Chagall
 9781780420998, 1780420994, 9781780427003, 178042700X

Citation preview

Chagall

Page 4 : Autoportrait, 1909 huile sur toile, 57 x 48 cm Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf

Mise en page : Baseline Co Ltd. 33 Ter – 33 Bis Mac Dinh Chi St., Star Building ; 6e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam

ISBN : 978-1-78042-099-8

© Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, worldwide, USA © Marc Chagall, Artists Rights Society (ARS), New York/ ADAGP, Paris

Tous droits d'adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d'auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d'édition.

2

Avant-propos « La dignité de l'artiste réside dans son devoir de tenir le sens du merveilleux en éveil dans le monde. Dans cette longue veille, il doit souvent modifier ses méthodes de stimulation ; mais dans cette longue veille, il doit aussi lutter contre une envie de dormir permanente. » – Marc Chagall

3

Biographie 7 juillet 1887

Naissance à Vitebsk de Marc Zakharovitch Chagall. Son père est colporteur de poisson.

1906

Étudie à l’école de peinture de Jehuda Pen à Vitebsk. À la fin de l’année, part pour Saint-Pétersbourg.

1907-1910

Saint-Pétersbourg : étudie à l’École de dessin de la Société d’encouragement des beaux-arts dirigée par Nicolas Roerich et à l’école privée de Seidenberg. Entre à l’école d’art privée de Zvantseva où il suit les cours de Léon Bakst et de Mstislav Doboujinski. Expose avec les autres élèves de l’école dans les locaux de la revue Apollon.

1910-1914

Paris : s’installe en 1911 à La Ruche. Fréquente Picasso, Braque, Léger, Modigliani, Archipenko, Apollinaire, Max Jacob, Cendrars, etc. Expose à Paris au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, à Moscou avec le groupe « la Queue d’Âne », à Berlin, à la galerie « Der Sturm » (première exposition personnelle), ainsi qu’à Pétrograd et à Amsterdam. Rentre à Vitebsk à la veille de la guerre.

Juillet 1915

Épouse Bella Rosenfeld.

1915-1917

Travaille à Pétrograd, où il est mobilisé au Comité de l’industrie de guerre. Expose à Moscou et à Pétrograd.

1916

Naissance de sa fille Ida.

1918-1919

Nommé Commissaire aux beaux-arts du service régional de l’Éducation à Vitebsk. Organise et dirige une école de peinture (à partir du début de 1919) où enseignent également Doboujinski, Pougny, Malevitch, etc. Dirige l’Atelier libre de peinture et le musée. Organise les fêtes du premier anniversaire de la Révolution d’octobre. Participe à la « Première exposition nationale libre » dans le Palais d’Hiver de Pétrograd.

1920-1921

Un conflit avec Malevitch et Lissitzky l’oblige à quitter Vitebsk. Vit à Moscou et dans les environs. Exécute des travaux pour le Théâtre juif. Enseigne le dessin dans les colonies d’enfants abandonnés « Malakhovka » et « Troisième Internationale ». Commence à rédiger Ma Vie.

1922

Exposition conjointe à Moscou de Nathan Altmann, Marc Chagall et David Sterenberg.

1922-1923

Part pour Kaunas monter une exposition de ses tableaux. Se rend ensuite à Berlin et à Paris. En septembre 1923, s’installe à Paris. Eaux-fortes pour Ma Vie ; premières illustrations pour Les Âmes Mortes de Gogol.

1926

Expositions personnelles à Paris et à New York.

1930-1931

Travaille à illustrer la Bible. Voyage en Suisse, en Palestine, en Syrie, en Égypte. Expose à Paris, Bruxelles, New York. 5

1933

Un autodafé d’œuvres de Chagall est organisé à Mannheim sur les ordres de Goebbels. Exposition à Bâle.

1935

Voyage en Pologne.

1937

Naturalisé français. Voyage en Italie.

1939

Reçoit le Prix Carnegie.

1940

S’installe dans la vallée de la Loire, puis en Provence.

1941

Arrêté à Marseille, puis libéré. Part aux États-Unis.

1942

Travaux pour des théâtres aux États-Unis et au Mexique.

1944

Bella Chagall meurt à New York.

1945

Décors et costumes pour L’Oiseau de Feu de Stravinski.

1946

Expositions à New York et à Chicago.

1947

Rétrospective au Musée national d’art moderne de Paris.

1948

Retour en France. Publication des Âmes Mortes avec ses illustrations. Expositions à Amsterdam et à

1950

S’installe à Vence. S’adonne à la lithographie et à la céramique.

1951

Premières sculptures sur pierre. Grandes expositions à Berne et à Jérusalem.

Londres. Nombreux voyages au cours de cette année et des années suivantes.

1952

Épouse Valentine Brodsky. Voyage en Grèce.

1953-1955

Expositions à Turin, Vienne, Hanovre.

1956

Publication de la Bible illustrée par Chagall.

1957

Début de la grande série des vitraux (Plateau d’Assy, Metz, Jérusalem, New York, Londres, Zurich, Reims,

1959

Décoration murale du foyer du théâtre de Francfort-sur-le-Main. Rétrospectives à Paris, Munich,

Nice). Rétrospectives de son œuvre graphique à Bâle et à Paris. Hambourg. 1963

Expositions au Japon.

1964

Fresques du plafond de l’Opéra de Paris. Premières mosaïques et tapisseries.

1966

S’installe à Saint-Paul-de-Vence. Décorations murales au Metropolitan Opera de New York.

1969-1970

Pose de la première pierre du futur musée Chagall de Nice. Grande rétrospective au Grand-Palais.

Juin 1973

Voyage à Moscou et Léningrad sur l’invitation du ministère de la Culture de l’URSS.

Juillet 1973

Inauguration du Musée national Message biblique Marc Chagall à Nice.

Octobre 1977

Inauguration de l’exposition « Peintures récentes 1967-1977 » au musée du Louvre.

1982-1984

Grandes expositions à Stockholm, Copenhague, Paris, Nice, Rome, Bâle.

28 mars 1985

Marc Chagall meurt à Saint-Paul-de-Vence dans sa quatre-vingt-dix-huitième année.

1987

Grande exposition Marc Chagall à Moscou. 7

P

ar un de ces curieux renversements de l’histoire qui font d’une destinée d’homme

un destin, voici qu’un expatrié, mort en exil, retrouve sa terre natale. Depuis l’exposition de ses œuvres organisée en 1987 au musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou, qui suscita une extraordinaire ferveur populaire, Marc Chagall naît une seconde fois.

La Kermesse 1908 huile sur toile, 68 x 95 cm collection Wright Ludington, Santa Barbara (Californie, États-Unis)

8

9

Voici donc que ce peintre, peut-être le plus singulier du XXe siècle, rencontre enfin l’objet de sa quête intérieure : l’amour de « sa Russie ». Ainsi les dernières lignes de Ma Vie, le récit autobiographique que le peintre arrêtera en 1922, à son départ pour l’Occident – « et peut-être, l’Europe m’aimera et, avec elle, ma Russie » trouvent-elles leur accomplissement.

Ma Fiancée aux gants noirs 1909 huile sur toile, 88 x 65 cm Kunstmuseum, Bâle

10

11

Le signe de ce dernier nous est donné aujourd’hui par la tendance réflexive, venue du pays natal de Chagall qui au-delà du phénomène somme toute naturel de réappropriation culturelle du peintre, témoigne d’un intérêt authentique, d’un effort d’analyse, d’une vision originale qui renouvellent les études chagalliennes.

Autoportrait 1909 huile sur toile, 57 x 48 cm Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf

12

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, celles-ci restent encore historiquement peu sûres. Dans son ouvrage publié en 1961, aujourd’hui encore ouvrage de référence, Franz Meyer le souligne déjà : l’établissement par exemple d’une chronologie des œuvres est problématique. Chagall, en effet, répugnait à dater ses tableaux ou les datait a posteriori. Bon nombre d’approximations peuvent surgir de ce simple fait, auquel s’ajoutent, pour l’analyste occidental, l’absence de sources comparatives, et souvent la méconnaissance de la langue russe.

La Sœur de l’artiste (Mania) 1909 huile sur toile, 93 x 48 cm Wallraf-Richartz Museum, Köln

14

15

Aussi doit-on se féliciter de travaux récents comme celui de Jean-Claude Marcadé, qui à la suite de ceux, pionniers, de Camilla Gray et de Valentine Vassutinsky-Marcadé vient souligner l’importance du terreau originel de la culture russe dans l’œuvre de Chagall. Aussi, doit-on, plus encore, se réjouir de la publication des travaux d’historiens russes contemporains, comme l’ouvrage d’Alexandre Kamensky et celui de Mikhaïl Guerman, avec qui nous avons aujourd’hui l’honneur et le plaisir de dialoguer.

Le Sabbat 1910 huile sur toile, 90 x 98 cm Wallraf-Richartz-Museum, Köln

16

17

Et pourtant Marc Chagall a suscité une abondante littérature. Les grands noms de ce temps ont écrit sur son œuvre. Du premier essai décisif, d’Efros et Tugendhold, L’Art de Marc Chagall, publié à Moscou en 1918 – Chagall a trente et un an – au catalogue érudit et rigoureux de Susan Compton, Chagall publié en 1985, année de la mort de l’artiste, à l’occasion de l’exposition organisée à Londres par la Royal Academy, les études critiques n’ont pas manqué.

La Noce 1910 huile sur toile, 98 x 188 cm collection de la famille de l’artiste, France

18

19

La perception de l’art de Chagall ne s’en trouve pas pour autant clarifiée. Tantôt rattachée à l’École de Paris, tantôt au courant expressionniste, tantôt proche du surréalisme, l’interprétation de l’œuvre semble soumise à contradiction. Chagall échapperait-il définitivement à l’investigation historique, à l’interrogation esthétique ? La recherche pourrait en effet se stériliser en l’absence de documents sûrs, dont certains sont évidemment perdus pour cause d’errance.

Le Boucher 1910 gouache sur papier, 34 x 24 cm Galerie Trétiakov, Moscou

20

21

Cette singularité du peintre dont l’art se rebelle à toute tentative de théorisation, voire de catégorisation, se trouve d’ailleurs confortée par une observation complémentaire. Les approches les plus suggestives pour l’esprit, les intuitions les plus divinatrices sont nourries de la parole des poètes ou des philosophes. Paroles analogiques s’il en fût, que celles de Cendrars,

d’Apollinaire,

d’Aragon,

Malraux, de Maritain ou de Bachelard…

Mariage juif années 1910 encre de Chine à la plume sur papier collé sur carton, 20,5 x 30 cm collection Z. Gordeïeva, Saint-Pétersbourg

22

de

23

Parole qui révèle la difficulté à s’élaborer de tout discours critique, qu’Aragon lui-même souligne en 1945 : « Chaque moyen d’expression a ses limites, ses vertus, ses manques. Rien n’est plus arbitraire que d’essayer de substituer la parole écrite au dessin, à la peinture. Cela s’appelle la critique d’Art, et je n’ai pas conscience d’en être coupable ici » ; témoignage qui révèle la nature fondamentalement poétique elle-même, de l’art de Chagall.

Naissance d’un enfant 1911 huile sur toile, 65 x 89,5 cm collection de la famille de l’artiste, France

24

25

Si cet arbitraire du discours critique apparaît en conséquence encore plus justifié en ce qui concerne Chagall, doit-on pour autant renoncer à toute tentative de clarification, sinon d’une œuvre, dont le mystère resterait intact, au moins d’une expérience plastique et d’une pratique picturale ?

Autoportrait aux sept doigts 1911 huile sur toile, 128 x 107 cm Collection royale, La Haye

26

Doit-on pour autant isoler sous la seule effusion

lyrique

des

mots,

une

des

individualités les plus inventives de ce temps ? Doit-on abandonner la recherche relevant de l’ordre de l’esthétique, ou au contraire persister à croire qu’elle se construit dans la vie intime et multiforme des idées, dans leur libre et parfois contradictoire échange ?

Moi et le Village 1911 huile sur toile, 191,2 x 150,5 cm Museum of Modern Art, New York

28

Si tels sont au contraire les prolégomènes nécessaires à tout mouvement de la pensée, alors le discours sur Chagall peut s’enrichir de l’épaisseur

d’une

connaissance

nouvelle

apportée par les œuvres des collections de Russie restées inédites, les archives mises à jour,

les

témoignages

des

historiens

contemporains. Et la confrontation dès lors permet la compréhension approfondie d’un art sauvage, que toute tentative de conceptualisation s’épuise à domestiquer.

Le Violoniste 1911 huile sur toile, 94,5 x 69,5 cm Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf

30

31

Quelques cent cinquante œuvres, peintures et dessins, sont ici analysés sous la plume sensible de Mikhaïl Guerman. Ils se situent entre 1908 (La Fenêtre, Vitebsk) et 1922 – date à laquelle Chagall quitte définitivement la Russie – à l’exception de quelques œuvres postérieures dont les illustrations pour Les Âmes Mortes de Gogol (1923-1927) faites sur une commande d’Ambroise Vollard ; un Autoportrait (1927) et deux toiles marquantes Le Temps n’a point de Rives (1930-1939) et La Pendule à l’Aile Bleue (1949).

Le Poète (A trois heures et demi) 1911 huile sur toile, 197 x 146 cm Philadelphia Museum of Art, États-Unis

32

33

Le corpus des œuvres présentées rend compte

du

champ

chronologique

des

« débuts d’une œuvre ». L’analyse de Mikhaïl Guerman souligne avec une indiscutable pertinence les sources culturelles russes qui ont nourri l’art de Chagall – l’influence du loubok (imagerie populaire) par exemple – et se signale de surcroît par une particulière et corollaire clairvoyance.

La Chambre jaune 1911 huile sur toile, 84 x 112 cm collection particulière, Christies, Londres

34

35

Elle met au jour le mécanisme mémorial qui est au cœur de la pratique du peintre et cerne un concept majeur – on est tenté de dire un « tempo » majeur – celui de « tempsmouvement », perceptible dans l’organisation plastique

de

l’œuvre.

Beaucoup

plus

compréhensible se révèle ce phénomène de floraison vivante d’une peinture à la vérité cyclique,

apparemment

répétitive

(mais

pourquoi ?), qui pourrait se définir comme être organique, et évoquer ce sens ontologique de la création propre à la pensée d’un Berdiaev.

Nature morte à la lampe 1910 huile sur toile, 81 x 45 cm Galerie A. Rosengart, Lucerne

36

37

Ce jaillissement primordial de la peinture qui fit l’admiration de Cendrars et d’Apollinaire, cet impérieux païen pictural qui dicte sa loi à l’artiste et lui impose une finalité théurgique, dessine une esthétique et une éthique de la prédestination que, pour notre part, nous souhaiterions expliciter. C’est dans l’immédiateté de sa pratique picturale, dans l’immédiateté d’une décision créatrice où se construit sa propre identité, que Chagall se trouve.

De la Lune (Le Village russe) 1911 huile sur toile, 126 x 104 cm Staatsgalerie Moderner Kunst, Munich

38

Cette révélation à soi-même, celle qui conduit de la personne à l’artiste, nous est relatée par Chagall lui-même. Le récit autobiographique Ma Vie, rédigé en russe, parut pour la première fois dans la traduction française qu’en fit Bella Chagall, en 1931, à Paris. Témoignage infiniment précieux de toute une part de la vie de l’artiste, ce texte, tendre, alerte, cocasse, révèle cependant au-delà de l’anecdote les thèmes fondamentaux de l’œuvre et surtout sa problématique.

Dédié à ma Fiancée 1911 huile sur toile, 196 x 114,5 cm Kunstmuseum, Berne

40

41

Le récit dans son ensemble n’est pas d’ailleurs sans évoquer ces biographies d’artistes étudiées par Ernst Kris et Otto Kurz qui en organisent la typologie. Dès les premières lignes une phrase singulière appelle l’attention : « Ce qui d’abord m’a sauté aux yeux, c’était un ange. » Ainsi, les premières heures de la vie de Chagall inscrivaient-elles ce dernier dans le champ du voir.

Apollinaire 1911 crayon sur papier, 33,5 x 26 cm collection de la famille de l’artiste, France

42

43

Inaugurée sur le ton de la fable, cette biographie-là ne peut être que celle d’un peintre. Et, plus loin, Chagall qui rappelle les difficultés de sa naissance ajoute : « Mais avant tout je suis mort-né. Je n’ai pas voulu vivre. Imaginez une bulle blanche qui ne veut pas vivre. Comme si elle était bourrée de tableaux de Chagall. »

Etude pour « La Pluie » 1911 gouache et crayon sur carton, 22,5 x 30 cm Galerie Trétiakov, Moscou

44

45

Ainsi, vivre serait-il donc peut-être libérer cet intérieur de soi qui est d’abord peinture ? Le thème de la vocation, inscrit dans celui du rêve prémonitoire, du signe avoué d’une nature unique que désigne le présage, ici avoué nous semble d’autant plus déterminant qu’il structure le déroulement événementiel de la biographie et donne sens au destin de l’artiste.

À la Russie, aux ânes et aux autres 1911-1912 huile sur toile, 156 x 122 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

46

Chagall est né dans une famille juive de stricte obédience pour qui l’interdit de représentation de la figure humaine avait valeur de dogme. On a peine à imaginer la force transgressive, la fièvre et la férocité d’être qui entraînent le jeune Chagall quand il se rue sur la revue Niva pour y copier le portrait du compositeur Rubinstein, si on ignore la nature de toute éducation juive traditionnelle.

Hommage à Apollinaire 1911-1912 huile sur toile, 109 x 198 cm Stedelijk Museum, Amsterdam

48

D’abord religieuse, soumise à la loi historique de l’Élection divine, cette éducation ne se déploie d’ailleurs que dans la sphère du religieux. La transmission, au sein même du foyer juif, se définit essentiellement par l’oralité. Toute prière, tout récit tiré de la Torah ou du Talmud imposés à l’observant, est psalmodié ; à haute voix se fait l’apprentissage de la lecture ; la vie quotidienne rythmée par le temps répétitif de la pratique rituelle bruit de chants, et le jour du shabbat, de solennelles bénédictions.

Le Saoul (Le Buveur) 1911-1912 huile sur toile, 85 x 115 cm collection particulière

50

51

Chaque maison juive est le lieu sanctifié d’une liturgie de la parole. La famille de Chagall est de tradition hassidique : il convient de souligner ici, que cette forme de piété – hassid veut dire pieux – privilégie le rapport direct de l’individu à Dieu. Le dialogue qui s’instaure dès lors, entre le fidèle et Javeh existe sans la médiation de l’appareil rabbinique.

Le Marchand de bestiaux 1912 huile sur toile, 96 x 200 cm Kunstmuseum, Bâle

52

53

Il naît directement du rituel quotidien et se déploie

dans

l’exercice

de

la

liberté

personnelle. Le hassidisme échappe à la culture talmudique savante, au commentaire institutionnel

de

la

synagogue.

Il

fut

historiquement le propre des communautés rurales russes et polonaises, repliées sur le groupe originel fondamental pour la société juive qu’est la famille.

Golgotha 1912 huile sur toile, 174 x 191,1 cm Museum of Modern Art, New York

54

55

Le père de Chagall, Zakhar, était ouvrier saumurier chez un marchand de harengs. Sensible, secret, taciturne, la personne du père intégrait à l’évidence la dimension tragique inhérente au destin du peuple juif. « Tout me semblait énigme et tristesse dans mon père. Image inaccessible », écrit Chagall dans Ma Vie.

Le Soldat boit 1912 huile sur toile, 110,3 x 95 cm Musée Guggenheim, New York

56

La mère, Feïga-Ita, fille aînée du boucher de Liozno, rayonnait au contraire d’énergie vitale. L’antithèse psychologique des personnes se retrouve dès les premiers dessins de Chagall, et s’observe dans la série d’eauxfortes réalisées par le peintre pour Paul Cassirer, à Berlin en 1923, et précisément destinées à l’illustration de Ma Vie.

Soldats 1912 gouache sur carton, 38,1 x 31,7 cm collection particulière

58

En elle, si fortement éprouvée par le peintre, s’accomplit l’expérience immémoriale de toute existence juive : père et mère mettent à l’œuvre, dans la peinture de Chagall, au sein même de l’espace plastique du tableau ou du dessin, non seulement le vécu spécifique de la mémoire, mais les deux aspects contradictoires constitutifs du génie juif et de son histoire, la résignation au fatum, dans l’acceptation de la volonté de Dieu ; l’énergie créatrice porteuse d’espérance, dans le sentiment inébranlable de l’élection divine.

Le Violoniste 1912-1913 huile sur toile, 184 x 148,5 cm Collection royale, La Haye

60

Marc Chagall a un frère et sept sœurs : David, dont il fera d’émouvants portraits, qui meurt en pleine jeunesse ; Anna (Aniouta), Zina, les jumelles Lisa et Mania, Rosa, Maroussia et Rachel morte elle aussi, en bas âge. Si l’existence familiale est difficile, elle n’est cependant pas misérable. Elle participe de la vie même du stedtl, cette réalité culturelle spécifiquement juive liée à la structure sociale du ghetto.

Maternité (La Femme enceinte) 1913 huile sur toile, 194 x 115 cm Stedelijk Museum, Amsterdam

62

63

À Vitebsk, cette réalité est insérée dans la structure paysanne russe. À la fin du XIXe siècle, Vitebsk est encore une petite ville de Biélorussie située au confluent de deux fleuves, la Dvina et la Witsba. Ses activités économiques sont en pleine expansion. Mais malgré l’arrivée du chemin de fer, la gare, les petites industries et le port fluvial, la ville garde encore les caractères d’une bourgade rurale.

Paris par la fenêtre 1913 huile sur toile, 132,7 x 139,2 cm Musée Guggenheim, New York

64

65

Si les églises, nombreuses, et la cathédrale orthodoxe lui accordent un aspect plus urbain, la plupart des habitations sont encore en bois, et les rues, glacées en hiver, torrentueuses au printemps, ne sont pas pavées. Chaque maison, type-témoin d’une unité économique fondée sur un système domestique traditionnel, possède son petit jardin et sa basse-cour.

Le Balayeur 1913 gouache sur papier, 27 x 23 cm collection particulière, Saint-Pétersbourg

66

Avec leur barrière de bois, leur décor polychrome, les maisons de Vitebsk vivront éternellement dans les tableaux de Chagall. Les communautés russes orthodoxes et juives se côtoient sans heurts. Les clivages entre les deux communautés s’effectuaient d’ailleurs beaucoup plus sur le plan social que sur le plan confessionnel. Il existait une bourgeoisie juive, faite de riches commerçants dont le processus d’intégration passait bien évidemment par l’école.

Vue de la Fenêtre, Vitebsk 1914 gouache, huile et crayon sur papier collé sur carton, 36,3 x 49 cm Galerie Trétiakov, Moscou

68

69

Chagall lui-même ira à l’école communale même si l’institution n’accepte pas d’enfants juifs. C’est de ce vécu de l’enfance que procèdent les schèmes picturaux du vocabulaire plastique chagallien. Ils s’y enracinent et s’y alimentent comme d’une source perpétuellement renouvelée.

La Boutique du coiffeur 1914 gouache et huile sur papier, 49,3 x 37,2 cm Galerie Trétiakov, Moscou

70

71

Mais ces fragments de la mémoire repérables par leur statut d’objets plastiques dès les premières œuvres – la chambre, l’horloge, la lampe, le samovar, la table du sabbat, la rue du village, la maison natale et son toit, Vitebsk enfin reconnaissable aux coupoles de sa cathédrale – n’ont pu se définir en tant que schémas figurés, qu’au terme d’un véritable processus de distanciation.

Maison à Liozno 1914 gouache, huile et crayon sur papier, 37,1 x 49 cm Galerie Trétiakov, Moscou

72

73

C’est donc en obéissant à sa vocation – « Maman, … je voudrais être peintre » –, c’està-dire en s’arrachant à son milieu familial et social que Chagall se donnera les moyens de son propre langage formel. Le souvenir métamorphosé en figure va rompre avec tout réalisme reproducteur et exprimer une autre réalité qui en fonde les apparences.

Pharmacie à Vitebsk 1914 gouache, détrempe, aquarelle et huile sur papier collé sur carton, 40 x 52,4 cm collection V. Doudakov, Moscou

74

75

Quelques

indications

relevant

de

la

biographie sont ici nécessaires. Chagall parvient à convaincre sa mère de l’inscrire « à l’École de dessin et de peinture du peintre Pen ». Mais rapidement les lois de l’apprentissage, le laborieux exercice de la copie, laissent le jeune Chagall insatisfait. Ce qu’il recherche encore confusément, ce qu’il effleure par ses premières audaces de coloriste, ne relève pas de la tradition académique dispensée par Pen.

Portrait de sa sœur Mariassinka 1914 huile sur carton, 51 x 36 cm collection particulière, Saint-Pétersbourg

76

77

La peinture qu’il porte en lui, n’est pas celle, héritière

des

Ambulants

du

réalisme

représentatif, et dont témoignait Pen. Rebelle à tout enseignement, Chagall affirme dès 1907 par une précoce capacité d’invention – n’utiliset-il pas hors de toute règle, la couleur violette ? – le caractère autodidacte qui est la marque des créateurs. À l’image de celui du héros des grands mythes fondateurs de l’inconscient collectif, un destin de peintre s’élabore.

Le Balayeur (Le Gardien et les oiseaux) 1914 huile sur toile, 49 x 37,5 cm Galerie de peinture Koustodiev, Astrakhan

78

79

Et ce destin ne se construit qu’en fonction d’épreuves dont la plus décisive reste l’arrachement au lieu natal, le départ. Chagall partira donc. En 1907, en compagnie de son ami Viktor Mekler, il quitte Vitebsk, plus tard une des principales figures symboliques de son œuvre, pour Saint-Pétersbourg. Le départ pour Saint-Pétersbourg

suscite

quelques

interrogations. Chagall en effet, aurait pu désirer poursuivre une aventure artistique commençante, à Moscou. Choisir la capitale revêt un sens particulier.

Le Père 1914 détrempe sur papier collé sur carton, 49,4 x 36,8 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

80

Chagall se conforme tout d’abord sans le savoir, à une tradition issue de la Renaissance, qui fait du voyage une des modalités principales de tout apprentissage. Si peindre est aussi un métier – le statut de l’artiste, malgré les révoltes romantiques, garde encore à l’aube du XXe siècle la spécificité du statut d’artisan comme au XVe siècle – la reconnaissance sociale de ce même statut, passe inévitablement par la formation académique.

Le Marchand de Journaux 1914 huile sur toile, 98 x 78,5 cm collection Ida Chagall, Paris

82

Saint-Pétersbourg est de surcroît la capitale intellectuelle et artistique de la Russie impériale. Plus que la continentale Moscou, c’est une ville dont l’histoire propre se caractérise par une ouverture constante vers l’Europe occidentale. Elle dispense par son architecture, son urbanisme, ses écoles, ses salons, une nourriture formelle et spirituelle qui va enrichir le jeune provincial.

Le Juif en vert 1914 huile sur carton, 100 x 80 cm collection Charles im Obersteg, Genève

84

Le regard aigu de Chagall quêtera le moindre reflet de la transparente lumière du nord sur la surface de ses canaux. Il vient chercher l’excellence pétersbourgeoise. Son échec à l’examen d’entrée à l’école des arts et métiers du baron Stieglitz, ne l’empêche pas d’intégrer plus tard celle fondée par la Société impériale d’encouragement des beaux-arts dirigée par Nicolas Roerich.

Autoportrait 1914 huile sur toile, 62 x 96 cm collection particulière

86

87

Nicolas

Roerich

(1874-1947)

avait

participé à la revue Mir Iskousstva (Le Monde de l’Art), fondée en 1898 par Alexandre Benois et animée jusqu’en 1904 par Serge Diaghilev. La revue, et le groupe d’artistes qui y adhérait, jouera un rôle déterminant dans le débat esthétique général qui préoccupe la Russie au cours de la première décennie du XXe siècle.

Au-dessus de Vitebsk 1914 huile sur papier, 73 x 92,5 cm collection Ayala et Sam Zacks, Toronto

88

89

Son emblème, un aigle du nord dessiné par Bakst synthétise formellement les finalités poursuivies : créer un art nouveau, original parce que puisant au patrimoine russe, mais ouvert à l’influence de l’Occident, capable donc de faire surgir, dans un pays qui ne l’avait

pas

historiquement

connue,

véritable Renaissance.

Horloge 1914 gouache, huile et crayon sur papier, 49 x 37 cm Galerie Trétiakov, Moscou

90

une

91

Le Monde de l’Art préconise une esthétique totalisatrice. Héritier, dans une certaine mesure, des théories de Ruskin, que la revue fait connaître, il intègre dans son propos le symbolisme, et son action fut incontestablement féconde. En 1908, Roerich est un artiste reconnu. Son œuvre multiforme qui joua un rôle non négligeable dans le renouveau des arts décoratifs et des arts appliqués prôné par Mir Iskousstva, ne doit pas faire oublier le créateur de nombreux décors de théâtre et de ballet.

Autoportrait au col blanc 1914 huile sur carton, 29,9 x 25,7 cm Philadelphia Museum of Art collection Louis E. Stern, Philadelphie

92

Ce

slavophile

convaincu,

à

l’instar

de Kandinsky qui pratiqua l’enquête ethnographique la plus minutieuse, s’est opposé au sein du groupe du Monde de l’Art, aux tenants de l’Occident. Le débat critique entre occidentalistes et slavophiles se présente d’ailleurs comme un des débats majeurs ayant affecté l’histoire intellectuelle de la Russie.

Les Amoureux en bleu 1914 huile sur carton, 48,5 x 44,5 cm collection particulière, Saint-Pétersbourg

94

En 1909, la controverse se double de la permanente et symbolique rivalité entre Saint- Pétersbourg et Moscou. Une autre revue, fondée par un marchand moscovite, Nicolas Riabouchinsky, est venue prendre la relève de Mir Iskousstva, dont les acteurs principaux avaient quitté la Russie pour l’Europe occidentale.

Les Amoureux en vert après 1914 huile sur papier, 48 x 45 cm collection particulière, Moscou

96

Intitulée La Toison d’Or, revue militante s’il en fût, celle-ci revendique la liberté de l’expression artistique au nom d’un des vieux mythes fondateurs de l’ancestrale Russie, incarnation de cette Scythie fabuleuse que Blok chantera en un très célèbre poème. Comme Mir Iskoustva, La Toison d’Or, qui cessera de paraître en 1909, contribue à la vie artistique de l’époque. Elle fait connaître du grand public des individualités aussi diverses que celles de Benois, Bakst – dont la rencontre sera pour Chagall déterminante –, Roerich, Golovine, Doboujinski, Larionov, Gontcharova…

Soldat blessé 1914 encre de Chine sur papier 22,6 x 13,3 cm (ovale) Galerie Trétiakov, Moscou

98

99

De nombreuses personnalités françaises y collaborent ; Charles Morice publie une série d’articles

concernant

«

les

nouvelles

tendances de l’art français », Maurice Denis une étude sur Gauguin et Van Gogh ; Matisse lui-même, qui trouve en Chtchoukine et Morozov ses principaux collectionneurs, analyse sa conception de l’art dans l’étude Notes d’un Peintre.

Prédicateur de Vitebsk 1914 encre de Chine sur papier, 52 x 42,5 cm collection particulière, Moscou

100

Le retentissement de ces articles, qui se concrétise dans une série d’expositions que la revue organise en 1908, 1909 et 1910, est considérable.

À

la

différence

de

Mir

Iskousstva, qui érigeait en modèle esthétique le XVIIIe siècle français, même si sa tendance peut à la vérité la rattacher au Jugendstil international, La Toison d’Or appelle l’attention des

artistes

russes

sur

une

création

contemporaine, et contribue par conséquent à la réflexion, décisive, on le sait, pour l’évolution de l’art, sur la notion de modernité.

Le Soldat et la jeune fille 1914 encre de Chine sur papier, 18,5 x 29 cm collection particulière, Saint-Pétersbourg

102

Nul doute que Chagall ne reçut, à SaintPétersbourg l’écho des multiples controverses qui

agitaient

le

milieu

des

peintres.

Cependant l’enseignement de Roerich, guère différent de celui de Pen, le déçoit. L’exercice scolaire de la copie lui paraît une perte de temps : « Deux ans perdus dans cette école », écrit-il avec amertume.

Homme au chat et femme à l’enfant 1914 encre de Chine à la plume et rehauts de blanc de céruse sur papier, 22,3 x 17,2 cm Galerie Trétiakov, Moscou

104

Deux ans qui lui permettent cependant de rencontrer

son

premier

mécène

et

collectionneur, l’avocat Goldberg, dont il représentera Le Salon et Le Cabinet de Travail (1908) ; et surtout son futur protecteur, l’influent député à la Douma, Max Vinaver. Chagall fréquente les milieux intellectuels juifs actifs autour de Vinaver pour animer, avec l’écrivain Pozner, le critique Sirkine et Leopold Sew, beau-frère de Max Vinaver, la revue juive, publiée en langue russe Voskhod (Renouveau).

Vieux Juif 1914 lithographie, 31,5 x 23 cm Galerie Trétiakov, Moscou

106

107

La présence de l’intelligentsia juive dans le débat majeur du temps est incontestable. La prise de conscience d’une identité culturelle juive spécifique en cours d’élaboration n’excluait pas pour autant, bien au contraire, la volonté de se donner une nouvelle dimension d’universalité nationale et internationale. Voskhod est l’instrument de leur action.

La Rue 1914 encre de Chine sur papier, 15,5 x 16,2 cm Musée russe, Saint-Péterbourg

108

Vinaver et Sew vont ouvrir à Chagall les portes de la célèbre école Zvantseva. Cette école, privée, avait été fondée par une femme fortunée, peintre elle-même, Elizaveta Nikolaïevna Zvantseva, laquelle, après un séjour à Paris, avait décidé de créer un enseignement nouveau, susceptible d’apporter aux jeunes peintres russes les moyens techniques

d’une

expression

résolument

contemporaine qui leur faisaient défaut.

Soldats aux Pains 1914-1915 gouache et aquarelle sur carton, 50,5 x 37,5 cm collection Z. Gordeïeva, Saint-Pétersbourg

110

111

À Saint-Pétersbourg, Elizaveta fait appel à ceux qui apparaissent comme les meilleurs artistes de l’époque, Mstislav Doboujinski et surtout Léon Bakst. Bakst avait conquis une renommée internationale en particulier par sa collaboration avec Diaghilev. Portraitiste recherché, il est aussi décorateur, illustrateur, et surtout créateur brillant de costumes et décors pour le théâtre et le ballet.

Le Vieux et la vieille 1914-1915 encre de Chine sur papier, 15 x 13 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

112

113

Ainsi travaille-t-il pour Diaghilev, et ses étoiles, Fokine, Pavlova, Karsavina et Nijinsky. Grande est sa réputation. Chagall la connaît, en est profondément impressionné, même si Bakst, cet Européen, est comme Chagall, un Juif. Entrer à l’école Zvantseva, approcher Bakst est vécu par Chagall comme un insigne privilège. Auprès d’un des siens, il s’apprête à trouver cette autre réalité qu’il pressent, porte en lui, et qu’il cherche à objectiver par les seuls moyens de la peinture.

Maison à la sortie de la ville 1914-1915 encre de Chine sur papier, 15,1 x 14,1 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

114

115

Dans la liberté de l’enseignement dispensé par Bakst, Chagall élabore peu à peu son langage, conquiert la maîtrise spatiale de la couleur, découvre progressivement un style. L’esthétique

symboliste

de

Bakst,

son

maniérisme décoratif ne l’influencent pas. En revanche, il fait rapidement sienne une des exigences du peintre qui était « l’art de juxtaposer

des

couleurs

contrastées

équilibrant leur influence réciproque… ».

Au-dessus de la Ville 1914-1918 huile sur toile, 141 x 198 cm Galerie Trétiakov, Moscou

116

en

117

Le Petit Salon, daté de 1908, et exécuté au début du séjour chez Bakst, en fait la démonstration. Sur un fond librement brossé d’un rose délicat, se dessine en brun l’arabesque des objets – chaises, console, pot de fleurs. Les formes, légères, dansent au sein d’un espace aérien qui refuse l’illusionnisme de la perspective. La profondeur, sans être décrite, est suggérée par l’utilisation d’un vert clair qui évide le fond.

Le Juif en rouge 1915 huile sur carton, 100 x 80,5 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

118

Au premier plan, la double courbure du dos d’une chaise et l’angle coupé d’une table, mettent en mouvement à la manière de certains pastels de Degas, l’espace tout entier. La maîtrise d’un coloriste se révèle dans ce tableau. L’audace virtuose de la composition, manifeste une aisance qui œuvre, souveraine, au sein même du motif, alors même que la toile est réalisée à Liozno, lors d’un séjour chez le grand-père de l’artiste.

Fenêtre à la Datcha, Zaolchié près de Vitebsk 1915 gouache et huile sur carton, 100 x 80 cm Galerie Trétiakov, Moscou

120

Chagall, en effet retourne souvent auprès des siens comme pour mieux fixer les images intérieures qui constitueront son vocabulaire plastique, il peint frère et sœurs, parents, scènes d’une vie quotidienne où s’affine sa vision personnelle. Il peint Vitebsk, ses rues et ses maisons de bois, Vitebsk, lieu de l’enfance, plus tard, figure emblématique de la terre natale.

Le Poète allongé 1915 huile sur toile, 77 x 77,5 cm collection The Trustees of the Tate Gallery, Londres

122

À l’automne 1909, par l’intermédiaire d’une amie commune, qui d’ailleurs posait pour lui, Théa Brachman, Chagall rencontre sa future femme Bella Rosenfeld. Inoubliable rencontre, doublement relatée par ceux qui en furent les héros : « Brusquement je sens que ce n’est pas avec Théa que je dois être, mais avec elle ! Son silence est le mien. Ses yeux,

Le Miroir 1915 huile sur carton, 100 x 81 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

124

les miens, c’est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir ; comme si elle veillait sur moi, me devinant au plus près, bien que je la voie pour la première fois. Je sentis que c’était elle ma femme », raconte Chagall dans Ma Vie.

Le Violoniste en vert 1915 huile sur toile, 195,6 x 108 cm Guggenheim Museum, New York

126

127

Et dans Lumières Allumées, Bella répond : « Je n’ose lever les yeux et affronter le regard du garçon. Ses yeux sont maintenant vert-gris, ciel et eau. Est-ce dans ses yeux ou dans le fleuve que je nage… ». Ma Fiancée aux Gants Noirs (1909), témoigne du bouleversement éprouvé.

L’Anniversaire 1915-1923 huile sur carton, 30,6 x 94,7 cm Guggenheim Museum, New York

128

129

L’œuvre est la première d’une longue série de portraits de Bella, et accompagne les portraits familiaux, de David, de Mania, d’Aniouta, mais s’en différencie par son caractère de solennité grave. Bella, dans une robe blanche ornée d’un col de dentelle plissée, se dresse, debout au centre du tableau. La tête, légèrement tournée de côté, est coiffée d’un béret d’où s’échappe sa brune chevelure.

Les Muguets 1916 huile sur carton, 42 x 33,5 cm galerie Trétiakov, Moscou

130

La composition spatiale et l’attitude ellemême contribuent à donner au personnage une monumentalité certaine, celle des portraits d’apparat de la tradition classique. Mais le contraste chromatique entre le blanc éclatant de la robe et le noir profond des gants, accorde un charme étrange à cette figure de femme, mystérieuse comme une apparition.

La Toilette de l’enfant 1916 détrempe sur carton, 59 x 61 cm Musée national d’Histoire, d’Architecture et d’Art, Pskov

132

133

L’opposition

simultanée

des

couleurs

souligne dès lors une conception nouvelle qui rompt avec les lois du genre et s’accomplira ultérieurement. Ma Fiancée aux Gants Noirs, et plus tard Bella au Col Blanc, sont bien des portraits par l’observation aiguë de la vérité physique et psychologique du modèle. Mais ce dernier ne reste pas prisonnier de sa propre individualité. Image de la femme aimée, image de l’amour qu’elle suscite, Bella acquiert la dimension universelle du type. Le tableau est une icône. Sa fonction n’est pas représentative, mais démonstrative. Elle signifie.

Les Amoureux en rose 1916 huile sur carton, 69 x 55 cm collection particulière, Saint-Pétersbourg

134

135

Dès 1909, Chagall pressent le débat majeur lié au statut même de la peinture, que la pratique lui fait éprouver. Mode de représentation du visible, la peinture ne seraitelle donc que ce redoublement illusionniste de la matérialité du monde ? Ne serait-elle pas au contraire le mode privilégié d’exploration d’un au-delà des apparences qui en fondrait la réalité perceptible ?

Les Amoureux en gris 1916 huile sur carton, 69 x 49 cm collection Ida Chagall, Paris

136

137

Ne serait-elle pas, comme la poésie, un des modes de révélation de l’être ? Vieux débat philosophique qui remonte à Platon, cette interrogation est liée à toute l’histoire de la peinture. Elle prendra en Russie une dimension fondamentaliste

qui

caractérisera

toutes

les recherches de l’avant-garde russe de Gontcharova à Malevitch.

Bella au col blanc 1917 huile sur toile, 149 x 72 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

138

139

Mais Chagall reste rebelle à toute théorisation de l’art. A-t-il rencontré effectivement chez Bakst, Larionov et Gontcharova par exemple, déjà engagés en 1909 et 1910 dans l’aventure futuriste ? Aucun document précis à ce jour ne le confirme. Le jeune peintre, malgré sa vraisemblable connaissance de l’ampleur, de la vitalité effervescente du jeune mouvement artistique russe, œuvre en solitaire.

Autoportrait à la palette 1917 huile sur toile, 88,9 x 58,4 cm collection particulière

140

141

Les thèmes de sa symbolique personnelle naissent de la seule expérience intérieure, de la rêverie créatrice d’images, qui apparente peinture et poésie. Deux

tableaux

en

sont

l’expression

spécifique : Le Mort (1908) et La Naissance (1910).

L’analyse

que

conduit

Mikhaïl

Guerman de ce dernier souligne avec force, le caractère sacramentel qui métamorphose une scène ordinaire en célébration liturgique – caractéristique déjà perceptible dans Le Mort.

Fenêtre sur le jardin vers 1917 huile sur papier collé sur carton, 46,5 x 61 cm appartement-musée Isaac Brodski, Saint-Pétersbourg

142

143

Un souvenir précis relaté par Chagall dans Ma Vie est à l’origine du tableau : « Un matin, bien avant l’aube, des cris, soudain montèrent de la rue au-dessous des fenêtres. À la faible lueur de la veilleuse, je parvins à distinguer une femme qui courait seule à travers les rues désertes. Elle a peur de rester seule avec son homme. Des gens effrayés accourent de tous côtés. Tout le monde gémit, pleure.

La Maison grise 1917 huile sur toile, 68 x 74 cm collection Thyssen-Bornemisza, Madrid

144

145

Mais les plus fermes habitués à tout, écartent les femmes, allument tranquillement les cierges et au milieu du silence, commencent à prier à haute voix sur la tête du moribond. La lueur des cierges jaunes, le teint de ce visage à peine mort,

l’assurance

des

mouvements

des

vieillards, leurs yeux impassibles me persuadent moi et l’entourage que tout est fini […]. Le mort solennellement triste est déjà couché par terre, le visage illuminé par six cierges. »

Double Portrait au Verre de Vin 1917 huile sur toile, 233 x 136 cm Musée National d’Art moderne, Paris

146

147

À ce souvenir se mêlent d’autres images : celle du grand-père excentrique que l’on retrouvait souvent juché sur le toit de la maison ; celle de l’oncle violoniste. Mais si la mémoire fournit des éléments au tableau, ce dernier n’est pas réduit à leur simple et naturaliste transcription. Chaque partie se révèle tributaire de l’ensemble, constitutive du tout. Au centre, la rue du village avec, de part et d’autre, les maisonnettes en bois couronnées de leurs toits de zinc.

La Promenade 1917 huile sur toile, 170 x 163,5 cm Musée russe, Saint-Pétersbourg

148

Une enseigne de cordonnier orne l’une d’entre elles ; un drapeau, celle qui lui fait face. Du côté gauche de la rue, le mort à terre, est entouré des six cierges du récit. À droite une femme, bras levés vers le ciel semble courir tandis que disparaît entre les maisons un homme dont on ne voit que les jambes. Au milieu de la rue, un balayeur, indifférent à la scène, effectue son travail.

Les Portes du cimetière 1917 huile sur toile, 87 x 66,5 cm collection Ida Chagall, Paris

150

Il est incontestable que Chagall a emprunté l’essentiel de la scène à ses souvenirs. Mais la comparaison du récit et du tableau nous en indique déjà les différenciations. Si le personnage de la femme est conforme au récit, nulle trace de celui du balayeur et de cet autre personnage dont on ne perçoit que les jambes, personnage aveugle, impossible à identifier, personnage sans visage comme la mort elle-même.

Vitebsk, scène de village 1917 huile sur toile, 37,5 x 54,5 cm collection particulière

152

153

Le détail réaliste des cierges allumés, comme du corps à terre, correspond bien au rituel funéraire juif. Mais l’exposition au milieu du village est inventée. Le violoniste semble être une sorte de collage en une seule figure, des souvenirs du grand-père sur le toit et de l’oncle musicien. Le tableau est construit sur une composition en chiasme, et sur l’association terme à terme des figures.

Autoportrait à la muse (L’Apparition) 1917-1918 huile sur toile, 148 x 129 cm collection Z. Gordeïeva, Saint-Pétersbourg

154

Le violoniste, dans la partie haute du tableau constitue une verticale qui s’oppose au mort, gisant horizontalement dans la partie basse. La femme en détresse tourne le dos au balayeur. À travers la fenêtre de la maison gauche, brille une lumière. Celle de la maison de droite se referme sur l’obscurité. La rue elle-même, triangle sombre, est l’antithèse du ciel, triangle clair. À la composition formelle correspondent les choix chromatiques.

La Maison bleue 1917-1920 huile sur toile, 66 x 97 cm Musée des Beaux-Arts, Liège

156

157

Le contraste des valeurs froides et des valeurs chaudes contribue en effet à accentuer le caractère d’étrangeté de la scène, tout en suggérant sa signification. À gauche, en effet, dominent les formes calmes et les couleurs froides. Dans l’immobilité de leur attitude, le violoniste et le mort semblent appartenir à l’ordre éternel de la nature.

La Noce 1918 huile sur toile, 100 x 119 cm Galerie Trétiakov, Moscou

158

159

À droite, les formes qui se heurtent, les personnages en mouvement, les couleurs plus franches, vert du corsage de la femme, blanc de sa jupe, rose des maisons, semblent en revanche indiquer l’univers des passions humaines. Nouvelle figure allégorique du destin, le balayeur se trouve à la lisière de ces deux mondes ; quant au personnage inconnu, qui tourne le dos à la scène et paraît s’enfuir ne pourrait-il incarner Chagall lui-même ?

La Datcha 1918 huile sur carton, 60,5 x 46 cm Galerie de peinture d’Arménie, Érévan

160

La peinture mettrait alors en scène la dramaturgie du choix qui se pose au peintre et le conduit, pour cause de vocation à rompre avec l’ordre naturel de son milieu familial et social. Les circonstances historiques du départ de Chagall pour Paris sont aujourd’hui bien connues. L’avocat Vinaver, son protecteur et premier mécène lui accorde une bourse en échange d’une toile, La Noce, et d’un dessin.

Intérieur au bouquet de fleurs 1918 huile sur papier collé sur carton, 46,5 x 61 cm appartement-musée d’Isaac Brodski, Saint-Pétersbourg

162

163

Le montant de la bourse, 125 francs, doit permettre au jeune homme un séjour de quatre ans à l’étranger. En homme de culture humaniste, Vinaver souhaitait que Chagall parte pour Rome. Mais Chagall opte pour Paris. Le rayonnement artistique de la capitale française est incontestable, et Chagall ne s’y trompe pas : Paris sera son « second Vitebsk ».

Paix aux chaumières, guerre aux palais 1918-1919 aquarelle et crayon sur papier, 33,7 x 23,2 cm Galerie Trétiakov, Moscou

164

165

Isolé d’abord, dans la petite chambre de l’impasse du Maine, Chagall retrouve vite à la Ruche, de nombreux compatriotes attirés eux aussi par le prestige de Paris : Lipchitz, Zadkine, Archipenko, Soutine, qui maintiendront, autour du jeune peintre, le parfum de la terre natale. Dès son arrivée, Chagall veut « tout découvrir ». Et de fait, à ses yeux éblouis la peinture se révèle.

Esquisse de costume pour « Le Revizor de Gogol » 1920-1922 crayon et aquarelle sur papier, 31 x 21 cm collection de la famille de l’artiste, France

166

167

D’abord celle des musées. Au Louvre, il découvre Chardin, Fouquet, Rembrandt : « C’était comme si des dieux s’étaient tenus devant moi ». Peinture rêvée, à Vitebsk ou Saint-Pétersbourg, peinture d’éternité, où se lit l’éternité de la peinture. Puis celle plus proche que Chagall pressentait, celle d’un Courbet, d’un Manet, d’un Monet, ces premiers révolutionnaires du regard.

Les Maisons rouges 1922 huile sur toile, 80 x 90 cm collection particulière

168

169

Comparaison déterminante : « Le meilleur réaliste russe choque le réalisme de Courbet. L’impressionnisme russe le plus authentique laisse perplexe si on le confronte à Monet et à Pissarro. » Toute la dimension historique, toute la dimension esthétique et culturelle de l’histoire même de la peinture, se dévoile à Chagall. Cet apprentissage décisif du regard se double de quelques exercices d’atelier, à la Grande Chaumière et à la Palette où officiait Le Fauconnier, dont l’épouse était d’ailleurs russe.

Juif en prière 1923 huile sur toile, 116,9 x 88,9 cm The Art Institute of Chicago, Chicago

170

Mais la véritable nourriture formelle de Chagall, sera, selon ses propres déclarations, Paris lui-même, Paris et cette extraordinaire « Lumière-Liberté » par laquelle il s’accomplira comme peintre. De cette première période parisienne éclosent les grands chefs-d’œuvre : À la Russie, aux Ânes et aux Autres (1911-1912), Moi et le Village (1911), Le Saint Voiturier (1911-1912), Hommage à Apollinaire (1911-1912), Autoportrait aux Sept Doigts (1912-1913).

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

172

173

La frénésie de peintre qui anime Chagall justifie les termes que, plus tard, André Breton emploiera pour la qualifier : « La totale explosion lyrique date de 1911. C’est de cet instant que la métaphore, avec lui seul, marque son entrée triomphale dans la peinture moderne », écrit le poète dans Genèse et Perspective Artistiques du Surréalisme, en 1941.

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

174

175

Explosion lyrique totale en effet, que cette fulgurance picturale qui trouve l’immédiateté de son expression propre. Comment ne pas s’étonner

du

miracle

de

la

peinture

chagallienne entre 1911 et 1914 ? Comment ne pas s’émerveiller de la cohérence obstinée d’un projet créateur qui, à la rencontre du fauvisme et du cubisme en retient la leçon pour mieux s’en libérer ?

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette, 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

176

177

Que la couleur en ses excès soit porteuse des valeurs du sensible, Chagall intuitivement le sait déjà. Encore fallait-il la hisser à son point extrême de rayonnement, en user comme d’une sonorité rare. Le peintre doit aux fauves, à Van Gogh, à Gauguin, à Matisse, vus chez Bernheim, la rencontre avec l’absolu de la couleur. Il doit à Cézanne et aux cubistes la géométrique ossature de ses tableaux entre 1911 et 1914, et les éléments de sa grammaire plastique.

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

178

Mais sa singularité résiste à tous les enfermements théoriques. « Qu’ils mangent leurs

poires

carrées

sur

leurs

tables

triangulaires ! » s’écrie-t-il avec véhémence, en parlant des peintres cubistes. En véritable créateur, Chagall n’emprunte au cubisme que ce qui sert sa vision personnelle. La peinture, pour ce rebelle de l’art, est d’abord envol de l’imaginaire. Le répertoire thématique des œuvres réalisées entre 1911 et 1914 reste, à cet égard, significatif.

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

180

Les sujets russes se mêlent à ceux du ghetto, les figures familiales à celle de la communauté villageoise : La Noce (1910), Le Sabbat (1910) ; Le Grand-Père (1910) ; Autour de la Lampe (1910) ; La Naissance (1911), déjà traitée en 1910 ; Le Père (1910-1911) ; Le Village sous la Lune (1911) ; Dédié à ma Fiancée (1911) ; Le Juif en Prière (1912-1913) ; Le Marchand de bestiaux (1912) ; Maternité (ou La Femme enceinte)

(1913)

;

Russie

(1912-1913)

égrènent la nostalgie de la terre natale, disent la douleur de l’exilé.

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

182

183

La peinture se donne alors tout entière dans la tension créatrice née d’une absence, d’un paradis perdu. La peinture est alors cet obstiné effort de reconstruction d’un monde qu’on arrache à l’oubli, qu’on arrache aux sables du temps, un monde affranchi des lois de la pesanteur… Le processus de mise en œuvre plastique du souvenir peut se lire dans un tableau comme Le Marchand de bestiaux dont Chagall a réalisé deux versions (1912 et 1922).

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

184

La scène, en effet, évoque ces courses en carriole, avec l’oncle Neuch pour l’achat de bestiaux, scène de la quotidienneté paysanne. Mais la composition, l’échelle des personnages, et la couleur mise au service de la construction des formes, confèrent à l’ensemble une signification universelle. N’estce pas en effet l’exaltation puissante de la force irrésistible de la vie toujours renaissante, qui semble ici évoquée ?

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol » 1923-1927 eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette 38 x 28,4 cm Galerie Trétiakov, Moscou

186

La notation claire du poulain, vu dans le ventre de la jument tirant la carriole, est à cet égard, explicite. Le rouge irréaliste de l’animal en accentue l’effet symbolique. Tous les personnages, et en particulier la paysanne qui porte sur ses épaules un jeune veau, sont traités de façon monumentale et occupent vigoureusement l’espace. Au premier plan, un jeune homme en casquette et une femme en fichu, se tiennent par les épaules.

Soukkot (Le Rabbin au citron) 1924 huile sur toile, 104 x 84 cm collection particulière

188

Ces deux personnages sont représentés à mi-corps. Ils donnent l’assise de la composition et peut-être son code de lecture. Situés en bas à droite du tableau, ils jouent à la manière de ces figures de donateurs toujours présents dans la peinture médiévale, un rôle de témoins. La scène en acquiert une gravité rayonnante qui ne relève pas seulement de son organisation plastique et de la perception sensible qu’on en a.

Sur le chemin 1924 huile sur toile, 72 x 57 cm Petit Palais, Genève

190

Elle privilégie aussi une lecture cognitive qui tend à faire du tableau une leçon. En magnifiant toute forme, animale ou humaine, la peinture est la sublime métaphore de la vie. Dans sa fonction monstrative, ici pleinement affirmée, Le Marchand de bestiaux rejoint l’art de l’icône. On a souvent, parfois exagérément, souligné l’influence de l’art de l’icône et du loubok sur la peinture de Chagall.

Juif à la Torah 1925 gouache sur papier, marouflé sur carton, 68 x 51 cm Tel-Aviv Museum of Art, Tel-Aviv

192

Cette influence nous paraît justifiée à l’analyse du code figuratif utilisé par l’artiste dont on sait par ailleurs combien il était sensible à la magique lumière de l’icône. Chagall est en effet, dès 1911, en pleine possession d’un langage plastique qui ne doit rien à la tradition occidentale. Comme ses compatriotes Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova, il se rattache bien au contraire à la tradition byzantine qui a toujours privilégié le sens et non la représentation.

L’Écuyère de cirque 1927 huile sur toile, 23,8 x 18,9 cm The Art Institute of Chicago (don de Mme Gilbert W. Chapman), Chicago

194

L’extrême allongement des figures, le refus de la perspective, la plasticité de l’espace intérieur, la frontalité souvent observée, l’usage parfois de fonds rouges comme dans l’école de Novgorod, sont les éléments objectifs reconnaissables du système représentatif chagallien.

Le

refus

de

tout

réalisme

illusionniste a été ratifié très tôt dans l’histoire du peintre par la célèbre exclamation d’Apollinaire : « Surnaturel !… » qui, le lendemain de leur mémorable rencontre dédiait son poème Rodsoge, à Chagall.

Autoportrait 1927 eau-forte, 57,5 x 45 cm collection particulière, Russie

196

Certes la syntaxe cubiste permet au peintre la mise en structure spatiale de l’expérience intérieure dans la multiplicité de ses différents registres. Mais l’intentionnalité du tableau ressortit

à

une

culture

spiritualiste

et

symbolique, particulière à la Russie, terre mystique par excellence.

Promenade 1929 huile sur toile, 55,5 x 39 cm collection particulière, Galerie A. Rosengart, Lucerne

198

On doit ici relever la part d'évidence analogique qui existe entre la pensée symbolique russe telle qu’elle s’exprime dans les théories d’un Vladimir Soloviev, répercutées par les articles de Viatcheslav Ivanov dans la revue La Toison d’Or en 1908 et Apollon en 1910 que Jean Laude rappelle dans un de ses textes intitulé Naissance des Abstractions et la conception de Chagall.

Les Amoureux 1929 huile sur toile, 55 x 38 cm Tel-Aviv Museum of Art, Tel-Aviv

200

L’analogie repose sur la théorie des correspondances formulée en Occident par Mallarmé et Rimbaud, mais qui prend en Russie la dimension d’une véritable conception cosmologique. Le rapport intime qui lie l’homme à l’univers exprime l’unité profonde de tout le règne du vivant.

Le Coq 1929 huile sur toile, 81 x 65 cm collection Thyssen-Bornemisza, Madrid

202

Cette affirmation d’une consubstantialité de l’homme et du monde est intuitivement perçue par Chagall, quand il écrit déjà dans Ma Vie : « L’art me semble être surtout un état d’âme. L’âme de tous est sainte, de tous les bipèdes sur tous les points de la terre. » Et plus tard, en 1958, Chagall ajoutera, dans un discours prononcé à l’université de Chicago :

L’Acrobate 1930 huile sur toile, 117 x 73,5 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

204

205

« La vie est évidemment un miracle. Nous sommes les parties de cette vie et nous passons, avec l’âge, d’une forme à l’autre forme de la vie […]. Jamais un homme ne pourra, techniquement ou mécaniquement, apprendre tous les secrets de la vie. Mais par son âme, il est lié avec le monde, en harmonie avec lui, même inconsciemment peut-être. »

Le Temps n’a point de rives 1930-1939 huile sur toile, 100 x 81,3 cm collection Ida Chagall, Paris

206

Nous ne sommes pas loin de la notion de Stimmung. Le second aspect par lequel Chagall se rattache aux courants dominants en œuvre dans la Russie contemporaine, tient à son admiration pour Gauguin et à sa propre recherche d’une couleur qui se donne dans sa totalité, d’une couleur pure, originelle, d’une couleur qui rayonne, d’une couleur porteuse d’énergie, magique.

Le Mur des lamentations 1932 huile sur toile, 73 x 92 cm Tel-Aviv Museum of Art, Tel-Aviv

208

209

La vitalité des arts populaires en Russie au début du XXe siècle, la perception émerveillée de leur splendeur chromatique, détermineront les mouvements de l’avant-garde russe, de Larionov et Gontcharova à Malevitch et Kandinsky. Sans s’y référer expressément Chagall n’ignora pas le néo-primitivisme russe : n’a-t-il pas exposé d’ailleurs, en mars 1912 à « la Queue d’Âne » et en 1913 à « la Cible », deux manifestations organisées par Larionov auxquelles Malevitch participait également.

À ma Femme 1933-1944 huile sur toile, 107 x 178,8 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

210

211

Malevitch suit un chemin parallèle à celui de Chagall et il l'affrontera dramatiquement, en 1919, à Vitebsk. La Révolution va apporter au peintre l’espérance d’une dignité nouvelle, et la possibilité de son accomplissement en tant qu’artiste. Chagall, à la déclaration de guerre en effet a regagné Vitebsk. Il retrouve donc sa terre natale, sa famille, et épouse Bella. Une fille, Ida, naît bientôt.

Le Jongleur 1943 huile sur toile, 109,9 x 79,1 cm The Art Institute of Chicago, Chicago

212

213

La plénitude de ce bonheur personnel s’accroît donc de la promesse d’un bonheur collectif, et de l’obtention d’une citoyenneté à part entière. Chagall croit avec ferveur en la Révolution. Il a connu Anatole Vassilievitch Lounatcharsky à Paris. Ce dernier devient commissaire aux Affaires culturelles dans le premier gouvernement soviétique de 1917 et va s’employer à mettre en œuvre le vaste projet culturel de Lénine pour la Russie, qui n’est pas sans rappeler l’idéologie des Ambulants à la fin du XIXe siècle.

La Révolution 1937 huile sur toile, 49,7 x 100,2 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

214

215

Lounatcharsky propose à Chagall le Commissariat aux beaux-arts de la région de Vitebsk, et Chagall accepte avec enthousiasme. L’art comme principe d’épanouissement de la personne et mode de promotion sociale trouve en Chagall son plus actif représentant. Infatigable, le peintre met en place les structures d’enseignement, musée, école d’art, atelier révolutionnaire, nécessaires à cette révolution de l’âme qu’il cherche à accomplir en chacun de ses compatriotes.

Les Mariés de la tour Eiffel 1938-1939 huile sur toile, 150 x 136.5 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

216

Il fait appel à Doboujinski, son ancien maître de l’école Zvantseva, à Pen lui-même, à Ivan Pougny, à El Lissitzky. Pour le premier anniversaire de la Révolution d’octobre, il fait « descendre l’art dans la rue », et transforme le décor urbain de Vitebsk, avec un sens de la mise en scène, qu’il exprimera plus tard dans ses travaux pour le théâtre et surtout le ballet.

La Madone du village 1938-1942 huile sur toile, 102,5 x 98 cm collection Thyssen-Bornemisza, Madrid

218

L’usage du symbole traduit par une image simple et forte, s’exprime par exemple dans la célèbre esquisse Guerre aux Palais : un paysan en blouse traditionnelle, soulève à bout de bras un palais reconnaissable à sa colonnade. L’effet est direct, le message immédiatement perçu. Le langage acquiert l’universalité de celui de l’affiche.

Rue dans le village 1940 huile sur papier, 51,9 x 64,2 cm collection particulière

220

221

Cette période, pour exaltante qu’elle soit, sera marquée par le conflit avec Malevitch. Peu de témoignages existent qui rendent compte de cet affrontement. Chagall l’évoque, d’une façon elliptique dans Ma Vie. Mais à l’examen du parcours esthétique de chacun des deux peintres, l’antagonisme était inévitable.

Concert bleu 1945 huile sur toile, 124,5 x 99,1 cm collection particulière, New York

222

Quand, en effet, Malevitch est invité par les élèves de l’école d’Art de Vitebsk – Chagall précise d’ailleurs, que ce fut une de ses initiatives – Malevitch est un artiste connu, qui a

formulé

l’essentiel

de

sa

doctrine

suprématiste. Le début de l’année voit l’organisation de la Xe Exposition d’État « Création non objective et suprématisme » où Malevitch expose Carré Blanc.

Autour d’elle 1945 huile sur toile, 131 x 109,7 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

224

La manifestation révèle d’ailleurs les tensions existant au sein du groupe russe des artistes non objectifs et en conséquence la virulence et l’actualité d’un débat esthétique où s’engagent des attitudes idéologiques. La méfiance de Chagall, vis-à-vis de toute prise de position collective en matière d’art, est plus forte que jamais.

L’Apparition de la famille de l’artiste 1947 huile sur toile, 123 x 112 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

226

Sa conviction que la peinture ne peut être qu’une aventure personnelle ne faiblit pas. À l’évidence, pour lui, si l’artiste est investi d’une mission, celle-ci reste subjective. L’histoire de la peinture est une histoire des peintres. Malevitch attaque violemment Chagall dans ses principes d’enseignement et la nature de son art, qu’il taxe avec mépris de naturalisme.

Le Coq amoureux 1947-1950 huile sur toile, 71 x 87 cm collection particulière

228

229

Le tempérament de Malevitch, excessif, parfois violent, s’oppose à celui de Chagall. Y a-t-il eu également en Malevitch cette méfiance instinctive du Polonais catholique qu’il fût à l’origine, vis-à-vis du Juif slave ? Chagall à son tour, rebelle à toute théorisation de l’art, ne comprend pas l’engagement esthétique de Malevitch.

La Pendule à l’aile bleue 1949 huile sur toile, 92 x 79 cm collection Ida Chagall, Paris

230

À la fin de l’année 1919, Chagall est contraint de quitter Vitebsk, qui voit la création par Malevitch du groupe Unovis (Affirmation de nouvelles formes de l’art). L’avant-garde chasse donc Chagall au nom d’une conception radicaliste. La déception se fait blessure profonde. Peut-être le sentiment diffus, ancré ancestralement dans le cœur de tout Juif, d’être incompris, d’être un exilé au monde, se ravive-t-il alors.

Le Soir à la fenêtre 1950 gouache sur papier, 65 x 50 cm collection A. Rosengart, Lucerne

232

« Je ne serais pas surpris, si après une si longue absence ma ville efface mes traces et ne se rappelle plus de celui qui, abandonnant ses propres pinceaux, se tourmentait, souffrait, et se donnait la peine d’implanter l’art, qui rêvait de transformer les maisons vulgaires en musées et l’habitant vulgaire en créateur. Et j’ai compris alors que nul n’est prophète en son pays. Je suis parti pour Moscou », commente Chagall avec amertume.

Le Roi David 1951 huile sur toile, 198 x 133 cm Musée National d’Art Moderne, Paris

234

235

On comprend alors mieux le mouvement de retour au monde de ses origines qui s’effectue chez Chagall. Le peintre, à Moscou, renoue avec le cénacle des intellectuels juifs et redécouvre par le théâtre, la culture juive. La rencontre d’Alexis Granowsky, directeur du théâtre Kamerny lui donne l’occasion de travailler pour la scène et d’expérimenter un espace architectural.

Champ de Mars 1954-1955 huile sur toile, 149,5 x 105 cm Folkwang Museum, Essen

236

237

Le décor réalisé pour la salle rend un véritable hommage à la culture et à la spiritualité juives, non dépourvu d’humour. Mais Chagall ne reconnaît plus sa Russie en proie aux violences inévitables de l’histoire. En 1922, il est contraint à l’exil, comme si sa destinée d’artiste ne pouvait se construire que dans la douloureuse épreuve d’une destinée d’homme arrachée à sa terre.

L’Artiste à son chevalet 1955 huile sur toile, 55 x 46 cm collection particulière

238

La vie de Chagall, désormais, s’incarne en un destin de peintre, vivant la peinture comme une création toujours recommencée dans la certitude de son être. « Peindre. Un homme a passé sa vie à peindre. Et quand je dis sa vie entendez bien. Le reste est gesticulation. Peindre est sa vie ». Ainsi parlait Aragon le poète, de Chagall l’Admirable. Et de fait Chagall peindra jusqu’à son dernier souffle. Entre la toile et le peintre, ce muet dialogue d’une vie.

Le Cirque 1962 huile sur bois, 41 x 53 cm collection particulière, Hammer Galleries, New York

240

241

Le dire du poète touche ici à l’essentiel. Cependant,

au-delà

des

analyses,

qui

aujourd’hui éclairent les sources judéo-russes du peintre, les filiations formelles héritées ou empruntées, mais toujours sublimées, une part de mystère demeure dans l’art de Chagall. Ce mystère tient peut-être à la nature même de cet art qui puise au vécu du souvenir. La peinture est vie, en vérité, et la vie peut être peinture.

Le Triomphe de la musique 1967 huile sur toile, env. 11 x 9 m The Metropolitan Opera, Lincoln Center, New York

242

C’est là ce que souligne Mikhaïl Guerman dont le propos d’une certaine manière rejoint celui de Louis Aragon. L’art de Chagall s’inscrit dans le flux de la temporalité, dans le déploiement d’une rêverie créatrice imposant à la conscience l’effort de son devenir. La logique visuelle qui ordonne ses formes au cœur de la toile obéit dès lors à d’autres catégories que celles qui régissent un espace euclidien.

Confidences au cirque 1969 gouache sur carton, 59,5 x 57 cm collection particulière

244

Les notions de haut et de bas y sont niées. Aucune vectorisation géométrique ne définit l’espace et la plasticité de ce dernier permet au dessin de s’exprimer dans toute sa souplesse et sa spontanéité. Il n’est pas sans signification que la peinture chagallienne appelle sous la plume du critique ou de l’historien les termes du langage musical. Figures et motifs perçus comme autant d’objets sonores, couleurs comme rythmes et lignes comme mélodies, la métaphore s’accorde intimement à la peinture parce qu’elle relève comme cette dernière de la durée.

Le Ciel de Paris 1973 huile sur toile, 100 x 73 cm collection particulière

246

247

Index A À la Russie, aux ânes et aux autres

47

A ma Femme

211

L’Acrobate

205

Les Amoureux

201

Les Amoureux en bleu

95

Les Amoureux en gris

137

Les Amoureux en rose

135

Les Amoureux en vert

97

L’Anniversaire Apollinaire

129 43

L’Apparition de la famille de l’artiste

227

L’Artiste à son chevalet

239

Au-dessus de la Ville

117

Au-dessus de Vitebsk

89

Autoportrait

13

Autoportrait

87

Autoportrait

197

Autoportrait à la muse (L’Apparition)

155

248

Autoportrait à la palette

141

Autoportrait au col blanc

93

Autoportrait aux sept doigts

27

Autour d’elle

225

B Le Balayeur

67

Le Balayeur (Le Gardien et les oiseaux)

79

Bella au col blanc

139

Le Boucher

21

La Boutique du coiffeur

71

C La Chambre jaune

35

Champ de Mars

237

Le Ciel de Paris

247

Le Cirque

241

Concert bleu

223

249

Confidences au cirque

245

Le Coq

203

Le Coq amoureux

229

D La Datcha

161

De la Lune (Le Village russe)

39

Dédié à ma Fiancée

41

Double Portrait au verre de vin

147

E L’Écuyère de cirque

195

Esquisse de costume pour Le Revizor de Gogol

167

Etude pour « La Pluie »

45

F Fenêtre à la Datcha, Zaolchié près de Vitebsk

121

Fenêtre sur le jardin vers

143

G Golgotha

250

55

H Hommage à Apollinaire Homme au chat et femme à l’enfant Horloge

49 105 91

I Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

173

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

175

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

177

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

179

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

181

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

183

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

185

Illustration pour « Les Âmes mortes de Gogol »

187

Intérieur au bouquet de fleurs

163

J Le Jongleur

213

Juif à la Torah

193

Juif en prière

171

251

Le Juif en rouge Le Juif en vert

119 85

K La Kermesse

9

M Ma Fiancée aux gants noirs

11

La Madone du village

219

Maison à la sortie de la ville

115

Maison à Liozno

73

La Maison bleue

157

La Maison grise

145

Les Maisons rouges

169

Le Marchand de bestiaux

53

Le Marchand de Journaux

83

Mariage juif

23

Les Mariés de la tour Eiffel Maternité (La Femme enceinte)

252

217 63

Le Miroir Moi et le village

125 29

Les Muguets

131

Le Mur des lamentations

209

N Naissance d’un enfant

25

Nature morte à la lampe

37

La Noce

19

La Noce

159

P Paix aux chaumières, guerre aux palais Paris par la fenêtre La Pendule à l’aile bleue

165 65 231

Le Père

81

Pharmacie à Vitebsk

75

Le Poète (À trois heures et demi)

33

Le Poète allongé

123

253

Les Portes du cimetière Portrait de sa sœur Mariassinka

151 77

Prédicateur de Vitebsk

101

La Promenade

149

Promenade

199

R La Révolution

215

Le Roi David

235

La Rue

109

Rue dans le village

221

S Le Sabbat

17

Le Saoul (Le Buveur)

51

La Sœur de l’artiste (Mania)

15

Le Soir à la fenêtre

233

Soldat blessé

99

Le Soldat boit

57

Le Soldat et la jeune fille

254

103

Soldats

59

Soldats aux pains

111

Soukkot (Le Rabbin au citron)

189

Sur le chemin

191

T Le Temps n’a point de rives

207

La Toilette de l’enfant

133

Le Triomphe de la musique

243

V Le Vieux et la vieille

113

Vieux Juif

107

Le Violoniste

31

Le Violoniste

61

Le Violoniste en vert

127

Vitebsk, scène de Village

153

Vue de la fenêtre, Vitebsk

69

255