Arvida au Saguenay: Naissance d'une ville industrielle 9780773565838

Founded in 1925, the town of Arvida was established to provide labour for Alcan's plant on the Saguenay River. With

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French Pages 288 Year 1996

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Arvida au Saguenay: Naissance d'une ville industrielle
 9780773565838

Table of contents :
Table des matières
Introduction
1 Le royaume du Saguenay
2 La construction de la ville
3 La constitution de la main-d'œuvre, 1925–1940
4 Le travail en usine
5 La population de la ville
6 Les travailleurs et leurs familles
7 La naissance du syndicalisme
8 La grève de 1941
Conclusion
Annexe 1 Analyses statistiques
Annexe 2 Jumelage des données démographiques
Bibliographie
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Index
A
B
C
D
E
F
G
H
I
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Citation preview

Arvida au Saguenay

STUDIES ON THE HISTORY OF QUEBEC / ÉTUDES D ' H I S T O I R E DU QUÉBEC John Dickinson and Brian Young Séries Editors / Directeurs de la collection Habitants and Merchants in Seventeenth-Century Montréal Louise Dechêne Crofters and Habitants Settler Society, Economy, and Culture in a Québec Township, 1848-1881 /./. Little The Christie Seigneuries Estate Management and Settlement in the Upper Richelieu Valley, 1760-1859 Françoise Noël La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760 Louis Lavallée The Politics of Codification The Lower Canadian Civil Code of 1868 Brian Young Arvida au Saguenay Naissance d'une ville industrielle JoséE. Igartua

Arvida au Saguenay Naissance d'une ville industrielle JOSÉ E.

IGARTUA

McGill-Queen's University Press Montréal et Kingston • London • Buffalo

McGill-Queen's University Press 1996 ISBN 0-7735-1377-9 (relié) ISBN 0-7735-1378-7 (broché) Dépôt légal, 2e trimestre 1996 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier sans acide. Cet ouvrage a été publié grâce à l'aide financière de la Fédération canadienne des sciences sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Données de catalogage avant publication (Canada) Igartua.José Eduardo, 1946Arvida au Saguenay: naissance d'une ville industrielle (Studies on the history of Québec - Études d'histoire du Québec, ISSN 1183-4390)

Comprend des références bibliographiques et un index. ISBN 0-7735-1377-9 (relié) ISBN 0-7735-1378-7 (broché) 1.Jonquière (Québec) - Histoire. 2. Arvida (Jonquière, Québec) - Histoire. 3. Travailleurs - Québec (Province) -Jonquière - Histoire. I. Titre. II. Collection : Studies on thé history of Québec. FC2949.A79I43 1996 97i-4'i6 095-920925-5 FI 054.5^78143 1996

Cet ouvrage a été composé par Typo Litho Composition Inc. en 10/12 Baskerville.

Introduction

Arvida. Le mot étonne un peu, perdu entre les noms de saints et les mots à consonance amérindienne qui servent à désigner la plupart des lieux au Saguenay. Le symbole qu'il véhicule n'en est pas moins clair pour autant. Le nom d'Arvida commémore ARthur VIning DAvis, président de la compagnie Alcoa, qui créa la ville en 1925. Cette entreprise américaine était, au moment de la création d'Arvida, le plus grand producteur d'aluminium au monde. L'artère principale d'Arvida, le boulevard Mellon, porte le nom du Secrétaire du Trésor des États-Unis durant les années 1920. Réputé comme étant l'homme le plus riche de son temps, Andrew Mellon était le banquier et le partenaire de Davis dans Alcoa. Ainsi s'inscrit dans la toponymie la part que prit le grand capital américain au développement industriel du Saguenay. Mais la toponymie a oublié les noms des travailleurs qui bâtirent la ville, suèrent au-dessus des cuves dans les usines d'aluminium et donnèrent à Arvida son caractère particulier dans le paysage saguenayen. Le livre que voici entend reconstituer l'histoire de la création d'Arvida et de son développement en tant que communauté ouvrière. Au départ, la recherche visait deux objectifs assez différents. Le premier consistait à éclairer l'histoire des entreprises industrielles établies hors des grands centres urbains et à exposer les effets que de telles entreprises avaient produits dans le développement des régions où elles s'étaient implantées. Le second était de découvrir comment les comportements des travailleurs se transforment lorsqu'évoluent leurs conditions d'existence matérielle et que le travail en usine occupe un nombre croissant de personnes. En conjuguant ces deux objectifs, notre intention était de rapprocher deux tendances historiographiques voisines mais longtemps étrangères l'une à l'autre: d'une part, celle qui s'intéresse au développement (ou au sous-développement) régional, dans une économie canadienne caractérisée par la

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Arvida au Saguenay

polarisation entre métropole et hinterland, et, d'autre part, celle de la « nouvelle histoire sociale » et de l'histoire des travailleurs. L'une et l'autre ont fait monter sur la scène de l'histoire les groupes sociaux les plus nombreux et mis l'accent sur la constitution et l'évolution de ces groupes, sur les attitudes et les mentalités tout autant que sur les institutions syndicales ou l'action politique. Graduellement, les objectifs de départ se sont transformés. Arvida, créature du grand capital, fournissait un terrain sur lequel on pouvait observer, en microcosme, les deux ordres de phénomènes qui avaient suscité notre intérêt initial, mais son histoire suggérait également un troisième thème, auquel les deux thèmes originaux ont été subordonnés, soit celui de la genèse d'une ville. En effet, Arvida a été bâtie de toutes pièces lors de l'implantation d'une usine d'aluminium, à proximité des ressources hydro-électriques du Saguenay. L'occasion s'offrait de voir comment s'institue, ab nihilo, une communauté ouvrière : quelles sont les personnes qui choisissent d'y venir, quelles sont celles qui décident d'y rester, quelle est l'influence de la nature du travail et des décisions de l'entreprise dans les décisions des travailleurs, comment les institutions locales se mettent en place, comment les résidants se partagent l'espace urbain, comment, en présence du travail en usine, les comportements démographiques se transforment ou résistent au changement, comment les travailleurs en viennent à se doter d'institutions collectives et comment, enfin, la population d'Arvida en vient à prendre conscience d'elle-même comme entité sociale. Le choix du Saguenay comme terrain d'enquête ne fut pas fortuit. D'une part, la région subit des transformations économiques importantes entre 1900 et 1930. Le développement industriel donne lieu à des luttes entre le capital local, incarné par J.-É.-A. Dubuc, le grand capital canadien, dont fait partie Priée Brothers, et le grand capital américain, représenté par James B. Duke et Arthur Vining Davis. Nous avons esquissé ailleurs l'histoire de ces luttes. * Au début du XXe siècle, d'autre part, le Saguenay conserve encore les marques d'une société dite traditionnelle, homogène dans ses caractéristiques démographiques et dans sa culture, principalement rurale, physiquement éloignée des métropoles, jalouse de son identité régionale, un peu méfiante à l'égard des influences exogènes. Quelles transformations, quels accommodements cette société devra-t-elle subir à la suite de l'implantation de la grande industrie? Gérard Bouchard propose le concept de « co-intégration » pour rendre compte des relations entre la société saguenayenne et le grand capital. Il conçoit ces liens en termes d'interaction entre « deux systèmes, i Igartua, « L'industrialisation » ; « "Corporate" Strategy ».

7 Introduction

deux dynamiques de reproduction et d'intégration collective: l'un opère à l'échelle locale (paroisse, sous-région, région), l'autre, à l'échelle extrarégionale, et chacun se structure à l'aide de l'autre ». 2 La société rurale qui sert de fondement culturel à la population du Saguenay n'est pas déstructurée par l'avènement du grand capital.3 N'étant plus en mesure de fournir elle-même les ressources dont elle a besoin pour consolider ses assises matérielles, la société saguenayenne apprend plutôt à s'appuyer sur les ressources nouvelles qu'offre le grand capital, tandis que celui-ci, dominant le système de production, mise sur les valeurs de la société dans laquelle il s'implante, afin d'y puiser, à bon compte, les ressources matérielles et humaines dont il a besoin et pour étendre son autorité sociale. La dissociation entre «un système de production économique dirigé de l'extérieur et un système de reproduction sociale commandé par des ressorts internes », telle que l'a schématisée Alain Touraine, n'est qu'apparente : de fait, les deux systèmes ont besoin l'un de l'autre pour maintenir leurs sphères d'influence respectives.4 L'approche monographique ne peut fournir de test concluant à un tel modèle. Cependant, Arvida offre un bel exemple de la manière dont ces deux systèmes en viennent, non sans peine, à s'imbriquer. A Arvida, la co-intégration n'allait pas de soi au départ; elle fut plutôt une construction historique, élaborée en partie par l'histoire propre de l'entreprise créée par Alcoa, en partie par la conjoncture continentale qui provoqua la Crise des années 1930 et, enfin, par les attaques en provenance de l'extérieur de la région, qui survinrent en 1941. D'une part, ces éléments de conjoncture forcèrent les représentants du grand capital à tenir davantage compte du milieu culturel dans lequel ils s'étaient établis. D'autre part, ils amenèrent le clergé, qui représentait à Arvida le pouvoir culturel de l'élite locale, à composer avec le mode de vie industriel et avec l'afflux d'«étrangers» dans la région. Arvida ne naquit pas saguenayenne, mais elle l'est devenue à la suite de cette co-intégration. Si Arvida constitue, sur le plan conceptuel, un bel exemple de cointégration en construction, il faut avouer que ce sont d'abord les sources qui ont attiré notre attention sur la ville. Tout d'abord, il existe des sources qualitatives assez abondantes, depuis les journaux et les procès-verbaux de la municipalité jusqu'aux documents judiciaires et aux cahiers de prône. Mais on trouve surtout de riches sources quantitatives, permettant des investigations originales en histoire sociale des 2 Bouchard, « Co-intégration », 289. 3 Bouchard, « Introduction à la société saguenayenne », 21-25. 4 Bouchard, «Co-intégration», 293.

8 Arvida au Saguenay

travailleurs. Trois séries de documents nominatifs s'offraient à nous. La première est constituée des fiches d'embauché et de service des travailleurs d'Alcan, dont l'entreprise nous a généreusement permis de copier les microfilms. Les rôles d'évaluation de la ville d'Arvida, d'une richesse inhabituelle, forment la seconde série. Ces documents permettent d'examiner en détail le bâti urbain et son mode d'occupation. Il a été possible de rapprocher ces deux séries quantitatives d'une troisième, le fichier de population de l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP). Ce fichier, basé sur les actes de baptême, de mariage et de sépulture consignés par le clergé catholique, regroupe toutes les données concernant l'état civil de la population du Saguenay. L'analyse quantitative de ces trois sources sérielles promettait de dégager des profils et de suivre de façon très détaillée certains comportements des travailleurs d'Alcan et de mettre en rapport le monde du travail, celui des familles et celui des couples. Ces sources ouvraient la voie à une démarche s'inspirant davantage de l'histoire sociale européenne et américaine que de l'histoire ouvrière canadienne.5 Nous voulions en premier lieu éviter de parler des travailleurs dans l'abstrait, nous désirions faire leur connaissance en tant qu'individus, dans leur milieu de travail comme dans le quotidien de leur existence familiale et domestique, dans leurs appartenances ethnique et religieuse comme dans leurs institutions syndicales, dans leurs loisirs comme dans leurs revendications. Dans cette perspective, l'approche quantitative nous apparaissait la plus appropriée. Certains historiens des travailleurs ont ardemment souhaité pouvoir 5 Les travaux européens et américains nous ont servi davantage d'inspiration méthodologique que de points de repère comparatifs, parce qu'Arvida demeure un cas d'espèce. En Europe, l'industrialisation se manifeste essentiellement dans des villes déjà existantes, dont la vocation se transforme au XVIIIe siècle ou au XIX e . Aux États-Unis, on assiste plus souvent à la création de villages industriels en milieu rural, mais il s'agit surtout, là aussi, de créations du XIXe siècle. Le contexte est donc assez différent de celui du Saguenay. Pour l'Europe, voir par exemple Perrot, Genèse d'une ville moderneet Lequin, Ouvriers de la région lyonnaise. La production américaine est considérable. Mentionnons seulement, pour le nord-est, Blumin, Urban Threshold, sur Kingston, New York, de 1820 à 1860, Prude, Industrial Order, sur l'industrialisation du Massachusetts rural, 1810-1860, Wallace, Rockdale, Walkowitz, Worker City, sur Troy et Cohoes (New York), Cumbler, Working-Class Community, sur Lynn et Fall River (Massachusetts), Bodnar, Workers' World, sur les travailleurs de la Pennsylvanie, Buder, Pullman, et enfin les deux ouvrages marquants de Hareven, Amoskeaget Family Time. À certains égards, l'industrialisation du Saguenay ressemble davantage à celle du sud des États-Unis ; voir Hall, Like a Family, et Flamming, Industrial Community, qui insistent sur l'interaction entre le caractère rural du milieu et les transformations engendrées par l'industrie. Le clivage racial constitue cependant une donnée fondamentale de l'histoire du sud, qu'on ne retrouve pas au Saguenay. Voir par exemple Parker, « Black Community».

9 Introduction s'adonner à une telle exploration, mais peu l'ont entreprise. À ce sujet, citons seulement David Brody et Yves Lequin. « Only numbers, écrit le premier, can tell us much that we need to know about thé history of workers. The point may be obvions, but we hâve been agile at avoiding it for many years». Pour le deuxième, «... nommer un groupe sans le dénombrer, c'est renoncer à le confronter par ignorance de sa place exacte dans une société qui détermine largement, nolens volens, son destin, et s'inscrit comme cadre de son action ».6 Nous posions donc comme point de départ que la classe ouvrière n'est pas une entité organique perceptible par-dessus ses membres, pour ainsi dire, mais qu'elle se façonne à même les attributs, les comportements, les mentalités, les attitudes des hommes et des femmes qui la composent, dans la diversité des niveaux d'identification que constituent le travail, la famille, la religion, la culture et le lieu de résidence7, en d'autres termes, qu'elle s'institue, comme l'a si bien soutenu E.P. Thompson au sujet de l'Angleterre.8 Cette façon de voir les choses a l'avantage de ne pas poser a priori des cheminements-types à l'aune desquels il faudrait mesurer l'état d'avancement de la classe ouvrière saguenayenne, autrement dit, de ne pas adopter une démarche téléologique, mais de mettre l'accent sur le processus d'élaboration d'une structure sociale dans un contexte particulier. Ce contexte particulier n'est pas celui de la grande ville qui a souvent servi d'archétype à l'histoire ouvrière canadienne; il relève plutôt d'une forme d'industrialisation différente, mais tout aussi importante dans l'économie canadienne du début du siècle, celle qui se fonde sur l'exploitation des ressources naturelles du Bouclier canadien.9 Il faudrait, dans une démarche ultérieure, voir dans quelle mesure les processus d'élaboration de l'identité ouvrière observés à Arvida se retrouvent dans d'autres villes mono-industrielles canadiennes. Un roman récent a dépeint la venue de l'industrie de l'aluminium au Saguenay comme un choc culturel, qui entraîna avec lui l'écroulement 6 Brody, « Old Labor History», 119; Lequin, Ouvriers de la région lyonnaise, 3. 7 Dans un article récent, Margaret R. Somers exprime fort brillamment ce point de vue. L'auteure « déconstruit » le récit de la formation de la classe ouvrière anglaise, montre les limites d'une démarche qui cherche à expliquer les comportements par les attributs sociaux des acteurs et attire l'attention sur l'importance de la construction de l'identité par le récit collectif dans l'explication des comportements des acteurs sociaux. Les identités individuelles et collectives s'élaborent dans un « relational setting..., a pattem of relationships among institutions, public narratives, and social practices». Voir Somers, «Narrativity». La citation est à la p. 609. 8 Thompson, Classe ouvrière anglaise. 9 L'ouvrage classique sur ce sujet est Lucas, Minetown. Bowles, Little Communities, donne un aperçu général des villes mono-industrielles au Canada.

io Arvida au Saguenay

de la culture traditionnelle saguenayenne et des valeurs ancestrales.10 En gros, la thèse que nous présentons dans ce livre soutient le contraire. Née dans la diversité de ses premiers habitants, Arvida acquiert peu à peu le caractère d'une ville saguenayenne, où domine la vie de famille, la religion catholique et la culture canadienne-française, même si elle conserve, au moment où éclate la Deuxième Guerre mondiale, une importante population d'origine extra-régionale. L'intégration d'Arvida dans la société saguenayenne s'effectue par le jeu de différents acteurs, que ce soit la direction de l'entreprise, les élites locales ou les travailleurs eux-mêmes. Notre ouvrage débute par une présentation du Saguenay des années 1920 et des circonstances qui ont entouré la décision d'y implanter une aluminerie. Il décrit ensuite la construction de la ville, la mise en place des institutions municipales et paroissiales, de même que les débuts de la vie associative. Ce cadre fixé, nous examinons comment s'est constituée la population ouvrière d'Arvida et comment celle-ci est devenue, à la suite des décisions prises par Alcan et par les travailleurs et sous l'effet de la Crise, de plus en plus canadienne-française et saguenayenne. Nous présentons ensuite la nature du travail, des conditions de travail et les niveaux de revenus qu'Alcan offrait aux travailleurs. La vie domestique des travailleurs fait l'objet des deux chapitres suivants. Le premier est consacré à la physionomie de la ville et à l'occupation du parc de logements; il a pour but de déceler dans quelle mesure l'espace urbain se découpe selon des catégories sociales. Le chapitre suivant porte sur les travailleurs d'origine saguenayenne et met l'accent sur le caractère traditionnel de leurs itinéraires démographiques. Ces deux chapitres se fondent essentiellement sur des données quantitatives et font peu de place à l'enquête orale. Le point de vue des femmes, en particulier, en est absent. Ce choix n'est pas entièrement délibéré. Au début de ce projet, nous avons eu l'occasion de participer à une enquête d'histoire orale, qui nous a montré combien il était difficile d'obtenir des confidences sur la vie intime des couples, chez les travailleurs, et de dépasser les stéréotypes qu'on peut imaginer à propos de la manière dont les choses se passaient, «dans ce temps-là», sur le plan domestique. Mais il demeure que notre enquête s'est résolument penchée sur le sort des hommes, célibataires ou mariés, qui sont venus à Arvida vendre leur force de travail et qui ont, collectivement, donné corps à cette collectivité ouvrière. Nous n'avons aperçu les femmes qu'en passant, au hasard des fiches de service des 10 Claveau, Drame, 12.

11 Introduction

employées d'Alcan, fort peu nombreuses, où nous avons pu suivre l'itinéraire professionnel de quelques femmes; nous les avons aussi remarquées dans les associations féminines de la paroisse, comme les Enfants de Marie ou les Dames de Sainte-Anne. Mais elles ne sont pas au cœur de ce livre. Les femmes ont bien sûr contribué comme les hommes à façonner la collectivité arvidienne, mais les sources dont nous disposions ne nous ont pas permis de mettre en lumière leur contribution. Nous en sommes désolés. Les deux derniers chapitres se penchent sur l'action collective des travailleurs. Le chapitre sur l'avènement du syndicalisme à Arvida expose la nature du syndicalisme catholique qui s'y instaura et met en évidence le caractère respectable des hommes qui le dirigeaient. La grève de 1941 et l'enquête à laquelle elle donna lieu font l'objet du dernier chapitre. Ces événements apparaissent comme un point tournant dans la conscience que la communauté arvidienne avait d'ellemême. Quand les conditions de travail descendirent sous le seuil qui avait jusque-là été toléré par les travailleurs, ceux-ci réagirent par un mouvement de protestation qui se transforma en grève. Cette grève reçut l'appui massif des travailleurs. Par ailleurs, elle entraîna des réactions politiques qui donnèrent à Arvida une notoriété nationale. Lorsque C.D. Howe accusa les travailleurs d'Arvida d'avoir nui à l'effort de guerre, c'est tout le Saguenay qui se sentit visé. Les résidants d'Arvida resserrèrent les rangs. Les cadres, les travailleurs et même les policiers canadiens-français chargés de l'enquête prirent la défense de leur communauté devant la commission d'enquête. Cette prise de position commune allait renforcer l'identité communautaire des résidants d'Arvida. Arvida était devenue une ville saguenayenne.

James B. Duke, en route vers la chute à Caron, depuis Aima, 1915. Maison Alcan. visi-15-i #1

Andrew Mellon (à gauche) et James B. Duke, sur le quai de Port-Alfred, 1925. Maison Alcan. ALBU-25-i

Ouvriers travaillant à la construction de la première salle de cuves, 1925. Maison Alcan. JON-2Ô-2 #10

Arvida, 1928. Vue du sud-ouest. Le clocher de l'église catholique est encore en chantier. La distance entre le « quartier des Anglais » et le quartier ouvrier est manifeste. Maison Alcan. joN-28-1 #5

Construction des maisons, 1926. Des voies ferrées temporaires sont utilisées pour la construction des habitations comme pour celle des usines. Maison Alcan. jON-26-2 #11

Quartier résidentiel. Vue de la rue Oerstedt, depuis le clocher de l'église catholique. Société historique du Saguenay. Fonds Alcan. F. Ph. 1.48

Plans de maisons. En 1939, on compte 27 maisons de type AI , 25 de type A2, 31 de type BI et 28 de type B2.

Maison Alcan. Détails of Arvida Houses, Schools, Hospital and Station, 1926.

Erection de la charpente des salles de cuves, 1926. Les voies ferrées temporaires servent au déplacement des grues et à la livraison des matériaux. Maison Alcan. jON-26-2 #2

Charpente d'une salle de cuves, 1926. Maison Alcan. jON-aô-2 #15

Tenue de travail recommandée aux cuvistes. Maison Alcan. PORT-3o-6

Ouvriers des usines d'Arvida. Société historique du Saguenay. Fonds Alcan. F. Ph. 1.33

Joseph Lévesque, curé de la paroisse Sainte-Thérèse-de-1'Enfant-Jésus. Maison Alcan. PORT-45-4

Equipe de baseball. Maison Alcadddddddddn.

Intérieur d'une salle de cuves, 1945. Maison Alcan. joN-45-12 #10

Revendication salariale sous forme de graffiti sur une cuve, grève de 1941. Archives nationales du Canada. PA-i226i i

Entrée des usines, juin 1940. Maison Alcan. j 01^-40-3

CHAPITRE UN

Le royaume du Saguenay

«Lee, je vais acheter cela», s'exclama Duke. Le magnat américain du tabac venait de faire plus de trois kilomètres à pied sur les rives du haut-Saguenay, en compagnie de son hydraulicien en chef, W.S. Lee. Se penchant à travers les buissons pour mieux contempler les gorges au fond desquelles coulait le Saguenay, Duke découvrait la puissance que cette eau, une fois harnachée, pourrait constituer; il saisissait du même coup, en ce mois de septembre 1912, le potentiel industriel du Saguenay.1 Fondateur de l'American Tobacco Company, James Buchanan Duke avait dû se plier, en 1911, au verdict de la Cour Suprême des ÉtatsUnis qui avait démantelé son empire du tabac, mais il ne s'était pas pour autant retiré des affaires, loin de là. Il avait commencé en 1905 à investir dans les ressources hydro-électriques de la région piémontaise des Carolines. La Southern Power Company, qu'il avait créée avec son frère Benjamin, produisait de l'électricité qu'elle vendait à des entreprises de textiles dans lesquelles les Duke avaient des intérêts. En 1910, J.B. Duke avait construit, à Gréât Falls (Caroline du Sud), sur la rivière Catawba, une usine de fixation du nitrate, trouvant ainsi des usages inédits à la nouvelle source d'énergie industrielle que constituait l'électricité. Il avait même cherché, deux ans auparavant, à mettre la main sur des gisements de bauxite, afin de produire de l'aluminium avec l'énergie de ses centrales hydro-électriques.2 La visite au Saguenay de cet industriel américain, fasciné par l'énergie hydro-électrique, allait changer l'histoire de la région. 1 Jenkins, Duke, 188, repris dans Clark, « Rivers of Aluminum : The Story of thé Aluminum Company of Canada», [histoire d'Alcan, manuscrite], 147, et dans Campbell, Mission mondiale, 96. 2 Durden, Duhes ofDurham, 185.

14 Arvida au Saguenay

En septembre 1912, Duke avait entrepris un voyage en train, à la recherche d'un emplacement susceptible de fournir de l'énergie électrique à une usine de nitrate. Sa destination ultime était l'Oregon. Pour une partie du voyage, Duke accueillit à bord de son wagon privé Arthur Vining Davis, président d'Alcoa, etJ.E. Aldred, président de la Shawinigan Water and Power Company (SWP), le plus grand producteur québécois d'électricité. Aldred et Davis entretenaient déjà des relations d'affaires: l'entreprise de Davis avait établi à Shawinigan une aluminerie qui s'alimentait en énergie auprès de la SWP. Les trois hommes d'affaires avaient donc en commun un intérêt très marqué pour les ressources hydro-électriques et ce voyage en témoignait. Après un arrêt à Massena, dans l'État de New York, pour visiter la centrale hydro-électrique construite par Alcoa, les voyageurs se dirigèrent vers les rapides du Long-Sault, sur le Saint-Laurent, près de Cornwall, où Alcoa projetait d'établir une grande centrale hydro-électrique. Le wagon de Duke prit ensuite la direction d'Ottawa. Dans la capitale, Duke fit la rencontre 3 de Thomas L. « Carbide » Willson, inventeur canadien qui détenait un brevet pour la réduction électrique du carbure et qui, avec des actionnaires de la SWP, avait établi la Canada Carbide Company, à Shawinigan, en 1901. Duke s'intéressait aux procédés électro-chimiques de fabrication d'engrais mis au point par Willson. Ce dernier avait tenté en vain d'exploiter son procédé d'extraction du carbure en Caroline du Nord, au début des années 1890, puis s'était tourné vers le Saguenay en 1900, où il avait acquis les droits sur les ressources hydrauliques de la chute à Caron, avant de s'allier à la SWP et de choisir Shawinigan comme site de son entreprise. À Ottawa, Willson persuada Duke de faire un détour par le Saguenay avant de poursuivre son périple vers l'Oregon; il voulait que Duke prenne connaissance du potentiel hydro-électrique du Saguenay.4 Ce potentiel était énorme. Le Saguenay prend sa source dans le lac Saint-Jean, un réservoir naturel de plus de i oookm 2 de superficie, nourri par trois grandes rivières et une multitude de cours d'eau de moindre importance. À sa source même, le Saguenay génère une puissance hydraulique considérable. La décharge du lac Saint-Jean s'écoule en effet en deux branches autour de l'île d'Alma. La branche supérieure, la plus importante, est parsemée de petites îles, dont la 3 II est impossible d'établir si cette rencontre fut fortuite ou si elle eut lieu à la demande de Duke ou de Willson. 4 Clark, «Rivers», 141, 147; Duke University, Mss. Department, W.R. Perkins Collection, boîte 11, «Haskell v. Alcoa. Alcoa Chronology, (1912-1925)» [ci-après Alcoa Chronology], septembre 1912; Clark, «Rivers», 146-147; Durden, Dukes of Durham, 191.

Figure i Carte du Saguenay

16 Arvida au Saguenay

dernière, l'île Maligne, offre le meilleur site où ériger un barrage: entre le lac et cette île, la dénivellation est de 25 mètres. Le Saguenay fait ensuite une autre chute de 70 mètres sur ses 30 premiers kilomètres; la majeure partie de cette deuxième dénivellation est formée par la chute à Caron, à 15 km, environ, en amont de Chicoutimi (figure i). À la hauteur de Chicoutimi, le Saguenay devient assez profond pour accueillir des navires marchands, alliant à son potentiel hydroélectrique un accès facile au transport maritime international, un atout important pour le développement industriel. Des deux sites, celui de l'île Maligne et celui de la chute à Caron, le deuxième offre le potentiel hydro-électrique le plus considérable.5 Cependant, sa mise en valeur oblige à régulariser le débit du Saguenay, ce qui requiert un barrage en amont, à la hauteur de l'île Maligne. Le développement des deux sites doit donc être coordonné, idéalement par une seule entreprise. Un tel développement commande des investissements énormes, hors de portée du capital local. On comprend alors pourquoi Willson voulait intéresser Duke au potentiel de la chute à Caron. N'ayant pas les moyens financiers de mettre l'emplacement en valeur, Willson espérait sans doute le vendre à Duke pour un prix intéressant. La stratégie porta fruit. En octobre 1912, Duke obtenait de Willson une option d'achat à 650 ooo $ pour le site de la chute à Caron; Duke se préparait aussi à obtenir les droits sur celui de l'île Maligne, aux mains d'intérêts américains.6 Dès l'année suivante, Duke entreprit de donner vie à ses projets saguenayens. Il fit l'acquisition de la chute à Caron en novembre; il acheta aussi les droits d'exploitation du site de l'île Maligne, de même que des berges du Saguenay entre l'île Maligne et la chute à Caron.7 L'hydraulicien de Duke, W.S. Lee, entreprit dès le printemps de 1913 d'effectuer les travaux préparatoires à la mise en valeur du potentiel du Saguenay. Installé à Aima, Lee dirigea l'arpentage des terrains, depuis la chute à Caron jusqu'à l'île Maligne. Les travaux se poursuivirent durant deux ans. Duke acheta un hôtel et une maison à Aima, pour loger les équipes d'arpentage et fournir des bureaux à ses ingénieurs. Ceux-ci préparèrent le tracé d'une ligne de chemin de fer de quelque 16 km, pour relier l'île Maligne à la ligne du Canadien National à Hébertville, au sud du lac Saint-Jean. Les ingénieurs dressèrent 5 En 1899, le directeur de l'arpentage (Superintendent of Surueys) du Québec avait estimé à 15 ooo chevaux-vapeur le potentiel de l'île Maligne et celui de la chute à Caron à 82 ooo chevaux-vapeur. Clark, « Rivers », 140. 6 Alcoa Chronology, 12 octobre 1912. 7 Ibid., novembre 1912; Clark, «Rivers», 148.

17

Le royaume du Saguenay

aussi les plans d'une centrale hydro-électrique qui serait construite à la chute à Caron.8 Puis, vers la fin de 1915, Duke ordonna l'arrêt des travaux des arpenteurs et des ingénieurs. Il n'avait pas trouvé de débouché pour l'énergie qui serait produite à la chute à Caron ou à l'île Maligne. Il songeait à acheminer l'électricité du Saguenay vers les États de la Nouvelle-Angleterre, mais les techniques de transport de l'énergie électrique étaient encore trop rudimentaires pour autoriser de tels projets. En 1916, les entreprises hydro-électriques des Duke, dans les Carolines, furent avariées par des inondations et la production d'électricité dût être interrompue. Duke et ses ingénieurs furent donc accaparés par d'autres préoccupations que le Saguenay. De surcroît, Duke dut prendre en charge les activités philanthropiques de la famille, que son frère, malade, ne pouvait plus diriger. Ce n'est qu'en 1920 que la conjoncture économique ranimera l'intérêt de Duke pour le Saguenay.9 Le Saguenay que Duke visite en 1912 est une région éloignée de la vallée du Saint-Laurent, de peuplement faible et récent, dont l'économie est peu diversifiée et qui tire ses traditions culturelles des vieilles paroisses de la région de Charlevoix, d'où sont issus les premiers colons saguenayens. Le peuplement blanc débute au Saguenay vers 1840. Au XIXe siècle, la population de la région croît assez lentement. Le premier recensement, effectué en 1852, relève moins de 6 ooo âmes. Cinquante ans plus tard, la population n'atteint pas 38 ooo personnes. Elle double cependant de 1901 à 1921, pour atteindre 73 117 personnes, et passe à 106 ooo personnes au recensement suivant.10 La population, majoritairement rurale, se répartit en 1930 entre 44 paroisses, dont 26 au Lac-Saint-Jean et 15 au Haut-Saguenay; le Bas-Saguenay, avec 3 paroisses, demeure la moins peuplée des sousrégions saguenayennes. En gros, la colonisation du Saguenay suit la marche de l'exploitation forestière. Elle s'effectue d'est en ouest, par le sud du Saguenay et du lac Saint-Jean, puis contourne le lac Saintjean et revient vers l'est, au nord du Saguenay.11 Les premiers colons travaillent directement ou indirectement pour William Priée, le marchand britannique établi à 8 Ibid., 149-150. 9 Ibid., 151; Durden, Dukes ofDurham, 191-216. Selon David Massell, qui poursuit des recherches minutieuses sur les activités de Duke au Saguenay, les événements de la période 1912-1920 sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît dans les sources mentionnées ci-dessus. Communication personnelle à l'auteur, août 1995. 10 Pouyez et al., Saguenayens, 236. 11 Ibid., 139-164.

18 Arvida au Saguenay

Québec depuis 1810, qui a mis la main sur la plus grosse partie des réserves forestières de la région. Le réseau hydrographique saguenayen joue un rôle primordial dans la localisation des chantiers et, par la suite, dans celle de l'établissement paysan. Les rivières amènent les billes aux scieries établies près de la force motrice des cours d'eau, et le bois d'œuvre ainsi préparé est expédié par goélette vers les marchés extérieurs. Les scieries reçoivent leur matière première des chantiers, qui se déplacent vers l'intérieur à mesure que les ressources forestières sont consommées. La plupart des scieries occupent moins d'une dizaine d'hommes, à l'exception de celle de Price Brothers, à Chicoutimi, qui emploie 220 hommes en 1871. Les chantiers ne sont en opération que l'hiver. Ces établissements temporaires regroupent environ deux douzaines d'hommes à la solde de l'exploitant ou d'un sous-traitant. Le travail de chantier attire surtout les jeunes hommes ou certains cultivateurs plus âgés venus des zones marginales. C'est un travail ardu, dangereux, soumis à une rude discipline, mal payé et auquel on ne s'adonne que pendant un certain temps. L'exploitation agricole constitue rapidement l'activité économique de la majorité des chefs de famille. L'agriculture entretient des relations de complémentarité et, selon certains auteurs, de dépendance avec l'exploitation forestière : d'une part, la main-d'œuvre des chantiers offre aux agriculteurs saguenayens leur principale clientèle ; d'autre part, les familles agricoles fournissent aux chantiers la maind'œuvre saisonnière dont ils ont besoin.12 L'agriculture saguenayenne conserve longtemps un caractère rudimentaire. Dans les paroisses de colonisation, qu'elles aient été ouvertes au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle ou après 1900, le travail de la terre rappelle celui des pionniers des siècles précédents. Les colons doivent consacrer de quinze à trente années au défrichement et à l'essouchage. Les nouvelles terres sont d'abord employées à la culture du blé, mais les agriculteurs passent assez rapidement à l'avoine et à la pomme de terre, reprenant l'évolution des pratiques culturales qui marqua la vallée du Saint-Laurent, plus d'un demisiècle auparavant. L'outillage des fermes saguenayennes, modeste, se limite à l'essentiel. Les travaux des champs se font manuellement, avec peu de recours à la force animale. « On observe, écrit Gérard Bouchard, la même précarité, la même absence de raffinement dans 12 Girard et Perron résument les débuts de la colonisation saguenayenne dans Histoire, 120-138; voir aussi Pouyez, Saguenayens, 125-164, Bouchard et Bergeron, «Origines». Sur les liens entre l'industrie forestière et l'agriculture, voir Séguin, «L'économie agro-forestière»; La conquête; «Problèmes théoriques»; Bouchard, « Co-intégration ».

ig Le royaume du Saguenay

la reproduction et le soin du bétail » que dans l'outillage et dans les procédés culturaux.13 Puis, à la fin du XIXe siècle, survient un «premier démarrage agraire », fondé sur la conversion des fermes à la production laitière. La région est reliée au marché québécois par le chemin de fer, qui arrive au Lac-Saint-Jean en 1888 et au Saguenay cinq ans plus tard. Les terres les plus anciennes sont alors consacrées à la production de foin et d'avoine pour l'alimentation des chevaux. Les cultivateurs s'équipent d'un éventail plus large d'instruments aratoires mus par la force animale, diversifient quelque peu leurs récoltes et augmentent la productivité des terres comme celle du cheptel laitier. Des fabriques coopératives reçoivent le lait produit par les agriculteurs membres et le transforment en fromage pour l'exportation vers le marché britannique. Tout comme l'agriculture, cependant, cette industrie demeure très rudimentaire. La fabrication du fromage ne se fait que durant quelques mois par année, dans des établissements de très petite taille, qui offrent des produits de qualité fort variable et ne procurent que de maigres recettes aux « patrons » des fabriques coopératives : les revenus par vache correspondent au tiers ou aux deux tiers des revenus des fermes laitières les plus prospères de la vallée du Saint-Laurent.14 L'éloignement des marchés, le peu de ressources des agriculteurs et l'état limité de leurs connaissances techniques contribuent à la stagnation de l'agriculture saguenayenne. Cette agriculture en est encore, dans les années 1920, à ce premier démarrage. La croissance du monde rural est davantage tributaire de la démographie que de la prospérité des fermes. Le nombre d'exploitations agricoles, qui plafonnait à moins de 4 800, entre 1900 et 1920, grimpe à 5 608 lors du recensement de 1931. L'espace agraire de la plupart des paroisses a alors atteint son point de saturation, d'après le nombre de fermes qui y sont exploitées. Autour de Chicoutimi et de Jonquière, la saturation date du dernier tiers du XIXe siècle.15 Après la Première Guerre mondiale, l'agriculture laitière fait face à des difficultés considérables. Le marché britannique reçoit, depuis le début du siècle, des fromages d'Australie et de Nouvelle-Zélande; si la guerre provoque une reprise de la demande pour les produits canadiens, la concurrence qui reprend durant les années 1920 entraîne 13 Bouchard a décrit les grandes phases du peuplement et la saturation de l'espace agraire saguenayen au début du XXe siècle, de même que l'évolution des méthodes agraires dans la région. Voir Bouchard, «Saturation»; «L'agriculture»; les citations sont aux p. 365 et 363. Voir aussi Girard et Perron, Histoire, 159-165. 14 Girard et Perron, Histoire, 165-174. 15 Bouchard, « Saturation », 215.

2O Arvida au Saguenay

une réduction des troupeaux laitiers saguenayens. La production du beurre prend en partie le relais de celle du fromage mais ne provoque pas de transformations profondes. La piètre qualité de l'alimentation fournie aux animaux se traduit par des rendements médiocres, qui ne font pas toujours leurs frais. L'inertie dans la progression des rendements laitiers entre 1911 et 1941, conclut Bouchard, «se marque partout» dans la région/6 En 1929, la cueillette des bleuets rapporte aux agriculteurs du Lac-Saint-Jean l'équivalent de la moitié des revenus tirés de l'industrie laitière, ce qui, selon Girard et Perron, « évoque le peu de prospérité de cette dernière ». 17 Quant aux récoltes, elles sont toujours dominées par l'avoine et le foin. Le géographe français Raoul Blanchard constate, lors de sa visite en 1932, l'ignorance des techniques modernes d'assolement et l'état arriéré des pratiques agricoles saguenayennes.l8 Le Saguenay rural des années 1920 et 1930 demeure rustre et pauvre. Le Saguenay urbain n'est pas davantage développé. Les seules villes de quelque importance, Chicoutimi et Jonquière, se retrouvent dans la sous-région du Haut-Saguenay. Chicoutimi compte 8 937 habitants en 1921 et 11 877 en 1931, une augmentation de 33% par rapport au recensement précédent. Jonquière croît encore plus rapidement, doublant presque sa population, pour atteindre 9 448 habitants, en 1931 ; mais les deux villes ne font ensemble que 20 % de la population régionale. En 1921, Kénogami, Bagotville et Roberval sont les seules autres villes à dépasser 2 ooo habitants; Aima et Dolbeau s'ajoutent à cette catégorie au recensement suivant (tableau i). L'armature urbaine naissante de la région du Saguenay est dominée par Chicoutimi, seule ville à posséder une structure économique quelque peu diversifiée. Priée y avait établi sa principale scierie au XIX e siècle, au confluent de la rivière Chicoutimi et du Saguenay. La construction de l'usine de pâte à papier de J.-É.-A. Dubuc, en 1897, consacre la vocation industrielle de la ville, où l'on trouve aussi quelques petites manufactures de lainages, de chaussures et de briques.19 Chicoutimi sert également de chef-lieu pour les tribunaux et les bureaux d'enregistrement du Haut-Saguenay. Roberval remplit la même fonction au Lac-Saint-Jean. Ces deux villes accueillent en outre des établissements religieux : évêché et séminaire à Chicoutimi, hôpital et écoles tenues par des religieuses à Chicoutimi et à Roberval. 16 17 18 19

Bouchard, « L'agriculture », 379. Girard et Perron, Histoire, 257-283 ; la citation est tirée de la p. 272. Blanchard, L'Est, 125-130. Girard et Perron, Histoire, 339; Blanchard, L'Est, 108.

2i

Le royaume du Saguenay

Tableau 1 Population urbaine du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 1921-1931 Ville

1921

%

1931

Chicoutimi

8937

12,2

11877

11,2

Jonquière

4851

6,6

9448

8,9

Kénogami

2557

3,5

4500

4,2

Bagotville

2204

3,0

2468

2,3

Aima

0,0

4607

4,3

Dolbeau

0,0

2032

1,9

28,0

36863

34,8

TOTAL

20470

Population totale de la région

73117

%

105977

Source: Camil Girard et Normand Perron, Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 341, Tableau 10.1. Note: Seules les villes de 2 000 habitants ou plus sont incluses.

Depuis le tournant du siècle, la croissance urbaine du Saguenay dépend largement d'une nouvelle industrie, celle des pâtes et papiers. Après Chicoutimi, en 1897, Jonquière voit s'établir, en 1900, une usine de pâte à papier, création d'entrepreneurs locaux. L'affaire, chancelante, tombe bientôt aux mains de Priée Brothers. Les rivières Péribonka, Ouiatchouan et Métabetchouan fournissent la force motrice à d'autres usines de pâte qui s'y établissent en 1901. Des villages et des villes surgissent autour de ces établissements. Le village de Val-Jalbert est bâti pour loger les travailleurs de l'entreprise de pâte de la rivière Ouiatchouan. Priée crée Kénogami, en 1910, pour y installer des usines de pâte et de papier. Pour sa part, Dubuc établit la ville de Port-Alfred, en 1917, autour de sa deuxième entreprise de pâte à papier. Enfin, la dernière usine de papier construite au Saguenay avant la Crise donne naissance à la ville de Dolbeau en 1927- 20 Les pâtes et papiers impriment une vigueur considérable à l'activité industrielle du Saguenay. À partir de 1926, la valeur de la production industrielle d'Alma, Kénogami et Port-Alfred dépasse celle de Chicoutimi et de Jonquière. Kénogami et Port-Alfred emploient plus de travailleurs industriels que Chicoutimi, et Aima davantage que Jonquière. Les données pour 1927 illustrent cette situation (tableau 2). La production industrielle de Kénogami et de Port-Alfred vaut le double de celle de Chicoutimi et près de six fois celle de Jonquière. L'usine de 20 Ibid., 303-313 ; voir aussi Igartua, « L'industrialisation ».

22

Arvida au Saguenay

Tableau 2 L'industrie au Saguenay, 1927

Ville

Établissements

Employés

Valeur delà production

$

Aima

5

473

3 492 074

Bagotville

3

9

53120

Chicoutimi

20

670

3 394 780

Grande Baie

3

8

3285

Hébertville

4

8

23840

Jonquière

10

216

1 317 869

Kénogami

3

933

7 907 530

Port-Alfred

3

920

7 328 575

Rivière-du-Moulin

4

8

18271

14

119

213 355

3

7

23394

12

40

81845

Roberval Sainte-Anne-de-Chicoutimi Saint-Félicien Source: Annuaire statistique du Québec, 1929.

Priée à Riverbend, près d'Alma, ouverte depuis peu, permet déjà à Aima de dépasser Chicoutimi.21 C'est dire le poids de cette nouvelle industrie dans l'économie urbaine du Saguenay. Tout comme l'industrie du bois de sciage, le secteur des pâtes et papiers dépend des marchés extérieurs, ce qui soumet les destinées de l'économie saguenayenne à des forces extra-régionales. Au cours des années 1920, les entreprises saguenayennes de pâtes et papiers servent de pions dans la lutte qui s'engage pour le contrôle du marché nord-américain du papier. Les entrepreneurs canadiens, de concert avec leurs banquiers, tentent de mettre sur pied un cartel qui stabiliserait les prix pratiqués sur le marché américain, leur principal débouché. Ils se heurtent à de puissants intérêts américains qui ont partie liée avec les grandes entreprises de presse. Price fait partie du réseau 21 Les données sur la main-d'œuvre industrielle et sur la valeur de la production manufacturière sont tirées des Annuaires statistiques du Québec. Nous en avons expliqué le dépouillement dans « Le développement ». Ce n'est qu'à partir de 1927 que les données incluent les villes d'Alma, Chicoutimi, Kénogami, Jonquière et PortAlfred.

23

Le royaume du Saguenay

canadien, mais Dubuc, forcé de trouver des marchés ailleurs, en Angleterre et en Europe, subit les contrecoups de la récession du début des années 1920 et perd le contrôle de son entreprise, qui passe aux mains de la compagnie Priée Brothers. Cette dernière réduira sa capacité de production au Saguenay en fermant, entre 1927 et 1930 les établissements de Val-Jalbert et de Chicoutimi;22 elle subira elle aussi les contrecoups de la Crise et sera mise sous la protection du syndic de 1933 à 1937. Tributaire de l'exploitation forestière, le développement de l'industrie des pâtes et papiers n'entraîne qu'une faible urbanisation et peu de changements dans la structure de l'emploi. Les fluctuations qui affectent cette industrie favorisent la pluri-activité des familles, qui protègent ainsi leur base matérielle sans se soumettre entièrement au mode de production capitaliste.23 L'établissement de l'industrie des pâtes et papiers introduit néanmoins certains éléments nouveaux dans la société saguenayenne. Depuis les années 1870, le solde migratoire du Saguenay était négatif, mais la région recevait quand même un nombre important de nouveaux venus. 24 Ce mouvement s'accentue avec l'industrialisation, au début du XXe siècle. De 1911 à 1931, le taux décennal de croissance de la population urbaine dépasse 100%. La majeure partie de cette croissance est due à des mouvements migratoires des campagnes vers les villes, à l'intérieur de la région, mais l'apport de nouveaux arrivants de l'extérieur, particulièrement dans les villes spécialisées dans une seule industrie, n'est pas négligeable: de 1912 à 1931, près de 40% des hommes qui se marient dans ces villes viennent de familles qui n'habitent pas la région. Ce brassage de population n'affecte pas beaucoup la composition ethnique de la population saguenayenne. La majorité des migrants qui viennent au Saguenay sans leur famille ne partent pas de très loin : l'est du Québec, et en particulier le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Iles-de-la-Madeleine, fournit, de 1912 à 1931, un peu plus de la moitié de l'immigration vers les villes industrielles spécialisées. Un nombre plus important d'immigrants sont venus au Saguenay avec leur famille : les parents des deux tiers des hommes mariés dans les villes industrielles spécialisées, entre 1912 et 1931, s'étaient eux-mêm mariés à l'extérieur de la région. Ces indicateurs sous-estiment sans doute l'ampleur de l'immigration, puisque les registres d'état civil, qui en sont la source, ne portent aucune trace des déplacements de courte 2 2 Voir Piédalue, « Les groupes ». 23 Bouchard, «Co-intégration». 24 Gauvreau et Bourque, « Les migrations ».

24 Arvida au Saguenay durée ou de la venue de non-catholiques. Néanmoins, il est clair que la plupart des immigrants qui ont peuplé les villes industrielles spécialisées du Saguenay provenaient d'autres régions du Québec.25 La minorité d'immigrants qui ne sont pas d'origine canadiennefrançaise se concentre dans les nouvelles villes industrielles. On estime que, entre 1912 et 1931, 20,4% des hommes qui migrent sans leur famille vers ces villes viennent de l'extérieur du Québec; il s'agit surtout de Canadiens anglais. Seulement le quart de ce groupe provient d'Europe ou d'Asie, et ces étrangers sont vite remarqués. À Kénogami, par exemple, en 1911, les chantiers de construction de la papeterie attirent «de nombreux étrangers, Italiens, Polonais, Espagnols, et même 20 Roumains». Il en est de même pour les chantiers de l'île Maligne et de Riverbend, au début des années 192O.26 Au total, l'industrialisation du début du XXe siècle introduit peu de diversité dans le paysage culturel saguenayen. En 1931, la population est toujours massivement d'origine française : c'est le cas de 95,6 % des personnes recensées, ce qui représente une légère baisse par rapport au taux de 1911, qui était de 99,9%. Sur le plan religieux, l'homogénéité est encore plus grande: 97,4% de la population de 1931 se déclare catholique, contre 98,5% en 1911 (tableau 3). L'observance des préceptes religieux se traduit dans les comportements démographiques. La population du Saguenay présente encore, au début du XXe siècle, un taux de fécondité très élevé. Les familles de cultivateurs ont en moyenne 10 ou 11 enfants, alors que les autres familles en ont 9 ou 10. Les comportements démographiques de tradition ancienne s'expliquent en partie par le caractère très récent de l'alphabétisation. Ce n'est qu'au début du XXe siècle que la majorité des Saguenayens savent lire, écrire et signer, d'après une évaluation de l'alphabétisation fondée sur les registres d'état civil. La scolarisation demeure rudimentaire. «Ainsi, jusqu'en 1935-40, peu d'enfants fréquentaient l'école au-delà de la 7e année... ». 27 De plus, la fréquentation n'est pas toujours assidue. En 1920, le taux de présence dans les écoles primaires et les académies du district électoral de Chicoutimi est de 72,6%. Les parents insistent sur la formation religieuse, mais se préoccupent peu du reste. Le corps enseignant est mal formé et les remplacements sont fréquents.a8 25 St-Hilaire, « La formation ». 26 St-Hilaire, ibid.; Bouchard, Les villes, 125; Blanchard, L'Est, 105-106. 27 Bouchard, « Évolution de l'alphabétisation » ; la citation est tirée de la p. 16. Sur la confection de l'indicateur d'alphabétisation utilisé, voir Bouchard et Larouche, « Nouvelle mesure ». 28 Girard et Perron, Histoire, 356-363.

25 Le royaume du Saguenay Tableau 3 Religion et origine ethnique, population du Saguenay, 1911-1931 Religion

Origine ethnique

Année

Total catholique

autre

française

britannique

amérindienne

autre

1911

50980

133

50092

292

598

131

51 113

1921

72 647

470

71 725

1037

37

318

73117

1931

104417

1560

101308

2809

788

1 072

105 977

Source: Christian Pouyez et al., Les Saguenayens, 967, 992.

L'école saguenayenne sert donc de vecteur aux valeurs de l'Église catholique et de la famille chrétienne. Les couples les plus scolarisés conservent davantage ces valeurs que les couples analphabètes, « moins bien intégrés à leur société ». Ces différences de valeurs se traduisent par des comportements démographiques légèrement différents. Les premières traces de pratiques contraceptives s'observent parmi les familles de non-cultivateurs analphabètes constituées durant la Première Guerre mondiale et n'apparaissent, chez les cultivateurs, que parmi les couples formés dix ans plus tard. Il s'agit d'une contraception d'arrêt, par laquelle les couples tentent de mettre un terme à la croissance de leur famille; les couples étudiés n'ont recours à ces pratiques que vers la fin de leur période de fécondité, de 15 à 20 ans après le mariage, ce qui correspond par ailleurs à l'époque de la Crise et aux années subséquentes.*9 Les ouvriers des usines de Chicoutimi et de Jonquière seraient les premiers à recourir à des pratiques de limitation des naissances.30 L'Église réagit sans tarder à la désaffection des ouvriers. À Chicoutimi, l'épiscopat fait encadrer la population ouvrière par des pères eudistes venus de France pour prendre en charge la nouvelle paroisse du Sacré-Cœur, située dans le quartier ouvrier de la ville.31 Ailleurs dans la région s'accélère l'implantation de communautés religieuses masculines et féminines, œuvrant surtout dans l'enseignement. De même, les nouvelles villes industrielles sont rapidement dotées de structures paroissiales, et plusieurs activités culturelles sont reliées à

29 Bouchard et Roy, «Fécondité ». Les mesures de fécondité portent sur des femmes mariées à vingt ans dont l'union persiste jusqu'à leur cinquantième anniversaire. 30 Ibid., 182, 186. 31 Bouchard, « Les prêtres ».

20 Arvida au Saguenay

la vie paroissiale.32 Toutes ces initiatives cimentent la présence de l'Eglise catholique dans la région. Le Saguenay des années 1920 conserve donc en grande partie un caractère rural. L'agriculture demeure rudimentaire. Peu diversifiée, la structure industrielle est tributaire de capitaux et de marchés extérieurs. Les nouveaux établissements industriels, usines de pâtes ou de papiers, sont érigés la plupart du temps hors des centres urbains déjà constitués. Autour des usines naissent de petites villes où s'installe une main-d'œuvre d'origine essentiellement régionale, qui peut facilement y recréer ses milieux familial et social et poursuivre la pratique des modèles culturels saguenayens. Ce n'est pas cette population, dont ils ne connaissent rien, qui attire au Saguenay des tycoons comme James B. Duke, mais bien le milieu physique. Ce n'est pas l'économie régionale, mais la conjoncture internationale qui les y amènera. En 1920, la conjoncture nord-américaine suscite un engouement pour le papier. La prospérité des premières années de l'après-guerre provoque une flambée du prix du papierjournal, qui passe d'environ 80 $ la tonne en 1919 à 114,70 $ l'année suivante. En 1920, le taux de profit dans l'industrie est de près de 40%, doublant presque le niveau enregistré depuis ig^.33 Sir William Price veut répondre à une demande qui semble destinée à s'accroître sans cesse. Son rapport aux actionnaires de Price Brothers, en avril 1920, fait état du projet de construire une nouvelle usine de papier sur le Saguenay.34 Price fait tracer les plans d'une usine de papier à Riverbend et prend contact avec Duke, dans le but de développer le potentiel hydro-électrique de l'île Maligne. Duke vend à Price le quart des actions de la Québec Development Company, l'entité qu'il a créée en 1913 pour acquérir les titres des sites de l'île Maligne et de la chute à Caron, de même que ceux des autres propriétés réunies en vue du développement hydroélectrique du Saguenay. Duke intéresse ainsi Price à son projet et obtient sa collaboration, tant pour les affaires que pour les relations politiques. Car même si Duke dispose des droits de développement hydroélectrique sur le Saguenay et qu'il peut mettre sa fortune à contribution pour financer un tel projet, il lui manque quelques atouts. L'agent de Duke au Saguenay n'avait pu obtenir du gouvernement provincial les autorisations nécessaires à l'érection des barrages et à 32 Girard et Perron, Histoire, 345—350. 33 Piédalue, « Les groupes financiers », 225-228. 34 Harvard Business School, Baker Library, Corporate Records, Price Brothers & Company, Limited, AnnualReport to thé Shareholders for thé year ended 28thFebruary, 1920.

27

Le royaume du Saguenay

l'inondation des terres avoisinantes. Priée usa de son influence politique et obtint ces autorisations. Le 12 décembre 1922, un contrat entre le ministère québécois des Terres et forêts et la Québec Development Company accordait à celle-ci le droit d'ériger un barrage à l'île Maligne, de maintenir le niveau du lac Saintjean à 17,5 pieds (5,33 m) au-dessus du point d'étiage et par conséquent d'inonder les terres en bordure du lac. Dans un discours à Québec, le premier ministre Taschereau avait déjà annoncé, trois jours plus tôt, le projet de centrale hydro-électrique de l'Ile Maligne. Le premier ministre québécois se félicitait de ce que les ressources hydrauliques du Québec soient mises en valeur par des capitaux privés plutôt que par le gouvernement, allusion ouverte à la direction contraire prise par l'Ontario. Quelques jours plus tard, le Montréal Daily Star annonçait le début des travaux à l'île Maligne, par une entreprise capitalisée à 25 millions $ et propriété de James B. Duke et de Sir William Price.35 La collaboration de Price au projet de Duke n'était pas seulement politique. Price s'engageait à utiliser une partie de l'énergie produite à la centrale de l'île Maligne dans son usine de Riverbend, fournissant ainsi à Duke un premier client industriel. C'est sur la foi de ce contrat que la construction de la centrale de l'Ile Maligne fut entreprise; on projetait d'y produire jusqu'à 540 ooo chevaux-vapeur. Duke devait cependant trouver d'autres débouchés que l'usine de Price pour consommer toute l'énergie produite à l'île Maligne. Quant à la centrale de Chute-à-Caron, on estimait qu'elle pourrait produire 800 ooo chevaux-vapeur; la mise en valeur du site dépendrait des débouchés assurés. Les relations que Price entretenait dans le monde des affaires pourraient également s'avérer utiles à Duke. Le président de la Banque Royale, Sir Herbert Holt, sans doute le financier canadien le plus important de l'époque, siégeait au conseil d'administration de Price Brothers depuis plusieurs années. Holt faisait aussi partie du conseil d'administration de SWP et détenait le contrôle de la Montréal Light, Heat and Power Company, la plus grande entreprise privée d'électricité au pays. Holt avait également des relations d'affaires avec Alcoa, le monopole de l'aluminium aux États-Unis, car, depuis 1914, la centrale électrique des Cèdres de la Montréal Light vendait de l'énergie à l'aluminerie d'Alcoa, située à Massena (N.Y.), sur la rive sud du SaintLaurent.36 Ces liens d'affaires allaient bientôt être mis à contribution. 35 Montréal Daily Star, 11 décembre 1912, 4, 21. Il s'agit d'une nouvelle transmise par la Canadian Press, qui paraît aussi dans The Gazette, le même jour, i. 36 Ce paragraphe et ceux qui suivent résument les circonstances de la fusion des intérêts de Duke et d'Alcoa, décrites dans Igartua, «"Corporate" Strategy». Les informations additionnelles font l'objet de notes particulières.

28 Arvida au Saguenay

La centrale de l'île Maligne promettait d'être le plus grand ouvrage du genre au monde. Le barrage principal, qui abriterait la centrale, faisait 220 mètres de long; il reliait l'île Maligne à la rive nord de la Grande Décharge. Trois autres barrages de béton ainsi qu'une digue en terre contenaient les eaux de la Grande Décharge, alors que celles de la Petite Décharge étaient retenues par trois autres barrages en béton. Huit turbines devaient être en marche au milieu de 1925. De plus, une ligne de chemin de fer devait êtr construite entre la centrale de l'île Maligne et la voie du Canadien National.37 Un tel ouvrage exigeait des mises de fonds énormes pour l'époque. En octobre 1925, alors que la centrale n'était pas encore complétée les coûts de construction s'élevaient à 15 millions $, auxquels il fallait ajouter les 15 millions! qu'avaient coûté les terrains et les droits d'exploitation des chutes. Le total des dépenses engagées dépassait, comme le font remarquer Girard et Perron dans leur histoire du Saguenay, le total des revenus du gouvernement du Québec.38 Même les ressources considérables de Duke et de Priée ne suffisaient pas à rencontrer tous ces frais. À compter de l'été de 1924, la Québec Development Company avait une filiale à part entière, la Duke-Price Power Company, qui prit en charge le projet de l'île Maligne et qui émit pour 12 millions $ d'obligations pour financer la construction. Comme la Duke-Price n'avait pas d'autres biens que le site de l'île Maligne et les ouvrages qu'elle y construisait, les courtiers en obligations exigèrent des garanties personnelles de la part de Duke et de Price pour le versement des intérêts. Cette exigence témoigne abondamment du caractère risqué de l'entreprise. Duke et Price s'étaient donc commis à fond dans le développement hydro-électrique du Saguenay, sans s'être assurés de trouver preneur pour l'énergie qui y serait produite. Duke avait ainsi suscité des appréhensions chez ses amis et, au Saguenay, on se mit à parler des « folies de Duke». 39 Celui-ci poursuivit ses démarches, de 1923 à 1925, pou trouver une façon de disposer de l'énergie de la centrale de l'île Maligne et, éventuellement, de celle de Chute-à-Caron. Trois avenues s'offraient à eux. La première était de trouver un client industriel qui s'établirait sur place; la deuxième était de transporter l'électricité vers d'autres marchés, pour consommation domestique ou industrielle. La troisième avenue consistait à lancer lui-même une entreprise indus37 Clark, «Rivers», 159-160. Voir aussi Blanchard, L'Est, 100-102, qui présente un croquis des lieux. 38 Girard et Perron, Histoire, 317. 39 Clark, «Rivers», 160.

29 Le royaume du Saguenay

trielle qui tirerait parti de l'énergie produite au Saguenay. Duke allait explorer les trois possibilités simultanément. Peu d'industries étaient susceptibles de s'installer au Saguenay pour profiter de l'abondance de son énergie électrique. Priée occupait déjà le secteur des pâtes et papiers et contrôlait la plus grande partie des ressources forestières de la région. Duke ne pouvait espérer trouver d'autres clients dans ce secteur. Le domaine le plus prometteur serait sans doute celui de l'électro-chimie. Duke avait tenté, en 1914-1915, d'intéresser le groupe DuPont à l'énergie du Saguenay, mais le projet n'avait pas eu de suites. En 1923, Duke confia à l'American Cyanamid Company, une entreprise d'électro-chimie dont il avait le contrôle, le mandat de trouver des débouchés industriels pour l'énergie du Saguenay. 4° La vente d'électricité à des entreprises de distribution constituait une deuxième possibilité. De 1922 à 1924, Duke poursuivit des pourparlers avec la SWP, qui aurait voulu participer au développement des ressources hydro-électriques du Saguenay et écouler une partie de l'énergie saguenayenne dans son réseau de distribution du centre du Québec. Cependant, le président de SWP, J.E. Aldred, formula des exigences auxquelles Duke refusa de se soumettre ; même la médiation de Herbert Holt ne put résoudre l'impasse. En 1923, Duke se tourna vers des distributeurs d'électricité de la Nouvelle-Angleterre, auxquels il proposa d'acheminer l'électricité du Saguenay vers leurs marchés. Devant l'importance des coûts de construction des lignes de transmission, les banquiers des distributeurs hésitèrent à investir 100 millions $ dans un tel projet. La troisième possibilité qui s'offrait à Duke était d'appliquer la stratégie qu'il pratiquait depuis 1905 dans les Carolines et de créer ses propres industries pour écouler l'énergie du Saguenay. L'industrie la plus friande d'énergie électrique était sans aucun doute celle de l'aluminium. Duke y avait songé dès 1908 pour mettre à profit l'énergie produite par la Southern Power Company. En 1913, lorsqu'il avait fait l'acquisition de la chute à Caron, Duke s'était mis à la recherche de gisements de bauxite, le minerai dont est extrait l'aluminium.41 Cette recherche n'avait produit aucun résultat. Duke reprit l'idée en 1923. L'industrie automobile américaine, alors en pleine expansion, consommait la plus grande partie de l'aluminium produit aux ÉtatsUnis. Duke pensa pouvoir produire ce métal au Saguenay et l'écouler chez les fabricants d'automobiles. Ses représentants firent des ouver40 Voir Massell, « Ample Power». 41 Duke University, Mss. Department, W.R. Perkins Papers, boîte 3, correspondance de James B. Duke (1908-1925), dossier i.

go Arvida au Saguenay

turcs auprès de Ford, mais, encore une fois, le projet n'eut pas de suites: la concurrence de l'acier, produit à meilleur coût, mit un terme à la percée de l'aluminium dans le secteur automobile. Un autre débouché pour l'aluminium apparut alors. La légèreté de l'aluminium lui confère des qualités qui sont essentielles à l'industrie aéronautique. Les alliages développés au cours de la Première Guerre mondiale avaient un brillant avenir dans ce domaine. Un entrepreneur du Massachusetts, George D. Haskell, avait acquis des brevets allemands pour la fabrication de duralumin, un alliage d'aluminium, de cuivre, de magnésium et de manganèse, et voulait produire cet alliage aux ÉtatsUnis. Malheureusement, Alcoa, le seul fabricant d'aluminium aux États-Unis, désirait produire un alliage semblable et fixa le prix de l'aluminium à un niveau tel que Haskell ne pouvait lui faire concurrence. Haskell voulut se lancer lui-même dans l'électrolyse de l'aluminium et, à la recherche d'énergie électrique, se tourna vers le Québec. Il prit connaissance des projets de Duke au Saguenay et se mit en relation avec celui-ci en mars 1924. Haskell voulait une option pour 50 ooo à 100 ooo chevaux-vapeur. Duke lui accorda l'option pour quatre mois. Après s'être assuré une source d'énergie, Haskell devait, pour mener à bien son projet, trouver des approvisionnements en bauxite. Duke entreprit lui aussi des démarches pour obtenir de la bauxite, mais ni Haskell ni Duke ne purent y parvenir; la plupart des gisements étaient déjà contrôlés par des producteurs d'aluminium. Duke laissa Haskell poursuivre ses démarches, mais vit bientôt une autre possibilité s'offrir à lui. À l'automne 1924, W.S. Lee, qui dirigeait la construction de la centrale de l'Ile Maligne pour la Duke-Price Power Company, rendit visite à Arthur Vining Davis, le président d'Alcoa. Il offrit de vendre 50 ooo chevaux-vapeur à Alcoa. Alcoa devait répondre à une demande croissante pour son métal et ne disposait pas des ressources hydrauliques nécessaires pour en augmenter la production; Davis se montra intéressé par l'offre de Lee, mais préférait participer à la mise en valeur des ressources hydro-électriques du Saguenay à titre de partenaire plutôt que de client. Duke et Davis se rencontrèrent en novembre 1924 pour discuter de l'affaire. Les deux avaient tout intérêt à s'entendre, car Davis avait besoin d'énergie électrique et Duke, d'un client industriel. Davis savait que Duke avait les ressources financières pour se lancer dans la production d'aluminium, à condition de mettre la main sur des gisements de bauxite. De son côté, Duke savait qu'il lui serait très difficile de trouver de tels gisements et commençait probablement à douter des capacités de Haskell. Un des avocats de Duke suggéra que les groupes Duke et Davis se fusionnent; cette suggestion donna lieu à de nombreuses rencontres où différents scénarios furent étudiés.

31 Le royaume du Saguenay

Les enjeux étaient énormes pour les deux hommes d'affaires. Duke disposerait d'un million de chevaux-vapeur d'énergie électrique au Saguenay, suffisamment pour produire 275 ooo tonnes d'aluminium par année, soit 90 ooo tonnes de plus que l'ensemble de la production mondiale de 1924. Évaluée à 72 millions $, cette quantité d'énergie correspondait à la moitié de la valeur des actifs d'Alcoa et donnerait à Duke un poids considérable dans toute entreprise conjointe. Davis ne voulait pas accorder autant de place à Duke dans ses affaires. Pour réduire la contribution de Duke, les deux hommes se mirent d'accord pour n'inclure dans les actifs de la nouvelle entreprise que le site de la chute à Caron, sur lequel il n'y avait pas encore de centrale hydro-électrique. Le site fut évalué, pour les besoins de l'accord, à 1/9 des actifs de la nouvelle société qui naîtrait de la fusion d'Alcoa et des titres de Duke sur le site de la chute à Caron. Cette nouvelle société, qui garderait le nom d'Alcoa, s'engageait à acheter 100 ooo chevaux-vapeur par année de la Duke-Price Power Company et à ne pas lui faire concurrence dans la vente d'électricité. Duke-Price devait de son côté assurer un débit d'eau régulier à l'éventuelle centrale de Chute-à-Caron. Une lettre d'entente fut signée le 15 avril 1925. L'hydraulicien en chef chez Alcoa, James W. Rickey, se rendit au Saguenay dès février 1925, pour y recueillir des données topographiques. Ces travaux continuèrent au printemps. Le i er juin 1925, un fondé de pouvoir d'Alcoa prenait une option sur les premiers terrains de ce qui s'appellerait Arvida. Au début de juillet 1925, Duke, dont la santé était chancelante, fit un dernier voyage au Saguenay. L'entente formelle entre Duke et Davis fut signée dans le wagon privé de Duke, le 9 juillet, quelque part entre Montréal et Chicoutimi. Les partenaires et banquiers de Davis, Andrew B. et Richard B. Mellon, étaient du voyage. Ils visitèrent le port de La Baie, de même que le site de la future ville d'Arvida et la nouvelle centrale de l'île Maligne, où Duke, Davis, les frères Mellon et leur entourage posèrent pour le photographe. Déjà les ingénieurs s'affairaient à tracer les plans des usines d'aluminium. Duke décéda en octobre 1925 et, l'année suivante, Alcoa acquit la majorité des actions de la Duke-Price Power Company. Duke était mort avant de voir son rêve saguenayen prendre vie, mais le potentiel énergétique du Saguenay serait désormais harnaché à des fins industrielles.

CHAPITRE DEUX

La construction de la ville « First survey of tentative layout for town. Construction of Jail started. » '

La construction d'Arvida fut à la fois une entreprise matérielle et une création sociale. L'emplacement retenu par Alcoa pour l'implantation de ses usines, une plaine située à 12 km de Chicoutimi, 8 km de Jonquière et 5 km de Kénogami, commandait la construction d'une «ville de compagnie», pour loger les travailleurs des usines, comme Alcoa en avait construites à Alcoa, au Tennessee, et à Bauxite, en Arkansas.2 Alcoa bâtit la ville en même temps que les usines. Elle s'en réserva l'administration, en choisit les résidants et joua, par l'intermédiaire de ses cadres, un rôle central dans la mise en place des institutions communautaires. Même s'il n'apparaît pas aussi planifié que l'espace physique, l'espace social prend rapidement, lui aussi, un aspect très structuré, reflet de la volonté institutionnelle de l'entreprise et de l'énergie individuelle déployée par ses dirigeants. Les Églises, le personnel de direction et les travailleurs contribuent, à des degrés divers et selon leurs façons propres, à mettre en place un nombre impressionnant d'institutions communautaires. Ce tissu social ne réserve cependant pas à tout le monde une place d'égale importance et la population de la ville connaît un fort roulement, comme c'est le cas de la plupart des villes mono-industrielles à leurs débuts.3 Graduellement, ceux qui choisissent de rester feront d'Arvida, entre 1925 et 1940, une

d Société historique du Saguenay, fonds Alcan, Documents externes, History of thé Aluminum Company of Canada, Limited and Subsidiaries also thé City of Arvida, Province of Québec, Canada, 10 octobre 1925, p. 14. Rédigé par F.E. Grill, ce document est une chronique des événements survenus aux établissements d'Alcan au Saguenay et dans la ville d'Arvida [ci-après Chronique]. d d Smith, Monopoly to Compétition, 118-119. d Himmelfarb, «Social Characteristics», 21.

33 La construction de la ville

communauté assez semblable à celles des autres petites villes industrielles du Québec.4 Le site d'Arvida fut choisi pour deux raisons principales. Tout d'abord, le président d'Alcoa, Arthur Vining Davis, voulait un emplacement relativement plat, de dimensions suffisantes pour y bâtir une grande usine et une ville de taille moyenne, à portée des moyens de transport. La proximité des sources d'énergie qui alimenteraient les usines constituait le second critère essentiel. Alcoa devait, selon l'accord intervenu entre Duke et Davis, construire un barrage à la chute à Caron pour produire l'énergie hydro-électrique consommée par l'aluminerie; mais comme la centrale de l'Ile Maligne disposait d'énergie non vendue, l'accord prévoyait qu'Alcoa fasse d'abord appel à cette source d'énergie, ce qui lui permettait de se consacrer immédiatement à la construction de l'aluminerie sans attendre que les travaux d'aménagement du barrage de Chute-à-Caron soient terminés. Alcoa devait donc établir ses usines près des sources d'énergie du Saguenay. Davis porta son choix sur un site près de la chute à Caron, sur la rive sud du Saguenay. Au contraire de la rive nord, le terrain y est plat; il se trouve en outre à une courte distance de la voie ferrée qui relie Chicoutimi à Montréal et donne accès au port de mer situé à la baie des Ha! Ha!. Voulant donner à Arvida le statut de ville modèle, Alcoa en fait planifier méticuleusement le développement physique. La firme Skouger et Rogers, de New York, est chargée de dresser les plans de la ville dont la conception, par l'architecte Harry Beardslee Brainerd, qui se définit comme « architect and city planner», s'inspire à la fois du mouvement City Beautifulet du pragmatisme des adeptes du town planning. Le concepteur prévoit une ville de 30 ooo à 40 ooo habitants, répartis en plusieurs quartiers résidentiels entourant les espaces commerciaux et laissant aux usines la partie est du site retenu; cette conception incorpore les accidents de terrain dans un réseau de parcs et dispose les rues selon une «thématique monumentale». 5 L'aspect fonctionnel domine néanmoins la répartition des espaces industriels et résidentiels, comme d'ailleurs à Alcoa (Tennessee), autre ville bâtie par le monopole américain de l'aluminium. «Dans l'histoire de l'Aluminum Company of America, constatent Noppen et Morisset, Arvida arrive au terme d'une pré-histoire expérimentale de la planification urbanistique, qui s'y cristalliserait en une synthèse originale de l'urbanisme

4 Voir par exemple Hughes, Rencontre des deux mondes, sur Drummondville. 5 Noppen et Morisset, La ville de l'aluminium, 14-19.

34 Arvida au Saguenay

industriel et du town planning des années 1920, investie de l'esprit monumental d'une métropole moderne. » 6 Une seule partie du plan d'ensemble est mise à exécution immédiatement. De 1925 à 1928, Alcoa se contente d'un développemen modeste, comprenant le quartier des affaires et deux quartiers résidentiels. L'ingénieur en chef H.R. Wake réduit le projet de Brainerd et adopte d'autres plans pour les maisons qu'Alcoa construit à l'intention de ses ouvriers.7 La constitution d'Alcan en société distincte, en 1928, et, plus tard, le ralentissement des affaires provoqué par la Crise mettent un frein à l'expansion des usines et de la ville. UN CHANTIER DE CONSTRUCTION FÉBRILE,

1925—1928

L'emplacement choisi, Alcoa procède rapidement: elle convoque les propriétaires des terres, leur explique son projet et leur propose de généreuses offres d'achat.8 Les travaux d'arpentage débutent à la fin de juillet 1925, avant même que toutes les transactions immobilière ne soient complétées. On commence par construire un embranchement ferroviaire pour relier le chantier à la voie du Canadien National. Les ingénieurs sondent le terrain pour s'assurer qu'il supportera les usines; ils tracent les plans et font ériger des camps, des bureaux temporaires, des ateliers et des entrepôts près de la voie ferrée. Alcoa est son propre maître d'œuvre. Ses services d'ingénierie tracent les plans des bâtiments et organisent le chantier. Le personnel de direction et les ingénieurs proviennent d'établissements américains d'Alcoa, tels que ceux de Niagara Falls ou de Massena, ou de l'aluminerie d'Alcoa à Shawinigan, dans la Mauricie. On ne confie de soustraitance qu'à quelques entreprises spécialisées dans le coulage du béton ou dans la mise en place de structures métalliques. La construction des quatre salles de cuves de l'aluminerie commence en septembre 1925. Des dizaines de travailleurs, en provenance du chantier de l'île Maligne, des campagnes environnantes ou du reste de la province, affluent à Arvida. Des wagons de chemin de fer arrivent chaque jour à la douzaine pour apporter les matériaux de construction. Les conduites d'aqueduc sont installées et le chantier est raccordé aux lignes de transmission électrique de la Price Brothers. Des voies ferrées temporaires, disposées dans les rues de la ville, apportent les matériaux et la machinerie à pied d'œuvre. Au cours de l'automne, 6 Ibid., 18. 7 Ibid., 22, 27. 8 Ce qui suit est tiré de Chronique, à moins d'indication contraire.

35 La construction de la ville

on travaille à la construction des salles de cuves, de l'usine d'anodes de carbone ainsi que de nombreuses autres structures de bâtiments auxiliaires. On ouvre un bureau de poste, une succursale de la Banque Canadienne Nationale, on érige une plate-forme temporaire en guise de gare et on construit une prison.9 L'hiver n'interrompt pas les travaux. En dépit de températures qui descendent jusqu'à -42° Celsius, on continue, en dynamitant au besoin le sol gelé pour faire les excavations et y couler le béton. Les travaux ralentissent durant la semaine de Noël, lorsque les travailleurs qualifiés prennent congé pour rejoindre leurs familles, ou quand la grippe frappe, en mars 1926. Entre septembre 1925 et la fin d'avril 1926, on met en chantier 17 bâtiments d'usine, sept autres au cours de la deuxième moitié de 1926 et encore dix en 1927. Ces 34 bâtiments témoignent de l'ampleur des installations : outre les quatre salles de cuves, le complexe d'Arvida comprend une usine d'anodes de carbone de plusieurs bâtiments, une usine de production d'alumine par procédé à sec, de même que des ateliers, des entrepôts et des bureaux. La construction progresse très rapidement, à un rythme qui a dû ébahir les habitants de la région. Les deux premières salles de cuves, les salles 21 et 22, commencent à produire un an et une semaine après le début de leur mise en chantier. On mettra plus de temps à achever les deux autres: la salle 23 entre en activité en janvier 1927 et la salle 20, en juin. L'usine d'anodes est terminée en février 1927. L'usine d'alumine, dont les différentes parties sont mises en chantier au cours de l'été de 1927, commence à produire en mars 1928. C'est à cette date que s'arrête le chantier. En septembre 1928, Alcoa décide de constituer sa filiale canadienne en entité autonome, Aluminium Limited, connue sous le nom d'Alcan. Cette nouvelle société, dont la capitalisation est limitée, décide de mettre un terme à son programme de construction d'installations industrielles, parce qu'elle est à court de capital et que la demande d'aluminium connaît une baisse.10 Le programme de construction des usines ne reprendra qu'en 1937. La construction de la ville, quant à elle, débute en juin 1926. lï Alcoa avait acquis près de 6 ooo acres (2 428 ha) de terrain pour l'érection des usines et la construction de la ville et en prévision des besoins futurs. Elle dispose donc de beaucoup d'espace. Les premières rues sont tracées juste à l'ouest des usines; les vents dominants éloigneront les 9 Cette structure est sans doute temporaire, car les règlements municipaux font allusion en 1932 à l'absence de prison; Ville de Jonquière, Arvida, règlements municipaux, no 29, 11 mai 1932, article 29. 10 Whitaker, Aluminum Trail, 120. 11 Campbell, Mission mondiale, 126.

36 Arvida au Saguenay émanations des salles de cuves du quartier résidentiel (figure 2, p. 115). L'artère principale reçoit le nom de boulevard Mellon, en l'honneur du Secrétaire d'État américain, banquier et partenaire d'Arthur Vining Davis. Cette artère relie la voie ferrée, au sud, à l'entrée des usines et se prolonge au nord jusqu'au boulevard Taschereau, qui mène à Chicoutimi en suivant la rive du Saguenay. À l'est du boulevard Mellon, les rues Deville, Rare, Davy et Moritz sont tracées en parallèle entre le boulevard Taschereau et l'entrée des usines. Elles rencontrent trois rues transversales, les rues Volta, Oerstedt et Wohler. Ce seront les rues les plus peuplées d'Arvida. À l'ouest du boulevard Mellon s'étend la place commerciale, le « carré » Davis, du nom du président d'Alcoa. Au nord du boulevard Taschereau, les rues Berthier, Castel, Coulomb, Moissan et Radin formeront le quartier des cadres. D'autres rues sont tracées mais demeurent inhabitées. Pour la construction du parc de logements, les ingénieurs d'Alcoa procèdent avec le même esprit de système qui a animé la construction des usines. L'ingénieur Wake a publié une description détaillée du déroulement des travaux. Les maisons sont bâties selon des planstypes, d'après lesquels un atelier central taille le bois de charpente pour chaque maison. Des wagons circulant sur les voies ferrées temporaires acheminent ensuite les pièces de charpente et les autres matériaux de construction aux terrains.12 À la mi-septembre 1926, vingt maisons sont terminées et cinq sont déjà habitées. On entreprend à ce moment la construction de l'hôpital, de la gare et des bâtiments commerciaux. Le travail se poursuit en dépit des froids intenses de janvier 1927. Le i er février 1927, les 271 maisons mises en chantier sont terminées. Du nombre, 200 sont destinées aux travailleurs, une cinquantaine aux contremaîtres et au personnel de bureau et le reste aux cadres. Une douzaine d'autres sont construites à l'été de 1928, de sorte qu'à la fin de 1928, Arvida compte 282 maisons.13 L'habitat urbain est spacieux. La plupart des maisons construites par Alcan sont des résidences unifamiliales de six pièces, bâties sur un rectangle de 20 pieds sur 26 (env. 6 m sur 8 m) ; les terrains font en moyenne 50 pieds sur 100 (15,25 m sur 30,5 m). Environ la moitié des maisons, de style québécois, ont un étage et demi ou deux, avec une grande pièce au rez-de-chaussée qui sert de cuisine, de salle de séjour et de salle à manger. D'autres sont des duplex de plus petites dimensions. Conçues par des gens « experienced in industrial housing», les maisons 12 Wake, « Building thé City ». 13 Chronique, 30, 35, 62, 74. Selon cette source, 104 maisons auraient été vendues et 62 louées; les autres seraient vides. Cependant, le rôle d'évaluation de 1928 ne signale qu'un tout petit nombre de propriétaires autres qu'Alcan, ce que confirment les archives du service de l'immobilier d'Alcan, àjonquière.

37 La construction de la ville

sont dotées d'installations sanitaires modernes; elles sont chauffées par des poêles, mais leurs cheminées peuvent convenir à des chaudières. Les concepteurs n'ont toutefois pas prévu la rigueur de l'hiver saguenayen : la couche de papier ciré qui sert de matériau isolant, selon les normes de l'époque, s'avérera insuffisante. Les premiers résidants ont de la difficulté à se chauffer et voient la tuyauterie geler en hiver.14 L'isolation sera améliorée en 1934 et en 1937.15 Le printemps et l'été de 1927 sont consacrés aux équipements collectifs. L'éclairage des rues est complété en février; on plante plus de 700 arbres en mai et juin. Juin voit aussi le début du chantier de l'église paroissiale catholique, dont le contrat est accordé à un entrepreneur de Chicoutimi, et le début des opérations du réseau téléphonique. Puis, en juillet, l'école catholique, la résidence des religieuses et l'école protestante sont mises en chantier. A la mi-novembre, tous ces bâtiments sont terminés et les cours peuvent commencer dans les deux écoles. La construction du temple de l'Église Unie, commencée en octobre 1927, est achevée en avril 1928. Au cours de l'année 1927, les édifices commerciaux se meublent et d'autres services s'installent dans leurs bâtiments respectifs. Entre août 1927 et avril 1928, les succursales de la Banque Canadienne Nationale, de la Banque de Montréal et de la Banque Royale aménagent dans des locaux permanents. L'hôpital ouvre ses portes en août. Le cordonnier F.-I. Allard s'installe à Arvida le même mois. Suivent, en octobre, un salon de barbier et une quincaillerie, puis, en décembre, une boulangerie et une pharmacie. L'année suivante, J.-A. Tremblay met en chantier une salle de cinéma, qui sera inaugurée en mars 1929;l6 quant aux services professionnels, le dentiste Massicotte, de Chicoutimi, et le notaire Pouliot ouvrent des bureaux à Arvida. UNE NOUVELLE MUNICIPALITÉ

Arvida devient une municipalité dès le mois de mars 1926. La loi d'incorporation donne suite à une pétition de la Chute-à-Caron Power Company, filiale d'Alcoa, et contient essentiellement des modifications à la Loi des cités et villes, qui ont pour but de confier l'administration de la ville aux représentants d'Alcoa.1 8 7: !938: 39Ibid., Prônes et divers, 1926: 106. Ibid., Prônes et divers, 1929: 78; 1936: 217; 1937: 177; 1938: 119; La Sentinelle, 2ojanvier 1939, 3. Jonquière, St. John of thé Saguenay United Church, Annual Report, 1934, 47, 4; Annual Report, 1935, 58, 6; Session Minutes, 2 mai 1938. STEJA, Prônes et divers, 1937: 50; 1939: 70; La Sentinelle, 31 mars 1939, i.

49 La construction de la ville

bre la fête de Notre-Dame-de-Pompéi pour les Italiens catholiques de la région.64 Les Acadiens, quant à eux, fêtent l'Assomption, le 15 août, à partir de 1933; en 1935, ils mettent sur pied la Société de l'Assomption, une mutuelle d'assurance qui compte en 1939 une centaine de membres résidant à Arvida.65 Le curé tente donc d'exercer, avec plus ou moins de succès, un contrôle sur les comportements de ses ouailles et suscite, au sein de la paroisse, toutes sortes d'activités religieuses ou récréatives. Durant les premières années, il fait peu de place aux catholiques non francophones, stratégie qu'il modifie quelque peu par la suite, quand il devient évident que ceux-ci sont établis à Arvida pour de bon. Les travailleurs non francophones ne sont pas mieux accueillis du côté protestant. La petite congrégation de l'Église Unie est surtout composée de cadres d'Alcan, du moins dans les premières années. Ceux-ci organisent, sous les auspices de leur congrégation, des activités qui font appel à des valeurs bourgeoises: sociétés littéraires, débats oratoires, bibliothèque, concerts d'orgue, parties de bridge. La congrégation passe tout de même de 335 membres, en 1935, à 402 l'année suivante et à 463 en ig38.66 Les sports

À la vie communautaire gravitant autour de l'église s'ajoutent des activités sportives, souvent organisées par les cadres d'Alcan. L'intérêt manifesté par les cadres d'Alcan pour les sports reflète les valeurs culturelles américaines qu'ils amènent avec eux au Saguenay.67 Dès 1926, les dirigeants d'Alcan organisent une journée sportive où l'on se dispute la victoire dans des compétitions de saut en hauteur, de saut en longueur, de lancer du poids, de course et de ballon : c'est le «field day».&8 En mars 1927, le Progrès du Saguenay, de Chicoutimi, donne le compte rendu d'une partie de hockey disputée entre une équipe d'Arvida et une équipe de Chicoutimi et rapporte que le maire d'Arvida, J.P. Walsh, est impliqué dans une bagarre!69 Arvida compte

64 La Sentinelle, 29 avril 1938, 4. 65 STEJA, Prônes et divers, 1933 : n i ; Le Progrès du Saguenay, 1 1 avril 1935, 22 juin

1939

66 Jonquière, St. John of thé Saguenay United Church, Annual Report, 1939, 86, i ; Session Minutes, 2 mai 1938; Minutes of thé Committee of Stewards, 29 janvier 1935, 30 janvier 1936, aojanvier 1938. 67 Whitaker, Aluminum Trail, 82-104. 68 Le Progrès du Saguenay, 14 septembre 1926, 3. 6g Le Progrès du Saguenay, i er mars 1927, i.

50 Arvida au Saguenay

aussi une équipe de balle molle et une équipe de football, formée en 1928. Ces équipes disputent des matches contre celles des villes industrielles de la région.70 Ainsi s'instaurent au Saguenay des pratiques culturelles qui sont déjà en vigueur dans d'autres régions industrielles du Québec, comme dans la Mauricie.71 Les sports se pratiquent aussi intra muros, c'est-à-dire entre les différents secteurs des usines. Des ligues internes sont constituées qui reçoivent l'appui de l'entreprise.72 Ces rencontres sportives suscitent à la fois un esprit de corps dans chaque département et une rivalité entre les départements, ce qui a peut-être pour effet de freiner la croissance de solidarités plus générales. Le journal régional rapporte les activités de ces ligues internes de hockey, de quilles et de balle molle ; La Sentinelle, l'organe de la compagnie, fera de même à la fin des années iQ3o. 73 Outre les sports d'équipe, les cadres d'Alcan organisent des activités sportives davantage reliées à leur propre vie sociale; ces activités leur semblent réservées, comme c'est le cas dans d'autres villes industrielles québécoises dirigées par des cadres anglophones.74 Constitué en mars 1927, le Saguenay Country Club aménage un terrain de golf ; le club est placé sous la présidence de A.W. Whitaker, directeur de l'usine d'électrodes. Parmi les autres dirigeants, on retrouve R.E. Parks, directeur général d'Alcan, H.R. Wake, directeur de l'immobilier, et le Dr A.E. Riddell, médecin de la compagnie et directeur de l'hôpital.75 Les membres du club de golf font aussi partie de l'équipe de tennis. L'année suivante, l'Arvida Fish and Game Club voit le jour, sous la présidence de R.E. Parks. Le club loue pour son usage une partie des terres de la Couronne du canton Hébert.76 À ces activités s'ajoutent les nombreuses rencontres amicales, soupers, parties de cartes, soirées de musique, qui permettent aux cadres et à leurs familles de se fréquenter et leur rendent sans doute la vie plus supportable dans une ville toute neuve, bâtie dans une région où la langue et la culture leur sont étrangères.

70 Le Progrès du Saguenay, 29 août 1927, 7; 4 et 7 mai 1928,7; 23 juin 1928, 15. 71 Voir Gamelin et al., Trois-Rivières, 208. Sur les origines des activités sportives à TroisRivières, voir Pronovost et Girard, « Temps industriel ». 72 Whitaker, Aluminum Trail, 91. 73 Le Progrès du Saguenay, igdécembre 1929,4, 11 mars 1931,4, 25Juillet i93i,4;Z,a Sentinelle, 12 mai 1939, 8, 12 décembre 1939, 8. 74 Voir par exemple Hughes, Rencontre des deux mondes. 75 Le Progrès du Saguenay, \ i avril 1927, 4; 7 mai 1927, 4; Whitaker, Aluminum Trail, 99-102. 76 Whitaker, Aluminum Trail, 91.

5l

La construction de la ville

Les loisirs

D'autres activités sociales reçoivent, directement ou indirectement, l'appui de la compagnie. Ainsi, le sous-sol du bâtiment abritant les bureaux sert de salle de danse. Le 4 juillet 1927, on y organise une danse pour célébrer le parachèvement de la première salle de cuves.77 En décembre 1927 est inauguré le cinéma, construit dans le centre des affaires d'Arvida.?8 La salle de quilles, au sous-sol du cinéma, attire les travailleurs autant que les cadres.79 Les journaux arvidiens font aussi mention d'autres groupements, comme la fanfare et les Moose, une association volontaire d'entraide et de bienfaisance d'origine américaine.80 Dans cette ville-champignon, la vie communautaire s'organise donc rapidement. Elle tourne autour des deux pôles majeurs que sont l'Église catholique et l'entreprise. La première rassemble les travailleurs francophones catholiques, la deuxième organise des activités sportives destinées soit aux cadres, soit aux travailleurs. Hormis peutêtre les Moose, et plus tard le syndicat, on ne trouve pas trace d'activités organisées de façon indépendante par les travailleurs. Le syndicat, qui voit le jour en 1937, s'inspire du mouvement des syndicats catholiques, qui s'est développé dans la région du Saguenay depuis le début du siècle et se trouve bien implanté dans les deux grandes villes industrielles, Chicoutimi et Jonquière. Ces syndicats, fortement encadrés par le clergé, ne semblent pas fournir aux travailleurs des occasions de sociabilité qui leur soient propres.81 Érigé en vitesse pour répondre aux besoins des groupes les plus importants sur le plan numérique ou professionnel, c'est-à-dire les travailleurs catholiques et les dirigeants de l'entreprise, ce cadre communautaire fait peu de place aux « étrangers », les travailleurs originaires de l'extérieur de la région et dont bon nombre sont des immigrants. Ces étrangers ont peu d'affinités communes : souvent de langues et de religions différentes, célibataires pour la plupart, ils sont peu enclins à participer à la vie communautaire d'une ville où ils n'ont peut-être pas l'intention de s'installer. D'autres n'habitent même pas Arvida, parce que les loyers sont moins élevés dans les villes avoisinantes. Comme on le verra au chapitre suivant, la part des étrangers dans la main-d'œuvre d'Alcan demeure importante tout au long des années 1930, mais, col77 78 79 80 81

Ibid.,8i. Chronique, 50. Whitaker, Aluminum Trail, 90. TheAruidian, 18 août 1927, i ; La Sentinelle, 31 mars, 12 mai, 27 octobre 1939. Le chapitre 7 décrit les circonstances entourant la création du syndicat.

52 Arvida au Saguenay

lectivement, ils laissent peu de traces dans le paysage culturel d'Arvida, même si plusieurs d'entre eux s'illustrent, à titre individuel, dans leur milieu de travail.82 Alcan a voulu construire à Arvida un cadre physique agréable et un climat social policé. Les institutions qui voient le jour au cours des premières années émanent de cette volonté. Cependant, ce cadre ne suffira pas à assurer la stabilité de la population. Les pratiques de recrutement de main-d'œuvre de la compagnie, les fluctuations de la conjoncture économique et les circonstances de la vie personnelle des travailleurs affectent le roulement de la population de la ville. La nature des emplois offerts dans les usines, les niveaux de rémunération et l'offre de logements créent d'autres circonstances qui déterminent la stabilité de la population. C'est ce que nous verrons dans les chapitres qui suivent.

82 Pierre Carnevale, Stif Vasil, Harvey Brindle, Donald Boddy, Frank Vasur, Frank Zbihly, John Sekelyz, W. Oleyarchuk et Vatroslav Smerg, qui ont 25 ans de service, de 1929 à 1954. Société historique du Saguenay, Fonds Alcan, documents internes, 23.13,6.

CHAPITRE 3

La constitution de la main-d'œuvre, 1025-1040 « I believe that plant labor on an operating basis would be plentiful and cheap » James W. Rickey '

Dans le rapport qu'il prépare en 1925 sur la possibilité d'établir une aluminerie au Saguenay, l'ingénieur d'Alcoa, James W. Rickey, ne se préoccupe pas de la question de la main-d'œuvre. Le sujet ne mérite dans son rapport que la phrase citée en exergue; l'ingénieur se penche plutôt sur les problèmes techniques de la construction des usines et des moyens de transport. Mais la question de la main-d'œuvre va s'imposer d'elle-même. Les usines d'Arvida doivent recruter plus de 6 ooo personnes entre 1925 et 1939, pour maintenir des effectifs de l'ordre de i ooo travailleurs, rarement davantage. Moins de la moitié de tous les travailleurs recrutés auront plus d'un an de service au moment de leur départ. Le roulement est donc considérable. Comment une force de travail stable s'est-elle décantée à travers ces mouvements de maind'œuvre? Pour comprendre comment Arvida développe ses caractéristiques particulières, pour saisir le type de communauté qui s'y forme, il faut mettre à jour les mécanismes par lesquels s'opère la sélection de la main-d'œuvre à l'usine. La constitution de la main-d'œuvre dépend de deux ensembles de facteurs: les pratiques d'embauché et les facteurs déterminant les cessations d'emploi. Ce chapitre présente d'abord, de façon sommaire, ces deux ensembles de facteurs, de même que les sources qui permettent de les étudier. Nous esquissons ensuite l'évolution des besoins d'Alcan en main-d'œuvre, de 1925 à 1939. Le complexe d'Alcan à Arvida a connu deux périodes de forte embauche, séparées par une période de ralentissement majeur de l'activité, en raison de i L'ingénieur James L. Rickey fut dépêché au Saguenay par Alcoa en 1925 pour prendre connaissance des sites potentiels où établir l'aluminerie. Son rapport sera déposé lors du procès anti-trust mené en 1937 par le gouvernement américain contre Alcoa. United States District Court, Southern District of New York, Equity n° 8573, United States vs. Aluminum Company of America et al., Exhibit 258, p. 1830.

54

Arvida au Saguenay

Tableau 5 Embauches et départs, usines Alcan, Arvida, 1925-1939 Année 1925

Embauches

238a

Solde

Disponibles enfin d'année

4

234

234

Départs

1926

2869

1443

1426

1660

1927

1 123

1374

-251

1409

1928

396

869

-473

936

1929

165

240

-75

861

1930

133

179

-46

815

1931

41

103

-62

753

1932

56

88

-32

721

1933

20

21

-1

720

1934

65

20

45

765

1935

297

102

195

960

1936

181

108

73

1033

1937

520

157

363

1396

1938

146

161

-15

1 381

1939

197

85

112

1 493

6447

4954

TOTAL a

Y compris trois travailleurs mutés de Shawinigan et dont l'embauche est inscrite comme étant antérieure à 1925.

Source: Base de données ALCFICH.

la Crise (tableau 5). Au cours des deux périodes de forte embauche, 1925-1927 et 1935-1939, se constituent des cohortes de travailleurs assez différentes l'une de l'autre. Nous allons d'abord examiner comment les pratiques d'embauché sont façonnées par la disponibilité de la main-d'œuvre et par les pratiques de sélection et nous aborderons ensuite les cessations d'emploi, particulièrement sous l'angle des caractéristiques qui, chez les travailleurs, sont le plus susceptibles de les entraîner. Nous allons voir comment se dégage, de la cohorte constituée lors de la première vague d'embauché, un groupe de travailleurs stables, qui forment ce que nous appelons le noyau fondateur, c'est-à-dire les travailleurs qui demeurent au service d'Alcan

55 La constitution de la main-d'œuvre

depuis les premières années jusqu'à la fin des années 1930 et même au-delà. Nous nous pencherons sur la deuxième cohorte pour faire ressortir l'effet des nouvelles politiques d'embauché instituées au milieu de cette décennie. Le chapitre se termine sur un portrait de la main-d'œuvre d'Arvida au début de la Deuxième Guerre mondiale, alors que s'ouvre une nouvelle phase de l'histoire d'Arvida. FACTEURS AFFECTANT LA C O N S T I T U T I O N DE LA MAIN-D'ŒUVRE Les pratiques d'embauché forment le premier ensemble de facteurs qui façonnent la main-d'œuvre d'Alcan. Les pratiques d'embauché dépendent à leur tour de la fluctuation des besoins en main-d'œuvre de l'entreprise, de la disponibilité de la main-d'œuvre, dans la région ou ailleurs, et enfin de la sélection que l'entreprise peut effectuer parmi les candidats qui se présentent chez elle. Les pratiques d'embauché déterminent qui fera partie de la main-d'œuvre et qui en sera exclu. Les cessations d'emploi constituent le deuxième ensemble de facteurs affectant la constitution de la main-d'œuvre. Les cessations d'emploi entraînent une sorte de décantation de la main-d'œuvre embauchée et déterminent ainsi les caractéristiques des travailleurs qui continueront à faire partie de l'entreprise. Les cessations d'emploi découlent de décisions prises soit par l'employeur, soit par le travailleur. Les renvois, c'est-à-dire les cessations d'emploi provoquées par l'employeur, peuvent avoir plusieurs motifs, allant des causes techniques (manque de travail, incapacité du travailleur à accomplir les tâches qui lui sont assignées) au manquement à la discipline imposée par l'entreprise. Quant aux départs, c'est-à-dire les cessations d'emploi plus ou moins volontaires qui résultent de décisions des travailleurs, ils sont liés à un éventail de raisons, qui se répartissent en trois catégories : les raisons d'ordre économique, les raisons d'ordre familial et les raisons d'ordre culturel. Parmi les raisons d'ordre économique, certaines relèvent de la nature du travail : le travail est trop difficile au goût du travailleur ou le travailleur se dirige vers un emploi plus intéressant. Nous considérons que ces motifs sont de nature économique, parce que l'évaluation que le travailleur fait de son travail dépend de la rémunération qu'il en retire. D'autres raisons économiques sont reliées au niveau de vie du travailleur. Celui-ci peut considérer qu'il peut obtenir un meilleur salaire ailleurs pour un emploi de même nature, ou bien que le coût de la vie lui sera plus favorable dans une autre localité. Les raisons d'ordre familial découlent des stratégies

56 Arvida au Saguenay adoptées par la famille ou par son chef: on peut par exemple chercher à procurer des revenus à d'autres membres de la famille, dans l'immédiat ou dans l'avenir, ou vouloir s'établir dans des localités qui fourniront les services désirés, en matière d'éducation, de santé, ou autre. Enfin, les raisons d'ordre culturel tiennent à la capacité plus ou moins grande d'intégration à la communauté, en raison de la langue, de la religion, de la culture ou des mentalités. LES SOURCES

Les facteurs qui affectent la mobilité des travailleurs sont donc extrêmement complexes. Les documents dont nous disposons ne nous permettent pas de connaître de façon systématique l'ensemble des pratiques d'embauché ou l'ensemble des circonstances entourant les cessations d'emploi. Cependant, on peut tirer des sources qualitatives et des sources quantitatives suffisamment d'indications pour établir que la constitution de la main-d'œuvre a surtout été le résultat d'une foule de décisions prises par les travailleurs et, de manière secondaire, des orientations adoptées par Alcan pour la sélection de son personnel, à partir du milieu des années 1930. Les sources qualitatives sont malheureusement très rares. Nous ne disposons pas de séries de documents administratifs concernant les pratiques d'embauché. Quelques mémoires de dirigeants, une chronique, tenue par un cadre, d'événements survenus aux usines et à Arvida et quelques indications dans les journaux de la région constituent les seuls documents qualitatifs que nous avons pu rassembler sur ce sujet. Les documents fournissant des données quantitatives compensent en partie la pauvreté des sources qualitatives. Les fiches d'embauché et de service d'Alcan à Arvida fournissent des informations sur les caractéristiques personnelles et professionnelles des travailleurs, de même que sur les fonctions auxquelles ils sont assignés, les salaires versés et, dans certains cas, les causes de départ ou de renvoi. En plus de l'identification du travailleur, les fiches d'embauché contiennent des renseignements sur la date de naissance,2 la nationalité, la confession 2 Les dates de naissance ne sont pas toujours exactes. Des jeunes hommes ont voulu se vieillir, alors que des hommes d'âge mûr se sont rajeunis. Ces écarts par rapport à leur âge réel ne portaient pas à conséquence pour eux avant la mise sur pied du régime de retraite en 1940. Nous avons pu vérifier la date de naissance de 517 travailleurs en la comparant à celle qui figure dans les registres d'état civil du Saguenay: dans 70% des cas, l'année de naissance concorde et dans 18% des cas la différence n'est que d'un an. Les dates de naissance selon les registres d'état civil ont été puisées dans la base de données SAGUENAY de I'IREP. Cette base de données est décrite dans la bibliographie.

57 La constitution de la main-d'œuvre

religieuse, l'état civil et le nombre de personnes à charge. Elles contiennent aussi, mais plus rarement, des indications sur les emplois ou les employeurs précédents. Les fiches de service indiquent, pour chaque modification de situation (changement d'affectation, modification de salaire, maladie, mise à pied, départ ou renvoi), la fonction occupée, le secteur auquel le travailleur est affecté, le nom du contremaître, le niveau de salaire et le versement de primes au rendement. Ces mentions sont quelquefois assorties de commentaires. Nous avons versé dans une base de données les informations contenues sur les fiches d'embauché et de service; les analyses qui suivent reposent sur l'exploitation de cette base de données.3

ÉVOLUTION DES BESOINS EN MAIN-D'ŒUVRE, 1925-1939 La demande de main-d'œuvre à Arvida connaît deux phases distinctes. La première phase comprend la construction des usines et de la ville et la mise en route de la production, tandis que la deuxième est marquée par la construction de nouvelles installations et la relance de la production, dans la deuxième moitié des années 1930. La demande en main-d'œuvre est plus forte au cours de la première phase, à cause des importants travaux de construction qui doivent être menés. La construction des usines débute en septembre 1925 et on entreprend presque en même temps l'érection de la ville. Les travaux vont rondement. La salle de cuves 21 commence à produire en juillet 1926 et la première maison est habitée le mois suivant. La salle de cuves 22 est mise en route en septembre. Suivent les salles 23, en janvier 1927, et 20, en juin. Outre les salles de cuves, on bâtit une usine de fabrication d'anodes et une usine d'alumine, ainsi que des voies ferrées et toute une gamme de bâtiments auxiliaires, chaufferies, salles de coulée, salles de tréfilage, entrepôts, ateliers, bureaux.4 La production débute à l'usine d'alumine en avril 1928. L'arrêt des travaux de construction, en 1928, entraîne un ralentissement de la demande en main-d'œuvre. Cette période est ponctuée de fortes fluctuations de l'activité et d'une chute violente des effectifs, conséquence du changement dans la structure de la société mère et, ensuite, de la dépression. En septembre 1928, Alcan, nouvellement constituée, décide d'annuler les projets de construction dont la mise 3 Base de données ALCFICH. 4 Chronique, 29, 31, 35, 40, 56, 69; Alcan, «Arvida Works — Record of Pot Opération».

58 Arvida au Saguenay

en œuvre n'a pas débuté et de réduire graduellement la main-d'œuvre au niveau requis pour les activités de production. Entre-temps, on a fermé la salle de cuves 23 afin de pouvoir acheminer davantage d'énergie vers l'usine d'alumine. Puis, avec le début de la Crise, la demande d'aluminium connaît une chute brusque. La production canadienne tombe de 81 211 ooo livres (36 837 tonnes métriques) en 1928 à 63 440 ooo (28 776 tonnes métriques) en 1929.5 La salle 21 est fermée de février à août et la production de l'usine d'anodes de carbone réduite en proportion. La salle 23 n'est remise en activité qu'en novembre 1930. La Crise se fait sentir encore davantage en 1931. Au mois d'avril, Alcan réduit de nouveau la production, en diminuant le nombre de cuves en activité; on coupe aussi dans les heures de travail. En octobre, l'usine d'alumine est fermée; le procédé utilisé y était peu efficace et elle n'était pas rentable. Les quatre salles de cuves demeurent en activité, mais on en réduit la production. Les stocks de lingots s'accumulent: à la fin de 1931, ils sont deux fois plus considérables qu'à la fin de l'année précédente. En mars 1932, Alcan ferme la salle 21 et réduit la production de l'usine d'anodes. Le mois suivant, c'est au tour de la salle 20, puis de la salle 22 d'être fermées; seule la salle 23 demeure en activité. Afin de réduire les mises à pied, on répartit les hommes en quarts de six heures au lieu de huit. En mai, on rapporte que la maind'œuvre est passée à 295 hommes, alors qu'elle était de 560 hommes en mars.6 Puis s'annonce une brève reprise. En septembre 1932, Alcan reçoit du Japon un contrat de 3 millions et demi de livres (15 875 tonnes métriques) d'aluminium.7 La production reprend alors dans la salle 22; l'usine d'anodes, fermée depuis avril, est remise en marche. Les quarts de travail dans les salles de cuves sont de nouveau portés à huit heures; le mois suivant, la salle 21 est remise en activité. Mais en janvier 1933, on doit de nouveau fermer une salle de cuves, la salle 23, et réduire la production des salles 21 et 22, pour ne pas dépasser le niveau de production assigné aux établissements d'Arvida par le cartel de raluminium.8 La deuxième phase d'embauché s'amorce en 1935. La salle de cuves 20 est remise en route en avril. Puis, afin de réduire les coûts d'alumine, Alcan décide de reconstruire l'usine d'alumine fermée en 1931 5 Stocking et Watkins, Cartels in Action, 237. 6 Campbell, Mission mondiale, 135; Chronique, 56, 57, 69, 76, 81, 100, 102, 106, 109, 112. 7 Whitaker, Aluminum Trail, 138. 8 Chronique, 109-118, 121.

59 La constitution de la main-d'œuvre

et de la convertir au procédé Bayer.9 Ce chantier occupe jusqu'à 300 hommes de juin 1935 à février 1936. L'usine reconstruite commencera à produire en mars 1936.10 En janvier 1937, on reprend la production dans la quatrième salle de cuves, la salle 23. La production d'aluminium à Arvida atteint 64 millions de livres (29 030 tonnes métriques) en 1937: en juin, on commence à creuser des fondations pour deux nouvelles salles de cuves, les salles 24 et 25; on construit divers autres bâtiments au cours de l'année. Les nouvelles salles de cuves commencent à produire en mars 1938. La production passe à 105 millions de livres (47 628 tonnes métriques) en 1938 et à 123 571 358 livres (56 051 tonnes métriques) en 1939, à la faveur de commandes d'exportation liées au réarmement. Les opérations auxiliaires s'accroissent aussi. La capacité de l'usine de minerai est portée de 163 à 245 tonnes métriques par jour, en 1936, et à 380 l'année suivante. On construit une usine de fluorure qui commence à produire en juin 1938.ll Cette deuxième vague d'embauché aura un effet différent de la première. Alors que la première vague amène à Arvida une population hétérogène dont se dégage un noyau de fondateurs, formé des travailleurs qui demeureront au service d'Alcan pendant au moins dix ans, la deuxième vague contribue plutôt à homogénéiser la population ouvrière d'Arvida. Ces deux vagues méritent donc un traitement distinct. LES PRATIQUES D'EMBAUCHE, 1925-1927

Les pratiques d'embauché d'Alcan durant la première phase sont assez rudimentaires. Elles sont dictées par les fluctuations de ses besoins en main-d'œuvre, le manque relatif de main-d'œuvre dans la région et la nécessité de procéder rapidement. Préoccupée essentiellement par les tâches de construction, l'entreprise procède à l'embauche sans faire de sélection particulière parmi les candidats. Elle créera une cohorte assez disparate de travailleurs qui composeront la population d'Arvida.12 g Campbell, Mission mondiale, 147-151. 10 Whitaker, Aluminum Trail, 142. 11 Chronique, 129, 139, 143, 157, 159, 164, 171, 181, 192, 213, 217, 223, 229, 244, 285. Cette source n'indique la production annuelle d'aluminium à Arvida qu'à partir de 1937. 12 Héron, « Working-Class Hamilton», 51, attribue le même rôle au patronat de Hamilton.

6o Arvida au Saguenay

L'essentiel est de recruter. Au cours des trois premières années, 4 230 travailleurs sont embauchés. Il s'agit surtout de travailleurs de la construction, dont le séjour sera bref. Les deux tiers de tous les travailleurs embauchés auront quitté Arvida avant 1928, de sorte qu'à la fin de 1927, Alcan n'emploie plus que i 409 personnes. D'où viennent les travailleurs qui passent les portes des usines durant ces premières années? Comment ont-ils été choisis? Quels sont les facteurs qui départagent ceux qui restent de ceux qui partent? La plupart des travailleurs embauchés entre 1925 et 1927 ne proviennent pas du Saguenay. En fait, moins d'un travailleur sur cinq serait d'origine saguenayenne (tableau 6). Le tiers des recrues sont d'origine étrangère. Ils font partie de ce contingent de travailleurs qui parcourent les chantiers de construction canadiens depuis la fin de la longue dépression du XIXe siècle. Bon nombre étaient sans doute déjà dans la région; le géographe français Raoul Blanchard fait allusion à «... des centaines de Polonais, Suédois, Norvégiens, Finlandais, Tchécoslovaques, Italiens qui refluaient des chantiers peu à peu vidés de l'île Maligne (où Duke-Price avait érigé sa centrale hydro-électrique de 1923 à 1925) et Riverbend (où Priée avait bâti une usine de papier en 1925) ». 13 En tout, 36 nationalités différentes sont représentées, dont des Européens de l'ouest (18%) et des Européens de l'est (13%), sans compter les Canadiens anglais (16 %) qui, au Saguenay, font sans doute figure d'étrangers tout autant que les immigrants. On compte aussi environ 30% de travailleurs canadiens-français provenant d'autres régions que le Saguenay. Disponibilité de la main-d'œuvre

Pourquoi Alcan a-t-elle recruté autant d'« étrangers » ? 14 II n'est pas aisé de déterminer avec certitude si ce recours massif à la main-d'œuvre extérieure était nécessaire, car on ne dispose pas de données précises sur le bassin régional de main-d'œuvre. On peut cependant tenter quelques estimations rapides. Les recensements canadiens évaluent la population totale du Saguenay à 73977 personnes en 1921 et à 105 977 en 1931. Si l'on fait coïncider la moitié de cette augmentation avec la première moitié des années 1920, on peut alors estimer à 90000 personnes la population saguenayenne de 1926. De ce nombre, moins de la moitié sont en âge de travailler, et la moitié de cette 13 Blanchard, L'Est, II: 105-106. 14 Au Saguenay, on considérait toute personne originaire de l'extérieur de la région, ou même de sa ville, comme «étrangère». Cet usage est courant dans le journal régional, le Progrès du Saguenay.

6i

La constitution de la main-d'œuvre

Tableau 6 Pourcentages de Canadiens français et de Saguenayens parmi les travailleurs embauchés par Alcan, Arvida, 1925-1939

Canadiens français

Canadiens français, région d'origine connue Total

Année

Total

AT

%

N

Saguenayens N

Travailleurs saguenayens •n proportion du total

%

%

1925

238

92

38,7

77

47

61,0

19,8

1926

2869

1463

51,0

1335

493

36,9

17,2

1927

1 123

593

52,8

506

249

49,2

22,2

1928

396

179

45,2

147

90

61,2

22,7

1929

165

85

51,5

68

54

79,4

32,7

1930

133

73

54,9

59

48

81,4

36,1

1931

41

26

63,4

19

16

84,2

39,0

1932

56

34

60,7

30

27

90,0

48,2

1933

20

10

50,0

6

5

83,3

25,0

1934

65

50

76,9

36

36

100,0

55,4

1935

297

221

74,4

185

171

92,4

57,6

1936

181

142

78,5

118

109

92,4

60,2

1937

520

427

82,1

383

326

85,1

62,7

1938

146

90

61,6

71

57

80,3

39,0

1939

197

140

71,1

116

105

90,5

53,3

6447

3625

56,2

3156

1833

58,1

28,4

TOTAL

Source: Base de données ALCFICH.

moitié sont des femmes. '5 II y aurait donc approximativement 22 500 hommes, de tous métiers et qualifications, comme main-d'œuvre masculine, dans toute la région. Les registres d'état civil des paroisses catholiques du Saguenay confirment cet ordre de grandeur : on y relève les mentions de 18 136 hommes entre 1925 et 1927. Le nombre de travailleurs embauchés par Alcan durant cette période, soit 4 230, constitue donc de 19% à 23% de toute la main-d'œuvre masculine 15 Pouyez et al., Les Saguenayens, 326.

02 Arvida au Saguenay régionale.16 Les i 660 travailleurs au service d'Alcan à la fin de 1926 représentent de 7,4 % à 9,2 % de tous les hommes de la région et probablement le double pour ce qui est des hommes âgés de 20 à 40 ans, la cohorte d'âge parmi laquelle recrute Alcan. Ces chiffres laissent voir qu'il était pratiquement impossible pour Alcan de tirer sa main-d'œuvre exclusivement de la population saguenayenne. Les commentaires des cadres sur la main-d'œuvre ainsi que la réaction régionale face à l'afflux de travailleurs étrangers fournissent d'autres indications quant aux difficultés du recrutement local. Les questions de main-d'œuvre ne donnent jamais lieu à de longs développements dans les documents émanant des cadres, mais ces documents livrent néanmoins quelques indications utiles.1? Ils révèlent qu'Alcoa a eu recours à des travailleurs d'origine étrangère depuis ses débuts au Canada, comme c'était la pratique aux États-Unis.18 Les travailleurs auxquels on a confié la construction des installations de Shawinigan étaient pour la plupart d'origine étrangère, sans doute parce qu'ils avaient davantage d'expérience que la population agricole de la région dans ce genre de travail et que, contrairement à ces derniers, ils n'avaient guère d'autres moyens de gagner leur vie. Il en fut de même des travailleurs affectés à la production, qui étaient des étrangers ou des ouvriers attirés dans la région par les salaires offerts à l'aluminerie. Les conditions de travail, dans les salles de cuves, étaient difficiles, ce qui entraînait un important roulement de main-d'œuvre. En 1910, les travailleurs des usines de Shawinigan avaient fait la grève, réclamant des augmentations de salaire pour compenser la nature pénible du travail.1Q À Arvida comme plus tôt à Shawinigan, il semble que les travailleurs de la région aient été réticents à chercher du travail auprès d'Alcan. Lorsque Duke-Price construisit la centrale de l'île Maligne, « only a handful of workers coula be found from Jonquière and Chicoutimi, and thèse were mainly carpenters and other tradesmen. The bulk of thé construction workers were European immigrants hired in Montréal'». D'après les cadres d'Alcan, le travail dans les usines n'intéressait pas davantage les Sague16 Pour la population et la proportion d'adultes, voir Pouyez et al., Les Saguenayens, 236, 316. Le dénombrement des hommes dans les registres d'état civil a été effectué à l'aide de la base de données SAGUENAY. Il s'agit d'hommes qui se marient, se remarient ou sont décédés, ou de parents d'une personne qui est baptisée, se marie ou est ensevelie, ou encore de conjoints de personnes décédées. 17 Voir Wake, «Building thé City», 461-464; Whitaker, Aluminum Trail; Maison Alcan, PercyE. Radley, «Autobiographical Notes»; ibid., T.L. Brock, «Alcan in thé Saguenay : The Formative Years ». 18 Smith, Monopoly to Compétition, 119-120. 19 Maison Alcan, M.E. Gooding, «The History of Réduction Plants at Shawinigan Falls», s.L, 1947, 44; ibid., Radley, «Autobiographical Notes», 5-8.

63 La constitution de la main-d'œuvre nayens que le travail de construction. Selon un ingénieur, « it took a number of years to coax them off thé farms in any large numbers to work indoors, particularly in thépot-rooms or carbonplant».20 Le directeur général d'Alcan à Arvida, Ralph Parks, reconnut en juillet 1928 les problèmes de main-d'œuvre auxquels l'entreprise avait fait face. Une publicité exagérée sur la taille future de la ville « eut pour effet d'attirer ici des gens qui ne savent nulle part conserver leurs emplois, qui sont des nomades (wanderers). Certaines de ces personnes s'imaginaient, sans compétence, pouvoir gagner ici des appointements de $10,000 par année. Cet envahissement heureusement a cessé et nous avons assez tôt eu affaire à des gens raisonnables et désireux de travailler». 21 Un autre expliquera au siège social, en 1931, que «hardly any Lake St. John résidents would work in thé carbon plant and many still would not go into thé potrooms».22 Alcan devait donc composer avec la réticence de la main-d'œuvre locale, moins nombreuse que l'ingénieur Rickey l'avait estimée, et avec le piètre caractère d'une partie de la main-d'œuvre étrangère attirée au Saguenay par le chantier d'Arvida. Il était sans doute difficile de recruter des Saguenayens, car le travail dans les salles de cuves, à l'usine d'anodes de carbone et à l'usine d'alumine était très pénible et les gens de la région pouvaient sans doute trouver d'autres façons de gagner leur vie. Cela n'empêcha pas les gens de la région de se plaindre de l'embauche d'étrangers, après la fermeture de l'usine de pâte à papier de Chicoutimi, au début de igaS. 23 Au printemps, le ministère québécois des Travaux publics reçut une plainte contre les pratiques d'embauché d'Alcan.24 Le journal régional rapportait, en avril, le subterfuge d'un ouvrier de Kénogami qui fit semblant de ne pas comprendre le français afin d'obtenir un emploi d'Alcoa Power, la filiale qui construisait le barrage de Chute-à-Caron. Il fut embauché, écrit le journal, car « la compagnie "Alcoa" emploie de préférence un nombre considérable de manœuvres étrangers : Finlandais [,] Suisses et Polonais à la place de nos compatriotes qui restent sans ouvrage... ». Il est permis de penser que les pratiques d'embauché d'Alcan et d'Alcoa Power devaient être assez semblables, étant donné les liens entre les deux entreprises. En août 1928, le conseil central des syndicats de Chicoutimi votait une résolution pressant le gouvernement de demander aux entreprises de la région de ne pas embaucher de main-d'œuvre étrangère. Quelques semaines plus tard, le journal souli20 21 22 23 24

Brock, «Alcan in thé Saguenay», II: 25. Le Progrès du Saguenay, 31 juillet 1928, dernière p. Brock, «Alcan in thé Saguenay», II: 26. Le Progrès du Saguenay, lojanvier 1928, dernière p.; 26 janvier 1928, dernière p. Sylvestre, Les facteurs d'émergence, 12-14.

64 Arvida au Saguenay

gnait, lors de la création de syndicats catholiques à Jonquière, la nécessité pour les travailleurs de cette ville de s'unir pour se protéger des «milliers d'étrangers» qui «viennent leur enlever, ou pour le moins leur disputer» les emplois de la région.25 Entreprise étrangère, Alcan ne cherchait manifestement pas à favoriser les Saguenayens dans son recrutement des premières années. Les pratiques de sélection de la main-d'œuvre

Le recrutement des premières années ne fut pas très sélectif. Les fiches d'embauché fournissent à cet égard un témoignage éloquent. Ces fiches, dont le format est sans doute emprunté à celles d'Alcoa, comportent plusieurs cases où l'on peut consigner divers renseignements sur les travailleurs, tels que l'origine ethnique, la religion, l'état civil, la condition physique, de même que les qualifications et les emplois antérieurs. Ces emplois, qui sont destinés à témoigner des compétences techniques des recrues, ne sont pourtant notés que sur 10% des fiches, ce qui porte à croire que le contrôle de l'expérience antérieure des travailleurs n'était pas considéré nécessaire. Les emplois antérieurs qu'on prend la peine de noter sont surtout des métiers qualifiés, comme électricien, mécanicien ou menuisier, des professions de col blanc, comme sténographe ou dessinateur, ou encore des fonctions de supervision, telles que contremaître; seulement 5% des mentions d'expérience antérieure portent sur des emplois de journaliers. Même dans le cas des employés à qui l'on confie des fonctions de gestion ou du travail de bureau, l'emploi précédent est noté dans moins d'un cas sur deux. Les travailleurs dont la première affectation est aux salles de cuves ne sont pas l'objet d'une plus grande attention : leur emploi précédent n'est inscrit qu'une fois sur cinq. Seules les recrues embauchées comme ingénieurs font l'objet d'une attention particulière : l'emploi précédent est inscrit deux fois sur trois, de même que le niveau d'éducation et la capacité de s'exprimer dans plusieurs langues. Les autres données pour lesquelles on a prévu un espace sur les fiches ne sont pas mieux recueillies. L'évaluation de la condition physique des candidats produit une cote de 'A' neuf fois sur dix, apparemment sans examen aucun. Moins de 3 % des fiches contiennent des informations sur les qualifications; on note, là aussi, surtout des métiers qualifiés. L'éducation est notée dans 8 % des cas. On indique surtout le lieu où les études primaires ont été faites; même chez les commis de bureau, pour lesquels, après les gérants et les ingénieurs, 25 Le Progrès du Saguenay, i4avril 1928,12; 22 août 1928, dernière p.; 8 octobre 1928, dernière p.

65 La constitution de la main-d'œuvre

cette information est le plus fréquemment notée, l'indication du niveau de scolarité n'apparaît pas une fois sur deux. Les aptitudes en langue seconde, notées elles aussi sur 8% seulement des fiches, n'indiquent principalement que la compétence en français. Les préposés aux dossiers des travailleurs ne prennent donc pas la peine de compléter de façon systématique les fiches d'embauché. Cela n'est sans doute pas perçu comme important dans l'embauche de travailleurs de la construction, qui forment une main-d'œuvre temporaire; mais comme c'est surtout parmi cette main-d'œuvre temporaire que seront recrutés les travailleurs affectés à des fonctions de production,26 il est évident que la sélection s'opère sur d'autres bases que les informations contenues au dossier du travailleur. Seules quelques caractéristiques sont notées systématiquement, comme l'état civil, la « nationalité » (il s'agit, en réalité, de l'origine ethnique), ou la religion. Ces informations apparaissent dans 99 % des dossiers. Le fait que ces caractéristiques soient les plus faciles à établir explique sans doute la fréquence avec laquelle elles sont notées. Les deux premières variables pouvaient fournir à la direction d'Alcan de précieux indicateurs quant à la possibilité qu'un travailleur veuille garder son emploi. En effet, il était déjà connu à l'époque que les travailleurs jeunes, célibataires et peu qualifiés étaient davantage portés à changer souvent d'emploi que des travailleurs qualifiés, plus âgés, mariés et ayant charge de famille.27 On pouvait aussi s'attendre à ce que les travailleurs canadiens-français aient davantage tendance à conserver leur emploi que les recrues d'origine étrangère. Malgré cela, on a recruté autant de célibataires que de travailleurs mariés, et seulement 50% de travailleurs canadiens-français (tableau 7). En fait, comme on le verra plus loin, le groupe des Canadiens français est composé de deux sous-groupes fort différents quant à leur degré de persévérance, ceux qui sont originaires du Saguenay et les autres. En ce qui a trait à la confession religieuse, tous les Canadiens français (sauf 3) se déclarent catholiques, mais presque la moitié (48%) des travailleurs d'autres origines ethniques se déclarent eux aussi catholiques, ce dernier groupe représentant près du tiers de tous les travailleurs catholiques. La confession n'est sans doute pas un critère utilisé dans la sélection du personnel, mais l'information est utile, en particulier 26 Plus de la moitié des travailleurs qui feront le travail de cuviste avant le i er juillet 1927 (c'est-à-dire les premiers cuvistes d'Arvida) ont été embauchés comme journaliers. Un sur six vient du secteur de la construction. Seulement 20 % ont le titre de cuvistes dès leur embauche. 27 Voir Slichter, Turnover of Factory Labor; Brissenden et Frankel, Labor Turnover in Industry: A Statistical Analysis. Le phénomène est observé à San Francisco en 1892; voir Carter et Savoca, « Labor Mobility ».

66 Arvida au Saguenay Tableau 7 Etat civil et origine ethnique, travailleurs embauchés avant 1928, Alcan, Arvida Célibataires

Mânes

Veufs

Divorces

État civil inconnu

Canadiens français

1034

1013

83

0

21

Autres nationalités

1027

988

42

1

21

Source: Base de données ALCFICH.

pour la déduction de la dîme à la source, que le curé d'Arvida a obtenue de la direction d'Alcan.a8 LES C I R C O N S T A N C E S DE DÉPART,

1925-1928 Lorsque les travailleurs quittent leur emploi ou sont remerciés de leurs services, l'employeur inscrit habituellement une dernière mention à leur fiche. Cette mention comprend une indication de l'événement survenu, de la date et, parfois, des explications sur les raisons de la cessation de l'emploi. L'information nous permet d'éclairer les circonstances des cessations d'emploi et d'établir la part relative des départs et des renvois parmi les travailleurs qui quittent Alcan avant la fin de 1928. Dans plus de la moitié des cas (57 %) où les causes de départ sont consignées sur les fiches de service, le travailleur quitte volontairement, 29 un phénomène qui est alors courant dans l'industrie nordaméricaine.30 D'autre part, les mises à pied, c'est-à-dire les renvois pour cause de manque de travail, constituent 19% des départs; 18% des travailleurs sont renvoyés (discharged) pour toutes sortes de motifs; enfin, sur 6 % des fiches, le sens de l'inscription n'a pu être précisé. On constate donc que le roulement de la main-d'œuvre dépend principalement de la décision des travailleurs de quitter leur emploi, et non de la décision de l'entreprise de mettre fin aux travaux de construction. Ceci apparaît clairement en répartissant les travailleurs selon le secteur du complexe d'Arvida auquel ils sont assignés quand sur28 Voir le chapitre 2. 29 Bien sûr, certains départs classés comme volontaires peuvent survenir à un moment où le travailleur s'attend à être remercié ou mis à pied, mais le nombre de départs volontaires est trop élevé pour n'être que le fait de telles circonstances. 30 Voir Brissenden et Frankel, Labor Turnover in Industry, 79; Héron, Working in Steel, 78-83.

67

La constitution de la main-d'œuvre

vient leur cessation d'emploi.31 Les travailleurs qui choisissent de quitter leur emploi de leur propre gré se retrouvent dans tous les secteurs de travail et en proportion aussi grande, sinon plus, chez les Canadiens français que parmi les travailleurs d'autres origines ethniques. Ainsi, dans le secteur de la construction, 52 % des Canadiens français et 54% des travailleurs d'autres origines quittent de leur propre gré. Parmi les travailleurs dont l'affectation n'est pas définie, des journaliers pour l'essentiel, les proportions de départs volontaires sont de 58 % pour les Canadiens français et de 64 % pour les travailleurs d'autre origine. Les secteurs de la production d'aluminium et de la gestion génèrent les plus fortes proportions de départs volontaires. Dans la production d'aluminium, ces départs représentent 72 % des départs des Canadiens français et 77 % des départs des autres travailleurs. Chez les travailleurs affectés à des emplois de gestion, la proportion de départs volontaires des Canadiens français, qui est de 72 %, dépasse celle des autres travailleurs, chez qui elle est de 59 %.32 Les motifs invoqués pour les cessations d'emploi

La décision de partir relève donc le plus souvent des travailleurs euxmêmes. On peut entrevoir leurs motifs, ainsi que ceux qu'invoqué l'entreprise lors des renvois ou des mises à pied, à partir des indications supplémentaires que contiennent les fiches de service. Cette information est cependant sujette à caution. Comme l'information n'est disponible que pour environ le tiers des cessations d'emploi, il faut s'assurer que ce tiers est représentatif de l'ensemble. Il faut aussi se rappeler que les indications relevées sur les fiches traduisent les perceptions du service du personnel davantage que celles des travailleurs. Enfin, le classement des motifs de cessation d'emploi contient une part d'arbitraire, à cause du manque de précision des remarques ou de la présence de motifs multiples. Dans ce dernier cas, nous avons retenu le premier motif mentionné. On peut lever assez facilement la première difficulté en examinant la représentativité des fiches contenant des commentaires au moment de la cessation d'emploi. La proportion de travailleurs canadiensfrançais y est légèrement plus forte que dans l'ensemble des départs 31 Pour la définition des secteurs, voir le chapitre 4. 32 Le phénomène est encore plus prononcé dans le secteur de la production de minerais, où la proportion des départs volontaires des Canadiens français est supérieure aux autres; cependant, les nombres absolus sont faibles : 11 Canadiens français sur les 15 affectés à ce secteur quittent d'eux-mêmes, contre 7 sur les 16 travailleurs d'autres origines ethniques.

68 Arvida au Saguenay

(54% contre 50%). Il en va de même pour la proportion de travailleurs mariés (45 % contre 42 %). Dans le sous-ensemble, la répartition par secteur de travail au moment du départ suit elle aussi, avec peu de variations, celle de l'ensemble. La principale différence touche les secteurs de la production d'aluminium et de la gestion, qui sont un peu plus fortement représentés : 11 % des travailleurs sont employés à la production d'aluminium au moment de leur départ, alors que 6 % de l'ensemble y travaillent; 4 % sont dans le secteur de la gestion, contre 2,5 % dans l'ensemble. Que ce soit du point de vue de la catégorie ethnique, de l'état civil ou du secteur de travail au moment du départ, ces fiches empruntent donc assez bien le profil de l'ensemble. Les motifs de cessation d'emploi indiqués sur les fiches de service ont été regroupés en trois grandes catégories: les motifs de départ volontaire, c'est-à-dire ceux qu'invoquent les travailleurs pour expliquer leur départ, les motifs invoqués par l'entreprise pour justifier les renvois et, enfin, les motifs divers, qui sont le plus souvent indépendants de la volonté du travailleur ou de l'entreprise. Les départs volontaires forment la catégorie la plus importante : ils représentent 56 % de tous les départs motivés consignés sur fiches, soit à peu près le même pourcentage de départs volontaires que dans l'ensemble des cessations d'emploi. Neuf départs volontaires sur dix se font toutefois sans véritable explication: on note que le travailleur quitte en donnant un préavis, ou même sans donner de préavis, et c'est tout ce qui apparaît sur sa fiche. Dans quelques cas, la raison invoquée est un emploi ailleurs ou le retour à Montréal. Quelques travailleurs laissent leur emploi parce qu'ils trouvent le milieu de travail trop dur, à cause de la pollution ou de la chaleur ou pour d'autres raisons; la plupart des travailleurs qui invoquent de tels motifs (14/23) travaillent à la production d'aluminium, où les conditions sont très pénibles. Quoique le rejet explicite des conditions de travail soit rarement donné comme cause de départ, on ne peut exclure la possibilité que les conditions de travail motivent d'autres départs volontaires, surtout ceux pour lesquels les renseignements sont pauvres. L'entreprise provoque en tout 28 % des cessations d'emploi dont les raisons sont connues. Ces cessations d'emploi sont motivées par des raisons techniques reliées au travailleur (manque de qualification, incapacité d'effectuer le travail), des raisons techniques reliées à l'entreprise (réduction des effectifs ou fermeture de certains secteurs), des raisons d'ordre disciplinaire ou des raisons non précisées. Dans près de la moitié des renvois décidés par Alcan, la raison indiquée est le manque de travail. Viennent ensuite les raisons disciplinaires, qui comptent pour le tiers des renvois motivés. On lit des

69 La constitution de la main-d'œuvre mentions comme no good, n.d.g. [no damm good], too slow, unfit, unsteady, lazy, floater, drifter, insubordinate, drunk on job ou, plus laconiquement, not suitabk. Très peu de renvois sont reliés à la capacité du travailleur d'effectuer les tâches auxquelles il est affecté. C'est dans le secteur de la production d'aluminium que l'on observe la fréquence la plus élevée de renvois d'ordre disciplinaire. Quelque 18 % des travailleurs affectés à ce secteur sont renvoyés pour des raisons d'ordre disciplinaire, contre 10% dans l'ensemble des secteurs. Comme on l'a vu, c'est aussi dans ce secteur que les départs motivés par les mauvaises conditions de travail sont proportionnellement les plus fréquents. Ensemble, les raisons disciplinaires et les mauvaises conditions de travail sont invoquées dans le cas de près du tiers des départs de ce secteur. Les travailleurs de la première vague de recrutement s'adaptent difficilement à ce milieu.33 Les raisons diverses ne représentent que 15% des cessations d'emploi accompagnées d'explications. On trouve ici des motifs comme la maladie dans la famille, le retour au pays d'origine, ou des notes expliquant que le travailleur embauché ne s'est pas présenté au travail. Facteurs liés aux types de cessation d'emploi Comme on l'a vu plus haut, durant les premières années d'Arvida, le roulement de la main-d'œuvre est très élevé. Sur dix travailleurs embauchés entre 1925 et 1928, huit quittent avant la fin de 1928. Près de trois départs sur cinq sont le résultat de démissions. Peut-on repérer chez les travailleurs qui démissionnent des caractéristiques sociodémographiques différentes de celles des autres travailleurs?34 Alcan aurait-elle pu effectuer une sélection plus efficace de sa main-d'œuvre en recrutant des travailleurs qui avaient un profil particulier? On peut 33 Voir Igartua, «La mobilité professionnelle», 58-60, pour une présentation plus détaillée des motifs de cessation d'emploi. Nous avons également examiné la répartition des motifs de départs selon la provenance géographique des travailleurs canadiens-français originaires du Québec, afin de voir si le milieu d'origine avait une influence sur cette répartition. Les nombres sont trop faibles pour en tirer des conclusions probantes; on remarque cependant chez les travailleurs du Saguenay une tendance légèrement plus forte que la moyenne à être renvoyés pour des motifs disciplinaires. 34 C'est, par exemple, ce que fera le producteur d'aluminium Kayser lorsqu'il établit une aluminerie en milieu rural en 1956 ; voir Gray, « Employment Effect ». Une étude sur les caractéristiques démographiques des membres du personnel d'une chaîne américaine de magasins de voisinage démontre que plus le groupe de travailleurs est homogène sur le plan démographique (âge, durée de l'emploi), plus l'interaction à l'intérieur du groupe sera forte, ce qui en retour limitera le roulement de la maind'œuvre. Voir O'Reilly, Caldwell, Barnett, «Work Group Demography».

70 Arvida au Saguenay

supposer que les travailleurs célibataires d'origine étrangère seraient davantage portés à quitter leur emploi que les travailleurs d'origine saguenayenne mariés et ayant charge de famille, tout simplement parce qu'ils ont moins d'attaches dans la région et qu'ils sont plus libres de risquer un changement de travail. C'est effectivement ce qui se passe. Parmi les travailleurs célibataires, les départs volontaires sont un peu moins fréquents chez les Saguenayens que chez les travailleurs d'autres origines (57 % contre 60 %). Parmi les travailleurs mariés, veufs ou divorcés, la différence est un peu plus marquée (53 % contre 61 %). Si, par manipulation statistique, on enlève l'effet de la distribution inégale des catégories d'état civil selon l'origine géographique, on constate qu'un travailleur saguenayen a 13% plus de chances d'être congédié que de quitter son emploi volontairement, par rapport à un travailleur d'une autre origine.35 L'embauche d'une forte majorité de travailleurs non saguenayens (plus de huit travailleurs sur dix) a donc contribué à produire un taux de roulement plus élevé que si les travailleurs avaient tous été choisis dans la région, ce qui, par ailleurs, était sans doute impossible, comme on l'a vu plus haut. Facteurs liés à la persévérance

Les études sur le roulement de la main-d'œuvre ont fait ressortir l'influence de certaines caractéristiques des travailleurs sur le taux de roulement. James L. Price, dans sa codification de la documentation sur le sujet, rapporte que l'âge, le niveau de qualification professionnelle, le niveau d'éducation et l'intégration du travailleur à son milieu sont les principales caractéristiques personnelles affectant la persévérance des travailleurs. Les fiches des travailleurs d'Alcan ne donnent pas assez de renseignements pour établir l'influence du niveau de qualification professionnelle ou du niveau d'éducation, mais elles contiennent suffisamment de renseignements d'ordre démographique et culturel pour soutenir une analyse des effets de certains facteurs démographiques et culturels sur la persévérance.36 L'âge est présenté dans plusieurs études comme étant lié de façon proportionnelle à la persévérance. Plus les travailleurs sont jeunes, 35 Voir la partie A de l'annexe i. 36 Price, The Study of Turnover. Voir 28-29 sur l'âge et 70-73 sur l'intégration, que l'auteur, reprenant Blau, définit comme étant «thé extent of participation in primary or quasi-primary relationships ». « A relationship is primary to thé degree that it is diffuse, emotionally involved, biased, and governed by ascribed criteria. A good example of a primary relationship is a family in a rural area, especially in a society little touched by industrialization and urbanization » (71).

7i

La constitution de la main-d'œuvre

plus ils ont tendance à changer d'emploi. Il faut cependant préciser le sens de cette variable. La durée de l'expérience professionnelle est évidemment fonction de l'âge et la stabilité est fonction à son tour de cette durée; or, il est reconnu que plus un travailleur est stable, plus il a des chances de le demeurer. Par ailleurs, l'âge est aussi un indicateur de l'état civil d'un travailleur et du nombre de personnes à sa charge. Un jeune travailleur a moins de chances d'être marié et d'avoir des enfants qu'un travailleur plus âgé. Un travailleur marié ayant des enfants à sa charge hésitera davantage à prendre le risque de changer d'emploi qu'un travailleur célibataire. Les informations disponibles sur les fiches d'embauché permettent d'y voir un peu plus clair à condition d'examiner séparément l'influence respective de l'âge, de l'état civil et du nombre de personnes à charge. Les fiches d'embauché permettent aussi d'estimer le degré d'intégration culturelle des travailleurs d'Alcan à leur milieu. Les travailleurs d'origine saguenayenne sont assurément les mieux intégrés à la société régionale dans laquelle Arvida est implantée; les travailleurs de nationalité étrangère, auxquels nous avons en l'occurrence assimilé les travailleurs canadiens-anglais, constituent le pôle opposé. Mais on compte aussi bon nombre de travailleurs canadiens-français qui proviennent de l'extérieur du Saguenay et dont le niveau d'intégration culturelle est plus difficile à établir : ils partagent la langue et la religion des Saguenayens, mais non leurs réseaux de parenté ou de relations; ils peuvent aussi posséder certains traits de mentalité différents de ceux des Saguenayens. Des techniques statistiques, soit la régression linéaire et l'analyse de classification multiple, permettent de mesurer l'influence distincte de chacun des facteurs démographiques sur le degré de persévérance.37 Cependant, les différences entre les degrés de persévérance, à l'intérieur même de chaque catégorie démographique, rendent l'interprétation assez difficile. Ainsi, lorsque l'on répartit les travailleurs selon les différentes catégories d'origine géographique ou selon l'état civil, on remarque, en ce qui a trait à la durée de l'emploi, que les écartstypes sont toujours supérieurs aux valeurs moyennes. À l'intérieur même du groupe de travailleurs originaires du Saguenay, par exemple, il existe à cet égard davantage de variation qu'entre les durées moyennes d'emploi propres aux diverses catégories d'origine géographique. Les Saguenayens ont en moyenne 5 ans de service, contre 2,7 ans dans le cas des autres Canadiens français; mais l'écart-type est de 8,5 ans pour les Saguenayens et de 6,5 ans pour les autres Canadiens français. Il en va de même lorsque l'on répartit les travailleurs selon les catégo37 La partie B de l'annexe i en donne la description détaillée.

72 Arvida au Saguenay

ries d'état civil ou les secteurs d'affectation à l'embauche. La grande dispersion des valeurs fait en sorte que l'analyse de régression multiple ne peut produire de mesures de corrélation élevées entre la durée de l'emploi et les caractéristiques démographiques. Dans l'analyse de régression, les variables statistiquement liées à la durée de l'emploi sont le secteur d'embauché, l'état civil, l'origine géographique, l'âge à l'embauche et le nombre de personnes à charge.38 La corrélation entre la durée de l'emploi et l'ensemble de ces facteurs est faible : elle ne rend compte que de 6 % de la variation entre les durées d'emploi. Au moyen de cette technique statistique, on peut estimer que les travailleurs embauchés dans le secteur de la gestion travaillent 3,9 fois plus longtemps que les travailleurs embauchés dans les autres secteurs; les hommes mariés, divorcés ou veufs, 1,7 fois plus longtemps que les célibataires; les travailleurs saguenayens, 1,6 fois plus longtemps que les travailleurs d'autres origines et 1,2 fois plus longtemps que les Canadiens français originaires de l'extérieur du Saguenay.39 L'âge à l'embauche et le nombre de personnes à charge augmentent dans un rapport de près de i : i le nombre d'années de service. Les rôles respectifs des facteurs démographiques et professionnels peuvent être départagés au moyen d'une autre méthode statistique, l'analyse de classification multiple. La classification multiple permet d'obtenir la valeur moyenne que prendrait la durée de l'emploi pour chaque catégorie de travailleurs, si elle n'était pas influencée par les autres facteurs. On peut ainsi distinguer l'effet de la confession religieuse de celui de l'origine géographique. On a par ailleurs éliminé de l'analyse de la durée de l'emploi l'effet de l'âge à l'embauche et celui du nombre de personnes à charge, pour faire ressortir plus clairement le rôle des autres facteurs. Le résultat fait apparaître toute l'importance de la variable culturelle : toutes choses étant égales par ailleurs, les Saguenayens demeurent plus longtemps à l'emploi d'Alcan que les travailleurs venant d'ailleurs. Vient en second lieu l'influence du secteur d'embauché : les travailleurs embauchés dans le secteur de la gestion ou dans celui de la production d'aluminium, de même que les employés de soutien, conservent leur emploi plus longtemps que les travailleurs embauchés dans les autres secteurs.40 Mais il ne s'agit que 38 La confession religieuse en soi n'a pas de lien avec la durée de l'emploi. 39 Les Canadiens français de l'extérieur du Saguenay ont une durée moyenne d'emploi plus faible que les Saguenayens ou que les travailleurs d'origine étangère, sans doute parce qu'ils sont plus au fait des autres possibilités d'emploi que les deux premiers groupes. 40 Le secteur d'embauché ne constitue pas un indicateur du salaire à l'embauche; il n'y a pas de corrélation entre les deux.

73 La constitution de la main-d'œuvre

d'indications très grossières, car l'équation qui sous-tend l'analyse de classification multiple ne rend compte que de 8 % de la variation dans la durée de l'emploi. Selon ces deux exercices d'analyse statistique, il appert qu'aucune des caractéristiques notées à l'embauche, ni même aucun ensemble de ces caractéristiques n'aurait pu servir d'indicateur solide de la persévérance probable des travailleurs. Tout au plus peut-on en tirer que les travailleurs mariés d'origine saguenayenne constituaient, comme on pouvait le supposer, le groupe dont la persévérance risquait d'être la plus forte, et que les employés de gestion avaient tendance à être plus stables que les autres. Mais Alcan ne pouvait sans doute pas recruter que des travailleurs mariés d'origine saguenayenne et il est certain qu'on ne pouvait assigner à tout le monde des fonctions de gestion ! LE NOYAU

FONDATEUR

Parallèlement au départ massif des travailleurs durant les premières années d'opération, se manifeste un deuxième processus, qui se trouve au cœur de la constitution de la main-d'œuvre durant les années suivantes. La formation d'un groupe de travailleurs stables, que nous appelons le noyau fondateur, marque l'amorce de l'homogénéisation de la main-d'œuvre d'Alcan. Ce noyau fondateur, qui comprend les travailleurs embauchés avant 1928 qui demeurent au service d'Alcan jusqu'au début de 1940, compte 313 membres, soit moins de 8% de la cohorte de travailleurs embauchés avant 1928. Au début, l'importance numérique des membres du noyau fondateur semble donc faible. Mais pendant la première moitié des années 1930, avec la réduction de moitié de la main-d'œuvre, les membres du noyau fondateur constituent près de la moitié des effectifs d'Alcan. À la fin de 1939, après la vague d'embauché de 1935-1939, le noyau fondateur forme encore le cinquième des effectifs. De 1935 à 1939, le noyau fondateur assure la continuité de la main-d'œuvre, demeure le dépositaire des savoirs techniques et constitue l'élément stable de la population d'Arvida. À ce titre il mérite un examen attentif. Le noyau fondateur est beaucoup plus homogène que la cohorte dont il est tiré, tant sur le plan culturel que sur le plan démographique. Près de trois membres sur cinq sont canadiens-français. Un quart sont canadiens, sans autre précision. Le reste se répartit entre 18 nationalités, dont aucune ne compte plus de 8 représentants. Il n'y a que 21 travailleurs originaires d'Europe de l'est. Plus de la moitié des Canadiens français membres du noyau fondateur proviennent du Saguenay, proportion plus élevée que dans l'ensemble des travailleurs

74 Arvida au Saguenay

canadiens-français embauchés avant 1Q29.41 Les Saguenayens représentent donc près du tiers du noyau fondateur et les Canadiens français d'autres régions sont proportionnellement moins nombreux que dans la cohorte d'embauché en général. Le cas extrême est celui des Montréalais, qui constituent 20 % de la cohorte d'embauché de 19251928 mais ne comptent que pour 2,2 % du noyau fondateur: en nombres absolus, des 374 Montréalais embauchés entre 1925 et 1928, il n'en reste que 6 au début de 1940! Le noyau fondateur possède aussi une grande homogénéité sur le plan de l'état civil. Plus de sept membres sur dix sont mariés ou veufs et la proportion monte à près de neuf sur dix pour ceux qui sont originaires du Saguenay. Cette prépondérance de chefs de famille explique pourquoi l'âge moyen au moment de l'embauche est assez élevé, soit 30,4 ans. Les deux tiers de ces chefs de famille ont au moins deux personnes à charge et quelques-uns en déclarent plus d'une dizaine. Par ailleurs, plus du tiers des célibataires du noyau fondateur avaient eux aussi des personnes à charge au moment de l'embauche. Ces caractéristiques contribuent à la permanence des membres du noyau fondateur de deux façons. Premièrement, comme on l'a vu, les travailleurs ayant charge de famille sont généralement plus stables. Deuxièmement, durant la Crise, le fait que la grande majorité des membres du noyau fondateur aient charge de famille leur valut une certaine protection contre les mises à pied, car l'employeur renvoyait d'abord les célibataires. Cette préférence constituait en quelque sorte une reconnaissance de la persévérance plus élevée des chefs de famille au cours des années 1920, en même temps qu'une mesure sociale assez fréquente durant la Crise, fondée sur l'importance accordée par la société au rôle de l'homme comme soutien de famille. L'homogénéité du noyau fondateur ressort également sur le plan professionnel. Ce groupe compte davantage de travailleurs qualifiés que l'ensemble des autres travailleurs embauchés durant la même période. Lors de l'embauche, seulement le quart sont affectés à des tâches de journaliers, alors que c'est l'affectation la plus courante pour 41 La provenance géographique a été établie à partir des adresses données par les travailleurs au moment de l'embauche ainsi que du lieu de résidence des personnes à joindre en cas de besoin. Nous n'avons considéré comme Saguenayens que les travailleurs dont l'adresse permanente ou celle des personnes à joindre était située au Saguenay. Les personnes dont la seule adresse mentionnée se trouve à Arvida et pour lesquelles il n'y a pas d'indication quant à la personne à joindre le cas échéant ont été exclues de la répartition selon l'origine géographique, car il peut s'agir soit de Saguenayens dont la résidence permanente est à Arvida, soit de personnes sans adresse permanente, ou encore de personnes au sujet desquelles on a négligé de noter les informations concernant l'adresse permanente et les personnes à joindre.

75 La constitution de la main-d'œuvre

l'ensemble de cette cohorte d'embauché (44%). Près de la moiti sont affectés au secteur de la construction et de l'entretien (47 %, coi tre 39 % pour la cohorte dans son ensemble). Cette concentration e davantage marquée chez les Canadiens français, dont la moitié entrei au service de l'entreprise dans le secteur de la construction et d l'entretien. Les membres du noyau fondateur sont aussi proportioi nellement plus nombreux à entrer au secteur de la production d'ali minium (9,9% contre 4%). À la fin des années 1930, la répartitio professionnelle des membres du noyau fondateur aura évolué : la pr< portion de journaliers tombe à moins de 10%, tandis que 23% d( membres travaillent maintenant dans le secteur de la production, pri de 10 % ont des fonctions de gestion, et 43 % sont toujours affectés la construction ou à l'entretien. Les travailleurs qui forment le noyau fondateur avaient donc de caractéristiques susceptibles de favoriser la persévérance. Cependan comme nous l'avons montré plus haut, beaucoup d'autres tr; vailleurs d'Alcan possédaient ces caractéristiques et ont quand mêm quitté ou perdu leur emploi. Inversement, certaines caractéristique associées à la persévérance n'apparaissent pas de façon marqué dans le noyau fondateur. Ainsi, la majorité de ses membres proviei nent de l'extérieur du Saguenay et 12 % de l'ensemble est compos de célibataires d'origine autre que canadienne-française. Le mec; nisme de sélection du noyau fondateur ne repose donc pas de faço très marquée sur les caractéristiques démographiques ou culturelle des travailleurs. LES PRATIQUES D'EMBAUCHE,

igss-igsQ

Le ralentissement des activités, au début des années 1930, avait entraîné la chute de l'embauche. À partir de 1935, l'embauche reprend. Les salles de cuves fermées sont remises en production, de nouvelles salles sont construites, et l'usine d'alumine est réaménagée et agrandie. Près de 300 travailleurs sont embauchés en 1935, plus de 500 en 1937, et près de 200 en 1939. En tout, i 341 personnes sont embauchées entre 1935 et 1939. À la fin de 1939, le complexe d'Arvida compte presque autant de travailleurs qu'au sommet de la période de construction, en 1926. Le recrutement des années 1930 s'opère d'une toute autre façon que celui des années 1920. Premièrement, les pratiques de sélection de la main-d'œuvre sont devenues plus rigoureuses. Alcan porte une attention soutenue à la consignation de renseignements sur les travailleurs qu'elle embauche. Cela se manifeste en particulier par

76 Arvida au Saguenay

l'intérêt accordé aux antécédents des travailleurs. De 1925 à 1927, seulement 8 % des fiches d'embauché contiennent des renseignements sur les employeurs antérieurs des travailleurs; de 1935 à 1939, 79 % des fiches d'embauché contiennent des renseignements à ce sujet, et le pourcentage varie fort peu selon la catégorie d'emploi à laquelle le travailleur est affecté.42 La même chose s'observe pour les données sur le niveau d'éducation: 90% des fiches de la première cohorte d'embauché sont muettes à ce sujet, tandis que 81 % des fiches de la deuxième cohorte fournissent le renseignement. Les informations notées dans ces deux domaines apparaissent aussi plus précises que celles qui furent notées dans les années 1920. Deuxièmement, le recrutement des années 1930 amène à Arvida une population beaucoup plus homogène que la première. Les trois quarts des nouveaux travailleurs sont d'origine canadienne-française; au moins trois travailleurs sur cinq sont originaires du Saguenay.43 Les travailleurs qui s'identifient comme Canadian viennent en deuxième place mais ne forment que 15 % du total. Les autres nationalités qui comptent plus de dix représentants sont les Américains, les Britanniques et les Écossais. En tout, les travailleurs d'origine anglo-saxonne forment 19% des recrues de la période. Les dix-sept autres nationalités ont toutes moins de huit représentants. En plus d'accentuer le caractère canadien-français de la main-d'œuvre, le recrutement de la deuxième moitié des années 1930 aiguise la polarisation entre francophones et anglophones et réduit la place des travailleurs d'autres origines. Sur le plan de l'état civil, les célibataires ne représentent plus que 35 % des nouveaux travailleurs, alors qu'ils étaient la moitié lors de la première vague d'embauché. Près des deux tiers des travailleurs embauchés à partir de 1935 ont des personnes à charge; ceci inclut presque tous les travailleurs mariés mais aussi 15,5% des célibataires. Les hommes mariés ont en moyenne près de 35 ans, alors que les célibataires en ont 24. Les deux tiers des célibataires ont plus de vingt ans et n'en sont vraisemblablement pas à leur premier emploi. Ce personnel, qui est légèrement plus vieux que celui de la première cohorte 42 La proportion de fiches où l'emploi antérieur est indiqué est de 59%. Dans plusieurs cas, le nom de l'employeur était suffisant pour que l'on sache le type de travail effectué. 43 Nous n'avons pas compté parmi les Saguenayens d'origine les travailleurs dont la seule adresse fournie est située à Arvida; ils représentent 9% de la cohorte de 1935-1939. La légère baisse du pourcentage de travailleurs d'origine saguenayenne parmi les recrues de 1938-1939 indique peut-être que le bassin de maind'œuvre régional s'épuise: cette proportion passe de 62,7% en 1937 à 39 % en 1938, mais remonte à 53,3 % en 1939.

77 La constitution de la main-d'œuvre

(l'âge moyen à l'embauche est de 31,2 ans contre 30,1 ans dans la première cohorte) et qui a davantage de responsabilités familiales, demeurera en moyenne 6,9 ans au service d'Alcan, contre 3,3 ans pour les membres de la première cohorte. L'embauche d'une majorité de chefs de famille saguenayens répond à des impératifs sociaux. Les politiques mises en place pour combattre le chômage durant la Crise favorisent les hommes ayant charge de famille, les célibataires étant relégués, pour un temps du moins, dans des camps de travail établis hors des grandes agglomérations. Durant la Crise, la région du Saguenay est durement touchée par le chômage. En mai 1931, Alcan estime que les trois quarts des hommes de Chicoutimi et les deux tiers de ceux de Kénogami-Jonquière sont sans emploi.44 Lors de sa visite au Saguenay, en 1932, Raoul Blanchard constate que « les comtés du Lac-SaintJean et de Chicoutimi sont probablement, avec Montréal, les plus éprouvés de la province, ceux où sévit le plus le chômage».45 En 1935, les deux tiers de la population de Chicoutimi reçoivent des secours des services d'aide.46 Alcan réagit en privilégiant les travailleurs déjà sur place : en janvier 1937, le directeur des usines d'Arvida, A.W. Whitaker, avise les travailleurs que « les citoyens d'Arvida et des alentours auront la priorité sur tous les étrangers pour ce qui concerne l'engagement».47 Troisièmement, Alcan a recours à l'entourage de ses propres travailleurs pour trouver une partie de son personnel. Alors que de 1925 à 1934 seulement 6 % des travailleurs embauchés avaient des proches (père, frère, fils, oncle ou cousin) déjà au service de l'entreprise, cette proportion passe à 38 % au cours des années 1935 à 1939 et la proportion croît vers la fin de la période: en 1939, elle atteint 44%. Cette pratique constitue un échange de faveurs entre le travailleur et l'entreprise : le premier rend service à sa famille et en retire un certain prestige, en contrepartie de quoi il devient en quelque sorte, aux yeux de la compagnie, une caution morale pour le nouvel employé.48 Alcan donne ainsi une orientation paternaliste49 à ses relations de travail et s'associe aux valeurs régionales de solidarité. Du reste, le lancement 44 ANQ-C, dossiers de la Société historique du Saguenay, boite 12, dossier 37, H.R. Wake àj. Miville Lacroix, 9 février 1932. 45 Blanchard, L'Est, II : in. 46 Ringuette, «Les lendemains incertains», 149. 47 La Sentinelle, i, 3 (8 janvier 1937), 1,3. 48 La pratique est constatée dans le journal destiné aux travailleurs, qui conseille aux travailleurs d'obtenir l'assentiment du bureau du personnel avant de faire venir des parents ou des amis. La Sentinelle, ibid. 49 Nous n'employons pas ce terme dans un sens péjoratif, mais seulement pour désigner une orientation qui pouvait être considérée comme bénéfique et par l'entreprise et par ses employés.

78 Arvida au Saguenay

d'un premier journal d'usine, en décembre 1936, s'inscrit dans le même sens. Le but premier du journal est de « susciter des mesures de protection » des travailleurs contre les accidents industriels, mais il vise aussi des objectifs plus généraux : LA SENTINELLE désire vous intéresser à tous les développements de votre grande industrie et vous communiquer, au besoin, les ordres de vos chefs; car, ne l'oubliez pas, tourner vers le même idéal et consolider dans la concorde et l'harmonie les liens fraternels qui existent déjà entre elle et vos familles, voilà le véritable esprit de la Compagnie d'Aluminium. 5°

II faut constater toutefois qu'une forte proportion des emplois offerts dans les années 1930 sont liés aux activités de construction et seront d'une durée limitée. L'importance des activités de construction au cours de la deuxième vague d'embauché peut se lire dans la répartition des nouveaux travailleurs selon le secteur d'affectation. Les journaliers sont les plus nombreux (581), suivis des travailleurs affectés à la construction et à l'entretien (414); ces deux groupes comptent ensemble pour 74,2% des recrues. Seulement 116 travailleurs sont affectés directement à la production d'aluminium. À cause de la Crise, le bassin de journaliers où Alcan pouvait puiser, dans la région, était considérable : en 1935, les deux tiers des chefs de famille recevant de l'aide municipale, à Chicoutimi, étaient des journaliers.51 Le poids de l'embauche liée à la construction, dans la nouvelle cohorte, laisse donc présager une remontée du taux de roulement. La fin des nouveaux travaux de construction entraîne inévitablement des mises à pied. De plus, le roulement est traditionnellement plus fort parmi les travailleurs récemment embauchés.52 Le taux de roulement de la main-d'œuvre d'Alcan à Arvida augmente effectivement, les départs passant de 4,0% du nombre moyen de travailleurs en 1935 à 13,5% l'année suivante. Le taux décline ensuite à 9,5% en 1938 et chute à 4,9 % en 1939. Près de 80 % (479/613) de tous les départs des années 1935-1939 sont le fait de travailleurs embauchés durant cette période plutôt que de travailleurs embauchés plus tôt (tableau 8). Ce roulement est dans une large mesure provoqué par l'entreprise. La moitié de tous les départs survenant entre 1935 et 1939 touchent des travailleurs embauchés à compter de 1935 et qui sont mis à pied (lay off).). Ces travailleurs mis à pied représentent les deux tiers des cessations d'emploi des travailleurs embauchés depuis 1935, les autres 50 La Sentinelle, 1,1(4 décembre 1936), i. 51 Ringuette, « Lendemains incertains ». 52 Price, Study of Turnover, 28.

79 La constitution de la main-d'œuvre Tableau 8 Taux de roulement, travailleurs d'Alcan, Arvida, 1935-1939

Année

Nombre moyen de travailleurs

Départs

Taux de roulement %

1935

755

102

13,5

1936

884

108

12,2

1937

1507

157

10,4

1938

1 697

161

9,5

1939

1740

85

4,9

Source: Les données de 1935 proviennent de La Sentinelle, 11 juin 1937. Les données des années subséquentes sont tirées de la chronique tenue par Alcan. Le nombre des départs est tiré du tableau 5. Note: Le nombre annuel moyen de travailleurs représente la moyenne des effectifs recensés mensuellement par Alcan.

cessations d'emploi correspondant à des départs volontaires. Les mises à pied touchent surtout les travailleurs affectés à la construction : seulement 21 % des cessations d'emploi au sein de cette catégorie de travailleurs correspondent à des départs volontaires. Les motifs indiqués sur les fiches d'affectation confirment l'importance des départs décidés par l'entreprise. Près des trois quarts de tous les départs qui se produisent entre 1935 et 1939 donnent lieu à des remarques qui en indiquent le motif. Ces remarques font voir qu'au moins 23% de tous les départs touchent des travailleurs embauchés depuis 1935 et qui doivent quitter parce que les travaux auxquels ils sont affectés prennent fin. La grande majorité de ces départs affecte des travailleurs de la construction ou des journaliers. Les départs suscités par Alcan comptent pour 49 % de tous les départs dont les motifs sont expliqués.53 La proportion est plus élevée en 1936 et 1938, où elle atteint les deux tiers des départs dont les motifs sont précisés, alors qu'elle n'en constitue que le tiers en 1937 et 1939Le faible pourcentage des départs volontaires constitue une différence prononcée par rapport à la situation des années 1920. Cette différence doit beaucoup aux nouvelles pratiques de recrutement de la main-d'œuvre, de même qu'aux conditions économiques difficiles vécues par les travailleurs durant la Crise. Ces deux facteurs renforcent le paternalisme de l'entreprise et ont pour effet de tisser des liens plus étroits entre les travailleurs et l'entreprise.

53 Voir Igartua, « La mobilité professionnelle », 58 tableau 10.

8o Arvida au Saguenay Facteurs liés à la persévérance

L'homogénéité de la main-d'œuvre recrutée durant la deuxième moitié des années 1930 fait en sorte que la variation de la durée de l'emploi dépend encore moins des caractéristiques personnelles des travailleurs que chez les travailleurs de la première cohorte. L'origine ethnique n'a aucun effet sur les départs volontaires: des 364 travailleurs embauchés entre 1935 et 1939 qui quittent volontairement leur emploi, 58 % sont d'origine saguenayenne, soit leur proportion dans l'ensemble des recrues (57,2 %), 19% sont des Canadiens français de l'extérieur du Saguenay et les autres sont des étrangers. En revanche, elle affecte la durée de l'emploi : celle des Saguenayens est en moyenne de 7,3 ans, alors que celle des autres Canadiens français est de 5,8 ans. Les étrangers se situent à mi-chemin, avec une durée moyenne de service de 6,5 ans. Les différences sont beaucoup plus marquées à l'intérieur de chaque catégorie d'origine ethnique que d'un groupe à l'autre. L'état civil a un effet encore moins prononcé que l'origine géographique. Trois travailleurs sur cinq sont mariés ou veufs; ils feront en moyenne 7,3 ans de service, soit un an de plus, en moyenne, que les célibataires. Comme dans le cas de l'origine géographique, la variation à l'intérieur de chaque groupe est très forte, de sorte que l'état civil ne peut servir à prédire la durée de l'emploi.54 Les étrangers mariés ont à peu près la même persévérance (7,6 ans) que les Saguenayens mariés (7,5 ans). La différence entre les Saguenayens et les travailleurs d'autres origines est plus marquée chez les célibataires, mais les écarts ne sont pas très grands: les Saguenayens font 6,9 ans, contre 6 ans pour les étrangers et 5,8 pour les autres Canadiens français. L'état civil et l'origine ethnique n'ont donc pas d'influence marquée sur le taux de persévérance des travailleurs recrutés entre 1935 et 1939. La variation de la durée de l'emploi est un peu plus marquée selon le secteur d'affectation à l'embauche. Les travailleurs affectés à la production d'aluminium font en moyenne 9,5 ans: c'est le groupe qui affiche la moyenne la plus élevée. Les moyennes les plus faibles sont le fait des travailleurs de soutien (4,2 ans), des travailleurs affectés à la construction et l'entretien (5,1 ans), et des travailleurs affectés au transport et à l'expédition (6,2 ans). Le groupe comprenant les journaliers démontre une persévérance au-dessus de la moyenne, avec 8,1 ans de service. Mais on remarque ici aussi que les écarts-types sont très élevés et que cette variable ne possède pas, elle non plus, de vertus explicatives notables. 54 Le êta2 est de 0,0051 •

8i

La constitution de la main-d'œuvre

La variation de la durée de l'emploi selon le secteur d'affectation donne à penser que le salaire à l'embauche pourrait avoir un effet sur la persévérance des travailleurs. On peut en effet croire que plus le salaire à l'embauche sera élevé, plus le travailleur hésitera avant de quitter pour un autre emploi.55 Or ce n'est pas ce qu'on observe. Le coefficient de corrélation est de -0,28, ce qui indique que plus le salaire à l'embauche est élevé, plus la durée de l'emploi sera courte.56 L'analyse de régression permet de départager l'influence relative des caractéristiques des travailleurs sur leur persévérance, comme nous l'avons fait pour la première cohorte. A cause de la répartition des valeurs manquantes pour certaines variables, cette analyse ne porte que sur 198 observations, soit seulement 54,4 % des travailleurs qui quittent volontairement. Les seules caractéristiques qui aient un lien statistiquement valable avec la durée de l'emploi sont le salaire à l'embauche, l'état civil et le fait d'être affecté à la construction, la plus importante de ces trois caractéristiques. Prises ensemble, elles ne rendent toutefois compte que de 15,2 % de la variation dans la durée de l'emploi. L'origine ethnique, le nombre de personnes à charge, l'âge à l'embauche ou l'affectation à d'autres secteurs lors de l'embauche n'ont pas de liens avec la durée de l'emploi, une fois éliminé l'effet des trois premières variables. On constate donc qu'à l'exception de l'état civil, les caractéristiques démographiques n'affectent plus la durée de l'emploi. Ces conclusions se confirment par l'analyse de classification multiple. Cette analyse vise à faire ressortir le rôle relatif de l'état civil, de l'origine géographique et du secteur d'affectation lors de l'embauche, une fois éliminé l'effet du salaire à l'embauche, de l'âge à l'embauche et du nombre de personnes à charge. C'est le secteur d'affectation lors de l'embauche qui montre alors le plus d'influence sur la durée de l'emploi. L'effet de l'origine ethnique devient très minime et ce sont les Saguenayens qui se situent légèrement sous la moyenne, tandis que les travailleurs d'origine étrangère la dépassent d'environ deux ans. L'analyse produit un résultat similaire pour l'état civil: la durée de l'emploi des célibataires est plus forte que pour les homme mariés, mais les célibataires sont peu nombreux (19 contre 179 hommes mariés ou veufs). De plus, l'effet de l'état civil diminue une fois éliminé l'effet des autres caractéristiques.57 55 Selon Priée, de telles corrélations ont été fréquemment observées. Voir Priée, Study of Turnover, 68-70. 56 Cela vaut aussi pour l'ensemble des travailleurs embauchés entre 1935 et 1939, sans égard aux circonstances de la cessation d'emploi. Le coefficient obtenu, qui est plutôt faible, ne porte que sur 83,5 % des cas de départ volontaire, à cause de l'absence de mention du salaire horaire sur certaines fiches. 57 Voir la partie C de l'annexe i.

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Arvida au Saguenay

LA M A I N - D ' Œ U V R E À LA FIN DE 1939 La Crise et les nouvelles pratiques de sélection de la main-d'œuvre ont eu une influence marquée sur la composition des effectifs employés par Alcan. À la fin de 1939, 71 % des travailleurs sont canadiensfrançais. De ceux-ci, 74 % sont des Saguenayens d'origine, ce qui leur donne la majorité dans les usines. Les deux tiers des travailleurs sont mariés, proportion qui s'élève aux trois quarts pour les Saguenayens. Quant aux travailleurs originaires de l'extérieur du Saguenay, ils sont devenus encore plus stables que les Saguenayens : ils sont au service d'Alcan depuis 6,4 ans en moyenne, contre 5,1 ans pour les Saguenayens, et ils demeureront plus longtemps que ceux-ci à l'emploi d'Alcan, après 1939-58 Les travailleurs mariés provenant de l'extérieur du Saguenay ont déjà fait, en moyenne, 8,6 années à Arvida. Un quart des travailleurs sont à l'emploi d'Alcan depuis 1927 ou plus tôt; les travailleurs embauchés en 1926 sont les plus nombreux, après ceux embauchés en 1937. Les travailleurs embauchés en 1938 et 1939 ne comptent que pour 17,5 % des effectifs. L'âge médian des travailleurs est de 34 ans et près des deux tiers ont entre 20 et 40 ans. Alcan dispose donc, au début de 1940, d'une main-d'œuvre d'âge mûr, expérimentée, stable, et beaucoup plus homogène qu'à ses débuts. La constitution de cette main-d'œuvre fut le fruit d'un ensemble de facteurs, dont quelques-uns seulement ont pu faire l'objet d'analyses dans ce chapitre. Mais il faut rappeler que certains autres facteurs nous échappent. Ainsi, la plupart des motivations individuelles des travailleurs ou des membres de leur famille demeurent inconnues. Qu'en est-il des relations d'amitié ou d'inimitié entre les travailleurs, entre les travailleurs et leurs dirigeants, ou encore des relations entre voisins? Comment les travailleurs se distinguaient-ils selon leur capacité de supporter les particularités du travail en usine? Nos sources sont muettes sur ces sujets. Quels qu'aient été ces motifs, cependant, Arvida fut façonnée par les travailleurs qu'Alcan a recrutés et gardés à son service durant ses premières années d'existence.

58 Les travailleurs d'origine saguenayenne présents au i er janvier 1940 auront en moyenne 7,4 années de service, alors que les autres Canadiens français en auront 8,7 et les étrangers, 10,6.

C H A P I T R E QUATRE

Le travail en usine

Le complexe industriel construit par Alcan à Arvida introduit dans la région du Saguenay des activités industrielles d'un type nouveau en même temps qu'il fait appel à des métiers déjà connus des Saguenayens. Certains métiers, comme celui de cuviste ou le travail relié à la fabrication d'anodes de carbone, sont spécifiques à l'industrie de l'aluminium et, par conséquent, inconnus des travailleurs de la région. D'autres leur sont plus familiers, tels que la mécanique et les métiers de la construction, le travail de bureau ou encore les emplois de journaliers. Encore faut-il que les travailleurs se familiarisent avec les méthodes de gestion de l'employeur. Au cours de leurs années de service, les travailleurs des usines sont appelés à exercer plusieurs métiers différents selon l'évolution des besoins en main-d'œuvre de l'entreprise et selon leurs propres aptitudes à remplir certaines tâches. Comment les travailleurs vont-ils se plier aux exigences des métiers pratiqués dans les usines d'Alcan? Le travail est varié et les tâches à accomplir dépassent de loin la production du métal lui-même. Nous commençons ce chapitre en décrivant les différents secteurs de travail qu'on retrouve au complexe d'Arvida et les métiers qui s'y rattachent,1 depuis la production de l'alumine jusqu'à l'expédition des lingots, en passant par les fonctions de gestion et de soutien, afin que l'on saisisse bien les particularités des tâches assignées aux travailleurs. Nous examinons ensuite la manière dont les travailleurs sont formés et comment ils se perfectionnent eux-mêmes en exécutant les tâches pour lesquelles ils sont rémunérés. Le travail est effectué dans des conditions souvent très i Les fiches de service des travailleurs ont été informatisées et les données versées dans la base de données ALCFICH. Grâce à celles-ci, nous avons défini les secteurs de travail selon leur fonction principale et y avons regroupé les titres professionnels tirés des fiches de service. Nous avons présenté une esquisse de l'évolution de la structure professionnelle dans « La mobilité professionnelle ».

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difficiles, qui entraînent parfois des accidents mortels. Nous nous penchons sur ces conditions avant d'évaluer les niveaux de salaire qui prévalent à Arvida et d'estimer le niveau de vie auquel ces salaires donnent accès. LES SECTEURS DE TRAVAIL

Le complexe industriel d'Arvida fait appel à une grande variété de métiers et de professions. Outre le secteur de la production du métal proprement dit, il comprend celui du transport des matières premières à l'intérieur des usines et l'expédition du métal par bateau ou par chemin de fer, de même qu'un secteur de la construction et de l'entretien, où il est impossible de distinguer l'une de l'autre, étant donné que les métiers exercés y sont les mêmes. On compte aussi le personnel de direction et le personnel de soutien. Les journaliers, qui peuvent être affectés à différentes tâches, selon les semaines et les années, constituent le groupe le plus considérable et forment une catégorie particulière. La production

La production d'aluminium se situe au cœur du complexe d'Arvida. Elle comprend deux processus principaux, la transformation de la bauxite en alumine et l'électrolyse de l'alumine en aluminium, ainsi qu'un processus complémentaire, la fabrication des anodes de carbone utilisées dans le processus d'électrolyse. Du point de vue technique, il n'est pas indispensable que ces trois processus se déroulent au même endroit. À Arvida, comme on l'a vu plus tôt, la production d'alumine a été interrompue de 1931 à 1936; l'usine recevait alors son alumine des établissements d'Alcoa situés à East St. Louis (Illinois). Cependant, comme Arvida était située à proximité du port de mer de Port-Alfred (aujourdhui La Baie), il était possible de réduire les frais de transport en réunissant les trois usines au même endroit. Celles-ci sont mises en route l'une après l'autre : les salles de cuves commencent à produire en 1927, l'usine d'anodes l'année suivante et l'usine d'alumine en 1928. L'usine d'anodes . Pour chaque tonne d'aluminium produite, l'électrolyse consomme trois quarts de tonne d'anodes. La fabrication des anodes pour les cuves consiste à calciner du coke, à le pulvériser, à y mêler de la poix chaude, à presser le mélange dans des moules et à le cuire dans des fourneaux électriques.2 À ces étapes du procédé correspon2 Le Progrès du Saguenay, 6 décembre 1934, 8, «La production d'aluminium à Arvida».

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Le travail en usine

dent les métiers d'opérateurs de four à calciner, de chargeurs et de déchargeurs de fours, d'opérateurs de broyeurs, de préposés aux balances, de préposés aux malaxeurs, de poseurs de tiges et d'opérateurs de fourneaux. On y retrouve aussi des opérateurs de ponts roulants. D'autres ouvriers déchargent les wagons de coke et les nettoient. La saleté du coke et la chaleur rendent ces métiers aussi pénibles, sinon plus, que les métiers des salles de cuves. L'usine d'alumine. L'usine d'alumine sert à filtrer les impuretés contenues dans la bauxite pour en faire de l'alumine. La pureté de l'alumine détermine la pureté de l'aluminium; pour servir de conducteur dans les fils électriques qui en sont fabriqués, l'aluminium doit être extrêmement pur. De 1928 à 1931, l'usine d'alumine fonctionne selon un procédé à sec qui consiste à chauffer un mélange de bauxite et de coke dans un four électrique ; la chaleur réduit les impuretés des oxydes de fer, de titane et de silicium, qui sont précipitées au fond du four. L'alumine qui s'en dégage est siphonnée puis refroidie et entreposée. Ce procédé fait appel à des opérateurs de fours et à de la maind'œuvre non spécialisée pour charger et décharger les fours. À cause de sa forte consommation d'électricité et des impuretés trop nombreuses qu'il laisse dans l'alumine, le procédé à sec est abandonné en 1931. L'alumine est par la suite importée des États-Unis jusqu'à la réouverture de l'usine d'alumine en 1936. Alcan décide en 1935 de convertir l'usine d'alumine au procédé Bayer, du nom de l'inventeur du procédé de précipitation de l'alumine. C'est le procédé le plus courant, qui produit une alumine d'une plus grande pureté, à moindre coût que le procédé à sec. La bauxite est mêlée à de la soude caustique dans un four autoclave. La solution ainsi obtenue est séparée des impuretés par filtration et précipitation, puis décomposée, lavée et calcinée. Le procédé Bayer requiert «un vaste complexe fait d'autoclaves, de décomposeurs qui contiennent des millions de litres de liquide, de filtres, de cuves d'attente et de lavage, de fours de calcination, de chaînes transporteuses, de kilomètres de tuyauterie, d'immenses tas de bauxite et d'entrepôts de l'alumine prête pour l'expédition».3 La production débute à la nouvelle usine en 1936 et donne lieu à l'apparition de dix nouveaux titres professionnels dans les fiches de service. Des hommes travaillent au déchargement de la bauxite et de la soude ou assurent le fonctionnement des autoclaves, des filtres, des décomposeurs et des fours de calcination. Outre le bruit et la chaleur produite par les autoclaves et les fours de calcination, les travailleurs doivent aussi composer avec la 3 Campbell, Mission mondiale, 136. Le procédé à sec s'y trouve décrit, p. 138.

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causticité des acides employés dans le procédé Bayer. En 1937, une centaine d'hommes travaillent à l'usine d'alumine. Les salles de cuves . L'électrolyse de l'aluminium est un procédé électrochimique qui consiste à faire passer un courant électrique dans une solution d'alumine (ou oxyde d'aluminium) et de cryolithe, un fluorure d'aluminium et de sodium qui agit comme solvant. On utilise des cuves d'acier, dont l'intérieur est enduit d'une couche de carbone qui sert de cathode (électrode négative). On remplit la cuve d'alumine et de cryolithe. On abaisse dans les cuves des anodes de carbone (électrodes positives), à travers lesquelles on fait passer un courant électrique de haute tension. Le courant dégage l'oxygène de l'alumine et forme du gaz carbonique; l'aluminium en fusion, plus lourd que la cryolithe, tombe au fond de la cuve. Le procédé est continu et exige qu'on ajoute régulièrement de l'alumine, qu'on remplace les anodes consumées et qu'on retire l'aluminium en fusion du fond de la cuve au moyen d'un siphon. Ces opérations doivent être effectuées en maintenant la tension requise entre les anodes et la cathode, sans quoi le courant ne passe plus et le processus s'enraie. Il se forme alors une croûte à la surface du bain, ce qui empêche les gaz de s'échapper de la cuve et provoque par conséquent un arrêt de l'électrolyse. Comme les cuves sont montées en série, il est essentiel de rétablir au plus tôt le bon fonctionnement de chacune, sans quoi les variations de tension vont affecter les autres cuves. Ces opérations sont la responsabilité de travailleurs exerçant une vingtaine de métiers. Le plus important est celui de cuviste. Le cuviste doit assurer la stabilité du processus d'électrolyse, en surveillant la tension, en ajoutant de l'alumine et en réglant les anodes. Il doit aussi casser la croûte qui se forme sur les cuves, un travail extrêmement pénible qui l'oblige à travailler avec une barre et une masse au-dessus de la cuve, qui dégage une très forte chaleur et des émanations de gaz. Les cuvistes sont assistés dans la production d'aluminium par les changeurs d'anodes et les opérateurs de ponts roulants. Ces derniers acheminent l'alumine aux cuves et l'aluminium en fusion vers les salles de coulée et déplacent les cuves qui nécessitent des réparations. D'autres travailleurs sont spécialisés dans la préparation et l'installation des cuves ou dans le contrôle de la qualité du métal. Dans les salles de coulée, l'aluminium en fusion est moulé en lingots ou en barres, qu'emballent d'autres travailleurs spécialisés. Des travailleurs non spécialisés s'occupent du déchargement de l'alumine ou de l'entretien. Entre 1926 et 1940, cette répartition des tâches change peu. À la fin des années 1930, le travail autour des anodes devient plus diversifié.

87 Le travail en usine

Les deux nouvelles salles de cuves mises en activité en 1938, les salles 24 et 25, fonctionnent selon le procédé Sôderberg, légèrement différent du procédé employé dans les premières salles. Au lieu d'anodes de carbone cuites d'avance dans des fourneaux électriques, le procédé Sôderberg utilise des anodes continues : placée dans un coffrage érigé au-dessus de la cuve, la pâte de carbone s'en échappe lentement par le bas et est progressivement cuite par la chaleur qui se dégage de la cuve. Au fur et à mesure que la pâte descend vers la cuve, on doit y insérer des goujons qui, raccordés aux barres de haute tension, servent de bornes électriques. Le carbone cuit forme ainsi une anode qui baigne dans la cuve et s'y consume. Les goujons doivent alors être retirés et replacés plus haut le long de l'anode. Des travailleurs spécialisés, appelés poseurs et arracheurs de goujons, effectuent ce travail. En même temps apparaissent quelques nouvelles fonctions d'inspection et de supervision. Les titres professionnels ne révèlent cependant pas encore de traces de mécanisation du travail. Les cuvistes travaillent en groupe, sous la direction de chefs d'équipe, de sous-contremaîtres et de contremaîtres. Chaque cuviste est responsable d'un certain nombre de cuves; selon les situations, les cuvistes peuvent s'entraider pour rétablir l'état d'une cuve. Ils sont entourés de manœuvres et de préposés à l'entretien. Les salles 20, 21 et 22, dans lesquelles sont installées les cuves à anodes précuites, requièrent chacune neuf cuvistes par quart de travail, soit 81 cuvistes pour les trois quarts d'une journée de travail. En plus des travailleurs énumérés plus haut, chaque équipe de cuvistes compte des chefs cuvistes et un contremaître, soit en tout 147 hommes pour les trois quarts de travail. Les salles de cuves Sôderberg, ouvertes à partir de 1937, font appel à des équipes plus nombreuses. Dans la salle 23, qui contient des cuves à anodes précuites et des cuves de type Sôderberg, chaque équipe comprend, outre le contremaître, le chef cuviste, le chef cuviste adjoint, l'opérateur de pont roulant et les changeurs d'anode, neuf cuvistes, de même que des poseurs et des arracheurs de goujons et des aides pour ajouter la pâte dont l'anode est faite : au total, 24 hommes par quart. Les salles 24 et 25, qui ne contiennent que des cuves de type Sôderberg, commandent des équipes de 33 hommes, dont la moitié sont cuvistes.4

4 Archives nationales du Canada [ci-après ANC], RG 33/56, Royal Commission to Inquire into thé Events Which Occurred at Arvida, P.Q., in July 1941 [ci-après Létourneau-Bond, du nom des commissaires], vol. 3, pièce no 30, «Potroom Department».

88 Arvida au Saguenay Le transport et l'expédition

Le complexe d'Arvida consomme de grandes quantités de matières premières. En plus de la bauxite, les usines utilisent du coke, de la poix, de la soude, de la cryolithe, sans compter le mazout pour les fours autoclaves. L'aluminerie expédie plusieurs tonnes d'aluminium par semaine. En plus des trois quarts de tonne d'anodes de carbone, il faut deux tonnes d'alumine pour produire une tonne d'aluminium: ces chiffres fournissent une indication quant au volume de matières premières qui doivent parvenir aux installations. Les matières premières et l'aluminium à expédier sont manutentionnés par voie ferrée. Les métiers associés au transport ferroviaire, tels que conducteurs de locomotives, chauffeurs, serre-freins, préposés à l'entretien des voies, ainsi que préposés aux ponts roulants ou aux pelles mécaniques, font donc eux aussi partie de l'éventail des métiers pratiqués à Arvida. Ces métiers apparaissent dès les premières années et il ne s'en ajoute guère par la suite. La construction et l'entretien

Cette catégorie recouvre un grand nombre de métiers, la plupart reliés à la construction, les autres relevant de l'entretien mécanique ou de celui des terrains. Dans les périodes de construction, Alcan embauche des forgerons, des menuisiers, des finisseurs de ciment, des plâtriers, des électriciens, des mécaniciens, des plombiers, des vitriers, des peintres, des machinistes, des mouleurs, des installateurs de machinerie, des poseurs d'appareil de chauffage, des mécaniciens en tuyauterie, des chaudronniers, des calfats, des riveurs, des scieurs, des couvreurs de bardeaux, des soudeurs et des ferblantiers. D'autres vaquent à des travaux demandant peu de formation : journaliers qui creusent des égouts, hommes affectés au concassage, jardiniers, préposés aux entrepôts, magasiniers. Le nombre de métiers dans cette catégorie suit les périodes de construction: on en dénombre près de 90 en 1927, puis une trentaine au début des années 1930, et enfin jusqu'à une cinquantaine en 1937. Cependant, Alcan garde toujours quelques ouvriers qualifiés à son emploi: il y en a encore une dizaine en 1933, au plus fort de la Crise. La gestion

Les emplois reliés à la gestion sont peu nombreux. Ces postes se répartissent en trois niveaux. Le premier comprend le personnel de direction: une vingtaine de titres de postes relevés dans les fiches du

89 Le travail en usine

personnel correspondent à des fonctions dont le niveau hiérarchique dépasse celui de contremaître. Il s'agit en premier lieu des postes de directeur (superintendant) du service de l'électricité, directeur des camps, directeur du service de la mécanique, directeur de la construction, directeur de l'immobilier, directeur de l'usine de carbone et directeur du service de revêtement des cuves. À un niveau inférieur, on retrouve les fonctions de gérant du personnel, gérant des entrepôts, gérant du service des transports (tràffic manager) et directeur technique. Enfin, on compte aussi un directeur des achats et un préposé à la paie. Au deuxième niveau se situent les fonctions de gestion appartenant aux services techniques et reliés soit aux laboratoires et au contrôle de la qualité, soit au génie. Dans le premier groupe, on trouve des chimistes, des préposés aux instruments, des inspecteurs, des essayeurs (testers), des analystes de routine et des techniciens de rayons X. L'autre groupe comprend des ingénieurs en construction, des concepteurs, des architectes et des dessinateurs. Le personnel de bureau forme le niveau le plus bas de la hiérarchie des fonctions de gestion. On y retrouve les emplois usuels de commis, sténo, dactylo, teneur de livres, comptable, ainsi que ceux de chronométreur (timekeeper), de caissier et de préposé à la sécurité. C'est dans cette catégorie et dans celle des fonctions de soutien qu'on retrouve les quelques femmes à l'emploi d'Alcan. Le personnel de soutien

Le personnel de soutien, lui aussi peu nombreux, accomplit des tâches qui ne sont pas directement reliées à la production ou à la gestion. Il s'agit tout d'abord de professionnels et de personnes spécialisées, embauchés dès les premières années: médecin, professeur, infirmières, boulanger, boucher, chef cuisinier et photographe. Le personnel non spécialisé travaille surtout aux camps et dans les résidences de la compagnie : on y trouve des garçons de table, des cuisiniers, des gardiens, des plongeurs, des servantes, des téléphonistes, des concierges et même un préposé à la patinoire. En septembre 1936, on embauche un rédacteur pour le journal de l'entreprise et, l'année suivante, un chef de police. Les manœuvres et journaliers

Cette catégorie comprend les manœuvres affectés aux usines, à la construction et à l'entretien, au transport et à l'expédition, ainsi que les journaliers dont l'affectation n'est pas connue. Ces derniers forment la

go Arvida au Saguenay

catégorie la plus considérable. Le nombre de manœuvres et de journaliers varie selon le niveau d'activité au complexe d'Arvida. Il est très élevé durant les périodes de construction, mais diminue en deçà du nombre de travailleurs de la production durant les périodes creuses. Ces postes sont presque par définition des emplois temporaires ou instables. La quantité de métiers différents dans l'ensemble du complexe d'Arvida est donc considérable. De 1926 à 1939, on compte environ 120 titres de postes différents. Mais ce nombre fluctue beaucoup selon la conjoncture. Au plus fort de la période de construction initiale, en 1927, on dénombre plus de 200 titres différents. En 1933, au moment où il y en a le moins, on n'en compte que 49. Le nombre de titres différents s'accroît jusqu'à 143 en 1939-5 LA F O R M A T I O N DES TRAVAILLEURS

Les travailleurs s'adaptent tant bien que mal aux nouveaux métiers qui leur sont offerts à Arvida. Leur formation n'apparaît pas comme une préoccupation importante de la direction des usines. Le savoir technique relié à la production de l'aluminium ou des anodes est importé tout naturellement des autres installations d'Alcoa par l'intermédiaire des contremaîtres généraux ou des directeurs.6 Une fois la production en marche, il revient aux contremaîtres de former leurs hommes. Ceux-ci, toutefois, grâce à leur expérience de travail, acquièrent des connaissances qui leur sont propres et dont ils se servent pour améliorer leur rendement. Le personnel importé

Le personnel de direction d'Arvida est issu des autres établissements d'Alcoa en Amérique du Nord. Le premier directeur général des installations, Ralph E. Parks, arrive en avril 1926 de l'usine de Badin, en Caroline du Nord.7 Il demeure en poste jusqu'en 1930, puis retourne chez Alcoa. Le premier directeur des salles de cuves, Frank Dickie, est muté des usines de Shawinigan; il ne reste cependant que quelques mois à Arvida et est remplacé par James B. (Jim) White, qui dirigeait 5 Voir Igartua, « La mobilité professionnelle », 50. 6 Kayser procédait encore ainsi dans les années 1950. Voir Gray, «Employment Effect». 7 Les informations qui suivent sont tirées de Campbell, Mission mondiale, 120-123, de W. Whitaker, Aluminum Trail, passim, et de Brock, « Alcan in thé Saguenay », II : 2130.

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Le travail en usine

les salles de cuves d'Alcoa à Niagara Falls. Albert W. Whitaker, qui prend la direction de l'usine d'anodes, provient de l'usine d'Alcoa à Massena, dans l'Etat de New York, où il avait les mêmes fonctions. Deux ans plus tard, il prend la direction de l'usine d'alumine. En 1930, il remplace Ralph Parks comme directeur général, poste qu'il occupe jusqu'en 1939. Lors de la nomination de Whitaker à la direction générale, White prend sa place à la direction de l'usine d'alumine, jusqu'à la fermeture de cette usine en 1931. En 1930, la direction des salles de cuves est confiée à Percy Radley, le directeur des salles de cuves de Shawinigan. Enfin, Ralph Rimmer est venu en 1928 des installations d'Alcoa à Badin pour assister Whitaker à la direction de l'usine d'alumine; il sera ensuite l'adjoint de Percy Radley et deviendra directeur technique en 1935. En 1935, la reconstruction de l'usine d'alumine attire du nouveau personnel de direction. Whitaker confie la direction générale à Melvin P. Weigel, du complexe d'Alcoa à East St. Louis. Un Canadien, A.I. Cunningham, dirige les travaux de construction. Il a comme adjoint un autre Canadien, EL. Parsons, ancien joueur de football de McGill qui travaillait dans la construction à Pittsburgh ; Parsons sera le contremaître général de l'usine. Enfin, le directeur de l'usine de fluorure, ouverte en 1938, provient lui aussi d'East St. Louis; il s'agit de Cari Baumgarten.8 Le rôle des contremaîtres

Les connaissances techniques nécessaires à la production d'aluminium, d'alumine, d'anodes et de fluorure proviennent donc de la société mère, Alcoa. Mais, en général, elles ne sont pas transmises aux travailleurs directement par les cadres : les connaissances techniques passent surtout par l'entremise des contremaîtres. Un cas fait exception à cette règle et concerne la mise en route des premières salles de cuves, alors que le savoir relié à la fabrication d'aluminium est transmis à d'autres par Jim White, dont on raconte qu'il mit lui-même la main aux cuves les premiers jours,9 et par un tout petit nombre de travailleurs mutés des usines de Shawinigan. Malcom Carey sera directeur adjoint des salles de cuves jusqu'en 1930; il retourne alors à Shawinigan avant de revenir à Arvida en 1937. Les fiches de service indiquent qu'un seul autre cuviste en provenance de Shawinigan vient travailler à Arvida en 1926. En 1933, avec la fermeture de toutes

8 Campbell, Mission mondiale, 148-50, 329; Whitaker, Aluminum Trail, 142, 145. g Campbell, Mission mondiale, 122.

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Arvida au Saguenay

les salles de cuves de Shawinigan, une autre poignée de travailleurs et de cadres est mutée à Arvida.10 La transmission du savoir technique par les cadres aux contremaîtres puis aux hommes est suffisante, semble-t-il, pour former les recrues. En fait, Alcan n'offre pas de véritable formation à ses travailleurs. Les cuvistes apprennent leur métier sur le tas. D'anciens cuvistes affirment qu'ils ont appris leur métier de leur contremaître ou des autres ouvriers, en quelques jours ou même en un seul quart de travail. ' 1 Les cadres eux-mêmes ne s'entendent pas sur la durée de la période de formation. Témoignant devant la commission d'enquête sur la grève de 1941, Malcom Carey soutient qu'il faut deux semaines pour apprendre le métier de cuviste. Le contremaître général, William Lorenson, précise que, la première journée, le nouveau cuviste regarde faire un ancien, puis prend charge de deux à quatre cuves, jusqu'à ce qu'il atteigne un quota de sept cuves, au bout de quatre ou cinq jours. Un des contremaîtres des salles de cuves est moins optimiste, considérant qu'il faut deux mois pour former un nouveau cuviste.12 Sans doute doit-on distinguer entre l'acquisition des rudiments du métier, ce qui peut se faire rapidement, et l'expérience du fonctionnement des salles de cuves, ce qui est plus long. Ces opinions divergentes trahissent toutefois l'absence de systématisation du processus de formation des cuvistes. Certains métiers, comme celui d'opérateur, à l'usine d'alumine, exigent moins de formation spécialisée que celui de cuviste, tandis que certains autres sont déjà connus des travailleurs, comme les métiers de la construction ou de l'entretien mécanique. Nous n'avons trouvé aucun renseignement sur la méthode de formation de ces travailleurs, ce qui indique que, le cas échéant, leur formation se faisait sur le tas. Le savoir-faire des travailleurs

Les cuvistes apprennent rapidement que le procédé d'électrolyse doit être surveillé de près pour éviter le dérèglement des cuves et le surcroît de travail qu'il entraîne. Tout est affaire de dosage dans les quantités d'alumine ou de fluorure à ajouter aux cuves et dans la hauteur à laquelle il faut maintenir les anodes. Pour se guider, les cuvistes n'ont qu'une lumière-témoin qui indique les fluctuations de courant dans les cuves. Ils apprennent à améliorer le rendement des cuves en modifiant les dosages recommandés par les ingénieurs ; comme ils reçoivent 10 Chronique, 125. 11 ANQ-C, fonds Sakini, dossiers 39, 53, 60, 64, 65, 989 < 12 Létourneau-Bond, vol. i, 175,586,697.

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Le travail en usine

une partie de leur salaire sous forme de prime au rendement, cette pratique leur est avantageuse. Un ancien cuviste confie qu'il devait se cacher pour ajouter du « stuff» (il s'agit probablement d'alumine) aux cuves afin de les faire produire davantage ; un autre raconte avoir fait des « expériences » pour augmenter la production. Avec le temps, ces pratiques sont adoptées par les contremaîtres. '3 LES C O N D I T I O N S DE TRAVAIL

Les patrons comme les travailleurs décrivent volontiers les conditions de travail comme étant dures. Le milieu ambiant est souvent insalubre, la durée du travail, longue, et les risques d'accidents, toujours présents. Les conditions de travail mettent à l'épreuve la résistance des travailleurs. Le milieu ambiant

Les salles de cuves sont le lieu de travail le plus pénible.14 Les travailleurs y sont exposés à l'intense chaleur dégagée par les cuves, de même qu'au dioxyde de carbone et à la fluorine qui s'en échappent. La ventilation rudimentaire n'améliore pas beaucoup les choses. Plusieurs travailleurs quittent ou demandent des mutations en disant ne pas pouvoir supporter les gaz. Pour prendre de l'air frais, les travailleurs doivent sortir des salles de cuves; en hiver, cela implique le passage d'une chaleur intense à des froids sibériens. En été, la chaleur à l'extérieur des salles de cuves empêche les hommes de récupérer. En plus d'alimenter les cuves en alumine et d'en surveiller le bon fonctionnement, les cuvistes doivent aussi casser la croûte qui se forme dans les cuves lorsque le procédé d'électrolyse se dérègle. Ils travaillent alors au bord de la cuve au pic et à la masse, en pleine chaleur. Ils ne résistent que quelques minutes et doivent être relayés ou prendre un moment de repos. Lorsque l'électrolyse est terminée, les cuvistes travaillent avec les opérateurs de pont roulant pour retirer le métal en fusion. Il faut aussi remplacer les anodes de carbone qui se consument: c'est le travail des changeurs d'anodes. Dans les salles de cuves Sôderberg, la cuisson des anodes au-dessus des cuves exige la présence des poseurs et des arracheurs de goujon, des leveurs de tige et des monteurs de cadre. Tous sont exposés à la chaleur et aux gaz qui s'échappent des cuves.

13 ANQ-C, fonds Sakini, dossiers 39, 58. 14 Ibid., dossier 97.

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Les travailleurs qui témoignent des conditions de travail insistent tous sur la chaleur des salles de cuves. «J'ai vu des gars perdre connaissance » à cause de la chaleur et du caractère pénible du travail, dit l'un. Un autre se souvient des courants d'air froids l'hiver et de la chaleur l'été. Durant le premier mois de travail dans les salles de cuves, il vomissait chaque soir en rentrant à la maison. Les hommes acceptaient ces conditions avec un certain fatalisme : « On n'avait pas vu autre chose ... C'est terrible comme un homme peut devenir résistant». 15 Dans l'usine d'alumine, la soude et les autres produits chimiques utilisés dans le processus de purification de la bauxite émettent des vapeurs et des odeurs qui assaillent les voies respiratoires. Les émanations sont si fortes que les vêtements des travailleurs «leur pourrissaient sur le dos», selon l'un d'eux.16 Les éclaboussures de liqueur caustique peuvent aussi entraîner des brûlures. Les autres secteurs de travail offrent des conditions moins pénibles. L'environnement de travail des menuisiers et des électriciens affectés à l'entretien, par exemple, est sans doute semblable à celui d'autres entreprises. Ces conditions étant plus courantes, on n'en retrouve donc aucune description particulière. Le temps de travail

À Arvida, comme dans les autres milieux industriels de l'époque, on travaille en principe huit heures par jour, six jours par semaine, toute l'année. Seuls les dimanches et quelques jours fériés sont chômés. En pratique, la production dans les salles de cuves est un procédé continu qui exige de la main-d'œuvre vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine. Les équipes de travail sont donc réparties en trois quarts de huit heures. Les hommes travaillent huit heures par jour, sept jours par semaine, pendant trois semaines; ils ont ensuite trois jours de répit avant de reprendre le travail.17 Dans les salles de cuves, les hommes prennent leurs repas « sur le bord des cuves » et n'ont que vingt minutes ou une demi-heure pour manger.18 Leur travail est un mélange de labeur intense et de temps de récupération; une étude aurait conclu que le temps passé à travailler représente 60 % du quart de travail.1Q La production en continu implique donc le travail du dimanche. L'organisation des quarts de travail sur trois semaines témoigne de 15 16 17 18 19

Ibid., dossiers 39, 60, 58, 65. Ibid., dossier 97. Ibid., dossier 29. Ibid., dossiers 29, 39, 60, 53, 65. Létourneau-Bond, vol. 2, 1354, témoignage de Hugh Cameron Jenkinson, directeur adjoint, usine d'aluminium, citant une étude de l'ingénieur Manseau.

95

Le travail en usine

cette nécessité technique. Dans une population majoritairement catholique, cela soulève des interrogations et mène à des accommodements. On sait que l'Église consent à ce que l'on déroge à la loi du sabbat pour des raisons impérieuses. Les cultivateurs, par exemple, obtiennent l'autorisation de travailler aux champs le dimanche lorsque les conditions météorologiques mettent leur récolte en danger. Mais le clergé, particulièrement dans la région du Saguenay, a ouvertement dénoncé le travail le dimanche tel que pratiqué dans les usines de pâtes et papiers.20 La situation est-elle comparable à Arvida? Au début, le curé de la paroisse, l'abbé Joseph Lévesque, s'interroge et obtient de l'entreprise des précisions sur la nécessité du travail le dimanche. Puis, c'est à son tour de recevoir des demandes de renseignements. Un aumônier des syndicats catholiques de Chicoutimi lui écrit à ce sujet en décembre 1926. Le curé répond que quelques travaux non urgents ont été accomplis, mais que « d'une manière générale, on ne peut pas dire que les employés au service de la Compagnie de l'Aluminium ont été forcés de travailler le dimanche à Arvida». 21 Réponse presque jésuitique; les travailleurs des salles de cuves doivent en fait accepter de travailler le dimanche, car cela fait partie du mode de fonctionnement ordinaire de l'usine. En 1932, l'institution d'une messe dominicale à 6 h 15, à l'intention des hommes qui font le quart de 8 h à 16 h, apporte une solution partielle au problème du travail du dimanche. Les travailleurs dont le quart se termine le dimanche matin peuvent aller à la grand-messe : un travailleur qui est demeuré à jeun pour y communier est cité en exemple.22 Les vacances annuelles n'apparaissent qu'avec la première convention collective, signée en 1937, entre le syndicat et l'entreprise.23 La convention prévoit deux semaines de vacances annuelles pour les travailleurs payés à la semaine ou au mois et comptant « un an de services ininterrompus » ; il s'agit des employés de bureau ou des services techniques. Quant aux travailleurs payés à l'heure, qui constituent la majorité, la convention prévoit qu'à partir du i er janvier 1938, chaque année de «services ininterrompus» leur donnera droit à une journée de vacances. La restriction est importante, car, comme nous le verrons plus loin, les travailleurs sont souvent mis à pied pour une ou deux 20 VoirHamelinetGagnon, catholicisme québécois,!: 315-317, et Ryan, TheClergy, 1966, 167-171, sur le conflit entre Priée et Mgr Lapointe, à ce sujet, avant la Première Guerre mondiale. 21 STEJA, 1926, 142-3, 200-1, 209-12. 22 Ibid., 1932: 197; i937 : 32 3 Convention collective de travail entre Aluminum Company of Canada, Limited et Le Syndicat national catholique de l'industrie de l'aluminium d'Arvida, Arvida, Québec, 1937.

g6 Arvida au Saguenay

semaines, puis repris, puis mis à pied de nouveau, ce qui interrompt leur service. De plus, la convention collective laisse à l'employeur le droit de fixer le moment où les travailleurs prennent leurs vacances et d'imposer «les autres règlements que celle-ci jugera opportuns». Les employés qui peuvent jouir de vacances sont peu nombreux. Les fiches de service indiquent que seulement 87 travailleurs en profitent en 1938 et 115 en 1939. Parmi ceux-ci, on compte 18 cadres ou employés de bureau en 1938 et 17 en 1939. Il n'y a qu'une seule mention de vacances en 1937 et aucune auparavant. Ce n'est donc qu'à la fin des années 1930 que la pratique des vacances annuelles commence à s'instaurer à Arvida. On saisit alors toute l'importance des sept fêtes religieuses (le Jour de l'An, l'Epiphanie, l'Ascension, la Saint-JeanBaptiste, la Toussaint, l'Immaculée Conception et Noël) et des deux fêtes civiques (la Confédération et la Fête du travail) grâce auxquelles les travailleurs ont congé. Les accidents du travail

Comme on l'a vu plus haut, le travail dans les salles de cuves ou à l'usine d'alumine comporte des risques. Les travailleurs sont exposés à des brûlures au contact du métal en fusion, ou à des éclaboussures de liqueur caustique; ils peuvent se blesser en se coinçant un membre dans la machinerie, en faisant une chute ou en étant heurtés accidentellement lors de la chute ou du bris d'un outil ou d'un appareil. Certains accidents entraînent le décès du travailleur ou, du moins, la perte de plusieurs semaines de travail; d'autres, moins graves, sont à peine remarqués. Il est difficile de faire une analyse précise de ces accidents du travail. Les sources ne concordent pas toujours. En effet, certains accidents font l'objet de notes sur les fiches de service des travailleurs. D'autres sont mentionnés dans la chronologie tenue par la direction ; ces mentions deviennent de plus en plus nombreuses avec le temps, en partie parce qu'on note plus systématiquement les accidents entraînant la perte de temps ouvrable. Enfin, le journal interne lancé par l'entreprise en 1936, La Sentinelle, a pour objet premier de sensibiliser les travailleurs aux risques d'accidents et de les inciter à la prudence; le journal reproduit des données agrégées sur les accidents, qui permettent un aperçu général. Là aussi, la précision des données varie; on peut cependant en dégager la tendance depuis 1927 jusqu'à 1939. Seuls les chiffres sur les accidents entraînant une absence du travail sont accessibles pour l'ensemble de la période. Ils prennent la forme de deux mesures agrégées, la fréquence des accidents et leur gravité. La fréquence correspond au nombre d'accidents multiplié par

97 Le travail en usine Tableau 9 Fréquence et gravité des accidents, Alcan, Arvida, 1927-1939 Année

Gravité

Fréquence

1927

31,06

6,216

1928

23,00

2,414

1929

12,99

4,040

1930

12,94

6,859

1931

5,50

1,630

1932

3,11

0,540

1933

0,00

0,000

1934

4,27

0,404

1935

5,78

4,710

1936

3,35

0,120

1937





1938

8,35

1,871

1939

5,32

Frc ucnc accidents x 1 000 000 frequencfra " heures de travail

0,215 ,_, . f , jours d'absence du travail x 1 000 gravite heures de travail

Source: La Sentinelle, 11 juillet 1937, 1 ; La Sentinelle, 1 mars 1940, 6.

i ooo ooo et divisé par le nombre d'heures travaillées; la mesure tient compte du risque encouru en faisant intervenir dans le calcul le nombre de travailleurs et le nombre d'heures travaillées. La gravité est calculée selon le même principe : elle correspond au nombre de jours d'absence du travail multiplié par i ooo et divisé par le nombre d'heures travaillées. La mesure témoigne donc de la gravité des accidents pour l'employeur, davantage que pour les travailleurs: un travailleur brûlé par l'acide ou estropié dans une chute peut reprendre le travail quelque temps après son accident, mais il en demeure marqué pour longtemps. De 1927 à 1930, selon La Sentinelle, la fréquence et la gravité des accidents entraînant perte de temps sont très élevées (tableau 9). Puis, à partir de 1931, la fréquence tombe de moitié. Aucun accident n'est noté en 1933. La fréquence remonte en 1935 et en 1938. Quant à la gravité, elle chute de façon encore plus marquée que la fréquence, à partir de 1931, et la pointe de 1935 est proportionnellement plus grande.

98 Arvida au Saguenay

Les années de pointe dans la fréquence des accidents correspondent aux périodes où l'embauche est la plus forte. La corrélation entre le nombre de nouvelles recrues et la fréquence des accidents est très forte; 24 on pourrait donc en inférer que les accidents sont surtout le fait de nouveaux travailleurs. Or, les accidents inscrits sur les fiches de service, dont la liste ne concorde que partiellement avec celle de la chronologie tenue par l'entreprise (tableau 10), ne sont pas le fait de nouveaux travailleurs : en moyenne, le travailleur a 4,7 ans de service lorsque survient un accident qui fera l'objet d'une mention sur sa fiche de service. Seulement 27 % de ces accidents arrivent à des travailleurs comptant moins d'un an de service; par ailleurs, 18% des victimes comptent dix ans de service ou davantage. Les accidents frapperaient donc les travailleurs au hasard, mais surtout au cours des années où le volume d'activité s'accroît. Par ailleurs, les accidents ne semblent pas plus fréquents dans un secteur que dans un autre. Les accidents les plus sérieux sont évidemment ceux qui entraînent le décès des travailleurs. Les premières années sont les pires: de 1927 à 1930, selon La Sentinelle, sept travailleurs meurent accidentellement, dont trois en ig27. 25 La chronique tenue par les cadres ne mentionne qu'un décès en 1926, aucun en 1927, mais deux en 1928 (La Sentinelle n'en signalant qu'un), un autre en 1929 et deux en 1930. Ces décès surviennent pour des causes diverses. En 1926, un contremaître est tué par un fragment de roche lors d'une explosion dans une carrière. En 1928, un autre contremaître meurt d'une crise cardiaque survenue au début de son quart de travail. Un travailleur, coincé dans un convoyeur à l'usine d'alumine, meurt de ses blessures. En 1929, un travailleur est électrocuté en installant un disjoncteur de 150000 volts. En 1930, un homme est happé par la courroie d'entraînement d'un broyeur, à l'usine d'anodes, et subit des blessures mortelles; il s'était glissé sous le garde-fou sans raison apparente. Un autre travailleur est enseveli sous des tonnes de bauxite lors de l'écrasement d'une paroi, dans un entrepôt. En 1935, à l'usine d'anodes, un préposé à l'accrochage des ponts roulants fait une chute du haut d'un wagon et succombe à ses blessures. En 1937, un travailleur de l'usine d'alumine aide au déchargement d'un wagon-trémie chargé de bauxite; debout sur le wagon, il tombe à l'intérieur lorsque les trémies sont ouvertes pour le déchargement. En déplaçant le wagon pour le dégager de l'amas de bauxite, ses camarades ne s'aperçoivent pas que le malheureux a les jambes sur la voie. Il décède quelques minutes plus tard, les deux jambes coupées. En 1938, 24 r2 = o,74. 25 La Sentinelle, n juin 1937, i.

99 Le travail en usine Tableau 10 Nombre d'accidents selon différentes sources, Alcan, Arvida, 1926-1939

Année

D'après la - J I M chronique a Alcan

D'après les fiches de service

Communs aux deux sources

TOTAL

1926

1

0

0

1

1927

0

1

0

1

1928

2

0

0

2

1929

1

1

0

2

1930

2

1

0

3

1931

0

0

0

0

1932

0

1

0

1

1933

0

0

0

0

1934

0

1

0

1

1935

8

6

1

13

1936

7

8

5

10

1937

23

21

10

34

1938

33

32

15

50

1939

23

29

13

39

100

101

44

157

TOTAL

Source: Chronique; base de données ALCFICH; La Sentinelle, 4,7 (1 mars 1940) : 6. Note: Avant 1935, la chronique ne tient compte que des accidents mortels. Les fiches de service de ces travailleurs n'ont pas été retrouvées. À partir de 1935, la chronique tient compte des décès et des accidents entraînant une absence du travail. Les fiches mentionnent une partie des accidents, ainsi que d'autres accidents qui ne figurent pas dans la chronique. À titre de comparaison, La Sentinelle rapporte 34 accidents entraînant absence du travail en 1938 et 22 en 1939.

un arracheur de goujons de la salle de cuves 25 est retrouvé inanimé entre une cuve et une barre de courant à haute tension, apparemment mort d'électrocution. Enfin, en 1939, un gardien se fait écraser par un camion, sur le marchepied duquel il avait pris place pour se rendre de l'entrée de l'usine à son lieu de travail.26 Tous ces décès sont de véritables accidents. Les deux premiers et le dernier ne sont pas directement lié au travail que faisait la victime. Le premier décès de 1930 semble imputable à un manque d'attention ou

26 Chronique, 24, 61, 73, 84, 88, 90, 141, 189, 229, 265.

ioo

Arvida au Saguenay

à de la négligence. Les autres mettent en évidence les risques quotidiens auxquels les travailleurs sont exposés. Sans entraîner la mort, ces risques produisent toutes sortes de blessures, que l'on commence à noter systématiquement en 1935. Certains accidents sont particulièrement graves. Ainsi, en 1935, deux cuvistes occupés à casser la croûte d'une cuve glissent et se brûlent un pied dans la cuve. En 1937, un travailleur de la forge se prend la main entre un marteau pneumatique et les plaques de métal qu'il est en train de redresser; il perdra sa main. Quelques mois plus tard, un autre travailleur perd un doigt, blessé par une clé anglaise. En 1938, un manœuvre subit une fracture du crâne, la tête coincée par la cabine d'une grue. L'année suivante, un chef cuviste adjoint reçoit dans l'œil un fragment du clou qu'il enfonçait dans le manche d'un marteaupilon; il perdra cet œil.27 Tout comme les décès, ces accidents graves semblent n'être attribuables qu'à la malchance. Les autres accidents consistent surtout en fractures, brûlures ou coups reçus lors de la chute d'outils ou de pièces de métal. Certains se tordent un pied en descendant d'une cuve; d'autres subissent des brûlures au contact de la solution caustique, à l'usine d'alumine.28 Trois travailleurs se font éclabousser et brûler par du métal en fusion.2Q Un éclat de marteau pénètre dans la cuisse d'un aide-forgeron; un journalier reçoit un madrier sur la tête; un peintre se fracture les côtes en tombant dans la baignoire d'une maison où il exécutait des travaux de peinture.30 D'autres se blessent en recevant des objets sur les pieds: l'un, une pince-monseigneur, un autre, un lingot, un troisième, un tuyau, un quatrième, une barre de fer; d'autres encore sont frappés par des morceaux de carbone.31 Cinq travailleurs subissent des chocs électriques.32 Ici encore, il s'agit de véritables accidents, malencontreux mais difficilement prévisibles, que ce soit de la part des travailleurs ou de l'employeur. Cela ne veut pas dire que les accidents ne préoccupent pas l'entreprise et les travailleurs. Dès 1928, un spécialiste en sécurité au travail d'Alcoa, à Massena, vient inaugurer par une conférence une campagne de sécurité qu'on qualifie d'intensive. Dans les années 1930, on met sur pied des comités internes de sécurité et on institue des concours entre les différents secteurs du complexe d'Arvida, en vue de 27 28 29 30 31 32

Ibid., 147, 153, 192, 206, 221, 251. Ibid., 149, 237, 166, 219, 225, 239. Ibid., 221, 234, 251. Ibid., 167, 178. Ibid., 183, 188, 202, 205, 219, 237. Ibid., 225, 254, 278.

ici

Le travail en usine

réduire le nombre d'accidents.33 Le lancement en 1936 de La Sentinelle, le premier journal d'Alcan à Arvida, vise à « susciter des mesures de protection».34 À compter de 1938, le journal fait de ce sujet une chronique régulière, où il souligne que la sécurité doit passer avant tout, même avant le zèle des travailleurs.35 Le curé participe à cet effort, soulignant aux paroissiens à quel point ils sont exposés aux accidents et rappelant aux contremaîtres leur devoir d'« assurer la protection et la vie de leurs employés, et de ne pas les exposer au danger ».36 D'après les données détaillées disponibles pour 1938 et 1939, les travailleurs les plus exposés aux accidents sont ceux qui sont affectés à la production d'aluminium; ils forment aussi le secteur le plus considérable, avec 40 % du total des heures travaillées durant ces années.37 En 1938, 18 des 34 accidents entraînant une absence du travail surviennent dans ce secteur. La fréquence de ces accidents, dans les salles de cuves, est de 11,55, alors que la moyenne générale est de 8,35. La gravité est de 4,40, contre une moyenne générale de 1,87. En 1939, 12 des 22 accidents entraînant une absence du travail ont lieu dans le secteur de la production d'aluminium, mais la situation relative des travailleurs de ce secteur s'est nettement améliorée. En effet, la fréquence des accidents tombe à 6,76, en regard d'une moyenne générale de 5,32, ce qui place ce secteur au troisième rang quant à la fréquence des accidents, derrière les secteurs de l'électricité et de la mécanique. L'amélioration se fait aussi sentir au niveau de la gravité des accidents. En 1939, toujours, l'indice pour le secteur de la production d'aluminium est de 0,23, à peu près le même que l'indice général de 0,22, ce qui place ce secteur au troisième rang pour la gravité des accidents également. Mais il n'y a pas que les accidents entraînant une absence du travail. Les accidents moins graves sont beaucoup plus nombreux. C'est dans les salles de cuves que ces accidents sont les plus fréquents. En 1938, on en dénombre i 423 dans ce secteur, soit près de 60 % des 2 379 accidents de ce type. Cela donne une fréquence de 913 pour le secteur contre une fréquence générale de 584. En 1939, la situation s'améliore un peu à ce chapitre : le nombre d'accidents décroît jusqu'à i 997 au total et à i 234 pour le secteur de la production d'aluminium, ce qui représente tout de même 62 % de l'ensemble. La fréquence des accidents dans ce secteur tombe à 695, tandis que la 33 34 35 36 37

Ibid., 12, 131,249. La Sentinelle, 4 décembre 1936, i. La Sentinelle, 24 juin 1938, 4. STEJA, 1930, 85; 1937, 118. La Sentinelle, i mars 1940, 6.

102

Arvida au Saguenay

fréquence générale baisse jusqu'à 483. Ces fréquences demeurent les plus élevées de toutes. LES SALAIRES ET LE NIVEAU DE VIE

Le travail au sein de la compagnie Alcan est donc long, pénible et parfois dangereux. Ceci est particulièrement vrai dans le secteur de la production d'aluminium. Mais les autres métiers ne sont pas pour autant de tout repos. Quelle rémunération les travailleurs en tirent-ils? La plupart des travailleurs d'Alcan sont payés à l'heure. Seuls les cols blancs et les cadres sont rémunérés à la semaine ou au mois. Dans presque tous les cas, les fiches de service des travailleurs mentionnent le salaire qui leur est versé ; les exceptions concernent les cadres, dont la rémunération est qualifiée de confidentielle. On peut donc comparer les tarifs horaires en vigueur à Arvida avec les tarifs versés ailleurs pour les mêmes métiers. On peut aussi estimer le revenu annuel d'un travailleur, en tenant compte des changements d'affectation et des périodes de mise à pied. Toutefois, ces estimations ne seront pas exactes, car les sommes gagnées en primes au rendement demeurent inconnues. Néanmoins, les estimations rendent bien compte des fluctuations de revenus engendrées par la Crise, par les changements d'affectation ou par les mises à pied. Mis en rapport avec les indices du coût de la vie et avec le prix des loyers à Arvida, ces estimations donnent de bonnes indications quant au niveau de vie des travailleurs d'Arvida. Les salaires

II est difficile de trouver des points de comparaison pour les tarifs horaires. Pour les années qui nous intéressent, l'enquête du ministère fédéral du Travail sur les salaires et heures de travail au Canada fournit les salaires horaires en vigueur à Québec et à Montréal dans un certain nombre de métiers.38 Pour les fins de la comparaison, nous avons retenu cinq métiers représentatifs des principaux secteurs de travail d'Arvida: machiniste, menuisier, plombier, cuviste, un métier particulier à Arvida mais assimilable à celui de mouleur à Québec et à Montréal, et, enfin, manœuvre et journalier. À partir de ces exemples, on peut comparer les salaires en vigueur à Arvida avec ceux qui ont cours dans les grandes villes et établir si ce sont les salaires offerts par Alcan qui attirent les travailleurs à Arvida. 38 Ministère du Travail du Canada, Salaires et heures de travail au Canada, rapports no 13, 1930; 23, 1940.

103 Le travail en usine

En règle générale, les salaires pratiqués à Arvida sont comparables à ceux de Québec et inférieurs à ceux de Montréal (tableau 11). Le salaire minimum payé aux menuisiers d'Arvida représentait, en moyenne, 82 % du salaire minimum payé à Québec et 71 % de celui payé à Montréal. Quant aux salaires maximums, si, une année sur deux, ceux d'Arvida dépassaient ceux de Québec, ils demeuraient toujours inférieurs à ceux de Montréal, de sorte qu'en moyenne ils ne représentaient que 80% des tarifs en vigueur dans ces deux villes. Dans le cas des plombiers, les salaires d'Arvida et de Québec sont sensiblement les mêmes. Par contre, ils se situent entre les deux tiers et les trois quarts de ceux pratiqués à Montréal. La comparaison entre les salaires des cuvistes d'Arvida et ceux des mouleurs de Québec et de Montréal donne les mêmes résultats. Les machinistes sont les seuls dont les salaires minimums soient plus élevés à Arvida qu'à Montréal et Québec. Leurs salaires maximums dépassent aussi ceux de Québec, même s'ils ne rejoignent pas ceux de Montréal. Les machinistes exercent un métier qualifié, en demande dans l'autre grande entreprise du Saguenay, Price Brothers, de même que dans des entreprises de plus petite taille. Les conditions du marché de la main-d'œuvre leur sont donc favorables. C'est l'inverse qui se produit pour les journaliers, dont les salaires minimums sont inférieurs à ceux des journaliers de Québec et de Montréal. Alcan a besoin d'un grand nombre de journaliers, mais surtout lors des phases de construction et pour des périodes relativement courtes, ce qui se reflète dans l'évolution des salaires versés aux journaliers de 1925 à 1939. D'autre part, les salaires fluctuent généralement de manière plus forte à Arvida qu'à Québec ou à Montréal.39 Cette fluctuation reflète l'évolution de la demande, de 1925 à 1939, pour les différents métiers. La baisse des salaires débute vers 1930, le point le plus bas étant atteint en 1933 ou 1934; la remontée s'engage vers 1936. En 1937, les salaires maximums des machinistes, des menuisiers et des journaliers sont plus élevés qu'à Montréal. En revanche, la Crise a exercé une pression à la baisse relativement moins forte à Arvida qu'à Québec ou à Montréal. Pour Alcan, les pires années de la Crise furent celles de 1930 à 1932, alors qu'une seule salle de cuves était en activité. C'est en 1933 et 1934 que les salaires minimums d'Arvida sont les plus élevés relativement à ceux de Québec et de Montréal. La seule exception concerne le salaire minimum des cuvistes, qui demeure très inférieur à celui des mouleurs de Montréal : par la suite, il continuera de s'améliorer jusqu'en 1939, à la faveur de l'ouverture des nouvelles salles de cuves. En général, les salaires des 39 Voir les coefficients V du Tableau 11.

104 Arvida au Saguenay Tableau 11 Salaires horaires minimums et maximums, professions choisies, Arvida, Montréal et Québec, 1925-1939, en dollars Québec

Arvida Profession Machiniste

Année

1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Moyenne Coefficient V Menuisiers

1925 ttttttt1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Moyenne Coefficient V Plombiers

1926 1927

Montréal

max.

min.

max.

min.

max.

min.

0,450 0,350 0,400 0,400 0,350 0,550 0,549 0,500

0,450 0,650 0,700 0,750 0,835 0,650 0,752 0,550

0,610 0,500 0,650 0,500 0,650 0,680

0,835 0,500 0,800 0,900 0,650 0,680

0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,450

0,550 0,550 0,550 0,550 0,600 0,650 0,600 0,600 0,550 0,550 0,550 0,550 0,600 0,640 0,690

0,500 0,500 0,500 0,500 0,500 0,500 0,500 0,450 0,450 0,450 0,450 0,450 0,440 0,475 0,500

0,750 0,750 0,750 0,750 0,800 0,850 0,800 0,750 0,750 0,750 0,750 0,800 0,850 0,850 0,850

0,510

0,693

0,403

0,585

0,478

0,787

20,999

18,247

3,092

7,508

5,197

5,426

0,350 0,300 0,350 0,350 0,350 0,350 0,500

0,450 0,600 0,650 0,600 0,610 0,500 0,555

0,450 0,400 0,400 0,350 0,400 0,450 0,400

0,450 0,610 0,500 0,650 0,700 0,550 0,650

0,450 0,450 0,450 0,450 0,500 0,500 0,500 0,500 0,400 0,350 0,500 0,500 0,550 0,550 0,550

0,550 0,550 0,550 0,600 0,600 0,600 0,600 0,550 0,550 0,500 0,600 0,600 0,600 0,600 0,600

0,650 0,650 0,650 0,700 0,700 0,750 0,650 0,600 0,300 0,300 0,600 0,600

0,750 0,750 0,750 0,750 0,850 0,850 0,850 0,750 0,650 0,600 0,700 0,700 0,700 0,700 0,700

0,386

0,577

0,480

0,577

0,550

0,737

13,354

13,080

11,283

5,360

37,736

9,427

0,400 0,300

0,750 0,650

0,450 0,450

0,600 0,600

0,650 0,650

0,800 0,800

105 Le travail en usine Tableau 11 Salaires horaires minimums et maximums, profeshsions choisies, Arvida, Montréal et Québec, 1925-1939, en dollars (suite) Arvida Profession Plombiers (suite)

Année

1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Moyenne Coefficient V Cuvistes ou mouleurs

1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Moyenne Coefficient V Manœuvres et journaliers

1925 1926 1927 1928 1929 1930

Québec

Montréal min.

max.

min.

max.

0,450 0,500 0,500 0,500 0,500 0,400 0,400 0,450 0,450 0,500 0,550 0,550

0,600 0,650 0,600 0,600 0,600 0,550 0,550 0,650 0,650 0,650 0,650 0,650

0,604

0,475

0,614

0,600

0,793

28,748

14,738

9,540

5,696

11,785

7,094

0,300 0,380 0,380 0,380 0,360 0,340 0,340 0,340 0,342 0,342 0,350 0,350 0,400 0,480

0,500 0,500 0,500 0,500 0,500 0,500 0,450 0,342 0,500 0,500 0,590 0,600 0,550 0,550

0,375 0,375 0,375 0,375 0,335 0,335 0,335 0,300 0,300 0,350 0,350 0,350 0,350 0,375

0,570 0,570 0,570 0,570 0,570 0,570 0,500 0,400 0,600 0,500 0,500 0,500 0,500 0,500

0,600 0,600 0,600 0,600 0,600 0,650 0,500 0,500 0,500 0,400 0,400 0,450 0,500 0,500

0,750 0,750 0,750 0,825 0,880 0,880 0,850 0,750 0,700 0,650 0,650 0,800 0,850 0,850

0,363

0,506

0,349

0,530

0,529

0,781

11,091

11,824

7,181

9,674

14,617

9,733

0,300 0,250 0,290 0,250 0,250 0,250

0,400 0,500 0,400 0,400 0,550 0,390

0,350 0,300 0,300 0,300 0,300 0,300

0,450 0,400 0,400 0,400 0,450 0,450

0,300 0,300 0,300 0,300 0,350 0,350

0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,450

min.

max.

0,555

0,665

0,600

0,600

0,665 0,300 0,350 0,500

0,665 0,500 0,500 0,500

0,459

0,500 0,500 0,650 0,650

0,850 0,850 0,900 0,900 0,750 0,750 0,750 0,750 0,750 0,750 0,750 0,750

106 Arvida au Saguenay Tableau 11 Salaires horaires minimums et maximums, professions choisies, Arvida, Montréal et Québec, 1925-1939, en dollars (suite) Arvida Profession Manœuvres et journaliers (suite)

Moyenne Coefficient V Moyenne générale

Année

1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Québec

Montréal

min.

max.

min.

max.

min.

max.

0,225 0,225 0,250 0,270 0,200 0,250 0,250 0,350 0,350

0,401 0,380 0,400 0,400 0,500 0,500 0,500 0,550 0,550

0,300 0,300 0,300 0,250 0,350 0,350

0,450 0,400 0,350 0,350 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400

0,300 0,300 0,150 0,150 0,300 0,350

0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400 0,400

0,264

0,455

0,308

0,407

0,288

0,403

15,560

14,259

8,964

7,601

22,592

3,092

0,389

0,562

0,407

0,542

0,479

0,698

Source: Base de données ALCFICH; Ministère du Travail du Canada, Salaires et Heures de Travail au Canada, rapports no 13, 1930; 23, 1940. Note: Le coefficient V est l'écart-type des valeurs de la période, divisé par la moyenne.

travailleurs qualifiés ne dépassent pas 0,50$ l'heure; les journaliers, pour leur part, reçoivent environ la moitié du salaire des travailleurs qualifiés. Si la position relative des salaires offerts à Arvida, par rapport à ceux de Montréal ou de Québec, s'améliore pendant la Crise, cela ne signifie pas que les travailleurs d'Arvida sont plus à l'aise que leurs camarades des grandes villes, car Alcan réduit la semaine de travail de six jours à cinq pour les travailleurs mariés et à trois pour les célibataires. Les revenus hebdomadaires des travailleurs diminuent donc d'autant. Ces échelles de salaires ne donnent qu'une idée très approximative du revenu des travailleurs. Il est en effet nécessaire de tenir compte, dans l'estimation des revenus, des changements d'affectation, des périodes de mise à pied ou de réduction de la semaine de travail. Quelques exemples montreront l'importance de ces facteurs. Nous avons choisi des résidants domiciliés sur deux rues près de l'usine et qui y demeurèrent pendant la majeure partie de la période; il s'agit de cuvistes et de journaliers, qui changent du reste assez souvent d'affectation.

107 Le travail en usine

Jean L.4° est embauché comme journalier en mars 1926, au tarif de 0,30$ l'heure. En septembre, il devient cuviste; son salaire passe à 0,38 $ l'heure. Il laisse son emploi en avril 1927, mais revient un mois plus tard, comme journalier, à 0,30$ l'heure. En août 1927, son salaire passe à 0,35 $ l'heure. Au cours des deux années qui suivent, il est muté quatre fois. En juillet 1929, son salaire est ramené à 0,30 $ l'heure; en octobre 1931, il se trouve de nouveau réduit, à 0,27 $, en raison de la réduction générale des salaires, de 10%. Sa fiche de service se termine en 1932. Son salaire annuel, estimé pour les années complètes passées au service de la compagnie, diminue, passant de 850 $, en 1928, à un peu plus de 700 $, en 1931 (tableau 12). Raymond G. entre lui aussi au service d'Alcan en 1926. Il y travaille comme journalier ou comme finisseur de ciment jusqu'en mai 1931 ; il est alors affecté aux salles de cuves. De 1926 à 1931, son salaire fluctue entre 0,35 $ et 0,40 $ l'heure, sauf pour deux mois en 1926, où il gagne 0,45 $ l'heure. De la fin de 1929 au mois de mai 1931, il reçoit 0,39 $ l'heure, comme journalier. Puis, comme cuviste, il gagne 0,38 $ l'heure, jusqu'à la réduction générale des salaires, en octobre 1931. Il redevient journalier pour deux semaines en 1934; son salaire passe alors de 0,342 $ l'heure à 0,30 $ l'heure. Il reprend ensuite son poste de cuviste; son salaire remonte à 0,342 $, puis à 0,38$ l'heure, le 1er décembre 1934, avec la hausse générale des salaires de 10%. Raymond G. devient finisseur de ciment en mai 1935, à un salaire horaire de 0,45 $. En octobre, il fait une semaine comme policier à 0,38 $ l'heure, puis encore quelques jours comme finisseur de ciment à 0,45 $ l'heure. Il retourne ensuite aux salles de cuves, à 0,38 $ l'heure. En juin 1936, il travaille de nouveau comme finisseur de ciment, cette fois-ci pour deux mois. Il devient alors gardien, poste qu'il gardera jusqu'à sa retraite, en 1939. Au cours de cette période, son salaire horaire passe graduellement de 0,415 $ l'heure à 0,51 $ l'heure. Ces mutations fréquentes affectent évidemment son salaire annuel. Celui-ci atteint près de 900 $ en 1927, passe à 950 $ en 1930, puis retombe à 830 $, de 1932 à 1934. Avec la reprise, il remonte à près de i ooo $ en 1935, puis à i 240 $ en 1938 et 1939. Raymond G. gagne alors une fois et demie le salaire qu'il recevait de 1932 à 1934. Le troisième exemple est celui de Pierre M., embauché en 1926 comme opérateur de pont roulant; il a alors 19 ans. Il fait 0,36$ l'heure au début; un mois plus tard, son salaire passe à 0,40 $ l'heure. Mis à pied pour cause de maladie en octobre 1926, il reprend son travail d'opérateur de pont roulant en juillet 1927. Son salaire horaire 40 Nous avons employé des noms fictifs, afin de préserver la confidentialité des renseignements personnels.

io8 Arvida au Saguenay Tableau 12 Exemples de revenus annuels, travailleurs d'Alcan, 1927-1939 Jean L.

Raymond G.

Pierre M.

Jacques A.

nniiKK

$

1927

$

$

$

881,60

1928

851,20

878,00

972,80

1929

795,20

882,66

977,12

1930

729,60

948,48

1 082,24

1931

713,52

909,17

1 055,13

943,92

1932

831,75

250,22

871,62

1933

831,75

74,40

879,55

1934

834,27

662,40

883,52

1935

990,48

729,60

964,80

1936

1 025,00

836,00

945,44

1937

1 129,24

964,80

1 208,64

1938

1 240,32

1 328,80

1 337,60

1939

1 240,32

1 337,60

1 337,60

Source: Base de données ALCFICH. Note: Les revenus sont calculés à partir des tarifs horaires inscrits sur les fiches de service, multipliés par 8 heures de travail, puis par le nombre de jours travaillés à un taux donné. Le nombre de jours ouvrables durant l'année, selon la convention collective de 1937, soit 304, a été utilisé pour les calculs. Le calcul ne tient pas compte des primes versées aux cuvistes.

passe à 0,445 $ en décembre 1929, puis diminue de 10% en octobre 1931, lors de la réduction générale des salaires. Il est mis à pied en avril 1932. En octobre 1933, on le rappelle comme journalier pour une semaine; mis à pied de nouveau pour deux jours, il revient ensuite pour un mois, puis est mis à pied encore une fois, pour cinq jours, puis repris, cette fois comme préposé à la patinoire. Il garde ce poste jusqu'à la fin de mars 1934; il est alors mis à pied pour deux semaines. Il revient ensuite comme journalier. En novembre et décembre 1934, il subit quelques jours de mise à pied, puis reprend son poste de préposé à la patinoire. En février 1935, il redevient journalier. A compter de 1933, le salaire de Pierre M. est de 0,30 $ l'heure, lorsqu'il y a du travail pour lui. En février 1936, son salaire horaire s'élève à 0,35 $; à la fin de 1937, il passe à 0,40 $, puis à 0,45 $ l'heure. En janvier 1938, Pierre M. devient opérateur de machinerie et son

iog

Le travail en usine

salaire monte à 0,55 $ l'heure. Il travaillera plus tard dans les salles de cuves, deviendra contremaître et prendra sa retraite au début des années soixante. Le salaire annuel de Pierre M. varie selon la disponibilité de travail et les affectations successives qu'il reçoit. Ainsi, avant la Crise, il touche environ i ooo $ par année. Il est victime de mises à pied en 1932 et 1933 et le salaire qui lui est versé par Alcan s'en trouve proportionnellement réduit: il gagne moins de 150 $ au service d'Alcan en 1933. En revanche, l'obtention d'un poste d'opérateur de machinerie, en 1938, fait grimper son salaire au-dessus de i 300 $ par année. Jacques A., que nous présentons comme dernier exemple, est embauché comme cuviste en 1930, à l'âge de 25 ans. Il travaille toujours dans les salles de cuves, comme cuviste, changeur d'anodes ou journalier. Il devient assistant chef cuviste en 1937. De 1931 à 1937, son salaire horaire varie entre 0,36 $ et 0,40 $ l'heure; en 1937, il passe à 0,45 $, puis à 0,50 $ et à 0,55 $ l'heure. Moins affecté par la Crise que ses camarades, Jacques A. gagne près de 900 $ en 1933 et 1934, puis obtient jusqu'à i 300 $ par année, sans compter les primes au rendement. Ces quatre exemples indiquent clairement l'effet de la Crise sur les revenus des travailleurs. Pour ceux qui continuent à travailler durant la Crise, le revenu gagné au service d'Alcan décline d'au moins 10 %, à cause de la réduction générale d'octobre 1931. Les changements d'affectation, en outre, peuvent réduire les tarifs horaires. Ceux qui subissent des mises à pied connaissent une situation beaucoup plus critique. Ainsi le salaire touché par Pierre M. chez Alcan, en 1933, représente moins de 15 % de son revenu de 1931. Par ailleurs, la situation s'améliore nettement à partir de 1937. Les salaires horaires augmentent de façon marquée, ce qui se traduit par une hausse des revenus annuels. Même si les besoins en main-d'œuvre sont plus forts à cause de la reprise des activités de production et de construction, la reconnaissance du syndicat et la signature d'une convention collective sont au nombre des causes de ces augmentations. Comment se classent les salaires d'Arvida en regard de ceux des petites villes industrielles du centre du Canada? En 1931, les salariés de Shawinigan gagnent en moyenne 987 $ pour 42,6 semaines de travail. À Trois-Rivières, la moyenne est de 922 $ pour une durée égale de travail. À Sault-Sainte-Marie, ville de l'acier du nord de l'Ontario, le revenu moyen est de i 070$ pour 36,6 semaines de travail.41 Il est impossible de comparer de manière exacte ces revenus annuels et ceux des travailleurs d'Arvida, les données correspondantes n'étant 41 Septième recensement du Canada, 1931, vol. V, tableau 2, Voir aussi le tableau 37.

no Arvida au Saguenay

pas accessibles. Mais les tarifs horaires rapportés au tableau 11 permettent d'établir un ordre de grandeur qui nous semble assez juste. En prenant la moyenne des tarifs horaires minimums des cuvistes et des journaliers, on obtient un salaire de 0,3725 $ l'heure, qu'on multiplie ensuite par 8 heures de travail par jour et, enfin, par le nombre de jours ouvrables par année, ce qui donne un salaire annuel « moyen » de 906 $.42 Si l'on projette les revenus gagnés à Shawinigan, TroisRivières et Sault-Sainte-Marie sur une base de 52 semaines de travail43, on obtient les résultats suivants : Shawinigan Trois-Rivières Sault-Sainte-Marie Arvida

i 205,63 $ i 134,76 i 518,56 905,92

Pour les années 1934 à 1939, on peut comparer les moyennes d'Arvida, obtenues de la manière indiquée plus haut, avec les gains annuels des ouvriers masculins des industries manufacturières au Canada (tableau 13). Comme on peut le constater, les salaires d'Arvida demeureraient inférieurs à la moyenne canadienne jusqu'en 1936, après quoi ils la dépasseraient légèrement. Ces comparaisons sont un peu boiteuses. Elles montrent toutefois que les salaires offerts à Arvida étaient loin d'être particulièrement alléchants. Il est par ailleurs impossible de comparer les salaires chez Alcan avec ceux que versent les autres entreprises de la région. La seule autre entreprise de grande taille, Priée Brothers, offre à ses machinistes des salaires comparables à ceux des machinistes d'Alcan. Pour les journaliers, les salaires minimums en vigueur chez Price semblent plus élevés que ceux d'Alcan.44 Nous ignorons quels étaient les salaires versés par les entreprises de petite taille, mais les grandes entreprises saguenayennes ont depuis longtemps la réputation d'offrir de meilleurs salaires que les petites entreprises de la région.45 42 Cette moyenne est peut-être un peu trop élevée, car les journaliers sont en réalité beaucoup plus nombreux que les cuvistes. Cependant, on obtient le même résultat, au dollar près, en calculant le revenu annuel des quatre travailleurs donnés en exemple plus haut. 43 La coutume des vacances annuelles n'existe pas encore durant ces années. 44 Les salaires pratiqués par Price ont été obtenus à partir d'un échantillon de riches de service. La représentativité de cet échantillon n'a cependant pas fait l'objet d'une analyse rigoureuse; nous offrons donc ces comparaisons sous toute réserve. 45 Cela concorde avec les différences observées entre les petites et les grandes entreprises de l'État du Maine, aux Etats-Unis, dans les années 1970. Voir Doeringer, « Internai Labor Markets », 274.

ni

Le travail en usine

Tableau 13 Gains annuels, ouvriers masculins, industries manufacturières, en dollars, 1934-1939 Année

Arvida

Canada

1934

920

930

1935

938

966

1936

1 028

995

1937

1034



1938

1 125

1 055

1939

1 174

1076

Sources: Pour le Canada, Lacy, Statistiques historiques, série E63; pour Arvida, moyenne calculée selon les tarifs horaires des cuvistes et des journaliers.

Le coût du logement

À défaut d'indice des prix à la consommation calculé au niveau régional, il n'est pas possible d'estimer le salaire réel des travailleurs d'Arvida. Mais les rôles d'évaluation fournissent des indications quant au coût du logement, qui forme une partie importante des dépenses des familles de travailleurs. On peut donc comparer le coût du logement à Arvida avec les données canadiennes et obtenir ainsi une indication indirecte du niveau de vie. En 1931, en milieu urbain, les familles locataires canadiennes consacraient en moyenne d e i g % à 2 7 % d e leurs revenus au logement.46 Dans l'ensemble du pays, les loyers baissent de 22 % entre 1929 et 1934.47 À Montréal, en 1931, les loyers annuels oscillent entre 216 $ et 420 $, pour une moyenne de 324 $.48 À Québec, la même année, un logement de six pièces coûte entre 27 $ et 35 $ par mois, soit de 324$ à 420$ par année; le loyer médian se situerait à 360$ par année. Enfin, à Drummondville, petite ville industrielle comparable à Chicoutimi, le loyer moyen s'élève à 292 $ en 1937.49 À Arvida, la situation est fort différente. Les loyers fixés par la compagnie pour ses maisons ne varient pas d'une année à l'autre. De 1931 à 1939, le loyer

46 H.F. Greenway, «Le logement au Canada», dans Septième recensement du Canada, 1931, vol XII, 425. 47 II s'agit de logements ouvriers de six pièces. Voir Greenway, « Le logement», 426, 521. 48 Choko, Crises du logement, 160. 49 Martin, Drummondville, 84.

112 Arvida au Saguenay

moyen à Arvida est de 400 $.5° Sur les deux rues où habitent les travailleurs cités en exemple plus haut, les loyers moyens sont respectivement de 335 $ et 357 $. Avant 1937, le loyer absorbe plus de 30 % du revenu des travailleurs d'Arvida. Un loyer de 300 $ représente de 24% à 36% du salaire de Raymond G.Jacques A., qui a un revenu un peu plus élevé, consacre le même pourcentage de ses revenus au logement, qui lui coûte 312 $. En 1932 et 1933, Pierre M. dépense davantage en loyer qu'il ne gagne à l'emploi d'Alcan. De façon générale, durant les pires années de la Crise, le logement accapare une plus grande partie des revenus des travailleurs car les loyers ne diminuent pas, même si les salaires sont réduits. Par contre, la stabilité des loyers a l'effet inverse à partir de 1937, alors que le coût du logement représente moins du quart du revenu des travailleurs. La situation des travailleurs d'Arvida est donc loin d'être privilégiée par rapport à celle des travailleurs d'autres villes. Le rapport de forces entre les travailleurs et l'entreprise est essentiellement à l'avantage de cette dernière. Les travailleurs doivent avoir une solide constitution pour résister aux conditions qui prévalent dans les salles de cuves ou à l'usine d'alumine. Ils reçoivent des salaires nominaux qui rejoignent rarement ceux qui sont offerts à Montréal ou à Québec. On comprend mieux maintenant pourquoi tant de travailleurs qui ne proviennent pas du Saguenay ne demeurent pas longtemps au service d'Alcan. Les travailleurs d'origine saguenayenne, pour leur part, ont des attaches dans la région et n'ont peut-être pas les moyens ou l'information nécessaire pour chercher un emploi à l'extérieur de la région. Ils doivent se contenter de ce qui leur est offert à Arvida et s'arranger pour faire vivre leur famille dans cette nouvelle ville.

50 Ce coût moyen a été calculé d'après la valeur locative inscrite au rôle d'évaluation. Ces données sont contenues dans la base de données ROLEV, décrite dans la bibliographie. Les rôles de 1928 et 1929 ne fournissent pas cette information.

CHAPITRE CINQ

La population de la ville

Ce chapitre décrit l'habitat urbain, la population qui y vit, sa façon d'occuper le parc de logements et le roulement qui départage les gens de passage des Arvidiens stables. L'analyse porte dans un premier temps sur les caractéristiques de l'habitat urbain et sur la formation des quartiers. Nous esquissons ensuite le profil de la population qui occupe les quartiers de la ville. La dernière partie du chapitre traite des modes d'occupation du parc de logements et du roulement de la population. L'image qui se dégage de ces analyses laisse voir une communauté marquée par des clivages professionnels, ethniques et religieux peu favorables à l'intégration des «étrangers», c'est-à-dire des gens de l'extérieur du Saguenay. Ville de compagnie, Arvida se développe au rythme de l'évolution d'Alcan. Les périodes de forte embauche ou de mise à pied, de même que le roulement de la main-d'œuvre attirent ou repoussent les travailleurs et leurs familles (tableau 14). Les fluctuations de l'emploi dans les usines se répercutent ainsi sur la vie des familles et celles-ci, par les choix qu'elles font, impriment à la communauté arvidienne son allure particulière. Ainsi, parmi les travailleurs arrivés durant les premières années, certains saisissent l'occasion de s'installer à Arvida, tandis que de nombreux autres ne sont que de passage. Ces deux catégories de travailleurs doivent se partager l'habitat disponible. Familles et individus adoptent des formes d'établissement qui correspondent à leurs ressources, à leurs besoins matériels et à leurs préférences culturelles. La somme de ces choix donne rapidement une structure à l'espace urbain d'Arvida, structure qui fournit par la suite le cadre de la vie dans la ville et des relations qui s'y développent.

114 Arvida au Saguenay Tableau 14 Population et habitat, Arvida, 1928-1939 Année

Population totale

Chefs de famille

Maisons occupées

1928

1949

924

266

1929

1869

558

250

1930







1931

1476

735

253

1932

1 750

264

245

1933

1687

275

221

1934

1669

656

277

1935

1737

697

284

1936

1895

769

263

1937

2133

885

283

1938

2347

976

278

1939

2526

1018

287

Sources: Bases de données ALCFICH et ROLEV. Note: Les chefs de famille sont les personnes recensées individuellement de manière détaillée dans les rôles d'évaluation.

L HABITAT

L'habitat urbain d'Arvida est rapidement mis en place. La majeure partie de la ville est construite entre 1926 et 1928. Aux 282 maisons qu'on dénombre à la fin de 1928, seulement sept nouvelles habitations s'ajoutent entre 1928 et 1932.' Le parc de logements ne s'accroît pas beaucoup avant le milieu des années 1930. Alcan fait alors construire 45 maisons pendant une deuxième phase de construction, de 1936 à 1938.2 Vingt-sept autres sont construites en 1939. L'essentiel du bâti résidentiel est donc en place avant la fin des années 1920. L'espace urbain d'Arvida se divise en deux zones résidentielles séparées par le boulevard Taschereau (figure 2). La première, qui constitue le quartier ouvrier, comprend les rues Deville, Hare, Davy et 1 Chronique, 74; base de données ROLEV. 2 Alcan, service de l'immobilier, Jonquière, Aluminum Company of Canada, Limited. Property Department, Arvida, Que. House and Lots Sales Division. Statistical Data Arvida Housing and Commercial Buildings 1926-1948.

115 La population de la ville Figure 2 Plan de la ville d'Arvida (1930)

Moritz, qui s'alignent dans un axe est-ouest, parallèlement au boulevard Taschereau et aux usines; ce quartier est bordé à l'est par la rue Volta et à l'ouest par le boulevard Mellon, qui monte du secteur commercial de la ville. Au centre du quartier ouvrier, les rues Wohler et Orstedt découpent un triangle, dont la base est formée par la rue Moritz et dont le sommet se situe à la hauteur de la rue Deville, à côté de l'église catholique. Un embryon de deuxième quartier ouvrier s'implante au sud de la voie ferrée, et se développera surtout pendant la guerre : la rue Vaudreuil ne comprend qu'une poignée de maisons et deux autres rues de ce quartier, les rues Lasalle et Marquette, ne commenceront à être habitées qu'en 1939. La deuxième des zones résidentielles créées en 1926 est située au nord du boulevard Taschereau. C'est, dans le langage local, le « quartier des Anglais», où habitent des cols blancs et des cadres, surtout anglophones. Cette zone est formée de cinq rues : la rue Moissan, qui monte du boulevard Taschereau, vis-à-vis de l'église catholique, en direction nord-ouest, les rues Berthier et Castel, qui s'étendent vers l'ouest à partir de Moissan, parallèlement au boulevard Taschereau, le

116 Arvida au Saguenay

chemin Radin, plus au nord, et la rue Coulomb, qui relie le chemin Radin à la rue Castel. Les deux quartiers résidentiels sont essentiellement bâtis de maisons unifamiliales. Les rues comptent pour la plupart de vingt à trente maisons, sauf pour Castel et Coulomb, dans le « quartier des Anglais », qui n'en ont respectivement que quatre et six, et, dans le quartier ouvrier, la rue Vaudreuil, avec sept maisons, et la rue Volta, qui longe les terrains des usines et dont les dix maisons sont toutes du même côté de la rue. Il y a peu d'appartements à louer: Alcan dispose d'un staff house sur la rue Berthier, qui sert de maison de chambre pour ses cols blancs: ingénieurs, dessinateurs, enseignants et sténographes. Le deuxième étage de certains commerces de la rue Mellon est aussi aménagé en appartements. Les concepteurs de la ville ont donné aux maisons d'Arvida les dimensions qu'ils considéraient suffisantes pour abriter des familles de quatre ou cinq enfants, sans toutefois encourager la cohabitation de plusieurs familles.3 Les maisons comportent de trois à cinq chambres à coucher, mais la majorité sont bâties sur un carré de maison identique, de sorte que les dimensions des chambres sont le plus souvent inversement proportionnelles à leur nombre. Les maisons du « quartier des Anglais » sont en moyenne un peu plus grandes, parce que quelquesunes d'entre elles sont de dimensions assez vastes, ce qui n'est pas le cas dans le quartier ouvrier.4 Alcan fixe le loyer de ces maisons à un niveau élevé, compte tenu des salaires des travailleurs. Dans le quartier ouvrier, les loyers annuels sont en moyenne de 350 $. En 1929 cette somme représente plus de 40 % du salaire de base versé aux journaliers et 26 % du salaire d'un cuviste, en supposant 52 semaines de 48 heures par année. Le niveau élevé des loyers incite certains travailleurs à se loger à Jonquière, à Chicoutimi ou à Kénogami. De 1928 à 1940, Alcan maintient le loyer de chaque maison au même coût, sans égard aux variations de la conjoncture économique ou aux fluctuations de la demande en loge3 Wake, « Building thé City», 464. 4 Pour les calculs qui sous-tendent les analyses présentées dans ce chapitre, les rues Berthier, Castel, Coulomb et Moissan, ainsi que le chemin Radin, sont comprises dans le « quartier des Anglais » ; le quartier ouvrier comprend les rues Davy, Deville, Hare et Moritz, la partie du boulevard Mellon qui traverse ce quartier, la rue de l'École, de même que les rues Vaudreuil, Volta et Wohler. La rue Vaudreuil, située au sud de la zone commerciale, près de la voie ferrée, fait partie de ce quartier, de par la composition de sa population, bien qu'elle en soit éloignée sur le plan géographique. Il n'existe pas de données relatives à la rue Berthier pour l'année 1936, le rôle d'évaluation ayant été endommagé par l'eau. La rue Taschereau, peuplée à partir de 1938 seulement, a été exclue des calculs.

117

La population de la ville

ment.5 Le résultat est que, au plus fort de la Crise, en 1933, environ 70 maisons sont vides. Sur la rue Deville, par exemple, seulement 24 maisons sont occupées, soit 11 de moins qu'en 1928; sur la rue Hare, des 20 maisons occupées en 1928, 14 seulement le sont en 1933. Alcan aurait établi le niveau des loyers de façon à minimiser les pertes de ses opérations immobilières, mais cette façon de faire est difficile à comprendre, car il ne semble pas que les loyers aient été fixés selon les coûts de construction; on observe une corrélation plus forte entre le niveau des loyers et la dimension des maisons, mais ce lien n'est pas très étroit.6 Les maisons du « quartier des Anglais » sont encore plus chères. La moyenne des loyers s'élève à 480 $ par année, soit presque 40 % de plus que dans le quartier ouvrier. Dans le « quartier des Anglais », le coût du logement selon la superficie est en moyenne de 20 % supérieur, parce que les maximums y sont beaucoup plus élevés : le loyer annuel le plus élevé est de 1,50$ le pied carré (0,093 m 2 ) dans ce quartier, contre 0,90 $ dans le quartier ouvrier. Cela tient au caractère plus spacieux de certains plans de maison du «quartier des Anglais», car les maisons construites selon les mêmes plans se louent au même prix dans les deux quartiers. Dans le «quartier des Anglais», 41 % des maisons ont des dimensions supérieures aux dimensions les plus courantes, alors que la proportion n'est que de 25 % dans le quartier ouvrier. LA P O P U L A T I O N

Les rôles d'évaluation fournissent des informations très détaillées sur les résidants d'Arvida. Ils recensent de manière détaillée les locataires en titre de chaque habitation, de même que les autres adultes indépendants vivant sous le même toit. Pour chaque personne ainsi recensée, le rôle mentionne le nom, l'état civil, la nationalité (qui renvoie tantôt à la nationalité véritable, tantôt à l'origine ethnique), la reli5 Le Lingot, 27 mai 1949, 3, prétend que les loyers furent réduits en 1932 et 1937, mais cela ne concorde pas avec l'information contenue dans les rôles d'évaluation. 6 Maison Alcan, centre d'information, Radley, «Autobiographical Notes», 14-15. Radley indique que le base labourrateeta.it de 33 cents l'heure, alors que les cuvistes, qui recevaient une prime en plus de leur salaire de base, gagnaient en moyenne 54 cents l'heure. Le nombre de maisons vides est tiré du rôle d'évaluation. Le coefficient de corrélation entre le coût total de la construction, selon les documents d'Alcan, et le loyer indiqué dans les rôles n'est que 0,06 (mesure prise sur le parc de logements de 1939). La corrélation entre le carré de maison et le loyer est plus forte, à 0,64. Alcan, service de l'immobilier, Jonquière, Aluminum Company of Canada, Limited. Property Department, Arvida, Que. House and Lots Sales Division. Statistical Data Arvida Housing and Commercial Buildings 1926-1948.

118 Arvida au Saguenay

gion, la profession et, le cas échéant, le nombre d'adultes et d'enfants à sa charge, de même que le sexe de chacun. Dans le cas de chaque maison, le relevé porte donc le nom d'un ou plusieurs adultes indépendants; là où une ou plusieurs familles sont recensées, seul leurs chefs sont identifiés nommément. En plus d'être chef de famille, l'individu inscrit en tête de liste, pour une maison, est explicitement désigné comme étant locataire en titre, autrement dit chef de ménage. Toute cette information permet de tracer un portrait précis de l'évolution de la population d'Arvida et de sa répartition par rue et par quartier. Dans les pages qui suivent, nous considérons comme chef de famille chaque personne dont le nom figure au rôle d'évaluation, même lorsqu'elle n'a aucune personne à charge, et nous réservons l'expression « chef de ménage » au locataire en titre. Commençons par des exemples, puisés parmi les maisonnées dirigées par le même chef de ménage de 1931 à 1939; nous les examinons en 1931, en 1935 et en 1939. Nous avons retenu une demidouzaine de maisonnées, afin de faire ressortir les situations variées, et variables, des familles qui habitent Arvida. Visitons d'abord le « quartier des Anglais ». Sur la rue Radin, un Américain de 39 ans, de religion protestante, cadre supérieur d'Alcan,7 habite une grande maison de 27 pieds sur 31 (8,23m sur 9,45m) comportant trois chambres à coucher et dont le loyer s'élève à 810 $ par année. Il est le seul chef de famille recensé à cette adresse en 1931. La maison compte alors cinq personnes : trois adultes et deux enfants. Le rôle de 1931 ne précise pas les professions des adultes. Celui de 1935 recense un homme, une femme, deux filles et une domestique canadiennefrançaise, célibataire. En 1939, le chef de ménage a deux personnes à sa charge, soit une adulte et une fille mineure, mais une deuxième fille est recensée séparément, avec la profession de « scholar» ; elle est manifestement encore aux études. Le ménage compte de plus une domestique canadienne-française, célibataire, mais ce n'est pas la même qu'en 1935. Ce ménage contient donc toujours cinq personnes; seuls changent le statut attribué par les recenseurs à l'une des filles du chef de ménage. Il s'agit donc d'une petite maisonnée de cadre aisé. Un peu plus loin sur la rue Radin, un autre ménage de cadre anglophone habite une maison un peu plus petite, de 26 pieds sur 20 (7,92 m sur 6 m), avec trois chambres à coucher, dont la valeur locative est de 600 $ par année. Le chef de ménage, Lou C., un ingénieur 7 Les informations sur ces personnes sont tirées des rôles d'évaluation, des fiches des employés d'Alcan et, à l'occasion, des registres d'état civil tels que compilés dans la base SAGUENAY. Elles doivent demeurer anonymes.

11 g La population de la ville

chimiste de 35 ans, est de nationalité américaine et de religion protestante, comme son voisin. La maisonnée compte deux adultes et un enfant en 1931 ; un deuxième enfant y est recensé en 1935, et la taille de la famille demeure la même en 1939. Comme son confrère et voisin, Lou C. est arrivé à Arvida en 1925, muté des installations d'Alcoa aux États-Unis. En 1939, les deux cadres sont dans la force de l'âge, le premier ayant 47 ans et le second 43 ans; leurs petites familles ont sans doute atteint leur taille définitive. Toujours dans le «quartier des Anglais», sur la rue Berthier, habite Pierre F., un Canadien français catholique et marié. Machiniste de profession, il est âgé de 50 ans en 1931. Sa maison, bâtie sur un carré de 24 pieds sur 24 (53,56 m 2 ), comprend trois chambres à coucher; Pierre F. paie 390 $ par année de loyer. Ce machiniste a trois adultes à sa charge; sa maisonnée comprend également un fils célibataire, recensé séparément, commis de son état, mais aucun enfant de moins de dix-huit ans. Le rôle de 1935 ne signale ni femme ni enfant à la charge du chef de ménage, mais mentionne séparément deux fils majeurs qui prennent la place de celui qui figurait au rôle de 1931. En 1939, le couple F. vit avec un seul des deux fils recensés en 1935 : célibataire, celui-ci se présente comme étant agent d'assurances. Passons maintenant au quartier ouvrier, où la densité résidentielle est plus forte. Sur le boulevard Mellon, habite en 1931 Albert F., un concierge canadien-français de 39 ans, qui a travaillé un an et demi pour Alcan, comme journalier. La maison, de 20 pieds sur 26 (6 m sur 7,92m), commande un loyer annuel de 300$ et comprend trois chambres à coucher. En 1931, Albert F. la partage avec cinq autres adultes et trois enfants. Toutes ces personnes sont à sa charge. En X 935> 1e couple F. a deux garçons et trois filles à sa charge. Habitent avec eux un veuf, probablement le père du chef de ménage, ainsi que deux célibataires, Roland et Monique C. Le premier est cuviste, tandis qu'aucune profession n'est notée pour la seconde. La maison loge donc dix personnes. En 1939, le couple F. n'a qu'un garçon et trois filles à sa charge. Roland et Monique habitent toujours avec cette famille : Roland est maintenant recensé comme journalier, mais la profession de Monique n'est toujours pas notée. De l'autre côté de la rue habite Roland P., électricien au service d'Alcan depuis 1927, canadien-français, marié et dont la famille compte trois adultes et deux enfants. Il paie 312 $ de loyer annuel pour sa maison de 26 pieds sur 20 (7,92 m sur 6 m) comprenant cinq chambres à coucher. Un deuxième couple de Canadiens français, dont le mari est journalier, habite la même maison : ce couple a un enfant à sa charge. Huit personnes habitent donc cette demeure. Quatre ans plus tard, la famille de Roland P. ne compte que deux adultes et deux

12O Arvida au Saguenay

enfants et personne d'autre n'habite la maison. En 1939, Roland P. est devenu contremaître et sa famille comprend toujours deux enfants. Mais le couple partage de nouveau sa maison avec un pensionnaire, un célibataire cette fois, chef électricien comme l'était le chef de ménage en 1931 ; les fiches de service nous apprennent en outre qu'il s'agit du beau-frère du chef de ménage. Du côté est de la rue Oerstedt, en 1931, un journalier canadienfrançais de 37 ans, Wilfrid G., embauché en 1926, partage lui aussi sa maison avec des pensionnaires. La maison, de 26 pieds sur 20 (7,92 m sur 6 m), coûte 312 $ de loyer annuel; elle comprend cinq chambres à coucher. Outre sa femme et ses quatre enfants, la maisonnée comprend un ajusteur en tuyauterie de nationalité écossaise et de religion catholique, de même qu'un machiniste, d'origine irlandaise et catholique lui aussi; le premier est célibataire, tandis que le second est veuf. Huit personnes vivent donc sous ce toit. En 1935, la maison de Wilfrid C. abrite onze personnes, dont trois pensionnaires. Wilfrid C. a trois garçons et trois filles. Les pensionnaires de 1931 ont cédé la place à un couple, dont le mari est dit assistant peddler, de nationalité britannique et de religion protestante; ce couple a une fille. En 1939, Wilfrid C. est devenu assistant chef cuviste. Il a maintenant dix enfants et a pour pensionnaires un autre couple de Canadiens français catholiques, sans enfants, dont le mari est storekeeper (magasinier ou commerçant), ainsi que trois célibataires canadiens-français apparentés, soit deux journaliers et une domestique. Cela fait 17 personnes dans la même maison ! Ces quelques exemples révèlent certaines caractéristiques des chefs de ménage qui habitent Arvida de 1931 à 1939 ainsi que des autres individus qui apparaissent aux rôles. En premier lieu, les chefs de ménage stables travaillent au service d'Alcan depuis plusieurs années. Les deux cadres y sont depuis 1925; le journalier, qui est de fait cuviste, a été embauché en 1926, et les trois ouvriers spécialisés, en 1927. Tous, sauf un, demeureront au service de l'entreprise jusqu'après la Deuxième Guerre mondiale. Dans l'ensemble, les chefs de ménage stables sont arrivés à Arvida en 1926 et 1927 et la majorité font partie du noyau fondateur qui demeure à l'emploi d'Alcan au moins jusqu'à la guerre. Par contre, les autres chefs de famille apparaissent pour la première fois dans les rôles ou dans les fiches d'embauché un peu plus tardivement. Ils sont pour la plupart célibataires. En second lieu, ces chefs de ménage sont tous, sauf un, dans la trentaine avancée. En 1931, la moyenne d'âge des chefs de ménage pour lesquels l'information est accessible8 est de 40 ans. Ce sont 8 Cette information est tirée des fiches de service des travailleurs, transcrites dans la base de données ALCFICH.

121

La population de la ville

donc des hommes d'âge mûr, mariés et pères de famille. Leurs enfants prennent de l'âge et certains d'entre eux, à 18 ans ou plus, demeurent encore avec leurs parents. Troisièmement, la taille des familles diffère considérablement selon que l'on est protestant anglophone ou catholique francophone. Les deux protestants anglophones n'ont que deux enfants, alors que les quatre Canadiens français catholiques ont de deux à douze enfants, auxquels il faudrait ajouter les chefs de famille autres que le chef de ménage et qui sont en fait, dans bien des cas, ses propres enfants. Quatrièmement, dans les ménages abritant plusieurs pensionnaires, on retrouve de plus en plus de pensionnaires d'origine canadienne-française ayant un lien de parenté. Enfin, chez les Canadiens français du quartier ouvrier, la cohabitation avec des personnes d'origine ethnique différente devient moins fréquente avec le temps. Elle est remplacée par la présence de parents. Au moins 30 % des chefs de ménage qui demeurent à Arvida de 1931 à 1939 partagent, en 1939, leur logement avec des parents.9 Par ailleurs, les individus vivant comme pensionnaires et qui ne sont pas apparentés au chef de ménage ont plus de difficulté à se loger de façon permanente. Le journalier qui habite avec Roland P. en 1931 déménage quelques maisons plus loin en 1934 et y sera jusqu'en 1939. Il fait figure d'exception. Le tuyauteur qui habite chez Wilfrid C. en 1931 change huit fois d'adresse de 1928 à 1939, tandis que le machiniste qui demeure au même endroit en 1931 est recensé à cinq adresses différentes entre 1928 et 1935, après quoi il disparaît des rôles. Quant à Y assistant pédaler habitant chez Wilfrid C. en 1935, on le retrouve à huit adresses différentes entre 1928 et 1939 et il n'apparaît pas aux rôles de 1929 et de 1932. Ces exemples donnent à penser que les deux quartiers d'Arvida logent des populations assez hétérogènes. Sur le plan professionnel, le clivage entre le «quartier des Anglais» et le quartier ouvrier n'est cependant pas aussi net que les noms désignant ces quartiers pourraient le laisser croire. Cols blancs et ouvriers se côtoient dans les deux quartiers, mais dans des proportions différentes, de sorte que le clivage professionnel est quand même perceptible (tableau 15). Dans le « quartier des Anglais », moins du quart des chefs de ménage sont des 9 Sur 66 chefs de ménage de 1939 ayant un lien de parenté avec d'autres chefs de famille de la maison, 30 font partie des chefs de ménage domiciliés à Arvida de 1931 à 1939. Seulement 4 des 30 avaient des parents vivant avec eux en 1931. Ces chiffres, tirés de jumelages avec la banque SAGUENAY, sont des minimums; les parents qui ne sont pas originaires du Saguenay et ne laissent pas de traces dans les registres d'état civil de la région ne peuvent être repérés.

122 Arvida au Saguenay Tableau 15 Pourcentage des chefs de ménage, selon la catégorie professionnelle et le quartier, Arvida, 1929-1939

1929

1931

1933

1935

1937

1939

« Quartier des Anglais »

%

%

%

%

%

%

Cadres intermédiaires

12,7

19,2

15,6

26,8

28,2

25,0

Ouvriers spécialisés

7,0

5,5

7,8

7,0

10,3

9,5

Gens de métier

1,4

0,0

3,1

20,0

0,0

0,0

31,0

32,9

32,8

36,6

26,9

23,8

Quartier ouvrier

%

%

%

%

%

%

Cadres intermédiaires

13,9

14,6

7,4

9,3

10,9

16,3

Ouvriers spécialisés

11,7

9,2

10,4

9,3

15,4

17,2

Gens de métier

11,1

15,1

10,4

8,1

8,4

10,7

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

43,9

48,1

60,7

57,8

48,5

41,4

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

Source: Base de données ROLEV.

cadres intermédiaires (contremaîtres, pour la plupart). 10 Selon les années, du quart au tiers des chefs de ménage sont des gens de métier ou des ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés. L'examen des professions de l'ensemble des chefs de famille du quartier révèle une structure professionnelle un peu plus diversifiée (tableau 16). Les cadres intermédiaires perdent de l'importance au profit des gens de métier et des ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés. Cette dernière catégorie, formée surtout de journaliers, représente environ le tiers des chefs de famille du quartier. Les autres chefs de famille sont petits commerçants, membres du personnel technique ou employés de bureau. Dans le quartier ouvrier, de 40 % à 60 % des chefs de ménage sont des travailleurs. De plus, les gens de métier y sont plus nombreux que dans le «quartier des Anglais». Les cadres représentent quand même de 10% à 15% des chefs de ménage; on les retrouve un peu partout dans le quartier, de sorte que, la plupart du temps, chaque rue compte i o Le classement des professions a été effectué au moyen de la grille des catégories socio-professionnelles élaborée à I'IREP. Voir Bouchard, «Les catégories socioprofessionnelles ».

123 La population de la ville Tableau 16 Pourcentage des chefs de famille, selon la catégorie professionnelle et le quartier, Arvida, 1929-1939 1929

1931

1933

1935

1937

1939

« Quartier des Anglais »

%

%

%

%

%

%

Cadres intermédiaires

14,0

15,2

16,3

13,1

16,4

15,4

Ouvriers spécialisés

8,6

5,7

7,5

4,8

7,6

7,4

Gens de métier

1,1

4,8

3,8

1,4

1,9

1,9

31,2

34,3

36,3

34,5

28,3

29,6

Quartier ouvrier

%

%

%

%

%

%

Cadres intermédiaires

8,3

6,0

4,1

4,6

4,8

8,3

Ouvriers spécialisés

11,1

7,2

6,8

6,2

9,9

9,6

Gens de métier

10,7

7,6

6,5

4,6

5,1

6,4

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

53,3

58,3

66,3

55,5

50,8

48,0

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

Source: Base de données ROLEV.

au moins une maisonnée tenue par un cadre (figures 3 et 4). Cependant, si on prend en compte tous les chefs de famille, ce quartier affiche une concentration plus faible de cadres intermédiaires, d'ouvriers spécialisés et de gens de métier. Arvida est également une ville assez hétérogène sur le plan ethnique et sur le plan religieux. Elle offre un contraste frappant avec le reste de la région, francophone à 95 % et catholique à 97%. X 1 La répartition des groupes ethniques par quartier ne révèle pas de clivage étanche, même si les prépondérances sont nettes (figures 5 et 6). Le « quartier des Anglais » comprend des Canadiens anglais, une dizaine d'Américains et une poignée d'Irlandais et d'Écossais, qui constituent généralement les deux tiers des chefs de ménage du quartier (tableau 17). Les Canadiens anglais à eux seuls représentent entre le tiers et la moitié des chefs de ménage, selon les années. Cependant, le quartier n'est pas habité seulement par des anglophones. De 18% à 25% des chefs de ménage sont canadiens-français; ceux-ci y constituent le deuxième groupe en importance, après les Canadiens anglais. Leur proportion augmente à près du tiers, si l'on considère tous les chefs de famille du quartier (tableau 18). S'ils sont 11 Pouyez et al., Les Saguenayens, 992, 967.

124 Arvida au Saguenay Figure 3 Répartition des chefs de ménage selon la catégorie professionnelle, Arvida, 1931

presque absents du chemin Radin, lieu de résidence des cadres majoritairement d'origine américaine ou canadienne-anglaise, les Canadiens français forment presque le tiers des chefs de famille de la rue Moissan et entre le tiers et la moitié de ceux de la rue Berthier. Le nombre de nationalités représentées dans le « quartier des Anglais » est moins élevé que dans le quartier ouvrier; environ la moitié d'entre elles correspondent aux ethnies de la Grande-Bretagne et de l'Irlande. On y remarque aussi quelques Suédois, Danois, Finlandais, Norvégiens, Belges ou Allemands. Dans le quartier ouvrier, durant la Crise, la proportion des chefs de ménage canadiens-français passe de la moitié aux deux tiers à la suite

125 La population de la ville Figure 4 Répartition des chefs de ménage selon la catégorie professionnelle, Arvida, 1939

des changements dans les politiques d'embauché d'Alcan.12 Toutefois, ce quartier demeure lui aussi assez hétérogène. On y retrouve, selon les années, de dix à vingt nationalités qui se répartissent plus ou moins également dans le quartier. Les rues Mellon et Wohler présentent une forte majorité de chefs de famille canadiens-français, tandis que les dix maisons de la rue Volta sont habitées par des gens de plusieurs nationalités différentes : un Finlandais et deux Yougoslaves en 1932, un Irlandais, un Italien qui y demeure de 1931 à 1939, un 12 Voir le chapitre 3.

126 Arvida au Saguenay Tableau 17 Origine ethnique des chefs de ménage, selon le quartier, Arvida, 1931-1939 1931

1933

1935

1937

1939

Pourcentage de Canadiens français

24,7

25,0

18,4

17,4

23,8

Nombre de nationalités présentes

10

11

8

9

9

5

8

4

4

5

Pourcentage de Canadiens français

63,7

68,6

58,8

65,7

65,6

Nombre de nationalités présentes

19

15

11

13

Quartier des Anglais

Nationalités anglo-saxonnes Quartier ouvrier

9

Source: Base de données ROLEV. Note: L'origine ethnique n'est pas mentionnée en 1929.

Russe, un Polonais, un Tchèque et un ou deux Canadiens français, selon les années. La diversité ethnique s'accompagne d'une diversité des appartenances religieuses. Toutefois les rôles n'indiquent pas toujours la confession avec la même précision d'une année à l'autre. Pour les années 1933, 1938 et 1939, l'information est à peu près complète, mais les rôles des autres années négligent d'inscrire cette mention dans le cas d'au moins 25 % des « chefs de famille ». Pour les années où l'information est recueillie systématiquement, de 18 % à 20 % des chefs de famille se disent protestants, alors que les catholiques comptent pour 70 % à 77 % du total. Quelques chefs de famille sont de confession grecque catholique ou orthodoxe. Une seule personne se dit de religion juive; elle n'apparaît qu'au rôle de 1933. Les quartiers sont davantage polarisés sur le plan de la religion que sur le plan de l'origine ethnique. En 1933, 1938 et 1939 le «quartier des Anglais » abrite autour de 60 % de protestants, les autres résidants se déclarant de foi catholique. Le temple protestant est construit dans ce quartier en 1928, ce qui en raffermit l'identification religieuse. Par contre, dans le quartier ouvrier, dont les rues transversales convergent vers l'église catholique, les protestants ne comptent que pour 10 % des chefs de famille. Le caractère particulier d'Arvida se manifeste aussi par la présence de nombreux célibataires. Au début de la Crise, en 1931, la ville compte environ un tiers de « chefs de famille » célibataires. Ces individus ont très rarement des personnes à charge et ne sont en fait « chefs de famille » qu'au sens donné plus haut à cette expression. L'année

127

La population de la ville

Figure 5 Répartition des chefs de ménage selon l'origine ethnique, Arvida, 1931

suivante, ils ne formeront que le quart des «chefs de famille» par suite des réductions de personnel effectuées au début d'octobre: lorsqu'elle a dû faire des mises à pied, en raison du ralentissement de la production, l'entreprise a préféré garder à son emploi les hommes mariés. En 1932, le nombre de «chefs de famille» mariés ne décline que de 15% par rapport à l'année précédente, alors que celui des « chefs de famille » célibataires, homme et femmes compris, chute de plus de 40%. Avec la reprise et la construction de nouvelles installations en 1937, le pourcentage des «chefs de famille» célibataires atteint un sommet de 45 %. Les hommes célibataires représentent 38 % de tous les hommes. De 11 % à 17 % des hommes mariés ne sont

128 Arvida au Saguenay Figure 6 Répartition des chefs de ménage selon l'origine ethnique, Arvida, 1939

pas accompagnés de leur épouse, de sorte que les hommes seuls, célibataires ou mariés, représentent près de la moitié de tous les hommes adultes.13 Les maisons d'Arvida doivent loger non seulement les couples mais aussi ces personnes seules. Étant donné le nombre élevé d'hommes célibataires, la population d'Arvida est répartie très inégalement selon les sexes. On compte chaque année environ 130 hommes pour 100 femmes, un rapport beau13 D'une année à l'autre, on compte environ une soixantaine d'hommes mariés vivant seuls. Il s'agit pour la plupart d'hommes d'origine étrangère, dont une quinzaine de Tchécoslovaques.

12g La population de la ville Tableau 18 Origine ethnique des chefs de famille, selon le quartier, Arvida, 1931-1939 1931

1933

1935

1937

1939

Pourcentage de Canadiens français

23,8

23,7

22,0

28,3

29,0

Nombre de nationalités présentes

10

8

9

9

9

4

4

4

4

5

Pourcentage de Canadiens français

49,1

57,2

61,3

67,0

67,1

Nombre de nationalités présentes

21

18

17

18

16

Quartier des Anglais

Nationalités anglo-saxonnes Quartier ouvrier

Source: Base de données ROLEV. Note: L'origine ethnique n'est pas mentionnée en 1929.

coup plus élevé qu'ailleurs dans la région ou que dans les grandes villes industrielles canadiennes. En 1931, par exemple, la ville de Chicoutimi compte 102,5 hommes pour 100 femmes; le comté de Chicoutimi en compte 105 et celui du Lac-Saint-Jean, 109. Ailleurs au Québec, Sorel affiche un taux de masculinité de 106,9; c'est la seule ville québécoise de 10 ooo habitants ou plus dont le taux dépasse 100. Au Canada, seules Sudbury, avec un taux de 125,3 hommes pour 100 femmes, et Timmins, à 123,9, s'approchent du taux d'Arvida.14 Les rôles d'évaluation fournissent peu d'information sur les femmes. Elles sont généralement recensées avec leur conjoint ou la personne dont elles dépendent. C'est le cas de quatre femmes sur cinq. Seulement 100 à 150 femmes par année, célibataires dans neuf cas sur dix, figurent nommément au rôle: elles ne comptent que pour environ 15 % de toutes les inscriptions détaillées. Les ménages dirigés par des femmes sont beaucoup moins nombreux, trois ou quatre chaque année. On peut les décrire rapidement. La postière, ainsi que d'autres femmes célibataires, dont les téléphonistes, occupent des appartements situés à l'étage supérieur d'un édifice à bureaux. En 1937 et 1938, la veuve d'un commis établi à Arvida avant 1930 et décédé en 1936 partage sa maison de trois chambres à coucher, d'abord avec deux femmes célibataires, sténographes comme elle, et ensuite avec un couple sans enfants dont le mari est ingénieur; elle n'apparaît plus au rôle l'année suivante. En 1938 et 1939, des infirmières célibataires occupent une maison de cinq chambres à coucher tout près des 14 Septième recensement du Canada, 1931, vol. II, tableaux 18 et 19.

130

Arvida au Saguenay

usines; cette maison est simplement appelée résidence d'infirmières, de 1928 à 1933, et semble perdre sa vocation, de 1934 à 1936, pour la reprendre par la suite. Les femmes recensées dans les rôles d'évaluation sont surtout canadiennes-françaises et catholiques. Elles occupent une variété d'emplois liés à la reproduction de la force de travail plutôt qu'à la production de l'aluminium. Ces emplois ne sont pas tous dignes de mention pour les recenseurs, qui omettent d'inscrire la profession de plus du tiers des femmes recensées nommément. L'emploi le plus fréquemment noté est celui de domestique : on en dénombre d'une vingtaine à une quarantaine, selon les années, ce qui représente environ la moitié des titres professionnels féminins relevés dans les rôles d'évaluation. Les domestiques au service des familles de cadres logent le plus souvent dans des familles de travailleurs. On compte également quelques enseignantes, de quatre à quatorze sténographes, et de trois à cinq téléphonistes par année. Les infirmières ne sont recensées qu'à partir de 1938, même si l'hôpital est ouvert depuis 1927. Par contre, la postière ainsi qu'une commis de magasin sont dûment inscrites chaque année. L'éventail des métiers féminins recensés dans les rôles est donc limité. Cela reflète le peu d'emplois rémunérés ouverts aux femmes dans la ville. Alcan n'emploie annuellement qu'une vingtaine de femmes, comme domestiques et sténographes surtout. Les autres femmes qui sont recensées au rôle d'évaluation occupent d'autres fonctions considérées comme féminines. En outre, on peut supposer que celles dont on ne précise pas la profession sont elles aussi occupées à des fonctions de reproduction de la force de travail. Ce sont souvent des filles majeures, qui aident sans doute leurs parents à l'entretien de la maison, ou des femmes mariées qui tiennent maison pour des pensionnaires. L'itinéraire professionnel de quelques domestiques, tel que relevé dans les rôles d'évaluation et les fiches de service d'Alcan, illustre la situation des jeunes femmes célibataires d'Arvida. Âgée de 29 ans,15 Adèle B. est embauchée par Alcan en août 1929 pour travailler dans le staff house, à 7 $ par semaine ; son père habite alors la rue Wohler et c'est lui qu'elle désigne comme personne à contacter en cas d'accident. Le i er octobre 1931, comme tous les autres employés d'Alcan, elle subit une réduction de salaire de 10%. Elle quitte son emploi sans préavis en février 1932. Elle réapparaît au rôle deux ans plus tard, habitant chez Adrien G. ; elle y est dite domestique chez Boddy, dont 15 Les dates de naissance sont tirées des fiches d'embauché.

131 La population de la ville

l'épouse tient une maison de pension. Outre le couple G., deux autres femmes habitent avec elle, dont Marie-Ange B., âgée de 22 ans, probablement une sœur ou une cousine. Celle-ci apparaît brièvement dans les dossiers d'Alcan : embauchée comme domestique temporaire le 2 mars 1932, elle est mise à pied deux semaines plus tard. Elle gagnait le même salaire qu'Adèle. Le deuxième exemple est celui de Laura D., 21 ans, domestique en 1936 chez le directeur de l'immobilier d'Alcan. La famille du directeur compte quatre personnes, dont un jeune homme recensé comme étudiant. L'année suivante, Laura D. est toujours domestique au service de la même famille, mais elle habite maintenant la rue Berthier dans la famille d'un contremaître et en compagnie d'une autre domestique. En février 1938, Alcan l'embauche comme domestique à l'hôpital. On apprend alors que sa famille habite Kénogami. Sa fiche de service signale que le montant de son salaire est confidentiel et n'en fournit pas le montant. Laura est mise à pied pour cause de maladie le mois suivant. On la reprend en avril 1939 et elle est mutée cuisinière, toujours à l'hôpital, en juin 1941. Le rôle d'évaluation la recense alors comme locataire dans une maison de rapport. Elle donne sa démission en avril 1944 pour des raisons personnelles. Notre troisième exemple, Hermine L. s'engage à 21 ans comme domestique à l'hôpital d'Alcan, en janvier 1929. Elle reçoit 7 $ par semaine. Elle habite la rue Mellon, mais son nom ne figure pas au rôle confectionné en juin. En février 1929, elle est mutée au club house, au même salaire. Elle est mise à pied en avril suivant, pour être reprise en février 1932, comme domestique affectée aux cuisines du club house. Son salaire a cependant été réduit à 5,50 $ par semaine. Sa fiche de service se termine par une nouvelle mise à pied, en août 1932, en raison d'une réduction de personnel. On la retrouve trois ans plus tard domestique résidant chez son père. En plus de ses parents, elle partage la maison de cinq chambres à coucher avec quatre frères adultes, ainsi que trois frères et trois sœurs désignés comme enfants. Cette maisonnée compte treize personnes. Hermine L. habite toujours chez son père l'année suivante: le rôle indique qu'elle est maintenant domestique chez Boddy. Elle a un jeune frère de plus, mais deux de ses frères adultes sont partis. On perd ensuite sa trace. Le dernier exemple, Gabrielle R., 22 ans, est embauchée comme domestique à l'hôpital en septembre 1937. Elle a fréquenté l'école à Arvida et son frère travaille déjà pour Alcan. Elle habite alors chez son père, cultivateur, sur le chemin Radin. Elle a déjà eu un poste de domestique à Arvida, bien que le rôle d'évaluation n'en fasse pas mention.

132 Arvida au Saguenay

Elle quitte son emploi en janvier 1938, sans explication. Mais en juin, le recensement municipal note qu'elle travaille chez le Dr. Riddell, alors que sa sœur Annette est employée comme domestique à l'hôpital. Les deux filles habitent la ferme de leur père. Le rôle d'évaluation de 1939 la repère au même endroit; la famille R. compte alors quatre garçons et quatre filles mineurs ainsi qu'un garçon de 20 ans et, outre Gabrielle, deux autres filles adultes: Annette, qui a 22 ans, et Éliette, qui en a 18. Quatorze personnes, donc, dans cette maison de ferme. Deux ans plus tard, Gabrielle est domestique chez le directeur du complexe d'Arvida, sur le chemin Radin.

MODES D'OCCUPATION DU PARC DE L O G E M E N T S Les fluctuations de la main-d'œuvre, la taille des familles, l'état civil des personnes, de même que le coût du logement forment donc un ensemble de contraintes qui influent sur l'utilisation du parc résidentiel d'Arvida. Mais d'autres facteurs, tels que la profession, la langue ou l'origine ethnique, définissent aussi les manières de se loger, de cohabiter et de vivre quotidiennement dans l'espace urbain. Les nombreux hommes et femmes sans conjoint doivent trouver à s'héberger auprès des familles d'Arvida, car il n'existe à peu près aucune autre forme de logement dans la ville. L'entassement qui résulte de cette situation se manifeste de diverses façons. Le nombre de « chefs de famille » par maison en fournit un premier indice. Dans le « quartier des Anglais », ce nombre oscille autour de 1,6 entre 1928 et 1939, tandis que dans le quartier ouvrier il atteint environ 2,9 (figure 7). 16 Dans les deux cas, on observe une tendance à la hausse, depuis le creux de la Crise jusqu'à 1939, à mesure qu'Alcan se remet à embaucher. Le nombre moyen de résidants par maison constitue cependant une mesure plus juste de l'entassement. Pour l'ensemble de la ville, le nombre moyen décline légèrement de 7,2 en 1929 à 6,8 en 1931 et à 6,4 en 1935, puis remonte jusqu'à 6,8 en 1937, pour redescendre à 6,6 en 1939. Seules les secteurs urbains des comtés de Charlevoix et de Matane, avec une moyenne de 7,3 résidants par habitation, ont des densités résidentielles supérieures, selon le recensement canadien de 1931. Parmi les villes canadiennes de 10 ooo âmes et plus, seules Chicoutimi et Lévis, avec 6,6 personnes par logement, présentent des densités comparables à celle d'Arvida. Montréal

16 La variation dans le quartier ouvrier est plus sensible aux fluctuations dans la taille de la main-d'œuvre d'Alcan que celle du « quartier des Anglais ».

133

La population de la ville

Figure 7 Nombre de chefs de famille par maison, selon le quartier, Arvida, 1928-1939

compte en moyenne 4,8 personnes par ménage, Québec, 5,7, et Trois-Rivières, 6, i. * 7 Ces moyennes masquent un écart de densité considérable entre les deux quartiers. Dans le « quartier des Anglais », on compte environ 4,3 personnes par résidence,l8 alors que les logements du quartier ouvrier abritent en moyenne 7,6 personnes (figure 8). La densité résidentielle du « quartier des Anglais » augmente légèrement avec le temps, tandis que celle du quartier ouvrier suit un très faible mouvement en sens inverse. Ces variations semblent assez accidentelles. Il n'y a pas de lien, en tout cas, entre ces fluctuations et le nombre moyen d'enfants par ménage, qui demeure assez stable dans chaque quartier. Le phénomène d'entassement ressort encore plus clairement lorsqu'on examine la répartition des logements selon le nombre de personnes qu'ils abritent. Le nombre modal de personnes par unité d'habitation passe de 8 en 1929 à 6 en 1933, descend à 4 en 1936 et 1937 puis remonte à 8 en 1938, pour revenir à 6 en 1939. De 1928 à 1939, entre les deux tiers et les trois quarts de la population habitent 17 Septième recensement du Canada, 1931, vol. V, 945, 946, 978. 18 Les unités d'habitation comprennent les maisons, les appartements et les bâtiments commerciaux où le rôle d'évaluation recense des résidants. La population des camps de travailleurs mentionnés aux rôles n'est pas comprise dans la ventilation par quartier. Les camps identifiés aux rôles de 1931 à 1933 ainsi qu'en 1938 et 1939 ne comptent que de trois à cinq individus.

134 Arvida au Saguenay Figure 8 Nombre de personnes par maison, selon le quartier, Arvida, 1928-1939

des logements de plus de six personnes (tableau 19). La proportion des logements de plus de six personnes baisse de 53 % à 42 %, de 1928 à 1933, pour remonter aux environs de la moitié, de 1937 à 1939. Le nombre de personnes par logement varie beaucoup moins d'une année à l'autre que le nombre de «familles». On pourrait supposer que le nombre de « familles » augmente ou diminue dans les maisons en relation inverse du nombre de membres dans la famille du chef de ménage, de sorte que la maisonnée conserve un nombre optimal de résidants. Cette corrélation s'observe effectivement, mais elle est extrêmement faible.19 La taille de la maison n'est donc pas la première explication des différences de densité résidentielle. Il semble plutôt que ce soit le coût relatif du logement et la taille des familles qui produisent un entassement beaucoup plus marqué dans le quartier ouvrier que dans le «quartier des Anglais». De façon générale, on compte dans ce dernier quartier quatre résidants pour trois chambres à coucher, alors que dans le quartier ouvrier on compte deux personnes par chambre à coucher (figure g). 20 Les densités les plus élevées 19 Selon les années et les quartiers, le coefficient de corrélation fluctue entre -0,04 et -0,22. 20 Le nombre des chambres à coucher est tiré des plans des maisons construites par Alcan. Maison Alcan, service de l'information, Détails of Arvida Houses, Schools, Hospital & Station. 1926, ARCHNO 00158-15. Les plans des maisons de la rue Vaudreuil ne sont pas accessibles et cette rue a été exclue des calculs rapportés ci-haut.

135 La population de la ville Tableau 19 Pourcentages des logements de plus de 6 personnes et de la population qui y vit, Arvida, 1928-1939

Année

Logements de plus de 6 personnes %

Population vivant dans des logements de plus de 6 personnes %

1928

53,8

75,8

1929

52,9

73,8

1930





1931

45,6

66,5

1932

47,5

70,3

1933

42,1

65,2

1934

43,1

67,1

1935

42,8

65,1

1936

44,1

67,6

1937

49,3

71,3

1938

51,2

71,9

1939

48,8

70,9

Source: Base de données ROLEV. Note: II n'y a pas de rôle d'évaluation en 1930.

se retrouvent sur les rues Hare, Volta et Wohler, dans le quartier ouvrier, où l'on dénombre entre 2,25 et 2,50 personnes par chambre à coucher, alors que la rue Cas tel, dans le « quartier des Anglais », possède une moyenne inférieure à 1,0, chaque année, sauf en 1938 et 1939Ces fortes densités dans l'habitat du quartier ouvrier reflètent la taille des familles qui y habitent. La prépondérance des familles canadiennes-françaises y rend compte de sa densité résidentielle élevée. Les ménages constitués par des familles canadiennes-françaises comportent un plus grand nombre d'enfants que les ménages des autres groupes ethniques. De 1931 à 1939, les ménages dont le locataire principal est canadien-français comptent 3,6 enfants en moyenne, ce qui donne 8,2 personnes par maison, alors que les ménages dirigés par un membre d'un autre groupe ethnique ne comptent que 1,9 enfants, pour un total de 6 personnes par maison. Cette différence n'est pas attribuable à des différences dans le nombre de «familles» par ménage ou dans la proportion de chefs de ménages mariés : elle tient

136 Arvida au Saguenay Figure 9 Nombre de personnes par chambre à coucher, selon le quartier, Arvida, 1928-1939

toujours lorsqu'on restreint l'observation aux chefs de ménage mariés, alors que le nombre de « familles » est la plupart du temps plus élevé dans les ménages dirigés par des Canadiens français que dans les autres. En fait, les Canadiens français, et au premier chef les Saguenayens, ont des familles plus considérables que les autres groupes ethniques, comme on le verra dans le prochain chapitre. De même, la cohabitation entre couples est beaucoup plus marquée chez les Canadiens français que dans les ménages dont les chefs sont d'une autre nationalité. Possédant la même langue, la même religion et la même culture, les couples canadiens-français ont sans doute plus de facilité à partager leur logis que des couples de nationalités différentes. Il est d'autre part évident que, comme les couples canadiens-français sont plus nombreux que les couples d'autres origines, les possibilités de partage du logement sont plus grandes dans leur cas. Le partage d'une maison par plusieurs couples n'est cependant pas très courant. En 1934, moins de 20 % des ménages comprennent deux couples ou plus.21 Ce phénomène s'accroît par la suite, suivant l'augmentation de la densité résidentielle. Il atteint le tiers des ménages en 21 Ce pourcentage rend compte du nombre de maisonnées dirigées par un couple et en comprenant un deuxième, par rapport au nombre total de maisons occupées. Le couple est défini comme étant formé d'un chef de famille masculin recensé comme étant marié et dont dépend au moins une femme adulte. Comme nous l'avons indiqué plus haut, la répartition des adultes selon le sexe n'est pas disponible avant 1934.

137 La population de la ville

1939. Le partage d'une même demeure par plus d'un couple est un phénomène propre au quartier ouvrier; il est pratiquement inexistant dans le « quartier des Anglais ». Par ailleurs, les résidences plus petites, de trois chambres à coucher, sont un peu plus fréquemment le lieu de ces cohabitations que les maisons plus grandes ou ayant davantage de chambres à coucher, ce qui confirme que ce genre d'arrangement n'est pas déterminé par la taille de la maison. La cohabitation des résidants d'Arvida se fait entre gens de même origine ethnique. Le nombre d'origines ethniques différentes par maison est étonnamment faible, à la fois chez les chefs de ménage canadiens-français et chez ceux d'autres origines ethniques. Les chefs de ménage d'origine canadienne-française ne prennent que très rarement des pensionnaires d'autres nationalités. Le phénomène est nécessairement plus fréquent chez les locataires de nationalité autre que canadienne-française, puisque les effectifs de chaque groupe ethnique sont faibles, ce qui rend difficile le choix de colocataires de même nationalité. En général, toutefois, le nombre de chefs de famille de différentes nationalités, dans les maisons dont le chef de ménage n'est pas canadien-français, ne dépasse pas 1,7 dans le quartier ouvrier, alors que le nombre total de chefs de famille dans ces maisonnées varie de 3,5 à 4,4. En 1931, les maisonnées les plus hétérogènes se situent sur les rues Hare et Vol ta; ces maisonnées comptent en moyenne de 2,0 à 2,5 chefs de famille de nationalités différentes. En 1932, les rues Hare et Mellon comptent en moyenne 2,4 ethnies différentes dans les maisons qui abritent plus d'un chef de famille. La rue Wohler dépasse le seuil de 2,0, de 1936 à 1938; en 1939, cette situation ne se trouve que sur les rues Davy, Mellon et Volta. Par ailleurs, dans les maisons louées par des Canadiens français, le nombre moyen de nationalités différentes parmi les chefs de famille est généralement inférieur à 1,2, quel que soit le quartier, alors que le nombre moyen de chefs de famille dans les maisonnées canadiennes-française oscille entre 2,0 et 2,5 dans le « quartier des Anglais » et entre 2,5 et 3,8 dans le quartier ouvrier. En gros, donc, on rencontre rarement des maisonnées où les chefs de famille sont de nationalités différentes. La cohabitation des coreligionnaires est encore plus forte que celle des chefs de famille de même origine ethnique. La ségrégation religieuse est un peu plus marquée dans le « quartier des Anglais » que dans le quartier ouvrier, car la population y est plus homogène sur le plan ethnique et les gens de même ethnicité professent souvent la même religion. Il est rare que des catholiques accueillent des noncatholiques comme colocataires, quel que soit le quartier où ils habitent. Cela se produit dans environ 10 % des ménages abritant plus d'un chef de famille; seule la rue Volta, en 1938 et 1939, atteint des niveaux

t22313123123123123 Tableau 20 Chefs de ménage et chefs de famille persévérants, selon le quartier, Arvida, 1933-1939 Chefs de ménage Total

%

39

63

61,9

ouvrier

100

159

anglais

41

ouvrier

Année

Quartier

1933

anglais

1935

1937

1939

Autres chefs de famille

persévérants

persévérants

Total

%

4

14

28,6

62,9

43

197

21,8

71

57,7

2

40

5,0

107

164

65,2

50

323

15,5

anglais

61

77

79,2

20

64

31,3

ouvrier

132

195

67,7

125

436

28,7

anglais

59

82

72,0

20

69

29,0

ouvrier

166

200

83,0

166

405

41,0

Source: Base de données ROLEV. Note: Les chefs de ménage et autres chefs de famille persévérants sont ceux qui résident depuis deux ans ou plus à la même adresse.

plus élevés. Les chefs de ménage non catholiques du quartier ouvrier accueillent davantage de chefs de famille de religion différente, mais ceci ne s'observe que dans une vingtaine de demeures seulement. ROULEMENT ET STABILITÉ

Les particularités des deux quartiers d'Arvida, présentes tout au long des années 1930, révèlent le caractère structurel de la répartition de la population dans l'espace urbain. Les structures ne se modifient que légèrement, à la suite des mouvements de main-d'œuvre dans les usines. Parmi les personnes les plus stables de la population, on compte évidemment les chefs de ménage, dont les caractéristiques se distinguent nettement de celles des autres chefs de famille. Les différences entre ces deux groupes apparaissent en premier lieu dans leur taux de persévérance. Selon les années, moins du tiers des chefs de famille qui ne sont pas chefs de ménage habitent au même endroit depuis deux ans ou plus, alors que les deux tiers des chefs de ménage sont à la même adresse depuis deux ans ou plus (tableau 20). Près de 40 % des maisons de la ville ont le même chef de ménage de 1931 à 1939 (figure 10). La stabilité des chefs de ménage varie légèrement selon les quartiers et les rues. Les différences d'un quartier à l'autre ne sont pas très mar-

139

La population de la ville

Figure 10 Nombre de ménages successifs par maison, Arvida, 1931-1939

quées : la stabilité est plus grande dans le quartier ouvrier que dans le « quartier des Anglais » et les variations, d'une rue à l'autre et d'une année à l'autre, y sont moins prononcées. La partie du quartier ouvrier située du côté ouest de la rue Oerstedt, davantage peuplée de Canadiens français, démontre encore moins de roulement parmi les chefs de ménage : 43 % des maisons ont le même locataire principal de 1931 à 1939, alors que la proportion n'est que de 32 %, de l'autre côté du quartier, où la proportion de Canadiens français est également plus faible. À cause de leur poids dans l'ensemble de la population, les chefs de ménage et leurs familles forment le noyau stable d'Arvida. Dans le

140 Arvida au Saguenay Tableau 21 Pourcentages des chefs de ménage et autres chefs de famille célibataires, Arvida, 1931-1939 Célibataires Chefs de ménage

Autres chefs de famille

1931

5,3

47,4

1932

3,8

47,9

1933

3,8

45,8

1934

5,2

60,1

1935

3,7

63,3

1936

3,7

59,3

1937

2,6

66,5

1938

3,1

68,1

1939

4,5

66,4

Année

%

%

Source: Base de données ROLEV.

« quartier des Anglais », les chefs de ménage sont toujours plus nombreux que les autres chefs de famille. Dans le quartier ouvrier, les chefs de ménage comptent pour la moitié du nombre total de chefs de famille. Les chefs de ménage stables y constituent 20% de tous les chefs de famille du quartier. Il s'agit davantage de véritables chefs de famille que dans le cas des autres adultes recensés dans les rôles, car ils sont presque tous mariées ou veufs; seulement 4% d'entre eux, envi ron, sont célibataires. Parmi les autres «chefs de famille», par contre, on compte entre la moitié et les deux tiers de célibataires, selon les années (tableau 21). Les chefs de ménage se distinguent aussi des autres chefs de famille sur le plan de la profession et de l'origine ethnique, ce qui aide à comprendre les différences observées dans les taux de roulement. Les chefs de ménage sont en moins grand nombre des travailleurs semispécialisés et non spécialisés que les autres chefs de famille : seulement deux chefs de ménage sur cinq se situent dans cette catégorie, contre trois sur cinq pour les autres chefs de famille. Sur le plan ethnique, les Canadiens français sont légèrement majoritaires parmi les chefs de ménage, sauf au milieu des années 1930. Au début de la période, cependant, ils ne représentent que le tiers des autres chefs de famille. Ils deviendront graduellement plus nombreux dans cette catégorie, ce

141 La population de la ville

qui témoigne de la tendance qui s'accentue à la compagnie Alcan à l'égard de l'embauche de Canadiens français.22 L'importance numérique des chefs de famille stables dans la ville au cours des années 1930 s'explique en partie par la présence des membres du noyau fondateur. Ce noyau est constitué de travailleurs qui sont au service d'Alcan de façon continue depuis au moins 1928 et y demeurent jusqu'à la fin de la période d'observation, soit 1939, quel que soit leur lieu de résidence (figure 11 ). Les membres du noyau fondateur représentent le tiers de tous les ménages qui habitent le même logement de 1931 à 1939. Les deux premiers rôles d'évaluation d'Arvida, en 1928 et en 1929, recensent 120 travailleurs membres du noyau fondateur. Dans le rôle de 1931, on n'en relève plus que 107, soit environ le tiers des chefs de ménage recensés cette année-là. Leur importance numérique reste à peu la même en 1935, mais leur nombre s'élève à 132 en 1939; ils représentent alors 43 % de tous les chefs de ménage. Arvida attire donc de plus en plus de membres du noyau fondateur qui avaient quitté la ville au moment de la Crise. Même si les sources nous font défaut sur ce point, on peut deviner leurs motifs : désir de se rapprocher du lieu de travail, disponibilité de logements dans la ville, en raison du roulement élevé, préférence accordée par l'entreprise à ses travailleurs les plus persévérants. Les membres du noyau fondateur font néanmoins preuve d'une mobilité résidentielle élevée, tout comme la plupart des résidants d'Arvida. Seulement 73 membres du noyau fondateur sont inscrits sur les trois rôles d'évaluation de 1931, 1935 et 1939, dont 34 demeurent toujours au même endroit. Une vingtaine d'autres logent à la même adresse en 1935 et en 1939, alors que 17 habitent des logements différents en 1931, 1935 et 1939. Toutefois, cette mobilité à l'intérieur de la ville n'affecte sans doute pas le poids social qu'ils acquièrent graduellement dans la communauté, de par leur présence continue. Les membres du noyau fondateur qui vivent à Arvida durant les années 1930 choisissent davantage le quartier ouvrier que le « quartier des Anglais » et ils y occupent une place importante, car ils comptent pour un peu plus de la moitié des chefs de ménage de leur quartier, en 1935 et 1939. Les deux tiers des membres du noyau fondateur domiciliés dans le quartier ouvrier sont des Canadiens français qui contribuent, comme les autres chefs de ménage stables, à façonner le caractère francophone de ce quartier. En 1939, Arvida, et son quartier ouvrier en particulier, comprend une majorité de chefs de ménage qui sont établis dans la ville depuis un certain temps ou qui travaillent aux usines depuis le début. Les 22 Voir le chapitre 2.

142 Arvida au Saguenay Figure 11 Membres du noyau fondateur résidant à Arvida en 1939

membres du noyau fondateur qui habitent Arvida et les autres chefs de ménage qui y vivent depuis 1931 représentent la moitié des chefs de ménage. Ces «anciens» dominent le quartier ouvrier, où ils constituent entre la moitié et les trois quarts des chefs de ménage, selon les rues. A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Arvida est devenue une ville composée majoritairement de chefs de ménage canadiensfrançais (tableau 22). Ceux-ci occupent une place importante dans le «quartier des Anglais» et dominent fortement le quartier ouvrier. Dans ce quartier, l'éventail des nationalités s'est considérablement rétréci au cours des années 1930, passant de 18 en 1931 à 9 en 1939.

143 La population de la ville Tableau 22 Origine ethnique des chefs de ménage, selon le quartier, 1939 Nationalité

Nombre

Pourcentage

« Quartier des Anglais » américaine

10

11,9

belge

1

1,2

britannique

1

1,2

canadienne

34

40,5

canadienne-françDaise

20

23,8

canadienne-écossaise

4

4,8

canadienne-irlandaise

11

13,1

finlandaise

1

1,2

suisse

2

2,4

84

100,0

britannique

32

14,9

canadienne

19

8,8

canadienne-françaDise

141

65,6

canadienne-écossaise

9

4,2

canadienne-irlandaise

6

2,8

finlandaise

1

0,5

italienne

2

0,9

roumaine

3

1,4

yougoslave

1

0,5

inconnue

1

0,5

215

100,0

TOTAL

Quartier ouvrier

TOTAL

Source: Base de données ROLEV.

Les Britanniques forment désormais le seul autre groupe ethnique nombreux. La population se partage donc en deux groupes ethniques principaux qui, chacun dans son quartier, constituent la majorité. La polarisation ethnique est devenue plus manifeste.

144 Arvida au Saguenay

Les rôles d'évaluation nous ont permis de mettre à jour les structures d'occupation de l'habitat urbain. Dans une aussi petite ville, l'espace social est défini par le quartier et la maisonnée: la rue ne sert pas d'unité de polarisation particulière. Le «quartier des Anglais», peu populeux, possède une assez grande homogénéité ethnique et religieuse. Dans le quartier ouvrier, la diversité ne se remarque que chez les chefs de ménage qui ne sont pas canadiens-français. Les Canadiens français sont suffisamment nombreux pour choisir de ne prendre essentiellement que d'autres Canadiens français sous leur toit. Même s'il ne procure pas aux Canadiens français une domination démographique sur la ville, le poids du nombre leur donne la possibilité de vivre ensemble sans être forcés d'intégrer en leur sein les membres des autres groupes ethniques, ce qui aurait pu mener à des échanges culturels plus fréquents. Les deux groupes religieux et linguistiques conservent chacun leur milieu de vie propre. Mais la structuration de l'espace social dans la ville, qui se manifeste dès les premières années, n'est pas synonyme de stabilité dans la population. À l'intérieur des structures établies se produit un important roulement de population chez les chefs de ménage, mais de façon encore plus marquée chez les autres chefs de famille. Ce va-et-vient nuit peutêtre encore plus à l'intégration culturelle des résidants d'Arvida. En dépit de son fort contingent d'«étrangers», Arvida devient graduellement une ville canadienne-française. En 1939, la population d'Arvida est également devenue une population plus stable.

CHAPITRE SIX

Les travailleurs et leurs familles

Quittons maintenant l'espace social d'Arvida pour pénétrer dans l'univers domestique des travailleurs et de leurs familles. Prenons une famille dont l'histoire est, somme toute, assez typique. Fernand R. * est né à Saintjérôme, une paroisse rurale du Lac-Saint-Jean, en 1886. Le prêtre qui l'a baptisé ne s'est pas donné la peine d'inscrire sur l'acte de baptême la profession de son père, ce qui signifie sans doute que celuici était agriculteur. En 1911, à l'âge de 25 ans, Fernand R. épouse à Roberval une fille d'agriculteur, Lucie B., née à Saint-Félicien et âgée de 21 ans. Dix mois plus tard, lorsque survient la naissance du premier né, les époux habitent à Roberval. Fils et fille de ruraux, le couple R. s'est établi en milieu urbain. À la naissance du deuxième enfant, dix mois plus tard, le couple vit à Jonquière. Lorsque le malheur frappe ce couple, en décembre 1912, par le décès de leur premier-né, les époux habitent toujours Jonquière. Les six enfants suivants sont nés à Roberval, entre 1913 et 1922. Le malheur s'acharne sur le couple R. là aussi : les troisième et quatrième enfants meurent avant d'atteindre l'âge de deux ans. Le couple revient à Jonquière, où naissent deux autres enfants, en 1926 et 1927. Fernand R. est embauché par Alcan en 1925 comme teamster (char retier ou camionneur). Il travaille alors à la construction des usines et de la ville. De 1931 à 1939, la famille R. habite Arvida. Elle y demeurera, comme l'indiquent les mentions de résidence du père lors du mariage de sept de ses enfants, entre 1937 et 1950, et du décès de son épouse, en 1968. Fernand R. et sa femme reproduisent le modèle saguenayen des familles nombreuses, peu enclines à pratiquer la limitation ou l'espai Nous avons recours ici aussi à des noms fictifs pour préserver la confidentialité des dossiers.

146 Arvida au Saguenay

cément des naissances. En tout, le couple R. met au monde onze enfants, et peut-être plus.2 Lors de la dernière naissance relevée dans les registres d'état civil du Saguenay, en 1929, la mère a presque 40 ans. Cette naissance survient quelques semaines seulement avant le mariage de l'aînée des filles, qui prendra alors la relève de sa mère dans le cycle de reproduction, comme cette dernière l'avait fait pour la génération précédente. La mère de Fernand R. avait mis onze enfants au monde avant de devenir veuve, à 41 ans; sa belle-mère en avait eu treize, dont le dernier à l'âge de 45 ans. Le premier enfant de Fernand R. naquit dix mois après le mariage, signe d'une absence de limitation des naissances en début d'union. Au total, son épouse a accouché onze fois en dix-huit ans, ce qui lui laissait peu de temps entre les couches; l'intervalle moyen entre deux naissances fut de 20 mois; seuls deux intervalles intergénésiques, dont le dernier de 31 mois, indiquent un espacement plus grand. Cet itinéraire démographique ne laisse guère soupçonner que le couple R. ait eu recours à la contraception, sauf peut-être à la fin de sa période de vie féconde. Les registres d'état civil des paroisses du Saguenay, à l'aide desquels nous avons suivi le couple R. dans son itinéraire démographique, nous permettent de reconstituer le milieu familial des travailleurs et de situer celui-ci dans le contexte saguenayen, à la fois sur le plan démographique et sur le plan socio-culturel. Comme l'exemple de la famille R. le laisse voir, les sources fournissent des indications sur l'origine géographique des travailleurs, sur la profession de leur père et de leur beau-père et sur la taille de leur famille d'origine; ces données peuvent être comparées avec des données similaires portant sur l'ensemble de la population saguenayenne. Il est donc possible de suivre les itinéraires familiaux des travailleurs, depuis leur mariage jusqu'à la fin de la période de vie féconde de leur couple. Nous chercherons à voir à quel point la fécondité des familles des travailleurs d'Alcan se distingue de celle des familles de l'ensemble de la région. Au-delà de l'intérêt intrinsèque de pénétrer dans l'univers familial des travailleurs, l'analyse démographique fournit de précieuses indications sur les mentalités des Saguenayens qui passent par les usines d'Alcan de 1925 à 1939. Les mesures démographiques sont souvent utilisées comme indice de l'évolution des mentalités. Dans le cas saguenayen, les indications qu'elles livrent peuvent aider à comprendre d'autres aspects de la vie des travailleurs, notamment leurs attitudes à

2 L'absence de mentions relativement au couple R., dans les registres d'état civil du Saguenay, de 1923 à 1926, peut être attribuable à une absence temporaire de la région, pendant laquelle d'autres naissances ont pu survenir.

147

Les travailleurs et leurs familles

l'égard de leur employeur et la nature des actions collectives qu'ils entreprendront. Certaines particularités de l'analyse rendent cependant très difficile l'étude des liens entre le travail industriel et la vie familiale des Saguenayens. En premier lieu, moins de la moitié de la vie féconde des familles complètes, c'est-à-dire celles dont nous pouvons suivre l'itinéraire démographique depuis le mariage jusqu'à la fin de la vie féconde de l'épouse, se déroule alors que leur chef est à l'emploi d'Alcan. Les stratégies de reproduction des premières années de leur union ne sont donc pas nécessairement arrêtées dans le contexte d'un mode de vie industriel. En second lieu, les familles complètes ne forment qu'une petite fraction de toutes les familles de travailleurs, ce qui rend hasardeuses les généralisations fondées sur l'analyse de leur comportement. Il est donc nécessaire d'offrir, en préambule, quelques explications méthodologiques. La population à l'étude dans ce chapitre comprend tous les travailleurs qui sont passés par les usines d'Alcan à Arvida et qui ont pu être identifiés dans les registres d'état civil saguenayens. Elle comprend non seulement les travailleurs domiciliés à Arvida, mais aussi ceux qui habitent dans les villes voisines. D'après les indications dont nous disposons, seulement environ un tiers des travailleurs d'Alcan identifiés dans les registres d'état civil habitaient Arvida au moment de leur entrée à l'usine. Deux raisons nous ont amené à inclure les autres dans l'analyse. La première relève des objectifs visés dans ce chapitre : nous cherchons à reconstituer le milieu familial des travailleurs d'Alcan quel que soit leur lieu de résidence. La deuxième raison est d'ordre méthodologique: les effectifs sont trop restreints pour que nous puissions établir, dans l'analyse, des distinctions entre les travailleurs selon leur lieu de résidence. La faiblesse des effectifs constitue en effet un problème majeur. Des quelque 6 600 travailleurs dont les noms figurent dans les dossiers du personnel d'Alcan, nous n'avons pu en retracer que i 400 dans les registres d'état civil du Saguenay, nombre qui représente tout de même plus de 80% des travailleurs d'origine saguenayenne à l'emploi d'Alcan à Arvida.3 La quantité d'information disponible dans les registres d'état civil dépend de la durée du séjour des travailleurs dans la région. Une personne arrivée au Saguenay à l'âge adulte ne sera peut-être signalée dans les registres qu'au moment de son décès ou du mariage d'un enfant. Par contre, le Saguenayen de naissance, comme Fernand R., qui se marie dans la région, y fait baptiser ses enfants, vit toujours dans la région au moment du mariage 3 L'annexe 2 décrit sommairement comment a été constituée la population à l'étude.

148 Arvida au Saguenay

des enfants et y meurt, aura un dossier beaucoup plus riche. Seulement 38 % des travailleurs sont nommés dans les registres d'état civil dès leur baptême; 35 % y apparaissent pour la première fois lors de leur mariage ou remariage et près de 19%, à titre de parents à un baptême, un mariage ou une sépulture. Les autres, environ 9%, ne sont mentionnés dans ces registres qu'au moment de leur décès. Tout compte fait, nous ne disposons au total que d'environ i ooo dossiers susceptibles de fournir des informations utiles sur les itinéraires familiaux. Ces i ooo dossiers sont loin d'être d'une égale utilité pour l'analyse de l'univers familial des travailleurs. La quantité d'informations qu'ils contiennent est tributaire des mouvements de population, qui amènent au Saguenay des familles constituées ailleurs ou qui en éloignent celles qui s'y forment, réduisant ainsi la période où il sera possible de les étudier à partir des registres saguenayens. La richesse des renseignements portés aux registres affecte aussi la taille de certains groupes soumis à l'analyse; les professions ou les lieux de résidence n'y sont pas toujours consignés. Par conséquent, plus les analyses sont gourmandes de données, plus les effectifs sur lesquels elles pourront porter seront réduits. Certaines mesures, comme l'âge des conjoints au mariage, reposent sur une période d'observation assez courte; les registres peuvent donc fournir un grand nombre de cas. D'autres mesures, qui exigent une période d'observation plus longue, doivent porter sur des effectifs plus faibles. Par exemple, pour décrire les familles d'origine des travailleurs, il faut non seulement retracer les travailleurs dans les registres d'état civil, mais disposer aussi d'actes où figurent les noms de leurs parents et qui mentionnent le lieu de résidence et la profession de ceux-ci. Cela suppose que leur famille d'origine soit établie au Saguenay depuis assez longtemps. L'analyse de la fécondité des couples exige une longue période d'observation continue. Elle doit porter sur des familles complètes; une famille complète est un couple dont les dates de naissance, de mariage et de décès de l'épouse sont connues, de même que la date de décès de l'époux, ce qui permet d'établir si leur union a débuté avant et a duré jusqu'après le 5Oe anniversaire de naissance de l'épouse, c'est-à-dire la fin de sa période de vie féconde. De telles contraintes ont pour effet d'éliminer d'emblée près de neuf dixièmes des familles retracées dans les registres saguenayens, ce qui biaise l'analyse en faveur des familles les plus anciennes et les plus stables. Par ailleurs, lorsqu'il s'agit d'étudier l'influence du travail industriel sur les itinéraires familiaux, l'observation doit porter sur des familles complètes, qui sont soumises à cette influence durant la majeure partie de leur vie féconde, ce qui diminue encore la taille des effectifs disponibles. Il faut

149 Les travailleurs et leurs familles Tableau 23 Répartition des familles des travailleurs d'Alcan, au Saguenay, selon les cohortes de mariage et d'embauché, 1925-1939 Cohorte de mariage

-.1900

19001909

19101919

19201929

19301939

>1939

Familles complètes Embauche 1925-1927

5

11

15

15

9

1

Embauche 1928-1939

1

8

17

30

10

5

TOTAL

6

19

32

45

19

6

Familles incomplètes Embauche 1925-1927

4

17

50

154

78

49

Embauche 1928-1939

1

14

28

86

223

187

TOTAL

5

31

78

239

301

236

Source: Bases de données ALCFICH et SAGUENAY.

donc garder à l'esprit les ensembles sur lesquels porte chaque analyse et pondérer en conséquence l'interprétation des résultats. La comparaison entre la fécondité des familles des travailleurs d'Alcan avec celle de la population régionale entraîne des découpages qui réduisent encore la taille des groupes étudiés. Un premier découpage met en évidence les différences entre les travailleurs embauchés entre 1925 et 1927, qui constituent ce que nous avons appelé la première cohorte d'embauché, et ceux qui le furent entre 1928 et 1939, qui forment la deuxième cohorte d'embauché. Une deuxième répartition des effectifs a pour but de définir des cohortes de mariage comparables aux cohortes de mariage saguenayennes déjà étudiées par Gérard Bouchard et Raymond Roy.4 Ces deux découpages produisent des effectifs très inégaux (tableau 23). La majorité des familles ont été constituées dans les années 1930, mais seul un très petit nombre peuvent être considérées comme étant des familles complètes, de sorte qu'il n'est pas possible d'en mesurer la fécondité. Nous nous en sommes donc tenu aux 4 Bouchard et Roy, « Fécondité ». Les auteurs procèdent à un découpage quinquennal des cohortes de mariage. Nous les avons regroupées en cohortes décennales, étant donné la petite taille des effectifs des familles de travailleurs avec lesquelles nous voulons les comparer.

150 Arvida au Saguenay

cohortes de mariage 1910-1919 et 1920-1929, qui comprennent le plus grand nombre de familles complètes. Par ailleurs, pour certaines analyses, les mesures devront prendre en compte l'ensemble des familles complètes, les effectifs étant trop petits pour autoriser un découpage plus fin. Il n'y a en effet que 77 familles complètes de travailleurs dont l'union débute entre 1910 et 1929, sur les 127 familles complètes reconstituées. Nous examinerons à l'occasion le comportement des familles complètes du noyau fondateur, mais la petite taille des effectifs ne nous permet pas de mettre ce groupe en lumière de façon systématique. La prudence méthodologique ne doit cependant pas amoindrir la valeur des données accessibles ni l'originalité des analyses qu'elles permettent. Les itinéraires familiaux ont très rarement été reconstitués auparavant dans le cas de groupes entiers de travailleurs canadiens;5 la lourdeur du travail de reconstitution des familles et de jumelage avec les données d'entreprises a toujours constitué un obstacle presque insurmontable en l'absence de registres de population. La conjonction du registre de population du Saguenay et des sources d'entreprise nous fournit la possibilité d'esquisser les circonstances de la vie quotidienne des travailleurs, d'imaginer, au fil des étapes de leur vie, leurs joies et leurs épreuves et d'établir dans quelle mesure ils ont des comportements semblables à ceux des autres Saguenayens. Comment les travailleurs saguenayens prennent-ils la décision de fonder une famille et d'avoir des enfants? Nous faisons l'hypothèse que ces décisions dépendent de l'interaction de facteurs économiques et culturels. Le démographe John G. Caldwell insiste sur les avantages matériels que les couples, et en particulier les chefs de famille, tirent d'une fécondité élevée dans un système économique où seul le mari travaille dans l'économie de marché et où la femme et les enfants sont essentiellement à son service : This is especially thé case under two conditions : first, where thé wife and children can offer a gréât range of household productive services without effective compétition from thé market; second, where thé wife is uneducated or little educated, where she is not affected by idéologies urging her to demand a greater place in thé sun, and where she accepts her place in thé household with its implications for low consumption, hard work, and responsibility for keeping child-care problems away from her husband.6

5 Les rares exemples qui nous soient connus sont ceux de Burgess, « Work, Family and Community», et de Gossage, «Family and Population». 6 Caldwell, Fertility Décline, 175.

151 Les travailleurs et leurs familles Dans une veine similaire, Bouchard propose le modèle de la cointégration, situation socio-économique où l'économie familiale traditionnelle co-existe avec l'économie de marché, cette dernière offrant une panoplie d'occasions limitées d'obtenir des ressources pour la famille, mais pas assez de stabilité pour que les familles puissent se permettre d'en dépendre entièrement.7 Les modèles de Caldwell et de Bouchard rendent bien la situation économique générale du Saguenay des années 1920 et 1930, comme on l'a vu au premier chapitre. Même s'il est impossible de faire une estimation systématique des ressources sur lesquelles les couples pouvaient compter ou qu'ils pouvaient espérer obtenir, et ainsi d'établir avec certitude si les familles des travailleurs d'Alcan se trouvaient dans la même situation, les catégories professionnelles auxquelles ils appartenaient donnent à penser que ces ressources étaient très limitées et que l'avenir n'était jamais assuré, comme nous l'avons vu au chapitre 4. L'évaluation que font les conjoints des avantages et des coûts matériels liés à la constitution d'une famille s'inspire des normes culturelles et sociales propres au milieu dans lequel vit le couple. Avant d'examiner la fécondité des travailleurs, nous rappelons rapidement le contexte culturel du Saguenay en ce qui a trait à la famille. Nous décrirons ensuite les familles d'origine des travailleurs et de leurs épouses, afin d'indiquer jusqu'à quel point ces familles d'origine reprennent les caractéristiques de l'ensemble des familles saguenayennes et, partant, sont susceptibles d'en partager également les normes culturelles sur le plan de la fécondité. Les Saguenayens habitent une région encore marquée par ses origines rurales et imprégnée des mœurs traditionnelles d'une société catholique.8 L'habitat rural avait commandé des familles nombreuses pour le défrichement et la pratique de l'agriculture; les Saguenayens du XIXe siècle affichent des descendances qui rappellent une autre époque de « conquête du sol », celle de la Nouvelle-France.9 Le régime démographique saguenayen des grosses familles, qui s'établit dans un contexte économique particulier, se maintient alors que l'économie régionale évolue vers une structure plus diversifiée. 7 Voir Bouchard, «Co-intégration». 8 Voir Girard et Perron, Histoire. 9 L'indice de fécondité légitime des Saguenayennes, entre 1852 et 1871, oscille autour de i, soit le même niveau que les femmes huttérites, qui sont reconnues pour exhiber les plus hauts taux de fécondité légitime connus. Voir Pouyez et al., Les Saguenayens, 283-292 et Bouchard et Roy, « Fécondité ». Sur la Nouvelle-France, voir Charbonneau et Légaré, Naissance d'une population, 86-93.

152 Arvida au Saguenay

On peut supposer que les normes culturelles en matière de reproduction sont particulièrement fortes au Saguenay. La domination idéologique qu'exercé l'Église catholique dans la région contribue à la persistance du régime démographique des années de colonisation. L'Église s'oppose à la limitation des naissances, combat qu'elle mène, avec un succès variable, sur tout le territoire du Québec. Au Saguenay, son influence est indéniable. Gérard Bouchard a recueilli des témoignages éloquents de la part de Saguenayennes sur les pressions exercées par les prêtres pour que les femmes se plient à la volonté de l'Église en matière de procréation.10 Les travailleurs ont témoigné de ces pressions. Même si leurs relations avec le curé d'Arvida étaient quelquefois très froides, ils n'avaient aucun doute quant à la position de l'Église en matière sexuelle. « On n'avait pas le droit d'arrêter la famille» dit l'un. Un autre rapporte: «Les curés disaient que si t'avais pas d'enfants, c'était grave ». Un troisième souligne que la contraception était strictement défendue, sous peine d'excommunication. ' l Ces pressions produisent l'effet recherché. En 1921, le taux brut de natalité au Saguenay s'élève à 55 naissances pour i ooo femmes, contre 47 dans le Bas-Saint-Laurent, 45 dans Charlevoix et 40 dans Joliette-Montcalm; la moyenne québécoise est de 38. On constate le même genre d'écart dix ans plus tard.12 Ces données ne sont pas concluantes pour comparer la fécondité d'une région à l'autre, car le niveau de natalité dépend de la structure d'âge de la population et du niveau de nuptialité, qui peuvent varier selon les régions; mais en l'absence de mesures de fécondité à l'échelle des régions, elles suggèrent tout de même que les Saguenayens présentent des taux de reproduction élevés, ce que confirmera l'observation des comportements des cohortes de mariage saguenayennes. On peut imaginer le poids des modèles culturels auxquels les travailleurs d'Alcan et leurs conjointes furent exposés durant leur jeunesse, lorsque l'on examine certaines caractéristiques de leurs familles d'origine. Les mentions de mariage des travailleurs offrent des informations sur leurs origines géographiques ainsi que sur celles de leurs conjointes (tableau 24). La très grande majorité des travailleurs masculins mentionnés dans les registres d'état civil de la région du Saguenay y figurent lors de leur mariage. Un peu plus de

10 Gérard Bouchard, communication personnelle. 11 ANQ-C, fonds Sakini, dossiers 60, 29, 64. 12 Pouyez et al., Les Saguenayens, 277.

Tableau 24 Lieux de mariage et de résidence des conjoints au mariage et à la naissance de chacun, travailleurs d'Alcan, Arvida, 1925-1939 MARIAGE

Lieu du mariage

NAISSANCE

Résidence de l'homme

Résidence de la femme

%

RÉGION

N

%

N

%

N

Bas-Saguenay

14

1,0

5

0,4

9

0,6

Haut-Saguenay

773

54,3

773

54,3

742

Lac Saint-Jean

230

16,1

149

10,5

Autres régions





34

Ne figure pas dans l'acte





1 017

Sous-total Sans mention d'acte de mariage TOTAL

Résidence de l'homme

Résidence de la femme

%

N

%

17

1,2

27

1,9

52,1

306

21,5

386

27,1

202

14,2

170

11,9

262

18,4

2,4

19

1,3





4

0,3

51

3,6

41

2,9









71,4

1012

71,2

1013

71,1

493

34,6

679

47,7

408

28,6

413

29,0

412

28,9

932

65,4

746

52,4

1 425

100,0

1425

100,2

1425

100,0

1 425

100,0

1425

100,1

N

Source: Bases de données ALCFICH et SAGUENAY. Note: Le tableau rend compte des couples dont les sources portent la trace. Les individus qui se marient plus d'une fois sont comptés à chaque mariage. « Sans mention d'acte de mariage » indique que le couple est mentionné à la table COUPLE de la base SAGUENAY, mais que la mention de couple ne vient pas d'un acte de mariage inscrit dans la base; l'inclusion dans la table COUPLE vient de la mention du mariage dans un autre acte (ex. : le baptême d'un enfant).

154 Arvida au Saguenay

mille des unions mentionnées furent célébrées au Saguenay.13 Presque tous ces conjoints résidaient au Saguenay au moment de leur union. Environ le tiers des hommes avaient été baptisés au Saguenay, alors que la proportion s'approche de la moitié dans le cas de leurs conjointes.14 On compte 438 couples dont un seul des conjoints (la femme dans les trois quarts des cas) est né au Saguenay. Dans 367 autres unions, les deux conjoints proviennent du Saguenay-Lac-SaintJean et les deux tiers de ces conjoints sont nés dans la même sousrégion (figure i, p. 15). Le Haut-Saguenay est la principale sousrégion de naissance de ces couples. Au total, dans plus de la moitié des couples, au moins l'un des conjoints est né au Saguenay; un peu moins de la moitié des épouses y sont nées. La majorité des couples ont donc assimilé, dès l'enfance, les valeurs culturelles de la région et ont baigné dans cet univers durant leur vie féconde. La période d'embauché de 1925-1927 et celles des années 1930 produisent deux cohortes qui se distinguent l'une de l'autre sur le plan de l'origine des travailleurs. De 1925 à 1927, la majorité des travailleurs qu'Alcan recrute sont fils d'agriculteurs (tableau 25). I5 Les journaliers et ouvriers, compris dans la catégorie des ouvriers semispécialisés et non spécialisés, représentent 25 % des pères. Seulement 12 % des recrues de cette période comptent un père artisan, ouvrier spécialisé ou homme de métier. La prépondérance des travailleurs d'origine rurale s'efface après 1927. Seulement un tiers des pères des travailleurs embauchés après cette date sont présentés comme cultivateurs dans les registres d'état civil. Les fils de journaliers ou d'ouvriers comptent alors pour 30,4%, tandis que les fils d'artisans, d'ouvriers spécialisés ou d'hommes de métier constituent 20,9 % des recrues. 13 Les mentions de mariage ont été relevées dans la table COUPLE de la base SAGUENAY. Les mentions de mariage sans lieu de résidence des conjoints renvoient à des unions contractées en dehors de la région et dont l'acte de mariage lui-même n'est pas compris dans la base de données. 14 Voir à cet égard la comparaison faite par Marc St-Hilaire entre le lieu de résidence des parents et celui des conjoints au moment du mariage. Ses observations vont dans le même sens que les nôtres, quoique le phénomène soit plus marqué à Arvida que dans l'ensemble des villes étudiées par St-Hilaire. Voir St-Hilaire, « La formation», 13. 15 Pour obtenir le plus grand nombre possible de données, nous avons puisé dans les registres d'état civil du Saguenay les actes fournissant la profession du père à la date la plus rapprochée de la date d'embauché du fils par la compagnie Alcan. La profession et le lieu de résidence du père ne sont connus que pour environ le tiers des 631 travailleurs embauchés entre 1925 et 1927 et pour près de 60% des travailleurs embauchés plus tard. Le classement des professions s'appuie sur la grille présentée par Bouchard, «L'utilisation des données socio-professionnelles».

155 Les travailleurs et leurs familles Tableau 25 Répartition professionnelle des pères des travailleurs d'Alcan, selon la période d'embauché du travailleur Pères Embauche 1925-192 7

N

Catégorie professionnelle

Embauche 1928-1939

%

N

%

Gens d'affaires

3

1,4

22

4,9

Contremaîtres et cadres intermédiaires

3

1,4

14

3,1

119

53,4

157

34,6

Artisans

2

0,9

13

2,9

Ouvriers spécialisés

4

1,8

11

2,4

Gens de métier

23

10,3

71

15,6

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

62

27,8

154

33,9

Autres

7

3,1

12

2,6

TOTAL

223

100,1

454

100,0

Agriculteurs

Source: Bases de données SAGUENAY et ALCFICH. Note: Chaque mention de profession provient de l'acte d'état civil le plus rapproché de la date d'embauché du travailleur, tout en la précédant.

Cette situation découle d'un certain nombre de facteurs. Tout d'abord, la proportion de la population saguenayenne qui vit en milieu rural diminue légèrement avec le temps. Mais surtout, la politique d'embauché d'Alcan est devenue plus sélective dans les années 1930. On note que bon nombre des fils d'agriculteurs embauchés lors de la deuxième période ont exercé des métiers d'ouvriers avant d'être embauchés à Arvida : ainsi une vingtaine déclarent avoir exercé le travail de menuisier avant d'entrer chez Alcan et un nombre égal se disent journaliers.l6 Enfin, ce sont davantage les journaliers et les ouvriers, et moins les agriculteurs, qui sont touchés par la Crise, recherchent un 16 L'absence d'information à ce sujet, pour les travailleurs embauchés entre 1925 et 1927, est sans doute attribuable au peu d'intérêt que l'entreprise portait alors aux antécédents professionnels des travailleurs. Voir le chapitre 3.

156 Arvida au Saguenay

emploi durant cette période et se considèrent obligés de se plier à la discipline de l'usine.1? Les professions des pères des travailleurs annoncent en partie leurs lieux de résidence. Sur ce plan, la différence entre les deux cohortes d'embauché est encore plus révélatrice des transformations apportées par Alcan au recrutement, au cours des années 1930. Vu le nombre d'ouvriers fils de cultivateurs, il est normal de constater que seulement la moitié des pères des travailleurs embauchés avant 1928 et pour lesquels l'information est disponible habitaient les principales villes de la région (tableau 26). À l'intérieur du groupe urbain, Jonquière fournit le plus fort contingent, alors qu'Aima et Port-Alfred (La Baie) n'envoient que quelques personnes. Le lieu de résidence n'est pas nécessairement révélateur de la profession, car une proportion non négligeable des pères résidant en ville (32/111) se déclarent agriculteurs lors du mariage de leurs enfants. Près du tiers des membres de la première cohorte d'embauché dont les origines sont connues proviennent des agglomérations rurales du Lac Saint-Jean et un sixième de celles du Saguenay. Dans la deuxième cohorte d'embauché, la proportion de travailleurs d'origine urbaine dépasse les trois quarts, ce qui confirme que ces travailleurs proviennent de milieux socio-professionnels différents de ceux de la première cohorte. Leurs familles vivent aussi plus près des usines. L'agglomération urbaine de Jonquière est le lieu de résidence de deux pères de travailleurs sur cinq ; le quart des pères de travailleurs habitent Chicoutimi et Chicoutimi-Nord. On ne peut dire si l'aire de recrutement s'est rétrécie ou si les familles des travailleurs ont cherché à se loger le plus près possible d'Arvida, mais les deux phénomènes ont pour effet de rapprocher les travailleurs de leur famille d'origine et de faciliter le maintien des liens familiaux. Les épouses des travailleurs d'Alcan sont elles aussi de moins en moins issues du milieu rural. Chez les couples dont le mari commence à travailler pour Alcan entre 1925 et 1927, près de trois épouses sur cinq ont un père agriculteur, tandis que seulement une sur cinq provient d'une famille d'ouvrier semi-spécialisé ou non spécialisé. Dans la deuxième cohorte d'embauché, la proportion de femmes issues de familles d'ouvriers semi-spécialisés ou non spécialisés s'élève à une sur quatre, alors que les filles de cultivateurs ne comptent plus que pour la moitié de l'ensemble. L'importance des origines rurales de la première cohorte d'embauché tient évidemment au fait que le Saguenay est encore, à cette 17 Voir, par exemple, St-Hilaire, «La formation », 15 n.2O.

157 Les travailleurs et leurs familles Tableau 26 Répartition des lieux de résidence des pères des travailleurs d'Alcan, selon la période d'embauché du travailleur

Lieu de résidence

Embauche 1928-1939

Embauche 1925-1927

N

%

N

%

URBAIN

Aima

6

2,8

3

0,7

36

16,9

112

26,1

47

22,1

185

43,1

6

2,8

11

2,6

Roberval

16

7,5

22

5,1

Sous-total

111

52,1

333

77,6

Saguenay

36

16,9

39

9,1

Lac-Saint-Jean

66

31,0

57

13,3

Sous-total

102

47,9

96

22,4

TOTAL

213

100,0

429

100,0

Chicoutimi

a

Jonquière b La Baie

RURAL

a

Comprend Chicoutimi-Nord.

b

Comprend Kénogami et Arvida.

Source: Bases de données SAGUENAY et ALCFICH. Note: Le lieu de résidence de chaque père provient de l'acte d'état civil le plus rapproché de la date d'embauché du travailleur, tout en la précédant.

époque, une région à prédominance rurale; 72 % de la population vit en milieu rural en 1921 et 65% en 1931.l8 L'écart croissant dans la répartition socio-professionnelle des travailleurs d'Alcan et celle de l'ensemble de la population régionale semble encore plus marqué lorsque l'on compare les cohortes de mariage (tableau 27). 1Q Le recours aux cohortes de mariage a malheureusement pour effet de

18 Voir le tableau i, p. 21. 19 La profession des parents des époux est celle fournie par l'acte de mariage du premier mariage du travailleur.

Tableau 27 Répartition professionnelle des pères des conjoints, travailleurs d'Alcan et leurs épouses et population saguenayenne, selon la cohorte de mariage Pères des épouses des travailleurs d'Alcan

Pères des travailleurs d'Alcan Catégorie professionnelle

Gens d'affaires

1910-1919

1920-1929

1910-1919

1920-1929

N

N

N

N

%

2

Contremaîtres et cadres intermédiaires Agriculteurs

62

Artisans

%

2,1

4

2,2

0,0

1

0,5

63,9

95

51,4

0,0

4

2,2 1,1

%

%

Pères des conjoints, Pères des conjoints, population population saguenayenne saguenayenne 1920-1929 1910-1919

N

%

N

%

2,7

4

3,4

64

2,6

89

3,8

0,0

7

5,9

10

0,4

22

0,9

52

71,2

60

50,9

1914

79,1

1 684

71,8

1

1,4

4

3,4

30

1,2

25

1,1

0,0

3

2,5

9

0,4

21

0,9

9,3

121

5,0

133

5,7

231

9,6

308

13,1

2

Ouvriers spécialisés

1

1,0

2

Gens de métier

7

7,2

21

11,4

6

8,2

11

17

17,5

45

24,3

11

15,1

27

Autres

8

8,3

13

7,0

1

1,4

2

1,7

41

1,7

62

2,7

TOTAL

97

100,0

185

100,1

73

100,0

118

100,0

2420

100,0

2344

100,0

Ouvriers semi-spécialisés et non spécialisés

indéterminés

2

non classables

1

3

1

22,9

1642

3432

66

88

Source: Bases de données SAGUENAY et ALCFICH. Note: La profession du père d'un travailleur d'Alcan provient de l'acte d'état civil le plus rapproché de la date d'embauché, tout en la précédant. La profession du beaupère est celle qui est déclarée à l'acte de mariage du travailleur. Pour ce qui est de la population saguenayenne en général, les professions des parents des conjoints des cohortes de 1910-1919 et de 1920-1929 sont celles qui sont déclarées lors du premier mariage des fils.

159 Les travailleurs et leurs familles

faire fondre les effectifs, car le mariage doit avoir eu lieu au Saguenay et le père doit y avoir été présent. Les effectifs déclinent également parce que les registres d'état civil mentionnent de plus en plus rarement la profession des pères des conjoints. Ainsi, pour l'ensemble du Saguenay, de 1910 à 1919, la profession du père du marié n'est connue que dans 6 cas sur 10; durant la décennie suivante cette proportion tombe à 4 sur 10. Les proportions sont semblables pour ce qui est des beaux-pères. La situation est encore pire dans le cas des parents des couples de travailleurs d'Alcan, ce qui rend les comparaisons assez aléatoires, vu le grand nombre de déclarations sans mention de profession. L'analyse des données va toutefois dans le même sens que la comparaison des cohortes d'embauché. Alors que, chez les travailleurs d'Alcan, la répartition professionnelle de la cohorte de mariage de 1910-1919 suit d'assez près celle de l'ensemble du Saguenay, la cohorte des années 1920 compte beaucoup moins de fils d'agriculteurs et davantage de fils d'artisans, d'ouvriers ou d'hommes de métier. Cette transformation est beaucoup moins prononcée dans l'ensemble de la population saguenayenne, dont la cohorte de mariage de 1920-1929 présente une répartition professionnelle des pères semblable à celle de la cohorte précédente. La division de l'ensemble des travailleurs en deux cohortes de mariage et la comparaison de celles-ci avec l'ensemble des couples saguenayens des mêmes décennies fait aussi ressortir à quel point le bassin de recrutement des épouses évolue de 1910-1919 à 19201929. Près des trois quarts des épouses de la première cohorte étaient filles d'agriculteurs, alors que la moitié seulement le sont dans la deuxième cohorte. De manière générale, les beaux-pères des travailleurs de la cohorte de mariage 1920-1929 sont davantage artisans, hommes de métier ou ouvriers que les pères (tableau 27). Les ressemblances entre pères et beaux-pères, du point de vue de la répartition professionnelle, donne à penser qu'il existe un fort degré d'homogamie, les hommes épousant des femmes dont le père a la même profession que le leur. Cette impression est quelque peu erronée : dans l'ensemble des couples, seulement les deux tiers des fils d'agriculteurs, par exemple, épousent des filles d'agriculteurs, et les fils de travailleurs semi-spécialisés et non spécialisés choisissent plus souvent des filles d'agriculteurs que des filles de travailleurs de même catégorie qu'eux. Toutefois, ces variations n'affectent pas l'endogamie sociale, qui demeure assez évidente. L'examen des lieux de résidence des pères, selon la cohorte de mariage des fils, éclaire d'une autre façon les différences grandissantes entre les travailleurs d'Alcan et l'ensemble de la région (tableau 28). Ici aussi, la faiblesse des effectifs commande la prudence dans les

Tableau 28 Répartition des lieux de résidence des pères au premier mariage des fils, travailleurs u^ui~dii \-L LjvjLjLAicnivii odtiui~ijiciyi-iiiiv~, ai^iwiji ici \~\JLH~TL LV v_i\- AIACUICII^V*

Cohorte de 1910-1919 Lieu de résidence

Travailleurs d'Alcan

Cohorte de 1 920-1 929

Population saguenayenne

%

N

%

3

5,3

295

8,7

11

19,3

672

7

12,3

La Baie

3

Roberval Sous-total

Travailleurs d'Alcan

Population saguenayenne

%

N

%

6

7,9

371

8,3

19,8

10

13,2

834

18,6

315

9,3

35

46,1

591

13,2

5,3

302

8,9

2

2,6

438

9,8

5

8,8

310

9,1

2

2,6

291

6,5

29

51,0

1894

55,7

55

72,4

2525

56,3

8

14,0

296

8,7

5

6,6

430

9,6

Lac Saint-Jean

20

35,0

1 210

35,6

16

21,0

1529

34,1

Sous-total

28

49,0

1506

44,3

21

27,6

1959

43,7

TOTAL

57

100,0

3400

100,0

76

100,0

4484

100,0

N

N

URBAIN Aima Chicoutimi Jonquière

3

b

RURAL Saguenay

a

Comprend Chicoutimi-Nord. Comprend Kénogami et Arvida. Source: Bases de données SAGUENAY et ALCFICH.

h

161 Les travailleurs et leurs familles

conclusions, mais la répartition par cohorte de mariage concorde avec la répartition par cohorte d'embauché. Alors que les pères des travailleurs de la cohorte de 1910-1919 proviennent des différentes parties du Saguenay dans des proportions à peu près égales à celles que l'on trouve dans l'ensemble de la population, les travailleurs qui se marient au cours de la décennie suivante sont aux trois quarts d'origine urbaine, contre à peine plus de la moitié, dans le cas des Saguenayens en général. Même si les travailleurs d'Alcan sont davantage issus de milieux urbains que l'ensemble de la population saguenayenne, leurs familles d'origine ont été fidèles à la tradition démographique saguenayenne des grosses familles. Le nombre moyen d'enfants dans les familles d'origine des travailleurs s'élevait à 11,3,20 ce qui est un peu plus élevé que le nombre moyen d'enfants des familles de cultivateurs saguenayens de la fin du XIXe siècle.21 Les familles de douze enfants sont les plus fréquentes (55/372). Les deux tiers des familles d'origine comptent de dix à quinze enfants et il y a autant de familles de dix-huit enfants et plus que de familles de quatre enfants et moins. 22 La situation est la même chez les épouses de ces travailleurs; le nombre moyen d'enfants dans les familles d'origine des épouses23 était de 11,1 ; 63 % des épouses sont nées dans des familles de dix à quinze enfants. La plupart des travailleurs ont donc grandi dans des familles nombreuses et en ont vraisemblablement acquis les valeurs. Dans ce contexte culturel et familial, comment vont se comporter à leur tour les couples dont les hommes sont travailleurs d'Alcan? La taille de la famille dépend de plusieurs ensembles de facteurs. Le premier de ces ensembles est la durée de la période de vie féconde, c'est-à-dire le nombre d'années qui séparent le mariage de la ménopause de la femme, que l'on convient habituellement de situer à l'âge de 50 ans. Il est donc nécessaire de connaître l'âge de la femme lors de son mariage et de pouvoir observer cette union jusqu'à la ménopause de la femme. Pour les mesures de descendance, seules doivent être prises en compte les familles complètes, c'est-à-dire celles où l'épouse 20 L'observation porte sur 372 familles complètes. 21 Le nombre moyen d'enfants issus de familles de cultivateurs constituées entre 1880 et 1899 se situe entre 10,3 et 11. La moyenne pour les familles de non-cultivateurs oscille entre 9,7 et 9,8. Voir Bouchard et Roy, « Fécondité », 188, tableau 2. 22 Les travailleurs se situent en général au milieu de leur fratrie; ils figurent plutôt parmi les garçons les plus vieux, mais ne sont les aînés que dans une famille sur quatre. Cette analyse porte sur les 393 travailleurs dont la date de mariage des parents et les dates de naissance de tous les frères et sœurs sont mentionnées dans la base de données SAGUENAY. Cela comprend les 372 travailleurs dont les familles d'origine sont définies comme complètes. 23 II s'agit des 409 épouses qui en sont à leur premier mariage.

102 Arvida au Saguenay a moins de 50 ans lors de son mariage et où l'union dure jusqu'à ce que cette femme ait 50 ans. Les familles qui ne correspondent pas à ces critères sont dites incomplètes. On restreint en outre l'observation des familles complètes aux couples dont aucun des conjoints n'a déjà été marié, de façon à éviter que des naissances issues d'unions antérieures n'aient un effet sur les mesures de fécondité. La durée de vie féconde des familles complètes dépend bien sûr de l'âge de l'épouse au mariage. Le fait qu'une épouse soit plus âgée au moment de son mariage peut témoigner d'une stratégie plus ou moins consciente ayant pour effet de limiter la taille de la famille. Dans une société où les conceptions prénuptiales sont peu fréquentes, comme c'est le cas au Saguenay, plus l'âge des femmes au mariage est élevé, plus courte sera la période de vie féconde. Une telle stratégie a été constatée chez des couples européens.24 Il faut donc examiner en premier lieu cet aspect de l'itinéraire démographique des familles des travailleurs. Le deuxième ensemble de facteurs qui affecte la descendance d'un couple est constitué des comportements des conjoints dans le cadre du mariage. Peut-on relever, à travers les données démographiques, des indications de pratiques visant à limiter la taille des familles? On cherche généralement à connaître l'âge de l'épouse à la dernière naissance, de même que la longueur des intervalles entre les naissances (intervalles intergénésiques), comme indices de pratiques de contraception d'arrêt (interruption des rapports sexuels) ou de contrôle plus ou moins réussi des naissances (allongement des derniers intervalles intergénésiques), car ces pratiques de limitation des naissances sont généralement les premières à apparaître dans une population.25 L'espacement des naissances dès le début du mariage constitue un indice très clair de pratiques de limitation des naissances, mais ce phénomène se manifeste d'habitude après celui du ralentissement de la fécondité, vers la fin de la période de vie féconde. Les conditions biologiques et écologiques de la reproduction forment le troisième ensemble de facteurs affectant la taille des familles. Un certain pourcentage de la population peut être considérée comme stérile, de façon temporaire ou définitive, en raison de ces conditions. Il est malheureusement difficile d'établir la présence de ces facteurs dans des populations de petite taille qui ne sont pas soumises à une observation directe. Pour cette raison, l'analyse de la fécondité des couples dans les familles des travailleurs, n'aborde que les deux premiers ensembles de facteurs. 24 Voir Hajnal, « European Marriage Patterns ». 25 Voir, par exemple, le comportement des populations étudiées par Bean, Mineau et Anderton, Fertility Change.

163

Les travailleurs et leurs familles

L'âge des conjointes au moment de leur mariage constitue une première indication que la cohorte de travailleurs mariés au cours de la décennie 1920-1929 présente des comportements particuliers qui, avec les caractéristiques de ses origines professionnelles et géographiques, font son originalité. Dans les familles complètes de cette cohorte, l'âge des épouses se situe autour de 22 ans, contre moins de 20 ans dans le cas des épouses mariées au cours de la décennie précédente (tableau 29). L'écart entre les cohortes de l'ensemble saguenayen est moins prononcé. L'âge plus avancé des épouses de la cohorte de 1920-1929, par rapport à la cohorte de mariage précédente, témoigne d'une hausse des âges minimum et maximum aux quels les femmes se marient. Dans les familles incomplètes, cependant, l'âge des femmes au mariage reste le même d'une cohorte à l'autre, soit 20,2 ans. Le nombre de familles complètes étant restreint, il se pourrait que la progression de l'âge moyen des femmes au mariage soit un effet purement statistique. L'âge des hommes au mariage a peu d'effet sur la fécondité de leur couple, mais sert d'indicateur quant au moment où le travailleur se sent financièrement apte à faire vivre une famille. L'âge des hommes suit lui aussi une progression constante, d'une décennie à l'autre, et cette progression est plus forte chez les travailleurs d'Alcan, qui ont tendance à se marier plus tôt que les hommes de l'ensemble de la population.26 Au début du siècle, au Saguenay, les hommes se marient en moyenne à l'âge de 22 ans. Dans les années 1920, cette moyenne est passée à 23,5 ans, à la fois chez ceux qui formeront des familles complètes et chez les autres. L'influence de la Crise se lit dans la hausse de l'âge des hommes au moment de leur mariage. Dans les familles complètes, l'âge moyen des hommes au mariage augmente parce qu'aucun ne se marie avant d'avoir atteint 22 ans, tandis que presque aucune femme ne se marie avant d'avoir atteint 20 ans. Le phénomène est un peu moins marqué dans les familles incomplètes. Une hausse encore plus accentuée se remarque dans l'ensemble saguenayen du côté des hommes. La Crise affecte donc tous les débuts d'union; les travailleurs d'Alcan ne semblent pas en être touchés davantage que l'ensemble des Saguenayens qui vivent, comme on l'a déjà indiqué, des moments difficiles. Étant donné l'âge des épouses des travailleurs, au moment de leur mariage, la durée de vie féconde des couples est très longue. Les femmes mariées entre 1910 et 1919 ont vécu 30,4 ans lorsqu'elles atteignent l'âge de 50 ans; pour la cohorte de mariage suivante, la durée 26 Dans ces deux cohortes de mariage, il n'y a pas de différence, quant à l'âge au mariage, entre les urbains et les ruraux.

Tableau 29 Âge des conjoints au mariage, selon la cohorte de mariage, travailleurs d'Alcan et leurs épouses, premier mariage, familles complètes Hommes

Femmes Écart moyen

Cohorte de mariage N

Age moyen

minimum

maximum

Age moyen

minimum

maximum

6

20,7 ans

18,7 ans

22,2 ans

21, 7 ans

16,0 ans

26,7 ans

-2,1 ans

1900-1909

18

21, 9 ans

20,4 ans

23,3 ans

19,2 ans

16,7 ans

25,2 ans

3,6 ans

1910-1919

27

23,5 ans

19,0 ans

29,7 ans

19,6 ans

14,2 ans

25,2 ans

4,0 ans

1920-1929

41

23,4 ans

19,9 ans

28,9 ans

2 1,8 ans

16,9 ans

30,1 ans

1 ,4 ans

>1929

18

26,4 ans

22,6 ans

33,1 ans

22,7 ans

18,4 ans

28,9 ans

4,4 ans

1939. 194°> [94lA R C H I V E S NATIONALES DU CANADA, Ottawa

Ministère du Travail. Grèves et Lock-outs, 1941. Fonds C.D. Howe. Fonds Ernest Lapointe, 1941. Fonds Mackenzie King. Correspondance, 1941. Journal intime, 1941. Fonds Ralston, 1941. Royal Commission to Inquire into thé Events which Occurred in Arvida, Québec, in July 1941. Témoignages, vol. 1-3. A R C H I V E S N A T I O N A L E S DU QUÉBEC, ChicOUtimi.

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Liste des tableaux

1 Population urbaine du SaguenayLac-Saint-Jean, 1921-1931 21 2 L'industrie au Saguenay, 1927

22

3 Religion et origine ethnique, population du Saguenay, 1911-1931 25 4 Évolution de la population et de la maind'œuvre, Arvida, 1928-1939 42 5 Embauches et départs, usines Alcan, Arvida, 1925-1939 54 6 Pourcentages de Canadiens français et de Saguenayens parmi les travailleurs embauchés par Alcan, Arvida, 1925-1939 7 État civil et origine ethnique, travailleurs embauchés avant 1928, Alcan, Arvida 66 8 Taux de roulement, travailleurs d'Alcan, Arvida, 1935-1939 79 9 Fréquence et gravité des accidents, Alcan, Arvida, 1927-1939 97 10 Nombre d'accidents selon différentes sources, Alcan, Arvida, 1926-1939 99 1 1 Salaires horaires minimums et maximums, professions choisies, Arvida, Montréal et Québec, 1925-1939, en dollars 104

61

2Ôo Arvida au Saguenay

12 Exemples de revenus annuels, travailleurs d'Alcan, 1927-1939 108 13 Gains annuels, ouvriers masculins, industries manufacturières, en dollars, 1934-1939 111 14 Population et habitat, Arvida, 1928!939 H4 15 Pourcentage des chefs de ménage, selon la catégorie professionnelle et le quartier, Arvida, 1929-1939 122 16 Pourcentage des chefs de famille, selon la catégorie professionnelle et le quartier, Arvida, 1929-1939 123 17 Origine ethnique des chefs de ménage, selon le quartier, Arvida, 1931-1939 126 18 Origine ethnique des chefs de famille, selon le quartier, Arvida, 1931-1939 129 19 Pourcentages des logements de plus de 6 personnes et de la population qui y vit, Arvida, 1928-1939 135 20 Chefs de ménage et chefs de famille persévérants, selon le quartier, Arvida, !933-!939 i38 2 1 Pourcentages des chefs de ménage et autres chefs de famille célibataires, Arvida, 1931-1939 140 22 Origine ethnique des chefs de ménage, selon le quartier, 1939 143 23 Répartition des familles des travailleurs d'Alcan, au Saguenay, selon les cohortes de mariage et d'embauché, 1925-1939 149 24 Lieux de mariage et de résidence des conjoints au mariage et à la naissance de chacun, travailleurs d'Alcan, Arvida, 1925-1939 153 25 Répartition professionnelle des pères des travailleurs d'Alcan, selon la période d'embauché du travailleur 155

2Ôi

Liste des tableaux

26 Répartition des lieux de résidence des pères des travailleurs d'Alcan, selon la période d'embauché du travailleur 157 27 Répartition professionnelle des pères des conjoints, travailleurs d'Alcan et leurs épouses et population saguenayenne, selon la cohorte de mariage 158 28 Répartition des lieux de résidence des pères au premier mariage des fils, travailleurs d'Alcan et population saguenayenne, selon la cohorte de mariage 160 29 Âge des conjoints au mariage, selon la cohorte de mariage, travailleurs d'Alcan et leurs épouses, premier mariage, familles complètes 164 30 Intervalle protogénésique moyen, premier mariage des conjoints, population saguenayenne et travailleurs d'Alcan, selon le type de famille, 1919-1929 165 31 Nombre moyen d'enfants par famille, premier mariage des conjoints, population saguenayenne et travailleurs d'Alcan, selon le type de famille, 1919-1929 167 32 Répartition des couples selon le nombre d'enfants, travailleurs d'Alcan et population saguenayenne, premier mariage des conjoints, familles complètes, 19101929 170 33 Nombre de syndicats catholiques, Saguenay et Québec, 1935-1939 182 34 Analyse de régression logit sur les types de cessation d'emploi, travailleurs d'Alcan embauchés avant 1928 et ayant quitté avant 1929 232 35 Analyse de régression linéaire des facteurs de persévérance, travailleurs d'Alcan embauchés avant 1928 et ayant quitté volontairement 234

262 Arvida au Saguenay 36 Analyse de classification multiple des facteurs de persévérance, travailleurs d'Alcan embauchés avant 1928 et ayant quitté volontairement 236 37 Analyse de régression linéaire des facteurs de persévérance, travailleurs d'Alcan embauchés entre 1935 et 1939 et ayant quitté volontairement 238 38 Analyse de classification multiple des facteurs de persévérance, travailleurs d'Alcan embauchés entre 1935 et 1939 et ayant quitté volontairement 239

Liste des figures

1 Carte du Saguenay

15

2 Plan de la ville d'Arvida (1930)

115

3 Répartition des chefs de ménage, selon la catégorie professionnelle, Arvida, 1931 124 4 Répartition des chefs de ménage, selon la catégorie professionnelle, Arvida,

1939 125 5 Répartition des chefs de ménage, selon l'origine ethnique, Arvida, 1 93 1 127 6 Répartition des chefs de ménage, selon l'origine ethnique, Arvida, 1939 128 7 Nombre de chefs de famille par maison, selon le quartier, Arvida, 1928-1939 133 8 Nombre de personnes par maison, selon le quartier, Arvida, 1928-1939 134 9 Nombre de personnes par chambre à coucher, selon le quartier, Arvida, 19281939 *36 10 Nombre de ménages successifs par maison, Arvida, 1931-1939 139 1 1 Membres du noyau fondateur résidant à Arvida en 1939 142

264 Arvida au Saguenay 12 Taux de fécondité par classe d'âge, épouses de travailleurs d'Alcan, cohortes de mariage, 1910-1939 168 13 Taux de fécondité par classe d'âge, couples saguenayens non cultivateurs, cohortes de mariage, 1910-1939 169

Remerciements

Un livre est une aventure collective. Au cours de la préparation de cet ouvrage, j'ai eu le bonheur de pouvoir profiter de l'aide et de la collaboration d'un grand nombre de personnes. Je voudrais remercier les archivistes d'Alcan, de la ville dejonquière, de la Fédération des Syndicats du Secteur de l'Aluminium, de la Société historique du Saguenay, des Archives nationales du Québec à Chicoutimi et à Québec, du service de documentation de la CSN, des Archives nationales du Canada et de l'université Duke, qui ont aimablement répondu à mes requêtes. Je tiens à souligner l'ouverture d'esprit des membres du service des relations de travail d'Alcan, à Jonquière, qui m'ont donné accès aux fiches d'embauché et de service des travailleurs; sans leur concours, ce livre n'aurait probablement pas vu le jour. Toutes ces personnes m'ont généreusement permis de consulter leurs archives et m'ont aidé à saisir le sens de l'information contenue dans ces sources rarement exploitées. Les entrevues que j'ai menées au cours de mon enquête m'ont apporté une connaissance du milieu arvidien qui dépasse ce qu'on peut en reconstituer d'après les seules sources écrites. Je remercie ceux et celles qui ont accepté de me confier leurs souvenirs. Leurs témoignages oraux m'ont aidé à entrevoir les hauts et les bas de la vie quotidienne à Arvida. La réalisation du présent ouvrage est aussi due au travail des assistants de recherche qui ont fait la saisie informatique des données et en ont assuré l'exactitude. Jeannette Girard, Jeannette Larouche, Marine de Fréminville, Joanne Duranceau, Béatrice Richard, Christian Faquin et Donald Cucioletta ont travaillé de longues heures devant les lecteurs de microfilms et les écrans cathodiques. En plus de la saisie des données, Line Ampleman a collaboré à la conception des méthodes informatiques de saisie et de contrôle des données et a mis ses talents

266 Arvida au Saguenay d'informaticienne et de sociologue au service du projet. À Chicoutimi, Jocelyn Côté a patiemment effectué les jumelages de données. Le personnel de recherche de l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP), Marc St-Hilaire en tête, a toujours répondu à mes demandes avec courtoisie et empressement. Raymond Roy et Mario Bourque m'ont fourni des données démographiques et des résultats de recherche inédits sur la démographie des Saguenayens. La pratique des méthodes informatiques qui sous-tend une grande partie de cette recherche m'a fait apprécier la compétence des informaticiens, dont j'ai souvent sollicité les avis et les conseils techniques. J'ai eu le plaisir de partager mes espoirs, mes déboires et mes réussites avec Louise Landry et Hélène Langlois, du service de l'informatique de l'Université du Québec à Montréal. Bernard Casgrain, le cerbère d'iNGRiD à l'Université du Québec à Chicoutimi, m'a facilité la consultation du fichier de population de I'IREP. J'ai aussi profité des conseils d'autres collègues et amis. Gérard Bouchard, Raymond Roy, Danielle Gauvreau, Joanne Burgess et Michael Huberman ont lu et relu des chapitres de ce livre. Leurs commentaires m'ont été très utiles. Bertrand Fournier, du service de consultation en analyse de données de l'Université du Québec à Montréal, m'a initié aux mystères de l'analyse log-linéaire. A plusieurs reprises, les propos pénétrants de George Emery m'ont forcé à préciser les modèles d'analyse qui fournissent à ce livre sa structure sous^acente. Je dois aussi témoigner de la vivacité d'esprit de mes étudiants de deuxième cycle, à l'Université du Québec à Montréal, qui ont vigoureusement relevé le défi de devoir critiquer un texte de leur professeur. Steve Monahan, qui a connu intimement l'Arvida de l'après-guerre, m'a fait partager ses souvenirs et a attiré mon attention sur des aspects de cette petite société qui m'avaient échappé. Fernande Roy, qui a consacré des journées de son année sabbatique à une lecture attentive de tout le manuscrit, mérite une reconnaissance particulière. Hélène Paré, qui a assuré une révision minutieuse du texte, a été d'une gentillesse et d'un secours inestimables. Enfin, je voudrais remercier le Conseil de recherche en sciences humaines et le Fonds FCAR, qui, directement ou par les subventions versées à I'IREP, ont consacré des fonds à la mise en route et à la poursuite de ce projet, de même que l'Université du Québec à Montréal, qui a mis à ma disposition des moyens informatiques considérables et m'a accordé une année sabbatique pour poursuivre la rédaction de ce livre, que j'aimerais dédier aux travailleurs d'Arvida et à leurs familles. Je souhaite qu'ils puissent se reconnaître un peu dans ces pages.

Index

A., Jacques, 109, 112 116-117; origine des cadres, 43, 90-91 ; praAcadiens, services religieux, 49 tiques d'embauché, Accidents du travail, 96igsô-^2?. 59-66; pratiques d'embauché, 102 I Action Libérale Nationale, 935~l939.75~81;ren181 vois, 68-69 ; roulement de la main-d'œuvre, 53, Âge au mariage, 162-163 55-56; secteurs de traAgriculture. V. Saguenay vail, 84-90. V. Alcoa; (région) Alcan, adoption du proTravailleurs Alcoa, 14, 30, 225-226; cédé Bayer, 85 ; adopacquisition de Duketion du procédé Price Power Company, Sôderberg, 87, 199, 31 ; besoins en électri205 ; besoins en maincité, 30; construction de d'œuvre, 1925-1939, la ville d'Arvida, 34-36; 57-59; caractéristiques contrat avec Alcan en de la main-d'œuvre en 1939,82 ; constitution en 1937, 183; contrôle de l'administration municisociété distincte, 34, 35 ; pale, 37; liens avec Montcontrat avec Alcoa en 1937, 183; contrôle soréal Light, Heat and cial de la ville d'Arvida, Power Company, 27 ; production d'alumine, 84; 40, 41 ; départs volontaires, 68, 70; droit de recours à l'électricité gérance, 190-191 ; effecde l'île Maligne, 33 ; recrutement de la maintifs en 1941, 205; évolution de la production, d'œuvre, 62 ; source des connaissances techi925-!939> 57-59: niques, 91 ; usines améfiches d'embauché et de ricaines, 32 service, 56-57 ; indemnité de vie chère, 202 ; Alcoa Power Company, prainterruption des travaux tiques d'embauché, 63 de construction, 35, 58; Aldred.J.E., 29; voyage niveau des loyersfixépar, avec Duke, 1912, 14

Allard, F.-L, 37 Alumine, raffinage, 85 Aluminium, électrolyse, 86-87 American Cyanamid Company, 29 Analyse de classification multiple, 72-73, 81, 233-237. 238-239 Analyse de régression, 7172,81,233-235, 237238 Analyse log-linéaire, 231233 Anodes, production, 84-85 Armée. V. Grève de 1941 Arvida, choix du site, 3233 ; cohabitation, 136138; composition ethnique, 123-126; confessions religieuses, 126; construction, 34-37 ; débit d'alcool clandestin, 40; densité résidentielle, 132-135; échevins, 3839 ; encadrement religieux, 44-49 ; évolution de la population, 41-43 ; exemple de co-intégration, 7; habitat, 114117 ; interdiction de vendre de l'alcool, 40; loi d'incorporation, 37-38; loisirs, 51-52; maire, 39; nom, 5;

268 Index occupation du parc de logements, 132-138; planification de la ville, 3334 ; proportion de célibataires, 126; règlements municipaux, 39-41 ; rôles d'évaluation, 117118 ; roulement de la population, 138-141; santé publique, 41 ; sports, 49-50 ; structure professionnelle par quartier, 121-123; taille des familles, 135-136; taux de masculinité, 128—129; tribunaux, 40 ; vie communautaire, 43-52 ; zones résidentielles, 114-116 Arvidian and Saguenay Valley Democrat, 178 Association athlétique d'Arvida, 186 Association catholique des jeunes Canadiens français (ACJC), 48 Assurance-chômage, 203 Assurance-vie, régime, 203 B., Adèle, 130-131 B., Lucie, 145-146 B., Marie-Ange, 131 Banque Canadienne Nationale, 35, 37 Banque de Montréal, 37 Banque Royale, 37 Barrette, Charles-Emile, 207, 222 Barthe, \Vonne, 44 Baumgarten, Cari, 91 Bayer, procédé, 59; adoption par Alcan, 85 Bélanger, René (abbé), 214 Blanchard, Raoul, 20, 60, 77 Boddy, Donald, 52 n. 82 Boddy, Harry, 131 Boland, James M., 193 Bond, William Langley, 220-221 Bouchard, Georges, 201

Charpentier, Alfred, 181, 189 Chef de famille, définition, 118 Chef de ménage, définition, 118 Chefs de ménage, caractéristiques, 140-142 Chevaliers de Colomb, 47, 48 Choquette, Fernand, 221 Chute à Caron, potentiel hydro-électrique, 14, 16, C., Lou, 118-119 C., Monique, 119 27 Chute-à-Caron Power ComC., Roland, 119 pany, 37 C., Wilfrid, 120, 121 Committee for Industrial OrgaCadres, origines, 90-91 nisation (cio), 181, 183, Caldwell, John C., 150-151 223 Campbell, M.S., 211-212, Classe ouvrière, définition, 214 Cannon, Charles, 221 9 Carey, Malcom L., 92, 199, Classification multiple. V. Analyse de classification 210; avisé du début de la multiple grève de 1941, 208; directeur adjoint des salles Co-intégration, 6-7 Comité paritaire, composide cuves, 91 ; rencontre avec les représentants tion, 192-194; prévu des grévistes, 209; témoidans la convention collective, 190 gnage devant la CommisCommission de conciliasion Létourneau-Bond, tion, 217-218 205 Carnevale, Pierre, 52 n. 82 Commission des Liqueurs, Carpenters andjoiners, United 213 Commission LétourneauBrotherhood of, 176 Bond, 197, 202, 203, Carpenters andjoiners, United Brotherhood of. V. Frater206-207, 215; composition, 220-221 ; rapport, nité des charpentiers et menuisiers 221-222 Compagnie de Pulpe de Castonguay, Gérard, 193 Cercle Sainte-Thérèse, 48 Chicoutimi, 177 Conceptions prénuptiales, Cessations d'emploi, 166 causes, 231—233; liens Confédération des Traavec les caractéristiques vailleurs Catholiques du des travailleurs, 1925Canada (CTCC), 174, 1928, 69-70; motifs 177, 181, 183 invoqués, 1925-1928, 67-69 ; motifs invoqués, Conseil central des syndicats catholiques de Jon1935-1939.78-79; quière, 182, 195, 199; types, 55-56 Chalifour, Charlesprésident, 184 Conseil central des syndiAuguste, 213-214,216 Chantiers, travail, 18 cats de Chicoutimi, 63 Bouchard, Gérard, 6, 1819, 20, 149, 151, 152, 172, 229 Brainerd, Harry Beardslee, 33.34 Brindle, Harvey, 52 n. 82 Brindle, Willie, 185 Brody, David, 9 Bureau fédéral de conciliation, 202 Business Week, 219

269 Index Conseil législatif, 38 Construction et entretien, métiers afférents, 88 Contraception. V. Limitation des naissances Contremaîtres, rôle, 91 Convention collective, 183, 189-191 ; échelle salariale, 191-192 Coopérative Commonwealth Fédération (CCF), 180 Corrigan, Paul M., 39 Côté, Georges (abbé), 183 Coût de la vie, 1941, 200201 Crise, effet au Saguenay, 77, 227; effet sur l'âge au mariage, 163 ; effet sur la composition ethnique, 124-125 ; effet sur la demande d'aluminium, 43, 58; effet sur l'occupation des maisons, 117 ; effet sur Priée Brothers, 23 ; effet sur les salaires, 103-106; effet sur la syndicalisation, 183 Croix-Rouge, 186 Cunningham, A. Irwin, 91 Cuvistes, demandes salariales, 200; formation, 92; rémunération, 197; salaires en 1941, 199; tâches, 86-87, 93 D., Laura, 131 Dames de Sainte-Anne, 11, 48 Dandurand, Joseph, 221 Danis, Albert-Charles, 205, 222 Dans, Alexis, 183,185-186, 189, 192, 201-202, 210211,216,219-220, 221 Davis, Arthur Vining, 5, 6, 36, 225-226;accord avec Duke en 1925, 31 ; choix du site d'Arvida, 33 ; discussions avec J.B. Duke, 30; voyage avec Duke, 1912, 14

Décret 5830, 215 Défense, La, 175 Devlin, Bernard, 217 Devoir, Le, 220 Dickie, Frank, 39, 90 Dîme, perception à la source, 46, 66, 203 Dolbeau, création, 21 Dubuc, Julien-ÉdouardAlfred, 6, 175, 180; entreprises acquises par Price Brothers, 22-23; usine de pâte à papier, Chicoutimi, 20 Dufour, Ovila, 194 Duke, Benjamin, 13 Duke, James Buchanan, 6, 26, 2 25-226; accord avec Arthur Vining Davis en 1925, 31 ; achat de la chute à Caron, 16 ; arrêt des travaux d'aménagement au Saguenay en 1915, 17 ; construction de la centrale de l'île Maligne, 27; décès, 31 ; investissement dans la centrale de l'Ile Maligne, 28 ; investissements aux États-Unis, 13 ; liens avec American Cyanamid Company, 29 ; projets de production d'aluminium, 29 ; relations avec George D. Haskell, 30; voyage au Saguenay en 1912, 14 Duke-Price Power Company, 30, 31, 60 ; centrale de l'île Maligne, 62 ; filiale de Québec Development Company, 28 Duplain, Mendoza, 187 Duplessis, Maurice, 190

Église Sainte-Thèrèse-del'Enfant-Jésus, activités paroissiales, 46 ; construction, 37, 44 Église Unie, congrégation, 49 ; construction du temple, 37 Encyclique Quadragesimo Anna, 47 Encyclique Rerum Novarum, 175 Enfants de Marie, 11 Enslev,Jens, 193

F., Albert, 119 F., Pierre, 119 Familles complètes, 161162; définition, 148; nombre d'enfants, 171172 Fay, Jean-Louis, 39, 187 Fécondité, influence du milieu industriel, 168-169; Saguenayennes, 151 n. 9; taux de, 167-168 Fédération américaine du Travail, 181 Fédération ouvrière de Chicoutimi, 175,177 Fédération ouvrière mutuelle du Nord, 174, 177, 180 Femmes, dénombrement dans les rôles d'évaluation, 129—130;employées par Alcan, 89, 130; place dans l'étude, 10-11 Fiches d'embauché, qualité des informations, 1925-1927,64-65,70; qualité des informations, igSô-iQSQ.T6-?? Ford Motor Company, 30 École Sociale Populaire, Forest, Charles, 189 Forgerons, demandes sala180 Église catholique, calenriales, 201-202 drier liturgique, 44-45 ; Fraternité des charpentiers et menuisiers, 177 encadrement de la population, 25-26; opposiG., Adrien, 130 tion à la limitation des G., Raymond, 107, 112 naissances, 152

270 Index Gaetano, Pepito, 178 Gagnon, J.-Thomas, 211 Galt,Jack, 192 Gazette du Travail, 180 Gazette, The, 219, 220 Gendarmerie royale, 210, 215 Geoffrion, Aimé, 221 Gestion, métiers afférents, 88-89

île Maligne, centrale, 31 ; construction, 27-28; potentiel hydro-électrique, 16 Industrialisation, EtatsUnis, Europe, Saguenay, 8n.5 Institut internuniversi taire de recherche sur les populations (IREP), fichier de population, 8 Internationale, 177 Intervalles protogénésiques, 165-166 Irlandais, services religieux, 48 Italiens, services religieux, 49

Girard, Camil, 20, 28 Girard, Joseph, 176 Girouard, Wilfrid, 210 Globe and Mail, 219 Godbout, Adélard, 213, 220 Grève de 1938, 194, 199 Grève de 1941, allégations de sabotage, 223; bilan, 218; causes, 197, 203- Jenkinson, Hugh Cameron, 205 ; comité des cinq, 208 Johnston, Alexander Char209; comité des onze, les, 199, 208, 213; de212, 215-216; demande d'intervention de l'armande d'aide des forces policières, 214; renconmée, 210; demande tre avec le comité des d'intervention policière, cinq, 209; rencontres 214; demandes salaavec les représentants riales, 208 ; effet au Sadu syndicat, 201-202, guenay, 227; fin, 216; 211 ; témoignage devant identification des mela Commission Létourneurs, 222-223; interneau-Bond, 222 vention de l'armée, 214; Journaliers, 89-90 intervention du syndicat, 211—213 ; levée de l'occupation des usines, Kénogami, création, 21, 214; occupation des 176 King, William Lyon Macusines, 209; perte de production, 216; prépakenzie, 210, 213, 215, 220 ratifs, 206-208 ; vote de grève, 215-216 Grèves, au Saguenay, 179- L., Hermine, 131 L.,Jean, 107 180 La Mountain, George, 195, 202, 208, 209, 223 Haskell, George D., 30 LaBelle, J.-A. Wilfrid, 209, Hobbs, Clément, 189 Holt, Sir Herbert, 29; au 211, 222 conseil d'administration Labrecque, Michelde Price Brothers, 27 Thomas (M§r), 176-177 Labrie, Adélard, 192-193 Howe, C.D., 11, 196, 210, Lac Saint-Jean, niveau, 211, 215, 217; accusations de sabotage, 21927 220; démission, 213 Lalonde, Élie, 187

Lampton, Ernest B., enlèvement, 179 Lapointe, Ernest, 210, 213, 217, 220, 221 Lapointe, Eugène (M^1"), 174-177, 180 Lapointe, Liguori, 186 Lee, W.S., 13; travaux d'arpentage au Saguenay, 16 ; visite à Arthur Vining Davis, 30 Lemieux, Joseph-Rodolphe, 218, 221, 222 Lequin, Yves, 9 Létourneau, Séverin, 220221 Lévesque,Joseph (curé), 44-48, 95, 101, 202-203 Lévesque, Roland, 207 Ligue du Sacré-Cœur, 47, 48 Limitation des naissances, 162, 166, 171 ; débuts au Saguenay, 25 Lingot, Le, 192 Logement, coût, 111-112, 116-117 Loi de l'extension juridique des conventions collectives, 181 Loi des cités et villes, 37, 38 Loi des syndicats professionnels, 181 Lorenson, William, 92, 207, 222 Love, Charles-Patrick, 222 M., Pierre, 107-109, 112 Macdonald, Angus, 213 Maisons, caractéristiques, 36-37; dimensions, 116; isolation, 37 Manœuvres, 89-90 Massell, David, 17 n. 9 Massicotte (dentiste), 37 Masterson.John, 209-210 Mathewson, Arthur, 213 McDougall, Stuart, 221 McLarty, Norman, 211, 217 McLeod, Albert Allan, 44 McNallyJohn, 178

271 Index Mellon, Andrew B., 5, 31, 36 Mellon, Richard B., 31 Mercier, John, 193-194 Ministère des Terres et forêts, 27 Ministère des Travaux publics (Québec), 63 Ministère du Travail (Québec), 212 Ministère fédéral du Travail, 102, 179, 180, 196, 202, 209, 210, 217, 218 Miron, Cyprien, 222 Montréal Daily Star, 27, 219 Montréal Light, Heat and Power Company, liens avec Alcoa, 27 Moose, Loyal Order ofthe, 51, 185-186 Morisset, Lucie K., 33-34 Mouleurs, demandes salariales, 200 Noppen, Luc, 33-34 Noyau fondateur, 59, 141142, 227; caractéristiques, 73-75 ; définition, 54-55 ; et comité paritaire, 194 ; et syndicat, 184-185, 186; taille des familles, 169-170 Oleyarchuk, Wasyl, 52 n. 82 P., Roland, 119-120, 121 Paper Makers, International Brotherhood of, 178, 179, 180 Parent, Jean-Baptiste, 186, 222 Parisé, Edmond, 192-193 Parks, Ralph E., 50, 90, 91 ; commentaires sur la main-d'œuvre, 63 Parsons, F. Leslie, 91 Pâtes et papiers, industrie des, concurrence américaine, 22 ; influence sur les mouvements migratoires, 23-24

Progrès du Saguenay, 44, 49, Patrie, La, 220 63-64, 178, 179, 210, Pelletier,Jean, 221 212, 216, 220 Perron, Edouard, 39 Pulp, Sulphite and Paper Mill Perron, Normand, 20, 28 Workers, International Persévérance, liens avec les Brotherhood of, 178, 180 caractéristiques des travailleurs, 1925-1928, 70-73 ; liens avec les ca- Quarts de travail, organisaractéristiques des tration, 94-95 Québec Development vailleurs, 1935-1939, Company, 28; barrage à 80-81 l'île Maligne, 27; vente Personnel de soutien, comd'actions de Duke à position, 89 Price, 26 Picard, Gérard, 211,220; discours devant les R., Annette, 132 grévistes, 216; membre R., Éliette, 132 de la Commission de R., Fernand, 145-146, conciliation, 217; pro147-148 pose la levée de l'occuR., Gabrielle, 131-132 pation des usines, 214; Radio-Canada, 219 représente la CTCC Radley, Percy, 91, 182 devant la Commission Ralston,James Layton, 210, Létourneau-Bond, 213 221 Registres d'état civil, 23, Port-Alfred, création, 21 240-241 ; contenu, 146; Pouliot (notaire), 37 mentions concernant des Powell, Ray E., 189, 210, travailleurs d'Alcan, 213 147-148 Presse, La, 220 Régression. V. Analyse de Price, James L., 70 régression Priée, William, 17-18, 22, Retraite, régime, 203 26-27 ; grève dans les Rickey, James W., 53, 63 ; usines, 180 ; investissevisite au Saguenay, 31 ment dans la centrale de l'île Maligne, 28; scierie Riddell, Arthur E., 50, 132; juge de paix, 40; maire, à Chicoutimi, 20; travail du dimanche dans les 39 Rimmer, Ralph, 91 usines, 177; usine de Robert, Jean-Maurice, pâtes à Jonquière, 176 204 Price Brothers, 6, 103, 176; Rôles d'évaluation., conacquisition des entretenu, 117-118 prises de J.-É.-A. Dubuc, 23 ; projet d'usine de pa- Rouillard, Jacques, 174, 181 pier, 1920, 26; salaires, no; scierie, 18 ; usine de Roy, Jean-Roger, 207 pâte à papier, Jonquière, Roy, Raymond, 149, 172 21 ; usine de Riverbend, Sacco-Vanzetti, affaire, 178 22, 60 Prime au rendement, salles Saguenay (région), agriculture, 18-20; alphabétisade cuves, 197-200 tion, 24; composition de Programme de Restaurala population, 23-24; tion sociale, 181

272 disponibilité de la maind'œuvre, 60—62 ; grèves, 179-180 ; peuplement, 17; potentiel hydroélectrique aux mains de Duke, 31 ; production laitière, 19-20; régime démographique, 151152 ; taille des familles, 24; traits culturels, 6, 24-25; villes, 20-22. V. Crise, effet au Saguenay Saguenay (rivière), cours, 14-16 St-Hilaire, Marc, 154 n. 14 Salaires, 102-111 ; comparaison avec Montréal et Québec, 103-106; réduction, octobre 1931, 109 Sangwine, Elbert, 205, 222 Savard, Alfred, 217 Sécurité au travail, campagnes de, 100-101 Sekelyz,John, 52 n. 82 Sentinelle, La, 50, 78, 96, 97, 98,101 Shawinigan Water and Power Company (SWP), 14,27,29 Skouger et Rogers, architectes, 33 Slovaques, services religieux, 48 Smerg, Vatroslav, 52 n. 82 Société de l'Assomption, 49 Sôderberg, procédé, 87, 199- 205 Somers, Margaret R., 9 n. 7 Sources, judiciaires, 40-41 ; qualitatives, 7 ; quantitatives, 7-8 Southern Power Company, 13.29 Sûreté du Québec, 213 Sylvestre, Guy, 183 Syndicat national catholique de l'industrie de l'aluminium d'Arvida, 47, 51, 174, 196; caractère catholique, 188;

Index

demande d'augmenter le nombre de cuvistes, 204; demande de constitution, 186-187; demandes salariales, 201, 217; effectifs, 192; entente avec Alcan en 1939. i95;exécutif. 184-185; fondation, 181-183; promoteurs, 184; recours à la grève, 188-189. V. Convention collective Syndicat des employés des la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi, aumônier, 179 Syndicats, catholiques, 174-175. !78-i79! internationaux, 177,178179; nationaux, 177

origine ethnique, cohorte de 1925-1927, 60 ; origine ethnique, cohorte de 1935-1939, 76; persévérance, 19251927, 233-237; persévérance, 1935-1939. 237239; profession des pères, 154-156, 159; provenance géographique, 74 n. 41, 76 n. 43; rôle des nouveaux dans la grève de 1941, 205; savoir-faire, 92-93 ; taille des familles d'origine, 161. V. Salaires; Syndicats ; Boddy, Donald ; Boddy, Harry; Boland, James M. ; Bouchard, Georges ; Brindle, Harvey; Brindle, Willie; Carnevale, Pierre; Castonguay, Gérard ; Danis, Taille des familles, 166Albert-Charles; Daris, 167; variations, 170-171 Alexis ; Dufour, Ovila ; Talbot, Antonio, 220 Duplain, Mendoza; Taschereau, Alexandre, 27 Enslev.Jens; Fay, JeanTellier, Paul, 39 Louis ; Forest, Charles ; Thompson, E.P., 9 Gaetano, Pepito ; Galt, Touraine, Alain, 7 Jack; Hobbs, Clément; Transport et expédition, Labrie, Adélard; Lamétiers afférents, 88 pointe, Liguori ; McLeod, Travail, temps de, 94-95, Albert Allan ; McNally, 190 John; Mercier,John; Travail du dimanche, 95 Oleyarchuk, Wasyl ; PaTravailleurs, accidents du rent, Jean-Baptiste; Patravail, 96—102 ; augmenrisé, Edmond; Perron, tation de salaire, 191Edouard; Sekelyz.John; 192 ; circonstances de déSmerg, Vatroslav; Trempart, 1925-1928,66-73; blay, Edmond ; Tremblay conditions de travail, 93Jules,Joseph; Tremblay, 102 ; dates de naissance, Lucien ; Vasil, Stif ; Vasur, 56 n. 2 ; décès au travail, Frank; Walker, Lawrence 98-100; demandes salaF. ; Whitaker, J.A. ; Wirtariales, 194-195; état civil, nen, Olav; Zbihly, Frank 1925-1927,65 ; état civil, igSS-1939. 76-77; for- Tremblay, Edmond, 184, 185, 187, 189, 192, 201 mation, 90-93 ; lieu de Tremblay, Gisèle, 184 résidence des parents, 156, 159-161 ; mentions Tremblay, J.-A., 37 Tremblay Jules, Joseph, dans les registres d'état civil, 147-148; origine 181-182 saguenayenne, 152-161 ; Tremblay, Lucien, 207

273 Index Union Nationale, 181 Vacances, 95—96 ; prévues dans la convention collective, 190 Val-Jalbert, création, 21 Vallerand,J.-A., 39 Vasil, Stif, 52 n. 82 Vasur, Frank, 52 n. 82 Vie féconde, durée, 163165 Wade, Joseph Harold, 189 Wagner Act, 181

Wake, Harold R., 50; description des travaux de construction d'Arvida, 36; désigné maire, 38; gérant de la ville, 39 ; modification des plans d'Arvida, 34 Walker, Lawrence F., *93 Walshjohn P., 39, 49;juge de paix, 40 Weigel, Melvin P., 91, 209 Whitaker, Albert W., 50, 77, 91 ; collaboration avec le curé d'Arvida, 46, 203

Whitaker, James A., 39 White, James B., 91, 202; directeur du personnel, 189 ; directeur des salles de cuves, 90 ; témoignage devant la Commission Létourneau-Bond, 207 Willson, Thomas « Carbide», 14, 16 Wirtanen, Olav, 206 Witenen. V Wirtanen, Olav Wyber, Davis J., gérant de la ville, 39 Zbihly, Frank, 52 n. 82

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Table des matières

Introduction

5

1 Le royaume du Saguenay

13

2 La construction de la ville

32

3 La constitution de la main-d'œuvre, 1925-1940 53 4 Le travail en usine

83

5 La population de la ville

113

6 Les travailleurs et leurs familles

145

7 La naissance du syndicalisme 174 8 La grève de 1941 Conclusion Annexe i

196

225 Analyses statistiques

231

Annexe 2 Jumelage des données démographiques 240 Bibliographie

243

Liste des tableaux

259

Liste des figures

263

Remerciements

265

Index

267