et Ntumi entretiennent des relations orageuses ; et pour cause, Nsheshe, Ninja de Kolela, refuserait de se faire consacrer (bieka) par Ntumi. Les pouvoirs (mystiques) qu’il aurait acquis à l’issue de la bénédiction de Kolela en 1993 lui suffisent. Ils sont encore valables, se défend-il. Cela ne plaît pas du tout à Ntumi. « Nous, nous sommes des Ninjas et non des Condors », affirme Nsheshe. En réalité, ma-Nsheshe fait partie de ces Ninjas qui sont passés dans le camp de Sasu et trompent les habitants des villages en se présentant comme des envoyés de Kolela. Comme ils sont mis en confiance, les villageois baissent la garde. Les Cobras et les Ninjas-Nsilulu se sont mis à éliminer les Ninjas fidèles à Kolela. À partir de ce 30 avril 1999, la zone de MbanzaNdunga est intensivement bombardée quotidiennement. Des civils170 vont périr par milliers. Le bilan exact est difficile à établir. Ce sont les forêts où se retrouvent des 169 170

Vu que les Cobras ne sont jamais tendres avec les populations Lari. Lari pour la plupart.

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concentrations humaines importantes qui sont bombardées. Aucune presse n’en fait écho. Ce 30 avril 1999, à la télé Congo, répondant aux questions du journaliste Oboa, le journaliste français JeanPaul Pigasse vient de louer la grandeur de Sasu-Ngeso en déclarant : « Le Congo a une grande chance d’avoir Sasu comme président ». Dimanche 2 mai 1999 Entrée de l’armée (constituée essentiellement des Cobras et autres mercenaires) dans Mbanza-Ndunga. Elle n’y trouve personne. À partir de cette date, les villages se situant sur les bords des axes routiers sont vides. On n’y trouve plus personne. Tout le monde est dans la forêt ; et celle-ci est bombardée. Les victimes se comptent par centaines. Qui s’y sont réfugiés ? Des hommes, des femmes et des enfants appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga. Du samedi 15 mai au lundi 31 mai 1999 À partir des pistes, les Cobras lancent une pluie d’obus en direction des villages enclavés à l’intérieur. Des villages (habités par les citoyens appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga) sont touchés ; c’est le cas des villages : – Matsula. – Nkankata. – Ngodi. Les obus s’écrasent et échouent dans la forêt. Les Cobras pillent les villages environnants. Naturellement, les habitants lari (appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga) sont sans défense.

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Lundi 7 juin 1999 15 h 30 : l’hélicoptère survole la zone de MbanzaNdunga. Il bombarde les villages lari de Masamba-Mbiki et Mvulumamba171. Les habitants de ces villages sont sans défense.

Les couloirs, lieux de disparitions Wu ba wuna we na meso172

Les couloirs ne garantissent pas la sécurité. De nombreuses personnes disparaissent. Mercredi 5 mai 1999 M. Lubayi Rufin (33 ans) qui s’est réfugié à MbanzaNdunga veut regagner Brazzaville. Il est arrêté par les Cobras. Il a disparu à tout jamais. Mardi 11 mai 1999 M. Bindika Marcel (44 ans) un enseignant, est enlevé au pont de la rivière Dzue (à l’entrée de Brazzaville). Il a été interpellé par des policiers au poste du Dzue. Il a disparu. Mercredi 7 juillet 1999 Jourdain, jeune collégien de Matur (Brazzaville) arrêté à Voka, il est suspecté d’être un Ninja de Kolela. Il a disparu.

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Des villages appartenant aux clans Nsaku, Mpanzu et Nzinga. Celui qui se laisse tromper facilement est celui qui prétend avoir les yeux ouverts. 172

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Samedi 31 juillet 1999 M. Dzoma Joseph (19 ans) est enlevé à Voka par les Cobras. Il a disparu. Lundi 2 août 1999 M. Masamba Eymard (33 ans) est enlevé à Madibu par les Cobras. Il a disparu. Samedi 7 août 1999 M. Malanda Antoine (40 ans) est enlevé à Lunzolo alors qu’il est en route pour Brazzaville. Il a disparu. Lundi 16 août 1999 Luya Samuel est enlevé ; il a disparu. L’insécurité règne toujours pour ceux qui réussissent à gagner les sites préparés pour accueillir les déplacés. Les éléments de la force publique en uniforme ou en civil viennent opérer des tris et sortent des personnes (souvent des jeunes) soupçonnées d’être ou d’avoir été des Ninjas proches de Kolela et/ou proches d’eux173 : Mercredi 5 mai 1999 M. Misamu-Kibongi Philippe (22 ans) a disparu en pleine journée du site de Makelekele (Centre sportif) où il a été admis. Jeudi 6 mai 1999 M. Batantu Christian (27 ans) a disparu lui aussi en pleine journée.

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Ce motif est classique lorsqu’ils veulent broyer du Lari.

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Mercredi 2 février 2000 M. Bazolo, 80 ans, chef de village de Nkue (district de Mayama) est arrêté au site du centre sportif de Makelekele qu’il a rejoint péniblement (vu son grand âge et son état de santé). Des policiers venus du poste de police de Makelekele lui reprochent d’avoir nourri et hébergé des Ninjas dans son village. Il est enfermé. Le vieil homme n’aura tenu que 3 jours en prison. Il est mort.

Une population fragilisée Dimanche 11 juillet 1999 Les Cobras arrivent pour la première fois à Mvulumamba. La débandade est considérable. Une fois n’est pas coutume ; il y a plus de peur que de mal. Ils sont arrivés sans tirer de coup de feu (ce qui est extrêmement rare). Ils s’installent à la place du marché. L’un d’eux a voulu malmener un jeune174. Le commandant intervient en précisant que leur mission est différente de ce qu’il veut faire. Le chef militaire tient un meeting. Les plus courageux des habitants y viennent. On y note la présence de M. Mampuya, le catéchiste du village. Les autres sont en forêt. À la fin, ils réquisitionnent des jeunes pour transporter munitions et maniocs jusqu’au lieu où ils ont laissé leur véhicule. Ils ont des provisions pour pouvoir tenir pendant deux jours d’attaque. Ils n’ont pas été attaqués. Ils gardent leurs munitions. Par contre celles-ci pèsent lourd. Il faut diminuer la charge. Alors ils se mettent à tirer dans la forêt dans tous les sens, sur tout le long de la route.

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Ce qui est leur habitude naturelle.

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Mardi 13 juillet 1999 Deux hélicoptères, civil et militaire font la navette entre Mbanza-Ndunga et Kinkala. Ils ont fait douze tours sans bombarder. Jeudi 15 juillet 1999 À partir de cette date, on commence à parler de l’existence d’un couloir chez les personnes réfugiées dans les forêts. Des réfugiés venant de Brazzaville quittent alors les villages où ils sont bloqués. Les Cobras viennent tous les jours dans ces coins. Le village Nkuka yi Buka (11,9 km de Mbanza-Ndunga) est complètement vidé de sa population. Les Cobras continuent à piller et à tuer aveuglément, ce qui empêche la population de revenir dans les villages. Lundi 19 juillet 1999 Les Cobras attaquent le village de Nkoyi dans l’espoir de surprendre, capturer ou (au besoin) abattre le « commandant » Lazare, le Ninja-Nsilulu qui terrorise le coin. Ce Ninja pille tout : poulet, chèvre, mouton ; il dévalise les étangs de pisciculture et agresse ceux qui cherchent à se rendre à Brazzaville. Les exactions sont conjointes. Cobras et Ninjas-Nsilulu forcent les gens à aller vivre en forêt. La famine gagne. Le sel manque. Dimanche 25 juillet 1999 Les Cobras effectuent des circuits fermés : MbanzaNdunga-Matsula-Mbonza 1-Manzakala-M’pelo-Diba (Ngodi)- Mbanza-Ndunga. Ils le font pour chasser les NinjasNsilulu à l’embarcadère de M’pelo et libérer le passage à ceux qui viennent de Boko pour Brazzaville.

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Les Ninjas-Nsilulu ne veulent pas laisser entrer la population. Alors ils rançonnent et agressent avec leur fameuse « gifle de Saint-Michel ». Les Cobras pillent, rançonnent la même population fragilisée qui se rend à Brazzaville. Dans la forêt, les Cobras usent de leurs armes exactement comme s’il y avait affrontement. Au village M’pelo, ils ont tiré des lance-roquettes. Dans la zone de Mbanza-Ndunga, il n’y a plus de groupes de Ninjas-Nsilulu organisés capables d’affronter les Cobras. Il n’y a plus que des éléments isolés et armés qui rançonnent. Les villages sont vides. C’est le cas des villages suivants : – Lukoko, – Nzulani, – Kruwa-Koma, – Mangaka. Tous les habitants sont en forêt. Début août 1999 Quelques habitants essaient de regagner le village. Lundi 2 août 1999 Les Cobras arrivent à Luyaku. Ils trouvent quelques habitants du village et les obligent de se rendre à Brazzaville sous peine d’être abattus. Samedi 21 août 1999 Les Cobras reviennent à Lukoko ; comme à leur habitude, ils appliquent la liturgie du viol des femmes et du pillage systématique.

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CONCLUSION

L’histoire est une science du présent le plus rigoureux et le plus actuel. Les faits que nous relatons aujourd’hui relèveront demain du passé. Que ce passé ne reste pas seulement enlisé dans une fiche. Il se rencontre déjà aujourd’hui dans chaque individu que nous rencontrons, même les plus pauvres et les plus démunis, les décharnés qui hantent ces quartiers Bakongo et Makelekele. Celui qui regarde attentivement l’histoire et voit ce qu’elle enseigne, voit la lumière des choses futures. À ceux qui disent que ces faits relèvent du passé, à l’instar de Luis Cabrera (1559-1623), nous répondons : le monde est toujours le même. Pour éclairer l’avenir, il faut connaître le passé. Certains écrivent en analysant les évènements des pays lari dans le Pool en partant de notre vécu de la guerre vers l’origine de celle-ci. C’est une bonne méthode car l’histoire qui ne revient pas sur elle-même se fossilise. Nous avons choisi une méthode différente : celle de la description des faits qui est aussi de l’histoire. L’histoire vivante. Elle doit se repenser de temps en temps si elle ne veut pas mourir. Dans ce travail, nous avons retenu le principe qui veut que les faits soient relatés avec (si possible) les acteurs et les témoins.

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Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau N° d’Imprimeur : 152880 - Novembre 2018 - Imprimé en France

Les différents conflits armés qui se sont déroulés au Congo (1993, 1994, 1997, 2000, 2002) ont tous visé les Lari. À tout moment, ils ont été des victimes expiatoires. Des Orgues de Staline, des hélicoptères de combat et des avions de chasse ont bombardé les quartiers, villages et forêts des pays lari. Tout ceci s’est déroulé dans le silence de la communauté internationale, en toute impunité. Ce livre relate quelques actes de génocide perpétrés entre octobre 1997 et décembre 1999.

Nsaku Kimbembe est un ancien prêtre. Il a étudié la théologie et la philosophie au grand séminaire de Mfua (Brazzaville) avant d’exercer à Kindamba et Kinkala (Congo) où il a été témoin de certaines scènes macabres. Parti du Congo en 2000, il a officié à la paroisse de Saint Germain-Laval (42) en France.

Illustration de couverture : © J. Allain - Jalka Studio

ISBN : 978-2-343-15713-9

17,50 €

Nsaku Kimbembe

Depuis la période révolutionnaire (1963-1991), les gouvernements successifs ont mis en place une politique qui a martelé un discours ouvertement anti-Lari afin d’isoler ceux-ci et de les exterminer. Le Pool, département du sud du pays, étant perçu comme un nid de la contre-révolution qu’il faut mater en permanence.

Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool

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Nsaku Kimbembe

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