Amedeo Modigliani
 9781780422848, 1780422849

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Amedeo

MODIGLIANI

Texte : Frances Alexander Jane Rogoyska Mise en page : Baseline Co Ltd 19-25 Nguyen Hue Bitexco, 11e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam

© Sirrocco, Londres, UK © Confidential Concepts, worldwide, USA

ISBN 978-1-78042-284-8

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Sommaire 5

Sa vie

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Ses œuvres

154 Biographie

155 Index

Sa vie

1. Modigliani à son arrivée à Paris en 1906. Photographie, archives

Billy Klüver. 2. La Juive, 1908. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection privée, Paris. 3. Tête de jeune femme, 1908. Huile sur toile. Collection privée, Paris.

Amedeo Modigliani naît à Livourne en Italie en 1884 et décède à l’âge de trente-cinq ans à Paris. De mère française et de père italien, il est élevé dans la foi judaïque et grandit ainsi au contact de trois cultures. Modigliani fut un homme charmant et passionné qui eut de nombreuses liaisons amoureuses au cours de sa vie. Trois sources alimentent l’inégalable puissance visionnaire de l’artiste : sans renier son héritage italien classique, il comprend également la sensibilité et le style français, ainsi que l’ambiance artistique dense qui règne dans le Paris de la fin du XIXe siècle. De plus, il est marqué par la lucidité intellectuelle propre à la tradition judaïque. Contrairement à d’autres avant-gardistes, Modigliani peint essentiellement des portraits aux formes étirées. Il leur donne un caractère étrange et ajoute une touche mélancolique qui lui est propre. Ses nus sont d’une beauté sublime et empreints d’un érotisme exotique. En 1906, il s’établit à Paris, centre de l’innovation artistique et du commerce international de l’art. Là, il fréquente régulièrement les cafés et les galeries de Montmartre et de Montparnasse, lieux de rencontre des groupes d’artistes les plus divers. Très tôt, il se lie d’amitié avec Maurice Utrillo (1883-1955), peintre néo-impressionniste et alcoolique, et avec le peintre allemand Ludwig Meidner (1844-1966) qui qualifie Modigliani de « dernier vrai bohémien » (in Doris Krystof, Modigliani). S’il est vrai que sa mère lui envoie tout l’argent dont elle peut disposer, il est néanmoins souvent contraint de changer de domicile. Parfois, il doit même abandonner sur place ses œuvres lorsque, incapable de payer son loyer, il quitte précipitamment les lieux. Voici la description d’un des logis de Modigliani, par Fernande Olivier (1881-1973), la première maîtresse de Pablo Picasso à Paris, dans son livre Souvenirs intimes – Ecrits pour Picasso : « Une estrade sur quatre pieds dans un coin de la pièce. Un petit fourneau rouillé avec une cuvette en terre cuite posée dessus ; à côté, sur une table en bois blanc, une serviette et un morceau de savon. Dans un autre coin, une caisse étroite et miséreuse, barbouillée de peinture noire, servait de divan. Une chaise en osier, des chevalets, des toiles de toutes les dimensions, des tubes de couleur éparpillés par terre, des pinceaux, des récipients pour l’essence de térébenthine, un pot contenant de l’acide nitrique (pour les gravures) et pas de rideaux. » Modigliani est un des personnages éminents du Bateau-Lavoir, cette fameuse maison où de nombreux artistes, comme Picasso, ont leurs ateliers. C’est probablement à l’écrivain Max Jacob (1876-1944), ami de Modigliani et de Picasso, que le Bateau-Lavoir doit son nom. A cette époque, Picasso y peint Les Demoiselles d’Avignon, représentation radicale d’un groupe de prostituées qui marque le début du cubisme. Au Bateau-Lavoir, d’autres artistes travaillent eux aussi au développement du cubisme, parmi eux les peintres Georges Braque (1882-1963), Jean Metzinger (1883-1956), Marie Laurencin (1885-1956), Louis Marcoussis (1883-1941) et les sculpteurs Juan Gris (18871927), Jacques Lipchitz (1891-1973) et Henri Laurens (1885-1954). Les couleurs vives et le style libre du fauvisme jouissent alors d’une grande popularité. Modigliani fait la connaissance des fauves du Bateau-Lavoir, parmi eux André Derain (1880-1954), Maurice de Vlaminck (1876-1958) et le sculpteur expressionniste Manolo (Manuel Martinez Hugué, 1876-1945) ainsi que Chaïm Soutine (1893-1943), Moïse Kisling (1891-1953) et Marc Chagall (1887-1985).

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Dans ses portraits, Modigliani représente nombre de ces artistes. Outre Max Jacob, d’autres écrivains sont eux aussi attirés par cette communauté, parmi eux Guillaume Apollinaire (1880-1918), poète et critique d’art (et amant de Marie Laurencin), le surréaliste Alfred Jarry (1873-1907), Jean Cocteau (1889-1963), écrivain, philosophe et photographe, dont la relation avec Modigliani est ambiguë, et André Salmon (1881-1969) qui écrira plus tard un roman, adapté pour la scène, sur la vie peu conventionnelle de Modigliani (La Vie passionnée de Modigliani). L’écrivain américain et collectionneur d’œuvres d’art, Gertrude Stein (1874-1946) et son frère Léo comptent également parmi les habitués du Bateau-Lavoir. Appelé « Modi » par ses amis (jeu de mot basé sur l’expression « peintre maudit »), il est convaincu que les besoins et les désirs de l’artiste sont différents de ceux des hommes ordinaires. Il en déduit qu’il faut que sa vie soit jugée de manière différente ; théorie que lui inspire la lecture d’auteurs tels que Friedrich Nietzsche, Charles Baudelaire et Gabriele d´Annunzio. Modigliani a des liaisons innombrables, boit copieusement et se drogue. De temps à autre pourtant, il retourne en Italie afin de voir sa famille et se reposer. Dans son enfance, Modigliani a souffert d’une pleurésie et de la typhoïde, maladies dont il ne guérira jamais complètement. Le manque constant d’argent et sa vie instable et dissolue aggravent son état de santé déjà inquiétant. Lorsque la tuberculose l’emporte, Jeanne Hébuterne, sa jeune fiancée, est enceinte de leur second enfant. Sans lui, la vie lui semble alors insupportable et elle se suicide le lendemain de sa mort.

De l’art traditionnel à l’art moderne Une nouvelle interprétation des œuvres classiques Guglielmo Micheli, le premier maître de Modigliani, est un adepte de l’école des Macchiaioli, impressionnistes italiens. Auprès de lui, Modigliani apprend tant à observer la nature qu’à concevoir l’observation en tant que pur sentiment. Il suit des cours où il dessine les objets de l’environnement d’une manière traditionnelle et se plonge dans l’histoire de l’art italien. Très tôt, il s’intéresse aux études de nus et au concept classique de beauté idéale. Dans les années 1900-1901, il visite Naples, Capri, Amalfi, revient par Florence et Venise : il étudie au cours de ce voyage les originaux de nombreux chefs-d’œuvre de la Renaissance. Les artistes du XIVe siècle (Trecento) l’impressionnent tout particulièrement, notamment les compositions et les couleurs délicates de Simone Martini : ses figures allongées et serpentines, d’une tendre tristesse, préfigurent les formes torsadées et l’intensité lumineuse qui caractérisent l’œuvre de Sandro Botticelli. Modigliani est fortement influencé par ces deux artistes : dans ses tableaux Nu debout (Vénus) (1918) et Jeune Femme rousse en chemise (n°76, 1918), il reprend la pose de la Vénus dans La Naissance de Vénus de Botticelli. Pour le Nu assis au collier (n 64, 1917), il inverse cette même pose. Les sculptures de Tino di Camaino (début XIVe), caractérisées par un mélange de lourdeur et d’incorporéité, un port de tête incliné et des yeux en amandes sans expression, stimulent aussi l’imagination de Modigliani. On a comparé ses compositions torsadées et ses figures étirées à celles des maniéristes de la Renaissance, en particulier à Parmigianino et au Greco. En outre, Modigliani emploie la couleur et l’espace d’une façon non naturaliste qui révèle des parallèles évidents avec l’œuvre de Jacopo da Pontormo. Pour ses séries de nus, Modigliani reprend la structure de nombreux nus célèbres de la Renaissance tardive, entre autres ceux de Giorgione, Titien, mais aussi de Velázquez et Ingres. Il évite pourtant leur romantisme idéalisé et leur caractère décoratif. Modigliani connaît également très bien les tableaux de Goya et de Manet, artistes qui ont, eux aussi, suscité des controverses en peignant des nus féminins réalistes, rompant ainsi avec la convention artistique qui obligeait les artistes à intégrer les nus dans des scènes mythologiques, allégoriques ou historiques.

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4. Etude pour une caryatide, vers 1913. Encre et crayon. Collection privée. 5. Sculpture af ricaine et caryatide, vers 1912-13. Crayon, 26,5 x 20,5 cm. M. et Mme. James W. Alsdorf, Chicago. 6. Madame Pompadour, 1905. Détail. Huile sur toile, 61,1 x 50,2 cm. Art Institute of Chicago.

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7. Tête, 1911-1912. Pierre calcaire, 50 x 19 x 19 cm. Collection privée. 8. Tête, 1911-1912. Pierre calcaire, 71,1 x 16,5 x 23,5 cm. Philadelphia Museum of Art, Philadelphia. 9. Tête, 1912. Pierre, 58 x 12 x 16 cm. Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.

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La découverte de nouvelles formes d’art

10. Tête, vers 1915. Pierre calcaire, 56,5 x 12,7 x 37,4 cm. The Museum of Modern Art, New York. 11. Portrait de Béatrice Hastings, 1915. Huile sur carton, 69 x 49 cm. Fondazione Antonio Mazzotta, Milan. 12. Antonia, vers 1915. Huile sur toile, 82 x 46 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. 13. Portrait de Max Jacob, vers 1916. Huile sur toile, 91 x 58 cm. Collection privée, Paris. 14. Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915. Huile sur carton, collé sur contreplaqué, 105 x 75 cm. Musée de l’Orangerie, Paris.

Les formes de l’art antique, de l’art de cultures étrangères et le cubisme influencent Modigliani à tel point que sa propre œuvre s’émancipe de plus en plus de l’art du passé. Les sculptures africaines et cycladiques (datant du début de l’Antiquité grecque) sont très en vogue dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Picasso importe d’Afrique de nombreux masques et sculptures. Le mariage entre leur forme simple et abstraite et le recours à une variété infinie de perspectives inspire directement le cubisme. Modigliani est profondément impressionné par la façon dont les sculpteurs africains créent des sculptures abstraites et pourtant plaisantes à partir de matériaux massifs, des sculptures décoratives, sans détails superflus. L’étude Sculpture af ricaine et caryatide (vers 19121913) témoigne de l’intérêt qu’il porte à ces œuvres. Il crée une série de têtes de pierre (vers 1911-1914) qu’il appelle « colonnes de tendresse », prévues pour orner un « temple de la Volupté ». C’est grâce à son ami Constantin Brancusi (1876-1957), sculpteur roumain, qu’il entre pour la première fois en contact avec les statues grecques de la haute Antiquité, appartenant à la civilisation des Cyclades. Celles-ci, ainsi que les propres œuvres de Brancusi, lui inspirent ses caryatides, car il s’intéresse à la représentation de la stabilité ; les caryatides, en tant que structures supportant un poids, unissent force et grâce et forment le motif idéal. Néanmoins, les détails de ses caryatides révèlent une conception moderne de la sexualité et reflètent le désir de montrer une féminité sensuelle. On associe souvent au sommeil la pose de la Caryatide (vers 1914), les bras croisés derrière la tête ; elle préfigure la pose du Nu couché aux bras ouverts (Nu rouge) (n°65, 1917). La caryatide est certes svelte, toutefois, son ventre et ses solides cuisses font écho aux bras ronds et charnus et à la tête. Sa pose fait référence au contrapposto, fréquemment utilisé dans l’art de la Renaissance, et montre l’attrait de Modigliani pour la souplesse du corps et la sensualité des formes arrondies. Les rondeurs des Caryatides roses (n°53, 1913 et 1913-14), tableaux où l’artiste a employé une profusion de couleurs vives, sont encore plus plantureuses. Leur représentation est principalement basée sur une composition de cercles qui produisent une forte impression de géométrie. C’est cette conception cubiste, perfectionnement des idées de Cézanne, qui amène Modigliani à représenter ses caryatides sous cette forme géométrique stylisée. Malgré leur évidente sensualité, les courbes et les cercles bien équilibrés de ces personnages produisent un effet peu naturaliste, mais sont soigneusement arrangés. Leurs rondeurs sont les signes précurseurs des lignes ondoyantes et de la conception géométrique que l’on retrouvera plus tard dans les nus de Modigliani, comme dans le Nu au divan. Le fait de dessiner ses caryatides rend Modigliani plus à même d’exploiter le potentiel décoratif de diverses poses, ce qui ne lui aurait pas été possible en sculpture. Les bras levés de la Caryatide (n°54, 1911-1912) lui donnent la pose stylisée d’une danseuse de ballet. Elle est plus mince que la plupart des autres caryatides de Modigliani et ses formes physiques anguleuses, à l’exception de ses seins ronds et voluptueux et des lignes ondoyantes de ses hanches et de ses cuisses, sont inhabituelles chez Modigliani. D’une manière semblable, la Caryatide (1910-1911, esquisse au fusain) penche la tête et plie la jambe. L’accent mis sur la cuisse levée et les seins pointus dans la Caryatide de 19121913 illustre clairement l’intention de Modigliani de représenter le personnage en tant que créature sexuée. La Caryatide datant de l’année 1912 regarde le spectateur en face et semble préfigurer les nus debout de Modigliani. Si la composition géométrique de ce personnage est évidente,

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l’extrême simplification de ses formes l’est tout autant. La Caryatide de 1913 est une représentation plus soigneusement travaillée du même motif, comportant des détails délicats sur les tétons et le nombril. Le doux arrondi de son genou rend le personnage vivant et humain. Les lignes structurées de façon originale qui parcourent le ventre ressemblent à un collier de perles et accentuent la forme conique de son bas-ventre et le triangle pubien entre ses cuisses. Le Nu debout (n°49, 1911-1912) ne fait déjà plus fonction de caryatide supportant un poids, il s’agit là plutôt d’une véritable étude de nu dans laquelle l’artiste aborde le corps humain sous un angle architectural. Ses bras croisés encadrent ses seins aux contours nets tandis que les traits de son visage restent abstraits et ressemblent à ceux d’un masque africain. L’esquisse Nu assis (vers 1910-1911) est un nu au sens propre du terme et témoigne du fait que Modigliani est passé des caryatides à la véritable peinture de nus. En faisant vibrer les contours du corps du personnage, il se rapproche de façon plus expressive de son érotisme. Parmi les sculptures de caryatides, une seule existe encore aujourd’hui, la Caryatide accroupie en pierre calcaire (n°57, 1914). Contrairement aux têtes de pierre créées par Modigliani, elle n’est que grossièrement taillée : soit il a renoncé à la finir, soit, peut-être, l’a-t-il délibérément laissée dans cet état brut pour lui donner une apparence plus puissante. Malgré le fait que sa pose ressemble à celle des caryatides dessinées, ses formes sont massives et encombrantes, moins géométriques et plus naturalistes quant aux détails. Sa façon de représenter les seins et le ventre démontre la connaissance de Modigliani de la musculature et sa volonté de délier les formes solides même aux endroits difficiles comme la zone entre la poitrine, le cou et le bras. L’influence de Cézanne et des expressionnistes se manifeste dans les traits sévères du Nudo dolente (n°44, 1908), l’un des premiers nus de Modigliani, auquel manque la sexualité voluptueuse des nus qu’il dessinera plus tard. Le tableau est plus bouleversant qu’attrayant, bien que le visage renversé aux lèvres pleines et légèrement entrouvertes et aux yeux à demi fermés évoque un état d’extase, peut-être d’agonie ou de volupté. Il ressort clairement de ce tableau que Modigliani est prêt à expérimenter des styles différents. Il y illustre sa puissance et sa passion artistiques. En 1909, Modigliani s’installe à Montparnasse où vit son ami Brancusi, comme beaucoup d’autres artistes à cette époque. Le Café du Dôme, sur le côté sud du boulevard de Montparnasse est particulièrement apprécié des artistes allemands, tandis que le Café de la Rotonde, au nord, est l’endroit que fréquentent régulièrement le peintre japonais Tsuguharu Fujita (né en 1886, mort en 1968) et ses amis. L’influence des peintres innovateurs de la fin du XIXe siècle, comme Paul Gauguin et le Douanier Henri Rousseau, est toujours perceptible, mais, des artistes plus jeunes comme André Derain et les fauves, Pablo Picasso, Ossip Zadkine (1890-1967) et les cubistes créent leur propre style. L’échange des idées est phénoménal. Des marchands d’art et des collectionneurs comme Paul Guillaume (1891-1934), dont Modigliani fait la connaissance en 1914, et Léopold Zborowski (1889-1932), qui se lie d’amitié avec l’artiste en 1916, fréquentent eux aussi le quartier. Dans ce creuset d’idées, Modigliani s’intéresse d’abord à une multitude de styles avant de trouver sa propre voie. Les innovations se succèdent à un rythme si effréné qu’au moment où Modigliani crée son style cubiste marqué par l’art africain, les cubistes des premières heures se penchent déjà sur de nouvelles idées. Dans ses études de caryatides, on remarque des parallèles évidents avec Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, en particulier dans la posture anguleuse aux bras lourds relevés et les perspectives multiples.

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15. L’Enfant gras, 1915. Huile sur toile, 45,5 x 37,5 cm. Pinacoteca di Brera, Milan, legs de Lamberto Vitali. 16. Fille avec des nattes (La Chemise rose), 1917.

Huile sur toile, 60 x 44,4 cm. Collection privée. 17. Renée la blonde, 1916. Huile sur toile, 61 x 38 cm. Museu de Arte, São Paulo.

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Le nu et la morale Modigliani est fasciné par la façon dont on peut restituer le volume par les contours. Il restitue les structures massives de la sculpture sur la toile et capte ainsi l’essence de l’élégance classique. En refusant de renier le passé, Modigliani s’attire bien sûr la critique de ses contemporains avant-gardistes, en particulier des futuristes dont il a rejeté le manifeste. Les futuristes affirment que l’art ne doit traiter que des styles et des thèmes modernes comme les machines ou les automobiles. Par conséquent, les tableaux de Modigliani leur semblent trop démodés et le nu féminin, en tant que motif standard de l’art traditionnel, doit être rejeté. Néanmoins, la façon dont Modigliani peint les nus est si unique et novatrice que les traditionalistes sont choqués par son œuvre.

Une libération inconsciente

18. Nu assis, 1917. Huile sur toile. Collection privée. 19. Nu couché aux mains serrées, 1918. Huile sur toile, 64,7 x 100 cm. Collection privée. 20. Vénus, 1918. Huile sur toile, 99 x 64,7 cm. Collection privée, Paris. 21. Jeune Femme assise, 1918. Huile sur toile, 92 x 60 cm. Musée Picasso, Paris. 22. Fille de Montmartre, vers 1918. Huile sur toile. Collection privée.

La Maja nue de Goya avait suscité la consternation parce que le tableau représentait une dame de la cour bien connue. Il est vrai que Modigliani reprend la composition de cette œuvre dans de nombreux nus, par exemple le Nu au collier (n°66, 1917), Nu (n°87, 1919) et Nu couché aux bras ouverts (Nu rouge) (n°65, 1917). Cependant, le tableau de Goya atteint, par son ambiance distanciée et par la pose choisie, un formalisme qui rappelle la Renaissance tardive. Modigliani, en revanche, évite les compositions, les arrière-plans et les techniques formalistes. Il confère ainsi à ses nus une sauvagerie et une liberté qui les rendent modernes et remarquables. Lors de sa première présentation en 1863, l’Olympia de Manet fut surtout critiquée parce qu’une simple prostituée parisienne avait posé pour le tableau et qu’on la considérait indigne d’être le motif d’une œuvre d’art. Autre fait scandaleux : la personne représentée fixe le spectateur d’un regard direct. Le spectateur est ainsi contraint d’avouer qu’il admire une prostituée ; il ne peut plus désormais feindre de regarder le nu de façon involontaire, comme il le fait en contemplant une représentation narrative ou en essayant de comprendre la signification d’une scène allégorique. Le modèle dans le Nu de Modigliani (n°87, 1919) rappelle la Vénus endormie de Giorgione, avec son bras droit replié derrière la tête et sa position légèrement diagonale sur la toile. Toutefois, l’artiste renonce ici à représenter un paysage florissant ou un arrière-plan richement imagé intégrant le personnage dans une scène mythologique ou bucolique. De façon analogue, la pose du Nu sur un coussin bleu (n°71, 1917) est empruntée à la Vénus endormie, cependant le modèle de Modigliani ne dort pas sagement mais est parfaitement conscient du fait qu’il est observé. Les lèvres pleines, rouges et sensuelles du modèle soulignent son attrait et son désir. Il apparaît donc au spectateur plus vivant et plus physique que la Vénus endormie, bien que le style du tableau soit moins réaliste. Alors que l’Olympia de Manet invite le spectateur à établir un contact visuel avec la prostituée qui le regarde, les yeux bleus du personnage de Modigliani ajoutent à cette sollicitation un surréalisme inquiétant. Si ses yeux sont ouverts, son regard est cependant vide et elle défie ainsi le spectateur, tout en restant inaccessible. Le symbolisme considère les yeux comme le « miroir de l’âme » : ils représentent en tant que tel aussi bien l’introspection que l’observation. Modigliani a lu les poèmes des symbolistes avec attention et cite souvent leurs vers de mémoire. En 1903, lors de la biennale de Venise, il étudie les œuvres symbolistes d’artistes tels que Odilon Redon, Edouard Munch et Gustave Moreau. Le regard vide des nus de Modigliani est peut-être leur caractéristique la plus oppressante. Il s’oppose non seulement à celui de la plupart des nus classiques, tantôt passifs, tantôt détournés de manière rassurante ou encore fermés, mais aussi à la façon dont l’Olympia fixe le spectateur de son regard passif, mais néanmoins perceptible.

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L’expression froide et désintéressée du Nu regardant par-dessus son épaule droite (1917) semble exprimer la contrariété du modèle à être observé. Sa pose est une reprise inversée de la Vénus au miroir de Vélasquez, mais contrairement à la Vénus qui ne fixe que son propre reflet, elle regarde le spectateur en dehors du tableau. Modigliani attire le regard du spectateur vers ses hanches rondes et ses fesses qui forment le centre de la composition. Une anecdote veut que le peintre ait rencontré l’impressionniste vieillissant Auguste Renoir qui lui décrivit la création d’un de ses tableaux comme si le peintre avait caressé encore et encore les fesses du modèle. Modigliani répondit brutalement que les fesses ne l’intéressaient pas. Et en effet, la plupart de ses nus sont représentés de face, ce qui explique peut-être la tension inhabituelle de ce tableau. Modigliani ne nomme pas ses modèles ; on ne sait donc pas s’il s’agit de déesses ou de prostituées. Par conséquent, ses tableaux ne peuvent être jugés que selon des critères artistiques, car ils ne comportent aucun indice évident faisant référence à la situation sociale ou politique. Néanmoins, le fait de renoncer à tout contexte est en soi extrêmement politique, car la société de cette époque est encore fortement dominée par la pruderie et les hiérarchies sociales rigides du XIXe siècle. La représentation de corps dénudés n’est moralement acceptable que lorsque les nus sont présentés selon les conventions artistiques traditionnelles, les tableaux sortant ainsi du contexte quotidien. Par ce biais, le public peut admirer des nus, sans pour autant être obligé de changer son attitude répressive à l’égard de la sexualité. Modigliani n’est pas un défenseur des élites sociales et, à ses yeux, la beauté et l’érotisme des femmes du peuple n’ont rien de choquant. Par conséquent, il ne les considère pas comme des sujets indignes du grand art. Dans ses nus, il renonce aux détails et aux seconds plans qui pourraient nous renseigner sur l’appartenance du modèle à une certaine classe ou position sociale. Ceci empêche le spectateur de formuler des jugements moraux quant au statut ou à la façon de vivre des personnages et l’oblige à ne considérer que l’aspect esthétique du tableau. Le fait de mépriser à tel point les anciennes conventions choque ceux qui craignent la sexualité féminine et la libéralité de la bohème. Manet, avec son Olympia, suscita l’indignation en glorifiant dans son tableau une prostituée sûre d’elle-même et dépourvue de sentiments de culpabilité. La plupart des nus de Modigliani ne sont, eux aussi, ni timides, ni vertueux comme le sont la Vénus de Giorgione ou les nus de Titien. La posture des modèles et l’absence complète d’éléments narratifs ou de contenu, le corps érotique représenté en tant que tel, sont jugés scandaleux. Ces œuvres de Modigliani, qui voue un grand respect à la tradition classique et désire en faire partie, ne sont pas considérés comme du grand art, mais comme des représentations révoltantes de femmes dénudées. La police ferme la première et unique exposition où ses œuvres sont présentées en exclusivité, l’exposition de la galerie Berthe Weill, en 1917, car Modigliani a osé peindre les poils pubiens des modèles, détail qui brise néanmoins les conventions artistiques. Des artistes comme Gustave Courbet ont certes déjà trouvé plaisir à peindre de façon aussi réaliste auparavant, mais il ne leur avait pas été permis d’exposer de telles œuvres en public. Pour Modigliani, ses nus ne sont pas des manifestations de fantasmes personnels. Par conséquent, il ne comprend pas pourquoi ils ne doivent pas être montrés au public. Bon nombre d’autres artistes partagent son avis. En effet, ce qui attire l’attention de la police sur lui, c’est justement l’importante affluence du public qui vient voir ses tableaux. On ne ferme pas l’exposition de Modigliani pour la seule raison de l’indécence de ses tableaux, mais à cause de leur grande popularité. L’un de ses premiers nus, le Nu assis (n°62, 1916), représente probablement Béatrice Hastings, excentrique poétesse anglaise avec laquelle Modigliani a une liaison de 1914 à

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23. Portrait de Pablo Picasso, 1915. Huile sur toile, 35 x 26,6 cm. Collection privée, Genève. 24. Portrait de Blaise Cendrars, 1917. Huile sur carton, 60 x 50 cm. Collection privée, Rome. 25. Juan Gris, vers 1915. Huile sur toile, 54 x 38,1 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

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26. Portrait de Diego Rivera, 1914. Huile sur carton, 100 x 79 cm. Museu de Arte, São Paulo. 27. Jacques Lipchitz et sa femme,

1916. Elle lui est d’une grande aide, en particulier lorsqu’il revient à la peinture. En effet, les frais élevés de matériel et les problèmes pulmonaires causés par la poussière de pierre obligent Modigliani à renoncer à la sculpture. La création du Nu assis est vraisemblablement due à ses encouragements. Les contours extérieurs ne sont pas encore tracés avec autant d’assurance que dans ses travaux ultérieurs : ils sont irréguliers et brisés et le port de tête avec le menton pointu est fort étrange. Le visage tourné vers le bas guide le regard du spectateur vers le milieu de la toile et vers le centre du corps. Ses cheveux tombants accentuent la forme des seins et les couleurs délicatement nuancées marquent les rondeurs de son ventre. Sa silhouette est élégamment placée sur la toile dans un léger angle, entre la clarté à gauche et l’obscurité à droite. L’arrière-plan est juste assez travaillé pour fournir un cadre au personnage, sans pourtant définir l’espace. La conscience du détail de Modigliani n’apparaît qu’en quelques rares endroits, en particulier dans la représentation des poils pubiens. L’emploi de couleurs lumineuses donne l’impression que le corps vibre, alors que le modèle dort. Dans l’étude du Nu assis (n°78, 1918), le modèle occupe également une pose assez inconfortable. Le ventre est fortement incurvé, le contrapposto est exagéré et le mollet est inachevé. Néanmoins, les courbes douces évoquent un mouvement et une délicatesse juvénile et confèrent chaleur et grâce au personnage. Les détails de son visage relevé sont juste assez travaillés pour lui donner une expression sensuelle et ravie. Un autre Nu assis (vers 1918) montre des influences cubistes et paraît distordu et maniéré. Le dessin des épaules, des jambes et des fesses est inachevé et les yeux asymétriques produisent un effet étrange et, à première vue, moins plaisant que dans le précédent. Toutefois, un charme nonchalant émane de la tête inclinée et la mollesse du corps suggère la décontraction. Un érotisme faisant l’effet d’un rêve, encore renforcé par la subtilité de la représentation, s’offre au spectateur. Une ambiance tout aussi insolite domine le Nu sur un coussin bleu (n°71, 1917). Ici aussi, Modigliani laisse les jambes inachevées, mais consacre un soin minutieux à la forme des seins. Son expression étrangement envoûtante la fait certes paraître éveillée et vivante, mais ses yeux sont irréels ; son regard séduisant est en dehors du temps et de l’espace. C’est surtout à l’expérience de Modigliani, acquise lorsqu’il dessine les caryatides, qu’elle doit la plasticité de son corps. Sa forme est majestueuse et sculpturale, tandis que la composition est empruntée à la photographie : la partie supérieure de sa tête et les jambes sont coupées et en dehors du cadre.

1916-17. Huile sur toile, 78,7 x 53,3 cm.

L’art du gros plan

Art Institute of Chicago.

Modigliani choisit souvent de peindre ses tableaux d’un point de vue rapproché. Ceci est sûrement dû à l’influence de la photographie et plus particulièrement de la photographie érotique qui devient à la mode à cette époque. Par l’application de cette technique, il renforce l’impression de la présence physique du personnage et de la faible distance séparant l’artiste du modèle. Dans presque tous ses nus, Modigliani omet les jambes et, souvent, une partie de la tête ou des bras manque également. Il produit ainsi l’effet d’un instantané. Ce procédé est particulièrement évident dans le Nu couché aux bras ouverts (Nu rouge) (n°64, 1917) : en plaçant le corps du modèle au centre du tableau, de sorte qu’il semble faire exploser le cadre, Modigliani accentue l’aspect sexuel du personnage. Rien d’autre ne compte. La présentation instantanée rend le personnage facilement accessible au spectateur et transgresse en même temps les règles traditionnelles exigeant une composition complète. Malgré le coup de pinceau soigneux et la gradation habile des teintes délicates, l’ensemble dégage une impression de spontanéité aisée, à l’opposé de l’enseignement traditionnel qui veut que la qualité soit synonyme de travail minutieux. L’extravagance spontanée des nus de Modigliani les fait paraître encore plus insolents et éhontés aux yeux des conservateurs.

28. Jean Cocteau, 1916. Huile sur toile, 100,3 x 81,3 cm. Collection privée, New York. 29. Homme à la pipe (Le Notaire de Nice), 1918.

Huile sur toile, 92 x 60 cm. Collection privée, Paris. 30. Portrait de Franck Burt y Haviland, 1914. Huile sur toile, 61 x 50 cm. Collection privée.

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L’érotisme franc et joyeux qui émane de ses tableaux s’exprime également à travers la vie sexuelle très libre de l’artiste. Dès ses jeunes années, Modigliani acquiert une réputation de séducteur : l’étudiant des Beaux-Arts de Venise qu’il fut consacre probablement plus de temps à fréquenter les cafés et les bordels que les cours de dessin. A Paris aussi, il a de nombreuses maîtresses, cependant on connaît peu de détails sur ces liaisons et elles sont l’objet de bien des spéculations. On suppose qu’il couche avec tous ses modèles, dont certaines sont très connues au sein de la communauté des artistes de l’époque. Kiki, la reine de Montparnasse, Lily, Massaouda la « Négresse », Elvire, la jeune et sauvage fugueuse, fille d’une prostituée espagnole, ainsi que Simone Thirioux qui lui donne un fils. Cependant, il n’existe aucun nu permettant d’identifier avec certitude Elvire ou Simone et il n’existe qu’une seule et unique étude qui représente sans l’ombre d’un doute Béatrice Hastings. Il est probable qu’il engage des modèles professionnels qu’il paye, sans coucher avec elles. A la fin de sa série de nus, Modigliani atteint l’apogée de son art. Il suggère le volume par des arabesques élégamment recourbées et est passé maître dans l’art de la simplification et de l’abstraction. Le Grand Nu (n°88, vers 1919) est un exemple flagrant de la perfection avec laquelle il maîtrise le tracé des lignes. Les contours en sont égaux et précis. La distorsion non naturaliste de la hanche est néanmoins harmonieuse. Elle suggère la sexualité du personnage plus qu’elle ne la clame. Les couleurs modérées confèrent une atmosphère de calme au tableau. Le personnage féminin est inondé d’une lumière douce, les gradations subtiles des teintes dessinent ses formes de façon si aérienne qu’il semble flotter sur l’arrière-plan sombre. Un nu de 1918 porte le titre d’Elvire (n°83), quoique la liaison entre elle et Modigliani ait pris fin quelques années plus tôt. Dans ses mains, le modèle tient une pièce de tissu froissée juste assez bas pour créer l’illusion qu’elle est nue. Cette pose reprend la réserve des grands nus classiques et peut-être même la parodie-t-elle. Sa posture est strictement géométrique, ses seins ronds sont des hémisphères presque parfaits. Le regard vide et immobile paraît audacieux et lui donne la qualité monumentale d’une sculpture. Son rayonnement érotique semble avoir disparu, sa personnalité est figée. Elle ressemble non pas à une vraie femme, mais à une statue de pierre, à une forme purement physique, changée en objet et dépersonnalisée. Ici aussi, le manque de détails de l’arrière-plan souligne l’atemporalité du tableau.

L’engagement émotionnel Un processus de dépersonnalisation Bien qu’il peigne ses modèles en tant qu’individus autonomes, il est étonnant de constater que Modigliani ne s’efforce guère à établir un contact émotionnel avec eux et qu’il ne s’intéresse pas non plus à en faire le portrait d’un point de vue psychologique. En tant qu’artiste, il garde objectivité et distance et, surtout dans les derniers nus, il évite toute tentative manifeste de provoquer des émotions au spectateur. Ceci permet à celui-ci de réagir spontanément, mais exclut en même temps toute influence directe de l’artiste sur cette réaction. Jusque dans les années 1940 et 1950, ses tableaux sont censurés en tant qu’œuvres obscènes et pornographiques, bien que Modigliani ne cherche jamais consciemment à provoquer. En raison de sa propre sexualité affranchie, il exprime son désir avec une joie qui, par son insouciance, frise l’innocence. Il ne craint ni la sexualité de ses modèles, ni sa propre libido. Par conséquent, ses nus sont exempts de ces émotions mesquines nourries par la répression sociale et la condamnation morale hypocrite.

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31. Gitane et petite f ille, 1919. Huile sur toile, 130 x 81 cm. The National Gallery of Art, Washington D.C. 32. Le Zouave, 1918. Huile sur toile, 63 x 48,3 cm. Collection privée, Paris. 33. Le Pull-over jaune (Portrait de Jeanne Hébuterne), vers 1919.

Huile sur toile, 99 x 66 cm. The Salomon R. Guggenheim Museum, New York.

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34. Portrait de Monsieur Baranowski, 1918. Huile sur toile. Collection privée, Londres. 35. La jeune Servante, 1919. Huile sur toile, 99 x 61 cm. Albright-Knox Gallery, Buffalo.

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36. Portrait de Jeanne Hébuterne, 1918. Huile sur toile, 91,4 x 73 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. 37. Nu assis, vers 1917. Crayon, 31,2 x 23,9 cm. Mr. and Mrs. W. Alsdorf’s Collection.

Durant des siècles, le sommeil permit aux artistes de suggérer la satisfaction sexuelle et Modigliani représente bon nombre de ses modèles dans leur sommeil, en particulier dans ses nus tardifs. Même ceux qui sont éveillés semblent calmes et insouciants ou regardent dans le vide et s’abîment dans un monde d’introspection, sans que le spectateur puisse les déranger. Modigliani s’intéresse tout d’abord aux formes physiques de ses modèles, pas à leur caractère ; les yeux vides ou fermés soulignent son détachement vis-à-vis de la vie intérieure des protagonistes. Les yeux sans expression symbolisent aussi le regard tourné vers l’intérieur et l’introspection qui fascinait tant Modigliani. De plus, ils représentent une prise de position à l’égard du voyeurisme et de l’observation. Contrairement à Edgar Degas qui, le plus souvent, tenta de peindre ses modèles de façon à faire croire qu’elles ne se savaient pas observées, Modigliani montre parfois clairement que le modèle répond au regard du spectateur, comme par exemple dans Nu regardant par-dessus son épaule droite (1917). En outre, Modigliani s’efforce d’abandonner la représentation de personnes identifiables pour exprimer une qualité intemporelle et éternelle par-delà les règles et préceptes moraux banals de la société. C’est le concept classique de la beauté qui lui inspire cette idée, mais également l’abstraction et la réduction des formes complexes à leur nature élémentaire, pratiquées par Cézanne. Chaïm Soutine a dit de Cézanne : « Les visages que peint Cézanne, à l’image des statues de l’Antiquité, n’ont pas de regard. » Dans son étude des sculptures africaines abstraites, Picasso abandonne lui aussi la représentation d’individus particuliers dans l’espoir de

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trouver dans un tableau quelque chose de plus durable que l’instant éphémère d’une vie. Modigliani poursuit le même objectif artistique en dépersonnalisant ses tableaux. Les portraits qu’il peint durant son séjour dans le midi de la France, dont vingt-cinq portraits de Jeanne Hébuterne, en témoignent tout particulièrement. Il dit : « Je ne cherche ni le réel ni l’irréel, mais l’inconscient, le secret de ce qui est instinctif dans le genre humain. » (in Doris Krystof, Modigliani)

La quête de l’esthétique Le combat de Modigliani pour atteindre la perfection de l’apparence et de la forme se transforme en recherche platonique de l’essence de la beauté, par-delà la grâce et la sensualité de l’individu. Il commence à se concentrer sur l’équilibre, l’harmonie et la constance de la forme et à diminuer l’impression de pesanteur. Il aspire à combiner l’expression massive de la sculpture avec l’éclat vaporeux des couleurs et l’élégant tracé des lignes. Cette aspiration esthétique dépasse largement l’expression de l’érotisme d’un quelconque personnage. Le paroxysme de cet effort est particulièrement manifeste dans le Nu au collier (n°66, 1917), Le Grand Nu (n°88, vers 1919) et Nu (n°87, 1919). Dans ces tableaux, surtout dans Le Grand Nu, se révèlent l’adresse de Modigliani dans le choix des couleurs et la précision du trait. Les détails des seins et de la région pubienne sont moins prononcés que dans les nus antérieurs et évoquent un érotisme plus doux mais moins éphémère. Le Nu féminin debout (n°79, vers 1918-1919) est d’une grâce légère et les détails sont concentrés sur le visage du modèle. Du point de vue anatomique, les contours vibrants et le galbe plein des seins sont représentés avec exactitude et le trait maîtrisé de Modigliani lui permet de rendre en seulement quelques coups de pinceau le physique sculptural du personnage. A la fin de la série de nus, Modigliani perfectionne la représentation de la sensualité et de l’attrait individuels. Il élimine les signes distinctifs superflus de ses tableaux pour ne plus dévoiler que les aspects abstraits de la beauté. Après avoir exploré les profondeurs de la sexualité dans sa propre vie, il recherche au-delà du désir ardent individuel le désir transcendant et il sait se libérer de l’intensité extatique et charnelle de ses œuvres antérieures pour créer un érotisme impersonnel et par conséquent moins éphémère. Il réussit à traduire l’énergie érotique et l’attirance émanant d’un modèle précis à un moment précis en un tableau reflétant l’universalité et l’atemporalité de la sexualité humaine. Peut-être cette transformation constitue-t-elle l’exploit artistique majeur de Modigliani.

Conclusion Modigliani aimait l’art traditionnel italien et se considérait dans la continuité de cette tradition. Il la développait tout en respectant ses limites. Ses nus n’étaient pas censés être radicaux, ni destinés à susciter l’indignation. Néanmoins, sa perception fut influencée par l’art avant-gardiste qui se créait autour de lui. C’est ainsi qu’il allia l’Antiquité et le modernisme, le traditionnel et le révolutionnaire. Mis à part l’intensité de sa passion et son désir de s’exprimer librement, c’est cette fusion de l’ancien et du nouveau qui lui permit de créer une vision nouvelle et unique. Même si de nombreux drames marquèrent sa courte existence, une joie et une force d’attraction jaillissent de ses nus, ce qui les place aujourd’hui encore parmi les œuvres les plus populaires de l’art moderne.

38. Le petit Paysan, 1919. Huile sur toile, 100 x 65 cm. The Tate Gallery, London. 39. Le jeune Apprenti, vers 1919. Huile sur toile, 100 x 65 cm. The Solomon R. Guggenheim Museum, New York.

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40. Lunia Czehowska, 1919. Huile sur toile, 80 x 52 cm. Museu de Arte, São Paulo. 41. Nu feminin assis, 1917. Huile sur toile, 180 x 62 cm. Collection privée.

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Ses œuvres

Nu au chapeau Nu (La Petite Jeanne) Nu (Nudo Dolente) Le Mendiant de Livourne Le Violoncelliste Tête Caryatide Nu debout Caryatide Figure en pied Caryatide Caryatide rose Caryatide Nu debout sur fond de jardin Caryatide Caryatide accroupie Portrait de Moïse Kisling Mari et femme (Les jeunes Mariés) Portrait de Béatrice Hastings Portrait de Léopold Zborowski Nu assis Portrait de Chaïm Soutine Nu assis au collier Nu couché aux bras ouverts (Nu rouge) Nu au collier Nu couché Nu Nu couché Nu assis Nu sur coussin bleu Jeanne Hébuterne au grand chapeau Nu couché aux cheveux dénoués Nu au collier Jeune Fille à la frange (Femme assise à la robe bleue) Jeune Femme rousse en chemise Nu couché Nu assis Portrait de Jeanne Hébuterne – Tête de profil (Jeune Fille rousse) Nu féminin debout Portrait de Jeanne Hébuterne Fillette en bleu Elvire Portrait de Jeanne Hébuterne Paysage dans le midi Arbre et maison Nu Nu allongé (Le Grand Nu) Maternité Jeune homme (L’Étudiant) Autoportrait

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42. NU AU CHAPEAU 1907-1908 Huile sur toile, 80,6 x 50,1 cm Reuben et Edith Hecht Museum, University of Haïfa, Israël

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ette peinture date des premières années de Modigliani à Paris. Cette période se caractérisa par une misère extrême, comme l’illustre cet exemple dans lequel il a peint sur les deux faces de la toile : d’un côté il y a ce nu, et de l’autre, un portrait, peut-être celui de Maud Abrantes. Très peu d’éléments ici, à part le cou allongé, nous

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permettent d’établir un lien immédiat avec les œuvres de Modigliani pour lesquelles il deviendra célèbre. Pour le reste, la couleur est posée avec parcimonie, les contours sont épais et grossièrement dessinés, ce qui évoque Cézanne. L’expression de souffrance et la brutalité du visage du modèle évoquent le travail de certains expressionnistes comme Munch.

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43. NU (LA PETITE JEANNE) vers 1908 Huile sur toile, 61 x 38 cm Perls Gallery, New York

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lusieurs des premiers tableaux de Modigliani sont à dominante bleue, ce qui induit des comparaisons avec le Picasso de la même période. Cependant, certains signes de préoccupation sont déjà perceptibles, qui allaient plus tard déterminer l’art de Modigliani et l’éloigner de ses contemporains les plus à l’avant-garde : les yeux du modèle, bien que dessinés avec quelques détails, sont vides en leur centre et son visage, tout en possédant certaines caractéristiques très spécifiques – un léger double menton,

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une bouche dotée d’un arc de Cupidon parfait, des sourcils fortement arqués – a un aspect sculptural, comme un masque qui fait d’elle une figure symbolique et abstraite plutôt qu’un individu. Cette recherche de l’expression universelle plutôt qu’individuelle de la forme humaine est caractéristique du mouvement symboliste, qui influença beaucoup le jeune Modigliani, mais c’est aussi un élément qui déterminera une grande partie de sa production ultérieure.

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44. NU (NUDO DOLENTE) 1908 Huile sur toile, 81 x 54 cm Richard Nathanson, Londres

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e tableau est très différent des nus peints par la suite, entre 1917 et 1919, et qui rendirent Modigliani célèbre. Cet exemple révèle clairement l’influence du style expressionniste qui domina le début du XIIe siècle, propre à des artistes comme Munch ou à plusieurs artistes allemands. Les nus de Modigliani, figures décoratives ordinairement passives, sensuelles et ouvertement sexuelles, sont ici transformés en une expression de la douleur, de la pauvreté et même de la maladie ou de la dépravation. La couleur est

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appliquée grossièrement, par touches. Par endroit, l’œuvre paraît inachevée. Le torse de la femme est allongé, squelettique, les seins sont légèrement de travers, les bras exagérément longs. Il y a une tension violente entre les habituelles connotations sexuelles liées à la pose du modèle – la tête penchée en arrière, les yeux clos, la bouche entrouverte – et l’expression de douleur et de saleté animales suggérée par le corps. Ainsi, cette femme ressemble bien plus à une sainte martyrisé qu’à un objet sexuel.

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45. LE MENDIANT DE LIVOURNE 1909 Huile sur toile, 66 x 52,7 cm Collection privée

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odigliani peignit ce tableau tandis qu’il séjournait à Livourne dans sa famille afin de se remettre d’une maladie qui allait le tourmenter toute sa vie et finalement l’emporter prématurément. Formant un contraste marqué avec la stricte intériorité de ses oeuvres parisiennes, l’œuvre montre le soleil méditerranéen et sa chaleur par une fenêtre visible à l’arrière-plan – un élément qui réapparaîtra rarement avant les deux dernières années de sa vie.

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Le style de son coup de pinceau léger et brut à la fois, ainsi que sa palette de bleus, rappellent clairement l’œuvre de Cézanne. On a suggéré que le portrait s’inspirait d’un tableau napolitain du XVIIe siècle, dont la famille de Modigliani avait récemment hérité. Cependant, il n’existe aucune preuve de cela et il est également possible que l’artiste se soit ici contenter de faire la même chose qu’au cours des deux dernières années de sa vie : prendre pour sujets les villageois des environs.

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46. LE VIOLONCELLISTE 1909 Huile sur toile, 130 x 80 cm Collection privée

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l s’agit ici d’un portrait provenant d’une série que Modigliani peignit en 1909. Il fut exposé au Salon des Indépendants en 1910 et révèle clairement l’influence de Cézanne par la fluidité du trait et l’épaisseur des contours noirs. Les détails du décor – la clarté de la chambre, la chaise, la table à l’arrière-plan – constituent des éléments qui deviendront plus tard extrêmement rares dans

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l’œuvre de Modigliani, qui dépeignait la plupart de ses sujets dans un cadre pratiquement dépourvu de mise en scène. Il est intéressant de remarquer que l’une des plus grandes faiblesses de Modigliani se situe dans sa peinture des mains : ici, il ne peut éviter de montrer les doigts du violoncelliste courbés sur l’archet, mais ils sont exécutés avec maladresse.

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47. TÊTE 1911-1913 Grès calcaire, 64 x 15 x 21 cm Solomon R. Guggenheim Museum, New York

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oici l’une des nombreuses têtes sculptées de cette période. Il semble que l’objectif de Modigliani ait été d’exposer ces têtes en groupe : sept d’entre elles furent présentées au Salon d’Automne de 1912 et firent grand effet. Il semblerait aussi que les têtes étaient destinées à être intégrées dans un projet architectural, car l’arrière des visages est plat, non sculpté, comme s’il devait être posé contre un mur. Le style de la tête rappelle de façon frappante celle d’une sculpture en pied, sauf qu’ici, Modigliani a affublé le visage d’une petite bouche boudeuse, qui constitue peut-être le trait le moins réussi d’une figure sinon puissante

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et élégante, mais d’une extraordinaire universalité. Modigliani, comme la plupart des artistes d’avant-garde de sa génération, fut profondément influencé par les arts dits « primitifs » d’Afrique et d’Océanie. L’absence d’émotion déclarée et de traits singuliers, l’immobilité du visage presque sans expression, sont directement inspirées de ces traditions où la figure humaine est représentée de façon symbolique plutôt qu’individuelle, comme c’était le cas pour l’essentiel de l’art occidental. Il est intéressant de voir comment Modigliani transposa ces influences dans ses peintures ultérieures.

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48. CARYATIDE 1911-1912 Huile sur toile, 72,5 x 50 cm Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf

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odigliani projetait de créer un temple dédié à la Beauté comportant des centaines de caryatides. Celui-ci ne fut jamais construit, mais simplement le nombre et la variété des dessins qu’il produisit en tant que sculpteur au cours de ces années suggèrent que, loin d’être des esquisses préparatoires pour une sculpture en particulier, la plupart sont des idées pour des sculptures ultérieures qui ne virent jamais le jour. Cet exemple ressemble beaucoup à la

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Caryatide accroupie de 1914. Le visage, comme dans nombre de

croquis, évoque l’Egypte ancienne ou la sculpture mycénienne. Le corps est divisé de façon presque géométrique en ses parties constituantes. Les bras sont allongés et puissants, le torse est long et courbé en un angle que la pierre ne pourrait supporter – la répartition du poids à la base engendrerait la rupture ou la chute de la figure. Il ne s’agit en aucun cas du portrait sensuel d’une femme : c’est une vision de force et de sérénité.

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49. NU DEBOUT 1911-1912 Huile sur carton marouflé sur bois 82,8 x 47,9 cm Musée d’Art de Nagoya City, Nagoya, Japon

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ette esquisse à l’huile fait partie d’une série de dessins préparatoires pour la seule sculpture en pied de Modigliani des années 1912-1913 encore existante. Elle comporte une abondance de détails inhabituelle et nous offre de fascinants éléments de comparaison avec la sculpture elle-même. Tandis que dans le dessin, la position des bras croisés sur le ventre est très carrée comme dans les anciennes sculptures mycéniennes que Modigliani a pu voir, l’artiste

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donne à sa sculpture des bras absolument courbes, et donc bien moins réalistes, mais formant une agréable symétrie avec la rondeur du ventre et des hanches. Les détails des ornements autour de la taille et du cou, la définition des yeux et des cheveux du dessin ont disparu dans la sculpture, le visage allongé et le nez étant en fait bien plus conformes aux tableaux de Modigliani. Il est impossible de savoir si le dessin est la copie d’une œuvre qu’il aurait vue ou d’une de ses sculptures.

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50. CARYATIDE 1912 Huile sur toile, 81 x 46 cm Musée d’Art de Sogetsu, Tokyo

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ette étude fait partie d’une série de dessins réalisés par Modigliani en préparation à la réalisation d’un temple dédié à la Beauté, qui ne fut jamais construit. Cette Car yatide, ainsi que celle de 1913 (n°54), appartiennent à une série de figures en pied, chacune d’elles se distinguant des autres par quelques variations infimes et subtiles. Dans cet exemple, la figure a

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les genoux légèrement ployés, la tête inclinée vers l’avant dans une attitude de soumission respectueuse. Elle porte des bijoux sur le front, le cou et la taille, suggérant peutêtre une influence indienne, ses seins sont stylisés en deux cercles parfaits suspendus bien haut sur sa poitrine et son torse est allongé à l’extrême. Elle ressemble à une élégante danseuse.

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51. FIGURE EN PIED 1912-1913 Pierre calcaire, 163 x 32 x 30 cm Australian National Gallery, Canberra

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ette Figure en pied est l’une des deux sculptures de grande taille qui existent encore, l’autre étant la Car yatide accroupie. Modigliani travailla longtemps sur la sculpture, travail qu’il trouva physiquement épuisant : la poussière faisait souffrir ses faibles poumons et son manque d’expérience de la pierre rendait le travail doublement difficile pour ses forces limitées. Dans l’œuvre finale, la majorité du poids de la statue repose sur ses jambes. Si l’on considère les dessins préparatoires (n°49), nous constatons que les jambes forment un cône renversé vers la

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base ; dans un dessin ultérieur (n°54), le visage et les jambes sont stylistiquement bien plus proches de la sculpture. Nous ne savons pas si la voluminosité est un choix ou le résultat d’une incapacité à faire tenir la sculpture debout d’une autre manière. Les bras s’arrondissent autour du corps pour former un cercle, offrant ainsi un écho harmonieux à la rondeur du ventre (présentée, à l’instar des seins, comme un monticule indépendant) et des hanches. Le visage est taillé dans le même style que les têtes que sculptait Modigliani au même moment.

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52. CARYATIDE 1913-1914 Crayon et tempera sur papier, 90 x 70 cm Collection privée

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l est très difficile d’établir la chronologie des œuvres sculptées de Modigliani, sans parler des dessins qu’il réalisa à la même époque. Ce dessin méticuleux pourrait avoir servi de préparation à la caryatide accroupie. Il révèle un torse exceptionnellement long, dont la partie supérieure est tordue de façon à ce que les bras supportent le toit du temple

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du côté gauche de la tête. C’est une pose qui rappelle l’art indien, où les figures sont souvent allongées et exagérément tordues pour créer une forme belle et élégante. Cependant, celle-ci ne pourrait jamais avoir été sculptée afin de supporter un poids : la mince section centrale du torse aurait simplement cédé sous la moindre charge.

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53. CARYATIDE ROSE 1913-1914 Aquarelle, 54,6 x 43 cm Collection Evelyn Sharp

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a prodigieuse production de dessins de Modigliani pendant la période qu’il consacra à la sculpture rend difficile d’affirmer s’il s’agissait d’esquisses préparatoires. Il existait certainement une incroyable variété de dessins à l’huile ou, comme ici, à l’aquarelle ; certains lui coûtèrent beaucoup d’efforts. Cette caryatide est le reflet exact de la sculpture finale de la caryatide accroupie, dominant la page

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dans un déploiement de formes ovales difficilement réalisables en sculpture. En réalité, nombre de dessins n’ont peut-être jamais servi d’avant-projets aux sculptures car ils présentaient souvent des défis physiques impossibles à relever en trois dimensions. Cette caryatide ploie vers l’avant, comme si elle soutenait le toit d’un temple sur une seule épaule, la tête sortant de l’alignement, les bras supportant le poids d’un seul côté.

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54. CARYATIDE 1913 Huile sur toile, 81 x 46 cm Collection Samir Traboulsi

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ette figure est proche de la Caryatide de Tokyo (n°50), bien qu’elle date de l’année suivante. Une fois encore, Modigliani expérimenta de minutieuses variations de style et de présentation pour les caryatides en pied prévues pour son temple de la Beauté. Il prit particulièrement soin de celles-ci, les peignant à l’huile dans des tons orange. De ses bras tendus de chaque côté de la tête, cette caryatide supporte sans effort le poids au-dessus d’elle et regarde droit devant elle. Le visage a les traits stylisés et

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inexpressifs des portraits et nus plus tardifs de Modigliani, peints cependant de manière plus subtile. Les seins sont placés haut sur la poitrine, et les tétons comme le nombril semblent ornés de joyaux. La taille et les hanches sont ceintes de bijoux, divisant le corps en sections géométriques, et les jambes ne sont pas tout à fait droites : l’une d’entre elles est élégamment posée devant l’autre, soulignant, comme dans l’image précédente, l’aisance, propre aux danseuses, avec laquelle ces figures supportent un poids sur leurs têtes.

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55. NU DEBOUT SUR FOND DE JARDIN 1913 Huile sur bois, 81 x 50 cm Collection privée

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ette étude à l’huile est approximativement de la même époque que la Figure en pied. Ici, Modigliani a intégré un jardin à l’arrière-plan, peut-être le cadre prévu pour la sculpture. Ou bien s’agit-il d’un dessin de la série réalisée pour le projet de temple de la Beauté, qui ne fut jamais construit. La figure évoque la posture d’une déesse antique, les mains reposant d’une manière inhabituelle sur ce qui semble être un revêtement de pierre ou un mur. Les jambes sont remarquablement similaires à celles de la statue

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réalisée : massives, taillées comme des troncs d’arbre. Les pieds disparaissent dans le sol bien qu’aucun piédestal ne soit représenté ici. Curieusement, cette figure ne possède aucun attribut physique : pas de seins, la ligne ordinairement soulignée entre les hanches et le pubis est tout juste visible, les traits du visage se réduisent à un nez allongé (de nouveau très semblable à celui de la sculpture), des yeux à peine ébauchés et des oreilles exagérément longues posées sur une tête très étirée.

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56. CARYATIDE 1914 Gouache sur toile marouflée sur bois 140,7 x 66,7 cm The Museum of Fine Arts, Houston

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intérêt de Modigliani pour la forme humaine n’a jamais faibli et ses études sans fin de caryatides en témoignent. Dans cet exemple, peint à la gouache, il crée une figure dans l’intention affirmée d’en tirer une sculpture, puisque celle-ci repose sur un piédestal, composé de deux cercles situés à chaque extrémité du torse allongé. La tête de la caryatide, derrière laquelle disparaissent ses bras, est enfoncée dans les épaules. Les seins sont parfaitement ronds et les jambes, pliées aux

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genoux, sont raccourcies par deux boules. Il s’agit là d’une pure expérimentation de la forme, dont apparemment très peu d’éléments pourraient être transposés dans la pierre. Néanmoins, si l’on observe la sculpture finale de la caryatide accroupie, on constate avec intérêt que l’essence de la forme a été traduite en trois dimensions, au moins pour les jambes et les bras. Le torse est nécessairement devenu pesant et plus massif, mais les courbes du reste du corps demeurent.

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57. CARYATIDE ACCROUPIE 1914 Pierre calcaire, 92 x 42 x 43 cm The Museum of Modern Art, Simon Guggenheim Foundation, New York

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n 1911-1912, Modigliani commença à travailler à sa Car yatide accroupie. Dans l’architecture grecque classique, une caryatide est une figure féminine qui supporte le toit d’un temple. Modigliani réalisa une série d’esquisses à l’aquarelle en guise de préparation, jouant avec l’idée d’une figure féminine supportant une lourde charge. A de nombreux égards, la sculpture finale diffère énormément de ces esquisses, essentiellement par son naturalisme extraordinaire et sa puissance brute. La finition de la sculpture est plutôt grossière, comme si la puissante forme humaine émergeait du roc à la manière des Escl aves de Michel-Ange. La figure est penchée en avant, volumineuse, le poids entièrement concentré autour de l’axe central. Les seins

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sont d’un réalisme inhabituel chez Modigliani – nous pouvons voir la traction que les muscles exercent entre les bras levés et les seins, accentuant la force pure requise pour supporter la charge au-dessus d’elle. Les bras, énormes, sont liés à la tête pour fournir un appui, et il n’y a pas de visage. Nous sommes face à une Terre Mère brute, rude et puissante, et non devant une jeune fille sensuelle. Il est difficile de dire dans quelle mesure cette rudesse relevait d’une nouvelle orientation artistique choisie par Modigliani, ou si elle n’était que le simple résultat de son inexpérience technique en tant que tailleur de pierre. Hélas, il abandonna la sculpture peu après, la combinaison de la poussière et des efforts mettant sa santé à trop rude épreuve.

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58. PORTRAIT DE MOÏSE KISLING 1915 Huile sur toile, 37 x 29 cm Pinacoteca di Brera, Milan Donation de Emilio et Maria Jesi

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n 1915, Modigliani produisit une série de petits portraits de ses amis et connaissances, qui dégagent tous un fort sentiment de séduction, d’humour, de franchise et d’intimité, traduisant ainsi la relation chaleureuse qu’il entretenait avec ses modèles. Moïse Kisling (1891-1953) arriva de Pologne à Paris en 1910 et devint bientôt un membre essentiel du groupe d’artistes qui incluait Modigliani, Utrillo et Soutine. Comme les autres, il buvait beaucoup et fréquentait les réceptions avec enthousiasme. Mais contrairement aux autres, il obtint assez rapidement un certain succès commercial et après quelques années, il était en mesure

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d’aider ses amis, ce qu’il faisait fréquemment et avec générosité, payant souvent la nourriture de Modigliani et partageant un atelier avec lui. Ce portrait est flatteur : Kisling a l’air de jeunesse d’un écolier, impression accentuée par la limite inférieure du tableau, juste en dessous du col blanc bienséant et de la cravate. Son expression est calme et pensive, ses grands yeux en forme d’amandes lancent au spectateur un regard direct, teinté d’une légère touche d’humour. Kisling était un homme trapu et son visage, carré et plein, remplit quasiment la toile – l’image ne subit pas cet allongement caractéristique des portraits de Modigliani.

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59. MARI ET FEMME (LES JEUNES MARIÉS) 1915 Huile sur toile, 55,2 x 46,3 cm The Museum of Modern Art, New York

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e nombreux critiques ont fait remarquer les similitudes entre ce tableau et celui de Paul Klee, bien que nous ne sachions pas avec certitude si Modigliani connaissait l’œuvre de Klee. La composition est entièrement inspirée du cubisme : les surfaces verticales et horizontales s’emboîtent comme les pièces d’un puzzle et servent – fait rare chez Modigliani – à renforcer la dimension humoristique du portrait. Les verticales qui partent du centre de chaque visage et la manière dont s’organisent les traits du visage autour de ces lignes créent un merveilleux effet comique : le nez est à cheval sur ces verticales, conférant aux personnages un air légèrement ridicule. De même, la façon dont Modigliani coupe l’homme à la base de son chapeau tout

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en soulignant la petite taille de sa femme par l’agencement des surfaces derrière elle, accentue le contraste entre leurs hauteurs respectives. Le fait que chaque figure soit strictement confinée dans sa moitié du tableau, sert également à les séparer. Chez ces deux êtres tout s’oppose – il est grand et âgé, absurde avec son haut de forme, sa queue de pie et sa merveilleuse moustache de guingois, alors qu’elle est petite et jeune, arborant d’énormes anneaux aux oreilles. Peut-être que le terme de « jeunes mariés » est une référence ironique à leur relation, qui pourrait plus simplement être celle d’un couple qui s’est retrouvé pour la nuit. Bien qu’il ait emprunté son style au Cubisme, Modigliani reste fidèle au sujet qui l’intéresse : le corps et le visage humain.

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60. PORTRAIT DE BÉATRICE HASTINGS 1915 Huile sur toile, 55 x 46 cm Art Gallery of Ontario, Toronto

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éatrice Hastings était un écrivain et une éditrice originaire d’Afrique du Sud, qui avait longtemps vécu en Angleterre et s’était installée à Paris au début de la Première Guerre mondiale. Elle publiait un magazine artistique intitulé The New Age et était connue comme une femme d’une intelligence vive, passionnée et profondément excentrique. Elle devint l’amante de Modigliani et sa première relation sérieuse et durable : ils restèrent ensemble pendant deux ans. Il peignit environ quatorze portraits d’elle. D’après les témoignages, leurs rapports étaient extrêmement orageux.

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Ils buvaient et se droguaient ensemble, ils se battaient et se disputaient constamment. Ce qui rend ce portrait d’autant plus surprenant, par son absence d’expressivité absolue qui ne nous dit presque rien sur sa personnalité. On peut observer une grande similitude entre cette représentation de Béatrice et les dessins de caryatides : le cou allongé et la tête ovale, la simplicité des contours, tout évoque un style profondément sculptural. L’arrière-plan n’offre aucun décor, sauf le dos de la chaise sur laquelle elle est assise, mais qui, étrangement, disparaît derrière sa nuque.

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61. PORTRAIT DE LÉOPOLD ZBOROWSKI 1916 Huile sur toile, 65 x 43 cm Collection privée

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borowski était originaire de Cracovie en Pologne et vivait à Paris depuis 1914. Il devint un marchand d’art prospère et en 1916, il succéda à Paul Guillaume comme agent de Modigliani. Sous beaucoup d’aspects, Zborowski était un romantique, beaucoup plus amateur d’art que Guillaume, dominé par un esprit plus mercantile, ce qui lui valut les faveurs de Modigliani. Avec la diffusion active de ses œuvres, Modigliani gagna une certaine stabilité : Zborowski passa un accord avec lui qui exigeait que Modigliani produise un nombre précis de toiles en échange du paiement d’honoraires réguliers. Modigliani peignit au moins

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six portraits de Zborowski ainsi que de son épouse, Hanna, une aristocrate. Dans tous ses portraits, Zborowski apparaît comme un homme sympathique, bon et patient qui aimait s’habiller élégamment. Cet exemple de beauté informelle fait l’effet d’une photographie par la manière directe de la pose : Zborowski regarde le spectateur avec franchise, les bras croisés, un sourire plein d’humour flottant sur ses lèvres, comme si Modigliani lui avait demandé de le peindre séance tenante et qu’il avait accepté car, après tout, c’est lui qui paie ! Son visage est juvénile, ses traits peu marqués : par sa douceur, l’ensemble fait presque l’effet d’une aquarelle.

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62. NU ASSIS 1916 Huile sur toile, 92 x 60 cm The Courtauld Institute of Art Galleries, Londres

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odigliani peignit toute une série de nus entre 1917 et 1919. Ce tableau de 1916 est donc l’un des premiers exemples de cette exploration approfondie du corps féminin. Il recèle déjà les deux éléments qui deviendront caractéristiques de cette série ainsi que certaines différences importantes. Ici, c’est la délicatesse qui caractérise ce portrait de femme : sa peau est peinte dans des tons pâles, suggérant la jeunesse, ses cheveux sont particulièrement détaillés, des traits épais délimitant les mèches et son visage possède un degré de naturalisme nettement différent des masques au regard

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vide de ses œuvres plus tardives. Ses yeux sont clos et son menton est appuyé sur son épaule dans une attitude d’extrême modestie, créant une puissante tension avec le caractère sexuel de la pose : elle est adossée un peu maladroitement contre un siège ou un lit, position qui fait saillir ses hanches. Ses jambes sont coupées à la hauteur des cuisses – une formule souvent reprise par Modigliani – déplaçant ainsi toute l’attention sur son torse, ses seins et son pubis. C’est une image pleine de finesse, profondément sensuelle sans être provocante comme le seront certains de ses nus ultérieurs.

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63. PORTRAIT DE CHAÏM SOUTINE 1916 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée

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haïm Soutine (1893-1943) était un paysan juif originaire de Minsk. Il avait vécu dans un dénuement tel, qu’en arrivant à Paris, il ne savait même pas se servir d’une fourchette et d’un couteau. Modigliani – un homme bien éduqué et cultivé – prit Soutine sous son aile et fit de grands efforts pour l’aider. Il lui apprit à manger correctement, à se moucher dans un mouchoir plutôt que dans ses doigts et devint son ami. Le style de Soutine était radicalement opposé à celui de Modigliani : son travail était sauvage, expressionniste et souvent macabre. Pourtant ils avaient en commun un talent

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unique et personnel qui allait à l’encontre des tendances de leur époque. Soutine adorait Modigliani, dit-on, et en retour, ce dernier lui accordait une certaine dignité et un respect qui transparaissent fortement dans ce portrait. Vêtu d’un manteau marron sans forme, Soutine est assis dans une pose un peu gauche, les mains à plat sur ses genoux. Ses traits n’ont pas été embellis, Modigliani n’hésite pas à dépeindre son nez large et aplati, et ses lèvres pleines. Cependant, la franchise qui émane du portrait et du regard attendrissant de Soutine, détourné du spectateur, lui donne de la dignité.

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64. NU ASSIS AU COLLIER 1917 Huile sur toile, 92 x 60 cm Collection privée

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odigliani produisit la majorité de ses nus en 1917 et 1918. Bien que les tableaux aient suscité de nombreuses discussions et controverses (causant un scandale lorsqu’ils furent exposés pour la première fois à Paris, car ils montraient les poils pubiens), en réalité, ils ne sont qu’une dizaine sur la totalité de sa production picturale. Ils varient cependant considérablement dans leur style et leur réception. Ce qu’ils ont en commun, néanmoins, c’est le fait que – contrairement aux portraits de ses amis et connaissances – aucune des femmes dépeintes n’est présentée comme un individu. Modigliani s’intéressait aux qualités universelles du corps féminin et aux nombreuses possibilités que celui-ci

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présente dans la peinture, et non pas à une lecture psychologique du caractère de son modèle. Ceci est un exemple remarquable de délicatesse et de sérénité. Les cheveux noirs de la femme disparaissent quasiment dans l’arrière-plan obscur. Ses yeux sont clos, ses traits simplement dessinés. Elle est assise, mais semble à l’aise plutôt que figée dans une pose formelle. D’une main, elle effleure son collier, l’autre est placée entre ses cuisses. Son corps n’est pas allongé mais plutôt solide et lourd, se détachant nettement sur le fond sombre. Il semble émaner d’elle une grande sérénité, ainsi qu’une tension sexuelle subtile et délicate, créée par la position de ses mains et par son expression distante et rêveuse.

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65. NU COUCHÉ AUX BRAS OUVERTS (NU ROUGE) 1917 Huile sur toile, 60 x 92 cm Collection Gianni Mattioli

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appelant La Maja nue de Goya (1800), ce tableau comporte plusieurs signes distinctifs des nus de Modigliani des années 1917-1919. C’est une image à caractère ouvertement sexuel : le modèle est couché sur le dos, appuyé sur un coussin, un sein de profil, les bras tendus derrière la tête ; Le torse est allongé, le bassin tourné vers le spectateur. Les jambes sont coupées à la hauteur des cuisses de façon à mettre l’accent sur les éléments sexuels du corps de la femme. Les cheveux

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et les lèvres sont dépeints en détail et les yeux, bien que noirs et inexpressifs, sont maquillés, conférant une allure moderne au visage de la femme. Ses yeux vides la dépersonnalisent fortement, de sorte que, même si elle nous observe d’un air de provocation sexuelle, on ne trouve aucune expression de sa personnalité dans son regard. Ici, les affinités de l’œuvre avec la sculpture sont claires : Modigliani nous invite à examiner les aspects physiques et massifs du corps par la peinture.

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66. NU AU COLLIER 1917 Huile sur toile, 73 x 116 cm The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York

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ans ce tableau, le pinceau glisse d’une façon particulièrement régulière le long du corps peint dans des tons orangés chauds, le ventre et les seins étant rehaussés de notes plus pâles. La pose allongée, bien que typique de Modigliani, diffère dans la manière dont l’artiste a dépeint la partie supérieure du torse. D’habitude, il montre un sein de profil, l’autre pointant directement vers nous et il oriente le bassin de manière à attirer l’attention du spectateur

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sur la zone pubienne. Dans ce cas, c’est le corps entier qui est tourné vers nous, une pose improbable qui dément les yeux fermés et la mine détendue de la femme. Le modèle a les bras derrière la tête et les yeux clos comme si elle dormait ou du moins se détendait, alors que son corps est tourné de façon précaire sur un flanc, ses jambes disgracieusement coupées par le bas du cadre. Ses traits sont simplement dessinés et son visage a un aspect oriental qui rappelle Gauguin.

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67. NU COUCHÉ 1917 Huile sur toile, 60 x 92 cm Staatsgalerie, Stuttgart

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’influence du Titien et de Goya est ici importante. Le corps de la femme occupe toute la diagonale du tableau, le coupant en deux. Un bras est placé derrière la tête du modèle afin de mieux en exposer les seins, révélant même quelques poils sous les aisselles, tandis que l’autre bras a disparu mystérieusement. Notre attention est tellement focalisée sur le torse et les hanches de la femme, que l’on remarque à peine l’étrange absence du bras gauche, vraisemblablement caché par son torse. Les seins sont présentés comme à l’accoutumé chez Modigliani, l’un de profil, l’autre dardant vers nous. Le torse est allongé et forme un pli à la taille pour souligner la courbe généreuse des

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hanches orientées vers le spectateur, et ses poils pubiens. Les jambes sont coupées juste au-dessus du genou. Il n’y a pratiquement aucun décor ici, seulement un fond noir, une couverture rouge et un coussin blanc. Ainsi rien ne peut nous distraire des chaleureuses nuances d’orange du corps ni de la tension interne de la toile qui attire notre œil vers le pubis. Ses yeux ne sont ni vides ni sombres, ils n’expriment pourtant rien de personnel. Au lieu de cela, ils sont grands et lourds, caractéristiques propres aux figures de la Grèce antique ou de l’Inde – leur expression est universelle plutôt que singulière et leur regard, indolent et rêveur, franchement sexuel.

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68. NU 1917 Huile sur toile, 72 x 117 cm Collection privée

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e nu de Modigliani est l’un de ceux dont le caractère est le plus franchement sexuel. C’est aussi l’un des plus stylisés et géométriques, par la division du corps en une série de formes courbes, lourdement soulignées, qui le font ressembler à un découpage. Le corps de la femme s’étale à travers la toile, bras et jambes déployés. Le torse est allongé et, au lieu d’orienter le bassin vers le spectateur comme il le fait souvent, Modigliani choisit ici de le montrer de

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profil, accentuant le dos arqué et offrant même une vue de profil des poils pubiens dessinant une simple fente, d’une nature sexuelle provocante. Malgré les touches de réalisme des poils du pubis et des aisselles, le visage est stylisé à l’extrême, nous présentant un masque inexpressif et dépersonnalisant la femme au point de la rendre presque inhumaine. Elle s’offre au spectateur sans aucune émotion, sans personnalité, renforçant ainsi la nature sexuelle de l’image.

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69. NU COUCHÉ 1917 Mine de plomb sur papier, 26 x 41 cm Collection privée

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e simple croquis évoque Matisse et sa dévotion à la ligne. Par quelques traits de crayon, Modigliani crée une silhouette humaine allongée, entièrement constituée de courbes reliées rythmiquement. Il suggère l’idée d’un lit par une ombre et place la femme en diagonale sur le papier, pour contre balancer les lignes droites du lit qui, elles-

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mêmes, suivent la diagonale opposée de la feuille. Cette image n’a aucun caractère érotique, mais est plutôt innocente, charmante et profondément paisible. Les jambes qui disparaissent ne forment pas deux membres distincts et ressemblent à la queue d’un poisson : c’est comme si l’on avait surpris une sirène dans son sommeil.

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70. NU ASSIS 1917 Huile sur toile, 73 x 116 cm Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers

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e décor de ce tableau – inhabituel chez Modigliani qui avait coutume de dépeindre ses nus pratiquement hors de tout contexte – ressemble vaguement à un bain turc : on aperçoit un bassin plein d’une eau bleue entouré d’un sol recouvert de mosaïque et, sur les jambes du modèle, un drap ou une chemise blanche drapé pudiquement comme une serviette. La pose aussi est inhabituelle pour Modigliani. Elle offre moins de possibilités d’étudier les formes féminines qu’une posture allongée et ici, au lieu de se focaliser sur

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l’allongement, il a créé une figure petite et volumineuse. Les jambes sont maladroitement dessinées, particulièrement le mollet gauche dont les contours épais suggèrent des modifications, et qui disparaît avant le pied, comme si Modigliani n’avait pas pu prolonger son dessin. L’étoffe blanche et l’expression du modèle – les yeux fixés sur une chose située à l’extérieur de la toile et qui n’est pas le spectateur, les lèvres dépourvues de sourire – rendent cette image bien moins érotique que la majorité de ses nus.

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71. NU SUR COUSSIN BLEU 1917 Huile sur toile, 65,4 x 100,9 cm National Gallery of Art, Washington D.C

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’est un nu relativement personnel : le visage de la femme est dépeint en détail, notamment ses yeux qui affichent une expression de détente et de bonne humeur. A part le visage, le haut de son corps est, lui aussi, bien observé : elle repose en appui sur un coude, laissant pendre lourdement l’un de ses seins vers le coussin bleu et son torse s’incurve de façon assez réaliste. Cependant, non

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seulement les jambes sont coupées aux genoux, plus bas que l’habituel milieu des cuisses, ce qui est moins seyant, mais elles se balancent aussi d’une manière peu convaincante dans le coin inférieur du tableau : elles semblent suspendues. La franchise avec laquelle Modigliani peignait ses nus lui valut de nombreux scandales, principalement à cause de la représentation des poils pubiens, comme c’est le cas ici.

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72. JEANNE HÉBUTERNE AU GRAND CHAPEAU 1917 Huile sur toile, 55 x 38 cm Collection privée

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odigliani peignit de nombreux portraits de sa compagne Jeanne. Cet exemple date de l’année où ils se rencontrèrent et c’est peut-être pour cette raison qu’il dévoile très peu de choses sur sa personnalité ou sa relation avec l’artiste. C’est une peinture élégante, mais les yeux bleus vides du modèle et l’utilisation du noir pour ses cheveux (qui en réalité étaient roux) sont là pour nous rappeler que ce n’est pas un portrait en tant que tel, mais un exercice sur la forme : la palette de deux nuances, rose orangé

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et noir (rappelant Matisse), divise l’espace en deux grands blocs de couleur, tandis que le cou étiré, le long visage ovale, les épaules exagérément tombantes et la main incurvée du modèle, donnent son rythme et sa forme à une image avant tout dominée par le chapeau. Modigliani a pris soin de décaler légèrement le modèle par rapport au centre. De cette manière, le bord ovale du chapeau, qui tiendrait dans le cadre s’il était centré, s’étend au-delà du tableau, soulignant sa taille importante qui couvre complètement le visage.

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73. NU COUCHÉ AUX CHEVEUX DÉNOUÉS 1917 Huile sur toile, 60 x 92,2 cm Osaka City Museum of Modern Art, Osaka

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n a beaucoup débattu pour savoir si Modigliani couchait ou non avec ses modèles. Certains ont avancé que ses nus possèdent une telle charge érotique qu’il devait inévitablement s’être établi une forme de relation sexuelle. On n’en a pourtant pas la preuve. Les nus de Modigliani sont profondément influencés par les maîtres anciens comme Titien, Giorgione et Goya, et ils incarnent avant tout une vision idéalisée de la féminité sexualisée. La plupart des nus de cette époque sont représentés dans un certain contexte, entourés d’objets, de meubles, d’un lit. Modigliani n’utilisait pas de décor, se concentrant presque

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exclusivement sur le corps. Il ne peignit jamais de nus de ses amis ou de ses compagnes durables : il essayait de créer une image universelle, et non pas personnelle, de la femme. Dans cet exemple, le corps de la femme domine tellement l’œuvre que celle-ci ne le contient pas complètement : la tête est écourtée sur le haut, le genou gauche est coupé au bord et la jambe droite disparaît dans le coin de la toile. Le dos de la femme est légèrement arqué, sa main est placée entre ses jambes dans un geste clairement sexuel. Elle regarde le spectateur, la tête surélevée par un coussin, le regard calme et rieur.

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74. NU AU COLLIER 1917 Huile sur toile, 64,4 x 99,4 cm Allen Memorial Museum, Oberlin, Ohio

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e n’est pas le nu le plus réussi de Modigliani. Comme d’autres nus peints à la même époque, le corps de la femme repose dans la diagonale de la toile, ses jambes coupées au-dessus des genoux, sa tête écourtée sur le haut. Alors que la plupart des peintures de ce genre possède un arrière-plan de couleur foncée – souvent un mélange de noir, orange ou rouge – ici, le drap blanc sur lequel est allongé le modèle occupe la moitié de la peinture.

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Le résultat est une nuance d’ensemble plus froide, et donc moins tentante. Au lieu de s’abandonner à la chaleur du lit, la femme semble avoir froid et être peu à son aise. L’effet est renforcé par le visage dont les traits sont légèrement arrogants et par la présence du collier, un reliquat de vêtement incongru qui sert à souligner sa nudité. Les tétons sont deux taches de couleur, agrandissement des perles du collier.

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75. JEUNE FILLE À LA FRANGE (FEMME ASSISE À LA ROBE BLEUE) 1917-1919 Huile sur toile, 92 x 60 cm Moderna Museet, Stockholm

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ette jeune inconnue arbore une coupe particulièrement moderne, soulignée par Modigliani, qui donne à ses cheveux une couleur sombre sans relief, assortie à ses vêtements noirs à la mode. Ce portrait ressemble, en effet, beaucoup à une gravure de mode de l’époque par la simplicité de la coupe stylisée des vêtements et par la délicatesse des traits du visage et des contours. La femme est assise sur une chaise noire, sa présence domine le

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cadre – sa tête effleurant à peine le haut de la toile. Sa peau est pâle, ses yeux vides et sans expression. Ce tableau n’a pas un caractère très personnel : rien à l’arrière-plan ne donne la moindre indication sur le contexte ou sur le genre de personne qu’elle pourrait être. La datation incertaine rend difficile d’affirmer si cette toile fait partie de la série peinte par Modigliani lors de son séjour dans le sud de la France, ou si elle fut réalisée à Paris.

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76. JEUNE FEMME ROUSSE EN CHEMISE 1918 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée

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ette peinture fait partie d’une série que Modigliani réalisa dans le sud de la France vers la fin de sa vie. Le modèle ici est très probablement une jeune fille de la région plutôt qu’une professionnelle : pendant son séjour dans le Sud, il ne disposait que de très peu de modèles et ils étaient chers. C’est pourquoi Modigliani utilisait des personnes des environs. Ceci pourrait expliquer l’extrême gaucherie de la pose : la pièce est claire, la fille est assise de façon inconfortable au bord du lit, tenant une chemise contre

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elle dans un geste de pudeur, une main tenant un de ses seins (une référence à la Naissance de Vénus de Botticelli). Elle regarde l’artiste, la tête penchée sur le côté, des mèches de cheveux pendant de façon dérisoire le long de son visage, les yeux bleus et inexpressifs, la bouche ouverte révélant ses dents. Elle est bien en chair, a la peau claire et les joues roses. L’impression générale qui s’en dégage est celle d’une fille de village simple et maladroite, mal à l’aise face au désir de nudité de l’artiste qui l’a dépeinte avec une légère cruauté.

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77. NU COUCHÉ

1918 Huile sur toile, 73 x 116 cm Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome

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e nu couché propose une nouvelle variation sur le thème de La Maja nue de Goya (1800). Ici, la masse du corps est entourée de surfaces de couleurs orange, rose et noir tamponnées au pinceau. L’effet recherché est d’attirer l’attention sur le corps en tant que masse de couleur et non en tant que corps : ce sont les contours que nous remarquons en premier lieu, et bien que Modigliani utilise beaucoup de techniques communes à plusieurs de ses nus – le bras derrière la tête, le bassin tourné vers le spectateur – il s’agit là d’une de ses œuvres au caractère le moins sexuel.

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Exceptionnellement, les jambes du modèle sont visibles presque jusqu’aux pieds, mais pas tout à fait, puisqu’elles s’achèvent en une sorte de cône peu convaincant au bord du cadre. Modigliani évite manifestement de représenter les mains et les pieds, essentiellement dans un effort de concentration sur le corps, mais aussi parce que cela n’était pas son point fort. Le visage est extrêmement stylisé, quasiment comme un masque, et n’est pas très bien rattaché au corps. Les cheveux se fondent dans le coussin sous la tête du modèle, rendant leur différenciation impossible.

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78. NU ASSIS 1918 Crayon, 42,5 x 25 cm The Art Institute, Chicago. Don de Claire Swift Markwitz en mémoire de Tiffany Blake

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a jeune femme de ce dessin ressemble à Elvire (n°83). Quelque chose dans l’expression du visage et la forme du corps suggère que cela pourrait être la même personne. Dans cette esquisse brute, dessinée de la main sûre de Modigliani, la fille est affaissée sur une surface courbe qui ressemble à une grosse pierre. Comme dans nombre de ses dessins, Modigliani trace une ligne pour suggérer l’angle d’une chambre. Nous sommes bien

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loin des poses détendues et sensuelles de ses nus peints : le corps du modèle trahit la lassitude et l’ennui. Elle s’affaisse sur son siège, le dos voûté, les épaules tombantes, le ventre relâché. La moitié de son visage a été représentée de façon naturaliste dans certains détails. Un œil, pourtant, est décalé et n’est pas correctement rempli, gâtant le joli visage de la jeune fille. Modigliani ne retravaillait pas ses croquis…

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79. PORTRAIT DE JEANNE HÉBUTERNE – TÊTE DE PROFIL (JEUNE FILLE ROUSSE) 1918 Huile sur toile, 46 x 29 cm Collection privée

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odigliani rencontra Jeanne Hébuterne en 1917 à l’Académie Colarossi, où ils suivaient tous deux des cours de dessin d’après modèle. Jeanne avait dix-neuf ans, Modigliani trente-trois. C’était une étudiante talentueuse, qui abandonna tout pour se vouer à Modigliani et demeura à ses côtés jusqu’à sa mort prématurée en 1920 : elle se suicida, enceinte de huit mois de leur second enfant. Les précédentes compagnes de Modigliani étaient des femmes fortes, passionnées, sûres d’elles et provocantes. Au contraire, Jeanne était dévouée, confiante et passive. C’est un

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portrait plutôt naturaliste, aux couleurs sourdes ; les courbes douces de l’arrière-plan accentuent la douceur des traits du modèle, de ses cheveux et de ses vêtements. Il n’y a pas une seule ligne droite dans tout le tableau. Les yeux de Jeanne étaient bleus, et même si Modigliani décida de les peindre en marron ici, il les rend bien plus expressifs que les regards vides de nombre de ses toiles. Bien qu’il ait allongé son cou et son visage, la plupart des éléments – les cheveux, le nez, les yeux et la bouche – diffèrent exceptionnellement peu de la réalité.

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80. NU FÉMININ DEBOUT 1918-1919 Crayon, 39,5 x 25,5 cm Collection privée

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e simple dessin au trait est réalisé d’une main sûre, comme tant de croquis de Modigliani : pas de trace de gommage, aucun signe d’indécision. C’est une ébauche exécutée avec agilité et maestria. Ici, l’artiste dessine une figure en pied, debout sur une jambe, tandis que l’autre genou repose sur un appui. C’est une position incommode, sans érotisme. Le ventre gonflé est généreusement souligné,

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comme ses solides jambes, bien que comme d’habitude, elles disparaissent au bord de la feuille, tandis que les mains, de façon tout aussi caractéristique, sont à peine esquissées. Le profil et les cheveux sont dessinés avec un naturalisme remarquable et ne montrent aucun allongement, même pas du nez, synonyme pour lui de l’élégance dont il cherche à imprégner ses tableaux.

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81. PORTRAIT DE JEANNE HÉBUTERNE 1918 Huile sur toile, 100 x 65 cm Norton Simon Art Foundation, Pasadena, Californie

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l existe de nombreux portraits différents de Jeanne et ils varient beaucoup en termes de style et d’ambiance. D’habitude, cependant, elle est dépeinte avec un cou et des bras extrêmement longs. Ici, nous la voyons pendant sa grossesse, assise sur une chaise dans une pose languide. Les courbes gracieuses et élégantes de ses bras et de son cou sont presque baroques dans leur style et la palette de couleurs chaudes suggère qu’elle pourrait avoir été peinte dans le sud de

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la France. Néanmoins, ce portrait nous dévoile peu du caractère de Jeanne. Ses yeux bleus sont vides et sa pose est d’une élégance plutôt passive : elle est le sujet d’un tableau plutôt qu’une personne à part entière. Si nous comparons celle-ci à au Nu assis (n°69), nous constatons à quel point la différence est grande lorsque Modigliani donne une expression aux yeux : tandis que nous nous trouvons ici face à une femme, dans le Nu, nous voyons un individu.

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82. FILLETTE EN BLEU 1918 Huile sur toile, 116 x 73 cm Collection privée

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e tableau, provenant d’une série que Modigliani peignit dans le sud de la France pendant les dernières années de sa vie, montre une petite fille debout dans le coin d’une chambre. Les nuances lumineuses du bleu pastel et la présence de l’ombre de la fillette sur le sol suggèrent une journée chaude et ensoleillée. Il est très rare que Modigliani montre le sol dans ses tableaux et ici, il le peint pour nous montrer clairement que la petite fille se tient dans l’angle de la pièce. Le sol est incliné vers le haut, ses pieds pointent vers le bas – on dirait qu’elle flotte. Elle a les mains étroitement serrées, sa robe bleue formant un adorable écho avec les murs bleus, ses yeux également azur regardant le

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peintre avec une franchise extraordinaire. En effet, selon une anecdote, celui-ci avait envoyé l’enfant chercher du vin mais elle lui avait rapporté de la limonade. Ceci explique peut-être sa position dans le coin de la chambre – envoyée là-bas par le peintre irrité – mais son regard sérieux ne suggère ni contrition ni peur, elle a plutôt l’air de désapprouver la dépendance de l’artiste à l’alcool et elle n’est absolument pas désolée d’avoir acheté le mauvais breuvage. Puisque rien ne vient étayer cette théorie, ni dans un sens, ni dans l’autre, nous devons nous contenter de deviner. Cependant, cela demeure un portrait absolument exquis, bienveillant sans être sentimental.

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83. ELVIRE 1918 Huile sur toile, 92 x 60 cm Kunstmuseum, Berne

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e nombreux éléments de ce tableau suggèrent qu’il fut peint pendant le séjour de Modigliani dans le sud de la France entre 1918 et 1919 plutôt qu’à Paris, où il réalisa la grande majorité de ses nus. La luminosité du fond bleu, évocatrice d’un chaud soleil, est assez atypique des nus de Modigliani. Il avait plutôt l’habitude de les nimber de couleurs foncées et chaudes comme le rouge, le noir et l’orange. La position debout est extrêmement inhabituelle. Le modèle est présenté face au spectateur, ses mains tenant contre lui une étoffe blanche censée préserver sa pudeur, sa pose est raide et quelque peu formelle. Son corps est soigneusement souligné et il n’est ni allongé, ni tordu d’aucune manière. Ses

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cheveux révèlent quelques détails, les tons de sa peau sont relativement pâles, suggérant sa jeunesse. Son expression est sérieuse et bien que ses yeux soient vides, la gravité et la franchise de son regard lui donnent un caractère un peu plus personnel, un trait plus courant dans les portraits de Modigliani que dans ses nus. Elle se tient d’une façon un peu gauche, pas de façon provocante. Si ce tableau a été peint dans le sud de la France, cette jeune fille est certainement originaire de cette région, et non pas l’un des modèles avec lesquels Modigliani avait coutume de travailler à Paris. Ceci expliquerait certainement son humilité et le formalisme relatif de sa posture.

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84. PORTRAIT DE JEANNE HÉBUTERNE 1918 Huile sur toile, 100 x 65 cm Collection privée, Zurich

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e portrait fut peint lorsque Jeanne était déjà à un point avancé de sa grossesse. Modigliani n’essaie absolument pas de masquer son état, choisissant plutôt de le souligner en ceignant sa taille d’une bande de tissu rayé, afin d’attirer notre attention sur son ventre rond. Il y a une merveilleuse harmonie de couleurs dans ce portrait : la masse sombre de sa robe et de ses cheveux est équilibrée par les rayures autour de sa taille et de ses bras, trouvant eux-mêmes un écho dans le mur de gauche et la chaise sur laquelle elle est assise. Le rectangle d’une chaude couleur orange sur le côté droit du

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tableau contient des éléments du bleu tandis que le bleu de la chaise contient des éléments du mur orange. Et puis, il y a les yeux de Jeanne, qui lancent un regard d’un bleu éclatant au spectateur. Bien que son cou soit allongé à l’extrême, on aperçoit un soupçon de double menton qui suggère la lourdeur des derniers mois de grossesse et, dans un geste étrange, Modigliani semble l’avoir fait pointer du doigt sur son ventre, comme pour indiquer son état. Sa posture, le bras droit incurvé et la tête penchée, et sa présence massive et presque royale dans le cadre, la font ressembler à une Madone, symbole de fertilité.

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85. PAYSAGE DANS LE MIDI 1919 Huile sur toile, 60 x 45 cm Collection privée

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n 1919, Modigliani laissa Jeanne et leur bébé à Nice et se rendit à Cagnes où il partagea un atelier avec Chaïm Soutine et peignit ce paysage exceptionnel. Par le choix de son sujet et son mode d’exécution, l’hommage à Cézanne est évident. Il est pourtant intéressant de constater, et peut-être fallait-il s’y attendre chez un artiste préoccupé en premier lieu de la forme humaine, qu’il a choisi le format vertical du portrait même pour ses paysages plutôt que la forme horizontale plus typique. Il ne s’agit pas d’une scène idyllique : le ciel est rempli de nuages gris dont

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les formes rondes trouvent un écho dans les groupes d’arbres élancés et grêles qui masquent le village à l’arrière-plan. Le paysage entre les arbres et le village, également grisâtre, est arboré, créant un sentiment de distance et de désordre à la fois. Et, tranchant à travers le premier plan du tableau, une bande rouge foncé représente soit une route, soit le bord du pont sur lequel se tient l’artiste. En termes de couleurs, celleci fait écho aux toits du village, mais elle intensifie également la densité du tableau et ainsi le sentiment de claustrophobie qui s’en dégage.

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86 ARBRE ET MAISON 1919 Huile sur toile, 57 x 45 cm Collection privée

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ette toile douce et sereine fut réalisée à la même époque que Paysage d ans le midi, mais elle ne pourrait en être plus différente, sauf à un égard : toutes les deux représentent des maisons cachées par des arbres. Dans le cas présent, c’est justement ce qui nous intéresse : regardons-nous la maison ou l’arbre nu qui se trouve devant celle-ci ? Notre œil est attiré par les deux avec la même intensité. L’influence de Cézanne est bien moins

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prononcée ici. Les lignes tracées par Modigliani sont merveilleusement douces, les délicates teintes de bleu, gris, vert et ocre se fondent les unes dans les autres. Le ciel est bleu, le chemin qui longe la maison semble mener vers une mer également bleue. Tout est calme. Un sentiment de profonde satisfaction se dégage de ce tableau qui nous fait regretter que Modigliani n’ait pas consacré plus de temps aux paysages.

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87. NU 1919 Huile sur toile, 73 x 116 cm Collection privée

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e tableau comporte quelques similitudes avec la Vénus endormie de Giorgione (vers 1508). Comme Vénus, elle est endormie, la tête reposant sur un bras. Son autre bras, comme dans d’autres nus de Modigliani, est invisible. Son corps, exceptionnellement représenté dans sa totalité, s’étire en travers de la toile dans une pose langoureuse, sa partie inférieure formant une courbe unique, du haut du coude jusqu’au genou. Comme d’habitude, son

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bassin est tourné vers nous et son torse est allongé. Sa taille est fine, soulignant les courbes de ses hanches et de ses seins, effet accentué par le lit noir sur lequel elle repose, et dont le bord, nettement dessiné, crée une ligne d’horizon. La femme semble extrêmement paisible, la tête posée sur un grand oreiller très confortable. Cette attitude, combinée aux teintes délicates de sa carnation, en fait une œuvre plus élégante qu’érotique.

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88. NU ALLONGÉ (LE GRAND NU) 1919 Huile sur toile, 72,4 x 116,5 cm The Museum of Modern Art, New York, Mr. and Mrs Simon Guggenheim Foundation, 1950

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ette œuvre incarne la quintessence des nus de Modigliani. Le corps coupe la toile horizontalement, occupant la partie supérieure du cadre. Le torse est allongé dans une proportion inhabituelle, encore accentuée par le noir profond du dessous, donnant l’impression que le modèle est suspendu au-dessus d’un abîme. Ceci crée une tension fascinante entre le visage complètement détendu du modèle – ses yeux clos, ses bras étendus et relâchés – et l’effort apparent requis pour maintenir le milieu de son corps au-dessus du vide. Ceci est une peinture décorative bien

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plus qu’érotique, malgré les techniques habituelles employées par Modigliani pour attirer l’attention du spectateur sur la zone pubienne de la femme, en orientant son bassin vers nous (ici dans un angle à 90 degrés) et en coupant ses jambes audessus du genou. Sa peau est pâle et délicate, bien différente des teintes chaudes d’orange et de rose coutumières de l’artiste. Son visage et ses cheveux sont peints en détail, de façon quasi naturaliste ; les yeux sont fermés, elle est perdue dans un rêve. Tous ces éléments s’associent pour créer une peinture belle, délicate et mystérieuse plutôt que franchement érotique.

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89. MATERNITÉ 1919 Huile sur toile, 130 x 81 cm Musée national d’Art moderne, Centre Georges Pompidou, en dépôt au musée d’Art moderne de Lille Métropole, Villeneuve-d’Ascq

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oici une œuvre appartenant à une série que Modigliani peignit dans le sud de la France lorsqu’il utilisait comme modèles des autochtones. Divisé en surfaces de couleur verticales, le fond rappelle les premières œuvres de Modigliani, influencées par le cubisme. En revanche, la stature sculpturale de la mère et de l’enfant est bien plus proche des représentations médiévales ou du début de la Renaissance de Vierges à l’Enfant. C’est un portrait générique et symbolique qui possède aussi un contexte social : nous pouvons voir qu’il s’agit d’une paysanne. Elle porte un simple châle gris, son visage est rouge, dur, dépourvu d’expression, ses mains sont rougies

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par le labeur. L’enfant repose sur ses genoux, raide comme une poupée, et arbore le fichu et les bottes d’une petite paysanne. Comme les premières madones, la masse de la femme est plate, triangulaire, elle est assise, dépeinte sans perspective, l’enfant flottant sur son giron. Ces portraits rustiques expriment une solennité innocente, une dignité que Modigliani donne à ses sujets et un formalisme évoquant les premiers portraits photographiques. Ce tableau en particulier suggère également le réalisme socialiste des années 1930 de la Russie soviétique, avec ses représentations stylisées et héroïques de paysannes entourées de leurs enfants.

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90. JEUNE HOMME (L’ÉTUDIANT) 1919 Huile sur toile, 60,9 x 46 cm The Solomon R. Guggenheim Museum, New York

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eint l’année précédent la mort de Modigliani, ce portrait appartient probablement à la série des peintures d’autochtones que Modigliani exécuta pendant son séjour dans le sud de la France. L’élément le plus remarquable du tableau est bien sûr le cou excessivement allongé, élément souligné par les cheveux courts du jeune homme. Du point de vue des couleurs, le tableau est quasiment monochrome : la porte ou le cadre de la fenêtre de couleur noire renvoient à la veste noire du garçon, tandis que

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le fond bleu trouve un écho dans le col de sa chemise et dans son regard bleu éclatant mais vide. Le visage du jeune homme est délicat, presque féminin : ses joues sont légèrement rosies, ses lèvres sont d’un vrai rouge et ses sourcils forment une fine ligne courbe. Ce jeune homme exhale une indolence qui contraste fortement avec la solidité et la force des paysans que Modigliani peignit à la même époque. Sans doute, son statut d’étudiant explique-t-il cela, ainsi que son air légèrement hautain.

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91. AUTOPORTRAIT 1919 Huile sur toile, 100 x 65 cm Museu de Arte Contemporanea da Universidade de São Paulo

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odigliani peignit ce rare autoportrait au cours de la dernière année de sa vie, alors qu’il était malade, appauvri et désespéré en dépit du fait que ses toiles commençaient à atteindre des prix corrects. Il se dépeint comme l’archétype de l’artiste : muni de son pinceau et de sa palette devant son chevalet, la tête inclinée en arrière dans une pose théâtrale. Mais il n’y a pas de toile sur le chevalet, les airs de jeunesse qu’il prétendait nous offrir ont

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disparu, ses yeux sont vides. C’est une peinture peu convaincante, voire terrifiante à bien des égards, n’exprimant rien sur l’artiste ou son art. L’épais foulard qu’il porte autour du cou est peut-être l’unique élément de sincérité ici : il suggère à la fois le froid de l’hiver qui accentuait la maladie de Modigliani ainsi que la pauvreté de l’artiste, incapable de chauffer suffisamment son atelier pour combattre le froid. Le reste n’est que le panache d’un homme sur le déclin.

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Modigliani 1884-1920 : Biographie 1884 Naissance d’Amedeo Clemente Modigliani le 12 juillet à Livourne. Cadet d’une famille de quatre enfants, il est élevé selon une éducation juive. Dès ses plus jeunes années, il souffre de problèmes de santé et il effectue de nombreuses convalescences. Ses voyages de convalescence lui permettent de connaître le sud de l’Italie, les musées et cathédrales de Rome ainsi que Naples, où il découvre l’art de la Renaissance italienne. 1898 Modigliani entre dans l’atelier de l’artiste Guglielmo Micheli à Livourne. Son maître l’initie à l’impressionnisme. 1902 A la Scuola Libera di Nudo dell’Accademia de Belle Arti à Florence, il approfondit sa connaissance de l’impressionnisme toscan, réuni autour de Giovanni Fattori. Il voyage à travers la Toscane, et s’intéresse à la sculpture. 1903 En mars, Modigliani fréquente la Scuola Libera del Nudo à Venise. A la Biennale, il découvre l’art européen, particulièrement Cézanne et Van Gogh. La peinture française (notamment les œuvres de Toulouse-Lautrec) l’inspirent, et il décide de se rendre au centre de l’avant-garde de l’art, à Paris. 1906 Modigliani s’installe à Paris (il loue un atelier à Montmartre), et prend des leçons de dessins à l’Académie Colarossi. Il fait plus de 1000 esquisses durant ses cours. Son mode de vie est celui d’un débauché, il mêle drogue et alcool, qui le rendent très impopulaire dans le quartier. Son cercle de connaissances s’élargit à des artistes célèbres et des figures littéraires, tels Pablo Picasso, Guillaume Apollinaire, André Derain, et Diego Rivera. En outre, il est très proche des intellectuels juifs, et des artistes comme Max Jacob, Chaïm Soutine et Moïse Kisling. 1907 Modigliani fait la connaissance du docteur Paul Alexandre, qui est le premier à lui acheter des œuvres et donne l’occasion d’exposer au Salon d’Automne. Le peintre a déjà une prédilection pour les portraits et les nus. Il devient membre de la Société des Indépendants. 1908 Modigliani expose six de ses œuvres au Salon des Indépendants. 1909 Modigliani déménage dans le quartier Montparnasse, le centre de l’art à Paris, et fait la connaissance de Constantin Brancusi, qui l’initie à la sculpture. La sculpture devient pour Modigliani une nouvelle préoccupation, un nouveau style qui donne l’air une solidité. Il vole le matériel nécessaire à ses sculptures dans les chantiers de construction. Pour des raisons de santé, il retourne en Italie.

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1910 Les sculptures présentées au Salon des Indépendants sont très bien reçues. 1911-1912 Modigliani expose ses sculptures et peintures dans l’atelier de l’artiste Souzo Cardoso, ainsi qu’au Salon d’automne. A cause de problèmes de santé, il se consacre à la peinture (principalement des portraits) plutôt qu’à la sculpture. 1914 Son œuvre est présenté à l’exposition « Twentieth Century Art » à la Whitechapel Art Gallery de Londres. Au début de la première Guerre mondiale, il rompt avec son premier commanditaire, le Dr Alexandre. En raison de son état de santé, il est exempté de service militaire. 1914-1916 Modigliani rencontre la poétesse anglaise Béatrice Hastings, et vit avec elle pendant deux ans. Il revient à la sculpture. A partir de 1916, le marchand d’art Paul Guillaume achète plusieurs œuvres, mais Modigliani demeure pauvre. Il préfère peindre ses amis contre un peu d’argent et d’alcool. Pour payer ses repas, il abandonne ses esquisses dans les bars et cafés. 1916 Il rencontre Leopold Zborowski. Le poète polonais voudrait rendre Modigliani célèbre. 1917 Avec Jeanne Hébuterne, avec qui il vivra jusqu’à sa mort, l’artiste change de comportement. Il débute une première série de Nus (bien que les esquisses de Jeanne ou de Béatrice Hastings ne soient jamais des nus). Sa première exposition particulière, à la galerie Berthe Weill à Paris, provoque les huées du public, et est fermée par la police. 1918 Sa tuberculose oblige le couple à se rendre sur la Côte d’Azur pour un an. Leur fille Giovanna naît en novembre. 1919 Retour de toute la famille à Paris. Il présente encore des œuvres à des expositions. Cependant, sa santé se dégrade rapidement, en partie à cause de sa consommation excessive d’alcool. 1920 Modigliani meurt le 24 janvier à l’âge de trente-cinq ans. Le jour suivant, sa compagne Jeanne se suicide, enceinte de huit mois.

Modigliani 1884-1920 : Index Page 4

Page 16

Modigliani à son arrivée à Paris en 1906.

Portrait de Béatrice Hastings, 1915. Huile sur carton, 69 x 49 cm.

Photographie, archives Billy Klüver.

Fondazione Antonio Mazzotta, Milan.

Page 6

Page 17

La Juive, 1908. Huile sur toile, 55 x 46 cm.

Antonia, vers 1915. Huile sur toile, 82 x 46 cm.

Collection privée, Paris.

Musée de l’Orangerie, Paris.

Page 7

Page 18

Tête de jeune femme, 1908. Huile sur toile.

Portrait de Max Jacob, vers 1916. Huile sur toile, 91 x 58 cm.

Collection privée, Paris.

Collection privée, Paris.

Page 8

Page 19

Etude pour une caryatide, vers 1913. Encre et crayon.

Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915. Huile sur carton, collé sur

Collection privée.

contreplaqué, 105 x 75 cm. Musée de l’Orangerie, Paris.

Page 9 Sculpture africaine et caryatide, vers 1912-13.

Page 21

Crayon, 26,5 x 20,5 cm. M. et Mme. James W. Alsdorf, Chicago.

L’Enfant gras, 1915. Huile sur toile, 45,5 x 37,5 cm.

Pinacoteca di Brera, Milan, legs de Lamberto Vitali. Page 11 Madame Pompadour, 1905. Détail.

Page 22

Huile sur toile, 61,1 x 50,2 cm. Art Institute of Chicago.

Fille avec des nattes (La Chemise rose), 1917.

Huile sur toile, 60 x 44,4 cm. Collection privée. Page 12 Tête, 1911-1912. Pierre calcaire, 50 x 19 x 19 cm.

Page 23

Collection privée.

Renée la blonde, 1916. Huile sur toile, 61 x 38 cm.

Museo de Arte, São Paulo. Page 13 Tête, 1911-1912. Pierre calcaire, 71,1 x 16,5 x 23,5 cm.

Page 24

Philadelphia Museum of Art, Philadelphia.

Nu assis, 1917. Huile sur toile. Collection privée.

Page 13

Page 26

Tête, 1912. Pierre, 58 x 12 x 16 cm. Musée National d’Art

Nu couché aux mains serrées, 1918. Huile sur toile,

Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.

64,7 x 100 cm. Collection privée.

Page 14

Page 27

Tête, vers 1915. Pierre calcaire, 56,5 x 12,7 x 37,4 cm.

Vénus, 1918. Huile sur toile, 99 x 64,7 cm.

The Museum of Modern Art, New York.

Collection privée, Paris.

155.

Page 28

Page 39

Jeune Femme assise, 1918. Huile sur toile, 92 x 60 cm.

Portrait de Franck Burt y Haviland, 1914.

Musée Picasso, Paris.

Huile sur toile, 61 x 50 cm. Collection privée.

Page 29

Page 41

Fille de Montmartre, vers 1918. Huile sur toile.

Gitane et petite f ille, 1919. Huile sur toile, 130 x 81 cm.

Collection privée.

The National Gallery, Washington.

Page 31

Page 42

Portrait de Pablo Picasso, 1915.

Le Zouave, 1918. Huile sur toile, 63 x 48,3 cm.

Huile sur toile, 35 x 26,6 cm. Collection privée, Genève.

Collection privée, Paris.

Page 32

Page 43

Portrait de Blaise Cendrars, 1917. Huile sur carton, 60 x 50 cm.

Le Pull-over jaune (Portrait de Jeanne Hébuterne), vers 1919.

Collection privée, Rome.

Huile sur toile, 99 x 66 cm. The Salomon R. Guggenheim Museum, New York.

Page 33 Juan Gris, vers 1915.

Page 44

Huile sur toile, 54 x 38,1 cm.

Portrait de Monsieur Baranowski, 1918. Huile sur toile.

The Metropolitan Museum of Art, New York.

Collection privée, Londres.

Page 34

Page 45

Portrait de Diego Rivera, 1914. Huile sur carton, 100 x 79 cm.

La jeune Servante, 1919. Huile sur toile, 99 x 61 cm.

Museu de Art, São Paulo.

Albright-Knox Gallery, Buffalo.

Page 36

Page 46

Jacques Lipchitz et sa femme, 1916-17.

Portrait de Jeanne Hébuterne, 1918. Huile sur toile, 91,4 x 73 cm.

Huile sur toile, 78,7 x 53,3 cm. Art Institute of Chicago.

The Metropolitan Museum of Art, New York.

Page 37

Page 47

Jean Cocteau, 1916. Huile sur toile, 100,3 x 81,3 cm.

Nu assis, vers 1917. Crayon, 31,2 x 23,9 cm.

Collection privée, New York.

Mr. And Mrs. W. Alsdorf’s Collection.

Page 38

Page 48

Homme à la pipe (Le Notaire de Nice), 1918.

Le petit Paysan, 1919. Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Huile sur toile, 92 x 60 cm. Collection privée, Paris.

The Tate Gallery, London.

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Page 49

Page 67

Le jeune Apprenti, vers 1919. Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Caryatide, 1911-12. Huile sur toile, 72,5 x 50 cm.

The Solomon R. Guggenheim Museum, New York.

Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf.

Page 51

Page 69

Lunia Czehowska, 1919. Huile sur toile, 80 x 52 cm.

Nu debout, 1911-12.

Museu de Arte, São Paulo.

Huile sur carton marouflé sur bois, 82,8 x 47,9 cm. Musée d’Art de Nagoya City, Nagoya, Japon.

Page 52 Nu feminin assis, 1917. Huile sur toile, 180 x 62 cm.

Page 71

Collection privée.

Caryatide, vers 1912. Huile sur toile, 81 x 46 cm.

Musée d’Art de Sogetsu, Tokyo. Page 55 Nu au chapeau, 1907-08.

Page 73

Huile sur toile, 80,6 x 50,1 cm. Reuben et Edith Hecht

Figure en pied, vers 1912-13. Pierre calcaire, 163 x 32 x 30 cm.

Museum, University of Haïfa, Israël.

Australian National Gallery, Canberra.

Page 57

Page 75

Nu (La Petite Jeanne), c. 1908. Huile sur toile, 61 x 38 cm.

Caryatide, 1913-14. Crayon et tempera sur papier, 90 x 70 cm.

Perls Gallery, New York.

Collection privée.

Page 59

Page 77

Nu (Nudo Dolente), 1908. Huile sur toile, 81 x 54 cm.

Caryatide rose, 1913-14. Aquarelle, 54,6 x 43 cm.

Richard Nathanson, Londres.

Collection Evelyn Sharp.

Page 61

Page 79

Le Mendiant de Livourne, 1909. Huile sur toile, 66 x 52,7 cm.

Caryatide, 1913. Huile sur toile, 81 x 46 cm.

Collection privée.

Collection Samir Traboulsi.

Page 63

Page 81

Le Joueur de violoncelle, 1909. Huile sur toile, 130 x 80 cm.

Nu debout sur fond de jardin, 1913. Huile sur bois, 81 x 50 cm.

Collection privée.

Collection privée.

Page 65

Page 83

Tête, 1911-13. Grès calcaire, 64 x 15 x 21 cm.

Caryatide, vers 1914. Gouache sur toile marouflée sur bois,

The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York.

140,7 x 66,7 cm. The Museum of Fine Arts, Houston.

157.

Page 85

Page 103

Caryatide accroupie, 1914. Pierre calcaire, 92 x 42 x 43 cm.

Nu au collier, 1917. Huile sur toile, 73 x 116 cm.

The Museum of Modern Art,

Solomon R. Guggenheim Museum, New York.

Fondation Simon Guggenheim, New York. Page 105 Page 87

Nu couché, 1917. Huile sur toile, 60 x 92 cm.

Portrait de Moïse Kiesling, 1915.

Staatsgalerie, Stuttgart.

Huile sur toile, 37 x 29 cm. Pinacoteca di Brera, Milan, Donation de Emilio et Maria Jesi.

Page 107 Nu, 1917. Huile sur toile, 72 x 117 cm. Collection privée

Page 89 Mari et femme, 1915. Huile sur toile, 55,2 x 46,3 cm.

Page 109

The Museum of Modern Art, New York.

Nu couché, 1917. Mine de plomb sur papier, 26 x 41 cm.

Collection privée. Page 91 Portrait de Béatrice Hastings, 1915.

Page 111

Huile sur toile, 55 x 46 cm.

Nu assis, 1917. Huile sur toile, 73 x 116 cm.

Art Gallery of Ontario, Toronto.

Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers.

Page 93

Page 113

Portrait de Leopold Zborowski, 1916.

Nu sur un coussin bleu, 1917. Huile sur toile, 65,4 x 100,9 cm.

Huile sur toile, 65 x 43 cm. Collection privée.

National Gallery of Art, Washington D.C.

Page 95

Page 115

Nu assis, 1916.

Portrait de Jeanne Hébuterne au grand chapeau, 1917.

Huile sur toile, 92 x 60 cm.

Huile sur toile, 55 x 38 cm. Collection privée.

The Courtauld Institute of Art Galleries, Londres. Page 117 Page 97

Nu couché aux cheveux dénoués, 1917.

Portrait de Chaïm Soutine, 1916. Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Huile sur toile, 60 x 92,2 cm.

Collection privée.

Osaka City Museum of Modern Art, Osaka.

Page 99

Page 119

Nu assis au collier, 1917. Huile sur toile, 92 x 60 cm.

Nu au collier, 1917. Huile sur toile, 64,4 x 99,4 cm.

Collection privée.

Allen Memorial Museum, Oberlin, Ohio.

Page 101

Page 121

Nu couché aux bras ouverts (Nu rouge), 1917.

Jeune Fille à la f range (Femme assise à la robe bleue), 1917-19.

Huile sur toile, 60 x 92 cm. Collection Gianni Mattioli.

Huile sur toile, 92 x 60 cm. Moderna Museet, Stockholm.

158.

Page 123

Page 141

Jeune Rousse en chemise, 1918. Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Paysage dans le Midi, 1919.

Collection privée.

Huile sur toile, 60 x 45 cm. Collection privée.

Page 125 Nu couché, 1918. Huile sur toile, 73 x 116 cm.

Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome. Page 127 Nu assis, 1918. Crayon, 42,5 x 25 cm.

Page 143 Arbre et Maisons, 1919.

Huile sur toile, 57 x 45 cm. Collection privée.

The Art Institut, Chicago. Don de Claire Swift Markwitz en mémoire de Tiffany Blake.

Page 145 Nu, 1919. Huile sur toile, 73 x 116 cm.

Page 129

Collection privée.

Portrait de Jeanne Hébuterne – Tête de prof il (Jeune f ille rousse),

1918. Huile sur toile, 46 x 29 cm. Collection privée.

Page 147 Le Grand Nu, 1919.

Page 131 Nu féminin debout, 1918-19.

Crayon, 39,5 x 25,5 cm. Collection privée. Page 133

Huile sur toile, 72,4 x 116,5 cm. The Museum of Modern Art, New York, Fondation Mr. and Mrs. Simon Guggenheim, 1950.

Page 149

Portrait de Jeanne Hébuterne, 1918.

Maternité, 1919. Huile sur toile, 130 x 81 cm.

Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Musée National d’Art Moderne,

Norton Simon Art Foundation, Pasadena, Californie.

Centre Georges Pompidou, en dépôt au musée d’Art Moderne de Lille-Métropole, Villeneuve-d’Ascq.

Page 135 Fillette en bleu, 1918. Huile sur toile, 116 x 73 cm.

Collection privée.

Page 151 Jeune Homme (L’Etudiant), 1919.

Huile sur toile, 60,9 x 46 cm. Page 137 Elvire, 1918. Huile sur toile, 92 x 60 cm.

The Solomon R. Guggenheim Museum, New York.

Kunstmuseum Berne. Page 153 Page 139

Autoportrait, 1919.

Portrait de Jeanne Hébuterne, 1918.

Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Huile sur toile, 100 x 65 cm.

Museu de Arte Contemporanea da Universidade

Collection privée, Zurich.

de São Paulo.

159.

M

odigliani (1884-1920), peintre sans bonheur dans son Italie natale, ne connut que le chagrin dans sa terre d’adoption, la France. De ce mal-être, l’artiste constitue une œuvre originale, influencée par l’Art nègre, les Cubistes et les nuits alcoolisées de Montparnasse. Sa vision de la femme, au corps sensuel, à la nudité presque agressive, aux visages énigmatiques, exprime toute sa souffrance d’être mal aimé, injustement méconnu. Modigliani est mort à l’âge de 36 ans. Ce livre se compose des toiles qui firent scandale en leur temps et qui paraissent aujourd’hui bien sages.