Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil : la légitime en pays de coutumes (XVIᵉ-XVIIIᵉ siècles) 9782821853218, 9782731406894

La réserve héréditaire ne choisit pas entre la dévolution testamentaire et la dévolution légale, ce qui la rend «d’analy

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil : la légitime en pays de coutumes (XVIᵉ-XVIIIᵉ siècles)
 9782821853218, 9782731406894

Table of contents :
Introduction

Première partie – Rencontre de la légitime et du droit coutumier Chapitre I – La légitime en France au début du XVIe siècle

Section I – La légitime, institution étrangère au droit successoral coutumier
Section II – La légitime, institution connue dans certaines régions de France
Chapitre II – Facteurs favorisant la pénétration de la légitime en pays de coutumes
Section I – Un nouveau contexte économique et socio-culturel
Section II – Les facteurs liés au droit

Deuxième partie – Pénétration et influence de la légitime en pays de coutumes

Chapitre I – Les progrès de la légitime
Section I – La diffusion de la légitime
Section II – Les répercussions de la pénétration de la légitime
Chapitre II – La consécration de la légitime coutumière
Section I – La légitime dans la tourmente révolutionnaire
Section II – Le retour à l’équilibre
Conclusion

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil : la légitime en pays de coutumes (XVIe-XVIIIe siècles) Marta Peguera Poch

DOI : 10.4000/books.puam.885 Éditeur : Presses universitaires d’Aix-Marseille Année d'édition : 2009 Date de mise en ligne : 15 avril 2015 Collection : Histoire du droit ISBN électronique : 9782821853218

http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782731406894 Nombre de pages : 353 Référence électronique PEGUERA POCH, Marta. Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil : la légitime en pays de coutumes (XVIe-XVIIIe siècles). Nouvelle édition [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires d’AixMarseille, 2009 (généré le 05 mai 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782821853218. DOI : 10.4000/books.puam.885.

© Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2009 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

AUX ORIGINES DE LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE DU CODE CIVIL : LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES (XVIe – XVIIIe SIÈCLES)

Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a) d'une part que les "copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite" (art. L 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - PUAM - 2009 3, avenue Robert Schuman - 13628 AIX-EN-PROVENCE Cedex 1

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX – MARSEILLE SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PUBLICATION DE TEXTES EN HISTOIRE JURIDIQUE (SFPT) Collection d’histoire du droit dirigée par Antoine Leca Série « Thèses et Travaux », n° 17

Marta PEGUERA POCH

AUX ORIGINES DE LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE DU CODE CIVIL : LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES (XVIe – XVIIIe SIÈCLES)

Préface Anne LEFEBVRE-TEILLARD Professeur émérite à l’Université de Paris II

Ouvrage honoré d’une subvention du Conseil régional Provence Alpes Côte d’Azur

PRESSES UNIVERSITAIRES D’AIX-MARSEILLE 2009

PRÉFACE

« Il a toujours été difficile de découper l'histoire en périodes... En fait souvent les périodes s'emboîtent les unes dans les autres, et le futur traînera longtemps des paillettes du passé. C'est vrai en général, mais davantage encore quand le droit est en cause »1. L'histoire de la pénétration et de la diffusion à partir du XVI e siècle de la légitime romaine en pays de coutumes magistralement retracée par madame Peguera-Poch, illustre parfaitement cette réflexion du doyen Carbonnier. C'est une histoire lente et complexe où « les périodes s'emboîtent les unes dans les autres » à l'exception, peut-être, de la période révolutionnaire. La pénétration de la légitime en pays de coutumes, était un fait connu mais il n'avait jamais été étudié de manière approfondie. Il était constaté beaucoup plus qu'expliqué, analysé éventuellement dans sa mise en œuvre technique mais non dans sa raison, ses raisons, d'être en ces pays de coutumes. Pourquoi à côté de la fameuse réserve coutumière portant sur les biens propres dits de succession, c'est-à-dire les biens immeubles que le de cujus avait reçus au cours de sa vie par succession ou par donation de ses ascendants, la légitime romaine qui porte sur l'ensemble des biens du de cujus a-t-elle fait son apparition en France septentrionale ? Pourquoi et comment s'est-elle diffusée durant les deux siècles qui précèdent la Révolution ? Cette diffusion n'a-t-elle pas eu des conséquences tant pour la réserve coutumière que pour la légitime elle-même ? Juriste, philosophe, historienne, madame Peguera-Poch a su mettre à profit la triple formation universitaire qu'elle avait reçue pour répondre à toutes ces questions et offrir une remarquable étude du phénomène. Un phénomène clé pour comprendre la future réserve héréditaire du Code Napoléon. Sur la base d'une analyse approfondie et méticuleuse d'un très grand nombre de coutumes rédigées et réformées, des écrits de leurs commentateurs mais aussi de l'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence des trois siècles durant lesquels il se déroule, l'auteur a su dégager l'esprit qui anime sur ce point l'évolution du droit successoral. L'esprit de l'évolution, mais aussi tout ce qui l'alimente tant intellectuellement qu'économiquement ou socialement. La pénétration de la légitime en pays de coutumes n'est pas en effet simple réception d'une solution romaine, telle qu'elle figurait dans le dernier état du droit de Justinien. Comme toute institution transposée dans un cadre différent de celui qui l'a vu naître, elle se modifie pour s'adapter à son nouvel environnement juridique. Modification substantielle au terme d'un jeu d'influences, d'ailleurs réciproques, entre réserve et légitime, analysé avec beaucoup de nuances et de subtilité par madame Peguera-Poch dont la thèse met en évidence le rapprochement progressif des deux institutions. Un rapprochement qui, sans altérer la nature profonde de la légitime, annonce les solutions du futur Code civil dont les rédacteurs recueilleront sous le nom de réserve, la légitime coutumière, ce « pont entre les deux aires de géographie juridique » qui caractérisent l'Ancien Régime. 1

Jean Carbonnier, introduction à : Droit et passion du droit sous la Ve République, Paris, 1996, p.7.

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Servie par une plume élégante qui en rend la lecture aisée, la thèse de madame Peguera-Poch constitue une contribution de premier ordre pour la compréhension d'une institution qui demeure, à juste titre, fondamentale en droit successoral français. Maintenir l'équilibre entre les droits de l'individu et les droits de la famille, entre ce que l'on pourrait aussi nommer les droits et les devoirs de l'individu, n'est-il pas, plus que jamais, nécessaire?

Anne LEFEBVRE-TEILLARD Professeur émérite à l’Université de Paris II

SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE RENCONTRE DE LA LÉGITIME ET DU DROIT COUTUMIER CHAPITRE I : LA LÉGITIME EN FRANCE AU DÉBUT DU XVIe SIÈCLE CHAPITRE II : FACTEURS FAVORISANT LA PÉNÉTRATION DE LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES

SECONDE PARTIE PÉNÉTRATION ET INFLUENCE DE LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES

CHAPITRE I : LES PROGRÈS DE LA LÉGITIME CHAPITRE II : LA CONSÉCRATION DE LA LÉGITIME COUTUMIÈRE

CONCLUSION

REMERCIEMENTS

Cet ouvrage reprend, avec les indispensables corrections, une thèse de doctorat en droit soutenue le 2 juillet 2008 à l’Université de Paris II Panthéon-Assas. Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Madame le Professeur Anne Lefebvre-Teillard qui, après nous avoir honoré de sa confiance en nous proposant ce sujet de thèse, nous a toujours dirigé avec bienveillance pendant ces années de recherche. Ses précieux conseils, si souvent nécessaires, sa compréhension et ses constants encouragements nous ont permis de mener à bien ce travail. Nous voulons également remercier Messieurs les Professeurs Jean-Louis Thireau, Louis-Augustin Barrière, Franck Roumy et Laurent Pfister d’avoir accepté de faire partie du jury de thèse, ainsi que de l’intérêt qu’ils ont montré pour ce travail. Leurs remarques et leurs encouragements nous ont été d’une aide précieuse. Nos remerciements s’adressent aussi à Monsieur le Professeur Antoine Leca, qui nous a fourni l’occasion de publier si rapidement notre thèse. Nombreuses sont les personnes qui nous ont soutenu dans ce travail, par leur aide et leur patience. Il est impossible de citer tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont pris part à cet ouvrage. Que chacun trouve ici l’expression de notre plus vive reconnaissance. Nous voulons en particulier remercier nos parents pour le soutien affectueux dont ils ont su nous entourer pendant ces années. Notre reconnaissance s’adresse aussi à tous les membres de notre famille et à tous nos amis, dont la patience, l’amitié et les encouragements ont été une aide constante, sans laquelle ce travail n’aurait pu aboutir.

ABRÉVIATIONS

AHRF AP

BdR

C. col. cons. D fasc. Fenet

fol. MSHDB

n. Op. cit. r° RHD RHFD RSHDE

s. s. d. s. l. V° v° ZSS, GA

Annales historiques de la Révolution française Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, 1ere série Charles-Antoine B OURDOT DE R ICHEBOURG , Nouveau coutumier général ou corps des coutumes générales et particulières de France, et des provinces, connues sous le nom des Gaules, Paris, chez Théodore le Gras, 1724 Code de Justinien colonne conseil Digeste fascicule Pierre-Antoine F E N E T , Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, réimpression de l’édition de 1827, éd. Otto Zeller, Osnabrück, 1968 folio Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, Dijon numéro Opus citatum recto Revue historique de droit français et étranger, Paris Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, Paris Recueil de mémoires et travaux publiés par la Société d’histoire du droit des anciens pays de droit écrit, Montpellier sequentur sans date sans lieu Verbo verso Zeitschrift des Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Germanistische Abteilung

INTRODUCTION

Le terme légitime, au sens strict, désigne le résultat d’une action que le droit romain accorde aux enfants contre les héritiers institués par le testament de leur auteur : quand un père dépouille ses enfants par l’institution d’autres héritiers dans son testament, ses enfants ont le droit de se retourner contre ces dispositions et de demander aux héritiers institués de leur donner une partie des biens du de cujus, une legitima pars, une part légitime. Par extension, le terme légitime en est venu à signifier, à la fois, le droit de l’enfant à une part des biens dans la succession testamentaire de son père et la part des biens paternels elle-même. Chaque enfant a droit à sa légitime. Le fondement de l’action est l’affection présumée du père pour ses enfants, qui doit l’inciter à leur laisser au moins une partie de son patrimoine lorsqu’il fait son testament. La légitime est connue en France parce qu’elle est pratiquée dans les pays de droit écrit, c’est-à-dire les régions méridionales où le droit privé s’inspire du droit romain, du moins en partie. Au nord de la France, le droit privé est d’essence coutumière et, en principe, n’est pas affecté par le droit romain : ces régions sont les « pays de coutumes ». Or, la légitime, institution romaine, arrive en pays de coutumes et s’intègre à la logique coutumière. Cela ne semble pas avoir attiré particulièrement l’attention des historiens du droit qui, en général, n’accordent à cette question qu’un modeste paragraphe dans les manuels d’histoire du droit. Habituellement, ils se limitent à décrire la légitime romaine telle qu’elle est en vigueur dans le Midi de la France ou dans les textes de Justinien, et signalent uniquement que cette institution a été introduite dans le Nord de la France au XVIe siècle grâce, notamment, aux travaux de Charles Dumoulin. La rareté des travaux spécifiques portant sur la légitime en pays de coutumes confirme ce constat. Pierre Vassel lui a consacré une thèse en 19071, Jean-René Gaud lui a dédié son mémoire de DES en 19522. De manière partielle, Jean de Laplanche l’a abordée dans son ouvrage consacré à la notion de pourvéance ou soustenance dans les coutumiers du Moyen Âge3. C’est tout ce que nous avons trouvé comme monographie. La qualité de ces ouvrages est d’ailleurs inégale. L’étude de Jean de Laplanche est très intéressante, mais ne concerne que le Moyen Âge et, à ce titre, renseigne sur les précédents de la légitime en pays de coutumes, mais ne fournit pas d’éléments pour en étudier l’évolution après son introduction au XVIe siècle. Les deux autres études restent sommaires. Pierre Vassel et Jean-René Gaud se contentent d’un bref aperçu de la législation, et se consacrent presque entièrement aux questions techniques : computation des légitimaires, calcul de la légitime, imputations à faire sur la légitime, action en réduction… Quelques ouvrages s’intéressent aux fondements du 1

Pierre VASSEL, La légitime de droit dans les pays de coutume, Paris, A. Michalon, 1907. Jean-René GAUD, La légitime de droit au XVIe siècle, Mémoire de Doctorat, l’auteur, 1952. Jean de LAPLANCHE, La “ soutenance ” ou “ pourvéance ” dans le droit coutumier français aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, Sirey, 1952. 2

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

droit successoral, et envisagent l’institution de la légitime dans une démarche plutôt philosophique4. Certes, tous les ouvrages généraux et les manuels de droit privé abordent l’étude de la légitime. Ils décrivent l’institution et la comparent souvent à la réserve, protection successorale propre aux coutumes, en signalant les ressemblances et les différences. Cela donne une bonne connaissance de la technique de l’institution, de sa mise en œuvre. Mais il est bon d’aller au-delà : chercher à connaître les raisons de l’introduction de la légitime en pays de coutumes et les conséquences que cela entraîne à la fois pour la légitime et pour le droit coutumier. Les études consultées sont insuffisantes car, pour la plupart, constatent l’arrivée de la légitime en pays de coutumes, mais ne l’expliquent pas. Non que les auteurs n’avancent aucune hypothèse sur les motifs de son introduction. Ils mettent en avant l’essor du testament, ou les devoirs des parents vis-à-vis de leurs enfants, mais sans scruter les raisons de ces principes, consacrant la plupart des développements au régime juridique de la légitime. Or, la légitime romaine introduite en pays de coutumes subit une transformation qui fait d’elle une institution originale, ni tout à fait romaine, ni tout à fait coutumière. C’est pourquoi la vie de cette institution romaine en pays coutumier est intéressante et mérite d’être étudiée. D’abord, parce qu’elle n’est pas simplement la légitime romaine pure et simple, vécue dans une région ayant une tradition juridique différente5. Elle trouve sa place à l’intérieur d’un système juridique qui a sa propre logique et avec lequel elle devra composer. Son introduction en pays de coutumes oblige à approfondir la logique successorale coutumière, pour comprendre la place que peut y prendre la légitime et saisir les besoins qui demandent sa présence. La juxtaposition de la réserve et de la légitime n’est pas suffisante ; il est important de suivre la logique de chacune jusqu’à parvenir à ses fondements les plus profonds, pour mieux comprendre ensuite l’interaction de l’une sur l’autre à l’occasion de l’introduction de la légitime en pays de coutumes. Leur cohabitation et leurs influences réciproques font de la légitime en pays de coutumes une institution originale, digne d’étude en elle-même. Son intérêt est accru par sa portée historique, car c’est sur elle que sera bâtie en grande partie la réserve héréditaire du Code Napoléon, en 1804. Et cela n’est pas sans importance, car celle-ci se présente souvent enveloppée d’une certaine ambiguïté, qui la rend parfois difficile à comprendre. Comme le souligne Michel Grimaldi, « dans un système qui ne manifeste clairement sa préférence ni pour la succession légale, ni pour la succession testamentaire, la réserve devient d’analyse difficile. Faute de savoir laquelle de la dévolution légale ou de la dévolution testamentaire constitue le principe, on ne sait si elle est une institution naturelle ou correctrice. Et, du même coup, sa réglementation procède d’un certain 4 Par exemple, Charles BROCHER , Étude historique et philosophique sur la légitime et les réserves en matière de succession héréditaire, Paris, Genève, 1868 et Ernest V ALLIER , Le fondement du droit successoral en droit français, Librairie de la Société du recueil général des lois et des arrêts, Paris, 1902. 5 La légitime telle qu’elle est en vigueur dans le Midi de la France n’est pas, non plus, une légitime identique à celle de Justinien. Mais la comparaison des deux déborderait le cadre de notre étude. Notons seulement que l’adoption d’une institution juridique dans un cadre différent de celui qui l’a vu naître suppose toujours des modifications et des mises en conformité avec l’environnement juridique nouveau, qui peuvent parfois altérer sensiblement, voire substantiellement, la nature de l’institution en question.

Introduction

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empirisme »6. Cette étude tente de clarifier le passé d’une institution clé dans l’histoire du droit successoral français. L’étude de la légitime est attirante aussi parce que son introduction en pays de coutumes mène les juristes à de fines analyses juridiques, afin d’en déterminer la nature et le régime, en opposition ou en complément de l’institution reine du droit successoral coutumier, la réserve. C’est un aspect attirant mais difficile car, si les juristes sont volontiers diserts sur des points techniques, ils le sont beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’expliquer les fondements de notre institution. D’autant plus que le droit successoral se trouve au carrefour du droit de la famille et du droit des biens et, de ce fait, ses institutions dépendent étroitement de la conception de la famille et de la propriété existante dans la société. Pour les juristes qui s’adressent à leurs contemporains, cela peut sembler peut-être trop connu pour mériter de longs développements. Hélas, pas pour l’historien. La légitime nous apparaît comme un témoin de l’évolution sociale et familiale qui a eu lieu entre le XVIe et le XVIIIe siècles. Elle se trouve, comme tout le droit successoral, au cœur même du droit privé. Or, les lois sur les successions, comme le souligne fortement Tocqueville, sont de la plus haute importance pour la vie des peuples, et elles méritent une grande attention politique : « Je m’étonne que les publicistes anciens et modernes n’aient pas attribué aux lois sur les successions une plus grande influence dans la marche des affaires humaines. Ces lois appartiennent, il est vrai, au code civil, mais elles devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques car elles influent incroyablement sur l’état social des peuples, dont les lois politiques ne sont que l’expression. Elles ont de plus une manière sûre et uniforme d’opérer sur la société ; elles saisissent en quelque sorte les générations avant leur naissance »7. Outre le fait d’être au cœur du droit privé, l’étude de la légitime en pays de coutumes offre la possibilité de saisir, sous un angle particulier, l’évolution de la formation du droit français. En effet, la légitime, romaine de naissance et coutumière par adoption, porte en elle un germe unificateur, qui s’accorde avec les désirs d’union de plus en plus présents sous l’Ancien Régime et qui aboutiront, 6

Cf. Michel GRIMALDI, Droit civil. Les successions, 6e éd., Paris, Litec, 2001, n. 283, p. 278. « Par elles, poursuit l’auteur, l’homme est armé d’un pouvoir presque divin sur l’avenir de ses semblables. Le Législateur règle une fois la succession des citoyens et il se repose pendant des siècles : le mouvement donné à son œuvre, il peut en retirer la main ; la machine agit par ses propres forces et se dirige comme d’elle-même vers un but indiqué d’avance. Constituée d’une certaine manière, elle réunit, elle concentre, elle groupe autour de quelques têtes la propriété ; et bientôt après le pouvoir ; elle fait jaillir en quelque sorte l’aristocratie du sol. Conduite par d’autres principes, et lancée dans une autre voie, son action est plus rapide encore ; elle divise, elle partage, elle dissémine les biens et la puissance... elle broie ou fait voler en éclat tout ce qui se rencontre sur son passage, elle s’élève et retombe incessamment sur le sol jusqu’à ce qu’il ne présente plus à la vue qu’une poussière mouvante et impalpable sur laquelle s’asseoit la démocratie. Lorsque la loi des successions permet, et à plus forte raison ordonne le partage égal des biens du père entre tous ses enfants... la mort de chaque propriétaire amène une révolution dans la propriété non seulement les biens changent de maîtres mais ils changent pour ainsi dire de nature ; ils se fractionnent sans cesse en portions plus petites... Mais la loi du partage égal n’exerce pas seulement son influence sur le sort des biens ; elle agit sur l’âme même des propriétaires et appelle leurs passions à son aide... Lorsque la loi des successions établit le partage égal, elle détruit la liaison intime qui existait entre l’esprit de famille et la conservation de la terre ; la terre cesse de représenter la famille », Alexis DE T OCQUEVILLE , De la démocratie en Amérique, 2 vol., Paris, Garnier-Flammarion, 1981, vol. 1, p. 109-110. Cité par Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques et politiques du droit des successions », in Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 43e fasc., Éditions universitaires de Dijon, 1986, p. 7. 7

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

finalement, à l’unification opérée par le Code civil. Cet aspect est d’autant plus intéressant que la diversité du droit privé sous l’Ancien Régime est marquée par cette division fondamentale : pays de droit écrit, pays de coutumes. Or, la légitime est un pont entre les deux aires de géographie juridique, puisqu’elle a sa place naturelle dans la tradition méridionale issue du droit romain, et qu’elle est adoptée dans les régions coutumières septentrionales. Mais les coutumes sont à leur tour fort diverses. Le germe unificateur joue-t-il aussi dans le rapprochement des différentes coutumes ? La question est pertinente, car les divergences coutumières en matière successorale sont importantes8. La légitime offre également un terrain d’étude privilégié pour aborder les rapports entre le droit naturel et le droit civil. Les défenseurs de l’un et de l’autre trouvent dans le droit successoral et, concrètement, dans l’institution de la légitime, un terrain favorable pour exposer leurs vues. Ainsi, par exemple, certains considèrent la légitime de droit naturel quant à sa substance, c'est-à-dire dans son principe ; mais de droit civil quant à sa quotité, c'est-à-dire dans sa mise en œuvre9. La pénétration et la progression de la légitime en pays de coutumes offre la possibilité d’approfondir l’impact du droit naturel sur les institutions juridiques de droit positif. Institution originale, institution clé dans l’émergence de la réserve héréditaire du Code Napoléon, influençant le cœur du droit de la famille et du droit des biens, stimulant la réflexion des meilleurs juristes de l’ancien droit, témoin privilégié de la construction du droit français, terrain de choix où les débats autour du droit naturel peuvent s’exprimer aisément : voilà les raisons qui justifient, à nos yeux, l’intérêt d’un travail sur la légitime en pays de coutumes. Une étude de fond sur le chemin parcouru par la légitime pour pénétrer le droit coutumier et la transformation qu’elle y a opéré reste à faire. Certes, comme dans l’étude de toute institution juridique, les aspects techniques semblent absorber le sujet, d’autant plus que les sources qui nous renseignent sur son existence sont souvent liées à la pratique, et que les développements sur les fondements de la légitime ou du droit successoral sont rares. La philosophie qui anime l’institution est souvent implicite, mais il ne faudrait pas en conclure qu’elle est inexistante10. L’intérêt pragmatique de cette institution ne nous échappe pas. Ainsi le résume un auteur du XVIIIe siècle : « De tous les traités de jurisprudence, il n’y en a guères de plus essentiels et de plus utiles que ceux qui traitent de la légitime et du supplément d’icelle ; parce que c’est une matière qu’on voit usiter chaque jour, et elle intéresse presque tous les citoyens ; car il y a fort peu de personnes, ou qui ne doivent, ou qui ne soient dans le cas de demander la légitime ; et la plus grande 8 Cf. les travaux de Jean YVER, Egalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, Sirey, 1966. 9 Cf. Pierre ROUSSILHE, Les institutions au droit de légitime, ou recueil de la jurisprudence actuelle, concernant la légitime et supplément d’icelle, 2e édition revue, corrigée et augmentée par l’auteur, Avignon, 1770. 10 « Le droit successoral n’en a jamais fini, c’est ce qui le rend techniquement si complexe, de tenter de concilier ces contraires ni de résoudre la difficile question des droits de l’individu sur ce patrimoine et ceux de la famille. Les hommes non plus, quand ils n’en contestent pas, devenus adultes, le bien-fondé », Anne LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996, n. 73, p. 100.

Introduction

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partie des actes, qui se font dans la société, sont relatifs à la légitime »11. Il est peutêtre exagéré de dire que la plupart des actes juridiques de la société concernent la légitime, mais il est vrai qu’elle est au cœur non seulement des successions mais, également, des conventions matrimoniales, puisque les familles y ont recours au moment d’établir leurs enfants. Afin d’éviter l’écueil d’en rester à la pure technique de l’institution, il est bon de se placer sur un autre terrain : répondre à la question de savoir pourquoi les pays de coutumes, à un moment précis, ressentent le besoin de faire appel à la légitime ; comment son introduction est-elle possible, et quelles en sont les conséquences. En définitive, sans éluder les dimensions techniques, étudier l’introduction et l’évolution d’une institution, en cherchant sa raison d’être. Le sujet lui-même impose les limites chronologiques des sources à consulter. En effet, il faut commencer par l’arrivée de la légitime en pays de coutumes au XVIe siècle, jusqu’à aboutir à la promulgation du Code civil en 1804, date à laquelle l’unification du droit privé fait disparaître les pays de coutumes et les pays de droit écrit en tant qu’aires juridiques différenciées. Pendant ces trois siècles, les recherches mènent naturellement vers les acteurs de la vie juridique de chaque époque, afin d’y puiser les renseignements nécessaires. Il faut interroger les coutumes pour savoir si elles adoptent la légitime. Les textes officiels fournissent déjà bien des données pour notre étude. Mais les coutumes sont indissociables de leurs commentateurs : leurs développements peuvent apporter des précisions sur la vie de la légitime en pays de coutumes, aussi parce qu’ils éclairent souvent leurs commentaires en rapportant des décisions de jurisprudence. Ainsi, il convient d’étudier la doctrine et la jurisprudence, en tenant compte du fait que les travaux doctrinaux sont souvent l’œuvre des praticiens. Ces sources complémentaires permettent de comprendre pourquoi et comment la légitime a pénétré en terrain coutumier. Elles permettent surtout de préciser des notions qui peuvent sembler évidentes et qui, à force de revêtir ce caractère, ne sont pas définies de manière précise et finissent par prêter à confusion. Il faut donc procéder, essentiellement, à un travail de clarification des concepts. L’ampleur géographique –tous les pays coutumiers– rend impossible le dépouillement exhaustif des actes de la pratique, notamment les archives notariales, qui recèlent sans doute des informations intéressantes sur la mise en œuvre de la légitime. L’analyse systématique de ce type d’archives apportera sûrement des éléments utiles pour compléter ces recherches. Mais, plus que la difficulté pratique, c’est l’optique générale prise pour aborder le sujet qui amène à faire ce choix des sources. En effet, l’objectif n’est pas tant la recherche de la mise en œuvre pratique que les raisons profondes de l’existence de la légitime en pays de coutumes. Bien sûr, les travaux existants sur le droit successoral de telle ou telle région sont éclairants, mais l’ambition ici est plus modeste et d’un autre ordre : fournir des éléments qui aident à comprendre pourquoi deux logiques, dont tout le monde s’accorde pour dire leurs différences, se retrouvent dans l’existence d’une institution comme la légitime.

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Pierre ROUSSILHE, op. cit., tome I, avertissement, p. VI.

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

L’idée directrice est que la légitime pénètre en pays de coutumes de manière progressive jusqu’à renverser la logique successorale du droit coutumier. Les développements qui suivent mettent en lumière cette progression et témoignent de ce pas à pas. Ce parcours passe par des querelles doctrinales et des revirements de jurisprudence, jusqu’à aboutir, avec le droit intermédiaire et, surtout, avec le travail de codification, à une institution unique qui, bien que portant le nom de réserve héréditaire, descend directement de la légitime romaine telle qu’elle existe en pays coutumier dans l’ancien droit. Afin de manifester cette progression de la légitime, depuis la rédaction officielle des coutumes jusqu’au Code Napoléon, il convient de présenter les éléments nécessaires à la compréhension de la question au XVIe siècle. En effet, la légitime n’est pas arrivée de manière brusque dans les pays de coutumes. Une série de facteurs facilite et rend possible la rencontre de la légitime et du droit coutumier. Une fois la légitime arrivée en pays de coutumes, il faut étudier comment le droit successoral coutumier s’adapte à cette nouveauté juridique, et de quelle manière il en est lui-même transformé. Ainsi, après la rencontre de la légitime et du droit coutumier (première partie), il faut envisager la pénétration et l’influence de la légitime dans les coutumes du Nord de la France (deuxième partie).

PREMIÈRE PARTIE RENCONTRE DE LA LÉGITIME ET DU DROIT COUTUMIER

Le droit successoral romain connaît deux manières de transmettre le patrimoine d’un défunt : la succession testamentaire et la succession ab intestat. Le testament est considéré comme le mode normal de dévolution successorale, alors que la transmission ab intestat, comme son nom l’indique, n’est que supplétive en absence de testament. Cette priorité accordée au testament reflète la place prépondérante de la liberté de disposer en droit successoral romain. En principe, cette liberté est totale. Mais cela n’exclut pas l’apparition de certaines mesures encadrant son exercice. Ainsi, par exemple, la Lex Falcidia (40 av. J.-C.) limite les legs à trois quarts de l’actif net de la succession du de cujus, afin d’assurer à l’héritier institué au moins un quart des biens de la succession. Autrement, le risque d’être dépouillé par des legs pourrait dissuader l’hériter d’accepter la succession, faisant échec finalement à la volonté exprimée par le de cujus dans son testament12. C’est dans ce contexte de liberté de disposer qu’il faut comprendre l’apparition de la légitime en droit successoral romain. Elle est une institution relativement tardive. Elle répond à un changement de l’organisation sociale de la famille romaine, conséquence de l’évolution des mentalités. À l’époque classique, la notion de potestas s’affaiblit, au profit des liens du sang qui sont le nouveau fondement de la famille. Dans ce sens, à la fin de la République, les centumvirs introduisent une pratique judiciaire permettant d’invalider un testament qui deshérite un proche parent sans motif. A posteriori, on justifie cette pratique par le sentiment d’affection qui doit présider aux rapports familiaux. Au départ on sauvegarde l’apparence de liberté totale, considérant la légitime comme un correctif d’une volonté mal éclairée. Mais peu à peu, on accepte ouvertement le fondement réel de l’action, qui est que la liberté du testateur n’est pas absolue et que, en tant que telle, elle ne peut porter atteinte à certains principes, notamment les devoirs essentiels qui découlent des liens familiaux. Ce sont donc des considérations morales qui introduisent la légitime dans la famille romaine. L’institution est à peu près fixée dès le IIe siècle après J.-C. L’officium piÉtatis dû aux proches parents s’impose à la liberté du testateur et donne naissance à une action, la querela inofficiosi testamenti, dont les conditions d’exercice sont restrictives car l’action est considérée injurieuse pour la mémoire du défunt. Au IIIe siècle, la protection des héritiers légitimes s’élargit. Elle concerne non seulement les dispositions testamentaires mais, également, les donations que le de cujus peut consentir au détriment de ses proches, et qui n’étaient pas visées par la querela inofficiosi testamenti. Une nouvelle action voit le jour, la q u e r e l a inofficiosae donationis ou dotis. Ainsi, dès le IVe siècle, la masse successorale est fictivement augmentée de l’ensemble des libéralités entre vifs faites par le défunt, pour calculer la légitime, dont la quotité est fixée à un quart de ce que l’enfant aurait 12

Rendre compte de l’ensemble du droit successoral romain dépasse le cadre de cette étude. Il s’agit de signaler ici uniquement les éléments nécessaires à la compréhension de l’institution de la légitime, qui sera incorporée aux coutumes des siècles plus tard. Pour une vision générale du droit successoral romain, cf. Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé, tome III, Le droit familial, Paris, PUF, 1968, p. 327 et s. ; Jean GAUDEMET , Droit privé romain, Paris, Montchrestien, 1998, p. 85 et s. ; Paul Frédéric G IRARD, Manuel élémentaire de Droit Romain, Paris, 1929, réimpression Liechtenstein-Paris, 1978, p. 841 et s. et surtout Max KASER, Das Römische Privatrecht, München, 2 vol., 1970 et 1975.

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eu ab intestat. Si le fondement est le même –la protection des héritiers–, les conséquences sont différentes, car les effets juridiques de l’annulation d’une donation sont plus importants que la caducité d’un testament ou de certaines de ses dispositions. Ainsi, on s’efforce de sauvegarder au maximum la libéralité consentie, en retranchant uniquement la part indispensable pour satisfaire le droit des légitimaires, cette diminution n’intervenant qu’après la réduction des dispositions testamentaires et en cas d’insuffisance de cette dernière mesure. Au VIe siècle, l’empereur Justinien systématise les précédents et légifère en accord avec la nouvelle mentalité. Par une constitution de 536, il modifie la part légitime, en fonction du nombre d’enfants laissés par le testateur. Si les enfants sont plus de quatre, ils auront la moitié de la part qu’ils auraient eue ab intestat, s’ils sont quatre ou moins, ils auront le tiers13. Ceci traduit un souci d’équité, correspondant à l’évolution des mentalités et à la progression des idées chrétiennes, qui demandent aux parents d’aimer également tous leurs enfants. L’état final du droit romain au sujet de la légitime, correspondant à la législation de Justinien, est inconnu des droits barbares14. En droit franc, la légitime n’existe pas. Même dans le Midi, elle n’est redécouverte qu’au XIIe siècle avec la renaissance du droit romain, et cela ne va pas sans susciter des résistances. Les coutumes se forment en ignorant la légitime. Ce n’est que tardivement, au XVIe siècle, qu’elle arrivera en pays coutumier. Retracer la formation du droit coutumier pendant la période médiévale excède l’objet de notre étude. Il convient cependant de souligner que les coutumes se forment en tenant compte des particularités régionales, ce qui donne au paysage coutumier une grande diversité. En ce qui concerne le droit successoral, le droit coutumier se développe de manière différente selon les régions, en fonction de ce qu’on estime être essentiel dans la composition de la famille, et des rapports patrimoniaux qu’elle comporte. Au XVIe siècle, l’emprunt de la légitime au droit romain n’est pas le fruit du hasard ou du caprice. Les patriciens doivent répondre à des situations concrètes, et certaines solutions coutumières deviennent choquantes parce que les mentalités et les circonstances changent. Le recours au droit romain est pour eux un réflexe naturel, car ils y trouvent une technique juridique plus perfectionnée. Dans une matière aussi cruciale dans la vie des familles et des personnes que le droit successoral, rien d’étonnant à ce que ce soit la vie elle-même, et pas simplement une recherche intellectuelle, qui soit à l’origine de la rencontre du droit coutumier et de la légitime. Mais il est difficile de séparer les mesures purement techniques de l’idée du droit qui sous-tend ces techniques. La légitime est née à Rome dans le contexte d’une liberté totale de disposition du patrimoine. Le paterfamilias romain est maître absolu de ses biens, et ce n’est que petit à petit qu’une conscience des devoirs patrimoniaux voit le jour, au profit de ses enfants. La progression à la fois de la 13 Cf. Corpus Iuris Civilis, tome III, Novellae, éd. Rudolfus SCHOELL et W. KROLL, 8e éd., Berlin, 1963, réimpression anastatique Hildesheim, 1993, Novelle 18, chapitre I, p. 128. 14 Sur le problème, plus vaste, de savoir dans quelle mesure le droit romain était connu pendant le haut Moyen Âge, voir « Traditio juris ». Permanence et/ou discontinuité du droit romain durant le haut Moyen Âge, textes réunis par Alain DUBREUCQ, Cahiers du Centre d’Histoire Médiévale, Université Jean Moulin Lyon 3, n. 3, Lyon, 2005.

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famille de sang au détriment de la primauté des liens agnatiques, ainsi que le progrès des idées chrétiennes facilitent cette prise de conscience, qui n’est, somme toute, que la traduction patrimoniale d’une nouvelle manière d’envisager les rapports familiaux. Il est donc nécessaire de saisir l’esprit du droit familial en droit coutumier, comme en droit romain, pour comprendre les différences et les similitudes qui permettent à la légitime romaine de pénétrer en pays coutumier. Cependant, développer la totalité du droit familial dépasserait de beaucoup le cadre de cette étude15. L’ensemble du droit successoral lui-même représente un champ trop vaste. Le cadre de la légitime permet, en revanche, de conduire une analyse approfondie. Comment procéder pour ce faire ? L’introduction de la légitime en pays de coutumes au XVIe siècle donne le terme a quo : il faut partir de l’état des coutumes à cette période. Certes, les coutumes se sont formées pendant tout le Moyen Âge, et il faudra chercher, au fil des développements, si elles contiennent, dès leur formation, des éléments utiles à nos recherches. En effet, la légitime a été redécouverte avec l’ensemble du droit romain au XIIe siècle. Quelques auteurs coutumiers s’en font l’écho au XIIIe siècle, mais toujours dans le cadre d’un exposé théorique. Il n’y a pas de traces de la légitime en pays de coutumes avant la fin du XVe siècle. Pour cette raison, la première rédaction des coutumes nous révèle les premières tentatives de pénétration de la légitime en pays coutumier. Cette époque est cruciale pour le droit coutumier. Il est bien connu qu’au début du XVIe siècle, on assiste en France à un grand mouvement juridique, qui marque une différence nette avec l’époque précédente. Il s’agit de l’élan qui est à l’origine de la rédaction des coutumes. Jusqu’alors, quelques juristes avaient consigné par écrit les coutumes de leur ressort16; mais il s’agissait de recueils privés, utiles pour les praticiens, qui ne prétendaient pas fixer le droit de manière définitive17 : ces recueils privés ne peuvent pas être invoqués comme preuve lors d’un procès. En avril 1454, Charles VII, par l’article 125 de l’ordonnance de Montils-lès-Tours, décide de mettre par écrit les différentes coutumes dans des actes officiels18. Ce souhait royal ne verra pas beaucoup de réalisations pratiques, obligeant Louis XII à renouveler ce désir, avant de voir les coutumes du royaume effectivement rédigées19. Ainsi, à la fin du XVe et au début du XVIe siècles, la monarchie soutient et encourage les commissaires royaux, leur demandant de mettre par écrit les coutumes existantes dans le royaume.

15 Pour une vision d’ensemble, voir Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., ainsi que Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, op. cit. 16 Par exemple, pour le Beauvaisis, Philippe de BEAUMANOIR (1252-1296), Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, Paris, 1899. 17 Cf. Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit, 3e éd., Paris, PUF, 2001, n. 67, p. 122. 18 Ibidem, n. 67, p. 124 et n. 132, p. 226. Texte modernisé dans Jean-Marie CARBASSE, op. cit., p. 227 : « [...] voulant abréger les procès et litiges entre nos sujets et les soulager des frais et dépens, voulant mettre de la certitude dans les jugements autant que faire se pourra et ôter toutes sortes de variations et contradictions, Nous ordonnons, décernons, déclarons et statuons que les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume seront rédigés et mis par écrit, [le texte étant] accordé par les coutumiers, praticiens et gens de chacun des pays de notre royaume, et que les coutumes, usages et styles ainsi accordés seront mis et écrits en des livres qui seront apportés devant nous, pour que nous les fassions voir et examiner par des gens de notre grand Conseil ou de notre Parlement, [après quoi] nous les décréterons et confirmerons ». 19 Cf. Lettre de Louis XII du 21 janvier 1510, in ISAMBERT, DECRUSY, ARMET, Recueil général des anciennes lois françaises, tome XI, Paris, 1827, n. 101, p. 609-611.

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Ces encouragements royaux constituent une certaine nouveauté. Il est vrai que le roi, par le biais de la réformation des mauvaises coutumes, a déjà pris des dispositions concernant le droit privé, a priori terrain d’élection de la coutume et, en principe, hors du champ d’action habituel de l’autorité royale. « En droit privé, le roi ne s’autorise à légiférer que dans les domaines non régis par la coutume [...] ou pour abolir une coutume mauvaise [...] On considère que les coutumes font partie du patrimoine des provinces : le roi doit les protéger comme un “ bien ” de ses sujets »20. La coutume a des caractères que le roi doit respecter. Elle se forme avec le temps et par le consentement du peuple concerné ; c’est en outre un droit territorial et à l’origine non écrit21 ; le roi n’intervient donc en principe que pour éradiquer les mauvaises coutumes, bien que l’évolution de la procédure et des mentalités puisse imposer des réformes. « Le roi, qui n’hésite pas à condamner les coutumes qu’il juge mauvaises, n’hésite pas davantage à abroger les coutumes qui ne correspondent plus aux raisons qui les avaient fait admettre »22. Cette attitude royale se renforce à l’issue du Moyen Âge, du fait de la consolidation du pouvoir royal. Dans la perspective de l’État naissant, il est logique de vouloir récupérer tout un pan de la vie juridique des sujets du roi qui échappait jusque-là à celui-ci. L’intérêt de la monarchie pour la rédaction des coutumes est double : politique, d’une part, car connaître les coutumes est le premier pas pour les maîtriser et tenter d’y introduire des éléments favorables au pouvoir monarchique ; juridique, d’autre part, car la publicité et l’écriture des coutumes facilitera une meilleure administration de la justice. Cette dernière raison est, en tout cas, le motif officiel invoqué pour lancer le vaste chantier de rédaction23. La rédaction des coutumes est suivie d’un deuxième mouvement, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, qui en est nettement distinct. Les coutumes écrites ont permis le développement de commentaires, la comparaison entre les différentes coutumes. Très vite, des voix de juristes s’élèvent pour attirer l’attention sur les défaillances de la rédaction, faite souvent trop rapidement, et sans avoir trié suffisamment parmi les dispositions celles qu’il convient de garder, et celles qui sont devenues archaïques. Charles Dumoulin, en particulier, « déplore son caractère souvent hâtif, laissant subsister des règles incertaines ou contradictoires »24. C’est ainsi que prend corps la deuxième vague, qui sera non plus de rédaction, mais de réformation des coutumes, c'est-à-dire, une révision du contenu même de la coutume. Les commissaires cherchent à abolir certains usages ou à en introduire de nouveaux, qui leur semblent plus adaptés aux besoins de justice ou aux intérêts du roi. « Pour les réformations de la seconde moitié du XVIe siècle, on doit seulement souligner l’importance de l’apport doctrinal et de l’apport jurisprudentiel »25. La réformation des coutumes suppose déjà une réflexion sur le droit coutumier luimême. Nous reviendrons plus loin sur cette réformation. Pour le moment, elle 20

Jean-Marie CARBASSE, op. cit., n. 125, p. 217. Ibidem, p. 120. 22 François OLIVIER-MARTIN, « Le roi de France et les mauvaises coutumes », in ZSS, série GA, Weimar, 1938, p. 131. 23 Cf. supra l’art. 125 de l’ordonnance de Montils-les-Tours, mais aussi la lettre de Louis XII de 1510. 24 Jean-Louis THIREAU , Charles du Moulin (1500-1566). Étude sur les sources, la méthode, les idées politiques et économiques d’un juriste de la Renaissance, Genève, Droz, 1980, p. 110 et les références qui y figurent. 25 René FILHOL, « La rédaction des coutumes en France », in Aux alentours du droit coutumier. Articles et conférences du doyen René Filhol, Université de Poitiers, 1988, p. 23. 21

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indique le terme ad quem, car il faut d’abord saisir l’état de la coutume à l’issue du Moyen Âge, afin d’analyser la place de la légitime en son sein. Pour cela, il est nécessaire de se centrer sur la première mise par écrit officielle des coutumes. Il est bon de chercher des éléments dans toutes les coutumes : dans celles des pays coutumiers stricto sensu, mais aussi dans les coutumes des régions où le droit écrit est en vigueur. Il faut, en effet, une vision d’ensemble des coutumes pour mieux percevoir l’influence des unes sur les autres. Ainsi se dégagera un tableau de la présence de la légitime en France au début du XVIe siècle. Mais ces textes ne rendent pas compte de tous les facteurs qui interviennent, directement ou non, dans la pénétration de la légitime en pays coutumier. L’époque que nous abordons est riche à bien des égards, et il faudra chercher ailleurs que dans les textes juridiques officiels, des éléments susceptibles d’éclairer le chemin de la légitime en pays coutumier. Les contours de cette première partie sont ainsi balisés. La chronologie s’étale des dernières années du XVe siècle jusqu’à la fin des premières rédactions, c'est-à-dire 1540 pour la coutume la plus tardive, la plupart étant rédigées entre 1500 et 1520. Les frontières géographiques embrassent à la fois celles des pays de coutumes et celles des pays de droit écrit. Les contenus thématiques amèneront, audelà des textes ayant valeur législative, à d’autres facteurs, en lien plus ou moins direct avec le droit, mais qui d’une manière ou d’une autre fournissent des éléments pour suivre la trajectoire de la légitime en pays de coutumes. Cette approche permet de diviser l’exposé des idées en deux chapitres. L’analyse des coutumes écrites montre la présence de la légitime en France au début du XVIe siècle (chapitre I). Cette étude est indissociable de celle des facteurs favorisant sa pénétration en pays de coutumes (chapitre II).

CHAPITRE I LA LÉGITIME EN FRANCE AU DÉBUT DU XVIe SIÈCLE

La légitime n’a pas toujours fait partie du patrimoine juridique des pays coutumiers ; elle s’y introduit à un moment précis. Pour comprendre quelles sont les incidences de cette introduction de la légitime en pays coutumier, il est d’abord nécessaire de bien connaître le droit successoral coutumier, sa logique et ses rouages internes. C’est ainsi seulement qu’on sera en mesure de percevoir la nouveauté qu’apporte la légitime, et les raisons pour lesquelles elle a été adoptée dans la partie septentrionale de la France. La rédaction des premières coutumes marque un tournant. L’opposition classique entre le droit écrit (c'est-à-dire, le droit romain) et le droit des pays de coutumes reste figée du fait de l’écriture de celles-ci. Certes, il existe désormais entre les deux la similitude de la forme écrite, mais les dispositions de fond propres à chaque coutume gardent leur spécificité. Il ne faut pas oublier que, bien que le désir d’unité soit présent sous l’Ancien Régime26, avec davantage de force au fur et à mesure que le temps passe, le trait caractéristique de l’ancien droit est la diversité27. Diversité dont les différentes coutumes étaient jalouses. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire quelques procès-verbaux de rédaction des coutumes : les réactions sont vives lorsqu’une ville ou un groupe social estime qu’on porte atteinte aux usages immémoriaux, qu’ils entendent défendre comme un élément constituant une caractéristique de leur identité28. 26

Déjà Charles Dumoulin s’exprimait ainsi dans son Oratio de concordia et unione consuetudinum Franciae : « Porro nihil laudabilius, nihil in tota Republica utilius et optabilius, quam omnium diffusissimarum, & ineptissime saepe variantium huius regni Consuetudinum, in brevem unam, clarissimam & aequissimam consonantiam reductio. […] Tertio, variae & diversae de eadem re in unam quam brevissimam & optimam consonantiam reduceretur […] », Charles DUMOULIN, Omnia quae extant opera, Paris, 1681, vol. II, p. 690. Brodeau situe la rédaction de l’Oratio dans les années 1543-1545. Cf. ibidem, Vie de Dumoulin, p. 15-16. Dumoulin fait avancer de cette manière l’idée d’avoir une seule coutume régissant tout le royaume, en laissant subsister tout au plus quelques variantes régionales. En cela, il fait figure de précurseur, mais c’est un mouvement qui ne cesse de grandir tout au long de l’Ancien Régime, et qui permettra les grandes ordonnances de codification sous Louis XV –dont certaines intéressent particulièrement notre sujet– et, finalement, le Code Napoléon en 1804. 27 « Cette rédaction est d’abord la consécration d’une diversité qui demeurera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime la caractéristique essentielle de notre droit privé », Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 128, p. 175. 28 À titre d’exemple, on peut lire dans la coutume de Touraine, à propos de l’article 7 du chapitre des donations, concernant la validité des donations entre époux : « N’ont esté expediez n’accordez par ladite assistance parce que les dessusdits Bohier, Maire de Beaune, Fournier, Quetier, Thévenin, Gaudin et Mesnager Eschevins de ladite ville, pour et au nom des manans et habitans d’icelle, dirent et remonstrerent qu’autrefois ils s’estoient opposez à l’assemblée dernierement faite par le Lieutenant General du Baillif, comme Commissaire sur le fait de ces presentes coustumes, et en tant que besoing estoit s’opposaient encores de present, disant que les coustumes anciennes ne se doivent muer ou changer

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Cependant, la ressemblance dans la forme, en même temps qu’elle permet d’accentuer les différences29, peut être un point commun et donc un élément de rapprochement des deux droits : revêtir la même forme –l’écrit–, facilite les comparaisons et, par là, les influences mutuelles30. De fait, la frontière intellectuelle entre le droit écrit et le droit coutumier est moins nette qu’il n’y paraît. À notre avis, la formation du droit français puise à deux sources qui tendent à s’emmêler, à s’influencer et, derrière les grandes querelles des partisans et des opposants au droit romain, au-delà de la défense aux accents plus ou moins gallicans du droit français31, la réalité nous semble bien plus nuancée et bien plus flexible. L’étude de la légitime, en tout cas, fournit un bon exemple de cette interaction entre l’inspiration romaine et l’inspiration coutumière. Dans le travail d’écriture des coutumes du début du XVIe siècle, les commissaires royaux chargés de surveiller la rédaction de ces coutumes agissent comme un ferment d’unité32, bien que la diversité de chaque coutume soit, en principe, respectée. Cependant, l’écrit fige les idées et contribue à fixer des règles jusqu’alors susceptibles de mobilité33. pour plusieurs causes et raisons qu’ils offroient dire et resmontrer plus amplement en temps et lieu, et ne devoient les articles ainsi qu’ils estoient escrits estre publiez pour coustume. À quoi par ledit Maistre Guillaume Sereau, Juge et Lieutenant General dudit Baillif, fut repondu que lesdits articles avaient esté à ladite assemblée dernierement faite pardevant luy, comme commissaire sur le fait desdites coustumes, arretez et accordez par la plus grande opinion des assistans à ladite assemblée. […] Et après ce que lesdits articles fussent publiez, et que ceux de ladite ville ont persisté formellement en leurdite opposition, ordonnasmes que lesdits Maires et Eschevins bailleroient et mettroient devers le Greffe par advertissement leurs causes d’opposition qui seroient communiquées audit Procureur du Roy pour y répondre […] », Charles-Antoine BOURDOT DE RICHEBOURG, Nouveau coutumier général, Paris, 1724, tome IV, p. 634. Charles-Antoine Bourdot de Richebourg est né et mort à Paris (1665- 1735). Cf. Dictionnaire historique des juristes français, Paris, PUF, 2007, V° Bourdot de Richebourg, p. 125. On citera désormais le Nouveau coutumier général par l’abréviation BdR, suivi du tome et de la page correspondants. 29 La romanisation du droit coutumier n’est pas uniforme, et les coutumes résistent à son influence. On peut élargir à l’ensemble des pays de coutumes cette remarque de Jean-Philippe Lévy : « trois phases semble-t-il, en marquent le déroulement [de la romanisation] : elle apparaît dans la seconde moitié du XIIIe siècle, surtout, mais non exclusivement, superficielle, et reste encore modeste jusqu’à la fin du XIVe siècle. Le premier tiers du XVe siècle est le moment de son apogée. Après quoi le droit coutumier marque un coup d’arrêt et lui oppose une ferme résistance », Jean-Philippe LÉVY, « La pénétration du droit privé savant dans le Vieux coustumier de Poictou », in Etudes d’histoire du droit privé offertes à Pierre Petot, Paris, Sirey, 1959, p. 371. 30 La naissance même de la coutume traduit le besoin de normes stables et certaines, sur lesquelles régler les rapports juridiques entre personnes privées. Cf. Jean-Marie CARBASSE, op. cit., n. 65, p. 118. 31 Voir, par exemple, cette citation de Jean de LAPLANCHE : « Elle méritait, cette belle institution de la France coutumière, qui plongeait ses racines dans les profondeurs du passé de la Nation, de n’être pas mise au second rang au profit d’une institution d’importation, qu’avait implantée dans la coutume la seule élite intellectuelle », Jean de LAPLANCHE, La réserve coutumière dans l’ancien droit français, Paris, Sirey, 1925, p. 610. Cf. également Thomas-Pascal BOULAGE, Introduction à l’histoire du droit français et à l’étude du droit naturel à l’usage des étudiants en droit, Paris, 1821. Malgré un ton très favorable aux coutumes, qui auraient été corrompues par le droit romain, il affirme p. 69 : « C’est ce mélange du droit romain avec les coutumes qui fait le droit français d’aujourd’hui ». 32 « La rédaction a certes contribué, sous l’impulsion notamment des commissaires du roi, à une certaine unification : on a souvent cherché à supprimer ou au moins atténuer dans un même ressort coutumier, les distinctions entre nobles et roturiers, mais aussi, dans la mesure du possible, entre coutumes », Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 128, p. 175. 33 Comme le souligne François OLIVIER-MARTIN, « c’est un fait général, qu’après cette mobilité surprenante du Moyen Âge et des débuts de l’ère moderne, à dater du XVIIe siècle, toutes les institutions françaises s’immobilisent, ayant pour ainsi dire trouvé leur point d’équilibre ou de perfection. Le droit coutumier n’échappe pas à cette loi générale, il représente l’élément le plus stable, le moins sujet à des

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Il n’est pas possible de retracer ici le détail de l’évolution du droit coutumier en général. Nous dirons uniquement que ce vaste mouvement de rédaction de coutumes permet de constater leur multiplicité, ainsi que leurs ressorts et leurs étendues géographiques très variables. Les historiens du droit ont bien étudié la question, et on mentionnera uniquement, pour mémoire, la carte coutumière du début du XVIe siècle. La frontière entre les pays de coutumes et les pays de droit écrit s’étend, pour simplifier, de La Rochelle, dans l’embouchure de la Charente, jusqu’à Genève34. Malgré la diversité coutumière, il est possible de regrouper les différentes coutumes en « familles », car les usages des contrées voisines ont souvent des caractères communs qui l’emportent sur les différences de détail. Nous renvoyons aux groupements décrits par Jean Yver35 : coutumes de l’Ouest ; coutumes du groupe orléano-parisien ; coutumes du Nord, flamandes et wallonnes ; coutumes du groupe champenois ; coutumes du Centre ; coutumes de l’Est. Chacun a ses caractéristiques propres en droit successoral, sur lesquelles nous reviendrons. Il faut envisager dans cette première partie le droit coutumier tel qu’il ressort de la première rédaction des coutumes. En effet, dans ces textes on trouve des traits caractéristiques du droit coutumier, reflet de la tradition antérieure. En examinant les différentes coutumes de cette époque, on peut dégager à la fois leur système de dévolution et partage des successions, ainsi que les protections prévues pour garantir aux héritiers les droits qui sont les leurs. Pour que l’étude soit complète, il convient d’analyser également les règles concernant la capacité de disposer de ses propres biens. Il y a dans les coutumes des indications sur la vocation successorale – qui est héritier? –, ainsi que sur la part de biens qui revient à chacun. On constate, à la lecture des coutumes et de leurs procès-verbaux, que la vocation successorale des descendants et des collatéraux n’est pas discutée, bien que leurs droits ne soient pas identiques, ni protégés de la même manière. Quand à la vocation successorale des ascendants, elle apparaît dans quelques coutumes. Certaines n’en parlent pas explicitement, mais il n’y a pas lieu de les exclure nécessairement de la succession de leurs enfants prédécédés. D’autres coutumes encore les excluent explicitement de la succession des propres, car propres ne remontent36, mais les admettent à succéder aux meubles. Dans l’optique de notre étude, on s’intéresse particulièrement au sort des descendants dans leur qualité d’héritier, car ce seront eux, par la suite, qui

brusques variations ; et surtout il bénéficie, malgré l’idée de spontanéité attachée à sa définition, de cette solidité que lui donne la rédaction. Toute codification, en rançon des avantages qu’elle présente, retarde l’évolution du droit », François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume de la prévoté et vicomté de Paris, Paris, éd. Cujas, 1972, réimpression de l’édition de 1914-1920, tome I, p. 66. 34 Cf. Jean HILAIRE , La vie du droit, Paris, PUF, 1994. Carte des coutumes reproduite dans Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., p. 166. 35 Cf. Jean YVER, Egalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, Sirey, 1966. L’ensemble de l’ouvrage est structuré autour de cette division. 36 Par exemple, la coutume de Champagne-en-Brie, art. 54 : « Toutes échoites de héritages viennent au plus prochain de celui qui meurt sans hoirs de son corps, et descendent sans retourner », BdR, tome III, p. 218. D’après une note de Charles-Antoine Bourdot de Richebourg, la coutume de Champagne-en-Brie peut être présentée comme la très ancienne coutume de Troyes, composée d’articles ou chapitres de dates différentes, composés entre 1224 et 1299. Les coutumes générales de Troyes seront rédigées en 1509. Cf. BdR, tome III, p. 209, note a. On peut citer un autre exemple tiré de la coutume d’Orléans, 1509, art. 243 : « Propres héritages ne montent par succession aux père et mère, ayeul ou ayeule, et autres ascendants en ligne directe », BdR, tome III, p. 751.

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bénéficieront de la légitime. Mais on ne le fera pas de manière exclusive, car on risquerait de donner un tableau incomplet de la logique successorale coutumière, qui tient compte de l’ensemble du lignage, et pas seulement des descendants. La différence évidente entre les pays coutumiers et les régions de droit écrit est particulièrement palpable au sujet de la légitime. Alors que sa présence est naturelle en pays de droit écrit, on s’est fixé comme objet général de notre recherche l’étude de sa présence dans les régions où elle ne fait pas partie des institutions coutumières. Mais ignorer totalement les régions de droit écrit eut faussé la perspective, car la différence d’esprit entre les deux zones n’empêche pas la communication entre elles. Il fallait donc analyser les deux régions géographiques, séparément, afin de saisir la spécificité du droit successoral de chacune. On pourra ainsi comprendre la logique successorale coutumière, à laquelle une institution comme la légitime est étrangère (section I). Il convient d’étudier ensuite la connaissance que les juristes des pays de coutumes ont de la légitime, même si elle ne fait pas partie de leurs institutions, à travers son existence dans d’autres régions françaises (section II). En effet, la légitime est une étrangère, mais elle n’est pas nécessairement une inconnue.

SECTION I LA LÉGITIME, INSTITUTION ÉTRANGÈRE AU DROIT SUCCESSORAL COUTUMIER

L’héritage, au sens large et moderne du mot, est l’ensemble des biens qu’on transmet à sa mort. Pour les Romains, comme pour le droit contemporain, le patrimoine d’une personne forme, en principe, une unité37. Mais il n’en va pas ainsi dans nos anciens pays de coutumes. Un des traits les plus remarquables, commun à toutes les coutumes au-delà de leurs divergences, c’est le manque d’unité du patrimoine. Il est composé de différentes masses de biens, se distinguant d’après leur nature (meubles ou immeubles) mais, également, pour les biens immeubles, selon leur mode d’acquisition (biens propres ou biens acquêts) ou, encore, en fonction de l’origine sociale (biens nobles ou roturiers). Les biens immeubles sont les plus importants dans le patrimoine familial, et ils constituent l’assise sociale de la famille. Ils nécessitent donc une protection particulière. Cette faveur pour les immeubles et, parmi eux, pour ceux reçus des ancêtres, se traduit par une institution typiquement coutumière, le retrait lignager. La famille, destinataire de ces biens, peut les récupérer si le détenteur actuel les aliène et les met 37

Du moins pour la théorie subjective française du patrimoine. « Après Aubry et Rau, il est devenu traditionnel en France de définir le patrimoine d’une personne comme l’ensemble de ses biens et de ses obligations envisagés comme formant une universalité de droit », Gérard CORNU , Droit civil : introduction. Les biens, 13e éd., Paris, Montchrestien, 2007, n. 4, p. 8. « Le patrimoine, c’est l’unité juridique formée de l’ensemble des biens potentiels et des obligations d’une même personne. [...] Le patrimoine n’est rien, s’il n’est pas un tout : il est la représentation pécuniaire de la personne », Christian ATIAS, Droit civil, les biens, 9e éd., Paris, Litec, 2007, n. 14, p. 10. Cependant, le droit romain, comme le droit contemporain, admettent des aménagements et des divisions du patrimoine : cf., par exemple, l’existence de biens adventices ou encore les différentes sortes de pécule en droit romain, ou la théorie des patrimoines d’affectation en droit contemporain. Mais au regard du droit coutumier, la notion romaine de patrimoine apparaît bien plus unitaire que celle des coutumes.

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entre les mains de tiers n’ayant pas de liens de parenté avec le groupe familial. Les modalités du retrait ont évolué dans le temps, mais le principe reste inchangé : la famille a un droit de regard sur les biens qui appartiennent à son patrimoine, au point que l’accord de ses membres est nécessaire avant de conclure une transaction qui concerne ces biens. Si on omet de prendre cette précaution, le vendeur comme l’acheteur risquent de se trouver dans l’obligation de résilier leur vente (même si l’acheteur est remboursé du prix qu’il avait versé), car la famille est prioritaire. La mise en œuvre du retrait lignager s’assouplit avec le temps, mais le principe reste ferme. Cette institution montre l’importance familiale des immeubles. Le retrait garantit l’héritage contre des actes de disposition à titre onéreux, c'est-à-dire la vente. En cela, il se distingue de la légitime, laquelle vise à protéger les héritiers contre les legs et les donations, qui sont des actes de disposition à titre gratuit. Le retrait lignager reste donc étranger à notre propos38. Il n’en illustre pas moins bien la mentalité coutumière, en ce qu’il protège les droits du lignage sur le patrimoine familial. En outre, il prend une place non négligeable dans la rédaction des coutumes. Il convient également de mentionner le douaire, ce gain de survie au profit de la veuve qui, à la mort de son mari, bénéficie de l’usufruit de certains biens. Quelques coutumes prévoient que le douaire de la femme est le propre des enfants39. De cette manière, on protège l’intérêt des enfants, qui peuvent se prémunir contre la mauvaise gestion du patrimoine de la part du père, en renonçant à sa succession et en gardant les biens du père sur lesquels est assis le douaire40. Mais, comme le retrait lignager, cette institution intervient dans un contexte où on tient compte des actes à titre onéreux faits par le père de famille. Il faut donc l’écarter aussi pour les mêmes raisons, afin de s’en tenir uniquement aux dispositions à titre gratuit, car c’est là le domaine propre de la légitime romaine. 38 Sur le retrait lignager, son origine et sa technique, voir Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé, tome II, Les biens, 2e éd., Paris, PUF, 1971, p. 421-439. 39 Coutume de Mantes, titre XV Du douaire, art. 3 : « Le douaire est fait le propre heritage aux enfants qui procèdent du mariage, tellement que le pere ne la mere ne le peuvent aliener ne forfaire, soit par crime de leze majesté ou autrement, que les enfans ne le puissent vendiquer », BdR, tome III, p. 178. Coutume de Melun, chapitre De Douaire, tant en Censives comme en Fief, art. LXXXII : « Item et lequel douaire n’a lieu jusques après le decès du mary, et se les enfans des deux parties renoncent à l’héritage du père après son decès, et veullent avoir seulement le douaire de leur mère, sans se porter hériters, faire le pourront. Et leur sera reputé propre, mais le père en jouira tant qu’il vivra et en sera usufruitier », BdR, tome III, p. 418. Coutume de Gerberoy, art. 66 : « Le douaire est reputé propre héritage des enfants […] », BdR, tome I, p. 229. Dans le même sens, coutume de Senlis, 1539, art. 182, BdR, tome II, p. 723. La coutume de Clermont-en-Beauvaisis distingue entre les biens roturiers et les biens nobles. Art. 160 : « Le douaire est fait propre héritage aux enfants d’iceluy mariage, quant aux héritages roturiers, tellement qu’il ne peut se vendre, aliéner, ne forfaire pour quelque cause ou crime que ce soit, au préjudice desdits enfants. Pour les fiefs, la femme acquiert le douaire la vie durant et ledit douaire n’est pas propre héritage aux enfants », BdR, tome II, p. 771. Coutume de Valois, 1539, art. 108 : « Douaires coutumier et préfix sont propres héritages aux enfants venus du mariage de leur père et mère », BdR, tome II, p. 803. 40 Par exemple, Gerberoy, art. 67 : « Les enfants après la mort de père et mère peuvent prendre les héritages sur lesquels était douée la femme leur mère franchement, sans payer aucune dette, pourvu qu’ils renoncent à la succession de leur père », BdR, tome I, p. 229. Ou encore Senlis, 1539, art. 178 : « Les enfans desdits conjoints, après le trespas de leur pere et mere, peuvent prendre et apprehender le douaire de ladite femme leur mere, franchement, sans payer aucunes debtes, pourveu qu’ils renoncent à la succession de leur pere, pource que par la coustume dessusdite, aucun ne peut estre heriter et douairier ensemble », BdR, tome II, p. 723. Coutume de Valois, 1539, art. 110 : « Aucun ne peut être héritier du père et douager de la mère, mais en acceptant la succession du père, la part et portion dudit douaire contingente audict acceptant, est confuse en ladite succession à sa personne », BdR, tome II, p. 803.

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L’intérêt se centre donc sur la capacité du de cujus non de vendre, mais de disposer gratuitement de ses biens au profit d’autres personnes que ses héritiers. Le droit coutumier a des règles qui encadrent les libéralités du de cujus, afin de protéger la vocation successorale de ceux qui sont appelés à recueillir les biens du défunt. Elles fixent la quotité de biens dont le de cujus peut disposer. C’est l’institution connue sous le nom de réserve. C’est elle que nous devons analyser en premier pour saisir la logique coutumière. Cependant, pour que l’étude soit complète, il est nécessaire de pénétrer l’esprit qui imprègne le droit successoral coutumier au XVIe siècle. Il s’agit de dégager des principes qui ne sont pas toujours explicites et se découvrent en analysant les textes coutumiers, témoins de la tradition ancienne. Ils semblent aussi importants que les institutions elles-mêmes car ils permettront le cheminement de la légitime en pays de coutumes. Il convient donc d’envisager à la fois les institutions et les principes, afin d’avoir une vision d’ensemble du droit successoral coutumier au début du XVIe siècle. Ainsi, on pourra saisir son état par rapport à l’institution de la légitime romaine, et voir s’il y a eu une progression dans l’incorporation de la légitime dans le droit coutumier. L’étude porte d’abord sur la réserve (§ 1). Ensuite, il convient de mettre en lumière certains principes du droit successoral coutumier (§ 2), pour savoir dans quelle mesure ils prédisposent à l’acceptation de la légitime. § 1. La réserve, protection coutumière concernant l’héritage La réserve est caractéristique du droit des pays de coutumes et, pourtant, le mot réserve n’apparaît qu’au XVIIIe siècle41. L’institution est néanmoins présente bien avant. L’enfant légitime a un droit sur les biens de la famille ; c’est lui qui devra les recueillir et les transmettre à son tour. À défaut d’enfant, ce sont les autres proches qui remplissent cette mission. Leur vocation successorale est protégée contre les dispositions excessives qui pourraient être faites à titre gratuit. La gestion du patrimoine n’est pas interdite, mais le disposant doit tenir compte de ce droit virtuel de l’héritier42. Ainsi, pour disposer des biens provenant de la famille, il faut compter sur l’approbation des proches, sous peine de les voir revendiquer le bien qui est sorti du patrimoine familial. D’où l’idée qu’on ne peut disposer à titre gratuit que d’une petite partie des biens reçus des ancêtres. Cette réserve apparaît déjà au XIIIe siècle dans beaucoup de coutumes, certaines allant jusqu’à l’indisponibilité totale des propres. Sans être aussi radicales, la plupart établissent une petite quotité disponible sur ces biens. C’est principalement à l’égard des dispositions testamentaires que la limite de la réserve est effective. Il est bien connu qu’à l’époque de la première rédaction des coutumes, les dispositions profanes ont pris place, depuis longtemps, dans les testaments, à côté des mesures à caractère religieux. Il s’agit donc pour les coutumes de limiter l’étendue de ce type de dons. Ainsi, par exemple, Jean Des Mares, conseiller et 41 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 206, p. 277. En effet, le terme réserve au sens technique ne figure dans aucun des dictionnaires consultés du XVIe et du XVIIe siècles. 42 Ibidem, n. 206, p. 276.

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avocat du roi au Parlement sous Charles V et Charles VI, exprime cette limite dans ses décisions. « Nuls ne peut ordener en son testament ou [sic] prejudice de ses heritiers, fors que du quint de son heritage »43. Et, dans une autre décision de son recueil, il affirme que « se un homme a plusieurs enfans légitimes, et habiles pour estre ses héritiers, il peut laissier à estranges personnes, tous ses biens meubles et conquests, voire la quinte partie de son héritage, en sa derreniere voulenté, et non plus »44. La réserve est donc la partie des biens dont la disposition échappe à la dernière volonté de son propriétaire, parce qu’ils sont d’avance destinés à être recueillis par les membres du lignage, de la famille, au moment de la mort du testateur. On est ici en présence d’un principe fondamental de la logique coutumière : le lignage a des droits sur les biens propres. La réserve, qui existe d’abord sans être nommée, constitue la solution qui permet à l’esprit coutumier de perdurer, malgré des influences nouvelles. La réserve apparaît de manière contemporaine à l’arrivée du testament et de la liberté qu’il présuppose45, et a pour but de préserver le patrimoine des ancêtres. Elle permet un équilibre entre les droits de l’individu et ses devoirs de justice envers sa famille46. Au XVIe siècle, elle est déjà le pivot du droit successoral coutumier. La preuve en est l’existence de dispositions concernant la réserve dans toutes les coutumes consultées. Ce qui varie est la part de biens indisponibles et donc l’étendue de cette protection. Ainsi, on doit étudier les différentes modalités que présente la réserve (A), avant de s’intéresser à l’existence de la légitime dans quelques coutumes (B). A. Les différentes modalités de la réserve Pour étudier les types de réserve existants, il est bon de partir de la géographie coutumière dégagée par Jean Yver47. Les travaux de cet auteur ont mis en lumière la présence, au regard du droit successoral, de trois principaux groupes de coutumes : coutumes préciputaires, coutumes d’égalité stricte et coutumes d’option ou d’égalité simple. Il est important de noter que le classement opéré par Jean Yver vise essentiellement les rapports entre les enfants ; il se fonde sur la possibilité qu’ont les 43 « Décisions de Messire Jean DES M ARES , conseiller et avocat du Roy au Parlement, sous les rois Charles V et Charles VI, dans lesquelles sont transcripts les usages et coutumes gardées en la Cour du Châtelet, et certaines sentences données en plusieurs cas notables », publiées in Julien BRODEAU, Coustume de la presvoté et vicomté de Paris, 2e éd., Paris, 1669, tome II, décision 237, p. 589. 44 Ibidem, décision 149, p. 577. 45 « Contre le développement de la liberté testamentaire, quelques coutumes dressent les vieux principes de conservation des biens familiaux. Elles peuvent nous apparaître commes des « roches témoin », des survivances du fond juridique antérieur au flux du droit romain. Les autres, plus nombreuses, cherchent une solution de compromis susceptible de ménager les droits du lignage et la liberté nouvelle : cette transaction est la réserve coutumière, fruit d’influences diverses qui font toute l’originalité du droit garonnais », Jacques POUMARÈDE, Les successions dans le Sud-Ouest de la France au Moyen Âge, Paris, PUF, 1972, p. 83. Bien que l’auteur parle exclusivement de certaines coutumes du Sud-Ouest, cette analyse de la réserve est intéressante pour éclairer l’étude de cette institution en général, mais aussi de manière plus spécifique dans la perspective de notre travail, qui concerne directement la pénétration du droit romain en pays coutumier. 46 « Par la réserve des héritages, la dette de justice de l’individu envers le lignage, qui protégeait sa faiblesse et accroissait sa personnalité, était soldée, et les exigences d’un support réel que réclame une stabilité indispensable à la famille pour qu’elle puisse pousser de nombreuses et fortes ramifications, étaient satisfaites », Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 258. 47 Jean YVER, op. cit., carte de géographie coutumière, p. 304.

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parents de rompre l’égalité entre leurs enfants, par des dons faits au profit de l’un ou de plusieurs d’entre eux. Or, le but principal de la réserve étant la protection du patrimoine familial dans son ensemble, elle ne s’occupe pas du problème de l’égalité ou de l’inégalité des partages à l’intérieur d’une fratrie. De ce fait, la carte coutumière de l’égalité entre héritiers ne coïncide pas nécessairement avec la carte qu’on pourrait dresser des différents types de réserve48. Les deux questions restent néanmoins liées, car les enfants sont les premiers lignagers du de cujus. Ainsi la réserve, protégeant la famille, protège en premier lieu les enfants pris dans leur ensemble. Pour cette raison, il n’est pas erroné de partir de ces groupes de coutumes. Il semble nécessaire de chercher à comprendre l’esprit de chacun d’eux, tant en ce qui touche à la possibilité pour le père de rompre ou non l’égalité entre ses enfants, qu’en ce qui concerne la quotité disponible qu’il peut affecter à des étrangers. Les deux aspects sont importants pour comprendre la liberté laissée au père de famille sur son patrimoine. Seulement ainsi on pourra apprécier à sa juste valeur la protection exercée par la réserve. Le principe de l’égalité entre les enfants sera abordé plus spécifiquement dans un deuxième temps. À présent, il faut analyser l’institution de la réserve telle qu’elle apparaît dans les textes des premières rédactions des coutumes, en les étudiant selon leur appartenance aux trois groupes signalés : coutumes préciputaires (1), coutumes d’égalité stricte (2) et coutumes d’option (3). 1. Les coutumes préciputaires Les coutumes du groupe préciputaire accordent une grande liberté au père de famille, qui peut donner hors part une partie de ses biens à un de ses enfants. Les enfants ainsi gratifiés peuvent venir à la succession de leurs parents sans rapporter ce qu’ils ont reçu. En ce qui concerne la capacité du père de disposer en faveur d’étrangers, les coutumes préciputaires prévoient que seule une petite partie des biens propres peut échapper à la famille : le quint. Il s’agit d’un maximum autorisé, mais il est clair que le père peut en disposer à l’intérieur de sa famille, le laissant par préciput à un de ses enfants. Il n’y a pas de trace dans ces coutumes d’un disponible spécial pour les enfants. L’origine du quint viendrait, d’après Jean de Laplanche, de 48

Une comparaison entre la carte établie par Jean Yver à propos de l’égalité des enfants, et celle dessinée par Jean de Laplanche au sujet de la réserve coutumière après le XVIe siècle peut être utile. Elle montre une coïncidence entre les coutumes d’égalité stricte et les coutumes où la réserve est plus étendue, à la fois parce qu’elle concerne les legs et les donations, et parce qu’il existe une subrogation des meubles et acquêts en absence de propres (sauf dans la Marche, où la subrogation est absente parce que ne distinguant pas les types de biens, ils sont tous concernés par la réserve). Mais le groupe champenois d’égalité stricte a une réserve qui ne concerne que les legs. En outre, il n’admet pas la subrogation des meubles et acquêts aux propres, sauf pour la coutume de Bar. La coutume de Sens est particulière, puisque tout en étant d’option intégrale, elle admet des éléments d’égalité stricte. Du point de vue de la réserve, elle ne touche que les legs, mais admet la subrogation comme dans l’Ouest. Elle semble donc une coutume au carrefour de l’influence entre l’Ouest et la région orléano-parisienne, bien qu’elle ne soit pas placée à la frontière de ces deux zones géographiques. Les coutumes de l’Ouest mises à part, dans le reste de la France coutumière les cartes ne coïncident plus totalement. En dehors du Berry, la Bourgogne et quelques îlots au Nord (Thionville, Douai, Orchies), qui excluent la réserve au profit des solutions romaines, il y a une unité dans toute la zone centrale et est de la France au sujet de la réserve : elle ne concerne que les legs. En revanche, du point de vue de l’égalité entre les enfants, cette zone distingue des coutumes préciputaires et des coutumes d’option intégrale. Le Bourbonnais et l’Auvergne, tout en se limitant aux legs, ne font pas de différence entre les types de biens du de cujus (propres, acquêts, meubles). Cf. cartes géographiques de Jean YVER, op. cit., et Jean de LAPLANCHE, La réserve..., op. cit., p. 304 et p. 341 respectivement. Nous les reproduisons en annexe.

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la quotité jugée généralement la plus sage, « à laquelle on réduisait les elemosynae irrationabiles » ; le régime des elemosynae rationabiles étant l’intermédiaire entre la laudatio parentum et « l’avènement d’une quotité disponible fixe de l’héritage ».49 On recense une réserve du quint des propres dans les coutumes préciputaires du Nord : Artois50, Gerberoy51, Péronne52, Ponthieu53, Boulonnais54, Amiens55 et les locales qui en dépendent, Beauquesne56 et Montreuil-sur-la-mer57. Aucune de ces coutumes n’établit une différence de quotité en fonction de la présence ou de l’absence d’enfants dans la succession du de cujus. La coutume d’Amiens précise que le quint disponible est appelé quint hérédital, pour le distinguer du quint naturel dû aux puînés58. Ce quint naturel, réservé aux puînés, fait référence au droit d’aînesse, et concerne donc la répartition des biens entre les enfants. La coutume de Boulonnais l’exprime très clairement. Nous lisons dans son article 24 : « La Coustume generale de ladite Comté, Pays et Senechaussée de Boulenois, est telle, que s’aucun ou aucune va de vie à trépas, jouissant et possessant d’aucuns fiefs et nobles tenemens scituez et assis ès metes de ladite Comté, à luy succedez de ses prédecesseurs delaissez un ou plusieurs enfans masles et femelles issus de sa chair et de loyal mariage, à son fils aisné succedent tous lesdits fiefs et nobles tenemens, à la charge du quint, qui est deu aux puisnez freres ou sœurs, se demander et apprehender le veullent ; et se le fils n’y a, tous lesdits fiefs et nobles tenemens succedent à la fille aisnée, à la charge du quint des puisnez freres, se demander et apprehender le veulent comme dessus ; et par icelle Coustume ledit quint qui est nommé quint naturel n’est point deu aux puisnez, s’il n’est apprehendé, limité et separé par iceux puisnez aux frais et dépens de ceux qui en veulent jouir »59. Ce quint naturel, auquel ont droit les puînés, ne doit pas être confondu avec le quint dont le père de famille peut disposer en faveur d’étrangers. Ce quint naturel tire son fondement d’un impératif moral, celui de pourvoir à la subsistance des cadets. En cela, il semble plus proche de l’obligation alimentaire, voire de la légitime. En effet, le qualificatif même de naturel renvoie à la légitime due « de droit de nature » comme s’expriment parfois les coutumes60. Cette référence à la nature est un point clé de notre étude, sur lequel il nous faudra revenir. Mais on peut déjà 49

Cf. Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 197-198. Coutumes d’Artois, 1509, art. LIX, BdR, tome I, p. 247. Coutumes de Gerberoy, 1507, art. XCII, BdR, tome I, p. 231. 52 Coutume de Péronne, 1507, articles non numérotés, BdR, tome II, p. 609. 53 Coutume de Ponthieu, 1495, publiée en 1506, art. XIX, XXIII et XXV, BdR, tome I, p. 85-86. 54 Coutume de Boulonnais, 1493, art. LII, BdR, tome I, p. 32. 55 Coutume d’Amiens, 1507, art. IV, BdR, tome I, p. 120. 56 Coutumes de Beauquesne, 1509, art. XXVI, BdR, tome I, p. 149. 57 Coutumes de Montreuil-sur-la-mer, [s. d.], art. LXXI, BdR, tome I, p. 144. 58 Coutume d’Amiens, 1507, art. IV : « [...] il est loisible à chacun par son testament, devis ou ordonnance pour dernière volonté disposer de ses biens meubles acquests et conquests immeubles à telle personne ou personnes et ainsi que bon lui semble, mais il ne pourrait disposer par testament et dernière volonté de ses propres héritages, soit féodaux ou cottiers à lui venus, succedez et échus de ses predecesseurs, sinon du quint seulement. Et par forme de quint viager ou hérédital selon ce qu’il veut donner, qui est à entendre que le testateur en le faisant doit user de ce mot, quint, par exprès qui se nomme quint datif. Et ce sans déroger au quint naturel et coutumier appartenant aux puînés. [...] Si le quint est donné simplement sans addition de viager ou hérédital, celui quint en ce cas est tenu et reputé hérédital », BdR, tome I, p. 120121. 59 Cf. BdR, tome I, p. 29. 60 Un exemple, parmi d’autres, se trouve dans la coutume de Chartres de 1508 : « […] ne soient privez de leur légitime part et portion à eux deue de droitct de nature », art. 88, BdR, tome III, p. 713. 50 51

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tirer une conclusion de cette précision de vocabulaire. La mise en garde pour distinguer le quint naturel du quint hérédital indique que la réserve s’enracine dans une logique successorale et non dans une obligation d’origine morale. Nous entendons par logique successorale celle qui s’attache à la transmission d’un patrimoine d’une génération à l’autre au moment de la mort, réglant avec précision les droits de chacun. La réserve ne dérive pas de l’obligation morale de laisser des biens au lignage, mais du compromis entre, d’une part, une logique communautaire, où tous les membres de la famille sont des copartageants des biens communs et ont droit à recevoir tout le patrimoine à la mort du de cujus sauf s’ils ont quitté la communauté et, d’autre part, les droits de l’individu qui demande à pouvoir gérer son patrimoine avec une certaine autonomie. Du point de vue de la communauté familiale, l’important est que la transmission de la plus grande partie du patrimoine ait lieu à l’intérieur de la famille, laissant une faible marge à la liberté individuelle sous forme de quotité disponible pouvant profiter à des étrangers. Le problème de l’équilibre entre les parts échues aux différents membres du lignage est une question différente. Comme le souligne Jean de Laplanche, la réserve est surtout liée au droit héréditaire préservant la famille à l’encontre de l’acte à titre gratuit61, qui bénéficierait à un tiers. Pour cette raison, elle n’empêche pas une certaine liberté du père de famille dans la répartition de ce patrimoine entre ses enfants, y compris pour avantager un enfant hors part. Dans les régions de préciput, le compromis entre lignage et individu s’établit en laissant l’immense majorité des héritages à la famille, par la réserve des quatre quints, et en laissant une importante liberté au père de famille pour aménager le sort des différents enfants comme il l’estime opportun. Ainsi donc, la réserve ne s’oppose pas par nature au caractère préciputaire des dons faits par le de cujus à ses enfants, puisque les deux régimes juridiques répondent à des questions différentes. L’élément primordial du patrimoine étant, au moment de la naissance de la réserve, l’ensemble des biens reçus des ancêtres, c’est sur la transmission de ceux-ci qu’il faut veiller. C’est pour cela que la réserve n’affecte que les biens propres et que, pour les autres types de biens, la liberté de disposition est totale. On peut tester en faveur de qui on veut lorsqu’il s’agit de meubles, d’acquêts ou de conquêts immeubles. Cette liberté touche indifféremment les testaments et les donations entre vifs ; alors que généralement la réserve ne protège la famille que vis-à-vis des legs. On retrouve des dispositions protégeant uniquement contre les legs à Amiens62, Lille63 et en Artois64. Dans les coutumes de Boulonnais65, Ponthieu66 et Marquenterre67 le disponible affecte aussi bien les donations entre vifs que les legs. L’esprit libéral caractérise donc les coutumes préciputaires. Il faut à présent étudier l’esprit des coutumes d’égalité stricte. 2. Les coutumes d’égalité stricte Le deuxième groupe de coutumes, celles d’égalité stricte, est qualifié par Jean Yver de régime de succession pure, les droits individuels de chacun étant bien 61

Cf. Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 14. Coutume d’Amiens, 1507, art. 4, BdR, tome I, p. 120-121. 63 Coutume de Lille, 1533, chapitre 2, art. 1, BdR, tome II, p. 937. 64 Coutume d’Artois, 1509, art. 89, BdR, tome I, p. 249. 65 Coutume de Boulonnais, 1493, art. 51, BdR, tome I, p. 32. 66 Coutume de Ponthieu, 1495, art. 20, BdR, tome I, p. 85. 67 Coutume de Marquenterre (locale de Ponthieu), art. 30, BdR, tome I, p. 110. 62

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définis. Dans ces coutumes d’égalité parfaite, les droits des enfants sur le patrimoine des parents « font l’objet d’un transfert du père aux enfants, de telle sorte que cette transmission ne s’opérant qu’à sa mort, quelque répartition entre eux qu’ait été accomplie pendant sa vie, cet acte est incapable de modifier l’étendue de leurs droits »68. D’où une obligation stricte de rapporter tout ce qui aurait pu leur échoir avant la mort de leurs auteurs, du moins de rapporter l’excédent, certaines coutumes permettant une option pour les libéralités reçues équivalant à la part héréditaire69. Ainsi, ces coutumes de succession pure sont plus radicales que les coutumes préciputaires qu’on vient d’étudier, en ce sens qu’elles déterminent les droits non pas du lignage pris dans son ensemble par rapport aux tiers, mais de chacun des membres de la famille. Jean Yver oppose ces coutumes de succession pure aux coutumes communautaires, toutes les nuances entre les deux extrêmes ayant probablement existé au Moyen Âge. Dans l’hypothèse d’égalité stricte, les parents ne peuvent pas prendre, vis-àvis des enfants, des mesures destinées à subsister au-delà de leur propre mort. On pourrait alors penser que la quotité disponible de biens propres dont les parents peuvent disposer en faveur des étrangers soit encore moindre qu’en région des coutumes préciputaires, car la liberté laissée au père de famille pour régler sa succession est inexistante. Or, au début du XVIe siècle, nous rencontrons une quotité disponible du tiers des propres dans ce groupe de coutumes. Ce régime de faveur pour les dispositions testamentaires concernant les propres peut surprendre : alors que ce sont des coutumes qui retranchent la liberté pour l’aménagement interne des biens dans la famille, elles reconnaissent une plus grande capacité pour disposer en faveur d’étrangers. Ce n’est pas tant dans la logique juridique interne à ces coutumes que dans leur histoire qu’on doit chercher l’explication. D’après Jean Yver, l’origine de cette quotité du tiers se trouverait dans le droit féodal, et ne concernerait que les nobles70. Jean de Laplanche était déjà du même avis71. Effectivement, on retrouve la quotité du tiers dans les coutumes de l’Ouest qui sont davantage marquées par le droit féodal. Cependant, à l’époque qui nous intéresse, celle de la rédaction des coutumes, la réserve du tiers concerne tous les propres, quelle que soit la qualité des biens ou des personnes concernées. Le maintien de la quotité du tiers semble un vestige de cette origine noble. Dès lors, l’étonnement s’estompe. Alors que les coutumes préciputaires se situent dans des régions où la tradition familiale communautaire était forte, 68

Cf. Jean YVER, op. cit., p. 107. Cf. infra, § 2, B. Cf. Jean YVER , op. cit., p. 106-107 : « Puisque nous avions dit aussi que le régime communautaire s’associait au mieux à l’idée que nous pouvions nous faire du droit simple et confiant des basses classes ou des milieux urbains, l’hypothèse se formulerait, a contrario, que nous sommes ici originairement en face d’un droit des hautes classes ; là-bas, pratiques des classes domaniales ou bourgeoises, ici droit plus précis du milieu féodal. Dans ce milieu, les concessions de terre, militaires ou non, créent un type d’appropriation suffisamment ferme et individuel pour que les droits du père apparaissent d’une façon exclusive pendant sa vie, mais que chaque membre de sa famille ait aussi, pour après sa mort, une vocation propre, délimitée et indestructible […] On devine que les deux pôles opposés ont pu être d’une part un régime de communauté familiale tel que les père et mère apparaissent, sur le même plan que les enfants, comme les coparticipants et, le moment venu, les copartageants d’un patrimoine commun […], d’autre part un régime de succession pure où les droits sur le patrimoine font l’objet d’un transfert du père aux enfants, de telle sorte que cette transmission ne s’opérant qu’à sa mort, quelque répartition entre eux qui ait été accomplie pendant sa vie, cet acte est incapable de modifier l’étendue de leurs droits ». 71 « La part des fiefs héritages que l’aîné pouvait donner aux puînés, sans laudatio parentum évidemment, […] la coutume lui reconnut la faculté de la donner librement, s’il lui plaisait, à des personnes étrangères au lignage », Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 198. 69

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l’introduction d’une quotité disponible se rattache aux premières manifestations de liberté individuelle. Les tendances de la famille à retenir tous les propres en son sein sont tenaces, et la quotité disponible autorisée reste faible (un quint), celle qui était habituellement considérée comme sage ou raisonnable. En revanche, les coutumes d’égalité stricte continueraient de conserver la quotité du tiers, les biens roturiers se greffant sur un régime noble antérieur72. C’est donc le poids de la féodalité dans l’histoire de ces coutumes qui détermine cette quotité. Elle n’est pas une manifestation de bienveillance particulière à l’égard de la liberté du père de famille. Ce disponible du tiers existe dans les coutumes de l’Ouest comme celles de la Touraine73, du Maine74, du Loudunois75, de la Bretagne76, du Poitou77 mais, aussi, dans les coutumes de Vitry-le-François78, Bar79, Saint-Mihiel80, qui appartiennent au groupe champenois d’égalité stricte. Reste à souligner que, comme une trace supplémentaire de cette origine féodale, l’article que nous avons cité de la coutume de Loudunois prévoit qu’on puisse donner « tous les acquêts, et tierce part de son patrimoine et matrimoine à lui advenu à cause de ses prédécesseurs, à vie seulement, et ses meubles à perpétuité […] ». Le tiers a donc un caractère viager dans cette coutume, comme c’était le cas pour le tiers des fiefs donné aux puînés. L’article cité de la coutume de Touraine contient une disposition analogue. Ce caractère est perdu dans la rédaction des autres coutumes de ce groupe, où il est permis de donner à perpétuité. Comme pour les coutumes préciputaires, en pays d’égalité stricte il n’y a pas de restriction pour disposer des meubles, acquêts et conquêts par testament ou donation entre vifs, au profit de qui on veut. On peut consulter en ce sens les

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Dans un article fort intéressant, Jean-Louis THIREAU montre comment, du moins pour les coutumes angevines, ce régime noble est lui-même postérieur à un système de réserve roturière de moitié. La réserve de moitié, fondée sur un esprit communautaire, était générale au moins dès le Xe siècle. « La quotité noble des deux tiers est apparue postérieurement et ne s’est répandue qu’à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, à l’époque où les structures féodales ont atteint leur plein développement » (p. 355). L’origine de la réserve de deux tiers se trouverait dans les usages propres aux dîmes « dont la généralisation correspond manifestement à un mouvement de restriction de la faculté du vassal de disposer de sa tenure » (p. 384). Ce régime de la réserve du tiers finit par faire disparaître la réserve de moitié propre des roturiers, et se généralise pour toute la population la quotité du tiers. Cela entraîne dans l’Ouest une plus forte domination familiale, au détriment de la liberté individuelle de disposer. Il fallait signaler cette étude, car elle apporte des éléments très utiles pour déterminer la date d’apparition de la réserve. Cependant, on doit s’en tenir à la période qui est la nôtre. À la fin du Moyen Âge, les coutumes de l’Ouest se caractérisent par la quotité disponible du tiers, tirée du droit féodal. Les coutumes rédigées de cette époque ne gardent pas de trace de cette réserve antérieure propre aux roturiers. Ainsi, au moment où la légitime commence à s’introduire en pays de coutumes, l’Ouest reste ancré dans une logique de primauté familiale, qui entrave les progrès de la liberté individuelle de disposer. Dans ce sens, cf. infra nos remarques à propos de la subrogation des meubles et acquêts aux propres. Cf. Jean-Louis THIREAU, « Les origines de la réserve héréditaire dans les coutumes du groupe angevin », RHD, 1986, p. 351 et s. 73 Coutumes de Touraine, 1507, art. 1, BdR, tome IV, p. 612-613. 74 Coutume du Maine, 1508, art. CCCXXXII, BdR, tome IV, p. 499. 75 Coutumes de Loudunois, 1518, chapitre XXV, art. 1, BdR, tome IV, p. 728. 76 Coutume de Bretagne, 1539, art. CCXX, BdR, tome IV, p. 303. 77 Coutume du Poitou, 1514, art. CLXXXI et CXC, BdR, tome IV, p. 757-758. 78 Coutume de Vitry, 1509, art. C et CVIII, BdR, tome III, p. 321-322. 79 Coutume de Bar, 1506, art. XXIV, BdR, tome II, p. 1017. 80 Coutume de Saint-Mihiel, (ancienne coutume sans date), art. XXVII, BdR, tome II, p. 1046.

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coutumes de Vitry81, Bar82 et Saint-Mihiel83 pour la Champagne, ou encore celles de Maine84, Poitou85 ou Bretagne86 pour l’Ouest. Cette liberté de principe pour les meubles et acquêts doit être cependant nuancée pour les coutumes de l’Ouest. En effet, certaines d’entre elles, pour sauvegarder la réserve, établissent une subrogation des meubles et acquêts en cas d’absence de propres. À défaut de propres, la réserve s’applique aux acquêts ou aux meubles, le but étant de pallier l’absence de biens propres. C’est le cas des coutumes de Poitou87 et Loudunois88. La Touraine mentionne aussi la subrogation, mais l’article correspondant n’a pas été accordé89. La formulation de l’article de la coutume du Poitou est particulièrement explicite : « Combien que on puisse donner ses meubles, ses acquêts et la tierce part de son héritage, toutesfois, si aucun n’a que meubles, il n’en peut donner que le tiers dudit meuble et, s’il n’avait que meubles et acquêts et n’eut aucun héritage, il peut donner tous ses meubles et le tiers desdits acquêts et non plus, car quant à ce, lesdits acquêts sont censés comme héritages ». Bien qu’anecdotique, on peut souligner l’utilisation des mots patrimoine et matrimoine dans la coutume de Loudunois. Ils expriment bien l’origine familiale des propres et l’importance des droits de chaque ligne, si caractéristique du droit coutumier. Dans le même sens, la coutume du Poitou précise, en parlant du disponible du tiers, que « et si aucun a heritage regardant le branchage de son pere, et aussi heritages regardans le branchage de sa mere ; comme s’il avait cent sols de rente regardant le branchage de son pere, et dix livres regardans le branchage de sa mere vel e contra. S’il donne lesdits cent sols qui ne sont que le tiers du tout de son heritage desdits deux branchages ensemble, tel don ne vault pas ; car il ne peult donner que le tiers de cent sols ; au prejudice des heritiers regardans le branchage de sondit pere ; autrement ce serait desheriter ses heritiers »90. Il est clair que, dans la 81

Coutume de Vitry, 1509, art. 108, BdR, tome III, p. 322. Coutume de Bar, 1506, art. 24, BdR, tome II, p. 1017. 83 Coutume de Saint-Mihiel, (ancienne coutume sans date), art. 27, BdR, tome II, p. 1046. 84 Coutume du Maine, 1508, art. 332, BdR, tome IV, p. 499. 85 Coutume de Poitou, 1514, art. 199, BdR, tome IV, p. 758. 86 Coutume de Bretagne, 1539, art. 221, BdR, tome IV, p. 303. 87 Coutume de Poitou, 1514, art. 190 : « Combien que (comme dessus est dit), on puisse donner ses meubles, ses acquestz et la tierce partie de son heritage : toutesvoyes si aucun n’a que meubles, il n’en peult donner que le tiers dudit meuble, et s’il n’avoit que meubles et acquestz et n’eust aucuns heritage, il peult donner tous ses meubles et le tiers desdits acquestz et non plus, car quant à ce lesdits acquestz sont censez comme heritage », BdR, tome IV, p. 758. 88 Coutume de Loudunois, 1518, chapitre XXV Des donations faites entre gens roturiers, art. 1 : « Le roturier peut donner à une personne de plusieurs qui ne sont ses heritiers presumptifs, ou heritiers presumptifs de ses heritiers, tous ses acquests, et tierce partie de son patrimoine et matrimoine à luy advenu à cause de ses prédécesseurs, à vie seulement, et tous ses meubles à perpétuité. [...] Et s’il n’a point de patrimoine, les acquests representent en ce le patrimoine, et en deffaut d’acquests et de patrimoine, le meuble represente le patrimoine », BdR, tome IV, p. 728. 89 On cite maintenant cet article, mentionné auparavant : « Le routurier peult donner à une personne ou à plusieurs qui ne sont ses heritiers presumptifs ou heritiers presumptifz de ses heritiers tous ses acquests et tierce partie de son patrimoine à luy advenus à cause de ses predecesseurs à vie seulement, et tous ses meubles à perpétuité : Toutesfois il pourra donner à perpetuité tous ses meubles, acquestz et tierce partie de son patrimoine, ad pias causas, pour le salut de son ame. Et s’il n’a point de patrimoine les acquestz representent en ce le patrimoine. Et en deffaut d’acquests et de patrimoine le meuble represente le patrimoine », coutume de Touraine, 1507, chapitre XXIII, art. 1, BdR, tome IV, p. 612-613. Le procèsverbal indique que cet article n’a pas été accordé à cause de l’opposition des échevins de la ville, qui n’ont pas voulu reconnaître une série de plusieurs articles de ce chapitre, concernant aussi la donation entre époux. La rédaction du procès-verbal ne permet pas de déterminer quelle était la cause de l’opposition. 90 Coutume de Poitou, 1514, titre II Des donations, art. 181, BdR, tome IV, p. 757. 82

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logique coutumière, on ne peut considérer le patrimoine de manière unitaire. Le tiers disponible doit être calculé dans chaque masse de biens propres, soit le tiers des propres paternels et le tiers des propres maternels. Donner tous les propres d’une branche, même s’ils n’épuisent pas la quotité disponible, signifie priver les héritiers de cette ligne de leurs droits à conserver les biens propres dans leur branche, ce que la réserve a pour but d’empêcher. C’est une précaution qui concerne les successions sans descendants, car alors les biens doivent revenir aux collatéraux. C’est dans cette logique de protection du lignage qu’il faut comprendre le mécanisme de la subrogation. Ces coutumes de subrogation cherchent à protéger les droits de la famille lorsque la réserve est inefficace parce qu’il n’y a pas de biens propres dans le patrimoine des parents. Pour éviter que la liberté de disposition des meubles et acquêts supprime tout droit de la famille aux biens du père ou de la mère, ces coutumes prévoient que les acquêts ou conquêts remplaceront les propres et que, à défaut, même les meubles, pourtant peu estimés à l’époque, viendront prendre la place des propres. Par ces articles, ces coutumes anticipent les problèmes que posera l’évolution des fortunes vers une prédominance des meubles, et la recherche nécessaire d’une solution. Néanmoins, il est probablement excessif de voir dans ces dispositions l’expression d’une clairvoyance sur l’évolution économique. Le plus plausible est que cette subrogation réponde à la volonté ferme de garder le maximum de biens dans la famille, sans qu’ils puissent profiter à des tiers à titre gratuit. Elles expriment davantage de la méfiance vis-à-vis des testaments que des raisonnements d’avantgarde. Le fait que ces dispositions appartiennent précisément à des coutumes de l’Ouest, plus marquées par la féodalité, incline à cette interprétation. Il n’en reste pas moins que ce mécanisme de la subrogation, s’il avait été généralisé, aurait pu écarter la légitime romaine des pays coutumiers. Cette question sera évoquée plus loin. Il est nécessaire maintenant d’étudier les dispositions des coutumes d’option. 3. Les coutumes d’option Dans le groupe des coutumes d’option, les établissements faits par les parents, surtout les établissements en mariage, sont en principe stables. Les parents donnent aux enfants une partie de leurs biens, notamment lorsqu’ils les marient, et cette distribution n’est pas remise en cause après leur mort. Les enfants établis sont censés avoir reçu leur part, et ne peuvent venir à la succession de leurs parents qu’à condition de rapporter le don reçu, ce qui protège les intérêts des autres enfants non allotis91. Elles se placent ainsi à mi-chemin entre la logique préciputaire et les coutumes d’égalité stricte où les établissements des parents ne subsistent pas, les enfants étant tenus de rapporter pour succéder. La quotité disponible de biens propres qui peuvent échapper à la famille est relativement faible dans ce groupe : en général un quint, comme pour les coutumes préciputaires92. On constate ainsi que, si une certaine liberté est laissée aux parents 91

Cf. Jean YVER, op. cit., p. 12-13 et p. 54-55. Il y a quelques exceptions, comme la coutume de Troyes, qui prévoit dans son article CXV la réserve des deux tiers, comme dans les coutumes d’égalité stricte. Peut-être est-ce dû à la proximité, d’une part, de la coutume de Vitry, qui est d’égalité stricte et, d’autre part, à celle de Sens qui, tout en étant une coutume d’option contient des éléments d’égalité stricte. Jean Yver n’a pas inclus la coutume de Troyes comme ayant des caractéristiques propres des coutumes d’égalité parfaite, mais peut-être pourrait-on modifier la carte sur ce point. Cf. BdR, tome III, p. 247. 92

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pour établir leurs enfants, celle-ci ne leur est reconnue que timidement à l’égard des étrangers, surtout par voie testamentaire et concernant les biens reçus des ancêtres, par nature voués à la famille. C’est le même raisonnement que nous avions rencontré dans l’aire préciputaire, à ceci près que les coutumes d’option sont moins libérales, ne permettant pas le cumul du bénéfice de la succession et d’un don fait hors part. Dans ce groupe de coutumes d’option, nous trouvons la quotité disponible du quint des propres par voie testamentaire à Paris93, Melun94, Clermont-enBeauvaisis95 et Sens96. La généralité des dispositions concernant la réserve montre à quel point l’institution est ancienne et bien établie. En principe, les articles rencontrés ne spécifient pas de mesure particulière selon qu’il y ait ou non des enfants du de cujus venant à la succession. La réserve reste la même. On l’a remarqué pour les coutumes préciputaires, mais cela est vrai aussi pour les coutumes d’égalité stricte et, en général, parmi les coutumes d’option ou d’égalité simple. Cependant, au sein de ces dernières, celle de Clermont-en-Beauvaisis fait exception. Elle envisage une protection spécifique du patrimoine familial lorsque le de cujus laisse des enfants. Voici le texte des articles concernés : Article 130 : « [...] il n’est loisible à aucun de disposer par testament de ses propres héritages, au préjudice de ses heritiers, outre le quint d’iceux » Article 131 : « toutes franches personnes [...] peuvent disposer par testament et derniere volonté de tous leurs biens meubles, acquests et conquests immeubles, et de la quinte part de tous leurs propres heritages au profit de personnes capables, pourvu qu’il n’y ait point d’enfans, et là où il y aura enfans, ne pourront disposer que de leurs meubles, acquêts et conquêts »97. En présence d’enfants, la capacité de disposer du quint des propres disparaît. Est-ce une mesure en faveur des enfants ou en faveur de la famille ? Au XIIIe siècle, Philippe de Beaumanoir, dans les coutumes de Beauvaisis, avait déjà pris la défense des enfants, en affirmant que « […] li dons pourroit bien estre donnés si outrageus, que li peres et la mere donnerent, qu’il ne seroit pas a tenir, car il ne loit pas au pere ne a la mere a donner tant a l’un de leurs enfans que li autre en demeurent orfelin et deserité »98. On reviendra sur les antécédents de la légitime qu’on peut déceler chez Beaumanoir. Il ne semble pas, cependant, que dans le cas présent, la coutume de Clermont ait voulu favoriser chaque enfant dans un souci d’équité, comme c’était le cas dans le paragraphe cité. Renforcer la réserve en présence d’enfants est plutôt une mesure destinée essentiellement à protéger la famille, dont les enfants sont les continuateurs par excellence. S’il y a des descendants, aucun bien propre ne doit échapper à la famille par des dons faits à titre gratuit. La coutume permet en revanche de disposer du quint, quand il n’y a que des collatéraux. Cette position illustre la force de la conception de la famille, envers laquelle on a des obligations. Mais elle témoigne également de la progression d’idées nouvelles, selon lesquelles la conservation des biens dans le lignage est étroitement liée à l’affection présumée envers les membres de la famille. On estime que les enfants doivent tout recevoir 93

Coutume de Paris, 1510, art. XCII et XCIII, BdR, tome III, p. 7. Coutume de Melun, 1506, art. XCIII, BdR, tome III, p. 418. 95 Coutume de Clermont-en-Beauvaisis, 1539, art. CXXX, BdR, tome II, p. 770. 96 Coutume de Sens, 1506, art. LXXXI, BdR, tome III, p. 490. 97 Coutume de Clermont-en-Beauvaisis, 1539, BdR, tome II, p. 770. 98 Philippe de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, Paris, 1899, n. 482. Voir également le n. 499 et le n. 1972. 94

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des parents. Le lien avec les collatéraux étant plus distant, on permet au père de famille de gratifier des tiers au détriment du lignage, car on pense qu’il peut y avoir des motifs réels d’affection plus grande envers eux qu’envers certains collatéraux éloignés. À défaut d’enfants, on permet une petite marge de liberté, qui est la quotité disponible du quint. Autrement, les biens propres, reçus des ancêtres, doivent revenir aux descendants. Dans cette coutume, l’étendue de la réserve touchant les biens propres est maximale en présence d’enfants : tous les biens propres doivent leur revenir. Comme dans les autres groupes, il n’y a aucune restriction pour disposer des meubles et acquêts ou conquêts immeubles, aussi bien par voie testamentaire que par donation entre vifs. On peut lire dans ce sens les dispositions des coutumes de Mantes99, Troyes100, Melun101, Sens102, Varry103, Orléans104, Verdun105, Chauny106, Clermont-en-Beauvaisis107, Paris108 et Chaumont-en-Bassigny109. Quelles que soient ses variantes, la réserve est une protection successorale présente dans toutes les coutumes, exprimant un trait essentiel de l’esprit coutumier. Le moment est venu d’interroger les coutumes sur la présence de la légitime en leur sein. B.

L’existence de la légitime dans quelques coutumes

C’est principalement dans le groupe des coutumes d’option qu’on rencontre les textes les plus intéressants pour notre étude. Il s’agit des articles dans lesquels on retrouve un vocabulaire proche de la légitime romaine (inofficieux, excessif, trop avantageux, immense), voire une référence explicite à celle-ci : Chartres, article 88 et 91110, Dreux, article 81 et 82111, Orléans, article 216 et 217112, Senlis, article 217 99

Coutume de Mantes, anciennes coutumes, chapitre XV, art. 2, BdR, tome III, p. 179. Coutume de Troyes, 1509, art. 95, BdR, tome III, p. 247. 101 Coutume de Melun, 1506, art. 92, BdR, tome III, 419. 102 Coutume de Sens, 1506, art. 81, BdR, tome III, p. 490. 103 Coutume de Varry (locale d’Auxerre), 1507, art. 91, BdR, tome III, p. 574. 104 Coutume d’Orléans, 1509, art. 232, BdR, tome III, p. 750. 105 Coutume de Verdun, difficile à dater d’après Bourdot de Richebourg, titre III, art. 1, BdR, tome II, p. 428. 106 Coutume de Chauny, 1510, art. 12 et 57, BdR, tome II, p. 664 et p. 668. 107 Coutume de Clermont-en-Beauvaisis, 1539, art. 131, BdR, tome II, p. 770. 108 Coutume de Paris, 1510, art. 93, BdR, tome III, p. 7. 109 Coutume de Chaumont-en-Bassigny, 1509, art. 82, BdR, tome III, p. 358. Nous rangeons cette coutume parmi le groupe d’option, malgré sa quotité disponible du tiers, caractéristique des coutumes d’égalité parfaite : cf. art. LXXXII, BdR, tome III, p. 358. Le classement de cette coutume n’est pas aisé. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 142-143 et p. 239-242. 110 Coutume de Chartres, 1508, art. LXXXVIII : « Un chacun peut donner, vendre et aliéner ses heritages ainsi que bon luy semble, par venditions, donations, et autres contracts faits entre vifs, sans le consentement de ceux qui luy doivent succeder ; et vaut telle donation, aliénation ou disposition, et mesmement quand elle est faite entre vifs par personnes idoines à ce faire et à personnes capables ; pourveu que par ladite donation, les enfans des donateurs ne soient point privez de leur legitime part et portion à eux deue de droict de nature ». Art. XCI : « Homme et femme conjoints par mariage et autres habiles et idoines à tester, peuvent disposer par testament et ordonnance de dernière volonté, de tous leurs biens meubles et acquerements immeubles, et du quint de leurs propres, avec le revenu d’une année de tous iceux propres à leur plaisir et volonté, et le donner et laisser à qui il leur plaira, pourvu que les légataires soient personnes capables, et que les enfants des testateurs ne soient privés et frustrés de la légitime à eux deue de droict de nature. Et est ladite coutume accordée par tout ledit Baillage, sauf qu’esdites cinq Baronnies, et Perche-Gouet […] », BdR, tome III, p. 713. 100

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et 218113, Valois, article 93 et 133114, Clermont, article 129115 et Montargis, chapitre 11, article 1116. Le Nivernais mentionne également la légitime117. Bien qu’elle soit une coutume préciputaire, sa situation géographique voisine des coutumes du groupe orléanais, en fait un terrain de rencontre d’influences venant des coutumes libérales mais aussi des coutumes d’option118. Cela justifie une étude conjointe de cette 111

Coutume de Dreux, 1508, art. LXXXI : « Homme et femme conjoints par loy de mariage, et autres habiles et idoines à testamenter, peuvent testamenter et ordonner par testament, et derniere volonté, de tous leurs biens meubles et acqueremens immeubles à leur plaisir et volonté, et les donner et laisser à qui il leur plaira, pourveu que lesdits legataires soient capables de prendre et accepter lesdits legs, et que les enfans et heritiers du testateur ne soyent fraudez de leur legitime à eux deue de droit de nature ». Art. LXXXII : « Et semblablement par leur testament peuvent disposer de leurs héritages propres jusqu’à la quinte partie en fief, et la quarte partie en censif, avec une année de tout le revenu de tous leurs propres héritages, pourvu aussi que les enfants héritiers dudit testateur ne soient fraudéz et privez de leurdite légitime, comme dessus », BdR, tome III, p. 725. 112 Coutume d’Orléans, 1509, art. CCXVI : « Si père et mère font aucune donation à leurs enfans en faveur de mariage ou emancipation de leurs biens meubles ou immeubles, telle donation est bonne et valable, pourveu qu’elle ne soit immense, et que la legitime portion deue aux autres enfans selon raison soit réservée et gardée […] ». Dans ce même article, la coutume d’Orléans prévoit que les enfants donataires puissent revenir à la succession des père et mère en rapportant, et aussi que « père et mère ne peuvent avantager l’un de leurs enfans plus que l’autre en leurs successions ». Art. CCXVII : « […] et si la donation est immense et excessive, les enfans ou heritiers dudit donateur la peuvent quereller selon la disposition de droict », BdR, tome III, p. 749. 113 Coutume de Senlis, 1539, art. CCXVII : « Aucun ne peut disposer de son propre par testament ou ordonnance de dernière volonté au préjudice de ses héritiers, fors et excepté du quint, lequel il peut donner à l’un ou à plusieurs de ses enfants, non venants à sa succession, ensemble ses meubles, acquêts et conquests ; pourveu toutesfois qu’aux autres enfants leur legitime demeure ». Art. CCXVIII : « ledit testateur peut donner sondit quint à quelque personne que ce soit (autre que le mary à sa femme et la femme au mary), ensemble ses meubles et acquêts et conquêts, pourvu qu’il n’y ait aucuns enfants », BdR, tome II, p. 726. 114 Coutume de Valois, 1539, art. XCIII : « Un testateur ne pourra disposer de ses biens, à quelque personne que ce soit, au préjudice des légitimes deues à ses enfants », BdR, tome II, p. 803. Art. CXXXIII : « Une personne usant de ses droits peut donner entre vifs à toute personne estrange, ou à un de ses enfants non venant à succession, telle part et portion qu’il lui plaira de ses biens, soient propres, acquêts, conquêts ou meubles ; et où au jour de son trespas, se trouveroit la donation immense, en sorte que la légitime ne fust entierement reservée à ses autres enfants, sera ladite donation desduit et deffalqué ce qui s’en faudra de ladite légitime, (eu egard aux biens donnés et ceux dont mourra saisi le donateur) venant au profit des héritiers ; et sera tel donataire tenu restituer pour lesdites légitimes, ce qui se trouverait deffaillir de ladite légitime ; et à ce sont les choses données, du jour de la donation, hypothécquées », BdR, tome II, p. 805. 115 Après avoir affirmé la possibilité pour un enfant gratifié de s’en tenir à son don, la coutume précise : « Neatmoins tel advantagé en soy tenant au don et transport, sera tenu de suppléer à ses autres frères et sœurs, jusques à la concurrence de la légitime, si le reste dedits biens n’estoit suffisant pour le suppleement de ladite legitime lors du decez du donateur : et quant à ce, seront lesdits biens ainsi donnez et advantagez, deslors affectés et hypothequez jusques à la concurrence d’icelle légitime », coutume de Clermont, 1539, BdR, tome II, p. 770. 116 Coutume de Montargis, 1531 : « Gens nobles et non nobles, soient mariez, vesves ou à marier, ayans enfans ou non, peuvent par donation faite entre vifs donner tous leurs meubles, conquests immeubles et propres heritages à qui bon leur semble, et vaut tel don, sauf la legitime aux enfans et autres descendans en droicte ligne de laquelle demoureront saisis sans fraude », BdR, tome III, p. 845. 117 Coutume de Nivernais, 1534, chapitre 23, art. 24 : « Fille mariée et appanée ou dotée par pere et mere vivans ou l’un d’eux […] ne peut impugner ladite donation et appanage par quelque maniere que ce soit, sauf par supplement de sa legitime, eu esgard à sondit dot ou appanage, et aux biens de sesdits pere et mere delaissez par leurs decès », BdR, tome III, p. 1148. 118 « Tout se passe dans ce groupe Berry-Bourbonnais-Nivernais, comme si les coutumes, étant parties d’un esprit fort prochain de celui de leurs voisines d’option intégrale, avaient évolué, au contact des influences méridionales –sous l’action du droit romain, ou sous l’impulsion de commissaires comme le président Lizet en Berry–, vers des solutions plus libérales : avantages préciputaires et cumul des qualités d’héritier et de légataire », Jean YVER, op. cit., p. 166. Même si Jean Yver rattache les coutumes de Berry

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coutume avec les coutumes d’option qui connaissent la légitime. C’est la seule coutume préciputaire à faire mention de la légitime lors de la première rédaction des coutumes. Avant d’examiner ces dispositions concernant la légitime, il convient de souligner que toutes ces coutumes connaissent l’institution de la réserve119. Il s’agit, dans la logique de leur groupe, de la réserve du quint des propres par voie testamentaire. En cas de donation entre vifs, la liberté est totale sur tous les types de biens. On dénombre certaines particularités, comme la possibilité à Chartres de léguer, outre le quint des propres, le revenu d’une année des quatre quints des propres réservés120, ou la disparition de la quotité disponible en présence d’enfants à Clermont121. La coutume de Montargis fait une différence entre les propres tenus en fiefs, qu’on peut léguer à concurrence du quint, et les propres tenus en censive, dont le disponible est d’un quart122. Mais ces caractéristiques particulières n’annulent pas l’affiliation générale à la même logique. L’existence de la réserve dans toutes ces coutumes confirme que les articles cités mentionnant la légitime viennent se greffer dans un terrain parfaitement fidèle à l’esprit coutumier, comme un emprunt extérieur, qui ne fait pas de ces coutumes des îlots de droit écrit dans un paysage différent. Outre la réserve, on peut souligner l’existence d’autres traits typiquement coutumiers, comme donner et retenir ne vaut123 ; interdiction d’instituer un héritier124 ; ou encore « nul ne peut être héritier et légataire ensemble »125. On est bien en présence d’un esprit coutumier. Comment faut-il alors interpréter la présence de la légitime dans ces textes ? Les coutumes de Senlis, Clermont et Valois insèrent la légitime dans des dispositions concernant les legs, mais aussi les donations entre vifs. L’introduction la plus significative semble être celle qui concerne les donations. En effet, les legs

et du Bourbonnais au même groupe que le Nivernais, en les plaçant sous l’influence du groupe orléanais, on a estimé plus exact de traiter les coutumes de Berry et du Bourbonnais avec les coutumes situées en bordure des pays de droit écrit. Cf. infra, section II. 119 Chartres : art. 88 et 91, déjà cités : quotité disponible par legs du quint des propres et, en outre, possibilité de léguer le revenu d’une année des quatre quints des propres réservés. Pas de réserve pour les donations, BdR, tome III, p. 713. Dreux, art. 81 et 82, cités supra : liberté pour les donations, disponible du quint des propres par legs, BdR, tome III, p. 725. Orléans contient les mêmes dispositions, cf. BdR, tome III, p. 749. Senlis, art. 217 : disponible du quint par legs, BdR, tome II, p. 726. Cette coutume est muette sur les donations entre vifs, mais d’après Pihan de la Forest la liberté dans ce domaine était illimitée (cité par Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 308). Valois, art. 84 : disponible du quint par legs, art. 133 : liberté pour les donations, BdR, tome II, p. 802 et p. 805. Clermont, art. 131 : disponible du quint par legs, mais pas de quotité disponible s’il y a des enfants. Art. 123, liberté pour les donations, BdR, tome II, p. 769-770. Montargis, chapitre XI, art. 1 : liberté pour les donations, chapitre XIII, art. II : par testament, quotité disponible du quint des fiefs et du quart des censives pour les biens propres, BdR, tome III, p. 845 et p. 847. Nivernais : chapitre 27, art. 4 et chapitre 33, art. 1 : liberté pour les donations, quotité du quint pour les legs, BdR, tome III, p. 1151 et p. 1159. 120 Cf. art. 91 précité. 121 Cf. art. 130 et 131 précités. 122 Chapitre XIII, art. II, BdR, tome III, p. 847. 123 Par exemple, cf. Nivernais, chapitre XXVII Des donations, art. I, BdR, tome III, p. 1151. Montargis, chapitre XI, art. V, BdR, tome III, p. 845. Orléans, art. CCXXII, BdR, tome III, p. 750. 124 Nivernais, chapitre XXXIII, art. II, BdR, tome III, p. 1159. Montargis, chapitre XIII, art. I, BdR, tome III, p. 847. Orléans, art. CCXXV, BdR, tome III, p. 750. Dreux, art. LXXXV, BdR, tome III, p. 725. Senlis, art. CLXIV, BdR, tome II, p. 721. 125 Nivernais, chapitre XXXIII, art. XI, BdR, tome III, p. 1160. Chartres, art. XCII, BdR, tome III, p. 714. Senlis, art. CLX, BdR, tome II, p. 721.

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étaient déjà limités par la réserve. Si les donations, jusque-là libres, sont désormais limitées par la légitime, on peut penser que, a fortiori, les legs, qui étaient déjà contraints de respecter la réserve, devront désormais assurer une part minimale aux enfants. Mais ces trois coutumes datent de 1539, et les articles cités apparaissent comme nouveaux d’après le procès-verbal de ces coutumes126. Il en va de même pour la coutume de Montargis, rédigée en 1531127. Dans le chapitre sur les donations, elle dit : « Gens nobles et non nobles, soient mariez, vesves ou a marier, ayans enfans ou non, peuvent par donation faite entre vifs donner tous leurs meubles, conquests immeubles et propres heritages à qui bon leur semble, et vaut tel don, sauf la legitime aux enfans et autres descendans en droicte ligne de laquelle demoureront saisis sans fraude »128. On observe, dans la continuité de la logique coutumière, qu’étant dans le cadre d’une donation, il n’y a pas de réserve pour les propres. L’article 5 précise que « donner et retenir ne vaut pas », ce qui est considéré comme suffisamment dissuasif en pays coutumier. Or ici, outre cet adage, la légitime vient protéger les héritiers contre les donations entre vifs. La date de rédaction –on approche déjà du milieu du siècle– et les types d’actes concernés –legs, mais surtout donations entre vifs–, montrent qu’il s’agit de la pénétration de la légitime romaine en pays de coutumes au moment de la rédaction de celles-ci. En effet, limiter les donations n’est pas le propre de l’esprit coutumier qu’on a rencontré. Ce sont des premières rédactions relativement tardives, ce qui leur permet d’inclure une nouveauté sans trop heurter la sensibilité des États assemblés pour la rédaction129. Ou plutôt, elles sanctionnent l’existence d’une institution qui aurait cheminé d’abord dans les mentalités, avant d’être recueillie par le droit. La légitime vient limiter les donations entre vifs que la réserve n’atteignait pas. Elle a donc la même étendue qu’avait la liberté de donner quant aux types de biens. La légitime concerne toutes les donations : propres, acquêts ou meubles. La coutume de Nivernais reconnaît également l’existence de la légitime. En Nivernais, la fille mariée dotée par père et mère ne peut venir à la succession de ses parents tant qu’il y a des mâles ou descendants d’eux, « sauf par supplement de sa legitime, eu esgard à son dit dot ou appanage, et aux biens de ses dits pere et mere delaissez par leurs decès »130. Le procès-verbal indique que cet article est « partie ancien et partie nouvel et accordé »131, sans préciser quelle est la partie nouvelle. Est-ce la légitime ? On peut le supposer, étant donné que la coutume est rédigée en 1534, et que c’est au cours de cette décennie qu’elle a été introduite à Senlis, Clermont, Valois et Montargis. Cette hypothèse se confirme lorsqu’on lit dans le 126

Cf. BdR, tome II, p. 758 pour la coutume de Senlis, p. 789 pour la coutume de Clermont et p. 817 pour la coutume de Valois. 127 La rédaction de 1531 concerne en réalité les coutumes de Lorris-Montargis. La délimitation du ressort de ces coutumes est liée à l’évolution du ressort de la coutume du Berry, et aux confusions entre la coutume et la charte médiévale de Lorris, accordée à plus de quatre-vingt villes du Gâtinais et du Haut Berry. Pour les questions de délimitation du ressort de la coutume de Berry et des coutumes voisines (Montargis, Nivernais, Tours, Blois, La Marche, Bourbonnais, Poitou) voir Emile CHENON, Le « pays » de Berry et le « détroit » de sa coutume, Paris, Sirey, 1916, spécialement p. 98-140. 128 Cf. chapitre XI Des donations faites entre-vifs, art. I, BdR, tome III, p. 845. 129 Le laconisme des procès-verbaux indique que la légitime était déjà assimilée dans les mentalités, puisqu’elle ne suscite pas de réactions. Outre les références aux procès-verbaux de Senlis, Clermont et Valois, cf. BdR, tome III, p. 871-872 pour la coutume de Montargis. 130 Cf. chapitre XXIII, Des droits appartenans à gens mariez, art. XXIV, BdR, tome III, p. 1148. 131 Cf. BdR, tome III, p. 1184.

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procès-verbal que l’article réservant la légitime aux enfants dans le cas de donations universelles ou particulières faites dans un contrat de mariage est nouveau132. On peut donc inclure la coutume de Nivernais comme ayant introduit la légitime lors de la première rédaction de la coutume, mais avec la particularité qu’elle n’affecte que les donations en vue du mariage. Ceci ne veut pas dire que dans la pratique la portée soit très limitée : il faut se rappeler que la plupart des donations faites par les parents en faveur de leurs enfants se réalisent lors d’un contrat de mariage. Il reste que les rédacteurs ont voulu consigner sans doute le cas le plus fréquent, sans adopter la légitime pure et simple comme dans les coutumes précédentes. À Orléans, la légitime vise non seulement des donations faites en faveur du mariage de l’enfant gratifié, mais aussi les donations entre vifs en général133. Les coutumes de Chartres et Dreux retiennent davantage l’attention, car leur rédaction est plus ancienne, et la référence à la légitime est claire. Le texte de la coutume de Chartres est particulièrement intéressant. Elle permet de donner le quint des propres pourvu que « les enfants des testateurs ne soient privés et frustrés de la légitime à eux deue de droict de nature »134. Il faut écarter toute interprétation générique du mot légitime : la référence au droit de la nature renvoie directement à la législation de Justinien, et on se trouve donc en présence de la légitime romaine au cœur du pays coutumier, dans la première décennie du XVIe siècle. Dans cette coutume, la légitime ne concerne pas une hypothèse précise, comme les contrats de mariage ou le retour à la succession d’une fille dotée. En revanche, elle ne touche pas l’universalité des biens comme c’était le cas de Senlis, Valois, Clermont ou Montargis. La légitime vient limiter toute utilisation de la quotité disponible laissée par la réserve, c’est-à-dire qu’elle ne se calcule que par rapport aux biens propres. Elle prend place à côté de la réserve pour la renforcer. Le père de famille peut disposer du quint des propres, comme la coutume l’y autorise, seulement si les quatre quints restants suffisent à laisser la légitime à ses enfants. Si ce n’est pas le cas, le disponible sera réduit autant que nécessaire pour satisfaire à cette exigence. Ce caractère complémentaire de la réserve ne fait plus aucun doute quand on observe que, dans la coutume de Dreux, la légitime limite uniquement les dispositions testamentaires. C’est exactement le cas de la réserve. Ceci nous incline vers l’hypothèse d’une introduction relativement récente de la légitime. À Chartres et à Dreux, la légitime existait avant la première rédaction de la coutume, mais son existence semble récente et uniquement dans le but de renforcer la réserve. Elle ne vise que les biens propres et, pour Dreux, seulement les legs. Orléans semble connaître la légitime dès avant la rédaction des coutumes, mais elle vise tous types de donations et, donc, tous types de biens. Ceci fait penser que l’introduction la plus ancienne se situe à Dreux et Chartres, car elle est encore calquée sur la réserve. Cette introduction date probablement des décennies immédiatement antérieures à la rédaction de ces coutumes, c’est-à-dire à la fin du XVe siècle.

132 Cf. chapitre XXVII, Des donations, art. XII, BdR, tome III, p. 1152 et p. 1184 pour le procès-verbal : « Le douzième nouvel et accordé ». 133 Cf. articles précités. 134 Cf. supra, art. 91.

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Ainsi, dans les ressorts coutumiers où la légitime était présente avant la première rédaction de la coutume, elle vient seulement offrir une garantie supplémentaire dans certains cas précis. Dans l’ensemble de la coutume, elle fait figure d’emprunt étranger, car ce n’est que la technique permettant de réduire les donations excessives qui est incorporée au système coutumier. Ce n’est pas la logique interne de la légitime, qui est intrinsèquement liée à une conception libérale de la disposition du patrimoine. Rappelons que toutes les coutumes où on rencontre la légitime avant la première rédaction, sont des coutumes d’option, c'est-à-dire des coutumes où la liberté du de cujus est mitigée. On a donc l’impression que la légitime ne remplit qu’un rôle d’institution auxiliaire, prise pour venir en aide à quelques situations qui demandent à être particulièrement protégées. Quant aux coutumes qui emploient un vocabulaire proche de la légitime, on peut citer celles de Sens et d’Auxerre, qui parlent d’une donation « réputée inofficieuse et frauduleuse »135. Enfin, celle de Verdun fait un renvoi explicite à la querelle d’inofficieuse donation136. La coutume du Perche parle de rapporter un don qui excéderait la contingente portion137 ; Vitry fait référence à un don « excessif et inofficieux, eu regard à la portion contingente » 138. Mais ces deux dernières coutumes appartiennent au groupe d’égalité stricte. La contingente portion doit être comprise à la lumière de leur esprit, c’est-à-dire la possibilité de retenir un don seulement s’il correspond exactement à la partie héréditaire. L’utilisation de ces termes semble être plutôt vague et, en tout cas, ils ne comportent pas une référence à la technique de la légitime qui permettrait d’estimer ce caractère inofficieux de manière objective. L’utilisation de ces termes tient sans doute à la formation romaniste des juristes, comme on le verra dans le chapitre suivant. On ne peut pas retenir ces textes comme des coutumes introduisant ou consacrant véritablement la légitime. Si on résume le chemin parcouru jusqu’ici, on peut affirmer que, au début du XVIe siècle, les coutumes prévoient une quotité disponible des propres dont on peut disposer par voie testamentaire, le reste de biens propres étant réservés à la famille. Les différences entre les groupes de coutumes se font sentir non pas dans le principe de la réserve, mais dans la quotité disponible : moins importante dans les coutumes préciputaires ou les coutumes d’option, plus importante dans les coutumes d’égalité stricte, pour les raisons historiques que nous avons rappelées. Les donations entre vifs, sauf exception, ne sont pas concernées par la réserve. L’adage donner et retenir ne vaut, présent dans l’immense majorité des coutumes139, exprime l’obligation pour le donateur de se dessaisir immédiatement du bien donné. Cette exigence est considérée comme suffisamment dissuasive, et dispense d’envisager une protection supplémentaire du lignage, qui serait constituée par la réserve. En outre, comme le remarque justement Jean Yver, « la saisine du 135

Cf. art. 97, BdR, tome III, p. 491 pour la coutume de Sens, et art. 110, BdR, tome III, p. 575 pour la coutume d’Auxerre. 136 Cf. titre V, art. 1, BdR, tome II, p. 429. 137 Cf. art. 17, BdR, tome III, p. 639. 138 Cf. art. 73 et art. 99, BdR, tome III, p. 318 et p. 321 respectivement. 139 Il serait bien trop long de les énumérer toutes. À titre d’exemple, on peut citer une coutume de chaque groupe : Option, coutume de Chauny, 1510, art. 54, BdR, tome II, p. 668. Egalité stricte, coutume de Vitry, 1509, art. 111, BdR, tome III, p. 322. Préciputaire, coutume de Gerberoy, 1507, art. 88, BdR, tome I, p. 230.

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donataire met les objecteurs en face d’une situation de fait qui ne peut plus être remise en question sans une reprise matérielle et peut-être une résistance violente. […] On connaît assez l’importance de la saisine au Moyen Âge, et sa force créatrice, pour comprendre toute la différence »140. Quant aux biens meubles ou acquêts, à part les quelques dispositions particulières prévoyant la subrogation, qu’on a étudiées précédemment, ils restent aussi en dehors du domaine d’application de la réserve qui, répétons-le, ne concerne que les biens propres. La légitime n’apparaît que de manière timide et récente, dans une région centrale en forme de demi-lune, au cœur des coutumes d’option. Elle s’étend du Valois à Montargis, par l’ouest. Dans le groupe des coutumes préciputaires, elle est présente uniquement en Nivernais, au sud de Montargis. Parmi ces coutumes, la plupart ont introduit la légitime lors de la première rédaction de la coutume, au début du XVIe siècle, comme on l’a dit au fur et à mesure de leur étude. C’est le cas pour les coutumes de Clermont, Senlis, Valois, Montargis et Nivernais. Dans ces coutumes, elle concerne les legs et les donations et vise tout type de biens. Il semble qu’elle ait existé avant la première rédaction des coutumes à Chartres, Dreux et Orléans, mais comme une garantie supplémentaire complétant la réserve, qui n’affecte en rien leur logique coutumière certaine. Elle vise plutôt à éviter que la réserve ne reste lettre morte et, donc, à servir cette logique contraire au libéralisme qui l’a vue naître. Ainsi, elle se limite soit à certains types d’actes (donations dans un contrat de mariage, legs), soit à certaines sortes de biens (propres uniquement). Quelques observations complémentaires, notamment sur les conditions nécessaires pour bénéficier de la réserve, s’avèrent utiles pour finir l’étude de cette institution. On a remarqué que le patrimoine ne constitue pas une unité. Le principal intérêt de cette distinction est d’établir les droits des différentes personnes appelées à la succession. Il y a des héritiers des meubles et des acquêts, ainsi que des héritiers des propres. S’il n’y a pas d’enfants, le jeu de la division du patrimoine prend tout son sens. Dans cette hypothèse, les héritiers des meubles sont généralement les parents les plus proches, c'est-à-dire les ascendants, les « pere et mere, ayeul ou ayeule », selon l’expression la plus communément rencontrée dans le texte des coutumes141. En revanche, les biens propres reviennent aux collatéraux, en fonction de la ligne d’où ils procèdent. C’est la fameuse règle paterna paternis, materna maternis, qui exprime bien la logique coutumière. On peut prendre un exemple, parmi d’autres, tiré d’une coutume d’option, celle de Meaux, article 43 : les meubles et conquêts sont dévolus aux héritiers les plus proches, alors que les propres sont destinés aux collatéraux. S’ils sont égaux et en pareil degré, ils succèdent par tête142.

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Jean YVER, op. cit., p. 56. Voir, par exemple, la coutume de Troyes, art. CIII : « Le père et la mère succèdent à leurs fils et filles, decedez sans hoirs de leur corps, en tous biens meubles et conquêts. Et si lesdits père et mère sont morts ou qu’ils ne veulent accepter la succession, les ayeul et ayeule y succèdent, et sont plus prochains que les freres et sœurs du trespassé, quant ausdits meubles et conquests : mais lesdits frères et soeurs succederont, quant aux héritages propres du costé et ligne duquel ils attiennent ausdits trespassés », art. CIV : « les ayeul et ayeule succedent, devant les cousins germains, en meubles et conquests », BdR, tome III, p. 247. 142 Cf. BdR, tome III, p. 385. 141

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Cette règle se complète par l’adage propres ne remontent qui, dans cette même coutume, est consacrée au chapitre 8, article 42143. Mais elle n’est, évidemment, pas la seule. La coutume de Mantes, au titre XVII, article 2, contient des termes analogues : les père et mère sont les héritiers des meubles ; alors que les frères et sœurs le sont des héritages144. On pourrait multiplier les exemples. Dans la coutume de Melun, article 110, les ascendants excluent les collatéraux dans la succession des meubles et conquêts, mais les descendants excluent les ascendants dans tout type de bien : meuble, conquêt ou propre145. D’autres coutumes suivent les mêmes critères : Sens, articles 59 et 60146, Chartres, article 101147 et Auxerre, articles 64 et 65148, toujours dans le groupe d’option. La logique coutumière peut aller jusqu’à l’extrême solution de préférer le seigneur aux parents de l’autre ligne. C’est ce qu’exprime par exemple, la coutume de Bar, article 27 : « Quand une personne va de vie à trépas sans hoirs de son corps, et il délaisse aucuns heritiers d’un costé seulement comme de par son pere, et il a aucuns heritages de par sa mere, sans avoir nuls heritiers de par icelle sa mere, ses heritiers de par son pere n’auront rien en heritages qu’il auroit de par sa mere, mais les emportera le seigneur par faute d’hoirs, car par ladite Coustume on regarde les lignes et d’où les héritages sont procedans »149. Cela exprime dans toute sa rigueur la séparation établie entre les deux lignes. Bar appartient au groupe d’égalité parfaite. Pour bénéficier de la réserve, il faut être lignager et successible, c'est-à-dire appartenir à la famille du de cujus et avoir vocation à en recueillir la succession. Cela peut sembler une redondance, car tout membre de la famille est en principe successible, à moins que sa vocation successorale soit écartée par l’existence de parents plus proches en degré du défunt. Mais cela ne peut être déterminé, évidemment, qu’au moment de la mort du de cujus. Cependant, la précision n’est pas inutile, car il existe des situations prévues par les coutumes où un lignager n’est pas successible. Les cas les plus emblématiques sont ceux du bâtard et de l’enfant religieux profès150. Ils font partie du lignage, certes, mais leur condition les prive du 143

« Successions peuvent advenir à aucuns en droite ligne ascendant ou descendant, ou en ligne collatéral : les enfants survivants succèdent en tout au père et à la mère, et eux non, estans les sous-fils, et ledit sous-fils et autres descendans, usque in infinitum, non estans, succedent les ascendans, en ce qui est de meuble et conquest immeuble. Et au regard du propre de celui qui decede, non estans aucun des descendans, il retourne au plus prochain de la ligne collateral : car ledit propre ne remonte point. Et si doit tousjours retourner en ligne dont il est venu, soit directe ou collatérale », BdR, tome III, p. 385. 144 Cf. BdR, tome III, p. 179. 145 « Par ladite coutume en succession de meubles et conquêts, le père, ayeul ou besayeul acquiert et expulse tous autres hériters collatéraux, soir de par père ou de par mere. Mais quand le trepassé a enfants, ils ont tout, soit propre, meuble ou conquêt », BdR, tome III, p. 420. 146 Cf. BdR, tome III, p. 488. 147 Cf. BdR, tome III, p. 715. 148 Cf. BdR, tome III, p. 573. 149 BdR, tome II, p. 1017. Voir aussi, par exemple, Saint-Mihiel, art. 30 : « [si on laisse des héritiers d’une ligne et des biens de l’autre ligne], les héritiers de par son pere n’auront rien ès heritages qu’il auroit de par sa mere, mes les emportera le Seigneur par faute d’hoirs. Car par la Coustume on regarde les lignes d’où les héritages sont procédans », BdR, tome II, p. 1046. 150 Il s’agit de tous les cas où on encourt la mort civile. Le religieux profès est assimilé à une personne morte civilement. Voir à titre d’exemple, parmi d’autres, Senlis, art. CLXXI : « Un religieux, ou religieuse profès, ne succède point, ny le Monastère, ny le Couvent pour eux », art. CLXXII : « Un bastard aussi ne succede point, sinon ès meubles et acquests de ses enfans legitimes », BdR, tome II, p. 722. Sur la théorie de la mort civile des religieux, voir Edmond DURTELLE DE SAINT-SAUVEUR, Recherches sur l’histoire de la théorie de la mort civile des religieux, des origines au seizième siècle, Rennes, 1910, en particulier p. 157 et s.

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droit à la succession de leur auteur. Beaucoup de coutumes consacrent ce principe. En dehors de ces hypothèses, tout lignager est en principe successible. Mais être lignager et successible n’est pas suffisant pour bénéficier de la réserve. Il est nécessaire, en outre, de se porter héritier. Ceci découle du fondement même de l’institution de la réserve, qui a un caractère successoral. La réserve est un quota de biens qui doit être transmis à la famille par voie de succession, c'est-à-dire à la mort du de cujus. Elle ne vient pas d’une obligation morale envers la famille mais, comme nous avons eu l’occasion de le signaler, d’un compromis entre deux visions opposées du patrimoine familial : celle communautaire, qui préserve les droits de la famille sur les biens reçus des ancêtres, et celle individualiste, qui souhaite une certaine marge de liberté. Institution d’équilibre, la réserve délimite les aires d’influence de ces deux conceptions, concrètement au sujet du patrimoine hérité des ancêtres. Elle n’a de sens qu’à l’intérieur de la dévolution successorale. Si le lignager successible, pour une raison quelconque, ne peut ou ne veut venir à la succession, la réserve ne peut lui profiter en aucune manière. Elle ne peut être un droit indépendant de la succession. Le lignager successible sait qu’il bénéficie de cette protection s’il accepte de devenir héritier. Mais il reste libre d’accepter la succession. Il peut toujours abandonner ses droits. Cette liberté s’exprime soit en renonçant purement et simplement à venir à la succession, soit en donnant son accord au de cujus pour qu’il porte atteinte aux biens qui lui sont réservés. Cela est mis en évidence dans les articles des coutumes qui se réfèrent explicitement au consentement des héritiers apparents151. La réserve n’est donc pas un droit absolu. Elle peut faire l’objet d’un accord entre les parties concernées, qui peuvent renoncer à leurs droits. Jusqu’à présent, notre étude de la réserve nous a centrés sur la liberté de disposer du père de famille. On approche à présent la liberté sous l’angle de celui qui est appelé à bénéficier de la succession. Le fait que la succession doive être acceptée met en évidence que nul ne peut être héritier contre son gré : on passe volontairement d’une vocation successorale générique à l’actualisation de celle-ci. Si on ne choisit pas d’être lignager et successible, on peut choisir de rendre la vocation successorale effective. L’exercice de ce droit comporte des avantages. Il est normal que, en y renonçant, on soit privé des prérogatives qui lui étaient attachées152. La réserve fait partie de ces bénéfices. Elle ne jouera donc que si l’héritier accepte la succession. Ainsi, les trois conditions –être lignager, successible 151

Par exemple, la coutume de Vitry permet au père, par exception, de faire un legs au profit d’un de ses enfants s’il a le consentement des autres fères et sœurs, sinon ce legs sera nul. Ceci n’empêche pas l’obligation de rapporter qui pèse sur le légataire, s’il veut revenir à la succession. Cf. coutume de Vitry, art. 99, BdR, tome III, p. 321. 152 La conception de la succession comme un droit plutôt que comme une obligation est particulièrement visible dans le mécanisme d’acceptation de la succession sous bénéfice d’inventaire. On n’a trouvé que rarement des règles explicites la consacrant dans les coutumes examinées antérieures à 1540. Cependant, cette institution existait dans notre ancien droit, comme le prouve ce texte du Grand coutumier de Jacques d’Ableiges : « Item si mon père meurt, je puis requérir l’inventoire, pour veoir et sçavoir son estat, par protestation que pour cause de ce je n’entends pas me porter héritier, et si je congnois par ledict inventoire que son vaillant ne soit mie si grant comme je doubte que ses debtes sont grans, pour ce ne m’est pas nécessaire de renoncer à sa succession, mais encores quant les créanciers me feront adjourner pour sçavoir si je me porteray pour héritier ou non, après leur requeste faicte devant le juge, je auray quarante jours pour adviser si c’est mon prouffit ou mon dommaige ; mais si j’en avoye riens prins, tant fut petit, je ne seroye plus reçeu à renoncer, etiam en rendant ce que j’en auroye prins et levé, ne protestation que j’eusse faict en le prenant en me pourroit relever, ne excuser », Jacques d’ABLEIGES, Le Grand coutumier de France, éd. Laboulaye et Dareste, Paris, 1868, livre II, chapitre XL, p. 364-365.

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et se porter héritier– doivent être remplies simultanément pour bénéficier de la réserve. On a vu comment le droit coutumier protège de manière particulière les biens propres, spécialement contre des dispositions testamentaires, en instituant un quota réservé aux lignagers sur la masse de biens immeubles hérités de la famille. Mais l’institution de la réserve n’est pas la seule clé permettant de comprendre la logique successorale coutumière. Si elle en est la pièce maîtresse, le droit successoral coutumier a aussi des principes solides, qu’il est indispensable d’analyser pour que le tableau soit complet. On pourra ainsi percevoir quel a été le rôle et l’impact de la rencontre de cette logique coutumière avec la légitime romaine. Il convient d’aborder à présent l’étude de ces principes successoraux coutumiers. § 2. Les principes successoraux coutumiers Alors qu’il limite la liberté du propriétaire de disposer de ses biens par testament, le droit coutumier lui accorde, dans la plupart des cas, une grande liberté pour donner ses biens entre vifs. Cependant, cette liberté est encadrée par des principes aussi forts que l’institution de la réserve. C’est à leur lumière que raisonnent les hommes du XVIe siècle, et ils traduisent le sentiment général qu’on ne peut aller à l’encontre de la nature, en tout cas de manière absolue. Les membres de la famille ont des droits que nul ne peut leur enlever. Les principes qui intéressent la légitime sont au nombre de deux. Ils ne sont pas toujours exprimés clairement, mais il ne faut pas oublier qu’on étudie la première rédaction des coutumes, où l’on recense la tradition juridique antérieure, sans en faire nécessairement une étude doctrinale exhaustive. D’où les répétitions, les mêmes idées rappelées dans plusieurs articles, dont chacun est « l’écho d’un vieux thème »153. Il s’agit d’abord du principe selon lequel on ne choisit pas ses héritiers, consacré dans la formule négative : institution d’héritier n’a point lieu. Ce principe, plus qu’un énoncé venant de l’esprit purement coutumier, est une manière pour les coutumes de se démarquer du droit romain. Face à la perfection du droit écrit, les coutumes expriment de cette façon la prise de conscience de leur propre identité coutumière et veulent souligner qu’en aucun cas les coutumes ne peuvent être réduites au pur droit romain. La présence de ce principe dans toutes les coutumes plaide aussi en faveur de cette volonté d’affirmer leur spécificité : les juristes, qui connaissent le droit romain, constatent que la norme suivie chez eux est différente. Et ils le disent au moyen de cet adage. Le deuxième principe ne se situe pas dans ce contexte de comparaison directe avec le droit de Justinien. Il s’agit de l’égalité entre les enfants, règle qui peut aussi trouver un écho dans la logique romaine. Les coutumes sont très attachées à ce mode de partage, en tout cas dans certaines circonstances. Le principe excluant l’institution d’un héritier concerne en premier la liberté dont jouit le père de famille pour disposer de ses biens au profit d’un tiers. Il peut aussi toucher à l’équilibre des parts entre les héritiers, car le bénéficiaire de l’institution peut être un enfant. Cependant, on peut relier ce principe surtout à la 153

Jean YVER, op.cit., p. 84.

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protection des membres de la famille contre les tiers, comme le fait la réserve. La raison de cette analyse est la possibilité de déroger au principe dans un contrat de mariage, qui est une manière d’organiser la répartition des lots entre les différents enfants. On l’inscrit donc dans la logique successorale propre de la réserve, qui protège l’ensemble des lignagers par rapport aux tiers. L’absence d’institution d’héritier va dans le sens de la méfiance vis-à-vis du testament. Ainsi se comprend aisément que par contrat de mariage on puisse choisir son héritier : un des enfants, éventuellement un membre de la ligne collatérale. Le contrat de mariage est un acte solennel et il ne porte pas atteinte à la réserve, car celle-ci ne s’occupe pas de la répartition interne des biens dans la famille. Le deuxième principe, établissant l’égalité des enfants, sort de la logique successorale de la réserve, pour répondre à la question de l’équilibre des partages à l’intérieur d’une fratrie. Quelle règle faut-il suivre pour répartir la masse de biens laissés à la famille ? S’agit-il d’une logique égalitaire ? La réponse n’est pas unanime selon les groupes de coutumes : préciputaires, d’égalité stricte ou simple. Les coutumes préciputaires semblent privilégier une liberté plus grande. Les coutumes d’option ou d’égalité stricte limitent le rôle du père à celui d’un administrateur équitable de son patrimoine, loin de la toute-puissance du propriétaire romain. Dans le cadre de ce principe d’égalité, il faut envisager l’étude du droit d’aînesse, resté emblématique des successions d’Ancien Régime. Curieusement, mais cela est dû à l’histoire comme on l’a signalé, les coutumes d’égalité stricte, moins favorables à la liberté du père, consacrent avec plus de force le principe d’aînesse, en tout cas pour les nobles. C’est la suite logique de son ancrage fortement féodal. On sent déjà l’importance que jouera dans ce domaine la distinction entre les nobles et les roturiers, distinction capitale pour percevoir l’essence de l’esprit coutumier en matière successorale. Pour les nobles, il y a un régime inégalitaire, privilégiant la continuité de la famille et s’accommodant d’une répartition fondée sur l’obligation morale de subvenir aux besoins des puînés. Pour les roturiers, on suit un principe plutôt rigide interdisant d’avantager un enfant au détriment des autres. On peut en déduire que l’essentiel de l’esprit coutumier est la protection familiale, assurée par cette institution de compromis qu’est la réserve. Mais l’intérêt de la famille n’est pas perçu de la même manière selon son rang social. Celui de la famille noble est de se perpétuer, en donnant à un représentant, l’aîné, la charge de maintenir son patrimoine et son éclat. La famille roturière voit sa continuité dans l’équité des partages, dans une vision qui se rapproche davantage de la famille communautaire : tous les membres de la famille ont les mêmes devoirs, car la famille est un tout et se perpétue dans chacun de ses membres, sans élire un représentant pour tous. Il faut analyser, dans les coutumes du début du XVIe siècle, la présence de ces deux principes : l’absence d’institution d’héritier (A) et l’égalité entre les enfants (B). Cette étude, jointe à celle qu’on a effectuée à propos de la réserve, permettra d’avoir accès à l’esprit successoral coutumier, qui est en lien étroit avec la notion de famille. À partir de là, on sera en mesure de comprendre l’apport qu’a pu constituer la légitime arrivant en pays de coutumes.

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A. L’absence révélatrice d’institution d’héritier Un des traits les plus caractéristiques du testament, tel qu’il est pratiqué dans les pays de coutumes, est qu’il ne comporte pas d’institution d’héritier, alors que cet élément était indispensable en droit romain. Si le testateur oubliait d’instituer un héritier, le testament devenait caduc. Il avait une grande liberté pour désigner son ou ses héritiers, mais il était obligé d’exhéréder ses enfants : nommément pour les fils ; les filles et les enfants posthumes pouvant être exhérédés de manière générique. En droit coutumier, il n’y a pas d’institution d’héritier154. Ceci signifie non seulement que le testament est valable lorsque cette clause fait défaut mais, plus encore, que le choix des héritiers fait par le testateur est inopérant. Il ne peut substituer d’autres personnes aux héritiers que le sang lui a donnés. Si un testament contient une institution d’héritier, celle-ci ne le rend pas caduc ; il vaut comme simple legs. L’inexistence de l’institution d’héritier est clairement énoncée dans beaucoup de coutumes de la période qu’on étudie maintenant, tous groupes confondus, en des termes pratiquement identiques : Troyes155, Chaumont-en-Bassigny156, Meaux157, Sens158, Varry159, Chartres160, Dreux161, Orléans, qui mentionne également les substitutions162, Valois163, Touraine164, Loudunois165, Vitry166, Verdun167 et Gerberoy, qui précise que l’institution d’héritier n’a point lieu parce qu’on est en « pays coutumier »168. On trouve dans tous ces articles des coutumes une volonté affirmée de souligner la différence entre le droit romain et la tradition coutumière, malgré une référence explicite au droit écrit pour l’exhérédation dans la coutume de Verdun169.

154 C’est sans doute un héritage du testament canonique qui, contrairement au testament romain, n’exige pas l’institution d’héritier. « Le testament canonique fut, dans la plupart des pays de coutumes, le moule où, jusqu’à la fin du Moyen Âge, on coula les dispositions de dernière volonté ». Mais les pays de coutumes vont plus loin que le testament canonique en interdisant cette institution, prohibition inexistante en droit canonique. De manière générale, elles imposent des formes plus exigeantes, même si elles restent moins contraignantes que les formes romaines. Cf. Raoul NAZ, Dictionnaire de droit canonique, Paris, 1958, t. VII, V° Testament, par Auguste DUMAS, colonne 1194 et colonne 1197-1198. 155 Art. 96 : « Institution d’héritier n’a point lieu », BdR, tome III, p. 247. 156 Art. 83. Cf. BdR, tome III, p. 359. 157 Chapitre V, art. 28. Cf. BdR, tome III, p. 384. 158 Art. 83. Cf. BdR, tome III, p. 490. 159 Art. 93. Cf. BdR, tome III, p. 574. 160 Art. 95. Cf. BdR, tome III, p. 714. 161 Art. 85. Cf. BdR, tome III, p. 725. 162 Art. 225 : « On ne peut instituer heritier ou substituer par testament et ordonnance de dernière volonté n’autrement : car institution d’heritier n’a lieu selon la coustume », BdR, tome III, p. 750. 163 Art. 169. Cf. BdR, tome II, p. 808. 164 Chapitre XXV, art. 1. Cf. BdR, tome IV, p. 614. 165 Chapitre XXVII, art. 1. Cf. BdR, tome IV, p. 729. 166 Art. 101 : « Audit bailliage, institution d’héritier par testament, n’autrement, n’a lieu, au préjudice de l’héritier prochain habile à succéder », BdR, tome III, p. 321. 167 Titre III, art. 2. Cf. BdR, tome II, p. 428. 168 Art. 53 : « Institution d’héritier audit Vidamé n’a point de lieu parce qu’il est en pays Coûtumier », BdR, tome I, p. 228. 169 Titre III, art. 2 : « Institution d’heritiers par testament n’a lieu au préjudice du légitime heritier prochain et habile à succeder, c’est-à-dire qu’on ne peut instituer autre que ceux qui sont habiles à succeder [...] toutesfois pour les causes de droit on peut priver de sa succession ceux ausquels elle pourroit appartenir », BdR, tome II, p. 428.

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Comme on l’a souligné, cette interdiction d’instituer un héritier traduit la méfiance vis-à-vis du testament et la philosophie libérale qui le sous-tend, et prolonge ainsi la logique successorale de la réserve. D’où l’unanimité et le caractère absolu de cette mesure, tous groupes coutumiers confondus : préciputaires, égalité stricte, option. À l’instar de la réserve, il s’agit d’un point d’unité du droit coutumier, au-delà des divergences. Les coutumes préciputaires, qui permettent d’avantager un enfant hors part, consacrent également cette interdiction d’instituer un héritier : preuve supplémentaire qu’elle concerne la protection par rapport aux tiers et non l’agencement du partage interne à la famille. Pourtant, l’institution d’héritier par contrat de mariage est courante170. Le traitement de faveur dont bénéficie le contrat de mariage est dû à sa nature. C’est le caractère solennel de l’accord de deux familles, exprimé dans ce contrat, qui décide des futurs héritiers, accord en principe irrévocable171. Ce n’est pas la logique du testament, qui dispose de manière unilatérale, pour des raisons qui peuvent demeurer secrètes, et dont les termes peuvent changer tant que le testateur est en vie. C’est là le point essentiel : empêcher que la succession ne devienne aléatoire du fait d’être soumise à une volonté révocable. Les conventions matrimoniales surmontent cet écueil et, pour cette raison, l’ancien droit français les regarde avec faveur, leur permettant de faire échec à des règles coutumières par ailleurs importantes, comme le choix d’un héritier, qui devient possible dans un contrat de mariage ; ou bien la règle donner et retenir ne vaut, car les donations entre vifs, si elles sont incluses dans un contrat de mariage, ne sont pas soumises à cette norme172. « On aboutit à régler à l’occasion d’un mariage non seulement les rapports pécuniaires entre les époux, mais aussi l’ensemble des problèmes successoraux de la famille »173. Le droit coutumier admet cette exception parce que le contrat de mariage est un acte public, une charte pour les familles, entouré de solennités qui le préservent de l’arbitraire. Vrai pacte entre familles, il sert également les intérêts de la royauté, qui le regarde avec bienveillance. Le but du contrat de mariage est essentiellement d’établir le jeune couple, et de pourvoir à son avenir. Ainsi, l’institution d’héritier par ce moyen est une manière de prévoir la dévolution des biens dans le futur. Les donations sont fréquentes dans les contrats de mariage, en faveur des nouveaux époux, mais aussi des enfants à naître de ce mariage. Ces donations peuvent même être grevées de substitutions au profit des générations à venir, dans le but de maintenir le nom de la famille, par exemple, ou bien pour assurer la continuité de la possession de certains biens à l’intérieur de la même famille. Les contrats de 170 « Cette usance de France de faire des héritiers par contracts de mariage dépend de l’ancienne loy salique rapportée au livre des feudes… et est tenue pour loy etiam que les coutumes n’en ordonnent rien », Guy COQUILLE, Les coutumes du pays et duché de Nivernais, chap. 27, cité par Anne LEFEBVRETEILLARD, op. cit., n. 107, p. 147. 171 « La règle de l’indissolubilité a donné au mariage une stabilité qui permet aux conventions matrimoniales de jouer un rôle accru dans la transmission des patrimoines », Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 107, p. 147. 172 « Pourra noter le lecteur […] la coustume generale de France : que donner et retenir ne vaut. Toutesfois telle reigle n’a lieu en contract & faveur de mariage, où donner et retenir vaut », La pratique de Masuer, éd. André FONTANON, Lyon, 1610, titre XXIV, des donations et legats, p. 410. 173 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 209. Bien que l’aire géographique des travaux de cet auteur soit le Sud-Ouest, cette remarque est applicable à tout pays coutumier. Par ailleurs, l’auteur montre bien à quel point la tradition coutumière du Sud-Ouest est riche et complexe, et peut se comparer sans peine aux pays coutumiers du Nord de la France.

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mariage envisagent également le sort du conjoint survivant, en fixant souvent le douaire, ou en procédant à des donations entre époux174. L’institution du mariage jouit d’une grande faveur aux yeux des pouvoirs publics, permettant certaines libertés de disposition du patrimoine dans le cadre de conventions matrimoniales, qui seraient exclues par d’autres voies175. Les contrats de mariage peuvent créer de nouvelles vocations successorales. Mais le caractère solennel des contrats de mariage n’est pas la seule explication de l’exception à la règle excluant l’institution d’héritier, d’autant plus qu’il n’est pas obligatoire de conclure les conventions matrimoniales par écrit. Pour saisir la portée de cette absence d’institution d’héritier, il faut comprendre son fondement juridique. Alors que l’absence d’institution d’héritier répond au même fondement juridique que la réserve, à savoir la protection de la famille contre la philosophie libérale qui soutient le testament, l’exception admise dans les contrats de mariage se réfère à la deuxième problématique juridique rencontrée : celle de la répartition des lots à l’intérieur d’une même fratrie. La possibilité offerte d’instituer un héritier par contrat de mariage rejoint la logique des coutumes préciputaires : protection de la famille vis-à-vis de l’extérieur ; mais une grande liberté laissée au père pour distribuer ses biens entre ses enfants. Si c’était là son seul fondement juridique, l’institution par contrat de mariage se retrouverait uniquement dans le groupe préciputaire. Or, on la rencontre aussi dans des coutumes d’égalité simple et d’option. Il faut donc approfondir les raisons de son existence, car la différence d’esprit entre les coutumes de préciput et les autres est trop importante pour ne pas s’interroger davantage sur cette pratique commune. On décèle une raison plus profonde dans le fait que le droit coutumier assimile le contrat de mariage à une donation plus qu’à un testament. Dès lors, même si les dispositions sont futures –ce qui permet le parallèle avec le testament–, le contrat de mariage entre dans le giron de la donation où, en droit coutumier, règne la liberté. L’absence du dessaisissement exigé pour les donations entre vifs s’explique par le caractère public et irrévocable du contrat de mariage. L’institution d’héritier, clé de voûte du testament romain, devient en pays coutumier, par le biais du contrat de mariage, une modalité de donation sous condition, qui fait échec à la règle donner et retenir ne vaut. L’héritier institué recevra l’héritage s’il survit à son auteur. La liberté coutumière vis-à-vis des donations se retrouve dans cette donation particulière faite par contrat de mariage. Ainsi donc, malgré les apparences du vocabulaire, l’institution d’héritier par contrat de mariage n’est pas une exception concernant le testament : elle déroge au caractère immédiat des donations entre vifs. Les coutumes sont parfaitement logiques sur ce point. Le de cujus ne peut choisir librement ses héritiers : ceux du sang sont les seuls habilités à se porter héritiers de sa succession. Il n’y a pas d’exception et les différents groupes de coutumes font front commun face au libéralisme de type romain. Par ailleurs, étant donné que ce sont ses propres enfants que l’on marie, on ne s’éloigne pas de la 174

Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 109, p. 149. L’adoption, par exemple. « La règle de l’exclusion [des enfants adoptifs de la succession], qui apparut à la fin du XVe siècle, fut ensuite progressivement théorisée et justifiée pour finalement se répandre et gagner, à la fin du XVIe siècle, l’immense majorité de la doctrine française », Franck ROUMY, L’adoption dans le droit savant du XIIe au XVIe siècles, Paris, LGDJ, 1998, p. 315. La question est développée p. 301-315. 175

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logique coutumière, selon laquelle seul Dieu peut faire des héritiers. À proprement parler, on n’a pas un choix illimité permettant d’instituer quiconque en tant qu’héritier. Les futurs époux seront, avec ou sans contrat de mariage, les héritiers de leurs parents, de par leur qualité d’enfant176. Cela confirme le point de vue exprimé : plus que le choix des héritiers, c’est bien la distribution des parts du patrimoine entre les enfants qui est essentiellement visée par les conventions matrimoniales. Les parents ont ainsi la faculté de décider des parts d’héritage qui reviendront à chaque enfant. On peut affirmer que la faculté d’instituer un héritier par contrat de mariage augmente la source de diversité –déjà importante– en pays de coutumes. Aux différences existantes entre les dispositions d’une région à une autre, qui peuvent être profondes, s’ajoute la variété qui découle des conventions matrimoniales. Les coutumes n’empêchent pas les familles de passer des accords matrimoniaux. Elles les encadrent seulement et, à défaut, elles les suppléent177. On glisse presque insensiblement de l’institution d’héritier vers une autre problématique, plus délicate : celle de savoir quelles sont les limites que les parents doivent respecter lorsqu’ils établissent leurs enfants. C’est alors la question de l’égalité entre les enfants qui se pose car, par un établissement en mariage, il se pourrait que certains enfants soient plus avantagés que d’autres dans les parts d’héritage reçues des parents. Or, le principe d’égalité entre les enfants, du moins dans les successions roturières178, semble présider tout le droit coutumier. Il mérite la plus grande attention par son caractère essentiel, et parce qu’il met en relief les divergences profondes qui existent à l’intérieur des pays de coutumes. Son étude est d’autant plus nécessaire que ce principe peut être un facteur clé dans l’intégration de la légitime en pays de coutumes. Bien qu’il ne soit pas consacré de manière aussi lapidaire que institution d’héritier n’a point lieu179, il n’est pas moins vrai qu’il est présent dans les coutumes et qu’il répond à un trait saillant du droit coutumier, particulièrement important pour notre sujet. La légitime, rappelons-le, véhicule une logique égalitaire. Il convient d’étudier à présent ce principe d’égalité. B. L’égalité entre les enfants, principe et exceptions Le droit coutumier aborde ici un sujet différent de celui de la réserve, qui répond à une logique purement héréditaire. On présuppose que la plupart des biens propres reviennent à la famille par le jeu de la réserve. C’est maintenant à l’intérieur de la famille que le droit coutumier veut définir des limites. Il en établit une assez simple, sous forme d’interdit : on ne peut faire la condition d’un enfant meilleure que celle d’un autre. Autrement dit, l’égalité semble être le principe de base répondant à la deuxième question importante en droit successoral.

176 Il peut arriver qu’il y ait des donations en ligne collatérale dans le cadre d’un contrat de mariage, par exemple un oncle qui institue son neveu à l’occasion de son mariage. Dans ce cas, c’est une vraie institution dans le sens que les règles normales de dévolution selon les degrés de parenté ne placent pas ce neveu dans une situation privilégiée par rapport à d’autres neveux et nièces. Mais de manière générale, la ligne collatérale admet plus de souplesse que la ligne directe. 177 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 108, p. 148. 178 Remarquons que le contrat de mariage étant assimilé à une donation, il n’y a pas lieu de distinguer entre roturiers et nobles, le régime de liberté pour les donations en droit coutumier étant identique, quelle que soit la nature du bien ou des personnes concernées. 179 Cf. les articles de coutumes cités dans ce paragraphe.

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La première était : quels biens doivent rester à l’intérieur de la famille, en souvenir d’une vision communautaire de celle-ci, à l’heure où un certain individualisme pénètre par le biais du testament ? La réponse coutumière est nette : la plupart des biens, en tout cas, de ceux qui sont importants pour la famille, à savoir les propres. Comment les évaluer ? Par une institution de compromis, la réserve. Sur ce point, il y a unanimité dans l’esprit coutumier, malgré quelques différences de régime dans la réserve, notamment pour des raisons historiques liées à la féodalité180. Pour bien marquer l’hostilité face au testament, les coutumes ignorent l’institution d’héritier, essentielle en droit romain. Si elle existe, elle deviendra simple legs181. La deuxième question est la suivante : parmi cette majorité de biens réservés à la famille, peut-on en disposer en toute liberté à l’intérieur de celle-ci, ou y a-t-il aussi des règles impératives182 ? La réponse coutumière sur ce point n’est pas unique. Les coutumes préciputaires laissent une grande marge d’action au père de famille, sans contredire, on l’a déjà expliqué, le principe même de la réserve. Elles répondent à cette question par la liberté. Les coutumes d’égalité stricte et d’égalité simple ou d’option avancent une réponse différente : l’égalité doit présider à la répartition des lots à l’intérieur d’une même catégorie d’héritiers183. Mais, et l’exception n’est pas petite, les chemins des nobles et des roturiers se séparent pour répondre à cette problématique. Il faut analyser l’ensemble de ces dispositions, qui apparaissent méticuleuses à la première lecture, mais qui sont riches d’enseignements sur cet esprit coutumier. Cette réponse n’étant pas unique, laquelle faut-il retenir comme caractéristique de l’esprit des pays de coutumes ? Il est anachronique de fixer comme critère le bassin orléano-parisien sous prétexte qu’il sera invoqué plus tard comme représentant le droit commun coutumier. Il n’a pas encore ce rôle dans le premier quart du XVIe siècle dont on s’occupe à présent. Du point de vue de l’étendue géographique, les coutumes qui répondent à ce deuxième problème juridique par l’égalité et non par la liberté sont majoritaires : les grandes coutumes de l’Ouest et la multitude de coutumes au ressort géographique plus restreint, situées 180

Cf. supra, section I, § 1. Cf. supra, section I, § 2, A. 182 Cette interrogation en présuppose une autre : celle de savoir si la quotité disponible, dont les coutumes disent qu’on peut gratifier qui on veut, des estrangers personnes, peut bénéficier à certains enfants, en rompant l’égalité entre eux. On trouve l’expression estranges personnes, par exemple, dans la coutume de Mantes, dans celle de Clermont-en-Bauvaisis, ou encore dans celle de Ponthieu, qui précise en outre qu’on ne peut quinter qu’une fois. Cf. respectivement BdR, tome III, chapitre XV, art. 1 p. 179, tome II, art. 131, p. 770 et tome I, art. 25, p. 86. 183 On se place ici dans la perspective de l’égalité entre les différentes personnes appartenant à la même catégorie d’héritiers. Ici, tous les enfants. Les coutumes, ne prévoyant pas un système de récompense entre catégories d’héritiers, elles n’entendent pas faire triompher une égalité radicale. En effet, comme le remarque Jean YVER , « il n’existe pas, dans l’immense majorité de nos coutumes, de recours entre catégories d’héritiers. Le de cujus avait toute la capacité pour vendre de son vivant de ses immeubles propres ; peut-être au surplus, ces opérations ont été fort judicieuses et le patrimoine dans son ensemble, s’en est-il trouvé augmenté. Les héritiers aux propres, qui sont les victimes de l’opération, ne peuvent que s’incliner devant cet état de fait dont les héritiers aux meubles et aux acquêts –après tout les plus proches parents du défunt– se trouvent être les bénéficiaires. Alors que dans la liquidation du régime des biens entre époux, le souci de la protection de la femme a conduit au développement d’un système de récompenses qui interdit, en définitive, à l’un des patrimoines en présence de s’enrichir au détriment de l’autre, aucun régime analogue de compensation ne s’est développé dans les rapports entre catégories d’héritiers », Jean YVER, « Un trait de la protection lignagère en Normandie : la subrogation des acquets et des meubles aux propres aliénés, dans les rapports entre catégories d’héritiers », in Etudes d’histoire du droit privé offertes à Pierre Petot, Paris, Sirey, 1959, p. 618. 181

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au centre des pays coutumiers184. Mais n’est-ce pas le piège des analyses postérieures que de vouloir tout réduire en principes clairs et distincts ? Il est préférable de laisser subsister la diversité coutumière telle qu’elle se présente au début du XVIe siècle. Chaque région, à sa manière, trouvera un terrain d’entente où la relation avec la légitime deviendra possible. Il convient, pour le moment, d’analyser les coutumes qui avancent le critère d’égalité et ses variantes, afin de posséder un tableau à peu près complet de la logique successorale coutumière185. Un premier regard sur les dispositions successorales coutumières met en relief un ensemble de règles complexes, minutieuses, parfois même contradictoires. Dans l’imaginaire populaire, après la Révolution française, c’est sans doute le droit d’aînesse qui est resté emblématique des successions de l’Ancien Régime. Pourtant, derrière le foisonnement de règles éparpillées et non systématisées dans les coutumes, c’est le principe d’égalité qui apparaît, se présentant, après étude, comme un des principaux critères d’action en matière successorale coutumière. Certes, la première lecture fait découvrir des régimes particuliers pour chaque type d’héritier, au point de se demander si le système successoral coutumier ne se réduit pas à un ensemble de privilèges (au sens originaire de privata lex), placés côte à côte par les rédacteurs de coutumes, où seul les techniciens peuvent s’y retrouver pour respecter toutes les dispositions coutumières concernant la dévolution de l’héritage. Ce serait une analyse bien trop superficielle. Il faut approfondir davantage pour arriver à l’esprit coutumier. Le principe d’égalité se décline de plusieurs façons. Il est énoncé le plus souvent de manière négative, comme dans la règle « nul ne peut faire la condition d’un de ses enfants meilleure qu’un autre »186. A contrario, bien entendu, il faut comprendre que chaque enfant a droit à une part rigoureusement égale à celle des autres dans les biens de ses parents. Il est donc nécessaire de glaner, dans les textes coutumiers, les nombreuses dispositions qui concernent l’égalité. La première grande division est celle qu’on peut établir entre les articles régissant les successions en ligne directe et ceux qui organisent les successions collatérales. Les règles sur la succession directe retiennent davantage l’attention, car la légitime sera due aux héritiers directs, et non aux collatéraux. Ceci correspond à une évolution des mentalités, qui tendent à adopter une notion de famille nucléaire au détriment d’une famille élargie. La notion des liens du sang laisse un place plus importante aux liens affectifs qui, en général, sont plus forts vis-à-vis des descendants directs que des lignées collatérales187. L’évolution de la notion de famille a des conséquences directes sur le système de dévolution successorale.

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Cf. carte établie par Jean Yver, reproduite en annexe et déjà commentée. Les coutumes préciputaires, répondant par la liberté, ne fournissent pas matière à analyse au regard de cette deuxième question juridique de la dévolution à l’intérieur de la famille. Sauf pour le Nivernais, qui connaît la légitime. 186 Cf. infra, les coutumes citées à ce sujet. 187 André Tiraqueau, par exemple, s’en fait l’écho dans son commentaire sur la loi Si unquam, où il traite « de amore et affectu omnium animantium in suos fœtus ». L’amour des enfants est la raison pour laquelle on les préfère à un donataire. Cf. les passages cités par Jacques BREJON , Un jurisconsulte de la Renaissance, André Tiraqueau (1488-1558), Paris, Sirey, 1937, p. 272, note 109. André Tiraqueau commente la coutume du Poitou. L’enfant est préféré à tout donataire, fut-il le frère du donateur, comme dans le cas de Dumoulin. Cf. arrêt rendu le 12 avril 1551, « Vie de Charles Du Moulin par BRODEAU », in Caroli MOLINAEI, Omnia quae extant opera, Paris, 1681, tome I, p. 17, chap. 21. 185

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À l’intérieur des règles concernant la ligne directe, on peut distinguer deux groupes : les normes visant les enfants du de cujus, et celles qui concernent les autres degrés des descendants. Si dans toutes les familles on différencie les deux lignes, directe et collatérale, la distinction essentielle est celle qui existe entre nobles et roturiers, à laquelle on a fait allusion188. Les coutumes, dans le domaine des conventions matrimoniales comme dans celui des successions, « se sont formées différemment non seulement selon les lieux mais aussi selon les catégories sociales, en fonction notamment de l’emprise plus ou moins forte du système féodo-seigneurial »189. C’est en partie cette diversité qui donne à l’étude du droit successoral un aspect aride et confus, multipliant les dispositions techniques dans lesquelles on peut facilement se perdre si on ne prend pas la précaution de dégager les grandes lignes directrices, et saisir ainsi les fondements de ces règles. En retenant la distinction clé entre les nobles et les roturiers, on procédera dans chaque catégorie comme le font les coutumes, en envisageant à la fois, aussi bien pour les nobles que pour les roturiers, la qualité de la personne et celle du bien, pour décider du régime juridique applicable. Il faut envisager tout d’abord le droit roturier (1), car il concerne la plus grande partie de la population et, de ce fait, révèle peut-être plus profondément l’esprit coutumier. On étudiera après le droit des nobles (2), qui ont un régime d’exception. Il est certes très important, mais c’est un régime à part. 1. Règles concernant les personnes et les biens roturiers Les successions roturières, comme toutes les successions sous l’ancien droit, ne sont pas unitaires. Il se peut que dans la succession d’un roturier se trouve un bien noble, ou le contraire : que parmi les biens laissés par un noble, il y en ait quelques-uns qui soient de nature roturière. Le premier critère pour décider du régime juridique à suivre est la qualité des personnes (a). Une fois celle-ci déterminée, il faut envisager la condition des biens (b). a) La qualité des personnes En ce qui concerne les successions de personnes roturières en ligne directe, le principe d’égalité est consacré essentiellement par des dispositions interdisant de rendre la condition d’un enfant meilleure que celle d’un autre, par le biais d’avantages qui lui auraient été consentis. Cette norme existe de manière explicite dans beaucoup de coutumes. Elle vise aussi bien les legs que les donations entre vifs. Elle a donc une portée plus générale que la réserve, qui ne touche pratiquement que les testaments. Il est logique qu’il en soit ainsi, car on a quitté le terrain de la protection visà-vis des tiers pour aller sur le terrain interne à la famille. Ce qui semble inconcevable est de favoriser gratuitement un tiers par voie testamentaire. La donation entre vifs est protégée à la fois par l’obligation du dessaisissement immédiat, et par l’impact psychologique résultant de l’existence d’une institution 188

Pour les roturiers, il faut également tenir compte de la différence faite entre les gens de la campagne et les bourgeois, depuis l’essor urbain du XIIe siècle. Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 108, p. 148. 189 Ibidem.

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telle que le retrait lignager : même s’il ne concerne que les actes à titre onéreux, le retrait plaide avec force en faveur des droits de la famille. À l’intérieur de la famille, si on veut protéger l’égalité, il faut que tout type d’acte de disposition à titre gratuit soit concerné : testament comme donation, car les protections contre les donations s’estompent. L’affection peut rendre moins douloureux le dessaisissement et, tous étant également membres de la famille, il n’y a pas une conscience de primauté des droits des uns par rapport aux autres, comme peut le suggérer le retrait lignager vis-à-vis des tiers. Un premier constat s’explique parfaitement dans la logique des coutumes : l’étendue de la règle qui régit les partages internes à la famille est plus importante que celle de l’institution qui protège la famille par rapport aux tiers. On peut citer les coutumes de Mantes190, Melun191, Troyes192, Sens193, Chartres194, Dreux195, Orléans196, Meaux, qui prévoit dans le même article l’exception des contrats de mariage197, Clermont198, Auxerre199, Perche200, Normandie201, Maine202, Anjou203, Loudunois204, Bar205, Saint-Mihiel206 et Vitry207. Ces coutumes appartiennent aux groupes d’option ou d’égalité stricte. La coutume de Poitou mentionne le terme légitime dans l’article touchant à l’égalité entre les enfants208, mais ce texte n’a pas de signification particulière pour 190

Titre XV, art. 4 : « Quand aucun a plusieurs enfans ses heritiers, il ne peut à l’un d’iceux laisser aucune chose ne donner outre la portion des autres, ne advantager l’un plus que l’autre, et faut que égalité soit gardée entre eux », BdR, tome III, p. 179. 191 Art. 92. Cf. BdR, tome III, p. 419. 192 Art. 113. Cf. BdR, tome III, p. 248. 193 Art. 86 pour les avantages testamentaires et art. 97 pour les donations. Cf. BdR, tome III, p. 490-491. On a déjà relevé l’utilisation du terme inofficieux dans l’article 97: « Donation faite par pere ou mere à un ou plusieurs de leurs enfans de la totalité, ou greigneur partie de leurs biens, est reputée inofficieuse et frauduleuse, et ne doit tenir au préjudice des autres enfans […] ». 194 Art. 100. Cf. BdR, tome III, p. 715. 195 Art. 91. Cf. BdR, tome III, p. 725. 196 Art. 216. Cf. BdR, tome III, p. 749. 197 Chapitre III, art. 11 : « Deux conjoints par mariage ne peuvent advantager aucun de leurs enfants plus que l’autre au préjudice de l’un ou de l’autre, si ce n’est en faisant et traitant le mariage de l’un de leursdits enfants. Auquel cas en faveur dudit mariage, ils peuvent advantager l’un de leurdits enfants », BdR, tome III, p. 382. Cf. également chapitre V, art. 26. BdR, tome III, p. 383. 198 Art. 144. Cf. BdR, tome II, p. 771. 199 Art. 96 et 110. Cf. BdR, tome III, p. 574 et p. 575. 200 Chapitre des successions, art. 16. Cf. coutume du Perche, 1505, BdR, tome III, p. 639. 201 Chapitre 36. Cf. BdR, tome IV, p. 19. 202 Art. 349. Cf. BdR, tome IV, p. 501. 203 Art. 337. Cf. BdR, tome IV, p. 565. 204 Chapitre 25, art. 12. Cf. BdR, tome IV, p. 729. 205 Art. 25. Cf. BdR, tome II, p. 1017. 206 Art. 28. Cf. BdR, tome II, p. 1046. 207 Art. 99. Cf. BdR, tome III, p. 321. 208 Art. 199 : « Aucun ne peut donner en mariage n’autrement à sa fille, de son héritage venu par succession au préjudice de ses autres héritiers plus que ne monterait sa légitime partie si elle succédait ; car par la coutume aucun ne peut faire en son héritage l’un de ses héritiers oultre sa portion coutumière meilleure que l’autre. Autre chose est de ses meubles et acquêts, car s’il a héritage, il peut donner à un de ses héritiers par donation faite entre vifs ou par testament, tous ses meubles et tous ses acquêts, comme dit a été ci-dessus », BdR, tome IV, p. 758. C’est également dans ce sens générique que nous interprétons le mot légitime qui apparaît dans deux arrêts du XVe siècle, rendus dans la coutume de Poitou. Le premier est une affaire très complexe concernant la garde noble d’un mineur après le décès de son père, et les biens accordés en mariage par feu son père à sa sœur aînée. Il est fait allusion, de manière incidente, au droit pour chaque enfant d’avoir sa part dans l’héritage paternel. Mais il ne s’agit pas de la légitime au sens strict. Cf. Registres du Parlement de Paris, X1A 9191, f° 121 à 125. L’arrêt date du 13 avril 1429. La

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notre étude, car le mot légitime est pris dans un sens générique, comme synonyme de raisonnable. Le Poitou ne connaît pas la légitime, on l’a vu. Cet article se situe dans la continuité logique de la réserve des propres, laissant une totale liberté pour la donation des autres types de biens. L’exigence d’égalité entre les enfants ne concerne que les biens propres en Poitou. Autrement dit, les biens protégés par la réserve ne peuvent pas être distribués entre les enfants au détriment de l’égalité. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’il s’agit d’une région particulière, appartenant au groupe des coutumes d’égalité parfaite de l’Ouest, mais tiraillée par l’influence du droit écrit qui se fait sentir au sud de son territoire, au contact avec des coutumes en bordure du Midi. La pénétration de l’esprit commence souvent par un emprunt de vocabulaire. On y reviendra. Les coutumes préciputaires sont plus libérales et permettent aux parents de faire des dons inégaux à leurs enfants. Elles ne connaissent pas l’interdiction de rendre la condition d’un enfant meilleure que celle d’un autre. Le Nivernais, par exemple, limite les avantages faits aux enfants uniquement par la légitime : « pere et mere ne peuvent advantager par donation quelconque l’un de leurs enfans au prejudice de la legitime des autres »209. A contrario, ils peuvent les avantager si la légitime est sauve. Et même dans le cas où l’avantage porterait atteinte à cette légitime, la sanction prévue dans le même article est le retranchement de l’excédent jusqu’à concurrence de celle-ci. On est dans une parfaite logique de légitime romaine. Rappelons que le Nivernais a introduit la légitime lors de la première rédaction de la coutume. Il n’est donc pas étonnant d’en retrouver la mention à propos des avantages consentis aux enfants. Les coutumes préciputaires ignorent l’exigence de l’égalité stricte des parts entre les enfants. Dans ces coutumes, le compromis entre communauté et individualisme se fait en protégeant la famille par une réserve très étendue (quatre quints), et en laissant une grande latitude au de cujus pour disposer de ses biens à l’intérieur de la famille. Pour les coutumes d’option ou d’égalité stricte, qui affirment le principe de l’égalité, il est nécessaire d’approfondir l’étude. L’interdiction de rendre la condition d’un enfant meilleure que celle d’un autre n’a pas dans la réalité le caractère absolu qu’on pourrait croire en lisant les textes cités précédemment. En fait, les mêmes coutumes prévoient les cas où les parents gratifient un de leurs enfants au détriment des autres, notamment par des donations entre vifs ou par contrat de mariage. Ces mêmes coutumes règlent l’atteinte à l’égalité qui peut en résulter. On trouve ainsi un autre exemple, comme on l’a vu avec la possibilité d’instituer un héritier par contrat de mariage, où se mélangent des principes, des exceptions et des exceptions à l’exception. Cela manifeste, en réalité, sous une forme éloignée de nos systématisations modernes, la souplesse coutumière, attachée à rendre compte des diverses situations de la vie quotidienne. Les méandres d’un chemin sinueux ne

deuxième affaire, plus simple, concerne aussi l’exécution d’une promesse de don faite lors d’un contrat de mariage. Il est dit que Louise de Chastenier ne devait pas recevoir plus que sa légitime, telle que la lui assurait la coutume du pays. Cf. Registres du Parlement de Paris, X1A 9193, fol. 167, v°. Nous remercions Madame Monique Bonnet, du Centre d’Etude d’Histoire Juridique (CEHJ), de nous avoir fait remarquer la présence du terme légitime dans ces arrêts. 209 Cf. chapitre XXVII Des donations, art. VII, BdR, tome III, p. 1152.

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doivent pas masquer une direction logique assez claire. En tout cas, elle devait l’être pour les contemporains. Il faut essayer de la retrouver. Si les parents ne respectent pas l’égalité entre les enfants, quelles mesures prévoit la coutume pour la restituer ? La première mesure rétablissant un équilibre est l’exclusion des enfants dotés laquelle, à première vue, peut sembler opposée à l’égalité. Mais, comme l’a montré Jean Yver, c’est un souci d’égalité qui anime la coutume médiévale d’exclusion des enfants dotés. Ils ont reçu leur part, les admettre à succession serait en réalité leur donner plus qu’aux autres210. Au début du XVIe siècle cette mesure d’exclusion concerne uniquement les nobles211, sauf dans la coutume de Sens212 et celle d’Orléans213, qui ne distinguent pas entre nobles et roturiers. Orléans contient, en outre, une référence explicite à la légitime. Il n’est pas étonnant que ces règles se réfèrent aux personnes nobles. En effet, on constate une évolution dans le fondement de cette exclusion par rapport au Moyen Âge, et une plus grande souplesse dans ce type de mesures, qui « cèdent la place à la renonciation à succession »214, et qu’on contourne par des rappels à succession faits dans les testaments ou dans les contrats de mariage215. L’exclusion des filles dotées, car c’est surtout elles qui renoncent à la succession de leur père, vise désormais à préserver l’éclat du nom, qui se perpétue à travers le ou les fils216. On trouve ainsi des différences de traitement selon que les fratries sont composées uniquement de filles ou qu’il se trouve des fils parmi les descendants. Des 210

L’enfant doté a reçu de ses parents la part qui lui correspondait, l’admettre en outre à revenir à la succession serait accroître son émolument successoral au détriment de ses frères et sœurs. Cf. Jean YVER, op.cit., p. 11 et s. 211 Cf. coutumes du Maine, art. 261, BdR, tome IV, p. 489. Coutume de Loudunois, chapitre 27, art. 26, BdR, tome IV, p. 731. Coutume de Poitou, art. 200, BdR, tome IV, p. 758. Coutume du Perche, art. 18, BdR, tome III, p. 639. 212 Art. 264 : « Père et mère peuvent marier leurs filles, et leur donner pour tous droits ce que bon leur semble, pourveu qu’elles ne viendront à succession de père et mère, et où ils n’auraient gardé égalité telle qu’elles ayent été deceues d’oultre moitié du juste prix, elle ne pourront estre relevées par le Prince », BdR, tome III, p. 502. 213 Art. 223 : « Hommes et femmes tant nobles que roturiers ayans plusieurs enfants en peuvent marier aucuns et leur donner heritage ou meubles tels qu’ils verront à faire, en renonçant à la succession de leursdits père et mère, tient telle donation et renonciation, sans ce que lesdits enfants puissent plus retourner ès successions de leursdits père et mère, pourvu que de droit elle ne se puisse quereller, toutesfois pourront venir à succession en rapportant les choses données », BdR, tome III, p. 750. 214 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 129, p. 177. 215 Voir dans ce sens la coutume de Poitou, art. 201 : si la fille est mariée par ses père et mère, et qu’ils lui donnent quelque chose, elle peut renoncer à la succession paternelle, maternelle ou collatérale, et cette renonciation est valable. « Toutesvoyes lesdits père ou mère peuvent rappeller leurdites filles qui ainsi auront renoncé auxdites successions toutes fois que bon lui semble, sans le consentement des autres frères et sœurs », BdR, tome IV, p. 758. 216 « La question generale, si la fille noble qui a renoncé aux successions de pere et mere, peut estre restituée contre lesdites renonciations a esté vuidée et terminée par ces deux solemnels arrests des nobles maisons d’Estoges et Rambouillets par fins de non recevoir, comme aussi entre roturier par les Arrests des Coustels 1569 et Brossarts 1570 », Jean CHENU , Cent notables et singulières questions de droict, Paris, 1603, question 25, p. 244. Il rapporte l’arrêt d’Estoges du 26 juin 1567 à la question 22, p. 219-233, l’arrêt Coustels du 5 avril 1569 à la question 23, p. 233-234 et l’arrêt Rambouillets du 2 mars 1566 à la question 24, p. 234-244. « En France l’on a accoustumé de marier les filles, et leur donner une certaine somme de deniers sans leur bailler part et portion és terres et heritages, afin de conserver et entretenir les maisons en leur entier, et obvier à la division et section d’icelles », plaidoirie en faveur de Monsieur Theveneau, dont la sœur avait renoncé à la succession de ses parents étant mineure, et demandait depuis le supplément de sa légitime. Cf. Jean CHENU, Cent notables et singulières questions de droict, op. cit., question 25, arrêt du 25 décembre 1576, p. 246.

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préoccupations plus aristocratiques217 se greffent maintenant sur le souci médiéval d’égalité. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la même mesure technique, d’instrument d’égalité qu’elle était, devient un outil servant l’inégalité afin de favoriser la splendeur du titre, du nom ou des deux à la fois. En changeant de fondement, elle modifie son rôle. Mais elle nous entraîne alors vers le régime noble, que l’on étudiera plus loin. Pour les successions roturières analysées à présent, il est une autre institution qui préserve l’égalité en cas de retour à la succession d’un enfant doté. C’est le mécanisme du rapport218. Les travaux de Jean Yver ont mis en lumière les différents groupes de coutumes qu’on peut observer précisément sur cette question. On y a déjà fait référence, en précisant le type de coutumes dont on parlait : préciputaires, où on peut donner sans que le donataire soit tenu de rapporter219 ; coutumes d’égalité parfaite, où le rapport est forcé ; ou coutumes d’option, qui laissent plus de liberté à l’enfant donataire. Il convient de se centrer maintenant sur l’étude des coutumes d’égalité stricte et d’option, car les textes cités précédemment, à propos de la règle selon laquelle nul ne peut avantager un enfant plus qu’un autre, appartiennent à l’aire géographique de ces groupes de coutumes. Cela correspond à leur esprit, qui établit que l’enfant gratifié est obligé de rapporter pour venir à la succession de ses parents. La différence, pour les coutumes d’option, réside dans le choix laissé à l’enfant entre renoncer à la succession et s’en tenir à son don, ou bien rapporter celui-ci. Cette notion d’option est capitale pour notre sujet. Elle tempère la rigueur excessive des coutumes d’égalité stricte, tout en préservant la logique de l’égalité entre enfants.

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Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 129, p. 177. Cette institution du rapport se conçoit en relation aux cohéritiers. La demande d’un créancier qui voudrait obliger un héritier donataire à rapporter ne serait pas recevable. Cf. Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, Paris, 1692, livre II, chapitre XXVIII, p. 515. 219 Les coutumes préciputaires ne sont pas uniformes. Pour certaines, tout don fait avant la mort du père est supposé être fait hors part. Cf. coutume de Beauquesne, art. 54 : « En matiere de succession en plusieurs héritiers pour succeder, on n’est point tenu de rapporter ce que l’on a eu auparavant le trépas de cestui dont procède la succession », BdR, tome I, p. 150. D’autres coutumes laissent le choix au père de famille. Si le don n’a pas été fait hors part, l’enfant gratifié doit le rapporter pour venir à la succession de son père. Cf. coutume de Lille, chapitre I, art. 18 pour les donations en contrat de mariage : « Les enfans mariez de un trespassé, ou les enfans ou enfans de leurs enfans predecedez, pour venir en partage des biens de tel trespassé avec leurs freres et soeurs, ou les enfans d’iceux, ou leurs oncles et tantes, sont tenus faire rapport et mettre en mont commun leurs don de mariage à eux faits par ledit trespassé, n’est que à ce il soit derogué par les traictez de leurs mariages ». Les donations entre vifs sont réputées être hors part, car « Donations entre-vifs ne se rapportent en succession », art. 20, BdR, tome II, p. 936. Voir aussi la coutume de Péronne : « [...] les enfans d’un trépassé ausquels il aura donné ses biens meubles et heritages en advancement d’hoirie et de succession, ou en faveur de mariage ou autrement, voulant venir à succession, si la donation n’est fait hors part, ils sont tenus de rapporter ledit don en venant à ladite succession », BdR, tome II, p. 607. La dernière coutume préciputaire intéressante à relever est celle d’Amiens, art. 41. Il existe l’obligation de rapporter ou de moins prendre pour les enfants mariés des biens des père et mère, dans l’hypothèse où ces dons n’ont pas été faits explicitement hors part, « mais si tous étoient mariez, il n’y a point de rapport, supposé que l’un eût beaucoup plus emporté en mariage que l’autre », BdR, tome I, p. 125. Cela revient à dire que, lorsque tous les enfants ont été établis, les dons sont considérés rétroactivement comme étant faits hors part, permettant alors à tous les enfants, quelque soit la différence entre leurs dons, de venir à égalité à la succession de leur père. Mais la question importante est la différence d’esprit. Peu importe que dans certains cas, ou pour certains biens, le rapport existe en terre préciputaire. L’essentiel est qu’il puisse y avoir des dons hors part qui permettent à l’enfant gratifié de garder son don tout en restant héritier. C’est la différence fondamentale avec les autres groupes, et ce qui entrave l’égalité entre les enfants. 218

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L’option concerne l’enfant gratifié en vue de son mariage, mais cette même logique s’applique aux legs en faveur d’un enfant. Dans ce cas, l’enfant doit choisir entre garder son legs et renoncer à la succession, ou se porter héritier et renoncer à son legs. La coutume l’exprime par l’adage nul ne peut être légataire et héritier ensemble. Il va de soi que cela s’entend de l’héritier et légataire d’une même personne. Cette idée est présente dans plusieurs coutumes d’option. Par exemple, celle du Valois dispose dans son article 80 que « aucun ne peut estre héritier et legataire d’une mesme personne. Et au cas où il serait héritier et aucun laiz luy seroit fait par le testateur, il peut choisir et prendre le laiz, si bon luy semble, ou accepter sa part de la succession comme héritier, en renonçant audit laiz »220. Dans le même sens, on peut citer les coutumes de Chauny221, Chaumont222, Meaux223, Melun224, Chartres225 et Orléans226. Le choix semble devoir être exclusif des coutumes d’option, qui tirent leur nom précisement de l’existence de ce choix entre garder ou rapporter le don reçu. Cependant, l’incompatibilité entre la qualité d’héritier et de légataire existe dans quelques coutumes d’égalité stricte. C’est le cas de Vitry, où l’adage est présent dans le même article qui fixe la réserve227. La coutume du Perche228 le consacre également, tant pour les nobles que pour les roturiers ; l’Anjou et le Maine ont aussi une règle semblable229. À première vue, cela peut sembler une disposition superflue. Dans ce type de coutumes le rapport est forcé230 et, tout au plus, elles consentent que 220

BdR, tome II, p. 802. Titre III, art. 13. Cf. BdR, tome II, p. 664. 222 Art. 85. Cf. BdR, tome III, p. 359. 223 Art. 33. Cf. BdR, tome III, p. 384. 224 Art. 106. Cf. BdR, tome III, p. 420. 225 Art. 92. Cf. BdR, tome III, p. 714. 226 Art. 226. Cf. BdR, tome III, p. 750. 227 Art. 100. Cf. BdR, tome III, p. 321. 228 Chapitre des donations, art. 4. Cf. BdR, tome III, p. 640. 229 Les coutumes d’Anjou et du Maine connaissent aussi cette règle, mais il n’est pas facile de savoir si elle s’applique aux roturiers et aux nobles, ou bien uniquement aux nobles. Coutume d’Anjou, art. 338 : « Aucun ne peut avoir don et partage d’une mesme succession : mais bien peut en avoir don de meuble de personne noble et partage d’héritage et chose immeuble », BdR, tome IV, p. 565. La coutume du Maine a des termes pratiquement identiques. Cf. art. 350, BdR, tome IV, p. 501. D’après le commentaire de Julien Bodreau sur la coutume du Maine, il semblerait que cela s’applique aussi bien aux nobles qu’aux roturiers, car il dit « il a esté traité de ce don que les personnes nobles peuvent faire à leurs aisnez, en l’article 334, ou aux puisnez, ou à l’un d’eux, de tous leurs meubles, pour la conservation de la famille des nobles ; qui est un cas particulier où il y a concurrence de deux causes lucraties : comme aussi en l’article 323 où la femme de noble ou de coustumier peut avoir don de meuble et douaire tout ensemble », Julien BODREAU, Coutumes du païs et comté du Maine, Paris, 1645, art. 350, p. 467. 230 Voir, par exemple, la coutume de Bretagne, art. 530 : « Celuy qui a pris meuble ou heritage de la succession du pere ou de la mere, ou d’autre, est tenu rapporter le meuble s’il veut prendre en heritage, et s’ils a eu de l’heritage il sera contraint le rapporter », BdR, tome IV, p. 319-320. La coutume du Maine donne la possibilité de garder le don seulement dans le cas où il correspond exactement à la part successorale. Une fois l’estimation faite, si le don excède cette part, le rapport du tout est forcé : « Si un homme ou femme coustumier donnent aucune chose à leur fils, ou fille, ou autres leurs héritiers presumptifs, en mariage ou autrement, chacun desdits enfans, fils ou filles, ou autres héritiers presumptifs, est tenu de rapporter, ou deduire et precompter sur son droict successif, ce qui luy aura esté donné par lesdits pere et mere, ou l’un d’eux, ou autres predecesseurs, dont ils sont heritiers, en mariage ou autrement, ou la valeur dudit don, avant que venir à partage et succession des biens qui sont à partager entre eux [...] et s’il avoit plus eu que ne se monteroit sadite portion, il sera tenu d’en faire le retour réel à ses cohéritiers, car la coustume est telle qu’aucune personne non noble, par quelque maniere que ce soit, ne peut faire la condition d’aucuns de ses heritiers pire ou meilleure de l’un que de l’autre. Et s’entend ladite coutume ès heritiers ou heritieres des heritiers, tant en ligne directe que collaterale », art. 278, BdR, tome IV, p. 491-492. On peut dire qu’il s’agit en réalité d’une bienveillance à l’égard de la répartition des 221

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l’enfant garde son don dans la mesure où il correspond exactement à sa part successorale. Si le don reçu est plus important, il n’est tenu de rapporter que l’excédent231. Quel est alors le sens de cette précision dans le contexte juridique de ces coutumes ? L’article de la coutume de Vitry doit être lu à la lumière de celui qui précède : « Par la coustume dudit baillage, un homme ou une femme ne peut advantager, par laiz testamentaires, n’autrement, un de leurs enfans plus que l’autre […] »232. L’adage inséré dans l’article suivant est simplement une manière d’insister sur l’interdiction de faire bénéficier un de ses héritiers de la quotité disponible des propres : « […] un testateur, franche personne, peut disposer de tous ses meubles et conquêts, et du tiers de son naissant (qui est son propre) à personne capable, qui n’est son héritier presomptif, ou enfant en bas aage, voulrie [en puissance] et non emancipé : pour ce que tel don retournerait au père ou à la mère dudit enfant, auquel ledit testateur n’auroit peu faire ledit laiz. [...] Par cette même coutume on ne peut être héritier et légataire. Et faut que tel testateur, laisse franchement à ses enfants, ou heritiers, les deux tiers de son propre naissant ». La référence à l’émancipation est une manière de préciser la notion de « personne capable » : un enfant non émancipé n’est pas capable juridiquement. Il convient de souligner au passage la notion de propre naissant. Elle désigne le bien acquis par le père et transmis par donation ou succession à un enfant, par opposition au propre de succession qui est un bien présent dans la famille depuis au moins deux générations, c’est-à-dire acquis par le grand-père ou un autre aïeul233. On appelle aussi biens avitins les propres de succession. La rédaction de l’article de la coutume du Perche est bien plus laconique : « Nul ne peut avoir don et partage ne estre hériter et legataire en la même lots, laissant l’exigence de l’égalité intacte. Le rapport doit s’effectuer en nature (c’est le sens de l’expression retour réel à ses cohéritiers). 231 Par exemple, l’art. 17 de la coutume du Perche : « et si père ou mere roturiers avoient fait donation de meubles ou heritages à l’un de leurs enfants, il est au choix du donataire de se tenir à son don, et soy abstenir ès successions de sesdits père et mère, ou y retourner en consentant et rapportant ce qui luy auroit été donné, pourvue que la chose à luy donnée ne soit pas de plus grande valeur que la contingente portion qui luy pourroit escheoir desdites successions : auquel cas il doit et est tenu conferer à partage les choses à luy données ou à tout le moins recompenser raisonnablement en heritage ses frères et sœurs ou leurs representants, de ce qu’il serait trouvé que le don excederoit sa contingente portion d’icelle succession eu esgard au temps de ladite donation » , BdR, tome III, p. 639. 232 Cf. chapitre VI Des testaments, art. 99, BdR, tome III, p. 321. 233 Cf. Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome II, p. 431. Dans la région rémoise, voisine de Vitry, le « naissant » désigne tout propre, même avitin : les deux termes sont synonymes. Cf. art. 2 de l’ancienne coutume de Reims. Par ailleurs, la région rémoise connaît une institution particulière appelée succession à demi-naissant. Il s’agit d’une réserve très favorable aux héritiers des propres : ils peuvent s’abstenir d’accepter purement et simplement la succession et se porter héritiers « demi-naissant ». « Ils ont alors le droit, nonobstant toutes dispositions antérieures du de cujus, à la moitié des propres venus de leur ligne dans son patrimoine et les recueillent sans charge des dettes et des legs. Par contre, ils ne peuvent prétendre aux meubles et acquêts ni au surplus des propres s’il en existe. Cette institution protège donc très efficacement les héritiers contre la mauvaise gestion de sa fortune par le de cujus ou des dispositions antifamiliales de sa part en leur assurant une réserve intangible, la « réserve de demi-naissant ». Par ailleurs, la coutume y apporte de sages tempéraments, principalement lorsque des époux, père et mère d’enfants communs, aliènent leurs propres dans l’intérêt du foyer familial. […] Le droit de succéder à demi-naissant fut abrogé lors de la rédaction de la Nouvelle coutume de 1556 [….] », Lucien CAILTEAUX, « Les héritiers à demi-naissant dans le droit coutumier rémois du XIIIe au XVIe siècle », RHD, 1946-1947, p. 272-301. Cette institution tient à la fois du retrait lignager, du douaire des enfants et de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. On ne fait que la citer pour écarter une possible confusion de vocabulaire, mais elle n’intéresse pas directement la légitime, car elle protège aussi bien contre les libéralités que contre les actes à titre onéreux.

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succession, soit noble ou roturier ». C’est sa situation géographique qui plaide en faveur d’une influence des coutumes d’option situées à l’est de ses frontières234, notamment celle de Chartres, où on a recensé ce même adage à cette période235. En ce qui concerne les coutumes d’Anjou et du Maine, on trouve le même laconisme que dans le Perche. Jean Yver estime que cette règle d’option, si contraire à l’esprit d’égalité stricte de la région, s’explique par le type de rapport spécifique de ces coutumes, le rapport de l’excédent236. Il est toujours permis de garder le don reçu jusqu’à concurrence de la part qui échoit réellement à l’héritier dans la succession. Il n’en reste pas moins que ces articles contrastent avec les autres dispositions d’égalité stricte qui caractérisent ces coutumes. De manière plus surprenante, cet adage est présent dans la coutume préciputaire de Lille237. Cet article semble être un vestige d’une règle ancienne, alors que la coutume générale a évolué dans le sens de la liberté préciputaire238. C’est donc dans les coutumes d’option que le choix entre la qualité d’héritier et celle de légataire prend tout son sens, car la décision est laissée entièrement à l’enfant donataire. Le choix dont il dispose est réel : il ne doit pas retrancher le don, comme dans les coutumes d’égalité stricte qui admettent le rapport de l’excédent. Il lui suffit de renoncer à la succession et de rester en l’état où l’avait mis son père. On trouve des dispositions de ce type dans les coutumes de Chauny239, Troyes240, Meaux241, Melun242 et Sens243. 234

« Située aux confins du groupe des coutumes de l’Ouest et du groupe orléano-parisien, la coutume du Grand Perche reflète dans ses divers chapitres tantôt l’une, tantôt l’autre de ces deux sources d’inspiration », Jean YVER, op. cit., p. 131. 235 La rédaction de la coutume du Perche date de 1505 et celle de Chartres de 1508. Malgré l’antériorité de la rédaction du Perche, cet adage était bien connu avant la rédaction des coutumes. Une influence dans le sens Chartres-Perche ne semble pas devoir être exclue de la simple discordance des dates. D’autant plus que le Perche Gouet est recensé comme étant du ressort de la coutume de Chartres. Cf. BdR, tome III, p. 703. 236 Cf. op. cit., p. 114. 237 Chapitre I, art. 8 : « On ne peut estre aumousnier et parchonier ; à sçavoir, que on ne peut prendre portion d’hoirie et don de testament, codicille ou de autre derniere volonté, et en apprehendant l’un, l’on se prive de l’autre », BdR, tome II, p. 936. 238 Cf. Jean YVER, op. cit., p. 213-216. 239 Titre IX, art. 46 : « Et si lesdits donataires ne vouloient rapporter lesdits héritages ainsi à eux donnez, mais eux arrester et tenir à leurs dons de mariage, faire le pourroient, et renoncer ou quitter leurs droits de succession desdits donateurs », BdR, tome II, p. 667. Peu importe que les biens aient été donnés pour cause de mariage ou autre. En outre, le rapport peut être fait en valeur et non en nature. Cf. titre IX, art. 44 à 47. BdR, tome II, p. 667. 240 Art. 162 : « Si père et mère en mariant leurs enfants ou autrement donnent aucune choses à leurs enfants, soit en meuble ou héritage, lesdits enfants seront tenus le rapporter en venant à la succession de leurdit père et mère, c’est à sçavoir la moitié en la succession du père et la moitié en la succession de la mère ; sinon que les enfants à qui ils auront ainsi esté donnéz, se voulissent tenir à leur don, et renoncer à la succession : mais si la chose donnée estait du propre desdits père ou mère, elle se rapporteroit entièrement à la succession de celuy duquel elle procède, s’il n’y veut renoncer, comme dit est, nonobstant quelconques pactions, traites, obligations, ou promesses, faits au contraire », BdR, tome III, p. 250. 241 Chapitre III, art. XII : « Celui qui a reçu ledit advantage audit traité de mariage, veut venir à la succession de ses pere ou mere, avant qu’il puisse venir ou succeder, il doit rapporter ce qui luy a esté advantagé. Alias, il ne succedera point ; et en rapportant succedera, autrement non ». Art. XIII : « Et s’il se veut tenir à ce qui luy a esté donné et advantagé par ses père et mère, faire le peut et pourra, et soy tenir à ce qui luy a esté advantagé ». Art. XIV : « Et n’y a point de différence se ledit advantagement est fait de propres ou d’acquêts », BdR, tome III, p. 382.

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Ceci n’exclut pas quelques mesures qui encadrent l’exercice de ce choix. Ainsi, la coutume d’Auxerre, article 95, précise un délai de quarante jours pendant lequel doit être opéré l’élection244. La coutume de Sens contient la même exigence mais, en outre, elle ajoute une condition intéressant notre sujet. On lit dans son article 85 : « aucun ne peut être héritier et légataire ensemble : toutesfois, il loist à celuy qui peut être héritier accepter et prendre comme personne étrange le legs à lui fait, en délaissant l’hérédité du défunt, et renonçant à icelle dedans quarante jours après, pourvu que le legs à lui fait n’excède notablement l’estimation de la portion contingente, s’il se portait héritier »245. Le choix laissé à l’enfant donataire de renoncer à la succession ne doit pas provoquer de trop fortes inégalités entre les héritiers. On retrouve ici toute l’ambivalence des coutumes d’option : le souci de l’égalité entre les enfants, manifesté dans l’interdiction de principe de les avantager, et la volonté de permettre à un enfant, gratifié par legs ou par donation malgré la prohibition générale, de maintenir l’établissement fait par ses parents. Ces exceptions sont tolérées, mais encadrées par un régime juridique précis. L’enfant qui aurait reçu des dons du vivant des père et mère peut garder les biens donnés, mais à condition de ne pas prétendre à une autre part dans l’héritage des parents. Autrement dit, il doit renoncer à se porter héritier. Quelle est la logique sous-jacente de cette option ? En réalité, les dons reçus en vie des parents, notamment ceux qui ont été affectés à un enfant par un contrat de mariage, sont analysés comme des dons en avancement d’hoirie. Ce n’est pas tant une rupture de l’égalité qu’une anticipation du partage qui n’interviendra définitivement qu’à la mort d’un ou des deux parents. D’où cette remarque dans la coutume de Sens. On accepte la renonciation à la succession de l’enfant donataire à condition qu’il y ait une certaine proportion entre les parts que chaque enfant aura finalement dans la succession de son père. L’option fait basculer le principe d’égalité vers un principe de proportion. Dans l’optique de notre étude, cette nuance n’est pas négligeable : elle prépare la rencontre avec la légitime romaine. La coutume d’Orléans prévoit le jeu de l’option entre le don et la succession dans une perspective inverse. « Hommes et femmes tant nobles que roturiers ayans plusieurs enfants en peuvent marier aucuns et leur donner heritage ou meubles tels qu’ils verront à faire, en renonçant à la succession de leursdits père et mère, tient 242

Art. CIV : « Enfants mariés des biens communs du père et de la mère soyent nobles ou non nobles, convient qu’ilz rapportent tout leur mariage avant qu’ils puissent succeder à leur dits père et mère […] ». Art. CV : « Par ladite coutumes s’aucuns enfans mariez de biens communs de sesditz pere et mere veullent retenir leur mariage sans rapporter, faire le pourront en renonçant aux successions d’iceux pere et mere », BdR, tome III, p. 420. 243 Art. LXV : « Si père ou mère en mariant leurs enfants leur donnent aucune chose, soit en meuble ou heritage, lesdits enfants sont tenus la rapporter en venant à la succession de leurdit père et mère. […] Mais si la chose donnée était du propre desdits père et mère, elle se rapportera entièrement en la succession de celuy duquel elle procède, sinon que les enfants auquels aurait été ainsi donné, se voulussent tenir à leur don et renoncer à la succession », BdR, tome III, p. 489. Art. CCLXVII : « Celuy ou celle à qui est fait don par mariage ou autrement à charge du rapport, peut si bon luy semble se tenir à ce qui luy a été donné sans venir à la succession en laquelle il devrait rapporter en quoi faisant il demeure quitte du rapport », BdR, tome III, p. 502. 244 « Aucun ne peut être héritier et legataire ensemble, toutesfois, il loist à celuy qui est héritier accepter et prendre comme personne estrange, le legs à luy fait, en delaissant l’hérédité et succession du deffunct, et en y renonçant dedans quarante jours après », BdR, tome III, p. 574. 245 Cf. BdR, tome III, p. 490.

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telle donation et renonciation, sans ce que lesdits enfants puissent plus retourner ès successions de leursdits père et mère, pourvu que de droit elle ne se puisse quereller, toutesfois pourront venir à succession en rapportant les choses données »246. L’utilisation du mot quereller n’est pas étonnante, étant donné que la légitime existait dans cette coutume avant sa première rédaction. Dans cette disposition, contrairement à ce qu’on a vu pour Sens, le principe est la validité de la renonciation. Le rapport n’est admis que de manière subsidiaire, pour permettre de revenir à la succession. En définitive, l’établissement des parents tient avec le consentement de leur enfant, matérialisé dans la renonciation. Mais une possibilité de repentir est offerte à l’enfant si, au moment de l’ouverture de la succession, il préfère revoir la répartition des lots. La coutume de Mantes semble suivre la même logique subsidiaire à propos du rapport247. Si l’enfant n’est pas renonçant, la coutume d’Orléans retrouve l’ordre habituel des coutumes d’option, c'est-à-dire que le rapport est la règle. Mais, dans ce cas, l’option permise est très limitée. Elle ne concerne que le choix entre rapporter tout le don ou le garder et se contenter d’être moins prenant dans la succession. C’est ce qu’indique l’article 224248. Les textes laissent réellement à la volonté de l’enfant gratifié la décision libre de renoncer ou de revenir en rapportant, sans qu’apparemment la valeur du don reçu soit prise en compte pour obliger au rapport de l’enfant donataire. Ainsi, dans ces coutumes, l’égalité est respectée dans le cas où l’enfant décide de rapporter. Ce rapport agit alors comme dans une coutume d’égalité stricte. Mais, si l’enfant préfère s’en tenir à son don, l’égalité peut être sérieusement mise à mal en fonction du don qu’il a pu recevoir. Ceci est particulièrement important pour la légitime. Cette disparité éventuelle, fruit exclusif du bon vouloir d’un enfant gratifié, heurte la logique égalitaire de ces coutumes249. Elle incite à trouver des limites, au-delà desquelles le choix ne serait pas possible. Les rares coutumes rencontrées mentionnant la légitime appartiennent toutes au groupe des coutumes d’option. Il est donc facile de découvrir une certaine parenté entre ce groupe de coutumes et la légitime. Les deux laissent une part de liberté : à Rome, au profit du testateur ; dans les coutumes, à l’enfant gratifié. Mais il y a dans les deux cas un souci d’équilibre. Pour la législation de Justinien, il y a un minimum de biens qui doivent revenir aux enfants. Comme pour la genèse de la légitime, qui apparaît tardivement à Rome, ce n’est pas d’emblée que les coutumes d’option entrevoient le revers de leur bienveillance à l’égard des donataires : une trop grande disparité entre les enfants qu’il sera nécessaire de corriger. Au début du XVIe siècle, seules les coutumes de Sens et d’Orléans en ont laissé une trace dans la rédaction, 246

Chapitre XIII Des donations faites en mariage, art. CCXXIII, BdR, tome III, p. 750. Coutume de Mantes, titre XVII, art. 1 : [Les enfants mariés de biens communs de père et mère] « sont habiles à eux porter, dire et nommer pour héritiers et à venir à la succession de leurs parents avec les enfants non mariés, en rapportant ce qui leur a été accordé et donné en mariage, supposé qu’il n’en a été aucunement parlé au traité de leurdit mariage », BdR, tome III, p. 179. 248 Art. CCXXIV : « Quand père et mère ont donné en mariage faisant à leurs enfants aucuns biens meubles ou immeubles, et lesdites père et mère vont de vie à trespas, et lesdits enfants n’ont renoncé à la succession de père et mère, et ils veulent retourner à partage, lesdits enfants ou leurs héritiers seront tenus de rapporter ou moins prendre chacun à leur regard ce qui leur a été donné en leursdits mariages, sauf les fruits et nourritures dont ne sera fait aucun rapport », BdR, tome III, p. 750. On trouve les mêmes dispositions pour un enfant émancipé, mis hors de la puissance de son père. Cf. art. CCLVII, BdR, tome III, p. 752. 249 Les coutumes d’option intégrale sont aussi appellées d’égalité simple. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 229. 247

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comme on l’a vu. C’est alors que la légitime leur viendra en aide : elle permettra de fixer les bornes des coutumes d’option. Jusqu’à présent, on a parlé des enfants du de cujus. Il est nécessaire, cependant, de faire référence aux autres degrés des descendants en ligne directe ou collatérale, car deux questions importantes pour la légitime se posent dans cette hypothèse. D’une part, la question de la représentation successorale. C’est une technique juridique connue des Romains, par laquelle « un successible plus éloigné vient en concours avec un successible plus rapproché en prenant la part qu’eût obtenue son auteur prédécédé » 250. On est toujours dans le domaine interne à la famille, et non dans la logique successorale propre de la réserve. La représentation est une fiction juridique par laquelle on se substitue aux droits d’un autre prédécédé, en raison des liens de sang qu’on a avec lui. Cela veut dire qu’il y a une continuité de la personne et de ses droits sur le patrimoine à travers ses propres descendants. Sans représentation, le nombre d’héritiers s’estime au moment de la mort du de cujus : il y aura autant de parts que d’enfants vivants. Avec le mécanisme de la représentation, les enfants prédécédés qui laissent à leur tour des descendants, transmettent a posteriori les droits qu’ils avaient dans la succession de leur père. Cela veut dire qu’il y a un changement important dans la nature des droits successoraux. Sans représentation, le droit à la succession n’est qu’une simple possibilité soumise à une condition aléatoire : survivre au de cujus. Dès lors, il ne devient effectif qu’à la mort de celui-ci. En revanche, le système de la représentation fait du droit de succéder au de cujus un droit acquis, transmissible à ses propres héritiers si on meurt avant l’ouverture de la succession. La condition de fils ou de fille est suffisante pour donner droit à une part dans l’héritage du père, une part qui doit être égale à celle des autres enfants. Le décès précoce d’un enfant ne peut modifier la part des autres enfants : ni en plus ni en moins ; à moins que sa branche s’éteigne avec lui parce qu’il meurt sans enfants. Mais s’il laisse une descendance, celle-ci recueille les mêmes biens auxquels leur auteur aurait eu droit. Les mêmes biens, mais pas plus, ce qui explique que l’ensemble des descendants du prédécédé accèdent à la succession de l’aïeul comme une seule tête, celle de leur auteur. Le nombre d’enfants laissés par un frère ou une sœur prédécédés ne peut modifier la part des enfants survivants. La représentation répond donc à la problématique de la répartition des biens dans la famille. Elle est d’incorporation récente en pays de coutumes. Trompés par l’existence d’effets analogues, la confusion règne dans les esprits des juristes, qui identifient rappel et représentation. Le rappel donne la possibilité à un enfant ayant reçu un bien de son père de revenir partager la communauté familiale, en rapportant la part qu’il a déjà reçue. Il permet d’atténuer les conséquences rigoureuses d’une exclusion automatique des enfants allotis251. Mais le rappel dépend exclusivement de la volonté du père, alors que la représentation, si elle est admise, joue automatiquement en faveur des héritiers situés à des degrés de parenté différents. Elle corrige le résultat, devenu choquant, des règles de dévolution successorale qui préfèrent un parent d’un degré plus éloigné à un parent d’un degré plus proche, dont 250

René FILHOL, Le Premier Président Christofle de Thou et la Réformation des coutumes, Paris, Sirey, 1937, p. 223. Voir tout le chapitre sur la représentation successorale, p. 223-248. 251 À la fin du XVe et au début du XVIe siècles, on l’a vu, cette exclusion tend à disparaître au profit de la renonciation à la succession.

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l’auteur est décédé avant l’ouverture de la succession du de cujus. Sur ce point, on peut établir une parenté avec la légitime. Elle apparaît aussi en droit romain pour rectifier des conséquences successorales considérées inéquitables. Il n’est pas sans intérêt de souligner que, par la Novelle 118, Justinien étend la représentation en ligne collatérale, à la même époque où il réforme définitivement la légitime252. Lors de la rédaction des coutumes, il y a une demande pour introduire la représentation dans les coutumes qui ne la connaissent pas, car on estime inique que la négligence du père pour rappeler un enfant puisse priver de droits les neveux ou les petits-enfants du de cujus. Ce désir de consacrer la représentation traduit le souci de limiter des décisions familiales arbitraires253, en préservant l’équilibre entre les enfants. Puisqu’on relève une source d’inspiration semblable entre les deux institutions, légitime et représentation, on peut se demander s’il existe un parallèle entre les coutumes connaissant la légitime et celles où la représentation a été introduite. Il est bon de parcourir une fois de plus la géographie coutumière pour répondre à cette question. Comme pour la légitime, la plupart de coutumes préciputaires du début du XVIe siècle ignorent la représentation254. La coutume d’Amiens l’autorise comme une exception au principe, tolérée quand elle est prévue par un traité spécial, ou par contrat de mariage255. Dans ce groupe, seules les coutumes de Verdun256, Lille257 et Thérouanne258 – qui dépend de la prévôté de Montreuil – semblent l’admettre sans difficulté, du moins en ligne directe et, en ligne collatérale, pour les descendants des frères et soeurs. Peu de coutumes d’égalité parfaite l’admettent : Bar259, Saint-Mihiel260 et 261 Perche . La coutume de Perche dit clairement qu’il s’agit d’une disposition nouvelle « […] combien que ès temps passez l’on ait usé du contraire en tant que 252 « Si autem defuncto fratres fuerint et alterius fratris aut sororis praemortuorum filii, vocabuntur ad hereditatem isti cum de patre et matre thiis masculis et feminis, et quanticumque fuerint, tantam ex hereditate portionem percipient, quantam eorum parens futurus esset accipere si superstes esset ». Cf. Corpus Iuris Civilis, tome III, Novellae, éd. Rudolfus SCHOELL et W. KROLL, 8e éd., Berlin, 1963, réimpression anastatique Hildesheim, 1993, Novelle 118, chapitre III, p. 569-570. 253 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 236, p. 309. 254 Hainaut, chapitre 77, BdR, tome II, p. 22. Péronne, BdR, tome II, p. 607. Boulonnais, art. XXXVI, BdR, tome I, p. 30. Ponthieu, titre I, art. VIII, BdR, tome I, p. 83. Montreuil, art. VII, BdR, tome I, p. 138. Beauquesne, art. 17, BdR, tome I, p. 148. Gerberoy, art. 57, BdR, tome I, p. 228. Artois, art. 60, BdR, tome I, p. 247. 255 Art. XXXVII : « Par icelle Coûtume representation n’a point lieu, si n’est qu’elle fût par lettres ou par fait especial traitée, faite et accordée, auquel cas elle auroit lieu », BdR, tome I, p. 124. 256 Titre II, art. 8 : « Representation a lieu en ligne directe, in infinitum, tant en heritages de fief que de Poté, et pareillement en ligne collatérale quant à roture, mais en fief, n’a lieu outre les freres et les enfans des freres inclusivement », BdR, tome II, p. 427. 257 Chapitre I, art. XVI : « Representation a lieu en ligne directe tant seulement », BdR, tome II, p. 936. 258 Art. I : « Par la Coûtume de ladite regalle de Théroane, représentation a lieu et en succession de biens meubles, manoirs, amases, non amases, héritages, prés, terres cottieres, rentes réalisées, et autres situées et assises en ladite Ville et regalle de Theorane, sont partables, chacun à portion égale entre héritiers, et par représentation, comme dit est ; et ce sans faire distinction de l’aîné : mais quant aux héritages féodaux ; ils demeurent sans partir ne deviser, à l’aîné, soit en ligne descendante ou collatérale », BdR, tome I, p. 158. La coutume de Thérouanne dépend de la prévôté de Montreuil-sur-Mer. 259 Art. XIX : « En droite ligne representation a lieu usque in infinitum, tant en heritage de fief que de poté », BdR, tome II, p. 1017. 260 Art. 20 : Termes quasi identiques à la coutume précédente. Cf. BdR, tome II, p. 1046. 261 Chapitre des successions, art. 5. Cf. BdR, tome III, p. 638.

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touche les meubles et acquests, jusques ès plus prochains succedoient »262. La nouveauté se réfère clairement aux types de biens concernés : meubles et acquêts. Pour les propres, la représentation existait déjà263. Quant au groupe d’option, il n’est pas unitaire, mais c’est en son sein qu’on retrouve le plus de coutumes connaissant ou introduisant la représentation successorale lors de la première rédaction des coutumes. Chauny264, Melun265 et Chartres266 l’ignorent. Mantes267, Sens268 et Auxerre269 l’admettent mais uniquement avec des conditions restrictives : elle doit être prévue par un traité spécial, ou par contrat de mariage. Ces conditions semblent l’apparenter au rappel, car il faut une démarche volontaire pour qu’elle puisse produire des effets. Elle existe, au moins en ligne directe, dans les coutumes de Senlis270, 271 Meaux , Varry272 et Dreux273. Elle apparaît comme coutume nouvelle dans les rédactions de Clermont274, Valois275, Troyes276, Chaumont277 et Orléans278. Que peut-on conclure de ce parcours ? Sur les sept coutumes d’option recensées connaissant la légitime, cinq connaissent également la représentation : Orléans, Senlis, Dreux, Valois et Clermont. Celle de Dreux est la seule qui connaisse la légitime et la représentation avant la rédaction des coutumes. Pour les autres, l’ordre d’introduction n’est pas le même. Orléans connaît la légitime avant la 262

Ibidem, p. 639. « La coutume de Grand Perche connaissait anciennement la représentation en ligne directe et en ligne collatérale à l’infini, tant entre nobles que roturiers. Elle conserva ces dispositions dans son texte réformé de 1558 (art. 151) », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 232. 264 Titre VII, art. 36, titre XIV, art. 71 et titre XV, art. 75. Cf. BdR, tome II, p. 666 et p. 669. Il n’y a pas de représentation, ni en ligne directe ni en ligne collatérale. 265 Art. 100. Cf. BdR, tome III, p. 420. 266 Chapitre 18, art. 93. Cf. BdR, tome III, p. 714. 267 Titre XVII, art. IV : « Représentation n’a point lieu en ligne directe ne collatérale, sinon qu’il y est dit et accordé au traité de mariage », BdR, tome III, p. 180 268 On trouve le même type de restriction. Cf. art. 72, BdR, tome III, p. 489. 269 Art. LXXV : « Représentation n’a lieu ès successions de pere ou de mere n’autre succession directe ou collatérale, s’il n’est expressement dit, retraité et accordé en traité de mariage par pere ou mere, n’autres parens faisant ledit traité, mais si aucune representation a été accordée en faisant et traitant ledit mariage d’un enfant par pere ou mere ou autres parens, les autres enfants auront droit de representation à venir aux successions des dessusdits comme celuy au traité duquel la representation à esté accordée par leur traité de mariage, supposé qu’elle ne soit accordée par leur traité de mariage, excepté ès villes et chastellenies de Varry, Vezelay, Jussi, Precy le Sec, et Yrency, esquels representation a lieu », BdR, tome III, p. 573. 270 Art. CXXXIX : « En succession de ligne directe, representation a lieu, c’est à sçavoir, la fille ou fils du frere, representeront leur pere trépassé à l’encontre de leur oncle ou tante, en la succession de leur ayeul ou ayeule ». Art. CXL : « En ligne collatérale, representation n’a point de lieu », BdR, tome II, p. 719. 271 Art. 41. Cf. BdR, tome III, p. 385. 272 Art. 80 et 81. Cf. BdR, tome III, p. 574. Il s’agit d’une exception à la coutume générale d’Auxerre. 273 Chapitre XIX, art. 83. Cf. BdR, tome III, p. 725. 274 Art. 155 : « Représentation aura lieu en ligne directe et non en ligne collatérale », BdR, tome II, p. 771. 275 Art. 87 : « Désormais représentation aura lieu en ligne directe, in infinitum, et quant à la ligne collatérale, jusques aux enfans des freres et sœurs inclusivement [...] », BdR, tome II, p. 802. 276 Art. 92 : « D’oresnavant en ligne directe représentation aura lieu, le fils represente son père mesmement en droit d’aînesse ». S’il y a des mâles, la fille ne peut représenter son père pour le droit d’aînesse. Elle prendra dans une telle succession la même part qu’un fils puîné, malgré le fait que par une autre coutume deux filles prennent autant qu’un fils. En ligne collatérale, représentation a lieu jusqu’aux enfants des frères inclus. Cf. BdR, tome III, p. 246. 277 Chapitre 6, art. 69. Cet article contient des termes semblables à ceux de la coutume de Troyes, cf. BdR, tome III, p. 358. 278 Art. CCXLIV : « En ligne directe representation aura lieu, soit qu’elle soit expressement accordée ou non par lesdits père, mère, ayeul ou ayeule constant leur mariage ou par l’un d’eux le mariage dissolu ». Art. CCXLIX : « Représentation n’a lieu en ligne collatérale, sinon du consentement de tous ceux qui y ont intérêt », BdR, tome III, p. 751-752. 263

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rédaction de la coutume, alors que la représentation est introduite à ce moment-là. Clermont et Valois introduisent en même temps les deux mécanismes. Quant à la coutume de Senlis, elle procède de manière inverse de celle d’Orléans. Elle semble connaître d’abord la représentation et introduire la légitime après. Au-delà de ces divergences mineures, ce qui est à relever est l’introduction simultanée dans quelques coutumes de deux institutions romaines touchant au droit successoral, la légitime et la représentation. Outre la question de la représentation successorale, il faut envisager rapidement la règle qui régit les partages par lits. Elle aussi se rattache à la question de la répartition des biens à l’intérieur de la famille, car elle concerne les hypothèses, bien fréquentes, du remariage de l’un des parents, qui laisse à sa mort des enfants de plusieurs lits. Au début du XVIe siècle, peu de coutumes en parlent au sujet des roturiers : celle de Valenciennes279, préciputaire, et celle de Valois280, du groupe d’option. Cette dernière coutume prévoit un partage égal entre enfants de divers lits, sauf pour les propres, qui suivent le côté et ligne d’où ils procèdent. Il n’y a donc pas de règle particulière en présence d’enfants consanguins ou utérins. La coutume de Valenciennes prévoit une part plus importante des héritages au profit des enfants du premier lit. Le partage par lits intervient dans des situations qui se trouvent à mi-chemin entre la succession en ligne directe et celle en ligne collatérale, les enfants n’étant reliés entre eux que par un seul parent. Or, dans les successions collatérales, l’égalité se mesure par branches et non par têtes. Il n’est pas nécessaire d’approfondir davantage : la technique des partages entre enfants de plusieurs lits reste d’un intérêt marginal par rapport à la légitime, puisque cette dernière sera due également à tous les enfants, qu’ils soient germains, utérins ou consanguins. Les dispositions analysées jusqu’à présent envisagent l’égalité à partir de la condition des personnes roturières. Il faut à présent envisager la condition des biens. b) La condition des biens Si on se place du côté de la qualité des biens, la même obligation de partage égal existe pour les meubles, les conquêts et les propres non nobles. On peut citer les

279 Valenciennes, 1540, art. CIV : « Si quelqu’un homme ou femme vesve ayant enfans se remarie une seconde fois, et que du second mariage il ait enfan ou enfans, après le trépas dudit remarié, les enfans du premier mariage auront la moitié des héritages patrimoniaux, ou acquests, faicts constant ledit premier mariage. Et à l’autre moitié viendront succeder les enfans ensemble, tant du premier mariage que du second, par égale portion, sauf le droit de maisneté au maisné de premier lict, tel que dessus », BdR, tome II, p. 234. 280 Art. LXXXVIII : « Si aucun a plusieurs enfans de plusieurs et diverses mariages, lesdits enfants partiront egalement à la succession de leurdit pere, tant en bien meubles, comme propres héritages, sauf le droit d’aînesse, tel que dessus est dit ; et pareillement quand la mere a plusieurs enfans de divers mariages, ils luy succedent egalement en biens meubles et propres héritages, sauf aussi ledit droit d’aînesse », BdR, tome II, p. 802. Art. LXXXIX : « Freres et sœurs supposé qu’ils ne soient que de pere ou de mere, succedent également avec les autres freres et sœurs de pere et de mere, en la succession de leur frere ou sœur, quant aux meubles et conquêts immeubles, excepté quant aux fiefs, esquels ne succederont les sœurs, s’il y a masle au même degré, si ce n’est par representation. Et quant aux propres héritages ils suivront le côté et ligne dont ils sont venus », BdR, tome II, p. 802.

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coutumes préciputaires d’Amiens281, Artois282, Boulonnais283, Gerberoy284, Verdun285, Montreuil286 et ses deux coutumes dépendantes –Saint-Omer287 et SaintPaul288–, Thérouanne289, celles d’égalité parfaite de Vitry290 et Bretagne291, et celles d’option de Senlis292, Chauny293, Clermont294, Doullens295 et Melun296. Sauf en Boulonnais, où il y a privilège d’aînesse et de masculinité, l’égalité dans le partage des meubles et acquêts ne souffre pas d’exception297. Ceci est d’autant plus intéressant pour nous que ces biens ne sont pas protégés par la réserve. Ils peuvent, de ce fait, échapper à la famille, parce que le père peut en disposer en faveur de tiers. Mais si cela ne se produit pas, le principe d’égalité protège les enfants entre eux, en empêchant que le sort de l’un prive l’autre des mêmes droits à la succession de son père. Quant à l’application du principe d’égalité dans le partage des biens propres non nobles, la rédaction de l’article 45 de la coutume de Meaux mérite d’être soulignée : « entre gens nobles, les heritages non nobles se partent egalement […] »298. Il montre bien comment la condition des biens l’emporte sur celle des personnes. Même dans une succession entre nobles, si le bien n’a pas cette qualité, il suit la règle de l’égalité pour le partage. C’est une manifestation de ce qui

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Art. XXXVIII et art. XL. Cf. BdR, tome I, p. 125. Coutume d’Artois, 1509, art. LXXIII. Cf. BdR, tome I, p. 248. Art. XXXI et XLVII. Cf. BdR, tome I, p. 30-31. 284 Art. XLVII. Cf. BdR, tome I, p. 228. 285 Titre II, art. XXI : « [...] les meubles et conquêts se partiront également [...] », BdR, tome II, p. 428. 286 Art. XIII. Cf. BdR, tome I, p. 139. 287 Art. III. Cf. BdR, tome I, p. 155. Coutume dépendante de Montreuil-sur-Mer. 288 Art. III. Cf. BdR, tome I, p. 161. Saint-Paul est une coutume locale de Montreuil-sur-Mer. 289 Art. I. Cf. BdR, tome I, p. 158, déjà cité à propos de la représentation. 290 Art. LXXXIII : « Coutume est audit Baillage que les frères germains et non germains succèdent également entre eux en meubles et conquest. Et au regard des héritages de leur naissant, ils retournent chacun à son côté, paterna paternis materna maternis, et payent les dettes, obsèques, funerailles et accomplissement du testament, au sol la livre comme dessus », BdR, tome III, p. 319. 291 Art. DXXIX : « Les enfans des bourgeois et autres de basse condition partagent esgallement tant en meuble que heritage », BdR, tome IV, p. 319. 292 Art. CXXXIII : « Quand à ladite succession il n’y a que terres et heritages roturiers, soient propres acquêts ou conquêts et meubles, et en icelles y a plusieurs enfans tant masles que femelles [...] lesdits enfans viennent egalement à ladite succession de pere et mere, ayeul ou ayeule, sans y avoir quelque droict de prerogative d’aisneesse », BdR, tome II, p. 718. 293 Titre VII, art. XXXV. Cf. BdR, tome II, p. 666. 294 Art. CXLIII. Cf. BdR, tome II, p. 771. 295 Coutume de Doullens (locale d’Amiens), 1507, art. VII. Cf. BdR, tome I, p. 152. 296 Art. XCIX. Cf. BdR, tome III, p. 419. 297 « La coustume de la Prevosté [de Montroeul] est telle, que si aucun pere ou mere va de vie à trespas, ayant heritages cottiers, délaissans enfans, freres et sœurs, lesdits heritages cottiers se partissent également entre lesdits freres et sœurs enfans du trespassé […] sauf en la Comté de Boulenois en laquelle héritages cottiers venus de succession à un homme qui va de vie à trespas viennent, succedent en tout au fils aîné ou à la fille aînée s’il n’y a aucun fils. Et s’il n’y a ne fils ne fille au plus prochain heritier, et le tout sans division ne partition », coutume de Montreuil-sur-Mer, art. XIII, BdR, tome I, p. 139. 298 Art. XLV. La suite de l’article concerne la succession des fiefs : « […] Mais ès héritages de fief, quand c’est en ligne directe, un enfant masle prend autant que deux filles. Si c’est en ligne collatérale, les filles n’y prennent rien, quand il y a enfants masles aussi prochains que elles : et si elles sont les plus prochaines, elles succèdent entre elles également et sans droit d’aînesse, tant en ligne collatérale que directe », BdR, tome III, p. 385. 282 283

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a été dit, à savoir, que la règle de l’égalité des partages est le droit commun, l’aînesse étant l’exception299. Dans le même sens du partage égal des biens roturiers, on peut citer les coutumes de Chartres300, Dreux301 et Orléans302 (coutumes d’option), Bretagne303, Loudunois304 et Vitry305 (coutumes d’égalité parfaite), Verdun306, Saint-Paul307 et Boulonnais308 (coutumes préciputaires). Il existe cependant quelques entorses à ce principe d’égalité entre roturiers. Quelques coutumes établissent l’aînesse en roture, comme celles de Ponthieu, Boulonnais, Vimeu, Caux et Eu, ainsi que quelques coutumes locales d’Amiens309. D’autres coutumes prévoient une faveur particulière pour le cadet. Ce sont les droits de juveignerie ou de maineté310. Le droit de maineté n’est pas toujours incompatible avec l’égalité entre héritiers311. Il signifie simplement le droit pour le mainé d’avoir la maison des parents, alors que les autres enfants ont des lots équivalents pour préserver l’égalité. Mais il se peut aussi que le droit de maineté soit pris par préciput. Dans ce cas, quand le cadet prend le manoir hors part, il y a bien privilège au détriment de l’égalité. Dans ces hypothèses, le droit de maineté est comparable au droit d’aînesse. Bien que leur fondement ne soit pas identique312, ces droits 299 Les populations des pays de coutumes restent très attachées au principe de partage égal des biens non nobles jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. À titre d’exemple, on peut citer un cahier de doléances rapporté par Xavier Martin : « Les députés solliciteront une commission pour la réduction de toutes les coutumes à une seule pour toute la France, qu’il sera défendu d’interpréter, laquelle coutume anéantira les partages nobles entre roturiers, et la réduction de toutes les mesures à une même mesure et de tous les poids à un même poids », Cahier des officiers de la monnaie d’Angers, art. 25, in A. LE MOY, Cahiers de doléances des corporations de la ville d’Angers et des paroisses de la sénéchaussée particulière d’Angers pour les états généraux de 1789, Angers, 1915, tome I, p. 80. Cité par Xavier MARTIN, Le principe d’égalité dans les successions roturières en Anjou et dans le Maine, Paris, PUF, 1972, p. 34. 300 Art. VII et XCVII : « Es heritages tenus en censif, n’y a point d’avantage entre frères et sœurs aisnez ou puinez, en ligne directe ou collatérale », BdR, tome III, p. 704 et 714. 301 Art. V. Cf. BdR, tome III, p. 718. Voir aussi l’art. LXXXVIII, BdR, tome III, p. 725. 302 Art. CCXLII. Cf. BdR, tome III, p. 751. 303 Art. DXXIX déjà cité, BdR, tome IV, p. 319. Voir aussi l’art. DLXVIII, BdR, tome IV, p. 322. 304 Chapitre XXIX, art. XVI : « succession roturière qui advient à gens nobles, se départ roturièrement ès choses roturières, et quant aux choses nobles, elles se départiront noblement », BdR, tome IV, p. 732. 305 Vitry, art. LXVII. Cf. BdR, tome III, p. 317. 306 Titre II, art. III : « Et quant aux terres roturieres, meubles et terres de franc alleuf, l’une desdites filles prend autant qu’un fils », BdR, tome II, p. 427. 307 Art. III. Cf. BdR, tome I, p. 161. 308 Art. XXIX : « Mais par ladite Coustume, se lesdits heritages acquestez estoient heritages cottiers, tous lesdits enfans masles et femelles succederoient, ab intestat, également en tous lesdits heritages autant à l’un comme a l’autre, sans ce que les fils y ayent plus grand droit ou plus grande part que les filles », BdR, tome I, p. 30. 309 Cf. Jean YVER, op.cit., p. 8, note 8. 310 Par exemple, la coutume de Valenciennes, 1540, art. 93 et suivants, BdR, tome II, p. 233. Le droit de maineté se prend hors part dans cette coutume. Voir également la coutume de Gerberoy, art. 58, qui établit le droit de maineté hors de la ville de Gerberoy. Cf. BdR, tome I, p. 228. Curieusement, dans cette coutume le droit de maineté n’intervient qu’en présence de plusieurs fils : « […] Quand aucuns conjoints ensemble par mariage, vont de vie à trespas, delaissans plusieurs enfans masles, au miasné d’iceux masles apparitent hors partage le principal manoir, si manoir y a, sinon la principale mazure qu’il voudra choisir des heritages cottiers et roturiers apparenans au jour dudit trespas, à leur pere ou mere decedez, et non des autres heritages. Mais s’il n’y a qu’un fils masle et filles, n’y a point de droit d’aisnesse (sic) ». 311 Cf. John GILISSEN, « Le privilège du cadet ou le droit de maineté dans les coutumes de Belgique et du Nord de la France », in Etudes d’histoire du droit privé offertes à Pierre Petot, Paris, Sirey, 1959, p. 231-250, particulièrement p. 240 et s. 312 La logique du droit de maineté est plutôt celle de considérer que l’enfant plus jeune a encore besoin d’aide pour s’établir dans la vie. Pour E. M. Meijers et Jean Yver, le privilège de maineté aurait une

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supposent une rupture de l’égalité, et c’est à ce titre qu’on les signale. D’ailleurs, le droit de maineté n’exclut pas nécessairement le droit d’aînesse : « Le plus souvent, il est précisé que la maineté n’est prise que sur les biens immeubles tenus en censive (ou mainferme ou coterie). Car, en règle générale, la succession des fiefs est régie par le privilège d’aînesse. […] L’aîné y a tout ou partie des fiefs»313. Ces exceptions inégalitaires amènent tout naturellement vers l’étude de la source d’inégalité la plus répandue, le droit d’aînesse. Ainsi, après avoir analysé l’existence du principe d’égalité entre les enfants pour les successions roturières, il faut envisager à présent ce qu’il en est pour les successions nobles. 2. Règles concernant les personnes et les biens nobles Dans les coutumes d’égalité simple ou stricte, le droit des personnes et des biens nobles se présente comme une exception au principe général d’égalité entre les enfants. Ce régime spécial tient à la spécificité du caractère noble, héritée du Moyen Âge. Les préoccupations féodales et nobiliaires aboutissent à un régime qui facilite l’unité de l’héritage au profit du fils aîné, continuateur de la famille. Cette règle prend racine dans les obligations vassaliques, notamment le service militaire dû au seigneur. Même si l’armée est devenue permanente depuis longtemps314, l’habitude demeure d’avantager l’aîné pour les biens et les personnes nobles. L’aînesse est presque toujours doublée du principe de masculinité, qui accorde une place de faveur aux fils par rapport aux filles. Ces deux critères, aînesse et masculinité, peuvent être cumulatifs, de telle manière, par exemple, que l’aînesse ne joue pas si le de cujus n’a que des filles. À défaut de mâle, on retombe dans le partage égal de droit commun roturier. Mais ceci n’est pas vrai pour toutes les coutumes. Pour certaines, à défaut de fils, il y a aînesse parmi les filles. Les coutumiers parlent longuement du droit d’aînesse et du principe de masculinité, avec force détails. Ainsi, on a trouvé beaucoup de dispositions qui les concernent dans les premières coutumes rédigées étudiées maintenant. Pour ce qui est du droit d’aînesse, tous les groupes de coutumes le connaissent. Il n’est pas intéressant de l’étudier en détail ici. Les différences de régime qui peuvent exister ne changent pas le principe : une part avantageuse faite à un enfant, en raison de son rang de naissance ou de son sexe. C’est cette rupture d’égalité qui est significative pour l’étude de la légitime. Laissant donc de côté les particularités, on peut citer des dispositions concernant le droit d’aînesse, au sein du groupe préciputaire, dans les coutumes de Péronne315, Hainaut316, Verdun317,

origine ethnique. John Gilissen lui attribue une origine économique et sociale. Paul Viollet considérait que le plus jeune étant resté dans la maison paternelle, prend naturellement la suite du père à la mort de celui-ci. Cf. Philippe GODDING , Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du 12e au 18e siècle, Académie royale de Belgique, Mémoires de la classe des lettres, 2e série, tome XIV, fasc. 1, 1987, Bruxelles, Palais des Académies, 1987, n. 638, p. 357. Voir surtout l’article précité de John GILISSEN. 313 John GILISSEN, op. cit., p. 239. Le droit de maineté peut s’exercer aussi sur des meubles. Cf. ibidem. 314 Charles VII met sur pied une armée permanente en 1439. Cf. Albert RIGAUDIÈRE , Introduction historique à l’étude du droit et des institutions, 3e éd., Paris, Economica, 2006, p. 278. 315 Cf. BdR, tome II, p. 604. 316 Chapitre LXXVII. Cf. BdR, tome II, p. 21. 317 Titre II, art. 1. Cf. BdR, tome II, p. 427.

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Boulonnais318, Ponthieu319, Montreuil320, Beauquesne321, Saint-Paul322, Gerberoy323 et Artois324. Dans l’aire des coutumes d’égalité stricte, le droit d’aînesse existe à Vitry325, 326 Bar , Saint-Mihiel327, Perche328, Maine329 et Loudunois330. Quant aux coutumes d’option, on peut énumérer celles de Chauny331, 332 Senlis , Clermont-en-Beauvaisis333, Valois334, Champagne-en-Brie335, Chaumonten-Bassigny336, Meaux337, Sens338, Chartres339, Dreux340 et Orléans341. Le privilège de masculinité a, pour sa part, un double visage. Il s’exprime tantôt par le droit d’aînesse, reconnu alors aux seuls héritiers mâles, l’aînesse étant exclue parmi les filles342; tantôt, et c’est le cas le plus fréquent, il s’affirme par le droit de prendre une part plus grande dans la succession. La plupart des coutumes qui contiennent ce privilège de masculinité accordent aux fils une part double de celle des filles, limitée en général aux biens nobles, laissant l’égalité régir les autres partages. « Que en succession de terre de fief en ligne directe, un enfant masle a et emporte autant seul que deux filles : mais en terre de poté ils succedent egalement », proclame l’article 18 de la coutume de Bar343. Cette rédaction reflète bien l’esprit qu’on rencontre dans beaucoup d’autres coutumes.

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Art. XXIV, BdR, tome I, p. 29, art. XLII pour les successions collatérales, BdR, tome I, p. 31. Art. LIX, BdR, tome I, p. 89. Art. III et VI pour les successions en ligne collatérale, BdR, tome I, p. 138. 321 Art. XXIII, BdR, tome I, p. 149. 322 Art. I et IV, BdR, tome I, p. 160-161. 323 Art. XXVIII (droit d’aînesse pour les fiefs), art. XXIX (pas d’aînesse entre les filles) et art. LVIII (droit de maineté pour les biens autres que les fiefs), BdR, tome I, p. 227-228. 324 Art. LXI. Cf. BdR, tome I, p. 247. 325 Art. LV et LIX. Cf. BdR, tome III, p. 315-316. 326 Art. XV et XVII. Cf. BdR, tome II, p. 1017. 327 Art. XVI et XVIII, BdR, tome II, p. 1046. 328 Art. I, II, III, VI et XI. Cf. BdR, tome III, p. 638-639. 329 Art. CCXXXVIII : « En succession de personne noble, qui a plusieurs enfans naturels et légitimes, au fils aisné, si fils y a, sinon à la fille aisnée s’il n’y a que filles, ou à leur representation, compete par preciput et advantage le principal hostel, manoir ou hebergement de ladite succession, à son choix et élection, avec tout ce qui est en jardin, et la cloison des fossez environ le chastel ou hebergement », BdR, tome IV, p. 486. Voir également art. CCLXV, BdR, tome IV, p. 490 et art. CCCXXXV, BdR, tome IV, p. 499. 330 Cf. chapitre XXVII, art. V et VIII, BdR, tome IV, p. 730. 331 Titre XIV, art. LXX et LXXII, titre XV, art. LXXVI. Cf. BdR, tome II, p. 669. 332 Titre XIII, art. CXXVI, CXXVII, CXXVIII, CXXIX, CXXXI, CXXXVI et CXXXVII, BdR, tome II, p. 717-719. 333 Art. LXXXI, BdR, tome II, p. 767. Voir aussi l’art. CLVI pour les filles venant en représentation de leur père à la succession de leur aïeul, BdR, tome II, p. 771. 334 Art. LVII, BdR, tome II, p. 800. 335 Art II, BdR, tome III, p. 210. La Champagne est divisée en deux parties, certaines coutumes étant d’égalité stricte, d’autres d’égalité simple ou d’option. 336 Chapitre I, art. VIII, BdR, tome III, p. 352. 337 Chapitre XXI, art. CLX, CLXII et CLXIV, BdR, tome III, p. 394. 338 Art. CXC, CXCI, CXCIV et CCXII, BdR, tome III, p. 498-499. 339 Art. IV, VI et VII, BdR, tome III, p. 704. 340 Art. III et LXXXVIII, BdR, tome III, p. 718 et 725 respectivement. 341 Art. XXV, XXVI et XXVII, BdR, tome III, p. 737. 342 Par exemple, la coutume de Meaux, chapitre XXI, art. 163, affirme clairement qu’il n’y a pas d’aînesse entre les filles. Cf. les différentes coutumes citées à propos de l’aînesse. 343 Cf. BdR, tome II, p. 1017. Voir également la coutume de Mons, chapitre I : « Item que une fille de leal mariage, sœur germaine à son frere, aura en la succession des heritages de ses pere et mere, la moitié d’autant que son frere en aura : Si deux filles il y a, elles auront elles deux la moitié de la succession, et 319 320

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Certains articles des coutumes, cités à propos de l’aînesse, contiennent déjà la formulation de ce principe de masculinité, qui se traduit par l’absence d’aînesse parmi les filles. C’est le cas de l’article 25 de la coutume d’Orléans344, ou bien de l’article 6 de la coutume de Chartres345. Les termes utilisés dans les différentes coutumes étant très semblables, il n’est pas nécessaire de s’arrêter à les examiner un par un346. En revanche, on peut signaler que les coutumes de Clermont347 et d’Artois348 consacrent l’aînesse parmi les filles. Dans l’optique de notre étude, il semble suffisant d’avancer ces éléments qui concernent les successions nobles. Le droit d’aînesse occupe une place non négligeable dans la rédaction des coutumes. Son régime, comme tout ce qui concerne les fiefs, est bien plus développé que celui des partages égalitaires des biens roturiers. On y voit deux raisons. D’une part, on étudie la première rédaction des coutumes qui a pour but essentiel de refléter le droit antérieur, donc souvent d’inspiration féodale349 ; d’autre part, l’aînesse, malgré son importance, fait exception à ce qui semble être la règle générale : les partages égalitaires. Dans les longs développements consacrés à l’aînesse, on peut voir la confirmation qu’il s’agit d’un régime spécifique et, comme tel, ce dernier a besoin d’être défini avec une précision que ne nécessite pas la règle de droit commun. On peut à présent tirer rapidement les conclusions de l’étude des principes successoraux coutumiers. L’absence d’institution d’héritier marque l’opposition entre la logique coutumière et la logique romaine. Cette règle se place dans la continuité de l’esprit de la réserve et de la méfiance vis-à-vis du testament. Permettre de choisir les héritiers serait en somme donner la possibilité de frustrer les espérances de la famille sur les biens à recevoir de ses aïeux. On a expliqué le sens qu’il fallait donner à l’exception consentie dans les contrats de mariage. Elle règle leurdit frère l’autre moitié, et si plusieurs fils y a, et ils n’ayent qu’une sœur, cette sœur aura en sa parçon la moitié d’autant que l’un de ses freres aura [...] », BdR, tome II, p. 167. 344 Art. XXV : « En succession de fief en ligne directe entre trois ou plusieurs enfants, le fils aîné prend un manoir ainsi qu’il se comporte et poursuit, avec le vol d’un chapon, estimé à un arpent de terre à l’entour dudict manoir, s’il y a tant de terre joignant, avec la moitié de tous les héritages, rentes et revenus tenuz en fief, et les autres enfants soient fils ou filles auront l’autre moitié qu’ils partiront également et y aura autant la fille que le fils. Et si lesdits père et mère vont de vie à trépas sans hoirs mâles, delaissant filles seulement, lesdits héritages tenuz en fief se partiront entre elles également et sans prérogative d’aînesse », BdR, tome III, p. 737. 345 Art. VI : « Entre filles qui sont en pareil degré de succession, n’y a aucun droit ou prérogative d’aînesse, et ne doit l’aînée, soit en héritage tenu en fief, ou en censive, avoir ne prendre plus que ses puînées, ainçois doivent partir également », BdR, tome III, p. 704. 346 On a relevé l’absence d’aînesse parmi les filles dans les articles suivants : Verdun, titre II, art. 4, BdR, tome II, p. 427. Valois, art. 59, BdR, tome II, p. 800. Gerberoy, art. 29, BdR, tome I, p. 227. Troyes, art. 14, BdR, tome III, p. 239. Vitry, art. 58, BdR, tome III, p. 315. Chaumont-en-Bassigny, chapitre VI, art. 69, BdR, tome III, p. 358. Meaux, art. 163, BdR, tome III, p. 394. Varry, art. 255, BdR, tome III, p. 583. Perche, art. 3, BdR, tome III, p. 638. Dreux, chapitre I, art. 4, BdR, tome III, p. 718. 347 Art. LXXXIII : « Si en ligne directe aucune succession de fiefs est eschue à plusieurs enfans toutes filles, elles partissent également lesdits fiefs, sauf que l’aînée emporte, hors part, un chef lieu desdits fiefs, à son choix, et l’hommage de ses sœurs pour la premiere fois [...] », BdR, tome II, p. 767. 348 Art. LXIII : « En succession de fief, le masle forclost la femelle en pareil degré ». Art. LXIV : « Si un trépassé ne délaisse que filles, l’aînée a pareil droit és fiefs comme auroit l’aîné fils », BdR, tome I, p. 247. 349 « Les règles coutumières se sont fixées d’abord pour les milieux féodaux. Là se sont précisés, pour répondre aux exigences de la desserte des fiefs, comme à celle de la conservation des grands patrimoines familiaux, des principes fermes concernant la vocation et les parts des héritiers », Jean YVER , op. cit., p. 49.

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surtout le partage entre les enfants. Dans ce sens, comme dans les coutumes préciputaires, choisir un héritier, parmi les membres de la famille, ne répugne pas à la logique coutumière de la réserve, qui ne s’intéresse pas à la distribution des lots à l’intérieur de la famille. La possibilité d’instituer un héritier par contrat de mariage rejoint la logique préciputaire, où il est permis au père de famille d’user de sa liberté pour aménager la part de chaque enfant dans ses propres biens. Le deuxième principe est plus intéressant pour la légitime, car le droit coutumier se rapproche de la logique romaine en veillant à l’égalité entre les enfants, même s’il s’éloigne du droit écrit par les exceptions qu’il y consent dans le régime des biens nobles. Certes, la logique de la légitime est une logique plus proportionnelle qu’égalitaire, mais les deux approches ont en commun la préoccupation de ne pas léser les enfants dans ce qui est considéré comme un dû. L’idée d’un droit des enfants à un minimum de biens dans l’héritage de leur auteur ne peut pas sembler excessive à ceux qui limitent les pouvoirs du père l’empêchant de donner à un enfant plus qu’à un autre. Cette conviction, combien ancrée dans les esprits, du moins pour les roturiers350, facilitera l’assimilation de la légitime romaine351. Ceci semble d’autant plus juste que le principe d’égalité se retrouve dans les coutumes d’option ou d’égalité stricte. On a vu qu’il est pratiquement inexistant dans les coutumes préciputaires. Le chemin de la légitime dans ce dernier groupe sera différent. Ce n’est pas à travers l’égalité qu’elle pourra pénétrer, mais plutôt grâce à la parenté d’esprit avec le libéralisme romain. En effet, les coutumes préciputaires ont en commun avec le paterfamilias romain la liberté pour organiser sa dévolution successorale. Plus limitée dans le cas des coutumes préciputaires du fait de la réserve, certes, mais non moins réelle. Si le fondement du droit successoral coutumier reste une vision protectrice de la famille, le souci d’égalité constitue sûrement un terrain d’entente avec certains principes du droit écrit et, surtout, avec celui de la légitime. Les coutumes développent leurs propres règles en accord avec les principes successoraux coutumiers, règles auxquelles la légitime demeure en général étrangère. Mais il est pertinent de se demander si cette institution étrangère est aussi une institution inconnue. Après avoir parcouru les aspects du régime successoral coutumier qui intéressent notre sujet, il faut à présent, dans une deuxième section, étudier la connaissance que le droit coutumier a de la légitime romaine.

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Voir, par exemple, l’attachement au principe d’égalité dans les coutumes d’Anjou et du Maine. Cf. Xavier MARTIN , Le principe d’égalité dans les successions roturières en Anjou et dans le Maine, Paris, 1972, p. 31-34. À ce sujet, et bien qu’il date du XVIIIe siècle, on peut citer un arrêt qui pose la question de la légitimité des mesures prises par un père roturier pour conserver l’égalité entre ses enfants, alors qu’il veut acquérir la noblesse. L’arrêt « a décidé par l’affirmative, en infirmant une Sentence arbitrale rendue par deux Conseillers du Présidial d’Angers ». Cf. arrêt du 21 mai 1721, rapporté par Michel DUCHEMIN, Journal des Audiences, Paris, 1754, tome VII, livre 4, chapitre 9, p. 560-565. 351 Un exemple illustre cela. Au XVIIIe siècle, Jean Vigier, commentateur de la coutume d’Angoumois, parle de la légitime dans son commentaire précisément sous les articles qui établissent l’égalité entre les héritiers et l’interdiction d’avantager l’un par rapport aux autres. Il s’agit des articles 49, 51 et 115 de cette coutume. Cf. Jean VIGIER, Les coutumes du pais et duché d’Angoumois, Aunis et gouvernement de La Rochelle, 2e éd., Angoulême, 1720, p. 197 et s.

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SECTION II LA LÉGITIME, INSTITUTION CONNUE DANS CERTAINES RÉGIONS DE FRANCE

Dans l’ensemble des pays coutumiers, seul un petit nombre de coutumes font référence à la légitime, au centre de la région coutumière. La place qu’elle y occupe est restreinte et n’a qu’une fonction auxiliaire de la réserve. De ce fait, elle se rapporte à la problématique de la protection de la famille par rapport aux tiers. Elle ne s’occupe pas des partages internes à la fratrie. D’où le qualificatif qu’on lui a donné dans la première section : la légitime est bien étrangère aux coutumes septentrionales. Mais est-elle étrangère au royaume ? Ce serait inexact de réduire la France aux frontières des pays coutumiers. D’autres régions françaises connaissent la légitime parce qu’elles obéissent essentiellement au droit romain. Même si c’est au prix de modifications parfois substantielles, « personne ne conteste à la fin du Moyen Âge que les provinces du Midi soient régies par le droit écrit »352. Le droit romain y est reçu en tant que coutume adoptée par ces territoires du Sud. Il n’est pas en vigueur en vertu d’une suprématie qu’il aurait par nature, mais « de son utilisation constatée, le roi déduit le consentement des populations concernées »353. C’est une nuance, mais elle a son importance. Le droit écrit n’est reçu comme norme juridique positive que parce qu’il est devenu une coutume354. L’objet de ce travail est la légitime en pays de coutumes, mais il est indispensable d’examiner son existence en pays de droit écrit. Les juristes du Nord connaissent souvent les coutumes du Sud et les idées circulent sans s’arrêter nécessairement aux frontières coutumières. La légitime, quand elle est en vigueur, ne passe pas inaperçue aux yeux des praticiens bons connaisseurs du droit romain. À cela s’ajoute le développement de l’imprimerie : elle facilite la connaissance mutuelle des commentaires des coutumes, qui se multiplient à la faveur de la rédaction officielle de celles-ci. En outre, les compétences du Parlement de Paris le conduisent à connaître des affaires régies par le droit écrit. Ces raisons sont suffisantes pour justifier une section consacrée à la connaissance de la légitime à l’intérieur du royaume. Il s’agit ici de la vraie légitime romaine, et non pas la simple institution auxiliaire qu’on a décelée dans notre parcours coutumier. L’histoire des provinces méridionales diffère de celle des régions du Nord. Dans le Sud, la romanisation a été plus importante, et les coutumes en gardent la trace de manière évidente. Cependant, la romanisation n’a pas été uniforme. Sur certains sujets, des particularismes subsistent, voire des résistances, et une volonté 352

Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit, op. cit., n. 137, p. 234. Ibidem, p. 235. 354 « On ne remettait pas en cause la volonté des pays méridionaux français de vouloir suivre le droit romain, mais celui-ci n’était considéré qu’à l’égal des autres usages admis ailleurs, c'est-à-dire qu’il était déclaré n’avoir été reçu que du seul consentement des groupes intéressés. Une telle argumentation était loin d’être anodine […] c’était affirmer qu’à l’instar des autres régions françaises, le Midi restait un pays coutumier, les « usages » romains y étant simplement plus largement reçus qu’ailleurs. […] Cette opportune explication permit alors de neutraliser les prétentions impériales, dès lors que le droit romain était non une Loi d’Empire, mais un simple usage reçu consensu populi », Dominique GAURIER, « La revendication d’un droit national contre le droit romain : le droit commun coutumier en France (de la fin du XVIe au début du XVIIe siècle) » in Droit romain et identité européenne, Actes du colloque organisé les 12, 13 et 14 mai 1992, Revue internationale des droits de l’Antiquité, 3e série, supplément au tome XLI, Bruxelles, 1994, p. 34. 353

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d’affirmer une certaine indépendance par rapport au Corpus Iuris Civilis. Il y a une différence dans ce sens entre l’Est et l’Ouest du Midi. À l’est, en pays provençal, la romanisation est plus profonde et rapide. Dans le Sud-Ouest les coutumes continuent à jouer un rôle essentiel355. La romanisation reste parfois superficielle356, habillant d’un vocabulaire romain des institutions juridiques qui restent coutumières, les notaires jouant en l’espèce un rôle non négligeable357. Elle sera aussi partielle. On verra ce qu’il en est pour notre sujet. La légitime dans ces régions reste, dans son essence, ce qu’elle était pour le droit romain tardif. Elle sanctionne un devoir du pater, qui ne peut pas disposer à titre gratuit de l’intégralité de son héritage : les enfants ont droit à une partie des biens. Ainsi, elle se concrétise dans une limite à la liberté testamentaire, qui est encadrée pour préserver l’équité dans les partages successoraux. L’influence romaine sur le droit positif ne s’arrête pas aux frontières du Midi, qui marqueraient une séparation radicale entre deux aires d’influence différente. Il existe une bande centrale qui fait le lien entre les deux traditions. Ce sont des régions limitrophes, en bordure des pays de droit écrit au sud, et en contact avec les pays de coutumes au nord. Ce sont des régions charnières, à l’esprit clairement coutumier pour beaucoup d’aspects, mais intégrant en même temps des dispositions typiquement romaines. Dans ces terres au carrefour d’une double influence, on trouve côte à côte les deux sources d’inspiration, romaine et coutumière, sans qu’on puisse pour autant les retrancher du pays de coutumes. Ces régions appartiennent bien à la France coutumière, on le verra. Mais elles ouvrent déjà leurs portes à certaines solutions romaines et font parfois une référence explicite au droit écrit. La légitime y est présente sans ambiguïté, côtoyant des dispositions d’un esprit clairement coutumier. Ainsi, après avoir étudié la présence de la légitime dans les régions du Midi (§ 1), notre regard doit également se porter vers ces régions coutumières centrales, en bordure des pays de droit écrit, qui subissent plus tôt l’influence romaine (§ 2). L’étude de ces dernières coutumes permettra de compléter notre parcours, et d’établir le plus précisément possible la situation de la légitime en France dans la première moitié du XVIe siècle. § 1. Existence de la légitime dans les coutumes du Midi Comme dans le Nord, le Midi présente des divergences selon les régions, qui méritent d’être étudiées en deux groupes, les coutumes du Sud-Est (A) et celles du Sud-Ouest (B). 355

Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 108, p. 148. Jean-Philippe LÉVY distingue une pénétration superficielle du droit savant –romain et canonique–, qui serait l’utilisation du vocabulaire romain, les références et les citations de textes savants, l’adoption du plan du Corpus ; et une pénétration substantielle, représentée par les institutions ou les règles, voire les matières, empruntées directement au droit savant. Cf. Jean-Philippe LÉVY , « La pénétration du droit savant dans les coutumiers angevins et bretons au Moyen Âge », in Revue d’histoire du droit, tome XXV, 1957, p. 1-53. Bien que cet auteur parle de régions situées en pays de coutumes, l’analyse des différents types de pénétration du droit romain est valable pour l’ensemble des régions, y compris le Midi de la France. 357 « On ne doit pas exagérer l’influence du droit nouveau sur la pratique locale. L’activité des magistri ou des notaires se limite à une romanisation assez vague des formes », Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 77. 356

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A. Les coutumes du Sud-Est À la fin du XVe siècle, on trouve dans les statuts provinciaux de Forcalquier une allusion à la légitime lors d’une réponse à une requête. Il est demandé au roi qu’une fille ou petite-fille noble, descendant d’un mâle prédécédé, dotée par ses parents ou aïeux, ne puisse pas venir à leur succession, mais s’en tienne seulement à sa dot. Et si elle n’a pas été dotée, elle peut demander à l’être, sans être admise à la succession du père. Le roi accorde cette demande, « sauvada tout jour la legitima & suppliment de aquella »358. Par ailleurs, les statuts de Bueil se prononcent également en faveur de la légitime dans un passage concernant aussi l’exclusion des filles dotées de la succession de leurs parents : « Ayant la loi de nature ordonné la legitime aux enfans legitimes et naturels, et aus ascendants d’iceus, lorsqu’il advient que respectivement l’un succede à l’autre. Nous, a l’affectueuse instance, requeste et prière de nos subjects, avons ordonné et ordonnons que ledict droict de legitime et supplement d’icele soit deub »359. Malgré cette assertion générale, l’article continue en précisant que les filles dotées doivent se contenter de leur dot, et qu’elles ne peuvent demander ni leur légitime, ni le supplément de celle-ci360. 358 « REQUESTA : Item, Supplican à la dicha majestat, que daissi en avant per conservations las maisons noblas, quant autras, las filhas ou filhas dals filhs ja morts, que si trobaran esser dotadas per lur payre et mayre, ou avis ; et après la fin de tals payre et mayre, sive avis morents sens testament, estants filhs ou filhs dals filhs voudran cumular leur dota, et venir à division et succession de la hereditat ambe lous autres heres mascles, que non sian tals filhas ou filhas dans filhs ja morts en aquo ausidas, ni admessas, mes sian contentas soulament de lur dota. Et si non si troubavan dotadas, que deian esser dotadas a l’estima dels plus prochans parents et amics de la partidas juxta la facultat dels bens, et qualitat de las dichas personas : nonobstant una ley Pactum, C de colla. & tout autre drech fasent en contrari sobre lo qual plassa a la dicha real majestat dispensar benignament. RESPOSTA : Plas al rei en succession venent sens testament, estans heres mascles deiscendent : sauvada tout jour la legitima & suppliment de aquella. Consessum 1472, die 3 Augusti. Extractum e regesto Potentiae, fol. 325 » , BdR, tome II, p. 1214. 359 Statut et coutumes de Bueil, chapitre VI, BdR, tome II, p. 1236, [s. d.] 360 Des succession et des pretentions de droict de legititme et supplement d’icelle : « I. Ayant la loi de nature ordonné la legitime aux enfans legitimes et naturels, et aus ascendants d’iceus, lorsqu’il advient que respectivement l’un succede à l’autre. Nous à l’affectueuse instance, requeste et prière de nos subjects, avons ordonné et ordonnons que ledict droict de legitime et supplement d’icele soit deub. A adjugé ausdicts descendants et ascendants (encore que par testament ou autre disposition finalle tel droict ne leur seult esté entierment laissé). Ce que voulons leur estre payé et satisfait sans procès ne difficulté aucune. Et pour regard des filles ausquelles sera esté constitué dot par leurs peres, meres ou freres, ou bien par voye de l’arbitrage de leurs plus proches parens. Ne voulons après qu’elles auront accepté ladicte constitution de dot, encore qu’elle ne fust competante à ladite legitime, puisent aucune chose demander pour le supplement d’icelle, ainsi que moyennant ladicte constitution faite comme dessus, elles demeurent tacites et contentes, encore qu’elles n’eussent renoncé audict droict de légitime et supplement d’icelle, et à l’incompétence de leur dot. Laquelle renonciation sera pour faicte et entendue pour l’advenir, encore qu’elle ne se treuvast couché et apposée dans les contracts de ladicte constitution et acceptation de dot, sauf qu’en cas que du temps de ladite acceptation elles se treuvassent mieneurs de vingt ans, auquel cas pourront venir par la voye de restitution en entier, et poursuivre l’action dudit supplement de legitime et congrue competante de leurdit dot, suivant la disposition de la Loy et du droict commun. Declarans en outre que venans à deceder leurs ascendants pere et mere, ayeul et ayeule ab intestat, que aussi bien lesdites filles à elles sauvé ladicte constitution ne pourront prétendre de succeder ab intestat à iceux, ny encore à aucuns de leurs freres ou sœurs, sauf toutesfois qu’ils decedassent sans laisser aucun frere ou autre plus prochain que lesdites sœurs, lesquelles en defaut de tel plus prochain pourront en tel cas succeder. Et ou le pere et la mere viendraient à déceder sans avoir fait aucune constitution de dot à leursdites filles, ayant eux des enfans masles seront lesdits enfans tenus de les doter competamment. Declarant nous que la competance dudit dot doit estre correspondante à l’equivalent de la legitime que par la Loy de nature est deue aux enfas et filles sur les biens et heritages de leurs peres et meres ; et moyennant que les enfans facent la constitution dudict dot à laditte ratte ausdites filles, elles ne pourront succeder ab intestat à leursdits peres et meres, ains seront et s’entendront ce moyennant privées et

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Pour interpréter correctement ces deux textes, on doit comprendre la particularité des statuts municipaux et l’évolution qu’ils subissent par rapport au principe de l’exclusion des filles dotées. Les statuts sont des normes régissant la ville. Ils ont, de ce fait, un caractère d’utilité publique et peuvent déroger au droit commun361. Les statuts consacrent souvent le principe de l’exclusion des filles dotées. En effet, au Moyen Âge, les familles méridionales avaient trouvé en lui le moyen de maintenir l’unité de leur patrimoine362, condition indispensable aux rapports de force entre les différentes familles et, par conséquent, à l’équilibre de la ville et, au-delà, à sa survie et à sa prospérité. Dans cette perspective, les juristes jugent la mesure de l’exclusion de la fille dotée comme une norme d’ordre public. La disposition citée des statuts de Bueil se fait l’écho de cette analyse, écartant totalement les filles dotées de la succession. Elles doivent se contenter de leur dot et n’ont aucun droit successoral complémentaire, même pas l’action en supplément de légitime. L’exclusion est radicale. À l’origine, comme on l’a déjà signalé pour le Nord, à la suite de Jean Yver363, cette exclusion vise à préserver l’égalité entre les enfants. La fille dotée a reçu la part qui lui revient des biens paternels. L’admettre à la succession serait accroître son bénéfice. En outre, cette institution répond à la réalité toute matérielle du partage de la communauté de vie et de biens avec les parents. La fille dotée qui part s’établir hors de sele ne partage plus cette communauté ; elle n’y a donc plus droit. Dès le XIIIe siècle, cependant, une évolution se fait sentir. D’une part, la condition des villes méridionales et celle des campagnes n’est pas identique. Si, à la campagne, le partage de la communauté familiale reste le critère principal de la vocation successorale, « dans les villes la communauté de famille est en décadence ; la règle qui exclut les filles dotées de la succession de leurs parents est devenue une règle de droit abstraite, plutôt que la traduction d’un état de fait »364. La pratique de la renonciation des filles dotées permet de remplacer l’exclusion prévue par les statuts, en aménageant la portée de celle-ci. Pour la campagne, en absence de statut, l’exclusion de la fille dotée résulte toujours d’un contrat. On a déjà rencontré la renonciation à la succession des filles dotées remplaçant leur exclusion de cette succession. C’est alors le rappel à succession fait par le père qui peut faire échec à cette disposition a priori irrévocable365. Dans le Midi, du point de vue des effets matériels, ce passage d’une « exclusion légale » à une « exclusion consentie » suppose peu de différences366. Il n’en va pas de même du point de vue juridique : l’exclusion statutaire équivaut à une exhérédation légale, car « si la fille dotée était exclue par un statut son titre d’héritier lui était enlevé ; si elle avait expressément renoncé à la succession, elle conservait sa vocation a b intestat et, par suite, si le père décédait sans avoir fait de testament, elle venait à la

excluses de la succession paternelle et maternelle, laquelle pour la conservation des maisons et familles appartiendra entierement aux enfans masles, mais en desfaut d’iceux les filles succedent entierment ». Cf. ibidem. 361 Cf. Paul OURLIAC, Droit romain et pratique méridionale au XVesiècle. Etienne Bertrand, Paris, Sirey, 1937, p. 133, note 1. 362 Cf. Laurent MAYALI, Droit savant et coutumes. L’exclusion des filles dotées XIIe-XVe siècles, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1987, p. 33. 363 Cf. supra, section I, § 2, B, 1, a. 364 Cf. Paul OURLIAC, Droit romain et pratique méridionale…, op.cit., p. 141. 365 Cf. supra, section I, § 2, B, 1, a. 366 Cf. Paul OURLIAC, Droit romain et pratique méridionale …, op. cit., p. 141.

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succession avec ses frères »367. Comme le souligne Paul Ourliac, ce raisonnement est à l’opposé de la logique coutumière déjà rencontrée. Dans le Nord, le père peut faire échec à la renonciation par le rappel à la succession, qu’il peut prévoir dans son testament. Dans le Sud, le testament sert à confirmer le choix de la renonciation. Mais si le père ne fait pas de testament (ou un autre acte pour le rappel en pays de coutumes), dans le Nord, c’est la renonciation qui reste valable et la fille dotée est écartée de la succession de son père. Dans le Sud, l’absence de testament fait resurgir la vocation héréditaire égale de tous les enfants368. On mesure déjà toute la différence d’esprit entre le droit écrit et le droit coutumier. En droit écrit, à la totale liberté de disposition par voie testamentaire, correspond une égalité stricte entre les héritiers si cette faculté n’est pas mise en œuvre. La succession ab intestat est résiduelle ; mais, si elle existe, elle est rigoureusement égalitaire. En droit coutumier, par contre, hormis les coutumes préciputaires, limitées tout de même par la réserve des propres, la liberté de disposition est faible. En revanche, les actes ayant une incidence successorale demeurent valables, même si le père n’a pas réglé sa succession de manière globale dans un testament. Ainsi, les donations par contrat de mariage ou la renonciation à la succession d’une fille dotée restent en vigueur, même si la succession se partage ab intestat. Si la succession est roturière, elle se partagera à égalité mais, à la différence du droit romain, la fille dotée renonçante ne viendra pas à la succession avec ses frères. Un autre aspect de cette exclusion statutaire des filles dotées est primordial pour nous. La progression des idées romaines conduit à une interprétation de la dot à la lumière du droit naturel. L’exclusion n’est plus motivée par la rupture de la communauté de vie. Elle résulte d’un avancement d’hoirie dont la fille bénéficie par la dot, qui est alors conçue comme la part du patrimoine paternel auquel la fille a droit. Dès lors, dot et légitime deviennent équivalentes : « L’interprétation de l’exclusio propter dotem qui faisait de la dot l’équivalent de la légitime, offrait l’avantage de concilier les impératifs égalitaires avec les nécessités de la vie familiale »369. En effet, l’exclusion des filles dotées se rattache au droit naturel dans la mesure où leur dot est identifiée à leur légitime. Etant dotée, l’égalité semble respectée –la fille ayant reçu sa légitime– et, en même temps, l’exclusion de celle-ci permet de maintenir l’unité du patrimoine familial. L’interprétation doctrinale identifiant dot et légitime conclut que les statuts ne peuvent pas anéantir la légitime, car elle est de droit naturel. Ceci peut sembler paradoxal, car les statuts ont justement un caractère dérogatoire par rapport au droit commun, dû à leur attribut d’utilité publique. Cette propriété spéciale, dans le cas de la légitime, se réalise autrement : si la légitime ne peut être anéantie, on admet cependant qu’elle peut être amoindrie par les statuts. Et dans ce cas, la dot ayant été identifiée à la légitime, aucune action en supplément de celle-ci n’est possible. La fille doit se contenter de la dot, même si elle est inférieure à la légitime. Etienne Bertrand, juriste méridional du XVe siècle, se prononce contre cette assimilation et admet, le cas échéant, l’action en supplément370.

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Cf. ibidem, p. 150. Cf. ibidem, p. 150. Cf. Laurent MAYALI, op. cit., p. 51. 370 Cf. Paul OURLIAC, Droit romain et pratique méridionale …, op. cit., p. 148.

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C’est en connaissant ce contexte qu’il faut revenir à la requête à propos des statuts de Forcalquier cités en commençant le paragraphe. Le roi admet la survivance des dispositions statutaires anciennes, c'est-à-dire l’exclusion légale des filles dotées ; mais il se fait l’écho aussi des tendances romanisantes en citant la légitime, contre l’opinion qui imposait d’identifier dot et légitime. D’où sa réponse : l’exclusion est possible si la légitime a été sauvegardée. Autrement dit, il faut que la fille soit convenablement dotée, et qu’elle reçoive au moins l’équivalent de la légitime, pour que cette dot la prive réellement de ses droits successoraux. La progression de la légitime contribue en pays de droit écrit à passer « de l’exclusion coutumière des filles dotées à la pratique des renonciations validées par serment »371. Deux décrétales de Boniface VIII autorisent ce type de renonciations372. La décrétale Quamvis déclare valables les renonciations faites sous serment373. Mais une deuxième décrétale tempère les effets dommageables pour la fille renonçante, en soumettant ce type de renonciations à deux conditions : elle doit être faite dans un contrat de mariage, et la dot a dû être effectivement versée374.

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Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 205, p. 276. Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 224, p. 295. Les textes romains au sujet des pactes sur succession future sont contradictoires. Une constitution de Justinien les permet : « De quaestione tali a Caesariensi advocatione interrogati sumus : si duabus vel pluribus personis spes alienae fuerat hereditatis ex cognatione forte ad eos devolvendae, pactaque inter eos inita sunt pro adventura hereditate, quibus specialiter declarabatur, si ille mortuus fuerit et hereditas ad eos perveniat, certos modos in eadem hereditate observari, vel si forte ad quosdam ex his hereditatis commodum pervenerit, certas pactiones evenire et dubitabatur, si huiusmodi pacta [1] servari oportet. Faciebat autem eis quaestionem, quia adhuc superstite eo, de cuius hereditate sperabatur, huiusmodi pactio processit et quia non sunt ita confecta, quasi omnimodo hereditate ad eos perventura, sed sub duabus condicionibus composita sunt, si ille fuerit mortuus et si ad hereditatem [2] vocentur hi qui pactionem fecerunt. Sed nobis omnes huiusmodi pactiones odiosae videntur et plenae tristissimi et periculosi eventus. Quare enim quodam vivente et ignorante de rebus eius quidam [3] paciscentes convenerunt ? Secundum veteres itaque regulas sancimus omnimodo huiusmodi pacta, quae contra bonos mores inita sunt, repelli et nihil ex his pactionibus observari, nisi ipse forte, de cuius hereditate pactum est, voluntatem suam eis accommodaverit et in ea usque ad extremum vitae spatium perseveraverit : tunc etenim sublata acerbissima spe licebit eis illo sciente et iubente huiusmodi [4] pactiones servare. Quod etiam anterioribus legibus et constitutionibus non est incognitum, licet a nobis clarius est introductum. Iubemus etenim neque donationes talium rerum neque hypothecas penitus esse admittendas neque alium quendam contractum, cum in alienis rebus contra domini voluntatem aliquid fieri vel pacisci secta temporum meorum non patitur », C., 2, 3, 30. Mais, s’appuyant sur un rescrit de Dioclétien et Maximien de 293 (« Ex eo instrumento nullam vos habere actionem, quia contra bonos mores de successione futura interposita fuit stipulatio, manifestum est, cum omnia, quae contra bonos mores vel in pacto vel in stipulatione deducuntur, nullius momenti sint », C., 8, 38 [39], 4), les commentateurs médiévaux déduisent leur interdiction. Ainsi l’affirme, par exemple, Jean d’A NDRÉ dans une glose à la décrétale Quamvis (Sexte, 1, 18, 2) : « quia est de futura successione, quae sive sit de succedendo, sive de non succedendo : non valet », Sextus liber decretalium cum epitomis, divisionibus et glossa ordinaria Domino Iohannes Andre [...], Lyon, 1563, p. 153, glose au mot improbet. Voir également l’additio de la même page : « Renunciate futurae successioni non licet. Pactum de succedendo sive de non succedendo non valet ». 373 Sexte, 1, 18, 2 : « Quamvis pactum, patri factum a filia, dum nuptui tradebatur, ut dote contenta nullum ad bona paterna regressum haberet, improbet lex civilis : si tamen iuramento non vi nec dolo praestito firmatum fuerit ab eadem, omnino servari debebit, quum non vergat in aeternae salutis dispendium, nec redundet in alterius detrimentum ». 374 « Licet mulieres, quae alienationibus dotium et donationum propter nuptias consentiunt, non contravenire proprio iuramento firmantes, servare iuramentum huiusmodi non vi nec dolo praestitum de iure canonico teneantur : quia tamen quidam iudices saeculares eas contra praefatas alienationes audiunt, quamvis eis constet legitime de huiusmodi iuramento : nos, animarum periculis obviare volentes, eosdem iudices ad servandum hoc ius canonicum per locorum oridinarios censura ecclesiastica decernimus compellendos », Boniface VIII, Sexte, 2, 11, 2. 372

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La disposition du statut de Bueil fait également état de ce courant qui identifie dot et légitime : « Declarant nous que la competance dudit dot doit estre correspondante à l’equivalent de la legitime que par la Loy de nature est deue aux enfans et filles sur les biens et heritages de leurs peres et meres ». Ainsi dans ces régions du Sud-Est, la légitime apparaît intimement liée à la notion de dot. Elle ne figure que dans des dispositions concernant l’exclusion des filles dotées, qui sont à la fois le cadre dans lequel se produit l’appel à la légitime et, en même temps, l’institution qui freine son progrès. Ce n’est pas le cas des coutumes qui se trouvent plus à l’ouest du Midi. Dans l’ancienne coutume de Toulouse, nous trouvons la légitime dans un article qui n’est pas reçu dans la rédaction définitive375. Il s’agit de la disposition prévoyant que l’enfant qui a reçu par le testament de son père au moins cinq sols toulousains, ne peut plus rien demander par droit de légitime376. Cette disposition n’ayant pas été maintenue, on peut déduire a contrario que le droit de légitime a prévalu contre ce type de disposition testamentaire. Cela semble suivre l’évolution constatée à propos de Forcalquier : la force de la légitime grandit avec le passage du temps. L’exhérédation déguisée que suppose laisser cinq sols toulousains n’est plus admise sans justification. La légitime existe donc dans cette zone géographique, depuis la romanisation de ces contrées. Elle évolue cependant, et la position d’Etienne Bertrand au XVe siècle, refusant d’identifier la légitime et la dot, montre qu’il y a une réflexion à son sujet, et un progrès quant à la place qui lui est assignée. Malgré tout, c’est dans le Sud-Ouest qu’on rencontre le plus d’informations utiles au sujet de la légitime. En effet, il s’agit de coutumes qui résistent davantage à l’influence romaine, tout en la suivant sur bien des points. Dans cette perspective, analyser la présence ou l’absence de la légitime s’avère plus révélateur de sa rencontre avec l’esprit coutumier. B. Les coutumes du Sud-Ouest La confrontation entre le droit romain et les coutumes du Sud-Ouest est ancienne. L’enseignement du droit romain à Toulouse rayonne sur la formation des 375 « Si aliquae aliae reperiantur, vel per rubricas sive titulos aut alias, non sunt de approbatis, et in libro consuetudinum Tolosae, astri Narbonensis Tolosae, non reperiuntur aliae quam superius scriptae. Et vidi plures libros istarum consuetudinum antiquos in pergamo, litera antiqua scriptos in quibus non sunt aliae consuetudines quam superius scriptae, et noc denotat calusio superions scripta ; Per Haec autem, etc. Licet in libro albo consuetudinum Tolosae, sint plures aliae consuetudines per rubricas, sed sunt illae quae fuerunt reprobatae, et rejectae de titulis sub quibus ponuntur quando consuetudines fuerunt auctorisatae, tamen hic ad majorem demonstrationem inseruntur », BdR, tome IV, p. 1057. 376 Rubrica de testamentis, art. III : « Si quelqu’un donne par testament cinq sols toulousains, ou plus… il ne peut pas venir après contre le testament de son père en raison de sa portion légitime. Il ne peut ni contester le testament, ni revenir aux biens de son père ». Cf. BdR, tome IV, p. 1058. « Item est usus sive consuetudo Tholose quod si aliquis habeat filium vel filiam ex uxore sua, et in ultima voluntate sua relinquat vet dimittat sibe usque ad quinque solidos Tholosan. vel amplius, vel valorem quinque solidorum […] et alium instituat heredem sibi et in ceteris bonis suis, dicta filia vel filius non potest postea venire contra testamentum patris ratione sue legitime portionis, nec ipsum in aliquo oppugnare, nec habere egressum ad bona paterna nisi aliter a dicto patre relinqueretur eidem », coutume de Toulouse, art. 123 c, éd. A. TARDIF, Paris, Picard, 1884, p. 58.

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juristes médiévaux, qui tentent de romaniser le droit régional377. L’étude porte seulement sur les coutumes rédigées avant 1540, comme on l’a fait jusqu’à présent dans ce chapitre. À l’intérieur de la zone géographique du Sud-Ouest, il convient de distinguer les coutumes du groupe garonnais de celles en vigueur dans la région pyrénéenne. Appartiennent aux coutumes garonnaises celles de Bordeaux, Bazadais, Agen, Marsan, Tursan, Gabardan, Dax et Saint-Sever. La coutume de Bordeaux, rédigée en 1520, établit la légitime d’un tiers des biens au profit des ascendants378. Elle souligne également que « le pere et la mere et autres ascendans, auront mesme legitime, et telle quotité pour icelle quand le fils fera testament (ès cas où il le pourra faire), comme si le fils mouroit sans en faire : Et s’il luy en laissoit moins, pourra demander le supplement d’icelle »379. Quant aux enfants, la légitime est la seule limite imposée au père, qui peut distribuer ses biens entre les enfants sans se soucier de l’égalité : « le pere pourra disposer à son plaisir des biens tant acquests qu’heritage, à l’un de ses enfans, pourveu qu’il laisse la legitime aux autres enfans »380. La légitime est si importante que, lorsque le père s’est remarié une ou plusieurs fois, les acquêts immeubles faits pendant un mariage doivent supporter la légitime des enfants des autres mariages, si les biens que le père laisse par ailleurs ne sont pas suffisants pour y pourvoir381. Une exception, cependant, est à souligner : la fille dotée est exclue de la succession du père et n’a pas droit, le cas échéant, à un supplément de légitime, à moins que son père le prévoie explicitement382. Cela rejoint les dispositions statutaires rencontrées dans le Sud-Est. Dans la coutume de Bordeaux, la légitime limite aussi les dispositions spécifiques des successions nobles383. Ceci est un point important, car la distinction de traitement fondamentale entre le régime noble et le régime roturier s’estompe. La légitime, en cherchant à assurer à chaque enfant une partie minimale dans la 377

Les agents du roi de France « formés à l’école du droit romain seront peu favorables au droit local et essaieront de l’aligner sur les règles romaines », Jacques POUMARÈDE, Les successions dans le Sud-Ouest de la France au Moyen Âge, Paris, PUF, 1972, p. 69. 378 Art. LVII : « Si celuy qui decede a pere ou mere ou autres ascedants ; iceux pere ou mere ou autres ascendans succederont au tiers (les trois faisant le tout) desdits biens venus par succession, pour leur legitime : et si l’enfant avoit freres ou sœurs, le tiers sera divisé également entre les pere, mere, et les freres et sœurs survivans », BdR, tome IV, p. 896. 379 Art. LXIV, BdR, tome IV, p. 897. 380 Art. LXIII, BdR, tome IV, p. 897. 381 Art. LXX : « Si un homme a esté marié à plusieurs femmes successivement, et que de chacune aye enfans, les acquests des biens immeubles et heritages par luy faits (desquels acquests il n’auroit disposé), seront aux enfans du mariage durant lequel auront esté faits, reservé la legitime aux autres enfans des autres mariages esquels n’auroient esté faits acquests, si le demeurant des biens du pere, outre lesdits acquests, ne suffisoit à ladite legitime », BdR, tome IV, p. 897. 382 Cf. art. LXVI et LXVII, BdR, tome IV, p. 897. 383 Art. LXXV : « En succession de Comtes, Capitaux, Vicomtes, Barons et Soudics et autres nobles, quand le pere aura disposé de ses biens par testament, contrat de mariage ou autre disposition valable, sans frauder les autres enfans de leur legitime sans cause, telle disposition tiendra ». Art. LXXVI : « Et s’il decede sans en disposer l’aisné ou qui le represente, succedera es Comtez, Vicomtez, Baronnies, ou autres dignitez et maisons nobles, et tous autres biens delaissez du pere noble, reservé la legitime aux autres enfans, c’est à sçavoir, quand il y aura enfans masles et filles, les masles auront la moitié de leur legitime en terre et l’autre moitié en argent, et les filles en argent seulement. Et à l’estimation de la legitime, ne seront estimez les noms et titres desdites dignitez et édifices de fiefs nobles. Et aussi quand n’y aura que filles, audit cas l’aisnée ou qui la representera, succedera comme le fils aisné, et les autres filles auront leur legitime moitié en terre et moitié en argent », BdR, tome IV, p. 897.

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succession de ses parents, fait échec à la logique féodale ou nobiliaire qui privilégie l’aîné au détriment des autres enfants. Elle ne supprime pas le droit d’aînesse, mais elle en atténue les effets négatifs pour les puînés. Elle n’assure pas l’égalité parfaite, mais diminue les inégalités devenues trop choquantes. Mais, à Bordeaux, les articles concernant la légitime en côtoient d’autres établissant des principes issus du droit coutumier. Ainsi, un article consacre la réserve coutumière : « Et que aucun en son testament ne peut son plus prochain parent en degré de lignage desheriter des biens immeubles qui luy seront venus par succession : Mais faut que luy laisse les deux parts desdits biens immeubles francs et quittes, sans charge d’aucuns legats et donations : reservé que les debtes se doivent premierement prendre sur tous les biens de la succession : et ne vaut aucune chose testament ou codicille au contraire »384. Le père de famille bordelais peut donc donner un tiers des propres, quotité qu’on a rencontré plutôt dans des coutumes d’égalité parfaite. Un autre article précise qu’on succède aux propres par lignes paternelle et maternelle385. Ces deux articles ont fait l’objet d’une demande de confirmation de la part des bourgeois bordelais, à laquelle Louis XI accède en 1463. Comme le souligne Jacques Poumarède, on assiste en réalité à la volonté des bourgeois de revenir à la coutume ancienne. N’étant pas sûrs de leurs droits, ils demandent au roi de confirmer ces dispositions386. La légitime et la réserve se juxtaposent dans cette coutume, sans interférence apparente, comme un témoin du tiraillement interne entre deux sources d’inspiration contraires. Ceci n’est pas un cas isolé. Rappelons que la réserve existe également dans les quelques coutumes d’option connaissant la légitime mais, dans ces coutumes, la légitime apparaît comme un emprunt étranger, alors qu’en pays de droit écrit cette cœxistence peut sembler plus surprenante. Il faut en chercher la raison dans le caractère original de la coutume de Bordeaux, mis en évidence par les travaux de Jacques Poumarède. En effet, la rédaction de la coutume de Bordeaux a été l’occasion pour les gens de la région d’accentuer l’héritage coutumier, de peur que les magistrats du tout nouveau Parlement de Bordeaux forcent la coutume à admettre des solutions romaines387. L’évolution même de la coutume se trouve marquée par l’influence de différents courants depuis le Moyen Âge. Son emplacement géographique facilite la réception de tendances diverses, menant parfois à une « interférence du vieux fond coutumier avec un droit féodal d’inspiration anglo-normand, et le droit romain »388. Pour l’instant, l’objet de notre étude est l’état du droit au début du XVIe siècle ; il ne s’agit pas de retracer ici l’évolution de cette coutume, pour laquelle on peut se rapporter à l’ouvrage de Jacques Poumarède. Cependant, il faut tenir compte de son histoire pour comprendre pourquoi, lors de la rédaction de cette coutume, à côté de dispositions clairement romaines, comme l’article cité sur la légitime, on trouve d’autres articles d’une 384

Coutume de Bordeaux, art. LX, BdR, tome IV, p. 896. Art. LXV : « Si celuy qui decede delaisse freres ou sœurs, les aucuns de costé du pere ou de la mere seulement, les autres de pere et de mere, ceux qui sont de l’estoc ou ligne dont viennent les biens, succederont avec les freres et sœurs de pere et de mere », BdR, tome IV, p. 897. 386 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 110. Voir le texte de la lettre de Louis XI (Amboise, 1463) in ISAMBERT, … op. cit., vol. X, p. 465. 387 Jacques POUMARÈDE , op. cit., p. 110. L’auteur souligne que le Parlement de Bordeaux dans sa jurisprudence a infirmé les craintes des bourgeois, car il s’est montré « un meilleur défenseur des principes coutumiers que les autres cours souveraines du Midi ». 388 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 104. 385

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inspiration tout à fait opposée389. En 1510, date où le Parlement de Bordeaux reçoit l’ordre de mettre la coutume par écrit, son premier président, Mondot de la Marthonie, est favorable à l’esprit coutumier. À sa mort, François de Belcier reprend les travaux en cours. La nouvelle coutume de Bordeaux « est une réaction contre les pratiques laxistes qui s’étaient instaurées aux siècles précédents. À l’étude de ces dispositions on ne peut manquer d’être frappé par la netteté des principes coutumiers qu’elles énoncent »390. On retrouve en droit bordelais la subrogation des acquêts aux propres, ce qui apparente cette coutume à celle de Normandie, particulièrement conservatrice. « Le droit bordelais pousse donc son souci de protection jusqu’aux tendances les plus extrêmes »391. Les traits coutumiers à Bordeaux apparaissent comme une réaction contre une romanisation antérieure plutôt réussie. Toujours dans la région de Guyenne, au sud de Bordeaux, la coutume de Marsan, Tursan et Gabardan offre des renseignements semblables dans le chapitre des successions. La légitime limite le droit d’aînesse des successions nobles392 ; elle doit être fournie sur les biens acquêts si les propres n’y suffisent pas393. Il est intéressant de voir qu’elle prend place dans la coutume au sujet du droit d’aînesse. Cela confirme la remarque faite à propos de la coutume d’Amiens, où il était précisé que le quint heredital ne doit pas être confondu avec le quint naturel394. Le quint naturel relève d’une obligation morale, et la légitime s’inscrit dans la même logique. Ici, la légitime se confond en réalité avec le droit des puînés, ce que la coutume d’Amiens appelait le quint naturel. On est tenté d’affirmer que, dans ces coutumes, la présence de la légitime n’est qu’un emprunt de vocabulaire. La légitime est tout simplement la part des puînés dans le règlement d’une succession noble, même si elle l’influence peut-être aussi pour faire admettre la subrogation des acquêts aux propres en cas d’insuffisance de ceux-ci. D’après Jacques Poumarède, la situation géographique de ces coutumes les tient à l’écart des voies de pénétration du droit romain395. La vague de romanisation est malgré tout suffisamment forte pour imposer son vocabulaire même dans des régions qui restent foncièrement coutumières. Par ailleurs, preuve supplémentaire de leur esprit coutumier, la réserve protège les propres. Le père peut disposer du tiers des biens avitins396, mais 389

Le droit romain était connu à Bordeaux dès le XIIIe siècle. La légitime y est alors confondue avec la falcidie, « que les juristes interprètent comme la protection des enfants contre les libéralités paternelles excessives ». Le droit romain apparaît comme le droit de la bourgeoisie. « Dès lors la confusion est inévitable entre la réserve féodale et la légitime romaine. Leur apparition concomitante dans le droit bordelais, leurs buts qui semblent identiques, la symétrie de leur quotité fait naître une équivoque que révèle de toute évidence la rédaction de l’article 216 qui ne fait pas de distinction entre propres et acquêts, et surtout limite strictement la protection aux seuls descendants. Il renvoie pour les collatéraux, par une formule ambiguë et incomplète, aux articles précédents. Il s’est produit dans la coutume de Bordeaux avec trois siècles d’avance le même phénomène de contamination de la réserve par la légitime que l’on a pu observer dans certaines coutumes rédigées au XVIe siècle », ibidem, p. 105. 390 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 111. 391 Ibidem, p. 112. 392 Cf. art. VI, BdR, tome IV, p. 908. 393 Art. VIII : « Et combien que des biens acquests on puisse disposer à sa volonté, toutesfois s’il les vouloit tous bailler ou que des avitins n’en demeurast assez pour la legitime des enfans, ayant esgard à tous sesdits biens, et en ce cas n’en peut aussi disposer des acquests que ladite legitime ne demeure ausdits enfans », BdR, tome IV, p. 908. 394 Cf. supra, section I, § 1, A 1). 395 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 101. 396 Les biens avitins sont ceux qui ont été transmis deux fois par succession.

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seulement s’il n’a pas d’enfants397. A contrario, en présence d’enfants, la réserve affecte tous les propres, comme on l’a déjà vu dans la coutume de Clermont-enBeauvaisis. Ainsi, les coutumes de ces trois vicomtés « organisent vigoureusement la conservation des biens dans la famille »398. On rencontre le même type de réserve dans la coutume de Dax, rédigée en 1514, dans laquelle la quotité disponible du tiers des propres ne peut être léguée qu’aux autres enfants399. Cette coutume, en revanche, ne mentionne la légitime que dans un article, au sujet de la mère400. La coutume de Saint-Sever contient des mots pratiquement identiques à celle de Dax, en ce qui concerne la réserve401. Mais il n’est pas question de légitime à Saint-Sever, où les enfants dotés ne peuvent réclamer plus que ce qui leur a été donné402. C’est encore une illustration de la force du principe d’exclusion des enfants dotés. Une phrase attire l’attention dans la rédaction de ces articles. L’article 5 précise : « Lequel mot raisonnablement, par l’advis, deliberation et consentement des Estats, pour eviter procès a esté interpreté ; c’est à sçavoir, que ès biens et lieux où l’aisné succede universellement, le pere et mere, s’il y a plusieurs enfans naturels et legitimes, pourra disposer d’une tierce partie entre les puisnez, sans aucune chose laisser de ladite tierce à l’heritier, si faire ne le veut ». L’article précédent disait qu’on ne peut disposer des biens avitins si ce n’est raisonnablement. Le besoin de traduire le mot raisonnable par une quotité précise, renvoie directement à notre sujet. On a rencontré en pays de coutumes plusieurs articles qui font référence à des dons « trop avantageux », « excessifs », « immenses »… Comme ici pour la réserve, le besoin se fait sentir de préciser un seuil séparant le raisonnable de l’exagéré. Ce sera une voie de pénétration de la légitime en pays de coutumes. Pour ce qui est des coutumes pyrénéennes, à Bayonne la tradition coutumière veut que le père puisse avantager ses enfants comme il veut, sauf à garder la lar pour l’aîné, ou à défaut de fils, la fille aînée. Cependant, lors de la rédaction de 1514, on introduit la légitime dans le cas où les parents laissent tous les biens propres à un des enfants. Dans cette hypothèse, « chacun des autres enfans pourra quereller et demander esdits biens avitins la moitié de ce que pourroit monter la légitime, telle que de droit »403. Cela sous entend qu’il y a d’autres biens propres en plus de la lar, car dans la logique de la coutume de Bayonne, contrairement à ce qu’on a vu a Bordeaux, c’est le droit d’aînesse qui prime : « Et est deue ladite lar ou 397

Art. XIII : « Et a lieu en la precedente coustume ab intestat, car par testament chaucun en defaut d’enfans peut disposer des biens avitins jusques à la tierce partie seulement, compris en icelle les legats pies », BdR, tome IV, p. 909. 398 Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 100. 399 Cf. art. I à III, BdR, tome IV, p. 913. 400 Art. XXV : « Où l’ascendant masle ou autre que le pere exclud la mere, s’entend reservé la legitime, laquelle est deue à la mere ès biens acquis par son fils, ou en heritage, ou en argent au choix du succedant », BdR, tome IV, p. 914-915. 401 Cf. chapitre XII Des testaments et successions, art. IV et V, BdR, tome IV, p. 933. 402 Titre XII, art. IX : « Mais si esdits lieux le pere ou mere en vie, mariant les puisnez, ou par testament ou autrement a baillé moindre portion, lesdits puisnez fils ou filles se doivent contenter de telle portion, que le pere ou mere leur a baillé, sans ce que lesdits puisnez puissent quereller ou impugner le testament ou autre disposition des pere et mere », BdR, tome IV, p. 933. 403 Cf. titre XI Des testaments, art. IX et art. XV. Voir aussi art. VII et VIII pour le droit d’aînesse. BdR, tome IV, p. 954.

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maison principale par la coustume à l’aisné, ou à l’aisnée en deffaut de masles, de telle sorte que posé que le defunt n’ait autres biens que la lar, et maison obvenue de ligne, en icelle maison les autres puisnez n’y peuvent rien quereller, soit par legitime ou autrement en façon que ce soit »404. La coutume de Labourd présente aussi la légitime comme étant une disposition nouvelle. Le dixième article du titre XII, concernant les successions de ceux qui décèdent sans testament, prévoit que si un enfant se marie contre l’avis de ses parents, avant vingt-huit ans pour les garçons et vingt ans pour les filles, cet enfant « pert le droit de primogeniture, et de succeder esgalement, où succession égale a lieu, et se doit contenter de la légitime cy-dessous baptisée par la coustume ; et le droit de primogeniture, au cas d’icelle privation, va de degré en degré selon l’ordre de geniture, et la portion virile où a lieu succession égale, en ce qu’excede la legitime accroist aux autres succedants »405. L’expression « cy-dessous baptisée » est à comprendre comme le signe que cette institution n’avait pas cours dans cette région auparavant. La coutume de Sole, rédigé en 1520, contient pratiquement les mêmes termes406. La légitime y est également d’introduction récente. Les anciennes coutumes d’Agen, sans date, ne parlent pas de la légitime, mais s’apparentent à l’esprit des coutumes préciputaires en ce qu’elles permettent d’avantager un enfant par rapport aux autres407. La réserve, dans cette coutume, est de trois quarts des propres en cas de donation entre vifs, et de la totalité des propres en cas de disposition testamentaire. Elle est donc plus importante que dans les coutumes préciputaires où, si la réserve est supérieure par disposition testamentaire – quatre quints –, elle n’existe pas en cas de donation entre vifs. Saint-Jean-d’Angély présente une particularité qui mérite d’être soulignée. Cette ville a une coutume propre, alors que le reste de la région est régie par le droit écrit, sauf quelques usances particulières, appelées « l’usance de Saintonge entre mer et Charente »408. Il s’agit de dispositions spéciales, dérogeant au droit écrit, 404

Cf. titre XII Des successions légitimes, art. VII. BdR, tome IV, p. 955. Coutume de Labourd, 1514, BdR, tome IV, p. 973. Cf. art. XXVI et XXVII, BdR, tome IV, p. 995. 407 Art. XVI : « Tous habitans pourront faire testament, sauf que terre ny heritage de lignée. Nul homme ne pourra donner à homme ny a femme, si ce n’est aux plus proches ; bien peut faire legat pourveu que les biens soint de valeur plus que du quatriesme ; bien peut donner pour l’honneur de Dieu et le salut de son ame à sa volonté, s’il n’avoit heritier de son mariage, mais nul homme d’Agen ne peut exhereder ses enfans, bien peut advantager celuy de ses enfans qu’il voudra et à sa volonté », Coutume d’Agen, BdR, tome IV, p. 904. 408 « On travailla sous le Regne de Charles VIII, en Saintonge, ainsi que dans plusieurs autres provinces, à la rédaction et vérification des coutumes, mais l’ouvrage demeura imparfait, on observait cependant dès auparavant dans cette province, et on y a toujours depuis observé une Coutume qui y est connue sous le nom d’Usance de Saintonge entre Mer et Charente, laquelle dit l’auteur qui nous a laissé des notes sur cette usance, ayant passé d’une main en l’autre par tradition, tire la force des rides du temps et de l’usage. Il paraît qu’avant les soins que ce même auteur se donna de la faire imprimer la première fois avec ses annotations en 1633, elle n’avait couru qu’en manuscrits dans la Province, elle ne se trouve dans aucun des coutumiers generaux. La Senechaussée de Saintonge ayant deux sièges, l’un présidial en la Ville de Saintes, et l’autre Royal en la ville de Saint Jean d’Angely, chacun de ces sièges a sa coutume. Celle qui était dans les précédents coutumiers généraux, et que nous venons de placer avant celle-ci sous le titre qu’elle a toujours porté de Coutumier du pays de Xaintonge, est pour le siège de Saint Jean d’Angely seulement ; le reste de la province situé entre mer et Charente, se régit par le droit Ecrit, excepté dans les cas compris dans ces usances particulières. On donne ici le nom de mer à la rivière de Garonne qui borde la Saintonge du costé du Midi, sans doute à cause de sa largeur, et qu’elle a son flux et reflux. Cette usance, qui est donc pour le siège présidial de Saintes, n’est observée qu’en trois cas, le premier 405 406

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auxquelles les parties peuvent choisir de se soumettre. La légitime n’y est pas mentionnée directement, il y a juste une allusion à la possibilité d’exhéréder un enfant de manière juste, à propos du droit d’aînesse409. L’article 64 précise que « au reste des successions, testaments et legs, on a accoustumé de se regir et gouverner suivant le droit escrit »410. On peut donc en conclure que la légitime est en vigueur, sans régime dérogatoire particulier, puisque le droit commun est le droit écrit. Ce qui attire l’attention, c’est que parmi les articles se démarquant du droit écrit en figure un qui établit la réserve : « Toute personne capable ne peut donner entre vif ou a cause de mort, que tous ses biens meubles et acquests et le tiers de son patrimoine. Celuy qui n’a point de patrimoine ne peut donner que le tiers de ses acquests et ses meubles, lesquels acquests en ce cas tiennent lieu de patrimoine. Et celuy qui n’a point de patrimoine ny d’acquests ne peut donner que le tiers de ses meubles, lesquels aussi en ce cas tiennent lieu de patrimoine »411. Cette réserve s’oppose, évidement, à la liberté testamentaire romaine ; d’autant plus qu’elle touche à la fois les testaments et les donations, et qu’elle prévoit la subrogation des acquêts et des meubles aux propres. En cela, on décèle une influence des coutumes de l’Ouest, qui peut s’expliquer facilement par sa situation géographique. C’est donc, une nouvelle fois, une cohabitation par juxtaposition de la réserve et de la légitime, qui témoigne d’un double héritage, romain et coutumier. Que peut-on conclure de ce parcours dans les régions de droit écrit ? On y trouve une mention de la légitime avant le XVIe siècle à Forcalquier et Bueil, à propos du principe statutaire d’exclusion des enfants dotés. Il n’est pas question de réserve dans ces coutumes. La légitime existe aussi avant la rédaction des coutumes à Bordeaux et à Saint-Jean-d’Angély, mais avec la particularité que ces régions consacrent également la réserve coutumière de deux tiers des propres. Saint-Jean-d’Angély prévoit aussi la subrogation des acquêts et des meubles aux propres. Quant aux coutumes de Toulouse, Bayonne, Labourd et Sole, c’est au moment de la rédaction des coutumes qu’elles introduisent la légitime. Mais elles le font dans le cadre de dispositions concernant le droit d’aînesse. La légitime a une portée limitée, puisque le droit d’aînesse est prioritaire à Bayonne, comme on l’a vu, et que les coutumes de Labourd et de Sole la mentionnent uniquement dans le cas d’exhérédation d’un enfant par manque d’obéissance à son père. La coutume de Marsan, Tursan et Gabardan utilise le mot légitime, mais il s’agit en réalité du droit des puînés dans une succession noble. La légitime n’existe pas à Dax, à Saint-Sever et à Agen, alors qu’Agen connaît la réserve. Ces observations mettent en évidence un manque d’uniformité concernant la légitime en pays de droit écrit. En outre, là où elle existe ou encore là où elle est introduite, elle n’obéit pas au même régime juridique. En plus de la coexistence lorsque les parties en demeurent d’accord ; le second, lors qu’elle a été confirmée par divers jugements, et surtout par Arrests ; le troisième, après une preuve faite par notoriété », BdR, tome IV, p. 883, note a). 409 Cf. titre VI Des successions, art. LVII. BdR, tome IV, p. 886. 410 Cf. BdR, tome IV, p. 886. 411 Cf. art. LXI, BdR, tome IV, p. 886. Voir également, pour la coutume particulière du siège de Saint-Jean-d’Angély, le titre X Des testaments et autres dernieres volontés, notamment les articles LXXXIV à LXXXIX, qui établissent la même réserve, avec subrogation des meubles et acquêts en cas de défaillance des propres. BdR, tome IV, p. 876-877.

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possible avec la réserve, on rencontre des coutumes où la légitime a une portée universelle, en ce sens qu’elle concerne tous types de biens, propres comme acquêts ou meubles. C’est le cas de Bordeaux. Dans d’autres cas, comme celui de Bayonne, la légitime vise uniquement les biens propres. Quant aux types d’actes de disposition concernés, les donations entre vifs ou les testaments, la plupart des coutumes parlent de la légitime dans le chapitre des successions, ou à propos du testament. Cependant, les coutumes se contentent de renvoyer au droit écrit, ce qui laisse supposer que les donations sont aussi concernées par la légitime. Les textes sont laconiques pour savoir exactement si la légitime doit s’appliquer à tous les types de libéralités ou seulement aux dispositions testamentaires. Mais le trait qui paraît fondamental, par rapport à ce qu’on a vu en pays coutumier, c’est que la légitime, quand elle existe, n’est pas une simple institution auxiliaire s’introduisant dans une logique étrangère au libéralisme romain, pour venir en aide à des situations délicates. Dans le Midi, il s’agit bel et bien de la logique romaine, dans laquelle la légitime est un frein à la liberté de principe, en vue de protéger l’équité dans une succession. Même si elle coexiste avec la réserve dans certaines coutumes, la légitime est en vigueur avec sa logique propre, c'est-à-dire qu’en même temps qu’elle limite la liberté de disposer, elle en consacre le principe. Les coutumes du Midi qui adoptent la légitime adoptent le libéralisme romain, alors qu’en pays coutumier les coutumes qui la connaissent ou l’ont introduite au début du XVIe siècle en retiennent l’efficacité sans en épouser l’esprit. C’est pourquoi le Midi est pays de droit écrit, même si des traits coutumiers, parfois importants, sont présents dans les coutumes. Est-il nécessaire de rappeler que ces premières rédactions ont un souci de conservation du droit, et pas de systématisation ? Les répétitions y sont fréquentes, et cela n’exclut pas des contradictions. La coexistence des deux logiques, romaine et coutumière, peut être consacrée par une même coutume sans que les contemporains de sa rédaction en soient émus. Qui plus est, elle manifeste le mouvement de résistance plus ou moins important des populations face à l’arrivée du droit romain412. Les contradictions internes seront un des facteurs déclencheurs du mouvement de réformation des coutumes. Mais il aura lieu, on le sait, dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Partant de l’Est, on est arrivé à la frontière des pays de coutumes. Le moment est venu d’envisager ces régions qui, placées en bordure du droit écrit, ont été davantage en lien avec le droit romain, tout en gardant des traits spécifiquement coutumiers.

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On peut rappeler ici les trois courants dans la vie juridique du Midi au Moyen Âge, dont fait état Pierre Tisset : le courant de droit savant, développé par les glossateurs et les bartolistes, le courant des coutumes rédigées au XIIIe et XIVe siècles, qui « connaissent le droit romain […] mais qui, peut-on dire, ignorent ou veulent ignorer les développements du droit romain savant des glossateurs et post-glossateurs », finalement le courant de la pratique, incarné par les notaires qui, consciemment ou non, s’écartent aussi bien du droit romain que du droit coutumier. Malgré les efforts des juristes formés au droit romain, la résistance coutumière est vive. C’est toute l’ambiguïté des rapports entre les coutumes et le droit romain, sur lesquels on reviendra. Cf. Pierre TISSET, « Mythes et réalités du droit écrit » in Etudes de droit privé offertes à Pierre Petot, Paris, Sirey, 1959, p. 553-560.

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§ 2. La légitime dans les coutumes situées en bordure des pays de droit écrit Les coutumes auxquelles on se réfère couvrent tout le centre de la France, d’est en ouest. De la Bourgogne à La Rochelle, ce sont des régions assez vastes qu’on doit analyser. Parmi celles-ci, la Bourgogne et le Berry apparaissent comme des régions possédant une coutume particulièrement affirmée (A) par rapport aux autres coutumes frontalières (B). A. Les coutumes de Bourgogne et du Berry La rédaction la plus ancienne de cette région est celle de la coutume de Bourgogne. Elle date de 1459. Celle du comté de Bourgogne, de la même année, ne fait pas mention de la légitime. En revanche, le droit écrit est très présent dans le duché de Bourgogne413. Le deuxième article du chapitre VII de la coutume, touchant aux successions, affirme clairement l’existence de la légitime : « l’on ne peut exhereder ses vrays heritiers, que l’on ne leur delaisse leur legitime, qu’est par coustume reputée la tierce partie des biens du trespassés sans charge de legats, fraiz funeraux et des donations faites en derniere volonté : Sinon pour une des causes d’exheredation déclarées en droit »414. L’article 3 insiste sur l’importance de cette légitime ; si elle n’est pas laissée à ses héritiers, le testament est nul415. La possibilité d’instituer un héritier dans son testament complète la logique romaine ; en revanche, le testateur ne peut pas « faire l’un de ses vrais heritiers legitimes, et qui ab intestat luy doivent succeder, meilleur que l’autre »416. Ce trait rejoint le principe d’égalité entre les enfants qu’on a rencontré dans les coutumes septentrionales. Il n’est pas la seule caractéristique coutumière ; cette rédaction reprend des traditions antérieures, comme l’exclusion des filles par les mâles ou la possibilité du rappel417. En ce qui concerne le rapport, bien que Jean Yver place le duché de Bourgogne parmi les coutumes préciputaires, Jean Bart estime qu’elle n’est ni d’égalité simple, ni parfaite ni préciputaire, le choix appartenant aux contractants418.

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La situation de la Bourgogne, à l’est, entre les pays de coutumes et ceux du droit écrit, facilite l’emprunt à ces deux sources d’inspiration. « C’est un exemple de la facilité avec laquelle les traditions juridiques de deux peuples différents se pénètrent et s’amalgament ». Cf. Henri BEAUNE, La condition des biens en droit coutumier français, Paris, 1886, p. 582. 414 Cf. BdR, tome II, p. 1175. 415 « Un chacun habile à faire testament et ordonnance de derniere volonté, est tenu de delaisser à ses vrais héritiers, sadite légitime, c’est à sçavoir, la tierce partie de tous ses biens : par droit d’institutions, ou autrement ledit testament, et ordonnance est nul », BdR, tome II, p. 1175. 416 Cf. art. V, BdR, tome IV, p. 1175. Voir ibidem, art. IV sur l’institution d’héritier. 417 Cf. Jean BART , Recherches sur l’histoire des successions ab intestat dans le droit du Duché de Bourgogne du XIIIe à la fin du XVIe siècle, Paris, Société des Belles lettres, 1966, p. 192, note 23. Les manuscrits antérieurs à la rédaction de la coutume de 1459 témoignent de cette double influence. Cf. Michel PETITJEAN, Marie-Louise MARCHAND, Josette METMAN, Le coutumier bourguignon glosé (fin du XIVe siècle), éd. CNRS, Paris, 1982. On y trouve des dispositions typiquement coutumières concernant, par exemple, le retrait lignager (n. 218 et s., p. 190 et s.), l’exclusion des filles dotées et possibilité de rappel de la part du père avec le consentement de son fils, s’il en a un (n. 348 et 349, p. 267), le mort saisit le vif (n. 352, p. 269), privilège de double lien (n. 357, p. 270), « l’eschoite ne monte pas » (n. 374, p. 275), donner et retenir ne vaut (n. 383, p. 277). Cette coutume connaît la représentation : « Car generalement l’en dit en Bourgoingne que en tous cas le descendant represente la personne de son pere en toutes eschoites ou de son ayeul. […] Et c’est ce que l’en dit vulgalement en Bourgoingne que ce qui escherroit au pere, escherroit au filz » (n. 357, p. 270). 418 Cf. Jean BART, Recherches sur l’histoire des successions…, op. cit., p. 200.

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Par ailleurs, la coutume de Bourgogne possède une institution particulière, appelée devanterie, qui semble se situer entre le retrait et la légitime, car elle protège les successibles les plus proches et s’applique à tout type de biens419. Les coutumes générales du pays et duché du Berry datent de 1539. La réformation est présidée par Pierre Lizet, premier président du Parlement de Paris420. Lorsqu’il arrive à Bourges pour cette tâche, en 1538, Pierre Lizet comprend « l’intérêt pratique des quelques mesures inspirées du droit romain faisant l’originalité des coutumes du Berry »421. Contrairement à la réputation qu’en transmettront les juristes du XVIe siècle422, Pierre Lizet a une attitude nuancée lors de la rédaction de cette coutume423. Il connaissait le droit coutumier et le droit romain, qu’il admirait, mais « il était enclin à ne pas utiliser cette source à mauvais escient, sans la doser de façon raisonnable et convenablement »424 : il est pour lui le moyen de modifier ce qui était devenu caduc dans la coutume. 419 « Tel qu’il apparaît dans les actes de la pratique, le retrait bourguignon ressemble étrangement au retrait provençal et s’oppose au type coutumier classique, au type de retrait qui s’est dégagé à la même époque dans les pays parisiens par exemple. Plutôt que de retrait « lignager », mieux vaut parler de retrait individuel, sans tenir compte de l’origine des immeubles qui se trouvent, à un moment donné, entre les mains de divers membres d’une famille, il protège le patrimoine total d’une personne au profit de son successible le plus proche. Comme le retrait provençal, la « devanterie » bourguignonne semble destinée avant tout à protéger le ou les héritiers ab intestat, fonction qui le rapproche de la légitime et le distingue du retrait des pays de réserve ; elle tend à prémunir moins l’intérêt collectif d’une famille ou d’une ligne de cette famille que l’intérêt individuel du successible. C’est pourquoi le retrait s’applique à tous les biens et peut être exercé par tout parent pourvu qu’il soit le plus proche », Jean BART, Recherches sur l’histoire des successions…, op. cit., p. 130. 420 Il y avait eu une première tentative de réformation en 1534, confiée à Antoine Leviste et François de Montholon, mais les lettres patentes ordonnant la réformation n’ont pas été exécutées. Le choix de Pierre Lizet pour réformer cette coutume « est judicieux car le premier président est tout dévoué à la Couronne, de tempérament opiniâtre, consciencieux, et l’expérience a montré qu’il achève toujours la tâche qui lui est confiée même si les conditions lui sont défavorables », Jacqueline VENDRAND-VOYER, « Réformation des coutumes et droit romain. Pierre Lizet et la coutume de Berry », in Annales de la faculté de droit et de science politique de Clermont, fasc. 18, Paris, LGDJ, 1981, p. 324. 421 Ibidem, p. 345. Cet article montre combien il faut nuancer la réputation de Pierre Lizet en tant que romanisateur obstiné du droit coutumier. 422 La réputation d’une volonté romanisante de la part de Lizet vient de l’opposition entre son point de vue et celui de Christofle de Thou, que Guy Coquille résume ainsi dans sa préface aux coutumes du Nivernais : il parle de l’attitude de « deux grands personnages de nostre temps, qui successivement ont esté premiers Presidens au Parlement de Paris, Maistre Pierre Lizet, et Maistre Christophe de Thou, se sont trouvez differens en opinions. Car ledit Lizet tenoit le Droit Civil Romain pour nostre Droit Commun, et y accommodoit en tant qu’il pouvoit nostre Droit François, et reputoit estre de droit estroit, et à restraindre, ce qui est contraire audit droit romain : Et ledit de Thou estimoit les Coustumes et le Droit François estre nostre Droit commun, et appelloit le Droit Romain la raison escripte ; comme se voit en quelques endroits des Coustumes de Melun, Estampes et Montfort, à la redaction desquelles il estoit Commissaire. De fait, quand les privileges des Universitez de France, esquelles y a estude de Droit Civil, sont verifiez en Parlement, on y met la modification que c’est sans reconnoistre que le Droit Romain ait force de Loy en France », Guy COQUILLE, Œuvres, Paris, 1666, tome II, p. 2. 423 « Le texte qui sera élaboré tentera de concilier la tradition coutumière ancienne parfaitement adaptée aux mœurs de la région et les aspirations romanistes se manifestant depuis le XIVe siècle, et ceci sans être en désaccord avec les idées humanistes de l’époque », Jacqueline VENDRAND-VOYER, « Réformation des coutumes et droit romain… », op. cit., p. 345. 424 Ibidem, p. 347. L’introduction de la légitime dans quelques coutumes au début du XVIe siècle correspond à cet esprit raisonnable. Jacqueline Vendrand-Voyer prend l’exemple de la coutume de Senlis. Elle a été rédigée en 1539, alors que Pierre Lizet était premier président du Parlement de Paris. Il a occupé cette charge de 1529 à 1549. Cet auteur avance les caractéristiques proprement coutumières de cette coutume pour montrer qu’elle est peu romanisée, ce qui infirme la réputation de Lizet en tant que romanisateur radical. Elle n’y trouve qu’un apport romain, la formule non vi non clam non precario. Cependant, elle ne mentionne pas que l’article 217, qui consacre la réserve, introduit également la

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Comme celle de Bourgogne, la coutume réformée du Berry se réfère aussi à la légitime. « Tous majeurs, hommes et femmes usans de leurs droicts, ayans enfans, peuvent donner librement à estrangers la moitié de tous et chacuns leurs biens, tant meubles qu’immeubles, propres et conquests ; mais non plus avant : en maniere qu’ils seront tenus d’oresenavant laisser la moitié entiere de tous leurs biens meubles et immeubles, propres et conquests à leursdits enfans ; et si outre ladite moitié avoient donné, ladite donation, en ce qu’elle excedera, sera nulle et de nul effect et valeur »425. Il s’agit bien de la légitime, car elle concerne les donations et s’applique à tout type de biens, tant meubles que propres. Cependant, l’adverbe « d’oresenavant » indique une nouveauté, d’autant plus que le procès-verbal nous dit : « le neufiesme article fut discordé par les gens du second Estat seulement »426. Cette nouveauté peut concerner aussi bien l’institution de la légitime en elle-même que la quotité de moitié. La discordance du « second État » n’est pas éclairante, car la discussion peut porter sur l’un ou l’autre point. La construction de la phrase « seront tenus d’oresenavant laisser la moitié entiere », ainsi que l’insistance « et si outre ladite moitié avoient donné », incite à considérer que c’est la quotité de moitié qui est introduite en 1539. Le Berry semble donc connaître la légitime avant la rédaction de 1539427 ; celle-ci étant simplement l’occasion d’un aménagement partiel de son régime, ce qui provoque certaines réticences. L’article suivant confirme cette interprétation. Il concerne les donations à des enfants et non plus à des étrangers, et il mentionne explicitement la légitime, qui est la seule limite à la liberté de rompre, par des dons, l’égalité entre les enfants428. Le procès-verbal ne parle pas des résistances à cet article, lesquelles n’auraient pas manqué de s’exprimer si la nouveauté était la légitime elle-même. Dans ce cas, les résistances à l’encontre de l’article précédent auraient dû se renouveler pour celui-ci, et il n’en est rien. Peut-on interpréter le terme « d’oresenavant » comme désignant l’élargissement du champ d’application de la légitime à la protection des enfants contre des libéralités consenties aux tiers ? En effet, l’article 10 du chapitre des donations, qui ne soulève pas de contestation, concerne l’égalité entre les enfants. L’article précédent concernait les donations à des tiers. La construction grammaticale se prête mal à une telle analyse. En outre, le principe même de la légitime est la protection des droits de chaque enfant, quel que soit le bénéficiaire de la donation ou du testament qui épuise sa part. La seule interprétation possible semble être celle de la nouveauté quant à la quotité. Le Berry connaît donc la légitime avant 1539, mais profite de la rédaction de sa coutume générale pour en préciser la quotité.

légitime. Cf. Jacqueline VENDRAND-VOYER, op. cit., p. 323. Sur l’analyse de cet article de la coutume de Senlis, cf. supra, section I, § 1, B. Par ailleurs, Pierre Lizet n’apparaît pas comme étant un des commissaires directement chargés de la réformation de cette coutume. Cf. infra, chapitre II, section II, §1, A. 425 Cf. titre VII, Des donations, art. IX, BdR, tome III, p. 947. 426 Cf. procès-verbal de la coutume de Berry, BdR, tome III, p. 985. 427 Ceci n’est guère surprenant, étant donné que « la tradition romaniste est indéniable dans cette province », Jacqueline VENDRAND -VOYER , « Réformation des coutumes et droit romain… », op. cit., p. 326. 428 Cf. titre VII Des donations, art. X : « Toutesfois pourront les pere et mere, et chaucun d’eux, donner librement à l’un ou plusieurs de leurs enfans, leursdits biens meubles et immeubles, propres et conquests, en laissant la légitime, telle que de droict aux autres : pour le regard de laquelle legitime, si la donation excede sera reputée nulle et de nul effect et valeur », BdR, tome III, p. 947.

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Un autre article dans le chapitre concernant les dispositions testamentaires mérite étude. « Jaçoit ce que chacun puisse par testament instituer heritier estranger, toutesfois s’il a enfans naturels et legitimes procréez en loyal mariage, n’aura audit cas l’institution d’heritier de l’estranger effect que pour la moitié des biens appartenans au testateur ; et de l’autre moitié se pourront dire l’enfant ou enfans heriters, ab intestat, saisis par la coustume, si n’est qu’il y eust quelque juste cause d’exheredation de celles qui sont exprimées en droict ou semblable et ayans mesme raison : laquelle exhéredation n’empeschera le saisissement, jusques à ce que la cause d’icelle aura esté deuement verifiée »429. Une première lecture rapide fait penser à la légitime, surtout par la référence aux causes d’exhérédation « exprimées en droict ». D’autres éléments plaident en faveur de cette interprétation : seuls les enfants en sont bénéficiaires ; tous les biens sont concernés et, en cas de non respect de la quotité, la sanction est celle de la légitime, la réduction de l’excédent. L’inspiration romaine est palpable même dans la quotité de moitié430, dont le procès-verbal nous dit qu’il s’agit d’une disposition nouvelle431. Cela confirme définitivement, d’ailleurs, l’analyse précédente quant à la nouveauté touchant la quotité et non la légitime. Mais des éléments viennent troubler cette première appréciation. En effet, la présence de deux mots est à souligner : « ab intestat, saisis par la coutume ». Pourquoi parler d’héritier ab intestat dans un chapitre consacré aux testaments ? Ces termes « ab intestat, saisis par la coustume » semblent une interpolation coutumière au milieu d’un texte parfaitement romain, où il est question d’une institution d’héritier tout à fait valide, et d’une « juste cause d’exhérédation » qui, par définition, suppose l’expression de la volonté du de cujus. Que veut dire dans ce contexte que « de l’autre moitié se pourront dire l’enfant ou enfans heriters, ab intestat, sasis par la coustume » ? On se doit d’approfondir l’étude. Cet article exprime de manière particulièrement claire l’importance de la saisine en droit coutumier. Elle résiste aux influences romaines, même dans une région où la légitime est consacrée sans ambiguïté. Elle est une illustration particulièrement nette d’une tendance très forte à « appliquer dans le midi les règles coutumières de la saisine héréditaire »432. Le mort saisit le vif, son plus prochain héritier, capable de lui succéder est une règle capitale en droit successoral coutumier, qui est aux antipodes de la logique romaine, où l’acquisition de la succession requiert un acte d’acceptation de la part de l’héritier433. Le Berry n’est pas exactement un pays suivant le droit romain, mais situé en bordure des pays de droit écrit. Si les régions du Midi appliquent la saisine, a fortiori on peut la rencontrer dans des zones charnières comme celle qu’on étudie maintenant, où persistent clairement des éléments coutumiers. Les rédacteurs de la coutume sont 429

Cf. titre XVIII Des testaments, art. V, BdR, tome III, p. 966. Rappelons que, dans la Novelle 18, Justinien fixe la quotité de la légitime à la moitié de la part ab intestat si le de cujus laisse quatre enfants ou plus. Cf. supra, partie I, introduction. 431 « Le cinquième article est nouvelle coustume quant à la restriction jusques à la moitié ». Cf. BdR, tome III, p. 988. 432 Cf. Paul OURLIAC, Etienne Bertrand…, op. cit., p. 139. 433 À l’exception des héritiers nécessaires. Cf. Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 350. Voir également Paul O URLIAC, Etienne Bertrand…, op. cit., p. 139. Barthélemy Chasseneux (1480-1541) dit la même chose en commentant la coutume de Bourgogne : le mort saisit le vif son plus prochain héritier, habile à luy succeder. « Ista consuetudo est generalis in tota Francia, et in comitatu Burgundiae, imo etiam in multis locis in Gallia, in quibus utuntur iure scripto, ista consuetudo observatur est tamen […] », Barthélemy C HASSENEUX , Consuetudines ducatus burgundiae fereque totius Galliae, Lugduni, 1552, rubrica VII, § 1, p. 890. 430

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particulièrement conscients de cette entorse faite à la logique romaine dont relève cet article. C’est pour cela qu’ils mettent en garde par le premier mot, « jaçoit ». C’est donc consciemment qu’ils introduisent la saisine héréditaire, inconnue du droit écrit. Et il le font avec la plus grande force, au point que, même en cas d’exhérédation, celle-ci « n’empeschera le saisissement, jusques à ce que la cause d’icelle aura esté deuement verifiée ». La coutume de Berry est « une des rares coutumes qui ait étendue [la saisine] aux successeurs institués par testament »434. Malgré la saisine héréditaire coutumière, la légitime préside au droit successoral dans la coutume de Berry qui la connaissait avant la rédaction de 1539, même si la quotité restait imprécise435. À partir de cette date, la quotité est invariable, au point que le nombre d’enfants venant au partage est indifférent. Même dans le cas de juste exhérédation de l’un d’entre eux, la légitime demeure la moitié des biens du père, et la part de l’exhérédé profite aux autres436. Comme dans la coutume de Bourgogne, l’enfant doté en vue du mariage, qui renonce à la succession de son père, ne peut revenir à celle-ci que s’il y a un rappel exprès de la part du père, moyennant rapport, ou bien si la légitime se trouve lésée. Dans ce dernier cas, il peut demander le supplément437. Outre la Bourgogne et le Berry, d’autres coutumes sont situées à la frontière des pays de droit écrit. B. Les autres coutumes frontalières Au sud du Berry se situent la Marche et l’Auvergne. Dans la Marche on trouve la réserve des deux tiers438, valable pour les nobles comme pour les roturiers. La légitime n’est mentionnée que de manière incidente, lorsqu’il s’agit de savoir si un enfant religieux profès ou une fille dotée pour son mariage font nombre pour le calcul de la légitime des autres enfants439. Cette coutume, comme d’autres coutumes, fait prévaloir l’exclusion de la fille dotée sur le droit à la légitime, qui lui est explicitement refusé. Elle ne peut que demander à être dotée si elle ne l’a pas été440. En revanche, la légitime prime sur les donations faites entre époux441 et celles faites en faveur de mariage442. 434

Jacqueline VENDRAND-VOYER, « Réformation des coutumes et droit romain… », op. cit., p. 352. Jacqueline Vendrand-Voyer affirme que dans la coutume de Berry, la légitime remplace la réserve au moment de la rédaction de 1539. Cf. op. cit., p. 355. Elle se base sur l’article 5 du chapitre des testaments, qui remplace un ancien article 8 établissant la réserve : « la coustume combien chacun peut laisser en son Testament est telle. Il peut laisser tout son Meuble et de l’Héritage la quarte partie qui est tenue à Cens ou la quarte partie qui est tenue à Fief, à Bourges et à Dung ». On est d’accord sur ce point : la légitime se substitue à la réserve. Mais cela n’exclut pas que la légitime ait pu exister avant la rédaction de 1539. Jacqueline Vendrand-Voyer n’analyse pas les articles sur les donations qui citent explicitement la légitime et qui sont commentés ici. L’absence de résistances à l’institution elle-même, notamment lors de la discussion sur l’article 10 du titre des donations, ainsi que la remarque citée du procès-verbal à propos de l’article 5 des testaments, inclinent à penser que la légitime existait avant 1539 dans la coutume de Berry, du moins dans la pratique, et que les mentalités l’avaient déjà acceptée. L’analyse des textes, ainsi que la romanisation précoce de la région du Berry conduisent à cette conclusion. 436 Cf. titre XVIII, Des testaments, art. VI, BdR, tome III, p. 966. 437 Cf. titre XIX, Des successions ab intestat, art. XXXIII à XXXV, BdR, tome III, p. 970. 438 Cf. coutume de la Marche, 1521, chapitre XIX, Des testaments..., art. CCXII, BdR, tome IV, p. 1117. 439 Cf. art. CCXXX et CCXLV, BdR, tome IV, p. 1119 et 1120. 440 Cf. art. CCXLVI, BdR, tome IV, p. 1120. 441 Cf. art. CCLXXXIX et CCXC, BdR, tome IV, p. 1122-1123. 442 Cf. art. CCXCVI, BdR, tome IV, p. 1123. 435

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Dans la coutume d’Auvergne, rédigée en 1510, la même référence au calcul de la légitime apparaît en sens inverse cette fois : « Et ne fait le Religieux profez aucune part et portion en nombre d’enfant, pour la computation de la legitime, mais est reputé personne morte »443. En revanche, comme dans la Marche, la fille dotée exclue de la succession ne peut demander le supplément de la légitime444. Le droit à la légitime réapparaît également comme une limite aux donations faites en faveur de mariage, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort445. Au Nord de l’Auvergne se trouve la coutume de Bourbonnais. Elle conserve des traits typiquement coutumiers, tels que le principe « succession et eschoite ne monte point en droicte ligne »446 ; donner et retenir ne vaut447 ; ou encore, nul ne peut être héritier et légataire ensemble448. Elle interdit de rendre la situation d’un enfant meilleure que celle d’un autre sauf s’il s’agit d’un enfant émancipé449. Il y a dans le texte de la coutume ancienne une assimilation implicite entre l’émancipation et le contrat de mariage, mais le texte rédigé laisse planer le doute sur la possibilité de faire un don qui rompt l’égalité au profit d’un enfant émancipé par une autre cause que le mariage. La coutume rédigée en 1521 dissipe les ambiguïtés : le mariage n’est pas la seule cause d’émancipation450, mais les dons qui rompent l’égalité ne peuvent être faits que pour cause de mariage : « Le pere, mere ou l’un 443 Chapitre XII, Des successions, testaments… art. XIV, BdR, tome IV, p. 1165. La fille mariée est exclue de la succession. En revanche, elle fait nombre pour ce calcul. Cf. art. XXXII du même chapitre, BdR, tome IV, p. 1167. 444 Cf. chapitre XII, Des successions, testaments… art. XXXV, BdR, tome IV, p. 1167. La pratique de Masuer, en revanche, permettait à la fille insuffisamment dotée de demander le supplément de légitime : « Et pareillement si la dot avoit esté constituée par trop mediocrement, elle pourra agir au supplément de sa légitime, sinon que trente ans fussent passez et expirez », La pratique de Masuer, op. cit., titre XXXII Des successions et dernieres volontez, n. 25, p. 560. 445 Cf. chapitre XIV, Des donations, dots et mariages, art. XVI, XXXIII et XL, BdR, tome IV, p. 11691171. La donation à cause de mort ne sera abolie que par l’ordonnance sur les donations de 1731, du chancelier Daguesseau. La différence entre la donation à cause de mort et le testament est que le testament reste un acte révocable jusqu’à la mort du testateur, alors que la donation à cause de mort, comme toute donation, est irrévocable. Ainsi l’explique Daguesseau : « Il y a donation à cause de mort quand quelqu’un préfère posséder plutôt que celui à qui il donne, mais aime mieux son donataire que ses héritiers. […] Il y a donation à cause de mort quand quelqu’un donne sans se trouver en présence d’un péril immédiat, mais dans la pensée de la mort ; quand quelqu’un, en présence d’un danger imminent, donne de telle façon que la chose donnée devienne immédiatement la propriété du donataire ; quand quelqu’un mû par un péril, donne non pas de telle façon que la chose donnée devienne immédiatement la chose de celui qui reçoit, mais seulement lorsque la mort du donateur sera survenue ». Cité par Henri REGNAULT, Les Ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les Donations et l’ordonnance de 1731, Paris, 1929, p. 228. 446 Cf. ancienne coutume, titre XII Des successions et tutelles, art. IV, BdR, tome III, p. 1199. 447 Cf. ancienne coutume, titre IV Des donations, art. V, BdR, tome III, p. 1195. 448 Cf. ancienne coutume, titre XII Des successions et tutelles, art. II, BdR, tome III, p. 1199. 449 « Item par la coustume dudict pays, le pere ou la mere, ou l’ung d’eulx, ne peuvent faire faire de meilleure condition l’ung de leurs enfans que l’autre, c’est-à-dire qu’ilz ne peuvent donner à l’ung de leurs enfans plus qu’à l’autre, si ce n’estoit que celluy à qui ilz vouldroient faire ladite donation fust émancipé ; et que la donation luy fust faite à bonne et juste cause, et que possession luy fust baillée de ce que donné et transporté luy seroit » ; ancienne coutume, titre IV Des donations, art. IV, BdR, tome III, p. 1195. La présence de ce principe d’égalité dans une coutume préciputaire s’explique par la situation géographique de celle-ci. Situé entre l’Auvergne et la Bourgogne, le Bourbonnais reçoit tôt l’influence d’un courant libéral, alors qu’à l’origine il part d’un esprit proche de la logique d’option de la région orléano-parisienne. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 167. 450 « Fils de famille, mariez ou prestres, sont reputez emancipez & majeurs, quant à pouvoir ester en jugement, & contracter sans l’auctorité de leurs peres, ayeulx ou autres sinon que autrement fust convenu, en faisant ledit mariage. Et ne retournent lesdits fils de famille, le mariage dissolu, en puissance de leursdits peres, ayeuls ou autres », BdR, coutume de 1521, chapitre XV Du droit et estat des personnes, art. CLXVI, tome III, p. 1243.

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d’eux, ne peuvent donner entre vifs à leurs enfants, hors contract de mariage, soient lesdits enfans emancipez ou non »451. Le mariage prévaut sur le caractère émancipé de l’enfant. La légitime est mentionnée dans cette coutume précisément au sujet des contrats de mariage. Le procès-verbal des anciennes coutumes ne donne aucune indication prouvant qu’il s’agit d’une coutume nouvelle et, pourtant, d’après celui-ci la coutume daterait de 1493-1494. La situation géographique limitrophe de l’Auvergne permet de penser que la légitime existait déjà au moment de la première rédaction de la coutume. Mais elle semble être limitée aux contrats de mariage, comme c’était le cas pour le Nivernais452. Rien n’est dit dans cette coutume au sujet de la légitime qui ne serait pas respectée par un legs –mais la réserve pourvoit déjà à cette hypothèse– ou par une donation faite en dehors du contrat de mariage. La rédaction de 1521 maintient la légitime uniquement comme limite aux dons faits dans un contrat de mariage453. Elle est la seule limite au caractère préciputaire des dons, qui ne sont sujets au rapport que si les autres enfants ne trouvent pas la légitime dans la succession454. Le procès-verbal indique à propos de l’article 219 : « Du consentement desdits trois États ont esté adjoustez ces mots ou descendans dudit mariage, le mariage fait par parolle de present. Et entant que touche lesdits mots à ladite Coutume a esté accordé pour nouvelle, le residu demeurant pour vielle Coustume »455. La légitime existe donc dans cette coutume avant sa rédaction. En poursuivant le parcours vers l’ouest, on rencontre les coutumes d’Angoumois, Saint-Jean-d’Angély et La Rochelle. On a déjà examiné la coutume de Saint-Jean-d’Angély, qui se trouve en réalité comme une enclave en pays de droit écrit. Celles d’Angoumois et La Rochelle, toutes les deux rédigées en 1514, ne fournissent pas d’éléments concernant la légitime. L’utilisation du mot légitime par l’article 51 de la coutume d’Angoumois doit être compris dans le sens général de 451

Cf. coutume du Bourbonnais, 1521, chapitre XIX Des donations, art. CCXVII, BdR, tome III, p. 1248. Cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 1, B. 453 Coutume du Bourbonnais, 1521, chapitre XX Des donations, dons mutuels et autres conventions faites en contract de mariage et constant iceluy, art. CCXIX : « Toutes donations, conventions, avantages, institutions d’heritiers, et autres choses faites en contract de mariage en faveur d’iceluy au proffit et utilité des mariez, de l’un d’eux, ou des descendans dudit mariage, le mariage fait par paroles de présent, sont bonnes et valables en quelque forme qu’elles soient faites […] posé qu’elles soient immenses, inofficieuses et jusques à l’exheredation des propres enfans dudit disposant […] réservé toutesfois ausdits enfans leur droit de legitime, posé aussi que lesdites donations et avantages soient faites à personnes estranges […] », BdR, tome III, p. 1248. Dans les anciennes coutumes, l’article 1 du titre V Des donations faictes en contractz de mariage, et en faveur des contrahans contient des termes analogues : « […] reservé toutes fois aux enfans la quarte partie deue du droit de nature, eu esgard au nombre d’enfans selon le droit escript soyent que lesdictes donations et advantages faites à personnes estranges et qui riens n’appartiennent au donnateur ou à personnes estans de son lignage et affinité », BdR, tome III, p. 1195. Les autres articles de la coutume rédigée en 1521 qui mentionnent la légitime sont l’article CCCX, selon lequel la fille « mariée et appanée » fait nombre pour la computation de la légitime, cf. ibidem, p. 1256 ; l’article CCCXIX, qui dispose que le religieux profès ne fait pas nombre pour la légitime, cf. ibidem, p. 1257 ; et l’article CCCXII, selon lequel la fille qui se marie contre l’avis de ses parents ne peut avoir droit à leur succession « par legitime ou autrement », cf. ibidem, p. 1257. 454 Le texte de la coutume rédigée en 1521 est très explicite à cet égard : « Le pere et la femme auctorisée, ou la mere après le trespas de son mary et usant de ses droits peuvent durant leur vie, jusques à quarante jours avant leur trespas, partir et diviser leurs biens meubles et immeubles entre leursdits enfans, soient en leur puissance ou non, et tient et vaut telle disposition et partage, et ne peuvent lesdits enfans aller au contraire, sinon que par ledit partage leur fust advenu moins que de leur legitime […] », coutume du Bourbonnais, 1521, chapitre XIX Des donations, art. CCXVI, BdR, tome III, p. 1247-1248. 455 BdR, tome III, p. 1293. 452

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part raisonnable : « Aucun ne peut donner en mariage ; n’autrement, à aucun de ses enfans, de son heritage venu par succession, au prejudice de ses heritiers, plus que ne monteroit sa legitime part et portion s’il succedoit »456. Cet article vise l’égalité entre héritiers, mais ne concerne que les propres. Quelles conclusions peut-on tirer de ce parcours en bordure des pays de droit écrit ? La persistance des traits coutumiers rappelle qu’on est bien en pays de coutumes, mais dans des régions ayant intégré plus ou moins rapidement la légitime d’origine romaine. Un certain libéralisme facilite cette adoption de la légitime. On verra plus tard, en étudiant les caractéristiques de celle-ci, en quoi la légitime coutumière a des traits propres différents de la romaine, mais il est clair que c’est cette dernière qui est à l’origine de la première, malgré quelques limites et variantes dans sa mise en œuvre.

Le parcours des textes des coutumes antérieurs à 1540 a permis d’identifier les régions géographiques où la légitime est présente au début du XVIe siècle : en pays coutumier, un tout petit ensemble de coutumes d’option l’admettent ; dans le Midi de la France, elle est en vigueur dans des coutumes plus romanisées, bien qu’elles ne soient pas totalement romaines ; certaines coutumes placées en bordure de pays de droit écrit la connaissent, grâce à leur situation au carrefour de la double influence juridique, coutumière et romaine. Mais l’étude des coutumes homologuées n’est pas suffisante pour comprendre la diffusion de la légitime en pays de coutumes. Après avoir établi un état des textes, il faut s’arrêter à d’autres facteurs de divulgation de la légitime et aux raisons de l’accueil favorable qui lui sera réservé en pays de coutumes. Ce sera l’objet de notre deuxième chapitre.

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Cf. BdR, tome IV, p. 845. Ce sens générique semble confirmé par le commentaire de Pierre Gandillaud, premier commentateur de la coutume d’Angoumois. Il n’est pas question de légitime dans son commentaire de l’article 51. Cf. Pierre GANDILLAUD, Exposition sommaire sur les coutumes de la duché et senechaussée d’Angoumois, publié par Jean VI G I E R , Les coutumes du pais et duché d’Angoumois, Aunis et gouvernement de La Rochelle, 2 e éd., Angoulême, 1720, p. 498-499. En revanche, sous l’article 49 de la même coutume, il dit : « Anciennement sans entrer en connoissance de la quantité et valeur du patrimoine, meubles et acquêts, chacun estoit reçeu à donner ses meubles et acquests, et telles donations estoient approuvées et tenues pour valables, mais depuis, le temps ayant fait paroistre qu’il s’ensuivoit une injustice contre l’intention de la Coutume, d’autant qu’il advenoit qu’un pere ayant peu de patrimoine, et des meubles et acquests en grand’valeur, donnant sesdits meubles et acquests par préciput à l’un de ses enfans, les autres se trouvoyent par effect exhérédez et privés de leur légitime, qui leur est due par droit de nature, la cour par son Arrests interpretant nostre coustume, et la reduisant à équité, a voulu qu’audit cas d’inéqualité les biens patrimoniaux et acquests immeubles, sans faire distinction d’iceux, feussent tous confus et mis en une masse, et que d’icelle il en fut distraict une tierce partie pour et au profit du donataire, et le residu partagé également entre tous les enfans (arrêt du 28 juin 1585) ». Autrement dit, c’est la jurisprudence de la fin du XVIe siècle qui admet la légitime, mais la coutume ne la consacrait pas dans son texte. Cf. ibidem, p. 496.

CHAPITRE II FACTEURS FAVORISANT LA PÉNÉTRATION DE LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES

L’état de la légitime, tel qu’il est apparu à la fin du chapitre précédent, ne fournit pas tous les éléments nécessaires pour comprendre la place qu’elle sera appelée à occuper en pays de coutumes. D’autres données sont à envisager pour l’expliquer. L’introduction de la légitime a lieu à une époque charnière à bien des égards. D’abord, commençant par ce qui intéresse directement notre sujet, une évolution économique qui modifie la composition des fortunes à transmettre, en diminuant l’importance des immeubles. Mais l’économie n’est pas isolée ; elle est à la fois cause et conséquence de mutations sociales qui ont une incidence directe sur la manière de concevoir la dévolution successorale. Alors que la rédaction des coutumes consacre essentiellement le droit antérieur, d’inspiration bien souvent féodale, la société a déjà abandonné la répartition des tâches propre au système féodal. De nouvelles catégories de personnes ou de groupements ont pris davantage de force. La montée de la bourgeoisie ne date pas de la fin du XVe et du début du XVIe siècles mais, à cette époque, elle est suffisamment forte pour rendre obsolètes, dès leur rédaction, certaines coutumes qui se sont figées dans un stade féodal archaïque. Le XVIe siècle est également riche en idées neuves. Il est profondément marqué par le courant humaniste dont le rayonnement dépasse largement un cercle d’érudits. L’homme se tourne vers l’Antiquité, qu’il redécouvre et qu’il prend comme modèle et, en même temps, il tente de fonder un nouveau monde par la remise en cause, parfois violente, d’institutions sociales, politiques et religieuses. On confronte les expériences nouvelles avec les conceptions traditionnelles qui les ont précédées. Dans cette comparaison, l’esprit d’indépendance est clair et se retrouve dans tous les domaines : lecture indépendante de la Sainte Écriture, mais aussi relecture des textes grecs. Plus que la recherche de nouveaux écrits, on essaye de trouver des interprétations nouvelles à des écrits déjà connus. « Le mouvement humaniste, parce qu’il a axé sur l’homme ses préoccupations, parce qu’il en a fait artificiellement le centre de l’Univers, a mis naturellement l’accent sur la morale individuelle. Le « retour à l’Antiquité », par lequel on a voulu le caractériser, a consisté non en une redécouverte des écrits Anciens, déjà bien connus et longuement étudiés au Moyen Âge, mais en un manière différente de les interpréter et de les utiliser »457. Ce caractère indépendant et individualiste est fort et représentatif de l’état d’esprit de l’époque. L’homme devient le centre d’attention et 457

Jean-Louis THIREAU, « Cicéron et le droit naturel au XVIe siècle », RHFD, 1987, n. 4, p. 55.

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l’anthropocentrisme remplace le théandrisme qui caractérisait l’époque précédente. La Réforme protestante cristallise cette nouvelle vision des choses et reste un événement majeur du siècle, tant par ses conséquences religieuses –perte de l’unité de la chrétienté– que politiques –Guerres de Religion–. Parmi les disciplines contribuant à la formation des humanistes, le droit occupe une place importante. C’est à ce titre que l’humanisme de la Renaissance intéresse notre sujet, outre le fait d’être le terreau intellectuel du siècle. C’est un temps où « la connaissance du droit, la connaissance des lettres anciennes avaient une place éminente »458. Le droit et le courant humaniste s’influencent mutuellement, et il faut envisager en quoi l’humanisme peut infléchir l’évolution du droit au XVIe siècle. Pour cette période extrêmement riche, il faut bien cerner les aspects nécessaires à notre étude. Le premier s’impose de lui-même : c’est le contexte juridique et, concrètement, le rôle que tient l’étude du droit romain dans la formation des juristes. En effet, la place du droit savant dans leurs études conditionne leur connaissance de la légitime. Mais l’ambiance des milieux juridiques eux-mêmes doit être replacée dans un cadre plus général de changements et de nouveautés, qui crée les circonstances favorables à l’intérêt pour la légitime. Ainsi, l’examen du contexte économique et socio-culturel (section I) permettra de mieux situer les facteurs plus directement liés au droit (section II).

SECTION I UN NOUVEAU CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIO-CULTUREL

Le XVIe siècle n’est pas un siècle homogène. S’il commence avec la Renaissance et ses multiples manifestations artistiques et culturelles, il est le théâtre de sanglantes guerres civiles pendant sa deuxième moitié, guerres dont les causes commencent à émerger dès les premières décennies du siècle. Notre sujet s’accommode bien de cette césure puisque, jusqu’à présent, on a étudié la première rédaction des coutumes, qui s’avance jusqu’à 1540 pour la date la plus tardive. Ainsi, ce ne sont pas les affrontements politiques et religieux qui suscitent l’intérêt maintenant, mais les conditions de vie existantes au début du siècle et les germes de rupture qui éclateront plus tard. Il ne s’agit pas de retracer tous les éléments historiques de cette période si riche, car cela dépasserait l’objet de notre travail : la progression d’une institution romaine en terrain coutumier. Malgré tout, cette progression est due à des hommes dont l’esprit est façonné par leur époque. Dans cette section, il convient donc de mettre en lumière des éléments, en rapport plus ou moins direct avec le droit, qui ont joué un rôle dans l’évolution des mentalités. Entre ces phénomènes et l’introduction de la légitime romaine en pays coutumier, existe plutôt un lien ténu qu’une réelle filiation. Il n’en reste pas moins qu’ils ont préparé les esprits des juristes coutumiers à accueillir la légitime romaine avec bienveillance, voire à l’appeler de leurs vœux. Ce sont des facteurs humains,

458 Madeleine FOISIL, « Guillaume Budé (1467-1540) », in Roland MOUSNIER, Le conseil du roi de Louis XII à la Révolution, Paris, PUF, 1970, p. 285. L’auteur souligne que Budé se présente comme un modèle de l’homme de son temps, unissant la double formation juridique et littéraire.

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qui excèdent le cadre strict du droit, mais qui ne lui sont pas pour autant complètement étrangers. Il s’agit, d’une part, d’événements en rapport avec les personnes et les biens, éléments essentiels pour le droit successoral. Au XVIe siècle, le monde est en pleine mutation économique et sociale459. Pendant la première moitié du XVIe siècle, les idées circulent vite et les changements sont rapides. L’évolution de la population et de la composition des fortunes rend nécessaire une nouvelle réflexion sur la dévolution successorale, ainsi que le rôle respectif de la famille et de l’individu en son sein. D’autre part, dans l’ambiance culturelle de l’époque, les littéraires sont souvent en même temps des juristes et des philologues. Ils étudient les fondements mêmes du droit et, de ce fait, le cadre restreint de la pratique juridique est dépassé. Ce sont des recherches qui s’insèrent dans un renouveau intellectuel plus vaste, qui repensent les rapports de l’homme avec Dieu mais, aussi, ceux de l’individu et de la société. « L’Europe toute entière reçoit un stimulant puissant, […] de la comparaison avec d’autres hommes et d’autres sociétés qui excite la réflexion morale, religieuse, philosophique »460. En remontant à la source, les juristes prennent davantage conscience de la différence d’inspiration entre le droit coutumier et le droit romain. Ainsi l’exprimera un peu plus tard, dans la deuxième moitié du siècle, Etienne Pasquier : « Sur deux divers fondemens, le Romain et le François semblent avoir estably leurs loix ; celuy-là sur une considération plus economique pour la conservation des volontez de chacun en son particulier ; cestuy sur une plus politique, pour l’entretenement des familles en leur entier »461. Une relation ambiguë, mêlant admiration et nationalisme juridique, s’instaure entre les juristes du XVIe siècle et le droit romain ou, plutôt, la manière d’appréhender celui-ci. Il est nécessaire d’étudier en quoi cette relation peut favoriser l’introduction de la légitime en pays de coutumes. Mais il faut d’abord examiner les facteurs socio-économiques qui caractérisent le début du XVIe siècle (§ 1), afin de mieux comprendre la société dans laquelle se développe le courant humaniste (§ 2). § 1. Les facteurs socio-économiques Les facteurs qui intéressent notre travail sont divers. On assiste au début du siècle à un accroissement de la population qui a des répercussions sur la répartition des fortunes familiales462. Les villes sont en plein essor, cultivent leur propre droit et 459

« L’explosion démographique, le défi monétaire puis l’inflation des métaux précieux, la puissance et, avec elle, les besoins accrus de l’État moderne ont créé, au bénéfice de l’Occident européen et particulièrement du Royaume de France, une haute conjoncture et plus encore soutenu un développement général de l’économie dont l’essor commercial a été l’un des effets les plus heureux et les plus évidents », Richard GASCON , « La France du mouvement : les commerces et les villes », in Fernand BRAUDEL et Ernest L ABROUSSE , Histoire économique et sociale de la France, I, 1450-1660. L’État et la ville. Paysannerie et croissance, Paris, Quadrige/PUF, 1993, 2e partie, p. 231. 460 Roland MOUSNIER, Histoire générale des civilisations, tome IV, Les XVIe et XVIIe siècles. Les progrès de la civilisation européenne et le déclin de l’Orient (1492-1715), Paris, PUF, 1954, p. 5. 461 « Lettre à Monsieur Brisson », livre IX, 1, in Œuvres d’Estienne Pasquier, conseiller et Advocat general du Roy en la Chambre des comptes de Paris, divisé en deux tomes. Amsterdam, aux depens de la Compagnie des libraires associez, 1723, tome II, c. 225. 462 « Personne, à ce jour, n’a songé à montrer l’évidente corrélation qui existe entre cette révolution socio-culturelle et la révolution beaucoup plus profonde et sans doute motrice des structures familiales et démographiques », Pierre CHAUNU , « L’État », in Fernand BRAUDEL et Ernest LABROUSSE , op. cit., 1e partie, p. 31-32.

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sont jalouses de leurs privilèges, qu’elles opposent aux droits des seigneurs. La bourgeoisie conquérante continue de se développer, avec des intérêts économiques parfois incompatibles avec un régime des biens conçu pour une économie fondée sur la terre et sur les rapports féodaux. Tout cela progresse dans un climat d’effervescence culturelle et religieuse, où les idées nouvelles manifestent leur pouvoir d’attraction et incitent à tout remettre en cause. Le droit successoral, élément clé dans la vie des familles et des peuples, en est nécessairement affecté. Les points essentiels parmi ces mutations sont l’évolution de la population (A) et la mobilité des fortunes (B). A. L’évolution démographique Le XVIe siècle connaît une croissance de la population, commencée déjà au milieu du XVe siècle, qui permet presque de retrouver, vers 1560, le niveau démographique de la période précédant la Peste Noire et la Guerre de Cent ans463. L’absence de famine entre 1470 et 1520 a facilité des conditions de vie meilleures, et ces améliorations économiques ont des conséquences sur la vie quotidienne des familles : leur structure, leur patrimoine, leurs successions. L’état de la population ne peut pas être dissocié des problématiques successorales, car la transmission du patrimoine est directement liée non seulement à la conception qu’on se fait de la famille et des biens mais, également, aux possibilités matérielles de maintenir le niveau de vie de la famille dans la génération suivante. Par exemple, au XIVe siècle, la Guerre de Cent ans, avec les pillages, l’insécurité et la crise économique qu’elle engendre, provoque le recours à des moyens juridiques pour faire face à ces difficultés. Ainsi, elle incite « tout particulièrement les lignages du Sud-Ouest à renforcer l’aînesse au détriment des cadets », et rend « plus sensible la nécessité de concentrer le patrimoine familial autour du principal héritier »464. Seules les grandes familles sont alors en mesure d’assurer à leurs cadets une situation honorable. Bien qu’il s’agisse du Sud-Ouest, cet exemple illustre le lien intime qui existe entre les questions successorales et les conditions de vie concrètes des populations concernées. D’où la juste remarque de Tocqueville sur l’importance sociale et politique du droit successoral, déjà citée465. Les conditions de vie de la population au XVIe siècle ont changé. « Après les catastrophes du XIVe siècle, les possesseurs de seigneuries, désireux de les repeupler, en ont donné les parties désertées en censives aux jeunes paysans candidats à un mariage-établissement »466. Des facilités pour s’établir signifient aussi la possibilité d’avancer l’âge moyen pour contracter un mariage, et d’augmenter par là le nombre d’enfants par famille. Ces conditions, unies à une certaine régression temporaire de la mortalité, produisent une croissance démographique. Celle-ci a des effets directs sur le partage des successions. « Dans une économie caractérisée par l’absence de progrès technique véritable qui permettrait le décollage de la production, le gonflement démographique porte en lui-

463 Cf. Arlette JOUANNA , La France du XVIesiècle, 1483-1598, Paris, Quadrige/PUF, 2006, p. 26. On prend dans cet ouvrage l’essentiel des données sur la population de la France au XVIe siècle. 464 Cf. Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 205 et 207. 465 Cf. supra, introduction. 466 Arlette JOUANNA, op. cit., p. 27.

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même sa propre malédiction »467. En effet, pour les roturiers qui ne peuvent rendre la condition d’un enfant meilleure que celle d’un autre468, « les héritiers étant plus nombreux à se partager les terres, le lot de chacun devient plus exigu et plus insuffisant à faire vivre une famille »469. Pour les nobles, dont les successions sont régies par le droit d’aînesse, « les autres enfants doivent se contenter d’une maigre portion et sont souvent obligés de rester célibataires, ou bien de quitter le pays pour tenter leur chance en ville »470. L’économie est encore beaucoup trop axée sur la seule terre, et beaucoup de jeunes gens ne trouvent pas dans l’héritage paternel de quoi s’établir. D’où l’appel aussi à une transformation sociale, en quittant la campagne pour la ville471. Arlette Jouanna avance la thèse suivante : « il semble que la pression démographique de la première moitié du siècle ait consolidé le modèle inégalitaire dans le Sud-Est et au contraire favorisé l’extension du régime d’option à tendance égalitaire dans la France du Nord »472. L’inégalité du Sud-Est concerne surtout le droit d’aînesse, propre au régime applicable aux nobles. Les raisons féodales qui ont donné naissance au droit d’aînesse cèdent la place aux intérêts des familles désireuses de conserver leur éclat ; mais l’intérêt de l’institution demeure. On comprend aisément le réflexe pour les familles nobles de maintenir le droit d’aînesse, afin d’éviter que des partages trop nombreux anéantissent les fortunes familiales. Par ailleurs, la liberté du père est grande pour organiser sa dévolution successorale. Il suffit de penser à la force que revêt, encore à notre époque, l’exclusion des enfants dotés, ou leur renonciation à la succession par serment. Cependant, ces coutumes connaissent la légitime qui atténue les effets inégalitaires fruit de la liberté testamentaire. La poussée démographique ne supprime pas cet instrument d’égalité entre enfants qu’est la légitime. Qui plus est, comme le souligne René Filhol, « une foule de petits gentilshommes, cadets turbulents et faméliques, ralliés aux idées nouvelles [la réforme protestante], estimaient que les circonstances étaient propices pour demander un partage égal des patrimoines, profitable à leurs intérêts »473. La consolidation du système inégalitaire ne semble pas venir de la poussée démographique, mais du mélange de plusieurs facteurs : le poids de la coutume, l’intérêt des familles et la liberté testamentaire. Pour ce qui est des coutumes d’option, la tendance égalitaire en pays de coutumes est antérieure à la poussée démographique. Si l’aînesse existe parmi les nobles, les roturiers partagent à égalité. Il ne faut pas oublier cette distinction

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Ibidem, op. cit., p. 35. Cf. supra, chapitre I, section 1, § 2, B. 469 Arlette JOUANNA, op. cit., p. 35. 470 Ibidem, p. 35. 471 Toujours pour le Sud-Ouest, Jacques POUMARÈDE fait cette remarque : « Obligés de chercher un état, les puînés vont rechercher au loin la fortune des armes, ou plus souvent encore entrent dans les ordres, et nul ne se fait d’illusion sur la vocation qui les pousse vers la cléricature », op. cit., p. 205. 472 Arlette JOUANNA , op. cit., p. 94. Le paragraphe complet est le suivant : « Il semble que la pression démographique de la première moitié du siècle ait consolidé le modèle inégalitaire dans le Sud-Est et au contraire favorisé l’extension du régime d’option à tendance égalitaire dans la France du Nord. Elle provoque ainsi deux « réponses » différentes, qui sont corrélatives de deux conceptions de l’ordre social : d’un côté, pouvoir du père, continuité de la maison où habitent les générations successives (l’oustal), mariage conçu comme une alliance entre des lignées qui sont en compétition pour le prestige ; de l’autre, valorisation du rôle de la communauté et des solidarités horizontales de voisinage et de classe d’âge ». 473 René FILHOL , « Protestantisme et droit d’aînesse au XVIe siècle », in Aux alentours du droit coutumier. Articles et conférences du doyen René Filhol, Université de Poitiers, 1988, p. 17. 468

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fondamentale de régime entre les deux catégories sociales. Par ailleurs, on a déjà fait allusion à l’attachement des populations à ces partages égaux entre roturiers474. La rédaction des coutumes rend compte d’un esprit antérieur à cette poussée démographique. L’évolution du droit, surtout du droit coutumier, dont la permanence dans la durée est une composante essentielle, ne se fait pas rapidement. Il n’y a pas eu de coutumes d’égalité stricte ou préciputaires basculant dans le système d’option à cause de la croissance de la population de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. L’influence de la pression démographique sur les coutumes d’option de cette première moitié du siècle doit se situer de préférence dans la recherche d’une certaine équité dans l’option. Plus les héritiers sont nombreux, plus la règle d’option peut sembler injuste si l’enfant gratifié garde un don qui dépouille (ou presque) les autres enfants. L’influence de la croissance démographique s’exerce donc plutôt dans la recherche d’une limite à l’option. Quelques coutumes l’ont trouvé timidement dans la légitime475. La croissance démographique n’est pas le seul facteur incitant à la réception de la légitime en pays de coutumes. Les changements dans la composition des fortunes et leur plus grande mobilité jouent aussi un rôle dans cet accueil. B. La mobilité des fortunes L’essor urbain476 du début du XVIe siècle est dû en partie à l’augmentation de la population qu’on vient d’évoquer, mais aussi à la croissance économique477. La ville continue d’être le centre des échanges commerciaux et l’endroit où se développent les richesses, ainsi qu’une élite urbaine, les bourgeois. Bourgeois au sens strict désigne une catégorie juridique : est un bourgeois celui qui jouit du droit de bourgeoisie, ensemble de privilèges propres à ceux qui résident dans la ville. Mais le terme bourgeois désigne également l’élite marchande, qui a accumulé des richesses grâce aux échanges et aux marchés478. Quelle spécificité significative peut-on souligner, au début du XVIe siècle, pour la progression de la légitime en droit coutumier ? Il n’y a pas un fait précis qui puisse être relevé, mais un ensemble de forces qui facilitent l’expansion 474

Cf. Xavier MARTIN, op. cit.. Outre les p. 31-34 déjà citées, voir aussi p. 69 et p. 171-172. Comme le souligne l’auteur, « maints puînés nobles renonceraient volontiers à la noblesse familiale pour venir partager à égalité avec leur aîné », p. 172, note 2. 475 Cf. supra, chapitre I, section 1, § 1, B. 476 Contrairement à ce que souligne Jacques Poumarède pour le Sud-Ouest, il n’y a pas en pays de coutume de parallélisme entre la montée du libéralisme romain et l’essor urbain : « Il est troublant de constater que la pénétration du droit romain dans le bassin de la Garonne coïncide avec un grand mouvement d’affranchissement urbain et de création de bastides. Le principe de liberté individuelle que véhicule le droit romain est le ferment de cette éclosion urbaine acceptée par une féodalité peu cohérente. Mais cette libéralisation fait sentir son influence aussi sur le droit privé. Dès les premiers symptômes de romanisation, apparaissent dans les actes des signes d’une certaine liberté contractuelle de l’individu », Jacques POUMARÈDE, op. cit., p. 77. 477 « Mieux que par les chiffres de la population, la physionomie d’une ville se définit par ses activités. Au premier rang des fonctions économiques, la fonction commerciale qui est la raison d’être de la plupart des villes, le ressort de sa vigueur et de son dynamisme », Richard GASCON, op. cit., p. 403. 478 « Par sa richesse, son pouvoir, ses ambitions, ses talents, ses insatisfactions ; par ce qu’il est et par ce qu’il désire être, le marchand introduit un incomparable facteur de mobilité dans les rigidités ordinaires de la société française », Richard GASCON, op. cit., p. 233.

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commerciale et le développement des marchands qui s’ensuit479. C’est plutôt la croissance économique elle-même qui fait grandir toute une catégorie de personnes, dont le mode de vie issu de la pratique du commerce peut se trouver entravé par une coutume rédigée qui s’accorde davantage avec une économie fondée sur la terre. D’où une aspiration à un droit nouveau. Il leur est accordé en partie par les franchises dont jouissent les villes, mais ils réclament une plus grande mobilité des biens pour les besoins du commerce. Mobilité des biens signifie que la partie essentielle de la fortune se déplace des propriétés foncières vers des meubles de grand prix, même si au XVIe siècle le prestige de la propriété foncière demeure important480. Beaucoup de bourgeois cherchent à acquérir des terres et à être anoblis. Mais les besoins du commerce qui leur permet de faire fortune nécessitent une dynamique différente des relations féodo-vassaliques : « c’est un fait maintes fois reconnu que l’agriculture s’accommode mieux que le commerce du régime seigneurial »481. L’adage res mobilis, res vilis « ne doit pas masquer le rôle considérable de l’objet mobilier comme ferment actif de déstabilisation du système féodo-seigneurial »482. Il existe un lien entre la bourgeoisie et l’ascension de la fortune mobilière. Les bourgeois échangent dans les marchés autant les meubles que les services. « Le droit de l’immeuble est celui du noble, de l’Eglise, du paysan (solidarité, prudence, sécurité), le droit du meuble est celui du bourgeois et du commerçant (liberté et risques) »483. Dans la logique coutumière, quelle que soit la valeur des meubles, ils sont à l’entière disposition de leur propriétaire. Or les bourgeois possèdent de plus en plus de biens de nature mobilière, qui de ce fait échappent à la famille et restent à disposition de leur titulaire. Si le prestige de la terre n’a jamais disparu, la richesse foncière peut être notablement diminuée dans une famille bourgeoise, alors que la richesse mobilière est en expansion484.

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« L’expansion commerciale s’appuie sur les forces qui l’ont provoquée et la soutiennent : accroissement de la population ; explosion urbaine qui a triplé la population de quelques villes telles Lyon, Marseille, Nantes… ; amélioration des conditions de vie matérielle ; cette amélioration est sensible pour tous, y compris le menu peuple, au moins jusque dans les deux premières décennies du XVIe siècle ; elle se prolonge bien au-delà pour les groupes sociaux aisés », ibidem, p. 248. Par ailleurs, Pierre CHAUNU souligne avec raison « l’extrême difficulté de localiser exactement dans le temps le tournant des structures démographiques et familiales », op. cit., 1e partie, p. 32. 480 Voir, par exemple, cette disposition de la coutume de Valenciennes : « Si aux enfant ou enfans du vivant de leur pere ou mere adviennent aucuns biens meubles, seront iceux biens vendus au profit desdits enfans, et employez en achapt de rente, ou heritage, s’ils sont mineurs d’ans, desquels jouiront leur pere et mere ; ou le survivant d’iceux [...] », art. CX, BdR, tome II, p. 234. 481 Marguerite BOULET-SAUTEL, « L’émancipation urbaine dans les villes du Centre de la France », in La ville, Recueils de la Société Jean Bodin, tome VI, 1e partie, Institutions administratives et judiciaires, Bruxelles, 1954, p. 388. 482 Anne-Marie PATAULT, Introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, 1989, n. 236, p. 285. 483 Ibidem, n. 237, p. 285. 484 « Il a fallu la construction philosophique du droit naturel sécularisé pour que les esprits associent liberté et propriété foncière, deux termes que notre droit, depuis ses plus lointaines origines, a toujours dissociés sous le poids conjugué de la doctrine chrétienne médiévale, de la pression familiale, seigneuriale ou villageoise, mais aussi pour tenir compte de l’utilisation économique de la terre. À l’opposé, le meuble apparaît à toutes les époques, non seulement comme l’objet d’une grande liberté de disposition, mais aussi comme un instrument de libération de l’individu : le troc, puis le commerce monnayé ont lézardé le gigantesque immobilisme de la société foncière médiévale de l’Ancien Régime », Anne-Marie PATAULT, op. cit., n. 236, p. 284.

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Ces facteurs socio-économiques sont directement liés à la vie quotidienne de la population du XVIe siècle. Qu’en est-il des ferments de la vie intellectuelle de cette époque ? C’est vers le courant humaniste qu’il faut tourner le regard à présent. § 2. Le courant humaniste Dans la perspective de notre travail, l’analyse de l’humanisme de la Renaissance renferme un piège : sa richesse. Il ne s’agit pas de donner une explication globale d’un siècle aussi crucial. Cette richesse peut emmener vers des méandres philosophiques, politiques et religieux qui, étant en eux-mêmes d’un grand intérêt, s’écartent excessivement de l’optique de notre travail. L’écueil est ici d’autant plus dangereux que cette question est périphérique au droit et, par conséquent, la technique juridique n’aide pas à baliser le chemin. C’est pourquoi, il est bon d’envisager l’étude de l’humanisme et de la Renaissance uniquement à partir d’une question : en quoi l’humanisme et l’esprit qui en découle peuvent-ils avoir un lien avec la légitime romaine et sa pénétration en pays coutumier ? Pour y répondre, on peut partir des traits les plus saillants de cet esprit. JeanLouis Thireau en fournit une synthèse à propos de Charles Dumoulin, qu’on peut reprendre volontiers puisque, dit-il, « ses défauts, comme ses qualités furent ceux de son siècle ». Et de les énumérer ainsi : « individualisme agressif, soutenu par un immense orgueil mais aussi par un attachement irréductible à l’indépendance et à la liberté d’esprit »485. L’individualisme est la caractéristique qui intéresse le plus notre étude, puisque la légitime véhicule une vision du patrimoine bien plus individualiste que celle qui était en vigueur en pays de coutumes. En effet, c’est l’avantage individuel de chaque enfant qui est pris en compte, au détriment parfois de l’intérêt du groupe familial pris dans son ensemble. D’où vient cette conception individualiste des humanistes ? La réponse n’est pas simple. Il faut chercher les racines de l’importance de l’individu en partie dans le christianisme. En effet, contrairement à d’autres visions du monde qui privilégient la cité, pour le christianisme la personne humaine transcende la communauté politique ou familiale. Non que la famille ou la cité n’aient pas d’importance : le chrétien n’est pas un être isolé, il suffit de penser à la théologie du Corps mystique développée particulièrement par saint Paul. Mais l’individu n’est pas absorbé par la collectivité. On peut songer, par exemple, à la puissance du paterfamilias romain sur tous ceux qui étaient sous sa potestas. Le chrétien, tout en étant relié aux autres membres de la communauté, entretient une relation personnelle avec Dieu, source d’une liberté que personne ne peut lui ôter. D’où une autonomie réelle de l’homme, de chaque homme, qui n’est pas incompatible avec l’appartenance à un groupe, mais qui en modifie la portée : l’individu ne se perd pas dans le groupe, il demeure toujours unique. Cette vision de la personne doit être replacée dans l’ensemble de la morale évangélique, qui pousse le chrétien à se donner aux autres et à s’occuper de soulager la misère matérielle ou morale de ses semblables. Le christianisme fournit donc des éléments pour penser l’individu, mais un individu relié aux autres par des devoirs qui l’écartent d’un possible isolement. Ce n’est pas un individualisme absolu, au sens contemporain de ce terme. 485

Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin, op. cit., p. 58.

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L’humanisme puise aussi à d’autres sources qui nourrissent l’individualisme qui le caractérise. Les intellectuels de l’époque retrouvent avec plaisir les écrits d’écrivains antiques : ceux des épicuriens, des stoïciens et des sceptiques. Ce sont des courants, surtout les deux premiers, où l’individu a une place prépondérante. Cette vision individualiste s’accorde bien mieux avec les aspirations de la bourgeoisie que ne le faisait le système de liens tissés dans le monde féodal. Mais l’influence de l’humanisme resterait beaucoup trop vague, par rapport à la légitime, si elle consistait uniquement dans des velléités d’indépendance et un souci générique de l’avantage individuel. Sans sous-estimer l’impact de ces attitudes dans les esprits de l’époque et, par voie de conséquence, dans les actes de la pratique, il faut chercher l’influence de ce mouvement culturel sur le droit. Les humanistes ont hérité de leurs prédécesseurs une réflexion sur le droit et la morale (A), qui leur permet d’approfondir la notion d’équité (B). A. L’héritage d’une réflexion sur le droit et la morale Les juristes de la Renaissance subissent une double influence quant à la notion même du droit. D’une part, ils s’abreuvent, on l’a signalé, aux sources justiniennes, avec l’héritage grec dont elles-mêmes sont imprégnées. D’autre part, la culture judéo-chrétienne a façonné le monde dans lequel ils vivent. Les humanistes sont tributaires de ces deux sources, et leur apport sera de dégager des aspects peutêtre oubliés de ces héritages, mais aussi de faire du nouveau avec de l’ancien. Il en est ainsi en tout cas pour la notion de droit et, concrètement, celle de droit naturel, qui est intimement liée à la question des rapports entre droit et morale. Or, ceci est au cœur de notre sujet, puisque la légitime se trouve à leur carrefour : elle est une obligation morale ou naturelle, sanctionnée par le droit. Il est donc particulièrement important de comprendre comment les juristes du XVIe siècle, à la suite de leurs prédécesseurs, ont envisagé les liens entre droit et morale, car l’accueil qu’ils réservent à la légitime en dépend. Un aperçu rapide permettra de connaître l’héritage dont ils disposent. Les Romains et, avant eux, les Grecs, ont analysé les rapports entre droit et morale. Lorsque le Digeste distingue le droit naturel, le droit des gens et le droit civil486, il met en évidence qu’il existe des préceptes universels, qui doivent être respectés par tous et en tout lieu. La raison en est le lien intrinsèque qui les unit à la nature humaine, voire à la nature d’êtres vivants en général, puisque Paul affirme que le droit naturel est celui qui est commun aux animaux et aux hommes487. Chez les Grecs, le mérite revient à Aristote d’avoir bien distingué les domaines respectifs de la justice générale (ou moralité) et de la justice particulière. A partir de cette dernière, il dégage la notion de droit, que les Romains exprimeront entre autres, par la formule suivante : suum cuique tribuere488, donner à chacun sa part489. S’il est un aspect du droit qui réalise de manière emblématique cette définition, c’est bien le droit successoral, qui répartit matériellement les biens pour donner à chacun son lot. Cette approche technique du droit n’est pas la seule 486

Cf. D, I, 1. « Ius naturale est quod natura omnia animalia docuit. Nam ius istud non humani generis proprium, sed omnium animalium, quae in terra, quae in mari nascuntur ; avium quoque commune est », D, I, 1, 3. 488 D. I, I, 10. 489 Cf. Michel VILLEY, Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 2001, n. 30 et s., p. 46 et s.

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définition qu’on trouve dans les compilations de Justinien. A l’influence d’Aristote il faut joindre celle des stoïciens, qui ont une plus forte tendance à la confusion des deux sphères. Cosmopolites et universalistes, les stoïciens dégagent une morale universelle qui tend à absorber le domaine strict du droit. Ainsi, une autre formule célèbre du Digeste, qu’on doit à Celse, présente le droit comme étant lié au bien : Jus est ars boni et aequi490, le droit est l’art de connaître ce qui est bon et juste. Dans cette expression, « la justice y semble entendue d’abord au sens de justice générale. Le juriste aurait pour mission de discerner le licite et l’illicite, de pousser les hommes à être bons. Dans une telle formule il y a bien quelque infiltration du moralisme stoïcien »491. Malgré les équivoques qu’on peut déceler chez les anciens, le droit est bien distingué de la morale, car chez les Romains l’influence d’Aristote contrecarrait celle des stoïciens et vice-versa492. A cet apport classique, il est indispensable d’adjoindre l’héritage judéochrétien et la conception du droit qu’il véhicule. Dans la Bible, la justice s’identifie à la sainteté, et les préceptes légaux qui régissent le peuple d’Israël recoupent une bonne partie des impératifs moraux du Décalogue493. La loi nouvelle de l’Evangile se place dans la continuité de cette perspective, l’essence du christianisme étant l’union de l’homme à Dieu. La phrase du Christ « qui m’a établi pour faire vos partages ? »494, prononcée à propos du règlement d’une succession, montre que le souci juridique n’est pas premier dans l’Evangile. Est-ce dire que christianisme et droit sont étrangers l’un à l’autre ? Pas exactement. Les principes chrétiens se placent à la fois comme fondement et comme idéal devant orienter la cité des hommes. Les Pères de l’Eglise tirent du message évangélique des principes moraux ayant pour rôle d’inspirer les partages strictement juridiques, nécessaires à la vie sociale. Les lois temporelles s’inspirent de la loi divine et de la loi naturelle, cette dernière étant la loi divine gravée dans le cœur de tout homme495. L’interdiction du prêt à usure est un exemple emblématique, mais on pourrait aussi signaler l’obligation de s’occuper des pauvres, la défense de la veuve et de l’orphelin… En définitive, veiller au sort du faible et non pas servir le plus fort au détriment de la justice. Tout cela n’est pas loin de notre problématique, puisque la légitime vient prendre la défense d’un enfant en situation de faiblesse, parce qu’il n’a pas reçu une part suffisante de l’héritage paternel. Ce n’est pas ici le moment d’aborder la nature de la légitime, c’est-à-dire la question de savoir si elle s’identifie à une obligation alimentaire ou non. On la traitera par la suite. Pour le moment, c’est l’inspiration tirée de la morale qui retient toute notre attention. Cet héritage grec, romain et judéo-chrétien parvient aux juristes de la Renaissance, qui accèdent à la culture classique et au droit romain grâce au travail de leurs prédécesseurs du Moyen Âge. En effet, c’est à l’époque médiévale qu’a lieu 490

Digeste I, I, 1. Michel VILLEY, op. cit., n. 51, p. 68. 492 « Comme l’influence stoïcienne était alors équilibrée par celle de la philosophie d’Aristote, les créateurs du droit romain ont en fait constitué la science du jus civile sur une notion stricte du droit, bien distingué de la morale. Le stoïcisme ne triompha dans la doctrine juridique qu’avec l’humanisme de la Renaissance et la floraison à partir du XVIe siècle d’un néo-stoïcisme chrétien », Michel VILLEY, op. cit., n. 54, p. 76. 493 Cf. particulièrement les livres du Pentateuque. 494 Luc 12, 14. 495 Cf. Rom. 11, 15.

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la redécouverte d’Aristote et celle du Corpus Iuris Civilis, fondements de l’enseignement et de l’étude de la théologie, de la philosophie et du droit. Thomas d’Aquin retrouve la distinction aristotélicienne entre droit et morale496, même si le thomisme est combattu dès le XIVe siècle par d’autres courants philosophiques, notamment le nominalisme. En parallèle, une école ayant sa propre méthode de travail se crée au Moyen Âge autour des premiers commentateurs du Corpus de Justinien. A cela, il faut joindre toute l’élaboration doctrinale issue des canonistes qui, mieux encore que les civilistes497, essayent de relier la réalité juridique et la morale. Les juristes de la Renaissance accueillent les apports du passé et portent sur eux un regard neuf. Alors que le Moyen Âge envisageait l’étude des anciens comme si la civilisation grecque était toujours vivante, les humanistes mettent l’accent sur la relativité des systèmes juridiques498. De l’ensemble de ces influences émerge une réflexion nouvelle autour de la notion d’équité. B. La notion d’équité Les citations présentes dans les écrits des juristes de la première moitié du XVIe siècle, comme Tiraqueau, Dumoulin, Chasseneux ou Bohier, fournissent des indications sur leur source d’inspiration. Ils se réfèrent à plusieurs reprises à Jean d’André499. Ils connaissent manifestement ses écrits, comme ceux de Paul de Castres500, qu’ils citent aussi, et de tant d’autres canonistes ou civilistes. Il est intéressant de voir quelle idée de la légitime véhiculent les auteurs qu’ils fréquentent, même si les commentateurs des coutumes auxquels on se réfère ne s’attardent pas à une réflexion théorique sur la légitime. Jean d’André réélabore le concept d’équité dont il hérite501. Ses prédécesseurs ont puisé à la fois dans les notions de justice romaine, d’épichéia

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Cf. Michel VILLEY, op. cit., n. 61 et s., p. 87 et s. Sur la notion d’équité chez les glossateurs du XIIe siècle, cf. Marguerite BOULET-SAUTEL, « Equité, justice et droit chez les Glossateurs du XIIe siècle », in Recueil de mémoires et travaux publiés par la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, Montpellier, 1951, fasc. II, p. 1-11, dont on tire cette citation éclairante : « Pour les juristes –et les glossateurs sont des juristes– définir l’équité et la justice, notions plus métaphysiques que techniques, ne présente qu’une excuse, c’est de faire de ces études une introduction à la qualification même du droit. Les glossateurs se sont conformés à cette tradition rigoureuse. Leurs analyses de l’équité et de la justice ne sont destinées qu’à poser les fondements de leur définition du droit. Ils définissent le droit par relativité d’abord, en l’opposant et en l’associant tout à la fois à l’équité et à la justice. Puis de ces prémisses ils déduisent, dans l’absolu, la nature intrinsèque du droit », ibidem, p. 5. 498 « Le Moyen Âge, dans une conception linéaire de l’histoire envisageait sans rupture l’évolution du monde depuis sa création jusqu’à sa fin, et considérait les œuvres antiques comme si elles avaient appartenu à une civilisation toujours vivante. L’humanisme, plus conscient de la relativité historique, mettait l’accent sur les changements, sur la mort et la succession des civilisations, et s’attachait à l’étude érudite de celles du passé. Mais il n’en faisait que mieux ressortir ce qui était pour lui permanent, voire immuable : la nature humaine. Le développement de l’érudition, tout en visant à la reconstitution aussi fidèle que possible des civilisations disparues, n’ôtait pas à l’histoire sa valeur exemplaire : bien au contraire, la pensée des Anciens, mieux comprise, croyait-on, car replacée dans son cadre originaire, restait un modèle, une source d’enseignements moraux. Et, plus que jamais, on y recherchait les préceptes d’une morale humaine, dont le caractère d’immutabilité, posé à titre de postulat, tendait à faire perdre de vue les apports fondamentaux du Christianisme, dont on se bornait à souligner par principe la conformité à la morale antique », Jean-Louis THIREAU, « Cicéron et le droit naturel au XVIe siècle », op. cit., p. 56. 499 Né vers 1270, il meurt en 1348. 500 Elève de Balde,1360 (environ) -1441. 501 Cf. Johannes ANDREAE, In quinque Decretalium libros Novella commentaria, cit., Lib. III, tit. 34, De voto et voti redemptione, c. 7, s. v. Aequitatem, fol 171 r, cité par Pier Giovanni CARON, « Aequitas » 497

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grecque et de miséricorde chrétienne502. L’occasion d’approfondir le concept d’équité se présente en étudiant l’hypothèse d’un conflit entre le droit et l’équité : que faut-il préférer dans ce cas ? De longues controverses ont agité les canonistes, pour arriver à des rapports tout en nuances503. C’est cette vision dont héritent les premiers commentateurs des coutumes. L’équité est un élément évident dont il faut tenir compte dans la recherche d’une solution juridique. Il est même le but recherché504. En cela, on peut reconnaître l’influence du stoïcisme, et en particulier, des écrits de Cicéron505. Mais l’équité n’est pas seulement un héritage des écoles qui ont précédé les juristes de la Renaissance. Elle devient pour eux une arme contre les bartolistes et leur méthode. C’est au cœur de cette bataille juridique entre méthodes antithétiques que s’opère et se révèle le changement de mentalité. Les notions de droit naturel et d’équité sont une pièce maîtresse des doctrines juridiques du XVIe siècle. Il est vrai que les juristes dont on s’occupe maintenant sont à cheval entre les deux écoles. On verra que Tiraqueau, par exemple, n’arrive pas à trancher. Mais le courant humaniste déploie déjà toute sa force. L’opposition entre la méthode italienne et celle qualifié de mos gallicus concerne essentiellement la manière de considérer et d’étudier le texte. Contre les bartolistes attachés aux autorités et aux gloses, la méthode française prône le recours libre au texte lui-même, débarrassé des commentaires. Les humanistes font preuve d’une grande confiance dans la raison humaine ; ils en exaltent les capacités et cherchent à reconstituer le texte tel qu’il était à l’origine, en le contextualisant. Ils

romana, « misericordia » patristica ed « epicheia » aristotelica nella dottrina decretalistica del duecento e trecento », in Studia Gratiana XIV, Institutum Gratianum, Bononiae, 1967, p. 325. 502 Cf. Pier Giovanni CARON, « Aequitas » romana, ... », op. cit., p. 307-347. 503 Pier Giovanni CARON, dans l’article précité, résume ainsi les gradations possibles des rapports entre droit et équité chez les décrétalistes : Dans l’hypothèse où ni le droit ni l’équité ne sont écrits, alors l’interprète devra observer l’équité, sufficit enim naturalis aequitas ; Dans l’hypothèse où le droit est écrit, mais l’équité ne l’est pas, alors il faut observer le droit ; Dans l’hypothèse où l’équité est écrite, mais le droit ne l’est pas, alors il faut observer l’équité ; Dans l’hypothèse où les deux sont écrits, il faut distinguer : ou bien le ius est par rapport à l’équité comme l’espèce par rapport au genre, alors le premier, comme norme spéciale, dérogera à la seconde (ou vice versa si on considère le ius comme genre et l’équité comme espèce) ; ou bien les deux se présentent comme deux genres, ou comme deux espèces. Dans ce cas, les auteurs sont en désaccord, mais en général communiter tenetur quod aequitas est praeferenda, quia pars favorabilior praeferenda est. Cette opinion est partagée par Jean d’André, Antoine da Budrio et plus tard par le Panormitan. 504 Ainsi Chasseneux commence-t-il un de ses conseils : « Cum haec dubia habeant in se varietatem, ut veritas et aequitas inveniri possit, primo dirigam verba mea ad Deum, & dicam cum psalmista Psal 16 dicente : de vultu tuo iudicium meum prodeat, oculi tui viedant aequitatem ». La recherche de l’équité occupe une place centrale dans son activité juridique. Barthélemy CHASSENEUX, Consilia, Lugduni, apud Nathanaelem Vincentium, 1588, cons. 55, p. 138 r°, col. 1. 505 « Au droit naturel, Cicéron liait étroitement la notion d’équité, souvent prise d’ailleurs comme synonyme de justice. L’équité cicéronienne n’est pas seulement un procédé d’interprétation des lois qui s’attache plus à l’esprit qu’à la lettre ; elle est décrite, surtout dans les ouvrages les plus récents du rhéteur, comme une vertu consistant à attribuer à chacun ce qui lui revient, conformément aux injonctions de la loi naturelle, dont par conséquent elle se distingue mal. Plus que comme un simple correctif de la loi, elle apparaît comme le fondement du droit : l’équité, c’est la mise en œuvre de la justice enseignée par les préceptes de la loi naturelle », Jean-Louis THIREAU, « Cicéron et le droit naturel au XVIe siècle », op. cit., p. 58.

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sont férus de philologie506. Chercher l’esprit d’un texte leur convient mieux qu’une attitude trop attachée à la lettre. Les humanistes reprochent aux bartolistes une attitude servile vis-à-vis des textes. Pour les hommes de la Renaissance, les textes juridiques doivent être rattachés à la philosophie et à la morale chrétiennes, et on ne peut pas se contenter d’appliquer la lettre des lois. La formule summum jus, summa injuria, empruntée à Cicéron, fait fortune pour dénoncer l’esprit bartoliste507. La réflexion de Dumoulin sur la notion de droit naturel donne un exemple de cet état d’esprit. Cette notion de droit naturel nous intéresse, car la légitime est qualifiée très souvent comme étant due « de droit de nature »508. Selon l’idée que Dumoulin semble s’en faire, le droit naturel serait un « corps de principes universels, qui n’indiquent pas de solutions juridiques précises mais permettent d’aboutir à celles-ci par déduction »509. Pour Dumoulin, comme pour beaucoup de ses contemporains, ces principes universels se présentent à tous comme étant des évidences, ce qui dispense d’une démonstration de leur bien-fondé. En effet, une évidence se montre, mais ne se démontre pas. Dans le raisonnement juridique, invoquer le droit naturel suffit alors à légitimer les conclusions qu’on en tire. C’est ainsi, par exemple, que pour Dumoulin la loi naturelle « prescrit de protéger les faibles : les parents seront donc tenus d’entretenir leurs enfants, de laisser à chacun une part de leur succession »510. Le bien-fondé de la légitime n’est pas démontré parce que son existence se déduit directement d’un principe du droit naturel. Pour Dumoulin, mais on pourrait en dire autant pour Chasseneux, Tiraqueau ou Bohier, la question de la légitime ne se pose pas ; elle s’impose comme une évidence découlant de la nature des choses. On verra que Dumoulin, dont on affirme toujours qu’il est le principal instigateur de la légitime parisienne de 1580, en parle à propos de l’interprétation, dans un cas précis, d’un conflit de droits : le cas où, dans une succession noble, il y a un seul manoir et pas d’autres biens. Que doit-on privilégier, le droit d’aînesse, comme le prévoit la coutume, ou bien le sort de puînés ? C’est la légitime qui prime, répond Dumoulin511. Même Tiraqueau qui, contrairement à Dumoulin, refuse dans ce cas la légitime aux puînés, le fait parce que le droit d’aînesse « est la légitime de l’aîné »512. Solution divergente, mais souci identique de chercher la position équitable ou considérée comme telle. 506

« Mediante la filologia si parveniva ad una comprensione più piena della norma giuridica romana, così che ne venivano chiarite e corrette anche svariate interpretazioni erronée che, sul piano pratico, si facevano di quella », Domenico Maffei, Gli inizi dell’umanesimo giuridico, Milan, Giuffré, 1956, p. 156. 507 Cf. Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin, op. cit., p. 83. 508 L’idée du rattachement de la légitime au droit naturel a été largement diffusée par le droit canonique, à partir de la décrétale Raynutius d’Innocent III (1198-1216), qui qualifie justement la légitime de debitum juris naturae. Cf. Extra., 3, 26, 16 (De testamentibus et ultimis voluntatibus). 509 Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin, op. cit., p. 79. 510 Ibidem. 511 Charles DUMOULIN, op. cit., p. 276, art. XVII et XVIII (l’art. XVII a été introduit par la nouvelle coutume) glose I, n. 3 : « Quid si non sit nisi unum jugerum feudale vel minus? Respondeo, totum is spectat soli primogenito jure praecipui. Salvo nisi inquantum deficientibus aliis bonis laederetur relinquorum filiorum legitima, secundum ea quae diximus supra § 13, glossa 4, quaestio 3 ». Voir aussi p. 254, n. 5 (col. 2), sur le droit d’aînesse. Glose IV, sur le mot « principal manoir » de l’art. XVII : « Tunc quia hic agitur de virtute comprehensiva, unde largissime debemus interpretare in favorem primogeniti, et nullo modo restringere per ea quae supra eodem gloss. 3 in fine. Limita ut procedant quando feudum non consistit nisi in mansione et eius clausura. Secus si etiam consisteret in juribus subfeudorum, vel censuum inde dependentium, ut dicemus in § seq. limito secundo, si non superessent alia bona in hac successione, puta quia non est nisi illa mansio, vel si sint aliae res, exhauriuntur aere alieno, vel funeris impensa, aut alias non sufficiunt ad legitimam reliquorum filiorum ». 512 Cf. infra, la citation du texte d’André Tiraqueau.

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Il y a un lien intime entre le droit naturel et l’équité : l’équité est le respect de ce droit naturel. On peut dire que l’équité, au XVIe siècle et dans la perspective de notre sujet, joue un double rôle. D’une part, elle suit le sens aristotélicien qui consiste à être un correctif de la loi écrite513. Cette acception est plus restreinte que celle des Romains et des auteurs du Moyen Âge, pour qui l’équité se fonde sur la morale. Si on revient aux coutumes qui ont introduit la légitime lors de la première rédaction, on voit qu’elles ont cherché une limite à la liberté de disposer, un seuil pour préserver une certaine justice dans les partages. En ce sens, l’introduction de la légitime corrige les textes des coutumes qui sont soit trop rigoureux dans leurs conséquences, soit pas assez précis, laissant la porte ouverte à des inégalités devenues choquantes. La légitime est correctrice en ce qu’elle change la technique pour aboutir à d’autres résultats pratiques. D’autre part, l’équité est aussi inspiratrice des lois positives, car c’est pour la sauvegarder qu’on consacre la légitime dans les textes coutumiers étudiés. La légitime est l’outil technique de l’équité. L’équité, héritée à la fois de Rome et du droit canonique, occupe une place centrale dans la pensée des juristes du XVIe siècle. Et il importe de souligner l’apport contradictoire de l’humanisme sur notre sujet. D’une part, il permet à l’individualisme de progresser ; d’autre part, il met l’accent sur la notion d’équité et du droit naturel. Le paradoxe se comprend peut-être mieux en rappelant une fois de plus l’influence stoïcienne. Pour l’école du Portique, il existe une nature de l’homme « purement intérieure : le droit naturel, ou plutôt les lois naturelles consistaient en une série d’inclinations conformes à cette nature, dont le sentiment inné était inscrit au fond de nous ; elles formaient non une fin vers laquelle on devait tendre, une cause finale, mais un commencement, une cause efficiente »514. Suivre l’intérêt individuel, dans cette perspective, n’est pas forcément en contradiction avec la recherche de l’équité, puisque l’individu suivra cette nature universelle dont il participe et qui est commune à tous les hommes. Si la rédaction des coutumes a probablement empêché la domination totale du droit romain515, elle a été, en même temps, le cadre d’une romanisation diffuse516. Une remarque de Laurent Mayali à propos des contrats de mariage peut aussi s’appliquer à la légitime : « Dans cette lente transformation des structures familiales, le droit romain reste discret au stade purement technique. Il nous semble, en revanche, que sa réception entraîne à un niveau métajuridique une perception 513 Pour Aristote, il existe une « nature harmonieusement constituée, un ordre de l’Univers extérieur à l’homme : le droit naturel, c’était le droit conforme à cet ordre, qui respectait les fins que chaque être et chaque chose s’étaient vu assigner en fonction de l’harmonie du tout ; un droit que l’on pouvait connaître, ou du moins approcher, par l’expérience, par l’observation de la nature », Jean-Louis THIREAU, « Cicéron et le droit naturel au XVIe siècle », op. cit., p. 58. Dans ce sens, l’équité permettrait de corriger la loi pour qu’elle soit en accord avec l’ordre de la nature. 514 Jean-Louis THIREAU, « Cicéron et le droit naturel au XVIe siècle », op. cit., p. 58. 515 Cf. Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin, op. cit., p. 93. 516 Non seulement dans les institutions ou les inspirations puisées dans le droit savant, mais aussi dans la manière d’étudier le droit coutumier. « C’est grâce au droit romain, avec lui ou contre lui, mais jamais sans lui que, dans nos régions [Anjou et Bretagne] comme partout, le droit coutumier est devenu un système cohérent et, pour tout dire, un véritable droit savant à son tour. Il pourra par là devenir dès le XVIe siècle l’égal du droit écrit […] ». Jean-Philippe LÉVY, « La pénétration du droit savant dans les coutumiers angevins et bretons… », op. cit., p. 53.

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nouvelle de l’individu, personne juridique à laquelle se trouve rattaché l’exercice de droits spécifiques »517. Il faut examiner à présent cette romanisation diffuse, par la recherche des facteurs liés au droit qui complètent notre étude sur les causes de la pénétration de la légitime en pays de coutumes.

SECTION II LES FACTEURS LIÉS AU DROIT

En premier lieu, on doit étudier le contexte propre aux milieux juridiques. Les juristes de cette époque trouvent un matériau de réflexion, leur rendant naturel le recours à la légitime, dans le cadre de l’humanisme et, notamment, des débats autour de l’équité et du droit naturel. Mais c’est leur formation plus spécifiquement juridique qui intéresse ici. En effet, les juristes, y compris ceux qui appartiennent à des régions coutumières, sont formés à la science juridique par un enseignement qui, encore au XVIe siècle, est imbu de doctrine savante, romaine et canonique. Les droits savants façonnent les esprits et marqueront les différentes générations des juristes, qui puisent des solutions juridiques à cette source intarissable518. La légitime fait partie des institutions qu’ils connaissent par l’étude. Mais la formation romaniste des juristes n’explique pas complètement les raisons de l’appel à la légitime dans certaines coutumes. Les métamorphoses étudiées dans la section précédente amènent à un constat : la dévolution successorale telle qu’elle était mise en œuvre, tant chez les nobles que chez les roturiers, n’est plus satisfaisante. On a vu que la réserve ne protège en général qu’un type de biens, les propres, et contre une sorte d’actes de disposition, les testaments. Elle a vu le jour à une époque où l’essentiel de la fortune familiale était constitué de biens hérités des ancêtres, les propres. La protection qu’elle offrait au moment où elle a été fixée était adéquate. Pourtant, lors de la rédaction des coutumes, un petit nombre d’entre elles éprouve le besoin d’introduire la légitime parmi leurs normes juridiques. C’est la preuve qu’elles n’ont pas trouvé dans la réserve, ou dans d’autres éléments proprement coutumiers, un mécanisme suffisant pour garantir la transmission du patrimoine familial de manière convenable. Cela fait prendre conscience de la nécessité d’adapter la technique juridique, sans que la question se soit posée d’emblée de manière générale et théorique.

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Laurent MAYALI, op. cit., p. 59. Le droit romain n’est pas en vigueur en tant que loi positive dans le royaume de France. S’il est reçu dans le Midi, c’est à titre de coutume, et il n’est par reçu de manière intégrale, car ce qui est en vigueur n’est pas la totalité de la législation de Justinien. Quant au droit canonique, il est un droit positif applicable en France par les tribunaux ecclésiastiques et dans les matières qui sont de leur compétence. Ce n’est pas ici le lieu d’étudier l’étendue du droit canonique en tant que droit positif. En revanche, on doit souligner que les juristes, même ceux qui se destinent aux tribunaux laïques, et devront suivre principalement les coutumes et la législation royale en tant que droit positif, sont formés dans les universités par la logique et la rigueur des deux droits savants. En outre, le droit canonique puise également dans le droit romain. 518

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Ainsi, après avoir vu la place que prend la doctrine savante dans la formation des juristes (§ 1), il faudra examiner pourquoi la protection successorale coutumière est apparue insuffisante (§ 2). § 1. La doctrine savante dans la formation des juristes Qui sont les juristes qui ont pu jouer un rôle dans l’évolution du droit coutumier ? En amont, les commissaires royaux chargés de veiller à la rédaction des coutumes. On verra que les signataires de différents procès-verbaux de rédaction sont souvent les mêmes : des membres du Parlement, qui maîtrisent bien la justice et les lois. Il convient d’examiner leur implication dans cette tâche, et de voir si cela peut expliquer la présence de la légitime dans les textes. En aval, les commentateurs de ces premières coutumes écrites. Bien que chacun se fixe comme travail le commentaire d’une coutume précise, normalement celle de sa région d’origine, leurs ambitions sont souvent plus grandes. Fréquemment, le commentaire est pour eux l’occasion de conférer les textes des coutumes et, en tout état de cause, ils se réfèrent continuellement au droit romain. Leur formation juridique est intéressante, de même que la connaissance qu’ils peuvent avoir de la légitime romaine. Il convient de chercher dans la formation savante des commissaires (A) et des commentateurs des coutumes (B) des éléments qui puissent être utiles à notre recherche. En connaissant leurs liens avec le droit romain, on pourra mieux percevoir leur influence éventuelle dans la rencontre entre la légitime et le droit coutumier, dont ils sont les chantres. A. Les commissaires chargés de surveiller la rédaction des coutumes On s’intéresse en premier à ceux qui sont intervenus dans le processus de rédaction des coutumes. Charles VIII réforme la procédure prévue par l’ordonnance de Montils-les-Tours de 1454, au sujet de la rédaction et de l’homologation des coutumes. Jusque-là, peu de coutumes avaient vu le jour, surtout à cause de la lenteur du Parlement pour les étudier. En 1496, le roi institue une commission chargée d’examiner les textes préparés par les praticiens locaux, et de transmettre les remarques nécessaires pour pouvoir procéder à leur homologation. Au départ, son rôle est uniquement de transmettre un avis au Premier Président du Parlement ; celui-ci, à son tour, doit donner son opinion au roi, qui procède à l’homologation de la coutume rédigée. Par lettres de 1497, le roi donne mission à certains membres de la commission de publier sur place quelques coutumes qui étaient déjà prêtes et n’attendaient que l’examen du Parlement. Cette procédure devient définitive et générale par une ordonnance donnée à Amboise, le 15 mars 1498 : les commissaires se déplaceront dans les différents ressorts coutumiers, pour publier sur place les coutumes sur lesquelles les trois États seront tombés d’accord. Le mérite de cette procédure est la souplesse et la rapidité : les contestations peuvent être réglées directement dans le lieu même de la rédaction. Mais, surtout, la commission se trouve investie de la mission de publier les coutumes sans en référer à la plus haute instance du Parlement, sauf pour les articles, somme toute peu nombreux, sur lesquels le désaccord persiste entre les membres des trois États du ressort concerné. La publication des coutumes s’accompagne d’un procès-verbal. Il porte la signature

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des commissaires présents, même si ce n’est pas toujours le cas : on rencontre aussi souvent la signature du greffier et du lieutenant général du bailliage concerné. Le président de cette commission chargée des coutumes est Thibault Baillet, deuxième Président au Parlement de Paris, fonction dans laquelle il restera jusqu’à la fin de sa carrière519. Il travaille dans cette commission entre 1496 et 1514. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver dans la plupart des coutumes qui nous intéressent520. Il est intervenu dans les coutumes de Paris, Melun, Sens, Troyes, Dreux, Meaux, Chaumont, Vitry, Bourbonnais. Ce sont des coutumes d’option pour la plupart, sauf celle de Vitry qui est d’égalité parfaite, et celle du Bourbonnais, qui est préciputaire. Il était « chevalier, seigneur de Sceaux, né à Paris, conseiller au Parlement, où il fut maistre de requestes et grand rapporteur en chancelerie, ensuite reçu président au Parlement par la résignation de Guillaume de Corbie, et mourut âgé de 80 ans le 19 novembre 1525, inhumé en l’église de Saint-Médéric »521. Parmi les coutumes sur lesquelles il travaille directement, deux connaissent la légitime à cette époque : celles de Dreux522 et du Bourbonnais523. La coutume de Chartres ne fait pas mention des commissaires chargés de sa rédaction, mais le procès-verbal est commun à la coutume de Dreux. C’est donc sans doute Thibault Baillet qui s’en est occupé. Ces trois coutumes, comme on l’a vu, connaissent la légitime avant leur première rédaction. Le rôle de Thibault Baillet est donc difficile à cerner, dans le sens d’une influence romanisante. Jean Yver montre la ténacité qu’il a mise à déraciner une coutume inique, le bail des mineurs nobles524. Elle n’a pas de lien direct avec la légitime, mais l’idée d’équité qui préside sa réforme permet de penser qu’il avait une vision plutôt favorable de la légitime, grâce à laquelle on évite qu’un enfant se trouve dépouillé de tous biens dans la succession de son père. Ce n’est qu’une supposition mais, alors qu’il s’est battu contre la résistance des nobles pour effacer une coutume qu’il jugeait injuste, il n’a rien fait de tel concernant les dispositions sur la légitime. On peut donc seulement conclure qu’il n’y était pas hostile. Orléans connaît aussi la légitime avant la première rédaction des coutumes. Thibault Baillet n’intervient pas dans sa promulgation, qui est confiée à Etienne

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Cf. Jean YVER, « Le président Thibault Baillet et la rédaction des coutumes (1496-1514) », in RHD, 1986, p. 19-42. 520 La procédure prévoyant le déplacement des commissaires, la commission est représentée par deux ou trois commissaires agissant au nom des autres, car il n’était pas possible de transférer toute la commission, composée de dix à douze membres selon les années. Cf. Jean YVER, « Le président Thibault Baillet… », op. cit., p . 30. 521 Cf. Michel POPOFF, Prosopographie des gens du Parlement de Paris, (1266-1753), Paris, Le Léopard d’or, 2003, vol. I, n. 55, p. 38. Voir également Félix AUBERT, Histoire du Parlement de Paris, de l’origine à François Ier, tome I, p. 88, n. 1 et 17, n. 3. Pour ses données biographiques, voir aussi les références indiquées par Jean YVER dans l’article précité, p. 21, note 8. Il y a quelques divergences de dates et de noms selon les sources, mais qui ne sont pas gênantes pour notre étude. 522 Le deuxième commissaire chargé de la rédaction de cette coutume est Jean Le Lièvre, « reçu conseiller au Parlement en 1500, puis avocat général au Parlement en 1510, suivant Loisel […] et Mirauont, […] et en 1514 suivant Chopin… Le 5 juin 1517 il présenta au Parlement le Concordat et la révocation de la Pragmatique sanction. La Cour le nomma [un] des commissaires pour en faire l’examen et le rapport », Michel POPOFF, op. cit., vol. II, n. 1574, p. 709. 523 Pour le Bourbonnais, le deuxième commissaire est Guillaume de Besançon, qui participe également à la rédaction des coutumes de Melun et de Sens. « Fils de Jean, conseiller au Parlement au lieu de Jean de Longuejoue le 23 août 1482 », ibidem, vol. I, n. 603, p. 339. 524 Cf. Jean YVER, « Le Président Thibault Baillet…. », op. cit., p. 36-42.

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Buynard, conseiller au Parlement525. Jean Yver émet l’hypothèse d’un effacement volontaire de la part de Thibault Baillet, pour laisser la place d’honneur à celui qui avait été auparavant régent de l’Université d’Orléans. Quoi qu’il en soit, une information donnée en passant intéresse notre propos : Buynard était docteur in utroque. Sa connaissance du droit coutumier orléanais est probable ; celle du droit romain est certaine. Aux côtés de Thibault Baillet, un autre nom se détache : Roger de Barme, avocat du roi526. Ils interviennent ensemble dans les coutumes de Vitry, Chaumont, Paris, Melun, Troyes, Meaux. Aucune de ces coutumes ne connaît la légitime à notre époque. Barme et Baillet meurent respectivement en 1523 et 1525 ; c'est-à-dire avant la rédaction des coutumes qui introduisent la légitime au moment de leur première rédaction. Un nom revient dans le procès-verbal de ce deuxième groupe de coutumes. Il s’agit d’André Guillart. Il est conseiller au Parlement de Paris527 au moment où il participe à la promulgation des coutumes de Clermont, Senlis, Valois, Montargis. Or ces quatre coutumes introduisent la légitime au moment de leur rédaction. Nicolas Thibault intervient également pour les coutumes de Clermont, Senlis et Valois528 ; et Jacques Allegrain pour celle de Montargis529. Pour le Nivernais, cinquième coutume introduisant la légitime au moment de la première rédaction, le commissaire nommé est Antoine Le Viste, qui succéda à Roger Barme dans la charge de Président à mortier530.

525 « Conseiller au Parlement en 1500. Il mourut l’an 1513 ». Michel POPOFF , op. cit., vol. I, n. 799, p. 418. 526 « Parisien, avocat au Parlement, où il se distingua tant qu’il fut élu avocat général au Parlement en 1510. Il fut prévôt des marchands de Paris le 16 aoust 1512. Ambassadeur extraordinaire auprès du Saint Père pour le roy Louis 12, qui lui fit don d’une charge de Président à mortier, où il fut installé l’an 1517, et qu’il exerça jusqu’à son décès arrivé en 1523 » Michel POPOFF, op. cit., vol. I, n. 57, p. 48. 527 Cf. ibidem, vol. I, n. 1376, p. 627. 528 « Seigneur de Montigny, Beaurain, Courcelle et Saint-Félix, reçu procureur du roy au bailliage et siège présidial de Senlis, le premier juin 1518, conseiller clerc au Parlement de Paris, au lieu de Thomas Paschal, le 18 mars 1530, et conseiller lay au lieu de Jean de la Place le 15 may 1531, procureur général au Parlement au lieu de François Rogier par lettres du cinq may 1533, reçu le 24 de même mois, à la recommandation du connestable Anne de Montmorency. Il s’intitula garde de la prévosté de Paris le 2 mars 1533, le siège vacant après la mort de Jean de la Barre. Il mourut le 23 may 1541, inhumé en l’église de Saint-Paul de Senlis. Il tirait son extraction d’une noble famille du pays de Vallois », ibidem, vol. II, n. 2337, p. 963. 529 « Jacques Allegrain, sieur de la Motte… deuxième fils de Guillaume Allegrain… conseiller au Parlement…. Il succéda à son père en sa charge de conseiller au Parlement et y fut reçu le 5 juillet 1520, il se démit le … juin 1534 en faveur de Gaston de Grieu son gendre », ibidem, vol. I, n. 420, p. 265. 530 « Il succéda à son père en la charge de correcteur et rapporteur en la chancelerie de France en 1493, il fut crée maistre des Requestes ordinaire de l’Hôtel du Roi en 1508, charge qu’il exerça jusqu’au 25 décembre 1523, qu’il fut reçu président à mortier au Parlement, au lieu de feu Roger de Barme, fut nommé ambassadeur en Angleterre en 1525, il présida aux Grands Jours de Bretagne en 1525, et ainsi qu’en 1532 et 1534, et mourut la même année 1534… ». Il est issu d’une famille originaire de Lyon et apparenté à Thibault Baillet (Thibault Baillet avait épousé Jeanne Le Viste, fille du frère de son père en premières noces). Cf. ibidem, vol. I, n. 162, p. 208. La plupart des commissaires évoqués font partie de ce petit groupe de familles « de grands officiers de finance et de justice, reliées entre elles par une étonnante imbrication de liens matrimoniaux : à ce groupe appartiennent les Hacqueville, les Briçonnet, les Robertet, les Ponchet, les Raguier, les Le Viste, les du Drac, les Baillet, avec lesquels des Guillart contractèrent successivement des alliances », Arlette JOUANNA , « André Guillart, Sieur de Mortier, de l’Isle et de l’Epichelière », in Roland MOUSNIER, Le conseil du roi de Louis XII à la Révolution, Paris, PUF, 1970, p. 238.

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André Guillart a eu une belle carrière au service du roi : Conseiller lai au Parlement de Paris le 10 décembre 1519, Maître des requêtes le 20 décembre 1532 et jusqu’en 1547, de nouveau pourvu de la même charge en 1549, Conseiller à la ville de Paris par la résignation de son père le 7 août 1534, Conseiller au Parlement de Bretagne le 14 janvier 1535, Prévôt des marchands de septembre 1542 à août 1544, Ambassadeur à Rome (1546-1547) et en Angleterre (1549), finalement Conseiller au Conseil privé de 1548 à 1566 au moins, et membre du Conseil adjoint à la reine lors du départ d’Henri II aux armées, en 1553531. Comme son père, il reçut de nombreuses commissions judiciaires et financières, parmi lesquelles celle de publier certaines coutumes532, qu’il convient de retenir pour nos recherches. Si on est bien renseigné sur sa carrière, on l’est moins sur sa formation, acquise probablement au collège de Navarre comme son frère Louis533. On ignore sa position personnelle vis-à-vis du droit romain. Mais sa correspondance en tant qu’ambassadeur du roi de France à Rome fait apparaître un certain nombre de traits de sa personnalité qu’on peut analyser. Il se révèle être un homme prudent, très consciencieux dans l’accomplissement des tâches confiées, analysant les questions avec objectivité. Arlette Jouanna dit de lui que « le choix qu’il fait de toutes ces explications témoigne de la vue froide, sans passion, qu’il a des événements »534. Certes, tout cela s’applique essentiellement à son activité de diplomate, mais il n’y a pas lieu d’écarter ces mêmes caractéristiques lorsqu’il s’agit d’examiner les coutumes en vue de leur publication, mission également reçue du roi. L’introduction de la légitime dans les coutumes dont il a la charge n’est pas l’œuvre d’un homme au tempérament enthousiaste, cherchant, comme on dira du Président Lizet535, à tout conformer au droit romain. Il est davantage vraisemblable que la légitime, existant dans des coutumes voisines et connue des juristes par leur formation en droit savant, progresse dans les mentalités comme un moyen technique qui permet de fixer de manière équitable la répartition des parts entre héritiers d’une même succession. On ne peut pas savoir s’il a eu un rôle autre que celui de suivre l’évolution de son temps et de ne pas entraver l’introduction de la légitime dans les coutumes. Il n’est pas possible d’affirmer davantage quelles ont été ses motivations. Mais on peut écarter une introduction motivée par la conviction intime de la supériorité du droit romain et, concrètement, de la légitime, d’autant plus volontiers qu’André Guillart a eu un long procès l’opposant à sa sœur Marie précisément à propos de la succession de 531 Cf. ibidem, mais aussi Françoise BAYARD , Joël F ELIX et Philippe HAMON, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances, Comité pour l’Histoire Economique et Financière de la France, Paris, 2000, p. 26-27. 532 Cf. Arlette JOUANNA, « André Guillart… », op. cit., p. 235. Dans la note 3 de la page 236, elle cite les coutumes pour lesquelles il a été nommé commissaire : cf. Catalogue des actes de François I, tome I, p. 720, n. 3760, pour celles de Montargis, Lorris, Gien, Sancerre et autres lieux (18 août 1530), ibid. tome IV, p. 22, n. 11105, pour celle de Senlis (10 juillet 1539), ibid. tome VI p. 573, n. 21886, pour celle de Clermont-en-Beauvaisis (14 août 1539), ibid. tome IV, p. 32, n. 11152, pour celles de Crépy, la FertéMilon, Pierrefonds, Béthisy et Verberie (20 août 1539). 533 Cf. ibidem, p. 235. 534 Ibidem, p. 251. 535 Cette réputation d’être le « protagoniste de la romanisation du droit français dans la réformation des coutumes » date du XVIe siècle et elle est issue principalement de la divergence de vues entre Pierre Lizet et Christofle de Thou au sujet des rapports entre le droit romain et le droit coutumier. La réalité de l’œuvre romanisante de Pierre Lizet est bien plus nuancée, comme le montre l’article de Jacqueline VENDRAND-VOYER, « Réformation des coutumes et droit romain… », op. cit., p. 313-381, en particulier p. 313-326. La phrase citée se trouve p. 318. Voir aussi l’analyse de la coutume de Berry supra, chapitre I, section II, § 2, A.

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leur père. La plupart des terres de leur auteur, assez nombreuses, « furent attribuées à André par un artifice de procédure dont s’estima lésée sa sœur Marie »536. Il ne s’agit pas directement d’un cas de légitime, mais de la privation de tout espoir d’avoir une part dans une succession collatérale future, celle du frère aîné, ecclésiastique. L’artifice auquel les deux frères ont eu recours a permis à André Guillart d’être en possession de la plus grande partie des terres de son père. Le but de ce procédé était, le plus probablement, de conserver dans la branche Guillart les biens du père. On est donc dans une logique purement coutumière de conservation des biens dans la famille, avec privilège de masculinité et exercice du retrait lignager ; bien loin de la logique égalitaire de la légitime romaine. Evidemment, ceci n’est pas un argument au sens strict. C’est plutôt un fait, qui rend compte d’une mentalité. André Guillart était sans doute imbu de droit romain, comme tous les juristes de son époque, y compris ceux des pays coutumiers. Il n’était pas pour autant moins attaché aux traditions successorales coutumières. Si on additionne cela à la prudence et à la mesure qui ressortent de son caractère, on peut conclure, faute d’autres informations, que l’introduction de la légitime dans ces coutumes n’est pas son fait, et que son rôle, comme on l’avançait, se limitait à ne pas y faire obstacle. Il eut été satisfaisant de voir à l’œuvre un commissaire comme Pierre Lizet, à la réputation de grand romanisateur537, jouant de tout son prestige de Premier Président au Parlement pour introduire la légitime en pays de coutumes, et faire dévier la logique coutumière pour la conformer à l’héritage de Justinien. Cela aurait entretenu les idées reçues, mais on n’a rien trouvé de tel. En dehors de la coutume du Berry, Pierre Lizet ne figure pas dans les procès-verbaux des coutumes qui ont consacré la légitime dans la première moitié du XVIe siècle. Ainsi, son introduction dans ces coutumes ne peut lui être attribuée directement. Mais cela n’est pas une information négative, au contraire : c’est un fait chargé de sens. Il montre que la tendance à se référer au droit romain n’est pas l’œuvre d’un seul homme, ni la mise en pratique d’une préférence isolée. Elle traduit une ambiance générale, où la considération à l’égard du droit romain est répandue parmi des juristes bons 536

L’affaire était la suivante : Louis, évêque, frère aîné d’André, avait renoncé lors du contrat de mariage de ce dernier et en sa faveur, à tout ce qui pourrait lui revenir dans la succession de leur père, sans doute pour conserver à la branche Guillart les biens du père. Il renouvelle cette renonciation, sans que leur sœur Marie soit au courant, le 7 juillet 1538, par acte sous seing privé des deux frères, puis le 12 juillet 1538 devant notaire. Cela équivalait à priver Marie de la succession de son frère Louis et, donc, à l’écarter des biens de leur père qui revenaient à leur frère aîné. « Pour rendre vaines ses protestations, les deux frères imaginèrent alors l’artifice suivant : Louis céda fictivement sa part d’héritage à un complice, en l’occurrence « Messire François Olivier, Président au Parlement, et chancelier d’Alençon », moyennant la somme de 13 000 livres (8 août 1544). Puis, le 25 novembre suivant, André récupéra les biens par retrait lignager sur le chancelier Olivier, moyennant 13 004 livres ; il lui en avait coûté 4 livres de frais. Grâce à ce moyen, André Guillart se trouva en possession de la plus grande partie des terres de son père ». Cf. Arlette JOUANNA, « André Guillart… », op. cit., p. 244. 537 Du président Lizet, Gaspard Thaumas de la Thaumasière affirme qu’il « avait été longtemps avocat des parties, depuis avocat general du Roy, et premier président au Parlement de Paris, il étoit originaire d’Auvergne, et Homme fort sçavant dans le Droit Romain, qu’il apelloit le Droit commun; il estimoit odieux et devoit être restraint tout ce qui luy étoit contraire, et c’est pourquoy tant qu’il a pû il a rendu cette Coutume conforme aux maximes du Droit Civil, comme l’observent plusieurs Autheurs, et c’est ce qui luy a donné d’éloge de docte et sçavante Coutume […] », Gaspard THAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE, Nouveaux commentaires sur les coutumes generales des pays et duché de Berry, Bourges, 1693, avertissement (non paginé). Pierre Lizet avait été avocat du roi en 1517, puis premier président le 20 décembre 1529. Cf. Edouard MAUGIS, Histoire du Parlement de Paris, t. III, 1520, p. 157. Sur la réalité de son œuvre romanisante, voir ce qui a été dit supra.

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connaisseurs du droit coutumier. Le Corpus Iuris Civilis est à la base de leur formation, et c’est principalement par ce biais qu’ils connaissent la légitime. Après avoir cherché en vain chez les commissaires des éléments éclairant l’introduction de la légitime en pays de coutumes, il faut se tourner vers les commentateurs de ces coutumes et leurs rapports avec le droit romain, pour tenter d’y déceler des indications sur la légitime. B. Les commentateurs des coutumes Malgré l’interdiction pontificale de l’enseigner à Paris, le droit écrit était professé à Orléans ou à Poitiers, c’est-à-dire en plein cœur des pays de coutumes. Il avait formé, en même temps que le droit canonique, toutes les générations de juristes du Moyen Âge. Si les civilistes ne sont pas toujours canonistes, à l’instar de Balde, il n’en va pas de même dans l’autre sens. Les canonistes connaissent le droit de Justinien, ce qui relativise la portée pratique de l’interdiction de l’enseigner à Paris. Quelles qu’aient été les motivations de celle-ci538, le droit romain n’était pas inaccessible aux juristes. En outre, il est notoire que les légistes de l’entourage royal se servent très tôt du droit romain. Certes, l’influence est peut-être plus importante en droit public qu’en droit privé, domaine propre aux coutumes qui nous occupent. Mais une vision trop antagoniste entre le droit romain et le droit coutumier ne semble pas répondre à la réalité. Le droit français s’enrichit, de manière nuancée et complexe, de la double tradition qui est à son origine. De même que le Sud-Ouest, région de droit écrit, présente des éléments coutumiers originaux, conjugués à la logique romaine ; pareillement, le Nord ne répugne pas, par principe, à emprunter des éléments romains, quand ceux-ci viennent résoudre un problème pratique. Il est vrai que le XVIe siècle est un moment charnière du point de vue de l’étude du droit539. Pris entre le déclin du bartolisme et le début de la Renaissance, les juristes de cette époque entretiennent des rapports particuliers avec le droit romain, qui continue d’être à la base de leur formation théorique. Ils acquièrent leur formation juridique dans les universités françaises où le droit romain est enseigné, principalement Orléans, Bourges, Toulouse ou Poitiers ; ou bien ils se rendent en Italie, à Padoue, à Pérouse ou à Bologne, centres indiscutables et d’un immense prestige pour la formation juridique. Ceci suppose une influence directe dans la 538

Au sujet de la Bulle Super speculam, il est intéressant de noter qu’en 1536, Pierre Rebufe écrit un plaidoyer pour le rétablissement de l’étude du droit civil à Paris, car la compréhension des canons est impossible sans le recours aux lois romaines. Il propose une nouvelle lecture de la bulle, en limitant l’interdiction aux clercs. Le débat est très intéressant, mais s’éloigne un peu de notre optique de travail. Disons que l’ensemble de nos recherches incite à la prudence au sujet de l’opposition entre le droit romain et le droit coutumier. Il ne s’agit pas de gommer les différences. Mais la tendance du XIXe siècle, qui idéalise la coutume comme expression du droit populaire, et la place dans une position de résistance quasi militaire au droit romain n’est pas corroborée par nos recherches. Cf. Jacques KRYNEN , « La réception du droit romain en France. Encore la bulle Super speculam », in Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, Paris, n. 28, 2008, p. 227262. 539 « L’ascension sociale des robins et des officiers, autant que la large diffusion de l’enseignement humaniste, a permis l’émergence d’une classe de juristes cultivés qui ont exercé un ascendant intellectuel dont les travaux récents ont révélé l’ampleur. […] Les hommes de loi avaient formé, dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’élite intellectuelle de la France, au point d’apparaître comme les principaux fondateurs de la culture moderne », Jean-Louis THIREAU , « Droit national et histoire nationale : les recherches érudites des fondateurs du droit français », Droits, 2003, n. 38 (naissance du droit français/1), p. 40. Voir également Georges HUPPERT, Bourgeois et gentilshommes. La réussite sociale en France au XVIe siècle, Flammarion, Nouvelle bibliothèque scientifique, Paris, 1983.

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manière de penser de ces juristes, qui gardent la formation intellectuelle reçue au contact des compilations justiniennes et de leurs commentateurs540. La formation romaniste des grands juristes du siècle de la Renaissance est attestée541. On n’évoquera pas Guillaume Budé qui influença le courant humaniste, mais ne joua pas un rôle majeur dans les questions juridiques qui font l’objet de notre travail542. On a choisi quatre auteurs, dont on a déjà parlé, qui réunissent la double condition d’avoir commenté une coutume et de vivre pendant la première moitié du XVIe siècle. Il s’agit de Nicolas Bohier ou Boërius543, commentateur des coutumes de Bourges, de Barthélemy Chasseneux544, commentateur de la coutume de Bourgogne, d’André Tiraqueau, commentateur de la coutume de Poitou et, bien sûr, de Charles Dumoulin, bien connu pour son commentaire de la coutume de Paris, et particulièrement important pour notre étude, puisque c’est habituellement à lui qu’on attribue la paternité de la légitime parisienne dans la coutume réformée de 1580. Tous ces auteurs sont imbus de droit romain, quelle que soit par ailleurs la position personnelle qu’ils adoptent face au droit écrit. Un regard rapide sur leur trajectoire montre des points communs. Bohier, Tiraqueau et Chasseneux exerceront des fonctions au sein des Parlements. Dumoulin excellera surtout dans l’art de la consultation. Nicolas Bohier est né à Montpellier et mort à Bordeaux, où il a présidé le Parlement. Né en pays de droit écrit, l’enseignement qu’il reçoit est très influencé par les glossateurs. Après sa licence juris utriusque il s’installe à Bourges. Il exerce de manière simultanée sa carrière de professeur d’université et d’avocat, en même temps qu’il étudie les coutumes du Berry, dont il publie le commentaire en 1508545.

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« Tous les juristes de l’ancien Régime furent formés à l’aune du droit romain, tous sans exception. Ce furent donc les méthodes d’analyse liées au droit romain qui leur fournirent les cadres de leur pensée, de leur logique d’argumentation », Dominique GAURIER, « La revendication d’un droit national contre le droit romain… », op. cit., p. 44. 541 « Héritiers des juristes médiévaux qui avaient trouvé dans la glose une solide méthode de raisonnement, disciples des maîtres italiens élèves de Bartole et de Balde, les praticiens du XVIe siècle possédaient une remarquable technique d’analyse juridique, et savaient commenter les droits romain et canonique », Christian D UGAS DE LA B OISSONNY , Barthélemy de Chasseneuz (1480-1541), Service de reproduction des thèses de l’université de sciences sociales de Grenoble, Thèse droit, Dijon, 1977, p. V. 542 « Après des études faites dans l’école paroissiale, Guillaume Budé fut envoyé par son père à Orléans, afin d’y apprendre le droit. En agissant ainsi à l’égard de ses deux fils, en effet Dreux Budé, l’audencier de la chancellerie, étudia aussi à Orléans, Jean Budé suivait le courant de l’humanisme, qui donnait une place essentielle à la connaissance du droit. Beaucoup de praticiens, de robins, d’officiers s’étaient mis à cette étude devenue de plus en plus nécessaire. […] Ces études de droit, faites sans beaucoup de gré, constituent une étape essentielle de sa formation. Elles étaient appelées à jouer un rôle déterminant dans sa vie d’érudit et de serviteur du roi », Madeleine FOISIL, « Guillaume Budé (1467-1540) », in Roland MOUSNIER, Le conseil du roi de Louis XII à la Révolution, Paris, PUF, 1970, p. 281. 543 Nicolas Bohier ou Boërius (1469-1539) fut aussi président du Parlement de Bordeaux. 544 Pour l’orthographe de son nom, on suit celle qui est usitée dans les manuels actuels. Voir cependant, ce qui est dit à ce sujet dans une thèse consacrée à cet auteur : « On rencontre de nombreuses orthographes du nom de Chasseneuz : Chassanee, Chassegnieuz, La Chassanée, Chasseneux, Chasseneuz, les auteurs qui ont écrit à son sujet ne pouvant pas arriver à s’accorder sur la traduction française de son nom latin « Bartolomeus a Chassanaeo ». Il est donc souhaitable de se reporter à ce qu’en dit l’intéressé : dans deux lettres que l’on possède encore de lui –BN Mss. Fds. Dupuy : n. 221 (166) et n. 422 (122) –, l’auteur, signant de sa main, écrit son nom Chasseneuz », Christian DUGAS DE LA BOISSONNY, op. cit., p. 2, note 1. 545 Cf. Gérard D. GUYON, « Un arrêtiste bordelais : Nicolas Boerius (1469-1539) », Annales de la faculté de droit, des sciences sociales et politiques et de la faculté de sciences économiques de Bordeaux, Bordeaux, 1ère année, n. 1, 1976, p. 17-44. « La postérité [lui] a fait gloire d’avoir été le premier commentateur d’une coutume de France », Jean YVER, « Le droit de jouissance du survivant des parents

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Tiraqueau illustre particulièrement bien le double courant intellectuel dans lequel baignent les auteurs de la première moitié du XVIe siècle. Fin connaisseur des doctrines et de la méthode bartoliste, il n’est pas pour autant hermétique au nouveau courant humaniste : « disciple de Bartole, il est conquis par Erasme et par Budé »546. Le cénacle de Fontenay-le-Comte, à l’époque centre culturel pluridisciplinaire, exerce une influence notable sur sa formation. C’est là qu’il se lie d’amitié avec Rabelais. Ce cercle est composé aussi bien de littéraires et de philosophes que de juristes, mais « leur point de départ […] est le droit romain, conçu non pas comme un droit savant, mais comme un droit vivant, source lui-même et fondement de la coutume »547. Auteur coutumier à l’esprit façonné par le droit romain, il participe à la rédaction de la coutume de Poitiers, puisque le procès-verbal de cette coutume le cite548. Lieutenant général à Fontenay, il est nommé Conseiller au Parlement de Paris en 1541. Par rapport à notre sujet, son influence est difficile à cerner, étant donné qu’il meurt en 1558, bien avant la réformation de la coutume de Paris549. Barthélemy Chasseneux, comme André Tiraqueau, concentre ses efforts sur le droit coutumier, concrètement sur le commentaire de la coutume de Bourgogne. Contemporain de Tiraqueau, il est Conseiller au Parlement de Dijon en 1525 et au Parlement de Paris à partir de 1535. Il meurt, lui aussi, avant la réformation de la coutume de Paris. Mais il a été conseiller dans ce Parlement. Charles Dumoulin a sans doute exercé une influence notable dans le droit privé de l’époque. La postérité l’a entouré d’une grande renommée, qui surpasse celle de Tiraqueau550, pourtant très respecté en son temps. La formation de Dumoulin a aussi des racines romaines. Lorsqu’il commence ses études de droit, il reste en France et de ce fait il ne subit pas directement l’influence des docteurs italiens551. C’est à Orléans, en pays coutumier, qu’il s’initie au droit. Ses maîtres, particulièrement Pierre Taisant, utilisent la méthode de Bartole, mais « rénovée par l’humanisme »552. Il fréquente également l’Université de Poitiers, réputée à l’époque pour la qualité de son enseignement en droit canonique. Ainsi, sa connaissance théorique du droit est issue essentiellement de l’assimilation des droits savants. Après son passage à l’université, c’est au barreau de Paris qu’il complète son expérience du droit. Au Palais il s’intéresse aux questions concrètes plutôt qu’aux dissertations théoriques. En 1535, il commence son commentaire de la coutume de Paris, rédigée vingt-cinq ans auparavant, suivant en cela la tradition des juristes coutumiers qui honorent ainsi leur ville ou leur région d’origine. sur les biens de ses enfants dans les trois coutumes de Bourbonnais, Nivernais et Berry », in Mélanges Roger Aubenas, RSHDE, fasc. IX, Montpellier, 1974, p. 807. Jacques BREJON , Un jurisconsulte de la Renaissance, André Tiraqueau (1488-1558), Paris, Sirey, 1937, p. II. 547 Ibidem, p. 14. 548 Cf. BdR, tome IV, p. 773 : « Maistre André Tiracgneau, Juge Chastellain audit lieu ». 549 On abordera dans la deuxième partie la jurisprudence concernant la légitime. Le premier arrêt qui la concerne, après la rédaction des coutumes, date du mois de mai de cette même année 1558. Or, Tiraqueau meurt vraisemblablement fin 1558, et il exerça la charge de conseiller jusqu’à sa mort, malgré la renonciation en faveur de son fils faite le 15 octobre 1556 (cf. Jacques BREJON, op. cit., p. 56-57). La participation de Tiraqueau n’est pas mentionnée dans l’arrêt, mais une influence de sa part sur les magistrats qui l’ont rendu n’est pas impossible. 550 Jacques Brejon dit de Tiraqueau, par rapport à Dumoulin, qu’il lui manque « le sens aigu des décisions nouvelles et nécessaires », qui lui aurait assuré la même influence qu’au commentateur parisien. Cf. Jacques BREJON, op. cit., p. 196. 551 Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 27. 552 Ibidem, p. 28. Cet ouvrage fournit l’essentiel des développements qui suivent sur la formation de Charles Dumoulin. 546

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Avant de faire état de leur connaissance de la légitime, on peut se demander quelle est l’attitude qu’adoptent ces commentateurs face au droit romain en général. S’ils sont tous de bons connaisseurs des compilations de Justinien, ils n’envisagent pas de manière tout à fait identique les rapports de celles-ci avec les coutumes. Tiraqueau ne tranche pas entre l’humanisme et les bartolistes, donnant ainsi l’impression de rester dans l’indécision. C’est un auteur coutumier, puisqu’il se donne pour but de commenter une coutume, mais il reste romaniste dans la conception qu’il a des rapports entre le droit coutumier et le droit romain. Il recherche la conformité entre les deux, au profit du droit romain qu’il considère, du fait de son ancienneté, comme le droit commun. Pour lui, comme pour les docteurs italiens, dans le domaine coutumier il faut « restreindre ce qui n’est pas conforme au droit commun et étendre ce qui y est conforme »553. Et cela parce que le droit romain est ancien, écrit et commun, alors que la coutume est récente, orale et locale554. Cette conviction l’amène à mélanger le droit romain à des domaines coutumiers où, à première vue, il n’a pas sa place555. L’admiration qu’il voue au droit écrit est ainsi présente dans toute son œuvre. Il ne fait pas du droit romain « la préoccupation centrale de ses études juridiques, mais il lui emprunte –tant en théorie qu’en pratique– des justifications, des arguments, des raisonnements ; il n’étudie pas le droit romain en soi, il l’utilise »556. Parmi ses abondants écrits, se trouvent deux commentaires des lois romaines, dans la plus pure tradition des romanistes557. Chasseneux reconnaît également au droit romain le rôle de droit commun, et envisage la problématique des rapports entre les droits locaux et le droit écrit dans les mêmes termes que les juristes italiens. Il établit cependant une hiérarchie inverse de celle de Tiraqueau. Dans son étude de la coutume bourguignonne, il met en valeur le caractère spécifique des dispositions coutumières, opposées aux lois romaines auxquelles, de ce fait, il nie une valeur contraignante558. Il est davantage coutumier sous cet aspect, mais ceci ne l’empêche pas d’utiliser largement le droit romain dans ses commentaires, d’autant plus que la coutume qu’il commente a reçu très tôt l’influence romaine et connaît la légitime, qui apparaît déjà dans la rédaction de 1459559. Quant à Charles Dumoulin, il entretient avec le droit romain des rapports qui peuvent sembler ambigus lors d’une première lecture. On découvre vite, cependant, que ses commentaires sont empreints d’un grand respect pour les lois romaines. Il cherche à les adapter aux situations d’espèce qui se présentent dans la pratique juridique de son temps. Comme Tiraqueau, il s’adonne au genre prestigieux du commentaire du droit romain, en publiant en 1550 le Tractatus de donationibus 553

Jacques BREJON, op. cit., p. 74. Cf. ibidem, p. 225. 555 Cf. Jacques BREJON, op. cit., p. 223. 556 Ibidem, p. 223-224. 557 Commentaire de la loi Si unquam (1e éd. 1535) particulièrement intéressante pour notre sujet, et de la loi Boves § Hoc sermone (1e éd. 1554). On y reviendra. 558 « Dans son esprit, ce commentaire avait aussi un autre but : parvenir à une heureuse synthèse entre la coutume du duché, le droit romain –reconnu par les rédacteurs de 1459 comme élément supplétif de cette coutume– et les sources canoniques. Chasseneuz voulait montrer quel était le domaine de la coutume et comment le droit romain pouvait remédier à ses imperfections et à ses silences », Christian DUGAS DE LA BOISSONNY, op. cit., p. VI. Voir également Vicenzo PIANO MORTARI, Diritto romano e diritto nazionale in Francia nel secolo XVI, Milan, Giuffrè, 1962, p. 56-57. 559 Cf. supra, chapitre I, section 2, § 2, A. 554

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factis vel confirmatis in contractu matrimonii et le traité De inofficiosis testamentis, donationibus et dotibus. Bien que ce soit un ouvrage directement lié à une problématique personnelle, la donation accordée à son frère qu’il souhaitait voir révoquer, cela prouve que, au milieu du XVIe siècle, le commentaire des lois romaines a encore sa place, même en pays coutumier. Ses rapports avec le droit romain sont nuancés : il refuse aux règles de Justinien une valeur contraignante, mais leur reconnaît volontiers une valeur pratique et, bien sûr, théorique560. Mais, au-delà de cette appréciation générale du droit romain par rapport au droit coutumier, il convient de regarder de plus près si ces auteurs parlent de la légitime, et dans quels termes. Sur ce dernier point, le constat est unanime. Les quatre commentateurs choisis évoquent la légitime dans leurs ouvrages. Cela n’est pas étonnant pour Chasseneux ni pour Bohier, car la Bourgogne et le Berry connaissent cette institution. Cela peut sembler plus surprenant pour Dumoulin et Tiraqueau, car ni Paris ni le Poitou ne la consacrent lors de la première rédaction. Dans son commentaire aux Consuetudines Bituricences, Bohier n’en parle que pour aborder la question de savoir si un statut est valide quand il diminue la légitime561, ce qui renvoie à la problématique abordée dans le chapitre précédent, propre aux régions du Midi. Dans le recueil des décisions du Parlement de Bordeaux qu’il a laissé, il aborde à plusieurs reprises des questions techniques sur le supplément de la légitime, sur l’incidence du changement de fortune du père sur la légitime, notamment d’une fille dotée, s’il est permis d’aliéner la légitime, malgré une interdiction paternelle, si la légitime doit être payée en nature ou en argent, si l’action en légitime est transmissible aux héritiers, si la légitime peut être grevée de charges562. Autant de questions techniques qu’on abordera dans la deuxième partie. L’intérêt ici est de souligner non seulement la connaissance qu’il a de l’institution, mais la technicité avec laquelle il l’aborde. On n’a pas trouvé chez lui une réflexion théorique sur le fondement de la légitime. Ce n’est pas très étonnant étant donné ses origines du Midi, et sa charge de Président du Parlement de Bordeaux, dont la coutume connaît cette institution. Ce qui est intéressant à souligner est qu’il a enseigné à Bourges, en bordure des pays de droit écrit, et qu’il a aussi étudié et commenté la coutume de Berry. Il a donc travaillé aussi bien en pays de droit écrit que dans une région coutumière à la frontière des pays de droit écrit. Cette mobilité des personnes n’est pas étrangère à la mobilité des idées. Un autre point est à remarquer : lorsqu’il parle de la légitime, il renvoie le plus souvent à Paul de Castres et à ses conseils. Il n’est pas le seul à se réclamer de son autorité.

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« Ultimo vero loco e jure scripto Romano mutuamur, quod et aequitati consonum, et negotio quo de agitur, aptum congruumque invenitur, non quod unquam fuerimus subditi Justiniano magno, aut successoribus ejus : se quia jus illo authore a sapientissimis viris ordinatum, tam est aequum, rationabile, et undequaque absolutum, ut omnium fere Christianarum gentium usu, et approbatione commune sit effectum, ut dixi supra a in proeo. In glo. Num 150 », Charles DUMOULIN, Omnia quae extant opera, Paris, 1681, vol. I, p. 23, n. 110. 561 Après avoir fait référence à la décrétale Raynutius, il affirme : « Nam licet valeat consuetudinem vel statutum per quod minuatur legitima filiorum », Consuetudines Bituricenses praesidatuum […] a Domino Nicolao Boerio, Paris, Gaillot du Pré, 1543, fol. 71, r°, col. 2. 562 Cf. D. N. Boerii, Decisiones burdegalenses summa diligentia et eruditiones collectae et explicatae, Lugduni, sumptibus Pauli Frelon, 1603, décision 62, p. 137, décision 87, p. 170, décision 204, p. 373, décision 250, p. 511, conseil 50, p. 845.

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En 1543, le commentaire de Bohier est publié avec des commentaires de la coutume de Tours et d’Orléans, écrits respectivement par Jean Sainson563 et Pyrrhus d’Angleberme564. La Touraine ne connaît pas la légitime, mais Jean Sainson y fait référence en disant que « legitima debet filio de iure naturali »565. Il aborde la question en commentant l’article 26 du chapitre des successions aux fiefs. Les fondements sont autant scripturaires que romains et canoniques566. Et, dans le goût de l’époque, il prend l’image des animaux. Les oiseaux pourvoient à la nourriture de leurs petits : pour lui, la légitime ce sont les aliments dus aux enfants, et succéder à son père est de droit divin et humain567. Il ne s’agit pas, pour le moment, d’aborder cet aspect de la question. On peut simplement retenir cette information : un commentateur d’une coutume ignorant la légitime, fait appel à elle pour commenter et expliquer le sens d’un article sur les fiefs. Quant au commentaire de Pyrrhus d’Angleberme sur la coutume d’Orléans, il se limite à rappeler le principe de la légitime sous l’article qui y fait référence, au chapitre des donations entre vifs568. On retrouve dans ce passage le renvoi à Bartole, Balde et Paul de Castres, ainsi que la référence au droit naturel comme fondement de la légitime. Un peu plus loin, dans le chapitre sur les donations, c’est par la décrétale Quamvis que les renonciations sous serment sont justifiées. Chasseneux commente aussi une coutume, celle de Bourgogne, qui connaît la légitime. Il en parle dans la rubrique VII, § 1 et 2, sous le mot « leur légitime ». Il ne s’attarde pas à disserter sur celle-ci ; il se contente de renvoyer à Balde et au Code. Il cite également Alexandre, juriste très connu à cette époque569, et Jean Sainson, qu’il appelle dominus meus, et dont on vient de citer le commentaire de la coutume de Tours. La référence au droit naturel ne manque pas570. Il n’hésite pas non plus à souligner, contre Bartole, que la règle le mort saisit le vif s’applique à la légitime571.

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Jean de Xainson ou Sainson, président du bailliage de Chastillon, puis reçu conseiller au Parlement de Paris le 18 janvier 1532, ensuite président au Parlement de Grenoble. On a de lui Turonum consuetudines, imprimé à Paris en 1545, in-quarto. Michel POPOFF, op. cit., n. 2516, vol. II, p. 1026. 564 Né vers 1480, mort en 1521. 565 Cf. Turonenses praesidatuum, a Ioanne Sainson tunc praeside in balliuiatu Castillionensi : deinde consiliario Parisiensi, ac postea praeside in Curia parlamenti Delphinatus, 1543, fol. 297, col. 2. 566 Il cite en effet l’épître de Paul aux Galates, « si filius ergo haeres », ainsi que le livre des Nombres, chapitre 27. Mais il se réfère aussi à la lex pactum quod dotali, et à la querela de inofficiosi testamenti. Il cite également la décrétale Raynutius, Sexte, 2, 11, 2. Cf. ibidem, fol. 296 r°, col. 2 et 296 v°, col 1. 567 « Concludendum est igitur successionem praesertim de patre in filium esse utriusque iuris, scilicet divini ac humani. Humani quippe iam canonici quam civilis, immo plus fuisse in consideratione, etiam in tempore primae naturae legis, ut dicto XX lib. Iliados. Bene verum est, quaedam formalitas succedendi est de iure positivo solum », Cf. Turonenses praesidatuum..., op. cit., fol. 296, v°, col 1. 568 Cf. Aurelianenses praesidatuum, à Pyrrho Englebermo doctore Aurelianensi subtilissimo enucleatae, Parisiis, Apud Ioannem Roigny via ad D. Iacobum, sub Basilico, & quatuor Elementis, 1543, fol. 126. 569 Dumoulin commentera ses consilia. 570 Barthélemy CHASSENEUX, op. cit., rubrica VII, § II, 5 : « quod debetur iure naturali ». 571 « Et adverte quod filius potest in Francia se facere manutenere in vim guardiae in sua legitima sibi de iure debita. Cum in ea sit saisitus in vim consuetudinis generalis, quae est, quod mortuus saisit vivum etiam contra Bart. in l. II C quando & quibus quarta pars debetur libro decimo ut tenet Gul. Benedicti in sua repetitione c. Raynutius in verbo mortuo itaque testatore le second, num 74, extra, de testamentis », Barthélemy CHASSENEUX, op. cit., rubrica VII, § II, in textu ibi Du trespassé, n. 7, col. 911.

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Dumoulin traite de la légitime dans une de ses consultations, à propos du testament de Thomas de Plaine, chancelier de l’archiduc d’Autriche572, ainsi que dans explanatio L. si totas C. de inofficiosis testamentis, donationibus et dotibus agitur573. Mais le texte le plus important est sans doute celui qui concerne le droit d’aînesse. Dans son commentaire de l’article 13 du chapitre sur les fiefs de la coutume de Paris, il affirme : « Quid si non sit nisi unum jugerum feudale vel minus ? Respondeo, totum is spectat soli primogenito jure praecipui. Salvo nisi inquantum deficientibus aliis bonis laederetur relinquorum filiorum legitima, secundum ea quae diximus supra § 13, glossa 4 quaestio 3 »574. Il s’agit d’un cas très particulier, où la succession est réduite en tout et pour tout à un manoir, en absence totale de tout autre type de bien. A contrario, on comprend que Dumoulin admet le privilège de l’aîné, qui peut garder le seul manoir, si les meubles ou d’autres biens peuvent suffire à la subsistance des puînés. Le cas précisé par Dumoulin est une hypothèse particulièrement dramatique, où le privilège de l’aîné laisserait les puînés dans un dénuement total. C’est dans ce cas de figure précis que Dumoulin considère que la légitime doit primer sur le droit d’aînesse. On peut noter au passage que la légitime est admise comme dernier recours dans une situation quasiment désespérée pour les puînés. Il ne s’agit pas d’accepter l’institution en tant que telle, de manière générale, mais de l’admettre comme correctif dans un cas où le droit en vigueur provoque une injustice flagrante. Mais c’est là l’opinion de Dumoulin. Tiraqueau, pour sa part, prône la solution contraire, estimant que le droit d’aînesse est la légitime de l’aîné575. Pour le moment, le but n’est pas d’analyser les positions de fond des uns et des autres, mais d’apporter la preuve de leur connaissance de la légitime par l’étude, y compris pour les auteurs qui appartiennent aux pays de coutumes et qui commentent des coutumes qui l’ignorent. Dans leur esprit, les commentaires des coutumes ne sont pas une simple explication d’une coutume à usage local. C’est une vraie démarche générale. Ils citent les autres coutumes, comparent des solutions différentes. Jacques Brejon affirme que « toute l’œuvre de Tiraqueau peut se ramener à cette somme juridique du droit coutumier, du droit romain, du droit canonique. L’auteur a été à la fois un commentateur des coutumes, du Corpus iuris civilis, et du Corpus iuris canonici. Ces trois courants inspirent manifestement chacun de ses ouvrages »576. Par ailleurs, ces auteurs se connaissent et se citent entre eux. Dumoulin écrit « Et novissime doctissimus ille Andreas Tiraquellus tractatus primogenitorum longe »577 ; Chasseneux, outre son maître Sainson, cite Bohier dans sa rubrique sur

572 Cf. Charles DUMOULIN , op. cit., Consilium XXXV, tome II, p. 909. Ce conseil fut donné à Dôle, « Datum Dolae, 4 Calend. Septembr. ». L’année n’est pas indiquée, mais Dumoulin a séjourné à Dôle en 1555 et 1556. Dôle était terre d’empire et le droit écrit y était en vigueur. 573 Cf. ibidem, tome III, p. 482 et s. 574 Charles DUMOULIN, op. cit., tome I, Tit. I des Fiefs, § XIII, gloss. IV in verbo principal manoir, n. 515, p. 253-257. 575 « Ergo & idem dicendum in iure primogeniturae, quod & ipsa legitima est, ut diximus supra in 5 quaest. », André TIRAQUEAU, Commentarii de nobilitate, et jure primigeniorum, 3e éd., 1584, q. 35, n. 10. 576 Jacques BREJON, op. cit., p. 317. 577 Charles DUMOULIN , op. cit., tome I, p. 227. « Et novissime doctissimus ille Andreas Tiraquellus tractatus primogenitorum longe (quod reor nec enim vidi) locupletissimum absolverit, et propediem in communem omnium utilitatem editurus fit ».

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la légitime578, et Tiraqueau, qu’il connaît bien, malgré le différend qui les oppose579. Tiraqueau cite la décision 204 de Bohier, à propos des statuts qui diminuent la légitime580. Ils se connaissent mutuellement et ont une connaissance commune du droit romain. L’immense prestige de celui-ci n’a pas diminué chez ces juristes du XVIe siècle, malgré les soucis de praticiens qui les occupent au quotidien. Ils ont conservé intact le goût et l’admiration pour le droit écrit et les auteurs italiens. Jean-Louis Thireau observe, en étudiant la diffusion du commentaire de la coutume de Paris fait par Dumoulin, qu’il n’apparaît pas dans l’inventaire des bibliothèques de plusieurs juristes réputés de l’époque. « La préférence des avocats et magistrats allait encore aux commentateurs italiens des siècles précédents, au détriment des ouvrages sur les coutumes, pourtant fort utiles dans leurs professions »581. Le système romain « dont le ‘modèle’ sert de point de départ, en même temps qu’à plusieurs reprises de référence dans notre histoire »582 n’a pas perdu son aura depuis sa redécouverte, malgré des critiques ou des distances plus apparentes que réelles. Il constitue un « élément d’unité au milieu de la diversité » des droits locaux583. Il est vrai, comme le souligne Henri Gilles, que « la richesse acquise par la législation romaine, au cours des mille ans de son développement, est telle qu’elle peut fournir les exemples susceptibles de s’appliquer aux situations les plus divergentes. Une ressemblance apparente permet alors de romaniser les solutions qui, au départ, n’ont été dictées que par les besoins de la pratique à ceux qui ont eu la charge d’assurer au sein de la cité l’ordre juridique »584. Les commentateurs des coutumes connaissent bien la légitime et l’intègrent naturellement dans leur raisonnement juridique, à propos des questions soulevées par leur propre réflexion ou par la pratique. Leur familiarité avec cette institution contribuera à la faire accepter en pays de coutumes. Connue au sud et au centre de la France, étudiée avec l’ensemble du droit romain et du droit canonique par les juristes, la légitime entre en douceur et de manière discrète en pays coutumier, on l’a souligné ; mais c’est peut-être cette romanisation diffuse qui lui donne sa force. Elle ne brusque pas les habitudes, elle vient combler une lacune ou aider des dispositions coutumières –la réserve– à être plus efficaces. C’est un emprunt à une technique voisine connue, afin de pourvoir à 578 « Et de clausula & materiae illius vide Boerium in consuetu Bituricen. Titulus de testamentum § VI col XI gloss. illius § », Barthélemy CHASSENEUX, rubrica VII, § II, n. 8. 579 Tiraqueau louait Chasseneux pour son ouvrage, mais le critiquait durement pour ses emprunts. Cf. Christian DUGAS DE LA BOISSONNY, op. cit., p. 57. 580 André TIRAQUEAU, Commentarii de nobilitate, et jure primigeniorum, q. 35, n. 10. 581 Jean-Louis THIREAU, op. cit., p. 32, note 84. 582 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, op. cit., n. 72, p. 98. 583 Cf. Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 92. Forts de ce prestige du droit romain, certains seraient tentés de tout réduire à une influence romaine, ce qui est excessif. En ce qui concerne de plus près notre domaine –le droit successoral–, les juristes coutumiers, on l’a vu, connaissent et utilisent le droit romain pour trouver des solutions à des problèmes pratiques. La légitime est romaine. Mais ce n’est pas le cas de la réserve coutumière, analysée précédemment. On ne peut pas lui attribuer des origines romaines, comme l’a fait Jean Engelmann, qui voit dans la réserve une institution issue du droit romain via l’influence canonique. Cf. Jean ENGELMANN, Les testaments coutumiers au XVème siècle, Genève, Slatkine-Megariotis Reprints, 1975, réimpression de l’édition de Paris de 1903, p. 37. Cette analyse n’est pas fondée, comme on l’a montré au chapitre I, section I. 584 Henri GILLES, Les coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Imp. Espic, Toulouse, 1969, p. 13.

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ses propres besoins. C’est pourquoi son introduction est entourée d’acceptation pacifique585, parce qu’elle ne semble pas bousculer les mœurs successorales dans leurs fondements. Elle fournit seulement un outil dont on manquait. La maîtrise du Corpus iuris civilis de la part des juristes n’explique pas totalement le recours à la légitime dans leurs commentaires des coutumes qui l’ignorent. Les juristes savent qu’en droit romain, par exemple, le patrimoine constitue un ensemble de biens beaucoup plus unitaire. Ce n’est pas pour autant qu’ils ont supprimé la différence entre les propres et les acquêts ou conquêts. Le recours à la légitime ne répond pas à une simple volonté de romanisation. Il a lieu dans un contexte de logique coutumière, où on cherche à porter remède aux carences de la dévolution successorale telle qu’elle est mise en œuvre, tant chez les nobles que chez les roturiers. De toute évidence, les circonstances et les besoins nouveaux demandent une adaptation du droit successoral, qui offre une protection insuffisante. § 2. L’insuffisance de la protection successorale coutumière La réserve se trouve cernée par deux mouvements contraires, qui la vident de son efficacité. D’une part, on permet de payer les dettes sur les immeubles si les meubles ne peuvent le faire, même si le principe continue d’être que les meubles sont sièges des dettes586. Le créancier est autorisé à vendre les immeubles en justice à la fin du XIVe siècle à Paris et au XVIe siècle pour un certain nombre de coutumes. Même les exécuteurs testamentaires peuvent avoir l’autorisation de la justice pour vendre et pouvoir accomplir la volonté exprimée dans le testament. Ainsi l’affirme l’article 38 du chapitre VI de la coutume de Meaux, rédigée en 1509 : « Quand il n’y a point de biens meubles en la succession d’aucun trepassé, qui a nommé et esleu aucuns executeurs, iceux executeurs peuvent engager, hypothequer, vendre à faculté de réemerer, si à ladite faculté de réemerer ils trouvent acheteurs, alias peuvent vendre simplement des heritages demourez du decès dudit deffunct, en ayant permission de Justice : pourveu que preallablement ils ayent denoncé aux heritiers dudit defunct, s’ils sont presens, si leur intention est de fournir d’autres biens, pour accomplir le testament et volonté dernière dudict defunct, obseques et funerailles. Et lesquels heritiers, si bon leur semble, peuvent distribuer argent ausdits executeurs, pour fournir et accomplir ledit testament et derniere volonté dudit defunct, et payer ses obseques et funerailles. Et si lesdits heritiers fournissent argent, lesdits executeurs ne peuvent engager, hypothequer, vendre à faculté de réemerer, ne simplement, des heritages dudict defunct »587. Si, pour accomplir une volonté testamentaire, on permet d’exécuter les immeubles, a fortiori on peut penser que cette faculté est accordée aux créanciers. C’est ainsi que l’idée d’un patrimoine gage de toutes les dettes progresse petit à petit. Comme le souligne Anne-Marie Patault, « l’immeuble commence à échapper lentement à la forte emprise familiale et seigneuriale »588, puisqu’il peut être vendu sans l’autorisation de la famille dans ce type de cas. L’intérêt de la distinction successorale entre héritiers des meubles et des

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Comme on a eu l’occasion de le signaler, les procès-verbaux de rédaction des coutumes sont avares en informations au sujet de la légitime : tout au plus, il disent que l’article est « nouvellement accordé ». 586 Dans ce sens, par exemple, la coutume de Sens prévoit que si les héritiers des meubles sont insolvables, on puisse se retourner contre les héritiers des propres. Cf. coutume de Sens, art. 71, BdR, tome III, p. 489. 587 BdR, tome III, p. 384-385. 588 Anne-Marie PATAULT, op. cit., n. 235, p. 282-283.

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immeubles, qu’ils soient propres ou conquêts, commence à s’estomper, en tout cas, en ce qui concerne l’intérêt pratique d’échapper aux dettes. D’autre part, les meubles grandissent en importance et en nombre, sans changer de régime juridique : ils sont toujours à la libre disposition de leur propriétaire. Dans une économie marchande où la circulation des biens se fait de plus en plus capitale, la réserve ne protège pas les familles contre les aléas des nouvelles fortunes. Il est nécessaire de trouver une autre voie pour protéger les héritiers. Les nouveaux défis incitent les juristes à chercher la solution dans le droit romain, concrètement dans l’institution de la légitime, car elle répond parfaitement aux besoins nouveaux. L’idée d’y avoir recours s’appuie-t-elle sur des précédents coutumiers ? La question ne peut être éludée. Mais lorsque les juristes du XVIe siècle envisagent l’adoption de la légitime, c’est en tant qu’auxiliaire de la réserve. Ils ne s’aperçoivent pas de la différence de nature entre les deux institutions. L’analyse des précédents coutumiers (A) met en lumière l’absence de réflexion approfondie sur la nature de la réserve de la part des juristes. Ce manque, uni à la volonté de résoudre les questions pratiques qui se présentent, facilite la confusion entre la réserve et la légitime. Ce qui amène à s’interroger sur la capacité et les probabilités d’adaptation de la réserve aux nécessités nouvelles (B). A. L’analyse des précédents coutumiers On a suffisamment montré le rôle principal de la réserve en droit successoral coutumier, mais il convient d’examiner s’il y a, de manière secondaire, des antécédents sur lesquels les juristes du XVIe siècle peuvent s’appuyer pour introduire la légitime. Certains coutumiers du XIIIe siècle parlent d’une soustenance due aux enfants. Elle peut faire penser à la légitime, parce qu’elle s’applique aussi bien aux donations qu’aux legs, alors que la réserve ne concerne que les legs. Il convient donc d’envisager si la notion de soustenance (1) constitue un précédent pour l’introduction de la légitime en pays de coutumes. Or, son analyse amène à approfondir la différence existante entre les donations entre vifs et les legs (2), distinction qui s’avère fondamentale dans le régime juridique de la réserve, et qui crée les conditions propices à l’accueil de la légitime. L’approfondissement de ces notions permet de mieux saisir le parallèle entre soustenance et légitime (3). 1. La notion de « soustenance » En parlant de la coutume de Clermont-en-Beauvaisis, qui prévoit une réserve de la totalité des propres quand le de cujus laisse des enfants, on a fait une simple allusion à un texte de Beaumanoir. Il établit une protection pour les enfants, afin d’éviter qu’ils ne se trouvent déshérités, par le biais de la notion de soustenance qui, sous bien des aspects, fait penser à la légitime. En effet, la soutenance est ce que le fils doit trouver dans la succession de son père. Pierre de Fontaines en parle également. Ces auteurs ont étudié le droit romain589. Ils connaissent la légitime et ils

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« Je ne pense pas que Pierre de Fontaines ait cherché à soumettre les doctrines féodales au droit romain, mais bien à appliquer à ces doctrines les lois romaines qui, concordant avec elles, pouvaient alors être susceptibles d’application à ce droit », M. A. J. MARNIER, Le conseil de Pierre de Fontaines, éd. MARNIER, Paris, 1846, introduction, p. XIV. « Je pense que Pierre de Fontaines fait dans son ouvrage un

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la trouvent à la fois plus humaine que la réserve, et plus souple du point de vue technique590. Beaumanoir est persuadé d’y trouver l’expression d’un droit supérieur591, et il estime nécessaire, ou du moins utile, le contrôle de la capacité de disposer de ses biens, y compris sur la quotité disponible. Le but est d’éviter que les enfants du de cujus se retrouvent dans le besoin. L’idée romaine d’officium pietatis est le centre de son raisonnement, et elle l’amène à cette mesure prudente592. Pourtant, le mot légitime n’apparaît pas dans leurs écrits. Ils évoquent le droit des enfants à une soustenance de la part de leurs parents. S’agit-il de la légitime ? La signification précise de soustenance n’est pas explicitement définie. On trouve le terme dans le dictionnaire de Godefroy, qui cite le § III du chapitre XXXIV du Conseil de Pierre de Fontaines. Il rapporte également une citation des Coutumes de Beauvaisis de Beaumanoir593. Mais il ne leur donne pas une signification juridique particulière ; ils sont placés à la suite d’autres exemples du mot, qu’il interprète de manière générale comme « soutien, appui, subsistance »594. Jean de Laplanche a consacré une étude aux termes de pourvéance et soutenance aux XIIIe et XIVe siècles595. On reviendra sur ses conclusions, mais auparavant, il faut analyser les textes de ces auteurs. Pierre de Fontaines fut bailli de Vermandois en 1253, et Philippe de Beaumanoir le fut en 1289596. Le Conseil à un ami date de 1253 ; Beaumanoir écrit les Coutumes de Beauvaisis en 1283 : trente ans de distance les séparent. Beaumanoir a vraisemblablement connu le texte de Pierre de Fontaines597. choix des Lois romaines qui s’accordent aux us et aux coutumes du Moyen Age ; ce sont certaines maximes du droit civil appliquées aux coutumes de ces temps reculés », ibidem, p. XVII. 590 « Dès le XIIIe siècle, les praticiens, formés au Droit romain, connaissaient la légitime : Pierre de Fontaines (XXXIII) et Beaumanoir (382) la trouvent plus humaine que la réserve, car elle protège les enfants même si la succession ne comporte que des meubles, et même contre les donations entre vifs ; elle a aussi plus de souplesse technique : elle est une pars bonorum (et non comme la réserve une pars hereditatis) et, par conséquent, se calcule sur l’actif net de la succession, après déduction des dettes et appartient même à l’héritier renonçant », Paul OURLIAC et Jean-Louis G AZZANIGA, Histoire du droit privé français de l’An mil au Code civil, Paris, Albin Michel, 1985, p. 339. 591 « La soutenance successorale, dont il préconisait l’aménagement, était [pour lui] l’expression certaine d’un droit supérieur, [elle] était réclamée par la raison humaine », Jean de L APLANCHE , La “ soutenance ” ou “ pourvéance ” dans le droit coutumier français aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, Sirey, 1952, p. 123. 592 Cf. Michel PETITJEAN, « L’acte à cause de mort dans la France coutumière du Moyen Âge à l’époque moderne », in Actes à cause de mort, Recueil de la Société Jean Bodin, tome 60, 2e partie, Bruxelles, 1993, p. 104. 593 Chapitre XII, 17, cité d’après l’édition de Beugnot (Paris, 1842). Il correspond au n. 382 de l’édition de Salmon : « Nous avons dit en cel chapitre meisme que chascuns puet lessier en son testament le quint de son eritage et ses muebles et ses conquès. Nepourquant se li remanans de son eritage n’est pas si grans qu’il soufise a la soustenance de ses enfans, et li mueble et li chateus sont grant et il n’en lesse nul a ses enfans, ainçois les lesse tous a estranges persones, nous ne nous acordons pas que teus testamens soit tenus, ainçois doit estre retrait du testament tant que li oir puissent resnablement avoir leur soutenance selonc leur estat, essieutés II cas ». Et il continue en spécifiant ces cas : quand le testateur déclare qu’il fait ce legs pour réparer le torfet, car il n’est pas légitime que l’héritier s’enrichisse grâce aux torts de son père, et que personne n’est aussi digne de foi que celui qui reconnaît son tort dans un testament. Le second cas où le testament est valable est celui où il est déclaré que l’héritier a causé un tort au testateur : une vie malhonnête etc., ce sont des causes légitimes d’exhérédation. Il précise bien que les quatre quints protégés par la réserve ne peuvent être ôtés aux héritiers, même pour des justes causes d’exhérédation. Celles-ci ne peuvent concerner que la quotité disponible des propres, ainsi que les meubles et conquêts. 594 Frédéric GODEFROY, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècles, Paris, 1892, tome VII, V° Soustenance, p. 558, colonne 2. 595 Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, op. cit., Paris, Sirey, 1952. 596 Cf. Le conseil de Pierre de Fontaines, éd. MARNIER, Paris, 1846, introduction, p. II et VII. 597 Cf. ibidem, p. XX.

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On s’intéresse moins aux textes de Pierre de Fontaines, car son but était d’instruire dans les lois romaines598. On peut cependant citer le paragraphe où il se prononce clairement en faveur d’une soustenance due aux enfants, dans un souci d’équité. C’est au sujet des droits des puînés : « Et merveille est que s’il départ plus del tierz, li ainnez le puet rapeler, par nostre usage, et s’il départ meins que le tierz, li autre ne puent pas pleider por le parfère, et c’est, ce quit, por ce que li mainsné n’ont pas, par nostre usage, certaine partie, se li peres ne lor devise ; mès il ont sostenance, selonc l’éritage le père, et lor hautesce »599. Ce passage est indissociable des deux suivants, par lesquels Pierre de Fontaines affirme que, si les puînés sont lésés de plus d’un tiers par les dispositions du père, ils peuvent ne pas accepter le testament et demander leur soustenance à l’aîné, à condition de ne pas la trouver dans les biens non nobles, auquel cas ils perdent ce droit : « Se li pères devise à ses enfanz molt loins del tierz, et si que, selonc le fié et selonc lor hautesce, n’aient pas li enfant lor sostenance, il pueent lessier le devis lor pere, s’il vuelent, et requerre lor frère qu’il lor face et doint lor sostenance selonc le fié et lor hautesce »600. « Quant li pères devise entre ses enfanz assez mains que le tierz de son franc-fié, se les parties des censives et des vilenaiges lor sosfist à avoir raisnable sostenance, il ne pueent plus demander al ainné »601. Bien que, du fait de l’intention de l’auteur, ces textes ne puissent pas nous renseigner sur l’esprit coutumier au sens strict, il est intéressant de relever que son souci d’équité se manifeste exactement dans la même hypothèse que nous avons rencontrée chez Dumoulin. Les deux juristes ont des vues parfaitement convergentes sur ce point, à trois cents ans de distance : le droit féodal prime, mais pas au point de laisser les puînés dans le dénuement total. Dans ce cas extrême, faute de trouver d’autres biens dans la succession paternelle, les droits de l’aîné doivent s’effacer afin de pourvoir à la subsistance des puînés602. C’est ainsi que Dumoulin se prononce en faveur de la légitime des puînés plutôt que des droits de l’aîné dans ce cas très précis.

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« Le conseil que Pierre de Fontaines donna à son ami, ayant entrepris de former un jeune gentilhomme dans la science des lois romaines qui étoient reçues en France et dans l’ordre judiciaire qui s’y observoit afin qu’il put par les connaissances qu’il en acquerroit gouverner son bien et sa famille et parvenir aux charges qui étaient instituées pour la distribution de la justice », J. MARNIER, Introduction, p. III, cité par Anne LEFEBVRE-TEILLARD, « Recherches sur la pénétration du droit canonique dans le droit coutumier français (XIIIe-XVIe siècle) », MSHDB, 40e fasc., 1983, p. 61, note 3. 599 Pierre de FONTAINES, Le Conseil de Pierre de Fontaines, éd. A. J. Marnier, Paris, Durand et Joubert, 1846, chapitre XXXIV, § III, p. 417. Les mots « lor hautesce » sont à comprendre dans le sens moral de grandeur, dignité. 600 Pierre de FONTAINES, op. cit., chapitre XXXIV, § IV, p. 417. 601 Ibidem, chapitre XXXIV, § VI, p. 418. Le mot devis signifie partage, division, mais aussi disposition, souhait, désir, intention, volonté. Il est l’équivalent de partage mais aussi de testament. Cf. Frédéric GODEFROY, op. cit., tome II, p. 701, colonne 1. 602 Nous reproduisons les passages déjà cités de Charles Dumoulin : « Quid si non sit nisi unum jugerum feudale vel minus ? Respondeo, totum is spectat soli primogenito jure praecipui. Salvo nisi inquantum deficientibus aliis bonis laederetur relinquorum filiorum legitima, secundum ea quae diximus supra § 13, glossa 4, quaestio 3 ». Charles DUMOULIN, op. cit., art. XVII et XVIII, glose I, n. 3, p. 276. « Tunc quia hic agitur de virtute comprehensiva, unde largissime debemus interpretare in favorem primogeniti, et nullo modo restringere per ea quae supra eodem gloss. 3 in fine. Limita ut procedant quando feudum non consistit nisi in mansione et eius clausura. Secus si etiam consisteret in juribus subfeudorum, vel censuum inde dependentium, ut dicemus in § seq. limito secundo, si non superessent alia bona in hac successione, puta quia non est nisi illa mansio, vel si sint aliae res, exhauriuntur aere alieno, vel funeris impensa, aut alias non sufficiunt ad legitimam reliquorum filiorum », glose IV sur le mot « principal manoir » de l’art. XVII, ibidem, n. 5 (col. 2), p. 254.

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Alors que pour Pierre de Fontaines, la soustenance successorale se dégage surtout à partir de problématiques rencontrées dans le droit féodal, trente ans plus tard, pour Beaumanoir, cette notion s’inscrit d’emblée comme une institution « du droit successoral général »603. Elle fournit des éléments intéressants pour l’étude de la progression de la légitime. Beaumanoir établit un frein à la liberté totale des donations entre vifs par la notion de don outrageux. Le fondement de ce frein est de type moral : c’est l’équité qui commande de veiller à un certain équilibre entre les parts échues aux frères. C’est cette même idée de don outrageux qui fera venir la légitime en terrain coutumier. Il est important de souligner que cette notion de don outrageux ne bénéficie qu’aux enfants et à l’intérieur de leur cercle ; il faut la comprendre en lien avec le groupe de coutumes auquel appartient la coutume de Beauvaisis. Elle est une coutume qui, à l’époque de Beaumanoir, semble être d’égalité stricte pour les donations entre vifs faites par les parents à leurs enfants : elles doivent être de la même valeur que la part héréditaire, sinon les frères et sœurs peuvent demander le rapport de l’excédent à la mort de leurs père et mère. Mais si ces dons sont faits en vue du mariage, les parents peuvent avantager l’enfant donataire surtout en donnant des meubles et des acquêts. A l’ouverture de la succession, l’enfant a le choix entre se porter héritier ou s’en tenir à son don : c’est donc une coutume d’option. Plus tard, c’est le système d’option qui est généralisé pour tout type de don, et c’est en tant que coutume d’option qu’elle est recensée par Jean Yver. Plus que pour limiter la faculté générale de donner, Beaumanoir se sert du concept de don outrageux pour mettre une borne à la liberté laissée à l’enfant par le principe de l’option. Il ne faut pas que le jeu de l’option entraîne une inégalité trop importante entre les enfants. C’est exactement le mécanisme que suivra la légitime quelques trois cents ans plus tard, lorsque les coutumes d’option prendront conscience de la trop grande disparité que peut entraîner leur bienveillance vis-à-vis de l’enfant donataire. Une précision importante est à signaler cependant : le don outrageux tient pendant la vie des parents ; il ne sera réduit, le cas échéant, qu’à l’ouverture de la succession, c'est-à-dire à la mort du père ou de la mère. La nature outrageuse du don ne peut s’évaluer qu’au moment où s’ouvrent les droits des enfants, c’est-à-dire au moment de la mort du père ou de la mère. C’est seulement alors qu’on mesure la quotité qui devrait correspondre à leur soustenance, et qu’on évalue en conséquence si le don fait à l’un des enfants a été outrageux par rapport à ses frères et sœurs604. Il en sera de même pour la légitime plus tard.

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Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, op. cit., p. 103. Cf. Philippe de BEAUMANOIR, op. cit., n. 383 : si les héritiers ont la soutenance par ailleurs, il est possible de tester en faveur des étrangers. Derrière la notion de don outrageux pointe la doctrine romaine de l’exhérédation, qui doit être justifiée. La doctrine romaine de l’exhérédation continuera d’inspirer d’autres auteurs coutumiers postérieurs. Cf. par exemple ce texte de Jean Boutillier : « De desheriter son enfant par testament. Il y a une loy qu’on appelle Des testaments contre pitié, c’est quand le père & la mère desheritent leurs enfans sans juste cause. Et dit la loy escrite que si le pere desherite son enfant sans que l’enfant l’ait desseruy vers le pere, ne qu’il l’ait courroucé moult durement, si comme d’avoir attouché à luy par violence, ou d’avoir traicté à sa mort ou à son deshonneur, touchant infamie, ou de trahyson pourchassee contre luy, sçachez que le fils a cause de venir contre ledit testament, par lequel il est ainsi desherité, & y est à recevoir, & si tost qu’il s’en trait à la loy, & il appert qu’il en est droict hoir, il doit estre mis en possession de la chose verbalement, c'est-à-dire la chose doit estre mise en sa main par le Iuge, & jour assigné aux parties pour proceder sur ce comme il appartiendra », Jean BOUTILLIER , Somme rural ou Grand Coustumier general et pratique, civil et canon, édition revue et corrigée par Louys CHARONDAS LE CARON, Paris, 1611, livre I, titre CIII, p. 604.

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Ainsi donc, la notion de don outrageux est inséparable chez Beaumanoir de celle de soustenance, cette dernière servant en partie à déterminer l’existence de la première. En effet, un critère pour savoir si un don a été outrageux est de voir si les autres frères et sœurs trouvent dans l’héritage paternel de quoi « resnablement avoir leur soutenance selonc leur estat »605. Il en ira de même de la légitime plus tard. On peut donc affirmer clairement que la soustenance décrite par Beaumanoir est un précédent de la légitime introduite dans la coutume de Clermont au XVIe siècle. A l’appui de cette analyse interne du texte, précisons que le procès-verbal de la coutume rédigée en 1539, qui introduit explicitement la légitime, indique que l’ancienne coutume parlait d’un don outrageux, et que le besoin s’est fait sentir de préciser de manière plus claire quelle est la quotité concernée606. Cela a d’autant plus de force qu’il est rare de trouver dans les procès-verbaux de rédaction des coutumes la mention des raisons qui justifient une nouveauté. Il est bon d’approfondir davantage ce précédent de la légitime en lien avec le droit successoral coutumier et la réserve en particulier, afin de mieux comprendre pourquoi la protection du droit successoral coutumier a semblé insuffisante au XVIe siècle. Le désintérêt de la réserve pour les donations entre vifs suscite des interrogations, d’autant plus que le terme de soustenance apparaît chez Beaumanoir aussi bien dans le chapitre consacré aux donations, que dans celui qui traite du testament. Pourquoi n’a-t-il pas, tout simplement, élargi le domaine d’application de la réserve aux donations, afin de préserver cette soustenance qu’il souhaite pour les enfants du donateur ? Pourquoi, alors qu’il s’agit de deux types d’actes de disposition à titre gratuit, la réserve est très importante pour les legs et, en revanche, laisse toute latitude pour disposer des biens, y compris les propres, moyennant des dons entre vifs ? On a vu que la réserve apparaît au moment où la liberté individuelle fait courir des risques au patrimoine familial, par la pratique des dons. Cependant, lorsque émerge la distinction entre les legs testamentaires et les autres types de dons, la réserve se limite uniquement à protéger contre les legs testamentaires, laissant une entière liberté pour les dons qui se séparent de la logique des testaments, et qui sont appelés donations entre vifs. 605

Philippe de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, éd. Salmon, Paris, 1899, n. 382. « Et après la lecture faicte du cent vingt neuvième article, de la rubriche des Dons et dispositions entre vifs, aucuns desdits advocats, praticiens et autres desdeit Estats, ont remontré qu’ès anciens livres coutumiers estoit couchée une coutume non comprise ici dessus, contenant ce qui s’ensuit. Item Quand le père qui a plusieurs enfants donne à l’un d’eux en faveur de mariage ou autrement, par trop excessivement de ses heritages, en manière que les autres enfans après le trépas de leur père et mère se treuvent par trop excessivement desheritez, et ne vient leurdit frère à rapporter, ains se tient à ce que donné luy a esté par sondit père; en ce cas tems dons excessifs n’ont lieu, ains se doivent rescinder et reformer par Justice, ainsi que l’on verra estre à faire par raison, laquelle coutume ils ont veu de tout temps observer, alleguer ou pratiquer. À cette cause ont requis qu’elle soit mise en ladicte rubriche, comme ancienne; et pource qu’aucuns procès sont advenus, entre aucuns des sujets dudit Comté, sur l’intelligence de ladite coutume, parce qu’elle ne détermine jusques quelle portion ou quantité, le père ou mere peuvent donner à leurs enfants des biens de leurs successions, pour estre dit le don valable et non excessif, ont demandé ladite Coutume estre en ce regard augmentée pour obvier ausdicts procès; laquelle requeste mise en délibération, et après que tous les assistants ont concordablement certifié ladite coutume estre ancienne, avons ordonné par l’opinion de la plus grande et saine partie, qu’en interprétant et donnant plus claire intelligence à ladite coutume ancienne sera mis et de nouvel introduit l’article cotté cent vingtneuf », BdR, tome II, p. 789. 606

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Si, jusqu’à présent, on a approfondi la nature de la réserve en tant qu’institution de logique purement successorale issue d’un compromis, il faut maintenant creuser davantage, en éclairant cette institution grâce à l’étude de la spécificité des notions de legs testamentaire et de donation entre vifs. D’autant plus que la différence entre les deux se forge au moment où la réserve commence à être solidement établie. Cela pourra éclaircir les raisons de l’existence de deux régimes juridiques différents pour ces deux types d’actes. On pourra ainsi mieux comprendre le caractère complémentaire que les juristes du XVIe siècle ont cru trouver dans la légitime, mise au service de la réserve. 2. La différence entre les legs et les donations entre vifs Un texte de Beaumanoir précise la différence entre legs et donation entre vifs : « Il a disference entre les dons qui sont fet en testament et ceus qui sont fet hors de testament, car il est clere chose que tout ce qui est pramis ens testament, soient don ou aumosnes ou restitucions, pueent estre rapelees par celui qui fet le testament, ou pateticiees, ou creues a sa volenté tant comme il vit, mes ce ne puet on pas fere des dons que l’en donne ou pramet hors de testament, car il les convient aemplir. Et la resons si est que l’en ne puet a nului demander tant comme il vit par reson de testament, pour ce qu’il loit a celi qui le fet a amender ou a rapeler loi si comme il est dit dessus »607. La différence fondamentale réside dans l’effet immédiat et irrévocable de la donation faite hors testament, alors que les dispositions contenues dans l’acte de dernière volonté peuvent être changées tant que le testateur est en vie, et n’ont d’effet qu’à la mort de celui-ci. Ce dont il dispose dans son testament ne peut lui être demandé de son vivant. Les arrangements testamentaires n’ont aucune force juridique avant la mort de l’auteur du testament. En revanche, les dons entre vifs, « il les convient aemplir », dit Beaumanoir. C’est une obligation actuelle et présente, sur laquelle on peut juridiquement exercer une contrainte en obligeant le donateur à tenir ses engagements. C’est la donnée temporelle qui crée la différence. La donation entre vifs est un acte qui concerne le présent, alors que la donation par legs vise le futur608. La donation entre vifs est un droit acquis au donataire, qui n’est révocable qu’en cas de faute grave de celui-ci. Le legs n’est qu’un espoir, qui ne deviendra réel qu’à la mort du testateur et à condition qu’il laisse suffisamment de biens dans son patrimoine pour pouvoir satisfaire ce legs. Si la réserve abandonne les donations, c’est en partie parce que les caractéristiques de la donation sont en elles-mêmes une sorte de mesure de protection, autant psychologique que juridique. Donner et retenir ne vaut : l’obligation de se dessaisir du bien de manière immédiate, sans retour possible, incite à la prudence609. Mais, en protégeant seulement les legs, la réserve accorde 607

Philippe de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, op. cit., chapitre XII des testaments, n. 404. On pourrait faire le parallèle avec le droit matrimonial, sur l’engagement d’épouser une personne par paroles de présent ou par paroles de futur. « Les théologiens français, à la suite de Pierre Lombard, firent prévaloir une distinction fondamentale entre ce qu’ils appelèrent « les paroles de futur » (l’engagement à un futur mariage) et « les paroles de présent » (l’échange des consentements, emportant mariage actuel). C’était revenir à la distinction romaine entre fiançailles et mariage », Jean GAUDEMET, Eglise et cité. Histoire du droit canonique, Paris, Cerf-Montchrestien, 1994, p. 561-562. 609 « Si l’on peut être tenté de disposer par legs testamentaire de tous ses biens en faveur d’un étranger pour le temps où l’on aura quitté ce monde, il est bien rare que l’on songe à se dépouiller de tous ses biens de son vivant, quand on pense avoir de longs jours encore à passer sur terre. Aussi, en raison des garanties que la donation entre vifs présente contre des libéralités excessives, garanties discernées par les juristes du XIIIe siècle qui sont les agents directeurs du droit coutumier, la coutume reconnaît-elle bientôt 608

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surtout de l’importance à la notion d’espoir futur. Cela semble en accord avec la défense des intérêts du lignage. En effet, la famille n’a pas un droit actuel sur le patrimoine ; cela entraînerait l’impossibilité d’en disposer, quel qu’en soit le moyen. Or, on peut vendre, échanger ses biens et, pour certains d’entre eux, les meubles et conquêts, la liberté d’en disposer est totale y compris à titre gratuit. Même le retrait lignager, s’il est une gêne, n’empêche pas la mobilité du patrimoine. La protection qu’il offre s’attache à la conservation matérielle d’un bien déterminé dans la famille, mais exercer le retrait suppose rembourser l’acquéreur du prix de la vente. Au total, il y a bien une diminution du patrimoine ; elle est seulement reportée sur un autre type de biens, l’argent. L’exercice du retrait lignager évite la perte d’un bien précis, mais il est un acte onéreux qui tient compte des actes de disposition posés par le propriétaire actuel des biens familiaux. Si le lignage peut récupérer un bien précis par ce biais, force est de constater qu’il ne peut pas éviter un changement dans le patrimoine. Le retrait montre surtout la hiérarchie qu’on établit entre les différents types de biens. Pour préserver les propres, on se détache des meubles, en l’occurrence de la somme d’argent correspondant à la vente. Ainsi, la réserve n’est pas une sorte de mesure conservatoire pour éviter une diminution de l’actif total ; elle n’est mesure conservatoire qu’à l’égard d’une catégorie de biens, placés au sommet de la hiérarchie du patrimoine familial, et qu’elle entend mettre à l’abri de la liberté du propriétaire actuel. Il est important de bien comprendre ceci : la réserve est une protection de l’espoir raisonnable que la famille peut entretenir au sujet des biens des ancêtres. Le titulaire actuel de ce patrimoine se doit de les transmettre si possible tels qu’il les a reçus. On lui permet, par compromis, la maîtrise d’une petite quotité disponible. La réserve est le pont entre le passé et l’avenir. Le présent, c'est-à-dire le laps de temps correspondant à la vie du titulaire actuel du patrimoine familial, reste pour elle uniquement un objet d’observation passive. Ce n’est qu’à la mort du père que la réserve s’intéressera aux nouveaux biens immeubles ayant intégré son patrimoine, et les incorporera dans la catégorie à protéger : l’acquêt du père est le propre du fils. Un nouveau présent débute alors, qui durera le temps de la vie du fils. Le même processus de défense d’un passé qu’on espère retrouver dans le futur recommence à chaque génération, à chaque transmission du patrimoine. La famille, à travers la réserve, ne peut empêcher les donations entre vifs parce qu’elle n’a pas un droit actuel sur le patrimoine, mais un droit futur qui ne deviendra effectif qu’à la mort du titulaire des biens. C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre pourquoi le patrimoine est, dans un certain sens, mieux protégé contre la vente que contre la donation qui, en général, n’est pas touchée par la réserve. En effet, si l’objectif de la réserve était de maintenir un certain niveau de richesse dans le patrimoine, la logique demanderait de protéger davantage les donations qui ne supposent pas de contrepartie patrimoniale, plutôt que la vente, qui est en réalité l’échange d’un bien par un autre. Or, sur cette dernière, on peut exercer le retrait lignager, alors que rien ne peut s’opposer à la donation entre vifs. C’est bien le signe que le but de la réserve est autre. Elle concerne les droits de la famille pour le futur ; les donations concernent la gestion du patrimoine pour le présent. Il s’agit de deux registres différents. aux individus, extrêmement gênés, pour réaliser des dons durant leur vie, par l’obligation d’asseoir la quotité disponible du quint sur chaque héritage en particulier, la faculté de donner entre vifs tous leurs héritages à des étrangers », Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 177.

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Enfin, si la réserve se désintéresse des donations faites à des étrangers, à plus forte raison elle abandonnera celles dont les bénéficiaires sont les enfants. Dans ce cas, le lignage n’a rien à craindre, car les biens restent à l’intérieur de la famille. Le but de la réserve est atteint, il n’est pas nécessaire de prévoir une protection supplémentaire. Cette raison liée au temps semble être la principale explication du manque d’attention portée par la réserve aux donations entre vifs. Elle s’accorde avec le caractère strictement successoral de la réserve. Au-delà de la diversité des conséquences et des repères temporels entre les donations entre vifs et les legs testamentaires, on peut compléter l’analyse par une autre hypothèse. Peut-être y a-t-il, derrière cette distinction entre legs et donation entre vifs, une autre raison qui s’ajoute aux précédentes. La donation entre vifs, de par la gravité de ses conséquences, semble envisagée comme étant en réalité la réponse à une dette de type moral, normalement de gratitude, motivée par l’affection ou l’aide que le donataire a prêtée au donateur. Ou bien par l’obligation d’établir les enfants, en cas de donation à l’occasion d’un mariage. La donation entre vifs se placerait à une sorte de mi-chemin entre l’acte onéreux, dont la vente est l’archétype, et l’acte purement gratuit, dont le testament serait l’emblème610. Tout en étant une libéralité, comme le définit Masuer dans sa pratique sur le droit auvergnat611, elle est plus facilement admise comme une récompense, alors que le caractère révocable du testament laisse d’avantage de place à la subjectivité. Un exemple conforte cette interprétation. Jacques d’Ableiges, dans Le Grand Coutumier de France, définit les dons de la manière suivante : « Ils sont quatre espèces de dons. Primo, il y a don testamentaire, lequel entre les autres est le plus favorable. Secundo, il y a don entre vifs qui est guerdon ou pour recompensation d’aucun qui la mérite. Tertio, il y a don de nopces qui est recompensatif ou rémunératif. […] Quarto, il y a don fait en faveur d’estude […] »612. Frédéric Godefroy indique dans son dictionnaire que guerdon se rapporte à guerredon, qui signifie « prix d’un service, d’une bonne action, salaire, récompense »613. Les éditeurs de l’œuvre de Jacques d’Ableiges signalent que deux manuscrits du Grand coutumier, datant de la seconde moitié du XVe siècle, comportent une variante. Après la phrase concernant les dons entre vifs, ils ajoutent « ou aucuneffois fait de simple voulenté ». Cette variante ne semble pas remettre en cause la signification principale du terme don au Moyen Âge : il est avant tout compris 610

Cette idée de rapprochement n’est pas complètement inexistante dans les coutumes rédigées. Par exemple, la coutume du bailliage d’Amiens soumet au même régime la vente, la donation ou le transport, alors qu’elle n’évoque pas le legs : « Par ladite coûtume en toutes donnations par entre-vifs, venditions e transports, le donnateur ou vendeur peut et lui est loisible retenir à soi l’usufruit et viage de l’héritage par lui donné, vendu ou transporté : auquel cas et pour raison d’icelle retention d’usufruit ne sont dus au Seigneur feodaux dont les héritages donnez, vendus ou autrement transportez, seroient & sont tenus, & mouvans aucuns droits Seigneuriaux », chapitre des donations, art. III, BdR, tome I, p. 120. On trouve le même type d’assimilation à l’art. XII, BdR, tome I, p. 121. Evidemment, s’agissant de rétention d’usufruit, il n’est pas envisageable dans le cas du legs. Mais cela prouve encore que les donations et les testaments sont trop différents pour pouvoir se voir appliquer des règles identiques, alors que certaines mesures peuvent être communes à la vente et à la donation, comme ici celle qui concerne la réglementation sur la rétention d’usufruit. 611 « La commune et generale définition est donation n’estre autre chose qu’un pure libéralité concedee sans contraincte d’aucun droict », MASUER, op. cit., p. 410. 612 Jacques d’ABLEIGES, Le Grand Coutumier de France, éd. Laboulaye et Dareste, Paris, 1868, livre II, chapitre IX, de don, p. 200. 613 Frédéric GODEFROY, op. cit., tome IV, V° Guerredon, p. 377, c. 3.

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comme une récompense, même si quelquefois on peut donner de manière totalement gratuite. Cette idée de récompense apparaît déjà dans le Conseil de Pierre de Fontaines, même si ce n’est pas de manière aussi explicite. Dans un passage où il estime inhumaine la coutume selon laquelle on peut donner tous ses meubles, cateux et conquêts à des étrangers, sans rien laisser à ses enfants, il prend soin d’indiquer : « Mès bien sofferra nostre usages, s’il est bien entenduz, que li estranges en ait un autretele partie come uns des enfanz selonc le nombre qu’il en i a : car en doit molt cuidier que cil à qui li pères dona einsi toz ses biens et trespassa ses enfanz, avoit fait au père aucun servise por quoi li pères le devoit amer autretant comme I de ses enfanz ; mès plus ne le devoit-il pas amer tant come à départir ses biens monte. Et ce tenra bien nostre usages, s’il n’apert tot apertement que li pères ait fait tel devis plus por la haine des enfanz que por service que cil li eust fet, car en tel cas n’auroit li estranges riens dou devis, ainz auroient tot li enfant : voirs est, se li enfant ne s’estoient malement contenu vers le père, si qu’il ne fussent mie digne d’avoir ses biens ; car en tel cas seroit tenuz li devis au père qu’il fist à l’estrange ; et ce ententgie quant li pères n’a riens fors conquez »614. Se dépouiller d’un bien de son vivant montre que, du moins subjectivement, le donateur se sent obligé envers le donataire, au point d’estimer qu’il ne doit pas différer le bénéfice de sa libéralité, et qu’il doit se priver de manière irrévocable de son bien, en dépossédant ses héritiers, sans attendre sa mort615. Quand les bénéficiaires sont les enfants, notamment pour leur mariage, ce don est plus facilement perçu comme une obligation d’établir ses propres enfants. Cependant, les progrès de l’individualisme augmentent le risque d’indifférence vis-à-vis du sort des héritiers. La conception communautaire de la famille commence à faiblir. De ce fait, la protection issue du caractère irrévocable des donations entre vifs paraît insuffisante ; elles deviennent une menace potentielle pour le patrimoine familial, contre laquelle il faudra trouver un remède. La distinction de régime entre les donations entre vifs et les legs testamentaires est propre à l’ancien droit français. Rome, si elle connaît la différence juridique entre les deux types d’actes, offre les mêmes garanties à ceux qui seraient lésés par eux. La querela inofficisi testamenti s’élargit avec celle qui concerne les donations inofficieuses. Le fondement est le manquement, par acte gratuit, au devoir de piété envers ses proches. Peu importe le type d’acte gratuit choisi pour cela, legs ou donation, même si le premier à être protégé a été le legs. La donation s’est alignée sur le régime juridique de la querela inofficisi testamenti du fait de la similitude des conséquences. C’est donc bien le résultat final de l’acte qui est déterminant pour le droit romain, du moins à l’époque où la légitime a été admise. Le souci de Rome dans ces deux cas, c’est l’équité, et non l’intérêt du disposant.

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Pierre de FONTAINES, op. cit., chapitre XXXIV, § X, p. 421-422. C’est nous qui soulignons. On a bien trouvé l’idée de récompense, et non pas celle de réparation, si présente chez Beaumanoir à propos des torfés. Un torfé est un délit qui demande réparation en toute justice, alors que le service rendu est a priori un acte dont on n’espère pas une gratification, c’est un acte désintéressé. Du moins, si cela a été fait dans l’espoir de recevoir quelque chose, cet espoir peut toujours être déçu et celui qui a rendu service n’a pas de moyen juridique de réclamer une gratification. S’il avait ce moyen, on serait en présence d’un contrat, par exemple d’un mandat, d’une prestation de service… : on quitterait le domaine propre de la donation. Si le service est trop tangible du point de vue matériel, on peut aisément requalifier juridiquement la donation entre vifs en un contrat d’échange, de service, etc.

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En revanche, dans l’ancien droit, l’important est le type d’acte de disposition choisi et le moment où il prend effet, et non le résultat. Si on dispose par donation entre vifs, on est dans le présent et la liberté est totale. Si on lègue ce même bien dans un testament, on se place dans le futur et, alors, la famille se protège. Il s’agit pourtant du même bien ; le préjudice éventuel devrait être semblable. Mais on ne tient pas compte de la possible lésion subie par certains. Du moment où on admet la liberté pour les donations, parce que les garanties qu’elles offrent en contrepartie semblent suffisantes, et parce que parfois une notion plus ou moins diffuse de récompense est sous-jacente, on écarte la notion même de lésion. Le dommage éventuel que la donation peut faire subir à certains est réparé, dans le système successoral coutumier, par la gêne qu’impose la réserve en matière testamentaire. C’est la logique propre du compromis : chaque partie en présence renonce à une prérogative, en vue d’obtenir un avantage jugé principal. La priorité du lignage, au moment où se forme la réserve, est d’assurer pour le futur la permanence d’un certain type de biens dans la famille616. Elle garantit donc le maintien des propres à la mort du titulaire actuel, en cédant sur le reste. Ce n’est pas la perte éventuelle d’un individu concret qui est prise en compte, mais l’équilibre du système. Toutefois, cette logique n’est viable que dans un contexte où l’attachement au patrimoine familial est encore très fort ; où la mobilité des biens, surtout des immeubles, est relative, et où l’essentiel de la fortune familiale est composé de propres. Le changement de circonstances fera échouer cette sorte de réciprocité de garanties, surtout avec l’émergence d’un intérêt porté plus sur les avantages de l’individu concret que sur un équilibre général de l’organisation successorale. Ces développements sur la distinction entre legs testamentaires et donation entre vifs permettent de mieux cerner la notion de soustenance de Philippe de Beaumanoir, et ses liens avec la légitime. 3. « Soustenance » et légitime Beaumanoir dégage la notion de soustenance dans son chapitre sur les donations, comme on l’a vu, parce que dans ce domaine la réserve était totalement inopérante. Mais la soustenance se distingue de la logique successorale de la réserve. Cet auteur ne prétend pas l’utiliser pour changer le système de dévolution successorale ; il veut seulement porter remède à quelques situations particulièrement dures auxquelles conduit la rigueur des principes juridiques coutumiers. Il se place, comme la légitime romaine, du côté de l’intérêt individuel de chaque enfant du de cujus. L’ordre successoral n’est bouleversé que dans la mesure où il y a lésion grave pour un des enfants. Le système n’est pas remis en cause, il est tout simplement humanisé. Si derrière la notion de donation entre vifs sommeille une certaine idée de récompense, Beaumanoir s’emploie à rappeler qu’avant l’obligation louable de récompenser un service, il faut que les enfants, issus du même sang, reçoivent une soustenance. La soustenance procède bien d’une obligation morale, qui s’ajoute à la logique purement successorale de la réserve. Elle est bien un précédent de la légitime, précédent qui est, d’une certaine manière, plus pur que le processus 616

Soulignons au passage que l’intérêt du lignage se centre sur l’origine familiale des biens, plus que sur leur nature. Les conquêts ou les acquêts sont des immeubles autant que les propres, mais la réserve ne les protège pas parce qu’ils sont nouveaux venus dans le patrimoine familial. Son titulaire jouit à leur égard de la même liberté que pour les meubles.

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d’introduction de la légitime au XVIe siècle. Car les coutumes qui l’incorporent au moment de leur rédaction officielle le font pour épauler une réserve affaiblie, en retenant la technique de la légitime, sans nécessairement saisir la spécificité de sa nature. En revanche, au XIIIe siècle, la réserve est en plein essor, elle est une institution solide qui ne nécessite pas d’appui extérieur. Y a-t-il des traces de ce précédent de la légitime ailleurs que dans les coutumes rédigées par Beaumanoir ? On peut relever quelques textes d’intérêt dans les anciens coutumiers de Bretagne et d’Artois. La très ancienne coutume de Bretagne parle de pourvéance, mais cette notion semble s’identifier clairement à la simple obligation alimentaire617. Il en va de même pour le terme soustenance que nous rencontrons dans l’ancienne coutume d’Artois : on aurait tendance à l’identifier aux aliments618. De fait, ni la coutume d’Artois ni celle de Bretagne n’admettront la légitime lors de la première rédaction des coutumes. En revanche, elle sera introduite dans la coutume de Clermont-en-Beauvaisis lors de la rédaction de 1539. Ces mentions sporadiques du terme soutenance ou pourvéance ne peuvent être considérées comme des précédents de la légitime, alors que les textes de Beaumanoir le sont. Jean de Laplanche n’est pas de cet avis619. L’argumentation de cet auteur s’appuie sur la différence de but entre la soutenance et la légitime. Pour Jean de Laplanche, la soutenance de Beaumanoir vise à pallier la carence de propres dans le patrimoine d’un disposant et se donne pour objectif principal la protection des descendants, aussi bien contre des libéralités excessives adressées à des étrangers que lorsque l’égalité successorale entre les différents enfants est menacée. Or, toujours d’après cet auteur, la légitime introduite au XVIe siècle par les coutumes a pour but exclusif le maintien d’une égalité rigoureuse entre les enfants. Autrement dit, pour Jean de Laplanche, la légitime ne s’intéresse qu’à la répartition des lots dans la fratrie, alors que la soustenance aurait eu une portée plus large, protégeant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Ce qui semble échapper à son analyse, c’est précisément la confusion de logiques entre la réserve et la légitime opérée par les juristes du XVIe siècle, qui ont eu recours à la légitime comme à un auxiliaire de la réserve. La légitime se rattache à la soustenance parce qu’elle a la même nature morale, alors que la réserve est strictement successorale. Qu’elle soit entrée par le biais détourné de la simple technique n’altère pas sa vraie nature, qui finira par se manifester comme on le verra. Il y bel et bien un antécédent doctrinal à la légitime introduite dans les coutumes du XVIe siècle, mais il ne vient pas de l’esprit coutumier, car Beaumanoir puise dans le droit romain. Les juristes du XVIe siècle ne se sont pas inspirés 617

« […] Si le bastart avoit enffant ou enffanz si gienvres ou non puissanz de se pourvoirs de leurs corps, ils devroient estre pourveuz sur les biens de ceul bastart ou de la bastarde aussi bien, quar ce qui est dit ou parlé de ceste matere et en cest livre de le homme, nous le entendon aussi bien de la famme, se il n’y a autre divise », Très ancienne coutume de Bretagne (a. 1312-1325), éd. PLANIOL, Rennes, 1896, p. 259, chapitre 267, cité par Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, p. 111, note 1. 618 Cf. Coutumier d’Artois, titre XXXIV Du droit as gentieus femmes, § 5, p. 86. Cité par Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, op. cit., p. 109, note 1. Il s’agit du cas de la fille exclue de la succession paternelle à cause de son inconduite, à qui il était néanmoins d’usage de laisser de quoi vivre au moment du partage de la succession. « L’exclusion successorale à titre de peine ne pouvait priver un enfant de son droit indispensable à la soutenance », ibidem. 619 « Entre l’institution de la Légitime du XVIe siècle et les efforts, les constructions humanistes du XIIIe, en contact avec la Curia Regis, écrivant dans le Bassin Parisien, pas de filiation directe », Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, p. 135.

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d’antécédents tels que la soutenance. Ils sont allés puiser directement à la même source que Philippe de Beaumanoir. Seulement, en introduisant la légitime pour soutenir la réserve, en réalité ils ont accueilli un cheval de Troie au sein du droit successoral coutumier. Toute l’ambiguïté est dans cette confusion de logiques –héréditaire ou morale– : ne pas percevoir leur différence entraîne des confusions et des flottements dans l’opinion620. Contrairement à Jean de Laplanche, Paul Lefebvre estime que la soustenance du XIIIe siècle constitue un antécédent de la légitime, bien qu’il reste vague quant aux conséquences concrètes de l’existence de la soutenance dans ces coutumes. Rappelons, en effet, que le coutumier de Beaumanoir est autant un recueil des coutumes de son bailliage qu’un ouvrage de doctrine. Mais Paul Lefebvre n’aborde pas la question de la différence de nature entre la réserve et la légitime. Selon lui, si Paris ne connaît pas la légitime avant 1580 c’est parce que le douaire des enfants y est toujours en vigueur. Cette garantie rend l’adoption de la légitime moins urgente621. Il est vrai que, à Paris, le douaire des enfants est leur bien propre622. Mais cette raison ne semble pas tout à fait déterminante, car le douaire des enfants existe aussi à Melun623, Senlis624, Clermont-en-Beauvaisis625, Valois626, Nivernais627,

620 Ainsi, un auteur affirme d’abord que « le droit à la soutenance ou légitime est né au milieu du XIIe siècle, lorsque la réserve des propres était insuffisante. Elle visait à protéger les povres parents prochiens... Au XIV e siècle, elle portera sur la moitié de meubles et des conquêts (Grand Coutumier de France et de Paris). Il faut retenir qu’en pays coutumier, la légitime appelée droit de soutenance n’est admise qu’en cas d’insuffisance de la réserve », pour dire quelques pages plus loin que « aucune preuve n’a jamais été donnée, que la légitime ait pénétré dans les pays coutumier », Annie GRISAY, Le pouvoir de disposer des différents biens propres et acquêts et ses limitations dans l’intérêt de la famille, Mémoire de Doctorat dactylographié, 1958, p. 139 et 149. 621 Cf. Paul LE F E B V R E , Le droit commun des successions d’après les coutumes rédigées et la jurisprudence du Parlement de Paris, Sirey, Paris 1911, p. 184. Notons que le douaire a une assiette moins importante que la légitime, mais protège contre tout type d’actes de disposition, aussi bien ceux passés à titre onéreux, que les actes faits à titre gratuit. 622 Coutume de 1510, art. 137 : « Par ladite Coustume, le douaire coustumier de la femme, est le propre heritage des enfans venans dudit mariage, en telle manière que les pere et mere desdits enfants, etiam dès l’instant de leur mariage, ne les peuvent vendre, engager n’y hypothequer, au prejudice de leurs enfans », BdR, tome III, p. 11. Cet article demeure inchangé dans la rédaction de 1580, art. 249. Cf. BdR, tome III, p. 47. Cf. infra, partie II, chapitre I, section II, § 1, B, 1, a). 623 Chapitre XV, art. 239 : « Le douaire, soit coutumier ou prefix est viager à la femme […] mais s’il y a enfans dudit mariage, qui ne se portent héritiers de leur père, et que pour tout droit de sa succession se contentant du douaire de leur mère, iceluy douaire sera propre ausdits enfans, sans payer aucune debtes procedantes du fait de leurdit pere ; lesquels ne peuvent se porter heritiers de leur père et demander le douaire de leur mere ensemblement », BdR, tome III, p. 451. 624 Titre XIV, art. 177 : « Le douaire de la femme est réputé propre héritage aux enfans issans du mariage, en telle manière que le pere après le trespas de sa femme, jouira desdits heritages subjets à douaire quant à l’usufruit seulement, et lesdits enfans en seront vrais seigneurs et proprietaires, et sera censé proceder ledit douaire du costé paternel », art. 182 : « ledit douaire prefix, constitué comme dit est, est aussi propre heritage aux enfans venus et procréez dudit mariage, comme est le douaire coustumier, et ladite femme usufructuaire seulement après le trespas de sondit mary », BdR, tome II, p. 722-723. 625 Rubrique de douaire, art. 160 : « Le douaire est fait propre heritage aux enfans d’iceluy mariage, quant aux heritages roturiers, tellement qu’il ne se peut vendre, aliener, ne forfaire pour quelque cause ou crime que ce soit, au prejudice desdits enfans ; et quant aux fiefs, la femme y acquiert douaire sa vie durant seulement, quand douaire a lieu ; et n’est le douaire propre héritage aux enfans », BdR, tome II, p. 771. 626 Titre Des douaires, art. 108 : « Douaires coustumiers et prefix, sont propres heritages aux enfans venus du mariage de leur pere et mere », BdR, tome II, p. 803. 627 Chapitre XXIV, art. 8 : « Douaire de mere coustumier ou convenu est heritage des descendans dudit mariage […] ». Le douaire constitué en deniers ou chose mobilière est viager pour la femme, cf. art. 3. Cf. BdR, tome III, p. 1149-1150.

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Chartres628 et Dunois629. Malgré quelques différences630, les biens sur lesquels est assis le douaire sont considérés un bien propre pour les enfants dans la plupart de ces coutumes. Le douaire coutumier est en général la moitié des héritages du père. Or, cinq de ces coutumes connaissent ou introduisent la légitime lors de la première rédaction des coutumes. La vraie question est donc celle de la nature des deux institutions631. L’analyse qu’on en a faite jusqu’à présent montre la différence de fondement entre la réserve et la légitime. On a essayé de comprendre la genèse et l’esprit de la réserve. Pouvait-elle s’adapter aux besoins nouveaux, sans avoir recours à la légitime ? C’est le point qu’il faut envisager à présent. B. L’improbable adaptation de la réserve On a vu que la réserve est une institution d’équilibre entre un droit de la communauté familiale et un droit individuel. Elle protège essentiellement les droits de la famille prise dans son ensemble par rapport aux tiers. Mais ne tient compte que des droits de la famille sur les propres. Or, dans l’évolution des fortunes, les propres tendent à diminuer en importance dans le patrimoine ; en outre, ils commencent à

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Chapitre IX, art. 53 : « Le douaire de la femme conjointe par mariage coustumier ou conventionnel entre nobles, ne se finit pas par le trespas de la femme douée, sinon au regard d’elle ; car si elle a enfans yssus d’elle et de son mary qui ainsi l’a douée, son douaire, après son trespas, est fait le propre heritage de leurs enfans ; combien que ledit mary et pere d’iceux enfans en doit jouyr sa vie durant ». Pour les roturiers, le douaire de la femme se termine par la mort de la femme douée. Cf. art. 56, BdR, tome III, p. 708-709. 629 Chapitre XIII, art. 70 : « Quant un homme noble assigne à sa femme, par mariage pour son douaire prefix, rente ou heritage, il ne peut durant ledit mariage, faire vente ou aliénation de ses heritages au préjudice de ladite assignation de douaire, et luy décédé, ladite rente, ou heritage est fait le propre des enfans de luy et de sadite femme […] », BdR, tome III, p. 1074. 630 À Chartres et Dunois seuls les nobles connaissent le douaire propre aux enfants. À Clermont, c’est le contraire, seuls les biens roturiers sont le propre des enfants quant au douaire, le douaire assis sur des fiefs est viager. Cf. articles précités. 631 Malgré toutes ces réflexions, les historiens du droit s’accordent pour dire que ces tentatives d’instaurer une institution semblable à la légitime romaine au XIIIe siècle restent de simples doctrines, sans incidence dans la pratique. Cf. par exemple le manuel de Jean-Philippe LÉVY et André CASTALDO, Histoire du droit civil, Paris, Dalloz, 2002, n. 966. Pour eux, « ces passages sont tout simplement traduits du droit romain, et ne représentent en rien la coutume locale. […] Ce ne sont que des indices très superficiels, et cette pénétration du droit romain n’est pas du tout corroborée par les faits ». Dans le même sens, voir une observation de Pierre PETOT : « La pénétration [de la légitime] dans les pays coutumiers qui suivaient en la matière le droit commun a été beaucoup plus tardive. C’est d’ailleurs là un point sur lequel les historiens du droit ne sont pas d’accord. Certains, Brissaud et Chénon notamment, invoquent divers passages des coutumiers pour affirmer l’admission de la légitime dans l’ensemble des pays de coutumes dès le XIIIe et XIVe siècle. […] Aucun de ces textes ne démontre l’introduction de la légitime de droit dès le Moyen Âge, dans le droit commun des coutumes. Au surplus, et c’est l’argument décisif, on ne rencontre ni dans la jurisprudence ni dans les ordonnances aucune trace de l’existence de la légitime en pays de coutumes jusqu’à la fin du XVe siècle », Pierre PETOT, Cours d’histoire du droit privé, diplôme d’études supérieures droit privé 1947-1948, « Les enfants dans la famille », Les cours de droit, Paris, 1948, p. 160. Reste à savoir si un précédent purement doctrinal, sans répercussion apparente dans la pratique, peut vraiment être considéré comme un antécédent de la légitime introduite dans la coutume. Il semble que oui, parce que les antécédents peuvent être doctrinaux et parce qu’on verra l’importance de l’interaction entre la doctrine et la pratique sous l’Ancien Régime. Mais, aussi, parce que les quelques coutumes qui consacrent la légitime au début du siècle ne semblent pas bousculer les mentalités. L’importance de ces précédents vient du changement lent mais profond des mentalités. Il y a une sensibilisation croissante à des situations qui, étant légales parce qu’elles sont conformes à l’application stricte de la coutume, deviennent choquantes au regard de l’équité naturelle et de l’évolution des mentalités.

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devenir gage des créanciers, au même titre que les meubles ou, en tout cas, de manière subsidiaire si ces derniers font défaut ou sont insuffisants. Le climat de liberté introduit par le testament fait violence à la conception coutumière communautaire de la propriété. L’arrangement entre deux conceptions différentes du droit de propriété se cristallise au Moyen Âge, en prenant des chemins divers liés à l’époque où se fixent les coutumes, mais aussi à leur situation géographique. Les coutumes préciputaires et celles d’option ou d’égalité simple entendent équilibrer de manière différente la liberté de l’individu et les droits du lignage. Au XVIe siècle, les influences de l’humanisme incitent la réserve à évoluer. Mais elle est déjà le fruit d’une évolution, de la rencontre de deux logiques qui ont dû s’accommoder d’un système mixte, contentant à la fois le lignage et l’individu. La réserve remplace le besoin de l’approbation du lignage pour pouvoir disposer à titre gratuit. La ligne de démarcation passe par la distinction des masses dans le patrimoine : propres, conquêts, meubles. Si la réserve elle-même était née d’un compromis, pourquoi n’aurait-elle pas pu s’adapter aux changements sociaux et économiques ? Du point de vue technique, on aurait pu envisager une généralisation de la subrogation présente dans l’Ouest632. Ce système évite de rendre vaine la réserve, en cas d’insuffisance de propres dans le patrimoine du de cujus. Cela aurait permis une adaptation aux changements de composition des fortunes, à la mobilité imposée par le triomphe de la richesse marchande. Mais ce n’est là qu’un aspect de l’évolution. En même temps que se transforme la composition des fortunes, l’individualisme progresse et ne peut plus s’accommoder des droits importants des lignagers, d’autant plus qu’ils peuvent être relativement lointains dans le degré de parenté, alors que les liens familiaux se resserrent autour de la famille nucléaire. Or, le fondement de la subrogation qui existe dans les coutumes de l’Ouest est précisément une grande méfiance vis-à-vis du testament et de la liberté de l’individu. Si le mécanisme juridique, en tant que tel, pouvait être exploité comme solution à la diminution des propres dans le patrimoine, le fondement de la subrogation et le poids de la tradition rendaient cette adaptation improbable. C’est dans les familles nobles que les intérêts du lignage demeurent importants. Il faut garder l’éclat de la famille, éviter que la liberté individuelle puisse amoindrir le patrimoine, miroir de la puissance familiale. Mais l’outil juridique dans ce cas n’est pas tant la réserve que le droit d’aînesse, l’inégalité entre frères et sœurs au profit du maintien du lignage. Le droit d’aînesse s’avère plus efficace pour protéger les intérêts familiaux que la réserve.

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Outre les articles déjà cités aux notes 87 et 88 de cette partie, voir aussi la coutume d’Angoumois, art. 49, établissant que les meubles ne sont disponibles que s’il y a héritages, et la coutume de Loudunois, de 1518. Chapitre 25 sur les donations faites entre roturiers, art. 1 : « S’il n’y a point de patrimoine, les acquêts représentent ce patrimoine et, à défaut d’acquêts et de patrimoine, le meuble représente le patrimoine ». BdR, tome IV, p. 844 et p. 728 respectivement. Pour la coutume d’Angoumois, voir le commentaire rapporté sur cet article supra, note 456. La subrogation a été aussi admise par un arrêt du Parlement de Paris du 23 juillet 1567, dans la coutume de Chaumont. Jean Gousset, commentateur de la coutume de Chaumont, admet que cet arrêt va à l’encontre de ce que dit la coutume. Cet arrêt décide que « s’il n’y avoit aucuns propres, que les deux tiers des acquests et meubles demeureroient loco legitimae, pour sortir nature propre, et hoc in linea directa ». Jean G OUSSET, Les lois municipales et coustumes generales du baillage de Chaulmont en Bassigny, Espinal, 1623, Titre 6 Des droicts de succession, art. 82, p. 63. Il est intéressant de le noter, car Chaumont est une coutume d’option. Elle emprunte cependant ce trait aux coutumes de l’Ouest. Il s’agit néanmoins d’un cas particulier, et pas d’une généralisation globale. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 241.

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Dans les successions roturières, la substitution peut être un moyen efficace pour préserver une certaine unité, ou au moins une destinée du patrimoine633. Mais la substitution suppose le testament, l’expression de la volonté libre du de cujus, ce que la réserve avait justement combattu. Et le testament romain est indissociable de la légitime. Au début du XVIe siècle, la réserve a épuisé ses ressources. L’évolution des structures familiales l’empêche d’arrêter l’hémorragie que lui a fait subir la transformation de la fortune. Dès lors, sans disparaître, elle continue de protéger les vestiges de l’organisation ancienne, alors que de nouveaux défis se présentent aux juristes. La liberté individuelle est accentuée ; le lignage se centre sur la descendance directe ou sur les collatéraux proches. Le compromis entre liberté et protection qu’avait réussi la réserve autrefois se présente sous des traits nouveaux. Ce sont les lignagers les plus proches, les enfants du de cujus, qui peuvent être victimes d’un abus de disposition de la part de leur auteur. L’indifférence relative face au sort des collatéraux éloignés accroît la vigilance vis-à-vis des enfants. Certes, dans beaucoup de coutumes, nul ne peut rendre la condition d’un héritier meilleure que celle d’un autre, mais les contrats de mariage permettent nombre d’exceptions, qui peuvent finir par faire échec à l’égalité des enfants face à la succession. Des enfants roturiers, car les nobles, il faut le redire, obéissent à un régime à part. Mais, même pour eux, le problème de la défense des puînés s’inscrit dans ce souci général de protection des enfants. Il suffit de rappeler que Dumoulin tranche en faveur de la légitime précisément à ce sujet, alors qu’elle n’est pas en vigueur dans la coutume de Paris de 1510. La réserve, amoindrie par l’insuffisance des propres et par le changement de mentalité vis-à-vis des droits du lignage ne peut plus apporter son concours à des juristes ayant besoin d’innovation. C’est alors, tout naturellement, que leur regard se tourne vers le droit romain. Non seulement à titre de source d’inspiration générique, mais parce que le même problème avait déjà existé et avait été résolu. La légitime répond parfaitement à un besoin nouveau, que la réserve ne peut satisfaire. Néanmoins, la nouveauté du besoin n’est pas perçue de manière immédiate. Si on laisse de côté les coutumes méridionales, qui la connaissent en raison de la prépondérance, dans le Midi, du droit romain, les coutumes du Nord qui l’incorporent ne le font au départ que pour soutenir la réserve. Il n’est pas question, pour les juristes du XVIe siècle, d’abandonner la réserve ni d’en modifier la nature. Au contraire : leur ambition est de consolider cette institution. Ainsi, les coutumes pionnières, Dreux et Chartres, connaissent la légitime avant la rédaction et calquent son régime sur celui de la réserve : elle s’applique aux legs et n’affecte que les propres. Les coutumes qui l’incorporent lors de la première rédaction ont déjà une vision plus large, puisque la légitime vient protéger la succession des donations et concerne tout type de biens. Elle vient renforcer la réserve, tout en étendant son domaine. La date tardive de leur rédaction peut expliquer cette vision plus ample. Outre cet aspect capital, lié à la nature de la réserve, il faut également tenir compte de la mentalité des praticiens de l’époque. Lors de la rédaction des coutumes, les trois États sont très jaloux de la conservation de leurs prérogatives. La 633 « Mieux que la réserve, grâce en particulier aux substitutions, le testament permettra de conserver les biens dans la famille, même si sa redécouverte s’accompagne de celle de la légitime », Anne LEFEBVRETEILLARD, op. cit., n. 205, p. 276. Pour les substitutions, voir Michel PETITJEAN, Essai sur l’histoire des substitutions, Dijon, 1975.

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mise par écrit des coutumes a produit un travail de recherche des anciennes règles, redonnant parfois vie à des principes tombés en désuétude, et permettant au droit de se fixer dans un état parfois archaïque. D’où le besoin de réformation qui se fait sentir très vite. Dans ce contexte de défense de la coutume, dont un élément essentiel est la durée, il semble plus facile de répondre à une situation nouvelle par une mesure nouvelle, que de modifier une institution existante. La transformation de l’étendue de la réserve se serait probablement heurtée à des obstacles plus psychologiques et sociologiques que juridiques. D’une part, la vague des temps nouveaux met à l’honneur davantage la liberté et l’individualisme que la force du lignage. D’autre part, les intéressés auraient vraisemblablement demandé le respect scrupuleux des habitudes des ancêtres. Or, hormis dans les coutumes de l’Ouest, seuls les propres dont on dispose par legs sont protégés par la réserve. C’est la coutume qui a toujours été gardée. Un changement dans cette norme peut sembler plus révolutionnaire que l’introduction de la légitime, perçue davantage comme une institution auxiliaire palliant les lacunes de la réserve que comme un changement de système successoral. D’autant plus que la légitime vient résoudre, sans forcer les choses, la question lancinante présente dans les coutumes d’option, qui consiste à savoir s’il y a une limite au don que l’héritier peut recevoir sans être tenu de rapporter. La notion de donation non outrageuse reste trop vague pour être fidèlement respectée. Autrement dit, à la faveur de l’idée toute humaniste d’équité, bien que ses racines soient plus profondes, il est devenu désormais choquant que l’option puisse être exercée dans n’importe quel cas, notamment si le don reçu par l’héritier épuise ou presque les biens du de cujus. Il faut que l’option ait une limite. C’est la légitime qui la lui fournit. La légitime est la concrétisation technique d’un principe qui se fraye un chemin depuis longtemps : il ne convient pas de faire des dons trop excessifs634. Ainsi, sans révolution apparente, la première rédaction des coutumes introduit la légitime dans quelques coutumes d’option, sans bouleverser l’ordre existant ni la logique coutumière. La réserve continue d’être la poutre maîtresse de l’édifice successoral coutumier. La légitime n’est qu’un point d’appui solide permettant la mise à jour du droit des successions, devenue nécessaire en raison des changements sociaux, culturels et économiques. Elle protège les droits des différents enfants, aussi bien vis-à-vis des tiers qu’à l’intérieur de la fratrie. Les deux questions juridiques rencontrées jusqu’ici se reposent dans d’autres termes. La question de l’équilibre entre les biens dévolus à la famille et la liberté de disposition reconnue à l’individu continue d’être réglée par la réserve. Mais un nouvel équilibre apparaît nécessaire. Alors que la réserve coutumière raisonne en termes d’opposition entre famille et individu, le droit romain part des droits individuels : la liberté de tester du paterfamilias d’une part, les droits de chaque enfant à une part du patrimoine du père de l’autre. La question de la répartition des lots à l’intérieur d’une fratrie se pose maintenant avec une acuité nouvelle. Les tendances individualistes propres de l’époque ne se satisfont plus de la réponse traditionnelle des coutumes : préciput, rapport forcé, option. Le rapport forcé nie la liberté de disposition, alors que les coutumes préciputaires ou d’option semblent contredire l’équité si une borne n’est pas fixée. La légitime se présente alors comme

634

Cf. Jean YVER, op. cit., p. 86.

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l’équilibre nécessaire entre des droits individuels équivalents mais opposés. Ceci permet de mesurer la différence d’essence entre la légitime et la réserve. Deux équilibres se superposent et coexistent : entre famille et individu d’un côté ; entre individus de la même famille de l’autre. La légitime et la réserve ne répondent pas à la même problématique. Toutefois, le droit successoral est complexe et il ne semble pas que les contemporains de la rédaction des coutumes aient perçu cette disparité de logiques. La réserve ne protégeant plus suffisamment, ils ont eu ponctuellement recours à la légitime pour l’aider à trouver l’équité dans les partages. Mais la légitime envisage surtout l’égalité entre les enfants, et non la protection de l’ensemble du lignage. L’appartenance des enfants au lignage, et l’évolution vers la famille nucléaire permet la confusion entre réserve et légitime, comme si elles étaient deux mesures techniques ayant un fondement commun. C’est dans ce sens que nous voyons la légitime s’introduire en pays de coutumes. Mais c’est oublier que la légitime peut exister indépendamment de la réserve. Même si la subrogation des meubles et conquêts aux propres avait été généralisée, la légitime n’aurait pas perdu sa valeur, car elle aurait permis de veiller à ce que chaque enfant, pris individuellement, ait un minimum de biens dans la succession de son père. L’introduire comme auxiliaire de la réserve est, sans le savoir, lui permettre de développer, dans un autre cadre, ses propres potentialités étrangères à la logique coutumière. Voilà comment le droit coutumier a rencontré la légitime. Elle s’est intégrée à la famille coutumière comme une pièce rapportée, appelée et accueillie avec bienveillance au sein de quelques coutumes lors du premier mouvement de rédaction, ayant comme tâche concrète de renforcer la réserve. Pouvait-elle en rester à ce rôle ? Comment a-t-elle conquis le reste du territoire coutumier ? De quelle manière a-t-elle vécu dans un contexte juridique qui n’était pas celui de sa naissance ? Après la rencontre, c’est la pénétration et l’influence de la légitime dans les pays de coutumes qu’il faut étudier dans une deuxième partie.

DEUXIÈME PARTIE PÉNÉTRATION ET INFLUENCE DE LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES

« La science du droit n’a pas été moins florissante aux XVIIe et XVIIIe siècles qu’aux siècles précédents ; mais les juristes ont eu une tâche plus ingrate, moins glorieuse. C’est qu’après les travaux d’analyse effectués par les grands auteurs du XVIe siècle, il fallait classer, trier, choisir, simplifier, unifier les diverses sources du Droit, sans cesser pour autant d’adapter les règles aux besoins nouveaux » 635. La légitime ne reste pas en marge de ce travail d’adaptation, et c’est précisément cet aspect qu’il faut aborder à présent. Dans la première partie, on a cherché quelle est la présence de la légitime en pays de coutumes au début du XVIe siècle, en mettant en lumière les coutumes qui connaissent cette institution. On a ainsi dressé la carte des textes des coutumes officiellement promulguées incorporant la légitime ; elle nous montre sa faible étendue géographique. Mais la légitime est présente et c’est la donnée principale. A partir de cette première consécration, la vie de la légitime en pays de coutumes ne cesse de se développer, d’une manière parfois peu perceptible. Son influence ne cesse de croître, jusqu’à devenir une référence évidente. Quelles sources peuvent renseigner sur cette pénétration progressive de la légitime et sur son influence en pays de coutumes ? D’abord les textes officiels issus de la réformation des coutumes, œuvre en grande partie, mais non exclusivement, de Christofle de Thou, premier président au Parlement de Paris. Comme on l’a dit, à la fin du XVIe siècle, les coutumes sont révisées et, pour celles qui n’ont pas été rédigées ou publiées au début du siècle, elles obtiennent souvent une rédaction officielle. Entre le début et la fin du siècle, la pensée juridique et surtout les mentalités ont beaucoup évolué. Les réformations se font l’écho d’un esprit plus rationnel, cherchant davantage d’ordre et une plus grande systématisation. Il est intéressant de voir quelle place occupe la légitime dans ce souci d’améliorer et de mettre à jour des textes antérieurs. Cependant les textes officiels, même s’ils fournissent des données indispensables pour vérifier l’étendue de la progression de la légitime, n’éclairent que partiellement sur ce qu’a été sa diffusion finale et, surtout, son influence. Il faut parcourir environ deux siècles et demi de coexistence de la légitime avec le droit coutumier, jusqu’à l’unification du droit privé opérée par le code Napoléon en 1804. Pendant ce temps, ce sont essentiellement les travaux des juristes qui aident à découvrir comment la légitime s’est adaptée à son nouvel environnement. Les commentateurs des coutumes donnent parfois la clé de l’interprétation de certains articles, ou bien se font l’écho de la manière d’appliquer une disposition dans le ressort de la coutume qu’ils commentent. Ils sont donc une bonne source de renseignements. Ils ne sont pas la seule. En parallèle avec la doctrine, la jurisprudence joue un rôle non négligeable dans ce travail d’adaptation et de progression de la légitime. Les commentateurs des coutumes ont recours à la jurisprudence, en insérant des citations d’arrêts dans leurs gloses sur les différents articles, et en donnant parfois leur sentiment sur le contenu de ces décisions de justice. Mais les détails des arrêts nous sont transmis essentiellement par l’œuvre des arrêtistes. La frontière entre la doctrine et les recueils d’arrêts est d’ailleurs difficile à tracer : « il est bien difficile […] aux XVIIe et XVIIIe siècles, de faire une distinction nette entre science 635

André-Jean ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil français, Paris, LGDJ, 1969, p. 6.

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des arrêts et doctrine surtout selon nos critères actuels »636, étant donné l’absence de motivation des arrêts. Le travail des arrêtistes donne des outils d’analyse, parfois les raisons de tel ou tel arrêt du Parlement, qui aident à pénétrer l’esprit de cette jurisprudence. Cela est d’autant plus précieux pour notre sujet que la légitime devient vite une évidence en pays de coutumes et que, par conséquent, on n’estime pas nécessaire de développer les raisons de son incorporation et de sa mise en œuvre. Certes, la question de la fiabilité de ces recueils d’arrêts ne peut être éludée. Ils ont été souvent décriés, mais le fondement de cette attitude doit être nuancé. Comme le souligne Véronique Demars-Sion, l’apport des arrêtistes est fondamental pour comprendre les faits ; « grâce à eux on dispose d’un exposé clair des faits et de la procédure et on connaît les arguments invoqués de part et d’autre. Lorsque ces arguments étaient inclus dans l’arrêt, l’arrêtiste contribue à en améliorer la présentation et lorsque l’arrêt ne les révélait que partiellement ou a fortiori, quand il les passait sous silence, il les révèle au lecteur »637. Bien sûr, l’idéal serait de pouvoir trouver l’original de chaque arrêt cité dans les registres du Parlement. Mais chacun sait à quel point cette tâche se revèle aléatoire, surtout quand il y a un nombre relativement élevé d’arrêts638. Il faut donc s’appuyer sur ces recueils de jurisprudence639, dont les travaux partiels de vérification réalisés permettent d’affirmer qu’ils « sont fiables, à l’exception de Desmaisons qui constitue de toute évidence un cas particulier : ses arrêts sont souvent mal rapportés, dans un style souvent emphatique et fort peu juridique »640. Le travail des arrêtistes se révèle complémentaire de celui du Parlement. Ce dernier cherche à satisfaire à deux exigences contradictoires. Dès la fin du Moyen Âge, les arrêts ne sont plus motivés pour préserver la liberté de la Cour vis-à-vis des parties et du roi. Mais par ailleurs, 636

Jean HILAIRE, « Questions autour de la jurisprudence des arrêts », in Serge D AUCHY et Véronique DEMARS-S ION , Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (XVIe-XVIIIe siècles), Centre d’histoire judiciaire, CNRS, Lille II, éditions La mémoire du droit, Paris, 2005, p. 29. 637 Véronique DEMARS-SION, « Les recueils d’arrêts et les dictionnaires ou répertoires de jurisprudence à l’épreuve de la pratique : l’exemple des mariages à la Gaulmine », in Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (XVIe-XVIIIe siècles), op. cit., p. 299. 638 On a cherché en vain dans les registres du Parlement de Paris (archives nationales, série X1A plaidoiries, jugés) et dans les minutes (archives nationales, série X1B) les arrêts dont on avait connaissance par les arrêtistes. On ne les a pas trouvés aux dates indiquées, même en élargissant la recherche à l’année précédente ou suivante. On partage cette remarque d’Henri Regnault : « Pour connaître sur quels points la jurisprudence des cours souveraines était en opposition, l’idéal eût été sans doute de recourir aux archives des parlements, soit aux Archives nationales en ce qui concerne le Parlement de Paris soit, dans les archives départementales, à la série B, pour les parlements de province. Mais il suffit d’énoncer cette proposition pour en faire apercevoir l’inanité : le dépouillement systématique des documents originaux est matériellement impossible. Force est donc de recourir aux auteurs qui se sont spécialisés dans la réunion des décisions de l’ensemble des cours souveraines ou d’un parlement déterminé, à ceux que l’on désigne sous le nom d’arrêtistes ou d’arrestographes. […] Ce serait, toutefois, se borner à l’extrême que de limiter sa documentation aux recueils d’arrêts […] les auteurs de traités généraux ou spéciaux ne peuvent pas être négligés. Pas plus qu’il n’est possible de laisser sans les consulter les commentaires des coutumes. […] Notre but n’a pas été de tout voir, mais d’examiner […] le plus possible », Henri REGNAULT, Les ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les donations et l’Ordonnance de 1731, Paris, Sirey, 1929, p. 6-8. 639 « Les travaux des arrêtistes constituent la documentation de base des professeurs (59% des références). Ce pourcentage est éloquent pour traduire, quelles que soient les discussions de principe, le poids de la jurisprudence dans l’élaboration du droit français et cette influence va en s’accentuant, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle en tout cas », Christian CHÊNE , L’enseignement du droit français en pays de droit écrit (1679-1793), Genève, Droz, 1982, p. 262. Même si l’auteur s’occupe des pays de droit écrit, cette remarque met en lumière l’importance des arrêtistes dans l’étude et l’élaboration de l’ancien droit. 640 Véronique DEMARS-SION, « Les recueils d’arrêts… », op. cit., p. 302.

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les parlementaires « souhaitent que leurs décisions, et les raisons qui les ont guidées, soient connues car une telle publicité contribue à asseoir leur autorité »641. D’où leur collaboration avec les auteurs qui cherchent à faire connaître la jurisprudence. Cette collaboration est attestée quelquefois directement, quand un auteur affirme qu’il a su, par les magistrats intervenus dans une affaire, les raisons qui ont déterminé la Cour à juger dans un sens précis642. Ce faisant, ils facilitent la compréhension des arguments juridiques, sans se limiter uniquement à donner la solution finale de l’arrêt. Ce sont les plaidoiries qu’ils transcrivent qui éclairent particulièrement nos recherches, surtout celles rapportées par les arrêtistes du XVIIe siècle. Ces plaidoires sont parfois éditées sous forme de recueils de plaidoiries célèbres, ou des plaidoiries d’un avocat précis. Mais ces recueils de plaidoiries ont tendance à s’intéresser uniquement à des affaires originales ou retentissantes, et on y trouve peu de cas concernant la légitime. L’importance des arrêtistes ne réside pas seulement dans l’information qu’ils apportent mais, aussi, dans la part active qu’ils prennent à l’harmonisation du droit et à la création d’un véritable « droit français ». En effet, « dès l’instant où ils publient des décisions, ils tendent à leur donner valeur d’exemple et ils finissent tout naturellement par chercher à rapprocher ces décisions les unes des autres. Ce faisant, ils contribuent à une relative uniformisation de la jurisprudence, qui n’est pas sans évoquer celle du droit coutumier et c’est ainsi qu’un peu à la fois un véritable « droit français » commence à prendre corps »643. Cette tendance grandit avec le temps, et amène à la fin du XVIIIe siècle à un désir accru de voir le droit unifié644. C’est le Code civil qui voit l’aboutissement de ces désirs. Mais, entre les deux moments, la tourmente révolutionnaire affecte considérablement le droit successoral, aussi bien dans ses fondements que dans sa mise en œuvre. Ces événéments historiques imposent une césure chronologique claire à l’étude sur la pénétration et l’influence de la légitime en pays de coutumes. Et, ceci, malgré la disproportion évidente entre les deux siècles envisagés dans le premier chapitre et les quinze années qui séparent la Révolution de 1789 de la publication du Code civil. Mais le nombre d’années n’est pas toujours significatif. La progression de la légitime en deux siècles est harmonieuse et continue ; alors que la période suivante commence par bouleverser profondément le droit successoral avant d’atteindre l’objectif de l’unification du droit privé, au prix d’un compromis entre des traditions différentes. L’unité dans les idées semble préférable à l’équilibre chronologique. Ainsi, il convient d’étudier d’abord les progrès de la légitime en pays de coutumes de la fin 641

Ibidem, p. 310. Contrairement aux auteurs postérieurs des dictionnaires, « les arrêtistes n’utilisaient que des sources de première main, directes ou indirectes ». En cela aussi leur contribution est importante. Cf. Véronique DEMARS-SION, « Les recueils d’arrêts…», op. cit., p. 331. Pour connaître l’évolution des types de recueils d’arrêts, dictionnaires et répertoires, ainsi que les critères des choix des arrêts rapportés, voir l’ensemble de cet article et de l’ouvrage cité. 643 Véronique DEMARS-SION, « Les recueils d’arrêts…», op. cit., p. 315-316. 644 « Le passage des recueils d’arrêts aux dictionnaires et répertoires de jurisprudence révèle une profonde évolution caractérisée par une tendance à l’unification et à la théorisation du droit, qu’on tend de plus en plus à réduire à des principes communs à l’ensemble du royaume, et par un recul du pouvoir des juges. Cette évolution préfigure les bouleversements révolutionnaires : le mouvement entamé dès l’Ancien Régime ne fera que s’exacerber après 1789 ; il conduira à la codification du droit, à l’affirmation de la suprématie de la loi et à l’instauration d’une véritable défiance à l’égard des juges », ibidem, p. 343. 642

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du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (chapitre I), puis la consécration de la légitime (chapitre II), devenue définitive lors de la rédaction du Code civil, après les bouleversements du droit successoral sous la période révolutionnaire.

CHAPITRE I LES PROGRÈS DE LA LÉGITIME

L’incorporation de la légitime en territoire coutumier ne se fait pas d’un coup, mais par étapes. La première étape a été étudiée dans la partie précédente. La deuxième étape est centrée essentiellement sur l’étude des coutumes réformées. En effet, il convient d’examiner si la petite aire géographique qui a incorporé la légitime s’élargit par la consécration officielle de cette institution dans d’autres coutumes. On sera alors en mesure de percevoir l’étendue de sa progression en pays de coutumes. La réformation des coutumes concerne principalement la fin du XVIe et le début du XVIIe siècles. Même si quelques coutumes ont pu être mises par écrit plus tardivement, les données essentielles de l’incorporation de la légitime sont définies autour de 1630. Cependant, on ne peut se limiter à envisager la consécration officielle de la légitime. En effet, au-delà de sa diffusion par ce biais, il est indispensable d’analyser comment se déroule la vie de la légitime à l’intérieur de la logique coutumière, car la comparaison avec la réserve et les influences réciproques sont inévitables. C’est une illustration concrète de la coexistence dans un même ressort juridique, de deux logiques opposées : la logique romaine et la logique coutumière. Une fois que la légitime est définitivement incorporée, c’est la modification de l’approche juridique du droit successoral au contact de cette institution romaine qui se révèle le plus intéressant, outre l’étude de l’institution de la légitime elle-même. La légitime véhicule, au-delà de sa technique propre, une vision précise des rapports patrimoniaux dans la famille645. Ainsi, il faut étudier d’abord la diffusion de la légitime en terrain coutumier, entre la première rédaction des coutumes et la fin du processus de réformation de celles-ci (section I). On aura ainsi une vision claire des ressorts coutumiers qui l’ont acceptée. Ensuite, il faudra suivre son développement en pays de coutumes tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. En effet, une fois l’institution établie, elle s’épanouit dans son nouveau cadre, ce qui implique nécessairement des influences et

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« Dans une même branche du droit, on reconnaît aussi bien des éléments coutumiers que savants. Cette constatation soulève immédiatement la question : comment ces deux droits, que l’on dit hétérogènes, coexistent-ils ? Si l’on s’en tient à la conception stricte de réception matérielle, c'est-à-dire, au maniement de règles directement applicables, les éléments pour résoudre cette question sont insuffisants. Il est nécessaire de considérer ici le phénomène qui a été décrit comme la Verwissenschaftlichung du droit et qui exprime le développement d’une nouvelle approche juridique, caractérisée désormais par un professionnalisme pénétré des méthodes du droit enseigné aux universités », WIEACKER, Privatrechtsgeschichte der Neuzeit, p. 131. La référence se trouve dans Alain W IJFFELS, Qui millies allegatur. Les allegations du droit savant dans les dossiers du Grand Conseil de Malines (causes septentrionales, ca. 1460-1580), 2 tomes, Amsterdam, 1985, p. 21.

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des transformations. Il faut alors mettre en évidence les répercussions de la pénétration de la légitime en pays de coutumes (section II).

SECTION I LA DIFFUSION DE LA LÉGITIME

En partant des coutumes qui connaissent la légitime en 1540, il faut de nouveau parcourir la géographie coutumière pour dresser l’inventaire des coutumes l’ayant définitivement adoptée. Dans ce recensement, en plus des textes coutumiers, il faut regarder la jurisprudence, car elle est souvent le moyen de faire progresser des idées nouvelles en leur donnant force juridique. Comme l’affirme René Filhol, il est nécessaire de souligner l’apport de la doctrine et de la jurisprudence lors de la réformation des coutumes au XVIe siècle646, ainsi que dans les années qui suivent ces réformations, afin d’asseoir par la jurisprudence, la force des principes nouvellement consacrés. Mais la réformation des coutumes entraîne les juristes dans une réflexion sur la nature même de la coutume et son rapport au droit romain. Le XVIe siècle a été témoin de la recherche d’un droit commun auquel se référer pour interpréter ou compléter, le cas échéant, le texte des coutumes rédigées et nouvellement réformées. La relation des juristes coutumiers au droit écrit, toujours présente, se voit affectée par l’émergence d’un certain nationalisme juridique. La question du droit commun est fort complexe, et dépasse largement le cadre strict de la légitime. Il ne s’agit pas de l’épuiser ici, ni de trancher les débats à son sujet. Mais la légitime offre un éclairage particulier sur ce point, du fait de son origine romaine. D’où l’intérêt de l’étudier, outre le fait que pour la légitime elle-même, ce rapport au droit commun a une influence sur sa mise en œuvre. L’importance du droit commun empêche de passer cet aspect sous silence, d’autant plus que, pour la légitime, le droit commun n’est pas homogène. Il faut voir, en premier lieu, quelle a été la diffusion de la légitime lors de la réformation des coutumes de la deuxième moitié du XVIe siècle (§ 1), avant d’aborder, dans un deuxième temps, la problématique du droit commun (§ 2). § 1. La réformation des coutumes Si un seul mot pouvait rendre compte d’un siècle c’est, sans doute, celui de réforme qu’il conviendrait de retenir pour le XVIe siècle. Le désir de réformer est présent dans tous les esprits et dans tous les domaines647. La réformation des 646 « Pour les réformations de la seconde moitié du XVIe siècle, on doit seulement souligner l’importance de l’apport doctrinal et de l’apport jurisprudentiel », René F ILHOL , « La rédaction des coutumes en France », in Aux alentours du droit coutumier. Articles et conférences du doyen René Filhol, Université de Poitiers, 1988, p. 23. Cf. également Vicenzo PIANO MORTARI, op. cit., p. 12. 647 « La Réforme est partout au XVIe siècle : les églises réformées se multiplient en France ; le Concile de Trente poursuit jusqu’en 1563 son œuvre de Réforme catholique ; des commissaires royaux sont délégués pour procéder à la réformation des Universités. Quel que soit le domaine où leur activité s’exerce, les réformateurs se donnent pour mission de faire la chasse aux abus, de passer au crible les opinions admises, d’abolir les pratiques qui n’ont d’autre titre et d’autre justification qu’une observance plus ou moins invéterée. Dans le domaine juridique, la réformation des coutumes répond aux mêmes préoccupations », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 141.

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coutumes est l’occasion d’améliorer le fond et la forme de celles qui avaient été écrites lors de la première rédaction648. Les coutumes du début du XVIe siècle offrent souvent des répétitions, ou bien des dispositions analogues éparpillées dans différents articles. Ainsi, par exemple, la plupart des coutumes analysées en première partie, prévoient le disponible des propres dans un article différent de celui qui permet la liberté totale de disposition pour les meubles et les acquêts. La réformation est l’occasion d’une plus grande systématisation. C’est le cas de la coutume de Paris : tout ce qui concerne la quotité disponible est réuni dans un seul article de la nouvelle coutume de 1580, l’article 292 : « Toutes personnes saines d’entendement, aagez et usant de leurs droits, peuvent disposer par testament et ordonnance de derniere volonté au profit de personne capable, de tous leurs biens meubles, acquests et conquests immeubles, et de la cinquiesme partie de tous leurs propres heritages, et non plus avant, encores que ce fust pour cause pitoyable »649. Pourtant, sur ce sujet précis, la réformation de la coutume de Paris ne dissipe pas toutes les ambiguïtés. Elle consacre le principe de la quotité disponible de la réserve, comme l’ancienne coutume et, en outre, elle introduit la légitime par l’article 298. La confusion existant dans la mentalité des juristes de l’époque entre la nature des deux institutions les fait osciller, lors de la rédaction, entre une protection classique des lignagers et la volonté de laisser une plus grande liberté de disposition au testateur. Par ailleurs, la force créatrice de la coutume semble sans énergie au XVIe siècle. Elle paraît avoir perdu sa spontanéité, rendant nécessaire le recours aux assemblées des représentants des États pour réformer les coutumes. On ne croit plus la coutume capable d’engendrer toute seule les adaptations nécessaires aux circonstances650 ; elle a besoin d’une approbation explicite des représentants de la population concernée. Malgré cela, l’œuvre de réformation se veut durable ; elle vise l’établissement de normes faites pour tenir dans le temps. Cela explique le travail soigné et approfondi de réformation des coutumes, accompli dans des années troublées par les guerres. A côté de certains édits651, pris au gré des circonstances politiques, les coutumes se veulent à l’abri des aléas de la situation sociale. Les

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« La plupart des coutumes avaient été rédigées sous Louis XII, celle d’Orléans en 1509, celle de Paris en 1510. Bientôt ces rédactions apparurent insuffisantes ou vieillies. La langue change vite au XVIe siècle et aussi les idées : on recherche désormais la clarté, l’ordre, la raison. D’où le projet d’une « réformation » des coutumes, soutenu par Du Moulin et par son ami, Christofle de Thou, premier président du Parlement de Paris. Désigné comme commissaire en 1559, celui-ci va mener activement l’œuvre de réformation que devait couronner la publication en 1580 de la coutume de Paris et en 1583 de la coutume d’Orléans », Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 8. 649 Cf. BdR, tome III, p. 51. Les anciens articles étaient les suivants : art. XCII : « Par la Coutume generale de la Ville, Prevôté et Vicomté de Paris, il n’est loisible à aucun de disposer par testament de ses propres héritages, au préjudice de ses héritiers, outre le quint d’iceux » ; art. XCIII : « Item, toutes franches personnes, saines d’entendement, agées et usans de leurs droits, peuvent disposer par testament et dernière volonté, de tous leurs biens meubles et conquêts immeubles, et de la quinte de tous leurs propres héritages, au profit de personnes capables », BdR, tome III, p. 7. On pourra consulter d’autres références parmi toutes les coutumes citées dans notre première partie. 650 « L’élaboration coutumière locale, qui fournit aisément des éléments simples, devient plus hésitante lorsque la vie juridique devient plus complexe ; au XVIe siècle enfin, cette idée était solidement enracinée dans les esprits que des modifications importantes dans les coutumes ne pouvaient intervenir que dans une assemblée générale des trois États en présence des commissaires royaux », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 168. 651 Les édits étaient révocables. Cela en fait des sources de droit temporaires et, de ce point de vue, opposées à la stabilité de la coutume. Cf. ibidem, p. 151.

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réformateurs travaillent avec la conscience de fixer un droit privé qu’ils veulent juste et équitable mais, aussi, stable. Pour acquérir cette stabilité, la coutume a besoin de l’appui de la doctrine et de la pratique, afin d’être consolidée. Comme on l’a signalé, au XVIe siècle, elles sont indissociables dans le travail des arrêtistes et des commentateurs des coutumes. Elles sont aussi affectées par la confusion entre les deux institutions. La jurisprudence et la doctrine, « troublées par les principes voisins, quoique distincts, de la légitime de droit, errèrent un peu à l’aventure entre l’antique notion d’un patrimoine indisponible réservé aux lignagers et la tendance romaine à favoriser autant que possible la liberté du testateur »652. On les étudiera ensemble, d’autant plus que, comme le souligne René Filhol, il n’y a pas beaucoup de jurisprudence concernant la légitime pendant le XVIe siècle653. Les premières traces de la légitime en pays de coutumes, dans la jurisprudence ou dans les ordonnances, datent de la fin du XVe siècle654. Pour recenser les coutumes qui adoptent la légitime après la réformation de la fin du XVIe siècle, on suivra à nouveau les différents groupes de coutumes. Le repère temporel est fourni par la coutume de Paris, c'est-à-dire l’année 1580, à cause de l’importance que revêt cette coutume par la suite. Il faut envisager d’abord les réformations antérieures à cette date (A), puis celles qui en sont contemporaines (B), pour finir par un ensemble de coutumes qui incorporent la légitime de manière tardive (C). A. L’introduction de la légitime entre 1540 et 1580 La carte des coutumes connaissant la légitime avant 1540 montre des régions situées surtout au Centre, s’étendant de Clermont-en-Beauvaisis au nord jusqu’au Bourbonnais au sud. Y a-t-il des progrès de la légitime dans d’autres régions après 1540 ? Simon Marion655 rapporte une enquête par turbe, réalisée en mars 1548, pour répondre à la question de « savoir si en pays coustumier, la légitime de droict commun devoit avoir lieu ou non ; et il fut ordoné qu’il seroit informé par turbes, et depuis, contre l’intention vraye d’icelle coustume, les juges de leur sens ont tiré la légitime de droict en la coustume… »656. Ce témoignage met l’accent sur le rôle créateur des magistrats, et atteste également les influences mutuelles entre la doctrine et la jurisprudence. L’absence de légitime conduisant à des inégalités 652 François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume de la prévoté et vicomté de Paris, éd. Cujas, 1972, réimpression de l’édition de 1914-1920, tome II, p. 342-343 [316-317]. 653 « En ce qui concerne l’œuvre de la doctrine et de la jurisprudence, on constate que les nombreuses dispositions ajoutées au cours des réformations n’étaient pas l’aboutissement d’une longue pratique antérieure, mais enregistraient des solutions admises par la jurisprudence récente et encore incomplètement élaborées. Il appartenait à la doctrine et à la jurisprudence ultérieures, autour de ces dispositions laconiques et fragmentaires, de construire des théories complètes : ainsi la théorie de la légitime en matière successorale, ainsi la théorie de la récompense en matière de communauté conjugale élaborée par la jurisprudence sur l’article 232 de la coutume de Paris », René FILHOL, « La rédaction des coutumes en France », in Aux alentours du droit coutumier. Articles et conférences du doyen René Filhol, Université de Poitiers, 1988, p. 26-27. 654 Pierre PETOT, Cours d’histoire du droit privé, Diplôme d’Études Supérieures - Droit Privé, 1947-1948, « Les enfants dans la famille », Les cours de droit, Paris, 1948, p. 160. 655 Avocat, né en 1540, mort en 1605. 656 Simon MARION, Observations, n. 14. Cité par René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 178.

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choquantes, les juristes n’ont pas d’inconvénient à forcer l’esprit coutumier pour y introduire la légitime. L’esprit coutumier semble respecté dans la forme, car on a recours au moyen de preuve habituel, l’enquête par turbe. Néanmoins, l’avocat Simon Marion ne s’y trompe pas : il tient à souligner qu’admettre la légitime suppose méconnaître l’esprit coutumier. Cette volonté d’innovation est confirmée aussi par ce qu’exprime une consultation donné par l’avocat Pierre Versoris au duc de Ferrare en 1569 : « […] Et où la coustume deffaudera, tousjours sera desduiste de la donnation la légitime de droict telle que dessus, de sort (sic) que nonobstant icelle donnation et quant elle subsistera, Monseigneur le duc se peult asseurer d’avoir tousjours sa légitime sur les choses données telle que de droict »657. René Filhol en conclut que, si l’occasion propice se présentait, la jurisprudence introduirait la légitime dans les coutumes muettes, sans attendre l’œuvre des réformateurs. Cette assurance prend appui sur la vision de la légitime comme un droit naturel, plus que comme une institution de droit positif. Cela explique le caractère évident qu’elle semble revêtir aux yeux de l’avocat consulté. Il semblerait donc que la légitime soit devenue naturelle aux juristes. Pourtant, il faut parcourir la géographie coutumière pour vérifier la portée de cet attachement à la légitime. Avant d’étudier les textes des coutumes, il est nécessaire d’écarter, comme on l’a fait pour la période antérieure à 1540, les quelques coutumes qui utilisent le mot légitime ou d’autres analogues, mais d’une manière générique et ne signifiant pas l’intégration de l’institution romaine. Dans ce sens, on peut hésiter sur la portée exacte des articles de la coutume de Gand rédigée en 1563, et de la coutume de Courtrai, qui date de 1567. Les deux utilisent le mot légitime658. Doit-on le comprendre dans un sens général de portion héréditaire, ou bien dans le sens de l’institution de la légitime ? Le texte de la coutume de Gand concerne tous les biens, sans distinction de propres ou meubles et acquêts. En cela, il semble faire référence à la légitime. Mais, par ailleurs, cette coutume ne vise que les testaments et prévoit la quotité d’un tiers, ce qui est le cas de la réserve. Quant à la coutume de Courtrai, l’article I de la rubrique des donations renvoie au droit écrit, ce qui peut faire supposer que la légitime est en vigueur.

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René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 179-180. La citation de cette consultation est tirée d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale, ms. fr. 15552, fol. 230 v° et fol. 231. La consultation date du 30 octobre 1569. Pierre Versoris était avocat au Parlement de Paris. « Il estoit plain de belles et subtiles intentions, et si fort entendu aux affaires du Palais, qu’encores qu’il l’eût par maniere de dire quitté, toutesfois le Palais ne le quitta jamais, sa maison estant un autre Palais. […] [Il] parloit avec une éloquence vive, prompte et naturelle, et avec une grande facilité et persuasion ; ce qui le faisoit charger des plus grandes et plus belles causes de son temps », Pasquier ou Dialogue des Avocats du Parlement de Paris, par Antoine LOISEL, in CAMUS et DUPIN, Lettres sur la profession d’avocat et bibliothèque choisie des livres de droit, qu’il est plus utile d’acquérir et de connaître, Paris, 1818, p. 298-299. 658 Coutume de Gand, 1563, rubrique XXVIII des testaments et dernières volontés, des legs et autres donations après la mort, art. II : « Personne ne peut par testament ou dernière volonté disposer ou donner plus que jusqu’au tiers de tous les biens de luy donateur, et non pas davantage, et si la disposition excède, elle est réduite jusqu’audit tiers, de sorte que chaque heritier doit avoir les deux tiers de son contingent, pour sa portion legitime nette et non chargée desdites donations et dispositions par testament », BdR, tome I, p. 1019. Coutume de Courtrai, 1567, rubrique XIV des donations et de dispositions tant de main chaude que par testament, de dernière volonté, de legs ou autre après mort, art. IV : « Si lesdites dispositions par testament ou de dernière volonté excedent le tiers des biens, elles seront reduites audit tiers, en sorte que chacun heritier doit avoir les deux tiers de son contingent, pour sa portion legitime, quitte et deschargée desdites donations et dispositions par testament », BdR, tome I, p. 1039.

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Cependant, la référence semble circonscrite à la révocation des donations pour cause d’ingratitude et de survenance d’enfants659. La rédaction de ces articles fait penser à une utilisation générique du terme légitime, qui ne désignerait que la portion héréditaire. Une affirmation de Philippe Godding confirme cette analyse : « La part réservée aux héritiers est qualifiée habituellement de legitime portie : cette terminologie seule est empruntée au droit romain, l’institution qu’elle désigne n’a rien en commun avec la légitime »660. En effet, dans les deux articles, le terme légitime est l’adjectif qui qualifie la portion : portion légitime. Il n’est pas employé en tant que substantif, c'est-à-dire désignant une institution précise. Pourtant, pour le texte de Gand, une donnée supplémentaire doit être signalée. Philippe Godding cite Van den Hane, qui commente la coutume de Gand en 1664. D’après les observations faites dans « ses annotations sur la coutume de Gand, on doit observer deux légitimes, la légitime coutumière des deux-tiers qui limite les dispositions à cause de mort, et celle du droit romain, du tiers ou de la moitié de la part de chaque héritier dans la succession du donateur, celle-ci limitant aussi les donations »661. On retrouve ce cas de figure chez d’autres commentateurs de coutumes : alors que le texte ne parle pas de la légitime, ils affirment dans leur commentaire qu’elle existe. Que peut-on en dire? En réalité, c’est la preuve de la diffusion généralisée de la légitime au XVIIe siècle, car le commentateur écrit en 1664. Mais un siècle sépare la rédaction de son commentaire. On reviendra sur ces interprétations extensives, mais pour le moment, il faut analyser le texte même des coutumes et les commentaires contemporains à cette rédaction. Malgré cette indication de Van den Hane, importante par ailleurs, il ne semble pas qu’au moment de la rédaction de la coutume de Gand en 1563, celle-ci ait incorporé la légitime en tant qu’institution. Avant cette date, en 1559 la coutume réformée de Touraine fait référence au droit écrit au sujet des causes d’ingratitude, mais la légitime ne figure pas parmi ses dispositions662. Ecartant donc l’existence de la légitime dans les coutumes de Gand et de Courtrai, il convient d’examiner les textes des coutumes qui parlent explicitement de la légitime (1), avant d’aborder l’apport de la jurisprudence (2). 1. Les textes des coutumes De même que pour l’étude sur la réserve, il est bon de parcourir les coutumes en les réunissant selon leur appartenance aux différents groupes, afin de mieux faire ressortir les traits caractéristiques de chacun et ses rapports avec la légitime. On

659 « Chacun estant maistre de soy […] a la faculté de disposer par donation de main chaude, inter vivos, de ses biens propres, meubles ou immeubles, au profit de telle personne qu’il luy plaist […] sauf aussi que les causes d’ingratitude et de la survenance d’enfants, après ladite donation demeureront selon la disposition du Droit escrit », BdR, tome I, p. 1039. 660 Philippe GODDING, Le droit privé …,op. cit., n. 704, p. 394. 661 Ibidem, n. 833, p. 488. 662 Titre XXVII De successions de gens roturiers ou coustumiers, art. CCCIII : « Mais pourra ladite personne coustumiere priver et exhereder son heritier ou heritiers, en tout ou partie de ladite succession, s’il se trouve qu’ils ayent contre luy fait ou commis cause d’ingratitude, comprinse et declarée en droit, et semblable aura lieu entre nobles », BdR, tome IV, p. 669.

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suivra ainsi le même ordre, c'est-à-dire les coutumes préciputaires (a), les coutumes d’égalité stricte (b) et enfin les coutumes d’option (c). a) Les coutumes préciputaires La logique libérale propre de la légitime peut faire penser que les coutumes préciputaires l’accueillent facilement. En effet, avant 1540, elle existe dans les coutumes préciputaires situées en bordure des pays de droit écrit, telles que la Bourgogne, l’Auvergne, le Bourbonnais et la Marche, mais également dans le Berry. Elle est connue aussi en Nivernais. Pour la Bourgogne, on peut souligner un article ajouté lors de la réformation de la coutume du Duché en 1570. Le contexte dans lequel il a été introduit est la différence existant entre le régime des roturiers et le régime des nobles, en matière de donations faites par les parents à leurs enfants. Pour les premiers, l’équité est « l’âme des conventions de mariage », et les parents « répugnaient à faire, de quelque façon que ce soit, certains de leurs héritiers meilleurs que les autres »663. Pour les grandes familles, tout comme pour la doctrine et la jurisprudence, les donations préciputaires sont valables, ce qui est en contradiction flagrante avec l’article préconisant l’égalité entre les enfants. Les auteurs ont cherché à modifier l’article en plusieurs étapes, dont la deuxième consiste en l’adoption d’une disposition visant à préserver la légitime : « Au cas que, par la dite disposition ou partage fut moins délaissé aux enfans que la légitime qui par Drois escrit leur appartient, c’est assavoir le tiers de ce que chacun d’eux eut reçu ab intestat s’il y a quatre enfans ou moins ; ou la moitié s’il y a plus grand nombre, la dite légitime sera suplée par les autres ; chacun pour sa contingente part et portion et par ratte, le dict partage néammoins demeurant en sa force et vertu. Et seront les dits enfans saisis et vestus des choses à eux délaissés par iceluy partage sans qu’ils puissent autre chose demander oultre la dite légitime et supplément qui seront faits et donnés, c’est assavoir aux masles en chevances et corps héréditaires et aux filles si bon semble aux disposants en deniers ; les dites légitimes déchargées de legs, frais funeraulx et dispositions de dernière voulenté »664. Cet article abroge l’article 3 de la coutume de 1459665. Au nord du Nivernais, touchant la frontière des coutumes d’option, la coutume préciputaire d’Auxerre incorpore la légitime en 1561666. Elle réaffirme

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Jean BART, Recherches sur l’histoire des successions ab intestat dans le droit du Duché de Bourgogne du XIIIe à la fin du XVIe siècle, Paris, Société des Belles lettres, 1966, p. 206. 664 Coutume du duché de Bourgogne, § 7. Cf. Jean BART, Recherches sur l’histoire des successions…, op. cit., p. 207. La première étape pour accorder le droit des roturiers aux pratiques des nobles a été d’admettre, comme en Bourbonnais, la possibilité d’avantager un enfant, à condition de survivre vingt jours à l’expression de sa volonté. La troisième et dernière sera l’adjonction du § 13, qui unifie le droit des nobles et celui des roturiers, dans le sens de la liberté testamentaire romaine, sous réserve de la légitime. Cf. ibidem, p. 206-209. 665 Cet article déclarait nul le testament qui privait un enfant de la légitime. Cf. ibidem, p. 207. 666 Titre XI, art. CCXVIII : « Qui est aagé suffisamment peut par donation entre vifs disposer de tous ses biens à son plaisir, reservé la légitime ou elle y eschet : mais si au temps de la donation le donateur estoit malade de maladie dont il decedast dedans quarante jours après ladite donation, elle sera reputée testamentaire, et pour cause de mort, et pourra estre revoquée dedans lesdits quarante jours, et non après », BdR, tome III, p. 607. Le procès-verbal dit que « […] ont esté adjoustez de l’avis que dessus reservé la légitime ou elle y eschet : mais si au temps de la donation le donateur estoit malade de maladie dont il decedast dedans quarante jours après ladite donation, elle sera reputée testamentaire, et pour cause de mort, et pourra estre revoquée dedans lesdits quarante jours, et non après », BdR, tome III,

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aussi l’impossibilité pour les parents d’avantager un enfant au détriment des autres, tout en introduisant une nouveauté : si ce don est fait en vue du mariage, il doit tenir sous réserve de la légitime667. Au regard de la carte établie par Jean Yver668, il reste trois grandes régions préciputaires qui ignorent la légitime avant 1540 : la Lorraine, le Vermandois et une région au nord de ce dernier, qui couvre les territoires compris, d’est en ouest, entre Valenciennes et Tournai d’une part, et Amiens de l’autre. Pour la Lorraine, les coutumes de grandes villes comme Metz ou Epinal ne font aucune mention de la légitime669. Au nord, certaines coutumes ont été réformées avant celle de Paris, mais elles ne nomment en rien la légitime. Tel est le cas des coutumes d’Artois670, ainsi que des coutumes avoisinantes comme celles de Béthune671, de Boulonnais672, d’Amiens673 et sa coutume locale de Guisnes674. Lors de la réformation, la coutume d’Artois perd l’article prévoyant une soutenance due à la fille exhérédée pour mauvaise conduite, article auquel il a été fait référence au sujet des antécédents de la légitime675. Reste à examiner la grande région du Vermandois. La réformation de sa coutume, dans le bailliage de Laon, ainsi que celles de certaines villes de son ressort, a lieu en 1556. C’est à Christofle de Thou, Barthélemy Faye et Jacques Viole qu’est confiée la tâche de veiller à la réformation676. p. 628. « L’avis que dessus » peut être celui de l’article 217 : « Ont esté adjoustez pour une plus grande explication de ces mots », BdR, tome III, p. 628. 667 Art. CCXIX : « Donation faite par pere ou mere à l’un ou plusieurs de leurs enfans, de la totalité ou grande partie de leurs biens, ne doit tenir au prejudice des autres enfans, combien que le donataire fust chargé de nourrir pere et mere, ou l’un d’eux : sinon que telle donation fust faite par le traité de mariage, auquel cas elle vaudra, moyennant que la legitime soit reservée aux autres enfans », BdR, tome III, p. 607. Le procès-verbal signale que les mots nouveaux sont « sinon que telle donation fust faite par le traité de mariage, auquel cas elle vaudra, moyennant que la legitime soit reservée aux autres enfans », BdR, tome III, p. 628. Cet article est complété par l’article CCXLIV, au sujet du rapport des dons faits en vue du mariage. Cf. BdR, tome III, p. 609. 668 Cf. carte en annexe 1. 669 Cf. BdR, tome II, p. 395 pour la coutume de Metz, p. 1099 pour les coutumes générales des trois bailliages de Lorraine et p. 1127 pour les coutumes d’Epinal. 670 Coutume d’Artois, 1544, BdR, tome I, p. 255. D’après Merlin de Douai, la légitime aurait été introduite en 1743 dans les coutumes locales d’Artois, concrètement, celle de Saint-Omer et celle du bailliage d’Aire. Art. 27 pour Saint-Omer : « légitime sera de moitié de telle part et portion que chacun enfant aurait eue en la succession desdits pere ou mere, ou autres ascendants […] », art. 37 pour le bailliage d’Aire, qui décide la même chose. La volonté des commissaires a été de « couper à la racine les procès qu’occasionnait le silence de la coutume générale d’Artois sur la quotité de la légitime ». Mais cette introduction à la moitié du XVIIIe siècle n’est pas significative pour la période qu’on étudie actuellement. Cf. Philippe-Antoine MERLIN, dit M ERLIN de DOUAI, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, 1887, tome IX, p. 324. 671 Cf. BdR, tome I, p. 315. 672 Coutume de Boulonnais, 1550, BdR, tome I, p. 43. 673 Coutume d’Amiens, 1567, BdR, tome I, p. 167 pour le bailliage et p. 191 pour la ville d’Amiens. René Filhol précise que dans les travaux préparatoires de la coutume locale d’Amiens, à l’article permettant les donations d’héritages sans le consentement des héritiers, les commissaires avaient ajouté une apostille : « Saouf la légitime aux enfans », manuscrit 2842 du fonds français de la Bibliothèque nationale, fol. 3. Cf. Réné FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 179, note 2. Finalement, cela n’a pas été retenu. 674 Coutume de Guisnes, 1567, BdR, tome I, p. 236. 675 Cf. supra, partie I, chapitre II, section II, § 2. 676 Contrairement à d’autres régions, où les commissaires font coïncider le ressort des coutumes avec celui du bailliage concerné, ils agissent avec prudence pour le Vermandois. Afin de ménager les susceptibilités locales, ils réforment la coutume générale du bailliage, mais en rédigeant également les

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Selon le texte de 1556, la liberté de donner est totale si le donateur n’a pas d’enfants, mais elle est limitée s’il a une descendance677. La quotité disponible mérite d’être soulignée, parce qu’elle est inhabituelle : la moitié des propres naissants678. Réserver la moitié des propres aux enfants semble une quantité assez importante, plus encore si on pense que le Vermandois et les coutumes qui s’y rattachent appartiennent à l’aire géographique des coutumes préciputaires. En effet, habituellement, ces coutumes laissent une grande liberté de disposition à l’intérieur de la famille, parce qu’elles accordent une réserve très importante sur les propres, à savoir les quatre quints. Mais la réserve ne touche que les dispositions testamentaires. Les donations sont totalement libres. Cet article étend la réserve aux donations entre vifs de propres naissants et, en cela, il la rapproche de la légitime, qui concerne aussi bien les testaments que les donations. Mais, en outre, cet article instaure la légitime, car il donne la possibilité aux enfants de « debattre telle donation par querelle d’inofficiosité selon raison escrite ». L’extension de la réserve aux donations des propres naissants doit se comprendre à la lumière de cette incorporation de la légitime, qui veille à une certaine équité dans les partages. Introduite comme auxiliaire de la réserve, son premier effet est de renforcer celle-ci. La réserve, qui doit attendre deux générations pour être effective, s’accorde mal avec l’évolution économique. Ainsi, dans la coutume de Vermandois, son renfort se concrétise par le rapprochement du régime juridique des propres naissants et des propres de succession. Si on en croit le procès-verbal, la légitime est incorporée pour l’avenir : « L’article cinquante et un, commençant par ces mots Toute personne, et le cinquante deuxième, commençant par ces mots pere et mere, ont esté accordez pour l’avenir, et sans prejudice du passé »679. L’apparition de la légitime n’est pas un obstacle à la capacité pour le père de faire des dons hors part à ses enfants. Simplement, la légitime tempère les inégalités que cela peut provoquer : elle doit être réservée aux autres enfants non donataires680. Dans le titre concernant les rapports « qui doivent se faire en partage », il n’est pas question de légitime, ce qui confirme la nouveauté de l’institution681.

coutumes des différents sièges : Laon, Reims, Châlons, Noyon, Ribemont, Coucy… Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 189. 677 Coutume de Vermandois, chapitre des donations entre vifs, art. LI : « Toute personne usant de ses droits, peut vendre, donner et autrement aliener par disposition entre vifs tous ses biens meubles, acquests et conquests immeubles, et tous ses heritages procedans de son naissant roturier ou feodal, pourveu qu’il n’ait enfans. Et où il auroit enfans, peut donner la moitié des héritages de son naissant seulement, avec tous ses autres biens, acquests, conquests et meubles et en disposer à sa bonne volonté : sauf toutesfois ausdits enfants de pouvoir debattre telle donation, par querelle d’inofficiosité, selon raison escrite », BdR, tome II, p. 459. 678 Rappelons que la notion de propre naissant est particulière dans cette coutume. Elle désigne le bien acquis par le père et transmis par donation ou succession à un enfant, par opposition au propre de succession qui est un bien présent dans la famille depuis au moins deux générations, c’est-à-dire acquis par le grand-père ou un autre aïeul. Cf. l’article de Lucien CAILTEAUX , RHD, 1946-47, p. 272-301, précité. 679 Cf. BdR, tome II, p. 556. 680 Coutume de Vermandois, art. LII : « Père, mère, ayeul ou ayeule peut donner à l’un de ses enfans non venans à la succession telle partie de ses biens meubles et immeubles, d’acquests ou de naissant, qu’il luy plaira, et l’advantager par dessus ses autres enfans, reservant toutesfois à iceux leur legitime, selon raison escrite », BdR, tome II, p. 459. 681 Cf. BdR, tome II, p. 462.

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La coutume de Noyon prévoit la légitime dans l’article 16 du chapitre sur les successions. Le caractère préciputaire de la coutume est affirmé, limité seulement par la légitime682. Elle apparaît aussi dans les articles 18 et 19 concernant les testaments et dans les articles 20 et 21 sur les donations entre vifs683. Le procèsverbal indique également que tous ces articles ont été introduits ou remaniés dans le sens favorable à la légitime684. Toujours dans la région du Vermandois, et dans la même optique, on peut citer la coutume de Saint-Quentin, qui mentionne la légitime seulement dans l’article 22 du titre des testaments. Il est également nouveau685. La coutume de Ribemont est plus vague : la seule référence qu’on y trouve est faite en général à l’inofficiosité, et le procès-verbal est muet quant à l’ancienneté de cet article686. Les coutumes de Coucy recueillent quelques dispositions particulières, mais elles sont muettes quant à la légitime, renvoyant à la coutume générale du Vermandois pour tout ce qui n’est pas explicitement établi dans ses articles687. La ville de Reims appartient au ressort du Vermandois, mais elle a des caractéristiques particulières car elle superpose, au caractère préciputaire général de la région, des éléments d’égalité stricte, peut-être du fait de son enclave en région champenoise d’égalité. Dans cette coutume, la légitime est mentionnée au sujet des donations et des testaments688. On retrouve la même quotité de moitié pour les donations des propres, comme dans la coutume générale de Vermandois689. On peut souligner également que les père et mère peuvent donner tous leurs meubles et acquêts ou conquêts immeubles hors part, sous réserve de la légitime. En revanche, ils doivent observer une égalité stricte entre les enfants en ce qui touche aux propres : « Et quant aux héritages estans de son naissant, ne peut en iceux advantager l’un de sesdits enfans plus que l’autre »690. La légitime est nouvelle pour tous ces articles, comme le déclare le procès-verbal691. 682 Art. XVI : « […] et peut ledit enfant en ce cas [quand il a reçu un don fait par preciput hors part] estre donataire et légataire, et héritier ensemble, sauf aux autres enfans leur legitime, et querelle de donation inofficieuse », BdR, tome II, p. 520. 683 Cf. BdR, tome II, p. 520. 684 Cf. BdR, tome II, p. 576. 685 Cf. BdR, tome II, p. 525 pour le texte de la coutume et p. 577 pour le procès-verbal. 686 Art. LXXXI : « Celuy a qui pere et mere ont fait don de meubles et immeubles, peut renoncer à leur succession, si bon luy semble, se tenant à ce que luy a esté donné ; pourveu que la donation ne se trouve inofficieuse. Auquel cas elle seroit subjette à debattre par inofficiosité », BdR, tome II, p. 534. 687 Coutumes de Coucy, art. X : « Au reste, ceux de gouvernement et Baillage de Coucy se gouvernent, et ont accoustumé eux regir et gouverner selon les uz et coustumes du Baillage de Vermandois et Prevosté foraine de Laon, en ce qui est de l’ancien ressort et Prevosté foraine dudit Laon. Et pour le regard de ce qui est de l’ancien ressort du Baillage de Senlys, selon les uz et coustume dudit Baillage de Senlys », Coutumes générales et particulières du Baillage de Vermandois, Reims, 1557, p. 188. 688 Coutume de Reims, art. CCXXXII : « Chacun peut par donation entre vifs donner tous ses biens meubles, acquests et conquests immeubles, et la moitié de son naissant, à personnes habiles et capables, sauve et reservée la légitime à ses enfans, excepté que deux conjoints par mariage ne se peuvent donner l’un a l’autre entre vifs, sinon que les donations soient mutuelles », BdR, tome II, p. 505. Art. CCXCII : « Toutes personnes franches, mariées ou non mariées, ayans enfans ou non, peuvent disposer par testament de tous leurs biens meubles et conquests immeubles, et de la moitié de leur naissant à telle personne qu’il leur plaira : réservée aux enfans la querelle de testament inofficieux », BdR, tome II, p. 510. Sur la signification spécifique du terme « naissant » dans la coutume de Reims, cf. supra. 689 Cf. art. LI de la coutume de Vermandois, précité. 690 Art. CCXXXIII : « Pere et mere, ayeul ou ayeule, peut donner à l’un de ses enfans, venant ou non à sa succession telle partie de ses biens meubles, acquests et conquests immeubles qu’il luy plaira, et

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La coutume de Reims est celle qui nomme le plus souvent la légitime : elle est présente aux articles 288 et 291, concernant respectivement les dons préciputaires faits aux enfants, et les donations entre époux. Le procès-verbal n’indique pas que la légitime soit nouvelle pour l’article 288. En revanche, il le souligne pour l’article 291, en donnant le texte ancien où, effectivement, la légitime est absente692. Elle est encore mentionnée dans l’article 293, au sujet d’une restriction particulière dans le domaine des donations, visant la femme qui se remarie alors qu’elle a des enfants du premier lit693. Le procès-verbal indique aussi leur nouveauté694. Enfin, elle apparaît dans le chapitre consacré aux successions et aux rapports, dans l’article 320, toujours nouveau quant à la légitime695. JeanBaptiste de Buridan, commentateur de cette coutume un siècle plus tard, ne fournit pas d’explication complémentaire significative696. La nouveauté de la réformation générale du Vermandois de 1556 est l’introduction de la légitime au bénéfice des enfants non avantagés, et certains emprunts de vocabulaire savant697. Péronne fait partie du Vermandois, mais connaît une réformation indépendante de sa coutume quelques années plus tard, en 1567. Cette région se situe au nord-ouest du Vermandois, touchant à l’Amiénois. Comme le reste de cette aire préciputaire, elle incorpore la légitime lors de sa réformation. Dans cette coutume, celle-ci concerne les donations entre vifs et les donations mutuelles entre époux, qu’elles soient entre vifs ou testamentaires698. l’advantager par-dessus ses autres enfans, reservant toutesfois à iceux la légitime selon la raison escrite. Et quant aux héritages estans de son naissant, ne peut en iceux advantager l’un de sesdits enfans plus que l’autre », BdR, tome II, p. 505. Pour les testaments, art. CCLXXXVII : « Pere ou mere ayant enfans peut advantager par testament et ordonnance de derniere volonté l’un d’iceux, en luy laissant telle part de ses biens meubles et acquests immeubles, que bon luy semble : pourveu toutesfois qu’il ne touche à son naissant, pour le regard duquel ne peut faire la condition de l’un meilleure que de l’autre. Et pourveu aussi que la legitime introduite par la raison escrite demeure aux autres enfants », BdR, tome II, p. 509. 691 Cf. BdR, tome II, p. 569. 692 Cf. BdR, tome II, p. 570. 693 Art. CCXCIII : « Toutesfois la femme ayant enfans de son premier mariage ne peut disposer par testament et ordonnance de dernière volonté ny autrement au profit de son second mary, ou autre personne, de ce qui luy aura esté donné par son premier mary en faveur de mariage : qu’elle doit, outre la légitime susdite, entierement garder aux enfans dudit premier mariage. Mais si elle n’avoit enfans dudit premier mariage, en peut disposer à son plaisir », BdR, tome II, p. 510. La raison de cet article est liée non pas tant à la légitime, mais aux scandales connus en matière de remariage de veuves pendant le XVIe siècle, qui poussent les commissaires à agir. Le roi interviendra par le biais de l’édit des secondes noces (1560). Voir à ce sujet René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 159 et s., ainsi que BRODEAU sur LOUET, op. cit., lettre N, n. 3. 694 Cf. BdR, tome II, p. 570. 695 « Toutefois si les enfans auxquesl auroient esté donnez en advancement d’hoirie, ou en faveur de mariage, lesdits meubles et heritages se veulent tenir à leur don, et renoncer à la succession, ils y seront receus : pourveu que la legitime soit gardée aux autres enfans », BdR, tome II, p. 512. « Par l’advis desdits Estats, ont esté adjoustez ces mots pourveu que la legitime soit gardée ausdits enfans », procèsverbal, BdR, tome II, p. 571. 696 Cf. Jean-Baptiste de BURIDAN, Coustumes de la cité et ville de Rheims, villes et villages régis selon icelles, Paris, 1665, p. 556 et s. 697 Notamment les termes préciput et prélégat. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 186. 698 Cf. les coutumes de Péronne, Montdidier et Roye, art. CVII, CX et CXI, BdR, tome II, p. 632 et p. 633. On peut lire dans le procès-verbal les différentes parties nouvelles de ces articles, en particulier « ladite réservation de legitime. Pour laquelle réservation est pareillement nouveau en la prevosté de Peronne, et aura lieu pour l’advenir en toutes les trois prevostez », BdR, tome II, p. 654. À Péronne, la légitime est introduite d’office au moment de la rédaction, sans qu’il y ait des traces de celle-ci dans les

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Si le Vermandois accueille de manière générale la légitime lors de sa réformation, c’est sans doute par la volonté des commissaires mais, aussi, pour une raison intrinsèque à cette région. En effet, les coutumes préciputaires du centre connaissent la légitime par leur situation en bordure des pays de droit écrit. Parmi les autres coutumes préciputaires, la Lorraine, le Nord et le Vermandois, seul le Vermandois incorpore la légitime lors de la réformation. Certes, la présence et la volonté de Christofle de Thou et de ses collaborateurs Jacques Viole et Barthélemy Faye sont déterminantes. Ils ont une volonté claire d’atténuer les différences, et d’aller autant que possible vers une certaine unité des coutumes, du moins sur certains points comme la représentation successorale ou la légitime. Mais ils ne veulent pas imposer leur point de vue de manière forcée. Ils tiennent compte de la volonté des populations concernées, exprimées par le biais des représentants réunis dans les assemblées des trois États. Ainsi, lors de la réformation de la coutume d’Amiens, la légitime reste inconnue malgré une tentative d’introduction lors des travaux préparatoires. Sans doute la coutume préciputaire d’Amiens est d’un esprit plus profondément libéral. A l’origine, les dons hors part sont la règle, d’où la difficulté pour accepter de limiter les donations par la légitime699. En revanche, malgré son voisinage avec Amiens, la région du Vermandois évolue dans le sens d’une restriction du libéralisme700. Cette caractéristique permet aux mêmes commissaires de faire accepter la légitime, qui trouve un contexte favorable pour être bien accueillie. Le but des commissaires est alors doublement atteint : la coutume devient plus équitable et, en même temps, elle se rapproche des coutumes d’option qui admettent la légitime avant 1540. Ainsi, entre 1540 et 1580, parmi les régions préciputaires, la coutume d’Auxerre et celle du Vermandois adoptent la légitime en tant que droit positif. Tournons-nous maintenant vers les coutumes d’égalité stricte. b) Les coutumes d’égalité stricte Dans l’aire géographique des coutumes d’égalité stricte, la légitime est inexistante avant 1540. Entre 1540 et 1580, une seule coutume d’égalité stricte adopte la légitime. Il s’agit de la coutume de Châlons, voisine de Reims et appartenant au groupe champenois. Sa réformation a lieu l’année 1556, comme celle de Vermandois et toujours grâce au travail des mêmes commissaires : Christofle de Thou et Jacques Viole essentiellement. Comme en Vermandois, la liberté des donations est totale si le donateur n’a pas d’enfants701 ; dans le cas contraire, la légitime sauvegarde les droits travaux préparatoires, en revanche, les trois États de Roye en avaient demandé l’introduction. Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 179, note 1. La source citée est le manuscrit 5255 du fonds français de la Bibliothèque nationale, fol. 200 v°, 201. Les commissaires, de Thou, Faye et Viole, décidèrent la rédaction d’une seule coutume pour les trois prévôtés de Péronne, Montdidier et Roye. 699 Au sujet de la résistance à accepter une nouveauté contraire à l’esprit de la coutume, voir le procès fait aux commissaires après la réformation de la coutume d’Amiens, lors duquel on leur reproche d’avoir voulu imposer quelque chose d’étranger. Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 94-121. En l’occurrence, il s’agissait de la règle instaurant la représentation successorale en ligne collatérale. 700 Cf. Jean YVER, op. cit., p. 194. 701 Titre de donations, art. LXIII : « Toute personne aagée et usant de ses droitcts, peut donner entre vifs tous ses meubles & acquests immeubles, et son naissant soit fief ou roture, à quelque personne que ce soit capable, pourveu qu’il n’y ait enfans. Et où il y auroit enfans, peut donner lesdits meubles et acquests

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de ceux-ci. La nouveauté de la légitime est explicitement indiquée dans le procèsverbal702. Au titre des successions, l’article 70 se réfère à la querelle de testament inofficieux, mais cela ne semble pas être une nouveauté703. Le cas de cette coutume est particulièrement instructif. C’est une coutume d’égalité stricte entre les enfants, où le rapport est donc forcé. La légitime, qui est introduite normalement pour veiller à l’équité dans les coutumes d’option, est aussi généralisée par de Thou dans le ressort de coutumes où cette égalité est parfaitement respectée. Les délégués de Châlons, présents à Reims pour accorder les articles des coutumes, sont embarrassés parce que les commissaires veulent permettre aux père et mère d’avantager un de leurs enfants s’ils ne viennent à la succession, pourvu que la légitime des autres soit sauvegardée. Autrement dit, l’introduction de la légitime n’est pas uniquement un moyen de préserver une certaine équité entre les parts échues aux différents enfants. Elle est aussi une manière d’introduire la liberté de disposition là où elle n’existe pas ou, du moins, là où elle est faible. La légitime peut agir dans les deux sens. Si son rôle principal est de pourvoir à l’équilibre, de manière subsidiaire elle permet l’introduction d’un vent de liberté dans une coutume d’égalité stricte. La teneur de la lettre écrite par les délégués aux gouverneurs de Châlons montre l’attachement à ce principe d’égalité stricte que la légitime pouvait mettre en échec704. Après avoir informé du fait que la coutume était presque entièrement arrêtée, ils signalent qu’un ou deux articles n’ont pas été accordés, « l’ung desquelz est de grande importance. […] Lequel article ne nous est accordé, mais veullent lesdits commissaires que père et mère puissent advantagier desdits enffens (l’un) plus que l’autre, si ne viennent à sa succession, pourveu que la légitime naturel soit gardée à ses autres enffens, chose de grande importance ». Les délégués ajoutent : « Il sera bon que vous assemblez messieurs du conseil de la ville pour en adviser et nous mander votre voulloir et intention »705. immeubles, avec le tiers de son naissant, soit en fief ou en roture seulement ; reservée ausdits enfans, la querelle d’inofficieuse donation. Et ne peut donner les deux autres tiers de sesdits heritages de son naissant, au préjudice de ses enfans », BdR, tome II, p. 479. 702 Cf. BdR, tome II, p. 562 : « L’article soixante troisième, commençant par ces mots toute personne, a esté aussi accordé pour l’advenir, sans prejudice du passé ». 703 Art. LXX : « Toutes personne franches, aagées, comme dit est, peuvent disposer par testament et ordonnance de derniere volonté, au profit des personnes capables, de tous leurs meubles, acquests et conquests immeubles, et du tiers de leur naissant, soit en fief ou en roture, et soit qu’ils ayent enfans ou non ; réservée aux enfans la querelle du testament inofficieux, selon la raison escrite », BdR, tome II, p. 480. Le procès-verbal n’indique pas que cet article soit nouveau, alors qu’il prend la peine de signaler comme nouvellement arrêté l’article qui traite de la représentation. Cf. BdR, tome II, art. 80 et 81, p. 563. 704 Cf. René FILHOL , Le Premier Président…, op. cit., p. 84. Cette lettre se trouve aux Archives communales de Châlons, BB 10, fol. 131 et 131 v°. 705 Voici le texte de la lettre tel que le rapporte René Filhol : « Les habitants de Châlons, ne pouvant se transporter en corps à Reims pour la rédaction, y envoyèrent des délégués porteurs de leurs cahiers de coutumes. Ces délégués, le 14 novembre 1556, écrivaient de Reims aux gouverneurs de Châlons : « Nos coustumes sont arrestez ainsi que le désirions, au reste de ung ou deux articles, l’ung desquelz est de grande importance, lequel nosdits sieurs commissaires n’ont voullu accorder, quelque remonstrance que ayons peu faire, et nous ont esté fort contraires en (ce) aucuns gens des trois Estatz de la compaignie icy assemblez. L’article portoit que père ou mère pevent donner à leurs enffens en faveur du mariaige et advancement d’hoirie ce que bon leur semble, et vault tel don que dessus, pourveu qu’il ne soit excessif et inofficieulx. Mais s’il est tel que chascun des autres enffens venant à succession du donateur ne puissent autant prendre des biens délaissez par ledit deffunt lors de son decetz ; ledit donataire sera tenu rendre à ses autres frères et sœurs le surplus de ce dont ledit don seroit excessif et inégal, soit qu’il vînt en la succession dudit donant ou non, parce que par nostre coustume ung père ne mère ne pevent advantagier l’ung des enffens plus que l’autre, combien qu’ilz ne viennent à succession. Lequel article ne nous est accordé, mais veullent lesdits commissaires que père et mère puissent advantagier desdits enffens (l’un) plus que l’autre, si ne viennent à sa succession, pourveu que la légitime naturel soit gardée à ses autres

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Cette introduction faite dans la coutume de Châlons manifeste la volonté des commissaires de rapprocher les différentes coutumes. Le fait que la réformation ait lieu à Reims, en Vermandois, n’est sans doute pas indifférent. Les commissaires ont cherché sur ce point une harmonisation des coutumes, sans s’arrêter à la différence d’esprit essentielle qui existe entre les coutumes préciputaires et celles d’égalité stricte. Est-ce le signe que l’évidence du droit naturel touche non seulement la part due aux enfants par les parents mais, aussi, la liberté de disposition dont jouit le père de famille ? Ce qui semble certain est la décision, de la part des commissaires, de faire adopter le plus possible leur point de vue en la matière. Dans ce cas, on peut parler d’une certaine unification opérée par eux706 : elle n’est pas très étendue, mais montre leur décision et les progrès effectués en ce sens par rapport à la première rédaction des coutumes. Châlons reste pourtant isolée dans son groupe. Les autres coutumes d’égalité stricte continuent d’ignorer la légitime lors de leur réformation. Deux facteurs semblent jouer un rôle en ce sens, surtout pour les coutumes de l’Ouest. D’une part, l’existence de la subrogation des meubles et acquêts aux propres, que nous avons déjà analysée707. D’autre part, le manque de perception de la différence de nature entre la réserve et la légitime. La légitime vise la protection de droits individuels égaux, alors que la réserve protège l’ensemble du lignage. Si l’Ouest n’a pas accueilli la légitime en pensant que la subrogation était suffisante, c’est bien parce que la légitime est comprise uniquement comme un soutien de la réserve ; un outil technique pour permettre à la réserve d’être efficace malgré la diminution des biens propres dans le patrimoine708. En outre, la forte empreinte féodale de l’Ouest empêche la progression de la légitime, puisque le droit d’aînesse est très largement protégé. Il reste à examiner les coutumes d’option, où on rencontre le plus fréquemment la légitime avant 1540 même si, comme nous l’avons dit, sa présence est fort limitée. c) Les coutumes d’option La première coutume de ce groupe qui admet la légitime lors du mouvement de réformation des coutumes est celle de Châteauneuf-en-Thymerais, reformée en enffens, chose de grande importance ». Les délégués ajoutaient : « Il sera bon que vous assemblez messieurs du conseil de la ville pour en adviser et nous mander votre voulloir et intention ». Ils s’en remettaient aux messagers qu’ils envoyaient à Châlons de faire entendre aux gens de la ville les autres articles que les commissaires n’avaient pas voulu leur accorder », op. cit., p. 84. Les délégués avaient donc un mandat impératif et non représentatif. 706 L’œuvre de Christofle de Thou est présentée par René Filhol comme « œuvre de réforme coutumière, œuvre d’enrichissement et de mise à jour des coutumes, essai d’unification et de synthèse du droit coutumier », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 140. 707 Cf. première partie, chapitre I, section I, § 1, A et chapitre II, section II, § 2. 708 « Mais si [renforcer la réserve en conservant dans les familles la fortune] était le but essentiel de ces institutions qui, de surcroît, dans les coutumes de l’Ouest, se sont retrouvées limiter les droits du disposant aussi bien dans les donations entre vifs que dans les legs testamentaires, elles n’en assuraient pas moins efficacement, en fait, une soutenance consistante aux enfants du de cujus. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles, lorsque, au cours du XVIe siècle, la légitime s’installa et s’organisa dans le droit coutumier, elle ne fut pas accueillie, comme inutile, dans le texte de ces coutumes de l’Ouest qui pratiquaient la subrogation subsidiaire des acquêts et des meubles aux propres ou qui connurent l’extension, d’une façon principale, de la réserve aux acquêts », Jean de LAPLANCHE, La soutenance…, op. cit., p. 134-135.

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1552. Les articles 109 et 113, correspondant respectivement au chapitre sur les donations et à celui sur les testaments, disposent que les enfants ne peuvent être privés ni frustrés de la légitime à « eux deue de droict de nature »709. Seules les donations des héritages sont explicitement envisagées dans l’article 109, mais il semble clair que la liberté de donner les meubles et acquêts est totale, à la lumière de toute la tradition coutumière. Par ailleurs, l’article 113 établit la réserve des quatre quints des propres. La coutume de Sens la suit trois ans plus tard, en 1555710. Il s’agit d’une coutume d’option avec des éléments d’égalité stricte711, et la nouveauté de la légitime est clairement énoncée dans le procès-verbal de la rédaction : « Au quatre vingts-neufiesme article qui souloit estre le soixante-quatriesme dudit cayer imprimé, commençant Si pere ou mere, par l’advis desdits trois Estats, ont esté adjoustez à la fin ces mots à quoy ils seront receus ; pourveu que la legitime soit gardée pour les autres enfans »712. Cependant, la légitime n’est envisagée que de manière restreinte, car elle concerne uniquement l’article sur le rapport des donations faites aux enfants en faveur du mariage. Si l’enfant donataire veut garder ce qu’il a reçu, il peut le faire à condition de laisser la légitime aux autres. Rien n’est dit sur l’obligation de fournir la légitime dans d’autres cas de donation ou dans l’hypothèse de legs. Certes, la donation en vue du mariage étant la plus fréquente, les représentants des États ont probablement cru protéger suffisamment les enfants. Par ailleurs, le silence au sujet des testaments est significatif : la réserve limite déjà la liberté dans ce domaine. On voit ici une manifestation de la manière de comprendre la légitime : elle est introduite pour suppléer les carences de la réserve. L’année suivante, c’est à Dourdan que se retrouvent les trois commissaires, de Thou, Viole et Faye. Cette coutume parle de la querelle d’inofficiosité au sujet des donations, mais elle est muette en ce qui concerne les testaments713. Comme à 709

Chapitre XVI, art. CIX : « Un chacun peut donner, vendre et aliéner ses heritages ainsi que bon luy semble, par venditions, donations et autres contracts faits entre vifs, sans le consentement de ceux qui luy doivent succeder, et vaut telle donation, alienation ou disposition, et mesmement ladite donation quand elle est faite entre vifs, et par personnes ydoines à ce faire et à personnes capables, pourveu que par ladite donation les enfans des donateurs ne soient point privez de leur legitime part et portion à eux deue de droict de nature », BdR, tome III, p. 688. Art. CXIII : « Homme et femme conjoints par mariage et autres habiles et ydoines à tester, peuvent disposer par testament et ordonnance de derniere volonté de tous leurs biens meubles et acqueremens immeubles, et du quint de leurs propres, avec le revenu d’une année de tous iceux propres à leur plaisir et volonté, et les donner et laisser à qui il leur plaira, pourveu que les legataires soient personnes capables, et que les enfans des testateurs ne soient privez et frustrez de la legitime à eux deue de droict de nature », BdR, tome III, p. 689. 710 Christofle de Thou préside cette réformation. Titre IX Des successions, partages et divisions, art. LXXXIX : « Si pere et mere mariant leurs enfants leur donnent aucune chose, soit en meuble ou heritage, lesdits enfants sont tenus la rapporter en venant à la succession de leursditcts pere et mere […] sinon que les enfans ausquels auroit esté ainsi donné, se voulissent tenir à leur don, et renoncer à la succession, à quoy ils seront receus ; pourveu que la legitime soit gardée pour les autres enfans », BdR, tome III, p. 512. 711 Par exemple, elle connaît la subrogation de meubles aux propres pour la réserve, trait caractéristique des coutumes d’égalité stricte de l’Ouest. « Toute franche personne, aagée […] peut faire testament, et par iceluy disposer à son plaisir de tous ses biens meubles, conquests et acquests immeubles, et de la quinte partie de ses propres : et où il n’auroit que meubles, n’en pourroit disposer que de la quarte partie ». Cf. art. 68, BdR, tome III, p. 510. 712 Cf. BdR, tome III, p. 552. 713 Coutume de Dourdan, 1556, titre VIII de donations, art. XCI : « Toutes personnes peuvent par donation entre vifs donner tous leurs biens, tant propres qu’acquests et meubles, et en disposer ainsi que bon semble, reservé toutefois aux enfans, s’aucuns en y a, la querelle d’inofficieuse », BdR, tome III, p. 128.

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Sens, c’est une illustration du rôle complémentaire de la légitime par rapport à la réserve. Elle vient en combler les lacunes, protéger les biens qui lui échappaient. Mais elle n’est pas adoptée dans son esprit originel, c'est-à-dire en lien avec un certain libéralisme. En 1560, ce sont toujours les trois commissaires de Thou, Viole et Faye qui président la réformation de la coutume de Melun. La légitime est présente dans le chapitre XIV au sujet des dons mutuels et des donations faites entre vifs. L’article 232 dispose que « chacun peut par donation entre vifs disposer de tous ses biens à son plaisir à personnes capables, et en icelles donations apposer telles charges ou conditions que bon luy semble, delaissée toutesfois la legitime à ses enfans, selon le droit »714. Comme à Dourdan et à Sens, la légitime est absente du chapitre sur les testaments, probablement pour la même raison. Une autre partie de cette coutume attire notre attention. Dans le procès-verbal, on lit : « Les articles deux cens trente, commençant par ces mots Donner et retenir ; deux cens trente un, commençant par ces mots Donner la propriété, deux cens trente deux, commençant par ces mots, Chacun peut, et deux cens trente trois, commençant par ce mot Donation, ont esté adjoustez pour avoir esté de tout temps gardez et observez, encores qu’ils ne fussent escrits audit ancien Coustumier »715. Il s’agit d’une remarque importante pour comprendre la progression de la légitime en pays de coutumes. En effet, elle met en évidence une chose qui a dû être plus courante que ce que les procès-verbaux officiels des coutumes veulent bien dire explicitement. A savoir que la légitime, connue parce que familière aux juristes formés au droit romain, a fait son entrée en pays coutumier sans bousculer les mentalités, comme un outil de l’équité dans les partages, venant épauler la réserve. On n’a pas éprouvé le besoin de laisser une trace écrite de cette pratique, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’était pas présente. Au contraire, le fait que toutes les coutumes qui l’incorporent l’acceptent pacifiquement, sans que presque jamais une contestation ne soit recensée dans les procès-verbaux, montre qu’elle était déjà de fait admise par la pratique, et qu’elle ne pouvait donc heurter les mentalités. Claude de Ferrière témoigne dans ce sens de manière incidente, en commentant l’article 17 de la coutume de Paris. La question concerne la légitime des puînés et le droit d’aînesse. Il rapporte la pensée de Dumoulin, favorable au retranchement de la donation faite à l’aîné pour fournir la légitime aux puînés. Pour sa part, il préfère expliquer cet article par la coutume de Melun, article 91716. Ce qui intéresse maintenant est cette remarque : « Il ne faut pas que l’autorité de Maître Charles du Moulin empêche d’embrasser cette opinion, parce que dans le temps qu’il a écrit, la légitime n’avoit pas encore été reglée à la moitié de la part et portion qui eut appartenu aux enfans dans les successions de leurs pere et mere, cessant la donation. Tellement qu’il n’y avoit pas d’autre légitime dans la Coutume de Paris que le triens ou le semis du droit civil, qui ne faisoit aucune difference entre les fiefs et les rotures, et qui donnoit indistinctement aux enfans la moitié ou le tiers de tous les biens pour leur légitime. De sorte qu’il ne faut pas douter, que si du Moulin avait écrit depuis la nouvelle coutume, il ne se fut accommodé aux termes de la réformation et qu’il n’eust suivy la différence qui est présentement à faire entre les

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BdR, tome III, p. 450. BdR, tome III, p. 474. Pour le raisonnement complet, cf. infra, lorsqu’on abordera les relations entre la légitime et le droit d’aînesse. Section II, § 1, A, 2 a) de ce chapitre. 715 716

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fiefs et les rotures »717. Or, la coutume de Paris de 1510 ne parle pas de légitime. Dans ce cas, comment cet auteur peut-il affirmer avec certitude que Paris appliquait la légitime de Justinien à l’époque de Dumoulin ? Pourquoi cela a-t-il pour lui un caractère évident ? Le fondement de cette affirmation, outre la connaissance de la pratique que pouvait avoir Claude de Ferrière, semble venir du domaine auquel appartient la légitime, c’est-à-dire les testaments. Ce chapitre du droit privé est directement emprunté au droit romain, ce qui explique que, dans le silence de la coutume, la référence en matière testamentaire est le droit écrit. C’est pourquoi la légitime se pratique, sans doute, en dépit du silence de la coutume718. Ainsi, on comprend bien le laconisme des réformateurs de la coutume de Paris, qui adoptent le nouvel article 298 sans aucune résistance. Par contraste, rappelons la réaction vive des délégués de Châlons, quand ils ont vu les commissaires décidés à introduire une pratique nouvelle. Ce contexte de familiarité avec la légitime permet de comprendre la consultation de Pierre Versoris citée précédemment, selon laquelle, si l’occasion venait à se présenter, probablement la jurisprudence prendrait les devants des textes des coutumes et accepterait la légitime en pays coutumier. Le plus probable est que les testateurs eux-mêmes tiennent compte de la légitime qu’ils doivent laisser à leurs enfants, laquelle est respectée de manière naturelle. Puisqu’on a hérité du testament romain, on accepte aussi les limitations mises en place par le droit romain pour préserver l’équité. Toujours dans l’aire des coutumes d’option, Clermont-en-Argonne consacre également la légitime dans un article condensé, qui établit à la fois la liberté testamentaire pour les meubles et les acquêts ; l’impossibilité d’avantager un enfant par rapport à un autre par quelque moyen que ce soit ; la légitime et la réserve des deux tiers des propres, le tiers étant disponible uniquement pour les causes pieuses719. Au passage, on peut signaler qu’il est curieux que Clermont-en-Argonne, qui est une coutume d’option, prévoit une réserve des deux tiers, habituelle dans les régions d’égalité stricte pour des raisons historiques. C’est peut-être parce qu’elle constitue un îlot d’option au milieu de la région champenoise d’égalité stricte qui, elle, connaît une réserve des deux tiers720. Dans l’article concernant le rapport, la légitime est seulement insinuée, à travers les mots « donation immense ou inofficieuse »721.

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Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation de tous les commentateurs anciens et modernes sur la coutume de Paris, Paris, 1714, tome I, remarque sur l’art. 17, p. 411-412. 718 Sur le droit applicable à la légitime dans le cas concret de la coutume de Melun, cf. infra, § 2, B de cette section. 719 Chapitre VII, des testaments, codiciles et dernieres volontez, art. III : « Le testateur, par son testament, peut disposer librement, et à telles personnes que bon luy semblera, capable toutesfois de tous ses meubles et acquests, au profit des personnes estrangères, et non au profit de l’un de ses enfans, lesquels il ne peut avantager par testament, donation ou autrement, l’un plus que l’autre, reservé aux enfans la querelle du testament inofficieux. Mais quant aux heritages de ligne n’en peut disposer à personne estrangère, ains les doibt delaisser à ses enfans ; desquels toutesfois il peut disposer jusques au tiers, pour cas pieux », BdR, tome II, p. 877. 720 Jean Yver parle de Clermont-en-Argonne comme d’une coutume « sensible peut-être à l’origine aux idées d’égalité stricte venues du groupe champenois », mais se fixant lors de sa rédaction dans le groupe des coutumes d’option. Cf. Jean YVER, op. cit., p. 242. 721 Cf. chapitre IX, art. III, BdR, tome II, p. 879.

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On a ainsi parcouru la géographie coutumière et recensé les coutumes qui incorporent la légitime lors de leur réformation avant 1580. Ces rédactions sont-elles débitrices de la jurisprudence ? Il convient de l’envisager à présent. 2. L’apport de la jurisprudence Il y a peu d’arrêts portant sur la légitime au XVIe siècle. Louis Le Caron en rapporte quelques-uns. Il s’agit toujours de trancher des questions purement techniques, ce qui suppose la légitime admise en tant que principe. Tout porte à croire que ces arrêts sont rendus pour des régions de droit écrit722. Quelques arrêts antérieurs à 1580 sont rapportés par d’autres auteurs. Jean Chenu parle d’un arrêt de 1576, qui pose la question de savoir si, en pays coutumier, la fille mineure roturière renonçante peut demander le supplément de légitime dans la succession de son père723. Barnabé Le Vest rapporte cinq arrêts concernant la légitime, tous rendus en pays de droit écrit724. Plus tard, Pierre-Jacques Brillon en rapportera également quelques-uns tirés d’autres recueils et toujours centrés sur les questions techniques. Ils sont donc du même type que ceux rapportés par les auteurs précédents : des décisions de justice prises dans des régions où les coutumes connaissent déjà la légitime725. En pays de coutumes, deux arrêts touchant à la légitime semblent se détacher. Le premier concerne les rapports entre la légitime et le droit d’aînesse et il juge de manière défavorable à la légitime. Il est rendu le 7 septembre 1571. L’affaire concerne Nicole Cordel, et le Parlement adjuge la totalité d’une maison au fils aîné à l’exclusion de ses frères726. François Olivier-Martin le cite pour illustrer la résistance à admettre la légitime au détriment des prérogatives de l’aîné. Mais, six ans plus

722 Par exemple, l’arrêt cité dans sa réponse XCI : « Il ne faut plus douter après plusieurs arrêts de la Cour que la légitime ne se doive adjuger en corps héréditaires avec restitution des fruits depuis le décès du père ou de la mère […] et d’autant que la légitime detrahitur ex universa defuncti hereditate, et que tous ses biens y doivent être comptés, l’héritier universel est tenu de rapporter ou precompter les laiz delaissés par le père testateur à ses filles, comme a été jugé par arrêt de la Cour, entre maître Guy de Caluimont, contre Jean Caluimont, du 22 mars 1558 ». Cf. Louis LE CARON, Responses ou décisions du droict françois, Paris, 1605, p. 115. Ou encore l’arrêt des Brinons, du 27 mai 1558. Cet arrêt affirme que la légitime se prend autant sur les biens délaissés par le père que sur ceux qu’il a donnés de son vivant, notamment sur ceux qui constituent la dot d’une fille mariée. Cf. Louis LE CARON, op. cit., réponse LX, p. 39. Voir aussi René CHOPPIN, Commentaire sur les coustumes de la Prevosté et vicomté de Paris, Paris, 1634, livre II, titre III, n. 12, p. 131, et Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, op. cit., tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 23, p. 342. Ces deux arrêts ont été rendus l’année de la mort d’André Tiraqueau, qui a exercé sa charge au Parlement jusqu’à la fin de sa vie. On n’a pas d’éléments pour affirmer ni infirmer son influence. Cf. supra, partie I, chapitre II, section II, § 1. Pour savoir si la fille qui a renoncé à la légitime peut être relevée de cette renonciation, voir la réponse XCVIII. Le Caron cite un arrêt du 3 décembre 1571, confirmé par un autre arrêt du 25 décembre 1576 : elle ne peut être relevée de cette renonciation, bien qu’elle fût mineure et roturière, même en pays de droit écrit. Cf. Louis LE CARON, op. cit., p. 116. Dans son commentaire, il trouve cette solution peu conforme à l’équité. 723 Cf. Jean CHENU, Cent notables et singulières questions de droict, Paris, 1603, question 25, p. 244. 724 Cf. Barnabé LE VEST, CCXXXVII Arrests celebres et mémorables du Parlement de Paris, Paris, 1612, arrêts n. 59, p. 268, n. 79, p. 364, n. 86, p. 407, n. 170, p. 812 et n. 181, p. 890. 725 Arrêt du 3 février 1541 : la légitime se prend suivant la coutume du lieu où se trouvent les biens situés. Arrêt du Parlement de Paris du 13 avril 1548 : la légitime peut être poursuivie possessoirement. Arrêt du 16 mars 1555 : la légitime se prend sur l’héritier et subsidairement sur le tiers possesseur. Arrêt du parlement de Dijon du 21 novembre 1567 : les donations ne peuvent diminuer la légitime. Arrêt du 27 mai 1558 déjà cité (arrêt des Brinons). Cf. Pierre-Jacques B RILLON , Dictionnaire des arrêts ou jurisprudence universelle des parlements de France et autres tribunaux, Paris, 1727, tome IV, p. 18-20. 726 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, op. cit., tome I, glose sur l’article 17, p. 413.

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tard, cette jurisprudence est renversée727. En l’ancienne coutume de Paris, le 9 février 1577 le Parlement adjuge la totalité d’un fief au fils aîné, mais à charge de récompenser les puînés en argent de la portion qu’ils pouvaient prétendre dans ce fief pour leur légitime ou leur douaire728. Cet arrêt est rendu dans le contexte d’une affaire touchant aux secondes noces729 et cette précision est importante, car c’est la consolidation de l’édit des secondes noces qui est visée principalement par l’arrêt. Ceci illustre que la jurisprudence suit la doctrine plus qu’elle ne la précède. En l’occurrence, le Parlement suit la pensée de Charles Dumoulin qui, en cas de dénuement des puînés, estime que le droit d’aînesse doit s’effacer devant la légitime730. L’apport jurisprudentiel est donc mince en ce qui concerne l’introduction de la légitime au moment de la réformation des coutumes. C’est bien davantage la doctrine, unie à l’ensemble de facteurs dont on a déjà parlé, qui est à l’origine de son introduction en pays de coutumes au XVIe siècle. Au XVIIe et au XVIIIe siècles, en revanche, la jurisprudence jouera un rôle plus important et aidera à fixer les modalités concrètes d’application de la légitime. Mais on est encore au XVIe siècle,

727 « Un arrêt de 1571 adjugea encore à l’aîné, à l’exclusion de ses puînés, toute une maison tenue en fief et en quoi consistait toute la succession. Mais un arrêt de 1577 reconnut aux puînés le droit de reclamer leur douaire ou leur légitime », François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 391 [353], note 2. 728 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, tome I, glose sur l’article 17, p. 413. 729 L’édit des secondes noces « défend aux veuves de donner à leur second mari plus qu’au moins prenant de ses enfants du premier lit ; il interdit aux veufs et veuves de faire participer aux libéralités reçues du conjoint prédécédé leur nouveau conjoint et les enfants du second lit. La jurisprudence […] en donnera une interprétation extensive (veufs) qui passera dans les coutumes réformées », Anne LEFEBVRE TEILLARD, op. cit., n. 136, p. 186. L’arrêt qui étend l’édit des secondes noces aux veufs date du 16 juillet 1578, et il est rapporté par Jean CHENU, Cent notables …, op. cit., question 64, p. 395-408. Il est confirmé par un arrêt du 23 mai 1586, rapporté par ibidem, question 65, p. 409-410. Sur le détail de l’affaire, voir René FILHOL , « L’application de l’édit des secondes noces en pays coutumier » in Mélanges Roger Aubenas, RSHDE, fasc. IX, Montpellier, 1974, p. 295-299. Pierre Bardet et Claude Berroyer placent un chapeau qui résume bien la manière dont la légitime limite la capacité de disposer de celui qui se remarie ayant des enfants du premier lit. Il se trouve au début d’un arrêt qui accorde la légitime aux enfants du second lit du de cujus, à moins qu’ils préfèrent s’en tenir à un legs de 900 livres que leur faisait leur père sur sa succession : « Pere qui a des enfans d’un premier lit, convolant en secondes noces, peut convenir que les enfans qui en naistront, n’auront qu’une certaine somme dans sa succession, si mieux n’aiment se tenir à leur légitime ». Cf. Pierre BARDET, Recueil d’arrests du Parlement de Paris, Paris, 1690, tome I, livre III, chapitre 52, p. 384-388. Pour le texte de l’édit, voir ISAMBERT, DECRUSY, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420, jusqu’à la Révolution de 1789, tome XIV, 1e partie, Paris, juin 1829, p. 36. L’édit a été donné à Fointainebleau en juillet 1560. L’article 279 de la coutume de Paris s’inspire de cet édit des secondes noces. Mais, étant plus rigoureux, un arrêt du 2 avril 1683 décide qu’il « n’a point d’exécution dans les païs soumis à d’autres coutumes, telle qu’est la Coutume de Clermont en Beauvaisis, qui ne s’explique point sur ce chapitre ». Cf. François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IX, chapitre 11, p. 682. L’article 279 de la coutume de Paris dispose : « Femme convolant en secondes ou autres nopces, ayans enfans ne peut advantager son second ou autre subséquent mary, de ses propres et acquests, plus que l’un de ses enfans. Et quant aux conquests faits avec ses précedents maris, n’en peut disposer aucunement au préjudice des portions, dont les enfans desdits premiers mariages, pourroient amender de leur mere. Et néantmoins succèdent les enfans des subséquents mariages ausdits conquests, avec les enfans des mariages précedens, également venans à la succession de leur mere. Comme aussi les enfans des précedens licts succedent pour leurs parts et portions aux conquests faits pendant et constans les subséquens mariages. Toutesfois si ledit mariage est dissolu, ou que les enfans du précedent mariage decedent, elle en peut disposer comme de sa chose », BdR, tome III, p. 49. 730 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation …, op. cit., 1714, tome I, glose sur l’article 17 de la coutume de Paris, n. 1, p. 413.

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bien qu’approchant du dernier tiers. Il convient d’analyser à présent la réformation de la coutume de Paris. B. L’introduction de la légitime à Paris et dans d’autres coutumes autour de 1580 La réformation de la coutume de Paris n’est pas tout à fait une réformation de plus. Cela n’est pas dû uniquement au prestige de la capitale du royaume. Pour Christofle de Thou, c’était l’aboutissement de plusieurs années de travaux et de préparation. Il met un soin particulier, qui résume les efforts de toute une vie dévouée au droit coutumier, à réformer la coutume de sa ville natale, malgré des circonstances politiques difficiles. Mais la réformation de la coutume de Paris s’insère dans une perspective plus large qui dépasse la prévôté et vicomté du même nom. Le vœu que Dumoulin exprimait dans son oratio concordia trouve un écho dans beaucoup d’esprits ; et le souhait de voir le droit coutumier s’unifier est aussi une des raisons de la minutie avec laquelle le Premier Président du Parlement veille sur ce travail731. On reviendra sur la question du droit commun coutumier et de son unification, car cela mérite une étude approfondie. Pour le moment, il suffit de retracer les étapes de la réformation de la coutume de Paris et de décrire son état final au sujet de la légitime, le complétant par l’étude des coutumes réformées à sa suite dans la même décennie. Mais ce désir d’unification et le prestige dont jouira la coutume de Paris ne doivent pas être perdus de vue au moment d’étudier ses dispositions732. Sa réformation, relativement tardive, manifeste la volonté d’achever les réformations par un texte qu’on veut exemplaire733. Ces vœux ne restent pas inefficaces, car la coutume de Paris jouit dès sa réformation d’un grand ascendant734. La réformation de la coutume de Paris commence par les lettres patentes d’Henri III ordonnant la réformation. Elles sont données à Paris le 15 décembre 1579, dans la sixième année du règne. Dans ces lettres, le roi met en avant le rôle de

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« La réformation de la coutume de Paris […] occupe une place à part parmi toutes les autres par le soin que l’on y apporta, la solennité dont elle fut entourée, les espérances qu’elle suscita », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 208. 732 « Les réformations des coutumes furent effectuées dans le cadre territorial des bailliages. Cependant tout effort d’unification n’était pas impossible. En introduisant bailliage sur bailliage des dispositions identiques, on réaliserait une unification certaine : l’immense ressort coutumier du Parlement de Paris permettait de donner à cette œuvre l’extension désirable. On pouvait aussi, sans procéder par voie d’autorité à une unification, rédiger un texte aussi complet et aussi judicieux que possible, auquel toutes les provinces pourraient faire des emprunts sans recourir constamment au droit romain, un texte qui bénéficierait par surcroît du prestige de la capitale et qui, un jour peut-être, si les susceptibilités devenaient moins vives, pourrait servir de texte de base à une codification : c’est avec ces vues que fut entreprise et conduite la réformation de la coutume de Paris », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 187. 733 Cf. François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 122 [110] et s. « N’est-ce pas cette coutume-type qu’à la fin de sa vie Christofle de Thou s’efforça de donner dans la nouvelle coutume de Paris, qui eut pour travaux préparatoires quinze réformations antérieures, et qui était destinée en quelque sorte à servir de raison écrite à toutes les provinces de France ? », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 140. 734 « La coutume parisienne, dans les deux derniers siècles de notre Ancien Régime, a joui, du moins en fait, d’une indiscutable prééminence. Cela tient sans doute un peu à ce qu’elle régissait la ville capitale du royaume ; mais cela tient surtout à la valeur de son texte. […] La considération dont l’entourent nos anciens jurisconsultes atteste son prestige », François OLIVIER-MARTIN , Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 64-65.

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Paris comme modèle des autres villes du royaume735. La tâche confiée aux commissaires est claire : « En présence et du consentement desquels Estats, vous enjoignons ou à trois de vous, pourveu que vous premier President soyez l’un des trois, de nouvel rediger et accorder, et si besoin est, muer et corriger, augmenter et diminuer lesdites Coustumes ou parti d’icelles ; et faire bons procès-verbaux des debats et oppositions qui seront faits, en procedant par vous au nombre que dessus, à la rédaction et accord d’icelles, en la maniere due et accotumée »736. La réformation se fait rapidement, puisque en deux mois le texte est prêt et soumis à l’assemblée des États. Ils sont appelés à se réunir à cette fin par une deuxième lettre patente du roi, datée du 10 janvier 1580. Elle convoque une réunion le lundi 22 février 1580, pour la publication de la réforme de la coutume737, sous peine de confiscation des biens de ceux qui refuseraient de s’y rendre738. Chaque ordre nomme un représentant pour prendre la parole en son nom. Antoine Loisel est l’élu du clergé (121 membres), Simon Marion, celui de la noblesse (245 membres), François d’Auvergne et Loys de Sainction ceux du tiers État (512 membres)739. A l’exception de François d’Auvergne, conseiller du Roi en son trésor, les trois autres sont avocats. La coutume réformée est enregistrée au greffe du Parlement le 27 août 1580. Du point de vue du contenu, la coutume de Paris a été préparée par des commissions de praticiens740, et les trois États n’introduisent que des modifications mineures741. Les représentants des États prêtent un serment, comme dans les autres procédures de réformation, par lequel ils s’engagent à donner leur avis et opinion sur « ce qu’ils trouveront dur, rigoureux, et deraisonnable des Coustumes anciennes cy-

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« Notre bonne ville de Paris, capitale de notre Royaume, à l’exemple de laquelle les autres villes d’iceluy se reiglent et conduisent », BdR, tome III, p. 56. 736 Lettres patentes d’Henri III, reproduites dans le procès-verbal de la coutume réformée. BdR, tome III, p. 56. 737 « Coutumes de la prévôté et vicomté de Paris, mises et rédigées par escrit, en présence des gens des trois Estats de ladicte Prévosté et Vicomté par Nous Chrestofle de Thou Premier président, Claude Anjornant, Mathieu Chartier, Jacques Viole et Pierre de Longueil, Conseillers du Roy en sa Cour de Parlement, et Commissaires par lui ordonnés ». À Paris, Chez Jacques du Puis, libraire juré à la Samaritaine, 1582, p. 45. 738 « À ce faire [les réunir] les contraignez, à sçavoir lesdits gens d’Eglise par la saisie de leur revenu temporel, et lesdites Nobles et gens du tiers estat, par la saisie de leurs fiefs et autres biens », BdR, tome III, p. 57. 739 Cf. François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 124-125 [112-113]. Cf. aussi le procès-verbal de la coutume, BdR, tome III, p. 75. 740 « Nous avons entendu que les Coustumes generales de notre Prevosté de Paris ont esté par vous, avec aucuns notables et experimentez Advocats et practiciens de notre Chastelet, reformées et augmentées en ce qu’elles defailloient et y avoit esté obmis », lettre patente d’Henri III du 10 janvier 1580, BdR, tome III, p. 56. Voir aussi la description de ce travail préalable dans le rapport fait à l’assemblée des États par Pierre Seguier, lieutenant de la prévôté de Paris : il y eut une assemblée des officiers du Châtelet et des anciens avocats et procureurs. Après avoir étudié les anciennes coutumes et ce qu’ils avaient vu juger au Parlement, ainsi que ce qu’ils avaient vu garder par l’usage, ils avaient dressé un cahier contenant toutes les corrections et interprétations. Ce cahier avait été envoyé aux prévôts dépendants de la juridiction de Paris. Certains de ces derniers avaient assemblé les avocats et procureurs de leur ressort, et établit des mémoires et avis sur ce premier cahier. Avec ces travaux, il y eut une nouvelle assemblée au Châtelet avec des avocats et procureurs de ce dernier, pour procéder à la rédaction d’un nouveau cahier tenant compte de toutes les études précédentes. Ce dernier cahier est celui qui est soumis à l’examen des trois États. Cf. BdR, tome III, p. 75. 741 Les articles ayant fait l’objet de discussion ne sont pas très nombreux : cf. procès-verbal de la coutume de Paris, BdR, tome III, p. 75-85.

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devant gardées »742. Par rapport à la coutume de 1510, celle de 1580 « prit une forme plus savante, plus mûrie, mais moins libre »743. L’influence de Charles Dumoulin est avérée. Ses qualités de juriste, sa connaissance du droit coutumier et du droit parisien en particulier, la justifient744. Mais son amitié avec le grand réformateur, Christofle de Thou, facilite certainement cet ascendant. De Thou, que Dumoulin avait nommé son exécuteur testamentaire, se charge de consacrer des solutions dégagées par le commentateur de la première coutume parisienne745. Pour notre sujet, l’article 17 en est l’illustration. La coutume réformée parle de la légitime dans deux articles. Le premier définit la légitime en ces termes « La légitime est la moitié de telle part et portion que chacun enfant eust eu en la succession desdits pere et mere, ayeul ou ayeule, ou autres ascendans, si lesdits pere et mere ou autres ascendans, n’eussent disposé par donation entre vifs, ou derniere volonté. Sur le tout desduit les debtes et frais funeraux »746. Le deuxième précise les modalités de l’option de l’enfant donataire : « Neantmoins, où celuy, auquel on auroit donné, se voudroit tenir à son don, faire le peut, en s’abstenant de l’hérédité, la légitime reservée aux autres enfants »747. Le procès-verbal prend soin d’indiquer que « l’article deux cens quatre vingts dix-huit, commençant, La légitime, a été accordé pour nouvelle Coustume »748. Il est cependant d’un laconisme impropre à satisfaire la curiosité de l’historien. Loisel indique, dans des notes manuscrites commentant la coutume de Vermandois, que la coutume de Paris s’inspire de la coutume de Berry pour son article sur la légitime749. C’est surtout dans la quotité de moitié que les dispositions berrichones inspirent la coutume parisienne. En effet, la coutume de Berry prévoit l’obligation de laisser la moitié de tous les biens meubles et immeubles, propres et acquêts, aux enfants du donateur750. Ce qui revient à dire que la légitime est la moitié de ce que les enfants auraient eu ab intestat, car en absence de testament, tous les biens de leur père 742

Procès-verbal de la réformation de la coutume de Paris, BdR, tome III, p. 75. François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 125 [113]. 744 L’influence de Dumoulin « apparaîtra presque en toutes matières et devra rester présente à l’esprit de qui voudra comprendre l’évolution du droit parisien dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime. C’est par son canal que le droit romain s’infusera au cœur même de la doctrine et de la jurisprudence, […] il interprète le droit parisien en jurisconsulte imbu de l’esprit et de la technique du droit romain. Il n’est pas inapte à comprendre le droit coutumier. […] Mais le droit coutumier tel qu’il subsiste au XVIe siècle, ne peut plus fournir à un jurisconsulte les directions complètes et impératives qu’il souhaite », François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 59. Le succès de beaucoup de théories de Dumoulin vient de l’utilisation de « méthodes éprouvées, rénovées par l’humanisme […] et utilisées avec une très grande liberté », Jean-Louis THIREAU, op. cit., p. 209. 745 Sur l’influence de Dumoulin, Guy Coquille affirme que « és coutumes qui ont été rédigées de nouvel, depuis trente ans en ça, les articles nouveaux on esté pour la pluspart tirez des opinions qu’il a tenues ; comme aussi en ont esté tirez plusieurs Arrests servans de loy », Guy COQUILLE , Institution au droit français, Paris, 1609, titre 6 des fiefs, p. 65. Pourtant, Coquille n’hésite pas à critiquer Dumoulin. Il le blâme pour ses remarques négatives adressées à Guillaume Bourgoin, commissaire de la rédaction de la coutume de Nivernais, au sujet d’un article qui traite du privilège de masculinité en ligne collatérale. Coquille affirme que Dumoulin « pour son grand et excellent sçavoir mérite d’estre louë, [mais] mérite aussi d’estre blasmé pour sa grande et accoustumé médisance, en cet endroict et en plusieurs autres ». Cf. Les coutumes du pays et duché de Nivernais, op. cit., chapitre 34 des successions, art. 14. 746 Art. 298, BdR, tome III, p. 51. 747 Art. 307, BdR, tome III, p. 52. 748 Cf. BdR, tome III, p. 110. 749 Cf. ms 3182 de la Bibliothèque Mazarine, cité par René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 180, note 4 et 6. On a consulté ce manuscrit. Il n’est pas indiqué que Loisel en soit l’auteur, nous nous fions à l’opinion de René Filhol. 750 Cf. titre VII, art. IX, BdR, tome III, p. 947, déjà commenté supra, partie I, chapitre I, section II, § 2, A. 743

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doivent leur revenir. Ce qui est emprunté à la coutume de Berry est donc la quotité et non l’institution elle-même, déjà connue par ailleurs. Christofle de Thou meurt avant de pouvoir réformer la coutume d’Orléans, mais ce sont ses fidèles collaborateurs qui la mènent à bien en 1583, dans le même esprit qu’il avait suivi dans sa tâche de réformateur751. La légitime y est maintenue. L’ancienne coutume en parlait dans les articles 216 et 217 sur les donations. La nouvelle reprend les mêmes dispositions dans les articles 272, 273 et 277752. Comme dans la rédaction précédente, il n’y a pas de trace de la légitime dans le chapitre sur les testaments ou les successions. Mais il y a une nouveauté lors de la réformation. Alors que l’article 217 de l’ancienne coutume se réfère au droit romain753, le nouvel article 274 reprend la définition parisienne de la légitime : « La legitime est la moitié de telle part et portion, que chacun enfant eust eu en la succession desdits pere ou mere, ayeul ou ayeule ou autres ascendans, soit en meuble ou immeuble ; si lesdits pere, mere ou autres ascendans n’eussent disposé par donation entre vifs, ou de derniere volonté, sur le tout, deduit les debtes et fraiz funeraux »754. C’est mot pour mot l’article 298 de la coutume de Paris, sauf que les commissaires ont ajouté une précision : la légitime se prend soit en meuble, soit en immeuble. On peut y voir un désir d’expliciter leur intention lors de la réformation parisienne, afin d’ôter des doutes quant à l’interprétation. En effet, le caractère initial de la légitime, auxiliaire de la réserve, peut faire penser qu’elle ne s’applique qu’aux immeubles, comme c’était le cas pour la réserve. Ici les rédacteurs veulent écarter toute ambiguïté. Peutêtre la question s’est-elle présentée dans la pratique, mais on n’en a pas trouvé de traces. Jean Delalande, qui commente cette coutume en 1664, ne donne pas d’indications. Il se limite à dire que dans l’ancienne coutume la quotité n’était pas déterminée et qu’on réglait la légitime d’après le droit romain, alors que dans les nouvelles coutumes de Paris et d’Orléans, elle est fixée à la moitié755. On est ici en présence d’une volonté de perfectionnement du droit coutumier. Le souhait des commissaires va au-delà du désir d’étendre la légitime comme instrument d’équité, tempérant les conséquences trop rigoureuses d’une réserve insuffisante. La coutume d’Orléans figurait parmi les premières coutumes à connaître la légitime. Elle était pionnière en la matière, et on aurait pu imaginer qu’elle n’avait nul besoin de réforme sur ce point. Or les commissaires ont voulu introduire un changement. Ce n’est pas le droit romain qui servira de modèle pour le régime de la légitime, mais la coutume de Paris. Et pour qu’aucun doute ne puisse subsister, ils introduisent un article qui reprend la définition parisienne. Ainsi donc, 751

Les commissaires nommés pour la réformation de la coutume d’Orléans sont Achille de Harlay, Jacques Viole et Nicolas Perrot. Le premier était son gendre, le troisième, son conseiller. Jacques Viole avait déjà été commis en même temps que de Thou pour bon nombre de réformations. Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 214. 752 BdR, tome III, p. 795. 753 « […] Si la donation est immense et excessive, les enfans ou heritiers dudit donateur la peuvent quereller selon la disposition de droict », BdR, tome III, p. 749. 754 BdR, tome III, p. 795. Le procès-verbal le signale comme étant nouveau. Cf. BdR, tome III, p. 822. 755 « En nostre vieux coustumier elle n’estoit point fixée, mais on avoit recours à la jurisprudence romaine. […] Dans la coutume de Paris et la nostre elle est définie à la moitié de telle part et portion que chacun enfant eust amandé de la succession de ses pere et mere, ou autre ascendant, si lesdites personnes dont il est héritier, n’eussent disposé par dons entre vifs ou de dernière volonté, sur le tout déduit des dettes et frais funéraires », Jean DELALANDE , Coutumes des duché, baillage, prévôté d’Orléans et ressorts d’iceux, Orléans, 1673, p. 313.

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c’est l’institution qui progresse mais, aussi, une réflexion sur la légitime elle-même, car on estime que la quotité établie par Justinien aboutit à des résultats étonnants, voire injustes. La coutume de Paris se présente comme plus équilibrée sur ce point ; elle devient la coutume de la mesure et du bon droit, ayant su incorporer le droit romain de manière intelligente et non servile, en corrigeant ce qui apparaissait nuisible. La coutume d’Orléans se place dans la continuité du travail de réformation de Paris, et constitue également la base du droit commun coutumier. En adoptant la légitime parisienne, Orléans lui fournit les soixante-dix ans d’ancienneté que cette institution avait chez elle. On peut affirmer, d’une certaine manière, que la réformation d’Orléans, sur ce point, parachève celle de Paris, habillant la nouveauté parisienne d’une tradition remontant à la première rédaction des coutumes. La coutume de Paris se trouve ainsi en position de force pour se présenter comme le droit commun coutumier par rapport aux coutumes muettes mais, aussi, comme la légitime la plus coutumière dans son esprit, par rapport à la quotité du droit écrit. La même année 1583, a lieu la rédaction de la coutume de Calais. Elle est particulièrement intéressante car la légitime y est introduite aussi bien pour les donations que pour les testaments756. En outre, l’article 85 prend la peine de définir explicitement ce qu’est la légitime : « La légitime est la moitié de telle part et portion que chacun enfant eût eu en la succession mobiliaire et immobiliaire de ses pere et mere, ayeul et ayeule, ou autres ascendants, si lesdits pere et mere, ou autres ascendants, n’eussent disposé par donations faites entre vifs, ou derniere volonté, sur le tout déduit des dettes & frais funeraux »757. Calais, longtemps sous domination anglaise, a été reprise par les Français aux Anglais le 6 janvier 1558, sous le règne d’Henri II. Ne disposant pas de coutume propre, et souhaitant se rattacher davantage à la France qu’à l’Angleterre, elle s’inspire du texte coutumier de Paris758. Le parcours de la coutume de Calais à la recherche d’un droit propre est complexe. Tantôt les habitants de Calais se réfèrent à la coutume de Paris, tantôt au droit écrit, tantôt à la coutume voisine d’Amiens… La coutume finale, cependant, ressemble majoritairement à la coutume de Paris759. Elle consacre l’option760, et une sorte de subrogation inversée par rapport à sa voisine, la Normandie, qu’elle emprunte à Paris. En effet, dans son article 87, la coutume de Calais prévoit que, si le testateur

756 Coutume de Calais, chapitre V Des donations, art. LXVI : « Il est loisible à toute personne âgée de vingt cinq ans accomplis, & saine d’entendement, donner et disposer par Donation et disposition faite entre vifs de tous ses meubles acquêts et conquêts immeubles, & de moitié de ses héritages propres à personne capable, reservé toutefois la legitime a qui de droit elle est duë & appartient : & néanmoins celuy qui se marie, ou qui a obtenu benefice d’âge entériné en Justice, peut ayant l’âge de vingt ans accomplis, disposer de ses meubles », BdR, tome I, p. 6. Chapitre VI Des testaments et exécutions d’iceux, art. LXXXIV : « Toutes personnes saines d’entendement, âgées & usans de leurs droits, peuvent disposer par testament & ordonnance de derniere volonté, au profit de personne capable, de tous leurs biens meubles, acquêts et conquêts immeubles, & de la cinquième partie de tous leurs propres héritages, & non plus avant, encore que ce fût pour cause pitoyable, sauf, en tout cas, la légitime aux enfants », BdR, tome I, p. 7. 757 Coutume de Calais, chapitre VI Des testaments, art. LXXXV, BdR, tome I, p. 7. 758 Cf. René CHOPPIN, cité par René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 210. 759 Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 215. 760 Art. 96 : « Néanmoins à celuy [des enfants] auquel on auroit donné ou legué, se voudroit tenir à son don ou legs, faire le peut, en s’abstenant de l’hérédité, la légitime reservée aux autres enfans », coutume de Calais, chapitre VII De succession en ligne directe et collatérale. Cf. BdR, tome I, p. 8.

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n’a que des propres, il peut quand même disposer du quint par testament761. Ainsi, contrairement à l’Ouest, ici la subrogation joue un rôle protecteur de la liberté de disposer, et non de la réserve. Paris, Orléans et Calais sont des coutumes d’option. Les années 1580 connaissent aussi des réformations dans l’aire d’égalité stricte. La coutume de Bretagne, réformée en l’année 1580, n’admet pas la légitime. La réserve était suffisamment renforcée par le système de subrogation. Certes, le terme légitime apparaît dans l’article 560 : « Le pere noble pourveu de sens, pourra par l’advis et conseil de quatre parents de ses enfants, deux paternels et deux maternels, partager sesdits enfans de son vivant, laissant à son fils aîné ou fille, la principale maison. Et tiendra ledit partage après sa mort, s’il appert qu’il l’ait revoqué par testament ou autre declaration faite par escrit : pourveu qu’aucuns de ses enfans ne soit lezé ne grevé outre la sixième partie de sa legitime. Et s’il veut partager ses enfans des biens de leur mere, le pourra faire, elle vivante et consentante, et non autrement »762. Mais il est à comprendre dans le contexte général de la coutume. On est en présence d’un article qui se réfère aux nobles. La faveur manifestée dans ces coutumes pour l’aîné explique que, dans cet article, on permette au père de déroger à la règle générale d’égalité stricte. Le mot légitime est ici tout simplement un synonyme de part successorale. Dans le même sens, la coutume réformée du comté d’Eu, datant aussi de 1580, utilise le mot légitime comme appellation générique désignant la portion héréditaire. C’est particulièrement clair dans l’expression « au cas que le legataire veuille venir à la succession ou legitime du bien du pere, sauf et réservé le tiers des puînés pour leur portion contingente »763. La Normandie, réformée en 1583, ignore la légitime764. A cette date, on a vu que les régions préciputaires ont déjà connu leurs réformations. Pour notre sujet, mais aussi pour le droit coutumier en général, l’événement principal des années 1580 est la réforme des coutumes de Paris et d’Orléans. Il fallait mentionner la réformation des autres coutumes, mais elle n’a qu’une 761

Art. LXXXVII : « Toutefois si le testateur n’a meubles, acquêts ni conquêts immeubles, peut audit cas, tester du quint de ses propres, après vingt ans accomplis ». C’est le même texte que l’article 294 de la coutume réformée de Paris. Cf. BdR, tome III, p. 51 pour la coutume de Paris, et tome I, p. 7 pour la coutume de Calais. 762 Titre XXIII des successions et partages, BdR, tome IV, p. 397. 763 De testament, art. CV : « Il est permis et loisible à toutes personnes âgées de vingt ans de disposer par testament et derniere volonté de ses acquests et conquests pour et au profit de ses enfants ou chacun de l’un d’eux, selon qu’il verra bon estre, à la charge toutesfois de rapporter ce qui lui sera legué, au cas que le legataire veuille venir à la succession ou legitime du bien du pere, sauf et réservé le tiers des puînés pour leur portion contingente », BdR, tome IV, p. 187. Même interprétation du mot légitime dans l’article CXXVI, à propos des successions : « Ne pourront tous les enfans puînez pretendre pour leur legitime, que le tiers des immeubles de leursdits deffunts pere et mere, pour en jouir selon qu’il est predit, de maniere que advenant que lesdits pere et mere ayent pourveu par mariage aucuns de leurs enfans, ne revenant à partage, la portion contingente de leursdites legitimes, sera reduite et precomptée au profit du fils aisné, sinon que le fils aisné et lesdits puisnez restants à pourvoir, voulussent rapporter les dons et avantages qui auroient esté faits par le pere et mere à leurs freres et sœurs ne revenans à partage ; ausquels cas ils pourroient avoir leursdites parts et portions de legitime, ou tiers des heritages de leursdits pere et mere », BdR, tome IV, p. 189. 764 Cf. BdR, tome IV, p. 59.

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importance mineure dans la diffusion de la légitime. D’une certaine manière, le rôle majeur joué par les coutumes de Paris et d’Orléans fera passer les réformations des années 1540-1579 à un deuxième plan. Ces premières réformations apparaîtront comme des essais, des travaux préparatoires en vue de la réformation de ces deux coutumes –Paris et Orléans– appelées à devenir une sorte de modèle coutumier. Pour le comprendre, il faut approfondir la notion de droit commun coutumier, à laquelle on a rapidement fait référence. Mais, avant, il convient d’envisager un groupe de coutumes qui introduit la légitime de manière tardive, afin de disposer d’un tableau définitif de la présence de la légitime dans les textes des coutumes. C. L’introduction tardive de la légitime dans quelques coutumes au début du XVIIe siècle Chauny, une enclave d’option au milieu de la coutume préciputaire du Vermandois, est réformée exceptionnellement tard, si on s’en tient aux dates des réformations des coutumes environnantes. Sa réformation date de 1609, soit cinquante ans après celle du Vermandois et presque trente ans après la coutume de Paris. La réformation semble avoir été faite par hasard, grâce à la demande du procureur du roi à Chauny lequel, en profitant de la tenue des assises dans ce bailliage, suggère au roi de réformer la coutume, en mettant en avant son caractère inique sur certains points, notamment l’absence de représentation en ligne directe765. C’est au sujet du rapport que la coutume de Chauny introduit la légitime. La nouvelle coutume maintient la distinction de sa première rédaction entre meubles et immeubles pour le rapport : seul les immeubles y sont soumis. Dans son nouveau texte, la coutume de Chauny modifie l’article 46 de l’ancienne coutume, qui devient l’article 49 : « Et si lesdits donataires ne voulaient rapporter lesdits heritages ainsi a eux donnez, mais se tenir à leurs dons de mariage, faire le pourront et renoncer ou quitter leurs droits de succession desdits donateurs, pourveu neantmoins que la legitime soit reservée aux autres enfants, laquelle légitime est la moitié de ce qu’eust peu succeder ledit enfant ab intestat ». C’est la légitime qui est nouvelle, comme l’indique le procès-verbal766, et elle est calquée sur la légitime parisienne. Par ailleurs, l’article 52 règle les donations de biens roturiers entre vifs. La légitime est encore présente, et le procès-verbal, exceptionnellement disert, dit qu’à cet article « ont esté adjoustez ces mots sinon selon qu’il est cy-devant par don mutuel ; et sauf aux enfans leurs debats et querelle d’inofficiosité, selon le droict escrit, pour trancher et lever la rigueur des donations immenses faites au prejudice 765

« Comme cy-devant dès le mois de février dernier, par nos Lettres en forme de commission, nous ayons mandé à nostre bailly dudit Chaulny, de publier et tenir les assises audit Baillage, et que depuis M. Hilaire Dubois nostre Procureur audit Chaulny, nous ait remonstré, que procedant à la teneure desdites Assises, il se pouvoit commodément traiter de la reformation de la Coustume dudit Baillage, qui de tout temps seroit demeuré sans correction au prejudice de nos subjects, se trouvant ladite Coustume rigoureuse, et inique en divers articles, principalement en ce que par icelle, representation n’a point de lieu en ligne directe : A quoy desirans pourvoir au bien, et soulagement des subjects dudit Baillage, Voulons et vous mandons, qu’avec les trois Estats dudit Baillage pour ce convoquez et assemblez, vous ayez à proceder à la correction, et redaction des articles de la Coustume dudit Baillage de Chaulny […] », lettre patente d’Henri IV, du 30 avril 1609, procès-verbal de la coutume de Chauny, BdR, tome II, p. 691. 766 Coutume de Chauny, 1609, titre IX d’héritages donnez en mariage ou autrement et comment ils se doivent rapporter, BdR, tome II, p. 681. « Au quarante neuviesme, qui estoit quarante-six ancien, commençant et si lesdits donateurs, ont esté de l’advis desdits Estats adjoustez ces mots pourveu que la legitime soit reservée aux enfans, laquelle legitime a esté declarée estre la moitié de ce que pourroit succeder ledit enfant ab intestat », procès-verbal, BdR, tome II, p. 699.

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desdits enfans »767. L’article équivalent, concernant les fiefs, renvoie à la légitime établie pour les roturiers768. Ce qui est curieux est que, dans l’article 52, on fait référence au droit écrit de manière générique, alors que c’est la légitime parisienne qui apparaît dans le nouvel article 49. Et cette référence est nouvelle, et non une survivance de l’ancienne coutume. Cela montre que l’origine romaine de la légitime n’est pas oubliée, et que le recours au droit romain en cette matière semble naturel. On y reviendra. L’introduction de la légitime dans cette coutume semble être la correction d’une anomalie, qui aurait subsisté du fait du retard dans la réformation. Ce faisant, la coutume de Chauny s’aligne sur les mesures déjà présentes depuis un siècle dans d’autres coutumes d’option769. Malgré cette apparente contradiction entre la référence au droit écrit et la définition de la légitime comme étant la moitié de la part ab intestat, l’affiliation parisienne semble devoir être privilégiée. En effet, la légitime de moitié concerne ici le rapport, c’est-à-dire les relations à l’intérieur de la fratrie, domaine propre de la légitime ; alors que la référence au droit écrit se trouve dans un article plus générique sur les donations entre vifs. Un peu plus tard, une deuxième série de réformations introduit des références explicites au droit romain dans les coutumes du Nord. C’est le cas de coutumes situées en grande partie, mais pas exclusivement, dans le territoire de la Belgique actuelle : Bergh St. Winox770, Bruges771, Furne772, Cassel773, Assenede774, 767

Titre X, BdR, tome II, p. 682 pour l’article LII et p. 699 pour le procès-verbal. Titre XVI, art. LXXXIV : « […] et sauf la querelle d’inofficiosité aux enfans, selon ce qui a esté dit cidevant pour les rotures », c'est-à-dire dans l’article 52 du titre X précité. BdR, tome II, p. 684 pour l’article, et p. 701 pour le procès-verbal. 769 Rappelons que les premières coutumes d’option à connaître la légitime sont celles de Chartres, Dreux et Orléans, rédigées en 1508 pour les deux premières, et en 1509 pour celle d’Orléans. 770 Coutume de Bergh St. Winox, 1617, rubrique XX du rapport ou de la collation, en maisons mortuaires, art. I : « L’enfant ou les enfants donnataires du pere ou de la mere ou de l’un d’eux en avancement de mariage ou autrement, peut avec la donnation s’abstenir de la succession du donateur, si bon luy semble ; sans préjudice néanmoins de la légitime, ou de l’exception d’inofficiosité qui appartient aux autres enfans ou descendans », BdR, tome I, p. 533. Bergh St. Winox est un fief du quartier de Furnes. Cf. Louis GILLIODTS V AN SEVEREN, Coutumes des pays et comté de Flandre. Quartier de Furnes. Coutumes de la ville et chatellenie de Furnes, Bruxelles, 1897, tome IV, p. 59. 771 Elle ne parle de la légitime que dans un article au sujet du rapport des donations, mais la référence au droit romain est claire : « Mais les enfants donataires de cette sorte ou autres héritiers en ligne directe, ont la faculté, en gardant ce qui leur a esté donné, de s’abstenir de la maison mortuaire & d’y renoncer, sans préjudice néanmoins des remedes de droit commun, en cas d’excès, disposant de querelis inofficiosarum dotium aut donationum », coutume de Bruges, 1619, titre VII de rapporter ou de la collation, et de ne faire enfant de prédilection, art. 6, BdR, tome I, p. 576. 772 Même cas de figure que la coutume de Bruges : la légitime est la limite à l’option de ne pas rapporter le don reçu entre vifs à la succession du père, avec une référence explicite à la querela romaine. Cf. la coutume de Furne, 1613, titre XVIII, art. I, BdR, tome I, p. 650. La commune de Furne est située dans le Nord, appartenant à l’arrondissement de Dunkerque. 773 La commune de Cassel est située dans le Nord, près de Dunkerque. Coutume de Cassel, 1613, art. CCXXXIII : « Personne ne pourra par contract de mariage, ny par autre donation inter vivos ny causa mortis, priver et exclure son heritier de sa légitime : c’est à sçavoir des deux tiers des heritages rotures et des cateux qui luy eschéent ab intestato, sans charge d’aucuns legs, ou des funerailles, quoyqu’il arrivât mesme que celuy qui doit succeder ab intestato y consentit à la requisition de celuy auquel il doit succéder : car la présomption est que de tels contracts sont faits plus par contrainte, par induction et par la reverence pour celuy auquel il succede, que d’une volonté libre », BdR, tome I, p. 714. Malgré la quotité des deux tiers, propre de la réserve, on est bien en présence de la légitime, puisque cet article concerne aussi bien les testaments que les donations. La référence au droit romain est d’autant plus claire que, dans l’article 311, la coutume établit que chacun succède à sa légitime nonobstant l’institution d’héritier, BdR, 768

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Bouchaute775, Bailleul776, Alost777, Termonde778, Waes779, Bruxelles780, Luxembourg781. Toutes ces coutumes introduisent une référence explicite au droit romain et à la querelle d’inofficiosité, même si elles ne nomment pas toujours expressément la légitime. Certaines, cependant, la citent explicitement. C’est le cas tome I, p. 719. Or on sait à quel point les coutumes répètent institution d’héritier n’a point de lieu. On en conclut que la ville et chastellenie de Cassel sont régies par le droit écrit, en tout cas en matière de testaments. La méfiance que suscite le consentement donné à la perte de la légitime mérite d’être souligné. C’est une donnée supplémentaire qui fait rattacher cette coutume au droit romain. En effet, en droit coutumier, l’exclusion des filles dotées ou la renonciation à la succession restent des éléments importants. 774 Coutume de la ville et chastellenie d’Assenede, 1619, rubrique VI concernant la matière des contracts de donations d’entre vifs de main chaude, art. I : il prévoit la liberté de donner « […] sauf aussi que les causes d’ingratitude, de survenance d’enfant après la donation, et aussi d’inofficiosité, demeureront suivant la disposition du droit escrit », BdR, tome I, p. 807. Le mot légitime est utilisé dans l’article II de la rubrique XXI des testaments et dernières volontés, mais à notre avis il faut le comprendre dans le sens de part héréditaire générale, et non dans le sens strict de l’institution de la légitime : « Personne ne peut par testament et dernière volonté disposer ou donner que jusqu’au tiers de tous les biens de luy donnateur, et non plus ; et si la disposition excedoit, elle seroit reduite jusqu’au tiers ; de sorte que chacun heritier est obligé de poursuivre les deux tiers de son contingent pour sa légitime portion nette et déchargée desdites donations et dispositions par testament », BdR, tome I, p. 819. La quotité du tiers, la disposition visant exclusivement les testaments, ainsi que l’utilisation grammaticale du mot légitime, adjectif qualifiant la portion, inclinent à cette interprétation générique. Cf. supra, ce qu’on a dit des coutumes de Gand et de Courtrai, partie II, chapitre I, section I, § 1, A. 775 Coutume de Bouchaute, 1630. Les termes sont pratiquement identiques à ceux de la coutume d’Assenede. Cf. rubrique IX de la donnation entre vifs de main chaude, art. I et rubrique XXIII des testaments et dernières volontés, art. II. BdR, tome I, p. 786 et p. 799-800 respectivement. Bouchaute est un fief du quartier de Furnes. Cf. Louis GILLIODTS VAN SEVEREN, op. cit., p. 376. 776 Coutume de Bailleul, rubrique des donations et dispositions tant de main chaude que par testament, art. XI : « Mais aussi les causes d’ingratitude et de la survenance des enfants, comme aussi de donations inofficieuses, en demeureront ainsi selon la disposition du Droit escrit », BdR, tome I, p. 970. Bailleul est situé dans le ressort de Dunkerque. 777 Coutume d’Alost, 1618, rubrique XI des donations de main chaude ou entre vifs, art. I : « Chaque personne estant maistre de soy-même […] peut disposer par donation entre vifs, et de main chaude, de ses biens propres, meubles et immeubles […] sauf aussi les causes d’ingratitude, et de survenance d’enfant, comme encore de donation inofficieuse, et les donations demeureront suivant la disposition de Droit escrit », BdR, tome I, p. 1116. 778 Coutume de Termonde, 1629, termes presque identiques à ceux de la coutume d’Alost. Cf. rubrique IX des donations, art. II, BdR, tome I, p. 1165. 779 Coutumes de Waes, 1618. Elles ont la même teneur que la coutume d’Alost et de Termonde. Cf. rubrique V des donations…, art. I, BdR, tome I, p. 1193. 780 Titre XXII des testaments, art. CCCVII : « Un chaqu’un peut disposer de ses biens […] par voye de testaments ouverts ou clos, dernière volonté, donation entre vifs ou à cause de mort, codicilles et autrement pardevant les Echevins […] s’il a la disposition de ses biens, et ce luy soit permis de Droit escrit, sauf que des fiefs ne peut estre disposé sans octroy du Prince », BdR, tome I, p. 1258. Le droit romain semble être le droit commun en cette matière, puisque l’article 310 prend la peine de préciser qu’à Bruxelles, « on peut mourir pro parte testatus et pro parte intestatus […] », ce qui est une exception claire aux principes du droit écrit. Cf. ibidem. 781 BdR, tome II, p. 348. Cette coutume reconnaît la légitime de droit écrit comme droit commun dans le titre X des testaments et de dernières volontés tant entre nobles qu’autres, art. III : « Bien peuvent-ils [les pere et mere] avantager l’un ou plusieurs de leurs enfants plus que les autres, aussi sans transport et desheritance, moyennant que ce soit sans diminution de la legitime de droit competante ausdits autres enfans, sauf aussi qu’au regard des filles mariées et dotées, sera observé ce que cy-après sera dit », BdR, tome II, p. 348. Comme l’annonce cet article, le régime des enfants nobles dotés en vue de leur mariage fait exception. Ils ne peuvent prétendre à un supplément de la légitime « ores qu’elle excedast ce que leur aura esté donné en mariage », titre XII des successions ab intestat en biens nobles, art. X, BdR, tome II, p. 350. Par ailleurs, père et mère sont exclus de la légitime. Cf. titre XI des successions ab intestat, art. VI, BdR, tome II, p. 349. La coutume générale de Thionville et des autres villes et lieux du Luxembourg français contient les mêmes articles, identiques y compris dans leur numérotation. Cf. BdR, tome II, p. 366 pour titre X, art. I, II et III, et titre XI, art. VI et p. 367 pour titre XII, art. X.

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de la coutume d’Orchies, réformée en 1618. Elle établit une liberté totale pour les donations et les legs, « sauf aux enfans la legitime selon droit »782. On pourrait citer aussi d’autres régions qui agissent de la même manière. Elles se réfèrent explicitement au droit romain par le biais des causes d’exhérédation ou de révocation de donation pour survenance d’enfant, sans pour autant mentionner la légitime : il s’agit des coutumes de la Gorgue783 et de Saint-Mihiel784 ; mais aussi de celles de Gorze785 et d’Epinal786. La référence générique au droit écrit signifie que ces coutumes se placent volontairement sous la tutelle du droit romain. La quotité de la légitime parisienne ne devrait donc pas les concerner, c’est la quotité de Justinien qui s’applique à la légitime. Pour certaines coutumes, on peut hésiter sur la signification précise du terme légitime. C’est le cas, par exemple, de la coutume de Bourbourg, qui en parle uniquement au sujet des secondes noces : « Tous contracts de mariage deuement faits & arrestez avant les fiançailles sortissent leur effet selon leurs clauses ; bien entendu néanmoins que le mary ou la femme convolant à des secondes nopces, & ayant des enfants ne peut priver leurdit enfant ou enfants de leur légitime »787. Il semble que la légitime n’est introduite ici que de manière restreinte, dans l’hypothèse des secondes noces et pour les raisons qui ont motivé cet édit, particulièrement l’intérêt des familles. C’est une mesure protectrice de la vocation successorale des enfants, mais qui ne paraît pas généralisée788. On n’a pas trouvé de commentateurs de cette coutume, pouvant renseigner sur l’élargissement de la légitime à d’autres cas de figure. Ainsi, du point de vue des textes, elle semble avoir une portée très limitée. On peut encore hésiter pour la coutume de Nieuport. Elle permet de disposer par testament ou autre dernière volonté du tiers de tous les biens situés en Flandre, sauf les fiefs qui se règlent « selon la coutume de la Cour dont ils sont tenus »789. Le mot légitime est employé dans l’article suivant : « Et si la disposition excède, elle sera reduite jusques audit tiers, de sorte que chacun heritier a la faculté de poursuivre les deux parts de son contingent, pour sa portion legitime, nette et deschargée de toutes donations et dispositions testamentaires […] »790. Le doute vient d’un mélange de facteurs. Tous les biens sont concernés, ce qui fait penser à l’institution de la légitime. Mais l’utilisation de ce terme paraît plus en lien avec la portion héréditaire qu’avec la légitime au sens technique ; la quotité du tiers fait 782

Chapitre II, art. I, BdR, tome II, p. 996. Orchies se trouve dans le Nord, et appartient à l’arrondissement de Douai. 783 Coutume de la Gorgue, 1627, rubrique XI, art. LXXXVIII, BdR, tome II, p. 1010. La Gorgue appartient à l’arrondissement de Dunkerque. 784 Coutume de Saint-Mihiel, réformée en 1598, titre IV des testaments et ordonnance de dernière volonté, art. VI, BdR, tome II, p. 1052. 785 Coutume de Gorze, 1624, titre IX des testaments…, art. XXI, BdR, tome II, p. 1084. 786 Titre V, art. IX, BdR, tome II, p. 1132. 787 Coutume de Bourbourg, 1615, rubrique XV des contracts de mariage et des dons, art. I, BdR, tome I, p. 499. 788 À rapprocher de la question de l’édit de secondes noces, qui a pour but de protéger les enfants du premier lit contre des dons excessifs faits au deuxième conjoint. Cf. supra, partie II, chapitre I, section I, § 1, A, 2). 789 Cf. coutume de Nieuport, 1616, rubrique XXII des testaments et donations après la mort, art. II, BdR, tome I, p. 748. 790 Cf. ibidem, art. III, BdR, tome I, p. 748.

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penser à la réserve, et la fonction d’adjectif du terme légitime incite plutôt à attribuer une signification générique et non spécifique à ce terme. Les arrêtistes du Parlement de Flandre n’apportent pas d’éléments précis sur cette coutume791. Dans ce groupe, il est nécessaire de faire mention de la coutume de Valenciennes. Elle est réformée en 1619 et utilise le terme légitime dans l’article 107 du chapitre des successions : « on peut donner à son enfant en avancement de mariage ce que bon semble, et ne sera tel enfant tenu de rapporter ledit advancement venant à la succession de son pere ou de sa mere, n’est qu’il y ait devise au contraire par le traicté de sondit mariage, testament ou autre disposition posterieure. Sera neanmoins ledit enfant obligé de tenir compte dudit advancement, voulant prétendre sa legitime »792. Valenciennes est une coutume préciputaire. Il semble que le mot légitime est à interpréter comme la part normale d’héritage. Car, dans cette coutume, il n’est dit nulle part qu’il faille veiller à ce que chaque enfant ait sauve sa propre légitime. Simplement, le don fait hors part est en réalité requalifié de don en avancement d’hoirie. C’est là le sens qu’on pense devoir donner à cet article. D’autant plus que l’article 141 utilise clairement le terme légitime pour parler de la part successorale du maîné, et de celles des autres enfants par rapport à lui793. C’est le même type d’expression qu’on a rencontré dans des articles concernant le droit d’aînesse. Il ne s’agit pas de la légitime romaine, mais du droit qu’ont les autres enfants de réclamer une part dans l’héritage, lorsque la prérogative de l’aîné ou du puîné les laisse dans le besoin. Il est difficile de ne pas faire le parallèle du cas évoqué dans cet article avec l’hypothèse envisagée par Dumoulin, où la légitime prime sur le droit d’aînesse dans le cas où la succession n’a aucun autre type de biens pouvant fournir aux autres enfants ce qui leur est dû. C’est un emprunt de vocabulaire significatif, car la coutume de 1539 n’utilisait pas le mot légitime. A partir du moment où la légitime est adoptée par la coutume de Paris, elle commence à devenir familière aux autres coutumes, du moins dans le vocabulaire. La coutume de Liège utilise également le mot légitime à propos des donations mutuelles entre époux : « Le mary et la femme se peuvent mutuellement donner, laisser et legater par testament leurs biens, soient-ils apportez en convenances de mariage, leur succedez ou acquis, si donc n’en estoit autrement par testament ou paction pourveu : voire que les enfans s’il y en a, ayent leur legitime sauve et entière »794.

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Cf. Mathieu PINAULT, Seigneur des JAUNAUX, Recueil d’arrêts notables du Parlement de Tournay, Valenciennes, 1702 – Douai, 1715, et Jacques POLLET, Arrests du Parlement de Flandre sur diverses questions de droit, de coutume et de pratique, Lille, 1716. 792 BdR, tome II, p. 248. 793 Art. CXLI : « Le droict de maisneté tant heritiere que meubiliaire, sera imputé en la légitime du maisné, et si les autres biens restants de pere et de mere respectivement, n’estoient suffisans pour la legitime des autres enfans, icelle se pourra prendre sur ladite maisneté », BdR, tome II, p. 250. Rappelons que la maineté est un privilège successoral au profit du cadet. En principe c’est le fils cadet qui jouit de ce privilège, et seulement sur les immeubles « mais à Valenciennes et dans le Cambrésis, c’est le cadet, fils ou fille, qui l’exerce. […] En cas de concours entre enfants de différents lits, c’est le cadet du premier lit qui entre seul en ligne de compte à Valenciennes, dans le Cambrésis et à Uccle. […] Valenciennes et Cambrai connaissent en outre une maîneté mobilière », Philippe G ODDING, Le droit privé…, op. cit., n. 638, p. 357. Cf. également John GILISSEN, Le privilège du cadet…, op. cit. Sur le droit de maineté, cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 2, B, 1 b). 794 Chapitre X des testaments, art. VII, BdR, tome II, p. 329.

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Dans le titre concernant les successions ab intestat, un article semble indiquer que la quotité de la légitime est du tiers de ce que devraient recevoir les enfants dans la succession ab intestat. L’article traite du partage des biens entre les enfants et le parent survivant à la mort de son conjoint. Cette disposition doit se comprendre à la lumière d’une institution propre au droit liégeois, appelée mainplévie. La mainplévie prévoit que, en cas de prédécès du mari et en absence d’enfants, tous les biens du mari soient attribués à la veuve, qui peut en disposer librement. En revanche, s’il y a des enfants, le droit de dévolution795 joue dès la mort d’un des époux. Il ne peut disposer des immeubles sauf en cas de nécessité constatée en justice796. Chaque enfant peut « reclamer à l’encontre du survivant, la jouissance du tiers de ce qui lui serait normalement dévolu ab intestat : c’est ce que les textes liégeois appellent sa légitime pour son entretenance »797. Cela ne suppose qu’une simple avance : « Par assignation de telle legitime, l’enfant n’a pour cela vesture des biens luy assignez, ne soit que le parent par convenances de mariage, ou autrement luy en face le transport »798. C’est à la mort des deux parents que la légitime est réglée suivant le droit commun, c'est-à-dire en tenant compte du nombre d’enfants799. En effet, comme le souligne Philippe Godding, « la légitime reçue en nos régions est celle qui résulte des réformes de Justinien »800. Le contexte particulier du droit de dévolution incite à la prudence pour ne pas étendre la quotité du tiers à la légitime en général. En réalité, la légitime pour son entretenance n’est appelée ainsi que par assimilation. La vraie légitime est consacrée dans la coutume de Liège uniquement dans l’article 7 du chapitre des testaments, qu’on vient de citer801. Le parcours des différentes coutumes réformées montre que la légitime est introduite dans des nouvelles coutumes, mais qui restent minoritaires par rapport au nombre total. Si on se reporte à la carte telle qu’elle résulte de ce deuxième mouvement d’écriture, on voit que, du point de vue des textes, l’introduction de la légitime reste relativement discrète802. La zone centrale en forme de demi-lune que 795

Le droit de dévolution est propre aux Pays-Bas méridionaux. « Au décès d’un des époux, si des enfants issus du mariage sont en vie, le conjoint survivant ne peut plus disposer de ses immeubles propres, lesquels sont « dévolus » aux enfants, de même que les propres du prédécédé et les immeubles acquis par les conjoints durant le mariage. L’époux survivant conserve néanmoins la jouissance viagère de ces biens. S’il se remarie, et a des enfants de cette deuxième union, ceux-ci n’auront droit dans sa succession qu’aux immeubles acquis depuis la dissolution du mariage précédent », Philippe GODDING, Le droit privé…, op. cit., n. 639, p. 358. La caractéristique fondamentale du droit de dévolution est l’indisponibilité des immeubles appartenant aux époux, dès le décès de l’un d’eux, au profit des enfants issus de leur union. Cf. ibidem, n. 641, p. 359. Il faut souligner que ce droit de dévolution était une garantie suffisante pour les enfants, de sorte qu’il tenait lieu de légitime pour les enfants du premier lit : « Ils ne pouvaient prétendre en outre à une légitime sur les biens acquis par le survivant de leurs auteurs après remariage ». Cf. ibidem, n. 707, p. 396. 796 Si l’enfant prédécédait au survivant, sans laisser une descendance, les restrictions des droits de l’époux survivant sur les immeubles étaient levées. Cf. Philippe GODDING , Le droit privé…, op. cit., n. 556, p. 314. 797 Cf. ibidem, n. 556, p. 314. Cf. aussi la coutume de Liège, chapitre XI des successions ab intestat, art. XVII, BdR, tome II, p. 329. 798 Cf. chapitre XI des successions ab intestat, art. XVIII, BdR, tome II, p. 329. 799 Cf. ibidem, art. XIX, BdR, tome II, p. 329. 800 Cf. Philippe GODDING, Le droit privé…, op. cit., n. 707, p. 396. 801 Philippe Godding recense également la coutume d’Anvers, XLVI, 4, comme imposant la légitime, « sauf si les parents ont des raisons de déshériter leur enfant ». Ibidem, n. 702, p. 393. 802 Même en pays de droit écrit, le triomphe de la légitime n’est pas garanti. Cf. par exemple le texte de la coutume du Béarn, de 1551, qui persiste à nier aux enfants dotés la faculté de demander un supplément de légitime. Rubrica de testaments et successions, art. V : « Los enfanz qui per lo pay non son estatz

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l’on a dessinée pour la période précédant 1540, s’est quelque peu allongée vers le nord, avec une pointe allant jusqu’à Calais. Elle s’est également étendue vers l’est de ce premier noyau, avec Paris, Melun, Sens, Auxerre et, encore plus à l’est, Châlons. Les coutumes qui admettent la légitime au tout début du XVIIe siècle sont un peu plus nombreuses ; mais son régime n’est pas uniforme : certaines coutumes renvoient au droit romain, alors que la coutume de Paris introduit sa propre quotité. De son côté, la jurisprudence reste timide, peut-être à défaut de procès en la matière. Et pourtant, la légitime semble avoir avancé dans les mentalités et être devenue familière aux juristes, même en pays de coutumes803. Deux facteurs sont essentiels dans cet avancement. D’une part, comme on l’a dit, la pratique a introduit la légitime même en l’absence de textes. Les juristes justifient cette extension aux régions qui ne l’ont pas adoptée par le rattachement de la légitime au droit naturel. Il y a des débats sur des aspects techniques, mais aucun auteur ne remet en cause l’existence même de la légitime : le lien avec la nature et l’équité lui donne une force bien supérieure à toute règle coutumière. Plus encore, il semble inconcevable de ne laisser aucun bien à ses enfants, alors que les animaux pourvoient à la subsistance de leurs petits. Les quelques commentaires incidents qu’on a relevés montrent que, pour les juristes de l’Ancien Régime, la légitime n’a pas besoin d’être consacrée par la coutume pour être en vigueur. Elle touche à deux éléments fondamentaux de la société, la famille et la propriété, et c’est de là qu’elle tire sa force. Il suffit d’être une société d’hommes pour qu’elle ait sa place dans les règlements successoraux. Le deuxième facteur tient au caractère polysémique du mot légitime. En effet, l’institution de la légitime tire son nom d’un adjectif qui, par extension, est devenu un substantif. En tant qu’adjectif il fait référence à la loi et, au-delà, à la justice804. Légitime n’est pas simplement légal. Il y a une dimension supplémentaire que l’origine de notre institution montre clairement : il n’est pas juste que les enfants n’aient rien dans la succession de leur père parce que celui-ci à laissé ses biens gratuitement à d’autres personnes. Leur demande doit être reçue parce qu’elle est en accord avec les exigences de l’équité. Elle n’est pas excessive, elle est légitime. La légitime se transforme en un nom désignant la part due aux enfants dans la succession de leur auteur. Elle devient une institution juridique technique et précise, qui développe ses propres règles. Mais cette utilisation spécifique et dérivée du mot n’élimine pas son usage courant, c'est-à-dire l’adjectif. Cette ambivalence crée un

appercelatz, lo prumê genit hereté los deu appercela qui per quoate deus plus prochaâs parentz, ô mayor partida dequetz no suspectes deu deffunt sera ordenat ; sens que de lor determination no se poyran apperâ, per immensitat ô diminution ». Art. VI : « Mes si per lo pay, ou autre dequet costat descendent eran estatz apparcelatz, ô datatz en vita, ô per testament, no poden res apluus avant domanda per supliment de legitima ô autrement », BdR, tome IV, p. 1088. 803 « Dans les Coutumes qui ne parlent point de la légitime, elle y a lieu d’autant qu’elle est fondée sur le droit naturel, car la liberté qu’elles donnent de disposer des biens, s’entend salvam liberis legitimam, la nature est plus forte que la Loy et elle en supplée les défauts ; mais c’est une question si la légitime doit s’y régler selon le droit écrit ou la coutume de Paris », Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 7, p. 306. 804 Dans la première édition du dictionnaire de l’Académie, c’est à la voix Loy qu’apparaît le terme légitime : « Légitime : qui a les conditions requises par la loy. Mariage legitime, enfants légitimes. Il signifie aussi juste, équitable, fondé en raison. […] Il est aussi s. f. et sing. La portion que la loy attribuë aux enfants sur les biens de leurs peres et meres. Un pere ne peut oster la legitime à son fils, il luy doit sa legitime, il a eu sa legitime, on luy a donné sa légitime », Le Dictionnaire de l’Académie française, dédié au Roy, Paris, 1694, V° Loy.

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certain flou autour de l’utilisation de ce terme en droit successoral. Il est employé tantôt de manière générale et avec sa fonction première d’adjectif, tantôt de manière technique en tant que substantif805. Ce caractère flou se retrouve dans les coutumes qui utilisent le terme légitime, et on a dû analyser l’ensemble des articles pour comprendre s’il s’agissait d’une utilisation générale ou technique. Mais ce n’est pas la seule conséquence de cette polysémie. Une fois admise la légitime en tant qu’institution successorale, les commentateurs des coutumes, les auteurs de doctrine et les arrêtistes utilisent ce terme dans les deux acceptions. Ceci n’a rien d’exceptionnel dans les règles du langage. Mais, dans le cas concret de notre institution, cela a pour conséquence de familiariser ceux qui lisent ces ouvrages avec le terme, et de passer d’une signification à l’autre sans nécessairement en saisir l’enjeu. Ainsi, la portion légitime qu’on espère trouver dans la succession de son père peut être tout simplement ce qui semble raisonnable au bon sens et à l’équité, ou bien la quotité précise déterminée par la loi et qu’il n’est pas au pouvoir du père d’enlever à son enfant. Là encore, cela peut correspondre soit à la réserve, dont on a vu l’origine et le but, soit à la légitime romaine, qui répond à une autre logique. Ainsi, insensiblement, on glisse de la signification de l’adjectif à celle du nom. L’utilisation générique prépare les mentalités à accueillir l’institution technique, qui sera tout simplement envisagée comme la manière concrète de réaliser l’équité dans les partages successoraux. En somme, si l’institution progresse c’est aussi parce que son nom appartient au registre du vocabulaire ordinaire. On verra l’influence de ces deux aspects en étudiant les répercussions de la pénétration de la légitime dans la section suivante. Mais, auparavant, il faut envisager la question du droit commun coutumier : elle est indissociable de l’étude de la réformation des coutumes, parce que cette réformation fait prendre conscience de la spécificité du droit coutumier et demande une clarification de ses rapports avec le droit romain.

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Pierre Richelet, dans son dictionnaire, met bien en évidence ces deux significations du mot légitime : le substantif est uniquement une notion juridique technique, un terme de Palais, alors que l’adjectif a une portée générale. « Légitime, s. f., terme de Palais. Portion de bien que la loi réserve aux enfans (avoir sa legitime). La légitime du Patron. Portion de bien que la loi réserve au patron sur les biens de son affranchi (on confisque la légitime du patron. Patru, plaidoié 9). Legitime adj. Juste, équitable, qui est selon les loix, qui est permis (cela est légitime avec cette intention, Pas. L. 7. C’est un mariage légitime. Abl. S’il y a de légitimes sujets de pleurer, pleurer ce qu’on aime est sans doute le plus légitime. Patru, l. 4 à Olinde). Légitimement, adv. Justement, avec raison (cet argent m’est légitimement dû) ». Pierre R ICHELET, Dictionnaire françois, tiré de l’usage et des meilleurs auteurs de la langue, Genève, 1680, V° Légitime. Antoine Furetière donne à peu près la même signification, sauf qu’il présente d’abord la signification générale d’adjectif, puis le substantif : « Légitime, adj. m. et f., qui est selon les lois divines et humaines. […] Légitime s., f., droit que la loi donne aux enfans sur les biens de leur pere et mere, et qui leur est acquis, ensorte qu’on ne les en peut priver par une disposition contraire. La légitime des enfans selon la Coustume de Paris, est la moitié de ce que chacun auroit eu ab intestat […] », Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, 1690, V° Légitime. D’autres dictionnaires ne contiennent pas une entrée Légitime. C’est le cas de celui de Gilles MÉ N A G E, Dictionnaire étymologique, ou origines de la langue française, Paris, 1694 ; et de celui de Thomas C ORNEILLE, Le dictionnaire des arts et des sciences, Paris, 1694. D’autres, plus anciens, donnent simplement l’adverbe et le participe passé comme signification : « Légitime : legitimus, légitimement, légitimé ». Cf. Robert ESTIENNE, Dictionnaire françois latin, autrement dict les mots françois, avec les manières d’user d’iceulx, tournez en latin, Paris, 1549, V° Légitime, et Jean NICOT, Thresor de la langue française, tant ancienne que moderne, Paris, 1606, V° Légitime.

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§ 2. La question du droit commun coutumier C’est de manière tout à fait générale, et pas seulement à propos de la légitime, que les juristes du XVIe siècle s’interrogent sur le point de savoir quel doit être le droit de référence en cas de conflit, de doute ou de silence des coutumes. Précisons toutefois que la question du droit commun coutumier est beaucoup trop vaste pour être épuisée ici. Elle déborde même le cadre strictement juridique : « Dans la théorie du droit commun coutumier on peut trouver tout à la fois l’idée romaine de jus commune, une volonté politique et l’influence de la philosophie rationaliste »806. Sans vouloir traiter le sujet de manière exhaustive, il est indispensable de retracer les grandes lignes de la question, afin de bien situer les réflexions autour du droit commun applicable à la légitime. Les controverses théoriques sont importantes et méritent qu’on s’y arrête (A), avant d’envisager comment s’organise le droit commun coutumier dans le domaine précis de la légitime (B). A. Les controverses théoriques La question du droit commun coutumier naît dans un contexte précis, auquel on a fait référence en partie. Il s’agit de la réaction contre les méthodes italiennes, et de la naissance d’un courant gallican appliqué au droit. Le nationalisme juridique, qui avait commencé discrètement au début du XVIe siècle, augmente au milieu et à la fin de celui-ci, provoquant des réactions fortes de défense ou de rejet du droit romain807. Ce nationalisme suppose une « rupture radicale avec la tradition bartoliste du jus commune, encore bien vivante et longtemps dominante au XVIe siècle »808. Cette rupture se manifeste à la fois par une réflexion nouvelle sur la nature de la coutume en rapport avec le droit romain (1), et par la recherche d’un nouveau droit commun coutumier (2). 1. La nature de la coutume en rapport avec le droit romain Le phénomène d’écriture des coutumes pose la question de savoir quelle est leur nature. En effet, en suivant Bartole et les docteurs transalpins, une coutume ne peut être appelée telle que si elle est le résultat d’un long usage et si elle est consentie tacitement par la population concernée. Or, se réunir pour déterminer quelle coutume on va suivre, quand bien même on tirerait son contenu d’un usage 806

Paul OURLIAC et Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 12. La dispute traverse tout l’Ancien Régime. Cf. la préface de Barthélemy-Joseph Brétonnier à la 4 édition des Œuvres de Claude Henrys, publiée en 1708 : c’est un plaidoyer en faveur du droit romain comme droit commun de la France. Elle est insérée également dans la 6e édition des œuvres de Henrys, publiées à Paris en 1772, tome I. Cf. Jacques KRYNEN, « Le droit romain ‘droit commun de la France’ », Droits, 2003, n. 38 (naissance du droit français/1), p. 21-35. Mais beaucoup d’autres auteurs rejettent une valeur positive au droit romain, l’acceptant uniquement comme raison écrite. Cf. infra. Les n° 38 (2003) et 39 (2004) de la revue Droits, dédiés à la naissance du droit français, contiennent des articles éclairants sur la question du droit commun coutumier. Voir également Vicenzo PIANO MORTARI, Diritto romano e diritto nazionale in Francia nel secolo XVI..., déjà cité. 808 Jean-Louis THIREAU, « Droit national et histoire nationale : les recherches érudites des fondateurs du droit français », Droits, 2003, n. 38 (naissance du droit français/1), p. 37. Voir également Jean-Louis THIREAU, « Le comparatisme et la naissance du droit français », in Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1990, n. 10-11, p. 153-191. 807 e

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immémorial, suppose un consentement exprès, ce qui, aux yeux des bartolistes, fait basculer la coutume dans la catégorie des statuts. Les statuts sont des lois particulières, singulières, répondant à un besoin concret809. Ils s’opposent au droit romain, qui est considéré comme le droit commun, à valeur universelle, notamment par sa conformité à la raison. Le droit romain est la règle, le statut est l’exception. Les coutumes, du fait d’être écrites et compte tenu de la procédure suivie pour leur rédaction, deviennent, aux yeux de certains juristes, assimilables aux statuts des villes italiennes. Cela signifie qu’elles entrent dans la catégorie juridique applicable aux normes établies explicitement d’un commun accord et qu’on se donne pour loi810. Or, la genèse même des statuts les lie de manière indissociable au droit romain, dont ils se séparent pour être des lois dérogatoires. En effet, les statuts urbains apparaissent en Italie aux alentours des XIe et XIIe siècles, par imitation du caractère écrit du droit romain, à peine redécouvert, et du droit canonique. Ils peuvent être donnés par le prince, au moyen d’une charte, ou être établis par les représentants de la ville. Mais, quelle que soit la procédure suivie, la raison d’être de ces statuts se trouve dans la volonté de se positionner par rapport au droit romain. Les glossateurs développent une doctrine autour de cette réalité juridique et, bien entendu, elle est élaborée au regard du droit romain qu’ils prennent comme modèle de tout droit. Pour les docteurs italiens, les statuts municipaux sont toujours d’interprétation stricte, dans une relation de type principe - exception par rapport au droit romain. A défaut de disposition précise dans les statuts, c’est le droit commun qui s’applique, c’est-à-dire, dans leur esprit, le droit romain. La rédaction des coutumes est comparable à ce pouvoir de statuer qu’ont découvert les villes au XIIe siècle811. C’est par ce parallèle avec la théorie des statuts des villes italiennes que certains juristes français introduisent le droit romain comme droit commun coutumier812. Mais la possibilité d’assimiler la coutume aux statuts comporte une conséquence grave. La dépendance qu’ont les statuts par rapport au droit romain risque d’être transposée aux relations entre le droit écrit et les coutumes. Si les coutumes sont tout à fait assimilées aux statuts, elles doivent être d’interprétation stricte, le droit commun étant alors le droit romain. Or, faire du droit romain le droit commun risque à la longue d’anéantir la coutume par une romanisation généralisée. Les juristes coutumiers veulent arrêter cette romanisation. Pour cela, ils marquent volontiers la différence entre le droit coutumier et le droit écrit813. De toute évidence, 809

Sur cette distinction entre droit singulier et droit commun, cf. Paul, D. 1, 3, 16. Le mot statut n’est pas univoque. Il vient du latin statuere, c’est-à-dire, décider. Au Moyen Âge, il désigne « des mesures de caractère législatif ou réglementaire […], émanant d’autorités différentes, municipales, princières ou royales, religieuses ». Cf. Jean GAUDEMET , V° Statut, in Claude GAUVARD, Alain de LIBERA, Michel ZINK (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Quadrige/PUF, 2002, p. 1351. Les statuts urbains, puisque ce sont eux qui sont ici en cause, étaient compris comme une manifestation du pouvoir législatif des villes, corollaire de leur pouvoir de juridiction et de leur autonomie. 811 « Lorsque les villes accédèrent à l’autonomie, à partir du XIIe siècle, les autorités municipales disposèrent elles aussi d’un pouvoir normatif plus ou moins étendu. En Italie et dans le midi de la France, ce pouvoir fut défini comme potestas statuendi, pouvoir de faire des « statuts » (on retrouve dans ce mot la racine sto, stare, qui implique qu’il s’agit de dispositions stables) ; comme on l’a vu, ces statuts reprenaient souvent des règles coutumières antérieures », Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit, op. cit., n. 144, p. 243-244. 812 On l’a déjà vu, en partie, en parlant des mesures d’exclusion des filles dotées prévues par les statuts des coutumes méridionales. 813 « Faire du droit romain le droit commun des pays de coutumes n’allait pas sans risque pour l’avenir du droit coutumier lui-même : à terme, ce choix pouvait conduire à l’élimination progressive des droits locaux, ou du moins à leur marginalisation, et donc à une romanisation insidieuse mais inéluctable des

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la romanisation n’est pas le résultat recherché lors de la rédaction des coutumes. On poursuit les effets pratiques de l’écriture : publicité de la norme, facilité de la preuve. On refuse au droit romain le caractère de droit commun positif, pour le reléguer uniquement à un rôle d’inspirateur, étant souvent considéré comme la traduction d’un droit naturel814. Mais le passage du caractère oral au caractère écrit et le consentement des États à des dispositions nouvelles posent inévitablement le problème de déterminer les éléments essentiels de la coutume815. La rédaction et la réformation des coutumes tendent à transformer d’une certaine manière la nature même de la coutume : « Ces conceptions nouvelles, découlant logiquement des anciennes, ne mettaient plus l’accent sur la question de la durée, mais sur la question du consentement : la coutume prenait l’allure d’une convention, d’une transaction entre les trois États »816. La procédure n’est pas une pure condition de forme, elle affecte la nature même de la coutume, qui perd sa souplesse et sa spontanéité817. Si la forme par laquelle sont adoptées les coutumes les rapproche des statuts municipaux, il y a tout de même une divergence fondamentale entre les deux types de normes. Les coutumes ne naissent pas dans un contexte de positionnement par rapport au droit romain, elles existent de manière indépendante du droit écrit. Par ailleurs, les statuts municipaux sont en général très lacunaires en matière de droit civil818. La ressemblance dans la procédure rend-elle inévitable le recours à la théorie italienne des statuts ? Il s’agit en définitive d’aborder la question de la nature juridique et de ses effets. Des changements apparemment formels peuvent modifier en réalité l’essence provinces du Nord (un processus comparable à celui qui s’était produit à partir du XIIIe siècle dans le Midi). C’est contre cette perspective que Dumoulin s’est violemment élevé, en qualifiant tout simplement de « stupide » l’idée que le droit de Justinien puisse être reconnu comme droit commun en pays de coutumes. Le droit romain, affirme-t-il, est en France un droit étranger, et les coutumes françaises ne sont pas de simples statuts : elles constituent elles-mêmes un droit commun. En d’autres termes, c’est dans les coutumes elles-mêmes qu’il faut trouver des solutions à leurs lacunes éventuelles, c’est à partir des coutumes qu’il faut dégager les règles d’un « droit commun coutumier », Jean-Marie CARBASSE, op. cit., n. 141, p. 239-240. 814 Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 66-67. Dans ce sens, Jean Gaudemet affirme : « Les coutumes avaient parfois prévu formellement le recours au droit romain comme droit supplétif l’appelant ainsi à jouer un rôle complémentaire. Cette fonction persiste à l’époque moderne. Mais, plus largement, ses mérites lui valent un prestige qui le fait tenir pour « raison écrite ». De là il glissa facilement vers le « droit naturel » et, sous ce vocable prestigieux, les jurisconsultes des XVIIe et XVIIIe siècles reprirent des solutions romaines en parant leur valeur propre d’une gloire nouvelle », Jean GAUDEMET, « Les transferts de droit », in L’année sociologique, troisième série, volume 27/1976, p. 45. 815 « Dans toutes les rédactions et les réformations, les commissaires avaient en fait apporté du leur ; par quels arguments sérieux les en eût-on empêchés ? La plupart du temps, l’accord des assistants avait sans difficultés ratifié leurs suggestions. Mais lorsqu’il s’agissait de mettre en pratique les nouveaux textes, et alors seulement, les intéressés s’apercevaient de tout ce que les dispositions qui leur avaient été suggérées avaient d’« étranger ». Cet indéfinissable malaise paraît avoir été le grief des gens d’Amiens le mieux fondé et le plus difficilement plaidable : il eût fallu beaucoup de subtilité à un avocat pour convaincre un juge qu’une disposition coutumière nouvelle ne devait pas seulement avoir été consentie, mais qu’elle devait en outre avoir été désirée », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 121. L’auteur fait référence au procès fait aux commissaires chargés de la réformation de la coutume d’Amiens, au sujet de l’introduction de la représentation dans cette coutume, dont on a déjà parlé. 816 René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 66. 817 « Les transactions doivent être rigoureusement observées ; elles ne sauraient s’accommoder de perpétuels flottements dans l’exécution. La force créatrice de la coutume va donc se trouver en grande partie tarie, d’autant que les transactions appellent à leur tour l’écrit, et que l’écrit s’oppose lui aussi à une adaptation spontanée du droit. Il y a là un contrecoup réciproque de la forme sur le fond et du fond sur la forme aboutissant au même résultat, et ce résultat risque de devenir à la longue d’autant plus gênant que la rédaction a été faite avec plus de soin », ibidem, p. 67-68. 818 Cf. Jean HILAIRE, La vie du droit, Paris, PUF, 1994, p. 257.

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d’une notion ou d’une catégorie juridique. Ainsi, partant des effets qu’on souhaite voir triompher, on peut arriver à dénaturer une institution. Or, le régime applicable découle de la nature juridique d’une institution, et non le contraire. Si on raisonne à partir du régime qu’on veut appliquer, il est très facile de se tromper dans le travail de qualification. Ce type de confusion n’est pas l’apanage de juristes de qualité moyenne, ou d’esprits peu attentifs. Un grand juriste comme Dumoulin n’évite pas toujours l’écueil : « en essayant d’adapter la technique juridique romaine aux institutions coutumières, [il] en avait parfois méconnu l’esprit »819. Cette méconnaissance de l’esprit d’une institution est une constante rencontrée dans l’étude sur la légitime : les mutations dues à des facteurs différents entraînent une volonté de changement qui se traduit par des pratiques juridiques et des prises de position dont on ne perçoit pas tout de suite les enjeux, et dont on refuse les conséquences les plus abouties. C’est le cas pour la légitime, qu’on veut uniquement comme renfort de la réserve. Mais, de manière plus générale, c’est le cas de la coutume en elle-même, qu’on veut certaine, figée, sans pour autant lui faire perdre sa spécificité, opposée au droit écrit. Toute l’ambiguïté du débat se trouve ici. La défense de la coutume, interprétée comme un nationalisme juridique820, semble être une réaction relativement tardive. Elle apparaît comme une prise de position face aux conséquences des décisions précédentes, dont on n’a pas mesuré tout de suite l’impact. Plus qu’une bataille contre le droit romain, c’est une réflexion sur l’identité même de la coutume, et sur sa spécificité face au droit romain. Cette confrontation est particulièrement visible dans des matières comme celle qu’on étudie, qui sont directement empruntées au droit romain. Le désir de sauvegarder les traits proprement coutumiers incite les juristes à avoir recours au droit romain seulement en cas de besoin. C’est ainsi que l’insuffisance de la réserve les amène à faire appel à la légitime. Cependant, on ne peut pas juxtaposer deux institutions de nature différente, la légitime et la réserve, en pensant que la nature de l’une n’aura pas d’incidence sur celle de l’autre. Les institutions ont leur logique, leur genèse propre, qui les marque et qui leur donne leur cohérence et leur force, leur efficacité. Si on ne s’intéresse qu’à leurs effets, le pari est risqué : soit elles finiront par imposer leur nature, soit, dénaturées, elles perdront leur efficacité. Il est vain de désirer des effets en rejetant leurs causes, comme il serait stérile de vouloir empêcher celles-ci de produire leurs effets. Revenant au problème du droit commun, on remarque, à partir du XVIe siècle, une prise de conscience de la spécificité du droit coutumier face au droit

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François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 122 [110]. Soulignons ici que le problème n’est pas tant le fait de changer la nature juridique d’une institution que celui de ne pas s’apercevoir du changement. En effet, les catégories juridiques étant une élaboration de la technique du droit, elles peuvent être modifiées si on trouve une technique plus adaptée aux besoins d’une époque. Il en va autrement des catégories juridiques qui sont une traduction en droit d’une réalité métajuridique. Dans ce cas, le changement de régime juridique peut avoir des effets également au-delà du domaine strict du droit. Pour notre sujet, c’est la référence constante au droit naturel comme fondement de la légitime qui, en dernier ressort, donne toute sa force à cette institution. Seule la négation de l’existence d’un droit naturel pourrait la faire échouer, mais ce débat n’est juridique que de manière accessoire : il est surtout philosophique et, donc, métajuridique. Il se situe au-delà de la technique du droit. 820 Cf. Vicenzo PIANO M ORTARI, Diritto romano e diritto nazionale in Francia nel secolo XVI..., déjà cité.

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romain, et la volonté de défendre l’indépendance et le caractère propre de ce droit françois821. Par ailleurs, les juristes sont des praticiens. Or, la rédaction des coutumes, tout en modifiant leur nature, n’a pas beaucoup changé leur contenu, malgré les améliorations apportées par les commissaires lors de la réformation. Ces changements touchent quelques nouveautés précises mais, en général, maintiennent l’esprit des coutumes en cause. Les populations concernées se reconnaissent dans leurs dispositions, y voyant leur propre tradition : le droit coutumier est issu du « vray naturel françois ». Les praticiens y perçoivent les règles qu’ils ont toujours connues et mises en œuvre. Il n’est donc pas possible de porter sur la coutume le même regard que sur les statuts, qui sont des mesures dérogatoires. Le droit coutumier n’est pas l’exception, mais la règle et, dès lors, il doit être interprété de manière large et non stricte822. La problématique de la nature de la coutume et de ses rapports avec le droit romain stimule la recherche des juristes. Ils se positionnent par rapport à la place que doit prendre le droit romain dans les coutumes, tout en cherchant à élaborer un droit commun coutumier. 2. La création du droit commun coutumier Les juristes du XVIe siècle sont tiraillés entre la nécessité humaniste d’un retour vers l’Antiquité, et le désir de s’affranchir de l’intermédiaire italien pour parvenir aux Anciens. Contrairement aux premiers humanistes, ceux de la deuxième moitié du XVIe siècle mettent l’accent sur les particularismes au détriment de l’universalisme. L’argument décisif en matière juridique, développé par les juristes, se centre sur la notion de relativité des systèmes juridiques823. Par ailleurs, les controverses internes aux discussions savantes sur le point de savoir « quel était le droit romain pur », dégagé des additions accumulées par les écoles tout au long des siècles, favorise l’intérêt pour la coutume vivante. Celle-ci est maintenue à l’écart des batailles d’érudits, stériles pour résoudre des problèmes pratiques. Le droit coutumier n’est pas accablé de gloses et de commentaires ; il se présente dans sa pureté et, surtout après l’œuvre réformatrice de Christofle de Thou, clair et concis824.

821 La notion de droit français émerge et grandit dans la seconde moitié du XVIe siècle, dans « le contexte de la rédaction et de la réformation des coutumes, et de l’essor de la législation royale », cf. Jacques KRYNEN, « Le droit romain droit commun de la France », Droits, n. 38, p. 23 et note 4 de cette page. 822 Le parallèle avec la langue fait par René Filhol est particulièrement éclairant : « De même qu’une large campagne était menée pour faire prévaloir le français, langue vulgaire, sur le latin, langue savante, des efforts étaient tentés pour donner aux coutumes, droit vulgaire, le pas sur le droit savant dans la pratique journalière », René FILHOL , Le Premier Président…, op. cit., p. 129, ainsi que la citation d’Etienne Pasquier qu’il rapporte en note 1. 823 Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 130-131, avec les citations des juristes du XVIe siècle faites par l’auteur. Cette attention portée à la relativité des systèmes juridiques correspond à la sensibilité d’un second courant humaniste, « un humanisme tardif moins porté sur l’universalisme que l’ancien, plus marqué par le relativisme et plus attaché aux particularismes nationaux ou provinciaux. […] Toujours imprégnés de culture antique, ses membres se sont détournés pourtant du passé d’Athènes et de Rome pour orienter leurs recherches vers l’histoire et le droit de la France […] qui s’accordaient bien mieux à leurs sentiments patriotiques », Jean-Louis THIREAU, « Droit national et histoire nationale : les recherches érudites des fondateurs du droit français », Droits, 2003, n. 38 (naissance du droit français/1), p. 41. 824 Cf. René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 133.

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Ainsi, les juristes français, formés au droit savant, sont dans une position ambiguë par rapport au droit romain825. Ils le rejettent de manière globale, avec une rhétorique presque théâtrale, tout en l’utilisant abondamment dans leurs ouvrages et leur travail de praticiens826. On peut citer, à titre d’exemple, un passage d’une lettre d’Etienne Pasquier : « Et ce qui m’excite encores plus le courroux, est que s’il y a quelque cas indecis par nos Coustumes, soudain nous sommes d’advis qu’il faut avoir recours au droit commun, entendans par ce droit commun, le droit civil des Romains. […] Nous ne recognoissons en rien le droit des Romains, sinon de tant et entant que leurs loix se conforment à un sens commun, dont nous pouvons faire notre profit […] »827. Quelle est au juste la pensée des différents auteurs sur ce sujet ? S’ils refusent au droit romain un statut de droit commun général et universel, ils ne le récusent pas totalement. Cela dépend des domaines. Mais, en cas de doute ou de lacune d’une coutume, il faut établir un critère à suivre qui soit clair et connu. La rédaction des coutumes vise cette clarté de la règle. Il doit en être de même pour le droit supplétif : il convient de savoir précisément quelle norme juridique s’appliquera aux cas laissés sans réponse par une coutume défaillante. Si on n’a pas recours au droit romain, il faut trouver un autre système qui puisse le remplacer. Ils l’appelleront droit commun coutumier, et il sera essentiellement de création doctrinale828. Un certain nombre d’auteurs nous livrent leur pensée à ce propos. Au XVIe siècle, la référence à Charles Dumoulin est obligée. Il traite la question dans l’introduction de son commentaire à la coutume de Paris, mais aussi dans une digression du De dignitatibus829. Il s’insurge contre la position de ceux qui imitent les auteurs italiens, pour qui le droit commun est le droit romain : « Rien n’est plus stupide que cette assimilation des coutumes aux statuts, que soutiennent ces jeunes juristes inexpérimentés, frais émoulus des écoles, la tête encore pleine des théories des Docteurs italiens »830. Pour lui les coutumes sont le vrai droit commun, parce qu’elles remplissent les deux conditions nécessaires pour cela : une condition de forme, l’absence de valeur obligatoire des lois romaines en pays de coutumes ; et une condition de fond, selon laquelle seules les coutumes qui règlent les points les plus importants du droit privé peuvent être le droit commun831. Mais, si chaque coutume est le droit commun dans son ressort, toutes les coutumes n’ont pas le même rang. Certaines occupent une place prépondérante et c’est à elles qu’il faut recourir en cas de problème, ainsi qu’aux coutumes voisines de celle qui est en cause. « Chez Dumoulin la notion de jus commune est devenue relative et s’analyse en une superposition de normes qui, à des niveaux différents, présentent cette 825 « Le paradoxe n’est pas mince de voir affirmer, dans le même temps, l’indépendance du droit commun coutumier vis-à-vis du droit romain alors que ce dernier devait rester, si ce n’est la base unique, tout au moins la base essentielle de l’enseignement universitaire du droit dans l’ancienne France », Dominique GAURIER, « La revendication d’un droit national contre le droit romain… », op. cit., p. 38. 826 « Les juristes français du XVIe siècle sont dans une logique particulière à l’égard du droit romain : négation de principe de son autorité en tant que droit commun et utilisation systématique de ses concepts et de ses règles », Guillaume LEYTE, « Charondas et le droit français », Droits, Paris, PUF, 2004, n. 39 (naissance du droit français/2), p. 27. 827 Etienne PASQUIER (1529-1610), « Lettre à Monsieur Brisson », in Œuvres d’Estienne Pasquier, op. cit., 1723, livre IX, lettre I, c. 225. 828 Cf. Paul OURLIAC et Jean de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 15. 829 Cf. Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 95. 830 Ibidem, p. 96. Dumoulin, Coutume de Paris, I, Epitome, n. 107-109. De dignitatibus n. 43. Cités par Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 96, note 225. 831 Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 97-98.

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qualité »832. Le droit romain, comme on a eu l’occasion de l’indiquer, n’est une référence que dans la mesure où il est équitable et adapté à la situation qu’on tente de résoudre833. Il ne disparaît pas comme référence, il garde un rôle subsidiaire. Il est un « droit commun de second degré »834. C’est un renversement de la position médiévale vis-à-vis des statuts : l’interprétation stricte s’applique aux lois romaines, et non aux coutumes. Dumoulin formule déjà la question et ses multiples nuances. Selon lui, il n’y a pas un droit commun unique, il sera nécessaire de chercher le droit commun adapté à chaque situation. Antoine Loisel et Guy Coquille s’inscrivent dans le même courant, refusant au droit romain le rôle de droit commun835. Claude Le Prestre adopte la même position836. Mais la question n’est pas définitivement tranchée, puisqu’au siècle suivant d’autres auteurs, comme Gaspard Thaumas de la Thaumassière, commentateur des coutumes du Berry, sont favorables au droit romain : « Nos coutumes doivent être suppléées par le droit romain comme la source et l’origine de toute équité »837. Ce qui ne l’empêche pas de défendre la valeur raisonnable des coutumes en tant qu’expression de l’esprit français838. La question du droit commun se pose, rappelons-le, seulement en cas de défaillance des coutumes.

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Ibidem, p. 99. Cf. Charles DUMOULIN, op. cit., titre I, n. 106-110 ; Œuvres, tome I, p. 22-23. Sa pensée est résumée par René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 127. 834 Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 99. 835 Antoine Loisel (1536-1617) fut un ami de Cujas. Il fit des études à Paris et à Toulouse, où il apprit le droit en juin 1554. Il suivit Cujas à Cahors, puis à Bourges en 1555. Dans cette ville, il fit la connaissance de Pierre Pithou. En 1557, il suivit encore son maître Cujas à Paris, puis à Valence. En 1559, il quitta Valence pour Bourges, où il prit ses degrés à l’université de droit de cette ville. Il avait 23 ans. Avocat en février 1560, il s’installa à Paris après de brefs passages à Beauvais et à Senlis, auprès de deux de ses frères. Il publia les Institutes pour la première fois en 1607 (à 71 ans), imprimées à la fin de l’Institution au droit de Guy Coquille. « Comme il avaoit un esprit net et de précision, il se mit en tête d’apprendre le Droit François par principes. Pour y parvenir, il suivit l’ordre, et la méthode, dont il s’étoit si utilement servi pour apprendre le Droit Romain. C'est-à-dire, que comme il avoit commencé l’étude des Loix Romaines par la lecture des Institutes de Justinien, des Loix des Douze Tables, des Sentences de Paul, des Institutes de Caïus et d’Ulpien […] il commença l’étude du Droit François par la lecture des plus belles de nos Coutumes, et des ordonnances qui étoient pratiquées de son temps. Il confera ensuite avec le Droit nouveau, les anciennes ordonnances de nos Rois, les anciens Arrests du Parlement, les anciennes Coutumes, les anciens praticiens, et ayant ainsi trouvé le moyen de pénétrer le sens de toutes les Coutumes du Royaume, pour en faciliter l’intelligence à tous ceux qui viendroient après luy, il entreprit ses Institutes coutumières, ausquelles il travailla pendant toute sa vie », Antoine LOISEL, Institutes coutumières, avec des notes nouvelles par Me Eusèbe de LAURIÈRE, Paris, 1710, tome I, Abregé de la vie de Monsieur Loisel, non paginé. 836 Claude L E P RESTRE , Questions notables de droict decidées par plusieurs arrests de la cour de Parlement et divisées en trois centuries, Paris, 1663, centurie III, chapitre 85. 837 Cf. Laurent BOYER, « Le droit romain dans les pays du centre de la France », in Ius Romanum Medii Aevi, Pars V, 4, d, Milan, éd. Giuffré, 1977, p. 69. Gaspard Thaumas de la Thaumassière est né aux environs de 1631 à Sancerre, et il est mort en 1712 à Bourges. Cf. Dictionnaire historique des juristes français, Paris, PUF, 2007, V° Thaumas de la Thaumassière, p. 735. 838 « Ce n’est pas que je tombe d’accord avec ce celèbre interprète [Cujas], que les coutumes de ce Royaume, tirées de l’Ancien Droit et Observance de la France, omni ratione destituantur, et je soutiens au contraire, qu’encore que les maximes de notre Droit Coutumier soient en plusieurs points directement opposées aux Principes du Droit Romain, elle ne sont pas pour cela destituées de toute raison, car elles sont autant et mieux établies que les Loix des Romains, et même sur de plus solides fondements, comme sur le bien de l’État, qui est la première de toutes les Loix, Salus populi suprema Lex esto, sur la conservation des Familles, et des anciens Biens et Patrimoines en icelles, et les autres raisons politiques conformes aux mœurs et humeurs de nôtre Nation », Gaspard T HAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE, Nouveaux commentaires sur les coutumes generales des pays et duché de Berry, Bourges, 1693, p. 8-9. 833

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C’est petit à petit que la doctrine élabore les critères à suivre quand la coutume ne fournit pas de solution pour résoudre un problème posé. Une vraie synthèse coutumière s’élabore pas à pas. Elle est le fruit du travail de la pratique, de l’étude des érudits sur l’ancien droit français, de la comparaison des coutumes facilitée par la rédaction de celles-ci, du travail du Parlement de Paris, dont l’étendue du ressort l’oblige à connaître des affaires jugées selon des coutumes fort différentes. « Le vaste ressort coutumier du Parlement de Paris obligeait les magistrats et les praticiens à se pénétrer des coutumes les plus diverses, ce qui les amenait presque nécessairement à faire entre elles des rapprochements »839. Dans cette élaboration patiente du droit commun coutumier, les auteurs n’ont pas de scrupules à se servir du droit romain pour y puiser les éléments nécessaires à la construction d’une coutume de référence. Parmi les juristes, il n’y a pas d’aversion au droit romain en tant que tel840, mais un refus de lui accorder une primauté de principe, parce que les pays de coutumes ont leur propre tradition juridique. Il n’y a pas de frontière rigide entre le droit coutumier et le droit romain841. L’admiration et la référence au droit écrit seront présentes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime842, mais la construction du droit commun coutumier dépasse la simple recherche d’une référence ou d’une source d’inspiration. Il s’agit d’établir un réel ordre de primauté des normes applicables843, en attendant l’unification du droit privé, désir cher à bien des juristes. Mais les conditions ne sont pas encore réunies pour passer outre les spécificités locales et imposer un droit uniforme pour tout le royaume. Le chemin vers l’unification du droit coutumier progresse très doucement. Seul le Code de Napoléon, résultat d’un compromis entre le droit écrit et le droit coutumier, y parviendra. Des ordonnances statuant sur le droit privé auraient pu faciliter ce travail d’unification, mais elles sont pratiquement inexistantes au XVIe siècle. Seules quelques dispositions éparses traitent des sujets en rapport avec le droit successoral,

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René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 136. Sauf peut-être pour des positions extrêmes, telles que l’Antitribonian de François Hotman, « manifeste exalté de l’anti-romanisme à la fois religieux, juridique et politique, en même temps qu’une défense passionnée du droit français », Jean-Louis THIREAU, Charles du Moulin…, op. cit., p. 95. 841 « Les réformateurs des coutumes, sans se contredire eux-mêmes, allaient pouvoir combler par des emprunts au droit savant les lacunes du droit coutumier, appelé à la dignité de droit commun », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 138. 842 Dans la préface de l’édition de 1781 du dictionnaire de Brillon, Prost de Royer donne les raisons du prestige du droit romain : « Ce qui rend cette compilation des Lois romaines précieuse pour tous les Tribunaux, c’est que nos coutumes, sans excepter celle de Paris, de Bretagne, et la sage Coutume de Normandie, nées au sein du Gouvernement féodal, se ressentent toutes de leur origine, ne renferment point les principes de l’équité naturelle et les préceptes du Droit des gens, en sorte que pour tous les événéments, pour les actions les plus ordinaires de la vie, on est réduit à consulter les Romains. Avec quelle précision ils ont écrit les règles du Droit ! Quelle justesse dans l’application ! Quelle patience dans les détails ! Quelle finesse et quelle variété dans le choix des espèces ! On n’est plus étonné de ce que le chancelier d’Aguesseau recommaindoit cette étude à son Fils, on ne se demande plus pourquoi Cujas, Dumoulin, Domat, Héinneccius et Pothier, ont passé leur vie à parcourir ces Archives », AntoineFrançois P ROST DE R OYER, Dictionnaire de jurisprudence et des Arrêts, ou nouvelle édition du Dictionnaire de Brillon, premier volume, Lyon, 1781, préface, p. lxxviii. 843 Il y a en réalité toute une gradation dans le droit commun coutumier : on procède par cercles concentriques, à partir de la coutume locale, pour remonter jusqu’au droit commun. Merlin dira plus tard, se faisant l’écho de la pratique et de la doctrine, qu’il faut « régulièrement interpréter les coutumes voisines les unes par les autres, surtout lorsque le résultat d’une interprétation de cette espèce est en faveur du droit commun, auquel le retour est toujours favorable », Philippe-Antoine MERLIN, dit MERLIN de DOUAI, op. cit., tome IX, p. 325. 840

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la plupart sur des points techniques très précis844. Les grandes ordonnances de codification viendront plus tard. A défaut d’unité dans le droit coutumier, certains juristes sont tentés de chercher, dans la diversité coutumière, un texte qui puisse s’ériger au rang de modèle des autres coutumes, qui soit en mesure de fournir des éléments pour en compléter les lacunes. La coutume de Paris jouera souvent ce rôle : « c’est autour de son texte que se cristallisent les vœux d’unification coutumière dont furent hantés tant de cerveaux bien français depuis le triomphe définitif de la royauté »845. Être la coutume de la capitale du royaume joue en sa faveur. C’est ainsi, par exemple, que raisonne le Procureur du roi au moment de la discussion d’un article de la coutume de Calais. On a vu que Calais adopte le droit parisien après son retour à la souveraineté française. Mais lorsqu’on discute de la confiscation des biens, les représentants de Calais veulent suivre la coutume voisine de Boulonnais, qui adopte une position différente de celle proposée par la coutume de Paris. Le procès-verbal rend compte de la discussion en ces termes : « Par Bouteiller Procureur du Roy a été protesté que ladite Coûtume, signamment pour le regard du 250 article touchant les confiscations, ne puisse préjudicier aux droits du Roy, empêchant ledit article estre reçu pour Coutume, soutenant que ledit article doit estre rejetté dudit cahier, comme étant contraire aux droits et authorité du Roy, d’autant que par la coustume de Paris, ville Capitale de ce Royaume, à l’instar de laquelle le présent pays doit estre policé & reglé, et aussi par la plupart des coutumes de ce Royaume, qui confisque le corps, pour quelque cause que ce soit, confisque les biens »846. Le fond de la question n’est pas important ici ; ce qui est significatif est le fait que, à aucun moment, les partisans de l’adoption de la pratique du Boulonnais ne refusent à la coutume de Paris le rôle de droit commun coutumier847. Ils rejettent cette disposition parce qu’il y a une règle coutumière qu’ils suivent de tout temps : la coutume voisine de Boulonnais848. Mais 844

On a recensé les suivantes, par ordre chronologique : 1532 : édit sur la capacité de succéder des religieux profès. Cf. ISAMBERT…, op. cit., vol. XII, p. 539. 1539 : les articles 131 à 133 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. L’art. 131 établit la nullité des testaments et donations faits au profit des tuteurs ou curateurs, l’art. 132 traite de l’insinuation des donations et l’art. 133 aborde la question des donations faites en absence des donataires. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XII, p. 627. Un édit de la même année 1539 interprète ces articles en disposant que les donations pourront être acceptées par le donataire ou par son fondé de pouvoir spécial. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XII, p. 670. 1560 : janvier, ordonnance générale rendue sur les plaintes, doléances et remontrances des états assemblés à Orléans. L’article 59 traite des substitutions. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 80. En juillet, édit des secondes noces, déjà cité. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 36. 1566 : les articles 57 et 58 de l’ordonnance de Moulins commandent l’insinuation des donations. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 204-205. 1567 : l’édit des mères. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 221. 1575 : déclaration interprétative de l’édit des mères. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 276. 1576 : l’article 31 de l’édit de pacification déclare nulles les exhérédations faites pour cause de haine de la religion. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 290. 1579 : ordonnance rendue sur les plaintes et doléances des états généraux assemblés à Blois en novembre 1576, relativement à la police du royaume. L’article 63 déclare les curés capables de recevoir un testament à condition qu’il ne soit pas en leur faveur. Cf. ISAMBERT …, op. cit., vol. XIV, p. 398. 845 François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 65. Dans le même sens, René Filhol affirme : « La nouvelle coutume de Paris pouvait exercer par son rayonnement une unification par voie de raison, tout en constituant pour les provinces un texte supplétoire dont elles pourraient s’inspirer sans faire des emprunts constants au droit romain », René FILHOL, Le Président…, op. cit., p. 210. 846 Cf. BdR, tome I, p. 22. 847 Pour le texte intégral de cette discussion tel qu’il est rapporté par le procès-verbal, cf. ibidem. L’argumentation contraire est centrée sur le fond et ne remet pas en cause cette primauté de la coutume de Paris. 848 Le texte de la coutume de Boulonnais dispose que « en ladite ville et Banlieuë, en quelque cas de crime que ce soit, la personne ne confisque que le corps, fors et excepté en crime de lèse-majesté divine,

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si la coutume avait été muette, le droit parisien aurait été probablement retenu. Cela confirme l’opinion d’Etienne Pasquier, lequel affirme « comme chose très vraye, que la coutume de Paris n’est autre chose qu’un abrégé de l’air général de la cour du Parlement ; et à tant qu’on ne se repentiroit d’y avoir recours, en défaut des autres coustumes, comme aussi estant Paris dedans ce royaume ce qu’estoit Rome dedans l’Empire »849. Cependant, cette référence au droit parisien n’est ni universelle, ni acquise définitivement. Ainsi, par exemple, au début du XVIIe siècle, dans une affaire qui concerne la coutume de Poitou, la question se pose de savoir si le créancier hypothécaire est obligé de faire la discussion avant de s’attaquer au tiers détenteur, alors que la coutume ne dispose rien sur cela. L’appelant invoque le fait que la coutume ne disposant rien, « il faut recourir à celle de Paris, qui a abrogé la discussion, et permis de s’attaquer directement au détenteur de la chose hypothéquée ». L’intimé répond que « la coutume n’ayant point parlé, il faut recourir au Droit romain, qui a introduit la discussion pour plusieurs bonnes considérations ». L’avocat général conclut en faveur de la référence au droit romain, et c’est son avis qui sera suivi par la Cour850. La discussion n’est donc pas totalement tranchée en faveur de l’un ou de l’autre. L’alternative n’est d’ailleurs pas uniquement le recours au droit romain ou au droit parisien. On peut aussi se référer aux coutumes voisines. C’est au cas par cas qu’il convient de décider. Ainsi semble l’affirmer Claude de Ferrière. En effet, les coutumes en France sont le droit général de la France, mais une coutume n’a pas d’autorité dans une autre province : c’est pourquoi, pour cet auteur, « cette opinion est absurde, quoique suivie par plusieurs. Car une coutume n’a autorité de loy dans une province, que parce qu’elle a été établie par l’autorité du Roy, par les trois états de la province ; d’où il s’ensuit que l’on ne doit point se servir d’une coutume voisine, pour la décision d’une question, au defaut de la coutume des lieux, qu’en tant que sa décision se trouve très juste et très raisonnable, et plus conforme à l’inclination et aux mœurs des habitans de la Province, en sorte que si la disposition du Droit romain se trouve plus juste, elle doit estre préférée »851. Aucune règle, ni romaine, ni coutumière, ne s’impose de manière abstraite comme norme à suivre. Pour Brodeau, la coutume de Paris s’applique aux autres coutumes muettes en matière purement coutumière, mais non dans les matières qui sont tirées du droit romain, comme « les testaments, la légitime et autres semblables, non décidées par les coutumes ; auquel cas on a recours au droit civil, non comme droit commun, mais comme une raison écrite et à l’opinion des hommes sages, au jugement desquels on doit deferer »852. Claude-Joseph de Ferrière arrive à la même solution, ou majesté royale », coutumes locales et particulières de la ville de Wissent au comté de Boulenois, art. IV, BdR, tome I, p. 67. 849 Etienne PASQUIER , « Lettre à Monsieur Robert », in Les lettres d’Estienne Pasquier, Paris, 1619, tome II, livre XIX, lettre 15, p. 528. 850 Cf. arrêt du 27 février 1626, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests …, op. cit., tome I, livre II, chapitre 75, p. 254. 851 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation de tous les commentateurs anciens et modernes sur la coutume de Paris, Paris, 1685, tome I, n. 77, p. IX. Voir édition de 1714, tome I, glose sur le mot coutume, § 5, n. 5, p. 19. 852 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1685, tome I, n. 78, p. IX-X. Voir édition de 1714, tome I, glose sur le mot coutume, § 5, n. 6, p. 20. D’après Claude de Ferrière, Brodeau estime « qu’il y a quelques articles particuliers dans la coutume de Paris, lesquels sont contraires à la disposition de ce Droit [romain] et à l’usage général de toute la France, qui ne doivent point être étendus aux autres coutumes ».

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même s’il la présente de manière plus favorable au droit romain. Pour lui, le droit romain est le droit commun sauf dans les domaines purement coutumiers853. Lucien Soefve rapporte un arrêt au sujet d’un testament, qui illustre ce critère. Dans cette affaire, on décide de suivre le droit romain plutôt que les coutumes voisines. L’avocat général Talon affirmait dans ses conclusions que « la disposition du Droit écrit […] y doit y estre suivie, et non les coutumes voisines qui ont une disposition contraire, ausquelles on ne peut pas avoir recours que quand il s’agit d’une matiere de Droit purement coutumier, ce qu’on ne peut pas dire des donations et des testaments, qui ont pris leur source et leur origine du droit écrit ». La Cour, par un arrêt du 7 décembre 1648, ordonne l’exécution d’un testament incluant un legs fait à un neveu, qui demeurait ainsi héritier et légataire. L’arrêt suit les conclusions de l’avocat général854. Les partisans de l’application de la coutume de Paris aux coutumes muettes fondent leur opinion sur « ce que les articles réformez de la coutume, ont esté ajoustez sur les Arrests de la Cour, rendus avec connaissance de cause, et que comme juges très équitables ils doivent servir de Loy dans les autres coutumes »855. C’est le sentiment de Guy Coquille, tel que le rapporte Claude de Ferrière en citant la préface aux coutumes de Nivernais. Mais les arguments de part et d’autre ne sont pas définitifs. Même pour ceux qui estiment qu’il faut recourir au droit romain, ceci n’est pas une obligation absolue. « On peut s’écarter de ses dispositions, lorsqu’elles ne sont point fondées en raison, ou qu’elles sont fondées sur une raison qui n’a point de lieu dans le pays coutumier »856, dit Claude-Joseph de Ferrière. Et il cite comme exemple de ce qui s’écarte du droit romain, précisément, le droit commun applicable à la légitime. En cela, il suit la pensée de son père, Claude de Ferrière, pour qui le critère fondamental dans le choix de la coutume à suivre est l’équité : « La Cour fonde ses jugements et arrests sur ce qui luy paroist plus juste et plus équitable, en sorte qu’elle préfère la disposition du Droit romain, ou celle des coutumes voisines, ou de la coutume de Paris, qui luy paroist mieux fondée ». C’est ce qui explique que, dans ses arrêts au sujet de points non décidés par la coutume, le Parlement a « en quelques cas étendu la coutume de Paris aux autres coutumes ; […] et quelques fois ont préféré les coutumes voisines, et en d’autres le Droit Romain »857. L’ordre des droits applicables s’établit donc tout en nuances, et non par des principes rigides. Par définition, on est en présence d’un cas où le droit applicable ne fournit pas de règle. Il faut en chercher une de substitution, et elle n’aura de force que dans la mesure où elle s’accorde à la raison et à l’équité. C’est aussi ce qui justifie le recours aux coutumes voisines. « Les juges ne sont pas absolument obligés 853 « Je crois que le Droit Romain est le Droit commun de la France coutumière, et qu’il doit servir de Loi au défaut des Ordonnances et des Coutumes, quand il s’agit de décider d’une question qui n’est pas purement de Droit coutumier », Claude-Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, 4e éd., Paris, 1758, tome I, V° Droit commun de la France, p. 528. 854 Cf. Lucien SOEFVE , Nouveau recueil de plusieurs questions notables tant de droit que de coutumes, jugées par arrests d’audiances du parlement de Paris, depuis 1640 jusques à présent, divisés par centuries, Paris, 1682, tome I, centurie II, chapitre 95, p. 203. On reparlera de la question de fond de cet arrêt infra. 855 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1685, tome I, n. 78, p. IX. Cf. aussi l’édition de 1714, tome I, glose sur le mot coutume, § 5, n. 6, p. 19-20. 856 Claude-Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, op. cit., tome I, V° Droit commun de la France, p. 529. 857 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1685, tome I, n. 79-80, p. X. Cf. aussi l’édition de 1714, tome I, glose sur le mot coutume, § 5, n. 7-8, p. 20-21.

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de conformer leurs jugements à la disposition des coutumes voisines, dans les cas obmis dans celles des lieux ; mais [ils y ont recours] parce que ce qui se trouve dans les coutumes, semble devoir être étendu dans celles qui sont voisines, et qui n’en parlent point, par la raison que la proximité des lieux et que la situation des climats donne des mœurs et des inclinations qui approchent beaucoup les unes des autres »858. Cette idée de rechercher la norme applicable dans les coutumes voisines persistera jusqu’à l’unification du droit859. Finalement, le chemin suivi en matière purement coutumière semble être d’abord la recherche dans les dispositions des coutumes voisines, puis dans celles de la coutume de Paris. Ainsi le résume Jean Domat : « Si quelques Provinces ou quelques lieux manquent de règles certaines pour des difficultez dans des matieres qui y son en usage, et que ces difficultez ne soient pas reglées par le droit naturel, ou les loix écrites, mais qu’elles dépendent des coutumes et des usages, on doit s’y régler par les principes qui suivent des coutumes de ces lieux mêmes. Et si cela ne regle pas la difficulté, il faut suivre ce qui s’en trouve reglé par les coutumes voisines qui en disposent, et sur tout par celles des principales Villes »860. Le recours à la coutume de Paris vient donc après le recours aux coutumes environnantes. Claude-Joseph de Ferrière explique ainsi les raisons du recours à la coutume de Paris : « Lorsqu’une coutume n’a aucune disposition sur une matière, on suit quelques fois la coutume de Paris, surtout quand il s’agit de dispositions personnelles. […] La raison est que Paris étant la principale Ville du Royaume, cette Coutume doit avoir quelque préférence sur les autres, […] elle est mieux rédigée […] c’est pourquoi quand il s’agit de dispositions personnelles, on la suit

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Claude-Joseph de FERRIÈRE, Histoire du droit romain, 2e éd., Paris, 1726, p. 344-345. Dans le sens de s’inspirer des coutumes voisines pour trancher un point où la coutume n’a pas de disposition précise, on peut consulter un arrêt du 2 mars 1714, à propos d’un testament reçu par un curé qui n’est pas celui du testateur. Voici l’argument de l’avocat du légataire universel, qui plaide pour la validité du testament : « Si la coutume de Ponthieu ne donne pas par une disposition expresse aux curés le pouvoir de recevoir les testaments, elle n’est point prohibitive à cet égard. Qu’il falloit s’en rapporter à la coutume voisine, qui étoit celle d’Amiens, article 55, à la coutume de Paris, art. 289, à l’ordonnance d’Orléans, art. 27, à celle de Blois, art. 63, qui permettent aux curés de recevoir les testaments ». L’arrêt confirma le testament en suivant les conclusions de l’avocat général Chauvelin. Cf. arrêt du 2 mars 1714, rapporté par Matthieu AUGEARD , Arrests notables des différens tribunaux du Royaume, Paris, 1756, tome II, chapitre 143, p. 659. 860 Jean DOMAT , Les loix civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, 1777, tome I, livre préliminaire, titre I, section II, XX, p. 7. Matthieu Augeard est encore plus précis dans l’énumération des règles : « C’est le sentiment de Maistre Paul Challine en son intelligence des coutumes, où il pose pour troisième règle, que quand une coutume est defectueuse, et ne contient pas toutes les dispositions necessaires pour decider les questions qui se présentent, il faut d’abord avoir recours à l’usage de la Province, en second lieu aux Ordonnances de nos Rois, en troisième lieu aux coutumes voisines ». En l’espèce, il s’agissait d’un arrêt du 4 avril 1710, sur le temps où il faut faire l’inventaire de la communauté. Cf. Matthieu AUGEARD, Arrests notables…, op. cit., tome II, p. 671. Déjà Etienne Pasquier avait souhaité un classement des normes à suivre dans le silence des coutumes : « Julian nous admoneste, d’avoir en premier lieu recours aux Coutumes circonvoisines, et en cas qu’elles manquassent, recourir au Droit qui s’observoit dedans Rome, comme mere générale des autres Provinces. [En France on procède par enquête par turbes]. Si souhaits avoient lieu, je desirerais qu’en telles affaires nous suivissions la leçon qui fut donné par Julian. Et que le juge ordinaire trouvant quelque obscurité en la Coustume de son Baillage, prit pour commentaire la plus proche, et en ce defaut eust recours à celle de Paris. Et où celle-ci se trouverait courte, en ce cas et non autrement, la Cour de Parlement y procedast par turbes, tout ainsi qu’aux maladies desespérées on employ pour dernier remède le fer ou le feu ». Etienne PASQUIER, « Lettre à Monsieur Robert », in Lettres d’Estienne Pasquier, op. cit., 1719, tome II, livre XIX, lettre 15, p. 527. 859

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ordinairement dans les cas non prévus par les autres coutumes »861. La prééminence de la coutume parisienne n’a pas une force contraignante. Dans ce sens, on peut lire dans un plaidoyer d’Antoine Le Maistre, que les autres coutumes respectent celle de Paris par la noblesse de la ville dont elle est issue. Cependant, si elles lui accordent le respect, elles ne sont pas soumises à son obéissance862. Cet ordre s’applique aux matières purement coutumières. En revanche, dans les domaines hérités du droit romain, le recours à celui-ci semble naturel, sans être pour autant nécessaire. La légitime appartient aux institutions héritées de Rome. Quel droit commun doit-on appliquer en présence des coutumes muettes à son sujet ? B. Quel droit commun pour la légitime ? Après la réformation de la coutume de Paris en 1580, deux possibilités s’offrent aux coutumes pour régler la légitime : le texte de la Novelle 18 de Justinien et l’article 298 de la coutume réformée de Paris. Auquel faut-il se référer en cas de défaillance de la coutume ? Pour connaître la solution retenue pendant l’Ancien Régime, il faut interroger à la fois les textes des coutumes et la doctrine (1) ainsi que la jurisprudence (2), car c’est leur œuvre conjointe qui fournit les éléments de réponse. On les envisagera successivement, pour comprendre leur apport respectif. 1. L’apport des textes coutumiers et de la doctrine L’origine romaine de la légitime complique la détermination du droit commun applicable en ce domaine. En effet, même si la tendance est d’appliquer aux coutumes muettes sur un certain point les dispositions des coutumes voisines ou celles de la coutume de Paris863, la nature même de la légitime ne rend pas cette voie automatique. La légitime parisienne est sans doute romaine, mais aménagée dans son régime, puisqu’elle est la moitié de ce que les enfants auraient eu ab intestat, alors que la quotité de la légitime sous Justinien varie selon le nombre d’enfants. Lorsqu’une coutume ne précise pas la quotité de la légitime, à quel régime faut-il la rattacher, au parisien ou au romain ? Le doute est permis, d’autant plus que « bien des dispositions nouvelles insérées dans les coutumes réformées n’étaient pas l’aboutissement d’une longue pratique antérieure, mais devaient être au contraire le point de départ de toute une évolution postérieure : les nouvelles coutumes parlaient de légitime et réglementaient quelques hypothèses, sans que la notion de légitime fût nettement précisée […] sur le fondement de ces articles, la doctrine et la 861 Claude-Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, op. cit., tome I, V° Coutumes qui doivent être suivies dans les questions sur lesquelles la coutume du lieu est muette, p. 418. 862 « [Les coutumes] sont toutes égales, parce qu’en general elles sont toutes filles d’un mesme pere, du Prince qui les anime ; mais elles ont toutes de meres particulieres et differentes. Car elles naissent des diverses volontez des peuples. C’est ce qui fait d’une part, qu’elles respectent celle de Paris, comme ayant la mere la plus noble et la plus auguste, et tenant presque le rang de l’aînée entre ses sœurs ; et d’autre part, que cette qualité ne luy donne la préminence que dans l’ordre, et non pas dans la dignité, et ne luy fait trouver que du respect, et non pas de l’obeissance dans les autres, qui sont toutes aussi bien qu’elle, reines de leurs citoyens », Antoine LE MAISTRE, Les plaidoyez et harangues de Monsieur Le Maistre, cydevant advocat au Parlement et conseiller du roy, donné au public par Jean Issali, advocat au Parlement, 5e éd., Paris, 1660, plaidoyé XII, p. 248. 863 « Le Parlement, reconnaissant son œuvre, étendit volontiers ses dispositions [de la coutume de Paris] aux coutumes muettes dont l’esprit n’était pas contraire », François OLIVIER-MARTIN , Histoire de la coutume…, op. cit., tome I, p. 65.

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jurisprudence postérieures allaient construire la théorie de la légitime […] »864. Si la doctrine et la jurisprudence précisent et expliquent la légitime, il semble excessif de dire, comme le fait René Filhol, qu’elles formulent une théorie de la légitime, au sens fort du terme. La légitime s’est introduite de manière discrète en pays de coutumes, et sa progression s’est faite aussi à la faveur des contours flous de cette notion et de son caractère évident découlant de son rattachement au droit naturel. La jurisprudence aura le rôle de trancher les questions les plus délicates qui se présentent dans la mise en œuvre de cette institution. Mais les auteurs abordent les questions de manière plutôt pragmatique et, si théorie il y a, elle est la théorie romaine. Ce que font les différents auteurs, en relayant les décisions de justice, c’est éclairer des points précis, mettre l’accent sur la différence de régime entre la légitime romaine originaire et sa mise en œuvre en pays de coutumes. Mais il ne semble pas qu’il y ait une volonté d’établir une théorie aboutie et systématisée sur cette question. Cela paraît probablement superflu, car les traités de droit écrit fournissent déjà cette théorie. Ce qu’il faut c’est préciser, expliquer, adapter : ce à quoi s’attèlent les auteurs. C’est l’examen attentif des textes coutumiers qui permet de déterminer le régime à suivre en matière de légitime et, par conséquent, à quel droit commun se rattache chaque coutume, du moins pour cet aspect concret865. On peut regrouper les différentes solutions apportées à la quotité de la légitime en quatre catégories : celles qui suivent le droit parisien, celles qui adoptent des quotités différentes à la fois de Paris et de Justinien, celles qui suivent le droit romain, et les coutumes muettes où la légitime n’est pas du tout réglementée. Les coutumes qui adoptent la quotité parisienne ou une autre quotité précise suivent les dispositions exactes de leurs textes. Les coutumes qui suivent le droit romain sont celles qui font référence expresse au droit de Justinien. Il est alors difficile de ne pas suivre le texte qui renvoie explicitement au droit romain. Ces coutumes sont celle du Vermandois866, avec toutes les villes qui en dépendent, c'est-à-dire Laon, Reims, Noyon, SaintQuentin, Ribemont, Coucy et Châlons. Mais c’est également le cas des coutumes de Nivernais, du Berry et du Bourbonnais. Elles sont toutes des coutumes préciputaires, et l’application du droit romain en cette matière se comprend aisément au vu de l’esprit libéral certain de ces coutumes, qui s’accorde parfaitement à l’esprit romain867. 864 René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 218. Soulignons au passage que l’imprécision de la notion de légitime est due en partie à l’amalgame fait avec la réserve, comme on l’a déjà dit. 865 René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 202 à 205. René Filhol livre un essai de coutume type, tirée des différentes rédactions où est intervenu Christofle de Thou, et qui pourrait incarner le droit commun coutumier. Dans cette synthèse, la légitime apparaît dans le chapitre sur les donations entre vifs, les testaments et les successions. Mais il ne retient pas un régime précis, soit le parisien, soit le romain. 866 Un arrêt du 4 décembre 1640, donné au rôle de Vermandois, juge le droit romain applicable dans une affaire sur la légitime. Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 15, p. 307. Pour les articles sur la coutume du Vermandois, cf. supra, section I § 1, A, 1 a) de ce chapitre. 867 D’après Claude de FERRIERE , suivent également le droit romain l’Auvergne, la Marche et le Bourbonnais : il le déduit des indications données dans les lettres patentes de François I er, qui portent que « les cas omis dans lesdites coutumes, seront suppléées par le droit romain », Claude de FERRIERE, Nouveau commentaire sur la coutume de la prévôté de Paris, Paris, 1770, p. 271. Pierre Roussilhe est affirmatif sur cette question : « [Dans] l’Auvergne, la Marche, Bourbonnois […] l’on suit à cet égard la disposition du Droit Romain, par la raison que par les lettres patentes de François I, il est dit que les cas omis dans les coutumes dont on vient de parler seront suppléées par le droit Romain », Pierre ROUSSILHE,

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Le cas de Melun est plus curieux, car il s’agit d’une coutume d’option, géographiquement proche de Paris. Elle suit pourtant les dispositions romaines. Julien Brodeau868, dans une note rapportée par Antoine Bourdot de Richebourg, se fait l’écho de cette surprise869. Cependant, l’étonnement n’est pas si grand, étant donné que la coutume de Melun a été réformée en 1560, c’est-à-dire avant que la légitime ne soit définie par la coutume parisienne870. La référence au droit romain était alors bien naturelle ; elle s’est simplement maintenue par la suite, du fait du caractère explicite du texte. Reste le cas le plus délicat, celui des coutumes muettes. On a admis sans difficulté que la légitime s’applique dans ces coutumes, « puisqu’elle était devenue droit général de la France coutumière, et qu’elle y devait paraître nécessaire partout »871. Mais se pose à nouveau le problème de la nature de la coutume. Comme l’affirme René Filhol, « faute de disposition nette et expresse dans la coutume écrite, la règle du consentement tacite avec ses accessoires […] reprend ses droits »872. Comment décider que la coutume de Paris sera applicable, s’il n’y a pas de preuve du consentement des populations concernées ? Le rôle des Parlements, concrètement du Parlement de Paris, est ici déterminant : « Le droit commun coutumier n’a d’existence que par la jurisprudence des Parlements et par la doctrine, elles-mêmes nourries de droit romain. Celui-ci répond aux idées individualistes qui ont cours comme à l’évolution sociale hostile aux principes féodaux : il représente la pérennité et l’universalité qui sont l’idéal d’une monarchie devenue administrative ; aux juristes il fournit les principes d’interprétation, guide les raisonnements et infléchit le droit commun »873. Avant d’aborder la jurisprudence du Parlement de Paris, il faut connaître les opinions doctrinales. Le débat sur le droit applicable aux coutumes muettes sur la légitime se prolonge tout au long de l’Ancien Régime. Guy Coquille affirme dans l’Institution au droit français : « communément on a suivy le droit Romain és nouvelles et authentiques, pour la proportion de la légitime »874. Cependant, dans le commentaire de la coutume de Nivernais, il dit que « si cette coutume étoit à revoir et à réformer, on feroit bien de suivre la disposition de la nouvelle coutume de Paris (298), qui fixe cette légitime à moitié, au lieu de la quatrième partie qui étoit par l’ancien droit Les Institutions au droit de légitime, ou recueil de la jurisprudence actuelle concernant la légitime et supplément d’icelle, 2e éd., Avignon, 1770, tome I, chapitre I, § 2, n. 7, p. 8. 868 Tours, vers 1585 - Paris 1653. Dictionnaire historique des juristes français, Paris, PUF, 2007, V° Brodeau, p. 139. 869 « Donc en cette Coutume la legitime des enfans se regle suivant la disposition du Droit Escrit, et non conformément à la Coutume de Paris, art. 298, quoique voisine […] », BdR, tome III, p. 450, note d) sous l’art. CCXXXII. 870 Cf. supra, section I, § 1, A, 1 c) de ce chapitre. 871 Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions…, op. cit., p. 186. 872 « La question du temps nécessaire pour introduire une nouvelle coutume passe au second plan, sans toutefois disparaître : les coutumes anciennement pratiquées fourniront tout d’abord le contenu de base sur lequel les États délibéreront ; faute d’accord entre les États sur une disposition nouvelle à introduire, on peut s’en tenir à l’ancienne disposition de tout temps pratiquée ; faute de disposition nette et expresse dans la coutume écrite, la règle du consentement tacite avec ses accessoires, longue pratique antérieure et enquête par turbe reprend ses droits », René FILHOL, Le Premier Président…,op. cit., p. 66. 873 Paul OURLIAC et Jean-Louis GAZZANIGA, Histoire du droit privé français de l’An mil au Code civil, Paris, Albin Michel, 1985, p. 163. 874 Guy COQUILLE, Institution au droit françois, op. cit., titre 17 des donations, p. 246.

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romain »875. La controverse continue au XVIIe siècle entre Renusson et Le Brun, partisans de la coutume de Paris, et Ricard876, qui estime que le droit commun à propos de la légitime est le droit romain. Gabriel Argou suit l’opinion de Ricard877. Auzanet pense que, pour les coutumes muettes sur la légitime, il faut appliquer la coutume de Paris, parce que « la proportion du Droit Romain n’est pas juste »878. Jean Le Camus est du même avis879. Au XVIIIe siècle, Bourjon880 et Pothier finissent d’asseoir l’opinion donnant le droit parisien comme droit commun pour la légitime. Cette préférence pour la coutume de Paris n’est pas exclusive des auteurs des pays de coutumes. Pierre Roussilhe, bailli de Bouchatel, écrit : « Dans les coutumes qui ne règlent point les légitimes […] en general on se règle […] suivant la coutume de Paris »881. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de préférence. L’argumentation de Ricard en faveur du droit romain est tout à fait logique : la légitime n’est pas une institution d’essence coutumière, aussi les coutumes qui s’y réfèrent sans la régler entièrement doivent être interprétées comme ayant voulu renvoyer au droit romain. Voici dans quels termes s’exprime cet auteur : « Cette remarque qu’auparavant la reformation de la coutume de Paris, nos coutumes n’avoient point particulièrement reglé la quotité de la légitime, quoy que plusieurs d’entre-elles en parlassent en general, pour dire qu’elle doit être laissée aux enfans, nous témoigne bien que nôtre usage étoit conforme en ce Royaume, et que comme nous avons emprunté la pluspart de cette matiere testamentaire du Droit Romain, nous n’avions pas établi d’autre légitime que celle qu’il avoit introduite. Et de fait quelques unes de nos Coutumes disent que la légitime doit estre laissée aux enfans selon la Loy ou la raison écrite. De sorte que ceux qui soutiennent que l’on doit suivre la disposition de la coutume de Paris, n’ont pour eux autre chose que l’équité : la proportion et l’égalité se trouvant en effet bien plus avantageusement dans la coutume de Paris que par le Droit écrit. […] Mais comme une plus grande équité ne suffit pas pour former une nouvelle décision lorsqu’il y a déjà une loy établie au contraire, j’estime que nos coutumes s’étant soumises à la disposition du droit romain, nous ne pouvons pas abandonner nôtre usage pour recourir à une décision qui nous agrée davantage ; puisqu’il ne s’agit pas en cette occasion de faire un droit nouveau, mais seulement 875

Guy COQUILLE, Les coutumes du pays et duché de Nivernais, op. cit., titre des donations, art. 7. Beauvais 1622- Paris 1678. Cf. Dictionnaire historique des juristes français, op. cit., V° Ricard, p. 666. 877 « La plupart des coutumes ne règlent point la légitime des enfans, ce qui a donné lieu à la question de sçavoir, si dans les coutumes qui n’en disposent point, il faut suivre la Coutume de Paris, ou le Droit écrit. Jugé qu’il faut suivre le Droit écrit ». Il cite en marge Ricard, traité des donations 3, chapitre 8, section 6. Cf. infra. Cf. Gabriel ARGOU , Institution au droit françois, op. cit., tome I, livre II, chapitre 13, p. 362. 878 Cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 23, p. 441. Voir aussi l’édition de 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 13, p. 306. 879 Au sujet de l’inexistence de légitime en faveur des ascendants, il affirme « en quoy nostre coutume est contraire au Droit Romain, mais elle est si raisonnable, qu’elle sert en cette rencontre de Droit commun pour toutes les Provinces regies par le Droit coutumier, quand les coutumes n’ont point parlé ni fixé le droit de légitime », Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, tome IV, observations de M. Jean LE CAMUS sur l’article 298, n. 1-2, p. 353. Jean Le Camus avait été lieutenant civil de la ville, prévôté et vicomté de Paris. Né en 1636, il meurt en 1710. Sa famille communica ses observations sur la coutume de Paris à Claude de Ferrière, pour qu’il les publie en même temps que son commentaire. Cf. ibidem, 1714, tome I, préface, non paginé. 880 Né dans la seconde moitié du XVIIe siècle, mort en 1751. Cf. Dictionnaire historique des juristes français, op. cit., V° Bourjon, p. 126. 881 Cf. Pierre ROUSSILHE, Les Institutions au droit de légitime…, op. cit., tome I, chapitre I, § 2, n. 6, p. 78. Il ne donne pas d’arguments en faveur de l’un ou de l’autre, il se contente de prendre acte des décisions de jurisprudence citées infra. 876

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de pénétrer dans le sentiment du législateur et de ceux qui ont rédigé les coutumes, qui n’ont pu se proposer par exemple la disposition de la coutume de Paris, puisqu’elle n’étoit pas encore introduite, et qu’il n’y avoit point lors d’autre règle pour servir de proportion à la légitime, que ce qui avoit été établi par le Droit romain »882. Tout ce qu’on peut souhaiter, dit-il, c’est « qu’une déclaration fut faite à ce sujet ». De manière générale, Ricard estime qu’en cas de silence de la coutume, il faut se référer au droit civil « par cette raison que nous en avons tiré les principes de la matière des donations, tant entre-vifs que testamentaires, et que ce n’est pas le cas auquel on puisse pour l’interprétation d’une coutume, avoir recours à la coutume voisine, ce qui ne doit avoir lieu, que quand les deux coutumes que l’on pretend expliquer l’une par l’autre, ont des dispositions conformes, et que l’une se trouve moins étendue que l’autre, mais non pas lors qu’une coutume ne dit rien absolument sur une matiere, comme dans l’espece que nous proposons ». Il donne comme exemple l’incompatibilité entre les qualités d’héritier et de donataire ou légataire883. Mais c’est finalement le recours à l’article 298 de la coutume de Paris qui triomphe. La raison n’est pas sans intérêt : c’est parce que le texte de Paris semble plus juste aux yeux des juristes. Ricard lui-même, partisan du droit romain, avoue cette équité plus parfaite de la coutume de Paris. Paul Lefebvre a sans doute raison lorsqu’il dit de la coutume parisienne que « son organisation de la légitime, mûrement réfléchie et limitée aux descendants, avec une quotité plus simple et plus forte, dut paraître préférable à celle du droit de Justinien et mieux combinée avec le système de la réserve lignagère »884. Cependant, il n’avance pas de preuves concrètes de cette préférence. C’est une analyse a posteriori, qui ne tient pas compte de l’évolution qu’il y a eu en cette matière. En effet, dans le cas des coutumes muettes quant à la légitime, le premier réflexe de la jurisprudence a été d’appliquer le droit romain, puisqu’il est le cadre naturel de la légitime. Ce n’est que vers la fin du XVIIe siècle que la coutume parisienne est préférée dans ces hypothèses. Et, de toutes manières, la coutume de Paris ne prévaut que si les coutumes sont muettes ou trop floues. Là où la légitime est clairement présente, il n’y a pas d’influence de la coutume de Paris ; on suit les dispositions romaines ou celles propres à la coutume concernée. Il est donc excessif d’affirmer que, pour la coutume de Paris, « c’était une grande victoire sur le droit romain » et que c’est « la décision que les auteurs rappellent surtout comme ayant le mieux affirmé la suprématie générale de la coutume parisienne »885, comme si la légitime parisienne s’appliquait de manière uniforme partout. La coutume de Paris, à l’origine, n’a pas de supériorité par rapport aux autres coutumes. Mais il est vrai que les parlementaires la connaissent en profondeur. C’est de là qu’elle en tire une certaine prééminence, qui fera dire à Brodeau qu’elle est « la maîtresse coutume, dont l’air doux et salubre est respiré par les Messieurs du Parlement et dont chaque article est un oracle et un arrêt »886. Mais

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Jean-Marie RICARD, Traité des donations entre-vifs et testamentaires, Paris, 1713, tome I, partie III, chapitre VIII, section 6, n. 1014-1016, p. 640. Dans l’édition de 1685, p. 639. Tout ce qu’on peut souhaiter, conclut Ricard, c’est qu’une ordonnance généralise la disposition parisienne, à cause de son équité. 883 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie I, chapitre III, section 15, n. 645, p. 145. 884 Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions…, op. cit., p. 188. 885 Ibidem, p. 187. 886 Cf. Paul OURLIAC et Jehan MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 11.

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son rayonnement se limite aux coutumes muettes, grâce à l’apport de la jurisprudence. 2. L’apport de la jurisprudence Les critères suivis par la jurisprudence en présence de coutumes muettes quant à la légitime sont assez simples. En principe, on a recours au droit romain, puisque la légitime et, plus généralement, les testaments sont des matières tirées du droit de Justinien. N’étant pas des domaines de pur droit coutumier, le droit supplétif est le droit écrit. Seul un usage contraire attesté écarte l’application du droit romain. C’est vers la fin du XVIIe siècle qu’intervient un revirement de jurisprudence, délaissant l’application du droit romain dans les coutumes muettes au profit du droit parisien. Il faut parcourir les différents arrêts et trouver les motifs d’un tel changement887. L’application du droit romain est confirmée par un arrêt du 20 août 1609, en la coutume de Chartres, qui ne spécifie pas la quotité de la légitime, et ne fait pas non plus de référence explicite au droit écrit888. Un autre arrêt du 31 mars 1618 « entre les Sardinys, dans les coutumes de Blois, Valois et Vitry » juge que la légitime doit se régler selon la quotité du droit écrit889. Les coutumes de Blois et de Vitry n’avaient pas incorporé explicitement la légitime ; celle de Valois appartient aux premières coutumes l’ayant consacrée, mais elle ne spécifie pas la quotité de cette légitime. A la même époque, un arrêt du 29 mars 1612 décide qu’en la coutume de Senlis, elle aussi muette quant à la quotité de la légitime, il faut appliquer la disposition du droit parisien890. Mais cet arrêt se fonde sur l’existence d’un usage tacite, qui applique l’article 298 de la coutume de Paris dans le ressort de Senlis. Il ne s’agit donc pas d’un changement de critère par rapport au droit romain, mais de respecter l’usage établi, c'est-à-dire de préserver la coutume telle que la population concernée la pratique.

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Cette évolution est constatée par les auteurs. Auzanet exprimant sa préférence pour le droit parisien, se fait l’écho de ce changement dans la jurisprudence : « les autres coutumes qui ne règlent point la légitime des enfans, suivent à present par un usage commun et ordonnance non écrite, la coutume de Paris pour le règlement de la légitime, au lieu que l’ancienne tradition, et suivant les anciens arrêts, la légitime estoit reglée suivant le droit romain ». Cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 23, p. 441. 888 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 15, p. 307. Pour les articles de la coutume de Chartres, cf. supra. 889 Claude de FERRIÈRE , Corps et compilation…, 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 15, p. 307. 890 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 15, p. 307. Ferrière cite un arrêt postérieur, du 1er avril 1620, toujours en la coutume de Senlis, qu’il inclut comme ayant décidé l’application du droit romain à la légitime dans cette coutume. En réalité, l’arrêt juge que la dot inofficieuse non payée est déductible en faveur de l’aîné, jusqu’à concurrence de la légitime. C’est donc un problème de relation entre la légitime et le droit d’aînesse, mais il n’y a pas à proprement parler de question directe sur l’application du droit romain. Ce n’est donc pas un changement dans la jurisprudence par rapport à l’arrêt de 1612. Cf. Claude de FERRIÈRE, 1685, livre III, glose 1 sur l’art. 298, n. 31, p. 442. Auzanet cite ce même arrêt comme manifestation de l’application de l’usage parisien, mais il semble forcer sa portée pour défendre sa position personnelle favorable à la coutume de Paris. Cf. Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire des arrêts…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 1.

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A partir des années 1630, des doutes semblent se faire jour sur cette jurisprudence apparemment simple. Un arrêt du 20 juillet 1634 se demande si, « dans la coutume d’Amiens, qui ne détermine point la légitime, il faut la regler par celle de Paris, ou par le Droit Romain […] »891. Dans l’arrêt de 1634, les arguments cités par les parties suivent les intérêts de leurs clients. L’avocat des appelants affirme qu’il faut appliquer le droit parisien parce que « la coutume de Paris doit servir de loy à tout le païs coutumier ». La partie adverse raisonne ainsi : « la coutume de Paris n’a d’effet que dans son territoire. […] [Le règlement de la légitime] ce seroit selon la disposition du Droit écrit et non suivant la coutume de Paris qui n’a lieu que dans son ressort »892. Mais les parties sont appointées au Conseil, et on n’a pas la solution finale de la Cour. Un autre arrêt de 1639 appointe également les parties, sur une question de l’avocat général Talon : « la difficulté qui reste, est de sçavoir comment on comptera la legitime de Damoiselle Geneviève Martin, ou si on luy adjugera un tiers des biens, suivant la disposition du droit écrit, étant fille unique ; et ainsi devant avoir autant que si elle avait eu encore trois frères, ou bien si on luy adjugera la moitié de tous les biens, suivant la coutume de Paris, qui regle la légitime à la moitié de ce que l’on a eu ab intestat »893. Pierre-Jacques Brillon se fait l’écho de l’existence de ces doutes dans son dictionnaire. Il cite un arrêt assez tardif du Parlement de Paris, de 1698, qui ordonne qu’on rapporte les actes de notoriété des Juridictions voisines, « pour voir si la légitime devoit être en Ponthieu de la moitié selon la Coutume de Paris, ou du tiers, selon le Droit Escrit »894. Ricard cite un arrêt du 30 juillet 1661, selon lequel « la quotité de la légitime devoit être laissée, suivant la coutume de Paris, dans l’étendue de la coutume de Troyes, qui n’a rien établi à ce sujet. Mais j’ay appris de messieurs de la Chambre, qui avoient assisté au jugement du procez, que l’avis ayant été demandé aux autres Chambres, la pluralité des suffrages avoit esté à suivre le Droit écrit, et que l’arrest n’avoit esté fondé que sur ce que le dernier commentateur de la coutume de Troyes rendoit témoignage sur l’article 95 […] que la portion de la légitime établie par la coutume de Paris étoit suivie au Bailliage de Troyes par un commun usage »895. Le commentateur auquel il est fait allusion est Louis Le Grand896, qui publie un commentaire à la coutume de Troyes précisément en cette année 1661. Dans ce commentaire il affirme, effectivement, que « pour régler la légitime, nous devons avoir recours à la coutume de Paris, où la légitime est mieux reglée, article 298, que par la Novelle 18 de Justinien qui contient une proportion inégale. […] Laquelle disposition nous observons par un commun usage, après plusieurs jugements rendus au Bailliage de Troyes confirmez par Arrêts, nonobstant un Arrêt contraire duquel 891

Cf. ibidem, tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 1. Cf. arrêt du 20 juillet 1634, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre III, chapitre 32, p. 255-256. 893 Arrêt du 21 juin 1639, rapporté par Pierre BARDET , Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre VIII, chapitre 27, p. 535-538. La citation se trouve p. 537-538. 894 Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire des arrêts…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 2. 895 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 6, n. 1018, p. 640-641. Voir aussi Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, §1, n. 15, p. 307. 896 Né en 1588 et mort en 1664 à Troyes. Avocat, puis conseiller au bailliage et présidial. À partir de 1645, il se consacre exclusivement à l’étude du droit privé de son pays. Cf. Dictionnaire historique des juristes français, op. cit., p. 486.

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aussi Coquille ne parle que par ouï dire »897. On est donc toujours en présence des mêmes principes : le droit romain n’est écarté qu’en présence d’un usage contraire attesté. L’arrêt fondamental dans la détermination du droit commun au sujet de la légitime, qui semble consacrer un revirement de jurisprudence, est celui du 10 mars 1672, rendu au sujet de la Princesse de Guémené. L’affaire opposait la Princesse de Guémené à son fils aîné et à des créanciers, à propos de « plusieurs biens situez en différentes coutumes, où la quotité de la légitime n’estoit pas déterminée ». Il a été jugé, contre les conclusions de l’avocat général, « qu’il fallait suivre la disposition de la coutume de Paris et non le droit écrit » 898. Le Journal des Audiences rapporte un arrêt du 6 septembre 1674, qui tranche clairement la question. Il soumet à la coutume de Paris la légitime des enfants en Touraine, en Anjou, en Poitou et à La Rochelle, lorsqu’il y a eu substitution faite par les aïeuls au profit des petits-enfants899. François Jamet de la Guessière considère que cet arrêt, dont il copie des extraits du registre du Parlement, est très important900. L’affaire est la suivante. Jean de Bueil avait bénéficié d’une substitution faite par son grand-père, et ouverte à son profit, concernant les terres de Sancerre, Vaujours et SaintChristophe901. Il mourut le 23 mai 1638. Il avait un fils, René, qui mourut à son tour le 23 août 1642, laissant une fille et un grand nombre de créanciers. L’affaire qui aboutit à l’arrêt de 1674 est une procédure complexe au sujet de la succession de René de Bueil, dont il fallait, entre autres, déterminer le montant de la légitime qui lui était due dans la succession de son père. Elle commence par une requête du 11 décembre 1671, opposant François Turpin et d’autres créanciers de René de Bueil, à Renée de Bueil, fille de René de Bueil et petite-fille de Jean de Bueil, leur héritière. Les requêtes des différents créanciers et de l’héritière se succèdent, avec des décisions de la Cour au sujet de la liquidation de la succession et du paiement des dettes. La complexité de la procédure s’explique par le nombre de créanciers présents, ainsi que par le montant en cause, puisque la Cour estimera la valeur de la 897

Louis LE G R A N D, Coutume du baillage de Troyes, 3 e éd., Paris, 1715, titre VI, des droits des successions, art. 95, glose II, n. 9, deuxième partie, p. 31. Cette troisième édition rapporte en outre un arrêt s’étant présenté depuis la première édition de 1661. Il juge que la légitime d’Antoine de Vienne « en cas de renonciation, [sera] reglée suivant et conformément à la coutume de Paris, et délivrée par ledit Louis de Vienne en corps héréditaires, et biens de la succession dudit défunt de Vienne », cf. ibidem. Louis Le Grand n’indique pas la date de cet arrêt, dont il rapporte les termes. 898 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 6, n. 1017, p. 641. Voir aussi Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 15, p. 307. Aucun des deux auteurs ne donne le détail de l’affaire, qu’on n’a pas trouvé non plus chez les arrêtistes consultés. Le Journal du Palais le mentionne, mais sans aucune référence à la question du droit commun applicable. Il est cité à propos de l’arrêt du 30 juin 1678. La question posée concernait la substitution de la légitime, on en reparlera infra. La défense des créanciers l’invoque ainsi : « Il a jugé le quinze mars 1672, que nonobstant la substitution faite par le testament de Monsieur le Prince de Guimené pere, de toute portion héréditaire de son fils puîné, sans cause de dissipation, Monsieur le Prince de Guimené, fils puîné, étoit en droit conjointement avec ses créanciers de demander distraction de sa légitime en corps héréditaires ; il fut même dit par l’Arrêt qu’il jouiroit de l’usufruit du surplus de sa portion héréditaire ». Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET , Journal du Palais, éd. 1755, tome I, p. 917. 899 Comme on le verra infra, la légitime ne peut être affectée par la substitution. 900 Cf. arrêt du 6 septembre 1674, rapporté par François J AMET DE LA G UESSIÈRE , Journal des Audiences…, op. cit., 1733, tome III, livre I, p. 46. L’ensemble de l’arrêt se trouve aux pages 46-61. 901 Cf. ibidem, p. 51.

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légitime de René de Bueil à 561 611 livres. Mais, pour le calcul de la légitime, on a procédé par étapes. Un arrêt du 24 avril 1673 ordonnait « qu’avant que de proceder au Jugement de l’Instance, les Parties rapporteroient dans deux mois des actes de notoriété des Présidiaux de Poitiers, Tours, Angers et La Rochelle, de leur usage chacun en leur Province, de la part et portion des biens à laquelle la légitime des enfans est reglée »902. Les actes de notoriété furent présentés, et procès-verbal fut dressé par le lieutenant général de chaque lieu, les 17, 21, 24, 27, 29 et 30 juillet 1673. L’acte de notoriété de La Rochelle ne répondait pas, cependant, à la question posée, ce qui donna lieu à un deuxième arrêt interlocutoire. A la suite de la présentation de ces actes de notoriété, dont l’extrait du registre du Parlement qui figure dans le Journal des Audiences ne dit pas le contenu, « acte fut donné ausdits Turpin et consors [créanciers de René du Bueil] de ce que pour lever la difficulté qui pourroit rester sur la quotité de la légitime des enfans, dans la coutume d’Aulnix, ils se restraignoient pour celle due audit René Sire de Bueil sur les biens delaissez dans ladite Coutume par ledit Jean premier Sire de Bueil, Comte de Sancerre, son pere, aux deux tiers des propres seulement, et desquels mesme les heritiers des collatéraux ne peuvent estre frustrez, suivant l’article 44 de ladite coutume, et consentent de deduire et precompter sur la légitime due audit René de Bueil, sur les biens d’Anjou et Touraine, la valeur du tiers desdits propres, et de tous les acquêts qui se pourront trouver dans ladite coutume et province d’Aulnix ». Les actes de notoriété furent contredits par certains créanciers, et les requêtes continuèrent de se succéder. Finalement, « notredite Cour, sans s’arrêter aux fins de non-recevoir, pour connoître le supplément de la legitime de René de Bueil en la succession de Jean de Bueil premier, comte de Sancerre, son pere, réservé par l’arrêt du 6 août 1671, à prendre par les créanciers dudit René de Bueil sur les biens déclarez substituez au profit des enfans dudit René de Bueil, par ledit arrêt ordonne que la legitime des enfans ès Coutumes de Poitou, Anjou, Touraine et de la Rochelle, en cas de substitution faite par les ayeuls au profit de leurs petits-enfants, se reglera suivant l’article 298 de la coutume de Paris : en sorte qu’au fait particulier dont est question, après la déduction des dettes sur tous les biens delaissez par ledit Jean de Bueil premier comte de Sancerre et situez esdites coutumes, la legitime dudit René de Bueil son fils, seroit de la moitié de tout ce qui restera desdits biens, tant en meubles qu’immeubles, les dettes et frais funeraires acquitez, dont la masse s’est trouvée consister en la terre de Vaujours et celle de Saint-Christophe, estimées entre les parties à la somme de sept cent cinquante mille livres ; la Terre de la Marchere estimée en quatre vingt mille livres ...». Suit l’estimation détaillée de la valeur des terres et autres biens de la succession903. Il n’y a aucune indication sur le motif de cette soumission à la coutume de Paris, qui semble contredire la décision prise après présentation des actes de notoriété des coutumes concernées. On avait d’abord fixé la quotité au tiers, ce qui était en réalité la quotité de la réserve et manifeste une confusion entre les deux institutions904. Tout porte à croire que l’argument d’équité n’est pas étranger au choix de la coutume de Paris. En effet, c’est à la lumière de l’esprit des coutumes que se guident les arrêts. Du point de vue strictement logique, le droit romain est compétent pour s’appliquer aux coutumes muettes quant à la légitime. Cependant, la 902

Cf. ibidem, p. 52. Cf. ibidem, p. 58. Il est également rapporté dans l’édition de 1678, tome III, livre VIII, chapitre 17, p. 652. 904 Cf. infra, section II, § 2, B de ce chapitre.

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volonté de chercher une solution plus juste se fait jour, et cela peut expliquer pourquoi ce revirement de jurisprudence a lieu dans la décennie des années soixantedix. Les arrêts et les auteurs qui les commentent ne fournissent pas beaucoup d’indications sur les raisons de ce choix. Cependant, on trouve une donnée intéressante dans le Journal du Palais. Un avocat fait référence à l’arrêt de 1672, concernant la Princesse de Guémené, lors d’un plaidoyer dans une autre affaire. Il s’agit de savoir si l’âge requis pour tester en la coutume de Valois, doit être déterminé par la coutume de Paris ou par le droit romain. L’avocat, à l’appui de la thèse favorable au droit parisien, invoque un arrêt récent : « le 10 mars dernier, dans la cause de Madame la Princesse de Guimené, la Cour a jugé que dans les coutumes qui ne règlent point la légitime, il faut suivre la disposition de la coutume de Paris, et non celle du Droit romain. D’où il s’en suit que ceux qui ont estimé que le Droit écrit estoit notre Droit commun, se sont fort trompez, parce qu’en France nous n’avons point d’autre Droit commun que nos Coutumes, comme l’a très bien remarqué Maître Charles Dumoulin sur la coutume de Paris et Coquille en sa préface sur la coutume de Nivernois »905. Le parallèle est intéressant, car la question de l’âge requis pour tester suit une trajectoire identique à la question du droit applicable aux coutumes muettes au sujet de la légitime. Il n’est pas impossible qu’il y ait un lien entre les deux changements parallèles sur ces deux questions. D’autant plus que le revirement de jurisprudence s’effectue la même année 1672. En effet, un arrêt du 5 avril 1672906 renverse la jurisprudence précédente du Palais dans le domaine de l’âge requis pour tester907. Il concerne la coutume de Valois. Sieur de 905

Plaidoirie en faveur de Monsieur et Dame Durant de Villegaignon, dans un arrêt du 5 avril 1672. Cf. Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 203. 906 Ibidem, p. 205. Un autre arrêt sur la même question est intervenu en 1702, dans la coutume de Senlis. La testatrice avait fait son testament à l’âge de dix-neuf ans, et il s’agissait de savoir si dans cette coutume muette quant à l’âge de tester, il fallait suivre le droit romain ou le droit parisien, comme étant la coutume voisine. L’avocat général se réfère à trois moments dans la jurisprudence : avant la rédaction des coutumes, avant l’arrêt de 1672, après cet arrêt. Avant la rédaction des coutumes, le droit romain leur servait d’interprétation et suppléait en toutes les choses « dont elles ne fesoient aucune mention ». La jurisprudence oscillait entre le droit romain et la coutume de Paris ou coutumes voisines. L’arrêt de 1672 jugea, en suivant les conclusions de l’avocat général Bignon, que « la coutume de Paris ou coutumes voisines devoient prévaloir sur le droit Romain, pour suppléer quelque chose à une coutume ; parce que le droit romain n’est point parmi nous une loi, mais une simple raison écrite ; les coutumes au contraire, sont le droit commun de la France coutumière, surtout pour les matières qui sont de pur droit coutumier. Il faut donc se conformer aux coutumes voisines qui, par la proximité des lieux et des climats, ont des mœurs et des inclinations qui approchent beaucoup les unes des autres. La coutume de Paris, comme principale du royaume, a sans doute une préférence au-dessus des autres coutumes ; on ne peut, outre cela, disconvenir qu’elle ne soit mieux rédigée que toutes les autres, et que cette rédaction ayant été faite par les plus fameux jurisconsultes, conformément à la décision des arrêts qui doivent servir de loi dans toutes les coutumes, on ne doive suivre sa disposition dans les cas non prévus par les autres ». En l’espèce, l’avocat général se prononce en faveur du droit parisien, et donc de la nullité du testament. Et cela, malgré des actes de notoriété fournis par les deux parties. Il estime que l’acte de notoriété attestant l’usage avéré de l’application de la coutume de Paris doit être suivi. L’acte de notoriété contraire « ne semble pas mériter la même foi que le premier, n’étant signé que de quelques notaires, qui n’ont pas toujours une connaissance parfaite de la jurisprudence ». Cf. arrêt du 31 janvier 1702, rapporté par Matthieu AUGEARD, Arrests notables des différens tribunaux du Royaume, op. cit., chapitre 194, p. 624-625. Il est rapporté également par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre II, chapitre 6, p. 178-180. 907 Claude Le Prestre rapporte des arrêts antérieurs à cette date, qui se prononcent en faveur du droit écrit. « En la coutume de Montargis il n’est point dit quel âge est requis pour tester, de laquelle coutume celle d’Orléans est la plus proche, qui regle l’âge pour tester à vingt ans. En l’année 1632 s’est présentée une cause à l’Audience au roolle de Champagne, en laquelle il estoit question de la validité d’un testament fait par un mineur âgé de dix-neuf ans en ladite coutume de Montargis. On soutenoit que le testament estoit nul ex defectu aetatus de celuy qui l’avait fait, parce qu’il n’avoit pas l’âge de vingt ans requis par la

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Mansan, mineur de vingt-deux ans, avait légué par testament tous ses meubles, acquêts et immeubles à sa mère. Des héritiers collatéraux contestent ce testament, disant que la coutume de Valois ne prévoyant pas l’âge valable pour tester, il faut appliquer la coutume de Paris, comme étant la plus voisine. Une première sentence confirme le testament. Les collatéraux font appel. L’argumentation de leur avocat fonde la préférence de la coutume de Paris sur l’indépendance par rapport aux Romains mais, aussi, sur l’esprit coutumier qui est radicalement différent du romain. L’esprit coutumier vise à conserver les biens dans les familles, alors que l’esprit du droit romain est de privilégier la liberté absolue du testateur. D’où la possibilité de tester dès l’adolescence. L’avocat de la partie adverse soutient que la jurisprudence du palais allait dans le sens de reconnaître le droit romain comme droit commun pour cette question : il cite des arrêts du 7 janvier 1581 en la coutume de Meaux, du 10 avril 1600 en la coutume de Bourbonnais, du 24 mai 1632 en la coutume de Montargis, du 11 janvier 1641 en la coutume de Ponthieu, du 19 juin 1670 : tous ces arrêts ont jugé que l’âge de tester dans les coutumes qui ne le précisaient pas devait être réglé selon le droit romain. « Nonobstant toutes ces raisons, est intervenu arrests conforme aux conclusions de Monsieur l’Avocat général Bignon, par lequel la Sentence a esté infirmée, et ordonné qu’elle sera seulement exécutée pour les meubles et acquests. Prononcé par Monsieur le premier président de Lamoignon »908. C’est donc la coutume de Paris qui est appliquée. L’hostilité des coutumes vis-à-vis du libéralisme romain et l’importance accordée au maintien des biens dans les familles a sans doute pesé dans la décision d’appliquer une disposition qui semblait mieux accordée à l’esprit des coutumes que le droit romain. Certes, l’arrêt sur l’application de la quotité parisienne de la légitime aux coutumes muettes est rendu trois semaines avant l’arrêt qu’on vient de résumer. Mais cela ne semble pas déterminant pour exclure une influence mutuelle. Accepter la coutume de Paris pour régler la quotité de la légitime facilite le revirement au sujet de l’âge de tester, où l’intérêt des familles est plus fort. Cette influence réciproque s’explique par le fait que les deux domaines sont également dépendants du droit romain en tant que droit supplétif. Il est vrai que la question du droit applicable semble aussi être un argument rhétorique invoqué par les parties selon leur intérêt. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 10 mars 1682, qui pose la question du droit à suivre dans la coutume du Maine, au sujet de l’âge requis pour tester valablement909. coutume d’Orléans, qui estant la plus prochaine devoit estre suivie en la Coutume de Montargis et Loris, qui n’en avoient point disposé ; on disoit au contraire que dans les Coutumes qui n’avoient rien disposé de l’âge pour tester, on devoit suivre la disposition du Droit civil et commun qui avoit reglé l’âge de pouvoir tester. […] Sur ces raisons, par arrêt du 24 may 1632, le testament déclaré bon et valable, le mesme jugé en la Coutume de Ponthieu au roolle d’Amiens le 11 janvier 1641, plaidans Langlois et Gaultier », Claude LE PRESTRE, Questions notables de droict decidées par plusieurs arrests de la cour de Parlement et divisées en trois centuries, Paris, 1663, centurie I, chapitre 3, p. 11-12. 908 Arrêt du 5 avril 1672, Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, op. cit., 1755, tome I, p. 205. 909 Deux filles avaient fait testament à 18 ans et à 17 ans, en faveur de leur belle-mère et des frères et sœurs consanguins. Les oncles maternels des filles contestent la validité du testament, en argumentant entre autres choses « qu’il a été montré que l’âge de tester n’étant point reglé par les coutumes, il falloit suivre celle de Paris en l’article 293, et non pas le Droit Romain ; que notre véritable Droit françois est celui de la Coutume de Paris ». Et ils invoquent l’autorité de Bodreau, commentateur de la coutume du Maine, qui en parlant de l’article 445 de ladite coutume, est d’avis de suivre le droit parisien. Cependant, après enquête, il n’a pas été trouvé d’usage attestant cela, mais la règle qui avait toujours été suivie était celle de fixer l’âge de tester à la puberté. Le testament des deux filles était donc valable. Cf. François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, op. cit., 1733, tome III, livre VIII, chapitre 9, p. 535-

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Un autre arrêt plus tardif, du 2 juillet 1708, toujours sur la question de l’âge de tester, recueille des plaidoiries en faveur de l’application de la coutume de Paris : « dans [les coutumes] qui sont de Droit coutumier, on a décidé, ou suivant les coutumes voisines, parce qu’elles ont plus de rapport avec l’esprit de la Province, ou celle de Paris, non pas qu’elle doive avoir lieu par tout le Royaume, parce qu’il est constant que Paris quoique la capitale, n’a point donné ses Loix à tout le Royaume ; mais parce que la sagesse et la capacité des Rédacteurs doit nous déterminer en sa faveur, pour nous montrer quel est l’esprit général du Droit Coutumier »910. Un arrêt de Règlement du 25 avril 1709 explique cet arrêt du 2 juillet 1708, précisant que cette jurisprudence n’a pas vocation à s’appliquer dans les ressorts régis par le droit écrit ou dans les coutumes qui établissent un âge inférieur à 20 ans pour tester911. On est donc toujours en présence du même cas de figure, à savoir les coutumes muettes. Cela manifeste à la fois le pragmatisme et la prudence des arrêts du Parlement. Il n’y a pas de principe rigide en la matière. L’idée sous-jacente est de rechercher ce qui s’accorde le mieux à l’esprit coutumier et à la justice, à l’équité. Depuis l’arrêt de 1672, le principe est fermement établi : les coutumes muettes règlent la légitime en suivant l’article 298 de la coutume de Paris. Mais audelà de ce revirement de jurisprudence à propos des coutumes muettes, un fait est certain : la légitime est devenue le droit commun de la France coutumière, même pour les coutumes qui n’en font pas mention explicitement912. Déjà Guy Coquille affirme, au sujet des donations, que « par tout faut excepter le droict de légitime aux autres enfans, car en quelque sorte, ou faveur que les peres et meres donnent à leurs enfans, la legitime doit estre réservée aux autres enfans »913. Répondant à la question de savoir si la légitime est due dans les coutumes qui n’en parlent pas, Claude de Ferrière assure : « Bien que les coutumes permettent de disposer librement de ses biens, cela se doit entendre salvam legitimam liberis, la nature est plus forte que la Loy, elle supplée à son défaut et empesche que les pères et mères ne puissent disposer entierement de leurs biens au préjudice de cette portion, qui leur doit estre reservée »914.

542. L’autorité de Bodreau est invoquée de manière erronée, car il ne dit pas cela sous l’article 445. Cf. Julien BODREAU, Coutumes du païs et comté du Maine, op. cit., art. 445. 910 Arrêt du 2 juillet 1708, conclusions de Monsieur l’Avocat général Le Nain. Arrêt solennel sur l’âge de tester dans la coutume de Blois et autres semblables, rapporté par Nicolas NUPIED , Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre VIII, chapitre 26, seconde partie, p. 168. 911 Arrêt du 25 avril 1709, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, op. cit., 1736, tome V, livre VIII, chapitre 26, seconde partie, p. 171-172. 912 Henri Regnault fait remarquer, à juste titre, que malgré le silence de beaucoup de coutumes au sujet de la légitime, l’idée même de se référer à un droit commun généralise cette institution : « Qu’on prenne comme droit commun coutumier, comme droit supplétif, dans le silence de la coutume, la coutume de Paris ou le droit romain, l’un et l’autre fournissent la légitime avec ses éléments essentiels », Henri REGNAULT, Les Ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les donations et l’Ordonnance de 1731, Paris, Sirey, 1929, p. 97. En témoigne, par exemple, une affaire soumise à la coutume de Lille, qui ne consacre pas la légitime. Le père, qui se remarie quatre fois, révoque un testament initial et indique qu’il laisse à la fille du premier lit seulement la légitime. Cf. Mathieu PINAULT, Seigneur des JAUNAUX, Suite des arrests notables du Parlement de Flandres, Douay, 1715, tome III, n. 39, p. 115-120. 913 Guy COQUILLE, Institution au droit français, op. cit., titre 17 des donations, p. 246. 914 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 21, p. 441. Dans l’édition de 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 7, p. 306.

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La carte des textes coutumiers qui établissent la légitime est maintenant fixée. Il convient à présent d’envisager les répercussions de sa diffusion en pays de coutumes.

SECTION II LES RÉPERCUSSIONS DE LA PÉNÉTRATION DE LA LÉGITIME

La légitime ayant acquis droit de cité en pays coutumier au XVIe siècle, elle nécessite, dans les siècles suivants, une adaptation à son nouvel environnement, de même que celui-ci doit s’habituer à sa présence. Cela reflète une tendance plus générale. En effet, le XVIe siècle apporte essentiellement un esprit novateur, alors que le XVIIe et le XVIIIe siècles auront la tâche moins éclatante d’ordonner et de systématiser les apports des premiers commentateurs des coutumes. Bourjon l’indique clairement dans la dissertation qui introduit le Droit commun de la France : « Le plan de cet ouvrage est donc de réunir, d’arranger et de simplifier »915. Pénétrer en terrain coutumier n’était pas tout ; il faut consolider cette présence916. La première tâche des juristes est de dégager des solutions aux problèmes techniques que soulève la présence de la légitime dans les coutumes. Elle coexiste en général avec la réserve, dans une logique successorale coutumière étrangère à l’obligation morale qui fonde la légitime. Par ailleurs, la coutume de Paris ayant changé la quotité de la légitime, on peut se demander si d’autres aspects techniques de sa mise en œuvre doivent également être réinterprétés par rapport au droit écrit. Par exemple, faut-il accorder la légitime aux ascendants ou uniquement aux descendants, seuls visés par la coutume parisienne ? La littérature juridique autour de la légitime concerne de manière quasi exclusive ces aspects techniques, souvent alignés dans les ouvrages de manière un peu dense. Il est indispensable de parcourir ces deux siècles, pendant lesquels la jurisprudence et la doctrine affineront les contours de la légitime en pays de coutumes. Cependant, les questions techniques ne doivent pas masquer un aspect plus caché mais aussi plus profond. On a insisté sur la différence de nature entre la réserve et la légitime. Leur présence côte à côte dans les coutumes a des conséquences sur leur propre nature. Elles subissent une transformation du fait de leur influence mutuelle, et il est instructif d’analyser la manière dont une institution modifie l’autre. Il n’y a pas de pure assimilation de l’une à l’autre, mais un jeu subtil d’influences, qui amèneront à l’état final recueilli par les rédacteurs du Code civil. Contrairement aux problématiques techniques, les auteurs passent cet aspect pratiquement sous silence. C’est au détour d’une expression, dans la manière d’exposer une question, qu’on découvre leur façon d’envisager la réserve à la lumière de la légitime. C’est souvent le vocabulaire qui traduit les vacillations et la nouveauté de l’institution, ainsi que la confusion autour de la nature de la réserve et

915 François BOURJON , « Dissertation sur l’union du droit commun de la France avec la coutume de Paris », in Le Droit commun de la France et la coutume de Paris réduit en principes, Paris, 1770, tome I, non paginé. Cette citation se trouve dans l’introduction de la dissertation. 916 « Le XVIe siècle avait été en matière juridique une période d’activité créatrice intense, et les coutumes en avaient enregistré les principales acquisitions. Le siècle suivant devait être très logiquement une période d’assimilation et de consolidation », René FILHOL, Le Premier Président…, op. cit., p. 218.

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de la légitime. L’utilisation vague du terme légitime facilite cette confusion, car le même mot désigne des réalités différentes, qu’on aura tendance à assimiler. L’étude des questions techniques soulevées par l’introduction de la légitime dans les coutumes (§ 1) fournira les éléments nécessaires pour aborder l’analyse de la transformation progressive de la réserve (§ 2). § 1. Les questions techniques soulevées par l’introduction de la légitime Les aspects techniques de la légitime peuvent à juste titre faire reculer le chercheur, car ils sont présentés souvent de manière aride, dans une profusion de points très précis qui peuvent facilement masquer le fondement de l’institution. Certes, les auteurs s’efforcent de les présenter le mieux possible, conscients de leur importance917, mais la première impression peut rebuter. C’est en définitive le propre du droit successoral, qui combine des principes fondamentaux touchant au droit, à la conception de la propriété, de la famille et de la vie sociale, avec des mesures extrêmement pointues sur le calcul de masses successorales ou la liquidation de la succession. L’étude des questions techniques présente un danger, celui de faire un simple catalogue de points juxtaposés. Sans être dénué d’intérêt en soi, il serait superflu dans le cadre de cette étude, puisque toute la doctrine des XVIIe et XVIIIe siècles fournit ce type d’énumération. On doit essayer de présenter ces aspects techniques à la lumière de ce qui éclaire notre travail : suivre la façon dont la légitime est incorporée en pays de coutumes, et son influence sur la réserve. Pour ce faire, sans aborder de manière exhaustive toutes les facettes de l’institution, il convient de centrer l’attention sur les aspects les plus controversés. Ils se détachent des autres parce qu’ils suscitent des débats passionnés, mais aussi parce qu’ils renseignent sur des points capitaux de la nature même de la légitime et de sa mise en œuvre. Cette démarche permet de ne pas perdre le fil conducteur des recherches derrière une multiplicité de détails. Cela n’exclut pas la mention, au passage, d’un aspect moins controversé, dans la mesure où cela apporte des éléments pour cerner la nature de la légitime et ses rapports avec la réserve. Le premier point qui mérite d’être étudié est directement lié à l’introduction de la légitime en pays de coutumes. Alors qu’en droit romain elle est une part des biens du de cujus, en droit coutumier la question s’est posée de savoir s’il fallait conserver cette caractéristique, ou bien si la légitime était une part de l’hérédité. Quelles sont les conséquences de cette définition de la légitime ? Apparaissent alors une série de questions débattues directement liées à la nature de la légitime. Mais elles ne sont pas les seules controverses. Une fois la légitime admise, des problèmes peuvent surgir pour sa liquidation, tant en ce qui concerne les personnes devant s’en acquitter que les biens fournis. Avant de parcourir les questions controversées au sujet de la nature et de la liquidation de la légitime, il paraît nécessaire de parler du calcul de la légitime, qui ne semble pas faire l’objet de polémique particulière. La masse successorale se compose des biens laissés par le de cujus au jour de son décès, auxquels on ajoute 917

Ainsi s’exprime, par exemple, Pierre-Jacques BRILLON : « Toutes les questions [sur la légitime] sont alphabétiquement traitées dans ce titre, qui est des plus importants », Dictionnaire des arrêts…, op. cit., Paris, 1727, tome I, table de matières, V° Légitime, non paginé.

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fictivement l’ensemble de donations faites de son vivant918, y compris les dons faits par préciput à un enfant919. De cet ensemble, on déduit les dettes et les frais funéraires, et on obtient l’actif net de la succession. La légitime se calcule à partir de l’actif net, c'est-à-dire du patrimoine du de cujus une fois les dettes et frais payés920. « La légitime, comme la réserve, n’était calculée que sur l’actif net, déduction faite des dettes et charges »921. Le montant total de l’actif net se divise par le nombre d’enfants : tous les enfants héritiers font nombre, mais se pose la question des enfants incapables d’hériter ou ayant renoncé à la succession. Les incapables sont essentiellement les enfants religieux ou exhérédés. Les religieux sont morts civilement et ne peuvent pas, de ce fait, demander la légitime922. Quant à faire nombre, il y a des opinions divergentes. Dumoulin et Choppin estiment qu’ils font nombre 923; Ferrière, Ricard, 918

Y compris les donations faites avant le mariage. Cf. Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté et du vicomté de Paris, Paris, 1698, p. 353. Même s’il ne remet pas en cause le principe, Pothier s’étonne que les donations faites avant le mariage soient sujettes à la légitime, car « l’obligation naturelle que contracte le père envers ses enfants, et dans laquelle consiste la légitime, ne peut pas être censée contractée avant que l’enfant fût au monde, parce que toute obligation suppose une personne existante envers qui le débiteur s’oblige ». Et il l’explique ainsi : « le devoir naturel nous oblige à conserver nos biens non seulement aux enfants que nous avons déjà, mais encore à ceux que nous pourrons avoir par la suite », Robert-Joseph POTHIER, Œuvres posthumes, 3e éd., Orléans-Paris, 1778, tome VI, section III, art. V, § 2, p. 194-195. Denis Le Brun, à propos du droit d’aînesse, explique bien la réalité de la fiction qui s’opère ici : « je réponds qu’il n’est ici héritier que par fiction, et de la même sorte que tous les enfants donataires, qui font part dans la légitime, nonobstant qu’ils aient renoncé à la succession : ce qui est une fiction à peu près semblable à celle, par laquelle on fait entrer dans la masse des biens sur laquelle on fixe la légitime, ceux mêmes qui ont été donnés à des étrangers, quoi qu’ils ne soient pas dans la succession », Denis LE BRUN, Traité des successions, Paris, 1692, p. 164. « Cet article [298] a été placé à la fin du titre des Testaments, qui suit immédiatement celui des donations entre vifs, parce qu’il appartient à tous deux, et que dans cette matière on considère les donations entre vifs, que le testateur a déjà faites, pour restreindre sa faculté de disposer par testament au préjudice de la légitime, au lieu qu’en tout autre cas on ne les considère point ». Note de Charles-Antoine BOURDOT DE RICHEBOURG sous l’article 298 de la coutume de Paris, BdR, tome III, p. 51. 919 Les dons par préciput ne sont pas sujets au rapport, mais ils « entrent dans la masse de biens sujets à la computation de la légitime des enfants », Guillaume de LAMOIGNON , Recueil d’Arrêtés, Nancy, 1768, titre des rapports, art. 3, p. 379. Les Arrêtés de Guillaume de Lamoignon ne sont qu’un projet qui n’a pas reçu de sanction royale et, de ce fait, n’a jamais été du droit positif. Cependant, ils s’inspirent de la doctrine et de la jurisprudence antérieures. Cet article se fait l’écho de la pratique précédente. 920 Ainsi l’explique François Bourjon. XII : « Voici la première opération qui est à faire. Pour liquider la légitime, on forme une masse fictive de tous les biens du défunt, on dit fictive, parce que l’on y comprend les biens dont l’ascendant a disposé, comme on va le voir par la proposition qui suit, comme s’ils étoient dans la succession ; et c’est cette masse générale qui est le premier guide qui conduit à la fixation de la légitime ». XIII : « On comprend dans cette masse les biens dont l’ascendant a disposé, soit par donation, soit par testament, de même que si l’ascendant n’en eût pas disposé, c’est en cette partie que la masse est fictive, mais réelle en ses effets par rapport à la liquidation de la légitime de l’enfant qui s’y trouve réduit, cette légitime s’étendant sur tous les biens, tant ceux extans que ceux donnés, et c’est principalement quant à ceux-là que la loi a établi la réserve de la légitime, ensorte qu’elle ne pût être affoiblie par des dispositions gratuites », François BOURJON , Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome I, Partie II, chapitre X, section III, § 1, p. 870. 921 François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome II, p. 391 [365]. 922 « Ceux qui sont incapables ou qui ont renoncé volontairement, n’ayant point de part en la succession, ils en ont encore moins en la légitime, puisque la légitime dépend de la succession et en compose une partie, car c’est un des premiers principes, que celuy qui n’a point de part dans le tout, en peut encore moins prétendre dans une portion de ce tout », Jean-Marie RICARD , Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 7, n. 1057, p. 650. 923 Dans le même sens, un commentateur de la coutume d’Orléans, Jean Delalande, s’exprime ainsi : « je ne peu acquiescer à leur opinion [de Bartole et autres interprètes], laquelle estoit bonne et juste à soustenir au temps qu’ils vivoient, parce qu’alors on ne donnoit rien pour l’entrée en Monastère, et au plus on constituoit une petite rente viagère in alimentorum subsidium, mais aujourd’huy qu’il faut bailler des

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Le Brun et Duplessis pensent le contraire924. Cette controverse reste un peu en marge de notre intérêt car, si elle modifie le montant final attribué à chaque enfant, elle n’affecte pas la nature ni les bénéficiaires de la légitime925. En ce qui concerne les enfants ayant renoncé à la succession, le critère est clair : s’ils renoncent nullo dato, ils ne font pas nombre pour le calcul de la légitime. En revanche, ceux qui renoncent aliquo dato, ayant reçu quelque chose, ils font nombre pour le calcul, car ils ne renoncent qu’en vue de l’avantage qu’ils ont déjà obtenu926. On agit de manière analogue avec les enfants exhérédés927. Il est bon de faire une dernière observation : on écarte les questions controversées uniquement en pays de droit écrit comme, par exemple, celle de savoir si la dot d’une fille et les avantages accordés aux enfants au moment du mariage sont sujets à la légitime des frères et sœurs. En pays de coutumes il n’y a pas de doute : la dot est sujette à la légitime des autres enfants928, parce que ce sont des fonds, et qu’il couste souventefois autant à mettre une fille en religion qu’à la colloquer en mariage, il est raisonnable qu’elle soit comptée pour mesurer et estimer ce qui est deu pour la portion légitime à ses freres et sœurs demeurez dans le siècle, puis qu’au moyen de la dot elle participe au bien de la maison paternelle, et bien qu’elle soit incapable de succéder, elle a comme hérité par droit de retenue de ce qu’elle a apporté en Religion. C’est pourquoy elle augmente le nombre des enfans, de mesme quès pays où le monastère succède au lieu du religieux profez, il fait part en la légitime », Jean DELALANDE, Coutumes des duché, baillage, prévôté d’Orléans et ressorts d’iceux, Orléans, 1673, p. 315. 924 Cf. le résumé de leurs positions dans Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., Paris, 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 2, n. 2-6, p. 310-312. Louis Le Grand s’exprime ainsi dans son commentaire à la coutume de Troyes : « Entre les enfants, on ne doit pas compter les condamnés à mort civile, ou naturelle, comme ceux qui sont bannis du Royaume, ou condamnez aux galeres perpetuelles, lesquels ayant perdu le droit de Cité, ne peuvent succeder ni faire testament, ni les Religieux profez […], ni les enfants qui ont été pour juste cause exhérédez, d’autant que l’exheredation empêche que l’hérédité ne leur ait été déférée. […] Que l’exhérédé fait part, doit être entendu d’un fils lequel a été exhérédé sans cause, si ce n’était que le fils exhérédé eut reçu la légitime ou autre avantage de son pere, auquel cas il devoit être mis au nombre des enfants. Jugé par arrêt du 14 août 1589 [rapporté par Choppin] », Louis LE GRAND, Coutume du baillage de Troyes, op. cit., titre VI, des droits des successions, article 95, glose II, n. 14-15, deuxième partie, p. 32. Dans le même sens, niant que les enfants religieux profés fassent nombre, voir Jean-Baptiste de BURIDAN, Coustumes de la cité et ville de Rheims…, op. cit., art. 292, n. 5, p. 571. En revanche, à son avis, la fille dotée qui renonce à la succession doit faire nombre, parce que « encore que par convention, elle soit excluse de la succession, elle n’est pourtant pas inhabile de succeder de droit, ou de disposition de la coutume : et la clause de la convention venant à cesser, comme s’il n’y avoit d’autres heritiers qu’elle en son degré, elle y seroit rappellée », ibidem, n. 6, p. 571. 925 Pour une vision d’ensemble des droits héréditaires des religieux au XVIe siècle, cf. Edmond DURTELLE DE SAINT-SAUVEUR, Recherches sur l’histoire de la théorie de la mort civile des religieux, des origines au seizième siècle, op. cit. Sur leur droit à la légitime, voir en particulier p. 194-201. 926 Dans ce cas, la diminution du montant de la légitime due au plus grand nombre d’enfants profite aux donataires et non aux autres enfants. « Ceux qui renoncent au moyen des dons qui leur ont été faits, et même les filles qui par leurs contrats de mariage ont renoncé, font nombre, non pas pour prendre, mais pour diminuer la légitime des autres, au profit des donataires, si ce n’est pour ces dernières, lesquelles quand elles ont renoncé au profit des mâles, le supplément de leur part doit aller aux mâles », Claude DUPLESSIS, Traité des successions, Paris, 1709, livre I, chapitre III, p. 204. 927 « Ceux qui sont exclus de la succession, soit par incapacité, comme mort civile, ou exhérédation, ou profession de religion, ou par renonciation pure et simple, sine nullo dato, ne sont point de nombre, ni même les religieuses auxquelles on a baillé des dots de religion », Claude DUPLESSIS , Traité des successions, op. cit., livre I, chapitre III, p. 204. Il est à noter que les enfants exhérédés peuvent cependant exercer le retrait lignager, comme tout autre parent. Rappelons que le retrait vise les actes onéreux, et non les dispositions à titre gratuit. Guillaume de Lamoignon reprend cette disposition de manière explicite dans son projet. Cf. Guillaume de LAMOIGNON , Recueil d’Arrêtés, op. cit., titre du retrait lignager, art. 26, p. 357. 928 « Dans la France coutumière […] il n’y a pas lieu de douter que ce qui a été donné en mariage à une fille, ne soit réductible jusques à la légitime des autres enfans dans le païs coutumier », Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 21, p. 338. « Il est

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dispositions entre vifs. La question, en revanche, est très discutée en pays de droit écrit929. De même, on n’abordera pas l’institution appellée légitime de grâce. En réalité, elle n’est pas une légitime au sens strict, puisqu’elle s’applique à des successions ab intestat, alors que la légitime a pour vocation de restreindre la liberté de tester. Il s’agit d’une institution analogue dans le sens qu’elle est fondée sur l’équité. Elle permet de contourner l’exclusion des mères de la succession de leurs enfants, en vigueur en pays de droit écrit930. Elle est subsidiaire par rapport à la légitime ordinaire. « Elle est fondée sur les mêmes raisons que la légitime ordinaire. Elle n’est appelée de grâce que parce que sa quantité dépend de l’arbitrage du juge ; ou parce que les lois ayant imposé la légitime que sur les biens libres, il semble que c’est une grâce de l’accorder sur les biens substituez, lorsqu’il ne s’en trouve point d’autres dans les familles »931. Elle se pratique en pays de droit écrit. Ces légitimes sont réglées suivant la quantité des biens, le nombre des enfants et la condition de la famille932. On ne s’attardera pas à ce type de problématiques933, sauf si elles éclairent le développement de la légitime en pays de coutumes. Ceci étant dit, il faut envisager à présent les questions controversées au sujet de la légitime en pays de coutumes. Elles sont regroupées en deux points, selon qu’elles concernent la nature même de la légitime (A) ou sa liquidation (B). A. La nature de la légitime en pays de coutumes En pays de coutumes, la légitime vient renforcer la réserve qui est une part de l’hérédité. La réserve, institution purement successorale, ne peut se comprendre qu’à l’intérieur de la succession, et le titre d’héritier est indispensable pour pouvoir en bénéficier934. Elle est la part du patrimoine du de cujus indisponible par testament. Et en vertu de l’adage le mort saisit le vif, son plus prochain heritier, le réservataire certain que la dot est sujette à la légitime des autres enfants », Robert-Joseph POTHIER, Œuvres posthumes, op. cit., tome VI, section III, art. V, § 2, p. 196. L’ordonnance de 1731 sur les donations conservera cette règle (art. 35). 929 Sur ce point, cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 17-20, p. 337-338. 930 Cf. Jean-Philippe LÉVY et André CASTALDO, Histoire du droit civil, op. cit., n. 844, p. 1156. 931 Cf. Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, op. cit., 1755, tome I, p. 221. 932 Jugé dans ce sens par un arrêt du Parlement de Paris du 14 mai 1672. Cf. ibidem, tome I, p. 223. 933 Un autre exemple qu’on laisse de côté : l’édit de Charles IX, dit de Saint-Maur ou encore « l’édit des mères ». Il a été promulgué en mai 1567, et avait pour but d’exclure la mère de la succession aux propres de ses fils prédécédés, dans l’intérêt des familles nobles. L’édit était destiné aux pays de droit écrit, et son application a suscité des vives résistances de la part des parlements concernés. Finalement, il a été abrogé par un autre édit de Louis XV, en 1729. On peut consulter le texte de ce dernier dans Matthieu AUGEARD, Arrests notables des différens tribunaux du Royaume, op. cit., Paris, 1756, tome II, chapitre 192, p. 842845. On n’abordera pas non plus les rapports entre la légitime et la quarte trébellianique ou la falcidie. La Falcidie est la quarte que peut retenir l’héritier institué lorsque les legs absorbent plus des trois quarts de l’actif successoral. La quarte trebellianique est celle que peut retenir l’héritier grevé d’un fidéicommis universel. Ce sont des institutions romaines, qui jouent un rôle en pays de droit écrit, mais qui sont ignorées du droit coutumier : « Comme en pays coutumier nous n’avons pas reçu l’institution d’héritier dans nos testaments, [la falcidie et la trebellianique] n’a parmy nous aucun effet », Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 1, n. 842, p. 601-602. De même, la question controversée de savoir si la légitime doit être laissée à titre d’institution ne concerne que les pays de droit écrit. Cf. par exemple un arrêt du 12 juillet 1685, rapporté par Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, op. cit., 1701, tome II, p. 537-546. 934 Cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 1, A.

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a la saisine sur cette part d’héritage. La réserve permet aux héritiers d’agir contre les légataires935. Or, en droit romain, la légitime résulte de l’action des enfants du testateur à l’encontre de l’héritier institué par le de cujus ; elle est clairement une part des biens du de cujus : pars bonorum. Les enfants ne sont pas saisis de leur légitime, ils doivent en demander la délivrance à l’héritier. La légitime des pays de droit écrit conserve cette nature de pars bonorum936, de même que celle de certaines coutumes qui adoptent le droit romain, comme la Bourgogne937. Qu’en est-il de la nature de la légitime dans les pays de coutumes ? Éclaircir la nature de la légitime en pays de coutumes, pars bonorum ou pars hereditatis (1), permettra de mieux comprendre sa spécificité par rapport à une autre réalité voisine, le droit aux aliments (2). 1. Pars bonorum ou pars hereditatis Quelle nature doit suivre la légitime en pays de coutumes ? Pars bonorum comme le commanderait son origine romaine ? Pars hereditatis comme la réserve, dont elle est l’auxiliaire ? La différence de nature n’est pas sans importance pratique938. Si la légitime est une pars hereditatis, le légitimaire est saisi de sa légitime, comme l’est l’héritier réservataire, sans avoir à demander l’envoi en possession. En revanche, si la légitime est une pars bonorum, le légitimaire doit en demander la délivrance à l’héritier. L’héritier continue la personne du défunt et, en 935

Cf. Jean-Philippe LÉVY, André CASTALDO , Histoire du droit civil, op. cit., n. 968. « En pays coutumier, c’était contre les légataires ou donataires que le légitimaire dépouillé devait se tourner, et s’il ne prenait lui-même la qualité d’héritier, l’hérédité serait alors restée vacante », Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions…, op. cit., p. 190. 936 « Il est constant que l’on ne peut être héritier et légitimaire, non plus qu’héritier et douairier dans une même succession » affirme le Rapporteur Feydau dans une affaire jugée le 13 mars 1666, dans la coutume de Saint-Sever, en pays de droit écrit. Cf. François JAMET DE LA G UESSIÈRE , Journal des principales audiences du Parlement, Paris, 1678, tome III, livre I, p. 43. 937 Cf. Pierre-Jacques BRILLON, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 1. 938 Un auteur du XVIIIe siècle, appartenant à une région soumise au droit romain, fournit un résumé de l’intérêt pratique de cette distinction, étant entendu que pour lui la légitime est pars bonorum, comme toujours en droit écrit : « En quoi diffère la légitime de la portion héréditaire. La première différence se tire de ce que l’hérédité comprend tous les droits utiles et onéreux, et est une pure libéralité d’un mourant qui donne sa succession sans la devoir, ou qui ne l’ôte pas le pouvant faire. La légitime est au contraire cette dette dont les père et mère sont débiteurs envers leurs enfants, et que leur héritier est obligé leur payer, malgré eux par une action particulière que la loi donne aux enfants. D’ailleurs la portion héréditaire saisit, au lieu que les enfants sont obligés de demander la délivrance de la légitime. La seconde différence se tire de ce que la loi nous apprend que les légitimes ne sont pas une quote de l’hérédité, mais une quote des biens. Qu’on ne croye pas que cette différence ne soit que dans les mots, elle est d’une très grande vertu, et elle rend la condition des enfants légitimaires bien moins avantageuse que n’est celle des héritiers. L’hérédité embrasse généralement tout ce qui était en possession du défunt, sans examiner si dans le nombre des biens qu’il a laissés, il n’y en avait pas dont il ne fut le légitime maître, et qui dépendissent d’autres patrimoines ; au lieu que par biens, l’on entend que ce qui était proprement au défunt, et qui lui appartenait indubitablement. Tout le reste n’est pas compris dans cette dénomination ; par exemple, un père jouit des biens qui ne lui appartiennent pas, il vient à décéder, on procède au règlement de la légitime entre ses enfants. On ne peut faire entrer ces biens dans le patrimoine, l’héritier le prescrira ensuite en conséquence de la jouissance du père jointe avec celle qu’il a faite ensuite ; cependant, les légitimaires ne peuvent y prétendre aucun droit. Autre exemple, les cohéritiers contribuent au paiement des dettes, et en cas de refus ils peuvent y être contraints ; au lieu que celui qui est l’héritier du père y est contraint seul, et il ne peut pas se pourvoir contre les légitimaires pour les contraindre au paiement des dettes, malgré que la légitime leur soit donné à titre d’institution », Pierre ROUSSILHE, Les institutions au droit de légitime…, op. cit., Avignon, 1770, p. 22, n. 16-17.

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principe, sauf s’il accepte la succession sous bénéfice d’inventaire, il est tenu des dettes pour sa part et portion, à l’infini939. Or, la légitime étant due par le père à ses enfants, l’héritier ne peut refuser de la délivrer à l’enfant légitimaire qui la lui demande. La légitime pénètre en pays de coutumes pour venir en aide à la réserve. Comme l’auxiliaire suit le principal, la légitime devient, en pays de coutumes, une pars hereditatis. Mais le raisonnement juridique doit être poursuivi. Si la légitime est une partie de l’hérédité, faut-il se porter héritier pour en bénéficier, comme il était nécessaire de le faire pour la réserve ? C’est la question de l’accès à la légitime par voie d’action (a). Mais se pose également la question de savoir si on peut conserver la légitime sans avoir la qualité d’héritier, autrement dit, s’il est possible d’accéder à la légitime par voie d’exception, en renonçant à la succession (b). a) L’accès à la légitime par voie d’action : la qualité d’héritier L’accessoire suivant le régime du principal, le principe est que ce qui règle la succession, règle la légitime. Ainsi donc, en pays de coutumes, pour bénéficier de la légitime il faut, en principe, se porter héritier. De fait, une exhérédation valable empêche l’enfant de bénéficier de la légitime. Mais le besoin de se porter héritier pose un problème évident. L’héritier, même bénéficiaire, est tenu de payer les dettes de la succession. Si pour jouir de la légitime il est nécessaire de se porter héritier, le légitimaire risque de voir partir sa légitime pour satisfaire les dettes successorales. Ici se manifeste de manière particulièrement claire l’ambiguïté du statut de la légitime, forcée de devenir un simple appui de la réserve en pays coutumier. La réserve ne protège généralement que les biens propres et seulement contre les legs. Si l’héritier qui succède au de cujus trouve des legs qui dépassent la quotité autorisée par la réserve, il les retranche à hauteur de la réserve. Toutefois, si le de cujus a laissé sa succession remplie de dettes, l’héritier se doit de les honorer, à moins de renoncer à la succession ou de demander le bénéfice d’inventaire. Mais, en renonçant, il perd le droit à jouir de la réserve. Par ailleurs, le de cujus a pu disposer par donation de ses propres, et la plupart des coutumes ne protègent pas l’héritier contre ce type d’actes. La légitime romaine est, en revanche, la concrétisation d’une obligation morale, celle qu’a le père de laisser à ses enfants un minimum de biens pour les aider à subsister et à vivre selon leur rang. Elle protège contre les legs et contre les donations et c’est l’héritier qui doit la délivrer. Le légitimaire avance uniquement sa qualité d’enfant et n’a pas à assumer les dettes du testateur. Il réclame la moitié des biens qu’il aurait recueillis dans la succession si le disposant n’avait pas fait de testament. Faire de la légitime une pars hereditatis suppose qu’on admette l’exception au principe général selon lequel l’héritier remplace le défunt dans l’actif et le passif. C’est un raisonnement fort subtil auquel doivent se livrer les auteurs. Ils sont tiraillés entre la nécessité de faire de la légitime une part d’hérédité comme la réserve et, en même temps, d’éviter que les dettes de la succession ne portent atteinte à 939

Cf. François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome II, p. 384 [358].

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l’obligation morale de laisser quelque chose aux enfants. L’argument juridique permettant de préserver cet équilibre consistera à faire participer la légitime du même privilège que les donations, qui ne font plus partie de la succession et, de ce fait, ne sont point soumises aux dettes. Elles ne sont réunies à la masse successorale que de manière fictive, en vue de déterminer et, le cas échéant, de fournir la légitime. Ainsi l’explique Claude de Ferrière : « quoique les légitimaires soient sujets aux dettes par leur qualité d’héritiers, puisque pour être légitimaire il faut la prendre, ils ne laissent pas de prendre leur légitime sur ces donations, mais elle n’est point sujette aux dettes, comme elle ne l’était pas quand elle était entre les mains des donataires qui en étaient chargés, en vertu de la disposition de la coutume, et par conséquent ils doivent avoir le même privilège, parce que ce n’est point un partage de la succession, puisque proprement il n’y en a point, mais une distraction qui se fait par autorité de la loi et de la Coutume des choses données au profit des légitimaires ; les donataires les ayant reçues à la charge d’en rendre une partie à ceux qui seraient réduits à leur légitime : cette condition, la légitime réservée aux enfants, étant toujours sous-entendue dans les donations qui se font par ceux qui ont des enfants »940. Ce n’est pas qu’on détruise le don, dit Duplessis, c’est qu’on le partage941. L’acceptation de la légitime en tant que pars bonorum semble impossible, tant la force de la réserve et de sa logique successorale imprègne toute la mentalité coutumière. Ce même auteur éprouve le besoin de le souligner à la suite de ce raisonnement délicat : « Et néanmoins le principe résiste à ce que dessus, parce qu’il est toujours vrai de dire qu’ils n’ont été légitimaires qu’en qualité d’héritiers »942. Eusèbe de Laurière est encore plus clair dans l’explication du mécanisme juridique qui permet de maintenir saufs à la fois le besoin de se porter héritier et le droit du légitimaire de garder sa légitime en priorité par rapport aux dettes de la succession. « […] Parmi nous [en pays de coutumes] l’enfant ne peut avoir sa légitime qu’à titre d’héritier. De sorte que quand les successions sont onéreuses, il doit les accepter sous bénéfice d’inventaire, et comme ensuite en répudiant, il ne cesse pas d’être héritier, il peut en cette qualité, et comme saisi, intenter contre les donataires la complainte en cas de saisine et de nouvelleté »943. 940 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 2, n. 23-24, p. 317. 941 « Il suffit que ces choses aient été distraites de la masse des biens et exemptes de l’esclavage des créanciers : ce n’est pas qu’on les y fasse rentrer, mais c’est qu’on les communique à ceux que la nature appelle à la même grâce, en un mot, ce n’est pas que l’on détruise le don, c’est que l’on le partage, mais pour cela il faut que les légitimaires ne se portent héritiers que par bénéfice d’inventaire », Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chap. III, p. 204. L’intérêt est d’échapper aux créanciers de la succession postérieurs à la donation consentie par le de cujus : c’est pour cela que les donations ne peuvent être retranchées qu’en faveur des légitimaires, et non des créanciers, puisque, à proprement parler, elles ne font plus partie de la succession. Cf. Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, op. cit., livre II, chapitre XIII, p. 362-363. 942 Cf. Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chap. III, p. 204. 943 Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., éd. Paris, 1777, tome II, titre XIV des testaments, p. 439. On pourrait voir dans le même sens un des arguments de l’avocat de Marie de Saint Vaast (cf. infra le détail de l’affaire) : « les biens sur lesquels l’appellante demande sa légitime, les créanciers n’ont rien à y prétendre ; étant certain qu’au moyen de la renonciation des intimez, les deniers de leurs mariages, sur lesquels la legitime est demandée, sont hors de la masse des successions ; et faudroit avouer une proposition autant absurde qu’injuste si on disait que l’appellante ne demandant point de légitime, les créanciers ne pourraient rien prétendre aux trente six mille livres données en mariage à ses frères et sœurs, et que dans le cas contraire lui adjugeant sur cette nature de deniers sa legitime, qui tient lieu d’aliment, les creanciers lui arracheront le pain d’entre les mains, et en profiteront à son

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Ainsi donc, si les biens de la succession suffisent à procurer la légitime, cette dernière est régie par les règles du droit successoral ; mais si la succession n’a pas de quoi fournir la légitime, tout en restant héritier, le légitimaire agit en dehors de la succession, puisqu’il la retranche des donations qui ont déjà quitté le patrimoine du de cujus. Déjà Guy Coquille exprimait cela en disant que les enfants ne sont héritiers que quant à la légitime seulement944. Que la légitime soit une pars hereditatis est acquis par la force de la réserve et de la logique du droit successoral coutumier. En revanche, l’opinion selon laquelle il est nécessaire de se porter héritier pour bénéficier de la légitime, même si elle tend à prévaloir, n’est pas à l’abri de quelques remises en cause. Elle avait déjà été défendue par Dumoulin suivi par Bourjon, Le Brun et Ricard945. Cependant, le doute réapparaît régulièrement et, au XVIIIe siècle, Pothier hésite946. L’existence même de cette interrogation est à notre avis le résultat de la nature ambiguë d’une légitime assimilée à la réserve947. Mais cette ambiguïté n’est pas seulement présente dans les écrits doctrinaux. La coutume de Paris elle-même porte atteinte à ce principe absolu du besoin de se porter héritier pour prétendre à la légitime, car elle permet l’exception. b) L’accès à la légitime par voie d’exception : l’enfant donataire renonçant Une autre conséquence de faire de la légitime une pars hereditatis est que l’enfant légitimaire, devant se porter héritier, ne peut pas bénéficier d’un legs du de cujus, même s’il ne dépasse pas le montant de la légitime. « Il est certain que les testaments sont naturellement les ennemis des héritiers, ils ne sont faits que pour leur ôter quelque chose »948 ; ainsi il est logique que les qualités d’héritier et de légataire demeurent incompatibles de manière générale949. exclusion ; cela implique manifestement et emporte une injustice notable », Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, Paris, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 319-320. 944 Guy C OQUILLE , Œuvres, titre des donations, art. 7, cité par Claude de FERRIÈRE , Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 3 sur l’article 298, n. 3, p. 324. 945 « Non seulement les enfants qui renoncent expressement à la succession ne peuvent pas demander la légitime, mais ceux-là en sont aussi exclus, qui prenans une qualité incompatible avec celle d’heritier, renoncent tacitement à la succession, comme s’ils prennent les legs qui leur ont été faits par leur père, ou déclarent qu’ils se tiennent aux avantages qu’ils ont reçus entre vifs. Si ces enfants qui ont pris après la mort de leur père, les qualitez de donataires et de legataires, qui sont incompatibles avec celle d’héritier, demandent leur légitime, ils seront déclarez non recevables en leur action », Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, III partie, chapitre 8, section 5, n. 986, p. 634. 946 « Ricard pense que l’enfant ne peut demander sa légitime, qu’il n’ait accepté la succession au moins sous bénéfice d’inventaire. […] Plusieurs pensent au contraire qu’il n’est pas nécessaire d’être héritier pour demander sa légitime ; mais tous conviennent que s’il est nécessaire d’être héritier pour demander la légitime par voie d’action, il n’est pas nécessaire de l’être pour la retenir par voie d’exception », RobertJoseph POTHIER , Œuvres posthumes, tome VI, Traité des successions, des propres, des donations testamentaires, des donations entre vifs, des personnes et des choses, Orléans-Paris, 1778, section III, article V, § 1, p. 192-193. 947 « La logique pouvait paraître satisfaite, mais la nature des choses semblait sacrifiée », Charles BROCHER, Etude historique et philosophique sur la légitime et les réserves en matière de succession héréditaire, Paris- Genève, Ernest Thorin - Librairie H. Georg, 1868, p. 246. 948 Journal du Palais ou recueil des principales décisions de tous les Parlements et cours souveraines de France, 5e partie, 4e volume, Paris, 1682, p. 81. 949 Un arrêt pose la question de savoir si, dans la coutume de Paris, l’incompatibilité entre les qualités d’héritier et de donataire doit se comprendre seulement en ligne directe descendante ou aussi en ligne directe ascendante. Il s’agit d’une affaire où un fils unique fait une donation universelle à sa mère, veuve, à condition de mourir avant de se marier, ce qui arriva effectivement. Des héritiers collatéraux contestent

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En effet, en pays de coutumes, les qualités de légataire et d’héritier sont antinomiques, alors que Rome connaissait le cumul des deux. La question se pose cependant de savoir si, dans une succession qui comporte des biens sis dans différentes coutumes, on peut se porter héritier dans une coutume et s’en tenir à un legs dans une autre coutume. Une affaire du début du XVIIIe siècle pose la question pour la ligne directe. Antoine de Broully, marquis de Piennes, laissa deux filles, Olympe et Rosalie. En 1676 il avait fait un legs particulier à Rosalie et nommé Olympe, sa fille aînée, légataire universelle. Il mourut la même année, alors que les filles étaient mineures. On leur nomma un tuteur qui accepta le testament en leur nom. En 1693, Rosalie renonça à son legs particulier pour s’en tenir à sa portion héréditaire. En 1697, Olympe, mariée au duc d’Aumont, prit « des lettres contre l’acceptation pure et simple que son tuteur lui avait fait faire du legs universel, et demanda à restreindre sa qualité de légataire universelle dans la coutume de Paris seulement, et à se porter héritière dans les autres coutumes »950. Les deux sœurs avaient pris des lettres correspondant à leurs demandes, qui furent entérinées aux requêtes du palais par sentence du 6 septembre 1702, « mais avec cette restriction à l’égard de Madame la duchesse d’Aumont, qu’elle seroit tenue d’opter entre la qualité d’héritiere et celle de légataire universelle dans toutes les coutumes conjointement »951. Elle fit appel de cette sentence. La Cour confirma la sentence des requêtes du palais par arrêt du 13 juillet 1705. Ainsi, dans une même succession en ligne directe, on ne peut pas cumuler les deux qualités, même si les biens sont situés dans des ressorts coutumiers différents952. En ligne collatérale l’interdiction semble s’appliquer de manière plus

que la mère puisse être à la fois héritière des meubles et bénéficier de l’usufruit des propres en vertu de cette donation universelle. « Arrest est intervenu le 9 aoust 1687, qui confirme la Sentence, c'est-à-dire qui declare la donation nulle quant à l’usufruit des anciens propres, par la maxime que nul en directe ne peut estre héritier et donataire entre-vifs », arrêt du 9 août 1687, rapporté par Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, op. cit., 1701, tome II, p. 683. Sur la question de l’incompatibilité entre les qualités d’héritier et légataire, voir R. BESNIER, « Le cumul des qualités d’héritier et de légataire dans les coutumes de préciput et les pays de droit écrit à la fin de l’Ancien Régime », Etudes d’histoire du droit dédiées à Monsieur Auguste Dumas, Imprimerie d’éditions provençales, Aix-en-Provence, 1950, p. 25-35. 950 Arrêt du 13 juillet 1705, rapporté par Matthieu AUGEARD, Arrests notables…, op. cit., chapitre 266, p. 823. 951 Ibidem. 952 Toujours dans le sens de l’incompatibilité, voir un arrêt antérieur du 20 janvier 1660, dans la coutume de Noyon. Un testateur avait partagé ses biens en trois, un tiers pour son fils et les deux autres tiers pour les petits-enfants issus d’enfants prédécédés. Il laissait également à son fils l’usufruit des biens légués à ses petits-enfants pendant leur minorité, sans en payer aucun intérêt. Mais, n’ayant pas précisé qu’il laissait l’usufruit à son fils « par préciput et hors part », comme l’indique l’article 16 de la coutume de Noyon, la Cour débouta l’appel de ce légataire contre la sentence qui le condamnait à payer les intérêts. Cf. Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 784, p. 152. Des exceptions sont cependant possibles. Cf. un arrêt du 17 mai 1677, qui juge que l’intimée peut être légataire et héritière en même temps. Rapporté par le Journal du Palais, op. cit., éd. de 1682, 5 e partie, 4e volume, p. 81. Il est intéressant de noter ce qu’affirme dans ses conclusions l’avocat général Lamoignon, dans un arrêt du 2 septembre 1681. Il s’agissait d’un testament qui partageait les biens entre les enfants des deux mariages du père. Certains enfants voulaient invoquer la qualité de légataire dans une coutume et d’héritier dans une autre coutume. Lamoignon dit à ce propos que « si les choses n’eussent point été décidées par les arrêts, il auroit été pour l’incompatibilité ; mais qu’il fallait se rendre à des choses si précisement décidées, en collaterale, il est vrai, mais ne voyoit pas de différence entre la collaterale et la directe en cela ». Cf. François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre VII, chapitre 24, p. 503. Dans cette affaire, le testament avait été annulé, mais c’était surtout à cause du contrat de mariage des secondes noces du père, qui établissait l’égalité entre les enfants des deux lits, alors que le testament contrevenait à cette clause. On ne peut pas conclure à une extension,

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souple953. Pour Eusèbe de Laurière, le fondement de cette incompatibilité est la règle qui interdit au père de rendre la situation d’un héritier meilleure que celle d’un autre954. Ainsi, l’enfant qui veut avoir la légitime doit se porter héritier et renoncer à un legs éventuel, ou bien renoncer à la succession et s’en tenir à son legs. Il perd alors le droit à la légitime. De même, la qualité de donataire et celle d’héritier sont incompatibles. L’enfant donataire qui veut se porter héritier est tenu au rapport, sauf mais la manière dont l’avocat général aborde l’autorité de la jurisprudence est intéressante, même dans une question aussi bien précisée que cette incompatibilité. 953 Lucien Soefve rapporte quelques arrêts à ce sujet. Il dit qu’il a été jugé « au rôle et en la coutume de Vermandois, que encore que par la disposition de la plupart de Coutumes de ce Royaume, les qualitez d’héritier et légataire d’une même personne, dans une mesme coutume, mesme en ligne collatérale, soient incompatibles, neanmoins cette maxime ne doit avoir lieu que dans les Coutumes qui contiennent prohibition expresse de ces deux qualitez ; et ainsi, que la coutume de Vermandois n’ayant point d’article qui les deffende, la disposition du Droit écrit qui approuve l’une et l’autre desdites qualitez dans une mesme personne, y doit y estre suivie, et non les coutumes voisines qui ont une disposition contraire, ausquelles on ne peut pas avoir recours que quand il s’agit d’une matiere de Droit purement coutumier, ce qu’on ne peut pas dire des donations et des testaments, qui ont pris leur source et leur origine du droit écrit ». La Cour, par un arrêt du 7 décembre 1648 ordonne l’exécution d’un testament incluant un legs fait à un neveu, qui demeure ainsi héritier et légataire. L’arrêt a suivi les conclusions de l’avocat général Talon. Cf. Lucien SOEFVE, Nouveau recueil de plusieurs questions notables…, op. cit., tome I, centurie II, chapitre 95, p. 203. Dans le même sens de cumul des qualités d’héritier et de légataire en ligne collatérale, lorsque la coutume ne contient pas de prohibition à cet égard, il cite un arrêt du 12 juin 1652, jugé en la Chambre de l’Edit : « la coutume d’Amiens n’ayant rien déterminé touchant la compatibilité ou incompatibilité des qualitez d’heritier et legataire d’une mesme personne, l’une et l’autre de ces qualitez peuvent estre cumulées dans la ligne collatérale », cf. ibidem, tome I, centurie III, chapitre 97, p. 349. « La raison de l’arrêt est que c’est une maxime constante au Palais que quand les coutumes ne parlent point de l’incompatibilité de ces deux qualitez d’heritier et legataire, particulièrement dans la ligne collaterale, où l’égalité entre les heritiers n’est point requise comme en la directe, alors il faut suivre la disposition du Droit Romain, […] il s’ensuit par l’opinion commune de tous nos Docteurs, qu’en termes de Droit il n’y a que la ligne directe en laquelle on ne peut estre heritier et legataire, ou donataire ; et qu’en la collaterale on peut avoir ces deux qualitez », ibidem. Cet arrêt est également cité par Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 664, p. 134. Toujours en ligne collatérale, on peut être héritier et légataire d’une même personne si elle laisse des biens dans différentes coutumes, ne cumulant pas les deux qualités dans la même coutume. Ainsi l’a jugé un arrêt du 21 avril 1654, au profit d’Elisabeth Darde qui succédait à une tante ayant laissé des biens à Paris, à Chartres et en Anjou. Cf. Lucien SOEFVE , op. cit., tome I, centurie IV, chapitre 66, p. 426-428. Cet arrêt est cité également par Claude LE PRESTRE, Questions notables…, op. cit., centurie 3, chapitre 80, p. 714. Bien que « en termes de Droit, legatarius universalis est loco haeredis », il a été jugé en la coutume de Paris le 26 avril 1649, confirmant la sentence du prévôt de Paris et suivant les conclusions de l’avocat général Bignon, que « la qualité de légataire universel de la part et portion qui devait appartenir à l’héritier presomptif dans la succession du défunt testateur n’empêche point celle de légataire particulier par le mesme testament, en telle sorte qu’un prélegs luy ayant esté fait, la maxime établie par l’article 300 de ladite coutume […] ne luy peut estre opposé ». En l’espèce, l’avocat général se fonde sur le fait que le testateur n’avait que des meubles et acquêts, dont les frères et sœurs ne sont pas héritiers nécessaires. De ce fait, un frère qui avait reçu un prélegs de 4 600 livres pouvait garder sa qualité de légataire universel avec ses autres frères et sœurs. Ce prélegs devait être considéré comme un pur avantage, qui n’était pas interdit par la coutume, puisque le testateur pouvait librement disposer de ce type de biens. Cf. Lucien S OEFVE , op. cit., tome I, centurie III, chapitre 10, p. 220. Si le testateur avait eu des biens propres, probablement l’équivalence entre la qualité d’héritier et de légataire universel aurait été appliquée en sa défaveur. Il est à souligner également qu’on est en présence d’une succession collatérale. 954 Cf. Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., tome III, p. 300. Il convient de préciser par ailleurs que cela n’est vrai que pour les coutumes d’option ou d’égalité stricte. Les coutumes préciputaires, par leur esprit libéral, permettent de faire des dons hors part, y compris à ses propres enfants. Cependant, les coutumes préciputaires sont minoritaires du point de vue géographique (cf. carte dressée par Jean Yver, reproduite en annexe). Sauf le Vermandois et le Nord, ce sont des coutumes où l’influence du droit écrit est souvent précoce, comme en Bourgogne ou en Auvergne, ou encore en Berry. En outre, le rayonnement de la coutume de Paris tend à généraliser le point de vue des coutumes d’option comme étant le plus proprement coutumier. L’ouvrage cité d’Eusèbe de Laurière concerne la coutume de Paris.

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dans les coutumes préciputaires. Ici apparaît tout l’intérêt des différentes familles de coutumes. Pour les coutumes d’égalité stricte, il n’y a pas de choix possible, le rapport est forcé. Les coutumes d’option, dont celle de Paris, permettent à l’enfant de garder son don et de renoncer à la succession. De cette manière, même s’il n’a pas sa légitime par voie d’action, puisqu’il ne se porte pas héritier, il peut l’avoir par voie d’exception, en suivant la disposition de l’article 307 de la nouvelle coutume de Paris : « Néanmoins, où celui auquel on aurait donné se voudrait tenir à son don, faire le peut en s’abstenant d’hérédité, la légitime reservée aux autres enfants »955. Il est clair que le don peut être supérieur à la légitime mais, en tout cas, il ne sera pas inférieur car, alors, l’intérêt de l’enfant est de rapporter le don reçu et de demander la légitime en tant qu’héritier. L’article 307 de la coutume réformée de Paris se fait l’écho du deuxième motif qui justifie l’introduction de la légitime en pays de coutumes. Outre l’appui prêté à la réserve, la légitime résout le déséquilibre entre les enfants qui peut résulter de l’exercice de l’option. La règle selon laquelle on ne peut rendre la condition d’un héritier meilleure que celle d’un autre vise l’égalité des enfants venant à la succession, mais laisse entière une possible inégalité entre les enfants dans leur ensemble : le renonçant peut avoir reçu un don supérieur à la part héréditaire de ses frères. D’où l’intérêt de la légitime dans ces cas : à défaut d’égalité parfaite, elle veille à une certaine proportion dans la fratrie, puisqu’en fixant une quotité, elle assure un minimum à chacun. Elle est donc un instrument d’égalité, ou du moins d’équilibre, entre tous les membres de la fratrie, à l’intérieur comme à l’extérieur de la succession956. L’enfant renonçant ne peut, selon la teneur de cet article, porter préjudice à la légitime de ses frères. On pourrait dire que l’article 298 consacre la légitime dans la perspective de venir en aide à la réserve, et que l’article 307 se préoccupe davantage du besoin d’équité à l’intérieur de la fratrie en prévoyant l’exception. Cette dérogation au principe tient aussi au fait que la légitime est parfois envisagée comme une créance alimentaire exigible par la simple qualité d’enfant957 et non d’héritier958. Pour cette raison, l’âge des enfants est indifférent pour bénéficier de la légitime. Qu’ils soient mineurs ou majeurs, du seul fait d’être enfants, ils ont droit à la légitime959.

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BdR, tome III, p. 52. Sauf le cas des renonçants nullo dato, ou des religieux profès, considérés comme morts civilement. Ils ne reçoivent rien. 957 Jean de LAPLANCHE, La réserve…, op. cit., p. 477. 958 À ce sujet, un des arguments de l’avocat de Marie de Saint Vaast, dont on reproduira l’arrêt ci-dessous, est intéressant : « […] L’appellante demande la sienne [légitime] à titre singulier en vertu de la coutume, et peut dire que pour cela particulièrement elle est creanciere personnelle de son frère et de ses sœurs, et que pour recevoir ce benefice que nos lois ont appelé le secours de l’équité et de la nature, c’est bien assez d’avoir la qualité de fille, sans y joindre celle d’héritière ; mais pour lever ce scrupule, l’Appellante a obtenu Lettres pour être restituée, en tant que besoin seroit, contre la renonciation, et recüe à prendre les successions de ses pere et mere par benefice d’inventaire […] parce que l’intention de l’Appellante en les faisant n’a pas été de se dépouiller d’un avantage que la loi lui donne, mais seulement de se garantir de la poursuite des créanciers […] », Jean DUFRESNE , Journal des Audiences, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 319. Maître Bricquet, procureur du roi dans cette affaire répond à cela brièvement mais de manière ferme : « […] Quant à la renonciation, elle a obtenu des lettres pour en être restituée, ce qui étoit absolument nécessaire, parce que la légitime ne se prend qu’en qualité d’héritier », ibidem, p. 321. 959 Cf. Journal du Palais, op. cit., éd. de 1682, 10e partie, 9e volume, p. 79. 956

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A ces textes, on pourrait joindre l’article 17 de la coutume réformée de Paris, au sujet des puînés : « Si esdites successions de pere et mere, ayeul ou ayeule, il y a un seul Fief, consistant seulement en un manoir, basse-court et enclos d’un arpent; sans autre appartenance ni autres biens, audit fils aisné seul appartient ledit manoir, basse-court et enclos, comme dessus ; sauf toutefois aux autres enfants leur droit de legitime, ou droit du doüaire coûtumier, ou prefix, à prendre sur ledit Fief. Et où il y auroit autres biens qui ne fussent suffisans pour fournir lesdits droits aux enfans, le supplément de ladite legitime ou dudit doüaire, se prendra sur ledit Fief. Et toutefois audit cas le fils aisné peut bailler aux puisnez récompense en argent, au dire de Prud’hommes, de la portion qu’ils pourroient prétendre sur ledit Fief »960. Il est clair, comme l’avait bien souligné Charles Dumoulin, que dans le cas de dénuement, le droit d’aînesse doit s’effacer devant la légitime, car la légitime fournit aux puînés au moins les aliments nécessaires à la subsistance961. La possibilité de retenir la légitime en tant qu’enfant nuance la définition, pourtant radicale, de la légitime comme pars hereditatis962. Elle met ici en avant la vocation de la légitime à fournir des aliments, même si elle ne se limite pas à donner ce qui est nécessaire pour survivre. Il est nécessaire de comprendre les liens entre la légitime et le droit aux aliments pour bien cerner la nature de la première. 2. La légitime et le droit aux aliments Une des observations les plus fréquentes chez les juristes qui traitent de la légitime, est de dire qu’elle est de droit naturel : « La légitime est essentiellement un remède de justice et d’équité pour conserver au légitimaire une portion de la succession qui luy est ostée par la disposition de l’homme, et par la dureté du Statut et de la Coutume »963. Elle s’enracine dans l’obligation des parents de pourvoir à la subsistance de leur progéniture. Mais c’est ici que la question devient complexe du point de vue juridique, car la légitime peut se confondre avec une simple créance alimentaire. La légitime, est-ce un simple nom désignant le droit aux aliments, ou est-ce quelque chose d’autre ? Les deux aspects ne semblent pas s’identifier puisqu’on les cite de manière séparée : « Les enfans, leur pere et mere vivans, ne peuvent prétendre ny demander aucune part ny portion en leurs futures successions, soit pour leur legitime, alimens, ou pour quelque autre occasion que ce soit »964. 960

BdR, tome III, p. 31. Denis Le Brun affirmera qu’à Paris il y a deux légitimes, celle de l’article 298 contre les donations et celle de l’article 17 contre le droit d’aînesse. Cf. Denis L E B RUN , Traité des successions, op. cit., p. 164. Il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’il utilise le mot « contre », ce qui souligne la compréhension de la légitime comme un frein, une limite, dans l’optique de protéger contre un danger : en l’occurrence, l’abus de la liberté testamentaire. 961 Claude de FERRIÈRE résume la pensée de Charles Dumoulin dans Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome I, p. 414. 962 Guillaume de Lamoignon dira, en commentant un arrêt qui semble permettre de prendre la légitime sans se porter héritier : « Cela ne s’accorde pas avec les principes de Droit, mais l’équité y est tout entière », Guillaume de LAMOIGNON, Recueil d’Arrêtés, op. cit., éd. de 1702, p. 246. 963 François JAMET DE LA G UESSIÈRE, Journal des Audiences…, op. cit., 1678, tome III, livre I, p. 41-42. Arrêt du 13 mars 1666, dans les coutumes de Saint-Sever et Bordeaux, soumises au droit écrit. Le principe est néanmoins valable pour les pays de coutumes, car la légitime y joue aussi ce rôle équitable. 964 Cf. arrêt en robes rouges du 22 décembre 1628. L’espèce concernait un fils majeur de vingt-cinq ans, qui épouse une femme sans le consentement de ses père et mère. Il est exhérédé, et il est débouté de sa demande en aliments faite à son père pour lui-même et pour entretenir sa femme et ses enfants. Alors qu’une première sentence accordait des aliments au fils, le Parlement donne raison au père et rejette la demande d’aliments de son fils. Pierre Bardet rapporte les plaidoiries des deux parties, mais les

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On a vu qu’en pays de coutumes la légitime est pars hereditatis, et que ceux qui sont exclus de la succession n’y ont pas droit965. Or, le droit aux aliments semble une obligation qui dépasse les règles purement successorales966. Cependant, « il est aussi constant que pour les causes pour lesquelles on peut exhereder, on peut aussi dénier les aliments, ainsi que l’a remarqué Godefroy »967. En même temps, lorsqu’on essaye d’expliquer en quoi consiste la légitime, le recours à l’image des aliments est facile et fréquente968, jusqu’à l’identification969. Pierre-Jacques Brillon, par exemple, le formule ainsi : « La légitime est, pour ainsi dire, une portion alimentaire, sans le secours de laquelle les enfans tomberoient dans une indigence, dont la Loy a voulu les préserver »970. Ce n’est pas là une simple comparaison. En effet, la vocation alimentaire de la légitime est claire : la légitime doit être prise sur les legs pieux, car elle est fondée sur le droit naturel et qu’elle doit servir d’aliments. Cet aspect alimentaire est particulièrement visible dans les rapports entre la légitime et le droit d’aînesse (a). Mais l’étude des bénéficiaires de la légitime (b) permettra de mieux distinguer les deux notions, légitime et droit aux aliments. a) La légitime et le droit d’aînesse En arrivant en pays de coutumes, la légitime doit composer avec les dispositions concernant les fiefs, inconnues du droit romain. Le droit d’aînesse, en conclusions de l’avocat général ne sont pas mentionnées. La rigueur est sans doute à comprendre à la lumière de l’ordonnance de 1556, art. 1, et de l’ordonnance de Blois, art. 41, qui permettent l’exhérédation des enfants ayant contracté mariage sans le consentement de leurs parents. Arrêt rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome I, livre III, chapitre 20, p. 336-337. 965 Cf. dans ce sens Jean-Marie RICARD , Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 3, n. 18, p. 617. 966 Le droit aux aliments jouit d’un régime largement favorable. Pour illustrer la faveur qu’ils méritent, voici comment Pierre Bardet rapporte certains arguments de la doctrine, à l’occasion d’une affaire où le créancier avait demandé la répétition des aliments fournis à son débiteur, emprisonné à sa demande : « Alimens dont la faveur est si grande, et la vie de l’homme si chere, que celuy mesme qui en est jugé aucunement indigne, condamné à un banissement, ou autre plus grande peine, est neanmoins capable d’accepter les alimens, recevoir les legs et donations qu’on luy fait pour sa nourriture. Celuy qui a fait cession et abandonnement de tous ses biens, est pareillement capable de recevoir tels legs et donations, sans que ses créanciers y puissent pretendre aucune chose », cf. arrêt du 30 janvier 1626, rapporté par Pierre BARDET , Recueil d’arrests…, op. cit., tome I, livre II, chapitre 67, p. 245-246. L’arrêt est également cité par Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 50, p. 15. De même, un aïeul a été condamné à fournir des aliments à ses petits-enfants, alors que son fils était fugitif et que tous ses biens avaient été saisis. Cf. arrêt du 31 août 1639, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre VIII, chapitre 36, p. 552-553. Cité également par Michel DUCHEMIN, Supplément du Journal des Audiences, Paris, 1753, livre I, chapitre 438, p. 86, sans donner les circonstances particulières de l’affaire. 967 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 4, n. 971, p. 630. 968 En outre, l’effet rhétorique est certain : « Les créanciers ne doivent pas trouver leur compte dans la misère de l’appellante, puisqu’ils n’ont pas fondé leurs espérances sur ses alimens, lors qu’elle seroit réduite à la nécessité de les demander », dit l’avocat de Marie de Saint Vaast, qui demandait la légitime à ses frères et sœurs. Cf. Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 320. Voir également ce qu’affirme le procureur du roi dans la même espèce : « […] Il ne lui sera retranché qu’une partie de ce qu’ils ont eu, comme s’ils contribuaient eux-mêmes aux aliments nécessaires de personnes si proches, à quoi ils sont obligez en tel cas et par honneur et par conscience », ibidem, p. 325. 969 « Aussi vient-elle [la légitime] d’une obligation naturelle des pere et mere envers leurs enfans, à qui ils doivent les alimens pendant leur vie, et après leur mort une portion de leurs biens en propriété qui tient lieu d’alimens », Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 222. Cette explication est donnée au sujet de la légitime de grâce. 970 Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 19, col. 1.

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général réservé aux nobles971, attribue à l’aîné des fils une part avantageuse, qui se prend en général par préciput et hors part. Le droit d’aînesse ne rentre donc pas dans le calcul de la masse successorale pour déterminer la légitime972. Deux questions se posent alors. D’une part, celle de savoir si le préciput de l’aîné doit être entamé pour fournir la légitime aux autres enfants ; d’autre part, si la légitime de l’aîné doit être calculée en incluant son préciput. Eusèbe de Laurière répond à cette dernière question par la négative : le préciput de l’aîné n’est pas une portion héréditaire, la légitime des aînés devrait être la moitié de leur part héréditaire et non la moitié de leur préciput973. Ici la légitime ne s’identifie pas aux aliments, car l’aîné peut subsister grâce à son préciput. Une affaire interprétant la coutume de Poitou concerne ce sujet. Elle est réglée par deux arrêts, du 6 septembre 1677 et du 16 juin 1682 : « Par l’arrêt de 1677, l’on a jugé le don des meubles et acquêts fait par la mère, valable au profit des puinez, sauf la légitime ; et par celui du seize juin 1682, l’on a jugé ce qui devoit entrer dans la légitime et préciput de l’aîné »974. Après le premier arrêt, on demande des actes de notoriété pour éclaircir l’usage en vigueur au sujet du préciput de l’aîné. Un premier acte de notoriété, de mars 1680, indique que, en la coutume de Poitou, lorsque l’aîné noble ou son représentant se trouve le seul non-donataire de ses parents, « et qu’il opte pour prendre le tiers de tous les immeubles, tant propres qu’acquêts, les puînez étant donataires des meubles et acquêts, doit avoir avec ledit tiers son préciput, c’est-à-dire, le principal Châtel ou Hôtel noble […] »975. Un deuxième acte de notoriété, de juillet 1680 précise que « le préciput qui appartient à l’aîné n’entre jamais en aucun don […] l’aîné devroit avoir pour legitime, outre le préciput, les deux tiers », et se réfère à l’arrêt Darcemale de 1676976. Le Parlement, par l’arrêt de 1682, accorde aux enfants de l’aîné, venant à la succession de leur aïeul en représentation de leur père, un préciput des deux tiers des propres en fiefs et leur portion virile dans les propres en roture ; et dans la succession de leur aïeule un préciput sur les propres seulement, avec le tiers de tous les immeubles, tant propres naturels et conventionnels qu’acquêts977. Quant à la première question, à savoir, si le préciput de l’aîné doit être entamé pour fournir la légitime des puînés, elle est la plus importante en pratique. Elle est visée par l’article 17 de la coutume réformée de Paris : la légitime des puînés prime sur le droit d’aînesse. Mais comment la prendre concrètement ? Pour Ricard, dans l’hypothèse de l’article 17, il faut distinguer deux cas. Si le manoir est à 971

Cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 2, B, 2). Observation de Jean LE C AMUS sur l’article 298 de la coutume de Paris, rapportée par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, n. 4, p. 354-355 : « Le droit d’aînesse se met hors part, et ne fait point partie du bien sur le pied duquel la legitime se compte pour le manoir et vol du chapon ». Cependant, le même Jean Le Camus, dans son observation sur l’art. 13 de la coutume de Paris, semble dire le contraire : « Sçavoir si pour composer la légitime des enfans puinez, on doit mettre et comprendre, pour faire l’état du bien, le preciput de l’aîné ? On dit qu’ouy, parce qu’il fait partem bonorum et successionis », cf. ibidem, tome I, observations sur l’art. 13, n. 13-14, p. 363. 973 Cf. Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., éd. 1777, tome II, p. 444. 974 François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IV, chapitre 29, p. 271. 975 Cf. ibidem, p. 272. 976 Cf. ibidem, p. 272. On reviendra sur cet arrêt en abordant les questions relatives à la liquidation de la légitime. Cf. infra, B, 1 a) de cette section. 977 Cf. François JAMET DE LA G UESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IV, chapitre 29, p. 279. 972

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peine suffisant pour la nourriture des enfants, il considère qu’il faut le partager à égalité « parce qu’en ce cas la division est de simples aliments qui ne reçoivent pas de prérogatives ». En revanche, si le manoir est plus important, « ne conservant pas sa qualité de préciput, je luy laisserois celle de fief » ; le droit d’aînesse est considéré alors comme une donation inofficieuse et, donc, on y retranche la légitime978. De son côté, Duplessis a recours à une fiction. L’aîné serait un donataire de tous les biens et on retrancherait la légitime sur eux979. Pour Le Brun, le préciput de l’aîné doit contribuer à la légitime des puînés, à défaut d’autres biens pouvant la fournir. Le fondement est qu’elle est plus ancienne et se fonde sur la nature. Il estime même que l’aîné est tenu de donner à ses sœurs un mariage avenant en puisant sur son droit d’aînesse, à défaut d’autres biens980. Dans ce sens favorable aux puînés, on peut citer un arrêt du 24 janvier 1633, rapporté par Pierre Bardet et Claude Berroyer. Il s’agit d’une espèce jugée selon la coutume locale de Boulogne. Celle-ci dispose que l’aîné est le seul héritier des immeubles situés dans la Ville, Bourg et Banlieue de Boulogne. Le frère aîné étant décédé sans enfants, ses deux sœurs se disputaient les immeubles qu’il avait laissés. L’aînée estimait qu’ils devaient lui revenir entièrement, en suivant la disposition de la coutume. La cadette disait que le mot immeuble était à interpréter comme synonyme de propres et héritages anciens, mais que les acquêts n’étaient pas compris sous ce vocable et qu’ils devaient être partagés également entre les deux sœurs héritières. Une première sentence du bailli de Boulogne donna raison à la sœur aînée. La cadette fit appel devant le Sénéchal de Boulonnois et la sentence fut infirmée. C’est alors l’aînée qui fit appel. L’avocat général Talon conclut ainsi : « il n’y a point de doute que le mot d’immeuble, dans sa véritable signification, 978

Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 6, n. 1035, p. 644. Cf. également Claude de FERRIERE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome I, remarques de Jean-Marie RICARD sur l’article 17, p. 411-412. Il faudrait une autre disposition pour que l’aîné, que l’art. 17 empêche de prendre le manoir par préciput, soit aussi privé de ses autres prérogatives d’aînesse, à savoir, prendre les deux tiers. C’est pour cette raison qu’il estime que dans ce cas, le manoir perd la qualité de manoir, mais conserve celle de fief. Pour lui, dans l’hypothèse de l’art. 17, les puînés ne doivent avoir que la légitime « telle qu’ils l’obtiendroient dans un fief sans manoir, si le pere en avoit disposé au profit de l’aisné, qui ne seroit par l’art. 298 que la moitié de leur portion héréditaire ». Il conclut ses remarques en affirmant que le père ne peut avantager tellement un enfant « qu’il ne demeure quelque chose à tous pour leur tenir lieu d’alimens et de légitime, [ce qui est] une loy prédominante, qui tire son origine de la nature, et qui doit par conséquent prévaloir à toutes les autres dispositions ». Cf. ibidem. 979 « […] Et en ce cas il faut donner à l’aîné la fiction d’un donataire de tous les biens, par où les puînés auront le quart au total du Fief à subdiviser entre eux, et chacun la moitié des parts qu’ils auraient eu en autres biens, le surplus du tout demeurant à l’aîné », cf. Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., p. 207. Sur le droit d’aînesse voir ibidem, p. 200. 980 La légitime a « son fondement dans la nature, dont les lois ne peuvent être abolies par des dispositions du droit civil. D’autant plus que les coutumes n’ont pas voulu donner à l’aîné tout le bien de la succession, mais bien quelques prérogatives dans le partage de ce même bien. Et j’estime aussi que dans les coutumes, où le frère aîné est tenu de donner à ses soeurs un mariage avenant, à défaut d’autres biens, il le doit faire sur son droit d’aînesse », Denis L E B RUN , Traité des successions, op. cit., p. 163. Cependant, on peut trouver aussi dans le sens contraire un arrêt du 1er juillet 1647, rapporté par Lucien Soefve, jugé au rôle de Poitou. Dans cet arrêt, le droit d’aînesse prime sur la dot promise à la sœur de l’aîné. « La raison est que comme un père ne peut pas priver ses enfans de leur légitime, et par conséquent de leur droit d’aînesse, qui est la légitime de la Loy ; aussi ne peut-il en façon quelconque la diminuer par une Constitution dotale, faite en faveur de sa fille, laquelle constamment par nos coutumes voulant venir à partage avec les autres enfans, doit rapporter ce qui luy a esté donné en dot, ou se tenir à son don, la légitime reservée aux autres enfans », Lucien SOEFVE, Nouveau recueil de plusieurs questions notables…, op. cit., tome I, centurie II, chapitre 25, p. 134. Cet arrêt est également mentionné par Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 545, p. 109.

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comprend toute sorte de terres, fonds et héritages, tout ce qui est fixe et permanent de sa nature, ou pour mieux dire par une façon de parler négative, par une privation, tout ce qui de sa nature ne peut pas se mouvoir, ou par soy-même ou par autruy. De là s’ensuit que les acquêts immeubles ayant une même substance que les propres, sont aussi bien compris sous le mot d’immeubles, et en la disposition de la Coutume ». Cependant, comme la cadette alléguait un usage contraire, l’avocat général conclut au besoin de faire une enquête par turbe. La Cour mit l’appel à néant et ordonna que « ce dont étoit appel sortiroit son plein et entier effet », c’est-à-dire que les acquêts se partageraient à égalité981. Cette compréhension restrictive du mot immeuble manifeste le souci d’interpréter de manière stricte la coutume locale par rapport à la coutume générale mais, aussi, le souci de veiller aux intérêts des puînés. Si la légitime des puînés a un caractère alimentaire particulièrement marqué, il n’y a pas une identification pure et simple entre légitime et droit aux aliments. En général, la légitime doit permettre aux légitimaires de vivre selon leur rang, ce qui peut souvent dépasser la simple créance alimentaire. Choppin précise cette notion en parlant de la différence entre l’apanage et la légitime982. Cependant, la frontière entre la légitime et le droit aux aliments est difficile à tracer, car le droit aux aliments peut aussi être fixé au-delà du strict nécessaire à la subsistance983. C’est plutôt au regard des bénéficiaires de la légitime qu’on peut mieux percevoir la différence entre la légitime et le droit aux aliments, et comprendre davantage la nature de la légitime en pays de coutumes. En effet, les créanciers alimentaires et les bénéficiaires de la légitime ne sont pas nécessairement les mêmes. b) Les bénéficiaires de la légitime En droit romain, les bénéficiaires de la légitime sont les descendants, les ascendants et les frères et sœurs quand l’héritier institué est une personne infâme984. En incorporant la légitime, les rédacteurs de la coutume de Paris en modifient les bénéficiaires potentiels, comme ils en avaient changé la quotité. La légitime protège, 981 Cf. arrêt du 24 janvier 1633, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre II, chapitre 5, p. 126-128. 982 « Mais pour le regard de la legitime, elle n’a point de lieu aux biens et seigneuries du Royaume entre les enfans. [...] Il faut toutesfois leur fournir leurs aliments et entretenements annuels, et leur assigner quelque revenu particulier, afin d’avoir moyen d’entretenir leur Estat selon leur qualité, comme estant Princes de sang […] ce qui est donné par les Roys de France à leurs puînez masles, il est appelle du mot Apanage. […] L’apanage est donné aux enfans masles pour leur nourriture et entretenement de leur maison, à l’exemple de ce qui s’appelle en droit Panis civilis », René C HOPPIN, Livre II du domaine, titre III des apanages, p. 205, n. 2. 983 « L’obligation alimentaire constitue une charge de la succession dont sont tenus solidairement tous les héritiers y compris les enfants légitimes. Ils ne peuvent s’en libérer qu’en renonçant à la succession. […] En quoi consiste cette obligation alimentaire ? Les juges qui ont eu souvent l’occasion d’intervenir sur ce point ont estimé qu’il ne s’agissait pas strictement de la nourriture indispensable à la subsistance, mais que le bâtard devait être entretenu selon la condition et la fortune de son père, et la bâtarde dotée », Renée BARBARIN, La condition juridique de bâtard d’après la jurisprudence du Parlement de Paris du Concile de Trente à la Révolution française, Paris, 1960, p. 43. 984 Cf. Novelle 18, précitée. Dans les coutumes qui font référence explicite au droit romain cette règle peut subir des modifications au contact d’autres dispositions coutumières. Par exemple, la règle qui exclut les ascendants au profit des frères et sœurs du de cujus. Dans ce cas, Philippe Godding signale pour les coutumes des Pays-Bas méridionaux, que « la jurisprudence distingua selon qu’il s’agissait d’une succession réglée entièrement par testament, ou d’une succession ab intestat. Dans le premier cas, les testaments étant régis par le droit romain, le père ou la mère écarté par son enfant pouvait réclamer sa légitime. Dans le second cas, la coutume primait, et la légitime ne pouvait être accordée », Philippe GODDING, Le droit privé…, op. cit., n. 707, p. 396.

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« dans presque toutes les coutumes, les enfants seuls et, par extension, les descendants »985. En cela, elle n’épouse pas la logique de la réserve, qui profite à tout lignager. En pays coutumier, la légitime restreint les bénéficiaires aussi bien par rapport à la réserve que par rapport au droit romain. Quelle explication peut-on trouver à cela ? On peut avancer qu’en limitant le bénéfice de la légitime aux enfants, on a voulu suivre le cas le plus courant. En effet, il est dans l’ordre de la nature que les enfants succèdent aux parents, et non le contraire. Mais, si on tient compte du soin apporté à la rédaction de la coutume de Paris, il ne semble pas qu’on ait voulu simplement prendre acte du cas le plus courant. La succession des parents aux enfants, bien que moins habituelle, n’est pas rare. « Si nos Coutumes avaient voulu accorder une légitime aux père et mère, elles n’auraient pas manqué d’en faire mention, plusieurs au moins l’auraient fait, et leur disposition aurait servi d’interprétation, ou d’extension à celles qui n’en parleraient pas, mais elles sont presque toutes conformes en ce point, ne l’ayant pas fait, cette omission doit passer pour le droit commun de la France Coutumière, en dérogeant au Droit Civil, qui n’a aucune autorité dans nos Coutumes, qu’en tant qu’il est confirmé par l’usage »986. Ricard, pourtant favorable en général au droit romain en cette matière, dénie aussi tout droit à une légitime au profit des ascendants. « La légitime des ascendans n’étant pas necessaire, comme celle des descendans […] nous nous sommes tenus à nos mœurs particulières, et avons du tout exclus les ascendans de la légitime […] »987. Denis Le Brun estime que le refus d’accorder la légitime aux ascendants veut empêcher une entrave faite aux enfants dans la disposition de leurs meubles et acquêts988. C’est probablement la raison principale. Mais derrière ce choix, on peut éventuellement déceler, par extension, l’influence de la réserve qui abrite la légitime 985

Pierre PETOT, Cours d’histoire du droit privé. Diplôme d’Études Supérieures. Droit privé 1947-1948, « Les enfants dans la famille », Les cours de droit, Paris, 1948, p. 154-155. 986 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 3, n. 16, p. 327-328. 987 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 3, n. 935, p. 620. 988 Cf. Denis L E BRUN, Traité des successions, op. cit., p. 82. On a trouvé ce raisonnement aussi dans la plaidoirie d’un avocat, lors d’un arrêt rapporté par Lucien Soefve. On contestait qu’un père, en la coutume d’Anjou, puisse garder les meubles que lui accorde l’article 270 de cette coutume, en même temps que le tiers en propriété de ses immeubles. Ce tiers était un don fait par sa fille prédécédée sans enfants. La raison était que ce serait être légataire et héritier ensemble. Parmi les arguments avancés par la défense, on disait que l’article 270 ne s’appliquait qu’aux vrais héritiers, « et non [aux] peres et meres, ou autres ascendans, lesquels à vray dire ne sont pas heritiers de leurs enfans, puisqu’un enfant peut disposer de tous ses biens au profit de qui bon lui semble, sans que ses pere et mere puisse accuser sa disposition d’inofficiosité, ny pretendre aucun droit de legitime sur iceux ». Cf. Lucien SOEFVE, Nouveau recueil de plusieurs questions notables…, op. cit., tome I, centurie III, chapitre 98, p. 350. Notons au passage le caractère évident de la légitime, alors que la coutume d’Anjou ne l’a pas consacrée. Cela s’inscrit dans cette évolution qui admet la légitime partout, même dans les coutumes qui l’ignorent. Il en est de même, à peu près, dans un arrêt du 18 juillet 1647. Maître Jean Bureau, avocat, estimant inofficieux le testament de sa fille, se voit rétorquer par la partie adverse que « la querelle d’inofficiosité ne compete et appartient sinon à ceux qui succedent à titre universel, comme les enfants ; que les pere et mere ne succedoient point à leurs enfans à titre universel, n’estant heritiers que de leurs meubles et acquests, et par conséquent, que la querelle d’inofficiosité ne leur appartenoit point, d’où vient que par la plupart de nos coutumes, et par les derniers arrêts, ils ne peuvent pas mesme pretendre de legitime sur les biens de leurs enfans », Lucien SOEFVE, op. cit., tome I, centurie II, chapitre 33, p. 141. La Cour rejette l’appel fait par le père contre les légataires de sa fille.

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sous son ombre. En effet, la réserve protège les biens propres. Or, en droit coutumier, propres ne remontent : les ascendants héritent des meubles et acquêts mais, à défaut de descendants, les propres sont dévolus aux héritiers collatéraux. C’est encore un aspect de l’ambiguïté de nature de la légitime en pays coutumier : elle est à la fois calquée sur la réserve et, en même temps, veut répondre à une obligation morale. Si la légitime est une pars hereditatis, elle doit suivre les règles successorales coutumières, parmi lesquelles se trouve celle qui désigne les ascendants uniquement comme les héritiers des meubles et non des propres. Dénier la légitime aux ascendants équivaut, du moins dans les faits, à s’aligner sur les règles successorales des propres au détriment de celles des meubles. Cela donne la mesure de l’importance de la réserve dans la mentalité, car la légitime se prenant sur tous les biens, on aurait pu admettre comme bénéficiaires les héritiers des propres aussi bien que ceux des meubles. Des arrêts affirment qu’il n’y a pas de légitime pour les ascendants dans les coutumes qui ne la leur donnent pas989. D’après Barthélemy-Joseph Brétonnier, le 989

Cf. François JAMET DE LA GUESSIERE, Journal des Audiences…, op. cit., 1678, tome III, livre I, arrêt du 13 mars 1666, p. 41. Dans une affaire jugée au Parlement de Bordeaux et concernant une terre sise à Saint-Sever, l’avocat se fait l’écho de cette jurisprudence en terre coutumière, en citant un arrêt du 17 octobre 1589 en la coutume de Chartres, un arrêt du 28 avril 1606 en la coutume de La Rochelle, un arrêt du 18 juin 1611 en la coutume de Paris, un arrêt du 1er mars 1614 en la coutume du Maine et un arrêt du 16 février 1615 en la coutume de Chauny. Dans l’espèce, l’avocat avance qu’il n’y avait ni testament ni donation. Il ne saurait y avoir donc de légitime, qui existe pour redresser les abus de ces dispositions à titre gratuit. En outre, il dit que la légitime des ascendants n’est que de droit civil, elle est un pur privilège de la loi. Un autre arrêt rejette également la demande du père pour avoir la légitime sur les biens de son fils, qui en avait disposé par testament. Le fils avait intenté un procès à son père par défaut de paiement de deniers comptants venant de la succession de sa mère. Puis il fit son testament, laissant tous ses biens à ses frères et sœurs consanguins et à des œuvres pies, sans rien laisser à son père. Contre les arguments du père, qui voulait rendre nul le testament, on rétorque que la légitime n’est pas due au profit des ascendants, et que le fils n’avait que des acquêts. Il pouvait donc disposer librement de tout son bien. Arrêt du 18 mai 1687. Cf. Journal des Audiences, 1733, tome IV, livre II, p. 46-47. Barthélemy-Joseph BRETONNIER le cite également. Barthélemy-Joseph BRETONNIER, Œuvres de Claude Henrys, Paris, 1772, tome III, p. 712. Lucien Soefve rapporte un arrêt en sens contraire. Il est aussi retranscrit dans le Journal des Audiences. Une mère demande sa légitime sur les biens meubles dont sa fille avait disposé par donation en faveur de son mari. La mère soutient que cette donation était faite par haine envers elle. La Cour appointe les parties au Conseil sur l’appel de la sentence des premiers juges qui avaient adjugé la légitime à la mère. Il s’agit d’une cause plaidée le 22 décembre 1676 en la coutume de Soissons. Après l’appointement, les parties se sont accordées, ce qui empêche de savoir dans quel sens aurait tranché le Parlement dans son arrêt définitif. Cependant, l’avocat général de Lamoignon concluait dans le sens favorable à la légitime de la mère. Lucien Soefve signale que bien qu’un ancien arrêt de 1583 en la coutume de Laon ait accordé la légitime aux ascendants, beaucoup d’arrêts sont intervenus depuis, établissant la maxime contraire : « Il semble que cette question [la légitime des ascendants] ne devoit et ne doit plus estre mise en controverse, et qu’un arrêt singulier et solitaire, comme celuy là ne doit pas estre tiré à conséquence ». Les arrêts qu’il cite sont un arrêt du 30 octobre 1589 en la coutume de Chartres, un arrêt du 28 avril 1606 en la coutume de La Rochelle, un arrêt du 18 juin 1611 en la coutume de Paris, un arrêt du 1er mars 1614 en la coutume du Maine et un arrêt du 16 février 1615 en la coutume de Chauny : les mêmes, à un arrêt prêt, que ceux répertoriés par l’avocat de Bordeaux cité au début de cette note. Les conclusions de l’avocat général, dans le sens de la première sentence, sont probablement liées aux circonstances concrètes de l’affaire, et notamment au motif de la donation, faite par haine. Cf. Lucien SOEFVE, op. cit., tome II, centurie IV, chapitre 93, p. 469 et François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. 1733, tome III, livre III, chapitre 35, p. 176. Claude Le Prestre cite également l’arrêt de la coutume de Laon et de Chartres, mais sans en donner la date exacte, et de manière très succinte. Cf. Claude LE PRESTRE, Questions notables de droict decidées par plusieurs arrests de la cour de Parlement et divisées en trois centuries, Paris, 1663, centurie I, chapitre 78, p. 249. « Au rapport de Monsieur Favier, jugé en la coutume de Chartres, qui donne la légitime aux enfans, que le pere et la mere ne la peuvent demander, et ce nonobstant l’Arrests de la seconde Chambre, jugé en la coutume de Laon », arrêt du 17 septembre 1589, Claude LE PRESTRE, op. cit., arrests de la cinquième chambre des Enquestes, p. 856. Cet arrêt est également rapporté par Georges LOUET , Recueil de plusieurs arrests notables du

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premier arrêt à avoir statué dans ce sens est celui du 17 octobre 1589, rapporté par George Louet990. Il s’agissait d’une mère qui demandait la légitime sur les biens acquêts de son fils, qui en avait disposé entièrement. L’arrêt la déboute de sa demande991. Ainsi, la légitime appartient seulement aux descendants. Le refus de l’accorder aux ascendants est tempéré par le droit aux aliments qui leur est reconnu992, ce qui montre que la légitime ne peut être réduite simplement aux aliments993. En revanche, les descendants sont compris au sens large, incluant les petitsenfants dans la mesure où leur auteur était lui-même capable de demander la légitime. Si le fils ou la fille du de cujus avait renoncé à la succession, les petitsenfants ne peuvent prétendre avoir plus de droits que n’en avait leur auteur994. Les descendants pris en compte sont seulement les enfants légitimes. Pour les enfants bâtards, la règle générale est que, ne pouvant avoir la qualité d’héritiers, ils ne peuvent avoir la légitime. Ils peuvent uniquement demander des aliments et, ceci, quand bien même le bâtard serait adultérin, car on suit la disposition du droit canonique, plus favorable à l’enfant, plutôt que le droit romain qui fait une différence entre les enfants naturels simples et les enfants adultérins995. Parlement de Paris, recueillis par Julien BRODEAU, Paris, 1693, lettre L, sommaire 1, p. 4, mais il le date du 17 octobre 1589. 990 Barthélemy-Joseph BRETONNIER, Œuvres de Claude Henrys, Paris, 1772, tome III, livre 6, chapitre 5, question 16, p. 712. 991 Cf. Georges LOUET, op. cit., lettre L, sommaire 1, p. 8. Il est également cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 3 sur l’article 298, n. 16, p. 327. 992 « Il faut encore apporter cette limitation à notre droit, qui réfuse la légitime au père sur les biens de ses enfants. Mais de tels aliments, comme dit Monsieur d’Argentré, sur l’article 722, glose 6 se doivent donner selon le besoin, et non pas selon la dignité. C’est ainsi qu’on tempère notre droit, qui réfuse la légitime aux ascendants », Denis LE BRUN, Traité des successions, op. cit., p. 83. 993 Toujours dans le sens d’une distinction entre la légitime et le droit aux aliments, Jean-Marie Ricard affirme : « La nature oblige les ascendans à faire subsister ceux ausquels ils ont donné la vie, et il n’y a point d’animaux qui ne subissent cette loy : autrement la nature produiroit inutilement un fruit qui ne peut subsister de soy-même, si elle n’obligeoit par ses Loix ceux du ministere desquels elle s’est servie à les entretenir. Mais comme sa quotité [de la légitime] est purement une invention du Droit civil, et que la nature ne l’a point prescrite, je ne fais pas de difficulté que les statuts particuliers des Provinces puissent y deroger et reduire la légitime jusques à une provision et à des alimens ; suffisant dans les regles de la nature, qu’un pere donne à ses enfans de subsister », Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 3, n. 920-921, p. 617. 994 Dans le cas d’une fille renonçant à la succession de son père, il a été jugé que ses propres enfants ne pouvaient demander un supplément de légitime parce qu’ils ne viennent pas à la succession de leur chef mais en lieu et place de leur mère, par représentation. Arrêt du Parlement de Paris du 5 avril 1569, rapporté par Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 32, col. 1, n. 64. La légitime des collatéraux n’a pas suscité de controverse : bénéficiaires de la réserve, ils ne l’ont jamais été de la légitime, même les collatéraux privilégiés qui sont les frères et sœurs. 995 Cf. arrêt du 27 février 1688. Le fils adultérin est ici admis à demander des aliments sur la succession de son père. Arrêt rapporté par Nicolas N UPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre III, chapitre 3, p. 77-78. Un autre arrêt, rapporté par le même Journal des Audiences, refuse l’action contre un aïeul en demande d’aliments pour un petit-fils bâtard, mais cela s’explique certainement parce qu’il n’était pas dans une situation de nécessité. En effet, un mineur, du vivant de ses père et mère, avait séduit une fille qui eut un enfant. Le père de la fille l’avait pris en charge, et s’était retourné contre le père du séducteur, ce dernier s’étant évadé. Il voulait que l’enfant soit pris en charge par l’autre aïeul, et être remboursé de tous ses frais. La Cour le déboute de sa demande. Le problème ici n’est pas le droit aux aliments au profit du bâtard, mais de savoir qui doit les fournir. Cf. arrêt du 5 août 1689, rapporté par

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Par ailleurs, le droit à la légitime des bâtards légitimés in extremis a suscité une certaine controverse996. Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 4, chapitre 35, p. 199. Dans le sens du partage de la charge des aliments dus aux bâtards, voir l’arrêt du 30 juin 1631, par lequel le Parlement infirme une sentence du sénéchal de Poitou, et ordonne que les aliments seront fournis au bâtard de Jean Moirou par sa fille légataire universelle, mais aussi par les enfants du premier lit. Cf. Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, Paris, 1753, livre I, chapitre 186, p. 39. Dans le sens de l’obligation de fournir des aliments, voir l’arrêt du 10 mai 1701. Une fille bâtarde de trente-cinq ans est admise à demander des aliments, malgré son âge, parce qu’elle n’a pas de métier et, donc, de moyen de subsistance. Arrêt rapporté par Nicolas NUPIED , Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre I, chapitre 23, p. 43-45. Le motif de ce droit aux aliments est évidemment l’équité, comme l’affirme clairement l’avocat général de Lamoignon, dans les conclusions d’un arrêt du 19 avril 1695. Un père avait laissé une fille naturelle et aucun enfant légitime. Par son testament, il léguait à sa fille 1 000 livres, alors que son bien était estimé à 100 000 livres au moment de sa mort. L’avocat général dit « que le pere ne devoit point à son enfant naturel une legitime ni une dot, mais seulement des alimens ; qu’à la vérité la somme de 1 000 livres laissée à l’intimée étoit peu de chose, […] qu’il sembloit que par équité on devoit doubler cette somme ». La Cour suivit ces conclusions, et accorda 2 000 livres à la fille. Cf. arrêt du 19 avril 1695, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, 1733, tome IV, livre 10, p. 555. Denis Le Brun affirme même qu’en les coutumes où les bâtards sont admis à la succession de leur mère, ils ne peuvent demander la légitime dans sa succession, parce qu’on peut être appelé à la succession, sans être appelé à la légitime, « qui est chez nous un droit plus borné quant aux personnes », cf. Denis LE BRUN, Traité des successions, livre 2, chapitre 3, section 2, n. 4. Cité par Jean-Baptiste DÉNISART, Actes de Notoriété donnés au Châtelet de Paris, 3e éd., Paris, 1769, acte du 1er juillet 1702, p. 244, note a). 996 Au départ, il suffit d’être légitimé in extremis pour avoir droit à la légitime, le caractère valable de ce mariage ne pouvant pas être remis en cause. C’est ce qu’affirme un arrêt du 9 août 1639, rapporté par Pierre Bardet et par Georges Louet. Un père de famille, après le décès de sa femme, eut une fille hors mariage. Il la marie le moment venu, et trente-cinq ans après avoir fait un testament en faveur de ses enfants légitimes, il épouse sa concubine, mère de sa fille naturelle. Il meurt quinze jours après ce mariage. Le Parlement maintient les termes du testament du père au profit des enfants légitimes, mais admet la fille légitimée par mariage subséquent à recevoir la légitime, à laquelle doivent contribuer les autres enfants si ce que le père lui a donné n’est pas suffisant. Cf. Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre VIII, chapitre 33, p. 544-546 et Georges L OUET et Julien BRODEAU, Recueil de plusieurs arrests…, op. cit., tome II, lettre L, sommaire 7, p. 36. Brodeau cite dans le même sens un arrêt en robes rouges du 1er juin 1629. Cf. ibidem : « Les enfants légitimés sont capables de demander leur légitime, ou le supplément d’icelle, contre les enfans légitimes ». Cette jurisprudence changera par les termes de la déclaration de Saint-Germain-en-Laye, du 26 novembre 1639, qui prive d’effets civils les mariages secrets (art. 5) et les mariages in extremis (art. 6), même s’ils sont valables quant au sacrement. Voir le texte de la déclaration in ISAMBERT, DECRUSY ET TALLANDIER, op. cit., tome XVI, p. 520-524. La déclaration vise essentiellement les mariages contractés à la suite d’un rapt. L’article 2 prive de toute succession, même de leur légitime, les enfants mineurs de vingt-cinq ans ayant contracté mariage contre les dispositions des ordonnances, notamment les art. 40 à 44 de l’ordonnance de Blois et l’édit de 1556. Un arrêt précisera par la suite que les mariages in extremis visés par cette déclaration sont ceux qui ont été précédés de concubinage. Cf. arrêt du 8 juillet 1675, rapporté au Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 686. Malgré cette déclaration, un arrêt de 1687 accorde le tiers des biens aux enfants d’un homme marié in extremis, « en déclarant que ce tiers n’étoit pas donné aux enfans comme portion héréditaire, mais par forme d’alimens ». Cf. arrêt du 14 juillet 1687, rapporté par Matthieu AUGEARD, Arrests notables…, op. cit., chapitre 19, p. 34. En dehors de ce cas, et en conformité avec la déclaration, un arrêt du 12 mai 1689 affirme qu’un mariage in extremis, après vingt ans de concubinage, est valable quant au sacrement, mais ne produit pas d’effets civils. Le problème de la légitime ne se posait pas, parce que ce même arrêt adjugeait 25 000 livres au seul fils des mariés in extremis, ainsi que 500 livres à la veuve. Cette affaire eut un rebondissement en 1692, au sujet de l’état de l’enfant, mais ne concernait pas la légitime : arrêt du 21 février 1692. Cf. Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre IV, chapitre 15, p. 173 pour le premier arrêt, et livre VII, chapitre 4, p. 419 pour le deuxième. Dans le même sens de la déclaration, voir l’arrêt du 29 mai 1696 qui empêche les enfants d’un mariage in extremis de se succéder mutuellement. Rapporté par Matthieu AUGEARD, op. cit., tome I, chapitre 124, p. 353-354. Dans le même sens de déni des effets civils à un mariage in extremis, voir l’arrêt du 16 mars 1736, rapporté par Matthieu AUGEARD, op. cit., tome II, chapitre 216, p. 931-937. De même, Matthieu Augeard rapporte un arrêt qui semble privilégier la publicité de la possession d’état par rapport à la réalité du caractère légitime de l’enfant. Mathurin Fournier avait une fille survivante d’un premier mariage, Catherine Fournier. Il épouse en secret sa servante, par peur de la réaction de ses parents compte tenu de

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On voit donc que, devenant une pars hereditatis au profit des descendants directs du de cujus, la légitime a adapté sa nature à son nouvel environnement coutumier. Ce réajustement dans sa nature a aussi des conséquences dans la manière dont elle est liquidée. B. La liquidation de la légitime La masse successorale sur laquelle se calcule la légitime repose sur une fiction concernant les donations entre vifs faites par le de cujus. Cette fiction a pour but de préserver les droits des enfants sur le patrimoine de leur père, en tout cas visà-vis des dispositions à titre gratuit. Par ailleurs, la légitime n’est pas la seule protection successorale sur laquelle peuvent compter les enfants du défunt. Il était inévitable que la légitime en pays de coutumes soulève des questions juridiques, souvent très discutées, pour savoir qui doit contribuer à la fournir et dans quel ordre (1). Après avoir désigné celui sur qui pèse l’obligation de délivrer la légitime, encore faut-il déterminer s’il doit obligatoirement la délivrer en propriété et en corps héréditaires (2). 1. L’ordre de contribution à la légitime La question la plus discutée, sans aucun doute, est celle de savoir quels donataires doivent retrancher leur donation pour fournir la légitime aux enfants. Mais cela suppose déjà que les enfants aient demandé la légitime au lieu de bénéficier d’autres types de protection. En effet, la légitime a dû trouver sa place parmi les autres protections successorales, s’insérant dans une hiérarchie d’avantages successoraux non cumulatifs pour les enfants. Il faut donc, avant tout, opérer un choix dans la hiérarchie des protections successorales coutumières (a). Si l’enfant opte pour la légitime, et que la succession ne compte pas assez de biens pour la lui fournir, alors surgit la question de savoir quel donataire doit contribuer à la légitime (b).

la disparité des conditions. Il a un fils de cette union, qui demeure toujours secrète. Le 23 août 1661 il fait un codicille qu’il ajoute à son testament, « par lequel il reconnoît que Mathurin Fournier est son fils, il lui donne 4 000 livres pour toute légitime ». Fournier père meurt le 14 octobre 1662. Catherine Fournier, fille du premier mariage, demande à être maintenue dans tous les biens de la succession de son père, sans qu’il soit tenu compte du testament ni du codicille de son père. Par arrêt contradictoire du 10 janvier 1671, sur les conclusions de l’avocat général Bignon, la Cour lui donne raison contre son frère consanguin. Ainsi, le fils né d’un mariage secret est déclaré incapable de succéder à son père, sans être déclaré illégitime. Ces faits sont rapportés au sujet d’une autre affaire entre les mêmes parties, concernant une succession collatérale. Cf. arrêt du 24 juillet 1704, rapporté par Matthieu A UGEARD, Arrests notables…, op. cit., p. 769-772. L’explication de l’arrêt de 1671 se trouve à la page 770. Curieusement, la déclaration de 1639 sur les mariages secrets n’est pas invoquée par la fille du premier mariage. Ainsi, le bâtard légitimé in extremis n’a droit qu’aux aliments. Mais cette obligation de fournir des aliments est en réalité une dette de la succession du père. Ce pourquoi, une fille légitime qui renonce à la succession de son père ne peut être tenue de nourrir l’enfant bâtard du défunt. La Cour décide que l’enfant sera nourri par le Receveur du grand Bureau des Pauvres. Cf. arrêt du 13 juillet 1628, livre I, Journal des Audiances, op. cit., chapitre 83, p. 22.

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a) Choix et hiérarchie entre les différentes protections successorales coutumières Lorsqu’une succession s’ouvre, les enfants peuvent demander le bénéfice de la réserve, celui du douaire (là où existe le douaire des enfants) ou celui de la légitime. Le choix appartient à l’enfant997, qui doit se laisser guider par les caractéristiques concrètes de la succession, afin d’évaluer ce qui est plus avantageux pour lui. Les enfants d’un père qui a dilapidé sa fortune par des actes à titre onéreux, auront tout intérêt à renoncer à la succession et à s’en tenir au douaire des enfants, qui les garantit contre ce type de situations. Le douaire des enfants, contrairement à la réserve, ne peut appartenir qu’à l’enfant qui renonce à sa qualité d’héritier998. Il convient de préciser que le régime du douaire parisien est spécifique. Les articles 249 et 255 de la coutume de Paris établissent que le douaire est toujours propre aux enfants issus du mariage, qu’il s’agisse d’un douaire coutumier ou préfix999. Il n’est pas nécessaire d’affirmer explicitement ce caractère propre aux enfants au moment de la stipulation du douaire. Ainsi en a décidé un arrêt du 12 mai 1694 : le douaire préfix stipulé dans un contrat de mariage par des personnes domiciliées à Paris est propre aux enfants, même si cela n’a pas été dit explicitement. En outre, ce caractère propre s’applique à des biens acquis depuis le mariage dans la coutume de Sens, où le douaire est uniquement viager1000. L’avocat des enfants explique qu’il faut « faire une grande différence entre le douaire coutumier et le prefix. Le coutumier ne consistant qu’en l’usufruit des heritages, dont un homme est saisi lors de ses épousailles, il est reglé par la coutume de la situation des héritages sujets au douaire, c’est la jurisprudence certaine des arrêts. […] Mais le douaire préfix est reglé suivant la coutume du lieu où le mariage a été contracté ; le douaire prefix n’est autre chose qu’une rente que le mari constitue sur 997 Cf. Denis LE B RUN , Traité des successions, op. cit., livre I, p. 219, cité par François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome I, partie II, chapitre X, section I, § 4, p. 868. « Dans les coutumes où le douaire est propre aux enfants, ces mesmes enfans ne sont pas exclus de prendre la légitime ordinaire ; néantmoins avec ce tempérament qu’ils ne prennent que l’un ou l’autre », Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 222, en commentant un arrêt au sujet de la légitime de grâce, du 14 mai 1672. 998 Coutume de Paris, 1580, art. 250 : « Si les enfans venans dudit mariage, ne se portent heritiers de leur pere, et s’abstiennent de prendre sa succession, en ce cas ledit douaire appartient ausdits enfants, purement et simplement, sans payer aucunes debtes, procedans du fait de leur pere, crées depuis ledit mariage. Et se partit le douaire, soit prefix ou coustumier, entre eux, sans droict d’aînesse ou prérogative ». Art. 251 : « Nul ne peut estre heritier et douairier ensemble, pour le regard de douaire coustumier ou prefix », BdR, tome III, p. 47-48. « Si l’on en croit Tournet, la raison de cet article est que le douairier est créancier du père, et que pour cette raison il ne peut être son héritier sans confusion de sa dette. [...] Cette raison, qui est approuvée de nos autres commentateurs, n’est vraie que quand celui qui pourrait demander un douaire serait aussi seul héritier, car dans ce cas ce serait contre lui-même qu’il serait obligé d’agir pour le demander, en sorte qu’il serait créancier et débiteur de lui-même, ce qui est impossible, comme Tournet l’a très bien dit. Mais quand il y a des enfants de différents lits, héritiers de leur père, et qui ont des douaires différents, cette raison cesse, parce qu’en droit le cohéritier, qui est créancier du défunt, ne confond pas sa dette active, que pour la portion virile, et non pour la part de ses cohéritiers », Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., tome II, p. 251. 999 Coutume de Paris, 1580, art. 249 : « Le douaire coutumier de la femme est le propre héritage des enfans venans dudit mariage. En telle maniere, que les pere et mere desdits enfans, dès l’instant de leur mariage, ne le peuvent vendre, engager, ne hypothéquer au préjudice de leurs enfans », BdR, tome III, p. 47. Art. 255 : « Le douaire constitué par le mary, ses parens ou autres de par luy, est le propre héritage aux enfans issus dudit mariage. Pour d’iceluy jouir après le trespas de pere et mere incontinent que douaire a lieu », BdR, tome III, p. 48. 1000 Arrêt du 12 mai 1694, rapporté par Nicolas N UPIED , Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 9, chapitre 12, p. 508-510.

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tous ses biens immeubles presens et à venir en quelques lieux qu’ils fussent situez ; c’est pourquoi l’on ne considère que le lieu et la coutume où le contrat de mariage a été passé »1001. Que l’enfant ait le choix entre le douaire et la légitime n’est pas très surprenant, car ce choix existait déjà entre le douaire et la réserve. L’enfant pouvait se porter héritier et bénéficier de la réserve, ou renoncer à la succession et s’en tenir au douaire1002. La légitime est un troisième type de protection qui vient s’insérer dans ce couple, et elle se place d’emblée du côté de la réserve. Vis-à-vis du douaire, elle n’apporte pas une grande différence. Leur interaction devient cependant délicate en présence d’enfants de plusieurs lits1003. Le principe sera que le douaire des

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Ibidem, p. 509. Pour le douaire des enfants, voir aussi ce qui a été dit dans la première partie, chapitre II, section II, § 2, A 3 in fine. 1002 Le douaire n’étant pas une donation, mais un bénéfice de la loi, il n’est pas sujet à la légitime. Cependant, Pothier estime que si le douaire conventionnel était excessif, « on pourroit soutenir que jusqu’à concurrence de ce qu’il excéderoit le coutumier, il devroit être regardé comme une donation sujette à la légitime », Robert-Joseph POTHIER, Œuvres posthumes, 3e éd., Orléans-Paris, 1778, tome VI, section III, art. V, § II, p. 199. Le douaire est assimilé d’une certaine manière à la dot ou au don pour mariage. La Novelle 39 prévoit que, quand les parents ont substitué un bien, et que la légitime ne suffit pas à doter les filles selon leur condition, le supplément de la dot ou de la donation à cause des noces sera pris sur les biens substitués. L’évolution du mariage favorise cette assimilation du douaire à la dot et à la donation pour cause des noces du droit romain : « comme le douaire est aujourd’hui une condition du mariage aussi ordinaire que la dot et la donation à cause de noces du droit romain, la raison veut que l’on suive la même règle pour le douaire », commentaire à des arrêts du Parlement de Flandres, en la coutume de Lille, datant du 16 juillet 1701 et du 23 mars 1709, cf. Jacques POLLET , Arrests du Parlement de Flandre sur diverses questions de droit, de coutume et de pratique, Lille, 1716, première partie, p. 47-50. La citation se trouve p. 48. 1003 Eusèbe de Laurière rapporte un arrêt du 20 mars 1629, qui débouta les enfants du deuxième lit de leur demande de légitime sur le douaire des enfants du premier lit. La raison est que le douaire est un droit de propriété acquis aux enfants dès le contrat de mariage de leurs parents, alors que la légitime naît le jour du décès du père. Eusèbe de Laurière n’est pas d’accord avec cette décision, car il estime injuste que certains enfants soient réduits à la mendicité. Cf. Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., tome II, p. 441. L’arrêt est rapporté par Pierre Bardet, qui le date du 27 mars 1629. D’après la plaidoirie de la défense, « le douaire c’est l’assurance des aliments [des enfants] ». L’argument avancé est que « en concurrence de deux actions privilégiées […] la plus ancienne est préférable », se référant à la Novelle 91. Cf. Pierre B ARDET , Recueil d’arrests…, op. cit., tome III, chapitre 37, p. 365-366. Les phrases citées se trouvent à la p. 366. Michel DUCHEMIN, dans le Supplément du Journal des Audiences, op. cit., 1753, précise que dans cette espèce un enfant était décédé du vivant de son père, et que sa portion du douaire appartenait aux autres enfants douairiers, sans distraction de la légitime des enfants du second lit. Cf. livre I, chapitre 101, p. 25. Julien Brodeau rapporte aussi cet arrêt, mais uniquement sur l’aspect d’accroissement du douaire par le décès d’un enfant du premier lit. Il ne mentionne pas la question de la légitime des enfants du second lit. Cf. Georges LOUET, Recueil de plusieurs arrests…, op. cit., tome I, lettre D, sommaire 44, p. 486. Un autre arrêt du 3 août 1682 décide dans le même sens. Un enfant du deuxième lit demandait la légitime sur le douaire des enfants du premier lit. Son argumentation reposait sur la différence de régime entre le douaire préfix de la coutume de Paris, qui est propre aux enfants, et le douaire de la coutume du Maine, qui n’est que viager. Le père avait stipulé un douaire préfix selon la coutume de Paris, lieu du mariage. Mais il était par ailleurs domicilié dans le Maine. L’enfant du deuxième lit considérait que la constitution de ce douaire était une vraie donation, sur laquelle il avait le droit de demander la légitime. La Cour ne lui donne pas raison, et le déboute de sa demande. Cf. François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre VIII, chapitre 30, p. 616622. Le moyen qui nous intéresse est développé p. 618. Un autre arrêt, en la coutume de Senlis, pose la même question : si le droit d’aînesse et la légitime des enfants du second lit est préférable au douaire des enfants du premier lit. Le Journal des Audiences ne rapporte que la plaidoirie favorable à l’aîné contre le douaire du premier lit, mais les termes de l’arrêt sont absents. Cf. arrêt du mois d’août 1677 (jour non précisé), François JAMET DE LA G UESSIÈRE , Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IV, chapitre 44, p. 295-296.

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enfants du premier mariage est préféré à la légitime de ceux du second. En revanche, le douaire du second lit doit fournir la légitime des enfants du premier lit1004. Pourtant, ce choix vient aussi de l’assimilation de toute protection des enfants à la légitime. Ainsi, Claude de Ferrière nous dit qu’il y a deux espèces de légitimes au profit des enfants, le douaire et la légitime. Les enfants qui s’en tiennent au douaire ne peuvent demander leur légitime ou son supplément et vice-versa, « parce qu’on ne peut pas avoir deux légitimes »1005. Cela annonce déjà l’influence de la légitime sur les institutions coutumières, qu’on abordera dans le paragraphe suivant1006. Le choix entre la réserve et la légitime occupe davantage la réflexion des juristes. Ces deux protections ne sont pas cumulatives. Ainsi, un arrêt du 9 mai 1675 condamne le frère aîné à s’en tenir au testament de son père, contenant des dispositions avantageuses pour ses sœurs. A moins qu’il « n’aime mieux ledit Darcemalle se tenir à sa légitime, ou abandonner ausdites Darcemalle ses sœurs, ses meubles et acquêts, et le tiers des propres dudit défunt Jacques Darcemalle, pere des parties : ce qu’il sera tenu opter dans un mois après la signification du présent arrêt à la personne ou domicile de son procureur »1007. S’il refuse le testament du père, il doit opter entre la légitime ou la réserve des deux tiers des propres, prévue par la coutume1008. L’arrêt est rendu en la coutume d’Anjou. Cependant, le non-cumul ne veut pas dire que ces garanties soient totalement exclusives l’une de l’autre. Si la réserve n’est pas suffisante pour fournir la valeur de la légitime, les enfants peuvent en demander le supplément, mais en retranchant la part des biens qu’ils ont déjà reçus par leur réserve1009. C’est logique, puisque la légitime vient renforcer la réserve. C’est donc d’abord la réserve qui doit être invoquée par les enfants, et la légitime ne le sera qu’à titre subsidiaire, quand la réserve s’avère insuffisante. Ricard affirme clairement qu’il faut absorber d’abord la légitime coutumière, c'est-à-dire la réserve, avant de toucher à la légitime de droit. La raison est simple : il faut d’abord toucher aux biens existants et aux dispositions testamentaires avant de toucher aux donations entre vifs, qui ne font plus partie de la succession, mais sont néanmoins sujettes à la légitime1010. Claude de Ferrière semble laisser une plus 1004

Cf. les arrêtés de Guillaume de Lamoignon, qui conservent la jurisprudence des arrêts précités. Guillaume de LAMOIGNON, Recueil d’Arrêtés, op. cit., des douaires, art. XII et XIII, p. 306. Dans le sens favorable à prendre la légitime des enfants du premier mariage sur le douaire de ceux du second, voir Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation..., op. cit., 1714, tome III, glose sur l’art. 253, n. 11, p. 811. 1005 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 12, p. 440. Dans l’édition de 1714, il ajoute une précision qu’on abordera dans le paragraphe suivant. 1006 À propos de l’influence de la légitime sur le douaire, cf. infra, § 2, B de cette section. 1007 Arrêt du 9 mai 1675, rapporté par François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre II, p. 99. Cet arrêt a été cité en parlant du droit d’aînesse, cf. supra, § 1, A, 2 a) de cette section. 1008 Dans les coutumes qui ne parlent pas de la légitime, le choix entre la légitime et la réserve peut être parfois faussé, car la jurisprudence peut identifier la quotité de la légitime à celle prévue pour la réserve. Dans ce cas, il y a plutôt confusion entre les deux institutions. Ainsi, on voit un avocat affirmer que « le partage, l’option ou la légitime ne peuvent avoir autre objet que les propres », lors d’une plaidoirie en faveur du légataire universel dans l’affaire Mesnard, du 16 juillet 1682, jugée en la coutume de Poitou. Rapporté au Journal des Audiences par François JAMET DE LA GUESSIÈRE, éd. de 1733, tome III, livre IV, chapitre 29, p. 273. 1009 Cf. François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit.,1770, tome II, Partie III, chapitre I, § 7, p. 316. 1010 « Mais il faut considerer que nous n’admettons dans nos coutumes la légitime de Droit que par forme de supplément de la légitime coutumière, qui consiste en une certaine portion que la Loy du païs reserve

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grande liberté au choix entre la réserve et la légitime, mais seulement dans les cas où les parents auraient disposé au-delà du quint des propres en faveur des étrangers1011. La hiérarchie entre la réserve et la légitime manifeste une évolution de la finalité de la réserve. Alors qu’à l’origine elle protège l’intérêt familial, l’introduction de la légitime conduit la réserve à se centrer petit à petit sur l’intérêt de l’enfant. La réserve a toujours la place principale, car la légitime ne se demande qu’à titre subsidiaire. Néanmoins, c’est bien la légitime qui permet de fixer le caractère insuffisant de la réserve, dans le but d’éviter que les enfants se trouvent déshérités. Jusqu’à présent, on a vu comment la légitime s’adaptait à la réserve et à la logique coutumière. Mais, dans la hiérarchie des actions dont dispose l’enfant, il y a déjà un rapprochement qui se fait dans l’autre sens. La réserve tend à s’identifier à la finalité de la légitime, ce qui a pour conséquence de donner priorité au résultat qu’on veut obtenir : la protection de l’enfant, de chaque enfant, c’est-à-dire de veiller aux droits individuels et non plus au droit du lignage dans son ensemble. Le moyen –réserve ou légitime– se déplace insensiblement vers un second plan, ce qui ne sera pas sans incidence sur la réserve. On y reviendra. Pour l’heure, on se place dans l’hypothèse où l’enfant choisit de demander la délivrance de la légitime et que la succession n’a pas de biens suffisants pour la lui fournir, alors que le de cujus a fait des donations. Dans ce cas, il faut examiner quels donataires doivent contribuer à la légitime. b) La contribution des donataires à la légitime La légitime est une dette de la succession et elle doit être acquittée par les héritiers ou ceux qui prennent leur place. Pour cela, si la succession n’a pas de biens suffisants pour la fournir, l’héritier doit retrancher les dispositions testamentaires dans l’ordre suivant : d’abord le legs universel, ensuite les legs particuliers, puis les legs pieux, enfin, la récompense des serviteurs1012. Si tout cela n’est pas suffisant, alors il faut se retourner vers les donations entre vifs. Lesquelles ? C’est ici que les débats sont les plus passionnés, appuyés sur une jurisprudence apparemment contradictoire. L’égalité entre les enfants plaide en faveur de la contribution de tous les donataires au prorata de leur don, sachant que, dans la plupart des cas, les donataires sont les autres enfants du de cujus. Mais, par ailleurs, « la contribution des derniers donataires se fonde sur le fait que ce sont [les dernières donations] qui ont absorbé la légitime, que les premières n’avaient pas entamée »1013. Elle s’accorde davantage à la nature de la donation, qui est irrévocable, et préserve aussi la sécurité

aux héritiers du sang dans les propres, ou même sur les autres biens dont elle ne souffre pas que les particuliers puissent disposer par testament, et même quelques-uns par donation entre-vifs. Car si dans ce premier retranchement, par lequel la coutume a pourvu aux enfants, ils se trouvent remplis de ce qu’ils pouvoient prétendre pour la légitime, c’est sans fondement qu’ils auroient recours à une action extraordinaire et à la querelle d’inofficiosité : les enfans ne pouvant se servir de cette voye, que jusques à la concurrence de ce qui leur manque dans la premiere, puisque celle-la n’est que subsidiaire à celle-cy », Jean-Marie Ricard, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, sect. 9, n. 1117, p. 663664. Cf. dans le même sens, et citant Ricard, François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome II, partie III, chapitre I, § 7, p. 316. 1011 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 17, p. 307. 1012 Cf. ibidem, tome IV, glose 4, p. 349. 1013 Cf. Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, op.cit., p. 292.

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juridique1014. Des arrêts sur cette question jalonnent la deuxième moitié du XVIIe siècle, entre 1642 et 1697. Le premier arrêt important en la matière, rapporté par plusieurs auteurs, est l’arrêt Saint Vaast, du 3 décembre 1642, jugé à la chambre de l’Edit1015. Jacques de Saint Vaast, notaire, eut quatre enfants. Trois d’entre eux avaient été dotés. La dernière fille, Marie, avait renoncé à la succession de ses parents à cause du nombre des créanciers qui avaient fait vendre les biens par décret. Elle s’était opposée aux criées en tant que légataire de sa mère et en tant que douairière dans l’espoir d’obtenir quelque avantage et d’éviter d’avoir à se retourner contre ses frères et sœurs pour leur demander la légitime. Elle n’avait obtenu que la somme de 226 livres, ce qui correspondait au quart du douaire préfix de sa mère. Elle fut donc contrainte d’assigner ses frères et sœurs au Châtelet pour qu’ils lui fournissent la légitime sur les biens reçus en don lors de leur mariage. En effet, les trois avaient renoncé à la succession pour s’en tenir à leur don, en vertu de l’article 307 de la coutume de Paris1016. Elle offrait de déduire la somme qui lui avait été adjugée pour la part du douaire. Elle soutenait que l’article 307 dispense les enfants donataires de payer les dettes des créanciers étrangers, mais seulement s’ils s’acquittent des créanciers de la nature, c'est-à-dire les autres enfants. Après avoir renoncé à la succession et avant de demander la légitime, elle avait pris la précaution d’être restituée contre la renonciation à la succession de ses père et mère, et de se porter héritière sous bénéfice d’inventaire. Il y a plusieurs points de droit intéressants dans cet arrêt. D’abord, la confirmation du besoin de se porter héritier pour bénéficier de la légitime, « cessant laquelle qualité, on ne peut prétendre la légitime ». Ensuite, le problème des relations avec les créanciers de la succession, car en sa qualité d’héritière, il semblait que ses biens devaient être absorbés par les créanciers de la succession. « Mais il fut préjugé que la masse des deniers et biens sur lesquels elle demandoit et devoit prendre sa legitime, ayant été une fois affranchie des creanciers, pour s’être ses sœurs tenues à leurs dons, et renoncé à la succession ils n’y pouvoient plus rien prétendre ». 1014

« Mais quand tous les biens du deffunt ne sont point suffisants pour founir la légitime, on s’adresse aux donataires entre vifs : et comme il y a priorité et postériorité entr’eux, et que les premiers donataires entre-vifs ont un droit acquis par un titre dont l’essence est d’être irrévocable, et dont l’irrévocabilité intéresse le public pour la sûreté et la liberté du commerce ; ce sont les derniers donataires entre vifs, en faveur desquels le defunt a donné au-delà de ce que la Loi lui permettait de donner, à fournir la légitime aux enfants, et comme ce sont eux qui sont censés la leur avoir enlevée, ce sont eux-mêmes qui la leur doivent restituer », Laurens FEUGRAY , Dissertation sommaire sur la légitime, où l’on justifie l’un et l’autre des préjugés des Arrests de Vedeau et de Faverolles, chacun dans leur espèce, Paris, 1695, p. 10. 1015 Jean DUFRESNE , Journal des Audiences, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 317-325. Rapporté également par Lucien SOEFVE, de manière beaucoup plus succinte, sans citer les noms des parties. Cf. Lucien SOEFVE, op. cit., tome I, centurie I, chapitre 56, p. 55, par Barthélemy-Joseph BRETONNIER, op. cit., Paris, 1772, tome IV, livre I, chapitre 4, p. 484. Claude de FERRIÈRE rapporte in extenso les conclusions de l’avocat général, Corps et compilation…, op. cit., 1685, livre III, glose 1 sur l’article 298, n. 54, p. 446-450, éd. 1714, tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 22, p. 338-340. Il est cité aussi par Laurent JOVET, La bibliothèque des arrests de tous les Parlements de France, Paris, 1669, vol. 1, lettre L, légitime, n. 10, p. 426. 1016 Geneviève avait reçu douze mille livres lors de son mariage en 1619. Charles-François avait reçu la même somme pour son mariage en 1622, qu’il employa dans l’achat de sa charge de notaire au Châtelet. Renée, mariée en 1627, avait reçu la même somme en partie en deniers et en partie en une ferme. Les parents moururent en 1637.

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Ces deux aspects ne soulevant pas grande difficulté, bien que la défense les ait avancés dans sa plaidoirie, la question de droit importante était celle de savoir si une fille, qui a renoncé à la succession de ses père et mère à cause des dettes dont elle était grevée, peut demander à ses frères et sœurs dotés de lui fournir la légitime sur les biens reçus pour leur mariage de leurs auteurs communs. En d’autres termes, comme le formule Maître Bricquet, procureur du roi dans cette affaire, « si les gendres ou les enfans qui ont eu des donations en faveur de mariage, sont tenus de fournir ou suppléer la légitime aux autres enfans qui n’ont rien touché des successions de leur pere et mere, ou moins qu’il ne leur appartenoit par la Coutume »1017. Dans ses conclusions, il commence par donner les raisons qui justifient de ne pas toucher aux donations : la sécurité des familles et des conventions matrimoniales. Puis il analyse l’esprit de la coutume de Paris, surtout les articles 303 à 307, qui sont « le droit particulier que la coutume a établi entre les enfants ». Et il affirme : « La disposition de ces articles montre que l’esprit de la coutume est de viser principalement l’égalité entre les enfants, et tout au moins à leur conserver la légitime ». L’égalité se manifeste dans l’interdiction d’avantager un enfant plus que les autres et par l’obligation du rapport. Cependant, pour ne pas enlever aux pères la liberté de disposer, « la coutume permet aux enfans de se tenir aux donations qui leur ont été faites ; mais à deux conditions, de renonciation à la succession, et que la légitime soit reservée aux autres enfants »1018. Pour lui, la conservation de la légitime est aussi nécessaire que la renonciation à la succession pour pouvoir se tenir à son don. « La coutume a suivi les justes mouvements de la nature, et a consideré que sans être père dénaturé, on ne pouvait ni entre vifs ni par testament priver ses enfants de la légitime, pour laisser tout son bien aux autres, et diminuer cette petite portion qui leur est si nécessairement attribuée ». Si les termes précis de l’article 307 ne suffisaient pas, c’est à la lumière de l’article 17 sur le droit d’aînesse qu’il doit être interprété. La légitime « est une dette nécessaire et favorable, qui ne peut être ôtée par les peres mêmes, sinon en matière d’exheredation et pour juste cause, et encore sont-elles d’ordinaire peu favorables ». La Cour suivit les conclusions du procureur général du roi et ordonna que les autres enfants délivrent la légitime à leur sœur, à proportion de ce que chacun avait reçu en don pour son mariage. En réalité, l’arrêt était centré sur l’application de l’article 307 ; les donataires contestaient qu’ils aient à fournir la légitime, mais n’envisageaient pas la question de savoir si seule la dernière donation était concernée. L’arrêt Saint Vaast affirme que l’obligation de délivrer la légitime pèse sur tout enfant renonçant à la succession de ses père et mère pour s’en tenir à son don. C’est plus tard, quand ce principe ne sera plus remis en cause, que les donataires tenteront de limiter la contribution seulement à la dernière donation. Le 14 mars 1675 est intervenu l’arrêt Faverolles1019. Monsieur Faverolles avait des affaires prospères et une famille nombreuse, de huit enfants. Il en avait 1017

Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 321. Ibidem, p. 323. 1019 Cf. François JAMET DE LA G UESSIÈRE , Journal des Audiences, éd. 1733, tome III, livre II, p. 79. Rapporté aussi dans l’édition de 1678, tome III, livre IX, p. 695-697. Arrêt rapporté plus succinctement par Lucien S OEFVE , op. cit., tome II, centurie IV, chapitre 88, p. 463. Il se trouve aussi, avec de longs extraits des plaidoiries des parties dans le Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 635-643. Il est également résumé par Barthélemy-Joseph BRETONNIER , Œuvres de M. Claude Henrys, Paris, 1772, 1018

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marié six, leur donnant 55 000 livres. Vers la fin de sa vie, il subit un revers de fortune, de telle manière qu’à sa mort, la succession était chargée de dettes. Les deux enfants qui n’avaient rien reçu de leur père, demandèrent leur légitime. Une sentence des Requêtes du Palais ordonna « qu’elle serait prise sur tous les donataires à proportion ». Les premiers donataires firent appel, alléguant que c’était les dernières donations qui devaient fournir la légitime. Leur avocat était Maître Ricard fils. L’argument avancé était que « les biens ne se trouvans épuisés que par les dernières donations, sans lesquelles il n’y eust pas eu lieu à la querelle d’inofficiosité, il falloit que la legitime se prist sur les derniers donataires ». Les intimés, de leur côté, soutenaient que la légitime des deux derniers enfants devait être payée par toutes les donations, parce que « les uns et les autres étoient obligez également de remplir la légitime des enfans qui ne trouvoient pas de quoi dans la succession du pere ». Ils invoquaient à leur avantage la décision de l’arrêt Saint Vaast, qui fait contribuer tous les enfants donataires à la légitime de Marie de Saint Vaast. L’avocat général était Lamoignon. Il rappela que la légitime avait été introduite d’abord pour éviter les abus des dons excessifs faits à des étrangers au détriment des enfants du de cujus, l’action ayant été par la suite élargie aux donations. Mais il fit une différence entre les donataires étrangers et les enfants donataires : « Les légitimaires avaient leur action contre les donataires, soit qu’ils fussent enfans ou estrangers ; entre lesquels pourtant il y avoit cette difference, qu’à l’égard des étrangers les premiers donataires doivent estre garantis par les derniers, quoy que les uns et les autres de Droit fussent obligez de supléer la légitime ». D’après lui, l’affaire devait être résolue au regard des articles 298 et 307 de la coutume de Paris, et « l’esprit de la même coutume estoit de garder l’égalité entre les enfants autant qu’il se pouvoit ; à quoy on pouvait ajouter que l’esprit particulier du testateur, qui de la manière qu’il avait partagé ses autres enfans, qu’il avoit mariés, n’ayans pas donné à l’un plus qu’à l’autre semblait avoir voulu garder la même égalité, mais que les evenements ou ceux de la fortune avoient renversé ses desseins, et détruit ses espérances »1020. La Cour, « incertaine si c’était les premières donations ou les dernières, ou toutes ensemble, ou la conjoncture et le malheur des temps, qui avait attiré un tel desordre dans la fortune du père »1021, suivit les conclusions de l’avocat général et ordonna que la légitime soit payée par tous les donataires. Ceci « nonobstant que les appellans eussent fait courir une consultation de vingt-quatre avocats, imprimée, laquelle fut desavouée par la plupart des mieux sensés, qui témoignerent avant (sic) l’arrêt, n’avoir pu être de l’opinion contraire audit arrêt »1022. La solution retenue par l’arrêt Faverolles fut renversée par l’arrêt Veideau, rendu le 19 mars 16881023. Monsieur Veideau, conseiller en la Cour, était décédé en 1658, laissant sept enfants, quatre fils et trois filles. Entre 1660 et 1678, la veuve tome IV, livre I, chapitre 4, p. 484, et cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 35, p. 351. 1020 Cf. François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, 1678, tome III, livre IX, p. 696. 1021 Cf. Laurens FEUGRAY, op. cit., p. 16-17. 1022 Barthélemy-Joseph BRETONNIER, op. cit., tome IV, livre I, chapitre 4, p. 484. 1023 Arrêt du 19 mars 1688, rapporté par Nicolas N UPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 3, chapitre 5, p. 78-82. Il est également rapporté, plus succinctement, par Claude BLONDEAU et Gabriel G UERET , Journal du Palais, 1701, tome II, p. 722. Cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, glose 4 sur l’article 298, n. 36, p. 353.

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maria son fils aîné et deux de ses filles : Anne, qui épousa Monsieur Aubry, et Françoise, qui épousa Monsieur Le Bret. Elle fit des donations importantes à chaque fois. Lors du mariage de Françoise Veideau, sa mère lui promit 70 000 livres sur sa succession future, outre ce qui lui appartiendrait dans la succession de son père. Le frère aîné signa le contrat de mariage de sa sœur, « sans que sa signature pût nuire ni prejudicier à sa donation et droit d’aînesse ». Monsieur Aubry et sa femme ne voulurent point signer le contrat de mariage. La mère resta toujours avec sa fille Françoise et son gendre Monsieur Le Bret. Elle décéda en 1685. A sa mort, il ne restait plus que cinq enfants en vie, dont les trois donataires. Les trois enfants mariés choisirent de s’en tenir à leur don, alors que les deux derniers enfants leur demandaient leur légitime. La demande de légitime fut faite devant le Châtelet, puis la cause renvoyée aux Requêtes. Les parties proposèrent de renvoyer à un arbitrage, et ce dernier conclut que le dernier donataire, Monsieur Le Bret, devait fournir la légitime aux autres. Monsieur Le Bret interjeta appel contre la sentence arbitrale, mais on lui répondit que la « sentence étoit conforme à la disposition du droit, aux sentiments des jurisconsultes anciens et modernes, à la coutume de Paris, à l’esprit du droit coutumier, et à la disposition des Arrêts de ce Parlement et des autres du Royaume »1024. On tenait compte des circonstances particulières à l’espèce car, si Madame Veideau n’avait pas fait la dernière donation à Monsieur Le Bret, il y aurait eu largement de quoi fournir la légitime aux deux derniers enfants dans la succession de feu Monsieur Veideau. En outre, même après avoir délivré la légitime aux enfants demandeurs, il restait à Madame et Monsieur Le Bret une somme supérieure à la légitime de Madame Le Bret. L’arrêt confirma la sentence arbitrale et Monsieur Le Bret, dernier donataire, fut condamné à fournir la légitime aux demandeurs. Ce revirement de jurisprudence était déjà annoncé par une sentence des Requêtes du Palais, intervenue le 17 mars 1683, soit cinq ans avant l’arrêt Veideau. Jean Tamponet et Jeanne Geuse, sa femme, avaient cinq enfants : Marie, Jeanne, Catherine, Ursulle et Antoine. Ursulle avait été mariée par ses père et mère, comme ses sœurs, et on lui avait promis 10 000 livres de dot, dont elle n’avait touché que 1 461 livres. Cela l’obligea à demander la légitime à son frère et à ses sœurs. Catherine, la dernière à avoir été mariée par les parents, fut condamnée à fournir la légitime à Ursulle. Sa demande contre ses sœurs Jeanne et Marie, mariées et dotées avant elle, ne fut pas accueillie. Comment expliquer ce changement dans les critères des parlementaires ? Les polémiques les plus abondantes au sujet de la légitime concernent précisément cette question de la contribution de tous ou d’un seul donataire. En témoigne l’importance qu’accorde le Journal des Audiences aux mémoires existant sur ce point, et qu’il publie largement1025. Ces différents mémoires sont partisans de l’une ou l’autre jurisprudence. Le Journal des Audiences recueille trois longs mémoires en faveur de la contribution de tous les enfants donataires1026. Ils avancent nombre d’arguments tirés du droit romain, des coutumes, de l’opinion des juristes ; mais la principale raison avancée est l’équité qui semble demander l’égalité entre les enfants. « On accuse [la loi] de n’avoir pas décidé un cas aussi ordinaire, quoiqu’elle l’ait prévu et, sous prétexte d’une obscurité apparente, les premiers donataires ont trouvé des défenseurs dont l’érudition profonde par des efforts extraordinaires [a fait 1024

Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 3, chapitre 5, p. 79. Dans l’édition de 1733, tome IV, ces mémoires occupent les pages 665 à 721 du volume in-folio. 1026 Cf. ibidem, p. 665-690 et 716-720. 1025

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croire au public] qu’on pouvoit regarder cette question comme un problème, dans lequel il est permis, faute de maximes certaines, de choisir tel parti qu’on veut. Il ne faut donc pas s’étonner aujourd’hui si les Cours Souveraines se trouvent partagées entre les sentiments de la nature et de l’équité, et l’observation scrupuleuse de ces maximes de rigueur, qui n’ont lieu qu’à l’égard des dettes ordinaires entre des étrangers »1027. Deux autres mémoires sont favorables à la contribution du dernier donataire, n’appelant les autres donataires que si la légitime n’est pas entièrement fournie par la dernière donation1028. Ils sont suivis d’une consultation signée par Renusson1029, toujours favorable à la distraction par ordre de donations, en commençant par la dernière. En réalité, dans ces mémoires, on retrouve les mêmes arguments, car ils réagissent tous aux objections de l’opinion contraire. Si les mémoires précédents insistaient sur l’équité, le point principal invoqué par les tenants de cette nouvelle jurisprudence est la sécurité juridique et la protection du mariage. En effet, les contrats de mariage, disent-ils, sont passés en tenant compte des donations qui ont été faites. Certains essayent d’accorder les deux positions, comme Laurens Feugray. Dans son mémoire, il affirme que la contradiction des arrêts est due à la spécificité des circonstances de chaque affaire1030. Le commentaire de Claude Blondeau et Gabriel Guéret au Journal du Palais semble partager cette opinion : « toute la différence qu’on peut observer dans le fait de ces deux Arrests, est que dans l’espece de l’arrest de Faverole, le père avoit témoigné par plusieurs actes […] qu’il vouloit égaler [ses enfants]. Mais dans l’espèce de l’arrest rendu pour la succession de la Dame Veydeau, on n’a point reconnu que cette mere eût eu particulièrement en vue d’égaler ses enfans dans les donations qu’elle leur a faites. Ainsi la décision portée par l’Arrest de Faverolles dépend d’un fait particulier, au lieu que dans l’espèce du dernier arrest la question de droit estoit toute entiere, et aussi a-t-elle été jugée par les maximes ordinaires du droit »1031. Comme l’affirme l’avocat Nicolas Nupied dans le Journal des Audiences, « cette question s’est trouvée difficile, soit dans les maximes du droit écrit, ou des coutumes. Les Docteurs ont été de différents avis et la jurisprudence des arrêts ne s’est pas trouvée uniforme sur ce point. Les uns ont jugé que les donataires devoient fournir la légitime à la décharge des premiers ; les autres que toutes les donations faites en ligne directe n’étant que des avancements d’hoirie, et des successions anticipées, les donataires devoient contribuer à la légitime, à proportion d’émolument. […] On auroit souhaité que Messieurs du

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Discours en faveur de la contribution de tous les donataires à la légitime, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 12, chapitre 3, p. 665. 1028 Ils se trouvent au Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 12, chapitre 3, p. 690-711. 1029 Elle date du 22 mars 1694, cf. ibidem, p. 711-714. 1030 « Ne peut-on pas dire plus véritablement que rien n’est plus juste que le premier de ces arrêts qui a été cité [arrêt Veideau], qui conserve les droits acquis irrévocablement aux premiers donataires, et qui maintient les bornes établies par la Loi, au-delà desquelles il n’est pas permis de disposer ? Rien de plus équitable que le second de ces arrêts [Faverolles], qui dans une matière qui est toute fondée sur les Droits de la Nature, juge que tous les enfants doivent prendre part dans le malheur inopiné et sincère des affaires de leur père commun. Et que les derniers donataires qui soulagent les premiers en diminuant le nombre de légitimes, en doivent aussi être soulagés par la contribution. Trop heureux les uns et les autres d’avoir tiré une subsistance de leur père, sur laquelle ses créanciers ne pouvaient mettre la main. Periculosa est in jure definitio », Laurens FEUGRAY, op. cit., p. 20-21. Cette dissertation est également recueillie dans le Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 12, chapitre 3, p. 715-716. 1031 Cf. Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, 1701, tome II, p. 722.

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Parlement en eussent fait un Reglement, et que le Roy sur leur avis en eût fait une Loy »1032. Deux autres arrêts sont encore intervenus sur le même sujet. Le premier, le 5 février 1695. Estienne du May et Suzanne Bobusse avaient laissé trois enfants. Ils avaient marié les deux filles aînées à Monsieur Henry Droüet et à Monsieur Pierre Parson respectivement. Il restait un fils, Charles, qui ne trouvait pas dans la succession de ses parents de quoi égaler les dots de ses sœurs, ni même de quoi avoir sa légitime. Il se retourna contre ses deux sœurs, pour leur demander le rapport de leurs dots, du moins jusqu’à concurrence de sa légitime. La sœur aînée, première donataire, et son mari dénoncèrent cette demande, estimant que seule la deuxième donation entamait la légitime. Intervint une sentence du Châtelet du 7 juin 1692, condamnant les derniers donataires à fournir la légitime au frère cadet, sauf à se retourner contre les premiers donataires s’ils ne se trouvaient plus remplis de leur propre légitime. Pierre et Paule-Angélique Parson, derniers donataires, firent appel de cette sentence. L’arrêt confirme la sentence du Châtelet « et a jugé que les légitimaires devoient discuter le second donataire avant le premier »1033. Le deuxième arrêt date du 16 juin 1697. La Cour se prononce en faveur des premiers donataires et ordonne que la légitime sera fournie par le dernier donataire1034. Malgré cette jurisprudence établie, la question reste tout de même délicate, puisque le 26 avril 1706 la Cour appointe encore les parties dans une affaire concernant la contribution à la légitime de la dernière fille donataire. En l’espèce, il s’agissait d’une fille qui avait renoncé à la succession de son père pour s’en tenir à la dot reçue lors de son mariage. Les deux frères restants demandent leur légitime, mais le frère aîné estime que c’est sa sœur, dernière donataire, qui doit la fournir. Une première sentence est rendue dans ce sens, dont la sœur fait appel. La Cour appointe les parties au conseil, mais les conclusions de l’avocat général allaient dans le sens de la jurisprudence établie : c’est le dernier donataire qui doit contribuer à la légitime des autres frères et sœurs, sa propre légitime étant sauvegardée1035. Malgré tout, c’est le retranchement successif des donations, en commençant par la dernière, qui finit par s’imposer comme règle : « L’usage est maintenant établi que la légitime se répète contre le dernier donataire qui, s’il n’est pas rempli de la 1032 Nicolas NUPIED, introduction à l'arrêt du 5 février 1695, Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 10, chapitre 2, p. 544. 1033 Ibidem, p. 548. Cet arrêt du 5 février 1695 est également rapporté par Barthélemy-Joseph BRETONNIER, Œuvres de M. Claude Henrys, Paris, 1772, tome III, livre 6, question 42, p. 875, et cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, glose 4 sur l’article 298, n. 36, p. 353. 1034 Il est rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, 1733, tome IV, livre 12, chapitre 3, p. 720721, et cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, glose 4 sur l’article 298, n. 36, p. 353. Sur cette affaire, Maître Blondeau, avocat, avait rédigé un factum, antérieur à l’arrêt, puisqu’il date de 1690. Il était destiné à présenter les raisons en faveur de la contribution de tous les enfants donataires à la légitime. Un exemplaire, « Factum Louis Pidou », se trouve à la Bibliothèque Nationale, sous la cote Fol FM 13472. 1035 Arrêt du 26 avril 1706, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre 6, chapitre 12, p. 619-625. Cf. également Barthélemy-Joseph BRETONNIER, op. cit., tome III, p. 874. Il souligne que « tous les auteurs qui ont écrit sur cette question sont d’avis que les dernières donations doivent être discutées avant que de toucher aux premières », et il cite Choppin, Basmaison, d’Argentré, Ricard, Duplessis, Le Brun. « À l’égard des parlements de droit écrit, la jurisprudence est constante et uniforme pour la discussion des derniers donataires ». Cf. ibidem.

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sienne, procède et rétrograde contre le précédent »1036. Guillaume de Lamoignon, dans son projet de code publié de manière posthume en 1702, reprend également cet ordre de contribution, qui ne fait plus de doute1037. L’ordonnance de 1731 sur les donations confirmera cette jurisprudence dans son article 341038. Une dernière question se pose, cependant, dans le cas où le dernier donataire a dissipé les biens reçus. Certains pensent que le légitimaire ne peut pas se retourner contre les autres donataires. Pothier trouve cette attitude injuste et estime que l’insolvabilité ne doit pas être supportée par le légitimaire1039. La donation n’est retranchée qu’à hauteur de la légitime, restant valable pour le surplus. Ainsi le rappelle l’avocat général Talon, dans une affaire bien plus ancienne, datant de 1639. En l’espèce, l’avocat de la demanderesse plaidait pour la révocation de toute la donation1040.

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Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 2. Voir dans ce sens Discours sur la détraction de la légitime, entre les enfants. Par lequel il est montré, qu’à l’égard des donations entre vifs, les enfants légitimaires doivent discuter les dernières de ces donations, et en retrancher ce qu’elles contiennent d’inofficieux avant de pouvoir toucher aux précédentes, par MARAIS, Paris, 1703. 1037 Art. VIII : « Si les biens dont le défunt n’a point disposé ne sont pas suffisants pour remplir la légitime, elle se prendra premièrement sur les dispositions testamentaires, et successivement sur les donations entre vifs, à commencer par les dernières avant de toucher aux précédentes ». Art. IX : « Pour payement de la légitime, le legs universel sera épuisé avant que de venir aux legs de quotité, et les legs de quotité seront épuisés avant que de venir aux legs particuliers, lesquels seront aussi épuisés avant que de venir aux legs pieux et aux récompenses des serviteurs », Guillaume de LAMOIGNON, Recueil d’Arrêtés, op. cit., titre de la légitime, p. 428. 1038 « Si les biens que le donateur aura laissés en mourant, sans en avoir disposé, ou sans l’avoir fait autrement que par des dispositions de dernière volonté, ne suffisent pas pour fournir la légitime des enfants, eu égard à la totalité des biens compris dans les donations entre-vifs par lui faites, et de ceux qui n’y sont pas renfermés ; ladite légitime sera prise premièrement sur la dernière donation, et subsidiairement sur les autres, en remontant des dernières aux premières : et en cas qu’un ou plusieurs des donataires soient du nombre des enfants du donateur, qui auroient eu droit de demander leur légitime sans la donation qui leur a été faite, ils retiendront les biens à eux donnés, jusqu’à concurrence de la valeur de leur légitime, et ils ne seront tenus de la légitime des autres que pour l’excédent », Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, I SAMBERT , DECRUSY et TAILLANDIER, Paris, 1830, tome XXI, p. 351. 1039 « Le sentiment contraire [pouvoir faire appel aux autres donataires] me paraît beaucoup plus équitable. […] Le légitimaire ne pouvant plus trouver [la légitime] dans ce qui a été donné en dernier lieu, par la dissipation qu’en a faite le donataire, et par son insolvabilité, dès lors les donations antérieures se trouvent donner atteinte à la légitime, de même qu’elles y donneraient atteinte, si le donateur eût dissipé lui-même ce qu’il a donné en dernier lieu ; car peu importe, à l’égard du légitimaire, que ce soit un dernier donataire, ou le donateur lui-même qui l’ait dissipé », Robert-Joseph POTHIER , Œuvres posthumes, 3e éd., Orléans-Paris, 1778, tome VI, section III, art. V, § 5, p. 208-209. Pothier prend la précaution de préciser que le montant de la donation dissipée ne sera pas compté dans la masse de calcul de la légitime, comme on n’aurait pas compté ce que le donateur lui-même aurait dissipé. Cf. ibidem. 1040 Cet arrêt a été cité à propos du droit commun de la légitime, cf. supra, partie II, chapitre I, section I, § 2, B 2). Voici à présent le détail. Les parents d’une fille unique, Geneviève Martin, font don de tous leurs biens à leur petite-fille Catherine Moreau. Le motif de cet acte est que leur fille veuve a épousé en secondes noces un jeune avocat, à qui elle a fait don de tous ses biens. Les parents, craignant que leurs biens aillent à une autre famille, font donation à leur petite-fille. L’avocat de Geneviève invoque l’inofficiosité de la donation, et affirme qu’elle doit être révoquée pour le tout, et pas seulement pour la légitime. L’avocat général Talon affirme pour sa part qu’il « est certain que la querelle d’inofficiosité telle qu’elle puisse estre, se réduit à la seule légitime, et n’annulle jamais la donation pour le tout ». Les conclusions de l’avocat général vont dans le sens d’accorder la légitime à Geneviève Martin, en pleine propriété et non en simple usufruit. Les parties ont été appointées : la question à résoudre était si la légitime allait se calculer selon le droit écrit ou selon la coutume de Paris. L’affaire concernait la coutume de Sens. Cf. arrêt du 21 juin 1639, rapporté par Pierre B ARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre VIII, chapitre 27, p. 535-538. La citation se trouve p. 537.

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Reste à savoir si les légitimaires ont une action contre le tiers détenteur à qui l’enfant donataire aurait cédé son bien. D’après Claude de Ferrière, il semble que les légitimaires n’aient pas d’action contre le tiers acquéreur d’un bien, puisque la demande de la légitime n’a lieu que contre les enfants avantagés. Mais sa position est un peu ambiguë, car il partage le sentiment de Ricard, selon lequel le droit de légitime des enfants remonte au jour de la donation faite par le père, laquelle n’a pu être faite que sous condition de réserver la légitime aux autres enfants : « Ceux qui ont acquis les choses données des donataires ne les ont pu acquerir que sous la mesme condition »1041. En définitive, cela pose le problème de savoir si la légitime doit être fournie en valeur ou en nature, avec des biens de la succession. Il est nécessaire, une fois déterminées les personnes qui doivent contribuer à la légitime, d’aborder cet autre aspect, longuement débattu : la délivrance de la légitime en propriété et en corps héréditaires. 2. La délivrance en propriété et en corps héréditaires L’obligation de laisser la légitime en pleine propriété et en corps héréditaires est une conséquence de la nature de la légitime, pars hereditatis, en pays de coutumes. Mais le principe prévoit un certain nombre d’exceptions (a) et tient également compte des droits des créanciers (b). a) Le principe et ses exceptions Le principe est que la légitime doit être délivrée en propriété et en corps héréditaires1042. Il trouve son fondement dans le droit naturel et civil, dont la 1041 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 81, p. 453. Dans l’édition de 1714, il l’explique ainsi : « Il est vrai que le légitimaire a un droit réel sur les héritages donnés et aliénés par les donataires, mais ce n’est pas un droit de propriété ; la légitime se doit fournir en corps de succession, lesquels se trouvent en la possession des donataires, mais quand ils n’y sont plus, les légitimaires n’ont que l’action contre les donataires pour avoir leur légitime, ou le supplément d’icelle, autrement il s’ensuivrait un inconvénient très grand, à savoir, que les donataires seraient obligés eux-mêmes d’evincer ceux qui auraient acquis d’eux les choses données, pour fournir aux légitimaires leur part dans icelles, ce qu’on ne peut pas dire. Ainsi, quand les héritages donnés ne sont plus possédés par les donataires, les donataires ne peuvent être obligés qu’à fournir la légitime en d’autres biens. Ce sont les donataires qui y sont obligés, et les tiers détenteurs des choses données n’en sont tenus que in subsidium ; il faut donc que la discussion des donataires soit faite préalablement avant que les légitimaires puissent poursuivre les tiers détenteurs, quand l’aliénation a été faite avant le décès du père », Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 3, n. 12, p. 322. Mais il dit par ailleurs que les légitimaires ont droit à l’action révocatoire contre les acquéreurs, parce que leur droit est « dans la chose. C’est un droit de propriété qui remonte au jour du décès du père, de sorte que l’aliénation est annullée comme ayant été faite à un non habentem potestatem », Claude de FERRIÈRE, ibidem, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 3, n. 4, p. 318-319. Voir également Robert-Joseph P OTHIER , op. cit., éd. 1778, tome VI, section III, art. V, § 5, p. 210 : le donataire a ces biens sous condition de la légitime, il ne peut les transférer à des tiers qu’avec la même condition, car il ne peut leur donner plus de droits qu’il n’en a lui-même. 1042 Dumoulin est favorable à la délivrance en corps héréditaires : « Quinto quaero ; retento illo themate, quod si sint quatuor filii, et unica mansio feudalis pro omnibus bonis, in qua posterius geniti debeant habere quadrantem tantum, pro sua legitima, utrum debeant habere in specie, an vero possint cogi a primogenito accipere aestimationem ? Videtur quod debeant habere in specie utpote quum ille quadrans sit vera legitima jure naturae debita, ergo debetur in specie, et in ipso corpore haereditario ». Charles DUMOULIN, Omnia quae extant opera, Editio novissima quinque tomis distributa, auctior et emendatior.

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légitime est issue. De ce fait, le père ne peut y préjudicier. Cela a beaucoup de conséquences. La légitime étant un bénéfice de la loi, et non une libéralité du père, celui-ci ne peut augmenter ou diminuer la quotité de la légitime en la chargeant de legs, de fidéicommis ou par d’autres moyens1043 : elle doit être libre de charges1044 et il n’y a pas de compensation1045. Par ailleurs, le père ne peut pas non plus obliger l’enfant à accepter un type de biens déterminé1046. Duplessis estime, cependant, qu’un accord est possible entre le père et l’enfant légitimaire : « La légitime doit être fournie par les donataires en corps héréditaires et non point seulement en estimation ni deniers, si les légitimaires ne veulent »1047. De même, Claude de Ferrière estime que l’enfant légitimaire doit avoir sa légitime en corps héréditaires, mais que cela « se doit entendre non pas dans la rigueur, mais avec quelque espèce de tempérament et d’équité » : le légitimaire ne peut pas prétendre à une portion dans chaque corps de la succession, ce qui serait au préjudice de tous. Il faut qu’il ait des biens de la succession « selon qu’il se pourra faire plus commodement »1048. Parisiis, 1681, vol. I, p. 255, n. 14. Charondas se prononce également en ce sens. Cf. Louis LE CARON, Responses ou décisions du droict françois…, op. cit., réponse 91, p. 115. 1043 Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 4, p. 296. En même temps, il n’est pas tenu de justifier pourquoi il laisse uniquement la légitime. Il doit seulement avoir une juste cause pour exhéréder un enfant. Cf. ibidem, n. 16, p. 301. Le testament ne peut être alors qualifié d’inofficieux, cf. arrêt du 23 mars 1694, rapporté par Nicolas NUPIED , Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 9, chapitre 9, p. 505-506. Cependant, le père ne doit pas abuser du droit qu’il a de réduire ses enfants à la légitime. Ainsi, un arrêt du 1er septembre 1676 annule le testament d’Antoine Gamot, qui avantageait les enfants du deuxième lit et laissait uniquement la légitime à ceux du premier. « Les motifs de cet arrêt furent, qu’encore que par la Coutume il soit permis aux peres de reduire leurs enfans à la légitime, il faut qu’ils usent de ce pouvoir avec l’esprit de la coutume, qui est un esprit de justice, et non pas de haine et de colère. Ou du moins, pour autoriser une réduction de cette qualité, on ne doit pas connoistre avec quel sentiment le pere l’a voulu faire, il suffit de dire qu’il a eu ses raisons pour en user ainsi. […] [Les parents sont tributaires de la légitime envers leurs enfants] de là vient qu’on les examine de près dans tout les mouvements de leur volontez, et que pour peu que ces mouvemens paroissent injustes, on n’a point égard à leurs dispositions », Jean DUFRESNE, Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 771. Claude de Ferrière admet aussi qu’un testament réduisant le fils à la légitime puisse être cassé si l’enfant prouve que le motif était la haine contre lui. Il cite un arrêt du 13 août 1613 comme ayant été le premier à juger dans ce sens. Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 16, p. 301-302. Voir au même endroit d’autres arrêts suivant cette jurisprudence, dont celui du 1er septembre 1676 précité. En pays de droit écrit, où la liberté de disposition est plus grande, cette jurisprudence n’est pas aussi certaine. 1044 On a considéré que le père qui donne à sa fille des meubles ou une somme de deniers pour lui tenir lieu de légitime peut décider que cette somme ne fera pas partie de la communauté, sans que cela soit considéré une charge pour la légitime, « puisqu’au contraire elle étoit avantageuse à la fille », arrêt du 6 septembre 1678, pour la veuve Boulard d’Orléans, cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 13, p. 300. 1045 Cf. Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chapitre III, p. 204, n. 9. Dans ce sens, même s’il s’agit d’une affaire jugée selon le droit écrit, l’avocat d’une partie avance comme argument que « debetur enim filio legitima sine nullo onere, que cette maxime est constante par la disposition du droit et des coutumes, qui veulent que la légitime des enfants soit franche et exempte de toutes charges », François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des audiences…, op. cit., 1678, tome II, livre V, p. 524. Arrêt du 13 juin 1663, concernant l’exhérédation d’une fille qui avait changé de religion et avait épousé un catholique sans le consentement de son père. Jugé en droit écrit (Xaintes). Cet arrêt est également cité par Laurent JOVET, La bibliothèque des arrests…, op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n. 38, p. 428. 1046 Cf. Claude de FERRIERE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 23, p. 309. 1047 Cf. Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chapitre III, n. 7, p. 204. 1048 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 38, p. 443. Cf. également l’édition de 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 22, p. 309. Dans le même sens, Jean Vigier, commentateur de la Coutume d’Angoumois, estime que les demandes de partage réel, « quoique conformes à la rigueur des règles, ne doivent pas toujours être autorisées, parce qu’elles produisent de grands inconvénients, et que souvent les partageans n’en retirent aucun avantage certain.

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Une exception est consentie en faveur des biens nobles, compte tenu de la spécificité de ce type d’héritages et du droit d’aînesse. Ainsi, on accepte que la légitime soit payée en deniers ou autres effets de la succession, pour éviter le démembrement d’un fief, des marquisats, duchés, comtés et terres de grande dignité1049. En dehors de ces cas, la question s’est posée, cependant, de savoir s’il était possible de laisser la légitime en usufruit et non en pleine propriété, ainsi que de faire une substitution au profit des petits-enfants. Cela concerne les situations où le père a des enfants prodigues, qui dilapident la fortune et risquent de laisser les petits-enfants sans aucun bien provenant de leur aïeul. La jurisprudence admet que le père puisse laisser la légitime en usufruit quand il y a des raisons objectives de craindre une mauvaise gestion, parce que la mauvaise conduite du fils est avérée. Mais on refuse d’accepter une substitution au motif d’une simple crainte. « La Cour par ses arrêts a fait distinction entre les enfants mauvais ménagers et dissipateurs ; à l’égard des premiers, elle a approuvé la juste prévoyance des pères et mères envers leurs enfants, et leur ont permis de substituer jusqu’à la légitime, tant pour ne pas donner lieu à des créanciers de prêter à des enfants prodigues, et leur donner l’occasion de dissiper leurs biens avant qu’ils ne leur soient échus ; que pour conserver leurs biens à leurs descendants. […] Quand à la substitution faite des enfants qui ne sont pas accusés de mauvaise conduite, elle n’est pas favorable, fondée le plus souvent sur des craintes imaginaires, qui se trouvent souvent peu raisonnables »1050. La jurisprudence est assez stable dans le choix de ce critère. Parfois c’est l’équilibre des avantages qui fait accepter le testament de l’aïeul. Ainsi par exemple, Jean Loret, procureur au Châtelet de Paris, teste en faveur des enfants de son petit-fils et, par un codicille, laisse à son petit-fils dissipateur l’usufruit de tous ses biens. L’avocat général Bignon conclut en disant qu’il est vrai « que l’appellant pouvoit pretendre sa legitime exempte de toutes charges, même de l’usufruit ; mais en ce cas il n’eût eu que sa simple légitime avec l’usufruit, et non point l’usufruit de tous les biens de son ayeul, ainsi que luy donnent le testament et

On ne doit pas favoriser l’opiniâtreté d’un cohéritier, lorsqu’il n’a aucun intérêt réel dans un partage effectif, et qu’il ne le demande que dans la vue de chagriner le donataire ou l’héritier institué. Les partages par pièces diminuent l’intégrité des fonds, la jouissance en devient incommode et les revenus moins considérables. Ainsi les juges ou les arbitres doivent prendre là-dessus des tempéraments d’équité », Jean VIGIER, Les coutumes du pais et duché d’Angoumois, Aunis et gouvernement de La Rochelle, 2e éd., Angoulême, 1720, titre IX, art. 115, n. 4, p. 432. Le texte correspond à une note ajoutée par son arrière-petit-fils, François Vigier. 1049 Cf. Claude-Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, 4e éd., Paris, 1758, tome II, V° Légitime en fait de succession, p. 109. Cf. aussi Les maximes du Palais tirées des arrests de Monsieur Louet, Paris, chez Cardin Besongne, 1664, lettre F, arrêt 1, p. 175. « Il y a un cas où les enfans peuvent être obligés de prendre leur légitime en argent, lorsque pour l’honneur de la famille, il est nécessaire de conserver les terres dans leur entier », Barthélemy-Joseph BRETONNIER, Œuvres de M. Claude Henrys, conseiller du Roi et son premier avocat, Paris, 1772, tome III, livre V, question 99, p. 489. Même s’il se réfère à une région gouvernée par le droit romain, ce point est commun aux pays de droit écrit et aux pays de coutumes. 1050 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 11, p. 299. « Le droit de légitime est toujours favorable, nous croyons qu’il faut que la mauvaise conduite passée des enfans serve à autoriser la disposition du père, sans s’arrester à des craintes souvent frivoles, et à des appréhensions qui n’ont rien d’effectif dans le temps qu’on les conçoit », argument contre le testament de sieur Robichon, arrêt du 9 décembre 1692, rapporté par Claude BLONDEAU et Gabriel G UERET , Journal du Palais, 1701, tome II, p. 831. Cet arrêt maintient la substitution prévue dans le testament, mais ordonne la distraction de la légitime en corps héréditaires. Cf. ibidem, p. 832.

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le codicille, qu’il y a lieu de confirmer »1051. L’entorse faite au droit semble comblée ici par l’avantage qu’en retire le petit-fils, et cela le conduit à demander le maintien des dispositions testamentaires de l’aïeul. Le caractère dissipateur semble notoire dans cette espèce, d’après les plaidoiries rapportées. Cependant, la possibilité de laisser seulement l’usufruit des biens et non la propriété semble déjà admise dès le début du XVIIe siècle. Par exemple, la plaidoirie d’un arrêt de 1628 est éclairante à ce sujet. Les parents d’un fils dissipateur font un testament mutuel par lequel ils donnent à leurs petits-enfants la propriété de leurs biens, et lèguent à leur fils l’usufruit, avec prohibition de vendre ou aliéner tout ou partie de ces biens. Le motif de leur décision est la dissipation des biens que fait le fils. L’avocat du fils, Maître Chapelier, invoque comme moyen principal la nullité du testament mutuel pour des motifs de forme. En ce qui concerne l’exhérédation, il fait valoir que les faits sont faux, « puisqu’Antoine Frasel n’est point mauvais ménager ni dissipateur de biens, ainsi qu’il est justifié par des informations qu’il a fait faire. Son pere étoit indigné contre luy à la suscitation d’un gendre qui luy est ennemy capital, quoyque beau-frère, de l’appellant ». La Cour valide le testament. Mais ce qui nous intéresse est que l’avocat discute la véracité des faits, et non la règle juridique qui permet au père de laisser seulement l’usufruit à un fils mauvais ménager. Cela montre qu’elle est acquise, car il n’aurait pas manqué de l’invoquer si le moindre doute avait pu subsister1052. L’arrêt important en la matière est celui du 9 avril 1647. Dans cet arrêt, la question de la légitime fait l’objet du deuxième moyen des demandeurs. Martin Anceaume, bourgeois de Paris, laisse à sa fille et à son gendre l’usufruit « de la part et portion qui leur pourroit appartenir en sa succession, et à leurs enfants la propriété ». La raison est « le désordre et mauvaise conduite par eux apportée en leurs affaires ». La fille et le gendre estiment que le testament doit être déclaré nul parce qu’inofficieux, ne leur ayant pas laissé la légitime pleine et entière, mais uniquement l’usufruit. L’argument s’appuie sur le fait que la légitime n’étant pas une faveur du père, mais de la loi, il n’est pas en pouvoir du testateur de la diminuer ni de la toucher. La défense, pour sa part, avance que le testament de l’aïeul répond à la piété, à la raison et à la « prévoyance d’un père, pour conserver son bien en la famille de ses petits-enfants ». Les demandeurs ne peuvent se plaindre d’avoir été privés de leur légitime, puisqu’ils jouissent de l’usufruit de l’entière part et portion dans la succession, alors que la légitime est la moitié de cette part, et que la substitution n’est voulue que pour mettre les biens à l’abri de leurs créanciers. La Cour donne raison à la défense, suivant les conclusions de l’avocat général Talon, et le testament est maintenu1053. Dans le cas d’enfants prodigues, le Parlement admet qu’un père puisse charger un de ses fils, mauvais ménager, de payer une somme à ses petites filles. François Pavie avait trois enfants. Il fait son testament après les avoir mariés, les 1051

Arrêt du 12 février 1636, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre V, chapitre 5, p. 319. 1052 Cf. arrêt du 16 mars 1638, rapporté par Pierre BARDET, op. cit., tome II, livre VII, chapitre 16, p. 430432. 1053 Jean DUFRESNE , Journal des Audiences, 1733, tome I, livre V, chapitre XV, p. 403-404. Rapporté également par Lucien S OEFVE , op. cit., tome I, centurie II, chapitre 16, p. 125-126. Il est aussi cité par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1685, tome III, glose 1 sur l’article 298, n. 45, p. 444, ainsi que dans l’édition de 1714, tome IV, remarques de Jean-Marie RICARD sur l’art. 298, p. 294, et glose 1 sur l’article 298, n. 11, p. 298, et par Jean DELALANDE, Coutumes des duché, baillage, prévôté d’Orléans et ressorts d’iceux, Orléans, 1673, art. 274, p. 316.

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instituant également héritiers. Mais il charge son fils Jean, mauvais ménager notoire, de payer 4 000 livres à chacune de ses deux filles. Jean Pavie soutient que le legs doit être pris sur toute la masse successorale et non seulement sur sa portion. Les frères en revanche affirment « qu’il n’est aucunement raisonnable de les surcharger d’un legs contre la volonté et disposition expresse du testateur ». L’avocat général Talon estime que le testament est valable : « le testateur ayant chargé son fils de donner quelque chose à ses filles, c’est donner à son fils. Il a appréhendé qu’il ne dissipât entierement sa substance, et que les filles demeurassent pauvres et ne puissent estre mariées ». La Cour rejette l’appel et déclare la disposition bonne et valable1054. En cas de dissipation notoire, il est donc possible de charger la légitime ou de la laisser en simple usufruit. En revanche, comme on l’a souligné, la simple crainte ne justifie pas la réduction à la légitime en usufruit. Ainsi, un autre arrêt du 7 août 1647 casse le testament qui substitue la portion héréditaire au profit des petits-enfants, sans que les enfants du testateur « luy eussent donné aucun sujet [de crainte] par leur mauvais ménage, qui est le cas auquel il avoit pu faire ladite substitution »1055. De même, en 1680, le Parlement casse le testament de Maître Michel Millet, par lequel il laissait à son fils Pierre uniquement l’usufruit de sa légitime, et en substituait la propriété à ses enfants à naître ou, à défaut, à ses frères et sœurs. En l’espèce, il n’y avait pas de cause légitime pour le réduire à l’usufruit, si ce n’est « un emprunt fait en 1670 que le fils a acquitté depuis »1056. Le motif du testament du père était plutôt l’influence des enfants du premier lit qui voulaient réduire la part de l’enfant du deuxième lit au simple usufruit. La Cour suit les conclusions de l’avocat général Talon, et ordonne que les biens de Michel Millet soient partagés entre les enfants du premier lit et le fils du second lit « pour jouir par ledit Millet fils de la portion héréditaire en toute propriété sans charge de substitution ». Notons que le principe de pouvoir laisser la légitime en usufruit n’est pas remis en cause ; simplement les conditions ne sont pas réunies dans cette espèce. Pour éviter les dispositions fondées sur la simple crainte, la cause de la réduction à l’usufruit doit être indiquée dans le testament de manière précise. Il ne suffit pas de dire que c’est pour des justes causes connues du testateur. Dans ce sens, le Journal du Palais rapporte un arrêt du 1er avril 1686. Antoine du Perrey avait fait son testament le 22 octobre 1683. Il faisait deux legs à un fils et à un gendre, pour leurs bons services, et instituait légataires universels du surplus de ses biens ses huit enfants. Il laisse ses biens en pleine propriété à cinq de ses enfants, et les laisse en usufruit à Jean, Estienne et François, en substituant la propriété aux enfants à naître en légitime mariage. Pour François, une clause prévoit que la mère puisse lever la substitution s’il parvient à l’âge de vingt-cinq ans en ayant manifesté une bonne conduite. Les enfants dont la portion était substituée combattent le testament. Une première sentence ordonne l’exécution du testament, et donne le choix à Jean et à 1054

Arrêt du 29 juillet 1625, rapporté par Pierre BARDET, op. cit., tome I, livre II, chapitre 52, p. 218-219. L’affaire était jugée selon la coutume de Montargis. Cet arrêt est également cité par Georges LOUET , Recueil de plusieurs arrests…, op. cit., tome II, lettre R, sommaire 19, p. 424. 1055 Cf. Lucien SOEFVE , op. cit., tome I, centurie II, chapitre 41, p. 147. Cité également par Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 560, p. 112. 1056 Cf. arrêt du 31 mai 1680, rapporté par François JAMET DE LA GUESSIERE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre VI, chapitre 15, p. 378. Il est rapporté également par Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, Paris, 1701, tome II, p. 158. Il est cité aussi par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’art. 298, n. 11, p. 299.

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Estienne de renoncer au legs universel pour s’en tenir à la légitime, libre de substitution. Il y a appel de cette sentence de la part de Jean et d’Estienne. Un arrêt du 1er avril 1686, suivant les conclusions de l’avocat général Talon, infirme la sentence en ce que le testateur avait substitué la portion héréditaire. L’arrêt déclare la légitime « franche et libre » et confirme le reste de la substitution. En ce qui concerne François, la substitution est levée en entier1057. Parmi les arguments favorables à l’annulation de la substitution, on avançait que la crainte de la dissipation des biens n’est pas suffisante : « ce n’est pas assez qu’un père retienne en soy-mesme les raisons qui le portent à prononcer cette interdiction contre ses enfans ; il en doit rendre compte aux Juges ; il doit leur marquer ses motifs, afin qu’ils jugent s’ils sont raisonnables. Car bien que les pères soient des Magistrats domestiques dans leurs familles, et que leurs jugements soient favorablement écoutez, ils sont néanmoins sujets à un Tribunal supérieur, où ils doivent estre examinez pour connoistre s’ils sont conformes aux Loix »1058. Malgré tout, on observe une évolution dans la volonté de respecter le plus possible la liberté du testateur. Une mère écrit son testament, en faisant de ses quatre enfants des légataires universels. Mais des biens contenus dans le legs universel, « la testatrice a substitué le fonds et propriété aux enfants nés et à naître en légitime mariage de chacun de sesdits enfants, qui n’auront chacun que le simple usufruit et jouissance des biens qui leur viendront de ce legs universel, sans qu’ils puissent disposer du fonds pour quelque cause que ce soit »1059. Une première sentence du 16 avril 1705 déclare nul le testament en ce qui concerne la substitution, et permet aux enfants de disposer de leurs biens en toute propriété. Le curateur des enfants nés et à naître fait appel. L’avocat général affirme dans ses conclusions que, « par rapport à la distraction de la légitime, nul doute : nous avons adopté dans notre usage la légitime établie par le Droit, et nous l’avons fixée par la coutume de Paris où les biens sont situez, à la moitié de la portion héréditaire ; cette légitime ne peut souffrir aucun retranchement, elle doit se fournir en corps héréditaires en pleine propriété ». La seule exception admise, poursuit l’avocat général, est qu’il y ait une juste cause, et qu’elle soit exprimée dans le testament. Ce n’est pas le cas ici. Cependant, pour ce qui concerne la substitution en entier, il n’y a pas moyen de la contester. Il faut réduire le testament pour la légitime, et le laisser subsister pour le reste, puisqu’il n’y a pas de preuves en l’espèce d’un testament fait ab irato. La différence avec l’affaire Millet qui a été citée précédemment est que, dans cette dernière, le testament exprimait la cause de la substitution, qui ne semblait pas fondée, alors qu’ici rien n’est exprimé dans le testament. Ainsi, la mère procède à une substitution, comme la loi lui en reconnaît le pouvoir, mais elle doit laisser la légitime en propriété à ses enfants. L’arrêt suit les conclusions de l’avocat général : il ordonne la distraction de la légitime en propriété en maintenant la substitution 1057 Arrêt du 1er avril 1686, rapporté par Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, 1701, tome II, p. 591. Cet arrêt est également cité par Jean VIGIER, Les coutumes d’Angoumois…, op. cit., titre IV, art. 51, additions faites par son fils Jacques, p. 229, ainsi que par Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’art. 298, n. 11, p. 299. 1058 Cf. Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET , Journal du Palais, 1701, tome II, p. 595. Claude de Ferrière cite un arrêt du Grand Conseil allant dans le même sens, du 9 décembre 1692, dont il ne donne pas le détail. Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’art. 298, n. 11, p. 299. 1059 Arrêt du 23 avril 1708, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre VIII, chapitre 23, seconde partie, p. 151.

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pour le surplus1060. Contrairement à l’arrêt de 1686, on ne demande pas d’exposer clairement le motif de la substitution. On se contente de préserver la légitime en corps héréditaires et de vérifier que le testament n’a pas été fait ab irato. En dehors de l’hypothèse de dissipation des biens, la légitime doit être laissée en propriété. D’autres craintes ne peuvent justifier de laisser uniquement l’usufruit. Dans ce sens, Lucien Soefve rapporte un arrêt du 2 mars 1654. Une mère avait disposé qu’un de ses fils, établi à Rome depuis des années, ne pourrait jouir de sa portion héréditaire qu’en usufruit, la propriété restant à ses autres enfants. Les frères et sœurs invoquaient la crainte de la mère de voir partir ses biens à l’étranger, puisque l’enfant ne semblait pas avoir l’intention de revenir en France. « La Cour, sans avoir égard audit testament, ordonna que le frère jouirait librement de sa part et portion sans aucune charge de substitution »1061. Il n’est pas très clair, cependant, si dans cette espèce il n’y avait pas eu de manœuvre frauduleuse de la part des frères et sœurs pour inciter leur mère à tester à leur profit, manœuvre qui aurait été l’élément déterminant dans la décision de la Cour. De même, un père qui réduit ses enfants à leur légitime s’ils s’opposent à la substitution qu’il a faite dans son testament au profit des petits-enfants à naître, ne peut pas, par cette disposition, avoir substitué aussi la légitime. Elle doit donc être délivrée aux enfants en pleine propriété, la substitution demeurant pour le surplus des biens, dont ils auront l’usufruit. C’est ce que décide un arrêt du 19 février 1704. En l’espèce, les trois enfants du testateur demandaient leur légitime, sans aucune charge de substitution, et l’usufruit du surplus des biens1062. La question de la réduction de la légitime à l’usufruit en présence d’enfants prodigues met en avant le dernier point à aborder, celui des rapports entre les légitimaires et les créanciers. b) Les droits des créanciers Les créanciers successoraux sont préférés à la légitime des enfants, puisque celle-ci se calcule sur l’actif net de la succession. Cependant, les créanciers du défunt ne sont pas admis à demander le rapport d’un cohéritier donataire du de cujus, étant donné que l’institution du rapport a été conçue au profit des cohéritiers et non des créanciers1063. Dans cette logique, un arrêt du 20 août 1674 juge que la 1060

Cf. ibidem, p. 152. Cf. Lucien SOEFVE , op. cit., tome I, centurie IV, chapitre 55, p. 415. Cité également par Michel DUCHEMIN, Supplément au Journal des Audiences, 1753, livre I, chapitre 704, p. 141. 1062 Cf. Matthieu AUGEARD, Arrests notables…, op. cit., chapitre 234, p. 738-740. 1063 Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, op. cit., livre II, chapitre XXVIII des partages, rapports et des dettes de la succession, p. 515. Cf. également Jean-Baptiste DENISART, Actes de notoriété donnés au Châtelet de Paris, 3e éd., Paris, 1769, acte du 1er juillet 1702 : « Les légataires et les donataires qui renoncent à la succession, ne font jamais de rapport, n’étant pas héritiers, et que le rapport ne se doit jamais faire que inter cohaerede », p. 242. Toutefois, il précise que cela est vrai pour les coutumes d’option, mais que pour les coutumes d’égalité, il y a rapport même pour l’héritier renonçant. Cf. ibidem, p. 242, note b). Signalons à ce sujet ce que disposent deux articles tirés de deux coutumes d’option. L’article 111 de la coutume de Valois : « Si un enfant advantagé par donation entre vifs faite par son pere, renonce à la succession de sondit pere, pour prendre le douaire de sa mere, en ce cas il sera tenu de rapporter entre ses frères et sœurs, l’advantage à luy fait par sondit pere », BdR, tome II, p. 803-804. Et l’article 168 de la coutume de Clermont-en-Beauvaisis : « Si un enfant marié des biens communs de pere ou mere, ou des biens du pere, renonce à la succession du pere, pour soy tenir au douaire de sa mere : en ce cas, il sera tenu de rapporter, ce qu’il eust rapporté s’il eust été heritier de sondit pere », BdR, tome II, p. 772. La rédaction de ces deux coutumes, comme on l’a vu, date de 1539. Il semble clair qu’on veut 1061

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prohibition portée par la coutume du Maine d’avantager ses héritiers présomptifs les uns plus que les autres n’existe qu’au profit des cohéritiers, et non des créanciers des héritiers lésés1064. Dans la même logique, la part de l’héritier renonçant profite aux autres cohéritiers1065. La question des droits des créanciers se pose au sujet des créanciers de l’enfant légitimaire1066. La principale problématique soulevée au sujet des créanciers est celle de savoir si le fils est obligé de demander la légitime, ou si les créanciers sont subrogés dans le droit de leur débiteur. Un arrêt de mardi avant Pâques 1587, rapporté par Claude Le Prestre, admet que le créancier puisse demander la légitime à la place de son débiteur1067. Il affirme que « le fils a esté contraint de demander sa légitime, ou préserver un certain équilibre entre les enfants, malgré le choix des protections successorales qui sont à leur disposition. Pierre Bardet relate un arrêt concernant le rapport et la renonciation à la succession. Il s’agissait d’un marchand de Paris qui avait prêté 1 200 livres à une femme pour l’achat d’un office pour son fils. Au décès de la mère, le fils répudie la succession. Le marchand l’assigne pour le remboursement du prêt, ce que le fils refuse, ayant renoncé à la succession de sa mère. Une première sentence donne raison au fils. Le marchand fait appel et demande que le fils rembourse la dette ou quitte l’office qu’il a eu grâce à cet argent, car autrement il s’enrichit à ses dépens, puisqu’il jouit paisiblement de l’office. La Cour rejette l’appel. Cf. arrêt du 9 février 1638, rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., tome II, livre VII, chapitre 11, p. 423. Claude de Ferrière évoque un cas similaire, concernant une mère qui dote sa fille avec des deniers empruntés. Les créanciers de la mère n’ont pas d’action contre la fille pour être remboursés, en revanche, cette dot est sujette à la légitime des autres enfants. Cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 4 sur l’article 298, n. 24, p. 348. 1064 Cf. Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 608. La donation d’une aïeule laissant l’usufruit à ses enfants, et la propriété de ses biens aux petits-enfants est jugée valable « sauf au créancier, en cas qu’il y eust des propres, de se pourvoir sur la légitime ». Cependant, cette donation de tous les biens a été réduite au tiers en ce qui concerne les propres, conformément à la quotité de la réserve en vigueur dans la coutume du Maine. Cf. ibidem. Les créanciers ont pu « se vanger sur les deux tiers des propres », cf. Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, glose 1 sur l’article 298, n. 11, p. 299. Dans le même sens, un avocat plaide en ces termes dans une affaire de 1683 : « La légitime des enfans au Païs du Maine est la portion héréditaire : les pere et mere ne peuvent la diminuer par aucun acte ; c’est ce qui donne aux enfans l’action contre les donataires, pour rapporter ce qu’ils ont reçu à ce que le bien soit partagé également entre les enfants. Mais les créanciers n’ont pas le même droit », arrêt du 21 août 1683, rapporté par François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IX, chapitre 21, p. 711-714. La citation se trouve p. 711-712. On reviendra sur l’identification entre la réserve et la légitime opérée par cet avocat. Cf. infra, § 2 B de cette section. Déjà Julien Bodreau commentait dans le même sens en 1645 : « Le rapport a seulement lieu entre cohéritiers, et non entre les créanciers, lesquels ne peuvent faire rapporter à l’enfant le don qui luy a esté fait en deniers, parce que c’est un meuble qui n’a point de suite par hypothèque, combien que le créancier fut antérieur au contrat de mariage. Jugé par arrêt […] du 4 août 1605, confirmatif de la sentence rendue par le sénechal d’Anjou », Julien BODREAU , Coutumes du païs et comté du Maine, Paris, 1645, art. 278, p. 362. La coutume du Maine est d’égalité stricte et, donc, de rapport forcé. 1065 Dans ce sens, Eusèbe de Laurière rapporte une espèce éclairante. Une succession s’ouvre au profit de trois frères. Le frère aîné achète la part héréditaire du second, et le troisième frère renonce à sa part. À qui profite cette renonciation ? « La part répudiée par le troisième frère accroîtra par égales portions aux deux autres, parce que l’aîné qui a acquis la part du second n’est héritier que pour un tiers, et que le second qui a vendu sa part n’a point cessé d’être héritier pour l’autre tiers », Eusèbe de LAURIÈRE , Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit. éd. 1777, tome III, p. 50. 1066 La question a également été abordée au sujet des créanciers de l’enfant donataire qui doit contribuer à la légitime des autres enfants. Pour Claude de Ferrière, « la légitime passe franche et quitte de toutes dettes créées par les donataires, et au cas que le tiers détenteur en ait été évincé, elle passe aussi aux légitimaires franche et quitte des dettes créées par le tiers détenteur ; d’autant que le droit des légitimaires est plus ancien et plus fort que celui des créanciers du donataire et des tiers détenteurs, puisqu’il remonte au jour de la donation », cf. Claude de FERRIERE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 3, n. 13, p. 321. 1067 Rapporté par Claude LE PRESTRE, Questions notables…, op. cit., centurie I, chapitre 89, p. 295. Il est aussi cité par Pierre-Jacques BRILLON, Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 24, col. 1, n. 12. Cela est particulièrement vrai quand le légitimaire a renoncé à sa légitime en fraude de ses créanciers :

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que les créanciers seroient subrogez pour la demander »1068. De même, un arrêt du parlement de Paris, en date du 28 mars 1589, permet à un créancier de demander la légitime due à son débiteur, alors que celui-ci avait renoncé à la succession de ses père et mère1069. George Louet rapporte également un autre arrêt toujours favorable aux créanciers, bien qu’il maintienne la disposition du testament qui exhérède le fils au profit des petits-enfants. Il s’agit d’un arrêt du 9 mars 1609 : « la Cour déclara bonne et valable la donation faite par Messire Antoine Portail à ses petits-fils, enfans de Maistre Louis Besle, et Damoiselle Jeanne Portail, de la part et portion hereditaire et droit successif, qui pourroit appartenir à leur mère, venant à la succession, distraction faite au profit des créanciers de la mere de la légitime, qu’elle avoit droit de prendre sur les biens delaissez à ses enfans par leur ayeul »1070. Le fondement de cette action des créanciers est que leur débiteur ne peut renoncer à sa légitime en fraude de leurs droits. Lucien Soefve rapporte une espèce curieuse au sujet de la fraude aux droits des créanciers. Un père avait exhérédé son fils à cause de sa mauvaise vie et de ses fréquentations. Or ce fils débauché avait assassiné un homme. Il avait été condamné à mort avec d’autres complices et, en outre, une réparation civile avait été adjugée à la mère de la victime. Le testament du père était intervenu après l’assassinat, mais bien avant que son fils soit accusé et donc condamné. On présumait que le père, se doutant du crime, avait essayé de préserver ses biens par le moyen de l’exhérédation de son fils. C’était donc en fraude des droits éventuels des créanciers de son fils. Soefve commente que, même si le crime n’avait pas eu lieu, cette exhérédation était nulle, car la mauvaise conduite n’était pas une des quatorze causes d’exhérédation prévues par Justinien. Ainsi, de même que le fils, « cessant cette mauvaise action, eut pu quelque jour la contester, et en demander la cassation, de mesme, ses creanciers, et particulièrement la mère de l’homicidé creanciere d’une dette de la qualité de celle qui est remarquée, « Sans contraindre le débiteur à se porter héritier, vu que par nostre coutume generale, il ne se porte heritier qui ne veut, les créanciers se peuvent faire subroger au lieu de leur débiteur, pour accepter la succession, etiam eo invito, à laquelle il ne peut pas renoncer, ni la transferer à un autre à leur préjudice, et de l’hypothèque qui leur est acquise sur tous ses biens, tant présents qu’à venir. […] De fait il se pratique tous les jours, qu’un mauvais débiteur, estant négligent d’exercer ses actions, comme de s’opposer à un decret, prester la foy et hommage et autres semblables, ses creanciers sont recevables à demander qu’ils soient subrogez, et reçus à les intenter, au nom, perils et fortunes de leur débiteur », cf. Julien BRODEAU , sous Georges LOUET , op. cit., tome II, lettre R, sommaire 20, sous un arrêt du 27 janvier 1596, p. 425. Pothier le résumera ainsi plus tard : « Si l’enfant étant insolvable, avoit renoncé [à la légitime] en fraude de ses créanciers, ils seroient recevables, non obstant cette renonciation, à exercer ses droits pour raison de sa légitime », Robert-Joseph POTHIER, op. cit., tome VI, section III, art. V, § VII, p. 214. 1068 Claude LE PRESTRE, Questions notables…, Paris, 1663, centurie I, chapitre 89, p. 295. 1069 « Un débiteur, qui avait renoncé à la succession de ses pere et mere, en fraude de ses creanciers, et qui vouloit approuver la disposition faite par son pere, en faveur des petits enfans ; a esté condamné à faire cession et transport à sesdits creanciers, pour se pourvoir par les creanciers contre la disposition du pere, et renonciation, en ce que pouvoit monter la légitime due, et ce dont l’on ne pouvoit estre privé par la Coutume aux successions de pere et mere ». Il semble que dans cette espèce, d’après Pierre-Jacques Brillon, le débiteur avait été exhérédé par sa mère. On comprend ainsi la phrase « pour se pourvoir par les creanciers contre la disposition du pere ». Cf. arrêt rapporté par Georges LOUET , Recueil de plusieurs arrests notables du Parlement de Paris, receuillis par Julien BRODEAU , Paris, 1693, tome II, lettre R, sommaire 19, p. 423. Il est cité aussi par Jean DELALANDE, Coutumes des duché, baillage, prévôté d’Orléans et ressorts d’iceux, Orléans, 1673, art. 274, p. 316. Une référence se trouve également dans Pierre-Jacques BRILLON, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 24, col. 1, n. 12 et dans Laurent JOVET, op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n. 33, p. 428. Ce dernier rapproche de cette jurisprudence un arrêt du 9 avril 1586, jugeant dans le même sens dans le cas de la renonciation à un legs. Cf. ibidem. 1070 Ce sont les termes de l’arrêt, précise l’auteur. Cf. Georges LOUET et Julien BRODEAU, op. cit., tome II, lettre R, sommaire 19, p. 424. Cité également par Jean DELALANDE, op. cit., art. 274, p. 316.

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avoient droit de disputer [l’exhérédation] contre les freres et sœurs de l’exheredé, puisque c’est une Maxime constante, que les creanciers peuvent exercer toutes les actions qui appartiennent à leur débiteur »1071. Dans une espèce rapportée par Pierre Bardet, l’avocat des créanciers affirme dans sa plaidoirie que ce principe a été solennellement établi par un arrêt en robes rouges1072. Il s’agit sans doute de l’arrêt de Vestier, de 1598, qui a « admis de subroger le créancier à accepter la succession à laquelle son débiteur renonçoit, sans consentement et subrogation du débiteur »1073. Les créanciers sont également admis à saisir la légitime de leur débiteur, malgré une substitution sur ces biens existant au profit de ses sœurs. Ainsi en a jugé un arrêt du 30 août 1664. Charles de Prunelay et Magdelaine Pinart avaient un fils et deux filles : Nicolas, Françoise et Elisabeth. Charles de Prunelay fit un testament le 2 avril 1618, dans lequel il disposait que les biens qu’aurait son fils au titre du droit d’aînesse seraient grevés d’une substitution au profit de ses deux filles. Le fils aîné, Nicolas de Prunelay, mourut en laissant des créanciers. Un premier arrêt contradictoire, du 7 septembre 1662, accordait aux créanciers le droit de garder la légitime appartenant à Nicolas de Prunelay sur les terres de Gazeran, Herbault et Machenville. Par ailleurs, cet arrêt déclarait ouverte la substitution sur ces terres au profit des sœurs de Prunelay. Le syndic des créanciers ayant changé après cet arrêt, les deux sœurs demandent par requête du 7 décembre 1663 que le premier arrêt soit appliqué au nouveau syndic, et que les créanciers soient déchus de tous droits de légitime que leur accordait le premier arrêt, faute d’avoir fourni l’état de leurs prétentions. Elles demandent à être déclarées propriétaires de la totalité desdites terres en vertu de la substitution et de leur qualité d’héritières pures et simples de Charles de Prunelay et Magdelaine Pinart, leurs parents, et par bénéfice d’inventaire de leur frère Nicolas. Les créanciers demandaient que la moitié de ces terres nobles avec le préciput de l’aîné dans chacune d’elles soit laissée aux créanciers de Nicolas de Prunelay à titre de légitime, et que les deux sœurs soient déboutées de leur demande. « La Cour a ordonné et ordonne que la moitié des portions afferantes audit Nicolas de Prunelay dans lesdites terres de Gazeran, Herbault et Macheninville, tant pour son préciput que droit d’aînesse, suivant les coutumes où elles sont situées, sera et demeurera à ses créanciers pour sa légitime, et l’autre moitié desdits préciputs et droit d’aînesse appartiendra auxdites Françoise et Elisabeth de Prunelay, en conséquence de la substitution apposée par le testament dudit Charles de Prunelay, du 2 avril 1618 »1074. 1071

Arrêt du 16 avril 1654, rapporté par Lucien SOEFVE, op. cit., tome I, centurie IV, chapitre 64, p. 424425. L’arrêt avait été rendu en suivant les conclusions de l’avocat général Bignon. 1072 Plaidoirie de l’avocat des demandeurs dans l’arrêt du 31 août 1618, en la Chambre de l’Edit. Rapporté par Pierre BARDET, Recueil d’arrests…, op. cit., Paris, 1690, tome I, livre I, chapitre 45, p. 50. Il est cité infra. 1073 Il est cité dans la plaidoirie de l’avocat des créanciers, dans un arrêt du 20 juillet 1703, au sujet d’une succession en Normandie. Le débiteur avait renoncé à cette succession, mais le petit-fils l’avait acceptée. Rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre III, chapitre 29, p. 390. La question de droit était ici de savoir si les créanciers pouvaient s’opposer à l’acceptation de la succession de la part du petit-fils, et être préférés à celui-ci, en application de l’article 278 de la coutume de Normandie, qui prévoit la subrogation des créanciers au débiteur qui renonce à une succession. L’arrêt Vestier est cité par Claude Le Prestre, qui le date du 12 juillet 1597. Cf. Claude LE PRESTRE, op. cit., centurie I, chapitre 89, p. 295. 1074 Arrêt du 30 août 1664, rapporté par François JAMET DE LA G UESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. 1733, tome II, livre III, chapitre 51, p. 338. Rapporté également dans l’édition de 1678, tome II, livre VI,

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Le principe est donc que la substitution ne peut jamais affecter la légitime, en dehors de l’hypothèse d’un fils dissipateur. Et, même dans le cas d’un fils dissipateur, les créanciers ont, en quelque sorte, plus de droits que leur débiteur, puisqu’on leur reconnaît la possibilité de demander la légitime du débiteur, alors que celui-ci est privé de ce droit1075. Ricard, dans les remarques publiées par Claude de Ferrière, explique ce point en disant que la Cour a permis par plusieurs arrêts que les créanciers du fils aient sa légitime, « car ce qui est ordonné entre le père et les enfans, ne peut être que par une raison d’équité »1076. C’est ainsi qu’on comprend la remarque faite par Jean Dufresne, au sujet de l’arrêt du 9 avril 1647 précité. Rappelons que cet arrêt déboutait la fille et son mari de la demande en annulation du testament qui les réduisait à l’usufruit de la légitime. : « s’il y eût eu des creanciers du gendre et de la fille joints avec eux, pour demander que la légitime leur fût adjugée, in corporibus hereditariis et sine nulle onere vel gravamine, pour être payés sur iceux de leurs dettes, la Cour l’eût jugé autrement »1077. On peut conclure que la substitution est assimilée à la fraude envers les droits des créanciers. Cette jurisprudence semble constante. Un arrêt du 30 juin 1678 juge valide une substitution, mais ordonne la distraction de la légitime au profit des créanciers de Marie de la Roche1078. La substitution avait été faite par la mère de Marie de la Roche au profit de sa petite-fille Marie Le Clerc, issue du premier mariage de Marie de la Roche. Les dettes de cette dernière avaient été contractées pendant son deuxième mariage. Marie de la Roche avait l’usufruit des biens de sa mère. Les créanciers de Marie de la Roche contestent la validité de la substitution. Une sentence contradictoire intervient le 19 juin 1677, confirmant la substitution mais adjugeant la distraction de la légitime de Marie de la Roche au profit de ses créanciers. Un appel est interjeté aussi bien de la part des créanciers, pour ce qui regarde la confirmation de la substitution, que de la part de Marie Le Clerc, pour ce qui est de l’obligation de délivrer la légitime. L’arrêt du Parlement confirme la sentence des Requêtes de l’Hôtel1079. La Cour en juge autrement le 17 août 1666, mais les circonstances sont différentes1080. L’affaire doit être régie par la coutume d’Angoumois. Jean Souchet

p. 755-756. Jean-Marie R ICARD cite également cet arrêt, Traité des donations…, op. cit., 1713, tome I, III partie, chapitre 8, section 6, n. 1037, p. 645. Il est aussi cité par Laurent JOVET, op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n° 40, p. 429. 1075 « En ce cas les creanciers ont en quelque façon plus de droit que leur débiteur, car pour leur regard ils ont pouvoir d’exercer par la voye de la rigueur, ce dont le fils étoit retenu par une espèce d’équité, et peuvent demander la distraction de la légitime de leur débiteur », Jean-Marie RICARD , Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 11, n. 1140, p. 670. 1076 Claude de FERRIÈRE , Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, remarques de Jean-Marie RICARD sur l’article 298, p. 294. 1077 Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, 1733, tome I, p. 404. Il s’agit de l’arrêt Anceaume. 1078 Cf. Jean DUFRESNE , Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 912-919. Il est également cité par Michel Duchemin, mais cet auteur ne donne pas assez de détails des faits pour pouvoir saisir les raisons de l’arrêt. Cf. Michel DUCHEMIN Supplément au Journal des Audiences, 1753, arrêt du 30 juin 1678, livre III, chapitre 18, p. 180. 1079 Cf. Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 918. Il cite également un autre arrêt dans le même sens, du 18 janvier 1678, qui ordonne que Catherine Godin jouira librement et sans charge de substitution de sa légitime. Cf. ibidem, p. 918-919. 1080 Arrêt du 17 août 1666, rapporté par François JAMET DE LA G UESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. 1733, tome second, livre V, chapitre 18, p. 460-468. Il est également cité par Laurent JOVET , op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n. 41, p. 429. Cet arrêt est cité dans le commentaire de Jean Vigier sur la coutume d’Angoumois, mais de manière succincte et comme illustration de la possibilité de prendre des

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et sa femme, Gabrielle Leufquot, font un testament mutuel le 17 mars 1652, par lequel ils instituent Michel, leur fils aîné, héritier universel, à charge de donner à son frère Jean la seigneurie des Doussaye, et 25 000 livres à chacun des trois autres cadets. Cependant, craignant la dissipation des biens laissés à leur fils par les créanciers de celui-ci, ils déclarent dans ce testament substituer « tous les biens, meubles et immeubles qui resteront audit Michel Souchet, en cas qu’il meure sans enfans procréez de loyal mariage, à ses autres frères, ou à leurs enfans, qui se trouveront en état de recueillir sa succession ». A sa mort, Michel Souchet laisse beaucoup de créanciers, qui demandent la saisie de ses biens. La veuve fait appel de la saisie réelle et, après une longue procédure, intervient un arrêt du 18 mai 1666, qui déclare la substitution ouverte au profit des enfants du défunt, et la main-levée pure et simple de la saisie réelle. Les créanciers font appel. La question est de savoir si les petits-enfants, qui sont la condition de la substitution, peuvent être considérés comme institués héritiers, ou bien s’ils recueillent la succession comme une hérédité qui leur est déférée naturellement et par la loi. Dans le premier cas, ils recueillent la succession de leur père défunt comme un bien qui leur est substitué par le testament de leur aïeul. Les créanciers disent que c’est en fraude de leurs droits qu’on prétend qu’ils la recueillent en vertu du testament. Ils argumentent que les petits-enfants recueillent la succession de leur père comme s’il était mort ab intestat et que, dès lors, ils sont responsables des dettes laissées par le défunt. En tout cas, « supposé que dans cette condition on pût trouver cette substitution, qu’il faudrait toujours faire distraction de la légitime du débiteur, laquelle ne pouvoit être considérée dans cette substitution au préjudice des créanciers »1081. Ils avancent que la légitime est « autant l’aliment de la loi pour l’enfant que le gage et la caution de ses créanciers »1082. Au sujet de la légitime, la défense invoque le principe, consacré par la Cour, de permettre de laisser la légitime en usufruit dans le cas d’enfants dissipateurs. L’avocat invoque l’arrêt de Martin Anceaume, de 1647, précité. L’avocat général Talon plaide en faveur du maintien de l’arrêt du 18 mai 1666, et la Cour déboute les créanciers de leur demande : ils ne peuvent pas retenir la légitime de leur débiteur au préjudice des petits-enfants substitués1083. En dépit de cet arrêt, le principe reste fermement établi : un créancier peut demander la distraction de la légitime de son débiteur, même si elle a été substituée. Une plaidoirie dans une affaire du 3 juillet 1705 illustre ce point de vue. « S’il y a une espèce favorable pour les créanciers, c’est celle de la légitime, car si l’on fait accepter par un débiteur une succession qui a des charges et des evenements incertains, à plus forte raison une légitime pour laquelle on ne court aucun risque d’ailleurs. En effet, le même principe, que la légitime est un présent de la loi, ce même principe établit le droit du créancier qui a contracté avec un fils, non tant par rapport aux biens présents, qu’à ceux qu’il a compté qui lui pourroient échoir ; puisque la disposition des pere et mere ne pouvoit donner atteinte à la disposition de

mesures pour conserver la légitime aux enfants d’un fils dissipateur. Cf. Jean V IGIER, Les coutumes d’Angoumois…, op. cit., titre IV, art. 51, additions, p. 228-229. Il a été ajouté par son fils Jacques Vigier. 1081 Cf. Journal des Audiences, 1733, tome second, livre V, chapitre 18, p. 462. 1082 Ibidem, p. 463. 1083 Cet arrêt est aussi rapporté par François JAMET DE LA G UESSIÈRE , Journal des Audiences, 1678, tome II, livre VIII, p. 929.

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la Loi »1084. L’avocat général conclut dans le sens de la distraction de la légitime en faveur des créanciers. Cependant, on n’a pas la solution finale, puisque la Cour a appointé les parties au conseil1085. Pour que les créanciers puissent demander la légitime de leur débiteur, il faut logiquement qu’ils aient contracté avec lui avant l’ouverture de la succession de son père ou de sa mère. Ainsi l’affirment un arrêt du 31 août 1618 et un autre du 17 août 1666, qui indiquent que la créance a dû naître avant le décès du père1086. Voici l’affaire jugée le 31 août 1618. La mère de Nicolas Le Camus, voyant ses mauvaises affaires, lègue la propriété de tous ses meubles, acquêts et conquêts immeubles à ses petits-enfants, et l’usufruit à son fils. Elle lui laisse également la réserve des quatre quints, à charge de ne rien aliéner ni hypothéquer. Nicolas Le Camus jouit de l’usufruit conformément au testament, jusqu’à sa mort en 1617. Il décède en laissant beaucoup de dettes. Ses créanciers font saisir tous les biens de sa mère, ce à quoi s’oppose la veuve de Nicolas Le Camus, ayant renoncé au nom de ses enfants mineurs à la succession de leur père, son époux. Elle demande la distraction des biens de l’aïeule. Les créanciers soutiennent alors qu’ils ont droit au moins à la légitime due à Nicolas Le Camus. Une première sentence du Prévôt de Paris ordonne la délivrance des biens de l’aïeule aux enfants, en retenant toutefois la légitime au profit des créanciers. La veuve fait appel. L’avocat général Servin, dans ses conclusions, affirme « qu’il est vray que la legitime est tellement due aux enfans, qu’elle ne leur peut estre ostée, et qu’ils ne peuvent la repudier au prejudice de leurs creanciers ; mais que cela s’entend des creanciers antérieurs et precedans le temps auquel la legitime ou autre succession échet à leurs débiteurs ; et non pas des créanciers postérieurs, tels que les intimez, qui ne sont pas recevables à aller rechercher un droit et une pretention qui eust pu appartenir à leur débiteur au temps qu’ils n’estoient point ses creanciers : cela est contre toute raison, et de perilleuse consequence ». Suivant ces conclusions, la Cour ordonne que « les mineurs jouiroient de tous et chacun les biens delaissez par leur ayeule, sans aucune charge ni distraction de légitime au profit des créanciers intimez »1087. La question des droits des créanciers se pose également pour les successions collatérales. Mais, dans ce cas, c’est en lien avec la réserve plus qu’avec la légitime. Un arrêt du 1er juillet 1706 a jugé « que les créanciers d’un héritier présomptif en succession collatérale, n’étoient point recevables à combattre une disposition testamentaire, par laquelle la testatrice, pour causes à elle connues, a substitué la part et portion de cet heritage présomptif dans sa succession, tant meubles qu’immeubles, propres et acquêts, aux enfants de cet heritier, lequel n’en auroit que le simple usufruit pendant sa vie. […] Ces mêmes créanciers, comme excerçant les droits de cet héritier présomptif, qui consentoit de sa part l’execution de la disposition, n’étoient point recevables à demander à leur profit la distraction des 1084

Arrêt du 3 juillet 1705, plaidoirie de l’avocat des créanciers, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris 1736, tome V, livre 5, chapitre 42, p. 541. 1085 Cf. ibidem, p. 542. 1086 Pierre-Jacques B RILLON, Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 24, col. 1, n. 12. Le premier arrêt est rapporté par Pierre BARDET, op. cit., tome I, livre I, chapitre 45, p. 50-51. Dans le même sens, voir l’opinion de Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 11, n. 1140, p. 671. 1087 Arrêt du 31 août 1618, en la Chambre de l’Edit. Rapporté par Pierre BARDET, op. cit., tome I, livre I, chapitre 45, p. 50-51.

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quatre quints des propres, reservez par la coutume aux heritiers collateraux pour pouvoir se vanger sur iceux, aux offres qu’ils faisoient d’abandonner aux enfans substituez l’autre quint, et tous les meubles et effets mobiliers, et les acquêts immeubles »1088. Il est logique d’écarter les créanciers de la réserve des quatre quints parce qu’elle existe au bénéfice du lignage. Par ailleurs, la question du droit des créanciers à la légitime de leur débiteur suscite des débats dans le cas des enfants prodigues. Quelques auteurs s’insurgent contre le fait de leur laisser la légitime alors que, à leurs yeux, les créanciers sont coupables de la corruption du débiteur en lui prêtant de l’argent trop facilement1089. L’avocat général Talon conclut dans ce sens dans une affaire appointée le 1er avril 1631. Il s’agit du testament d’une mère qui laisse l’usufruit à son fils, marié sans enfant, dissipateur et menant une vie dissolue. Le fils conteste cette disposition. Dans ses conclusions, l’avocat général fait une distinction entre la femme du fils dissipateur et ses autres créanciers. Il avance, parmi d’autres arguments, que « les pretendus créanciers de Léonard Grégoire ne sont point légitimes ny favorables, mais fort odieux, parce qu’ils ont fomenté les débauches et dissipations de Grégoire. Ainsi, à leur égard il n’y a point de difficulté que le testament de la mere ne doive subsister comme bon et valable ; mais à l’égard de la femme de Léonard Gregoire, qui court le risque de perdre sa dot et ses autres conventions matrimoniales, elle n’a pour assurance que l’espérance de son mary en la succession de ses pere et mere, et s’il en demeure privé, elle se trouve aussi déchue de ses conventions matrimoniales ; ce qui ne seroit pas raisonnable, d’autant plus qu’elle n’a point d’enfants, et que la faveur de la dot merite sa conservation »1090. On n’a pas la solution finale apportée à cette espèce, mais c’est toujours la référence à l’équité qui réapparaît comme critère déterminant et ultime pour résoudre les affaires de légitime. « Avec ses modifications et sa prédominance, la légitime parisienne était devenue une véritable institution coutumière »1091. Elle s’est adaptée à son nouvel environnement juridique et elle a épousé certains traits découlant de la nature successorale de la réserve. Mais l’influence ne se réalise pas seulement dans ce sens. L’effort pour la rendre vraiment coutumière ne fera qu’accroître ses chances d’influence sur la réserve elle-même, qu’elle venait compléter. Après les questions controversées nées de l’adaptation de la légitime au droit coutumier, il convient d’étudier la transformation progressive de la réserve au contact avec la légitime.

1088 Arrêt du 1er juillet 1706, rapporté par Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, Paris, 1736, tome V, livre 6, chapitre 17, p. 628-629. 1089 Dans ce sens, voir Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, op. cit., livre II, chapitre XIII, p. 358. Cf. également Claude de FERRIÈRE , Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 12, p. 299-300. Cet auteur fait une distinction entre les créanciers qui ont prêté de bonne foi, vis-à-vis desquels les père et mère ne peuvent substituer la légitime ; et les créanciers qui ont prêté connaissant la débauche du fils. Pour lui, ils ne méritent aucune considération et la substitution est valable. 1090 Arrêt du 1er avril 1631, rapporté par Pierre BARDET , Recueil d’arrests…, op. cit., tome I, livre IV, chapitre 18, p. 544-548. Les conclusions citées se trouvent p. 548. 1091 Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions…, op. cit., p. 188.

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§ 2. La transformation progressive de la réserve L’influence de la légitime sur la réserve est, à première vue, moins perceptible. En effet, comme on l’a vu, c’est d’abord la réserve qui intègre la légitime dans son régime juridique et lui communique certaines de ses caractéristiques. Dans quelle mesure peut-on alors affirmer que la réserve a été, elle aussi, transformée ? N’est-ce pas là une illusion ? Le point central, qui concerne la nature de la légitime en pays de coutumes, a été tranché en faveur de la réserve, qui a imposé sa logique de pars hereditatis. Du point de vue du régime juridique, les conséquences de cette nature se sont fait sentir. Il semble bien que la réserve ait adopté la légitime en la transformant. Pourtant, la légitime ne s’est pas totalement reniée elle-même en pays de coutumes. Son fondement, l’obligation morale, demeure. Son objectif, veiller à un certain équilibre entre droits individuels équivalents et protéger les enfants pris séparément et non seulement dans leur ensemble, reste valable. Si la réserve peut si facilement faire entrer la légitime dans la logique successorale, c’est parce que cette même logique, préoccupée exclusivement de la transmission d’un patrimoine à la mort de son propriétaire, était malmenée par des facteurs extérieurs. Le besoin d’adaptation de la protection successorale, déjà sensible au XVIe siècle, ne faisait que grandir. Le fondement de la légitime répondait mieux à la mentalité et à l’évolution économique et sociale. Dès lors, malgré les transformations certaines de la légitime, la réserve a tendance à s’y assimiler, en se rapprochant de sa raison d’être. Elle ne le fait pas de manière théorique et préméditée. Cette assimilation s’infiltre petit à petit, principalement par des changements dans le vocabulaire utilisé par les juristes. Peut-être aussi parce que les auteurs centrent davantage leurs travaux sur l’introduction de la légitime, plutôt que sur une vraie réflexion juridique autour de la réserve1092. Les modifications de régime juridique subies par la légitime facilitent l’assimilation des deux institutions (A). Mais la légitime finit par déployer sa force et, au lieu de se fondre avec la réserve, elle l’englobe dans une catégorie juridique plus vaste (B), dont la légitime devient le prototype. A. L’assimilation de la réserve et de la légitime La tendance la plus forte dans cette assimilation est de définir les deux institutions comme étant des modalités différentes d’un même principe : établir une part indisponible de biens dans le patrimoine de toute personne, au profit de certains membres de la famille1093. En cela, c’était la réserve qui prédominait, puisqu’elle répondait exactement à cette définition, fruit du compromis d’origine entre la logique communautaire et la liberté du testateur. Il est vrai que « cette conception juridique si naturelle pour la réserve, ne s’imposait pas a priori pour la 1092

« La réserve ne paraît pas faire l’objet d’une véritable construction juridique, car les auteurs font plutôt porter leurs efforts sur l’introduction de la légitime romaine, dont le succès sera assuré dans l’avenir », Michel PETITJEAN, « L’acte à cause de mort dans la France coutumière du Moyen Âge à l’époque moderne », in Actes à cause de mort, Recueil de la Société Jean Bodin, tome 60, deuxième partie, Bruxelles, 1993, p. 112. 1093 Voici la définition que donne Pierre-Jacques BRILLON de la légitime : « Part et portion que les Loix et Coutumes attribuent aux enfants dans les successions directes, sans qu’il soit au pouvoir des peres et meres de les en frustrer, à moins qu’il n’y ait des raisons capables d’autoriser l’exheredation », PierreJacques BRILLON, op. cit., tome IV, p. 18, col. 1.

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légitime »1094. Le droit romain n’avait jamais considéré la légitime comme une portion indisponible, mais comme un recours offert aux enfants en cas d’abus de la liberté testamentaire, qui était totale. En entrant en pays de coutumes, il a semblé cependant plus simple « de traduire le devoir du père sous forme de part successorale due et réservée au sens naturel du mot »1095. C’est-à-dire que la logique coutumière préfère mettre des bornes a priori, en délimitant de manière précise l’étendue des droits, plutôt que d’apprécier a posteriori un abus dans l’exercice de ces droits, auquel il faudra remédier1096. Cela correspond à la méfiance presque instinctive des coutumes vis-à-vis du libéralisme testamentaire. Cette notion d’indisponibilité mérite d’être approfondie. La légitime est la part des biens que les enfants doivent trouver dans la succession de leur père, dans l’hypothèse où celle-ci n’est pas déficitaire. Mais elle ne se calcule qu’à la mort du de cujus, sur les biens qu’il laisse et sur les donations qu’il a pu faire, et après déduction des dettes. Si la succession ne laisse pas de biens suffisants pour donner à chaque enfant cette légitime, les donations seront retranchées. En cela, on peut affirmer que la légitime est une portion indisponible, en précisant à titre gratuit. Mais elle ne l’est qu’a posteriori, car ce n’est qu’au moment de l’ouverture de la succession qu’on peut calculer le montant dû aux enfants. Le de cujus ne peut connaître, de son vivant, quel sera le montant de la légitime de ses enfants. Il peut l’estimer, selon la gestion qu’il fait de ses biens. Mais il ne sait pas si un de ses enfants renoncera à sa succession, de même qu’il n’est pas à l’abri d’un revers de fortune, comme on l’a vu dans l’affaire Faverolles1097. La logique de la légitime est de laisser une totale liberté dans la gestion du patrimoine pendant la vie du de cujus, et de n’apporter un correctif que si cela s’avère nécessaire, au moment de liquider la succession. La légitime impose une limite en ce sens que le père de famille sait, s’il fait beaucoup de donations, qu’il risque de ne rien laisser à ses enfants, et que cellesci seront alors réduites. Mais c’est une limite qui incite à la prudence sans définition d’un seuil précis à ne pas dépasser. Elle ne devient concrète et effective qu’après sa mort. Pour la réserve, en revanche, ce caractère indisponible est quelque peu différent. La réserve concerne les propres, qui sont des biens précis et définis. Ils procèdent de la famille et intègrent le patrimoine du de cujus par succession. En outre, la plupart des coutumes ne protègent ces propres que contre les dispositions testamentaires et non contre les donations. Le testateur sait quels sont les propres qui existent dans son patrimoine au moment de faire son testament. Il peut parfaitement savoir s’il entame la réserve ou pas. C’est une indisponibilité dont il est conscient, ou du moins, dont il a les moyens de l’être. Même si cela n’est effectif qu’à sa mort, la raison n’est pas l’incertitude des biens ou du montant de leur valeur, mais le fait que le testament ne devient effectif qu’à la mort du testateur. La réserve est donc une indisponibilité a priori, qui vise essentiellement une manière de disposer, plus que la disposition des biens elle-même. En effet, si le de cujus donne ses propres au lieu de les léguer, ils ne sont plus indisponibles. C’est précisément ce point qui fait la faiblesse de la réserve, qui adopte le contrôle a posteriori de la légitime pour ne pas 1094

Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions…, op. cit., p. 197. Ibidem, p. 198. 1096 « La légitime romaine est un plancher qui protège le lot des enfants ; la légitime coutumière est un plafond qui protège les biens de la maison », Anne ZINK, L’héritier de la maison, Géographie coutumière du sud-ouest de la France sous l’Ancien Régime, Paris, 1993, p. 122. 1097 Cf. supra, chapitre I, section II, § 1, B, 1 b) de cette partie.

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rester vaine et, en outre, pour pouvoir garantir un minimum des biens aux enfants, qui sont les premiers lignagers. Dans la pratique, le résultat est semblable : une portion de biens qui sera dévolue aux enfants, bien que la réserve protège aussi les collatéraux. Cela contribue à assimiler les deux institutions, malgré leurs différences d’esprit. Cette tendance à les assimiler sous l’étiquette de portion indisponible entraîne comme conséquence un rapprochement dans le vocabulaire utilisé, ainsi que dans la manière de désigner l’une ou l’autre protection successorale. François Bourjon appelle la légitime une réserve légale1098. Dans son raisonnement, la primauté de la réserve est claire ; c’est la légitime qui suit ses traces. Mais il y a une confusion entre les deux. La quotité de moitié de la légitime de Paris est interprétée comme indisponibilité de moitié alors que, en réalité, l’article 298 indique simplement que la légitime est la moitié de ce que les enfants auraient eu ab intestat. Par ailleurs, la confusion que fait Bourjon entre la réserve et la légitime peut s’observer aussi dans le fait qu’il envisage uniquement la protection des enfants vis-à-vis des tiers, mais non l’équilibre à l’intérieur de la fratrie. La primauté de la réserve est réelle au regard du régime juridique adopté par la légitime en pays de coutumes. Mais il ne reste pas moins vrai que la tendance générale est d’appeler toute portion indisponible, y compris la réserve, du nom de légitime. Ce rapprochement de vocabulaire est très précoce, car on le rencontre déjà en 1559, lors de la réforme de la coutume de Poitou. « […] Celuy a qui a esté faite ladite donation après la mort du donnant, aura par advantage tous les biens meubles dudit donnant, et tous ses acquests, sur ses coheritiers qui luy ont fait l’offre susdite et dans le temps susdit : mais en heritages anciens, il n’y aura que sa partie legitime coustumiere […] »1099. Cette partie légitime coustumiere est, bien sûr, la réserve des propres. Le même type d’expression se retrouve dans les articles 225, 228, 230 et 2721100. Remarquons qu’en étudiant les coutumes qui connaissent la légitime, on avait trouvé souvent l’expression générique « légitime part et portion », mais pas l’expression « légitime coustumière », qui désigne de manière plus précise une institution concrète, et pas simplement la part successorale considérée comme normale. Cela manifeste une évolution dans l’appréhension du terme légitime, qui devient un mot ayant une signification technique précise. Cette assimilation de vocabulaire n’empêche pas certains auteurs d’être lucides sur la différence entre les deux institutions. Ainsi, Louis Le Grand, en commentant la coutume de Troyes qui ne connaît pas la légitime, dit « qu’il y a une grande différence entre les deux tiers des propres, que la Coutume veut être réservez aux legitimes heritiers, et la légitime due aux enfans. La légitime est appellée debitum naturae. Les deux tiers des propres peuvent être comparez à la Falcidie du Droit Romain. Car comme la Falcidie n’est pas due par droit du sang mais seulement en faveur de l’institution […] aussi les coutumes n’ont point réservé les 1098

« De cette juste réserve de la légitime en faveur des enfans, il s’ensuit que celui qui a des enfans, ne peut disposer en faveur d’étrangers que de la moitié de ses biens ; c’est l’effet de cette réserve légale, et de l’indisponibilité de moitié des biens, lorsqu’il y a enfant ou enfans auxquels la loi assure cette portion, comme elle assure aux héritiers les quatre quints des propres », François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome I, partie II, chapitre X, section II, § 10, p. 869. 1099 Coutume de Poitou, titre II des donations, art. 206, BdR, tome IV, p. 794. 1100 Cf. BdR, tome IV, p. 795 et s.

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deux tiers des propres aux heritiers, soit descendans ou collatéraux, pour leur légitime, mais seulement pour faire que les heritages anciens et patrimoniaux demeurent dans la famille, dont les François ont un grand soin ». Cette différence, poursuit-il, se remarque en ce que parmi les coutumes qui prévoient une réserve des propres, il y en a qui laissent la légitime aux enfants, comme à Paris et à Orléans, car la réserve des propres et la légitime procèdent « de causes bien différentes »1101. Mais il est intéressant de souligner que tout le commentaire de cet auteur sur la légitime se trouve dans la glose explicative de l’article 95, c'est-à-dire celui qui établit la réserve des deux tiers des propres pour la coutume de Troyes. Si la différence théorique est claire, dans la pratique, étant donné que même les coutumes qui n’ont pas consacré la légitime l’appliquent, l’assimilation des deux est facile. Un autre texte coutumier plus tardif opère également cette confusion de vocabulaire. Dans la rubrique sur les testaments, article 1, la coutume de BerghSaint-Winox dispose que toute personne à partir d’un certain âge peut donner par testament le tiers de ses biens, « de sorte que chacun des héritiers doit avoir les deux tiers de son contingent pour sa legitime »1102. La quotité de deux tiers et la manière d’en disposer, par testament, font clairement référence à la réserve, même si elle est appelée ici légitime. Ce glissement de vocabulaire n’est pas seulement le fait de quelques textes de coutumes rédigées ou réformées. Les praticiens et les auteurs d’ouvrages à caractère doctrinal désignent également la réserve par le mot légitime. En voici quelques exemples. Jean Gousset commente la coutume de Chaumont en 1623. Sous l’article 82, qui établit la réserve des propres, il fait une glose qu’il nomme en marge notable discours de la légitime, identifiant la quotité de la réserve à la légitime1103. Lors de la plaidoirie en faveur de Charles-François de Saint Vaast, à qui sa sœur Marie demande sa légitime1104, l’avocat estime que les donations soumises à la légitime des autres enfants, dont il est question dans l’article 307 de la coutume de Paris, ont toujours été comprises comme des donations faites en héritages. Et cela « parce que les heritages d’un pere étant dès le moment de la naissance des enfans 1101 Louis LE G RAND, Coutume de Troyes, Paris, 1715, titre VI, des droits des successions, art. 95, glose II, n. 2-4, deuxième partie, p. 31. 1102 Coutume de Bergh-Saint-Winox, 1617, rubrique XXIII des testaments et frais funéraires, art. I : « Un chacun estant maistre de soy, soit homme ou femme, ou même une personne mineur, aussi bien bâtard qu’autre, estant âgé, sçavoir les filles de dix-huit ans et les masles des vingt ans, a la faculté de tester et de disposer par testament et par donation après la mort jusqu’au tiers de ses biens et non de plus, de sorte que chaucun des héritiers doit avoir les deux tiers de son contingent pour sa legitime, nets et deschargez de la donation et disposition testamentaire ; et entre lesdites donations du tiers en général, les fiefs n’y sont point compris, au regard desquels l’on se reglera selon les coutumes des cours dont ils sont tenus », BdR, tome I, p. 536. L’article suivant propose de réduire les legs excessifs audit tiers. Art. II : « Et si les legs et donations estoient trouvez exceder le tiers susdit, ils seront réduits audit tiers, même ceux ad pias causas », ibidem. 1103 « Et est ladite légitime des enfans destinée sur les propres et anciens heritages à les prendre eu egard aux biens que le pere avoit alors de sa mort […] et que les enfans se contentent de telle légitime des deux parts du naissant, encores qu’elles ne soient suffisantes pour nourrir tous les autres enfans ». Cette citation illustre bien la confusion, car le but de la légitime est précisément de laisser aux enfants de quoi subsister. Or, ici, il estime qu’ils doivent se contenter de la réserve, même si elle est insuffisante, réserve qu’il appelle légitime. Jean GOUSSET, Les lois municipales…, op. cit., art. 82, glose 29, p. 62. Rappelons qu’un arrêt de 1567, rendu dans cette coutume, avait admis la subrogation des meubles et acquêts quand la succession n’avait pas de propres. Cf. supra, partie I, chapitre II, section II, § 2, B. 1104 Cf. supra, chapitre I, section II, § 1, B, 1 b) de cette partie. L’affaire Saint Vaast date de 1642.

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affectez et hypothequez à leur legitime, ils ne peuvent passer en autre main qu’avec cette charge qui leur est naturelle ; mais lors que les mariages sont faits en deniers comptants, la raison contraire de la même coutume, qui empêche la suite par hypothèque sur les meubles, exclut toute prétention de legitime contre ceux qui ont touché des deniers »1105. Certes, c’est l’intérêt de son client d’exclure l’application de l’article 307 à des donations faites en deniers. Mais s’il peut essayer d’avancer un tel argument, alors que l’article ne précise pas la nature du don reçu, c’est bien parce qu’il rapproche la légitime de la réserve, qui ne protège que les biens propres, désignés par le terme héritage. L’argument ne peut aboutir car, si les propres sont protégés par la réserve, la légitime se prend sur tout type de biens, y compris les meubles, donc les deniers. Mais ce qu’on peut relever ici c’est la confusion entretenue entre réserve et légitime. La plaidoirie de l’avocat de l’enfant premier donataire dans l’affaire Veideau est plus explicite1106. Il invoque la « différence essentielle qu’il y a entre la liberté de disposer de son bien par contrat de vente et d’échange et la liberté de disposer par des donations entre vifs ; la liberté de vendre et d’hypothéquer est indefinie, la liberté de donner est restrainte à une certaine portion de bien, l’autre portion doit estre reservée aux heritiers du sang en directe et mesme en collaterale. Nous avons des coutumes en France, où soit qu’un homme ait des enfants ou non, il ne peut disposer par donation que d’une certaine portion de son bien, il est obligé de laisser le reste à ses héritiers présomptifs : par exemple dans les coutumes de Poitou, Touraine, Anjou et Maine, un homme ne peut disposer que du tiers de ses propres […] supposé que par une première donation il eust donné tout ce qu’il pouvait donner par la coutume, s’il veut faire une seconde donation elle est nulle de plein droit […] après sa mort, lorsque les héritiers sont en droit d’agir pour demander les deux tiers des propres, ils ne s’adressent qu’au dernier donataire. […] Dans la coutume de Paris, quand un homme […] a des enfants, ne peut donner que la moitié [de ses biens], il est obligé de conserver l’autre moitié à ses enfants pour leur légitime »1107. La confusion ici est particulièrement nette. Les coutumes d’Anjou, Touraine, Poitou et Maine ne connaissent pas la légitime, même après la réformation. Il s’agit de la réserve. La moitié indisponible de la coutume de Paris, en revanche, est la légitime de l’article 298. Paris connaît la réserve, qui est de quatre quints des propres, comme dans la plupart des coutumes d’option1108. A force d’utiliser le nom d’une institution pour désigner l’autre, la réserve et la légitime tendent à se confondre, du moins dans les explications des juristes. Ainsi, Pierre-Jacques Brillon observe à propos d’un arrêt rendu en la coutume de Boulonnais, qui permet au père de disposer des quatre quints des fiefs : « D’où on induisoit qu’ès acquêts cottiers et roturiers il n’y avoit point de quint ni de légitime »1109. L’identification de la réserve et de la légitime est nette, même dans la 1105

Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, 1733, tome I, livre IV, chapitre V, p. 320. Rappelons que l’affaire Veideau date de 1688. 1107 Nicolas NUPIED, Journal des Audiences, op. cit., tome V, livre IV, p. 167. 1108 Cf. coutume de Paris, 1580, art. 292, BdR, tome III, p. 51. 1109 Pierre-Jacques BRILLON , Dictionnaire…, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 23, col. 1. Jugé le 14 janvier 1625, au Journal des Audiences, tome I, livre 1, chapitre 33. « […] En la coutume de Boulenois, qui permet au père de disposer de tous ses meubles, acquêts et conquêts immeubles, en faveur de telles personnes qu’il lui plaît, même au préjudice de ses heritiers apparents, les enfans ne pouvoient prétendre le supplément de leur legitime sur iceux. Aussi que par autre article de la même coutume, il est permis au père de disposer de ses fiefs d’acquêts jusques aux quatre quints, le quint hérédital réservé aux 1106

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manière de poser la question, qui était de savoir si les puînés pouvaient demander la légitime sur les biens acquêts roturiers, dont le père avait disposé en faveur de l’aîné. Or la légitime se prend sur tout type de biens. La question n’est pertinente que si on parle de la réserve et, dans ce cas, la réponse négative est évidente. La coutume du Boulonnais ne connaît pas la subrogation. Claude Duplessis unifie la réserve, la légitime et le douaire par leur but, qu’il estime être identique : « la coutume a introduit trois voies au profit des enfants, pour restreindre les donations et libéralités faites par leurs père et mère, et ayeuls, dont ils peuvent choisir la meilleure et la plus expédiente, quand elle leur est ouverte ». C’est trois voies sont le douaire des enfants, la réserve et la légitime1110. Ce qui suppose déjà un changement, car la réserve à l’origine était destinée à protéger tout le lignage, et pas seulement les enfants ; alors que le douaire était au bénéfice exclusif de la femme et éventuellement des enfants, mais certainement pas des collatéraux. On s’achemine vers une confusion pure et simple entre les institutions, facilitée par le régime juridique adopté par la légitime en pays de coutumes. Mais, comme le remarque justement François Olivier-Martin, à propos du retrait féodal et du retrait lignager, il est nécessaire de faire la distinction entre la technique et l’esprit d’une institution1111. Or, si la technique qui triomphe est celle de la réserve, c’est bien l’esprit de la légitime qui l’emporte. D’où sa force : elle finit par englober la réserve, en ayant assimilé sa technique, pour la mettre au service de son esprit. B. La réserve, englobée dans la légitime La réserve n’est plus une institution différente de la légitime, caractéristique du droit coutumier : elle est devenue une sorte de légitime, un sous-ensemble qui a sa place dans la catégorie générale de légitime1112. Le terme légitime est appliqué à beaucoup de réalités différentes, qu’on spécifie par un épithète : légitime de droit1113, heritiers : d’où l’on tirait un argument à contre sens, qu’ès acquêts cottiers et roturiers il n’y avoit point de quint ni de légitime, et ce en confirmant la Sentence de Sénéchal de Boulogne. Plaidans Monsieur Talon, et Cornuaille le jeune », Jean DUFRESNE, Journal des Audiences, 1733, tome I, livre I, chapitre 33, p. 22. Cet arrêt est aussi cité par Laurent JOVET, La bibliothèque des arrests…, op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n. 9, p. 426. Cf. aussi Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 6, p. 305-306. 1110 Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chapitre III, p. 204. 1111 « Les motifs déterminants sont ici très différents, mais le mécanisme est le même. Pour le retrait féodal, le motif déterminant est le maintien des droits de supériorité du seigneur ; pour le retrait lignager, c’est la conservation des biens dans les familles. Le même instrument donne ainsi satisfaction à des besoins fort différents », François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume…, op. cit., tome II, p. 347348 [321-322]. Il signale en note : « E. de Laurière, en attribuant une origine féodale au retrait lignager comme au retrait féodal (Falletti, p. 100 et s.), n’a pas su établir cette distinction capitale entre l’esprit de l’institution et sa technique ». C’est exactement à notre avis ce qui est arrivé de manière générale avec la réserve et la légitime en pays de coutumes. 1112 « Le nom de légitime a été donné, par assimilation, à des institutions d’origine coutumière totalement étrangères au droit romain. Des auteurs comme de Ghewiet parlent dans ce cas de légitime de coutume, pour la distinguer de la légitime de droit. En Flandre, les textes coutumiers qualifient de légitime la réserve des deux tiers ; dans le pays de Liège, on appelle « légitime » le droit qu’a l’enfant, dès la mort d’un de ses parents, d’exiger la jouissance immédiate d’un tiers des immeubles qui lui sont à ce moment « dévolus ». Dans le quartier de Ruremonde prévaut une wettich deil équivalant aux deux-tiers de ce que chaque enfant aurait reçu ab intestat », Philippe GODDING, Le droit privé…, op. cit., n. 707, p. 396. 1113 Cf. par exemple Jean-Marie RICARD, Traité des Donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 9, n. 1117, p. 663.

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légitime coutumière1114, légitime statutaire1115, légitime naturelle1116... Il y a des institutions, ayant leur régime juridique propre, comme le droit d’aînesse, qui sont également appelées quelquefois “ légitime ” par certains auteurs1117. Denisart décrit les réserves coutumières en disant qu’elles « forment une espèce de légitime réservée à l’héritier »1118. Le terme “ légitime” est même appliqué au douaire1119, et 1114 Cf. Jean-Marie R ICARD , ibidem. Cf. aussi, par exemple, Robert-Joseph P OTHIER , Traité des successions, in Œuvres posthumes, Paris, 1777, tome I, p. 522. Ce terme désigne la réserve des propres. 1115 Cf. Claude DUPLESSIS, Traité des successions, op. cit., livre I, chapitre III, p. 204. Il entend par là la restriction des testaments. 1116 Ibidem. 1117 Cf. Denis LE B RUN, Traité des successions, Paris, 1692, p. 163. Il appelle le droit d’aînesse légitime féodale : il identifie les propres féodaux aux propres nobles, car il les oppose aux propres roturiers. On peut souligner le parallélisme qu’établit Eusèbe de Laurière entre les droits de l’aîné vis-à-vis de son préciput et les droits du légitimaire : « Il faut tenir pour très constant que l’aîné, quoique héritier, peut revendiquer son préciput et ses parts avantageuses, comme l’enfant, héritier de son père et de sa mère, peut agir contre leurs donataires pour lui parfournir sa légitime », Eusèbe de LAURIÈRE , Textes des coutumes de la prévôté et du vicomté de Paris, Paris, 1777, tome I, p. 37. Dans le sens du droit d’aînesse compris comme la légitime de l’aîné, voir également André Tiraqueau : « Ergo & idem dicendum in iure primogeniturae, quod & ipsa legitima est, ut diximus supra in 5 quaest » ; André TIRAQUEAU , Commentarii de nobilitate, et jure primigeniorum, 3e éd., 1594, q. 35, n. 10. On avait déjà cité ce passage. Après lui, Louis Le Caron affirme : « Et s’il convenait disputer de la légitime, je montrerais que la première et la plus ancienne, est celle qui appartient au premier né : tellement que contre l’égalité de l’équité naturelle, je proposerais celle que nous avons reçue de la loi divine », Louis LE CARON, op. cit., p. 133, réponse 39. L’argument de fond est une hiérarchie de valeurs. Ils font primer le droit d’aînesse sur le droit naturel de la légitime, parce qu’ils le considèrent de droit divin, alors que la légitime ne serait que d’équité naturelle. Voir aussi Gabriel Argou : « Le père ne peut pas ôter le droit d’aînesse à son fils aîné, ni le diminuer par des dispositions gratuites, soit entre vifs soit par testament, parce que le droit d’aînesse tout entier est une véritable légitime que la coutume donne au fils aîné. Le père ne peut transférer ce droit à un autre de ses enfants, parce que ce n’est pas le père mais la coutume qui l’accorde à l’aîné », Gabriel ARGOU, Institution au droit françois, op. cit., p. 493. Toujours dans le sens du droit d’aînesse comme une légitime coutumière, voir aussi Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 2 sur l’article 298, § 1, n. 20, p. 308. De même pour Claude DUPLESSIS, op. cit., livre I, chapitre III, p. 206. Du côté de la pratique, voici ce que l’avocat d’un aîné avance comme argument dans sa plaidoirie : « La proposition sur laquelle ce moyen est établi, sçavoir que les droits et prérogatives déferez dans les Fiefs aux aînez par nos Coutumes leur tiennent lieu de legitime, et en conséquence que les peres et meres n’y peuvent en façon quelconque y déroger directement ni indirectement, est un des grands principes de notre Jurisprudence Françoise, qui ne peut pas être susceptible de controverse ». Cf. plaidoirie de l’avocat du demandeur, dans un arrêt du 9 mai 1675, en la coutume de Poitou. Rapporté au Journal des Audiences par François JAMET DE LA GUESSIÈRE, éd. de 1733, tome III, livre II, chapitre 11, p. 96-99. La citation se trouve p. 97. Dans le même sens, lors d’une plaidoirie dans un arrêt du 16 juin 1682, un avocat affirme que « l’aîné a toujours comme une espèce de supplément de légitime, que la coutume lui conserve outre la légitime ordinaire ». Rapporté au Journal des Audiences par François JAMET DE LA G UESSIÈRE, éd. de 1733, tome III, livre IV, chapitre 29, p. 273. Il semble que tout puisse être qualifié de légitime : « Je regarde comme une espèce de légitime le don mobil que la coutume de Normandie attribüe au mari », Pierre-Jacques BRILLON, op. cit., tome IV, V° Légitime, p. 28, col. 2. « Don mobile, en Normadie, est un avantage qu’il est permis d’accorder au mari sur la dot de sa femme. […] Le don mobile est le tiers du mobilier ». Cf. Claude-Joseph de FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, 1771, V° Don mobile, p. 511, col. 2. 1118 Jean-Baptiste DENISART, Collection des décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, 6e éd., Paris, 1768, p. 17, n. 19. 1119 « Qu’est-ce qu’un Douaire ? Selon Loisel, dans ses Institutes livre 1, titre 3, art. 23 c’est une légitime prise par les enfants sur les biens de la mère, par le moyen et le bénéfice de leur mère », Eusèbe de LAURIÈRE, Textes des coutumes de la prévôté…, op. cit., tome II, p. 265. Voir également p. 441, ainsi que Claude de FERRIÈRE , Corps et compilation…, op. cit., 1714, glose 3 sur l’article 298, n. 19, p. 329 et tome I, glose sur l’article 17, n. 12-13, p. 418 : « Le douaire n’est qu’une légitime coutumière qui ne doit pas être plus forte que le droit d’aînesse […] » Il s’agit d’une plaidoirie en faveur du fils aîné d’un second mariage contre la fille du premier lit, qui veut s’en tenir à son douaire. On trouve la même idée dans Claude de FERRIÈRE, Nouveau commentaire sur la coutume de la prévôté de Paris, Paris, 1770, vol. I, p. 59 : « Le douaire tient lieu de légitime aux enfants ». « Dans tous les païs coutumiers du royaume le

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ce très tôt, dès le XVIe siècle1120. Ce résumé de Claude de Ferrière exprime bien cet amalgame : « Dans la coutume de Paris il y a trois sortes de légitime : celle des enfants, dont parle cet article [298] ; le douaire qui est propre aux enfants renonçants à la succession de leur père, sur quoi voyez l’article 250 ; les quatre quints des propres qui sont la légitime des collatéraux »1121. La légitime a pris à tel point le rôle principal, que les autres protections successorales semblent venir d’elle. Claude de Ferrière affirme : « la disposition du droit Civil, touchant la légitime, a paru si équitable, qu’elle a été reçue presque partout ; la coutume de Paris s’y est non seulement conformée, mais elle a encore introduit deux autres moyens en faveur des enfans, pour restraindre les donations et libéralitez que leurs peres et meres feroient à leur préjudice, dont ils peuvent choisir celuy qui leur est plus avantageux. Le premier est le douaire coutumier […], le second est la restriction des testaments, par lesquels on ne peut disposer que de ses meubles et acquêts ; et du quint des propres, même au profit d’autres enfans »1122. Cette formulation est très intéressante du point de vue de l’influence de la légitime, qui englobe toute mesure prise en faveur des enfants. En effet, à s’en tenir à sa manière de présenter les choses, on a l’impression que le douaire et la réserve sont introduits après la légitime, et en vue de la renforcer. Or, historiquement c’est le contraire. Remarquons au passage que le mot réserve est inexistant. Il apparaît effectivement de manière tardive au XVIIIe siècle. Il n’y a pas que la doctrine qui se sert de ce type d’arguments. On le retrouve également dans les plaidoiries des avocats, comme celle-ci, tirée d’un arrêt du 18 décembre 1683 : « les intimez ajoutoient que non seulement ladite donation universelle n’empêchoit point le douaire coutumier, mais qu’il n’avoit pas même esté au pouvoir des contractants de stipuler qu’il n’y en auroit point du tout, parce que ce seroit une espece de privation d’un droit qui tient lieu de légitime aux

douaire tient lieu de légitime aux enfans, auxquels par conséquent il devoit estre déclaré naturellement et universellement propre, suivant le droit commun de la légitime », arrêt du 28 février 1676, plaidoyer en faveur des créanciers du sieur de Lignieres, rapporté par Claude BLONDEAU et Gabriel GUERET, Journal du Palais, Paris, 1701, tome I, p. 744. À propos d’un calcul sur le choix le plus avantageux, de Laurière dit qu’il ne convient pas de renoncer à la succession du père pour demander la légitime sur le douaire de la mère, car « le douaire étant lui-même une légitime, il ne convient pas qu’ils [les enfants] y renoncent pour avoir une légitime moins forte, car elle ne pourrait être que d’une portion du douaire », Eusèbe de LAURIERE, op. cit., éd. 1777, tome II, p. 444. 1120 « J’ai répondu qu’il est bien recevable de demander les deux, parce qu’ils procèdent de diverses causes et par divers moyens : car le douaire procède des biens paternels, et est comme la légitime du côté paternel, que l’enfant ores qu’il ne soit héritier de son père prétend en iceux », Louis LE CARON, Responses ou décisions du droict françois…, op. cit., p. 50, réponse XCVII. 1121 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 3 sur l’article 298, n. 19, p. 329. Dans le même sens, Claude-Joseph de FERRIÈRE définit ainsi les quatre-quints dans son dictionnaire : « Est une espèce de légitime coutumière des biens propres, dont il n’est pas permis en pays coutumier de disposer au préjudice de ses héritiers. Elle leur doit demeurer franche et quitte de legs et toutes autres charges testamentaires ». Pourtant, il ne confond pas leur fondement, puisqu’il ajoute que « le motif [de la réserve des quatre-quints des propres] a été de conserver dans les familles les biens propres », cf. Claude-Joseph de FERRIÈRE , Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, 1758, tome II, V° Quatre-quints, p. 446. Par ailleurs, il définit la réserve coutumière comme « les parts et portions que les coutumes assurent à nos héritiers ab intestat, dans nos propres ou dans nos autres biens. Cette réserve est une espèce de légitime qui a été établie en faveur de tous les héritiers ab intestat, soit en ligne directe soit en ligne collatérale », cf. ibidem, V° Réserve, p. 545. 1122 Claude de FERRIÈRE, Corps et compilation…, op. cit., 1714, tome IV, glose 1 sur l’article 298, n. 6, p. 297.

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enfants, privation qui seroit aussi injuste qu’une exheredation sans cause »1123. Et un peu plus loin, il persiste : « Le douaire est réservé aux enfans sur les biens du pere, pour leur tenir lieu de légitime : et comme par le droit commun la legitime ne sçauroit estre diminuée par quelque charge que ce puisse estre, tout de même le douaire est une espece de bien privilegié, qui se conserve tout entier sans (sic) la protection de la loy, affranchy de toutes dettes et de toutes charges dès le moment qu’il est acquis »1124. En l’espèce, le mari avait fait une donation mutuelle de tous ses biens à sa femme. De même, dans une affaire concernant le tiers coutumier de Normandie, les enfants d’un père de famille soutiennent que « le tiers coutumier qui est leur légitime et que la coutume leur conserve avec beaucoup de soin, leur étoit acquis du jour du mariage de leur père, pour la propriété des fonds, et leur étoit ouvert pour jouir des fruits du jour dudit abandonnement ». En l’espèce, les créanciers du père vivant contestaient que les enfants puissent jouir des fruits des biens que leur père leur avait abandonnés1125. Toujours dans le même sens d’identification, un avocat plaidant dans une affaire au sujet de l’interprétation de l’article 278 de la coutume du Maine affirme que « la légitime des enfans au Païs du Maine est la portion héréditaire : les pere et mere ne peuvent la diminuer par aucun acte ; c’est ce qui donne aux enfans l’action contre les donataires, pour rapporter ce qu’ils ont reçu à ce que le bien soit partagé également entre les enfants »1126. Il appelle légitime la part ab intestat, puisque la coutume du Maine est une coutume d’égalité stricte, où le rapport est forcé. C’est encore un élargissement de vocabulaire, la légitime voulant dire tout simplement la part qui revient à l’héritier, quelle que soit sa forme ou les moyens par lesquels il y accède. La légitime, à l’origine, est une portion de la part ab intestat. Jean Dufresne rapporte un arrêt qui illustre particulièrement notre propos. Voici ce qu’on lit dans le Journal des Audiences : « Le lundy 10 juin 1624 au Rôle de Poitiers fut jugé qu’en la Coutume d’Anjou, qui ne dispose particulièrement quelle doit être la légitime, qu’il la falloit regler aux deux tiers, dont la coutume défend de tester, ou disposer par testament. Le differend étoit survenu en execution d’un autre Arrêt donné aux Enquêtes, entre les creanciers d’un père et ses enfants. L’ayeul voyant le mauvais ménage de son fils, […] par son codicile avoit donné tous ses biens à ses petits-enfants. Procès à la requête des créanciers, qui disoient que la disposition ne pouvoit subsister, étant faite en fraude d’eux, qui ont contracté de bonne-foy, sous l’assurance de la succession qui devoit écheoir au fils leur débiteur. Sur quoi intervint arrêt, par lequel la Cour ordonna que les créanciers se pourvoiroient sur la légitime de leur débiteur, sans la définir. En exécution de cet arrêt, autre contestation sur les lieux pour déterminer la légitime. L’on soutint que la coutume d’Anjou ne disposant de la légitime, il falloit avoir recours au Droit écrit, suivant l’Authentique de treinte et semisse. Les juges d’Angers la définirent aux deux tiers des biens, dont l’ayeul n’avoit pu disposer par testament, dont appel. Par 1123

François JAMET DE LA GUESSIERE, Journal des Audiences, Paris, 1685, tome IV, livre VIII, p. 785. Le douaire concernait une maison sise au faubourg Saint-Germain-des-Prés à Paris. Il est rapporté aussi dans l’édition de 1733, tome III, livre IX, chapitre 30, p. 796-803. 1124 Ibidem. La citation se trouve p. 799 de l’édition de 1733. Il faut probablement lire « sous la protection de la loi », et non « sans la protection de la loi ». 1125 Arrêt du 9 mai 1691. Rapporté par Nicolas NUPIED , Journal des Audiences, éd. 1733, tome IV, livre 6, chapitre 26, p. 343. 1126 Arrêt du 21 août 1683, rapporté par François JAMET DE LA GUESSIÈRE, Journal des Audiences, éd. de 1733, tome III, livre IX, chapitre 21, p. 711-714. La citation se trouve p. 711.

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arrêt, l’appelation à néant, ordonné que ce dont étoit appel, sortiroit son effet. En quoy il semble qu’au premier arrêt il eut été plus équitable d’ordonner que les créanciers seroient subrogés aux droits du père leur débiteur, pour poursuivre le droit successif qui lui devoit échoir ab intestat, et dont il n’avoit été loisible à l’ayeul de disposer par testament, auquel cas en exécution d’arrêt, il n’eût été question que de disputer la disposition des deux tiers des biens desquels l’ayeul n’avoit pu disposer par la coutume, au préjudice de son fils, et en fraude de ses créanciers, suviant la doctrine des arrêts rapportez par Maître René Chopin sur la coutume d’Anjou […] »1127. Cette affaire est intéressante parce qu’elle montre que le réflexe est déjà acquis d’identifier tout droit des enfants à la succession de leur père à la légitime, même dans des coutumes qui ne l’ont pas incorporée. Cet arrêt est d’autant plus remarquable que, comme le commente à juste titre Jean Dufresne, la coutume d’Anjou possédait les moyens juridiques pour garantir au fils une partie des biens de son père. C’était, bien sûr, la réserve des deux tiers. Au lieu d’y faire appel, les premiers juges ordonnent de distraire la légitime au profit des créanciers. Or, lorsque éclot un nouveau procès pour déterminer la quotité de la légitime, il n’y a pas de la part des juges de requalification juridique. Ils n’écartent pas la légitime, mais ils l’accommodent à la coutume d’Anjou. Puisque la légitime est comprise comme étant une portion indisponible, et que la coutume en prévoit une de deux tiers par voie testamentaire, il est décidé d’unifier purement et simplement la réserve et la légitime. On aurait pu se poser la question de savoir s’il fallait appliquer le droit romain ou la coutume de Paris, d’autant plus que la date de l’arrêt, 1624, est assez ancienne. Mais les juges ne le font pas et procèdent simplement à l’identification. Désormais, la coutume d’Anjou connaît la légitime, qui est des deux tiers1128. Il n’y a aucune résistance à ce raisonnement. La légitime a déjà assumé la réserve et l’a englobée dans sa famille. Forte de cette position, elle commencera à influencer le régime juridique de la réserve, en même temps qu’elle se laisse transformer par la réserve. Ainsi raisonne, par exemple, Jean-Marie Ricard : « Je ne fais pas difficulté que pour les mêmes causes pour lesquelles ceux qui ont droit de legitime en peuvent être exclus par ceux de la succession desquels il s’agit, les heritiers qui sont appellez par nos coutumes à une certaine portion de la succession, comme aux quatre quints des propres, dont nous ne pouvons pas disposer par testament, au préjudice de tous les heritiers du sang, n’en puissent être privés par les mesmes considérations : la légitime étant due par un titre beaucoup plus authentique, que n’est pas cette portion coutumière »1129. La réserve est analysée à partir des caractéristiques de la légitime. Parler d’exhérédation pour la réserve, c’est aller tout à fait à l’encontre de son esprit. C’est déjà un raisonnement de type moral, puisqu’il suppose qu’on ait pu démériter, qu’on puisse être déchu d’un droit naturel par un comportement fautif. Or, la réserve 1127

Jean D UFRESNE , Journal des Audiences, 1733, tome I, livre I, chapitre 27, p. 17. Cet arrêt est également rapporté par Louis LE GRAND, Coutume du Baillage de Troyes, 3e éd., Paris, 1715, titre VI du droit des successions, art. 95, glose II, n. 8, deuxième partie, p. 31. Il est simplement cité par Laurent JOVET, La bibliothèque des arrests de tous les Parlements de France, op. cit., vol. 1, lettre L, légitime, n. 8, p. 426, ainsi que par Jean DELALANDE, Coutumes des duché, baillage, prévôté d’Orléans…, op. cit., art. 274, p. 316. 1128 Elle passera ensuite à la quotité de l’article 298 de la coutume de Paris, du moins lorsqu’on est en présence de biens substitués par un aïeul au profit de ses petits-enfants. C’est ce que détermine l’arrêt du 6 septembre 1674 concernant la succession de René de Bueil, et qu’on a longuement exposé en parlant du droit commun au sujet de la légitime. Cf. supra, partie II, chapitre I, section I, § 2, B 2). 1129 Jean-Marie RICARD, Traité des donations…, op. cit., tome I, partie III, chapitre 8, section 4, n. 971, p. 629.

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n’est pas issue, répétons-le, d’un devoir moral. Seul le sang peut désigner les bénéficiaires de la réserve. Etre lignager, voilà la seule condition, nécessaire et suffisante, pour avoir droit à la réserve1130. La place prépondérante de la légitime semble évidente, au point que le plan du traité des donations de Pothier s’en fait indirectement l’écho. Dans ses Œuvres posthumes, la légitime est traitée dans l’article V de la troisième section. La réserve vient après, dans l’article VI, et sous le nom de légitime coutumière1131. Par ailleurs, l’ordonnance sur les donations de Daguesseau unifie aussi les différentes protections successorales. « A consulter l’ordonnance, on soutiendrait aisément que l’ancien droit français n’a connu qu’une institution réservant à certains héritiers partie des biens du disposant sous le nom de légitime. C’est, en effet, le seul terme dont l’ordonnance se serve. Or, il est à peine besoin de faire remarquer qu’à peu près toutes les coutumes renferment, au contraire, des dispositions sur une autre institution, la réserve des propres. Et si les deux institutions ont fini par se compléter, primitivement elles s’opposent »1132. La légitime est devenue un terme global pour désigner la quote-part destinée à l’héritier par la coutume : « S’il y a des biens dans différentes coutumes, peuventils prendre leur légitime de droit dans l’une, et les réserves coutumières dans l’autre ? On pense qu’ils le peuvent faire, pourvu que dans l’une de ces coutumes il n’y ait aucune légitime de droit, parce qu’en ce cas leur qualité est uniforme partout, que le terme légitime est un terme générique qui embrasse ce que la loi assure à l’héritier légitime, que la réserve d’une portion des propres étant la seule ressource que la loi donne aux enfans ; c’est en ce cas une véritable légitime dont la quotité doit se régler par la coutume qui régit les biens, étant de principe que la légitime est réelle, ce qui me paroit juste, parce qu’il faut regarder qu’il y a autant de diverses successions qu’il y a de différentes coutumes qui régissent celle qu’il s’agit de liquider »1133. En réalité, la légitime, par les modifications qu’elle subit en pays de coutumes, loin de perdre son identité propre, élargit son rayonnement, au point qu’au lieu d’être le terme d’une espèce particulière, elle devient un mot générique au sens strict du terme. La légitime est devenue un genre, dont la réserve est désormais une espèce. L’ayant d’abord attirée à elle, la réserve aurait pu rester la protection successorale coutumière par excellence. Mais son absence d’adaptation aux temps 1130

Ce qu’il importe de souligner ici, c’est que la volonté du de cujus n’a aucun pouvoir pour désigner les bénéficiaires de la réserve. Il a déjà été dit que pour bénéficier effectivement de la réserve, il faut être lignager, successible et se porter héritier. Cf. première partie, chapitre I, section I, § 1, B, in fine. 1131 « Il y a quelques coutumes qui défendent de disposer, par donations entre vifs, au-delà d’une certaine portion des propres. Telle est dans notre voisinage la Coutume de Blois, qui porte que les personnes qui ne sont pas nobles, ne peuvent donner entre vifs plus de la moitié de leurs propres. Cette portion des propres dont les coutumes défendent de disposer, est une espèce de légitime qu’elles accordent aux héritiers du donateur, de la ligne d’où les propres procèdent. On appelle cette légitime coutumière, à la différence de celle dont nous avons parlé à l’article précédent, qui se nomme légitime de droit », RobertJoseph POTHIER , op. cit., section III, art. VI, p. 216-217. Bourjon utilise également le terme légitime coutumière pour parler de la réserve : « Il y a encore la légitime coutumière qui est la réserve des quatre quints des propres, qu’on ne peut entamer par testament […] », François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome I, partie II, section I, § 4, p. 868. 1132 Henri REGNAULT, Les ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les donations et l’Ordonnance de 1731, Paris, Sirey, 1929, p. 93. 1133 François BOURJON, Le Droit commun…, op. cit., 1770, tome I, partie II, section II, § 10, p. 870. Il se fait l’écho de la position de Claude Duplessis.

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nouveaux, comme on l’a montré, l’empêche de tenir ce rôle1134. Ce qui pouvait être une nature forcée pour la légitime est devenu son plus bel atout. Sans rien perdre de sa romanité, elle s’habille des traits coutumiers, et ce mariage l’élève à un rang supérieur depuis lequel elle régnera désormais en maître du droit successoral. Certes, son costume en pays coutumier a changé. Elle est devenue une pars hereditatis, elle est conçue –à l’image de la réserve– comme une part indisponible du patrimoine du de cujus1135. Il faut se porter héritier pour en bénéficier et, en principe, elle doit être délivrée en corps héréditaires. Pourtant, sa nature profonde demeure et part à l’assaut de la logique successorale coutumière d’autant mieux armée que les coutumes ont cru la gagner à leur camp. Elle reste fondamentalement la traduction juridique d’une obligation morale : celle de pourvoir à la subsistance des enfants mais, aussi, de veiller à une certaine égalité à l’intérieur de la fratrie. L’équité demande cet équilibre entre droits individuels. La légitime lui permet de se faire entendre. D’où les exceptions que nous avons signalées : retenir la légitime par le biais de l’article 307 de la coutume de Paris ; possibilité de la laisser en usufruit pour que les petits-enfants trouvent dans la succession de leur père et de leur aïeul de quoi subvenir à leurs besoins. Ce changement est subtil. Il n’était pas automatique. Par contraste avec cette évolution, une institution typiquement coutumière comme le retrait lignager, dont on perçoit clairement l’entrave qu’il suppose pour la liberté du commerce, semble immuable. Pour preuve, ce qu’en dit le premier Président Guillaume de Lamoignon dans ses arrêtés : « Et comme les retraits lignagers passent pour droit commun dans les provinces régies par coutume, il importe de donner un règlement général et certain en tous les lieux où le retrait lignager est en usage, puisqu’il serait fort difficile et presque impossible de l’abroger »1136. La légitime, en englobant la réserve, a trouvé un équilibre entre la dévolution successorale testamentaire, dont elle est issue, et la dévolution légale qui l’a adoptée. Elle a su s’adapter en gardant son identité profonde. Même si elle apparaît alors comme une institution hybride, c’est riche de cette double tradition qu’elle arrive aux dernières décennies du XVIIIe siècle. La doctrine et la pratique ont éclairci les questions les plus épineuses et, si les querelles ne sont pas tout à fait closes, elle avance de manière empirique pour sauvegarder ce qui est devenu l’essentiel : le devoir familial, compris comme la protection des enfants et leur égalité face à la succession. Le 8 août 1788, Louis XVI convoque les États Généraux. Ils ne s’étaient pas réunis depuis 1614. Ils allaient le faire le 1er mai 1789. C’est tout l’Ancien Régime qui se trouvera bouleversé par la nouvelle période historique qui s’annonce. Dans la volonté de renouveau radical au sens le plus fort du terme, tout doit être touché par le changement, car un nouvel homme doit sortir de la Révolution. Loin d’échapper à l’air du temps, le droit successoral sera un des plus touchés. La relation équilibrée et 1134

Cf. supra, partie I, chapitre II, section 2, § 2. Réserves : « Par ces mots les juristes entendent l’affectation d’une partie des biens du défunt aux héritiers du sang », Jean-Jacques CL È R E , « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques et politiques du droit des successions », in Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 43e fasc. (1986), Dijon, 1986, p. 13. 1136 Cf. Guillaume de LAMOIGNON, Recueil d’Arrêtés, op. cit., édition de 1702, titre du retrait lignager, p. 113. 1135

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nuancée entre la légitime et la réserve, à laquelle on était parvenu sera mise à l’épreuve, comme bien d’autres aspects, par la législation révolutionnaire. Et, après cette tourmente, c’est sous le nom de réserve que la légitime sera consacrée par le Code civil.

CHAPITRE II LA CONSÉCRATION DE LA LÉGITIME COUTUMIÈRE

Sans le sursaut révolutionnaire, la légitime aurait probablement continué son évolution de manière empirique. A la fin du XVIIIe siècle, elle a acquis une place certaine en pays de coutumes et semble naturelle à l’ensemble des juristes. Elle porte en elle la capacité d’unifier le régime successoral en une seule institution, qui se décline en plusieurs espèces, comme la réserve et, dans certaines coutumes, le douaire. Elle en est arrivé à désigner toute protection successorale au bénéfice des descendants du de cujus. En pénétrant en pays coutumier, elle a rendu familier le souci d’égalité entre les enfants du de cujus ou, au moins, le respect d’une certaine proportion entre les parts que chacun recueille dans la succession de leur auteur commun. Son lien avec un devoir moral issu de la nature la fait accepter par tous : elle n’est, en définitive, que la traduction juridique d’un impératif d’un autre ordre. Ces caractéristiques ne la rendent pas nécessairement déplaisante aux révolutionnaires. En effet, le Tiers État a été « surtout dominé par l’idée d’une égalité civile entre tous les hommes, fondée sur la nature. Cette idée a été accréditée par les philosophes »1137. Mais il est de l’essence de l’œuvre révolutionnaire de tout passer au crible, d’aller jusqu’aux fondements de la société, pour la rebâtir sur de nouvelles bases. Ce n’est pas la légitime ou la réserve qui sont mises en cause : c’est tout le droit successoral qui est analysé, critiqué ou reformulé ; afin de l’adapter aux besoins nouveaux et de le rendre conforme aux grands principes inspirateurs de la Révolution. Ces principes, quels sont-ils ? Il n’y a pas d’uniformité dans la pensée du XVIIIe siècle qui inspire la Révolution. Deux pôles se dégagent aisément : l’individualisme et l’étatisme. Ces notions correspondent à une certaine vision de la société, ainsi que de la personne humaine et de sa nature. Dans le domaine du droit, l’opposition entre les deux courants trouve un terrain d’affrontement dans la conception de la loi et du droit naturel. « Pour les uns (comme Voltaire ou Diderot) les lois doivent se fonder sur le Droit naturel –une formule magique qu’on entendra souvent sous la Constituante pour justifier n’importe quelle disposition législative. Elles ont également pour but la protection et l’épanouissement de l’individu. Pour d’autres (comme Rousseau ou Mably), c’est l’utilité sociale qui détermine les lois ; elles doivent donc répondre aux besoins de la société et de l’État »1138. Les débats sur le droit successoral se situent dans ce contexte d’influences multiples. Cependant, les questions abordées sont loin 1137 François OLIVIER-MARTIN, Histoire du droit français des origines à la Révolution, Paris, CNRS, (réimpression de l’édition de 1948), 2005, p. 660. 1138 André BURGUIÈRE, « La famille et l’État. Débats et attentes de la société française à la veille de la Révolution », in La famille, la loi, l’État, CNRS, Paris, éd. Centre Georges Pompidou, 1989, p. 151-152.

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d’être nouvelles. La discussion au sujet du fondement du droit successoral, notamment son lien avec le droit naturel, est une querelle ancienne1139. Simplement, son caractère politique s’accentue au XVIIIe siècle1140. « C’est en fonction d’une explication globale du monde que sont pensés les fondements du droit successoral 1141». Or, le propre de la Révolution est de donner une autre explication globale du monde, en opposition à celle qui l’a précédée. Dans ce contexte, qu’adviendra-t-il de la légitime ? En pays de coutumes, elle avait permis d’établir un équilibre entre deux logiques successorales différentes : celle de la réserve, protectrice du lignage et fondée sur la dévolution légale ; et celle de la légitime, donnant priorité à la dévolution testamentaire. Elle avait su incorporer à ces deux types de dévolution la composante morale, reliée au droit naturel. Elle était parvenue à une synthèse. Elle était devenue le terme général pour désigner toute protection successorale, sous forme de quote-part destinée aux enfants. Son esprit et son régime juridique étaient adaptés à l’ordre social en vigueur. Si cet ordre était bouleversé, pouvait-elle se maintenir ? Et à quel prix, si elle y parvenait? Ainsi, le sort de la légitime ne peut être étranger aux bouleversements que subit la société et, plus précisément, le droit successoral entre 1789 et 1804. Cependant, retracer toute l’évolution du droit successoral s’éloigne du fil conducteur de nos recherches. L’objectif est de repérer les éléments qui permettent de comprendre l’incidence de la remise en cause du droit successoral sur la légitime, et dans quelle mesure l’époque révolutionnaire prépare le droit successoral du Code civil et la place de la légitime dans celui-ci. La remise en cause du droit successoral faite par la Révolution subit les secousses des changements politiques et l’influence de l’idéologie1142. Les Assemblées votent des lois sur des sujets particulièrement sensibles à l’influence des idées nouvelles. Les droits de l’enfant naturel ou l’égalité des partages dans les successions ab intestat en sont des exemples. Il s’agit d’accorder le droit privé aux principes inspirateurs de la Révolution. On verra en quoi la légitime peut être concernée. Mais, au-delà du vote de mesures concrètes, les révolutionnaires cherchent à faire œuvre unificatrice en matière de droit privé. Cambacérès incarne la volonté de rédiger un Code unique de lois civiles1143. Pourtant, ce n’est que sous le Consulat 1139

« Vieux débat s’il en fut en effet : il est dès le Moyen Âge au cœur des controverses universitaires et les textes sur lesquels il s’appuie témoignent de sa présence dans l’Antiquité. Sur quoi le droit de succession repose-t-il ? Sur le droit de propriété répondra-t-on, ce qui suppose résolue la « légitimité » de ce droit et de sa transmission… Mais si c’était l’inverse ? […] Retenons que c’est en fonction d’une explication globale du monde que sont pensés les fondements du droit successoral », Anne LEFEBVRETEILLARD, Introduction historique…, op. cit., n. 237, p. 310-311. Cf. également l’article de PADOVANI, « Le fondamenta giuridiche del testamento nella dottrina medioevale », in Actes à cause de mort, Recueil de la Société Jean Bodin, tome 61, troisième partie, Bruxelles, 1993, p. 173-196. 1140 Cf. Anne LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique…, op. cit., n. 237, p. 312. 1141 Cf. ibidem. 1142 « De toute la législation civile de la Révolution, l’œuvre réalisée en matière successorale est sans doute, avec le mariage, la plus fortement marquée par l’idéologie », Jacques P OUMARÈDE , « La législation successorale de la Révolution entre l’idéologie et la pratique », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 167. 1143 Même s’il a eu la charge de les présenter aux Assemblées révolutionnaires, « ces projets ne sont pas le fait d’un seul homme, mais de plusieurs rassemblés dans le Comité de législation de la Convention puis dans la commission de la classification des lois du Conseil des Cinq-Cents. Ces deux formations rassemblaient d’éminents juristes, notamment Merlin (de Douai), Garran-Coulon, Berlier et Oudot. Si

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que Bonaparte parviendra à le réaliser. Dans cette unification, le droit successoral apparaît comme une transaction entre les différentes traditions juridiques1144, soumis aussi à l’influence de la législation révolutionnaire. A la fin du XIXe siècle, on considérera que le Code Napoléon rompt avec la législation révolutionnaire. Cependant, il existe une continuité entre les fondements du droit successoral révolutionnaire et ceux du Code civil1145. Les premières lois successorales de la Révolution opèrent un remaniement important en cette matière. Mais l’exaltation du changement ne peut être qu’éphémère : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie », proclament les consuls le 15 décembre 17991146. S’ouvre alors une nouvelle phase qui continue l’œuvre des hommes de 1789, car les rédacteurs du Code ne font pas table rase de l’apport révolutionnaire. C’est au milieu de ces revirements qu’il faut suivre la vie de la légitime. Les révolutionnaires l’ont reçue au stade de synthèse de la protection successorale des enfants, fondée sur la nature. Il faut chercher ce qu’est devenue la légitime dans la tourmente révolutionnaire (section I), avant d’aborder le retour à l’équilibre (section II) qui culminera avec le Code civil.

SECTION I LA LÉGITIME DANS LA TOURMENTE RÉVOLUTIONNAIRE

Les États Généraux convoqués pour le mois de mai 1789 s’ouvrent avec la lecture des cahiers de doléances. Il est intéressant de voir quelles requêtes pouvaient être faites en ce qui concerne le droit privé. On constate que le droit familial, et le droit successoral en particulier, est le plus souvent absent de ces cahiers1147. De même, rares sont les pétitions d’unité des lois sur le droit privé1148 : « La réforme du droit privé n’apparaissait pas, dans son ensemble, comme une urgence »1149. Cependant, quelques demandes intéressent la légitime.

Cambacérès a apporté l’unité de pensée et de rédaction aux projets de Code civil, il est loin d’en être le seul inspirateur », Julien BOUDON, « Les projets de Code civil ‘de Cambacérès’ et le thème de l’imitation de la nature (1793-1804) », in Droits, (naissance du droit français/2), Paris, PUF, n. 39, 2004, p. 91. 1144 Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, Paris, PUF, 1992, p. 283. 1145 Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit. Voir également Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil… », op. cit., p. 7-56. 1146 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 265. 1147 « L’analyse de deux corpus (571 Cahiers de bailliages et 902 Cahiers primaires) indique que l’on n’y parle pratiquement pas de la famille et de son droit, pas plus d’ailleurs que du droit d’aînesse ou du droit successoral, mais que beaucoup évoquent sans s’y arrêter la réforme des lois civiles et criminelles. Tout se passe comme si les problèmes de droit successoral ne préoccupaient pas les Français, comme s’ils appréciaient les systèmes en usage », Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification, uniformité législative et diversité du monde rural », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 256. 1148 « De manière générale, sous l’Ancien Régime, la personne juridique est considérée comme partie d’un corps –qui défend jalousement ses privilèges–, plus que comme un individu maître de ses droits ; ce qui explique que peu nombreuses et de peu d’ampleur sont, dans les cahiers de doléances, les plaintes relatives à la diversité des coutumes et des usages juridiques », Jean BART, « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 263. Cet article est également publié dans Jean BART, Du droit de la Province au droit de la Nation, Publications du Centre Georges Chevrier, volume 17, Dijon, 2003, p. 631-645. 1149 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 76.

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Une série de revendications concerne le droit d’aînesse, qui heurte le désir d’égalité, si enraciné dans l’esprit coutumier pour les roturiers. Parmi les bailliages et sénéchaussées qui demandent la suppression du droit d’aînesse, on trouve la sénéchaussée d’Anjou. La demande concerne aussi l’abolition de la différence de régime entre les biens meubles et les biens immeubles1150. D’autres bailliages souhaitent une unification du régime des fiefs et des biens roturiers, au profit de l’égalité et au détriment du droit d’aînesse. Tel est le cas, par exemple, de la ville et comté d’Hénin-Liétard, ou du village de Courtiches, qui semble limiter la demande d’égalité au profit des familles roturières1151. Les bailliages de Melun et Moret veulent également supprimer le droit d’aînesse accordé aux roturiers1152. De leur côté, les nobles d’Etampes demandent l’alignement du régime des fiefs sur l’égalité en vigueur pour les partages roturiers1153. Les plaintes qui concernent directement le droit privé se centrent donc sur la demande d’égalité. Quelle place occupe la légitime dans les cahiers de doléances ? Elle ne semble pas faire l’objet de revendications particulières. La raison principale est sans doute qu’elle existe dans toutes les coutumes. On ne revendique pas une institution en vigueur. Son régime juridique devait également paraître satisfaisant, puisqu’on n’en demande pas la réformation. Cependant, il faut se garder de tirer trop de conclusions du silence des cahiers de doléances. Ils fournissent des renseignements surtout sur le fait que la préoccupation principale en droit privé concerne les questions liées au droit pénal ou à la procédure. Les cahiers de doléances ne sont pas une consultation exhaustive sur la réforme du droit privé.

1150

Art. 18 : « Tous les biens meubles et immeubles seront à l’avenir également partagés dans toute l’étendue du royaume, entre les héritiers sans aucune distinction de droit d’aînesse, attendu que la grande inégalité des fortunes qui résulte du contraire, est vexatoire pour les individus et préjudiciable au bien général ». Cf. Voeux et demandes des communes des cinq sénéchaussées de la province d’Anjou. Rédigés dans l’assemblée générale d’Angers le 19 mars 1789 pour être présentés à l’Assemblée des États généraux, in M. J. MAVIDAL et de M. LAURENT, Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises imprimé par ordre du corps législatif, première série (1789 à 1799), tome II, États Généraux. Suite des cahiers des sénéchaussées et bailliages. Paris, librairie administrative de Paul Dupont, 1875, p. 42. On les citera désormais comme AP, suivi du tome et de la page correspondants. 1151 Cf. AP, tome II, Cahier de doléances de la ville et comté d’Hénin-Liétard, art. 50, p. 90, tome III, Cahier des plaintes, doléances, très humbles et très respectueuses remontrances du tiers-état du village, corps et communauté de Courtiches, formé en assemblée tenue extraordinairement le 19 mars, en l’hôtel de ville ordinaire, art. 24, p. 198 : « Que sa Majesté soit très instamment suppliée de supprimer le droit d’aînesse ou préciput ; d’ordonner en conséquence dans les familles roturières que tous les fiefs et nobles tenements, sans différence ni de sexe ni d’âge, soient partagés également entre les héritiers légaux, et qu’il soit dérogé aux coutumes défavorables aux puînés et cadets de famille. [...] Tout frère est issu du même sang, nous devrions être tous égaux ». Dans le même sens de demande de partages à égalité des fiefs, voir les doléances des habitants d’Attainville, diocèse de Paris, et du bourg de Claye (ressort de la prévôté de Paris), AP, tome IV, art. 17, p. 322 et art. 8, p. 443 respectivement. 1152 Cf. AP, tome III, art. 11, p. 748. Cet article se fait l’écho du désir d’unité de la loi : « Qu’il soit délibéré sur les inconvénients des coutumes locales et les avantages d’une seule loi ; que, dans tous les cas, le droit d’aînesse en faveur des roturiers, accordé par un grand nombre de coutumes, soit aboli ». On pourrait multiplier les exemples. On a trouvé une quinzaine de cahiers contenant des demandes de suppression du droit d’aînesse. La plupart font référence aux roturiers, mais certains réclament une égalité pour les nobles, par exemple, le cahier de Châtillon-sur-Indre qui propose de réformer dans ce sens la coutume de Touraine. Cf. AP, tome VI, art. 6, p. 55. Parfois, les articles demandent la suppression d’autres sources d’inégalités, comme le privilège de masculinité ou les substitutions. 1153 Cf. chapitre III, article 9 : « La plupart de nos coutumes accordent aux aînés la majeure partie des biens en fiefs ; cela occasionne des animosités dans les familles, dont on doit faire en sorte de conserver l’harmonie : réformer en conséquence cette disposition et rétablir l’égalité pour le partage de ces biens comme pour ceux en roture », AP, tome III, Des plaintes et doléances de la noblesse d’Etampes, p. 286.

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Malgré tout, un cahier, celui de Valenciennes, fait référence explicite à la légitime : « Qu’il soit accordé un droit de légitime sur les biens de toute espèce à tout enfant et que la hauteur en soit déterminée »1154. On a déjà analysé les dispositions de la coutume préciputaire de Valenciennes1155. En 1539, elle n’utilise pas le terme légitime ; elle s’en sert de manière vague dans la réformation de 1619, sans consacrer explicitement l’institution. Maintenant, en 1789, ses représentants demandent une clarification de la pratique, qui admet sans doute l’existence de la légitime, comme toutes les autres coutumes. C’est l’aboutissement d’une progression lente, mais qui a existé probablement dans toutes les coutumes, de manière plus ou moins explicite. La légitime est donc loin d’être au centre des préoccupations des Français à cette époque. Pourtant, le droit successoral est la matière de droit privé sur laquelle le législateur révolutionnaire intervient le plus souvent, ce qui manifeste son importance politique et sociale1156. Deux thèmes majeurs, en rapport avec la légitime, émaillent les discussions de l’Assemblée constituante, puis de l’Assemblée législative et de la Convention. D’une part, l’égalité des partages, d’autre part, le fondement du droit de tester. Les deux questions sont liées car, en droit successoral, tout se tient : « L’engrenage de l’égalité remettait en cause les successions testamentaires après les successions ab intestat. « Tout est lié dans l’État civil », reconnaissait Mirabeau »1157. Or, il n’est pas possible de toucher aux fondements du droit successoral sans que la légitime s’en trouve affectée d’une manière ou d’une autre. Cet attrait pour les fondements et les principes n’est pas étranger à l’opinion de l’époque1158. Certaines doléances s’en font l’écho, comme l’article 19 du cahier de l’assemblée générale d’Angers : « la loi des substitutions sera abolie comme injuste en ce qu’elle frustre les créanciers, et comme absurde en ce qu’elle lie les vivants par la volonté des morts »1159. La protection des intérêts des créanciers a une portée pratique, mais le fondement avancé par l’assemblée d’Angers manifeste une certaine idée du droit de propriété et de la liberté testamentaire. L’hostilité vis-à-vis des testaments est claire. Elle renoue avec la tradition coutumière, qui n’a jamais perdu complètement la méfiance vis-à-vis de la liberté du testateur. Mais elle va audelà. C’est le fondement même du droit de tester, dépendant de la notion de propriété, qui est remis en cause. Or, la légitime est indissociable du droit de tester. Les débats ne portent pas directement sur la légitime en tant qu’institution, mais sur les fondements dont elle découle1160. La relation du droit révolutionnaire 1154 Cf. AP, tome VI, Des remontrances plaintes et doléances des habitants de la commune de Valenciennes, art. 11, p. 102. 1155 Cf. supra, partie II, chapitre I, section I, § 1, C. 1156 Cf. Michel GRIMALDI, Droit civil. Les successions, 6e éd., Paris, Litec, 2001, n. 52, p. 45. 1157 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 93. 1158 « On fit dans le droit successoral deux parts : l’une considérée comme le résultat même de l’ordre naturel des choses fut maintenue, l’autre au contraire considérée comme création purement factice de la loi fut bouleversée de fond en comble. Ce fut de cette combinaison des institutions successorales et des doctrines que résulta la conception révolutionnaire du droit successoral », Ernest VALLIER, Le fondement du droit successoral en droit français, Paris, 1902, p. 5-6. 1159 Cf. AP, Voeux et demandes des communes des cinq sénéchaussées de la province d’Anjou, tome II, États généraux. Suite des cahiers des sénéchaussées et bailliages, p. 42. 1160 Cette insistance des débats sur les fondements mêmes des institutions successorales a d’autres conséquences. Ces discussions réveillent les sentiments particularistes propres à chaque région, malgré la volonté générale manifestée par les révolutionnaires de faire un Code unique de lois privées. Cf. infra.

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avec la légitime est ambivalente. D’une part, la légitime en pays de coutumes a développé un régime juridique qui peut être compatible avec certains principes révolutionnaires. De ce point de vue, la légitime peut être considérée comme ayant des points communs avec les idéaux de la Révolution. Mais, d’autre part, la légitime incarne l’équilibre et la mesure, alors que la Révolution se veut radicale. Ainsi, les points communs (§ 1) ne sont pas suffisants pour que les révolutionnaires conservent l’institution de la légitime. Ils s’acheminent vers des solutions juridiques différentes en matière successorale (§ 2). § 1. Les points communs Le 17 juin 1789, le Tiers État se déclare Assemblée nationale, laquelle prend, le 9 juillet suivant, le titre d’Assemblée nationale constituante. Le but principal est de donner à la nation une Constitution et de nouvelles institutions politiques. L’Assemblée ne pouvant tout faire en même temps, elle doit suivre un ordre de priorités, et les besoins politiques occupent la première place dans l’esprit des Constituants. Pourtant, dans cette perspective de droit public, le besoin de repenser le droit privé n’est pas absent. Dès le 5 juillet 1790, l’Assemblée nationale décide « qu’il serait fait un code général de lois simples et claires appropriées à la constitution »1161. La Constitution du 14 septembre 1791 renouvelle ce souhait impératif : « il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume »1162. Cependant, la tâche apparaît immense. Au départ, l’Assemblée constituante ne veut pas s’écarter de ce qui est son objectif principal, la Constitution. Certains sont d’accord pour réformer quelques points précis du droit privé, dont on estime le remaniement urgent. D’autres veulent s’attaquer à l’ensemble de la législation civile, ce qui est un travail bien plus vaste et important. Il apparaît comme un long chemin parce qu’il sera nécessaire d’harmoniser les différentes coutumes en vigueur et les traditions juridiques opposées qui existent en France. Or, si tous les Constituants et, plus tard, les membres de l’Assemblée législative et les Conventionnels sont d’accord sur le besoin d’un code unique, chacun a tendance à vouloir que l’unification se fasse au profit de la coutume de sa région. Les particularismes sont présents et réveillent l’ancien antagonisme entre pays de droit écrit et pays de coutumes. Cette recherche de l’unité ne peut être séparée du principe essentiel de la Révolution : l’égalité. C’est cette idée fondamentale qui amène les révolutionnaires à prendre des mesures en droit successoral, sans attendre la réforme complète du droit civil1163. L’unité et l’égalité sont deux objectifs majeurs recherchés par les révolutionnaires. De son côté, la légitime en pays de coutumes a été un ferment d’unité et d’égalité. Sur ces deux points, la recherche de l’unité (A) et l’égalité (B), on peut trouver un terrain d’entente.

1161

Cf. art. 19 du nouveau projet sur l’ordre judiciaire. L’Assemblée a adopté les articles 1 à 21 du titre I le 5 juillet 1790. Cf. AP, tome XVI, p. 705. 1162 Cf. titre I, in fine. Cf. AP, tome XXX, séance du 2 septembre p. 153. 1163 Mirabeau « parvint à convaincre l’Assemblée que ces lois successorales tenaient à la Constitution même ». Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 81.

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A. La recherche de l’unité La nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante abolit les privilèges, au nombre desquels figuraient toutes les inégalités successorales permises ou créées par les coutumes. Cette abolition a pour effet de rendre plus évident le besoin d’unification du droit privé. Il n’est pas possible de proclamer l’égalité politique de tous les citoyens, l’abolition de tous les privilèges, et de laisser subsister une multitude de coutumes diverses, voire opposées, pour régler les rapports privés entre les citoyens. L’abolition des privilèges suppose une certaine victoire de l’unité. A une première réaction d’opposition, manifestation peut-être d’un attachement aux particularismes régionaux et locaux, suit, du moins pour les pays de coutumes, un ralliement à l’idée d’un droit unifié. Les premières semaines de la Révolution avaient changé la donne. Les particularismes continuaient d’exister, mais la nuit du 4 août 1789 avait ébranlé les bases sur lesquelles ils s’appuyaient : « Le cadre départemental brise le cadre provincial et abat les barrières qui gênaient l’unification »1164. L’unification du droit est possible. Elle est même nécessaire1165 : « Comment voulez-vous qu’un cadet dont le père est mort laissant des biens à Paris et dans le Ponthieu croie à l’unité de l’Empire français ? Comment voulez-vous que tel homme qui est héritier en deçà d’une rivière et qui ne l’est plus au-delà puisse considérer la France autrement que comme un assemblage de petites nations qui ont, chacune, leurs lois séparées ? »1166. Il faut une loi unique pour toute la France, qui renforce l’unité politique. La diversité est vue désormais comme un privilège et, à ce titre, elle doit être abolie ; elle a déjà été abolie par la nuit du 4 août. Reste à construire l’unité du droit privé. Mais sur quels principes ? Si les divergences coutumières s’estompent pour faire triompher l’idéal révolutionnaire, une forte réaction d’opposition soulève les représentants du Midi. Leur sentiment d’identité a été réveillé. Ils craignent que l’unité se fasse autour des principes de droit coutumier, au détriment du droit écrit. Et certains députés méridionaux entament une bataille féroce en défense du droit romain. Cazalès ira même jusqu’à brandir la menace d’une scission de la part des territoires régis par le droit écrit, si on les oblige à renoncer à leur tradition juridique. Le droit successoral est au cœur de cette bataille car, mieux que d’autres aspects, il manifeste et consacre cette divergence. En outre, le droit successoral rythme la vie des familles de l’intérieur, et les populations sont réticentes à changer l’ordre ancien sur ce point. Après l’euphorie de l’abolition des privilèges et des premiers moments de la Révolution, il y a une prise de conscience des conséquences de ces principes, surtout dans le Midi. « Les communautés paysannes ne comprirent pas que l’abolition du régime successoral féodal permettait d’ouvrir la brèche de l’égalitarisme dans le dispositif des pays de droit écrit ; elles ne comprirent pas plus, en tout cas pas tout de suite, que le sacrifice des privilèges sur l’autel de la Nation, la nuit du 4 août 1789, concernait également, par extension, les privilèges des communautés, donc des législations ou coutumes juridiques locales. L’inquiétude ne commença à se faire jour dans les pays de droit écrit, pratiquant le testament, qu’à partir du moment

1164

Jean BART, « Il sera fait un code de lois… », op. cit., p. 263. Cf. ibidem. 1166 MERLIN de DOUAI, discours du 21 novembre 1790, AP, tome XX, p. 599. 1165

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(8 avril 1791), où furent interdites les pratiques inégalitaires dans les successions roturières ab intestat »1167. Le combat s’annonce long et difficile. Pour le droit successoral, la question de l’unification du droit suppose un choix parmi les solutions existantes. Va-t-on suivre le système romanisant du Midi, fondé sur la liberté testamentaire ? Ou bien prendra-t-on comme modèle la logique successorale de la réserve coutumière ? Et, si le choix porte sur la légitime, sera-ce pour adopter le régime romain, ou bien celui de la légitime adaptée aux pays coutumiers ? La légitime adaptée aux pays de coutumes fournit aux révolutionnaires un instrument pour parvenir à l’unité. Dans un certain sens, la légitime en pays de coutumes a déjà réalisé l’objectif des révolutionnaires ; elle a parcouru ce long chemin de l’unité. Elle a su s’adapter à la réserve, en épousant certaines de ses caractéristiques sans renoncer à son fondement moral. Elle a œuvré dans le sens de l’unité entre les coutumes, puisque la légitime est en vigueur dans toutes les coutumes, y compris celles qui n’ont pas de disposition expresse la concernant. La légitime a englobé la réserve et est devenue le modèle de toute protection successorale des héritiers. Cette protection, on l’a finalement définie comme une portion indisponible dans l’hérédité du père. En pays de coutumes, l’unification du droit successoral, sans être totale, était fort avancée au profit de la légitime. Sa souplesse et sa capacité d’adaptation lui permettaient de répondre aux besoins issus de l’évolution sociale, et lui donnaient la capacité d’intégrer les différentes formes de protection successorale. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, la réserve et la légitime n’apparaissent pas comme des institutions concurrentes, mais comme des modalités voisines d’une même logique. En outre, par son origine romaine, la légitime permet le dialogue avec le droit successoral du Midi. Cela ne veut pas dire que l’unité soit parfaite. Les logiques de la réserve et de la légitime peuvent encore avoir une influence divergente dans la détermination des héritiers à protéger, mais aussi au moment de fixer l’étendue de cette protection ou, encore, de définir le fondement familial ou individuel de la propriété et les droits qui en découlent. C’est en cela que s’opposent les traditions méridionales et septentrionales, et c’est sur ce point que l’unité reste à compléter. L’adaptation de la légitime en pays de coutumes pendant l’ancien droit fournit aux révolutionnaires un modèle d’unité possible entre deux logiques successorales opposées. En ont-ils conscience ? Le désir d’unité traduit la priorité politique de toutes les décisions de l’Assemblée constituante. L’intérêt que celle-ci peut porter à la légitime ne peut être que la conséquence de ses prises de position politiques1168. Ses vertus unificatrices ne sauraient être appréciées que dans la mesure où elles contribuent à harmoniser la législation successorale avec le principe d’égalité proclamé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1169, source de cohésion de toute l’œuvre

1167

Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 257. « Dans toute législation, les techniques juridiques, souvent transmises par la tradition, sont au service d’objectifs politiques. Ces objectifs ne sont pas nécessairement énoncés ou avoués, il s’agit plus souvent de présupposés plus ou moins communément admis », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 288. 1169 Merlin le dit explicitement lors de la séance du 21 novembre 1790 : « Cette unité existe déjà quand aux intérêts politiques. Vos décrets du 4 août 1789 ont produit ce premier et heureux effet. Mais elle n’existe pas encore relativement aux intérêts civils [cette unité ne sera qu’éphémère] si elle n’embrasse pas tous [les intérêts], si elle ne les lie pas aussi intimement les uns aux autres, que le sont dans chaque 1168

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révolutionnaire. Si la légitime peut être un modèle d’intégration de deux logiques successorales différentes, facilitant le chemin de l’unité, que peut-elle apporter au débat sur l’égalité ? B. L’égalité successorale La Constituante abolit deux points importants de l’ancien droit successoral. Le décret du 15 mars 1790, article 11, abolit le droit d’aînesse dans les successions nobles1170. Il est en réalité une application de l’abolition des privilèges décrétée la nuit du 4 août 1789 : la suppression de la féodalité entraîne la suppression des biens nobles et, donc, de tous les régimes particuliers qui les concernent. Ils sont désormais régis comme les biens roturiers, puisqu’il n’y a plus qu’un seul type de biens. Symbole de la féodalité, tant combattue par les révolutionnaires, le droit d’aînesse avait déjà été limité en faveur des puînés par la légitime. En effet, on a vu que si la succession n’a pas d’autres biens pouvant fournir la légitime aux puînés, le droit d’aînesse doit être entamé. La légitime n’a pas égalisé la condition des aînés nobles et de leurs puînés, ce n’était pas son objectif. Mais elle avait introduit une limite, consacrée par l’article 17 de la coutume réformée de Paris, qui allait dans le sens de l’égalité ou, du moins, de la proportion. Cependant, les révolutionnaires ne perçoivent pas cet équilibre opéré par la légitime. Ils ne peuvent se contenter d’un aménagement du droit d’aînesse, car « tout ce qui de près ou de loin paraît toucher à la féodalité doit disparaître »1171. Le décret supprimant le droit d’aînesse supprime tout simplement l’existence même des nobles. Dans ces conditions, le besoin de la légitime des puînés ne se pose plus et la légitime perd, pour ce cas particulier, sa raison d’être. On perçoit ici l’importance du changement social voulu par la Révolution. La légitime ne remet pas en cause l’ordre social existant, elle tente de le rendre plus équitable. La Révolution ne veut pas raccommoder l’ancien, elle veut bâtir du nouveau. Le décret abolissant le droit d’aînesse n’accomplit pas pleinement l’œuvre égalitaire des révolutionnaires. En effet, il ne modifie en rien les successions roturières, ni les inégalités qu’elles peuvent connaître, comme l’exclusion des filles dotées, pratiquée de manière très constante en Normandie, ou les différences dues aux diverses familles de coutumes. Les coutumes d’égalité stricte imposent l’égalité radicale parmi les héritiers du de cujus au moyen du rapport forcé, mais ce n’est pas individu, les affections de citoyen à celles de père, à celles de propriétaire, à celles d’homme enfin », AP, tome XX, p. 599. 1170 Art. 11 : « Tous privilèges, toute féodalité et nobilité de biens étant détruits, les droits d’aînesse et de masculinité à l’égard des fiefs, domaines et aleux nobles, et les partages inégaux à raison de la qualité des personnes sont abolis. En conséquence, l’Assemblée ordonne que toutes les successions, tant directes que collatérales, tant mobilières qu’immobilières, qui écherraient à compter du jour de la publication du présent décret seront, sans égard à l’ancienne qualité noble des biens et des personnes, partagées entre les héritiers suivant les lois, statuts et coutumes qui règlent les partages entre tous les citoyens : abroge et détruit toutes les lois et coutumes à ce contraires. Excepté du présent décret ceux qui sont actuellement mariés ou veufs avec enfants, lesquels dans les partages à faire entre eux et leurs cohéritiers, de toutes les successions mobilières et immobilières, directes et collatérales, qui pourront leur échoir, jouiront de tous les avantages que leur attribuent les anciennes lois. Déclare en outre, que les puînés et les filles, dans les coutumes où ils ont eu jusqu’à présent sur les biens tenus en fiefs plus d’avantages que sur les biens non féodaux, continueront de prendre dans les ci-devant fiefs les parts à eux assignés par lesdites coutumes, jusqu’à ce qu’il ait été déterminé par l’Assemblée nationale un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume ». AP, tome XII, p. 173. 1171 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 88.

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le cas des coutumes préciputaires ni des coutumes d’option. C’est ici encore que la légitime en pays de coutumes avait fait œuvre utile en faveur de l’égalité. Les coutumes qui n’imposaient pas le rapport avaient vu le choix des enfants avantagés limité en faveur de leurs frères et sœurs, à qui ils devaient fournir leur légitime si la succession ne pouvait le faire. Là encore, l’égalité n’est pas totale, mais la légitime a limité l’inégalité qui peut résulter de la logique de l’option. Malgré cela, ici aussi, les révolutionnaires ne peuvent se satisfaire de ces nuances. L’égalité doit être radicale. Il fallait donc, pour être cohérent, s’attaquer aux inégalités subsistant dans les successions roturières, après avoir anéanti les successions nobles. Le deuxième point important de l’ancien droit visé par les révolutionnaires est le retrait lignager. Le 19 juillet 1790, un décret abolit cette institution, si caractéristique du droit coutumier que Guillaume de Lamoignon estimait impossible de la supprimer1172. Ce décret témoigne de la capacité de bouleverser les principes du droit coutumier hérités de l’Ancien Régime. Les révolutionnaires considèrent cette institution comme un vestige des abus du passé, et c’est à ce titre qu’ils l’abrogent. Cela ne modifie pas la légitime, puisque le retrait concerne les actes à titre onéreux. Ces deux mesures, la suppression du droit d’aînesse et du retrait lignager, n’ont pas été difficiles à adopter, tant leur lien avec le passé semblait évident. Il n’en a pas été ainsi de l’égalité des partages. La loi sur l’égalité des partages1173 correspond particulièrement bien aux aspirations révolutionnaires, puisqu’elle établit une égalité en droit, qui est le type d’égalité recherchée par les Constituants1174. Les débats commencent le 21 novembre 1790, à l’occasion du projet de loi sur les successions ab intestat présenté par Merlin1175. Ils se prolongent jusqu’en avril 1791. Outre l’égalité dans les partages des successions ab intestat, le projet prévoit la représentation à l’infini en ligne directe et la suppression de la distinction entre propres et acquêts. En cela, c’est le triomphe de l’idée romaine d’un patrimoine plus unitaire, si étrangère au droit coutumier1176. Sur ce terrain, la légitime en pays de coutumes a encore précédé les révolutionnaires, puisqu’elle se prend sur tout type de biens. La distinction entre propres et acquêts et meubles est inopérante à son égard. Sous cet aspect l’institution de la légitime favorise l’unité et l’égalité. Mais ce n’est pas l’influence de la légitime qui est à l’origine de cette unification du patrimoine faite par l’assemblée révolutionnaire. Celle-ci considère, tout simplement, que la distinction entre propres

1172

Voici le passage cité antérieurement : « Et comme les retraits lignagers passent pour droit commun dans les provinces régies par coutume, il importe de donner un règlement général et certain en tous les lieux où le retrait lignager est en usage, puisqu’il serait fort difficile et presque impossible de l’abroger ». Guillaume de LAMOIGNON, Recueil d’Arrêtés, op. cit., édition de 1702, titre du retrait lignager, p. 113. 1173 Cette expression se comprend à la fois comme égalité dans la vocation successorale (tous les héritiers ont les mêmes droits, il n’y a pas de situation privilégiée) et comme égalité du partage lui-même, c'est-àdire que chacun doit recevoir exactement la même chose que les autres. 1174 « L’égalité doit diriger les dévolutions successorales et il s’agit bien sûr de l’égalité civile, de l’égalité des droits et non celle des conditions sociales », Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : fondements philosophiques… », op. cit., p. 11. 1175 Cf. AP, tome XX, p. 600 et s. 1176 Ce qui n’empêche pas Merlin de critiquer le droit romain, « cette multitude effrayante de lois étrangères, dont le moindre défaut est d’être écrite dans une langue que les 99 centièmes des citoyens n’entendent pas », AP, tome XX, p. 599.

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et acquêts est féodale et, en tant que telle, elle doit disparaître1177. Par ailleurs, l’article 21 du projet exclut les exceptions à l’égalité prévues dans un contrat de mariage1178. C’étaient justement les exceptions consenties par l’ancien droit, mais qui étaient modérées par la présence de la légitime. L’enfant gratifié en vue de son mariage pouvait garder son don mais, le cas échéant, il devait fournir la légitime aux autres enfants. Là encore, ces tempéraments ne sont pas suffisants pour les révolutionnaires. Le projet de Merlin ne fut pas examiné tout de suite ; Mirabeau en demanda le renvoi afin d’étudier en même temps les successions ab intestat et les successions testamentaires1179. Le 12 mars 1791, Merlin présenta de nouveau le même projet, en y ajoutant des dispositions sur les successions testamentaires1180. L’Assemblée se divisa, car le travail était trop vaste et certains craignaient que ces débats retardent la Constitution. Mirabeau demanda qu’on dégage trois points du projet, et qu’on les examine : l’égalité dans les partages ab intestat, la liberté de tester et les substitutions. Le reste serait abordé plus tard, dans l’étude d’une loi d’ensemble. Sur ces trois points, les désirs des révolutionnaires étaient-ils très éloignés de la pratique de la légitime en pays de coutumes ? L’égalité dans les partages ab intestat était déjà la règle suivie par la majorité des coutumes, du moins pour les roturiers. On a montré qu’elle facilite l’accueil de la légitime, laquelle viendra précisément limiter les possibles inégalités dans les coutumes d’option, dues à la faculté de renoncer à la succession en gardant un don reçu du de cujus1181. Par ailleurs, la légitime ne s’opposait pas aux substitutions, dont on demandait l’abolition1182. Mais elle-même ne pouvait être substituée, ce qui, à petite échelle, était une exception au système des substitutions. C’est encore un autre point qui aurait pu susciter un intérêt des révolutionnaires pour la légitime. Mais, une fois de plus, cette sorte de demi-mesure ne pouvait les satisfaire. Quant à la liberté de tester, le projet de Merlin laissait une quotité disponible assez importante au pouvoir discrétionnaire du père de famille. Elle était d’une part d’enfant si le père avait trois enfants ou moins ; elle devenait d’un quart des biens si le père avait plus de trois enfants. Dans tous les cas, cette part disponible pouvait être donnée à un de ses enfants, ce qui rompait l’égalité entre eux1183. C’est une mesure curieuse dans ce combat égalitaire. D’autant plus que, pour les roturiers, la plupart des coutumes interdisaient de rendre la condition d’un héritier meilleure que celle d’un autre. Le projet s’apparente sur ce point à l’esprit des coutumes 1177

« Beaucoup de dispositions coutumières, les plus anciennes et les plus originales, ne sont plus comprises et elles apparaissent comme un reliquat de la féodalité ». Cf. Paul O URLIAC , Jehan de MALAFOSSE, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 19. 1178 Art. 21 : « Le mariage d’un des enfants, ni les dispositions contractuelles faites en le mariant, ne pourront lui être opposés pour l’exclure du partage égal établi par le présent décret, à la charge, par lui, de rapporter ce qui lui aura été donné ou payé lors de son mariage », AP, tome XX, p. 605. 1179 Cf. AP, tome XX, p. 605. 1180 Cf. AP, tome XXIV, p. 45 et s. 1181 Cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 2, B. 1182 On demandait cette abolition parce que les substitutions étaient un moyen de conserver l’inégalité dans les partages. Cependant, on proposait de laisser la possibilité d’interdire aux héritiers d’aliéner certains biens de succession, à des conditions très strictes. En outre, on demandait également l’abolition de l’exhérédation en cas de mariage sans accord des parents et en cas d’ingratitude. 1183 Cf. art. 13 du projet, AP, tome XXIV, p. 507. Signalons que pour le calcul des parts d’enfant, on suit les règles de la légitime : calcul de la masse successorale en additionnant aux biens du défunt les donations qu’il a faites. Cf. ibidem, art. 18 et 19.

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préciputaires et à celui du droit écrit. Mais c’est justement pour corriger les possibles abus de cette liberté que la légitime a vu le jour. Elle continue donc d’exister dans le projet de Merlin, même si sa quotité est réduite par rapport à la quotité de moitié de l’article 298 de la coutume réformée de Paris. Lors de l’examen des trois points proposés par Mirabeau –l’égalité des partages ab intestat, la liberté de tester et les substitutions–, l’Assemblée constituante porte le débat sur le terrain des fondements philosophiques du droit successoral. Elle s’interroge sur la notion de propriété et sur le droit naturel1184, et les échanges sont vifs entre les partisans des différentes opinions. Mirabeau défend avec puissance l’égalité des partages contre le droit de tester1185, mais il n’est pas le seul à vouloir limiter la liberté testamentaire1186. Cette remise en cause des fondements peut se traduire par l’affrontement entre la logique successorale coutumière et la logique successorale romaine. L’issue des débats favorise plutôt la coutume. Même si c’est sur un fondement différent, on arrive à la position défendue par le droit coutumier : on considère la succession légale comme étant supérieure à la succession testamentaire1187. Mais ces débats font apparaître clairement les

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Rapporter ici ces débats serait s’éloigner beaucoup trop de notre optique. On peut résumer les thèses en présence en disant que pour les romanistes, le droit de tester était un droit naturel dérivé du droit de propriété. Pour les adversaires du droit romain, le droit de propriété est une création de la société. Le droit de tester, qui en est un exercice, doit l’être aussi. Il peut donc être fortement limité, voire interdit, par la même société qui le crée. Pour eux, la propriété finit avec la mort, et le testament outrepasse les prérogatives du propriétaire, puisqu’il impose le respect de sa volonté pour le temps où il n’est plus. C’est l’opinion que défend Mirabeau. À la mort du propriétaire, les biens retournent à la société. Mais celle-ci, dans son propre intérêt, établit qui doit recueillir ces biens. Ainsi, la loi seule peut créer des héritiers ; cette faculté doit échapper à la volonté humaine. En outre, la loi détermine aussi les biens que doivent recueillir ces héritiers. Sur la conception moderne de la notion de propriété, voir Marie-France RENOUXZAGAMÉ, Origines théologiques du concept moderne de propriété, Genève, Paris, Droz, 1987. 1185 « Il nous faut examiner relativement aux chefs de famille, ce qui concerne le droit de tester, ses fondements et ses limites. [...] Voici la question fondamentale qui se présente : la loi doit-elle admettre chez nous la libre disposition des biens en ligne directe ? [...] La faculté de tester a été accordée de tout temps à tout citoyen qui possède quelque propriété transmissible et qui n’est pas dans le cas particulier d’incapacité. [...] Il faut voir si la propriété existe par les lois de la nature ou si c’est un bienfait de la société. Il faut voir ensuite si dans ce dernier cas, le droit de disposer de cette propriété par voie de testament en est une conséquence nécessaire. Si nous considérons l’homme dans son état originaire et sans société réglée avec ses semblables, il paraît qu’il ne peut avoir de droit exclusif sur aucun objet de la nature, car ce qui appartient également à tous n’appartient réellement à personne. [...] C’est le partage des terres fait et consenti par les hommes rapprochés entre eux qui peut être regardé comme l’origine de la vraie propriété. [...] Les droits de l’homme, en fait de propriété, ne peuvent s’étendre au delà du terme de son existence. [...] Que nous dit la nature ? Si elle a établi l’égalité d’homme à homme, à plus forte raison de frère à frère, et cette égalité entres les enfants d’une même famille ne doit-elle pas être mieux reconnue encore, et plus respectée par ceux qui leur ont donné naissance ? C’est un axiome de droit devenu vulgaire, que les enfants sont les héritiers naturels de leurs parents. [...] Ce sont les pères qui ont fait ces lois testamentaires ; mais en les faisant ils n’ont pensé qu’à leur empire et ils ont oublié leur paternité. [...] [Je conclus] 2° : que toute personne ayant des descendants en ligne directe ne puisse disposer par testament que d’une quotité déterminée de ses biens. [...] Je demande que cette quotité soit bornée à la dixième partie de leurs biens », AP, tome XXIV, p. 511. 1186 Robespierre, par exemple, considère aussi que la propriété finit avec la mort de l’homme : « La propriété de l’homme, après sa mort, doit retourner au domaine public de la société. Ce n’est que pour l’intérêt public qu’elle transmet ses biens à la postérité du premier propriétaire : or l’intérêt public est celui de l’égalité. Il faut donc que dans tous les cas l’égalité soit établie dans les successions », discours de Robespierre lors de la discussion de la loi sur l’égalité des partages. AP, tome XXIV, p. 563. 1187 « Les successions légitimes étant plus naturelles, plus nécessaires et suivies de moins d’inconvénients que les successions testamentaires, dont l’usage n’a été qu’une exception de la règle qui donne l’hérédité aux proches, la condition des héritiers légitimes est plus favorable que celle des héritiers appelés par le

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différences profondes dans la manière d’aborder les problèmes du droit des successions : la légitime a élaboré un système d’équilibre successoral sans remettre en cause l’ordre social existant. La Révolution veut revoir les principes fondateurs de la société. Par ailleurs, la légitime avait frayé un chemin à l’égalité dans un contexte de liberté. Pour les révolutionnaires, en revanche, la liberté en matière successorale est une menace pour l’égalité. Or celle-ci doit à tout prix être garantie. Si le désir d’unité et le principe d’égalité pouvaient être des points de rencontre entre la législation révolutionnaire et la légitime, les raisons profondes de la Révolution étaient trop éloignées de cette institution pour que la législation révolutionnaire n’emprunte pas d’autres chemins dans le règlement des successions. La Révolution consacrera des solutions différentes de la légitime en matière successorale. § 2. Les solutions différentes La légitime n’allait pas aussi loin que le voulaient les révolutionnaires dans le domaine de l’unité du droit et de l’égalité. Mais elle allait dans cette direction. Pourtant, les Conventionnels ne semblent pas s’appuyer sur l’expérience de cette institution. En général, les Conventionnels ont une vision globale très négative de l’ancien droit successoral. Si Merlin ou Tronchet en font une critique sérieuse, « la plupart des orateurs condamnaient en bloc l’ancien système et en des termes où ils ne dissimulaient pas le mépris profond qu’il leur inspirait. […] Il y avait quelque chose de profondément injuste à condamner ainsi en bloc, d’un mot méprisant, notre législation ancienne »1188. Et pourtant, ils s’inspirent, peut-être à leur insu, de la tradition juridique antérieure. En effet, les débats qui ressurgissent devant la Convention touchent aux fondements et, en ce sens, ils ne sont pas propres à cette époque. Les révolutionnaires n’ont pas inventé la notion de propriété que certains défendent. En outre, ils ne sont pas un bloc homogène1189. Ils subissent l’influence de l’école du droit naturel moderne et retracent des débats qui avaient déjà eu lieu au Moyen Âge1190. Les deux logiques successorales possibles, celle testamentaire et celle légale, sont défendues tour à tour par les différents intervenants devant la Convention. Or, la légitime en pays de coutumes est un équilibre entre les deux. Rouvrir les débats veut dire mettre en péril le dosage subtil élaboré pendant deux siècles par la jurisprudence et, au-delà, mettre en danger son existence même. Mais le temps n’est pas aux nuances ; il faut une loi qui soit l’outil indispensable dans la testament. [Dans le doute] on doit décider pour [l’héritier] du sang », Jean DOMAT, Les loix civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1777, tome I, seconde partie des successions, préface, VIII, p. 262. 1188 Gustave AR O N , « Etude sur les lois successorales de la Révolution depuis 1789 jusqu’à la Promulgation du Code civil », in Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 25e année, n. 4, juillet-août 1901, Paris, 1901, p. 447-448. 1189 Outre les divergences d’opinion politique, ils défendent différentes positions en matière de droit privé. Cf. les débats autour des lois de droit privé, rapportés par Pierre-Antoine FENET , Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Osnabrück, 1968, réimpression de l’édition de 1827. Voir aussi l’ouvrage cité de Jean-Louis HALPÉRIN. 1190 Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 51-76. Sur les controverses médiévales à propos de l’origine de la propriété et du testament, voir particulièrement l’ouvrage cité de Marie-France RÉNOUX-ZAGAMÉ, ainsi que l’article de Padovani déjà cité. Comme le souligne cet auteur, les jacobins ont été particulièrement influencés par les théories de Pufendorf. Par ailleurs, les débats n’ont pas été clos au XVIIIe siècle. En parlant de Troplong, juriste du XIXe siècle, Padovani affirme : « Una così formidabile tradizione dottrinale [Pufendorf et les autres penseurs de l’école du droit naturel moderne] non poteva non sollevare la reazione del Troplong, ben consapevole della forza che quegli argomenti avevano assunto prima nell’intransigente dogmatismo dei giacobini », A. PADOVANI, op. cit., p. 176.

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mise en place d’une nouvelle société et d’une nouvelle organisation politique. La Révolution commence par faire réapparaître les antagonismes entre la logique de la réserve et celle de la légitime, antagonismes que la légitime en pays de coutumes avait surmontés. Les révolutionnaires finissent par se séparer de la légitime au moyen d’une législation « abolitionniste et impérative »1191, qui la prive pratiquement de sa raison d’être. Le réveil de l’anti-libéralisme en matière successorale (A) ne pouvait aboutir qu’à la quasi-disparition de la légitime (B). A. Le réveil de l’anti-libéralisme successoral Ceux qui contestent le droit de tester rejoignent en partie la logique de la réserve. En partie seulement, car aux yeux des membres de l’Assemblée, la réserve et la légitime poursuivent le même objectif, par des moyens divers. Les révolutionnaires ne cherchent pas particulièrement la protection du lignage. En revanche, ils rejoignent le fondement anti-libéral latent dans la réserve. En effet, la méfiance vis-à-vis du testament est à l’origine même de cette institution. Elle était justement le compromis entre la liberté testamentaire, qui commençait à s’introduire en pays de coutumes, et les droits patrimoniaux de la famille, celle-ci comprenant tous les parents, à quelque degré que ce soit. La réserve a considéré que, sur les biens propres, l’individu n’avait qu’un droit limité et viager de disposer à titre gratuit1192. Par ailleurs, cette méfiance coutumière vis-à-vis du testament, aux racines historiques profondes, est peut-être encouragée par l’importance que revêt l’autorité de la loi aux yeux des révolutionnaires. Refuser le testament est une manière d’exalter la supériorité de la succession légale, c'est-à-dire issue de la loi, par rapport à la succession volontaire. Mais le droit successoral est complexe, et les principes révolutionnaires aussi. En effet, il ne faut pas oublier que la loi, pour déterminer les héritiers, suit les affections présumées du défunt : elle agit comme elle pense que le de cujus l’aurait fait s’il avait manifesté sa volonté. La loi imite la nature. Et la nature signale ce que le défunt aurait voulu. La succession légale est en somme la volonté présumée du défunt1193. La notion de volonté présumée mérite d’être précisée, car elle peut avoir deux sens. Dans les systèmes juridiques inspirés du libéralisme, comme le système romain, cette présomption repose sur l’idée que la disposition des biens est inhérente au droit de propriété. Le propriétaire peut en aménager le partage de manière tout à fait légitime. Si la loi le fait à sa place, c’est de façon subsidiaire pour pallier son omission, ou parce que la loi consacre une sorte de volonté type, à laquelle on est supposé adhérer, mais à laquelle on peut déroger par manifestation expresse de la volonté. La loi peut cependant établir des limites au-delà desquelles on ne peut pas s’écarter de la volonté type, afin de maintenir l’ordre et d’éviter des abus. C’est le rôle de la légitime.

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Cf. Michel GRIMALDI, op. cit., n. 52, p. 45-46. Cf. supra, partie I, chapitre I, section I. 1193 « La loi ne contrarie point la volonté raisonnable des pères et mères, et elle se conforme à leur affection présumée, lorsqu’elle assure à leurs descendants une part convenable dans leur patrimoine », BIGOT-P REAMENEU , Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in Pierre-Antoine F ENET , Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Osnabrück, 1968, réimpression de l’édition de 1827, tome XII, p. 244. On le citera désormais comme FENET, suivi du tome et de la page. 1192

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Cette inspiration libérale n’est que partiellement exacte pour les coutumes, même pour les coutumes préciputaires. En pays coutumier, la succession légale a deux significations, en fonction du type de biens qu’on considère. Elle suit la logique subsidiaire qu’on vient de décrire pour les meubles et les acquêts, dont on peut disposer librement par testament. En cas de décès ab intestat, le droit coutumier réglait la succession « dans le même esprit […] que dans les pays de droit écrit […], c'est-à-dire suivant l’ordre présumé des affections »1194. Dans ce cas, la volonté présumée signifie la même chose que dans les systèmes libéraux. La primauté de la succession légale vient alors du fait qu’elle est l’écho d’une raison universelle, alors que la succession volontaire n’aurait qu’une raison individuelle1195. Mais pour les biens propres, la succession légale n’est pas le substitut de la volonté individuelle. La logique coutumière repose sur l’idée que la famille a des droits sur les biens venus des ancêtres. Ces biens sont en quelque sorte en indivision au profit du lignage et la volonté individuelle ne peut faire échec aux droits familiaux. Elle est inopérante pour ce type de biens, parce que le de cujus est davantage un administrateur qu’un propriétaire. Dans ce sens, la volonté présumée dont s’inspire la succession légale est la volonté de la société, non celle de l’individu singulier. Les adversaires de la liberté de tester suivent cette dernière logique. La volonté présumée ne peut être une volonté purement individuelle. C’est en ce sens qu’on a choisi de les appeler « anti-libéraux ». Les discussions au sujet du droit de tester sont âpres et longues. Du 2 au 6 avril 1791, les débats sur la limite à apporter à la liberté testamentaire du père sont passionnés. Aborder la question de la limite du droit de tester veut dire parler de la légitime. Tronchet résume ainsi son sentiment vis-à-vis de la légitime. Il trouve la quotité de Rome injuste et celle de Paris trop faible. Il propose en outre que les ascendants puissent avoir la légitime, ainsi que les frères et sœurs1196. D’autres membres de la Constituante se prononcent aussi sur la légitime telle qu’elle existait en droit coutumier, comme Prugnon. Il affirme que « ce n’est pas une bonne chose en général, que l’absence de bornes, et il ne faut pas qu’un pouvoir soit à peu près indéfini. [...] Le droit commun coutumier avait fait une espèce de transaction entre la puissance paternelle et le droit des enfants, la légitime était la moitié de la portion héréditaire ab intestat. Cela pouvait convenir à nos idées d’alors, mais cela n’est plus d’accord avec nos idées d’aujourd’hui : les limites doivent être plus étroites »1197. Les « idées d’aujourd’hui » sont, outre l’égalité et l’unité qui ont été abordées, le souci de ne pas donner aux pères de famille les moyens d’exercer une pression vis-à-vis de leurs enfants. Au contact avec la réserve, l’évolution de la légitime en pays de coutumes était arrivée à une identification entre protection et indisponibilité d’une part ; liberté et disponibilité d’autre part. Or les révolutionnaires se méfient de la liberté laissée au père de famille. Surtout parce qu’ils présupposent que les pères sont réactionnaires, alors que les jeunes seraient,

1194 Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques…», op. cit., p. 13. Peu importe, à cet égard, que l’ordre présumé des affections soit un peu variable : préférer les ascendants à tous les collatéraux, faire concourir les ascendants avec les collatéraux privilégiés comme les frères et sœurs, appeler ou non les neveux par le jeu de la représentation, que le partage se fasse par tête ou par ligne… Cet ordre présumé est directement lié à l’idée qu’on se fait de la famille. 1195 Cf. Jean-Jacques CLÈRE, op. cit., p. 55. 1196 Cf. AP, tome XXIV, p. 569. 1197 Cf. AP, tome XXIV, p. 598-599.

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par définition, enthousiastes de la Révolution1198. Le droit successoral est envisagé comme une arme politique. La liberté de tester est comprise comme une marge d’action laissée aux ennemis de la Révolution. Dans ce contexte, l’enjeu successoral se réduit à examiner si la liberté testamentaire porte atteinte aux progrès de la Révolution et à déterminer la quotité disponible en fonction de ce critère. Il n’y a pas d’accord sur cette question en 1791. Le décret du 8 avril 1791 met fin à la discussion de l’Assemblée, en proclamant l’égalité naturelle de tous les héritiers à degré égal, dans les successions ab intestat. Mais elle ne prend pas de mesures sur la liberté de tester. Elle interdit seulement certaines clauses dans les testaments1199. Pour l’instant, la légitime n’a pas été remise en cause par la législation révolutionnaire. Mais ce ne peut être que de manière temporaire. Il apparaît « chez la majorité des Constituants, une volonté délibérée de rompre avec le passé, qui doit conduire inévitablement à la ruine de l’ancien droit. […] ‘Tout doit être nouveau en France, et nous ne voulons dater que d’aujourd’hui’, affirme Barère »1200. La Constituante n’a pas tranché en 1791. Le 7 mars 1793, presque deux ans après avoir légiféré sur les successions ab intestat, la question du droit de tester et, donc, de la légitime, est abordée de nouveau lors de la reprise des discussions devant la Convention. La situation politique est tendue : à l’extérieur, c’est la déclaration de guerre à l’Espagne. A l’intérieur, la chute des Girondins est proche1201. La radicalisation des positions transparaît en droit successoral, en faveur des opinions les plus contraires au droit de tester. La quasi-disparition de la légitime semble inévitable. B. La quasi-disparition de la légitime La Convention a d’abord continué à prendre les mesures partielles commencées par les Assemblées constituante et législative. Mais elles sont chaque fois plus radicales dans le sens opposé à la liberté de tester. Elle supprime les substitutions par le décret du 14 novembre 17921202. Elle durcit aussi le principe d’égalité dans les successions, en supprimant par un décret du 4 janvier 1792 les exceptions à l’égalité qui étaient maintenues par le décret du 8 avril 1791, c'est-àdire les clauses incluses dans des conventions matrimoniales ou les institutions contractuelles1203. En outre, la loi n’était pas applicable aux personnes mariées avec 1198

Gensoné et Philippeaux font référence aux « cent mille cadets prêts à voler aux frontières pour défendre la République », et qui sont retenus par la crainte d’une exhérédation. Cf. AP, tome LIX, p. 680683. 1199 Un décret du 5 septembre 1791 prévoit que « toute clause impérative ou prohibitive qui serait contraire aux lois et aux bonnes mœurs, qui porterait atteinte à la liberté religieuse du donataire, héritier ou légataire, qui gênerait la liberté qu’il a soit de se marier, même avec telle personne, soit d’embrasser tel état, emploi ou profession, enfin tendrait à le détourner de remplir les devoirs imposés et les fonctions déférées par la constitution aux citoyens actifs et éligibles est réputée non écrite ». Cf. AP, tome XXX, p. 217. 1200 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 87-88. 1201 En mai 1793. 1202 L’Assemblée législative avait déjà interdit les substitutions pour l’avenir par un décret du 25 août 1792, époque qui correspond « aux temps les plus forts de la poussée égalitaire et de la lutte contre les aristocrates. La suppression des substitutions apparaît inséparable des mesures antiféodales », JeanJacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques… », op. cit., p. 20. 1203 Ainsi s’exprime Le Chapelier devant l’Assemblée : « Quant aux autres amendements, je les éloigne par un seul mot : c’est que quand nous établissons une loi pour revenir à cette maxime de droit naturel, et dont il est étonnant que le droit politique se soit écarté, je veux dire que tous les partages entre cohéritiers doivent être égaux ; quand, dis-je, nous établissons cette règle qui aurait toujours dû exister ; quand nous

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des enfants, pour préserver les espérances légitimement formées. La Convention anéanti cela, au nom de l’égalité. Les décrets du 7 mars 1793 et du 5 brumaire an II (26 octobre 1793) préparent directement les fondements de la loi successorale fondamentale de la Convention, celle du 17 nivôse an II (6 janvier 1794). En effet, celui de mars 1793 interdit de disposer par testament en ligne directe1204. La quotité disponible restait intacte, mais le père ne pouvait tester qu’en faveur d’étrangers. Le décret du 5 brumaire an II étend cette prohibition aux lignes collatérales, restreint la quotité disponible et établit la rétroactivité de la loi, qui remonte au 14 juillet 1789. Un autre décret du 12 brumaire an II reconnaît des droits successoraux aux enfants naturels. Toutes ces mesures se comprennent si on tient compte de ce que l’objectif de la Révolution était de « faire naître une démocratie idéale composée de petits propriétaires libres et égaux »1205. Entre le décret de mars 1793 et celui du 5 brumaire an II (26 octobre 1793), lors de la séance du 10 août 1793, Cambacérès présente à la Convention son premier projet de Code civil. Il intervient au lendemain de la chute des Girondins et après la réorganisation du comité de législation, en juin 1793. Cambacérès avait proposé de diviser ce comité en deux sections, dont une se chargerait de réviser les lois civiles en vue de faire un Code. Alors que les tentatives de rédaction d’un Code avaient été négligées pendant plusieurs mois, « la Convention fut soudainement pressée d’entamer la discussion de ce Code civil »1206. En réalité, la lutte entre Girondins et Montagnards avait centré l’intérêt de la Convention sur d’autres sujets que la codification. La volonté d’avoir rapidement un Code unique correspondait bien aux idées de la Montagne, opposées au fédéralisme des Girondins. Ils avaient consacré l’unicité des lois civiles dans l’article 85 de la Constitution de juin 1793 : « Le Code des lois civiles et criminelles est uniforme pour toute la République »1207. Il était unique avant même d’être voté. C’est à cette époque qu’on adopte le calendrier républicain et l’unité dans les poids et les mesures. Le thème de l’unité était donc à l’ordre du jour ; l’occasion était propice pour parvenir à la codification désirée depuis longtemps. Elle devait contribuer à asseoir l’unité de la nation. L’enthousiasme environnant et le désir d’aboutir vite à un Code se reflètent dans le discours de Cambacérès : « Citoyens, elle est enfin arrivée cette époque si désirée qui doit fixer pour jamais l’empire de la liberté et des destinées de la France »1208.

sommes obligés d’y mettre des exceptions, il ne faut pas étendre ces exceptions-là au-delà de ce que la nécessité la plus impérieuse nous commande. Or, en mettant pour exception les institutions contractuelles, nous faisons tout ce que nous devons faire. Encore nous n’adopterions pas cette exception s’il ne s’agissait que des droits des cohéritiers entre eux ; mais nous avons été déterminés parce qu’il s’agit des droits de toute une famille qui, par le contrat de mariage, a acquis un véritable titre à la portion de biens qui en vertu de la loi alors existante, était dévolue à la personne à laquelle une autre personne s’est attachée », AP, tome XXIV, séance du dimanche 1er avril 1791, p. 498-499. 1204 Cf. AP, tome LIX, p. 680. Le contexte politique est agité et les événements se succèdent : le 24 février, levée de 300 000 hommes qui provoque des révoltes ; déclaration de guerre à l’Angleterre, à la Hollande et à l’Espagne ; création d’un tribunal révolutionnaire le 9 mars ; agitation de la sans-culotterie les 10 et 11 mars ; soulèvement de la Vendée le 10 mars ; décret contre les promoteurs de la loi agraire le 18 mars ; institution des comités de surveillance le 21 mars ; création du Comité de Salut public le 6 avril ; trahison de Dumouriez. Les mesures prises par la Convention en matière de droit successoral ne sont pas indépendantes de cette situation politique et sociale. 1205 Jacques POUMARÈDE, « La législation successorale de la Révolution… », op. cit., p. 167. 1206 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 113. 1207 Cf. ibidem, p. 114. 1208 FENET, tome I, p. 1.

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Le projet était l’œuvre de bons juristes, membres du comité de législation de la Convention et, concrètement, d’une commission composée de douze membres. « Refuge des compétences juridiques, le comité de législation apparaissait de plus en plus comme un groupe de techniciens du droit, un peu en retrait politiquement par rapport aux Montagnards qui dominaient les comités de gouvernement »1209. Pour les dispositions qui touchent à la légitime, ce projet de Code se place en dehors des discussions sur le fondement du droit de propriété qui avaient agité les débats de la Constituante en 1791 : « Il n’était pas de notre sujet de résoudre ce problème qui a si longtemps agité les publicistes, et de décider si la propriété existe par les lois de la nature, ou si c’est un bienfait de la société : nous avons dû seulement préciser les droits qui lui sont inhérents, et en régler l’usage », dit Cambacérès1210. Malgré le principe de liberté avec lequel il commence son discours, ce projet restreint considérablement la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit. L’égalité et la primauté absolue de la succession légale sont les caractéristiques majeures du droit successoral proposé. « Tous les enfants sont appelés à partager également le patrimoine de leur famille ; tel est l’ordre de la nature ; tel est le vœux de la raison. Mais cette règle sera-t-elle si absolue que les chefs de famille n’aient jamais la faculté de disposer d’une partie de leur héritage ? Le comité ne le pense point ainsi ; il a cru qu’une telle obligation blesserait trop nos habitudes, sans aucun avantage pour la société, sans aucun profit pour la morale. Mais il a estimé que la réserve devait être modique, et qu’elle ne devait jamais être l’occasion d’une injuste préférence pour aucun des enfants »1211. La légitime n’est plus considérée comme une institution d’équilibre ayant englobée les différentes formes de protection successorale, tout en préservant la liberté testamentaire. Les testaments sont pratiquement abolis, seul reste la possibilité de faire des dons irrévocables, dont les bénéficiaires ne peuvent être les héritiers. Avec la restriction de la liberté de disposer à titre gratuit, la légitime disparaît pratiquement. La quotité disponible n’est qu’un souvenir de la légitime, une tolérance de la loi par considération pour les habitudes. Signalons au passage l’utilisation du mot réserve lors de la présentation du projet. Il n’est pas à proprement parler un nom technique. Il semble plutôt une manière de désigner la quotité indisponible des biens. Il souligne ce caractère indisponible général, auquel était arrivée la légitime en englobant la réserve à la fin de l’ancien droit. Ce trait est maintenant définitivement acquis et, comme il était arrivé à la légitime, l’adjectif a tendance à devenir un substantif. Ce premier projet de Code est un « Code révolutionnaire, qui s’oppose sur des points essentiels à l’ancien droit et va même dans certains cas plus loin que les projets des réformateurs du XVIIIe siècle », tout en utilisant les éléments de la doctrine de l’Ancien Régime1212. Malgré l’impression que le Code allait être voté rapidement, le projet n’a pas abouti. Les changements politiques du Comité de Salut public pendant l’année 1793 modifient l’ordre des priorités. Ce qui semblait urgent en juin 1793 n’est plus estimé tel en novembre de la même année : « Très probablement l’ajournement du Code civil a été voulu et organisé par le Comité de Salut public »1213. Cependant, l’essentiel des mesures sur le droit successoral sera adopté en janvier 1794, lors du vote de la loi du 17 nivôse an II. 1209

Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 116. Cf. FENET, tome I, p. 7. 1211 Cf. ibidem, p. 8. 1212 Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 131. 1213 Ibidem, p. 140.

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La loi des 17 et 21 nivôse an II (6 et 10 janvier 1794), préparée par les différents décrets qui la précèdent et d’un grand parallélisme avec le projet de Code présenté par Cambacérès, porte à l’extrême les conséquences des principes révolutionnaires. L’égalité totale est au cœur de ses dispositions : « Les successions des pères, mères ou autres ascendants, et autres collatéraux […] seront partagées également entre les enfants, descendants ou héritiers en ligne collatérale, nonobstant toutes lois, coutumes, donations, testaments et partages déjà faits. En conséquence, les enfants, descendants et héritiers en ligne collatérale, ne pourront, même en renonçant à ces successions, se dispenser de rapporter ce qu’ils auront eu à titre gratuit, par l’effet des donations que leur auront faites leurs ascendants ou leurs parents collatéraux, postérieurement au 14 juillet 1789 »1214. Cela révoque explicitement l’article 307 de la coutume de Paris et fait basculer les coutumes d’option vers les coutumes d’égalité stricte, puisque désormais le rapport est forcé, y compris en ligne collatérale. L’article 11 supprime l’exclusion des enfants dotés par mariage et oblige à rapporter le don reçu en faveur du mariage. Ce même article restreint la faculté de tester, en arrivant pratiquement à l’annuler. Seule la loi organise la dévolution successorale1215. La quotité dont on peut disposer par testament est réduite au dixième de ses biens si on a des descendants directs, et au sixième si on ne laisse que des parents collatéraux1216. En cela, la Convention n’innove pas1217. Elle consacre la position la plus extrême, celle qui avait été défendue par Mirabeau en 1791. Mais cette quotité disponible ne pourra 1214

Loi du 17 nivôse an II, art. 9, AP, tome XXVIII, p. 606. L’idée de la primauté de la succession ab intestat par rapport à la succession testamentaire, et l’éloge de l’égalité que suppose ne pas tester, n’est pas en soi révolutionnaire. À titre d’exemple, on peut citer deux passages, un de Le Brun, et un autre de Domat. Ils montrent comment la succession ab intestat est celle qui correspond le mieux à l’esprit coutumier, opposé en cela au droit romain. « L’héritage se divise selon la disposition de la loi, mais la famille demeure unie, selon le vœu de la nature. Chaque portion n’est pas ordinairement une fortune achevée, pour ceux qui viennent à partage, mais la paix et l’union qui vient de l’égalité est toujours un bonheur accompli pour les héritiers. Cette union de la famille est l’ouvrage de celui qui ne teste pas, il laisse ses biens à ses héritiers, mais il leur donne la paix. Que si la succession ab intestat est beaucoup plus naturelle, et est ordinairement plus juste que la testamentaire, elle n’a pas moins de difficultés et au lieu que dans le droit romain c’était la manière la plus bornée, c’est la plus étendue en droit français », Denis L E BRUN, Traité des successions, 1e éd., Paris, 1692, préface. « Les successions légitimes ont tout ensemble la faveur de l’ordre naturel qui appelle les proches par le droit du sang et par l’affectation des biens aux familles, et la faveur de l’affection que leur doivent ceux qui disposent de leurs biens s’ils ne sont pas indignes, ou si d’autres motifs raisonnables ne rendent justes d’autres dispositions. C’est sur cette équité que sont fondées nos coutumes qui affectent tellement les biens aux familles, qu’elles ne permettent pas de disposer de tous les biens au préjudice des collatéraux même très éloignés », Jean DOMAT, op. cit., tome I, seconde partie des successions, préface, IV, p. 259. 1216 Art. 11 : « Les dispositions de l’art. 9 ci-dessus ne font point obstacle pour l’avenir à la faculté de disposer du dixième de son bien si on a des héritiers en ligne directe ou du sixième si l’on n’a que des héritiers collatéraux au profit d’autres que les personnes appelées par la loi au partage des successions », AP, tome XXVIII, p. 606. 1217 « Si l’on considère le contenu et l’esprit des lois civiles de l’an II, il convient également d’atténuer certaines critiques adressées à ces lois de combat, en général considérées comme des mesures improvisées et exagérément révolutionnaires. La loi du 17 nivôse an II sur les successions et celle du 12 brumaire sur les enfants naturels sont souvent présentées comme des produits accidentels de l’exaltation révolutionnaire et de la Terreur, des résultats de la force des choses chère à Saint-Just. Pourtant les principes dont s’inspirent ces lois ne sont pas nouveaux en 1793-1794 et il y a même une certaine logique dans l’adoption de ces mesures rétroactives qui ne rompent pas brutalement la cohérence de la législation révolutionnaire. […] Le principe d’égalité des partages était largement admis par les révolutionnaires depuis 1790-1791. Les débats de la Constituante en avril 1791 avaient déjà montré l’existence d’un fort courant favorable à une limitation draconienne de la liberté de tester, pour empêcher le maintien d’inégalités successorales entre les enfants », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 159-160.

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pas être donnée à un héritier. Pour préserver l’égalité parfaite entre héritiers, conformément au décret du 7 mars 1793, les bénéficiaires des dons ne pourront être que des tiers : même les collatéraux éloignés sont exclus de cette possibilité de recevoir la quotité disponible. Si le disposant dépasse la quotité disponible, la loi ne prévoit pas de nullité expresse. C’est la loi interprétative du 22 ventôse an II (11 mars 1794) qui décide la nullité pour les dispositions à titre universel. Les dispositions à titre particulier sont simplement réduites à la quotité disponible. La loi désigne également les successibles et fixe l’ordre dans lequel ils viennent à la succession. Les héritiers sont les descendants, les ascendants et les collatéraux : seuls les parents par le sang sont héritiers, comme en pays de coutumes. Les descendants excluent les ascendants et ils viennent à la succession de leurs aïeuls par représentation à l’infini1218. Par ailleurs, et cela est fondamental, la Convention met fin à la diversité du patrimoine selon les types de biens, si caractéristique de l’ancien droit1219. Désormais, il n’y aura plus de différence dans la dévolution successorale entre les propres, les acquêts et les meubles : le patrimoine sera unique. Plus que la simplification évidente de la technique successorale, il s’agissait dans l’esprit des Conventionnels d’enlever un outil favorable à une vision de la famille protectrice du lignage. L’unité du patrimoine effaçait les traces familiales des biens reçus des aïeux. Il ne s’agissait pas d’une idée nouvelle. Cette mesure figurait déjà dans le projet de loi présenté par Merlin en 1790, dont la discussion avait été ajournée. La disparition d’une catégorie de biens protégés anéantissait la logique intrinsèque de la réserve, ce compromis entre la propriété commune et la liberté individuelle. L’unité du patrimoine s’insère dans les idées d’égalité et d’unité prônées par la Révolution et familières à la légitime. L’unification du régime des biens était sans aucun doute favorable à la légitime, qui ne faisait pas de distinction selon l’origine des biens du de cujus. Mais cette faveur pour la légitime était étouffée par l’hostilité radicale visà-vis du testament. La légitime en pays de coutumes et la législation révolutionnaire empruntent des chemins séparés. La liberté de tester ayant pratiquement disparu, la légitime perd sa raison d’être : si le principal fait défaut, l’accessoire ne peut se maintenir. Annuler la capacité de tester évinçait les deux problèmes auxquels la légitime apportait une réponse. D’une part, l’enfant ne pouvait être déshérité. Ainsi, il trouvait nécessairement des biens dans la succession de son père, du moins s’ils n’étaient pas absorbés par le passif successoral. C’était le but de la légitime romaine : limiter les conséquences des excès du testateur. D’autre part, le père ne pouvait pas disposer de la petite quotité disponible en faveur d’un enfant, ni même d’un collatéral. L’égalité à l’intérieur de la fratrie était donc rigoureuse. C’était l’aide qu’apportait la légitime à la réserve, dans le cas d’un enfant donataire renonçant à la succession du donateur pour s’en tenir à son don. C’était en définitive l’équilibre souple trouvé dans les

1218 Dans l’ordre des ascendants et des collatéraux, on détermine des lignes descendantes à partir d’un ascendant du défunt ; et ces lignes sont appelées successivement. Les descendants sont toujours préférés aux ascendants, et la représentation existe aussi à l’infini. 1219 Art. 62 : « La loi ne reconnaît aucune différence dans la nature des biens ou dans leur origine pour en régler la transmission ». « L’abolition des propres a changé totalement le système des coutumes », BIGOTPRÉAMENEU, Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in FENET, tome XII, p. 249.

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coutumes d’option. Il n’était plus nécessaire, puisque les descendants ne pouvaient plus être gratifiés par leur aïeul. Malgré l’apparente nouveauté du système successoral, la Convention puise dans le droit coutumier des solutions déjà connues. Ainsi, lorsqu’elle oblige tout enfant donataire à rapporter son don, même s’il renonce à la succession de son père, elle ne fait que généraliser les dispositions des coutumes d’égalité stricte, au détriment des coutumes d’option et des coutumes préciputaires. De même, l’exclusion des ascendants au profit des descendants rappelle la règle coutumière propres ne remontent1220. La légitime, cette protection successorale patiemment élaborée, devenue le modèle de toutes les autres, vole en éclats, parce que la succession n’a plus le même esprit. On revient aux coutumes les plus strictes, les plus fermées au libéralisme et, donc, les plus en désaccord avec l’évolution des mœurs familiales et économiques. On revient au combat initial qui a vu naître la réserve, lorsque la pratique du testament compromet l’emprise familiale sur certains biens du de cujus. Dans la logique successorale, la loi du 17 nivôse an II est « en avance d’un retard », selon la formule que Xavier Martin emprunte au philosophe Etienne Gilson1221. Mais ce retour à la réserve n’est qu’apparent. En effet, certains éléments peuvent faire penser à une parenté d’esprit entre la loi de nivôse an II et la réserve de l’ancien droit, parce que les deux s’opposent au libéralisme testamentaire. De même, les deux appellent tous les collatéraux à la succession, sans limite de degré de parenté. Mais si on regarde mieux les dispositions de la loi, rien n’est moins sûr que ce retour en arrière. La réserve et la loi de nivôse an II n’ont pas la même conception de la famille et du patrimoine. Les révolutionnaires ont consacré l’unité du patrimoine, ce qui met en échec toute la logique de la réserve. L’idée d’une sorte de copropriété familiale ne peut se comprendre que sur des biens venus par succession, non sur ceux acquis par l’industrie personnelle du de cujus. Le retour à la logique de la réserve n’est pas total. Il y a en outre une différence fondamentale avec la réserve des coutumes : c’est une grande méfiance vis-à-vis des donations, qui incite la Convention à prendre des mesures restrictives très concrètes, qui limitent les donations plus que ne le faisait la légitime. Par la quotité qui est très faible, mais aussi en soumettant les donations à des conditions plus rigoureuses. Par exemple, le principe d’irrévocabilité des donations entre vifs ne souffre plus aucune exception quelle qu’en soit la cause. Ainsi, l’ingratitude ou la survenance d’enfants ne rendent plus caduque une donation, qui est devenue totalement irrévocable. Les 1220

« Un auteur belge, scrutant le droit successoral révolutionnaire, a longuement montré que tout l’appareillage de cette loi de nivôse avait été prélevé sur l’organisme fatigué de nos vieilles coutumes somnolentes, celles du Maine et de l’Anjou, dont le droit successoral roturier, depuis tant de siècles obscurs, se voulait furieusement égalitaire, ce qui leur assure, là encore, la placide avance d’un retard. Il existe d’ailleurs, confirmant cette démonstration, une consultation de trois juristes parisiens donnée le 3 germinal an V (23 mars 1797), renvoyant, pour l’interprétation de la loi de nivôse, aux vieux commentateurs de l’Anjou et du Maine. Au regard de quelques idées reçues, c’est assez peu banal, et moins encore si l’on décline l’identité des trois signataires : Tronchet, Portalis, Cambacérès », Xavier MARTIN, « Approche du droit révolutionnaire et du Code Napoléon : précautions de méthode », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 244. Il fait référence à André DEJACE , Les règles de la dévolution successorale sous la Révolution (1789-1794), Bruxelles-Liège, 1957. Voir aussi « Politique et droit privé après Thermidor », in La Révolution et l’ordre juridique privé : rationalité ou scandale ? Actes du colloque d’Orléans, 11-13 septembre 1986, 2 vol., Université d’Orléans, PUF, tome I, p. 173-184. La consultation est citée p. 173. 1221 Xavier MARTIN, « Approche du droit révolutionnaire… », op. cit., p. 242.

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révolutionnaires espèrent, par cette mesure, susciter la peur de donner gratuitement et dissuader de se dépouiller de manière aussi radicale. A l’interdiction pratiquement totale de tester, appartenant à l’esprit de la réserve, s’ajoute la difficulté pour donner, ce qui va plus loin que ne prévoyait la réserve. La loi de nivôse an II rompt donc à la fois avec la légitime par l’hostilité au testament, et avec la réserve par les contraintes imposées aux donations1222, même si elle s’appuie sur certains principes tirés du droit de l’Ancien Régime. Simplement, le fondement de ces règles n’est pas le même que celui qu’elles avaient dans l’ancien droit. Le droit successoral révolutionnaire, dans ses innovations mais aussi dans la reprise de solutions existantes, est avant tout une arme pour instaurer une nouvelle société. La légitime de l’ancien droit permettait aux coutumes de s’adapter aux nouvelles exigences de l’évolution familiale, sociale ou économique, mais ne visait pas un nouvel ordre public. C’était en revanche l’objectif des révolutionnaires qui, du point de vue successoral, voulaient prévenir les discriminations d’autrefois, notamment le droit d’aînesse, « soustraire les enfants républicains à la tyrannie de pères soupçonnés d’être de mauvais patriotes », et disloquer les fortunes1223. La légitime aurait pu les aider à parvenir au premier et, en partie, au troisième objectif. Mais elle ne permettait pas d’accomplir le deuxième. Or, les révolutionnaires se focalisent sur la liberté de tester et, ce faisant, ils empêchent la légitime d’apporter son concours au nouvel ordre successoral. Les Conventionnels imaginent un autre biais pour parvenir à leurs fins : la rétroactivité de la loi de nivôse an II, qui remonte au 14 juillet 17891224. La rétroactivité est probablement la hardiesse la plus forte des révolutionnaires en cette matière. Mais elle n’est pas seulement « une arme politique : [elle] répondait aussi aux préoccupations de certains juristes, désireux d’aménager la période transitoire entre l’ancien et le nouveau droit pour éviter tout interrègne de lois »1225. La rétroactivité sera pourtant la pierre d’achoppement qui obligera les révolutionnaires à revenir sur cette loi. « Si le pouvoir révolutionnaire a eu la force politique de transformer l’organisation sociale de la France, il n’a toutefois pas trouvé les ressources techniques nécessaires pour abolir ses fondements juridiques traditionnels »1226. Du point de vue de notre étude, le caractère novateur de la loi de nivôse an II cache mal une profonde influence des traditions coutumières : « Les principes de la supériorité de la succession ab intestat sur la succession testamentaire, de l’égalité entre les enfants, qui appartiennent au fonds de nos vieilles traditions nationales, ont 1222

Il faut souligner cependant que, en pays de droit écrit, les dispositions sur l’égalité de la loi de nivôse an II peuvent favoriser non pas l’existence, mais la délivrance de la légitime. Ainsi, dans le Sud-Ouest, concrètement à Oloron, Jacques Poumarède signale que les premières demandes d’application de la loi viennent « de cadets qui profitent de la loi de nivôse pour réclamer le versement de leur légitime coutumière qui ne leur avait pas été payée », Jacques POUMARÈDE, « La législation successorale de la Révolution… », op. cit., p. 175. 1223 Cf. Michel GRIMALDI, Droit civil. Les successions, op. cit., n. 53, p. 47. 1224 « Nous ignorons comment s’effectua le choix, en lui-même assez surprenant, du 14 juillet 1789, date de la prise de la Bastille et non de la Déclaration des droits de l’homme votée le 26 août 1789. Ce choix montre en tout cas la portée symbolique du 14 juillet qui apparaissait aux contemporains comme le début de la Révolution auquel devait remonter le principe de toute législation nouvelle », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 161. 1225 Ibidem, p. 161. 1226 Naissance du Code civil. Travaux préparatoires du Code civil. Extraits choisis et présentés sous la direction de François Ewald, préface de Guy CANIVET, Paris, Flammarion, 2004, avant-propos, p. XI.

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été repris, développés, peut-être exagérés par le législateur révolutionnaire. Et c’est ainsi qu’en croyant édifier une législation totalement nouvelle, construite sur les seules données de la nature et de la raison, et conforme aux bases de la constitution, ils ont, en réalité, repris sur deux points essentiels deux idées capitales de notre vieux droit coutumier »1227. La loi de nivôse an II est toutefois révolutionnaire parce qu’elle détruit le point essentiel de la distinction des biens selon leur origine, et parce qu’elle développe toutes les conséquences du principe d’égalité entre héritiers. Du point de vue des conséquences pratiques, la législation révolutionnaire changeait peu les habitudes des coutumes très égalitaires, excepté pour les filles dotées. En revanche, dans les régions préciputaires et, a fortiori, dans les pays de droit écrit, le bouleversement était notable1228. Leur efficacité est pourtant mitigée, car les pays de petite culture ne l’ont pas appliquée1229. La législation successorale révolutionnaire de l’an II, en réduisant pratiquement à néant la liberté de tester, réveille la logique anti-libérale de la réserve, et remet au premier plan l’ancien antagonisme entre la réserve et la légitime. En même temps, la loi de nivôse an II dépasse la réserve sur plusieurs points. D’une part, l’indisponibilité concerne tous les biens, puisque la Révolution a abrogé la distinction entre biens propres et acquêts, alors que la réserve ne touchait que les propres. D’autre part, les donations, ignorées par la réserve dans la plupart des coutumes de l’ancien droit, ne peuvent pas dépasser la quotité disponible, très faible, et leur régime est plus sévère que sous l’ancien droit. En outre, il n’y a aucune exception au caractère irrévocable des donations. L’ancien droit connaissait l’exception d’ingratitude ou pour survenance d’enfants. Par ailleurs, il est interdit de tester en faveur d’un successible. L’option entre la qualité d’héritier et celle de légataire n’est plus possible. C’est donc un régime successoral plus rigoureux que celui des coutumes, même celles d’égalité stricte. Mais la Révolution n’est pas achevée. Après la chute de Robespierre, les changements politiques entraîneront des modifications dans la législation successorale, avec le désir toujours présent d’arriver à un Code unique de lois civiles. « Sur tous les fronts, et notamment dans le domaine de la justice et de la législation civile, les thermidoriens prirent le contre-pied des principes défendus par les Jacobins et les sans-culottes, l’année précédente »1230. Les révolutionnaires s’acheminent vers l’adoption de positions plus modérées. Ils comptent sur l’héritage successoral de l’an II, mais aussi sur toute la tradition coutumière antérieure. En particulier, le régime de la légitime en pays de coutumes à la fin du XVIIIe siècle. On a vu qu’elle a englobé la réserve et qu’elle est devenue une quote-part de biens indisponibles destinés par la coutume à l’héritier. La rencontre de la légitime pars 1227 Gustave ARON, « Etude sur les lois successorales de la Révolution…», op. cit., n. 4, juillet-août 1901, Paris, 1901, p. 449. 1228 « Pour ceux qui appartenaient aux aires du droit coutumier à forte tendance égalitaire, la Révolution ne modifia guère la situation, sauf en ce qui concerne les filles là où elles étaient traditionnellement exclues. Mais, dans les zones de tradition inégalitaire, le choc fut d’abord important » Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 258. 1229 « M. Boulay dit que, chargé par le gouvernement de présenter la loi du 24 germinal an VIII, il a eu l’occasion de s’assurer que la loi du 17 nivôse an II n’a jamais été suivie dans les pays de petite culture : là l’héritage a continué de demeurer à l’aîné qui l’avait cultivé et amélioré. Il s’est chargé de nourrir son père. Les autres enfants ont eu un pécule », Discussion du Conseil d’État, in FENET, tome XII, p. 315. 1230 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 222.

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hereditatis et de la réserve révolutionnaire ne peut se faire dans les mêmes conditions que la rencontre de la légitime et de la réserve au XVIe siècle. En pays de coutumes, la légitime est déjà parvenue à la synthèse des deux logiques successorales. Elle peut indiquer le chemin pour retrouver l’équilibre.

SECTION II LE RETOUR À L’ÉQUILIBRE

Les événements se succèdent avec rapidité. La chute de Robespierre en juillet 1794 met fin à la Terreur. On éprouve un sentiment de soulagement, et c’est aussi l’occasion de revenir sur la législation successorale de la Convention. Lors de la séance du 23 fructidor an II (9 septembre 1794), Cambacérès présente son deuxième projet de Code civil. Il reste très révolutionnaire et en réalité utopique, malgré quelques modifications dans les dispositions du droit successoral1231. Du point de vue de la forme, il est trop synthétique. Il ne pouvait satisfaire, car il était si bref qu’il aurait laissé sans solution la plupart des problèmes techniques. Il ne comportait pas de modifications de fond au sujet de la quotité disponible proposée par le premier projet de Code1232, qui avait été adoptée entre temps par la loi du 17 nivôse an II (janvier 1794). Mais son style n’était pas la seule cause de son abandon : « Le second projet Cambacérès arrivait à contretemps : il entendait maintenir les acquis de l’an II, alors que la réaction commençait à poindre. Cambacérès n’avait décidément pas de chance : à nouveau, alors qu’il paraissait toucher au but, le Code civil n’était plus de saison »1233. L’abandon de ce deuxième projet de Code, si proche de la législation de l’an II, ne signifie pas un rejet brusque de celle-ci. La remise en cause du droit successoral de la Convention est d’abord timide. Il ne s’agit pas tant de revenir sur les principes de fond qui l’inspirent, que de demander le retrait de la rétroactivité. C’était cet aspect qui avait suscité les plus fortes réactions contre la loi du 17 nivôse an II. La Convention se voit obligée de donner des décrets interprétatifs. Une série de mesures viennent compléter la législation successorale révolutionnaire. Elles tempèrent d’abord les excès les plus évidents ; mais l’évolution va dans le sens de la révocation de la loi de nivôse an II, afin de trouver un nouvel équilibre entre la liberté et l’ordre public. « On sait que la législation révolutionnaire n’a pas connu une grande efficacité, que son application fut éphémère et que le Code civil de 1804 a élargi le champ de la liberté en augmentant la quotité disponible »1234. Cette analyse des dispositions concrètes ne fait pas oublier pour autant l’objectif principal en matière civile : établir un Code. Dès la Constitution de 1791 on s’est donné comme objectif de faire un code de lois civiles uniforme, valable pour tous. La tâche ne demandera pas moins de cinq projets avant d’aboutir, non pas tant à cause des dispositions de droit privé qu’en raison des circonstances

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« Les donations à cause de mort, destinées à remplacer les testaments, redeviennent révocables alors que disparaissent les restrictions concernant les donations aux célibataires ou les dispositions en faveur du conjoint survivant. […] Il abandonne une des dispositions les plus critiquées de la loi du 17 nivôse qui faisait passer les frères et sœurs du défunt avant ses parents », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 206-207. 1232 Cf. FENET, tome I, p. 119. 1233 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 214. 1234 Jean BART, « L’individu et ses droits », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 360.

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politiques1235. Mais il fallait y arriver pour achever le travail de la Révolution. Le Code était plus qu’une rationalisation ou une synthèse des lois. Le Code était dans le domaine des lois civiles l’équivalent de la Constitution. « Constituer et codifier apparaissent comme deux opérations parallèles, symétriques et complémentaires. La Constitution régénère l’État ; le Code régénère la Société »1236. Si la réaction contre le gouvernement de l’an II amène à certaines ruptures sur le fond du droit successoral, il y a en même temps une continuité dans la volonté de parvenir à un Code civil. Les rédacteurs du Code connaissent et utilisent les différents travaux préparatoires qui les ont précédés, comme ils connaissent la législation successorale de la Révolution1237. L’état final de celle-ci est à la fois une rupture et une continuité par rapport à la législation de l’an II (§ 1). Mais les rédacteurs du Code ne se positionnent pas uniquement par rapport au droit révolutionnaire. Ils ont la volonté de fixer un droit privé pour toute la France. Ils ne peuvent ignorer les diverses solutions successorales de l’ancien droit, où la légitime occupait la première place. C’est en puisant à ces deux sources, ancienne et révolutionnaire, qu’ils élaborent le Code civil (§ 2). § 1. Ruptures et continuités Les pays les plus touchés par la loi de nivôse an II étaient la Normandie et les régions de droit écrit. La première, coutume d’égalité stricte, pratiquait l’exclusion des filles dotées de manière habituelle. Les frères se soulevèrent en voyant leurs sœurs revenir à la succession de leur père. Dans le Midi, le testament était un moyen de faire un aîné et, en tout cas, d’organiser la dévolution successorale, surtout dans les régions rurales, de manière à préserver l’unité des exploitations. Le principe absolu d’égalité proclamé par la loi détruisait l’équilibre que les familles avaient trouvé dans la répartition de leur patrimoine. Leur réaction était prévisible. Beaucoup de demandes arrivaient à la Convention pour solliciter des précisions sur l’un ou l’autre article de la loi, ou bien pour essayer d’obtenir une dérogation1238. La Convention procède alors par des décrets interprétatifs de la loi de nivôse. Ces décrets ont la particularité de répondre à des questions posées au sujet de la loi. Le décret du 23 ventôse répond à soixante questions, celui du 9 fructidor à trente-six et celui du 1er jour des Sans-Culottides à sept questions sur la loi du 12

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« L’ajournement du premier projet de Code civil ne correspond pas à un échec technique imputable à l’incompétence du comité de législation ou à l’inconstance de l’assemblée. Il ne s’agit pas davantage d’un rejet inspiré par des considérations philosophiques ou par une hostilité irréductible à l’œuvre nécessairement juridique d’hommes de loi. C’est une décision politique, fondamentalement liée à la naissance d’un gouvernement révolutionnaire entre août et novembre 1793 », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 140. « Le troisième projet Cambacérès fut victime des mœurs parlementaires du Directoire et du défaut de planification de l’ordre du jour », ibidem, p. 250. 1236 Jean BART, « Il sera fait un code de lois… », op. cit., p. 264. 1237 Ils s’en inspirent aussi bien pour le fond que pour le plan adopté par le Code civil : « Les rédacteurs du Code civil ont puisé à de multiples sources, de préférence à la plus proche, le Projet Jacqueminot ». Cf. Jean GAUDEMET, « Pothier et Jacqueminot à propos des sources du Code civil de 1804 », in Le rôle de la volonté dans les actes juridiques. Etudes à la mémoire du Professeur Alfred Rieg, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 369-387. La phrase citée se trouve p. 387. 1238 « La répartition géographique de l’origine de ces pétitions est également très frappante : presque toutes viennent des anciens pays de droit écrit ou de Normandie, c'est-à-dire des régions où les pratiques successorales de l’ancien droit étaient les plus inégalitaires. Ce sont les cadets, ou en sens inverses les aînés, du Midi, les garçons et les filles de Normandie qui se sont prononcés pour ou contre la loi du 17 nivôse », Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 216.

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brumaire1239. Mais ces réponses maintiennent pour l’essentiel les principes et les dispositions expresses de la loi de nivôse an II. Pourtant, certaines idées n’ont pas la même portée en 1795 qu’en 1793. Les événements politiques jouent un rôle important dans le cours des débats. L’échec des manifestations des sans-culottes à Paris le 1er avril 1795 (12 germinal), puis l’échec de la journée insurrectionnelle du 20 mai 1795 (1er prairial) provoquèrent un choc1240. Il y a une vraie réaction face à la loi successorale de nivôse an II, qui finira par être abrogée : « Une fois de plus les événements politiques servaient de prétexte à un nouveau virage dans la législation civile : cette fois-ci, sans équivoque, la réaction était en marche »1241. L’abrogation de la législation successorale de l’an II (A) marque une rupture, mais l’influence de cette loi ne disparaît pas totalement. Le maintien de certains acquis révolutionnaires (B) manifeste une continuité, du moins dans la volonté de réformer le droit privé et, concrètement, le droit successoral. A. L’abrogation de la législation de l’an II Le premier aspect de la loi de nivôse an II qui a été remis en cause après la chute de Robespierre est la rétroactivité. Le décret du 5 floréal an III (24 avril 1795) suspend toute action intentée ou procédure commencée à l’occasion de l’effet rétroactif de la loi du 17 nivôse an II : il arrête la remise en cause des successions échues et partagées entre 1789 et 1794, qui avaient été rouvertes pour procéder à un nouveau partage, en accord avec les dispositions de la loi de nivôse an II. C’est une mesure provisoire, pour arrêter les actions en cours. Car la discussion de fond sur l’annulation de la rétroactivité de la loi est déjà entamée. Après avoir débattu cette question, le 9 fructidor an III (26 août 1795) la Convention décréta que les lois des 5 brumaire et 17 nivôse an II n’auraient d’effet qu’à partir de leur promulgation. Finalement, la loi du 9 vendémiaire an III (25 septembre 1795), article 11, abolit rétroactivement tous les actes faits en exécution des dispositions rétroactives des lois des 5 brumaire et 17 nivôse1242. La Convention n’ira pas plus loin dans la remise en cause de la loi de nivôse, qui reste en vigueur pour les successions échues après sa promulgation1243. La place quasi inexistante de la légitime dans le droit successoral révolutionnaire n’est pas modifiée pour l’instant. Elle aurait pu l’être si on avait adopté les dispositions successorales proposées dans le troisième projet de Code civil de Cambacérès, présenté au Conseil des Cinq-Cents en messidor an IV (juin 1796). Dans ce troisième projet, moins idéologique que le précédent, l’égalité absolue entre descendants subsiste, mais elle disparaît en ligne collatérale. De même, les collatéraux peuvent renoncer à la succession et s’en tenir à leur don, sans 1239

Gustave ARON , « Etude sur les lois successorales de la Révolution…», op. cit., n. 5, septembreoctobre 1903, p. 676. 1240 Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 221. 1241 Ibidem, p. 221-222. 1242 Ambroise Colin cite également une loi du 3 vendémiaire an IV et une autre du 18 pluviôse an V. Cf. Ambroise COLIN, « Le droit de succession dans le Code civil », in Le Code civil 1804-1904. Livre du Centenaire, préface de Jean-Louis HALPÉRIN, Paris, Dalloz, 2004, p. 300. 1243 La question de la rétroactivité, ainsi que les débats qu’elle suscite au lendemain de la chute de Robespierre, ne nous intéresse pas directement. On ne l’analyse donc pas dans le détail. Voir à ce sujet Jean-Louis H ALPÉRIN , op. cit., p. 215 et s. Voir également Gustave AR O N , « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., 1903, p. 685-703.

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être obligés de rapporter. En revanche, le rapport reste obligatoire pour les enfants. La quotité disponible est augmentée à la moitié pour les collatéraux, alors qu’elle reste la même –un dixième– pour les descendants directs1244. En définitive, on revient peu à peu à certains aspects du système antérieur à la Révolution : souci pour l’égalité à l’intérieur de la fratrie, souplesse pour régler les successions collatérales, où une marge de liberté plus importante ne choque pas. En même temps, la méfiance vis-à-vis des testaments perdure : le projet établit une quotité différente pour les testaments et pour les donations, quand on n’a pas de descendants. C’était la logique de la réserve et la continuité avec la législation anti-libérale de l’an II. Mais, une fois encore, le projet fut abandonné au printemps 1797. Le Directoire était accaparé par d’autres affaires et Cambacérès n’avait pas la majorité pour faire voter ce projet de Code. Le quatrième projet de Code civil prépare le chemin pour le remaniement de la législation successorale révolutionnaire. Le 30 frimaire an VIII (21 décembre 1799), Jacqueminot présente un projet de Code au nom de la section de législation. Le recul par rapport aux dispositions de la loi de nivôse est net. La portion des biens disponibles augmente et la réserve est restreinte au quatrième degré en ligne collatérale : au-delà, c’est la liberté. « Trop de préjugés dominaient alors et avaient été substitués à d’autres préjugés. Le fanatisme d’une égalité follement interprétée régnait, comme auparavant le fanatisme des privilèges. La dépravation des idées politiques était revenue au comble. Les lois civiles en reçurent l’empreinte »1245. Ce projet ouvrait le chemin de retour de la légitime comme institution centrale du droit successoral. L’essentiel sera retenu par la loi du 4 germinal an VIII (25 mars 1800), œuvre du Consulat. La loi du 4 germinal an VIII (25 mars 1800) est « la première grande atteinte à la loi du 17 nivôse depuis la Convention thermidorienne »1246. Le Consulat réforme deux points chers à la Convention : la nécessité de réduire au maximum la quotité disponible pour diviser les fortunes et l’égalité absolue entre héritiers « voulue par la nature et commandée par la politique »1247. Les articles 1 à 4 de la loi du 4 germinal an VIII fixent la quotité disponible, variable selon le nombre d’héritiers. Si le de cujus laisse des enfants, la quotité disponible est d’un quart s’ils sont moins de quatre, un cinquième s’ils sont quatre, un sixième s’ils sont cinq, etc. On ajoute toujours une unité au nombre d’enfants pour trouver la quotité1248. S’il y a des ascendants, des frères et sœurs ou des neveux et nièces enfants de ces frères et sœurs, la quotité disponible est de moitié. Si le défunt laisse des oncles ou grandsoncles ou tantes, cousins ou cousines germaines, la quotité est de trois quarts. Enfin, s’il n’y a aucun parent à ces degrés, tous les biens sont disponibles. Par ailleurs, la

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Cf. FENET, tome I, p. 259-260. Présentation du projet de Code à la Commission législative du Conseil des Cinq-Cents par Jacqueminot, au nom de la section de législation. Séance du 30 frimaire an VIII (21 décembre 1799). Cf. FENET, tome I, p. 329. 1246 Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 271. 1247 Gustave ARON, « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., Deuxième partie, n. 5, septembre-octobre 1903, p. 674. 1248 Art. 1 : « Toutes libéralités qui seront faites soit par actes entre vifs, soit par actes de dernière volonté, dans les formes légales, seront valables, lorsqu’elles n’excéderont par le quart des biens du disposant, s’il laisse à son décès moins de quatre enfants ; le cinquième, s’il laisse quatre enfants ; le sixième, s’il en laisse cinq ; et ainsi de suite, en comptant toujours, pour déterminer la portion disponible, le nombre d’enfants plus un ». Rapporté par Tronchet, FENET, tome XII, p. 301. 1245

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quotité disponible peut être donnée aux enfants ou à tout autre successible1249. Pour le reste, c’est la loi de nivôse qui restait en vigueur. Quels sont les motifs de cette augmentation de la quotité disponible ? Essentiellement la volonté de renforcer l’autorité paternelle, dont Boulay de la Meurthe dit qu’elle est « si légitime et si sacrée, si étroitement liée à l’intérêt des bonnes mœurs »1250. L’augmentation de la quotité disponible redonne une vraie place à la légitime, puisqu’elle peut être une vraie garantie des droits des enfants lorsque le père a une réelle liberté pour disposer de ses biens à titre gratuit. Elle peut à nouveau aider à assurer l’égalité entre héritiers, d’autant plus que la loi de germinal permet le cumul de la légitime et de la quotité disponible. En cela, elle rompt avec la loi du 17 nivôse an II, mais aussi avec la pratique coutumière qui interdit de cumuler les qualités d’héritier et de légataire. La loi de germinal apporte un vent de liberté dans le droit successoral. Après la quasi-abolition du droit de tester, le Consulat redonne au père de famille une marge de liberté pour disposer de son patrimoine à titre gratuit. Avec la loi du 4 germinal an VIII, l’état de la législation est à nouveau propice à l’existence d’un équilibre successoral entre liberté et égalité, comme celui qu’avait atteint la légitime à la fin du XVIIIe siècle en pays de coutumes. Il l’est d’autant plus que l’œuvre du Consulat intègre les principaux acquis révolutionnaires. B. Les acquis révolutionnaires L’abrogation de la loi du 17 nivôse an II, opérée par la loi du 4 germinal an VIII, ne doit pas masquer l’existence d’une certaine continuité dans la législation successorale révolutionnaire, qui se prolongera jusqu’au Code civil. Une continuité faite d’abord d’hommes. En effet, Cambacérès, qui avait eu la charge de présenter trois projets de Code civil, contribuera à la rédaction du Code définitif en tant que deuxième consul1251. Il ne sera pas le seul juriste à avoir participé aux différentes réformes du droit privé entre 1789 et 18041252. Berlier, par exemple, avait joué un rôle important lors de l’élaboration du droit successoral par la Convention, et il sera

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Art. 5 : « Les libéralités autorisées par la présente loi pourront être faites au profit des enfants ou autres successibles du disposant sans qu’ils soient sujets à rapport », FENET, tome XII, p. 301. 1250 Cité par Jean-Louis HALPÉRIN, op. cit., p. 271. 1251 « Cambacérès, deuxième consul, a activement participé aux travaux préparatoires du Code de 1804 ; aussi mérite-t-il d’être rangé parmi les rédacteurs du Code au même titre que les membres de la commission gouvernementale et que les conseillers d’État. C’est dire si l’étude des « trois premiers projets de Code civil » ne peut se dispenser d’une confrontation avec les débats préparatoires du Consulat. On note alors la proximité, au moins technique, entre les projets révolutionnaires et le futur Code Napoléon », Julien BOUDON, « Les projets de Code civil ‘de Cambacérès’… », op. cit., p. 91. 1252 « Il faut tenir compte des discours, propositions de lois et projets souvent présentés en articles qui sont l’œuvre des membres des assemblées, pour l’essentiel un petit groupe de juristes de formation –des avocats de « petits » barreaux avant 1789 que rien ne prédestinait à ce rôle sous l’Ancien Régime– qui se sont spécialisés dans la réforme du droit privé », Jean-Louis HALPÉRIN , « Le droit privé de la Révolution : héritage législatif et héritage idéologique », in AHRF, n. 328, 2002, p. 144. Cambacérès ne travaille pas seul aux différents projets de Code civil, même si son rôle est prépondérant. « Le texte soumis à la Convention [le premier projet de Code civil] présente une relative unité de rédaction qui laisse supposer que l’ensemble du projet a été revu par Cambacérès, mais le travail de préparation a été réparti entre plusieurs membres du comité de législation. Le premier projet de Code civil fut signé par onze députés. […] On peut penser que Merlin de Douai, Garran-Coulon, Berlier, Oudot, Bezard et Bar furent les principaux collaborateurs de Cambacérès. […] [Le rôle de Garran-Coulon] dans l’élaboration des règles successorales a été pratiquement démontré », Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, op. cit., p. 118-119.

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un des conseillers d’État qui examineront le projet définitif de Code civil1253. Par ailleurs, les rédacteurs du Code civil « restent des hommes de la Révolution, non pas, à la vérité, de la période violente mais de la période à la fois audacieuse et tempérée qui trouve son expression dans l’Assemblée constituante »1254. Cependant, la permanence des mêmes personnes ne garantit pas, à elle seule, la constance des idées, surtout en des périodes aussi troublées que la Révolution française. Cambacérès lui-même a changé d’avis à plusieurs reprises1255. Au-delà des personnes, pour déceler l’existence d’une rupture ou d’une continuité dans les différentes lois successorales de cette période, il faut analyser les idées inspiratrices des réformes. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’influence de la législation révolutionnaire en matière de droit privé se fait sentir surtout au niveau des principes, et pas toujours par le moyen de lois promulguées1256. Du point de vue du droit positif, on distingue deux phases nettes dans la législation successorale révolutionnaire. Une première phase radicale, dont est issue la loi du 17 nivôse an II. Elle était le résultat d’une exaltation révolutionnaire poussée à l’extrême, et qui ne pouvait subsister que dans le climat d’effervescence politique qui l’avait vu naître. Or, lorsque retombe cette euphorie, une deuxième phase plus modérée procède à l’abrogation des mesures législatives excessives, sans renier les principes philosophiques qui les ont inspirées. Les applications les plus extrêmes sont abandonnées, mais les progrès des idéaux révolutionnaires ne sont pas bannis. On n’assiste pas à un retour absolu à la situation précédente, comme si rien n’était advenu en 1789 : « la réaction, indéniable à l’égard du droit de l’an II, n’avait pas conduit au retour pur et simple à l’ancien droit »1257. Que reste-t-il alors des mesures successorales prises entre 1789 et 1800 ? La législation révolutionnaire a été à l’origine de deux acquis successoraux fondamentaux et irréversibles : l’unité du patrimoine1258 et la suppression de toutes les inégalités successorales, notamment le droit d’aînesse. Le principal acquis révolutionnaire, l’égalité successorale, ne disparaît pas avec la législation successorale du Consulat. La possibilité de disposer de la quotité libre en faveur d’un successible ne suppose pas une remise en cause radicale du principe de

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Cf. Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, op. cit., p. 147-149 et 268. Sur le projet définitif de Code civil, cf. infra, § 2. Ambroise COLIN, « Le droit de succession dans le Code civil », op. cit., p. 300. 1255 Par exemple, les donations à cause de mort du premier projet de Code civil, qui devaient remplacer les testaments, redeviennent révocables. Cf. Jean-Louis H ALPÉRIN , L’impossible Code civil, op. cit., p. 206. Ou encore, les deux premiers projets de Code civil prévoyaient « l’administration commune et égalitaire des biens du ménage par les deux époux. Le troisième projet […] revenait au contraire à l’incapacité de la femme mariée sous le régime de la communauté et empruntait davantage à la tradition doctrinale de l’ancien droit », Jean-Louis HALPÉRIN , « Le droit privé de la Révolution… », op. cit., p. 144. Par ailleurs, on sait que Cambacérès était « toujours très prudent et fondamentalement opportuniste », Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, op. cit., p. 137. 1256 « L’originalité de la période révolutionnaire en matière de droit de la famille tient […] à l’existence de projets de réforme qui ne sont pas restés sans conséquences, alors même qu’ils ne sont pas passés à l’état de lois », Jean-Louis HALPÉRIN, « Le droit privé de la Révolution… », op. cit., p. 143. 1257 Ibidem, p. 142. 1258 Elle sera consacrée par le Code civil. « D’autres articles sont repris au projet Jacqueminot. C’est le cas de l’article 732 : ‘la loi ne considère ni l’origine ni la nature des biens pour en régler la succession’. L’unité passive du patrimoine avait été admise dès 1537 par la Jurisprudence du Parlement de Paris. À la fin de l’Ancien Régime, Pothier pouvait écrire : ‘on ne considère ni la cause ni l’origine des dettes’. Mais l’unité active et passive de la masse successorale est un acquis du droit révolutionnaire », Jean GAUDEMET, « Pothier et Jacqueminot à propos des sources… », op. cit., p. 383.

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l’égalité1259. Certes, l’égalité entre héritiers n’est plus aussi rigoureuse que l’avaient souhaité les Conventionnels. Mais aucune autre cause d’inégalité, comme le privilège de masculinité ou d’aînesse, ou encore la distinction des biens selon leur origine, n’est reprise par la loi du 4 germinal an VIII. La possibilité de gratifier un successible vise probablement les dons faits en vue du mariage. Le Consulat renoue ainsi avec le principe d’égalité qui existait en pays de coutumes avant la Révolution, du moins pour les roturiers. Mais il le fait en enrichissant l’ancien droit du principal acquis révolutionnaire : l’abolition des exceptions à l’égalité successorale. En outre, au-delà du droit successoral, la Révolution avait imposé l’idée de l’unité en droit privé, écartant tout retour à la diversité coutumière. Plus personne ne songera à demander deux régimes successoraux distincts pour chaque zone géographique, comme ils existaient avant la Révolution. L’unification du droit privé, en cette matière, est définitive1260. Les rédacteurs du Code civil recueilleront cet héritage et, de ce point de vue, le Code Napoléon consacre le droit révolutionnaire plus qu’il ne s’y oppose. En définitive, le Consulat, par la loi du 4 germinal an VIII, opère en réalité un équilibre entre les deux tendances fortes des principes révolutionnaires. D’une part la liberté, d’autre part l’égalité. « Toute l’œuvre législative de la Révolution est traversée par la dialectique liberté/égalité. C’est la liberté –la liberté testamentaire par exemple– qui détermine l’autorité du « chef » de famille ; c’est l’égalité –égalité des sexes, des générations…– qui réduit l’autorité et qui apparaît dangereuse aux yeux de la bourgeoisie dominante »1261. Cet équilibre, la légitime en pays de coutumes l’avait déjà trouvé. Les rédacteurs du Code civil la connaissent et peuvent s’en inspirer au moment de fixer le nouveau droit successoral pour la France. Œuvre de compromis1262 entre les différentes traditions juridiques de l’ancien droit, les rédacteurs du Code n’écarteront pas les principes du droit successoral révolutionnaire au moment d’élaborer le Code civil.

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Malgré le dédain qu’on manifestera à l’égard de la loi du 17 nivôse an II : « C’était l’abus de l’imagination échauffée par une théorie brillante de métaphysique, la destruction de toute autorité paternelle, une égalité injuste, qui interdisait tout secours pour l’enfant disgracié de la nature, ou frappé par l’inconstance de la fortune ». Intervention de Tronchet, lors de la séance du 21 pluviôse an XI (10 février 1803), FENET, tome XII, p. 305. De son côté, Maleville estime qu’il « ne faut pas tenir compte des temps révolutionnaires, où l’on avait rêvé l’égalité parfaite en toutes choses », FENET, tome XII, p. 308. 1260 « Le droit positif sera retouché, modifié sans que le législateur apporte la moindre réserve à ce principe d’unité alors que dans d’autres matières le Code civil laisse une part non négligeable à la volonté des parties (principe de l’autonomie de la volonté) ou tient compte des différences locales (régimes matrimoniaux) ou renvoie aux usages (propriété, servitudes) », Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques…», op. cit., p. 16. 1261 Jean BART, « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 262. 1262 « Dans une continuité assez remarquable, la Monarchie et les Assemblées révolutionnaires n’avaient jamais cessé de mettre en œuvre leur grand dessein d’unification des pratiques successorales au profit de l’égalité largement répandue dans le droit coutumier. Des ordonnances d’Aguesseau aux lois de nivôse, l’idée et la pratique de l’égalité firent des progrès mais sans qu’ait été véritablement entamé le bastion des traditions des pays de droit écrit. Le paradoxe est qu’il appartint à l’État bonapartiste puis napoléonien, hypercentralisateur dans bien d’autres domaines, de fabriquer le compromis qui devait permettre, ensuite, aux conceptions différentes de la famille, de la propriété et de l’organisation sociale, propres à certains ensembles socioculturels bien connus, de continuer à s’exprimer à travers l’alliance, l’héritage et la succession », Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 260.

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§ 2. L’élaboration du Code civil Le projet de Code civil a été étudié définitivement par le Conseil d’État, en tenant compte des observations des différents tribunaux d’appel. La première discussion devant le Conseil d’État commence le 4 thermidor an IX (22 juillet 1801). Le travail se réalise par étapes ; chaque titre du Code est étudié par le Conseil d’État et envoyé au premier consul qui nomme trois conseillers d’État pour le présenter devant le Tribunat. Le Tribunat donne son avis et le transmet au Corps législatif qui adopte ou rejette le projet. Pour le titre préliminaire, les discussions aboutissent à un vœu de rejet de la part du Tribunat, suivi du même avis de la part du Corps législatif. La réaction de Bonaparte est immédiate et énergique : il retire les projets en discussion le 12 nivôse an X et procède à l’épuration du Tribunat, avec la mise à l’écart des personnalités les plus contestataires. Commencent alors les relations officieuses avec la section de législation du Tribunat. Cette négociation officieuse permettra d’enlever les obstacles rencontrés et d’aboutir rapidement à un texte unique : « Ce coup d’éclat à la limite du coup d’État permit, en l’an XI et en l’an XII, le vote par des assemblées domestiquées des 37 projets de loi qui constituaient le Code civil »1263. Pour le livre III, titre II, qui contient les articles sur la légitime, la première discussion devant le Conseil d’État a lieu le 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), et se prolonge jusqu’au 3 germinal de la même année (23 mars 1803). Suit la communication officieuse à la section législative du Tribunat. La rédaction définitive par le Conseil d’État est arrêtée le 24 germinal an XI (13 avril 1803). Le projet est présenté au Corps législatif le 2 floréal an XI (23 avril 1803), qui l’adopte. La promulgation a lieu le 23 floréal an XI (13 mai 1803)1264. Si la facilité avec laquelle les textes composant le Code civil sont approuvés est due principalement à l’épuration de l’an X, il ne faut pas pour autant penser que le contenu était très éloigné des aspirations générales : « les choix du gouvernement faisaient l’objet d’une large acceptation par les contemporains. Voté par des moyens autoritaires, le Code civil était fondamentalement une œuvre de compromis »1265. Les discussions du Conseil d’État et le discours préliminaire de Portalis nous fournissent des éléments pour comprendre la place accordée à la légitime dans la rédaction finale. Il nous faut donc étudier le projet présenté par la commission nommée par Bonaparte (A), pour finir par l’étude de la réserve héréditaire du Code civil (B). A. Le projet de la commission nommée par Bonaparte « Bonaparte, peut-être conseillé par Cambacérès, réussit un coup de maître en choisissant les quatre membres de la commission chargée par le gouvernement de préparer le projet de Code civil. Un savant dosage a présidé à la sélection des quatre commissaires : Portalis, Maleville, Tronchet et Bigot de Préameneu. Géographiquement, un Provençal, un Périgourdin, un Parisien et un Breton représentent, de manière équilibrée, pays de coutumes et de droit écrit. 1263

Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, op. cit., p. 274. L’article précis sur la légitime est adopté lors de la séance du 21 pluviôse an XI (10 février 1803), en suivant la proposition de la section et l’amendement de Cambacérès. Cf. FENET, tome XII, p. 319. 1265 Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, op. cit., p. 275. 1264

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Professionnellement, ces quatre anciens avocats au parlement sont des juristes de tradition qui ont aussi l’expérience du droit et de la justice de la Révolution »1266. Les articles portant sur la légitime se trouvent au livre III, titre IX, chapitre II de la portion de biens dont il est permis de disposer, et de la réduction en cas d’excès, section première, de la portion disponible. Voici les textes que propose le projet : Article 16 : « Les donations soit entre vifs, soit à cause de mort, ne peuvent excéder le quart des biens du donateur, s’il laisse, à son décès, des enfants ou descendants ; la moitié, s’il laisse des ascendants ou frères et sœurs ; les trois quarts, s’il laisse des neveux ou nièces, enfants au premier degré d’un frère ou d’une sœur. A défaut de parents dans les degrés ci-dessus exprimés, les donations peuvent épuiser la totalité des biens du donateur ». Article 17 : « La donation en usufruit ne peut excéder la quotité dont on peut disposer en propriété ; en telle sorte que le don d’un usufruit ou d’une pension, est réductible au quart, à la moitié, ou aux trois quarts du revenu total, dans les cas cidessus exprimés. Sans préjudice néanmoins de ce qui est réglé à l’égard des époux ». Article 18 : « La donation de la quotité disponible peut être faite en tout ou en partie, même en faveur des enfants des autres successibles du donateur ». Article 19 : « Cette donation n’est pas rapportable par le donateur venant à la succession, pourvu qu’elle ait été faite expressément à titre de préciput et hors part »1267. La quotité disponible est sensiblement augmentée et, en outre, on peut la donner à un héritier. Est-ce pour autant une remise en cause radicale des principes de la législation révolutionnaire ? Ce n’est pas certain. Le projet de Jacqueminot augmentait déjà la quotité disponible. Par ailleurs, l’égalité continue d’être un souci majeur des rédacteurs du Code, même si cette égalité est tempérée par le besoin de liberté et par l’équité, qui permet au père de famille de pourvoir de manière inégale à des situations aussi inégales de ses enfants. Ainsi s’exprime Portalis lors de la discussion du Conseil d’État : « Un laboureur par exemple a eu d’abord un fils qui, se trouvant le premier élevé, est devenu le compagnon de ses travaux. Les enfants nés depuis étant moins nécessaires au père se sont répandus dans les villes et y ont poussé leur fortune. Lorsque le père mourra sera-t-il juste que l’aîné partage également le champ amélioré par ses labeurs avec des frères qui sont déjà plus riches que lui ? Il faut donc donner au père une latitude, non absolue, mais très grande. Ainsi la raison et l’intérêt de la société s’opposent à ce que la légitime des enfants soit portée aux trois quarts des biens »1268. La manière de considérer le père de famille change. Alors que dans les débats de 1791, on soupçonnait les pères d’agir injustement s’ils avaient la liberté de disposer gratuitement d’une grande quantité des biens, les rédacteurs du Code reviennent à une position plus confiante, laissant au propriétaire la liberté de juger de la meilleure manière de distribuer ses biens entre ses enfants. Ce passage du discours préliminaire du Code civil manifeste bien la logique de compromis suivie par les rédacteurs du Code.

1266

Ibidem, p. 267. FENET, tome II, Projet de la commission du Gouvernement, p. 276-277. 1268 Ibidem, tome XII, p. 259. 1267

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Ce retour à l’équilibre, manifesté par la légitime modérée, est-il représentatif des aspirations générales ? Les observations préalables à la discussion du projet, faites par les différents tribunaux, sont éclairantes. Les premières observations sont celles du tribunal de Cassation. Dans l’ensemble, seule une question a retenu l’attention de la commission du tribunal de Cassation1269. C’est « qu’un oncle, étant au même degré qu’un neveu, ne puisse pas, plus que lui, être absolument dépouillé par les donations »1270. Parmi les observations des tribunaux d’appel –quelques-unes sont assez longues– certaines ne font aucune remarque particulière au sujet de la quotité disponible ou de la légitime. C’est le cas des tribunaux de Poitiers1271, de Nancy1272, de Metz1273, de Colmar, Caen et Douai1274 ; du tribunal de Bourges1275, ainsi que ceux de Toulouse et de Nîmes1276. Certains tribunaux font des observations mineures sur ces articles1277. D’autres font des remarques marginales par rapport à notre sujet1278.

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Un seul membre intervient pour exposer sa conception sur l’égalité des partages. Il reconnaît la justesse d’admettre des exceptions à l’égalité stricte, laissées au jugement du père. Mais il s’oppose à la possibilité de donner la quotité disponible à un des enfants. Son opinion ne sera pas suivie. Cf. FENET, tome II, Observations du tribunal de Cassation, p. 699. 1270 Ibidem. 1271 FENET, tome V, Observations sur différents titres ou articles du projet, présentées au Gouvernement par la commission du tribunal d’appel du département de la Vienne, séant à Poitiers, rédigées en présence et de l’avis des membres du tribunal, p. 312. Il y a une seule observation sur l’art. 98 de ce titre, au sujet de la charge des frais de demande de la délivrance d’un legs. 1272 Ibidem, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Nancy, p. 613. 1273 Ibidem, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Metz, p. 401. 1274 Ibidem, tome III, Observations présentées par le tribunal d’appel séant à Caen, p. 442, Observations du tribunal d’appel séant à Colmar, p. 484, Observations du tribunal d’appel séant à Douai, p. 524. 1275 Ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Bourges, p. 240. 1276 Ibidem, tome V, Observations du tribunal d’appel séant à Toulouse, p. 606, Observations du tribunal d’appel séant à Nîmes, p. 23. Le tribunal de Riom n’a pu analyser que le premier livre, faute de temps. Il n’a donc fait aucune observation sur la légitime. Cf. FENET, tome V, Observations du tribunal d’appel séant à Riom, p. 445. 1277 Le tribunal d’appel d’Orléans estime que la gradation d’héritiers est bien rapide ; il voudrait étendre les dispositions de l’article 16 au profit des neveux et des oncles : « La gradation paraît bien rapide. Il semble que celui qui, ayant des parents proches, pourrait disposer librement de la moitié de tous ses biens ne pourrait pas se plaindre d’être trop gêné par une loi dont peut-être il aurait d’ailleurs lui-même profité. La réserve d’un quart pour des neveux et nièces, qui ordinairement regardent un oncle, une tante comme de seconds père et mère, est bien peu de chose. Serait-ce donc trop de deux tiers ? Pourquoi même ne seraient-ils pas placés au même rang que les frères et sœurs qu’ils représentent ? Ils ne doivent pas être moins chers. Les petits-neveux ne sont pas moins favorables. La libre disposition de moitié aurait lieu dans le cas où le donateur ne laisserait que des cousins germains, et de la totalité s’il ne laissait aucun parent dans ce degré. Les enfants de deux frères sont si proches ! C’est en quelque sorte d’autres frères : il semble que la loi doit conserver cette union des familles ; c’est peut-être de tous les liens qui nous attachent à la patrie, le plus doux et conséquemment le plus fort ». Cf. FENET, tome V, Observations des membres composant la commission du tribunal d’appel séant à Orléans, p. 74-75. Le tribunal d’appel d’Amiens se prononce dans le même sens : « Ayant déjà proposé d’étendre la représentation aux petitsneveux et petites-nièces, il y a aussi lieu de les comprendre dans cet article [16], comme ayant droit à la réduction », cf. FENET, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Amiens, p. 138. Voir aussi les observations du tribunal de Lyon, dans le même sens. Cf. ibidem, tome IV, Observations présentées par les commissaires nommés par le tribunal d’appel de Lyon, p. 156-157. 1278 Le tribunal d’appel de Bordeaux fait uniquement des remarques à propos de l’intervention des notaires dans le testament. Cf. FENET, tome III, Observations proposées par le tribunal d’appel séant à Bordeaux, p. 198. Le tribunal de Besançon fait des observations sur le fait de ne pas imputer sur la quotité disponible les biens donnés avant l’entrée en vigueur de la loi. Cf. ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Besançon, p. 171.

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Logiquement, dans les remarques des tribunaux, on perçoit l’héritage du droit coutumier propre à chaque région. Ainsi, le tribunal d’appel de Rennes se fait l’écho de la tradition d’égalité stricte, en commentant les articles 18 et 19 de ce titre. Il souhaite « la prohibition absolue de donner à un successible sans l’obliger au rapport à l’époque de la succession du donateur. La faculté de donner à un successible sans l’obliger au rapport est contraire au principe d’égalité sur lequel, dans une république, doivent reposer toutes les lois. Elle autorise la prédilection des parents, si funestes dans leurs effets ; elle rétablit les anciens privilèges des successions inégales ; elle introduit enfin dans les familles, des germes de haine éternelle entre l’enfant avantagé et ceux qui ont été dépouillés pour l’enrichir »1279. En outre, il propose d’établir un degré supplémentaire en faveur des cousins germains, ce qui n’est pas surprenant dans cette région où l’emprise familiale est restée particulièrement forte. Par ailleurs, il propose de réduire la quotité disponible au tiers. Là encore, c’est un écho de la quotité disponible de propres en vigueur dans l’ancienne coutume1280. Le tribunal d’Angers met en garde également contre le danger de désunion familiale si on laisse le père de famille avantager un successible1281. Il en va de même pour le tribunal de Rouen, qui estime qu’il faut davantage resserrer les liens familiaux : « L’objet du présent article [article 16] est d’accorder beaucoup à la liberté individuelle : mais cette liberté, dans l’état social, doit reconnaître des tempéraments et des règles. […] Nous désirerions donc que, même à l’égard d’un certain nombre de collatéraux, et dans des degrés assez étendus, les droits de famille fussent protégés contre l’excès des donations »1282. Il ne précise pas si c’est uniquement pour les testaments, comme le prévoyait la réserve, ou s’il inclut les donations entre vifs. Par ailleurs, le tribunal de Bruxelles propose de réduire la quotité au sixième : « la quotité du quart est trop considérable »1283. L’influence de la tradition se fait sentir également dans les anciens pays de droit écrit. Le tribunal d’Agen estime que seul l’intérêt des enfants et des descendants peut être une borne à la liberté de disposer de ses biens. La liberté de disposer en ligne collatérale devrait être totale1284. On trouve la même observation dans les remarques du tribunal de Dijon1285. Le tribunal d’appel d’Aix plaide également pour la liberté du père de famille1286 ; les tribunaux de Grenoble1287 et de

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FENET, tome V, Observations du tribunal d’appel établi à Rennes, p. 330. Ibidem, p. 384. 1281 Observations sur les articles 18 et 19 du projet. Cf. FENET , tome III, Observations présentées au Gouvernement par les commissaires du tribunal d’appel séant à Angers, p. 151. 1282 Ibidem, tome V, Observations arrêtées par le tribunal d’appel séant à Rouen, d’après et sur le rapport de sa commission, p. 526. 1283 Ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Bruxelles, p. 276. 1284 Cf. ibidem, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Agen, p. 17-18. L’argument économique est aussi mis en avant : « D’autre part, la situation politique de l’État ne proscrit-elle pas impérieusement cette division, en rapport, même en concurrence avec des nations commerçantes et riches ? Quel serait le sort de la France ? Comment pourrait-elle entretenir ces rapports et cette concurrence si, par un effet nécessaire de ses lois, les citoyens sont privés des moyens de se livrer à de grandes spéculations de commerce et d’agriculture ? L’aperçu de ces considérations générales suffit pour faire sentir la nécessité de la correction proposée », cf. ibidem. 1285 FENET , tome III, Observations des commissaires nommés par le tribunal d’appel séant à Dijon, p. 503-504. 1286 « Tous les enfants doivent, sans doute, avoir une portion égale sur le patrimoine des auteurs de leurs jours, mais tous ne sont pas propres au même genre de travail. Que la loi laisse donc au père de famille le précieux avantage de consolider cette égalité par une division relative aux facultés intellectuelles, aux 1280

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Montpellier1288 expriment aussi leur faveur pour un régime de liberté. Le tribunal de Liège est du même avis1289. Comme l’affirment les représentants du tribunal d’appel de Limoges, « les uns trouveront qu’on n’a laissé que trop de liberté aux donateurs ; les autres diront, au contraire, que cette liberté a été resserrée dans des bornes trop étroites ». Ils partagent ce dernier avis1290. Néanmoins, on n’est pas revenu au point initial. Si chaque région essaye d’influencer les rédacteurs du Code dans le sens de leur tradition, aucune ne met en doute la nécessité d’une loi unique, et elles s’en remettent « aux lumières supérieures des membres de la Commission »1291. Dans la perspective de notre étude, les observations les plus intéressantes sont celles du tribunal d’appel de Paris, parce qu’elles contiennent une analyse de la réserve et de la légitime au regard des dispositions proposées par les rédacteurs du Code. Après s’être plaints de « l’amalgame » fait par le projet entre les donations et les testaments, ils affirment que la matière la plus importante du titre IX est celle de la disponibilité1292. Contrairement aux dispositions du projet, le tribunal de Paris souhaite « que la légitime des enfants soit fixée, dans tous les cas, à la moitié de leur portion héréditaire, conformément à l’article 298 de la coutume de Paris. Non seulement cette fixation est la plus favorable qu’aient jamais obtenue les légitimaires, soit dans le droit romain, soit dans la plupart de nos coutumes ; mais elle paraît aussi la plus raisonnable »1293. La moitié prévue par la coutume de Paris était l’équilibre entre « les droits des enfants et l’autorité du père »1294. Le tribunal de Limoges et celui de Montpellier se prononcent également en faveur de cette quotité de moitié. Mais le tribunal de Paris ne se contente pas, comme les autres tribunaux, d’avancer la quotité à laquelle il est habitué. Il profite de l’occasion qui lui est offerte pour corriger ce qui à ses yeux est une défaillance de la coutume : goûts et aux convenances de chacun de ses enfants », F ENET, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Aix, p. 52. 1287 « Le quart de la succession que cet article accorde aux neveux et nièces, lorsque le défunt ne laisse ni enfants, ni ascendants, ni frères et sœurs, donnera souvent lieu à de nombreuses difficultés, eu égard, en général, au grand nombre de neveux et à la modicité de la majorité des fortunes. Ne vaudra-t-il pas mieux permettre, en ce cas, de disposer de la totalité de ses biens ? », FENET, tome III, Observations présentées par la commission nommée par le tribunal d’appel séant à Grenoble, p. 575. 1288 « La réduction de la portion disponible au quart, à la moitié et aux trois quarts, selon les différents cas, gêne un peu trop l’exercice du droit de propriété. Cette disposition du projet force le père de laisser une portion égale de ses biens aux enfants qui ont démérité auprès de lui, sans pouvoir gratifier ceux qui en ont bien mérité : inconvénient très grave, surtout à l’égard des collatéraux, qui ne peuvent non plus gratifier les proches de qui ils ont reçu des satisfactions et des services », FENET, tome IV, Observations faites par les membres de la commission nommée le 21 germinal dernier par le tribunal d’appel séant à Montpellier, p. 452. 1289 « La disposition de l’article 16, tit. IX, liv. III, ne fera pas cesser la cause de ces actes frauduleux qui engendraient tant de procès ; la commission croit qu’il faut enfin permettre à celui qui n’a pas de descendants légitimes de disposer, par acte de dernière volonté, de la totalité de ses biens », FENET, tome III, Observations présentées par la commission nommée par le tribunal d’appel séant à Liège, p. 628. 1290 Cf. FENET, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Limoges, p. 18. 1291 Expression utilisée par le tribunal d’appel de Limoges, cf. FENET, tome IV, p. 22. 1292 Ibidem, tome V, Observations des commissaires du tribunal d’appel séant à Paris, p. 255. 1293 Cf. ibidem, tome V, p. 256. 1294 « Dans la révolution, on a cru faire mieux en étendant la légitime jusqu’aux cinq sixièmes ; et l’on était conséquent parce qu’on voulait anéantir l’autorité paternelle. Mais les rédacteurs du Code civil, qui se proposent de la rétablir, ont dû voir les choses d’un autre œil ; et il était digne de leur sagesse, en abandonnant la fixation excessive des trois quarts, momentanément adoptée par la loi transitoire de l’an 8, de revenir à la quotité ancienne, celle de moitié », cf. FENET, tome V, p. 257.

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l’absence de légitime au profit des ascendants. Le tribunal y est favorable, contrairement à la coutume1295. L’examen du fondement de la légitime des collatéraux entraîne les membres du tribunal à une analyse de la réserve et de la légitime. En effet, après avoir rappelé qu’il était inouï qu’on accorde une légitime aux collatéraux aussi bien en droit coutumier qu’en droit romain, hormis le cas d’institution d’un héritier infâme, ils se demandent ce qui a pu décider les rédacteurs du Code à accorder cette légitime. « En examinant la cause qui a pu déterminer les rédacteurs du présent Code à s’éloigner, en cette partie, de toutes les idées reçues, nous croyons l’apercevoir dans l’intention de remplacer la réserve des propres, appelée, dans nos livres, légitime coutumière, pour la distinguer de la légitime de droit ; et c’est probablement une de ces transactions que leur discours préliminaire annonce, par lesquelles ils ont cherché à concilier les usages des pays coutumiers avec ceux des pays de droit écrit ». « Mais, dans ce cas particulier, pour que la transaction fût raisonnable, il faudrait qu’elle contînt mélange des prétentions réciproques, et accordât quelque chose aux deux parties. Or la légitime des frères, nous le répétons, ne tient en effet à rien, elle n’appartient ni au droit coutumier, ni au droit écrit ; elle est étrangère à l’un aussi bien qu’à l’autre. Il faudrait encore qu’il y eût matière à transaction, et que les propres abolis fussent réellement quelque chose : autrement ils n’ont pas besoin de remplacement ; et c’est le cas, pour employer un terme reçu, de prononcer la suppression sans indemnité. Or, qu’étaient les propres dans le dernier état de notre législation coutumière ? D’abord, à Paris, et dans le plus grand nombre de coutumes, la réserve n’avait point lieu pour les donations entre vifs, elle était limitée aux testaments ; ensuite, on était le maître de dénaturer son bien : celui qui avait des propres dont il ne pouvait tester pouvait les vendre, et faire après cela, ou de leur prix ou des objets acquis en remploi, tout ce qu’il jugeait à propos. Est-ce une affectation de cette nature, aussi imparfaite, aussi peu sérieuse, qui mérite qu’on la regrette, et que, pour en trouver l’équivalent, on fasse violence aux principes ? »1296. Cohérents avec cette appréciation, les membres du tribunal écartent avec décision la légitime des collatéraux.

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« En second lieu, il est juste d’accorder pareillement une légitime aux ascendants sur les biens de leurs enfants. Le fils doit des aliments au père, comme le père en doit au fils. Et quoique la succession du fils, ainsi que l’observe la loi, ne soit pas destinée au père, selon l’ordre et le vœu de la nature, néanmoins, le cas arrivant, la piété filiale ne permet pas que le père en soit privé pour la transférer à d’autres personnes, ou étrangères au défunt, ou qui ont avec lui des relations moins intimes. C’est ce qu’avaient senti les législateurs romains, dont les dispositions étaient suivies religieusement dans les pays de droit écrit. On s’en était écarté en pays coutumier, mais à regret, et par une raison particulière. Les coutumes n’accordaient aux père et mère et autres ascendants, que la succession des meubles et acquêts ; elles déféraient à d’autres personnes la succession des propres ; et comme elles ne permettaient de tester, à l’égard des propres, que d’une très petite portion (le quint à Paris), il s’ensuivait que, si l’on eût donné une légitime aux ascendants, comme elle n’aurait pu être prise que sur les meubles et acquêts le testateur n’aurait eu presque rien de disponible. C’est cette considération qui avait déterminé le Parlement de Paris, après beaucoup de variations et de grands débats, à refuser définitivement aux ascendants le droit de légitime. Aujourd’hui que toute distinction de biens est abolie, et que la succession d’un défunt ne présente plus qu’un seul patrimoine, cette considération ne subsiste plus. Ainsi, c’est avec justice que les auteurs du projet du Code ont assuré une légitime aux ascendants. On peut la fixer à moitié comme celle des enfants, on peut la réduire à un taux inférieur, comme étant moins favorable, au tiers par exemple : nous nous en rapportons là-dessus aux rédacteurs », FENET, tome V, Observations des commissaires du tribunal d’appel séant à Paris, p. 257-258. 1296 Ibidem, tome V, p. 259.

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Ce raisonnement du tribunal de Paris souligne un aspect capital. La réserve a disparu parce que plus aucun aspect de son fondement ne subsiste. La copropriété familiale a cédé la place depuis très longtemps à la propriété individuelle. L’unicité du patrimoine a fini par donner le coup de grâce à cette protection successorale qui avait été englobée par la légitime, et dont les seules conséquences étaient maintenant une gêne pour la gestion du patrimoine, sans être réellement un avantage pour les héritiers. La légitime les protégeait mieux. L’unification du droit successoral dans le Code civil était l’occasion de la consacrer définitivement, même si c’est sous le nom de réserve héréditaire. B. La réserve héréditaire du Code civil Selon Tronchet, le Code civil se proposait deux objectifs majeurs concernant la légitime : « donner aux pères la faculté de récompenser ou de punir avec discrétion ; celle de réparer entre leurs enfants les inégalités de la nature ou les injustices aveugles de la fortune. Leur accorder en outre la faculté d’exercer des actes de bienfaisance et de reconnaissance envers des étrangers »1297. C’était restaurer la liberté testamentaire que la Convention avait ôtée et, selon l’optique de Tronchet, cette liberté s’exerce à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille. Ainsi, dans les principes, les rédacteurs du Code cherchent un compromis1298. Pour le dire avec les mots de Bigot-Préameneu, « il fallait choisir entre ces diverses règles [droit écrit, coutume de Paris] celles qui, en présentant moins d’inégalités entre les légitimaires, seraient fondées sur la combinaison la plus juste du droit de disposer et des devoirs de paternité »1299. Cette combinaison juste devait se traduire de manière concrète par la détermination d’une quotité disponible, qui marquerait la frontière entre la liberté et l’égalité. Ils étaient tous d’accord sur le besoin de borner la liberté individuelle ; ils se divisaient seulement sur son étendue1300. Les rédacteurs du Code civil sont clairvoyants sur la différence qui existe entre la légitime et la réserve : « La légitime a sa cause dans le droit naturel ; la réserve n’est que de droit positif »1301, dit Bigot-Préameneu. Et il est entendu qu’on doit se régler sur le droit naturel, c'est-à-dire, suivre la légitime. Mais quelle quotité déterminer ? Lors de son rapport sur cette partie du Code, il se montre critique à la fois de la règle romaine et de la coutume de Paris. 1297

Cf. FENET, tome XII, p. 303. « Le régime successoral du Consulat n’a pas un esprit propre. Il cherche à ne sacrifier ni l’individu à la famille, ni la famille à l’individu. Il favorise tout à la fois la conservation et la circulation des biens. C’est un compromis ; ce n’est pas un système homogène, original, qui déroule suivant une logique harmonieuse les conséquences de son principe générateur », Philippe SAGNAC, La législation civile de la Révolution française, Paris, 1898, p. 354. 1299 BIGOT-PRÉAMENEU , Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in FENET, tome XII, p. 246. 1300 Cf. l’intervention de Cambacérès pendant la discussion du Conseil d’État : « On est d’accord sur la nécessité d’accorder une légitime aux enfants, on ne se divise que sur la quotité », FENET , tome XII, p. 260. L’idée de graduer la légitime selon le nombre d’enfants est de Cambacérès. Cf. ibidem. Même constat de la part de Tronchet : « On est d’accord sur cette nécessité [de donner la légitime]. La discussion ne peut donc plus tomber que sur la quotité de la légitime », ibidem, p. 301. 1301 BIGOT-PRÉAMENEU , Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in FENET , tome XII, p. 251. Dans le même sens, Treilhard affirme que « la réserve des propres était un système absolument différent de celui de la légitime », ibidem, p. 325. « On ne peut tirer aucun argument du système des propres. Le retour par ligne qu’il établissait prouve qu’il n’était pas mesuré sur les degrés de l’affection, mais qu’il était fondé sur l’intention de conserver les biens dans les familles », intervention de Bérenger, ibidem, p. 326. 1298

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Le système de Justinien aboutissait à des résultats inconséquents, reconnus par tous. La légitime parisienne, longtemps présentée comme le point d’équilibre, est à son tour évaluée : « la division des biens en deux parts égales, dont une est réservée pour la légitime des enfants, est une combinaison facile ; mais ceux qui l’ont faite n’ont-ils pas coupé le nœud plutôt qu’ils n’ont résolu le problème ? »1302. Dans son opinion, la moitié des biens est trop importante, car si le père réclame la liberté de disposer, cela ne peut être, en suivant la nature, que pour ses propres enfants, pour réparer des inégalités de nature ou de talent. Pour ce nivellement entre enfants, ou pour manifester la reconnaissance, un quart des biens est suffisant1303. Le comité propose donc une légitime des descendants des trois quarts des biens. C’était la quotité de la loi du 4 germinal an VIII. Ainsi restera l’article 913 du Code civil : « Les libéralités, soit par acte entre-vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant légitime ; le tiers s’il laisse deux enfants ; le quart s’il en laisse trois ou un plus grand nombre ». L’article 914 précise le sens du mot enfant : « Sont compris dans l’article précédent, sous le nom d’enfants les descendants en quelque degré que ce soit ; néanmoins ils ne sont comptés que pour l’enfant qu’ils représentent dans la succession du disposant ». La gradation de la quotité en fonction du nombre d’enfants a été longuement débattue par le Conseil d’État. Le principe est tiré de la législation de Justinien. Que les descendants aient droit à la légitime n’était discuté par aucun membre du Conseil d’État. Mais pouvait-il y avoir d’autres personnes protégées par la légitime ? La question de la légitime des ascendants est la première à être posée. Les pays de coutumes la leur refusaient, pour ne pas priver les enfants de leur faculté de disposer, compte tenu des entraves de la réserve. Sur ce point, dit BigotPréameneu, il fallait suivre le droit écrit, qui accordait une légitime aux ascendants1304. Le comité propose une quotité moindre que celle des enfants parce qu’ils sont assurés du retour des biens qu’ils ont donnés à leurs enfants1305. Ces dispositions seront reprises par l’article 915 du Code civil : « Les libéralités, par actes entre-vifs ou par testament, ne pourront excéder la moitié des biens, si, à défaut d’enfant, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle et maternelle ; et les trois quarts, s’il ne laisse d’ascendants que dans une ligne. Les biens ainsi réservés au profit des ascendants, seront par eux recueillis dans l’ordre où la loi les appelle à succéder : ils auront seuls droit à cette réserve, dans tous les cas où un partage en concurrence avec des collatéraux ne leur donnerait pas la quotité des biens à laquelle elle est fixée ».

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BIGOT-PRÉAMENEU, Rapport sur la disposition du titre des donations…, FENET, tome XII, p. 247. Pour Maleville, les motifs de l’ancien législateur pour fixer la légitime à la moitié étaient : « Faire une part égale au droit de propriété et à la piété filiale », « mettre les pères en état de compenser entre leurs enfants les désavantages qui résulteraient entre eux de la nature ou de la fortune », « placer dans leurs mains des peines et des récompenses pour maintenir dans les familles la subordination et la tranquillité d’où dépend le repos de l’État ». Cf. Maleville, FENET, tome XII, p. 309. 1304 « Le droit coutumier, en donnant les propres aux collatéraux, et en donnant aux descendants la libre disposition des meubles et acquêts, ne prenait point assez en considération les devoirs et les droits qui résultent des rapports intimes entre les pères et mères et leurs enfants », BIGOT-PRÉAMENEU, rapport sur la disposition du titre des donations…, ibidem, tome XII, p. 249. 1305 BIGOT-PRÉAMENEU, ibidem, tome XII, p. 250. 1303

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En absence de ces héritiers réservataires, l’article 916 permet la disponibilité de tous les biens : « A défaut d’ascendants et de descendants, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens ». C’était la consécration de la légitime telle qu’elle était comprise à la fin de son évolution en pays de coutumes, c'est-à-dire comme une portion indisponible du patrimoine du de cujus. Mais, dans l’esprit de compromis qui est le sien, le Code permet une survivance de la réserve, lorsqu’elle appelle les frères et sœurs à succéder. Au sens strict, la réserve a disparu parce qu’elle dépendait de la distinction de biens propres et acquêts1306. Mais le fondement était l’intérêt de la famille : « Aujourd’hui que les mœurs ont changé sous ce rapport, il ne peut plus produire les mêmes résultats. Mais à ce moyen, devenu inefficace, il paraît convenable d’en substituer un autre qui, mieux assorti à nos mœurs actuelles, serve à maintenir les familles »1307. C’était une manière de resserrer les liens familiaux, de faciliter la solidité de la famille tant désirée par les rédacteurs du Code. Mais c’était aussi une manière de ménager les susceptibilités des pays coutumiers et de leur faciliter la transition vers le nouveau modèle successoral : « Ne point accorder de légitime aux frères, ce serait passer trop brusquement d’un ordre de choses où la presque totalité des biens était réservée aux parents, à un autre où la loi n’établirait aucune réserve en leur faveur ». C’est l’opinion qu’exprime Maleville1308. En réalité, le Code n’accorde pas une légitime aux frères et sœurs, mais les déclare successibles ab intestat. La survivance de la réserve est leur vocation successorale. Ce n’est pas le seul reste du système de la réserve. La légitime en ligne directe touche les donations, qui sont réduites jusqu’à concurrence de sa valeur. « Le droit des collatéraux à la réserve qui leur est faite n’a pas paru assez impérieux pour qu’on dût lui sacrifier indéfiniment le principe suivant lequel les donations entre vifs doivent être irrévocables ». Ainsi, si les donations sont faites à un successible, elles sont sujettes à rapport pour fournir la légitime des cohéritiers, comme c’était le cas pour les articles 298 et 307 de la coutume de Paris. Mais les donations faites à des tiers ne peuvent être entamées au profit des collatéraux. Les collatéraux ne sont protégés que pour les actes testamentaires. C’est le système de la réserve, tempéré par l’évolution de la famille. Lors de la rédaction du Code, elle n’est plus comprise comme l’ensemble du lignage, elle est une famille restreinte : les ascendants, les descendants, les frères et sœurs et ceux qui en descendent. C’est « au profit de la famille que le Code civil, en matière de dispositions à titre gratuit, réglemente et limite la faculté que possèdent tous les individus de disposer de leurs biens »1309. Ainsi, le Code permettait à la fois de pratiquer « en fonction des traditions culturelles régionales ou locales, l’égalitarisme, l’inégalitarisme ou un mélange équilibré des deux tendances »1310. Cette survivance de la réserve se remarque également dans la conception collective de la réserve héréditaire. Elle n’est pas 1306

Art. 732 du Code civil : « La loi ne considère ni la nature ni l’origine des biens pour en régler la succession ». 1307 BIGOT-PRÉAMENEU, in FENET , tome XII, p. 319. « C’est dans cet esprit que la section propose la troisième partie de l’article 18 ». Dans le même sens, le premier consul observe que « la réserve d’un quart qu’on propose remplacerait ce système [la réserve des propres] et conduirait au même résultat, en conservant les biens dans la famille », ibidem, p. 323. 1308 Ibidem, p. 324. 1309 Jean-Jacques CLÈRE, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques…», op. cit., p. 31. 1310 Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 260.

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

comprise comme la portion à laquelle a droit chaque enfant, comme c’était le cas pour la légitime : elle était à Paris la moitié de ce que l’enfant aurait eu ab intestat. L’article 913 du Code civil, en établissant la quotité disponible, comprend la part réservée des biens comme une part de l’héritage, destiné globalement à tous les héritiers réservataires. Le Code ne précise pas la part de chacun, mais détermine la quotité globale qu’il faudra répartir entre tous. Reste à se poser la question de l’appellation. Pourquoi parler de réserve alors que dans les discussions du Conseil d’État il était question de légitime ? Le mot réserve n’est pas utilisé dans les articles du Code, qui parlent de quotité disponible. Les commentateurs l’ont utilisé par la suite. Il n’y a pas d’explication de ce choix dans les discussions du Conseil d’État, ni dans le discours préliminaire. Maleville ne donne pas d’indications dans son Analyse raisonnée de la discussion du Code civil au Conseil d’État1311. Au XIXe siècle, Raymond Théodore Troplong affirme que ce nom est le fruit du hasard du langage. « Le Code a retenu le mot générique de réserve plutôt que le mot de légitime, sans qu’on puisse donner une bonne raison. Le mot légitime se trouvait dans les rédactions primitives ; on le rencontre souvent dans les discussions. S’il a disparu lors de la rédaction définitive, c’est par suite de ces hasards de langage dont il ne faut pas se préoccuper. Il est singulier cependant que le Code, qui conservait le droit à une légitime, ait supprimé le mot, et que, supprimant les réserves coutumières, il en ait conservé le nom »1312. Charles Demolombe ne se satisfait pas de cette explication. Il estime, au contraire, que c’est une manière de rendre compte de la réalité. La légitime en pays de coutumes avait été transformée en une réserve, et « il nous paraît certain, dit-il, […] que la suppression du mot légitime démontre elle-même […] que les rédacteurs de notre Code ont définitivement imprimé à l’ancienne légitime de droit, le caractère de l’ancienne réserve coutumière. Il est remarquable en effet que cette suppression est complète »1313. C’est pour lui une manifestation de la volonté des rédacteurs du Code de consacrer les principes du droit coutumier. « Nous savons ce qu’était devenue, dans les pays de coutume, la légitime romaine, et à quel point elle s’était altérée déjà et transformée sous l’influence des principes coutumiers. Il était donc logique et naturel que ce nom, qui ne représentait plus l’institution nouvelle, par laquelle l’ancienne légitime avait été remplacée, disparût aussi lui-même. Et voilà comment la légitime de droit, qui dans les pays coutumiers, était déjà à beaucoup d’égards, une réserve de fait, moins seulement le nom, est devenue dans notre Code, une véritable réserve de fait et de nom »1314. L’explication de Demolombe prend appui sur le caractère indisponible qu’avait acquis la légitime en pays de coutumes. Mais il semble oublier la transformation subie par la réserve au contact avec la légitime. On a vu que la légitime l’avait englobée dans un genre dont le fondement 1311 Cf. Jacques de Maleville, Analyse raisonnée de la discussion du Code civil au Conseil d’État, 3e éd., Paris, 1822, tome II, p. 333 et s. La 1e édition date de 1805. 1312 « Cette portion que la loi leur assure était appelée autrefois légitime. Le Code Napoléon lui donne le nom de réserve. Ce dernier mot est emprunté au droit coutumier, qui désignait par là la portion que les coutumes assuraient aux héritiers de côté et ligne, afin de conserver dans les familles les propres, ou biens hérités. Ces réserves, appelées coutumières et fondées sur certaines exigences du droit positif, étaient distinguées de la légitime qui était due par nature », Raymond-Théodore TROPLONG, Droit civil expliqué. Des donations entre vifs et des testaments, Bruxelles, 1855, tome 1, n. 738, p. 249-250. 1313 Charles DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon (vol. XIX). Traité des donations entre vifs et des testaments, tome II, 3e éd., Paris, Durand-Hachette, 1868, p. 34. 1314 Cf. ibidem.

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était l’obligation morale. La légitime en pays de coutumes n’était pas « une réserve de fait, moins seulement le nom ». Elle était une institution hybride, ayant réuni en son sein des logiques successorales contraires. On peut dire que le choix du mot réserve se justifie pour deux raisons. Une première raison a un caractère psychologique. Dans la transaction qu’opère le Code civil en matière successorale, garder le nom de réserve c’est ménager la sensibilité des pays de coutumes, qui perdaient l’essentiel de l’ancienne réserve : la distinction des biens en propres et acquêts. Plus juridiquement, le choix du mot réserve manifeste la qualité essentielle qu’avait acquis la légitime en pays de coutumes à la fin du XVIIIe siècle. Elle était devenue surtout une pars hereditatis indisponible à titre gratuit et, donc, réservée aux enfants. C’est un processus analogue à celui de la légitime romaine. Le nom de légitime est tiré d’un adjectif, qui évoque l’obligation morale qui est son fondement. Il est légitime, il est juste que les enfants trouvent des biens dans la succession de leur père, si celle-ci n’est pas déficitaire. Ce fondement moral est devenu une évidence et, à la fin du XVIIIe siècle, personne ne le met en doute : « on est d’accord sur la nécessité d’accorder un légitime aux enfants, on ne se divise que sur la quotité », dit Cambacérès lors des discussions du Conseil d’État1315. En choisissant le mot réserve, on met l’accent sur le caractère principal qui définit l’institution : il s’agit d’une part indisponible, réservée. « Le nom de réserve a été adopté pour exprimer énergiquement la nature du droit établi par le Code civil, et pour faire entendre que c’est en qualité d’héritier que ce droit doit être réclamé, comme les propres ne pouvaient l’être qu’en cette qualité »1316. On peut noter, avec CoinDelisle, que réserve et indisponibilité ne sont pas synonymes. La réserve est une indisponibilité relative. « L’expression portion indisponible indique la limitation du droit du disposant, quelle qu’en soit la cause ; celle de réserve signifie spécialement le droit qui naît de leur qualité, pour certains héritiers du sang au profit desquels la loi l’a établi »1317. Le Code civil suit la même démarche que les anciennes coutumes, qui n’utilisaient pas le terme réserve. Elles disaient qu’on ne peut disposer de plus d’un quint des propres, par exemple. L’article 913 dit que les libéralités ne pourront excéder la moitié, le tiers ou le quart des biens du disposant. A contrario, au-delà de ce qui peut être donné ou légué, les biens sont réservés.

1315

FENET, tome XII, p. 260. COIN -D ELISLE , Commentaire analytique du Code civil, d’après la doctrine des auteurs et la jurisprudence des arrêts, Paris, 1841, p. 121. Cet auteur précise que « ce qu’il importe surtout de remarquer, c’est qu’en circonscrivant la faculté de disposer ou, pour mieux dire, les effets des dispositions à peu près dans les mêmes limites qu’en pays de droit écrit, le législateur a préféré le nom de réserve à celui de légitime. Cette dénomination n’est point indifférente. En droit romain et dans les pays de droit écrit, où la volonté de l’homme faisait les héritiers, où la légitime s’était établie contre l’esprit général de la législation, comme une faveur introduite par l’équité contre la volonté souveraine du testateur, la légitime ne dépendait pas de la qualité d’héritier, mais de celle d’enfant ou d’ascendant. C’était une part des biens et non de l’hérédité. C’était une créance et non un droit successif. D’où il suivait qu’on pouvait être légitimaire sans être héritier ; que la légitime devait être délivrée par l’héritier testamentaire, qu’on l’obtenait même en répudiant la succession, et que la jouissance à titre de légitime de la portion de biens qui la constituait n’était point réputée acte d’héritier […] », ibidem, p. 120. 1317 Ibidem. 1316

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Avec la réserve héréditaire, le Code civil étend à tout le royaume le mariage difficile et tout en nuance que les coutumes avaient réalisé de manière empirique, entre la légitime et la réserve. C’est le compromis fait par la pratique entre la logique successorale et la logique morale ; entre la dévolution légale et la dévolution testamentaire. D’où l’ambiguïté qui persiste et qui se ressent encore aujourd’hui dans la réserve héréditaire1318. L’unification du droit successoral se fait au profit de l’institution qui l’avait déjà réalisée dans l’ancien droit, la légitime. Après s’être adaptée à la réserve et en avoir épousé certaines caractéristiques, elle fait apparaître sa nature propre. La légitime en pays de coutumes avait tout englobé dans un équilibre subtil. Les rédacteurs du Code avaient donc un compromis tout prêt. Le chemin pour arriver à l’unité sur ce point était tracé : la légitime s’était montrée capable d’assumer des logiques successorales différentes et avait su combiner les intérêts familiaux et les obligations morales. Elle avait englobé la réserve. Celle-ci ne disparaît pas complètement : elle se transforme et survit dans la légitime1319.

1318

« Dans un système qui ne manifeste clairement sa préférence ni pour la succession légale, ni pour la succession testamentaire, la réserve devient d’analyse difficile. Faute de savoir laquelle de la dévolution légale ou de la dévolution testamentaire constitue le principe, on ne sait si elle est une institution naturelle ou correctrice. Et, du même coup, sa réglementation procède d’un certain empirisme », cf. Michel GRIMALDI, op. cit., n. 283, p. 278. 1319 « Il est bien évident, en effet, que la réserve de notre Code civil, avec le nom et les caractères juridiques d’une réserve, rappelle bien plutôt la légitime par sa raison d’être et par son application aux seuls descendants et ascendants », Paul LEFEBVRE , Le droit commun des successions d’après les coutumes rédigées et la jurisprudence du Parlement de Paris, Sirey, Paris 1911, p. 197-198.

CONCLUSION

Trois siècles séparent la première rédaction officielle des coutumes de la réserve héréditaire du Code civil. Depuis son entrée timide en pays coutumier jusqu’à sa consécration en 1804, la légitime a parcouru un long chemin d’adaptation. Elle est le résultat de changements réalisés par petites touches. Au début du XVIe siècle, quelques coutumes l’adoptent sans s’apercevoir de la différence de nature qui existe entre la légitime et la réserve. Une fois entrée en pays de coutumes, la légitime progresse en épousant d’abord les traits techniques propres de la réserve : elle devient une pars hereditatis ; les héritiers en ont la saisine ; en principe, elle doit être délivrée en corps héréditaires. Puis, petit à petit, on envisage les deux institutions surtout du point de vue de leurs effets : garantir une partie de la succession aux héritiers, partie qui, de ce fait, est considérée comme indisponible. Il y a un processus d’assimilation entre la réserve et la légitime grâce à la notion d’indisponibilité. A partir de cette assimilation, de manière presque imperceptible, la légitime devient le modèle de toute protection successorale et finit par englober la réserve, qui se transforme en une espèce de légitime. A la fin du XVIIIe siècle, la légitime est devenue une institution originale, ni tout à fait romaine, ni tout à fait coutumière, qui concilie la dévolution testamentaire et la dévolution légale. Malgré son apport en faveur de l’égalité, les révolutionnaires ne l’ont pas retenue et, après la tourmente révolutionnaire, le Code civil la consacre sous le nom de réserve héréditaire. La légitime a su rester fondamentalement la même dans son principe, tout en s’adaptant aux évolutions sociales et familiales : « Il en est ainsi pour beaucoup d’institutions juridiques ; elles se renouvellent avec le temps ; leur raison d’être primitive disparaît, mais une autre la remplace »1320. Dans le cas de la légitime, ce n’est pas tant la raison primitive –un devoir moral– que la modalité de sa mise en œuvre qui a été remplacée. Cette capacité d’adaptation lui était intrinsèque, car elle était née comme un correctif dans une logique successorale plusieurs fois centenaire. C’était donc une institution mûrie par l’expérience. Sa souplesse lui a permis d’assumer la logique successorale coutumière qui, dans sa diversité, était riche de plus d’un paradoxe : celle qui semblait bâtie sur l’inégalité et les privilèges consacrait aussi une égalité plus rigoureuse que celle du Code civil1321. La légitime a su conjuguer la logique successorale testamentaire, favorable à la liberté, avec la logique successorale coutumière, protectrice de la famille. Elle n’a 1320 Henri CAPITANT , Préface au livre d’Henri REGNAULT , Les ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les donations et l’Ordonnance de 1731, Paris, Sirey, 1929, p. XV. 1321 « Mais n’y a-t-il pas quelque chose de déconcertant dans cette constatation que, sur une question aussi importante, l’Ancien Régime des successions, qui passe avec raison pour avoir été le règne des inégalités, ait consacré un principe d’égalité beaucoup plus rigoureux que notre droit actuel ? Non pas, car nous avons vu au cours de cette étude que toutes les inégalités résultant, surtout dans les familles nobles, du préciput légal d’aînesse, des institutions contractuelles, des renonciations, etc., étaient dues bien moins à une préférence personnelle du de cujus qu’à la coutume même et aux mœurs. L’inégalité s’imposait à tel point comme devoir féodal et nobiliaire qu’un père ne pouvait la faire disparaître entre ses enfants ; l’aîné ou les mâles étaient les seuls qu’il put avantager. Jamais on n’aurait pu voir en droit coutumier un père de famille organisant à son gré la répartition de sa fortune entre ses héritiers selon son jugement ; c’était contraire à l’idée fondamentale du droit successoral coutumier qui, laissant au second plan la volonté de l’homme, visait essentiellement à assurer l’exécution d’un dessein systématiquement arrêté dans la coutume pour la constitution de la famille », Paul LEFEBVRE, op. cit., p. 208.

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pas choisi entre l’une ou l’autre. Mais fallait-il choisir ? Les deux logiques ne sontelles pas des manifestations de la richesse d’aspects que comportent les relations patrimoniales à l’intérieur de la famille ? La légitime en pays de coutumes a su trouver un équilibre, que le Code civil a largement consacré. Quelle a été son évolution après la codification ? Au XIXe siècle, sa nature continue d’évoluer vers la définition finale de la réserve comme une portion indisponible de l’hérédité. Pour Charles Demolombe, les principales questions concernant la réserve sont celles qui touchent à sa nature de portion indisponible, ainsi que celle concernant le titre auquel cette portion peut être recueillie par ses bénéficiaires. « Il faut bien croire que l’œuvre des rédacteurs de notre Code, sur ce point si capital, présente de l’obscurité, puisque, après plus d’un demi-siècle de controverses scientifiques et judiciaires, c’est là encore aujourd’hui l’un des plus graves problèmes et des plus débattus de tout notre droit civil »1322. Pour Demolombe, la légitime romaine en pays de coutumes s’est transformée en une réserve, en ce sens qu’elle est devenue une portion indisponible. On a vu comment s’est fait cette transformation. Mais l’erreur de Demolombe est de s’arrêter à la seule technique de l’institution pour la définir comme une réserve. Il dit lui-même que la réserve héréditaire est « d’abord la sanction d’un devoir naturel, de ce devoir de piété, officium pietatis, qui lie réciproquement les descendants et les ascendants ; c’est de cette cause que nous avons vu naître l’obligation alimentaire ; et c’est aussi la même cause qui va produire ici la réserve »1323. C’est précisément en cela que la réserve héréditaire reste la légitime, puisque le fondement de la réserve coutumière n’était pas cette obligation morale. La réserve héréditaire recueille l’équilibre forgé pendant l’ancien droit entre le fondement moral de la légitime romaine et la technique juridique de la réserve coutumière. L’assimilation des deux institutions, puis l’absorption de la réserve dans la catégorie générique de « légitime » a facilité l’évolution vers la simplification technique. Toute protection des héritiers est devenue une part indisponible du patrimoine. Il existe un contrôle a priori de la liberté, comme c’était le cas pour la réserve, mais dans le but d’accomplir une obligation morale, concrétisée juridiquement par l’institution de la légitime. Cette simplification technique a rendu peut-être plus obscure la nature de la réserve héréditaire. On ne sait pas si elle est « une institution naturelle ou correctrice » 1324. Si, du point de vue de la nature, l’ambiguïté demeure, du point de vue de la mise en œuvre de la réserve héréditaire, la question la plus controversée concerne l’imputation des libéralités faites aux héritiers réservataires. Les traités de droit du XIXe siècle et du début du XXe siècle retracent les débats à ce sujet1325. Un héritier réservataire qui reçoit une libéralité peut renoncer à la succession et garder cette libéralité. Le problème est de savoir l’étendue de ses droits en tant que donataire, puisque, ayant renoncé, il n’a plus de droits en tant qu’héritier. La controverse a été vive. Une première jurisprudence estime que l’héritier réservataire renonçant ne peut jouir de la libéralité que jusqu’à concurrence de la quotité disponible1326. Cela supposait l’échec des prévisions du père de famille, qui pouvait avoir épuisé par 1322

Charles DEMOLOMBE, op. cit., p. 36. Ibidem, p. 4. 1324 Cf. Michel GRIMALDI, Droit civil. Les successions, 6e éd., Paris, Litec, 2001, n. 283, p. 278. 1325 Cf. par exemple Raymond-Théodore TROPLONG, op. cit., n. 786-793, p. 266-277, ainsi que Marcel e PLANIOL et Georges RIPERT, Traité pratique de droit civil français, 2 éd., Paris, LGDJ, 1957. 1326 Arrêt Laroque de Mons, du 18 février 1818. 1323

Conclusion

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ailleurs la quotité disponible, ne sachant pas que son enfant allait renoncer à sa succession. La Cour de cassation, par deux arrêts de 1829 (chambre des requêtes) et 1834 (chambre civile) décide que la libéralité doit s’imputer sur la part de réserve de l’enfant, parce que cette libéralité n’était « dans la pensée du constituant, qu’une avance sur la part qui devait revenir à l’enfant dans la succession ». Cela supposait que l’enfant pouvait imputer le surplus de sa libéralité sur la quotité disponible, cumulant ainsi réserve et quotité disponible1327. Ce système « souleva la protestation de toute la doctrine, car le donataire, en renonçant, perd à la fois sa qualité d’héritier et celle de réservataire, et sa libéralité ne peut donc s’imputer que sur les biens disponibles. Par l’arrêt des Chambres réunies du 27 novembre 1863, la Cour de cassation est enfin revenue aux vrais principes et a clos ainsi une des plus célèbres controverses qu’ait suscitées l’interprétation du Code civil »1328. La succession légale et la succession volontaire sont deux reflets de l’idée de la famille et de la société, qui seront toujours présents. Les débats en droit successoral continuent. Comme l’indique Michel Grimaldi, deux positions s’affrontent en droit contemporain : « La suprématie absolue de la succession légale, qui exclurait toute liberté testamentaire, n’est proposée par personne, alors que celle de la succession testamentaire, qui exclurait toute réserve, est suggérée par certains. Autrement dit, la nécessité d’une quotité disponible est admise par tous ; c’est celle de la réserve qui est discutée »1329. La réserve héréditaire, poursuit-il, pour ceux à qui elle est octroyée, est « un instrument de liberté qui les abrite d’un excès d’autorité du de cujus »1330. Si on exprime cette controverse actuelle en empruntant le vocabulaire de la tradition successorale coutumière, on peut dire que plus personne aujourd’hui n’approuve les coutumes d’égalité stricte, c'est-à-dire celles qui suivaient une logique successorale pure1331. Les coutumes préciputaires, ainsi que la tradition successorale testamentaire du Midi, emportent l’adhésion générale, puisqu’elles se font l’écho de la liberté de disposition du propriétaire des biens. C’est au sujet des coutumes d’option, coutumes d’équilibre, au sein desquelles la légitime s’est principalement transformée en arrivant en pays de coutumes, que la controverse s’affirme. Ce sont les coutumes qui tentent d’obtenir un équilibre, en préservant les différents intérêts en présence, ceux du de cujus, qui peut vouloir disposer gratuitement de ses biens ; ceux des enfants, qui considèrent légitime le fait de recevoir une partie des biens de leur auteur. C’est l’équilibre permanent de toute loi successorale, entre les droits de l’individu et les droits de la famille. La réserve héréditaire actuelle y apporte une réponse, qui maintient un espace de liberté pour chacun. L’équilibre entre la loi et la volonté demeure : ce sont les « deux piliers essentiels de la dévolution et du partage des héritages »1332. 1327

Arrêt de la chambre civile de la Cour de Cassation, du 17 mai 1843. Chambres réunies, 27 novembre 1863, arrêt Lavialle, Sirey 1863, 1, 513, rapport Faustin-Helie, conclusions du procureur général Dupin, DP 1864, 1, 5, note Brésillon, GA n. 262. Rapporté par Henri CAPITANT, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 10e éd. par François TERRÉ et Yves LEQUETTE, Paris, Dalloz, 1994, p. 1080-1083. La citation est tirée des observations, p. 1083. 1329 Michel GRIMALDI, op. cit., n. 49, p. 43. 1330 Ibidem. 1331 Cf. Jean YVER, op. cit., p. 107. 1332 Cf. Pierre CATALA, Michel GRIMALDI, « A propos des successions : le droit de succéder a-t-il sa base dans la loi naturelle ou simplement dans les lois positives ? », in Le discours et le Code. Portalis, deux siècles après le Code Napoléon, Paris, Litec, 2004, n. 29, p. 389. 1328

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Deux cents ans après le Code civil, la réserve héréditaire reste une institution clé du droit successoral français. La réforme de la loi du 3 décembre 2001 modifie essentiellement les règles de dévolution dans la parenté. Elle renforce l’idéal égalitaire, par le parachèvement de l’égalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes. Elle « a pris le tour d’une revendication individuelle plus que lignagère, les mutations des familles […] expliquant largement cette évolution »1333. C’est un retour vers le souci de garantir les droits individuels propre de la légitime, qui protégeait à l’intérieur comme à l’extérieur de la fratrie. Mais la nature hybride de la réserve héréditaire n’est pas modifiée. La réforme des successions et libéralités réalisée par la loi du 23 juin 2006 revient à la position de la légitime en pays de coutumes en supprimant la réserve des ascendants1334. Quant à la nature de la réserve, elle reste, du moins dans les principes, une part de la succession et non une créance contre la succession. Mais « l’affirmation des principes d’égalité en valeur dans le partage et de la réduction en valeur des libéralités excessives peut être conçue comme un infléchissement du principe selon lequel la réserve est une fraction de la succession »1335. Ce qu’affirmait un auteur du XIXe siècle semble toujours d’actualité : « Ce sera, pour notre droit actuel, une des plus grosses difficultés à résoudre que celle de savoir si, dans notre Réserve moderne, prédomine plutôt la nature de la Réserve coutumière que celle de la Légitime de droit »1336. Institution complexe, issue d’un équilibre entre deux tendances opposées, la réserve héréditaire réveille les controverses dès qu’on tente de clarifier sa nature ou son régime. Elle reste pourtant un pilier du droit successoral. Lors des débats parlementaires au sujet de la loi du 23 juin 2006, le garde des Sceaux affirmait à son sujet qu’elle « poursuit un triple objectif. D’abord elle garantit la solidarité familiale : elle prolonge, dans la succession, l’obligation alimentaire. A l’heure où l’on déplore le recul des solidarités familiales, la réserve est donc essentielle : ceux qui ne bénéficieraient plus de cette solidarité viendraient grossir les rangs de ceux qui en appellent à la solidarité nationale ». C’est l’héritage de l’obligation morale. « Ensuite, la réserve héréditaire protège les enfants contre les risques d’un abus d’autorité de leurs ascendants. La liberté de déshériter peut constituer une menace 1333

Cf. Pierre CATALA, Michel GRIMALDI, op. cit., n. 7, p. 381. « La loi nouvelle supprime la réserve des ascendants privilégiés (père, mère) et ordinaires (grandsparents, arrière-grands-parents, etc.). Cette suppression qui renforce la liberté patrimoniale du disposant repose sur plusieurs arguments développés lors des travaux parlementaires : les ascendants sont déjà protégés par une obligation alimentaire, les citoyens semblent moins attachés à cette réserve qu’à celle des descendants, la réserve des ascendants va à l’encontre du dynamisme économique qui consiste à faciliter la transmission des biens vers les jeunes générations et non à les faire « remonter » vers les plus âgés, les conjoints survivants dans les familles où les liens entre le défunt et les ascendants sont distendus vivent souvent mal l’existence de cette réserve », débats à l’Assemblée nationale, séance du 21 février 2006, in Alain DELFOSSE , Jean-François P ENIGUEL , La réforme des successions et des libéralités, Collection de l’Institut national de formation notariale, Paris, Litec, 2006, n. 323, p. 145-146. 1335 Débats à l’Assemblée nationale, séance du 21 février 2006, in Alain DELFOSSE , Jean-François PENIGUEL, op. cit., n. 314, p. 141. Voir spécialement note 12, qui reprend les thèses opposées de Michel Grimaldi, favorable à la définition de la réserve en tant que pars hereditatis, et celle de M. Donnier, qui estime que l’aspect pars bonorum prévaut sur l’aspect pars hereditatis. Voir également Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Droit civil. Les successions, les libéralités, 2e éd., Paris, Defrénois, 2006, n. 615, p. 301 et n. 618, p. 303. 1336 Gustave BOISSONADE, Histoire de la réserve héréditaire et de son influence morale et économique, Paris, 1873, p. 316. 1334

Conclusion

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terrible, en permettant aux parents de décider, au-delà du raisonnable, des orientations de vie de leurs enfants ». C’est l’héritage de la légitime romaine. « Enfin, la réserve peut permettre de garantir le maintien de certains biens dans la famille ». C’est l’héritage de la réserve coutumière. « Tous ces arguments justifient pleinement le maintien du principe de la réserve héréditaire. Nos concitoyens y sont très attachés »1337. Cet attachement à la réserve s’éclaire par la connaissance de ses fondements et de son histoire.

1337

Débats à l’Assemblée nationale, séance du 21 février 2006, in Alain DELFOSSE , Jean-François PENIGUEL op. cit., p. 139, note 3.

ANNEXES

ANNEXE 1

« L’égalité entre héritiers dans la France coutumière », carte établie par Jean Yver.

ANNEXE 2 Carte de la réserve coutumière dans les pays de coutumes après le XVIe siècle, établie par Jean de Laplanche.

SOURCES

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INDEX ALPHABÉTIQUE

Ableiges Jacques d’: 52, 139 Aliments : 224, 225, 231, 233 Angleberme Pyrrhus d’ : 128 Apanage : 228 Argou Gabriel : 65, 203 Arrêt - Anceaume : 248, 255, 256 - Bueil : 207, 208, 268 - Darcemale : 226, 236 - de la Roche : 255 - de Prunelay : 254 - du Perrey : 249 - duchesse d’Aumont : 221 - Faverolles : 239 - Fournier : 232 - Laroque de Mons : 318 - Lavialle : 319 - Le Camus : 257 - Millet : 249, 250 - Nicole Cordel : 172 - Princesse de Guémené : 207, 209 - Saint Vaast : 238 - Souchet : 255 - Veideau : 240, 263 - Vestier : 254 Arrêtistes : 151, 152, 153 Ascendants : voir légitime ascendants, réserve ascendants Auzanet Barthélemy : 203, 205 Baillet Thibault : 119, 120 Barme Roger de : 120 Beaumanoir Philippe de : 43, 132, 133, 135, 136, 137, 141, 143 Bertrand Etienne : 85, 87 Biens avitins : 67, 90 Bigot-Préameneu Félix-Julien-Jean : 309, 310 Bodreau Julien : 66, 211 Bohier Nicolas : 113, 115, 124, 127, 129 Bourdot de Richebourg Charles-Antoine : 214 Bourjon François : 203, 212, 214, 220, 261 Boutillier Jean : 135 Brétonnier Barthélemy-Joseph : 230

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

Brillon Pierre-Jacques : 172, 206, 225 Brodeau Julien : 197, 202, 204 Buridan Jean-Baptiste de : 165, 215 Cahiers de doléances : 275, 276 Calcul de la légitime : 213, 214, 215 Cambacérès Jean-Jacques-Régis de : 289, 296, 298, 300, 309 Chasseneux Barthélemy : 98, 113, 114, 115, 124, 125, 126, 128, 129 Chenu Jean : 64, 172 Choppin René : 214, 228 Commissaires royaux : 118, 166, 167, 168, 177 Contrat de mariage : 54, 56, 57, 242 Coquille Guy : 56, 96, 176, 194, 198, 202, 211, 220 Corps héréditaires (délivrance en) : 245 Coutume de - Agen : 92 - Alost : 182 - Amiens : 37, 65, 72, 75, 162, 166 - Angoumois : 80, 101 - Anjou : 62, 66, 229 - Artois : 37, 38, 75, 78, 79, 142, 162 - Assenede : 181 - Auvergne : 99, 100 - Auxerre : 49, 51, 62, 69, 73, 161 - Bailleul : 182 - Bar : 40, 41, 51, 62, 72, 78 - Bayonne : 91 - Béarn : 185 - Beauquesne : 37, 65, 78 - Beauvaisis : voir Clermont-en-Beauvaisis - Bergh-Saint-Winox : 181, 262 - Berry : 47, 96, 97, 176, 201 - Béthune : 162 - Bordeaux : 88, 89 - Bouchaute : 182 - Boulonnais : 37, 38, 75, 76, 78, 162, 227 - Bourbonnais : 100, 201 - Bourbourg : 183 - Bourgogne : 95, 161 - Bretagne : 40, 41, 66, 75, 76, 142, 179 - Bruges : 181 - Bruxelles : 182 - Bueil (statuts de) : 83, 87 - Calais : 178, 196 - Cassel : 181 - Châlons : 166, 168 - Champagne-en-Brie : 31, 78 - Chartres : 37, 44, 48, 50, 51, 55, 62, 66, 73, 76, 78, 79, 144, 146 - Châteauneuf-en-Thymerais : 168

Index alphabétique

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- Chaumont-en-Bassigny : 44, 55, 66, 73, 78 - Chauny : 44, 66, 68, 73, 75, 78, 180 - Clermont-en-Argonne : 171 - Clermont-en-Beauvaisis : 33, 43, 44, 45, 46, 50, 62, 73, 75, 78, 79, 132, 135, 143, 251 - Courtrai : 159 - Dax : 91 - Doullens : 75 - Dourdan : 169 - Dreux : 44, 48, 50, 55, 62, 73, 76, 78, 146 - Dunois : 144 - Epinal : 162, 183 - Eu : 179 - Forcalquier (statuts de) : 83, 86 - Furne : 181 - Gand : 159, 160 - Gerberoy : 33, 37, 55, 75, 78 - Gorgue (la) : 183 - Gorze : 183 - Hainaut : 77 - La Rochelle : 101 - Labourd : 92 - Liège : 184 - Lille : 65, 68, 72 - Loudunois : 40, 41, 55, 62, 64, 76, 78 - Luxembourg : 182 - Maine : 40, 41, 62, 64, 66, 78 - Mantes : 33, 44, 51, 62, 70, 73 - Marche : 99 - Marquenterre : 38 - Marsan Tursan et Gabardan : 90 - Meaux : 50, 55, 62, 66, 68, 73, 75, 78, 131 - Melun : 33, 43, 44, 51, 62, 66, 68, 73, 75, 143, 170, 202 - Metz : 162 - Montargis : 45, 47, 50 - Montreuil : 37, 75, 78 - Nieuport : 183 - Nivernais : 45, 47, 50, 63, 143, 201 - Normandie : 62, 179 - Noyon : 164 - Orchies : 183 - Orléans : 31, 44, 48, 50, 55, 62, 64, 66, 69, 73, 76, 78, 79, 128, 177, 178 - Paris : 43, 129, 143, 157, 170, 173, 174, 224, 226, 234, 308 - Perche : 49, 62, 64, 66, 67, 72, 78 - Péronne : 37, 65, 77, 165 - Poitou : 40, 41, 62, 64, 197, 226, 261 - Ponthieu : 37, 38, 78 - Reims : 67, 164 - Ribemont : 164

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

- Saint-Jean-d’Angély : 92, 101 - Saint-Mihiel : 40, 41, 51, 62, 72, 78, 183 - Saint-Omer : 75, 162 - Saint-Paul : 75, 76, 78 - Saint-Quentin : 164 - Saint-Sever : 91 - Senlis : 33, 44, 46, 50, 73, 75, 78, 96, 143 - Sens : 42, 43, 44, 49, 51, 55, 62, 64, 68, 69, 73, 78, 131, 169 - Sole : 92 - Termonde : 182 - Thérouanne : 72, 75 - Touraine : 40, 41, 55, 128, 160 - Troyes : 42, 44, 55, 62, 68, 73, 261 - Valenciennes : 74, 109, 184, 277 - Valois : 33, 45, 46, 50, 55, 66, 73, 74, 78, 143, 251 - Varry : 44, 55, 73 - Verdun : 44, 49, 55, 72, 75, 76, 77 - Vermandois : 162, 165, 166, 201 - Vitry-le-François : 40, 41, 42, 49, 52, 55, 62, 66, 75, 76, 78 - Waes : 182 Coutumes - d’égalité parfaite : 35, 38, 59, 166, 293 - d’égalité stricte : voir d’égalité parfaite - d’option : 35, 42, 44, 59, 70, 108, 147, 168 - du Sud-Est : 82 - du Sud-Ouest : 87 - formation : 24 - frontalières (droit coutumier/droit écrit) : 82 - nature : 188, 190, 191, 202 - préciputaires : 35, 36, 59, 63, 161, 163 - rédaction : 29, 118, 190 - réformation : 26, 151, 155, 156, 157, 174, 177 Créanciers (droit des) : 251, 252 Cumul des qualités (héritier, légataire) : 46, 66, 68, 100, 198, 220, 221, 295, 300 Déclaration de Saint-Germain-en-Laye : 232 Décrétale Quamvis : 86 Delalande Jean : 177, 214 Demolombe Charles : 318 Devanterie : 96 Domat Jean : 199, 291 Don en avancement d’hoirie : 69, 85, 184 Don mobile : 265 Don outrageux : 135, 136 Donation - à cause de mort : 100 - entre vifs : 38, 46, 57, 136, 137, 138, 139, 293 Donner et retenir ne vaut : 46, 49, 56, 100, 137 Dot : 83, 85, 87, 215, 235, 258

Index alphabétique

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Douaire : 33, 143, 234, 235, 236 Droit - commun : 126, 156 - commun coutumier : 178, 188, 193, 194, 195, 196, 197, 198 - d’aînesse : 37, 76, 77, 78, 107, 115, 129, 145, 170, 172, 205, 225, 226, 265, 276, 281 - de dévolution : 185 - de maineté : 76, 184 - écrit : 123 - français : 30, 123, 152, 153, 192, 195 - naturel : 37, 85, 111, 114, 115, 116, 128, 159, 186, 190, 201, 211, 224, 225, 273, 284, 309 - romain : 53, 74, 81, 82, 116, 123, 126, 130, 142, 146, 171, 191, 194, 195 Duchemin Michel : 80 Dumoulin Charles : 60, 113, 115, 124, 125, 126, 129, 134, 146, 170, 173, 176, 193, 194, 214, 220 Duplessis Claude : 215, 219, 227, 246, 264 Édit des mères : 216 Égalité (principe) : 288, 290, 291, 301, 302 Égalité des partages : 75, 282, 283 Émancipation : 67, 100 Enfant - bâtard : 51, 231 - égalité : 53, 58, 60, 61, 80, 95, 97, 135, 146, 167, 222, 223, 239, 276, 282, 292, 320 - légitimé : 232 - religieux profès : 51, 99, 214, 215 Équité : 108, 113, 114, 116, 119, 121, 134, 135, 140, 147, 167, 186, 187, 198, 204, 208, 216, 224, 232, 241, 258, 304 Exclusion des enfants dotés : 64, 83, 84, 85, 87, 88, 95, 99 Exhérédation : 84, 135, 214, 215, 225 Falcidie : 23, 90, 216 Faye Barthélemy : 162, 166, 169, 170 Ferrière Claude de : 170, 197, 198, 211, 214, 219, 236, 245, 246, 258, 266 Ferrière Claude-Joseph de : 198, 199 Fontaines Pierre de : 132, 133, 134, 140 Gandillaud Pierre : 102 Gousset Jean : 262 Guillart André : 120, 121, 122 Héritier renonçant : 52, 64, 70, 172, 215, 231, 252, 292 Humanisme : 103, 104, 110, 111, 114, 116, 192 Indisponibilité : 259, 260, 261, 268, 287, 311, 313, 318 Institution d'héritier : 53, 55, 57, 80, 216

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

Jacqueminot Jean-Ignace : 299, 304 Jamet de la Guessière François : 207 Jean d’André : 86, 113 Justinien : 24 Juveignerie : voir droit de maineté Lamoignon Guillaume de : 214, 215, 221, 224, 232, 240, 244, 270 Laurière Eusèbe de : 219, 222, 235, 265 Le Brun Denis : 203, 214, 215, 220, 224, 227, 229, 232, 291 Le Camus Jean : 203 Le Caron Louis (Charondas) : 172 Le Grand Louis : 206, 215, 261 Le mort saisit le vif : 98, 128 Le Prestre Claude : 194 Le Vest, Barnabé : 172 Légitime - ascendants : 88, 229, 230, 231, 308, 310 - coutume de Paris : 176, 177 - de grâce : 216 - romaine : 23, 48, 70, 80, 81, 82, 94, 140, 177, 183, 185, 217, 218, 260, 292 Legs : 38, 46, 137 Lizet Pierre : 96, 121, 122 Loi du 17 nivôse an II : 290, 293 Loi du 4 germinal an VIII : 299 Loisel Antoine : 194 Louet Georges : 231 Mainplévie : 185 Maleville Jacques de : 310, 311 Masculinité (privilège de) : 77, 78, 79 Masuer : 56, 100, 139 Merlin de Douai : 162, 282 Mirabeau Honoré Gabriel Riqueti comte de : 283, 284 Nationalisme juridique : 188, 191, 193 Nature juridique : 190, 191, 212, 230 Novelle 118 (Justinien) : 72 Novelle 18 (Justinien) : 98, 200, 228 Obligation alimentaire : 37 Obligation morale : 38, 90, 111, 141, 218, 270, 313, 317, 318 Officium pietatis : 133, 140 Pars bonorum : 217 Pars hereditatis : 216, 217, 218, 220, 320 Partages par lits : 74 Pasquier Etienne : 105, 193, 197, 199 Paterna paternis, materna maternis : 50 Paul de Castres : 113, 127, 128

Index alphabétique

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Pays de droit écrit : 32, 279, 294 Polysémie : 186, 187, 201, 213, 290 Portalis Jean-Etienne-Marie : 304 Pothier Robert-Joseph : 203, 214, 220, 235, 244, 269 Projet de Code civil : 289, 296, 298, 299, 303 Propre naissant : 67, 163 Propres ne remontent : 51, 100, 230 Puîné : 37, 89, 90, 115, 134, 173, 224, 226, 281 Qualité d’héritier : 218, 220 Quarte trébellianique : 216 Quotité disponible : 49, 157, 201, 246, 261, 283, 291, 299, 304, 309, 312, 319 - moitié : 97, 98, 163, 164, 176, 177 - quart : 46, 92 - quint : 36, 37, 40, 42, 43, 46, 169 - tiers : 39, 40, 42, 99, 171 Rappel à successions : voir successions (rappel à succession) Rapport : 65, 95, 169, 180, 222, 251, 291, 311 Renonciation : voir successions (renonciation) Renusson Philippe de : 203, 242 Représentation successorale : 71, 72, 231, 292 Réserve : 34, 35, 52, 93, 131, 132, 137, 138, 139, 141, 218, 230, 235, 237, 259, 260, 286, 293, 308, 309, 318 - ascendants : 320 - nature : 318, 320 Retrait lignager : 32, 62, 138, 215, 282 Ricard Jean-Marie : 203, 204, 206, 214, 220, 226, 229, 236, 245, 268 Roussilhe Pierre : 203, 217 Sainson Jean : 128 Saisine : 98, 217 Secondes noces : 165, 173, 183, 235 Soefve Lucien : 198 Soustenance : 132, 133, 134, 135, 136, 141 Statuts municipaux : 84, 85, 189, 190, 192, 193, 194 Subrogation : 36, 41, 42, 90, 93, 145, 168, 179, 254 Substitution : 56, 146, 207, 247, 249, 250, 251, 254, 255, 256, 283, 288 Successions - à demi-naissant : 67 - nobles : 77, 88, 161, 247 - rappel à succession : 64, 71, 84, 95, 99 - renonciation : 84, 85, 253 - roturiers : 61, 161 - sous bénéfice d’inventaire : 52, 219 Testament : 34, 57, 136, 137, 145, 171, 236, 283, 287, 290, 291, 309 Thaumas de la Thaumassière Gaspard : 194 Thou Christofle de : 96, 151, 162, 166, 167, 169, 170, 174, 176, 177, 192

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

Tiraqueau André : 60, 113, 114, 115, 124, 125, 126, 129, 130, 172, 265 Tronchet François Denis : 309 Unification - droit coutumier : 174, 195, 196 - du droit : 278, 279, 302, 307, 309 Usufruit : 247, 248, 249 Vigier Jean : 80, 102, 246 Viole Jacques : 162, 166, 169, 170, 177 Vocabulaire (utilisation) : 261, 262, 263, 264, 266, 267, 268, 269, 312, 313

TABLE DES MATIÈRES

Préface...............................................................................................................................7 Sommaire ..........................................................................................................................9 Remerciements ...............................................................................................................11 Abréviations....................................................................................................................13 Introduction.....................................................................................................................15

PREMIÈRE PARTIE RENCONTRE DE LA LÉGITIME ET DU DROIT COUTUMIER Chapitre I - La légitime en France au début du XVIe siècle .........................................29 Section I - La légitime, institution étrangère au droit successoral coutumier..........32 § 1. La réserve, protection coutumière concernant l’héritage..........................34 A. Les différentes modalités de la réserve....................................................35 1. Les coutumes préciputaires .....................................................................36 2. Les coutumes d’égalité stricte .................................................................38 3. Les coutumes d’option.............................................................................42 B. L’existence de la légitime dans quelques coutumes...............................44 § 2. Les principes successoraux coutumiers.....................................................53 A. L’absence révélatrice d’institution d’héritier ..........................................55 B. L’égalité entre les enfants, principe et exceptions ..................................58 1. Règles concernant les personnes et les biens roturiers ...........................61 a) La qualité des personnes..................................................................61 b) La condition des biens .....................................................................74 2. Règles concernant les personnes et les biens nobles ..............................77 Section II - La légitime, institution connue dans certaines régions de France.........81 § 1. Existence de la légitime dans les coutumes du Midi ................................82 A. Les coutumes du Sud-Est .........................................................................83 B. Les coutumes du Sud-Ouest.....................................................................87 § 2. La légitime dans les coutumes situées en bordure des pays de droit écrit .............................................................................................................95 A. Les coutumes de Bourgogne et du Berry.................................................95 B. Les autres coutumes frontalières..............................................................99

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Aux origines de la réserve héréditaire du Code civil…

Chapitre II - Facteurs favorisant la pénétration de la légitime en pays de coutumes .............................................................................................103 Section I - Un nouveau contexte économique et socio-culturel ..........................104 § 1. Les facteurs socio-économiques...........................................................105 A. L’évolution démographique ...............................................................106 B. La mobilité des fortunes .....................................................................108 § 2. Le courant humaniste ...........................................................................110 A. L’héritage d’une réflexion sur le droit et la morale ............................111 B. La notion d’équité...............................................................................113 Section II - Les facteurs liés au droit ...................................................................117 § 1. La doctrine savante dans la formation des juristes...............................118 A. Les commissaires chargés de surveiller la rédaction des coutumes ...118 B. Les commentateurs des coutumes ......................................................123 § 2. L’insuffisance de la protection successorale coutumière .....................131 A. L’analyse des précédents coutumiers .................................................132 1. La notion de « soustenance » .............................................................132 2. La différence entre les legs et les donations entre vifs ......................137 3. « Soustenance » et légitime................................................................141 B. L’improbable adaptation de la réserve ...............................................144

DEUXIÈME PARTIE PÉNÉTRATION ET INFLUENCE DE LA LÉGITIME EN PAYS DE COUTUMES

Chapitre I - Les progrès de la légitime ....................................................................155 Section I - La diffusion de la légitime .................................................................156 § 1. La réformation des coutumes ...............................................................156 A. L’introduction de la légitime entre 1540 et 1580 ...............................158 1. Les textes des coutumes .....................................................................160 a) Les coutumes préciputaires ........................................................161 b) Les coutumes d’égalité stricte ....................................................166 c) Les coutumes d’option ...............................................................168 2. L’apport de la jurisprudence ..............................................................172 B. L’introduction de la légitime à Paris et dans d’autres coutumes autour de 1580 ....................................................................................174 C. L’introduction tardive de la légitime dans quelques coutumes au début du XVIIe siècle..........................................................................180 § 2. La question du droit commun coutumier .............................................188 A. Les controverses théoriques................................................................188 1. La nature de la coutume en rapport avec le droit romain...................188 2. La création du droit commun coutumier............................................192 B. Quel droit commun pour la légitime ?................................................200 1. L’apport des textes coutumiers et de la doctrine................................200 2. L’apport de la jurisprudence ..............................................................205

Table des matières

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Section II - Les répercussions de la pénétration de la légitime ..............................212 § 1. Les questions techniques soulevées par l’introduction de la légitime....213 A. La nature de la légitime en pays de coutumes.......................................216 1. Pars bonorum ou pars hereditatis.........................................................217 a) L’accès à la légitime par voie d’action : la qualité d’héritier.......218 b) L’accès à la légitime par voie d’exception : l’enfant donataire renonçant ........................................................................................220 2. La légitime et le droit aux aliments.......................................................224 a) La légitime et le droit d’aînesse ....................................................225 b) Les bénéficiaires de la légitime.....................................................228 B. La liquidation de la légitime ..................................................................233 1. L’ordre de contribution à la légitime.....................................................233 a) Choix et hiérarchie entre les différentes protections successorales coutumières .............................................................234 b) La contribution des donataires à la légitime .................................237 2. La délivrance en propriété et en corps héréditaires ..............................245 a) Le principe et ses exceptions.........................................................245 b) Les droits des créanciers................................................................251 § 2. La transformation progressive de la réserve............................................259 A. L’assimilation de la réserve et de la légitime ........................................259 B. La réserve, englobée dans la légitime....................................................264 Chapitre II - La consécration de la légitime coutumière.............................................273 Section I - La légitime dans la tourmente révolutionnaire......................................275 § 1. Les points communs.................................................................................278 A. La recherche de l’unité ...........................................................................279 B. L’égalité successorale.............................................................................281 § 2. Les solutions différentes ..........................................................................285 A. Le réveil de l’anti-libéralisme successoral ............................................286 B. La quasi-disparition de la légitime.........................................................288 Section II - Le retour à l’équilibre ...........................................................................296 § 1. Ruptures et continuités.............................................................................297 A. L’abrogation de la législation de l’an II.................................................298 B. Les acquis révolutionnaires....................................................................300 § 2. L’élaboration du Code civil .....................................................................303 A. Le projet de la commission nommée par Bonaparte .............................303 B. La réserve héréditaire du Code civil ......................................................309 Conclusion ....................................................................................................................315 Annexes.........................................................................................................................323 Sources..........................................................................................................................329 Bibliographie ................................................................................................................335 Index alphabétique........................................................................................................343 Table des matières ........................................................................................................351

COMPOSITION ET MISE EN PAGE : PRESSES UNIVERSITAIRES D’AIX-MARSEILLE (Frédéric CHEVRIAU) IMPRESSION : SERVICE DE REPROGRAPHIE FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE

DÉPÔT LÉGAL - 4ème TRIMESTRE 2009