VIE DE MARIE L'EGYPTIENNE
 9782503526447, 2503526446

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vie de sainte marie l’égyptienne

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miroir du moyen âge

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miroir du moyen âge

Vie de sainte Marie l’Égyptienne

par Hildebert

de

Lavardin

Introduction, traduction, commentaire et index par Charles Munier

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© 2007, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2007/0095/155 ISBN 978-2-503-52644-7 Printed in the E.U. on acid-free paper

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INTRODUCTION Hildebert de Lavardin, évêque du Mans (1096-1125), puis archevêque de Tours (1125-1133), l’auteur de la Vita beate Marie Egyptiace, dont nous donnons ici la première traduction française, fut l’une des figures littéraires les plus importantes du Moyen Age : pendant plusieurs générations ses vers furent lus avec plaisir dans toute l’Europe occidentale ; ses lettres servirent de modèles dans les écoles cathédrales et monastiques, pour leur élégance et leur noble distinction, et ses traités de philosophie morale et de droit canonique devinrent des manuels universellement appréciés.. Il convient assurément, en préambule à cet ouvrage, de présenter à grands traits sa vie et son œuvre. I. La vie et l’œuvre pastorale d’Hildebert de Lavardin Hildebert est né vers 1056 à Lavardin, près de Montoire-surLoir en Vendômois (dans l’actuel département du Loir-et-Cher). Son père, qui était « ministérial » du seigneur Salomon de Lavardin, l’envoya à l’école cathédrale du Mans, devenue célèbre au XIe siècle. Hildebert y fit de brillantes études et fut choisi, en 1085, pour en être l’« écolâtre » (magister scholarum). En 1091, il devint archidiacre de l’évêché du Mans. Ses premières poésies – des éloges et des épitaphes - datent de cette époque et le font apparaître comme le poète officiel de l’église du Mans. Baudri, l’abbé de Bourgueil (1046-1133), composa d’emblée un dithyrambe versifié en l’honneur du nouveau prin

 A l’époque d’Hildebert, le terme désigne un homme libre au service direct de son seigneur.   Sur la renommée dont jouissait alors l’école du Mans, voir P. VON MOOS , 1965, p. 6 : de 1065 à 1136, trois des quatre évêques du Mans avaient été précédemment « écolâtres » de son école cathédrale.

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ce des lettres. Le talent littéraire d’Hildebert, son parfait entregent lui valurent, à la mort de l’évêque Hoël, en 1096, d’apparaître comme le meilleur candidat pour lui succéder, en dépit de ses réticences et malgré une forte opposition locale, qui faillit ébranler Yves de Chartres lui-même. En définitive, Hildebert fut choisi, avec le soutien du pape Urbain II (1088-1099). L’évêque du Mans

Le biographe d’Hildebert écrit que cette désignation suscita chez lui un profond changement : «  alors que, depuis sa jeunesse, il s’était adonné surtout aux études littéraires, il se consacra désormais principalement à la lecture des Saintes Écritures ; il commença à s’imposer de sévères mortifications et à expier par de larges aumônes ses éventuels péchés de jeunesse ». Le fait est qu’avant 1096, on ne lui connaît pas de poèmes sur des sujets religieux . Sa jeune dignité épiscopale l’engagea à élargir son répertoire : il cultiva désormais avec un égal bonheur les genres, 

  BAUDRI DE . B OURGUEIL ., carm. 87.  Le doyen du chapitre, Geoffroy et ses partisans contestèrent la validité de l’élection, en s’adressant, pour avis, au savant canoniste Yves de Chartres, et en faisant valoir que l’archidiacre Hildebert avait eu « une ribambelle de fils et de filles en s’accouplant avec une foule de mulierculae » ; voir J. DALARUN , 1992, p. 79 ; 1995, p. 39 ; du même, « Hildebert de Lavardin », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris P.U.F. 2002, p. 678 s.. Le fait est aussi que ledit Geoffroy, le candidat désigné par l’évêque Hoël sur son lit de mort, n’avait pas l’âge canonique (25 ans) ; or, c’était là un empêchement majeur ; voir P. VON MOOS , 1965, p. 6-7.   Yves, ne pouvant vérifier personnellement l’accusation, conclut à un impedimentum famae (un empêchement d’accès aux ordres par défaut d’une bonne réputation). Il en informa Hildebert dans une lettre ferme mais amicale, où il en appelait à sa conscience et lui demandait de renoncer à la dignité épiscopale au cas où l’accusation serait exacte; cf. ep. 277 : PL 162, 279 B. Sur les conditions d’accès aux ordres, du XIIe au XVe siècle, voir J. GAUDEMET, 1994, p. 476-481.   Le pape Urbain II connaissait l’évêque Hoël et son archidiacre Hildebert, pour avoir fait étape au Mans, du 15 au 18 février 1096 ; voir H. FOULON , 2004, p. 48 ; la nomination d’Hildebert au siège du Mans fut ratifiée à la Noël de 1096 ; voir H. FOULON , 2004, p. 49.    Gesta Hildeberti, : « Qui, quamvis a pueris sub litterarum studiis sedulus institisset, sumpto tamen episcopatu, sanctarum scripturarum lectionibus incumbebat… coepit corpus suum cibi et potus parsimonia, stratus duritia ac cilicii asperitate domare… et, si quae fuerant iuventutis delicta, elemosynarum largitione redimere. », cité par P. VON MOOS , 1965, p. 7.    F.J.E. R ABY, A History of Secular Latin Poetry in the Middle Ages, vol. I, Oxford, At the Clarendon Press 1934, p. 317-329, donne un bon aperçu de cet aspect de la production poétique de Hildebert, de l’Éloge funèbre en l’honneur de Bérenger, diverses épitaphes, 

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prosaïques mais non moins nobles, du sermon et de la lettre. Mais il lui fallait désormais faire face aussi à ses multiples responsabilités d’évêque, à une époque troublée et dans une région, le comté du Maine, dont les voisins immédiats, le comte d’Anjou et le roi d’Angleterre, comte de Normandie, se disputaient la possession. Dès 1098, Hildebert se trouva impliqué dans cet âpre conf lit. Le comte Hélie du Mans ayant été fait prisonnier par son seigneur normand, le roi Guillaume II le Roux, Foulque d’Anjou, occupa la ville du Mans sous prétexte qu’il lui incombait de la protéger ; de fait, l’évêque n’avait pas de garnison. Après une année d’escarmouches, Guillaume se vit reconnaître par l’Angevin la souveraineté sur la ville, à la suite de négociations auxquelles Hildebert prit une part active ; en contrepartie, le roi rendait la liberté à Hélie. Lorsque le roi fut retourné en Angleterre, le comte Hélie tenta de recouvrer son bon droit ; il s’en fallut de peu qu’il ne parvînt à expulser la garnison normande, avec l’aide de la population. Mais il dut se retirer sans être parvenu à ses fins, cependant que les Normands réduisaient en cendres la majeure partie de la ville. Le roi Guillaume fit aussitôt une expédition-éclair, tailla en pièces les troupes d’Hélie et fit sentir à la ville rebelle toute la force de sa puissance. Le prisonnier du roi Guillaume le Roux Hildebert eut beau se plaindre, dans une belle missive adressée au légat pontifical, de la situation faite à l’évêque du Mans ; plusieurs membres de son clergé, qui lui étaient hostiles, le dénoncèrent auprès du roi, comme complice du comte Hélie. Guillaume reprocha à l’évêque d’avoir, lors de l’assaut contre la garnison, laissé à ses adversaires la tour Nord de la cathédrale qui jouxtait le mur d’enceinte de la ville, et exigea de lui la destruction de cet élément stratégique. Hildebert s’y étant refusé, le roi lui imposa de le suivre à la cour d’Angleterre : le tenant à sa merci, il espérait bien vaincre sa résistance. Il lui offrit de l’or et de l’argent pour orner le tombeau de saint Julien au Mans, s’il acceptait de

épigrammes, pièces satiriques, jusqu’à l’élégie De perfida amica et aux poèmes qu’il composa à la gloire de la Rome antique et de la Rome chrétienne.

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détruire la tour en question. Hildebert déclina l’offre royale, alléguant qu’il ne saurait trouver en France des artistes capables d’exécuter pareille œuvre d’orfèvrerie et proposant au roi, grand connaisseur en la matière, de passer lui-même commande. Il obtint même, au bout de quelques mois d’un exil doré, mais néanmoins forcé, de pouvoir rentrer en France, pour délibérer avec son clergé au sujet de la destruction de la tour. En réalité, il cherchait à gagner du temps ; rentré au Mans, il adressa au roi une lettre très déférente, lui exposant qu’en dépit de tous ses efforts, il ne pouvait décider son chapitre à se résoudre à une décision aussi indigne. Fureur du roi, qui se promit de tirer vengeance du transfuge, mais qui ne put mettre sa menace à exécution. En fait, son exil avait permis à l’évêque du Mans d’entrer en relation avec les grands du royaume d’Angleterre, notamment avec le cercle littéraire qui s’était formé autour de Mathilde d’Écosse, la première épouse du futur roi Henri Ier. Point n’est besoin de dire que Hildebert se fit une joie de renouer alors avec ses chères compositions poétiques. On lui a fait grief d’avoir comparé son exil à celui d’Ovide, qui était sans espoir jamais de retour, alors que lui-même put rentrer en France après seulement quelques mois. Mais c’est oublier que l’ire royale10 ne se départit jamais à son encontre, que Hildebert obtint du roi versatile l’autorisation de rentrer dans son diocèse et ne dut son salut qu’au décès de Guillaume, survenu inopinément, le 2 août 1100, du fait d’un accident de chasse.



  Gesta Hildeberti : « Nos caremus in partibus nostris artificibus, qui tamen congrue convenerint operari ; ex hinc regiae congruit dispositioni tam diligens opera et impensa, in cuius regno et mirabiles artifices et mirabilem operantur caelaturam », cité par P. VON MOOS , 1965, p. 9. 10   Hildebert observe avec un réalisme sans illusion, d’une part, que la puissance politique se fonde sur l’hérédité, la violence ou les aléas de l’élection : epist., I, 3 : « …potentes qui iure parentum, vel vi, vel electionis beneficio ceteris principantur » (PL 171, 144 B) ; d’autre part, que le peuple est livré à son bon plaisir, dans la mesure où il ne peut la sanctionner efficacement : epist.,. II, 8 : « Plebs coacta in favorem, tyrannum suscepit ex necessitate, non ducem ex lege. In susceptum studia simulavit, non exhibuit. Fidem reperit in ea qui superior. » Face au tyran, il ne lui reste que la possibilité de le récuser en son for intérieur, et de lui mesurer sa soumission (PL 171, 215 B).

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Les voyages romains et l’œuvre de la Réforme Le roi Henri Ier Beauclerc (1100-1135), qui lui succéda, entretint avec Hildebert les meilleures relations, mais l’évêque du Mans, désillusionné par sa première expérience des honneurs ecclésiastiques, entreprit sans plus tarder le voyage de Rome : il voulait demander au Saint Père  la permission de renoncer à sa charge épiscopale et de devenir moine à Cluny. Sa prière ne fut pas agréée11 : Pascal II lui donna sa bénédiction apostolique et le confirma dans ses fonctions12. Par contre, en Italie méridionale, les seigneurs normands Roger Borsa, duc d’Apulie (1085-1101) et son oncle Roger, comte de Sicile, le reçurent avec honneur et lui firent de riches présents. Comme pour Joachim du Bellay, quatre siècles plus tard, ce premier séjour d’Hildebert en Italie (1100/01) lui inspira des poèmes d’une mélancolie poignante, à la vue des ruines de la Rome antique13. Dans un autre poème, Hildebert célèbre la Rome chrétienne des papes, plus riche en sa pauvreté et en ses ruines qu’aux jours de sa splendeur impériale, plus glorieuse sous l’étendard de la croix qu’au temps où les aigles l’habitaient, plus célèbre sous l’égide de Pierre qu’au temps des Césars14. Rentré au Mans, Hildebert se lance dans un vaste programme de constructions : il achève la cathédrale, commencée sous le

11   Hildebert relate brièvement son entrevue avec le pape dans sa lettre à l’abbé Hugues de Cluny : Ille dum me remisit ad laborem, invidit gloriam : non imputet ei deus (epist. III, 7 : PL 171, 288 AB). Dans ces quelques mots, Hildebert reconnaît la prééminence de la vie contemplative, apanage de la vie monastique ; reste à savoir sous quelle forme, cénobitique ou érémitique ? 12  Sans aller jusqu’à mettre en doute la sincérité de son propos d’embrasser la vie monastique, P. VON MOOS , 1965, p. 9, observe que la bénédiction papale eut pour effet immédiat de couper court à l’opposition de certains membres du clergé du Mans, qui contestaient la validité de son élection : Hildebert pouvait, en effet, faire valoir qu’il n’avait accepté la charge épiscopale qu’à son corps défendant et par obéissance à l’égard du Souverain Pontife. 13  Est-il besoin de rappeler que tout un quartier de Rome, entre le Colisée et le Latran avait été mis à feu et à sang, en mars 1084, par la soldatesque de l’empereur Henri IV et ses alliés Normands et Sarrasins ? 14  P. VON MOOS, 1965, p. 250-256 ; W. VON DEN STEINEN , « Rom Caesars – Rom Petri (zu den Gedichten Hildeberts) », Neue Schweizer Rundschau, NF 17 (1949-1950), p. 701706 ; J.-Y. TILLIETTE , “Tanquam lapides vivi… Sur les ‘élégies romaines d’Hildebert de Lavardin’ dans “Alla Sugnorina”. Mélanges offerts à Noëlle de la Blanchardière, Rome 1995 (École française de Rome, 204, p. 359-380).

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règne de l’évêque Hoël, fait ériger une maison capitulaire, un nouveau palais épiscopal, pour remplacer l’ancien, ravagé par un incendie, et une maison de campagne en dehors de la ville15. Il entretient une correspondance active avec ses amis d’Angleterre16 et l’entourage de la reine Mathilde17, et adresse à la comtesse Adèle de Blois nombre de lettres et de poèmes18. Durant tout son épiscopat, Hildebert se montra un artisan zélé de la réforme de l’Église. On se souvient que le mot d’ordre de cette réforme, engagée par les papes Léon IX19 (1049-1054) et Grégoire VII 20 (1073-1085) était la « libertas Ecclesiae »21. Bénéficiant du soutien des instances romaines, ayant gagné la confiance d’Yves de Chartres22 et mérité celle de Bernard de 15

  H ILDEBERT., querim. carn. pr. 1 (PL 171, 989A) : J. DALARUN , 1992, p. 81.   H ILDEB ., epist., I, 7 : PL 171, 153C-155C ; ibid., I, 9 : 160C-162A ; ibid., III, 11: 289C-290B; ibid, III, 12: 290B-C. 17  D’après Guillaume de Malmesbury, Gesta reg. 5, 418, Mathilde avait été élevée chez les moniales de Wilton et Ramsey ; voir aussi Anne P RAH -P ÉROCHON , La reine Mathilde, Paris 1980. 18   H ILDEBERT., epist., I, 3 : PL 171, 144A-145B; ibid., I, 4: 145C-148B; ibid., III, 2: PL 171, 284; ibid., III, 8: PL 171, 288B-289A. 19  Voir Ch. MUNIER , Le pape Léon IX et la Réforme de l’Église, Strasbourg, Les Éditions du Signe, 2002. 20  Voir A. FLICHE , La réforme grégorienne, 3 vol., Paris 1924-1937. 21  Par là les réformateurs réclamaient pour l’Église le privilège d’une totale indépendance, au nom de la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir séculier. « La libertas clunisienne avait été l’exemption et le rattachement à Rome ; la libertas Ecclesiae devait être la totale liberté d’action pour l’Église, l’absence de tout contrôle sèculier. L’intrusion du pouvoir laïque est considérée désormais comme la source principale, voire exclusive de la corruption ecclésiastique » (CHELINI , 1968, p. 226). W. ULLMANN a bien montré que les principes théocratiques de la réforme grégorienne ont conduit les autorités laïques contemporaines, notamment l’empereur Henri IV, par l’entremise de son conseiller Pierre Crassus, à contester cette doctrine au nom de l’autonomie du droit de la société civile, conformément au système du droit romain, remis à l’honneur par les maîtres de Bologne. Cette redécouverte du droit romain va conduire, lentement mais sûrement, à la naissance de l’esprit laïque, à la réhabilitation de l’homme en tant que citoyen, à l’auto-suffisance de l’État et à l’idée moderne d’un État démocratique (Ullmann, 1977, p. 202). . 22   Hildebert s’est mis à l’école de son collègue de Chartres, alors le maître incontesté en matière de droit canonique. Dans une de ses lettres il déclare avoir sur le métier à une collectiou canonique, qui paraît bien avoir été un abrégé du Décret d’Yves. Il connaissait le fameux Prologue au Décret, et s’en était imprégné à tel point que plusieurs manuscrits l’ont transmis avec la correspondance d’Hildebert et sous son nom ; voir P. VON MOOS , 1965, 180-181 ; P. F OURNIER-G. L E B RAS , Histoire des collections canoniques, I, Paris 1932, p. 302 s. ; YVES DE CHARTRES , Prologue, traduit, introduit et annoté par J. WERCKMEISTER , Paris 1997. 16

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Clairvaux, l’évêque du Mans déploya tous ses efforts afin de restaurer la dignité du mariage chrétien 23, de réprimer les écarts du clergé : la chasse aux prébendes, la simonie et le nicolaïsme24, et de contrecarrer l’emprise des laïcs sur l’Église, qu’il s’agît de défendre les intérêts de son diocèse ou la liberté des élections aux dignités ecclésiastiques25. Après 1110, Hildebert fut impliqué dans le conf lit qui opposait le roi de France, Louis VI le Gros (1108-1137), à Henri Ier, roi d’Angleterre et duc de Normandie ; il connut même la captivité à Nogent-le-Rotrou, dans le château d’un hobereau campagnard 26. Le traité de Gisors (1113) ayant reconnu la souveraineté du roi Henri sur le comté du Maine, Hildebert put bénéficier à nouveau de sa faveur ; il s’acquitta de son dû par un poème fort élogieux pour l’île des Angles et son souverain 27. Hildebert et Henri de Lausanne En décembre 1115, avant de repartir à Rome, pour le concile du Latran de 1116, Hildebert avait autorisé le prédicateur itinérant Henri de Lausanne28 à prêcher le prochain carême dans la ville du Mans, mais ses prêches incendiaires contre le luxe des chanoines et ses exhortations à la « vie apostolique » ne manquè-

23  Voir P. VON MOOS , 1965, p. 186-192. A l’instar d’Yves, Hildebert est un partisan de la doctrine consensuelle du mariage (Matrimonium non facit coitus sed voluntas ; G RATIEN , Décret, C. 27, q. 2, cc. 1 et 4). Mais, alors qu’Yves admettait la possibilité d’une dispense papale entre consanguins, à certains degrés de consanguinité (Ep. 220 : PL 162, 233), Hildebert l’excluait absolument  (epist. 2, 1 : PL 171, 207 B) 24  Voir P. VON MOOS , 1965, p. 197-205. 25  Voir P.VON MOOS , 1965, p. 192-196. Hildebert professe la théorie traditionnelle des deux glaives : epist. II, 18 (PL 171, 227/8) et la doctrine gélasienne de la distinction des deux autorités ; voir J. GAUDEMET, L’Église dans l’Empire romain (IVe-Ve siècles), Paris 1958, p. 505. 26   Hildebert décrit son arrestation et les conditions de sa captivité dans les epist. II, 17 (PL 171, 225A-226D) et II, 18 (PL 171, 227A-228B) ; voir P. VON MOOS , 1965, p. 10 ; J. DALARUN , 1992, p. 79. 27   Epist. III, 13 : PL 171, 290-291 ; voir P. VON MOOS , 1965, p. 12, qui signale le Carm. 27. 28  Sur Henri de Lausanne, voir R. M ANSELLI , Studi sulle eresie del secolo XII, Rome 1953, notamment p. 45-67 ; A.H. BREDERO, « Henri de Lausanne : un réformateur devenu hérétique, Studies voor Prof. Dr. J.M. De Smet, Leuven, 1983, p. 108-123.

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rent pas de susciter de graves troubles dans tout l’évêché29. Mal accueilli par son peuple, au retour de son voyage romain, l’évêque prit son mal en patience. Il finit par confondre publiquement le tribun populaire, convaincu d’ignorance crasse dans tous les cantons de la liturgie30, et put ainsi lui intimer l’ordre de quitter le diocèse. L’alerte avait été chaude ; le temps des grandes hérésies médiévales allait sonner bientôt. Après avoir quitté Le Mans, Henri de Lausanne devait rencontrer Pierre de Bruis et adopter ses opinions hérétiques. Il ne tarda pas à compléter le quarteron de contestataires qui, de Pierre de Bruis en Provence à Éon de l’Étoile en Bretagne et Arnaud de Brescia à Rome, excitait le populaire contre l’Église, le clergé et le monde monastique31. Hildebert et Baudri de Bourgueil En 1123, Hildebert entreprend son troisième voyage à Rome ; c’est qu’il a maille à partir avec l’abbé-poète Baudri de Bourgueil (1046-1130), devenu entre temps évêque, voire archevêque de Dol (1109)32 . La première notification de ce concile se lit, en effet, dans une lettre du pape, adressée le 22 juin 1122, à l’intéressé et à ses suffragants, cités à comparaître, le 18 mars 1123, troisième dimanche de Carême (Oculi). Pendant les mois qui précédèrent sa réunion, le futur concile fut l’objet de toutes les préoccupations. En France, les cardinaux Pierleone et Grégoire, légats dans ce pays, de 1122 à 1124, furent chargés d’y préparer

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 Lire dans la PL 171, 95-98, la section des Gesta episcoporum Cenomannensium relative aux événements suscités au Mans et à Saint-Calais par la présence d’Henri de Lausanne, ainsi que l’entrevue décisive par laquelle Hildebert le confondit publiquement. Pour le détail des faits, voir J. DALARUN , 1992, p. 79-80 ; 2002, p. 678. 30  Lire chez P. VON MOOS , 1955, 13, le récit haut en couleurs de l’examen liturgique auquel Hildebert soumit publiquement Henri de Lausanne. 31  Le passage d’Henri de Lausanne dans l’évêché du Mans, qui date de 1116, marque le début indécis d’un mouvement qui ne fit que s’intensifier jusqu’en 1156, date de l’exécution d’Arnaud de Brescia, et fut l’occasion de nombreux débordements : incendies, pillages, destructions, actes de vandalisme de toute espèce, Voir H. G RUNDMANN , Religiöse Bewegungen im Mittelalter, Darmstadt 19774. 32  Soixante ans auparavant, déjà, au synode du Latran du 29 avril 1050, présidé par le pape Léon IX, le 29 avril 1050, l’évêque de Dol, qui avait détaché la Bretagne de la province ecclésiastique de Tours et s’était lui-même élevé à la dignité d’archevêque, avait été condamné pour simonie, excommunié et déposé, ainsi que tous ses suffragants qui auraient été ordonnés d’une manière simoniaque (Ch. MUNIER , 2002, p. 134).

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évêques et abbés. Suger, l’abbé de Saint-Denis, qui y assista, rapporte que plus de 300 évêques y prirent part. Si la fin de la querelle des investitures et la conclusion du concordat de Worms furent le principal objet de cette imposante assemblée, le pape Calixte avait annoncé dans sa lettre de convocation que le concile aurait d’autres questions à régler ; il entendait par là toute une série d’abus que l’on voulait extirper par la promulgation de canons munis de censures ecclésiastiques33. Le concile du Latran de 1123 a promulgué une vingtaine de canons réglant très strictement les conditions d’accès aux ordres ecclésiastiques (c. 1- 6) et rappelant la règle du célibat ecclésiastique c. 7). Il place les biens des croisés sous la protection de saint Pierre et de l’église romaine (c. 12-13), interdit les mariages consanguins (c. 10), excommunie les faux-monnayeurs (c. 16), ceux qui dépouillent les pèlerins qui vont à Rome ou imposent de nouveaux impôts ou péages (c. 17). Il interdit aux moines la visite des malades, l’administration de l’extrême onction et la célébration publique de la messe (c. 18) et rappelle que les monastères et leurs églises sont soumis au contrôle de l’évêque du lieu (c. 19)34. En mars 1124, un an après le concile du Latran, nous voyons Hildebert participer au concile de Chartres, présidé par deux des cardinaux les plus marquants du Sacré-Collège ; Pierleone et Grégoire, les mêmes qui, six ans plus tard, seront élus concurremment à la chaire de saint Pierre. C’est que ledit concile avait pour objet une affaire de la plus haute importance. Pour le mariage de son fils Guillaume Etheling avec Mathilde, la fille aînée de Foulque d’Anjou, le roi Henri avait donné en dot le comté du Maine. Or, Etheling ayant péri en décembre 1120 dans le naufrage de la Blanche Nef, ledit comté risquait de retourner dans le giron d’Anjou, car Foulque l’exigeait en dot, cette fois pour le mariage de sa fille cadette avec le prince Guillaume Clinton, fils du malheureux Robert Courte-Heuse, duc de Normandie, l’ennemi héréditaire du roi d’Angleterre. Hildebert prit fait et cause pour ce dernier ; il lui adressa une longue « épî-

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  H EFELE -L ECLERCQ, V, p. 631 s.  Voir dans P. VON MOOS , 1965, p. 185-207, les textes d’Hildebert reprenant ces dispositions, notamment en matière matrimoniale ou cléricale. 34

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tre consolatoire », à l’occasion de la tragédie de la Blanche Nef 35. Lui suggéra-t-il d’intenter en cour de Rome un procès en annulation du mariage de Guillaume Clinton pour empêchement de consanguinité ? Toujours est-il que le sermon qu’il prononça au concile de Chartres, dénonce sans ambages ce f léau et, qu’après bien des péripéties, ledit mariage fut annulé.36 Hildebert, archevêque de Tours A la mort de l’archevêque Gilbert de Tours, en 1125, Hildebert fut choisi pour lui succéder ; il était presque septuagénaire mais n’avait rien perdu de sa vigueur, car « bâtir à cet âge… » De fait,  à peine intronisé, il voulut achever les travaux de la cathédrale Saint Gatien ; il l’orna de plusieurs f lèches, sur le modèle de la basilique de Cluny, et entreprit la construction d’un nouveau palais épiscopal. En octobre 1127, il dirigea le synode réformateur de Nantes, en Bretagne, qui dura trois jours37. Le nouvel archevêque de Tours marquait du même coup sa victoire sur l’éphémère archevêque de Dol (1109-1123), Baudri, abbé de Bourgueil (1089-1109)38. Mais ce n’est pas tout : l’assemblée vit Conan, le comte de Bretagne, renoncer à deux droits odieux : celui de faire adjuger au fisc tous les biens meubles des défunts et celui de s’approprier tout ce qui était sauvé d’un naufrage (le droit d’épave). On observera que le premier abus rappelle celui des porticans, qui fut réprimé au deuxième concile du Latran39. Il est évident que l’intervention d’Hildebert fut décisive sur ce point ; on la retrouve à propos d’autres mesures réformatrices prises par ledit synode de Nantes : d’une part il renouvelle l’interdiction des mariages entre consanguins – c’est la leçon du concile de Chartres

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  H ILDEBERT, epist. I, 12 : PL 171, 172 B-178 A.  Exposé détaillé des motivations et des démarches des deux parties par H EFELE L ECLERCQ, V, p. 648-651. 37   H EFELE -L ECLERCQ, V, p. 668 ; H. L ECLERCQ, « Des conciles provinciaux et de leur révision par le Saint-Siège », Analecta iuris pontificii 1 (1912), p. 1261-1280. 38   F. D UINE , La métropole de Bretagne, Paris 1916, p. 138, précise que la querelle sera définitivement résolue par le Saint Siège, en faveur de Tours, en 1199. 39  Le c. 14 du concile (Latran II) abolit la coutume des porticans (les habitants du quartier voisin du portique de Saint-Pierre) « d’envahir, contre la volonté du mourant, les biens de ceux d’entre eux qui mouraient sans héritiers », voir H EFELE -L ECLERCQ, V, p. 635. 36

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de 1124 ; d’autre part, il interdit expressément la collation des ordres aux fils de clercs et la transmission en héritage des bénéfices ecclésiastiques40. Le concile de Reims (1131) Le 18 octobre 1131, le pape Innocent II (1130-1143), qui avait célébré avec beaucoup de pompe la fête de Pâques au monastère de Saint-Denis, puis visité Paris et d’autres villes de France, ouvrit le grand concile de Reims, qui dura jusqu’au 29 octobre. Outre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Aragon et la Castille y étaient représentées. Suger ajoute l’Aquitaine, mais seuls de rares évêques de cette province étaient venus, car leur duc, Guillaume VIII, avait, sur les pernicieux conseils de Gérard, évêque d’Angoulême, pris parti pour l’antipape Anaclet III (11301137)41. Tous les efforts de Bernard de Clairvaux pour gagner l’Aquitaine à Innocent furent inutiles et n’aboutirent que quelques années plus tard. Lorsque s’ouvrit le concile de Reims, Bernard revenait justement d’Aquitaine. Il se rendit à l’assemblée, où le pape le traita avec la plus grande distinction et lui demanda conseil dans toutes les affaires importantes. Entre autres services, le pape lui demanda de prononcer un discours devant les évêques et de leur dire hardiment la vérité. Malheureusement nous ne possédons plus cette allocution. Hildebert assista au concile de Reims de 1131, dont la grande affaire fut le sacre du second fils du roi de France, Louis VI (1108-1137)42. Peu de temps auparavant, le 12 octobre, le prince Philippe, fils aîné du roi et héritier présomptif de la couronne, était mort des suites d’une chute de cheval. Par ailleurs, l’embonpoint excessif du roi faisait redouter pour lui une mort subite. Suger et d’autres personnages lui persuadèrent de faire couronner 40  Voir le commentaire sur ces dispositions dans P. VON MOOS , 1965, p. 198-202, mais aussi les textes illustrant la sage administration par Hildebert du patrimoine de son évêché, et son attention à procurer à son clergé les conditions matérielles d’une vie digne, favorisant son accès au savoir et à l’exercice de la miséricorde, ibid., p. 202207. 41  Lire dans H EFELE -LECLERCQ, V, p. 676-686 (ou dans quelque autre manuel d’Histoire de l’Église médiévale) le récit de la double élection et consécration du successeur d’Honorius II, et du schisme qui s’ensuivit. 42   H EFELE -L ECLERCQ, V, p. 694-699.

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à Reims, par le pape, son second fils Louis. Ce qui fut fait. Le sacre eut lieu en grande solennité le dimanche 25 octobre, dans la cathédrale de Reims : le prince fut couronné par le pape et oint de la sainte ampoule, dont la tradition disait qu’elle avait été apportée par un ange à saint Remi lors du couronnement de Clovis43. Le concile de Reims s’occupa aussi de la foi et des mœurs et porta divers canons disciplinaires44. Dans une lettre adressée, le 15 juin 1132, à l’archevêque Hugues de Rouen, le pape Innocent II rappelle une disposition du concile de Reims, qui manque dans la liste communément reçue. Il lui signifie que le roi d’Angleterre est fort irrité contre lui (= l’archevêque), parce qu’il a reçu de plusieurs abbés le serment de lui obéir « dans le respect de la foi chrétienne » (professionem et obedientiam). Le pape conclut sa missive en ces termes : « Bien que cela soit justifié et que nous l’ayons ordonné au concile de Reims, il nous faut, afin d’user de charité envers lui (= le roi d’Angleterre), relâcher quelque peu la rigueur de la justice et consentir à sa volonté, compte tenu des circonstances ». C’était là une capitulation pure et simple. Jouant sur la signification du serment féodal, qu’ils devaient au seul roi d’Angleterre, duc de Normandie, les abbés récalcitrants se dispensaient ainsi du serment d’obéissance « dans la foi » qu’ils devaient à l’ordinaire du lieu, selon une tradition immémoriale45. Il leur suffisait, dès lors, de se réclamer du privilège de l’exemption, qui était censé les lier directement à l’autorité du Saint-Siège, pour les libérer de tout contrôle de l’autorité de l’évêque local46. 43  Le récit du miracle se trouve dans la Vie de saint Remi, écrite par l’évêque Hincmar de Reims entre 877 et 881 ; voir J. K RYNEN , L’empire du roi, Paris 1993, p. 26 s. 44   H EFELE -L ECLERCQ, V, p. 698-699 ; cf. JW 7489. 45  Sans remonter au concile de Chalcédoine (451), qui légiférait pour l’Orient, en Gaule aussi, depuis le milieu du Ve siècle, une tendance se fait jour, visant à renforcer le droit des évêques sur les monastères ; voir la lettre synodale du concile d’Arles, réuni entre 449 et 46, pour régler le différend surgi entre l’évêque Théodore de Fréjus et le monastère de Lérins (CCL 148, 133) ; le concile d’Agde, réuni le 10 septembre 506, avec la permission d’Alaric, le roi arien des Wisigoths  (Can. 27 : CCL 148, 205) ; et le premier des conciles mérovingiens, convoqué en 511 à Orléans par Clovis (Can. 19 : CCL 148A, 10) ; traduction et commentaire par J. GAUDEMET et B. BASDEVANT, Les canons des conciles mérovingiens (VIe-VIIe siècles), tome 1, Paris 1989 (SC 323, p. 83). 46  Le procédé est commun : pour échapper à la potestas épiscopale qui menace, de près, sa paix et son autonomie, le monde monastique recourt à une potestas supra-épiscopale,

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Cette prescription du concile de Reims ne se trouve ni dans Sirmond, ni dans le codex Udalrici47. Cette disparition n’a rien d’étonnant ; le texte intégral de cette disposition contrecarrait trop d’intérêts pour être restée indemne. Une opération analogue semble avoir été pratiquée sur un des canons du concile du Latran de 1123, qui se présente comme suit : « Nous défendons aux abbés et aux moines de donner des pénitences publiques, de visiter les malades, d’administrer l’extrêmeonction et de chanter publiquement la messe. Ils doivent recevoir le saint-Chrême, l’huile sainte et l’ordination cléricale des évêques des diocèses où ils résident, et faire consacrer par eux leurs autels » 48. Dom Martène a donné un autre version du même canon, munie d’un préambule approprié, que Mansi reproduit, et dont l’importance pour l’engagement pastoral d’Hildebert n’échappera à personne : « Suivant les traces de saints Pères, nous prescrivons par un décret général que les moines soient soumis en toute humilité à leurs propres évêques ; et qu’ils leur rendent en toutes choses, comme à leurs maîtres et aux pasteurs de l’Église de Dieu, l’obéissance qu’ils leur doivent (debitam obedientiam) ainsi qu’une soumission et un dévouement sans réserve (devotam in omnibus subjectionem). Ils ne doivent ni célébrer nulle part de messe solennelle, ni visiter publiquement les malades, ni administrer l’extrême-onction et le sacrement de pénitence : car ce n’est pas là leur fonction. Dans les églises dont on sait qu’ils ont l’administration, ils n’auront que des prêtres institués par leurs évêques et qui seront responsables vis-à-vis de ceux-ci de la conduite des âmes confiées à leurs soins »49. afin qu’elle le protège, de loin : celle du patriarche de Constantinople, dans l’Empire byzantin ; celle du primat de Carthage, en Afrique, à l’époque de l’abbé Pierre (dont le monastère, en 525, était sis en Byzacène) ; voir Ch. MUNIER,1998, p. 5-24 ; J.H. FOULON , 2004, p. 50-56. 47  Voir dans JAFFE -WATTENBACH , un résumé (en latin) des 14 canons attribués au concile de Reims de 1131 par M ANSI (XXI, 465) et, dans l’Histoire des conciles d’H EFELE L ECLERCQ (V, 698), un résumé (en français) des canons du codex Udalrici, comparés à ceux de Sirmond et à ceux du concile de Clermont de novembre 1130. 48  M ANSI , Concilia, Supplem., t. II, 350 ; Conc. Ampliss. Coll., t. XXI, 277-286 ; 299304. 49  M ARTENE -DURAND, Veterum scriptorum et monumentorum amplissima collectio, VII, 66 ; M ANSI , XXI, 300 ; on lira chez Ch. MUNIER , 1994, p. 368, les efforts prodigués, dans le même domaine, par Yves de Chartres, pourtant très bienveillant à l’égard de Bernard de Tiron et de Robert d’Arbrissel ; il vise en effet, la tendance des ordres monastiques,

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Hildebert mourut en 1133 ; il fut inhumé dans le chœur de la cathédrale Saint-Gatien. II. L’œuvre littéraire d’Hildebert de Lavardin La plupart des écrivains de renom du XIe et du XIIe siècle, comme Hildebert de Lavardin, Marbode de Rennes et Baudri de Bourgueil, ont reçu leur formation spirituelle et littéraire dans les écoles cathédrales de leur province qui prennent alors le relais des écoles monastiques50. Ayant apporté leur contribution à la cause de la culture, ces dernières semblent alors vouloir se désintéresser des études littéraires. Le monastère de Cluny lui-même donne l’exemple de l’austérité en décourageant l’étude des auteurs profanes. Quant à l’éducation des jeunes recrues, on ne leur inculquerait désormais que le minimum indispensable à la vie monastique : lecture, écriture, arithmétique, musique51. Grâce aux écoles cathédrales, nouveaux foyers de la culture, les études classiques connurent un nouvel essor, qui devait conduire, au XIIIe siècle, à la naissance des universités médiévales, de plus en plus séduites par les prestiges de la dialectique et de la théologie. Pour modeste52 qu’elle soit, la « renaissance » du XIe--XIIe siècle a produit des fruits durables et succulents, si l’on en juge par le niveau de la prose latine de Guillaume de

au début du XIIe siècle, de s’affranchir de la tutelle épiscopale, tout en assumant la charge de paroisses urbaines ou rurales en nombre toujours plus grand.. 50  Voir F.J.E. R ABY, A History of Christian-Latin Poetry from the beginnings to the Close of the Middle Ages, Oxford, 1955², p. 257-287. Est-il besoin de rappeler que l’initiative de la création des unes et des autres remonte à Charlemagne qui voulut remédier ainsi à la disparition des écoles municipales en Gaule ? Dans un premier temps, jusqu’au Xe siècle, seules les écoles monastiques purent assurer la transmission et la survie de l’héritage classique, et il est significatif que, dès cette époque, à travers toute l’Europe occidentale, le retour à l’étude directe des classiques latins fut la condition et la mesure des progrès intellectuels et littéraires. 51  Dom J. L ECLERCQ, L’amour des lettres et le désir de Dieu, p. 108-141, donne un excellent aperçu de la genèse de la culture classique du monachisme au Moyen Age et s’élève contre toute tentative de distinguer un « monachisme de culte, qui serait celui de Cluny, de Fleury et des autres monastères de France d’un « monachisme de culture » qui serait celui des pays d’Empire, sous prétexte que, à partir du XIe siècle, Cluny voulut n’avoir dans le monastère même, qu’une école intérieure.   52   W.A. NITZE, 1948, p. 464, ne consent à y voir qu’un timide « réveil ».

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Malmesbury († 1143), de Jean de Salisbury († 1180) ou d’Otton de Freising († 1158). Dans le domaine poétique, les effets sont moins spectaculaires, car les compositions de Fulbert de Chartres († 1028), d’Hildebert de Lavardin et de Marbode de Rennes († 1123) reproduisent docilement les procédés et les modèles familiers du Trivium. Il faut ajouter à leur décharge que le latin était alors – déjà, – étudié comme une langue morte, de sorte que la grammaire, la syntaxe et les règles de la prosodie devaient être mémorisées au préalable et assimilées par l’étudiant médiéval – aussi péniblement sans doute qu’elles le sont encore de nos jours par les élèves de l’enseignement secondaire. Du « cercle des poètes de Loire » au « Jardin des Lettres françaises » La plupart des poèmes d’Hildebert datent des années 1100 à 111553. Pour le poème intitulé « Liber de querimonia », son récent éditeur le situe entre 1099 et 112554. L’échange de correspondance qu’Hildebert entretint avec les prélats et les grands d’Angleterre débute avec son accession au siège épiscopal du Mans (1096)55. Il en va de même des quelques sermons de lui qui nous sont parvenus56. Quant à sa « Vita s. Hugonis »57, elle date des environs de 1120 et témoigne des efforts déployés par Hildebert, jusque dans ses vieux jours, en vue de promouvoir la réforme du clergé et d’encourager celle du monachisme cénobitique.. Avec Marbode de Rennes et Beaudri de Bourgueil, Hildebert du Mans forme le « cercle des poètes des pays de Loire »58 ; celuici préfigure – quatre siècles plus tôt – la pléiade de poètes qui, au XVIe siècle, s’épanouira dans le « Jardin des Lettres françaises »

53  Il en existe une édition critique réalisée par Alexander Brian S COTT, A critical Edition of the Poems of Hildebert of Lavardin, Oxford 1960 (dactylographiée), que nous n’avons malheureusement pu consulter., 54  Peter O RTH , Hildeberts Prosimetrum De Querimonia und die Gedichte eines Anonymus. Untersuchungen und kritische Edition, Wien 2000. 55  P. VON MOOS , 1965, p. 358-371, donne un aperçu complet de la correspondance d’Hildebert : manuscrits, éditions, destinataires, fragments, fausses attributions. 56  P. VON MOOS , 1965, p. 376-377. 57  PL 159, col. 837-894. 58   J. DALARUN , 1992, p. 73-74; J.Y. TILLIETTE , 1992, p. 122-125, observe que l’emploi des pratiques poétiques de la prétendue « école » s’étend bien au-delà du cadre ligérien, notamment chez Godefroid de Reims.

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de la même province. Cette coïncidence géographique n’est sans doute pas le fait du hasard ; elle s’explique sans doute tout bonnement par une tradition locale séculaire, par un attachement ferme et résolu à la culture classique, transmise aux élites intellectuelles de la région par les écoles monastiques et cathédrales, puis par les collèges qui recueillirent leur héritage. Il en va de même à Paris : au collège de Coqueret, l’helléniste Jean Dorat fait parcourir à ses disciples, – parmi lesquels Jean de Baïf, Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay se montrent les plus passionnés – toute la poésie grecque, et traduire Pindare en de grandes odes latines ; mais les jeunes gens étudient aussi Horace et Virgile – que Ronsard savait par cœur – et les élégiaques latins : Catulle, Properce, Tibulle, Ovide. Une fois de plus dans l’histoire littéraire de l’Occident, le contact direct avec les modèles latins fera lever de riches moissons. La renommée littéraire d’Hildebert Les œuvres littéraires d’Hildebert ont exercé une grande inf luence dès le XIIe siècle en France et en Angleterre, tout comme ses réalisations architecturales, son entregent politique, son savoir-faire diplomatique. Si ses compositions poétiques – elles ne sont pourtant que la moindre partie de son œuvre – lui valurent les premiers succès, cependant ses lettres, dont l’élégance et la noble distinction étaient unanimement reconnues, servirent de modèles pendant plus d’un siècle dans les écoles des deux côtés de la Manche. Guillaume de Malmesbury célèbre l’eloquentia de l’éminent « versificator »59 ; Laurent de Durham loue la perfection de ses œuvres en vers et en prose60. Pierre de Blois souligne à plusieurs reprises le style élégant et l’aimable urbanitas de ses lettres, qu’il apprenait par cœur dans sa jeunesse 61 ; il le

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 GUILLAUME DE . M ALMESBURY., gesta reg., 3, 284.  L AURENT DE D UNHALM , hypog. 9, 503-506 : Inclitus et prosa versuque per omnia primis// Hildebertus olet prorsus ubique rosam 61  P IERRE DE BLOIS , epist. 101. 60

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prend aussi pour modèle dans ses poésies62 et cite volontiers le vers 66 de la « Vie de s. Marie l’Égyptienne »63. Après un temps d’oubli, qui correspond à l’automne du Moyen Age (XIVe-XVe siècle), la correspondance d’Hildebert connut un regain de succès chez les humanistes italiens du Quattrocento. Il n’est pas indifférent de noter que, si ces derniers ont apprécié et remis à l’honneur plusieurs poésies d’Hildebert, c’est parce qu’ils croyaient y reconnaître des pièces oubliées de Martial ou d’Ovide64. III. La Vita

beate

M arie Egiptiace

Le poème le plus long d’Hildebert est la « Vie de s. Marie l’Égyptienne », la pécheresse repentie, « modèle et patronne de la rénovation morale, de la conversion, du relèvement des femmes déchues et spécialement des prostituées »65. Conservé intégralement ou fragmentairement par plus de 90 manuscrits du XIIe au XVIe siècle, il compte 904 hexamètres, – disons plutôt 904 vers léonins, comportant, pour chaque vers, une rime de deux syllabes à la césure médiane et à la fin du vers. Le choix de ce modèle suppose une rare maîtrise de l’art de versifier, dans la mesure où se trouve limité à l’extrême le champ des modèles classiques susceptibles de « remploi »66. Le nombre considérable de manuscrits qui nous sont parvenus de cette œuvre atteste son durable succès ; les innombrables variantes qui criblent le texte témoignent de l’intérêt toujours nouveau suscité par ce récit peu banal, dont le souvenir inspira un poète, égaré parmi les mauvais gar-

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  Comparer P IERRE DE . B LOIS,. carm. 1, 6 et H ILDEBERT, carm. min. suppl. 4 ; voir le commentaire dans l’édition de C. WOLLIN , Petrus Blesensis carmina I, CCCM 128, Turnhout 1998, p. 275 s. 63  P IERRE DE . BLOIS ., Conquestio 198 s. 64  Voir N.K. L ARSEN , op. cit., p.16 ; J.Y. TILLIETTE , 1992, p. 121-122.. 65  Nous empruntons cette définition à la préface de H.I. M ARROU à l’ouvrage de V. SAXER , Le culte de Marie Madeleine en Occident des origines à la fin du moyen âge, AuxerreParis 1959, p. xi, car ce qui vaut d’une manière générale pour l’une vaut pour l’autre, dans la mesure même où le culte des deux saintes progresse parallèlement à l’époque envisagée (XIe-XIIe siècles) ; voir P. VON MOOS , p. 215. 66  Voir J.Y. TILLIETTE , « Classiques (Imitation des) », Dictionnaire du Moyen Age, P.U.F., 2002, p. 298-300.

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çons, et qui, n’osant peut-être pas s’adresser directement à la Vierge, symbole de toute sagesse et de toute pureté, mit dans la bouche de sa mère, cette prière où il traduit sa foi naïve et sa tendresse filiale : la « Ballade que fit François Villon, à la requête de sa mère pour prier Notre Dame ». Nous la reproduisons ici, pour la commodité du lecteur, en conservant l’orthographe de l’édition du Cours de littérature française sous la direction d’André Ferran et Élie Decahors 67. Dame des cieux, régente terrienne, Emperière des infernaux palus68, Recevez moy, vostre humble chrestienne, Que comprinse soye entre vos eslus, Ce non obstant qu’oncques rien ne valus. Les biens de vous, ma Dame et ma Maistresse, Sont trop plus grands que ne suis pecheresse, Sans lesquelz biens ame ne peut merir N’avoir les cieux ; je n’en suis janglerersse69, En ceste foy je vueil vivre et mourir. A vostre Filz dictes que je suis sienne, De luy soyent mes pechiezs abolus70 ; Pardonne moy comme à l’Egipcienne, Ou comme il feist au clerc Theophilus, Lequel par vous fut quitte et absolus, Combien qu’il eust au diable fait promesse. Preservez-moi de faire jamais ce, Vierge portant, sans rompure encourir71, Le sacrement qu’on celebre à la messe : En ceste foy je vueil vivre et mourir. Femme je suis, povrette et ancienne, Qui rien ne sçays ; oncques lettres ne lus ; 67  A. FERRAN – E. DECAHORS , Morceaux choisis de la Littérature française, tome I, Le Moyen Age, Paris 1949, p. 199-200. 68  Emperière : impératrice ; palus : marais ; merir : mériter.. 69   Jangleresse : menteuse ; je ne mens pas. 70  Abolus : abolis, lavés. 71  Sans rompure encourir : sans souillure encourir.

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Au moustier voys, dont suis paroissienne, Paradis paint, où sont harpes et luths, Et ung enfer ou dampnezs sont boullus. L’ung me fait paour, l’autre joye et liesse. La joye avoir me fay, haute Déesse, A qui pecheurs doivent tous recourir, Comblez de foy, sans fainte ne paresse : En ceste foy je vueil vivre et mourir. V72ous portastes, Vierge, digne princesse, Iesus regnant, qui n’a ne fin ne cesse : Le Tout-Puissant, prenant nostre foiblesse, Laissa les cieulx et nous vint secourir, Offrit a mort sa très chiere jeunesse : Nostre Seigneur tel est, tel le confesse ; En ceste foy je vueil vivre et mourir. La légende de Marie l’Égyptienne Il convenait assurément, avant de suivre le cheminement de la légende de Marie l’Égyptienne du désert oriental aux rives de la Loire et de la Seine, de relire les vers inoubliables du « mauvais garçon », fils aimant et, malgré tout, croyant sincère, que fut Villon : s’il les a dédiés à sa mère, il fut le premier à les offrir à Notre-Dame, en associant à la prière de ses enfants l’intercession de la pécheresse repentie, devenue l’une des saintes les plus populaires du Moyen Age et relayant en cours de route une autre Marie, la Madeleine de Vézelay, de Saint-Maximin, et de son annexe, la Sainte Baume73. Avec la légende du clerc Theophilus, celle de Marie l’Égyptienne, compte parmi les figures du Moyen Age les plus connues

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  On notera, dans l’envoi de la ballade, le procédé de l’acrostiche – chaque vers commence par une lettre du nom de Villon, ce qui est une sorte de signature apposée à l’œuvre. 73  Au sujet de la diffusion du culte de Marie Madeleine en Occident, en France et, plus particulièrement dans l’Ouest de la France, voir V. SAXER , 1959, 2 vol. ; du même, « Marie Madeleine (sainte) », Catholicisme, 8 (1979), col. 636 ; V. ORTENBERG -D. IOGNAP RAT, 1992, p. 9-11 ; V. O RTENBERG , 1992, 13-35 ; D. IOGNA-P RAT, 1992, p. 37-70 ; J. DALARUN , 1992, p. 71-72.

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et les plus vénérées de celles qui illustrent l’inf luence salutaire de Notre-Dame sur les plus grands pécheurs74 ; elle a contribué pour une part nullement négligeable au développement du culte marial qui prend son essor définitif en Occident partir de l’époque carolingienne. Laissant aux historiens le soin d’établir la chronologie respective des témoignages qui attestent la progression conjointe de ces différents aspects d’une même dévotion, où se joue le mystère du péché et de la grâce, observons que la première trilogie médiévale de pécheurs sauvés par l’intervention de Notre-Dame n’est pas exclusivement composée de femmes et qu’elle n’est pas définitivement arrêtée. Notons aussi la présence tenace d’un moine ou d’un clerc pour décrire et magnifier les merveilleux effets de la conversion et du pardon. A son tour, Marbode de Rennes a versifié la légende d’une courtisane, Thaïs d’Alexandrie, qu’un anachorète de la Thébaïde,  Paphnuce ou Sérapion, réussit à convertir75. Il la conduisit dans un monastère de femmes où, enfermée dans une cellule, elle ne vécut, pendant trois ans, que de pain et d’eau, et où elle mourut en paix. Sous sa forme primitive, la Vie de Thaïs paraît remonter au IVe siècle76 ; dans une homélie sur Matthieu, au versant du Ve siècle, Jean Chrysostome développe un canevas identique à propos d’une actrice d’Antioche77. Naissance et transmission de la légende Comme pour d’autres récits analogues, les origines de la légende de Marie l’Égyptienne sont insaisissables. D’après la Vita

74  Rutebeuf († 1285) a composé un poème en l’honneur de Sainte Marie l’Egyptienne ; voir A. P., Dante, Divine Comédie, Purgatoire, note ((144)) à Chant XXXI, Édition de la Pléiade, 1967², p. 1341. 75   Vita sanctae Thaisidis meretricis, PL 73, 661-664 ; 171, 1629-1634 ; voir J. DALARUN , 1992, p. 111-112 (Bibliographie). 76   On sait que la légende de Thaïs inspira à Anatole F RANCE un roman en trois parties (Le Lotus, Le Papyrus, L’Euphorbe), publié en 1890, à partir duquel Jules M ASSENET composa une comédie lyrique, jouée en 1894. 77   Hom. in Matth. 67, 3 : PG 58, 636s. Traduite en latin par le moine Denys le Petit († vers 530) : PL 73, 661-664, elle inspira l’abbesse Roswitha de Gandersheim, qui en tira une pièce de théâtre fort édifiante, intitulée : Paphnutius, à l’intention de ses moniales (PL 137, 1027-1046). Voir M.B. VON STRITZKY, « Thaïs », LThK, 9 (2000), 1374s..

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Cyriaci78 de Cyrille de Scythopolis († 568/9), une anachorète, dont la tombe était alors visitée par les pèlerins de Palestine, avait vécu dans le désert à l’est du Jourdain. Une Vita anonyme79, longtemps attribuée à Sophrone80, patriarche de Jérusalem (634638), offre de nombreux traits légendaires, à l’instar de la « Vie de Paul l’Ermite » de saint Jérôme, et trace de l’héroïne la biographie suivante : Marie, une ancienne prostituée d’Alexandrie, se convertit lors d’un pèlerinage à Jérusalem ; sur quoi elle se retira au désert, où elle vécut pendant 47 ans la vie des anachorètes. Deux traits légendaires caractérisent ce récit : à cause du délabrement de ses habits, sa chevelure lui tenait lieu de vêtement ; lorsque le moine Zosime trouva son cadavre, un lion l’aida à creuser sa tombe Ce texte de base, traduit en latin par le diacre Paul de Naples81, servit de canevas à Hildebert pour sa Vita versifiée. Il connut d’autres traductions latines, qu’il suffit de mentionner ici pour mémoire : celle de l’Anonyme du Mont-Cassin82, celle d’Anastase le Bibliothécaire (800-879)83 et celle de Flodoard de Reims (893-966), la première qui fut versifiée84, mais elle ne semble pas avoir été connue d’Hildebert85 . Il serait assurément téméraire de prétendre, plus de quinze cents ans après les faits, reconstituer la naissance et le développe-

78   E. G RÜNBECK , « Kyriakos, hl., Anachoret », LThK 6 (1997), 551, signale que cet ouvrage est édité dans les TU 49/2, 222-235. S. Cyriaque vécut de 449 à 557 ; longtemps ascète en Palestine, à Souka, Natoupha, Rouba, Sousakim, il se retira, en 555, dans la Caverne de Chariton.   79  PG 87, 3697-3726. 80  Voir sa notice dans le Tusculum-Lexikon, Darmstadt 1982, p. 737 s. 81  PL 73, 671-690 ; voir sa notice par H. ROSWEYDE , S.J., ibid., 690 B, et celle de C. S CHOLZ , « Paulus Diaconus », LThK 7 (1998), 1516-1517) : la VBME est dédiée à Charles le Chauve, vers 876-877... 82   Bibliotheca Casiniensis III, Monte Cassino 1877, p. 226 s. 83  PL 129, 514 s. 84  PL 135, 541-548 ; voir W. WILLIAM -K RAPP, 1979, 372-401. 85  Pour l’ensemble du dossier hagiographique, voir J.M. SAUGET, « Maria Egiziaca », Bibliotheca sanctorum, 8, Rome 1967, col. 981-991. Ci-joint le texte du Martyrologe romain, au 2 avril : « In Palaestina depositio sanctae Mariae Aegyptiacae quae Peccatrix appellatur », et la traduction du Ménologe des Grecs, à la date du 1er avril : « Sanctae matris nostrae Mariae Aegyptiacae, quae cum decem et septem annos lascivam et turpem vitam duxisset, conversa in meliorem statum, talis evasit, ut miraculis etiam multis virtutem suam comprobaverit ; siquidem quadraginta septem annis ita vivit, ut neminem nisi ipsum Deum spectatorem habuerit .»

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ment de la légende de Marie l’Égyptienne, découverte par Hildebert dans la traduction latine de Paul de Naples. Tout au plus peut-on, en recueillant les éléments épars qui ont servi à la constituer, formuler quelques hypothèses qui doivent se cantonner dans le domaine de la vraisemblance. Dans cette perspective, on se doit de noter tout d’abord que cette légende se caractérise par la conjonction de deux traditions : il y a, d’une part, la conversion d’une courtisane, Thaïs ou Marie (ou d’une actrice anonyme chez Jean Chrysostome), et d’autre part la pénitence exemplaire que l’héroïne de la légende accepte ou s’impose ellemême, soit dans un monastère de femmes – c’est le cas pour Thaïs et pour l’actrice d’Antioche) -, soit dans la solitude du désert – c’est le cas pour Marie l’Égyptienne. Ceci dit, l’élaboration finale qui aboutit à la composition de la Vita grecque de Marie l’Égyptienne apparaît au terme d’un processus imperceptible, qui ne peut être daté et localisé qu’approximativement. Tout se passe, en effet, comme si les traits caractéristiques des dites traditions concernaient au départ une personne réelle, l’anachorète féminine du désert de Transjordanie, dont la mémoire s’était conservée à Scythopolis86 et dont le culte s’était perpétué dans une église consacrée à Saint Jean-Baptiste87– adjointe à un monastère grec de la vallée du Jourdain. Or, plusieurs témoignages convergents, du VIe au XIIe siècle, attestent que l’église en question était située tout près du lieu où le Wadi Harrar se jette dans le Jourdain. D’après Théodose d’Alexandrie88, cette église, « édifiée à l’endroit où le Seigneur a été baptisé 89», fut construite par l’empereur byzantin Anastase I. 86

  Cyrille de Scythopolis n’indique pas de lieu précis au désert, où les pèlerins iraient vénérer la mémoire de l’anachorète. 87  Pour sa part, si la Vita de Marie l’Égyptienne attribuée à Sophrone tient fermement le dies natalis de la pénitente du désert de Transjordanie, elle ignore le lieu de sa tombe, prétendument creusée par le lion ; voir PG 87, 3724, et la note 56, ibidem. 88  Théodose I. d’Alexandrie fut patriarche (monophysite), de février 535 à juin 566 : voir sa notice par K.H. UTHEMANN , LThK 9 (2000), 1420-1421/ 89  Nous ne reprenons pas à notre compte cette affirmation du patriarche d’Alexandrie. On sait combien la question du lieu de baptême de Jésus au Jourdain est discutée ; cependant on se doit de signaler qu’une tradition, attestée déjà par le Pèlerin de Bordeaux en 392, indique le Nord de la Mer Morte, au gué où les Israélites passèrent le Jourdain, face au Qasr el Jehud (le château du Juif ) et au monastère antique du Prodromos (le Précurseur), deux noms locaux qui rappellent l’un l’épisode du livre de Josué, 3, l’autre le ministère de Jean-Baptiste ; cf. J. E RNST, « Johannes der Täufer », LThK 5

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(491-518)90 . Le premier évêque d’Eichstätt, l’anglo-saxon Willibald (741-789), qui visita la Terre Sainte en 723, rapporte qu’il s’arrêta au monastère de saint Jean-Baptiste, distant d’environ un mille du Jourdain, et qu’une vingtaine de moines y habitaient91. Si l’on admet, pour la version grecque de la Vita de Marie l’Égyptienne, une date de rédaction nécessairement postérieure au témoignage de Cyrille de Scythopolis (vers 570) et sensiblement voisine du patriarcat de Sophrone de Jérusalem (634-638), on admettra que ledit monastère et son église se trouvaient sur la rive occidentale du Jourdain. Cette évidence, qui résulte de la toute première rédaction de la légende, permet d’écarter un certain nombre d’hypothèses, celle, notamment, qui, alléguant les nombreuses ruines d’églises byzantines exhumées tout le long du Wadi Harrar, sur la rive orientale du Jourdain, prétend que le monastère dédié à saint Jean-Baptiste, édifié sur la rive occidentale du Jourdain92, n’y fut construit qu’au XIe siècle, par les pèlerins désireux d’aller en pèlerinage sur l’autre rive du Jourdain, pour pallier les difficultés rencontrées alors, du fait des conf lits avec les musulmans. La datation de l’œuvre La première attestation de la Vita beate Marie Egiptiace d’Hildebert de Lavardin est fournie par le moine poitevin Réginald de Canterbury (v. 1040-après 1109)93, qui avait rejoint l’abbaye bénédictine Saint-Augustin de Canterbury, après ses études en (1996), 871-874, notamment sub b), ibid. 872 ; du même, « Johannes der Täufer », RAC 18 (1998), 516-534, notamment 517. 90  Voir G. O STROGORSKY, Histoire de l’État byzantin, Paris 1969, p. 95-102. 91   Ces renseignements sont consignés dans la Vita de Willibald, rédigée, vers 798/779, par la moniale Hugeburc d’Heidenheim, le couvent dirigé par Wynnebald, puis par Walburga, les propres sœurs de Willibald. Voir S. WEINFURTER , « Willibald », LThK 10 (2001), 1211-1212. 92  Est visé tout particulièrement le monastère grec-orthodoxe érigé au lieu dit Qasr el Yehud, qui fut détruit au XIIe siècle et rebâti en 1882. Or, en face de ce monastère, sur la rive orientale du Jourdain, on a mis au jour les ruines de deux églises, l’une dédiée à S. Élie, l’autre au baptême du Christ (http// www. Interbible. Org.). 93   F.J.E. R ABY, A History of Christian-Latin Poetry, p. 333; P.C. JACOBSEN, « Reginald v. Canterbury », LMA 7 (1995), 577 ; P.G. S CHMIDT, « Reginald v. Canterbury », LThK 8 (1999), 970.

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France. Son œuvre principale est la Vita Malchi, une épopée de 3344 vers léonins, composée entre 1082 et 1107, dont il emprunta l’argument à la légende de Malchus rédigée par saint Jérôme. Réginald s’est permis de faire plusieurs emprunts au poème d’Hildebert, dont il avait adopté le modèle prosodique. Dès qu’il eut achevé son grand-œuvre, il en fit des copies qu’il adressa à dix de ses amis et connaissances, entre autres à un sous-prieur de Saint Pancrace de Liège, nommé Hugues ; une dédicace en vers accompagnait ladite copie. Il y est fait mention d’un archiprior du même monastère, nommé Lanzo, qui était encore en fonctions après 1107. Dès lors, l’année 1107 peut être considérée comme le terminus ante quem aussi bien pour la « Vita s. Malchi » que pour la « Vita b. Marie Egyptiace ». F.J.E. Raby, qui cite la dédicace du poème de Réginald (à la Sainte Croix), ajoute que l’auteur adressa un exemplaire à Hildebert qui l’en remercia fort courtoisement94. Qu’il nous soit permis d’apporter une modeste contribution au problème de la datation des deux poèmes en question. Il se trouve, en effet, que dans l’Ecbasis cuiusdam captivi, dont nous avons donné la première traduction française en 1998, figurent les mêmes allusions à la Vita s. Malchi (v. 583 ; 790) et à la Sainte Croix –, voire même à l’Invention de la Sainte Lance95, dont la relique fut découverte en 1098 dans l’église Saint-Pierre d’Antioche (v. 905). On le voit, la datation de cet ouvrage confirme celle de la Vita d’Hildebert, qui était déjà évêque du Mans, lorsqu’il félicita Réginald pour la belle ordonnance (uenustas ordinis) et la force (uirtus) de son poème. Les sources du poème Grâce aux recherches du nouvel éditeur, nous disposons maintenant d’un premier aperçu des sources bibliques et classiques du poème d’Hildebert. D’autres cantons qui lui étaient familiers mériteraient d’être explorés, notamment les poètes de l’époque carolingienne et leurs épigones du IXe à la fin du XIe siècle. Pour notre part, nous avons voulu souligner la science canonique de

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  H ILDEB., epist.3, 15 : PL 171, 292.   Ch. MUNIER, 1998 ; voir le commentaire aux vers 583, 790, 905.

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l’évêque du Mans, devenu archevêque de Tours, en indiquant les synodes et conciles réformateurs auxquels il a assisté ; plusieurs passages de la Vita de Marie l’Égyptienne trouveront leur juste éclairage à la lumière de leurs décisions. Les sources scripturaires Norbert Klaus Larsen signale 20 possibles allusions à des textes bibliques, 9 à l’Ancien Testament, 11 au Nouveau Testament. En fait, un quart d’entre elles concernent les seuls vers 289-290 et 822. Exception faite de l’exemplum d’Héli96, la plupart des allusions détectées par l’éditeur dans l’Ancien Testament reprennent des expressions imagées décrivant la fragilité de la condition humaine : l’homme n’est que poussière et cendre97 ; il est comme une ombre légère, une fumée emportée par un tourbillon98 ; toute chair est comme du foin, comme la f leur des champs, vite desséchée99. Une allusion au Ps. 32 (Vg), l’un des psaumes préféré des poètes et des musiciens du Moyen Age100, s’imposait ; Hildebert n’y a pas manqué101, après le pape Léon IX102 et l’auteur de l’Ecbasis103. Enfin, l’évêque du Mans emprunte au livre des Proverbes l’image de l’or purifié dans le creuset, qui symbolise la récompense promise aux élus104.

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 VME : v. 767 : Sic Regem celi contristans corruit Heli ; la pointe du récit, qui s’étend sur les trois premiers chapitres du premier livre de Samuel, se trouve en 1 Samuel 3, 11-14 : Jamais le crime de la maison d’Héli ne sera expié, ni par des sacrifices ni par des offrandes ; cf. Hb 10, 2 97  V. 837 : Gleba recordatur, cineri cinis adiciatur ; cf. Gn 3, 19. 98  V. 289 : Nos leuis umbra sumus, nos actus turbine fumus ; cf. Eccle 7, 1 ; Sap. 2, 5. 99  V. 290 : Nos fenum agri, primum caro, postea cenum ; cf. Is. 40, 6-8 ; Ps. 102,15. 100  A cause de son verset 3 : Confitemini Domino in cithara, in psalterio decem chordarum psallite illi. 101  V. 164 : Vota Deo soluit, noua cantica pectore uoluit ; cf. Ps. 32, 3. 102  Le pape Léon IX, poète et musicien à ses heures, a emprunté au Ps. 32, 5b sa devise : Misericordia Domini plena est terra : voir Ch. MUNIER, 2002, p. 173 103   Ch . MUNIER , 1998, voir le commentaire aux vers 711, 845 et 944. Nous avons reproduit sur la couverture une miniature de l’Hortus deliciarum de l’abbesse Herrade de Landsberg (l’actuel Mont Ste-Odile), représentant le roi David jouant du psaltérion décacorde.. 104  V. 822 : Glorificanda caro decocto purior auro. L’éditeur renvoie à Prou. 17, 3 ; Zach, 13, 9 ( ?), 1 Petr. 1, 7 ; Apoc. 3, 18. on pourrait citer aussi le V. 1: Sicut hiems laurum non urit, nec rogus aurum..

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La collecte des allusions au Nouveau Testament n’est pas plus abondante. La résurrection de Lazare, symbole d’une conversion radicale, est évoquée à propos de la visite de Marie l’Égyptienne à Jérusalem105. La charité prévenante de l’Apôtre illustre celle de l’abbé Jean, qui savait se faire « tout à tous »106. La parabole de la lampe qui ne doit pas être cachée sous le boisseau, mais placée bien en vue, pour éclairer toute la maisonnée, s’applique à la vie désormais exemplaire de la pécheresse pénitente107. Enf in, Hildebert rappelle les paroles du Christ sur la vertu de la prière108 et la nécessité de persévérer jusqu’à la fin109. Les sources classiques Sous le titre : Index fontium, Norbert Klaus Larsen a réuni les sources classiques du poème d’Hildebert, de Virgile à Prudence et Venance Fortunat, et signalé une quinzaine d’auteurs contemporains ou postérieurs à Hildebert, dont les œuvres offrent des ressemblances avec la Vita beate. Marie Egyptiace. Seule la première série de cet inventaire nous intéresse ici. Sur un total de 55 « remplois », plus ou moins développés, ou d’allusions, plus ou moins nettes, trois auteurs tiennent le haut du pavé : Ovide avec 22 citations, Virgile avec 8, Lucain avec 7. Suivent Sénèque et Jérôme avec 3 chacun ; Horace et Juvencus avec 2 chacun ; tous les autres, à savoir Apulée, Eugène de Tolède, Isidore de Séville, Prudence, Sedulius et Stace, avec 1 chacun. Le commentaire indiquera, dans la mesure du possible, les particularités de chacun des emprunts matériels identifiés par le savant éditeur, notamment à l’aide des sept volumes du Lateinisches Hexameter-Lexikon d’Otto Schumann. Il signalera, à l’occasion, d’autres passages des auteurs latins de l’Antiquité classique, auxquels Héribert fait allusion, discrètement, dans une sorte de

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 V. 500 : Quod bene quaero, datur et Lazarus extumulatur ; cf. Ioh. 11.  V. 123 : His grauis, his fractus, fuit omnibus omnia factus ; cf. 1 Cor. 9, 22. 107  V. 311 : Non uult abscondi Deus inclita lumina mundi ; cf. Matth. 5, 14 ; Luc. 11, 33. 108  V. 238 : Si petis, ipse dabit ; pete, uotum uita iuuabit ; cf. Matth. 7, 7. 109  V. 52 s. : Premia uictorum pendent in fine laborum. Vt Scriptura sonat, finis, non pugna coronat ; cf. Matth. 10, 22 ; 1 Cor. 9, 24. 106

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connivence avec ses lecteurs. Il y a loin, en effet, entre la pratique médiévale de la citation matérielle, mécanique, qui a pour but premier de composer un hexamètre à partir de ses éléments métriques (dactyles et spondées), et qui est employée par tous les poètes de l’époque, et l’art infiniment subtil de l’allusion à un passage classique, à un personnage, à une situation, à une citation usuelle, que seuls les meilleurs d’entre eux possèdent et déploient. Qu’il suffise d’avoir ouvert cette piste de recherches ; nous demeurons persuadé que les lecteurs d’Hildebert feront, à leur tour, dans ce domaine de nombreuses découvertes qui les enchanteront. La pratique médiévale de l’allusion aux classiques latins est un phénomène parallèle à celle de l’allusion scripturaire, usuelle chez les Pères de l’Église : « un auteur peut tisser son propos d’allusions scripturaires qui ne sont rien d’autre qu’une sorte de langage d’emprunt, de style d’écriture qui lui permet de revendiquer la Bible comme source d’inspiration et de donner plus de poids à son œuvre. Mais la véritable réception se situe évidemment à un tout autre niveau », écrit fort justement Bernard Meunier110. Mutatis mutandis, ces lignes s’appliquent également aux allusions d’Hildebert aux classiques latins, lors même qu’il emprunte aux poèmes les plus osés d’un Ovide, ou d’un Martial ; nous y reviendrons, en temps voulu. Elles suggèrent aussi que la variété et la richesse de ses allusions aux classiques latins constitue un monde enchanté, une sorte de mosaïque savante, diaprée, étincelante ou, pour reprendre l’image d’un art fort à l’honneur à cette époque, une immense tapisserie dans laquelle citations et allusions aux poètes profanes ou chrétiens, ne sont pas de simples ornements mais, des éléments essentiels au récit, qui contribuent directement à l’action et donnent du relief à la trame, de l’éclat au dessin.   La trame du récit recomposée par Hildebert Dans un monastère de Palestine, le moine Zosime s’acquitte de manière exemplaire des devoirs de son état. Édifiés par ses vertus, de nombreux pèlerins viennent à lui afin de recueillir ses conseils. Malgré tous ses efforts pour s’en défendre, Zosime suc110

  B. M EUNIER , « Paul et les Pères grecs », RSR 94/3 (2006), p. 331-355 ; ici p. 333.

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combe aux tentations d’orgueil que ces succès font naître en lui. Cette faiblesse coupable montre bien qu’il n’est point parvenu au stade de la vertu parfaite (v. 1-45). Rappelé à l’ordre par l’Esprit, par le truchement d’une personne anonyme, Zosime se rend dans un monastère près du Jourdain. Il y apprend l’existence d’usages qui lui étaient inconnus, notamment la coutume des moines du lieu de s’en aller au désert pendant la durée du jeûne quadragésimal pour y mener la vie retirée et rigoureuse des ermites. Il suit leur exemple mais se montre trop faible pour supporter les privations de la solitude (v. 46-169). Il éprouve, en effet, le besoin d’une présence, d’un confident qui lui tiendrait compagnie et pourrait l’instruire. A sa grande surprise, il rencontre une femme-ermite, dont il lui faut bientôt reconnaître la supériorité dans le domaine spirituel. Un dialogue s’instaure entre eux, pour savoir à qui revient en priorité le droit de donner la bénédiction111 ; l’ermite a-t-elle, en tant que femme, le droit de bénir un homme ? Qui l’emporte des deux, son propre charisme ou bien la dignité sacerdotale de Zosime ? La femme-ermite finit par céder à l’insistance du moine et lui donne, la première, sa bénédiction (v. 170-315). Désireux d’en savoir davantage sur son compte, Zosime demande de plus amples détails concernant la vie de cette femme extraordinaire. Après une longue hésitation, elle finit par satisfaire à sa requête et lui fait le récit de sa vie : issue de parents de bonne condition, à l’âge de douze ans elle abandonne sa famille pour se rendre à Alexandrie. Là, pendant dix-sept ans, elle gagne sa vie comme prostituée. A l’âge de vingt-neuf ans, par pure curiosité, elle se joint à un groupe de pèlerins qui se rendent à Jérusalem pour la fête de l’Exaltation de la Sainte- Croix. Elle paie son voyage en vendant son corps aux matelots et aux passagers. Arrivée à Jérusalem, elle voudrait entrer dans l’église du Saint-Sépulcre, comme les autres pèlerins, mais en est empêchée par une force invisible. Cependant, comme par hasard, son regard tombe sur une icône de la Vierge Marie. C’est alors qu’elle prend conscience de l’énormité de ses péchés ; elle supplie la Mère de Dieu d’implorer son pardon et de lui venir en aide. Après avoir obtenu l’autorisation 111

 La question est tranchée dans la RB, 63, 15 (SC 182, p. 646).

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d’entrer dans l’église, elle reçoit l’ordre de se rendre au désert audelà du Jourdain. C’est là qu’elle se retire, emportant trois pains pour toute provision. Elle s’y trouve déjà depuis quarante-sept ans ; en s’imposant l’ascèse la plus stricte, elle a vaincu les plus violentes tentations, pour parvenir enfin à la paix intérieure. Confiante en Dieu, elle a bravé les injures du temps, en dépit de ses vêtements dépenaillés. Elle, qui n’a pas fait d’études, a été instruite dans la foi par une main divine (v. 316-689). A sa demande, Zosime l’assure qu’il ne révélera à personne ce qu’il a vu et entendu. Il lui promet de revenir dans un an, le jour du Jeudi-Saint, lui apporter la Sainte Communion. Ainsi fut fait ; la sainte transmet alors à Zosime ses recommandations à l’intention de l’abbé du monastère près du Jourdain. Après un nouveau délai d’un an, Zosime retourne au désert, espérant la revoir, mais il ne trouve plus qu’une morte. Auprès de sa dépouille, il lit, écrits sur le sable, ses mots d’adieu et sa dernière requête : Marie l’Égyptienne est décédée au soir du Jeudi-saint (de l’année précédente) ; elle le prie de procéder à l’inhumation de ses ossements. Avec l’aide d’un lion, Zosime enterre le corps de la sainte, demeuré miraculeusement intact. Lui-même retourne au monastère près du Jourdain, où il meurt, à l’âge de cent ans (v. 690-904). Les destinataires du poème L’héroïne du poème d’Hildebert est une femme qui a foulé aux pieds tous les principes de la morale chrétienne et qui, après avoir mené une vie de débauche, a fini par retrouver le chemin de la sagesse, de la piété et de la vertu, sous l’inf luence et avec l’aide de Marie, la Mère de Dieu. La conduite irréprochable qu’elle a eue après sa conversion n’a pas manqué de faire une grosse impression sur le moine Zosime qui croyait pourtant avoir mené une vie en tous points exemplaire. La possibilité même qu’une femme ait pu mener un mode de vie supérieure au sien ne répondait au départ ni à son univers mental ni à la perception de sa propre identité. Ce qui est vrai du moine Zosime ne l’est pas moins d’Hildebert, semble-t-il, « nicolaïte repenti,  qui parle des femmes et aux femmes »112. 112

  J. DALARUN, 1995, p. 40.

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De fait, si l’on entreprend d’évaluer son œuvre pastorale à la lumière de son dessein réformateur, force est de constater que l’évêque du Mans ne s’est pas contenté de défendre la libertas ecclesiae contre les empiètements des laïcs ni de promouvoir la dignité des mariages et de travailler à redresser les mœurs du clergé. En bon pasteur, il a voulu indiquer à tout le peuple chrétien – et notamment à la gent féminine – les voies possibles du salut. Ce n’était pas pour lui une mince affaire, car plusieurs de ses poèmes dénoncent à l’envi, et sans ménagements, les faiblesses et les défauts prétendument invétérés du sexe faible113, ainsi que les risques de tout genre encourus par l’homme qui se laisse séduire par la « féminité » (muliebritas). N’a-t-il pas, dans une longue diatribe, désigné la femme comme l’un des trois pires ennemis de l’homme, aux côtés de l’argent et de la soif des honneurs114 ? Compte tenu de pareilles prémisses, quels modèles de sainteté Hildebert choisit-il de proposer à la gent féminine de son temps ? Et quel écho son message pouvait-il rencontrer ? Trois modèles de sainteté féminine Il est facile de répondre à la première question. En effet, trois figures de saintes dominent l’œuvre d’Hildebert : la Vierge Marie, la reine Radegonde, qui devint moniale après avoir fui son mari, Marie l’Égyptienne, la pécheresse repentie. Il s’agit là de modèles antérieurs, plus ou moins traditionnels. Si l’évêque

113  P. VON MOOS, 1965, p.207-214, consacre un long chapitre à cette question délicate et souligne que Hildebert s’inscrit nécessairement dans une tradition misogyne, héritée, d’une part, de l’Ancien Testament et des Pères de l’Église et, d’autre part, de certains moralistes grecs et latins. Ce fonds obligé de la culture médiévale véhiculait d’innombrables lieux communs, que l’on n’est pas surpris de retrouver chez Hildebert. Voir E.R. CURTIUS, 1956, p. 305-321. 114   H ILDEBERT, Carmina, CX , v. 1-4 : Plurima cum soleant mores evertere sacros, / Altius evertunt femina, census, honos. / Femina, census, honos fomenta fomesque malorum / In scelus, in gladios corda manusque trahunt / : PL 171, 1428 C-1429 D : le poème compte 68 vers ; F.J.E. R ABY (1934), p. 320, observe à ce propos que le mélange des citations classiques et bibliques dans la suite du poème montre à quel point l’auteur connaissait par cœur son Ovide aussi bien que sa Bible ; J. DALARUN , 1992, p. 86, donne la traduction française de ces vers et d’une vingtaine de vers suivants. Il signale la lettre de Marbode de Rennes à Robert d’Arbrissel, en date des années 10991100 : PL 171, 1480-1486, non moins violemment misogyne ; cf. F. C HATILLON , « Le portrait de la méchante femme selon Marbode », RMAL 42 (1986), p. 65-69.

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du Mans les a repris, pour l’édification de ses contemporains, sous quel aspect particulier a-t-il choisi de les proposer ? Quelle vertu, quelle valeur, spécifiquement féminine, a-t-il voulu mettre en relief ? La Vierge Marie Tout d’abord, Hildebert livre son image mariale dans le sermon intitulé Contra Judaeos115. Le thème central de ce sermon est l’absolue intégrité de la virginité de Marie, exprimée dans la formule clausa ante partum, clausa in partu, clausa post partum, que Hildebert partage avec Geoffroy de Vendôme116. La Vierge absolue de ces auteurs, observe Jacques Dalarun, « renoue avec l’état de l’humanité avant la chute ». Elle est l’antidote du Serpent117,  le refuge des pécheurs (spes peccatorum118), dont l’intercession est toute-puissante, celle que célèbre l’Oratio ad matrem Domini, attribuée à saint Anselme de Canterbury119, ami de nos prélats. Mais à qui s’étend, à qui profite cette intercession mariale ? « En tout état de cause, conclut Jacques Dalarun, jamais aucun de nos trois prélats n’a l’idée de mettre l’intercession mariale au service d’une femme. Marie est le refuge des pécheurs, non des pécheresses120 ». Sainte Radegonde La figure de sainte Radegonde (520/5-587), fille du roi de Thuringe, et reine de France, nous est connue par les deux bio115

 PL 171, 811-814.   J. DALARUN, 1992, p. 90-99, donne un exposé circonstancié du débat sur l’évolution de l’idée de la virginité mariale, depuis le Nouveau Testament (Matth. 1, 18-25 ; Lc 1, 26-38) jusqu’à Thomas d’Aquin ; il précise, ibid., p. 94, que la formulation d’une virginité ante partum, in partu, post partum semble s’être forgée à haute époque, dans un sermon attribué à Augustin, Jérôme, Maxime de Turin et Ambroise Autpert : PL 39, 2107, § 1, mais qui semble être d’origine africaine et dater du VIe siècle. 117  GEOFFROY DE VENDÔME , Sermo I, PL 157, 237D. 118  M ARBODE , Carmen I, 25 ; PL 171, 1661B. 119  A NSELME DE CANTERBURY, Oratio ad matrem Dei 46, PL 158, 942D. Cette attribution est erronée, puisque la prière f igure déjà dans le Psautier de Moissac, rédigé vers 1025. 120   J. DALARUN , 1992, p. 99. L’affirmation ne semble-t-elle pas ne point prendre en compte précisément la Vita beate Marie Egiptiace ? 116

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graphies que lui ont consacrées Venance Fortunat121 et la nonne Baudonivie122 . Hildebert les cite expressément ; il en a tiré la substance de son propre récit123. Ramenée en France, à l’âge de huit ans, comme captive, avec son frère, par Clotaire Ier, roi des Francs de Soissons, qui avait tué leur père Berthaire et leurs deux oncles, elle fut confiée au couvent d’Athies en Vermandois, où elle reçut une éducation soignée. Clotaire l’épousa en 538, malgré elle, et lui témoigna le plus vif attachement. Mais il fit périr son frère, impliqué dans une conjuration. Radegonde se retira à Noyon, et obtint de l’évêque, saint Médard, d’être consacrée à Dieu (vers 555). Elle s’enfuit à Orléans, Tours, Poitiers. Clotaire l’y poursuivit, mais finit par consentir à lui laisser embrasser la vie religieuse124. Radegonde bâtit, aux portes de Poitiers, un monastère, bientôt célèbre sous le nom de Sainte-Croix. Dans la comparaison qu’il a effectuée entre la biographie de Radegonde d’Hildebert et ses modèles antérieurs, Jacques Dalarun a focalisé la recherche sur la virginité de l’héroïne dans les diverses étapes de sa vie. Il observe que, si, chez Fortunat, le mariage de Radegonde et la couche partagée ne semblent pas faire question – sauf pour Clotaire se plaignant d’avoir épousé une femme qui se lève toutes les nuits pour prier, une nonne plus qu’une reine – Hildebert, au contraire, insiste sur la virginité de son héroïne avant l’union, puis sur la passivité voire le dégoût avec quoi elle se soumet au devoir conjugal125. Après avoir évoqué la légende d’une virginité sauvegardée dans le lit conjugal et celle non moins singulière d’un retour de l’héroïne à la virginité, qui s’ébauche dès la fin du XIe siècle126, il conclut : « Les vertus de

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  Vita I sanctae Radegundis reginae, MGH SRM 2, 364-377.   Vita II sanctae Radegundis reginae, ibid. 377-395; une traduction française a paru dans La vie quotidienne des femmes au Moyen Age, Paris 1991, p. 73-86. 123   Vita sanctae Radegundis reginae, PL 171, 967-982. 124  M. ROUCHE , « Le mariage et le célibat consacré de sainte Radegonde », dans La riche personnalité de sainte Radegonde, Poitiers 1988, p.79 s. 125   . J. DALARUN , 1992, p. 102-103 ; 1995, p. 41 s. ; cf . H ILDEBERT, Vita sanctae Radegundis reginae, § 7, 11 et 39 : PL 171, 969 D-970 A ; 971 C-D et 982 A. On pourrait se demander aussi comment Radegonde aurait pu oublier que son mari était l’assassin de son père et de ses deux oncles. 126  Elle est mentionnée par Léon d’Ostie dans la chronique du monastère bénédictin du Mont-Cassin et semble bien s’être formée parmi les promoteurs de la réforme ecclésiastique. 122

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la moniale Radegonde, selon la clef de lecture du XIIe siècle, ne sont plus que le pis-aller d’une vertu irrémédiablement perdue »127. Sont-elles méprisables pour autant ? En fait, Hildebert n’a aucune difficulté à reconnaître et ne montre aucune réticence à décrire chez la reine Radegonde les vertus qui lui tenaient le plus à cœur, celles qui à ses yeux incarnaient l’idéal de sagesse et de noblesse d’âme que ses chers Romains désignaient par le terme humanitas. Pour garder dans toutes les situations que réserve la vie, une égalité d’humeur imperturbable, voire un calme olympien, il faut avoir allié les deux vertus cardinales de la temperantia et de la fortitudo128. Mais Hildebert ne prétend pas donner de leçon de stoïcisme aux nobles destinataires de ses lettres, poèmes ou biographies. Il leur suggère tout d’abord de joindre la mansuetudo à l’humanitas. C’est ainsi qu’évoquant la jeunesse d’Hugues, le futur abbé de Cluny, il souligne l’excellente impression que ses bonnes manières avaient faite sur l’empereur et sa cour, lors de son séjour à Cologne : la pureté de ses mœurs, son naturel aimable, son abord facile, la douceur de sa conversation étaient autant de signes d’une vertu déjà éprouvée129. Chez Radegonde, l’évêque du Mans loue le charme que dégageait sa présence : « Personne n’était plus amène : offensée, elle ne cherchait pas à se venger ; en chacun de ses faits ou de ses dires, elle apportait une note de sagesse inégalable, elle savait attendre le moment propice pour intervenir. Elle savait respecter les limites qui s’imposent »130 . On dira qu’il s’agit là de poncifs qui font nécessairement partie d’une biographie médiévale ressortissant à l’hagiographie, et teintée d’un tantinet de préciosité, comme il sied à un poète distingué, à l’instar d’Hildebert, familier des milieux de la plus fine 127

  J. DALARUN , 1995, p. 42.  P. VON MOOS , 1965, p. 139-148, donne un ample commentaire sur les idées-forces d’Hildebert dans le domaine de l’éthique et marque l’importance des vertus cardinales alliées à l’ humanitas et à la mansuetudo de Radegonde. 129   H ILDEBERT, Vita Hugonis, 3 ; PL 159, 864 C : Celebravit autem pascha cum imperatore in Agrippina Colonia, Teutonicis mirantibus in iuvenili adhuc aetate canitiem morum, conversationis mansuetudinem, vultus gratiam, verborum lenitatem… 130   H ILDEBERT, Vita sanctae Radegundis reginae, 40 ; PL 171, 982 BC :  Nemo illa mansuetior, quae regina est offensa, nullam quaesivit ultionem. In omni actione et verbo modum discretionis posuit, attendit tempora. Rerum terminos observavit.  128

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noblesse. Mais ne retenir que cet aspect de l’œuvre serait escamoter près d’un tiers de sa Vita de la reine Radegonde, ignorer les passages où il décrit l’ascèse rigoureuse qu’elle s’imposa131, son application constante à s’acquitter des œuvres de miséricorde, dans les soins qu’elle prodiguait à tous les malheureux, les pauvres132, les malades133, les lépreux134. Pour Hildebert, c’est par son humilité, qu’elle observa jusqu’à la fin, dans ces témoignages d’une charité indéfectible, que Radegonde fit preuve de sa noblesse d’âme, de sa fortitudo. Mais elle ne crut pas non plus déroger à son rang, lorsque, devenue monacha, elle se plia à toutes les servitudes de la Règle monastique. Cette soumission exemplaire nous est décrite dans ce preste croquis d’une « semainière » accomplie : « Lorsqu’elle devait faire la cuisine, elle ne causait pas d’embarras et ne prétextait aucune excuse. Pour commencer, elle n’avait pas honte de porter dehors des détritus qui auraient dégoûté n’importe quelle servante. Ensuite elle tirait l’eau du puits, l’apportait (à la cuisine), allumait le feu, nettoyait les écuelles, préparait les légumes et veillait à leur juste cuisson 135». On dira que ces descriptions sont un pur produit de l’imagination d’Hildebert, que si elles sont rédigées en prose, selon la

131   H ILDEBERT, Vita S. Radegundis reginae, 25-29 : PL 171, 976 C- 978 C : au point de vue du style, il vaut la peine de comparer, par exemple, le § 25 avec les vers 92-98 et 615-626 de la Vita b. Marie Egiptiace. 132   H ILDEBERT, Vita S. Radegundis reginae, 30 : His in diversorio susceptis, suis ipsis manibus capita lavit, unguibus abrasit scabiem, putredines abstersit, eduxit vermes ulceribus, admovit oleum … 133   H ILDEBERT, Vita S. Radegundis reginae, 31 : Si quis gravioribus incommodis urgeretur, huis ipsa panem, ipsa carnes incidebat. Nonnullos suis ipsa manibus pavit. Pendebat ab humero linteum, quo vel ab ore debilium, vel a cochlearibus cadentia tergebantur. 134   H ILDEBERT, Vita S. Radegundis reginae, 32 : Erat ei etiam circa leprosos tam devota sedulitas, ac si ipsum adesse Christum minime dubitaret ; quibus benigne susceptis, ipsa eorum manus repente lavabat, suspenso tactu laceram cutem fovere non abhorrens … 135   H ILDEBERT, Vita S. Radegundis reginae, 34 : Factura coquinam nullum causata est incommodum, nullam praetendit excusationem. Hanc ingressa, sordes non erubuit ejicere, quas videre quaelibet ancilla fastidiret. Dehinc ipsa de puteo aquam hausit, ipsa tulit, ipsa focum accendit, scyltellas mundavit, incidit olera, curam leguminibus adhibuit, et coquendi sufficienter er congrue dispensandi. La suite de ce passage décrit les corvées de nettoyage à fond du monastère, pavements, officines (poulaillers ?), réserves (penetralia), ut nec plenas sordibus cophinos efferre, nec fetorem sustinere recusaret.

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communis loquendi consuetudo, en un sermo simplex voisin de la langue courante136, elles ont recours aux recettes de la rhétorique, au même titre que ses compositions poétiques. Nous en convenons bien volontiers ; il n’en reste pas moins qu’elles ne peuvent être rejetées a priori comme invraisemblables, décalées de la réalité, visant uniquement à mettre en relief les vertus incomparables d’un modèle de sainteté. Tout au contraire, le réalisme terre à terre avec lequel sont évoquées les humbles tâches domestiques accomplies par une reine devenue moniale, offre aux auditoires les plus divers, des nobles aux manants, une propédeutique des plus convaincantes, en raison même de leur évidente simplicité. Il en va bien autrement quand on découvre la personnalité de Marie l’Égyptienne et que l’on s’interroge sur le message que l’évêque du Mans a voulu faire passer en proposant sa Vita aux lecteurs cultivés de son temps. Marie l’Égyptienne Pour mieux faire ressortir la grandeur du miracle qui fit de la gamine rebelle, fuyant la demeure familiale pour la mégapole d’Alexandrie, où elle sombra dans la débauche, une pénitente exemplaire, Hildebert n’a pas hésité à l’assimiler, voire à l’identifier137 à la Madeleine venue vers Christ le matin de Pâques, portant onguent et parfum, et à comparer sa conversion à la résurrection de Lazare. Ce procédé fait écho à la coutume médiévale qui incitait les églises locales à se doter de fondateurs prestigieux, ayant, si possible, fait partie de l’entourage immédiat du Christ, un Lazare d’Aix, par exemple, un Martial de Limoges138. L’évêché du Mans n’était pas en reste, lui qui se targuait d’avoir été fondé par saint Julien, l’un des soixante-douze disciples ordonnés par les apôtres139. L’audace d’Hildebert était donc toute relative sur ce point, car elle s’inscrivait parfaitement dans le vaste

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 E.R. CURTIUS , 1956, p. 184.  A vrai dire, c’est dans un long monologue intérieur que la pécheresse, s’interrogeant sur les raisons de son exclusion du sanctuaire, opère cette identification 138   J. STAUB , « Martialis, hl., als 1. Bf von Limoges », LThK 6 (1997), 1421. 139   Vita Iuliani BHL 4546= Actus c. 1 : Primus Cenomanica in urbe episcopus fuit s. Iulianus, nobili ex progenie Romanorum ortus, et ab infancia sacris litteris sapienter eruditus, ac in numero lxx discipulorum ab apostolis ordinatus… 137

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mouvement qui, se greffant sur la légende orientale de Marie l’Égyptienne, traduite en Occident par Paul de Naples, avait déjà enrichi la légende de la Madeleine d’un certain nombre de ses composantes érémitiques, empruntées à la geste de Marie l’Égyptienne140. Mais en faisant appel aux péricopes évangéliques, l’évêque du Mans, rappelait aussi, discrètement, que toute grâce de pardon, lors même que Notre-Dame y joue un rôle décisif (v. 501-539 : 598-614), nous vient de son Fils, qui ressuscita Lazare et qui, « par sa mort, a anéanti celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable, et délivré tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude » (Hebr. 2, 14 ; cf. v. 478-493). Les destinataires du triptyque hagiographique S’il est un lieu commun de l’herméneutique et de l’homilétique médiévales, c’est bien la relation établie entre les trois degrés de rétribution – 100, 60, 30 – de la parabole du semeur (Mt 13, 8) et les trois statuts moraux de la femme – la vierge, la veuve, la femme mariée141. Hildebert y fait allusion dans une de ses épigrammes bibliques142, qui les évoque dans l’ordre croissant, la femme mariée (copula casta), la veuve, la vierge, ce qui semble bien correspondre tout simplement à des considérations statistiques : la majorité des femmes est destinée au mariage, un état qui leur vaudra une modeste rétribution, dans la mesure où elles se seront acquittées de leurs devoirs d’état et auront fait effort pour ne pas céder aveuglément aux sollicitations de la chair. Cette ascèse sera plus facile aux veuves, deux fois plus facile, à en juger d’après la rémunération que leur attribue Hildebert. Quant au prix de la virginité, il est évidemment exceptionnel, inestimable, depuis que l’Apôtre s’est prononcé sur ce sujet143.

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 Voir V. SAXER , « Marie-Madeleine (sainte), Caholicisme, 8, Paris, 1979, col. 636.  A. Quacquarelli, Il triplice frutto della vita cristiana : 100, 60 e 30 (Matteo XIII, 8) ) nelle diverse interpretazioni, Roma 1953. 142   Epigram. 59, 9-10 : Ter denum factum Domino fert copula casta ; / est duplus uiduae, centenus uirginitatis, 143   Ch. MUNIER , Mariage et virginité dans l’Église ancienne (Ier-IIIe siècles), Peter Lang ed., Berne. Francfort-s. Main. New York. Paris 1987, notamment p. XXIV-XXX. ; du même, L’Église dans l’Empire romain (IIe-IIIe siècles), Paris 1979, p. 6-13. 141

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Puisque, aux yeux d’Hildebert, le critère d’excellence de la vertu féminine paraît résider dans la virginité, les commentateurs se sont demandé comment ses correspondants purent tirer profit des modèles qu’il proposait dans son triptyque hagiographique, composé de Marie l’Égyptienne, de la sainte reine Radegonde et de la Vierge Marie. Leur verdict est sans appel. Tout d’abord, la virginité de Marie, telle qu’il la définit dans le sermon Contra Iudaeos devait apparaître comme un idéal inaccessible à la majorité de ses destinataires ; tout au plus les moniales pouvaient-elles la contempler comme un modèle céleste. Jacques Dalarun a souligné comment l’exemple de Radegonde avait pris, sous la plume d’Hildebert, une orientation nettement encratite, dans la mesure où l’auteur avait insisté non seulement sur la parfaite pudeur de son héroïne avant son mariage mais aussi sur sa répugnance à l’égard des étreintes conjugales de son assassin de mari. Quant à la figure de Marie l’Égyptienne, retenons, avec le même savant, qu’elle ne laissait pas d’interpeller tous les lecteurs ou auditeurs éventuels de sa « Vie », sans aucune exception, femmes et hommes indistinctement, pour la bonne raison que cette « Vie » est conçue pour opérer « comme une parabole décrivant l’âme pécheresse »144. Hildebert a réservé aux trois saintes en question une large place dans son œuvre ; bien entendu, il module chaque fois le thème retenu, en fonction des destinataires de ses lettres ou de ses sermons145. De la parabole à la prosopopée Cependant, force est de constater que la fonction exemplaire de Marie l’Égyptienne, inscrite dans sa biographie même, n’épuise pas – tant s’en faut – le message que l’évêque du Mans destine aux lecteurs de sa Vita. A dire vrai, il ne s’agit là que de la partie la plus facilement accessible de ce message, celle qui relève direc144

  J. DALARUN , « La parte del sogno : funzionalità dei modelli femminili nell’opera di Ildeberto di Lavardin » dans Modelli di santità e modelli di comportamento. Contrasti, intersezioni, complementarità, Torino 1994, p. 149-166, ici p. 152 : «  perche si tratta anche e anzitutto di une parabola sull’anima peccatrice, quella degli uomini ». 145   Qu’il soit permis de renvoyer le lecteur aux études exhaustives consacrées à cette question par J. DALARUN, 1994, p. 149-166 ; 1995, p. 37-51.

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tement des responsabilités pastorales d’Hildebert, celle que tout lecteur identifie spontanément dans une lecture au premier degré de la parabole qui lui est proposée dans le personnage de la pécheresse repentie, à savoir l’infinie miséricorde de Dieu, les vertus de la repentance et la puissance de l’intervention de Notre Dame dans le processus de la conversion des pécheurs. De fait, dans le même ouvrage, le personnage de Marie revêt une autre fonction et délivre un autre message, précisément en sa qualité d’ermite du sexe féminin. Il apparaît, en effet, que Marie l’Égyptienne n’est pas seulement l’héroïne d’une parabole « évangélique »146, mais le personnage-clé d’un drame de la plus brûlante actualité : non seulement elle incarne en sa personne l’aspiration du monde féminin à rejoindre le mouvement des nouveaux ermites de l’époque d’Hildebert, mais elle intervient, en sa qualité d’ermite, pour donner des conseils au monde monastique (v. 756-783). Bien entendu, son intervention dans le récit la cantonne dans le domaine de la prosopopée, car elle n’est que le prête-nom de l’auteur qui se sert de ce personnage, – comme il le fait aussi des personnages de Zosime (v. 5-44 ; 158-189 ; 901-904) et de l’abbé Jean (v. 68-123), – pour donner son avis sur les relations difficiles dans lesquelles s’affrontent alors le monachisme cénobitique traditionnel et les nouveaux ermites des régions de l’Ouest de la France. Une autre lecture, au second degré, de la Vita beate Marie Egiptiace est donc non seulement possible mais indispensable, si l’on veut connaître l’opinion de l’évêque du Mans sur ces questions délicates, et les conseils qu’il se permet de suggérer aux parties en cause. L’enjeu est de taille : ce qui est en question, par delà toutes les situations concrètes et tous les conf lits de personnes, c’est, une nouvelle fois, la hiérarchie des vocations monastiques et leurs mérites respectifs. Mais, puisque le personnage principal du poème est celui de la pécheresse repentie, parvenue dans la solitude du désert aux plus sublimes hauteurs de la vie spirituelle, faut-il en conclure qu’Hildebert attribue la priorité à la vocation érémitique ?

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 Elle illustre les paraboles de la brebis égarée (Luc 15, 3-7), de la drachme perdue (Luc 15, 8-10) et de l’enfant prodigue (Luc 15, 11-32).

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IV. Le monachisme chrétien en débat : de l’érémitisme au cénobitisme Pour répondre à cette question, il convient de rappeler d’abord, brièvement, les données de l’histoire du monachisme chrétien ; elles jalonnent un parcours plusieurs fois séculaire, qui vit les deux composantes du monde monastique progresser d’emblée, de pair et pacifiquement, sur les chemins de la perfection. Il nous faut, pour ce faire, remonter aux origines de l’érémitisme traditionnel (IIIe-Ve siècle), auquel l’héroïne est censée se rattacher historiquement, et comparer celui-ci au mouvement des nouveaux ermites (XIe-XIIe siècles), qui prétend corriger et renouveler le monde monastique contemporain d’Hildebert. Aux origines du monachisme : d’Antoine à Pacôme Si le monachisme apparaît comme l’un des aspects les plus originaux du christianisme naissant, il est évident que, même sous sa forme première, il ref lète des tendances profondément inscrites dans la nature humaine et que l’on retrouve à l’œuvre dans nombre d’écoles philosophiques et dans toutes les grandes religions147. Le besoin de solitude, de vie secrète et intime, d’éloignement de la foule, de la ville, mais aussi la quête de l’absolu et la pratique d’une ascèse rigoureuse148, conduisant à une parfaite maîtrise de soi, dans la mesure où la créature humaine parvient à s’émanciper de ses appétits sensuels, de la tyrannie des biens de ce monde, de l’asservissement au confort, constituent des traits communs et constants d’un phénomène universel. Cependant les formes particulières de l’ascétisme chrétien, qui reposent sur des « conseils évangéliques » (Matth. 19, 12 et 21 ; I Cor. 7, 7 s., 25 s.), ont donné naissance, à partir du IIIe siècle, au monachisme chrétien, qui représente une nouveauté absolue, importante pour l’histoire de l’Église et de la civilisation.

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  Qu’il soit permis d’inviter le lecteur à se reporter à l’excellente présentation des débuts du monachisme faite par P. DE L ABRIOLLE, dans l’Histoire de l’Église, d’ A. FLICHE et V. M ARTIN, t. 3, 1936, p. 299-370 ; voir aussi G. L E BRAS , 1979, p. 7-13.. 148   H. STRATHMANN - P. K ESELING , « Askese », RAC I, 749-795 (Bibliographie).

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Chez certaines personnes, l’élan ascétique, propre au christianisme dès le commencement, aboutit alors à une séparation d’avec la société, d’abord seulement partielle, puis complète, dans les solitudes écartées et dans les déserts. On trouve ce monachisme tout d’abord surtout en Égypte, où il fut favorisé par le climat et les habitudes de la population indigène, puis en Palestine et en Syrie. Ses représentants les plus connus sont saint Paul de Thèbes149 († vers 347) et saint Antoine le Grand (251-356), ermite et père du monachisme. Rédigée par l’évêque Athanase d’Alexandrie (328-373), la Vita de saint Antoine eut une inf luence considérable, en Orient comme en Occident 150. Après avoir passé une vingtaine d’années dans une complète solitude, Antoine accepta, à partir de 306, des disciples qui élevèrent des cellules dans son voisinage ; ainsi se forma une union d’ermites (ou d’anachorètes, du grec a nj acwre vw : se retirer), qui se maintenait sans règle fixe, uniquement grâce au prestige personnel, à l’exemple et à la parole de son maître. On peut reconnaître ici une deuxième étape du mouvement monastique, un passage de la vie érémitique à une certaine vie communautaire ». Avec sa troisième phase, le cénobitisme proprement dit, (du grec koino ;" bi vo" : vie commune), l’évolution parvint à sa conclusion provisoire. Cette phase est liée à la personne de saint Pacôme. Il avait vécu d’abord la vie d’ermite mais, vers 320, il fonda à Tabennisi, sur le Nil, en Thébaïde (Haute-Égypte) un monastère, c’est-à-dire une maison pourvue de cellules pour de nombreux moines, entourée d’un mur d’enceinte. Il donna à cette communauté une règle qui fixait dans le détail les prières et les exercices spirituels, l’habillement, le travail manuel et la discipline. Ainsi, à la place de la vie érémitique, sans règle mais non sans dangers151, naissait un organisme plus adapté aux besoins 149

 La Vita Pauli, tissée de légendes, fut composée par Jérôme : PL 23, 17-30 ; voir K.S. F RANK , « Paulos v. Theben », LThK 7 (1998), 1528-1529. 150   « S. Antoine est resté, réellement, le Père des moines : aussi, dans tous les milieux et à toutes les époques du moyen âge, les moines se considéraient-ils comme ses vrais fils ; partout ils ont revendiqué son patronage, parfois les uns contre les autres », J. L ECLERCQ, 1957, p. 98. 151   « Vivre dans la solitude, sans autre loi que celle qu’on s’impose à soi-même ; subir isolé le spleen terrible de certaines journées interminables et les phantasmes troublants de la nuit ; n’édifier personne de ses victoires et dévorer l’amertume et l’humiliation

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religieux et sociaux. Les moines de Pacôme étaient répartis en maisons, selon la division du travail (tresser les joncs du Nil pour en former des nattes et des corbeilles, travailler les feuilles de palmier). Chaque maison avait son supérieur (praepositus). Trois ou quatre maisons formaient une « tribu », mais toute la communauté devait une obéissance absolue à son chef spirituel, l’abbé (du copte : abba, le père). Chaque jour ils prenaient trois repas en commun et se réunissaient deux fois pour la prière. Pacôme professait la plus vive admiration pour Antoine et il le plaçait « parmi les merveilles de son temps ». Cependant il avait pris nettement conscience des avantages que la vie en commun bien réglée pouvait offrir à l’ascète, en le protégeant contre les dangers de la solitude et des mortifications non contrôlées par une autorité qualifiée : la vie de communauté, en subordonnant l’individu à un groupe, préviendrait certains abus, faciliterait l’amélioration des âmes par la vertu de l’exemple et tournerait au bénéfice de tous. Un autre avantage de la vie en commun sous l’égide d’une règle, fut de couper court à tout débat sur la nécessité du travail pour le moine. Certains des premiers guides spirituels des anachorètes auraient admis que le devoir essentiel des moines était de vivre « comme les anges », en priant sans cesse, en jeûnant, tout souci des choses terrestres étant systématiquement écarté. A l’usage, les inconvénients pratiques de cette imitation imprudente des « anges » se révélèrent, si bien que le travail fut recommandé, sinon comme un précepte divin, du moins comme un exercice utile contre les pensées mauvaises et comme un moyen de se procurer des ressources pour l’aumône. Puis, dans les groupements cénobitiques, il devint loi absolue, inéluctable. Dans ses Conférences, Cassien rappelle à plusieurs reprises l’exemple152 et la parole de l’Apôtre : « Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger »153. Saint Benoît dira plus tard : « L’oisiveté est l’ennemie de l’âme. Aussi les frères doivent-

de ses défaites, il y avait là de quoi faire f léchir l’âme la mieux trempée », écrit P. DE L ABRIOLLE, 1936, p. 340, qui cite cette réf lexion de Dom QUENTIN : « Le solitaire, livré à lui-même, sombrait facilement soit dans le relâchement soit dans l’extravagance. Avec le cénobitisme, un élément nouveau entre dans la vie religieuse : l’obéissance ». 152  Act. 20, 34 ; I Cor. 4, 12 ; II Thess. 3, 7-9.. 153  II Thess. 3, 10 ; cf. JEAN CASSIEN , Conférences, XIV, 11 (SC 64,183) ; cf. ibid., X, 14 et XIV, 12..

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ils être occupés, « en des temps déterminés, au travail manuel et, à des heures déterminées aussi, à la lecture divine »154. Les progrès du cénobitisme en Orient Au milieu du IVe siècle, saint Basile († 379) donna à la vie cénobitique une impulsion qui fut définitive pour l’Orient. Après avoir passé un an à visiter des moines en Égypte, Syrie, Mésopotamie et Palestine, il rentra dans son pays natal et fonda sa propre communauté, près de Césarée de Cappadoce155. Il rejeta la vie érémitique pour deux raisons : les dangers de la solitude, en quoi il fait écho à l’Ecclésiaste156 ; par contre, seule la vie commune, pensait-il, permet l’exercice des vertus chrétiennes d’obéissance, d’humilité et de charité157. D’autre part, les organisations pacômiennes lui apparaissaient appeler de sérieux correctifs158. La réforme basilienne se fit dans le sens du renforcement des prérogatives du supérieur (proestw nv ). L’obéissance basilienne devint non pas l’unique vertu du moine mais la vertu primordiale, celle qui garantissait les autres. Tout monastère, selon le cœur de Basile, devait être non pas une simple juxtaposition d’ascètes mais une communauté véritable, où chacun travaillerait au salut de tous, dans une abnégation librement consentie. La Règle de Basile s’imposa à l’Orient ; en Occident, saint Benoît s’en inspira largement. Le monachisme en Palestine A en croire Jérôme159, c’est l’ermite Hilarion, établi au sud de la Palestine  dans la solitude de Maiouma près de Gaza qui, après

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 La sentence initiale, attribuée à Salomon dans le texte imprimé de BASILE , Reg. 192, n’appartient ni à l’Écriture, ni à Basile ; voir le commentaire d’A. DE VOGÜÉ à la RB 48, 1 (SC 182, p. 598 s.). 155  Pour l’inf luence de l’évêque Eustathe de Sébaste sur Basile, voir J. G RIBOMONT, DSp 4, 1708-1712. 156   BASILE , Regulae fusius tractatae : PG 31, 930 ; cf. Eccle 4, 10 : Vae soli : qui ceciderit, non habet subleuantem se ; voir V. DESPREZ (1997), p. 32-44 . 157   BASILE , Regulae fusius tractatae : PG 31, 934. 158  Voir P. DE L ABRIOLLE , 1936, p. 344 s. 159  D’aucuns ont considéré Hilarion comme un personnage de roman, forgé de toutes pièces par Jérôme ; voir la mise au point de P. DE L ABRIOLLE , 1936, p. 310, qui cite les

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avoir pris contact avec Antoine lui-même en Égypte, inaugura ce genre de vie et cette discipline dans cette province au commencement du IVe siècle. C’est seulement au bout de vingt-deux ans de vie solitaire que sa renommée s’étendit dans toute la région et bien au-delà ; « On accourut à l’envi de la Syrie et de l’Égypte ; beaucoup embrassèrent la foi du Christ et la vie monastique… L’exemple d’Hilarion suscita dans toute la Palestine des monastères innombrables et tous venaient le trouver »160. Jérôme ne précise nulle part l’organisation de ces monastères ; il indique seulement qu’Hilarion en dirigeait un, peuplé d’une multitude de frères, et que, regrettant sa vie de solitaire, il décida de le quitter pour chercher au loin un peu de recueillement161. Après Hilarion, le monachisme palestinien paraît avoir pris des formes différentes. Il y eut, d’une part, des colonies d’ermites162, des laures, tout le long de la côte des Philistins, dans le désert de Juda et en divers points illustrés par les souvenirs bibliques ; il y eut d’autre part les couvents fondés et dirigés par les Occidentaux : le monastère féminin de Mélanie à Jérusalem ; le monastère d’hommes de Rufin au mont des Oliviers ; les couvents de Paula et de Jérôme à Bethléem. Dans son « Itinéraire », qui relate son pèlerinage en Palestine (v. 381-384), Égérie évoque l’existence, en de nombreuses cités, d’ascètes et de vierges consacrées (monazontes et parthene, ut dicunt), vivant séparément, mais à Jérusalem, par exemple, ils récitaient leurs prières en commun163. L’âge d’or du monachisme palestinien se place aux Ve et VIe siècles ; l’existence singulière et la Vita de Marie l’Égyptienne appartiennent à cette période, très riche en personnalités mémotémoignages d’Épiphane et de Sozomène attestant la réalité de son existence. Voir E. G RÜNBECK , « Hilarion v. Gaza », LThK 5 (1996), 98 ; A. DE VOGÜÉ , 1993, p. 163236. 160   JÉRÔME , Vita Hilarionis, : PL 23, 30-54, notamment c. 14. 161  De fait, Épiphane et Sozomène nous apprennent qu’après 360 Hilarion a quitté la Palestine pour aller successivement en Égypte, en Sicile, en Dalmatie et à Chypre. 162   Ces colonies d’ermites, inconnues du monachisme latin, étaient appelées Laures (du grec lau rv a : allée, chemin), parce que les habitations des ermites étaient reliées entre elles par un sentier. Les ermites vivent sous la direction d’un supérieur. La colonie possède un centre, une église, une boulangerie, un entrepôt (outils, produits du travail des moines), la maison du supérieur. Les ermites ne se retrouvent que le samedi et le dimanche pour l’eucharistie ; ils passent le reste du temps dans leur cellule ; voir C. LIALINE , 1946, 943 s. (Bibliographie). 163  ÉGÉRIE , Journal de voyage, 34, 1 et s. (SC 296. 277).

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rables : qu’il suffise de mentionner Euthyme († 473)164, Pierre l’Ibère († 491)165 et Sabas († 632)166. Ce qui le caractérisait, c’est la présence d’un grand nombre d’anachorètes qui, généralement, commençaient par se former et s’entraîner dans une des communautés de cénobites167, érigées sur les confins des déserts de Palestine. A la différence des monastères occidentaux, celles-ci ne se rattachaient pas à un ordre défini ; chacune s’était donné sa propre Règle. On y pratiquait une ascèse intensive, mais les moines s’adonnaient volontiers aussi aux diverses tâches de la pastorale, notamment auprès des foules de pèlerins qui aff luaient de toute part vers les Lieux saints168. La diffusion du monachisme en Occident La connaissance des modèles monastiques d’Antoine, de Pacôme et de Basile parvint bientôt en Occident. Exilé d’Alexandrie, Athanase vécut un an à Trèves (335-337), puis à Rome169. En 357, il publia sa Vie d’Antoine, qui fut traduite du grec en

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 E. G RÜNBECK , « Euthymios der Grosse », LThK 3 (1995), 1020.   H. FÄHNRICH , « Petros der Iberer », LThK 8 (1999), 126. 166  S. C. KESSLER , « Sabas », LThK 8 (1999), 1400 ; sa Vita a été composée par Cyrille de Scythopolis : CPG 7536. : originaire de Cappadoce, formé par Euthyme, Sabas s’établit en 469 sur les bords de la Mer Morte. Fondateur de nombreuses laures, dont la Grande Laure (483), dans la vallée du Cédron. En 494 il est nommé supérieur des colonies d’anachorètes de Palestine par le patriarche de Jérusalem. 167  En quoi ils se conformaient à l’enseignement de saint Sabas ; voir J. PATRICH , Sabas, Leader of Palestinian Monasticism, Washington 1994 ; du même, « Palestinian Desert Monasticism. The monastic systems of Chariton, Gerasimus and Sabas », CrStor 16 (1995), p. 1-9. L’ouvrage de Th.OLTARJEVSKY, Le monachisme palestinien aux VIe et VIIe siècle, Saint Pétersbourg 1897, est rédigé en russe. 168  ÉGÉRIE , Journal de voyage, 13, 1 (SC 296, 183), signale, à côte des indigènes et des pèlerins, la présence de nombreux moines et nonnes aux offices célébrés dans les églises de Jérusalem. La Palestine connaissait alors une ère de prospérité inouïe, du fait des riches immigrés venus d’Occident, pour échapper aux dangers des invasions barbares ; voir U. WAGNER-LUX , « Jerusalem I », RAC 17 (1996), 694, les réserves de Grégoire de Nysse et de Jérôme, epist. 58, à ce sujet. Elles demeurent inspirées par la préférence accordée à l’idéal de la rupture avec le monde, qui anime le monachisme primitif ; voir G. L E BRAS , 1979, p. 14-17, et ses observations générales sur l’essence, les formes et les risques du monachisme, ainsi que celles de J. L ECLERCQ, 1957, p. 105-106, sur la continuité entre la culture patristique et les siècles monastiques su moyen âge.. 169  Il y révéla les exploits des ermites d’Égypte aux patriciennes romaines, dont plusieurs transformèrent leur maison en un petit coenobium, où Jérôme (374-384) leur apprit à méditer sur les Écritures. 165

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latin dans le dernier quart du IVe siècle. Dans la première décennie du Ve siècle, Jérôme traduisit la Règle de Pacôme, Rufin d’Aquilée celles de Basile. Vers 415, Jean Cassien, qui avait vécu pendant une quinzaine d’années dans les monastères d’Égypte, arrivait à Marseille 170. Il y fonda un monastère d’hommes (SaintVictor) et un monastère de femmes (Notre-Dame). Par ses ouvrages, composés en un latin classique, les Institutions monastiques et les Conférences des Pères, il contribua beaucoup au développement du monachisme et devint ainsi un des grands éducateurs religieux de l’Occident171. Dans ses Confessions, Augustin décrit la surprise admirative que « la sainte manière de vivre des saints anachorètes » avait provoquée jusque dans les plus hautes sphères de l’administration impériale172. Dans la fameuse scène du jardin, qui culmine sur le « tolle, lege : prends-et lis », il raconte comment, se souvenant qu’Antoine avait été converti par un verset de l’évangile entendu par hasard, ouvrit son exemplaire de l’Apôtre ; le premier passage qu’il rencontra fut Romains XIII, 13-14. Cette rencontre marqua la fin de son combat intérieur : « …je n’eus pas plutôt achevé de lire cette sentence qu’il se répandit dans mon cœur comme une lumière qui le mit en plein repos, et dissipa toutes les ténèbres de mes doutes »173. Malgré sa dette envers l’ermite Antoine, Augustin lui-même ne se fit pas l’avocat de la vie solitaire, mais celui de l’expérience partagée du cénobitisme174.

170

  O. CHADWICK , John Cassian, Cambridge 1968; K.S. F RANK , « Johannes Cassianus », RAC 18, 414-426. 171   De institutione coenobiorum et de octo principalium uitiorum remediis, en 12 livres ; les livres I-IV traitent de l’organisation et des règles des monastères en Égypte et en Palestine (SC 109). Les 24 Collationes Patrum sont , en grande partie, des entretiens, sans doute fictifs, avec les plus célèbres anachorètes d’Égypte (SC 42, 54, 64). 172  AUGUSTIN , Confessions VIII, 6, 4-9. 173  AUGUSTIN , Confessions VIII, 12. 174  Voir F. VAN DER M EER , Saint Augustin pasteur d’âmes, t. I, Paris 1959, p. 311-360 ; A. M ANRIQUE , La vida monastica en San Agustin, Salamanca 1959 (Bibliographie). Pour les autres fondations monastiques du Ve siècle, à Lérins, Ainay, Condat, Toulouse, Poitiers, Tours, et en Armorique, voir G. L E BRAS , 1979, p. 18-19.

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Le débat autour de la primauté de la vie érémitique Cependant, pour nombre d’auteurs de l’Antiquité tardive, c’est la vie érémitique qui représentait le degré suprême de la vie monastique. Telle était la leçon que Jérôme et Cassien avaient rapportée d’Orient : elle s’exprime dans la Vie de saint Martin de Tours (363-420/5) de Sulpice Sévère175 mais, comme saint Martin lui-même en fit l’expérience, il n’était pas toujours possible de vivre en ermite et, à en croire Jérôme et Cassien, ce n’était pas toujours souhaitable176. L’opinion de Jérôme Jérôme expose son opinion sur cette question dans sa lettre à un certain Rusticus177 qui, désireux d’embrasser la vie monastique, l’avait consulté pour savoir s’il devait demeurer seul ou dans un monastère, avec d’autres. La réponse de Jérôme est claire et nette : « Je préférerais que vous ayez la compagnie de saintes personnes et que vous ne soyez pas votre propre maître. Si vous vous engagez sans guide sur une route inconnue, vous pouvez facilement, dès le départ, prendre une mauvaise direction et vous égarer, en allant trop loin ou pas assez, en courant jusqu’à tomber de fatigue ou en retardant votre voyage pour faire un petit somme. Dans la solitude l’orgueil s’insinue rapidement et quand un homme a jeûné pendant quelque temps et n’a vu personne, il se prend lui-même pour une personne de poids. Il oublie qui il

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 L‘ouvrage a été rédigé entre 397 et 400. Il a été édité par J. F ONTAINE (SC 133135).  La question de la hiérarchie des formes du monachisme n’est qu’un aspect de la problématique le concernant. G. L E BRAS , 1979, p. 21-23, élargit le débat à la place du monachisme dans la structure de l’Église et au risque de graves changements qui peuvent résulter de son chef : d’une part, alors que le moine, à l’origine, est un laïc, l’ordination sacerdotale conférée à certains moines, en premier lieu à l’abbé, ne met-elle pas en question l’équilibre des états de vie ? D’autre part, le coenobium ne sera-t-il pas dans le diocèse une enclave soustraite à la juridiction de l’évêque ? A ces dangers l’Église a voulu opposer des normes efficaces, notamment en subordonnant tous les moines à la juridiction de l’évêque du lieu ; cependant très vite la condition du moine, même laïc, tend à se rapprocher de celle du clerc ; Ch.W. H ENRY, 1957, p. 6-137, donne un aperçu des dispositions canoniques visant à intégrer le monachisme dans les structures ecclésiales, depuis le concile de Chalcédoine (451) jusqu’à l’aube de l’an Mil. 177   JÉRÔME , Epist. 125 : PL 22, 932-948, 176

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est ; il fait ce qui lui plaît. Que me direz-vous ? Est-ce que je désapprouve la vie solitaire ? Pas du tout. Je l’ai souvent recommandée, mais je souhaite voir les soldats qui sortent de l’école du monastère en hommes qui n’ont pas été effrayés par leur premier entraînement, qui ont donné la preuve d’une vie sainte pendant de longs mois ». Les vues de Cassien Les vues de Cassien sont plus élaborées que celles de Jérôme, mais tous deux ont en commun l’opinion selon laquelle le monastère est la place où le moine se prépare en vue de sa vie d’ermite178. L’approche de Cassien est historique : il croyait que la vie cénobitique était la forme la plus ancienne de la vie monastique, datant même du temps des apôtres : c’est elle que les apôtres avaient enseignée à la première génération des chrétiens et c’est seulement lorsque le souvenir des modèles primitifs se fut estompé au sein de l’Église que les chrétiens ressentirent de nouveau le besoin de vivre en commun, de se retirer de la société et de former un état à part. Avec le temps les membres de ces communautés les plus avancés spirituellement devinrent ermites. Pour Cassien, par définition, les ermites avaient d’abord été moines et ils s’étaient entraînés « dans le noble gymnase des maisons cénobitiques », en vue de leur nouvelle vocation179. Si Cassien n’envisage pas le problème spécifique, examiné par Jérôme, de quelqu’un qui est devenu ermite avant d’avoir été moine, par contre il discute le cas de moines devenus ermites trop tôt. Ils se sont trompés eux-mêmes en pensant être prêts pour quitter leur monastère ; en fait, « ils ne savent même pas à quelle fin la solitude est désirable et doit être recherchée, mais ils s’imaginent que la vertu, le tout de cette profession, consiste uniquement à éviter la compagnie de leurs frères, et à fuir, comme une chose exécrable, la vue des humains »180. Depuis peu, ajoute-t-il, est apparue aussi une nouvelle espèce d’ermites : « Ne 178   KS. F RANK , « Johannes Cassianus », RAC 18 (1998), 414-426 (Bibliographie) ; O. CHADWICK , John Cassian, Cambridge 1958² ; Ph. ROUSSEAU, Ascetics, Authority and the Church in the Age of Jerome and Cassian, Oxford 1978. 179   CASSIEN , Conlationes, XVIII, 11  (SC 64, p. 22). 180   CASSIEN, Conlationes, XIX, 10 (SC 64, p. 48).

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pouvant prendre sur soi de soutenir plus longtemps le joug de l’humilité, ils gagnent des cellules séparées, dans le désir d’y vivre solitaires, afin que, n’étant plus exercés par personne, on puisse les estimer patients, doux et humbles. Mais cette profession  nouvelle ne permet jamais à ceux qu’elle a infectés, de parvenir à la perfection. Ce n’est pas assez dire que leurs vices ne se corrigent point ; ils empirent, du seul fait que personne ne les excite »181. Cassien discute aussi de la nature de la vie érémitique. Il indique déjà ce qui deviendra la raison unanimement reconnue de sa supériorité sur la vie cénobitique : c’est qu’elle conduit plus aisément à « la pureté de la contemplation »182 . Ayant donc déclaré : « La fin du cénobite est de mortifier et crucifier toutes ses volontés et, conformément au salutaire précepte de la perfection évangélique, de ne songer aucunement au lendemain183 », il conclut : « La perfection de l’ermite est d’avoir l’esprit dégagé de toutes les choses terrestres et de s’unir ainsi au Christ, autant que l’humaine faiblesse en est capable »184. Le choix de Cassiodore Selon l’enseignement concordant de Jérôme et de Cassien, la vie érémitique et la vie cénobitique ne sont pas tant deux formes alternatives de la vie religieuse que des étapes différentes d’un même parcours. Le monastère de Vivarium, en Calabre, fondé par le sénateur romain Cassiodore, vers 550, semble avoir voulu mettre cette conception en pratique. Pierre Courcelle a situé avec vraisemblance l’emplacement du monastère auprès du golfe de Squillace185. Non loin de là, sur le Monte Castellano, une place était réservée aux anachorètes désireux d’embrasser la vie solitaire186.

181

  CASSIEN , Conlationes, XVIII, 8 (SC 64, p. 21).   CASSIEN , Conlationes, XIX, 9 (SC 64, p. 47)   CASSIEN , Conlationes, XIX, 8 (SC 64, p. 46). 184   CASSIEN , Conlationes, XIX, 8  (SC 54, p. 46). 185  P. C OURCELLE , MélArch 55 (1938), p. 259. 186  R. H ELM « Cassiodorus », RAC 2 (1954), 915-926, notamment 919 ; J. L ECLERCQ, 1957, p. 25-28. 182

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La Règle bénédictine C’est au monastère du Mont-Cassin, que Benoît de Nursie (480-537)187 rédigea sa Règle (Regula Benedicti) qui devait devenir, pour des siècles, la norme et la référence de tout le monachisme occidental188. Longuement mûrie à la lumière de l’expérience – Benoît avait commencé par vivre pendant trois ans en ermite dans la solitude de Subiaco, où il rassembla des disciples dans une douzaine de monastères, avant de s’installer au Mont-Cassin, sur l’antique voie militaire qui va de Rome à Naples – , largement inspirée par la Règle du Maître189, elle-même tributaire de Cassien, elle partage les vues de ce dernier sur les relations entre la vie érémitique et la vie cénobitique. « … il existe quatre espèces de moines, écrit Benoît. La première est celle des cénobites, c’està-dire ‘vivant en monastères’ ; ils servent sous une règle et un abbé. Ensuite la seconde espèce est celle des anachorètes, autrement dit, des ermites. Ce n’est pas dans la ferveur récente de la vie religieuse, mais dans l’épreuve prolongée d’un monastère qu’ils ont appris à combattre le diable, instruits qu’ils sont désormais grâce à l’aide de plusieurs, et bien armés dans les lignes de leurs frères pour le combat singulier du désert, ils sont désormais capables de combattre avec assurance les vices de la chair et des pensées, sans le secours d’autrui, par leur seule main et leur seul bras, avec l’aide de Dieu »190. S’il a écrit cette règle, déclare Benoît, « c’est pour qu’en l’observant dans les monastères, nous fassions preuve au moins d’une certaine décence morale et d’un commencement de vie religieuse. Mais pour celui qui se hâte vers la perfection de la vie religieuse, il est des enseignements des saints Pères dont l’observation conduit l’homme jusqu’aux cimes de la perfection »191. On

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 Voir H. E MONDS , « Benedikt von Nursia », RAC 2 (1954), 130-156 ; J. HOURLIER , 1979, p. 115-118 ; P. ENGELBERT, « Benedikt v. Nursia », LThK, 2 (1994), 203-204; A. DE VOGÜÉ (1997), p. 32-37. 188  Voir A. DE VOGÜÉ , La Règle de saint Benoît (SC 181-186) ; G. L E BRAS ; 1979, p. 2528 ; J. HOURLIER , 1979, p. 118-126. 189   La Règle du Maître, éd. A. DE VOGÜÉ , Paris 1965 (SC n° 105-107). 190  RB 1, 1-5, (SC 181, p. 436-439). 191  RB 73, 1-2, (SC 182, p. 672-673). Outre la parole de Dieu transmise dans l’Ancien et le Nouveau Testament, Benoît renvoie expressément aux Conférences et aux Institutions de Cassien, aux Vies des Pères (du désert) et à la Règle de « notre saint Père Basile » :

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le voit, pour Benoît, comme pour Cassien, le monastère est destiné aux commençants ; il est « une école pour le service du Seigneur»192 et inculque les rudiments de la vie religieuse, mais le combat solitaire, livré par les ermites au désert, est réservé aux moines à la vertu éprouvée et requiert l’aide particulière de Dieu. Ermites et reclus Du VIe au XIe siècle, les vues de Cassien et de Benoît sur la supériorité de la vie érémitique furent unanimement acceptées et répétées en Occident, mais elles furent corrigées et inf léchies sur plusieurs points193. Les dangers de la vie érémitique furent soulignés à tel point que ce choix se fit de plus en plus rare dans les milieux monastiques, car cette profession exigeait des aptitudes exceptionnelles et une vocation assurée. Dans son commentaire de la Regula Benedicti – qu’il cite pour la célèbre citation de Cassien à la gloire des ermites et des anachorètes194 –, l’abbé carolingien Smaragde de Saint-Mihiel-sur-Meuse († 825), n’en conclut pas moins sa comparaison entre la vie érémitique et la vie cénobitique par un verdict en faveur de cette dernière, parce

RB 73, 5 ; « Benoît a le respect de la « tradition orientale » qui est au monachisme ce qu’est la tradition apostolique par rapport à la foi de l’Église », écrit J. L ECLERCQ, 1957, p. 88.. 192  RB, Prologue, 45 (SC 181, p. 423). 193   « Les fils de Colomban et de ses disciples, loin de fuir le monde, s’efforcent de le convertir et de lui suggérer les pratiques d’un christianisme exigeant et purificateur », écrit G . L E B RAS , 1979, p. 28, qui souligne l’importance des moines insulaires dans l’œuvre d’évangélisation et de conversion du continent, à partir du VIe siècle ; par ailleurs, « l’usage de la confession privée, qu’ils répandirent, et la diffusion des pénitentiels ont pu favoriser l’examen de conscience, la réf lexion théologique et les progrès de l’introspection ». S’ils ne sont pas intervenus directement dans les débats concernant la préséance spirituelle des formes du monachisme, ils occupent une place singulière dans le développement de ses institutions ; voir J. HOURLIER , 1979, p. 130-143 ; H. L UTTERBACH , « Columba, v. Luxeuil u. Bobbio », LThK 2 (1884), 1268 (Bibliographie). 194   CASSIEN , Conlationes I, 1 : « Le désert de Scété fut le séjour des plus renommés parmi les Pères de l’état monastique et la demeure de toute perfection. Mais entre tant de f leurs merveilleuses de sainteté, l’abbé Moïse se distinguait encore par le parfum suave de son ascèse et de sa contemplation » (SC 42, p. 78).

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que « le solitaire est confronté à de nombreux dangers ; c’est pourquoi il vaut mieux être un moine dans un monastère »195. La Regula Solitariorum de Grimlaicus, un auteur inconnu par ailleurs196, qui vécut au IXe ou Xe siècle en pays lorrain, partage le même sentiment : « …entrer dans la vie solitaire est le degré le plus élevé de la perfection ; y vivre de manière imparfaite, c’est encourir la plus grave condamnation »197. Notons au passage que les solitaires de Grimlaicus ne hantent ni les déserts ni les forêts profondes. En réalité, ce sont des reclus, qui vivent en symbiose avec une communauté monastique. Chacun a sa cellula retrusionis, adossée à l’église conventuelle. Plusieurs reclus peuvent habiter côte à côte et mener ainsi la vie solitaire à plusieurs. Malgré son « enfermement », le reclus peut avoir des élèves. En fait, les reclus de Grimlaicus sont des ermites, étroitement liés à la communauté d’un monastère et à son environnement immédiat. La formule semble avoir prospéré pendant plusieurs siècles dans les pays rhénans198, mais aussi en Suisse (Saint-Gall), en Belgique et en Angleterre199. Les ermites traditionnels Malgré ces apparentes exceptions des reclus, les ermites traditionnels, «  à l’ancienne », se maintinrent durant tout le haut moyen âge200. Les chroniques des monastères avec lesquels ils étaient en relation ont conservé leur souvenir dans leurs annales ou en des Vies proprement dites ; les découvertes archéologiques ont donné quelque idée des divers types de leurs ermitages, des sites qu’ils choisissaient ; les décisions conciliaires révèlent combien les autorités ecclésiastiques tenaient à contrôler leur entrée 195

 S MARAGDE , Comm in Regulam s. Benedicti, PL 102, 728.   K.S. F RANK , « Grimlaich (Grimlaicus », LThK 11 (2001), 119.  G RIMLAICUS , Regula Solitariorum, 23 : PL 103, 604. 198  Le premier livre de la Vita d’Hildegarde de Bingen déclare qu’elle commença dès l’âge de huit ans sa vie de recluse sur le mont de Saint-Disibode ; en fait elle était l’élève de la recluse Jutta de Sponheim, et toutes deux furent solennellement « incluses » le ler novembre 1112 ; voir Ch. MUNIER, 2000, p. 30 s. 199   K.S. F RANK , « Inklusen (Reklusen, Eingeschlossene, Klausner), LThK 5 (1996), 501-502). 200   J. L ECLERCQ , « L’érémitisme en Occident jusqu’à l’an mil », dans L’eremitismo in Occidente, p. 17-44. 196 197

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dans la vie érémitique et leurs diverses activités. Ces diverses sources permettent de constater que, d’un siècle à l’autre, les traits essentiels de cette profession se maintiennent : les ermites vivent généralement seuls, parfois avec un ou deux compagnons ; leur mode de vie demeure simple, plus austère, plus contemplatif que celui des autres religieux. La description donnée par Grégoire de Tours († 594) de l’ermite cultivant son jardin, entouré de ses bêtes et de ses oiseaux, mais adonné tout entier à la prière et au jeûne, « ce dont rien ne pouvait le distraire, car sauf Dieu, il ne possédait rien »201, a dominé l’hagiographie médiévale et traversé les siècles. Le souvenir s’est conservé aussi d’ermites, bons herboristes et maîtres de sagesse, consultés efficacement dans les périodes de crise ou de maladie202. Les raisons de devenir ermite ont toujours été multiples, le besoin de se consacrer plus entièrement à la contemplation ne fut jamais le motif unique ni dominant. Depuis les origines, un ermitage a pu constituer un refuge respectable pour ceux qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient se conformer au modèle standardisé de l’institution monastique. Mais il y eut aussi des moines éminents auxquels la vie érémitique offrit à point nommé des loisirs studieux : c’est ainsi que Raban Maur, alors abbé de la prestigieuse abbaye de Fulda 203, démissionna, mais trouva dans son ermitage du Petersberg 204 une retraite honorable, riche en ouvrages divers (841/842-847), avant de devenir archevêque de Mayence205. Par ailleurs les exemples ne manquent pas d’évêques ou d’abbés qui se retiraient dans un ermitage, pour une sorte de congé sab-

201

 G RÉGOIRE DE TOURS , Liber vitae Patrum, 12 : PL 71. Sur son œuvre hagiographique, voir B.K. VOLKMANN , « Gregor IV (Gregor von Tours), RAC 12 (1983), 895-930, notamment 907-919. 202  La place occupée par l’ermite dans la littérature populaire du Moyen Age a été amplement étudiée et illustrée par Dom L. G OUGAUD, Ermites et reclus, Ligugé, 1928 ; voir aussi E. F RANCESCHINI , « La figura dell’eremita nella letteratura latina medioevale » et A.M. FINOLI , « La figura dell’eremita nella letteratura antico-francese », dans L’eremitismo in Occidente, pp. 560-569 et 581-591. 203   Fondée, en 744, à l’instigation de Boniface, l’apôtre de la Germanie ; cf. J. HOURLIER , 1979, p. 143. 204   J. HOURLIER , 1979, p. 140. 205  R. KOTTJE , « Hrabanus Maurus », LThK 5 (1996), 292/3, donne les raisons politiques de cette démission.

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batique. Saint Anschaire avait grandi au monastère de Corbie et dirigé l’école monastique de Corvey ; après ses premiers succès missionnaires au Danemark et en Suède, il était devenu, en 831, archevêque, en résidence à Hambourg puis à Brême. Or, « à une époque difficile de sa vie », il put disposer d’un ermitage, « où il pouvait se consacrer à la philosophie divine », rapporte son biographe, Rimbert, qui lui succéda sur le siège de Brême206. Mais cette belle formule hagiographique ne saurait occulter les circonstances politiques particulières dans lesquelles son héros fut assigné à résidence. Cependant, une coutume, fréquemment attestée, permettait aux abbés de choisir la vie érémitique s’ils renonçaient à leur charge207. D’autre part, un moine qui voulait devenir ermite, pouvait éprouver quelque difficulté à obtenir de son abbé l’autorisation requise, car celui-ci pouvait estimer raisonnablement que le candidat n’était pas encore prêt pour s’engager dans cette voie ou qu’un désir abusif de changement l’inspirait ; de son côté, le moine en question était peut-être un personnage essentiel pour la bonne marche de la communauté, et l’abbé refusait de s’en séparer. Une fois la permission de l’abbé accordée, l’histoire n’a pas gardé le souvenir de nouvelles difficultés faites aux ermites par la communauté-mère. Tout au contraire ; généralement ceuxci choisissaient de s’établir sur le domaine du monastère et de rester sous la juridiction de son abbé. La présence d’ermites au voisinage d’une abbaye était pour celle-ci un titre de fierté. Les moines de la Reichenau aimaient à rendre visite à leur ermite, Meinrad († 861)208 ; à Fontenelle, une vigne, plantée par l’er-

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 R IMBERT, Vita Anskarii, 35 ; G. WAITZ (ed.), MGH Scriptores Rerum Germanicarum in usum scholarum, Hanovre 1884, p. 66. Pour les détails de la vie, passablement mouvementée, de saint Anschaire, voir P. JOHANEK , « Ansgar (Anskarius, Anscharius), LThK 1 (1993), 715/6, et A. DIERKENS, 1990, p. 301-313. 207   H. L EYSER, 1984, p. 14, cite deux cas intéressants de cet usage : celui d’Hermeland, premier abbé d’Aindre, une fondation du VIIIe siècle, et celui de Méderic, abbé d’Autun (fin du VIIe siècle), que ses frères retinrent le plus longtemps possible, car il pouvait leur faire plus de bien, en les édifiant par son exemple qu’en les quittant pour devenir ermite. 208  Voir sa notice par G. L E BRAS , 1979, p. 40 : Meinrad mourut sous les coups de deux brigands, qu’il avait hébergés, là où, plus tard, s’éleva le monastère d’Einsiedeln.

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mite Milo, était montrée aux visiteurs admiratifs209. Un monastère pouvait aussi prendre sous sa protection des ermites laïques, qui n’avaient jamais été profès, notamment lorsqu’ils témoignaient de leur besoin d’être dirigés dans leur vie solitaire et de leur désir de partager la vie sacramentelle de la communauté. C’est ainsi que, d’emblée, un certain Adhegrinus, compagnon d’Odon, le deuxième abbé de Cluny, s’établit à proximité du monastère : il venait assister à la messe le dimanche et les jours de fête et, à cette occasion, il emportait de quoi se nourrir, un peu de farine pour son pain, et une provision de fayots210. V. De la coexistence pacifique à l’affrontement La coexistence pacifique entre moines et ermites, qui peut être constatée des origines jusqu’au XIe siècle, fut possible parce que l’opinion générale était alors que la vie érémitique était réservée à un petit nombre d’élus. Qu’elle ait été choisie par des originaux, des pauvres, des illettrés ou des personnalités distinguées, la profession érémitique n’était pas destinée au commun des moines. Dès lors, les cénobites n’avaient aucune raison de voir dans l’ascèse intensive des ermites un reproche condamnant leur genre de vie plus modeste ; de leur côté, rien ne suggère que les ermites aient jamais essayé d’attirer les moines vers leur propre genre de vie. Or, au tournant du XIe siècle au XIIe, apparut une nouvelle espèce d’ermites, absolument différente des ermites traditionnels. Ils étaient militants et agressifs et prirent pour cible précisément les formes traditionnelles de la vie monastique, provoquant ainsi une véritable « crise du cénobitisme »211. La caractéristique la plus paradoxale des nouveaux ermites était qu’ils formaient des communautés et qu’avec le temps ils devinrent eux-mêmes moines ou chanoines. De ce fait, la définition bénédictine de l’ermite fut inversée : désormais ce n’étaient plus les moines qui deve-

209   Gesta abbatum Fontenellensium, 4 : S. L OEWENFELD (ed.), MGH SRG, Hanovre 1886, p. 21; voir H. L EYSER , ibid., p. 15. 210   JEAN DE SALERNE , Vita Odonis, I, 22 : PL 133, 53. 211  La formule a été forgée par Dom Germain MORIN, 1928, p. 99-115. 

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naient ermites, mais plutôt le contraire. On pourrait sans doute objecter que ce phénomène s’était déjà produit au IXe et au Xe siècle et que la seule nouveauté qui intervint deux siècles plus tard fut son extension : l’exception était devenue la règle. Mais avant d’examiner les idées et les activités des ermites des XIe et du XIIe siècle, il faut dire un mot de ceux qui, à première vue, pourraient apparaître comme leurs prédécesseurs. Le monachisme occidental au IXe et au Xe siècle : Benoît d’Aniane Le premier de ceux-ci est Benoît d’Aniane († 821). Né en 750, fils du comte wisigoth de Maguelonne, il fut élevé à la cour de Pépin et de Charlemagne, avant de se retirer du monde pour entrer au monastère de Saint-Seine, près de Dijon (774). D’emblée il s’imposa un régime beaucoup plus rigoureux que celui de la Règle bénédictine212. Celle-ci, déclarait-il, n’était destinée qu’à des commençants ; ceux qui étaient plus avancés devaient s’efforcer de suivre les règles de Pacôme et de Basile. Élu abbé, Benoît déclina l’offre et quitta définitivement Saint-Seine l’Abbaye. Il se retira sur ses propriétés languedociennes et y construisit un ermitage où il vécut en anachorète, entouré de quelques disciples. Mais ceux-ci ne tardèrent pas à le quitter à cause de sa trop grande sévérité. Il se tourna alors vers la forme cénobitique de l’existence monastique vécue selon les règles des saints Pacôme et Basile. Il échoua cette fois encore. Finalement, il ne put résoudre cette seconde crise qu’en acceptant sans aucune réserve la Règle bénédictine, qu’il avait rejetée jusqu’alors comme faite pour des faiblards et des débutants. Cette décision, en faveur de la Règle bénédictine enrichie de ses propres Coutumes, opéra une sélection implacable parmi les traditions monastiques alors foisonnantes dans le royaume franc. La nouvelle fondation fut placée en 792 sous la protection du souverain 213 .

212

 A. DE VOGÜÉ (1997), p. 37-42,  G. L E B RAS , 1979, p. 32-33, souligne l’ambiguïté de la réforme carolingienne à l’égard du monde monastique : elle ne favorise ni les fondations ni le recrutement. S’il encourage son renouvellement intellectuel et généralise l’usage de la Règle bénédictine, le prince n’hésite point à se réserver le choix de l’abbé ; cette immixtion eut pour conséquence la désignation de séculiers ou de laïcs récompensées par un poste rémunérateur de services. La protection royale elle-même, fondée sur un droit éminent qui 213

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Benoît d’Aniane trouva des dispositions toutes différentes de celles de Charlemagne en Louis le Pieux, roi d’Aquitaine qui, devenu empereur en 814, le f it venir à Aix-la Chapelle (Cornelimünster) et entreprit, sous son inspiration la réforme autoritaire des moines et des chanoines214; pour l’ensemble des religieuses fut promulgué un De institutione sanctimonialium215. Gorze et Cluny Le Xe siècle vit les réformes de Gorze et de Cluny. L’abbaye bénédictine de Gorze (près de Metz), fut fondée en 757 par l’évêque Chrodegand. Après une première période faste, elle tomba en décadence, sous la direction d’abbés laïcs. L’évêque de Metz, Adalbéron Ier († 962) la restaura, en la confiant à un groupe de clercs des diocèses de Toul et de Metz, désireux de se consacrer à la profession monastique sous la forme érémitique, et regroupés autour de Jean de Vandières. Le renouveau de Gorze date du printemps 934, avec l’instauration de la Règle bénédictine, assortie de Coutumes, empruntées, pour une large part, à Benoit d’Aniane. Jean de Vandières, le fondateur (959) et second abbé

a légalisé beaucoup de spoliations, a donné aux grands un exemple ou un prétexte pour d’innombrables rapines au IXe siècle. 214  En 816, imposition du cursus bénédictin pour l’office divin ; en 817, la Règle bénédictine, obligeant au travail manuel est adaptée aux pays de l’Empire ; en 818, l’indépendance des monastères est accrue par le retour de l’élection réservée aux profès et la diminution des charges militaires. Voir aussi J. S EMMLER , « Benedikt von Aniane », LThK 2 (1994), 200-201 (Bibliographie) . 215  M. PARISSE , 2004, p. 107-120 (Bibliographie), pp. 107 et 114, observe qu’en ce qui concerne le monachisme féminin, pour la même période du haut Moyen Âge envisagée ici (IXe-XIe siècles), « il n’existe qu’une catégorie de religieuses, ‘ plus ou moins fidèles à la règle de saint Benoît’, car Benoît d’Aniane n’a pas cherché à les réduire à un commun dénominateur et le concile de Paris de 829 a laissé subsister les catégories traditionnelles de sanctimoniales, notamment les moniales (monachae) et les chanoinesses (canonicae), Pour sa part, R. M ETZ , 2003, p. 44-54, distingue deux catégories de vierges vouées à Dieu, celles qui vivent isolées dans le monde et celles qui ont accepté ou préféré la vie commune dans un monastère. Mais les unes et les autres peuvent être consacrées par l’évêque avec la tradition du voile. Il conclut, p. 50 : « On s’attendrait normalement à trouver des dénominations correspondant à ces diverses catégories de vierges : les vierges vivant dans le monde et celles menant la vie de couvent, les vierges simplement professes et les vierges consacrées. Mais il faut bien reconnaître qu’une telle terminologie n’existe pas ». Pour les références aux textes, il renvoie à son ouvrage, La consécration des vierges, Paris 1954, p. 90-93.

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réformateur de Gorze (968-974), était issu d’une famille de paysans aisés du monastère Saint-Pierre de Metz ; il avait reçu une excellente formation à l’école monastique et s’était montré un excellent régisseur du domaine familial. Mais le désir de se vouer à la vie monastique le poignait et sa quête de la forme de vie parfaite (optima forma uiuendi) lui fit entreprendre un pèlerinage à Rome et en Italie méridionale. C’est là qu’il découvrit des communautés monastiques qui vivaient du fruit de leurs travaux agricoles ; il aurait voulu transposer ce modèle à Gorze, mais des obstacles de tout genre vinrent contrecarrer ses projets, qui préfiguraient d’une certaine manière la réforme cistercienne216. Dans le mouvement de renouveau qui marque les monastères bénédictins au Xe siècle, Cluny apparaît comme l’un des nombreux héritiers de Benoît d’Aniane ; ses débuts sont des plus modestes. C’est seulement à partir de 931, sous l’abbé Odon (878942) que la Réforme clunisienne prend son essor. Lui aussi bénéficia d’une excellente formation, à la cour de Guillaume d’Aquitaine, puis à Paris, auprès de Remi d’Auxerre. Devenu chanoine de Saint-Martin de Tours, il y enseigne à l’école cathédrale, mais il aspire à une vie plus austère. Après un court essai de vie érémitique, avec son compagnon Adhegrinus, il entre à l’abbaye bénédictine de Baume-les-Messieurs, dont l’abbé Bernon, dans son testament, le désignera, en 926, pour lui succéder à Cluny, Massay et Déols. C’est sous l’abbatiat d’Odon que Cluny devint le centre d’un groupe de monastères gagnés à la réforme217. La bulle du pape Jean XI (mars 931), qui, à la demande d’Odon,

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  J. L ECLERCQ, « Jean de Gorze et la vie religieuse au Xe siècle » dans Saint Chrodegand, Metz 1967, p. 133-152 ; G. BARONE , « Jean de Gorze, moine de la réforme et saint original », dans D. IOGNA-P RAT et J.C. P ICARD (éd.), Religion et culture autour de l’an Mil. Royaume capétien et Lotharingie, Paris 1990, p. 31-38 ; M. PARISSE -O.G. O EXLE (edd.), L’abbaye de Gorze au X e siècle, Nancy 1993 ; H.G. WALTHER , « Johannes von Gorze, LThK 5 (1996), 912. 217  Méritent d’être mentionnés ici plusieurs monastères qui, recevant les usages de Cluny, les inf léchirent plus ou moins sensiblement : Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire, près d’Orléans ; voir K.S. F RANK , « Fleury », LThK 3 (1995), 1319 ; Saint-Bénigne de Dijon, et son abbé, Guillaume de Volpiano (990-1031), dont la conduite ascétique et le style de gouvernement lui valurent d’être surnommé l’abbé supra regulam ; voir N. B ULST, Untersuchungen zu den Kloster-Reformen Wilhelms von Dijon (962-1031), Bonn 1973 ; Ch. MUNIER , 2002, 85s.

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confirmait les possessions et privilèges de Cluny, y contribua d’une manière décisive218. Les épisodes que nous venons d’évoquer sont analogues à ceux que relatent les Vies des nouveaux ermites des XIe et XIIe siècles, mais leur portée est bien différente. La contribution finale de Benoît d’Aniane au monachisme ne représente pas le développement de son expérience d’ermite, mais plutôt son refus. Ses Coutumes demandent d’observer la Règle bénédictine mais autorisent et encouragent en même temps des aménagements et donnent la priorité non pas au travail manuel mais à la liturgie. Ratifiées à la diète synodale d’Aix-la-Chapelle (811), elles furent imposées à tous les moines de l’empire carolingien 219 ; c’est sur elles aussi que se fonde l’œuvre de Jean de Vandières à Gorze et celle d’Odon à Cluny. A l’instar de Benoît d’Aniane, Jean et Odon abandonnent leur option première en faveur de la forme la plus austère de la vie monastique. Or, la liturgie savamment élaborée, adoptée par ces premiers réformateurs, rendait impossible aux moines les travaux agricoles sur leur domaine, alors que saint Benoît avait consacré tout un chapitre de sa Règle au « travail manuel de chaque jour »220. De ce fait, au Xe siècle, dans la Chrétienté occidentale, le rôle du moine est, encore et toujours, de prier pour la prospérité des royaumes chrétiens et de leurs souverains et la défaite de leurs ennemis. Le moine apparaît ainsi comme un « soldat spirituel », combattant non seulement pour le salut de son âme mais aussi pour la bonne marche de toute la société. Le monachisme n’est plus une fuite au désert, entreprise par des individus sous la contrainte d’une intime conviction, mais l’expression de l’idéal religieux et des aspirations de tout le corps social. Cette éminente fonction de l’Ordre monastique aux temps féodaux trouve 218

 G. L E BRAS , 1979, p. 37-40 ; P. E NGELBERT, « Odo v. Cluny », LThK 7 (1998), 977978; du même, « Cluniazensische Reform », LThK 2 (1994), 1235 s.; du même, « Cluny », LThK 2 (1994), 1237 ; J. HOURLIER , 1979, pp. 179-180 ; 185-193. La bulle Convenit apostolico moderamini figure en JW, 3584 ; la suivante, qui a le même incipit, est destinée au monastère de Déols, au diocèse de Bourges, le propre lieu de naissance de l’abbé Odon. 219   H EFELE -L ECLERCQ, III, p. 1133, donne le résumé du capitulare Aquisgranense qui les promulgue. 220  RB 48  ( SC 182, p. 598-605).

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son expression idéale dans l’ecclesia Cluniacensis. Tout y est mis en œuvre pour favoriser la vie religieuse, en soustrayant les monastères à toutes les interventions du dehors. L’essentiel est de permettre la prière continue, l’œuvre de salut, personnel et collectif. La liturgie est le souci principal de Cluny : neuf heures par jour sont réservées aux offices. Les messes privées, la lecture de la Bible et des Pères, l’oraison occupent les intervalles. Comme la plupart des moines sont prêtres, le travail manuel est abandonné à des serviteurs221. La nouvelle réforme bénédictine de l’Ordre de Cîteaux et la renaissance de l’érémitisme n’allaient pas tarder à mettre en question la forme clunisienne du monachisme et à ranimer le conf lit séculaire entre ermites et cénobites pour la préséance spirituelle. Les nouveaux ermites du XIe et du XIIe siècle Pratiquement méconnu il y a un siècle, le mouvement érémitique des XIe-XIIe siècles, qui déferla sur la Chrétienté occidentale comme un raz-de-marée, ne fut pas apprécié à sa juste valeur par ses premiers historiens ; c’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle que fut reconnue son importance pour de nombreux aspects de la vie de l’Église médiévale222. « On peut parler d’érémitisme monastique, clérical, missionnaire, pèlerin, hospitalier, laïque, militaire et croisé », écrit à ce propos Dom Jean Leclercq223. Mais s’il en est ainsi, si l’ermite médiéval s’est transformé en caméléon, est-il encore possible de le reconnaître ? A quels signes distinctifs ? Pour répondre à ces questions, il convient de le comparer d’abord à la figure de l’ermite traditionnel, « à l’ancienne », afin de pointer les ressemblances et les différences qui les caractérisent. Si l’on examine la marque essentielle qu’ils ont en commun, les uns et les autres, à savoir l’amour de la solitude, on s’aperçoit que les nouveaux ermites choisissent des sites éloignés des habi221

  C. VIOLANTE , « Monachesimo cluniacense e mondo politico ed ecclesiastico, secoli X e XI », in I D.,, Studi sulla cristianità medioevale, p. 3-67, notamment p. 9. 222   H. L EYSER, 1985, p. 18-19. 223   J. L ECLERCQ, 1965, p. 594; M.D. K NOWLES , 1968, p. 223-240; C. VIOLANTE , 1972, p. 132..

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tations humaines, des « déserts », comme le faisaient les ermites traditionnels. Mais contrairement à leurs prédécesseurs, ils espéraient et accueillaient volontiers des compagnons, si bien que leur solitude ne signifiait pas pour eux vivre sans la compagnie de frères en religion, mais vivre à l’écart du « monde », du « siècle », de la société séculière, des affaires et des tracas de l’existence quotidienne, afin de ne pas être impliqué dans les procès, les négoces, les vanités du « monde »224. D’autre part, les nouveaux ermites étaient intéressés au premier chef par les aspects ascétiques de la vie érémitique ; s’ils avaient choisi cette profession, ce n’était pas seulement parce qu’ils ne voulaient pas ou ne pouvaient plus vivre dans une communauté. Ils n’étaient ni des séditieux, hostiles à toute règle, ni de doux rêveurs, avides d’idylles pastorales ou sylvestres. Quand ils se retiraient au « désert », les nouveaux ermites n’avaient pas l’intention de vivre en des communautés moins strictement organisées ou disciplinées que celles qui déjà existaient. En fait, ils étaient très soucieux de trouver des règles susceptibles de conférer à leurs fondations leur pérennité. C’est là un second point qui les différencie des ermites traditionnels. Pour ceux-ci la vie érémitique était un but, un état définitif, très probablement atteint après avoir acquis un certain degré d’expérience religieuse ; pour les nouveaux ermites, au contraire, elle n’était pas un terme mais un commencement. Puisqu’elle ne leur conférait pas immédiatement l’assurance d’une Règle, qu’ils cherchaient encore, cette situation transitoire, faite de recherche et d’espoir, retenait toute leur attention. Elle leur accordait une chance exceptionnelle d’expérimenter des voies

224  Les ermites de Fonte Avellana (978), des Camaldules (début du XIe siècle), de Vallombreuse (1036) suivent la pratique bénédictine traditionnelle, qui autorise ceux qui désirent vivre dans une retraite plus totale, de quitter la communauté pour une existence de reclus ; les Chartreux (1082) ont savamment combiné la solitude et la vie commune ; à Molesme, des ermites, installés en 1070 dans la forêt de Collan, se placent en 1072 sous la direction de Robert, précédemment abbé de Saint-Michel de Tonnerre ; en 1098, Robert et un groupe de Molesme vont s’installer à Cîteaux ; à Grandmont (1076), la Règle autorise un ermite « traditionnel » de se joindre à la communauté, mais il ne pourra plus désormais vivre en solitaire ; à Sèche-Fontaine (Langres : 1082), Pierre et Lambert, compagnons de Bruno avant la fondation de la Chartreuse, s’installent sur des terres appartenant à Molesme..

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nouvelles, de formuler des principes, des règles exemplaires, avant de leur donner force de loi. C’est dire que nombre d’entre eux, une fois réalisée leur « conversion », une fois prise la décision de fuir « le monde » et le « siècle », ne sachant sous quelle bannière monastique se ranger, se mirent en route, à la recherche de la Règle idéale qu’ils appelaient de leurs vœux. Ce pèlerinage d’un nouveau genre pouvait comporter certains aspects du pèlerinage classique ou de sa variante « pénitentielle »225: quitter sa patrie, vivre comme un exilé, en des régions inconnues, visiter les sanctuaires réputés, les ermites renommés, se joindre aux pénitents, en suivant les mêmes routes, pour y recevoir, dans les grands pèlerinages de la Chrétienté (Rome, Saint Jacques de Compostelle, Rocamadour, Saint Michel au Péril de la Mer), l’absolution de leurs crimina. Il suffit de parcourir les Vies des nouveaux ermites pour rencontrer une diversité incroyable de situations mais, dans l’ensemble, conformes au schéma que l’on vient d’esquisser. La plupart d’entre eux apparaissent avoir opté pour cette profession parce qu’ils éprouvent une vive répulsion pour « le monde » ou pour la vie dans leur monastère, jugée par trop facile, voire relâchée. Mais ils n’étaient pas toujours fixés sur la manière d’exprimer leur insatisfaction, et la décision de devenir ermites n’était pas la seule alternative qui se présentait à leurs yeux. Les uns pouvaient songer à entreprendre de réformer leur propre monastère ; c’est le cas de Romuald (952-1027), le « Père des Camaldules ». Ayant échoué dans son entreprise de réformer le monastère de Saint Apollinaire in Classe, près de Ravenne, il s’en alla vivre en ermite dans les marais près de Venise. La chute du doge Pietro Orseolo (978) le contraignit à quitter la région ; il gagna les Pyrénées, et trouva asile au monastère Saint-Michel de Cuxa, où il put vivre en ermite, avant de rentrer enfin en Italie pour y déployer une activité intense de réformateur226.

225

  C. VOGEL , « Le pèlerinage pénitentiel », RScR, 38 (1964), p. 113-153.  G. TABACCO, 1965, p. 73-119; L.K LITTLE , 1978, p. 71-72; J. HOURLIER , 1979, p. 194 ; K.S. F RANK , « Romuald v. Camaldoli », LThK 8 (1999), 1293; C. CABY, 2004, p. 1124 (Bibliographie). On se doit de mentionner ici Jean Gualbert († 1073), le fondateur de Vallombreuse; voir L.K. LITTLE , 1978 , p. 75-76 ; P. E NGELBERT, « Johannes Gualbertus”, LThK 5 (1996), 913, et Pierre Damien (1006-1072), qui écrivit la Vita Romualdi à Fonte Avellana, où il séjourna à partir de 1035, dont il devint le prieur en 1043, et 226

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D’autres, venus directement du monde, trouvaient préférable de frapper à la porte d’un monastère déjà établi, avec la perspective d’y rester, s’ils y trouvaient la discipline répondant à leur désir de perfection. Tel est le cas d’Herluin (ou Hellouin), le futur abbé du Bec († 1078), doté d’un itinéraire non moins mouvementé227. Fils d’un noble normand, Herluin opta d’abord pour le métier des armes, au service du comte de Brionne, avant de se décider, à l’âge de trente-sept ans, pour la vie monastique. Mais « ne sachant où aller ni comment vivre »228, ayant cherché en vain auprès du clergé de Normandie un guide de bon conseil, il se retira sur ses terres à Bonneville. Il se mit alors à visiter les monastères des environs, dans l’espoir d’y trouver quelque enseignement ou quelque inspiration mais, écrit son biographe, « ce qu’il vit le remplit d’un tel déplaisir que seule la vue d’un moine en prière le sauva du désespoir ». Le cas d’Étienne d’Obazine lui ressemble à maints égards. Son biographe relate longuement comment, avec son compagnon, il s’épuisa à la recherche d’un établissement religieux dans lequel tous deux pourraient servir Dieu, mais « puisqu’il n’y avait pas dans ces régions d’ordre assez saint »229, ils cessèrent leur quête et s’installèrent à Obazine, en Bas-Limousin 230. Étienne y fonda vers 1135 un monastère double pour des communautés d’ermites des deux sexes, qui fut affilié à l’ordre de Cîteaux en 1147231. L’idéal de la vita apostolica Ce qui est surprenant dans le nouveau mouvement érémitique, c’est son éruption soudaine en des lieux divers, à des moments

où il rédigea des Règles pour les ermites qui inf luencèrent aussi les Camaldules; voir L.K. LITTLE , 1978, p. 72-74 et J. L AUDAGE , “Petrus Damiani”, LThK 8 (1999), 119-120 (Bibliographie). La meilleure description des fondations de ces trois pionniers italiens est celle de Dom M.D. K NOWLES , 1968, p. 224-225. 227   J. HOURLIER , 1979, pp. 201-202; 230-231. 228   J. A RMITAGE (éd.), Vita domni Herluini abbatis Beccensis, Cambridge 1911, p.87 ; S. P ETZOLT, « Herluin (Hellouin), LThK 4 (1995), 1440. 229  M. AUBRUN (éd.), Vie de s. Étienne d’Obazine I, 5 (Clermont-Ferrand 1970 : édition lat. fr. de la Vita). 230   S.M. D URAND, Étienne d’Obazine (1083-1159), Lyon 1966. 231   B. BARRIÈRE , L’abbaye cistercienne d’Obazine, Tulle 1977 ; B. P EUGNIER , Routier des abbayes cisterciennes de France, Strasbourg 1994, p. 309 s.

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différents, et l’impossibilité de lui trouver des modèles et des prototypes contemporains. La perplexité même éprouvée par les nouveaux ermites, quand il leur fallait organiser leurs disciples, venait de l’absence de modèles à suivre. Ils devenaient ermites non point afin d’imiter leurs contemporains mais plutôt afin de les fuir, convaincus que leurs manières de vivre étaient très éloignées de Dieu et de la voie qu’avaient suivie le Christ et ses apôtres. Le témoignage de saint Bruno, le fondateur de l’Ordre des Chartreux 232 mérite assurément d’être cité à ce propos. Écrivant à son ami Ralph, il lui rappelle avec quel brûlant désir ils aspiraient tous deux à quitter « le monde ». « Vous vous rappelez comment un jour nous étions ensemble dans le jardin de la maison d’Adam… ; nous nous entretenions longuement au sujet des vains attraits et des périssables richesses du monde et des joies de l’éternelle gloire. Alors, embrasés par l’amour divin, nous avons promis, fait vœu et décidé de quitter sur-le-champ ce qui est terrestre et transitoire, afin de posséder ce qui est éternel »233. La lettre de l’ermite Rainaud, en réponse à celle d’Yves de Chartres qui lui reprochait d’avoir quitté son couvent pour devenir ermite, est l’une des pièces justificatives les plus importantes du mouvement 234. L’évêque de Chartres avait évoqué le scandale produit dans la communauté de Rainaud par cet abandon – il était chanoine de Saint-Jean des Vignes, à Soissons, semblet-il, – mais Rainaud ne fut pas en reste d’arguments pour se justifier.  Après avoir réfuté plusieurs objections : «  Accuser systématiquement l’ermite de relâchement, c’est méconnaître que la solitude a sa discipline et son ascèse… Ce n’est pas rompre le vœu de stabilité que de poursuivre avec une plus rigoureuse obser-

232

 L.K. LITTLE , 1978, p. 84-87 ; G. L E BRAS , Les Chartreux, dans Les Ordres religieux, t. I, Paris, Flammarion, 1979, p. 563-654 ;  G.G RESHAKE , « Bruno der Kartäuser », LThK 2 (1994), 731-732 (Bibliographie). 233   Lettres des premiers Chartreux I (SC 88), p. 74. 234  Sans condamner absolument l’idéal érémitique, Yves de Chartres considérait la vie cénobitique comme bien supérieure à la vie solitaire sur le plan spirituel, car celle-ci n’offre pas les conditions requises pour renoncer à sa volonté propre ; voir R. SPRANDEL Ivo von Chartres und seine Stellung in der Kirchengeschichte, Stuttgart 1962, p. 141-145.

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vance le dessein même pour lequel on s’était réfugié au cloître… », il en arrive au cœur du débat : « Lorsque vous avez mentionné le modèle de l’Église primitive, à laquelle – vous avez raison de le dire –, je souhaite adhérer, je me suis réjoui, et je vous remercie de tout mon cœur pour votre attention vigilante, mais, bon Père, comme en témoigne l’Écriture et comme je l’ai appris par votre propre enseignement, le modèle de l’Église primitive est ni plus ni moins que la vie des apôtres et des disciples façonnée par l’enseignement de l’Évangile : la vie de ceux à qui il a été dit : ‘si quelqu’un veut te prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau’ (Matth. 5, 10) ; ceux à qui il a été interdit ‘non seulement de résister au voleur mais aussi d’aller en jugement’ (cf. I Cor. 6, 4) ; ceux à qui il a été dit : ‘soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait’ (Matth. 5, 48)… Selon votre propre témoignage, cette manière d’être parfait ne peut se trouver que rarement, voire jamais, dans les monastères et ceci est dû, je crois, au fait que la pauvreté, que le Christ, pauvre, a prêchée, est tenue par eux à distance, le plus loin possible. Comment y sont pratiqués la pauvreté, l’abnégation, l’abstinence, l’éloignement du monde ? Toutes les  affaires du siècle y font irruption. Et que dire des monastères urbains, sans cesse troublés par les bruits du voisinage et dont les femmes assaillent les parloirs ? Quitter le cloître pour le désert est le seul moyen de retrouver la simplicité de sa vocation solitaire »235. L’idéal des nouveaux ermites était d’imiter, de reproduire la vie des apôtres (la vita apostolica)236, de faire revivre le modèle de l’Église primitive, de recréer un mode de vie qu’ils soupçonnaient le monachisme existant d’avoir altéré et oublié ; en un mot, ils voulaient, comme le déclare saint Norbert (1080/5-1134), le fondateur des Prémontrés237 : « suivre les divines écritures et avoir pour chef le Christ »238. A vrai dire, l’idée selon laquelle le mona-

235

 G. MORIN, 1928, p. 101 s.  Pour le concept de vita apostolica, voir C. DEREINE , « La vita apostolica dans l’ordre canonial du IXe au XIe siècle », RB 51 (1961), p. 47-53 ; G. OLSEN , « The idea of the Ecclesia primitiva in the writings of the twelfth century canonists », Traditio, 35 (1969), p. 61-86. 237  L.K. LITTLE , 1978, p. 87-90 ; J. HOURLIER , 1979, p. 198 ; L. HORSTKÖTTER , « « Norbert v. Xanten », LThK 7 (1998), 903-905 (Bibliographie). 238   Vita Norberti archiepiscopi Magdeburgensis, 12, MGH SS 12, p. 684. 236

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chisme s’identifiait avec la vita apostolica n’était pas neuve. Penser que les premiers moines avaient été les apôtres eux-mêmes et que leur exemple avait été fidèlement suivi par les religieux vivant en communauté était une conception que Cassien et saint Augustin avaient rendue familière. Mais elle était devenue un synonyme de la vie monastique plutôt qu’une référence indiquant comment celle-ci devait être vécue. Tout au contraire, les ermites des XIe et XIIe siècles – ainsi que les autres réformateurs de cette époque – donnèrent à l’expression une signification radicale et explosive. L’approche des nouveaux ermites fut double : dans un premier temps ils opérèrent une relecture du Nouveau Testament. La description de la communauté apostolique primitive (Actes 4, 32) et la réponse donnée par le Christ au jeune homme riche (Matth. 19, 21) mettaient l’accent sur l’option délibérée en faveur de la pauvreté. D’autres textes furent allégués en vue de justifier des observances particulières, par exemple le travail manuel et la pratique de la prédication. Ces trois points, pauvreté, travail manuel, prédication, marquent puissamment le nouvel érémitisme. Puis, dans leur recherche de la vita apostolica, les ermites inclurent non seulement les leçons de l’Écriture mais aussi celles de toute la littérature chrétienne, notamment celles des Règles premières, observées à la lettre, à savoir la Règle bénédictine et, plus curieusement, la Règle de saint Augustin 239, découverte au XIe siècle240 comme offrant, dans cette perspective, un commentaire à l’enseignement de l’Évangile. A Hérival, une fondation érémitique sise au diocèse de Toul (1082), les ermites pratiquaient « le travail manuel, comme les apôtres et les premiers Pères [du désert] »241. De son côté, la Règle 239

 T.J. VAN BAVEL , « Augustinusregel », LThK 1 (1993), 1250-1251 ; L. VERHEIJEN , La Règle de saint Augustin, 2 vol. , Paris 1967 ; A. ZUMKELLER , Das Mönchtum des hl. Augustinus, Würzburg 1968² ; G. L AWLESS , Augustine of Hippo and his Monastic Rule, Oxford 1987. 240   F. RÖHRIG , « Chorherren », LThK 2 (1994), 1002-1004 ; Ch. DEREINE , DHGE 12, 353-405 ; A. VAN ETTE , Les chanoines réguliers de Saint Augustin, Cholet 1954 ; H. VISSERS , La vita commune del clero nei secoli XI e XII, 2 vol., Milano 1962 ; J. CHATILLON , « La crise de l’Église aux XIe et XIIe siècles et les origines des grandes fédérations canoniales », RHSp 53 (1977), p. 3-45 ; du même, Le mouvement canonial au moyen-âge, Paris-Turnhout 1992. 241   H. L EYSER , 1985, p. 27 ; A. GUILLAUMONT, 1979, pp. 127-135 ; 151-167.

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de Grandmont 242 édictait que les ermites devaient suivre uniquement l’Évangile et déclarait que les Règles de Benoît, Basile et Augustin étaient « les rejetons et non pas les racines de la vie religieuse »243, mais c’est là une opinion exceptionnelle. Dans un grand nombre de cas, la première source d’inspiration des ermites est constituée par les écrits des Pères plutôt que par les évangiles. A Tournai, c’est la lecture d’Augustin qui inf luence Odon († 1113, le maître de l’école cathédrale, et le pousse à quitter « le monde ». Devenus ermites, lui et ses compagnons prennent pour modèles les Vies des Pères et les écrits de Cassien 244. Cette identification de la vita primitiva avec la vita apostolica conféra au mouvement érémitique sa forme et sa diversité. Grâce à elle, les ermites avaient à leur disposition un vaste corpus littéraire, qui fut pour eux à la fois une source d’inspiration et un guide dans le choix des observances concrètes. De fait, ils ne s’intéressaient pas seulement aux dogmes et aux principes du christianisme primitif, mais aussi aux moyens et aux modes concrets de mettre en pratique leur idéal. Ce qui les intéressait au premier chef, c’était de trouver des règles qui avaient préservé ou qui préserveraient ces pratiques le plus fidèlement possible. C’est cette préoccupation, un tantinet légaliste, historicisante, qui distingue leur mouvement de celui de saint François d’Assise, un siècle plus tard. Le Poverello n’a jamais voulu écrire de règle. Mais saint Norbert avait inculqué à ses disciples que « sans un ordre, une règle et les institutions des Pères, ils seraient incapables d’observer les commandements des apôtres et des évangiles »245.   242  L’Ordre de Grandmont fut constitué au départ par les disciples d’Étienne de Thiers (ou de Muret : 1050-1124). Celui-ci, au retour d’Italie, où il avait expérimenté la vie érémitique, fonda, en 1076, un ermitage à Ambazac, au nord de Limoges. La communauté qui naquit de cette initiative, essaima bientôt à partir du monastère voisin de Grandmont, vers l’Angleterre et la Navarre ; voir L.K. LITTLE , 1978, p. 79-81 ; C.A. HUTCHINSON , The hermit monks at Grandmont, Kalamazoo 1989 ; K.S. F RANK , « Grammontenses », LThK 4 (1995), 977. 243   Regula Stephani, J. BECQUET (ed.), CCCM 8, 1968, p. 66. 244  D’après la notice de H. L EYSER, 1985, p. 26 ; mais J. L AUDAGE , « Odo (Odoardus ; auch O. v. Tournai), OSB, Bischof v. Cambrai », LThK 7 (1998), 976, parle de la fondation, en 1092, à Saint-Martin de Tournai, d’une collégiale de chanoines réguliers, qui fut transformée en 1095 en un couvent bénédictin de l’observance de Cluny, et dont Odon fut l’abbé, avant de devenir évêque de Cambrai, en 1105.. . 245   Vita Norberti archiepiscopi Magdeburgensis, 12, MGH SS 12, p. 683.

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VI. Le

modus vivendi

proposé par Hildebert

La fiction poétique choisie par l’évêque du Mans pour ennoblir la Vie de Marie l’Égyptienne ne saurait occulter le fait que ce poème, paré de tous les atours de l’Antiquité classique, constitue, en réalité, un dialogue, une confrontation, une disputatio entre les deux formes du monachisme de son temps, celle de la vie cénobitique, dominée depuis l’époque carolingienne par la Règle bénédictine – qui avait été imposée dans tout l’Empire franc par la diète synodale d’Aix-la-Chapelle (811) –, et celle de la vie érémitique, dont le subit essor, dans la seconde moitié du XIe siècle, laissait augurer un développement remarquable et original de la vie monastique. Si l’évêque du Mans entreprit cette comparaison, c’est qu’il tenait à donner son avis sur cette question qui lui tenait à cœur ; mais à partir de quels éléments a-t-il édifié sa comparaison ? Il va sans dire qu’il ne pouvait ignorer l’essentiel de la Règle de saint Benoît, mais que pouvait-il connaître des formes mouvantes encore et indécises du mouvement érémitique contemporain, lorsqu’il composa la Vita de Marie l’Égyptienne, au tournant du XIe au XIIe siècle  ? Nous avons vu comment, à la fin de l’an 1115, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre à Rome, le concile du Latran, les émissaires d’Henri de Lausanne lui arrachèrent, pour leur maître, une licentia praedicandi, qui fut à l’origine de maint désordre dans le diocèse du Mans246. Édifié par les exemples de zèle missionnaire des ermites de l’ouest de la France et les fruits de pénitence et de conversion que leur prédication et leur vie ascétique suscitaient, de la Bretagne au Poitou, Hildebert n’a-t-il pas trop facilement fait confiance à un inconnu, sur la seule foi de son titre d’ermite-itinérant ? Il est vrai qu’à ses débuts, le nouvel érémitisme jouissait, non seulement dans les provinces de l’ouest de la France, mais dans l’ensemble du monde occidental, d’un préjugé favorable, d’autant plus favorable qu’il avait pris naissance en Italie, terre bénie des pèlerins. On se souvient de l’évocation nostalgique de Jean de Vandières, le fondateur de Brogne, qui, de retour en

246   On lira dans les Gesta episcoporum Cenomanensium (PL 171, 95-98), le détail de ces débordements, en particulier dans la ville même du Mans, et les commentaires de P. VON MOOS , 1965, p. 12-13, et de J. DALARUN , 1992, p. 80 (Bibliographie).

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Lorraine après un voyage à Rome, au Mont-Cassin et dans la région de Naples, rappelait que les déserts de la région de Bénévent permettent aux ermites du lieu de vivre du travail de leurs mains, comme le faisaient les saints des anciens temps247. A la fin de sa vie (1124), Étienne de Muret, confiait aux deux légats pontificaux Grégoire, le futur pape Innocent II (1130-1142), et Pierleone, le futur antipape Anaclet II (1130-1138), que son maître, Milon de Bénévent lui avait inspiré une profonde admiration pour les ermites calabrais de son diocèse248 Les historiens se sont ingéniés à repérer les inf luences qui ont pu jouer sur le mouvement érémitique de l’ouest de la France depuis la péninsule italienne. Les exemples de Romuald de Ravenne, de Jean Gualbert à Vallombreuse, de Pierre Damien à Fonte Avellana, furent-ils déterminants pour les nouveaux ermites normands, bretons, angevins, ou bien les maîtres des ermitages forestiers ont-ils suivi de préférence les modèles offerts par les Pères des déserts d’Égypte et de Syrie, dont les écrits de Cassien et les Vitae Patrum décrivaient les exploits ascétiques et les combats héroïques contre les tentations249 ? Posée en ces termes, la question est pratiquement insoluble, car les sources qui décrivent les différentes initiatives érémitiques en Italie, en France, et ailleurs, appartiennent par définition au genre hagiographique de la Vita médiévale. Or, ce genre repose essentiellement sur les données prestigieuses et inépuisables des Vitae Patrum, si bien qu’à la limite, partant de mêmes modèles, toutes les Vitae des nouveaux ermites ont un air de famille déconcertant, mais obligé. Et l’on peut se demander quels détails d’une Vita d’ermite médiéval peuvent être considérés comme authentiques, s’il est vrai que la « tendance des hagiographes est de vouloir trouver [pour leurs héros] des modèles anciens légitimants »250. 247

  Vita Joannis Gorzensis, MGH SS 4, p. 346.   Vita venerabilis viri Stephani Muretensis, éd. J. B ECQUET, dans Scriptores ordinis Grandimontensis¸CCCM 8 (1968), p. 101-137. 249  R. NIDERST et L. R AISON , « Le Mouvement érémitique dans l’ouest de la France (fin XIe-début du XIIe siècle », dans Annales de Bretagne publiées par la Faculté des lettres de Rennes, Rennes, 54 (1948), p. 1-46 ; J.H. FOULON , « Les ermites dans l’ouest de la France : les sources, bilan et perspectives », dans Ermites de France et d’Italie : sources et lieux, Rome 2000. 250  La formule est de Cécile CABY, 2004, p. 23, qui pointe une manie de l’historiographie contemporaine, préoccupée de prouver l’inf luence décisive de l’érémitisme byzan248

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Hildebert et Robert d’Arbrissel Faute de témoignages directs explicites, que l’on pourrait tirer de ses œuvres, il est difficile de savoir quels exemples contemporains ont pu contribuer à dessiner, dans la pensée d’Hildebert, une image idéale de la profession érémitique. Connut-il de uisu l’ermitage de Guillaume Firmat ? La Vita, déjà passablement légendaire, de cet ermite de Normandie, précurseur du mouvement érémitique de l’ouest de la France, fut rédigée par l’évêque de Rennes, Étienne de Fougères (1168-1178) ; elle rapporte à son sujet un fabuleux défi, qui rappelle celui de Mucius Scævola 251. Né à Tours, Firmat fut d’abord chanoine de Saint. Venant à Tours, puis ermite en divers lieux et finalement à Mantilly, où il est décédé un 24 avril, entre 1085 et 1095. Il n’est pas impossible qu’au versant du XIIe siècle, Hildebert ait eu connaissance des faits et gestes de cet anachorète lointain, qui ne nous est guère connu que par Vital de Savigny, lui-même chanoine de SaintEvroult, vers 1096. Par ailleurs, on ne peut exclure que la renommée publique ou ses relations personnelles aient pu l’informer de la carrière érémitique de Vital de Savigny252 et du prestige gran-

tin sur la précocité du renouveau érémitique italien. Le même phénomène ne se reproduit-il pas quand on glane, difficilement, à travers des Vitae qui toutes relèvent du même genre hagiographique, des indices attestant l’inf luence des nouveaux ermites italiens sur les nouveaux ermites de l’ouest de la France ? 251  ÉTIENNE DE FOUGÈRES , Vita S. Guillelmi Firmati, AASS., April. III (1866), p. 336-343. Pour montrer à une prostituée, venue pour le tenter, sa résistance au désir, Firmat se brûle le bras avec un tison ardent. J. DALARUN , 1985, p. 188, ajoute qu’on voit toujours à la collégiale Saint-Evroult de Mortain, l’os calciné du bras de Firmat ; voir J.S.VAN MOOLENBROEK , « Firmatus », LMA IV (1989), 489. 252  ÉTIENNE DE FOUGÈRES , Vita B. Vitalis Saviniacensis I, 5, p. 362. Né à Savigny (Calvados) vers 1050, Vital étudia à Bayeux et peut-être à Liège. D’abord chapelain du comte Robert de Mortain, demi-frère de Guillaume le Conquérant, il reçoit de son protecteur une prébende de chanoine à la collégiale Saint Evroult de Mortain, fondée en 1082. Mais, en 1095, Vital, abandonne sa prébende et rejoint le « désert » forestier aux confins de la Normandie, de la Bretagne et de l’Anjou, où il rencontre les maîtres de cette profession : Robert d’Arbrissel, Raoul de la Futaie et Bernard de Tiron. A leur exemple, il entreprend plusieurs campagnes de prédication, qui le conduisent jusqu’en Angleterrre. Après une vaine tentative d’encadrer ses disciples dans une structure d’allure cénobitique, et un séjour de 17 ans au désert, il obtient du comte Raoul de Fougères la forêt de Savigny, où il œuvre les dix dernières années de sa vie, comme abbé d’obédience bénédictine. Il meurt le 16 septembre 1129 ; voir J. VAN MOOLENBROEK , Vital l’ermite prédicateur itinérant, fondateur de l’abbaye normande de Savigny, Assen 1990 ; B. POULLE , « Vitalis von Savigny », LMA VIII (1997), 1775.

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dissant de Bernard de Tiron253. Ce qui paraît certain, en tout cas, c’est qu’il ne pouvait guère ignorer l’essentiel de l’étonnant parcours de Robert d’Arbrissel (1045-1116), dont il devait composer l’épitaphe254. Né à Arbrissel, près de Rennes, en 1045, Robert est le fils du curé du lieu, Damaliochus et de sa femme Onguende. Après avoir accompli le cours habituel des études cléricales à Paris, il revient dans son diocèse dont l’évêque, Silvestre de la Guerche, le nomme archiprêtre et le charge de redresser les mœurs du clergé breton. Sa rigueur lui vaut l’hostilité des clercs du diocèse ; aussi, lorsque Silvestre est déposé pour simonie (1078), Robert s’enfuit de Rennes et se réfugie à Angers. Il y reprend ses études, mais se convertit bientôt à la vie ascétique et s’impose de durs sévices. S’il fut marié, – ce qui n’est pas improbable, s’il voulait succéder à son père dans la prébende héréditaire d’Arbrissel, – il a dû faire annuler son mariage, montrant ainsi qu’il s’engageait résolument dans le sens de la réforme grégorienne. Quoi qu’il en soit, après avoir séjourné deux ans à Angers, il quitte le monde pour le désert, c’est-à-dire pour la forêt de Craon, aux confins de la Bretagne et du Maine. Il multiplie les exercices de l’ascèse la plus rigoureuse, et prêche aux alentours, en appelant les foules à la conversion et à une vie de pénitence 255. Pour les disciples que l’exemple de sa vie et la vigueur de son verbe ont séduits, il fonde 253  GEOFFROY LE G ROS , Vita B. Bernardi Tironensis, PL 172, 1367-1446. Né vers 1046 à Abbeville († 1117). A partir de 1066, il est moine bénédictin de l’abbaye St. Cyprien, près de Poitiers, puis prieur à Saint-Savin-sur-Gartempe. Ayant vu contester la validité de son élection comme abbé de St. Cyprien (1100), il entreprend le voyage de Rome, pour se défendre. Le pape Pascal II lui accorde une licentia praedicandi. Rentré en France, il devient ermite, en forêt de Craon, en Bretagne puis sur l’île Chaussey, en Bretagne, et prédicateur itinérant. Il entretient d’étroites relations avec Vital de Savigny et Robert d’Arbrissel. Finalement (vers 1108-1109), il fonde à Tiron, dans le diocèse de Chartres, le monastère de la Trinité, qui mettra le travail manuel à l’honneur et donnera naissance à une branche réformée de l’Ordre bénédictin ; il meurt en 1116 ; voir L.K. LITTLE , 1978, p. 75-78 ; R. VONEN -LIEBENSTEIN , « Bernhard v. Tiron », LMA I (1980), 2002 ; K.S. F RANK , « Bernhard v . Tiron, LThK 2, 1994, 276 ; J. BASCHER , « La Vita de saint Bernard d’Abbeville, abbé de Saint-Cyprien de Poitiers et de Tiron » dans Revue Mabillon, 59 (1979), p. 411-416, et (1980), p. 417-450 ; B. BECK , Saint Bernard de Tiron, l’ermite, le moine et le monde, Cormeilles-le-Royal, 1998. 254  PL 171, 1391-1392 ; voir J.M. B IENVENU, L’étonnant fondateur de Fontevraud, Paris 1985 ; J. DALARUN , L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris 1985 ; Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris 1986. 255   J. L ONGÈRE , 2004, p. 87-103 (Bibliographie)

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une collégiale de chanoines à la Roë, toujours en forêt de Craon (1095). Dès lors, il se sent libre de reprendre la route, afin de haranguer des auditoires de tout rang et de toute condition. La renommée de Robert est si grande que le pape Urbain II, passant par Angers lors de son « incursion au Nord de la Loire », le reçoit et lui accorde une licentia praedicandi (février 1096)256. Quelques jours plus tard, le pape est au Mans, où il donne son assentiment à la prochaine promotion épiscopale d’Hildebert257. Jacques Dalarun a évoqué naguère cette tranche de vie, la plus singulière, de l’existence mouvementée du futur fondateur de Fontevraud. Il n’est pas superf lu, pour notre propos, de souligner qu’elle commence dans le voisinage immédiat et en synchronisme parfait avec les premières initiatives du nouvel évêque du Mans, adoubé par le pape en personne pour défendre la cause de la Réforme grégorienne. Or, au moment même où Hildebert inaugure son ministère, « plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer de curieuses pratiques au sein de la troupe errante [qui accompagne Robert d’Arbrissel] : hommes et femmes coucheraient pêle-mêle au milieu des bois, et le maître lui-même s’inf ligerait comme un nouveau martyre de partager la couche de ses suivantes258 ». Il est vrai que ces résurgences de l’antique synisagisme259, attestées déjà chez certains anachorètes de la Thébaïde260, ne laissèrent pas d’étonner. Mais le maître devait étonner davantage

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 Voir dans l’article de J.H FOULON , 2004, p. 25, la carte du voyage du pape Urbain II en France en 1095-1096, dressée par A. BECKER , Papst Urbain II (1088-1099), Stuttgart, t. 2, 1988. 257  Selon toute vraisemblance, c’est lors de l’étape de Tours, que le pape intervint afin de lever les dernières réticences des évêques de cette province relatives à la promotion d’Hildebert à l’épiscopat.. . 258   J. DALARUN , 1985, p. 17, mais surtout pp. 187-191. 259   H. ACHELIS , Virgines subintroductae, Leipzig 1902; L. G OUGAUD, Mulierum consortia. Étude sur le syneisaktisme chez les ascètes celtiques, Dublin 1921-23 ; D. IOGNA-P RAT, 1977, p. 47-64, notamment 57-62 ; S. ELM , Formen des Zusammenlebens männlicher und weiblicher Asketen…Doppel-Klöster und andere Formen der Symbiose, hg v. K. E LM -M. PARISSE , Berlin 1992 ; Anne JENSEN , Gottes selbstbewusste Töchter. Frauenemanzipation im frühen Christentum ? Freiburg i. Br. 1992, pp. 70 s., 117-123 ; de la même, « Syneisakten », LThK 9 (2000), 1175. 260  Si l’on en croit Jérôme, dans sa Vita de Paul de Thèbes : PL 23, 17-28 ; voir aussi chez CASSIEN , Conlationes XV, 10 (SC 54, 6. 219-220), l’épisode de l’histoire du bienheureux Paphnuce rapportée par l’abbé Nestoros.

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encore lorsque, le 28 octobre 1115, sentant venir sa mort 261, il confia la direction de l’abbaye de Fontevraud à une femme, issue de la noblesse locale, Pétronille de Chemillé262. Jacques Dalarun observe à ce sujet : « Si l’établissement de Fontevraud [vers 1101], avait pour un temps apaisé la critique, la désignation d’une femme à la tête d’un ordre mixte lance, au sein de la communauté, de durables conf lits. Par son ascèse singulière, par cette ultime désignation, Robert d’Arbrissel s’affirme bien comme un de ces originaux dont l’Orient avait le secret, un fou de Dieu. En partie de son fait, tout son dossier est placé sous le signe des passions et de la contradiction, avant comme après sa mort. »263.  Le témoignage de la Vie de Marie l’Égyptienne Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est en vain que l’on chercherait dans la Vita beate Marie Egiptiace d’Hildebert de Lavardin, la moindre allusion à certains détails, dits spécifiques, qui auraient jalonné l’itinéraire spirituel de Robert d’Arbrissel. Certes, son héroïne a passé dix-sept ans dans les lupanars d’Alexandrie, certes encore, à l’instar des filles perdues, converties par Robert d’Arbrissel et recueillies à Fontevraud, les longues années passées au désert par Marie l’Égyptienne sont consacrées à la pénitence et à l’ascèse la plus sévère, conformément aux thèmes majeurs de la prédication des nouveaux ermites. Mais les analo-

261   J. DALARUN , 1985, p. 28, se rallie aux conclusions de l’ Histoire littéraire de la France, t. X, p. 165-166, et de J. VON WALTER , « Vie de Robert d’Arbrissel », trad. J. Cahour dans Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, Laval, 2 e série, t. XXVI, 1910, p. 405-406, qui fixent cette date au vendredi, le 23 février 1116. 262   J. HOURLIER , 1979, pp. 195; 228-229; J. DALARUN, 1985, p. 179 définit fort justement le pouvoir de Robert et celui de Pétronille de Chemillé : « …centralisation et dépendance directe de Rome…  ; au sein de l’ordre, le pouvoir de Robert est sans partage…cette magistrature, par la paternité spirituelle qu’elle implique, dépasse en fait l’ordinaire autorité d’un abbé. Le pouvoir de Pétronille de Chemillé procède entièrement du pouvoir du fondateur et ne le concurrence pas. Nul, de son vivant, n’ose s’opposer à Robert dans l’ordre. » . 263   J. DALARUN , 1985, p. 17. L’auteur rappelle que les plus hautes autorités ecclésiastiques, Marbode de Rennes, Geoffroy de Vendôme et, sans doute, Yves de Chartres le mirent en garde ou le condamnèrent pour son attitude envers les femmes, ses outrances vestimentaires ou verbales. Mais les foules l’ont adoré, des évêques l’ont aimé, des grands l’ont protégé. Plusieurs papes, Urbain II, Pascal II, les dynasties française, angevine, d’innombrables seigneurs l’ont protégé et comblé de leurs dons, ibid., p. 17-18.

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gies qui apparaissent entre l’une et les autres ne dépassent guère ces généralités. D’autre part, l’épitaphe du fondateur de Fontevraud – décédé en 1116 – relève d’un autre genre littéraire que le poème hagiographique et fut vraisemblablement composée une quinzaine d’années après lui. L’évêque du Mans n’avait pas à prendre parti dans les affaires internes du nouvel ordre fondé par Robert. Il s’est contenté de composer une modeste épitaphe, de douze distiques élégiaques, dans lesquels l’antithèse règne en maîtresse, exaltant les mérites du saint homme264, à en juger d’après une vie ascétique reconnue exemplaire en tous points265. Mais là aussi, sauf une brève allusion à son cheminement spirituel 266, c’est en vain que l’on chercherait la moindre allusion aux difficultés qu’il connut dans la fondation, la direction et la structuration définitive du monastère double de Fontevraud 267.

264  PL 171, 1392 : v. 3-8: Iste bonus meliorque bonis, taceo meliorum. / Optimus; ad laudem sufficit esse bonum. / Huius erat solidare fidem, mentique mederi, / Virtuti stimulos addere, spemque reis ; / Exstirpare scelus, non exstirpare scelestos, / Et Christum membris conciliare caput. / Le lecteur appréciera à leur juste valeur l’élégante gradatio des v. 3-4, et la discrète allusion à l’œuvre de conversion et de réconciliation réalisée par Robert, aux v. 5-8. 265  Sans avoir à citer l’intégralité du poème, on se doit de donner un aperçu de la partie qui concerne directement les exploits ascétiques de l’ermite Robert, aux v. 9-16 : Pane famem, potuque sitim non anticipauit, / Sed nec ueste gelu, sed nec opus requie. / Prandia cum cœna potu non continuauit ; / Frena gulae posuit, non gula frena viro. / Attriuit lorica latus, sitis arida fauces, / Dura fames stomachum, lumina cura uigil. / Indulsit raro requiem sibi, rarius escam ; /Pascebat fauces gramine, corda Deo. : PL 171, 1393. Une lecture savoureuse de cet extrait vaut sans doute mieux que tous les commentaires ; quiconque aura pris plaisir à lire les poèmes d’Hildebert le retrouvera ici tout entier, notamment dans sa concision raffinée, et cette manière particulière qu’il possède de joindre les termes abstraits aux notations concrètes. 266  En effet, aux v. 19-20 de son épitaphe, Hildebert salue comme la prouesse suprême de Robert le fait que, chez lui, la chair a été soumise aux lois de « Dame raison » : Legibus est attrita caro dominae rationis. Mais toutes les deux, la chair et Dame raison, n’ont de goût, de saveur, de sens, qu’en Dieu, car Dieu lui-même donne sens à tout être : Et sapor unus eis, et sapor ille Deus. 267   Cette discrétion n’a pas empêché Hildebert de suivre de près le développement de la grande communauté monastique de Fontevraud, qui dès l’origine (1101) adopta la Règle de saint Benoît. Le 25 avril 1105, à la demande de l’évêque Pierre de Poitiers, le pape Pascal II (1098-1119), prend l’abbaye sous sa protection : JW 6034 : PL 163, 164 ; cf. JW 6315 : PL 163, 296. Après la mort de Robert d’Arbrissel (1116) et les tensions qui divisèrent le monastère double (cf. JW 6662, du 20 septembre 1118 : PL 163, 504) ; après les difficultés financières qu’il connut du fait de ses imposantes constructions – elles provoquèrent l’intervention de Calixte II (1119-1124), de passage à Tours en

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Venons-en à la Vita de Marie l’Égyptienne. Les trois rencontres de l’abbé Zosime et de la pécheresse repentie sont des modèles de pudeur précautionneuse : la première s’ouvre sur une sorte de cérémonie de vêture : la femme-ermite refuse de tourner son visage vers le moine aussi longtemps qu’elle n’aura pas dressé entre eux la clôture qui est de règle, et que leur parloir n’aura pas été muni de sa grille : bref, force est à l’abbé Zosime de faire don de sa cuculle à Marie l’Egyptienne : « Femina sum, Zosima, scelerum molimine prima. Expers pannorum confundar ad ora virorum. Nec sinit os uerti pudor inguinis haud cooperti. Sed quia te Christi famulum scio, quod petiisti, Fiet, si dederis, quo probra tegam mulieris. Vis loquar aut restem ? uersus retro da mihi uestem ! » Inde cuculla datur, qua femina tecta profatur… (v. 205-211)268. On est à des milliers de lieues des démonstrations spectaculaires de continence héroïque, auxquelles se sont livrés certains nouveaux ermites de la forêt de Craon. La seconde rencontre a lieu au clair de lune, témoin céleste d’une liturgie nocturne originale, improvisée, qui se déroule dans la nuit du Jeudi au Vendredi-Saint [anticipant en quelque sorte la liturgie solennelle de la Vigile Pascale], et au cours de laquel-

août 1119 (cf. JW 6739 et 6740 : PL 163, 1121), et celle d’Innocent II (1130-1143), de passage à Étampes, le 20 janvier 1131 (cf. JW 7441 : PL 179, 72) – , nous voyons le même pontife, en décembre de la même année, charger Hildebert, devenu archevêque de Tours, ainsi que ses suffragants et les évêques de Poitiers et de Saintes, d’organiser une collecte en faveur des moniales de Fontevraud. ( JW 7521 : PL 179, 116). D’autre part, nous possédons deux sermons d’Hildebert adressés à des moniales ; S. 124 et 125 : PL 171, 901-908, très vraisemblablement destinées à la communauté féminine de Fontevraud. Voir notamment PL 171, 903B et 904 A. 268   « Je suis femme ; Zosime, la première par le nombre des péchés que j’ai commis. / Dépourvue de vêtements, je suis remplie de confusion sous les regards des hommes, / La honte de ne pas avoir couvert mon bas-ventre m’empêche de tourner vers toi mon visage. / Mais parce que je sais que tu es un serviteur du Christ, ce que tu as demandé / Se fera, si tu me donnes de quoi couvrir mes parties honteuses de femme. / Veux-tu que je parle ou que je reste ? Tourne-toi et donne-moi de quoi me vêtir ». / Sur ce, la cuculle est donnée…

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le la pécheresse repentie, devenue ermite, qui a traversé le Jourdain à pied sec et s’est dûment confessée (v. 751), reçoit la communion sous les deux espèces, après un long office où les chants alternent avec force prières et de saintes méditations (v. 745-754). La mise en scène de ce deuxième acte est décrite de manière à dissiper tout soupçon de promiscuité suspecte : Luna refulgebat nec facta latere sinebat, Ad radios cuius patefactus transitus huius. A sene multimodas extorquet et elicit odas. Ecce, piis uotis, ambagibus inde remotis, Femina uirque uacant, sacra prece numina placant (v. 741-745)269. A la troisième rencontre, le moine Zosime est conduit par un rayon de lumière jusqu’à la dépouille mortelle de la sainte, dont il apprend le nom (Marie) et la date du décès (dans la nuit même du Jeudi au Vendredi-Saint). Dernière précaution du narrateur : le corps de la pécheresse repentie, dûment voilé270, miraculeusement intact271, s’offre désormais à la vénération des fidèles ; il est devenu une sainte relique. Le moine Zosime lui rend les premiers hommages et un lion 272 lui procure une digne sépulture.

269   « La lune était resplendissante ; elle ne permettait pas que leurs actions demeurassent cachées, / A sa clarté, la femme traverse le f leuve. / Elle demande au vieillard et obtient de lui qu’il chante divers chants. / Et voici que, toute ambiguïté étant désormais écartée, la femme et l’homme / Se livrent à leurs pieux désirs et se concilient la divinité par leur sainte prière ».  270   v. 823-824: Glorificanda caro decocto purior auro. / Sicut oportebat mulierem, tecta iacebat. 271   v. 870-876 [Zosimas] attribuit meritis mulieris quod fera mitis, / Quod leo fit lenis, quod nomen inhesit arenis / Quod super illuxit et eum lux preuia duxit, / Quod desolatam custode, quod intumulatam / Non infestauit fera, non uolucris lacerauit, / Non soluit magnus feruor, non integer annus.… v. 853-855 / Laudibus applaudit, tegit artus, lumina claudit / Nunc amplexatur uestigia, nunc ueneratur / Ora, comas, uultus. 272  Le lion figure déjà dans la Vita grecque de Sophrone, 39 : PG 87, 3723 D. Au XIIe siècle, il pouvait servir à suggérer aux seigneurs, normands ou autres, dont il ornait le blason, de s’investir pour doter les tombes des saints ermites d’une digne sépulture.

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Marie l’Égyptienne, modèle de l’anachorétisme féminin ? La Vita de Marie l’Égyptienne contient un long discours (v. 571-667) dans lequel l’héroïne, après avoir évoqué sans complaisance les dix-sept 273 ans de sa vie pécheresse et sa conversion soudaine et définitive, décrit longuement les quarante-sept 274 années de son existence solitaire dans le désert au-delà du Jourdain. C’est à la demande expresse du moine Zosime (v. 563568), dont la dignité primitive d’higoumène275 est quelque peu estompée dans le récit d’Hildebert, qu’elle expose dans les moindres détails ce que furent, alors, sa nourriture, sa boisson, son logis. Marie distingue nettement une première période de dix-sept ans, pendant laquelle il lui fallut mener une rude bataille contre les tentations de la chair : gourmandise, luxure, souvenirs de sa vie mondaine (v. 575-597), et une période de trente ans, inaugurée « lorsque les tentations de jadis se furent calmées » (v. 623) : en effet, « la Vierge Mère ayant effacé et lavé ses nouvelles blessures » (v. 612), elle connut enfin une paix profonde (v. 614). Il est significatif que la description des points de ce qui pourrait être une Règle idéale pour des femmes ermites commence à cet endroit précis du récit. A la différence du prophète Elie, dont les corbeaux assuraient matin et soir le ravitaillement en pain et en viande (III Reg 17, 6), modèle biblique repris dans les Vies des Pères du désert, Marie l’Égyptienne n’a pas bénéficié d’une assistance miraculeuse angélique ou animale. Elle n’a pas connu non plus une multiplication

273   Cette indication, donnée dans la Vita grecque, 18 : PL 87, 3710 D, est reprise ici, v. 396. Elle commande la durée de l’expiation au désert, dans la Vita de plusieurs ermites qui sont censés y être restés dix-sept ans, entre autres Vital de Savigny. 274  Si elle doit devenir le modèle de l’anachorétisme féminin, l’héroïne d’Hildebert doit battre tous les records de durée au désert pour expier sa vie pécheresse. Ses 47 ans (Vita grecque, 27 : PG 87, 3715 ; ici, v. 571) cumulent les dix-sept ans de sa vie de péché et les trente ans de la Vita eremitica de la Madeleine (BHL 5454-5456). Les 17 premières années furent consacrées à vaincre les tentations de toute espèce qui continuent de l’assaillir : Vita grecque, 28-29 ; ici v. 571-611. 275  Elle demeure cependant, discrètement suggérée aux v. 212, 232, 277, 301, 423, 572, dans l’appellation : pater, réservée à l’abbé dans la Règle de saint Benoît, et ici ; cf. v. 756, 766, 769, 836, 902-904. 

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thaumaturgique des pains276 qu’elle avait emportés de Jérusalem. Il semble toutefois qu’elle ait pu s’en nourrir pendant un certain temps, le temps nécessaire pour parvenir à une sainte indifférence à l’égard du « pain quotidien ». Per tot lustra fere duo panes esca fuere, Quos mecum gessi, simul huc ex urbe recessi. Aruerant et duruerant propriumque colorem Perdiderant et desierant conferre vigorem, Inde tamen releuare famem perparca solebam. Quid biberem, cum deficerem, uix inueniebam (v. 615-620)277. Le récit, inauguré sur le ton d’un réalisme implacable, s’achève sur une découverte merveilleuse, car elle ouvre l’intelligence de la pénitente repentie au sens profond de la péricope évangélique (Matth. 5, 24-32) : Postquam sunt longo tempore consumpti tempore panes, Mens herens Domino curas abstraxit inanes. Extunc usque modo temptatio prima resedit, Extunc usque modo rationi sensus obedit, Vsque modo cibus exterior cum frondibus herba, Vsque modo cibus interior celestia uerba (v. 621-626)278. Confronté à la leçon de confiance en la divine Providence que le Christ a donnée à tous ses fidèles dans le Sermon sur la

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 Elle a fini quand même par en venir à bout (v. 621) et, à partir de ce moment, elle ne s’est plus inquiétée au sujet de sa nourriture, car « L’esprit qui s’attache à Dieu a supprimé ces vains soucis » (v. 622). 277   « Durant tous ces lustres, deux pains suffirent presque à ma nourriture, / Les deux pains que j’avais emportés, quand j’ai quitté la ville pour venir jusqu’ici. / Ils étaient devenu secs et durs, ils avaient perdu leur première couleur / Et ils avaient cessé de donner des forces ; cependant / J’avais pris l’habitude d’en tirer de quoi apaiser ma faim, très parcimonieusement. / C’est à peine si je trouvais à boire, lorsque je défaillais ». 278   « Lorsque les pains, après pas mal de temps, furent consommés, / Mon esprit, solidement fixé en Dieu, supprima ces vains soucis. / Depuis ce temps-là et jusqu’à maintenant, mes sens obéissent à la raison, / Jusqu’à maintenant, ma nourriture extérieure est faite d’herbes et de feuillages. / Jusqu’à maintenant, ma nourriture intérieure est faite de paroles célestes ».

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Montagne, le questionnaire pointilleux 279 de Zosime sur le vivre et le couvert de la femme-ermite prend une allure inquisitoriale du plus mauvais effet. Marie répond cependant point par point280 à l’abbé scrutateur. Sa nourriture ? Des feuillages et des racines. Ses habits ? Vestes quas habui, scidit attriuitque uetustas, Nuda dehinc tenui regiones sole perustas. (v. 627-628)281. Autant dire que les questions d’intendance sont indifférentes pour les véritables ermites, qui offrent les inconvénients, les épreuves, les souffrances qu’il leur faut endurer au désert, en « réparation pour le péché » (v. 631). Du reste, le Père Zosime aurait-il oublié que « l’homme ne vit pas seulement de pain » (v.648 = Matth. 4, 4), mais que « pour tous [les hommes] Dieu est une nourriture, pour tous un vêtement ? (v. 650 ; cf. Deut. 8, 4). Sans rien vouloir nier des morsures du gel, des chaleurs excessives, de la violence du sable, de la fournaise du jour, Marie trouve dans son humble soumission à la volonté divine et dans son espérance en la vie éternelle la force d’accepter tous les caprices des saisons : « Quand le vent fait rage dehors, la ferveur de l’amour apaise la tempête, / Et l’âme, à Dieu soumise, ne souffre ni de la neige ni des ouragans. / Rien n’est difficile pour ceux que soutient le bon espoir de la cité céleste » (v. 652-654). L’attitude de l’ermite égyptienne relève ni d’un stoïcisme orgueilleux ni d’une obstination volontariste ; elle se fonde sur la certitude de son néant coupable et sur l’évidence de l’infinie miséricorde de Dieu. Au moine théologien, qui s’étonne de l’orthodoxie de ses propos, elle répond sans orgueil ni feinte modestie : « Si subsiste en moi quelque trace d’honnêteté, de morale, 279

 A un autre endroit (v. 320), elle lui fait remarquer que ses questions sont indiscrètes et relèvent d’une curiosité abusive : Mi pater, exploras ? plus crimine nosse laboras. Il n’est pas déplacé de voir dans cette observation un avis donné aux confesseurs [de tous les temps], trop curieux, « tyrannisant leurs pénitents en les interrogeant de manière abusive sur les circonstances », si l’on en croit, par exemple, une confidence de Geiler de Kaysersberg, rapportée par Beatus Rhenanus (1485-1547) ; cf. Ch. Munier, 2001, p. 258. 280   v. 668 : Ordine digessi quidquid male uel bene gessi. 281  Les habits que j’avais se sont déchirés, usés par la vétusté, / Et depuis, j’habite, nue, ces régions brûlées par le soleil.

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de piété, / Quand je repasse en mon esprit les monitions des saintes écritures, / C’est là un don du ciel ; c’est Dieu qui donne ces leçons, qui réalise cette opération. / L’Esprit prend possession de l’âme et instruit le discours » (v. 660-663). Dans la Vita grecque, Zosime s’étonne de ce que Marie, au cours de son récit, cite des versets de Moïse, de Job et des Psaumes. « As-tu appris les Psaumes, lui demande-t-il, ou d’autres livres de l’Écriture ? » Marie lui répond que non seulement elle n’a jamais appris à lire, mais que, depuis qu’elle est au désert, elle n’a jamais entendu personne chanter ou lire [quoi que ce soit] et elle conclut par une autre citation, du Nouveau Testament, cette fois : « ‘Mais la parole de Dieu, qui est vivante et efficace’ (Hebr. 4, 1), enseigne à l’homme la science. » Paul de Naples a conservé ce passage, Hildebert l’a omis, réservant l’admiration de Zosime pour d’autres merveilles. Hagiographie et phénomènes paranormaux Dans la comparaison qu’il a entreprise entre les deux aspects de la vocation monastique, tout se passe donc comme si Hildebert accordait la palme à la vocation érémitique. Le fait que, pour illustrer cette thèse, il choisit non point un des champions de l’érémitisme traditionnel, mais une pécheresse égyptienne, repentie, expiant ses péchés dans le désert de Transjordanie, au prix de l’ascèse la plus stricte, est significatif de son argumentation, semble-t-il. Pour étayer son opinion sur le mouvement contemporain des nouveaux ermites, qui drainait vers les solitudes forestières de l’ouest de la France, maîtres d’ascèse et disciples de toute condition, de toute provenance, il n’a pas hésité pas à reprendre à son compte un récit hagiographique oriental, pétri de merveilleux. En suivant fidèlement le canevas du récit de Sophrone, respecté par Paul de Naples, il souligne d’abord que la conversion d’une fille perdue, opérée par la vertu de la Passion du Sauveur282,

282  Dans la Vita grecque, la conversion de Marie a lieu le jour même de la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix, dans une des deux basiliques érigées par l’empereur Constantin sur le Golgotha : le Martyrion et l’Anastasis. Mais le texte de Sophrone ne précise pas davantage ; voir v. 475-484.

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sous l’égide de Notre-Dame283, est la première étape de toute une vie de pénitence héroïque, qui l’a conduite apparemment jusqu’à certains sommets de la vie spirituelle. Marie l’Égyptienne a pris conscience de son abjection 284, de son néant, elle a éprouvé l’immensité de la pitié du Seigneur Jésus (v. 441), ainsi que celle de la miséricorde et de la longanimité du Seigneur Dieu qui, « malgré son courroux, diffère de punir les péchés, et qui frappe à contrecœur, car il cherche à épargner le coupable » (v. 444-445). Mais il y a plus : les dons extraordinaires, dont elle est ornée désormais, sont des signes du renouveau qui s’est réalisé, au plus profond de son être, par la vertu de la grâce divine. Ces signes sont dûment constatés et certifiés par l’abbé Zosime – qui, dans une procédure romaine de canonisation, jouerait à la perfection le rôle de commissaire chargé de l’enquête285. Pour Sophrone, Paul de Naples et Hildebert, ces dons illustrent l’éminence des vertus de l’anachorète, la faveur dont elle jouit auprès de Dieu. Dans l’argumentation d’Hildebert, il paraît assuré que ces signes doivent contribuer à justifier la haute considération qu’il témoigne à l’égard de la vie érémitique, vécue intégralement, conformément à la tradition des Pères du désert, dans la pénitence et l’ascèse.

283  La vue de l’icône (v. 501) suit la prière de Marie, consciente de ses méfaits et qui, du fond de la tombe, demande de pouvoir resurgir, comme Lazare (v. 495-500). 284  Toutes les « confessions » de la pécheresse sont à mettre au compte de son repentir : voir, par exemple les v. 384- 395 ; 435-440 ; 471-493 ; 504-529 ; 595-604. 285  Pour éviter tout anachronisme, il convient de lire le poème d’Hildebert à la lumière de l’histoire de la canonisation dans l’Occident chrétien ; on se reportera aux études d’ensemble de T. ORTOLAN , art. « Canonisation des saints dans l’Église romaine », DTC II, 2, 1905, col. 1639-1659 ; E.W. K EMP, Canonization and Authority in the Western Church, Oxford 1948 ; Ch. DE CLERCQ, « L’établissement progressif de la procédure de canonisation”, Revue de l’Université de Laval 2 (1948), p. 473-485 et 672-682 ; A. VAUCHEZ , La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, École française de Rome, 1981. Nous avons présenté un aperçu de cette histoire dans La vie de sainte Hildegarde et les actes en vue de sa canonisation, Paris 2000, p.79-93. Depuis l’époque carolingienne, c’est l’exhumation des reliques d’un saint par l’ordinaire du lieu qui les dépose dans un sépulcre plus digne, qui constitue l’acte liturgique nécessaire mais suffisant pour garantir au nom de l’Église la licéité du culte qui lui sera rendu désormais. C’est seulement à partir d’Eugène III (1145-1153) que la papauté se sent assez sûre de son droit, pour prononcer des canonisations en vertu de la seule autorité de l’Église romaine, au terme d’une enquête, dont elle définit les critères.

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Avant même de donner la parole au « saint vieillard » (v. 177), Hildebert lui fait une description de la femme qu’il va rencontrer (v. 177-184). Curieusement, il ne retient à son intention que les détails concernant son système pileux (v. 184-186)286 ; le reste de sa monition – une monition épiscopale, qui pourrait éventuellement être adressée à un légat pontifical, chargée d’enquêter sur tel mouvement des nouveaux ermites, – consiste à le mettre en garde contre tout préjugé « sexiste », susceptible de fausser son jugement. En effet, Hildebert prévient Zosime que les traces qu’il suit sont celles d’une femme (mulier) mais cette femme ( femina), qui le précède et l’a précédé au désert, ne lui est en rien inférieure (v. 179). « Tout comme elle t’a devancé par les traces de ses pas, elle t’a devancé par sa vie. / Par ses retraites, elle a mérité d’être célèbre en ce lieu et partout ». Et il conclut sa harangue par deux vers qui pourraient être placés en exergue à tout le poème : Femina tota prius, iam totum despuit huius, Tota caro pridem ; modo tota rebellis eidem (v. 188-189)287.   Rendu ainsi attentif aux vertus et aux mérites extraordinaires de la femme-ermite qu’il doit rencontrer, Zosime va s’employer à les évaluer de son mieux. Puisqu’elle paraît être parvenue à un stade de perfection avancé, caractérisé par son indifférence absolue à l’égard des besoins de la chair : nourriture, boisson, vêtement, sexualité, le moine se propose d’examiner si, comme l’enseignent les maîtres en spiritualité288, cette femme témoigne 286

 En fait, Hildebert prépare la rencontre des deux protagonistes, qui aura lieu au v. 205, dans une scène d’une pudeur exemplaire, commentée plus haut. Celle-ci culmine dans le don de la cuculle monastique ; dès lors, Marie est, en quelque sorte, agrégée, incardinée à la gent monastique. Voir D. IOGNA P RAT, « La femme dans la perspective pénitentielle des ermites du Bas-Maine (fin XIe siècle- début XIIe siècle), RHSp 53 (1977), p. 47-64. 287   « Tout entière femme, dans un premier temps, elle a rejeté désormais tout ce qui fait la femme, / Tout entière chair précédemment, elle est maintenant tout entière rebelle à la chair ». 288  Un passage de Sophrone (c. 12 : PG 87, 3706/7) indique clairement les fondements idéologiques de l’identification et de l’évaluation des phénomènes extraordinaires qui accompagnent certaines personnalités ; en voici la traduction :  « Comme il [= Zosime] était un homme d’un esprit pénétrant et très savant au sujet des choses divines, il comprit qu’elle ne l’aurait pas appelé par son nom, qu’elle ne connaissait pas et dont elle

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peut-être, par des phénomènes extraordinaires, de « l’éminence de ses mérites » (v. 234 ; 871). Accompagnons-le dans son inventaire. D’entrée de jeu, Zosime constate un fait curieux : bien qu’il soit pour elle un inconnu, venu de loin, cette femme sait tout sur lui et l’a appelé par son nom (v. 232-237). Ensuite, il observe que, si pendant sa prière muette, « tout ce que l’on voit chez elle, sa bouche, ses cheveux, son maintien – autant de signes de sa piété – témoigne de sa vertu » (v. 255-265), « son corps, détaché du sol, [comme s’il refusait d’entrer en contact avec la terre, son corps purifié289] se tenait tout droit, soulevé au-dessus [de la terre] » (v. 266-272). Au moment de quitter Zosime, l’anachorète lui prédit qu’une maladie – sans gravité – le retiendra quelque temps au monastère (V. 678), mais qu’il pourra revenir sur les bords du Jourdain pour lui apporter « la communion,  la nourriture de l’autel » (v. 680) ; elle viendra à sa rencontre, leur dernière rencontre, l’occasion de lui dire des choses utiles à ses frères (V. 676-690). Toutes ces prophéties s’accompliront à la lettre (v. 700-715) : le moine, frappé par la maladie, est contraint de rester au couvent, mais sa santé se rétablit et il peut entreprendre la tâche qui lui incombe290. Pourtant, lorsqu’il parvient sur la rive du Jourdain, n’avait jamais entendu parler, si elle n’avait pas été éclairée par l’évident charisme de prophétie (tw’ / prooratikw’ / prodh lv w» cari sv mati). Dans la traduction de Paul de Naples (c. IX : PL 73, 678 A), il n’est plus question que de « la grâce de la providence ». Hildebert greffe sur cette idée tout un développement sur la synergie de la grâce divine et du mérite des saints (v. 237-244). Ajoutons que le Ménologe byzantin, à la date du 1er avril, reprend l’idée de Sophrone, quand il écrit : Notre sainte mère Marie l’Égyptienne, après avoir mené pendant dix-sept ans une vie honteuse et dévergondée, s’est convertie à une existence meilleure et elle finit par devenir telle qu’elle prouva sa vertu par de nombreux miracles… (PL 73, 689 B). 289  Les mots que nous plaçons entre crochets sont à mettre au compte du narrateur, qui intervient continuellement dans le récit, pour en ménager les effets ou commenter les épisodes les plus marquants. Il est même possible de constater que, plus il avance dans le poème, plus il prend ses distances à l’égard du texte de Paul de Naples, et multiplie ses observations, amusées, et parfois ironiques, au sujet de Zosime. 290   Hildebert se moque gentiment de son personnage, dont l’enthousiasme pour la femme ermite (v. 695-702) lui fait emporter non seulement les Saintes Espèces en vue de la communion, mais un récipient plein de lentilles bouillies, « comme si devait prendre plaisir à des ragoûts de viande et à force victuailles une femme que leurs seuls noms effarouchent » (v. 713-715). Notons au passage que l’épisode des lentilles remonte

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comme si la réalisation des premiers éléments de la prophétie ne l’avait pas convaincu, toute sorte de doutes l’assaillent, (v. 719729), comme si le narrateur se plaisait à rendre encore plus éclatante la déroute de cet homme de peu de foi. En effet, Marie arrive, « d’un pied rapide, nu-pied et, comme elle l’a promis, elle rend visite au vieillard » (v.731). « Comment vais-je pouvoir traverser le Jourdain ? » s’était demandé Zosime, constatant une évidence : «  Le fait est qu’il n’y a nulle part de gué, ni de pont, ni d’embarcation » (v. 727). Marie ne s’embarrasse pas de ces considérations terre à terre : elle trace sur l’onde le signe de la croix, franchit la ligne de partage des eaux 291 qui se sont séparées (v. 734-736)292 , et traverse le f leuve à la clarté de la lune resplendissante (v. 741-742). » Bien entendu, au terme de la liturgie pascale des deux ermites (v. 743754), et après que la femme a confié à Zosime ses ultimes recommandations à l’intention de l’abbé Jean (v. 788-784), elle prend le chemin du retour et les f lots du Jourdain lui obéissent, sans même qu’elle ait à leur intimer quelque signe : « Elle marche sur les f lots et s’en va, à la stupéfaction de Zosime » (v. 787). Ultimes prodiges : l’année suivante, alors que Zosime revenu sur les bords du Jourdain à la recherche de cette femme, parcourt le pays, aussi loin qu’il le peut, sans repérer sa trace, jette de tous côtés des regards aff ligés et l’appelle à grands cris, sans plus de succès (v. 792-816), soudain « un rayon de lumière brilla, comme un guide annonciateur de celle qu’il cherchait » (v. 817). Réjoui par ce présage, le moine vénère aussitôt le Seigneur Dieu, court

à Paul de Naples (XXI), qui agrémente ainsi le menu de Sophrone (n. 34), constitué de figues, de dattes et de quelques fèves bouillies. Hildebert ne mentionne plus cet en-cas, alors que, chez ses prédécesseurs, Zosime offre à Marie sa pitance, qu’elle goûte du bout des doigts : respectivement, trois fèves (n. 36) ou trois lentilles (XXIII), en disant : « La grâce de l’Esprit suffit pour garder immaculée la substance de l’âme ». 291  Sophrone (c. 35 : PG 87, 3722 B) et Paul de Naples parlent seulement d’une traversée à pied sec du Jourdain par Marie qui marche sur les eaux, « comme si elle marchait sur la terre ferme : quasi per solidum iter », précise le traducteur latin (c. XXII, PL 73, 687 A). Hildebert essaie d’expliquer le phénomène, en reprenant des modèles bibliques (Ps. 113, 3 et 5 ; Jg 5, 4). 292   Cette fois, c’est Hildebert, et non point Zosime, qui tire la leçon de ce prodige : « Le monde n’obéit à personne qui se confie à lui / Mais les éléments savent se montrer favorables aux cœurs purs » (v. 736-737).

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vers cet endroit et trouve celle qu’il cherchait, mais morte déjà (v. 818-820). Cette lugubre découverte jette Zosime dans un abîme de sentiments contradictoires, qui vont de l’aff liction la plus profonde à l’idée, pour le moins saugrenue, d’un suicide, qui lui permettrait de partager la tombe de la défunte (v. 824-833). Quand il a repris ses esprits, il estime que son premier devoir est de lui ménager une digne sépulture, mais il s’aff lige derechef ne pas connaître le nom de la morte. C’est alors qu’il découvre sur le sable une inscription, qui lui apprend et son nom : Marie l’Égyptienne (v. 835), et la date de son décès. Enfin, lorsque Zosime, s’efforce en vain, sans sarcloir, ni hoyau, de creuser, dans le sol très dur, une tombe pour Marie, ne sait que faire et, à son habitude, gémit et se lamente, (v. 859-864), un nouveau spectacle lui coupe le souff le : un lion, « [ pareil à quelqu’un qui pleurerait et porterait le deuil, offrant son aide et déposant sa sauvage fureur], arrive, tête basse, et se met à lécher humblement les pieds de la sainte » (v. 866-869). Cette fois, tous les doutes de Zosime se dissipent : il attribue aux mérites de la défunte les prodiges, aussi nombreux qu’extraordinaires, dont elle fut gratifiée (v. 871-878) et dont il a été le témoin oculaire, enregistre le tout dans sa mémoire et adresse au lion une vigoureuse allocution, dont la bête sauvage exécute les ordres à la lettre (v. 879-892). Si nous récapitulons la somme des phénomènes extraordinaires dont les différents hagiographes ont cru devoir orner la Vita de Marie l’Égyptienne, nous constatons qu’ils se sont montrés des plus généreux en cette matière. Leur éventail des signes de la sainteté éminente à laquelle est parvenue la pécheresse repentie est large et varié. Il comporte d’une part des charismes spirituels, comme le don de connaissance des secrets d’autrui (v. 236), et celui de prophétie293 (v. 678) et d’autre part l’apparition de phé293   Ces deux soi-disant dons spirituels de l’anachorète ne se rattachent que très vaguement aux charismes authentiques du discernement des esprits, ou au don infus de lire les secrets des cœurs et de discerner le bon esprit du mauvais, et celui de prophétie, ou don d’enseigner au nom de Dieu et au besoin, de confirmer son enseignement par des prophéties ; voir A. TANQUEREY, Précis de Théologie Ascétique et Mystique, Paris-TournaiRome 1928, p. 947 ; C. LIALINE , « L’érémitisme en Orient, DSp 4 (1956), 941 s..

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nomènes psycho-physiologiques294, qui se rattachent plus ou moins à l’extase, à savoir la lévitation (v. 266), la marche sur les eaux (v. 736), l’eff luve lumineux (v. 817). Il est plus difficile de définir le genre de phénomènes dont relèvent l’inscription mortuaire de l’héroïne (v. 836) et l’arrivée inopinée du lion fossoyeur (v. 865) ; disons qu’ils relèvent de l’imagination fertile des conteurs, qui ne sont pas toujours ni nécessairement orientaux. Hildebert et le monachisme bénédictin de son temps Nous avons dit quelle était la position de l’évêque Hildebert face au monachisme cénobitique de type bénédictin ; le fait qu’il ait voulu écrire dans ses vieux jours la biographie de saint 295 Hugues de Cluny (1024-1109), dont l’abbatiat de soixante ans eut une importance considérable, non seulement pour l’ecclesia Cluniacensis mais pour l’Église et la société tout entière à l’époque de la Réforme grégorienne, montre bien l’intérêt qu’il portait au monde monastique et souligne le rôle décisif que le grand abbé joua dans cette entreprise. 296. La Vita de Marie l’Égyptienne s’inscrit dans la même perspective : Hildebert utilise le moine Zosime non seulement pour recevoir la confession de la pécheresse devenue un ermite hors de pair, mais pour présenter une communauté de moines modèle, exemplaire aussi bien dans sa manière d’observer la Règle de son ordre que dans l’expérience érémitique à laquelle ladite communauté se soumet chaque année pendant le Carême.

294

 Voir A. TANQUEREY, ibid., p. 948 s. qui renvoie au traité de BENOÎT XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonisatione, 4 vol., Bologna 1734-38. 295  Décédé le 29 avril 1109 à Cluny III, Hugues est canonisé dès le 6 janvier 1110 à Cluny même par le pape Calixte II en personne. ; voir J. O BERSTE , Hugo I. v. Cluny, LThK 5 (1996), 306-307. 296  Un facteur personnel a joué aussi dans l’hommage rendu par Hildebert au saint abbé. Dans sa biographie d’Hugues, Hildebert relate comment son prédécesseur, l’évêque Hoël, lui avait rendu visite à Cluny. En sa compagnie se trouvait aussi un certain archidiacre [dont il ne donne pas le nom]. Hugues avait examiné attentivement ce jeune prêtre et lui avait dit : « Ne fais pas défaut à la grâce de Dieu, car il est prévu que tu ne resteras pas dans la fonction que tu assumes  à présent ». Cette prophétie s’était accomplie déjà, un an plus tard, précise Hildebert, qui conclut : « Nos hoc audivimus, nos praesentes vidimus, nos beati illius hominis orationum participes in eo facti sumus colloquio » : PL 159, 872 C.

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Il est significatif qu’au départ 297 le personnage de Zosime, témoin privilégié de ces deux aspects de la vie monastique, ait lui-même à son actif de longues années de vie cénobitique298, vécues dans le respect scrupuleux de la Règle, voire dans l’accomplissement d’exercices surérogatoires, afin de réfréner les pulsions de la jeunesse (v. 7)299. Zosime a tiré du spectacle d’une vie bien ordonnée, s’écoulant comme un long f leuve tranquille, une autosatisfaction évidente (v. 35-42) et conquis « l’admiration du populaire, du clergé et de la gent monastique » (v. 42-43). Mais quelqu’un, l’entendant vanter et détailler ses exploits ascétiques et ses propres mérites, lui rabat le caquet : personne ici-bas ne peut se dire parfait ; c’est l’issue du combat qui désigne le vainqueur et le vaincu ; le plus difficile pour un champion de l’ascèse, fût-il un religieux, est de remporter la victoire sur soimême, sur le sentiment de sa propre excellence (v. 46-60). S’il veut se convaincre que nombreux sont les moines qui lui sont supérieurs, qu’il aille habiter au monastère sur les rives du Jourdain et partage leur mode de vie. La description de la communauté monastique à laquelle Zosime se confie en vue de parfaire sa formation spirituelle est une des pièces maîtresses du récit d’Hildebert. Elle s’ouvre sur le dialogue instauré entre le postulant et le Père abbé du monastère, qui doit décider de son admission. Jouent en faveur de Zosime « l’extrême simplicité de sa tenue, sa voix suppliante, l’aménité de son visage, en un mot tous les signes d’un esprit religieux » (v. 71-72). Si la première impression est favorable, le Père abbé n’en définit 297   Cette donnée paraît impliquer qu’Hildebert a l’intention de suggérer dans son poème quelques réformes utiles au monachisme cénobitique contemporain, en le confrontant aux expériences érémitiques contemporaines ; il est donc tout indiqué de les inventorier dans les passages où Hildebert quitte le canevas que lui offrait Paul de Naples, et parle en son propre nom. 298  Sophrone et Paul de Naples précisaient qu’entré au monastère dans son enfance, Zosime avait cinquante-trois ans lorsqu’il le quitta pour gagner celui des bords du Jourdain. Il n’est peut-être pas superf lu d’observer que les 53 ans du cénobite en quête de perfection, ajoutés aux 47 ans de l’ermite parfaite, constituent une centurie. 299  Dans cette première description de la vie cénobitique, Hildebert suit librement le canevas que lui offre Paul de Naples ; c’est ainsi qu’il ne mentionne ni la lecture, ni l’étude continuelle, ni la méditation de la Sainte Écriture parmi les exercices de son premier monastère (Paul de Naples, II : PL 73, 673 B ; cf. Sophrone, n. 2 : PG 87, 3699 B ; mele tv hn a ej i ; poiei’sqai tw’n iJe rw’n Logi w v n ). Omission accidentelle ou˜ intentionnelle ?

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pas moins très nettement les conditions de l’accueil réservé aux postulants, ainsi que les responsabilités qui incombent aux nouveaux novices admis à partager la vie de la communauté : conversion sincère, lutte contre les penchants mauvais, ascèse, prière assidue, confiance en Dieu, Créateur et Sauveur, réception de l’Eucharistie, source de toute grâce (v. 73-83). Ces conditions préalables une fois posées en vue du bon déroulement de la seconde expérience cénobitique de Zosime, il va sans dire que la longue description des usages de la communauté « idéale »(v. 83-123), qui fait suite à ce préambule, énonce les desiderata personnels d’Hildebert au sujet des prescriptions de la Règle idéale du monachisme cénobitique, la Règle de saint Benoît, qu’il estime toujours dignes d’être respectées à la lettre, à moins que ne soient souhaitables et possibles certains aménagements suggérés par les circonstances. Certes, le narrateur avait sous les yeux le texte correspondant de Paul de Naples300, mais cette partie du texte joue tout au plus le rôle de prétexte aux considérations personnelles de l’évêque Hildebert, attentif aux particularités du monde monastique contemporain. Réservant au commentaire l’examen des allusions à la Règle bénédictine qui émaillent l’exposé d’Hildebert, qu’il suffise ici de pointer les tendances générales de sa description, qui n’est pas indemne d’amplifications faciles. D’emblée le lecteur est impressionné par l’attention apportée aux plus humbles détails de la vie monastique, qu’il s’agisse de la vie en commun et de ses servitudes (v. 90-91 : 104-109), des mets usuels ou interdits (v. 92-99), du respect des anciens et de la tradition (v. 102-103). Hildebert souligne avec force la place éminente301 de la fonction abbatiale ;

300  Paul de Naples avait déjà traduit très librement le texte de Sophrone (n. 5 : PG 87, 3702 BC), dont il ne retient que quelques éléments traditionnels : le chant des psaumes, les offices nocturnes, le silence, l’indifférence aux affaires du siècle, la mort à soi-même et au monde, la lecture de la Bible, le pain et l’eau. Il ne semble pas avoir compris le binôme : action et contemplation, comme substance de la vie religieuse. Et que signifie le passage suivant : expensa totius anni, aut mensura, vel temporalis vitae meditationes, doloribus congruae, nec nomen apud illos cognoscebatur ? : PL 73, 675 B. 301  La structure hiérarchique propre au monastère idéal décrit par Hildebert ne connaît ni « officiers claustraux », ni officiers appointés (certos), ni « prieurs », car seul l’abbé occupe une première place (v. 111-112).

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certes, elle vaut au Père abbé quelques privilèges personnels302 respectables (v. 96-97), mais la dignité unique dont il est revêtu suppose qu’il sache unir en sa personne un ensemble harmonieux de qualités humaines et de vertus éprouvées, s’il veut faire face aux responsabilités redoutables qui lui incombent (v. 115-123). S’il lui appartient, à lui seul, de trancher les différends et de prendre les décisions qui s’imposent (v. 113-114), il se fait un devoir d’observer lui-même la règle commune et les usages particuliers de la communauté (v. 115 ; 118-121). Loin de vouloir parader en tête, il est toujours prêt à se mettre au service de chacun (v. 116-117), « se faisant tout à tous (I Cor. 9, 23),  sachant se réjouir avec celui qui est dans la joie, compatir avec celui qui est dans la peine .» (Rom. 12, 15) (v. 122-123). A cette première description d’une communauté monastique idéale, placée au début de son poème et dessinée, à partir des rares indications qui lui étaient parvenues d’un Orient légendaire à travers la traduction parfois approximative de Paul de Naples, Hildebert a donné un complément doté d’une autorité irréfragable, puisqu’il s’agit des dernières recommandations de son héroïne, la pécheresse repentie. Ces recommandations sont destinées précisément au Père abbé du monastère exemplaire des bords du Jourdain (v. 756-784)303. En les confiant à Zosime, le moine en quête de perfection monastique, d’abord intégré à une forme de cénobitisme exclusive de toute forme d’érémitisme, puis gagné à une forme de cénobitisme accueillante, ouverte à une expérience érémitique limitée dans le temps et l’espace, 302

 Elles concernent son vêtement qui doit le distinguer, et les menus de sa table, quand il veut honorer des hôtes de passage (v. 96) ; cf. RB 56, 1. 303   Ces recommandations (V. 756-784) constituent une section propre à Hildebert. En effet, dans le récit de Sophrone, c’est à la fin de la première rencontre de Zosime et de l’anachorète que celle-ci confie au moine un message pour l’abbé Jean : «  Prends garde à toi et à ta communauté (th’ / poi mv nh / sou), car il s’y passe des choses qui ont besoin d’être corrigées. Mais je ne veux pas que tu le lui dises maintenant, mais quand tu reviendras » (n. 32 : PG 87, 3413 C). En fait, c’est seulement au retour de sa troisième rencontre, avec Marie défunte, que Zosime raconte aux moines tout ce qu’il a vu et entendu, « afin qu’ils puissent admirer les merveilles de Dieu et faire mémoire de la sainte. Quant à l’abbé Jean, il découvrit ceux qui avaient besoin d’être corrigés et il les convertit, avec la miséricorde de Dieu ». Paul de Naples reprend à la lettre le message de l’anachorète (c. XX : PL 73, 686 A), ainsi que la conclusion. Il précise cependant que : faire mémoire, signifie : célébrer, avec foi, crainte et amour, le jour du décès (transitus) de la sainte (c. XXVII : PL 73, 690 A).

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Hildebert ne laisse-t-il pas entendre que cette seconde forme de cénobitisme répond à ses vœux – mais qu’il lui paraîtrait souhaitable aussi que ceux qui l’ont adoptée ou l’adopteraient veuillent bien tenir compte, malgré tout, du message que lui adresse l’érémitisme lui-même ? En d’autres termes, et en bonne logique intertextuelle, les recommandations de Marie l’Égyptienne pour l’abbé Jean ne présentent-elle pas les suggestions que l’évêque du Mans se permet de faire, à l’intention des communautés monastiques traditionnelles, au premier rang desquelles figure l’Ordre de saint Benoît, afin qu’elles puissent accueillir sans réserve les diverses formes de l’érémitisme contemporain et acceptent de le faire ? Les suggestions d’Hildebert Compte tenu des analyses précédentes, il semble désormais possible de préciser avec assez de vraisemblance les suggestions formulées par l’évêque du Mans à l’intention des diverses formes du monachisme contemporain, en vue de parvenir à un modus vivendi acceptable par toutes les parties en cause. On pourrait les énoncer comme suit : 1. La forme d’un érémitisme intégral, illustrée par la pécheresse convertie, vécue pendant quarante-sept ans dans le désert, sans témoin, dans une ascèse extrême, constitue une expérience personnelle unique, héroïque, proprement inimitable304. 2. La forme d’un cénobitisme exclusif, qui prétendrait conduire à la perfection, tout en ignorant délibérément et absolument l’expérience érémitique, peut conduire à une autosatisfaction coupable (v. 35). 3. La forme d’un cénobitisme accueillant à l’expérience érémitique, fût-elle limitée dans le temps et l’espace, à des fins pénitentielles, par exemple dans le cadre de la liturgie prépascale, est hautement recommandable.

304

  Cette conclusion s’impose, puisque, de Sophrone à Hildebert, l’anachorète exige que Zosime ne révèle rien à personne de ce qu’elle lui a confié au sujet de sa vie (v. 673). Quant aux quarante-sept années passées au désert, elles n’ont pas connu d’autre témoin que Dieu (v. 190 ; 240 ; 395 ; 640)

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4. Comme l’étaient ceux de Marie l’Égyptienne, les exercices d’ascèse des moines se faisant ermites, par exemple pendant la sainte quarantaine, doivent demeurer secrets et n’avoir que le Christ pour témoin (v. 141-147). Hildebert ne suggère-t-il pas ainsi aux nouveaux ermites de son temps, qui prétendraient se situer en dehors de toute structure cénobitique traditionnelle que, si leurs entreprises paraissent parfaitement justifiées au regard des récits des Pères du désert, leur réussite n’est nullement garantie, tant elle exige d’héroïsme persévérant, dans un anonymat absolu et une solitude redoutable, avec Dieu pour seul témoin, sans la présence du moindre compagnon305 ni le réconfort pourtant indispensable de l’Église et de ses sacrements ? 5. Dans le dernier discours de Marie l’Égyptienne, Hildebert explicite les conseils qui, résumant à ses yeux les expériences des nouveaux ermites, pourraient être pris en compte par les responsables du monachisme cénobitique traditionnel de l’Occident chrétien (v. 756-784)306. De fait, en plaçant la Règle monastique au cœur de ce développement, l’évêque du Mans suggère que le monachisme cénobitique occidental est parfaitement en mesure d’offrir le cadre, à la fois nécessaire et suffisant, dans lequel pourraient s’inscrire les expériences érémitiques contemporaines. Telle est, semble-t-il l’opinion d’Hildebert sur la question, tant débattue de son temps, des mérites réciproques de l’érémitisme et du cénobitisme, telle qu’il l’a formulée à travers le poème de Marie l’Égyptienne : en fait, c’est à la vie cénobitique et non pas à la vie érémitique, – comme on pourrait être tenté de le croire, à première vue, – que va sa préférence, puisqu’il lui confie le soin de veiller à la bonne marche des expériences érémitiques éven-

305  Il convient de souligner ici l’importance de ce point pour le moine Zosime, résolu à faire sienne l’expérience érémitique quadragésimale du monastère palestinien (v. 158-159), Dans un premier temps, il semble en mesure de devenir un véritable ermite (v. 165), mais il ne tarde pas à souffrir de la solitude du désert et implore le ciel de lui donner un compagnon « qui adoucirait ses soucis, les porterait avec lui, / l’instruirait en le dépassant par ses exercices, lui apprendrait à le dépasser. » (v. 167-169). C’est alors que la femme anachorète surgit. 306   Cette conclusion s’impose également en bonne logique intertextuelle, puisque cette section du récit, pure création d’Hildebert, est censée exprimer le testament spirituel de l’érémitisme antique, né en Orient, et dont le souvenir s’est conservé en Occident grâce à la tradition littéraire, toujours agissante.

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tuelles, dont certaines déjà sont nées dans son voisinage ou se sont abritées en son sein ; cependant, il tient aussi à souligner que la réussite de ces expériences dépendra de la qualité exemplaire des Pères abbés des monastères disposés à les accueillir et fidèles à la Règle native de leur ordre307. Sans trancher expressément la question théorique de la hiérarchie des vocations monastiques, il semblerait donc suggérer que la vie cénobitique mérite la palme. Mais pourquoi ? VII. La doctrine monastique d’Hildebert Nous tenons une contre-épreuve : Hildebert nous a laissé une série de sermons sur la vie monastique, évidemment destinés aux fils de saint Benoît ; dans plusieurs d’entre eux, il traite explicitement de sujets analogues à ceux qu’il ne faisait qu’eff leurer dans la Vita de Marie l’Égyptienne, notamment ceux dont nous cherchons encore la réponse, à savoir la hiérarchie des vocations monastiques et leurs mérites respectifs. Destinés d’une manière générales aux moines (ou à des moines Ad monachos : S. 116 ; 121-123) ou aux moines (ou à des moines bénédictins : Ad monachos benedictinos : S. 117 ; 119-120), les sermons 116 à123 d’Hildebert sont consacrés à divers aspects de la vie monastique308. La hiérarchie des vocations monastiques d’après les sermons : le S. 118 Le S. 118 d’Hildebert porte en exergue la citation de Gen. 19, 17 : « Comme Lot sortait de Sodome, les anges lui dirent : ‘Sauve ta vie, ne regarde pas en arrière’. Lot leur dit : ‘ Il y a une petite 307

 Le commentaire présentera le détail des conseils destinés par l’évêque Hildebert aux abbés bénédictins de son temps, disposés à faire bon accueil à des expériences érémitiques. La plupart d’entre eux, en effet, renvoient à des articles de la Règle de saint Benoît. 308   Bien entendu, ces titres sont le fait des éditeurs, qui ont tenu compte de la mention expresse de saint Benoît, éventuellement faite par Hildebert  ; ils ont donné au S. 118 le titre général : De la perfection monastique. Les S. 124 et 125 sont destinés à des moniales ; Ad sanctimoniales PL 171, 901-908 ; d’après les éditeurs, ils ont pu être adressés aux moniales de l’abbaye de Fontevraud, dont Hildebert avait été désigné comme « patron et directeur » par le pape ; cf. JW 7521 ; PL 179, 116.

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ville dans laquelle je peux m’enfuir ; elle s’appelle Ségor’. Les anges lui dirent : ‘ Sauve-toi sur la montagne’ ». Le sort de la femme de Lot, changée en statue de sel, pour avoir regardé en arrière, offre un contraste absolu avec Lot qui trouve son refuge et son salut dans la montagne de Ségor (Gen. 19, 30). « La femme regarde en arrière et est changée en statue de sel, parce que c’est le propre de l’âme efféminée qui n’a rien de viril, de retourner à la puanteur du siècle ». Hildebert greffe sur ladite antithèse son exhortation à l’auditoire des moines : puisqu’ils ont quitté Sodome et Gomorrhe, la fournaise de la volupté et le souci des plaisirs du monde, qu’ils veillent à ne point jeter un regard en arrière, mais qu’ils s’attachent aux biens véritables et éternels…Ils sont les vrais pauvres auxquels est promis le royaume des cieux (Matth. 5, 3) ; parce qu’ils ont suivi le Christ (Matth. 19, 27), ils ont acquis le trésor caché dans le champ (Matth. 13, 44). Mais qu’ils se souviennent que, pour être sauvés, il fait persévérer jusqu’à la fin » (Matth. 10, 22). Le dernier développement d’Hildebert est consacré à l’acceptation libre et joyeuse du joug de Dieu309 . Ceux qui font le bien sous la contrainte, ressemblent à Simon, réquisitionné pour porter la croix du Christ ; il ne va pas à la mort, mais ne retire aucun fruit de sa corvée. Pareillement, les moines crucifient leur corps par des veilles, des jeûnes et des travaux, mais souvent sous l’effet de la contrainte. « Soyez donc soumis de par votre vouloir, obéissez à vos supérieurs dans le Seigneur. En effet, rien n’est plus grand que l’obéissance (exemples d’Adam : Rom. 5, 9 ; de Jonas) ». En guise de conclusion, Hildebert rapporte une anecdote tirée des Vies des Pères du désert : « Un des Pères vit en extase quatre ordres devant Dieu. Le premier était celui des hommes qui sont malades et rendent grâce à Dieu. Le second était celui de ceux qui recherchent l’hospitalité et rendent service dans ce domaine. Le troisième était celui de ceux qui recherchent la solitude. Le quatrième était celui de ceux qui, pour Dieu, sont soumis aux Pères dans l’obéissance.  L’ordre qui faisait preuve d’obéissance était supérieur aux autres : il avait un collier en or et une gloire plus éclatante que les autres. Le

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  In mundo in libera potestate fuistis. Ecce pro Deo jugo Dei submissi estis, ut sublata scientia peccandi, catena obedientiae in bono proposito possitis retineri. Sed quia nihil proficiat bene operari ex coactione, nihil faciatis nisi ex voluntate : PL 171, 882 C.

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vieillard dit à celui qui lui donnait cette leçon en extase : ‘ C’est parce que tous les autres éprouvaient une certaine satisfaction à accomplir leurs propres volontés, tandis que ceux qui pratiquent l’obéissance, renoncent à toutes leurs volontés. Tout cet ordre dépend de la volonté du Père qui commande, et c’est pourquoi il a obtenu une gloire plus grande que les autres’ ». On le voit : s’il fait sienne, en conclusion du S. 118, la leçon de l’apophtegme, c’est bien parce que Hildebert accorde la préférence à la vie cénobitique, car elle est fondée sur l’obéissance ; il s’inscrit ainsi dans la mouvance de saint Basile310 et de saint Benoît 311. Le S. 119 Le S. 119 porte en exergue un verset du Premier livre des Rois, 16, 20, dont la Vulgate offre le texte suivant : « Isai prit un âne qu’il chargea de pains… et d’un chevreau, et il envoya le tout à Saül par son fils David. » A son habitude, d’entrée de jeu Hildebert se livre à toute sorte de considérations inattendues, voire déconcertantes pour un lecteur moderne, depuis le mystère de l’Incarnation jusqu’aux vertus d’humilité, de douceur et de patience du Christ dans sa passion (symbolisées par les qualités de l’âne) et à la plénitude de science de l’âme de Jésus. Il n’est pas en peine pour décrypter la signification symbolique des pains dont est chargé « notre saint âne, le Christ » : pains du labeur de sa prédication, pains de douleur de sa Passion, pains de l’exemple donné, pains du courage dans les épreuves312. Que dire du chevreau ? On lui compare souvent le corps du Christ, parce que le bouc symbolise le péché (Lev. 16, 20-28 ; Matth.25, 33) et que le Christ a pris chair, une chair semblable à celle du péché (Rom. 8, 5). Mais de même qu’il y a en nous la coulpe et la peine, ainsi le Christ nous est semblable sur un point (la peine), mais pas sur l’autre (la coulpe) ; il en va de même pour les traits du bouc ;

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 Voir, plus haut, le § intitulé : Les progrès du cénobitisme.   RB, prol.2.3.40 ; 2, 6.17 ; 5, 8.14.15 ; 7, 34.35 ; 58, 17 ; 62, 4 ; 68, 1 ; 71, 1.2 ; 72, 5. 312  Laboravit in prædicatione, doluit in compassione, exemplum dedit in operatione, passus est fortitudine : PL 171, 885 A. 311

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certains313 n’ont aucune ressemblance avec la chair du Christ, d’autres, si314. On l’aura deviné ; ces prémisses servent de transition à l’audacieuse comparaison : « Vous êtes l’âne et le bouc de Benoît. Mais ne vous offusquez pas que je vous appelle l’âne, car c’est sur vous surtout que le Seigneur est assis ; il est toujours avec vous et vous toujours avec lui. »315 Hildebert est arrivé ainsi au cœur de son exposé : démontrer que la Règle de saint Benoît, vénérée par l’Ordre et regardée à juste titre comme infrangible, mérite ce respect, parce qu’elle ne fait que reprendre, à l’intention de la gent monastique, les préceptes énoncés par les Saintes Écritures. Ces préceptes son symbolisés par les pains dont l’âne est chargé316 et par les aspérités du système pileux de la gent caprine317. Reste à commenter le terme : sordidas (vestes). Hildebert s’y emploie dans la conclusion, qui résume les contraintes de la vie monastique : « Voulez-vous entendre brièvement ce que doit être la vie du moine. Son visage doit être baigné de larmes, sa poitrine rauque de gémissements, sa nourriture légère, sa couche dure, son sommeil bref, sa lecture morale, sa démarche humble ». Pour finir, l’évêque du Mans revient sur la Règle de saint Benoît : « Le Père de moines, dit-il, a commencé par mûrement réf léchir à la Règle ainsi qu’à la rigueur de l’Ordre, avant de la rédiger par écrit. Ce qui a été écrit est la main du fils318, et par cette main de son fils,

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 Est enim haedus animal olidum, et petulcum et asperum, et per haec tria genera designantur vitiorum consuetudo, petulantia in instabilitate, asperitas in corruptione ; à l’appui de son interprétation, Hildebert allègue Ps. 37, 6 ; Joël 1, 17 ; Ps. 1, 4 ; Gen. 3, 18 : PL 171, 885 BC. 314   Comme le chevreau se nourrit d’herbes amères et, pour les brouter, se dresse vers le haut, ainsi le Christ, rassasié d’opprobres, est élevé en croix : PL 171, 885 ; citation de Gen. 3, 18 ; Matth. 26, 39 ; Act. 1, 9. 315  PL 171, 887 A. 316  Monachus siquidem custos unius dicitur. Qui custos est sui, repletus est panibus. Qui sunt panes isti ? Lacrymae pro peccatis suis : citation de Ps. 126, 2 ; Ps. 6, 7 ; Ps. 41, 4 ; Luc. 19, 42 ; Ps. 136, 1. 317  Vestis enim vestra debet esse haedina, sive monastica, id est, sordidas et viles vestes debetis habere, et asperas, quae significantur per pilos haedorum, qui asperi sunt et viles : PL 171, 887 D. 318  Reprise d’un passage précédent, commentant le terme : per filium, de la citation biblique : Filium Benedicti appello dispositionem, id est consilium, sive deliberationem, qua ipse deliberavit Regulam, et conversationis vestrae ordinem : PL 171, 886 C.

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il vous a envoyés à Saül, c’est-à-dire à la mort 319, parce qu’il ne vous est pas permis de transgresser ce qu’il a laissé par écrit. Vous donc, qui êtes déjà morts au monde, mourez avec le Christ, que le Père a envoyé mourir pour le peuple 320». Le S. 117 : la Règle bénédictine et les fondements de la vie monastique En définitive, c’est dans le S. 117, dont le texte-clé est Zach. 11, 1 : « Ouvre, Liban, tes portes, et que le feu dévore tes cèdres », que l’évêque du Mans révèle le fond de sa pensée sur les fondements mêmes de la vie monastique. Il en avait touché un mot dans le S. 119, en affirmant que la Règle de saint Benoît est infrangible, parce qu’elle ne fait que reprendre à l’intention de la gent monastique les préceptes de l’Écriture. Cette fois, il examine directement la question des fondements de la perfection monastique. Le début de la citation lui offre une première réponse : « Par les portes du Liban on comprend les apôtres, dont Dieu a ouvert les cœurs, lorsqu’il a versé sur eux la rosée de sa grâce ». Pour faire bonne mesure, Hildebert ajoute une définition étymologique du mot : porte321 ; ce qui lui permet de conclure que c’est la doctrine des apôtres « qui nous conduit sur la voie [de la perfection] et nous soulève vers la patrie ». Il tient ainsi un argument majeur pour ses futures démonstrations : la vie monastique, qui entend tracer la voie de la vie parfaite, explicite la doctrine et la vie des apôtres, la vita apostolica, et son modèle, vécu par l’Église primitive. Après avoir décrit les trois portes par lesquelles l’Église conduit la multitude des fidèles vers le Seigneur par les ressorts de la crainte322, Hildebert commente la seconde partie du verset, celle qui, à ses yeux, concerne les parfaits, à savoir l’élite des moines, 319

 Reprise d’un passage précédent, commentant le terme : Sauli,  de la citation biblique : Hunc igitur Filium sic conceptum misit Pater suus Sauli, id est morti. Per Saulem enim mortem solemus intelligere : PL 171, 886 B. 320  PL 171, 888 AB. 321  Vel, ut nominis etymologiæ attendamus ; congrue apostoli per portas accipiuntur. Dicitur enim porta a portando, et apostolica doctrina nos portante in via, sustentamur a via, ad patriam sublevamur : PL 171, 878 C. 322  Prima porta exit servus, secunda discipulus, tertia filius. Servus trahitur timore supplicii, discipulus sequitur amore magistri, filius occurrit desiderio patris : suivent les citations de Is. 46, 8 ; Ps. 33, 8 ; Ps. 83, 6 : PL 171, 879 AB.

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« qui est d’autant moins nombreuse qu’elle est plus parfaite ». Répondant à l’invitation du Seigneur (Matth. 5, 48), conduits par l’Esprit de sainteté, se signalant par une obéissance exceptionnelle, ils sont appelés aux sommets de la vie spirituelle. Si le moine est désigné par un vêtement grossier, si les jeûnes l’ont amaigri, si les veilles l’ont rendu pâle, on ne s’arrêtera pas à son aspect extérieur, car nul ne peut soupçonner la beauté, la fécondité et la félicité de sa vie intérieure : « les âmes de ces hommes se nourrissent dès maintenant des bienfaits de Dieu et elles seront rassasiées dans la patrie. Nous lisons que tels furent les Macaire, les Paul, les Antoine, dont la vie était dans les cieux, d’autant plus proche de Dieu qu’elle était plus éloignée du tumulte du siècle »323. Enfin, s’adressant directement à son auditoire monastique, l’évêque du Mans lui dévoile sans détours le fond de sa pensée : « Dieu a institué trois choses, par lesquelles l’ensemble de la perfection prend en vous sa consistance. N’allez pas penser que saint Benoît a jeté le fondement de votre vie : c’est le Seigneur Jésus qui, lorsqu’il a fondé l’Église, a ordonné d’avance la sainteté de votre vie, à savoir dans l’amour fraternel, dans la possession commune et dans une humble obéissance (citation d’Actes 4, 32 et Marc 10,43). En vérité, ce n’est pas saint Benoît qui a le premier découvert le principe de la vie heureuse, mais il a ajouté quelques additifs, par exemple dans les aliments secs, la rudesse des habits, la répartition des jeûnes et l’horaire des prières » 324. Il était difficile à l’évêque du Mans de dire plus clairement qu’à ses yeux la Règle de saint Benoît propose aux âmes éprises de perfection la voie même que Notre Seigneur Jésus Christ a enseignée à ses disciples dans les Béatitudes, la voie qu’il a suivie « en faisant bien toutes choses » (Marc. 7, 37) et en acceptant sa Passion et sa mort ignominieuse sur la croix. Il lui tenait à cœur de rappeler que cette Règle s’inspire directement de l’exemple donné par l’Église primitive, dans l’amour fraternel, la mise en commun des ressources et dans une humble soumission aux apôtres. Ce faisant, il rappelait la doctrine sur la hiérarchie des formes du monachisme, traditionnelle en Occident depuis Augustin et Cas-

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 PL 171, 879 AC.  PL 171, 879 D – 880 A.

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sien, ranimait la ferveur des moines noirs pour leur Règle et suggérait aux nouveaux ermites, désireux de s’inscrire dans la meilleure tradition monastique, de se donner, eux-aussi, une Règle inspirée par les Pères de la vie cénobitique en Occident 325. VIII. Vers la solution de la « crise du cénobitisme » médiéval  Comme on le voit, la position adoptée par l’évêque du Mans face au mouvement érémitique de son temps demeure résolument fidèle à la tradition monastique dont la Règle de saint Benoît offre l’expression la plus accomplie, et dont des siècles d’observance ont confirmé la sagesse et la force tranquille. Notons au passage que même la polémique engagée par certains des nouveaux ermites contre le cénobitisme riche et puissant auquel étaient parvenus nombre des fils de saint Benoît au tournant du XIe siècle ne met jamais en question, la Règle bénédictine en tant que telle326. La « crise du cénobitisme » médiéval, majoritairement bénédictin, n’est pas institutionnelle ; elle est d’ordre spirituel. En évoquant les principales formes du mouvement érémitique, nous avons pu constater qu’elles révèlent l’évolution profonde qui affecte alors la mentalité collective, la culture et la spiritualité : le choix délibéré des lieux lointains et déserts dénonce en fait une société de plus en plus dominée par les affaires, une économie de l’argent et du profit, l’agitation trépidante et industrieuse de la ville, de ses foires et de ses marchés327. C’est dans la mesure où le monachisme cénobitique semble sacrifier à ces nouvelles 325

 Dans le S. 121 : PL 171, 895 C, Hildebert, commentant Cant. 4, 12, mentionne expressément et saint Benoît et saint Augustin comme les gardiens du jardin fermé et de la fontaine scellée, autant dire les Pères des moines et des chanoines de la Chrétienté occidentale. 326   Qu’il suffise de renvoyer ici aux études fondamentales sur ce sujet réalisées par E. DELARUELLE , R. MORGHEN, H. G RUNDMANN , Movimenti popolari ed eresie nel medioevo; dans Comitato Internazionale di Scienze storiche, Congresso Internazionale, Relazioni, III, Florence, 1955, p. 307-402 ; E. WERNER , Pauperes Christi. Studien zu sozial-religiösent Bewegungen im Zeitalter des Reformpapsttums, Leipzig 1956. 327  L.K. LITTLE , 1978, p. 59-96 ; H. L EYSER , 1984, p 69-77.

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idoles que l’engagement individuel ou collectif des nouveaux ermites pour la pauvreté – s’agissant parfois de communautés entières de moines ou de chanoines – prend sa véritable signification : ceux-ci refusent expressément les édifices imposants, les grands domaines travaillés par les rustici, les comptes et bilans. Leur engagement se traduit concrètement par l’adoption de vêtements pauvres et communs, le refus des ornements d’église et des vases sacrés précieux, la remise à l’honneur du travail manuel qui doit produire les moyens de subvenir aux besoins de la communauté et de faire des aumônes, le choix délibéré de certaines pratiques ascétiques, comme l’abstinence de viande, les jeûnes, les veilles prolongées et d’autres mortifications corporelles rigoureuses328. Dans son étude sur l’érémitisme médiéval en Occident, Cinzio Violante souligne que l’exigence de pauvreté absolue qui l’anime n’est qu’un aspect, mais le plus sévère et le plus cohérent, de tout ce vaste mouvement qui, après l’An mil, entraîne les milieux réformateurs populaires, cléricaux et monastiques, en réaction aux maux de toute nature issus de l’insertion des organismes ecclésiastiques dans le cadre de l’économie de profit et des structures de la société féodale329. Dans la spiritualité érémitique, le désir de la pauvreté individuelle se transforme en exigence de pauvreté absolue pour la communauté elle-même ; au modèle de la « vie apostolique primitive » se traduisant par la communauté des biens, condition absolue de la vie commune, se substitue progressivement l’idéal évangélique de la pauvreté absolue : «suivre le Christ pauvre, nu et seul » 330. Bien que, par le passé, il se soit montré parfaitement apte à favoriser le développement de certaines formes de vie solitaire indépendante, le cénobitisme traditionnel se voit contester cette aptitude désormais, dans la mesure où ses structures, même réformées, apparaissent incompatibles avec l’idéal de la pauvreté évangélique absolue. Cependant,  quelles qu’aient été la sincérité et la générosité de leur engagement en faveur de l’idéal évangélique de la pauvreté évangélique, les nouveaux ermites ne tardèrent pas

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  J. L ECLERCQ, 1961, p. 164; H. L EYSER , 1984, p. 52-69.   C. VIOLANTE , 1972, p. 132; L.K. LITTLE , 1978, p. 3-41. 330   C. VIOLANTE , 1972, p. 134. 329

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à comprendre que, pour subsister dans le cadre renouvelé de la société féodale affrontée aux exigences de l’économie de profit, il leur fallait pouvoir compter sur des revenus réguliers tirés de leur propre travail, de leurs quêtes ou de divers biens-fonds. La multiplicité des solutions auxquelles ils eurent recours révèle l’urgence et la gravité de ces problèmes de subsistance et l’infinie variété de leurs situations respectives. On en veut pour preuve, entre autres, le fait que l’Ordre de Vallombreuse, qui apparaît pourtant à sa naissance comme une tentative de réaliser la vie érémitique la plus sévère dans le cadre cénobitique le plus strict, accepte, dès la fin du XIe siècle, les donations d’un grand nombre d’églises et de prieurés, alors que son fondateur Jean Gualbert († 1073) avait toujours refusé dédaigneusement toute forme de propriété331. Pareillement l’Ordre de Cîteaux, qui prétendait n’être qu’un retour à la Règle bénédictine, comprise « à la lettre », ne réussit à conserver que pendant une cinquantaine d’années à peine son engagement à la pauvreté absolue : vers le milieu du XIIe siècle les moines cisterciens commençaient déjà à solliciter et à obtenir des exemptions et des revenus ecclésiastiques, tout en acceptant de se lier à la noblesse féodale, par des liens toujours plus fermes332. Ces exemples sont significatifs ; ils illustrent les difficultés rencontrées par les communautés érémitiques médiévales quand il leur fallait définir leur identité, leur originalité propre, dans l’univers monastique médiéval, et ce précisément à cause du quasimonopole de la Règle et de la tradition bénédictines. Dès lors qu’un groupe s’était réuni autour d’un maître, dont les vues et les décisions étaient considérées comme sacrées et impératives, il lui fallait ou bien se rapporter à sa parole vivante, au fil des jours, ou bien rédiger, – si possible, en plein accord avec lui – une règle propre, qui risquait de s’écarter, au moins sur quelques points,– notamment sur les signes de la pauvreté évangélique, les préceptes et usages ascétiques, la pratique du travail manuel –, du modè331  G. SPINELLI -G. ROSSI , Alle origini di Vallombrosa, Milano 1984 ; C. VIOLANTE , 1972, p. 133.  332   J.M. M ANN , L’ordre cistercien et son gouvernement des origines au milieu du XIIIe siècle, Paris 1951², p.71-169 ; L.K. LITTLE , 1978, p. 90-96 ; J.B. AUBERGER , L’unanimité cistercienne primitive : mythe ou réalité ? Achel 1986.

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le standard de la Règle de saint Benoît. Fallait-il encourir ce risque, sous peine de se voir refuser l’approbation des autorités de l’Église  pour la nouvelle règle ? Ou bien, tout compte fait, ne valait-il pas mieux viser à obtenir un statut ecclésial indiscuté, en se plaçant sous la tutelle de la Règle bénédictine, quitte à lui adjoindre un coutumier pour les particularités de la nouvelle fondation ? A la recherche de Règles érémitiques appropriées Henrietta Leyser a inventorié soigneusement les diverses solutions adoptées par les nouveaux ermites333 ; nous en donnons ici un rapide aperçu. Plutôt que de paraître revenir sur leurs pas en se plaçant sous l’égide d’un ordre, monastique ou canonial, déjà reconnu, plusieurs groupes d’ermites refusèrent de reconnaître la nécessité d’une telle démarche et conservèrent leur caractère propre et leur entière indépendance ; telle fut l’option des communautés de Fonte Avellana, des Camaldules, de la Grande Chartreuse, du groupe de Grandmont 334 et des Prémontrés335. Pour justifier leur choix, les ermites qui optèrent en faveur de la Règle bénédictine développèrent en gros l’argumentation suivante : s’ils observaient à la lettre la Règle de saint Benoît, sans lui adjoindre de « gloses », ils retourneraient en fait aux usages de l’Église primitive et à la doctrine des évangiles en matière de pauvreté absolue, mais l’expérience prouva rapidement que cette conviction était illusoire : comment ces communautés auraientelles pu conserver leur originalité, sans consigner fidèlement leurs propres coutumes ? L’exemple des Cisterciens, une fois encore, mérite de retenir l’attention. Dès les premières années du « Nouveau Monastère » (1099), les Pères fondateurs ils éprouvèrent le besoin de supplé333

  H. L EYSER , 1985, p. 112-118, donne la liste des maisons religieuse d’origine érémitique, apparues à partir du milieu du XIe siècle et jusqu’au milieu du XIIe ; elle indique quel fut pour chacune son choix définitif d’une règle monastique. Le lecteur voudra bien s’y reporter pour les communautés que nous n’avons pas évoquées dans cette étude. 334   H. L EYSER , 1985, p. 87-88. 335  D’après sa Vita, la décision finale de Norbert en faveur de la Règle de saint Augustin fut prise parce que lui-même et nombre de ses disciples avaient été auparavant chanoines (séculiers) ; cf. H. L EYSER , 1985, p. 92.

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menter la Règle bénédictine avec la Charte de charité (1113/1114), les Exordes de Cîteaux (vers 1119), les Statuts dits de « 1134 » et l’Usus conversorum (avant 1152)336. Il en alla de même avec les ermites qui adoptèrent la Règle augustinienne : bien que l’idéal des ermites et celui de l’Ordre augustinien fussent étroitement apparentés, il leur fallait néanmoins, dans un premier temps, remplacer les capitula d’Aix la Chapelle, – la charte officielle des chanoines séculiers, – par une règle inspirée par une conception encore plus rigoureuse de la vie commune et par l’idéal de la recherche de la pauvreté absolue. Le fait de renoncer à leur condition d’ermites en adoptant la Règle de saint Augustin permettait à ces groupes de mettre fin à une situation « anormale » dans l’Église, d’intégrer un statut officiellement reconnu, mais cette démarche ne pouvait satisfaire leur besoin d’affirmer leur identité, leur originalité. Tel serait l’objectif d’une deuxième étape en vue d’une solution définitive. Dans leurs démarches qui visaient à obtenir un statut ecclésial en bonne et due forme, nombre d’ermites purent généralement compter sur l’aide généreuse des évêques du lieu de leur implantation. C’est ainsi que, vers 1090, sur les conseils de l’évêque Raynaud de Périgueux, Geoffroi de Chalard choisit pour sa communauté la Règle augustinienne 337. En Auvergne, les ermites regroupés autour du prêtre Étienne, après avoir longtemps hésité entre la possibilité de devenir moines ou chanoines réguliers, se rallièrent finalement à ce dernier choix, sur les conseils de l’évêque Aimeric de Clermont ; mais vers 1135/1140 ils décidèrent de fonder un monastère double : Obazine pour les hommes, Coyroux pour les femmes, qui fut rattaché à l’Ordre cistercien en 1147338.

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  J.B. AUBERGER , 1986, p. 25-41, analyse la Charte de charité et son évolution jusqu’en 1165/1167, les Exordes de Cîteaux, ibid., p. 42-60, les deux autres documents, ibid., p. 6165. Il offre une synthèse de son examen approfondi qui met en relief l’existence conjointe, dès les premiers temps de l’Ordre de Cîteaux, de deux lignes de pensée parallèles : une ligne « officielle » attestée par l’Exordium Parvum dans son évolution ; une ligne officieuse de pensée, que l’on peut rattacher à Bernard de Clairvaux.. 337   H. L EYSER , 1985, p. 93. 338  A.M. A LTERMATT, « Stephan v. Obazine, LThK 9 (2000), 966-967.

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L’exemple d’Obazine montre que parfois un laps de temps assez considérable fut nécessaire aux ermites pour effectuer les deux principales étapes de leur parcours d’intégration, celui du choix définitif d’un Ordre et celui de l’adoption d’un coutumier. Pour sa part, l’ermite Seher de Chaumouzey (au diocèse de Toul), qui avait fini par se décider avec ses compagnons en faveur du statut des chanoines réguliers de saint Augustin, s’enhardit, dans un deuxième temps, jusqu’à solliciter leur coutumier auprès des chanoines de Saint Ruf (au diocèse de Maguelonne, près d’Avignon), mais il prit soin au préalable de se munir d’une lettre de recommandation de son évêque Pibon (1070-1107)339. Des exemples analogues pourraient être commentés à satiété, mais ceux que nous avons retenus suffisent à mettre en évidence le fait que le mouvement érémitique des XIe et XIIe siècles, qui paraissait devoir subvertir le monde monastique cénobitique traditionnel, au nom de la vita apostolica et du retour à l’idéal évangélique de la pauvreté absolue, finit par se fondre en lui, non sans lui infuser une nouvelle vigueur. Cluny et Cîteaux Les différences entre l’ancien et le nouveau monachisme ont souvent été illustrées à partir du conf lit entre Cluny et Cîteaux, notamment à travers la correspondance échangée entre Bernard de Clairvaux et l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable (11221156)340. Ce parti n’a-t-il pas fait perdre de vue le fait que les Cisterciens ne furent pas les seuls « nouveaux moines » ; l’immense et immédiat succès des Cisterciens n’a-t-il pas eu pour effet que, de bonne heure, les autres « nouveaux monastères » ont été jugés en relation avec Cîteaux au lieu de l’être avec le mouvement des nouveaux ermites en sa globalité ? En d’autres termes, les ressemblances de ceux-ci avec Cîteaux, par exemple leur commun rejet de la propriété ecclésiastique, l’institution de frères convers laïques et l’insistance sur le travail manuel, n’ont-elles 339

  H. L EYSER , 1985, p. 95  P. E NGELBERT, « Petrus Venerabilis », LThK 8 (1999) ; dans ses lettres 28 et 111, il défend habilement les particularités de l’usage clunisien, contre Bernard ; dans les statuts réformateurs des années 1146 et 1147, il s’efforça de « moderniser » Cluny sans trahir la tradition. 340

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pas été considérées parfois comme la marque de l’inf luence déterminante de Cîteaux au lieu d’être reconnues comme un signe de leur commune origine érémitique ? Si l’on se doit de reconnaître que dès son origine Cîteaux exerça une force d’attraction prépondérante parmi les communautés nées du mouvement érémitique, au point de faire en quelque sorte main basse sur toute sorte de recrues, il convient aussi de souligner que nombre de maisons bénédictines indépendantes fondées par des ermites, comme Aff ligem341, Tournai342, Anchin343, de même que Tiron et Fontevraud, qui nous intéressent au premier chef, ne furent en aucune façon inf luencées par Cïteaux. Nous avons indiqué plus haut les étapes qui jalonnent la première partie de la vie de Bernard (dit de Tiron), d’Abbeville à Saint-Cyprien de Poitiers et à Saint-Savin-sur-Gartempe ; elle est placée sous l’égide de l’Ordre bénédictin et la mouvance de Cluny. Ayant quitté ce milieu pour rejoindre les ermites des forêts du Maine et de Bretagne, Bernard y fit la connaissance de Robert d’Arbrissel et de Vital de Savigny ; « ensemble, pieds-nus, ils parcoururent plusieurs régions de France, prêchant la parole de Dieu, dans les villages, les castels et les cités »344. Lorsqu’il décida enfin (vers 1108) de se fixer, afin d’organiser une communauté monastique, Bernard trouva auprès d’Yves de Chartres un conseiller et un protecteur des plus généreux. L’évêque de Chartres lui fit don d’un terrain sur les bords du Tiron ; c’est là

341   Ch. DEREINE , «  Les origines érémitiques d’Aff ligem (1083). Légende ou réalité ? », Revue Bénédictine 101, (1991), p. 50-113 ; G. D ESPY, « Les Bénédictins en Brabant au XIIe siècle : la Chronique de l’abbaye d’Aff ligem », dans: Problèmes d’Histoire du Christianisme 12 (1983), p. 51-116.. 342   J. L AUDAGE , « Odo (Odoardus, auch O. v. Tournai), OSB », LThK 7 (1998), 976. Odon enseigna d’abord les Arts libéraux à Toul et à Tournai ; gagné à l’idéal érémitique, il fonda à Tournai, en 1092, un chapitre de chanoines réguliers (Saint Martin), qui fut transformé en un monastère d’observance bénédictine (1095), dont il devint l’abbé. Évêque de Cambrai en 1105, décédé en 1113, inhumé au monastère d’Anchin ; H. L EYSER , 1985. p. 27, 38-40, 44, 53-56, 60, 95, 343  La communauté d’ermites installée en 1079 à Anchin, au diocèse de Cambrai, adopte d’emblée le coutumier bénédictin ; sa renommée est telle, « pour sa charité fraternelle et son observance rigoureuse », que les ermites d’Aff ligem, sur les conseils de l’évêque Gérard de Cambrai, viennent la consulter et s’en inspireront ; H.L EYSER , 1985, p. 67, 94, 96, 101. 344   Vita Bernardi 6 : PL 172, 1397 ; voir J. DE BASCHER , « La ‘vita’ de S. Bernard d’Abbeville », Revue Mabillon 59 (1976-80), p. 411-450.

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qu’avec l’aide et le patronage de nobles donateurs, dont le roi Louis VI (le Gros : 1108-1137), il put ériger son abbaye de la Sainte-Trinité. Il en organisa l’école et plaça le monastère sous la direction de Geoffroy le Gros, qui devint aussi son biographe. L’inf luence de Bernard et de son monastère s’étendit sur plusieurs autres, nouveaux et réformés selon les mêmes principes345, de sorte que Tiron devint un Ordre bénédictin regroupant une dizaine de monastères et une quarantaine de prieurés. Robert d’Arbrissel et Fontevraud A propos de Robert d’Arbrissel, nous avons noté en son temps que, pour sa première fondation monastique, – l’ermitage SainteMarie, érigé à La Roë dans la forêt de Craon, –il avait adopté la Règle de saint Augustin346. Cela fait, il quitte sa communauté pour devenir prédicateur itinérant avec Bernard de Tiron et Vital de Savigny. En février1096, le pape Urbain II lui octroie une licentia praedicandi qui le place sous le contrôle de l’évêque Marbode de Rennes. Ses exhortations vigoureuses à la pénitence et à la pauvreté lui gagnent de nombreux adeptes, hommes et femmes de toute condition, qui s’attachent à sa personne et comptent désormais sur lui pour leur subsistance. Robert assume cette responsabilité et décide, en 1101, de fonder un monastère double, auquel il adjoint une léproserie (Saint Lazare) et une communauté de « Madeleines » (prostituées repenties et pénitentes). Ce qui est nouveau à Fontevraud 347, ce n’est pas l’instauration d’un monastère double348, mais le fait que Robert, son fondateur, ne voulut pas en prendre la direction : se limitant à un rôle de

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  Vita Bernardi 8 , PL 172, 1411 : « Multi etiam monachi, viri sancti et religiosi, ex diversis monasteriis, fama sanctitatis illius permoti, ad eum concurrere festinabant, ut novum Antonium in eremo residentem viderent, atque paupertatem illius vestigiis inhaererent ». Il convient d’ajouter que le programme réformateur de Bernard exigeait que le moine tirât sa subsistance de son travail manuel ; cf. Vita Bernardi 1. 3. 7 : PL 172, 1375, 1380, 1404 ; L. G ÉNICOT, 1965, p. 68-69. 346   Vita b. Robert de Arbrissello 1 : PL 162, 1047-1049. 347   K.S. F RANK , « Fontevrault (Fontevraud, Fons Ebraldi) », LThK 3 (1995), 13471348. 348  St. H ILPICH , Die Doppelklöster. Entstehung und Organisationn, Münster 1928 ; K.S. F RANK, « Doppelklöster », LThK 3 (1995), 338-339 ; M. PARISSE , « Fontevraud, monastère double », dans K. E LM - M. PARISSE , 1992, p. 135-148.

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magister (inspirateur et conseiller), il donne à chaque section une Règle appropriée et abandonne à une femme, Pétronille de Chemillé, la haute main sur la gestion de l’ensemble, avant de la désigner comme abbesse générale, le 28 octobre 1115349. C’est ainsi que la communauté des vierges et des veuves (Sainte Marie), la plupart de noble descendance, reçoit une règle inspirée de celle de saint Benoît ; la règle de la communauté des frères (saint Jean) s’inspire de celle de saint Augustin. A la mort de Robert d’Arbrissel, le 23 février 1116, Pétronille prend la direction générale de tout le monastère ; les frères sont placés sous la direction du prieur, qu’elle désigne. Les frères suivent l’exemple de l’apôtre saint Jean ; ils œuvrent à leur salut, en étant au service des femmes qui, à la suite de Marie, sont les servantes du Christ 350. Conclusion Nous pouvons arrêter ici notre recherche sur la requalification définitive des nouveaux ermites des XIe et XIIe siècles. A travers la Vita de Marie l’Égyptienne, Hildebert de Lavardin semble leur avoir conseillé de ne pas mépriser la Règle bénédictine qui avait fait ses preuves depuis des siècles dans l’organisation des communautés cénobitiques, tout en offrant aux vocations érémitiques une généreuse hospitalité. Mais son poème, rédigé au plus fort de l’eff lorescence érémitique suscitée par les prédicateurs itinérants aux confins du Maine et de la Bretagne, se fait aussi l’écho de leur message de conversion, de pénitence et de pardon, à l’adresse de tous les pécheurs. Désormais la figure de la pécheresse repentie, qu’elle s’appelle Marie l’Égyptienne, ou l’autre Marie, celle de Magdala, la Madeleine, occupe une place de choix dans la piété populaire médiévale ; elle accompagne le développement

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  J. DALARUN , 1985, p. 17.  Le commandement ultime adressé par Robert aux frères : « Obeyr tout le temps de votre vie aux ancelles de Jhesus Christ pour le salut de vos ames et leur servir pour l’amour de leur espoux Jhesus » (B. § 51, 5) donne la mesure des résistances au sein de leur communauté. J. Dalarun, 1985, p. 194 les décrit en ces termes : « . .. si, pour ces hommes, il y a déjà humilité à accepter le service de femmes qui sont loin d’égaler la Vierge Marie, ils renâclent à accepter l’humiliation qui consisterait à leur obéir comme de simples domestiques.  350

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du culte marial, qui ne cesse de s’amplifier depuis l’époque carolingienne351. Le sermon LXXXIII de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques offre un excellent commentaire de cet aspect de la spiritualité médiévale. Il offre en exergue une inscription appropriée : « L’âme, en dépit de ses souillures, peut encore, par l’amour, retrouver la ressemblance de l’époux, c’est-à-dire du Christ. ». Nous lui empruntons quelques lignes, qui s’appliquent parfaitement à la Geste de Marie l’Égyptienne : « Toute âme – même chargée de péchés, captive de ses vices, retenue par les plaisirs, emprisonnée dans son exil, incarcérée dans son corps, clouée à ses soucis, distraite par ses affaires, figée par ses frayeurs, frappée de multiples souffrances, allant d’erreur en erreur, rongée d’inquiétudes, ravagées de soupçons, et finalement selon le Prophète, étrangère en pays ennemi, partageant les souillures des morts, comptée parmi les habitants de l’Enfer352 , – toute âme, dis-je, en dépit de sa damnation et de son désespoir, peut encore trouver en elle-même des raisons non seulement d’espérer le pardon et la miséricorde, mais même d’aspirer aux noces du Verbe, pourvu qu’elle ne craigne pas de conclure un traité d’alliance avec Dieu et de se placer avec le Roi des anges sous le joug de l’amour. Elle peut se permettre toutes les audaces envers celui dont elle est l’image glorieuse et dont elle porte noblement la ressemblance »353. De fait, à l’aube du XIIe siècle, tout se passe comme si, désormais, le traité d’alliance avec Dieu et le Christ, gage et promesse des noces spirituelles, dont parle saint Bernard, passait désormais par l’intervention, obligée et décisive, de NotreDame, garante de ce pacte354 . Il est loisible de considérer que cette nouvelle étape du développement de la dévotion mariale, dont le poème d’Hildebert de Lavardin offre un éminent témoignage, conduit en droite ligne

351

  J. L ECLERCQ, 1961, p. 248, au sujet de la dévotion de Bernard envers la Vierge..   Baruch, 3, 11. 353  SAINT. BERNARD, Œuvres mystiques, Préface et traduction d’A. BÉGUIN , Paris 1953, S. 83, 1, p. 846. 354  V. 528 : Sis testis pacti, sis uindex tu quoque fracti ; voir, dans le commentaire, la signification du terme uindex, en droit romain. 352

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aux déclarations de la constitution dogmatique « Lumen gentium » du IIe concile du Vatican, relatives à la bienheureuse Vierge Marie et à l’Église355.

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 DENZINGER , 1996, n. 4176-4178. L’Index systématique du même ouvrage offre à la section E 6 (dc-de), une synthèse des textes du magistère concernant la Coopération de Marie à la rédemption, la Médiation de la grâce par Marie et la Maternité spirituelle de Marie : ibid., p. 1116-1117.

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Vita Beate M arie Egyptiace Sicut hiems laurum non urit nec rogus aurum. Sic Zosimam puerum nec opes nec gloria rerum. Quas cito labentes et noxia queque docentes Spreuit, deuouit, animoque manuque remouit 5 Et monachus factus monachi uigilauit in actus ; Proponensque sequi doctores iuris et equi Institit annorum legem cohibere suorum. Institit inque breui mutatis moribus eui Mores doctorum transcendit doctor eorum. 10 Vt pueri metas euasit debili etas, Creuerunt dona, creuit simul ipsa corona. Nil magis huic oneri, quam membra quiete foueri, Nil magis ingratum, quam non punire reatum. Huius erat testis modicus sopor, aspera uestis, 15 Et cibus et stratus, modo gloria, tunc cruciatus. Testis erat monachi color, et caro nescia Bacchi. Non caro, sed pellis macra, pallida, trita flagellis, Docta reluctari sibi, spiritui famulari. Hic in tormentis sacre modulatio mentis 20 Christo psallebat, si quando lingua tacebat. A sanie busti mens semper conscia iusti Se non dimouit. Deus hec, homo cetera nouit. Talibus ille modis dum psalmis instat et odis, Vidit celorum secreta futurus eorum; 25 Vidit et edidicit, qua spe tot prelia uicit. Spe Zosimas captus sacros ita creuit in actus, Vt stagnum riuo uel torpens ignis oliuo. Et memor ad mores prodesse, cauere fauores, Cum bene pugnaret, cauit, ne fama uolaret. 30 Quanto plus cauit, tanto magis illa uolauit, Et contra uotum retulit laudabile totum. Illuc innumeri populi uenere doceri, Quos, ut poscebat locus, etas, ordo, docebat. Vincens maiores, ut stellas luna minores.

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Vie de sainte Marie l’Égyptienne De même que le gel ne brûle pas le laurier, ni la fournaise l’or, Ainsi, sur le jeune Zosime, n’eurent prise ni les richesses ni la gloire du monde. Elles, qui vite se fanent et enseignent toute sorte de méfaits, Il les méprisa, les rejeta, les écarta de son esprit et de ses entreprises, 5 Et, devenu moine, il mit tous ses soins à se conduire comme un moine ; Se proposant de suivre les maîtres qui enseignent la règle stricte et l’équité, Il s’attacha à réfréner [les pulsions qui font] la loi dans les jeunes années Il s’y attacha et bien vite, ayant renoncé aux habitudes du siècle, Il dépassa la conduite morale des maîtres, étant devenu leur maître. 10 Dès que son âge tendre franchit le seuil de l’enfance, Ses dons grandirent, grandit aussi, tout à la fois, sa propre renommée. Rien ne lui était plus pénible que de choyer son corps en lui accordant du repos, Rien ne lui déplaisait davantage, que de ne point voir punie une faute. Lui-même en témoignait : son sommeil était bref, ses habits sans apprêts, 15 Sa nourriture, sa literie, étaient tantôt titre de gloire, tantôt instrument de torture. Lui-même en témoignait : un teint de moine, une carnation ignorante de Bacchus, Pas de chair, mais une peau maigre, terne, tannée par les disciplines, Sachant se renoncer, obéir à l’esprit. Au milieu de ces tourments, son esprit sanctifié adressait au Christ 20 Le chant mélodieux des psaumes ; si parfois sa langue était muette, Son esprit, toujours conscient des exigences de la justice, ne cessait De penser à la corruption de la chair. Cela, Dieu le sait ; l’homme sait le reste. Comme, sur ces belles mélodies, il s’appliquait au chant des psaumes et des répons, Il vit les secrets des cieux, lui qui serait, un jour, appelé à les partager ; 25 Il les vit et s’en pénétra ; grâce à cette espérance, il remporta mainte bataille. Séduit par cette espérance, Zosime progressa sur la voie de la sainteté, Comme un étang alimenté par un ruisseau ou un brasier dormant réveillé par du bois d’olivier. Et, désireux de se mettre au service des bonnes mœurs, de se garder de toute faveur, Puisqu’il livrait le bon combat, il veilla à ce que sa renommée ne prît son envol. 30 Mais plus il prit de précautions, plus celle-ci prit son envol, Et, à l’encontre de son désir, il ne recueillit que des louanges. Des foules innombrables vinrent à lui, pour se faire instruire. Il les instruisait donc, comme le demandaient leur origine, leur âge, leur rang. Il l’emportait sur ses aînés, comme la lune l’emporte sur les étoiles moindres.

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35 Hec dum consueuit Zosimas, elatio creuit. Dixit et hoc secum : « Quidquid iubet ordo uel equum, Eligo, sector, amo, discenda tenendaque clamo. Attenuant artus labor ingens et cibus artus. Hec puer elegi, puer hec et plura peregi. 40 Iam tunc ordo gregis, iam remus et anchora legis, Iam dignus celis, sacer actu, mente, loquelis. Vnus cum mundo pugnaui fine secundo. Miratrix horum plebs, clerus, grex monachorum Me petit, audit, amat, peragit, quod uox mea clamat.» 45 Talia dum tractat Zosimas meritumque retractat, Quidam subtexit, cui Spiritus illa retexit: « Iam bene certasti, bene qua licuit superasti. Nil obluctatur, caro seruit, mens dominatur. Sed tamen est dubius finis certaminis huius; 50 Dumque potes subici, non debes dicere : ‘ Vici’. Nam, quis uincatur uel uincat, fine probatur. Premia uictorum pendent in fine laborum. Vt Scriptura sonat, finis non pugna coronat; Cum bene pugnabis, cum cuncta subacta putabis. 55 Que post infestat, uincenda superbia restat. Hec nisi uncatur, promissa corona negatur. Proh dolor ! his telis superatur sepe fidelis. Hac lue nonnumquam rosa uertitur in saliuncam. Isti portento sodes obstare memento, 60 Nec uel te tantum presumas credere sanctum Vel te pre sanctis meritum promissa Tonantis. Multi sunt, qui te superant examine uite. Quos ut cognoscas, Iordanis littora poscas. Regem celorum colit illic grex monachorum. 65 Cum monachis habites, quod agunt, age ; cetera uites. Exi, festina, dilatio magna ruina.» Exit, abit propere, pulsatque, fores patuere. Inde salutatus abbas est pauca profatus. « Cur uenias, aperi ! » Zosimas ait : « Opto doceri 70 Et peccatorum releuari mole meorum.» Asperitas cultus, uox supplex, gratia uultus, Signa sacre mentis, uotum iuuere petentis. Responditque pater : « Nemo, carissime frater, Nemo leuat morbis animam, nisi Conditor orbis.

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35 Pendant que Zosime s’habituait à ces succès, l’orgueil grandit en lui, Il se dit, à part soi : « Tout ce qu’ordonne la règle et l’équité, Je le choisis, je l’observe, je l’aime ; je proclame ce qui doit être appris et observé. Un travail intense et une nourriture restreinte amincissent mes membres. Tel fut mon choix dès mon adolescence ; adolescent, je l’ai respecté et combien davantage. 40 Alors déjà j’étais la règle de la communauté, déjà la rame et l’ancre de la loi, Déjà digne des cieux, consacré à Dieu dans ma conduite, ma pensée, mes paroles, Seul contre le monde j’ai combattu, et j’ai remporté la victoire. Admirateurs de mes exploits, le peuple, le clergé, la gent monastique Viennent à moi, m’écoutent, m’aiment, accomplissent les ordres que je proclame. 45 Comme Zosime se vantait de la sorte et détaillait ses mérites, Un quidam ajouta à mi-voix — l’Esprit le lui avait soufflé : « Jusqu’ici tu t’es bien battu, tu as remporté une belle victoire, par les moyens de ton choix Rien ne te résiste, la chair obéit, l’esprit commande. Mais pourtant l’issue de ce combat demeure incertaine ; 50 Et aussi longtemps que tu peux être défait, tu ne dois pas dire : ‘J’ai vaincu’. Car celui qui est le vaincu ou le vainqueur est désigné par l’issue [du combat]. Les récompenses des vainqueurs dépendent de la fin de leurs exploits. Comme le proclame l’Écriture, c’est la fin qui donne la couronne, pas la bataille. Lorsque tu auras bien combattu, lorsque tu croiras que la bataille est achevée, 55 Reste à vaincre l’orgueil, qui, après coup, vient tout empoisonner. Si celui-ci n’est pas vaincu, la couronne promise est refusée. Hélas ! A ses traits, souvent, le fidèle succombe. Parfois, par ce poison, la rose se mue en valériane. N’oublie pas, je t’en prie, de t’opposer à ce monstre, 60 Et n’aie pas non plus la présomption de croire que toi seulement tu es saint, Ou que tu as mérité, avant les saints, les promesses du Tout-Puissant. Ils sont nombreux ceux qui te sont supérieurs, à en juger d’après leur conduite ; Pour les connaître, gagne les rives du Jourdain. Le roi des cieux reçoit en ce lieu l’hommage d’une communauté monastique ; 65 Habite avec les moines, partage leur genre de vie ; évite tout le reste. Va-t-en, dépêche-toi, atermoyer serait catastrophique. » Il s’en va, s’éloigne sans plus tarder, frappe à la porte ; elle s’ouvre. De là le père abbé, qu’il a salué, lui dit brièvement : « Pourquoi es-tu venu ? Explique-toi. » Zosime répond : « Je souhaite être instruit, 70 Et délivré du fardeau de mes péchés. » La sévérité de sa tenue, sa voix suppliante, la grâce de son visage, Signes d’un esprit religieux, favorisèrent le vœu du postulant. Le père abbé répondit : « Personne, très cher frère, Personne ne délivre l’âme de ses maladies, si ce n’est le Créateur de l’univers.

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75 Praua coerceri, bona poscas inde doceri. Si tamen hic cetus placet aut locus ipse quietus, Si magnus modicis uis iungi palma miricis, Stes, uideas, humilis si proderit usus ouilis, Et lege nobiscum pastus istius hibiscum. 80 Summus pastorum nos nutriet, esca suorum, Esca fouens mentem, post hanc nihil esurientem. Nil anime satius, quam pasci uisibus huius. » Annuit his equidem Zosimas et mansit ibidem. Mansit et in cella noua iura, sacerrima bella 85 Vidit, laudauit, didicit, seruauit, amauit. Tam gregis hortatu crescens, quam reda rotatu. Huius cura gregis summi dilectio Regis, Legis doctores audire, docere minores, Nolle fauere cuti, ius pendere, legibus uti, 90 Nulla loqui temere, quasi dira uenena cauere Iram, liuorem, lites, maledicta, tumorem. Sal, pisces, uinum, pulmentum, stramina, linum Non attingebant, quibus uti crimen habebant. Non sapor his olerum, non res, non mentio rerum, 95 Non crinis comptus nec erat meditatio sumptus. Nemo uel impensa uestis uel dispare mensa Inuidit patri, non frater denique fratri. Par cibus et cultus procul abstulit inde tumultus. Potus erat flumen, festiuior esca legumen. 100 Cilicium uestis, male mollia cingula restis, Gaudia lapsorum reditus, dolor error eorum, Lectio uita Patrum, monitus concordia fratrum, In uerbis horum Deus aut sacra gesta priorum. In uigilando, more procul otia, psalmus in ore, 105 Attenuata caro cruce multa, fomite raro, Fletibus et crebris uulgabat facta latebris. Vulgi rumores, fora, causas exteriores, Momentum morum non nouerat ullus eorum Huius erat causa locus abditus, ostia clausa, 110 Ianitor austerus, grex, pastor uterque seuerus. Isti claustrales nec certos officiales, Nec, si pastorem demas, habuere priorem. Si quid poscebat res aut pater ipse iubebat, Cura fuit cuique parere reique patrique.

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75 Demande que tes penchants mauvais soient réfrénés, qu’ensuite les bons soient éduqués. Si, toutefois, cette communauté t’agrée, ou le lieu même de ce calme [séjour], Si, malgré ta grandeur, tu désires te joindre, comme un palmier, à de modestes tamaris, Reste, examine si te sera utile la fréquentation de notre humble troupeau, Et choisis avec nous l’hibyscus d’un pauvre pâturage. 80 Le pasteur suprême nous nourrira, lui qui est la nourriture des siens. Nourriture qui réconforte l’esprit, boisson après laquelle on n’a plus soif. Rien n’est préférable pour l’âme que de paître sous son regard. » Bien entendu Zosime approuva ces conseils, il demeura en ce lieu Il y demeura et, dans le monastère, vit, loua, apprit, observa, aima 85 Des règles nouvelles, de très saints combats, progressant Grâce aux encouragements de la communauté, autant qu’une torche que l’on fait tournoyer. Le souci de cette communauté était d’aimer le Roi des rois, D’entendre les maîtres de la Règle instruire les novices, De refuser de dorloter le corps, de tenir en estime la justice, d’utiliser les lois, 90 De ne rien dire à la légère, d’éviter, comme poisons mortels, Colère, jalousie, disputes, médisances, emportement. Sel, poissons, vin, ragoût de viande, couvertures, étoffes de lin, Ils n’y touchaient pas, regardaient comme une faute grave d’en faire usage. Ils ignoraient les légumes assaisonnés, les propriétés, les inventaires. 95 Ils n’arrangeaient pas leur chevelure ; ils ne supputaient pas leurs dépenses. Personne n’enviait au Père abbé ses frais vestimentaires ni les différences De sa table ; en un mot, un frère ne jalousait pas son frère. Leur égale nourriture, leur égale condition avaient éloigné de là les récriminations. Leur boisson était l’eau du fleuve, leur nourriture festive des légumes secs, 100 Leur vêtement un cilice, leur ceinture une corde rêche, Leur joie, le retour des pécheurs, leur peine, les voir s’égarer, Leur lecture, la vie des Pères, leurs exhortations, la concorde entre frères, Dans leurs entretiens il était question de Dieu ou des saints exploits des anciens. Dans leurs veilles, selon la coutume, ils chassaient l’oisiveté, en récitant des psaumes, 105 La chair, domptée par de fréquentes mortifications et de rares flambées, Divulguait leurs hauts faits, par leurs larmes et leurs retraites répétées. Les rumeurs du vulgaire, les procès, les affaires du siècle, Le fardeau des coutumes, aucun parmi eux ne les connaissait. La cause de cet avantage : le lieu retiré, les portes closes, 110 Un portier rigoureux, un troupeau et un berger pareillement sévères. Ces moines n’avaient ni officiers claustraux, ni officiers appointés, Ni prieur, si l’on fait abstraction de l’abbé. Si une affaire l’exigeait ou bien si l’abbé en personne l’ordonnait, Chacun avait à cœur de se soumettre à l’affaire et à l’abbé.

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115 Pastor agenda quidem monstrabat, agebat et idem, Plus quam prelatus, cunctis seruire paratus Nec magis hortari consuetus quam famulari. Ille beatorum decus et speculum monachorum, Lux erat in tenebris, ibi clausus, ubique celebris, 120 Morum primatus, schola iuris, uirga reatus, Crux sibi, forma gregi, uia uite, gloria legi; Gnatus gaudenti gaudere, dolere dolenti. His grauis, his fractus, fuit omnibus omnia factus. Res monet, ut quedam, que grex consueuerat, edam. 125 Tempore, quo sacro plebs purificata lauacro, In ueniam scelerum summam decimare dierum Incipit, ex cella prodibant ad noua bella. Sed prius excessus abbati quisque professus Preconfortabat mentem corpusque iuuabat 130 Sacramentorum gustu modicoque ciborum. Inde petebatur benedictio sueta, dabatur; Oscula iungebant, tunc tandem claustra patebant. Iamque ualedicto cetuque locoque relicto Grex simul exibat, eremum diuisus adibat. 135 Pars, ut poscebat mos ipse, domi remanebat, Non seruaturi bona conuenientia furi, Sed ne sanctorum foret expers officiorum, Cella parata sacris studiis animeque lauacris, Ornatu festo pauper sed diues honesto. 140 Edibus egressi latebras eremumque professi Pergebant, quorsum dabat optio, quisque seorsum. Quisque pari uoto certabat teste remoto Psallere prostratus, lacrimis delere reatus, Suppliciis lacere carnis tibi, Christe placere, 145 Letari de te socio, duce, fine, quiete. Te pretendebat, dabat, exspectabat, habebat, Belli tutamen, testem, diadema, iuuamen. His insistebant studiis pariterque fouebant Corda sacris uerbis, carnem radice uel herbis. 150 Pars quota gestabat panem, partem recreabat Fructus palmarum pro mensis deliciarum, Pro dape festiua glans aut siluestris oliua. Hec in deserto sumebant tempore certo Et certis horis requiem modicumque soporis.

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115 Il est vrai que le père abbé montrait ce qui était à faire, et agissait de même, Plutôt que de se mettre en avant, prêt à se mettre au service de chacun, Il n’était pas habitué à exhorter plutôt qu’à rendre service. Il était la parure des saints, le miroir des moines, Une lumière dans les ténèbres, confiné en ce lieu, mais célèbre en tout lieu, 120 Une autorité pour la doctrine morale, un maître pour la Règle, un fouet pour le délit, Se mortifiant lui-même, un idéal pour la communauté, montrant la route de la vie, un sujet de gloire pour la Règle ; Sachant se réjouir avec celui qui était dans la joie, compatir avec celui qui était dans la peine. Rigoureux envers les uns, brisé avec les autres, il s’était fait tout à tous. Mais mon sujet me presse d’évoquer certaines coutumes particulières à la communauté. 125 A l’époque [de l’année] où le peuple purifié par le saint baptême Pour obtenir le pardon de ses péchés, commence à compter les jours par dizaines, Ils quittaient le monastère pour de nouveaux combats. Mais d’abord chacun, confessant au père abbé ses transgressions, Confortait par avance son esprit et fortifiait son corps 130 En recevant les sacrements et une petite provision de vivres, Puis il demandait la bénédiction coutumière ; elle était donnée. Ils échangeaient le baiser de paix ; alors, enfin, les portes s’ouvraient, toutes grandes. Après avoir fait leurs adieux à la communauté et quitté le couvent, La troupe des moines sortait ensemble, puis, se divisant, elle abordait le désert. 135 Une partie d’entre eux, comme le voulait la coutume, restait à la maison-mère, Ce n’était pas afin de garder des biens qui auraient fait l’affaire des voleurs, Mais afin que ne reste pas privé des saintes liturgies Un couvent, propice aux saintes études et aux purifications des âmes, Pauvre en ornements de fête, mais riche en bonnes mœurs. 140 Ayant quitté les bâtiments conventuels et choisi les retraites du désert, Ils allaient de l’avant, chacun du côté où le portait son choix. Chacun d’un même élan, rivalisait, loin de tout témoin, Pour marquer les psaumes de prostrations, de larmes l’expiation de ses péchés, Pour te plaire, ô Christ, en mortifiant sa chair lacérée, 145 Heureux de t’avoir pour compagnon, guide, fin suprême, quiétude. Il te revendiquait, te donnait, t’attendait, te possédait Pour son défenseur dans la bataille, son témoin, sa couronne, son secours. C’est à ces exercices qu’ils s’appliquaient, cependant qu’ils réconfortaient Leurs cœurs de saintes paroles, leur corps d’herbes et de racines. 150 Et comme les uns avaient du pain, les autres se restauraient Des fruits des palmiers qui leur tenaient lieu de mets délicieux, En guise de banquet festif, ils avaient la glandée ou bien l’olive sauvage. Telle était au désert la nourriture qu’ils prenaient à une époque déterminée Et, à heures fixes, ils prenaient quelque repos, en dormant un peu.

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155 Taliter expletis triginta nouemque dietis Cella petebatur, remeabant, cum celebratur Ramis palmarum pro canone Christicolarum. Hec et miratus Zosimas et ferre paratus Nil ratus est sacrius quam ritum canonis huius. 160 Hunc simul aduexit reuolutio temporis, exit. Exit et a cella proficisitur ad noua bella. Transit Iordanem portans pro tempore panem Et sic ingressus latebras eremique recessus, Vota Deo soluit, noua cantica pectore uoluit. 165 Solus agit uitam, sacra facta probant eremitam. Ex quo lucescit, iter urget, nocte quiescit. Stratus humi plorat, socium sibi querit et orat, Qui solaretur curas, pariter pateretur, Actibus instrueret superans superare doceret. 170 Quod petit, assequitur sociusque uie reperitur. Nam maiore mora solita dum psalleret hora, Tamquam currrentem quendam, sed ueste carentem Vidit et expauit, quoniam phantasma putauit. Visu turbatus signo crucis est reuocatus. 175 Viribus hinc sumptis iter inuestigat euntis. Currit obestque parum labor, etas, lustra ferarum. « Sancte senex, propera, uisurus spe meliora, Que legis et sequeris, uestigia sunt mulieris. Femina precedit, que nec tibi femina cedit. 180 Vt pede, sic uita te preterit hec eremita. Hec meruit latebris, ut nunc sit ubique celebris. In latebris didicit mundum bene uincere, uicit. Imbribus infecta, nigra Phebo, curua senecta, Hispida promendas partes, intecta tegendas. 185 Horrescunt illi niuei modicique capilli, Vix attingentes humeros, uix colla tegentes, Impexi, rari, soliti sine lege uagari. Femina tota prius, iam totum despuit huius. Tota caro pridem, modo tota rebellis eidem.» 190 Femina, mortales bene dedignata sodales, Oblatum casu Zosimam fugit alite passu. Hanc Zosimas sequitur, rogat, ut stet ; nec minus itur. Ille magis solito clamat : « Moderatius ito ! Quisquis es, exspecta ! uetor ire labore, senecta.

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155 Après avoir accompli de cette manière un jeûne de trente-neuf jours, Ils regagnaient le couvent ; ils y rentraient, le jour où les fidèles du Christ Ont pour règle de le célébrer avec des rameaux de palmier. Zosime admira ces usages et, disposé à les adopter, Il estima que rien n’était plus sacré que ce rite ainsi ordonné. 160 Dès que le temps, qui suit son cours, le ramène, il s’en va, Il s’en va et quitte le couvent pour de nouveaux combats. Il traverse le Jourdain, emportant du pain pour le temps [du Carême] Et, ayant gagné ainsi les retraites et les recès du désert, Il s’acquitte des vœux qu’il a faits à Dieu, et module en son cœur des cantiques nouveaux. 165 Il mène une vie solitaire ; de saintes observances prouvent qu’il est un ermite. Dès que le jour se lève, il se met en route ; la nuit, il se repose. Prosterné à terre il verse des pleurs ; il prie et se cherche un compagnon Qui adoucirait ses soucis, les porterait avec lui, L’instruirait en le dépassant par ses exercices, lui apprendrait à le dépasser. 170 Sa demande est exaucée : un compagnon de route est trouvé. En effet, alors qu’il chantait les psaumes à une heure plus tardive que de coutume, Il vit quelqu’un qui paraissait courir, mais n’était pas vêtu. Il le vit et prit peur, car il crut que c’était un fantôme. Troublé par cette vision, il se ressaisit en traçant le signe de la croix. 175 Ayant ainsi repris courage, il se met à suivre la trace du passant. Il court, sans se laisser arrêter, si peu que ce soit, par la fatigue, l’âge, les repaires des bêtes sauvages. « Saint vieillard, hâte-toi, tu vas voir des prodiges, plus merveilleux que tu n’espérais, Les traces que tu déchiffres et que tu suis, sont celles d’une femme. Une femme te précède, et cette femme ne t’est nullement inférieure. 180 Comme elle t’a devancé par sa course, cette femme ermite t’a devancé par sa vie. Par sa retraite cette femme a mérité d’être célèbre, comme maintenant, et partout. Dans sa retraite elle a appris à bien vaincre le monde ; elle a remporté la victoire. Trempée par les pluies, brûlée par le soleil, courbée par la vieillesse, Velue aux parties qui peuvent être dévoilées, non revêtue à celles qui devraient l’être. 185 De rares cheveux, blancs comme neige, se hérissent sur son chef, Ils atteignent à peine ses épaules, à peine lui couvrent-ils la nuque, Non peignés, peu nombreux, habitués à vagabonder sans règle. Tout entière femme dans un premier temps, elle a rejeté désormais tout ce qui fait la femme, Tout entière chair précédemment, elle est maintenant tout entière rebelle à la chair. » 190 Cette femme, qui a sagement résolu de ne plus regarder ses compagnons mortels, Fuit, d’un pas ailé, Zosime qui s’est présenté par hasard à sa vue. Zosime la suit, la prie de s’arrêter ; elle s’en va néanmoins. Lui, de crier, plus fort que de coutume : « Marche plus lentement ! Qui que tu sois, attends ! La fatigue et l’âge m’empêchent de marcher.

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195 Exspecta fessum ! non sum fera, supprime gressum ! Sum res parua quidem, sed homo, peccator, et idem Christum confessus monachumque frequento recessus ; Hic delictorum ueniam suspiro meorum. Ne fuge ! siste parum ! uerearis lustra ferarum 200 Per nomen Christi, per premia que meruisti, Serue Dei, resta ! benedic mihi ! quod rego, presta ! Nunquid pro Christo deserto uiuis in isto. Qui non audisti saltem pro nomune Christi ? » Illa gradum fixit manibusque subobsita dixit : 205 « Femina sum, Zosima, scelerum molimine prima, Expers pannorum confundor ad ora uirorum, Nec sinit os uerti pudor inguinis haud cooperti. Sed quia te Christi famulum scio, quod petiisti, Fiet, si dederis, quo probra tegam mulieris. 210 Vis loquar aut restem ? uersus retro da mihi uestem ! » Inde cuculla datur, qua femina tecta profatur : « Cur, pater, insequeris latebras misere mulieris ? Cur aut quo cursus ? fremit hic leo, murmurat ursus. Quod sperare bonum potes in regione leonum ? » 215 Hec ea dum memorat, monachus prosternitur, orat, Vt benedicatur, sed et hoc ea strata precatur. Femina « Sancte pater », monachus « Sanctissima mater » Clamitat, inter que « Benedic » inculcat uterque. Hec ratio litis, hec unica lis eremitis. 220 Cetera pars uite concors fuit et sine lite. Dum sic certatur, sacra femina talia fatur : « Mi pater, offendis, nisi res ex ordine pendis. Offendis uere, dum uir petis a muliere Hoc tibi preberi, quod debet uir mulieri. 225 Vera loqui detur, transgressor iuris habetur, Qui rogat illa dari, que possunt iure negari. Tu uir, tu pridem monachus, tu presbiter idem ; His tribus urgeris parere preci mulieris. Te peccatrici benedicere, non benedici, 230 Precipit ex more sacro manus uncta liquore, Officii cuius est gratia muneris huius .» Intuli ista pater : « Claret satis, o sacra mater, Claret, quantorum, mater sacra, sis meritorum ! Nam licet ignotus fuerim longeque remotus

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195 Attends un homme fatigué ! Je ne suis pas une bête sauvage ; freine ton pas ! Je suis peu de chose, j’en conviens, mais un homme, un pécheur, et pourtant, Moi aussi j’ai professé ma foi au Christ, et je fréquente les recès des moines : C’est ici que j’implore en soupirant le pardon de mes péchés. Ne t’enfuis pas ! Arrête-toi un peu ! Redoute les repaires des bêtes sauvages ; 200 Par le nom du Christ, par les récompenses que tu as méritées, Serviteur de Dieu, arrête ! Donne-moi ta bénédiction ! Accorde-moi ce que je demande ! N’est-ce pas pour le Christ que tu vis dans ce désert, Toi qui ne m’as pas écouté, et même au nom du Christ ? » Elle s’arrêta de marcher et ayant, de ses mains, protégé sa pudeur, elle dit : 205 «Je suis femme, Zosime, la première par la masse des péchés que j’ai commis.   Dépourvue de vêtements, je suis remplie de confusion sous les regards des hommes, La honte de ne pas être décemment revêtue m’empêche de tourner [vers toi] mon visage. Mais parce que je sais que tu es un serviteur du Christ, ce que tu as demandé Se fera, si tu me donnes de quoi me couvrir décemment. 210 Veux-tu que je parle ou que je reste ? Tourne-toi et donne-moi, en reculant, de quoi me vêtir. » Sur ce, la cuculle est donnée ; la femme s’en recouvre et dit : « Pourquoi, père, cherches-tu à découvrir la retraite d’une pauvre femme ? Pourquoi cette course, et jusqu’où ? Ici le lion rugit, l’ours grommelle. Que peux-tu espérer de bon dans le pays des lions ? »  215 Pendant qu’elle parle ainsi, le moine se prosterne, il la prie De lui donner sa bénédiction, mais elle aussi, s’étant prosternée, lui fait la même prière. La femme clame à grands cris : « Saint père », le moine : « Très sainte mère », Et, entre ces appels, chacun d’eux ajoute : « Bénissez-moi. » Tel est l’objet de leur litige, tel est l’unique litige pour des ermites. 220 Le reste de leur vie fut concorde et absence de litige. Tandis qu’ils rivalisent ainsi, la sainte femme tient des propos de ce genre : « Mon père, tu m’offenses, si tu n’examines pas les choses dans l’ordre, Tu m’offenses vraiment, du moment que toi, un homme, tu demandes à une femme De t’accorder une faveur que l’homme doit à la femme. 225 Qu’il soit permis de parler vrai : est considéré comme un transgresseur du droit Celui qui exige que lui soit donné ce qui, en droit, peut lui être refusé. Tu es un homme ; depuis longtemps tu es moine, tu es prêtre, aussi ; Pour ces trois motifs, tu es obligé d’acquiescer à la prière d’une femme. C’est à toi de bénir une pécheresse, non pas de recevoir sa bénédiction : 230 La main qui a reçu l’onction de l’huile sainte, l’ordonne, selon la coutume ; C’est là une grâce attachée aux fonctions de cette dignité. » Le père répondit en ces termes : « Il est bien évident, ô sainte mère, Il est évident, mère sainte, que grands sont tes mérites ! Car, bien que je sois [pour toi] un inconnu, bien que j’aie habité loin d’ici,

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235 Nec dictum tibi sit, que uita, quis ordo mihi sit, Omnia nouisti, nomen quoque non tacuisti. Ista docent, quanti sis et quam grata Tonanti; Cui sic ergo places, hunc flectas, hunc mihi places. Si petis, ipse dabit ; pete ! uotum uita iuuabit. 240 Vita beatorum uotis succurrit eorum. Hanc Deus attendit et premia digna rependit. Nullus ei flexus uenit ex discrimine sexus, Nec pro persona datur auferturue corona. Gratia uel meritum dat munus cuique petitum.»   245 His mulier cedit lacrimisque rogantis obedit. Surgitur et paucis premissis illa requirit, Que pax sanctarum, quis sit status Ecclesiarum, Quo studio regum tractetur sanctio legum , Qua populus cura seruet mortalia iura. 250 Ille refert meritis eius precibusque beatis Christicolas letos et festa pace quietos Et florere fidem. Post hec persuadet eidem, Vt, que nunc floret, ne quando marceat, oret, Antidotoque precum confortet et excitet equum 255 In reuerendarum rectoribus Ecclesiarum. Plura super memorat ; ea paret, sternitur, orat. Astra subit mente, grates agit ore silente, Mens in secreto pulsat clamore quieto Signaque clamoris dat motus, non sonus oris. 260 Dum sic oratur, Zosimas stupet et ueneratur Ora, comas, cultum, pietatis habentia uultum Pallentesque genas iam funeris omine plenas. Quidquid spectatur, uirtutem testificatur. Cuncta beatorum sunt argumenta laborum. 265 Sed subiere satis mirabiliora relatis. Nam dum multimodas diuini pectoris odas Longius extendit, tamquam suspensa pependit Aere, iam tota procul a tellure remota Et tamquam terre nollet contagia ferre, 270 Corpus purgatum sursum stetit, inde leuatum. Sic monacho coram superum fuit hospes ad horam, Eternum superis socianda caro mulieris. Talibus expauit Zosimas monstrumque putauit Aut aliquid uere, quod dissonet a muliere.

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235 Bien que l’on ne t’ait rien dit ni sur ma vie, ni sur mon ordination, Tu sais tout et même tu m’as appelé par mon nom. Tout cela fait voir combien tu comptes aux yeux de Dieu et combien tu lui es agréable. Celui donc à qui ainsi tu agrées, implore-le pour moi, rends-le favorable à mon égard. Si tu lui fais une demande, il l’accordera ; fais ta demande ! La vie secondera ton souhait. 240 La vie des saints répond à l’attente de leurs souhaits. Cette vie, Dieu la suit de près, et il les comble en retour de dignes récompenses. Il n’infléchit jamais son jugement pour tenir compte du sexe, Et il ne fait pas acception des personnes, quand il donne ou enlève la couronne. C’est la grâce, ainsi que le mérite, qui vaut à chacun la faveur qu’il a implorée. » 245 A ces raisons la femme cède ; elle obéit aux larmes versées par le suppliant. On se lève et, après avoir échangé quelques propos, la femme cherche à savoir Quelle est la condition pacifique des saintes églises, quel est leur état, Avec quel zèle des rois est traitée la sanction des lois, Avec quelle attention le peuple respecte les droits des défunts. 250 Il [= Zosime] répond que c’est grâce aux mérites du Christ et grâce à de saintes prières Que ses fidèles reposent dans la joie et la paix de la béatitude Et que la foi est florissante. Après quoi il la [= la femme] persuade De prier afin que la foi, qui est maintenant florissante, ne vienne un jour à se flétrir, De la fortifier par le contrepoison de ses prières et de réveiller la justice 255 Chez les chefs des vénérables églises. Il évoque encore plusieurs autres sujets ; elle obéit, se prosterne, prie. Par son esprit elle s’élève jusqu’aux cieux, elle rend grâce, tout en gardant le silence. Son esprit pousse en secret une tranquille clameur Que révèle le mouvement de ses lèvres, pas le son de sa voix. 260 Pendant qu’elle prie ainsi, Zosime, stupéfait, admire Son visage, ses cheveux, son maintien, autant de signes de sa piété, Ses joues pâlissantes, déjà profondément marquées du présage de la mort. Tout ce que l’on voit [chez elle] témoigne de sa vertu. Tous les gestes des saints attestent leurs exploits. 265 Mais des merveilles, bien plus admirables que les précédentes, survinrent. Car, tandis qu’elle prolongeait, sur des modes divers, Les divines mélodies qui chantaient dans son cœur, elle restait Comme suspendue en l’air, tout son corps détaché du sol, Et, comme s’il refusait de subir le contact de la terre, 270 Son corps purifié se tenait tout droit, soulevé au-dessus. C’est ainsi qu’en présence du moine, elle fut, pour une heure, l’hôte des habitants des cieux. Pour toujours la chair de la femme doit être associée aux habitants des cieux. Zosime fut effrayé par cette vision et crut qu’il s’agissait d’un prodige extraordinaire Ou véritablement d’un phénomène en désaccord avec la nature féminine.

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275 Sed, quod fallatur, docet hec fratremque lucratur. Qui male turbatus redit ad se, sic reuocatus : « Ei mihi, quo raperis ? Quid agis, pater ? Vnde moueris ? Quis stupor hic mentis ? Bene sentio, quod male sentis. In me peccasti, dum me phantasma putasti. 280 Sum mulier misere sortis, rea plus muliere; Sum caro mortalis, palpatica, materialis, Et que, si nescis, anima uiget, indiget escis, Tempore mutatur, saniem cineresque minatur. Hoc ego, quod modo sum, de me promittere possum. 285 Sed quod uidisti, quod pene nimis stupuisti, Non ascribatur mihi, nam Deus hec operatur. Ex ope celesti fit, si quid habetur honesti, Et uenit a superis, uel agas bene, uel mediteris. Nos leuis umbra sumus, nos actus turbine fumus, 290 Nos agri fenum, primum caro, postea cenum. Forma perit rerum, datur altera quaque dierum. Dum sic mutamur, taciti quoque testificamur, Quid res promittat, quo nos Natura remittat, Quod sumus aut erimus, quo tendimus, unde uenimus. 295 Omnia sunt hominis quedam preconia finis.» Postea nil temere Zosimas ratus, ex muliere Culpam cognoscit, ueniam prece supplice poscit. Vrget eam lacrimis et suspiratibus imis, Ne qua sibi celet, sed, que sit et unde, reuelet, 300 Quo sustentetur uictu, quis eam comitetur. Addit et ista pater : « Refer hec, sanctissima mater ! Proderit audiri, uult et Deus hec aperiri. Hoc iter ille seni suggessit, eo duce ueni. Ille timere parum dedit in regione ferarum. 305 Direxit gressum, firmauit robore fessum, Leniit algores, docuit tolerare uapores. Quis nisi iuuisset Deus, hec tam dura tulisset ? Ad speciale bonum ueni per lustra leonum. Inde reportetur, quo Christus glorificetur. 310 Exeat e latebris hec fax, hec gemma celebris. Non uult abscondi Deus inclita lumina mundi, Ad radios quorum laxatur hiems animorum. Ergo, quod egisti, refer in preconia Christi ! Quam bene narratur, quo proximus edificatur.

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275 Mais cette femme lui apprend qu’il peut s’être trompé, et elle gagne un frère : Et lui, qui s’était troublé à tort, rentre en lui-même, rappelé [à la raison] en ces termes : « Hélas pour moi, jusqu’où es-tu emporté ? Que fais-tu, père ? D’où reviens-tu ? Quel est ce trouble de ton esprit ? Je me rends bien compte que ton jugement est erroné. Tu m’as offensé, en me prenant pour un fantôme. 280 Certes, je suis une femme de misérable condition, une pécheresse plutôt qu’une femme. Je suis une chair mortelle, palpable, matérielle, Et cette chair, si tu l’ignores, vigoureuse par l’âme, a besoin de nourriture, Elle est changée par le temps, elle annonce sanie et poussière. Et cela, que je suis [déjà] maintenant, je peux le présager pour ce qui me concerne encore. 285 Mais ce que tu as vu, ce qui t’a presque stupéfié, plus que de raison, Ne doit pas être inscrit à mon compte, car c’est Dieu qui en est l’auteur. C’est grâce à une force céleste que se réalise tout ce qui est tenu pour honorable. Et c’est des habitants des cieux que nous viennent nos bonnes actions et nos bonnes intentions. Nous sommes une ombre légère, une fumée chassée par le souffle du vent, 290 Nous sommes [comme] l’herbe des champs, [nous sommes] d’abord chair, puis fange. La forme des choses disparaît, chaque jour une autre apparaît. Quand nous changeons ainsi, même sans rien dire, nous portons témoignage Sur ce que la Réalité nous réserve, sur la fin que la Nature nous destine, Sur ce que nous sommes, ce que nous serons, où nous allons, d’où nous venons, 295 Tout cela proclame de quelque manière la fin de l’homme. » Désormais Zosime cesse de rien juger à la légère ; grâce à cette femme Il reconnaît sa faute ; d’une voix suppliante, il implore son pardon. Il la presse, par ses pleurs et ses profonds soupirs, De ne rien lui cacher, mais de révéler qui elle est, d’où elle vient, 300 De quelle nourriture elle se sustente, qui lui tient compagnie. Le moine ajoute encore : « Raconte tout cela, très sainte mère ! Il sera utile de l’entendre ; Dieu aussi veut que ce soit exposé au grand jour. C’est lui qui a suggéré ce chemin au vieillard [que je suis] ; guidé par lui je suis venu jusqu’ici. C’est lui qui m’a accordé de rester impavide dans une contrée de bêtes sauvages. 305 Il a dirigé mes pas, il m’a réconforté, quand j’étais fatigué. Il a allégé mes douleurs, il m’a appris à supporter la canicule. Qui donc, sans l’aide de Dieu, aurait supporté d’aussi rudes épreuves ? Je suis parvenu jusqu’à un trésor insoupçonné, en passant au milieu des tanières des lions. Que soit rapporté de ce lieu de quoi le Christ soit glorifié. 310 Que sorte de sa cachette cette lumière, cette gemme célèbre. Dieu ne veut pas que restent cachées les illustres lumières du monde, Aux rayons desquelles se raniment les âmes en hibernation. C’est pourquoi, ce que tu as fait, raconte-le, pour la louange du Christ ! Mieux le récit est composé, mieux le prochain est édifié.

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315 Criminis est uere morum documenta silere. » Hec ait, et lacrimis ad uota recurrit opimis ; Quem mulier stratum leuat alloquiturque leuatum. « Ei mihi ! Quantarum meminisse rogor lacrimarum ? Quam seriem scelerum uel que contagia rerum, 320 Mi pater exploras ? Plus crimine nosse laboras. Quem non offendam, si turpem, si reticendam, Si nullum ueritam facinus digessero uitam ? Quas aures poteris prestare probris mulieris ? Quisue memor moris feret hec monimenta pudoris ? 325 Quid sequar aut quid agam ? Pudet hanc ostendere plagam. Sed si celetur, plage medicina luetur. Obruta laus Christi luitur discrimine tristi. Cum mala sanantur, nisi grates hinc referantur, Ad caput ingratum constat remeare reatum. 330 Ne sic offendam, uitam recitabo pudendam, Et quibus unguentis lauit Deus ulcera mentis. Expedit, ut coram monacho confundar ad horam Ne coram sanctis confundar in ora Tonantis. » Hec ait et fletur; rubet atque referre ueretur; 335 Suspicit et nutat, faciem confusio mutat, Alligat ora pudor, largus fluit undique sudor Si pars incipitur, uix ad postrema uenitur. Tandem quesite perstringens crimina uite, Sic dixit, uultu cooperto, paupere cultu : 340 « Germine non humili genuit me patria Nili. Sed postquam creui, generis titulos aboleui. Sepe mihi modice uite precepta pudice Attulit inde pater, hinc et censoria mater. Mater, ut est moris, relegens decreta pudoris, 345 Dedocuit questum, quem non commendat honestum, Appositisque minis, dixit : ‘Par esto Sabinis. Spem caste presta, uerbo grauis, ore modesta, Regnet et in tenera facie matrona seuera. Nemo nimis propere didicit nocitura cauere. 350 Quamlibet etatem niti decet ad probitatem’. Hec assistentes memini monuisse parentes. Sed tribui uentis monitus utriusque parentis Et male contemni cepit pudor a duodenni. Extunc indecorem traxerunt ossa calorem,

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315 C’est une faute grave vraiment que de passer sous silence les leçons de la morale. » Il dit et renouvelle sa demande, en versant force larmes ; La femme le relève ; quand il s’est relevé, elle lui dit : « Pauvre de moi ! De combien de choses déplorables il m’est demandé de me souvenir ? De quelle suite de forfaits et de combien de souillures, 320 Mon père, veux-tu avoir connaissance ? Tu t’acharnes à connaître plus que le péché grave. Qui ne vais-je choquer, si, sans craindre de révéler aucun méfait, J’expose en détail une vie honteuse, qui devrait être passée sous silence ? Quelle oreille pourras-tu prêter au récit des turpitudes d’une femme ? Qui donc, se souvenant de la morale, supportera que je donne des leçons de pudeur ? 325 Quel parti suivre ? Ou bien que faire ? J’ai honte d’exposer ma blessure au grand jour. Mais quand bien même elle resterait cachée, le prix du remède de la blessure sera payé. Oublier de louer le Christ se paie par une funeste séparation. Quand les maux sont guéris, si l’on ne rend pas grâce pour cette faveur, Il est évident que la faute retombe sur la tête de l’ingrat. 330 Pour ne pas être fautive à cet égard, je raconterai ma vie, dont je dois avoir honte. Je dirai de quels onguents Dieu a lavé les ulcères de mon esprit. Il convient qu’en présence d’un moine, je sois maintenant couverte de confusion, Pour éviter de l’être en présence des saints sous les regards du Tout-Puissant ». Elle dit et fond en larmes ; elle rougit et appréhende de faire son récit ; 335 Elle lève les yeux, baisse la tête ; la confusion altère son visage, La honte noue sa voix, une sueur abondante ruisselle de toute part. Si elle commence un épisode, c’est à grand peine qu’elle parvient à l’achever. Finalement, résumant les fautes graves de sa vie mise en examen, S’étant couvert le visage, elle parla ainsi, en toute simplicité : 340 « J’ai vu le jour dans une famille de bonne souche ; le pays du Nil est ma patrie. Mais, après avoir grandi, j’ai aboli les titres d’honneur de ma lignée. Souvent, pour sa part, mon père m’inculqua posément les préceptes D’une vie de pudeur : ma mère, ‘La Censure’, fit de même, de son côté. Ma mère, comme il est de coutume, ressassant les lois de la pudeur, 345 M’a fermement interdit le métier que l’honnêteté réprouve, Et, ajoutant les menaces, elle m’a dit : ‘Montre-toi l’égale des [rigides] Sabines. Fais naître l’espoir chastement, avec un langage grave, un visage modeste, Que règne aussi, dans une douce figure, une matrone sévère. Personne n’apprend trop tôt à se garder des dangers à venir. 350 C’est à tout âge qu’il convient de faire effort pour vivre honnêtement’.  Ces recommandations, je m’en souviens, mes parents les ont faites, conjuguant leurs efforts, Mais j’ai jeté aux vents les avertissements de mon père et de ma mère Et fâcheusement la pudeur commença à me paraître négligeable, à partir de mes douze ans. Dès lors, mon corps ressentit des bouffées de chaleur indécentes ;

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355 Extunc auerti thalami connubia certi; Et rata torporem nondum periisse pudorem, Sustinui gratis dispendia uirginitatis. Neue resistentes differrent uota parentes, Egredior patriam, proficiscor Alexandriam. 360 Nacta locum sceleri, statuo communis haberi. Nec satis id fuerat, quia, quando uir mihi deerat, Tecta pererraui nullique rogata rogaui, Infamis cultu, uaga lumine, lubrica uultu. Vsibus impostis, nature crimen et histis. 365 Fractior incessus et lenam sermo professus Clamauere foris (pudet hanc meminisse pudoris); Clamauit gestus (nimis est furor iste molestus). Sic oblita mei, dux et uia perniciei, Historiis scelerum consumpsi quemque dierum, 370 Fassa diem mestum, quo forte monerer honestum. Quod quotiens fregi, festum celebratius egi. Cantica, que traherent scelus incestumque docerent, Dilexi, didici, mimas modulamine uici. Cumque salitores exhaustos aut seniores 375 In nullam uenerem iam fastidita mouerem, Sum blandita nouis : hos emi munere quouis, Et sociis scelerum diuisi singula rerum, Quas acus et fusus uite donarat in usus. His instrumentis manus accedebat egentis; 380 His domus, his uictus, his est quesitus amictus, His ad uota datus consors heresque reatus. Quam male — nam memini — placuit mihi copia uini ! Quam captabatur cibus, unde libido iuuatur ! Cumque duo magni sint hostes, sexus et anni, 385 Ebrietas istis fuit addita tertius hostis. His mecum morbis et per me perditus orbis, Numquam labe pari potuit poteritque grauari. Me minus errauit, quisquis mala multiplicauit. Et mihi defendi palmam male semper agendi. 390 Cum iam non nossem, quem crimine uincere possem, Crimine multiplici post omnes me quoque uici. Nam uelut errorem prius ausa, deinde furorem, Quidquid peccaui mala, pessima iustificaui; Nec sceleri metas posuit uel serior etas.

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355 Dès lors, j’ai écarté la perspective d’un mariage strictement défini ; Et me croyant engourdie pour n’avoir pas sacrifié ma pudeur, J’ai endossé gratis la perte de ma virginité : De peur aussi que mes parents récalcitrants ne retardent indéfiniment mes désirs, Je quitte ma patrie, je m’en vais à Alexandrie. 360 Ayant gagné un lieu [propice] à ma scélératesse, je décide de passer pour une fille publique, Mais cela même ne me suffisait pas, car, quand je n’avais pas d’homme, J’errais, voilée, et quand personne ne me sollicitait, c’est moi qui le faisais, Parée comme une personne mal famée, errant à l’aventure, le visage lascif, J’étais une offense et une rebelle aux usages établis et à la nature. 365 Mon allure dégingandée et mon langage, qui proclamait la prostituée, Tout me désignait du doigt — j’ai honte de me souvenir de mon opprobre ; Ma mimique le proclamait — la passion furieuse qui me possédait alors est par trop choquante. Ayant ainsi fait litière de tout amour-propre, devenue guide et chemin de perdition, Pour des aventures scélérates j’ai gaspillé chacune de mes journées, 370 J’appelais sinistre le jour où par hasard on me faisait la morale. De l’avoir tant de fois transgressée, je me suis fait très souvent une fête. Les chants qui entraîneraient au vice et enseigneraient l’impudeur. Je les ai aimés, je les ai appris, j’ai surpassé les mimes en rythmes et cadences ; Et, lorsque, déjà dédaignée, je ne pouvais plus émouvoir 375 A aucune volupté ni les danseurs épuisés, ni les vieillards, J’ai cajolé les jeunots ; je les ai achetés à n’importe quel prix Et j’ai partagé avec mes compagnons de débauche tout ce que je possédais, Tout ce que le travail de l’aiguille et du fuseau m’avait donné pour mes besoins vitaux. J’’avais recours à ces instruments, quand j’étais réduite à la misère. 380 Grâce à eux on acquiert maison, nourriture, vêtement, Grâce à eux on trouve un conjoint selon ses vœux et un héritier du péché. Quelle mauvaise joie — je m’en souviens — j’ai connue, à boire du vin  en quantité, Quelle masse de nourriture j’ai ingurgitée, comme adjuvant de la volupté ! Et, vu que l’homme a deux grands ennemis, le sexe et les ans, 385 L’ivresse leur fut adjointe, son troisième ennemi. Par ces maladies, avec moi et par moi, le monde s’est perdu, Jamais on n’a pu, jamais on ne pourra se charger d’une souillure égale [à la mienne], Moins que moi s’est égaré quiconque a multiplié les méfaits, Et j’ai revendiqué pour moi la victoire, pour ce qui est de toujours commettre le mal. 390 Comme je ne savais plus qui je pourrais surpasser dans le vice, Par de multiples forfaits, après l’avoir emporté sur tous, je me suis vaincue moi-même. Car, ce que j’avais osé d’abord comme une erreur, je l’ai commis ensuite comme une frénésie, Tout ce que j’ai commis de mal, je l’ai justifié plus mal encore ; Même l’âge plus avancé n’a pas posé de bornes à ma scélératesse.

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395 Talibus et tantis oculis inuisa Tonantis Annos ter ternos exegi bisque quaternos. Ecce die quodam — sed qualiter hoc tibi prodam, Quam misere cecidi — iuuenes in littore uidi. Vidi, captaui; quo uellent ire rogaui. 400 Subridens primus dixit : « Ierosolimis imus. » Sciscitor, an comitem paterentur. Subdidit idem : « Si naulum dederis, patet ere carina, ueheris. » Tunc ego : « Pro naui pretium tibi, nauta, paraui. Si pretium queris, me pro pretio potieris. 405 Nil habeo nisi me, sed si placet utimini me. Nil habeo melius, cape fructum muneris huius. Ex hac fortuna faciam satis omnibus una, Si de communi uictus mihi prouenit uni. » His dictis iuuenis gressus impressit arenis 410 Et quasi uerborum spreta leuitate meorum Nautas hortatur, socios uocat, urget : eatur. Ipsa comas stringo, uultus in crimina pingo ; Proicio fusum, succingor euntis in usum. Prosequor intro ratem, spondet mare prosperitatem. 415 Blanditur uentus, uentum iuuat arte inuentus, Et paucis horis captatis utimur oris. Ei mihi ! Quo labor ? Qua lingua cetera fabor ? Da ueniam misere, pudor exigit ista latere, Et trahit horrorem tantum meminisse furorem. » 420 Hec ait et fleuit, rubor ora uerenda repleuit. Flentem solatur Zosimas referatque precatur. Paruit et tandem sic est resecuta precantem : « Mi pater, in naui mea crimina multiplicaui. Nil illic egi, nisi que sunt obuia legi; 425 Et procul a curis fuit omnis mentio iuris. Quo male proiecto, nautas in turpia flecto. Excito torpentes, segnes uoco probra uerentes. Cui scelus est gratum, fortem puto, iuro beatum. Docta uiri uoto famulari corpore toto. 430 Cura fuit sonti per mille pericula ponti Blandiri sceleri, nil preter honesta uereri. In uenerem uolui, uino persepe resolui, Escis distendi, modulos uariare canendi, Omnibus his uti, que sunt infesta saluti.

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395 Devenue odieuse aux yeux du Tout-puissant par mes péchés, si nombreux et si graves, J’ai passé trois fois trois ans plus deux fois quatre ans. Or, voici qu’un jour — mais je vais te raconter de quelle manière, Et combien bas je suis tombée — j’ai vu des jeunes gens sur le rivage. Je les ai vus, j’ai cherché à les séduire ; je leur ai demandé où ils voulaient aller. 400 Le premier me dit, en souriant : « Nous allons à Jérusalem. » Je m’informe pour savoir s’ils admettraient un compagnon de voyage. Le même ajouta : « Si tu paies le prix de la traversée, le bateau est à ta disposition, à tes frais on te transportera. » Alors moi : « Pour le bateau,  matelot, je t’ai préparé une rémunération. Si tu me demandes laquelle, c’est moi que tu posséderas pour prix de la traversée. 405 Je ne possède rien d’autre que moi, mais si cela vous agrée, disposez de moi. Je n’ai rien de mieux à proposer; saisis le fruit de ma rétribution. Pour cette bonne aubaine, à moi seule, je saurai satisfaire tout le monde, Si mon entretien, à moi seule, est pris sur la masse commune. » A ces mots, le jeune homme pressa le pas sur le sable du rivage, 410 Et, comme s’il avait fait peu de cas de la futilité de mes paroles, Il hèle les matelots, rameute ses compagnons, les presse : Larguez les amarres. Pour moi, je resserre mes cheveux, je me maquille le visage en vue de mes débauches ; Je jette le fuseau, je me trousse comme font les voyageurs. Je monte à bord ; la mer promet une bonace. 415 Le vent se fait caressant ; la jeunesse le seconde avec art. Et, pour quelques heures, nous profitons des brises captives. Pauvre de moi ! Jusqu’où vais-je choir ? En quel langage vais-je dire le reste du récit ? Pardonne à une malheureuse, la pudeur exige que ces choses restent cachées, Et me glace d’horreur le seul souvenir de ma frénésie. » 420 Elle dit et fond en pleurs ; son visage s’empourpre de honte. Zosime console la pleureuse et la prie de poursuivre son récit. Elle obéit, et enfin satisfait sa demande, en ces termes : « Mon père, sur le bateau j’ai multiplié mes péchés, Je n’y ai rien fait d’autre que de transgresser la loi ; 425 Fut loin de mes soucis toute mention du droit. Par ce mauvais dessein, j’entraîne les matelots dans les turpitudes, J’excite les engourdis, je traite de mauviettes ceux qui craignent de commettre des infamies. Celui qui se complait à la scélératesse, je le tiens pour courageux, je le proclame heureux, [En personne] habile à servir, de tout son corps, le désir de l’homme. 430 Malgré les mille périls de la mer, moi, la pécheresse, je n’eus pas d’autre souci Que de cajoler le péché, de ne rien craindre, excepté ce qui est honnête. De me vautrer dans la luxure, de me dissoudre très souvent dans le vin, De me goinfrer de nourritures, de varier les mélodies des chansons, De recourir à tous les artifices qui sont nocifs pour la santé.

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435 Crede mihi, multum miror scelus illud inultum. Nec mare nec uentum facinus rupisse nocentum. Miror, quod prauis seruiuit in hec probra nauis, Quod tot, quod tantis non obstitit ira Tonantis, Quod tulit incestus et litus et auster et estus. 440 Inter mille fere mortes mala tuta fuere. Sed Dominus Iesus, qui nouit parcere Iesus, Lesus parcebat, parcendo redire monebat. Iamque mihi gratis monstrabat fons pietatis Quod, licet iratus, differt punire reatus, 445 Inuitusque ferit, quia culpe parcere querit. Neue mee ueneris longo sermone graueris, Deferor ad portum, subeo sacra menia scortum. Iuncta leui turbe moror hospes et hostis in urbe. Circueo uicos, amplexus uenor iniquos; 450 Cogitur in facinus tam ciuis quam peregrinus. Hos ego dum capto, dum me male sana coapto Nequitie tante, crucis exaltatio sancte, Que tunc instabat, ciues ad templa uocabat. Turba preit patrum, sequitur deuotio matrum. 455 Vrbs exhausta fere me conpulit ire, uidere, Querere, quid traheret populum, quid in ede placeret. Iui letalem mihi quesitura sodalem — Et pudet et dicam — , qui subiectaret iniquam. Sed secus hoc cessit pietasque superna repressit. 460 Incentiuorum ueneres estusque meorum. Quippe uolens intrare fores et sacra uidere, Non illas intrare sinor, non ista uidere. Porta patens populum uenientem suscipiebat, Me peccatricem uis celica reiciebat. 465 Que dum feminea contingere debilitate Suspicor, eluctor, quanta licet improbitate; Sed nec tunc potui portas intrare patentes, Quamuis intrarent preeuntes atque sequentes. Miror et indignor, quod ab ede sacra reuocarer; 470 Inseror et turbis, ut ab his impulsa iuuarer. Enitor populoque manus oppono prementi. Sed nihil istorum prodest intrare uolenti. Hos quoque conatus tenet eneruatque reatus. Nec patitur crimen sacrum contingere limen.

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435 Crois-moi, je m’étonne fort que ces méfaits soient restés impunis, Et que ni la mer, ni le vent n’aient mis fin brutalement aux forfaits des malfaisants. Je m’étonne que le navire ait servi à des débauchés pour ces turpitudes, Que la colère du Tout-puissant n’ait pas empêché tant et de si grands péchés,. Que la mer et l’auster et le soleil brûlant aient supporté ces infamies. 440 Parmi près de mille morts, la malfaisance est restée indemne. Mais le Seigneur Jésus, qui sait prendre en pitié [les pécheurs], Supplicié, il [les] prenait en pitié —, [me] prenant en pitié, m’invitait à me convertir. Et déjà, source de miséricorde, il me montrait, par pure grâce, Que, malgré son courroux, il diffère de punir les péchés, 445 Et qu’il frappe à contrecœur, car il cherche à prendre en pitié le coupable. Mais, afin de ne pas te lasser par le [trop] long récit de ma débauche, Je parviens au port, je m’approche furtivement des saints remparts, moi la courtisane. Me fondant dans la foule imberbe, je reste dans la ville, comme une hôte de passage, et comme une ennemie, Je parcours les quartiers, je me mets en chasse de coupables étreintes ; 450 L’habitant est forcé de commettre le mal, tout comme le pèlerin. Cependant que je cherche à les séduire, cependant que, dans ma démence, je m’apprête A une aussi grande perversité, [la fête de] l’Exaltation de la Sainte Croix, Qui était alors arrivée, appelait les fidèles à l’église. Marche en tête la foule des hommes ; suit, pieuse, celle des femmes. 455 La ville, quasiment vidée [de ses habitants], me força de marcher, de regarder, De me demander ce qui entraînait le peuple, ce qui, à l’église, le séduisait. Je m’y rendis, résolue à me chercher un mortel compagnon, — Et, je rougis de le dire, je le dirai pourtant —, qui pousserait en avant une pécheresse. Mais rien de cela n’arriva, et le Très Haut, dans sa bonté, réprima 460 La volupté et les ardeurs de mes attraits provocants. En fait, alors que je voulais franchir les portes et voir le sanctuaire, Il ne me fut pas permis d’entrer, ni de le contempler. La porte, largement ouverte, accueillait le peuple qui venait, Mais moi, la pécheresse, une force céleste me repoussait. 465 Supposant que ce qui arrive, c’est à cause de ma faiblesse féminine, Je cherche à me frayer passage, le plus effrontément possible ; Mais, même alors, je n’ai pu franchir le seuil des portes largement ouvertes, Et pourtant les gens entraient, se suivant les uns les autres. Je m’étonne, je m’indigne de me voir écartée de la sainte demeure ; 470 Je me glisse dans la foule, afin d’être aidée par elle, poussée en avant. Je fais effort, j’oppose mes mains au peuple qui me presse, Mais rien de tout cela ne seconde ma volonté d’entrer. Ces efforts, c’est aussi le péché qui les bloque et les paralyse, Le péché mortel ne permet pas que l’on accède au seuil de la sainte demeure.

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475 Vt sensi, mecum sic aio : « Non erat equum Illa mihi misere mulieri templa patere, Templa beatorum titulis reuerenda laborum. Hic est confractum mortis lacrimabile pactum. Hic nostros actus auctor luit, hostia factus, 480 Hic est damnatus, hic mortuus, hic tumulatus, Hinc et surrexit et uitam morte reuexit. Ad loca tam mire dulcedinis ausa uenire, Non olee rorem, non affero thuris odorem, Nec mentem puram magis omnibus his placituram. 485 Qui probra testatur fetor pro thure paratur, Pro titulis morum, turbam gero flagitiorum, Et quidquid miserum cadit in genus hoc mulierum. Heu ! Quid temptaui ? Quo, qualis et unde migraui ? Ad mensam Christi meretrix a fornice tristi, 490 His onerata malis adii loca talia talis; Obstruit hoc aditum frustra mihi sepe petitum. Probra lupanaris Deus odit et arcet ab aris, Et sordes mentis a uiuificis alimentis.» Hinc uocem pressi nec longius inde recessi. 495 Sed stans pre portis lacrimis immergor obortis. Terque repulsa queror, grauat ora madentia meror. Dissidet affectus, temptat conuersio pectus. Incipit et morum meminisse, pudere malorum, Et, quamuis sero, tumulata resurgere quero. 500 Quod bene quero, datur et Lazarus extumulatur. Forte fuit iuxta mulieris imago uenusta Illius eximie sub nomine picta Marie, Que Saluatorem peperit, ceu stella nitorem. Hanc dum conspicio, nouor intus et altera fio. 505 Accedo propius flens, supplico uultibus huius Atque genu flexo matrem Patris hac prece uexo : « Ad te,Virgo pia,Virgo sacra,Virgo Maria, Virgo noue sortis uenio, sed femina mortis. Sed male uulgaris, sed sordida, sed stabularis, 510 Sed, que ploraui, nisi comploranda patraui. Cum probra commisi, quasi probris inclita, risi, Et mestos uultus hilarauit concuba multus. Nox fuit insomnis, dum uir subit, omnibus omnis, Et crimen duxi, nisi multo crimine nupsi,

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475 Dès que je m’en suis rendu compte, je me dis à moi-même : ‘ Il n’aurait pas été juste Que cette église s’ouvrît pour la femme misérable que je suis. Les églises des saints doivent être vénérées pour les titres d’honneur de leurs hauts-faits. Ici a été brisé le pacte déplorable de la mort. Ici Notre Seigneur, s’étant offert en victime, a expié nos péchés, 480 Ici il a été condamné, ici il est mort, ici il a été enseveli, Puis il est ressuscité et il a, par sa mort, ramené la vie. Moi, qui ai eu l’audace de venir en ces lieux d’une aussi admirable douceur, Je n’apporte ni la rosée de l’huile, ni le parfum de l’encens, Ni une âme pure, qui agréerait davantage que toutes ces offrandes. 485 Pour celui qui atteste ses turpitudes, une odeur fétide se prépare, au lieu d’encens, Comme titres d’honneur de ma conduite, je transporte une masse de forfaits, Et toutes les misères qui s’abattent sur l’espèce de femmes dont je suis. Hélas ! Qu’ai-je essayé de faire ? Jusqu’où me suis-je égarée, que suis-je devenue ? D’où suis-je partie ? Jusqu’à la table du Christ, moi, une prostituée venant d’un triste lupanar, 490 Chargée de ces méfaits, je me suis approchée de ces lieux saints, telle que je suis ; Cela m’interdit un accès que j’ai visé à mainte reprise, mais en vain. Dieu a horreur des turpitudes du lupanar et les écarte des autels, Et [il écarte] les souillures de l’esprit des nourritures qui donnent la vie. Dès lors, j’ai cessé de parler et je ne me suis plus éloignée de ce lieu, 495 Mais, me tenant debout devant les portes, je m’immerge dans un flot des larmes. Repoussée par trois fois, je me lamente, et la tristesse accable mon visage ruisselant. Mes sentiments sont partagés, la conversion cherche à gagner mon cœur. Celui-ci commence à se souvenir des bonnes mœurs, à avoir honte de ses méfaits, Et, bien que tardivement, du fond de la tombe, je demande à resurgir. 500 Ma prière, faite en tout bien, tout honneur, est exaucée, et Lazare sort du tombeau. Près de là, par hasard, il y avait la belle icône d’une femme, Peinte sous le nom de la célèbre, de l’illustre Marie, Qui a donné naissance au Sauveur, comme une étoile à la clarté. Cependant que je la contemple, je suis renouvelée en mon intérieur et je deviens tout autre. 505 Je m’approche plus près en pleurant, j’adresse ma supplication à son portrait Et, ployant le genou, j’importune la mère de Dieu par cette prière : ‘ Vers toi, bonne Vierge,Vierge sainte,Vierge Marie, Vierge d’une nouvelle condition, je viens, mais moi [je suis] une femme de mort, Une femme de la pire espèce, une femme ignoble, une femme de cabaret, 510 Mais je suis venue, toute en pleurs, parce que je n’ai fait que des choses déplorables. Quand j’ai commis des turpitudes, j’y ai pris plaisir, comme si les turpitudes rendaient célèbre, En les multipliant, la concubine a réjoui beaucoup de visages attristés. Durant mes nuits sans sommeil, tant qu’un homme se présentait, je me faisais toute à tous, Et j’ai épousé le péché, je n’ai pas pris de mari sans multiplier le péché,

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515 Concubito uetito gaudens populoque marito. Taliter expleui cursum miserabilis eui, Taliter excessi ; modo damno, quod male gessi, Penitet erroris, sordet sentina furoris ; Nec bene damnatum patiar uel amabo reatum. 520 Si sera laxetur, qua peccatrix retinetur, Si liceat misere lignum uitale uidere, Hoc per te spero, per te succedere quero. Nam licet iratus, cedet te supplice Natus. Cedet enim, siquidem Pater est et Filius idem. 525 Duplex affectus trahet exorabile pectus. Ad quoduis munus flecterur uterque, sed unus. Ergo sub hoc pacto presta mihi, quod bene capto. Sis testis pacti, sis uindex tu quoque fracti. Nolo parcatur mihi, si facinus repetatur.» 530 Erigor his dictis, uitiis iam mente relictis. Inde reflecto pedem, bona spes comitatur ad edem; Impatiensque more feror intro, sed absque labore. Gratulor admitti, posco delicta remitti, In ueniam ploro, uexilla salutis adoro. 535 A sacramentis absterrent crimina mentis. Illis oblatis matrem repeto pietatis Et bene promerite grates ago, supplico rite. Quid iubeat fieri, quo tendere, quero doceri; Quero uiam morum, regat, obsecro , mater eorum. 540 Dum tam sollicite pulsatur ad ostia uite, Sic respondetur — nec noui quis loqueretur ; Hoc noui tantum quendam sic esse locutum : « Iordanem si transieris, bonam inuenies requiem.» Hinc stupor obrepsit, qui postquam tempore cessit, 545 Egredior celeri pede sic mihi uisa moneri. Queritur et rapitur uia, qua Iordanis aditur. Dum propero, quidam pro tempore conuenienter Tres mihi denarios offert tribuitque latenter. Hinc emo tres panes egressaque menibus urbis 550 Nitor et asportor et cedo profuga turbis. Vesper erat, subeo Baptiste templa Ioannis, Que placido cursu dictus preterfluit amnis. Illic in lacrimis gemituque professa reatum, Misteriis accedo gerens cor contribulatum.

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515 En prenant plaisir à des accouplements interdits, à des unions avec la lie du peuple. C’est ainsi que j’ai accompli le cours d’une existence misérable, C’est ainsi que j’ai dépassé toute mesure ; maintenant je condamne ce que j’ai fait de mal, Je me repens de mon égarement ; la sentine de ma passion furieuse me dégoûte. Je ne tolérerai plus ce qui est justement condamné ; bref, je n’aimerai plus le péché. 520 Si seulement le verrou pouvait être tiré, qui retient [prisonnière] la pécheresse, Si seulement il était permis à une malheureuse de voir le bois qui donne la vie, Cette faveur, je l’espère, par ton intercession, je demande de réussir, grâce à toi. En effet, même s’il est irrité, ton Fils l’accordera, si tu l’implores. Il l’accordera, en effet, puisque le Père et le Fils sont un. 525 Un double amour entraînera un cœur qui se laisse fléchir. Tous deux seront inclinés à accorder toute espèce de faveur, mais ensemble. Par conséquent, en vertu de ce pacte, accorde-moi ce que je cherche instamment à obtenir. Sois le témoin de ce pacte, sois aussi son vengeur, s’il venait à être brisé. Je ne veux pas être épargnée, si je venais à commettre de nouveau le péché’. 530 Ayant ainsi parlé, je me lève ; désormais, dans mon esprit, j’ai renoncé au vice. Aussitôt, je reviens sur mes pas ; un bon espoir m’accompagne jusqu’à l’église ; Ne supportant plus de retard je suis portée à l’intérieur, mais sans effort, [cette fois]. Je rends grâce d’être admise ; je demande que mes péchés soient remis, J’implore mon pardon ; j’adore l’étendard du salut. 535 La conscience de mes péchés m’empêche de m’approcher des sacrements. En faisant ce sacrifice j’implore à nouveau la Mère de bonté Et je rends grâces pour la faveur obtenue ; j’accomplis correctement mes prières. Que dois-je faire, où dois-je aller, je demande à en être instruite ; Je cherche la voie des bonnes mœurs ; que me conduise leur mère, telle est ma prière. 540 Alors qu’avec une telle sollicitude, je frappe aux portes de la vie, Une réponse [m’] est donnée ; la voici —, je n’ai pas su qui parlait ; J’ai seulement compris que quelqu’un avait parlé en ces termes : ‘ Si tu franchis le Jourdain, tu trouveras un bon repos’. A ces mots une stupeur m’envahit ; quand, après quelque temps, elle se fut estompée, 545 Je sors rapidement, car il me semblait que l’avertissement le demandait. Je cherche, je prends vite la route qui conduit au Jourdain. Comme je me hâte, un quidam — l’aubaine arrivait à juste temps — M’offre trois deniers et me les donne furtivement. Avec cet argent, j’achète trois pains et je sors de l’enceinte de la ville. 550 Je rassemble mes forces ; je suis [comme] transportée ; je m’en vais, ayant fui les foules. Le soir tombait, je m’approche de l’église de Saint-Jean-Baptiste, Que le fleuve déjà nommé, au cours paisible, longe et dépasse. Là, après avoir confessé mes péchés avec larmes et gémissements, J’accède aux saints mystères avec un cœur broyé par la contrition.

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555 Pane dehinc sumpto prefatum transuehor amnem, Quero modum uite, quo prostina crimina damnem. Tunc mihi delicias, tunc luxum carnis ademi, Tunc scelerum tempus studio meliore redemi. Sed te uerborum tedet fortasse meorum 560 Solque rota celeri uolat indocilis retineri. Ergo recede, pater.» Tunc ille : « Piissima mater, Dic, age, quod sequitur ; nihil aptius hoc aperitur. Dic, ancilla Dei, superest pars magna diei. Nil magis ad uotum cedit, quam dicere totum. 565 Digere, si memor es, quos sis ibi passa labores. Vnde tibi uictus, quis et unde paratus amictus, Si qua rebellauit tentatio nec superauit, Si prius infestus carnis deferbuit estus.» Sic ea mota senis precibus consedit arenis 570 Et rorans lacrimis subiungit talia primis: « Annos undenos quadrupliciterque nouenos, Mi pater, expleui post lapsum flebilis eui ; Nec tamen absque graui certamine crimina laui. Temptor enim rursus ; fit post sacra uota recursus 575 Ad pigmentorum calices luxumque ciborum. Pisces Egipti uinique cupido relicti Me miseram tangunt et eo uehementius angunt, Quo magis intendi dapibus studioque bibendi, Dum mihi sordebat modus ebrietasque placebat. 580 Vrbibus et peregre uitium dediscitur egre. Proposito morum subit hostis ubique locorum. Pectora firma parum mala mentio deliciarum Vrget et infestat ; furit Eua uirumque molestat. Eua cibum mortis cupit in uitalibus hortis. 585 Ei mihi ! nam quedam pudet edere, sed tamen edam. Disce nihil tutum, nisi primo carne solutum. Semper erit presto, quod et instet et obstet honesto. Estu nubendi desiderioque canendi Exsecrandorum modulos et carmen amorum 590 Vror et ad mentem retro male respicientem Amplexus uetiti redeunt et mille mariti. Osculo captantur, ad nuptum uota uagantur; Virtus est oneri, pudet ultra lege teneri. Tedet aque iugis, postpono seria nugis.

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555 Ensuite, ayant pris du pain pour nourriture, je traverse ledit fleuve, Je m’interroge sur le genre de vie qui me permettrait de rejeter mes péchés d’antan. C’est alors que j’ai renoncé pour toujours aux jouissances, aux débauches de la chair, C’est alors que j’ai racheté le temps de mes forfaits par une passion meilleure. Mais peut-être es-tu fatigué d’entendre mon discours 560 Et le soleil vole, d’une course rapide, que rien ne peut retenir. Prends donc le chemin du retour, mon père. » Mais lui : « Très bonne mère, Allons, raconte la suite ; rien n’est plus indiqué, après ce préambule. Parle, servante de Dieu ; il reste une grande partie de la journée. Rien ne répond davantage à mon souhait que de [t’entendre] raconter le tout. 565 Explique, si tu t’en souviens, quelles peines tu as endurées, D’où tu as tiré ta nourriture, quel fut ton vêtement et comment tu te l’es procuré, Si tu as connu la récidive de la tentation et si elle n’a pas eu le dessus, Si l’ardeur de la chair, jadis hostile, a perdu de son intensité. » C’est ainsi que, touchée par les prières du vieillard, elle s’est assise sur le sable 570 Et, baignée de larmes, elle ajoute à son premier récit des propos de ce genre : « J’ai passé onze ans, plus quatre fois neuf ans, Mon père, après les péchés de ma vie déplorable; Et cependant, ce n’est pas sans avoir livré une rude bataille que j’ai lavé mes fautes. En effet, je connais de nouveau les tentations ; après mes vœux sacrés, 575 Me reviennent en mémoire les coupes parfumées, le luxe des mets recherchés. Les poissons d’Égypte et le désir du vin, auquel j’ai renoncé, M’émeuvent dans mon dénuement et me tourmentent d’autant plus violemment, Que j’étais davantage attirée par les banquets et la passion de boire, Alors que mon genre de vie était misérable et que l’ivresse faisait ma joie. 580 Dans les villes et dans un pays étranger il est difficile de renoncer au vice. Dans le propos de réformer ses mœurs, partout l’ennemi s’insinue. Le funeste rappel des plaisirs accable et envahit Le courage insuffisamment affermi ; Ève brûle l’homme et le harcèle. Ève convoite la nourriture de la mort dans les jardins de la vie. 585 Pauvre de moi ! J’ai honte, en effet, de raconter certaines choses, je le ferai cependant. Apprends que rien n’est assuré, si l’on ne s’est d’abord libéré de la chair. Toujours se présentera ce qui menace la vertu et lui fait obstacle. Je brûle du feu de l’amour et du désir de chanter Les airs des pires horreurs et la complainte des amours mortes 590 Je brûle et, à mon esprit qui, malencontreusement, jette un regard en arrière, Les étreintes interdites reviennent en mémoire et mille partenaires. On vole des baisers, les désirs vagabondent du côté du mariage ; La vertu est à charge, on ressent une honte extrême d’être bridé par la loi. On a le dégoût de boire toujours de l’eau ; je fais moins de cas des propos sérieux que des bons mots,

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595 Soliuagam turbis, eremum conuentibus urbis. Hec ad defectum pulsant phantasmata rectum Et germen moris suffocat imago furoris, Donec ad eximiam precibus conuersa Mariam A temptamentis reuocarem lumina mentis. 600 Huc animo uenio, gemo, lacrimor, hostia fio. Quero reformari, precor inueterata nouari. Post holocausta precum redit et stat mens bona secum. Post fletum cordis fugit omnis mentio sordis. His medicamentis residebant tubera mentis, 605 Et redivivorum sartago flagitiorum, Que male feruebat, penitus frigere solebat. Preterea flentem miserabiliterque iacentem Circumfulgebat splendor totamque tegebat, Missus aberrantem reuocare, leuare labantem, 610 Spem conferre bonam, dare uim, monstrare coronam. Trina triennia, bina tetrennia sic abiere. Lenibus aspera, mitibus effera mixta fuere. Sed noua uulnera Virgo puerpera, cum bene fleui, Tersit et abluit; inde salus fuit, inde quieui. 615 Per tot lustra fere duo panes esca fuere, Quos mecum gessi, simul huc ex urbe recessi. Aruerant et duruerant propriumque colorem Perdiderant et desierant conferre uigorem, Inde tamen, releuare famem perparca solebam. 620 Quid biberem ; cum deficerem, uix onueniebam. Postquam sunt longo consumpti tempore panes, Mens herens Domino curas abstraxit inanes. Extunc usque modo temptatio prisca resedit, Extunc usque modo rationi sensus obedit, 625 Vsque modo cibus exterior cum frondibus herba. Vsque modo cibus interior celestia uerba. Vestes quas habui, scidit attriuitque uetustas, Nuda dehinc tenui regiones sole perustas, In quibus algores nimios nimiosque calores 630 Horis nocturnis, horis perpessa diurnis. Suppleo preterite scelus et dispendia uite, Muto iocis himnos, purgo merore cachinnos, Pena uoluptatem redimit, sitis ebrietatem, Paupertas luxum, labor otia, glarea mulsum,

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595 De la solitude que de la foule, du désert que des rassemblements de la ville. Ces mirages poussent à abandonner le droit chemin Et l’image de la passion étouffe le germe de la morale, Jusqu’à ce que, m’étant tournée dans mes prières vers Marie, la toute sainte, Je ramène loin des tentations le regard de mon esprit. 600 Courageusement, je parviens jusqu’à ce point que je gémis, je pleure, je me fais victime. J’aspire à être recréée, je prie que soit renouvelé ce qui s’était invétéré. Après les holocaustes de prières, l’esprit retrouve une paix durable avec soi-même, Après les larmes du cœur, tout rappel sordide disparaît. Grâce à ces remèdes, les tumeurs de mon esprit se tenaient tranquilles, 605 Ainsi que la friture de mes turpitudes, toujours prêtes à revivre ; Elle, qui naguère grésillait méchamment, était désormais complètement refroidie. En outre, la pécheresse, baignée de larmes, qui gisait misérablement, Était entourée d’une vive lumière, qui la couvrait tout entière, Envoyée pour ramener celui qui s’égare, relever celui qui chute, 610 Pour apporter bon espoir, donner force, montrer la couronne. Trois fois trois ans plus deux fois quatre ans ont passé ainsi. Ce furent des temps difficiles, mêlés de bonaces, des temps farouches, mêlés de périodes de calme. Mais lorsque j’eus bien pleuré, la Vierge mère a effacé et lavé Mes nouvelles blessures ; dès lors ce fut le salut, dès lors je connus la paix. 615 Durant tous ces lustres, suffirent presque à ma nourriture les deux pains Que j’avais apportés avec moi, en même temps que j’avais quitté la ville pour venir ici. Ils étaient devenus secs et durs, leur propre couleur Ils l’avaient perdue, et ils avaient cessé de conférer de la vigueur,  Cependant, j’avais pris l’habitude de ne plus apaiser ma faim qu’avec parcimonie. 620 De quoi boire, lorsque je défaillais, c’est à peine si je le trouvais. Quand, après un long temps, les pains furent consommés, Mon esprit, fixé en Dieu, supprima ces vains soucis. Depuis ce temps-là jusqu’à maintenant la tentation de jadis s’est calmée, Depuis ce temps-là jusqu’à maintenant, mes sens obéissent à la raison, 625 Jusqu’à maintenant ma nourriture extérieure est faite d’herbes et de feuillages. Jusqu’à maintenant ma nourriture intérieure est faite de paroles célestes. Les habits que j’avais se sont déchirés, usés par la vétusté, Nue désormais j’ai habité ces régions brûlées par le soleil, Où j’ai souffert des froids excessifs aux heures de la nuit, 630 Des chaleurs excessives aux heures du jour. J’offre réparation pour les péchés et le gaspillage de ma vie passée, Je remplace mes plaisanteries par des hymnes, je chasse par l’affliction mes bavardages, La souffrance rachète la volupté, la soif l’ébriété, La pauvreté le luxe, le travail le désœuvrement, la gravelle le vin miellé,

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635 Crux mollem stratum, deuotio sacra reatum. Tot tormenta fere fero, quot probra preteriere. Quidquid peccauit caro, carnis uictima lauit. Quid mihi penarum, qualis conflictus earum Quotue cruces eque renouentur nocte dieque, 640 Scit Deus ipsorum testis mercesque laborum. Sepe sub ardenti cancro brumaque rigenti, Frigore nocturno rigeo, cremor igne diurno, Et nusquam tuta iaceo, quasi morte soluta. Additur huic pene uis pulueris, ardor arene, 645 Nec grauitas horum lenitur sorte locorum. Nam locus, ut cernis, uacat arbore, monte, cauernis, Et quibus arcetur canis ardor hiemsue cauetur. Scis hominem sane non solo uiuere pane Nec uestimentis aut ede resistere uentis. 650 Omnibus est uictus Deus, omnibus omnis amictus. Celum Rex celi moderatur adestque fideli. Cum furit aura foris, premit auram feruor amoris, Nec niue nec uentis alget deuotio mentis. Ardua nulla bonis spe sideree regionis. 655 Vt mihi despondi mundum, male conscia mundi, Non mihi scripture cordi, non lectio cure, Nec doctrinarum uel mentio sola sacrarum. Vna fuit tantum deuotio lapsus amantum Inque lupanari populo male morigerari. 660 Si quid honestatis, si morum, si pietatis, Si diuinorum monimenta retracto librorum, Celitus ecce datur ; Deus hec docet, hec operatur. Spiritus absque mora mentem replet, erudit ora: Nullus discenti, nullus labor erudienti. 665 Sic mihi preterite fluxerunt tempora uite. Tempora, que restant, mercedis spem mihi prestant, Merces solemnis, quia merces uita perennis. Ordine digessi quidquid male uel bene gessi. Nec puduit retegi, que flagitiosius egi. 670 Nil superest operis, cur amplius hic remoreris. Vmbre procrescunt, uenit hesperus, astra nitescunt. Nox cursu solito reditum iubet : ergo redito. Queque tibi soli commisi, pandere noli. Queque dehinc soli committam, spernere noli.

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635 La croix la couche molle, une sainte dévotion [rachète] le péché. Je supporte presque autant de tourments qu’ont défilé de turpitudes. Tout ce que la chair a péché, la victime de la chair l’a lavé. Quelles souffrances j’éprouve, quels combats elles me livrent, Quelles justes épreuves se renouvellent, de nuit tout comme de jour, 640 Dieu le sait, lui qui est le témoin et la récompense de nos labeurs. Souvent, du fait de la canicule ardente ou de la brume glacée, Sous la froidure nocturne je gèle, je brûle dans la fournaise du jour, Et, nulle part je ne trouve repos ni sécurité, comme une morte en sursis. S’ajoute à cette souffrance la violence de la poussière, la brûlure du désert sablonneux, 645 Et ces graves inconvénients ne sont pas adoucis par la condition du terrain. Ce lieu, comme tu vois, manque d’arbres, de montagnes, de cavernes, Et de refuges pour échapper à l’ardeur de la canicule et se préserver du froid de l’hiver. Tu sais, bien entendu, que l’homme ne vit pas seulement de pain Et que, sans vêtements ni maison, il ne peut résister à la violence des vents. 650 Pour tous, Dieu est nourriture, [il est], pour tous, tout ce qui les revêt. Le roi du ciel dirige le ciel et il assiste celui qui a la foi. Quand le vent fait rage dehors, la ferveur de l’amour réprime la tempête, Et l’âme, à Dieu soumise, ne souffre ni de la neige ni des ouragans. Rien n’est difficile pour ceux que soutient le bon espoir de la cité céleste. 655 Dès que j’eus épousé le monde, inconsciente de sa perversité, Les Écritures ne m’étaient plus à cœur, ni les bonnes lectures, Ni même la seule mention des saintes doctrines. Mon seul et unique désir fut de faire choir mes amoureux, Et, au lupanar, de complaire au tout venant, pour sa perte. 660 Si subsiste en moi quelque trace d’honnêteté, de morale, de piété, Si je repasse en mon esprit les monitions des saintes écritures, C’est là un don du ciel ; c’est Dieu qui donne ces leçons, qui réalise ces opérations. L’Esprit, sans tarder, prend possession de l’intelligence et instruit les discours : Plus rien n’est difficile, ni pour le maître, ni pour le disciple. 665 C’est ainsi que se sont écoulés les temps de ma vie passée, Ceux qui restent me présentent l’espoir d’une récompense, Une récompense solennelle, car la récompense est la vie éternelle. J’ai mis en ordre le récit de tout ce que j’ai fait de mal ou de bien, Je n’ai pas eu honte de voir révélées les pires turpitudes que j’ai commises. 670 Il ne reste rien à faire qui t’obligerait à rester ici plus longtemps. Les ombres s’allongent, le soir survient, les étoiles scintillent. La nuit, par son cours habituel, ordonne ton retour : rentre donc. Tout ce que je t’ai confié, à toi seul, ne le divulgue pas, Et tout ce que désormais je te confierai, à toi seul, ne le méprise pas,

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675 Si te non spernat, qui solus cuncta gubernat. Quando monasterium claustrales egredientur, Et pariter fluuium Iordanem transgredientur, Ipse domi residens morbo remanebis agente, Quem tamen euades, Domino tibi subueniente. 680 Incolumis factus exi cunctamine dempto, Altarisque cibum tecum deferre memento; Quem celis spero, terris presumere quero. Spero rem puram; peto remque reique figuram : Hoc animata cibo, quo tendo tutius ibo. 685 Hic mihi conductus, uector, uia, patria, fructus. Hoc duce carpe uiam ; tibi, mi pater, obuia fiam. His oculis iterum te conferet una dierum. Conferet et quedam, que prosint fratribus, edam. Tunc ego, tunc demum sum te uisura supremum.» 690 Inde ualedicto Zosima fugit illa relicto. Ipse recedentem nec uel prece respicientem Prosequitur uisu. Quam postquam prepete nisu Sic asportari uidet et frustra reuocari Conuertit gressus, redit egrediturque recessus. 695 Cella reuertenti patet, heret femina menti, Femina uersatur in pectore uixque putatur Femina, sic superis par est habitus mulieris. Sic est non hominis status, os, abiectio, crinis. Hec et sola fere recolit captatque, uidere 700 Hec Zosimas eque suspirat nocte dieque. Terminus optatur, quo grex sacer egrediatur. Terminus ecce redit ; conuentus ab ede recedit. At morbo tactus Zosimas et stare coactus Letus agit grates, quia, quod sibi femina uates 705 Dixerat, impletur. Iacet, at quandoque sequetur. Dura libens tolerat, quisquis sublimia sperat. Spes egrotanti monacho lectoque cubanti Subuenit, alludit, gemitum lacrimasque retrudit. Anxia refrenat, curas leuat, ora serenat. 710 Nec spe frustratur, quia prisca salus reparatur, Incolumemque breui defectus debilis eui Non tenet. Egreditur, labor exoptatus initur. Et quasi pulmentis aut multimodis alimentis Femina letetur, quae nomina sola ueretur,

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675 Si tu veux éviter que ne te méprise celui qui seul gouverne toute chose. Lorsque les moines sortiront du monastère Et, ensemble, traverseront le Jourdain Toi-même tu resteras au couvent, sous l’effet d’une maladie, Cependant, tu en viendras à bout, avec l’aide de Dieu. 680 Une fois guéri, sors du couvent sans prendre de retard Et n’oublie pas d’apporter avec toi la nourriture de l’autel : La nourriture que j’espère recevoir aux cieux, je souhaite la recevoir dès ici-bas. J’espère une chose pure, je demande la chose et la figure de la chose. Fortifiée par cette nourriture, j’avancerai plus sûrement vers le but que je cherche à atteindre. 685 Elle est pour moi gage, vecteur, chemin, patrie et fruit. Guidée par elle, prends la route ; je viendrai, mon père, à ta rencontre. Un jour, un seul, te rendra de nouveau à ma vue. Il te rendra à ma vue et je te dirai des choses utiles à tes frères. Alors, alors seulement, je te verrai pour la dernière fois. » 690 Ayant ainsi pris congé de Zosime, elle s’enfuit et le laisse seul. Tandis qu’elle s’éloigne, sans même regarder en arrière, malgré sa prière, Il la suit du regard. Après l’avoir vue s’en aller ainsi, D’une marche rapide, et l’avoir en vain rappelée, Il prend le chemin du retour et quitte les recès du désert. 695 Sa cellule l’accueille au retour, l’image de la femme reste gravée dans son esprit, Elle habite en son cœur, et c’est à grand peine qu’elle peut passer Pour une femme, tant son comportement ressemble à celui des êtres célestes. Ce n’est point là la manière d’un être humain, son visage, son abjection, sa chevelure. C’est cela, cela seulement, à peu près, qu’il repasse [en son esprit] et cherche à saisir, 700 C’est cela que Zosime aspire à voir, en soupirant, aussi bien de nuit que de jour. Il souhaite voir revenir le terme auquel où la troupe sainte devrait sortir. Voici le terme revenu ; la communauté quitte le monastère. Mais, frappé par la maladie et contraint de rester immobile, Heureux, il rend grâces, car ce que la femme lui avait prophétisé 705 S’est accompli. Il est alité, mais un de ces jours il suivra [la communauté]. Supporte volontiers les épreuves, quiconque nourrit de sublimes espoirs. L’espoir vient à l’aide du moine égrotant et couché dans son lit, Il se console, plaisante, refoule ses gémissements et ses larmes, Réfrène son anxiété, apaise ses soucis, rassérène son visage. 710 Il n’est pas déçu dans son espoir, car sa santé d’antan se rétablit, Et bientôt la défaillance d’une vieillesse fragile Ne le retient plus. Il quitte [le monastère], entreprend la tâche qu’il a souhaité [accomplir]. Et comme si devait prendre plaisir à des ragoûts de viande Et à force victuailles une femme que leurs seuls noms effarouchent,

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715 Vas elixarum fert plenum lenticularum Textaque sollicite superaddens fercula uite, Carpit iter plene sub sacre uespere cene Speque fideque citus properat contingere litus. Vtque gradum fixit, suspirants talia dixit: 720 « Ei mihi ! quam frustra sequor hec et circino lustra ! Aut oblita senis latet aut tardatur arenis Aut prior accessit, sed spe frustrata recessit ; Et dum necto moras, adiit, quas incolit, oras. Fortassis ueniet, sed que mihi copia fiet 725 Vel sacra tradendi uel cum muliere loquendi ? Obstat Iordanis, niti pede nisus inanis, Quippe uadum nusquam, sed nec pons nec ratis usquam.» Plura senex questus circumfert lumine mestus. Prospicit attente, mens non tacet ore tacente. 730 Ecce ! gradu propero, nudo pede, uespere sero, Sicut promisit, uenit illa senemque reuisit. Subsistensque parum quasi fessa labore uiarum, Erigit ad superos animum uultusque seueros Et flens fecunde signum crucis imprimit unde. 735 Sic ea portento similis pede puluerulento Interiectarum transit discrimen aquarum. Nulli, qui credit se mundo, mundus obedit, Menti sincere norunt elementa fauere, Quique bonis gaudet, bona poscere quelibet audet. 740 Nil frustra captat, qui se sine uulnere mactat. Luna refulgebat nec facta latere sinebat, Ad radios cuius patefactus transitus huius. A sene multimodas extorquet et elicit odas. Ecce, piis uotis, ambagibus inde remotis, 745 Femina uirque uacant, sacra prece numina placant, Fletibus ora rigant, singultu uerba fatigant, Pro reprobis orant, exemplis uerba colorant. Gaudent sincere mulier sene, uir muliere. Summaque uerborum Deus est aut lectio morum. 750 His ea patratis uenit ad calicem pietatis. Et confessa, prius quam quidquam tangeret huius, Totam se mactat lacrimis calicique coaptat. Inde genu posite dantur sponsalia uite Et capiti Christo libamine iungitur isto,

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715 Il emporte un récipient rempli de lentilles bouillies, Ajoute les aliments de la vie, recouverts avec le plus grand soin, Se met en route pour de bon vers la tombée du soir de la Sainte Cène Et, animé par l’espérance et la foi, se hâte d’atteindre la rive [du Jourdain]. Dès qu’il s’est arrêté de marcher, tout en soupirant, il tint des propos de ce genre : 720 « Pauvre de moi ! C’est bien en vain que je cherche et que je parcours à la ronde ces lieux sauvages ! Ou bien, ayant oublié le vieillard, elle reste cachée, ou bien elle a été retardée par le sable, Ou bien elle est arrivée la première mais, déçue dans son espoir, elle est repartie ; Et, tandis que j’accumulais les retards, elle a rejoint la contrée qu’elle habite. Peut-être viendra-t-elle, mais quelle possibilité aurai-je 725 Soit pour donner la communion à la femme soit pour m’entretenir avec elle ? Le Jourdain fait obstacle, le franchir à pied serait un vain effort, Bien sûr, il n’y a nulle part de gué, mais pas de pont non plus ni d’embarcation. » Le vieillard réitère ses plaintes ; profondément affligé, il regarde partout à la ronde, L’œil aux aguets, attentif ; si sa bouche est muette, son esprit ne l’est pas. 730 Or, voici que d’un pas rapide, nu-pied, tard dans la soirée, Comme elle l’a promis, cette femme arrive et rend visite au vieillard. Elle s’arrête un peu, comme accablée par la fatigue des chemins, Élève vers les cieux son esprit et son visage graves, Fond en larmes et trace sur l’onde le signe de la croix féconde.  735 C’est ainsi que, pareille à un être prodigieux, d’un pied chargé de poussière, Elle franchit la ligne de partage des eaux qui se sont séparées. A personne qui se confie au monde, le monde n’obéit, Mais à un cœur pur les éléments savent se montrer favorables, Et celui qui prend plaisir au bien ose demander toute espèce de biens. 740 [Mais] vainement cherche à saisir un rien, celui qui se sacrifie sans blessure. La lune était resplendissante ; elle ne permettait pas que leurs actions demeurent cachées, A sa clarté, la femme traverse le fleuve comme en plein jour. Elle demande au vieillard et obtient de lui qu’il chante divers chants. Et voici que, toute ambiguïté se trouvant écartée, la femme et l’homme 745 Se consacrent à leurs pieux désirs, par leur sainte prière ils apaisent la divinité, Ils baignent de larmes leur visage, ils entrecoupent de sanglots leur entretien, Ils prient pour les pécheurs endurcis, ils colorent d’exemples leur entretien, Ils partagent une joie sincère, la femme grâce à l’homme, l’homme grâce à la femme. Dieu est l’unique objet de leur entretien, ou encore une leçon de morale. 750 Après ce préambule, la femme accède au calice de la piété, Et s’étant confessée, avant de le toucher si peu que ce soit, Elle s’offre tout entière en sacrifice, en pleurant, et s’approche du calice. Puis elle s’agenouille, reçoit le cadeau d’épousailles de la vie [éternelle] Et se trouve unie à son chef, le Christ, par la vertu de ce sacrifice.

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755 Affatu tali tradens mandata sodali : « Mi pater, excessus fratrum scrutare regressus. Doctrinam morum pars aspernatur eorum Et uelut ignoret, qua fallere fraude laboret, Quis mentis postem petat hostis, negligit hostem. 760 Astu subtili lupus insidiatur ouili : Si qua uagatur ouis, perit obruta uulnere quouis, Et patet ad morsum, dum respicit illa retrorsum. His obstet damnis abbatis cura Ioannis Horteturque gregem monachi non spernere legem. 765 Fratri, qui peccat, lex patrem, qui silet, equat, Quos quia culpa ligat par, par quoque pena fatigat. Sic Regem celi contristans corruit Heli. Ne sit ei talis transgressio iudicialis, Peruigili cura pater exstirpet nocitura. 770 Excubet ante fores, ferat equa mente labores, Scrutetur mentes, confortet honesta uolentes, Excitet aggressos, premat immoderata professos, Arguat, hortetur, que predicat, hec operetur. Mulceat immitis, denuntiet aspera mitis; 775 Hos coram pungat, modo uerbis uerbera iungat, Vlcera culparum lauet aut luat auctor earum. Sit licet hic tutus, sit felix praua secutus, Iudicium grauius Deus irrogat ausibus huius Continuatque grauis clementia prospera prauis. 780 Qui modo torquetur, nescit, quam magna lucretur. Cum furit atque ferit, Deus olim parcere querit. Ista relaturus et adhuc semel huc rediturus, Vade, reuise gregem, reuereri precipe legem. Assistens are pro peccatrice precare ! » 785 Sic ea fata redit. Redeunti fluctus obedit, Et siccis plantis famulam testata Tonantis Desuper incedit Zosimaque stupente recedit. Ipse domum propere uenit et procul a muliere Votis sinceris comes et memor est mulieris. 790 Obsidet hec mentem, totum tenet una querentem. Quod sit tam magnus, quod lente transeat annus. Annus abit tandem, pater exit, querit eandem, Egressusque fores fert absque labore labores, Quoque potest nisu, pede peruia, cetera uisu

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755 Ses recommandations, elle les confie à son compagnon, en ces termes : « Mon père, lorsque tu seras rentré [au monastère], examine de près les infractions des frères. Une partie d’entre eux fait peu de cas de la doctrine morale Et, comme si elle ignorait avec quelles ruses l’ennemi travaille à tromper, Lui qui cherche à investir la porte d’entrée de l’âme, elle ne prend pas garde à lui. 760 Avec sa ruse affûtée, le loup guette le troupeau, Si une brebis s’en écarte, elle périt, victime de quelque blessure Et elle se livre à la morsure, cependant qu’elle regarde en arrière. Que la préoccupation de l’abbé [du monastère Saint-] Jean soit de s’opposer à ces dommages Et qu’il exhorte la communauté à ne point déconsidérer la Règle monastique. 765 La Règle met sur un pied d’égalité le frère qui faute et le père [abbé] qui se tait, Parce qu’une faute égale les réunit, une peine égale aussi les harcèle. C’est ainsi que, pour avoir contristé le Roi du ciel, Héli s’écroula [avec toute sa maison]. Pour éviter de se rendre coupable d’une aussi grave transgression, passible du jugement, Qu’avec une sollicitude très vigilante le père abbé extirpe tout ce qui est susceptible de nuire. 770 Qu’il veille devant la porte d’entrée, qu’il partage les travaux avec une humeur égale, Qu’il scrute les esprits, encourage ceux qui sont bien intentionnés, Aiguillonne ceux qui prennent des initiatives, réfrène ceux qui professent des goûts immodérés ; Qu’il convainque, exhorte ; ce qu’il prêche, qu’il le mette en pratique ! Qu’il caresse en rabrouant, qu’il dénonce doucement les entreprises trop difficiles ; 775 Qu’il réprimande les uns en public ; qu’à l’occasion il joigne le fouet aux paroles, Qu’il lave les plaies causées par les fautes ; s’il en est l’auteur, qu’il les expie. Bien que soit sans crainte, que soit heureux celui qui a suivi des voies tortueuses, Dieu prononce un jugement plus sévère contre ses entreprises audacieuses, Et sa puissante miséricorde fait succéder les succès aux échecs. 780 Celui qui souffre maintenant ne sait pas quelle grande récompense il gagne. Lorsque, dans sa colère, il frappe, Dieu cherche d’ordinaire à épargner le coupable. Puisque tu dois rapporter ces paroles et revenir ici une fois encore, Va, revois la communauté, recommande lui de respecter la Règle, Quand tu participeras au service de l’autel, prie pour la pécheresse. » 785 Ayant ainsi parlé, elle prend le chemin du retour. Les flots [du Jourdain] lui obéissent, Et, attestant qu’elle est la servante du Tout-Puissant, elle franchit le fleuve à pied sec, Elle marche sur les flots et s’en va, à la stupéfaction de Zosime. Lui-même regagne rapidement son domicile et, loin de la femme, Il l’accompagne de ses vœux irréprochables et garde son souvenir. 790 Cette femme investit son esprit, elle seule l’occupe tout entier, lui qui se plaint Qu’une année soit si longue, qu’elle passe [si] lentement. L’année s’achève enfin, le père s’en va, il se met à la recherche de cette femme, Sorti [du monastère], il supporte sans peine la fatigue, Il parcourt le pays, aussi loin que possible, à pied les endroits praticables ; pour le reste,

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795 Circuit, explorat, flens hec et plura perorat : « Christe, figura Patris, Pater et stirps unica matris, Exaudi flentem, rege, queso, uasta sequentem. Hanc ostende seni propter quam te duce ueni. Quam uolo, quam quero, cuius prece celica spero. 800 Que licet in castris modo militet, insidet astris, Iamque comes superum fastidit lubrica rerum, Iam coniuncta Deo fructum petit hoc himeneo, Fructum longeuum, fructum, qui duret in euum. Ve mihi, ue misero ! Frustra per deuia quero, 805 Cui domus in latebris, solo cultore celebris, Cui casa desertum, thalami specus haud coopertum, Cui pudor est uelum, comes angelus, atria celum. Quo ferar, aut quid agam ? Sequar ustam sidere plagam ? Multiplices pene, senium, sitis, ardor, arene 810 His aduersantur ceptis et uota morantur.» Sic Zosimas questus circumfert lumina mestus. Nescit utro properet dubiusque, quid eligat, heret. Clamitat, auscultat ; non uox, non echo resultat, Non sonus auditur, non forma pedum reperitur. 815 Dumque pererraret, dum uisu cuncta notaret, Desuper algentes artus animaque carentes Illuxit radius, quasi dux et preuius huius. Omine letatus Dominumque Deum ueneratus Currit eo, reperit, quam uotis, quam pede querit, 820 Sed iam defunctam, iam Christo re quoque iunctam, Iam superum castris, rutilantem clarius astris. Glorificanda caro decocto purior auro Sicut oportebat mulierem, tecta iacebat. Quam tristes questus monachi ? Qui pectoris estus ? 825 Qui gemitus lacere mentis ? Que uerba fuere ? Is modo suspirat, modo totam lumine girat; Nunc oculos celis, nunc applicat ora querelis. Prostratus meret, pedibus reuerenter adheret. Flet super et sanctis pia diuidit oscula plantis. 830 Neue reuertatur uotis et uoce precatur, Grande putans munus comitari funere funus Occasuque pari conuiuere, contumulari.

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795 Du regard, en tous sens il l’explore ; en pleurant, il conclut en disant ceci, et plus encore : « Christ, image du Père, Père et Fils unique de ta mère, Exauce mes larmes, dirige, je t’en prie, mes recherches dans ces vastes étendues, Montre au vieillard [que je suis] celle pour qui je suis venu sous ta conduite, Celle que je désire, celle que je cherche, celle dont la prière me fait espérer le ciel. 800 Bien qu’elle combatte maintenant dans l’armée [d’ici-bas], elle est assise dans les cieux. Elle, qui est déjà la compagne des habitants du ciel, a pris en dégoût la fange des choses, Elle, qui est déjà unie à Dieu, demande un fruit, par ces épousailles, Un fruit qui se conserve longtemps, un fruit qui dure éternellement. Hélas ! Pauvre de moi ! C’est en vain que je cherche, par des chemins de traverse, 805 Celle dont la maison se trouve en des lieux retirés, fréquentée par un seul habitant, Celle dont la demeure est le désert, dont la chambre à coucher n’a pas de toit, Celle dont la pudeur est le voile, le compagnon un ange, le vestibule le ciel. Où aller, ou bien que faire ? Vais-je parcourir l’étendue brûlée par le soleil ? Nombreuses sont mes souffrances : la vieillesse, la soif, la chaleur, les sables 810 Font obstacle à mon entreprise et retardent mes vœux. » S’étant plaint en ces termes, Zosime jette de tous côtés des regards affligés. Il ne sait dans quelle direction aller et, indécis quant au choix, il reste sur place. Il appelle à grands cris, il écoute ; aucune voix, aucun écho ne retentit, Aucun son ne se fait entendre, aucune trace de pas n’est repérable. 815 Mais alors qu’il errait d’ici de là, alors qu’il notait par la vue tous les détails, Sur ses membres douloureux et dépourvus de toute force, Un rayon de lumière brilla, comme un guide annonciateur de celle [qu’il cherchait]. Réjoui par ce présage, il vénère aussitôt le Seigneur Dieu, Court vers cet endroit et retrouve celle qu’il cherche par ses vœux et d’après ses pas, 820 Mais déjà morte et, en fait aussi, déjà unie au Christ, Adjointe déjà aux milices célestes, plus clairement brillante que les astres. Il faut glorifier la chair [qui est devenue] plus pure que l’or éprouvé [au creuset]. Comme il le fallait pour une femme, elle gisait, revêtue. Combien tristes furent les lamentations du moine ? Quels furent les flots bouillonnants de son cœur ? 825 Quels furent les gémissements de son esprit déchiré ? Quelles furent ses paroles ? Tantôt il soupire, tantôt il embrasse [la défunte] du regard, tout entière ; Voici qu’il lève les yeux au ciel, qu’il applique ses lèvres aux lamentations. Prosterné, il s’afflige, respectueusement il lui touche les pieds, Sur eux il épanche ses larmes ; entre eux il partage de pieux baisers. 830 Pourvu qu’elle ne revienne pas [à la vie], telle est sa prière, en pensée et à haute voix. Il estime qu’une grande obligation [lui incombe] : que ce décès soit accompagné par un [autre] décès, Que, par une même occasion, soient partagées la vie et la tombe.

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Dum dolet et dubius de nomine fluctuat huius Suscitat ora senis inuentum nomen arenis 835 Et nubes mentis delabitur his documentis : « Sancte pater, Pharie sepeli, precor, ossa Marie ! Gleba recondatur, cineri cinis adiciatur. Mox ut ei Christus corpus calicemque dedisti, Victricem mundi dissoluit prima secundi. 840 Misteriis plene transacto uespere cene Nox grauis obrepsit, quia sol cum sole recessit.» His Zosimas demum nomenque diemque supremum Agnoscit dubius, quis conditor extitit huius. Nam nil legisse mulierem, nil didicisse 845 Nouerat istorum nec uel memorem studiorum. Comperit hinc etiam post tradita sacra Mariam Illuc traductam momento moxque solutam, Quo uix expletis bis quinque decemque dietis Venerat is fessus uictumque labore professus. 850 Qui noua lamentis testatus uulnera mentis Assidet exanimi, madet imbre doloris opimi. Iratus fatis studet officio pietatis, Laudibus applaudit, tegit artus, lumina claudit. Nunc amplexatur uestigia, nunc ueneratur 855 Ora, comas, uultus. Erat his incuria cultus, Horum maiestas contemptus, squalor, egestas. Femina munda satis lacrimis pietate uocatis Abluitur gratis, quia par prope glorificatis. Ipse sepulture studet, huic uacat, hec sibi cure. 860 Sed, quid agat, nescit, tellus perdura rigescit; Multa senem frangunt, labor et calor et sitis angunt. Cedit uis annis, sinuosis brachia pannis, Pre manibus nullus ligo, sed nec sarculus ullus. Dum dolet atque gemit, noua res suspiria demit. 865 Lumina siccantur, quia spe maiora parantur. Nam leo lugenti similis funusque colenti Obsequium spondens iramque feramque recondens Vertice submisso uenit fastuque remisso Adiecit sanctas humilis collambere plantas. 870 Miratus talem tam deuotumque sodalem Attribuit meritis mulieris, quod fera mitis, Quod leo fit lenis, quod nomen inhesit arenis,

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Pendant qu’il s’afflige et, se demandant quel est le nom de cette femme, hésite, Un nom, découvert sur le sable, réveille l’attention du vieillard 835 Et le voile de son esprit tombe, à [la lecture] de ces instructions : « Saint père, ensevelis, je te prie, les ossements de Marie l’Égyptienne ! Qu’elle soit recouverte de terre, qu’à la poussière s’ajoute la poussière. Peu après que tu lui eus donné le corps et la coupe du Christ, [Celle qui est] la première de l’autre monde a rompu les liens de celle qui a vaincu le monde. 840 Lorsque le soir fut parachevé par les mystères de la Cène, Une nuit profonde survint par surprise, car un soleil s’en alla avec le soleil. » Grâce à ces indications, Zosime apprend le nom [de la morte] et celui de son dernier jour, Mais il reste indécis sur l’identité de l’auteur de cette inscription. De fait il savait que la femme n’avait jamais su lire, qu’elle n’avait jamais 845 Fait pareilles études et ne pouvait en avoir gardé la mémoire. Il découvre ainsi qu’à peine lui avait-il donné les sacrements, Marie Avait été transportée jusqu’à cet endroit et qu’elle était morte bientôt après, A l’endroit où, à peine avait-il achevé deux fois cinq plus dix jours de jeûne, Il était arrivé, exténué, et s’était déclaré vaincu par la tâche [à accomplir]. 850 Attestant par ses lamentations les nouvelles blessures de son âme, Il s’assied près de la défunte, tout ruisselant des larmes d’une extrême douleur. Irrité contre le destin, il s’applique à son devoir de piété. Il applaudit ses mérites, recouvre ses membres, lui ferme les yeux. Tantôt il embrasse ses pieds, tantôt il vénère son chef, 855 Ses cheveux, son visage. Le manque de soin était leur élégance, Leur majesté, le mépris, la crasse, la pauvreté. La femme qu’ont purifiée les larmes abondantes suscitées par sa piété Est purifiée gracieusement, car elle est presque l’égale des élus dans la gloire. [Zosime] s’occupe de la sépulture, c’est là sa tâche, son souci. 860 Mais il ne sait que faire, le sol, très dur, se raidit ; Bien des difficultés brisent le vieillard, la fatigue, la chaleur, la soif le tourmentent, Sa force cède le pas au poids des ans, ses bras aux replis des étoffes [rapiécées] ; Aucun hoyau, aucun sarcloir n’est à portée de sa main. Comme il gémit et se lamente, un nouveau spectacle lui coupe le souffle. 865 Ses yeux sont secs, car l’espoir lui réserve de plus grandes merveilles. De fait, un lion, pareil à quelqu’un qui pleurerait et porterait le deuil, Offrant son aide et déposant sa sauvage fureur, Arrive, tête basse, ayant remisé son orgueil, Et se met à lécher humblement les pieds de la sainte. 870 Surpris d’avoir un tel compagnon, et tellement zélé, [Zosime] attribue aux mérites de la femme le fait qu’une bête sauvage devienne douce, Qu’un lion devienne inoffensif, qu’un nom soit inscrit sur le sable,

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Vita Beate Marie Egyptiace

Quod super illuxit et eum lux preuia duxit, Quod desolatam custode, quod intumulatam 875 Non infestauit fera, non uolucris lacerauit, Non soluit magnus feruor, non integer annus. Iam depingebat, que gloria membra manebat Sub calidis uentis incorruptela iacentis. Tot simul et tantis expertus dona Tonantis 880 Cuncta recordatur, relegit, quod ubique loquatur, Alloquio tali tradens mandata sodali : « Mi comes, urgemur et eam sepelire monemur, Quam nescit mundus, cui maior in orbe secundus. Quod si uenisti missus sub nomine Christi, 885 Si famulaturus, tumulum fode, post rediturus ! Exue terrorem; solitum dedisce furorem ! Ad laudem Christi cedet, quod feceris isti.» His nondum dictis feritate minisque relictis Lenius incedit et ei leo promptu obedit 890 Ignarusque more momento labilis hore Implet mandatum peragens opus acceleratum. Interea monachus sacros asternitur artus. Vestis eos nulla, nisi trita uetusque cuculla, Que uix herebat sibi iam contusa, tegebat. 895 His indumentis inuoluit membra iacentis, Scilicet ingentem thesaurum iamque gerentem Quiddam splendoris, quiddam solemnis odoris, Quiddam preclarum de nectare celicolarum. Femina sanctorum mercede beata laborum 900 Ad tumulum uehitur, famulante fera sepelitur Inde senex repedat, iubet, ut leo uerna recedat. Visa domi recitat, delictis parcere uitat; Increpat, hortatur, spondet bona, dura minatur. Sic ubi compleuit uiginta lustra quieuit.

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Qu’une lumière ait brillé sur la région et, le précédant, l’ait guidé, Que la défunte, restée sans garde, privée de sépulture, 875 N’ait pas été dépecée par une bête sauvage, ni déchirée par les oiseaux, Ni décomposée par la chaleur torride, ni par une année entière, [à l’abandon]. Déjà il dépeignait la grande gloire attachée aux membres [de la défunte], Demeurés intacts, alors qu’elle gisait sous les vents torrides. Ayant constaté personnellement les dons du Tout-Puissant à travers des prodiges aussi nombreux qu’extraordinaires, 880 Il enregistre le tout dans sa mémoire, récapitule ce qu’il pourrait raconter partout, Et donne ses ordres à son compagnon, par une allocution de ce genre : « Compagnon, on nous presse, on nous avertit d’ensevelir cette femme Que le monde ne connaît pas, que personne ici-bas ne saurait égaler. Si tu es venu, envoyé au nom du Christ, 885 Si tu veux bien rendre service, creuse la tombe ; ensuite, tu t’en retourneras ! Cesse d’inspirer la terreur, désapprends ta fureur habituelle ! Ce que tu feras pour cette femme, sera accompli pour la gloire du Christ. » Il n’avait pas encore achevé de parler, qu’abandonnant sa férocité et ses airs menaçants, Le lion s’avance tout doucement et lui obéit promptement 890 Et, sans plus tarder, vu l’importance de l’heure fugitive, Il exécute l’ordre reçu et achève rapidement son ouvrage. Cependant le moine s’allonge près de la sainte dépouille Aucun habit ne la recouvrait, sauf la vieille cuculle élimée, Qui tenait à peine ensemble, tant elle était usée. 895 Avec ces vêtements, il enveloppa les membres de la défunte, Ou plutôt l’immense trésor qui recélait déjà Un je ne sais quoi de splendeur, un je ne sais quoi de parfum solennel, Un je ne sais quoi de remarquable, émané du nectar des habitants des cieux. La femme, la bienheureuse — car elle a mérité la récompense de ses saints labeurs —, 900 Est portée à la tombe, elle est ensevelie avec l’aide de la bête sauvage. Puis le vieillard prend le chemin du retour, il ordonne au lion indigène de s’en aller. Rentré au logis, il raconte ce qu’il a vu, il évite de se montrer indulgent à l’égard des délits ; Il invective, exhorte, promet la béatitude, profère de rudes menaces. Ainsi, quand il eut accompli vingt lustres, il reposa en paix.

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Commentaire 1. L’auteur commence son récit in medias res, sans recourir à aucune formule de la topique de l’exorde (Curtius, 106). Curieusement, la première partie de l’œuvre (v. 1-169) est consacrée au moine Zosime. Ce choix se justifie cependant ; en effet, pour présenter le témoin privilégié de la Vita, celui qui rencontrera l’héroïne, la pécheresse repentie (v. 172), recueillera ses confidences (v. 280-689), la réconciliera avec l’Église (v. 750-754) et lui procurera une digne sépulture v. 852-900), Hildebert entrelace habilement une image tirée de la nature (l’hiver, le gel, le laurier) à une autre, empruntée à l’industrie humaine (le feu, le creuset, l’or). D’entrée de jeu, Zosime apparaît ainsi comme un personnage secondaire du récit, mais absolument nécessaire pour son développement ; il n’est pas moins nécessaire dans la discussion sur les mérites respectifs du monachisme cénobitique et du monachisme érémitique, qui se greffe sur le récit. D’autre part, en choisissant de rédiger la Vita de Marie l’Égyptienne en vers léonins (Curtius, 186-187), l’un des mètres les plus difficiles de la poésie latine médiévale, Hildebert situe d’emblée le style du poème à un niveau des plus élevés et gratifie son ouvrage d’une noble livrée, digne de la renommée dont il voudrait voir honorée une sainte peu commune. — laurum : Larsen renvoie à Isidore, etym. 17, 7, 2 : Laurus a verbo laudis dicitur ; hac enim cum laudibus victorum capita coronabantur. Apud antiquos autem laudea nominabatur ; postea D littera sublata et subrogata R dicta est laurus. — aurum : la comparaison du creuset, qui libère de sa gangue l’or fin, est une image biblique (Prov. 17, 3), reprise par la RB 1, 6 : Tertium vero monachorum taeterrimum genus est sarabaitarum, qui nulla regula adprobati, experientia magistra, sicut aurum fornacis, sed in plumbi molliti… et par Hildebert lui-même : cf. infra, v. 822. 2. La vanité et le caractère évanescent de la gloire et de la richesse font partie des lieux communs de la Bible et des moralistes de

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toutes les époques. Seule la Sagesse peut prétendre les garantir, elle qui déclare : Mecum sunt divitiae et gloria, opes superbae et justitia (Prov. 8, 18). Pour Job 27, 18 : Dives, cum dormierit, nihil secum auferet, et pour Ovide, Trist 5, 14, 2 : Divitis ad manes nil feret umbra suos. L’adage : Sic transit gloria mundi appartient à l’Imitation de Jésus-Christ I, 5, 30, de Thomas a Kempis (1379/80-1471). On notera, au passage, la structure en chiasme des deux premiers vers : ab ba : laurus, aurum sont, au v. 1, les symboles de la richesse et de la gloire, qui apparaissent dans l’ordre inverse, au v. 2 : opes, gloria. 3. Hildebert fait sienne la leçon de Job et d’Ovide (cf. v. 2) ; il dénonce le caractère transitoire et décevant des richesses et de la gloire et ajoute qu’elles sont responsables de bien des dommages. 4. Larsen renvoie à Hildebert, carm. 18, 30. 5. L’expression : vigilare in actus (monachi) s’inspire d’une part de Luc 21, 36 : vigilate itaque, omni tempore orantes et d’autre part de la RB 48, 11 (usque nona) omnes opus suum laborent, Cependant Hildebert ne précise pas quelle est la nature des tâches proprement monastiques de Zosime. Comportent-elles une plage horaire de travail manuel, à l’instar de la RB, 48, ou non ? On se doit de signaler que, si Sophrone mentionne expressément le travail manuel : (c. 2 : PG 87, 3700 B : kai; ejn cersi; krat«n to; ejrgovceiron), ainsi que le traducteur Paul de Naples (mais dans un latin pratiquement inintelligible : c. I : PL 73, 673 B : operam tenens manibus), ce dernier souligne d’emblée l’excellence de Zosime dans l’observation de la discipline monastique : disciplina monastica. C’est en cela et par là qu’il est parfait: ita fuit in cunctis perfectus monachicis actibus. Hildebert a retenu cette idée-force. On sait que, dès l’éclosion de la vie monastique à la fin du IIIe siècle, une des principales questions qui ont surgi fut de discerner la part du labeur physique dans l’ensemble des labeurs que supposait l’anticipation de la vie de l’éternité ; voir P. Adjamagbo, 1989, p. 89-97 et, dans l’Introduction, le § concernant le monastère de Pacôme. 6. doctores iuris et equi : cf. Dig. I, 1, 1 : ius est ars boni et aequi. Excellent canoniste, à l’école d’Yves de Chartres, Hildebert tient à proclamer l’autonomie de sa propre discipline : voir Munier, 1987, p. 113-134. Le fait est qu’à l’époque d’Yves de Chartres et de Gratien, le droit canonique distingue l’équité (equitas), dont il tient compte, et le droit strict des lois civiles (ius) ; l’equitas canonum opposée à la rigueur de la loi civile (districtio legum) n’est pas à

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appliquer nécessairement en tout état de cause, mais comme la miséricorde et la dispense, ex tempore, loco et persona et causa regulae canonum intelliguntur, écrit Gratien, D. 29, c. 1. Voir Ch. Lefebvre, « Équité », DDC 4, 1953, p. 394-412, notamment p. 397 ;Yves de Chartres, Prologue, traduit, introduit et annoté par J. Werckmeister, Paris 1997, notamment § 19, p. 95 s.  En abordant ce sujet éminemment « moderne », Hildebert témoigne, semble-t-il, de son option en faveur d’une législation ecclésiastique indulgente et miséricordieuse. Mais il n’est pas hors de propos de rappeler que, dès son prologue (47), la RB conseille de tempérer la rigueur de la règle, «  si une raison d’équité commandait d’y introduire quelque chose d’un peu strict, en vue d’amender les vices et de conserver la charité… » (SC 181, 425). 7. Le parallélisme des vers 7 et 8, introduits par le verbe institit, souligne que les deux adversaires que le moine Zosime entreprit de combattre, en vue d’atteindre la perfection, furent la chair et le monde ; c’est là de bonne spiritualité johannique, selon 1 Jn 2, 16-17 : Si quis diligit mundum, non est caritas Patris in eo, quoniam omne quod est in mundo concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vitae ; quae non est ex Patre, sed ex mundo est. Sophrone (c. 2 : PG 87, 3699 A) se contente de dire que Zosime s’est imposé de nombreuses mortifications, car « il voulait soumettre la chair à l’esprit (uJpotavxai zht«n th;n savrka t“ pneuvmati) ; cf. Paul de Naples (c. I ; PL 73, 673 B : Multa etiam et ipse sibi adjiciens superaddidit, cupiens carnem spiritui subjugare).Le renoncement aux « mœurs du monde » est donc une indication propre à Hildebert, significative d’une visée personnelle. 9. Sophrone avait écrit que la profonde expérience des choses spirituelles acquises par Zosime, devenu un vieillard (ou{tw ga;r ∑n oJ gevrwn ejpivshmoı peri; to; pneumatikovn) faisait que nombre de moines des monastères voisins, voire lointains, venaient le consulter, pour s’enquérir de sa doctrine relative à la perfection. Cette précision s’estompe dans la traduction de Paul de Naples, qui met au premier plan les exploits ascétiques, offerts par Zosime à l’imitation de ses admirateurs (c. I : PL 73, 673 B : ad eum confluentes, ejus exemplis atque doctrinis se constringerent, et ad illius imitationem abstinentiae se multo magis subjugarent). Cette regrettable trahison de l’original n’a pas manqué d’affecter gravement l’image que l’évêque du Mans s’est faite de son personnage : au lieu d’apparaître

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comme un grave vieillard, maître de sagesse et de bon conseil, il devient un écolâtre prétentieux, imbu de lui-même, fier de ses prouesses ascétiques, comme on peut le constater à la lecture des vers 12-45. D’autre part, il convient de noter que, dans toute cette première section (v. 1-45), Hildebert ne donne aucune indication sur l’âge de Zosime, parvenu au sommet de sa renommée, ni sur le nombre d’années qu’il a passées dans son monastère, avant d’y parvenir. Or, selon Sophrone (c. 3 : PG, 3699 B), il y avait persévéré pendant cinquante-trois ans, après lui avoir été confié par ses parents dans sa tendre enfance ; Paul de Naples, c. II ; PL 73, 673 A, en avait conclu qu’il avait cinquante-trois ans, lorsque les pensées d’orgueil l’assaillirent. 10. La périphrase utilisée pour désigner l’adolescence : ut pueri metas euasit debilis etas, signale que l’auteur commence une amplificatio (Lausberg, §§ 400-409). Hildebert se montre fidéle aux prescriptions des poétiques latines du Moyen Age qui subordonnent la périphrase à la théorie de l’amplificatio (Curtius, 335) : de fait, les vers 10-27 offrent une première amplificatio sur les remarquables dona de Zosime, qui lui vaudront une égale renommée (v. 10-11). 12. Il est facile de dégager le plan de ce premier développement : après avoir justifié le combat de l’ascète, selon l’axiome : la chair conduit au péché (v. 12-13), l’auteur passe en revue les différents domaines dans lesquels le combat se déploie : abréger le temps accordé au sommeil, se contenter de vêtements communs (v. 14), d’une nourriture frugale, d’une couche incommode (v. 15). Les signes de cette ascèse sans concession se lisent sur toute la personne du moine, sa maigreur, la pâleur de son visage, (v. 16) ; voir le Sermon 117 Ad monachos benedictinos d’Hildebert : PL 171, 879 C. Le v. 18 résume les effets du combat : la chair est domptée, elle obéit à l’esprit. — docta reluctari sibi, spiritui famulari : l’antithèse est empruntée à Paul de Naples, qui avait énoncé le projet ascétique de Zosime en ces termes (c. II : PL 73, 673 B : cupiens carnem spiritui subjugare). 19. La section des v. 19-25 est consacrée aux exercices spirituels de l’ascète : la prière, la méditation, le chant des psaumes (v. 19-23), et à leurs fruits, la vision de secrets célestes (v. 14-15). Elle diffère quelque peu de la source grecque et de sa traduction. Sophrone (c. 2 : PG 87, 1399 B : oujde; t∞w melevt∞w t«n qeivwn Logivwn pote; parhmevlhsen) attribuait l’expérience spirituelle de Zosime au fait

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que jamais il ne se relâchait dans la méditation des saintes écritures ; l’idée avait été fidèlement reprise par Paul de Naples (c. II : PL 73, 673 B : a meditatione sacri eloqui nunquam discessit). Le fait qu’elle est répétée un peu plus loin : psallere frequenter et meditationem facere sacri eloquii, montre qu’on est passé entre temps du stade de la méditation silencieuse née de la lecture, à une méditation nourrie du chant des psaumes exécuté par la communauté réunie pour l’opus Dei, (Munier, 1998, p. 31-32). Si saint Antoine avait appris par cœur la Bible tout entière, si nombre d’ermites d’Égypte ne disposaient pas d’une Bible, dont ils connaissaient de larges portions, Augustin, En. in Ps. 99, 12, sait que les moines vivant dans les monastères lisent chaque jour la Sainte Écriture (quotidie in hymnis, in orationibus, in laudibus Dei, inde vivunt, cum lectione illis res est et travaillent de leurs mains (De opere monachorum, 37). Quant aux meilleurs monastères, ils ont établi des heures fixes pour ces diverses activités ; voir H. Chadwick, 1991, p. 10. A l’instar de Paul de Naples, toute trace de la lecture méditée de la Sainte Écriture a disparu chez Hildebert, qui a reporté sur le chant des psaumes tout ce développement. Ce chant est tellement ancré dans la vie de Zosime qu’il continue de retentir en son esprit, lors même que sa langue est muette (v. 19-20). Il est adressé au Christ, avec Dieu pour unique témoin, mais les humains peuvent juger l’arbre à ses fruits (v. 20-22). 21. a sanie busti mens semper conscia iusti / se non dimouit : l’idée générale de cette notation rappelle la sentence d’Eccli 7, 40 : in omnibus operibus tuis memorare novissima tua et in aeternum non peccabis. Notons au passage la paronomase (adnominatio) : iusti- busti ; cf Lausberg § 657. —, conscia iusti: Larsen renvoie à Virgile, aen. 1, 604 : si quid / usquam iustitiae est et mens sibi conscia recti. On pourrait aussi alléguer Lucilius junior, Etna, 82 : quidquid et interius falsi sibi conscia terra est, mais le texte n’était guère connu au Moyen Age. 22. Deus hec, homo cetera nouit : placée juste avant l’évocation des visions célestes dont Zosime aurait été gratifié (v. 24-25), cette réflexion rappelle la déclaration de l’Apôtre en II Cor. 2, 12, 1-2 : …veniam autem ad visiones et revelationes Domini. Scio hominem in Christo ante annos quattuordecim, sive in corpore, nescio, sive extra corpus, nescio, Deus scit. Est-ce, pour l’auteur, une manière d’exprimer, à demi-mot, les doutes qu’il nourrit à l’égard de la réalité de cette donnée de son modèle ? Quoi qu’il en soit, le fait est que l’évêque

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du Mans n’a rien conservé du long passage de Paul de Naples expliquant, à la suite de Sophrone, pourquoi le moine Zosime, a pu être favorisé de grâces aussi extraordinaires : « Si le Seigneur a dit : Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (Matth. 5, 8), combien plus ceux qui ont purifié leur chair, vivent sobrement et demeurent toujours vigilants, sont-ils favorisés des visions de la lumière divine, recevant ainsi le gage de la béatitude future qui leur est réservée » (Paul de Naples, c. II : PL 73, 673 C ; cf. Sophrone, c. 2 : PG 87, 3699 B). C’est dans cette perspective que les v. 24 et 25 prennent leur véritable dimension : persuadé que les victoires qu’il a remportées (v. 25 : tot prelia uicit), lui vaudront de célestes récompenses, Zosime puise dans cet espoir (v. 26 : spe captus) la force de livrer de nouveaux combats (v. 26 : sacros ita creuit in actus). 27. Hildebert conclut élégamment cette section par une double comparaison, illustrant la vigueur renouvelée du champion : l’étang (stagnum) qui dormait s’anime et s’accroît des eaux du ruisseau qui vient s’y jeter ; le brasier qui paraissait éteint flambe à nouveau, pour peu qu’on le nourrisse. Ce sont là des variantes de deux topoi traditionnels : le premier concerne l’opposition de l’eau stagnante et de l’eau vive ; il est commun dans les textes relatifs au baptême chrétien (Didachè 7, 2 ;Tertullien, Bapt. 5, 4) ; le second s’apparente à l’antithèse de l’ombre et de la lumière, des ténèbres et du jour. —, Larsen rapproche de ce vers celui d’Horace, sat. 2, 3, 321 : adde poemata nunc, hoc est, oleum adde camino ; il est vrai que jeter de l’huile sur le feu suffit à ranimer la flamme ; cf. Jérôme, epist. 22, 8 ; 77, 7 ; 125, 11 ; Apulée, met. 9, 36, etc... 28. L’auteur compose une seconde amplificatio, qui s’étend du v. 28 au v. 44, pour décrire la renommée grandissante de Zosime, en dépit des efforts qu’il est censé déployer pour la contenir. Il est plaisant de le voir justifier cet effort au nom de la morale (prodesse mores) et de la modestie (cauere fauores), plus encore de constater comment Hildebert force le trait : la renommée de Zosime grandit d’autant plus qu’il s’efforce de la contenir (v. 29-31), si bien que ce sont des foules innombrables (innumeri populi : v. 32) qui viennent le consulter. S’agissant de notations absentes de Sophrone et de Paul de Naples, elles méritent de retenir l’attention. L’évidente exagération avec laquelle l’auteur décrit les précautions prises par Zosime pour échapper à la renommée et à la kyrielle de ses clients, de ses dévots, répond, semble-t-il, à un parti délibéré, qui se maintient à travers tout le poème : Hildebert révèle ainsi qu’il garde ses

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distances à propos du témoin privilégié de son récit et qu’il invite son lecteur à en faire autant. 29. Comme le signale Larsen, l’image de la renommée qui vole (fama…uolauit : v. 29-30) se trouve déjà chez Virgile, aen. 11, 139 Et iam Fama volans, tanti praenuntia luctus. 33. En évoquant ici les circonstances de lieu, d’âge et de rang social, en fonction desquelles Zosime prodigue ses conseils, Hildebert souligne fort justement que la direction spirituelle doit être adaptée à ses différents destinataires (ut poscebat…docebat). 34. Larsen suggère ici un emprunt à Horace, carm. 1, 12, 45-48, ce qui situe la pratique de la direction spirituelle exercée par Zosime à des hauteurs sublimes, puisque la comparaison prend d’emblée une dimension cosmologique et met en jeu la lune et les étoiles. Rappelons le passage : crescit occulto velut arbor aevo / fama Marcelli ; micat inter omni / iulium sidus velut inter ignis / luna minores. Chez Horace, le héros du poème est le fils d’Octavie, le neveu d’Auguste (46-23), qu’il accompagna dans la guerre cantabrique (27-25), le mari de Julie, qu’il épousa en 25 ; voir D. Kienast, Römische Kaisertabelle, Darmstadt 1990, p. 70). Comparer la renommée de Zosime à celle du propre neveu de l’empereur Auguste, est pour le moins, inattendu ; est-ce pour mieux préparer le monologue qui suit  (v. 36-44) ? En fait, Hildebert semble plutôt avoir emprunté la moitié de cet hexamètre à Boèce, De consolatione philosophiae I, metrum V, 7 : condat stellas Luna minores.Le poète se tourne vers le Créateur du ciel et de la terre, qui assigne à chaque astre sa loi, …de sorte que tantôt la pleine lune, faisant face à tous les feux de son frère (= le soleil) cache les étoiles moindres. Dans cette perspective, la renommée de Zosime rappelle la clarté d’emprunt de la pleine lune, qui suffit cependant à éclipser celle des étoiles. Rappelons le passage : O Stelliferi conditor orbis, / Qui perpetuo nixus solio / Rapido caelum turbine versus, / Legemque pati sidera cogis ; Ut nunc plena lucida cornu, / Totis fratris obvia flammis,/ Condat stellas Luna minores ; / Nunc obscuro pallida cornu, . Phoebo propior, lumina perdat. De toute évidence, la comparaison est moins flatteuse pour Zosime que celle d’un prétendu emprunt à Horace, mais plus vraisemblable, compte tenu du contexte. 35. L’idée du monologue de Zosime, exprimant son autosatisfaction d’être parvenu à la perfection remonte à Sophrone (c. 3 : PG 3699 C). Paul de Naples (c. II : PL 73, 674 A) a repris tout le

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passage, dont plusieurs détails seront délibérément omis par Hildebert. Tout d’abord, c’est après avoir passé cinquante-trois ans dans le monastère à qui ses parents l’ont confié dans sa prime jeunesse, que Zosime, commence à être assailli de pensées d’orgueil : Hildebert retiendra seulement que Zosime est un vieillard (senex). D’autre part, le contenu du monologue originel va être profondément remanié et amplifié par l’évêque du Mans. Dans la version de Sophrone, Zosime se demandait : « Crois-tu qu’il existe sur terre un moine capable de m’enseigner un exercice d’ascèse que j’ignorerais ou que je n’aurais pas pratiqué, ou bien qu’il existe au désert un ermite qui me précède dans la pratique ou dans la théorie ? ». Hildebert compose neuf vers sur ce thème, mais sans poser la question de savoir s’il existe quelque part un moine ou un ermite susceptible de l’égaler ou de le dépasser dans la théorie ou la pratique de l’ascèse. Dans le chapitre qu’il consacre à l’amplificatio (Inst. Orat. VIII, 4), Quintilien énumère les quatre moyens dont elle se sert, à savoir le grossissement (incrementum), la comparaison (comparatio), le raisonnement (ratiocinatio), l’accumulation (congeries). Nous avons déjà rencontré la comparaison (v. 27 et 34) et le grossissement (v. 28). Les neuf vers qui constituent le monologue de Zosime offrent presque toute la gamme des procédés de l’amplification. Le plus voyant est l’accumulation de verbes (v. 37 : eligo, sector, amo,… clamo ; v. 44 : petit, audit, amat,… peragit), ou de noms (v. 40 : ordo, remus, anchora ; v. 41 : sacer actu, mente, loquelis ; v. 43 : monachorum. Si la plupart de ces énumérations sont de type ternaire, celles de type binaire prennent le relais ; elle présentent l’objet de la pratique ascétique de Zosime ( v. 36 : ordo uel equum ; l’objet de son enseignement spirituel (v. 37 : discenda tenendaque) ; la constance de son effort (v. 39 : puer elegi…puer peregi) ; sa dimension spirituelle (v. 41 : dignus celis…sacer actu…) ; l’étendue de sa victoire (v. 42 : unus cum mundo pugnaui fine secundo). Il s’agit là de broutilles, assurément, mais c’est en observant l’artisan au travail dans son atelier que l’on discerne le mieux la nature et la mesure de son talent. Celui d’Hildebert n’est pas médiocre, on en conviendra. Il apparaît souvent dans l’art avec lequel il associe à des termes abstraits des mots concrets et imagés pour désigner une même réalité. Le v. 40 en offre un bon exemple : 40. iam tunc ordo gregis, iam remus et anchora legis : « à cette époque déjà, j’étais la règle du troupeau, la rame et l’ancre de la loi ». La pensée se transporte du monde pastoral au monde marin ; Zosime

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se voit conduisant un troupeau docile, puis faisant avancer une barque à la rame, et enfin lui assurant une place stable comme le fait l’ancre pour la barque au repos. Les métaphores se bousculent jusqu’à l’incohérence, les images défilent, la traduction piétine, à mesure que la personne du moine se « chosifie », devenant tout à la fois berger, rame et ancre. 45. La seconde section du récit concernant Zosime s’ouvre ici : après avoir été rabroué par un quidam désireux de lui donner une leçon de modestie (v. 45-66), Zosime gagne le monastère qui lui a été indiqué, y est admis et peut s’édifier, en observant et en partageant la vie d’une communauté modèle (v. 67-123) ; il s’associe même à l’expérience érémitique qu’elle entreprend chaque année durant la sainte quarantaine (v. 124-172). — talia dum iactat Zosimus : à la différence de Sophrone (c. 3 : PG 3699 C) et de Paul de Naples (c. II : PL 73, 674 A) qui décrivent le monologue intérieur de Zosime et introduisent de manière abrupte l’inconnu qui lui servira de mentor, Hildebert fait réagir ce dernier aux vantardises du moine ; il donne ainsi une plus forte cohérence à son récit. 46. cui Spiritus illa retexit : deuxième ajout d’Hildebert. Il suggère que la monition adressée au moine orgueilleux n’est pas seulement provoquée par un mouvement d’humeur de l’inconnu ; elle est aussi, d’une certaine manière, inspirée par l’Esprit. Il élimine ainsi les éléments fortuits de son modèle et assure à son propre récit la dimension spirituelle de l’hagiographie. 57. La semonce administrée à Zosime par l’inconnu tient en huit lignes chez Paul de Naples (c. II : PL 73, 674 AB), guère davantage chez Sophrone (c. 3 : PG 87, 3699 C), dont elle reprend fidèlement les éléments : certes, Zosime a combattu le bon combat, mais aucun homme ne peut se dire parfait. D’autres épreuves, plus redoutables, inconnues, peuvent se présenter. Pour apprendre qu’il existe d’autres voies de parvenir au salut que celles qu’il suivies jusqu’alors, il lui est conseillé de quitter sa patrie et sa famille, comme Abraham (Gen. 12), et de se rendre au monastère érigé sur les bords du Jourdain. Hildebert consacre dix-sept vers à cette monition ; c’est dire qu’il recourt allègrement aux procédés de l’amplification. Le discours de l’inconnu est fort bien composé. Après avoir reconnu sans barguigner la constance et la valeur de l’effort ascétique de Zosime (v. 47-48), il met en garde le prétendu moine modèle contre toute

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illusion présomptueuse, en développant le thème des incertitudes qui entourent l’issue du combat spirituel (v. 49-54). Suit une description des dangers que l’orgueil fait courir à quiconque s’engage sur cette voie (v. 55-59). Le meilleur moyen de les éviter sera pour Zosime de se persuader qu’il est encore bien éloigné de la perfection et que nombreux sont les moines qui le précèdent sur cette voie ; un séjour au monastère sur le bord du Jourdain y suffira (v. 60-66). 47. bene certasti : l’expression rappelle II Tim. 4, 7 : bonum certamen certaui. La suite du passage : cursum consummaui. In reliquo reposita est mihi corona justitiae quam reddet mihi Dominus sert de canevas pour la suite du développement. 48. caro seruit, mens dominatur : l’expression définit le résultat escompté du combat spirituel, selon la tradition paulinienne. Comme l’enseigne l’Apôtre, il y a en nous deux hommes, l’homme régénéré, l’homme nouveau, avec des tendances nobles, surnaturelles, divines, que le Saint-Esprit fortifie en nous, eu égard aux mérites de Jésus-Christ ; mais à côté, il y a l’homme naturel, l’homme charnel, le vieil homme, avec ses tendances mauvaises, que le baptême n’a pas déracinées en nous. Ces deux hommes entrent fatalement en conflit : la chair, ou le vieil homme, désire et recherche le plaisir, sans souci de sa moralité, que l’Esprit lui rappelle. Comme la chair persiste en ses désirs, la volonté, aidée par la grâce (Col. 3, 9 ; Eph. 4, 22), est obligée de la mortifier (II Cor. 10, 3) et au besoin de la crucifier (Rom. 6, 6). Le chrétien est donc un soldat (II Tim. 2, 3), un athlète qui combat (Eph. 6, 10-18) pour une couronne immortelle (II Tim. 4, 8), et cela jusqu’à la mort. A ce propos, Larsen, p. 20, note 10, renvoie à l’étude d’A. Harnack ; Militia Christi. Die christliche Religion und der Soldatenstand in den ersten drei Jahrhunderten, Tübingen 1905 ; Pour sa part, J.A. Brundage, 1969, p. 28, rappelle que, dans sa correspondance, le pape Grégoire VII (1073-1085), ennoblit individuellement ceux qui combattent pour la cause papale, en les appelant les propres soldats du Christ, et en les désignant en bloc comme la militia Christi ; dans la mesure où ils bénéficient de l’exemption papale, les moines de Cluny ne forment-ils pas les troupes d’élite de cette militia ? 49. dubius finis : cf. Eccle. 9, 12 : nescit homo finem suum, sed sicut pisces capiuntur hamo, et sicut aves laqueo capiuntur, sic capiuntur homines in tempore malo, cum eis extemplo supervenerit.

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51 nam, quis uincatur uel uincat, fine probatur : cf. Ovide, trist. 2, 5, 34 : pugna suum finem, cum iacet hostis, habet ; Gesta Romanorum 103 : quidquid agis, prudenter agas et respice finem : HW 25251 ; La Fontaine, Fables III, 5, Le Renard et le Bouc : En toute chose, il faut considérer la fin : 53. ut Scriptura sonat : cf. II Tim. 4, 8. — , finis, non pugna coronat : reprend la pensée du v. 52. 55. uincenda superbia restat : oubliant que Dieu est son premier principe et sa dernière fin, l’homme s’estime lui-même à l’excès, il estime ses qualités vraies ou prétendues comme si elles étaient siennes sans les rapporter à Dieu, oubliant ainsi la monition de l’Apôtre, I Cor. 4, 7 : Quid habes quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid gloriaris quasi non acceperis ? A cet orgueil s’ajoute la vanité par laquelle l’homme recherche d’une façon désordonnée l’estime des autres, leur approbation, leurs louanges. C’est ce qu’on appelle la vaine gloire. Les effets de l’orgueil sont déplorables ; c’est le grand ennemi de la perfection, car il dérobe à Dieu sa gloire, et par là même nous prive de beaucoup de grâces et de mérites, Dieu ne voulant pas être le complice de notre superbe ; cf. Jac. 4, 6 : Deus superbis resistit ; voir J. Procopé, « Hochmut », RAC 15 (1991), 795858, notamment 826 s. (Bibliographie).  58. Hildebert emprunte à Virgile, ecl. 5, 16-17, cette comparaison par laquelle il entend décrire les effets de l’orgueil : lenta salix, quantum pallenti cedit olivae, / puniceis humilis quantum saliunca rosetis « comme le saule flexible le cède à l’olivier au feuillage argenté, comme l’humble valériane le cède aux roses purpurines, ainsi, à notre avis, Amyntas le cède devant toi. »  Qu’est-ce à dire ? L’auteur parle-t-il d’une manière très générale de la grande déception que risque de connaître l’orgueilleux pour solde de tout compte, devant l’échec de sa vie et de ses illusions, ou bien vise-t-il plus particulièrement les effets, combien différents, des parfums émanés des roses et de la valériane, l’herbe aux chats ? Larsen renvoie aussi à Sedulius, carm. Pasch. I, 45, 9 : neglectisque rosis, saliuncam sumitis agri, ce qui rappellerait l’adage: « Faute de grives, on mange des merles », ou encore la fable d’Abstemius, L’Oiseleur et le Pinson, et celles de La Fontaine, VII, 4 et 5 Le Héron,- La Fille. — , Pline, Nat., 21, 40, mentionne cette propriété de la valériane : irim atque saliunncam nobilissimi odoris utramque. On sait que les odeurs de deux plantes, la cataire et la valériane, provoquent chez le chat des excitations ; ce seraient des hypnotiques doux aux

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effets hallucinatoires, provoquant chez lui le déclenchement du comportement sexuel. 59. sodes = «  S’il te plaît, de grâce » : contraction de si audes, formule de la langue familière, dans laquelle audeo a son sens étymologique de se plaire, désirer (cf. aueo, auidus). L’expression est fréquente chez Térence et Horace. 61. promissa Tonantis : l’expression Jupiter Tonans, Capitolinus Tonans, ou Tonans seul (qui évoque le dieu du tonnerre) est commune chez les poètes latins, car elle leur offre, au génitif, une finale d’hexamètre des plus commode. Les poètes du Moyen Age ne l’ont pas dédaignée non plus.Voir chez Hildebert, les v. 237 ; 395 ; 438 ; 786 ; 889 66. exi, festina, dilatio magna ruina : Larsen renvoie à Lucain, 1, 281 : tolle moras ; semper nocuit differre paratis, que Ph. Chasles (éd. Panckouke, Paris 1835) traduit comme suit : « Hâte-toi ! Le délai est fatal aux grands desseins », mais s’agit-il, de la part d’Hildebert, d’une véritable citation ou d’une simple allusion ? Quoi qu’il en soit, ce rapprochement donnerait à la conclusion du discours de l’inconnu une dimension épique du plus bel effet : il s’agit, en effet, au départ, de l’exhortation que le sénateur Caius Scribinius Curion († 49 av. J.C.) est censé adresser à César, pour le décider à s’engager dans la guerre civile.Tribun du peuple, au commencement de la guerre civile (50), Curion rejoignit le vainqueur des Gaules, qui le nomma propréteur en Sicile. Il en chassa les pompéiens, les poursuivit en Afrique et fut tué dans une bataille contre Juba. Dès lors, il paraît tout indiqué d’appliquer à Zosime la suite du texte de Lucain : « Les obstacles que tu as à craindre, sont ceux que tu as toujours bravés ; mais ici, combien le prix de la victoire est plus grand  » ? 67. Ici commence une nouvelle section du récit concernant Zosime, admis au monastère sur les bords du Jourdain (v. 67-158). Il le quittera pour traverser le Jourdain et accomplir au désert les rites pénitentiels qui étaient de coutume dans cette communauté, chaque année, en Carême (v. 158). — exit, abit propere, pulsatque, fores patuere : la succession des verbes au présent de narration donne à la phrase un mouvement rapide inégalable ; elle rend bien la ferme décision de Zosime de s’instruire dans ce nouveau milieu. L’accueil n’est pas moins rapide : Zosime frappe à la porte ; elle s’ouvre à deux battants. 68. inde salutatus abbas est pauca profatus / « cur uenias, aperi ! » Hildebert continue son récit sur le même rythme rapide. Il n’a

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rien conservé du cérémonial d’accueil de Sophrone (c. 4 : PG 87, 3701 A) et de Paul de Naples (c. III : PL 73, 674 C) qui font intervenir le portier ; celui-ci s’en va quérir l’higoumène (= le Père abbé), que Zosime salue aussitôt d’une profonde inclinaison, — comme ont coutume de faire les moines — et qui jauge le postulant, son allure générale, son maintien, son visage, avant de lui adresser la parole. Il abrège aussi le discours de Zosime, qui évoquait l’excellente réputation du monastère, véritable école de vertu. 69. opto doceri : au désir de s’instruire et de s’édifier, formulé par Zosime chez ses devanciers, Hildebert ajoute l’intention de faire pénitence pour ses péchés (v. 70). Cet ajout, qui correspond à l’usage de Cluny, va lui permettre de donner un autre ton au discours du Père abbé ; voir chez G. de Valous I, p. 29, le cérémonial d’admission des postulants à Cluny : Sur la demande de l’abbé : « Que désirez-vous ? », chacun répond : « Je désire avoir la miséricorde et la grâce de Dieu ainsi que votre société » ; cf. Udalric II, 2, 670. 70. et peccatorum releuari mole meorum : Larsen renvoie à Eugène de Tolède, carm. 5, 1 : criminum mole gravatus et reatu saucius. 73. carissime frater : la réponse du Père abbé prend d’emblée un tour intime et affectueux, différent du simple : frater, de Sophrone et de Paul de Naples. Hildebert a conservé la substance du discours, qu’il abrège cependant : Que Zosime prenne pour maître non point des hommes, mais Dieu seul, qui connaît la faiblesse humaine. 74. conditor orbis : ajout d’Hildebert 75. poscas : aussi étonnant que cela puisse paraître, ni Sophrone, ni Paul de Naples n’avaient mentionné la prière, que l’évêque du Mans évoque expressément. 76. si tamen : l’abbé donne une réponse favorable à la requête de Zosime, aux v. 76-82. Pour apprécier, comme il se doit, les talents de versificateur d’Hildebert et les progrès qu’il a apportés au récit, nous donnons la traduction du passage correspondant de Paul de Naples (c. III : PL 76, 675 A) : « Cependant, puisque, comme tu le dis, c’est l’amour du Christ qui t’a poussé à venir nous voir, nous humbles moines, reste avec nous, si tu es venu dans ce but, afin que le bon pasteur nous nourrisse tous de la grâce de son Esprit , lui qui a donné sa vie pour notre délivrance ((Matth. 20, 28), lui qui appelle ses brebis par leur nom (Jn 10, 14). Sur ces paroles de

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l’abbé, Zosime se prosterna derechef et ayant reçu sa bénédicttion, répondit : Amen, et demeura dans le monastère. » — , locus quietus : la mention de la tranquillité du lieu relève du topos du « lieu de plaisance », locus amoenus (Curtius, 240 s.), que l’auteur aborde avec discrétion. 77. si magnus modicis uis iungi palma miricis : s’inspirant ici d’un célèbre passage de Virgile, ecl. 4, 1-2 : Sicelides Musae, paula maiora canamus / non omnis arbusta iuvant humilesque myricae, Hildebert joue avec les antithèses des noms : palma – miricis et celles des adjectifs : magnus –modicis. 78. humilis si proderit usus ouilis : nous retrouvons ici l’adjectif revendiqué par l’abbé des humbles moines, l’image biblique du troupeau, qui désigne la communauté monastique et annonce le thème du Bon Pasteur, qui commande le v. 80. 79. hibiscum : il est difficile de savoir quelle plante Hildebert a voulu désigner par le terme hybiscus. Celui-ci apparaît chez Virgile, ecl. 10, 70-71 : Haec sat erit, divae, vestrum cecinisse poetam, / dum sedet et gracili fiscellam texit hibisco, (cf. ecl. 2, 40) et chez Pline, 20, 29 : hibiscum a pastinaca (le panais) distat, damnatum in cibis, sed medicinae utile. S’il avait en vue une guimauve, il n’est sans doute pas superflu de rappeler les propriétés des malvacées — il en existe près de huit cent espèces — et notamment celles de la guimauve. Les différentes parties de cette plante ont des propriétés émollientes et adoucissantes, dues au mucilage qu’elle renferme. Les fleurs sont une des espèces pectorales. La feuille sert à préparer des cataplasmes. La racine est utilisée en lavements, gargarismes, lotions, obtenus par décoction. En invitant Zosime à choisir une guimauve de son pâturage, l’abbé ne lui suggère-t-il pas de s’engager dans la voie « purgative » des commençants (prière, pénitence, mortifications) ? Cf. A. Tanquerey, nn. 636-642 ; 958-960. 80. summus pastorum nos nutriet, esca suorum : Hildebert ne doit pas à Paul de Naples ce vers, qui réunit élégamment l’image du Bon Pasteur et une allusion au mystère de l’eucharistie ; cf. Matth. 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19 ; Jn 6, 51-58 ; I Cor. 11, 24. 81. post hanc nihil esurientem ; cf. Jn 4, 14. 82. uisibus huius: sous ses yeux ; cf. Stace, Th. 6, 277 : Io… / spectat in occiduis stellatum visibus Argum 83. La description du séjour de Zosime au monastère près du Jourdain comprend trois parties : la première recense les détails édifiants de la vie commune qu’il note au jour le jour : v. 83-108 ;

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dans la seconde, le narrateur (Hildebert) indique les causes de la bonne marche de la communauté : v. 109-123 ; dans la troisième, le même évoque l’expérience érémitique vécue chaque année par ladite communauté pendant le Carême : v. 124-157. 84-85. noua iura, sacerrima bella / uidit, laudauit, didicit, seruauit, amauit : on notera que Zosime semble ne s’intéresser qu’à deux domaines : d’une part les prescriptions de la Règle, d’autre part les exercices ascétiques compris comme autant d’éléments, — on n’ose dire : de recettes, — permettant de parvenir à la perfection de la vie monastique.. 86. tam gregis hortatu crescens, quam teda rotatu: les progrès de Zosime sont attribués non seulement aux encouragements de tous les membres de la communauté (gregis), mais en quelque sorte à la vitesse acquise par son propre entraînement ; cf. Stace, Achl. 2, 417 : didici, quo Paeones arma rotatu, / quo Macetae sua gesa citent, quo turbine caestum / Sauromates, falcemque Getes, arcumque Gelonus / tenderet… : j’appris comment les Péons font tournoyer leurs armes, comment les Macètes lancent leurs javelots, etc. Il est évident que l’évêque du Mans s’est inspiré de Stace pour décrire les exercices ascétiques auxquels se livre Zosime, avec les encouragements de la communauté. Il s’agit chez Stace d’une nomenclature des exercices militaires en usage chez les peuples barbares ; le passage en question (Ach. 2, 417-422) s’achève sur un aveu désabusé : vix memorem cunctos, etsi gessimus, actus), que Zosime pourrait reprendre à son compte, car tous les records peuvent être améliorés.  . — rapprochant teda (v. 86) de fax, Larsen renvoie à Ovide, met. 10, 6-7 : fax quoque, quam tenuit, lacrymoso stridula fumo / usque fuit, nullosque invenit motibus ignes : mais force est de constater que la torche que tient en main le dieu [Hyménée, appelé par Orphée descendant aux enfers] ne tournoie plus ; elle est en fin de course et ne répand plus, en sifflant, que des flots d’une âcre fumée qui fait pleurer. Dès lors, la prétendue citation serait plutôt de mauvais augure, s’il lui fallait évoquer les performances ascétiques, si impressionnantes, de Zosime. 87. summi Regis : La métaphore est biblique ; le Dieu d’Israël n’est pas seulement le Seigneur des seigneurs : cf. Deut. 10, 17 : Deus, Deus vester, ipse est Deus deorum, mais le Roi des rois : cf. Tob. 3, 24 : Melchisedech, rex Salem, sacerdos Dei summi ; Dan. 2, 37 : rex regum es, Deus regnum dedit tibi.

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89. nolle favere cuti : Larsen renvoie à Juvénal, 2, 105 : et curare cutem summi constantia civis. 90. Pour décrire la vie quotidienne de la communauté, Sophrone n’avait donné que quelques détails (c. 5 : PG 87, 3702 BC) ; certains d’entre eux sont parvenus jusqu’à Hildebert, par l’intermédiaire de Paul de Naples (c. IV : PL 73, 675 BC), à savoir l’absence de bilans, d’inventaires, de supputation des dépenses (v. 94-95), une nourriture frugale (v.99), la condamnation de l’oisiveté, le chant continuel des psaumes (v. 104), une mortification continuelle (v. 105). C’est dire que le matériau et la disposition de la section des v. 87-123 est à inscrire au compte d’Hildebert. Dans cette perspective, il est facile de repérer les éléments de la vie monastique auxquels l’évêque du Mans attachait une importance particulière. Dès lors il est permis de souligner que sa description s’ouvre sur le tableau idyllique d’une communauté dans laquelle règne la concorde, parce que chacun s’interdit toute parole déplacée, toute colère, toute jalousie, non moins que les vaines discussions, les médisances et mouvements d’humeur (v. 91 ; 98 ; 102). 92. La liste des aliments auxquels ladite communauté renonce : sel, poissons, vin, ragoûts de viande, est déconcertante. Le pain quotidien n’est nulle part mentionné ; le menu festif (v. 99) est composé de legumina, les légumes à cosses et à gousses (fèves, pois chiches, lentilles, d’après Pline, 18, 165) ; voir G. de Valous, I, p. 263. On n’y boit que de l’eau, mais c’est de l’eau du Jourdain ! (v. 99). Une comparaison avec la RB et avec les coutumiers bénédictins s’impose. Dans la RB, il n’est question ni de sel, ni de poivre, ni d’épices. En revanche, les mets et les boissons poivrés occupent une place importante dans la haute cuisine contemporaine d’Hildebert, au point de gagner aussi certains milieux monastiques ; l’Ecbasis, sans doute rédigé à Trèves au début du XIIe siècle, par un moine d’origine lorraine, les mentionne à quatre reprises (v. 176 ; 645 ; 806 ; 1185) ; pour Cluny, voir G. de Valous I, p. 264-266. — Avant saint Benoît, un certain nombre de règles monastiques (Pacôme, Basile, Athanase) interdisaient d’une façon absolue l’usage du vin ; Hildebert a-t-il voulu rappeler cet antique usage ? D’autres (Antoine, Martin, Ferréol, Fructueux, Césaire d’Arles) l’autorisent dans certaines circonstances et à certaines conditions. Néanmoins, le vin devient boisson courante dans les monastères à partir de saint Benoît, qui en accorde une hémine par jour à ses disciples (voir G. de Valous I, p. 258-262 ; RB 40, 3). A Cluny l’unité de mesure de la

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quantité journalière était le scyphus, d’une contenance analogue à l’hémine. Dans les régions où il était trop difficile de se procurer du vin, cette boisson pouvait être remplacée par de la bière ou de la cervoise (avec une ration double de celle du vin). — pulmentum : ragoût de viande. La RB 36, 9 permet aux malades très affaiblis de manger de la viande, pour qu’ils se remettent ; quand ils seront mieux, ils se passeront de viande comme à l’ordinaire : RB, 39, 11. Les premiers abbés de Cluny bannirent absolument la viande de leurs monastères, sauf pour l’usage des malades ; cependant, au début du XIIe siècle, Pierre le Vénérable est obligé d’intervenir avec vigueur contre les religieux mangeurs de viande, ceux qu’il nomme corvinos ac ferinos monachos ; voir G. de Valous, p. 269-270. Si la RB ne mentionne pas les poissons parmi les aliments des moines, en fait, ils tiennent une place importante dans l’approvisionnement de Cluny (voir G. de Valous I, p. 267) et des monastères lorrains et trévirois (cf. Ecbasis, p. 229), au tournant du XIe au XIIe siècle. — stramina : le terme doit viser un élément de la literie (stramenta lectorum), mais lequel ? La RB 55, 15 déclare : sufficiant matta (une natte), sagum (une couverture), et lena (et une autre en laine) et capitale (et un chevet) ; pour Cluny, voir G. de Valous I, p. 291. — linum : la question de la qualité de l’étoffe de l’habit monastique a causé aux autorités clunisiennes presque autant de soucis que les teintes multicolores indûment adoptées par leurs moines, écrit G. de Valous I, p. 240, qui ajoute : « en résumé, pourvu que ce ne fût pas une étoffe de luxe, toute espèce de tissu de laine était admis dans l’ordre de Cluny ». La remarque d’Hildebert s’inscrit dans ce contexte, qui deviendra brûlant avec les apostrophes de saint Bernard (cité par G. de Valous I, p. 241). D’autre part, s’il s’agit du linge de corps, qui apparaît chez Benoît d’Aniane sous la forme de chemises de laine (camisae), à Cluny, seuls les enfants la portent en lin ; pour tous les autres moines, elle est en laine. Au Moyen Age, on interdit généralement tout sous-vêtement de lin aux religieux (voir G. de Valous I, p. 244). C’est apparemment le parti d’Hildebert, qui ignorait sans doute que le linge de corps était inconnu des anciens moines orientaux et de saint Benoît. 98. par cibus et cultus procul abstulit inde tumultus : l’inspiration égalitaire de cette formule, recette soi-disant infaillible pour éviter certaines récriminations, est à inscrire au registre de l’humour monastique, compte tenu des quelques prétextes, que le simple

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bon sens devrait suffire à aplanir : la table d’hôte, les vêtements de l’abbé (v. 96-97) ; cf. Ecbasis, v. 624 ; 791 ; 806 ; 1029 : voir Munier, 1998, p. 19. 99. legumen : au XIe siècle, chez Ulrich et dans le coutumier de Hirsau, seuls les pois, les fèves et les lentilles sont appelés legumina ; tout le reste est dit oleres ; les anciens distinguaient déjà entre les mêmes legumina et les herbae, tous les autres légumes ; cf. Hildebert, v. 149 ; 625. 100. cilicium : du grec kilivkion : étoffe de poil de chèvre, fabriquée d’abord en Cilicie ; dont le nom désigna ensuite des étoffes faites de toute sorte de fibres grossières, poils de chameau, etc. Ces étoffes de moindre qualité servaient à confectionner les vêtements de la basse classe de la population, les tentes, les voiles des navires ; voir A. Hermann, « Cilicium », RAC 3 (1957), 127. L’auteur donne ensuite les divers sens du vocable sa¯q, son équivalent en hébreu, traduit par cilicium, dans la Vulgate (Is. 3, 24), et qui désigne aussi le vêtement de pénitence des Juifs : d’où l’expression : ejn savkkw/ kai; spod“ ( LXX) ; in cilicio et cinere (Vulg., Itala : Is. 58, 5 ; Dan. 9, 3, etc). Jérôme nous a conservé une lettre de Pacôme adressée  Ad fratres, qui tondebant in deserto capras, de quarum filis textuntur cilicia (PL 23, 102). L’habit des moines pacômiens : caprinam pelliculam, quam meloten vocant, correspond à leur pauvreté, sans viser expressément la mortifification corporelle. D’après Basile, reg. 126 (PL 103, 534 C) et Cassien, inst. 1, 2 s., le port du cilice devait plutôt susciter l’humilité de l’âme. Benoît a jugé superflu de mentionner le cilice dans sa Règle. Ces indications devraient suffire pour interpréter correctement ce passage du poème ; voir aussi H. Leclercq, « Cilice », DACL 3,2 (1948), 1632/5. Quant aux rites qui accompagnaient l’imposition du cilice aux pénitents publics (cf. ler concile de Tolède, a. 400, c. 2), ils illustrent l’usage de ce vêtement en signe de mortification, qu’il a conservé pendant tout le Moyen Age ; voir A. Hermann, ibid. 129-138. — cingula : selon Palladius, Hist. Laus. 32, les Pacômiens dormaient vêtus et ceints ; la RB 22, 5 reprend cette règle : vestiti dormiant et cincti cingellis aut funibus (ceints de ceintures ou de cordes). Saint Benoît accorde une ceinture (bracile) assez large pour faire fonction de poche ; on y suspendait le couteau (cultellus) et on y enfermait le mouchoir (manipula), l’aiguille (acus) avec du fil, les tablettes de cire avec le stylet (G. de Valous I, p. 232). Mais qu’en était-il au temps d’Hildebert ?

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102. lectio uita Patrum : Pour Hildebert, il va sans dire qu’un moine doit savoir lire et que sa lecture spirituelle consiste à s’édifier au récit des vies des Pères du désert. 104. more procul otia : Pour saint Benoît, « L’oisiveté est ennemie de l’âme. Aussi les frères doivent-ils être occupés en des temps déterminés au travail manuel » (RB 48, 1). Hildebert ne précise pas en quoi ce travail pouvait consister. Le chant des psaumes, que les moines savaient par cœur, pouvait accompagner toute sorte d’occupations matérielles » ; voir G. de Valous I, p. 309-311. P. Adjamagbo, 1984, p. 89-91, rappelle qu’il a fallu toute la sagesse et l’exemple des Pères du désert pour déraciner de la pensée monastique l’hérésie des « messaliens » ou « euchites », c’est-à-dire adonnés à la prière : ceux-ci, s’appuyant sur certaines requêtes des Écritures (Matth.6, 26 ; Jn 6, 77 ; 1 Thess. 5, 17) et en évitant d’autres (Gen. 3, 19 ; 2 Thess. 3, 8-10),  préconisaient une division du travail dans laquelle la « part de Marie » revenait à ceux qui désiraient s’adonner à la prière et celle de Marthe aux autres qui, au nom de la communauté, devaient pourvoir aux besoins des orants. Ils parvinrent ainsi à y enraciner profondément une conception intégrale du travail en vue de la vie éternelle, grâce à la réunion de Marthe et de Marie dans l’unique personne du moine. C’est dans cette perspective que la RB 48, 8, déclare : « c’est alors qu’ils sont vraiment moines, s’ils vivent du travail de leurs mains comme nos Pères et les apôtres » ; voir SC 182, p. 601, et la note 8 d’A.de Vogüé. 106. fletibus et crebris uulgabat facta latebris : la chair (caro) du v. 105 est le sujet du verbe ; le mot : latebra signifie ici : le secret de la conscience ; cf. Cyprien, dom. orat. 5 : intra ipsas pectoris latebras precari ; Vita Cypriani 7 : intra secretam conscientiae latebram. 109. Dans les v. 109-123, qui lui appartiennent en propre, Hildebert indique les causes qui expliquent la vie exemplaire de la communauté. A cet égard, le rôle de l’abbé est déterminant ; sa description couvre, à elle seule, les v. 112-123. En tête de liste, l’évêque du Mans cite le lieu retiré, loin du monde et de la ville, dans lequel ledit monastère a été érigé. Ce thème, est complémentaire de celui du désert, qui permet de fuir la corruption des villes ; voir A. Guillaumont, 1979, p. 72. Il diffère de celui du « dépaysement, comme forme d’ascèse dans le monachisme ancien » ; voir A. Guillaumont, 1979, p. 89-116.

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110. ianitor austerus : des deux portiers de la Règle du Maître, on passe à un seul avec la RB 66, malgré le titre au pluriel. Il y est prescrit : « A la porte du monastère, on placera un vieillard sage, qui sache recevoir et donner une réponse, et dont la maturité ne le laisse pas courir de tous côtés. » — , uterque seuerus : le terme seuerus n’existe pas dans la RB. En fait, il s’est maintenu ici, comme reliquat d’un long passage de Paul de Naples sur la clôture stricte qui était de règle dans le monastère sur les bords du Jourdain (c. V : PL 73, 675 C). 111. isti claustrales nec certos officiales / nec, si pastorem demas habuere priorem. Dans cette nomenclature, inconnue de la RB, il est facile de reconnaître les lieutenants de l’abbé de Cluny, au tournant du XIe au XIIe siècle, qu’il s’agisse du prieur claustral ou des offices claustraux ; voir G. de Valous I, p. 114 s. — , nec… habuere priorem : Hildebert ne vise-t-il pas ici le prévôt du monastère (praepositus), dont il est question au chapitre 65 de la RB ? Voir A. de Vogüé, 1961, p. 388-437. 114. cura fuit cuique parere reique patrique : « La discipline clunisienne ne jugea pas utile d’apporter sa part de nouveauté à la conception de l’abbé bénédictin qu’elle adopta intégralement, à quelques détails près. De la volonté de l’abbé dépend la vie de la communauté dans son ensemble et dans ses moindres détails, aussi bien que celle de chacun des moines en particulier », écrit G. de Valous I, p. 97. La place éminente de l’obéissance dans la RB (12 occurrences) résulte de ce principe ; cf RB 5, 1-19.Voir K.S. Frank, « Gehorsam », RAC 9 (1976), 390-430, qui consacre une étude particulière à l’obéissance dans le monachisme ancien, de Pacôme à la RB (Bibliographie) ; A. de Vogüé, 1961, p. 207-288. 115. pastor agenda quidem monstrabat, agebat et idem. Pour tempérer la puissance absolue de l’abbé, saint Benoît revient souvent sur les qualités que l’abbé doit avoir pour bien remplir son office : RB 3, 6 ; 27, 1-9 ; 41, 5 ; 63, 2-3 ; 64, 2. Les v. 115-123 n’ajoutent pas de modalités particulières à cette énumération ; ils insistent sur le bon exemple (v. 115 ; 117 ; 120 ; 121), le sens du service (v. 116 ; 118), la compassion et la charité (v. 122 ; 123) ; voir A. de Vogüé, 1961, p. 144-186.. 118. ille beatorum decus : Puisque ce trait ne remonte ni à Paul de Naples, ni à Sophrone, il semble bien que Hildebert recommande ici à l’abbé idéal de célébrer avec solennité les fêtes des saints inscrits au calendrier liturgique ; lui-même a donné l’exemple à pro-

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pos de la fête de l’Assomption de Notre-Dame ; cf. P. Von Moos, 1965, p. 215. 123. fuit omnibus omnia factus : cf. I Cor. 9, 22. 124. res monet : Hildebert consacre les v. 124-157 à décrire l’expérience érémitique en usage au dit monastère durant le Carême. Sophrone (c. 6-8 : PG 87, 3701 C – 3703 C), et Paul de Naples (c.V-VII : PL 73, 675 C – 676 C) lui en avaient laissé une description très circonstanciée, qu’il a fidèlement reproduite, jusque dans les moindres détails, signe évident de l’intérêt qu’il a pris à ce sujet. 125. plebs purificata lauacro : allusion au rite purificateur du baptême, qui scelle l’engagement du néophyte et l’habilite à faire partie de la communauté des chrétiens ; voir V. Saxer, 1988, p. 658662. 126. summam decimare dierum : allusion aux dénominations médiévales des dimanches du Carême, dont les noms, qui indiquent des dizaines : Quadragésime, Quinquagésime, Sexagésime, Septuagésime, évoquent les quarante jours de ce temps liturgique ; voir R. Arbesmann, « Fasttage », RAC 7 (1969), 500-524, notamment 515518 (Bibliographie). 128. sed prius : Hildebert n’a pas repris la description détaillée de la cérémonie de l’« envoi » des moines au désert, faite par Paul de Naples (c.VI : PL 73, 675). En voici la traduction : « Le dimanche que la coutume appelle celui de la première semaine des jeûnes (= celui de la Quadragésime), on célébrait les sacrements divins à l’accoutumée et chacun participait au corps et au sang vivificateur et immaculé de Notre Seigneur Jésus Christ (= communion sous les deux espèces). Et après avoir pris un peu de nourriture, selon leur habitude, ils se réunissaient tous dans l’oratoire ; après s’être agenouillés et avoir fait leur prière de supplication, les moines se saluaient réciproquement et chacun, s’étant prosterné publiquement devant l’abbé, lui donnait l’accolade et demandait sa bénédiction ». 135. pars, ut poscebat mos ipse, domi remanebat : Paul de Naples (c. VI : PL 73, 676 A), à la suite de Sophrone (c. 7 : PG 87, 3704 A), précise que les portes du monastère s’ouvraient au chant des moines psalmodiant le Ps. 26, 1 : Dominus illuminatio mea et salus mea ; quem timebo ? Dominus protector vitae meae ; a quo trepidabo. D’après la tradition, tous les moines s’en allaient donc au désert, sauf un ou deux gardiens, car de toute manière le monastère ne conservait

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aucun objet précieux qui aurait pu exciter la convoitise des voleurs. Hildebert remanie ce passage d’une manière significative : une partie de la communauté reste sur place, pour y assurer la permanence des offices liturgiques. D’autre part, il développe le thème de la pauvreté monastique, compensée par la richesse de sa vie intellectuelle (sacris studiis : v. 138) et spirituelle (animeque lauacris : v. 138-139). 141. quisque seorsum : arrivés dans le « désert », les moines se dispersent, de manière à ce que nul d’entre eux ne puisse avoir de témoin — ni être lui-même le témoin — des exercices ascétiques auxquels chacun s’adonne durant la sainte quarantaine. Hildebert ne les énumère pas en détail ; il ne mentionne que les prostrations accompagnant le chant des psaumes (v. 143) et les restrictions alimentaires (v. 149-152). Par contre, il insiste sur l’orientation spirituelle qui anime ce temps de pénitence et d’intense méditation (v. 143-148). Alors que Sophrone (c. 8 : PG 87, 3704) et Paul de Naples (c. VII : PL 73, 676 C) ne mentionnent que le désir des moines d’offrir à Dieu seul l’hommage de leur combat spirituel, Hildebert place celui-ci dans une perspective christologique (v. 144-148). 143. psallere prostratus : la RB consacre les chapitres 19 et 20 à la tenue quand on psalmodie et à la révérence dans l’oraison. S’il est précisé que l’on se tient debout pour psalmodier (RB 19, 2), rien n’est dit sur le geste liturgique marquant la fin de chaque psaume : est-ce une prostration (prostratio), une génuflexion (genuflexio) ou une simple inclinaison du chef (curvatio) ? Colomban, Isidore de Séville et Fructueux rappellent avec insistance que tous doivent se prosterner, tous les jours, à tous les offices, à la fin de chaque psaume (cf. SC 185, 586). L’usage de la prostratio a varié d’un ordre monastique à l’autre, à travers tout le Moyen Age. C’était un exercice fatigant, dont on se serait dispensé volontiers ; voir Munier, 1998, p. 179. Le fait qu’Hildebert le recommande aux moines « qui se font ermites » est révélateur : à son époque les discussions sur ce point de détail de la Règle ne sont pas encore apaisées. 149. radice et herbis. La question de la nourriture des moines pendant leur retraite au désert avait fait l’objet de dispositions détaillées chez Sophrone (c. 7 : PG 87, 3704 A) et Paul de Naples (c. VI : PL 73, 676 A) : chacun s’approvisionnait (ejpesivtizen  : se annonabat) à sa guise, prenant du pain, des figues, des dattes, ou bien des « légumes » trempés dans l’eau ; certains n’emportaient aucune

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réserve, ayant résolu de se nourrir des plantes qui poussent au désert. Hildebert ajoute à ces données de ses prédécesseurs les glands et les olives silvestres (v. 152), sans doute par souci d’adapter son récit à des lecteurs plus familiers des forêts européennes que du désert de Transjordanie. 150. recreabat : le terme figure dans la RB 4, 14. 151. pro mensis deliciarum : fruits exotiques, les figues et les dattes sont rangées par Hildebert parmi les desserts délicieux, alors que, sur le pourtour méditerranéen, ils font partie de l’alimentation commune. Par voie de conséquence, il est obligé d’ennoblir les glands et les « olives silvestres », qui deviennent soudain un banquet festif (v. 152). Ces détails ne sont pas indifférents pour l’intelligence de l’œuvre d’Hildebert : s’agissant de détails concrets, l’évêque du Mans apparaît manifestement partagé entre le souci de respecter ses modèles littéraires, alors qu’il voudrait mettre le récit à la portée de ses lecteurs, en vue du message qu’il souhaite leur adresser au sujet du monde érémitique contemporain. 154. certis horis : l’expression figure dans la RB 48, 1 ; reprise ici par Hildebert, en écho du v. 153 : tempore certo, elle lui est propre. Il corrige ainsi un passage de Paul de Naples (c. VI : PL 73, 676 A), susceptible d’être mal compris, à savoir : « Chacun était à luimême sa propre règle et loi, sans prévarication, de manière à ce que personne ne sût comment son compagnon observait le jeûne et comment il faisait pénitence. » Hildebert tient, en effet, à souligner, à l’intention des « nouveaux ermites », que l’horaire quotidien fixé par la Règle ne peut être modifié au gré et selon le bon plaisir de chacun, même lorsqu’il conduit ses exercices ascétiques sans témoin. 155. triginta nouemque dietis : le jeûne quadragésimal doit durer trente-neuf jours pleins. La communauté rentre au monastère pour le dimanche des Rameaux (v.157), « chacun ayant pour témoin de son labeur sa propre conscience, sachant comment il a œuvré et quelles semences il a semées », ajoutait Paul de Naples (c. VI : PL 73, 676 BC). 158. hec et miratus Zosimas : Hildebert ouvre ici la section concernant l’expérience érémitique de Zosime — unique et non renouvelée — qui constitue la pièce maîtresse du poème (v. 158-694). Le moine a pu se faire expliquer toutes les conditions et règles qui l’ordonnent (v. 159 : ritum canonis huius) ; il en a approuvé le déroulement (v. 159 : nil ratus est sacrius) et a décidé de la vivre à son

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tour. Dès que l’occasion se présente à lui — apparemment l’année qui suivit son arrivée au monastère près du Jourdain : (v. 160 : hunc (ritum) simul (ac) aduexit reuolutio temporis), il s’en va, lui aussi, au désert. 161. exit, proficiscitur, transit : autant de présents de narration, qui marquent la résolution du miles Christi, marchant vers de nouveaux combats, de nouveaux exploits ; voir le commentaire aux v.9 et 86. 162. portans panem : ce détail appartient en propre à Hildebert ; ses prédécesseurs disaient seulement qu’il avait emporté le nécessaire, ainsi Paul de Naples, c.VII : PL 73, 676 C : modicum quid pro corporis necessitate congrua, et vestem qua utebatur. 163. et sic ingressus latebras eremique recessus : Hildebert a considérablement simplifié la partie du récit concernant l’expérience érémitique de Zosime. Certes, elle se déroule dans le même désert que les moines du monastère qui l’a accueilli, mais à la différence de ceux-ci qui cherchent un endroit retiré et s’y installent pour toute la durée de leur jeûne (Sophrone c. 7 : PG 87, 3704 B ; Paul de Naples c.VI : PL 73, 676 B), l’expérience de Zosime est placée sous le signe d’une errance continuelle  : les repas sont pris quand la nature en marque le besoin ; le soir venu, Zosime se couche à même le sol ; dès le lever du jour, il se remet en route (v. 166). Qu’est-il donc venu chercher au désert ? Sophrone (c. 9 : PG 87, 3704 C) et Paul de Naples (c.VII : PL 73, 676 D) le disent clairement : Zosime est animé par l’espoir de trouver au désert un Père qui y vivrait à demeure: (euJre›n tina Patevra kat ’aujth;n diatrivbonta) et pourrait le conduire au terme de ses désirs, c’est-àdire lui enseigner la voie qui conduit à la perfection. Du moins est-ce là l’explication qu’il a donnée, disent-ils, lorsqu’il a raconté son aventure. 167. socium sibi querit et orat : l’énoncé des motifs pour lesquels Zosime souhaite rencontrer un compagnon s’enrichit, chez Hildebert, de plusieurs objectifs précis : ce personnage doit partager les mêmes soucis, les porter avec lui, l’instruire en le précédant par ses exercices ascétiques, et lui apprendre à le dépasser à son tour (v. 168-169). On le voit : le moine demeure obsédé par les performances ascétiques qu’il lui reste à connaître et à accomplir (cf. v. 9). Or, la prière de Zosime va être exaucée. 170. Pour ménager à la rencontre de Zosime et de Marie l’Égyptienne un cadre digne de cet événement exceptionnel, Sophrone

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(c. 9 : PG 87, 3704 D) avait éprouvé le besoin de le situer dans une atmosphère liturgique particulière : c’est le vingtième jour de la sainte quarantaine, à la sixième heure, alors que Zosime fait sa prière habituelle, tourné vers l’Orient, se tenant tantôt debout, tantôt à genoux, qu’il croit voir, sur sa droite, une forme pareille à celle d’un être humain. D’emblée, troublé dans sa prière, il soupçonne avoir affaire à une apparition diabolique ; puis, ayant repoussé toute crainte, s’étant signé du signe de la croix, il tourne son regard dans cette direction et voit effectivement quelqu’un se diriger vers le Midi : l’être qu’il a vu est nu, noir de peau, comme brûlé par l’ardeur du soleil ; il a sur la tête des cheveux comme de la laine, clairsemés, et ne descendant pas en deçà de la nuque. Le lecteur appréciera la concision élégante avec laquelle Hildebert décrit cette scène : quatre vers (v. 171-174) lui suffisent pour l’évoquer, sans donner encore aucun détail concernant l’aspect physique de l’inconnu(e). 175. Même sobriété de moyens dans la description de la « chasse à l’homme » aussitôt engagée par Zosime, afin de rejoindre le compagnon espéré. Sophrone (c. 10-11 : PG 87, 3705 AC) et Paul de Naples (c.VIII : PL 73, 677, AD) insistent d’abord longuement sur la grande joie ressentie par le moine, à l’idée de rencontrer un semblable, lui qui, pendant tous ces jours, n’a aperçu âme qui vive, aucun être humain, aucun animal, ni oiseau, ni bête sauvage. Puis ils expliquent que Zosime, oubliant son âge et les fatigues de la route déjà parcourue, se met, « d’une course très rapide », à la poursuite de l’inconnu, qu’il croit être l’un des anciens Pères du désert dont il désire faire la connaissance ; de fait, il parvient à le rejoindre, car il court plus vite que lui. Hildebert, en deux vers (v. 175-176), se contente de dire que Zosime rassemble ses forces pour engager la poursuite et que rien ne semble pouvoir freiner son élan, ni la fatigue, ni l’âge, ni les traces des bêtes sauvages. 176. Larsen renvoie à Virgile, georg. 2, 471 : …illic saltus ac lustra ferarum ; cf. v. 199. 177. A cet endroit précis, le narrateur Hildebert intervient dans le récit ; il adresse la parole au personnage qu’il a mis en scène depuis le début du poème, le moine Zosime, pour lui révéler que ses espoirs vont être comblés, au-delà de toute espérance (v. 177), mais par une femme, dont il lui fait une description détaillée (v. 178-189). Il met ainsi en œuvre la figure de style que les rhéteurs antiques appelaient l’apostrophe (Lausberg I, § 762-765 ; Martin,

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1974, 282-284), et dont Homère, il. 7, 104 s. et Virgile, aen. 4, 408 s. offrent des exemples célèbres ; voir aussi, par exemple, Ovide, ars 3, 735, évoqué à propos du v. 195. Comme l’explique Hérodien, cette figure de style consiste à opérer une metabavs iı proswvpwn  : en abandonnant le récit à la troisième personne, on s’adresse, à la seconde personne, au personnage même qui fait l’objet du récit. Ce changement d’interlocuteur est censé produire un effet de surprise sur les auditeurs ou les lecteurs du récit (Lausberg I, § 762.). Le fait est qu’il faut attendre le v. 205, pour voir enfin Marie l’Égyptienne révéler à Zosime son identité, mais le lecteur en a été informé dès le v. 181 et il a été prévenu des mérites éminents de l’héroïne, qui devraient lui valoir d’«être célèbre en ce lieu et partout » (v. 179-182). Le recours d’Hildebert à l’apostrophe lui permet aussi d’esquisser un tableau de l’héroïne, discret mais d’un réalisme sans fard. Si la nudité de la femme est mentionnée (v. 184), c’est d’une manière qui respecte en tous points les règles de la décence et de la pudeur, grâce à une description minutieuse de son système pileux (v. 184187). Notons, au passage, que Paul de Naples la dotait de cheveux d’une blancheur de laine — d’une blancheur de neige, corrige Hildebert ; crépus selon Sophrone, ils deviennent chez Hildebert, « clairsemés, hirsutes, se hérissant sur le chef » de la femme, « non peignés, lui couvrant à peine la nuque ». Dans la description de l’évêque du Mans, tout semble fait pour écarter l’image d’une femme à la chevelure plantureuse, lui permettant de recouvrir tout le haut de son corps, celle en somme qu’une certaine iconographie a généreusement prêtée à la Madeleine. Par contre, Hildebert souligne d’autant plus fortement, à l’adresse de Zosime, que la femmeermite a remporté la victoire sur le monde dans les recès du désert (v. 182) et, qu’en domptant la chair (v. 189), elle a précédé, sur la voie de la perfection, le moine cénobite, si préoccupé d’exploits ascétiques conduisant aux sommets de la vie spirituelle (v. 179180). 187. soliti sine lege uagari : Larsen renvoie à Ovide, her. 15, 73 : ecce jacent collo sparsi sine lege capillos ; cf. ars 3, 133 ; met. 1, 470 ; Sénèque, Oed. 416 ; Phaed. 120 ; 803-804. 188-189. Ces deux vers forment la conclusion de l’apostrophe (v. 177-189) ; mais ils annoncent aussi la leçon qui émane de la vie de Marie l’Égyptienne : alors que ses jeunes années furent entièrement livrées aux impulsions de la chair, « elle a rejeté désormais

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tout ce qui fait une femme » ; en un mot, elle a remporté une victoire définitive sur sa nature. Les deux vers, parallèles et antithétiques, distinguent et opposent avec force les deux stades de son parcours, les errances de la chair, la victoire de l’esprit. Le premier panneau du diptyque illustre l’opinion commune de l’Église et de la société médiévales sur les femmes de tout âge et de toute condition. Michel Parisse l’a résumée en ces termes : « Tout d’abord la femme est dite ‘la fille d’Ève’, et comme telle, elle est l’image de la tentatrice. Le diable s’exprime et agit par elle. Elle est l’image de la beauté et on doit se méfier de tout son corps, de ses cheveux, de ses yeux, de sa bouche. Elle est la cause de la chute des hommes, victimes toutes désignées de l’attrait qu’elle exerce sur eux » (2004, p. 107). Bien entendu, le second panneau du diptyque corrigera cette fâcheuse impression : « Par bonheur, la femme est sauvée par la nouvelle Ève, c’est-à-dire la Vierge Marie » (Parisse, 2004, p. 108). Mais n’anticipons pas. 191. alite passu : cf. Ovide, met. 10, 587 : dum talia secum / exigit Hippomenes, passu volat alite virgo. Le lecteur aura reconnu la description d’Atalante, qui « surpassait à la course les hommes les plus agiles » (met. 10, 560/1), faite par Vénus à Adonis, avant de lui narrer la métamorphose d’Atalante en lionne et d’Hippomène en lion. En attribuant à la femme-ermite cette course rapide comme l’oiseau qui vole, Hildebert ne vise certainement pas une description exacte —, oublierait-il qu’elle a soixante-quatorze ans ? (cf. v. 396 ; 571), — mais il se complait à faire une citation, pour inviter son lecteur lettré à se souvenir de tout le passage (met. 10, 588-598), qui ne manque pas de charme, mais qui, de toute évidence, ne peut convenir à la course de Marie l’Égyptienne : « Le vent joue avec sa robe flottante, que repoussent ses pieds agiles ; avec ses cheveux, qui voltigent sur ses épaules d’ivoire ; avec la frange de sa tunique, arrêtée sous le genou qu’elle dessine… » C’est grâce à ces rappels discrets de morceaux choisis connus de ses lecteurs, jouant des antithèses qui opposent la réalité décrite aux citations suggérées, que l’évêque du Mans donne à son récit une coloration et une dimension inattendues. 193. moderatius ito. Hildebert n’a pas prêté à Zosime une course plus rapide que celle de la femme, comme l’avaient fait Sophrone et Paul de Naples. Il lui faut donc compenser le retard pris par le moine par un discours fictif, censé lui permettre de retenir l’attention du fugitif (v. 194-204). Pour ce faire, il reprend la plupart

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des arguments utilisés déjà par Sophrone (c. 11 : PG 87, 3705 BC) et Paul de Naples (c. VIII : PL 73, 677 C) : « Qui que tu sois, attends, …. arrête-toi un peu, serviteur de Dieu… pourquoi fuir un vieillard, un pécheur, qui fait pénitence comme toi ? N’est-ce pas pour l’amour du Christ que tu es, toi aussi, un moine qui s’est retiré au désert ? Accorde-moi donc ta bénédiction et le secours de ta prière. » —, Larsen renvoie à Ovide, met. 1, 510-511 : nympha, precor, Penei, mane ; non insequor hostis ./ nympha mane. De fait, la fuite de Daphné, plus rapide que le vent, qu’Apollon cherche en vain de retenir par ses discours, offrirait une référence conforme à la gravité de la scène, et lui conférerait une coloration épique, digne de l’enjeu poétique d’Hildebert. 195. non sum fera, supprime gressum : Larsen renvoie à Ovide, ars 3, 735 : quid facis infelix ? non est fera : supprime tela. Cet exemple est particulièrement bien choisi pour illustrer un aspect caractéristique de l’humour d’Hildebert, directement lié aux citations qu’il multiplie. En l’espèce, les mots : non sum fera, supprime… sont le décalque exact du vers d’Ovide. Le lecteur est donc invité à compléter la comparaison. Chez Ovide il est question de Procris, l’épouse fidèle, transpercée par le javelot de son mari Céphale ; voir H. J. Rose, 2003, 256 s. Chez Hildebert, les rôles s’inversent : puisque les tela de Céphale deviennent les pas rapides (gressum) de Marie l’Égyptienne, c’est Zosime qui devient, en quelque sorte, « l’époux fidèle ». 199. lustra ferarum : le pluriel de lustrum (de la racine : luo, lauo, gr. louvw  : laver, baigner) désigne les retraites des bêtes fauves, les bourbiers, les bauges dans lesquels elles se vautrent ; cf.Virgile, georg. 2, 471 : illic saltus et lustra ferarum. Du sens propre, on passe au sens figuré, de : bouge, mauvais lieu : Cicéron, Sest. 20 ; Lucrèce, IV, 1142. 204. illa gradum fixit : Hildebert a laissé tomber la longue description que ses prédécesseurs (Sophrone c. 11-12 : PG 87, 3705 C ; Paul de Naples (c.VIII : PL 73, 677 CD) avaient faite de l’endroit — une sorte d’alvéole ou de niche, comme façonnée par un torrent —, où les deux protagonistes, ayant achevé leur course, vont entamer le dialogue central du poème (v. 205-689) — la femme placée plus haut, et Zosime en contrebas. On aura deviné que ce luxe de précautions n’a d’autre but que d’empêcher Zosime d’avoir une vue plongeante sur « le corps fugitif ».

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— manibus subobsita : s’il s’agit de la leçon originelle et authentique — on pourrait, en effet, lui opposer la leçon du manuscrit V², qui appartient à la version a : uerecunda tegens ita —, le terme subobsita pourrait être un hapax, forgé par Hildebert, et dont la traduction demeure problématique. Signalons, à toutes fins utiles, un passage de Térence, Heaut. 294-295, qui comporte une description quelque peu ressemblante à celle de l’Égyptienne : praeterea una ancillula / erat ; ea texebat una, pannis obsita, / neglecta, inmunda inluuie. 205. Nous avons commenté les v. 205-210 dans l’Introduction ; il n’est pas nécessaire d’y revenir ici. 206. femina sum, Zosima : Sophrone (c. 12 : PG 87, 3705 D) fait grand cas de cette entrée en matière, car la femme avait salué Zosime en l’appelant :  jAbbç Zosimç  : (Père) abbé Zosime ; voir infra v. 234. 208 : quod petiisti : il s’agit de la bénédiction, demandée par Zosime au serviteur de Dieu (v. 201). 210. uersus retro da mihi uestem : Hildebert a envisagé une solution pour régler le problème évoqué plus haut (v. 204 s.) : Zosime se tournera et donnera à la femme sa cuculle, en marchant à reculons ; cf. Cicéron, fin. 5, 35 : ingredi retro. 211. inde cuculla datur : D’après la RB 55, 4,-5, l’habillement des moines comprenait un vêtement de dessous, la tunique (tunica), et un vêtement de dessus muni d’un capuchon (capellum ou capitium), la coule ou cuculle (cuculla) en étoffe mince pour l’été, en tissu velu ou plus chaud pour l’hiver (G. de Valous I, p. 230 ; cf. infra, v. 862). Chez Sophrone (c. 12 : PG 87, 3708 A), Zosime fait don de son manteau (iJmavtion);, chez Paul de Naples (c. XI : PL 73, 678 A), de son pallium, mais faut-il comprendre par là le manteau grec, ou le vêtement du dessus de la RB ? 212. La question préalable relative au vêtement de la femmeermite une fois réglée, reste à décider celle des préséances, qui commandera l’ordre de succession des bénédictions. A cet sujet, la RB 63, 1, décrète : « Au monastère, on gardera les rangs comme ils sont établis par le temps de l’entrée en religion et par le mérite de la vie, et comme en décide l’abbé » et, pour les rencontres : « Chaque fois que les frères se rencontrent, le plus jeune demandera la bénédiction de l’ancien » (RB 63, 15). Ces règles ne suffisant pas à trancher la question, la femme-ermite et Zosime vont l’examiner sous toutes ses faces ; mais d’abord chacun se prosterne et

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prie l’autre de le bénir (v. 215-220), le moine faisant assaut de politesse en employant le superlatif : sanctissima mater (v. 217), — ce détail est propre à Hildebert. 219. hec ratio litis, hec unica lis eremitis : faut-il prendre ce vers à la lettre, au premier degré, en le limitant à la scène décrite et aux assauts d’humilité que se livrent les deux protagonistes ? Ne pourrait-on pas y discerner aussi quelque allusion faite par Hildebert aux problèmes, voire aux conflits de préséance qui déjà auraient pu surgir dans le petit monde des nouveaux ermites, où pourtant aurait dû régner une entente parfaite ? (v. 219-220 : 232). 222. nisi res ordine pendis : l’exposé en trois points fait par la femme-ermite est propre à Hildebert. Ses prédécesseurs ne font guère jouer que le seul argument de la dignité sacerdotale de Zosime. Il est vrai que, pour Sophrone (c.13 : PG 87, 3708 B), il est décisif : dans la mesure où Marie est censée ignorer son nom et son identité de moine et de prêtre, Zosime tire de cette science paranormale un argument qui lui permet de conclure le débat. Nous en donnons la traduction : « Il est manifeste, ô mère spirituelle, à toute ta conduite, que tu t’es éloignée de ce monde pour être auprès de Dieu et que tu es déjà en grande partie morte au monde ; il est évident aussi qu’un don t’a été divinement conféré, puisque m’appellant par mon nom, tu affirmes que je suis prêtre aussi, alors que tu ne m’as jamais vu. Puis donc que la grâce (hJ cavriı) se reconnaît, non point aux titres et dignités (ejk t«n ajxiwmavtwn), mais aux manières de penser et d’agir spirituelles (ejk trovpwn yucik«n), je t’en prie, donne-moi ta bénédiction, au nom du Seigneur, car c’est moi qui ai besoin de la recevoir. » 223. offendis uere, dum uir petis a muliere : exprimé en ces termes, le premier argument énoncé par la femme, fondé sur la primauté du sexe masculin, paraît sans réplique ; Sophrone (c. 13 : PG 87, 3708 A) peut l’avoir inspiré, lui qui prête à Marie une profession d’humilité, formulée en ces termes : « Que croyais-tu [trouver, découvrir], Père Zosime, en voulant tellement voir une pauvre femme pécheresse ? Qu’as-tu voulu savoir ou apprendre de moi, pour avoir entrepris un voyage aussi pénible ? » Paul de Naples l’a reprise (c. IX : PL 73, 678 A), ainsi qu’Hildebert (v. 212-213). 225-226. uera loqui detur, transgressor iuris habetur : Curieusement, chez Hildebert, c’est la femme-ermite qui va élever le débat au niveau des principes généraux de la logique, de la recherche de la vérité et des fondements du droit, autant d’ arguments apodictiques,

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en vertu desquels elle entend conduire sa propre démonstration ; en fait, Marie sert de porte-parole à l’évêque du Mans, ardent défenseur de la dignité sacerdotale, face aux puissances séculières ; voir P. von Moos, 1965, p. 197-199. 227. tu uir, tu pridem monachus, tu presbiter idem : toujours la même rigueur dans l’argumentation de la femme, qui suit une gradatio, dont le climax (cf. Lausberg I, § 623) sera consacré à la dignité sacerdotale de Zosime.  230. manus uncta liquore : l’allusion à l’onction des mains de l’ordinand, faite par l’évêque avec le Saint-Chrême, au cours de la cérémonie de l’ordination sacerdotale, est propre à Hildebert. Il est vrai que ce rite est inconnu de l’Église grecque et de l’usage romain ancien, mais il est attesté par le Liber Pontificalis, comme le rappelle, à la suite de J. Morin , J. Bingham, Origines sive antiquitates ecclesiasticae, II, § 17 Antiquus modus et ratio ordinandi presbyteros, trad. latine de J.H. Grischow, Halle 1724, p. 292 ; voir P.F. Bradshaw, Ordination Rites of the Ancient Churches of East and West, New York 1990 ; trad. française : La Liturgie chrétienne et ses origines, Paris 1995, coll. « Liturgie ». 232. claret satis, o sacra mater. L’émotion trouble Zosime qui bafouille et bredouille sa réponse ; un lapsus lui échappe, qu’il ne peut rattraper, car il vient de donner à l’anachorète non point le titre : « sancta, ou sanctissima mater » (cf. v. 217), mais celui de « sacra mater – mater sacra » qui, en rigueur de termes, ne convient qu’aux moniales, consacrées conformément au cérémonial prévu à cet effet par le Pontifical romano-germanique ; voir R. Metz, La Consécration des vierges dans l’Église romaine. Étude d’histoire de la liturgie, Paris 1954. A l’époque d’Hildebert, ce rite est réservé à l’évêque du lieu ; voir R. Metz, La consécration des vierges. Hier, aujourd’hui, demain, Paris 2001, p. 54. On le voit, Hildebert, évêque du Mans, rappelle à point nommé aux contrevenants éventuels — il s’en trouvait peut-être parmi les nouveaux ermites, qui auraient innové en ce domaine — les règles liturgiques toujours en vigueur. 234. nam licet ignotus fuerim : Pour Zosime, il est évident que la femme-ermite jouit de dons spirituels éminents, puisqu’elle l’a appelé par son nom (v. 206 ; 236) et connaît sa dignité monastique et sacerdotale (V. 227 ; 235), alors qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant et n’avait jamais entendu parler de lui.Toute cette argumentation remonte à Sophrone ; voir le commentaire au v. 222.

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237. grata Tonanti : Jupiter Tonans, Capitolinus Tonans ou Tonans seul (Ovide, met.1, 170) désigne Jupiter, le dieu de la foudre. Les poètes chrétiens ont repris le vocable, qui leur offrait une finale commode pour les hexamètres. 239. uotum uita iuuabit : cette sentence rappelle irrésistiblement le vers de Virgile, aen. 10, 284 : audentes fortuna iuuat, commenté dans le vers suivant par une autre sentence, d’Hildebert cette fois. 240. uita beatorum uotis succurrit eorum : Hildebert adore ciseler des vers, frappés comme des sentences, sur les sujets les plus divers, et il y parvient aisément. Celle-ci fait écho à Matth. 7, 7 ; 18, 19 ; 21, 22 ; Jn 16, 23, etc. 242. nullus ei flexus uenit ex discrimine sexus : Larsen renvoie à Lucain, 10, 91 : non urbes prima tenebo / femina Niliacas : nullo discrimine sexus / reginam scit ferre Pharo. Nous donnons la traduction de J.J. Courtaud-Diverneresse, Paris 1836, éd. Panckouke : « Illustre César…je ne serai pas la première femme qui ait dominé sur le Nil. L’Égypte, sans considération d’aucun sexe, sait se soumettre aux volontés d’une reine. » La citation est tirée du discours adressé à César par Cléopâtre « pleine de confiance en sa beauté, relevant ses grâces par de simples atours, tels qu’ils conviennent à sa feinte douleur. » 243. nec pro persona datur auferturue corona : cf. Rom. 2, 11 ; Col. 3, 25; Eph. 6, 9; etc. 244. gratia uel meritum dat munus cuique petitum : l’emploi de l’adverbe : uel, est une manière élégante de rappeler la synergie de la grâce et des efforts de l’homme dans l’œuvre du salut, car à l’encontre de toute dérive « pélagienne », la doctrine reçue tient fermement que « tout mouvement de la volonté bonne est de Dieu » (Denzinger, 1995, n. 244, p. 85 : Indiculus, c. 4) et que la liberté de l’homme ne peut s’ordonner pleinement à Dieu qu’à l’aide de la grâce divine » (ibid. n. 4317, p. 918 :Vatican II, « Gaudium et spes », 17 ) ; voir J. Rivière, « Mérite », DTC X, 574-785 et Bernard de Clairvaux, La grâce et le libre arbitre. (SC 393). 245. his mulier cedit lacrimisque rogantis obedit : Hildebert se contente de noter que la femme-ermite finit par céder devant l’insistance de Zosime —, ce que disait Sophrone (c. 14 : PG 87, 3708 B : th’/ ejnstavsei toivnun paracwroËsa toË gevrontoı), traduit de manière étrange par Paul de Naples (c. X : PL 73, 678 C : stabilitati autem senis sancti compassa) ; ce dernier ne donne pas le texte de la béné-

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diction signalé par Sophrone : « Béni soit Dieu, qui procure le salut des hommes », à laquelle Zosime répondait  : « Amen. » 247. que pax sanctarum, quis sit status Ecclesiarum : Hildebert inverse l’ordre des préoccupations ecclésiales prêtées à l’anachorète par Sophrone (c. 14 : PG 87, 3708 C) et Paul de Naples (c. X : PL 73, 678 C) : peuple chrétien, rois, Église ; il place en tête de l’énumération la paix et la situation des saintes églises (v. 247), puis le zèle avec lequel les rois sanctionnent les lois (v. 148), enfin l’attention que le peuple chrétien apporte à respecter les droits des défunts (v. 249). 249. mortalia iura : allusion à l’usage clunisien du droit, détenu par tous les membres de la Cluniacensis ecclesia, moines ou non, d’être inscrits dans les registres mortuaires de l’Ordre et de participer aux prières pour les morts. La fête de la Commémoraison de tous les défunts, au lendemain de la Toussaint, fut instaurée par Odilon, le quatrième abbé du monastère de Cluny († 962). Plus importants étaient les suffrages pour les défunts, notamment le jour anniversaire du décès. Les prières étaient complétées par des repas servis aux pauvres le jour anniversaire. Cet usage clunisien fut repris localement, à l’initiative des évêques ; il s’inscrit de manière typique dans la ligne réformatrice de Cluny, attentive à joindre à la prière des activités sociales et caritatives. Hildebert révèle ici qu’il partageait cet idéal ; voir P. Engelbert, « Clunizensische Reform », LThK 2 (1994), 1236. 250. ille refert meritis eius precibusque beatis // Christicolas letos : Hildebert inclut dans une même dynamique le salut de tous les chrétiens : dans leur vie et après leur mort, il se fonde sur les mérites de Jésus-Christ et les prières de l’Église. Pour le développement de la théologie concernant une purification après la mort, voir G.L. Müller, « Fegfeuer III.-IV », LThK 3 (1995), 1205-1208. 251. festa pace quietos : Larsen renvoie à Ovide, met. 2, 795 : et tandem Tritonida conspicit arcem, / ingeniis, opibusque, et festa pace virentem. Il s’agit de la description de la cité de Minerve, où fleurissent les arts, où règne l’abondance, mais que l’Envie menace de perturber. 252. post hec persuadet eidem : après avoir répondu aux questions de Marie sur la paix des églises et la foi du peuple fidèle (v. 250252), Zosime propose à son interlocutrice des intentions de prière, comme le faisaient à l’époque d’Hildebert les curés invitant leurs ouailles à prier aux intentions qu’ils leur indiquaient dans les

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« prières du prône ». Cet usage s’était établi en France dès l’époque carolingienne ; voir A. Heinz, « Allgemeines Gebet », LThK 1 (1993), 410. 253. ut, que nunc floret, ne quando marceat, oret : cette intention de prière « pour que demeure vivante la foi des chrétiens » et la suivante «  pour que soit réveillé le sens de la justice chez les prélats, les chefs des vénérables églises » (v. 254-255), appartiennent en propre à Hildebert. 256. ea paret, sternitur, orat : La description faite par Sophrone et Paul de Naples de l’anachorète en prière, tournée vers l’Orient, les yeux et les bras levés vers le ciel, a été omise par Hildebert, qui l’a remplacée par un morceau de son cru (v. 260-264), montrant Zosime figé d’admiration devant le spectacle offert à sa vue : tout ce qu’il contemple témoigne de la piété (v. 261) et de la vertu (v. 263) de la femme-ermite. Hildebert tire la leçon de l’épisode par une belle sentence, à son accoutumée : cuncta beatorum sunt argumenta laborum (v. 264). 257. astra subit mente, grates agit ore silente : le vocabulaire de cette section (v. 257-265) est, pour une large part, tributaire des poètes de l’époque d’Auguste (Virgile, Horace; Ovide…), mais l’infinie variété des sens, concrets et figurés, de la plupart des mots accroît à l’extrême les difficultés de la traduction, qui devient nécessairement approximative. 258. mens in secreto pulsat clamore quieto : comment, en effet, traduire de manière satisfaisante les termes : mens, (cœur, âme, esprit), pulsat (frapper, pousser, faire vibrer), clamor (cri, clameur), sans compromettre la vigueur de l’oxymore : clamore quieto ? 267. Sophrone (c. 15 : PG 87, 3768) précisait que ledit phénomène se produisait à environ un pied du sol («w e{na p∞cun ajpo; t∞w g∞w). Hildebert omet ce détail ; il lui importe davantage d’en indiquer la signification spirituelle : la distance du sol signifie que la sainte refuse désormais d’être « contaminée » au contact « contagieux » de ce qui est terrestre  (cf. v. 268-269). 269. Ce vers et le suivant sont propres à Hildebert, qui suggère une explication théologique du phénomène de « lévitation » attribué à l’anachorète ; en fait, il évoque indirectement les débats contemporains relatifs à l’Assomption de Notre-Dame. L’évêque du Mans nous a laissé trois sermons sur ce sujet, qui lui tenait particulièrement à cœur (PL 171, 627-639), à tel point que, devenu archevêque de Tours, il demanda à l’évêque Guido, son successeur,

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de donner plus de lustre à la célébration liturgique de cette festivité ; voir la notice des Gesta episcoporum Cenomanensium, citée en note (PL 171, 627 D). —, contagia : le terme : contagium, et chez les poètes : contagia, au pluriel, signifie : contact, contagion, influence ; voir F. Gaffiot, p. 414. 272. sic monacho coram superum fuit hospes ad horam : Aux yeux d’Hildebert, Marie l’Égyptienne est associée pendant un laps de temps très bref au mystère de l’Assomption de Notre-Dame, mais l’affirmation théologique, énoncée dans le vers suivant — ignorée de ses prédécesseurs — révèle la conviction profonde que l’évêque du Mans entretenait sur cette question, très débattue de son temps ; voir F. Courth, «  Aufnahme Marias in den Himmel », LThK 1 (1993), 1216-1220 (Bibliographie). Rappelons qu’à l’origine de la fête de l’Assomption se trouve la mémoire liturgique de la Mère de Dieu, célébrée en Syrie dès la fin du IVe siècle, et attestée à Jérusalem, à la date du 15 août, vers le milieu du Ve.. Cet usage se concrétise en Orient sous la forme de la dormitio ou de la pausatio de Marie, qui fut reçue dans la liturgie romaine vers le milieu du VIIe siècle ; voir Th. Maas Ewerd, « Marienfeste », LThK 6 (1997), 1371. 273. talibus expauit Zosimus monstrumque putauit : une brève comparaison avec le texte de Paul de Naples permettra d’apprécier l’élégante discrétion d’Hildebert qui, en deux vers, substitue aux notations physiques de son modèle des considérations abstraites, d’une grande sobriété.Voici le texte de diacre napolitain : « A cette vue, saisi d’une grand frayeur, [Zosime] se prosterna à terre, tout baigné de sueur et, terrifié, n’osant dire mot, il se disait en luimême : Seigneur, aie pitié de moi. Et comme il gisait à terre, il était scandalisé dans son esprit, se demandant si ce n’était pas un fantôme qui faisait semblant de prier. » (c. X : PL 73, 679 A) 275. En contrepartie, Hildebert développe sur une vingtaine de vers (v. 275-295) la mise au point faite par la femme-ermite : Zosime s’égare et lui fait injure, dit-elle, s’il la prend pour un fantôme malfaisant (v. 275-279) ; elle n’est qu’une pauvre femme, une grande pécheresse (v. 280), chair, poussière et cendre v. 281284). Après avoir reconnu son indigence, son néant, et rendu grâce à Dieu pour tous ses dons (v. 285-289), elle se laisse aller à une sorte d’amplificatio certae rei (Lausberg I, § 409) sur la fragilité des choses humaines, faite de citations tirées de la Bible (v. 290-295).

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Chez Sophrone (c. 15 : PG 87, 3709 A) et Paul de Naples (c. XI : PL 72, 679 AB), Marie achève son discours en marquant d’un signe de croix son front, ses yeux, ses lèvres et sa poitrine, en disant : « Que Dieu, Père Zosime, nous délivre du Malin (ejk toË ponhroË) et de ses embûches, car grande est sa jalousie envers nous. » —, sed, quod fallatur, docet hec : au sujet de la complétive avec quod, voir Bourgain, p. 35-36, 96. 280. sum mulier misere sortis : Larsen renvoie à Lucain 2, 45 : o miserae sortis, quod non in punica nati / tempora Cannarum fuimus, Trebiaeque juventus ! Il s’agit des regrets exprimés par les citoyens romains contraints de choisir entre César et Pompée quand éclate la Guerre civile. 281. sum caro mortalis, palpatica, materialis : dans sa description de la « chair », Hildebert, par la bouche de la femme-ermite, a recours non seulement à la tradition biblique (Gen. 3, 19 : v. 283), mais également à la pratique médicale (v. 281 : palpatica), à l’observation scientifique (v. 281 : materialis ; v. 282 : anima uiget ; v. 284 : tempore mutatur ; v. 282 : indiget escis). Était-il nécessaire de faire d’elle une « femme savante », pour impressionner le moine Zosime ? — , palpatica : ce terme est inconnu de la littérature classique ; s’il s’agit d’un néologisme inspiré de Plaute, dont le sens, le plus proche de ses modèles : palpator, palpatio (cf Men. 260 : tum sycophantes et palpatores plurimi ; cf. ibid., 607 : palpationes ; Rud. 126) serait : sensible au toucher, aux caresses. 283. saniem cineresque minatur : Hildebert ne résiste pas au plaisir de citer Horace, lui aussi sans illusion sur le cours des choses (cf. v. 284), lorsqu’il charge sa Muse de répondre à son cher Celsus Albinovanus (Ep. 1, 8, 3 : si quæret quid agam, dic multa et pulchra minantem / vivere nec recte nec suaviter, quia… 289. Larsen renvoie à Eccle 7, 1 : (homo) velut umbra praeterit, et à Sap. 2, 5 : umbrae enim transitus est tempus nostrum ; cf. 1 Par.29, 15 (Vg) : dies nostri quasi umbra super terram ; — , nos actus turbine fumus : cf. Osee 13, 3 : idcirco erunt… sicut pulvis turbine raptus. 290. Larsen renvoie à Is. 40, 6-8 : omnis caro fœnum, et à Ps. 102, 15 : homo, sicut fœnum dies ejus ; tamquam flos agri sic efflorebit. 293. quo nos Natura remittat : Hildebert parle ici de la Nature personnifiée (cf. Cicéron, nat. 2, 142 : quis opifex praeter naturam ?), de l’ordre naturel, établi par la Nature. Pour Salluste, Jug. 14, 15, mourir, c’est obéir aux lois de la nature. Malgré la polémique

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chrétienne, qui commence avec Lactance et continue avec Prudence, la Nature païenne n’a jamais complètement disparu de la conscience humaine. Sur la place qu’elle occupe chez les auteurs du Moyen Age, voir Curtius, 131-156 ; M. de Gandillac, 1992, p. 199-210. 295. Larsen renvoie à Ovide, ex Ponto 4, 3, 35 : omnia sunt hominum tenui pendentia filo. Chez Hildebert, c’est l’idée de la mort omniprésente, inéluctable, plus même, apparemment, que celle de la fragilité de la vie, qui hante tout le développement des v. 289295. Et c’est bien cette idée que met en relief le v. 295. 296. La semonce que lui a adressée la femme-ermite a convaincu Zosime de son erreur ; il révise son jugement, reconnaît sa faute et implore son pardon (v. 297) ; puis, avec force pleurs et gémissements (v. 298), il supplie la femme de ne rien lui cacher, mais de tout lui révéler de son passé et de son présent (v. 299-300). Pour la convaincre, il ne se contente pas de faire valoir le bénéfice personnel qu’il en retirera lui-même (v. 302), mais il fait jouer la volonté de Dieu qui, en guidant ses pas (v. 303), en provoquant cette rencontre en dépit de tous les obstacles (v. 303-307), a manifesté clairement son dessein : faire connaître partout, pour la gloire du Christ (v. 309), cette lumière cachée au désert (v. 310-312). L’essentiel de cette argumentation remonte à Sophrone (c. 16 : PG 87, 3709 AB), et à Paul de Naples (c .XI : PL 73, 679 C), qui citent, à l’appui de leur démonstration : Eccli 41, 17 : sapientia abscondita et thesaurus invisus, quæ utilitas in utrisque ? 302. proderit audiri, uult et Deus hec aperiri : c’est pourquoi il serait sans doute abusif de prétendre que Zosime, pour satisfaire sa curiosité, est allé jusqu’à invoquer le fameux cri de ralliement des Croisés de la première croisade (1096-1099) : « Deus le volt » ; voir J.A. Brundage, 1969, p. 19-29. 311. non uult abscondi Deus inclita lumina mundi : cf. Matth. 5, 14 s., Luc. 11, 33. 313. ergo, quod egisti, refer in preconia Christi : la conclusion du raisonnement est vigoureusement assénée par la conjonction : ergo. Mais en quoi la gloire du Christ est-elle concernée ? Chez Hildebert, cela n’apparaît plus aussi clairement que chez ses prédécesseurs : ceux-ci, en effet, formulaient en ces termes le début du discours de Zosime « Je t’adjure par le Seigneur Jésus-Christ, notre vrai Seigneur, qui a daigné naître de la Vierge, pour qui tu as embrassé la nudité

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(hjmfiveso th;n guvmnwsin : hanc induta es nuditatem), et pour qui tu as exténué à ce point tes chairs, dis-moi… »  316. hec ait, et lacrimis ad uota recurrit opimis : les larmes et les gémissements jouent un rôle important chez les protagonistes du poème. Zosime y recourt pour arracher ses aveux à la femmeermite (v. 298 ; 316), exprimer sa déception de ne pouvoir la retrouver (v. 700 ; 708 ; 728), entreprendre des recherches difficiles (v. 795 ; 797) ; donner libre cours à sa douleur (v. 789 ; 829 ; 851) ; l’anachorète ne peut les retenir lorsqu’elle évoque ses péchés de jeunesse (V. 318 ; 334 ; 420 ; 495 ; 570), son repentir, sa conversion (v. 497 ; 505 ; 600 ; 603 ; 607) ou sous le coup d’une grande émotion (v. 734 ; 752). Leur commune liturgie nocturne sur les bords du Jourdain est particulièrement marquée par ce phénomène (v. 746). En guise de conclusion, Zosime proclame la vertu purificatrice des larmes, devenues la métaphore par excellence du repentir. Sans minimiser la part de la tradition littéraire, qui remonte aux héros d’Homère, il convient de prendre en compte la tradition spirituelle, fondée sur les textes bibliques des Psaumes et, dans le Nouveau Testament, sur les Béatitudes (Lc 6, 21), Jésus (Lc 19, 41 ; Jn 11, 35), et Paul (Rom. 12, 15) ; voir M. Plattig, « Tränengabe », LThK 10 (2001), 165 ; DSp 9, 287-303. 317. Avant d’entamer le récit de sa vie aventureuse (v. 340-458), de sa conversion (v. 475-558) et de sa pénitence au désert (v. 571665), Marie l’Égyptienne semble sacrifier à la topique de l’exorde (Curtius, 106 s.). En réalité, c’est Hildebert qui s’efforce de justifier son entreprise aux yeux des lecteurs, dont les griefs ne sont nullement négligeables : le poète aborde un sujet scabreux ; à vouloir décrire en détail une vie honteuse, qui devrait être passée sous silence, ne court-il pas le risque de blesser les règles les plus élémentaires de la pudeur (v. 318-324) ? Hildebert est parfaitement conscient du danger auquel il s’expose et des reproches qu’il encourt (v. 325) ; s’il a résolu, malgré tout, de faire connaître les turpitudes d’une femme, c’est en action de grâce pour sa conversion (v. 328). Manquer à ce devoir de reconnaissance serait une faute inexpiable (v. 329-330). Ce n’est, certes, pas chose aisée de soumettre ce récit à un public monastique (v. 332), mais c’est le prix à payer pour mériter le pardon divin (v. 326 ; 333). Une comparaison avec le paragraphe correspondant de Paul de Naples (c. XII : PL 73, 679 D) s’impose, si l’on veut mesurer la différence de style entre les deux auteurs. Chez ce dernier, la femme

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s’exprime en ces termes : « Je rougis vraiment, mon Père, de te dire la turpitude de mes actes ; cependant, parce que tu as vu mon corps nu, je dénuderai aussi pour toi les œuvres de ma conduite, afin que tu connaisses combien mon âme est remplie des taches de la luxure et de l’opprobre de la confusion » ; et plus loin ; « Je sais que, si je commence à raconter ce qui me concerne, tu fuiras loin de moi, comme quelqu’un prend la fuite devant un serpent…Je parlerai cependant, sans rien nier, mais rapportant le tout le plus exactement possible, te suppliant de ne point cesser de prier pour moi, afin que je mérite et que je trouve miséricorde au jour du jugement ». Le vieillard, couvert de larmes, pleurait. Alors la femme commença de raconter ce qui la concernait, parlant ainsi... » 320. mi pater, exploras ? plus crimine nosse laboras : dans la réponse de la pécheresse repentie, disposée à faire sa « confession », Hildebert rappelle les limites qui s’imposent à la discrétion du confesseur, du fait que, d’après la doctrine traditionnelle relative à la matière obligatoire de l’aveu, seules les fautes graves (crimina) la contituent ; voir Denzinger, 1995, sub K 6 cc : « tous les péchés mortels dont le pénitent est conscient » : ibid., n. 1680, 1682, 1707. 332. ad horam : l’expression revêt plusieurs sens ; ad horam venire = arriver à l’heure, ponctuellement ; ici, c’est plutôt : présentement, maintenant, pour un temps ; cf. v. 271. 336. largus fluit undique sudor : ce détail a été emprunté par Hildebert à Paul de Naples, qui l’attribue à Zosime, contemplant le phénomène de « lévitation » de l’anachorète ; cf. v. 273. 339. paupere cultu : cf. Horace, epist. 2, 2, 123 : luxuriantia conpescet, nimis aspera sano / levabit cultu, virtute carentia tollet. Ces deux vers appartiennent à la célèbre épître d’Horace, adressée à son ami Julius Florus, dans laquelle il explique les motifs qui l’ont décidé de faire ses adieux à la poésie, et de s’occuper désormais sérieusement de l’art de vivre, dans lequel il a encore beaucoup à apprendre. La section des vers 106-125 d’Horace expose les infinies précautions dont doit se munir le poète pour faire taire les censeurs intraitables, prompts à le reprendre, pour la moindre vétille. Par ce renvoi explicite à Horace, au moment même où il va commencer sa narration, Hildebert déclare donc équivalemment à ses censeurs que son vocabulaire sera des plus châtié ; nous aurons l’occasion de voir qu’il a tenu parole 340. germine non humili genuit me patria Nili. Les commentateurs ont relevé à l’envi le fait qu’en situant son héroïne dans une classe

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aisée, Hildebert la rendait plus digne de susciter l’intérêt des nobles correspondantes auxquelles il s’adressait. La chose va de soi. Ce qui apparaît aussi, c’est que, dès le premier vers de son récit, l’auteur remplit la promesse qu’il vient de faire (v. 339) : pour indiquer l’origine distinguée de Marie l’Égyptienne, il cite Horace, évoquant une autre Égyptienne de renom, Cléopâtre : non humilis mulier (carm. 1, 37, 32). Celle-ci vient de mettre fin à ses jours, non muliebriter, en se faisant piquer par les serpents (ibid., v. 21-28). Le dernier mot du poème d’Horace est triumpho, le triomphe du vainqueur offrant à la foule de Rome ses ennemis vaincus. Cléopâtre a échappé à cette humiliation, mais le triomphe de Marie l’Égyptienne ne lui est-il pas supérieur ? (cf. v. 310-312 ; 895-899). 341. sed postquam creui, generis titulos aboleui. Ce vers est le seul de toute la section : v. 341-359, qui ait un équivalent chez les prédécesseurs d’Hildebert, à savoir : chez Sophrone (c. 18 : PG 87, 3709 D) : zwvntwn de; t«n gonevwn mou... th;n proı ejkeivnouı storgh;n ajqethvsasa  ; chez Paul de Naples (c. XIII : PL 73, 680 A) : parentibus meis viventibus, …affectum illorum spernens, Alexandriam veni. C’est dire que tout le reste de ce passage (v. 342-359) est une création d’Hildebert. —, generis titulos aboleui : le lecteur nous pardonnera un anachronisme ; pourquoi ne pas rapprocher de ces mots un fragment de vers du célèbre sonnet de Gérard de Nerval, El desdichado  : « Le prince d’Aquitaine à la tour abolie ». Quelle que soit l’interprétation que l’on donne de ce poème, il s’agit d’une personne noble, sombrée dans le malheur, pour avoir « aboli » (ou : vu abolir) ses titres de noblesse. 342. Évoquant l’éducation morale reçue par Marie dans sa famille, Hildebert distingue nettement celle que dispense le père, qui s’efforce calmement (modice), posément, de lui inculquer les préceptes (precepta) d’une vie honnête et digne, et l’investissement continuel de la mère, ressassant à sa fille les lois intangibles (decreta) de la pudeur (v. 343). Marie est ainsi balottée entre son brave homme de père et sa mère, « la Censure » (censoria). Elle admet que celle-ci a joué auprès d’elle le rôle que la tradition lui imposait (ut est moris), expose le contenu de ses recommandations (v. 344-350) et l’effet désastreux qu’elles ont produit (v. 351-359). — , inde : si le sens « par suite de cela, en », est le plus commun, celui de « pour cela », qui convient davantage ici, apparaît aussi ; voir Bourgain, 2005, p. 40, 141, 325, 360.

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343. censoria mater : cf. Horace, ars 173-174 : difficilis, querulus, laudator temporis acti / se puero, castigator censorque minorum. S’il est vrai qu’Horace visait un vieillard grognon, systématiquement hostile au temps présent, plusieurs traits de sa description semblent aussi convenir à la mère de Marie. 345. dedocuit questum : compte tenu des divers sens que peut revêtir le mot : quaestus, on peut comprendre : une recherche gratuite, pour son seul plaisir, ou : le fait de monnayer ses charmes et, bien entendu, les deux éventualités. Compte tenu des sources littéraires habituelles d’Hildebert, on donnera la préférence au sens fort, attesté par Térence, Heaut. 639/ 640 : …abs te filia est planissume / per te uel uti quaestum faceret uel uti ueniret palam : « ta fille a été vouée par ta faute soit à faire le métier soit à échouer en vente publique » (Traduction de J. Marouzeau). 346. Pour les vers 346-348, et la comparaison avec les Sabines, Larsen, p. 99, renvoie à deux poèmes d’Hildebert, carm. 30, 9-10 : illa quoad vixit sanctas induta Sabinas, / plena Deo nona luce Novembris obit et 35, 7-8 : in vultu regina tuo est, redoletque Sabinam non levis incessus, nec datus arte decor. Il observe à ce propos fort judicieusement que le poète déploie ce concept par amplification (den Begriff amplifizierend ausfaltet) et dévoile les nombreuses significations qu’il implique (und die ihm innewohnenden Bedeutungen offenlegt). Mais comment connaître ces significations implicites ? Ne reposent-elles pas d’abord sur les textes de l’Antiquité classique, qui constituent le dossier de référence de ces significations ? Dès lors, ne convientil pas de rechercher dans chaque cas les lieux de référence auxquels certainement ou vraisemblablement Hildebert fait allusion ? — par esto Sabinis : l’allusion d’Hildebert prend ici toute sa force à la lecture d’Horace, epist. 2, 1, 18-25, adresssée à l’empereur Auguste. Le poète y décrit le goût littéraire suranné du peuple romain, qui reste attaché aux auteurs anciens, insensible aux mérites de la poésie moderne. Le conflit entre Marie et sa mère prend ainsi l’allure d’un conflit de générations. La mère de Marie est censée lui rappeller [la Loi des Douze Tables et les traités qui furent conclus à l’époque des rois avec Gabies et avec] les rigidi Sabini, ce qui oriente la traduction vers les significations : ‘graves, rudes, raides, inflexibles sur les principes moraux’, impliquées par les citations des poèmes d’Hildebert, mentionnées au v. 346.  347. Joignant les menaces au rappel des principes, la mère de Marie lui donne quelques conseils appropriés à une jeune fille de

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bonne famille en quête de mari : réserve, sérieux, modestie, douceur. Un proverbe, lourd de tous les périls auxquels s’exposent les écervelées qui n’en tiennent aucun compte, sanctionne le discours : Personne n’apprend trop tôt à éviter les dangers à venir (v. 349). 350. Le mot de la fin : C’est à tout âge qu’il convient de faire effort pour vivre honnêtement, ne ressemble-t-il pas à un témoignage d’autosatisfaction de la mère, consciente d’avoir accompli son devoir  à l’égard de sa fille, rétive à ses admonestations ? 351. Marie reconnaît franchement avoir entendu les recommandations de ses parents, conjuguant leurs efforts : —, assistentes  le verbe revêt ici un sens qui n’est attesté que chez des auteurs chrétiens ; voir A. Blaise (1954), p. 58 : lutter ferme contre :Tertullien, Ieiun. 17 ; s’attacher fermement, tenir fortement à : Cyprien, orat. 15 : assistens cruci ; Sent. episc. 23 : - ecclesiae. 352. sed tribui uentis monitus utriusque parentis : il est significatif que, pour décrire la vie dévergondée de l’Égyptienne, Hildebert quitte Horace pour retrouver Ovide. Les citations, indiquées par Larsen, sont transparentes : am. 1, 6, 42 : verba dat in ventos aure depulsa tua ; her. 2, 25 : Demophoon, ventis et verba et vela dedisti. 355. extunc auerti thalami connubia certi : Hildebert revient à Horace, par cette allusion aux mariages des Gètes, encore régis par la fidélité des conjoints : carm. 2, 24, 21-24 : dos est magna parentium / virtus et metuens alterius viri / certo foedere castitas, / et peccare nefas aut pretium est mori. 357. sustinui gratis dispendia uiginitatis : l’idée vient de Sophrone qui, pour mieux souligner le dévergondage de la jeune fugitive, déclare que souvent elle ne faisait pas payer ses faveurs (c. 18 : PG 87, 3709 D). Sur la lancée, Paul de Naples prétend que c’était là (gratis implens stupri mei et sceleris desiderium) une manière d’assouvir sa passion et un moyen d’attirer davantage de monde (c. XIII : PL 73, 680 B : ut amplius ad me facerem currere). On notera qu’Hildebert place les premières expériences sexuelles de l’héroïne, faites comme par défi (v. 356), avant même sa fuite à Alexandrie, qui n’est mentionnée qu’au v. 359. 360. statuo communis haberi : le contexte semble exiger un terme plus énergique que : commun, ordinaire, qui se perd dans l’anonymat de la foule ; en fait, le sens trivial est resté attaché à l’expression : fille publique. 361. Les vers 361-396 sont propres à Hildebert : ils explicitent l’acception proposée au v. 360, d’abord décrite sous les aspects les

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plus divers (v. 361-378) et hautement revendiquée (v. 365 ; 371374), mais jugée aussi, après coup, sans aucune indulgence (v. 379396). 364. usibus impostis, nature crimen et hostis : au vu des variantes des manuscrits, le texte semble admettre deux libellés : usibus et uisibus. Nous avons retenu celle de l’éditeur. La seconde, confirmée par le v. 82, donnerait aussi un sens satisfaisant. On pourrait traduire le vers comme suit : « aux yeux des observateurs attentifs, [j’apparaissais] comme un outrage à la Nature et son ennemie. » De fait, au regard des moralistes de l’époque, qui rappellent les données du droit naturel, ladite profession va directement à l’encontre des fins du mariage : l’unité, l’indissolubilité du lien matrimonial, la procréation et l’éducation des enfants ; voir G. Le Bras « Mariage. III. La doctrine du mariage chez les théologiens et les canonistes depuis l’an mille », DTC IX, 2126 s. 378. quas acus et fusus uite donarat in usus : Sophrone avait imaginé que, faute d’amants, l’Égyptienne vivait pauvrement, se contentant souvent des revenus de la mendicité ou plutôt du produit de son travail de fileuse (c.18 : PG 87,3712 A : prosaitoËsa dievzwn, kai; pollavkiı stuvppion nhvqousa). Hildebert n’a jamais supposé que son héroïne ait pu s’abaisser jusqu’à mendier ; cependant, il n’exclut pas qu’elle ait su tirer l’aiguille et manier le fuseau, et réaliser par son travail des gains appréciables. 379. manus accedebat egentis : Hildebert précise que le travail était le recours de Marie, lorsqu’elle était dans le besoin. —, his instrumentis : datif de destination. 380. L’hymne à la gloire de l’aiguille et du fuseau, qui suit aussitôt, est empreint d’une touchante nostalgie ; comme si Marie, parvenue à l’extrême vieillesse, rêvait au cours que sa vie aurait pu prendre si elle avait opté pour les humbles travaux d’une fileuse. Puissent du moins les jeunes, auxquels Hildebert s’adresse par son entremise, entendre ses conseils ! 382. En pédagogue avisé, Hildebert place ici une philippique contre l’ivrognerie, compagne obligée de la gourmandise et de la luxure (v. 383). 396 annos ter ternos exegi bisque quaternos : Hildebert se fait un jeu et une joie de reprendre la manière de compter propre au monde antique. De ce fait, il lui faut jongler avec les multiplications et des additions de nombres premiers : ici, pour dire 17, il additionne 3 x 3 et 2 x 4. On notera que Sophrone (c. 18 : devka eJpta; kai; pro;ı

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ejniautou;ı : PG 87, 3709 D) et Paul de Naples (c. XII : decem et septem et eo amplius annos : PL 73, 680 A) parlaient de dix-sept ans et plus. —, à la différence de plusieurs de ses contemporains, dont Hugues de Saint-Victor, et Odon de Morimond, Hildebert ne témoigne pas d’intérêt particulier à la symbolique des nombres ; voir M.D. Chenu, La Théologie au XIIe siècle, Paris 1957, p. 163 s. Pour ce qui concerne le symbolisme du nombre 17, voir Thibaut de Chartres, Traité sur le symbolisme des nombres. Un aspect de la mystique chrétienne au XIIe siècle, Texte critique et traduction par R. Deleflie, Langres 1978, p. 48. 397. Ici commence la section du récit qui conduit l’héroïne d’Alexandrie à Jérusalem (v. 397-445). Elle comporte deux parties bien structurées : la rencontre de l’équipage du bateau et le départ de Marie (v. 397-413) ; la traversée, décrite en deux mouvements (v. 414-419 ; 423-440), séparés par une sorte d’interlude (v. 420422), et s’achevant sur une brève conclusion (v. 441-445). 400. Ierosolimis imus : Hildebert ne reprend pas ici l’indication donnée par ses prédécesseurs sur la nature du voyage à Jérusalem, à savoir le transport de pèlerins désireux de participer aux prochaines festivités de l’Exaltation de la Sainte Croix (Sophrone, c. 19 : PG 87, 3712 A : t∞w Uywvseww e{neken toË timivou stauroË ; Paul de Naples, c. XIII : in Jerosolymam omnes ascendunt ob sanctae crucis exaltationem : PL 73, 680 C) ; il ne la mentionnera qu’une fois l’Égyptienne arrivée à destination (v. 452), si bien qu’au départ, elle est censée l’ignorer. Sur l’origine de la dévotion à la Sainte Croix et l’instauration de la fête en question, voir S. Heid, « Kreuz IV », LThK 6 (1997), 445-446 (Bibliographie). 402. si naulum dederis. Le terme : naulus, d’origine grecque, apparaît pour la première fois en latin chez Juvénal, 8, 97 : furor est post omnia perdere naulum ; pour l’interprétation de cette pointe, voir E. Courtney, A Commentary on the Satires of Juvenal, London 1980, p. 399. 409. gressus impressit arenis : cf. Ovide, met. 8, 809 : credidit, et verso dominus pede pressit arenam. Il s’agit, cette fois, de l’épisode de Protée et de la nymphe Mestra, qui s’achève par le châtiment de l’impie Erysichton ; voir H.J. Rose, 2003, pp. 92 et 353, note 77. 412. Larsen renvoie à Ovide, her. 12, 177 : in faciem moresque meos noua crimina fingis. Dans cette lettre, adressée à Jason, qu’elle soupçonne « d’inventer de nouvelles accusations contre sa figure et ses

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mœurs », Médée l’avertit que « tant qu’il y aura du fer, de la flamme et des sucs vénéneux, aucun ennemi de Médée n’échappera à sa vengeance ». Une fois de plus, chez Hildebert, le contraste entre le récit et l’allusion au texte classique « réemployé » constitue un signe amical fait au lecteur. 413. proiicio fusum : il a été question au v. 378 des travaux d’aiguille et de fuseau, qui contribuaient à la subsistance de l’Égyptienne. Dans la traduction latine de Sophrone, le terme grec hJlekavth — inconnu du Dictionnaire de Bailly — est rendu par colon (c. 20 : PG 87, 3712 B) ; Paul de Naples l’a traduit par fusum (c. XIV : PL 73, 680 D). —, succingor euntis in usum : compte tenu du contexte, où tous les verbes sont à l’actif, le verbe succingor est-il au passif ou bien revêt-il le sens d’un verbe déponent ? On pourrait alléguer une citation d’Horace, sat. 2, 6, 107, veluti succinctus cursitat hospes, tirée du récit de la souris campagnarde conviant à un festin sa congénère de la ville. 422. resecuta est precantem ; cf. Ovide, met. 6, 36 : talibus obscuram resecuta est Pallada dictis, ou encore met. 13, 749 : Nereis his contra resecuta Cratæide natam. 430. cura fuit sonti per mille pericula ponti : Larsen renvoie à Ovide, met. 14, 439 : dixerat, et sævi restare pericula ponti /pertimui, fateor, nactusque hoc litus adhæsi, ou encore à trist. 5, 2, 29 : utque uiæ casus, ut amara pericula ponti / ut taceam strictas in mea fata manus. L’expression peut désigner soit les dangers de la navigation, soit plus généralement les périls de la mer. 438. quod tot, quod tantis non obstitit ira Tonantis : (cf. v. 395 ; 786 ; 879 : Hildebert n’utilise guère l’expression qu’au génitif et en fait un nom propre). Chez Horace, epod. 2, 29 : caelo tonantem credidimus Iovem / regnare, il s’agit d’un participe à valeur d’adjectif, attribué à Jupiter ; cf. Horace, carm. 3, 5, 1. 440. inter mille fere mortes mala tuta fuere : Larsen renvoie à Lucain, 3, 689 : mille modos inter leti, mors una timori est, / qua cœpere mori : « entre mille morts, on ne craint qu’une mort, celle par où on a commencé à mourir ». Nous empruntons la traduction à Ph. Chasles, éd. Panckoucke, Paris 1835.  441. sed Dominus lesus, qui nouit parcere Iesus : Hildebert évoque le mystère de l’amour miséricordieux du Sauveur dans le Sermon 124 ad monachos : commentant la béatitude : Beati misericordes (Matth. 5, 7), il cite expressément le Bon Larron et Marie la péche-

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resse (= Marie Madeleine) parmi les bénéficiaires de cette miséricorde. 444. quod, licet iratus, differt punire reatus : la longanimité du Seigneur, justement offensé par les péchés des hommes, a inspiré les deux thèmes vétéro-testamentaires conjoints de sa juste colère (Ps. 78, 5 ; 84, 6, etc) et de sa longue patience (Ezech. 18, 23 ; 32, 11 ; Sap. 1, 13, etc.). Ce dernier est repris par I Tim. 2, 4, et les apologistes, dès le IIe siècle ; voir, par exemple, Justin, Apol. 2, 6 (7), 1. 445. Sans même avoir à relever en détail les correspondances entre le récit de Paul de Naples et celui d’Hildebert, on se doit de souligner deux points : non seulement l’évêque du Mans passe sous silence plusieurs outrances de son prédécesseur – notamment une partie du c. XIV : PL 73, 681 A, — mais, pour les vers 414-422 ; 425-434, il ne lui doit absolument rien ; d’autre part, dans cette section, la dette d’Hildebert à l’égard des classiques latins demeure très modeste, limitée à quelques réemplois prosodiques. 446. Ce vers sert de transition entre la description du voyage d’Alexandrie à Jérusalem (v. 397-444) et le séjour de l’Égyptienne à Jérusalem même (v. 447-544). Cette section comporte deux grandes parties, et un épilogue. La première partie (v. 446-475) décrit la vie scandaleuse de la pécheresse dans les premiers temps de son séjour à Jérusalem (v. 446-451), puis ses vains efforts pour entrer dans l’église où est vénérée la relique de la Sainte Croix (v. 453-474). La conversion de Marie constitue la seconde partie (v. 496-545) : comprenant qu’une force céleste la cloue au sol, la pécheresse reconnaît ses turpitudes dans un long monologue intérieur (v.475-493) ; un repentir sincère lui inspire la résolution de changer de vie (v. 494-500). C’est alors que, levant les yeux, elle découvre une icône de la Vierge Marie, à qui elle adresse une prière confiante (v. 501-529). La suite forme une sorte d’épilogue à cette section capitale du poème. Rassérénée, Marie entre dans le sanctuaire et y accomplit ses dévotions (v. 530-534) ; alors qu’elle s’interroge sur son avenir, un message mystérieux lui ordonne de « franchir le Jourdain » (v. 535-543). — , portum : le terme revêt ici un sens figuré. 447. iuncta leui turbe, cf. le›oı ; Horace, carm. 2, 11, 6 : fugit retro / levis iuventas et decor, arida / pellente lascivos amores ; —. moror hospes et hostis in urbe : l’antithèse est propre à Hildebert, ainsi que la description de la ville en fête (v. 451-456).

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450. cogitur in facinus tam ciuis quam peregrinus : par contre, ce raccourci expressif remonte à Sophrone (c. 21 : PG 87, 3712 D) et à Paul de Naples (c. XIV : PL 73, 681 B), ainsi que la « chasse à l’homme » effectuée par l’Égyptienne jusqu’à la porte de l’église. Paul de Naples la décrit en ces termes : ego quidem, sicut et prius, præibam, juvenum illaqueans et capiens animas 458. et pudet et dicam : Larsen renvoie à Ovide, rem. 407 : et pudet et dicam, qui annonce des vers particulièrement osés. Cette précaution oratoire concerne précisément le passage de Paul de Naples, cité à l’instant, à propos duquel Hildebert déclare que les tentatives de séduction de l’Égyptienne jusqu’aux abords de l’église n’eurent aucun effet (v. 458-460). On le voit : l’évêque du Mans, qui a lu Ovide et la Rhétorique à Hérennius, sait qu’il y a des limites que la décence et le respect du sacré interdisent de franchir dans les ouvrages qui prétendent appartenir au style « élevé et fort » ; au sujet de la division des styles, depuis Aristote qui, le premier, considère le discours sous ses deux aspects, comme moyen d’expression de la pensée et comme moyen de transmission de l’émotion, voir J. Cousin, Études sur Quintilien. Contribution à la recherche des sources de l’Institution oratoire, t. I, Paris 1936, p. 670-675. . 461. La description circonstanciée des vains efforts de la pécheresse empêchée par une force insurmontable de pénétrer dans le lieu saint est à inscrire au registre du conte, de la parabole et des autres genres littéraires où les auteurs font volontiers intervenir des forces ou des éléments merveilleux. Dans le récit hagiographique de Marie l’Égyptienne, cette force marque l’irruption des puissances surnaturelles qui vont investir désormais le parcours spirituel de la pécheresse vers la sainteté. L’organisation de l’espace qu’elle parcourt, de la ville au désert, d’Alexandrie à Jérusalem, puis de Jérusalem au désert, en franchissant le Jourdain, correspond exactement à la seconde étape de l’hagiographie chrétienne qui, après s’être intéressée aux martyrs et aux lieux de leurs tombeaux, s’est tournée vers la vie des ascètes du désert et vers les vies des « confesseurs » et des évêques « défenseurs de leurs cités » ; voir M. de Certeau,  « Hagiographie », EU 8 (1968), 207-209. 464. me peccatricem uis celica reiciebat : Sophrone (c.22 : PG 87, 3713) parlait d’une certaine force divine : qeiva ti;ı duvnamiı, comme le fera Paul de Naples: (c XV : PL 73, 681 C : divina aliqua virtus). L’expression : uis celica est donc le fait d’Hildebert, qui la

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met sur les lèvres de la pécheresse repentie, mais au vers suivant, il décrit les sentiments de la pécheresse avant sa conversion. 465. feminea…debilitate : pour s’expliquer son échec, la première hypothèse, qui vient à l’esprit de l’Éyptienne, est de l’imputer à sa faiblesse de femme, à l’infériorité de ses forces physiques ; déjà évoquée par les prédécesseurs d’Hildebert, cette opinion exprime en fait un préjugé universellement répandu dans le monde antique gréco-romain tout comme dans la tradition juive ; voir P. von Moos, 1965, pp. 209 ; 318 ; K. Thraede, « Frau », RAC 8 (1972), 197-269 (Bibliographie) ; K.E. Bǿrresen (Ed.), Image of God and Gender Models in Judaeo-Christian Tradition, Solum Forlag, Oslo 1991. Il serait abusif d’y voir avec J. Dalarun, 2005, 84-119, « le système de représentation de la femme propre aux prélats de l’Ouest dans sa globalité ». En effet, cette opinion, que la modernité dénonce comme « machiste », reposait alors notamment sur la conviction, universellement partagée, relative au « sexe faible ». Celle-ci prenait appui sur une théorie de la génération qui remonte à la médecine et à la philosophie grecque. Aristote lui a donné sa forme classique définitive, qui voit dans l’homme l’élément qui contribue à l’acte de la génération, en tant que cause finale, formelle et efficiente (l’âme), tandis que la femme y contribue en tant que cause matérielle (le corps) ; voir P. Allen, 1985, p. 17-126, notamment p. 95103. Pour un aperçu des idées-forces en ce domaine de deux auteurs contemporains d’Hildebert, Anselme de Canterbury et Abélard, voir ibid., p. 262-292. Quoi qu’il en soit, l’Égyptienne, qui se sait « en pleine forme », décide de « jouer des coudes » et de passer en force le seuil de l’église. 466. eluctor : se frayer un passage ; cf. Virgile, georg. 2, 244 : aqua eluctabitur omnis / scilicet et grandes ibunt per vimina guttae. 467. sed nec tunc potui portas intrare patentes : Larsen renvoie à Lucain, 2, 443 : …non tam portas intrare patentes / quam fregisse juvat. 473. hos quoque conatus tenet eneruatque reatus : Hildebert abrège la description faite par Paul de Naples des vaines tentatives de l’Égyptienne ; il lui importe davantage d’exposer ses réflexions sur la véritable cause de ses échecs répétés ; peu à peu, l’évidence de son indignité s’impose à sa conscience. Son péché (v. 473 : reatus) est un péché grave, « mortel » (v. 474 : crimen) ; elle s’en rend

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compte (v. 475 : sensi) et dégage les leçons de cette constatation dans un long monologue intérieur (v. 475-493). 475. Le discours mental de la pécheresse, propre à Hildebert, est facile à analyser : après avoir reconnu la justice de la sanction qui l’exclut de l’église (v. 475-477), elle souligne la sainteté particulière du sanctuaire de Jérusalem (v. 478-481), et la témérité avec laquelle elle s’en est approchée (v. 482-487 ; 489-493). L’énormité de son « crime » lui arrache des regrets sincères (v. 488). 477. templa beatorum titulis reuerenda laborum : Encore une de ces « sentences » à valeur proverbiale, dont Hildebert a le secret. Par ailleurs, il est permis d’y voir un témoignage évoquant la « titulature » des églises, une forme privilégiée de la liturgie et de la piété populaire au Moyen Age ; voir A. Schroer, « Patron, Patronin, Patrozinium. I. Kirchenpatrozinium », LThK 7 (1998), 1478-1480 (Bibliographie) ; A. Bride, « Titre liturgique », DTC 15, 1943, 1159-1160. Le fait est qu’à cette époque, les saints locaux ont été choisis en priorité pour « patronner »  les églises ; voir A. Schroer, ibid., 1479. 478. hic est confractum mortis lacrimabile pactum : Hildebert énumère en trois vers le mystère de la Rédemption par la mort de JésusChrist en croix. Le premier (v. 478) fait allusion à Col. 2, 14 : « il a effacé au détriment des ordonnances légales, la cédule de notre dette, qui nous était contraire ; il l’a supprimée en la clouant à la croix ». Nous donnons ici la traduction de la Bible de Jérusalem, Paris 1955, p. 1556, et la note adjointe : « Le régime de la Loi, en interdisant le péché, n’aboutissait qu’à une sentence de mort contre l’homme transgresseur ; cf. Rm 7, 7. C’est cette sentence de mort que Dieu a supprimée en l’exécutant sur la personne de son Fils, après l’avoir ‘fait péché’, 2 Co 5, 21, ‘soumis à la Loi’, Ga 4, 4, et ‘maudit’ par elle , Ga 3, 13. Il l’a livré à la mort, clouant au bois et détruisant en sa personne le document qui portait notre dette et nous condamnait. » Pour la théologie impliquée dans cette présentation, voir J. Rivière, « Rédemption », DTC XIII, 1912-2004, notamment 1930-1932 et 1939-1942. Pour la théologie médiévale, notamment la doctrine d’Anselme de Canterbury, ami et correspondant d’Hildebert, voir ibid. 1942-1944. 479. Le deuxième vers rappelle Eph. 5, 2 : tradidit semetipsum (= Christus) hostiam Deo. —, auctor : puisque le terme désigne le Christ, on peut voir dans ce vers une allusion à Col. 1, 15-17, où il est dit expressément à

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son sujet : omnia per ipsum et in ipso creata sunt (Col. 1, 16) ; voir aussi le commentaire du v. 796. 482. ad loca tam mire dulcedinis ausa uenire : y a-t-il là une allusion discrète au passage du Salve regina : Vita, dulcedo et spes notra salve ? Ou bien la douceur évoquée est-elle celle que produit le bois de la croix jeté dans les eaux amères du péché, à l’instar de Moïse qui adoucit les eaux de Mara sur les indications d’Iahvé (Ex. 22-25). L’épisode a été maintes fois interprété dans ce sens par les Pères de l’Église, notamment par Origène ; voir Biblia patristica, t. 3 (1980), p. 71-72. Rappelons aussi que, dans l’office du VendrediSaint, le refrain de la strophe Crux fidelis, qui alterne avec les strophes du Pange lingua, reprend la même image de la douceur, en ces termes : Dulce lignum, dulces clauos, dulce pondus sustinet. Composé par Venance Fortunat cet hymne faisait partie de la liturgie du Cendredi-Saint, dès le IXe siècle ; voir B. Fischer, « Pange lingua », LThK 7 (1998), 1311-1312. 489. ad mensam Christi meretrix a fornice tristi, / his onerata malis adii loca talia talis. L’audace de l’oxymore du v. 489 est encore renforcée par le v. 490, qui reprend la même idée, mais avec des termes abstraits qui font ressortir d’autant plus la violence des termes concrets du vers précédent. D’autre part, l’insistance particulière sur l’incompatibilité entre le péché de la chair et la réception de l’eucharistie est frappante, car le thème apparaît à trois reprises dans ce passage (v. 489 ; 492 ; 493) ; sans doute faut-il y voir une conséquence des discussions sur la présence réelle provoquées par les thèses de Bérenger, et l’expression de l’horreur du sacrilège. Quoi qu’il en soit, le fait est que Marie s’abstiendra de communier à Jérusalem (v. 535) ; elle ne le fera qu’à l’église de saint Jean-Baptiste (v. 555), après une confession générale (v. 553) et ne recevra la communion-viatique qu’au terme de sa retraite au désert (v.753-754). 494. Reprise de la narration, qui conduit progressivement à la découverte de l’icône de Notre-Dame (v. 501) : la pécheresse renonce à vouloir entrer dans l’église (v. 494) ; elle laisse libre cours à ses larmes (v. 495) et à ses gémissements (v. 496). Physiquement épuisée par ses vains efforts (v. 496), elle ressent au plus profond de son être les effets de la conversio, du « retournement », qui est en train de se produire en elle. Sophrone avait exprimé la même idée par une métaphore expressive : « une parole salvatrice touchait les yeux de mon cœur » (c. 23 : PG 87, 3713 B ; h{yato ga;r t«n

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ojfqalm«n thı kardivaı mou lovgoı swthvrioı), conservée par Paul de Naples, qui traduit approximativement : intellectus salutis (c. XVI : PL 73, 682). Saint Bernard commente cette métaphore dans le Sermon 53, 2 sur le Cantique des cantiques : « L’ouïe mène à la vision, car la foi vient de l’ouïe (Rom. 10, 17) et purifie le cœur (Actes, 2, 2-3), afin qu’il puisse voir Dieu ». Au sujet du processus psychologique de la conversion, voir H. Wahl, « Bekehrung. II. Psychologisch), LThK 2 (1994), 166-167). Hugues de Saint-Victor (1096-1141), contemporain d’Hildebert, mérite d’être cité à ce propos. Dans le De arca morali, il adopte la division de saint Paul ; carnales, animales, spirituales : PL 176, 631. Il aime les divisions tripartites ; il n’est pas le seul à l’époque, notamment dans les questions d’interprétation scripturaire. Ainsi l’arche est tricolore ; il y a la loi naturelle, celle des carnales ; la loi écrite avec récompense et punition, la loi morale pour les animales ; enfin la loi de la Grâce, loi de Charité, pour les spirituales : PL 176, 688-690. De même, il y a dans l’arche, trois sortes de bois, comme il y a trois yeux : lorsque la contemplation est distinguée de la chair et de la raison, elle n’est autre que ce survol de l’intelligence, ce regard de l’esprit (mens ou cor) sur le réel – rien n’étant plus intelligible que l’idée…L’œil charnel voit les mots ; c’est le corps de l’Écriture qu’il fouille pour découvrir le sens obvie, historique ; l’œil de la raison découvre le sens figuré ou allégorique, lequel prélude à la théologie ; l’œil de l’esprit (oculus mentis, oculus cordis) se nourrit de la contemplation des réalités mystiques ; le sens tropologique est pour l’intelligence spirituelle l’accès à une vie intérieure plus profonde ; voir R. Javelet, 1959, p. 8-9. —, uocem pressi : cf. Virgile, aen. 9, 324 : sic memorat vocemque premit ; simul ense superbum / Rhamnetemque adgreditur… 495. lacrimis immergor : cf. Virgile, aen. 6, 174 : inter saxa virum spumosa immerserat unda. 497. dissidet affectus, temptat conuersio pectus : cf. Ovide, met. 8, 473 : Thestias haud aliter dubiis adfectibus errat,… ; trist. 4, 5, 29-30 : diligit et semper socius te sanguinis illo / quo pius adfectu Castora frater amat… 498. incipit et morum meminisse, pudere malorum : le changement des sentiments (adfectus), évoqué au vers précédent, témoigne de la conversion en train de s’opérer ; la conversion (metavnoia) est synonyme de la pénitence. Hildebert a bien décrit les deux sentiments qu’elle implique, d’après le Ps 50 : d’une part le souvenir habituel et douloureux de ses péchés (Ps. 50, 5 : peccatum meum

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contra me est semper), d’autre part la confusion, la honte d’avoir offensé Dieu en sa présence (Ps. 50, 6 : et malum coram te feci), qui conduit le pécheur à faire appel à sa miséricorde pour implorer son pardon (v. 499-500). 500. quod bene quero, datur et Lazarus extumulatur : ce vers constitue la transition entre la prière de la pécheresse, désireuse d’un pardon qui abolira ses péchés et renouvellera son esprit et son cœur, et sa découverte de l’icône de la Vierge Marie. Hildebert ne pouvait pas mieux exprimer la place de choix que la tradition chrétienne assigne à Notre Dame, en vertu de son intercession pour les pécheurs (cf. v. 520-524). Stabat mater dolorosa, / iuxta crucem lacrymosa, / dum pendebat Filius —, extumulatur : s’agit-il d’un néologisme d’Hildebert ? Quoi qu’il en soit, le verbe : tumulare, au passif, est attesté chez Catulle, 64, 153 : preda neque iniecta tumulabor mortua terra. 501. Ici commence ce que l’on peut considérer comme la section centrale du poème, dans la mesure où la tradition médiévale a retenu la Vita de Marie l’Égyptienne parmi les « miracles » les plus « spectaculaires » de Marie médiatrice universelle de grâce. Contemporain d’Hildebert, saint Bernard (1090-1153), a formulé cette doctrine dans son sermon de aquæductu : Sic est voluntas ejus qui totum nos voluit habere per Mariam (PL 183, 441 B) ; voir F. Courth, « Mittlerschaft, Miterlöserschaft Marias », LThK 7 (1998), 346-347. Ladite section s’étend de v. 501 à v. 552. Après une rapide description de l’icône (v. 501-506)), Hildebert présente la prière de la pécheresse repentie (v. 507-529), puis son accès au sanctuaire de la Sainte-Croix (v. 530-540) ; elle y reçoit l’ordre de « traverser le Jourdain » (v. 540-543), obéit aussitôt et se met en route (v. 544552). 502. imago uenusta… picta Marie : originaires du monastère Ste Catherine du Sinaï, les plus anciennes icônes [mobiles, peintes sur des panneaux de bois] qui aient été conservées se trouvent à l’Académie de Kiev ; elles peuvent dater des VIe-VIIe siècles, d’après J. Kollwitz, « Bild III (christlich) », RAC 2, 1994, 328. Pour ce qui concerne le texte grec (de la même époque), traduit par Paul de Naples, on peut penser aussi à une peinture, du genre des fresques de petit format, conservées à l’église romaine S. Maria Antiqua ; voir G. Nitz, « Maria. XI. Ikonographie », LThK 6, 1997, 13291332 (Bibliographie) ; J. Beckwirth, 1993, p. 31.

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505. supplico uultibus huius. Le terme : uultus, au pluriel, désigne, dans son acception figurée, le portrait de quelqu’un ; cf. Pline, 35, 5 : uultus Epicurii. 506. matrem Patris hac prece uexo : les impératifs de la prosodie ont conduit Hildebert à recourir à cette expression, plutôt risquée car, quoi qu’il en soit de l’usage de la périchorèse (voir le commentaire, infra, v. 524), elle ne correspond pas exactement à celle qui est devenue usuelle depuis le concile d’Ephèse (431). Le symbole d’union proclamé à cette occasion confesse un seul Christ, un seul Fils et Seigneur et désigne Marie comme qeotovkoı, Mère de Dieu ; voir Denzinger, 1996, n. 251, p. 89-90. 507. Virgo pia, Virgo sacra, Virgo Maria : le Moyen Age développe à l’envi les témoignages de sa piété envers Notre-Dame, notamment par des prières (Ave Maria, Angelus) et des hymnes en langue latine (Salve regina, Ave maris stella, Alma Redemptoris mater, Ave Regina Cælorum, Sub tuum praesidium, Stabat mater dolorosa) — sans parler des prières (chapelet) et cantiques dans les diverses langues vernaculaires. L’ancêtre grec du Sub tuum praesidium nous est conservé sur un papyrus du IVe siècle ; voir Th. Klauser, « Gottesgebärerin », RAC 11 (1981), 1071-1103, notamment 1078. L’enrichissement progressif des invocations et des doxologies des hymnes est particulièrement instructif à cet égard ; voir W. Bretschneider, « Marianische Antiphonen », LThK 6 (1997), 13571359. A l’instar des progrès enregistrés au Moyen Age par le nom de Jésus dans la dévotion privée et la liturgie, celui de Marie connut un développement extraordinaire à la même époque ; voir K.P. Dannecker, « Name Jesu », LThK 7 (1998), 639-640 ; Th. MaasEwerd, « Marienfeste », ThLK 6 (1997), 1370-1374 (Bibliographie). Ces progrès culminent chez Dante, Divine Comédie, Paradis XXIII, 110, dans l’expression du « doux nom de Marie ». 508. Virgo noue sortis : Hildebert souligne ainsi que Marie est à la fois vierge et mère (cf. Is. 7, 14) ; il a consacré plusieurs sermons à ces thèmes majeurs de la mariologie médiévale ; cf. PL 171, 602623. —, uenio, sed femina mortis : la structure de la prière à Marie diffère considérablement, de Sophrone et Paul de Naples à Hildebert. Les premiers insistent sur l’audace avec laquelle la pécheresse ose s’adresser à la Vierge pure et sans tache : sa seule excuse, dit-elle, c’est que son Fils est venu appeler les pécheurs à faire pénitence ; que la Vierge Marie daigne lui rendre possible

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l’entrée dans l’église de la Sainte Croix, afin qu’elle puisse voir et adorer (proskunhvsewı) le bois, la Croix divine, sur lequel le Christ Jésus fut crucifié, et lui promettre – avec la Vierge Marie comme « garant » (ejgguehthvn : fideijussor) — que désormais elle ne commettra plus aucun péché de la chair, renoncera au monde et ira là où la Vierge Marie l’enverra et la conduira (Sophrone, c. 23 : PG 87, 3713 C ; Paul de Naples, c. XVI : PL 73, 682 BC). Avant de reprendre une partie de cette prière (v. 520—529), Hildebert consacre aux turpitudes de la pécheresse (v. 509-519) une amplificatio des plus explicites, qui n’ajoute rien de nouveau aux descriptions précédentes sur le même sujet (v. 356-395 ; 418434 ; 447-460), mais illustre le rôle pédagogique essentiel que l’érotisme joue dans l’hagiographie médiévale : plus profonde fut la chute de la pécheresse, plus éclatante sera sa rentrée en grâce. Felix culpa ! C’est ainsi que, dans la Vita de Marie l’Égyptienne, le contraste est absolu entre les deux visages de la féminité, entre la première Ève, symbolisée par la fille publique sur le point de se convertir, et la nouvelle Ève, la Vierge sainte, l’Immaculée, la Bonne Mère, prête à l’accueillir ; voir le commentaire, supra, v. 185. — , stabularis : le terme n’est pas attesté en latin classique ; s’il s’agit d’un néologisme, il a hérité des significations les plus vulgaires de stabulum : auberge, cabaret, mais aussi : bouge, mauvais lieu, lieu de débauche 512. et mestos uultus hilarauit concuba multus : le verbe de la phrase est à la troisième personne du singulier, ce qui lui confère une valeur de sentence, définissant la profession comme telle, au-delà même de l’aveu de la pécheresse repentie, qui s’exprime plus directement, aux v. 508-516. 519. nec bene damnatum patiar uel amabo reatum : après avoir énuméré les multiples manières dont elle a foulé aux pieds les préceptes de la morale (v. 510-517a), l’Égyptienne condamne sans détours sa vie dévergondée (v. 517b-519), dont elle a honte et se repent (v. 518) ; elle promet de ne plus jamais commettre de péché de ce genre et de ne plus montrer aucun penchant en ce domaine (v. 519). 523. nam licet iratus, cedet te supplice Natus : le sens de la conjonction : nam, s’est affaibli au Moyen Age, au point de devenir un simple signe de ponctation ; voir Bourgain, 2005, p. 140. —, le titre de Qeotovkoı (Mère de Dieu) décerné par le concile d’Ephèse est devenu, contre l’arianisme sous toutes ses formes, la

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pierre de touche de la dévotion chrétienne, qu’elle s’adresse à Marie, au Christ ou à Dieu. En conséquence, depuis le VIIe siècle, des prédicats de Dieu et du Christ (secours, refuge, voie, médiateur miséricordieux) sont attribués à Marie, qui devient ainsi celle qui intercède pour nous auprès de son Fils ; voir G. Voss, « Marienverehrung. I. Historisch-theologisch », LThK 6 (1997), 1378-1379. 524. siquidem Pater est et Filius idem : Hildebert fait appel ici à la notion théologique de la périchorèse (circumcessio, circumincessio), à savoir : « au sein de la Trinité, les relations entre le Père, le Fils [et l’Esprit] sont si amples et si radicales que dans chacune des personnes divines chacune des deux autres se trouve simultanément présente et active » (Jean Damascène, De fide orthodoxa 1, 14) ; voir G. Greshake, « Perichorese », LThK 8 (1999), 31-33. — , siquidem, qui est, à l’époque classique, une conjonction hypothétique à sens de circonstantielle (‘si vraiment, puisque’), est beaucoup plus souvent au Moyen Age une conjonction de coordination (‘car assurément’) ; voir Bourgain, 2005, p. 96 ; 386 ; 439. 525. duplex affectus trahet exorabile pectus : cf. Properce, 2, 30, 11 : et jam si pecces, deus exorabilis ille est, / si modo praesentes viderit esse preces. L’audace avec laquelle Hildebert semblerait avoir emprunté au poète latin ce passage d’une élégie à Cynthia, dans laquelle le dieu qui se laisse fléchir est Amor, mérite assurément d’être soulignée, d’autant qu’il l’aurait utilisé pour les relations au sein de la Trinité. 527. ergo sub hoc pacto presta mihi, quod bene capto : le contenu du « pacte » dont il est question ici se trouve explicité dans les v. 520523. Au départ, chez Sophrone et Paul de Naples (cf. supra, v. 508), l’engagement de Marie se fait en deux temps : le premier a lieu dans l’atrium de l’église de la Sainte-Croix, devant l’icône de la Vierge, découverte in quodam angulo atrii templi : la pécheresse repentie promet de s’engager solennellement, dans un deuxième temps, dans l’église de la Sainte-Croix, devant le bois de la Croix, à ne plus jamais souiller sa chair (numquam ultra meam carnem coinquinabo per horrida immistionum ludibria) ; d’ores et déjà elle demande à la Vierge Marie de devenir le garant de la sincérité de sa promesse et tient cette demande pour exaucée (Paul de Naples, c. XVI : PL 83, 682 C : te…dignissimam do fidejussorem). Deux différences essentielles distinguent le récit d’ Hildebert de celui de ses prédécesseurs : d’une part, chez lui, l’engagement défi-

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nitif (pactum) de l’Égyptienne est pris d’emblée, en dehors de l’édifice, devant l’icône ; d’autre part, la Vierge Marie est désignée non plus comme fidejussor, mais comme uindex pacti. Ces deux modifications attestent les progrès de la dévotion mariale, du VIIe, voire du IXe au XIIe siècle : on passe insensiblement d’une théologie à dominante « christologique », qui inspirait la source grecque, à une mariologie de plus en plus prononcée. 528. uindex pacti : en droit romain, le vindex est celui qui se déclare prêt à faire acte de force (vim dicere), dans l’intérêt du débiteur saisi, à le soustraire à la prise de corps actée par le créancier, en soutenant le procès au nom du débiteur ; voir E Cuq, Manuel des institutions juridiques des Romains, Paris 1928², p. 842. Dans cette perspective, même s’il arrivait à la pécheresse de faillir à nouveau, Notre-Dame intercéderait encore pour sa défense ; à plus forte raison, si elle honore sa promesse, lui accorde-t-elle désormais une protection sans faille. D’autre part, si l’on retient le sens de « pacte », il n’est pas indifférent de noter que, chez Hildebert, il aura été conclu directement, entre les deux Marie. 529. nolo parcatur mihi : allusion à la juste rétribution exercée contre le pécheur endurci, d’après certains textes bibliques ; cf. Eccli 5, 1.3. 9. 10. 12 ; Tob ; 3, 3 ; Rom 13, 4, etc. 530. Reprise du récit de sa vie par la pécheresse repentie ; cette section s’étend du v. 530 au v. 558 ; elle relate son accès à l’église de la Sainte-Croix (v. 530-539) et l’injonction qu’elle y reçoit de « traverser le Jourdain » (v. 540-543) ; suit une brève narration de son départ de Jérusalem, de son accès à l’église de saint JeanBaptiste, de sa traversée du Jourdain et de son arrivée au désert (v. 544-558). 532. impatiensque more : Larsen renvoie à Lucain, 6, 424 : impatiensque moræ, venturisque omnibus æger. 535. a sacramentis absterrent crimina mentis : n’ayant pu se confesser, la pécheresse n’ose pas recevoir la communion ; elle le fera au monastère sur les bords du Jourdain, voir v. 551-552. 534. uexilla salutis adoro : pour la réception de reliques de la Croix à Poitiers en 569, Venance Fortunat composa cette hymne, en 8 strophes « ambrosiennes », qui compte parmi les plus importantes du Moyen Age ; voir G. Muff, « Vexilla regis prodeunt », LThK 10, 2001, 756 ; J. Svövérffy, « Venantius Fortunatus and the Earliest Hymns to the Holy Cross », Classical Folia 20 (1966), p. 107122 ; du même, Hymns of the Holy Cross, Brookline-Leiden 1976.

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536. illis oblatis matrem repeto pietatis : Hildebert abrège ici considérablement le récit de ses prédécesseurs, qui décrivent le retour de l’Égyptienne devant l’icône de la Vierge et la prière d’action de grâces qu’elle lui adresse. Par contre, il rapporte fidèlement la teneur de l’ordre qu’une voix mystérieuse est censée lui donner, en réponse à sa demande : quid iubeat fieri, quo tendere, quero doceri (v. 539). — , matrem pietatis : ce titre, donné à la Vierge par Hildebert, préfigure l’invocation : Mater misericordiae, qui la salue dans le Salve Regina, composé par Bernard de Clairvaux vers 1140 ; voir W. Bretschneider, « Marianische Antiphonen », LThK 6 (1997), 1358. 543. hinc stupor obrepsit, qui postquam tempore cessit, / egredior celeri pede sic mihi uisa moneri : à titre de comparaison entre l’élégante concision d’Hildebert et la prose de son prédécesseur immédiat, nous donnons la traduction du passage correspondant de Paul de Naples (c. XVII : PL 73, 683 B) : « Quant à moi, entendant cette voix et tenant pour certain qu’elle me concernait, je fondis en larmes et, jetant les yeux vers l’icône de la Mère de Dieu, je m’ écriai : ‘Ma Dame, Ma Dame, Reine de tout l’univers, toi par qui le salut est advenu au genre humain, ne m’abandonne pas’. Et en disant ces mots, je sortis de l’atrium de l’église et je m’en allai d’un pas rapide. » 546. queritur et rapitur uia, qua Iordanis aditur : Pour donner vie a leur récit, Sophrone et Paul de Naples surchargent leur récit d’une infinité de détails concrets, que Hildebert a omis, comme étant superflus ; c’est ainsi qu’ils précisent : l’Égyptienne s’informa auprès du boulanger sur le chemin à prendre ; elle avait vu la relique de la Croix à la troisième heure, arriva à l’église de saint Jean-Baptiste au coucher du soleil ; après y avoir prié, elle descendit jusqu’au Jourdain, s’y lava la face et les mains avec cette eau sainte, puis retourna à l’église et y reçut les saints mystères (= la communion) ; ensuite elle mangea la moitié d’un pain, but de l’eau du Jourdain, passa la nuit, couchée à même le sol, et, le lendemain matin, ayant trouvé une petite barque, passa sur l’autre rive. 547. On notera que, pour les vers 547 à 558, Hildebert abandonne les « vers léonins » pour les hexamètres classiques, appariés, deux par deux, avec une rime finale, comme il le fera encore pour les vers 611 à 623.

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— , pro tempore conuenienter : la pécheresse repentie n’avoue-t-elle pas ainsi qu’elle était sans le sou, et que l’aumône de l’inconnu arrivait pour elle à la bonne heure ? 548. tres mihi denarios offert tribuitque latenter : Chez Sophrone (c. 26 : PG 87, 3716 B), l’inconnu qui donne à Marie trois piécettes (fovleiı), lui dit : « Accepte-les, ma Mère (ajmmav mou) » ; Paul de Naples (c.XVII : PL 83, 683 B) traduit : accipe hæc, nonna. Ces vocables, venant d’anonymes, ne doivent-ils pas suggérer qu’un changement radical est intervenu chez l’héroïne, inscrit dans toute sa personne, au point d’inspirer désormais au tout venant le plus profond respect. Hildebert n’a pas retenu ces détails, mais sa description du trajet de l’Égyptienne, de Jérusalem jusqu’au désert, comporte plusieurs traits nouveaux et significatifs. — , latenter : le fait que l’inconnu donne à la femme trois deniers, furtivement, comme en cachette, sans lui adresser de salut, suggère que, pour Hildebert, son apparence extérieure ne révèle pas encore les effets de sa conversion intérieure. 554. illic in lacrimis gemitusque professa reatum : conformément à l’usage de son temps, Hildebert spécifie que la pécheresse repentie se confesse d’abord avant d’aller communier ; les larmes et gémissements sont les signes de la sincérité et de la force de son repentir. — , cor contribulatum : référence évidente au Ps. 50, 19 : sacrificium Deo spiritus contribulatus ; cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies. 555. transuehor amnem : Hildebert ne précise pas le mode de transport, sans intérêt pour l’instant (cf. v. 735 et 786). Il préfère fignoler sa transition (v. 559) vers la dernière partie de la « confession » de l’Égyptienne, qui sera consacrée à sa vie au désert ; il en indique l’intention (v. 556), ainsi que les principales modalités (v. 557-558). 557. tunc mihi delicias, tunc luxum carnis ademi, / tunc scelerum tempus studio meliore redemi : l’anaphore de l’adverbe  tunc marque d’une manière expressive la mutation radicale qui marque la conversion de Marie l’Égyptienne. Elle voudrait arrêter son récit (v. 559-561), mais Zosime insiste auprès d’elle, afin d’entendre la suite, la description détaillée de son séjour au désert : ses épreuves, sa nourriture, son vêtement, ses combats spirituels (v. 562-568). Elle accède à son vœu.

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567. si qua rebellauit tentatio : cf. Pline, Nat. 2, 142 : ut vitia, quae sanaverint, faciant rebellare ; Martial, 9, 11, 12 : sed tu syllaba contumax rebellas. 569. sic ea mota senis precibus consedit arenis: un détail du récit d’Hildebert, absent de ses prédécesseurs, retient l’attention : avant d’entamer la suite de son récit, Marie s’assied. Or, dans la tradition du monachisme primitif, particulièrement en Égypte (IIIe-IVe siècles), la position assise apparaît comme la forme d’exercice particulière réservée à divers contextes méditatifs. Dès lors s’impose la question de savoir si déjà dans le christianisme ancien la position assise n’a pas pu jouer un rôle important sur la voie de l’expérience mystique ; voir F. Dodel, Das Sitzen der Wüstenväter. Eine Untersuchung anhand der Apophtegmata Patrum, Freiburg-Schweiz 1997, Coll. Paradosis, 42. S’il a lu des écrits concernant les ermites égyptiens, Hildebert a très bien pu relever ce détail caractéristique et l’attribuer à son héroïne, indiquant ainsi, discrètement, que la dernière partie de son autobiographie relève du degré le plus élevé de la vie spirituelle, l’accès à la contemplation (cf. supra : v. 548). 571. La dernière partie de la « confession » de la pécheresse pénitente s’étend du v. 571 au v. 689. On peut y distinguer deux sections suivie d’un épilogue : la première (v. 571- 602) décrit les conditions difficiles dans lesquelles se sont écoulées les dix-sept premières années de sa retraite au désert ; la seconde (v. 603-669) les trente années suivantes, quand enfin « les sens obéirent à la raison » (v. 624) ; l’épilogue (v. 670-689) apporte la conclusion de l’autobiographie (v. 670-675) et annonce la suite des événements concernant Zosime (v. 676-689). — , annos undenos quadrupliciterque nouenos /…expleui post lapsum flebilis eui : Paul de Naples a transmis à Hildebert les jalons qui ordonnent la biographie ; il y a, d’une part, les 47 ans passés dans le désert, après avoir quitté Jérusalem : quadraginta septem anni sunt, ex quo de sancta civitate egressa sum (c. XVIII : PL 73, 683 D) ; Hildebert transcrit : onze ans plus quatre fois neuf ans = 47 ans ; Paul de Naples ajoute que, pendant les 17 premières années de sa vie au désert, l’anachorète a connu des tentations de toute espèce : decem et septem annis feris immansuetis et irrationalibus eluctans desideriis (c. XIX ; PL 73, 684 A). 572. post lapsum flebilis eui : le sens de cette expression, propre à Hildebert, s’éclaire à la lumière du vocabulaire poétique traditionnel : ævum signifie la vie, par exemple chez Horace, epist. 1, 20, 26 :

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meum si quis te percontabitur aevum ; cf. A.P. 346 ; carm. 2, 2, 5, etc. D’autre part lapsus est aussi une métaphore biblique désignant la chute dans le péché, le péché lui-même, la faute ; cf. Ps. 55, 13 : eripuisti animam meam de morte et pedes meos de lapsu, et Juvencus III, 456 An septem lapsus homini indulgere liceret, cité par Quicherat, p. 602. 575. L’énumération des aliments recherchés auxquels l’anachorète doit renoncer désormais : plats épicés, poissons d’Égypte, vin à satiété (v. 575-583), fait écho au régime spartiate des moines, décrit aux v. 92-94. Curieusement, Hildebert ne mentionne pas le manque de viande, indiqué par Paul de Naples. 580. urbibus et peregre uitium dediscitur egre : cf. Horace, epist. 1, 12, 13 : …dum peregre est animus sine corpore velox 583. La description des tentations charnelles qui ne cessent pas durant les dix-sept premières années de la vie au désert (v. 583-595) est beaucoup plus développée et plus expressive chez Hildebert que chez ses prédécesseurs. Ceux-ci réservent plutôt leurs descriptions aux moyens mis en œuvre pour les dompter, notamment les prostrations prolongées pouvant durer toute une journée et toute une nuit (cf. Sophrone (c. 29 : PG 87, 3717 B ; Paul de Naples c. XIX : PL 73, 684 C) ; Hildebert multiplie les emprunts à ses poètes favoris. —, furit Eua uirumque molestat : cf. Ovide, met. 8, 768 : ut vero est expulsa quies, furit ardor edendi ; perque avidas fauces, immensaque viscera regnat. La boulimie de la femme privée d’hommes rappelle la description de la Faim, donnée par Ovide au livreVIII des Métamorphoses, à propos de l’impiété et du châtiment d’Erisichton. 584. Eua cibum mortis cupit in uitalibus hortis : rappel évident du récit biblique de la chute : Gen. 3, 1-13. 585. ei mihi ! nam quedam pudet edere, sed tamen edam : ce vers pastiche le v. 458, emprunté à Ovide, rem. 407 : et pudet, et dicam. —, ei mihi : interjection vigoureuse, fréquemment employée chez les comiques latins ; voir, par exemple : Térence, Heaut. 247 ; J. Marouzeau traduit : « Pauvre de moi ! » 591. amplexus uetiti redeunt et mille mariti : cf. Horace, carm. 1, 17, 5-7 : impune tutum per nemus arbutos / quaerunt latentis et thyma deviae / olentis uxores mariti / 593. uirtus est oneri, pudet ultra lege teneri : Larsen renvoie à Virgile, aen. 12, 819 : illud te, nulla fati quod lege tenetur / pro Latio obtestor ; cf. Ovide, met.10, 203 : Juvencus, 3, 504 : Prudence, Psych. 343.

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594. tedet aque iugis, postpono seria nugis. Larsen renvoie à Virgile, ecl. 7, 17: posthabui tamen illorum mea seria ludo, ainsi qu’à l’Ecloga Theoduli 29. Théodule est un obscur auteur du Xe siècle qui a composé une Ecloga dans laquelle les miracles du Nouveau Testament sont comparés aux fictions des poètes antiques ; le paganisme et le christianisme s’y affrontent sous la forme des deux personnages allégoriques : Pseustis et Aletheia, qui se soumettent au jugement de Phronesis ; voir Tusculum-Lexikon, p. 781. 595. soliuagam turbis, eremum conuentibus urbis : cf. Severus Sanctus, carm. Bucol. 1 : quidnam solivagus, bucule, tristia, / demissis graviter luminibus, gemis ? D’après L. Quicherat, 1899, p. XIV, il s’agit d’un poète bucolique chrétien, de Bordeaux, (au début du Ve siècle), auteur d’une églogue sur une épizootie. 598. Ce vers assigne la rupture définitive de la pécheresse avec son passé, au moment même où elle adresse sa prière à la Vierge Marie. Cette description est propre à Hildebert. Chez ses prédécesseurs, le retour à la paix de l’âme se réalise lentement ; l’engagement pris devant Dieu demeure toujours présent à l’esprit de l’anachorète, qui met son espoir en l’assistance de son garant  (Paul de Naples, c. XVIII : PL 73, 684 C : ipsam mihi astare veraciter sperans, quæ me fidedixerat). 599. a temptamentis reuocarem lumina mentis : Larsen renvoie à Juvencus 2, 761 : illis pro merito clauduntur lumina mentis. 600. Hildebert consacre plus de dix vers (v. 600-613) à décrire la transformation progressive des sentiments et des mœurs de l’anachorète, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin une paix durable (v. 602 ; 614). Parvenue à ce stade, toute sa personne rayonne et se trouve entourée comme d’un halo de lumière (v. 607-610). Sur ce point aussi, Hildebert offre une version renouvelée du récit de ses prédécesseurs : en effet, ceux-ci créditent Marie l’Égyptienne d’un halo de lumière à chacune de ses victoires sur les tentations de la chair, à preuve ce passage de Paul de Naples (c. XVIII : PL 73, 684 C ) : « Je ne me relevais pas avant que cette très douce lumière ne fût venue d’abord m’éclairer et n’eût chassé les pensées qui me troublaient. Et ainsi j’élevais toujours les yeux de mon cœur vers celle qui était devenue ma grande protectrice » ; cf. Eph. 1, 18. 603. post fletum cordis fugit omnis mentio sordis : comme on le voit, le texte de Paul de Naples a heureusement inspiré Hildebert ; l’expression biblique : oculos cordis, devenue banale, lui a suggéré l’audacieuse métonymie des « larmes du cœur ».

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604. his medicamentis residebant tubera mentis : cf. Horace, sat. 1, 3, 73 : qui, ne tuberibus propriis offendat amicum, / postulat, ignoscet verrucis illius ; Térence, Ad. 245 : pudet mihi. Omnes dentes labefecit mihi / praeterea colaphis tuber est totum caput 605. et rediuiuorum sartago uitiorum : cf. Perse, 1, 79-80 : Hos pueris monitus patres infundere lippos / cum uideas, quaerisne unde haec sartago loquendi / uenerit in linguas. Hildebert n’a pas manqué l’occasion d’utiliser cette image expressive : sartago, c’est proprement la poêle à frire : cf. Pline, N.H., 16, 55 ; Juvénal, 10, 64. Perse a recours à cette expression pour condamner le vain cliquetis des mots, cette « friture du langage » usuelle chez ses contemporains ; on en trouve dans les scolies une bonne paraphrase : « Sartago metaphora pro garrulitatis ardore (stridore ?) et argutiae sine sensu, qualis est strepitus sartaginis » ; voir l’édition de Perse par F.Villeneuve, Paris 1918, p. 48. 608. circumfulgebat splendor totamque tegebat : comme on l’a indiqué plus haut (v. 600), chez Hildebert le halo de lumière ne vient envelopper l’anachorète qu’au terme de son combat contre les tentations charnelles, lorsque « la friture de ses turpitudes ne grésille plus » (v. 606). 611. trina triennia, bina tetrennia sic abiere : trois fois trois ans plus deux fois quatre ans font dix-sept ans ; ce laps de temps est exactement symétrique à celui que l’Égyptienne a passé dans la ville d’Alexandrie (v. 396). C’est dire que, pour ce qui concerne la durée de son expiation, la justice souveraine ne lui a pas fait de remise de peine ; l’anachorète reconnaît toutefois que, malgré de nouvelles blessures (v. 613), cette épreuve ne fut pas un enfer continuel (v. 612). 613. Comme on le voit, c’est à la Vierge mère que la pécheresse repentie et pénitente attribue la fin de sa mise à l’épreuve (v. 614 : tersit et abluit) et la paix de l’âme enfin rassérénée. 615. Dans la foulée, l’anachorète répond aux questions de Zosime (v. 565 s.) ; elle lui expose longuement ce que furent sa nourriture et sa boisson au désert (v. 615-626), ses vêtements (v. 626-628), ses épreuves physiques (627-649), puis elle dégage les leçons de son expérience érémitique (v. 650-667). 617. Pour les vers 617-628, Hildebert passe des vers léonins aux hexamètres classiques, mais il les rime deux par deux. Cette innovation, toute passagère, lui permet de recourir à diverses figures de style : assonnances en – ant (v. 617-618), en - rem (v. 617, 618, 619),

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en – bam (v. 619-620) dans un même vers ou d’un vers au suivant. Le procédé est poussé à l’extrême dans la série des v. 623-626. Marbode de Rennes, qui a composé un opuscule intitulé De ornamentis verborum (PL 171, 1687-1692), dans lequel il explique vingt-neuf figures de style particulièrement adaptées à la confection des hexamètres, aurait pu pointer celles que son collègue du Mans utilisait de préférence, du § XII. Similiter cadens, au § XXV : Conduplicatio. Du reste, dans l’épître versifiée qu’il lui adresse (PL 171, 1653 B), il ne tarit pas d’éloges sur la haute tenue de ses œuvres poétiques, dont il souligne deux traits distinctifs : la concision : Arcanos sensus brevibus stringentia verbis, et la force expressive des antithèses : Vestra per antithesim flectit se Musa frequenter / exercens refluos sinuoso schemate gyros. 621. postquam sunt longo consumpti tempore panes : quelle que soit la manière dont Hildbert mesure le laps de temps pendant lequel les pains de Jérusalem servirent de nourriture à la femme-ermite, le fait est qu’à un moment donné ils finirent par être consommés et c’est alors (postquam), mais alors seulement, qu’une sainte indifférence prit chez elle le relais de ce qu’elle juge désormais comme de vaines préoccupations (v. 622), selon la parole de l’Évangile (Matth. 6, 31). «Nous avons une figure de cette vérité au livre de l’Exode où il est dit que la Majesté divine n’a pas donné l’aliment céleste, c’est-à-dire la manne, aux enfants d’Israël, tant qu’ils n’avaient pas épuisé la farine qu’ils avaient apporté d’Égypte (Ex. 16, 3 sv.). Cela nous fait comprendre que l’âme doit tout d’abord se détacher de tous les biens créés avant de parvenir à l’union divine… », écrit Saint Jean de la Croix, La Montée du Carmel, I, 5, 1947, p. 43. 622. extunc usque modo temptatio prisca resedit : les trois premiers mots de ce vers marquent avec force l’étape ultime de la biographie de Marie l’Égyptienne, dans le récit qu’elle en fait à Zosime (v.340665). L’adverbe extunc fait écho à son analogue tunc qui, aux vers 557-558, avait introduit la description des dix-sept premières années de retraite au désert. Hildebert résume ici l’acquis spirituel de cette période : les tentations surgies de l’évocation de sa vie dissolue ont cessé (resedit) ; désormais les sens obéissent à la raison (obedit). 625. Hildebert répond d’abord, en quatre vers (v. 625-628), aux questions de Zosime (v. 566) sur la nourriture et le vêtement de l’anachorète au désert. En revanche, il consacre plus d’une ving-

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taine de vers, de son cru (v. 629-654) à décrire les conditions difficiles d’un séjour prolongé dans ce milieu hostile : les variations extrêmes de la température entre les jours torrides et les nuits, plus que fraîches, de l’été, entre l’ardeur de la canicule et le froid glacial de l’hiver (v. 629-630 ; 641-647) ; il n’oublie pas de mentionner la violence des tempêtes de poussière et de sable, la chaleur brûlante du désert sablonneux (v. 644), les immensités de paysages sans relief, ni arbres, ni rochers, ni cavernes, ni aucun lieu où se réfugier (v. 645-647). Toutes ces souffrances, la pécheresse repentie les a acceptées en réparation des fautes de sa vie passée (v. 631-640). Dieu, son seul témoin, l’a soutenue dans ces épreuves ; il sera sa récompense (v. 640) ; c’est là sa conviction la plus ferme et son espérance indéfectible (v. 654). La fin de l’exposé est particulièrement soignée (v. 648-654). Elle commence sur le ton d’une conversation familière entre l’Égyptienne et Zosime (v. 648) et s’élève progressivement jusqu’à la plus admirable profession de foi en la divine Providence, toute de soumission et de conformité à sa sainte volonté (v. 650-654). On se souvient que saint Bernard distingue trois degrés de conformité à la volonté de Dieu, qui correspondent aux trois degrés de la perfection chrétienne : « Le débutant, mû par la crainte, endure la croix patiemment ; le progressant, mû par l’espérance, la porte avec une certaine joie ; le parfait, consommé en charité, l’embrasse avec ardeur » (Serm. S. Andreæ, 5 : PL 183, 506 D). Il n’est pas interdit de voir dans le v. 652 l’expression spontanée d’une âme parvenue à un degré éminent sur la voie de l’abandon à la divine Providence. —, usque modo cibus exterior cum frondibus herba : le parallélisme de ce vers et du vers suivant (v. 626) constitue un véritable tour de force ; il ne concerne pas seulement les deux premières moitiés des deux vers, mais également leurs rimes « riches » : herba-uerba. La réussite n’est pas moins honorable dans les deux vers suivants (v. 627-628), avec l’antithèse initiale (uestes-nuda), et les rimes à la césure (habui-tenui) et en finale (uetustas-perustas). Mais ce ne sont là que prouesses de versification. 632. muto iocis himnos, purgo merore cachinnos : les v. 632-636 explicitent le programme des œuvres d’expiation et de réparation que s’est imposé la pécheresse repentie ; elle l’annonce au v. 631 et en commente les effets aux v. 636-637). Chacun de ces vers est composé de deux antithèses, présentant la faute puis la sanction, ou la sanction avant la faute ; le vers 634 est tripartite.

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634. paupertas luxum, labor otia, glarea mulsum : si la pauvreté volontaire constitue une réparation adéquate pour le luxe, et le travail pour le désoeuvrement, en revanche, la gravelle est la conséquence obligée d’une alimentation trop riche, aux yeux d’Hildebert ; elle ne constitue pas une réparation, mais une sanction factuelle pour une faute, dont on est responsable, et qui demeure susceptible de rachat, dans l’acceptation de la douleur qu’elle comporte (cf. v. 633 : redimit). 637. quidquid peccauit caro, carnis uictima lauit : ce vers exprime très énergiquement l’œuvre salutaire du Christ Rédempteur, à l’instar de la séquence du Temps pascal : Victimae paschali laudes / immolent Christiani / Agnus redemit oves / Christus innocens Patri / reconciliavit peccatores. Composée par Wipo, le chapelain de l’empereur Conrad II (1024-1039), cette séquence était largement répandue au début du XIe siècle ; Hildebert a dû la connaître ; voir M. Klöckener « Victimae paschali laudes », LThK 10 (2001), 763. L’allusion au baptême, qui efface le péché, est transparente.. 641. sepe sub ardenti cancro brumaque rigenti : cf. Ovide, met. 10, 126-127 : æstus erat, mediusque dies ; solisque vapore / concava litorei fervebant brachia Cancri  643. et nusquam tuta iaceo, quasi morte soluta : Larsen renvoie à Ovide, her. 10, 78 : esset, quam dederas, morte soluta fides  et à Ibis 146 : siue manu facta morte solutus ero. 648. scis hominem sane non solo uiuere pane : allusion à Matth. 4, 3. 655. ut mihi despondi mundum, male conscia mundi, / non mihi scripture, non lectio cure : pourquoi l’Égyptienne aborde-t-elle ici tout à coup la question de l’Écriture, voire de la lecture ? La réponse se trouve chez les prédécesseurs d’Hildebert. Sophrone (c. 50 : PG 87, 3717 D) avait glissé dans la dernière intervention de Marie deux citations bibliques [ Deut. 8, 3 =Matth. 4, 3 et Job 24, 8 ], reprises par Paul de Naples (c. XIX : PL 73, 685 A). Étonné, Zosime lui demande : « Comment se fait-il que tu cites les psaumes ? [rappel d’une première citation : Ps. 54, 8, faite à la fin du c. 26, mais non reprise par Paul de Naples] As-tu appris (lu : Paul de Naples) encore d’autres livres de l’Écriture ? » A quoi elle répond : « Homme, crois-moi ! Depuis que j’ai traversé le Jourdain, je n’ai vu personne, sauf toi, ni aucune bête sauvage, ni autre animal, depuis que j’habite dans cette solitude. C’est pourquoi je n’ai jamais appris à lire ; je n’ai pas non plus entendu qui que ce soit chanter ou lire, mais la parole de Dieu (oJ de; lovgoı toË QeoË) est

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vivante et efficace ; c’est elle qui enseigne à l’homme toute science ». On aura reconnu là une nouvelle citation, d’ Hebr. 4, 12, cette fois. Ces prémisses permettent d’apprécier l’originalité d’Hildebert dans la section qui s’ouvre ici (v. 655-664) : c’est en évoquant sa vie dévergondée à Alexandrie (v. 658-659) que l’anachorète prouve qu’elle n’a pu ni lire ni s’imprégner de l’Écriture (v. 656-657). Si subsiste en elle quelque trace d’honnêteté, de morale, de piété, elle le doit à Dieu seul. Cette réponse globale lui épargne la peine d’avoir à se justifier de ladite citation de Deut. 8, 3, faite au v. 648. 663. spiritus absque mora mentem replet, erudit ora : la mention par Hildebert de l’Esprit-Saint mérite d’être soulignée. Dans son traité théologique (PL 171, 1067-1150), l’évêque du Mans disserte savamment sur sa place au sein de la Trinité (c. IV et V) et consacre tout un chapitre aux dons de l’Esprit-Saint (c. XXXIX) ; pour l’authenticité de ce traité, voir A. Wilmart, 1933, p. 163 s. Il n’est pas hors de propos de le rapprocher de l’enseignement de s. Bernard en ce domaine : « La révélation qui se fait par l’Esprit-Saint, écrit ce dernier, donne la lumière pour connaître et le feu pour aimer, selon ces paroles de l’Apôtre : ‘La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. 5, 5) ; voir J. Leclercq, 1957, p. 216, qui cite le Sermon 8 de s. Bernard sur le Cantique des Cantiques. 665. Marie l’Égyptienne arrive à la fin de son autobiographie ; elle sait aussi que la fin de sa vie ne saurait plus tarder (v. 666-667). Elle assure Zosime qu’elle lui a fait un récit bien ordonné et complet de son existence (v. 668-669) ; dès lors, sa curiosité étant satisfaite, plus rien ne devrait le retenir en ce lieu : l’heure est venue de son départ (v. 670-672). C’est pourquoi, elle lui fait encore quelques recommandations : ne rien révéler de ce qu’elle lui a confié (v. 673) ; respecter scrupuleusement son ultime requête (v. 674-689). —, sed mihi preterite fluxerunt tempora vite : Larsen renvoie à Lucain, 9, 233 : pugnae / nec Pompeius erit ? perierunt tempora vitae. 671. umbre procrescunt, uenit hesperus, astra nitescunt : Pour ménager aux héros de son poème des adieux accordés à la gravité de l’heure, Hildebert multiplie les citations des auteurs classiques. Le premier élément : umbre procrescunt fait évidemment songer à Virgile, ecl. 1, 83 : maioresque cadunt altis de montibus umbrae. Il n’est pas interdit

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au poète de reprendre la même image, mais il saura la parer de nouvelles couleurs. Pour le second élément, Larsen, fort justement, renvoie au poète de Mantoue, ecl. 10, 77 : ite domum saturae, venit hesperus, ite capellae. Le troisième élément, le plus poétique, assurément, peut être rapproché de Virgile, aen. 5, 133-134 : cetera populea velatur fronde iuventus / nudatosque umeros oleo perfusa nitescit. 674. queque dehinc soli committam spernere noli : absent d’un grand nombre de manuscrits, inscrit en marge chez d’autres, ce vers fait figure d’ajout : en fait, il annonce les consignes destinées à l’abbé Jean ; elles ne seront données à Zosime qu’un an après sa première rencontre avec l’Égyptienne.. 675. si te non spernat, qui solus cuncta gubernat : compte tenu de l’incertitude qui affecte le libellé original de ce vers, composé pour donner sens au précédent, (voir l’apparat critique, ad locum) la traduction demeure incertaine et aléatoire. Celle que nous proposons, sous toutes réserves, se fonde sur les sens possibles de la conjonction : si avec le subjonctif, qui peut revêtir l’acception : à supposer que, dans l’hypothèse que, dans l’idée que ; voir F. Gaffiot, 1934, p. 1435, sub 7. 676. quando monasterium claustrales egredientur : Hildebert a conservé cette entrée en matière de la requête ultime de l’anachorète, mais il a modifié sur plusieurs points importants le récit de ses prédécesseurs. Chez Sophrone (c. 32 : PG 87, 3720 B) et Paul de Naples (c. XX : PL 73, 685 C), l’Égyptienne annonce d’emblée à Zosime qu’il la reverra l’année suivante, mais elle lui demande aussi de ne point se joindre aux moines qui franchiront le Jourdain, selon la coutume. Grosse surprise de Zosime, constatant que, sans connaître ledit monastère, elle est au courant de ses usages. Elle lui précise alors ce qu’elle attend de lui : venir au soir du Jeudi-Saint lui apporter le sacrement de l’eucharistie qu’elle n’a plus reçu depuis son passage à l’église du monastère Saint-Jean-Baptiste ; elle le charge enfin d’un message pour l’abbé Jean, l’higoumène du monastère sur les bords du Jourdain : « Prends garde à toi et à ton monastère, car il s’y passe des choses qui ont besoin d’être corrigées » ; elle ajoute : « Cependant, je ne veux pas que tu le lui dises maintenant, mais quand le Seigneur te l’aura ordonné ». Sur ce, elle dit au vieillard : « Prie pour moi » et s’enfuit en courant vers l’intérieur du désert. Hildebert a introduit dans le récit plusieurs éléments qui le rendent plus intelligible, voire plus vraisemblable : tout d’abord, la

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prédiction d’une maladie qui empêchera Zosime de se joindre aux moines qui passeront le Carême au désert (v. 677-678). Cette maladie ne sera pas fatale ; dès qu’il ira mieux, Zosime s’acquittera de la tâche qui lui est confiée (v. 679). Hildebert prête ensuite à la pécheresse repentie un éloge du sacrement de l’eucharistie d’une parfaite expression théologique (v. 682-685). Enfin elle annonce à Zosime que leur rencontre à venir sera la dernière, et qu’elle lui confiera alors un message pour l’utilité de ses frères (v. 686-689). 682. quem celis spero, terris presumere quero : l’idée de sa mort prochaine, exprimée clairement par Marie l’Égyptienne au v. 684 : hoc animata cibo, quo tendo, tutius ibo, commande l’interprétation de tout le passage, visiblement inspiré par la péricope johannique de Jn 6, 35-59, et plus spécialement par les versets 35, 51-52 et 55. Aux yeux de l’anachorète, la communion que lui apportera Zosime l’année suivante sera pour elle le viatique de son dernier voyage. 683. spero rem puram, peto rem reique figuram : ce vers est une excellente synthèse de la doctrine eucharistique traditionnelle qui affirme la présence réelle du corps et du sang du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrées (rem puram ; cf. Mal. 1, 11) : dès les origines, la célébration de l’eucharistie est comprise comme une imitation (mivmhsiı) non seulement de la liturgie céleste, mais aussi de l’événement christique de son institution. L’acte liturgique dans son ensemble et les espèces du pain et du vin sont image (eijkwvn), représentation (ajntivt upoı), ressemblance (oJmoivwsiı). Dans cette perspective, la présence réelle « somatique » dans les espèces eucharistiques est la « concrétisation » (Verdichtung) de la présence personnelle du Christ et celle de ses œuvres salvifiques ; voir B. J. Hilberath, « Eucharistie II. Historisch-theologisch », LThK 3 (1995), 946 ; cette doctrine s’oppose à la conception de Bérenger de Tours qui brise irrémédiablement la relation entre le domaine du symbole et celui de la réalité, de sorte que le pain et le vin ne sont plus le vrai corps et le vrai sang du Christ, mais seulement son image (imago, figura), sa ressemblance (similitudo) ; voir ibidem, 943. Dans son long poème didactique sur l’eucharistie (PL 171, 11951212) et dans plusieurs passages de ses sermons In cœna Domini (S. XXXIV-XL : PL 171, 505-547), Hildebert aborde le sujet en question, mais sans évoquer le problème de la distinction des accidents et de la substance du pain et du vin. Cependant, il en donne une formulation parfaitement orthodoxe dans son poème sur les trois

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sacrements : In Christi carnem panis substantia transit, / panis in altari, deus in cruce ; nil dubitetur (carm. 39, IV, 22-23, cité par P. von Moos, 1965, p. 262) ; voir aussi son deuxième sermon In cœna Domini (PL 171, 513 CD). 684. hoc animata cibo, quo tendo tutius ibo. La coutume de donner la communion aux mourants, désignée sous le nom de viatique (viaticum ; ejfovdion : nourriture pour le voyage), est attestée dès le premier concile de Nicée (325), c. 13, qui décrète : « A l’égard de ceux qui achèvent leur route ici-bas, la loi ancienne et canonique sera encore observée maintenant, de sorte que celui qui achève sa route ne soit pas privé du dernier et du plus nécessaire viatique » : voirDenzinger, 1996, n. 129 ; Hefele-Leclercq, I, p.  505 ; R. Kaczynski, « Sterbeliturgie », LThK 9 (2000), 982 (Bibliographie). 685. hic mihi conductus, uector, uia, patria, fructus. Cet hexamètre semble inspiré par celui de Boèce, cons. III, metrum IX, 27-28 : Tu requies tranquilla piis ; te cernere, finis, / principium, uector, dux, semita, terminus, idem. Le mot-crochet : uector suggère la parenté des deux poèmes ; dans les deux cas, l’objet de l’éloge est le souverain bien, le Créateur du ciel et de la terre, objet de la vision béatifique, chez Boèce ; le Christ, nourriture de l’âme, en ce monde et dans l’autre, chez Hildebert. 686. Larsen renvoie à Ovide, met. 3, 12 : hac duce carpe vias ; et met. 8, 208 : me duce carpe uiam. 691. Intermède : resté seul (v. 691-693), Zosime retourne au monastère (v. 694), mais le souvenir de l’anachorète ne le quitte plus (v. 69(-700) ; il aspire à la revoir et attend avec impatience le jour où la communauté repartira au désert pour le jeûne quadragésimal (v. 701). Toute une année se passe sans qu’il ne révèle rien à personne. Le jour venu du départ de ses confrères au désert, comme l’Égyptienne le lui avait annoncé, il doit rester au monastère, atteint par une maladie (v. 702-709). Une fois rétabli, il prépare son départ, sans plus tarder (v. 710-712) ; au soir du Jeudi-Saint, il se met donc en route, pour gagner la rive du Jourdain (v. 713720). 692. Quam postquam prepete nisu / sic asportari uidet et frustra reuocari : cf. Pacuvius, chez Cicéron, Tusc .2, 48 : nisu sedato : en marchant avec précaution (Gaffiot, p. 1032) ; Ovide, her. 8, 38 : succubuit telis præpetis ipse dei : lui-même succombe sous les traits du dieu ailé ; Virgile, aen. 3, 359 : Troiugena interpres divum… /… qui sidera sentis / et volucrum linguas et praepetis omina pennae.

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693. asportari : cf. Plaute, rud. 67 : ego, quoniam video virginem absportarier / tetuli ei auxilium ; l’infinitif de ce verbe, d’un usage commun chez les poètes latins anciens a généralement le sens passif ; si tel est le cas chez Hildebert, la fuite « ailée » de l’anachorète ressemblerait plutôt à un envol ; mais quel est son véhicule, s’il ne s’agit pas d’une nouvelle démonstration de son don de « lévitation » ? cf. v. 270. 696-697. femina uersatur in pectore uixque putatur / femina, sic superis par est habitus mulieris : ces deux vers illustrent bien un genre d’humour, propre à Hildebert, qu’il exerce avec un art consommé, à propos, voire aux dépens de Zosime. Le premier vers décrit un fait : l’image de cette femme (d’une femme ? de la femme ?) hante « la poitrine » (le cœur ? l’esprit ?) de Zosime ; le second explicite l’excuse qu’il allègue, pour n’avoir pas à chasser cette image et pouvoir s’y attarder : comment croire (uixque putatur) qu’il s’agit d’une femme, puisque son comportement ressemble à ce point, tellement (sic), à celui des êtres célestes ? 698. sic est non hominis status, os, abiectio, crinis / hec et sola fere recolit captatque, uidere.  : ces deux vers s’inspirent de la même logique. Le premier rassemble les éléments, recensés par Hildebert, et sur lesquels Zosime se fonde, pour se prouver à lui-même qu’il a raison de ne pas croire avoir eu affaire à un être humain ordinaire mais, alors que le lecteur s’attend à lui voir énumérer des qualités propres aux habitants des cieux, Zosime ne songe qu’au visage de l’anachorète, à son abjection, à sa chevelure ; c’est cela, ou presque uniquement cela (hec et sola fere) qu’il repasse dans son esprit (recolit) et cherche à saisir (captatque). Ce « presque », ajouté furtivement, ne manque pas son effet. 699. Si l’on conserve au verbe : captare son sens premier : chercher à obtenir, à saisir (cf. v. 740), la question s’impose de savoir si l’infinitif : uidere ne doit pas être rattaché au verbe : suspirat, du v. 700. Cette option correspondrait mieux à la progression de la pensée, semble-t-il : en effet, les v. 695-699a décrivent la présence lancinante de l’image féminine dans l’esprit de Zosime (v. 695 : heret femina menti) ; mais ces images virtuelles ne lui suffisent pas ; ce qu’il souhaite, c’est de revoir, de ses yeux, la femme-ermite, et ce désir l’habite jour et nuit : 696b-700 : uidere / hec Zosimas eque suspirat nocte dieque. Gaffiot, p. 1528, signale que le verbe : suspirare est transitif, avec une proposition infinitive ; cf. Lucrèce, 2, 1164.

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706. dura libens tolerat, quisquis sublimia sperat : sentence qui a valeur d’enthymème, puisque la cause qui fonde l’assertion est indiquée ; voir Lausberg, I, §§ 874 ; 371. Quintilien, inst. 8, 5 consacre tout un chapitre à cette figure de style qui permet de donner à un élément important d’un plaidoyer ou d’un récit une dimension « infinie », une explication d’ordre philosophique. 707. L’espoir de voir réalisées les autres « prophéties » de l’anachorète ont sur Zosime un effet bénéfique remarquable ; Hildebert en décrit les multiples aspects, depuis le v. 707, qui commence par le mot : spes — en écho au verbe : sperat du v. 706 — jusqu’à la fin du v. 709. Le v. 710 qui reprend le mot-clé (nec spe frustratur) marque la réalisation de la prophétie et le commencement d’une nouvelle section du récit (v. 712 : egreditur). 708. alludit : chez Cicéron, le terme revêt généralement le sens de : jouer, badiner, plaisanter (Gaffiot, p. 45). Le fabuliste Phèdre, 3, 19, 12, le place à la fin de l’anecdote intitulée : Ǽsopus respondet garrulo. Quant à Ovide, il l’emploie à propos d’un veau qui gambade et se joue dans l’herbe verte : et nunc alludit, viridique exsultat in herba (Quicherat, p. 53). 712. egreditur : comme le précisent Sophrone (c. 33 : PG 87, 3720 D) et Paul de Naples (c. XXI : PL 73, 686 C), c’est au soir du Jeudi-Saint (v. 717), lorsque ses confrères sont rentrés au monastère, que Zosime peut enfin se mettre en route pour retrouver l’anachorète et lui apporter la communion. La description de Sophrone mérite d’être citée dans sa teneur originale : kai; lavbwn eijı mikro;n pothvrion toË ajcravntou swvmatoı kai; toË timivou ai{matoı CristoË toË QeoË hJm«n. Elle est suffisamment précise pour que l’on reconnaisse l’usage de l’intinctio, qui consiste à donner au communiant le pain eucharistié trempé dans le vin consacré. Au Moyen Age, cet usage était habituel pour la communion des malades ; chez les Maronites, de nos jours encore, il est la forme normale de la communion des fidèles ; voir A. Heinz « Intinktion », LThK 5 (1996), 565 ; R. Kaczinski, « Kelchkommunion », LThK 5 (1996), 1385. 715. uas elixarum fert plenum lenticularum : Hildebert omet sur ce point les indications de ses prédécesseurs qui parlaient de figues et de dattes. — elixarum , Sophrone parlait déjà de lentilles bouillies (fak∞n mikra;n brasqei'san : nous corrigeons dans ce sens le texte de la PG, qui écrit : brace›san) ; Paul de Naples a compris qu’elles

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étaient trempées dans l’eau : parum lenticulae infusae in aquis. Il n’est pas téméraire de voir ici un souvenir d’Horace, sat. 2, 2, 74 : at simul assis / miscueris elixa, simul conchylia turdis, / dulcia se in bilem vertent stomachoque tumultum / lenta feret pirvita, ni de prêter à Hildebert un clin d’œil complice, chargé de sous-entendus, adressé au lecteur, à la seule évocation de la bouillie de lentilles qui constitue, pour Zosime, le suprême régal de son monastère. Les plaisanteries des moines sur la ripopée qui leur est servie sont monnaie courante chez les auteurs du Moyen Age ; voir l’Ecbasis cuiusdam captivi, v. 624 ; 1029. Nous y reviendrons. 717. carpit iter plene sub sacre uespere cene. La description des préparatifs de Zosime en vue de son expédition au désert occupe les v. 713-719 ; Hildebert accumule les verbes à l’indicatif présent, qui détaillent les préoccupations alimentaires du moine, dérisoires à ses yeux (v. 713-715). L’adverbe : plene marque la fin de ces préparatifs méticuleux de Zosime (v. 716 : sollicite superaddens) et sa satisfaction d’en être venu à bout. 719. utque gradum fixit, suspirans talia dixit : une fois de plus, Hildebert prête à Zosime une propension marquée à geindre dès qu’une difficulté se présente ; ses prédécesseurs avaient décrit très sobrement son arrivée tardive sur la rive du Jourdain : Sophrone et Paul de Naples disent qu’il s’assied en attendant la venue de la sainte (t∞w OJs iva~ ajnamevnwn th;n a[fixin). Comme elle est en retard, il veille à ne point s’endormir, et regarde sans cesse attentivement en direction du désert, guettant l’arrivée de celle qu’il espère. Suivent un monologue, dont Hildebert ne retient qu’un élément (v. 720), puis une prière : « Seigneur ne m’empêche pas de revoir celle que tu m’as permis de voir [une première fois] ; ne permets pas que je rentre bredouille (kenovw ; vacuus), affligé par la honte de mes péchés », omise par Hildebert. Pour finir, Zosime fond en larmes et cogite : « Que fera-t-elle, si elle vient ? Comment traversera-t-elle le Jourdain ; il n’y a pas ici de barque ». 720. ei mihi ! quam frustra sequor et circino lustra : La différence de style apparaît d’emblée, si l’on prend en compte les allusions faites par Hildebert à ses auteurs favoris  — , circino : cf. Ovide, met. 2, 721 : sic super Actæas agilis Cyllenius arces / inclinat cursus ; et easdem circinat auras. Le poète décrit le vol circulaire de l’agile Cyllène, le dieu du caducée, au-dessus des murs d’Acté, c’est-à-dire de Mercure séduit par la beauté de la jeune Hersé. Il tourne sans cesse dans le même cercle, comme le milan

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rapide, qui voit du haut des airs les entrailles d’une victime. C’est ainsi que Zosime balaie de son regard circulaire l’étendue où il guette l’arrivée de l’Égyptienne. —, lustra : cf. supra, v. 199 ; au pluriel, le terme peut désigner toute sorte de retraite des bêtes fauves, voire de mauvais lieux ; cf. Horace, sat. 1, 6, 68 : si neque auaritiam neque sordes aut mala lustra / obiciet uere quisquam mihi ; ou Lucrèce, 4, 1132 : desidiose agere ætatem, lustrisque perire. 721. aut oblita senis latet aut tardatur arenis : la première hypothèse qui vient à l’esprit de Zosime — d’après Hildebert — n’est pas flatteuse pour la femme-ermite ; mais Zosime se révèle ainsi au lecteur comme un vieillard soupçonneux, alors que naguère il plaçait l’Égyptienne parmi les êtres célestes. Il n’est pas interdit, cependant, de lui trouver une excuse : les vieillards ont aussi parfois des trous de mémoire et l’Égyptienne n’a plus vingt ans non plus. Au fur et à mesure qu’il envisage d’autres hypothèses, Zosime devient de plus en plus compréhensif et indulgent : a) elle a été retardée par le sable du désert (v. 721) ; b) elle est arrivée avant moi mais, déçue de ne point me retrouver comme convenu, elle est repartie (v. 722) et s’en est retournée vers le lieu de sa retraite  (v. 723) ; c) peut-être viendra-t-elle quand même (v. 724). Mais à peine a-t-il formulé cette hypothèse, que son naturel anxieux lui représente de nouveau toute sorte d’obstacles, insurmontables à ses yeux. (v. 724-727). Déjà il craint, déjà il se persuade que tous ses efforts ont été prodigués en pure perte (v. 724-725). Bien entendu, c’est à cet instant précis que Hildebert dénoue la situation, poussée à une intensité dramatique extrême, car Zosime se jugeait déjà responsable de l’échec de la rencontre manquée (v. 728-729). 730. ecce ! gradu propero, nudo pede, uespere sero / sicut promisit, uenit illa senemque reuisit : l’effet de surprise du dénouement, subit et imprévu, — souligné par l’exclamation : ecce !, placée en tête de la phrase — est parfait. Alors que chez Sophrone (c. 35 : PG 87, 3721 B) et Paul de Naples (c. XXII : PL 73, 686 D), Zosime se demande encore comment l’anachorète va pouvoir traverser le fleuve, Hildebert ne ralentit pas le rythme de l’action : la femme qui est arrivée, d’un pas rapide, nu-pied, s’arrête un peu, comme si elle était fatiguée de sa course (v. 732), mais il n’en est rien. En effet, la voici qui, déjà, manifestement émue, mais sûre de l’assistance des puissances célestes, trace sur l’onde le signe de la croix (v. 733-734) et traverse le fleuve.

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734. et flens fecunde signum crucis imprimit unde : Les contraintes de la rime du vers léonin ont conduit Hildebert à rapprocher avec bonheur les termes : unde- fecunde. En fait, nombreux sont les Pères qui ont rattaché au verset de Jn 19, 34 leurs commentaires sur les fruits salutaires de la Passion du Christ-Jésus. En effet, le sang versé atteste la réalité du sacrifice de l’agneau offert pour le salut du monde (cf. Jn 6, 51) et l’eau, symbole de l’Esprit, sa fécondité spirituelle (cf. Is. 12, 3). . 735. sic ea portento similis pede puluerulento / interiectarum transit discrimen aquarum : les prédécesseurs d’Hildebert n’ont pas tenté de décrire ni d’expliquer la traversée du Jourdain réalisée par l’anachorète. Sophrone (c. 35 : PG 87, 3721 B) dit simplement que Zosime la vit tracer un signe de croix sur le Jourdain — précisant, du reste, que la nuit était claire, car c’était la peine-lune — et, aussitôt après, descendre vers les eaux du fleuve et marcher sur elles, en venant vers lui. Paul de Naples ajoute : comme sur un chemin en dur (c. XII : PL 73, 687 A : veniebat quasi per solidum iter.) Il en va différemment chez Hildebert : non seulement il annonce que l’événement est prodigieux (v. 735 : portento), mais il le décrit : c’est à pied sec (v. 735 : pede puluerulento ; cf. Jos. 3, 17 ), à l’instar du peuple d’Israël traversant le Jourdain sous la conduite de Josué (Jos. 3, 14-17), que la pécheresse repentie effectue sa traversée (v. 736), et il dégage la leçon morale inscrite dans l’exemplum biblique évoqué (v. 737-740). —, interiectarum discrimen aquarum : la Bible précise que « les eaux en amont s’arrêtèrent et formèrent un seul monceau sur une grande distance, depuis Adam jusqu’à la forteresse de Sarthan, tandis que les eaux descendant vers la mer d’Araba ou mer Salée achevaient de s’écouler ». C’est à ce phénomène que fait allusion Hildebert. La ressemblance du franchissement du Jourdain avec le passage de la mer des Roseaux par le peuple hébreu fuyant l’Égypte (Ex. 14, 3-21) est frappante et soulignée par le rédacteur du livre de Josué (Jos. 3, 7 ; 4, 18). Est-ce à dire que Hildebert fait allusion à ces phénomènes ? Si l’on tient pour l’affirmative, on traduira : « Elle franchit la ligne de partage des eaux qui se sont séparées », mais une autre traduction est possible, plus simple, qui ne chercherait pas à préciser comment et pourquoi l’anachorète franchit le fleuve à pied sec : « Elle franchit la distance des eaux qui se trouvent les (= Zosime et l’ermite ) séparent. »

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737. nulli qui credit se mundo, mundus obedit / menti sincere norunt elementa fauere : avant de décrire en détail le déroulement de la dernière entrevue de Zosime et de Marie l’Égyptienne (v. 740784), Hildebert éprouve le besoin de formuler en quatre sentences, qui sont autant d’enthymèmes (cf. supra, v. 706) la leçon morale qui découle du franchissement « prodigieux » du Jourdain effectué par la pécheresse repentie : si les éléments naturels ont obéi à son désir, c’est parce qu’elle a cessé de mettre son espoir dans les biens de ce monde (v. 737) ; c’est en Dieu seul, au prix de rudes combats (v. 740), qu’elle est parvenue à la béatitude (v. 739) ; Dieu entend les prières de ceux qui ont le cœur pur (v. 738 : menti sincere) et qui unissent leurs souffrances à celles du Christ dans sa Passion. Il revient ainsi, discrètement, au mystère de la Croix, objet du pèlerinage de Jérusalem (v. 534 : uexilla salutis). 740. nil frustra captat, qui se sine uulnere mactat. La formulation du dernier enthymème est quelque peu recherchée, mais la signification de la sentence ne saurait faire de doute : partant de l’événement, Hildebert tient à souligner que les sacrifices consentis par la pécheresse repentie ont conféré du poids à ses prières (cf. v. 752 : totam se mactat). La leçon morale de ce fait est que prétendre être exaucé, même pour une chose sans importance (nil), si l’on n’accepte pas les épreuves, les blessures de la vie, en union avec le Seigneur crucifié, serait une vaine entreprise. Comment pourraiton s’offrir en sacrifice, sans vouloir subir de blessure ? 741. luna refulgebat nec facta latere sinebat : Hildebert a déplacé cet élément du récit de Sophrone, évoqué à l’instant (v. 735), pour le placer en exergue à la liturgie nocturne célébrée sur la rive du Jourdain, et lui assurer ainsi une décence parfaite et une dignité absolue ; nous avons abordé cette question dans l’Introduction. 743. a sene multimodas extorquet et elicit odas : chez Sophrone (c. 35 : PG 87, 3721 C) et Paul de Naples (c. 22 : PL 73, 687 B), l’anachorète demande à Zosime de réciter le Credo et de commencer le Pater ; à la fin du Pater, selon la coutume, elle donne au vieillard le baiser de paix (devdwken th;n ajgavphn t“ gevronti eijı to; stovma : pacis osculum obtulit seniori) ; puis, ayant reçu les mystères qui donnent la vie (t«n zwopoi«n musthrivwn : vivifica mysteriorum suscipiens dona), elle lève les mains vers le ciel et entonne le Nunc dimittis (Luc. 2, 29). Comme on le voit, Hildebert a omis ces éléments liturgiques pour leur substituer un entretien à bâtons

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rompus, entrecoupé de prières à diverses intentions, notamment pour les « réprouvés » (v. 743-749). 744. ecce, piis uotis, ambagibus inde remotis : cf. Lucrèce, 6, 1081 : nec tibi tam longis opus est ambagibus usquam : l’image, chère à Horace (cf. epist. 1, 7, 82 ; sat. 2, 5, 9), évoque les détours compliqués ou les précautions particulières dans le langage ou le maintien ; cf. Térence, Heaut. 318/319 : quas, malum, ambages narrare occipit ; elle est bien estompée dans l’expression française : « sans ambages ». 745. femina uirque uacant, sacra prece numina placant : cf.Virgile, aen. 3, 543 : tum numina sancta precamur / Palladis armisonae. P. von Moos, 1965, p. 228-229, voit dans ces vers l’évocation de l’union mystique à laquelle sont enfin parvenus en cette liturgie pascale le moine Zosime et la pécheresse repentie. 746. fletibus ora rigant, singultu uerba fatigant : Larsen renvoie à Ovide, met., 11, 419 : singultuque pias interrumpente querelas ; « quae mea culpa tuam, dixit, carissime, mentem vertit ?.. », et à Stace, Theb. 2, 234-235 : ter conata loqui, ter fletibus ora rigavit. Dans la seconde partie du vers, le verbe fatigant est employé au sens figuré ; d’après Quicherat, p. 416, il a pour synonymes les verbes : lasso, delasso, frango ; premo, urgeo, exerceo, ago, agito. 747. pro reprobis orant : compte tenu des prémisses théologiques déjà formulées par Hildebert (cf. supra v. 316 ; 441 ; 478 ; 507 ; 529), la prière de Zosime et de la femme-ermite concerne non point les « réprouvés », mais les pécheurs endurcis, qui se préparent un châtiment définitif, s’ils ne viennent à résipiscence avant leur mort ; cf. Eccli 9, 11 : speciem mulieris alienae multi admirati, reprobi facti sunt ; Apoc. 21, 8. 750. his ea patratis uenit ad calicem pietatis: après ce préambule (v. 743-749), qui rappelle la succession des chants et des prières qui ouvrent la liturgie eucharistique, le moment est venu de la communion sous les deux espèces, apportées par Zosime dans un calice approprié (v. 716). Hildebert insiste sur deux impératifs liés, à son époque, à la réception de ce sacrement : d’une part, une confession préalable est recommandée avant la communion (v. 750) ; d’autre part, il est formellement interdit aux femmes de toucher « les vases sacrés » (v. 750). 752. totam se mactat lacrimis calicique coaptat : le verbe mactare signifie ici « offrir des vœux, un sacrifice » ; cf.Virgile, aen. 4, 57 : mactant lectas de more bidentes / legiferae Cereri . Ici, c’est  l’anachorète qui s’offre elle-même en victime propitiatoire, en cette liturgie

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pré-pascale, en union avec le Christ crucifié, qui sera salué à l’Office de Pâques par l’hymne Victimae paschali laudes / immolant christiani. Hildebert connaissait certainement cette hymne, vraisemblablement composée vers 1050 par le poète bourguignon Wipo, qui fut chapelain de l’empereur Conrad II (1024-1039) et précepteur de son fils, le futur Henri III (1039-1056) ; voir M. Klöckner « Victimae paschali laudes », LThK 10 (2001), 763. Plus immédiatement, on notera que, grâce à la reprise du terme : se mactat, le v. 752 permet d’éclairer le sens du v. 740. —, calicique coaptat : cf. Léon le Grand, serm. 30 : quos (nos homines) sibi Verbi diuinitas coaptauit. Par métonymie, le calice désigne ici le sang du Christ sous les espèces du vin consacré. 753. inde genu posite dantur sponsalia uite : le terme : sponsalia peut désigner aussi bien les fiançailles, en droit romain (cf. Dig. 23, 1, 2), que les cadeaux de noces (cf. 1 Reg. 18, 25 ; Code de Justinien 5, 3, 3). Pour Marie l’Égyptienne, sa dernière communion terrestre constitue le signe et le gage de son union mystique avec le Christ, instaurée dès ici-bas et qui sera parfaite dans l’au-delà. Les auteurs spirituels décrivent cet état comme la préparation immédiate à la vision béatifique ; voir A. Tanquerey, Précis de théologie ascétique et mystique, Paris 19237, n. 1469. On notera que Hildebert évoque ces deux aspects de la communion aux v. 753 et 754 et les intègre au « viatique » de la pécheresse repentie. A propos des noces spirituelles entre l’âme faite à l’image du Verbe et le Verbe qui est l’image de Dieu, voir les sermons 80-83 de Bernard de Clairvaux sur le Cantique des cantiques et le commentaire de leur théologie par J. Leclercq, 1957, p. 212 : « …il ne se borne pas à donner des conseils d’ascèse. Il élabore une doctrine sur l’union au Verbe et à la restauration en nous de l’image de Dieu, que le péché a déformée : il est alors question moins des péchés que du péché, moins des vertus que de l’attitude profonde qui rend l’âme épouse de Dieu ».. . — , inde genu positae dantur : la description de la communion est d’une précision limpide : Marie reçoit, à genoux, de la main du prêtre, le pain consacré qui a été trempé dans la coupe de vin consacré, apportée par Zosime (voir le commentaire des v. 712 et 716) 754. et capiti Christo libamine iungitur isto : le terme libamen, qui appartient au vocabulaire sacré du paganisme, où il désigne les libations ou les offrandes aux dieux, n’a pas été frappé d’ostracisme

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par le « latin des chrétiens », peut-être parce que la Vulgate l’employait déjà pour le culte du Seigneur Dieu (cf. Joël 2, 14), et qu’il avait été repris dans les commentaires de l’Ancien Testament. Il a fait son entrée dans les oraisons des sacramentaires romains : Sacramentaire gélasien 1, 88 : praesta ut in hac mensa sint tibi libamina accepta ; Sacramentaire grégorien, c. 255 : corporis sacri et pretiosi sanguinis libamine (A. Blaise, 1954, p. 493). C’est évidemment au sacrifice du corps et du sang du Christ, offert et reçu dans le sacrement de l’eucharistie, qu’Hildebert fait ici allusion. 755. Les dernières recommmandations de l’anachorète, confiées à Zosime à l’intention de l’abbé Jean (v. 756-785) sont propres à Hildebert. Dans la perspective générale du poème, elles peuvent être considérées comme des suggestions formulées par l’évêque du Mans à l’adresse du mouvement contemporain des « nouveaux ermites », afin que ses responsables adoptent des institutions inspirées de celles qui régissent les moines cénobites traditionnels, autant dire l’Ordre de saint Benoît ou, si l’on préfère, formulées à l’adresse des abbés de l’Ordre de Cluny, si celui-ci acceptait de donner à ce mouvement des structures institutionnelles adaptées à ses besoins. Le discours de la femme-ermite est rigoureusement composé : après un exposé des faits qui exigent une réforme de la vie monastique au monastère de Zosime, et des causes qui ont conduit à divers abus (v. 756-762), viennent les consignes à l’intention de l’abbé lui-même (v. 763-776) ; enfin des réflexions générales sur la justice et la longanimité de Dieu devraient permettre de ramener les égarés à résipiscence (v. 777-781). En conclusion, l’anachorète prend congé de Zosime et se recommande à ses prières (v. 783-784). 759. quis mentis postem petat hostis, negligit hostem : cf. Horace, sat. 1, 4, 61 : postquam Discordia taetra / belli ferratos postis portasque refregit : le terme postis désigne très précisément le jambage de la porte d’entrée d’une maison, voire d’un temple. Or, pour la dédicace d’un temple, le pontife qui le consacre tient ce jambage, comme le rapporte Cicéron, dom. 120. C’est à cet usage que Hildebert fait allusion, en décrivant l’Ennemi qui cherche à toucher le jambage de la porte de l’âme, pour en prendre possession ; la métonymie implique une allusion à l’image paulinienne de I Cor. 3, 16 : Nescitis quia templum Dei estis, et Spiritus Domini habitat in vobis. 760. astu subtili lupus insidiatur ouili : cf. Matth. 7, 12. Le Roman de Renart et les fabliaux réservent plutôt la ruse au renard et la

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force brutale au loup, devenu Ysengrin ; voir Munier, 1998, pp. 26 ; 28 ; 39 ; E. Charbonnier, Le Roman d’Ysengrin, traduit et commenté par, Paris 1991, p. 10 analyse, à ce propos, le principe de composition binaire, le « principe de ruse et de contre-ruse », qui gagne de plus en plus de terrain dans le Roman d’Ysengrin de Maître Nivard, rédigé entre 1148 et 1153. 762. et patet ad morsum, dum respicit illa retrorsum : allusion à 2 Pet. 2, 21-22, et à Luc. 9, 62. 764. horteturque gregem monachi non spernere legem. Pour l’abbé d’un monastère, la manière la plus facile et la plus habituelle de mettre en pratique ce conseil était évidemment de faire lire et de commenter la Règle de son ordre. S’il n’a pas prescrit la lecture quotidienne de sa Règle, comme le Maître, ni hebdomadaire comme Augustin, Benoît enjoint de la faire lire saepius (RB 66, 8). Au VIIe siècle, Waldebert de Luxeuil s’en tient à la lecture d’un chapitre de la Règle, ou davantage, avant chaque repas. Cette façon de faire sera adoptée par la législation carolingienne. A ce rythme, la communauté entendait la Règle près de quatre fois par an et pouvait s’en imprégner comme de la Bible ; voir Dubois, 1984, p. 261s. Si l’anachorète insiste sur ce point, ne serait-ce pas tout simplement parce que Hildebert voulait souligner que cette coutume était négligée dans certains monastères ? 765. Larsen renvoie à la RB 2, 6-7. : « L’abbé se rappellera toujours que son enseignement et l’obéissance des disciples, l’une et l’autre chose, feront l’objet d’un examen, au terrible jugement de Dieu. Et l’abbé doit savoir que le pasteur portera la responsabilité de tout mécompte que le père de famille constaterait dans ses brebis » (SC 181, p. 442). 767. sic regem celi contristans corruit Heli : cf. I Reg. 3, 11-19. L’épisode est évoqué dans la RB 2, 26, ainsi qu’au Décret de Gratien, D. 37, c. 5, emprunté à Yves de Chartres, Décret IV, c. 164, dans une citation de Jérôme (in ep. ad Eph. III, 6 : PL 26, 540, sous la rubrique : Reprehenduntur episcopi, qui filios suos secularibus erudiunt litteris. 769. peruigili cura pater exstirpet nocitura ; cf. Ovide, her. 12, 60 : ante meos oculos peruigil anguis erat : il s’agit du dragon chargé de la garde de Médée ; il est décrit comme suit, ibid. 12, 1101 : peruigil esse draco squamis crepitantibus horrens / sibilat. Nous savons que les citations classiques faites par Hildebert ne sont pas toujours faites au hasard, mais « en situation » ; dès lors l’allusion au dragon de Médée, à propos du Père abbé, ne manque pas de sel.

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770. excubet ante fores : cf.Tibulle, 1, 3, 72 : Cerberus æratas excubat ante fores (Quicherat, p. 393). Même observation qu’au vers précédent ; nous avons affaire ici à une forme d’humour habituelle dans les écoles monastiques médiévales, le fait de désigner avec une bonhomie amusée tel ou tel de leurs maîtres par des qualificatifs empruntés à la mythologie (Cerbère) ou à la faune ; voir Munier, 1998, p. 19. —, ferat equa mente labores : cf. RB 31, 17 ; prol. 13. 771-776. Les conseils adressés au Père abbé par l’anachorète en vue de la direction spirituelle de sa communauté s’inspirent à l’évidence des principes qui animent la règle de saint Benoît, notamment de l’humilité « qui sauvegarde l’unité d’esprit et fait chercher Dieu seul » : J. Leclercq, 1957, p. 195 ; cf. RB 2, 21. — confortet honesta uolentes // excitet aggressos, premat immoderata professos : cf. RB 2, 16-17 ; 30-34. 773. que predicat, hec operetur : cf. Matth. 23, 3; RB 2, 12-13. 774. mulceat immitis, denuntiet aspera mitis : le vers commence par un bel oxymore, rappelant Virgile, georg. 4, 510 : mulcentem tigris et agentem carmine quercus, qui décrit les effets des incantations d’Orphée ; voir aussi RB 2, 23-25. 775. hos coram pungat, modo uerbera iungat : le recours aux châtiments corporels n’est pas inconnu de la Règle bénédictine ; il est prévu à l’égard « des mauvais sujets, durs, orgueilleux, désobéissants ; que les coups et le châtiment corporel les arrêtent dès le début de leur faute, vu qu’il est écrit : ‘On ne corrige pas un sot avec des mots’ » (Prov. 23, 13) : RB 2, 28 ; voir aussi RB 28, 1 ; 30, 3. 777. Pour conclure ses recommandations à l’adresse de l’abbé Jean, l’anachorète s’élève au niveau de considérations générales relatives à la justice et à la miséricorde divine (v. 777-782) ; Hildebert a usé du même procédé, faisant de la femme-ermite son porte-parole, aux v. 225-231.. 778. iudicium grauius Deus irrogat ausibus huius : cf. Horace, sat. 1, 3, 118 : adsit / regula quae poenas irrogat aequas. Dans le cas de pécheurs téméraires, qui défient la patience et la justice divine (v. 777), Hildebert souligne qu’elles ont des limites ; du même coup, au moyen du verbe : irrogat, il rappelle les sages propos d’Horace en matière d’une justice humaine, équilibrée, soucieuse d’équité ; voir supra, v. 6 et RB, prol. 47. 779. continuatque grauis clementia prospera prauis : et pourtant le mot de la fin est une promesse de miséricorde à l’adresse des

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pécheurs. Une fois encore, c’est Horace qui a fourni l’expression imagée qui donne vie au récit ; il s’agit, en effet, de la fable du rat des champs qui régale le rat de ville : Horace, sat. 2, 6, 108 : cursitat hospes / continuatque dapes … 781. cum furit atque ferit, Deus olim parcere querit : rappel de la citation d’Ezéchiel, 18, 23, déjà évoquée (v. 444-445) ; —, olim : l’adverbe de temps, polymorphe, a ici le sens de : un jour à venir, comme dans le fameux passage de Virgile, aen. 1, 204205 : revocate animos maestumque timorem / mittite : forsan et haec olim meminisse iuvabit. 782. ista relaturus et adhuc semel hic rediturus / uade… : Marie l’Égyptienne prend congé de Zosime : elle lui demande de revenir une dernière fois [sous entendu : l’année prochaine, dans les mêmes conditions que les années précédentes ; cf. v. 282], de se faire le défenseur de la Règle monastique (v. 783) et se recommande à ses prières (v. 784). On notera, au passage, la force évocatrice de l’envoi : Vade, qui lance le v. 783. 784. assistens are pro peccatrice orare : cf. Hebr. 9, 11: Christus autem assistens pontifex futurorum bonorum; Tertullien, Prax. 6, 2: dehinc adsistentem eam [= sophiam ] in ipsa operatione [creationis]. La mention de l’autel est propre à Hildebert ; elle évoque bien entendu les intentions de prières pour les défunts formulées lors du canon de la messe ; cet usage, très ancien, est attesté en Orient dans l’eucologe de Sérapion de Thmuis (IVe siècle) ; il a conduit à celui des diptyques ; voir O. Stegmüller, « Diptychon », RAC 3 (1957), 11381149. En Occident, la coutume de faire une mention spéciale des défunts au cours du canon remonte au moins à l’époque carolingienne, à la réforme liturgique d’Alcuin ; voir B. Botte-Chr. Mohrmann, L’ordinaire de la Messe, Paris-Louvain 1953, p. 24. —, A la suite de Sophrone (c. 36 : PG 87, 3724 A), Paul de Naples (c. XXII : PL 73, 687 C) dramatise les adieux des protagonistes. Nous donnons la traduction du récit de ce dernier : « Lui [= Zosime], touchant ses saints pieds (pedes ejus sanctos contingens), la suppliait en pleurant de prier pour l’Église, pour l’Empire et pour lui-même : et ainsi il la laissa partir, en pleurant et en poussant des cris (ejulans). Car il n’osait la retenir plus longtemps, elle qui n’aurait pu être retenue, même s’il l’avait voulu. » Hildebert n’a rien retenu de ce discours. 785. L’anachorète traverse le Jourdain : comme elle était venue (v. 734-736), elle le franchit à pied sec (v. 786), en marchant sur

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ses eaux (v. 787 : desuper), qui lui obéissent (v. 785). On notera que, chez Hildebert, elle ne répète pas le signe de croix tracé sur les eaux du Jourdain, comme le font ses prédécesseurs, reproduisant mécaniquement son premier passage (v. 734). 788. Ici commence la dernière section du récit, centrée sur la troisième et dernière rencontre de Zosime et de l’anachorète (v. 792-900). Elle est introduite par une rapide entrée en matière (v. 788-791), qui relate le retour de Zosime dans son monastère (v. 788), et son obsession impatiente de reprendre le chemin du désert (v 789-791). Quatre vers suffisent à Hildebert pour décrire ce qui s’est passé pendant un an, autant dire : rien. Et pourtant Zosime, hanté par le souvenir de la femme-ermite, ne peut songer à autre chose (v. 789), car il a « le temps long » (v. 790) et « un an, c’est long » (v. 791). Il vaut la peine de souligner que cette évocation des sentiments de Zosime, rongeant son frein dans son monastère, pendant toute une longue année, est propre à Hildebert. Pour Sophrone (c. 36 : PG 87, 3724 A) et Paul de Naples (c. XXIII : PL 73, 687 D), l’unique regret du moine est de ne pas avoir cherché à connaître « le nom de la sainte », mais il se console à la pensée qu’il pourra l’apprendre l’année suivante. 790. obsidet hec mentem, totum tenet una querentem : la nostalgie de Zosime prend des proportions inquiétantes, mais la manière discrète et neutre avec laquelle Hildebert la décrit estompe la violence de sa passion. P. von Moos, 1965, p. 236, attribue cette discrétion à la noblesse et à la parfaite courtoisie de l’évêque du Mans ; il ne lui a pas échappé cependant que, tout en évitant les descriptions trop réalistes, Hildebert ne se prive pas d’employer à l’égard de Zosime et de ses effusions un ton légèrement ironique, du meilleur effet. 792. Les différences entre Hildebert et ses prédécesseurs pour ce qui concerne la dernière section du récit (v.792-900) ne sont pas très nombreuses, mais elles sont significatives : la plupart du temps, Hildebert allège leur narration, en omettant des détails qui lui paraissent soit excessifs (une comparaison « homérique » : v. 796 ; des pleurs et lamentations), soit exotiques (orientation pour la prière ; position du corps de la défunte ; liturgie funéraire ; datation du décès) et, de toute façon, inutiles ; par contre, il recueille soigneusement toutes les indications illustrant le caractère de Zosime, dont il force même le trait, à l’occasion. Nous y reviendrons au fil du commentaire.

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Le plan de cette section s’établit comme suit : a) Zosime part à la rencontre de l’anachorète et la cherche en vain (v. 792-814) ; b) guidé par un rayon de lumière, il découvre le corps de la défunte, qu’il peut vénérer (v. 815-829 ; c) informé par une inscription sur le sable, il s’apprête à lui donner une digne sépulture (v. 830-864) ; d) un lion se présente à point nommé pour lui faciliter cette tâche (v. 865-891) ; e) l’inhumation achevée (v. 892- 900), Zosime rentre dans son monastère (v. 901-904). 794. egressusque fores fert absque labore labores : les allittérations (fores, fert ; absque labore labores) et le jeu de mots sur le dernier terme veulent faire ressortir la précipitation et l’acharnement des recherches de Zosime ; voir Bourgain, 2005, p. 505. La même observation vaut pour les deux vers suivants, dont la force descriptive est liée à l’accumulation des noms (v. 794 : nisu, pede, uisu), des compléments (v. 794 : quoque potest, peruia, cetera) et des verbes : (v. 795 : circuit, explorat, perorat). Le dernier verbe équivaut au français : pérorer (discourir de manière prolixe et prétentieuse), qui n’a rien de flatteur. C’est lui qui annonce le monologue de Zosime, entrecoupé de pleurs et de gémissements. 796. Le monologue de Zosime (v. 796-810) est propre à Hildebert ; ce fourre-tout lui permet d’omettre une comparaison plutôt maladroite, qui remonte à Sophrone (c. 37 : PG 87, 3724 A). Paul de Naples (c. XXIV : PL 73, 688 A) la présente ainsi : « Comme il parcourait la solitude et ne trouvait aucun signe qui lui indiquât le lieu recherché, il regardait à droite et à gauche, portant partout des regards perçants, pareil à un chasseur très rapide, à l’affût, au cas où il pourrait saisir une très douce proie. » La suite n’a pas trouvé davantage grâce aux yeux d’Hildebert : « Mais comme il ne voyait rien bouger nulle part, il commença à s’affliger sur son sort et à fondre en larmes. Puis, levant les yeux, il priait, disant :‘Je t’en prie, Seigneur, montre-moi cet ange qui a pris corps (in corpore angelum), et à qui le monde entier est indigne d’être comparé’ ». Chez Hildebert, le monologue de Zosime commence par une prière solennelle adressée au Christ, invoqué dans le mystère de son union hypostatique, à la fois Dieu et homme (v. 796) ; c’est essentiellement une prière de demande (v. 797 : exaudi, quaeso) calquée sur les oraisons de la messe (exaudi, quaesumus…Domine). L’objet de la demande est répété à satiété, au moyen du pronom démonstratif  (v. 798 : hanc), relayé par quatre pronoms relatifs (v.

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798 : propter quam ; v. 799 : quam…quam…cuius ; v. 800 : que). La nostalgie obsessionnelle de Zosime s’étale ici sans vergogne, à travers les verbes  (v. 798 : ueni ; v. 799 : uolo, quero, spero). — , Christe, figura Patris, Pater et stirps unica matris : Ce vers est largement inspiré par l’épître aux Colossiens. D’une part, il reprend l’expression du Christ, « image du Père » (Col. 1, 15) ; d’autre part, il rappelle les versets Col. 1, 15-16, qui culminent dans l’affirmation : « Tout a été créé par lui et en lui et pour lui » (Col. 1, 16). Les déclarations d’Hildebert trouvent leurs correspondants, d’une part dans l’encyclique « Divinum illud munus » de Léon XIII (9 mai 1897) : « … Le Fils, Verbe et image de Dieu, est en même temps la cause exemplaire que reflètent toutes choses dans leur forme et leur beauté, leur ordre et leur harmonie », (Denzinger, 1996, n. 3326), d’autre part dans l’Index systématique du même ouvrage, sub 4c, qui présente les textes du Magistère relatifs à l’unité de l’agir des Personnes divines dans la création et l’histoire du salut. Mais elles se retrouvent aussi dans la prière de saint Bernard, qui ouvre le chant XXXIII du Paradis dans la Divine comédie de Dante :  « O Vierge mère, et fille de ton fils, // humble et haussée plus haut que créature, // terme arrêté d’un éterne conseil, toi seule fis en l’humaine nature // telle noblesse entrer que son faiteur // ne dédaigna de s’en faire faiture » (Traduction française d’A.P., édition de la Pléiade, 1967², p. 1663). L’auteur signale plusieurs expressions parallèles, notamment : « Patrem parit filia » :‘Versus’ de Saint-Martial de Limoges, 1099 : O Maria, Deu maire // Deu t’es e fils et paire. — Rutebeuf ( ?), Dit des IX joies : « Tu iez e vierge et fille e mere : // Vierge enfantas le fruit de vie ; // fille ton fil, mere ton pere. — Chrétien de Troyes, Conte du Graal 8263-8264 : …icil glorieux pere qui de sa fille fit sa mere ». — Rutebeuf : « En nom dou haut Roi glorieux qui de sa fille fit sa meire… », Crois. VIII, 233-234. 799. quam uolo, quam quero, cuius prece celica spero : il est curieux de constater que, dans une prière adressée au Christ, le moine Zosime puisse déclarer qu’il espère parvenir à la béatitude céleste grâce à l’intercession de la pécheresse repentie, comme si elle faisait déjà partie des cohortes célestes. Or, les deux vers qui suivent (v. 800-801) montrent que Zosime la croit encore en vie, autant dire qu’à ses yeux ce point ne change rien à sa dévotion personnelle : qu’elle soit morte ou vivante, pour Zosime, la femme-ermite est une sainte.

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800. que licet in castris modo militet, insidet astris : si, présentement (modo), d’après Zosime, l’anachorète fait partie de l’Ẻglise militante, elle n’appartient donc ni à l’Ėglise souffrante (le purgatoire), ni à l’Ėglise triomphante (le ciel). On sait que la doctrine catholique du purgatoire s’est précisée entre le XIe et le XIIIe siècle ; voir J. Le Goff, Naissance du purgatoire, Paris 1988 ; G. L. Müller, « Fegfeuer. III ; Historisch-theologisch », LThK 3, 1995, 1205-1208 (Bibliographie). Pour Zosime, il ne fait aucun doute, cette femme est une sainte : elle a sa demeure au ciel  (v. 800) ; elle est déjà la compagne des êtres d’en haut (v. 801) ; elle est déjà unie au Christ, comme à son époux (v. 802). 801. iamque comes superum, fastidit lubrica rerum : le verbe fastidire, dont le sens premier est très expressif, signifie au sens figuré : mépriser, dédaigner. Il en va de même pour lubrica, qui peut être le pluriel de lubricum : lieu glissant, ou le neutre pluriel de l’adjecif lubricus et désigner tout ce qui est incertain, hasardeux, décevant, trompeur. 802. iam coniuncta Deo fructum petit hoc himeneo : Hildebert a déjà évoqué le thème des noces mystiques de l’anachorète au v. 750. Ce thème deviendra un leitmotiv des Sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques. 804. ue mihi, ue misero ! frustra per deuia quero : Zosime entonne sa jérémiade, elle comporte deux couplets ; le premier (v. 804-807) expose la cause profonde de sa douleur : le moine cherche en vain celle qu’il espère. Une nouvelle série de pronoms relatifs s’ajoute à ceux que nous avons relevés un peu plus haut (v. 798-800), et ponctue les étapes de la rencontre, qu’il fait défiler en son esprit, de la demeure de l’anachorète (domus) à la vision d’une humble cabane ou chaumière (casa), à « l’antre de son lit nuptial » (specus thalami), et jusqu’au voile de sa pudeur, défendue par un ange, sous le regard du ciel (v.805-807). Le second couplet traduit le trouble profond qui s’est emparé de Zosime, à cette évocation ; c’est au point qu’il ne sait plus où aller ni que faire ; les nombreux obstacles qui s’opposent à la réalisation de son désir le paralysent littéralement (v. 808-811). 807. La croyance à un ange gardien, assigné à chaque homme en particulier, est largement attestée dans le judaïsme postexilique ; voir J. Mischl, « Engel II. VII », RAC V (1962), 72-75. 811. Le récit reprend : nous retrouvons Zosime, cloué sur place, regardant de tous côtés, appelant, écoutant, mais en vain ; il ne voit nulle part de traces de pas qui pourraient le guider ; il n’entend

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aucune réponse faisant écho à ses appels (v. 811-815). Bien entendu, c’est au moment même — ce qui est indiqué par la conjonction temporelle : dum, répétée au v. 815 — au moment même où il se trouve au fond de l’abîme de la détresse et de la solitude, que son drame va se dénouer. 816. desuper algentes artus animaque carentes / illuxit radius, quasi dux et preuius huius. Hildebert a trouvé chez Paul de Naples (c. XXV : PL 73, 688 A) la mention du rayon de lumière éclairant le corps de la défunte ; elle ne figure pas chez Sophrone. Par contre, la description de la défunte est identique chez les deux auteurs (voir aussi Sophrone, c. 37 et 38 : PG 87, 3724 B). Nous donnons la traduction du texte latin: « Il (= Zosime) vit le corps mort de la sainte, les mains jointes comme il fallait, et regardant vers le soleil levant. Accourant, il baigna de larmes les pieds de la sainte, mais il n’osait pas toucher une autre partie du corps. Après avoir pleuré quelque temps, il récita les psaumes qui convenaient au temps [liturgique] et à l’entreprise ainsi que l’oraison de la sépulture, [en grec : eujch;n ejpitavfion] et il se disait : [‘Ne conviendrait-il pas d’ensevelir le cadavre de la sainte ? Ou bien’ : cette incise est propre à Sophrone]. ‘Ne déplaît-il pas à la sainte que cela se fasse ?’ Et comme il disait ces mots, il vit… » Il convenait assurément de donner le texte intégral du modèle que l’évêque du Mans avait sous les yeux pour composer cette partie du poème (v. 817-832). On est ainsi mieux en mesure d’examiner et d’apprécier le travail minutieux qu’il a réalisé à partir de fragments sans relief ni couleur. 820. sed iam defunctam, iam Christo re quoque iunctam. La répétition de l’adverbe de temps : iam ne signifie-t-elle pas qu’aux yeux de Zosime l’anachorète accéda à la béatitude céleste au moment même de sa mort ? De fait, non seulement le v. 821, qui commence également par iam, explicite deux éléments de cette béatitude : faire partie des milices célestes ; rayonner de gloire, mais le v. 822 énonce un axiome à valeur universelle. 821. iam superum castris, rutilantem clarius astris : faut-il chercher dans l’expression vétéro-testamentaire du Dieu des armées (Deus Sabaoth) la justification de l’image audacieuse du « camp de ceux d’en-haut » (superum castris), surgie de deux termes latins ; cf.Virgile, aen. 6, 481 : hic multum fleti ad superos belloque caduci / Dardanidae… ? —, rutilantem clarius : Hildebert n’a-t-il pas ajouté au participe rutilantem l’adverbe clarius, au comparatif, pour éviter un solécisme

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(rutilantius), analogue à celui de Venance Fortunat, 8, 7, 351 : rutilantior ? 822. glorificanda caro decocto purior auro. L’image de l’or purifié au creuset, qui ouvre le poème (v. 1) est reprise ici et illustre l’efficacité pleine et entière de la pénitence entreprise par la pécheresse en expiation de sa vie de débauche. Sa conversion spectaculaire à Jérusalem, devant le bois de la croix, sous le regard maternel de l’icône de la Qeotovkoı, suivie d’un séjour de quarante-sept ans au désert, d’une intensité ascétique des plus rigoureuse, constitue les prémisses d’une rédemption, dont son corps même recueillera le signe glorieux. Il va sans dire que l’énoncé de cette opinion sous forme de sentence prétend l’ériger en axiome à valeur universelle. —, decocto purior auro : cf. Ovide, trist. 1, 5, 25-26 : scilicet, ut fulvum spectatur in ignibus aurum / tempore sic duro est inspicienda fides… Larsen renvoie encore à Prov. 17, 3 ; Zach. 13, 9 ; I Petr. 1, 7 ; Apoc. 3, 18. 823. sicut oportebat mulierem, tecta iacebat : on notera la différence entre le texte de Paul de Naples et celui d’Hildebert. Chez le premier, — fidèle à Sophrone, — la défunte a les mains jointes ; l’évêque du Mans préfère dire qu’elle « gisait, recouverte », « comme il le fallait pour une femme. » 824. La description de la douleur de Zosime, propre à Hildebert, couvre les v. 824-832.Après une introduction hautement rhétorique, appropriée à la démesure de la scène à décrire (v. 824-825), l’auteur multiplie les verbes qui traduisent les sentiments du moine affligé : soupirer, regarder (v. 826), élever les yeux vers le ciel, se lamenter (v. 827). Une nouvelle série de verbes le montre se prosternant devant la défunte, en gémissant, puis, n’y tenant plus, s’enhardissant jusqu’à lui toucher les pieds (v. 828), avant de les couvrir de larmes et de pieux baisers (v. 829). Pour finir, Hildebert lui prête une prière des plus incongrues (v. 830), suscitée par une pensée de suicide, témoignage manifeste de son égarement mental (v. 831). Le mot de la fin donne la clé du projet de Zosime : il voudrait être avec l’anachorète dans la mort, comme il le fut dans la vie (v. 832). — , qui pectoris estus ? Pour décrire la violence des sentiments qui assaillent Zosime, Hildebert: semble s’être inspîré de la célèbre description de la tempête au premier chant de l’Énéide ; cf.Virgile, aen. 1, 106-107 : his unda dehiscens / terram inter fluctus aperit, furit aestus harenis

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825. qui gemitus lacere mentis ? cf.Virgile, aen. 6, 495 : Deiphorum vidit, lacerum crudeliter ora. 833. Ce climax atteint (Lausberg, § 623), Zosime va recouvrer ses esprits : la conjonction dum marque le passage de la douleur extrême à l’hésitation, à l’incertitude. Mais Hildebert, très finement, fait porter cette hésitation, cette incertitude, non point sur le projet insensé du moine, mais sur une question banale, terre-à-terre, qui lui passe par l’esprit : « Comment donc s’appelle la défunte ? » (v. 833). Il nous faut ici nous reporter aux prédécesseurs d’Hildebert. Comme nous l’avons indiqué plus haut (v. 816), Sophrone prête à Zosime la question : « Ne conviendrait-il pas d’ensevelir le cadavre de la Sainte ? » C’est à ce moment précis que le moine découvre sur le sable l’inscription qui lui donne son nom, la date de sa mort, et les instructions concernant sa sépulture (c. 38 : PG 87, 3724 BC). Le schéma est identique chez Paul de Naples, bien que, cette fois, Zosime se demande encore s’il doit procéder à l’ensevelissement (c. XXV : PL 73, 688 B). Chez Hildebert, c’est la vue de l’inscription qui retient l’attention de Zosime (v. 834 : suscitat ora) et fait tomber le voile qui obnubilait son esprit (v. 835 : et nubes mentis delabitur). 835. Le genre littéraire de l’hagiographie favorise les prodiges comme celui de l’épitaphe de la femme-ermite. Il fallait bien trouver un moyen merveilleux de rappeler aux lecteurs son nom et son dies natalis. Sophrone (c. 25 : PG 87, 3724 B) a donné l’exemple ; il en indique la place : « à la hauteur de la tête de la défunte », et la teneur, en ces termes : « Ensevelis, abbé Zosime, en ce lieu, le cadavre de l’humble Marie, en rendant la terre à la terre (ajpovdow to;n coËn t“/ coiv) et en priant sans cesse le Seigneur pour moi, qui suis décédée dans la nuit même de la Passion du Seigneur, après avoir reçu le repas divin et mystique, au mois de Pharmouthi, [selon les Égyptiens, qui est celui d’avril, selon les Romains] ». Paul de Naples (c. XXV : PL 73, 688) a recueilli scrupuleusement ces données ; il ajoute que ce fut le neuviéme jour, le cinquième des ides de ce mois. Hildebert, grand compositeur d’épitaphes devant l’Éternel — voir PL 171, 1391-1399 — a ciselé, avec un art exquis, celle de son héroïne, et fait épanouir la fleur des devises latines. 836. sancte pater, Pharie sepeli, precor ossa Marie : alors que ces prédécesseurs avaient consigné dans ce message « les dernières volontés » de l’anachorète, Hildebert fait intervenir un personnage anonyme, que Zosime ne parvienda pas à identifier (v. 843). D’autre

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part, il indique d’emblée que le nom de la défunte est Marie l’Égyptienne (Pharie… Marie). Notons, en passant, que Lucain, 10, 86 et 92, emploie de préférence l’adjectif : Pharus, a, um.. 837. gleba recondatur, cineri cinis adiciatur : Paul de Naples avait emprunté à la Vita de Paul l’ermite de Jérôme (PL 23, 17-28) la formule : redde terrae quod suum est et pulveri adjice pulverem; Hildebert a fait de son mieux pour la conserver, et il a réussi, en outre, à faire une allusion à la glèbe, au « limon de la terre », dont Adam fut façonné (Gen. 3, 19). 839. uictricem mundi dissoluit prima secundi : cf.Térence, heaut. 509 : dissolvi me, otiosus operam ut tibi darem ; « Je me suis dégagé pour avoir le loisir de te prêter secours. » (Traduction de J. Marouzeau, Paris, Belles Lettres, 19845.) En fait, le verbe dissolvere s’emploie au sens propre pour toute sorte d’opérations qui conduisent à délier, briser, dissoudre, comme le soleil qui fait fondre la glace ou dissipe les nuages ; au figuré, il couvre un large éventail de sens, notamment : rendre libre, affranchir. C’est cette dernière acception qui convient ici : Marie, la « dame du ciel », qui occupe désormais la première place dans l’autre monde, a affranchi, libéré, la femme qui, [d’abord son esclave], a vaincu le monde ; cf. I Joh. 5, 4 : haec est victoria, quae vincit mundum, fides vestra. 840. misteriis plene transacto uespere cene : pour préciser la date du décès de Marie l’Égyptienne, Hildebert a recours à deux références, d’une part le soir du Jeudi-Saint, par l’évocation des « mystères de la Cène » (v. 840), d’autre part la journée du Vendredi-Saint, marquée par les ténèbres qui couvrirent tout le pays (v. 841). Zosime décrypte le message (v. 842-849). 841. nox grauis obrepsit, quia sol cum sole recessit : allusion à Matth. 27, 45 : « à partir de la sixième heure l’obscurité se fit sur tout le pays jusqu’à la neuvième heure. » 842. his Zosimus demum nomenque diemque supremum / agnoscit, dubius, quis conditor extitit huius : le rejet du verbe est un procédé cher à Hildebert ; nous le signalons dans le texte par une virgule, après agnoscit. —, demum : l’adverbe, qui revêt des significations aussi diverses que : finalement, enfin, après tout, seulement, en résumé, pourrait se prêter à toute sorte d’interprétations. Compte tenu des raisonnements qu’il développe, des réflexions qu’il fait, force est de reconnaître à Zosime une logique imparable, digne d’un certain détective britannique (cf. v. 844-845).

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844. nam nil legisse mulierem, nil didicisse / nouerat istorum nec uel memorem studiorum : si l’on se reporte au v. 656, on pourrait croire que l’Égyptienne savait lire et écrire, le v. 661 ne permettant pas de trancher le débat ; voir notre commentaire au v. 655. En fait, ici, par le verbe : nouerat, Hildebert attribue à Zosime une opinion minimaliste de la culture de l’anachorète, qui renforce d’autant, à ses yeux, la transcendance de ses performances ascétiques et spirituelles. Quoi qu’il en soit, Zosime tire une première conclusion de ses réflexions : ce n’est pas l’anachorète qui a rédigé l’inscription. Mais qui ? Pour Hildebert, Zosime reste figé dans son doute initial : (v. 842 : dubius quis…). 846. comperit hinc etiam : Zosime dégage une deuxième (etiam) conclusion (comperit) à partir des mêmes prémisses (hinc) : après avoir reçu de sa main les sacrements (v. 846), Marie a été transportée jusqu’en ce lieu, où son corps a été retrouvé, et elle est décédée aussitôt après (v. 847). Mais quel est ce lieu ? 848. illuc… / quo uix expletis bis quinque decemque dietis / uenerat is fessus uictumque labore professus : Hildebert apporte ici une indication décisive pour situer le lieu en question ; il l’a évidemment empruntée à la section correspondante de Paul de Naples (c. XXVI : PL 73, 688 C). En voici la traduction : « Zosime songea qu’aussitôt après avoir participé aux mystères divins sur la rive du Jourdain, dans la même heure Marie arriva dans ce lieu où elle passa aussitôt de ce monde vers le Seigneur et qu’au cours d’une heure seulement, elle accomplit le même trajet que lui avait parcouru à grande peine en l’espace de vingt jours. » D’autre part, Sophrone (c. 9 : PG 87, 3704 D) et Paul de Naples (c. VII : PL 73, 676 D) précisaient que la première rencontre de Zosime et de l’anachorète avait eu lieu le vingtième jour du Carême, vers la sixième heure : viginti autem dierum exigens iter, cum sextae horae tempus advenisset, stetit modicum… Cette rencontre est évoquée par Hildebert aux v. 171-173, mais il a omis alors les indications, qui apparaissent ici, à point nommé, car elles sont indispensables pour comprendre le v. 848. 850. qui noua lamentis testatus uulnera mentis : / assidet examini, madet imbre doloris opimi : ses cogitations lui ayant permis de faire le point, Zosime peut enfin donner libre cours à sa douleur ; pour ce faire, il s’assied près de la défunte (v. 851 ; cf. v. 204) et se met à pleurer.

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—, madet imbre doloris opimi : on notera, au passage la présence obstinée d’une élégante hypallage : l’adjectif opimi : copieux, abondant, étant reporté de imbre sur doloris. 852. iratus fatis studet officio pietatis : cette fois, la palme de la concision appartient à Paul de Naples qui se contente de dire : « Zosime, ayant glorifié le Seigneur et baigné de larmes son corps [= celui de la défunte], dit : Il est temps pour toi, mon pauvre Zosime, d’accomplir ton office (quod tuum est). Mais que faire, puisque je n’ai pas de quoi creuser ? » Hildebert consacre six vers à décrire d’abord les préliminaires auxquels se livre Zosime (v. 853-858), avant de songer à la sépulture de la défunte (v. 859) et de constater qu’il n’a pas d’outils appropriés (v. 860-863). —, officio pietatis : les fonctions de Zosime consistent, pour Paul de Naples, à procurer à Marie de dignes funérailles ; Hildebert les fait précéder des devoirs de piété que le moine tient à lui rendre auparavant (v. 853-855a). 855b. erat his incuria cultus : deux traductions sont possibles : la première se limite à la description de la défunte : son chef, ses cheveux, son visage (= his) étaient négligés, sans apprêts ; la seconde, en harmonie avec le vers suivant, y verrait une antithèse : pour ce qui concerne son chef, ses cheveux, son visage, le manque de soin était leur élégance. 857. femina munda satis lacrimis pietate uocatis / abluitur gratis, quia par prope glorificatis : les deux vers qui concluent ce développement énoncent un jugement sur la valeur expiatoire des longues années de pénitence de la pécheresse repentie : ses larmes, versées à satiété, ont suffi à laver ses fautes ; elle est désormais presque, à peu de chose près (prope), l’égale des bienheureux, tant la grâce (gratis) fut à l’œuvre en sa personne. —, abluitur gratis : Dans ce passage, qui touche à des questions théologiques délicates, l’adverbe : gratis rappelle la nécessité absolue de la grâce dans l’ordre surnaturel. A l’instar du concile de Carthage du 1er mai 418, c. 5, Hildebert souligne ici, contre toutes les prétentions pélagiennes, que la grâce divine ne se borne pas à nous aider à ne point pécher parce qu’elle nous révèle et nous ouvre l’intelligence des commandements de Dieu pour nous faire savoir ce que nous devons désirer et ce que nous devons éviter — [comme si le faire était en notre pouvoir, alors que le Seigneur a dit : Sine me nihil potestis facere : Jn 15, 8] — , mais que par elle il nous est donné de connaître notre devoir afin que nous l’aimions et que

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nous ayons la force de l’accomplir (ut quod faciendum cognouerimus etiam facere diligamus atque ualeamus). Les Pères africains voulaient condamner la proposition suivante de Pélage : Vt quod per liberum homines facere iubentur arbitrium, facilius possint implere per gratiam ; cf. Augustin, de gratia Christi 7, 8, 9 : (CC 149, p. 71). 860. multa senem frangunt, labor et calor et sitis angunt, / cedit uis annis, sinuosis brachia pannis : tandis que Paul de Naples ne mentionnait qu’un seul handicap : le fait de manquer d’outils (cf. v. 852), Hildebert ne nous fait grâce d’aucun des obstacles, plus redoutables les uns que les autres aux yeux de Zosime, qui brisent (frangunt) toute initiative de sa part, et suscitent son angoisse (v. 857), avant même qu’il ne se mette en peine de l’absence d’outils adéquats. —, labor et calor et sitis : Hildebert mentionne d’abord les difficultés d’odre physique qui rendent très difficile à Zosime la tâche de fossoyeur, d’autant qu’il n’est plus de la première jeunesse (voir le commentaire au v. 35), mais apparaît souvent comme un sexagénaire pleurnichard. Ces premières difficultés sont l’effort physique lui-même, rendu plus pénible par la chaleur et la soif, car le moine n’a garde d’oublier qu’il se trouve en plein désert. 862. cedit uis annis, sinuosis brachia pannis, / pre manibus nullus ligo, sed nec sarculus ullus : Hildebert continue son énumération, en trois points : le premier, la faiblesse, rançon de l’âge, fait écho au motphare du vers précédent : senem : le second, la lourde tunique qu’il lui faut porter, recèle une pointe d’humour monastique ; le troisième, le manque d’outils, est évidemment décisif ; aussi occupet-il, à juste titre, la place d’honneur dans l’énumération. —, sinuosis brachia pannis : Guy de Valous, I, p. 229-237, donne tous les renseignements utiles pour suivre l’évolution du costume bénédictin depuis les origines jusqu’au XIIe siècle. Qu’il suffise de rappeler qu’à partir de l’époque carolingienne « les moines bénédictins, notamment les clunisiens et les ultramontains, appellent coule (cuculla) un petit vêtement qui ne va d’abord que jusqu’au bas des reins, et froc (flocus vel frocus) l’autre, qui enveloppant tout le corps, est pourvu de manches et parfois d’un capuchon…  Les clunisiens semblent avoir adapté à leur froc un capuchon dans lequel entrait celui de la coule ». Les coutumes de Saint-Bénigne de Dijon précisent que « les manches doivent avoir un pied et trois doigts de long et, suivant l’ancienne coutume, elles doivent aller jusqu’au milieu de l’index, mais souvent elles sont plus longues

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encore. L’ouverture est d’un pied » (Martène, Com. R.S.B., 786787.) Zosime se plaint ici de ce que les manches de son froc sont alourdies du fait qu’elles ont été ravaudées avec force lambeaux d’étoffe aux parcours sinueux, à tel point que « les bras lui en tombent ». —, ligo : instrument agricole, de la famille des hoyaux ; cf. Horace, epist. 1, 14, 27: urges iampridem non tacta ligonibus arua ; epod. 5, 30 : ligonibus… humum exhauriebat. —, sarculus : instrument agricole, de la famille des sarcloirs ; cf. Horace, carm. 1, 1, 11 : gaudentem patrios findere sarculo / agros. Mais comment creuser une tombe à l’aide d’un sarcloir ? 864. dum dolet atque gemit, noua res suspiria demit : une fois encore, la conjonction dum vient, à point nommé, dénouer une situation apparemment sans issue. Fidèle à son image, Zosime geint et se lamente, mais un élément nouveau (noua res) se présente, qui lui coupe le souffle ; cf. Ovide, met. 10, 402 : suspiria duxit ab imo / pectore. 865. lumina siccantur, quia spe maiora parantur : ce vers sert de transition. Zosime est tellement surpris que ses larmes se trouvent subitement taries, mieux : séchées, comme par enchantement. Il s’attend à un événement extraordinaire. Hildebert prépare ses effets. 866. nam leo lugenti similis funusque colenti : Une comparaison s’impose ici entre le récit de Sophrone (c. 39 : PG 87, 3724D), repris en partie par Paul de Naples (c. XXVI : PL 73, 688 CD) et celui d’Hildebert. Chez ses prédécesseurs , c’est au moment où Zosime, éreinté d’avoir en vain essayé de creuser le sol au moyen d’un bout de bois trouvé là par hasard, alors que, trempé de sueur, il fait une pause, que, soudain, regardant derrière lui, il voit un énorme lion qui se tient près du corps de la sainte et lui lèche la plante des pieds. Après cette entrée en matière, qui leur est commune, nous donnons la traduction du texte de Paul de Naples : « En le voyant, Zosime se mit à trembler, à cause de cette très grande bête sauvage, surtout parce qu’il avait entendu la sainte dire qu’elle n’avait jamais vu de bête sauvage. Il se conforta d’un signe de croix, convaincu que la vertu de la défunte était capable de le garder sain et sauf. Alors le lion commença à s’approcher du vieillard, le saluant par des signes caressants : blandis eum nutibus salutans » ; (cf. Claudien : blandasque leones / submisere jubas : Quicherat, p. 140).

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Il n’est pas superflu de rappeler ici qu’une tradition propre au monastère Saint-Paul, édifié au VIe siècle en l’honneur de l’ermite Paul de Thèbes, prétend que le héros de la Vita Pauli de saint Jérôme fut enterré par saint Antoine avec l’aide de deux lions ; voir K.S. Frank, « Paulus v. Theben », LThK 7 (1998), 1528-1529, et G.J.M. Van Lon, « Pauloskloster », LThK 7 (1998), 1483-1484. s —, lugenti similis funusque colenti : Hildebert développe le passage correspondant de Paul de Naples sur quinze vers, répartis comme suit : a) description du lion (v. 866-869) ; b) réflexions de Zosime à ce spectacle (v. 870-878) ; c) décision de Zosime (v. 879-880) ; d) Zosime s’adresse au lion (v. 881). 867. obsequium spondens iramque feramque recondens : la première impression ressentie par Zosime à la vue du lion réveille en lui le souvenir d’une cérémonie funéraire au cours de laquelle les pleureuses (lugenti) et les officiers des pompes funèbres (funusque colenti) rendent au défunt l’hommage dû à son rang (obsequium spondens). De ce fait, l’animal se trouve investi d’une fonction et d’une apparence humaine, confirmée par son attitude, dépourvue de toute agressivité (iramque feramque recondens), empreinte d’une humble soumission (v. 868-869). 869. adiecit sanctas humilis collambere plantas : l’humble soumission du lion se traduit par des gestes d’une exquise tendresse : il lèche avec application la plante des pieds de la sainte. On notera que le verbe : collambere n’est pas attesté dans les dictionnaires du latin classique (Gaffiot, Goelzer, Bornecque, Quicherat, Glare). S’il s’agit d’un néologisme, créé par Hildebert, il est parfaitement intelligible, la préposition : cum marquant la proximité, l’intimité, l’union. 870. miratus talem tam deuotumque sodalem : Zosime admire le spectacle, qui rappelle effectivement le tableau idyllique que le prophète Isaïe évoque dans son sermon eschatologique (Is. 65, 25 : le loup et l’agnelet paîtront ensemble, le lion mangera de la paille comme le bœuf). Dès lors, toute crainte abolie, Zosime considère le lion non plus comme une bête sauvage, dangereuse, mais comme un compagnon, un camarade, en somme ; cf. Ovide, rem. 586 : tristior idcirco nox est, quam tempora Phoebi / quae relevet luctus, turba sodalis abest. 871 attribuit meritis mulieris, quod fera mitis, / quod leo fit lenis : Zosime ne se contente pas d’admirer le spectacle prodigieux d’un lion inoffensif, serviable, domestiqué, il cherche la cause de cette merveille ; elle s’impose à son esprit comme une évidence, et il

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n’hésite pas à l’imputer aux mérites de la femme-ermite, tout comme les autres prodiges dont il a été le témoin depuis qu’il a fait sa connaissance, à savoir ; l’inscription funéraire (v. 835 s.), la lumière qui brillait sur la défunte et l’a conduit jusqu’à elle (v. 817) ; il mentionne aussi, à juste titre, le fait que le corps de la défunte, demeuré sans garde, à même le sol, n’ait pas été déchiré par une bête sauvage ni par les oiseaux rapaces (v. 875), et soit resté indemne sous la chaleur torride, pendant une année entière (v. 876-878). 877. iam depingebat, que gloria membra manebat : en prédicateur avisé, attentif à tirer la matière de ses sermons de ses expériences personnelles, Zosime récapitule en son esprit (v. 880) les événements mémorables qui lui permettront de faire connaître l’extraordinaire destinée de la défunte ; nul doute n’est possible, elle a été l’objet de prévenances toutes particulières de la part du TrèsHaut (v. 879). 881. alloquio tali tradens mandata sodali : tout rempli de son sujet, Zosime adresse au lion son premier panégyrique à la gloire de Marie l’Égyptienne. L’idée de ce discours vient de Sophrone (c. 39 : PG 87, 3725 A), suivi de près par Paul de Naples (c. XXVI : PL 73, 689 A). Il était rédigé en ces termes : « Puisque tu es venu de la part de Dieu, toi le plus grand des animaux sauvages, afin que le corps de cette servante de Dieu soit confié à la terre, accomplis l’ouvrage de ton office, afin que sa dépouille puisse être ensevelie. En effet, à cause de ma vieillesse, je ne puis creuser, et je n’ai pas non plus d’outil convenable pour le faire ; de plus, à cause de la longueur du trajet, je ne suis pas en mesure de la transporter. Mais toi, je te l’ordonne au nom de Dieu, fais ce travail avec tes griffes, afin que je confie à la terre cette sainte dépouille. » 883. mi comes, urgemur et eam sepelire monemur, / quam nescit mundus, cui maior in orbe secundus : Hildebert s’est ingénié à donner vie à cette prose hiératique : d’emblée il place Zosime et le lion sur un pied d’égalité, celui d’ouvriers qui doivent trouver une solution intelligente et efficace à un problème technique, urgent mais difficile, eu égard au manque évident d’instruments appropriés. La distance hiérarchique, instaurée par Sophrone et Paul de Naples, entre le moine et le lion, sommé de se mettre au travail, au nom de Dieu, est supprimée par Hildebert au bénéfice d’un dialogue franc et direct, sur le ton du compagnonnage (mi comes). Les verbes qui ouvrent le dialogue sont au pluriel, marquant ainsi que la

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responsabilité de l’entreprise incombe solidairement aux deux ouvriers et que, compte tenu de l’importance du personnage en cause (cui maior in orbe secundus), elle ne saurait plus admettre aucun retard (urgemur). Ce nonobstant, Zosime, sachant que la réussite de l’entreprise dépend tout entière du bon vouloir du lion, se garde bien de lui intimer quelque ordre que ce soit ; il multiplie, à son endroit, les précautions oratoires, professant hautement que l’initiative du travail à effectuer dépend de la seule décision du lion (si uenisti … si famulaturus…), et qu’il ne sera pas mis davantage à contribution, une fois de travail achevé (post rediturus). Enfin, Zosime n’oublie pas d’évoquer à l’intention de la bête sauvage, toujours redoutable (v. 889), le mérite infini que lui vaudra cette bonne œuvre, initiée « au nom du Christ » (v. 884) et accomplie « pour sa gloire » (v. 889). On croirait entendre une oraison du Sacramentaire léonien. 888. his nondum dictis, feritate minisque relictis : le dernier argument avancé par Zosime semble avoir été déterminant : piqué au vif dans sa fierté, le lion abandonne toute férocité (v. 888). 889. lenius incedit et leo promptus obedit : sans laisser à Zosime le temps de pérorer davantage, le lion s’avance et se met à l’ouvrage, qu’il achève en un temps record (v. 892). —, lenius, comparatif de l’adverbe leniter : le lion d’Hildebert est devenu soudain plus doux que Cerbère dans la théophanie de Bacchus décrite par Horace, carm. 2, 19, 29-33 : « te vidit insons Cerberus aureo / cornu decorum leniter atterens / caudam et recedentis trilingui  / ore pedes tetigitque crura. 892. interea monachus sacros asternitur artus : Hildebert décrit sobrement la part prise par Zosime à la cérémonie des funérailles qui peut enfin être célébrée avec toute la révérence et la dignité requises, dès lors que la tombe est creusée. Paul de Tarse (c. XXVII : PL 73, 889 A) l’avait évoquée en ces termes : « Le vieillard, baignant de ses larmes les pieds de la sainte et, dans une prière intense, lui demandant d’intercéder pour tous les hommes et plus particulièrement pour lui-même, en présence du lion, recouvrit de terre le corps, nu comme il l’avait trouvé auparavant, n’ayant pas d’autre vêtement que celui, maintenant élimé, qu’il lui avait donné, et dont Marie avait recouvert certaines parties de son corps. Ensuite ils s’en vont chacun de son côté. » —, asternitur : Hildebert s’est inspiré du récit de la mort et de l’ensevelissement de Phaéton, au second livre des Métamorphoses

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d’Ovide, v. 347-386, pour enrichir celui de Marie l’Égyptienne ; le terme asternitur en donne une preuve irréfragable. C’est pourquoi il n’est pas superflu de rappeler le passage en question : après avoir évoqué la douleur de la mère de Phaéton, Clymène, « qui parcourt le monde entier à la recherche de son fils et qui ne trouve que ses os ensevelis sur une rive étrangère. Là, prosternée, à peine a-t-elle lu son nom, qu’elle arrose le marbre de ses larmes, et le presse de son sein nu, comme pour réchauffer les cendres qu’il enferme », — il décrit les signes de douleur des sœurs de Phaéton (ibid. v. 361-363) : dant lacrimas, et caesae pectora palmis, / non auditurum miseras Phaetonta querelas / nocte dieque vocant ; adsternuntur sepulcro. Gaffiot, p. 58, précise que le verbe s’emploie au passif réfléchi ; en conséquence, il traduit : elles se couchent près du tombeau. Comprenons que Zosime doit s’employer, couché tout de son long, pour envelopper le corps de la sainte à l’aide de son vêtement, usé jusqu’à la corde. Nulle trace d’érotisme dans cette description. Sur la place de l’érotisme dans les ouvrages hagiographiques d’Hildebert, voir P. von Moos, 1965, 231-233. 893. uestis eos nulla, nisi trita uetusque cuculla / que uix herebat sibi iam contusa, tegebat : pour la description de la coule monastique, voir le commentaire au v. 862. —, tegebat : le rejet du verbe à la fin du vers 894 achève élégamment une description des plus délicate, d’une pudeur irréprochable, confirmée par les vers qui suivent (v. 895-899). 896. scilicet ingentem thesaurum iamque gerentem / quiddam splendoris, quiddam solemnis odoris, / quiddam preclarum de nectare celicolarum. Le récit d’Hildebert se mue en une véritable apothéose : il préfigure les honneurs liturgiques dont sont entourées les reliques des saints, et illustre les croyances de la piété populaire médiévale quant à la manifestation de certains signes préternaturels qui les distinguent après leur mort : beauté de leurs traits, émanations odoriférantes ; voir A. Tanquerey, op.cit., n. 1520, qui renvoie au traité de Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonisatione, IV, pars. I, cap. XXXI, n. 19-28. 899. femina, sanctorum mercede beata laborum, / ad tumulum uehitur, famulante fera sepelitur : les deux verbes décrivent les tâches respectives des deux acteurs : transporter le corps de Marie jusqu’à la tombe est réservé à Zosime, au lion revient la tâche de combler la tombe,

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901. inde senex repedat, iubet ut leo uerna recedat : cf. Juvencus, 1, 131 : ad propriamque domum repedat jam certa futuri ; Lucilius, cité par Nonius Marcellus (un grammairien, du début du IVe s. ap. J.-C.) : de compendiosa doctrina [éd. L. Quicherat, 1872], 2, 738 : Romam repedabam ; Pacuvius, trag. 100 : paululum repeda, gnate, a vestitulo gradum. Le verbe, d’un emploi rarissime, pare la finale du poème d’une note d’archaïsme, du plus bel effet. —, iubet : on serait tenté de dire : « Chassez le naturel, il revient au galop » ; après les funérailles de Marie, Zosime retrouve toute son assurance ; le lion est le premier à en prendre la mesure. Bientôt, ce sera tout le monastère (v. 902-903). —, uerna : se dit de l’esclave né dans la maison du maître, esclave de naissance, mais aussi d’un indigène, né dans le pays ; cf. Martial, 1, 50, 24 : ibi illigatas mollibus damas plagis / mactabis, et vernas apros. 902. uisa domi recitat, delictis parere uitat ; / increpat, hortatur, spondet bona, dura minatur : Hildebert laisse d’abord à ses lecteurs le soin de deviner le regain de prestige et d’autorité dont Zosime, de retour au monastère, a dû bénéficier désormais, grâce au récit de ses aventures dans le désert ; puis il le montre tout à sa tâche de censeur rigoureux, de défenseur résolu, inflexible, de la Règle et des coutumes monastiques, maniant tour à tour la réprimande, l’exhortation, les promesses et les menaces. Mais il n’a pas repris deux données de ses prédécesseurs : d’une part la mention des célébrations liturgiques tenues désormais au monastère de l’abbé Jean le jour anniversaire du décès de Marie l’Égyptienne ; d’autre part, le sort réservé aux recommandations faites par l’anachorète à son intention. Paul de Naples (c. XXVII : PL 73, 590 A) les évoque comme suit : « L’abbé Jean découvrit plusieurs [moines de son monastère] qui avaient besoin d’être corrigés, selon le discours de la sainte et, par la miséricorde du Seigneur Dieu, il les convertit ». De quelle nature étaient leurs transgressions, l’histoire ne le dit pas. Quant à l’évêque du Mans, il se contente d’inspirer à la sainte patronne des ermites de sages conseils qui permettront aux abbés d’obédience bénédictine d’offrir aux nouveaux ermites de l’Ouest de la France les cadres institutionnels dont ils ont besoin. Ces conseils furent-ils entendus ? C’est là une autre histoire, qui trouve sa véritable dimension dans l’histoire des nouveaux ordres religieux, nés aux XIIe et au XIIIe siècle ; voir G. Le Bras, 1979, p. 41-46 ; 563-634 ; Dom Maur Cocheril, 1979, p. 339-562 ; 1980, p. 6-138 ; D. Vorreux, 1980, p. 227-374 ; H.C. Chéry, 1980, p. 375-529.

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904. sic ubi compleuit uiginti lustra quieuit : la longévité apparemment extraordinaire de Zosime n’a pas été inventée par Hildebert, en souvenir et en hommage aux premiers abbés de Cluny, comme on pourrait le croire ; elle figure déjà dans le texte grec. Sophrone, en effet (c. 40 : PG 87, 3725 B), faisait vivre Zosime jusqu’à l’âge de cent ans, « afin que sur ce point aussi [= les conseils transmis par Zosime à l’abbé Jean de la part de l’anachorète] le discours de la sainte n’apparût ni vain ni inutile ». En conclusion de la Vita grecque, Zosime apparaissait donc comme le témoin vivant d’un message de pénitence, de pardon et de miséricorde, adressé à tous les pécheurs de la part d’une des personnalités les plus célèbres du désert de Transjordanie, sainte Marie l’Égyptienne, dont le monastère près du Jourdain commémorait tous les ans le dies natalis. Hildebert a su recueillir ce message et le transmettre au monde médiéval, où il s’est conservé comme un témoignage touchant de piété mariale, comme un joyau précieux, qui allait, une fois encore, briller de tous ces feux grâce à la dévotion filiale d’un « mauvais garçon », le clerc François Villon. Pendant tout le XXe siècle, en France, la « Ballade que Villon fit à la requête de sa mère pour prier Notre-Dame », figura régulièrement dans les Morceaux choisis de l’enseignement secondaire, en un contraste saisissant avec la « Ballade des pendus », composée en guise d’épitaphe par le poète au Châtelet, en 1463, lorsqu’il fut condamné à être pendu et étranglé. Nous ne citerons ici que les quatre premiers vers et les cinq de l’envoi de cette Ballade ; ils pourront servir de conclusion à notre commentaire du poème d’Hildebert de Lavardin : « Frères humains, qui après nous vivez N’ayez les cuers contre nous endurciz, Car, se pitié de nous povres, avez, Dieu en aura plus tost de vous merciz. Prince Jhesus, qui sur tous as maistrie, Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie ; A luy n’ayons que faire ne que souldre. Hommes, icy n’a point de mocquerie ; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre ».

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INDEX

Citations et allusions bibliques (d’après la Vulgate)

Gn

3, 6 3,19

584 104 ; 281

Ex

14, 3-21 16, 3 25-25

735 621  482

Dt

8, 3 10, 17

643 ; 655 87

Jos

3, 7 3, 14-17 4, 18

735 735 735

1 R

3, 11-19 3, 18-25

767 752

1 Par 29, 15

289

Tob

3, 3 3, 24

529 87

Job

24, 8 27, 18

655 2

Ps

26, 1 50, 5 50, 19 54, 8 55, 13

135 498 554 655 572

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78, 5 84, 6 102, 15 122, 1

444 444 290 600

Prov 8, 18 17, 3 23, 13

2 1 ; 822 775

Eccle 7, 1 9, 12

289 49

Sap

1, 13 2, 5

444 289

Eccli

5, 1-12 7, 1 7, 40 9, 11 41, 17

529 289 21 747 296

Is

3, 24 7, 14 40, 6-8 58, 5 65, 25

100 508 290 100 870

Ez

18, 23 32, 11

444; 781 444

Dan

2, 37

87

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272

index

289



11, 35 15, 8 16, 23

316 857 240

2, 14

754

Ac

2, 2-3

494

Zach 13, 9

822

Mal

1, 11

683

Mt

4, 3 5, 7 5, 8 5, 14 6, 26 6, 31 7, 7 7, 12 18, 19 20, 28 21, 22 23, 3 26, 26 27, 45

648; 655 441 22 311 104 621 240 760 240 76 240 773 80 841

Rm

2, 11 6, 6 7, 7 10, 17 12, 15 13, 4

243 48 478 494 316 529

1 Co

3, 16 4, 7 9, 22 11, 24

759 55 123 80

Mc

14, 22

Lc Jn



9, 3

100

Os

13, 3

Ioël

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2 Co 2, 12, 1-2 22 5, 21 478 10, 3 48 Gal

3, 13 4, 4

478 478

80

Col

1, 15-17

479 ; 796

2, 29 6, 21 9, 62 11, 33 19, 41 21, 36 22, 19

743 316 762 311 316 5 80



2, 14 3, 9 3, 25

478 48 240

4, 14 6, 35-59 6, 51-58 6, 77 10, 14

81 682 80 104 76

Eph

1, 18 4, 22 5, 2 6, 9 6; 10-18

200 48 479 243 48

1 Thess 5, 17 2 Thess 3, 8-10

104 104

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index

1 Tim 2, 4

444

2 Tim 2, 3 4, 7 4, 8

48 47 48; 53

Hebr 4, 12 9, 11

655 784

1 Pt

1, 7

822

2 Pt

2, 21-22

762

1 Jn

2, 16-17 5, 4

7 839

Jac

4, 6

55

Apoc 3, 18 21, 8

822 747

Auteurs classiques grecs et latins Apulée Metamorphoses 9, 36

27

Catulle 64, 153

500

Cicéron De domo sua ad pontifices 120 759 De finibus 5, 35 210 De natura deorum 2, 142 293 Pro P. Sestio

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273

20 199 Tusculanae disputationes 2, 48 692 Homère Ilias 7, 104 Horace De arte poetica 174-174 346 Carmina 1, 1, 11 1, 12, 45-48 1, 17, 5-7 1, 37, 21-28 1, 37, 32 2, 2, 5 2, 11, 6 2, 24, 21-24 2, 19, 29-33 3, 5, 1 Epistulae 1, 7, 82 1, 8, 3 1, 12, 13 1, 14, 27 1, 20, 26 2, 1, 18-25 2, 2, 123 2, 6, 108 Epodon liber 2, 29 5, 30 Saturae 1, 3, 48 1, 3, 73 1,3, 118 1, 4, 61

177

343 572 862 34 591 340 340 572 447 355 889 438 744 284 580 862 572 346 339 779 438 862 118 604 778 759

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274 1, 6, 68 2, 3, 321 2, 2, 74 2, 5, 9 2, 6, 107 2, 5, 108 Juvénal Saturae 2, 105 8, 97 10, 64 Lucain Pharsalia 1, 281 2, 45 2, 443 3, 689 6, 424 9, 233 10, 86 10, 91 10, 92

index

720 27 715 744 413 779

89 402 605

66 280 467 440 532 665 836 242 836

Lucilius Junior De compendiosa doctrina 901 2, 738 Etna 82 21  Lucrèce De natura rerum 2, 1164 4, 1132 4, 1142 6, 1081

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699 720 199 744

Martial Epigrammata 1, 50, 24 9, 11, 12 Ovide Amores 1, 6, 42 2, 4, 45 Ars amatoria 3, 133 3, 735 Epistulae Heroides 2, 25 8, 38 10, 78 12, 60 12, 177 12, 1101 15, 73 Ibis 146 Metamorphoses 1, 170 1, 477 1, 510 2, 347 2, 361-363 2, 721 2, 795 3, 12 6, 36 8, 208 8, 473 8, 768 8, 809 10, 6-7 10, 78 10, 126-127

901 567

352 394 187 177; 195 352 692 643 769 412 769 187  643 237 187 193 86; 892 3; 892 720 251 686 422 686 497; 895 583 409 86 643 641

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index

10, 203 10, 402 10, 510-511 10, 560 10, 587 10, 588-598 11, 419 13, 749 14, 439 Ex Ponto epistulae 4, 3, 35 Remedia amoris 407 586 Tristia 1, 5, 25-26 2, 5, 34 4, 5, 29-30 5, 2, 29 5, 14, 2

593 864 193 191 191 191 746 422 430

822 51 497 430 25

Pacuvius Tragoediarum fr. 100

901

295 458; 585 870

Perse Saturae 1, 79-80

605

Phèdre Fabulae 3, 19, 12

708

Plaute Menaechmi 260 607 Rudens 67 126

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281 281 693 282

275

Pline l’Ancien Naturalis historia 2, 142 16, 55 18, 165 20, 29 21, 40

562 605 92 79 58

Properce 2, 30, 11

525

Quintilien De institutione oratoria 8, 4 35 8, 5 756 Salluste Jugurtha 14, 15 Sénèque Tragoediae Oedipus 416 Phaedra 120 803-804 Stace Achilleis 2, 417-422 Thebais 2, 234 6, 277

293

187 187 187

86 746 82

Térence Adelphœ 245 604 Heantontimoroumenos 247 585

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276

index

294-295 318 509 639

204 744 839 345

Tibulle 1, 3, 72

770

Virgile Aeneis 1, 106-107 1, 204 1, 604 3, 359 3, 543 4, 57  4, 408 5, 133-134 6, 174 6, 481 6, 495 9, 324 10, 284 11, 139 12, 819 Eclogae 1, 83 2, 40 2, 471 4, 1-2 5, 16-17 7, 17 10, 70-71 10, 77 Georgica 2, 244 2, 471 4, 510

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824 781 21 692 745 752 177 671 495 821 825 494 239 29 593 679 79 176: 199 77 58 594 79 671 466 176: 199 774

Auteurs chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Age Augustin De opere monachorum 37 19 Enarrationes in Psalmos 99, 12 19 Basile Regulae fusius tractatae 126 100 Boèce De consolatione philosophiae I, 5, 7 34 III, 9, 27-28 685 Cassien De institutione cœnobiorum 1, 2 100 Cyprien De oratione dominica 5  106 15 351 Didachè 7, 2

27

Ecbasis cuiusdam captivi 176 92 624 92 ;98 ;715 645 92 791 98 806 92 ; 98 1029 98 ; 715

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index

277

Eugène de Tolède Carmina 5, 1 70

Léon le Grand Sermones 30

752

Isidore de Séville Etymologiae 17, 7, 2

Palladius Historia lausiaca 31

100

Prudence Psychomachia 347

593

Regula Benedicti Prologus 13 47

770 778

1, 6 2 2, 6-7 2, 12-13 2, 16-17 2, 21 2, 23-25 2, 26 2, 30-34 3, 6 4, 14 5, 1-19 19, 2 19-20 22, 5 27, 1-9 28, 1 30, 3 31, 17 36, 9 39, 11 41, 5 48, 1

1 12 765 773 771 771 774 767 771 115 150 114 143 143 100 115 775 775 770 92 92 115 104; 154

1

Jean Damascène De fide orthodoxa 1, 14 524 Jérôme Epistulae 21, 8 27 77, 7 27 125, 11 27 Commentarium in ep. ad Ephesios 3, 6 767 Justin Apologia 2, 6(7), 1 Justinien Codex 5, 33 Digesta 1, 1, 1 23, 1, 2

444

752 6 753

Juvencus De historia evangelica I, 131 90 2, 761 599 3, 504 593

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25-09-2007 15:16:39

278 48, 8 48, 11 55, 4-5 55, 15 63, 1 63, 2-3 63, 15 63, 2-3 64, 2 65 66 66, 8 Sedulius Carmen Paschale 1, 45, 9 Severus Sanctus Carmen bucolicum 1 Tertullien Adversus Praxean 6, 2 De baptismo 5, 4 De jejunio 17 Théodule Ecloga 29

index

104 5 211 92 212 115 212 115 115 111 110 764

Alain de Lille († v. 1203) Anticlaudianus 8, 216-217 77 Sermo de Trinitate p. 261 54-55

58

Archipoeta († v. 1165) 9, 2, 4 77 10, 5, 4 89

595

784 27 351

594

Venance Fortunat Carmina 2, 6, 1 : (Vexilla…) 534 8, 7, 351 821 Vita Cypriani 6

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Wipo († v. 1046) Victimae paschali laudes 752 Hildebert et ses imitateurs cf. N.K. Larsen, p. 318-324

Baudri de Bourgueil († 1130) Carmina 80, 4 58 122, 100-101 374-375 122, 102 427 Bernard de Clairvaux († 1153) Salve Regina 536 Sermones in Canticum 8, 5 663 25 802 53, 2 494 Sermo S. Andreae 5 625 Bernard de Morlas († v. 1145) De contemptu mundi 2, 84 99-100 2, 493 412 3, 108 58

106

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Bernard Silvestre († v. 1160) Cosmographia 1, 3, 277 77 2, 12, 59-60 86 Mathematicus 250 831 282 599 690 280 Carmina Burana (12e -13e s.) 15, 4, 1-2 52-53 Gauthier de Chatillon (1179) Carmen ‘Si de fonte bibere’ 2, 2 77 Carmina W 6, 4, 3 89 Vita S. Alexii 24, 3-4 8-9 35, 2 570 36, 3 546 Vita S.Thome 70,3 539 Giraud de Cambrai (11471223) Gemma ecclesiastica 750 50 (p. 141) Speculum ecclesiae 4, 25 750 Topographia Hibernica 54 (p. 136) 440 Hugues de Trimberg (12301313) Solsequium 53 7, 9 (p. 257) 7, 9 (p. 258) 51

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index

279

Jean de Garlande (1195-1272) Compendium Grammatice 1, 318 3 Laurent de Durham († 1154) Hypognosticon 5, 673-674 86 Marbode de Rennes (10351023) Carmina 1, 34, 1 (PL 171, 1669 C) 325 12, 19 (PL 171, 1653 D) 58 Passio S. Mauritii PL 171, 1625 B 571 PL 171, 1628 D 706 Matthieu de Vendôme (1130v. 1200) Ars versificatoria 1, 118 77 4, 23 746 Piramus et Thisbe 142 746 Pierre de Blois (1135-1204) Carmina 291 1, 1, 4b, 6-8 1, 5, 1, 8 291 1, 11 736 2, 4, 3b, 1-2 477 2, 10, 4, 8 539 Conquestio 199-199 66 Epistulae 9  (PL 207, 25 A) 66 51 (PL 207, 155 B) 66

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280

index

Pierre le Chantre (1130-1197) Verbum abbreviatum 30 (PL 205, 109 C) 730 ; 752 65 (PL 205, 199 C) 66 132 (PL 205, 326) 900 147 (PL 205, 352) 289-300 Pierre le Peintre (v. 1130) Carmina 6, 25-26 34-35 Pierre Riga († 1209) De venditione Joseph PL 171, 1386 746 Passio S. Agnetis virginis 10-10 34-35 Réginald de Canterbury († 1109) Vita Malchi 1, 11 10

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1, 12 1, 102 1, 139-143 1, 140 1, 149 1, 256 2, 341 3, 103 3, 380 3, 530-541 3, 539 5, 391 6, 364 6, 426 6, 509

5 68 8-9 24 65 50 211 ; 893 313 341 87-123 37 414 55 123 8-9

Serlo de Wilton († 1181) Carmina 42, 3 594

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Table des matières INTRODUCTION.......................................................................... 5

I.



La vie et l’œuvre pastorale d’Hildebert de Lavardin... L’évêque du Mans................................................................ Le prisonnier de Guillaume le Roux.............................. Les voyages romains et l’œuvre de la Réforme............ Hildebert et Henri de Lausanne....................................... Hildebert et Baudri de Bourgueil.................................... L’archevêque de Tours......................................................... Le concile de Reims (1131)..............................................

5 6 7 9 11 12 14 15

II. L’œuvre littéraire d’Hildebert .......................................... 18 Du « Cercle des poètes de Loire » au « Jardin des Lettres françaises »............................................................ 19 La renommée littéraire d’Hildebert................................. 20 III.

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La Vie de s. Marie l’Égyptienne............................................ La légende de Marie l’Égyptienne................................... Naissance et transmission de la légende.......................... La datation de la Vita. ......................................................... Les sources du poème......................................................... Les sources scripturaires ..................................................... Les sources classiques........................................................... La trame du récit ................................................................. Les destinataires du poème ............................................... Trois modèles de sainteté féminine.................................. La Vierge Marie.................................................................... Sainte Radegonde................................................................ Marie l’Égyptienne.............................................................. Les destinataires du triptyque hagiographique . ........... De la parabole à la prosopopée.........................................

21 23 24 27 28 29 30 31 33 34 35 35 39 40 41

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table des matières

IV. Le monachisme chrétien en débat : de l’érémitisme au cénobitisme.................................................................. Aux origines du monachisme : d’Antoine à Pacôme.... Les progrès du cénobitisme en Orient............................ Le monachisme en Palestine. ............................................ La diffusion du monachisme en Occident..................... Le débat autour de la vie érémitique. ............................. L’opinion de Jérôme............................................................ Les vues de Cassien.............................................................. Le choix de Cassiodore. ..................................................... La Règle bénédictine................................................................ Ermites et reclus................................................................... Les ermites traditionnels.....................................................

43 43 46 46 48 50 50 51 52 53 54 55

V. De la coexistence pacifique à l’affrontement. ............... Le monachisme occidental au IXe et au Xe siècle. ...... Benoît d’Aniane. .................................................................. Gorze et Cluny..................................................................... Les nouveaux ermites du XIe et du XIIe siècle. ........... L’idéal de la uita apostolica...................................................

58 59 59 60 63 66

VI. Le modus uiuendi proposé par Hildebert ........................ 71 Hildebert et Robert d’Arbrissel....................................... 73 Le témoignage de la Vita s. Marie Egiptiace..................... 76 Marie l’Égyptienne, modèle de l’anachorétisme féminin ?. ........................................................................... 80 Hagiographie et phénomènes paranormaux................. 83 Hildebert et le monachisme bénédictin de son temps.... 89 Les suggestions d’Hildebert............................................... 93 VII. La doctrine monastique d’Hildebert............................... La hiérarchie des vocations monastiques d’après les Sermons d’Hildebert......................................................... Le Sermon 118....................................................................... Le Sermon 119....................................................................... Le Sermon 117.......................................................................

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95 95 95 97 99

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table des matières

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VIII. Vers la solution de la « crise du cénobitisme » médiéval............................................................................. 101 Les nouveaux ermites à la recherche de Règles appropriées. ....................................................................... 104 L’exemple des Cisterciens................................................... 104 Les partisans de la Règle augustinienne.............................. 105 Cluny et Cîteaux.................................................................. 106 Robert d’Arbrissel et Fontevraud.................................... 108 Conclusion............................................................................. 109  TEXTE ET TRADUCTION. ....................................................... 112 COMMENTAIRE. ........................................................................... 159 BIBLIOGRAPHIE. ........................................................................... 259 INDEX .............................................................................................. 271 Citations et allusions bibliques..................................................... 271 Auteurs classiques grecs et latins.................................................. 273 Auteurs chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Age................ 276 Hildebert de Lavardin et ses imitateurs...................................... 278 TABLE DES MATIÈRES................................................................ 281

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Du même auteur Les sources patristiques du droit de l’Église du VIIIe au XIIIe siècle, Mulhouse, Salvator, 1957. Les Statuta ecclesiae antiqua, Edition, études critiques, Paris, PUF, 1­ 960. Concilia Galliae a. 314- a. 506. Turnhout, Brepols, 1963, coll. Corpus christianorum, series latina, 148. Concilia Africae a. 345-a. 525, Turnhout, Brepols, 1974, coll. Corpus christianorum, series latina, 149. L’Église dans l’Empire romain (IIe-III e siècles), IIIe partie : Église et cité, Paris, Cujas, 1979, coll. Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, publiée sous la direction de Gabriel Le Bras et Jean Gaudemet, tome II, vol. 3. Tertullien, A son épouse, Introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, Le Cerf, 1980, coll. Sources chrétiennes, 273. Tertullien, La pénitence. Introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, Le Cerf, 1984, coll. Sources chrétiennes, 316. Mariage et virginité dans l’Église ancienne (Ier-IIIe siècles), Berne. Francfort s. Main. New York, Paris, Peter Lang, 1987, coll. Traditio christiana, n° 6. Vie conciliaire et collections canoniques en Occident, IVe-XIIe siècles, Londres, 1987, coll. Variorum reprints, n. 265. Autorité épiscopale et sollicitude pastorale, IIe-VIe siècles, Londres, 1990, coll. Variorum reprints, n° 341.

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du même auteur

Tertullien, La pudicité. Tome 2. Texte critique et traduction, Paris, 1993, Le Cerf. coll. Sources chrétiennes, 394. L’Apologie de saint Justin philosophe et martyr. Fribourg Suisse, 1994, Éditions universitaires, coll. Paradosis, n° 38. Le baptême dans l’Église ancienne (Ier-IIIe siècles), en collaboration avec André Benoît, Berne. Francfort s. Main. New York. Paris, Peter Lang, 1994, coll. Traditio christiana, n° 9. Saint Justin. Apologie pour les chrétiens. Edition et traduction. Fribourg Suisse, 1995, Editions universitaires, coll. Paradosis, n° 40. Petite vie de Tertullien, Paris 1996, Desclée de Brouwer. L’évasion d’un prisonnier. Ecbasis cuiusdam captivi. Introduction, traduction, commentaire et tables par Charles Munier. CNRS Editions. Brepols, 1998. La Vie de sainte Hildegarde de Bingen et Les actes de l’enquête en vue de sa canonisation. Introduction, traduction, commentaire et tables par Charles Munier. Paris 2000, Les éditions du Cerf, coll. Sagesses chrétiennes. Le pape Léon IX et la réforme de l’Église (1002-1054), Strasbourg 2002, Les éditions du Signe. Justin. Apologie pour les chrétiens. Introduction, texte critique, traduction et notes, par Charles Munier, Paris, Le Cerf 2006, coll. Sources chrétiennes, 507. Justin martyr. Apologie pour les chrétiens, introduction, traduction et commentaire par Charles Munier, Paris 2006, Les éditions du Cerf, coll. Patrimoines, Christianisme.

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