Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies
 9782759823994

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Chimie,

nanomatériaux, nanotechnologies

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies », qui s’est déroulé le 7 novembre 2018 à la Maison de la Chimie.

« COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Chimie,

nanomatériaux, nanotechnologies Didier Bazile, Didier Betbeder, Elias Fattal, Étienne Klein, Thierry Le Mercier, Didier Lévy, Jacques Livage, Christophe Navarro, Fabrice Nesslany, Jean-François Perrin, Pierre Rabu, Paolo Samorì, Fabienne Séby et Olivier Tillement Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Crédits couverture : © fusebulb, © Gorodenkoff, © Kateryna_Kon, © MG, © natali_mis, © Vlastimil Šesták Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2376-5 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2399-4

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2019

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : François Auger Ingénieur au Service Commun des Laboratoires de Bordeaux Didier Bazile Responsable de l’Innovation Technologique Externe Sanofi R&D Didier Betbeder INSERM U995, LIRIC, Faculté de Médecine (Lille) Elias Fattal Directeur de l’Institut Galien Paris-Sud Université Paris-Sud, Châtenay-Malabry Étienne Klein Philosophe des sciences au CEA Thierry Le Mercier Directeur du Département des Matériaux inorganiques Solvay Didier Lévy Expert senior au CEA/LETI (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information)

Jacques Livage Professeur au Collège de France Laboratoire de chimie de la matière condensée (CNRSSorbonne Université) François Martin Ingénieur Institut national Polytechnique de Grenoble (ENSEEG 80) Expert senior au CEA/LETI Mathieu Menta Ingénieur d’applications Laboratoire Ultra Traces Analyses Aquitaine Christophe Navarro Expert Scientifique senior Directeur du programme Matériaux organiques pour l’électronique Arkema Fabrice Nesslany Chef du Service Toxicologie, Laboratoire de Toxicologie Génétique Institut Pasteur de Lille

Jean-François Perrin PDG Nanomakers Pierre Rabu Directeur de Recheche au CNRS Directeur de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS, CNRS-Université de Strasbourg) Paolo Samorì Professeur de classe exceptionnelle Directeur de l’ISIS Unité mixte de recherche CNRS et Université de Strasbourg Fabienne Séby Directrice d’Ultra Traces Analyses Aquitaine (UT2A) Olivier Tillement Professeur à l’Université Lyon 1 CSO à NH TherAguix Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny...................................................... 9 Préface : par Bernard Bigot............................... 11

Partie 1 : La richesse du nano-monde. Nouveaux nano-objets, naturels ou artificiels, nouvelles propriétés Chapitre 1 : Nanostructures biologiques par Jacques Livage et Serge Berthier.............. 17 Chapitre 2 : Nanomatériaux, nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ? par Pierre Rabu.................................................. 29 Chapitre 3 : Matériaux nanostructurés industriels. Impact de la maîtrise de la taille sur les propriétés par Thierry Le Mercier....................................... 53 Chapitre 4 : Chimie, innovation et progrès par Étienne Klein................................................ 69

Partie 2 : Nanotechnologies pour la nanomédecine Chapitre 5 : Translation des nanomédicaments jusqu’à la preuve du concept clinique. Gestion de la qualité fondée sur les travaux de maturité technologique par Didier Bazile................................................. 83 Chapitre 6 : Particules hybrides théranostiques pour une nanomédecine de rupture. De la paillasse aux premiers essais cliniques par Olivier Tillement.......................................... 97

7

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Chapitre 7 : Des nanoparticules d’amidon mimant l’infection pour vacciner contre la toxoplasmose par Didier Betbeder............................................ 113

Partie 3 : Nanotoxicologie Chapitre 8 : Caractérisation des nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien : les méthodes d’analyse et les applications par Fabienne Séby................................................... 125 Chapitre 9 : Nanotechnologies pour la nanomédecine : questions sur la toxicité et aspects réglementaires par Elias Fattal................................................... 143 Chapitre 10 : Modèles toxicologiques expérimentaux appliqués aux nanomatériaux. Interférences, biais méthodologiques et conséquences de leur application par Fabrice Nesslany......................................... 163

Partie 4 : Nanomatériaux pour la nanoélectronique Chapitre 11 : Les matériaux en nanoélectronique industrielle par Didier Lévy et François Martin.................... 181 Chapitre 12 : Copolymères à blocs pour la nanolithographie par Christophe Navarro..................................... 197 Chapitre 13 : Nanochimie : des nanomatériaux intelligents aux dispositifs optoélectroniques et capteurs multifonctionnels par Paolo Samorì.................................................. 211

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Chapitre 14 : La pyrolyse laser, une méthode industrielle de production de nanoparticules par Jean-François Perrin.................................. 227

Depuis 2007, la Fondation de la Maison de la Chimie organise des colloques destinés à un large public de chimistes, étudiants et enseignants en chimie, ingénieurs, chercheurs, journalistes, pour faire prendre conscience que la chimie, science ou technique, est présente au cœur de toutes les activités techniques, même si elle n’est pas toujours identifiée comme partenaire indispensable. Ces colloques sont repris sous forme de livres dans une collection « Chimie et… », publiée par EDP Sciences. Le présent volume est le vingtième de la collection, dont les titres sont rappelés à la fin de cet avantpropos. Ils constituent une remarquable monographie des utilisations modernes si variées de la chimie, équilibrant les explications scientifiques et la description des applications réalisées ou en projet dans presque tous les domaines. Depuis la célèbre phrase du prix Nobel Richard Feynman sur la physique aux très petites échelles “There is plenty of room at the bottom” (« Il y a beaucoup de place vers le bas »), prononcée en 1959,

l’intérêt des scientifiques pour l’échelle nanométrique et ses propriétés originales n’a cessé de s’accentuer. Le développement d’une nouvelle instrumentation physique, comme la microscopie à effet tunnel (1981) capable de montrer directement les atomes individuels, a frappé tous les esprits, mettant – en apparence – cette échelle à la portée de tous, et déclenché des recherches de toutes sortes. S’en est suivie une myriade de nouvelles inventions dans une quantité de domaines techniques : qu’il s’agisse de la microélectronique dont ces travaux permettent la miniaturisation, ou de la maîtrise de mécanismes moléculaires décrivant l’action des molécules de la santé, qu’il s’agisse encore de l’amélioration des performances de matériaux que l’on croyait voués aux techniques classiques, comme ceux qui font les bâtiments, les grandes structures mécaniques ou les véhicules ; c’est partout que se sont diffusées et se diffusent les nanotechnologies. Le présent ouvrage, sans prétendre à l’exhaustivité dans un champ aussi vaste, illustre et explique grâce aux

Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies 10

meilleurs experts des divers sujets, les objets et les propriétés originales dues à l’échelle nanométrique. Des domaines non prévus s’invitent dans ces mouvements scientifiques et techniques : on s’aperçoit avec admiration que la nature, par exemple celle des micro-organismes marins, utilise depuis toujours les propriétés de base des nanomatériaux ; on réalise également que cette échelle nanométrique, même à l’état le plus élémentaire (les nanoparticules), peut être mise à profit pour améliorer les objets de la vie quotidienne, leur fournissant des additifs susceptibles de les améliorer. Tous ces développements mobilisent les laboratoires et les industries de pointe, dites de « haute technologie ». Mais ils entraînent aussi les habituels questionnements qui accompagnent l’irruption de nouveaux produits dans nos vies. La sécurité, les risques potentiels à la santé et à l’environnement, posent des questions qu’il s’agit de ne pas laisser de côté. La spirale « études de nouvelles applications/identification de nouveaux risques » est à l’ordre du jour. Comme souvent, puisque les phénomènes impliqués sont d’une complexité difficilement imaginable, ces questions amènent des controverses : elles ont leur reflet dans ce volume qui pose la méthode scientifique à l’œuvre dans un domaine aussi plein d’incertitudes que l’est le vivant. Elles interrogent notre position sur la dynamique « innovation » ou « progrès ». La publication de ces ouvrages est liée à une autre opération de diffusion de la chimie menée

par la Fondation de la Maison de la Chimie : la création, le lancement et la mise à jour d’un site Internet, Médiachimie (www.mediachimie.org), qui donne à tous ceux qui s’intéressent à cette discipline les réponses aux questions qu’ils se posent sur la chimie. Aux thématiques abordées, Médiachimie fait correspondre des « ressources » qui permettent au lecteur d’aller plus loin dans sa compréhension. Les ouvrages « Chimie et … » font partie de ces ressources. Liste des ouvrages de «  la collection Chimie et …. »  La chimie et la mer ; La chimie et la santé ; La chimie et l’art ; La chimie et l’alimentation ; La chimie et le sport ; La chimie et l’habitat ; La chimie et la nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports : vers des transports décarbonés ; Chimie et technologies de l’information ; Chimie et expertise : sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise : santé et environnement ; Chimie et changements climatiques ; Chimie, dermo-cosmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes ; La chimie et les sens ; Chimie, aéronautique et espace ; Chimie et biologie de synthèse ; Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies (le présent ouvrage) ; Chimie et Alexandrie dans l’Antiquité (à paraître). Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie

Si le thème de cet ouvrage, nanomatériaux, nanotechnologies, passionne une large part de nos concitoyens désireux de bien en comprendre les potentialités, il inquiète aussi certains d’entre eux par les risques associés à toute innovation, et nous avons souhaité apporter un éclairage scientifique objectif et rigoureux sur ces deux aspects en veillant à ce qu’il soit accessible à un large public. Depuis une vingtaine d’années, les responsables industriels comme les scientifiques ont découver t le « nanomonde » : l’organisation de la matière à l’échelle du nanomètre, le millionième de millimètre. Des applications de toutes sortes sont apparues qui modifient fortement les capacités techniques dans des domaines très variés, qu’il s’agisse du bâtiment, des textiles, des télécommunications et des technologies numériques, ou encore de la santé et des nanomédecines. Les produits de la vie quotidienne – alimentation, cosmétiques, produits d’entretien, etc. – n’échappent pas à ces évolutions vers un usage de nanomatériaux comme additifs. Ces utilisations suscitent

de légitimes questions sur les risques sanitaires qu’elles pourraient induire. Ces questions sont rendues difficiles en raison des incertitudes qui demeurent quant à l’activité biologique éventuelle des nanomatériaux selon leur nature, forme, dose... Nous ne pourrons pas dans cet ouvrage traiter tous les sujets. Le Comité d’organisation du colloque d’où sont issus les chapitres, qui réunissait des experts chimistes, physiciens, biologistes, universitaires et industriels, a dû faire des choix. L’objectif était non seulement d’illustrer la richesse du nano-monde en présentant les récentes découvertes de nouveaux nano-objets, naturels ou artificiels, mais aussi de permettre aux lecteurs de comprendre l’origine de leurs propriétés. Ainsi, sont présentés non seulement les perspectives de développement des nanotechnologies dans de nombreux domaines de la vie quotidienne, mais aussi le soin qui est apporté par tous les acteurs à l’évaluation de la toxicité de ces nano-objets. La première partie permet d’avoir une vision scientifique

Bernard Bigot, Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Préface

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies 12

générale du nano-monde : de la richesse, de la diversité et de l’intérêt des propriétés souvent exceptionnelles de ces nanoobjets, naturels ou artificiels. Jacques Livage explique, sur de nombreux exemples de matériaux biologiques naturels, comment le vivant imagine des nanostructures originales qui leur confèrent des propriétés remarquables permettant de répondre aux exigences de la vie des organismes impliqués. Pierre Rabu fait découvrir la créativité des chercheurs en présentant les potentialités du nano-monde du futur. Il montre comment, à cette échelle de taille, la matière présente des propriétés différentes du matériau massif. Les exemples industriels de maîtrise de la taille appliquée à la fabrication de nouveaux matériaux sont présentés par Thierry Le Mercier du groupe Solvay. À partir de quelques exemples, la partie 2 illustre l’intérêt de nouvelles applications des nanomatériaux et des nanotechnologies dans le domaine de la santé. Les nanomédicaments sont un récent domaine de R&D de l’industrie pharmaceutique : sur des exemples du groupe pharmaceutique Sanofi, Didier Bazile explique le pourquoi de cette évolution, ainsi que toutes les étapes de la recherche qui permettent leur utilisation thérapeutique. Olivier Tillement présente des nanopar ticules organominérales qui non seulement sont utilisées comme agents de contraste en IRM, mais peuvent aussi être utilisées comme outil thérapeutique pour augmenter l’efficacité du traitement de tumeurs par radiothérapie.

Didier Betbeder, à partir de nanoparticules biosourcées, a développé une approche vaccinale pour traiter la toxoplasmose qui infecte de nombreuses espèces animales et l’homme, et pour laquelle à ce jour on ne disposait d’aucun autre traitement fiable. La partie 3 a pour objectif de faire le point sur l’état des connaissances en ce qui concerne l’analyse et l’évaluation de la toxicité potentielle des nanotechnologies et des nanomédicaments, ainsi que celle de leurs produits de dégradation dans l’organisme. Les nanoparticules peuvent être présentes dans divers produits : pharmaceutiques, alimentaires, cosmétiques, textiles… Bien que l’Europe soit très soucieuse d’informer les consommateurs, la caractérisation des nanoparticules dans ces produits très différents demeure un défi analytique qui est présenté par Fabienne Séby. Pour compléter cette mise au point et apporter des réponses aux légitimes questions, le choix des modèles expérimentaux et les aspects règlementaires sont expliqués par Fabrice Nesslany et Elias Fattal. La dernière partie est consacrée aux applications des nan o m atér iau x dan s le domaine de la nanoélectronique. Didier Lévy présente quelques-unes des récentes innovations de la société STMicroelectronic et Christophe Navarro les nanomatériaux mis au point par la société Arkema pour la nanolithographie. On découvre avec Paolo Samorì des applications futuristes, en cherchant à développer des assemblages

Préface multicomposants présentant des fonctions interconnectées et des systèmes programmables pour l’optoélectronique et la détection. Ces applications sont développées à partir des nanomatériaux « intelligents » créés dans les laboratoires de deux des prix Nobel de Chimie français Jean-Marie Lehn et JeanPierre Sauvage, à Strasbourg. Enfin, Jean-François Perrin explique, avec des exemples concrets, les applications innovantes par les « nanomakers » pour l’électromobilité. Pour conclure cet ouvrage, après cette immersion dans le nano-monde, Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, nous fait réfléchir sur le thème de l’innovation scientifique, à partir de deux questions particulièrement bien adaptées aux exemples présentés :

Les informations scientifiques données dans cet ouvrage sur le nano-monde sont issues des récents résultats d’une recherche de haut niveau. C’est un défi pour les auteurs que de les rendre compréhensibles à un public d’origine et de niveaux diversifiés, et notamment aux jeunes. Je les remercie d’avoir accepté de le relever dans un but pédagogique, notamment pour aider les jeunes dans le choix de leur avenir en leur faisant découvrir l’intérêt de la recherche, de ses applications et des métiers qui y sont associés dans ce domaine en pleine expansion. Je vous souhaite une agréable lecture.

Bernard Bigot

−− l’innovation est-elle dans le prolongement de l’idée de progrès, ou la contredit-elle ? ;

Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

−− en quoi détermine-t-elle notre rapport au risque ?

Directeur général d’ITER Organization

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biologiques Jacques Livage est professeur au Laboratoire de chimie de la matière condensée du Collège de France (Sorbonne Université1) et Serge Berthier est professeur à l’Institut des NanoSciences de Paris (Université de Paris2).

1

Les nanostructures : un sujet controversé, maîtrisé par le vivant12

l’objectif de la nanomédecine, qui connaît actuellement un développement rapide.

Les nanosciences font actuellement l’objet de nombreuses controverses. Les nanoparticules qu’elles étudient sont en effet susceptibles de traverser la membrane de nos cellules et de provoquer des dégâts irréversibles. De nombreuses maladies sont associées à l’exposition à ces nanoparticules dont la manipulation doit faire l’objet de précautions toutes particulières. Tout n’est cependant pas négatif. Les nanoparticules interviennent dans la composition de capteurs ultrasensibles, de biomarqueurs permettant l’imagerie à très haute résolution. Elles peuvent aussi être utilisées comme vecteurs pour transporter des principes actifs au sein de tumeurs cancéreuses. C’est

Dans le domaine des matériaux, nous allons montrer comment la nature joue sur la formation de nanostructures pour obtenir les propriétés recherchées. Il est en effet surprenant de constater que, parmi la centaine d’éléments du tableau périodique, le vivant n’utilise qu’une douzaine d’entre eux pour élaborer les matériaux dont il a besoin. 96 % de la matière vivante est constituée uniquement à partir des six éléments chimiques suivants : carbone, hydrogène, oxygène, azote, soufre et phosphore. En ce qui nous concerne, lorsque nous élaborons un matériau, nous jouons sur la structure et la composition afin d’obtenir les propriétés désirées, ce qui nous amène à utiliser pratiquement l’ensemble de tous les éléments stables du tableau de Mendeleïev (Figure 1).

1. www.sorbonne-universite.fr 2. www.insp.jussieu.fr

Jacques Livage et Serge Berthier

Nanostructures

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Abondant

Limité

Menace émergente Principaux élément de la matière vivante

Menace sérieuse

Risque de pénurie en élément

Encadrés en rouge, les éléments utilisés par le vivant. Presque tous les autres éléments utilisés pour élaborer nos matériaux présentent des risques de pénurie à plus ou moins long terme.

Prenons l’exemple du verre. Il est obtenu par fusion de la silice à des températures de l’ordre de 1 500 °C. Selon l’utilisation souhaitée, on recherche des morphologies et des techniques d’élaboration différentes : la fibre optique pour la transparence, la bouteille pour l’inertie chimique, la laine de verre pour l’isolation. On contrôle aussi la composition. On ajoute du sodium pour abaisser la température de fusion. On utilise du bore pour faire le Pyrex qui résiste aux variations de température. On augmente

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Morpho menelaus (mâle, envergure 11 cm). La couleur bleue iridescente des mâles est un vecteur de communication intraspécifique (entre mâle et femelle).

La nature agit de façon très différente. Beaucoup plus économe en moyens, elle joue sur la nanostructure de ses matériaux plutôt que sur leur composition. Nous allons illustrer la richesse des nanostructures biologiques en prenant trois exemples correspondant à trois familles de matériaux : −− les polymères avec les ailes de papillons, formées par un biopolymère : la chitine ;

Figure 1

Figure 2

l’indice optique d’un verre cristal en ajoutant du plomb !

−− les céramiques avec les coccolites, micro-algues qui élaborent une coquille de carbonate de calcium (coccosphère) ; −− le verre avec les diatomées qui synthétisent une carapace de silice amorphe (frustule).

2

Les ailes de papillon, une nanostructure hiérarchique multifonctionnelle Les papillons de la famille des Morphos illustrent sans aucun doute le plus bel exemple de biopolymère nanostructuré (Figure 2). Ces papillons qui vivent dans les forêts tropicales d’Amérique du Sud

Nanostructures biologiques

peuvent atteindre, pour certaines espèces, une envergure de 20 cm. Chez plusieurs d’entre elles, les mâles possèdent des ailes d’un bleu iridescent tout à fait remarquable. Cette couleur n’est pas due à un pigment. Elle résulte de la nanostructure de l’aile constituée de chitine, un polysaccharide azoté (C8H13NO5)n (Figure 3), que l’on trouve aussi dans la cuticule des insectes, la carapace des crustacés ou la coquille des céphalopodes. L’aile du morpho est formée de deux membranes transparentes sous-tendues par un réseau de nervures qui assurent leur rigidité et permettent la circulation de la lymphe3. L’observation de l’aile au microscope met en évidence une structure multiéchelle allant du centimètre au nanomètre (Figure 4). Cette structure n’est pas aléatoire, elle forme un ensemble hiérarchique sur plusieurs échelles dans laquelle chaque niveau assure une fonctionnalité particulière.

La chitine : ce polymère naturel est un polysaccharide azoté, composé de molécules de N-acétylglucosamine.

les

4

le

1 cm

Ai

1

100 µm

Hydrophobie (10-100 µm)

s

2

10 nm

le ail Éc

3

Couleur (100 nm)

300 nm s rie St

3. Lymphe : liquide composant le système circulatoire des insectes et pouvant s’apparenter au sang chez les mammifères.

Figure 3

el m La

À l’échelle de la centaine de microns, l’aile apparaît recouverte d’écailles, qui lui confèrent l’essentiel de ses propriétés mécaniques (rigidité, dureté). À l’échelle de la dizaine de microns, les écailles sont parcourues de stries alignées dans le sens de leur longueur. Ces stries assurent l’hydrophobicité des ailes du papillon qui lui permet de voler même sous la pluie. Cette hydrophobicité, connue sous le nom d’effet lotus, fait qu’une

goutte d’eau n’adhère pas à la feuille en raison de la rugosité de sa surface. Les nombreuses aspérités ne permettent pas à la goutte d’eau d’entrer en contact avec le fond. Elle ne fait que glisser à la surface des aspérités. La disposition des écailles, analogue à celle des tuiles sur un toit, a pour résultat d’évacuer les gouttes d’eau vers l’extérieur de l’aile, qui demeure sèche tout en entraînant avec elle les poussières et impuretés qui la recouvrent. Ainsi l’intérêt des écailles et des stries est que de telles surfaces sont très hydrophobes et ne se mouillent pas.

Mécanique (100 µm-100 mm)

Figure 4 Structuration multi-échelle d’une aile de Morpho menelaus. L’aile, d’une dizaine de cm, est recouverte d’écailles de 50 x 100 µm environ. Ces écailles sont striées avec un pas de l’ordre du µm. Enfin, chaque strie est composée d’un empilement de lamelles d’une centaine de nm d’épaisseur.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

On a montré également qu’une telle structure empêche les bactéries de se développer. On voit ainsi comment la simple nanostructure des écailles permet d’éliminer simultanément l’eau et les impuretés, et confère à l’aile des propriétés antibactériennes. C’est un bel exemple de la multifonctionnalité des structures naturelles. Une observation plus fine montre que les stries ellesm êm es p r és en te n t u n e nanostructure composée de lamelles (Figure 5). Ces lamelles sont responsables des propriétés optiques et en particulier de la couleur du papillon. Les espaces séparant les différentes lamelles sont réguliers, ce qui confère à l’aile de papillon des propriétés de cristal photonique4. Dans un cristal les atomes sont répartis de façon régulière, en conséquence de quoi les rayons X, par exemple, vont être diffractés 5 par la structure cristalline. Dans le 4. Cristal photonique : structure régulière, périodique, qui modifie la façon dont se propagent les ondes optiques qui la traversent. 5. Diffraction : phénomène physique se produisant lorsqu’une onde rencontre un obstacle ; l’onde est alors déviée de sa direction initiale.

lamelle

Figure 5

20

Les stries présentes à la surface des écailles présentent une nanostructure composée de fines lamelles.

strie

membrane

cas des cristaux photoniques, on observe aussi une périodicité des indices optiques entre l’air et la chitine entraînant un comportement particulier de la lumière. On observe un « gap photonique », c’est-àdire une gamme de longueurs d’onde pour lesquelles la lumière ne peut plus se propager dans le cristal, elle est réfléchie. Ce gap photonique est responsable de l’iridescence bleue des ailes du morpho. L’iridescence est une propriété caractéristique des cristaux photoniques. Elle est responsable de l’aspect particulier de la nacre, formée de plaquettes de carbonate de calcium, et de l’opale, constituée de microbilles de silice. Quand on examine, cette fois à l’échelle moléculaire, le fond des stries, on découvre qu’elles sont tapissées de molécules de mélanine, pigment qui va intervenir dans la régulation thermique des ailes de papillon et la protection contre les rayonnements ultraviolets. On constate ainsi que la nature a créé une nanostructure hiérarchique qui confère à l’aile du papillon l’ensemble de ses propriétés. Il faut noter que si nous avions

3

Nanostructure des coccolites et formation de mésocristaux Nous allons prendre les deux autres exemples de nanostructures biologiques dans le domaine du plancton. Ce système, formé de milliers de micro-organismes flottant au grès des courants marins, est très important. Les microalgues qui le forment produisent par photosynthèse la moitié de l’oxygène que nous respirons ! Ces micro-organismes unicellulaires se protègent en s’entourant d’une carapace minérale nanostructurée. Nous prendrons pour exemple les coccolites, dont la carapace à base de carbonate de calcium représentera la famille des céramiques et les diatomées, qui ont une carapace en silice amorphe analogue au verre. On retrouve

Nanostructures biologiques

à réaliser une telle structure, nous aurions utilisé différents matériaux, en changeant, pour chaque propriété, la composition et la structure.

ces micro-algues fossiles dans les falaises d’Étretat. La partie calcaire blanche est formée par des coccolites fossiles, qui se sont déposés là depuis des centaines de millions d’années, tandis que les bandes de silex noires ont été formées par diagénèse des frustules de diatomées. La plupart des organismes vivant en milieu marin se protègent en s’entourant d’une carapace de carbonate de calcium. Ce composé s’obtient facilement par simple précipitation en milieu aqueux des ions calcium Ca2+ et carbonate (CO3)2-. Il est intéressant de noter que les cristaux de carbonate de calcium, qui se forment en milieu minéral par précipitation d’une solution aqueuse, ont une forme géométrique simple liée à leur structure. Ce n’est plus le cas lorsque les cristaux sont formés en milieu biologique. Ils présentent alors des morphologies complexes très variées (Figure 6). La précipitation du carbonate en milieu aqueux s’effectue selon un mécanisme de germination-croissance. Un

nacre

coccolithe

calcite

Figure 6 oursin

otolithes

La morphologie des cristaux formés en milieu biologique peut prendre des formes variées.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

aragonite

calcite

vatérite

Figure 7 La calcite, la vatérite et l’aragonite sont différentes formes de cristaux de carbonate de calcium qu’il est possible de distinguer rien qu’en observant leur aspect extérieur. Cela est dû au fait que la forme d’un cristal est liée à la structure cristalline du matériau.

Figure 8 Cristallisation minérale versus cristallisation biologique.

germe se forme tout d’abord par association d’anions et de cations. Il grossit ensuite pour donner un cristal. La forme du cristal obtenu est étroitement liée à la structure cristalline du matériau. C’est ainsi que l’on distingue aisément, selon leur géométrie extérieure, les trois formes cristallographiques naturelles du carbonate de calcium : la calcite (rhomboédrique), la vatérite (hexagonale) et l’aragonite (orthorhombique) (Figure 7). Les cristaux ainsi formés peuvent atteindre des tailles importantes comme le montrent les cristaux géants trouvés dans la grotte de Naïca au Mexique. Ce sont

germination – croissance

monocristal Ca

2+

CO3

2–

mésocristal

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bloquent la croissance des nanocristaux

contrôlent |'auto-assemblage

des monocristaux de gypse6 qui peuvent atteindre jusqu’à 12 mètres de long. En fait il est très rare d’observer de tels cristaux, qui ne peuvent être obtenus que dans des conditions bien particulières. La formation de cristaux minéraux en milieu biologique obéit à des lois différentes. La croissance cristalline a lieu en milieu confiné, à l’intérieur d’une vésicule7 au sein d’une cellule. La formation des germes se fait par nucléation hétérogène sur certaines fonctions chimiques présentes à la surface des parois. Le germe se développe ensuite en présence de molécules dont certaines possèdent des groupements chimiques complexants capables de se fixer à leur surface. Ces molécules bloquent le grossissement des germes conduisant à des nanocristaux, dont l’auto-assemblage conduit à des mésocristaux formés par l’association des nanocristaux (Figure 8). C’est ainsi que la coccosphère, qui entoure la cellule des coccolites, est formée par l’auto-assemblage contrôlé de nanocristaux de carbonate de calcium. Les nanocristaux de calcite formés au sein de la cellule s’assemblent sous forme de disques qui s’associent ensuite pour constituer la coccosphère. Les mésocristaux ainsi formés peuvent avoir 6. Monocristal : matériau solide composé d’un seul et unique cristal. 7. Vésicule : petite cavité que l’on retrouve dans les cellules biologiques, qui peut transporter des matériaux créés par les cellules, ainsi que sécréter des matériaux à l’extérieur de la cellule.

Quelques exemples de coccolites. Les disques sont formés de nanocristaux de calcite qui s’assemblent pour former la coccosphère protégeant l’algue des agressions extérieures.

des géométries complexes donnant naissance à des nanostructures sophistiquées (Figure 9). Les mésocristaux formés à l’issue de la cristallisation en milieu biologique ont inspiré de nombreuses recherches dans le domaine de la chimie. L’élaboration d’une céramique classique se fait à partir d’une poudre formée de grains plus ou moins bien cristalllisés. Ces grains sont ensuite assemblés par frittage8 dans un four à haute température. Pour élaborer des mésocristaux, le chimiste réalise la croissance cristalline en présence de molécules bifonctionnelles qui jouent le rôle de ciment. Elles possèdent une tête complexante qui se fixe sur les germes minéraux dont elles bloquent la croissance, et une queue hydrophile qui 8. Frittage : procédé de fabrication de matériaux qui consiste à faire chauffer une poudre sans la faire fondre ; les grains chauffés se soudent entre eux à haute température pour former le matériau souhaité.

Nanostructures biologiques

Figure 9

favorise l’auto-assemblage des nanocristaux. En jouant sur la nature des molécules bifonctionnelles, on peut obtenir des mésocristaux dont la morphologie et les propriétés peuvent être très différentes. La synthèse contrôlée de mésocristaux permet d’obtenir des systèmes biomorphes dont la morphologie imite celle des matériaux vivants. Elle permet aussi d’optimiser les propriétés du matériau en jouant sur sa nanostructure. C’est ainsi que l’on a pu obtenir des mésocristaux d’oxyde de vanadium V2O5 ayant la forme d’oursins ! (Figure 10). Ils présentent une surface spécifique nettement plus élevée que celle de cristaux classiques et ont permis d’améliorer les propriétés de batteries lithium-ion en augmentant de façon notable l’interface électrode-électrolyte de façon à faciliter la diffusion des ions Li+ au sein de l’électrode.

Figure 10 Mésocristal d’oxyde de vanadium V2O5 ayant la forme d’oursins, utilisé dans les batteries lithiumion.

23

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

4

Nanostructure des frustules de diatomées

Comme les coccolites, les diatomées sont des micro-algues unicellulaires photosynthétiques. Elles se protègent en élaborant une carapace de silice appelée frustule. Il existe plus de 100 000 espèces différentes de diatomées que l’on trouve partout où y a de l’eau, dans les lacs, les océans et les rivières (Figure 11). Elles ont servi de source d’inspiration pour le développement des procédés « sol-gel » qui permettent d’obtenir des verres par polycondensation de précurseurs moléculaires dans l’eau à température ambiante. La fabrication biologique de verre par les diatomées met en jeu les mêmes principes que l’élaboration d’un polymère en chimie organique. Les diatomées utilisent comme monomère la silice dissoute sous forme d’acide silicique Si(OH)4. La réaction de polymérisation se fait par condensation entre deux tétraèdres avec élimination d’une molécule d’eau et

Figure 11

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Quelques-unes des 100 000 espèces de diatomées connues. Certaines d’entre elles présentent une structuration multi-échelle, parfois très régulière, qui leur confère les propriétés d’un cristal photonique.

formation d’un oxygène pontant. Ce processus, qui conduit à la formation d’un gel de silice, a servi de modèle pour un procédé industriel connu depuis plusieurs décennies, le procédé « sol-gel ». La chimie sol-gel permet d’élaborer un matériau directement à partir de solutions, ce qui facilite grandement sa mise en forme. On peut ainsi obtenir des microparticules par pulvérisation, des fibres par extrusion ou des revêtements par trempage (« dip-coating »). L’élaboration de verres et de céramiques par chimie douce, à température ambiante en solution, permet aussi de mélanger l’organique et le minéral, et de créer de nouveaux matériaux organominéraux hybrides. Ces nanocomposites à l’échelle moléculaire constituent une gamme de matériaux allant du verre minéral aux polymères organiques. On peut même aller encore plus loin, car la chimie douce est compatible avec le vivant. Une diatomée est en fait une cellule enfermée dans une boîte de verre

L’élaboration de frustules de silice par les diatomées répond à plusieurs exigences. Tout d’abord, il faut protéger la cellule vivante par une carapace solide, mais il faut que cette carapace soit transparente pour permettre la photosynthèse. C’est pourquoi les diatomées élaborent des frustules en verre de silice amorphe ! La cellule de diatomée, protégée dans sa boîte en verre, doit aussi pouvoir communiquer avec le milieu extérieur afin d’assurer son métabolisme. Dans le cas d’une huître c’est facile : c’est un bivalve qui

Nanostructures biologiques

et qui réalise la photosynthèse, réaction fondamentale pour le vivant. On peut imaginer de réaliser la même chose au laboratoire, c’est-à-dire enfermer un micro-organisme (bactérie, levure, micro-algue, etc.) à l’intérieur d’une capsule de verre et obtenir ainsi des matériaux vivants dans lesquels un micro-organisme, piégé et protégé du milieu extérieur, continue à vivre et à réagir avec son environnement. L’encapsulation de micro-organismes permet ainsi d’élaborer des bioréacteurs et des biocapteurs performants !

ouvre sa coquille. La boîte de verre de la diatomée ne peut pas s’ouvrir. Il faut donc qu’elle soit percée de trous pour pouvoir échanger avec le milieu extérieur. La structure poreuse des diatomées présente un autre intérêt : quand elles sont mortes, elles constituent un sédiment, la terre de diatomées, appelée diatomite, terre de diatomée ou encore kieselguhr. C’est un produit industriel qui joue un rôle économique important. Il est utilisé sous forme de poudres pour la filtration des eaux de piscine, du vin de Bordeaux, ou encore comme charge dans des polymères. Alfred Nobel l’avait aussi utilisé pour faire la dynamite, en imprégnant des terres de diatomées avec de la nitroglycérine8, ce qui permettait de manipuler beaucoup plus facilement ce liquide fortement explosif. Les frustules de diatomées sont formés de deux coques maintenues par une bande siliceuse (Figure 12). Ces coques sont percées de pores dont le diamètre varie entre 50 et 200 nanomètres. On voit ainsi apparaître une nanostructure multicouche formée

Figure 12 Les trois parties d’une diatomée centrique (Coscinodiscus sp), les deux coques perforées et la bande siliceuse qui les joint.

25

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 13 Structure multi-échelle d’un frustule de diatomée. La valve est composée ici d’un empilement de trois couches, chacune présentant une surface perforée de pores régulièrement disposés et de tailles de plus en plus petites.

de pores de tailles différentes (Figure 13). Cette nanostructure poreuse est formée de trois couches au sein desquelles la distribution des trous apparaît périodique. Les pores forment par exemple un réseau hexagonal dont la maille est de l’ordre de quelques dixièmes de microns, c’est-à-dire du même ordre de grandeur que la longueur d’onde de la lumière visible (Figure 14). Cette nanostructure particulière confère au frustule des propriétés de cristal photonique ! Les frustules de diatomées apparaissent iridescentes si bien qu’on les

Figure 14 Les pores sont répartis de façon périodique conférant aux frustules des propriétés de cristal photonique.

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appelle parfois « opales des mers ». Mais leur intérêt n’est pas uniquement esthétique. Si on analyse la transmission de la lumière à travers la porosité des frustules, on s’aperçoit qu’en fait elles jouent le rôle de filtre anti-UV. Elles focalisent la lumière visible qui permet de faire la photosynthèse à l’intérieur de la cellule, tandis que l’ultra-violet est réfléchi. Les diatomées peuvent ainsi s’approcher de la surface de l’océan pour recevoir un maximum de lumière visible, sans que la cellule soit brûlée par les UV !

L’analyse du tableau périodique montre que l’on dispose d’une centaine d’éléments chimiques pour élaborer nos matériaux. Il nous est ainsi possible, en choisissant les éléments adéquats, d’optimiser leur composition afin d’obtenir les meilleures propriétés possibles. C’est ainsi que les verres optiques peuvent être formés avec près d’une dizaine d’oxydes différents (SiO2, B2O3, Al2O3, Na2O, CaO, Fe2O3, MgO, PbO...). Le choix des éléments dépend de l’application envisagée. On ajoute du bore pour obtenir un verre pyrex résistant aux variations de température. On recherche des indices optiques élevés en ajoutant du plomb ou un oxyde de cobalt pour obtenir une coloration bleue ! La nature nous montre qu’il est possible de conjuguer plusieurs propriétés en jouant simplement sur la nanostructure. Deux des exemples présentés dans ce chapitre, les papillons et les diatomées, fort éloignés d’un point de vue phylogénique, montrent cependant de grandes analogies dans leurs stratégies de développement. Une très grande économie en éléments chimiques. Une demi-douzaine (C, H, O, N, S, P) parmi la centaine d’éléments du tableau périodique, tous recyclables en des temps relativement courts. Une multifonctionnalité des structures : l’aile et ses différentes strates, comme la structure multicouche de la diatomée, assurent un grand nombre de fonctions dans des domaines étonnamment variés touchant tous les domaines de la physique (mécanique, optique, colorimétrie, tribologie...). Et enfin le même prix à payer pour faire beaucoup avec peu : la complexité et le désordre. Les deux structures sont multi-échelles et présentent certaines périodicités entachées d’un judicieux désordre assurant l’optimisation en moyenne des différentes fonctions.

Nanostructures biologiques

Vers une chimie douce et inspirée !

27

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies 28

Par ailleurs, ces organismes vivants, terrestres et océaniques, développent leurs structures dans des conditions « normales » de pression, de température ou de pH, se différenciant fondamentalement de nos industries. Ils invitent ainsi à explorer les possibilités d’une autre chimie, démarche déjà bien engagée avec les approches de chimie douce, mais aussi une autre physique, ce qui reste à faire. Nous savons que la plupart des éléments entrant dans la composition de nos productions industrielles auront pratiquement disparu à très court terme. Il est temps d’apprendre à s’en passer. La nature nous montre le chemin !

et

nanotechnologies :

quel

nanomonde

pour le

futur ?  

Pierre Rabu est directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS1).

Ce chapitre traite de nanomatériaux et de nanostructures, essentiellement artificiels, élaborés et manipulés avec des moyens beaucoup plus compliqués et beaucoup plus lourds que ce que fait la nature.

1

Nanomatériaux et nanotechnologies

1.1. Échelle de taille et définitions1 Afin de préciser ce que l’on entend par nanomatériaux, nous présentons ici une échelle de dimensions d’objets, non pas en mètres ou en centimètres, mais en nanomètres (Figure 1). Le nanomètre, c’est l’échelle des petites molécules comme des médicaments (par exemple l’ibuprofène), le dixième de nanomètre est l’échelle de 1. www.ipcms.unistra.fr

taille des atomes et des distances entre atomes. Vers les plus grandes dimensions, ce seront les virus, puis les bactéries, les cellules cancéreuses, puis les cheveux à quelques dizaines de micromètres, les insectes, une balle de tennis (à 108 nm = 10 cm), etc. Définition : un « nanomatériau » est constitué d’objets - des nanoparticules, des nanofibres, des nanotubes, des couches minces - dont au moins une dimension est inférieure à 100 nanomètres – donc en dessous de la taille moyenne d’un virus. Quant aux « nanotechnologies », ce sont les techniques qui permettent de fabriquer, de manipuler et de caractériser la matière à l’échelle nanométrique.

Pierre Rabu

Nanomatériaux

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 1 Échelle de taille en nanomètres comparant les nanostructures à des objets plus communs.

1.2. L’essor des nanotechnologies

30

Dans les années 1960, le physicien Richard FEYNMAN a eu une belle intuition avec sa célèbre phrase « There is plenty of room at the bottom » (en bas, aux toutes petites dimensions, il y a plein de place pour écrire et traiter de l’information). Cette phrase, énoncée lors d’une conférence à l’American Physical Society en le 29 Décembre 1959, était déjà un appel pour l’étude des très petites échelles dans la perspective d’une miniaturisation des dispositifs fonctionnels. Mais c’est véritablement dans les années 1980 que l’on a vu un grand essor des nanotechnologies et de la mise en œuvre des nanomatériaux dans de nombreuses applications. La Figure 2 représente le nombre de publications comportant le seul mot « nanotechnologies » par année, depuis le début des années 1990 jusqu’à nos jours ; il illustre relativement bien la popularité, donc l’intérêt, du domaine.

Ce domaine des « nanos » (nanomatériaux, nano­ technologies) est par excellence une discipline d’interfaces (Figure 3). On y retrouve bien sûr la chimie, la physique, la biologie, mais aussi beaucoup de domaines autour des techniques de l’optique (la microscopie), des mathématiques puisqu’on fait largement usage de modèles des « sciences computationnelles »2, ou de la toxicologie. Tout cela se traduit aussi en budgets. Dans les années 2000, il s’agissait d’environ 40 milliards d’euros, dans les années 2015 on pouvait évaluer à 1 000 milliards d’euros le poids financier des nanotechnologies. Cela traduit l’impact économique des applications des nanotechnologies dans les domaines matériaux, électronique, santé, catalyse, transports, etc. 2. Sciences computationnelles : sciences utilisant la modélisation et la simulation informatiques pour résoudre les problèmes insolubles de façon traditionnelle.

12 000 10 000 8 000 6 000 4 000 2 000 1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

0

Figure 2 L’évolution du nombre annuel de publications scientifiques comprenant le mot « Nanotechnology » depuis 1993 jusqu’à nos jours montre l’essor fulgurant du domaine. Source : Web of Science.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

14 000

Figure 3 Distribution des publications sur les nanotechnologies depuis les trente dernières années selon les grands domaines scientifiques qui sont extrêmement variés.

1.3. Les effets du changement de taille sur les propriétés du matériau Que se passe-t-il quand on diminue la taille d’un matériau, par exemple du micron au nanomètre (Figure 4) ? Une des conséquences immédiates est l’augmentation des rapports

surface sur volume. De fait, les propriétés des nanoparticules vont dépendre davantage de ce qui se passe à la surface et moins de ce qui se passe dans le volume. Par exemple, dans les agrégats de nickel de 150 atomes, 63 % des atomes sont à la surface ! 31

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 4 La diminution de la taille du matériau jusqu’à l’échelle nanométrique entraîne une augmentation du rapport surface sur volume, ce qui induit une modification de ses propriétés.

Poudre micronique

Nouveaux comportements Nouvelles propriétés

Poudre nanométrique

Agrégat de Nickel de 150 atomes (Φ = 1,40 nm)  63 % à la surface

1300

Au macro Tf = 1064 °C Au nano Tf 500 °C

500 300 0

la taille des agrégats d’or vers des tailles de l’ordre du nanomètre, la température de fusion s’abaisse jusqu’à environ 500 °C.

Point de fusion T(°k) du composé massif

1000

50

100

150

Taille (Å) 200

Figure 5 Température de fusion de l’or en fonction de la taille de l’agrégat. La diminution de la taille cause une forte baisse de la température de fusion du matériau. L’Angström est un dixième de nanomètre. Source : d’après Buffat P., J.-P. Borel. (1976). Size effect on the melting temperature of gold particles. Physical Reviews, A13(6) : 2287-2298.

Figure 7 La microscopie électronique permet de voir qu’un morceau de métal est un assemblage de petits grains de ce métal.

32

Augmentation du rapport S/V

Figure 6 Une éprouvette de traction en cuivre, instrument de mesure des propriétés thermoplastiques d’un matériau, ici son élasticité.

Cela a des conséquences majeures, notamment sur les propriétés physico-chimiques (Figure 5). Par exemple, l’or massif a une température de fusion dépassant les 1 000 °C (1273 K), mais si on diminue

La Figure 6 représente une éprouvette de traction 3 en cuivre. Ce morceau de cuivre est constitué de petits grains de métaux « collés » les uns aux autres (Figure 7). Selon la taille de ces grains, les propriétés mécaniques vont considérablement varier. Avec des grains de l’ordre de quelques dizaines de 3. Éprouvette de traction : objet utilisé pour connaître les propriétés mécaniques du matériau qui le constitue, par exemple en le soumettant à une traction, une compression ou une torsion.

Nous prenons ici l’exemple d’un polymère chargé de particules d’argile. Les argiles sont constituées de feuillets empilés les uns sur les autres. De nombreuses espèces chimiques peuvent s’insérer entre les feuillets conduisant à un phénomène de gonflement. On peut mélanger cet argile dans un polymère ou des monomères qu’on va faire polymériser ; on peut appliquer ensuite différents traitements de polymérisation, d’extrusion6, on peut mettre de l’eau, on peut sécher, etc., et à la fin obtenir 4. Plasticité : capacité d’un matériau à résister à une déformation irréversible. 5. Polymère : molécule constituée par la répétition en très grand nombre d’un motif appelé monomère. 6. Extrusion : procédé de fabrication d’objets de grande longueur à partir d’un matériau sous forme de granulés ou de poudre, par exemple des tubes en PVC.

7. Exfoliation : détachement d’une couche mince sur un matériau. 8. Microscopie électronique en transmission : technique de microscopie dans laquelle un faisceau d’électrons est envoyé à travers un échantillon très mince ; son intérêt provient de son excellente résolution (jusqu’à 0,08 nm) mais aussi de la possibilité de la combiner avec la diffraction et l’étude du rayonnement X (pour connaître la composition chimique de l’échantillon).

Nanocharge + Polymère

PA6 p-MMT

400

nCu Cuivre nanocristallin

350 300 250 200

µCµ Cuivre microcristallin

150 100 50 0

0

2

4 6 8 10 Déformation (%)

12 14

Figure 8 Une éprouvette de traction en cuivre nanocristallin a une élastoplasticité quasi parfaite. Source : d’après Champion Y. et coll. (2003). Near-Perfect Elastoplasticity in Pure Nanocrystalline Copper,Science, 300(5617) : 310-311.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

Les nanocomposites constituent une grande famille de matériaux utilisant les effets de structuration des matériaux pour de nombreuses applications. Un composite, typiquement, c’est un polymère5 avec ses propriétés de tenue en température, de tenue à son environnement, ses propriétés mécaniques, dans lequel on a dispersé des charges, organiques ou inorganiques, qui peuvent être de différentes tailles, par exemple nanométriques (Figure 9).

un système où des particules d’argile sont dispersées dans le polymère, plus ou moins mélangées, avec des contacts plus ou moins intimes entre polymère et particules, on peut même avoir une exfoliation7 et une dispersion de ces particules. La Figure 9 donne une image de microscopie électronique en transmission8 qui montre la présence des particules d’argile dans la matrice polymère. Ici il s’agit d’un empilement de quelques feuillets qui font en tout 70-75 nm d’épaisseur. La présence de cette charge a des conséquences très importantes sur les propriétés du composite : sur les propriétés mécaniques, les propriétés de résistance thermique, la stabilité thermique, la résistance au feu, la résistance chimique, la perméabilité, la réactivité. Avec des charges métalliques à la place de

Contrainte (MPa)

nanomètres, on a des propriétés de plasticité4 tout à fait remarquables (Figure 8) que n’auront pas des éprouvettes fabriquées avec un métal où les grains sont un ou deux ordres de grandeur plus gros. Pour caractériser la structure fine des matériaux, au niveau des grains, on parle de nanostructuration.

Figure 9 Processus de fabrication d’un nanocomposite, mélange d’un polymère et d’une nanocharge (MMT = Montmorillonite).

Injection de H2O

+ extr u

PA6 + H2O à 240 °C, 100 bar Système miscible

sion

Gonflement de MMT Augmentation de la distance entre les couches Désorption des molécules d’eau

Diffusion et adsorption de PA6 Élimination de H2O

Tonte

Nanocomposites PA6/p-MMT exfoliés

33

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 10 A) Le graphite est une superposition de feuillets de carbone dans lesquels les atomes s’organisent en hexagones ; B) le diamant est un cristal d’atomes de carbone. Sa structure est dite cubique à faces centrées avec occupation d’un site tétraédrique sur deux.

B A

l’argile, on a aussi une influence sur les propriétés électriques, les propriétés magnétiques ou les propriétés optiques. Ainsi, avec des charges de petite taille, on modifie considérablement les propriétés du polymère. C’est tout l’intérêt des composites.

2

Le nanomonde du carbone

2.1. Les nanostructures du carbone Dans le domaine des nanomatériaux, le carbone occupe une position toute particulière. Le carbone a différentes variétés Figure 11 On peut, à partir d’un feuillet de graphène, recréer toutes les nanostructures de carbone : le fullerène est un assemblage d’atomes de carbone ressemblant à un ballon de football ; un nanotube de carbone issu de l’enroulement d’un feuillet ; le graphite par empilement de feuillets. Source : avec l’autorisation de Materials Today,vol. 6, n°7/8, juil/août 2013.

34

allotropiques9 (variétés structurales). On connait bien le graphite (Figure 10A) de la mine de crayon, le très précieux diamant (Figure 10B). Plus récemment, de nouvelles variétés allotropiques du carbone ont été isolées. En 1985, le fullerène, constitué d’une « boule » d’atomes de carbone de quelques nanomètres, a été mis en évidence. Plus récemment on a mis en évidence des nanotubes de carbone avec des diamètres de l’ordre du nanomètre ; et encore plus récemment on s’est intéressé 9. Variété allotropique : forme cristalline ou moléculaire particulière d’un corps simple, par exemple le carbone ou l’eau.

Pour s’y retrouver, on peut imaginer que l’on part d’un feuillet unique de carbone graphène (Figure 11). Si on en replie un petit morceau on va trouver une boule formant un fullerène de 60 atomes de carbone (C60). On peut aussi replier le petit morceau de ce ruban pour faire un nanotube de carbone, monofeuillet. On peut aussi avoir des nanotubes à plusieurs feuillets. Enfin, si on empile tous ces feuillets, on obtient le graphite, bien connu. 2.2. Propriétés physiques et chimiques des nanostructures de carbone Le nanotube de carbone a des propriétés mécaniques remarquables : il est cent fois plus résistant que l’acier et six fois plus léger ! Quand on fabrique des nanocomposites avec ces nanotubes de carbone, on obtient des systèmes aux propriétés mécaniques très spéciales permettant par exemple des applications très critiques : dans les structures aérospatiales, les vêtements de protection, les raquettes de tennis, etc. Les nanotubes ont aussi des propriétés électriques remarquables – une très forte conductivité électrique – qui en font des matériaux très performants pour les électrodes dans les batteries, dans les piles à combustibles10, dans les cellules 10. Pile à combustible : pile dans laquelle le courant est généré par l’oxydation d’un combustible réducteur (exemple : H2) sur une électrode et la réduction d’un oxydant (exemple : O2) sur l’autre électrode.

photovoltaïques. Les propriétés thermiques des nanotubes de carbone, alliées à leur très forte conductivité thermique, permettent de les incorporer dans des composites fluides, pour faire des fluides calorifiques11, liquides de refroidissement, échangeurs de chaleur12. Le carbone sous forme de graphène fait lui aussi l’objet de beaucoup d’études et de projets. On l’introduit de plus en plus souvent comme charge dans les polymères parce qu’il y a à la fois des propriétés électriques intéressantes et qu’il présente une transparence, conjonction intéressante pour certains matériaux de structure. On va le retrouver dans les connecteurs pour systèmes électroniques, des systèmes électromécaniques et systèmes de diodes électroluminescentes13. Ce sont des nanostructures lamellaires donc on peut assez facilement, selon leur mode de fabrication, les mettre sous forme de films transparents et créer des écrans performants : écrans souples, écrans électroluminescents et flexibles. Les nanocarbones se retrouvent aussi pour fabriquer des encres conductrices, des électrodes, des systèmes de transistors de taille micrométrique pour faire des mémoires, ou des semiconducteurs spécifiques pour les appareils électroniques grand public. 11. Fluide calorifique : fluide chargé de transporter la chaleur. 12. Échangeur de chaleur : dispositif transférant l’énergie thermique d’un fluide vers un autre sans les mélanger. 13. Diode électroluminescente : dispositif qui émet de la lumière lorsqu’il est parcouru par un courant.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

au « graphène », constitué de feuillets isolés issus du graphite.

35

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 12 Les domaines d’utilisation du graphène sont très nombreux, les principaux étant l’électronique et les polymères composites. Source : reproduit de Mittal  G. et coll. (2015). A review on carbon nanotubes and graphene as fillers in reinforced polymer nanocomposites. Journal of Industrial and Engineering Chemistry, 21 : 11-25 (fig 5).

36

On voit que les domaines d’application des nanoparticules à base de carbone (Figure 12) sont particulièrement nombreux.

directes de la taille nanométrique des particules composantes et qui se manifestent si elles sont placées dans une matrice transparente.

3

La Figure 13 rappelle la propriété fondamentale des vitraux de présenter des couleurs impressionnantes qu’on voit de l’intérieur de la pièce qu’ils meublent (typiquement une cathédrale).

Propriétés optiques des nanostructures

Il est intéressant de détailler les propriétés optiques des nanomatériaux, conséquences

Onde lumineuse

Onde lumineuse

Figure 14 La longueur d’onde de la lumière est légèrement plus grande que les particules métalliques, ce qui cause un effet d’absorption.

À la surface des nanoparticules métalliques, on a des nuages électroniques : les plasmons de surface. Ces plasmons sont polarisés par le champ électrique qui compose le rayonnement électromagnétique de la lumière. S’il y a adéquation entre la longueur d’onde et la taille de la nanoparticule métallique, un phénomène de résonance se produit formant une onde plasmon et l’ensemble de nanoparticules absorbe la partie du spectre de la lumière visible qui correspond à cette adéquation : c’est l’absorption plasmon. Pour des nanoparticules de cuivre de l’ordre de 50 nm, comme celles qui sont présentes dans les vitraux, ce sont les ondes de longueur d’onde voisines de 50 nm qui sont absorbées, et donc supprimées de notre perception. C’est la partie rouge du spectre visible qui reste non modifiée et que l’on va voir.

Figure 13 Des nanoparticules présentes dans les vitraux d’églises sont à l’origine de leurs couleurs magnifiques.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

Si on éclaire des nanoparticules métalliques avec une lumière dont la longueur d’onde ici (Figure 14) est un peu plus grande que le diamètre des nanoparticules, il intervient un effet d’absorption dû à ce qu’on appelle les plasmons.

Champ électrique

L’EFFET PLASMON

C’est ce phénomène physique, l’absorption plasmon, qui était mis en œuvre sans le savoir par les verriers. Aujourd’hui, ce phénomène est très bien compris et exploité d’une manière rationnelle en tant que de besoin.

Figure 15 Les effets optiques des nanoparticules sont exploités depuis des siècles, souvent sans le savoir, comme ici avec cette coupe de la Rome antique qui change de couleur quand on l’éclaire de l’intérieur. Source : Trustees of the British Museum.

37

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

La lumière extérieure vient éclairer le verre et on perçoit, à l’intérieur, des couleurs souvent magnifiques et brillantes. Ce phénomène vient de la présence de nanoparticules dans le verre. Il est dû à l’effet plasmon (Encart « L’effet plasmon »).

nanoparticules de semi-conducteurs nanométriques, on observe un phénomène d’émission de lumière (cette fois-ci on émet de la lumière, on ne l’absorbe pas). Des couleurs très franches apparaissent qui dépendent de la taille des particules (Figure 16).

L’utilisation empirique de ce phénomène optique est très ancienne et se manifeste déjà dans la fameuse coupe de Lycurgue (Figure 15) qui nous vient de l’époque romaine (IVe siècle après J.-C). Quand on regarde cette coupe dans des conditions normales de lumière en réflexion, elle a une couleur verte, mais si on l’éclaire de l’intérieur, donc en transparence, on révèle de superbes couleurs dans les rouges et les violets.

Les effets optiques des nanomatériaux sont ainsi très divers : du réglage de la profondeur lumineuse des écrans au contrôle spatial de leur fonctionnement par les quantum dots. Ces phénomènes, effet plasmon et quantum dots, peuvent certainement paraître abstraits. Ils ont cependant des applications tout à fait pratiques, notamment dans les dispositifs d’affichage : la Figure 16 montre un écran à cristaux liquides classiques avec une définition de couleur qui est bonne mais avec une sorte de dispersion dans la définition, la résolution spectrale15 ici. Si on étale sur cet écran un film de nanoparticules comme des quantum dots, on voit qu’on arrive à obtenir un contraste de couleur bien meilleur avec des couleurs beaucoup plus profondes, donc une application directe des quantum dots.

L’effet plasmon n’est pas le seul à l’œuvre. L’effet « quantum dots »14 ou boîtes quantiques, qui apparaît dans le cas de nanoparticules de semi-conducteurs, doit aussi être cité (Encart : « Électrons dans les semi-conducteurs nanométriques. Les quantum dots »). Quand on éclaire des 14. « Quantum dots », ou boîte quantique : nanostructure composée de semi-conducteurs permettant de confiner des électrons dans des dimensions de l’ordre de leur longueur d’onde.

Figure 16

38

Lorsqu’on dispose un film de nanoparticules sur un écran, on obtient des couleurs plus profondes grâce aux propriétés optiques de ces nanoparticules qui permettent une meilleure résolution spectrale. Reproduit d’après http:// electronicdesign.com/displays/ will-quantum-dots-extend-lcd-sdominance.

15. Résolution spectrale : pouvoir de séparation d’un spectrographe ; plus elle est grande, plus le spectre sera détaillé.

ÉLECTRONS DANS DES SEMI-CONDUCTEURS NANOMÉTRIQUES QUANTUM DOTS Dans les semi-conducteurs, les électrons sont dans des niveaux d’énergie très proches les uns des autres : ils forment une bande d’énergie (Figure 17). Les électrons occupent toute la bande (dite « bande de valence »), ils ne peuvent pas bouger, ce qui empêche toute conduction. Au-dessus (aux énergies plus élevées), se trouve une autre bande d’énergie (dite « bande de conduction »), qui est vide d’électrons. Les deux bandes sont séparées par un « gap » d’énergie. Si on injecte suffisamment d’énergie (en chauffant ou en éclairant le semi-conducteur), on peut faire passer un électron dans la bande16 de conduction, laissant un trou dans la bande de valence. On forme ainsi une paire électrons-trou appelée exciton. Lorsque cet électron redescend dans la bande valence, il perd de l’énergie, émise sous forme de rayonnement. En général, ces émissions s’étendent sur un spectre continu de longueurs d’ondes et ne donnent pas lieu à un phénomène particulier.

Énergie

c a

b d

Figure 17

E Bande de conduction Bande de valence

c Énergie vibratoire a Exciton (Paire électron-trou) du point zéro de l’électron excité d Point zéro de l’énergie b Bande interdite vibratoire du trou Bandes de niveaux d’énergie

Quand on diminue la taille du semiconducteur, les niveaux d’énergie ne s’organisent plus en bandes continues mais en niveaux séparés, discrets : on a un système qu’on qualifie de « quantique ». Les transitions électroniques ici entre bandes discrétisées ont lieu entre des niveaux bien définis, les émissions lumineuses associées correspondent à des énergies bien définies et donc à des couleurs bien définies. Ce phénomène apparaît en dessous d’une certaine taille (de l’ordre de celle des excitons formés) et caractérise les systèmes nanométriques ; c’est un effet de confinement électronique. La Figure 18 montre les émissions de suspensions colloïdales de particules de semi-conducteurs nanométriques (entre 2 nm et 6 nm). On observe que la taille des particules permet un contrôle très précis de la couleur.

Niveaux discrets

ab*

a

Taille des nanoparticules

Selon la taille de la nanoparticule (et leur forme), la couleur émise varie et peut parcourir tout le spectre du visible.

Taille des excitions

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

16

Lumière bleue Quantum Dots

2 nm

2,5 nm

5 nm 3 nm

6 nm

Couleur dépendant de la taille

Figure 18 Selon la taille de la nanoparticule (et sa forme), la couleur émise varie et peut parcourir tout le spectre du visible. Reproduit d’après Nature Materials, 2013, 12, 445.

16. Bandes de valence et de conduction : dernière bande d’énergie remplie et première bande d’énergie vide d’un électron.

39

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

A

B

Figure 19 Exemples d’installations de laboratoire pour l’élaboration de nanodispositifs par approche top–down. A) La fabrication des nanomatériaux requiert l’absence de toute poussière et se fait dans des salles blanches ; B) enceinte ultravide pour vaporisation de matériaux solides. Une méthode pour fabriquer des nanomatériaux est la croissance de couches minces qui consiste à bombarder un substrat avec l’élément qu’on veut déposer ; C) banc d’expérience d’une opération de lithographie. Pour la création de circuits, on utilise surtout des méthodes de lithographie optique ou électronique. Source : Plateforme STNANO, IPCMS.

40

C

4

Fabrication des nanomatériaux

4.1. Approche « top-down » : présentation et outils utilisés Pour fabriquer les nanomatériaux (par exemple un semiconducteur réduit aux tailles nanométriques ou dispersé dans une matrice polymère), on dispose de deux approches. Dans l’approche dite « top-down », du haut vers le bas, on prend un gros morceau et on réduit sa taille, c’est le domaine de la miniaturisation des composants électroniques ; l’autre approche consiste à construire la matière à partir d’éléments, par exemple faire une réaction chimique puis stabiliser des nanoparticules de taille voulue ou encore construire des molécules avec des atomes définis et des propriétés définies. La première approche, dite de miniaturisation, est actuellement la plus répandue. La fabrication des nanosystèmes fonctionnels exige l’installation

de salles blanches (Figure 19A), c’est-à-dire de salles où il n’y a pas de poussières qui seraient particulièrement nocives pour ces objets à très grandes surfaces relatives. L’élaboration des matériaux en couches minces (Figure 19B) – couches d’atomes, de métaux, d’oxydes sur des épaisseurs de quelques nanomètres ou dizaines de nanomètres – se fait en général par des voies physiques. Plus précisément, elle se fait par des techniques d’ultravide qui consistent à bombarder une cible de l’élément qu’on veut déposer sur un substrat pour le vaporiser ; cela exige un environnement « ultravide ». Pour réaliser des circuits, on dépose en fils ou empilements le revêtement fonctionnel. On traite celui-ci par lithographie17 (Figure 19C), soit des 17. Lithographie : technique d’impression utilisée en physique des matériaux ; elle peut utiliser un faisceau d’électrons (lithographie électronique) ou un faisceau laser (lithographie optique).

4.2. La fabrication de circuits électroniques La Figure 20 présente un schéma de transistor, résultat de l’empilement de différents matériaux à l’échelle nanométrique, de différents types de conducteurs (à conduction par électrons ou à conduction par trous). Pour le fabriquer (Figure 21), on dépose sur un substrat d’abord une résine puis un « masque » qui porte en négatif le tracé des circuits recherchés ; on irradie ensuite le système puis on le « révèle » (au sens photographique). Le résultat est une couche fonctionnelle sur le circuit

recherché (Figure 22) ; typiquement, il s’agit d’un dépôt de métal sur un substrat d’une taille de l’ordre de quelques nanomètres à quelques dizaines de nanomètres d’épaisseur. Cette technique peut se répéter sur le même substrat et donner des empilements à plusieurs dimensions de différents matériaux. On peut aussi utiliser un faisceau d’électrons (lithographie électronique) à la place d’une radiation lumineuse.

Mask Resist

APPLY RESIST FILM

Terminal de porte

Terminal de source

Métal Type N

Type N Type P NMOS

Figure 20 Pour fabriquer des nanostructures comme les transistors, il faut empiler des matériaux, et on utilise pour cela la lithographie.

Ces techniques de dépôt de couches pour la fabrication de dispositifs nanométriques, que l’on appelle gravure de circuits électroniques par des voies lithographiques, ne cessent de progresser et permettent la spectaculaire miniaturisation des équipements, en particulier des équipements grand Positive tone

Substrate

Porte oxyde Terminal de vidange

DEVELOP TRANSFER STRIP RELIEF IMAGE PATTERN RESIST FILM

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

lithographies électroniques avec un faisceau d’électrons, soit des lithographies optiques avec des faisceaux laser.

Figure 21 La lithographie est une sorte de révélation qui permet de créer différents composants à partir d’un même matériau selon si l’on travaille en positif ou en négatif. En cela, la lithographie est semblable au développement photographique.

EXPOSE PATTERN

Negative tone

Figure 22 Les circuits créées par lithographie ont une taille micrométrique mais sont constitués de mêmes éléments que les circuits macroscopiques ; la résolution atteinte par lithographie ne cesse de diminuer et on est aujourd’hui à moins de 10 nm.

41

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 23 Le nombre de transistors dans une petite puce est de plus en plus grand grâce aux progrès de la miniaturisation. On est aujourd’hui à environ 30 milliards de transistors sur une seule puce.

public comme les téléphones ou les cartes à puces. En 2004 on était encore à 130 ou 90 nm de résolution, c’est-à-dire du contrôle de la taille, de la netteté de ce qu’on peut contrôler dans les nanostructures. On est passé en quelques années à 60-30 nm, et maintenant on est à moins de 10 nm de résolution. On peut donc maintenant construire des transistors de toute petite taille. Pour décrire les progrès réalisés dans la miniaturisation, on fait souvent référence à la « loi de Moore » qui traduit le fait que le nombre de transistors sur la surface d’une puce électronique est multiplié par deux tous les 18 mois et la taille des grilles des transistors est divisée par 1,3. La réalité actuelle est toujours dans cette loi de Moore. En pratique, sur les puces électroniques des cartes bancaires, des téléphones, des smartphones et autres, on a de plus en plus de transistors (Figure 23) ; sur une même surface, on est passé de quelques milliers dans les années 1970 à plus de 30 milliards aujourd’hui. 4.3. Le stockage magnétique La miniaturisation a eu beaucoup de conséquences dans le

domaine du stockage magnétique, un domaine évidemment central pour le développement de l’informatique. Un disque dur classique (Figure 24) comporte un dépôt en couche mince de matériaux magnétiques où se trouvent des zones dont le moment magnétique18 est dans un sens (« vers le haut »), et d’autres dont le moment magnétique est « vers le bas ». Les premières correspondent à l’information « 1 » et les autres à l’information « 0 ». On peut adresser les différentes zones, c’est-à-dire les rendre 0 ou 1, au moyen d’une impulsion de champ magnétique, et on écrit ainsi l’information sous forme binaire. La densité d’information stockée dépend évidemment de la taille des domaines. On peut améliorer les performances en introduisant plus d’ordre, faisant évoluer les domaines individuels qui sont des multitudes de petits grains en domaines ne comportant qu’un seul grain et que l’on organise. Cela accroît 18. Moment magnétique : grandeur permettant de caractériser une source magnétique telle qu’un objet aimanté ; l’aimantation est la distribution spatiale du moment magnétique.

Milieu conventionnel

Magnétisation + Magnétisation -

De nombreux grains aléatoires par bit

Figure 24

42

Les matériaux composant un disque dur ont un moment magnétique orienté différemment selon les zones, et cela permet de coder l’information en binaire : 1 lorsqu’il est vers le haut ou 0 lorsqu’il est vers le bas.

Transition magnétique Pistes de données enregistrées

Cellule de bit grains

es Pist no de d es né iseg enr es tré

Îlot magnétique à domaine unique

ell bit c s

née

don

Milieu modellé

Simple grain pré-modelé par bit données

La miniaturisation permet d’augmenter la densité d’information stockée par une même surface et on est aujourd’hui à plus de 109 bits/cm².

fortement le nombre de bits d’information par unité de surface. La Figure 25 montre, de 1985 à 1990 puis 2000, l’évolution du nombre d’octets sur une surface de 30 µm2 environ. Grâce aux progrès des techniques de dépôt, la densité d’information que l’on peut stocker sur une même surface a considérablement augmenté. Aujourd’hui on a dépassé les 109 bits/cm², permettant de densifier l’information dans tout le système. La « capacité de stockage » caractérise l’étape d’écriture de l’information sur un disque. Il faut ensuite aller lire cette information donc disposer d’une tête de lecture qui circule à toute petite distance du

disque (Figure 26) ; il s’agit, approximativement, de faire voler un gros avion à 20 cm au-dessus de la surface de la mer. C’est une motivation supplémentaire à la miniaturisation.

4.4. Les systèmes magnétorésistifs

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

Figure 25

Il y a lieu, à ce stade, de présenter les systèmes magnétorésistifs qui constituent les dispositifs électroniques courants les plus récents (têtes de lecture, mémoires non-volatiles, capteurs magnéto-résistifs). Ils sont issus des travaux récompensés par le prix Nobel décerné à Albert Fert et Peter Grünberg en 2007. L’effet

Figure 26 La vitesse de lecture d’un disque est extrêmement élevée, surtout compte tenu de la distance entre la tête de lecture et la surface du disque, soit de l’ordre de 30 m/s à une distance de 20 nm.

43

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

« Polariseur » « Analyseur »

« Polariseur » « Analyseur »

Fe AI2O3 (barrière tunnel) CoFe

Figure 27 Un dispositif magnétorésistif est un empilement de deux couches magnétiques, ici Fe et CoFe, entre lesquelles on insère une couche non magnétique et isolante, ici Al2O3. La variation de la résistance selon l’angle du moment magnétique de Fe permet de coder l’information. Le système fonctionne comme un ensemble polariseur-analyseur puisque le courant ne passe que si les aimantations sont alignées.

magnétorésistif se manifeste sur un empilement de trois couches (Figure 27). On considère deux couches magnétiques : une couche magnétique dure qui a un moment magnétique à direction très stable et une couche magnétique molle, dont au contraire, il est facile de bouger l’aimantation par l’application d’un champ magnétique dans une direction ou l’autre. Entre les deux on insère une couche non magnétique et isolante (typiquement un oxyde métallique) et très fine (quelques nanomètres), c’est ce qu’on appelle une barrière tunnel que la description des électrons par des fonctions d’ondes, qui est à la base de la mécanique quantique, permet de comprendre. On applique une tension électrique aux bornes de ce système pour le faire traverser par un courant. Si les aimantations des deux couches magnétiques sont parallèles,

Figure 28

44

On forme un circuit en interconnectant des dispositifs magnétorésistifs et cela permet de créer des mémoires. Source : reproduit de Nature Materials, 6(11) : 813-23, dec 2007.

on va faciliter le passage de ce courant (le courant tunnel), alors que si elles sont perpendiculaires le courant tunnel va mal passer. La situation ressemble à celle d’un système optique avec polariseur et analyseur19 : on contrôle le courant tunnel par les orientations magnétiques relatives de part et d’autre de la barrière. Il s’agit d’un système magnétorésistif avec un bit d’information 01 (« le courant ne passe pas » ou « le courant passe »). Cela est maintenant couramment utilisé pour les têtes de lecture et dans les mémoires non-volatiles20. 19. Système polariseur-analyseur : système optique transmettant la totalité de la lumière si les axes du polariseur et de l’analyseur sont parallèles mais ne transmettant rien s’ils sont perpendiculaires. 20. Mémoire non-volatile : mémoire informatique conservant les données en l’absence d’alimentation électrique.

1T/1MTJ Architecture cellulaire

Lignes de bits M-RAM Architecture en croix

Lignes de mots

Transistor

"1" "0"

HDD TMR head

Capacité en Gb/in2

103

Perpendicular recording 40 % CGR

102

1st AFC media 100 % CGR 1st GMR head

10

60 % CGR 1st MR head

8 GB 4 GB

25 % CGR 16 GB 19 nm 8 GB 20 nm TLC 64 GB (3MLC) 32 GB (2MLC) 16 GB (2MLC)

1 Tb

Flash

2 GB 1 GB 512 MB

La capacité de stockage des mémoires a été multipliée par 45 depuis les années 1990 grâce à l’utilisation du stockage magnétique et des systèmes magnétorésistifs. MR : magnéto-résistif ; GMR : « giant magneto-resistive ». Source : reproduit de Adv. Tribol., vol. 2013, 2013.

256 MB 10-1

10-2 1990

64 MB 16 MB

1995

2000

2005

2010

Année de production

2015

2020

Figure 30 Le nouvel objectif concernant les mémoires est de multiplier par dix la capacité d’ici 2025 grâce l’assistance thermique notamment.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

10

1

Figure 29

Disques magnétiques - mémoires

4

Année

Dans la pratique, on fait des petits dispositifs magnétorésistifs. On les connecte sous forme matricielle (Figure 28), avec des conducteurs qui permettent d’amener un courant et donc de lire et d’écrire à chaque nœud du réseau (plot). On peut avec ces composants faire des dispositifs de mémoire. Du fait des progrès de la miniaturisation, on a obtenu une énorme progression des

densités d’informations qu’on peut stocker dans les disques durs ou les mémoires flash (Figure 29). Dans les années 1990 on était à 10-1 Gigabit par pouce carré (inch2), maintenant on est au Térabit (1012 Gb/inch2) par pouce carré. D’autres techniques d’amélioration sont envisagées (Figure 30), comme l’assistance thermique, qui utilise le chauffage par un laser au niveau de la tête. 45

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 31 Les caténanes et rotaxanes sont des molécules comportant des anneaux pouvant se déplacer par des processus électrochimiques. Source : Org. Lett., 2002, 4(21) 3561-3564.

4.5. Approche « bottom-up » À côté de la miniaturisation par l’approche « top-down », dont il est question ci-dessus, on peut avoir l’approche « bottom-up » qui part du bas. On fabrique des nanoparticules ou des molécules avec une architecture contrôlée à partir de molécules élémentaires ou d’atomes ; c’est le domaine de la nanochimie. Ces travaux sont souvent inspirés par les systèmes biologiques, notamment par le fonctionnement des cellules ; c’est aussi le domaine spectaculaire des machines moléculaires.

46

La méthode de base de fabrication « bottom-up » des nanoparticules est de partir de réactifs en solutions dans différents solvants et, suivant des conditions expérimentales adaptées (concentration, volume, température…), d’en faire précipiter des nanoparticules de taille, de forme, de compositions contrôlées. Les chimistes savent aussi fonctionnaliser ces nanoparticules, c’est-à-dire greffer dessus des molécules choisies pour leur permettre d’interagir de manière spécifique avec l’environnement, leur conférant ainsi des propriétés particulières.

5

Perspectives sur les nanotechnologies et les nanomatériaux

Après avoir traité de la miniaturisation, montré aussi comment on pouvait construire des nanoparticules de manière contrôlée, on va maintenant considérer des perspectives, en allant de plus en plus vers les molécules et vers l’atome. 5.1. Machines moléculaires21 Considérons le domaine des machines moléculaires, popularisées par le prix Nobel de chimie 2017, attribué à J.-P. Sauvage, J.F. Stoddart et B.L. Feringa, en regardant une application prospective dans le domaine de l’électronique. Les catenanes et rotaxanes (Figure 31) sont des embryons de machines moléculaires : ce sont des molécules où se trouvent des anneaux autour d’un autre anneau ou d’un « bâton », et que l’on peut déplacer par des processus électrochimiques. L’idée a été émise d’utiliser ces systèmes pour stocker de l’information. 21. Machine moléculaire : machine composée d’un assemblage de molécules et dont deux parties au moins sont reliées par un lien mécanique et peuvent être animées par un stimulus externe.

Mesure de courant sur une molécule de rotaxane (représentée à droite). Il est possible d’étudier les variations du courant en fonction de la position de l’anneau et on obtient un système d’interrupteur. Source : reproduit de Science, 16 Juil. 1999, Vol. 285, Issue 5426, pp. 391-394

Rotaxane oxydé (interrupteur ouvert) Interrupteur (x 20) ouvert

4 2 0 -2

-1

0 Voltage

A Échelle macroscopique

1

2

B Z

Tension de tunnel

UT

Atomes de la pointe

Direction de balayage y

x Pointe de tungstène

Échantillon

Courant

IT

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

Courant (x 10-10 Amps)

Figure 32 Interrupteur fermé

6

Atomes d’échantillonnage

Figure 33 Schéma de principe d’un microscope à effet tunnel. La microscopie à effet tunnel permet de cartographier une surface en mesurant la valeur du courant tunnel entre la pointe et la surface ; B) on obtient des images de la structure du matériau, comme ici le graphène. Sources : d’après Woedtke S., Ph.D. thesis, Inst. f. Exp. u. Ang. Phys. der CAU Kiel, 2002 .

Fraser Stoddart, avec Heath en Californie, ont regardé ce bâton (dans la réalité ce n’est pas rigoureusement un bâton mais topologiquement on peut le considérer comme tel), ils l’ont connecté avec deux électrodes et mesuré le courant qui passe à travers cette molécule en fonction de la position de l’anneau (Figure 32). Ce système moléculaire réalise un système d’interrupteur avec un courant 0 pour le régime sans courant et 1 quand un courant passe. Les systèmes moléculaires pourraient bien acquérir les performances des systèmes solides. Ce ne sont à l’heure actuelle

que des concepts non argumentés d’applications, mais ils montrent le potentiel avenir. 5.2. Microscopie à effet tunnel22 Certaines techniques permettent de manipuler directement des atomes. C’est le cas de la microscopie à effet 22. L’effet tunnel désigne la propriété que possède un objet quantique de franchir une barrière de potentiel même si son énergie est inférieure à l’énergie minimale requise pour franchir cette barrière. C’est un effet purement quantique, qui ne peut pas s’expliquer par la mécanique classique.

47

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

tunnel, très utilisée dans le domaine des nanosciences, en particulier pour l’étude des surfaces et des objets sur les surfaces. Le principe de la microscopie à effet tunnel est relativement simple (Figure 33). Un système mécanique se déplace au-dessus d’une surface à une très petite distance et porte une pointe de très petite dimension au bout de laquelle se trouve un atome. L’intervalle entre pointe et surface est assez petit pour permettre le passage d’un courant tunnel. On peut utiliser ce courant tunnel pour contrôler la distance entre pointe et surface. Cette technique permet de cartographier le relief ainsi que la densité électronique superficielle et donc de différencier les différents atomes qui sont à la surface et de visualiser les molécules déposées.

Figure 34 Le passage du courant par la molécule centrale entraîne une émission de lumière : c’est une diode électroluminescente. Source : Photoniques 72, 42 (2014).

Mesure la plus courte : 200 as

10-15

Flash d’appareil photo 1 minute

10-12

10-9

Absorption Transporteurs Rotation Interactions moléculaire Vibration moléculaire

Électron autour de l’atome

5.3. Étude des temps ultracourts et développement des technologies quantiques Les études actuelles sur les objets à des échelles très petites demandent le développement d’outils pour explorer les phénomènes de transfert d’énergie ou de transfert d’électrons qui ont

Existence humaine Cycle d’horloge d’ordinateur

Horloge atomique

10-18

Ces techniques peuvent aussi être utilisées pour manipuler des molécules. On a pu ainsi constituer la plus petite diode électroluminescente en contactant une molécule à base d’oligothiophène (Figure 34) entre une surface d’or et une pointe de microscope tunnel. Un courant électrique peut traverser la molécule électro-active. Dans certaines conditions, on observe une émission de lumière, le dispositif se comportant comme une diode électroluminescente.

10-6 10-3 100 Temps (secondes)

Réaction chimique/ transition de phase

Transfert d’énergie au réseau Précession

103

Un mois

Âge des pyramides

106

109

1012 1015 1018

Âge de l’Univers

Mouvement des parois de domaines

Ablation

Figure 35

48

L’étude des phénomènes physiques mis en jeu dans le domaine des nanotechnologies nécessite de pouvoir explorer des temps très courts allant de 10-6 à 10-15 s. Source : Valérie Halté. Université de Strasbourg, IPCMS.

courts de quelques nanosecondes à quelques dizaines d’attosecondes. On assiste vraiment à l’évolution des nanosciences vers le domaine des sciences quantiques.  La Commission Européenne a lancé un vaste programme sur les technologies quantiques (« Quantum Technologies Flagship in Europe »). Au cours du XXe siècle, on a mené, avec des dispositifs comme des transistors, des microprocesseurs, des scanners et des lasers, un développement technologique

Figure 36 La liste des domaines d’application des nanoparticules est très longue et recouvre notamment l’énergie, la santé, l’agriculture et l’électronique. Source : Adapté de Int. J. Nanotechnol., Vol. 6, Nos. 5/6, 2009.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

des échelles de temps caractéristique très courtes (Figure 35). On peut aujourd’hui observer et manipuler des molécules ou des atomes. La tendance actuelle est d’utiliser les interactions caractéristiques des atomes et de leurs constituants (électrons, noyaux) avec des champs extérieurs (champ électrique, magnétique, lumière). Des outils ont été développés pour sonder ces phénomènes ultra-rapides, en particulier les spectroscopies ultra-rapides utilisant des sources lasers à pulses ultra

49

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

important qui permet de manipuler, d’analyser et de sonder des particules individuelles, des objets de très petite taille, de mesurer et d’exploiter leurs propriétés. La prochaine phase abordera le développement de ce qu’on appelle les technologies quantiques, qui trouveront sans nul doute de nombreuses applications dans l’électronique de demain. Il va s’agir d’un changement de paradigme puisqu’on ne va plus regarder l’objet mais on va plutôt regarder les ondes, les fonctions d’ondes qui sont liées aux constituants de la matière.

6

Applications des nanoparticules et questionnement sur leur utilisation

On a des nanoparticules partout (Figure 36) ! Détailler les

Figure 37 Le nombre croissant de publications sur la toxicité des nanoparticules montre l’intérêt que la communauté scientifique porte à cette question.

applications des nanoparticules confine à l’impossible tellement elles sont nombreuses. Les grands domaines d’utilisation sont ceux de l’énergie, notamment au niveau des électrodes dans les batteries ; du vivant en imagerie ou en thérapeutique ; des systèmes électroniques, par exemple dans la technologie des écrans ; on les trouve aussi beaucoup dans les cosmétiques ainsi que dans l’alimentation, que ce soit sous forme de colorants pour faire des aliments appétissants, ou dispersés dans des polymères (films d’emballage) où on les utilise comme barrière vis-à-vis de la lumière, de contaminants chimiques, ou encore pour donner éventuellement des indices sur la fraîcheur de l’aliment. L’usage généralisé des nanoparticules pose bien sûr la question de leur toxicité. Cet

2000 1800 1600 1400 1200 100 800 600 400 200

Figure 38 Tous les domaines scientifiques sont concernés par la question de la toxicité des nanoparticules.

50

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

0

Ces recherches sont d’ailleurs particulièrement pluridisciplinaires, car la toxicité des nanoparticules est extrêmement compliquée à appréhender, à fortiori à déterminer. Elle

dépend en effet d’une quantité de paramètres : que ce soit l’aire de la nanoparticule, la surface, la forme, le fait qu’elle soit encapsulée ou non, le fait que ce soit une nanoparticule d’un métal ou un oxyde – ce n’est pas pareil si c’est de l’arsenic par exemple ou de l’or – et de beaucoup d’autres facteurs comme le vieillissement, les modifications suite aux usages des nanoparticules. Ce domaine de recherches, bien qu’activement poursuivi, reste en devenir.

Les nanotechnologies, d’aujourd’hui à demain.

Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?

aspect est abordé dans d’autres chapitres de cet ouvrage. S’il y a un énorme effort de recherche dans le domaine des nanotechnologies et de leurs évolutions, il y a également un énorme effort de recherche dans le domaine de la toxicité des nanoparticules (Figure 37).

Nous avons vu que les nanoparticules ou les nanomatériaux sont partout, et présentent un intérêt technologique considérable qui pousse à les développer, à améliorer leurs propriétés, à leur trouver des propriétés nouvelles. Aujourd’hui, on sait de mieux en mieux manipuler les nano-objets, modifier leurs propriétés, et on se dirige de plus en plus vers l’échelle atomique et l’utilisation des aspects quantiques des propriétés de la matière. Tous ces développements scientifiques et technologiques s’accompagnent de questions sur les difficultés de leur exploitation et les dangers potentiels de la mise en œuvre de ces nanomatériaux, en particulier quand ils sont en contact avec les utilisateurs grand public.

51

nanostructurés

industriels

Impact de la maîtrise de la taille sur les propriétés

Thierry Le Mercier est docteur en sciences des matériaux, il a réalisé sa thèse au laboratoire de Cristallochimie du Solide à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris). Il est aujourd’hui responsable du Département des matériaux inorganiques fonctionnels au Centre de Recherche d’Aubervilliers de l’entreprise Solvay1.

1

L’impact de la taille sur les propriétés des nanomatériaux

1.1. Introduction aux nanomatériaux : définition, propriétés et applications Il n’existe pas encore de définition légale internationale commune concernant les nanomatériaux (Encart : « Nano = quelque chose de petit, en grec ancien », Figure 1). En France, un décret datant de 2012 définit un nanomatériau 1. www.solvay.fr

comme une substance fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique, contenant des particules, non liées, sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat. Une proportion minimale de ces particules, dans la distribution des tailles en nombre, présente une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 et 10 nanomètres (nm). Par dérogation à cette définition, les fullerènes, les flocons de graphène et les nanotubes de carbone à paroi simple présentant une ou plusieurs dimensions externes inférieures à 1 nm

Thierry Le Mercier

Matériaux

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

NANO = QUELQUE CHOSE DE PETIT (GREC ANCIEN) Nanomatériaux : pas de définition internationale commune. Décret français du 19 février 2012 Substance fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique, contenant des particules, non liées ou sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, avec une proportion minimale de 50 % des particules, dans la distribution des tailles en nombre et présentant une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm. ADN

Nanoélectronique

Cheveux

nm 10–1

Atome

100

µm 101

102

103

mm 104

Globules rouges

Nanomatériaux

105

106

Grains de sable

Figure 1 La taille d’un nano-objet est comprise entre 1 et 100 nanomètres.

sont aussi à considérer comme des substances à l’état nanoparticulaire. Les nanomatériaux présentent un rapport surface sur volume très important qui leur confère des propriétés uniques. Par exemple, ils peuvent développer une surface considérable : la surface développée de 100 grammes d’une poudre dont la surface spécifique est de 200 m2/g est l’équivalent

Figure 2

54

La surface d’une poudre de nanomatériau est immense. Par exemple, la surface totale développée de 100 grammes de poudre présentant une surface spécifique de 200 m/g est équivalente à trois terrains de football.

Poudre à 200 m2/g 100 g

de trois terrains de football (Figure 2). Cette surface, correspondant à l’aire totale en contact avec le milieu extérieur, donne lieu à une exaltation des phénomènes liés à la surface tels que les effets de catalyse, d’absorption, de réactivité chimique… De plus, les atomes situés sur cette surface peuvent présenter des structures cristallographiques, des liaisons chimiques et des

1 nm

80 %

Si on regarde à l’échelle nanométrique, on observe que les atomes de surface sont très différents de ceux du cœur de l’objet. Leur proportion augmente avec la réduction de la taille des particules

5 nm 1 µm 0,2 % 50 % 15 % 4%

contraintes mécaniques différentes de celles du cœur de la particule. Dans une particule de taille micronique, seuls environ 0,2 % des atomes sont différents de ceux présents dans les mailles plus régulières du cœur. En revanche, pour des particules de 5 nm de diamètre, ce sont 50 % de leurs atomes qui sont différents, et pour une taille de 1 nm, 80 %. Les propriétés du matériau vont s’en ressentir drastiquement (Figure 3). Au-delà de la composition chimique des nanomatériaux, leurs formes sont très variées et leur confèrent des propriétés particulières. La Figure 4 en donne toute une variété : des nanobâtonnets, des nanofils qui peuvent avoir des dimensions de plusieurs centaines de microns de long sur quelques nanomètres d’épaisseur, des nanocubes, des nanopyramides… Ces nano-objets ne sont pas isolés mais situés dans un environnement particulier déterminé par leur histoire chimique et leur application. Leur chimie de surface (Figure 5) est soit subie par les conditions de synthèse, soit modifiée volontairement à posteriori ; on parle alors de fonctionnalisation. Cette dernière est très souvent d’origine organique et permet de

désagglomérer les nanoparticules, de les stabiliser en solution ou encore de les rendre compatibles avec des milieux polymères pour faire des nanocomposites. La Figure 6 donne l’exemple de l’effet de la chimie de surface sur la dispersion des nanoparticules ou sur leur empilement. Dans certaines conditions elle pourra donner naissance à des empilements extrêmement réguliers pour former des structures en cristaux photoniques2 (voir le Chapitre de J. Livage dans cet ouvrage Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies, EDP Sciences, 2019).

Matériaux nanostructurés industriels

Figure 3

60 nm 20 nm

Figure 4 La chimie permet de créer toutes sortes de formes de nano-objets.

2. Photonique : branche de la physique concernant l’étude et la fabrication de composants permettant la génération, la transmission, le traitement ou la conversion de signaux optiques. CH3 CH3 CH3 CH 3 CH3 CH3

CH3

P

CH3 SH

N+ CH3

P O HO O

Figure 5 La chimie de surface des nano permettent leur utilisation dans diverses applications.

Figure 6 Des chimies de surface différentes peuvent donner des structures de matériaux très différentes.

55

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Les nanoparticules peuvent aussi être recouvertes de coatings3, souvent inorganiques, qui permettent de protéger l’intérieur du milieu extérieur, par exemple, vis-à-vis de l’humidité. On peut par exemple enrober des nanoparticules d’or de silice (on parle de particules core-shells4) pour générer de nouvelles propriétés (plasmonique, par exemple). Beaucoup d’autres caractéristiques des nanoparticules doivent être considérées comme la cristallinité5 (facteur important pour déterminer certaines propriétés toxicologiques), la charge de surface, la distribution de tailles de particules, la porosité, les 3. Coating : revêtement sur un substrat. 4. Core-shell : structure cœurécorce. 5. Cristallinité : propriété d’un composé macromoléculaire correspondant à une disposition régulière des macromolécules les unes par rapport aux autres.

impuretés, et bien sûr, s’y ajoute le coût qui conditionne la faisabilité de certaines applications industrielles. Les nanomatériaux peuvent se trouver sous plusieurs formes très dépendantes des applications dans lesquelles on les utilise : − dispersées en solutions colloïdales6. Sur la Figure 7, qui concerne des nanocristaux, l’exemple de dispersions de quantum dots7 et de matériaux anti-UV est donné ; 6. Colloïdal : suspension d’une ou plusieurs substances, dispersées régulièrement dans une autre substance, formant un système à deux phases séparées. 7. Quantum dot : une nanostructure de semi-conducteurs. De par sa taille et ses caractéristiques, elle se comporte comme un puits de potentiel qui confine les électrons (et les trous) dans les trois dimensions de l’espace, dans une région d’une taille de l’ordre de la longueur d’onde des électrons, soit quelques dizaines de nanomètres dans un semi-conducteur.

Figure 7 56

On peut trouver les particules nanométriques dispersées dans une solution colloïdale.

Matériaux nanostructurés industriels

− sous forme de poudres, dans lesquels les nanoparticules sont regroupées sous forme d’agglomérats peu liés et à l’échelle inférieure sous forme agrégats plus fortement liés. La Figure 8 donne deux exemples de nanomatériaux de composition SiO 2 et de LaPO4. − intégrés dans les polymères, appelés dans ce cas p a r fo i s n a n o co m p o s i te s (Figure 9). Les nanoparticules sont introduites soit sous forme de nanocristaux bien dispersés soit sous forme d’agrégats selon l’application. Par exemple, si l’on veut conserver la transparence, il est souvent nécessaire de se placer dans le premier cas ;

Figure 8 On peut trouver des particules nanométriques sous forme agglomérée de poudre.

− en couche mince nanostructurée. La Figure 10 donne un exemple de revêtement antiinfrarouge ; − dans la nanoélectronique (Figure 11) : l’échelle nanométrique est nécessaire pour obtenir la miniaturisation. 1.2. L’intérêt industriel de l’échelle nanométrique L’intérêt de descendre à l’échelle nanométrique est bien évidemment de créer de nouvelles fonctionnalités qui permettront de développer des technologies innovantes. Le premier facteur d’intérêt de la réduction de taille est l’augmentation de la surface accessible ; cela va par exemple permettre de réaliser des réactions catalytiques nécessaires pour fabriquer ou transformer des molécules (chimie fine, dépollution de l’air…), pour absorber des métaux lourds pour la

Figure 9 On peut trouver des poudres ou des nanocristaux dans les matériaux nanocomposites.

Figure 10 On retrouve des particules nanométriques dans les couches minces nanostructurées.

57

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

par exemple les matériaux anti-UV ou les électrodes transparentes conductrices (Figure 12).

Figure 11 On trouve des particules nanométriques dans la nanoélectronique, nécessaire à la miniaturisation.

dépollution de l’eau, ou encore réaliser des réactions de photocatalyse8 dans le cadre de la production d’hydrogène par water-splitting. Un deuxième facteur concerne l’interaction lumière-matière. Lorsque la taille devient nanométrique, elle devient beaucoup plus faible qu’avec les particules microniques. Cela permet de conférer de la transparence à des milieux tout en leur apportant une nouvelle fonctionnalité. Citons 8. Photocatalyse : technique d’oxydation fondée sur l’absorption de lumière, solaire ou ultraviolette, par un catalyseur semi-conducteur. Ses applications concernent notamment la dépollution de l’air et de l’eau.

Figure 12 Les interactions avec la lumière visible sont fortement réduites, ce qui permet de conférer des propriétés de transparence aux objets.

Figure 13

58

L’augmentation des interactions entre les chaînes polymère et les particules de petite taille permet de créer du renfort mécanique, des propriétés barrières, et d’alléger certaines structures.

Un troisième facteur important est le renfort mécanique des polymères qui augmente avec la diminution de la taille des charges inorganiques introduites à cet effet (Figure 13). Les interactions des nanoparticules avec les chaînes polymères sont beaucoup plus nombreuses qu’avec des particules microniques. Le développement de polymères plus résistants permet l’allégement de nombreuses structures. Des nanocomposites sont également utilisés pour augmenter les propriétés de perméation des gaz (bouteilles, balles de tennis…). La réduction de la taille des particules jusqu’à l’échelle nanométrique est également mise à profit pour : − augmenter la réactivité chimique (Figure 14) : agents pyrophoriques (l’aluminium

La réduction de la taille des particules permet d’augmenter la réactivité chimique, ce qui est utile dans de nombreux domaines applicatifs. Ici, les feux d’artifices ou le domaine médical.

Matériaux nanostructurés industriels

Figure 14

Figure 15 Les matériaux de petite taille permettent aussi de créer des abrasifs plus fins générant des défauts de plus petites tailles, notamment dans le polissage des semi-conducteurs.

Figure 16 Un des effets physiques observé à l’échelle nano est le confinement quantique, qui produit des effets optiques mis à profit dans les télévisions.

− vectoriser des médicaments, effet particulièrement intéressant pour les diagnostics et la thérapeutique ciblée.

− le confinement quantique9 (Figure 16), qui conduit à la technologie des « quantum dots » (voir le Chapitre de P. Rabu). Quand la taille des particules de certains matériaux (généralement des semi-conducteurs) diminue en dessous d’une certaine taille (< 5 nm typiquement), leurs propriétés d’absorption et d’émission varient fortement sur toute la gamme spectrale du visible (Figure 17). Ce phénomène quantique est mis à profit aujourd’hui dans certains écrans de télévision. Incidemment, contrôler la taille des particules entre 2 et

La réduction de la taille des particules permet aussi l’exploitation des phénomènes physiques nouveaux, par exemple :

9. Confinement quantique : situation dans laquelle les déplacements des électrons ou des trous d’un semi-conducteur sont limités dans une ou plusieurs dimensions.

est stable à l’état massif mais s’enflamme rapidement sous forme nanométrique) ou agents antimicrobiens (l’argent massif est inerte alors que sous forme de nanoparticules, il est très actif) ; − obtenir des poudres abrasives de petite taille, ce qui permet en conséquence la réduction de la taille des défauts liés à la rayure (industrie verrière ou électronique) (Figure 15) ;

Figure 17 L’effet plasmonique des nanoparticules d’or. Ici, la coupe de Lycurgue datant du IVe siècle conservée au British Museum, à Londres. Source : British Museum.

59

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

5 nm avec un indice de dispersion très faible est une réelle prouesse industrielle ; −− l’effet plasmon, autre phénomène quantique, met en jeu les oscillations collectives des électrons de conduction des métaux. La réduction de la taille des particules entraîne, là encore, une variation importante de la coloration. Par exemple, l’or massif est jaune alors qu’une solution colloïdale de nanoparticules sphériques d’or présente une couleur rouge. Ces « pigments» très stables ont été utilisés dès le IVe siècle pour la coloration des verres (voir la coupe de Lycurgue conservée au British Museum, à Londres) ; −− le superparamagnétisme10, utilisé dans le stockage d’information ou les ferrofluides (Figure 18) ; −− les métamatériaux11 mettant en jeu des tailles nanométriques permettent d’obtenir des propriétés optiques intéressantes concernant par exemple la transparence, ou, de façon imagée, la cape d’invisibilité ; −− la structuration de surface à l’échelle nanométrique permet aussi de réaliser industriellement des matériaux antireflets, par exemple pour augmenter le rende-

Figure 18

60

Un exemple de ferrofluide qui illustre le phénomène de superparamagnétisme.

10. Paramagnétisme : comportement d’un milieu matériel qui ne possède pas d’aimantation spontanée mais qui, sous l’effet d’un champ magnétique extérieur, acquiert une aimantation orientée dans le même sens que le champ magnétique appliqué. 11. Métamatériau : matériau composite artificiel qui présente des propriétés électromagnétiques qu’on ne retrouve pas dans un matériau naturel.

ment des cellules photovoltaïques, ou encore des surfaces hydrophobes (effet lotus) (Figure 19). On voit ainsi que la taille nano apporte des nouvelles fonctionnalités ouvrant vers de nouvelles applications industrielles. Cependant, dans certains cas, réduire trop la taille des particules entraîne une baisse drastique des propriétés. C’est le cas par exemple des propriétés de luminescence 12 , de phosphorescence13 ou de photocatalyse (dans ce cas une grande surface spécifique est toutefois primordiale, ce qui nécessite la recherche d’un compromis). La réduction d’efficacité de ces systèmes est liée aux effets néfastes de la surface, siège de pièges électroniques. De nos jours, finalement assez peu de matériaux nanométriques sont réalisés à l’échelle industrielle. Les plus gros tonnages concernent le noir de carbone et la silice amorphe (supérieurs au million de tonnes par an). À une moindre échelle, on peut citer les différents oxydes nanométriques : argile, alumine, oxyde de titane, de zinc et de terres rares. Citons aussi les nanoparticules d’argent, utilisées comme agents antimicrobiens. Les matériaux industriels émergeants sont les nanotubes de carbone (250 tonnes par an), que l’on utilise actuellement à petite 12. Luminescence : émission d’un rayonnement électromagnétique d’origine non thermique. 13. Phosphorescence : propriété qu’ont certains corps d’émettre de la lumière après en avoir reçu.

Effet lotus : les nanomatériaux sont aussi utilisés en industrie pour faire des traitements hydrophobes et antireflets.

échelle mais qui devraient se développer, notamment dans le cadre de l’amélioration des propriétés mécaniques de composites. Ce bilan non exhaustif concerne les nanopoudres et non les matériaux pour l’électronique. Nous pouvons exemplifier un peu plus le cas de la silice amorphe qui, de par ses nombreuses propriétés, est utilisée dans de nombreuses applications comme : −− agent de renfort mécanique dans les pneumatiques ; −− abrasif dans les dentifrices ou pour le polissage du verre ; −− agent rhéo-épaississant conférant des textures innovantes par exemple dans les pâtes dentifrices ou pour les peintures ; −− agent antimottant14 dans un grand nombre d’applications comme le béton et encore les peintures ; −− agent hydrophobant dans certains textiles ; 14. Antimottant : substance limitant ou empêchant l’agglomération des particules d’un produit.

Matériaux nanostructurés industriels

Figure 19

−− support de catalyseur ; −− support ou vecteur de produits actifs dans l’alimentaire, la pharmaceutique, la cosmétique et les produits d’entretien. Il existe beaucoup d’autres exemples de nanoparticules qui sont aujourd’hui utilisées industriellement à petits tonnages : plus de 3 000 références existent dans certaines bases de données. Ce domaine est très actif, notamment dans les laboratoires académiques. A u j ou r d ’ h u i l es tr a va u x portent entre autres sur le graphène, les matériaux 2D comme les sulfures de molybdène ou de tungstène, les quantum-dots et les matériaux plasmoniques. Ce sont peut-être les produits industriels de demain.

2

Exemples de matériaux nanostructurés industriels Venons-en à quelques exemples de nanomatériaux inorganiques réalisés à l’échelle industrielle

61

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

et commercialisés par l’entreprise Solvay. 2.1. La silice amorphe de précipitation Le premier exemple concerne la silice amorphe de précipitation, qui est aujourd’hui très largement utilisée comme renfort mécanique dans les pneus des véhicules légers, et de façon croissante dans les pneus poids lourds. La silice amorphe substitue la majeure partie du noir de carbone dans les pneus à basse consommation d’énergie, le rôle du noir de carbone dans les pneus étant de les renforcer mécaniquement, de les protéger contre les rayonnements UV, et de permettre l’évacuation des charges électriques générées par le frottement. L’introduction de la silice permet d’améliorer les performances des véhicules sur trois niveaux interdépendants : augmenter la sécurité du voyageur en améliorant l’adhérence par temps de pluie, réduire les émissions de CO2 en diminuant la résistance au roulement et améliorer la durée de vie en augmentant la résistance à

l’usure des pneumatiques. La silice amorphe est introduite dans la bande de roulement en caoutchouc du pneu. Pour ce faire, la silice et le noir de carbone sont introduits dans un mélangeur avec le caoutchouc en présence d’un catalyseur (Figure 20), puis le mélange est mis en forme par extrusion. La silice, développée chez Solvay, se présente sous la forme d’une microperle nanostructurée dont la taille est comprise entre 200 et 300 microns. Après l’étape d’extrusion, la silice est sous forme d’agrégats parfaitement dispersés. Le procédé de synthèse permet de faire varier la surface spécifique et la chimie de surface afin d’augmenter les interactions et créer des liaisons plus fortes avec le caoutchouc. Sa nanostructuration et sa dimension fractale 15 sont parfaitement gérées, afin d’assurer sa dispersibilité et donc l’homogénéité de l’objet final (Figure 21). 15. Fractale : qui représente des formes découpées, fragmentaires, laissant apparaître des motifs similaires à des échelles d’observation de plus en plus fines.

Mastic Mélangeur

Figure 20

62

Une partie du noir de carbone utilisée dans les pneus va être remplacée par de la silice. Durant le procédé de fabrication, les microperles de silices vont parfaitement se disperser sous forme d’agrégats de taille contrôlée.

Polymère

Granules

Objets de renforcement

La fabrication de la silice amorphe (Figure 23) sous forme de microperles est une invention de Solvay. En quoi consiste-t-elle ? On mélange du sable et du carbonate de sodium, et on porte le mélange à haute température. On obtient un verre que l’on dissout en milieu aqueux pour

agrégat

agglomérat

Matériaux nanostructurés industriels

Au final, l’utilisation de la silice Solvay permet d’élargir le triangle de performance du pneumatique (Figure 22).

Figure 21 La silice Solvay est fabriquée sous la forme d’une microperle nanostructurée.

Figure 22

Résistance au roulement

L’ajout de silice amorphe permet d’augmenter considérablement les performances du pneumatique, en termes d’adhérence sur sol humide et de résistance à l’usure et au roulement.

Résistance à l’usure

Adhérence sur sol humide Silice hautement dispersible Noir de carbone

Resistance au roulement

Carbonate de sodium

Consomation de carburants

Silicate liquide

Émission de CO2

Silicate vitreux

H2O

Aggrégats Poudre

Précipitation de la silice

Filtration & Lavage Fourneau 1 400 °C

Le procédé d’obtention de silice amorphe par précipitation est réalisé à partir de sable et de carbonate de sodium. La gestion rigoureuse de toutes les étapes permet de contrôler la taille de microperles, la surface spécifique et la nanostructuration.

Acide sulfurique

Sable

Mélangeage

Figure 23

Gâteau de silice humide

Séchage & Moulage

Surface 60 à 300 m2/g

Pores

Microperles 50-300 µm

Dissolution

63

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

HC

NOx

2 CO + O2 > 2 CO2

CO

CO2

Oxydation

N2 HC + O2 > CO2 + H2O

Oxydation

NOx + CO > N2 + CO2

Réduction

H2O

Figure 24 La catalyse trois voies permet d’effectuer des réactions d’oxydation et de réduction quasi simultanément afin de rendre plus efficace la dépollution de l’air.

Taux de conversion (%)

Moteur, fenêtre d’exploitation 100 80

CO HC

NOx COP : Point de croisement

60 40

O2 Pt

HC

20 0

CO2

CO

CO 0,95

Pauvre

Riche

1,00 Richesse

1,05

Ce, Zr

O2–

Figure 25 La réaction se fait entre le monoxyde de carbone capté par le platine, qui réagit ensuite avec l’oxygène de l’oxyde mixte.

obtenir au final un silicate liquide. Ce silicate est ensuite attaqué par l’acide sulfurique pour donner la « silice amorphe de précipitation ». Après lavage, séchage, on obtient un « gâteau humide ». La gestion rigoureuse de toutes ces étapes permet de parfaitement contrôler la taille de microperles, leur surface spécifique et leur nanostructuration. 2.2. Des oxydes mixtes de terres rares pour la dépollution automobile

64

Le deuxième exemple emblématique est celui des oxydes mixtes de terres rares,

développés pour améliorer la dépollution des véhicules essence (pot catalytique). Le mécanisme de conversion des polluants se fait par un mécanisme dit de « catalyse trois voies » (Figure 24), par lequel on convertit simultanément le monoxyde de carbone et les hydrocarbures (par oxydation), et les oxydes d’azote (par réduction) en CO 2, eau et azote. Le catalyseur utilisé est un métal précieux dispersé sur un oxyde mixte cérium/zirconium (Ce, Zr)O2, qui joue le rôle de réservoir d’oxygène. La Figure 25 schématise le mécanisme : le monoxyde de carbone est capté par le platine, il réagit avec l’oxygène de l’oxyde mixte pour donner du gaz carbonique CO 2, qui s’élimine. L’objet final, le pot catalytique, est représenté sur la Figure 26. C’est une enceinte de cordiérite16 enduite d’alumine de haute surface spécifique sur laquelle sont dispersés l’oxyde mixte et le métal précieux. L’oxyde mixte de terres rares et de zirconium est réalisé par un procédé humide (Figure 27), qui comporte les étapes de précipitation, mûrissement, de lavage, dans les conditions de pH et de température contrôlées, afin de réaliser un précurseur hydraté. Suivent ensuite les étapes de calcination et de finition qui permettent d’obtenir la poudre nanostructurée, 16. Cordiérite : espèce minérale du groupe des silicates, de formule Al3Mg2AlSi5O18, avec des traces de manganèse, fer, titane, calcium, sodium et potassium.

Précipitation Mûrissement Lavage

Support céramique inerte (Cordiérite)

Précurseur hydraté Calcination

Alumine Support catalytique à base d’oxyde de terres rares (Cex, Zry, O2)

Matériaux nanostructurés industriels

Sels de terres rares

Finition

(Ce, Zr) O2

Métaux précieux (Pt, Rh, Pd

Figure 27 Figure 26 L’objet final est une superposition d’alumine, d’oxyde de cérium et zirconium, et d’un métal précieux, tout cela sur un support inerte en cordiérite.

formée d’agglomérats de cristallites (Figure 28) fortement liés, de taille inférieure à 10 nm. Le procédé assure une très bonne homogénéité chimique entre le cérium et le zirconium, comme on le voit sur la Figure 28.

Cet oxyde de terres rares est fabriqué via un procédé humide. Les étapes de calcination et finition sont responsables de la nanostructuration du matériau.

La nanostructuration de l’oxyde mixte lui confère une bonne surface spécifique, particulièrement stable à haute température, nécessaire pour sa performance dans l’utilisation visée. Elle permet aussi une rapidité d’échange des gaz

Figure 28 Agglomérats (-10 µm) Cristallites ( 2 000 protéines…)

2.3. Un vaccin contre la toxoplasmose aigüe et congénitale chez la souris Nous avons donc testé notre vaccin dans un modèle de toxoplasmose chez la souris. Les jeunes souris sont vaccinées par voie nasale puis mises en contact avec le parasite par la voie orale, qui est la voie naturelle de l’infection. On observe sur un challenge létal, c’est-à-dire qu’en 9. Potentiel zêta : Indicateur des interactions entre particules.

utilisant des doses mortelles de parasites, seuls les animaux vaccinés par voie nasale avec notre vaccin (TE-DGNP) ont été protégés de la mortalité (courbe rouge). Les antigènes seuls (TE) ou adjuvantés par la toxine colérique10 (TE-CT), le plus fort adjuvant mucosal, ne les protègent pas11 (Figure 13). Afin d’étudier la protection contre l’avortement dans le contexte de la toxoplasmose congénitale, des souris ont été vaccinées par voie nasale, puis mises en contact pendant leur gestation avec le parasite par voie orale. Seuls les fœtus provenant de mère vaccinées par notre vaccin (DGNP/TE) présentaient une réduction

Figure 12 Gel d’électrophorèse en conditions non dénaturantes montrant que les antigènes de Toxoplasma gondii sont associés aux nanoparticules dès le ratio 1/1 (DGNP : nanoparticule, TE : antigènes).

10. Toxine colérique : facteur pathogène de la maladie du choléra. 11. Dimier-Poisson et coll. (2015). Biomaterials.

Des nanoparticules d’amidon mimant l’infection pour vacciner contre la toxoplasmose

de 1 mg de protéines totales du parasite avec 1 mg de particules. La taille (70-80 nm) et le potentiel zêta9 (+38 mV) des nanoparticules est similaire à ceux du vaccin, prouvant que les antigènes ont pénétré dans les nanoparticules (Tableau).

Tableau Taille et potentiel zêta des nanoparticules, des antigènes et des vaccins combinant les deux composés. NP : nanoparticules ; TE : antigènes.

Taille (nm)

Potentiel zêta (mV)

NP

71,26 +/– 31,53

+ 38,3

TE

482,4 +/– 198,5

+ 33,5

NP/TE (3/1 wcw)

88,40 +/– 43,54

+ 37,4

100

Contrôle DGNP TE TE-DGNP CT TE-CT

80 60 40 20 0

D0

D2

D4

D6

D8

D10

D11

D12

D14

Figure 13 Challenge létal versus Toxoplasma gondii : seules les souris vaccinées avec les vaccins TE-DGNP sont protégées. TE : antigènes de Toxoplasma gondii ; DGNP : nanoparticules ; CT : toxine cholérique utilisée comme adjuvant.

119

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

300

drastique de leur charge parasitaire12 (Figure 14).

200

L’infection des fœtus conduit à une diminution de leur poids à la naissance. Nous avons donc étudié ce critère, et seuls les souriceaux provenant de mères vaccinées présentaient un poids normal12 (Figure 15).

100 **** 0

Figure 14 Évolution de la charge parasitaire dans les fœtus provenant de mères non-vaccinées (-), vaccinées avec les antigènes (TE), les nanoparticules (DGNP) ou notre vaccin (DGNP/TE) : la formulation des antigènes avec les nanoparticules réduit drastiquement la charge parasitaire des fœtus.

Enfin, la toxoplasmose oculaire est un enjeu sanitaire important malgré sa sousestimation. L’effet de la vaccination sur les lésions oculaires a été étudié et les souriceaux provenant de mères vaccinées montraient une protection quasi-totale alors que des signes d’inflammation oculaires étaient observés dans les autres groupes 12 (Figure 16).

12. Ducournau et coll. (2017). Future Microbiology.

8

Poids (g)

6 5 4 DGNP

TE

DGNP/TE

+

Inflammation occulaire

***



La brebis est un animal de rente fortement touché par des avortements liés à la toxoplasmose. De plus, l’homme peut s’infecter en consommant de la viande mal cuite, saignante, de mouton, mais aussi de bovin, de porc, ou de tout autre type d’animaux infectés. Un protocole identique a ainsi été utilisé pour tester l’efficacité du vaccin sur la toxoplasmose ovine : vaccination nasale puis challenge oral mimant l’infection naturelle. Nous avons observé que tous les animaux vaccinés par voie nasale sont protégés de l’infection et qu’aucun kyste n’est observé chez les brebis vaccinées (Figure 17). Ce résultat est très intéressant parce qu’il permet potentiellement d’obtenir de la viande de mouton non infectieuse pour l’homme. Score de sévérité oculaire

100

***

7

2.4. Un vaccin contre la toxoplasmose chronique de la brebis

0

80 60

2

40 20

4

0

Figure 15

120

Évolution du poids des souriceaux provenant de mères non vaccinées (-), vaccinées avec les antigènes (TE), les nanoparticules (DGNP) ou notre vaccin (DGNP/ TE), ou non infectées (+ : poids normal) : seuls les souriceaux vaccinés avec la formulation antigènes-nanoparticules ont un poids normal à la naissance.



DGNP

TE

DGNP/TE

+

Figure 16 Évolution de l’inflammation oculaire des souriceaux provenant de mères non vaccinées (-), vaccinées avec les antigènes (TE), les nanoparticules (DGNP) ou notre vaccin (DGNP/TE), ou non infectées (+ : pas d’inflammation) : les souriceaux vaccinés avec la formulation antigènes-nanoparticules sont protégés des lésions oculaires causées par le parasite. 0 : pas d’inflammation, 2 : inflammation modérée, 4 : inflammation grave non reversible. Source : avec l’autorisation de Future Microbiology.

Nous avons, depuis un an, testé l’efficacité de ce vaccin chez les singes des parcs zoologiques. À ce jour, 40 singeécureuils ont été vaccinés. Le vaccin par voie nasale est très bien toléré. Il induit une très forte réponse cellulaire, similaire à celle observée chez les souris et les brebis. Même s’il est encore trop tôt pour parler de protection (nous attendons fin 2019), à ce jour aucune mortalité n’a été observée.

1 200 800 400 200

100

0 –

NP/TE

Figure 17 2.6. VAXINANO, une biotech concevant des vaccins à base de nanoparticules Pour développer ce projet, nous avons créé une société, « VAXINANO », qui développe des vaccins à base de ces nanoparticules servant de plateforme vaccinale. Ce vaccin contre la toxoplasmose est son projet le plus avancé et VAXINANO continue d’évaluer ce vaccin chez les ovins, chez les primates mais aussi chez l’homme. Une étude clinique est en cours de préparation pour une application humaine espérée en 2022.

Évolution des kystes cérébraux chez la brebis vaccinées (NP/TE) ou non (-): les brebis vaccinées par voie nasale ont été protégées de l’infection et aucun kyste n’a été détecté.

Des nanoparticules d’amidon mimant l’infection pour vacciner contre la toxoplasmose

2.5. Un vaccin contre la toxoplasmose des primates

Cette étude est étendue à un grand nombre de singes afin de voir si un vaccin peut être rapidement proposé au niveau des zoos, car la toxoplasmose ne touche pas que les singes, mais également des kangourous, des chats de l’Himalaya, des gorilles, et un grand nombre d’animaux sauvages meurent de l’infection.

Kystes cérébraux

Afin de voir si le vaccin est aussi efficace contre la toxoplasmose congénitale, les jeunes agnelles on été vaccinées par voie nasale puis, pendant la gestation, mises en contact avec le parasite. On observe que la vaccination des brebis mères par voie nasale (VN) protège les fœtus de l’infection. On protège donc verticalement la mère et son petit (Figures 18).

Il est possible de mimer un virus L’objectif du départ était de vouloir mimer un virus pour délivrer des antigènes sans en avoir la toxicité ni le potentiel infectieux. C’était un rêve commencé il y a une vingtaine d’années, qui est devenu réalité et qui se poursuit. Il y a encore beaucoup de travail et d’efforts à faire, mais aujourd’hui, des résultats encourageants ont été obtenus, montrant la faisabilité d’un vaccin contre la toxoplasmose.

Charge parasitaire cérébrale

800

600

400

200

0

CTL–

CTL +

VN

Figure 18 Évolution de la charge parasitaire cérébrale des agneaux provenant de brebis mères non vaccinées (CTL -), non infectées (CTL + : pas de kyste) ou vaccinées par notre vaccin DGNP/TE par voie nasale (VN) : la vaccination des mères protègent les agneaux de l’infection parasitaire.

121

de

nanoparticules

inorganiques produits quotidien dans les

du

Les méthodes d’analyse et les applications

Fabienne Séby est directrice du laboratoire Ultra Traces Analyses Aquitaine1 et Mathieu Menta y est ingénieur d’applications. François Auger est ingénieur au Service Commun des Laboratoires de Bordeaux2.

12

Les nanoparticules sont utilisées depuis longtemps dans les produits de notre quotidien, notamment dans les domaines de l’agroalimentaire et des cosmétiques, mais la mesure précise de leurs caractéristiques physico-chimiques est assez récente. C’est cette 1. www.ut2a.fr 2. www.douane.gouv.fr/articles/ a11078-service-commun-deslaboratoires-dgddi-et-dgccrf

dernière préoccupation qui fait l’objet de ce chapitre.

1

Utilisation des nanoparticules dans les produits journaliers 1.1. Les nanoparticules dans notre quotidien Les nanoparticules sont utilisées dans de nombreux secteurs, la Figure 1 montre la

Fabienne Séby, François Auger et Mathieu Menta

Caractérisation

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 1 Les nanoparticules sont employées dans de nombreux secteurs industriels et trouvent leurs applications dans de nombreux produits du quotidien.

Figure 2

126

La nature de la majorité des nanoparticules utilisées ne sont pas connues et 41 % sont de nature inorganique. Parmi ces dernières, on retrouve principalement l’argent, le dioxyde de titane et la silice.

diversité de leurs applications. Elles sont présentes dans des produits couramment utilisés quotidiennement, par exemple dans les cosmétiques, les produits d’hygiène, les aliments, les textiles ou les dispositifs médicaux. Une étude3 publiée en 2015 recense les nanoparticules généralement employées dans la fabrication des produits commerciaux (Figure 2) : 50 % des produits sont déclarés contenant des nanoparticules mais sans aucune information sur leur nature. Parmi les nanoparticules identifiées, 41 % sont de nature inorganique, c’està-dire qu’elles contiennent

un élément comme l’argent, le titane ou le silicium, et 4 % sont des nanoparticules carbonées. Parmi les particules inorganiques (Figure 2), ce sont les nanoparticules d’argent (Ag) qui sont les plus utilisées, suivies de celles de dioxyde de titane TiO2, puis de la silice SiO2. Quelques applications avec des nanoparticules contenant de l’oxyde de zinc (ZnO) ou de l’or (Au) sont également citées.

3. Vance M.E., Kuiken T., Vejerano E.P., McGinnis S.P., Hochella M.F. Jr., Rejeski D., Hull M.S., Nanotechnology in the real world : Redevelopping the nanomaterial consumer products inventory. (2015). Beilstein Journal of Technology, 6 : 1769-1780.

1.2. Utilisation des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2)

La Figure 3 entre plus dans le détail des applications des différentes nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien.

Les nanoparticules de dioxyde de titane sont très utilisées en raison de leur couleur

Les nanoparticules sont omniprésentes dans les produits journaliers. Ce sont des agents antimicrobiens, décoratifs (Ag), colorants (TiO2 et oxyde de fer) et des exhausteurs de goût (TiO2). Ils sont utilisés comme additifs dans l’industrie agroalimentaire et dans d’autres secteurs comme les cosmétiques, le médical et les textiles.

blanche qui permet de donner un aspect plus attrayant au produit auquel on l’ajoute (accentuation des couleurs, aspect brillant, …) (Figure 3). Ces nanoparticules peuvent être présentes dans certains aliments (notamment les sucreries, les biscuits ou gâteaux industriels, les sauces et plats en sauce de couleur blanche, …), dans des produits d’hygiène comme le dentifrice, certains emballages colorés ou des cosmétiques. Le dioxyde de titane possède également des propriétés permettant de réfléchir, disperser et absorber les rayons ultraviolets (UV) et est donc utilisé en tant que filtre solaire dans différents produits (crèmes solaires, certaines crèmes hydratantes, sprays, baumes à lèvres, …), le plus souvent en association avec l’oxyde de zinc afin de filtrer à la fois les UVA et les UVB. L’ajout de ces deux types de particules sous une forme nanométrique permet à ces produits de pénétrer plus facilement la couche cutanée pour laisser un film transparent sur la peau.

1.3. Utilisation des nanoparticules d’argent L’argent, lui, est principalement utilisé pour ses propriétés antimicrobiennes. De ce fait, il peut être ajouté à des emballages alimentaires pour augmenter la conservation des aliments, à certains dispositifs médicaux pour augmenter leurs propriétés antiseptiques (pansements) ou à des textiles utilisés pour les vêtements de sport afin de lutter contre les mauvaises odeurs dues à la transpiration.

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

Figure 3

De façon plus anecdotique, les nanoparticules d’argent peuvent également être présentes dans certains aliments pour leur aspect décoratif (perles argentées pour pâtisseries) ou dans certains compléments alimentaires. En effet, pour lutter contre des carences en oligoéléments4, il est fréquent d’utiliser ces compléments. L’ajout de ces 4. Oligoéléments : éléments minéraux considérés comme des nutriments indispensables au bon fonctionnement de l’organisme ; mais une dose trop élevée peut être toxique dans certains cas.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

oligoéléments sous forme nanoparticulaire (l’argent mais aussi le zinc ou le sélénium) permet d’améliorer leur absorption. 1.4. D’autres nanoparticules : la silice et l’oxyde de fer La silice nanoparticulaire est principalement utilisée dans l’industrie agroalimentaire pour ses propriétés d’antiagglomération dans la plupart des aliments en poudre (sel, café, soupe, …). L’ajout de silice sous cette forme permet également d’améliorer l’onctuosité et la texture de certaines sauces comme la mayonnaise. Par ailleurs, en raison de ses propriétés abrasives, la silice peut être ajoutée à certains produits d’hygiène comme le dentifrice pour permettre un brossage plus efficace. L’oxyde de fer est moins utilisé mais peut être ajouté en tant qu’agent colorant du fait de sa couleur rouge/rouille. Par ailleurs, il augmente la biodisponibilité5 de certains nutriments présents dans les aliments. Toutes ces nanoparticules sont des produits connus, utilisés depuis très longtemps et répertoriés sous le terme d’additifs. Ils sont désignés sur l’emballage des produits par la lettre E suivie d’un nombre à trois chiffres. Par exemple, le dioxyde de titane est connu comme l’additif E171 dans la liste des ingrédients présents dans un produit. La focalisation actuelle sur ces additifs vient de l’échelle nanométrique, récemment apparue.

128

5. Biodisponibilité : c’est le degré auquel un nutriment est absorbé et utilisé par le corps.

1.5. Les nouveaux produits à base de nanoparticules inorganiques De nouvelles générations de pigments contenant des nanoparticules apparaissent sur le marché pour améliorer l’aspect des produits. Par exemple, l’industrie du cosmétique utilise de très fines paillettes de mica enrobées de nanoparticules de dioxyde de titane ou d’oxyde de fer qui ont de forts indices de réfraction de la lumière. Leur incorporation à certains produits permet d’obtenir des couleurs spécifiques avec un aspect nacré et/ou pailleté qui sont utilisées dans les ombres à paupières notamment. Le pigment le plus courant est constitué de mica recouvert de dioxyde de titane et, selon la taille des nanoparticules, la couleur et son aspect seront différents. Par exemple, une couleur argentée est obtenue avec des nanoparticules de TiO2 dont la taille est comprise entre 40 et 60 nm, alors que la couleur verte utilise un domaine de taille entre 140 et 160 nm. Ces nouveaux matériaux peuvent également être utilisés dans l’agroalimentaire pour obtenir des produits dorés et festifs, souvent utilisés sous forme d’aromates.

2

Toxicité et règlementation des nanoparticules 2.1. Les principales voies d’exposition aux nanoparticules La présence de nanoparticules dans les produits que nous consommons quotidiennement

B

C

engendre une exposition de plus en plus prégnante. À ce jour, le manque de données épidémiologiques ne permet pas de mener une évaluation complète des risques potentiels liés aux nanomatériaux manufacturés contenus dans les produits de consommation courante. Par contre, un nombre de publications croissant porte sur la détermination de données toxicologiques et écotoxicologiques. Trois principales voies d’exposition ont été identifiées, les voies digestive, cutanée et respiratoire (Figure 4). Le risque par inhalation (Figure 4A) affecte essentiellement les personnes exposées professionnellement à des nanomatériaux manufacturés. Les premiers organes exposés sont ceux de l’appareil respiratoire. Toutefois, la contamination de l’air en

milieu non professionnel par des particules ultrafines ainsi que l’utilisation fréquente de sprays contenant des nanoparticules peuvent également contribuer à cette voie d’exposition. En ce qui concerne le dioxyde de titane nanoparticulaire, les études laissent penser qu’un risque cancérigène par inhalation est possible et cette substance est classée dans le groupe 2B par l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer (IARC). L’exposition orale résulte principalement de l’ingestion de produits alimentaires contenant des additifs à base de nanoparticules de TiO 2 (Figure 4B). D’autres apports ont été identifiés comme celui lié à l’absorption de médicaments dans lesquels TiO2 est ajouté en tant qu’excipient pour obtenir une couleur blanche. L’utilisation de

Figure 4

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

A

Voies d’exposition aux nanoparticules chez l’homme : A) exposition professionnelle et présence de nanoparticules dans l’air ou dans certains sprays ; B) les médicaments, les produits alimentaires, les ustensiles de cuisine et les produits d’hygiène nous exposent aux nanoparticules par voie digestive. L’apport journalier par voie digestive chez l’enfant serait près de quarante fois plus élevé que celui de l’adulte. Néanmoins, il n’y a pas de réel consensus par rapport à la toxicité des nanoparticules ; C) les vêtements, les tatouages et les produits cosmétiques ou d’hygiène constituent une exposition aux nanoparticules par voie cutanée. Toutefois, il n’y aurait pas de pénétration si la peau est saine.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

certains produits d’hygiène dont une quantité peut éventuellement être ingérée (dentifrices, baumes ou rouges à lèvres) peut également contribuer à l’exposition orale, tout comme la libération pendant la cuisson de nanoparticules présentes dans les revêtements d’ustensiles de cuisson. Des études ont mesuré l’apport journalier de nanoparticules de dioxyde de titane6,7, (Figure 4B). Si cet apport est de 0,03 mg par kg de poids corporel chez l’adulte6, il peut atteindre 13 mg par kg de poids corporel chez l’enfant de moins de 10 ans7, ces derniers consommant des quantités importantes de confiseries. Peu de travaux sont encore disponibles pour l’évaluation du risque lié à l’ingestion de nanoparticules mais les rares études disponibles laissent penser qu’un effet sur la santé est possible avec pour

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6. Rompelberg C., Heringa M.B., van Donkersgoed G., Drijvers J., Roos A., Westenbrink S., Peters R., van Bemmel G., Brand W., Oomen A.G. (2016). Oral intake of added titanium dioxide and its nanofraction from food products, food supplements and toothpaste by the Dutch population, Nanotoxicology, 10 : 1404-1414. 7. Huybrechts  I., Sioen  I., Boon  P.E., De Neve  M., Amiano  P., Arganini  C., Bower E., Busk L., Christensen T., Hilbig A., Hirvonen T., Kafatos A., Koulouridaki S., Lafay L., Liukkonen K.-H., Papoutsou S., Ribas-Barba L., Ruprich J., Rehurkova I., Kersting M., SerraMajem L., Turrini A., Verger E., Westerlund A., Tornaritis M., van Klaveren J.D., De Henauw S. (2010). Long-term dietary exposure to different food colours in young children living in different European contries (EN-53), EFSA Supporting Publication, 7 : 1-70.

cibles les organes digestifs et reproducteurs (Figure 4B). En 2016, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) s’est prononcée en autorisant l’utilisation de l’additif E171 mais a néanmoins recommandé que de nouvelles études soient réalisées pour mieux connaître son effet sur le système reproducteur. Les apports de nanoparticules par voie cutanée se font essentiellement par l’utilisation de cosmétiques et de produits d’hygiène. Des apports plus anecdotiques concernent les tatouages (encre pouvant contenir des nanoparticules inorganiques selon la couleur désirée) et le port de vêtements intelligents à même la peau (Figure 4C). La plupart des études menées in vitro ou in vivo tendent à montrer que les nanoparticules ne pénètrent pas le derme8 et ne peuvent donc pas être diffusées dans les organes par la circulation sanguine. La présence d’une lésion cutanée (érythème, brûlure, coup de soleil,…) favoriserait la pénétration sans atteindre toutefois les couches très profondes du derme (Figure 4C). 2.2. Règlementation concernant les nanoparticules Devant l’utilisation de plus en plus fréquente des nanoparticules dans les produits du quotidien et leur potentielle dangerosité, une réglementation est en train de se mettre en place au niveau européen. 8. Derme : couche de la peau située sous l’épiderme (couche la plus en surface) qui permet de cicatriser et d’éliminer les toxines pas la sueur.

L’utilisation de nanomatériaux dans les produits cosmétiques est réglementée par la directive 1223/2009/EU. Ce règlement a rendu obligatoire depuis juillet 2013 le signalement de leur présence dans la liste des ingrédients des cosmétiques. La règle d’étiquetage prévoit que soit indiqué le terme nano entre crochets après le nom de l’ingrédient concerné. Par exemple, dans le cas de TiO2, Titanium dioxide [nano]. La définition du terme nanomatériau retenu par ce règlement diffère de celui de la directive 2011/696/UE, notamment par le fait qu’elle ne comporte pas de seuil minimal de 50 %. Il y a, pour les professionnels, obligation de notification de tous les ingrédients nanoparticulaires utilisés. Toutefois, deux types d’autorisations sont prévues, selon que les nanomatériaux sont utilisés ou non

comme colorants, filtres UV et conservateurs. Ainsi, certains nanomatériaux étaient autorisés en 2018, notamment quatre filtres UV dont l’oxyde de zinc et le dioxyde de titane, et un colorant, le noir de carbone. Si la mention [nano] apparaît dans l’étiquette de certains cosmétiques depuis 2014, des tests menés par des associations de consommateurs et les autorités publiques françaises comme la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ont mis en évidence le fait que de nombreuses marques ne sont pas encore en conformité avec l’obligation d’étiquetage. Dans l’alimentation, le règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (INCO 1169/2011) impose également l’obligation d’étiquetage depuis fin 2014. Il est en effet stipulé que « tous les ingrédients qui se présentent sous forme de nanomatériaux manufacturés doivent être indiqués clairement dans la liste des ingrédients. Le nom de l’ingrédient est suivi du mot nano entre crochets ». Toutefois, ce règlement est, de façon générale, peu respecté et plusieurs études scientifiques et des campagnes de contrôle ont confirmé la présence de nanomatériaux dans de nombreux produits présents sur le marché, notamment le dioxyde de titane, sans aucun étiquetage. Devant la réticence de l’industrie agroalimentaire à étiqueter leurs produits, probablement par peur de voir les consommateurs se détourner de leurs

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

En 2011 (directive 2011/696/ UE), la commission européenne a proposé la définition suivante pour un nanomatériau : « Matériau naturel formé accidentellement ou manufacturé contenant des particules libres, sous forme d’agrégats ou sous forme d’agglomérat, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique en taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 et 100 nm ». Cette directive a été modifiée en 2013 (2013/1363/ UE) et précise que cette définition se réfère aux « matériaux manufacturés » et non aux nanomatériaux en général. En conséquence, les nanomatériaux naturels et formés accidentellement ne doivent pas être inclus dans la définition.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

nanoparticules. Toutefois, les études de toxicité ont besoin de s’appuyer sur des mesures fiables, précises et spécifiques pour obtenir des conclusions non équivoques sur leur dangerosité. L’analyse des nanoparticules dans les produits du quotidien est assez récente et aucune méthode normalisée n’existe. Il est donc nécessaire de développer des méthodes qui permettront de faire avancer les connaissances liées au danger de l’utilisation des nanoparticules.

Figure 5 Les techniques disponibles pour l’analyse des nanomatériaux. De nombreux paramètres tels que la taille, la concentration, la forme, etc., doivent être déterminés selon la réglementation. Ces techniques sont donc complémentaires et permettent une caractérisation complète des nanoparticules.

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produits ou tout simplement par ignorance, plusieurs organisations non gouvernementales ont demandé au gouvernement français d’interdire les nanoparticules de TiO2 dans les aliments. En mai 2018, un amendement a ainsi été adopté par l’assemblée nationale visant à suspendre la mise sur le marché de l’additif E171 ainsi que les denrées alimentaires qui en contiennent. Cette suspension a été confirmée par le sénat dans le cadre du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi EGALIM). L’arrêté a été signé en avril 2019 et donc, à partir du 1er janvier 2020, l’utilisation de cet additif est interdite. Ce dossier est actuellement présenté par la France à la Commission Européenne. Même si la réglementation commence à se mettre en place, il y a un réel besoin de mieux évaluer le risque lié à l’utilisation des

3

La caractérisation des nanoparticules

3.1. Les techniques d’analyse De nombreux paramètres permettent de caractériser les nanoparticules comme la concentration, la forme, la taille, la distribution en taille, la structure, la cristallinité9, la composition, l’aire de surface, la fonctionnalité de surface10, la charge de surface et l’état d’agglomération (Figure 5). Selon la réglementation européenne, l’ensemble de ces paramètres devrait être déterminé. Une caractérisation aussi complète peut difficilement être réalisée par un seul laboratoire. De plus, le coût de ces analyses est souvent très élevé en raison de l’utilisation de techniques très sophistiquées. Pour ces 9. Cristallinité : caractérise la proportion de matériau qui est à l’état cristallin, c’est-à-dire dont les ions, atomes ou molécules sont disposés de façon régulière. 10. Fonctionnalité de surface : capacité à modifier l’interaction entre deux milieux au niveau d’une interface.

La microscopie est la technique d’analyse la plus répandue, elle est suivie par l’A4F et l’ICP-MS en mode « single particle », qui va permettre de caractériser la nanoparticule et non l’élément total.

raisons, seules la nature, la taille, la distribution en taille et la concentration des nanoparticules sont le plus souvent mesurées. Plusieurs techniques permettent d’obtenir cette information, il n’y a pas de technique universelle mais plutôt des techniques complémentaires (Figure 5). Si on recense les travaux effectués sur l’analyse des nanoparticules (Figure 6), plus d’un tiers d’entre eux décrivent des techniques permettant la caractérisation spécifique des nanoparticules. Les autres études utilisent généralement la teneur totale en élément. Par exemple, si c’est le dioxyde de titane que l’on veut caractériser, on se contente de mesurer la concentration totale en titane. Ces analyses élémentaires sont le plus souvent des méthodes spectrométriques11, et en particulier l’ICP-MS (« Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry »), qui est une technique très performante 11. Techniques spectrométriques : techniques d’analyse de la matière basées sur l’étude des spectres fournis par l’interaction entre la matière et un rayonnement (lumière, UV, rayon X).

en termes de sensibilité pour l’analyse élémentaire. C’est toutefois une technique destructive car l’échantillon est soumis à un plasma12 d’argon à très haute température, et l’information concernant la taille n’est pas accessible dans les conditions normales d’utilisation de l’ICP-MS.

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

Figure 6

Parmi les techniques permettant de caractériser les nanoparticules et pas seulement l’élément qui la constitue, la microscopie occupe la première place, elle représente 36 % des applications (Figure 6). Des techniques séparatives comme l’A4F ou la chromatographie13 sont citées, ainsi que la technique ICP-MS en mode particule unique ou « single particle », qui commence à gagner un certain nombre d’adeptes. 12. Plasma : état de la matière dans lequel elle est partiellement ou totalement ionisée. 13. Chromatographie : technique de séparation et d’analyse de substances basée sur la différence d’affinité des composés pour une phase mobile (liquide ou gazeuse) et une phase stationnaire (solide ou liquide).

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

3.2. Les techniques de microscopie électronique

Figure 7 La microscopie électronique permet d’obtenir l’image des nanoparticules.

Figure 8 La microscopie électronique permet d’obtenir la projection de la nanoparticule étudiée.

Figure 9 134

La microscopie électronique reste la technique de référence.

Les techniques de microscopie électronique sont utilisées depuis longtemps pour mesurer la taille des nanoparticules. Deux catégories de microscopie électronique se distinguent, la Microscopie Électronique à Balayage (MEB) et la Microscopie Électronique en Transmission (MET). Ce qui différencie principalement ces deux techniques est que le MEB ne permet d’imager que la surface de l’échantillon alors que le MET peut visualiser la structure interne. Ces méthodes sont intéressantes car ce sont les seules qui permettent d’obtenir une image des nanoparticules (Figure 7) correspondant en fait au diamètre projeté de la particule (Figure 8). Ces méthodes nécessitent une étape de préparation d’échantillon qui peut être assez longue, notamment par MET. Il est également indispensable de sécher complètement l’échantillon, ce qui peut entraîner une agglomération des nanoparticules. Le diamètre (moyen, médian ou modal) est obtenu à partir de l’image et un traitement statistique à l’aide d’un logiciel de traitement d’image permet d’accéder à la distribution en taille des particules. Quand ces techniques sont associées à l’EDX (spectroscope X à dispersion d’énergie), la composition chimique peut être connue. Les techniques de microscopie électronique sont essentielles car elles permettent une information précise sur la forme des nanoparticules et restent les techniques de référence (Figure 9) ; les inconvénients sont qu’elles sont coûteuses et que la durée d’analyse est longue.

3.3. Analyse par Fractionnement Flux-Force par Flux Asymétrique (A4F) Afin d’analyser des nanoparticules de façon plus rapide et moins coûteuse qu’avec la microscopie électronique, d’autres techniques sont disponibles. L’une d’entre elles est l’A4F (« Asymmetric Flow Field-Flow Fractionation »), qui permet de séparer les nanoparticules en fonction de leur taille. Cette méthode, contrairement à la chromatographie en phase liquide, ne dépend pas de l’interaction entre les analytes et les phases mobile et stationnaire. Avec l’A4F, la phase mobile n’a qu’un rôle de véhiculeur, la séparation des nanoparticules repose en théorie sur des interactions physiques entre l’échantillon et les forces appliquées. Son couplage à différents détecteurs permet de mesurer les paramètres permettant de caractériser les nanoparticules (Figure 10). Après injection et application des flux, les nanoparticules les plus petites sont éluées les premières. Les détecteurs couplés en ligne peuvent être de différentes sortes (Figure 10) : le détecteur UV pour caractériser des nanoparticules organiques, le détecteur MALS est un granulomètre 14 qui donne une information sur la taille, et le détecteur ICP-MS qui permet d’accéder à la composition chimique de la nanoparticule ainsi qu’à leur concentration. 14 Granulomètre : appareil permettant de mesurer la taille de grains ou de particules et d’en étudier la forme.

L’A4F-MALLS est constitué d’une membrane et d’une série de détecteurs (UV, MALS, ICP-MS) qui vont permettre d’obtenir des informations, notamment sur la taille, la composition et la concentration des nanoparticules.

Figure 11 L’A4F-MALS permet de mesurer le rayon hydrodynamique de la nanoparticule, c’est-à-dire qu’on prend on compte à la fois la particule et son environnement.

L’information relative à taille obtenue est le diamètre hydrodynamique15 (Figure 11), c’est-à-dire le diamètre de la particule avec son environnement chimique : si elle est solvatée, la taille de particule mesurée est plus importante puisqu’elle correspond au diamètre de la particule et de sa couche immédiate. La technique A4F repose sur une bonne efficacité de la séparation des particules dans le flux. Elle permet d’analyser une large gamme de taille de particules, qu’elles soient organiques ou inorganiques. Elle présente quand même des inconvénients car des interactions particule-particule subsistent pendant la séparation ainsi que des interactions particule-membrane, 15 Diamètre hydrodynamique : diamètre de la particule qui prend en compte son environnement chimique et mesure en plus du diamètre de la particule sa couche immédiate ou couche d’hydratation, couche formée par les molécules de solvant autour de la particule solvatée qui dépend du milieu.

notamment pour les nanoparticules inorganiques. Par ailleurs, c’est une technique qui nécessite une bonne maîtrise pour en conclure les principaux résultats. Les données obtenues par les différents détecteurs donnent lieu à l’obtention de fractogrammes16, qui ne sont pas toujours faciles à interpréter pour un non-expert.

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

Figure 10

3.4. Principe de l’analyse par sp-ICP-MS Pour les nanoparticules contenant un élément détectable par ICP-MS, la technique de choix est l’ICP-MS en mode particule unique ou « single particle » (Encart : « Fonctionnement de l’ICP-MS en mode « single particle »). Elle repose sur la détection des particules une à une qui se distinguent du bruit 16 Fractogramme : les particules sont capables de diffracter la lumière incidente. Le fractogramme représente les raies de diffraction avec leur intensité et est spécifique à chaque type de particule.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

FONCTIONNEMENT DE L’ICP-MS EN MODE « SINGLE PARTICLE » Un des composants clés d’un ICP-MS est la torche à plasma (Figure 12). C’est un milieu entretenu d’argon chauffé à très haute température. Quand l’échantillon est introduit dans ce plasma sous forme d’aérosol, les éléments sont atomisés et ionisés. Ils sont ensuite détectés par spectrométrie de masse en fonction de leur rapport masse sur charge. Figure 12 Même si elle est basée sur de nombreuses hypothèses, l’ICPMS en mode « single particle » est une technique de plus en plus répandue. La première étape de l’ICP-MS est le passage dans un plasma qui dissocie l’amas de nanoparticules à analyser afin de pouvoir les analyser une par une.

En mode « single particle », les particules vont produire un nuage d’ions de l’élément qui la compose dans le plasma (Figure 12) et lorsque ce nuage d’ions arrive dans le spectromètre de masse, le signal obtenu est plus intense qu’un signal provenant d’un analyte ionique. À chaque fois qu’une nanoparticule arrive au détecteur, son signal se distingue de celui du bruit de fond correspondant à la détection de l’élément ionique par une pulsation (Figure 13A). Par exemple, lorsque des particules de TiO2 sont analysées, du titane à l’état dissous est présent et est responsable du bruit de fond. Il est nécessaire de minimiser ce bruit de fond pour mieux distinguer les nanoparticules.

Les signaux qui se distinguent du bruit de fond (Figure 13A) sont ensuite traités par un logiciel spécifique qui est maintenant disponible chez tous les constructeurs d’ICP-MS. Ce traitement permet d’obtenir la fréquence des particules en fonction de leur taille (Figure 13B). Si une seule population de nanoparticules est présente, une distribution gaussienne est obtenue et les informations qui peuvent être acquises sont le diamètre équivalent sphérique (diamètres moyen, médian, modal), la distribution en taille et la concentration des nanoparticules. Il est également possible d’accéder à la teneur en élément dissous.

A

B

Figure 13 A) La détection d’une nanoparticule se visualise par l’apparition d’un signal qui se distingue du bruit de fond (élément sous forme ionique). Ces signaux sont d’autant plus visibles que le bruit de fond est atténué ; B) cette méthode permet d’obtenir la distribution en taille des nanoparticules et d’en déduire les diamètres équivalents sphériques (moyen, médian et modal).

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Les principaux avantages de la technique sp-ICP-MS sont sa simplicité d’utilisation, sa rapidité, sa sensibilité et sa spécificité. Elle ne peut toutefois être appliquée qu’à des nanoparticules qui contiennent un élément détectable par ICP-MS. Elle est donc limitée aux nanoparticules inorganiques. Les limites de détection en termes de taille sont différentes selon les nanoparticules ; la sensibilité en taille est meilleure pour les nanoparticules de dioxyde de titane, d’or ou d’argent que pour celles de silice. En effet, le silicium est un élément interféré en ICP-MS, ce qui engendre des limites de détection élevées avec un ICP-MS quadripolaire. Ces interférences peuvent être éliminées en utilisant un ICP-MS haute résolution.

4

Analyse des nanoparticules dans les produits du quotidien

4.1. Préparation de l’échantillon Quelle que soit la technique utilisée, il est nécessaire de préparer l’échantillon au

préalable. S’il s’agit d’un échantillon solide, il faut extraire les nanoparticules de la matrice le plus efficacement possible sans les dénaturer. Il est également indispensable ensuite de disperser les nanoparticules extraites. Ces étapes sont primordiales et des protocoles normalisés ne sont pas encore disponibles. Les nanoparticules dans les produits sucrés (bonbon ou chewing-gum) sont généralement faciles à extraire. Dans ces échantillons, les nanoparticules sont souvent présentes dans le revêtement pour leur donner un aspect brillant, qui est soluble dans l’eau. Le résidu solide est éliminé et l’extrait aqueux est récupéré. Il constitue une matrice simple à analyser après dispersion (Figure 14). La préparation d’échantillon est plus complexe lorsqu’on a une matrice composite, par exemple une crème solaire qui contient des produits gras. Il faut donc les détruire et libérer les nanoparticules. Des réactifs d’extraction autres que l’eau sont utilisés afin de

Figure 14 La préparation de l’échantillon dépend de la matrice dans laquelle sont présentes les nanoparticules. On peut solubiliser les nanoparticules ou bien les extraire en dégradant la matrice pour libérer les nanoparticules. Les extraits peuvent nécessiter une étape de purification permettant d’éliminer les composés interférant avec la technique d’analyse.

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

de fond (Figures 12 et 13). Le mode « single particle » ne peut être utilisé qu’avec les ICP-MS de nouvelle génération qui permettent d’appliquer un temps de mesure (« dwell time ») rapide afin de pouvoir détecter la nanoparticule quand elle arrive au détecteur. Il est nécessaire de diluer l’échantillon afin d’éviter l’analyse simultanée de plusieurs particules. Le traitement des données est basé sur l’hypothèse que toutes les particules sont sphériques.

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Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 15 L’échantillon de crème solaire est extrait avec de l’hexane et les teneurs de titane avant et après extraction sont mesurées. Plusieurs techniques (A4F-MALSICP-MS, sp-ICP-MS et MEB) vont ensuite permettre de vérifier la présence de nanoparticules (NP).

dégrader ces matrices comme des solvants organiques, des acides plus ou moins dilués, des oxydants, des bases, ou parfois, pour des échantillons biologiques, des enzymes capables de dénaturer les protéines qui encagent les nanoparticules (Figure 14). Une fois l’extraction réalisée, il peut être nécessaire de purifier l’extrait afin d’éliminer des composants qui peuvent perturber l’analyse (Figure 14). Par exemple, si l’extrait contient encore des produits gras, une étape de dégraissage avec de l’hexane peut être réalisée avant la dispersion. Si des protéines subsistent, on peut les dégrader avec l’acide trichloracétique. Si des ions métalliques doivent être éliminés, il est possible de les complexer avec de l’EDTA. Quel que soit le protocole de préparation de l’échantillon, il est nécessaire de réaliser une étape de dispersion 17 pour éviter que ces nanoparticules ne s’agglomèrent ou ne s’agrègent dans l’extrait avant l’analyse. La dispersion se fait avec un bain à ultrasons ou une sonde à ultrasons. L’analyse par les techniques présentées auparavant peut ensuite être réalisée.

138

17. Dispersion : étape dans la préparation de l’échantillon consistant à séparer les nanoparticules qui se sont agglomérées.

4.2. Un exemple concret : l’analyse d’une crème solaire Un protocole d’analyse d’un échantillon de crème solaire dont la présence de nanoparticules de dioxyde de titane est indiquée dans la liste des ingrédients avec la mention [nano] est proposé. La teneur en titane total a tout d’abord été mesurée, elle est voisine de 14 mg par gramme. Afin d’accéder à la caractérisation des nanoparticules, une extraction a été réalisée en utilisant de l’hexane pour dégrader la matière grasse. La concentration en titane total a été mesurée dans la solution afin de s’assurer que la totalité du titane a été extraite. La comparaison de cette concentration avec celle du titane contenu dans la crème solaire montre qu’elles sont très proches, le taux de recouvrement étant de 96 %. Afin de caractériser les nanoparticules extraites, trois techniques ont été comparées : le couplage A4F-MALS-ICP-MS, l’ICP-MS en mode « single particle » et la microscopie électronique (Figure 15). La Figure 16 montre le fractogramme obtenu par A4FMALS-ICP-MS. La courbe bleue correspond au détecteur MALS et le pic obtenu montre la présence d’une seule population de nanoparticules. Le signal correspondant

au détecteur ICP-MS pour le titane (courbe orange foncé) se superpose complètement à celui du détecteur MALS montrant que ce pic correspond très probablement à des nanoparticules de TiO 2. D’autres éléments peuvent être analysés par ICP-MS pendant la séparation comme ici l’aluminium, le zinc, le chrome, le fer ou l’argent. Le signal de l’aluminium (courbe grise) se superpose également à ce même pic, démontrant que du titane et de l’aluminium sont soit associés aux nanoparticules, soit ces deux éléments entrent dans la composition des nanoparticules.

Le diamètre moyen des nanoparticules dans l’échantillon de crème solaire par la technique A4F-MALS-ICP-MS est proche de 86 nm. Cet échantillon a également été analysé par ICP-MS « single particle » et le diamètre moyen mesuré est voisin de 87 nm (Figure 17A). Ces deux résultats sont très proches et la microscopie a permis d’obtenir des diamètres équivalents (Figure 17B). La cohérence des résultats permet de valider la technique la plus récente comme l’ICP-MS en mode « single particle » (Figure 17C).

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

Les nanoparticules de l’échantillon contiennent du TiO2 et de l’aluminium car le signal du granulomètre (bleu) se superpose aux signaux du titane (orange foncé) et de l’aluminium (gris).

Diffusion de la lumière (V)

Rayon RMS (nm)

Figure 16

A

Figure 17 Nombre de particules

B

C

Taille de la particule

Les différentes techniques de mesure : A) A4F-MALLS-ICP-MS ; B) microscopie électronique ; C) ICP-MS en mode « single particle », donnent des résultats équivalents pour le diamètre moyen. Cela permet de valider les techniques les plus récentes comme l’ICP-MS en mode « single particle ».

139

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 18 Différents produits alimentaires du quotidien (chewing-gums, dragées, aromates, sauces et boissons) ont été testés afin de vérifier si l’obligation d’étiquetage est suivie.

4.3. Analyse de produits alimentaires Dans le cadre d’une collaboration avec le Service Commun des Laboratoires (SCL-Pessac) de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGCCRF) et de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), une étude a été menée sur l’analyse de nanoparticules de dioxide de titane d’un grand nombre d’échantillons alimentaires disponibles sur le marché. Il s’agit de produits sucrés (dragées et chewing-gum), des compléments alimentaires, un aromate (le poivre doré), des sauces et des boissons,

Figure 19

140

Les échantillons sont analysés par ICP-MS en mode « single particle » après mise en suspension des particules dans l’eau. Les résultats sont validés par microscopie électronique et sont comparés avec ceux de l’additif E171 utilisé comme ingrédient dans la fabrication du produit.

ainsi que certains additifs utilisés dans la fabrication de ces produits (Figure 18). Les objectifs de cette étude étaient multiples : est-ce que le produit est bien étiqueté ? Contient-il des particules ? Quelle est leur composition ? Est-ce qu’elles sont nano ou pas ? Quelle est leur distribution ? Dans la mesure où un grand nombre d’échantillons devait être analysé, la préparation de l’échantillon a consisté en une extraction avec de l’eau, suivie d’une étape de dispersion. La méthode d’analyse retenue est l’ICP-MS en mode « single particle » car c’est la

Diamètre médian

200 180

% particules < 100 nm

160 140 nm

120 100 80 60 40 20 0

1 2 es um gum agé r g D in in ew hew h C C g g-

CA

1

CA

méthode la plus simple et la moins coûteuse de mise en œuvre. Certains résultats ont été validés par comparaison avec les informations obtenues par microscopie électronique (Figure 19) en partenariat avec la plateforme Carmen du Laboratoire National d’Essai (LNE). Quand cela était possible, les diamètres des particules de TiO2 trouvées dans les produits alimentaires ont été comparés avec ceux de l’ingrédient E171 utilisé dans la fabrication du produit. Les résultats obtenus pour certains échantillons sont présentés sur la Figure 20. Des nanoparticules de TiO2 ont été détectées dans tous les produits étudiés avec des diamètres médians compris entre 40 et 200 nm. C’est le poivre doré qui présente les particules les plus fines, tous les autres produits ayant un diamètre médian supérieur à

2



e vr

i Po

do

od tisé fo a ts om fa ar e c p u ro Sa Si

100 nm. Le taux de particules ayant un diamètre inférieur à 100 nm est autour de 20 % pour tous les échantillons sauf le poivre doré qui présente un taux plus élevé (proche de 80 %). Si le seuil de 10 % est considéré, comme c’est souvent le cas pour les nanoparticules dans l’agroalimentaire, il y a obligation d’étiquetage pour l’ensemble des échantillons étudiés.

Figure 20 Les analyses des confiseries, sauces, boissons et aromates montrent que tous contiennent des particules de dioxyde de titane dont la taille est comprise entre 40 et 200 nm.

Caractérisation de nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien

220

De façon générale, un très bon accord a été obtenu entre la technique ICP-MS en mode « single particle » et la microscopie pour l’ensemble des échantillons, aussi bien pour le diamètre (moyen, médian modal) que pour le taux de particules ayant une taille inférieure à 100 nm. Il en est de même pour les diamètres des particules de TiO2 dans les produits et dans l’ingrédient E171 de base.

141

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies 142

Vers la maîtrise de la connaissance des nanoparticules dans les produits du quotidien Cette présentation a permis de montrer que les nanoparticules sont présentes dans un grand nombre de produits du quotidien. Si l’on s’intéresse aux nanoparticules de dioxyde de titane, il s’agit d’une utilisation industrielle ancienne bien avant qu’elle ne soit recherchée. Elle est en effet depuis longtemps signalée sur les étiquettes par la mention EXXX mais doit maintenant être complétée par la mention [nano]. Il est nécessaire d’augmenter la connaissance sur la toxicité des différentes nanoparticules afin de proposer une réglementation qui soit sans ambiguïté à la fois pour les industriels et les consommateurs. Les outils analytiques permettant de détecter et caractériser les nanoparticules sont maintenant performants en termes de sensibilité et de spécificité, rapides et de moins en moins coûteux. Leur utilisation dans les études de toxicité devrait permettre d’augmenter les connaissances sur l’évaluation du risque. Par ailleurs, il est actuellement possible de mener des études à grande échelle grâce à certaines techniques comme l’ICP-MS en mode « single particle » qui peuvent être utilisées en routine. Pour augmenter la traçabilité des données, il va être nécessaire de proposer des méthodes normalisées, produire des matériaux de référence pour valider les analyses et organiser des essais inter-laboratoires.

Elias Fattal

Nanotechnologies pour la

nanomédecine

Questions sur la toxicité et aspects réglementaires

Elias Fattal est professeur de Pharmacie Galénique à l’Université Paris-Sud et directeur de l’Institut Galien1. Il a présidé l’association de Pharmacie Galénique Industrielle de 2003 à 2010 (APGI2).

Les nanomédicaments sont-ils des médicaments comme les autres ?

autres pour toute une partie de leur développement (Figure 1) puisqu’ils subissent pendant de nombreuses années les étapes d’évaluation clinique telles que décrites sur la Figure 1 (et dans le Chapitre de D. Bazile dans cet ouvrage Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies, EDP Sciences, 2019). À la suite de leur commercialisation, l’apparition d’effets indésirables reste sous observation. Il faut enfin souligner que l’étude de la sécurité des médicaments est très importante comparativement aux produits de consommation.

1.1. Le développement clinique des nanomédicaments est similaire à celui des autres médicaments

1.2. Les nanomédicaments, une facette particulière des nanotechnologies

L’objectif de ce chapitre est d’aborder les questions de toxicité et les aspects règlementaires relatifs aux nanomédicaments. Nous tenterons d’apporter des réponses à ces questions à la lumière des connaissances scientifiques acquises sur leur devenir dans l’organisme ainsi que leur dégradation et leur élimination.1 2

1

Les nanomédicaments sont des médicaments comme les 1. www.umr-cnrs8612.u-psud.fr/ 2. www.apgi.org/

Les nanomédicaments font partie des nanomatériaux dans le domaine de la santé dans la mesure où ils répondent aux définitions

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Phase I : étude de l’évolution de la molécule testée dans l’organisme en fonction du temps (pharmacocinétique) et analyse de la toxicité sur l’être humain.

Phase II : administration du médicament à un petit nombre de patients pour rechercher la plus petite dose efficace et observer des effets secondaires nocifs en utilisant differrentes doses.

Phase III : comparaison de l’efficacité du nouveau médicament par rapport au traitement de référence et/ou à un placebo.

Phase IV : les essais sont réalisés une fois le médicament commercialisé. Ils permettent d’approfondir la connaissance du médicament dans les conditions réelles d’utilisation et d’évaluer à grande échelle et sur le long terme sa tolérance.

Figure 1 Les nanomédicaments doivent subir les mêmes étapes d’études cliniques que les autres médicaments pour aboutir à la demande d’autorisation de mise sur le marché par les agences du médicament.

et aux normes définies par l’Union Européenne. La Commission Européenne définit les nanotechnologies ainsi : « Un nanomatériau est un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé contenant des particules libres ou sous forme d’agrégat ou encore sous forme d’agglomérat, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm ». Il existe aussi une Norme ISO TS 80004-1 dont la définition est la suivante : « Un nanomatériau est un matériau dont au moins une dimension externe est à l’échelle nanométrique, c’est-à-dire comprise approximativement entre 1 et 100 nm, ou qui possède une structure interne ou de surface à l’échelle nanométrique »

A

B COURONNE

CŒUR

1 à 200 nm

Figure 2

144

A) Une suspension aqueuse de nanoparticules. B) Un nanomédicament est composé d’un cœur, réservoir des substances actives, et d’une couronne.

1.3. Les caractéristiques d’un nanomédicament Un nanomédicament est constitué d’un cœur liquide ou solide contenant la substance active et entouré d’une couronne (Figure 2). C’est la couronne qui sera exposée au milieu biologique et qui permettra d’exercer trois fonctions importantes : − une fonction de stabilisation, c’est-à-dire permettre d’éviter les phénomènes d’agrégation en milieu biologique ;

− la possibilité d’éviter sa destruction par les cellules du système immunitaire ; − la possibilité d’y attacher un ligand pour permettre la reconnaissance d’une cible cellulaire (Figure 2). Il existe une grande diversité parmi les nanomédicaments présents sur le marché et/ou en phase d’études cliniques (Figure 3). Les plus anciens sont les liposomes3, qui sont à l’origine de toute la démarche dite de vectorisation4. On distingue aussi les nanoparticules solides lipidiques et les nanoémulsions, qui ont fait l’objet d’applications plus mineures. Les systèmes conçus à partir de polymères ou de copolymères biodégradables, que l’on dénomme des nanosphères ou des nanocapsules, ont été découverts bien plus tard. La taille de ces nanomédicaments varie de 50 à 200 nm. Il existe des objets de plus petite taille, de l’ordre de la dizaine ou de la vingtaine de nanomètres : les micelles, les petites nanoparticules de silice ou d’oxyde métallique 3. Liposome : vésicule artificielle formée par des bicouches lipidiques emprisonnant un compartiment aqueux. 4. Vectorisation : consiste à moduler et contrôler la distribution d’un principe actif vers une cible en l’associant à un vecteur.

Liposome

Lipide (liquide)

Lipide (solide)

Nanoémulsion

Nanoparticule solide lipidique

Micelle

Nanoparticule de silice

Nanosphère

Nanocapsule

Nanoparticule d’oxyde métallique

Nanotechnologies pour la nanomédecine

eau

Figure 3 Diversité des nanomédicaments sur le marché et en phase d’étude clinique (à titre d’exemples, des particules de diamètre entre 50 et 200 nm de composition lipidique ou polymère sur la première rangée, et des particules de diamètre inférieur à 50 nm sur la seconde rangée).

(Figure 3). Sur la Figure 4, sont listés des nanomédicaments qui sont sur le marché. Ce sont les particules découvertes les premières, c’est-à-dire les liposomes, qui ont donné naissance à un plus grand nombre de médicaments. Parmi les substances actives, on distingue très nettement des molécules qui existaient déjà et qui ont été reformulées au sein de ces liposomes pour obtenir des propriétés nouvelles grâce à la vectorisation.

2

l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Les autres agences européennes (European medecine evaluation agency, EMEA), américaine (Food and Drug Agency, FDA) ou japonaise (Ministery of Health Labour and WellFare (MHLV) ont émis un certain nombre de recommandations que l’on peut trouver sur leurs sites Internet (Figure 4). La recommandation française concernant les études de toxicité à réaliser sur les nanomédicaments est très détaillée.

Développement d’un nanomédicament

2.1. La réglementation pour la mise sur le marché Il n’existe pas de réglementation précise pour la mise sur le marché des nanomédicaments comparativement à d’autres médicaments mais uniquement des recommandations effectuées par les agences nationales ou européennes. En France, ces recommandations sont proposées par

Figure 4 Les industriels souhaitant développer des nanomédicaments doivent suivre des recommandations extrêmement détaillées qui diffèrent selon les États et que l’on peut trouver sur les sites Internet des différentes agences qui règlementent la mise sur le marché des médicaments.

145

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Tableau Liste des principaux nanomédicaments sur le marché (à noter que toutes ces spécialités n’ont pas obtenu l’autorisation de mise sur le marché en France).

Nom commercial

Substance Active

Domaine d’application

Voie d’administration

Année de commercialisation

Intraveineuse

2005

Nanoparticules Protéiques Albumine

®

Abraxane

Paclitaxel

Cancer

Nanoparticules lipidiques Liposomes Liposomes Liposomes

AmBisome

® ®

DaunoXome

Amphotéricine B

Infectieux

Intraveineuse

1997

Daunorubicine

Cancer

Intraveineuse

1996

®

Cytarabine

Cancer

Intratéchale

1999

®

DepoCyt

Liposomes

DepoDur

Morphine

Douleur

Épidurale

2004

Liposomes

Doxil/ Caelyx®

Doxorubicin

Cancer

Intraveineuse

1995

Liposomes

Exparel®

Bupivacaine

Analgésie

Local

2011

Liposomes

®

Liposomes Liposomes Liposomes

Marqibo

Vincristine

Cancer

Intraveineuse

2012

®

Mifamurtide

Cancer

Intraveineuse

2009

®

Doxorubicin

Cancer

Intraveineuse

2000

Ophtalmologie Intraveineuse

2002

Mepact Myocet

®

Verteporfin

®

Irinotecan

Visudyne

Liposomes

MM-398

Liposomes

Onpattro®

ARN interférent

Nanoparticules solides lipidiques

Abelcet®

Amphotéricine B

Infectieux

Intraveineuse

1995

Nanoparticules solides lipidiques

Amphotec®

Amphotéricine B

Infectieux

Intraveineuse

1996

Nanoémulsion

Diprivan®

Propofol

Anesthésie

Intraveineuse

1989

Nanoémulsion

Durezol

®

Difluprednate

Ophtalmologie

Oculaire

2008

Nanoémulsion

Restasis

Cyclosporine A

Ophtalmologie

Oculaire

2003

Nanoémulsion

®

Cyclosporine A

Ophtalmologie

Oculaire

2015

Intraveineuse

2009

®

Ikervis

Cancer

Intraveineuse

2015

Amyloïdose héréditaire à Intraveineuse transthyrétine

2018

Nanoparticules métalliques Nanoparticules d’oxyde métallique 146

Feraheme®

Ferumoxytol

Anémie par carence en fer

2.2. Recommandations pour la conception d’un nanomédicament En amont de la formulation d’un nanomédicament, il est important de réfléchir aux caractéristiques du support (le cœur). La propriété la plus importante concerne la biodégradabilité du matériau qui le compose. On utilisera donc de préférence des lipides, des polymères, qui peuvent être synthétiques ou des biopolymères, ou encore des protéines (albumine). Des matériaux solubles, comme la silice, peuvent être envisagés ou d’autres considérés insolubles tels que les oxydes métalliques (oxydes de fer). Ces derniers ne sont pas considérés biodégradables mais ils peuvent se dissoudre très lentement dans l’organisme et être ensuite éliminés. Il faudra cependant en faire la démonstration. Une autre approche très récente consiste à associer de manière covalente la substance active à un polymère ou à un lipide et transformer ces conjugués en nanoparticules. La seconde caractéristique à prendre en compte, notamment du point de vue toxicologique, concerne la composition de la surface (la couronne). Cette couronne peut être

constituée de lipides chargés, de polymères amphiphiles, de polymères hydrophiles [polyéthylène glycol (PEG)] ou de biopolymères comme l’acide hyaluronique. Il est possible, pour réaliser un ciblage, d’ajouter à cet édifice un ligand spécifique d’un récepteur membranaire. Le ligand peut être un anticorps, un aptamère5 ou une petite molécule.

Nanotechnologies pour la nanomédecine

Cependant, elle date de 2011 et n’a pas fait l’objet d’une mise à jour. Quoi qu’il en soit, l’ensemble de ces documents est extrêmement important et constitue une base solide pour guider les industriels qui souhaitent développer un nanomédicament.

Quand le cœur et la couronne sont assemblés, il faut s’assurer de la stabilité chimique de cet ensemble, particulièrement de ce que l’on appelle la stabilité colloïdale6, car l’agrégation des particules dans l’organisme peut entraîner des embolisations et induire ainsi un effet délétère d’un point de vue toxicologique. 2.3. Recommandations concernant la caractérisation d’un nanomédicament La fabrication d’un nanomédicament est accompagnée d’un ensemble de caractérisations de manière à bien définir ses propriétés. Il s’agit du diamètre moyen, de la distribution granulométrique, de la stabilité, de la morphologie, de la charge de surface, de la déformabilité, de la cristallinité et de l’organisation moléculaire quand cela est possible et nécessaire. Les 5. Aptamère : oligonucléotide synthétique, le plus souvent un ARN, qui est capable de fixer un ligand spécifique et parfois de catalyser une réaction chimique sur ce ligand. 6. Colloïde : suspension d’une ou plusieurs substances, dispersées régulièrement dans une autre substance, formant un système à deux phases séparées.

147

Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

recommandations insistent sur le fait qu’il faut absolument mesurer la libération des substances actives à partir du nanomédicament dans des milieux simulés. Pour ce qui est du procédé de fabrication, il faut absolument prendre en compte les possibilités de transposition d’échelle. C’est un élément important qu’il faut anticiper pour être capable d’industrialiser le procédé et de produire de manière semi-industrielle ou industrielle des lots pour les essais cliniques dont les caractéristiques sont les plus proches de celles du produit de départ. 2.4. Exemple de la formulation des nanoparticules lipidiques de Dexaméthasone Une équipe de l’Institut Galien Paris-Sud a développé un nanomédicament constitué par du palmitate de Dexaméthasone (DXP), un anti-inflammatoire capable de former, en présence d’un phospholipide couplé au polyéthylène glycol (DSPE-PEG), des nanoparticules7. Les études de morphologie réalisées en microscopie électronique ont permis de confirmer la forme sphérique des nanoparticules. Leur taille et leur potentiel zêta ont permis de conclure sur leur homogénéité et leur excellente stabilité colloïdale.

148

7. Lorscheider M., Tsapis N., Ur-Rehman M., Gaudin F., Stolfa I., Abreu S., Mura S., Chaminade P., Espeli M., Fattal E. (2019). Dexamethasone palmitate nanoparticles: An efficient treatment for rheumatoid arthritis. Journal of Controlled Release, 296 : 179-18.

Enfin, grâce à la diffraction aux rayons, il a été possible de déterminer que le principe actif, qui ici est cristallin, se retrouve sous forme amorphe quand il est formulé sous forme de nanoparticules.

3

Les nanomédicaments dans le corps humain

3.1. Biodistribution des nanomédicaments Les voies d’administration des nanomédicaments sont très variables. Bien que la plupart des formulations sur le marché aient été envisagées pour la voie parentérale (particulièrement la voie intraveineuse), ils peuvent aussi être administrés par voie oculaire, orale, cutanée, digestive, nasale ou pulmonaire (Figure 5). Pour ces dernières voies, les nanomédicaments peuvent être retenus localement et libérer la substance active in situ. Le corps humain possède cependant des barrières qui ne sont pas toujours infranchissables. Une certaine quantité de nanoparticules pourra subir un phénomène d’absorption correspondant au franchissement de ces barrières. L’action du médicament passe d’un effet local à un effet systémique8 puisque les particules se retrouvent dans le sang et seront ensuite transportées vers les tissus dans ce qui constitue la phase de distribution. Les nanomédicaments subissent ensuite un métabolisme puis l’élimination 8. Effet systémique : action d’une substance après son transport à travers les vaisseaux et sa pénétration dans les tissus.

Nanotechnologies pour la nanomédecine des produits de dégradation. Quand le nanomédicament est directement administré par voie intraveineuse, la phase d’absorption est absente et les particules se distribuent directement dans les tissus accessibles. Les propriétés physicochimiques des nanomédicaments conditionnent leur distribution dans l’organisme. De cette biodistribution peuvent découler des effets toxiques (Figure 5). Les paramètres qui régissent les différentes phases de la pharmacocinétique des nanoparticules sont illustrés sur la Figure 6. Il existe dans l’organisme deux organes possédant une grande surface favorisant l’absorption des nanoparticules : ce sont les poumons et le tube digestif. Une fois dans le sang, leur distribution vers les tissus dépend de leur durée de vie dans le compartiment sanguin. Celle-ci est fonction de l’adsorption des protéines et plus précisément de qu’on appelle l’opsonisation, qui, selon qu’elle survient ou non, entraîne deux types de

comportements : une élimination rapide par le système immunitaire dans le cas d’une adsorption importante, ou une longue circulation dans le sang si la surface des nanoparticules est conçue de manière à repousser les opsonines.

Figure 5 Étapes de la pharmacocinétique des nanoparticules.

La métabolisation des nanoparticules concerne leurs constituants qui sont dégradés au niveau de certains organes ou au niveau des cellules cibles, et leur élimination. Cependant dans certains cas, les nanoparticules de très faible diamètre (