La chevalerie incarne, dans l'Occident chrétien, le principe et la quintessence de cet état de Bellatores ou Second
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French Pages 190 [194] Year 1969
PAUL JOUVEAU
DU
BREUIL
VOCATION SPIRITUELLE DE LA
CHEVALERIE
VILLAIN ET BELHOMME -
~DITIONS
TRADITIONNELLES
9, 11, Quai Saint-Michel
PARIS 1969
VOCATION DE
LA
SPIRITUELLE
CHEVALERIE
PAUL
JOUVEAU
VOCATION DE
LA
DU
BREUIL
SPIRITUELLE
CHEVALERIE
VILLAIN ET BELHOMME — ÉDITIONS TRADITIONNELLES 9, 11, Quai Saint-Michel
PARIS 1969
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A la radieuse mémoire de Jacques de Marquette et A tous les soldats de Dieu, amoureux et serviteurs anonymes du Vrai, du Beau et du Bien.
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« Sois le défenseur et le champion viril de la foi,
des veuves et des orphelins. » « Sois la protection vivante de toutes les fai¬
blesses. »
(Paroles de consécration d’un chevalier. XIe siècle).
AVANT-PROPOS
Après «La Chevalerie» de Léon Gautier (1), il serait difficile d'écrire une histoire de la chevale¬ rie, en tant qu institution féodale, sans se trouver dans l’obligation de faire de très larges emprunts à l’auteur de cette œuvre remarquable. Aussi, notre propos n est-il pas de traiter de l'état de chevalerie du soldat féodal, statut d’origine germanique heu¬ reusement cultivé par l’Eglise au Moyen Age afin de christianiser les mœurs brutales et surtout dif¬ ficilement contrôlables des plus vaillants guer¬ riers. Cet usage d’un code d’honneur, inviolable parce que sacré, au sein de l’élite des armées féodales échappait à l’autorité temporelle et permettait, sinon de brider, du moins de mettre un frein aux passions belliqueuses du suzerain, lequel n’était admis au rang de chevalier que pour autant qu’il était en mesure de montrer patte blanche, ou pour le moins, de faire amende honorable et de s’enga¬ ger à respecter les règles intransgressibles de la noble institution, puisqu’il y allait du salut même de son âme. L’imagerie populaire a perpétué le tableau mé¬ morable du roi François Ie1 « adoubé » (2) cheva(1) Edité chez Victor Palmé, Paris 1884, et réédité chez Arthaud en 1959. (2) L’adoubement ou réception du nouveau chevalier consistait alors en l’application de la cotée, coup de poing sur le bas de la nuque (symbolisant la maîtrise tout autant que la résistance du récipiendaire) et en la pose du plat 11
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE lier par un simple gentilhomme de son armée, tou¬ tefois le plus fameux chevalier d’alors, Pierre Terrail de Bayard, dont le nom rappelle aussitôt le qualificatif de « sans peur et sans reproche », résu¬ mant à lui seul ce que la chevalerie attendait de ses membres, mais qui prouve aussi que la grande majorité de la confrérie était loin de ne compter que des serviteurs dont le courage et la moralité équivalaient les vertus de notre héros de Marignan. Pas davantage les pages qui suivent ne traiteront de l’état nobiliaire du chevalier de l’ancien ordre politique de la Noblesse. En effet, la lignée aristo¬ cratique ne peut intéresser notre propos que dans la mesure où, selon l’ancienne coutume de la « tierce foi » (3) elle était présidée par une noblesse d’âme certaine. Encore moins nous arrêterons-nous aux ordres dynastiques distribués jalousement par des souverains qui trouvaient là un moyen bon marché de s’attacher des services ou de se ména¬ ger l’amitié de trop puissants seigneurs (4). Au risque de décevoir beaucoup qui se sont fait une idée pervertie de la chevalerie, le sujet qui suit ne portera aucun intérêt aux collectionneurs de décorations d’ordres qui n’en sont pas, attendu qu’ils ne sauraient garantir la valeur morale des
de l’épée sur les épaules, au nom de saint Georges et saint Michel, la chevalerie se voulant la « projection » terres¬ tre des Milices célestes armées pour le combat « loyal et juste » du Bien contre le Mal. L’adoubement constituait en outre la filiation chevaleresque, laquelle non seulement assurait la lignée quasi occulte de la confrérie, mais mettait le récipiendaire dans la situation du filleul à à l’égard de celui qui l’avait armé chevalier. (3) La tierce foi était la preuve exigée pour l’accès à certaines fonctions et honneurs et qui reposait sur l’existence pieuse, honnête et sans tache du grand-père et du père du gentilhomme postulant. (4) Par contre, les Ordres nationaux (comme la Légion d’Honneur en France), en récompensant des services militaires ou civils, revêtent un caractère commémoratif. 12
AVANT-PROPOS
titulaires auxquels, d'ailleurs, il n’est généralement demandé aucun sacrifice ni aucun service particu¬ liers pouvant justifier la qualification d’Ordre de ces décorations n’ayant, en outre, même pas le mérite de sanctionner des services passés et se révélant souvent des refuges pour paranoïaques et mythomanes en mal de hochets de vanité. Une certaine « chevalerie » de salons, loin de maintenir la belle tradition du « défenseur de la veuve et de l’orphelin », a porté un tort considé¬ rable, sinon décisif, au glorieux souvenir de l’an¬ tique statut chevaleresque distingué par ses ver¬ tus caractéristiques de piété, d’honneur (si sou¬ vent assimilé à l’orgueil) et du service humble et désintéressé du prochain. Quant aux confréries gastronomiques, pour sym¬ pathiques qu’elles soient aux yeux des gourmets avides de viandes et de vins, les chevaliers du ven¬ tre dont elles revendiquent peut-être l’héritage gus¬ tatif n’étaient pas conviés à prendre place au festin spirituel de la Table Ronde. C’est pourquoi, pour tenter de sauver ce qu’il reste du souvenir de la vénérable et pieuse che¬ valerie, institution d’essence spirituelle constituée pour la défense des vertus morales, nous ne pour¬ rions mieux nous appuyer que sur la tradition johannite hiérosolymitaine. En effet, sa création, son idéal « pro fide, pro utilitate hominum », son action hospitalière avant que de devenir militaire par la force des événe¬ ments, désigne l’Ordre des chevaliers-hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem comme le modèle idéal de la chevalerie et de tous les ordres créés pos¬ térieurement. Parlant de la décadence de la chevalerie devant les richesses, Léon Gautier reconnaît que les Hospi¬ talier « sont, grâce à Dieu, demeurés purs, sinon 13
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
pauvres, et ont honoré cette Chevalerie que d’au¬ tres avaient compromise et amoindrie » (5).
Né en Terre Sainte antérieurement aux deux autres confréries fameuses des chevaliers templiers et des teutoniques, l’Ordre de l’Hôpital de Jérusa¬ lem, très vite grossi de l’élite de la chevalerie européenne, a rempli dans l’Histoire un rôle inimi¬ table, quoique déjà oublié de la plupart des gens dont beaucoup ne se souviennent que de l’ancien prestige attaché au sillage des « chevaliers de Malte ». Sans nul doute et durant des siècles, l’Ordre johannite incarna à lui seul toute la tradition de la chevalerie. A une époque où les autres confré¬ ries d’armes n’avaient plus que le rôle secondaire de décorations honorifiques accordées en récom¬ pense de services rendus, l’Ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem maintenait haut le res¬ pect de l’honneur attaché à l’ancien code de Ici che¬ valerie, et ce, comme nous le verrons, d’une ma¬ nière active et aussi longtemps que jusqu’à la pre¬ mière guerre mondiale. Si aujourd’hui les différents rameaux subsistants de la Tradition chevaleresque Johannite, qu’il y a lieu de revêtir de son ancien nom prestigieux de « La Religion », se dévouent encore à des tâches hospitalières respectables, il va sans dire que c’est à une vocation infiniment plus haute que la che¬ valerie hospitalière doit renaître ; celle qui, ins¬ crite dans le code d’honneur de la première cheva¬ lerie dévolut dès le XIe siècle presque entièrement aux Ordres de l’Hôpital et du Temple de Jérusa¬ lem : la défense de la Foi, ce qui veut dire pour notre temps, d’une ECCLESIA (assemblée des croyants) à l’échelle d’un Monde enfin affranchi de ses barrières religieuses. (5) (La Chevalerie, p. 92) 14
PREMIÈRE
PARTIE
« Une voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur. Aplanissez ses sentiers ! » (.prophétie d’Isaïe sur saint Jean-Baptiste)
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— I —
Retracer la tradition philosophique de la che¬ valerie la plus ancienne et la plus célèbre d’Occident, celle de l’Ordre johannite hiérosolymitain revient, non à relater l’histoire d’une simple com¬ munauté religieuse, mais à dresser l’inventaire des multiples événements qui caractérisent la vie et la pensée d'une nation. Car c’est bien d’une nation qu’il s’agit, l'Ordre de Saint-Jean ayant eu ses cou¬ tumes, sa culture, sa gloire, mais aussi ses misères durant une existence presque millénaire où, pen¬ dant des siècles, il fut mondialement reconnu comme un état souverain, même (et c’est là un fait unique) lorsqu’aux malchanceuses époques il fut privé de son territoire. C’est donc à juste titre que l’abbé Vertot, l’histo¬ rien célèbre de l’Ordre, intitula son œuvre gigan¬ tesque « Histoire de Malte », comme plus tard Mi¬ chelet fit son « Histoire de France ». Cependant, si l’auteur de la phrase passée dans la légende : « mon siège est fait », crut bon de cou¬ ronner l’historique de l’Ordre le plus fameux sous le nom de l’Ile où l’Apôtre des Gentils échoua au cours de son voyage vers Rome, il est injuste que le nom de Malte ait fini, jusqu’à nos jours, par éclipser celui des hospitaliers de Jérusalem dont la foi d’abord et la gloire ensuite furent infini¬ ment plus à l’honneur dans la période antérieure à leur établissement dans File de Malte en 1530. Tenter de mettre en lumière un trait aussi par¬ ticulier et abstrait que celui de la pensée animant 19
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
un ordre depuis ses origines, est une tâche relati¬ vement aisée dans la mesure où la règle du fonda¬ teur n’a subi trop d’altérations au cours des siècles. Beaucoup plus complexe est de rechercher la per¬ manence d’une tradition philosophique dans une communauté qui, contemplative et hospitalière en ses débuts, évolua rapidement vers une forme d’existence qui, devenue moins ascétique, délaissa souvent la robe de hure pour la cuirasse des com¬ bats, quand ce n’était parfois pour les beaux uni¬ formes de cour. Que fut donc cet Ordre prestigieux ? Imaginons une confrérie mi-religieuse mi-laïque, composée de centaines, puis bientôt de milliers d’hommes de tous âges et de toutes conditions de fortune et de rang, provenant des quatre coins d’une Europe très disparate. Pensons maintenant que cette communauté bigarrée devra s’exiler pratiquement au bout d’une période souvent inférieure à deux siècles d’un ter¬ ritoire qu’elle aura profondément marqué de son séjour, ne serait-ce que par ses vestiges architec¬ turaux, forts militaires pour la plupart, parfois des églises, des châteaux et commanderies éparpillés du Proche Orient jusqu’aux Antilles, séjours, disais-je, où l’Ordre aura aussi et fatalement reçu les impacts ethniques et climatiques locaux. Réfléchissons encore un instant aux bouleverse¬ ments politiques et aux guerres quasi permanen¬ tes qui secouèrent l’Europe et tout le bassin médi¬ terranéen au cours des neuf derniers siècles, et, au beau milieu de cette mêlée historique, une bannière, une bannière qui flotte haut et qui surgit comme une apparition fantastique partout où l’en¬ nemi de la chrétienté menace. Un rempart de la foi chrétienne sans lequel on a pu dire que l’unité même de l’Europe en aurait été retardée de plu¬ sieurs siècles, tant il est vrai que c’est à Malte que 20
PREMIÈRE PARTIE
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CHAPITRE I
l’image d’une confédération européenne s’est réa¬ lisée pour la première fois (1). Enfin, l’Ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem fut d’abord un acte de foi, d’une foi solide comme l’épée de saint Michel et dont la trempe fut éminemment éprouvée au cours des siècles dans les situations les plus dramatiques, à la cime périlleuse où un choix tragique fait de l’homme une bête ou un Ange.
(1) Paul Hazard — La Conscience européenne au XVIIIe siècle : « Une notion de la communauté supérieure com¬ mence à s’imposer obscurément. A une époque sans natio¬ nalisme, l’idée d’une force internationale se fait sentir de manière instinctive. Malte est, en un sens, l’incarna¬ tion de cet idéal européen cher au XVIIIe siècle. Le sens religieux n’est plus très brûlant. L’Ordre se voit matérialiser en petit ce que l’Europe doit être en grand, la partie pensante, vivante du monde ». 21
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« Bien souvent, lorsque vous croyez haïr un
ennemi, c est un frère que vous haïssez sans le savoir. » (saint Augustin)
— II —
Depuis que la religion chrétienne était devenue, sous l’empire de Constantin le Grand, la religion dominante de l'Occident, la Terre Sainte était le lieu de pèlerinage le plus célèbre de toute la chré¬ tienté avec Saint-Jacques de Compostelle en Europe. Les chrétiens grecs et latins y accouraient d’autant plus que l’accès était rendu facile par les terres de l’Empire. Mais, sous l’impulsion de la reli¬ gion de Mahomet, les califes d’Egypte s’étaient rendus maîtres de la Palestine où ils comptaient aussi nombre de lieux sacrés. Ces « mahométans » souffraient difficilement que les pèlerins chrétiens pussent s’établir dans leurs états, et, quoique révé¬ rant Jésus-Christ comme un grand prophète, ils décidèrent de faire payer de lourds tributs à ceux que la dévotion conduisait au Saint-Sépulcre. Le gouverneur de la Judée leur avait assigné pour seule demeure le quartier le plus proche du tom¬ beau de Jésus. La première institution hospita¬ lière connue date d’une fondation du pape saint Grégoire-le-Grand, vers le début du VIIe siècle (6). Plus tard, l’éclat et la puissance de Charlemagne s’étant étendus jusqu’au Proche Orient, le calife Haroun Ar-Rachîd, un des plus puissants princes mu¬ sulmans, permit aux Français d’avoir dans Jéru¬ salem une maison particulière pour y recevoir les (6) « Histoire des Chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, chevaliers de Rhodes et de Malthe », par l’abbé Vertot. Paris, 1761 (7 volumes). 25
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE pèlerins de cette nation (7). En l’an 870, un moine français cite avoir trouvé dans la cité sainte un hôpital construit en restauration de la première institution et dont la garde était confiée aux moi¬ nes de l’Ordre de Saint-Benoit. On y conservait une bibliothèque recueillie par les soins et les libérali¬ tés de l’Empereur Charlemagne, lequel — on s’en souvient — avait été en 789 le premier souverain à régler le bon fonctionnement des hospices sur les étapes et les lieux de pèlerinage. Cependant, depuis la mort du généreux calife Ar-Rachîd, les Français, dont la réputation des nou¬ veaux souverains était loin d’égaler celle de Char¬ lemagne, perdirent leur considération en Palestine. Les musulmans prirent de l’aversion pour les pèle¬ rins qui, lorsqu’ils n’étaient pas morts aux portes de la cité sainte, harassés de fatigue et perclus de maladies, finissaient leurs jours sous les couteaux sarrazins. Mais comme l’Histoire est toujours par¬ tiale, il faut dire à la décharge des musulmans que le triste spectacle des discordes locales entre chré¬ tiens des rites grec et latin ne les encourageait guère à leur donner quelque considération. D’ail¬ leurs il importe, à près de dix siècles de distance, d’être enfin objectif et de se rappeler que ceux que les chrétiens d’alors appelaient « barbares » étaient les Arabes à l’apogée de puissance et de culture de l’Islam. Devant les barons lourdement montés et la piétaille européenne hétéroclite sur¬ gissaient les escadrons légers de cavaliers aux vête¬ ments de soie de couleurs vives, signes extérieurs d’une riche culture orientale. Profondément em¬ preinte de l’antique sagesse perse et de la mys¬ tique égyptienne qui donnèrent des ailes à Pytha(7) Il importe de souligner l’importance qui plus tard sera toujours donnée aux chevaliers français et aux Lan¬ gues de France, en dépit du caractère international de l’Ordre. Sur 73 chefs de l’Ordre, 39 furent français. 26
PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE II
gore, cette civilisation était aussi celle du génial philosophe médecin Avichenne, d’Al-Khwârizmî inventant l’algèbre, du théologien Al’Ghazâli, d Averroès, le commentateur des œuvres d’Aris¬ tote (8) et de combien d’autres penseurs et philo¬ sophes que l’Occident ne fait que découvrir aujourd hui. A une époque où l’Europe était plongée dans 1 analphabétisme le plus sombre, la civilisation arabe, mélange de traditions persanes, mésopotamiennes, byzantines et de culture grecque, attei¬ gnait son apogée à Baghdâd et à Cordoue, où le faste des arts disputait le pas à l’érudition la plus éclectique. On saisit mieux le fossé d’incompréhension qui se creusera au retour des pèlerins entre leur pen¬ sée nouvellement teintée d’orientalisme subtil et la brutale féodalité occidentale, heureusement tempérée par l’institution du code d’honneur de la chevalerie. Au-dessus des antagonismes chrétiens dus sur¬ tout aux interprétations rivales du filioque, seule la confrérie bénédictine de Jérusalem se laissait absorber par l’unique service de la charité. C’est alors que vers le milieu du XIe siècle (on cite la date de 1048) des marchands italiens originaires d’Amalfi, qui commerçaient ordinairement avec l’Egypte, touchés par l’extrême dévouement de ces oblats de règle bénédictine, décidèrent de leur procurer un asile à la fois plus sûr et plus vaste où ils pussent recevoir les pèlerins latins sans que ceux-ci n’eussent à craindre ni l’animosité des mahométans, ni celle des chrétiens grecs. Grâce à leur introduction à la cour du calife d’Alexandrie, (8) Il n’est pas inutile de rappeler que les traductions latines des commentaires d’Averroès sur Aristote sont dues à Michel Scot (1228-1235;, astrologue de l’empereur d’Occident Frédéric II, lequel, bien qu’excommunié, prit une part active à la croisade. 27
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
ces marchands obtinrent la permission d’établir pour les chrétiens latins un nouvel et vaste hospice tout près du Saint-Sépulcre, sur un terrain donné en présent par le prince musulman, et sous l’auto¬ rité canonique du patriarche de Jérusalem (9). On construisit d’abord une chapelle qu’on appella « Sainte-Marie latine » du nom de l’abbaye béné¬ dictine voisine et où les religieux de Saint-Benoit célébraient l’office. Puis deux hospices pour les pèlerins hommes et femmes, sains ou malades. Bientôt, de nombreux pèlerins laïcs venus d’Europe renoncèrent au retour dans leur patrie et se dévouèrent dans cette sainte maison au service des pauvres et des malades. On relate que ceux-ci y étaient traités avec le plus grand soin et que chaque espèce de misère trouvait dans la charité de ces hospitaliers une nouvelle sorte de miséricorde.
(9) Patriarche de rite grec, puisque ce n’est qu’après l’invasion croisée de 1099 que des patriarches latins furent installés à Jérusalem et à Antioche. Après l’arrivée des croisés, les patriarches grecs de Jérusalem vivaient exilés à Chypre. Mais lorsque Saladin reprit Jérusalem en 1187, un patriarche grec fut réinstallé à Jérusalem et le patriar¬ che latin siégea à Acre jusqu’à la perte définitive de cette ville. 28
La haine allume des litiges, La charité couvre toutes les fautes. » (Livre des Proverbes Bible)
*
— III —
En 1065, les turcomans s’emparent de la Pales¬ tine d’où ils chassent les sarrazins. Ils pillent l’hos¬ pice de Saint-Jean, mais l’avarice l’emportant, ils conservent le Saint-Sépulcre en raison des revenus qu'on en tirait sur les pèlerins. Ils augmentèrent ces tributs au point que les pèlerins se trouvaient dévalisés de tout l’argent qu’il leur restait en entrant dans la cité sainte. Ce sont ces excès rendant impossibles les pèleri¬ nages qui présidèrent au désir de Pierre l’Hermite d’intervenir (sur les conseils du patriarche grec Siméon de Jérusalem) auprès du patriarche de Byzance, puis du pape Urbain II pour qu’ils exhor¬ tassent les princes chrétiens à s’armer pour déli¬ vrer la terre sainte de la domination turque. On sait trop, hélas ! à quel point les croisades dégénérèrent rapidement en vastes mouvements migrateurs auxquels nombre d’aventuriers se mê¬ laient dans l’espoir de faire fortune grâce aux sacs et aux pillages. Après la prise sanguinaire de Jéru¬ salem par les croisés (10), Godefroi de Bouillon, qui avait refusé le titre de roi là où Jésus était mort comme le plus pauvre des hommes, établit l’administration du gouvernement de la ville dont la maison la plus fameuse était l’hospice de SaintJean. Les chefs de la croisade le visitèrent et furent (10) Le sac de Constantinople en 1204 (4e Croisade) viendra hélas confirmer que l’agressivité latine ne se limitait pas aux musulmans. 31
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
si stupéfaits du zèle et de la charité avec lesquels les hospitaliers soignaient les blessés, que plusieurs décidèrent de s’enrôler sous la bannière de l’Ordre, comprenant que l’occasion était venue pour leur âme de servir les pauvres et les malades au pied du tombeau de leur Sauveur. Leur exemple enga¬ gea une grande partie des convalescents à faire de même en abandonnant le plus souvent l’intégra¬ lité de leurs biens à l’Ordre, qui fut bientôt riche de seigneuries réparties dans toute l’Europe. Tout ceci se passa alors que l’administration de l’hôpi¬ tal était confiée au Français Gérard Tenque. Cette belle et pieuse figure originaire de Martigues en Provence voulut que l’engagement pris par les nou¬ veaux hospitaliers fût fait devant Dieu : le pre¬ mier, et pour servir d’exemple, il prit un habit régulier et prononça les trois vœux devant le Patriarche de Jérusalem, au pied du SaintSépulcre. C’est alors que quatorze ans plus tard, en 1113, le pape Paschal II adressa au premier maître de l’Ordre une Bulle par laquelle non seulement il approuvait l’institut, mais encore il confirmait l’au¬ tonomie de l’hospice (laquelle existait de fait depuis 65 ans), au point qu’il prescrivait pour le présent et l’avenir que les frères hospitaliers seuls auraient le droit d’élire leur supérieur, sans qu’au¬ cune puissance séculière ou ecclésiastique ne pût s’ingérer dans leur gouvernement, allant jusqu’à menacer des foudres de l’excommunication toute autorité qui pourrait lui porter préjudice de près ou de loin. C’était justice. Car l’hôpital de Saint-Jean n’avait-il pas été créé sous l’impulsion mystique d’initiatives personnelles, et, durant un demi-siècle, le seul et inflexible bastion de la charité, véritable havre de paix au milieu du chaos permanent de Jérusalem ? A l’exemple des abbayes autonomes 32
PREMIÈRE PARTIE
—
CHAPITRE III
bénédictines, l’hôpital s’était jusqu’alors administré seul avec un pouvoir centralisé sur un supérieur nommé à vie. Ce qu'il y avait de nouveau dans la sanction papale, c’est qu’elle reconnaissait expressément que les Hospitaliers de Saint-Jean ne dépendaient que d’eux-mêmes et de Dieu. Cependant, l’Hostellerie de Saint-Jean (hospice ou hostellerie, les deux mots sont utilisés) avait été créée à l'origine sous l’impulsion des moines bénédictins pour y recevoir et y soigner les seuls pèlerins latins. Or, fait extraordinaire, la bulle papale ne mettait aucune restriction au service de l’Hôpital, au point même que lorsqu’en 1154 le pape Anastase IV crut bon de confirmer les privilèges accordés par son prédécesseur, l’événe¬ ment souleva l’exaspération des évêques locaux qui protestèrent en vain auprès du Pape. Je citerai seulement pour mémoire que l’indépendance ecclésiastique de l’Ordre, maintes fois confirmée, soulèvera jusqu’au XIXe siècle des torrents de pro¬ testations et de jalousies. Pourtant, implicitement, de par ses origines, son recrutement et la protection auguste qu’il rece¬ vait librement du Saint-Siège, on peut évidemment considérer que l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean était une fondation latine au service des latins. C’est là que survient un fait nous apparaissant comme véritablement extraordinaire : tous les pèlerins étaient admis à l’Hôpital de Saint-Jean, qu’ils fussent chrétiens de rite grec ou latin et, chose incroyable, les mahométans, pourtant recon¬ nus infidèles, y étaient aussi soignés et recevaient l’aumône ! L’administrateur de l’Ordre était en fait considéré comme le père commun de tous les pauvres et malades de la ville, plaçant ainsi la charité au dessus des disputes idéologiques. Il importe d’ailleurs de souligner que la monar¬ chie de Jérusalem revêtait un aspect parlementaire 33 3
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
et même démocratique. En minorité, les Occiden¬ taux furent vite contraints de respecter rites et croyances. En matière de justice par exemple, le serment était prêté sur les Ecritures sacrées de la foi du juif, du sarrazin, de l’arménien, du chré¬ tien latin, grec ou nestorien, etc. Un véritable œcuménisme pratique s’installa et l’usage en vint bientôt à rendre les édifices religieux disponibles aux diverses confessions en vertu du simu/taneam (11). Dès cette époque de la fin du XIe siècle, le flux et le reflux des pèlerins, joint à l’augmentation considérable du nombre des hospitaliers, néces¬ site de la part de l’Ordre un effort de croissance qu’il surmontera d’ailleurs brillamment en raison d’une trésorerie de plus en plus fructueuse. En outre, nombre d’hospitaliers regagnèrent l’Europe pour administrer les nouvelles seigneuries de l’Ordre et y propager l’idéal johannite. Ces mai¬ sons hospitalières doivent être considérées comme les premières commanderies dont le pouvoir était régionalement centralisé sur des grands prieurés, véritables émanations de l’Hôpital de Jérusalem dont la première serait Toulouse, ouverte vers 1096, et la plus importante, inaugurée au début du XIIe, serait le Grand Prieuré de Saint-Gilles dont l’expansion s’étendra sur tout le Midi de la France, du Rhône au Bordelais. Partout le pèlerin, qu’il s’en allât vers Saint-Jacques de Compostelle ou Rome, le nécessiteux trouvera dans un hospice de Saint-Jean la même assistance et la même paix que dans la maison-mère. Ce sera bientôt sur toute (11) De nos jours on retrouve cet usage dans l’église de la Nativité à Bethléem, sans toutefois que l’utilisation d un autel commun semble améliorer les rapports entre les divers rites... Le Liban conserve encore la tradition pratique de cohabitation de plusieurs confessions appa¬ remment paisibles entre elles. 34
PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE III
l’Europe un ensemencement de centaines de commanderies, au point que l’Ordre s’identifiera tant avec la foi chrétienne dont il sublime la pratique que le nom de « La Religion » lui sera universel¬ lement attribué. Peu de temps avant sa mort, le pieux Gérard, premier maître de l’Hôpital, fit dresser un temple magnifique en l’honneur de Saint Jean-Baptiste à l’endroit même où, selon la tradition, Zacharie, le père du Précurseur, avait fait sa retraite. Ce fut le dernier trait marquant de l’apostolat de ce pionnier de la charité, qui s’éteignit alors que le roi Baudoin maintenait difficilement les Turcs éloignés de la capitale de la Judée. Comme les plus grands fondateurs d’Ordres, Gérard s’était contenté de faire de sa vie l’exemple parfait d'un serviteur du Christ et des pauvres. Il avait inspiré à ses contemporains des senti¬ ments de charité et d’humilité sans avoir cru devoir leur dicter d’autre règle que l’observance des vœux solennels. C’est à son successeur qu’il laissa le soin de doter la nouvelle institution de statuts susceptibles de faire face aux dimensions toujours croissantes de l’Ordre. Il importe de sou¬ ligner que, par la suite, les bulles papales qui sanctionneront ces statuts le feront à la demande des chevaliers et reconnaîtront explicitement leur entière souveraineté dans la rédaction de leurs constitutions (12).
(12) Notamment les bulles des papes Sixte V, Paul V et Pie Y. 35
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« 0 Dieu, vous n’avez permis ici-bas l’usage de l’épée que pour contenir la malice des mé¬ chants et pour défendre la Justice. Faites donc que votre nouveau chevalier ne se serve jamais de ce glaive pour léser injustement qui que ce soit ; mais qu’il s’en serve toujours pour défendre tout ce qu’il y a ici-bas de juste et de droit. » (Benedictio novi militis) Guillaume Durand XIIIe s.
— IV —
Hôpital-hospice ou Ordre militaire ? Je dirai que c'est véritablement à partir de frère Raymond Dupuy, gentilhomme du Dauphiné élu par ses frères en 1118, que l’on peut parler d'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. En effet, c’est sous sa maîtrise que les hospitaliers reçoivent pour la pre¬ mière fois une constitution qui fait de leur Ordre une entité étatique internationale reconnue. Car, avec les statuts nécessaires à toute organisation de cette importance, apparaît un caractère géné¬ ralement réservé aux seuls Etats constitués : l’armée. Oh, nous ne pouvons croire que c’est avec plaisir que Raymond Dupuy, cet authentique hospitalier, décida de transformer son couvent et ses ramifi¬ cations en une troupe régulière de moines-soldats. Quoique, on s’en souvient, nombre des hospita¬ liers et des oblats fussent d’anciens croisés, ce n’est pas par nostalgie des combats qu’ils déci¬ dèrent de déterrer l’épée. Pour la compréhension de cette étrange mutation, il faut se re-situer dans le contexte historique et savoir que ce qu’on appe¬ lait alors le Royaume de Jérusalem ne consistait en fait qu’en cette cité-forte et une quantité d’autres places fortifiées et séparées entre elles par des territoires occupés par les Turcomans ou leurs ennemis, les Sarrazins. Non seulement le passage d’une ville à l’autre n’était possible que sous grosse escorte, mais chaque matinée trouvait 39
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
des habitants égorgés dans la nuit par des bri¬ gands à la solde de l’ennemi. On cite que pas une semaine ne s’écoulait sans que des villages chré¬ tiens ne fussent assiégés et pillés, les hommes tués, les femmes emmenées en esclavage après qu’on eût tué leurs enfants à la mamelle. Devant de tels malheurs, le maître de l’Hôpital se demanda s’il était juste de soigner les blessés à l’intérieur quand le fer et le feu continuaient leurs ravages à l’extérieur. Ainsi se forma le plus extraordinaire dessein qui puisse surgir dans l’esprit d’un religieux troublé en ses plus profon¬ des méditations. Puisque le mal gagnait partout, alors même qu’il eut dominé les passions guer¬ rières de ses recrues en les transformant en doux serviteurs des pauvres et des malades, il saurait bien les réveiller pour la protection de leur propre institution et celle des chrétiens de Palestine. A quoi bon avoir dressé l’exemple de la loi d’amour au milieu de la plus atroce des guerres, si c’était pour se laisser égorger comme des moutons ? Les hospitaliers, pour la plupart anciens compagnons de Godefroi de Bouillon, connaissaient trop bien les lois de la chevalerie pour ne pas savoir appli¬ quer le code d’honneur du soldat aux mœurs chris¬ tianisées par l’Eglise. Ici une petite digression s’impose. En effet, il me paraît indispensable, pour l’intelligence de la décision unanime des hospitaliers à s’ériger en Macchabées du Nouveau Testament, de savoir dans quel esprit les deux modes d’action contre le Mal (nous dirions aujourd’hui : offensif et nonviolent) s’étaient rencontrés dans l’idée de Ray¬ mond Dupuy. Car, du jour où le johannite hiérosolymitain décida de prendre les armes pour la défense de la chrétienté, l’Ordre, d’hospitalier qu’il était, devint aussi chevaleresque. On connaît la théorie originelle de l’Eglise sur 40
PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE IV
la guerre : elle la hait. Mais, lorsque l’Eglise, au lendemain de la paix constantinienne, se range du côté de la force temporelle, son avis change quel¬ que peu, et au Concile d’Arles en 314 elle sépare de la communion ceux qui refusent le service militaire dont pourtant Origène avait dit qu’il était incompatible avec la foi chrétienne. Cepen¬ dant, un Père de l’Eglise considéré comme le plus grand par l’orthodoxie catholique, saint Augustin, écrira dans sa Cité de Dieu : « Celui qui peut pen¬ ser à la guerre et la peut supporter sans une grande douleur, celui-là a vraiment perdu le sens humain. Il faut subir la guerre mais vouloir la paix. » Pourtant c’est lui qui, le premier, fera appel au bras séculier et, aussi, estimera qu’il y a des guer¬ res justes... On sait jusqu’à quelles extrémités cette conception pourra mener ses auteurs. Plus précise donc, semble être cette réponse du pape saint Nicolas I" aux soldats bulgares en 865 : « La guerre est toujours satanique en ses origines et il faut toujours s’en abstenir. Mais si on ne peut l’éviter, s’il s’agit de sa défense, il est hors de doute qu’on peut s’y préparer... » Si les croisades engendrèrent rapidement des guerres sataniques, ce n’était pas une raison pour que l’hospice de Saint-Jean fît les frais des représailles sarrasines. La cause est entendue : puisqu’il le faut, l’hospi¬ talier se fera chevalier. Au cri de « Saint-Jean ! Saint-Jean ! », il se battra avec la frénésie incom¬ parable du fanatisme des guerres prétendues sain¬ tes, mais le johannite prend l’engagement formel de ne jamais brandir l’épée contre des chrétiens, ce qui constitue une caractéristique originale de l’époque. Ainsi, on vit alors, d’Alexandrie au Krak des Chevaliers, des troupes montées couvrir le pays et portant robe rouge timbrée de la croix blanche 41
VOCA T ION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
aux huit pointes symbolisant les huit béatitudes, tandis que le vêtement était noir lorsque les moi¬ nes-soldats vaquaient aux fonctions hospitalières. A cette nouvelle armée se joignit bientôt l’Ordre du Temple, cette autre institution sœur mais aux buts strictement militaires. Pour le templier, placé sous l’invocation de l’Auteur de l’Apocalypse, la synthèse du religieux et de l’homme d’armes sem¬ ble avoir posé moins de problèmes que pour les serviteurs du Précurseur. L’exilé d’Ephèse n’était-il pas le prophète de l’image flatteuse des anges aux trompettes et des cavaliers purificateurs ? Malheureusement, bien des jalousies regrettables surgiront bientôt entre ces deux sociétés. Toute¬ fois, ce sera uniquement grâce à leurs campagnes, menées tantôt séparément et tantôt de concert, que le trône chancelant des rois de Jérusalem pourra se maintenir jusqu’au départ définitif des chré¬ tiens en 1291. On peut rappeler que c’est aussi grâce au concours conjugué des johannites et des templiers que la rançon qui permit de libérer le roi Louis IX (saint Louis), prisonnier à Damiette, fut réunie.
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« Les sages considèrent que l’action et la contemplation ne font qu’un. Ils voient juste. Suis l’une de ces voies et va jusqu’au bout. L’issue est la même... »
(Paroles de Krishna à Arjuna) Bhagavad-Gitâ
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Ne quittons pas la Terre Sainte avant d’avoir mis en relief certains caractères notables de nos chevaliers. Ecoutons saint Bernard, lequel donna aux templiers une règle inspirée de celle de l’Ordre de Citeaux, nous faire le panégyrique des moinessoldats : « Ils vivent dans une société agréable « mais frugale, sans femme ni enfants, sans avoir « rien en propre, pas même leur volonté... Une « parole insolente, un rire immodéré, le moindre « murmure ne demeure point sans une sévère cor« rection. Ils détestent les jeux de hasard ; ils ne « se permettent ni la chasse ni les visites inuti« les ; ils rejettent avec horreur les spectacles « et les chansons trop libres. Ils ont le visage « brûlé des ardeurs du soleil et le regard fier et « sévère. A l’approche du combat, ils s’arment de « foi au dedans et de fer au dehors ; leurs armes « sont leur unique parure ; ils s’en servent avec « courage dans les plus grands périls sans craindre « ni le nombre ni la force de l’ennemi, mettant « toute leur confiance en Dieu. Ils cherchent une « victoire certaine ou une mort sainte et hono« rable. » Pour l’Hôpital, il est nécessaire de compléter ce tableau par le témoignage d’un auguste reporter, le roi de Hongrie, — cette glorieuse nation qui lutta aussi contre l’invasion turque en Europe —, lequel écrivit après un séjour chez les hospita¬ liers : « Etant logé chez eux, j’ai vu mourir chaque 45
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
« « « « « « «
jour une multitude innombrable de pauvres, les malades couchés sur de bons lits, traités avec soin et les mourants assistés avec une piété exemplaire. En un mot, continue ce prince, les chevaliers de Saint-Jean sont occupés, tantôt comme Marie à la contemplation et tantôt comme Marthe à l’action... »
Bien évidemment, on imagine difficilement que cette communauté sans cesse grandissante ait pu se maintenir sans un règlement à la fois monas¬ tique et militaire. Dès le XIIe siècle, l’Ordre revêt la forme d’une monarchie constitutionnelle, démo¬ cratique et élective. Il est dirigé par un Maître élu par ses pairs et assisté d’un conseil des frères les plus qualifiés dont le chef s’entoure sans cesse et desquels il est, comme le doge de la République de Venise, le « primus inter pares». Le Maître est dit « serviteur des pauvres et gardien de l’Hôpital de Jérusalem ». Comme il se doit dans un ordre issu d’une confrérie religieuse, la règle intitulée « de l’église » commande aux frères de réciter chaque jour un certain nombre de prières, le matin, au repas, le soir, au chevet des malades et au combat. Ils se doivent d’assister à la messe cha¬ que jour et sont obligés à la communion trois fois l’an : à Pâques, à la Pentecôte et à Noël. En outre, ils sont astreints à un nombre considérable de jeûnes lors des grandes fêtes, ainsi que les veilles de la Saint-Jean Baptiste, Saint-Pierre, Saint-Paul et les autres apôtres, quand le régime quotidien les oblige à une frugalité excluant la viande trois jours par semaine (13). L’entrée dans l’Ordre était ouverte à toute per(13) Cette restriction à l’égard carnée est typiquement monastique végétariens (Carmel-Trappe) on ne influence occulte du manichéisme tiens orientaux. 46
de la consommation et, au-delà des ordres doit pas écarter une sur les Ordres chré¬
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CHAPITRE V
sonne réputée de bonne vie et mœurs. L’acces¬ sion à la chevalerie n’était possible qu’aux nés de parents nobles ou qui, ayant été régulièrement adoubés par un prince chrétien, prononçaient les trois vœux religieux. Venaient ensuite diverses catégories de chapelains, de sœurs et de frères servants, conventuels ou de stage, c’est-à-dire vivant au couvent ou détachés dans quelque commanderie. L’Ordre, nanti des pouvoirs apostoli¬ ques, ordonnait ses propres prêtres qui ne dépen¬ daient que de sa hiérarchie, les prieurs étant considérés comme des évêques dont ils revêtaient les ornements. En outre, ce n’est qu’auprès des religieux de l'Ordre que les frères pouvaient se confesser et recevoir la sainte communion. Un droit de passage selon la catégorie dans laquelle le postulant était admis était versé à l’entrée dans la confrérie : il équivalait à plus d’un million de nos anciens francs pour un chevalier, mais il importe de dire qu’à cette époque, nombre de postulants à la Religion lui abandonnaient tout ou partie de leurs biens. Le nouvel hospitalier s’engageait à vie mais pouvait être chassé de l’Ordre pour faute grave : à son entrée, il prêtait serment d’obéissance au Maître et au Conseil ; il s’engageait à ne jamais fuir devant le combat, ni aucune tâche humiliante. En échange, l’Ordre lui promettait le pain, l’eau, le coucher et le vête¬ ment, habit sur le côté gauche duquel était cousue la croix blanche à quatre branches et huit pointes symbolisant les béatitudes évangéliques. Si, dans les premiers temps, les frères vivent en totale communion selon la coutume cénobitique héritée des bénédictins, lorsqu’ils seront établis à Rhodes puis à Malte, ils prendront l’habitude de vivre dans leurs auberges nationales, et nombreux seront même ceux qui habiteront leur propre maison ou leur commanderie quand au XVII9 siè47
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE cle l’Ordre n’obligera plus les chevaliers, à l’ex¬ ception des profès, qu’au seul service effectif de cinq années de caravanes en mer. Cependant, les femmes vivront toujours en monastère, sauf lors¬ qu’elles assistent les malades ou les blessés à l’arrière des combats (14). A côté de l’armée régulière des frères servants commandés par des chevaliers se trouvaient des troupes auxiliaires composées de natifs du pays où l’Ordre résidait (Grecs ou Maltais) et aussi d’un grand nombre de musulmans convertis pour la cause. Ces mercenaires de l’Ordre appelés Turcopoles ou Turcoples dépendaient du Turcopolier, officier de troupes indigènes dépendant directe¬ ment du Grand-Maître. Indépendant dans son administration interne dès ses origines, avec son autonomie ecclésiastique et militaire, l’Ordre revêtit rapidement les attributs d’une souveraineté lorsqu’il devient souverain temporel de l’Ile de Rhodes au XIVe siècle, ainsi qu’à Malte qui lui sera donnée par Charles-Quint. La puissance maritime et le respect que l’Ordre inspirait aux nations chrétiennes culmineront avec l’ordre que Louis XIV donnera à ses vaisseaux de saluer les premiers le pavillon de Malte.
(14) Des auteurs mal informés ont soutenu que l’ordre johannite n’admettait pas, jadis, de femmes dans ses rangs. C’est absolument faux puisque les preuves abon¬ dent de la présence de dames et de sœurs depuis les origines. 48
« Le droit est l'épée des grands, le devoir
est le bouclier des petits. » (Lacordaire)
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— VI —
Aussi longtemps que Saint-Jean servit de milice internationale pour la protection des états chré¬ tiens contre l'invasion turque, les souverains euro¬ péens n'osaient intervenir de manière trop flagran¬ te dans sa politique ; mais il arriva à plusieurs reprises que des chevaliers eurent à choisir entre l’obédience au grand-maître et celle envers leur roi. Il semble même que le souci d’éviter des émeutes internes fut toujours l’occupation majeure de l’Ordre. C’était alors à ses diplomates univer¬ sellement réputés pour leur subtilité, que reve¬ nait la tâche de partir en ambassade et de prier le souverain pontife d’intervenir en faveur de la Religion, dont les papes se considéraient les supé¬ rieurs spirituels comme ils avaient parfois des prétentions sur le temporel de l’Ordre. Mais il importe de rappeler que les pontifes d’alors, à titre de chefs du monde chrétien, avaient égale¬ ment des prétentions sur le temporel des autres puissances chrétiennes. En effet, depuis toujours les papes considéraient les conquêtes des chré¬ tiens comme leur propriété temporelle. Après s’être comportée comme la souveraine des croi¬ sades, il ne fait aucun doute que Rome se servait du prétexte des croisades pour favoriser des inté¬ rêts particuliers (15). Désireux de s’attacher un corps militaire puissant capable de les soutenir
(15) Vertot, ibid., vol. I, pp. 32, 38, 17G, 377, 421, 430. 51
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE dans leurs fâcheuses guerres, les papes remer¬ ciaient les chevaliers en leur attribuant des privi¬ lèges considérables et même, parfois, en les sou¬ tenant financièrement (16). Mais, abusant du res¬ pect que les hospitaliers manifestaient aux évê¬ ques de Rome, nombreux furent ceux qui s’appro¬ priaient des prieurés et des commanderies au pro¬ fit de leurs neveux ou des princes de l’Eglise, malgré toutes sortes de remontrances de la part des grands-maîtres (17). En s’attribuant des pouvoir internes, les papes contrecarraient leurs propres bulles, et certains d’entre eux, se rappelant leurs engagements à l’égard de la Religion, allèrent jusqu’à rappeler aux chevaliers le sens de leur devoir, qui était « de suivre leur règle et de ne plus se conformer aux appels continuels au Saint-Siège que certains d’entre eux faisaient pour se soustraire aux ordres de leur supérieur légitime, leur Grand-Maître» (18). L’aveu mérite d’être retenu, d’autant que plu¬ sieurs autres faits illustrent de manière éclatante la souveraineté de l’Ordre vis-à-vis du Saint-Siège. Entre autres, le fait que les chefs de l’Ordre obéis¬ saient à la Règle et aux statuts de leur Ordre plu¬ tôt qu’au Chef de la Catholicité. C’est ainsi, par exemple, que Pierre du Pont (Grand-Maître 15341535) « refusa, malgré les instances du pape Paul III, de nommer à une commanderie vacante un jeune chevalier au préjudice de ses anciens. Il écrivit à ce Pontife qu’à son avènement à la grande maîtrise on cwcdt exigé de lui, comme de tous ses prédécesseurs, des serments solennels d’observer les statuts de La Religion {l’Ordre), et qu’il priait Sa Sainteté de trouver bon qu’il ne (16) Vertot, ibid., vol. IV, p. 447. (17) Vertot, ibid., vol. V, pp. 127, 169, 175, 179, 180, 280,256,257. (18) Vertot, vol. II, pp. 262, 263.
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CHAPITRE VI
violât pas une obligation qu’il avait contractée au pied des Autels et sur les Saint-Evangiles » (19).. Ce n’est donc que par déférence, ou par diplo¬ matie que des grands-maîtres ou des chevaliers demandèrent parfois aux papes d’arbitrer certains différends ou d’intervenir occasionnellement dans les affaires de l’Ordre. En dépit de ce pacte tacite d’assistance avec la papauté, l'Ordre, au cours des siècles, sut non seulement demeurer neutre en maintes occasions, mais encore, comme nous venons de le voir, rejeter courtoisement, mais fermement, les interventions pontificales occupées à l’attacher à des desseins qui n’étaient pas toujours conformes à la poli¬ tique et à l'esprit de l’Ordre. C’est ainsi, par exemple, que les chevaliers de Rhodes avaient déjà refusé d’adhérer aux projets ambitieux du pape Jules II au Concile de Latran. Ayant recherché d’où pouvait provenir l’esprit de tolérance religieuse qui ressort curieusement d'un Ordre d’obédience spirituelle principalement catholique, j’ai renoncé à tenter de rattacher cet esprit à un courant de pensée philosophique pré¬ cis qui aurait influé de manière durable sur la doctrine de l’Ordre. Tout au plus peut-on affirmer que l’institution johannite orientale ne fut pas étrangère aux courants gnostiques alors répandus dans ces contrées et que, placée sous l’aile spiri¬ tuelle des deux saints Jean (le Double, le Baptiste et l’Evangéliste) elle fut fortement baignée de la mystique du Visionnaire de l’Apocalypse et de la Jérusalem céleste, de même que ses membres ne pouvaient éviter d’être séduits par la pensée reli¬ gieuse de l’Islam qu’ils rencontraient à chaque carrefour de passions, lesquelles, pour brutales qu’elles fussent souvent, n’en trahissaient pas (19) Ibid., vol. IV, page 87. 53
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
moins une profonde estime réciproque de valeurs qui n’étaient pas toujours belliqueuses. Ce qu’il faut retenir, c’est que Saint-Jean saura demeurer à l’écart des disputes théologiques, et il semble qu’il sut toujours se tirer d’affaire en plaçant la charité au-dessus des élucubrations phi¬ losophiques et des dogmes. Hospitalier, il le sera dans toute l’acception du mot, et Dieu sait qu’elle est vaste ! L’Hôpital de Saint-Jean préfigure de sept siècles le mot de Pasteur : « Je ne te demande ni ta race ni ta religion, mais quelle est ta souf¬ france». Saint-Jean fut la seule image véritable¬ ment évangélique de l’époque des croisades et rachète la conduite barbare de trop de chrétiens en terre islamique. Cette tolérance, due à une charité exercée au sein de divers courants reli¬ gieux, devait fatalement entraîner l’Ordre dans une conduite souvent fort peu orthodoxe. Jugeonsen plutôt par quelques exemples glanés dans l’his¬ toire de cette chevalerie dont la dynamique se voulait encore essentiellement religieuse, c’est-àdire authentiquement humaine.
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« Heureux ceux qui souffrent
persécution
pour la justice, car le Royaume des deux est à eux. » (Eu. Matthieu)
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VII —
En 1166, alors que les chevaliers assiègent Alexandrie, le gouverneur mahométan, le jeune Saladin (20), sort à la tête de sa garnison pour se rendre aux chrétiens et sollicite du connétable Othon de Thoron, son ennemi pour lequel il a la plus grande estime, d’être armé chevalier de sa main ! Eh bien, malgré que le récipiendaire fût musulman et ne reçut point le baptême avant la consécration, il fut adoubé en considération de sa valeur héroïque, en présence des troupes sarrazines et chrétiennes, geste noble certes, mais constituant une entorse monumentale aux règles de la chevalerie, — pour autant que la chevalerie, au sens mystique qu’il importe de lui donner ici, soit susceptible d’être enfermée dans des limites rationnelles. Mais, je ne pense trouver un exemple typique de plus grande libéralité religieuse que celui qui surgit en plein siècle cathare, au cœur de l’atroce croisade lancée contre les Albigeois, ces purs héri¬ tiers de la gnose manichéenne. On se souvient que pour démontrer aux gnostiques qu’ils avaient tort de considérer le monde comme le règne des ténè¬ bres, on suscita contre eux les plus féroces persé¬ cutions... (20) Salah Al’Din (1137-1193), meurtrier du mystique shî’îte Sohrawardi, mort martyr à Alep en 1191. (Voir son œuvre dans « Terre céleste et Corps de Résurrec¬ tion », par H. Corbin, ed. Buchet-Chastel 1961.). 57
VOCATION SPIRITUELLE DE LA CHEVALERIE
Un des chefs de la résistance albigeoise, le puis¬ sant Raymond VI de Toulouse, avait été soupçonné d’avoir fait assassiner le légat du Pape, Pierre de Castelnau qui, après l’avoir excommunié, avait voulu s’emparer de ses terres : « Qui vous dépossédera fera bien ; qui vous frappera de mort sera béni »... Et, beau motif pour accroître sa culpa¬ bilité, c’est sous les murs de la Rome cathare que le cruel Simon de Montfort avait trouvé la mort. Malgré un voyage humiliant au Vatican, le comte Raymond revint considéré comme hérétique parce qu’il avait refusé de bannir ceux de ses sujets qui rejetaient le magistère romain. Découragé, que fait-il ? Il décide, ni plus ni moins, d’entrer au service des hospitaliers de Saint-Jean à Toulouse. Et c’est au milieu d’eux qu’il mourut en 1222, son corps recouvert du manteau de l’Ordre malgré l’excommunication et les foudres du Légat pon¬ tifical, lequel ne parvint à obtenir seulement qu’il 11e fut enseveli dans la chapelle du prieuré. En somme, tout ceci est-il bien surprenant ? On sait que c’est surtout par les rapatriés des croi¬ sades que s’infiltrèrent en France nombre d’élé¬ ments gnostiques. Quoi donc d’étonnant à ce qu’il y ait eu des sympathies envers la foi languedo¬ cienne dans une contrée où les Ordres orientaux (le Temple surtout) comptaient de si nombreuses commanderies ? Et puis, en Orient, dix ans plus tôt, le grandmaître de Montaigu ne s’était-il pas allié avec le roi Léon d’Arménie, considéré comme schisma¬ tique tant par les grecs de Constantinople que par les latins de Rome ? L’Arménie avait été long¬ temps sous l’influence des idées du prophète Manès et était à la fois zoroastrienne et chrétienne. Ses habitants professaient la doctrine paulicienne qui tirait son origine de Paul de Samosate. Chré¬ tiens d’influence gnostique, à l’instar des anciens 58
PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE VII
Valentiniens et Marcionites, ils rejetaient tout lien avec l’Ancien Testament et adhéraient au dualisme. Encore moins orthodoxe que celle des hospita¬ liers avait été la conduite des templiers dont ils partagèrent souvent les idées, en dépit de leurs sporadiques oppositions. En 1171, le prince Métier d’Arménie avait été reçu templier et un critique latin affirmait même : « Je sais de bonne source « que plusieurs sultans ont été volontiers reçus « avec grande pompe dans l’Ordre et que les « templiers eux-mêmes ont permis de célébrer « leurs superstitions avec invocation de Maho« met ». Témoignage confirmé par le fait qu’il était de tradition secrète chez les templiers que Saladin, dont nous avons vu plus haut la marque d’estime qu’il avait déjà reçue des chrétiens, s’était fait recevoir dans leur Ordre par le cheva¬ lier Hugues de Tibérias et qu’il avait satisfait à toutes les cérémonies de l’Ordre, excepté à la réception publique (21). En revanche, certains offi¬ ciers du Temple auraient été initiés par des maî¬ tres soufis de Damas dont le sultan était devenu allié du royaume chrétien. Nous savons en outre que les templiers permettaient la liberté du culte religieux de Mahomet dès les premiers temps. Mais il semble que ce fut surtout à dater d’un accord conclu entre Richard-Cœur-de-Lion et Saladin, que l’armée chrétienne entière s’aperçut que les Sarrazins, qu’on leur avait fait passer pour des monstres, étaient « à leur culte près, des hommes éclairés et bienfaisants » (22). (21) Preuves du manichéisme de l’Ordre du Mignard, Paris 1853.
Temple,
(22) Cf. ibid. (Preuves du manichéisme de l’Ordre du Temple), Mignard, p. 91. « Une dernière trêve entre Sala¬ din et Richard-Cœur-de-Lion signée pour 3 ans, 3 mois. 3 jours et 3 heures, date cabalistique qui donne au total le nombre 12, augmenta considérablement l’intimité des 59
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Impossible donc de passer sous silence la nonorthodoxie de l’Ordre cadet de Jérusalem. Au XIVe siècle, une diabolique machination devait entraîner la condamnation tragique de ce qu’on appelait l’apostasie templière. Tout au moins on y trouva matière à prétextes pour s’emparer des richesses de cette trop puissante institution qui professait à ses adeptes une règle où les sciences astrologiques, les signes de la Kabbale, l’alchimie et l’art cryptographique tenaient une place au moins aussi importante que le dogme catholique. De plus, pour faciliter les accusations, le récent souvenir de l’écrasement de « l’hérésie albigeoise » mettait l’accent sur les liens qui rattachaient le catharisme aux mystères en usage dans l’associa¬ tion des Templiers (23). N’en doutons pas : si, à l’exemple du Temple, l’Hôpital de Saint-Jean avait constitué en France un état dans l’Etat sans avoir son pouvoir hors d’atteinte et occupé en Méditerranée à résister aux barbares, le même sort lui eût été réservé. Les répercussions considérables que la tragédie du Temple engendra dans la pensée chrétienne occi¬ dentale, autant que la gravité de certaines alléga¬ tions quant à une prétendue responsabilité de l’Ordre de Saint-Jean à l’égard de son frère le Temple, obligent à une récapitulation historique particulièrement précise des circonstances drama¬ tiques de l’affaire.
Templiers et des Sarrazins, au point que la présomption d’influence des doctrines musulmanes sur les Templiers va toute seule. » (23) Cf. ibid., 2e partie, page 51. 60
«Ne faites point violence aux hommes à ause de leur foi. » (Coran, II, 257)
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