Vivre dans la Grèce antique [143]

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Polecaj historie

Vivre dans la Grèce antique [143]

Table of contents :
♦ Édito : Au coeur du miracle
- Cadrage : Le Monde Grec – L’émergence d’une puissance
- Interview : « Athènes se voulait l’éducatrice du monde grec » d’Anne Queyrel Bottineau
♦ I – Le Citoyen
- Entre les murs d’Athènes
- Le cercle très fermé des citoyens
- La passion de la guerre
- Sparte, miracle ou mirage ?
♦ II – La société
- La famille, miroir du civisme grec
- Vingt-quatre heures de la vie d’une femme
- Tu seras citoyen-soldat, mon fils
- Les dieux du stade
- La société se met en scène
- La philosophie questionne la Cité
♦ III – Dans l’intimité
- Le culte du corps – La beauté est un long combat
- Secrets de beauté, le prêt-à-porter
- À l’écoute des dieux
- L’éloge de la frugalité

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a u x r a c ine s du m o nde

politique guerre, sport : une sociÉtÉ obsÉdÉe par la compÉtition

Vivre dans la

Grèce antique

M 02281 - 143 - F: 5,95 E - RD

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Vie quotidienne famille, loisirs culte du corps… dans l’intimitÉ des athÉniens au temps de pÉriclès

N° 143 février 2014 - fraNce métro : 5,95€ - Dom : 6,50 € - BeL : 6,95 € - cH : 9 fS - caN : 8,95 $caN - eSP : 5,95 € - Gr : 5,95 € - ita : 6,50 € - LUX : 6,95 € - mar : 70 DH – tom avioN : 1450 cfP – tom SUrface : 850 cfP - Port.coNt : 5,95 € - tUN : 12 DtU

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© M. Germain

ÉDiTO Au cœur du miracle

MICHEL SAEMANN

Après les guerres médiques, vers le milieu du Ve siècle avant notre ère, s’est amorcé ce qui est encore aujourd’hui assimilé à un miracle. Pendant près d’un siècle, la prééminence de la civilisation grecque fut absolue tant sur le plan intellectuel qu’artistique. Une ville, en particulier, se distingue : Athènes, l’autre cité aux sept collines. Sous la conduite de Périclès, elle connaît un véritable âge d’or ; et cette expression, trop souvent galvaudée, prend ici tout son sens. La Grèce de la Grèce, comme on la surnommait alors, invente la démocratie participative, accouche historiquement de la philosophie sur le sol en terre battue de l’Agora, loge ses dieux dans d’inégalables palais érigés sur l’Acropole, régale ses foules d’émouvantes pièces de théâtre. De ses mains et de son esprit jaillit un patrimoine sans précédent dont notre propre culture revendique encore l’héritage. Mais à quoi ressemblait ce miracle grec vu de l’intérieur ? Avant de prendre le temps à rebours, une fois le curseur réglé sur l’époque, reste à choisir le lieu précis. Or, si le monde grec antique est une communauté de langue, de religion, de culture, de mœurs, il n’a rien pour autant d’un État uni. On ne vit pas de la même manière selon qu’on est spartiate, thébain ou athénien. De toutes les destinations possibles, Athènes s’impose par l’abondance des données historiques et archéologiques disponibles. Mais voilà qu’un nouvel écueil se présente : s’immerger dans la vie quotidienne de ses habitants à l’époque classique, n’est-ce pas masquer le sublime par le banal ? À vrai dire, s’il fut d’usage de le penser à partir de la Renaissance, plus personne ne croit aujourd’hui que tous les Grecs étaient des esthètes, des penseurs, des orateurs et des philanthropes de génie. Qu’ils irradiaient de leur personne comme un Apollon sculpté dans le plus pur des marbres, que leur vie se coulait dans les vers d’une tragédie d’Euripide. Alors oui, arpentons les rues étroites et sales, entrons dans une de ces maisons à l’architecture rudimentaire qui rechignent à s’aligner avec leurs voisines, partageons le pain et le fromage qui font l’ordinaire de ses habitants. Discutons avec ces Athéniens plus préoccupés du « qu’en dira-t-on » que d’élever leur niveau moral, découvrons l’aspect sombre de cette société inégalitaire. Dépassons les apparences, le miracle grec gagnera en authenticité sans perdre de son éclat.

Isabelle Bourdial rédactrice en chef

LE CITOYEN

Entre les murs d’Athènes Athènes offre à la vue un urbanisme débridé, à la différence des autres grandes cités grecques. Mais la séparation de l’espace public et de l’habitat est nettement marquée.

Dominée par l’Acropole, Athènes offre à la vue un urbanisme débridé, à la différence des autres grandes cités du monde grec. Néanmoins, la séparation de l’espace public et de l’habitat est nettement marquée. RENÉ MATTES - HEMIS.FR

16

A

2 vec quelque 2 700 km et d’Athènes peut-être 300 000 ou 400 000 habitants, la cité et des plus est, à la période classique, l’une des plus vastes ? Et peuplées du monde grec. Mais à quoi ressemble-t-elle politique, comment y vit-on ? « La cité est d’abord une entité Chandezon, Christophe autonome et souveraine, prévient professeur d’histoire grecque à l’université Paul-Valéry dite de Montpellier. Elle se compose de la ville proprement éléments deux Ces chôra). (la rural territoire (l’asty) et de son sont intrinsèquement liés, sans que l’un soit véritablement e siècle. » subordonné à l’autre, au moins jusqu’à la fin du V offre un Mais c’est bien la ville qui marque les esprits. Elle première spectacle inoubliable à celui qui la visite pour la par ère notre fois. Ravagée et incendiée en 480 avant e véritable l’ennemi perse, Athènes connaît au V  siècle une renaissance. Grâce aux travaux impulsés par Thémistocle fortificaet ses successeurs, elle s’est dotée de nouvelles L’entions. Et ce sont elles qui attirent d’abord le regard. ceinte, construite autour de la ville sur neuf kilomètres en effet et une dizaine de mètres de hauteur, se prolonge

Sur l’Acropole, l’Érechthéion et son portique des Caryatides. 16

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

17

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

LE CITOYEN

Tout citoyen peut, en tant que membre d’une Assemblée législative ou judiciaire, participer à la vie politique de la cité.

ARTURALIEV-123 RF / RMN-GRAND PALAIS

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

KONSTANTINOS KONTOS - LA COLLECTION

En inventant la démocratie, Athènes garantit à ses citoyens aux institutions politiques et la liberté d’expression. La l’accès majeure partie de ses habitants en est, toutefois, exclue. 24

FICHE D’IDENTITÉ DE CLÉODÈME

(MUSÉE DU LOUVRE) H. LEWANDOWSKI

Le cercle très fermé des citoyens

24

e jour vient à peine de se lever, mais les gradins de la colline de la Pnyx, au pied de l’acropole d’Athènes, commencent déjà à se remplir. Cléodème fait partie des quelques centaines de matinaux qui ont bravé l’aube pour venir siéger à l’Ecclésia, l’Assemblée du peuple. Au programme de cette séance, le vote des lois qui viennent d’être examinées par la Boulê, le Grand Conseil de la cité. Comme beaucoup de citoyens, Cléodème doit laisser de côté son travail lorsqu’il vient siéger. Heureusement, depuis la fin du Ve siècle av. J.-C., un dédommagement financier, le misthos, a été mis en place sur le modèle de celui de la Boulê et des tribunaux. Certes, cela ne compense pas sa journée de salaire, mais Cléodème peut compter sur l’aide de son épouse pour tenir sa petite boutique, puisqu’en tant que femme, elle n’appartient pas au corps des citoyens et ne peut participer à la vie politique. Depuis la fin du VIe  siècle avant notre ère, la cité d’Athènes vit sous le régime original de la démocratie, le gouvernement du peuple souverain (dèmos) réuni en Assemblée. À cette époque, les régimes qui ont cours dans le petit millier de poleis formant la mosaïque politique de la Grèce verrouillent le pouvoir au profit d’un dirigeant, monarque ou tyran, ou d’une élite de citoyens généralement aristocrates, à l’image de l’oligarchie. Seule la démocratie offre l’accès aux institutions sans condition de fortune ni de naissance à l’ensemble du corps civique, composé des citoyens mâles de plus de 20 ans nés d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen. C’est justement à Athènes que naît cette démocratie « dans des conditions qui restent en grande partie mystérieuses », explique Bernard Eck, professeur d’histoire grecque à l’université de Grenoble, après l’effondrement de la tyrannie instaurée par la famille des Pisistratides. On sait cependant

Vivre dans la

Si la démocratie garantit aux citoyens l’accès aux institutions politiques et la liberté d’expression, la majeure partie des Athéniens en est toutefois exclue.

Grèce antique

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Égalitariste et austère, la société spartiate fut longtemps érigée en exemple. Et si Sparte n’était qu’une cité comme une autre ?

Avec ces jetons on votait la condamnation (tige creuse), ou l’acquittement (tige pleine) d’une personne. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

LE CITOYEN Sparte est, au Ve siècle av. J.-C., une grande puissance guerrière. Son roi Léonidas trouva la mort dans une lutte héroïque contre les Perses. (La reconstitution de Sparte, de J.-M. Gandy, XVIIIe s.)

25

LE CITOYEN

A AKG-IMAGES - JOHN HIOS

ARMANDA CLARO - ODYSSEUS - ARTE

Les hoplites, soldats d’infanterie, fournissent leur propre équipement, dont casque, cuirasse et jambières de bronze. (Casque, bronze, ve s. av. J.-C.)

LES CAHIERS DE SCIENCE &

VIE

31

30 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

38

LES CAHIERS DE SCIENCE &

VIE

Sparte, miracle ou mirag e?

Longtemps la société spartiate, par son système égalitariste et son austère vertu, fut érigée en exemple. Et si Sparte n’était tout simplement qu’une cité comme une autre ? LES CAHIERS DE SCIENCE &

Le théâtre vise d’abord à honorer Dionysos. (Un chœur tragique, Bacchaï, au théâtre national de Londres.) Ci-dessous, copie d’un masque de tragédie, IVe s. av. J.-C.

Dans un monde grec morcelé en plusieurs cités, le patriotisme régional donne lieu à une multitude de guerres auxquelles prennent part tous les citoyens.

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LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

DONALD COOPER - PHOTOSTAGE. CO. UK

La société se met en scène Se rendre au théâtre est d’abord pour les Athéniens un acte cultuel. C’est aussi l’occasion de découvrir des pièces dont certaines, témoignages de l’avènement de la démocratie, marqueront l’histoire.

VIE

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64

LA SOCIÉTÉ

PANAGIOTIS KARAPANAGIOTIS - 123 RF

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ART LIBRARY / FRANCK GUIZIOU - HEMIS.FR

cités, le patriotisme Dans un monde grec morcelé en nombreuses auxquelles prennent régional donne lieu à une multitude de guerres sur la hiérarchie sociale. part tous les citoyens, dans une armée calquée

ÉDITIONS

La passion de la guerre

CHRISTIES’IMAGES - THE BRIDGEMAN

Les affrontements entre Grecs obéissent à des règles strictes : on déclare la guerre formellement, on convient d’un lieu, on ne poursuit pas l’ennemi vaincu… (Scène tirée d’« Odysseus », Arte, 2013).

thènes est en guerre plus de jamais la paix deux années sur trois, et ne connaît Cette omnipréplus de dix années consécutives. avant tout par sence des conflits armés s’explique du monde grec. l’extrême morcellement politique sur des terPlus d’un millier de cités rassemblent carrés kilomètres ritoires de parfois moins de cent de villages, et une agglomération ou un groupe se sent citoyen la campagne environnante. On avant d’être de Corinthe, d’Égine ou de Mégare de la terre sont grec. Ce patriotisme et cet amour de voisinage, un terreau fertile pour les querelles détestations les rivalités, les convoitises et les rapportées par mutuelles. « Les raisons des guerres, : agression terles historiens grecs, sont innombrables jugée impie, ritoriale, déloyauté, pratique religieuse sont bons pour affronts à l’honneur. Tous les prétextes Garlan, proattaquer l’adversaire », observe Yvon . fesseur émérite de l’université de Haute-Bretagne reconnu Sans parler de l’appât du butin, rarement mais bien réel. DE VIE LA COMPÉTITION POUR MODE comla bien résume agôn La polysémie du terme la civilisation plexité du statut de la guerre dans « assemblée ». grecque. Au sens propre, il signifie deux autres Mais à l’époque classique il désigne l’esprit de idées complémentaires : d’une part, joutes oratoires rivalité, que l’on trouve lors des sportifs ou sur concours les dans des assemblées, l’acceptation les champs de bataille ; d’autre part, règles dans leur implicite par les compétiteurs de centrale que les affrontement. La notion d’agôn, si Grèce antique historiens parlent à propos de la implique donc de «  civilisation agonistique  », à la fois que toute assemblée humaine suppose participent et une compétition entre ceux qui y l’existence de normes pour l’encadrer. entre Grecs, Tout affrontement armé, du moins nombre de suppose ainsi le respect d’un certain déclarée, être doit guerre Une règles coutumières. combattants la surprise étant jugée déloyale. Les Le vaindoivent convenir du lieu de la bataille. vaincu et queur ne doit pas poursuivre l’ennemi

une éclosion soudaine, brève, éblouissante » : c’est ainsi que l’helléniste Jacqueline de Romilly décrivait la créativité intense qui a animé les scènes de théâtre en Grèce et en particulier à Athènes au Ve  siècle avant notre ère. En 80 ans, plus de 2 000 pièces, destinées à n’être jouées qu’une fois, ont été écrites. Elles ont tenu une place prépondérante au sein d’une société grecque qu’elles ont, en retour, influencée. « Le théâtre ne relève alors pas du simple divertissement, précise Jean-Charles Moretti, directeur de recherche au CNRS à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée de Lyon : aller au théâtre constitue un acte religieux, pas une activité culturelle ». Il prend ses racines dans le culte de Dionysos, dieu du vin, à qui l’on rendait hommage par des chants. Au fil du temps, un des chanteurs s’est détaché du chœur et lui a donné la réplique. De ce dialogue, qui n’a jamais impliqué plus de trois acteurs,

sont nées les pièces de théâtre. Les chœurs et les danses y ont gardé une place essentielle. Comme à Olympie, où le culte en l’honneur de Zeus est l’occasion de concours sportifs (les fameux Jeux olympiques), à Athènes, certaines fêtes de Dionysos comportent des concours musicaux (l’art des muses) qui se déroulent au théâtre. Ces manifestations ont lieu trois fois dans l’année : lors des Lénéennes et des Dionysies rurales en hiver, et lors des Grandes Dionysies, les plus prestigieuses, au printemps. Ces dernières auraient été lancées sous le tyran Pisistrate, en -534, mais elles ont véritablement pris de l’ampleur après la mise en place de la démocratie, devenant un des lieux où l’on s’interroge sur la conduite de la cité. Pendant quatre à cinq jours, l’effervescence de la cité se focalise sur le théâtre de Dionysos. Quelque 17 000 spectateurs se serrent sur les gradins. Pour faciliter l’accès aux pauvres, le prix des places reste modique, et une caisse, le theorikon, est instituée afin de les dédommager du manque à gagner d’une journée de travail. Les enfants peuvent figurer parmi les spectateurs, de même que les métèques et les LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Aller au théâtre est, pour les Athéniens, l’occasion de découvrir des pièces dont certaines, témoignages de l’avènement de la démocratie, marqueront l’histoire.

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SOMMAiRE

No 143

dans L'intimitÉ

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Le monde grec L’émergence d’une puissance

LES BIJOUX Les individus les plus riches se parent d’or et d’argent, les plus modestes, de bronze et de fer. Bagues, bracelets et anneaux aux chevilles ornent les corps des hommes et des

femmes, celles-ci y joignant colliers et boucles d’oreille. très travaillés, les bijoux sont souvent agrémentés de motifs végétaux et animaux, de représentations de figures humaines ou mythologiques.

Marielle Mayo

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Interview : Anne Queyrel Bottineau « Athènes se voulait l’éducatrice du monde grec »

LE MAQUILLAGE Les Grecques disposent d’une palette de trois couleurs pour se farder: le blanc, le rouge et le noir. diverses substances minérales et végétales composent ce maquillage : poudre de cérusite pour éclaircir le teint, sulfure de mercure, d’arsenic ou

Jean-François Mondot

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COUVERTURE: FILM 300 : COLL. CHRISTOPHE L. / MICHEL SAEMANN

essentiel de la e parfum constitue un élément dispose parure pour les deux sexes. Athènes aux fragrances sur d’ailleurs d’un marché dévolu de la production locale, l’agora, le myropoleion. À côté rose, sauge ou lavande, notamment à base de jonc, lys, plus rares importées, senteurs les aussi les Grecs goûtent et l’arum d’Égypte, et plus coûteuses, telles l’aneth le silphion de Lybie. la myrrhe et la cannelle d’Orient, e plus prisés : au IV siècle Les effluves capiteux sont les de cinnamome, de safran, av. J.-C., on s’enivre de myrrhe, art dont un est parfumerie La de musc et de civette. leurs créations, à l’image les plus grands noms signent par Mégallos de Sicile. du megalleion, le parfum distillé

L LA PYXIS Bijoux, onguents et cosmétiques sont conservés dans des boîtes rondes ornées de scènes d’intérieur. en haut miroir à pied en bronze.

Les Cahiers de sCienCe & vie

Fabienne Lemarchand

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Le cercle très fermé des citoyens

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme Pascale Desclos

Émilie Formoso

55 62 64 68

La passion de la guerre Nicolas Chevassus-au-Louis

Sparte, miracle ou mirage ? Jean-François Mondot

La famille, miroir du civisme grec Raphaële Brillaud

Tu seras citoyen-soldat, mon fils Philippe Testard-Vaillant

Les dieux du stade Marie-Amélie Carpio

La société se met en scène Anne Debroise

La philosophie questionne la Cité Román Ikonicoff

DANS L’INTIMITÉ DANS L'INTIMITÉ

PLAINPICTURE - MILLENIUM - LUIGI SPINA

Les citoyens portent une grande attention à leur apparence physique. Peintres et sculpteurs de la Grèce ancienne n’ont cessé de composer des corps nus à la plastique parfaite et éclatant d’une mâle énergie…

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LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

Les artistes de la Grèce antique n’ont cessé de composer des corps nus à la plastique parfaite…

Pour les artistes, l’idéal de beauté masculine s’incarne dans les dieux. (Héraclès au repos. Réplique romaine du IIe siècle.)

ais comment faisaient ces diables de Grecs pour être aussi musclés ? Sur les flancs des vases, sur les frises des temples, ce ne sont que jeunes gens élancés, robustes et bien découplés, cascades d’abdominaux saillants, poitrails d’airain et mollets galbés. Une apologie de la chair bien agencée où le bourrelet disgracieux et l’infâme poignée d’amour n’ont pas leur place. Cette débauche d’hommes nus ne compte aucun notable bedonnant, aucun vieillard aux muscles fanés voire aucun personnage d’âge mûr. L’art grec témoigne d’une fascination pour le corps mais pas n’importe lequel : il s’est pris de passion pour celui de l’éphèbe, adolescent mâle, fils de citoyens libres, musclé et ciselé par des années de pratiques sportives. L’historien de l’art Johann Winckelmann avançait en 1755 que l’atmosphère douce et sereine de la péninsule hellénique y était sans doute pour quelque chose… Mais que c’était surtout les exercices physiques pratiqués par les Grecs dès leur jeunesse qui conféraient à « leurs corps les contours mâles et élégants que les artistes ont donnés à leurs statues. » Mais si les hommes semblent effectivement faire attention à leur apparence, peut-on parler pour autant d’un culte du corps dans la Grèce antique ? « Pour les Grecs, la beauté a d’abord une dimension sociale, explique Jérôme Wilgaux, maître de conférences en histoire grecque à l’université de Nantes. À l’époque classique, les élites athéniennes sont des kaloikagathoi, c’est-à-dire des personnes belles (kalos) et bonnes (agathos). Ce n’est pas parce qu’on est beau qu’on fait partie des élites, mais parce LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

74

Le culte du corps La beauté est un long combat Christophe Migeon

M

La beauté est un long combat

74

LE STRIGILE Ce racloir recourbé est utilisé par les hommes pour débarrasser la peau du sable, de l’huile et de la sueur après leurs exercices physiques.

L’ALABASTRE Ce vase à parfum haut de 15 à 20 cm est utilisé pour la toilette et les rites. Les Cahiers de sCienCe & vie

Entre les murs d’Athènes

Le culte du corps

L’ART DU BAIN Les Grecs ignorent le savon. ils se lavent avec de la soude, de l’argile, du nitrate de potassium, ou avec une lessive obtenue à partir de cendres de bois et de chaux. ils compensent ce récurage astringent en s’enduisant le corps d’huile en grande quantité.

Pour sublimer leur apparence, les Grecs s’adonnent chaque jour à divers rituels. Un art véritable…

LA SOCIÉTÉ

44

LA COIFFURE Un Perse, venu espionner les spartiates lors de la bataille des thermopyles, les a vus « occupés les uns à faire de la gymnastique, les autres à peigner leur chevelure ». Les cheveux longs sont pour eux un symbole de l’homme libre. dans les autres cités, comme à athènes, cheveux courts et mèches bouclées ont la faveur des citoyens. Un crâne rasé distingue en revanche l’esclave. C’est pourquoi les Grecs frappés de calvitie n’hésitent pas à porter la perruque.

Divins parfums

ocre rouge pour rehausser les lèvres, khôl ou poudre d’antimoine pour souligner le regard… il faut toutefois se garder d’avoir la main lourde. Utilisé avec outrance, le maquillage signale la courtisane ou la prostituée.

LE CITOYEN

16 24 30 38

DEAGOSTINI - LEEMAGE / RMN - GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - HERVÉ LEWANDOWSKI / PHOTOS LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / JOSSE - LEEMAGE

Les Grecs ont érigé l’entretien du corps au rang d’art. Au-delà du simple souci de l’hygiène, divers rituels quotidiens visent à sublimer l’apparence. Le corps est parfumé, fardé, paré.

CADRAGE

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS / BIANCHETTI - LEEMAGE / PHOTOS RMN - GRAND PALAIS (MUSE DU LOUVRE) - H. LEWANDOWSKI

Secrets de beauté

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82 86 92

Secrets de beauté, le prêt-à-porter Marie-Amélie Carpio

À l’écoute des dieux Denis Delbecq

L’éloge de la frugalité Serge Tignères

Nous tenons à remercier, pour leur contribution à la réalisation de ce numéro, Stéphanie Hauville-Hourlier et Clémentine Sutra d’Indigènes Production, ainsi que Maïlys Affilé d’Arte France.

83

82

LE MONDE GREC

L’émergence d’une puissance

A

Le monde grec est parsemé de cités disposant chacune d’institutions politiques et religieuses propres. (Sanctuaire de Delphes ; temple de Poséidon au Cap Sounion, Athènes.)

6 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

ED FREEMAN - GETTY IMAGES / ULLSTEIN BILD - ROGER-VIOLLET

lors que les anciennes civilisations du bassin méditerranéen – la Mésopotamie et l’Égypte des pharaons – ont succombé à la domination de l’Empire perse, les cités grecques vont lui résister et donner naissance à l’une des cultures les plus brillantes et les plus fécondes de l’Antiquité. Le rôle d’Athènes dans ce bouillonnement intellectuel et artistique est majeur. Le Ve siècle av. J.-C. restera dans les mémoires comme celui de Périclès, célèbre stratège athénien et « inventeur » de la démocratie.

LE MONDE GREC

Le temps des cités Au Ve siècle avant notre ère, le monde grec compte des centaines de cités indépendantes, parfois associées au sein de grandes coalitions à caractère religieux ou politique et militaire. Chaque cité ou polis constitue un État, avec sa propre organisation sociale, économique et culturelle ainsi que ses institutions politiques et religieuses. Elle regroupe une communauté de citoyens « libre et autonome », régie par des lois (nomoi). L’originalité et le rayonnement de la civilisation grecque à l’époque classique (Ve- IVe s.) tiennent en grande partie à cette structuration de l’espace. Celleci s’est progressivement mise en place dès l’époque archaïque, les premiers Jeux olympiques organisés en -776 faisant office d’acte de naissance officiel des cités. Les Grecs commercent avec le Proche-Orient, et s’inspirent peut-être des cités-États qui se sont épanouies dès le iiie millénaire en Mésopotamie. La fondation d’une cité se traduit par la fusion de plusieurs villages au sein d’une même communauté, qui va se développer autour d’un centre urbain et se doter d’un pouvoir collectif et d’institutions. Dès la fin du VIe siècle, les traits de la Grèce des cités sont fixés. Leur territoire couvre la ville, souvent 8 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

des crises socio-économiques, les cités grecques s’opposent aussi dans de violents affrontements. Des alliances se nouent et se dénouent au gré des circonstances. Ainsi la ligue de Délos, formée autour d’Athènes pour repousser l’ennemi perse, va être l’instrument de sa domination sur le monde grec. La confédération béotienne, alliance régionale autour de Thèbes, a quant à elle choisi le camp perse, ce qui entraîne sa dissolution en -479. Reformée, elle s’alliera avec la ligue du Péloponnèse emmenée par Sparte, qui s’opposera à Athènes et contribuera à sa chute en -404…

organisée autour d’une place forte naturelle et entourée de remparts, avec sa place publique et ses monuments civils et religieux, ainsi que la campagne environnante exploitée par l’homme. Aux confins de la cité, des zones non occupées, les eschatai, marquent ses frontières. La plupart de ces communautés – Chios, Samos, Égine… – ne couvrent que quelques dizaines de kilomètres carrés. Les plus importantes – Sparte, Lesbos, Thèbes, Athènes – occupent toutefois de vastes territoires (environ 2 500 km2 pour Athènes). Déchirées par des conflits internes et

AKG IMAGES - PETER CONNOLLY

La cité d’Athènes joue un rôle primordial dans la promotion culturelle et artistique. (Peinture de P. Connolly, XXe s., restituant les déesses du fronton est du Parthénon : Hestia, Dioné, Aphrodite.)

499-498 Soulèvement des cités d’Ionie contre la tutelle perse

Époque présumée de la guerre de Troie

LES SIÈCLES OBSCURS

PÉRIODE MYCÉNIENNE 1700

1600

1500

1400

1300

776 Premiers Jeux olympiques Appauvrissement, recul démographique et régression culturelle

1200

1100

1000

900

ATHÈNES

800

Essort des cités-États dans le bassin méditerranéen anéen jusqu’en Asie mineure PÉRIODE ARCHAÏQUE 700

600

500 av. J.-C.

561-510 Tyrannie 508-507 Réformes démocratiques de Clisthène

ILLYRI E T H R A CE

Épidamne

Byzance Sindos

Apollonia

MA C ÉD O I N E CHALCIDIQUE

Cyzique

Mont Olympe Corcyre

Troie TROADE

TH ES S A L I E

É P I RE

Mer Égée Thermopyles EUBÉE

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Le monde grec au ve s. av. J.-C.

E MP IRE PERSE

Phocée IONIE Samos

Délos

ARCADIE

Sparte LACONIE

Pàros

STEPHANE HUMBERT-BASSET

Milet Halicarnasse

Rhodes

Athènes et la ligue de Délos Alliés d’Athènes indépendants Sparte et la ligue du Péloponnèse États grecs neutres

Cnossos CR È T E

Grandes batailles

480 Bataille des Thermopyles 478-477 Constitution de la ligue de Délos, futur instrument de l’hégémonie athénienne 431-404 Guerre du Péloponnèse opposant Athènes et Sparte

née

334-323 Conquêtes d’Alexandre le Grand 323 Mort d’Alexandre le Grand Partage de son empire entre ses généraux

CLASSIQUE 400 av. J.-C.

iterr a Mer méd

337 Soumission des cités-États à Philippe II de Macédoine

490-479 Guerres médiques opposant Grecs et Perses

450 av. J.-C.

Éphèse

Rhodes

100 km

PÉRIODE

AEOLIS

Skyros

Erétrie Delphes BÉOTIE Thèbes Marathon Salamine ACHAÏE Corinthe Athènes PÉLOPONNÈSE ATTIQUE Tenea Olympie MESSÉNIE

Lesbos

PÉRIODE HELLÉNISTIQUE 350 av. J.-C.

447-432 387 Fondation de 461-429 Construction du Parthénon l’Académie de Platon 470 Vie politique dominée par Périclès 404 Naissance de Socrate Siège et reddition d’Athènes 480 490 Bataille de Salamine Bataille de Marathon

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322 Révolte d’Athènes contre les Macédoniens Défaite et renversement de la démocratie

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE MONDE GREC

Des régimes politiques inédits

La démocratie grecque a ses zones d’ombre. Jeune homme et son esclave, dont la petite taille indique un statut inférieur.(Stèle funéraire de -430.)

Une société clivée Bien que la cité grecque ait accouché de la condition de citoyen – un homme libre, qui dispose de droits et de devoirs et participe activement aux affaires publiques –, on aurait tort de l’imaginer comme une société égalitaire. Elle est en effet traversée par de profonds clivages, excluant de la pleine citoyenneté des pans entiers de la population. L’esclavage constitue ainsi la part d’ombre de la brillante civilisation grecque et l’un de ses fondements majeurs, les esclaves permettant à l’homme libre de vaquer à la vie de la cité en le déchargeant des travaux pénibles. Si la femme joue un rôle dans la transmission de la citoyenneté et la vie religieuse, elle reste exclue des droits civiques. Quant aux étrangers – « barbares » ou Grecs issus d’une autre cité –, ils peuvent être des esclaves ou des hommes libres. Ces derniers, appelés métèques, n’ont pas de droits politiques mais sont soumis à des devoirs fiscaux et militaires. La société grecque est aussi marquée par d’importantes inégalités sociales. L’homme libre, riche et oisif, souvent un propriétaire foncier, est considéré comme le prototype de l’élite car il peut s’investir pleinement dans les affaires 10 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

de la cité et les œuvres de l’esprit. Mais les pauvres sont nombreux, et la majorité de la population est contrainte de travailler pour subvenir à ses besoins. Statuts juridique et social ne se recouvrent pas toujours, la condition d’homme libre ne garantissant pas une position plus élevée dans l’échelle sociale. Il existe ainsi de riches métèques et des citoyens pauvres. Il peut sembler paradoxal que la Grèce classique, dont la prospérité est assise sur les activités économiques, accorde si peu de considération au travail rétribué, jugé comme un mal nécessaire. Toutes sortes de métiers sont exercées par les citoyens libres, les métèques ou les esclaves. Le travail manuel le moins qualifié et le plus pénible (exploitation des mines) revient aux esclaves ou à des hommes de peine rémunérés comme journaliers. Le commerce et l’artisanat spécialisé (travail du cuir et des métaux, poterie…) se développent surtout dans les grandes villes. La construction des monuments publics emploie aussi une main-d’œuvre nombreuse. Mais c’est de loin l’agriculture (élevage, culture des céréales, de la vigne ou des oliviers, etc.), exercée par des petits paysans ou aux mains de grands exploitants, qui reste l’activité dominante.

En Grèce antique, l’invention de la politique va de pair avec l’émergence des cités, qui se dotent de constitutions régissant les pouvoirs et les droits du corps social. L’époque archaïque voit la naissance des premières oligarchies. Le régime monarchique qui a prévalu après la chute du monde mycénien subsiste toutefois aux marges du monde grec, notamment en Macédoine. L’accroissement des richesses a fait naître les ambitions d’une nouvelle classe de population fortunée. Au VIe siècle av. J.-C., des tyrans se sont installés à la tête de nombreuses cités. Certains en ont accru la prospérité mais ont fini par provoquer des aspirations populaires à plus de liberté. Des gouvernements sophistiqués de type oligarchique ou démocratique ont alors vu le jour au siècle de Périclès. Chaque cité adopte ses propres institutions (Assemblée, magistratures…) et règle l’exercice des pouvoirs. Sparte est un modèle de gouvernement oligarchique accompli, un État guerrier où seul un faible nombre d’« Égaux » jouit de tous les droits civiques et où l’Assemblée populaire dispose d’un pouvoir réduit. À l’inverse, Athènes, dont les institutions sont largement représentatives du corps social, offre un exemple de la démocratie grecque, tous les citoyens ayant les mêmes droits et devoirs. Mais dans les faits, les citoyens sont une minorité. Leur nombre est estimé autour de 40 000 à la fin du gouvernement de Périclès, sur un total d’environ 300 000 habitants, et il se réduira encore au siècle suivant. En définitive, les différences entre les régimes oligarchiques « modérés » et les démocraties les plus restrictives quant à l’accès à la citoyenneté sont peu marquées.

Drachme d’Athènes, du Ve s. av. J.-C., à l’effigie de la chouette, animal sacré d’Athéna.

LE MONDE GREC

L’ACROPOLE QUE FAIT RECONSTRUIRE PÉRICLÈS ILLUSTRE LA GLOIRE D’ATHÈNES Phidias fait visiter la frise du Parthénon à Périclès et Socrate (Alma Tadema, 1868).

L’écrit permet la transmission des lois et des connaissances du monde grec et amplifie la diffusion des idées. (Pierre gravée à Delphes.)

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / COSTA - LEEMAGE / DEAGOSTINI - LEEMAGE / TEEFA ISTOCK

La grandeur d’Athènes La prééminence d’Athènes se vérifie dans tous les domaines. Exerçant son impérialisme économique sur les autres cités, elle assoit aussi sa suprématie sur le monde grec grâce à l’œuvre de nombreux artistes et intellectuels. L’avènement de la démocratie et l’idéal de liberté qui est son corollaire sont propices à cet épanouissement. Dès le VIe siècle avant notre ère, de grands réformateurs ont préparé le terrain à Périclès. Solon a ouvert la voie à la démocratie en permettant aux plus pauvres de participer à la vie de la cité. Par la suite, Clisthène a ébranlé l’organisation clanique d’Athènes et transféré le pouvoir à l’Ecclésia, c’est-à-dire l’Assemblée des citoyens. Périclès leur emboîte le pas. Pendant trois décennies, son

influence à la tête de la démocratie athénienne est déterminante. En mettant en place un système de rémunération, il permet aux citoyens de s’investir pleinement dans les affaires de la cité. Il promeut aussi les arts et entreprend une politique de grands travaux qui concourt au rayonnement d’Athènes. Par ailleurs, la cité a su tirer son épingle du jeu des guerres médiques qui ont opposé les Grecs aux Perses. Ayant pris la tête de la ligue de Délos, elle peut compter sur la manne financière constituée par le tribut que lui paient ses alliés politiques. L’activité du port du Pirée, au cœur des réseaux maritimes de commerce, stimule sa prospérité économique. La cité s’est constitué une flotte puissante, qui sert l’impérialisme athénien et permet l’établissement de colonies sur le littoral thrace. L’exploitation des mines d’argent et une fiscalité très

développée complètent ses revenus. La cité consacre une part importante de ses ressources à encourager les arts et les œuvres de l’esprit. L’écriture alphabétique, qui date du VIIe siècle avant notre ère, devient un formidable vecteur de transmission des connaissances. Son rôle est très large : non seulement l’écrit facilite la diffusion des lois, mais il permet aux scientifiques, aux historiens, aux philosophes ou aux poètes de fixer leurs réflexions, qui vont irriguer durablement l’Occident. Néanmoins, la culture d’Athènes reste avant tout celle de l’oralité triomphante. La transmission orale est fondamentale dans l’éducation, tandis que l’importance des activités publiques privilégie l’épanouissement de l’éloquence. L’art de la parole et du discours sera particulièrement valorisé à travers le théâtre et la philosophie. Marielle Mayo

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Interview de Anne Queyrel Bottineau

Athènes se voulait “l’éducatrice” du monde grec PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANÇOIS MONDOT - PHOTOS OLIVIER ROLLER 12 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

Au Ve siècle avant notre ère, la cité grecque rayonne de toute son aura politique et culturelle. Cette société dans laquelle le peuple peut s’exprimer librement et participer aux débats, favorise l’essor des arts de la connaissance…

Anne QueyreL BOTTIneAu est maître de conférences en histoire grecque à l’université Paris-IVSorbonne. elle a notamment publié Athènes, La cité archaïque et classique, du VIIIe siècle à la fin du Ve siècle, (Éditions Picard, 2003) et, plus récemment, La notion et l’acte de trahison dans l’Athènes du Ve siècle (Ausonius Éditions, coll. « Scripta Antiqua » n° 29, Bordeaux, 2010).

Les Cahiers de Science & Vie : Pendant longtemps l’histoire de la Grèce s’est écrite du point de vue d’Athènes. Comment a-t-on rompu avec cet « athénocentrisme » ? Anne Queyrel Bottineau : La conception d’une histoire centrée sur athènes est avant tout liée à l’origine majoritairement athénienne des sources écrites. Mais les documents épigraphiques et archéologiques découverts lors des explorations et fouilles ont fait connaître l’histoire des autres cités et régions de Grèce. Les archéologues français, par exemple, ont travaillé sur des sites comme delphes et Thasos, ou en Thessalie (en Grèce du nord) mais aussi en Grèce du nord-Ouest, plus rurale. ils ont ainsi contribué à montrer qu’athènes ne résumait pas toute la Grèce. en revanche, les américains qui fouillent sur l’agora d’athènes, et les allemands le quartier du Céramique, ont maintenu vivante une tradition ininterrompue de recherches sur athènes. Quant aux archéologues anglais qui travaillent à sparte, ils se sont intéressés tout particulièrement à la Laconie. si bien que certains historiens ont ressenti la nécessité d’échapper à la fois à l’attraction de sparte et d’athènes. en 1986, l’historien

cité pour laquelle les soldats viennent de donner leur vie. il fait notamment l’éloge de la constitution politique démocratique d’athènes, et de l’éclat de ses fêtes religieuses. il souligne que, contrairement à sparte, athènes est une cité accueillante dans laquelle il fait bon vivre. et il prononce cette phrase célèbre : « En bref, j’affirme que notre cité dans son ensemble est pour la Grèce une éducatrice. » CSV : Parmi les nombreuses raisons d’être fier de vivre

à Athènes, Périclès mentionne donc la démocratie. À quel moment se met-elle en place ? A. Q. B. : Le régime évolue progressivement. au début du ve siècle, il n’est pas à proprement parler démocratique mais isocratique, terme forgé à partir de l’adjectif isos, « égal », et du verbe nemein, « distribuer ». Cette « égale distribution » renvoie aux réformes de Clisthène (508507) qui visent à permettre l’accès au pouvoir selon les capacités de chacun. depuis ces réformes, c’est l’ecclésia, l’assemblée du peuple, ouverte à tous les citoyens, qui gouverne avec l’appui de la Boulê, le conseil des 500, dont les membres sont tirés au sort sans condition de fortune. Mais la démocratie se construit par étapes. Pour accéder à l’archontat (la magistrature la plus importante) il faut encore appartenir aux plus puissantes familles athéniennes. À partir de -487, le recrutement se fait par tirage au sort parmi les citoyens les plus riches, avant de s’élargir en -457 : c’est un moment essentiel de l’établissement de la démocratie. Une autre étape décisive se situe vers -450 avec l’institution du misthos, indemnité versée aux citoyens pour les dédommager du temps consacré à la participation aux institutions. À cette époque, on peut vraiment dire que la démocratie, comme pouvoir du démos, l’ensemble des citoyens, s’est installée à athènes. CSV : En quoi l’institution du misthos est-elle détermi-

allemand hans-Joachim Gehrke publie (en allemand) un livre au titre très révélateur : Au-delà d’Athènes et de Sparte, la troisième Grèce et son monde d’États. depuis quelques années, on observe en France un retour aux recherches sur athènes. Mais ces travaux s’effectuent désormais en tenant compte davantage de son environnement et des relations avec les autres cités, avec des approches et des questionnements nouveaux.

nante pour l’avènement de la démocratie ? A. Q. B. : La démocratie telle que la conçoivent les athéniens est une démocratie directe. Le peuple exerce son pouvoir sans intermédiaires, sans représentants. Par conséquent il faut lui donner les moyens concrets d’être présent à la Boulê, à l’héliée (le tribunal) ou à l’assemblée. Cette mesure, que l’on ne trouve qu’à athènes, visait à résoudre la contradiction entre démocratie théorique et démocratie réelle. il fallait que chacun ait les moyens d’intervenir dans la vie publique. Or, pour l’assemblée, nous savons qu’il y avait des problèmes d’absentéisme. Thucydide rapporte les propos d’un oligarque, adversaire de la démocratie, qui propose donc de restreindre le nombre de citoyens à 5 000 (au lieu de 50 000 environ vers -431). On sait qu’il était difficile pour certains citoyens, notamment pour les paysans originaires de zones reculées de l’attique, de sacrifier une journée de travail pour venir à athènes participer aux débats de l’assemblée.

CSV : Les Athéniens ont-ils le sentiment, au cours du

CSV : Quelle est l’atmosphère de l’Ecclésia ? La liberté

Ve siècle avant J.-C., de vivre un âge d’or exceptionnel ?

de parole est-elle totale sur tous les sujets ? A. Q. B. : Chaque citoyen présent a la possibilité de s’exprimer. deux principes essentiels y sont observés : l’égalité de parole (isegoria) et la liberté de parole (paresia) pour tous. des témoignages nombreux décrivent des débats

A. Q. B. : absolument. Cette fierté transparaît dans la célèbre oraison funèbre prononcée par Périclès au cours de l’hiver 431-430, au début de la guerre du Péloponnèse, et que nous rapporte l’historien Thucydide. Périclès y exalte la

Les Cahiers de sCienCe & vie

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Interview de Anne Queyrel Bottineau CSV : Tous les citoyens assistent-ils à ces concours dra-

matiques ? Ou bien sont-ils réservés à une élite instruite ? A. Q. B. : Les athéniens de toutes catégories sociales se pressent à ces spectacles, qui s’inscrivent dans le cadre de fêtes religieuses, comme les grandes dionysies, organisées en l’honneur de dionysos. Mais la présence des athéniens n’est pas seulement dictée par un devoir religieux. Ces spectacles constituent un authentique moment de délassement et de plaisir. Les représentations sont d’autant plus attrayantes qu’elles font référence à l’actualité. C’est le cas notamment des comédies. dans celles d’aristophane, on reconnaît des personnages réels de la cité, socrate dans Les Nuées, euripide dans Les Grenouilles, et bien d’autres encore… CSV : Comment une société aussi brillante et florissante

Le prestige d’Athènes est d’abord dû à sa puissance militaire, source de richesses enflammés, avec des citoyens qui n’hésitent pas à s’insulter copieusement. Cléon, homme politique athénien très critique envers la démocratie, reproche à ses concitoyens de se délecter des joutes d’orateurs comme s’ils assistaient à une représentation théâtrale. incontestablement, c’est une cité où l’on aime parler, débattre, polémiquer avec autrui. Mais tout n’était pas permis. L’existence d’un procès pour injure, la dikè kakègorias, atteste de certaines limites. il est interdit, par exemple, de dire du mal des morts et d’insulter un magistrat dans l’exercice de ses fonctions. du point de vue religieux, il est très mal vu de remettre en cause les dieux de la cité. C’est la raison pour laquelle un procès est intenté à socrate, accusé d’impiété, en -399. accusé d’introduire un dieu nouveau, il sera condamné à mort… CSV : Dans son oraison funèbre Périclès souligne

que sa cité «  apprécie la beauté  ». Quelle est la part du rayonnement artistique  dans le prestige d’Athènes au Ve siècle ? A. Q. B.  : Le prestige d’athènes est d’abord dû à sa puissance militaire qui entraîne une certaine abondance financière. La ligue militaire de délos joue un rôle essentiel dans la suprématie athénienne. Formée en -478 contre l’empire perse, elle rassemble de nombreuses cités grecques d’asie Mineure et des îles de la mer Égée qui versent chaque année à athènes un tribut, le phoros. Mais les concours dramatiques athéniens contribuent également au rayonnement de la cité dans le monde grec. Plutarque raconte une anecdote significative sur le prestige des auteurs dramatiques athéniens. en -413, lors de la guerre du Péloponnèse, des soldats athéniens sont faits prisonniers par les syracusains. répondant à la demande de ces derniers, il leur récitent des vers d’euripide. et les geôliers syracusains, bouleversés, les font immédiatement relâcher… 14 Les Cahiers de sCienCe & vie

a-t-elle pu s’écrouler aussi rapidement ? A. Q. B. : athènes ne s’est pas écroulée instantanément ! elle a été vaincue au terme de la guerre du Péloponnèse, qui a quand même duré trente ans… Lors de cette guerre les spartiates adoptent une stratégie redoutablement efficace : ils s’attaquent aux alliés d’athènes pour tarir la source d’approvisionnement et de revenus de la cité. athènes connaît donc de graves difficultés financières tandis que les spartiates sont soutenus financièrement par la Perse à partir de -407. À cela s’ajoutent des circonstances malheureuses, comme le fameux procès des stratèges vainqueurs aux îles arginuses, en -406, exécutés pour n’avoir pu recueillir les corps des soldats naufragés. ainsi meurent des personnalités brillantes comme le fils de Périclès. après la défaite de -405 à aigos Potamoi, athènes devient pendant quelques années une cité comme une autre. elle n’a plus de flotte, plus d’empire, son régime politique est pour un temps renversé avec la tyrannie des Trente (404-403). elle est même menacée jusque dans son existence. des alliés de sparte demandent la destruction d’athènes. Mais sparte refuse, désireuse de garder un contrepoids à Thèbes. en dépit de toutes ces difficultés, athènes reste attachée à son régime démocratique. elle retrouvera ses institutions en -403 et les conservera pendant la majeure partie du ive siècle. en -323, à la mort d’alexandre, elle prend la tête d’une révolte contre le pouvoir macédonien. Cette guerre (dite guerre lamiaque) se solde par une défaite à l’issue de laquelle la cité grecque se voit imposer un régime de type censitaire, dans lequel le droit de vote est conditionné par les ressources. Le rayonnement de la cité reste inégalé jusque sous la domination romaine : grâce à la splendeur des monuments de l’acropole, l’éclat des grandes fêtes religieuses, la renommée des artistes, des écoles de rhétorique et de philosophie, athènes conserve un prestige incomparable.

1 Le citoyen LE CITOYEN

Entre les murs d’Athènes

A Sur l’Acropole, l’Érechthéion et son portique des Caryatides. 16

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LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

RENÉ MATTES - HEMIS.FR

Dominée par l’Acropole, Athènes offre à la vue un urbanisme débridé, à la différence des autres grandes cités du monde grec. Néanmoins, la séparation de l’espace public et de l’habitat est nettement marquée.

vec quelque 2 700 km2 et peut-être 300 000 ou 400 000 habitants, la cité d’Athènes est, à la période classique, l’une des plus vastes et des plus peuplées du monde grec. Mais à quoi ressemble-t-elle ? Et comment y vit-on ? « La cité est d’abord une entité politique, autonome et souveraine, prévient Christophe Chandezon, professeur d’histoire grecque à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Elle se compose de la ville proprement dite (l’asty) et de son territoire rural (la chôra). Ces deux éléments sont intrinsèquement liés, sans que l’un soit véritablement subordonné à l’autre, au moins jusqu’à la fin du Ve siècle. » Mais c’est bien la ville qui marque les esprits. Elle offre un spectacle inoubliable à celui qui la visite pour la première fois. Ravagée et incendiée en 480 avant notre ère par l’ennemi perse, Athènes connaît au Ve siècle une véritable renaissance. Grâce aux travaux impulsés par Thémistocle et ses successeurs, elle s’est dotée de nouvelles fortifications. Et ce sont elles qui attirent d’abord le regard. L’enceinte, construite autour de la ville sur neuf kilomètres et une dizaine de mètres de hauteur, se prolonge en effet LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Entre les murs d’Athènes Le cercle très fermé des citoyens La passion de la guerre Sparte, miracle ou mirage ?

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

Entre les murs d’Athènes

A Sur l’Acropole, l’Érechthéion et son portique des Caryatides. 16

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

vec quelque 2 700 km2 et peut-être 300 000 ou 400 000 habitants, la cité d’Athènes est, à la période classique, l’une des plus vastes et des plus peuplées du monde grec. Mais à quoi ressemble-t-elle ? Et comment y vit-on ? « La cité est d’abord une entité politique, autonome et souveraine, prévient Christophe Chandezon, professeur d’histoire grecque à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Elle se compose de la ville proprement dite (l’asty) et de son territoire rural (la chôra). Ces deux éléments sont intrinsèquement liés, sans que l’un soit véritablement subordonné à l’autre, au moins jusqu’à la fin du Ve siècle. » Mais c’est bien la ville qui marque les esprits. Elle offre un spectacle inoubliable à celui qui la visite pour la première fois. Ravagée et incendiée en 480 avant notre ère par l’ennemi perse, Athènes connaît au Ve siècle une véritable renaissance. Grâce aux travaux impulsés par Thémistocle et ses successeurs, elle s’est dotée de nouvelles fortifications. Et ce sont elles qui attirent d’abord le regard. L’enceinte, construite autour de la ville sur neuf kilomètres et une dizaine de mètres de hauteur, se prolonge en effet

RENÉ MATTES - HEMIS.FR

Dominée par l’Acropole, Athènes offre à la vue un urbanisme débridé, à la différence des autres grandes cités du monde grec. Néanmoins, la séparation de l’espace public et de l’habitat est nettement marquée.

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Le Citoyen

jusqu’à la mer par les longs murs élevés de part et d’autre de la route menant au port du Pirée, à sept kilomètres de distance. Les deux agglomérations forment un seul ensemble fortifié. Faites de briques crues montées sur un socle de pierres, les fortifications sont évidemment là pour protéger la ville et sa population contre les assauts ennemis, mais elles participent aussi à l’identité d’Athènes. « D’une façon générale l’enceinte est, dans le monde grec, intimement liée à l’apparition de l’espace urbain, même si toutes les villes n’en sont pas pourvues », affirme Sylvie Rougier-Blanc, maître de conférences en histoire grecque à l’université Toulouse II-Le Mirail. Le spectacle qui attend le visiteur derrière ces fortifications est plus exceptionnel encore. Par les portes ouvertes dans la muraille, les routes qui viennent de la campagne et s’enfoncent vers le cœur de la ville offrent souvent une vue imprenable sur l’imposante colline de l’Acropole. Là, se dressent fièrement quantité de monuments fraîchement rebâtis, dont les temples voués aux cultes de la cité, le fameux Parthénon dédié à la déesse Athéna, les Propylées, l’Érechthéion, etc. Et de somptueux ex-voto, statues offertes aux dieux par la cité ou les fidèles.

L’ÉCLATANTE SILHOUETTE DU PARTHÉNON EST UN PRÉCIEUX POINT DE REPÈRE

L’éclatante silhouette du Parthénon constitue un précieux point de repère pour retrouver son chemin dans la ville. Plusieurs fois centenaire, Athènes a en effet poussé spontanément, sans plan prédéterminé. Partout ou presque, il faut cheminer dans un lacis de rues étroites et sinueuses. Un tel plan urbain tranche avec celui, régulier, des villes surgies ex nihilo sur terrain vierge comme le Pirée, ou refondées après les guerres médiques, à l’image de Milet, sur la côte orientale de la mer Égée, ou d’Olynthe, en Chalcidique, dans le Nord. « Ce plan, expérimenté dès le VIIe siècle dans les colonies occidentales, notamment en Sicile et en Italie méridionale, est caractérisé par une division préalable de l’espace en quartiers égaux. Les rues principales sont coupées à angle droit par des rues plus petites et plus nombreuses qui délimitent des îlots de taille normalisée où se trouvent les habitations », explique Sylvie Rougier-Blanc. À Athènes, rien de tel. La ville a grosso modo conservé son aspect originel, dénué de toute régularité. En revanche, comme toutes les autres villes grecques, elle affiche une forte structuration de l’espace, avec une claire délimitation du domaine public, monumental, plus ou moins végétalisé, et du domaine privé, très dense. Si la ville tout entière est organisée autour de l’Acropole, son véritable cœur est situé en contrebas, sur la vaste Agora. C’est là que, depuis la fin du VIe siècle, se joue l’essentiel de la vie politique, religieuse et commerciale, et une foule bruyante et affairée, essentiellement masculine, s’y presse à toute heure de la journée. On y trouve le temple d’Héphaïstos et l’autel des douze dieux ainsi que tous les bâtiments abritant les institutions politiques et judiciaires de la cité : le Bouleutérion, où siègent les membres du Conseil, les tribunaux, le Prytanée, destiné aux magistrats exerçant le pouvoir exécutif, le Stratègéion, siège des stratèges. L’Agora est aussi un lieu de marché, et l’espace, libre de constructions, est encombré d’échoppes de bois et de toiles. Les portiques eux18

Les Cahiers de sCienCe & vie

siège des institutions judiciaires, lieu d’échanges commerciaux, l’agora est l’espace de rencontre privilégié des Grecs. (scènes tirées du film Agora et de la série « odysseus ».)

JON ARNOLD - HEMIS.FR / AGORA 2010 - MOD PRODUCCIONES - HIMENOPTERO - TELECINCO CONEMA - WARNER BROS FRANCE ENTERTAINMENT VIDEO / ARMANDO CLARO

UN LACIS DE RUES SINUEUSES

CRÉDIT PHOTO

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Le Citoyen

Thronos (fauteuil) et tables. Ces dernières sont souvent basses afin de pouvoir manger en position allongée.

L’EAU POUR TOUS, UN SERVICE PUBLIC

Les maisons n’ont pas l’eau courante. Quelques-unes sont dotées d’un puits privé ou de citernes où sont récupérées les eaux de pluies. Mais la grande majorité des Athéniens se fournit aux puits et aux fontaines publiques. Il est en effet du devoir de la cité de fournir ce service. Des canalisations facilitent l’évacuation des eaux usées dans les rues. Aux femmes et aux esclaves incombe d’aller chercher l’eau. Il est d’usage pour les hommes de se rendre aux bains publics, les femmes faisant leur toilette chez elles. Des bassines et des lavabos sur pieds leur permettent de se laver le corps et les cheveux. Creusée dans un coin de la cour, la fosse à immondices recueille les déjections et les petites ordures ménagères. Son contenu est acheminé de temps à autre par une main-d’œuvre servile hors des murs de la ville. « Il est en effet interdit de souiller les rues, d’y déposer des ordures ou d’y déféquer. Cela n’empêche pas les citadins de le faire mais ils encourent une amende », explique Sylvie Rougier-Blanc. À Athènes, le nettoyage et l’entretien des conduites d’alimentation et d’évacuation d’eau, des fontaines et plus généralement des rues, mais aussi la gestion des ordures, sont sous la responsabilité de magistrats et 20 Les Cahiers de sCienCe & vie

À partir du ive s., dans les villas de plusieurs centaines de mètres carrés, la richesse se mesure à l’abondance du mobilier, tapis et tentures. (Film Au nom d’Athènes, arte, et série « odysseus ».)

RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - H. LEWANDOWSKI INDIGÈNES PRODUCTION - ARTE FRANCE - DOCSIDE PRODUCTION / ODYSSEUS : ARMANDO CLARO

mêmes abritent aussi quantité de petits commerces. Bref, c’est le lieu de rencontre privilégié des Athéniens, à l’ombre de grands platanes. La précarité et la monotonie des quartiers d’habitation tranchent avec cet espace public monumental. Les rues étroites, rarement pavées, ne sont qu’enfilades de murs uniformes seulement percés des portes des maisons. Ces murs, construits en briques crues sur des assises en pierres sèches sont, dit-on, si vulnérables que les voleurs peuvent les perforer sans problème et détrousser les occupants ! Au Ve siècle, la maison athénienne type est petite (de 30 à 40 m2 de surface au sol), assez basse (un étage tout au plus), composée de deux ou trois pièces multifonctionnelles : la famille et ses esclaves y dorment, travaillent, et parfois même, ils y tiennent boutique. Une exiguïté peu propice à l’intimité… Ces pièces ne communiquent pas toujours entre elles mais ouvrent sur une cour intérieure à péristyle, avec une galerie de colonnes, pastas, et un portique en bois. C’est là, au milieu des animaux domestiques (chiens, oiseaux apprivoisés, etc.), que les femmes cuisinent sur un foyer installé à même le sol ou sur des fourneaux de terre cuite, et que toute la maisonnée mange dans des ustensiles eux aussi en terre cuite. C’est là aussi que trône l’autel où le chef de famille invoque et honore les dieux domestiques. « Cette maison s’organise déjà en plusieurs secteurs différenciés. Les pièces d’habitation ouvrent sur le flanc nord de la cour, recevant la lumière et la chaleur du midi. Au sud, bien protégé, il y a les espaces de stockage des denrées, conservées dans de grandes jarres », ajoute Christophe Chandezon. À l’intérieur, ces maisons ne brillent encore ni par leur luxe ni par leur confort. La décoration est rare. Quant au mobilier, il consiste en bancs, chaises, tables, lits, et surtout, une profusion de coffres pour le rangement. Une pièce, éventuellement, fait exception, l’andrôn, pour les banquets des hommes, qui s’allongent alors sur des lits alignés contre les murs.

Au iVe siècLe, D’immeNses ViLLAs APPArAisseNt, AVec cuisiNe et bAigNoire

L’andrôn, salle de réception des hommes, est meublée de larges lits de banquet.

La cour est la pièce principale où l’on prie et travaille. Elle communique avec toutes les autres pièces.

Mosaïques au sol et fresques murales commencent à décorer la maison à partir du IVe s.

Le mobilier est sommaire. Vêtements et ustensiles sont rangés dans de simples coffres en bois.

La cuisine est dotée d’un foyer et d’une ouverture donnant sur un conduit d’évacuation des fumées.

La vie à la campagne

PETER CONNOLLY - AKG

L

e territoire rural est moins densément peuplé qu’Athènes. Les maisons sont parfois groupées en petits hameaux, ou isolées. L’habitat n’est guère différent de l’habitat urbain. Il s’en distingue essentiellement par la présence, autour de la

maison, de bâtiments servant au stockage des récoltes, d’enclos pour le bétail, etc. Les maisons sont en outre très souvent dotées d’une tour dont la fonction fait toujours débat : soit elle servait au stockage des récoltes, soit elle offrait un refuge sûr en cas d’insé-

curité, voire d’endroit où enfermer la main-d’œuvre servile. À proximité des mines d’argent de Laurion, à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Athènes, les bâtiments d’exploitation du minerai sont associés à de vastes dortoirs destinés aux esclaves. F. L.

La salle de bain est équipée de bains chauffés, avec baignoire encastrée dans le sol.

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

LA MAISON, MARQUEUR SOCIAL

Toutefois, plus on se rapproche de la fin de la période classique, plus les quartiers d’habitation semblent perdre leur uniformité et les écarts sociaux se figer dans l’architecture. Même si les données archéologiques sur Athènes sont rares, on sait, par comparaison avec d’autres villes comme Olynthe ou Érétrie, tout près d’Athènes, qu’au IVe siècle de grandes villas apparaissent, faisant plusieurs centaines de mètres carrés au sol. Les murs de l’andrôn y sont couverts de fresques, le sol de mosaïques. Ces maisons sont aussi équipées de bains chauffés, avec des baignoires sièges encastrées dans le sol, et d’une véritable cuisine. Cette évolution marque un changement de comportement des Grecs vis-à-vis des richesses. «  À l’époque archaïque, jusqu’au début du Ve siècle, les écarts sociaux sont peu marqués et les élites affichent leur prééminence sociale

dans les offrandes aux sanctuaires. Mais plus le temps passe, plus les écarts sociaux se creusent, et plus la maison sert à marquer son statut  », résume Sylvie Rougier-Blanc. À Olynthe, cette évolution va probablement de pair avec une hiérarchisation des quartiers. « Dans cette ville, les inscriptions lapidaires ont permis de montrer l’existence de quartiers plus ou moins prisés. Le prix des maisons à l’achat ou à la location est bien supérieur à proximité de l’Agora et dans les quartiers neufs, reconstruits au Ve siècle selon un plan en damier », poursuit l’historienne. La ville et la centralisation des fonctions qu’elle impose font naître un mode de vie urbain. Comme le dit Christophe Chandezon, « les premières écoles – et donc l’éducation de groupe – apparaissent en ville à l’époque classique, de même que les théâtres – et donc une culture partagée – et les pratiques athlétiques. Cette culture urbaine finit par se confondre avec la civilisation elle-même ». La distinction ville/campagne va ainsi se marquer de plus en plus et aboutir à une opposition entre raffinement et rusticité. Fabienne Lemarchand

La voie des processions

I

l est un rendez-vous annuel que les Athéniens ne manquent jamais : la fête des Panathénées donnée durant l’été en l’honneur d’Athéna, la déesse protectrice de la cité. Au petit matin du jour J, la foule se rassemble dans le quartier du Céramique, à l’extérieur du Dipylon, la « double porte » située au nord-ouest de l’enceinte fortifiée. La procession suit alors la Voie sacrée, la principale artère d’Athènes, large d’une dizaine de mètres, traverse l’Agora. Arrivée au pied de l’Acropole, elle emprunte une énorme rampe inclinée, large d’une bonne vingtaine de mètres et longue

22 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

de 80 mètres, passe entre les colonnes des Propylées, longe le Parthénon et enfin, s’arrête devant la statue en bois d’Athéna enfermée dans l’Érechthéion. À l’automne, une autre procession amène la foule sur la Voie sacrée, mais cette fois-ci en direction d’Éleusis,

le sanctuaire de la déesse Déméter et de sa fille Coré (ou Perséphone), à 25 kilomètres à l’est d’Athènes. F. L.

Lors de la fête des Panathénées, tous les habitants d’Athènes défilent jusqu’au Parthénon en l’honneur d’Athéna.

MICHEL SAEMANN / P CONNOLLY - AKG

de fonctionnaires : les « astynomes » et les « coprologues  » mentionnés par Aristote dans la Constitution d’Athènes. Mais ce n’est pas toujours le cas. À Thasos par exemple, ce sont les riverains eux-mêmes qui doivent nettoyer devant chez eux. Fait remarquable, pauvres et riches, citoyens, étrangers et esclaves vivent dans les mêmes quartiers, dans des maisons qui se ressemblent toutes, du moins au Ve siècle. Mais seuls les citoyens peuvent être propriétaires de leurs biens. Le droit de propriété foncière et immobilière leur est en effet strictement réservé. Les citoyens qui n’en ont pas les moyens et les étrangers ont recours à la location. « Ce marché locatif est assez mal connu à Athènes. Mais à Olynthe, on sait grâce à de rares baux que les loyers allaient d’une centaine à plusieurs milliers de drachmes », précise Sylvie Rougier-Blanc.

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Le cercle très fermé des citoyens En inventant la démocratie, Athènes garantit à ses citoyens l’accès aux institutions politiques et la liberté d’expression. La majeure partie de ses habitants en est, toutefois, exclue. 24 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

ARTURALIEV-123 RF / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) H. LEWANDOWSKI

LE CITOYEN

Tout citoyen peut, en tant que membre d’une Assemblée législative ou judiciaire, participer à la vie politique de la cité.

KONSTANTINOS KONTOS - LA COLLECTION

FIC HE D’ ID EN TI TÉ DE CL ÉO DÈ ME

e jour vient à peine de se lever, mais les gradins de la colline de la Pnyx, au pied de l’acropole d’Athènes, commencent déjà à se remplir. Cléodème fait partie des quelques centaines de matinaux qui ont bravé l’aube pour venir siéger à l’Ecclésia, l’Assemblée du peuple. Au programme de cette séance, le vote des lois qui viennent d’être examinées par la Boulê, le Grand Conseil de la cité. Comme beaucoup de citoyens, Cléodème doit laisser de côté son travail lorsqu’il vient siéger. Heureusement, depuis la fin du Ve siècle av. J.-C., un dédommagement financier, le misthos, a été mis en place sur le modèle de celui de la Boulê et des tribunaux. Certes, cela ne compense pas sa journée de salaire, mais Cléodème peut compter sur l’aide de son épouse pour tenir sa petite boutique, puisqu’en tant que femme, elle n’appartient pas au corps des citoyens et ne peut participer à la vie politique. Depuis la fin du VIe  siècle avant notre ère, la cité d’Athènes vit sous le régime original de la démocratie, le gouvernement du peuple souverain (dèmos) réuni en Assemblée. À cette époque, les régimes qui ont cours dans le petit millier de poleis formant la mosaïque politique de la Grèce verrouillent le pouvoir au profit d’un dirigeant, monarque ou tyran, ou d’une élite de citoyens généralement aristocrates, à l’image de l’oligarchie. Seule la démocratie offre l’accès aux institutions sans condition de fortune ni de naissance à l’ensemble du corps civique, composé des citoyens mâles de plus de 20 ans nés d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen. C’est justement à Athènes que naît cette démocratie « dans des conditions qui restent en grande partie mystérieuses », explique Bernard Eck, professeur d’histoire grecque à l’université de Grenoble, après l’effondrement de la tyrannie instaurée par la famille des Pisistratides. On sait cependant Avec ces jetons on votait la condamnation (tige creuse), ou l’acquittement (tige pleine) d’une personne. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

La cité d’Athènes au Ve siècle

ACROPOLE STOA SUD

Ce portique long de 43 m abritait probablement des fonctions judiciaires.

HÉLIÉE

Grand tribunal populaire. Les héliastes y tiennent séance 200 jours par an.

ES ÉNÉ ATH AN P S DE IE O V

BOULEUTÉRION La Boulê, Conseil des 500, rédige les décrets votés et applique les décisions de l’Ecclésia.

THOLOS Siège des 50 bouleutes chargés de l’administration de la ville.

HÉPHAÏSTÉION Temple de marbre, aux colonnes doriques, dédié à Héphaïstos.

26 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

STRATÈGÉION Lieu de réunion des dix stratèges, au pouvoir exécutif. Son emplacement n’est pas une certitude.

AKG IMAGES - PETER CONNOLLY

AGORA

pArTHÉnon

Édifié sous périclès, ce chef-d’œuvre d’architecture est dédié à Athéna, déesse tutélaire de la cité. ACropoLE Ce promontoire rocheux de près de 3 ha accueille les monuments les plus remarquables de la cité antique.

qu’un homme, le réformateur Clisthène, va jouer un rôle essentiel dans cette apparition en bouleversant radicalement les cadres traditionnels de la citoyenneté athénienne. « Clisthène est un aristocrate. Mais son génie politique a été de comprendre que l’aristocratie ne pourrait conserver son pouvoir que si elle en cédait une partie en s’alliant au peuple », poursuit Bernard Eck. Il instaure donc en 508507 un nouveau système administratif servant de base à l’exercice de la démocratie. L’Attique, le territoire de la cité d’Athènes, se partage en trois grandes zones : la ville (astu), la campagne intérieure (mesogeia) et la côte (paralia). Chacune est divisée en cantons, les trittyes, eux-mêmes découpés en bourgs ou quartiers, les « dèmes ». Grande nouveauté – et clé de voûte –

LES CITOYENS SONT UNIS PAR LE LIEN POLITIQUE DE LA TRIBU, CIMENT DE LA CITÉ

AgorA Située au pied de l’Acropole, cette place publique et commerciale accueille les institutions de la cité.

pnyx Colline rocheuse située au sudouest de la cité. Elle abrite l’Ecclésia.

PNYX

de cette organisation : la répartition de l’ensemble des citoyens en dix tribus. Chacune a la particularité de rassembler trois cantons non limitrophes issus des trois zones de l’Attique. Le résultat ? Un grand brassage géographique des citoyens, « qui modifie en profondeur la mentalité politique », selon Bernard Eck. Les tribus regroupent des citoyens d’origines géographiques et sociales diverses ; « ceux-ci ne sont donc plus unis par des liens familiaux ou de voisinage, mais par le lien politique de la tribu. En d’autres termes, le ciment de la cité n’est plus le clientélisme, mais le sentiment civique nouveau d’appartenir à la même entité politique ». Symboliquement, les citoyens perdent leur patronyme pour le « démotique », la mention de leur dème d’origine, associé au prénom. Cléodème a ainsi pour nom officiel « Cléodème, du dème d’Alopékè ». Une mesure qui détache un peu plus le citoyen de sa famille au profit de sa cellule politique.

ARTURALIEV - 123 RF / SUCCESSO IMAGES - FOTOLIA

LES CITOYENS À L’ŒUVRE

ECCLÉSIA

L’Assemblée générale des citoyens, un espace de discussion et de décision, a un pouvoir législatif. Elle peut accueillir 6 000 personnes.

La démocratie athénienne est une démocratie directe. Son fonctionnement est possible grâce à la petite taille du territoire de l’Attique, quatre fois moins grand que l’Ile-de-France, et au nombre réduit de citoyens qui atteindra 40 000 personnes pour un total de 250 000 à 300 000 dans la période la plus florissante du Ve siècle av. J.-C. Les charges étant, sauf exception, renouvelées tous les ans par tirage au sort, tout citoyen peut donc espérer participer à la vie politique en siégeant à la Boulê ou dans les tribunaux. Certains occuperont même les sièges d’archontes ou de stratèges, les magistrats les plus importants de la cité. À 30 ans, Cléodème a enfin atteint l’âge légal pour exercer l’une de ces charges. Il aimerait pouvoir siéger un jour, à l’instar de son père, à la Boulê. Ce Conseil, qui rassemble 500 citoyens tirés au sort dans chacune des LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

dix tribus, assure à la manière d’un Conseil municipal la continuité quotidienne de la démocratie. Diodore ne manque pas d’anecdotes sur les longues séances où sont traitées les affaires courantes et sur celles plus mouvementées d’examen des lois qui doivent être votées à l’Ecclésia… Qui dit participation, dit aussi responsabilités personnelles vis-à-vis de tous. S’il est un jour amené à exercer une charge institutionnelle, Cléodème devra se soumettre à un examen d’entrée en charge et à une reddition de comptes à la sortie. Car Athènes ne plaisante pas avec ceux qui dévoient la citoyenneté et frappe d’atimie, c’est-à-dire de dégradation civique, les coupables de trahison, de vol, de subversion ou encore de moralité douteuse.

PRENDRE LA PAROLE À L’ASSEMBLÉE CONSTITUE L’ESSENCE DE LA DÉMOCRATIE En attendant, Cléodème se rend le plus souvent possible aux réunions de l’Ecclésia, où il pourrait en théorie, comme tout citoyen, soumettre un projet de loi. Mais là encore, les responsabilités peuvent être lourdes. Si la loi était votée, Cléodème courrait le risque, pendant un an, d’être poursuivi en justice par n’importe quel citoyen qui estime que cette loi est en contradiction avec la législation existante… Si le jeune homme peut participer sans restriction au fonctionnement politique de sa cité, c’est grâce à l’instauration de l’isonomie, l’égalité de distribution du pouvoir entre citoyens. Sans elle, le « gouvernement de chacun par tous et de tous par 28 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

chacun à tour de rôle », selon la définition d’Aristote (Politique VI, 2, 1317b), ne pourrait exister. L’isonomie rend le citoyen libre, car il obéit non pas à des lois arbitraires, mais votées à la majorité par le dèmos réuni dans l’Ecclésia. Pour Bernard Eck, « c’est l’isegoria, le droit de chaque citoyen à pouvoir prendre la parole à l’Assemblée, qui constitue l’essence de la démocratie athénienne », même s’ils sont nombreux, comme Cléodème, à laisser ce périlleux exercice à ceux qui le maîtrisent. Car pour voir ses idées prises en compte, il faut savoir convaincre, et cela n’est pas à la portée de tous. Dans cette démocratie où la parole est reine, la rhétorique prend une place inégalée. Ceux qui s’imposent sur la scène politique sont avant tout de grands orateurs, comme Périclès au Ve siècle av.  J.-C., puis Démosthène un siècle plus tard. Grâce à son talent oratoire, Périclès sera reporté quinze fois de suite dans ses fonctions de stratège, c’est-à-dire de chef politique et militaire. Lorsqu’il était enfant, Cléodème a souvent entendu son grand-père évoquer les discours de celui qui a fait la gloire et la puissance d’Athènes, notamment la grande oraison funèbre prononcée en -431. Destinée à célébrer la mémoire des soldats morts durant la première année de la guerre du Péloponnèse, cette oraison s’est rapidement transformée en éloge de la démocratie. Le grand-père de Cléodème, issu d’une famille peu fortunée, a toujours gardé en mémoire cette phrase de l’orateur : « La pauvreté n’a pas pour effet qu’un homme, pourtant capable de rendre service à l’État, en soit empêché par l’obscurité de sa situation »… Cette libre parole a cependant conduit aux pires excès. Alors qu’Athènes s’enfonce dans la guerre du Péloponnèse à la fin du Ve siècle av. J.-C., des

BIRMINGHAM MUSEUMS AND ART GALLERY § THE BRIDGEMAN ART LIBRARY / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) HERVÉ LEWANDOWSKI

L’Héliée, tribunal populaire réunissant des citoyens d’au moins 30 ans, juge les affaires civiles et criminelles. (Peinture de Sir William Blake Richmond, XIXe s.) Ci-dessous, une tablette gravée au nom d’un héliaste : Eirènokléès, du dème d’Aphidna.

Les institutions politiques Pouvoir exécutif

MAGISTRATS

L’HÉLIÉE

700

6 000 héliastes de plus de 30 ans

10 stratèges rééligibles Exercent le pouvoir exécutif

9 archontes Organisent les fêtes

Commandent l’armée Négocient les trêves

Gèrent les affaires de droit familial et d’héritage

Élus chaque année

LA BOULÊ 500 bouleutes

Pouvoir législatif

Pouvoir judiciaire

Rend la justice

Prépare les lois

Juge les affaires envoyées par les magistrats

Conseille l’Ecclésia Contrôle les magistrats

Tirés au sort

Tirés au sor t

Tirés au sort

L’ECCLÉSIA Assemblée des citoyens (20 ans et plus) Pouvoir législatif

Quorum de 6000 parfois nécessaire

Discute et vote les lois Décide de la guerre et de la paix Vote l’octroi ou le retrait de la citoyenneté

professeurs d’éloquence nommés Gorgias ou Protagoras rencontrent un vif succès. Ils se targuent d’enseigner l’art de développer une idée et son contraire, et soutiennent des idées subversives sur la relativité des lois. Plus que convaincre, la parole peut donc servir à manipuler les citoyens. UNE LOURDE SENTENCE

Diodore a raconté plus d’une fois à Cléodème l’épisode tragique du procès contre les stratèges vainqueurs de la bataille des Arginuses, auquel il a assisté dans l’Ecclésia assemblée en cour de justice, en cet été -406. Malgré la victoire, les citoyens les ont condamnés à mort, influencés par les harangues de leurs ennemis politiques. Le motif ? Ne pas avoir pu sauver les marins naufragés lors de la violente tempête survenue après les combats… Les citoyens athéniens seraient-ils à ce point versatiles ? « Vite décidés ; vite ravisés », ricane le dramaturge Aristophane dans sa pièce Les Acharniens.

Cette critique est fréquente, en effet, sous la plume de ceux qui dénoncent les dérives de cette démocratie. Platon, qui n’a jamais accepté la condamnation de son maître Socrate par le tribunal populaire de l’Héliée, en -399, n’affirmet-il pas que le pouvoir doit être exercé uniquement par ceux qui en ont les compétences ? Le jeune Cléodème n’a pas suivi l’enseignement dispensé par le philosophe à l’Académie, mais il n’ignore pas ces critiques qui circulent. Il ne peut cependant s’empêcher de penser que ce régime, mis tant de fois en péril, a toujours réussi à survivre aux crises politiques. Et il n’a pas tort, car de toutes les constitutions de la Grèce antique, celle d’Athènes a été la plus stable, allant même jusqu’à s’étendre à d’autres poleis dès le Ve siècle av. J.-C., et ce jusqu’à la conquête romaine qui met un terme définitif à l’indépendance des cités. Émilie Formoso

La cohorte des exclus

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE

P

lusieurs catégories de la population sont exclues de la vie civique. • Les femmes. Juridiquement mineure, la femme ne participe pas à la vie politique. Elle joue cependant un rôle fondamental dans la transmission de la citoyenneté. Un homme ne peut être citoyen si sa mère n’est pas elle-même fille de citoyen.

• Les étrangers résidents. Le « métèque » doit avoir un « protecteur », un citoyen qui lui sert de garant. Il ne peut accéder à la propriété et doit payer le metoikion. La citoyenneté, accordée rarement aux étrangers, se justifie par d’importants services rendus. • Les esclaves. Considérés comme propriété de leur

maître, au même titre qu’un objet, ils ne peuvent participer à la vie civique. • Les citoyens frappés d’atimie sont privés d’une partie ou de la totalité de leurs droits civiques pour une durée variable. Ils ne peuvent participer aux assemblées ou devenir jurés. • Les citoyens ostracisés. L’ostracisme, spécifique à

Athènes, est instauré comme garde-fou contre le retour de la tyrannie. Le citoyen est exilé pour une durée de dix ans. Cette procédure est décidée par l’Ecclésia. Ses membres écrivent le nom de celui qu’ils jugent menaçant pour le régime sur un tesson appelé ostrakon. L’ostracisme peut être voté à la majorité relative. É. F.

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

Dans un monde grec morcelé en de nombreuses cités, le patriotisme régional donne lieu à une multitude de guerres auxquelles prennent part tous les citoyens, dans une armée calquée sur la hiérarchie sociale. 30 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

ARMANDA CLARO - ODYSSEUS - ARTE ÉDITIONS

La passion de la guerre

A Les affrontements entre Grecs obéissent à des règles strictes : on déclare la guerre formellement, on convient d’un lieu, on ne poursuit pas l’ennemi vaincu… (Scène tirée d’« Odysseus », Arte, 2013).

thènes est en guerre plus de deux années sur trois, et ne connaît jamais la paix plus de dix années consécutives. Cette omniprésence des conflits armés s’explique avant tout par l’extrême morcellement politique du monde grec. Plus d’un millier de cités rassemblent sur des territoires de parfois moins de cent kilomètres carrés une agglomération ou un groupe de villages, et la campagne environnante. On se sent citoyen de Corinthe, d’Égine ou de Mégare avant d’être grec. Ce patriotisme et cet amour de la terre sont un terreau fertile pour les querelles de voisinage, les rivalités, les convoitises et les détestations mutuelles. « Les raisons des guerres, rapportées par les historiens grecs, sont innombrables : agression territoriale, déloyauté, pratique religieuse jugée impie, affronts à l’honneur. Tous les prétextes sont bons pour attaquer l’adversaire », observe Yvon Garlan, professeur émérite de l’université de Haute-Bretagne. Sans parler de l’appât du butin, rarement reconnu mais bien réel.

AKG-IMAGES - JOHN HIOS

LA COMPÉTITION POUR MODE DE VIE

Les hoplites, soldats d’infanterie, fournissent leur propre équipement, dont casque, cuirasse et jambières de bronze. (Casque, bronze, ve s. av. J.-C.)

La polysémie du terme agôn résume bien la complexité du statut de la guerre dans la civilisation grecque. Au sens propre, il signifie « assemblée ». Mais à l’époque classique il désigne deux autres idées complémentaires : d’une part, l’esprit de rivalité, que l’on trouve lors des joutes oratoires des assemblées, dans les concours sportifs ou sur les champs de bataille ; d’autre part, l’acceptation implicite par les compétiteurs de règles dans leur affrontement. La notion d’agôn, si centrale que les historiens parlent à propos de la Grèce antique de «  civilisation agonistique  », implique donc que toute assemblée humaine suppose à la fois une compétition entre ceux qui y participent et l’existence de normes pour l’encadrer. Tout affrontement armé, du moins entre Grecs, suppose ainsi le respect d’un certain nombre de règles coutumières. Une guerre doit être déclarée, la surprise étant jugée déloyale. Les combattants doivent convenir du lieu de la bataille. Le vainqueur ne doit pas poursuivre l’ennemi vaincu et LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

UNE AFFAIRE COLLECTIVE

Le temps n’est plus aux affrontements individuels entre aristocrates, en combats singuliers se terminant toujours par la mort de l’un des combattants que chantait L’Iliade. La guerre est devenue, au Ve siècle, une affaire collective impliquant tous les hommes libres de la cité. L’organisation de l’armée est calquée sur la hiérarchie sociale. Les plus riches commandent, ou 32

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

UNE GUERRE RECOURT À LA FORCE DES ARMES ET NON À DES “PRATIQUES SUBVERSIVES” servent dans la cavalerie : une arme au rôle prestigieux mais militairement peu efficace, limitée aux tâches de commandement et de reconnaissance, car on monte alors à cru et sans étriers. Ce que l’on appellerait aujourd’hui la classe moyenne (entre 20 et 40 % de la population d’une cité) fournit les contingents d’hoplites, qui payent euxmêmes leur équipement militaire (le casque, la cuirasse et les jambières de bronze, le bouclier, la lance et l’épée). Cette infanterie lourde est l’arme maîtresse sur les champs de bataille. Les plus pauvres servent dans des troupes d’infanterie légère, armés de frondes et de javelots, qui ne jouent, dans les combats, qu’un rôle secondaire, et surtout socialement peu prestigieux. On sert dans l’armée de 18 ans à 49 ans, avant d’entrer dans la réserve jusqu’à 58 ans. L’espérance de vie étant estimée à 45 ans, un citoyen grec est donc mobilisable sa vie durant. À l’inverse, les étrangers et les esclaves sont dispensés de devoirs militaires. Chaque soldat quitte ses tâches habituelles d’agriculteur, d’artisan, de négociant ou de

COLLECTION CHRISTOPHEL

est tenu de lui rendre ses morts, s’il le demande. Enfin, une guerre se doit de ne recourir qu’à la force des armes, interdisant par exemple ce que l’on qualifierait aujourd’hui de pratiques subversives, comme d’inciter les esclaves de l’adversaire à se rebeller. Cependant, nuance Pierre Ducrey, professeur honoraire de l’université de Lausanne, « ces règles ne s’appliquent que pour les combats en rase campagne entre Grecs, mais pas contre les Barbares, ni dans les prises de villes. Si une cité attaquée se défend à outrance, ses hommes peuvent être mis à mort et ses femmes et enfants réduits en esclavage en cas de prise par la force ». Cet encadrement coutumier de la violence guerrière explique en tout cas que les guerres incessantes entre Grecs n’aient pas entravé le développement des cités, ni provoqué de saignée démographique. En compilant les récits grecs de batailles, on trouve les moyennes, somme toute modestes, de 5 % de pertes chez les vainqueurs et 14 % chez les vaincus.

AISA - LEEMAGE / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - AGENCE BULLOZ

En -480, lors de la bataille des Thermopyles, les Grecs se défendirent héroïquement contre les Perses, beaucoup plus nombreux. (Film 300, 2006.)

Le stratège Thémistocle dota Athènes d’une flotte de trières (galères de combat), qui joua un rôle déterminant dans la deuxième guerre médique, en -480. (Ci-dessus, céramique, VIe s. av. J.-C.)

Hoplites contre hoplites

L

a tactique des batailles terrestres entre Grecs est aussi sommaire qu’invariable. Formées en phalanges très serrées de huit rangs d’hommes de profondeur, les deux armées d’hoplites avancent face à face au pas de course au son des flûtes, lances en avant. Chaque combattant protège son flanc gauche de son

bouclier, et son autre flanc en se serrant contre le bouclier du soldat situé à sa droite. « Passé le choc initial entre les deux phalanges, qui s’apparente à une mêlée de rugby, le déroulement d’une bataille devait ressembler à une multitude de combats singuliers », explique Pierre Ducrey. Très violent, le combat ne dure que quelques

heures : la guerre n’ayant lieu qu’en été, impossible de combattre davantage avec un équipement de 20 à 30 kg. Apparu vers le VIIe siècle, ce type de combat très codifié nécessite une grande cohésion. Ces usages militaires manifestent ainsi une conception politique valorisant l’égalité et la solidarité entre citoyens-soldats. N. C. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LE CITOYEN

À ATHÈNES, LES THÈTES, CITOYENS PAUVRES, ONT UN RÔLE MILITAIRE CROISSANT lettré (même Socrate combattit comme hoplite !) pour se rendre à la guerre. Comment y est-il préparé ? À Athènes, l’éphébie est une période de deux années de formation à partir de 18 ans. Véritable service militaire, elle est accompagnée d’un entraînement au maniement des armes. À Sparte, réputée pour la valeur de ses armées, la formation est à la fois plus précoce et plus longue. Les jeunes adolescents sont, pendant plus de dix ans, élevés collectivement et entraînés à une vie à la dure. Passée cette formation initiale, les citoyens-soldats ne reçoivent plus d’autre entraînement que celui que procure la fréquentation des gymnases. « Le soldat grec, même au niveau des officiers, est fondamentalement un amateur, explique Yvon Garlan, et

À LIRE • Pierre Ducrey, Guerres et guerriers dans la Grèce antique. Hachette, 1999. • André Bernand, Guerre et violence dans la Grèce antique. Hachette, 1999. • Pierre Brûlé et Jacques Oulhen (sous la direction de), La Guerre en Grèce à l’époque classique. Presse universitaires de Reims, 1999.

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LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

le soldat professionnel ou le mercenaire est très rare dans la Grèce du Ve siècle. » Une des grandes originalités d’Athènes est que les citoyens des classes les plus pauvres (les thètes), soit la moitié du corps civique, vont acquérir un rôle militaire de plus en plus important à partir de la deuxième guerre médique qui oppose les Grecs aux Perses au début du Ve  siècle. Face à un envahisseur venu par la mer d’Asie Mineure, l’affrontement se déroule aussi sur les flots. À l’initiative du stratège Thémistocle, Athènes choisit de développer sa marine, construisant en quelques années une flotte de plus de 200 trières, des galères de combat. Chacune est servie par 180 rameurs, recrutés parmi les thètes. C’est cette marine qui met en déroute la flotte perse, plus puissante en nombre, lors de la bataille de Salamine (-480). Les Perses repoussés, Athènes domine toute la mer Égée et y forme un véritable empire maritime. Les rameurs en sont auréolés de gloire, comme l’étaient déjà les marathonomaques, ces hoplites qui avaient eux aussi vaincu les Perses à Marathon dix ans plus tôt. Les thètes vont alors gagner en influence dans la démocratie athénienne, devenant le centre de gravité de sa vie politique. « Athènes classique est une sorte d’empire populaire, au sens où, contrairement à ce qui se passe dans les autres cités, les plus pauvres ont intérêt, économiquement et politiquement à l’expansion de l’empire », analyse Pierre Ducrey. La démocratie athénienne est donc intimement liée au développement d’un empire maritime… mais elle survivra à son effondrement au terme de la guerre du Péloponnèse, ce long conflit fratricide entre Grecs qui verra l’abandon des règles coutumières régissant la guerre, devenue « totale ». Nicolas Chevassus-au-Louis

Un pacifiste avant l’heure

A

ristophane est un des très rares auteurs grecs à défendre le pacifisme. La critique de l’absurdité de la guerre est un thème récurrent de son théâtre comique. Les Cavaliers (-424) tourne en dérision les démagogues athéniens qui profitent de la guerre du

Péloponnèse, dont il est contemporain. La Paix (-421) met en scène, après force aventures burlesques allégoriques, le retour de la déesse Paix en Attique, accueillie avec enthousiasme par toute la population. Dans Lysistrata (-411), les femmes athéniennes décident de se refuser

à leurs maris tant qu’ils continueront à faire la guerre… et obtiennent ainsi la fin des combats. Étonnamment moderne tant par son pacifisme que par le rôle politique central qu’elle fait jouer aux femmes, Lysistrata est aujourd’hui une des pièces les plus jouées d’Aristophane. N. C.

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / COLL. DAGLI ORTI - MUSÉE NATIONALE ARCHÉOLOGIQUE ATHÈNES

À Athènes, la formation militaire des jeunes dure deux ans. (Cuirasse de bronze, IVe s. av. J.-C., et vase, Ve s.)

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N° 142 Les merveilles du monde chrétien

N° 135 Japon Aux sources du mythe

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LE CITOYEN

À l’adolescent le père désigne un hilote ivre, étendu par terre. C’est l’exemple à ne pas suivre. (L’éducation à Sparte, tableau de L. Mussini, 1869.)

« parte brille comme un éclair dans des ténèbres immenses », disait Robespierre. Pour les révolutionnaires français, le modèle à suivre n’était pas Athènes mais Sparte. Là où Athènes proposait un modèle d’égalité politique, Sparte semblait donner l’exemple d’une égalité plus approfondie, plus concrète. Dans cette cité, où le luxe et la richesse excessive étaient mal vus, où la sobriété était requise en matière de nourriture comme de vêtements, ses citoyens apparaissaient comme les plus vertueux d’entre tous. Ce modèle spartiate fait de vie communautaire, d’égalité concrète et d’austère vertu, a donc fasciné les révolutionnaires français et donné lieu à toute une légende héroïque. Mais depuis une trentaine d’années, après avoir déconstruit ce mythe, les historiens s’interrogent même sur la prétendue exceptionnalité de la cité lacédémonienne : Sparte n’était-elle au fond qu’une cité comme les autres ? À Sparte, l’individu est totalement subordonné à la cité. Sa vie quotidienne s’inscrit dans un

réseau d’institutions collectives. Dès l’enfance, il est embrigadé dans un mode de vie communautaire qui sera le sien toute sa vie. Il est soumis à une éducation collective et obligatoire organisée par l’État, l’agôgè. Très longue au regard de ce qui se pratiquait dans les autres cités grecques, elle commence à sept ans, et se poursuit jusqu’à trente. Cette éducation manifeste une dureté qui, par bien des aspects, l’apparente à un dressage. Cela apparaît dans l’étape initiatique de la kryptie, qui impose à certains adolescents (promis à de hautes fonctions) de survivre un an par leurs propres moyens à l’aide de rapines, sans être vus de personne, sous peine d’être très sévèrement battus. Cette vie communautaire continue jusqu’à 30 ans. La vie privée passe au second plan. Plutarque rapporte qu’un jeune Spartiate marié, s’il a moins de 30 ans, doit continuer de vivre avec ses camarades. Il ne voit sa femme qu’en cachette, même si elle est devenue mère… Après 30 ans, la vie communautaire continue sous d’autres formes. Tous les

L

es institutions de Sparte empruntent à plusieurs systèmes existants. Deux rois, un conseil des anciens (« gérousie ») une assemblée (apella) et cinq magistrats (éphores) se partagent les décisions. Les rois, issus des

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deux mêmes familles de Sparte, ont un pouvoir militaire et religieux. Les éphores disposent d’une fonction de surveillance générale de la société en préservant l’ordre public. La gérousie, composée de 28 vieillards d’au moins 60 ans, juge les crimes

les plus graves et exerce un droit de veto sur les décisions de l’Assemblée. Celle-ci, rassemblant tous les citoyens spartiates, entérine les mesures qu’on lui propose mais intervient dans les décisions concernant la guerre ou la paix. J.-F. M.

DEAGOSTINI - LEEMAGE

Le système politique spartiate

L’éducation à la dure : l’enfant, dès l’âge de 7 ans, est envoyé en « formation ». Il doit se fondre au sein d’un groupe avec lequel il vivra jour et nuit. (Film 300.)

COLL. CHRISTOPHE L.

VIVANT EN COMMUNAUTÉ, UN JEUNE SPARTIATE NE VOIT SA FEMME QU’EN CACHETTE citoyens participent à un rite essentiel de la cité : les repas collectifs ou syssities. « On pense que ces repas réunissaient en un même lieu plusieurs tablées d’une quinzaine de personnes. Les convives étaient unis par des liens affectifs puisqu’il fallait la cooptation de tous pour accepter un nouveau participant. Parfois, ce lien affectif pouvait être de nature homosexuelle, lorsqu’un convive invitait son amant à participer à sa tablée. Les Spartiates jugeaient que ces relations homosexuelles étaient bénéfiques pour la cité, les soldats étant désireux de faire preuve de bravoure devant leurs amants », explique Edmond Lévy, ancien professeur à l’université de Strasbourg, spécialiste de l’histoire de Sparte. Pour participer à ces repas collectifs il faut, en plus d’être coopté, verser une contribution régulière, sous peine de perdre sa pleine citoyenneté. Pour que chacun puisse verser sa part aux syssities, les Spartiates auraient alloué un lot de terre de même valeur à chaque citoyen, « le kléros ». Il ne peut ni le vendre pour en tirer profit, ni le cultiver lui-même : des hilotes, travailleurs attachés à la terre s’en chargent et versent au propriétaire l’apophora, un loyer qui doit rester constant. Les syssities, au principe communautaire et égalitariste, sont donc financés par les plus pauvres. Cette vie collective proposée aux Spartiates a un but double : « Elle doit assurer la cohésion sociale de la cité, mais aussi renforcer ses performances militaires.

En effet, le combat entre hoplites, où deux phalanges s’affrontent, impose de faire front. Lorsqu’un soldat rompt, le reste de l’armée se fait massacrer. Des liens créés dès l’enfance avec ses camarades de combat étaient donc certainement très utiles non seulement pour ne pas céder du terrain mais pour encourager ses voisins à tenir », remarque Edmond Lévy. LA MORT PLUTÔT QUE LA FUITE

De fait, le spartiate jouit au Ve siècle d’une réputation de bravoure incomparable, celle de ne jamais abandonner son poste. C’est ce qui se produit lors de la célèbre bataille des Thermopyles, en -480, où Léonidas et ses trois cents spartiates, pris à revers par les Perses, se font massacrer sur place pour laisser aux Grecs le temps de se réorganiser. Cette bravoure est entretenue, chantée, remémorée par toute une littérature patriotique de propagande. On célèbre la fierté des mères spartiates, leur joie quand leurs fils meurent pour la patrie. Plutarque rapporte un aphorisme célèbre où une mère dit à son fils partant au combat qu’elle souhaite qu’il revienne avec son bouclier ou sur son bouclier : autrement dit, vainqueur ou mort… Ces caractéristiques de la société spartiate ont nourri le mythe d’une cité dure mais pure, qui a inspiré les révolutionnaires français. Aujourd’hui, les historiens remettent en question nombre d’aspects de ce «  modèle spartiate  ». En particulier tout ce qui concerne la fameuse égalité qui fascinait tant Robespierre et Saint-Just. En réalité, la société lacédémonienne est fondamentalement inégalitaire et hiérarchisée. On pense que cette pyramide sociale à forte déclivité LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Bravoure et solidarité : telle est l’image que cultive et entretient l’armée spartiate. (La bataille des Thermopyles, film de Rudolf Maté, 1961.)

est sans doute due aux origines de Sparte, née de la conquête, vers le XIIe siècle, d’un territoire achéen par des populations doriennes (indo-européennes). À côté d’une classe des citoyens très minoritaire existent deux classes inférieures, celles des hilotes, et des périèques. Les premiers sont soumis à des vexations diverses, parfois très violentes, de la part des citoyens spartiates. On estime qu’il y avait dix hilotes pour un citoyen : « Les hilotes sont considérés comme une classe dangereuse

À ATHÈNES COMME À SPARTE, UNE PETITE MINORITÉ DISPOSE DE PRÉROGATIVES par leur nombre. Au fond, les Spartiates en ont peur. Ils les terrorisent pour les renvoyer à leur infériorité et à leur sujétion », explique Edmond Lévy. Le mot dériverait de heilos, « faire prisonnier », donc ces populations descendraient des vaincus lors de la conquête dorienne. Les périèques, de statut supérieur, sont des citoyens de seconde zone habitant en périphérie de Sparte. Ils ne peuvent accéder à la magistrature ni participer à l’Assemblée. L’égalité est loin de régner au sein même de la classe des citoyens, que l’on appelle pourtant les homoïoi, les semblables. « L’idée d’une égalité absolue entre tous les citoyens spartiates est en réalité un thème de propagande. On voit bien dès le Ve siècle que ce sont toujours les mêmes familles qui occupent les plus hautes fonctions de l’État. Plus on avance dans l’histoire, plus cela apparaît nettement. À la fin de la guerre du Péloponnèse, lorsqu’une quantité plus importante de richesses circule à Sparte, ces différences se creusent, l’inégalité devient flagrante sur le plan économique», 42 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

analyse l’historien Patrice Brun, spécialiste de l’histoire et de la civilisation grecques à l’université Bordeaux-III. Les kléroi, ces lopins de terre attribués à chacun, étaient tenus pour avoir la même valeur. Or cette idée est aujourd’hui remise en doute : « L’équivalence des lots de terre a peut-être existé, mais seulement au début. Ensuite, le régime successoral a rendu cette égalité impossible. Il suffit que l’une des familles comprenne deux ou trois mâles pour se trouver dans une situation très difficile, avec un kléros divisé en parts réduites. Au IVe siècle, la concentration des terres dans les mains de quelques-uns devient flagrante », souligne Patrice Brun. Sur le plan des valeurs, le modèle spartiate a son revers : la pression sociale. Dans une société où le regard d’autrui est si fort, l’idéal égalitaire n’est pas forcément dû à la vertu des Spartiates, ni à leur goût spontané pour l’austérité et la sobriété. Au contraire, certains se cachent pour thésauriser, ou bien se livrent à la passion du luxe et de l’argent à l’extérieur de la cité : « Sparte entre dans la catégorie des “sociétés de face-à-face”. Il n’existait pas de police mais il fallait vivre sous le regard de l’autre. D’où un conformisme très fort », note Patrice Brun. De manière générale, les historiens actuels sont plus sensibles à ce qui rapproche Sparte des autres cités grecques, et même d’Athènes sa grande rivale : « Plus nos connaissances progressent, et plus nous nous apercevons que ce qui oppose Sparte et Athènes se résume à des différences de degré plus que de nature. Les deux cités avaient adopté des systèmes antagonistes qui reposaient sur un fond identique, les prérogatives conférées à une minorité. À Athènes comme à Sparte, malheur à celui qui n’était pas citoyen… », conclut Patrice Brun. Jean-François Mondot

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2 La société LA SOCIÉTÉ

La famille, miroir du civisme grec L’homme, époux et père, règne en maître sur la maisonnée. Ainsi l’ordonnent les lois civiques qui s’invitent dans l’espace familial, encadrant les relations de couples, la gestion du foyer, la transmission du patrimoine… 44

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Trentenaire, l’Athénien quitte sa famille pour fonder un foyer. Procréer est un acte civique. (Odysseus, ARTE, 2013 ; figurine du IVe s. av. J.-C.)

ans la Grèce antique, la famille, loin d’être un lieu de passion, est régie par des lois qui assurent le bon fonctionnement de la cité. Elle est complexe, élargie, car elle comprend l’homme, son épouse, ses enfants, les dépendants – la mère âgée et veuve, les sœurs non mariées… – ainsi que les esclaves qui vivent sur le domaine. Elle s’organise autour de la figure centrale du chef de famille, à la fois époux, maître, et père. Il n’existe pas vraiment de terme pour évoquer la famille telle qu’on l’entend aujourd’hui. La notion qui s’en rapproche le plus est celle d’oikos. « C’est la maisonnée, la

cellule familiale, précise Florence Gherchanoc, maître de conférences à l’université Diderot Paris-VII. L’oikos désigne aussi bien les biens, le patrimoine, les animaux rassemblés sous un même toit, que les membres de l’espace familial ainsi que tous ceux qui s’associent à eux lors des fêtes : les amis, les proches, ceux avec lesquels on est lié. » La communauté domestique varie entre citoyens et étrangers, riches et pauvres, urbains et ruraux, et n’est donc pas facile à décrire. « Nous disposons de peu de documents objectifs, souligne Chloé Titli, professeure de lettres classiques au lycée Pothier d’Orléans. Les discours officiels des orateurs athéniens magnifient la famille, quand la littérature, la tragédie décrivent des cas extrêmes. » Les citoyens athéniens sont les mieux connus, car LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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La famille, miroir du civisme grec Vingt-quatre heures de la vie d’une femme Tu seras citoyen-soldat, mon fils Les dieux du stade La société se met en scène La philosophie questionne la Cité

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La famille, miroir du civisme grec L’homme, époux et père, règne en maître sur la maisonnée. Ainsi l’ordonnent les lois civiques qui s’invitent dans l’espace familial, encadrant les relations de couples, la gestion du foyer, la transmission du patrimoine… 44

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Trentenaire, l’Athénien quitte sa famille pour fonder un foyer. Procréer est un acte civique. (Odysseus, ARTE, 2013 ; figurine du IVe s. av. J.-C.)

ans la Grèce antique, la famille, loin d’être un lieu de passion, est régie par des lois qui assurent le bon fonctionnement de la cité. Elle est complexe, élargie, car elle comprend l’homme, son épouse, ses enfants, les dépendants – la mère âgée et veuve, les sœurs non mariées… – ainsi que les esclaves qui vivent sur le domaine. Elle s’organise autour de la figure centrale du chef de famille, à la fois époux, maître, et père. Il n’existe pas vraiment de terme pour évoquer la famille telle qu’on l’entend aujourd’hui. La notion qui s’en rapproche le plus est celle d’oikos. « C’est la maisonnée, la

cellule familiale, précise Florence Gherchanoc, maître de conférences à l’université Diderot Paris-VII. L’oikos désigne aussi bien les biens, le patrimoine, les animaux rassemblés sous un même toit, que les membres de l’espace familial ainsi que tous ceux qui s’associent à eux lors des fêtes : les amis, les proches, ceux avec lesquels on est lié. » La communauté domestique varie entre citoyens et étrangers, riches et pauvres, urbains et ruraux, et n’est donc pas facile à décrire. « Nous disposons de peu de documents objectifs, souligne Chloé Titli, professeure de lettres classiques au lycée Pothier d’Orléans. Les discours officiels des orateurs athéniens magnifient la famille, quand la littérature, la tragédie décrivent des cas extrêmes. » Les citoyens athéniens sont les mieux connus, car LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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ils disposent d’un statut juridique, d’une existence attestée dans des documents ; les esclaves, les métèques ou étrangers, les gens vivant à la campagne échappent, eux, à toute source exploitable. Le nombre d’esclaves est ainsi estimé de 30 000 à… 300 000 dans l’ensemble de l’Attique ! Autant dire que l’on ne sait pas grand-chose sur ces êtres non libres, considérés comme des biens matériels. Même relégué au rang de chose, l’esclave est bien un membre de la famille au sens large. « On peut supposer que la famille à Athènes, au Ve siècle avant notre ère, comptait un homme, son épouse, deux ou trois enfants, et une dizaine d’esclaves », avance Chloé Titli. Les plaidoiries dans les procès évoquent des problèmes de succession, de partage entre frères, suggérant l’existence d’au moins deux enfants mâles, peut-être plus. À Athènes, en effet, les fils héritent de façon égale et sans droit d’aînesse. Et l’on ne fait pas de distinction entre les fils biologiques et les fils adoptifs. Une fille, elle, reçoit par la dot sa part d’héritage paternel. Seule l’épiclère, ou fille unique héritière, peut transmettre son héritage à ses enfants si elle épouse son plus proche parent dans la ligne paternelle. Quant à la place de la femme, ce sont les quatre murs de la maison qui la délimitent. Éternelle mineure, elle reste sous la dépendance d’un homme et vit à l’écart du débat politique. Elle est néanmoins essentielle à la famille. C’est elle qui

Pas besoin de maquillage, dit-on. Secouer les vêtements, pétrir la pâte suffisent à donner des couleurs aux joues !

Jusqu’à l’âge de 12 ans, la fille apprend, aux côtés de sa mère, à tenir son futur rôle de femme au foyer. (Terre cuite, période archaïque.)

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assure la gestion du foyer, distribue les tâches aux servantes, file la laine, tisse et brode les étoffes. Dans l’Economique, du Grec Xénophon (vers 440355), elle est comparée à la « reine des abeilles », indispensable à son époux car complémentaire : alors que celui-ci est responsable des activités du dehors, elle est chargée des travaux de l’intérieur. Que sait-on des relations de la femme avec son époux ? « La finalité du mariage, c’est la procréation, précise Aurélie Damet, maître de conférences en histoire grecque à l’université Paris-I. Si le couple s’entend bien, c’est mieux, mais les textes n’insistent pas sur l’amour. » D’une source à l’autre, l’image donnée de la femme diffère. « Les textes d’Aristophane montrent qu’il y a de la séduction au sein du mariage : l’épouse se maquille, s’épile, porte des petites tuniques, rapporte Florence Gherchanoc. Dans l’Economique de Xénophon, en revanche, il est écrit que l’épouse n’a pas besoin de se maquiller parce que secouer les vêtements et pétrir la pâte suffisent à lui donner des couleurs aux joues ! » UNE MAÎTRESSE OUI, MAIS CÉLIBATAIRE

Dans la cité, l’adultère, très légiféré, reste une prérogative masculine. « Lorsqu’un époux rentre chez lui et prend son épouse en flagrant délit, il peut mettre à mort l’amant ou le garder deux à trois jours pour le torturer et l’humilier, détaille Aurélie Damet. Il doit également se débarrasser de son épouse, car elle risque de mettre au monde un bâtard, un nothos. » L’homme, lui, s’il n’a pas le droit d’approcher une citoyenne mariée, peut fréquenter des esclaves prostituées, ou des hétaïres, des courtisanes non citoyennes. Recherchées pour leur culture, elles se font payer en cadeaux de luxe. Il peut aussi, dans le cadre de relations homo-érotiques très codifiées, entretenir des rapports privilégiés avec de jeunes garçons, au cours de leur paideia (éducation). Juridiquement, un couple peut divorcer mais l’initiative revient à l’homme qui n’a pas besoin d’avancer une raison particulière. Dans la pratique, la femme divorce rarement de sa propre initiative. « Plutarque fait le récit de la femme d’Alcibiade, qui voulait demander le divorce car son époux débauché ramenait un peu trop de maîtresses sous son propre toit, reprend Aurélie Damet. Elle n’a pas réussi à aborder le magistrat, car son époux l’a rattrapée sur l’agora et traînée de force vers leur maison ! » Pour resserrer les liens de l’oikos et éviter la dislocation du patrimoine, on se marie entre proches qui vont jusqu’à partager des liens de sang, tels un oncle et sa nièce. Les femmes, très jeunes lors de leur première union, se marient aussi souvent une seconde fois, car le taux de mortalité est élevé en raison de la guerre. C’est le cas de la mère de l’orateur Démosthène (384-322) ou encore de celle de Platon (v. 427-v.348), qui se remaria avec son oncle maternel Pyrilampe. Les familles recomposées sont ainsi fréquentes à Athènes.

MUSEUM OF FINE ARTS, BOSTON - THE BRIDGEMAN ART LIBRARY

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L’amour, s’il facilite les relations de couple, guide rarement le choix du conjoint. (Œnochoé du IVe s. av. J.-C.)

Tout garçon devra, à l’âge de 7 ans, quitter le giron familial pour apprendre à lire et écrire. (Film 300.)

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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L’enfant dispose de son pot de chambre qui fait office de chaise haute : il peut jouer sans risquer de tomber.

Tout fils devra, plus tard, assurer la subsista nce à ses parents sous peine de perdre ses droits de citoyenn eté

Un des jouets présents dans la maisonnée : une colombe à roues. (Ve s. av. J.-C.)

Quant au célibat, s’il est condamné et puni pour les hommes dans la cité de Sparte (1), on ne dispose d’aucune information de ce genre à Athènes. Platon, pourfendeur du célibat dans La République (2), était lui-même célibataire. « Les liens qui unissent un père à son enfant sont moins des liens biologiques que des liens sociaux », écrit Florence Gherchanoc dans Le lien filial dans l’Athènes classique. Un père peut ne pas reconnaître sa progéniture, il lui suffit de ne pas accomplir les rites. L’enfant désavoué par son géniteur est alors exclu de la succession, il est privé du droit de cité, de tout accès à la vie politique. Inversement, l’homme peut recourir à l’adoption. Celle-ci est consentie par la loi en cas d’absence d’enfants légitimes de sexe masculin et pour des enfants de plus

de 15 ans. La paternité passe alors par un acte de nomination. L’enfant, de préférence un neveu ou quelqu’un de la famille, devient le fils d’un autre. « Les Grecs ont une peur terrible de vieillir dans la solitude, explique Aurélie Damet. Ils adoptent car le fils doit entretenir ses parents sous peine de perdre ses droits de citoyenneté. Il s’occupera aussi des rites funéraires et célébrera le culte des morts. » Les enfants refusant d’assurer subsistance à leurs parents sont frappés d’atimie, une condamnation qui consiste en une privation des droits civiques. Les mères grecques allaitent, puis confient leur enfant à une nourrice au moment du sevrage. « La nourrice peut être soit une femme libre, une épouse de citoyen pauvre, soit une esclave. Nous possédons nombre de témoignages d’affection vis-à-vis d’elles de la part de la famille, de la part de ceux qu’elles ont nourris, rapporte l’historien Pierre Brulé, spécialiste de la Grèce antique. La fréquence de la mise en nourrice dépend évidemment des moyens de la famille. » La nourrice de Démosthène, par exemple, vivait à demeure et partageait les repas avec la famille, signe qu’elle était partie prenante de l’oikos. Jusqu’à 7 ans, les enfants sont élevés dans un milieu presque exclusivement féminin : la mère, la nourrice, quelques esclaves, les frères et sœurs. «  L’éducation reçue dans la maison nous est mal connue, reconnaît Pierre Brulé. Mais ses caractères principaux font peu de doute : elle est évidemment orale et elle est plutôt le fait des femmes. » Les filles sont préparées à devenir de bonnes épouses, tissant et filant la laine avec leur mère, avant d’être données en mariage vers 12-18 ans. Les garçons suivent à partir de 7 ans, si les parents en ont les moyens, un enseignement privé de maîtres spécialisés chez qui le pédagogue-esclave les accompagne. Ils se marient vers 30-35 ans seulement, constituant à leur tour un nouvel oikos. Rafaële Brillaud

1 – À Sparte, les hommes célibataires étaient punis par la loi : ils devaient faire le tour de l’Agora (la place publique), nus et en plein hiver, car ils refusaient le devoir civique de reproduction. 2 – Il propose d’infliger une amende aux hommes de plus de 35 ans qui ne sont pas mariés.

L’abandon : gare aux idées fausses À LIRE • Florence Gherchanoc, « Le lien filial dans l’Athènes classique : Pratiques et acteurs de sa reconnaissance », in Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens, Vol. 13, 1998. pp. 313-344.

I

l est couramment admis, dans la littérature grand public, que l’exposition, pratique qui consiste à abandonner un nouveau-né – alors déposé dans un endroit à l’écart  – était répandue dans la Grèce antique. Plutarque cite même le gouffre des

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Apothètes où étaient précipités, à Sparte, les infortunés nourrissons. Pourtant, les spécialistes de la période relativisent cette idée. « Nous n’avons aucune donnée objective sur cette pratique, affirme Chloé Titli, qui a consacré sa thèse à ce sujet. À Thèbes, des lois

gravées prouvent qu’il existait au frais de l’État des foyers d’accueil pour enfants abandonnés. Mais nous ne possédons aucune trace d’une législation sur l’abandon des nouveau-nés à Athènes. Quoi qu’il en soit, l’exposition était condamnée moralement par les écrivains. » R. B.

PETER HORREE - ALAMY - PHOTO 12 / THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS - THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM

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ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme Dans les années 440 av. J.-C., la femme d’un citoyen aisé d’Athènes a peu l’occasion de sortir de l’oikos, la maisonnée. Gestion de l’intendance, tissage et soins donnés aux enfants rythment ses journées. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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e soleil s’est à peine levé, en ce jour d’automne à Athènes, que déjà Kléoboulé s’éveille dans sa maison de briques du quartier du Céramique, près de l’Agora, au pied de la colline du Parthénon. Dehors, elle entend des éclats de voix, sans doute des potiers s’activant à rallumer les feux de leur four. Elle reconnaît le braiement des ânes, le roulis des charrettes des paysans en route vers le marché. La jeune femme s’étire dans son lit, un simple cadre de bois où s’entassent des peaux de bêtes. Son époux Boèthos dort encore, mais pas question de paresser, une longue journée s’annonce pour elle… En ce mois de Pyanepsion, qui correspond à octobre, vont débuter les Thesmophories. Cette fête qui célèbre Déméter, la déesse des semailles et des moissons, est réservée aux épouses légitimes de citoyens. Tout en ajustant sa tunique de lin, le chiton, Kléoboulé esquisse un sourire : cette année, elle a été choisie parmi les femmes de son Toute leur vie, les femmes restent sous la tutelle d’un mâle : père, frère, mari ou fils. (Odysseus, ARTE, 2013.)

Si les hommes vont aux bains, les femmes font de préférence leur toilette à domicile. (Cratère du IVe s. av. J.-C.)

dème, un des quartiers d’Athènes, pour fournir ce qui servira au sacrifice rituel et au banquet. Les frais de cette liturgie incombent en réalité à son mari, un riche propriétaire terrien qui occupe actuellement le poste de magistrat chargé de l’approvisionnement de la cité. Mais Kléoboulé se réjouit de prendre part à l’organisation de l’événement… Au fond de la cour, près de la cuisine, une servante a allumé un feu de brindilles et fait cuire des galettes d’orge. Avec quelques olives et des figues, cette simple collation composera le petitdéjeuner de la maisonnée. Kléoboulé et son époux partagent leur demeure de ville avec leur famille au sens large. Des sept enfants nés de leur union, il leur en reste quatre. Le dernier-né tète encore sa nourrice ; l’aînée, âgée de 15 ans, va bientôt se marier. La mère de Boèthos, veuve depuis peu, et une de ses sœurs encore célibataire vivent aussi sous leur toit. Enfin il y a les esclaves, qui incluent le pédagogue chargé de l’éducation du fils

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LA SOCIÉTÉ

PHOTOS ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS

Les Grecques ne sont pas recluses dans un gynécée, leur place est au foyer. (Odysseus, ARTE, 2013.)

« Ô Zeus! À quoi bon dire du mal des femmes ? pas su ffisant de dire : N’est-il « C’est une femme » ? » Carcinos de la maison, un garçon de 10 ans… Comme la plupart des citoyens athéniens, Boèthos possède aux abords de la cité des terres cultivées en céréales, vignes et oliviers, auxquelles s’ajoute un troupeau de moutons. Pris par ses activités de citoyen et de magistrat, il a placé sur sa propriété un intendant qui surveille le travail des autres esclaves. Grâce aux produits de la ferme, la famille ne manque de rien. Dans le cellier s’entassent des jarres à huile, des sacs de grain, des fruits séchés. L’oikos, la maisonnée, fonctionne ainsi comme une véritable unité de production, où les femmes et les esclaves assurent le broyage de la farine, la préparation des repas, le filage et le tissage de la laine, la confection des vêtements… Kléoboulé commence sa journée par une inspection de la réserve. Avec le pédagogue, qui sait lire

et écrire, elle prépare les fournitures prescrites par la prêtresse de Déméter : il lui faut mesurer en quantités exactes orge, farine de blé, figues sèches, vin, huile d’olive, fromages frais… Hier, son époux a rapporté de la ferme le porcelet qui sera sacrifié sur l’autel, le jour du banquet rituel. La maîtresse de maison s’assied ensuite devant son miroir en bronze pour coiffer ses longs cheveux noirs en un haut chignon, ceint d’un bandeau, à la mode athénienne. Pour cette femme respectable, pas question de maquillage : ni blanc de céruse, ni jus de mûre pour rosir les joues, son époux lui ferait la morale. À 30 ans, Kléoboulé peut s’estimer une Athénienne heureuse : elle a donné à son époux de solides enfants, dont deux héritiers mâles, et sa maison est prospère. Elle maîtrise l’art de gérer son oikos, cette oikonomia que célébrera plus tard l’auLES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ

teur grec Xénophon dans un dialogue imaginaire entre Socrate et le citoyen Ischomaque (L’Économique, IVe siècle av. J.-C.). Mais elle prend de l’âge et elle doit veiller à ce que la jeune esclave thrace, arrivée récemment dans la maison, ne tourne pas trop la tête à son mari. Qu’il passe une partie de ses nuits avec elle et qu’il l’engrosse, soit, mais qu’il l’affranchisse pour en faire sa concubine, une pallaké qu’elle devra supporter sous son toit, c’est une autre affaire… Mais qu’y peut-elle, au fond ? À Athènes comme dans d’autres cités grecques, la femme n’a pas le choix de son destin. Il est impensable qu’elle vive seule, hors de la protection et de l’autorité de son kurios (maître). Père, mari, frère, fils, tuteur, c’est forcément un membre masculin de la famille qui doit la prendre en charge. À l’âge nubile, la jeune fille, la parthénos, est promise par son père ou son tuteur à son prétendant lors de la cérémonie de l’engué. Après le rituel du gamos, le mariage, elle change simplement de maître et de maison. Cette union n’est pas un acte civil clair : à tout moment, l’épouse légitime peut être répudiée, si elle est stérile par exemple. Les Athéniennes n’ont aucun droit politique ni aucune capacité juridique. Le seul domaine qui leur est entrouvert est celui de la religion : elles fréquentent les sanctuaires, participent à des fêtes qui leur sont propres, comme les Thesmophories, peuvent être prêtresses et transmettent parfois la parole du dieu 52 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

comme la Pythie à Delphes. L’épouse reste cependant une éternelle mineure. Elle ne dispose pas librement de ses biens. Sa dot, constituée d’objets précieux et numéraires, est gérée par son mari ou son plus proche parent masculin. Si ses parents n’ont aucun héritier mâle, la fille est dite « épiclère » : elle transmet le kléros (l’héritage) à son premier descendant mâle. Kléoboulé le sait par une amie d’enfance, qui a épousé un marchand et l’a suivi dans ses voyages : la loi est parfois plus clémente dans d’autres cités. À Gortyne, en Crète, les femmes disposent de leurs biens à leur guise et elles conservent une partie de l’héritage paternel en cas de divorce ou si leur mari meurt sans leur avoir donné d’enfants. L’INFIDÈLE EST LIVRÉE À LA FOULE

À Athènes, l’unique pouvoir de la femme, c’est son ventre. Depuis la réforme du stratège Périclès, seuls peuvent prétendre au statut de citoyens les fils nés d’un autre citoyen et d’une Athénienne. Si elle conforte son statut social en devenant mère, l’épouse ne peut pas transmettre son héritage à ses enfants pour autant… Quant à s’arroger les pleins pouvoirs à la maison, Kléoboulé n’y songe pas. Personnage du théâtre antique, la mégère (de Megaira, la déesse de la Haine, qui punit les criminels jusqu’à les rendre fous) évoque avant tout une construction de l’esprit, aux fins de mise en ordre de la cité. Dans la pensée grecque, traduite par Aristote dans Politique, « le mâle est supérieur par nature et la femelle inférieure. L’un gouverne et l’autre est gouvernée  ». Les mythes mettent aussi en scène les femmes comme un mal inutile

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Une femme n’a pas d’argent. Au marché, le mari ou son esclave règle les achats. (À g., blanchisseuse, vase du Ve s. av. J.-C.)

« Va dans ta chambre, veille aux travaux de ton sexe, métier et quenoui lle. La parole est l’a ffaire des hommes » Télémaque à Pénélope corvée quotidienne des femmes d’aller remplir les hydries, les vases à eau, à la fontaine du quartier. Une corvée, certes, mais aussi une occasion de sortie ! Justement, un petit groupe de matrones tient conciliabule devant la fontaine : «  Tu ne connais pas la nouvelle ? Hier, le forgeron Ménélas a surpris sa femme avec un homme. Pris de juste colère, il l’a chassée de la maison. On l’a retrouvée battue par la foule, les vêtements déchirés, à quelques rues d’ici. Qui sait ce qu’elle va devenir si son père ne la reprend pas chez lui. » « Et l’amant ? », interroge Kléoboulé avec curiosité. « Le mari ne l’a pas tué, mais il l’a emmené tout droit au tribunal… ». Dans la cité d’Athènes, l’adultère est sévèrement puni, car il met en péril la reproduction du corps civique. L’épouse non vertueuse est répudiée et livrée à la foule. Le châtiment pour son amant, c’est la mort, ou bien l’épilation du bas-ventre et le raphanidosis : on lui enfonce un raifort dans l’anus… Il peut aussi être condamné à l’atimie, la privation de ses droits civiques. Pénélope passant ses journées à tisser n’est pas qu’un mythe, c’est le quotidien de beaucoup de Grecques. (Odysseus, ARTE, 2013.)

L’ART DE DIRIGER LES ESCLAVES

mais nécessaire. Ainsi, pour se venger du vol du feu par Prométhée, les dieux façonnent dans l’argile Pandora, la première femme. Parée de toutes les séductions, elle devient le réceptacle de la semence de l’homme, mais elle amène aussi avec elle les peines, la fatigue, les maladies qui apportent le trépas aux mortels… Fini de rêver ! Kléoboulé s’enroule dans son peplos, un châle en laine tissée, pour sortir dans la rue, accompagnée par une esclave. Il n’y a pas d’eau courante dans les maisons athéniennes et c’est la

À son retour chez elle, Kléoboulé grimpe à l’étage de sa maison. Là, dans une pièce éclairée par des lampes à huile, plusieurs femmes s’activent. Au milieu des servantes filant la laine sur leur quenouille ou travaillant sur leurs petits métiers à tisser portatifs, sa fille aînée Andromaquè est penchée sur son ouvrage : elle achève de tisser le voile de laine légère qui la dissimulera aux regards, le jour de son mariage. La procession la mènera de la maison de son père à celle de son époux, un citoyen propriétaire d’un atelier de poterie dans

Un commerce du sexe florissant

ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS

S

i l’épouse légitime est la docile gardienne du foyer, la prostitution a pignon sur rue à Athènes. Dans les banquets, lieux par excellence des plaisirs de la chair, les convives recourent souvent à des professionnels des deux sexes, pornai (prostituées), hetairai (compagnes) ou adolescents, rétribués selon la durée et la nature de leurs prestations. Les gestes érotiques font toujours partie du jeu, mais

ils peuvent être associés à des divertissements tels le chant, la danse, la conversation… Le plus souvent esclaves, propriété d’un proxénète qui acquitte une taxe sur le revenu qu’elles génèrent, les pornai officient au port du Pirée, autour des murs de la cité ou dans des bordels signalés par des images érotiques. Exposant leur corps au regard de tous, ces femmes font usage de fards, de parfums, d’acces-

soires comme ces sandales à semelle arrangée, conçues pour laisser la marque AKOLOUTHI (« suis-moi ! ») sur le sol… Les ergasterion, les maisons closes, se doublent d’ateliers de tissage : nombre de vases du Ve siècle montrent ainsi des fileuses approchées par de jeunes hommes brandissant cadeaux et bourses. Les tarifs des passes sont fixés par la loi et soumis à l’amende en cas de dépasse-

ment. À la différence des pornai, l’hetaira n’est pas payée en argent, mais reçoit des cadeaux de ses philoi (amis) et doit être « séduite » pour accorder ses faveurs. Femme libre ou affranchie, elle dispose d’une résidence personnelle et couvre son corps quand elle sort, pour lui garder sa valeur. Pornai affanchies comme hetaira peuvent parfois prétendre devenir concubines voire épouses de citoyens…. P. D. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ La Grèce classique ne connaissait pas l'armoire. Les vêtements étaient rangés dans des coffres sur pied. (Terre cuite, 450 av. J.-C.)

magistrats, pour un banquet privé dans l’andron, la pièce de réception de la demeure, réservée aux hommes. L’épouse n’y assistera pas, mais elle doit veiller à ce que les mets et le service fassent honneur à sa maison… Elle doit à présent se rendre sur la colline de la Pnyx où aura lieu le banquet des Thesmophories. Un esclave la suit, tirant une mule chargée des offrandes pour le rituel. À la différence des femmes libres du peuple, qui se font sages-femmes, nourrices, marchandes de légumes ou ouvrières agricoles pour arrondir les finances de leur ménage et qui jouissent ainsi d’une certaine liberté, la jeune femme sort rarement de son quartier. Aussi regarde-t-elle avec curiosité les étals des marchands dans la rue : potiers, forgerons, cordonniers, orfèvres, marchandes de rubans, d’onguents, de parfums, de couronnes tressées… Pas question pour elle d’acheter quoi que ce soit, elle ne dispose pas d’argent. Seul son mari ou un esclave commandité par lui peut effectuer une transaction. En longeant la place sacrée de l’Agora, dominée par le temple d’Héphaïstos, elle admire les portiques sculptés et peints de couleurs vives, le monument aux fondateurs de la cité. De la Boulê, le Conseil qui prépare les lois, s’échappent les voix des ora-

À LIRE • Pauline Schmitt-Pantel, Aithra et Pandora, Femmes, Genre et Cité dans la Grèce Antique, L’Harmattan, 2009. • Claude Mossé, La femme dans la Grèce antique. Complexe, 1991. • Marie-Christine Villanuva-Puig, Images de la vie quotidienne en Grèce dans l’Antiquité. Hachette 1992. • Marella Nappi, Professionnelles de l’amour, Antiques et impudiques. Les BellesLettres, 2009.

le quartier. Depuis sa puberté, la jeune parthénos a abandonné ses vêtements de fillette, sa poupée de chiffon et quelques mèches de ses cheveux sur l’autel du sanctuaire de la déesse Artémis. Elle porte désormais autour de son chiton une ceinture. Et comme les autres garçons et filles de son âge, elle a défilé dans la cité à la fête des Apatouries, qui consacre l’entrée des adolescents dans la communauté civique. Elle sait que le jour de son union, elle devra prendre le bain rituel qui favorise la fécondité, dénouer sa ceinture (littéralement, accomplir l’acte sexuel) et se soumettre à son époux. Pas plus que sa mère, Andromaquè ne sait lire ni écrire. Mais les femmes de la maison se sont chargées de l’instruire : elle sait accomplir les tâches domestiques, utiliser des herbes médicinales et connaît ses devoirs sexuels… Depuis sa petite enfance, la vieille Théodotè, sa grand-mère, ne l’a-t-elle pas bercée de l’histoire de Pénélope, fidèle gardienne du foyer ? Après avoir aidé sa fille au tissage, Kléoboulé donne des instructions aux esclaves pour préparer le repas du soir. Son époux reçoit en effet des amis

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teurs. Plus loin, Kléoboulé s’étonne de croiser une femme richement parée de bijoux et entourée de servantes : « Elle se nomme Aspasie », lui confie son esclave, qui connaît les secrets de la cité. Depuis que cette étrangère originaire de Milet, en Asie Mineure s’est établie à Athènes, le stratège Périclès s’est épris de sa beauté et de son intelligence au point de répudier son épouse légitime. Leur fils serait même inscrit sur les registres civiques, en dépit de la loi instaurée par Périclès lui-même ! Le philosophe Socrate et nombre d’hommes d’État fréquentent régulièrement la maison d’Aspasie. Cette hétaïra (compagne, en grec), protégée et entretenue par son amant, traîne pourtant une réputation sulfureuse. D’après les adversaires de Périclès, elle exercerait le métier peu recommandable d’entremetteuse et formerait de jeunes courtisanes, rompues à l’art de la danse et de la séduction. Troublée, Kléoboulé rajuste prestement son châle et file à petits pas vers le sanctuaire. Elle ne voudrait pas qu’on la croise en telle compagnie… Pascale Desclos

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« Les prostituées, nous les avons pour le plaisir, les concubines pour les soins de tous les jours et les épouses pour avoir une descendance légitime »

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Tout enfant grec est destiné à devenir soldat. C’est la raison pour laquelle son éducation fait une large part à l’entraînement physique. (Film 300, 2007).

Tu seras citoyen-soldat, mon fils… Tout à la fois athlétique, intellectuelle et musicale, l’éducation donnée aux jeunes Athéniens reste une affaire privée, relevant du choix des parents, et vise à former des citoyens en même temps que des soldats. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ

Dès l’âge de sept ans les enfants se dotent de stylets, calames et tablettes de cire pour apprendre à écrire. (Agora, 2010.) Ci-dessus, stylets en ivoire et en bronze. Le bout aplati sert à effacer en lissant la cire.

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quoi peut bien penser un jeune Athénien du Ve siècle se rendant, dès le lever du jour, au didaskalion (école) ou au gymnase, flanqué d’un pédagogue (esclave privé) qui porte ses affaires et joue auprès de lui un rôle de tuteur ? À ne surtout pas arriver en retard pour éviter les coups de bâton et les claques de ses maîtres ? À apprendre par cœur quelques strophes supplémentaires d’Homère afin de parfaire sa culture littéraire ? À mieux se servir de ses muscles et de son souffle pour courir plus vite et plaire aux dieux ? À jouer davantage de la lyre pour ne pas risquer d’être traité de rustre quand l’instrument passera d’un convive à l’autre dans les banquets où il sera convié, d’ici à quelques années ? À tout cela, sans doute. Et bien évidemment au fait que, pour les habitants de la plus puissante des huit cents cités grecques, la paideia (éducation) a pour objectif prioritaire de préparer les jeunes gens à leur futur rôle de citoyen et de soldat. « L’éducation athénienne est d’abord une préparation militaire, dit Bernard Legras, professeur d’histoire grecque à l’université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et auteur de Éducation et culture dans le monde grec. Plus

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

largement, cette éducation est tournée vers l’idéal de la kalokagathia, c’est-à-dire le fait d’être un homme beau (kalos) et bon (agathos). Un jeune homme, en vertu des normes sociales en vigueur à Athènes, doit cultiver sa beauté physique, être athlétique, musclé…, ce qui explique le primat de l’éducation physique. Il doit aussi travailler son arétê (valeur), une notion qui englobe le courage à la guerre, le dévouement à la cité, le respect de la tradition familiale, des divinités et des rites religieux, la maîtrise de soi et l’obéissance à la loi ». Pour les Grecs, beauté et vertu sont indissociables. Quelqu’un de bon ne peut pas ne pas être beau, l’apparence extérieure reflète l’attitude intérieure, ce qui est d’ailleurs un des problèmes de Socrate que tout le monde s’accorde à trouver laid. Bref, l’habit, à Athènes, fait le moine. Devenir un citoyen parfait suppose d’abord d’être reconnu par son père. Autrement, la sanction est implacable… Les rejetons frappés d’une tare physique ou représentant une bouche de trop à nourrir sont «  exposés  », c’est-à-dire abandonnés. Certes, la pratique de « l’exposition », qui touche plus les filles que les garçons, est un peu moins violente à Athènes qu’à Sparte, où

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L’éducation athénien ne est d’a bord et ava nt tout une préparation militaire

RMN - GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - H. LEWANDOWSKI / AGORA: 2010-MOD PRODUCCIONES-HIMENOPTERO-TELECINCO CINEMA-WARNER BROS FRANCE ENTERTAINMENT-VIDEO

De la musique avant toute chose Tout citoyen apprend à chanter et à jouer de la lyre, instrument privilégié parmi une soixantaine. Des concours sacrés opposent les musiciens virtuoses. (Coupe du Ve s. av. J.-C. ; à droite, un joueur d’aulos, flûte à deux tuyaux.)

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u’elle serve à faire la guerre, bercer les enfants, coordonner les efforts des rameurs sur les bateaux, rythmer les travaux répétitifs (foulage du raisin, tissage du chanvre…), accompagner les mariages…, la musique baigne chaque parcelle de la vie des Grecs. Non seulement le « plaisir de l’oreille » est pour eux un élément clé de la qualité de la vie, mais s’imprégner de belles harmonies et de beaux rythmes au cours de son éducation, pensent-ils, permet d’atteindre une forme de perfection esthétique et morale. Ce qui explique que « tout fils de citoyen athénien apprenne à chanter et à jouer de la lyre, dit Annie Bélis, du Laboratoire archéologie et philologie

d’Orient et d’Occident et auteur des Musiciens dans l’Antiquité. Celui qui chante faux ou qui ne sait pas toucher de la lyre, lors d’un banquet, passe pour un “porc d’ignorance”, selon l’expression du poète comique Aristophane ». Dès l’âge de 12 ou 13 ans, les petits Athéniens se rendent quotidiennement chez un kitharistès (musicien professionnel) qui leur apprend à chanter et à apprivoiser la lyre, un instrument à sept cordes constitué d’une carapace de tortue sur laquelle est tendue une peau. Les filles peuvent aussi apprendre un instrument, de préférence à cordes (harpe, luth…), mais interdiction leur est faite de s’adonner à la musique en public. Si grande, par ailleurs, est

la passion des Grecs pour toutes les musiques, vocales et instrumentales, que les adolescents Athéniens assistent aux récitals que donnent les musiciens professionnels, et que ces derniers excellent à jouer de la cithare, de l’aulos (une flûte à deux tuyaux), du barbitos (variante de la lyre), du tympanon (grand tambourin), de la kroupeza (instrument formé de deux cymbales et actionné par le pied)… Pas question non plus, pour les jeunes générations, de rater les concours sacrés qui se déroulent périodiquement dans les grands sanctuaires (Delphes, Isthme, Némée…), où ces virtuoses s’affrontent devant des foules éperdues d’admiration. P. T.-V.

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Javelot, disque, strigile (racloir recourbé), haltères… tout un attirail accompagne l’éducation physique de l’Athénien.

les enfants jugés « mal venus et difformes » par le Conseil des Anciens sont précipités dans le vide depuis les Apothètes, un lieu situé dans le mont Taygète. Il n’empêche : à Athènes, les nouveaunés «  indésirables  » sont déposés à proximité des temples ou sur des dépôts d’ordures à l’extérieur de la ville et à la merci des bêtes sauvages ou, ce qui est un destin plus enviable, sont recueillis comme futurs esclaves. DES COURS PAYANTS

Élevés ensemble plusieurs années durant par leur mère, mais aussi par des nourrices (en particulier des nourrices spartiates, les plus réputées), des gouvernantes, voire la concubine du mari, garçons et filles de l’élite athénienne commencent par remplir l’oikos (maison) de bruits de crécelles, de hochets, de clochettes, de grelots, de sifflets… 58

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

Place, ensuite, à des jeux plus pédagogiques voués à façonner le caractère des bambins : jeux de balle pour leur inoculer le virus de la compétition, jeux de simulacre (poupées articulées ou non, chambres et cuisines miniatures pour les filles, petits chariots et figures d’animaux pour les garçons) pour leur faire intérioriser leur rôle dans la société, jeux de force et d’adresse (cerceau, osselets, yoyo, toupie…)… Tout change à l’âge de sept ans, du moins pour les garçons des familles fortunées et influentes. Finie l’atmosphère confinée de l’oikos (où les filles continuent quant à elles de se former aux tâches allouées aux femmes : tenir la maison, travailler la laine…). Direction l’école et la palestre. Privée et payante, l’éducation dispensée par des maîtres choisis et rémunérés par les parents repose sur la formation du corps, la musique (voir l’encadré p. 55) et l’enseignement intellectuel. Au grammatiste incombe la tâche d’apprendre à lire et à écrire à ses élèves, mais aussi à compter et à maîtriser les bases de la géométrie. Que ce

PHOTOS STÉPHANE COMPOINT

LA SOCIÉTÉ

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Les jeux (toupie, cerceau…) destinés à développer la force et l’adresse font partie de l’enseignement. (À dr., cratère du Ve s. av. J.-C.)

À LIRE • Bernard Legras, Éducation et culture dans le monde grec, VIIIe siècle av. J.-C. -IVe siècle apr. J.-C. Éd. Armand Colin, 2002. • Annie Bélis, Musiciens dans l’Antiquité. Hachette littératures, 1999.

-335, accueillera un enseignement intellectuel à partir du IVe siècle et pendant toute la période hellénistique. Dans ces deux établissements emblématiques de l’éducation grecque, les exercices se pratiquent dans une totale nudité et enduit d’huile, et les jeunes gens ne ménagent pas leur peine pour s’aguerrir physiquement et mentalement. Courses de vitesse et d’endurance, lutte, boxe, lancer de disque et de javelot, saut en longueur… : toutes ces activités, indispensables à la formation des futurs soldats que sont les enfants, « ont pour finalité de développer chez eux l’“esprit agonistique” (le désir de vaincre) », commente Bernard Legras. Et mieux vaut être dans les petits papiers du maître qui supervise les entraînements. À l’instar de ses collègues des autres disciplines, le pédotribe n’hésite jamais à recourir aux châtiments corporels pour se faire obéir. Coups de sandales, fouet et bastonnade sont monnaie courante dans les palestres et les gymnases. Qui dit gymnase, par ailleurs, dit rapports érotiques entre adolescents et adultes. Le goût d’hommes mûrs pour les garçons imberbes apparaît à Athènes comme une des formes normales du désir et ne crée pas une catégorie d’individus à part.

60 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

L’homosexualité masculine ne constitue donc pas une orientation sexuelle, mais l’expression d’un principe d’ordre social : l’aîné dominant le cadet, le professeur son élève… La société athénienne considère comme un élément essentiel de l’éducation la relation pédérastique qui lie un jeune âgé d’au moins 12 ans (l’« éromène », l’aimé) à un homme libre, en général de moins de 40 ans (l’« éraste », l’amant), « cette liaison devant cesser quand le garçon atteint 17-18 ans et que sa barbe apparaît, dit Bernard Legras. Le principe de cette pratique sociale initiatique à caractère pédagogique est que le jeune donne du plaisir à l’adulte et que l’adulte, en retour, enseigne au jeune les vertus, tant physiques que morales, d’un futur citoyen ». Sanctionnant la fin de la paideia, l’éphébie correspond à une période de préparation militaire, entre 18 et 20 ans, au terme de laquelle l’éphèbe est inscrit sur les listes civiques et entre de plainpied dans le monde adulte. L’éducation, conclut Bernard Legras, « est donc plus longue à Athènes que dans beaucoup de cités du monde grec où l’entrée dans l’éphébie s’effectue à 14 ans ». Philippe Testard-Vaillant

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P

armi les multiples compétitions sportives qui émaillent le calendrier grec, les plus courues sont les jeux panhelléniques. L’ensemble des cités est convié à ces quatre grandes compétitions : les isthmia, honorant Poséidon dans l’isthme de Corinthe, les Pythia, apollon, à delphes, les nemeia à némée et les Olympieia à Olympie, toutes deux en l’honneur de Zeus. instaurés au viiie siècle et se déroulant tous les quatre ans, les Jeux olympiques sont considérés comme les plus prestigieux. ils donnent lieu à une trêve sacrée, quoique pas toujours respectée, durant laquelle les guerres entre cités sont suspendues. des milliers

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de spectateurs venus de toute la Grèce assistent aux épreuves : la course du stade ou dromos, l’épreuve reine (soit 192,27 m), le double stade ou diaulos, la course de fond ou dolichos (de 7 à 24 tours de stade), et l’hoplitodromos, une course en armes. Point de marathon au programme, en revanche, car l’épreuve est une invention du baron Pierre de Coubertin. Outre les courses à pied, les concurrents s’affrontent dans des courses de chars, à la lutte, au pancrace, au pugilat et au pentathlon, qui associe lancer du disque et du javelot, saut en longueur, course à pied et lutte. en théorie ouverts à tous les citoyens, les jeux voient en réalité

se mesurer des athlètes professionnels, soucieux de l’emporter sur leurs adversaires, mais étrangers à la notion moderne de record personnel. Pour prix de leurs efforts, les vainqueurs reçoivent une couronne de feuilles d’olivier, de laurier, de pin ou de céleri, selon les jeux. À partir du ve siècle, des gains en argent et une place à vie au théâtre viennent compléter la récompense. Les cités honorent aussi parfois leurs glorieux sportifs d’une statue. Les plus célèbres sont de vraies stars, à l’image d’un Milon de Crotone, le sportif le plus décoré de l’antiquité, que ses contemporains comparaient à hercule et qui inspira nombre de légendes autour de sa personne. M.-A. C.

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Les dieux du stade

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LA SOCIÉTÉ Le théâtre vise d’abord à honorer Dionysos. (Un chœur tragique, Bacchaï, au théâtre national de Londres.) Ci-dessous, copie d’un masque de tragédie, IVe s. av. J.-C.

Se rendre au théâtre est d’abord pour les Athéniens un acte cultuel. C’est aussi l’occasion de découvrir des pièces dont certaines, témoignages de l’avènement de la démocratie, marqueront l’histoire. 64

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PANAGIOTIS KARAPANAGIOTIS - 123 RF

La société se met en scène

DONALD COOPER - PHOTOSTAGE. CO. UK

une éclosion soudaine, brève, éblouissante » : c’est ainsi que l’helléniste Jacqueline de Romilly décrivait la créativité intense qui a animé les scènes de théâtre en Grèce et en particulier à Athènes au Ve  siècle avant notre ère. En 80 ans, plus de 2 000 pièces, destinées à n’être jouées qu’une fois, ont été écrites. Elles ont tenu une place prépondérante au sein d’une société grecque qu’elles ont, en retour, influencée. « Le théâtre ne relève alors pas du simple divertissement, précise Jean-Charles Moretti, directeur de recherche au CNRS à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée de Lyon : aller au théâtre constitue un acte religieux, pas une activité culturelle ». Il prend ses racines dans le culte de Dionysos, dieu du vin, à qui l’on rendait hommage par des chants. Au fil du temps, un des chanteurs s’est détaché du chœur et lui a donné la réplique. De ce dialogue, qui n’a jamais impliqué plus de trois acteurs,

sont nées les pièces de théâtre. Les chœurs et les danses y ont gardé une place essentielle. Comme à Olympie, où le culte en l’honneur de Zeus est l’occasion de concours sportifs (les fameux Jeux olympiques), à Athènes, certaines fêtes de Dionysos comportent des concours musicaux (l’art des muses) qui se déroulent au théâtre. Ces manifestations ont lieu trois fois dans l’année : lors des Lénéennes et des Dionysies rurales en hiver, et lors des Grandes Dionysies, les plus prestigieuses, au printemps. Ces dernières auraient été lancées sous le tyran Pisistrate, en -534, mais elles ont véritablement pris de l’ampleur après la mise en place de la démocratie, devenant un des lieux où l’on s’interroge sur la conduite de la cité. Pendant quatre à cinq jours, l’effervescence de la cité se focalise sur le théâtre de Dionysos. Quelque 17 000 spectateurs se serrent sur les gradins. Pour faciliter l’accès aux pauvres, le prix des places reste modique, et une caisse, le theorikon, est instituée afin de les dédommager du manque à gagner d’une journée de travail. Les enfants peuvent figurer parmi les spectateurs, de même que les métèques et les LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ

Seuls deux pour cent de la production théâtrale grecque nous sont parvenus. Ces scènes sont issues d’un vase daté de -410.

étrangers de passage. Les femmes et les esclaves y sont-ils admis ? La question n’est pas tranchée… L’événement est en grande partie financé par les personnalités les plus opulentes de la cité. Ceux qui endossent la charge de chorège entretiennent une équipe le temps des répétitions, achètent les costumes et les masques et, enfin, financent le banquet qui clôture les festivités en cas de victoire de leur équipe. Les citoyens peuvent également participer en personne aux représentations : selon Platon, tout citoyen éduqué a, à un moment ou un autre de sa vie, chanté dans un chœur. Le déroulement du concours de pièces de théâtre suit des règles strictes. Il oppose, dans deux épreuves distinctes, cinq auteurs comiques, présentant chacun une comédie, et trois poètes tragiques, jugés chacun sur une trilogie et un drame satyrique. « De l’abondante production issue de ces concours, il reste très peu de chose, précise Christine Mauduit, de l’ENS. Le corpus conservé, pour le Ve siècle, comprend une trentaine de tragédies (7 d’Eschyle, 7 de Sophocle, 17 ou 18 d’Euripide), un drame satyrique d’Euripide et 11

comédies d’Aristophane. » Encore ne s’agit-il que de textes bruts, sans désignation précise des personnages engagés dans le dialogue. Seul un minutieux travail de spécialiste a permis, au fil des siècles, d’attribuer les répliques aux personnages. Quant aux chants, à la musique, aux danses et aux costumes, il n’en reste pratiquement aucune trace… DES PIÈCES PÉDAGOGIQUES

Malgré ce caractère lacunaire, les tragédies et les comédies conservées de l’époque classique livrent, chacune à sa manière, un témoignage éloquent de l’avènement de la démocratie à Athènes. Les tragédies reprennent les grandes légendes grecques : la guerre de Troie, les exploits d’Héraclès ou encore le destin d’Œdipe. Les spectateurs en connaissent donc le début, la fin et la plupart des péripéties. Tout l’art de l’auteur consiste à jouer avec cette trame, comme une allégorie de la liberté de l’homme face à un destin largement tracé par les dieux. Les comédies, de leur côté, exploitent le burlesque, la provocation, servant parfois de défouloir populaire face à l’ordre imposé par les dieux et les puissants, indistinctement tournés en dérision. « Les tragédies ont souvent un contenu politique, détaille Christine Mauduit. Il y est quesfille Iphigénie, tombe tion, à travers le prisme du mythe, de l’exersous les coups de son cice du pouvoir, de l’autorité, du rapport entre épouse Clytemnestre les forts et les faibles, de la loi, etc. Le mythe et de son amant. Son fils est un moyen de poser ces questions avec une Oreste finit par le venger certaine distance ». Les Grecs reconnaissent en tuant le couple une valeur pédagogique au théâtre, et à illégitime. Le dernier la poésie en général, comme le suggère le volet consacre le personnage d’Eschyle, dans une comédie triomphe de la justice d’Aristophane : «  Pour les enfants, l’éducitoyenne : Oreste est cateur est le maître d’école ; pour les adultes, jugé, et la malédiction c’est le poète ». La question de savoir si cette A. D. familiale levée. éducation vise plutôt le renforcement ou la

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aire fi d’une concept ion archaïque de la

religion et de la société, pour construire une démocratie, certes pieuse, mais plus moderne : tel semble être le message que les poètes essaient parfois de faire passer à leurs très nombreux

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spectateurs. La trilogie qu’Eschyle consacre à la tragédie des Atrides illustre cette aspiration, et démont re que seule une justice moderne peut venir à bout de la spirale de la vengeance personnelle. Elle raconte comment le roi de Mycènes Agamemnon, après avoir sacrifié sa

AKG IMAGES - PETER CONNOLLY

Une transition vers la modernité

D.R. / AKG IMAGES - PETER CONNOLLY / KONSTANTINOS KONTOS - LA COLLECTION

Le prix modique du théâtre en faisait un divertissement accessible au plus grand nombre. (Agora, 2010.) À droite, copie romaine d’un masque de comédie.

À LIRE • Jean-Charles Moretti, Théâtre et société dans la Grèce antique. Livre de poche, 2011.

Le théâtre a pu remplir une fonction critique, mais il n’avait pas vocation à intervenir directement dans la politique mise en question de l’idéologie dominante divise les spécialistes. Les pièces de théâtre pouvaient-elles influencer la vie politique ? Certaines coïncidences sèment le trouble : en -421, Aristophane obtient le second prix des Grandes Dionysies avec sa comédie La Paix. Il y met en scène un vigneron accablé par les calamités des guerres successives menées par Athènes. Peu de temps après le concours, Athènes signera provisoirement la paix avec Sparte… Il est cependant difficile de déterminer si les dirigeants tentaient de tirer profit de l’impact potentiel des pièces de théâtre sur les opinions des spectateurs. Malgré les liens qui pouvaient exister entre hommes politiques et poètes (comme entre Sophocle et Périclès), ces derniers gardaient toute latitude dans le choix des sujets, et les tragédies n’avaient guère vocation à intervenir directement dans la vie politique du temps. La liberté de ton des comédies d’Aristophane, qui ne se gênait pas pour ridiculiser les hommes politiques et les institutions de la démocratie, montre que le théâtre pouvait aussi remplir une fonction critique. Il fallut d’ailleurs voter un décret, en -415, pour interdire d’attaquer nommément des personnalités publiques au théâtre. « Les chorèges étaient désignés par l’archonte éponyme – le magistrat qui supervisait l’organisation des Grandes Dionysies – sur des critères de fortune, confirme Christine Mauduit. On ne peut pas dire que le théâtre était un moyen de manipuler l’opinion. Les auteurs dramatiques n’étaient pas au service des hommes politiques, et leur but premier n’était pas de

délivrer un message politique, mais de construire de belles pièces et de beaux spectacles, susceptibles de leur valoir les suffrages du public. » Tragédies et comédies antiques ont donc plus fonctionné comme une mise en abyme de la société, propre à alimenter la réflexion, que comme un outil de propagande au service des hommes politiques du temps. Le thème politique va cependant déserter les scènes de théâtre au IVe siècle. Selon Jean-Charles Moretti, « les auteurs traitent de thèmes de plus en plus individualistes. C’est l’avènement de la comédie nouvelle, qui a pour cadre la maison et met en scène les sentiments plus que la critique politique ». Ces pièces, sans doute jugées moins intéressantes par les intellectuels qui, par le travail de copie ont contribué à la sauvegarde de la littérature antique, n’ont pas traversé les siècles. Les Dionysies se sont poursuivies, se mettant à reprendre d’anciennes pièces à succès, devenues des pièces de répertoire. Anne Debroise

Jetons en bronze du Ve s. av. J.-C., version antique des billets de théâtre. LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ

La philosophie

Dans la cité d’Athènes fleurit une nouvelle activité intellectuelle : le discours rationnel. Il met aux prises les sophistes, qui le monnaient, et ceux qui, tel Socrate, lui donnent pour but la recherche de la vérité. 68 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

DEAGOSTINI - LEEMAGE

questionne la Cité

La pensée traditionnelle, transmise par les œuvres de poètes tel Homère, est la cible des nouveaux penseurs. (La lecture d’Homère, peinture d’Alma Tadema, 1885 ; Buste de Socrate, -330.)

ELECTA - LEEMAGE

«

e parle du pouvoir de convaincre, grâce aux discours, les juges au Tribunal, les membres du Conseil au Conseil de la cité, et l’ensemble des citoyens à l’Assemblée, bref, du pouvoir de convaincre dans n’importe quelle réunion de citoyens. En fait, si tu disposes d’un tel pouvoir, tu feras du médecin un esclave, un esclave de l’entraîneur et, pour ce qui est de ton homme d’affaires, il aura l’air d’avoir fait de l’argent, pas pour lui-même – plutôt pour toi, qui peux parler aux masses et qui sais les convaincre. » Ce pouvoir de convaincre qu’évoque Gorgias, comme tant d’autres sophistes qui ont le verbe haut dans l’Athènes du Ve siècle, est l’objet même de leur enseignement. Qui sont ces sophistes ? Des professionnels qui enseignent la rhétorique. Il serait toutefois réducteur de voir en eux de simples professeurs d’éloquence. Car ils initient également à l’aretè, c’est-à-dire à l’excellence et à la vertu considérées comme la réussite dans le domaine privé et public. Ils vont contribuer à faire de la

Cité le centre d’une nouvelle pensée qui se détourne de la recherche sur la constitution de l’Univers et sur l’étude de la nature, chère aux philosophes présocratiques, pour placer l’homme au centre de la réflexion. Socrate, qui voit le jour en -469 à Athènes, s’inscrit dans cette mouvance même s’il s’oppose aux sophistes, et il sera considéré par Aristote comme le fondateur de la réflexion morale. La pratique de ces nouveaux philosophes a-t-elle profondément transformé la vie de leurs contemporains ? « Le mode de discours utilisé par ces penseurs séduit les Athéniens qui, par tradition, sont très sensibles à la puissance du discours, explique Luc Brisson, chercheur au Centre Jean Pépin du CNRS et spécialiste de Platon. Ils apprécient les orateurs capables d’inclure le monde, la cité et l’homme dans une même vision harmonieuse. » De fait, ces intellectuels d’un genre nouveau pratiquent le discours rationnel consistant à articuler le raisonnement selon des déductions causales. Et une petite minorité de citoyens, appelée à exercer LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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LA SOCIÉTÉ

LE POUVOIR DE LA PERSUASION

Cette nouvelle activité intellectuelle se développe rapidement. Elle bénéficie tout au long du Ve siècle de l’arrivée de penseurs tels que Parménide, Héraclite ou Démocrite, et de sophistes comme Protagoras, Gorgias, Hippias et Prodicos, qui viennent des cités grecques d’Ionie (aujourd’hui en Turquie), de Sicile et d’Italie du Sud. Ces hérauts de la pensée rationnelle, que l’on ne nomme pas encore « philosophes », ont fui les invasions perses à l’Est durant les guerres médiques, ou ont été attirés par l’aura grandissante d’Athènes en pleine mutation politique et sociale. Celle-ci rayonne par l’originalité de son système politique, la démocratie. Le contexte est favorable à la philosophie en général et aux sophistes

Ils prononcent en public leurs discours pour se faire connaître des citoyens et gagner en influence en particulier. La raison en est simple : cette démocratie, où le vote des citoyens influence directement les lois, transforme la parole en un instrument essentiel du pouvoir. Pour se faire une renommée, remporter une élection ou faire adopter des décisions par l’Assemblée, les citoyens doivent être persuasifs et persuadés ! La méthode de raisonnement philosophique renouvelle et consolide ainsi la pratique démocratique, en fourbissant aux citoyens les armes linguistiques pour se faire entendre. Pour autant, les philosophes ne s’expriment pas d’une seule voix. Ils ne partagent ni les mêmes buts ni les mêmes méthodes. Et à l’orée du IVe siècle, alors que Périclès n’est plus qu’un souvenir, des divergences importantes éclatent au grand jour. Après avoir écrit son traité Sur le non-être, dans lequel il déduit qu’on ne peut démontrer l’existence d’aucun être, Gorgias affirme que le discours ne renvoie pas à la

De l’alphabet à la pensée philosophique

S

elon Luc Brisson, « certains historiens lient l’émergence de la philosophie, c’est-à-dire l’invention de la pensée rationnelle, à la réintroduction de l’écriture en Grèce. » En effet, à partir du IXe siècle av. J.-C., les Grecs ont intégré les voyelles dans

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LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

le système d’écriture phénicienne, ce qui a rendu plus aisée son utilisation : « Alors que l’écriture sans voyelles était un art complexe réservé à une très petite minorité de scribes liés au pouvoir politique, la généralisation de l’écriture alphabétique, plus intuitive, a

élargi le cercle des lettrés, permettant à l’aristocratie cultivée de contrôler elle-même les formes des récits de la tradition orale, et de relever ses incohérences – ce que le mode oral rendait très difficile, car seule la dernière version d’un récit oral est la bonne. Les premiers penseurs

S’adressant aux jeunes de la cité, Socrate place l’homme et la morale au centre de sa réflexion. (L’école d’Athènes, détail : Socrate en discussion avec Eschyle, Xenophon, et un homme politique, Alcibiade . Peinture de Raphaël, 1483.)

(les « présocratiques »), qui appartenaient à cette aristocratie lettrée, ont commencé par analyser et comparer les récits traditionnels alors mis par écrit, et ont cherché à les rendre cohérents, ce qui les a conduits sur la voie de la méthode rationnelle qui est avant tout critique. » R. I.

ELECTA - LEEMAGE

son influence dans le monde de la politique, sollicite leur enseignement. « Seuls les jeunes de bonne famille voulant jouer un rôle en politique disposent du temps et des moyens pour étudier la philosophie », commente Luc Brisson. Pour faire partie de ces privilégiés, il faut pouvoir débourser cent mines, soit mille fois le salaire d’un artisan ! Tels sont, du moins, les tarifs pratiqués par Gorgias et par son « confrère », le sophiste Protagoras… Mais si leur influence est grande sur les élites, elle rejaillit indirectement sur la cité et les citoyens. Protagoras a l’oreille de Périclès, c’est lui qui rédige les lois de la colonie de Thourioi fondée dans le golfe de Tarente alors sous le contrôle d’Athènes. Le célèbre homme d’État athénien reçoit d’ailleurs dans sa jeunesse l’instruction d’un autre philosophe, mais non sophiste : Anaxagore. Tous ces penseurs d’un genre nouveau ne rechignent pas à s’adresser aux foules. Ils prononcent en public des discours d’apparat pour se faire connaître des citoyens, pour gagner en influence. Il en va de même de Socrate selon Xénophon, qui fit partie de son entourage : « Il a toujours vécu au grand jour. Le matin, en effet, il allait sur les promenades et au gymnase ; à l’heure où l’Agora est bondée, on pouvait l’y voir et il passait toujours le reste de la journée là où il était susceptible de rencontrer le plus de monde. Il parlait le plus clair du temps et qui le désirait pouvait l’écouter. » Quant à Gorgias, les récits satyriques le mettent en scène interpellant le public à l’entrée du festival des Olympiades.

COLL. CHRISTOPHE I . W BROS - DR

Après la guerre du Péloponnèse, qui voit la défaite d’Athènes contre Sparte, le pouvoir en place met en accusation ces fauteurs de troubles que sont les philosophes. Mais leur pensée triomphera. (Film Alexandre, d’Oliver Stone, 2004.)

réalité mais à sa propre cohérence. Protagoras, en lançant que « l’homme est la mesure de toute chose », affirme que la Vérité n’est pas indépendante de l’humain, mais façonnée selon sa perspective individuelle et collective. Avec les autres sophistes, ils se voient reprocher leur relativisme et leur recherche tarifée de l’efficacité persuasive. Ces véritables instructeurs et éducateurs politiques vont être exclus de la sphère philosophique par Socrate et Platon, qui condamnent leur dévoiement idéologique et financier. Pour ces derniers, le discours rationnel doit servir la recherche désintéressée de la vérité universelle et de l’ordre du monde. Ils vont même plus loin : la quête philosophique doit présider et orienter la vie des citoyens ainsi que la structure politique de la cité. S’ensuit une critique radicale du savoir, de la politique et de la morale transmis par la tradition à Athènes, et que relaient, auprès du peuple, les œuvres des poètes, tels Hésiode, Homère, Sophocle. Cellesci sont déclamées ou représentées dans de grands festivals religieux, comme les Dionysies, et dans les concours publics organisés – et contrôlés – par les dirigeants politiques. « Les poètes, résume Luc Brisson, étaient les chantres de la tradition et du pouvoir qui se fondait sur elle. Or Socrate et Platon voulaient la remettre en cause au profit de la philosophie. » Les philosophes reprochent en particulier à leurs récits épiques de mettre en scène des dieux totalement immoraux. Socrate prône, quant à lui, une réforme culturelle radicale à travers une mise en question de chaque individu par lui-même : il faut questionner

ses propres savoirs et ses croyances, les critiquer afin d’accéder à la vérité universelle, hors de toute convention. Il place au cœur de sa réflexion l’individu et sa conscience morale : c’est par la pensée (réflexive ou introspective) que Socrate invite ses concitoyens « à remettre en question toutes leurs valeurs, toute leur manière d’agir, [en] rupture radicale avec la vie quotidienne, avec les habitudes et les conventions de la vie courante  », écrit le philosophe Pierre Hadot. La Vérité ne peut émerger selon lui que d’une connaissance de soi et d’une conscience qui se critique elle-même. Il invente alors la maïeutique, méthode consistant à aider chaque personne à accoucher de sa vérité. La méthode socratique dépasse le cadre individuel pour inclure la société des hommes, car si chacun possède sa propre vérité, celle-ci ne peut que coïncider avec la vérité universelle à laquelle toute âme libérée du faux savoir et des préjugés aspire – une noblesse de l’âme que Socrate substitue à la noblesse de sang en tant que vertu suprême. Le pouvoir athénien se méfie de ces discours anticonformistes, que le citoyen athénien a toutes les chances d’avoir entendus, surtout s’il appartient à une famille de l’aristocratie, et qui ruinent une éducation fondée sur la tradition. À la fin du Ve siècle, la philosophie sera rendue responsable des malheurs qui s’abattent sur Athènes, et le jusqu’auboutisme de Socrate conduira à sa mise en accusation et à son exécution, par ingestion de poison, en l’an 399 av. J.-C. Un nouveau siècle s’ouvre… Román Ikonicoff LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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ais comment faisaient ces diables de Grecs pour être aussi musclés ? Sur les flancs des vases, sur les frises des temples, ce ne sont que jeunes gens élancés, robustes et bien découplés, cascades d’abdominaux saillants, poitrails d’airain et mollets galbés. Une apologie de la chair bien agencée où le bourrelet disgracieux et l’infâme poignée d’amour n’ont pas leur place. Cette débauche d’hommes nus ne compte aucun notable bedonnant, aucun vieillard aux muscles fanés voire aucun personnage d’âge mûr. L’art grec témoigne d’une fascination pour le corps mais pas n’importe lequel : il s’est pris de passion pour celui de l’éphèbe, adolescent mâle, fils de citoyens libres, musclé et ciselé par des années de pratiques sportives. L’historien de l’art Johann Winckelmann avançait en 1755 que l’atmosphère douce et sereine de la péninsule hellénique y était sans doute pour quelque chose… Mais que c’était surtout les exercices physiques pratiqués par les Grecs dès leur jeunesse qui conféraient à « leurs corps les contours mâles et élégants que les artistes ont donnés à leurs statues. » Mais si les hommes semblent effectivement faire attention à leur apparence, peut-on parler pour autant d’un culte du corps dans la Grèce antique ? « Pour les Grecs, la beauté a d’abord une dimension sociale, explique Jérôme Wilgaux, maître de conférences en histoire grecque à l’université de Nantes. À l’époque classique, les élites athéniennes sont des kaloikagathoi, c’est-à-dire des personnes belles (kalos) et bonnes (agathos). Ce n’est pas parce qu’on est beau qu’on fait partie des élites, mais parce LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Le culte du corps : la beauté est un long combat Secrets de beauté Le prêt-à-porter À l’écoute des dieux L’éloge de la frugalité

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DANS L'INTIMITÉ

Le culte du corps

La beauté est un long combat 74

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

PLAINPICTURE - MILLENIUM - LUIGI SPINA

Les citoyens portent une grande attention à leur apparence physique. Peintres et sculpteurs de la Grèce ancienne n’ont cessé de composer des corps nus à la plastique parfaite et éclatant d’une mâle énergie…

M Pour les artistes, l’idéal de beauté masculine s’incarne dans les dieux. (Héraclès au repos. Réplique romaine du IIe siècle.)

ais comment faisaient ces diables de Grecs pour être aussi musclés ? Sur les flancs des vases, sur les frises des temples, ce ne sont que jeunes gens élancés, robustes et bien découplés, cascades d’abdominaux saillants, poitrails d’airain et mollets galbés. Une apologie de la chair bien agencée où le bourrelet disgracieux et l’infâme poignée d’amour n’ont pas leur place. Cette débauche d’hommes nus ne compte aucun notable bedonnant, aucun vieillard aux muscles fanés voire aucun personnage d’âge mûr. L’art grec témoigne d’une fascination pour le corps mais pas n’importe lequel : il s’est pris de passion pour celui de l’éphèbe, adolescent mâle, fils de citoyens libres, musclé et ciselé par des années de pratiques sportives. L’historien de l’art Johann Winckelmann avançait en 1755 que l’atmosphère douce et sereine de la péninsule hellénique y était sans doute pour quelque chose… Mais que c’était surtout les exercices physiques pratiqués par les Grecs dès leur jeunesse qui conféraient à « leurs corps les contours mâles et élégants que les artistes ont donnés à leurs statues. » Mais si les hommes semblent effectivement faire attention à leur apparence, peut-on parler pour autant d’un culte du corps dans la Grèce antique ? « Pour les Grecs, la beauté a d’abord une dimension sociale, explique Jérôme Wilgaux, maître de conférences en histoire grecque à l’université de Nantes. À l’époque classique, les élites athéniennes sont des kaloikagathoi, c’est-à-dire des personnes belles (kalos) et bonnes (agathos). Ce n’est pas parce qu’on est beau qu’on fait partie des élites, mais parce LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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DANS L'INTIMITÉ

qu’on est membre des élites que l’on se doit d’être beau et vertueux. » Dans ces conditions, un esclave ou un métèque ne saurait prétendre à la beauté. Seul le citoyen mâle se doit donc de choyer son corps. « Si le corps est en mauvaise condition, le découragement, la folie, la mauvaise humeur troublent l’esprit. Il est honteux, que par sa fatigue, on vieillisse avant de savoir ce qu’on aurait pu devenir en développant au maximum la force et la beauté de son corps », menace le philosophe Xénophon. Il faut donc se rendre au gymnase pour s’entretenir par le sport et se forger une belle âme. C’est là, au prix de quelques bonnes suées, qu’on pourra se sculpter un corps affûté à mettre au service d’un esprit vertueux. Et ce souci du corps commence dès l’enfance. L’ÉCOLE À LA DURE

Avant l’âge de douze ans, la culture physique commence à prendre le pas sur la culture de l’esprit qui repose alors essentiellement sur un enseignement littéraire et musical. Le jeune est confié chaque jour aux bons soins d’un pédotribe chargé de lui prodiguer un corps sain, résistant et endurant grâce aux vertus du sport, quitte à user et abuser de son long bâton fourchu en cas d’exercice imparfait. La gymnastique se pratique dans le plus simple appareil – gymnos signifie nu en grec – au son flûté de l’aulos, un genre de hautbois double. Les jeunes s’entraînent à la palestre, un terrain rectangulaire à ciel ouvert entouré de portiques qui s’ouvrent sur des pièces couvertes utilisées comme salles de repos, d’entraînement ou de vestiaires. Quand les éléments se montrent cléments, ils se défient à la lutte – palé, la discipline la Les exercices de gymnastique préparent l’éphèbe au combat. (Statue en bronze de guerrier, 460 av. J.-C.)

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Hermès écoutant les ordres de son père. (Réplique romaine en marbre du IIe siècle. )

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - HERVÉ LEWANDOWSKI

SEUL LE CITOYEN MÂLE, MEMBRE DES ÉLITES, SE DOIT D’ÊTRE BEAU ET VERTUEUX

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DANS L'INTIMITÉ

plus populaire – à l’extérieur sur un sol ameubli à la pioche, y cultivent leur détente au saut en longueur ou développent leurs membres supérieurs en lançant le disque ou le javelot. Ils y pratiquent aussi le pugilat, un genre de boxe plutôt rude, où les coups se portent en priorité sur le visage, et la pancrace, vigoureuse combinaison de lutte et de boxe qui ne condamne guère que les morsures et l’arrachage des yeux. Il faut souvent souffrir pour obtenir un corps de rêve ! Dans les Nuées, le poète du Ve siècle Aristophane conseille vivement au jeune Pheidippidès de passer son temps au gymnase plutôt que de débiter sur l’Agora des bavardages sans queue ni tête. « Si tu fais ce que je t’explique, tu auras toujours une poitrine luisante, un teint éclatant, de larges épaules, une langue fine, des fesses rebondies et une petite verge. » Tels sont les canons esthétiques de l’époque ! Attention, cependant, à ne pas abuser des exercices : « Il ne faut pas un entraînement physique excessif comme les exercices épuisants des Spartes qui font des brutes », prévient le philosophe Aristote. Il s’agit de conserver un corps proportionné et harmonieux. Mais gare aux muscles avachis et à la chair défaillante ! LA HANTISE D’UNE DISGRÂCE

La laideur se vit dans l’opprobre général, tandis que la grâce qui émane d’un beau corps suscite l’admiration de tous. Comme son corps fait l’objet d’un contrôle social permanent, le bon citoyen prend garde à ne pas trop se laisser aller et bichonne son apparence. Toute activité susceptible d’altérer les traits du visage ou de rompre l’harmonie des proportions est soigneusement évitée. Ainsi Alcibiade, disciple de Socrate, refuse d’apprendre

à jouer de la flûte de peur de marquer son doux visage par de fâcheuses grimaces. La préoccupation du citoyen pour son corps ne relève donc pas d’un simple souci d’esthétisme. D’autres finalités sociales viennent encore motiver ce quotidien d’exercices physiques. L’agôn, cette nécessité de surpasser les autres et d’être toujours le meilleur, stimule en permanence les entraînements quotidiens. Les corps sculptés par des années d’exercices se confrontent et se rudoient lors de concours gymniques et athlétiques à la recherche de gloire et de renommée éternelle. La consécration est de pouvoir remporter l’une des épreuves des quatre grandes fêtes panhelléniques qui attirent les plus grands athlètes de toute la Grèce. Le gagnant d’une épreuve à Olympie ne se voit-il pas honoré d’une statue à son effigie, un superbe nu, comme de bien entendu, figurant le champion en pleine action et qui sera exposé sur la place publique ? La victoire rejaillit non seulement sur le vainqueur mais aussi sur sa cité tout entière. Et les adultes ne sont pas les seuls à rêver triomphe et lauriers. Les fêtes comptent toujours quelques épreuves réservées aux enfants, par exemple trois sur les treize qui se déroulent à Olympie, avec notamment le très suivi concours de pentathlon qui réunit les disciplines de lutte, course, saut en longueur, disque et javelot. Le poète Pindare (518-438) nous rappelle que le plus grand désir de cette belle et saine jeunesse est de pouvoir égaler le divin Diagoras de Rhodes, le pugiliste le plus couronné du Ve siècle. Des athlètes comme Milon de Crotone, fameux lutteur, six fois vainqueur aux Jeux olympiques ou Polydamas de Scotoussa, formidable champion de pancrace dont les exploits

Une séance au gymnase

A

u Ve siècle, Athènes compte trois gymnases de renommée destinés aux éphèbes et aux adultes : le Lycée, l’Académie et le Cynosargès. On se déshabille dans l’apodyterion avant de faire ses ablutions à l’eau froide, l’eau chaude étant suspectée de ramollir les chairs. On passe ensuite à l’elaisthesion pour se frictionner à sec puis avec de l’huile d’olive apportée dans un petit flacon, l’alabastre ou l’aryballe. Cette

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huile est destinée à chauffer les muscles, à protéger du froid, du soleil ainsi que des coups portés. Dans le konisterion, la salle de poudrage, on s’enduit de sable, cendres ou poussières avant les exercices d’assouplissement. Les pugilistes s’échauffent sur un kôrycos, un genre de punching-ball en cuir rempli de sable. S’il fait beau, les combats de lutte ou de pancrace prennent place dans une cour à ciel ouvert dont le sol a été retourné à la

pioche. Des cordes tendues en carré délimitent l’espace de combat, le skamma. Les coureurs pratiquent leur foulée sur deux pistes, l’une couverte, le xystos, l’autre en plein air, la paradromis. Les sportifs se débarrassent ensuite de leur couche d’huile, de sueur et de poussière à l’aide de leur strigile, un racloir de bronze. Souvent, ils passent ensuite entre les mains d’un masseur dans une salle nommée aleipterion. C. M.

THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM - RMN

Le discobole, d’après Myron. Copie romaine du IIe siècle.

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DANS L'INTIMITÉ Un buste grec. Copie romaine du IIe siècle.

sont comparés à ceux d’Héraclès, incarnent véritablement le modèle absolu de l’homme accompli. La gloire immortelle se décroche sur les stades… mais aussi sur les champs de bataille. Un corps rompu aux exercices de gymnastique est aussi un corps efficace au combat. Au VIIe siècle, la création de la phalange hoplitique contraint les citoyens à s’exercer en groupe et renforce la nécessité d’une formation athlétique pour la jeunesse. L’enfant, grâce aux rudes enseignements du pédotribe, se voit déjà préparé au combat hoplitique : le lancer de javelot est une compétence qui pourra toujours être utile dans le feu de l’action tout comme la lutte et le pancrace qui donnent les bases du corps à corps à mains nues. Les éphèbes, ces jeunes appelés au service militaire sur le point de s’arracher aux douceurs de l’enfance pour rentrer dans l’âge adulte, ont pour obligation de fréquenter les gymnases et de se plier à des exercices encore plus martiaux qu’à la palestre : entraînement à la course d’hoplite – l’hoplitodromos, 400 m avec casque, bouclier et jambières – combat en arme ou tir à l’arc. C’est à ce prix que les citoyens seront capables de défendre la cité. « Ce que nous cherchons avant tout et par tous les moyens, c’est d’assurer au citoyen une âme vertueuse et un corps solide, persuadés que de tels hommes sauront se conduire honnêtement pendant la paix et qu’à la guerre ils sauveront l’État et le maintiendront heureux et libre », explique le satiriste du IIe siècle Lucien de Samosate qui, dans le même temps, souligne l’étroite relation pour les Grecs entre l’âme et le corps. UNE BEAUTÉ TOUTE VERTUEUSE

« Dans le monde grec, qualités physiques et qualités morales sont bien souvent associées, et le kalos (le beau) s’oppose au kakos (le laid) non seulement par son apparence physique mais aussi par ses vertus, son origine et son éducation  », rappelle Jérôme Wilgaux. Certains Grecs sont même persuadés que l’observation du corps et de la tête donne des indications sur le caractère, l’éducation reçue et même l’avenir de l’individu. «  Je n’aime pas un général à la taille élancée, vain de ses cheveux frisés et rasé sous le nez. Il me faut un homme trapu, je lui veux des jambes cagneuses, des pieds bien plantés en terre, le cœur solide », affirme de façon définitive le poète du VIIe siècle, Archiloque, pour lequel 80 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

un chef militaire digne de ce nom ne saurait avoir un physique de jeune premier. La beauté comme la perfection physique peuvent apparaître comme la manifestation d’une volonté des dieux, le signe d’une élection divine. Ainsi les prêtres doiventils être holoklêros, c’est-à-dire avoir préservé leur intégrité physique et ne pas avoir de difformité. Un corps sans défaut est gage de qualités morales et religieuses, d’une proximité avec les dieux qui permet tout à la fois de leur être agréable et de bénéficier de leur faveur. « C’est donc la plus ou moins grande proximité avec le divin qui est ici en jeu, et cette proximité passe nécessairement par le corps et l’apparence physique », conclut Jérôme Wigaux. Un corps sain et robuste permet donc d’affronter les périls dans les batailles, d’acquérir une renommée au stade ou au combat, d’entretenir un esprit vertueux, et enfin d’être plus proche des dieux. La fascination des Grecs devant le nu masculin n’a ainsi rien d’érotique. Elle répond plutôt aux exigences de la morale. Cet idéal de Grec bel et bon, cette philosophie de communion entre culture du corps et culture de l’esprit, à l’opposé de la conception occidentale où le matériel s’oppose au spirituel, ne se sont pas forcément traduits dans les faits. Les statues qui nous sont parvenues ne représentent pas de jeunes hommes athlétiques mais bien des dieux. Les artistes ont exprimé dans le marbre leur point de vue du corps idéal, celui du divin. « Pour le citoyen, il ne s’agit pas d’inscrire le corps dans une normalité définie comme naturelle mais de répondre aux injonctions d’une normativité divine : ce sont bien les dieux qui de ce point de vue définissent la vérité du corps », selon Jérôme Wigaux. Malgré toute l’attention qu’elle portait aux corps, la Grèce antique comptait bien son lot de grassouillets et de ventripotents… Christophe Migeon

À VOIR • Exposition : « La beauté du corps dans l’Antiquité grecque ». À la fondation Pierre Gianadda, Martigny (Suisse). Du 21 février au 9 juin 2014.

PLAINPICTURE - MILLENIUM - LUIGI SPINA

LA FASCINATION DEVANT LE NU MASCULIN N’EST PAS ÉROTIQUE MAIS MORALE

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dans L'intimitÉ

Secrets de beauté LES BIJOUX Les individus les plus riches se parent d’or et d’argent, les plus modestes, de bronze et de fer. Bagues, bracelets et anneaux aux chevilles ornent les corps des hommes et des

LE MAQUILLAGE Les Grecques disposent d’une palette de trois couleurs pour se farder: le blanc, le rouge et le noir. diverses substances minérales et végétales composent ce maquillage : poudre de cérusite pour éclaircir le teint, sulfure de mercure, d’arsenic ou

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femmes, celles-ci y joignant colliers et boucles d’oreille. très travaillés, les bijoux sont souvent agrémentés de motifs végétaux et animaux, de représentations de figures humaines ou mythologiques.

ocre rouge pour rehausser les lèvres, khôl ou poudre d’antimoine pour souligner le regard… il faut toutefois se garder d’avoir la main lourde. Utilisé avec outrance, le maquillage signale la courtisane ou la prostituée.

Les Cahiers de sCienCe & vie

LA PYXIS Bijoux, onguents et cosmétiques sont conservés dans des boîtes rondes ornées de scènes d’intérieur. en haut miroir à pied en bronze.

DEAGOSTINI - LEEMAGE / RMN - GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - HERVÉ LEWANDOWSKI / PHOTOS LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / JOSSE - LEEMAGE

Les Grecs ont érigé l’entretien du corps au rang d’art. Au-delà du simple souci de l’hygiène, divers rituels quotidiens visent à sublimer l’apparence. Le corps est parfumé, fardé, paré.

LUISA RICCIARINI - LEEMAGE / ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS / BIANCHETTI - LEEMAGE / PHOTOS RMN - GRAND PALAIS (MUSE DU LOUVRE) - H. LEWANDOWSKI

LA COIFFURE Un Perse, venu espionner les spartiates lors de la bataille des Thermopyles, les a vus « occupés les uns à faire de la gymnastique, les autres à peigner leur chevelure ». Les cheveux longs sont pour eux un symbole de l’homme libre. dans les autres cités, comme à athènes, cheveux courts et mèches bouclées ont la faveur des citoyens. Un crâne rasé distingue en revanche l’esclave. C’est pourquoi les Grecs frappés de calvitie n’hésitent pas à porter la perruque.

Divins parfums

essentiel de la e parfum constitue un élément ènes dispose parure pour les deux sexes. Ath aux fragrances sur d’ailleurs d’un marché dévolu de la production locale, l’agora, le myropoleion. À côté rose, sauge ou lavande, notamment à base de jonc, lys, eurs importées, plus rares les Grecs goûtent aussi les sent et l’arum d’Ég ypte, et plus coûteuses, telles l’aneth , le silphion de Lybie. la myr rhe et la cannelle d’Or ient e plus prisés : au IV siècle Les effluves capiteux sont les de safran, me, amo de cinn av. J.-C., on s’enivre de myr rhe, t don art un est umerie de musc et de civette. La parf age l’im à s, tion leurs créa les plus grands noms signent e. Sicil de s allo par Még du megalleion, le parfum dist illé

L

L’ART DU BAIN Les Grecs ignorent le savon. ils se lavent avec de la soude, de l’argile, du nitrate de potassium, ou avec une lessive obtenue à partir de cendres de bois et de chaux. ils compensent ce récurage astringent en s’enduisant le corps d’huile en grande quantité.

LE STRIGILE Ce racloir recourbé est utilisé par les hommes pour débarrasser la peau du sable, de l’huile et de la sueur après leurs exercices physiques.

L’ALABASTRE Ce vase à parfum haut de 15 à 20 cm est utilisé pour la toilette et les rites. Les Cahiers de sCienCe & vie

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Le prêt-à-porter

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TUNIQUES FÉMININES Les vêtements des femmes sont assez semblables à ceux des hommes. Comme eux, elles se drapent dans une pièce d’étoffe non taillée, ajustée sur leur corps grâce à des broches et des ceintures ou quelques points de couture. On distingue deux types de tuniques. Le chiton, en lin, et le péplos, plus lourd, en laine. Tous deux s’attachent sur les épaules, le second pouvant couvrir aussi les bras. Le chiton peut se porter seul, ou sous le péplos.

LES CHAUSSURES On marche pieds nus dans les maisons et parfois à l’extérieur. Les chaussures prennent la plupart du temps la

forme de sandales de cuir. Elles sont fabriquées sur mesure, découpées directement autour du pied des clients par les cordonniers.

SALMAKIS - LEEMAGE / MUSÉE DU LOUVRE. DIST. RMN - GRAND PALAIS - THIERRY OLLIVIER / RMN - GRAND PALAIS - H. LEWANDOWSKI

La simplicité et la sobriété président à l’habillement, même si les accessoires ne sont pas exempts d’un certain raffinement.

ERICH LESSING - AKG / PHOTOS RMN - GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - H. LEWANDOWSKI

LE CHITON L’habit masculin est placé sous le signe de la sobriété. Les hommes s’enveloppent d’une simple pièce de laine ou de lin, le chiton, portée à même la peau. De forme rectangulaire, elle

enveloppe entièrement le côté gauche du corps, et laisse dégagée l’épaule droite. Une ceinture marque la taille. En hiver, on lui superpose une autre pièce de laine, l’himation. De tous les Grecs, ce sont

les Spartiates qui ont poussé le plus loin le dépouillement. Désireux de montrer qu’ils sont indifférents aux intempéries, ils ne portent toute l’année qu’une cape de laine rouge, le triboun.

LES FIBULES Elles servent à retenir le vêtement, simple morceau de tissu, souvent attaché par des cordons.

Têtes à chapeaux

de couv re-chefs, adaptés es Grecs disposent d’une mult itude de paille en été, en laine, aux différentes saisons. Chapeaux rd l’hiver. Les femmes, en cuir, en feutre ou en peau de rena à un impératif de discrétion et soumises en toutes circonstances en public tête nue. À l’extérieur, d’effacement, ne sauraient s’exposer péplos ou de l’himation, quand elles elles se couv rent avec un pan du conçu spécialement pour leur n’utilisent pas un morceau de tissu erver leur teint du soleil, les plus serv ir de voile, la calyptra. Pour prés porté par un esclave. riches s’abr itent sous un parasol

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Accueillir un nouveau-né, consulter l’oracle ou célébrer une fête officielle…Les rituels jalonnent la vie privée et publique des Athéniens. À travers eux, ils se rapprochent des dieux pour en obtenir des faveurs.

DEAGOSTINI - LEEMAGE - BIBLIOTHÈQUE DES ARTS DÉCORATIFS

À l’écoute des dieux

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DANS L'INTIMITÉ

COLLECTION DAGLI ORTI - MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE TARQUINIE - G. DAGLI ORTI

Culte public et culte privé : le premier, dédié à Athéna, rassemble les habitants de la cité ; le deuxième honore, dans chaque habitation, la déesse Hestia.

as question qu’il s’éteigne. Au cœur de chaque maison d’Athènes, un foyer est soigneusement entretenu sur un autel consacré à la déesse Hestia. Elle veille sur l’oikos, ou la maisonnée avec tous ses habitants, famille et esclaves, placés sous l’autorité du chef de famille. Chaque jour celui-ci officie, tel un prêtre à domicile, pour s’assurer de sa bienveillance. Les Grecs rendent ainsi hommage aux dieux et déesses dans chaque habitation, mais aussi au cours des innombrables fêtes que célèbre la cité, ou encore à l’assemblée, au tribunal… À Athènes comme dans les autres cités grecques, la religion est partie intégrante de la vie civique. On côtoie les dieux, tout en s’assurant de leurs bonnes grâces, pour garantir la fertilité des champs et des couples, gagner une épreuve sportive ou un procès. On vient aussi les consulter avant de prendre la mer ou de livrer bataille. Chaque jour, le cercle familial se réunit autour de l’autel d’Hestia, quand ce n’est pas dans le LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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DEUX FÊTES SIGNENT L’ENTRÉE DU NOUVEAUNÉ DANS LA FAMILLE cellier ou la cour, qui abritent chacun un autel. Le premier est dédié à Zeus Ktésios, qui veille sur les biens de la famille. Y assistent ceux qui appartiennent à la lignée du chef de famille – et qui peuvent hériter de son patrimoine. L’autre autel, dédié à Zeus Herkeios, protecteur de l’espace de l’oikos, accueille l’ensemble de la maisonnée, parfois même les esclaves. « On prie pour demander protection, faire des promesses et célébrer les dieux », indique Marcello Carastro, spécialiste de la religion grecque ancienne à l’École des hautes études en sciences sociales. On pratique des libations, avec de l’eau pure ou mêlée de miel, ou du vin. On sacrifie un animal – chèvre, mouton, brebis porcelet ou bovin – lors des grandes occasions. Son sang est répandu sur l’autel, tandis que la viande est grillée et consommée, le cœur et les abats étant réservés aux dieux. « Il y a sûrement une forte dimension olfactive lors de ces cérémonies. Mais de même que pour l’environnement sonore – on joue souvent de la flûte –, nous n’avons que peu d’informations. » Bienveillants, les dieux tolèrent les célébrations frugales des plus démunis. Qu’il soit parent, ami ou mendiant, chaque invité de l’oikos reçoit l’hospitalité au cours d’une série de rites voués à Hestia, prières, offrandes, voire sacrifice suivi d’un repas, selon son importance. Un nouvel esclave est accueilli par des projections de petits gâteaux, de figues séchées et de dattes. 88 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

Quant au nouveau-né, il fait l’objet de plusieurs cérémonies. Sa mère et les accoucheuses pratiquent dès sa naissance des libations avec de l’eau. Quelques jours plus tard, les membres de l’oikos se retrouvent près de l’autel d’Hestia : le père saisit le nouveau-né pour une première reconnaissance. Puis l’enfant est porté en courant autour du foyer. Un sacrifice et un repas s’ensuivent. Dix jours après, la même cérémonie se reproduit, devant les parents et amis cette fois, pour donner un prénom à l’enfant et le légitimer publiquement. « Ces délais entre la naissance et les rites témoignent d’une certaine prudence, à une époque où la mortalité est très forte », souligne Marcello Carastro. VERS LE STATUT DE CITOYEN

À l’automne, chaque phratrie, ce groupe de familles qui forme le premier échelon de la société civile athénienne, se retrouve pour les trois jours d’Apatouries. On fête les naissances, mariages et adoptions de l’année écoulée en partageant la viande d’un sacrifice. À cette occasion le jeune garçon de seize ans est présenté par son père, qui atteste sur l’honneur de sa qualité de citoyen athénien. L’adolescent acquiert son statut d’héritier et se voit admis par la phratrie au cours d’un banquet précédé d’un sacrifice. Une formation aux armes l’attend bientôt qui en fera un citoyen à part entière. Les filles ne connaissent pas de tels rites de passage. Toutefois, «  une fillette de bonne famille âgée de huit ans est désignée, au nom de sa classe d’âge, pour séjourner un an à Brauron, un sanctuaire consacré à Artémis. Elle y est éduquée et accomplit toute une série de rites », explique Jon Mikalson, historien

Mieux valait se concilier, à travers les rites, les faveurs de la chaste et vindicative Artémis, protectrice des jeunes filles non mariées. (Odysseus, ARTE, 2013.)

ODYSSEUS - ARMANDA CLARO - ARTE EDITIONS / COLL.CHRISTOFEL / LUISA RICCIARINI - LEEMAGE

DANS L'INTIMITÉ

POUR LES FILLES, PAS DE RITE DE PASSAGE DANS L’ÂGE ADULTE

Ouvert aux cultes étrangers, le panthéon hellène s’enrichit au cours de son histoire. Le dieu Sérapis, créé par un pharaon grec au IIIe s., réunira des attributs grecs et égyptiens. (Film Agora, 2010) À dr., temple en marbre de -470.

Prêtres et magistrats

F

aute d’église en charge du culte, les prêtres sont d’abord des citoyens. Certains appartiennent

ration, d’autres sont tirés au sort afin d’exercer la

à des familles aristocrat iques qui se transmettent le

ministère n’implique donc pas

rôle religieux de génération en géné-

charge une année ou la vie entière. L’exercice de ce

de formation spécifique. C’est une des raisons

pour lesquelles les règles du culte sont affichées dans les sanctuaires. De la rétribution des prêtres jusqu’à la part des dieux dans les sacrifices, la gestion des affaires divines revient aux D. D hommes.

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Lors des fêtes, le banquet est précédé d’un sacrifice animal. Le cœur et les abats sont réservés aux divinités.

à l’université de Virginie, aux États-Unis. « En grec ancien, il n’y a pas de terme désignant les adolescentes, précise Marcello Carastro. On distingue seulement les fillettes des jeunes filles en âge de se marier. » À Athènes, le mariage se déroule dans un cadre familial, accompagné de rites religieux. Devant la chambre nuptiale, les femmes proches de la mariée chantent en hommage à Hymen, la déesse qui préside aux noces.

LES GRANDES PANATHÉNÉES SONT L’OCCASION D’AFFIRMER LA TOUTE-PUISSANCE DE LA CITÉ

À LIRE • Louise Bruit Zaidman, Pauline Schmitt Pantel, La religion grecque. Armand Colin, 2002. • Louise Bruit Zaidman, Les Grecs et leurs dieux, Armand Colin 2005. • Marcello Carastro, La cité des mages. Penser la magie en Grèce ancienne. Éd. Jérôme Millon, 2006. • Jon Mikalson, La religion populaire à Athènes, Editions Perrin, 2009. • Jon Mikalson, Ancient greek religion. WileyBlackwell, 2005.

Comme la naissance ou le mariage, la mort est une affaire privée. Pour honorer le défunt, on récite des prières, accompagnées de libations et d’un sacrifice, avant de rejoindre le cimetière du Keramikos situé aux portes de la ville. Les tombes reçoivent le corps du défunt ou ses cendres, ainsi que divers objets attachés à sa mémoire. Une stèle ou un monument funéraire surmonte la tombe. « Parfois un message y est gravé, par exemple pour signifier à un éventuel voleur qu’en s’attaquant à cette tombe il serait maudit », précise Marcello Carastro. Les rituels gagnent aussi la vie publique. Un calendrier sacré, riche de 120 fêtes et festivals cultuels, dicte des cérémonies collectives. Dionysos, le dieu du vin et du théâtre, est honoré quatre fois l’an. Au début du printemps, les Grandes Dionysies

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lui consacrent six jours : procession, offrandes et sacrifices géants de taureaux accompagnent des épreuves de beuveries et des concours de dithyrambes (hymnes religieux), de tragédies, de comédies, tous précédés de prières. Dans chaque cité, la divinité tutélaire est honorée à plusieurs reprises, comme Arès à Sparte, Hera à Argos, et bien sûr Athéna à Athènes. Celle-ci fait l’objet d’une fête spectaculaire, l’occasion d’affirmer la toute-puissance de la cité : tous les quatre ans, les Grandes Panathénées rassemblent la population autour d’une immense procession et d’un sacrifice de bovins. D’autres fêtes célèbrent l’importance des dieux dans les récoltes. Toute compétition sportive – notamment l’Olympiade – est précédée d’offrandes, prières et sacrifices. Les cultes collectifs se tiennent en général à l’extérieur des temples, des lieux le plus souvent fermés où l’on expose les statues et offrandes en hommage à la divinité du lieu. Le spectaculaire Parthénon, qui héberge la statue d’or et d’ivoire d’Athéna Parthénos – protectrice de la cité – n’est, quant à lui, pas accessible aux particuliers. Le sanctuaire, en revanche, est ouvert à tous, du moins en théorie car il doit être préservé de toute souillure : son accès est interdit aux femmes prêtes à enfanter et aux malades au seuil de la mort. Toute personne ayant assisté à des funérailles ou pris part à une naissance ne peut y pénétrer avant trente jours. On se lave les mains avant d’y entrer. Le sanctuaire prend souvent la forme d’un simple terrain, entouré d’un enclos ou

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INDIGENES PRODUCTIONS - ARTE FRANCE - DOCSIDE PRODUCTION 2012 / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - HERVÉ LEWANDOWSKI / BPK, BERLIN, DIST. RMN-GRAND PALAIS - IMAGE BPK

d’un mur, et qui abrite un signe divin : une grotte, une source, un arbre… Les sites les plus fréquentés comportent des constructions temporaires, ou des temples en dur. Simple citoyen et représentant de la cité y viennent pour se rapprocher des dieux, les consulter avant toute décision importante. On y écoute les interprétations des signes divins, comme à Delphes, où officie la Pythie, la célèbre prêtresse. Elle rend ses oracles une fois par an, au nom d’Apollon. Pour tester la bonne disposition du dieu, le visiteur lui offre une chèvre que l’on arrose d’eau froide : la Pythie ne s’exprime que si l’animal grelotte, et après son sacrifice. En dehors des sanctuaires, toutes sortes de devins, sédentaires ou itinérants, exercent en ville et dans les campagnes. « Certains vont connaître une grande prospérité, raconte Jon Mikalson. Mais en -413, l’échec de l’expédition de Sicile dont ils avaient prédit la réussite va en réduire beaucoup au silence. » Alors que la Grèce invente la médecine, de nombreux sanctuaires restent voués à la guérison, comme ceux d’Athènes et d’Épidaure consacrés à Asclépios, fils d’Apollon. Le malade apporte ses offrandes et se couche dans le sanctuaire, espérant que l’apparition du dieu pendant son sommeil le guérira. « Dans ces lieux, la médecine grecque cohabite

avec d’autres pratiques de soin, souligne Marcello Carastro. Certains rites quotidiens sont aussi des actes d’hygiène. De nombreux traitements de médecine hippocratique commencent ainsi par une purification, un lavage ou une purge. Peut-être accomplit-on aussi, dans les sanctuaires, des gestes médicaux. » Les dieux n’étaient pas considérés comme responsables des maux et fléaux qui frappaient la cité. Mais en les respectant et les honorant, on pouvait éviter le pire, quitte à verser dans des pratiques malveillantes. «  Les milliers de tablettes gravées retrouvées par les archéologues constituent l’un des meilleurs témoignages de cet appel permanent à l’intervention des dieux, précise Marcello Carastro. Il s’agit de lamelles en plomb où l’on inscrivait le nom de ses ennemis pour les empêcher d’agir, avant de les plier ou les enrouler, les percer d’un clou et les placer dans une tombe ou dans un sanctuaire pour solliciter les dieux. » Ces derniers ont fini par abandonner les cités grecques, soumises par les armées de Philippe  II de Macédoine en -338. Dès lors, le culte des hôtes de l’Olympe ne cessera de régresser avant de céder la place au christianisme d’un Empire romain converti au IVe siècle de notre ère.

Pour connaître son avenir on consulte le devin, qui tire au sort les osselets gravés. Le mot Eopth est de bon augure.

Denis Delbecq

Rituel de la mort : une pièce d’or placée dans la bouche du défunt facilite son voyage dans l’audelà. (Au nom d’Athènes, film de Fabrice Hourlier, 2012). Ci-dessous, Zeus en serpent, IVe s. av. J.-C.

Un panthéon bien rempli

D

ifficile de faire le décompte des puissances divines grecques. Les plus importants, les Olympiens, sont au nombre de douze : Zeus, Poséidon, Déméter, Héra, Arès, Aphrodite, Artémis, Apollon, Athéna, Hermès, Dionysos et Héphaïstos.

Chaque divinité prend plusieurs figures, selon le thème invoqué. Athéna connaît une cinquantaine d’épithètes comme Ergané (patronne des artisans) ou Polias (protection de la cité), dont six font l’objet de culte. Le panthéon grec « n’était pas figé, insiste Marcello Carastro. Les Grecs ont

adopté plusieurs divinités étrangères, comme Bendis – venue de Thrace – et Sérapis, empruntée à l’Égypte ». On honore aussi certains héros par des rites fastueux. Certains sont légendaires dans toute la Grèce, comme Héraclès, ou à l’échelle d’une cité, comme Thésée à Athènes. D. D LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Le banquet, ou symposion, était une pratique culturelle réservée aux élites. Ici, une interprétation XIXe s. du peintre Lawrence Alma-Tadema.

L’éloge de la frugalité e siècle V du s ec Gr les , de ari re ter Implantés sur une es. avant notre ère vivaient sous la menace des disettposaient ls dis L’abondance leur a toujours fait défaut même s’i ntaires. d’une variété impressionnante de produits alime 92 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

LONDRES WILLIAM MORRIS GALLERY - AKG - MUSÉE JACQUEMART ANDRÉ / MARCO GUSELLA.IT - FOTOLIA

DANS L'INTIMITÉ

PHILIPPE LADET - PETIT PALAIS - ROGER-VIOLLET / RMN-GRAND PALAIS - MUSÉE DU LOUVRE - HERVÉ LEWANDOWSKI

« Je couvris la moitié de ce porc, comme vous le voyez, avec de la farine d’orge que j’avais bien imbibée de vin et d’huile. Je le mis au four de campagne, sur une petite table d’airain, et je le fis ainsi rôtir à feu doux » Athénée de Naucratis – Livre IX Si les Grecs ont le goût du vin, ils le consomment toujours coupé d’eau. (Rhyton datant de 500-480 av. J.-C.)

ort du Pirée, Ve siècle avant notre ère. À peine débarqué, l’étranger en route pour Athènes remarque les embarcations des pêcheurs et les navires de commerce déchargeant le blé ou l’orge importés depuis l’Égypte, la Sicile ou le PontEuxin. Cette précieuse manne est aussitôt stockée pour pallier d’éventuelles mauvaises récoltes. Dans les campagnes arides où dominent la vigne et l’olivier, il n’est pas rare que les paysans, en quête de conditions plus favorables, s’expatrient pour fonder une colonie de l’autre côté de la Méditerranée. « Le manque de terres cultivables, et donc de ressources alimentaires, est incontestable. D’ailleurs les Grecs de l’Antiquité se font des guerres de voisinage pour un point d’eau, pour quelques bouts de champ... », précise l’historien François Lefèvre. En traversant l’Attique, le voyageur aperçoit les nombreux troupeaux de chèvres et de brebis qui paissent sur des terrains aussi secs qu’escarpés. La viande de porc restait la plus abordable entre toutes. Pétri en galette, l’orge était préféré au blé, plus cher. (Terre cuite, 525-475.)

Avant même de pénétrer dans la cité d’Athènes, il suppose que le poisson, les céréales, le vin, l’huile et le fromage seront au menu… Une visite du marché situé sur l’Agora confirme aussitôt son hypothèse. Impossible évidemment d’ignorer les vendeurs de céréales (blé dur, épeautre, orge, froment). La farine de blé sert à confectionner le pain (artos) que les boulangers, apparus à Athènes vers le Ve siècle, vendent trop cher pour la plupart des citoyens. C’est donc l’orge qui constitue la nourriture de base du plus grand nombre. Avec sa farine préalablement grillée (alphita), les Grecs préparent une galette bourrative (maza). Une décoction d’orge mondée, la ptisane (source étymologique du mot français tisane), est même administrée aux malades. UNE MULTITUDE DE CONDIMENTS

Allongé d’eau et aromatisé de thym, de menthe ou de miel, le gruau d’orge fournit également aux plus humbles un breuvage, mi-liquide, mi-solide, le cycéon. Comme les galettes, cette boisson est généralement accompagnée de miel et de produits laitiers très variés comme le pyriate, une friandise ressemblant sans doute à notre yaourt. Outre les œufs, consommés durs, à la coque ou gobés, pris en hors-d’œuvre ou au dessert, des marchands proposent quantité de fromages (frais ou vieux) de brebis ou de chèvre qui constituent l’autre produit essentiel de l’alimentation des Grecs. Devant les baraques en planche des vendeurs de légumes, notre voyageur reste sidéré. Les légumes frais, poireaux, radis et autres artichauts, sont si chers que la plupart des citadins leur préfèrent les choux, les oignons ou des légumineuses très nutritives comme les gesses, les vesces, les fèves,

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et u q n a b u d n o i t la tradi

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RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) - HERVÉ LEWANDOWSKI / SCALA FIRENZE

Le poisson frais ou saumuré fait partie de l’alimentation préférée des Grecs. Ici, un marchand de thon. Vase du Ve siècle av. J.-C.

Coquillages, poissons et crustacés se trouvent à profusion le long des côtes. Une abondance dont témoigne ce plat du IVe siècle av. J.-C.

les lentilles ou les pois chiches dont les prix sont bien plus abordables. Ils les consomment en soupes, en bouillies ou en purées (etnos) assaisonnées d’huile d’olive, de vinaigre, de garon (un condiment à base de restes de poissons et de saumure très proche du nuoc-nam vietnamien), sans oublier les herbes. Sur le marché, les vendeurs d’aromates louent les saveurs d’une kyrielle de plantes  : ail, basilic, thym, laurier, origan, fenouil, pouliot, cerfeuil, cumin, sésame, câpres, genièvre, sarriette ou marjolaine. Les étals des marchands de fruits sont garnis, selon la saison, de pastèques, de noix, de pommes, de nèfles, de coings, de grenades, d’amandes et parfois même de melons ou de citrouilles dont les graines ont été rapportées d’Égypte. LA PASSION DU VIN

Deux produits retiennent, cependant, particulièrement l’attention des clients. Le premier est la figue, dont les Athéniens ont interdit l’exportation et qu’ils dégustent fraîche pour le dessert (tragerma), ou sèche en apéritif, accompagnée de graines de lupin, de châtaignes, de pois chiches et de farines grillées. Le deuxième est l’olive, que

l’on consomme telle quelle, relevées d’aromates, et dont on fait l’huile, ce liquide vital qui sert aussi bien à cuisiner qu’à assaisonner les plats, à s’éclairer et à se parfumer ou s’enduire le corps avant l’exercice physique. Pour étancher sa soif, l’étranger fera comme les Athéniens qui boivent du lait de chèvre et plus habituellement de l’eau dont ils vantent les différentes qualités : lourde, sèche, acide, douce, dure, vineuse. L’eau symbolise la vertu et l’ascétisme. Pourtant, les marchands de vin sont loin d’être en faillite. Les Grecs consomment de grandes quantités de ce breuvage qu’ils considèrent comme un cadeau de Dionysos. « À Athènes au Ve siècle, on aime plus boire que manger.  Le vin a son importance…  », fait remarquer François Lefèvre. Les Grecs le conservent dans de grandes jarres en terre cuite en le mêlant d’eau salée, de thym, de cannelle ou de miel. Trop acide, la mixture est saupoudrée de chaux. Les crus les plus réputés, issus des vignobles de Pramné, de Smyrne ou de Byblos, conditionnés dans des amphores enduites de poix portant l’estampille de leur producteur ou du magistrat de la cité, sont vendus très loin. « Ce sont les Grecs qui ont introduit le vin en Gaule depuis leur colonie de Massilia et qui ont fait découvrir ce doux breuvage à des Gaulois dont les Grecs disaient

« Pendant le repas, aie la tête couronnée de toutes les espèces de fleurs dont le sol fécond se pare : parfume-toi la chevelure des essences les plus précieuses… »

PETER EASTLAND - A LAMY - PHOTO 12

Athénée de Naucratis – Livre III

L’aridité des terres grecques a déterminé une philosophie de la table centrée sur la modération et la simplicité.

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qu’ils pourraient vendre leur femme et leurs enfants pour une amphore », explique François Lefèvre. Ces vins rouges à la robe sombre (melas) ou blancs aux reflets jaunes (leukos) peuvent être moelleux, âpres, secs, doux ou légers. En bouche, ils sont épais (pécheïs) ou bien chaud (thermos) lorsque le breuvage s’avère corsé. Peu alcoolisés, ils sont qualifiés de « faibles » (asthenestoros) et satisfont les pauvres habitués à d’affreuses piquettes. Sur le marché, notre voyageur peut acheter aux bouchers charcutiers des saucisses et du boudin à des prix tout à fait raisonnables. Pourtant, il notera vite que les Grecs ne mangent guère de produits carnés. Ce choix n’est dicté ni par des considérations diététiques ni par la religion. «  Il n’y a pas d’interdits alimentaires dans la Grèce antique. D’ailleurs les Grecs se moquent des Égyptiens qui ne mangent pas de porc », note François Lefèvre. DU POISSON À TOUTES LES SAUCES

Les raisons sont beaucoup plus pragmatiques. Si brebis et chèvres sont élevées pour fournir du lait ou de la laine, les chevaux, ânes, mulets et autres bœufs constituent un bien plus précieux comme monture, bête de somme ou de trait. Les citoyens les moins fortunés parviennent parfois à acheter du porc, mais attendent le plus souvent les abattages rituels pour pouvoir manger de la viande lors des festins civiques. Rare, cette denrée 96 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

r u jo r a p s a p e r is o Tr poque clases Grecs de l’é t trois repas sique faisaien mat in, lors pr incipaux. Le os), ner (akratism du petit-déjeu in pa ient de ils se contenta de dans du vin, pé em d’orge tr . es iv ol elques figues et de qu le e, né de jour Pr is en milieu e n) n’était guèr to ris (a déjeuner upo s at ais les pl plus riche, m us élaborés, pl re vaient êt e auds, à l’imag c’est-à-dire ch s de es lent ill de la soupe de ens. Un goûter ni hé at ouvr iers ait périsma) pouv facultatif (hes i, id -m l’après êt re pr is dans nuit tombée la à it ta mais c’é us t le repas le pl que se prenai . n) no ner (deip copieux, le dî mes ne prem fe et e Homm

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leur repas naient jamais les plus ez ensemble. Ch de famille ef ch humbles, le sà premier, assi mangeait en et se r son épou table, serv i pa éss rsqu’il ne po ses enfants lo s le aves. Pour dait pas d’escl it ner constitua dî le plus aisés, inv co iv ilégié de un moment pr le t ai hanges. Il ét vialité et d’éc ale cohésion soci e vecteur d’un à e re organisé qui pouvait êt cité. Régulière la l’échelle de ant en rt mes appa ment, les hom se ) pe (hétairie au même grou à rs d’un éranos lo nt réunissaie ue aq duquel ch l’organisat ion ribuait en nt co t part icipan S. T. écot. apportant son

est donc réservée à la minorité la plus riche qui peut aussi se délecter du gibier ou de la volaille vendus par les marchands thébains. En fait, la préférence des Athéniens va aux produits de la pêche, des coquillages (bulots, moule, ormeau, palourde, pétoncle) et autres crustacés (langoustines, homard, crabes et cigales de mer) aux céphalopodes, (seiches, poulpes et calmars qui sont frits ou grillés et servis en amuse-bouche) en passant par toutes les sortes de poissons de lac (les anguilles du lac Copaïs faisaient les délices des gourmets), de rivière (brochets, carpes, poissons chats) ou de pleine mer (anchois et sardines, thons, rougets,

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Considérée comme une activité secondaire par les Grecs, la cuisine restera longtemps réservée aux femmes et aux esclaves. (Odysseus, Arte, 2013.)

« Il est farci de grives, d’autres volailles et quelques parties de bas-ventre de porc, et de tranches de vulve, de jaunes d’œuf, de ventres de poules avec leurs grappes d’œufs remplis de jus exquis…» Athénée de Naucratis – Livre IX

espadons). Selon le philosophe Chrysippe (281205 av. J.-C.), l’inflation du prix des anchois de Phalère suffit à inquiéter les plus pauvres habitants de la cité. La passion des Athéniens pour le poisson est telle que le terme opson qui a d’abord défini tout ce qui se mange avec du pain a vite été attribué au seul poisson. Le mot grec moderne pour désigner le poisson vient même de là…

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LES DÉBUTS DE LA DIÉTÉTIQUE

Lors des banquets, les plats arrivaient sur de petites tables portées par les esclaves. Détail d’un vase attique du IVe s. av. J.-C.

La richesse de cet inventaire de produits alimentaires ne doit pas faire oublier la réalité. « En Grèce, explique François Lefèvre, le climat est tel qu’il permet de produire juste assez pour se nourrir. Athènes ne connaît pas de famines mais des disettes. Ses habitants étaient assez souvent sur la corde raide. » Les Grecs antiques possèdent donc de bonnes raisons pour ériger la frugalité en vertu. Hérodote raconte qu’au Ve siècle av. J.-C., ils ignorent encore l’usage des hors-d’œuvre et des plats à la recette complexe. Pour eux, les raffinements de l’art culinaire alors en usage chez les Perses ne sont rien de moins qu’un signe indubitable de décadence. Certains athlètes du Ve siècle av. J.-C., comme le célèbre Iccos de Tarente, vainqueur du pentathlon, doit se contenter d’un régime à base de figues séchées, de fromage et de pain. La ration des soldats ne comporte guère plus qu’un oignon et un bout de LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

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Si la consommation de viande reste le privilège des plus fortunés, le poisson est en revanche présent sur toutes les tables. (Odysseus, ARTE, 2013.)

Athénée de Naucratis – Livre III fromage, ce qui vaut peut-être mieux que d’avaler le « brouet noir » (mélas zomos) des Spartiates, un ragout de porc, de vinaigre et de sang assaisonné de sel. Hippocrate (v. 460- v. 370) initie même une démarche diététique basée sur l’intuition que la nourriture peut constituer une médecine. Mais sa théorie des humeurs, fondée sur le classement des aliments en fonction des quatre éléments (l’eau, la terre, l’air et le feu) correspondant à quatre tempéraments (lymphatique, mélancolique, sanguin et colérique) est encore très loin de la diététique élaborée grâce à l’analyse chimique définissant les composantes nutritionnelles des aliments (lipides, protides, vitamines, etc.) Malgré la sobriété caractérisant l’époque classique, cette période enregistre une certaine évolution en matière de gastronomie. Si la cuisine, activité jusque-là jugée mineure, est longtemps restée l’apanage des femmes, libres ou esclaves, il semble que les premiers cuisiniers apparaissent à cette époque. Dans l’un de ses dialogues les plus célèbres, Gorgias, Platon (v. 427-v. 348) mentionne « trois éminents connaisseurs en gâteaux, en cuisine 98 LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE

et en vin » en la personne de « Thearion, le cuisinier, Mithaekos, l’auteur d’un traité sur la cuisine sicilienne et Sarambos, le marchand de vin ». Au IVe siècle, les vers du poète Antiphane dénoncent avec force détails les nouvelles pratiques culinaires. Dans ses Deipnosophistes, Les sophistes au dîner, écrit au IIIe siècle de notre ère, Athénée de Naucratis cite encore les noms d’une dizaine d’auteurs, cuisiniers ou non, tous passionnés de bonne chère dont le célèbre Archestrados qui a signé, au IVe siècle av. J.-C., un livre de cuisine rédigé sous la forme d’un poème épique intitulé Hédupatheia, « friandises ». Malgré la richesse de cette production littéraire, aucune recette complète n’est parvenue jusqu’à nous. Gageons qu’après avoir envahi la Grèce au milieu du IIe siècle av. J.-C., les Romains ont dû hériter d’une gastronomie alors à son apogée et que la cuisine méditerranéenne moderne doit encore posséder certaines des saveurs élaborées par les maîtres queux de la Grèce antique … Serge Tignères

À VOIR • Une série créée par Frédéric Azémar et réalisée par Stéphane Giusti. DVD ARTE, 2013.

À LIRE • François Lefèvre, Histoire du monde grec antique. Le Livre de poche, 2011. • Robert Flacelière, La Grèce au siècle de Périclès. Hachette, 1969. • Marie-Claire Amouretti, Françoise Ruzé, Le monde grec antique. Hachette, 2011.

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« Qu’on te serve le régal d’une vulve et de la panse d’une truie, bouillie et bien imprégnée d’une sauce faite avec du cumin, de fort vinaigre et du suc de silphium »

Une publication du groupe

Président Ernesto Mauri rédaction 8, rue François Ory 92543 Montrouge

Cedex. Tel. : 01 46 48 19 88. Fax : 01 46 48 18 64. directeur de la rédaction Matthieu Villiers, rédactrice en chef Isabelle Bourdial, avec

la collaboration de Marie-Amélie Carpio, assistée de Bénédicte Orselli, Elisabeth Latsague directrice artistique Valérie Pauliac, secrétaire générale de rédaction Najat Nehmé rédacteur Jean-François Mondot iconograPhe Sophie Dormoy ont collaboré à ce numéro

Rafaële Brillaud, Nicolas Chevassus-au-Louis, Anne Debroise, Denis Delbecq, Pascale Desclos, Emilie Formoso, Román Ikonicoff, Fabienne Lemarchand, Valérie Lépine, Marielle Mayo, Christophe Migeon, Philippe Testard-Vaillant, Serge Tignères, Céline Vernier. service lecteurs [email protected] direction-édition Direction Pôle : Carole Fagot Directeur Délégué / Managing Director Science & Vie : Vincent Cousin diffusion

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Féodalité, le règne des seigneurs seigneurs des

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n nouveau monde émerge à l’aube de l’an Mil, sur les ruines de l’Empire carolingien : celui des seigneurs et de la féodalité. Un âge guerrier où les châteaux forts nourrissent la course à l’armement, tandis que les chevaliers vident leurs querelles dans des combats héroïques à hauteur d’homme. Le roi y est peu de chose jusqu’à la dynastie des Capétiens. Et les paysans moins encore, dans un système où le servage s’assimile parfois à un véritable esclavage. Sur le terreau féodal s’est aussi épanouie une culture originale, l’éthique chevaleresque. Était-elle un réel principe de vie ou simplement un joli mot ? Quant à l’amour courtois, souffla-t-il réellement sur les cœurs, ou n’a-t-il enflammé que l’imagination des poètes ? LE 12 MARS 2014

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1) Offres soumises à conditions et valables pour toute commande d’un Wave Music System avant le 31 Janvier 2014, et non cumulables avec d’autres promotions. Offre «un lecteur dvd portable offert» : vous pourrez faire usage de votre droit de rétractation dans un délai de 30 jours, en faisant retour du lot entier ou d’un élément du lot. Dans l’exemple de l’achat d’un Wave Music System sans accessoire et en cas de retour de l’intégralité du lot, la somme de 699,95 euros vous sera remboursée dans un délai de 30 jours maximum. En cas de retour d’un seul élément du lot, la différence entre le prix payé pour le lot et le prix individuel de l’élément du lot concerné vous sera remboursée dans un délai de 30 jours maximum. Pour le retour du Wave® Music System seul, le lecteur dvd portable conservé vous sera facturé 69.95 euros, et cette somme sera donc déduite de votre remboursement. Pour le retour du lecteur dvd portable seul, aucun remboursement ne sera effectué. 2) Appel gratuit depuis un poste fixe. Coût d’envoi d’un SMS. Edité pat TXT4, Ltd. *La station d’accueil Wave II lit la musique stockée sur la plupart des modèles d’iPhone et d’iPod. Vous pouvez également l’utiliser pour recharger ces appareils. © 2014 BOSE Corporation. Tous droits réservés. Wave est une marque déposée de BOSE Corporation. Bose SAS, 12 rue de Témara, 78100 St Germain-en-Laye. Société par Actions simplifi ée au capital de 2 640 965 euros, RCS Versailles B311 068 266. Photos non contractuelles. L’appellation et les logos Bluetooth® sont des marques déposées de Bluetooth SIG, Inc., utilisées sous licence par Bose Corporation. iPhone et iPod sont des marques déposées d’Apple Inc. ®

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