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Table of contents :
–– Copyright
–– Page de titre
–– PERSONNAGES
SCENE 1
SCENE 2
SCENE 3
SCENE 4
SCENE 5
SCENE 6
SCENE 7
SCENE 8
SCENE 9
SCENE 10
SCENE 11
SCENE 12
SCENE 13
Vie et Mort de Pier Paolo Pasolini
« Le théâtre peut-il devenir un planétarium ? » J. Jourdheuil, L’Artiste, la Politique, la Production. « Dépasser l’idéalisme, le catholicisme, l’anarchisme, l’humanitarisme et même le marxisme-léninisme, faire éclater les mots et les conventions et les modes de pensée eux-mêmes pour trouver au fond des choses leur vérité qui est toujours secrète et inaliénable. » Pier Paolo Pasolini, Vie Nuove, 15 septembre 1975. « Mais quoi, je ne suis pas celui que vous cherchiez ? Vous restez interdits ?… Ainsi ne suis-je plus pour vous ce que je suis ? Etranger à moi-même ? Echappé de moi-même ? Un lutteur épuisé à force de se vaincre, à force de bander contre soi sa vigueur ? Un vainqueur qu’a blessé, qu’entrave sa victoire… J’ai appris à vivre où nul ne vit… Désappris l’homme et Dieu, blasphèmes et prières. » Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
PERSONNAGES PIER PAOLO PASOLINI GIUSEPPE PELOSI, assassin de P.P.P. NINETTO DAVOLI, amant de P.P.P.
CEUX D’EN FACE : L’Eminence Grise du gouvernement Un membre du P.C.I. M. de Sanctis Le député Pagliucca Un expert psychiatre Le Procureur de Rome (Ces personnages sont joués par le même comédien).
: la voix du juge représente la loi indépendamment du lieu et de l’époque. LA VOIX DU JUGE
SCENE 1 Le 2 novembre 1975. Un terrain vague près de Rome. Eminence grise du gouvernement (E.G.). Giuseppe Ninetto DAVOLI.
E.G.—
PELOSI.
Dix ans et un compte en Suisse.
Voici l’homme : Giuseppe Pelosi. JUGE.—
Quel âge as-tu ?
PELOSI.—
Dix-sept. Je ne voulais pas le tuer, Monsieur le Juge, je ne l’ai pas fait exprès, je le jure. JUGE.—
Calme-toi. Je pose les questions, tu réponds, chaque chose en son temps. Tu as déjà été en prison ? PELOSI.— JUGE.—
Pourquoi ?
PELOSI.— JUGE.—
Non jamais.
Tu es homosexuel ?
PELOSI.— JUGE.—
Tentative de vol et vol.
Tu te drogues ?
PELOSI.— JUGE.—
Oui. Trois fois.
Non, Monsieur le Juge.
Tu couches avec des hommes ?
PELOSI.—
Il y en a qui me cherchent, Monsieur le Juge.
JUGE.—
Mais tu fais le tapin dans les jardins de la piazza dei Cinquecento ? PELOSI.—
Non, Monsieur le Juge, Pas le tapin. Ce n’est pas
vrai. JUGE.—
Tu étais dans les jardins, ce soir-là ?
PELOSI.—
Non. J’étais avec trois copains. On voulait aller au cinéma. Au Moderno. Et puis, juste ; il est arrivé. Il m’a proposé de faire un tour avec sa bagnole. Une Giulietta. Alors j’ai dit oui, à cause de la voiture… JUGE.—
Il t’a proposé combien ? Réponds.
PELOSI.—
On s’est entendu pour 20 000 livres. J’en avais besoin pour ma Vespa. JUGE.—
Tu n’es pas homosexuel. Tu ne fais pas le tapin. Il t’arrive seulement de te faire un peu payer pour te promener la nuit avec des hommes… E.G.—
La presse du jour, votre Honneur.
Un responsable du Parti Communiste a déclaré en apprenant la nouvelle : « enfin, nous ne l’aurons plus dans les jambes ». Officiellement : le Parti organise les obsèques, publie tracts et affiches, disant : « Le peuple romain exprime sa douleur et sa détresse devant la fin tragique et violente de Pasolini. Artiste érudit parmi… » JUGE.—
Epargnez-moi la suite… Tenez-moi au courant : manifestations de rue, autres réactions, déroulement des obsèques… etc. (à Pelosi) Tu étais consentant. Tu l’as suivi sans y être forcé. Et il te payait. Alors pourquoi l’avoir tué ? PELOSI.—
Il a été violent avec moi. Il a voulu que je fasse la femme. J’ai eu peur. Un petit gars de dix-sept ans contre un homme adulte qui le menace dans un endroit désert… JUGE.—
Tu répéteras cette phrase à ton avocat. A moi, tu vas dire la vérité. PELOSI.—
C’est la vérité. Il a pris un bâton. J’ai essayé de fuir. J’ai glissé. Il m’a frappé à la tête. Au front. Aux genoux. Je lui ai donné deux coups de genou dans le ventre ; Mais il continuait à crier. Je lui ai pris le bâton. J’ai frappé sur sa
tête… Il est tombé à terre. Je l’ai entendu râler. J’ai eu peur. J’ai sauté dans la voiture et j’ai démarré à toute vitesse. C’est tout. JUGE.—
Tu as démarré et… ?
PELOSI.—
Je ne me souviens pas. J’avais les yeux couverts de sang. Je ne me souviens pas si en partant j’ai écrasé Pasolini. DAVOLI.—
Ça fait du bruit un homme qu’on écrase ?
JUGE.—
Plusieurs détails laissent à penser que tu n’étais pas seul contre Pasolini. Des empreintes de souliers qui ne sont ni les tiennes ni les siennes. PELOSI.—
D’autres gens ont pu passer là, des amoureux…
JUGE.—
Pourquoi pas ? Mais comment se fait-il que tu n’aies presque pas de sang sur tes vêtements alors que Pasolini est couvert de blessures ? PELOSI.—
Je me suis lavé à un point d’eau.
JUGE.—
Pourquoi pas ? Mais il n’y avait pas trace de sang dans le fameux point d’eau. E.G.—
Peu de sang, beaucoup d’eau. Le sang se sera dilué.
JUGE.—
Pourquoi pas ? Tu l’as tué avec une planche et un
bâton ? PELOSI.— JUGE.—
Oui.
Qu’as-tu fait ensuite de cette planche et de ce bâton ?
PELOSI.—
Je les ai jetés.
JUGE.—
On les a retrouvés à 56 m et 90 m du cadavre. Ça fait un peu loin. Qui les a déplacés ? PELOSI.—
…
JUGE.—
Qu’as-tu fait entre le moment du crime et celui de ton arrestation ? PELOSI.— JUGE.—
J’ai pris la voiture et je suis parti au hasard.
Pourquoi pas ? Mais il ne faut qu’une demi-heure pour se rendre à l’endroit où tu as été arrêté par un simple contrôle de police une heure après le meurtre. La demi-heure
inexpliquée dans ton emploi du temps ne se serait-elle pas passée à discuter avec tes complices ? PELOSI.—
…
JUGE.—
Réponds. Une dénonciation anonyme parle d’une voiture de Catane avec quatre personnes à bord qui aurait suivi la voiture de Pasolini le soir du crime… Tu n’as rien à dire làdessus ? PELOSI.— E.G.—
…
Votre Honneur, c’est anonyme donc non recevable.
JUGE.—
Si vous voulez… Enfin on a trouvé un tricot vert et une semelle orthopédique dans le coffre de la voiture de la victime qui selon la cousine de Pasolini n’y étaient pas la veille du crime… Je te pose à nouveau la question : étais-tu seul contre Pasolini ? PELOSI.—
…
E.G.—
Votre Honneur, songez au scandale si nous laissons entendre qu’il est mort victime d’un complot. Le gouvernement m’a expressément recommandé d’éviter tout risque d’agitation sociale et de scandale à propos de cette affaire. Pelosi est prêt à tout prendre sur lui. Pourquoi ne pas s’en tenir à ses aveux ? JUGE.—
Pour la dernière fois, Pelosi, réfléchis et réponds.
Etais-tu seul contre Pasolini ? E.G.—
Je dois te dire une chose petit : si tu étais seul, c’est un homicide involontaire. Tu t’en tires avec dix ans. Mais si vous étiez plusieurs, c’est un assassinat, ça va chercher beaucoup plus. PELOSI.—
(après un temps) J’étais seul Monsieur le Juge.
SCENE 2 1948. Le Jardin de Pasolini à Ramuscello, dans le Frioul, province de l’Est italien. Pasolini (P.P.P.). Un membre du parti communiste italien (M.P.C.I.).
M.P.C.I.—
(lisant un journal) « Un professeur accusé d’immoralité ». Messagero Veneto 28/10/48. « Une grave dénonciation a été déposée devant l’autorité judiciaire à charge du docteur ès-lettres Pasolini connu dans le Frioul pour une certaine activité poétique et littéraire. Pasolini aurait incité à accomplir des actes obscènes sur sa propre personne les dénommés ZG, 15 ans, SP, 16 ans, et SR, 16 ans, tous du hameau de Ramuscello… Pasolini a déclaré que ce soir-là il avait bu et que par conséquent certains détails lui échappaient. » Pier Paolo Pasolini, tu connais les chefs d’accusation qui pèsent contre toi : est-ce que tu reconnais les faits ? Ta conduite compromet le parti dans l’opinion des travailleurs ; Le service du prolétariat est incompatible avec la pratique d’un vice bourgeois. P.P.P.—
Hier encore tu m’appelais camarade. Tu parles en ce moment comme un carabinier. Une marmotteur de confessionnal. Un bourgeois et autres punaises de sacristie. M.P.C.I.— P.P.P.—
Le Parti a décidé ton exclusion.
Le Parti ? Mes vrais camarades, eux, sont en ce moment au travail. A l’usine. Je comprends à présent la raison
de l’heure inhabituelle de ta visite ; Je comprends ta tenue un jour de semaine. Tu te déguises en patron pour exhiber tes préjugés bourgeois. M.P.C.I.—
Rends ta carte ! Et abstiens-toi désormais de fréquenter notre local. Il s’agit de tes vices et non des miens. P.P.P.—
Le mot « vice » fait partie du vocabulaire judéochrétien, il implique des notions de culpabilité propres à la morale religieuse, ce mot devrait être exclu d’un véritable vocabulaire marxiste. Que mon père me traite de merdeux, de bâtard, voilà qui est normal dans la bouche d’un officier fasciste. Que le curé me menace de je ne sais quoi, mais que toi… M.P.C.I.— P.P.P.—
Rends ta carte. (il brûle la carte de P.P.P.)
En dépit de vous je suis et resterai communiste.
M.P.C.I.—
Monsieur Pasolini, pour cause d’indignité morale vous n’êtes plus membre du Parti. P.P.P.—
Guido, petit frère, je renie les blêmes moralistes qui ont fait du socialisme un catholicisme tout aussi ennuyeux.
SCENE 3 La gare de Ramuscello.
P.P.P.—
Maman, nous fuyons, toi et moi, comme dans un roman, abandonnant mon père derrière nous. Tu n’as pas froid ? Ils m’ont empoisonné, ils m’ont empoisonné, ils m’ont fait boire leur ciguë, je suis tout plein de cette amertume. Je trouverai un travail, tout recommencera je suis toujours ton petit garçon honnête et bon. Ils ont fait du scandale autour de moi, ils nous ont fait mal. Tu te souviens, un jour tu me citais saint-Paul : « Il faut affronter le scandale ». Ne t’inquiète pas, je me connais, je suis né pour être équilibré, serein, pour jouer au football, je suis comme un arbre de notre Frioul. Je serai ta consolation, ton fils modèle. Oui, je sais, ne proteste pas, laisse-moi te dire ces choses pour la première et la dernière fois, l’amour que tu me portes est une forme d’esclavage, si, si, je le sais, je sais ce que je dis. Nous partons, maman, nous laissons la douceur des cloches de Sacile, nous quittons ces fermes, ces champs coupés de canaux, ces enclos, ces hameaux tristes aux masures de chaux et toutes les odeurs de carrelages lavés, de murs chauffés par le soleil, de mûriers secs, de primevères humides et de sureaux, et les cris du fripier ambulant et du marchand d’olives. Plus jamais nous ne serons au printemps sous les arbres du jardin en train de manger des cerises dans un monde en paix. Je sais à quoi tu penses. C’est la seule chose que nous n’abandonnons pas : cette tombe vide de mon frère Guido. Son corps est làbas dans le maquis, mais sa tombe invisible sera avec nous dans le train et les bus de la ville ; Nous trouverons un coin en
arrivant à Rome derrière une HLM où nous irons porter des primevères sans que personne ne nous voie ni ne puisse comprendre le secret de notre geste. Tu dors ? Dors. Je te réveillerai quand le train de Rome sera là. Dors. Je travaillerai et cette vie nouvelle avec toi me sera si légère, dors, maman, dors.
SCENE 4 Les années 50. Rome. Un jardin devant la gare Termini. Pasolini. Davoli.
P.P.P.—
Tu veux une cigarette ? Chewing-gum ? Tu te promènes un peu avec moi ? DAVOLI.—
Ça veut dire quoi ça ? Je te suis dans les jardins, tu m’enfiles et tu payes ? P.P.P.—
Doucement, petit. On se révolte ? Est-ce que tu serais différent des autres par hasard ? Il ne faut pas te vexer, Rome est un séminaire plus une caserne, plus un bordel, et les hommes ici sont tous curés, ou soldats, ou putains. DAVOLI.—
Et comme je ne porte pas d’uniforme tu me prends pour la dernière catégorie ? Tu oublies que les curés comme les putains et les soldats, ça mange. Moi, je dirais qu’à Rome il y a ceux qui travaillent et ceux qui mangent. P.P.P.—
Et ce n’est pas forcément les mêmes, la preuve : les curés sont ceux qui mangent le plus et travaillent le moins, alors que les putains, c’est tout le contraire, bien vu petit. Si j’ai bien compris, toi, tu fais partie de l’élite des travailleurs ? DAVOLI.—
Je suis boulanger. Je travaille la nuit, de minuit à cinq heures du matin. P.P.P.—
Comme il a dit ça. Je suis boulanger, Monsieur. Je vis dans les faubourgs. J’ai douze frères et sœurs qui vivent agglutinés dans trois pièces. Semblables à ces chaos d’innocents qui jonchent la terre nue en Inde où chaque nuit est une nuit de peste.
DAVOLI.—
Non, je n’en ai pas douze. J’en ai six. Et toi tu n’es sûrement pas ouvrier. P.P.P.—
Ne te fâche pas. Je ne me moque pas de toi, la tendresse, ça me change de mes habitudes. Boulanger ! Et tes copains s’appellent Paolo, Cesare, Tiberio, Damiano ; le samedi soir ils enfourchent leur moto chaude entre les cuisses pour aller voir les filles. Si bien que tu dois te sentir un peu seul devant ton pétrin ? Tu es Romain ? DAVOLI.—
Non, je viens de la campagne.
P.P.P.—
Moi aussi, du Frioul. Une terre d’orties et de cyprès. Alors toi aussi, tu t’es battu en culottes courtes pour un nid de mésanges caché dans un buisson de mûres ? Et la violence de ton ventre tu l’as sentie pour la première fois quand tes copains se baignaient nus entre les roseaux du fleuve ? DAVOLI.—
On ne parle pas de ces choses…
P.P.P.—
Moi, si. C’est mon métier, parle de ce que les autres taisent. Tu peux quand même me raconter le printemps dans tes campagnes ? DAVOLI.—
Je ne sais pas parler comme vous.
P.P.P.—
Allons, tu as bien un souvenir, que tu n’aurais dit encore à personne, un secret ? DAVOLI.—
Le plus beau, c’était la pêche aux grenouilles. La nuit avec un harpon et un fanal, on en prenait 90 ou 100. On les enfilait sur un fil de fer… Et aussi les parties de foot. Pour acheter un ballon, on volait les œufs à nos mères dans les poulaillers, et un jour, au moment où je piquais un œuf, paf ! Je sens qu’on me serre le poignet. C’était ma mère. Qu’est-ce que j’ai ramassé ce jour-là ! P.P.P.—
Et les odeurs ? Tu te souviens des odeurs ? Les parfums d’herbe et d’eau stagnante. La saison toute engrossée de fruits. Les génisses, les boucs, les agneaux, les arbres gonflés de sève. Les tendresses furtives des garçons, et leurs noces cachées. Leurs fièvres de chèvres sauvages, dans les balles de foin… DAVOLI.—
Donne-moi une cigarette. Comment tu t’appelles ?
P.P.P.—
Je m’appelle Pier, Monsieur. Non, ce n’est pas vrai. Je m’appelle Paolo. Non, ce n’est pas vrai. Je m’appelle Pier Paolo. Et il faut que je me débrouille avec cette cohabitationlà. Pier vivant maritalement avec Paolo. Et tout ça dans l’espace si exigu de mon petit corps. Pier, c’est le fondateur, le pilier, le déluge d’eau bénite répandu sur le monde. Pier, c’est mon père officier fasciste ; alors que Paolo, c’est autre chose… Voilà, Monsieur, comment je m’appelle, Pier le seigneur et Paolo le marginal. Et toi ? DAVOLI.—
Moi c’est Ninetto tout simplement.
P.P.P.—
Ninetto ça me plaît… C’est ta mère qui t’a donné ces cheveux ? DAVOLI.—
Je ne sais pas. Tout le monde dit que je ressemble à
mon père. P.P.P.—
J’ai envie de t’embrasser.
DAVOLI.— P.P.P.—
Non.
Pourquoi ?
DAVOLI.—
Je ne sais pas… Parce que non, c’est tout… Parce que tout de suite, ce serait trop comme d’habitude. P.P.P.—
Il n’y a rien comme d’habitude ce soir. Il y a deux ans que je suis à Rome, je n’ai rien fait, ni écrit, ni pensé, ni vécu. J’étais seul comme un survivant. Je me traînais sur une route absurde comme un enfant qui n’a plus de maison. Je ne rencontrais que des soldats des curés des putains. Toujours les mêmes robots mélancoliques. Et ce soir, toi… DAVOLI.— P.P.P.—
Tu reviendras ?
DAVOLI.— P.P.P.—
Je dois partir, je travaille dans une heure. Demain.
(écrivant) « Ils regagnèrent le centre, entre les maisons peintes de vert de bleu de rouge de noir et désormais plongées dans l’obscurité. Près du canal, Armido lui demanda : « Tu reviendras ? » Il était ému. Il était quasiment sur le point de pleurer à l’idée qu’il ne reverrait peut-être jamais son nouvel ami. »
SCENE 5 Les années 50. Rome. Le tribunal. Pasolini. Le juge. Sanctis. Pagliucca
JUGE.—
Le livre « Ragazzi di Vita » est interdit en Italie pour obscénité. P.P.P.—
Mon livre décrit la misère qui existe réellement dans la banlieue de Rome. Il vient d’obtenir le prix Colombi décerné par les plus grands écrivains d’Italie. JUGE.—
Cela ne l’empêche pas d’être immoral et passible d’une condamnation. P.P.P.—
La tâche du romancier n’est pas de faire l’autruche ou pire l’hypocrite devant les fléaux sociaux. JUGE.—
Vous profitez des fléaux sociaux pour étaler vos turpitudes sexuelles. La presse est unanime. A droite comme à gauche on vous traite de pornographe. D’apologiste des voyous. De remueur d’excréments. D’apôtre de la fange. P.P.P.—
C’est une manœuvre politique. On me désigne comme un exemple de l’art soi-disant obscène qui se développerait si le pays allait à gauche et renonçait à ses dirigeants sérieux, capables de protéger la moralité publique. C’est-à-dire les dirigeants des couches les plus arriérées de la démocratie chrétienne. JUGE.—
N’aggravez pas votre cas en insultant les membres du gouvernement. A dire le vrai votre livre équivoque sur la vie des faubourgs de Rome n’est pas une œuvre de pure fiction. Des aspects troubles de votre vie permettent de penser que
vous transposez dans le domaine romanesque des expériences biographiques. Faites entrer Monsieur de Sanctis. Sanctis entre. JUGE.—
Jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dites je le jure. SANCTIS.— JUGE.—
Je le jure.
Veuillez exposer les faits qui justifient votre plainte.
SANCTIS.—
J’étais tout seul dans le poste à essence de mon frère, c’était le 18 novembre à trois heures de l’après-midi, un inconnu est entré coiffé d’un chapeau noir, c’était lui. P.P.P.—
Comme dans les westerns ?… Je ne porte jamais de chapeau. SANCTIS.—
Il a commandé un coca. Il m’a posé des questions
bizarres. JUGE.—
Quelles questions ?
SANCTIS.—
Combien je gagnais. Si j’étais fiancé. Si je m’amusais le soir. Et comment. Puis il a enfilé une paire de gants noirs. Et il a sorti de sa poche un pistolet noir qu’il a chargé avec une balle en or, en disant : « si tu bouges je tire. » Puis il a ouvert le tiroir caisse et volé 2 000 lires. Le lendemain j’ai reconnu la voiture de l’inconnu. C’était une Giulietta. Et l’inconnu, c’était lui. P.P.P.—
Sensationnel comme scénario.
JUGE.—
Pas de commentaires. Vous reconnaissez avoir pris de l’essence à cette pompe ce jour-là ? P.P.P.—
Oui. J’ai pris de l’essence un point c’est tout.
JUGE.—
Pourquoi avez-vous posé tant de questions au pompiste ? P.P.P.—
Pourquoi abordez-vous une jolie femme dans la rue ? Mais de là à sortir son pistolet en or… JUGE.—
Il vous a fait des propositions malhonnêtes ?
SANCTIS.—
Non.
JUGE.—
Je vous remercie, Monsieur de Sanctis… (à P.P.P.) Rendez-vous compte de la gravité de votre situation : corruption de mineurs lors d’un précédent procès. P.P.P.—
Des mineurs de seize ans, tout est relatif.
JUGE.—
Vol à main armée contre la personne d’un pompiste.
P.P.P.—
Soyons sérieux. Dites que vous voulez me faire des ennuis parce que j’ai écrit un livre dérangeant. Et je comprendrai. Quelle personne sensée ferait crédit à cette histoire de chapeau noir, de gants noirs, de pistolet noir avec une balle en or ? Tout cela ressemble au délire d’un lecteur de bandes dessinées. JUGE.—
On peut tout supposer quand il s’agit d’une personnalité trouble comme la vôtre. Je serais assez partisan d’une expertise psychiatrique. P.P.P.—
Et allons donc ! Tout ce que vous voudrez : expertise, psychanalyse, sérum de vérité, pourquoi pas quelques électrochocs pour me passer le goût d’écrire ? JUGE.—
La liste de vos méfaits n’est pas close. Non content d’écrire, vous sévissez également au cinéma. Vos films valent bien vos écrits. Ce qui n’est pas peu dire. Une plainte a été déposée contre vous par le député Pagliucca à propos de votre film intitulé « Accatone ». P.P.P.—
Conspiration, on cherche à me détruire.
JUGE.—
Faites entrer Monsieur Pagliucca.
Jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites je le jure. Monsieur le Député, vous avez déposé une plainte contre Pasolini pour usage abusif de votre patronyme et diffamation ; veuillez vous en expliquer devant la cour. PAGLIUCCA.—
J’ai combattu en 14-18, je suis député démocrate-chrétien honorable père de famille. Veuf avec onze enfants. Quant à Pasolini, je ne jetterai pas de lumière sur sa vie intime par générosité. Chacun sait que les personnages créés par Pasolini appartiennent tous à une sous-espèce biologique dominée par ses plus bas instincts. Donner mon
nom dans un film pareil à un maquereau qui se moque du Christ, c’est démolir toute ma carrière. A cause de ce film qui a été projeté dans ma circonscription électorale, j’ai été obligé de diffuser un grand nombre de tracts et de recruter de nombreux activistes. Ils avaient la consigne d’aller dans les fermes et les villages expliquer aux électeurs que le film « Accatone » ne relatait pas un fait réel mais était inventé pour me diffamer. Cette propagande intense m’a contraint à dépenser des sommes considérables. Malgré cela, mes électeurs pensant peut-être que j’avais réellement exploité une prostituée m’ont abandonné comme indigne du mandat parlementaire. A la suite des contrariétés subies, j’ai contracté une psychasthénie et le diabète. J’ai des certificats médicaux. Malgré les soins des plus renommés spécialistes je n’en suis pas encore remis. P.P.P.—
Il y a vingt-et-un Salvatore Pagliucca dans l’annuaire téléphonique de Milan et vingt-cinq dans celui de Rome. Ça fait combien de Salvatore Pagliucca dans toute l’Italie ? C’est comme si un Français se plaignait qu’un personnage s’appelle Dubois ou Dupont dans un film. PAGLIUCCA.—
Au nom de la jeunesse nationale je te dis que tu
me dégoûtes. Il se précipite sur P.P.P. et le gifle. JUGE.—
Monsieur le Député un peu de retenue je vous prie.
PAGLIUCCA.—
Monsieur le Juge je viens d’applaudir le film sur la face de son réalisateur ! P.P.P.—
Je te tends l’autre joue. J’ai l’habitude de ne pas répondre aux agressions fascistes. On a agressé à la sortie de chez moi une amie. On m’a jeté un pot de peinture blanche sur la tête pendant une conférence. Une voiture m’a foncé dessus en pleine rue, blessant deux de mes compagnons. Elle était conduite par le fils d’un député d’extrême droite. Je m’attends à d’autres agressions encore. Je suis le bouc émissaire d’une société tarée. JUGE.—
Allons donc. Pas de paranoïa. Le film « Accatone » sera interdit aux moins de dix-huit ans conformément à la loi Rocco.
P.P.P.—
La loi Rocco est une loi fasciste tombée en désuétude.
JUGE.—
En désuétude ne signifie pas abolie.
Quatre mois de prison ferme pour diffamation contre le député Pagliucca. Pour l’affaire de Sanctis, nous attendrons l’expertise psychiatrique. L’audience est levée.
SCENE 6 Rome. Un jardin devant la gare Termini. Pelosi, un petit loubard de Rome, interpelle des prostituées. P.P.P.
attend.
PELOSI.—
Ben quoi ! J’ai des anneaux dans les trous d’nez, p’t’êt ! je vous dis merde. Salopes ! J’voulais les tringler, elles ont pas voulu les vaches. Vous verrez ça demain soir, quand j’aurai du pèze, ça cuira pour votre peau, salopes ! P.P.P.—
Tu leur feras quoi ?
PELOSI.—
C’que j’leur ferai ? Elles en prendront pour leur cul… J’me sens drôlement allumé. J’en sauterais bien une, de gonzesses de la via Veneto, si j’avais du fric. Dis, machinchouette, tu m’achèterais pas ce stylo ? P.P.P.—
Tu l’as fauché à qui ?
PELOSI.— P.P.P.—
A un gosse sur le circulaire.
Va savoir à qui il l’avait piqué lui.
PELOSI.—
J’te l’laisse pour 10 000 lires. Une affaire. Quelle heure ça peut bien être ? P.P.P.—
Vers les minuit. J’ai pas besoin de stylo.
PELOSI.—
Ça se fait tard. pas une heure pour les ploucs. J’ai des copains, y puent l’usine, y rentrent dans la carrée, y bouffent, y se pieutent et le lendemain on remet ça. Dans les trente-sixièmes dessous les gars ! Dis donc machinchouette tu t’appelles comment ?
P.P.P.—
Pier Paolo Pasolini.
PELOSI.—
Moi, c’est Giuseppe Pelosi, Pino. Mais on m’appelle la Rana : la grenouille. Va savoir pourquoi… Peut-être pac’que j’aime bien faire des galipettes à poil dans l’Anienne. P.P.P.—
Tu te baignes où ?
PELOSI.—
Là où l’égout du polyclinico se jette dans l’Anienne. Tu sais où y a l’usine d’eau de javel. Un endroit super… Bon. J’crois que j’vais m’pieuter. J’roupille debout. On va pas rester là jusqu’à trois plombes. P.P.P.—
Tu fumes ?… Garde le paquet.
PELOSI.—
T’es un frangin, toi. Tu veux pas m’croire. Mais c’que j’te dis là, ça vient du fond du cœur. Tu peux parler de moi à Pietralat y’a personne qui m’connaît pas. Pac’que j’suis le gars le plus respecté de tout l’endroit. Pac’que quand j’peux dépanner un copain, j’y manque jamais. Mais si d’autres fois c’est moi qui ai besoin qu’on m’dépanne, une supposition, j’trouve toujours un gars, c’est régul, hein ? P.P.P.—
Tu vas à Pietralata à pieds ? Y’a plus de tram à cette heure-ci. Si tu veux que je te ramène avec ma bagnole, elle est là. PELOSI.—
Une Giulietta. T’es pas fauché toi, dis. Zyeute-moi ça. Super c’te chiotte. P.P.P.—
En route !
PELOSI.—
T’es un mec bien, toi. C’est pas toi qui aurait trinqué deux berges à Rebibbia… P.P.P.—
T’as fait de la taule ?
PELOSI.—
Deux berges, ouais, pour une connerie. Qu’ils aillent se faire enculer les vaches ! Comme passage à tabac, qu’est-ce que j’ai dégusté. Un de ces passages à tabac, j’te dis que ça… Tiens, r’garde mon dos, j’ai encore des marques… Et sur le ventre, là. Y z’y allaient avec leurs cravaches. Parfaitement avec leurs cravaches. (il défait son pantalon) Tiens, zyeute là ! P.P.P.—
Tu charries, on ne voit rien du tout.
PELOSI.—
Quoi ? Zyeute mieux que ça. Dis donc machinchouette, en route, hein ! Tu voudrais pas charrier des fois, hein ? Tu triques ou quoi ? Tu s’rais pas un peu tapette sur les bords, toi ? P.P.P.—
…
PELOSI.—
D’puis l’temps que tu me colles des coups d’œil comme des timbres poste, tu s’rais pas un peu allumé ? J’connais des pédés, des fils de putain qui font l’tapin près de l’église Trinità dei Monti. Y sont coiffés à la Lollobrigida. Y en a un y s’fait appeler la Femme du Peuple et un autre, l’Impératrice ! P.P.P.—
Qu’est-ce que tu fais avec eux ?
PELOSI.—
Que dalle, qu’est-ce que tu crois ! J’suis pas une tantouze. Enculé de leur mère ! J’ai jamais calecé un pédé, moi ! P.P.P.—
Même pour du fric ?
PELOSI.—
Le pèze, ça j’dis pas. Le pèze, faut pas cracher d’ssus quand ça se présente. Mais j’suis pas une tante… P.P.P.—
Embrasse-moi…
PELOSI.—
Dis-donc tête de lard. pas question de me rouler des pelles. J’suis pas une gonzesse moi. Le pèze d’abord ou j’me trisse. Hé bé, c’est pas fini, non ? Un peu plus j’te fous une tête. Bon juste comme ça la bouche fermée… Fais gaffe, hein, touche pas mon cul… J’veux bien tirer ma crampe mais tu touches pas mon cul.
SCENE 7 Juin 1962. Rome. Le tribunal. Juge. P.P.P. Un psychiatre.
JUGE.—
La parole est au professeur Semerari, membre de l’Université de Rome, expert psychiatre auprès des tribunaux. P.P.P.— PSY.—
Vous parlez, Monsieur, d’infantilisme…
Parfaitement…
P.P.P.—
Certes, je ne suis qu’un modeste romancier et cinéaste, je ne suis pas une sommité de la… JUGE.—
Venez-en au fait, je vous prie.
P.P.P.—
Ça va venir si je ne change pas de main.
PSY.—
Voilà tout à fait, Monsieur le Président, le style de provocation du prévenu ; c’est de la monomanie exhibitionniste. P.P.P.—
Ah ! Je ne vous ai pourtant encore rien montré. Vous ne risquez rien d’ailleurs, vous n’êtes pas assez beau. PSY.—
Monsieur, si vous continuez à m’insulter…
P.P.P.—
Je n’insulte personne. Il est évident pour tout le monde que vous ne sortez pas d’un tableau de Léonard de Vinci. Même si vous louchez un peu comme la Joconde ! PSY.—
Toujours ce langage provocateur. Toujours cet affrontement au père. Toujours ce meurtre recommencé, qui fait de vous un petit Œdipe.
P.P.P.—
Vous êtes une mitraillette à projeter des mots vides de
sens. PSY.—
Des mots vides de sens ? Vous préférez que je dise inverti ou skeptophile plutôt qu’homosexuel ? Vous avez un besoin permanent de provocation, vous venez de le prouver encore : paranoïa. Est-ce vide de sens ? Vous avez acheté une voiture chère : provocation et recherche d’une sécurisation. Vos lunettes noires sur le nez : exhibition. Mot vide de sens ? Votre attachement malsain pour votre mère à votre âge est une fixation. Mot vide de sens ? … Votre éloignement des femmes est une phobie. L’attachement pour votre chien est vicariant. Votre sexualité en régression, votre stade anal, votre intérêt pour les jeunes : du narcissisme et de la pédophilie. Votre goût des banlieues : un blocage. Mots vides de sens ? Vos éternels blue-jeans : de l’agressivité. Vos démagogiques baskets : du fétichisme. Votre amour invétéré du football : de l’hypersténie. Votre préférence pour les légumes cuits à l’eau : de l’autopunition. Mots vides de sens ? Allons donc ! Votre cas est clair : asocial, anormal, malade. JUGE.—
Veuillez professeur.
résumer
clairement
votre
diagnostic,
PSY.—
Pasolini est un psychopathe de l’instinct. Un sujet aux instincts profondément tarés. Notre analyse a mis en évidence une grave anomalie du noyau instinctif de la personnalité. C’est un anormal sexuel. Le soupçon est fondé que sa capacité d’entendement et de volonté est gravement amoindrie. P.P.P.—
Bravo. Demandez donc qu’on enferme avec moi tous ceux qui ont aimé mes livres et mes films ; le jury du prix Colombi où siègent les écrivains les plus réputés d’Italie. PSY.—
Vous êtes si profondément anormal que vous acceptez votre anormalité en toute conscience au point de vous montrer incapable de la considérer comme telle. P.P.P.—
N’oubliez pas non plus d’enfermer tous les porteurs de blue-jeans. Tous les célibataires. Tous les propriétaires de chiens. Tous les joueurs de football. Et s’il reste un seul homme normal dans toute l’Italie, ce sera vous peut-être.
JUGE.—
L’expertise lucide et impartiale du professeur Semerari est versée à votre dossier. Altération congénitale de la personnalité. Vous êtes socialement dangereux… Pour l’affaire de Sanctis, vous êtes condamné à quinze jours d’emprisonnement plus cinq jours pour port abusif de pistolet. Dix mille lires de contravention pour absence de déclaration du pistolet… L’audience est levée.
SCENE 8 Rome. L’appartement de P.P.P. P.P.P.
Davoli endormi.
P.P.P.—
Je n’arrive pas à pactiser avec le monde. Je suis un homme contre… Parfois seul dans ma voiture qui file sur les autoroutes je regarde le canal de Fiumiccino. Les pêcheurs couverts de laine. Un accident avec une maigre foule autour. Et les mille moucherons que la mort envoie sur mon pare-brise me font penser que bientôt va mourir cette idée de l’homme qu’on peut voir encore dans les petits matins de l’Italie ou de l’Inde. Tout entier à son travail. Avec un petit bœuf ou un cheval qui l’aime bien. Dans un petit enclos. Dans un petit champ perdu dans l’infini d’un rivage ou d’une vallée. Petit homme qui laboure et qui sème et qui cueille dans le verger les fruits rouges et jaunes de la saison. Cet homme qui refait dans l’infinie prison du blé, sous le soleil impur ou divinement vierge toujours les mêmes gestes et qui, refaisant ces gestes, recrée ainsi son propre père sur la terre… Je pleure sur cette image qu’en avance sur les siècles je vois s’effacer petit à petit du monde… Tu dors ? Moi je ne peux pas dormir… Des failles s’ouvrent dans ma tête, hémorragies d’images. Des blocs visuels juxtaposés. Visages, corps, rues, places, baraques, fragments de bâtiments, parois noircies des gratte-ciels. La boue, les haies, les champs de banlieue jonchés de briques et d’ordures. La lumière enivrante. Tout prend un aspect absolu et paradisiaque. Bon giorno angelo mio… Je veux mourir avant toi.
SCENE 9 1968. Un plateau de cinéma à Cincecittà. Rome. Le tournage du film Théorème. P.P.P.
Davoli assiste au tournage.
Le Requiem de Mozart accompagne toute cette séquence.
P.P.P.—
Non. Pas d’interview. Pour quoi faire. De la fable. Prétexte. Construction. Remplissage culturel. Parler pour parler. Opérateurs, machinistes, techniciens du son, mes amis, allonsy. Je veux des visages propres des cheveux tondus de garçons barbares et sportifs qui font les cent pas devant la prostituée. De ces nuques lumineuses qui me font des élancements de désir au ventre. Il commence le tournage. MOTEUR.
Gros plan sur le père quittant son usine entourée de peupliers flambant neufs. Vite, vite, pas la peine de s’apesantir. Terence, tu arrives avec ta petite valise et une présence scandaleuse malgré ton air si comme il faut. Incongru comme un vivant… Plongée… Che bello ! … On change d’objectif. Prenez le 75. On continue. La lumière est parfaite. Le fils à présent. Ragazzo pardon. Je montre tes boutons. Une puberté besogneuse de gosse de riche… Parfait… Viens là petit… Ton corps n’a pas touché de corps. Tremble. Eperdu de honte devant ta nudité… Découvre doucement le corps nu de l’étranger dans son sommeil viril et chaud… Pleure sur ce qui
t’empêche d’accepter le désir qui t’inonde… C’est violent et doux comme si tu allais mourir. Bene… Je me fous éperdument des règles du cinéma. A 40 ans j’ai fait mon premier film sans savoir ce qu’était un panoramique ni même qu’il existait des objectifs différents… Tiens. Prends l’objectif à courte focale… On déforme l’image ; On se fait un rêve. Rosano. Le petit matin… Entre la brosse à dents et l’usine un geste en trop va tuer ta vie. Tu ouvres la porte de cette chambre. Tu ne sais pas pourquoi. Ton fils dort la tête abandonnée sur la poitrine nue de l’étranger… Trouble… Trouble… Ton corps a des souvenirs… Ta main n’obéit plus… C’est malgré toi. Elle caresse le bras la poitrine elle ouvre la couverture. Le ventre, le sexe. Ose. Cet étranger si beau et qui pourrait être ton fils… Ta vie devient mirage. Eperdu dans cette chambre tu découvres le désert. La question dans ton œil : est-il venu pour tout détruire ? … N’arrêtons pas. Séquence sur séquence. Une moisson. Le fils pisse de désespoir sur ses toiles gâchées… Le père se met nu dans une gare et part pour le désert. Non. Pas comme cela Rosano. Le désert, c’est dedans. Oui… La bonne, mettez-la sur le toit. Elle vole suspendue dans le ciel. Elle fait jaillir une source miraculeuse. Ah. Mamma. Toi seule la paysanne a su saisir la grâce et la muter en miracle. Pasolini devenu mystique membre d’une secte. Pasolini devenu fou se prend pour le prochain pape. Oui. Je crois aux miracles. Le miracle c’est l’explication naïve du mystère qui habite l’homme, du pouvoir qui se dissimule en lui.
SCENE 10 Octobre 1968. Rome. Le tribunal. Juge. Le procureur. P.P.P.
JUGE.—
Le séquestre de votre dernier film, « Théorème », vient d’être ordonné pour obscénité. La parole est à Monsieur le Procureur de Rome. PROCUREUR.—
Je vais souvent au cinéma, notamment quand il s’agit de films scabreux, pour me rendre compte de leur contenu. Dernièrement j’ai porté plainte contre « Chaudes proies ». « Théorème » a suscité en moi un profond sentiment de mortification. Vous rapprochez sans cesse et artificiellement les concepts les plus sacrés avec les actes les plus déconcertants les plus scabreux les plus obscènes, les plus repoussants. Rien de métaphysique ni de spirituel. Une obsession du sexe. La séduction de la domestique. La profanation de l’image de la mère. La dénudation de l’homme. L’étreinte. Le déboutonnage du pantalon. Les deux garçons et le vieillard. Les organes masculins complaisamment exposés. On les voit. Le Requiem de Mozart qui accompagne les scènes sexuelles. Les versets de la Bible coupés par des halètements de bêtes en rut ! On n’a jamais projeté en Italie un film plus pervertisseur, plus crasseux, une pourriture de la première à la dernière séquence. P.P.P.—
J’ai eu ce matin un télégramme. « Théorème » vient d’obtenir le Prix de l’Office Catholique du Cinéma.
PROCUREUR.—
C’est une plaisanterie ! Cette exposition permanente de ventres masculins ! Cet étal d’organes génitaux ! … Le Prix… Je ne vous crois pas ! … P.P.P.—
Tenez ! …
PROCUREUR.—
A Ancône on jette des fruits pourris sur l’écran… A Pérouse la séance est interrompue par le scandale… A Trévise l’Evêque, vous entendez, l’Evêque monte en chaire pour fustiger votre immoralité. A Milan une jeune maman a quitté la salle hébétée elle est restée plusieurs jours en état de choc. A Rome une sœur missionnaire du Sacré-Cœur a vomi en sortant du cinéma ! « Coït anal entre hommes. Accouplements sodomites entre conjoints » a-t-elle déclaré. En Sicile, un prêtre a été appelé pour bénir l’écran souillé par vos insanités. parlez. Vous êtes ici pour vous expliquer ! … P.P.P.—
Je vis mon heure de gaieté.
PROCUREUR.—
Incitation à la délinquance. Incitation à la haine entre les classes sociales. Outrage à la religion. Apologie de la perversité et du crime, et ça vous fait rire ! … P.P.P.—
Oui. Que des gens sérieux, entre deux messes, vous dictent votre propre vérité au téléphone, me fait mourir de rire ! … PROCUREUR.—
Ne cherchez pas à détourner le débat. J’ai parlé parce que je représente la plupart de ceux qui subissent vos films. Je pense à mes fils qui le verront peut-être et j’ai honte… Mais il ne s’agit nullement de moi. C’est vous qui êtes aujourd’hui devant le tribunal. P.P.P.—
En êtes-vous sûr ? Accusations, procès, procès, procès. Je refuse. Je refuse. Tout échange d’arguments est dégradant. PROCUREUR.— P.P.P.—
Vous êtes ici pour parler de votre film.
Celui que j’ai fait ou celui que vous avez vu ? Vous ressemblez au père de « Théorème », ce père immobile entre les rails morts d’une gare déserte… Oui. Tout est pulsion, tout est désir, tout est mort. Tout est amour, tout traverse mon corps et passe par mon sexe. Oui mon film est indécent obscène
pornographique, absolument pas artistique, offensant pour les personnes honnêtes et les gens sérieux, gravement dommageable à la jeunesse déjà trop corrompue. Vous n’aimerez aucun de mes films. Vous n’y trouverez pas la vérité toute faite des postes de police ; Je cherche. Au-delà de ce qu’on voit j’imagine ce qu’on ignore et ce qu’on tait. Avec l’instinct de mon métier d’écrivain je rassemble des morceaux d’intuition et je rétablis la logique au sein de votre arbitraire et de votre folie. Vous les hommes de pouvoir qui prétendez lutter pour une cause morale en censurant mes films, vous massacrez depuis trente ans. Massacres de Piazza Fontana pour accuser les extrémistes de gauche ; massacres de Bologne pour accuser les fascistes. Vous vous refaites ainsi à bon compte une virginité anti-fasciste, vous en avez besoin après le référendum pour continuer à gérer le pouvoir comme si de rien n’était. PROCUREUR.—
Cette fois vous en avez trop dit. Mettez les catholiques dans votre poche, mettez-y les gauchistes, les communistes, un jour ou l’autre le mélange deviendra explosif et vous réduira à l’état larvaire dont vous n’auriez jamais dû sortir. D’une façon ou d’une autre nous trouverons un bâillon à votre mesure. P.P.P.—
Normal. Les hommes sans défauts, comme vous, sont des hommes sans qualités. Quel que soit votre camp et celui de vos semblables je suis toujours de l’autre côté. PROCUREUR.— P.P.P.— JUGE.—
Un bâillon à votre mesure.
Crevez-moi les yeux, je deviendrai voyant.
Le film « Théorème » primé par l’Office Catholique du Cinéma sera librement diffusé. Que les catholiques prennent garde toutefois à ne pas introduire dans la cité le cheval de Troie de Pasolini.
SCENE 11 1972. Rome. L’appartement de P.P.P. P.P.P.
Davoli.
DAVOLI.—
Je ne peux plus, Paolo. Les pots de peinture sur la tête, les heures entières à t’attendre au tribunal, les bagnoles qui nous foncent dessus, les fachos avec leurs chaînes, j’en ai marre. P.P.P.—
Poveretto !
DAVOLI.—
Et tu ne connais pas la dernière : ils viennent de saisir « Canterbury ». P.P.P.—
Normal. Roman procès, article procès, film procès, c’est une tradition. Trente-trois procès en vingt ans, un tunnel. Je voudrais leur dire prêtres profs patrons, vous avez eu tort de me livrer à la justice. Je ne comprends pas vos lois, je suis une brute. DAVOLI.—
Ne commence pas ton cirque. Ça ne sert à rien. On dirait que ça te fait plaisir d’être interdit. P.P.P.—
Ils finissent toujours par autoriser mes films. Et ce n’est pas mieux. Pire que la censure, il y a la tolérance. Ils cherchent la pornographie. Ils ne voient jamais l’amour, jamais la beauté de ces visages de marins, de manœuvres, de moines, la beauté de ton visage qui plisse des yeux de ce rire coquin pour abolir toute règle de vie. Ils ne comprennent pas les miracles. Je place l’homme au centre de toute perspective comme les peintres du Trecento, Giotto, Masaccio, Pontormo.
DAVOLI.—
Pas besoin de savoir tout ça pour aimer tes films. Je connais rien, moi et j’aime tes films. Si on te censure ça te plaît pas, si on t’autorise ça te plaît pas, tu te crois supérieur à tout le monde. P.P.P.—
Je ne méprise personne. C’est contre ma nature qui est de toujours pressentir en chacun sa profonde part de mystère. Mais depuis vingt ans les culs bénits, les souffleurs de haine, les requins de la presse à sensation me traitent de pornographe, d’apôtre de la fange, de remueur d’excréments. En réalité qu’est-ce que j’ai été ? Un nomade contraint de quitter son village et son Parti. Un chômeur nourri par sa mère qui faisait des ménages. A présent je sais qu’un poète peut écrire de très belles poésies simplement parce qu’il n’a pas un sou en poche pour dîner, ou pire pour s’acheter une Alfa Roméo. DAVOLI.—
De quoi tu te plains ? Tu regardes tout avec tes putains de lunettes noires. Je suis là, moi, j’existe. Je te regarde. Je t’aime. Et pourquoi pas ? J’aime aussi ta voiture ton appartement ta terrasse fleurie tout ce luxe cette lumière… P.P.P.—
Tais-toi. Tu es en train de déclarer toi-même que la vie n’a de valeur qu’à travers les biens matériels. Et certes l’essentiel pour le petit couple de la télé n’est pas d’aller à la messe tous les dimanches mais bien d’y aller en Fiat 600. Il y a un rebut d’humanité dans tout ça. C’est l’avènement du temps de la bête, nous préparons l’apocalypse du capital. DAVOLI.—
Oui mais la vie ? Le soleil, les arbres, ce qui est bon à manger, à mordre, la vie quoi. Tu vas me trouver bête de dire des choses comme ça : je t’aime quand tu ris. Quand tu mords en faisant l’amour. Je n’aime pas cette tristesse qui te défigure. P.P.P.—
Cette tristesse elle est en moi depuis la mort de mon frère Guido. Je ne t’ai jamais parlé de lui. Parti pour le maquis par un matin muet de mars dans un train clandestin son revolver caché dans un livre de prières. Il n’est jamais revenu. Des traîtres infiltrés parmi ses camarades ont jeté le masque, massacré, arraché les yeux peut-être. Tous ces jeunes gens de seize et dix-sept ans. Depuis, la mort ne m’est plus inconcevable. Mon frère Guido y séjourne. Durant quinze ans nous avons dormi dans la même chambre et mangé à la même table.
DAVOLI.—
Tu me caches encore beaucoup de secrets comme celui-là Paolo ? P.P.P.—
Non. C’était mon dernier, je te le donne. Je me sens triste à mourir. Je suis le dissident de tout le monde, un hérétique, un indésirable absolu, le minoritaire de toutes les minorités. Cette Italietta, ce pays de gendarmes me tourmente me poursuit et me lynche depuis plus de vingt ans. Les chasseurs m’ont touché une première fois avec cette affaire de Ramuscello. Ils ne veulent plus me lâcher. Plus perdre ma trace. Ma vie privée ou le peu qu’il en reste est vendue sur les places publiques par tous les Judas d’Italie. Je me vois tout à coup comme je suis : un quinquagénaire privilégié qui se paye des garçons. Une vieille tapette comme ces folles surchargées de bijoux qui vont à l’Opéra pour se pâmer au son de la voix de la Callas. Elle et moi on nous a transformés en monstres. Je suis une branche morte. Je dois continuer, éternellement contre, à prétendre, à vouloir, à m’identifier avec le différent. Oui, j’ai une autre vie, oui, je suis différent, et cette différence n’est pas une maladie, mais une force de connaissance. Pourquoi me regardes-tu comme ça, Ninetto ? DAVOLI.—
Tu remues la pâte comme un fou, mais tu la remues trop. Elle ne pourra jamais lever cette pâte, elle ne fera jamais du pain. P.P.P.—
Encore une fois, tu as raison. Je n’ai jamais fait un film digne de ce nom. Trop d’inquiétude enlève de la force. Tu seras mon levain, boulanger. Tu vois, j’ai même un peu d’humour. Il m’est venu insidieusement comme une forme de sagesse. Au début, je ne pouvais pas rire de ces choses. Elles faisaient trop mal, et à présent que j’en ris, je me dis que je vieillis et je me détache. DAVOLI.—
Tu as souvent un désir de fils. Tu me dis que je suis un peu ton fils. P.P.P.—
Oui.
DAVOLI.—
Peut-être il te manque cette tendresse-là, un ange suffit pour qu’on imagine le paradis. P.P.P.—
Le paradis n’existe pas, Ninetto, le paradis n’est qu’un projet, que Dieu n’a jamais su mener à terme faute
d’imagination. Il n’y a qu’une réalité, c’est la solitude. DAVOLI.—
On ne peut pas respirer sur tes sommets. Tout le monde n’a pas ta force ou ton amertume ou ton je ne sais pas quoi. Mon rêve n’est pas de vivre comme toi. P.P.P.—
Finis tes phrases…
DAVOLI.—
Je vais me marier. Je ne te quitte pas, Pier Paolo, je t’aime aussi. Je ne peux pas attendre plus, elle est enceinte de quatre mois. P.P.P.—
Je serai parrain, je serai tonton. Vous m’inviterez le samedi soir dans votre appartement qu’elle aura si bien arrangé et on regardera la télé une couverture à carreaux sur les genoux… DAVOLI.—
Tu ne comprends pas…
P.P.P.—
Je comprends très bien. Tu as envie de cette fille de pâtissier. Le couple est une obligation à laquelle nul n’échappe impunément. DAVOLI.— P.P.P.—
Tu quoque mi fili…
DAVOLI.— P.P.P.—
Quoi ?
Rien c’est du latin.
DAVOLI.— P.P.P.—
Paolo, je peux vous aimer tous les deux.
Tu ne m’écoutes plus.
Va-t’en.
Ninetto sort. P.P.P.—
Un film ! Intolérable comme ma souffrance. Intolérable comme une montagne de cadavres dans un champ nazi. Intolérable comme ce flot de cadavres ininterrompu de l’histoire humaine. Un film qu’on ne pourra pas regarder jusqu’au bout. Je les contraindrai à sortir, à avouer qu’ils ne peuvent supporter la vision de leur propre mort, de leur propre iniquité. Il n’y aura que des momies, des cadavres et des corps inanimés, des étrons sanguinolents dans des assiettes de porcelaine et l’œil froidement arraché qui pend encore sanguinolent au bout du nerf optique. Le sang jaillissant du cuir chevelu qu’on arrache doucement. Le sexe sera présent
pour signifier la commercialisation, l’aliénation des corps. Plus de magie, plus de destin, plus de mythes, plus aucun rituel de séduction. Simplement la progression glacée d’une machine de mort. Un stock de corps inanimés pour l’extraction de la jouissance des maîtres. Une logique implacable d’extermination, un cartel de monopoles, monopole du langage, monopole de la jouissance, monopole de la répression et de la souffrance. Je veux des hommes enfermés dans leur nudité, dans une puanteur d’abattoirs… Maman, tu deviendras une femme de pierre, statue de sel rendue folle, ne sachant même pas qu’ils m’ont tué. Tout pue la merde, tout pue la mort. Maman, je ne veux pas mourir.
SCENE 12 1er novembre 1975. Rome. Un jardin devant la gare Termini. Pelosi. P.P.P.
PELOSI.— P.P.P.—
Non.
PELOSI.— P.P.P.—
On va pieuter chez toi ? A l’hôtel ?
Non.
PELOSI.—
Oh mec, ça caille, c’est plus le printemps. Tu déconnes ou quoi ? J’m’envoie pas en l’air dans la nature, on se les gèle. T’as bien une piaule ? P.P.P.—
Dans les salons on peut pas faire l’amour et dans un lit non plus. PELOSI.— P.P.P.—
Ben merde ! Et où alors ?
Il faut un pré de banlieue, un bout de désert, une plage, la steppe. J’aime tes cheveux courts, ton visage de jeune fils imberbe, de garçon barbare et sportif… Je t’emmène à la plage, à Ostie…
SCENE 13 Nuit du 1er au 2 novembre 1975. L’Idroscalo. Un terrain vague près de Rome.
PELOSI.—
La mer ! Putain mec tu charries, c’est plus l’été, c’est même novembre, demain, jour des morts. P.P.P.—
Parle de toi…
PELOSI.— P.P.P.—
Où tu habites ?
PELOSI.— P.P.P.—
Des fois oui.
Et sinon ?
PELOSI.— P.P.P.—
Rien à dire.
Chômeur ?
PELOSI.— P.P.P.—
Via Tiburtina. Tram 209 à partir de la gare.
Ton boulot ?
PELOSI.— P.P.P.—
Rien à dire.
Bof. Menuisier, garagiste, prison.
C’est comment la taule ?
PELOSI.—
Bof ! … Cellule, réfectoire, atelier, réfectoire, cellule. J’t’ai reconnu, tu sais, t’es l’type qui fait du cinoche. Ça me plaît le cinoche. P.P.P.—
Tu piques des bagnoles ?
PELOSI.—
Pour qui tu me prends, j’suis pas dingue.
P.P.P.—
Dommage. Je t’aurais bien donné un rôle dans mon prochain film mais je cherche pour mes personnages des gens qui sont ce qu’ils sont dans la vie, et j’avais besoin d’un voleur de bagnoles. PELOSI.—
Ah ! Remarque, j’dis pas que ça m’est pas arrivé une fois ou deux. P.P.P.—
Des gens nous suivent.
PELOSI.— P.P.P.—
Des amoureux qui vont baiser à la mer.
Non. Ils nous suivent.
PELOSI.—
T’inquiètes. T’as les jetons ou quoi ?
P.P.P.—
Il y a longtemps que je n’ai plus peur. Certaines nuits ce serait une folie de faire autre chose que l’amour. P.P.P.
puis Pelosi se déshabillent.
La mer est tout ébouriffée comme tes cheveux. Ce fracas dans mes oreilles. Je te veux nu. Brutal comme un violeur de bêtes. Ta mine de paysans. Tes membres trapus d’athlète. Tes hanches basses. Ton sexe est une arme de mort. Il sculpte la vie et lui donne sa forme. Tu es mon Christ de dix-sept ans. Mon issue de secours. La mort ouvre les portes. Les ombres, là-bas, ce sont déjà les juges. P.P.P.
tombe mort.
La lumière baisse pendant ce temps… LA VOIX DU JUGE.—
Pasolini gisait de tout son long, à plat ventre, un bras sanglant écarté et l’autre caché sous le corps. Cheveux poissés de sang, front égratigné et entaillé. Visage déformé par l’enflure, noir d’hématomes. Bras, mains, également noirs d’hématomes et rouges de sang. Doigts de la main gauche fracturés et coupés. Mâchoire gauche fracturée. Nez aplati et dévié vers la droite. Oreilles à demi coupées, celle de gauche pendante arrachée. Blessures aux épaules au thorax, aux reins, avec les marques des pneumatiques de sa voiture sous laquelle il a été écrasé. Horrible lacération entre cou et nuque. Dix côtes fracturées, sternum fracturé, foie déchiré en deux endroits. Cœur éclaté.
FIN
La Vergnasse – Paris, 1983