Victor Hugo on Things That Matter: A Reader 0300122454, 9780300122459

Victor Hugo on Things That Matter gives English speakers the social, historical, cultural, and biographical context that

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Victor Hugo on Things That Matter: A Reader 
 0300122454, 9780300122459

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Vic t or H u g o o n Th ing s Th at M at t er

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Vic t or H u g o o n Th ing s Th at M at t er A Re ader

Edited by

Marva A. Barnett

Yale University Press  •  New Haven and London

Published with assistance from the University of Virginia and from the foundation established in memory of Philip Hamilton McMillan of the Class of 1894, Yale College. Copyright © 2010 by Yale University. All rights reserved. This book may not be reproduced, in whole or in part, including illustrations, in any form (beyond that copying permitted by Sections 107 and 108 of the U.S. Copyright Law and except by reviewers for the public press), without written permission from the publishers. Publisher: Mary Jane Peluso Editorial Assistant: Elise Panza Project Editor: Timothy Shea Manuscript Editor: Deborah Bruce-Hostler Production Editor: Ann-Marie Imbornoni Production Controller: Karen Stickler Set in FontShop Scala type by Duke & Company, Devon, Pennsylvania. Printed in the United States of America. Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Hugo, Victor, 1802–1885. [Selections. 2009] Victor Hugo on things that matter : a reader / edited by Marva A. Barnett. p.  cm. The selections are in original French, with introductions and annotations in English. Includes bibliographical references and index. ISBN 978-0-300-12245-9 (pbk. : alk. paper) I. Barnett, Marva A.  II. Title. PQ2282.B37 2009 848′. 709—dc22 2008054064 Frontispiece: Victor Hugo in 1879. Photoengraving by Goupil, after photograph by Walery. Bibliothèque nationale de France. Adoc-photos / Art Resource, NY. A catalogue record for this book is available from the British Library. This paper meets the requirements of ANSI/NISO Z39.48–1992 (Permanence of Paper). 10  9  8  7  6  5  4  3  2  1

To my Mom, who for ninety-three years never stopped learning and teaching. And to Guill, without whom this book would not be.

Si l’écrivain n’écrivait que pour son temps, je devrais briser et jeter ma plume. —Victor Hugo, Choses vues, 1869

Contents

Preface  xv Acknowledgments  xxi Editions and Abbreviations  xxv

Introduction to Victor Hugo and His Works  1 Pa r t I  •  Vi c t or H u g o i n P r i va t e L i f e   23 Le Gai Château*  34 Vieille Maison*  35

Chapter 1  •   On Love and Passion  37 Encore à toi, Odes et ballades V, xii  42 Ô mes lettres d’amour, . . . , Les Feuilles d’automne XIV  43 “Sourd,” Notre-Dame de Paris IX, 3  45 “Lasciate ogni speranza” (excerpts), Notre-Dame de Paris VIII, 4  48 Ruy Blas II, iii (excerpt)  51 Puisque j’ai mis ma lèvre . . . , Les Chants du crépuscule XXV  56 À Ol., Les Voix intérieures XII  57

An asterisk (*) marks selections of Hugo’s artwork.

viii 

contents

Aimons toujours! aimons encore! . . . , Les Contemplations II, xxii  59 Letters to Juliette Drouet, 1835, 1842  61 Marine Terrace*  64 Letter to Léonie d’Aunet Biard  66 Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure, . . . , Toute la lyre VI, i  67 Je pressais ton bras qui tremble; . . . , Toute la lyre VI, lvi  68 La Coccinelle, Les Contemplations I, xv  69 Amour, Les Contemplations III, x  70 Eviradnus: Un peu de musique, La Légende des siècles, Première série V, 2, xi  72 À une âme qui ne s’aperçoit pas qu’elle est une femme, Les Chansons des rues et des bois, Reliquat  75 SVB CLARÂ NVDA LVCERNÂ*  77 “Ève,” L’Homme qui rit II, 7, iii  78 Danger d’aller dans les bois, Toute la lyre VI, lx  85

Chapter 2  •   On Children  87 Lorsque l’enfant paraît, . . . , Les Feuilles d’automne XIX  90 À quoi je songe? . . . , Les Voix intérieures XXIII  92 Mari de Didine* and Mari de Dédé *  94 Elle avait pris ce pli . . . , Les Contemplations IV, v  96 Jeanne fait son entrée, L’Art d’être grand-père I, iii  97 Victor, sed victus, L’Art d’être grand-père I, iv  97 Georges et Jeanne, L’Art d’être grand-père I, vi  98 Jeanne songeait, sur l’herbe assise, . . . , L’Art d’être grand-père III, i  101 Les Enfants gâtés, L’Art d’être grand-père XV, i  102 “Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le Grand” (excerpts), Les Misérables IV, 6, ii  104

contents 

ix

Chapter 3  •   On Death, Grief, and Tragedy  110 “La Mère,” Notre-Dame de Paris VIII, v  114 Letter to Mademoiselle Louise Bertin, 10 septembre 1843  116 Demain, dès l’aube, . . . , Les Contemplations IV, xiv  118 À Villequier, Les Contemplations IV, xv  118 Mors, Les Contemplations IV, xvi  124 Fracta juventus*  125 Paroles sur la dune, Les Contemplations V, xiii  126 Pendant une maladie, Les Chansons des rues et des bois II, 4, ii  127 “L’Attraction et l’extinction,” Les Misérables V, 8, iv  129 Le Deuil, L’Année terrible, Mars III  131 Le Pape aux foules, Le Pape, “Scène première—Sommeil”  132

Chapter 4  •   On Nature  135 Ce qu’on entend sur la montagne, Les Feuilles d’automne V  140 Parfois, lorsque tout dort, . . . , Les Feuilles d’automne XXI  143 Soleils couchants I, Les Feuilles d’automne XXXV  144 Puisque mai tout en fleurs . . . , Les Chants du crépuscule XXXI  145 Tristesse d’Olympio, Les Rayons et les ombres XXXIV  146 “À travers champs” (excerpt), Le Rhin, Lettre XVI  152 Oui, je suis le rêveur; . . . , Les Contemplations I, xxvii  153 Les enfants lisent, troupe blonde; . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 2, iv  155 Frontispiece for Les Chansons des rues et des bois*  156 “Les Rochers Douvres” (excerpt), Les Travailleurs de la mer I, 6, ii  158 “Le Combat” (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 3, vi  159 Tempête—La Dernière Lutte, or Le Bateau-vision*  163 “La Grande Tombe” (excerpt), Les Travailleurs de la mer III, 3, v  164

x 

contents

Il faut boire et frapper la terre d’un pied libre! . . . , La Légende des siècles, Dernière série XIII, iii  166 En mai, Dernière Gerbe VII  168

Chapter 5  •   On the Mysterious, the Exotic, and the Grotesque  170 Les Djinns, Les Orientales XXVIII  174 “Quasimodo” (excerpt), Notre-Dame de Paris I, v  178 À Albert Dürer, Les Voix intérieures X  181 “Le Charnier de Saint-Michel,” Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées  183 “Cauterets—À Louis B.,” Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées  191 “Ce qu’on y voit” (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 1, xiii  193 “Qui a faim n’est pas le seul” and “Le Monstre” (excerpts), Les Travailleurs de la mer II, 4, i–ii   196 La Pieuvre*  198 Le Roi des Auxcriniers*  2oo Vianden à travers une toile d’araignée*  202 Paysage oriental*  204 Dentelles et spectres*  205 La Phare d’Eddystone*  206 Autrefois, j’ai connu Ferdousi dans Mysore . . . , La Légende des siècles, Dernière série IX, 3  208

Chapter 6  •   On God and Religion  209 Extase, Les Orientales XXXVII  219 “Les Deux Hommes vêtus de noir” (excerpt), Notre-Dame de Paris VII, v  220 Espoir en Dieu, Les Chants du crépuscule XXX  222 Planète*  222 Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre . . . , Les Contemplations VI, iii  224 Éclaircie, Les Contemplations VI, x  225

contents 

xi

Relligio, Les Contemplations VI, xx  226 Booz endormi, La Légende des siècles, Première série II, vi  228 “Sub umbra,” Les Travailleurs de la mer II, 2, v  231 Mes Fils, Chapter VI (excerpt)  236 Âme! être, c’est aimer. . . . (excerpt), Dieu VIII  238

Chapter 7  •   On Rights, Law, and Conscience— Where Private and Public Intersect  241 “Le Droit et la loi,” I–III, Actes et paroles: Avant l’exil, Préface  244 “Les Tempêtes d’hommes pires que les tempêtes d’océans” (excerpts), L’Homme qui rit II, 8, vii  249 La Conscience humaine devant une mauvaise action*  253 La Conscience, La Légende des siècles, Première série II, ii  254 Oh! quoique je sois, sur la grève, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVI  256 Ô mon âme, en cherchant l’azur, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVIII  258 “Une Tempête sous un crâne” (excerpts), Les Misérables I, 7, iii  258

Pa r t I I  •  Vi c t or H u g o i n P u b l i c L i f e   271 Chapter 8  •   On the Role of the Poet  280 “Le Dix-neuvième Siècle” (excerpt), William Shakespeare III, ii  286 Ma Destinée*  292 La Pente de la rêverie, Les Feuilles d’automne XXIX  294 Ce que le poète se disait en 1848, Châtiments IV, ii  299 Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur, . . . , Les Contemplations I, xxviii  3oo Insomnie, Les Contemplations III, xx  301 Veni, vidi, vixi, Les Contemplations IV, xiii  303 Ibo, Les Contemplations VI, ii  304

xii 

contents

Chapter 9  •   On Liberty and Democracy  310 Ruy Blas II, i (excerpt)  313 Préface, Les Orientales, Première édition (excerpt)  316 “Plantation de l’arbre de la liberté, place des Vosges,” Actes et paroles I, Avant l’exil  318 “Victor Hugo à ses concitoyens,” Actes et paroles I, Avant l’exil  319 Le Char de la monarchie*  322 “La Liberté de la presse” (excerpt), Napoléon le Petit II, v  324 Stella, Châtiments VI, xv  325 “Quel horizon on voit du haut de la barricade” (excerpt), Les Misérables V, 1, v  327

Chapter 10  •   On Tyranny and Exile  331 Le Te Deum du 1er janvier 1852, Châtiments I, vi  335 Souvenir de la nuit du 4, Châtiments II, iii  337 Puisque le juste est dans l’abîme, . . . , Châtiments II, v  339 Le Manteau impérial, Châtiments V, iii  341 Ultima verba, Châtiments VII, xiv  342 Letter to André Van Hasselt, 6 janvier 1852  345 “Ce que c’est que l’exil” (excerpts), Actes et paroles II, Pendant l’exil  346 Exil*  352 Cheminée de la salle à manger de Hauteville House*  354 Exil, Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVII  356

Chapter 11  •   On Social Justice  358 Préface, Les Misérables  363 “Le Suffrage universel” (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil  363 Joyeuse Vie, Châtiments III, ix  367 Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe! . . . , Les Chants du crépuscule XIV  373 “Questions sociales § 2: La Femme,” Actes et paroles III, Depuis l’exil  373

contents 

xiii

“Comment de frère on devient père” (excerpt), Les Misérables V, 1, xvi  375 Question sociale, La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, iv  379 “Seconde Lettre à l’Espagne,” Actes et paroles II, Pendant l’exil  381 “John Brown: Lettre aux États-Unis d’Amérique,” Actes et paroles II, Pendant l’exil  384 ECCE*  388 JVSTITIA*  390 Le Dernier Jour d’un condamné I and Préface de 1832 (excerpts)  392 L’Échafaud, La Légende des siècles, Dernière série, V  394

Chapter 12  •   On Poverty, Crime, and Education  396 Claude Gueux (excerpt)  399 Le Dernier Jour d’un condamné XIII (excerpt)  401 “La Liberté de l’enseignement” (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil  403 “La Misère” (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil  409 MISERIA*  416 Le Mendiant, Les Contemplations V, ix  417 Choses vues, February 23, 1846  418 “Le Soir d’un jour de marche” (excerpts), Les Misérables I, 2, i  419 “Jean Valjean” and “Le Dedans du désespoir” (excerpts), Les Misérables I, 2, vi–vii  421 À qui la faute?, L’Année terrible, Juin VIII  426

Chapter 13  •   On Humanity, Progress, and Peace  428 “L’Évêque en présence d’une lumière inconnue,” Les Misérables I, 1, x  436 J’aime l’araignée et j’aime l’ortie, . . . , Les Contemplations III, xxvii  447 “Gauvain pensif,” Quatrevingt-treize III, 6, ii  448 Jeanne était au pain sec . . . , L’Art d’être grand-père VI, vi  450

xiv 

contents

Progrès, L’Art d’être grand-père XVIII, iii  451 “Discours d’ouverture, Congrès international de la paix à Paris — 21 août 1849,” Actes et paroles I, Avant l’exil  452 Salle des séances du Conseil municipal de Thionville, après l’entrée des Prussiens en 1871*  460 Depuis six mille ans la guerre . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 3, i  462 Mon enfant, la guerre est une chose . . . , La Légende des siècles, Première série, Reliquat  464

Appendix A: Further Reading  467 Appendix B: Time Line of Hugo’s Life, Works, and French History  472 Selected Bibliography  481 Index of Titles and First Lines  487

P r e face

Il n’y a de lecteur que le lecteur pensif. C’est à lui que je dédie mes œuvres. —Victor Hugo, L’Homme qui rit, Preface draft (CFL, XIV, 387)

Victor Hugo (1802–85) was during his lifetime a highly celebrated and extremely controversial public figure in France. Long famed as one of the greatest and most popular French poets, playwrights, and novelists, the author of the novel Les Misérables was equally important as a social critic who argued for a wide-ranging variety of causes. Hugo was a son of nineteenth-century France, but his deep understanding of human nature, emotions, and concerns, together with his dedication to social progress, make his work wonderfully timeless. Looking into the future, he envisioned the European Union and the elimination of the death penalty, both of which came to fruition for France in the late twentieth century. His arguments for freedom of thought in literature and society ring as compellingly today as they did during a century of revolutions. His speeches and letters in support of those fighting for national causes could have been written last week. His reasoning about the values of secular education is echoed in ongoing debates about the separation of church and state. Hugo’s denunciations of any exploitation of one group by another—of the poor by the rich, of women by men, of children by adults—are as vital now as they were 150 years ago. Hugo’s work remains vibrant in academic and literary circles: he has twice been the subject of Twayne’s World Authors Series (in 1988 and 1999),

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p r e face

and Les Misérables is required reading for the French national teachers’ exam. Publications by and about Victor Hugo continue to come thick and fast since 2000, an enthusiasm fueled by the 2002 bicentenary of his birth. In popular culture, the musical theater version of Les Misérables remains an international hit over twenty years after its creation; it has been seen by more than fifty million people worldwide, in thirty-eight countries and in twenty-one languages. Notre-Dame de Paris is a staple for film directors. Henri Guillemin (Hugo, 76) wrote that if you are willing to engage with Hugo, you will find that he has things to tell us, things that concern us fundamentally, and that he brings us both more and less than an acquaintance: a contact. Through this reader you can make contact with Hugo, the lover, Romantic, father, social critic, republican, visionary, exile, artist. If you are already familiar with his writing, you may well find here new sides of his work. Introductions and notes in English provide background information, and the thematic organization allows you to pursue the aspects of Hugo’s creation that most intrigue you. Like any anthology of his work, however, this reader quite frankly runs contrary to Hugo’s wishes. With good reason, he believed that his work together constituted a whole. In 1860 he exhorted his heirs not to approve publication of selected works: “Tout choix dans un esprit est un amoindrissement. L’eunuque est un homme dans lequel on a choisi” (CFL XII, 1529). Still, at over twenty thousand pages of text and three thousand pieces of art, Hugo’s production can be daunting. Hugo is one of the most renowned writers of all time, but his fame is partial in several senses. He wrote so much in so many genres and over such a long period that getting one’s mind around his entire body of work is challenging. Although many of his brilliant verses and archetypal characters have entered into French—and international—culture, others of his poems, plays, speeches, and characters are much less well known. And, to some extent, Hugo is known through popular theatrical film adaptations of his work rather than through the originals. By presenting his work and worldview thematically, I seek to present Hugo’s ideas as faithfully as possible while helping twenty-first-century Anglophone readers appreciate his talent and enjoy engaging with his mind.

Organization of the Book Out of Victor Hugo’s vast oeuvre, this anthology offers substantial examples of his work in the original French. Selected pieces come from as wide a variety of genres as possible, including poetry, theater, novels, speeches, travel writing,

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personal letters, public letters that are effectively essays, drawings, watercolors, and private journal entries. Any selection from an author’s work is necessarily individual and, as such, somewhat arbitrary. Readers familiar with Hugo will know other texts they would have chosen. I include some of the most acclaimed of Hugo’s works, texts that readers new to Hugo would not want to miss, and some less commonly anthologized works, to give a clear picture of his thoughts on each topic. Within each chapter, as much as possible given inevitable page limitations, I strive with representative texts and art to show the variety of Hugo’s style, ideas, and approaches to the subject. In some chapters, this means a chronological organization of his work, in others a thematic one. Some well-known pieces are omitted because they are thematically similar to other important works included. Plays are difficult to excerpt coherently, and although novels and speeches must be represented with extracts, I rarely excerpt poetry. Since many beautiful, thought-provoking poems are too long to include, I generally allude to them in chapter introductions and provide complete references in “Further Reading,” in which alphabetized lists are organized by chapter. Poems especially relevant to more than one theme are included in each “Further Reading” list. Titles of works that are mentioned in introductions and text headnotes and that appear in this book are accompanied by this symbol:  . When we look at what most concerned Victor Hugo, it is clear that he appreciated personal experiences, emotions, and insights. But he also cared intensely about improving society, and his words and deeds often took him into the public arena. In this reader, the section “Victor Hugo in Private Life” highlights Hugo’s thoughts on love, passion, children, grief, death, and God, and Hugo’s personal connection to the natural world and to the mysterious and exotic. “Victor Hugo in Public Life” focuses on Hugo’s perspectives on the role of the poet, liberty, democracy, tyranny, crime, education, humanity, progress, and peace, as well as on his fight for social justice issues such as women’s rights and the elimination of poverty, slavery, and capital punishment. Such a textual organization makes it easier to enter Hugo’s world, but Hugo himself constantly intermingles the private and public sides of life. Like most Romantics, he discloses in his published writing much that is extremely private. His political engagements were frequently quite personal, and the power of his public effectiveness derived in part from the force of his private personality. One of Hugo’s most original inventions was his conception of the writer who erases the boundaries between public and private, between what is dictated by external events and what is inspired by an internal necessity (Jean-Claude Fizaine, “Notice,” Laffont, Politique, ii). Here

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is a key example: For Hugo, one’s conscience is highly personal—but also public in that it provokes conscientious people to public action. His own view of the individual’s natural, God-given rights, le droit, led him to question many laws and social conventions. Thus the chapter “On Rights, Law, and Conscience” acts as a linchpin between what is private and what is public.

How To Read This Book How you approach this reader depends on how you like to read. The book is loosely organized in chronological fashion. Chapter themes and texts focus first on Hugo’s more personal writing and art, with an introduction to important life events that influenced his work. Later chapters summarize Hugo’s political life and detail the development of his public persona. Thus you will find that reading in sequence helps you understand how Hugo’s perspectives and understanding evolved. The topical organization enables you to plunge immediately into the subjects you find most intriguing, and you may well enjoy following various trails and correlations among themes, readings, and art. Given the complexity and wholeness of Hugo’s vision, texts and topics inevitably echo each other, and you will find a richness in exploring connections. I have chosen to err on the side of redundancy rather than on the side of sparseness so that you can most easily jump into the book wherever you like. Whichever way you engage with Hugo’s oeuvre, the English introductions and annotations help orient you to relevant aspects of Hugo’s life and thought so that you can best appreciate his work. Chapter introductions and text headnotes provide historical, biographical, and literary context that will help you engage with the readings and art; they are not meant to introduce either his contemporaries or the literary trends of the period. Neither do I try to tell you how you should understand Hugo’s work. Interpretation is your province. Footnotes explain textual references generally unfamiliar to modern readers. Hugo read widely, and eclectically borrowed from an array of cultures; his works include numerous biblical, Greek, and Latin references as well as allusions to Hinduism, Islam, Buddhism, Hispanic culture, and other traditions. For ease of reading, footnotes are kept to a minimum. Works consulted, as well as recommendations for further reading, appear in the selected bibliography. For a brief overview of Hugo’s fame, information on how he structured his work, and thumbnail sketches of his major publications, see the “Introduction to Victor Hugo and His Works.” And, finally, you will find a time line of Hugo’s life and publications, as well as a list of titles and first lines, at the back of the book.

p r e f a c e   xix

A Gift to Readers Hugo wrote several hours every day, hoping with his work to provoke deep thought about central life issues and to spur people to improve society. He saw love and liberty as ultimate values. In willing to the nation of France everything he had written and drawn and in asking his literary executors to organize and publish all his literary work, including fragments and notes, he opened up for scrutiny all that he had produced. He also consciously exposed to the world much of his personal life, including love letters he had written and received, as well as his intimate diaries, whose relatively simple code seems to have been designed to preserve the contents more from his friends and relations than from scholars. With this anthology, I endeavor to provide some insight into one great, intriguing mind. I offer this selection of Hugo’s work out of admiration for his genius and hope that others will find equal pleasure in his language and will enjoy the provocative nature of his work. I must admit to feeling as Hugo described himself in writing William Shakespeare (II, iv, 2; CFL XII, 267): C’est pourquoi j’ai écrit ce livre. Admirer. Être enthousiaste. Il m’a paru que dans notre siècle cet exemple de bêtise était bon à donner.

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Ack now led g m e n t s

My writing process has been more joyful, productive, informed, and satisfying because I talked about this book and shared ideas with so many smart people. Although I risk forgetting someone in listing those to whom I am appreciative, I am eager to thank the friends and colleagues whose help, views, and encouragement were invaluable. Heartfelt thanks go to Jon Guillot, Kenny Marotta, and Stephen Arata, who generously read and commented on drafts. Their insights, observations, gentle questions, and keen sense of style have made this book more thoughtful, thorough, clear, and engaging. Kate Burke and Kandioura Dramé independently suggested that I write a Hugo anthology, and I have remained grateful to them even when overwhelmed by the wealth of Hugo’s production. Cristina Della Coletta and Janet Horne have been with me since the beginning; my conception of this book owes much to them. My University of Virginia students over the past four years have given me new understandings of Victor Hugo’s writing, shown their enthusiasm about his life and work, and cheered me on with their eagerness to know “how the book is going.” Colleagues offered wonderful ideas and responded to my thoughts and questions, for which I thank them sincerely: Claire Lyu, Robert F. Cook, Alison Levine, Harold Huwart, Hsin-Hsin Liang, Fernando Tejedo-Herrera, Deandra Little, Mark Edmundson, Karen Ryan, David Gies, and Jahan Ramazani. Reviewers Benjamin McRae Amoss of Longwood University, Jean-Pierre Cauvin of the University of Texas at Austin, Kathryn M. Grossman of Pennsylvania State University, and Laurence M. Porter of Michigan State University provided careful, critical reading, honest opinions, and helpful suggestions. Conversation about Hugo and his works is international, of course. I am

xxi

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acknowledgments

­ articularly indebted to the scholars who have invested so much time, energy, p and thought into comprehending Hugo’s work and enlightening others with their perspectives. Those who establish editions, edit letters, and verify biographical and historical events make research richer for all of us. Members of the Groupe Hugo at Université Paris 7 (http://groupugo.div.jussieu.fr/) do outstanding scholarship, including the “Bouquins” complete works edition used in this reader; through their web site, they share essays and presentations as well as transcribed discussions. The Société des Amis de Victor Hugo (http://www .victorhugo.asso.fr/) broadens the scholarly conversation and brings Hugo’s work to the general public. Their openness and generosity has inspired me as I compiled this anthology. Those in charge of libraries and museums dedicated to Hugo are remarkably energetic and experienced, and I especially thank these individuals: Marie-Laure Prévost, Odile Blanchette, Danielle Molinari, MarieLaurence Marco, Stéphanie Cantarutti, and Marie-Jean Mazurier. I could hardly have done my work without the individual scholars and Hugophiles who have personally encouraged me, suggested key texts, and answered my questions. As Hugo sometimes did, I thank them ex imo, from the depths of my heart: Gérard Pouchain, Jean-Marc Hovasse, Alain Lecompte, Danièle Gasiglia-Laster, Arnaud Laster, and Laurence M. Porter. Certainly, such a complex project requires substantial professional support, and I have been very lucky to have superb editors at Yale University Press. I am immensely grateful to Mary Jane Peluso for her vision in believing in a two-language anthology and for her tenacity in bringing this reader to light. I very much appreciate the patience and expertise of Elise Panza, Brie Kluytenaar, and Annie Imbornoni, whose practical assistance has been indispensable. Help from the University of Virginia has been equally vital and unfailing. The Dean of the College of Arts and Sciences, the Vice President for Research and Graduate Studies, the Small Grants Committee, and John D. Lyons, French Department Chair, all provided funding essential to making this book a reality. Vice Provost Milton Adams supported my one-semester research leave, during which my dedicated Teaching Resource Center colleagues kept our workshops and consultations vibrant. My research and writing path was greatly smoothed by our splendid University librarians, especially Charles Rice, George Crafts, and the colleagues who work in our Interlibrary Loan Office and make friendly, efficient deliveries through our Library Express On-Grounds service. And I am deeply obliged to Agnès Hirtz, of the publishing house of Robert Laffont, for so kindly granting permission to reproduce Hugo’s texts from their Collection “Bouquins” edition of his complete works.

acknowledgments 

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Finally—and perhaps most importantly—I cannot thank enough my husband, Jon Guillot, and my Mom, Marva T. Barnett, for their unflagging interest, encouragement, and willingness to understand what I find so fascinating about Victor Hugo and his work.

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E di t ions a nd A b b r e v i at ions

Hugo’s Writings References to Victor Hugo’s works come primarily from the two latest (at this writing) editions of his complete works. Here are the abbreviations you will see and the reasons for using each of these editions, as well as a note about the first definitive edition of Hugo’s complete works: • Laffont: Unless otherwise noted, the source of all texts used in this reader is: Hugo, Victor. Œuvres complètes. Edited by Jacques Seebacher and Guy Rosa. 15 volumes. Paris: Éditions Robert Laffont, collection “Bouquins,” 1985–90; 2002. These texts are included with the kind permission of the editors at Éditions Robert Laffont. This is the most recent and most nearly accurate edition of Hugo’s complete works. References appear as “Laffont” followed by volume name and number in roman numerals, page number, and, if necessary, note number. For example: “Laffont, Poésie III, 369” refers to page 369 of the third volume of poetry in the series. In studies of Hugo’s work, this edition is sometimes cited as the “Bouquins” edition. In this anthology, the only change made in Hugo’s texts is a spelling modernization of poëte to poète. • CFL: This abbreviation for “Club Français de Livre” refers to: Hugo, Victor. Œuvres complètes. Édition chronologique sous la direction de Jean Massin. 18 volumes. Paris: Club Français de Livre, 1967–70. This edition, the most complete, includes in chronological order all Hugo’s literary and political works (including unpublished material and drafts), many of his letters and important letters to him, and black-and-white

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samples of his artwork. Organized chronologically and including a ­highly detailed time line in each volume, this edition is helpful in placing Hugo’s work in personal and historical context. It includes extensive, detailed notes by Hugo scholars but, unfortunately, also a significant number of errors. It is out of print, although used editions frequently appear for sale. In this reader, it is cited for Hugo’s letters and drafts not available in the Laffont edition, as well as for editors’ notes. References appear as “CFL” followed by volume number in roman numerals and by page number and, if necessary, note number. For example: “CFL XIII, 6, n. 1” refers to note number one on page six of the thirteenth volume (1865–67). In studies of Hugo’s work, this edition is sometimes cited as the “édition Massin.” • IN: This abbreviation for “Imprimerie Nationale” refers to the edition compiled by Hugo’s literary executors: Hugo, Victor. Œuvres complètes. Edited by Paul Meurice, Gustave Simon, and Cécile Daubray. 45 volumes. Paris: Albin Michel, Imprimerie Nationale– Ollendorf, 1904–52. This first edition of Hugo’s complete works is not as complete as the later editions but contains many interesting late ­nineteenth- and early twentieth-century critical responses to Hugo’s writing. In studies of Hugo’s work, this edition is sometimes cited as the “édition Ollendorf.”

Hugo’s Art Most of Hugo’s art resides in either the Maison de Victor Hugo or the Bibliothèque nationale de France, both in Paris. Those drawings and watercolors in the Maison de Victor Hugo (sometimes abbreviated MVH) were managed by the Photothèque des Musées de la Ville de Paris, now closed. Agence Roger-Viollet now handles images previously managed by the Photothèque. • In captions, PMVP indicates that permission was granted by the Photo­ thèque des Musées de la Ville de Paris. The photographer’s surname is also included. • BnF indicates a photograph of art by Hugo that belongs to the Biblio­thèque nationale de France, in Paris; the catalogue number is included.

Vic t or H u g o o n Th ing s Th at M at t er

This page intentionally left blank

Introduction to Victor Hugo and His Works

Hugo’s Fame In many ways, Victor Hugo (1802–85) loomed over nineteenth-century France, from the 1820s until his death and beyond. He excelled in nearly every genre: revered by many as France’s greatest poet, he wrote plays that brought in huge box-office receipts, novels that sold out in days, speeches that provoked wild cheers and disgusted boos. He completed some of his plays in two or three weeks and his novel Notre-Dame de Paris in five months. During his lifetime, his works were published and reprinted three times more frequently than those of such other Romantic writers as Alfred de Musset and Stendhal, and five times more often than those of such important later writers as Gustave Flaubert, Émile Zola, and Charles Baudelaire.1 Fame came early to Hugo. When he was twenty-six, a ten-volume edition of his “complete works” was published. Although it is probably apocryphal that he proclaimed at age fourteen that he wanted to be author-statesman “Chateau­ briand or nothing,” he soon recognized his own talent, and aimed to earn his living by writing and to equal humanity’s greatest geniuses. Recognized by many as a poetic virtuoso when he was barely twenty, and soon called un génie and then le maître, Hugo was so admired by younger poets and his work so beloved by readers that he eventually gained the status accorded today to movie 1. On Hugo’s productivity and fame, see especially “Un peu plus qu’une vie d’homme”; and Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 286, 392, 477–83. For publication information and an analysis of Hugo’s impact, see Raser, “Victor Hugo,” 166. On Hugo’s impact around the world, see Gasiglia-Laster and Laster, Victor Hugo au cœur du monde. For a compendium of Hugo’s impact and influences, see Georgel, ed., La Gloire de Victor Hugo.

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stars and sports legends. Younger poets sought his attention and approbation; once he began to take public political stances in the 1840s and 1850s, abolitionists and those fighting against tyrannical governments around the world wrote to enlist his voice in aid of their causes. As the most outspoken and unyielding critic of Napoleon III, Hugo found that exile gave him an international pulpit from which he waged fearless epistolary battles for freedom, equality, and social justice, not only throughout the western world, but also as far away as China, Russia, and Haiti. Initially driven into exile when his opposition to Napoleon III’s coup d’état resulted in a price on Hugo’s head, he later rejected a general amnesty, refusing to return to France under the Second Empire. When he did return in 1871 with the departure of Napoleon III, he was widely proclaimed the Father of the French Republic, and his funeral in 1885 was on a scale generally accorded to world leaders. Hugo began writing as a child, and at age thirteen presented his mother with a fifteen-hundred-line tragedy in verse. When he was fifteen, his 320-line poem on the set topic “How studying leads to happiness in all of life’s situations” won him an honorable mention in a national poetry contest. Two years later he won the first prize in the Jeux Floraux de Toulouse competition, beating his brother Eugène for the first, but not the last, time. Hugo founded with his older brothers, Eugène and Abel, a literary journal in 1819, Le Conservateur littéraire (modeled after Chateaubriand’s Le Conservateur); he became its main editor and published his Odes and his first novella, Bug-Jargal, which he had first drafted at age sixteen. (Thumbnail sketches of Hugo’s major works appear below; a chronology of Hugo’s publications is in Appendix B.) Already granted a royal pension under Louis XVIII, Hugo was named at age twenty-two a Chevalier de la Légion d’Honneur by Charles X, who invited him to attend his 1825 coronation and compose an ode in honor of the event. After he had published several editions of his Odes, Hugo turned to the theater, where his first play, Cromwell, proved too long to stage. Its Préface, however, immediately became the manifesto of the Romantic movement: Hugo compellingly argued that drama as a theatrical form must prevail since the stage should portray the antithetical nature of real life, the comic alongside the tragic, the grotesque with the sublime. The government’s ban on the staging of his second play, Marion de Lorme, provoked Hugo’s lifelong fight for liberty in every sense of the word (he described the experience in a poem, “Le Sept Août mil huit cent vingt-neuf”). He refused a new royal pension, and his success with his next play, Hernani (1830), launched his theatrical career. From the late 1820s into the early 1840s, Hugo was immensely productive. He wrote

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two novellas that remain remarkably modern in flavor: Le Dernier Jour d’un condamné (1829) and Claude Gueux (1834). He published five poetry collections and wrote five plays, most of which were quickly adapted as successful operas, such as Verdi’s Rigoletto (from Le Roi s’amuse, 1832, censored by the monarchy for being too critical of the king). Chief of all was Notre-Dame de Paris (1831), whose characters Quasimodo and Esmeralda quickly became part of the world’s cultural heritage. The novel’s popularity clinched fame for its author and caused an outcry for restoration of the cathedral (which Hugo had called for as early as 1825 in his pamphlet “Guerre aux démolisseurs!”).2 The 1840s began well for Hugo, as he was voted a member of the Académie Française on his fifth attempt, having been blocked for five years by the traditionalists. He and his lover Juliette Drouet took long annual vacations, and he published Le Rhin (1842), a travelogue and political essay. Named a peer of France in 1845, he began to make speeches in the Chamber of Peers. Unfortunately, it was equally a decade of tragedy and scandal. In 1843 his beloved daughter Léopoldine drowned in a boating accident at age nineteen. In the same year his play Les Burgraves was a popular and critical flop; two years later, King Louis-Philippe recommended that Hugo keep a low profile after a detective surprised him in a rented room with his new lover, Léonie d’Aunet Biard, a married woman. Hugo published nothing else in that decade although he continued to write. He drafted a large part of Les Misères; nearly twenty years later, it would become the celebrated Les Misérables (1862). And he composed poems that eventually became part of Les Contemplations (1856). The Revolution of 1848 and Louis-Napoleon Bonaparte’s 1851 coup d’état were turning points in Hugo’s life (for a summary of nineteenth-century French government structures and Hugo’s transition from royalist to republican, see Part II: Victor Hugo in Public Life). Although Hugo at first supported the regency of Louis-Philippe’s grandson and rejected an offer to become Minister of Education in the Second Republic, he was soon standing for election. Once seated in the legislature, he proposed liberal changes to laws affecting the poor, child laborers, voting rights, educational equality, and so on. Hugo’s conservative colleagues were appalled; they had failed to recognize his persistent concern for common people, even as he grew in wealth and fame. He also came to believe so deeply in the democratic values embodied in the Republic as a form of government that he was one of the most vocal critics when Bonaparte ­dissolved the legislature 2. Details in Victor Hugo à Notre-Dame de Paris: “la griffe de lion” (Paris: Éditions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2002): 10–15.

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and extended his presidency on December 2, 1851. Fleeing to Brussels, Hugo published the virulent, subversive, anti-Bonaparte pamphlet Napoléon le petit (1852) within a few months. The next year, in Châtiments, he condemned the coup d’état, predicted the glorious return of the Republic, and proclaimed his determination never to return to France under Emperor Napoleon III. Even though most of the officials he condemned are long forgotten or unknown to non-French readers, these verses still powerfully blaze with righteous anger. Exile in Brussels and then, from 1853 until 1870, on the Channel Islands of Jersey and Guernsey was hard on Hugo and his family in many ways, yet it gave him time to write and draw, and a new perspective as well. The majority of Hugo’s most modern work dates from these nineteen years, as does much of his visionary, metaphysical poetry, including Les Contemplations (1856), along with the epic La Légende des siècles (a vast poetic narrative of human history published in three volumes, 1859, 1877, 1883), La Fin de Satan (1886), and Dieu (1891). The novels he published after Les Misérables have similarly visionary qualities; to some extent, readers are just now beginning to recognize the depths of Les Travailleurs de la mer (1866) and L’Homme qui rit (1869). Hugo set out in new directions theatrically, as well, with plays that he collectively called Le Théâtre en liberté (written primarily in the 1850s and 1860s; published in 1886). Freed from censorship and practical staging requirements, these dramas and comedies break away from many conventions. Although Hugo did not plan to stage them, they are being produced or filmed today, especially Torquemada. During this period, Hugo took a vacation from serious topics to craft a lighter collection of mostly frolicsome, sensual poems, Les Chansons des rues et des bois (1865). The family’s return to France in September 1870 began another extremely difficult year, which Hugo poetically documented, analyzed, and grieved over in L’Année terrible (1872). The Prussian siege of Paris caused near-starvation for many; Hugo’s son Charles died suddenly; the Communard insurrection in Paris was bloodily suppressed. The next year Hugo’s younger daughter, Adèle, returned to France after nine years’ absence, clearly mentally ill and in need of medical help. Post-war and post-Commune France had indeed become so sad a time and place that Hugo returned to his exile home on the isle of Guernsey for about a year, accompanied by his beloved toddler grandchildren, Juliette Drouet, and a few other friends. There he wrote his final novel, a story of humanity and the French Revolution, Quatrevingt-treize (1874). He also composed some of the poems that would appear in his much beloved L’Art d’être grand-père (1877). But the lion who had roared at Napoleon III now wrote Le Pape (1878), turning his attention to the corruption he saw in the Catholic Church, which

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he faulted for perverting Christian principles and for trying to rule in secular life. The victim of a stroke in June 1878, Hugo wrote very little afterwards, yet he had already produced so much that his friends Paul Meurice and Auguste Vacquerie continued to publish his work (mostly following Hugo’s directions) through Dernière Gerbe in 1902. Hugo’s eightieth birthday in 1882 occasioned a week-long public celebration, when tens of thousands of fans paraded past his home and the government renamed his street avenue Victor Hugo. His national funeral in 1885 attracted over a million mourners and made headlines for two weeks. The prevailing desire to entomb Hugo in the Paris Panthéon prompted its redesignation from a Catholic church back into a secular monument. Hugo’s talent, energy, ambition, and productivity made him a powerful force in French literary circles, even during the nearly twenty years he lived outside of France. Befriended by most of the other Romantic writers of the 1820s and 1830s and generous in praising and helping neophyte poets who sought his comments, Hugo nevertheless had many enemies and detractors among fellow authors and literary critics. At first, devotees of Classicism hated him because he so successfully broke the nearly two-hundred-year-old rules of poetry and theater. At times his own friends and other Romantics criticized his publications, perhaps in part because his work so regularly outshone theirs, though also because his writing was so extravagant. Novelist Honoré de Balzac mourned the implausibility of Hernani. Poet and statesman Alphonse de Lamartine recognized Hugo’s poetic genius but found his 1823 Gothic novel Han d’Islande “dreadful” and wished that Hugo would “soften his palette” in his novels. Many of Hugo’s contemporaries expressed similarly mixed feelings. Although poet and critic Charles Baudelaire called him “the most gifted man, the one most clearly elected to express poetically the mystery of life,” he abhorred Hugo’s propensity to use poetry for “political lambasting.” Hugo’s activist writings brought him under fire from political opponents, first because he evolved from conservative to liberal, and later because he tenaciously fought for such sometimes unpopular issues as abolition of the death penalty and amnesty for rebels who opposed tyrannical governments. Hugo felt some of these criticisms deeply, especially those coming from friends, but they never dented his idealism nor stopped him from fighting for a new literature and a better world.3 Hugo’s influences on other artists are hard to quantify. His work was so ­immense and so varied and his career lasted so long that he outwrote and outlived many of his disciples and contemporaries. Only three years older, Balzac, for 3. On other writers’ reactions to Hugo’s work, see Voisin, Hugo et ses contemporains.

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instance, died in 1850, before Hugo produced some of his greatest work. In addition, by the time Hugo died, the idea of the socially engaged writer had begun to disappear, in part because of a growing preference for art for art’s sake and the coming of modernism. Still, it seems that most, if not all, writers contemporary with Hugo read his work. Poets of subsequent generations often applauded his verses before reacting against them. One might even contend that the symbolist poets built upon them. Hugo’s exile-period poetry is rich with visionary images and symbols similar to their style. Symbolists Stéphane Mallarmé (1842–98) and Arthur Rimbaud (1854–91) were young fans of Hugo’s poetry even though they believed that poetry should not serve as social commentary. Rimbaud wrote that Hugo was “too pigheaded” but he found that in his later poetry Hugo had really SEEN (VU, Rimbaud’s capitalization) and that Les Misérables was a “true poem.” Mallarmé, who had Hugo’s portrait in his drawing room, called him a giant of French literature and poetry: “Il était le vers personnellement.” Whether directly influenced by Hugo or not, many great French authors have found undeniable the power of Hugo’s literary talent. Even the acclaimed advocate of French realism, Gustave Flaubert (1821–80), whose style and goals were significantly different from Hugo’s, thought highly of his poetry and recognized his greatness, writing, “Il y a des gens devant lesquels on doit s’incliner et leur dire: ‘Après vous, monsieur.’ Victor Hugo est de ceux-là.”4 In 1902, the centenary of Hugo’s birth, the director of the literary review L’Ermitage asked nearly two hundred French writers, “Who is your poet?” The majority responded, “Victor Hugo.” The response of poet, novelist, and critic André Gide (1869–1951)—“Victor Hugo, hélas!”—has been often quoted and the “alas” much emphasized and analyzed: Was Gide resigned to Hugo’s greatness? horrified at Hugo’s dominance? admiring although unhappy to have chosen someone so obvious? Gide never explained, but the preface to his 1949 Anthologie de la poésie française details his reasons for appreciating Hugo’s work and summarizes a key source of Hugo’s poetic fame: “Hugo est le plus grand assembleur d’images, manieur de sonorités et de rythmes, d’évocations et de symboles, le plus sûr maître de notre syntaxe et des formes de notre langue que la littérature française ait connu.”5 4. Quotations from other poets come from Voisin, Hugo et ses contemporains. See also Laster, Pleins feux, 323–42. On socially engaged writers in France, see Winock, Voix. 5. Gide’s perspectives are cited in Jean Gaudon, Hugo 1802–1885 (Paris: Ministère des Affaires étrangères—ADPF, 2002): 47 (available at http://www.culturesfrance.com/ adpf-publi/folio/hugo/). The 1902 survey is also summarized at http://www.assemblee -nationale.fr/evenements/victor-hugo-3.asp. For the quotation from Gide, see his Anthologie de la poésie française (Paris: Gallimard, 1949): 33.

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For over sixty years, Hugo had so dominated the French literary landscape that reactions against his style and his fame came fast and furious after his death. Some critics and poets, however, continued to see in him a great poet and genius. Essayist, dramatist, and poet Paul Valéry (1871–1945) summed up in 1935 how Hugo’s work challenged both detractors and enthusiasts: “Le problème capitale de la littérature depuis 1840 jusqu’en 1890 n’est-il pas: Comment faire autre chose que Hugo?” Breathing out verse as most breathe air, Hugo had embodied French poetry, had succeeded in all literary genres, and had made himself a famed defender of the French Republic—his act was hard to follow and provoked either heartfelt praise or equally strong condemnation. Today Hugo’s writing continues to receive major critical attention: “After Shakespeare, Victor Hugo has generated across five continents more literary studies, philological analyses, critical editions, biographies, translations, and adaptations of his work than any other Western author.”6 A force with whom other poets, playwrights, and novelists had to reckon, Hugo was, moreover, a very popular writer during his lifetime, as evidenced by his large sales figures and theater receipts. His popularity flowed from his literary skill and his dedication to writing about what he saw as the realities of life. Hugo cared about common people during an era when they generally mattered little. Nobility and royalty ruled; Hugo himself used his inherited title of baron; nearly all of his artist friends had inherited income (though he had none). He observed with interest the poor, the workers, the itinerant, the outlaws. He made them heroes and heroines, sympathized with their sorrows, and wrote to and for them, challenging them with his huge vocabulary and complex ideas. They recognized his interest and encouragement, buying and reading his books with enthusiasm. A few weeks after publication of the first volume of Les Misérables, Adèle Hugo wrote from Paris that urban workers were pooling their disposable income of a few cents each, buying one copy of the novel, reading it in turn, and drawing lots to see who would get to keep it. She continued, addressing Hugo in the third person, as she sometimes did in her letters: “Mon grand homme . . . ne se rend pas bien compte de l’effet des Misérables qui produisent dans toutes les classes une émotion sans pareille. Le livre est dans toutes les mains; les personnages devenus types déjà sont cités à toute occasion et à tout propos. Les images de ces personnages sont à toutes les vitrines des marchands d’estampes; des affiches monstres annonçant les Misérables sont placardées à

6. Vargas Llosa, Temptation, 2.

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tous les coins de rue. L’ouvrage et le nom de Victor Hugo sont des projectiles qui agitent et remuent Paris” (11 mai 1862; CFL XII, 1169). Today, Hugo’s writing is woven into the fabric of French cultural memory, and many people can quote lines of his poetry. Beyond France, his novels and his support of national freedom movements have made him an iconic figure of liberty and democracy around the world. (In the Vietnamese religion Cao Dai, established in 1929, Hugo is considered a saint, alongside Sun Yat-sen and certain Chinese poets.) Seeming to have believed that the limits of knowledge are often the limits of imagination, Hugo wrote extravagantly, intensely (excessively, some say), in many ways epitomizing French Romanticism, yet going beyond it to be both visionary and realistic. Ferociously independent, Hugo refused to be bound by limitations. His work set itself in opposition to all strictures, to all attempts to tell people what to do or how to think—censorship, literary rules, religious dogma, tyrannical power. As the discussion of key motifs and themes below shows, Hugo reveled in the antithetical and the infinite, determined to embrace immensity itself. Moreover, even as he grappled with real problems, working across literary, historical, artistic, and political genres, he aimed to move people to new ideas and never lost his own idealism. Hugo chivvied the powerful and fought for le peuple; readers’ hearts still resonate with the writing and art in which he hopes and strives for a better world.

Hugo’s Work As a professional writer Victor Hugo supported his family through his literary production, with extensive and persistent research, observation, and note taking. A perfectionist, he carefully proofread and copyedited page proofs, and demanded specific page layouts for poetry. As a playwright, he frequently drafted staging and costume ideas, not just the lines to be spoken. He regularly attended rehearsals, where he made suggestions to the actors and argued with the official censors. He explicitly detailed which edition of each work should be considered the true first edition, and he wrote out and revised his speeches before delivering them. Hugo kept detailed writing notes, nearly always recorded poetry composition dates, and logged when he began and ended segments of novels. His manuscript dates are generally considered trustworthy. His writing notes, journal entries, manuscript drafts, and text fragments survive because he expressly willed to the Bibliothèque nationale de France everything that he had written and drawn. (Most of these texts have been published in one or more of the three editions of Hugo’s complete works listed in the Selected Bibliography

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and detailed in the Editions and Abbreviations section.) Often enlightening, Hugo’s jotted-down ideas are included throughout this reader, identified as notes for writing projects, journal entries, reliquats, and so on. (The French term reliquat refers to text that an author drafted—or apparently drafted—for a particular work but then chose not to include.) Hugo also attentively structured his works. Nearly all his novels are divided into parts, books, and chapters. The 365 chapters of Les Misérables, for instance, are separated into forty-eight livres in five different parts, four of them named for the main characters. Similarly, beginning during his exile, Hugo built his poetry collections almost architecturally, organizing individual poems in meaningful ways so that the collection tells a story. Thus he often altered the original, manuscript date of individual poems in order to present them in the desired context. In Les Contemplations, for instance, he publishes “Demain, dès l’aube, . . .” with a date indicating that it was written on the third anniversary of his daughter’s death, a year before “À Villequier” , which is dated on the fourth anniversary. On the contrary, his manuscript dates show that he wrote “A Villequier” a year earlier, and wrote neither poem on that tragic anniversary. This anthology presents Hugo’s poems with the dates he chose to publish; when the manuscript date is different, it appears in square brackets after the published date at the end of Hugo’s texts. Finally, because Hugo worked on many of his oeuvres in overlapping fashion, putting one aside in order to work on another and occasionally returning to the first only years later, publication dates of some works are quite different from their composition dates. Hugo worked on La Fin de Satan, for instance, from about 1840 until 1870; it was posthumously published, unfinished, in 1886.7

Key motifs and themes The powerful motifs, images, and themes that enliven Hugo’s writing help connect apparently disparate topics as they interweave across his literary works, political writings, and drawings. Themes and motifs that relate to several topics 7. For information on how Hugo worked and conceived his books, I am especially indebted to Grossman, Misérables; Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil; and Jean Gaudon and Evelyn Blewer, eds., La Fin de Satan (Paris: Gallimard, 1984): 251–56. Porter, Victor Hugo, contains detailed overviews of Hugo’s major works. Laster, Pleins feux, 162–93, offers precise thumbnail summaries of poetry volumes, novels, and dramatic works. Van Tieghem, Victor Hugo, un génie, also summarizes Hugo’s works, with a focus on the dates of composition.

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in this reader are introduced here. Those more closely related to a single topic are treated in the relevant chapter. For instance, the theme of destiny, fate, or anankè closely concerns Hugo’s conception of God (chapter 6); and Hugo most often associates the dream motif with the mysterious (chapter 5). Hugo was a master of what has been called the “metaphor maxima,” or “Hugolian apposition”: the juxtaposition of two nouns, where one acts in effect as an adjective while still remaining a noun. Hugo in this way intensified the power of both nouns: for example, hommes océans (see below); monde rêve! and livre ciel! in “Magnitudo parvi”; and l’homme devoir in “Ibo” .8 These concentrated metaphors sometimes underscore provocative antitheses, a key motif for Hugo since he found life full of interconnected oppositions. As early as 1823, he wrote in an essay about Sir Walter Scott’s work: “Et la vie n’est-elle pas un drame bizarre où se mêlent le bon et le mauvais, le beau et le laid, le haut et le bas, loi dont le pouvoir n’expire que hors de la création?” (Laffont, Critique, 148). Two years later, when introduced to William Shakespeare’s plays, he immediately admired in them the very real paradoxes of life: “L’antithèse de Shakespeare, c’est l’antithèse universelle, toujours et partout; c’est l’ubiquité de l’antinomie; la vie et la mort, le froid et le chaud, le juste et l’injuste, . . . . Avant d’ôter de l’art cette antithèse, commencez par l’ôter de la nature” (William Shakespeare II, i, 3; Laffont, Critique, 346). Hugo’s works explicitly unite the grotesque and the sublime, light and dark, high and low, and other apparently dissonant concepts. The dialectical opposition of day and night is perhaps Hugo’s most visible antithesis as the poet pursues a mystical quest for light and all it represents. The title of Les Chants du crépuscule, for instance, depends on the ambiguous meaning of crépuscule: Is it dawn or dusk? Hugo persists in believing that such opposition exists only on the surface, that apparently disparate things are inherently related. In his definitive “Fonction du poète” (the first poem in the tellingly entitled Les Rayons et les ombres), he sketches his notion that in seeking the negative of darkness one finds the positive of light: O rêveur, cherche les retraites, Les abris, les grottes discrètes, Et l’oubli pour trouver l’amour,

8. For analyses of Hugo’s use of metaphor maxima, see Porter, Victor Hugo; and Wendy Greenberg, “Structure and Function of Hugo’s Condensed Metaphor,” The French Review, 56, No. 2 (Dec., 1982): 257–266.

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Et le silence, afin d’entendre La voix d’en haut, sévère et tendre, Et l’ombre, afin de voir le jour! (Laffont, Poésie I, 1101, n. 8)

Hugo’s world of light and shadow is complex. Luminosity occasionally symbolizes evil as when the corrupt, nearly naked Josiane appears to Gywnplaine (the hero of L’Homme qui rit) in a pool of light, or when villains triumph on a radiant summit (as in “Le Satyre” or “Le Titan”). In such cases, the poet and goodness wait and watch in the shadows or even in the deep darkness of an abyss, looking for a chance to overcome evil. But light in Hugo’s work is usually positive. After Gwynplaine resists Josiane to return to his beloved, innocent Dea, the narrator tells us, “La lumière et la vertu sont de même espèce” (L’Homme qui rit II, 7, i). As in such monumental works as Les Contemplations and Les Misérables (both built in many ways upon this antithesis), light and dark symbolize good and evil in many contexts: knowledge versus ignorance; education versus crime and poverty; the republic versus tyranny; the angel Liberté versus the devil, Satan. Radiance is very often connected to God, although the unknowability of God—or the distance between humans and God—is frequently seen as a gloomy abyss. A familiar Hugolian motif, the abîme or gouffre is a place of supreme darkness, full of shadows and often related to death or to the unknown. Hugo’s unfinished poem Dieu, in particular, shows the power of these motifs, with its two large parts entitled “Le Seuil du gouffre” and “L’Océan d’en haut.”9 In some ways, the ultimate abyss is the ocean, an image that Hugo uses in widely varying ways. Surrounded by water while exiled on the isles of Jersey and Guernsey, Hugo set Les Travailleurs de la mer mostly in the sea on a reef. His drawing entitled “Ma Destinée” is a huge ocean wave (fig. 18, chapter 8), and he did many drawings of ships at sea (fig. 9, chapter 4). He gave the title Océan to his writing notes (published posthumously), declaring that the work he still wanted to do seemed a sea, an immense horizon of ideas (1846; Laffont,

9. For more on the motif of light and shadow in Hugo’s works, see Pierre Albouy, “Quelques observations sur la lumière dans l’œuvre de Victor Hugo,” Cahiers de l’Association internationale des études françaises 19 (1967): 205–23; Guy F. Imhoff, “Jeux d’ombre et de lumière dans les Misérables de Victor Hugo,” Nineteenth-Century French Studies 29 (2000 Fall–2001 Winter): 64–77; and Philippe Lejeune, “L’Ombre et la lumière dans les Contemplations,” Les Archives des Lettres Modernes 96 (1968): 4–77.

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Poésie IV, 917). In William Shakespeare II, ii, Hugo metaphorically describes ­geniuses as hommes océans who embody massive contrasts. He lists the horrors of the sea: for instance, “ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, . . . . ce sang dans l’abîme.” But at the same time, the sea embodies such delights as these: “ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas, ces ports splendides, . . . . ce bleu profond de l’eau et du ciel.” He concludes his comparison with a deluge of antitheses: “ce Tout dans Un, cet inattendu dans l’immuable, ce vaste prodige de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’océan” (Laffont, Critique, 247–48). Immense and visible symbols of God’s infinity and all-inclusiveness, genius and the ocean are prodigious antitheses. The ocean, in its vastness and power, is bound by natural laws but is beyond human control. Similarly, people who are either outside social boundaries or shunned by society—outlaws and outcasts—are often for Hugo admirable characters. By following their internal, self-defined code, they sometimes break human laws or confront standard human assumptions, thus showing the limits of those laws and assumptions. Many of Hugo’s heroes, including nearly all those in his novels, are in one way or another outsiders, whether they be bandit, slave, revolutionary, ex-convict, or someone rejected because of a disability or deformity that can make them appear monstrous (consider, for instance, Hernani, Bug-Jargal, Ruy Blas, Jean Valjean, Quasimodo, Triboulet, Gwynplaine). Heroines might be prostitutes, as are Marion de Lorme in the eponymous play and Fantine in Les Misérables (when driven to that extreme), or monstrous criminals (Lucretia Borgia, for one) who are redeemed through their love. Although often the victims of tragedy, Hugolian heroes are satisfied at the end of their lives, either because they have fought an unjust society or because they have redeemed themselves through work, trials, suffering, or love —or in multiple ways. Hugo’s interest in outlaws connects closely with his belief in humanity’s fundamental goodness, as well as with his questioning of many of society’s norms in his speeches and letters. By following their consciences, by doing what they personally believe to be right, Hugo’s outlaw heroes and heroines redeem themselves, that is, they come back to God, or move closer to God. Redemption

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is more than simply being absolved of sins. Jean Valjean of Les Misérables, for example, is not redeeming himself for his crime of theft; he has already more than paid for stealing a loaf of bread, having spent nineteen years on a chain gang. Rather, his redemption comes through his approach to—and eventual connection with—God, as he acts in ways that he believes God appreciates.10

T h u m b nail sk e t c h e s of m a jor wor k s Here are brief summaries of those major works that figure largely in the anthology introductions and excerpts. So that you can find them easily, they are organized chronologically by publication date, although Hugo composed some earlier. Works from which a single excerpt is included are summarized in the excerpt introductions.11 Préface to Cromwell (1827) Hugo’s preface to his ultra-long—and hence unstageable—play Cromwell rapidly became the manifesto of French Romantic theater. In it, he proposes his theory that drama should reflect life, which is full of apparent oppositions that actually exist compatibly side by side. Thus in drama comedy and tragedy intermingle, as do the grotesque and the sublime. Hugo’s arguments, directly confronting the Classical separation of genres, were enthusiastically embraced by young Romantic authors. Les Orientales (1829) Inspired by the local color and customs of “the Orient,” Hugo set these poems in Moorish Spain, Turkey, and North Africa. Except for drawing on his ­childhood sojourn in Spain, Hugo wrote from his imagination and continued experiment­ ing with non-traditional poetic forms, as he had in Ballades (1826). One of his strongest arguments for poetic freedom is in the preface to Les Orientales (excerpt in chapter 9).

10. On outlaws in Hugo’s work, see Grossman, Misérables. On women as outsiders and social justice, see Vargas Llosa, Temptation, 120–22. On monsters and chimeras, see Viegnes, ed., Hugo et la chimère. For more on Hugo’s favorite motifs and themes, see especially Barrère, Fantaisie; Albouy, Création; Maurel, Vocabulaire. 11. For more detailed summaries and analyses of Hugo’s works, see the “Notice” for each in the Laffont and CFL editions; see also Laster, Pleins feux, 162–93; and Van Tieghem, Victor Hugo, un génie. See Hovasse, “Les Poèmes à Juliette,” for details about Hugo’s poetry collections of the 1830s and 1840s.

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Marion de Lorme (1829) Hugo’s first play to put into action the Romantic drama theory of his Préface to Cromwell, Marion de Lorme was initially censored by Charles X’s minister and not staged until 1831. Hugo tackles two themes in this play in verse: the problem of the king’s decree of the death penalty for dueling and the possibility of a fallen woman’s rehabilitation through love. Hernani (1830) To avoid censorship, Hugo set his verse play Hernani in sixteenth-century Spain, at a time when the king was about to be named Holy Roman Emperor. The eponymous hero is an outlaw (his father was executed by the king’s father) in love with Doña Sol, who is also pursued by the king and by her elderly uncle. A story of love and honor that is equally a condemnation of royal power, Hernani ushered in French Romantic theater (see Part I: Victor Hugo in Private Life). Notre-Dame de Paris. 1482 (1831) This novel is now usually entitled Notre-Dame de Paris (or, in English, The Hunchback of Notre-Dame); Hugo included the year 1482 in the original title, thus emphasizing the role of the Middle Ages in his tale of unrequited love and passion. The popularity of the narrative of the hunchback Quasimodo and the innocently sensuous gypsy dancer La Esmeralda played a large role in saving the Parisian cathedral from destruction. Les Feuilles d’automne (1831) As Hugo explains in his preface, this poetry collection is a mixture of mostly intimate verses about “the interior of the soul,” as well as about domestic bliss and the sadness intermingled with life’s happiness. Hugo wrote these poems between 1828 and 1831, during an especially turbulent time of his life, as he was uncertain about his political and religious beliefs—and about his wife’s love. Le Roi s’amuse (1832) With Le Roi s’amuse, Hugo created a tragedy of fatherly love and royal decadence where the grotesque is central. Triboulet, the hunchbacked court jester, is malicious to everyone except his beloved daughter, Blanche, for whom he will do anything. The government of Louis-Philippe censored this play because of the portrayal of a licentious François Ier. Lucrèce Borgia (1833) Written in twelve days a few months before Le Roi s’amuse, this prose play was staged in early 1833 to great success. Drawing on the infamous renown of the

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Borgia family in sixteenth-century Italy, Hugo focused on the redemptive power of a mother’s love, paralleling the Roi s’amuse theme of fatherly devotion. Les Chants du crépuscule (1835) The ambiguous meaning of crépuscule as both dawn and dusk signifies the uncertainty palpable in this collection of poems written between 1830 and 1835. Hugo questioned his royalist beliefs, and he could no longer ignore his wife Adèle’s liaison with his best friend, yet his and Juliette Drouet’s mutual love was a constant that their reciprocal jealousies more sustained than threatened. Thus, alongside the love poetry that Hugo sent Juliette, this volume includes poems addressing political and social justice issues, especially the plight of women exploited by society. Les Voix intérieures (1837) Although the themes of nostalgia and doubt are still present, the prevailing mood of these poems composed mostly in the first half of 1837 is one of deeply peaceful calm. Hugo’s lyrical poetic alter ego, Olympio, is strongly present as the poet explores the beauties of nature, the presence of God, and the delights of children. Ruy Blas (1838) Ruy Blas, formerly a university student and now manservant to the unprincipled Don Salluste, calls himself “a worm in love with a star” when he describes passion for the queen (see excerpt in chapter 1). Set in Spain at the end of the seventeenth century, this play in verse shows the power of pure love and the depths of unadulterated evil, concomitantly portraying a commoner as a better leader than either nobles or the king. Les Rayons et les ombres (1840) In this volume of poems written mostly between 1837 and 1840, Hugo focused more than in the past on social issues and injustice. He also began to settle on his own conception of God as more visible in the world than in religion. Le Rhin (1842) Hugo based Le Rhin on letters he wrote to Adèle during his three trips with Juliette Drouet to the Rhine river region (1838–40), although he wrote additional “letters” in Paris and revised dates to improve geographical coherence. The most well known of his travel writings, Le Rhin is less a guidebook than Hugo’s musings, “le journal d’une pensée encore plus d’un voyage” (Préface). Exploring history and local color, Hugo contemplates how improved FrancoPrussian relations could lead to a future union of European countries.

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Châtiments (1853) A poetic polemic of over six thousand lines of verse, Châtiments condemns as crimes Louis-Napoleon Bonaparte’s 1851 coup d’état, his proclamation of one-man rule, and the Second Empire. When the publisher worried that the poems were too violent, Hugo responded, “Être violent, qu’importe? Être vrai, tout est là” (CFL VIII, 1044). The seven livres’ titles ironically mock Napoleon’s imperial declarations: “La société est sauvée,” “L’ordre est rétablie,” “La famille est restaurée,” “La religion est glorifiée,” “L’autorité est sacrée,” “La stabilité est assurée,” “Les sauveurs se sauveront.” The work as a whole moves from “nox” (the dark night of the coup) to “lux” (the ideal future promised by the advent of the Republic and universal love). Volumes of the small-format, Belgian first-edition Châtiments smuggled into France were read primarily by poets and republicans. The first French edition, published after Hugo’s 1870 return to France, became very popular. Originally entitled Châtiments, the collection is also commonly called Les Châtiments, a title revision that parallels the publication of Les Contemplations.12 Les Contemplations (1856) Considered by many to be Hugo’s greatest work, Les Contemplations contains over ten thousand lines of intimate poetry: “C’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes: Autrefois [1830–1843], Aujourd’hui [1843–1855]. Un abîme les sépare, le tombeau” (Préface). Autrefois tells of the poet’s life before his daughter Léopoldine drowned: “Aurore” (Book I) focuses on his children; “L’Âme en fleur” is dedicated to love; in “Les Luttes et les rêves,” Hugo tackles social justice issues and begins to seek to understand the mysteries of life and death. Aujourd’hui opens with a set of poems dedicated to Léopoldine (“Pauca meae,” which means in Latin “a few verses about my daughter”). Hugo marks her death with a single page: “4 septembre 1843.” Book V, “En marche,” continues the theme of grief but also testifies to the poet’s social engagement and musings about the meaning of life. Finally, “Au bord de l’infini” is highly visionary, as Hugo directly addresses his metaphysical questions about God and life after death, shifting between hope and despair, certainty and doubt, anguish and optimism. In Les Contemplations, Hugo aimed to tell a story, and he believed it essential to read the poems in order. As he wrote to his proofreader, “Les pièces de ce diable de recueil sont comme les pierres d’une voûte. Impossible de les déplacer.” Selecting poems from the volume, then, runs as contrary to 12. For details, see Hovasse, ed., Châtiments, 36–44.

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Hugo’s wishes as does this entire anthology. Readers who enjoy the Contemplations poems included here are encouraged to experience the richness of the complete volume.13 La Légende des siècles (1859, 1877, 1883) With this poetry collection, Hugo had an epic aim: “Exprimer l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique; la peindre successivement” (Préface, Première série). His 1840–80 composition of the poems and their publication in three séries over nearly twenty-five years reflect his ambitious desire. He follows human development from biblical times into the future and explores the broad expanse of human experience with poems that range from narrative to lyrical, from polemical to visionary. Hugo imagined a visionary trilogy that he never quite completed: Dieu, La Légende des siècles, and La Fin de Satan. Les Misérables (1862) A brief summary cannot do justice to Hugo’s epic 1,400-page novel about love, God, conscience, good, evil, justice, injustice, crime, revolution, and sacrifice. The main story line revolves around Jean Valjean, a common workman who served nineteen years at hard labor for stealing a loaf of bread to feed his family and for repeatedly attempting escape. Rehabilitated through the kindness of Bishop Myriel, Valjean consciously aims to move closer to God by making the world more just. Although he cannot save Fantine from people’s prejudice, he does rescue her young daughter, Cosette, despite police inspector Javert’s ceaseless pursuit. Growing into a beautiful young woman, Cosette falls in love with Marius, a law student who has joined his friends’ revolutionary, republican movement. The interactions of these characters and many others are set against the backdrop of revolutionary Paris in the early nineteenth century. William Shakespeare (1864) In the late 1850s, Hugo originally envisioned this long essay as an introduction to son François-Victor’s translation of Shakespeare’s works (published 1858–65 and still in print); it became a reflection on artistic genius, art, and society. For more details, see the introduction to the excerpt from “Le Dix-neuvième Siècle” in chapter 8.

13. Quotation cited by Albouy, ed., Contemplations, 22. Many critics have explored the meaning of Les Contemplations, including Gaudon, Temps; Porter, Victor Hugo; Léon Cellier, ed., Les Contemplations by Victor Hugo (Paris: Éd. Garnier, 1969); Frey, “Les Contemplations” of Victor Hugo; Nash, “Les Contemplations” of Victor Hugo.

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Promontorium somnii (written 1863–65) Hugo initially drafted Promontorium somnii (Latin for The Promontory of Dreams) as part of William Shakespeare. Not published during Hugo’s lifetime, this philosophical essay, inspired by an 1834 visit to the Paris Observatory, is a tribute to the power of dreams and a testimonial to poets’ capacity for dreaming: “Cette quantité de rêve inhérente au poète est un don suprême” (Laffont, Critique, 650). Les Chansons des rues et des bois (1865) Hugo composed most of these poems during two island vacations he took while writing Les Misérables and Les Travailleurs de la mer. Divided into two books, “Jeunesse” and “Sagesse,” and more often set in the woods than in the streets, these generally lighthearted and sensual poems celebrate love and nature. They claim inspiration from Roman poet Virgil’s pastoral Eclogues, or Bucolics. Les Travailleurs de la mer (1866) Set in the Channel Islands and dedicated to the island of Guernsey, which Hugo calls “ce rocher d’hospitalité et de liberté,” this novel celebrates humanity while exploring the myriad faces of the ocean. The sea is an implacable force against which the hero, Gilliatt, contends as he works for months to save the engine of La Durande, a steamship gone aground on the huge, dangerous Dover Rocks. The merchant owner, Lethierry, loves his steamship almost as much as his daughter, Déruchette, whom he promises in marriage to whoever can salvage the engine. The shy and unassuming Gilliatt desperately loves Déruchette in secret. Hugo drew many seascapes while drafting this novel and, for the first and only time, created potential illustrations (see chapters 4 and 5).14 Paris (1867) When invited by his friend Paul Meurice, Hugo wrote this essay as an introduction to Paris-Guide, a collection of essays for the 1867 Universal Exposition under Napoleon III. Hugo made it a political manifesto, envisioning Paris as the capital of Europe in the twentieth century, and the future European Union as a path to peace for all humanity. L’Homme qui rit (1869) Hugo uses the folklore of the comprachicos (“child-buyers” in Spanish) to tell how the novel’s English hero, Gwynplaine, was facially mutilated when a toddler 14. For more details and excellent reproductions of Hugo’s art for the novel, see Georgel, Dessins pour “Les Travailleurs”; and Georgel, Cette immense rêve.

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and would have entertained royalty as a jester had he not escaped by accident. While seeking shelter, young Gwynplaine came upon a baby girl, Dea, whose mother had frozen to death. The orphans were saved by Ursus, a kindhearted, philosophical traveling showman, who prefers the company of his wolf, Homo, to that of people. As the children grew, they joined Ursus as performers in his carnival. In his mid-twenties, “l’homme qui rit”—with an eternal grin carved into his face—Gwynplaine happily works as a tumbler and actor and realizes that he loves Dea. All is well until the threesome come into contact with the aristocratic Lord David Dirry-Moir and the Duchess Josiane, a temptingly sensual, amoral woman. L’Année terrible (1872) Organized month by month from August 1870 through July 1871, this poetry collection focuses on the year’s disasters, including the Prussians’ devastating defeat of the French army at Sedan, their siege of Paris (which isolated the city and put Parisians at risk of starvation), the humiliating peace treaty that ended the Franco-Prussian War, the sudden death of Hugo’s son Charles, the Paris Commune insurrection (bloodily suppressed by a republican government), and Hugo’s expulsion from Brussels. Quatrevingt-treize (1874) This novel takes place during the 1793–94 regional civil war that engulfed much of the Vendée, the western Pays-de-la-Loire region: supporters of the French Revolution (les bleus) fought those who wanted to restore the monarchy (les blancs). As usual, Hugo did significant research and interweaves history (and occasional errors) with fiction (such as an imagined dialogue among revolutionary leaders Robespierre, Danton, and Marat). The fictional suspense focuses on the fate of three small children and on the relationships and conflicts among the implacable monarchist Marquis de Lantenac, the inexorable revolutionary priest Cimourdain, and the humane republican leader Gauvain. On a philosophical level, Hugo explores interactions between revolution and republican ideals and the horror and humanity of civil war. Actes et paroles (1875, 1876, 1889) Hugo published his speeches and public letters in Actes et paroles: Avant l’exil (1841–1851), Pendant l’exil (1852–1870), Depuis l’exil (1870–1876), and the posthumously published Depuis l’exil (1876–1885). In the legislature, the more conservative members, la droite, sat on the right side of the hall; the liberals, la gauche, on the left. During speeches, members often responded verbally. The legislative recorder interpolated listeners’ rejoinders into the written versions

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that speakers provided. Hugo’s talks are punctuated with a variety of reactions, such as “Bravo! à gauche,” “Immenses applaudissements,” “Sensation,” “Violentes dénégations à droite,” which clearly show how his ideas were received. Hugo was not able to deliver some of his speeches, most often because the proposed law never came to the floor for discussion. L’Art d’être grand-père (1877) This poetry collection celebrates the innocence of young children and expresses a grandfather’s limitless love for them. But Hugo also addresses the question of how society treats children, and he concludes with five poems that manifest his most deeply held convictions for his grandchildren “when they are older.” Hugely popular, L’Art d’être grand-père was instrumental in creating the persona of “le père Hugo” as the quintessential grandfather. At the same time, many of its poems can be read as an allegorical plea for governmental clemency. Les Quatre Vents de l’esprit (1881) This volume of a hundred poems and two short plays in verse is divided into four sources of inspiration: satire, drama, lyricism, and epic. A compilation of writing done between 1843 and 1875, Les Quatre Vents de l’esprit demonstrates well the almost architectural structure that Hugo envisioned for his poetry. The 1881 publication date is misleading. Hugo had organized the manuscript for publication in 1870; but the Franco-Prussian War intervened, and he moved on to more pressing projects. Le Théâtre en liberté (1886) Hugo wrote these dramatic works while in exile. Rejecting theatrical convention and staging requirements, he was able with these four dramas and five come­ dies to accomplish the goals he laid out in the Préface to Cromwell. Moreover, his comicalness and poetic imagination—unfettered by social convention—are highly visible. Torquemada is sometimes published separately. La Fin de Satan (1886) The philosopical and epic La Fin de Satan (composed 1854–56, 1859–60) was published posthumously. Although Hugo did not finalize this two-hundredpage poem for publication, it nevertheless concludes La Légende des siècles (in that good ultimately triumphs over evil) and expresses Hugo’s vision of the political and social ideal. Choses vues (1887, 1900) From 1830 until three days before his death in 1885, Victor Hugo more or less regularly noted some of his observations of both historical and common events,

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as well as his philosophical musings. Hugo chose the title Choses vues, but these papers were not organized and published until after his death. Toute la lyre (1888) Hugo titled—but his literary executors organized—this posthumous collection (originally conceived as Toute l’âme). It includes some poems that Hugo did not want to publish during his lifetime (his love poems to Léonie d’Aunet Biard, for example) and others that simply did not fit into other collections. Composition dates range from 1827 to 1880. Dieu (1891) Originally drafted in 1855–56 as part of Les Contemplations, Dieu was published posthumously in its unfinished form. For a summary of its organization, see the introduction to “Âme! être, c’est aimer. . . .” in chapter 6.

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I   •   Vi c t o r H u g o i n P r i va t e L i f e

Victor Hugo’s private life was remarkably public. In common with other Romantic writers, he saw his own experiences and personal emotions as natural subjects for literature, although he was discreet and often indirect. Hugo and his wife, Adèle, made their home unusually open to society, hosting le Cénacle, the foremost French literary and artistic salon of the late 1820s and early 1830s. Their apartment became the staging area for the cultural battle between Classi­ cism and Romantism, a conflict provoked by the production of Hugo’s play Hernani (described below). After his best friend fell in love with Adèle and published a thinly veiled account of his love for her, Victor’s marriage difficulties were no secret. His two long-term love affairs were generally well known; when he was caught in flagrante with his married lover, his life became fodder for the tabloids. His daughter’s tragic drowning was national news and later inspired some of his most personal and famous poems. Hugo wrote poignantly and openly of his struggle to understand God and the universe. As a political exile for nineteen years, he vented his anger through biting satire as he waged a very public battle against Napoleon III, who had suppressed the critical press in France. Through publication of L’Art d’être grand-père, his grandchildren’s names became household words. In this introduction, you will find biographical, literary, and historical context important in understanding Hugo’s work, particularly his drawings and writings on the more personal topics in chapters 1 through 6.1

1. See Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 20, on Hugo’s autobiographical tendencies. Other biographies appear in the Selected Bibliography.

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In Many Ways a Romantic The son of a Napoleonic general and a royalist mother who lived apart soon after his birth and divorced when he was twelve, Hugo grew up under the stress of ongoing parental conflict as well as in the shadow of the 1789 Revolution and the Napoleonic Empire. Like other artists in this period, he was conscious of the tensions between private and public life. In the first poem of Les Feuilles d’automne, “Ce siècle avait deux ans!” he emphasized a link between his birthdate (February 26, 1802) and the official beginning of a century that would continue as turbulently as it had begun. Although he never claimed the title “Romantic”—and his later works bear some earmarks of literary realism, symbolism, and even the theater of the absurd—Hugo, like other Romantics, was influenced by the serious political upheavals of his time (for a summary of political events during Hugo’s life, see Part II and the Appendix B time line). For many young people, the social chaos connected with the Revolution, Terror, Empire, and royalist Restoration of 1815 begot an uncertainty about one’s place in the world. In France, citizens were also disenchanted with what they perceived as the loss of epic grandeur when the Emperor Napoleon’s troops were defeated. The resulting vague, melancholic sense of sadness or nostalgia was known as le mal du siècle, a feeling that the century had started off badly. Numerous characters in late eighteenth- and early nineteenth-century European and British literature, including Goethe’s Werther, Byron’s Manfred, and Chateau­briand’s René, embodied this malaise and tended to seek solace in nature, fleeing society and cities. Young writers and other artists were also frustrated by a lack of freedom and innovation. The Classical period had dominated theater for over a hundred years, and the plays accepted by theaters were predictably, formulaically concerned only with ancient themes and characters from the nobility. The authoritarian governmental mindset of the ancien régime returned under the Restauration (1815–30), and artists’ work was closely scrutinized for signs that they were questioning the government. Effectively blocked from writing imaginatively about current events, Romantics turned to their personal lives and to exotic and fantastical settings. Seeing the world in new ways inspired many writers and artists—such as Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, Delacroix, Chopin, and Berlioz—to break traditional, Classical rules about form and content. As a young poet and dramatist, Hugo became famous (derisive traditionalists might have said infamous) because of his innovative verse forms, rhythms, and vocabulary. Long before Verlaine and such symbolist poets as Rimbaud and Mallarmé, Hugo moved beyond the standard seventeenth-century twelve-syllable vers alexandrin to write

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verse with an odd number of syllables in each line (see, for example, “Les Djinns” in chapter 5). His poetic dramas broke rules of Classical theater and versification, most strikingly conventions demanding that on-stage actions take place in one location, last no longer than a day, and focus on the nobility. As he explains in his groundbreaking Préface to Cromwell, theater should reflect real life. Thus Hugo’s characters, although speaking in alexandrine verse, often do not sound “poetic”—their innovative diction shocked the conventional theater-going public. With the successful staging of Hernani in 1830, Hugo established the dominance of Romantic over Classical theater, throwing down the gauntlet with his opening scene and first lines. As the play begins, the King of Spain is hiding most unroyally in a closet, and the opening lines are stunningly prosaic. When Doña Josefa thinks she hears her mistress’s lover knocking, she asks: Serait-ce déjà lui? C’est bien à l’escalier Dérobé. By continuing on to the next poetic line such a common expression as “hidden staircase,” Hugo created an audacious enjambement that seriously offended Classical sensitivities, but heartened and inspired young Romantics. On the play’s opening night, the boos and cheers began early and continued as multiple other theatrical inventions unfolded. Believing that the stage should present life’s realities, Hugo intertwined the sublime and grotesque, mixed the tragic and comedic, and confronted a king with a bandit. His innovations occasioned, night after night, vociferous hoots and complaints from traditionalists, applause and approbation from Romantic supporters, and physical fights between the opposing groups. The shows were sold out, and this “Battle of Hernani” in February 1830 set off the Romantic revolution in French theater. Hugo’s triumph with Hernani established him as the leader of the French Romantic movement and brought him healthy box-office receipts. Ever more popular as a writer, Hugo faced envy and antagonism from literary colleagues and even from friends (an enmity that increased when he later entered the political arena). Some admired his poetry but found the originality and imagination of his novels wildly extravagant. Others resented his success, and still others did not understand his later, more symbolic poetry. In response, Hugo’s personal letters were normally generous and forgiving. Some of his poems reveal how the ongoing criticism and personal attacks stressed and saddened him (for instance, “Dédain,” “Réponse à un acte d’accusation,” “À Olympio,” and “Veni, vidi, vixi” [the latter in chapter 8]).

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As he moved more into the public eye, Hugo began to look further to his personal life and feelings as artistic sources. Writing explicitly about themselves (which they called the moi), Romantics valued their own emotions and imagination above the rationality so highly prized in the eighteenth-century Age of Reason. In doing so, they inherently argued that anyone’s life is important, that common people are at least as noble as the nobility (a key theme, for example, in Ruy Blas). Hugo was well known as un poète de l’intimité, as well as an engaged, activist poet. Many of his Feuilles d’automne and Chants du crépuscule poems are about people he knew, his family and his lover, Juliette Drouet, and about his emotions—des vers de l’intérieur de l’âme, he called them (Laffont, Poésie I, 562). Like other Romantics, Hugo frequently defended the focus on self. In his 1840 preface to Les Rayons et les ombres, after summarizing the multiple topics a poet should address (events, nature, human beings), he concludes this way: “Enfin il [le poète] y mettrait cette profonde peinture du Moi qui est peut-être l’œuvre la plus large, la plus générale et la plus universelle qu’un penseur puisse faire.” He proposed the subtitle Les Mémoires d’une âme to his 1856 Contemplations, since he offered his experiences and feelings as a window through which readers could consider their own: Une destinée est écrite là jour à jour. Est-ce donc la vie d’un homme? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas? Ah! insensé, qui crois que je ne suis pas toi! (Préface; Laffont, Poésie II, 249)

Hugo structured Les Contemplations around his reactions to his daughter Léopoldine’s accidental death and, in so doing, addresses large questions about grief, death, and God. With his belief in the imaginative, intuitive power of the poetseer, Hugo shared Romantics’ faith in the poet as a visionary able to transcend limitations of the tangible world. At the same time, Hugo was able to step back from his personal moi to develop independent personae from whose perspective he sometimes chose to write. He noted the need for such characters in a fragment linked to his Voix intérieures manuscript: “Il vient une certaine heure dans la vie où, l’horizon s’agrandissant sans cesse, un homme se sent trop petit pour parler en son

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nom. Il crée alors, poète, philosophe ou penseur, une figure dans laquelle il se personnifie et s’incarne. C’est encore l’homme, mais ce n’est plus le moi.” He actually created four different personalities, listing them in a mid-1840s note: “Mon moi se décompose en Olympio: la lyre / Herman: l’amour / Maglia: le rire / Hierro: le combat” (Laffont, Poésie I, 1094, n. 32). Hierro (Spanish for “iron” and clearly redolent of héros) was printed on the cards that admitted young Romantics to the opening night of Hernani. In personifying Olympio with the lyre, a familiar symbol of poets and poetry since ancient Greek times, Hugo could have a conversation between himself as poet and his poetic voice (as in, for example, “À Olympio”). He could also give voice directly to this recog­ nized alter ego (see “Tristesse d’Olympio” in chapter 4).

Loves of His Life Many of Hugo’s poems (and some of his characters) were inspired by people close to him; his work reflects his rich and often tumultuous love life, from his devoted, teenage ardor for his fiancée, through his longlasting love for his mistress Juliette Drouet, to his passion at age sixty-nine for her young servant. Over the years, he had several love affairs and numerous sexual encounters, including voyeurism and dalliances with servant girls. Actresses and other women pursued him in Paris and on the isle of Guernsey, and he pursued them as well. Much of his poetry in the 1865 Chansons des rues et des bois is remarkably sensual, as are certain poems he chose to have published posthumously. Hugo clearly wanted to keep his adventures a secret from his wife and from Juliette. But, in willing to the Bibliothèque nationale de France everything he had written and drawn (including notebooks recording sexual experiences in a multi-language, symbolic code), he made this side of his private life an open book.2 His first passion was a strong and chaste one. Victor Hugo and Adèle Foucher declared their love for each other in April 1819, when he was seventeen and she sixteen. Their families were friends and neighbors, and Victor and his brother Eugène had played with Adèle as children. They kept their romance a secret and wrote each other letters swearing faithfulness; they sometimes signed 2. Excerpts from Hugo’s notebooks appear in Henri Guillemin’s Hugo et la sexualité (Paris: Gallimard, 1954). Some scholars dispute Guillemin’s interpretation of Hugo’s code; see especially “Un peu plus qu’une vie d’homme,” 24. Hugo’s love life is summarized by Anne Martin-Fugier, “L’Homme couvert de femmes,” L’Histoire no. 261 (janvier 2002): 62–65.

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themselves Ton mari and Ton épouse. Hugo immortalized the experience about a decade later in “Oh! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage. . . .” In response to Adèle’s relatively short, sometimes awkward notes, Victor’s long letters were jealous and occasionally tyrannical. At the same time, he felt the intense power of his pure love and determined to maintain his chastity: C’est le désir de me rendre digne de toi qui me rend sévère sur mes défauts. Je te dois tout et je me plais à le répéter. Si même je me suis constamment préservé des débordements trop communs aux jeunes gens de mon âge; ce n’est pas que les occasions m’aient manqué; mais c’est que ton souvenir m’a sans cesse protégé. Aussi, ai-je, grâce à toi, conservé intacts les seuls biens que je puisse aujourd’hui t’offrir, un corps pur et un cœur vierge. J’aurais peut-être dû m’abstenir de ces détails, mais tu es ma femme, ils te prouvent que je n’ai rien de caché pour toi, et jusqu’où va l’influence que tu exerces et exerceras toujours sur ton fidèle mari.3 Their letters foreshadow their ultimate emotional separation: Adèle never quite comprehended Victor’s intensity and literary talent. But their romance—and clandestine correspondence—continued, despite Victor’s mother’s opposition to the union, even though the families were close. Their marriage did not take place until October 12, 1822, over a year after Sophie Hugo’s death and after Victor had demonstrated to Adèle’s parents his ability to support a wife. A poor, struggling essayist and copywriter when first courting Adèle, he soon published his Odes and a month before the wedding began receiving a royal pension. Adèle and Victor’s first son, Léopold (named after Hugo’s father), was weak at birth and lived only three months. But their four other children, born about two years apart, were healthy: Léopoldine, born in 1824; Charles, in 1826; Victor, also known as François-Victor, in 1828; and Adèle, in July 1830. Victor was extremely fond of his children and, later, Charles’s children, Georges and Jeanne. The couple had settled in Paris and soon expanded their group of literary and artistic friends, especially after their apartment became the Cénacle’s meeting place, where new plays and poems were read and discussed. In 1827 literary critic, poet, and writer Charles-Augustin Sainte-Beuve quickly became Victor’s best friend and most supportive critic. A bachelor, Sainte-Beuve visited daily and enjoyed being part of the happy family. This peaceful domesticity was shortlived. In fall 1829 and winter 1830, a 3. Dated 18 avril 1820. Cited in Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 213; see pp. 211–15, for an insightful analysis of Victor’s courtship of Adèle.

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concatenation of events created havoc for the Hugos. Pleading fatigue after five pregnancies in eight years, Adèle demanded separate bedrooms. Victor’s frustration with censorship, together with his ambitions and need to support his family, led him to compose Hernani almost feverishly—in just a month. As he fought royal censorship of the play during rehearsals, he spent evenings conspiring with a large, boisterous group of young Romantics. If they could ensure the stage success of Hernani, they would revolutionize Parisian theater. The Hugos’ tranquil home life was transformed. In the biography she drafted in the 1850s, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, Adèle described the difficulties of this period: “Le pauvre auteur était excédé. Il ne dormait plus. Il ne mangeait plus. Hernani, affiché à toutes les boutiques de libraire, à tous les coins de rue, son portrait exposé chez les marchands d’images, son nom qui était dans toutes les bouches, tout ce bruit qui en somme est la renommée, n’était pas une compensation à cette perpétuelle tension d’esprit, à cette fatigue incessante.”4 Writing to Hugo, Sainte-Beuve complained about the tumult in the formerly peaceful household. His abiding attraction to Adèle had grown in intensity during Victor’s preoccupation with work. Within a few months, Adèle returned his affection. Their affair may or may not have been relatively platonic; definitely intimate and clandestine, it continued for six years. Slow to realize what was happening and hesitant to believe it, Hugo wrote Sainte-Beuve on July 7, 1831, “Je ne sais plus où j’en suis avec les deux êtres que j’aime le plus au monde. Vous êtes un des deux” (CFL IV, 1038). His desolate state of mind is evident in several Chants du crépuscule poems, as well as in a note he wrote for himself about a decade later: “Malheur à qui aime sans être aimé! Ah! l’effrayante chose! Voyez cette femme. C’est un être charmant, elle est douce, blanche et candide; elle est la joie et l’amour du toît. Mais elle ne vous aime pas. Elle ne vous hait pas non plus; elle ne vous aime pas; voilà tout. Sondez si vous l’osez la profondeur d’un tel désespoir” (ca. 1840–42; Laffont, Océan, 330). With admittedly little risk to himself, given his literary renown and financial success, he offered Adèle the choice between himself and Sainte-Beuve. She chose to stay with her husband but remained sexually and emotionally distant. Hugo offered her unfailing respect in such poems as “Date Lilia” (in which the “Offer Lilies” title emphasizes her virtuousness). Sainte-Beuve became less admiring of Hugo’s work; he published a thinly veiled account of the love affair in his novel Volupté (1835), and circulated privately in 1843 a transparent telling 4. Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, 470–71.

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in verse (Livre d’amour), in which he used Adèle’s name and referred to Victor as “Celui dont Notre-Dame exalta le pinceau.”5 About thirty months after discovering his wife’s infidelity, Hugo found himself attracted to actress Juliette Drouet. He had apparently first seen her at a party but came to know her while attending rehearsals of his Lucrèce Borgia, in which she had a small role. A former model and renowned beauty, Juliette had had multiple love affairs; her daughter, Claire, had been born from her liaison with sculptor James Pradier. Taking lovers was quite common among nineteenth-century French writers and artists, and such liaisons were generally accepted within their social circle. The attraction between Victor and Juliette was mutual. Responding to his interest, Juliette slipped him a note on February 16, 1833: “Viens me chercher ce soir chez Mme K. Je t’aimerai jusque-là pour prendre patience. À ce soir. Oh! ce soir ce sera tout! Je me donnerai à toi tout entière. J.” That night was the beginning of a love affair that developed into a deep friendship lasting fifty years, until Juliette’s death in 1883. It is also the date on which Hugo stages Cosette and Marius’s wedding in Les Misérables. Very passionate and turbulent in the first few years, the relationship between Victor and Juliette survived many challenges: jealousies on both sides, his payment of her immense debts, her disappointment at leaving the theater to remain his lover, his eventual flings and affairs with other women, her demands and emotional outbursts. Victor wrote the role of the Queen in Ruy Blas (1838) for Juliette, although Adèle’s intervention with the theater director kept her from getting the role. Juliette inspired hundreds of poems, copied his manuscripts, shared her childhood convent experiences for Les Misérables, and wrote Victor an estimated twenty thousand letters, at his request. Juliette, much more than Adèle, was able to appreciate Hugo’s genius and enjoy what he wrote. After Victor shared with her excerpts from his work in progress, Les Misères (to become, fifteen years later, Les Misérables), Juliette wrote him, “Je ressens toutes les atroces tortures de ce pauvre Jean Tréjean [Juliette’s emphasis; she refers to the character finally named Jean Valjean] et je pleure malgré moi sur le sort de ce pauvre martyr. . . . Je vis avec tous ces personnages et je partage leurs douleurs comme s’ils étaient de vrais personnages en chair et en os et tant tu les as faits nature. Je ne sais pas comment je te dis cela, mais je sais que tout ce que j’ai d’intelligence de cœur et d’âme est pris par ce sublime livre que tu appelles si justement Les Misères” (CFL VII, 818).

5. Cited in Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 927.

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Juliette probably saved Victor’s life after Napoleon III’s 1851 coup d’état, when there was a price on his head, helping him hide with her friends and arrange for a false passport. Victor supported Juliette and Claire for the rest of their lives, treating Juliette’s daughter as his own. He pleased Juliette greatly by traveling with her and wrote her some of his most beautiful poems. Always cognizant of anniversaries, Victor declared his love for Juliette this way in a letter written on his birthday, February 26, 1835: “Le 26 février 1802, je suis né à la vie, le 17 février 1833 je suis né au bonheur dans tes bras. La première date ce n’est que la vie, la second, c’est l’amour. Aimer c’est plus que vivre” (CFL V, 1234).6 Despite his professed love for and financial support of Juliette, sometime between 1842 and 1844 Hugo fell in love with Léonie d’Aunet Biard, who was four years older than his daughter Léopoldine. They most likely began their affair in the spring or early summer of 1843, after Léopoldine was wed in February.7 Unlike his letters and poetry to Juliette, Hugo rarely dated what he wrote to Léonie. But their private romance soon became very public: they were caught in flagrante delicto on July 5, 1845, by police hired by Léonie’s husband, painter Auguste Biard. As a peer of France, Victor was immune from prosecution; he did not, and perhaps could not, save Léonie from several months’ imprisonment. Léonie’s husband divorced her. Adèle Hugo, on the contrary, helped her and became a friend; she apparently saw in Léonie an ally in separating Victor from Juliette. Victor lived a difficult year, still grieving over Léopoldine’s September 1843 death. Pursued by persistent rumors about his affair, hiding the truth from Juliette, and worried about Claire’s health (she died of tuberculosis in June 1846, at age twenty), Victor worked on the book that became Les Misérables and slowly reentered political life. Since Juliette had agreed to live in seclusion, seeing only the newspapers Victor allowed her, she remained ignorant of his attachment to Léonie until June 28, 1851. Then, the mail brought a packet of Victor’s love letters to Léonie, probably accompanied by Léonie’s request that Juliette remove herself from Victor’s life. Realizing that Victor had deceived her for seven years, Juliette roamed Paris, distraught with grief. Victor, overwhelmed by her distress, begged her forgiveness. Juliette first offered to withdraw, then proposed that Victor choose 6. The best biography of Juliette Drouet is Gérard Pouchain and Robert Sabourin’s Juliette Drouet ou la dépaysée (Paris: Fayard, 1992). A very readable English biography is Simon A. Hart’s The Lady in the Shadows: The Life and Times of Julie Drouet, Mistress, Companion and Muse of Victor Hugo (Baltimore: Publish America, 2004). 7. Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 930.

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between the two women. But Victor vacillated, continuing to see Léonie and write poems to her. In the end, historical events seem to have made the decision for him. Juliette helped him flee into exile in Brussels after the December 2, 1851, coup d’état that Victor had fiercely opposed. She followed him days later with a trunk full of his manuscripts. Adèle stayed in Paris to auction many of their possessions and, with their adult children, joined Victor to settle on the isle of Jersey eight months later. Victor and Léonie apparently never saw each other again, although Victor sometimes helped her financially. Whether from devotion, loyalty, or conscience, Hugo maintained amicable relationships with Léonie, Juliette, and Adèle after his passion for each of them had faded. Juliette accompanied Victor during the years of exile on the isles of Jersey and Guernsey; Adèle chose to spend most of her time abroad from 1858 until her death in Brussels in 1868. Victor established Juliette near his own Hauteville House on Guernsey. After their return to Paris in 1870, Juliette left Victor for a week in September 1873, going into hiding after she discovered his affair with her twenty-three-year-old maid, Blanche Lanvin, begun when he was sixtynine. Victor’s distress is palpable in his beseeching letters to Juliette and in his journal: “Toute la journée. Recherches désespérés. Mon âme est partie.” “J’ai le cœur absolument noir. Elle n’est plus là. Plus de lumière. Trois nuits sans dormir, trois jours à peu près sans boire ni manger” (Massin XV–XVI/2, 1033). Juliette returned after he pledged to give up Blanche (a pledge he did not keep). Ever forgiving, Juliette soon was living with Victor in Paris, although they never married. The official hostess of their literary and political gatherings, Juliette died of stomach cancer in 1883, at age seventy-seven.

Hugo’s Travels and Art Hugo enjoyed travel, and images and ideas springing from his voyages enrich his writing. His first major trip, at ages five and six, was a journey to Italy with his mother and brothers to visit his father. A career military officer, Léopold Hugo assisted the newly installed King of Naples, Joseph Bonaparte, in control­ ling the region. Less than two years later, in 1811, the family again left Paris for a three-month voyage to Madrid, where General Hugo was then stationed. Léopold and Sophie Hugo had lived much of their married life apart because of Léopold’s career and their general incompatibility. With the invitation to Sophie to come with the children, King Joseph had hoped that his general would settle into a more stable family life (Léopold had been living openly with his mistress). But his family’s unexpected arrival provoked Léopold to file for

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divorce. For Victor, however, the year’s experiences provided a treasure trove of memories and knowledge, including his early sexual awakening, recounted in such poems as “Lise” and “Pepita.” He learned Spanish so well that he began to forget French. His understanding of Spanish history and culture, along with memorable scenes of massacre and execution in war-torn Spain, provided vast sources for his future writing and art. Echoes of this period appear in many of his works, from as early as Le Dernier Jour d’un condamné (1829) to Torquemada (1882) (see chapter 11 for the impact of his Spanish experiences on his horror at the death penalty). As an adult, Hugo traveled in France and surrounding countries, first with writer friends and with Adèle and then on nearly annual vacations with Juliette. Although he did not go as far afield as some other Romantics, he was fascinated by ruins and by the exotic and mysterious. His depictions of Greece, Turkey, and other Middle Eastern sites in Les Orientales, for instance, come primarily from his imagination. Hugo published only one travel book (Le Rhin), but his letters home, as well as his journal entries and writing notes, were published posthumously as Alpes et Pyrénées and France et Belgique. In those travel letters and sketchbooks Hugo first dabbled with drawing. Like many voyagers in this pre-photographic era, Hugo drew sketches to describe his impressions, capture atmospheres, and share experiences with friends and family. He began almost immediately to experiment with art; his chateaux drawings sometimes show buildings as they appeared, but he on occasion created fantastical castles and ruins, embellished beyond what he actually saw, accentuating their enigmatic atmosphere. “Le Gai Château” (fig. 1) exemplifies in many ways Hugo’s travel drawings of the 1840s. He titled only a small percentage of his art pieces, though he sometimes included words as part of the design. Thus some of the names by which we know them come from references within the drawings. Hugo’s friends and, later, scholars often named his pieces in order to identify and discuss them. The more objective title “Ville en pente” originally designated “Le Gai Château,” so called because it is lighter and brighter than many of Hugo’s castles. The less cheery title may be more appropriate: Hugo calls attention to the death penalty by including a gallows in the town (just left of the middle of the village). The composition of this drawing demonstrates his careful architectural style in the renderings of the castle turrets. You can see his fondness for the exotic in the buildings on the right and the mysterious character of much of his art in the shadowy obscurity of the foreground. In “Le Gai Château” Hugo tried out mixed media, combining pen and ink, brown ink and wash, black ink and

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Figure 1. Le Gai Château, © PMVP / Briant Remi.

wash, stencils, and scraped paper to obtain the desired effect. Hugo continued to experiment artistically throughout his life. He made ink blots which he turned into scenes or whimsical creatures. Placing paper on paper (a stencil, or pochoir, in French), he washed paint around it, thus creating blank, or negative, space in a watercolor. He tried out such unconventional materials as coffee and experimented with scraping the paper to produce dimensionality.8 “Vieille Maison” (fig. 2), created fifteen to twenty years later, exemplifies Hugo’s interest in artistic experimentation. From late 1855 through 1856, Hugo played with pressing onto paper lace impregnated with graphite, ink, or gouache. From those impressions, he developed a variety of scenes. His drawings and watercolors often have a dreamlike quality, reflecting his belief in the power of rêverie (see chapter 5 for more about Hugo and dreams, as well as another lace impression drawing). This drawing was probably sent to a friend in

8. I am indebted to artist Cameron Felder for this analysis; e-mail message to author, October 2, 2007.

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Figure 2. Vieille Maison, © PMVP / Ladet.

1855 as a carte de visite, or as a carte d’étrennes, a new year’s greeting; it includes Hugo’s name woven into the lace in red and gold.9 Hugo’s creative imagination is visible in his interior decoration of Hauteville House, his exile retreat on the isle of Guernsey from 1856 until his return to Paris in 1870. Purchased with the proceeds from Les Contemplations and the first home he owned, the four-story house offered Hugo a large canvas on which he expressed his love of the medieval, his philosophy about people’s rights in the face of tyranny, and his inclination toward the mysterious. An avid antiques hunter, Hugo, often accompanied by Juliette, bought dozens of chests, tapestries, mirrors, and other furnishings. Following his plans, workmen turned medieval chests into wall paneling and tapestries into ceiling covers (Hugo’s

9. Details about both these drawings come from Lebel and Prévost, Chaos, 334–35, 366.

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design for the dining room fireplace appears in chapter 10). Convex mirrors judiciously placed offered new perspectives. Visitors to the house in St. Peter Port experience Hugo’s fascination with antithetical darkness and light as they move from the obscurity of the ground floor to the luminosity of the look-out where Hugo wrote and slept. Equally compelling is the transition from theatrical luxury to simplicity as one moves from the more public spaces to Hugo’s private domain.10 Hugo’s once private art is now much published and increasingly appreciated; such artists as Van Gogh, Picasso, and André Breton long ago recognized the power and depth of his work. Decades before the surrealists used similar techniques, Hugo experimented with ink blots, coffee washes, and paper; critics have drawn parallels between his work and that of De Chirico, Max Ernst, and Dubuffet. As early as 1859, art critic and poet Charles Baudelaire identified “la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo, comme le mystère dans le ciel.” Responding to Baudelaire’s compliment, Hugo wrote on April 29, 1860, that he used “toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce qui j’ai dans l’œil et surtout dans l’esprit. Cela m’amuse entre deux strophes” (CFL XII, 1197–98). Hugo produced over three thousand pieces of artwork. He drew caricatures to amuse his children and grandchildren as well as to mock contemporary politicians. Especially during his exile, his social commentary pieces often portrayed victims of poverty and executions. His sometimes realistic, sometimes fanciful landscapes show his love for and connection with the natural world. Later in life, he produced a few frontispieces for his books, including Les Chansons des rues et des bois (fig. 8, chapter 4), and several illustrations for Les Travailleurs de la mer (the only book he actually illus­ trated) (figures 9, 10, 11, chapters 4 and 5). But mostly he drew as a pastime and to express in art ideas that occupied him as a writer.11 10. For photos and analyses of Hugo’s Hauteville House art, see especially Corinne Charles, Victor Hugo,Visions d’intérieur: du meuble au décor / Victor Hugo, Interior visions: from furniture to decoration (Paris: Paris-Musées, 2003); and Olivier Mériel, Dans l’intimité de Victor Hugo à Hauteville House (Paris: Paris-Musées, 1998). For a detailed description, see Pierre Dhainaut, La Demeure océan de Victor Hugo (Paris: Encre, 1984). Detailed web sites include http://www.hautevillehouse.com/ and http://www.faculty.virginia.edu/ marva/HH%20Guernesey/hauteville_index.htm. 11. For parallels with later artists, see Georgel, Victor Hugo: Dessins; and Pierre ­Georgel, “Pour l’intimité: les champs de la communication de l’œuvre graphique de Hugo,” April 20, 1991, posted on the Groupe Hugo website at http://groupugo.div.jussieu.fr/ groupugo/91–04–20georgel.htm.

1  •  On Love and Passion

Aimer, c’est agir. —the last phrase Hugo wrote (May 19, 1885, three days before his death)

Love, in the widest sense of the word, was essential to Victor Hugo’s life and permeates his work. He broadened and deepened this theme so central to Romanticism, and he sometimes depicts love as Romantic: the sublime and grotesque conjoin when the beautiful and ugly unite. Hugo contemplates love’s power, endurance, and pervasiveness in the universe; he connects—and sometimes equates—God with love. In early and late works, Hugo offers idealized visions of love between a man and woman, but he also richly expands the concept as he grapples with the sometimes frightening quality of passion and love’s ironic potential for tragedy. Hugo celebrates the passionate sensuality of love, and examines the powerfully uncontrollable nature of sex and how passion provoked by sexuality can become a deadly obsession. A different sort of conflict appears in Hugo’s writings about familial love. The son of divorced parents, he deeply appreciated the value of love within the family and adored children for their delightfulness, divinity, and innocence. Yet after his wife fell out of love with him and he fell in love with Juliette Drouet, Hugo stated that one should be free to love as one chooses, unbound by such social norms as marriage vows. He held tenaciously to this belief for the rest of his life. Love’s complexities permeate Hugo’s writing, and love itself remains essential for him: “Aimons! c’est tout. Et Dieu le veut ainsi” (“Un soir que je regardais le ciel”).

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Intimate self-revelations were current among Romantic artists. Following the example of Goethe, who wrote about his own illicit love affair under the guise of “young Werther” (1774), Alfred de Musset in his Confessions d’un enfant du siècle (1836) and George Sand in her Elle et lui (1859) wrote about their turbulent affair. Hugo’s one-time best friend, literary critic and poet Sainte-Beuve, published his novel Volupté (1835) about his passion for Adèle Hugo. So Hugo was not alone in finding literary inspiration in his personal life. As a result, knowing when or about whom Hugo wrote enriches our understanding of his work, especially his poetry. He loved several women over his lifetime, and his work is full of love scenes and lyric poetry. True to the period in which he lived, early in his career Hugo generally writes of love as pure and sometimes saintly. When courting Adèle, he saw his love as sacred and worked to keep himself worthy of his fiancée. Typical of this innocent love is his description of the first conversation between the young lovers Cosette and Marius: Ces deux êtres, purs comme des esprits, se dirent tout, leurs songes, leurs ivresses, leurs extases, leurs chimères, leurs défaillances, comme ils s’étaient adorés de loin, comme ils s’étaient souhaités, leur désespoir, quand ils avaient cessé de s’apercevoir. Ils se confièrent dans une intimité idéale, que rien déjà ne pouvait plus accroître, ce qu’ils avaient de plus caché et de plus mystérieux. Ils se racontèrent, avec une foi candide dans leurs illusions, tout ce que l’amour, la jeunesse et ce reste d’enfance qu’ils avaient leur mettaient dans la pensée. Ces deux cœurs se versèrent l’un dans l’autre, de sorte qu’au bout d’une heure, c’était le jeune homme qui avait l’âme de la jeune fille et la jeune fille qui avait l’âme du jeune homme. Ils se pénétrèrent, ils s’enchantèrent, ils s’éblouirent. (Les Misérables IV, 5, vi)

Hugo often describes love as the melding of souls, as he writes in the guise of Marius (in a notebook that he leaves for Cosette to read): “L’amour participe de l’âme même. Il est de même nature qu’elle. Comme elle il est étincelle divine, comme elle il est incorruptible, indivisible, impérissable. C’est un point de feu qui est en nous, qui est immortel et infini, que rien ne peut borner et que rien ne peut éteindre” (Les Misérables, IV, 5, iv). Since God creates souls and love emanates from God, lovers are close to God. Love is divine, a natural reflection of God: “Dieu n’a qu’un front: Lumière! et n’a qu’un nom: Amour!” (Dieu, “L’Océan d’en haut,” VIII). God promotes love, Hugo argues, and wishes people to love one another:

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Quand le soleil d’avril rit à travers les feuilles, Quand d’un regard charmant, joyeuse, tu m’accueilles, Je sens un feu divin dans mon cœur s’allumer; Sans l’amour, sans la foi, notre âme serait noire. Dieu ne l’a pas voulu. La nature fait croire,   La femme fait aimer. 11 avril 1843 jour de ta naissance. —Letter to Juliette Drouet, Dernière Gerbe LVI (CFL VI, 981)

Oh! l’amour, le superbe amour, c’est le mystère! Dieux manquerait au ciel s’il manquait à la terre. Car la création n’est qu’un vaste baiser; Aimer, c’est le moyen de Dieu pour apaiser. —“En Grèce!”

By defining God’s love as a sort of peacemaking, Hugo presents love in its widest sense, beyond the romantic, sensuous feelings lovers experience. In “Éclaircie” (see chapter 6), the tranquility at the end of the day is part of God’s love, not only for all people but for the entire universe. Love is a powerful emotion that frequently drives Hugo’s characters, especially his theatrical characters. Hernani, the epitome of the Romantic hero, tells Doña Sol how his love for her has made him happy despite his somber destiny (Hernani II, iv). Didier, in Marion de Lorme, loses all interest in living when he thinks Marion has deserted him for another. “Mourir d’amour, c’est en vivre,” writes Marius. But as appealing as the Romantic notion of dying for love might be, for Hugo, love is also powerfully redemptive, in both real life and in fiction. Echoing his poem “Oh! insultez jamais une femme qui tombe!” (see chapter 11), Victor sent Juliette these words along with his love: “Nous avons beaucoup souffert, nous avons beaucoup travaillé, nous avons fait beaucoup d’efforts pour racheter aux yeux du bon Dieu ce qu’il y avait d’irrégulier dans notre bonheur par ce qu’il y avait de saint dans notre amour” (CFL V, 1252–53). The heroines of Marion de Lorme and Lucrèce Borgia find salvation in the pure love they feel for another. Some of Hugo’s characters (Ruy Blas in the eponymous play, Jean Valjean in Les Misérables, and Gilliatt in Les Travailleurs de la mer, among others) find a sort of redemption and peace when they sacrifice themselves for the people they love. Love can even redeem evil, as Hugo explains in “J’aime l’araignée et j’aime l’ortie” (see chapter 13). Hugo’s later work becomes more explicitly sensual, with poetic descriptions

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of women’s bodies and candid depictions of sexual excitement, while continuing to portray love as divine. Hugo emphasizes the sanctity of the female form, entitling his praise poem to Eve in the Garden of Eden “Le Sacre de la femme” (un sacre refers to a ritual consecration). Hugo links sexuality to divinity by noting the proliferation of sexual intercourse in God’s world, among the birds, flowers, and trees: “O joie des oiseaux! c’est parce qu’ils ont le nid qu’ils ont le chant,” writes Marius in his notebook. Nests (les nids) symbolize coupling, and birds represent the beauty and instinctiveness of love too often rejected and even abominated by human beings. Hugo’s poem “Danger d’aller dans les bois” (at the end of this chapter) offers a somewhat tongue-in-cheek expression of this theme. Although Hugo argues that carnal love is naturally divine, sexual passion is repeatedly accompanied by a sort of guilt or ambivalence and can lead to tragedy. Sexual experiences are sometimes expressed through metaphor, as in Les Travailleurs de la mer, in the hero’s encounter with a deadly octopus (see chapter 5). As illustrated in passages in this chapter, erotic desire can be an obsession, as with priest Claude Frollo’s enthrallment in Notre-Dame de Paris. Sexual attraction is far from positive for the chaste hero of L’Homme qui rit because it means that his instinct has overcome his duty. Greatly appreciative of his profound, sincere love for Dea, Gwynplaine still cannot resist his fascination with the intensely erotic Josiane. In L’Homme qui rit, Hugo explores the sometimes grotesque connections and conflicts between pure, chaste love and passionate sexual desire, as well as the uncontrollable, almost magical attraction between the sexes (see, especially, the chapter entitled “Abyssus absyssum vocat” [“The abyss calls to the abyss,” from Psalms 42:8]). Hugo’s vision of feminine sexuality as irresistibly attractive while concurrently potentially tragic seems related both to his abiding ambivalence about sex (he was, after all, a sensual, conscientious man living in a predominantly Catholic society) and to an awareness of the overwhelming power of sexuality (see “À une âme qui ne s’aperçoit pas qu’elle est une femme” in this chapter). On the broader social front, Hugo concludes during his exile that God-given human rights include the right to love freely, whatever society’s laws may say. Human rights always trump laws, he argues, and it is heroic to break antagonistic laws. Hugo questions the aptness of the rule of marriage, proposing that the human heart should be free. Here is but one such note, among several: “Vous aimez un homme autre que votre mari? Eh bien, allez à lui. Celui que vous n’aimez pas, vous êtes sa prostituée; celui que vous aimez, vous êtes sa femme. Dans l’union des sexes, le cœur est la loi. Aimez et pensez librement. Le

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reste regarde Dieu. Ah! vous voulez contraindre l’esprit humain, et vous appe­ lez la contrainte dogme. Ah! vous voulez contraindre le cœur humain, et vous appe­lez la contrainte mariage. Eh bien, vous aurez d’un côté l’hérésie, de l’autre l’adultère. Deux délits imaginaires. Deux révoltes légitimes” (Laffont, Océan, “Questions sociales,” 1864, 123). Contending that both men and women have the same privilege to follow their sincere emotions, Hugo proposes but one of the many lines of reasoning that underlie his support of women’s rights. Hugo was not original in claiming men’s and women’s right to love freely. Socialist reformer Charles Fourier (1772–1837) argued that human passions come from God and are unrelated to duty, a concept created by society.1 Werther, Goethe’s pre-Romantic hero, commits suicide because of his despair over his illicit love for a married woman. In her first novel, Indiana (1832), novel­ist George Sand protests against the laws and social conventions that force a woman to stay in an unhappy marriage. But Hugo logically connects love, God, and conscience: “La loi de la vie, c’est la liberté. La loi de l’accouplement, c’est l’amour. . . . La conscience approuve l’amour vrai. . . . Où il y a amour vrai, il y a mariage vrai. Là seulement. Là toujours. Toute loi en dehors de ces lois est purement humaine. La société fait des conventions. Dieu crée des principes” (Laffont, Océan, 28). For Victor Hugo, love is the palpable, understandable presence of God in the world. It manifests itself in myriad ways: as chaste devotion, as the sensuality so vital to nature, as the blending of human souls, as a source of redemption, as a strong connection between human beings and the natural world. Love comes from God as a simple, perfect source of life and peace. Hugo noted some of these positive connections: “J’ai beaucoup joui de ce que la vie a de bon, et surtout de ce qu’elle a de doux. Il n’y a dans cette vie qu’une chose, contempler la nature qui est toujours belle, et l’âme humaine qui l’est quelquefois; il n’y a que cela, et puis aimer. Le jour où personne ne m’aimera plus, ô mon dieu, j’espère bien que je mourrai” (1847; Laffont, Océan, 265). But in Hugo’s works, the effects of love—and, especially, of passionate, erotic desire—are often tragic. Sometimes fate intervenes. Sometimes his characters are not willing merely to accept this gift but want to steer it by their wills. Hundreds of Hugo’s poems, the majority of his plays and novels, and many of his letters explore this theme so fundamental to human emotion and experience. Out of this wealth of stories and insights come the samples below. Since they are primarily organized

1. Steven Kreis, “Charles Fourier, 1772–1837 — Selections from his Writings,” http://www .historyguide.org/intellect/fourier.html.

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chronologically by Hugo’s dates of composition, you can see how his notions of love evolved and broadened over time.2

Encore à toi, Odes et ballades V, xii (1826) [Written when Hugo was twenty-one and published in one of his earliest collections, this ode to his wife, Adèle, is quite traditional in form and content. The vers alexandrins follow Classical rhythm patterns: each line is balanced, never running nonstop into the next verse, with no Romantic odd-numbered groups of syllables. The rather predictable themes are personal, however, as they echo Victor’s letters to his fiancée about the strong, eternal bond between love and marriage (the epigraph means “Now and forever” in Spanish). In foregrounding the pure, saintly, nearly sacred qualities of the beloved, Hugo clearly idealizes Adèle. He emphasizes the angelic nature of their love by comparing himself to Tobit (Tobie, in French), whose love for Sara was aided by the archangel Raphael (a story told in the Book of Tobit, sometimes included in the Old Testament).] Ahora y siempre. Devise des Pomfret.

À toi! toujours à toi! que chanterait ma lyre? À toi l’hymne d’amour! À toi l’hymne d’hymen! Quel autre nom pourrait éveiller mon délire? Ai-je appris d’autres chants? sais-je un autre chemin? C’est toi dont le regard éclaire ma nuit sombre; Toi dont l’image luit sur mon sommeil joyeux; C’est toi qui tiens ma main quand je marche dans l’ombre, Et les rayons du ciel me viennent de tes yeux! Mon destin est gardé par ta douce prière: Elle veille sur moi quand mon ange s’endort;

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2. For analyses of Hugo’s conceptions of love and passion, see especially Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil; Pierre Laforgue, Hugo more erotico — L’amour, le sexe, le désir. (Saint-Pierre-du-Mont: Eurédit, 2002); Henri Guillemin, Hugo et la sexualité (Paris: Gallimard, 1954); Gaudon, Lettres de Victor Hugo à Juliette Drouet; Acher, “Hugo, défenseur,” 197ff.

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Lorsque mon cœur entend ta voix modeste et fière, Au combat de la vie il provoque le sort. N’est-il pas dans le ciel de voix qui te réclame? N’es-tu pas une fleur étrangère à nos champs? Sœur des vierges du ciel, ton âme est pour mon âme Le reflet de leurs feux et l’écho de leurs chants! Quand ton œil noir et doux me parle et me contemple, Quand ta robe m’effleure avec un léger bruit, Je crois avoir touché quelque voile du temple, Je dis comme Tobie: Un ange est dans ma nuit!

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Lorsque de mes douleurs tu chassas le nuage, Je compris qu’à ton sort mon sort devait s’unir, Pareil au saint pasteur, lassé d’un long voyage, Qui vit vers la fontaine une vierge venir! Je t’aime comme un être au-dessus de ma vie, Comme une antique aïeule aux prévoyants discours, Comme une sœur craintive, à mes maux asservie, Comme un dernier enfant, qu’on a dans ses vieux jours. Hélas! je t’aime tant qu’à ton nom seul je pleure, Je pleure, car la vie est si pleine de maux! Dans ce morne désert tu n’as point de demeure, Et l’arbre où l’on s’assied lève ailleurs ses rameaux. Mon Dieu! mettez la paix et la joie auprès d’elle. Ne troublez pas ses jours, ils sont à vous, Seigneur! Vous devez la bénir, car son âme fidèle Demande à la vertu le secret du bonheur.

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1823.

Ô mes lettres d’amour, . . . , Les Feuilles d’automne XIV (1831) [In comparing this poem to “Encore à toi,” we see how much can change in seven years. Hugo’s appeal to his youthful love letters to Adèle shows his disillu­ sionment, as he regrets having lost youth’s optimism and innocence. Similarly nostalgic sorrowful themes run through many of his poems of the 1830s. The wistful epigraph comes from two sources: the first line from Guarini’s Il ­Pastor

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fido III, 1, and the second from Byron: “Oh spring! youth of the year. / Oh youth! spring of life” (Laffont, Poésie I, 1077, n. 60). Hugo’s poetic evolution is equally visible in the poem’s form. Here the Classical twelve-syllable verses are broken with six-syllable hémistiches. Moreover, the rhythm is frequently prose-like, with many exclamations and short phrases (for example, “Être pur, être fier”). Also Romantic is the extensive use of enjambe­ ments, as when the nineteenth line continues smoothly through into the twentyfirst: “Qu’importe / Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte / Qui gémit en tournant!”] Oh primavera! gioventù dell’ anno. Oh gioventù! primavera della vita.

Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse C’est donc vous! Je m’enivre encore à votre ivresse;     Je vous lis à genoux. Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge! Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,     Pour pleurer avec vous! J’avais donc dix-huit ans! j’étais donc plein de songes! L’espérance en chantant me berçait de mensonges.     Un astre m’avait lui! J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme! J’étais donc cet enfant, hélas! devant qui l’homme     Rougit presque aujourd’hui! Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce! Attendre tous les soirs une robe qui passe!     Baiser un gant jeté! Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire! Être pur, être fier, être sublime et croire     À toute pureté! À présent j’ai senti, j’ai vu, je sais. — Qu’importe Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte     Qui gémit en tournant! Oh! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre, À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,     Rayonne maintenant!

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Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années! Pour m’avoir fui si vite et vous être éloignées     Me croyant satisfait? Hélas! pour revenir m’apparaître si belles, Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,     Que vous ai-je donc fait? Oh! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache, Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,     Revient dans nos chemins, On s’y suspend, et puis que de larmes amères Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères     Qui vous restent aux mains! Oublions! oublions! Quand la jeunesse est morte, Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte     À l’horizon obscur. Rien ne reste de nous; notre œuvre est un problème. L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même     Son ombre sur le mur!

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Mai 1830.

“Sourd,” Notre-Dame de Paris IX, 3 (1831) [In these Notre-Dame de Paris excerpts Hugo contrasts the innocence of pure love with the fever of unrequited, illicit passion. This first scene depicts the initial conversation between the deaf, one-eyed, teen-aged “hunchback of NotreDame,” Quasimodo, and the dazzling gypsy dancer, La Esmeralda. Earlier in the novel, Esmeralda had been the only person to take pity on the cathedral bellringer when he was pilloried for trying to abduct her at the behest of his master, priest Claude Frollo. Now Quasimodo has saved the dancer from hanging after she was falsely condemned as a sorceress and murderess. From her safe haven in the Paris cathedral, Esmeralda is repulsed by Quasimodo’s extreme ugliness and ungainliness but moved by his ­gentleness and love for her. The scene richly illustrates Hugo’s belief that life is a mélange of the grotesque and the sublime. As he juxtaposes the gypsy’s beauty and fragility with the bell-ringer’s monstrous physical disabilities, he brings to life the sublime emotions hidden inside Quasimodo’s deformed body.]

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Le lendemain matin, elle s’aperçut en s’éveillant qu’elle avait dormi. Cette chose singulière l’étonna. Il y avait si long-temps qu’elle était dés­ habituée du sommeil: Un joyeux rayon du soleil levant entrait par sa lucarne et lui venait frapper le visage. En même temps que le soleil, elle vit à cette lucarne un objet qui l’effraya, la malheureuse figure de Quasimodo. Involontairement elle referma les yeux, mais en vain; elle croyait toujours voir à travers sa paupière rose ce masque de gnome, borgne et brèchedent. Alors, tenant toujours ses yeux fermés, elle entendit une rude voix qui disait très-doucement: — N’ayez pas peur. Je suis votre ami. J’étais venu vous voir dormir. Cela ne vous fait pas de mal, n’est-ce pas, que je vienne vous voir dormir? Qu’est-ce que cela vous fait que je sois là quand vous avez les yeux fermés? Maintenant je vais m’en aller. Tenez, je me suis mis derrière le mur. Vous pouvez rouvrir les yeux. Il y avait quelque chose de plus plaintif encore que ces paroles, c’était l’accent dont elles étaient prononcées. L’égyptienne touchée ouvrit les yeux. Il n’était plus en effet à la lucarne. Elle alla à cette lucarne, et vit le pauvre bossu blotti dans un angle de mur, dans une attitude douloureuse et résignée. Elle fit un effort pour surmonter la répugnance qu’il lui inspirait. — Venez, lui dit-elle doucement. Au mouvement des lèvres de l’égyptienne, Quasimodo crut qu’elle le chassait; alors il se leva et se retira en boitant, lentement, la tête baissée, sans même oser lever sur la jeune fille son regard plein de désespoir. — Venez donc, cria-t-elle. Mais il continuait de s’éloigner. Alors elle se jeta hors de sa cellule, courut à lui, et lui prit le bras. En se sentant touché par elle, Quasimodo trembla de tous ses membres. Il releva son œil suppliant, et voyant qu’elle le ramenait près d’elle, toute sa face rayonna de joie et de tendresse. Elle voulut le faire entrer dans sa cellule; mais il s’obstina à rester sur le seuil. — Non, non, dit-il; le hibou n’entre pas dans le nid de l’alouette. Alors elle s’accroupit gracieusement sur sa couchette avec sa chèvre endormie à ses pieds. Tous deux restèrent quelques instants immobiles, considérant en silence, lui tant de grâce, elle tant de laideur. À chaque moment, elle découvrait en Quasimodo quelques difformités de plus. Son regard se promenait des genoux cagneux au dos bossu, du dos bossu à l’œil unique. Elle ne pouvait comprendre qu’un être si gauchement ébauché existât. Cependant il y avait sur tout cela tant de tristesse et de douceur répandue qu’elle commençait à s’y faire. Il rompit le premier ce silence. — Vous me disiez donc de revenir? Elle fit un signe de tête affirmatif, en disant: — Oui.

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Il comprit le signe de tête. — Hélas! dit-il comme hésitant à achever c’est que… je suis sourd. — Pauvre homme! s’écria la bohémienne avec une expression de bienveillante pitié. Il se mit à sourire douloureusement. — Vous trouvez qu’il ne me manquait que cela, n’est-ce pas? Oui, je suis sourd. C’est comme cela que je suis fait. C’est horrible, n’est-il pas vrai? Vous êtes si belle, vous! Il y avait dans l’accent du misérable un sentiment si profond de sa misère qu’elle n’eut pas la force de dire une parole. D’ailleurs il ne l’aurait pas entendue. Il poursuivit: — Jamais je n’ai vu ma laideur comme à présent. Quand je me compare à vous, j’ai bien pitié de moi, pauvre malheureux monstre que je suis! Je dois vous faire l’effet d’une bête, dites. — Vous, vous êtes un rayon de soleil, une goutte de rosée, un chant d’oiseau! — Moi, je suis quelque chose d’affreux, ni homme, ni animal, un je ne sais quoi plus dur, plus foulé aux pieds et plus difforme qu’un caillou! Alors il se mit à rire, et ce rire était ce qu’il y a de plus déchirant au monde. Il continua: — Oui, je suis sourd; mais vous me parlerez par gestes, par signes. J’ai un maître qui cause avec moi de cette façon. Et puis, je saurai bien vite votre volonté au mouvement de vos lèvres, à votre regard. — Hé bien! reprit-elle en souriant, dites-moi pourquoi vous m’avez sauvée. Il la regarda attentivement tandis qu’elle parlait. — J’ai compris, répondit-il. Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. Vous avez oublié un misérable qui a tenté de vous enlever une nuit, un misé­rable à qui le lendemain même vous avez porté secours sur leur infâme pilori. Une goutte d’eau et un peu de pitié, voilà plus que je n’en paierai avec ma vie. Vous avez oublié ce misérable; lui il s’est souvenu. Elle l’écoutait avec un attendrissement profond. Une larme roulait dans l’œil du sonneur, mais elle n’en tomba pas. Il parut mettre une sorte de point d’honneur à la dévorer. — Écoutez, reprit-il quand il ne craignit plus que cette larme s’échappât: nous avons là des tours bien hautes; un homme qui en tomberait serait mort avant de toucher le pavé; quand il vous plaira que j’en tombe, vous n’aurez pas même un mot à dire, un coup d’œil suffira. Alors il se leva. Cet être bizarre, si malheureuse que fût la bohémienne, éveillait encore quelque compassion en elle. Elle lui fit signe de rester.

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— Non, non, dit-il, je ne dois pas rester trop long-temps. Je ne suis pas à mon aise. C’est par pitié que vous ne détournez pas les yeux. Je vais quelque part d’où je vous verrai sans que vous me voyiez: ce sera mieux. Il tira de sa poche un petit sifflet de métal. — Tenez, dit-il: quand vous aurez besoin de moi, quand vous voudrez que je vienne, quand vous n’aurez pas trop d’horreur à me voir, vous sifflerez avec ceci. J’entends ce bruit-là. Il déposa le sifflet à terre, et s’enfuit.

“Lasciate ogni speranza” (excerpts), Notre-Dame de Paris VIII, 4 (1831) [In these excerpts, which appear five chapters before “Sourd,” Esmeralda languishes in her Saint-Antoine bastille cell. By entitling the chapter with Dante’s famous Italian inscription over the doorway to Hell—“[You who are about to enter], leave all hope behind”—Hugo compares the dungeon to Hell’s depths in Dante’s Inferno. Freezing in the dark with little to eat, Esmeralda has nearly lost consciousness: “Elle ne sentait plus, elle ne savait plus, elle ne pensait plus; tout au plus elle songeait. Jamais créature vivante n’avait été engagée si avant dans le néant.” Claude Frollo has entered Esmeralda’s cell on the eve of her execution. Archdeacon of Notre-Dame cathedral, the priest is driven by his uncontrollable obsession with the gypsy’s loveliness and innocent sensuality, trying at once to forget and to possess her. After pursuing and frightening Esmeralda, he had tried to abduct her and then to kill Phoebus, the dashing captain with whom she had fallen in love. In this chapter Frollo offers Esmeralda her life—at a price. These excerpts make clear how intensely anguished Frollo feels about his sexual desires—does Esmeralda come from the devil or from God? Confessing his illicit passion, Frollo tells Esmeralda how he became entranced with her, pursued her, and finally tried to destroy her by denouncing her as Phoebus’s attacker—and secretly watched her being tortured on a leather table, le lit de cuir. Unable to overcome his obsession, he begs Esmeralda to give herself to him in exchange for her life. Still in love with Phoebus, though believing him dead, Esmeralda rails at Frollo: “Être à toi, prêtre! jamais! Jamais! rien ne nous réunira! pas même l’enfer! Va, maudit! jamais!”] Ici le prêtre s’arrêta, et la prisonnière entendit sortir de sa poitrine des soupirs qui faisaient un bruit de râle et d’arrachement. Il reprit:

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— … Un jour, j’étais appuyé à la fenêtre de ma cellule… — Quel livre lisais-je donc? Oh! tout cela est un tourbillon dans ma tête. — Je lisais. La fenêtre donnait sur une place. J’entends un bruit de tambour et de ­musique. Fâché d’être ainsi troublé dans ma rêverie, je regarde dans la place. Ce que je vis, il y en avait d’autres que moi qui le voyaient, et pourtant ce n’était pas un spectacle fait pour des yeux humains. Là, au milieu du pavé, — il était midi, — un grand soleil, — une créature dansait. Une créature si belle que Dieu l’eût préférée à la Vierge, et l’eût choisie pour sa mère, et eût voulu naître d’elle si elle eût existé quand il se fit homme! Ses yeux étaient noirs et splendides; au milieu de sa chevelure noire quelques cheveux, que pénétrait le soleil, blondissaient comme des fils d’or. Ses pieds disparaissaient dans leur mouvement comme les rayons d’une roue qui tourne rapidement. Autour de sa tête, dans ses nattes noires, il y avait des plaques de métal qui pétillaient au soleil et faisaient à son front une couronne d’étoiles. Sa robe, semée de paillettes, scintillait, bleue et piquée de mille étincelles comme une nuit d’été. Ses bras souples et bruns se nouaient et se dénouaient autour de sa taille comme deux écharpes. La forme de son corps était surprenante de beauté. Oh! la resplendissante figure qui se détachait comme quelque chose de lumineux dans la lumière même du soleil!… — Hélas! jeune fille, c’était toi. — Surpris, enivré, charmé, je me laissai aller à te regarder. Je te regardai tant que tout-à-coup je frissonnai d’épouvante: je sentis que le sort me saisissait. Le prêtre, oppressé, s’arrêta encore un moment. [ … ] — Tu souffres, n’est-ce pas? tu as froid, la nuit te fait aveugle, le cachot t’enveloppe; mais peut-être as-tu encore quelque lumière au fond de toi, ne fût-ce que ton amour d’enfant pour cet homme vide [Phœbus] qui jouait avec ton cœur! Tandis que moi je porte le cachot au-dedans de moi; au­dedans de moi est l’hiver, la glace, le désespoir; j’ai la nuit dans l’âme. Saistu tout ce que j’ai souffert? J’ai assisté à ton procès. J’étais assis sur le banc de l’official. Oui, sous l’un de ces capuces de prêtre, il y avait les contorsions d’un damné. Quand on t’a amenée, j’étais là; quand on t’a inter­rogée, j’étais là. — Caverne de loups! — C’était mon crime, c’était mon gibet que je voyais se dresser lentement sur ton front. À chaque témoin, à chaque preuve, à chaque plaidoirie, j’étais là, j’ai pu compter chacun de tes pas dans la voie douloureuse; j’étais là encore quand cette bête féroce… — Oh! je n’avais pas prévu la torture! — Écoute. Je t’ai suivie dans la chambre de

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douleur. Je t’ai vu déshabiller et manier demi-nue par les mains infâmes du tourmenteur. J’ai vu ton pied, ce pied où j’eusse voulu pour un empire déposer un seul baiser et mourir, ce pied sous lequel je sentirais avec tant de délices s’écraser ma tête, je l’ai vu enserrer dans l’horrible brodequin qui fait des membres d’un être vivant une boue sanglante. Oh! misérable! pendant que je voyais cela, j’avais sous mon suaire un poignard dont je me labourais la poitrine. Au cri que tu as poussé, je l’ai enfoncé dans ma chair; à un second cri, il m’entrait dans le cœur! Regarde. Je crois que cela saigne encore. Il ouvrit sa soutane. Sa poitrine en effet était déchirée comme par une griffe de tigre, et il avait au flanc une plaie assez large et mal fermée. La prisonnière recula d’horreur. — Oh! dit le prêtre, jeune fille, aie pitié de moi! Tu te crois malheureuse: hélas! hélas! tu ne sais pas ce que c’est que le malheur. Oh! aimer une femme! être prêtre! être haï! l’aimer de toutes les fureurs de son âme; sentir qu’on donnerait pour le moindre de ses sourires son sang, ses entrailles, sa renommée, son salut, l’immortalité et l’éternité, cette vie et l’autre; regretter de ne pas être roi, génie, empereur, archange, Dieu, pour lui mettre un plus grand esclave sous les pieds; l’étreindre nuit et jour de ses rêves et de ses pensées; et la voir amoureuse d’une livrée de soldat! et n’avoir à lui offrir qu’une sale soutane de prêtre dont elle aura peur et dégoût! Être présent, avec sa jalousie et sa rage, tandis qu’elle prodigue à un misérable fanfaron imbécile des trésors d’amour et de beauté! Voir ce corps dont la forme vous brûle, ce sein qui a tant de douceur, cette chair palpiter et rougir sous les baisers d’un autre! Ô ciel! aimer son pied, son bras, son épaule, songer à ses veines bleues, à sa peau brune, jusqu’à s’en tordre des nuits entières sur le pavé de sa cellule, et voir toutes les caresses qu’on a rêvées pour elle aboutir à la torture! N’avoir réussi qu’à la coucher sur le lit de cuir! Oh! ce sont là les véritables tenailles rougies au fer de l’enfer! Oh! bienheureux celui qu’on scie entre deux planches, et qu’on écartelle à quatre chevaux! — Sais-tu ce que c’est que ce supplice que vous font subir, durant les ­longues nuits, vos artères qui bouillonnent, votre cœur qui crève, votre tête qui rompt, vos dents qui mordent vos mains; tourmenteurs acharnés qui vous retournent sans relâche, comme sur un gril ardent, sur une pensée d’amour, de jalousie et de désespoir! Jeune fille, grâce! trêve un moment! Un peu de cendre sur cette braise! Essuie, je t’en conjure, la sueur qui ruisselle à grosses gouttes de mon front! Enfant!

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torture-moi d’une main, mais caresse-moi de l’autre! Aie pitié, jeune fille! aie pitié de moi! Le prêtre se roulait dans l’eau de la dalle et se martelait le crâne aux angles des marches de pierre. La jeune fille l’écoutait, le regardait. Quand il se tut, épuisé et haletant, elle répéta à demi-voix: Ô mon Phœbus! Le prêtre se traîna vers elle à deux genoux. — Je t’en supplie, cria-t-il, si tu as des entrailles, ne me repousse pas! Oh! je t’aime! je suis un misérable! Quand tu dis ce nom, malheureuse, c’est comme si tu broyais entre les dents toutes les fibres de mon cœur! Grâce! si tu viens de l’enfer, j’y vais avec toi. J’ai tout fait pour cela. L’enfer où tu seras, c’est mon paradis; ta vue est plus charmante que celle de Dieu! Oh! dis! tu ne veux donc pas de moi? Le jour où une femme repousserait un pareil amour, j’aurais cru que les montagnes remueraient. Oh! si tu voulais!… Oh! que nous pourrions être heureux! Nous fuirions, — je te ferais fuir, — nous irions quelque part, nous chercherions l’endroit sur la terre où il y a le plus de soleil, le plus d’arbres, le plus de ciel bleu. Nous nous aimerions, nous verserions nos deux âmes l’une dans l’autre, et nous aurions une soif inextinguible de nous-mêmes que nous étancherions en commun et sans cesse à cette coupe d’intarissable amour! Elle l’interrompit avec un rire terrible et éclatant. — Regardez donc, mon père! vous avez du sang après les ongles! Le prêtre demeura quelques instants comme pétrifié, l’œil fixé sur sa main. — Eh bien, oui! reprit-il enfin avec une douceur étrange, outrage-moi, raille-moi, accable-moi! mais viens, viens. Hâtons-nous. C’est pour demain, te dis-je. Le gibet de la Grève, tu sais? il est toujours prêt. C’est horrible! te voir marcher dans ce tombereau! Oh! grâce! — Je n’avais jamais senti comme à présent à quel point je t’aimais. — Oh! suis-moi. Tu prendras le temps de m’aimer après que je t’aurai sauvée. Tu me haïras aussi long-temps que tu voudras. Mais viens. Demain! demain! le gibet! ton supplice! Oh! sauve-toi! épargne-moi. Il lui prit le bras, il était égaré, il voulut l’entraîner.

Ruy Blas II, iii (excerpt) (1838) [Ruy Blas is a commoner, a lackey who, unaware of his master’s vengeful plans, has been persuaded to pose as the nobleman Don César de Bazan. Ruy Blas

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was not hard to convince; impossibly enamored of the young Queen of Spain, he has sent her a blue flower with a love letter: Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile; Qui souffre, un ver de terre amoureux d’une étoile; Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut; Et qui se meurt d’en bas quand vous brillez en haut. (II, ii)

Romantic in their intensity, these lines typify Hugo’s love of antithesis as he juxtaposes Ruy Blas’s commonality with the Queen’s brilliant royalty. The queen is charmed, especially as her husband spends most of his time away hunting. Intrigued, she keeps the letter close to her heart, along with a piece of lace stained with the blood from Ruy Blas’s wounded hand. In the scene below, Ruy Blas and the Queen meet for the first time when Ruy Blas arrives at court from the hunting party with a letter that the King had dictated to him. The Queen has realized that the handwriting matches that on the love letter and asked to meet the messenger. The absurd, somewhat pathetic Don Guritan (an elderly nobleman also in love with the Queen) immediately recognizes in this messenger a “rival.” With the play on words comte/compte, he whispers in an aside that Ruy Blas’s arrival does not suit him. Visible here is Hugo’s theatrical talent, from his recognition of the importance of staging, to the powerful interplay of characters’ gazes, to his comic touch.] LA REINE Bien. Je veux lui parler.            À Ruy Blas.

           Monsieur.… RUY BLAS, à part, tressaillant.                  Elle me voit! Elle me parle! Dieu! je tremble. LA DUCHESSE, à Ruy Blas.               Approchez, comte. DON GURITAN, regardant Ruy Blas de travers, à part. Ce jeune homme! écuyer! ce n’est pas là mon compte. Ruy Blas pâle et troublé approche à pas lents.

LA REINE, à Ruy Blas. Vous venez d’Aranjuez?

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RUY BLAS, s’inclinant.            Oui, Madame. LA REINE         Le roi Se porte bien? Ruy Blas s’incline, elle montre la lettre royale.

        Il a dicté ceci pour moi? RUY BLAS Il était à cheval, il a dicté la lettre.… Il hésite un moment.

À l’un des assistans. LA REINE, à part, regardant Ruy Blas.           Son regard me pénètre. Je n’ose demander à qui. Haut.

C’est bien, allez. — Ah! — Ruy Blas qui avait fait quelques pas pour sortir revient vers la reine.

Beaucoup de seigneurs étaient là rassemblés?       À part.

Pourquoi donc suis-je émue en voyant ce jeune homme? Ruy Blas s’incline, elle reprend.

Lesquels? RUY BLAS      Je ne sais pas les noms dont on les nomme. Je n’ai passé là bas que des instans fort courts. Voilà trois jours que j’ai quitté Madrid. LA REINE, à part.                  Trois jours! Elle fixe un regard plein de trouble sur Ruy Blas.

RUY BLAS, à part. C’est la femme d’un autre! ô jalousie affreuse! — Et de qui! — Dans mon cœur un abîme se creuse. DON GURITAN, s’approchant de Ruy Blas. Vous êtes écuyer de la reine? Un seul mot. Vous connaissez quel est votre service? Il faut Vous tenir cette nuit dans la chambre prochaine, Afin d’ouvrir au roi, s’il venait chez la reine.

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RUY BLAS, tressaillant.    À part.

Ouvrir au roi! moi! Haut.

Mais… il est absent. DON GURITAN                     Le roi Peut-il pas arriver à l’improviste? RUY BLAS, à part. Quoi! DON GURITAN, à part, observant Ruy Blas. Qu’a-t-il?   LA REINE, qui a tout entendu et dont le regard est resté fixé sur Ruy Blas.      Comme il pâlit! Ruy Blas chancelant s’appuie sur le bras d’un fauteuil.

CASILDA, à la reine.              Madame, ce jeune homme Se trouve mal!… RUY BLAS, se soutenant à peine.         Moi, non! mais c’est singulier comme Le grand air… le soleil… la longueur du chemin…    À part.

— Ouvrir au roi! Il tombe épuisé sur un fauteuil, son manteau se dérange et laisse voir sa main gauche enveloppée de linges ensanglantés.

CASILDA Grand Dieu, madame! à cette main Il est blessé! LA REINE       Blessé! CASILDA          Mais il perd connaissance. Mais vite, faisons-lui respirer quelque essence! LA REINE, fouillant dans sa gorgerette. Un flacon que j’ai là contient une liqueur… En ce moment son regard tombe sur la manchette que Ruy Blas porte au bras droit.    À part.

C’est la même dentelle!

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  Au même instant elle a tiré le flacon de sa poitrine, et dans son trouble elle a pris en même temps le morceau de dentelle qui y était caché. Ruy Blas, qui ne la quitte pas des yeux, voit celle dentelle sortir du sein de la reine.

RUY BLAS, éperdu.             Oh! Le regard de la reine et le regard de Ruy Blas se rencontrent. Un silence.

LA REINE, à part.               C’est lui! RUY BLAS, à part.                   Sur son cœur! LA REINE, à part. C’est lui! RUY BLAS, à part. Faites, mon Dieu, qu’en ce moment je meure! Dans le désordre de toutes les femmes s’empressant autour de Ruy Blas, ce qui se passe entre la reine et lui n’est remarqué de personne.

CASILDA, faisant respirer le flacon à Ruy Blas. Comment vous êtes-vous blessé? c’est tout à l’heure? Non? cela s’est rouvert en route? Aussi pourquoi Vous charger d’apporter le message du roi? LA REINE, à Casilda. Vous finirez bientôt vos questions, j’espère. LA DUCHESSE, à Casilda. Qu’est-ce que cela fait à la reine, ma chère? LA REINE Puisqu’il avait écrit la lettre, il pouvait bien L’apporter, n’est-ce pas? CASILDA            Mais il n’a dit en rien Qu’il eût écrit la lettre. LA REINE, à part.            Oh! À Casilda.

            Tais-toi! CASILDA, à Ruy Blas.                 Votre grâce Se trouve-t-elle mieux? RUY BLAS            Je renais!

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LA REINE, à ses femmes.                L’heure passe, Rentrons. — Qu’en son logis le comte soit conduit.    Aux pages au fond du théâtre.

Vous savez que le roi ne vient pas cette nuit? Il passe la saison tout entière à la chasse. Elle rentre avec sa suite dans ses appartemens.

CASILDA, la regardant sortir. La reine a dans l’esprit quelque chose. Elle sort par la même porte que la reine en emportant la petite cassette aux reliques.

RUY BLAS, resté seul.   Il semble écouter encore quelque temps avec une joie profonde les dernières paroles de la reine. Il paraît comme en proie à un rêve. Le morceau de dentelle que la reine a laissé tomber dans son trouble est resté à terre sur le tapis. Il le ramasse, le regarde avec amour et le couvre de baisers. Puis il lève les yeux aux ciel.

                 O Dieu! grâce! Ne me rendez pas fou! Regardant le morceau de dentelle.

C’était bien sur son cœur!   Il le cache dans sa poitrine. — Entre don Guritan. Il revient par la porte de la chambre où il a suivi la reine. Il marche à pas lents vers Ruy Blas. Arrivé près de lui sans dire un mot, il tire à demi son épée, et la mesure du regard avec celle de Ruy Blas. Elles sont inégales. Il remet son épée dans le fourreau. Ruy Blas le regarde faire avec étonnement.

Puisque j’ai mis ma lèvre . . . , Les Chants du crépuscule XXV (1835) [Written on January 1, 1835, and sent to Juliette Drouet with the manuscript notes “À ma Juliette” and “Minuit et demi,” this poem optimistically celebrates their love and its enduring qualities. In a letter written within the same hour, Hugo sent Juliette a drawing of his father (CFL II, Dossier Iconographie III), and expressed his belief in the heavenly eternity of love: Je te donne le père; tu as déjà le fils. Nous sommes depuis un quart d’heure dans l’année 1835; encore un mois et seize jours, et il y a aura deux ans que tu es à moi, deux ans que je suis à toi. Cela finira je ne sais pas quel jour, car qui sait le jour de sa mort?

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Et cela ne finira que pour recommencer ailleurs. Le ciel n’est qu’une continuation de l’amour. (CFL V, 1233)3 ] Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine; Puisque j’ai dans tes mains posé mon front pâli; Puisque j’ai respiré parfois la douce haleine De ton âme, parfum dans l’ombre enseveli; Puisqu’il me fut donné de t’entendre me dire Les mots où se répand le cœur mystérieux; Puisque j’ai vu pleurer, puisque j’ai vu sourire Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux; Puisque j’ai vu briller sur ma tête ravie Un rayon de ton astre, hélas! voilé toujours; Puisque j’ai vu tomber dans l’onde de ma vie Une feuille de rose arrachée à tes jours; Je puis maintenant dire aux rapides années: — Passez! passez toujours! je n’ai plus à vieillir! Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées; J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir! Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre Du vase où je m’abreuve et que j’ai bien rempli. Mon âme a plus de feu que vous n’avez de cendre! Mon cœur a plus d’amour que vous n’avez d’oubli!

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Janvier 18…

À Ol., Les Voix intérieures XII (1837) [The manuscript copy of this poem that Victor sent to Juliette includes this note: “—Souvenir du jour où j’ai vu pour la première fois ma J.—” The poet’s awareness of his physical attraction to this woman is obvious, as he talks with himself in the guise of Olympio, the “Ol.” of the title. Hugo’s poetic alter ego first appears in Les Voix intérieures. Olympio represents man in general (rather than the personal moi) but also incarnates the poet. Thus Hugo creates a ­dialogue

3. For a summary and analysis of Hugo’s poems to Juliette Drouet, see Hovasse, “Poèmes à Juliette.”

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between two separate but related entities, as the poet writes and speaks to his ego, who is both his interlocutor and the subject of the poem.4 ] Ô poète! je vais dans ton âme blessée Remuer jusqu’au fond ta profonde pensée. Tu ne l’avais pas vue encor, ce fut un soir, À l’heure où dans le ciel les astres se font voir, Qu’elle apparut soudain à tes yeux, fraîche et belle, Dans un lieu radieux qui rayonnait moins qu’elle. Ses cheveux pétillaient de mille diamants; Un orchestre tremblait à tous ses mouvements Tandis qu’elle enivrait la foule haletante, Blanche avec des yeux noirs, jeune, grande, éclatante. Tout en elle était feu qui brille, ardeur qui rit. La parole parfois tombait de son esprit Comme un épi doré du sac de la glaneuse, Ou sortait de sa bouche en vapeur lumineuse. Chacun se récriait, admirant tour-à-tour Son front plein de pensée éclose avant l’amour, Son sourire entr’ouvert comme une vive aurore, Et son ardente épaule, et, plus ardents encore, Comme les soupiraux d’un centre étincelant, Ses yeux où l’on voyait luire son cœur brûlant. Elle allait et passait comme un oiseau de flamme, Mettant sans le savoir le feu dans plus d’une âme, Et dans les yeux fixés sur tous ses pas charmants Jetant de toutes parts des éblouissements! Toi, tu la contemplais, n’osant approcher d’elle, Car le baril de poudre a peur de l’étincelle.

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26 mai 1837.

4. Pierre Albouy, ed., Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons et les ombres by Victor Hugo (Paris: Gallimard, 1964, 1970): 9–10 and 400, n. 1 for p. 181.

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Aimons toujours! aimons encore! . . . , Les Contemplations II, xxii (1856) [On May 21, 1843, Victor sent Juliette a seven-stanza version of this poem in praise of love’s ubiquity, sanctity, immortality, and inspiration to poets.] Aimons toujours! aimons encore! Quand l’amour s’en va, l’espoir fuit. L’amour, c’est le cri de l’aurore, L’amour, c’est l’hymne de la nuit. Ce que le flot dit aux rivages, Ce que le vent dit aux vieux monts, Ce que l’astre dit aux nuages, C’est le mot ineffable: Aimons! L’amour fait songer, vivre et croire. Il a, pour réchauffer le cœur, Un rayon de plus que la gloire, Et ce rayon, c’est le bonheur! Aime! qu’on les loue ou les blâme, Toujours les grands cœurs aimeront: Joins cette jeunesse de l’âme À la jeunesse de ton front! Aime, afin de charmer tes heures! Afin qu’on voie en tes beaux yeux Des voluptés intérieures Le sourire mystérieux!

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Aimons-nous toujours davantage! Unissons-nous mieux chaque jour. Les arbres croissent en feuillage; Que notre âme croisse en amour! Soyons le miroir et l’image! Soyons la fleur et le parfum! Les amants, qui, seuls, sous l’ombrage, Se sentent deux et ne sont qu’un!

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Les poètes cherchent les belles. La femme, ange aux chastes faveurs, Aime à rafraîchir sous ses ailes Ces grands fronts brûlants et rêveurs. Venez à nous, beautés touchantes! Viens à moi, toi, mon bien, ma loi! Ange! viens à moi quand tu chantes, Et, quand tu pleures, viens à moi! Nous seuls comprenons vos extases; Car notre esprit n’est point moqueur; Car les poètes sont les vases Où les femmes versent leur cœur.

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Moi qui ne cherche dans ce monde Que la seule réalité, Moi qui laisse fuir comme l’onde Tout ce qui n’est que vanité, Je préfère, aux biens dont s’enivre L’orgueil du soldat ou du roi, L’ombre que tu fais sur mon livre Quand ton front se penche sur moi. Toute ambition allumée Dans notre esprit, brasier subtil, Tombe en cendre ou vole en fumée, Et l’on se dit: «Qu’en reste-t-il?» Tout plaisir, fleur à peine éclose Dans notre avril sombre et terni, S’effeuille et meurt, lys, myrte ou rose, Et l’on se dit: «C’est donc fini!» L’amour seul reste. Ô noble femme, Si tu veux, dans ce vil séjour, Garder ta foi, garder ton âme, Garder ton Dieu, garde l’amour!

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Conserve en ton cœur, sans rien craindre, Dusses-tu pleurer et souffrir, La flamme qui ne peut s’éteindre Et la fleur qui ne peut mourir! Mai 18.. [mai 1843.]

Letters to Juliette Drouet, 1835, 1842 [In the first few years of their relationship, Victor Hugo wrote a number of letters to Juliette Drouet, as she did to him. Over time, however, he tended to write primarily on special anniversaries: New Year’s, February 16–17 (in memory of their first night together, letters which Juliette collected into the Livre de l’anniversaire), and May 21 (Juliette’s name day, the feast day of Saint Julie, a celebration more important than birthdays). Sometimes his letters contain precise dates. When they do not, scholars have dated them by postmarks, the record of Juliette’s addresses (which usually appear on the backs of letters and on envelopes), internal evidence, and, less commonly, paper type. These two letters from Victor, as well as the excerpt from Juliette’s, come from Jean Gaudon’s edition, Lettres de Victor Hugo à Juliette Drouet (pp. 73–74, 122). The following letter is special because it recounts a particular event about which Hugo later wrote one of his most famous poems, and because it is one of Victor’s most sensual letters to Juliette. In the summers of 1834 and 1835, Hugo and his family vacationed near their friends, the Bertins, in the Bièvre Valley, not far from Paris. Hugo would meet Juliette in the woods between his family’s and Juliette’s rented rooms. In this letter he wrote about their tryst the preceding day. Juliette also wrote Victor about this afternoon they spent together: “Mon cher bien-aimé, mon Victor, je ne donnerais pas cette journée et surtout le moment où je tremblais de froid sur tes genoux, pour la plus belle et la plus rayonnante de nos journées d’été.” Two years later, Hugo visited the same spot without Juliette and wrote “Tristesse d’Olympio” , mourning nature’s insensitivity to human emotion but celebrating human memory (see chapter 4). Hugo’s appreciation of the powerful human capacity for memory also dominates the beautiful, but less well known, 1844 poem apparently written to Léonie Biard, “Garde à jamais dans ta mémoire . . . .”]

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v i c t o r h u g o i n p r i va t e l i f e [25 septembre 1835]

J’ai mis ta charmante fleur cueillie à ta porte dans tes lettres bien plus charmantes encore et cueillies dans ton cœur. J’ai baisé la fleur et les lettres. J’ai mis mes lèvres sur ton écriture et mon âme sur ta pensée, et maintenant je t’écris. Dans un instant, je travaillerai pour toi, — pour nous. Il est minuit et demi. Tu dors en ce moment, mais tu m’aimes endormie, n’est-ce pas, comme je t’aime éveillé? Ma pauvre bien-aimée, souvenonsnous toute notre vie de la journée d’hier. N’oublions jamais cet effroyable orage du 24 7bre [septembre] 1835 si plein de divines choses pour nous. La pluie tombait à torrens, les feuilles de l’arbre ne servaient qu’à la conduire plus froide sur nos têtes, le ciel était plein de tonnerres, tu étais nue entre mes bras, ton beau visage caché dans mes genoux ne se détournant que pour me sourire, et ta chemise collée par l’eau sur tes belles épaules. Et pendant cette longue tempête d’une heure et demie, pas un mot qui n’ait été un mot d’amour. Tu es ravissante. Je t’aime plus qu’il n’y a de paroles pour le dire. Ma Juliette, quel affreux tumulte hors de nous, en nous quelle délicieuse harmonie! Que ce jour là soit un souvenir d’or pour tous les jours qui nous restent. Chaque jour je crois t’aimer plus que la veille. J’ai le cœur, la tête, l’âme, l’esprit et la pensée enivrés de toi. Dors. Dans quelques heures je te verrai. Dans quelques heures je baiserai tes lèvres et je demanderai à tes yeux adorés s’ils ont bien dormi. Oh que je voudrais être près de toi! Une nuit près de toi est plus radieuse que le jour. Dors bien, rêve bien, tu es ma joie.  V. [The following letter, written to Juliette on her name day, testifies to Hugo’s belief in the eternal nature of love and its connection to God. At this point in their affair they made love so rarely that Juliette complained; although Victor soon fell in love with Léonie d’Aunet Biard, he and Juliette remained close friends.]

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63 Samedi 21 mai 1842

Je veux, mon ange, que tu reçoives cette lettre, non la veille, mais le matin même de ta fête: car ce qu’elle doit t’apporter, ce n’est pas un souhait de bonheur, c’est le bonheur même. Oui, sois heureuse, puisque tu es noble et bonne, sois heureuse puisque tu es fidèle, vertueuse et douce; sois heureuse puisque tu es belle; sois heureuse puisque tu es aimée. Te dire que depuis neuf ans je t’aime chaque jour davantage, que mon amour est comme un arbre qui tous les ans a une racine de plus dans la terre, et une branche de plus dans le ciel; te dire que je rêve de toi quand je ne pense pas à toi; qu’il m’est impossible, même en idée, de séparer ma vie de l’amour et l’amour de ton nom; te dire que tu es ma joie, mon espérance, mon but, ma récompense, mon orgueil; te dire tout cela, ma bien-aimée, c’est te dire tout ce que tu sais déjà, tout ce que je t’ai dit cent fois; mais c’est un bonheur pour moi de le répéter toujours comme ce sera un bonheur pour toi (n’est-ce pas?) de l’entendre encore. Aie donc une belle fête. Il y a fête dans le ciel et sur la terre en ce moment de l’année; qu’il y ait fête aussi dans ton cœur. Le soleil qui brille dans l’âme est plus rayonnant que le soleil de là haut. Le soleil extérieur n’est que le soleil; le soleil intérieur est l’amour. Surtout n’oublie jamais ceci. Je t’aime plus que jamais. Je ne pourrais pas plus comprendre la vie sans toi que le ciel sans Dieu. Ma Juliette, je baise vos pieds adorés.

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Marine Terrace [Hugo created this magnificent composition for Juliette’s name day, May 21, 1855, while in exile on the isle of Jersey. The house on the bottom right is Marine Terrace, which Hugo rented with his family, while Juliette lived nearby, in Hâvre-des-Pas, pictured in profile in the background. Victor’s and Juliette’s initials fly majestically above the island and the ocean, drawn with red gouache highlights on a background of brown ink and wash, with charcoal rubbings on beige paper. Often designing around initials, Hugo a few years later wove VH and JD throughout his interior decor of Hauteville House (see also his art in chapter 10). Juliette was delighted with this drawing, which may have reflected a dream he had recounted to her in early May. Here is what she wrote to him at 7:00 a.m. on May 8, 1855: “Le rêve éblouissant que tu as fait pendant le sommeil, mon âme le continue les yeux ouverts et aspire depuis bien longtemps après cette réalité dans la mort — je suis impatiente de sortir de cette mue de la vie pour me montrer à toi telle que je suis vraiment: pure de toute souillure morale, et belle de la beauté sur-divine, l’amour. Je te remercie d’avoir regardé par le trou de la serrure du rêve notre bonheur à venir dans le monde des âmes. Oh! comme je m’y précipiterai dès que la porte m’en sera ouverte en attendant, je reste ici bas les yeux et le cœur fixés sur toi sans pouvoir les en détacher une minute.”5]

5. Letter quotation from Prévost, Océan, 160; for more details, see Lebel and Prévost, Chaos, 352; and Picon and Bargiel, Victor Hugo: Dessins, 234.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 3. Marine Terrace, Private collection.

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Letter to Léonie d’Aunet Biard [Typically more sensual than his early letters to Juliette Drouet, and written about ten years later, Hugo’s letters to his lover Léonie d’Aunet Biard are rarely signed or dated. In this one, he expresses several of his perspectives on love: its intensity, divinity, frustrations, and magic. He also broaches a topic on which he will write more during exile: that love brings couples together more naturally than does marriage.6] Mardi. 10 h. du matin.

Avec quelle promptitude on reprend toutes les habitudes du bonheur! Je te vois tous les deux jours, et cela ne me suffit plus! Cette semaine je compte mes heures écourtées comme un avare ses écus rognés. J’en veux à toutes ces choses qui nous séparent dans les mauvais jours et qui nous taquinent dans les jours heureux. Je me plains au bon Dieu de lui-même. Il est bon pourtant, puisqu’il t’a donnée à moi. Mais pourquoi te donne-t-il si peu? pourquoi te reprend-il à chaque instant? pourquoi me mesure-t-il les rayons de tes doux yeux, à moi qui ai besoin de ton regard pour être joyeux comme la terre a besoin du soleil pour être verte et vivante? Pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas dit: —Prends-la! elle est à toi, comme Ève était à Adam, comme la branche est à l’oiseau, comme la rosée est à la plante, du droit éternel de la nature et de la création! —N’est-ce pas, ma bien-aimée, que Dieu aurait dû me dire cela, et nous prendre par la main, en père qu’il est, et nous marier sous les arbres, au milieu des pelouses et des fleurs, sous le ciel et devant les astres, dans quelque admirable île déserte, qui n’eût plus été déserte du jour où nous l’aurions illuminée et remplie, toi de la beauté, moi de mon amour! Oui, cela eût dû être ainsi. Ceci est un rêve, et pourtant ce serait la plus réelle et la plus naturelle de toutes les choses. Ce qui est faux, ce qui est absurde, ce qui est contre nature, c’est de donner tout le meilleur de sa vie à cette sotte société humaine qui ne vous en sait aucun gré, qui hait les amants et qui calomnie l’amour! Ce qui est insensé, c’est de se retrancher les plus douces heures de sa destinée, lesquelles, hélas! ne reviendront pas, pour les laisser prendre à des indifférents, à des envieux, à des ennemis! Voilà pourtant, ma Léonie, mon ange, mon amour, ce que nous sommes forcés de faire! Du moins pense à moi aujourd’hui et jeudi 6. This letter comes from Jean Gaudon, ed., Lettres à Léonie, 42–44. For the story of Victor’s entrancement with Léonie and reflections in his literary work, see Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 929–37.

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où je ne te verrai pas. Demain à quatre h. bien précises. Oh! deux heures seulement! qu’est-ce que cela? Deux gouttes d’eau dans un brasier ardent! Ma bien-aimée, je baise ta bouche divine. Vois-tu, je t’aime, je suis fou de toi, et pourtant je serai sage. Voilà les miracles que tu fais, ma douce fée! Ta magie c’est ton amour, sois toujours magicienne ainsi. Aime-moi. Oh! tu est adorable! À demain!

Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure, . . . , Toute la lyre VI, i (1888) [Most of the poems that scholars can attribute to inspiration from the blonde Léonie d’Aunet Biard were written in 1844 and published posthumously in Toute la lyre. The editors placed many in Book VI, and this first example leads off the collection. The poet, speaking in the first person, is clearly fascinated by the woman’s physicality but still refers to her as an angel and to love as pure.] Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure, Quand tu me vois pâlir, femme aux cheveux dorés, Comme le premier jour, comme la première heure, Rien qu’en touchant ta robe et ses plis adorés; Quand tu vois que les mots me manquent pour te dire Tout ce dont tu remplis mon sein tumultueux; Lorsqu’en me regardant tu sens que ton sourire M’enivre par degrés et fait briller mes yeux; Quand ma voix, sous le feu de ta douce prunelle, Tremble en ma bouche émue, impuissante à parler, Comme un craintif oiseau, tout à coup pris par l’aile, Qui frissonne éperdu, sans pouvoir s’envoler; Ô bel ange créé pour des sphères meilleures, Dis, après tant de deuils, de désespoirs, d’ennuis, Et tant d’amers chagrins et tant de tristes heures Qui souvent font tes jours plus mornes que des nuits; Oh, dis! ne sens-tu pas se lever dans ton âme L’amour vrai, l’amour pur, adorable lueur, L’amour, flambeau de l’homme, étoile de la femme, Mystérieux soleil du monde intérieur!

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Ne sens-tu point, dis-moi, passer sur ta paupière Le souffle du matin, des ténèbres vainqueur? Ne vient-il pas des voix tout bas te dire: espère! N’entends-tu pas un chant dans l’ombre de ton cœur? Oh! recueille ce chant, âme blessée et fière! Cette aube qui se lève en toi, c’est le vrai jour. Ne crains plus rien! Dieu fit tes yeux pour la lumière, Ton âme pour le ciel et ton cœur pour l’amour! Regarde rayonner sur ton destin moins sombre Ce soleil de l’amour qui pour jamais te luit, Qui, même après la mort brille, sorti de l’ombre, Qui n’a pas de couchant et n’aura pas de nuit!

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9 novembre 1845.

Je pressais ton bras qui tremble; . . . , Toute la lyre VI, lvi (1888) [Written in the Romantic seven-syllable lines later prized by symbolist poets, this poem exemplifies Hugo’s belief in the multiple parallels between God’s power in nature and love’s power in the human heart.] Je pressais ton bras qui tremble; Nous marchions tous deux ensemble, Tous deux heureux et vainqueurs. La nuit était calme et pure. Dieu remplissait la nature, L’amour emplissait nos cœurs. Tendre extase! saint mystère! Entre le ciel et la terre Nos deux esprits se parlaient. À travers l’ombre et ses voiles, Tu regardais les étoiles, Les astres te contemplaient. Et sentant jusqu’à ton âme Pénétrer la douce flamme De tous ces mondes vermeils, Tu disais: Dieu de l’abîme!

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Seigneur! vous êtes sublime. Vous avez fait les soleils. Et les astres à voix basse Disaient au Dieu de l’espace, Au Dieu de l’éternité: Seigneur, c’est par vous qu’on aime. Vous êtes grand, Dieu suprême. Vous avez fait la beauté!

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30 mars 1844.

La Coccinelle, Les Contemplations I, xv (1856) [Officially dated 1830 but actually written in 1854, “La Coccinelle” is one of many poems about youthful love in the first half of Les Contemplations (notably Book II, “L’Âme en fleur”). It also illustrates Hugo’s ability to play with the notion of adolescent sexual attraction and naïveté, deploying a comic skill he also uses at times to portray Marius in Les Misérables. Sometimes described as naïve by his contemporaries, Hugo (whose given name was Victor-Marie) consciously modeled Marius after himself as a young man. He mocked himself by occasionally making lighthearted fun of Marius’s overly earnest passion for Cosette (as when he rhapsodizes over her father’s handkerchief, believing it to be Cosette’s [III, 6, vii]). “La Coccinelle” also shows Hugo’s talent for the sort of witticism popular with Romantics and criticized by their detractors. In French, a ladybug is familiarly called la bête à bon Dieu. By having a ladybug tickle the girl’s neck, Hugo sets the stage for his final bêtise pun.] Elle me dit: «Quelque chose «Me tourmente.» Et j’aperçus Son cou de neige, et, dessus, Un petit insecte rose. J’aurais dû, — mais, sage ou fou, À seize ans, on est farouche, — Voir le baiser sur sa bouche Plus que l’insecte à son cou. On eût dit un coquillage; Dos rose et taché de noir.

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Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage. Sa bouche fraîche était là; Je me courbai sur la belle, Et je pris la coccinelle; Mais le baiser s’envola. «Fils, apprends comme on me nomme,» Dit l’insecte du ciel bleu, «Les bêtes sont au bon Dieu; «Mais la bêtise est à l’homme.»

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Paris, mai 1830. [10 octobre 1854.]

Amour, Les Contemplations III, x (1856) [In this resounding plea for recognition of freedom in love, Hugo contrasts the beauty, sensuality, and delights of God’s nature with the heaviness of social laws. He writes of the power of springtime, the mystery of physical attraction. As the poem progresses, nature and magic seem to work together to promote love. Hugo’s classical and historical references are less familiar to today’s readers than to his contemporaries. Armide was a sorceress in Tasso’s Jerusalem Liberated who, falling in love with a crusader, deflected him from his duty. Vouglans and Cujas authored legal treatises; Bodin and Delancre wrote works denouncing sorcery and even prosecuted alleged “witches” during the Renaissance. Hugo wrote the poem on March 5, 1855, but published it as if written, provocatively, in July 1843. Was he remembering that he and dark-eyed Juliette left then for their ill-fated voyage to the Pyrénées? Hugo’s daughter, Léopoldine, drowned during their trip; Hugo did not learn of her death until after her funeral. Or he alludes to his fascination with the blonde Léonie, whom he probably knew by this date and who was later imprisoned because of their adulterous love affair. In any case, his ironic juxtaposition of the rules of law and legal cases with the enchanting caprices of nature makes clear the triumph of “Love!”7 ]

7. For the background notes and interpretation, I am indebted to Albouy, ed., Contemplations, 469, n. 1 for p. 145.

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Amour! «Loi,» dit Jésus. «Mystère,» dit Platon. Sait-on quel fil nous lie au firmament? Sait-on Ce que les mains de Dieu dans l’immensité sèment? Est-on maître d’aimer? pourquoi deux êtres s’aiment, Demande à l’eau qui court, demande à l’air qui fuit, Au moucheron qui vole à la flamme la nuit, Au rayon d’or qui veut baiser la grappe mûre! Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure! Demande aux nids profonds qu’avril met en émoi! Le cœur éperdu crie: Est-ce que je sais, moi? Cette femme a passé: je suis fou. C’est l’histoire. Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire; En plein midi, joyeuse, une fleur au corset, Illumination du jour, elle passait; Elle allait, la charmante, et riait, la superbe; Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe; Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla; Et comment voulez-vous que j’échappe à cela? Est-ce que je sais, moi? c’était au temps des roses; Les arbres se disaient tout bas de douces choses; Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ont comploté. J’aime! — Ô Bodin, Vouglans, Delancre! prévôté, Bailliage, châtelet, grand’chambre, saint-office, Demandez le secret de ce doux maléfice Aux vents, au frais printemps chassant l’hiver hagard, Au philtre qu’un regard boit dans l’autre regard, Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse, À ce magicien, à cette charmeresse! Demandez aux sentiers traîtres qui, dans les bois, Vous font recommencer les mêmes pas cent fois, À la branche de mai, cette Armide qui guette, Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette! Demandez à la vie, à la nature, aux cieux, Au vague enchantement des champs mystérieux! Exorcisez le pré tentateur, l’antre, l’orme! Faites, Cujas au poing, un bon procès en forme Aux sources dont le cœur écoute les sanglots, Au soupir éternel des forêts et des flots.

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Dressez procès-verbal contre les pâquerettes Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes; Instrumentez; tonnez. Prouvez que deux amants Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants, Et qu’ils ont fait un pacte avec la lune sombre, Avec l’illusion, l’espérance aux yeux d’ombre, Et l’extase chantant des hymnes inconnus, Et qu’ils allaient tous deux, dès que brillait Vénus, Sur l’herbe que la brise agite par bouffées, Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fées, Éperdus, possédés d’un adorable ennui, Elle n’étant plus elle et lui n’étant plus lui! Quoi! nous sommes encore aux temps où la Tournelle,8 Déclarant la magie impie et criminelle, Lui dressait un bûcher par arrêt de la cour, Et le dernier sorcier qu’on brûle, c’est l’Amour!

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Juillet 1843.

Eviradnus: Un peu de musique, La Légende des siècles, Première série V, 2, xi (1859) [This song in seven-syllable lines comes from the saga of Eviradnus, one of the Chevaliers errants whose exploits Hugo recounts in the Légende des siècles cycle between his stories about Christian heroes and tales of Arab potentates. Eviradnus himself seems to be totally Hugo’s creation, even though he appears alongside real fifteenth-century German and Polish rulers (CFL X, 511, n. 1–2). In this poem, the eleventh of the eighteen that constitute “Eviradnus” and one of Hugo’s most beautiful, the hero hears a love song in which love and joy are metaphorically horses carrying the lovers. The nymphs sing of the mythological Greek Leander, who swam the Hellespont to be with Hero but drowned when his guiding light went out. Seeing his dead body, Hero drowned herself.] Écoutez! — Comme un nid qui murmure invisible, Un bruit confus s’approche, et des rires, des voix, Des pas, sortent du fond vertigineux des bois. 8. La Tournelle was the Paris Parliament Criminal Court of Appeals.

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Et voici qu’à travers la grande forêt brune Qu’emplit la rêverie immense de la lune, On entend frissonner et vibrer mollement, Communiquant aux bois son doux frémissement, La guitare des monts d’Inspruck, reconnaissable Au grelot de son manche où sonne un grain de sable; Il s’y mêle la voix d’un homme, et ce frisson Prend un sens et devient une vague chanson: «Si tu veux, faisons un rêve: Montons sur deux palefrois; Tu m’emmènes, je t’enlève. L’oiseau chante dans les bois.

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«Je suis ton maître et ta proie; Partons, c’est la fin du jour; Mon cheval sera la joie, Ton cheval sera l’amour. «Nous ferons toucher leurs têtes; Les voyages sont aisés; Nous donnerons à ces bêtes Une avoine de baisers. «Viens! nos doux chevaux mensonges Frappent du pied tous les deux, Le mien au fond de mes songes, Et le tien au fond des cieux. «Un bagage est nécessaire; Nous emporterons nos vœux, Nos bonheurs, notre misère, Et la fleur de tes cheveux. «Viens, le soir brunit les chênes; Le moineau rit; ce moqueur Entend le doux bruit des chaînes Que tu m’as mises au cœur. «Ce ne sera point ma faute Si les forêts et les monts,

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En nous voyant côte à côte, Ne murmurent pas: Aimons! «Viens, sois tendre, je suis ivre. Ô les verts taillis mouillés! Ton souffle te fera suivre Des papillons réveillés. «L’envieux oiseau nocturne, Triste, ouvrira son œil rond; Les nymphes, penchant leur urne, Dans les grottes souriront; «Et diront: «Sommes-nous folles! «C’est Léandre avec Héro; «En écoutant leurs paroles «Nous laissons tomber notre eau.» «Allons-nous-en par l’Autriche! Nous aurons l’aube à nos fronts; Je serai grand, et toi riche, Puisque nous nous aimerons.

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«Allons-nous-en par la terre, Sur nos deux chevaux charmants, Dans l’azur, dans le mystère, Dans les éblouissements! «Nous entrerons à l’auberge, Et nous paîrons l’hôtelier De ton sourire de vierge, De mon bonjour d’écolier. «Tu seras dame, et moi comte; Viens, mon cœur s’épanouit; Viens, nous conterons ce conte Aux étoiles de la nuit.» La mélodie encor quelques instants se traîne Sous les arbres bleuis par la lune sereine, Puis tremble, puis expire, et la voix qui chantait S’éteint comme un oiseau se pose; tout se tait. [28 janvier 1859.]

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À une âme qui ne s’aperçoit pas qu’elle est une femme, Les Chansons des rues et des bois, Reliquat [An example of Hugo’s ambivalence about sensuality and passion, this poem presents the beloved woman as both positive and negative. On the one hand, gleaming, brightening the poet’s shadow, eliminating night, and proving God’s existence, she is worthy of being worshipped. On the other, she is a deadly fire whose eyes distract the prophet and shepherd from heaven. Hugo wrote this poem on the island of Sark (near Guernsey) during the same period in which he wrote many of the sensuous poems in Les Chansons des rues et des bois (1865). Thus it is sometimes published as un reliquat, a poem related to that collection (see CFL X, 955–56). Although the poem has also been published in the posthumous Dernière Gerbe, Hugo never edited it for publication. The title appears in Hugo’s handwriting in the manuscript margin, followed by a question mark.] Alors ne soyez pas étoile; Mais si vous voulez, sous le voile, Éclairer notre œil triste et las, Si vous voulez, lys du ciel sombre, Fleur de clarté, luire en notre ombre, Trouvez bon qu’on vous aime, hélas! Si vous voulez être auréole, Si vous voulez, astre et corolle, Resplendir sur tous et pour tous, Charmer, prouver Dieu mieux qu’un prêtre, Et dans la nuée apparaître, Trouvez bon qu’on tombe à genoux. Si vous voulez, ange, être celle Qui brille, fascine, étincelle, Qui fait le jour en disant oui, Et la nuit quand elle s’absente, S’il vous plaît d’être éblouissante, Trouvez bon qu’on soit ébloui. C’est votre faute qu’on vous aime. Quand vers l’azur chaste et suprême Plein de rayons mystérieux, Se tournent le mage et le pâtre,

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Ce coin du ciel qu’on idolâtre Ne doit s’en prendre qu’à ses yeux. Si vous voulez jeter des flammes, Trouvez bon que les pauvres âmes Volent éperdûment à vous; Le feu qui nous tue, on l’adore; Car mourir brûlé par l’aurore, Mourir de lumière, c’est doux! 9 juin 1859. Serk.

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SVB CLARÂ NVDA LVCERNÂ [On a trip to Brussels with his son Charles and Juliette Drouet, Hugo noted this drawing by title in his May 14, 1861, travel journal entry. It thus seems to be the first of his three versions of reclining nudes drawn in the 1860s (the other two, more colorful, are commonly entitled Odalisque ). Hugo drew this figure with pencil, pen, and brush (as well as feather barbs), colored it with brown ink and wash, and inscribed the Latin title, which can be translated as “nude under the bright lamp.” The words come from Roman poet and satirist Horace, Satires II, 7, 48 (Laffont, Roman III, 1099, n. 85), where they are part of a colloquially vulgar description of a sex act with a prostitute. This section of Satires II, 7 argues that a man committing adultery with another man’s wife not only sins but takes a great risk. Hugo uses the same citation in “Ève” , which follows, as one of many ways in which he refers to the not-naked, but more-than-naked Josiane.9 ]

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 4. SVB CLARÂ NVDA LVCERNÂ, © PMVP / Joffre.

9. Lebel and Prévost, Chaos, 270, 395 (#216); CFL XVII, #530.

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“Ève,” L’Homme qui rit II, 7, iii (1869) [One of Hugo’s most explicitly sensual scenes, this chapter describes what his hero, Gwynplaine, sees and feels when he happens upon the Duchess Josiane’s bedroom. Gwynplaine’s life has just been turned upside down. He has been told he is actually a British peer (un pair). He has also been powerfully tempted by the magnificently beautiful Duchess Josiane, who appeared at one of his shows and sent him a love letter: “Tu es horrible, et je suis belle. Tu es histrion, et je suis duchesse. Je suis la première, et tu es le dernier. Je veux de toi. Je t’aime. Viens” (II, 3, ix). After a great internal struggle, Gwynplaine burned the letter and recommitted himself to his love for the pure young woman Dea. In this palace scene, he happens upon the sleeping, nearly naked Josiane, an inseparable mixture of the divine, the otherworldly, and the dreadfully frightful (see “Nourmahal la rousse” for an early portrayal of woman as monster). Hugo refers to her as la femme, implying that she represents all women, as does the “Ève” of the title. To enrich his portrait he alludes to Roman poet Horace (see details in text that accompanies figure 4, svb clarâ nvda lvcernâ  ), and compares Josiane to historical and mythological women and places: La Duchesse de Montpensier, perhaps Anne-Marie Louise d’Orléans, known as la Grande Mademoiselle (1627–93), was exiled for five years for her opposition to King Louis XIV. Messalina (A.D. 22–48), the licentious wife of Roman Emperor Claudius, instigated a number of murders. Diana was the Greek goddess of wild animals and the hunt, whose name is related to the Latin for daylight (dius ) and sky (dium). The Yungfrau, or Jungfrau (which means “maiden” or “virgin” in German), is a very high, often snow-covered Swiss mountain peak. An Olympienne was any mythological Greek goddess who lived on Mount Olympus. Venus, the Roman goddess of love, was connected with the Greek goddess Aphrodite. Hebe, the Greek goddess of youth, was the daughter of Zeus and Hera. Cerberus was the three-headed, dragon-tailed dog who guarded the entrance to the underworld.10 ] Une salle octogone, voûtée en anse de panier, sans fenêtres, éclairée d’un jour d’en haut, toute revêtue, mur, pavage et voûte, de marbre fleur de pêcher; au milieu de la salle un baldaquin pinacle en marbre drap mortuaire, à colonnes torses, dans le style pesant et charmant d’Élisabeth, couvrant d’ombre une vasque-baignoire du même marbre noir; au milieu 10. Reference details from Encyclopædia Britannica, 2007, Encyclopædia Britannica Online, http://eb.com/.

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de la vasque un fin jaillissement d’eau odorante et tiède remplissant doucement et lentement la cuve; c’est là ce qu’il avait devant les yeux. Bain noir pour changer la blancheur en resplendissement. C’était cette eau qu’il avait entendue. Une fuite ménagée dans la baignoire à un certain niveau ne la laissait pas déborder. La vasque fumait, mais si peu qu’il y avait à peine quelque buée sur le marbre. Le grêle jet d’eau était pareil à une souple verge d’acier fléchissante au moindre souffle. Aucun meuble. Si ce n’est, près de la baignoire, une de ces chaises-lits à coussins assez longues pour qu’une femme, qui y est étendue, puisse avoir à ses pieds son chien, ou son amant; d’où can-al-pie, dont nous avons fait canapé. C’était une chaise longue d’Espagne, vu que le bas était en argent. Les coussins et le capiton étaient de soie glacée blanc. De l’autre côté de la baignoire, se dressait, adossée au mur, une haute étagère de toilette en argent massif avec tous ses ustensiles, ayant à son milieu huit petites glaces de Venise ajustées dans un châssis d’argent et figurant une fenêtre. Dans le pan coupé de muraille le plus voisin du canapé, était entaillée une baie carrée qui ressemblait à une lucarne et qui était bouchée d’un panneau fait d’une lame d’argent rouge. Ce panneau avait des gonds comme un volet. Sur l’argent rouge brillait, niellé et dorée, une couronne royale. Au-dessus du panneau était suspendu et scellé au mur un timbre qui était en vermeil, à moins qu’il ne fût en or. Vis-à-vis l’entrée de cette salle, en face de Gwynplaine qui s’était arrêté court, le pan coupé de marbre manquait. Il était remplacé par une ouverture de même dimension, allant jusqu’à la voûte et fermée d’une large et haute toile d’argent. Cette toile, d’une ténuité féerique, était transparente. On voyait au travers. Au centre de la toile, à l’endroit où est d’ordinaire l’araignée, Gwynplaine aperçut une chose formidable, une femme nue. Nue à la lettre, non. Cette femme était vêtue. Et vêtue de la tête aux pieds. Le vêtement était une chemise, très-longue, comme les robes d’anges dans les tableaux de sainteté, mais si fine qu’elle semblait mouillée. De là un à peu près de femme nue, plus traître et plus périlleux que la nudité franche. L’histoire a enregistré des processions de princesses et de grandes dames entre deux files de moines, où, sous prétexte de pieds nus et d’humilité, la

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duchesse de Montpensier se montrait ainsi à tout Paris dans une chemise de dentelle. Correctif: un cierge à la main. La toile d’argent, diaphane comme une vitre, était un rideau. Elle n’était fixée que du haut, et pouvait se soulever. Elle séparait la salle de marbre, qui était une salle de bain, d’une chambre, qui était une chambre à coucher. Cette chambre, très-petite, était une espèce de grotte de miroirs. Partout des glaces de Venise, contiguës, ajustées polyédriquement, reliées par des baguettes dorées, réfléchissaient le lit qui était au centre. Sur ce lit, d’argent comme la toilette et le canapé, était couchée la femme. Elle dormait. Elle dormait la tête renversée, un de ses pieds refoulant ses couvertures, comme la succube au-dessus de laquelle le rêve bat des ailes. Son oreiller de guipure était tombé à terre sur le tapis. Entre sa nudité et le regard il y avait deux obstacles, sa chemise et le rideau de gaze d’argent, deux transparences. La chambre, plutôt alcôve que chambre, était éclairée avec une sorte de retenue par le reflet de la salle de bain. La femme peut-être n’avait pas de pudeur, mais la lumière en avait. Le lit n’avait ni colonnes, ni dais, ni ciel, de sorte que la femme, quand elle ouvrait les yeux, pouvait se voir mille fois nue dans les miroirs audessus de sa tête. Les draps avaient le désordre d’un sommeil agité. La beauté des plis indiquait la finesse de la toile. C’était l’époque où une reine, songeant qu’elle serait damnée, se figurait l’enfer ainsi: un lit avec de gros draps. Du reste, cette mode du sommeil nu venait d’Italie, et remontait aux romains. Sub clara nuda lucerna, dit Horace. Une robe de chambre en soie singulière, de Chine sans doute, car dans les plis on entrevoyait un grand lézard d’or, était jetée sur le pied du lit. Au delà du lit, au fond de l’alcôve, il y avait probablement une porte, masquée et marquée par une assez grande glace sur laquelle étaient peints des paons et des cygnes. Dans cette chambre faite d’ombre tout reluisait. Les espacements entre les cristaux et les dorures étaient enduits de cette matière étincelante qu’on appelait à Venise «fiel de verre». Au chevet du lit était fixé un pupitre en argent à tasseaux tournants et à flambeaux fixes sur lequel on pouvait voir un livre ouvert portant au haut des pages ce titre en grosses lettres rouges: Alcoranus Mahumedis.11

11. The Qur’an of the Prophet Muhammad.

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Gwynplaine ne percevait aucun de ces détails. La femme, voilà ce qu’il voyait. Il était à la fois pétrifié et bouleversé; ce qui s’exclut, mais ce qui existe. Cette femme, il la reconnaissait. Elle avait les yeux fermés et le visage tourné vers lui. C’était la duchesse. Elle, cet être mystérieux en qui se mélangeaient tous les resplendissements de l’inconnu, celle qui lui avait fait faire tant de songes inavouables, celle qui lui avait écrit une si étrange lettre! La seule femme au monde dont il pût dire: Elle m’a vu, et elle veut de moi! Il avait chassé les songes, il avait brûlé la lettre. Il l’avait reléguée, elle, le plus loin qu’il avait pu hors de sa rêverie et de sa mémoire; il n’y pensait plus; il l’avait oubliée… Il la revoyait! Il la revoyait terrible. La femme nue, c’est la femme armée. Il ne respirait plus. Il se sentait soulevé comme dans un nimbe, et poussé. Il regardait. Cette femme devant lui! Était-ce possible? Au théâtre, duchesse. Ici, néréide, naïade, fée. Toujours apparition. Il essaya de fuir et sentit que cela ne se pouvait pas. Ses regards étaient devenus deux chaînes, et l’attachaient à cette vision. Était-ce une fille? Était-ce une vierge? Les deux. Messaline, présente peut-être dans l’invisible, devait sourire, et Diane devait veiller. Il y avait sur cette beauté la clarté de l’inaccessible. Pas de pureté comparable à cette forme chaste et altière. Certaines neiges qui n’ont jamais été touchées sont reconnaissables. Les blancheurs sacrées de la Yungfrau, cette femme les avait. Ce qui se dégageait de ce front inconscient, de cette vermeille chevelure éparse, de ces cils abaissés, de ces veines bleues vaguement visibles, de ces rondeurs sculpturales des seins, des hanches et des genoux modelant les affleurements roses de la chemise, c’était la divinité d’un sommeil auguste. Cette impudeur se dissolvait en rayonnement. Cette créature était nue avec autant de calme que si elle avait droit au cynisme divin, elle avait la sécurité d’une olympienne qui se fait fille du gouffre, et qui peut dire à l’océan: Père! et elle s’offrait, inabordable et superbe, à tout ce qui passe, aux regards, aux désirs, aux démences, aux songes, aussi fièrement assoupie sur ce lit de boudoir que Vénus dans l’immensité de l’écume. Elle s’était endormie la nuit et prolongeait son sommeil au grand jour; confiance commencée dans les ténèbres et continuée dans la lumière.

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Gwynplaine frémissait. Il admirait. Admiration malsaine, et qui intéresse trop. Il avait peur. La boîte à surprise du sort ne s’épuise point. Gwynplaine avait cru être au bout. Il recommençait. Qu’était-ce que tous ces éclairs, s’abattant sur sa tête sans relâche, et enfin, foudroiement suprême, lui jetant, à lui, homme frissonnant, une déesse endormie? Qu’était-ce que toutes ces ouvertures de ciel successives d’où finissait par sortir, désirable et redoutable, son rêve? Qu’était-ce que ces complaisances du tentateur inconnu lui apportant, l’une après l’autre, ses aspirations vagues, ses velléités confuses, jusqu’à ses mauvaises pensées devenues chair vivante, et l’accablant sous une enivrante série de réalités tirées de l’impossible? Y avait-il conspiration de toute l’ombre contre lui, misérable, et qu’allait-il devenir avec tous ces sourires de la fortune sinistre autour de lui? Qu’était-ce que ce vertige arrangé exprès? Cette femme! là! pourquoi? comment? nulle explication. Pourquoi lui? Pourquoi elle? Était-il fait pair d’Angleterre exprès pour cette duchesse? Qui les amenait ainsi l’un à l’autre? qui était dupe? qui était victime? De qui abusait-on la bonne foi? était-ce Dieu qu’on trompait? Toutes ces ­choses, il ne les précisait pas, il les entrevoyait à travers une suite de nuages noirs dans son cerveau. Ce logis magique et malveillant, cet étrange palais, tenace comme une prison, était-il du complot? Gwynplaine subissait une sorte de résorption. Des forces obscures le garrottaient mystérieusement. Une gravitation l’enchaînait. Sa volonté, soutirée, s’en allait de lui. A quoi se retenir? Il était hagard et charmé. Cette fois, il se sentait ­ irrémédiablement insensé. La sombre chute à pic dans le précipice d’éblouissement continuait. La femme dormait. Pour lui, l’état de trouble s’aggravant, ce n’était même plus la lady, la duchesse, la dame; c’était la femme. Les déviations sont dans l’homme à l’état latent. Les vices ont dans notre organisme un tracé invisible tout préparé. Même innocents, et en apparence purs, nous avons cela en nous. Être sans tache, ce n’est pas être sans défaut. L’amour est une loi. La volupté est un piége. Il y a l’ivresse, et il y a l’ivrognerie. L’ivresse, c’est de vouloir une femme; l’ivrognerie, c’est de vouloir la femme. Gwynplaine, hors de lui, tremblait. Que faire contre cette rencontre? Pas de flots d’étoffes, pas d’ampleurs soyeuses, pas de toilette prolixe et coquette, pas d’exagération galante ca-

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chant et montrant, pas de nuage. La nudité dans sa concision redoutable. Sorte de sommation mystérieuse, effrontément édénique. Tout le côté ténébreux de l’homme mis en demeure. Ève pire que Satan. L’humain et le surhumain amalgamés. Extase inquiétante, aboutissant au triomphe brutal de l’instinct sur le devoir. Le contour souverain de la beauté est impérieux. Quand il sort de l’idéal et quand il daigne être réel, c’est pour l’homme une proximité funeste. Par instants la duchesse se déplaçait mollement sur le lit, et avait des ­vagues mouvements d’une vapeur dans l’azur, changeant d’attitude comme la nuée change de forme. Elle ondulait, composant et décomposant des courbes charmantes. Toutes les souplesses de l’eau, la femme les a. Comme l’eau, la duchesse avait on ne sait quoi d’insaisissable. Chose bizarre à dire, elle était là, chair visible, et elle restait chimérique. Palpable, elle semblait lointaine. Gwynplaine, effaré et pâle, contemplait. Il écoutait ce sein palpiter et croyait entendre une respiration de fantôme. Il était attiré, il se débattait. Que faire contre elle? que faire contre lui? Il s’était attendu à tout, excepté à cela. Un gardien féroce en travers de la porte, quelque furieux monstre géôlier à combattre, voilà sur quoi il avait compté. Il avait prévu Cerbère; il trouvait Hébé. Une femme nue. Une femme endormie. Quel sombre combat! Il fermait les paupières. Trop d’aurore dans l’œil est une souffrance. Mais, à travers ses paupières fermées, tout de suite il la revoyait. Plus ténébreuse, aussi belle. Prendre la fuite, ce n’est pas facile. Il avait essayé, et n’avait pu. Il était enraciné comme on est dans le rêve. Quand nous voulons rétrograder, la tentation cloue nos pieds au pavé. Avancer reste possible, reculer non. Les invisibles bras de la faute sortent de terre et nous tirent dans le glissement. Une banalité acceptée de tout le monde, c’est que l’émotion s’émousse. Rien n’est plus faux. C’est comme si l’on disait que, sous de l’acide nitrique tombant goutte à goutte, une plaie s’apaise et s’endort, et que l’écartèlement blase Damiens.12 La vérité est qu’à chaque redoublement, la sensation est plus aiguë. D’étonnement en étonnement, Gwynplaine était arrivé au paroxysme. 12. Robert-François Damiens (1715–57) was tortured and then drawn and quartered for attempting to assassinate King Louis XV.

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Ce vase, sa raison, sous cette stupeur nouvelle, débordait. Il sentait en lui un éveil effrayant. De boussole, il n’en avait plus. Une seule certitude était devant lui, cette femme. On ne sait quel irrémédiable bonheur s’entr’ouvrait, ressemblant à un naufrage. Plus de direction possible. Un courant irrésistible, et l’écueil. L’écueil, ce n’est pas le rocher, c’est la sirène. Un aimant est au fond de l’abîme. S’arracher à cette attraction, Gwynplaine le voulait, mais comment faire? Il ne sentait plus de point d’attache. La fluctuation humaine est infinie. Un homme peut être désemparé comme un navire. L’ancre, c’est la conscience. Chose lugubre, la conscience peut casser. Il n’avait même pas cette ressource: — Je suis défiguré et terrible. Elle me repoussera. — Cette femme lui avait écrit qu’elle l’aimait. Il y a dans les crises un instant de porte-à-faux. Quand nous débordons sur le mal plus que nous ne nous appuyons sur le bien, cette quantité de nous-même qui est en suspens sur la faute finit par l’emporter et nous précipite. Ce moment triste était-il venu pour Gwynplaine? Comment échapper? Ainsi c’était elle! la duchesse! cette femme! Il l’avait devant lui, dans cette chambre, dans ce lieu désert, endormie, livrée, seule. Elle était à sa discrétion, et il était en son pouvoir! La duchesse! On a aperçu une étoile au fond des espaces. On l’a admirée. Elle est si loin! que craindre d’une étoile fixe? Un jour, — une nuit, — on la voit se déplacer. On distingue un frisson de lueur autour d’elle. Cet astre, qu’on croyait impassible, remue. Ce n’est pas l’étoile, c’est la comète. C’est l’immense incendiaire du ciel. L’astre marche, grandit, secoue une chevelure de pourpre, devient énorme. C’est de votre côté qu’il se dirige. Ô terreur, il vient à vous! La comète vous connaît, la comète vous désire, la comète vous veut. Épouvantable approche céleste. Ce qui arrive sur vous, c’est le trop de lumière, qui est l’aveuglement; c’est l’excès de vie, qui est la mort. Cette avance qui vous fait le zénith, vous la refusez. Cette offre d’amour du gouffre, vous la rejetez. Vous mettez votre main sur vos paupières, vous vous cachez, vous vous dérobez, vous vous croyez sauvé. Vous rouvrez les yeux… — L’étoile redoutable est là. Elle n’est plus étoile, elle est monde. Monde ignoré. Monde de lave et de braise. Dévorant prodige des profondeurs. Elle emplit le ciel. Il n’y a plus qu’elle. L’escarboucle du fond de l’infini, diamant de loin, de près est fournaise. Vous êtes dans sa flamme. Et vous sentez commencer votre combustion par une chaleur de paradis.

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Danger d’aller dans les bois, Toute la lyre VI, lx (1888) [This playful poem contains several of Hugo’s favorite themes and motifs. The woods are a naturally sensual setting for love, and birds, blessed by God, echo the poet’s call for sexual freedom.] Ne te figure pas, ma belle, Que les bois soient pleins d’innocents. La feuille s’émeut comme l’aile Dans les noirs taillis frémissants; L’innocence que tu supposes Aux chers petits oiseaux bénis N’empêche pas les douces choses Que Dieu veut et que font les nids. Les imiter serait mon rêve; Je baise en songe ton bras blanc; Commence! dit l’Aurore. — Achève! Dit l’étoile. Et je suis tremblant. Toutes les mauvaises pensées, Les oiseaux les ont, je les ai, Et par les forêts insensées Notre cœur n’est point apaisé. Quand je dis mauvaises pensées Tu souris… — L’ombre est pleine d’yeux, Vois, les fleurs semblent caressées Par quelqu’un dans les bois joyeux. —

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Viens! l’heure passe. Aimons-nous vite! Ton cœur, à qui l’amour fait peur, Ne sait s’il cherche ou s’il évite Ce démon dupe, ange trompeur. En attendant, viens au bois sombre. Soit. N’accorde aucune faveur. Derrière toi, marchant dans l’ombre, Le poète sera rêveur;

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Et le faune, qui se dérobe, Regardera du fond des eaux Quand tu relèveras ta robe Pour enjamber les clairs ruisseaux. 2 juin.

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2  •  On Children

Dans l’enfant qui bégaie on entend Dieu parler. —“Fonction de l’enfant,” La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, iii (1877)

Victor Hugo deeply cherished his own children and grandchildren, as well as Juliette Drouet’s daughter, Claire Pradier, and he celebrated them and his love for them in highly personal poems. He also created memorable young fictional characters. As part of his concern for social justice, Hugo found children to be as equally endowed with human rights as adults and argued that they should not be exploited as workers. He wrote movingly about children as victims of poverty and abuse. With his wife, Adèle, he started a movement to better nourish poor youngsters. During his own childhood, Victor was close to his older brothers, Abel and Eugène, as well as to his mother. His father was a more distant figure; his military career took him to foreign countries, and he and Victor’s mother had discovered that they were generally incompatible. But Victor enjoyed some happy childhood days, most especially when, between the ages of seven and eleven, he lived with his mother and brothers at Les Feuillantines in Paris’s Latin Quarter (see, for instance, “Aux Feuillantines” and “Ce qui se passait aux Feuillantines”). As a young man, Hugo proved to be a loving father, dedicated with Adèle to raising well their four children: Léopoldine, Charles, Victor, and Adèle. Hugo

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encouraged them to study hard and be good. He often praised and played with them; to amuse them, he created toys, stories, and drawings. When traveling with Juliette, he wrote frequently to his Dédé, Toto, Charlot, and Didine (also nicknamed Poupée, Didi). His letters, like his poem “À quoi je songe? . . . ” (included in this chapter), are full of affectionate terms and straightforward declarations of his love. In 1839 Hugo wrote to Adèle, his youngest child, when she was about nine: “je te donne deux baisers ma dédé et un troisième pour ta mère — et puis encore un quatrième pour toi mon bijou… ma dédé, ma chère petite dédé je t’aime… je t’embrasse encore ma petite dédé bien-aimée, ton petit papa.” In 1840 he wrote to Victor (also known as François-Victor), when he was almost twelve: “je t’aime, je t’aime profondément mon petit toto… rien de ce que je vois ne me distrait de vous mes enfants.” Hugo’s success enabled him to offer his children such cultural opportunities as theater, concerts, and travel. Sadly, before he died Hugo lost all his children. Only his son Charles and his wife, Alice, produced offspring: Georges, born in 1868 when Hugo was sixty-six, and Jeanne, born thirteen months later. Like many grandparents, Hugo was enraptured by, and indulgent with, ces doux êtres, as he called them in a journal entry (CFL XV–XVI/2, 858). He summarized for them his most deeply held convictions in the five final poems of L’Art d’être grand-père, entitled “Que les petits liront quand ils seront grands.”1 In his devotion to his children and his determination to maintain a rich family life alongside his amorous affairs, Hugo may have been somewhat ahead of his time, since home and family generally did not gain prominence in Euro­pean social life until the mid-nineteenth century. The growing tendency of French adults to prize children and to attach importance to childhood can be traced in part to Jean-Jacques Rousseau’s Émile (1762). Rousseau’s novel concept of education grew from a radically new view of children as naturally innocent, pure, untainted. Much of what became known as Romantic sensibility derives from Rousseau’s writings, which emphasize the power of nature and make the case for the primacy of feelings over reason. Arguing in Émile that society corrupts children, Rousseau proposed educating them in a natural setting, with attention to their emotional needs. Other Enlightenment thinkers such as Montesquieu and Voltaire brought a similar liberalism to theories of government. Hugo

1. For an overview of Hugo’s interactions with his children and grandchildren and quotations from his letters, see Evelyne Poirel, “Victor Hugo, ses enfants et ses petitsenfants,” in Lorsque l’enfant, 12–29.

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builds on the parallels between liberalized government and child-rearing in L’Art d’être grand-père.2 In tune with the notion of children as beings sent directly from God, Hugo broadened the scope and depth of children’s issues in his poetry, fiction, and speeches. Petit Paul, the toddler hero of his eponymous poem, is typical: “[Il] eut la fraîche impudeur de l’innocence nue, / Fut cet ange qu’est l’homme avant d’être complet.” Children in Hugo’s poetry and novels gain power from their angelic innocence, which makes them, in effect, intermediaries between God and adults. In “La Prière pour tous,” for example, the poet exhorts the young Léopoldine to pray for others since her innocent prayer is inevitably the most effective. In highlighting the father and poet’s affinity with children, Hugo broadened the concept of their innocence to describe and rejoice in their delightfulness and irresistibility. As a young father, he noted, “Il y a des hommes qui sont faits pour la société des femmes, moi, je suis fait pour la société des enfants” (1830–33; CFL IV, 976). Such a love does not end as children grow up, Hugo shows in such plays as Le Roi s’amuse and Lucrèce Borgia. Jean Valjean’s thoughts about his adopted daughter, Cosette, as an adolescent reflect Hugo’s appreciation of children’s miraculous innocence, as well as the overwhelming power of a father’s love: Quand Cosette sortait avec lui, elle s’appuyait sur son bras, fière, heureuse, dans la plénitude du cœur. Jean Valjean, à toutes ces marques d’une tendresse si exclusive et si satisfaite de lui seul, sentait sa pensée se fondre en délices. Le pauvre homme tressaillait inondé d’une joie angélique; il s’affirmait avec transport que cela durerait toute la vie; il se disait qu’il n’avait vraiment pas assez souffert pour mériter un si radieux bonheur, et il remerciait Dieu, dans les profondeurs de son âme, d’avoir permis qu’il fût ainsi aimé, lui misérable, par cet être innocent. (Les Misérables IV, 3, iv) Along with his evocation of children’s beautiful, powerful, innocent nature, Hugo wove more culturally controversial ideas into the apparently simple, grandfatherly L’Art d’être grand-père. By focusing on children’s innocence (as in “Le Syllabus,” for instance), he inherently protests against the Catholic Church’s renewed insistence on the dogma of original sin, a concept revived at the time 2. For background details, see Loftur Guttormsson, “Parent-Child Relations,” in Family Life in the Long Nineteenth Century 1789–1913, vol. 2, The History of the European ­Family, ed. David I. Kertzer and Marzio Barbagli (New Haven and London: Yale University Press, 2002), 252–81.

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of the Commune uprising. At the same time, several poems in the collection implicitly argue that justice be tempered with mercy and that rulers be clement (see, especially, “Les Enfants gâtés” in this chapter, and “Jeanne était au 3 pain sec . . .” in chapter 13). Writing in Le National soon after L’Art d’être grand-père was published, poet Théodore de Banville declared of Hugo, “Il est vrai de dire qu’en art et en poésie l’Enfant date de lui et n’a commencé à vivre que dans ses œuvres.”4 Certainly, Hugo wrote more about children than most of his contemporaries; he crafted fictional children of such compelling individuality that Gavroche and Cosette, from Les Misérables, entered into French cultural tradition. An excerpt about Gavroche appears below. In some ways, Cosette epitomizes the Hugolian child. When Jean Valjean rescues her, an orphan, from an abusive environment, she becomes the joy of his life, his reason for living. It is not surprising that her face advertises the enduring musical tragedy (http://www.lesmis.com), since she was a frequent subject of nineteenth-century artists. Cosette is the ultimate child that Hugo once described in his journal: “Un petit enfant, / c’est la vérité, / c’est la douceur, c’est la justice, / c’est la confiance, / c’est plus que tout / cela: c’est l’innocence.”5

Lorsque l’enfant paraît, . . . , Les Feuilles d’automne XIX (1831) [Widely anthologized, this poem epitomizes Hugo’s skill in bringing to life his delight in children’s innocence. As with “Dans l’alcôve sombre . . .” and “Laissez. — Tous ces enfants sont bien là . . . ,” this poem brings a lightheartedness into a collection often marked by Hugo’s disquiet about his relationship with Adèle. The epigraph comes from “Le Mendiant” by André Chenier (1762–94), a poet admired by the Romantics who was guillotined during the Terror.]

3. On the political nature of L’Art d’être grand-père, see especially Albouy, ed., L’Art; Claude Millet, “Notice” Laffont, Poésie III, 1446–47; Sheila Gaudon, “Victor Hugo, poète de l’enfance,” in Poirel, ed., Lorsque l’enfant, 30–51. 4. Victor Hugo, L’Année terrible, L’Art d’être grand-père (Paris: Albin Michel, Imprimerie Nationale-Ollendorf, 1914): 639. 5. Cited as coming from Musée littéraire Victor Hugo Bièvres. 1342 Cop VH., on p. 48 in Sheila Gaudon, “Victor Hugo, poète de l’enfance,” in Poirel, ed., Lorsque l’enfant, 30–51, which is the source of several ideas in this paragraph.

o n c h i l d r e n   91 Le toit s’égaie et rit. ANDRÉ CHÉNIER.

Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris; son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l’enfant paraître, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des poètes de l’âme Qui s’élève en priant; L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints! la grave causerie S’arrête en souriant. La nuit, quand l’homme dort, quand l’esprit rêve, à l’heure Où l’on entend gémir, comme une voix qui pleure, L’onde entre les roseaux, Si l’aube tout-à-coup là-bas luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d’oiseaux! Enfants, vous êtes l’aube et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures S’emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dorés! Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bénies, N’ont point mal fait encor;

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Jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange; Tête sacrée! enfant aux cheveux blonds! bel ange À l’auréole d’or! Vous êtes parmi nous la colombe de l’arche. Vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche; Vos ailes sont d’azur. Sans le comprendre encor, vous regardez le monde. Double virginité! corps où rien n’est immonde, Âme où rien n’est impur! Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers! Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j’aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur! l’été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants!

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Mai 1830.

À quoi je songe? . . . , Les Voix intérieures XXIII (1837) [Hugo was no doubt traveling in 1835 when he wrote this poem about his vast love for his young children (Laffont, Poésie I, 1094–95, n. 44). As always, the poet refers to Adèle with respect and compliments the children’s grandfather, Pierre Foucher (line 24). Nearby in Les Voix intérieures appear “Regardez, les enfants se sont assis en rond . . .” and “À des oiseaux envolés,” both of which revel in the wonders, beauty, and inspirational quality of children.]

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À quoi je songe? — Hélas! loin du toit où vous êtes, Enfants, je songe à vous! à vous, mes jeunes têtes, Espoir de mon été déjà penchant et mûr, Rameaux dont, tous les ans, l’ombre croît sur mon mur, Douces âmes à peine au jour épanouies, Des rayons de votre aube encor tout éblouies! Je songe aux deux petits qui pleurent en riant, Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant, Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entre elles, Leurs jeux charmants mêlés de charmantes querelles! Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés Qui s’avancent déjà de plus de flot baignés, Laissant pencher parfois leur tête encor naïve, L’un déjà curieux, l’autre déjà pensive! Seul et triste au milieu des chants des matelots, Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots, S’ouvrant et se fermant comme autant de narines, Mêlent au vent des cieux mille haleines marines, Où l’on entend dans l’air d’ineffables échos Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux, Ainsi je songe! — à vous, enfants, maison, famille, À la table qui rit, au foyer qui pétille, À tous les soins pieux que répandent sur vous Votre mère si tendre et votre aïeul si doux! Et tandis qu’à mes pieds s’étend, couvert de voiles, Le limpide océan, ce miroir des étoiles, Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux De l’infini des mers à l’infini des cieux, Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde L’amour que j’ai pour vous dans mon âme profonde, Amour doux et puissant qui toujours m’est resté, Et cette grande mer est petite à côté! Juillet 1836. — St-Val-en-C. Écrit au bord de la mer.

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Mari de Didine and Mari de Dédé [Hugo entertained his children and grandchildren with drawings left on their pillows overnight or sent from his travels. He rewarded Georges and Jeanne with bons points, happy faces and positive images, or expressed his regret over their behavior with sad or angry caricatures (mauvais points). These two joking pen drawings are undated but appear amid drawings from the 1830s in an album entitled Choses à la plume, alongside a similar drawing, “Mari de Clémentine.” Looking closely at these drawings, you can see that a childish hand has overwritten “Clémentine” with the names “Didine” and “Dédé” (CFL XVII/1, plates 30, 31). Hugo’s hundreds of caricatures typically offer a similarly sarcastic, sardonic vision.6]

6. For examples of the “bons” and “mauvais points” drawings, see Pierre Georgel, “Sur un griffonnage à deux mains” in Poirel, ed., Lorsque l’enfant, 154–61.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 5. Mari de Didine, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 13355, FOL. 31.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 6. Mari de Dédé, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 13355, FOL. 31.

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Elle avait pris ce pli . . . , Les Contemplations IV, v (1856) [In this poem written after Léopoldine drowned, Hugo remembers her as the small child whose daily visits enchanted him and diverted him from his writing. His warm memories recall such earlier, completely happy poems as “À des oiseaux envolés,” but the ending strikes a new note. Written on the jour des morts, a day on which some Christians pray for the dead, this poem foreshadows the trio of tragic poems later in Book IV of Les Contemplations (included in chapter 3).] Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin De venir dans ma chambre un peu chaque matin; Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère; Elle entrait et disait: «Bonjour, mon petit père»; Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait, Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe. Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse, Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant, Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracée, Et mainte page blanche entre ses mains froissée Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers. Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts, Et c’était un esprit avant d’être une femme. Son regard reflétait la clarté de son âme. Elle me consultait sur tout à tous moments. Oh! que de soirs d’hiver radieux et charmants, Passés à raisonner langue, histoire et grammaire, Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère Tout près, quelques amis causant au coin du feu! J’appelais cette vie être content de peu! Et dire qu’elle est morte! hélas! que Dieu m’assiste! Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste; J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux. Novembre 1846, jour des morts.

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Jeanne fait son entrée, L’Art d’être grand-père I, iii (1877) [In this poem and the following three, Hugo expresses his grandfatherly love for the very young Georges and Jeanne, along with his vision of them as beings sent directly from heaven. In just eight lines, Hugo conveys the image of God as grandfather, a theme running throughout L’Art d’être grand-père, and the notion that baby talk reflects a special connection to the universe. Hugo’s fascination with babies’ language continues in Quatrevingt-treize, where he is explicit about his belief in the eternity of souls: “Ce bégaiement se compose de ce que l’enfant disait quand il était ange et de ce qu’il dira quand il sera homme; le berceau a un Hier de même que la tombe a un Demain; ce demain et cet hier amalgament dans ce gazouillement obscur leur double inconnu; et rien ne prouve Dieu, l’éternité, la responsabilité, la dualité du destin, comme cette ombre formidable dans cette âme rose” (III, 3, i).] Jeanne parle; elle dit des choses qu’elle ignore; Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore, À la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament, À l’immense nature un doux gazouillement, Tout un discours, profond peut-être, qu’elle achève Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve, Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé; Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.

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[9 juillet 1870]

Victor, sed victus, L’Art d’être grand-père I, iv (1877) [Playing on the Latin meaning of his given name (the title translates as “Conqueror, but conquered”), Hugo here wittily juxtaposes how powerfully he has crusaded (against Napoleon III and for Romantic ideals, for instance) with how easily his charming grandchild can overwhelm him. Using nature metaphors and others that range from the classical to the biblical, he calls himself a gladiator (“Belluaire”) and claims to have fought people as immoral as those who populated Sodom (the Old Testament city that God destroyed along with Gemorrah because of their inhabitants’ sins). Hugo argues that he would fear neither the mythological Hades river Styx nor Lake Averno, described by ancient Greeks as an entrance to hell. In drawing the parallel between these places and “la bouche obscure des cavernes” (line 12), he also adroitly refers to his own

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Les Contemplations poem, “Ce que dit la bouche d’ombre,” in which a specter communicates with the poet.] Je suis, dans notre temps de chocs et de fureurs, Belluaire, et j’ai fait la guerre aux empereurs; J’ai combattu la foule immonde des Sodomes, Des millions de flots et des millions d’hommes Ont rugi contre moi sans me faire céder; Tout le gouffre est venu m’attaquer et gronder, Et j’ai livré bataille aux vagues écumantes, Et sous l’énorme assaut de l’ombre et des tourmentes Je n’ai pas plus courbé la tête qu’un écueil; Je ne suis pas de ceux qu’effraie un ciel en deuil, Et qui, n’osant sonder les styx et les avernes, Tremblent devant la bouche obscure des cavernes; Quand les tyrans lançaient sur nous, du haut des airs, Leur noir tonnerre ayant des crimes pour éclairs, J’ai jeté mon vers sombre à ces passants sinistres; J’ai traîné tous les rois avec tous leurs ministres, Tous les faux dieux avec tous les principes faux, Tous les trônes liés à tous les échafauds, L’erreur, le glaive infâme et le sceptre sublime, J’ai traîné tout cela pêle-mêle à l’abîme; J’ai devant les césars, les princes, les géants De la force debout sur l’amas des néants, Devant tous ceux que l’homme adore, exècre, encense, Devant les Jupiters de la toute-puissance, Été quarante ans fier, indompté, triomphant; Et me voilà vaincu par un petit enfant.

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[28 juin 1874]

Georges et Jeanne, L’Art d’être grand-père I, vi (1877) [In this famous poem, Hugo savors his grandchildren’s delightfulness and juxtaposes their bright youth with his dark nearness to death (a poetic device, since he was in good health and would not die for fifteen years). Again, Hugo describes their voices as divine; they are as universal as the sounds of nature and as powerful as the Sirens’ voices that could lure such mythological ship pilots

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as Jason, Palinure, and Typhlos to their deaths. The “s” is sometimes omitted from “Georges” to create a twelve-syllable alexandrine line.] Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide, J’en ai deux; George et Jeanne; et je prends l’un pour guide Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix, Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois. Leurs essais d’exister sont divinement gauches; On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches, Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit; Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit, Moi dont le destin pâle et froid se décolore, J’ai l’attendrissement de dire: Ils sont l’aurore. Leur dialogue obscur m’ouvre des horizons; Ils s’entendent entr’eux, se donnent leurs raisons, Jugez comme cela disperse mes pensées. En moi, désirs, projets, les choses insensées, Les choses sages, tout, à leur tendre lueur, Tombe, et je ne suis plus qu’un bonhomme rêveur. Je ne sens plus la trouble et secrète secousse Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse. Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. Je les regarde, et puis je les écoute, et puis Je suis bon, et mon cœur s’apaise en leur présence; J’accepte les conseils sacrés de l’innocence, Je fus toute ma vie ainsi; je n’ai jamais Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets, De plus doux que l’oubli qui nous envahit l’âme Devant les êtres purs d’où monte une humble flamme; Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis, Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids. Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes, Je distingue ébloui l’ombre que font les palmes Et comme une clarté d’étoile à son lever, Et je me dis: À quoi peuvent-ils donc rêver? Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges, Au chien, au coq, au chat; et Jeanne pense aux anges. Puis, au réveil, leurs yeux s’ouvrent, pleins de rayons.

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Ils arrivent, hélas! à l’heure où nous fuyons. Ils jasent. Parlent-ils? Oui, comme la fleur parle À la source des bois; comme leur père Charle, Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé; Comme je vous parlais, de soleil inondé, Ô mes frères, au temps où mon père, jeune homme, Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome, À cheval sur sa grande épée, et tout petits. Jeanne qui dans les yeux a le myosotis, Et qui, pour saisir l’ombre entr’ouvrant ses doigts frêles, N’a presque pas de bras ayant encor des ailes, Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot, Georges beau comme un dieu qui serait un marmot. Ce n’est pas la parole, ô ciel bleu, c’est le verbe; C’est la langue infinie, innocente et superbe Que soupirent les vents, les forêts et les flots; Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos Entendaient la sirène avec cette voix douce Murmurer l’hymne obscur que l’eau profonde émousse; C’est la musique éparse au fond du mois de mai Qui fait que l’un dit: J’aime, et l’autre, hélas: J’aimai; C’est le langage vague et lumineux des êtres Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres, Et qui, devant avril, éperdus, hésitants, Bourdonnent à la vitre immense du printemps. Ces mots mystérieux que Jeanne dit à George, C’est l’idylle du cygne avec le rouge-gorge, Ce sont les questions que les abeilles font, Et que le lys naïf pose au moineau profond; C’est ce dessous divin de la vaste harmonie, Le chuchotement, l’ombre ineffable et bénie Jasant, balbutiant des bruits de vision, Et peut-être donnant une explication; Car les petits enfants étaient hier encore Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore. Ô Jeanne! Georges! voix dont j’ai le cœur saisi! Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi. Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore.

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Oh! d’où venez-vous donc, inconnus qu’on adore? Jeanne a l’air étonné; George a les yeux hardis. Ils trébuchent, encore ivres du paradis.

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[8 août 1870]

Jeanne songeait, sur l’herbe assise, . . . , L’Art d’être grand-père III, i (1877) [In this poem, as in others in the section entitled “La Lune,” Hugo portrays children as inherently in tune with the universe, with the infinitesimally small and the immensely large. When he writes that children require le prodige, he refers to more than an extraordinary magical or supernatural event: “Le prodige, c’est le phénomène à l’état de chef-d’œuvre” (“La mer et le vent,” II, Proses philosophiques de 1860–65 [Laffont XII, 682]).7 ] Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose; Je m’approchai: — Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne? — car j’obéis à ces charmants amours, Je les guette, et je cherche à comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines têtes. Jeanne m’a répondu: — Je voudrais voir des bêtes. Alors je lui montrai dans l’herbe une fourmi. Vois! — Mais Jeanne ne fut contente qu’à demi. Non, les bêtes, c’est gros, me dit-elle.                  Leur rêve, C’est le grand. L’Océan les attire à sa grève, Les berçant de son chant rauque, et les captivant Par l’ombre, et par la fuite effrayante du vent; Ils aiment l’épouvante, il leur faut le prodige. — Je n’ai pas d’éléphant sous la main, répondis-je. Veux-tu quelque autre chose? ô Jeanne, on te le doit! Parle. — Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt. — Ça, dit-elle. — C’était l’heure où le soir commence. Je vis à l’horizon surgir la lune immense.

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[12 avril 1874 ou 1875]

7. Albouy, ed., L’Art, 229–31; Millet, ed., Oeuvres poétiques, 392. This idea of a prodigious masterpiece is also central to Quatrevingt-treize.

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Les Enfants gâtés, L’Art d’être grand-père XV, i (1877) [Hugo’s contemporaries seemed not to have recognized the political messages of L’Art d’être grand-père, but his arguments for a true democratic government free of the clergy’s control are clear to modern readers familiar with French history. The opening poem of section XV (“Louange à l’enfant”), “Les Enfants gâtés” sets the tone with its unabashed parallels between a childhood full of freedoms and a compassionate republic. First with tongue in cheek and then serious, Hugo notes the dangers of an overly rigid educational system, a tyran­ nical government, and a populace that can too naïvely succumb to a crowd mentality. (The vast majority of French voters approved Napoleon III’s various plebiscites, thus giving him greater powers.)8 ] En me voyant si peu redoutable aux enfants, Et si rêveur devant les marmots triomphants, Les hommes sérieux froncent leurs sourcils mornes; Un grand-père échappé passant toutes les bornes, C’est moi. Triste, infini dans la paternité, Je ne suis rien qu’un bon vieux sourire entêté. Ces chers petits! Je suis grand-père sans mesure; Je suis l’ancêtre aimant ces nains que l’aube azure, Et regardant parfois la lune avec ennui, Et la voulant pour eux, et même un peu pour lui; Pas raisonnable enfin. C’est terrible. Je règne Mal, et je ne veux pas que mon peuple me craigne; Or, mon peuple, c’est Jeanne et George; et moi, barbon, Aïeul sans frein, ayant cette rage, être bon, Je leur fais enjamber toutes les lois, et j’ose Pousser aux attentats leur république rose; La popularité malsaine me séduit; Certe, on passe au vieillard, qu’attend la froide nuit, Son amour pour la grâce et le rire et l’aurore; Mais des petits, qui n’ont pas fait de crime encore, Je vous demande un peu si le grand-père doit Être anarchique, au point de leur montrer du doigt, Comme pouvant dans l’ombre avoir des aventures, L’auguste armoire où sont les pots de confitures! 8. Millet, ed. Œuvres poétiques, 404–6 notes.

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Oui, j’ai pour eux, parfois, — ménagères, pleurez! — Consommé le viol de ces vases sacrés. Je suis affreux. Pour eux je grimpe sur des chaises! Si je vois dans un coin une assiette de fraises Réservée au dessert de nous autres, je dis: — Ô chers petits oiseaux goulus du paradis, C’est à vous! Voyez-vous, en bas, sous la fenêtre, Ces enfants pauvres, l’un vient à peine de naître, Ils ont faim. Faites-les monter, et partagez. — Jetons le masque. Eh bien! je tiens pour préjugés, Oui, je tiens pour erreurs stupides les maximes Qui veulent interdire aux grands aigles les cimes, L’amour aux seins d’albâtre et la joie aux enfants. Je nous trouve ennuyeux, assommants, étouffants. Je ris quand nous enflons notre colère d’homme Pour empêcher l’enfant de cueillir une pomme, Et quand nous permettons un faux serment aux rois. Défends moins tes pommiers et défends mieux tes droits, Paysan. Quand l’opprobre est une mer qui monte; Quand je vois le bourgeois voter oui pour sa honte; Quand Scapin est évêque et Basile banquier;9 Quand, ainsi qu’on remue un pion sur l’échiquier, Un aventurier pose un forfait sur la France, Et le joue, impassible et sombre, avec la chance D’être forçat s’il perd et s’il gagne empereur; Quand on le laisse faire, et qu’on voit sans fureur Régner la trahison abrutie en orgie, Alors dans les berceaux moi je me réfugie, Je m’enfuis dans la douce aurore, et j’aime mieux Cet essaim d’innocents, petits démons joyeux Faisant tout ce qui peut leur passer par la tête, Que la foule acceptant le crime en pleine fête Et tout ce bas-empire infâme dans Paris; Et les enfants gâtés que les pères pourris.

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9. In alluding to the famous comic theatrical characters Scapin and Basile, Hugo suggests that unruly rulers can turn a country into a carnival.

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“Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le Grand” (excerpts), Les Misérables IV, 6, ii (1862) [Although Gavroche appears in less than five percent of Les Misérables, he has the dimensions of a mythic figure, and he immediately came to immortalize the Parisian street urchin (le gamin). Only eight-and-a-half years old but with a long history of living independently, Gavroche embodies worldly wisdom, witty street smarts, and a nearly saintly kindliness and generosity. In the first of two excerpts, Gavroche helps two boys he has just met on the street; he is unaware that they are his younger brothers, lost and destitute because their ne’er-do-well parents have been imprisoned for assault. They have just been rebuffed by a barber from whom they sought help. Searching through his pockets, Gavroche triumphantly finds a sou, worth less than a penny. In the second excerpt, we learn that Gavroche profits from Napoleon by residing in a colossal wood-and-plaster elephant that had been erected in the Place de la Bastille as a monument to the Emperor. Forty feet high, this statue is rotting, and the narrator claims that a boy had in reality been found sleeping there. After swooping up the elephant’s leg into his abode, Gavroche has helped his new friends climb a ladder he raised for them. Part of Gavroche’s charm is his irreverent take on life, which is reflected in the colorful street language he begins to teach the boys. Slang words that Hugo does not define and that you may not find in the average dictionary include these: morfilez (“eat,” a word play on morfil, the ivory in elephant tusks); bêtas (stupid or silly people); nom d’unch (an exclamation that appears in no dictionary); pinocez! (sleep!). Gavroche also employs a rich variety of words to refer to his new friends as “kids” or “young kids”: momignards (a play on the word môme, a popular term of the period); mioches (from mie de pain, the soft interior of bread); moutards. The two boys are a bit frightened, but also intrigued and impressed by the child-adult Gavroche.10 ] — Calmons-nous, les momignards. Voici de quoi souper pour trois. Et il tira d’une de ses poches un sou. Sans laisser aux deux petits le temps de s’ébahir, il les poussa tous deux devant lui dans la boutique du boulanger, et mit son sou sur le comptoir en criant: — Garçon! cinque centimes de pain. 10. For an interesting study of Gavroche, see Françoise Chenet-Faugeras, “Gavroche, enfant-dieu,” Iris, 23 (summer 2002): 173–82.

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Le boulanger, qui était le maître en personne, prit un pain et un couteau. — En trois morceaux, garçon! reprit Gavroche, et il ajouta avec dignité: — Nous sommes trois. Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs, avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez avec une aspiration aussi impérieuse que s’il eût eu au bout du pouce la prise de tabac du grand Frédéric, et jeta au boulanger en plein visage cette apostrophe indignée: — Keksekça? Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir, dans cette interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou l’un de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du bord d’un fleuve à l’autre à travers les solitudes, sont prévenus que c’est un mot qu’ils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui tient lieu de cette phrase: qu’est-ce que c’est que cela? Le boulanger comprit parfaitement et répondit: — Eh mais! c’est du pain, du très bon pain de deuxième qualité. — Vous voulez dire du larton brutal,11 reprit Gavroche, calme et froide­ ment dédaigneux. Du pain blanc, garçon! du larton savonné! je régale. Le boulanger ne put s’empêcher de sourire, et tout en coupant le pain blanc, il les considérait d’une façon compatissante qui choqua Gavroche. — Ah çà, mitron! dit-il, qu’est-ce que vous avez donc à nous toiser12 comme ça? Mis tous trois bout à bout, ils auraient à peine fait une toise. Quand le pain fut coupé, le boulanger encaissa le sou, et Gavroche dit aux deux enfants: — Morfilez. Les petits garçons le regardèrent interdits. Gavroche se mit à rire: — Ah! tiens, c’est vrai, ça ne sait pas encore, c’est si petit. Et il reprit: — Mangez. En même temps, il leur tendait à chacun un morceau de pain. Et, pensant que l’aîné, qui lui paraissait plus digne de sa conversation, 11. Larton brutal is common, black bread. Gavroche demands more elegant bread for his money. 12. Hugo plays on the words toiser (to treat with disdain) and la toise (a six-foot-long measure).

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méritait quelque encouragement spécial et devait être débarrassé de toute hésitation à satisfaire son appétit, il ajouta en lui donnant la plus grosse part: — Colle-toi ça dans le fusil.13 Il y avait un morceau plus petit que les deux autres; il le prit pour lui. Les pauvres enfants étaient affamés, y compris Gavroche. Tout en arrachant leur pain à belles dents, ils encombraient la boutique du boulanger qui, maintenant qu’il était payé, les regardait avec humeur. — Rentrons dans la rue, dit Gavroche. Ils reprirent la direction de la Bastille. De temps en temps, quand ils passaient devant les devantures de boutiques éclairées, le plus petit s’arrêtait pour regarder l’heure à une montre en plomb suspendue à son cou par une ficelle. — Voilà décidément un fort serin, disait Gavroche. Puis, pensif, il grommelait entre ses dents: — C’est égal, si j’avais des mômes, je les serrerais mieux que ça. [ … ] Les deux enfants considéraient avec un respect craintif et stupéfait cet être intrépide et inventif, vagabond comme eux, isolé comme eux, chétif comme eux, qui avait quelque chose d’admirable et de tout-puissant, qui leur semblait surnaturel, et dont la physionomie se composait de toutes les grimaces d’un vieux saltimbanque mêlées au plus naïf et au plus charmant sourire. — Monsieur, fit timidement l’aîné, vous n’avez donc pas peur des sergents de ville? Gavroche se borna à répondre: — Môme! on ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes. Le tout petit avait les yeux ouverts, mais il ne disait rien. Comme il était au bord de la natte, l’aîné étant au milieu, Gavroche lui borda la couverture comme eût fait une mère et exhaussa la natte sous sa tête avec de vieux chiffons de manière à faire au môme un oreiller. Puis il se tourna vers l’aîné. — Hein! on est joliment bien ici! 13. With this slang expression, “Stick that in your gun,” Gavroche encourages the older boy to eat the larger piece. In chapter 11, you can see in a later excerpt (V, 1, xvi) how quickly the boy has learned from Gavroche.

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— Ah oui! répondit l’aîné en regardant Gavroche avec une expression d’ange sauvé. Les deux pauvres petits enfants tout mouillés commençaient à se réchauffer. — Ah çà, continua Gavroche, pourquoi donc est-ce que vous pleuriez? Et montrant le petit à son frère: — Un mioche comme ça, je ne dis pas; mais un grand comme toi, pleurer, c’est crétin; on a l’air d’un veau. — Dame, fit l’enfant, nous n’avions plus du tout de logement où aller. — Moutard! reprit Gavroche, on ne dit pas un logement, on dit une piolle. — Et puis nous avions peur d’être tout seuls comme ça la nuit. — On ne dit pas la nuit, on dit la sorgue. — Merci, monsieur, dit l’enfant. — Écoute, repartit Gavroche, il ne faut plus geindre jamais pour rien. J’aurai soin de vous. Tu verras comme on s’amuse. L’été, nous irons à la Glacière avec Navet, un camarade à moi, nous nous baignerons à la gare, nous courrons tout nus sur les trains devant le pont d’Austerlitz, ça fait rager les blanchisseuses. Elles crient, elles bisquent, si tu savais comme elles sont farces! Nous irons voir l’homme squelette. Il est en vie. Aux Champs-Élysées. Il est maigre comme tout, ce paroissien-là. Et puis je vous conduirai au spectacle. Je vous mènerai à Frédérick-Lemaître.14 J’ai des billets, je connais des acteurs, j’ai même joué une fois dans une pièce. Nous étions des mômes comme ça, on courait sous une toile, ça faisait la mer. Je vous ferai engager à mon théâtre. Nous irons voir les sauvages. Ce n’est pas vrai, ces sauvages-là. Ils ont des maillots roses qui font des plis, et on leur voit aux coudes des reprises en fil blanc. Après ça, nous irons à l’Opéra. Nous entrerons avec les claqueurs. La claque à l’Opéra est très bien composée. Je n’irais pas avec la claque sur les boulevards. A l’Opéra, figure-toi, il y en a qui payent vingt sous, mais c’est des bêtas. On les appelle des lavettes. — Et puis nous irons voir guillotiner. Je vous ferai voir le bourreau. Il demeure rue des Marais. Monsieur Sanson. Il y a une boîte aux lettres à la porte. Ah! on s’amuse fameusement!

14. Frédérick Lemaître was a famous stage actor of the period, who performed in some of Hugo’s plays. Hugo describes several of the following entertainments in his Choses vues of 1846 (Laffont, Roman II, 1207, n. 10–12).

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En ce moment, une goutte de cire tomba sur le doigt de Gavroche et le rappela aux réalités de la vie. — Bigre! dit-il, v’là la mèche qui s’use. Attention! je ne peux pas mettre plus d’un sou par mois à mon éclairage. Quand on se couche, il faut dormir. Nous n’avons pas le temps de lire des romans de monsieur Paul de Kock.15 Avec ça que la lumière pourrait passer par les fentes de la porte cochère, et les cognes n’auraient qu’à voir. — Et puis, observa timidement l’aîné qui seul osait causer avec Gavroche et lui donnait la réplique, un fumeron pourrait tomber dans la paille, il faut prendre garde de brûler la maison. — On ne dit pas brûler la maison, fit Gavroche, on dit riffauder le bocard. L’orage redoublait. On entendait, à travers des roulements de tonnerre, l’averse battre le dos du colosse. — Enfoncé, la pluie! dit Gavroche. Ça m’amuse d’entendre couler la carafe le long des jambes de la maison. L’hiver est une bête; il perd sa marchandise, il perd sa peine, il ne peut pas nous mouiller, et ça le fait bougonner, ce vieux porteur d’eau-là. Cette allusion au tonnerre, dont Gavroche, en sa qualité de philosophe du dix-neuvième siècle, acceptait toutes les conséquences, fut suivie d’un large éclair, si éblouissant que quelque chose en entra par la crevasse dans le ventre de l’éléphant. Presque en même temps la foudre gronda, et très furieusement. Les deux petits poussèrent un cri, et se soulevèrent si vivement que le treillage en fut presque écarté; mais Gavroche tourna vers eux sa face hardie et profita du coup de tonnerre pour éclater de rire. — Du calme, enfants. Ne bousculons pas l’édifice. Voilà du beau tonnerre, à la bonne heure! Ce n’est pas là de la gnognotte d’éclair. Bravo le bon Dieu! nom d’unch! c’est presque aussi bien qu’à l’Ambigu.16 Cela dit, il refit l’ordre dans le treillage, poussa doucement les deux enfants sur le chevet du lit, pressa leurs genoux pour les bien étendre tout de leur long et s’écria: — Puisque le bon Dieu allume sa chandelle, je peux souffler la mienne. Les enfants, il faut dormir, mes jeunes humains. C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous ferait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans 15. Paul de Kock (1793–1871) was a prolific author of popular Parisian novels and plays. 16. The longstanding Paris Théâtre de l’Ambigu, which during the time period of the novel mostly offered popular vaudeville and melodramas.

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le grand monde, puer de la gueule. Entortillez-vous bien de la pelure! je vas éteindre. Y êtes-vous? — Oui, murmura l’aîné, je suis bien. J’ai comme de la plume sous la tête. — On ne dit pas la tête, cria Gavroche, on dit la tronche. Les deux enfants se serrèrent l’un contre l’autre. Gavroche acheva de les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu’aux oreilles, puis répéta pour la troisième fois l’injonction en langue hiératique: — Pioncez! Et il souffla le lumignon.

3  •  On Death, Grief, and Tragedy

Espérez! espérez! espérez, misérables! Pas de deuil infini, pas de maux incurables, Pas d’enfer éternel! —“Ce que dit la bouche d’ombre,” Les Contemplations VI, xxvi

Victor Hugo was no stranger to tragedy. Some of the personal grief that he experienced during his long lifetime comes to most people, who typically lose their parents and may well see siblings die, as well as lose the love of a spouse. Yet, even by nineteenth-century standards, when infant mortality and accidental death rates were high, Hugo survived an uncommon number of tragic events, some especially devastating, including losing all five of his children. His first born, Léopold, lived only three months; second-born Léopoldine drowned at age nineteen. Just three years later, Juliette Drouet’s daughter, Claire Pradier, whom Hugo had unofficially adopted, also died at nineteen, of tuberculosis (his poems about her death include “On vit, on parle, on a le ciel et les nuages . . . ,” “Claire P.,” and “Claire”). Within the span of less than two years (1871–72), his son Charles died suddenly of a cerebral hemorrhage at forty-four; FrançoisVictor succumbed to ill health at forty-five; and Hugo’s daughter Adèle (at age forty-one) was diagnosed with mental instability and faced life-long institution­ alization. With her doctors’ recommendation that visits be rare, her situation must have brought back memories of Victor’s brother, Eugène. After showing

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signs of mental illness as an adolescent, Eugène became undeniably deranged when Victor married Adèle Foucher (whom Eugène also loved); within days he was committed to a mental institution, where he died about fifteen years later. Throughout his writing career, Victor Hugo frequently found himself embattled. In the 1820s and 1830s, traditionalists condemned Romanticism, especially Hugo as the movement’s leader. In addition, his fellow Romantic poets sometimes resented his talent and success; he was accused of being too extravagant, of writing too much, of writing only for profit. After he won government office, political enemies sprang up to accuse him of vacillation and opportunism. A strong, determined personality, Hugo tackled tragedies and opposition head-on, analyzed their meaning, and optimistically saw a brighter future. Perhaps the most painful of all his family sorrows—certainly the one Hugo most wrote about—was Léopoldine’s death. His deep love for children made it all the more heartbreaking when his oldest surviving and reportedly most cherished child drowned in a freak boating accident on a beautiful day, September 4, 1843, less than seven months after her wedding. She was pregnant. Her husband died with her, along with his young cousin and uncle, in the Seine River near their Villequier home (now the Musée Victor Hugo). The tragedy was even more bitter because Hugo was in southwestern France when the accident occurred. Traveling with Juliette Drouet, as he did each year, he was horrified to read a September 9 newspaper article about Léopoldine’s and Charles’s deaths. He had already missed the funeral, which no Hugo family members attended, either because of grief or because of the mothers’ conflict over where the couple should be buried. Charles’s mother prevailed; they were interred together in the same coffin in Villequier, and Hugo did not visit their grave for three years (see “Demain, dès l’aube, . . .” in this chapter). Hugo’s immediate response to this cataclysmic event is clear from the anguished letter he wrote to family friend Louise Bertin (also in this chapter). Juliette was seriously worried about his health, writing to him on September 25, after he had visited her: Pourvu que tu sois moins accablé qu’hier! Je ne peux pas détacher ma pensée de ce que tu étais hier. À ton insu, mon adoré, tu te laisses aller à un abattement et à un désespoir effrayants.… Mais je t’assure que je suis sérieusement tourmentée pour ta santé. Si le bon Dieu ne vient pas à ton secours, je ne sais pas ce que nous deviendrons. J’ose t’écrire cela de loin, mon Toto, mais je n’oserais pas t’en parler, car la douleur t’a aigri un peu le caractère. Toi si patient et si doux, tu m’as

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rudoyée hier très vivement parce que j’essayais de te distraire. (CFL VII, 796) Some of Hugo’s most admired poems express the grief he continued to feel about Léopoldine’s early death, which, by all accounts, never stopped being part of his life. With hope of communicating with Léopoldine, Hugo agreed to try séances in 1853, and he and his family came to believe that she indeed talked with them through la table tournante (see “Fracta juventus” in this chapter and see chapter 6). Hugo wrote personally and directly about Léopoldine’s death in Les Contem­ plations, and could not help but touch the lives of most readers, who must have experienced their own losses. At the same time, he gave himself a framework within which to grapple with wider questions of life and death. In some poems in this chapter, such as “Demain, dès l’aube, . . .” and “À Villequier” , Hugo specifically expresses his feelings about his daughter’s death. But in other poems, such as “Mors” and “Pendant une maladie” (also in this chapter), Hugo goes beyond Léopoldine’s story to confront thoughts of his own death and to envision how souls’ beatific immortality follows from the horror of death. Hugo found a certain power and understanding in confronting death and tragedy. As he wrote nineteen days after Léopoldine’s drowning to a friend whose father had recently died, “La mort a des révélations; les grands coups qui ouvrent le cœur ouvrent aussi l’esprit; la lumière pénètre en nous en même temps que la douleur” (CFL VII, 719). In Les Contemplations, as well as in other works, Hugo muses on the enigma of death and the parallel meaning of life, frequently opposing images of gulfs, abysses, tombs, and darkness with those of light, clarity, the sky, and heaven. A day or two before his death from pneumonia, Hugo voiced this alexandrine line, ostensibly about his approaching death: “C’est ici le combat du jour et de la nuit.” As such intertwined antitheses imply, in Hugo’s conception of existence, death is naturally connected with life. He wrote, for example, while working on Les Travailleurs de la mer: “La vie, c’est la communication de proche en proche; filière, transmission, chaîne. Ce qu’on appelle la mort est un changement d’anneau” (“[La Mer et le vent],” V, Proses philosophiques de 1860–1865, in Laffont, Critique, 685). Hugo articulated more and more definitively his belief in the eternity of souls beyond death, a source of his optimism about life even as it includes death. He reached the conviction that the spirits of those who died young could return in a succeeding birth, as he describes in “Le Revenant.” After his first-born grandson, one-year-old Georges, died in 1868, he wrote to his close friend Paul Meurice, “Il reviendra. Oui, j’y crois. Cette foi que j’ai,

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votre tendre parole la fortifie. Qu’il était charmant, ce doux être! Je crois voir audessus de moi sa petite âme. J’entends dans l’invisible son bruissement d’oiseau céleste. Je le redemande à Dieu. Hélas! par moments, je suis accablé. . . .” (CFL XIV, 1242). His next grandson was also named Georges. (For a more detailed examination of Hugo’s thoughts on where souls go after death, see chapter 6.)1 Death, tragedies, and the ensuing grief are facts of life in any century. Recurrent social upheavals—revolutions, insurrections, barricades against government troops, citizens exiled, civil war—deeply touched Hugo, just as they did other artists of his time. The uncertainties of the time perhaps contributed to the Romantics’ fascination with woe. Hugo, in particular, was moved by the abiding grief that he observed among the misérables—those who are poor, ill, incurable, ragged, beggarly, unaccepted by society. Yet, in the midst of so many sad personal, social, and political situations—difficult truths that he did not shrink from acknowledging—Hugo remained optimistic. A man who loved his family, friends, nature, the common people, an energetic, positive person, full of life, who chose his battles and fought them hard, Hugo neither wallowed in misery nor gave up. Even as he faced realities, he foresaw a better future. Many of the darkest moments in his poetry and fiction offer such bright potential as the hope with which he ended the last poem of Les Contemplations, “À celle qui est restée en France.” This long poem addressed to Léopoldine, though full of grief and images of tombs, specters, and despair, concludes with a vision of the poet, sad and wounded, but serene in his contemplation of the smoky abyss alight with brilliant beams: Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein, Mesure le problème aux murailles d’airain, Cherche à distinguer l’aube à travers les prodiges, Se penche, frémissant, au puits des grands vertiges, Suit de l’œil des blancheurs qui passent, alcyons, Et regarde, pensif, s’étoiler de rayons, De clartés, de lueurs, vaguement enflammées, Le gouffre monstrueux plein d’énormes fumées.

1. Robb, Victor Hugo, 522, cites the “combat” alexandrine. For biographical details, see Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 903–25; Robb, Victor Hugo, 237–46; Henri Gourdin, Léopoldine, l’enfant-muse de Victor Hugo (Paris: Presses de la Renaissance, 2007). For literary interpretations of Hugo’s grief work in Les Contemplations, see Porter, Victor Hugo, 86–110.

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“La Mère,” Notre-Dame de Paris VIII, v (1831) [In this excerpt, written after his infant son had died, Hugo brings to life the intense grief a mother still feels fifteen years after her baby daughter was kidnapped by gypsies, as readers learned two chapters earlier. In her grief, the mother sealed herself inside the medieval Tour-Roland, a small cell created near Notre-Dame cathedral for women who wanted to devote themselves to praying for a lost loved one. Originally named Paquette la Chantefleurie, this woman is now called “the recluse of the Rats’ Hole,” a reference to her cell. All these years, she has detested gypsies and has grieved over her missing daughter, remembering her through the one shoe left behind. This poignant evocation of the tragedy of a parent grieving for a child begins with the voice of the narrator.] Je ne crois pas qu’il y ait rien au monde de plus riant que les idées qui s’éveillent dans le cœur d’une mère à la vue du petit soulier de son enfant. Surtout si c’est le soulier de fête, des dimanches, du baptême, le soulier brodé jusque sous la semelle, un soulier avec lequel l’enfant n’a pas encore fait un pas. Ce soulier-là a tant de grâce et de petitesse, il lui est si impossible de marcher, que c’est pour la mère comme si elle voyait son enfant. Elle lui sourit, elle le baise, elle lui parle. Elle se demande s’il se peut en effet qu’un pied soit si petit; et, l’enfant fût-il absent, il suffit du joli soulier pour lui remettre sous les yeux la douce et fragile créature. Elle croit le voir, elle le voit, tout entier, vivant, joyeux, avec ses mains délicates, sa tête ronde, ses lèvres pures, ses yeux sereins dont le blanc est bleu. Si c’est l’hiver, il est là, il rampe sur le tapis, il escalade laborieusement un tabouret, et la mère tremble qu’il n’approche du feu. Si c’est l’été, il se traîne dans la cour, dans le jardin, arrache l’herbe d’entre les pavés, regarde naïvement les grands chiens, les grands chevaux, sans peur, joue avec les coquillages, avec les fleurs, et fait gronder le jardinier qui trouve le sable dans les plates-bandes et la terre dans les allées. Tout rit, tout brille, tout joue autour de lui comme lui, jusqu’au souffle d’air et au rayon de soleil qui s’ébattent à l’envi dans les boucles follettes de ses cheveux. Le soulier montre tout cela à la mère et lui fait fondre le cœur comme le feu une cire. Mais quand l’enfant est perdu, ces mille images de joie, de charme, de tendresse qui se pressent autour du petit soulier deviennent autant de ­choses horribles. Le joli soulier brodé n’est plus qu’un instrument de

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t­ orture qui broie éternellement le cœur de la mère. C’est toujours la même fibre qui vibre, la fibre la plus profonde et la plus sensible; mais au lieu d’un ange qui la caresse, c’est un démon qui la pince. Un matin, tandis que le soleil de mai se levait dans un de ces ciels bleu foncé où le Garofalo2 aime à placer ses descentes de croix, la recluse de la Tour-Roland entendit un bruit de roues, de chevaux et de ferrailles dans la place de grève. Elle s’en éveilla peu, noua ses cheveux sur ses oreilles pour s’assourdir, et se remit à contempler à genoux l’objet inanimé qu’elle adorait ainsi depuis quinze ans. Ce petit soulier, nous l’avons déjà dit, était pour elle l’univers. Sa pensée y était enfermée, et n’en devait plus sortir qu’à la mort. Ce qu’elle avait jeté vers le ciel d’imprécations amères, de plaintes touchantes, de prières et de sanglots, à propos de ce charmant hochet de satin rose, la sombre cave de la Tour-Roland seule l’a su. Jamais plus de désespoir n’a été répandu sur une chose plus gentille et plus gracieuse. Ce matin-là, il semblait que sa douleur s’échappait plus violente encore qu’à l’ordinaire, et on l’entendait du dehors se lamenter avec une voix haute et monotone qui navrait le cœur. “Ô ma fille, disait-elle, ma fille! ma pauvre chère petite enfant! je ne te verrai donc plus. C’est donc fini! Il me semble toujours que cela s’est fait hier! Mon Dieu, mon Dieu, pour me la reprendre si vite, il valait mieux ne pas me la donner. Vous ne savez donc pas que nos enfants tiennent à notre ventre, et qu’une mère qui a perdu son enfant ne croit plus en Dieu? —Ah! misérable que je suis, d’être sortie ce jour-là! —Seigneur! seigneur! Pour me l’ôter ainsi, vous ne m’aviez donc jamais regardée avec elle, lorsque je la réchauffais toute joyeuse à mon feu, lorsqu’elle me riait en me tétant, lorsque je faisais monter ses petits pieds sur ma poitrine jusqu’à mes lèvres? Oh! si vous aviez regardé cela, mon Dieu, vous auriez eu pitié de ma joie, vous ne m’auriez pas ôté le seul amour qui me restât dans le cœur! Étais-je donc une si misérable créature, Seigneur, que vous ne pussiez me regarder avant de me condamner? —Hélas! hélas! Voilà le soulier; le pied! où est-il? où est le reste? où est l’enfant? Ma fille, ma fille! qu’ont-ils fait de toi? Seigneur, rendez-la-moi. Mes genoux se sont écorchés quinze ans à vous prier, mon Dieu, est-ce que ce n’est pas assez? 2. Benvenuto Tisi (1481–1559), an Italian painter called Garofalo who imitated Raphael, painted biblical scenes, including Descente de Croix, depicting Christ’s removal from the cross.

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Rendez-la-moi, un jour, une heure, une minute; une minute, Seigneur! Et jetez-moi ensuite au démon pour l’éternité! Oh! si je savais où traîne un pan de votre robe, je m’y cramponnerais de mes deux mains, et il faudrait bien que vous me rendissiez mon enfant! Son joli petit soulier, est-ce que vous n’en avez pas pitié, Seigneur? Pouvez-vous condamner une pauvre mère à ce supplice de quinze ans? Bonne Vierge! bonne Vierge du ciel! Mon enfant-Jésus à moi, on me l’a pris, on me l’a volé, on l’a mangé sur une bruyère, on a bu son sang, on a mâché ses os! Bonne Vierge, ayez pitié de moi. Ma fille! il me faut ma fille! Qu’est-ce que cela me fait, qu’elle soit dans le paradis? je ne veux pas de votre ange, je veux mon enfant! Je suis une lionne, je veux mon lionceau. —Oh! je me tordrai sur la terre, et je briserai la pierre avec mon front, et je me damnerai, et je vous maudirai, Seigneur, si vous me gardez mon enfant! Vous voyez bien que j’ai les bras tout mordus, Seigneur! est-ce que le bon Dieu n’a pas de pitié? —Oh! ne me donnez que du sel et du pain noir, pourvu que j’aie ma fille et qu’elle me réchauffe comme un soleil! Hélas! Dieu mon Seigneur, je ne suis qu’une vile pécheresse; mais ma fille me rendait pieuse. J’étais pleine de religion pour l’amour d’elle; et je vous voyais à travers son sourire comme par une ouverture du ciel. —Oh! que je puisse seulement une fois, encore une fois, une seule fois, chausser ce soulier à son joli petit pied rose, et je meurs, bonne Vierge, en vous bénissant! —Ah! quinze ans! elle serait grande maintenant! —Malheureuse enfant! quoi! c’est donc bien vrai, je ne la reverrai plus, pas même dans le ciel! car, moi, je n’irai pas. Oh! quelle misère! dire que voilà son soulier, et que c’est tout! La malheureuse s’était jetée sur ce soulier, sa consolation et son désespoir depuis tant d’années, et ses entrailles se déchiraient en sanglots comme le premier jour. Car pour une mère qui a perdu son enfant, c’est toujours le premier jour. Cette douleur-là ne vieillit pas. Les habits de deuil ont beau s’user et blanchir: le cœur reste noir.

Letter to Mademoiselle Louise Bertin [On the day he learned of Léopoldine’s drowning, a brokenhearted Hugo wrote to his wife: “Chère aimée, ma femme bien-aimée, pauvre mère éprouvée, que te dire? Je viens de lire un journal par hasard; ô mon Dieu, que vous ai-je fait? J’ai le cœur brisé . . . il me tarde de pleurer avec toi et avec mes trois pauvres enfants bien-aimés . . . mon Adèle chérie, que ces affreux coups du moins resserrent et rapprochent nos cœurs qui s’aiment. . . .” In this letter written the

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next day to Louise Bertin (1805–77), a close family friend who was like a second mother to his children, he writes more about his daughter and his wonder at God’s purpose. Mlle Bertin had written the music—and Hugo the libretto—to her opera La Esmeralda (1836), based on Notre-Dame de Paris. In his sad poem to her about losing his daughter (“À Mademoiselle Louise B.”), he calls her “Ô vous l’âme profonde!”] 10 septembre 1843. Saumur

Chère mademoiselle Louise, je souffre, j’ai le cœur brisé; vous le voyez, c’est mon tour. J’ai besoin de vous écrire, à vous qui l’aimiez comme une autre mère; elle vous aimait bien aussi, vous le savez. Hier, je venais de faire une grande course à pied au soleil dans les marais; j’étais las, j’avais soif, j’arrive à un village qu’on appelle, je crois, Subise, et j’entre dans un café. On m’apporte de la bière et un journal, le Siècle. J’ai lu. C’est ainsi que j’ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte. J’aimais cette pauvre enfant plus que les mots ne peuvent le dire. Vous vous rappelez comme elle était charmante. C’était la plus douce et la plus gracieuse femme. Oh! mon Dieu, que vous ai-je fait? Elle était trop heureuse, elle avait tout, la beauté, l’esprit, la jeunesse, l’amour. Ce bonheur complet me faisait trembler; j’acceptais l’éloignement où j’étais d’elle afin qu’il lui manquât quelque chose. Il faut toujours un nuage. Celui-là n’a pas suffi. Dieu ne veut pas qu’on ait le paradis sur la terre. Il l’a reprise. Oh! mon pauvre ange, dire que je ne la verrai plus! Pardonnez-moi, je vous écris dans le désespoir. Mais cela me soulage. Vous êtes si bonne, vous avez l’âme si haute, vous me comprendrez, n’est-ce pas? Moi, je vous aime du fond du cœur et, quand je souffre, je vais à vous. J’arriverai à Paris presque en même temps que cette lettre. Ma pauvre femme et mes pauvres enfants ont bien besoin de moi. Je mets tous mes respects à vos pieds. VICTOR HUGO. Mes amitiés à mon bon Armand.3 Que Dieu le préserve et qu’il ne souffre jamais ce que je souffre. 3. Armand Bertin (1801–54), Louise’s brother, directed the Journal des Débats (1841–54).

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Demain, dès l’aube, . . . , Les Contemplations IV, xiv (1856) [This poem, together with the next two, which follow it in Les Contemplations, form a trilogy of grief that have entered into the canon of French literature. They appear in Part IV, entitled “Pauca meae,” a title taken from classical Roman poet Virgil that can be translated as “A few verses for my dear child.” A deceptively simple and heartfelt poem addressed to his daughter, “Demain, dès l’aube, . . .” portrays the numbness of grief through a powerful, Romantic poetic structure and carefully chosen images. The reader who does not know the biographical context learns only in the last stanza that the poet is visiting a grave. Harfleur, a canal-side town, is situated downriver from Villequier; in the language of flowers, holly and heather indicate permanence and fidelity.] Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

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3 septembre 1847. [4 octobre 1847.]

À Villequier, Les Contemplations IV, xv (1856) [Hugo visited Léopoldine’s grave in Villequier for the first time in September 1846 and wrote this poem the next month; he chose to publish it as if written on the fourth anniversary of Léopoldine’s death (1847). He describes himself as still as heartbroken as when he wrote to Adèle and Louise Bertin, and addresses God with a sweeping variety of emotions and arguments reminiscent of the biblical book of Job, with themes and anguished tone similar to that

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of “Veni, vidi, vixi” (see chapter 8), which appears just before “Demain, dès l’aube, . . .” (opposite).4 ] Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux; Maintenant que du deuil qui m’a fait l’âme obscure Je sors, pâle et vainqueur, Et que je sens la paix de la grande nature Qui m’entre dans le cœur; Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Ému par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vérités profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon; Maintenant, ô mon Dieu! que j’ai ce calme sombre De pouvoir désormais Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l’ombre Elle dort pour jamais; Maintenant qu’attendri par ces divins spectacles, Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté, Voyant ma petitesse et voyant vos miracles, Je reprends ma raison devant l’immensité;

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Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire; Je vous porte, apaisé, Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire Que vous avez brisé; Je viens à vous, Seigneur! confessant que vous êtes Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Ouvre le firmament; 4. Albouy, ed., Contemplations, 478, n. 1 for p. 226.

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Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme Est le commencement; Je conviens à genoux que vous seul, père auguste, Possédez l’infini, le réel, l’absolu; Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu! Je ne résiste plus à tout ce qui m’arrive Par votre volonté. L’âme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive, Roule à l’éternité.

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Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses; L’autre plonge en la nuit d’un mystère effrayant. L’homme subit le joug sans connaître les causes. Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant. Vous faites revenir toujours la solitude Autour de tous ses pas. Vous n’avez pas voulu qu’il eût la certitude Ni la joie ici-bas! Dès qu’il possède un bien, le sort le lui retire. Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours, Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire: C’est ici ma maison, mon champ et mes amours! Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient; Il vieillit sans soutiens. Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient; J’en conviens, j’en conviens! Le monde est sombre, ô Dieu! l’immuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants; L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie, Nuit où montent les bons, où tombent les méchants. Je sais que vous avez bien autre chose à faire Que de nous plaindre tous, Et qu’un enfant qui meurt, désespoir de sa mère, Ne vous fait rien, à vous!

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Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue; Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum; Que la création est une grande roue Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu; Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent; Je le sais, ô mon Dieu! Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-être faites-vous des choses inconnues Où la douleur de l’homme entre comme élément. Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre Que des êtres charmants S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre Des noirs événements.

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Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit. Vous ne pouvez avoir de subites clémences Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit! Je vous supplie, ô Dieu! de regarder mon âme, Et de considérer Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme, Je viens vous adorer! Considérez encor que j’avais, dès l’aurore, Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté, Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore, Eclairant toute chose avec votre clarté; Que j’avais, affrontant la haine et la colère, Fait ma tâche ici-bas, Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire, Que je ne pouvais pas Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie Vous appesantiriez votre bras triomphant,

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Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie, Vous me reprendriez si vite mon enfant!

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Qu’une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette, Que j’ai pu blasphémer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre à la mer! Considérez qu’on doute, ô mon Dieu! quand on souffre, Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler. Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre, Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler, Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre Dans les afflictions, Ait présente à l’esprit la sérénité sombre Des constellations! Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère, Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts. Je me sens éclairé dans ma douleur amère Par un meilleur regard jeté sur l’univers. Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire S’il ose murmurer; Je cesse d’accuser, je cesse de maudire, Mais laissez-moi pleurer!

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Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière, Puisque vous avez fait les hommes pour cela! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire à mon enfant: Sens-tu que je suis là? Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes, Le soir, quand tout se tait, Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes, Cet ange m’écoutait! Hélas! vers le passé tournant un œil d’envie, Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler, Je regarde toujours ce moment de ma vie Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler!

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Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure, L’instant, pleurs superflus! Où je criai: L’enfant que j’avais tout à l’heure, Quoi donc! je ne l’ai plus! Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, Ô mon Dieu! cette plaie a si longtemps saigné! L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte, Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.

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Ne vous irritez pas! fronts que le deuil réclame, Mortels sujets aux pleurs, Il nous est malaisé de retirer notre âme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires, Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misères, Et de l’ombre que fait sur nous notre destin, Apparaître un enfant, tête chère et sacrée, Petit être joyeux, Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée Une porte des cieux; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Croître la grâce aimable et la douce raison, Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime Fait le jour dans notre âme et dans notre maison, Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu’on rêva, Considérez que c’est une chose bien triste De le voir qui s’en va! Villequier, 4 septembre 1847. [24 octobre 1846.]

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Mors, Les Contemplations IV, xvi (1856) [With a Latin title meaning “Death” and the familiar image of the ­allegorical reaper, Hugo writes universally about death and grief, distancing himself personally. At the same time, he broadens the context of despair to include the misery caused by war, such as the disappearance of the ancient Mesopotamian city of Babylon into debris and ruins. The reaper’s traditional grimness is buffered, however, by the optimistic vision of a luminescent angel carrying a sheaf of souls.] Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crépuscule. Dans l’ombre où l’on dirait que tout tremble et recule, L’homme suivait des yeux les lueurs de la faulx. Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient; elle changeait en désert Babylone, Le trône en échafaud et l’échafaud en trône, Les roses en fumier, les enfants en oiseaux, L’or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux. Et les femmes criaient: —Rends-nous ce petit être. Pour le faire mourir, pourquoi l’avoir fait naître?— Ce n’était qu’un sanglot sur terre, en haut, en bas; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre; Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre Un troupeau frissonnant qui dans l’ombre s’enfuit; Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit. Derrière elle, le front baigné de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d’âmes. Mars 1854. [14 mars 1854.]

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Fracta juventus [While in exile on the isle of Guernsey, Hugo frequently designed his own greeting cards for friends, including cartes de visite and cartes d’étrennes, New Year’s cards such as this one, which Hugo sent to his good friend Paul Meurice for January 1, 1864. The drawing, done the previous year and entitled in Latin “Broken Youth,” commemorates the twentieth anniversary of Léopoldine’s death. It is a complex composition created by paintbrush, brown ink, and wash tint over pencil, charcoal, watercolor, and gouache. Hugo layered the materials, even the paper itself, as he pasted the drawing of Léopoldine onto the card. In making a collage with papier découpé, he makes his daughter’s memory even more dramatic as she comes out of the page, a bright image surrounded by the dark, colored wash of the background. Her haloed portrait is reminiscent of the simple line drawings done during the spiritualist séance sessions popular with the Hugo family between 1853 and 1855. Hugo encircled the halo with a color he rarely used: mauve, the color of the dress Léopoldine was wearing the day she died.5 ]

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 7. Fracta juventus, © PMVP / Ladet.

5. Cameron Felder, e-mail message to author, October 2, 2007; Prévost, Océan, 248.

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Paroles sur la dune, Les Contemplations V, xiii (1856) [Hugo wrote this poem on August 5, 1854, the second anniversary of his arrival on Jersey. Although he and his family were expelled from Jersey the following year, at the time of writing Hugo saw the island as his home in exile. At the age of fifty-two, the poet looks back on his life, grieves over lost youth, and muses about facing death.] Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau, Que mes tâches sont terminées; Maintenant que voici que je touche au tombeau Par les deuils et par les années, Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva, Je vois fuir, vers l’ombre entraînées, Comme le tourbillon du passé qui s’en va, Tant de belles heures sonnées; Maintenant que je dis: —Un jour, nous triomphons; Le lendemain, tout est mensonge!— Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds, Courbé comme celui qui songe. Je regarde, au-dessus du mont et du vallon, Et des mers sans fin remuées, S’envoler sous le bec du vautour aquilon, Toute la toison des nuées; J’entends le vent dans l’air, la mer sur le récif, L’homme liant la gerbe mûre; J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif Ce qui parle à ce qui murmure; Et je reste parfois couché sans me lever Sur l’herbe rare de la dune, Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver Les yeux sinistres de la lune. Elle monte, elle jette un long rayon dormant À l’espace, au mystère, au gouffre; Et nous nous regardons tous les deux fixement, Elle qui brille et moi qui souffre.

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Où donc s’en sont allés mes jours évanouis? Est-il quelqu’un qui me connaisse? Ai-je encore quelque chose en mes yeux éblouis, De la clarté de ma jeunesse? Tout s’est-il envolé? Je suis seul, je suis las; J’appelle sans qu’on me réponde; Ô vents! ô flots! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas! Hélas! ne suis-je aussi qu’une onde? Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais? Au dedans de moi le soir tombe. Ô terre, dont la brume efface les sommets, Suis-je le spectre, et toi la tombe? Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir? J’attends, je demande, j’implore; Je penche tour à tour mes urnes pour avoir De chacune une goutte encore!

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Comme le souvenir est voisin du remord! Comme à pleurer tout nous ramène! Et que je te sens froide en te touchant, ô mort, Noir verrou de la porte humaine! Et je pense, écoutant gémir le vent amer, Et l’onde aux plis infranchissables; L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer Fleurir le chardon bleu des sables.

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5 août 1854, anniversaire de mon arrivée à Jersey.

Pendant une maladie, Les Chansons des rues et des bois II, 4, ii (1865) [Perhaps inspired by his long, serious illness the previous year from a severe abscess, Hugo in this poem confronts the reality of death. He wonders about what death actually is, asking whether it is a nothingness, a state of nonexistence that should not be feared, as Greek philosopher Epicurus (341–270 B.C.) taught. Or it could be part of the “whole” as envisioned by Dutch philosopher Spinoza (1632–77), who understood God and the natural to be one substance, a unified, infinite entity. In comparison with other poems, such as “Ce que dit la bouche

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d’ombre,” Hugo here has more questions than answers and insists upon his curiosity about the nature of life and death and the mysteries of God.] On dit que je suis fort malade, Ami; j’ai déjà l’œil terni; Je sens la sinistre accolade Du squelette de l’infini. Sitôt levé, je me recouche; Et je suis comme si j’avais De la terre au fond de la bouche; Je trouve le souffle mauvais. Comme une voile entrant au havre, Je frissonne; mes pas sont lents, J’ai froid; la forme du cadavre, Morne, apparaît sous mes draps blancs. Mes mains sont en vain réchauffées; Ma chair comme la neige fond; Je sens sur mon front des bouffées De quelque chose de profond. Est-ce le vent de l’ombre obscure? Ce vent qui sur Jésus passa! Est-ce le grand Rien d’Épicure, Ou le grand Tout de Spinosa?

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Les médecins s’en vont moroses; On parle bas autour de moi, Et tout penche, et même les choses Ont l’attitude de l’effroi. Perdu! voilà ce qu’on murmure. Tout mon corps vacille, et je sens Se déclouer la sombre armure De ma raison et de mes sens. Je vois l’immense instant suprême Dans les ténèbres arriver. L’astre pâle au fond du ciel blême Dessine son vague lever.

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L’heure réelle, ou décevante, Dresse son front mystérieux. Ne crois pas que je m’épouvante; J’ai toujours été curieux. Mon âme se change en prunelle; Ma raison sonde Dieu voilé; Je tâte la porte éternelle, Et j’essaie à la nuit ma clé.

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C’est Dieu que le fossoyeur creuse; Mourir, c’est l’heure de savoir; Je dis à la mort: Vieille ouvreuse. Je viens voir le spectacle noir. [1er octobre 1859]

“L’Attraction et l’extinction,” Les Misérables V, 8, iv (1862) [Near the end of Les Misérables, this chapter describes Jean Valjean’s despair after his decision to remove himself from the life of his adopted, much beloved daughter, Cosette. Valjean was saddened by Cosette’s love for, and marriage to, Marius. Like Hugo himself, who wrote at the time of Léopoldine’s marriage, “Ce bonheur désolant de marier une fille” (CFL VI, 1393), Valjean realized that he had, in many ways, lost his daughter. When Cosette married Marius, Valjean saw little role for himself in her life and, moreover, knew that his ex-convict status might burden the happy couple. As a result, he declined their offer to live with them in their rue des Filles-du-Calvaire home in the Marais, an elegant section of Paris. In this excerpt we see the result of his self-imposed distance from the only person he has ever loved.] Pendant les derniers mois du printemps et les premiers mois de l’été de 1833, les passants clairsemés du Marais, les marchands des boutiques, les oisifs sur le pas des portes, remarquaient un vieillard proprement vêtu de noir, qui, tous les jours, vers la même heure, à la nuit tombante, sortait de la rue de l’Homme-Armé, du côté de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, passait devant les Blancs-Manteaux, gagnait la rue Culture-Sainte-­Catherine, et, arrivé à la rue de l’Écharpe, tournait à gauche, et entrait dans la rue Saint-Louis. Là il marchait à pas lents, la tête tendue en avant, ne voyant rien, n’entendant rien, l’œil immuablement fixé sur un point toujours le même, qui semblait pour lui étoilé, et qui n’était autre que l’angle de la rue des Filles-

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du-Calvaire. Plus il approchait de ce coin de rue, plus son œil s’éclairait; une sorte de joie illuminait ses prunelles comme une aurore intérieure, il avait l’air fasciné et attendri, ses lèvres faisaient des mouvements obscurs, comme s’il parlait à quelqu’un qu’il ne voyait pas, il souriait vaguement, et il avançait le plus lentement qu’il pouvait. On eût dit que, tout en souhaitant d’arriver, il avait peur du moment où il serait tout près. Lorsqu’il n’y avait plus que quelques maisons entre lui et cette rue qui paraissait l’attirer, son pas se ralentissait au point que par instants on pouvait croire qu’il ne marchait plus. La vacillation de sa tête et la fixité de sa prunelle faisaient songer à l’aiguille qui cherche le pôle. Quelque temps qu’il mît à faire durer l’arrivée, il fallait bien arriver; il atteignait la rue des Filles-du-Calvaire; alors il s’arrêtait, il tremblait, il passait sa tête avec une sorte de timidité sombre au delà du coin de la dernière maison, et il regardait dans cette rue, et il y avait dans ce tragique regard quelque chose qui ressemblait à l’éblouissement de l’impossible et à la réverbération d’un paradis fermé. Puis une larme, qui s’était peu à peu amassée dans l’angle des paupières, devenue assez grosse pour tomber, glissait sur sa joue, et quelquefois s’arrêtait à sa bouche. Le vieillard en sentait la saveur amère. Il restait ainsi quelques minutes comme s’il eût été de pierre; puis il s’en retournait par le même chemin et du même pas, et, à mesure qu’il s’éloignait, son regard s’éteignait. Peu à peu, ce vieillard cessa d’aller jusqu’à l’angle de la rue des Fillesdu-Calvaire; il s’arrêtait à mi-chemin dans la rue Saint-Louis; tantôt un peu plus loin, tantôt un peu plus près. Un jour, il resta au coin de la rue Culture-Sainte-Catherine et regarda la rue des Filles-du-Calvaire de loin. Puis il hocha silencieusement la tête de droite à gauche, comme s’il se refusait quelque chose, et rebroussa chemin. Bientôt il ne vint même plus jusqu’à la rue Saint-Louis. Il arrivait jusqu’à la rue Pavée, secouait le front, et s’en retournait; puis il n’alla plus au delà de la rue des Trois-Pavillons; puis il ne dépassa plus les Blancs-Manteaux. On eût dit un pendule qu’on ne remonte plus et dont les oscillations s’abrègent en attendant qu’elles s’arrêtent. Tous les jours il sortait de chez lui à la même heure, il entreprenait le même trajet, mais il ne l’achevait plus, et, peut-être sans qu’il en eût conscience, il le raccourcissait sans cesse. Tout son visage exprimait cette unique idée: à quoi bon? La prunelle était éteinte; plus de rayonnement. La larme aussi était tarie; elle ne s’amassait plus dans l’angle des paupières; cet œil pensif était sec. La tête du vieillard était toujours tendue en avant; le menton par moments remuait; les plis de son cou maigre faisaient de la

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peine. Quelquefois, quand le temps était mauvais, il avait sous le bras un parapluie, qu’il n’ouvrait point. Les bonnes femmes du quartier disaient: C’est un innocent. Les enfants le suivaient en riant.

Le Deuil, L’Année terrible, Mars III (1872) [In this highly personal poem included in his collection about the horrors of war, civil war, military siege, and starvation of 1870–71, Hugo writes directly about the sudden, unexpected death of his son Charles from apoplexy, and his own sad history of personal loss. Hoping, in vain as it turned out, that his remaining children would be spared an early death, Hugo compares his own endurance of suffering to that of le martyr de Sion, a reference to Jesus Christ.] Charle6! Charle! ô mon fils! quoi donc! tu m’as quitté. Ah! tout fuit! rien ne dure! Tu t’es évanoui dans la grande clarté Qui pour nous est obscure. Charles, mon couchant voit périr ton orient. Comme nous nous aimâmes! L’homme, hélas! crée, et rêve, et lie en souriant Son âme à d’autres âmes; Il dit: C’est éternel! et poursuit son chemin; Il se met à descendre, Vit, souffre, et tout à coup dans le creux de sa main N’a plus que de la cendre. Hier j’étais proscrit. Vingt ans, des mers captif, J’errai, l’âme meurtrie; Le sort nous frappe, et seul il connaît le motif. Dieu m’ôta la patrie. Aujourd’hui je n’ai plus de tout ce que j’avais Qu’un fils et qu’une fille; Me voilà presque seul dans cette ombre où je vais; Dieu m’ôte la famille.

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6. The “s” is omitted from the spelling here in order to create an alexandrine verse, a twelve-syllable line.

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v i c t o r h u g o i n p r i va t e l i f e

Oh! demeurez, vous deux qui me restez! nos nids Tombent, mais votre mère Vous bénit dans la mort sombre, et je vous bénis, Moi, dans la vie amère. Oui, pour modèle ayant le martyr de Sion, J’achèverai ma lutte, Et je continuerai la rude ascension Qui ressemble à la chute.

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Suivre la vérité me suffit; sans rien voir Que le grand but sublime, Je marche, en deuil, mais fier; derrière le devoir Je vais droit à l’abîme.

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[3 juin 1871.]

Le Pape aux foules, Le Pape, “Scène première—Sommeil” (1878) [In “Le Pape aux foules,” Hugo imagines how he believes the Catholic pope should respond to the widespread tragedies of poverty, illness, injury, and defeat. Here, the pope’s generous offers of solidarity with the misérables echo the Beatitudes of Christ’s Sermon on the Mount. But, alas, this humane response exists only in his dreams, which occupy nearly the entire forty-page poem. The focus of the satire in this section is the pope’s recognition that he is not only doing the right thing but also investing in his future eternal salvation (lines 50–55); as he puts it, “Je thésaurise.” In the second scene, “Réveil,” the pope awakens, horrified at all the good he has done, saying, “Quel rêve affreux je viens de faire!” Ever more forthright about his belief that a direct rapport with God was better than faith through established religion (he concurrently drafted Religions et religion [1880] and Dieu [1891]), Hugo did not hide his antagonism toward the Catholic pope and his strong desire for the separation of church and state. He was frustrated with what he saw as the pope’s powerful, unhealthy connection with monarchies and his lack of real interest in making the world a better place. Hugo wrote most of Le Pape in 1874 and 1875, during a period in which the role of religion became a key issue between progressives and conservatives.7 ]

7. For more background, see Jean-Claude Fizaine, Notice, Le Pape, in Laffont, Poésie III, 1457–59.

on death, grief, and tr agedy 

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À travers la douleur, l’angoisse, les alarmes, Du fond des nuits, du fond des maux, du fond des larmes, Venez à moi vous tous qui tremblez, qui souffrez, Qui râlez, qui rampez, qui saignez, qui pleurez, Les damnés, les vaincus, les gueux, les incurables, Venez, venez, venez, venez, ô misérables! Je suis à vous, je suis l’un de vous, et je sens Dans mes os votre fièvre immense, agonisants! Venez, déguenillés, réprouvés, multitude! Je suis le serviteur de votre servitude, Et de votre cachot je suis le prisonnier; Le premier chez les rois, parmi vous le dernier. Votre part est la bonne, elle est la plus auguste; Le riche a beau bien faire, être sage, être juste; Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu. Le ciel noir montre plus d’astres que le ciel bleu. Je vous aime, et n’ai pas d’autre raison pour être, Fils, le prêtre du juge et le juge du prêtre. Je ne suis qu’un pauvre homme appartenant à tous. Ô souffrants, aidez-moi. Je tâche d’être doux. Venez, partageons tout, le froid, la faim, les jeûnes. Je suis vieux chez les vieux et jeune avec les jeunes; Je suis l’aïeul du père et l’enfant des petits; J’ai tous les âges; fils, j’ai tous les appétits, Toutes les volontés, toutes les convoitises; Je suis, comme l’agneau qu’attirent les cytises, Attiré par les deuils, des dénûments, les pleurs; Je veux avoir ma part de toutes les douleurs; J’ai droit à tous les maux qu’on souffre sur la terre; Je suis l’universel étant le solitaire; Ô pauvres, donnez-moi tout ce que vous avez, Vos jours sans pain, vos toits sans feu, vos durs pavés, Vos fumiers, vos grabats tremblants, vos meurtrissures, Et le ciel étoilé, plafond de vos masures. Ô vous qui n’avez rien, donnez-moi tout. Venez, Tous les malheureux! nus, sanglants, blessés, traînés Par tous les désespoirs et sur toutes les claies;

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Apportez-moi vos fiels, apportez-moi vos plaies, Afin qu’à votre nuit je mêle un peu de jour, Et que je fasse avec vos haines de l’amour. Venez, haillons, sanglots, plaintes, colères, âmes! Fils, le malheur et moi, partout où nous passâmes Nous avons tous les deux, chacun à sa façon, Prouvé, lui qu’il a tort, et moi qu’il a raison. Il a tort, car on pleure, et raison, car on aime. Le malheur a cela de tendre et de suprême Qu’on aime d’autant plus que l’on a plus souffert; Le malheur c’est le ciel obscurément offert. Vous avez les douleurs et moi j’ai des dictames. Je suis l’ambitieux qui veut prendre les âmes; N’avoir rien secouru, c’est là la pauvreté; On aura des besoins devant l’éternité; Il serait imprudent, à l’heure où le soir tombe, De s’offrir à celui qu’on trouve dans la tombe Sans avoir fait d’épargne et rien mis de côté. Souffrants, apportez-moi votre calamité. Je suis l’aide, l’ami, l’appui. Venez, misères, Lèpres, infirmités, indigences, ulcères, Quiconque est hors l’espoir, quiconque est hors la loi. La douleur m’appartient. J’appelle autour de moi L’esprit troublé, le cœur saignant, l’âme qui sombre; Et je veux, entouré des détresses sans nombre, Qui naissent sur la terre à toute heure, en tout lieu, Arriver avec tous les pauvres devant Dieu! Venez, vous qu’on maudit! Venez, vous qu’on méprise! Tous les misérables viennent autour de lui de tous côtés.

Un passant Qu’est-ce que tu fais là, vieillard? LE PAPE Je thésaurise.

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4  •  On Nature

Dans les champs tout vibre et soupire. La nature est la grande lyre, Le poète est l’archet divin! —“Fonction du poète,” Les Rayons et les ombres I —Solitude! Océan! Cette sombre nature m’attire souverainement et m’entraîne vers les ombres éblouissantes de l’infini. Je passe quelquefois des nuits entières à rêver sur mon toit en présence de l’abîme, je me sens comme accablé de Dieu, et j’en arrive à ne plus que m’écrier: des astres! des astres! des astres! —Océan, 1859 (Laffont, 275)

An inveterate walker, Victor Hugo loved to ramble in the countryside outside Paris, to watch sunsets with his artist friends, and to travel in rural regions, first with Adèle and later with Juliette. During his exile, he tirelessly explored Jersey, Guernsey, and the smaller Channel Islands, to see the beauties of plants and animals as well as the changing moods and power of the sea. Especially fond of spring, he noted sightings of birds, flowers, and butterflies. This notebook entry reveals his concern for living things: “Vu, route des Hubits, le premier

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papillon de l’année. Tout petit, jaune d’or, il voletait à terre et semblait malade. Je l’ai ramassé et mis dans la haie. Quand je suis revenu, il n’y était plus.”1 In such an intimate relationship with nature, Hugo (like many Romantics) discovered freedom, goodness, and exhilaration in tranquil settings. In “Bièvre,” for example, expressing delight at his return to the Bièvre Valley, he celebrates nature’s beauty and rejoices that nature and poetry join to distance Paris’s hubbub: “Oui, c’est un de ces lieux où notre cœur sent vivre / Quelque chose des cieux qui flotte et qui l’enivre; / . . . / Et l’on ne songe plus, tant notre âme saisie / Se perd dans la nature et dans la poésie, / Que tout près . . . Le géant Paris est couché!” The poet is alone in these poems, or sometimes with his lover, and we sense his special affinity with nature and the welcome it extends: “J’ai des ennemis chez les hommes, / Je n’en ai point parmi les fleurs” (“Notre ancienne dispute”). Continuing this theme in travel writings such as Le Rhin and poems such as “Soleils couchants III” and “Le Poète bat aux champs,” Hugo contrasts the countryside’s exquisite harmony and nature’s spirituality with discordant urban distractions. Moreover, his awareness of nature’s splendor counterbalances his converse tendency toward melancholy. This 1860 journal entry expresses the sweetness of nature: “L’été. Juin. Azur. Clarté. Douceur obscure et tendre de tout. Bien-être. Pénétration tiède, sérénité. De même qu’il y a le froid noir, il y a la chaleur bleue” (Laffont, Océan, 51). Hugo’s thousands of evocative nature descriptions show us perhaps most frequently what Barrère called his fantaisie, his unbridled creative imagination, whether somber or joyful. Perhaps part of Hugo’s connection with nature came from the delight he found at Les Feuillantines, the house and enclosed, wooded garden where he lived from age six to eleven, a generally happy period during a childhood other­ wise full of disruptions. Free to roam there, Hugo would resent the “prison” of the boarding school to which his father later sent him and his brother Eugène; he found nature a better counselor than their strict teacher (see “Les enfants lisent, troupe blonde . . .” in this chapter). “Mother Nature” is not an empty phrase for Hugo but rather a source of the reverie so essential to poets: “La nature, comme une mère souriante, se prête à tous nos rêves et à toutes nos caprices” (Le Rhin ; see excerpt in this chapter). Philosophically close to Rousseau, Hugo endorses nature’s nurturing of children, as when the personified Feuillantines garden exclaims to the poet’s mother: 1. Barrère, Fantaisie, II, 368, n. 279: Coll. B.N., n.a.fr. 13464, f º 50, 5 (mai 1866). See Barrère, Fantaisie, for thoughtful, detailed analyses of Hugo’s love of, and insights into, nature.

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Ô mère au cœur profond, laisse-nous cet enfant! Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées; Nous changerons en jour ses lueurs commencées; Dieu deviendra visible à ses yeux enchantés; Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés,… (“Ce qui se passait aux Feuillantines en 1813”)

Part of such freedom and goodness, in Hugo’s view, is nature’s role in sustaining and even promulgating love and sexuality: “Dieu n’a fait l’univers que pour faire l’amour” (“Dans le jardin”). When in “Cæruleum Mare” (“Sea of Azur”) the poet contemplates eternity in the wide sky, he finds God in love. Given God’s role as nature’s creator and the ultimate source of love, it follows that God countenances, indeed approves of, sexuality. Springtime birds in their nests and flowers embody sensuality and encourage lovers. In Hugo’s writing, April, May, and June are particularly riotous, especially in Les Contemplations Book I, in such poems as “À Granville, en 1836,” “Vere novo,” and “Amour” (the latter included in chapter 1). In such joyful poems, all nature bursts with love, fecundity, even debauchery. In his late seventies, Hugo becomes more explicit, writing such verses as: “Les nids ont l’arbre pour complice; / L’amour prend les cœurs à sa glu; / Il faut bien que tout s’accomplisse / Comme le bon Dieu l’a voulu” (“Le Chant du vieux berger”). At times Hugo turns to mythology and to classical Greek and Roman poetic conventions to bring nature’s sensuality to life. Fauns and satyrs inhabit Hugo’s poetic woods, lusting after young women, as does Pan, the mythological god of herds and male sexuality (a semi-human creature with a goat’s hindquarters, renowned for his libido). Their presence is most felt in Les Chansons des rues et des bois, which Hugo claimed were inspired by Roman poet Virgil’s Eclogues, pastoral dialogues that combine political commentary with eroticism. Still, Hugo’s expressions of nature’s eroticism—and God’s implicit approval—remain generally indirect. Ultimately, underlying Hugo’s intense interest in the natural world is his wonder at the immensity of the universe and God’s role as creator: “Laissezmoi en paix dans ma sombre contemplation des fourmillements de l’univers” (Laffont, Océan, 264). For Hugo, nature so directly reflects God that one can call nature the word of God, as he wrote to his friend Auguste Vacquerie: “Cher poète, vous m’écrivez une bonne et charmante lettre du milieu de vos arbres, de vos bois, de vos collines, de vos eaux et des couchers de soleil et des ­levers de lune sur vos magnifiques horizons. Je vous remercie de vouloir bien encore prêter l’oreille à la parole d’un homme, assuré que vous êtes de cette grande

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parole de Dieu.”2 Nature—mère; la bible; le livre de Dieu—is at once evidence of God’s existence and the poet’s path to understanding God. In “La Vache,” Hugo depicts poets and scholars suckling “indulgent Nature,” imbibing her light and flame. Poets are empowered by the multiple parallels between their creativity and God’s creation of the world, as Hugo explains in this note in verse found among his papers: Le poète dit: La poésie, c’est Le poème de Dieu traduit en langue humaine. Je tire du lac bleu, des cieux, des arbres verts, La vie intérieure et j’en remplis mes vers; La chose dans le mot revit plus belle encore. L’étoile se fait verbe et la fleur métaphore.3 As God writes nature, so the poet creates poetry. In a sustained, symbiotic alliance with nature as muse, the poet’s words bring the world even more to life. The preceding lines, along with such poems as “Suite” and “Éclaircie” (in chapter 6), implicitly evoke St. John 1:1: “In the beginning was the Word, and the Word was with God, and the Word was God” (in French, “le Verbe était Dieu”). As the poet, the universe, and God form a harmonious ensemble in communication with each other, the poet’s understanding reaches the rest of humanity.4 For Hugo, nature embodies the divine spirit, since all its elements are imbued with souls emanating from God; it is literally alive with God’s essence. “La nature, mêlée et vivante, en apparence confuse, ordonnée en réalité, —est une collection de chefs d’œuvre. Il y a les chefs d’œuvres hideux, l’araignée et le crapaud, comme les chefs d’œuvres splendides, l’astre, la femme, le lys; mais la perfection de Dieu est dans tout” (Laffont, Océan, 44–45). In conjunction with this belief in metempsychosis—that souls inhabit everything, even inanimate objects, and live on in various reincarnated forms—Hugo sees potential good, and thus magnificence, in even the most hideous creatures. A respect and liking for all living things underlies Hugo’s humanitarianism, which he sometimes explores through images of nature. In the metaphorical “J’aime l’araignée et j’aime 2. Cited in Laure-Charlotte Feffer-Perin, ed., Guide: Villequier, Musée Victor Hugo, Maison Vacquerie (Rouen: Conseil Général de la Seine-Maritime, 1994): 7. 3. Tas de pierres, cited by Albouy, ed., Œuvres poétiques I, 1537, n. 1. 4. On Hugo, nature, and God, see especially Bénichou, Mages, 1271–73; Barrère, Fantaisie.

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l’ortie” (in chapter 13), for instance, he sees positive potential in such dangerous, despised beings as spiders and stinging nettle—what they lack is love. Just as God has created both hideous and splendid creatures, nature’s power can be positive or destructive: “Toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante et mangée. Les proies s‘entremordent” (Les Travailleurs de la mer II, 4, ii). In his famous elegy for lost sailors, “Oceano nox” (Latin for “The Night Emanating from the Sea”), Hugo laments their disappearance in “une mer sans fond.” In “Printemps,” nature helps the poet escape despots and focus on his grandchildren’s laughter. Hugo lyrically describes the beauteous joy of spring and the sea surrounding him on Guernsey, and finds that he has almost forgotten that some people enjoy banishing others, ruling, and making war: “Puisque je suis là seul devant l’immensité, / Et puisqu’ayant sur moi le profond ciel d’été / Où le vent souffle avec la douceur d’une lyre, / J’entends dans le jardin les petits enfants rire.” Hugo’s preferred image of nature’s power is the ocean: its immensity, its moods ranging from tranquil to stormy, its intriguing yet dangerous character. In a sense, he sometimes merges with the ocean, whose strength reflects his own. As early as 1846, he compares his literary work to a sea (“Le travail qui me reste à faire apparaît à mon esprit comme une mer”), and proposes that his unpublished writings should appear posthumously under the title Océan (Laffont, Poésie IV, 917). As he writes about the grief of exile, he offers to joust with the unconquerable ocean, as with a peer: “Tout cet immense deuil m’entre dans l’âme et me fait songer au doux rayonnement de la France. Mais rien ne m’ébranle et rien ne m’ébranlera. Je mourrai ici, s’il le faut. L’océan est là sous ma fenêtre. Je regarde cet indomptable, et je lui dis: joutons” (Laffont, Océan, 271). Hugo finds the ocean to be an apt metaphor for genius as well, and calls the authors and philosophers he most admires hommes océans (William Shakespeare, in Laffont, Critique, 247; see “Ma Destinée” in chapter 8). Juxtaposing two nouns in this condensed metaphor (or metaphor maxima), he intensely underscores the manifold parallels between the sea’s multi-layered roiling and the complex activities of a genius’s mind and soul. In this Guernsey writing note, Hugo expresses his relationship with the ocean and his appreciation of nature’s power as a manifestation of God: . . . Je vis dans une solitude splendide, comme perché à la pointe d’un rocher, ayant toutes les vastes écumes des vagues et toutes les grandes nuées du ciel sous ma fenêtre; j’habite dans cet immense rêve de l’océan, je deviens peu à peu un somnambule de la mer, et devant tous ces prodigieux

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spectacles et toute cette énorme pensée vivante où je m’abîme, je finis par ne plus être qu’une espèce de témoin de Dieu. C’est de cette éternelle contemplation que je m’éveille de temps en temps pour écrire. Il y a toujours sur ma strophe ou sur ma page un peu de l’ombre du nuage et de la salive de la mer; ma pensée flotte et va et vient, comme dénouée par toute cette gigantesque oscillation de l’infini. Ce qui ne flotte pas, ce qui ne vacille pas, c’est l’âme devant l’éternité; c’est la conscience devant la vérité. (Laffont, Océan, 273)5

Ce qu’on entend sur la montagne, Les Feuilles d’automne V (1831) [Full of the melancholy that pervades Les Feuilles d’automne, “Ce qu’on entend sur la montagne” contrasts the harmony of nature with people’s suffering, while declaring the poet’s ability to understand both. Written when Hugo was twenty-seven, this poem at once resembles and greatly differs from his later work. The ocean is already key to how Hugo communes with God. In addition, he frequently uses biblical references (such as Zion’s temples and the story of Daniel in the lion’s den) throughout his career. Later in life, however, Hugo no longer writes that the path to understanding God lies through such religious rituals as baptism and communion given to a dying person (le viatique). The poem’s epigraph apparently refers to Romans 11:33: “O the depth of the riches both of the wisdom and knowledge of God! how unsearchable are his judgments, and his ways past finding out!” (King James Version). In Latin, altitudo means both “height” and “depth”; thus the epigraph evokes the breadth of the poet’s vision from the mountain top to the ocean floor. In the 1840s, Franz Liszt composed his symphonic poem with the same title.] O altitudo!

Avez-vous quelquefois, calme et silencieux, Monté sur la montagne, en présence des cieux? Était-ce aux bords du Sund? aux côtes de Bretagne?6 Aviez-vous l’océan au pied de la montagne? 5. On Hugo and the ocean, see especially Georgel, Cette immense rêve. 6. The Sund is a strait between Denmark and Sweden. Brittany is a coastal province west of Paris.

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Et là, penché sur l’onde et sur l’immensité, Calme et silencieux avez-vous écouté? Voici ce qu’on entend: — du moins un jour qu’en rêve Ma pensée abattit son vol sur une grève, Et du sommet d’un mont plongeant au gouffre amer, Vit d’un côté la terre et de l’autre la mer, J’écoutai, j’entendis, et jamais voix pareille Ne sortit d’une bouche et n’émut une oreille. Ce fut d’abord un bruit large, immense, confus, Plus vague que le vent dans les arbres touffus, Plein d’accords éclatants, de suaves murmures, Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d’armures Quand la sourde mêlée étreint les escadrons, Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons. C’était une musique ineffable et profonde, Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde, Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis, Roulait élargissant ses orbes infinis Jusqu’au fond où son flux s’allait perdre dans l’ombre Avec le temps, l’espace et la forme et le nombre! Comme une autre atmosphère épars et débordé, L’hymne éternel couvrait tout le globe inondé. Le monde enveloppé dans cette symphonie, Comme il vogue dans l’air, voguait dans l’harmonie. Et pensif, j’écoutais ces harpes de l’éther, Perdu dans cette voix comme dans une mer. Bientôt je distinguai, confuses et voilées, Deux voix dans cette voix l’une à l’autre mêlées, De la terre et des mers s’épanchant jusqu’au ciel, Qui chantaient à la fois le chant universel; Et je les distinguai dans la rumeur profonde Comme on voit deux courants qui se croisent sous l’onde. L’une venait des mers; chant de gloire! hymne heureux! C’était la voix des flots qui se parlaient entre eux; L’autre, qui s’élevait de la terre où nous sommes, Était triste: c’était le murmure des hommes;

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Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit, Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit. Or, comme je l’ai dit, l’océan magnifique Épandait une voix joyeuse et pacifique, Chantait comme la harpe aux temples de Sion, Et louait la beauté de la création. Sa clameur, qu’emportaient la brise et la rafale, Incessamment vers Dieu montait plus triomphale, Et chacun de ses flots, que Dieu seul peut dompter, Quand l’autre avait fini, se levait pour chanter. Comme ce grand lion dont Daniel fut l’hôte, L’océan par moments abaissait sa voix haute; Et moi, je croyais voir, vers le couchant en feu, Sous sa crinière d’or passer la main de Dieu. Cependant, à côté de l’auguste fanfare, L’autre voix, comme un cri de coursier qui s’effare, Comme le gond rouillé d’une porte d’enfer, Comme l’archet d’airain sur la lyre de fer, Grinçait; et pleurs, et cris, l’injure, l’anathème, Refus du viatique et refus du baptême, Et malédiction, et blasphème, et clameur, Dans le flot tournoyant de l’humaine rumeur, Passaient, comme le soir on voit dans les vallées De noirs oiseaux de nuit qui s’en vont par volées. Qu’était-ce que ce bruit dont mille échos vibraient? Hélas! c’était la terre et l’homme qui pleuraient. Frères! de ces deux voix étranges, inouïes, Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies, Qu’écoute l’Éternel durant l’éternité, L’une disait: nature! et l’autre: humanité! Alors je méditai; car mon esprit fidèle, Hélas! n’avait jamais déployé plus grande aile; Dans mon ombre jamais n’avait lui tant de jour; Et je rêvai long-temps, contemplant tour à tour, Après l’abîme obscur que me cachait la lame, L’autre abîme sans fond qui s’ouvrait dans mon âme.

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Et je me demandai pourquoi l’on est ici, Quel peut être après tout le but de tout ceci, Que fait l’âme, lequel vaut mieux d’être ou de vivre, Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre, Mêle éternellement dans un fatal hymen Le chant de la nature au cri du genre humain?

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Juillet 1829.

Parfois, lorsque tout dort, . . . , Les Feuilles d’automne XXI (1831) [Uncertainty about the manuscript date means that Hugo may well have written this poem in November 1828, when he wrote “Soleils couchants I” (in this chapter) and “Extase” (in chapter 6), with a very similar verse structure. In any case, Hugo is only in his mid-twenties as he makes clear the poet’s powerful, unique connection with nature. The Greek epigraph from Stoic philosopher and Roman emperor Marcus Aurelius (a.d. 121–180) may be translated, “All that is harmony for you, O Universe, is in harmony with me as well. Nothing that comes at the right time for you is too early or too late for me. Everything is fruit to me that your seasons bring, O Nature. All things come of you, have their being in you, and return to you” (Meditations IV, 23).] Pa`n moi sunarmovzei, o{ soi ejuavrmostovn ejsti, w\ kovsme : oujdevn moi provwron, oujde; ojyimon, to; soi; eu[kairon : pa`n karpov~, o{ ferousin aiJ sai; w|rai, w\ fuvsi~ : ejk sou` pavnta, ejn soi; pavnta, eij~ se; pavnta. MARC.-AUREL.

Parfois, lorsque tout dort, je m’assieds plein de joie Sous le dôme étoilé qui sur nos fronts flamboie; J’écoute si d’en haut il tombe quelque bruit; Et l’heure vainement me frappe de son aile Quand je contemple, ému, cette fête éternelle Que le ciel rayonnant donne au monde la nuit! Souvent alors j’ai cru que ces soleils de flamme Dans ce monde endormi n’échauffaient que mon âme; Qu’à les comprendre seul j’étais prédestiné; Que j’étais, moi, vaine ombre obscure et taciturne, Le roi mystérieux de la pompe nocturne; Que le ciel pour moi seul s’était illuminé! Novembre 1829.

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Soleils couchants I, Les Feuilles d’automne XXXV (1831) [“Soleils couchants” is a collection of six lyrical poems prompted by Hugo’s 1828 countryside walks near Paris to enjoy sunsets with his friend, painter Louis Boulanger. This first of the series is well known for Hugo’s wonderfully imaginative evocation of the sky and clouds as the sun sinks. The collection cele­ brates nature’s capacity to stimulate imagination and expresses the character­ istic Romantic desire to flee the city and return to nature. The poem’s epigraph comes from Contes de la Veillée by Hugo’s friend, author Charles Nodier, the recognized leader of the French Romantic movement before Hugo (Laffont, Poésie I, 1079, n. 115, 116).] Merveilleux tableaux que la vue découvre à la pensée. CH. NODIER.

J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs, Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs Ensevelis dans les feuillages; Soit que la brume au loin s’allonge en bancs de feu; Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu À des archipels de nuages. Oh! regardez le ciel! cent nuages mouvants, Amoncelés là-haut sous le souffle des vents, Groupent leurs formes inconnues; Sous leurs flots par moments flamboie un pâle éclair, Comme si tout-à-coup quelque géant de l’air Tirait son glaive dans les nues. Le soleil, à travers leurs ombres, brille encor; Tantôt, fait, à l’égal des larges dômes d’or, Luire le toit d’une chaumière; Ou dispute aux brouillards les vagues horizons; Ou découpe, en tombant sur les sombres gazons, Comme de grands lacs de lumière. Puis voilà qu’on croit voir, dans le ciel balayé, Pendre un grand crocodile au dos large et rayé, Aux trois rangs de dents acérées; Sous son ventre plombé glisse un rayon du soir;

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Cent nuages ardents luisent sous son flanc noir Comme des écailles dorées. Puis se dresse un palais; puis l’air tremble, et tout fuit. L’édifice effrayant des nuages détruit S’écroule en ruines pressées; Il jonche au loin le ciel, et ses cônes vermeils Pendent, la pointe en bas, sur nos têtes, pareils À des montagnes renversées. Ces nuages de plomb, d’or, de cuivre, de fer, Où l’ouragan, la trombe, et la foudre, et l’enfer Dorment avec de sourds murmures, C’est Dieu qui les suspend en foule aux cieux profonds, Comme un guerrier qui pend aux poutres des plafonds Ses retentissantes armures! Tout s’en va! Le soleil, d’en haut précipité, Comme un globe d’airain qui, rouge, est rejeté Dans les fournaises remuées, En tombant sur leur flots que son choc désunit, Fait en flocons de feu jaillir jusqu’au zénith L’ardente écume des nuées! Oh! contemplez le ciel! et dès qu’a fui le jour, En tout temps, en tout lieu, d’un ineffable amour Regardez à travers ces voiles; Un mystère est au fond de leur grave beauté, L’hiver, quand ils sont noirs comme un linceul, l’été, Quand la nuit les brode d’étoiles.

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Puisque mai tout en fleurs . . . , Les Chants du crépuscule XXXI (1835) [This poem exemplifies Hugo’s sense of the sexuality inherent in nature. With his consistent view of May as delightful, it is one of many in which the poet calls upon the beauties of nature to exhort a woman to love.] Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame, Viens! ne te lasse pas de mêler à ton âme

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La campagne, les bois, les ombrages charmants, Les larges clairs de lune au bord des flots dormants, Le sentier qui finit où le chemin commence, Et l’air et le printemps et l’horizon immense, L’horizon que ce monde attache humble et joyeux Comme une lèvre au bas de la robe des cieux! Viens! et que le regard des pudiques étoiles Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles, Que l’arbre pénétré de parfums et de chants, Que le souffle embrasé de midi dans les champs, Et l’ombre et le soleil, et l’onde et la verdure, Et le rayonnement de toute la nature Fassent épanouir, comme une double fleur, La beauté sur ton front et l’amour dans ton cœur!

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Mai 18… [21 mai 1835.]

Tristesse d’Olympio, Les Rayons et les ombres XXXIV (1840) [In 1837, Hugo returned without Juliette Drouet to the Bièvre Valley, the scene of many romantic encounters with her. The poem begins in the voice of Hugo’s poetic alter ego, Olympio, who refers to the poet in the third person. When Hugo himself speaks about the changes he finds in the natural setting, the stanzas change from six lines to four. Because the poem begins with nostalgia and regret, it is somewhat comparable to Lamartine’s “Le Lac” and Musset’s “Souvenir.” But Hugo goes beyond the elegiac tradition to contemplate much larger issues of life and death, inquire into the interrelationship of human beings and the world, and salute the power of human memory. “Tristesse d’Olympio” is the most acclaimed of Hugo’s poems before his exile and a cornerstone of French Romantic poetry.7 ] Les champs n’étaient point noirs, les cieux n’étaient pas mornes; Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes Sur la terre étendu, L’air était plein d’encens et les prés de verdures 7. For thoughtful analyses of this poem, see Albouy, ed., Œuvres poétiques I, 1576–81; and Patricia A. Ward, “‘Tristesse d’Olympio’ and the Romantic Nature Experience,” Nineteenth-Century French Studies 7 (1978–79): 4–16.

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Quant il revit ces lieux où par tant de blessures Son cœur s’est répandu! L’automne souriait; les coteaux vers la plaine Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine; Le ciel était doré; Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme, Disant peut-être à Dieu quelque chose de l’homme, Chantaient leur chant sacré! Il voulut tout revoir, l’étang près de la source, La masure où l’aumône avait vidé leur bourse, Le vieux frêne plié, Les retraites d’amour au fond des bois perdues, L’arbre où dans les baisers leurs âmes confondues Avaient tout oublié! Il chercha le jardin, la maison isolée, La grille d’où l’œil plonge en une oblique allée, Les vergers en talus. Pâle, il marchait. — Au bruit de son pas grave et sombre Il voyait à chaque arbre, hélas! se dresser l’ombre Des jours qui ne sont plus! Il entendait frémir dans la forêt qu’il aime Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même, Y réveille l’amour, Et, remuant le chêne ou balançant la rose, Semble l’âme de tout qui va sur chaque chose Se poser tour à tour! Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire, S’efforçant sous ses pas de s’élever de terre, Couraient dans le jardin; Ainsi, parfois, quand l’âme est triste, nos pensées S’envolent un moment sur leurs ailes blessées, Puis retombent soudain. Il contempla long-temps les formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques; Il rêva jusqu’au soir;

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Tout le jour il erra le long de la ravine, Admirant tour à tour le ciel, face divine, Le lac, divin miroir! Hélas! se rappelant ses douces aventures, Regardant, sans entrer, par dessus les clôtures, Ainsi qu’un paria, Il erra tout le jour. Vers l’heure où la nuit tombe, Il se sentit le cœur triste comme une tombe, Alors il s’écria: — «Ô douleur! j’ai voulu, moi, dont l’âme est troublée, Savoir si l’urne encor conservait la liqueur, Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée De tout ce que j’avais laissé là de mon cœur! «Que peu de temps suffit pour changer toutes choses! Nature au front serein, comme vous oubliez! Et comme vous brisez dans vos métamorphoses Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés! «Nos chambres de feuillage en halliers sont changées; L’arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé; Nos roses dans l’enclos ont été ravagées Par les petits enfants qui sautent le fossé!

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«Un mur clôt la fontaine où, par l’heure échauffée, Folâtre, elle buvait en descendant des bois; Elle prenait de l’eau dans sa main, douce fée, Et laissait retomber des perles de ses doigts! «On a pavé la route âpre et mal aplanie, Où, dans le sable pur se dessinant si bien, Et de sa petitesse étalant l’ironie, Son pied charmant semblait rire à côté du mien! «La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre, Où jadis pour m’attendre elle aimait à s’asseoir, S’est usée en heurtant, lorsque la route est sombre, Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.

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«La forêt ici manque et là s’est agrandie. De tout ce qui fut nous presque rien n’est vivant; Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie, L’amas des souvenirs se disperse à tout vent! «N’existons-nous donc plus? Avons-nous eu notre heure? Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus? L’air joue avec la branche au moment où je pleure; Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

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«D’autres vont maintenant passer où nous passâmes. Nous y sommes venus, d’autres vont y venir; Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes, Ils le continueront sans pouvoir le finir! «Car personne ici-bas ne termine et n’achève; Les pires des humains sont comme les meilleurs; Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve. Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs. «Oui, d’autres à leur tour viendront, couples sans tache, Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté, Tout ce que la nature à l’amour qui se cache Mêle de rêverie et de solennité! «D’autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites. Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus. D’autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes, Troubler le flot sacré qu’ont touché tes pieds nus! «Quoi donc! c’est vainement qu’ici nous nous aimâmes! Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes! L’impassible nature a déjà tout repris. «Oh! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres, Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons, Est-ce que vous ferez pour d’autres vos murmures? Est-ce que vous direz à d’autres vos chansons?

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«Nous vous comprenions tant! doux, attentifs, austères, Tous nos échos s’ouvraient si bien à votre voix! Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères, L’oreille aux mots profonds que vous dites parfois! «Répondez, vallon pur, répondez, solitude, Ô nature abritée en ce désert si beau, Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau; «Est-ce que vous serez à ce point insensible De nous savoir couchés, morts avec nos amours, Et de continuer votre fête paisible, Et de toujours sourire et de chanter toujours? «Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites, Fantômes reconnus par vos monts et vos bois, Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes Qu’on dit en revoyant des amis d’autrefois?

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«Est-ce que vous pourrez, sans tristesse et sans plainte, Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas, Et la voir m’entraîner, dans une morne étreinte, Vers quelque source en pleurs qui sanglotte tout bas? «Et s’il est quelque part, dans l’ombre où rien ne veille, Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports, Ne leur irez-vous pas murmurer à l’oreille: — «Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts!» «Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines, Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds, Et les cieux azurés et les lacs et les plaines, Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours! «Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme, Il plonge dans la nuit l’antre où nous rayonnons; Et dit à la vallée, où s’imprima notre âme, D’effacer notre trace et d’oublier nos noms.

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«Eh bien! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages! Herbe, use notre seuil! ronce, cache nos pas! Chantez, oiseaux! ruisseaux, coulez! croissez, feuillages! Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

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«Car vous êtes pour nous l’ombre de l’amour même! Vous êtes l’oasis qu’on rencontre en chemin! Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême Où nous avons pleuré nous tenant par la main! «Toutes les passions s’éloignent avec l’âge, L’une emportant son masque et l’autre son couteau, Comme un essaim chantant d’histrions en voyage Dont le groupe décroît derrière le coteau. «Mais toi, rien ne t’efface, Amour! toi qui nous charmes, Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard! Tu nous tiens par la joie et surtout par les larmes; Jeune homme on te maudit, on t’adore vieillard. «Dans ces jours où la tête au poids des ans s’incline, Où l’homme, sans projets, sans but, sans visions, Sent qu’il n’est déjà plus qu’une tombe en ruine Où gisent ses vertus et ses illusions; «Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles, Comptant dans notre cœur, qu’enfin la glace atteint, Comme on compte les morts sur un champ de bataille, Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

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«Comme quelqu’un qui cherche en tenant une lampe, Loin des objets réels, loin du monde rieur, Elle arrive à pas lents par une obscure rampe Jusqu’au fond désolé du gouffre intérieur; «Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile, L’âme, en un repli sombre où tout semble finir, Sent quelque chose encor palpiter sous un voile… — C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir! » Octobre 183… [21 octobre 1837.]

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À travers champs (excerpt), Le Rhin, Lettre XVI (1842) [Hugo’s fascination with ruins and with nature runs throughout his travel writings, including Le Rhin and accompanying drawings, in which tendrils at times creep over buildings. (A version of this theme appears in the Hauteville House dining room drawing, in chapter 10.) Beginning this letter with his regret at leaving “la Souris” at Velmich (“Je ne pouvais pas m’arracher de cette ruine”), he continues, “La nature, comme une mère souriante, se prête à tous nos rêves et à toutes nos caprices.” Although ostensibly a description of his view of the Rhine Valley from a ravine between Velmich and Saint-Goar, this excerpt primarily offers an intense reverie on the tranquility and somberness of nature as night approaches. Hugo’s reference to melancholia alludes to Albrecht Dürer’s allegorical engraving Melencolia I (1514), in which a bat bearing the banner “Melencolia” hovers behind obviously dejected creatures (a winged figure, a child, and an emaciated dog). Romantic writers such as Théophile Gautier and Gérard de Nerval much admired Dürer’s work, as did Hugo, whose poem “À Albert Dürer” appears in chapter 5.8 ] Cependant, comme je traversais, broyant le chaume fraîchement coupé, de hautes plaines rousses où les grands vents se déploient le soir, un ravin s’est tout à coup présenté à ma gauche. J’y suis entré, et, après quelques instants d’une descente très-âpre le long d’un sentier qui semble par moments un escalier fait avec de larges ardoises, je revoyais le Rhin. Je me suis assis là; j’étais las. Le jour n’avait pas encore complètement disparu. Il faisait nuit noire pour le ravin où j’étais et pour les vallées de la rive gauche adossées à de grosses collines d’ébène; mais une inexprimable lueur rose, reflet du couchant de pourpre, flottait sur les montagnes de l’autre côté du Rhin et sur les vagues silhouettes de ruines qui m’apparaissaient de toutes parts. Sous mes yeux, dans un abîme, le Rhin, dont le murmure arrivait jusqu’à moi, se dérobait sous une large brume blanchâtre d’où sortait à mes pieds mêmes la haute aiguille d’un clocher gothique à demi submergé dans le brouillard. Il y avait sans doute là une ville, cachée par cette nappe de vapeurs. Je voyais à ma droite, à quelques toises plus bas que moi, le plafond couvert d’herbe 8. For more on nature in Le Rhin, see Jerzy Parvi, “Nature et art dans Le Rhin de Victor Hugo,” in Literarische Landschaft: Naturauffassung und Naturbeschreibung zwischen 1750 und 1830. Le Paysage en littérature: La conception et la description de la nature entre 1750 et 1830, ed. Uwe Dethloff (Röhrig: St. Ingbert, 1995), 169–83.

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d’une grosse tour grise démantelée et se tenant encore fièrement sur la pente de la montagne, sans créneaux, sans machicoulis et sans escaliers. Sur ce plafond, dans un pan de mur resté debout, il y avait une porte toute grande ouverte, car elle n’avait plus de battants, et sous laquelle aucun pied humain ne pouvait plus marcher. J’entendais au-dessus de ma tête cheminer et parler dans la montagne des passants inconnus dont je voyais les ombres remuer dans les ténèbres. — La lueur rose s’était évanouie. Je suis resté long-temps assis là sur une pierre, me reposant et songeant, regardant en silence passer cette heure sombre où le crêpe des fumées et des vapeurs efface lentement le paysage et où le contour des objets prend une forme fantasque et lugubre. Quelques étoiles rattachaient et semblaient clouer au zénith le suaire noir de la nuit étendu sur une moitié du ciel et le blanc linceul du crépuscule déployé sinistrement sur l’autre. Peu à peu le bruit de pas et de voix a cessé dans le ravin, le vent est tombé, et avec lui s’est éteint ce doux frémissement de l’herbe qui soutient la conversation avec le passant fatigué et lui tient compagnie. Aucun bruit ne venait de la ville invisible; le Rhin lui-même semblait s’être assoupi; une nuée livide et blafarde avait envahi l’immense espace du couchant au levant; les étoiles s’étaient voilées l’une après l’autre; et je n’avais plus au-dessus de moi qu’un de ces ciels de plomb où plane, visible pour le poète, cette grande chauve-souris qui porte écrit dans son ventre ouvert melancholia. Tout à coup une brise a soufflé, la brume s’est déchirée, l’église s’est dégagée, un sombre bloc de maisons, piqué de mille vitres allumées, est apparu au fond du précipice par le trou qui s’est fait dans le brouillard. C’était Saint-Goar.

Oui, je suis le rêveur; . . . , Les Contemplations I, xxvii (1856) [Here Hugo emphasizes the poet’s union with nature, dating this poem from the halcyon period of summer vacations with the Bertin family at Les Roches, in the Bièvre Valley. He interconnects the poet and God, and God and nature, stressing the insightful role of the poet, who converses with all the voices of transmigrated souls (line 14). He claims a perspicacity equal to that of French Renaissance satiric novelist François Rabelais and of Orpheus, the mythological Greek poet and musician whose beautiful lyre music could charm the beasts as well as Hades’s ruler. Hugo believed strongly in the dual nature of the poet’s role as lyricist and visionary (see, in chapter 8, “Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur, . . .” , which Hugo placed immediately after this poem in Les Contemplations).]

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Oui, je suis le rêveur; je suis le camarade Des petites fleurs d’or du mur qui se dégrade, Et l’interlocuteur des arbres et du vent. Tout cela me connaît, voyez-vous. J’ai souvent, En mai, quand de parfums les branches sont gonflées, Des conversations avec les giroflées; Je reçois des conseils du lierre et du bleuet. L’être mystérieux, que vous croyez muet, Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire. J’entends ce qu’entendit Rabelais; je vois rire Et pleurer; et j’entends ce qu’Orphée entendit. Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit La nature aux soupirs ineffables. Je cause Avec toutes les voix de la métempsycose. Avant de commencer le grand concert sacré, Le moineau, le buisson, l’eau vive dans le pré, La forêt, basse énorme, et l’aile et la corolle, Tous ces doux instruments, m’adressent la parole; Je suis l’habitué de l’orchestre divin; Si je n’étais songeur, j’aurais été sylvain. J’ai fini, grâce au calme en qui je me recueille, À force de parler doucement à la feuille, À la goutte de pluie, à la plume, au rayon, Par descendre à ce point dans la création, Cet abîme où frissonne un tremblement farouche, Que je ne fais plus même envoler une mouche! Le brin d’herbe, vibrant d’un éternel émoi, S’apprivoise et devient familier avec moi, Et, sans s’apercevoir que je suis là, les roses Font avec les bourdons toutes sortes de choses; Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis, J’avance largement ma face sur les nids, Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte, N’a pas plus peur de moi que nous n’aurions de crainte, Nous, si l’œil du bon Dieu regardait dans nos trous; Le lys prude me voit approcher sans courroux, Quand il s’ouvre aux baisers du jour; la violette La plus pudique fait devant moi sa toilette; Je suis pour ces beautés l’ami discret et sûr;

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Et le frais papillon, libertin de l’azur, Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue, Si je viens à passer dans l’ombre, continue, Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon, Il lui dit: «Es-tu bête! Il est de la maison.»

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Les Roches, août 1835.

Les enfants lisent, troupe blonde; . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 2, iv (1865) [In Les Chansons des rues et des bois Hugo celebrates nature in a variety of ways. This poem from “Oiseaux et enfants” in Book II (“Sagesse”) begins with the freedoms and happiness of the “school” of nature set in contrast with what Hugo sees as the stultifying atmosphere of the traditional schoolroom. He explicitly presents the Romantic view of nature as the book of God, and analyzes how the beautiful and the sinister intermingle in nature.] Les enfants lisent, troupe blonde; Ils épellent, je les entends; Et le maître d’école gronde Dans la lumière du printemps. J’aperçois l’école entr’ouverte; Et je rôde au bord des marais; Toute la grande saison verte Frissonne au loin dans les forêts. Tout rit, tout chante; c’est la fête De l’infini que nous voyons; La beauté des fleurs semble faite Avec la candeur des rayons. J’épelle aussi moi; je me penche Sur l’immense livre joyeux; Ô champs, quel vers que la pervenche! Quelle strophe que l’aigle, ô cieux! Mais, mystère! rien n’est sans tache. Rien! — Qui peut dire par quels nœuds La végétation rattache Le lys chaste au chardon hargneux?

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Tandis que là-bas siffle un merle, La sarcelle, des roseaux plats, Sort, ayant au bec une perle; Cette perle agonise, hélas! C’est le poisson qui, tout à l’heure, Poursuivait l’aragne, courant Sur sa bleue et vague demeure, Sinistre monde transparent. Un coup de fusil dans la haie, Abois d’un chien; c’est le chasseur. Et, pensif, je sens une plaie Parmi toute cette douceur. Et, sous l’herbe pressant la fange, Triste passant de ce beau lieu, Je songe au mal, énigme étrange, Faute d’orthographe de Dieu.

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[23 octobre 1859.]

Frontispiece for Les Chansons des rues et des bois (1865) [Victor Hugo offered this lighthearted drawing of birds and their nest to his friend Paul Meurice as a New Year’s greeting. He inscribed it from Hauteville House “1er janvier 1868,” and included a quotation from Virgil’s tenth eclogue about the poet Gallus and his love, Lycoris: Pauca meo Gallo, sed quia leget ipse Lycoris (“Sing a brief song to Gallus—brief, but yet such as Lycoris’s self may fitly read”). Given the Virgilian backdrop for Les Chansons des rues et des bois, it is not surprising that Meurice saw a relationship between that volume and this nature scene. Hugo seems pleased in his February 6 response to Meurice: “Oui, mettez ces oiseaux en frontispice aux Chansons des rues et des bois. Cela exprimera un des côtés du livre.” Meurice did indeed bind the drawing into his first edition copy.9 ]

9. For information on this drawing, see Maison de Victor Hugo, Dessins, plate 186. Letter cited under “06 février 1868” at http://www.chronologievictor-hugo.com/pages/ corp1868(1,2).htm.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 8. Frontispiece for Les Chansons des rues et des bois, © PMVP / Ladet.

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“Les Rochers Douvres” (excerpt), Les Travailleurs de la mer I, 6, ii (1866) [Early in the novel Hugo offers an intense depiction of the deep sea. With the metaphor of the hard, highly perforated madrepore corals he draws the reader into the reefs’ intricate, seemingly infinite branching, a sinister yet welcoming fathomless depth where monstrous creatures live by devouring each other. Foreshadowing the horrific beast that Gilliatt will encounter (see chapter 5), the spineless holothurians (sea slugs or sea cucumbers) have mouths surrounded by retractable tentacles. The Dover rocks are a pair of vertical boulders between which the steamship Durande will become stuck during a violent storm.] Sur toute cette périlleuse mer de la Manche, qui est la mer Égée de l’Occident, le rocher Douvres n’a d’égal en terreur que l’écueil Pater-Noster entre Guernesey et Serk. Et encore, de Pater-Noster on peut faire un signal; une détresse là peut être secourue. On voit au nord la pointe Dicard, ou d’Icare, et au sud GrosNez. Du rocher Douvres, on ne voit rien. La rafale, l’eau, la nuée, l’illimité, l’inhabité. Nul ne passe aux rochers Douvres qu’égaré. Les granits sont d’une stature brutale et hideuse. Partout l’escarpement. L’inhospitalité sévère de l’abîme. C’est la haute mer. L’eau y est très-profonde. Un écueil absolument isolé comme le rocher Douvres attire et abrite les bêtes qui ont besoin de l’éloignement des hommes. C’est une sorte de vaste madrépore sous-­marin. C’est un labyrinthe noyé. Il y a là, à une profondeur où les plongeurs atteignent difficilement, des antres, des caves, des repaires, des entrecroisements de rues ténébreuses. Les espèces monstrueuses y pullulent. On s’entre-dévore. Les crabes mangent les poissons, et sont eux-mêmes mangés. Des formes épouvantables, faites pour n’être pas vues par l’œil humain, errent dans cette obscurité, vivantes. De vagues linéaments de gueules, d’antennes, de tentacules, de nageoires, d’ailerons, de mâchoires ouvertes, d’écailles, de griffes, de pinces, y flottent, y tremblent, y grossissent, s’y décomposent et s’y effacent dans la transparence sinistre. D’effroyables essaims nageants rôdent, faisant ce qu’ils ont à faire. C’est une ruche d’hydres. L’horrible est là, idéal. Figurez-vous, si vous pouvez, un fourmillement d’holothuries. Voir le dedans de la mer, c’est voir l’imagination de l’Inconnu. C’est la voir du côté terrible. Le gouffre est analogue à la nuit. Là aussi il y a

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sommeil, sommeil apparent du moins, de la conscience de la création. Là s’accomplissent en pleine sécurité les crimes de l’irresponsable. Là, dans une paix affreuse, les ébauches de la vie, presque fantômes, tout à fait démons, vaquent aux farouches occupations de l’ombre.

“Le Combat” (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 3, vi (1866) [Gilliatt has been working for months to save the Durande’s engine before the dangerous sea sweeps the ship from its perch between the Dover rocks. At this point in the novel, he realizes the desperately precarious nature of his position as a huge storm approaches: he could easily be tossed into the sea and drowned. In this excerpt, which details only the beginning of the storm, Hugo shows the dark, vicious side of nature. Against the hurricane’s savage fury Hugo contrasts Gilliatt’s shrewd strategies: at the end of this passage you see how Hugo frames the battle between these two different yet equal foes.10 ] Gilliatt monta sur la grande Douvre. De là il voyait toute la mer. L’ouest était surprenant. Il en sortait une muraille. Une grande muraille de nuée, barrant de part en part l’étendue, montait lentement de l’horizon vers le zénith. Cette muraille, rectiligne, verticale, sans une crevasse dans sa hauteur, sans une déchirure à son arête, paraissait bâtie à l’équerre et tirée au cordeau. C’était du nuage ressemblant à du granit. L’escarpement de ce nuage, tout à fait perpendiculaire à l’extrémité Sud, fléchissait un peu vers le Nord comme une tôle ployée, et offrait le vague glissement d’un plan incliné. Ce mur de brume s’élargissait et croissait sans que son entablement cessât un instant d’être parallèle à la ligne d’horizon, presque indistincte dans l’obscurité tombante. Cette muraille de l’air montait tout d’une pièce en silence. Pas une ondulation, pas un plissement, pas une saillie qui se déformât ou se déplaçât. Cette immobilité en mouvement était lugubre. Le soleil, blême derrière on ne sait quelle transparence malsaine, éclairait ce linéament d’apocalypse. La nuée envahissait déjà près de la moitié de l’espace. On eût dit l’effrayant talus de l’abîme. C’était quelque chose comme le lever d’une montagne d’ombre entre la terre et le ciel. C’était en plein jour l’ascension de la nuit. 10. Gohin, ed., Travailleurs, 1568–69, n. 1.

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Il y avait dans l’air une chaleur de poêle. Une buée d’étuve se dégageait de cet amoncellement mystérieux. Le ciel, qui de bleu était devenu blanc, était de blanc devenu gris. On eût dit une grande ardoise. La mer, dessous, terne et plombée, était une autre ardoise énorme. Pas un souffle, pas un flot, pas un bruit. À perte de vue, la mer déserte. Aucune voile d’aucun côté. Les oiseaux s’étaient cachés. On sentait de la trahison dans l’infini. Le grossissement de toute cette ombre s’amplifiait insensiblement. La montagne mouvante de vapeurs qui se dirigeait vers les Douvres était un de ces nuages qu’on pourrait appeler les nuages de combat. Nuages louches. À travers ces entassements obscurs, on ne sait quel strabisme vous regarde. Cette approche était terrible. Gilliatt examina fixement la nuée et grommela entre ses dents: J’ai soif, tu vas me donner à boire. Il demeura quelques moments immobile, l’œil attaché sur le nuage. On eût dit qu’il toisait la tempête. Sa galérienne était dans la poche de sa vareuse, il l’en tira et s’en coiffa. Il prit, dans le trou où il avait si longtemps couché, sa réserve de hardes; il chaussa les jambières et endossa le suroit, comme un chevalier qui revêt son armure au moment de l’action. On sait qu’il n’avait plus de souliers, mais ses pieds nus étaient endurcis aux rochers. Cette toilette de guerre faite, il considéra son brise-lames, empoigna vivement la corde à nœuds, descendit du plateau de la Douvre, prit pied sur les roches d’en bas, et courut à son magasin. Quelques instants après, il était au travail. Le vaste nuage muet put entendre ses coups de marteau. Que faisait Gilliatt? Avec ce qui lui restait de clous, de cordes et de poutres il construisait au goulet de l’Est une seconde claire-voie à dix ou douze pieds en arrière de la première. Le silence était toujours profond. Les brins d’herbe dans les fentes de l’écueil ne bougeaient pas. Brusquement le soleil disparut. Gilliatt leva la tête. La nuée montante venait d’atteindre le soleil. Ce fut comme une extinction du jour, remplacé par une réverbération mêlée et pâle. La muraille de nuée avait changé d’aspect. Elle n’avait plus son unité. Elle s’était froncée horizontalement en touchant au zénith d’où elle surplombait sur le reste du ciel. Elle avait maintenant des étages. La formation de la tempête s’y dessinait comme dans une section de tranchée. On

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distinguait les couches de la pluie et les gisements de la grêle. Il n’y avait point d’éclair, mais une horrible lueur éparse; car l’idée d’horreur peut s’attacher à l’idée de lumière. On entendait la vague respiration de l’orage. Ce silence palpitait obscurément. Gilliatt, silencieux lui aussi, regardait se grouper au-dessus de sa tête tous ces blocs de brume et se composer la difformité des nuages. Sur l’horizon pesait et s’étendait une bande de brouillard couleur cendre, et au zénith une bande couleur plomb; des guenilles livides pendaient des nuages d’en haut sur les brouillards d’en bas. Tout le fond, qui était le mur de nuages, était blafard, laiteux, terreux, morne, indescriptible. Une mince nuée blanchâtre transversale, arrivée on ne sait d’où, coupait obliquement, du nord au sud, la haute muraille sombre. Une des extrémités de cette nuée traînait dans la mer. Au point où elle touchait la confusion des vagues, on apercevait dans l’obscurité un étouffement de vapeur rouge. Au-dessous de la longue nuée pâle, de petits nuages, très-bas, tout noirs, volaient en sens inverse les uns des autres comme s’ils ne savaient que devenir. Le puissant nuage du fond croissait de toutes parts à la fois, augmentait l’éclipse, et continuait son interposition lugubre. Il n’y avait plus, à l’est, derrière Gilliatt, qu’un porche de ciel clair qui allait se fermer. Sans qu’on eût l’impression d’aucun vent, une étrange diffusion de duvet grisâtre passa, éparpillée et émiettée, comme si quelque gigantesque oiseau venait d’être plumé derrière ce mur de ténèbres. Il s’était formé un plafond de noirceur compacte qui, à l’extrême horizon, touchait la mer et s’y mêlait dans de la nuit. On sentait quelque chose qui avance. C’était vaste et lourd, et farouche. L’obscurité s’épaississait. Toutà-coup un immense tonnerre éclata. Gilliatt lui-même ressentit la secousse. Il y a du songe dans le tonnerre. Cette réalité brutale dans la région visionnaire a quelque chose de terrifiant. On croit entendre la chute d’un meuble dans la chambre des géants. Aucun flamboiement électrique n’accompagna le coup. Ce fut comme un tonnerre noir. Le silence se refit. Il y eut une sorte d’intervalle comme lorsqu’on prend position. Puis, apparurent, l’un après l’autre et lentement, de grand éclairs informes. Ces éclairs étaient muets. Pas de grondement. À chaque éclair tout s’illuminait. Le mur de nuages était maintenant un antre. Il y avait des voûtes et des arches. On y distinguait des silhouettes. Des têtes monstrueuses s’ébauchaient; des cous semblaient se tendre; des éléphants portant leurs tours, entrevus, s’évanouissaient. Une colonne de brume, droite, ronde et noire, surmontée d’une vapeur blanche, simulait

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la cheminée d’un steamer colossal englouti, chauffant sous la vague et fumant. Des nappes de nuée ondulaient. On croyait voir des plis de drapeaux. Au centre, sous des épaisseurs vermeilles, s’enfonçait, immobile, un noyau de brouillard dense, inerte, impénétrable aux étincelles électriques, sorte de fœtus hideux dans le ventre de la tempête. Gilliatt subitement sentit qu’un souffle l’échevelait. Trois ou quatre larges araignées de pluie s’écrasèrent autour de lui sur la roche. Puis il y eut un second coup de foudre. Le vent se leva. L’attente de l’ombre était au comble; le premier coup de tonnerre avait remué la mer, le deuxième fêla la muraille de nuée du haut en bas, un trou se fit, toute l’ondée en suspens versa de ce côté, la crevasse devint comme une bouche ouverte pleine de pluie, et le vomissement de la tempête commença. L’instant fut effroyable. Averse, ouragan, fulgurations, fulminations, vagues jusqu’aux nuages, écume, détonations, torsions frénétiques, cris, rauquements, sifflements, tout à la fois. Déchaînement de monstres. Le vent soufflait en foudre. La pluie ne tombait pas, elle croulait. Pour un pauvre homme, engagé, comme Gilliatt, avec une barque chargée, dans un entre-deux de rochers en pleine mer, pas de crise plus menaçante. Le danger de la marée, dont Gilliatt avait triomphé, n’était rien près du danger de la tempête. Voici qu’elle était la situation: Gilliatt, autour de qui tout était précipice, démasquait, à la dernière minute et devant le péril suprême, une stratégie savante. Il avait pris son point d’appui chez l’ennemi même; il s’était associé l’écueil; le rocher Douvres, autrefois son adversaire, était maintenant son second dans cet immense duel. Gilliatt l’avait mis sous lui. De ce sépulcre, Gilliatt avait fait sa forteresse. Il s’était crénelé dans cette masure formidable de la mer. Il y était bloqué, mais muré. Il était, pour ainsi dire, adossé à l’écueil, face à face avec l’ouragan. Il avait barricadé le détroit, cette rue des vagues. C’était du reste la seule chose à faire. Il semble que l’océan, qui est un despote, puisse être, lui aussi, mis à la raison par des barricades.

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Tempête—La Dernière Lutte, or Le Bateau-vision [Most of Hugo’s marine drawings are more or less contemporary with his writing of Les Travailleurs de la mer. Painted with brown-ink wash and pen, this depiction of human vulnerability in the face of powerful ocean storms probably dates from the mid-1860s. It is one of thirty-six drawings that Hugo organized into the novel’s manuscript (which he willed along with all his papers to the Bibliothèque nationale de France). Hugo placed this illustration just before the chapter entitled “Chance qu’ont eue ces naufragés de rencontrer ce sloop” (I, iv, 6), which details how dangerous weather at sea can be. (See chapter 5 for other art associated with the novel.) As was his usual habit, Hugo did not specify this drawing’s title. Thus editors have provided various names, including “Tempête—la vague” and “La Vague,” although the two given above are the most common titles.11 ]

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 9. Tempête—La Dernière Lutte, or Le Bateau-vision, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 24745, FOL. 111. 11. Background information from Georgel, Cette immense rêve, 104, 112; Georgel, Dessins pour Les Travailleurs, 68–69; Delphine Gleizes, “État des recherches: Genèses et

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“La Grande Tombe” (excerpt), Les Travailleurs de la mer III, 3, v (1866) [Nature can be richly lovely and voluptuous, as Hugo shows in this poetic evocation of spring from near the end of the novel.] Gilliatt suivit le bord de l’eau, passa rapidement dans Saint-Pierre-Port, puis se remit à marcher vers Saint-Sampson le long de la mer, se dérobant aux rencontres, évitant les routes, pleines de passants par sa faute. Dès longtemps, on le sait, il avait une manière à lui de traverser dans tous les sens le pays sans être vu de personne. Il connaissait des sentiers, il s’était fait des itinéraires isolés et serpentants; il avait l’habitude farouche de l’être qui ne se sent pas aimé; il restait lointain. Tout enfant, voyant peu d’accueil dans les visages des hommes, il avait pris ce pli, qui depuis était devenu son instinct, de se tenir à l’écart. Il dépassa l’Esplanade, puis la Salerie. De temps en temps, il se retournait et regardait, en arrière de lui, dans la rade, le Cashmere, qui venait de mettre à la voile. Il y avait peu de vent, Gilliatt allait plus vite que le Cashmere. Gilliatt marchait dans les roches extrêmes du bord de l’eau, la tête baissée. Le flux commençait à monter. À un certain moment il s’arrêta et, tournant le dos à la mer, il considéra pendant quelques minutes, au delà des rochers cachant la route du Valle, un bouquet de chênes. C’étaient les chênes du lieu dit les Basses Maisons. Là, autrefois, sous ces arbres, le doigt de Déruchette avait écrit son nom, Gilliatt, sur la neige. Il y avait longtemps que cette neige était fondue. Il poursuivit son chemin. La journée était charmante plus qu’aucune qu’il y eût encore eu cette année-là. Cette matinée avait on ne sait quoi de nuptial. C’était un de ces jours printaniers où mai se dépense tout entier; la création semble n’avoir d’autre but que de se donner une fête et de faire son bonheur. Sous toutes les rumeurs, de la forêt comme du village, de la vague comme de l’atmo­ sphère, il y avait un roucoulement. Les premiers papillons se posaient sur les premières roses. Tout était neuf dans la nature, les herbes, les mousses, les feuilles, les parfums, les rayons. Il semblait que le soleil n’eût jamais servi. Les cailloux étaient lavés de frais. La profonde chanson des arbres interférences artistiques dans Les Travailleurs de la mer.” Compte rendu de la communication au Groupe Hugo, 21 septembre 1996 (http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/96 -09-21gleizes.htm). This drawing is catalogued in CFL XVIII/II, #713.

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était chantée par des oiseaux nés d’hier. Il est probable que leur coquille d’œuf cassée par leur petit bec était encore dans le nid. Des essais d’ailes bruissaient dans le tremblement des branches. Ils chantaient leur premier chant, ils volaient leur premier vol. C’était un doux parlage de tous à la fois, huppes, mésanges, piquebois, chardonnerets, bouvreuils, moines et misses. Les lilas, les muguets, les daphnés, les glycines, faisaient dans les ­fourrés un bariolage exquis. Une très-jolie lentille d’eau qu’il y a à Guernesey, couvrait les mares d’une nappe d’émeraude. Les bergeronnettes et les épluque pommiers, qui font de si gracieux petits nids, s’y baignaient. Par toutes les claires-voies de la végétation on apercevait le bleu du ciel. Quelques nuées lascives s’entre-poursuivaient dans l’azur avec des ondoiements de nymphes. On croyait sentir passer les baisers que s’envoyaient des bouches invisibles. Pas un vieux mur qui n’eût, comme un marié, son bouquet de giroflées. Les prunelliers étaient en fleur, les cytises étaient en fleur; on voyait ces monceaux blancs qui luisaient et ces monceaux jaunes qui étincelaient à travers les entre-croisements des rameaux. Le printemps jetait tout son argent et tout son or dans l’immense panier percé des bois. Les pousses nouvelles étaient toutes fraîches vertes. On entendait en l’air des cris de bienvenue. L’été hospitalier ouvrait sa porte aux oiseaux lointains. C’était l’instant de l’arrivée des hirondelles. Les thyrses des ajoncs bordaient les talus des chemins creux, en attendant les thyrses des aubépines. Le beau et le joli faisaient bon voisinage; le superbe se complétait par le gracieux; le grand ne gênait pas le petit; aucune note du concert ne se perdait; les magnificences microscopiques étaient à leur plan dans la vaste beauté universelle; on distinguait tout comme dans une eau limpide. Partout une divine plénitude et un gonflement mystérieux faisaient deviner l’effort panique et sacré de la sève en travail. Qui brillait, brillait plus; qui aimait, aimait mieux. Il y avait de l’hymne dans la fleur et du rayonnement dans le bruit. La grande harmonie diffuse s’épanouissait. Ce qui commence à poindre provoquait ce qui commence à sourdre. Un trouble, qui venait d’en bas, et qui venait aussi d’en haut, remuait vaguement les cœurs, corruptibles à l’influence éparse et souterraine des germes. La fleur promettait obscurément le fruit, toute vierge songeait, la reproduction des êtres, préméditée par l’immense âme de l’ombre, s’ébauchait dans l’irradiation des choses. On se fiançait partout. On s’épousait sans fin. La vie, qui est la femelle, s’accouplait avec l’infini, qui est le mâle. Il faisait beau, il faisait clair, il faisait chaud; à travers les haies, dans les enclos, on voyait rire les enfants. Quelques-uns jouaient aux merelles. Les

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pommiers, les pêchers, les cerisiers, les poiriers, couvraient les vergers de leurs grosses touffes pâles ou vermeilles. Dans l’herbe, primevères, pervenches, achillées, marguerites, amaryllis, jacinthes, et les violettes, et les véroniques. Les bourraches bleues, les iris jaunes, pullulaient, avec ces belles petites étoiles roses qui fleurissent toujours en troupe et qu’on appelle pour cela «les compagnons». Des bêtes toutes dorées couraient entre les pierres. Les joubarbes en floraison empourpraient les toits de chaume. Les travailleuses des ruches étaient dehors. L’abeille était à la besogne. L’étendue était pleine du murmure des mers et du bourdonnement des mouches. La nature, perméable au printemps, était moite de volupté.

Il faut boire et frapper la terre d’un pied libre! . . . , La Légende des siècles, Dernière série XIII, iii (1883) [Undated but apparently written after 1870, this poem is one of four in the section entitled “Amour.” Hugo rejoices in burgeoning spring and natural sensuality, with regret for time’s inexorable passage. Claiming inspiration from an ode to springtime by Roman lyric poet Horace (65–8 B.C.), Hugo draws implicit parallels between the classical world and his own by linking rivers: Rome’s Tiber and Paris’s Seine. He associates the present and past with allusions to his happy childhood days in the garden at his Paris home, Les Feuillantines. In the end, he makes explicit the resemblance between nature’s essential sexuality and human love, recalling Leander from Greek mythology, who so loved Hero that she committed suicide because he drowned. From the eighteenth-century novel by the Abbé Prévost, Hugo evokes Manon Lescaut, who risks all because she loves the Chevalier Des Grieux (Hugo’s spelling is Desgrieux).] Il faut boire et frapper la terre d’un pied libre! Dit Horace; et la chose est vraie aux bords du Tibre, Vraie aux bords de la Seine; et songeons aux amours, Maintenant, dit Horace, et moi je dis: Toujours! Amis! amis! amis! soyons tous frères! gloire À la beauté, vêtue ou non! Va-t-en, nuit noire! La jeune année arrive avec l’aurore au front, Remet le temps à neuf, court d’un pas leste et prompt, Lave le ciel, sourit à la terre engourdie, Et commence gaîment, par une mélodie, Le printemps. Chantez, nids! Ô fleurs, dans les fossés,

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Les ravins, les étangs, les bois, les champs, croissez! Boutons d’or que j’ai vus jadis aux Feuillantines, Renaissez! Fourmillez, liserons, églantines, Pâquerettes, iris, muguets, lilas, jasmins! Le petit enfant mai frappe dans ses deux mains. Allons, dépêchez-vous de naître, il vous appelle. Il veut parer la terre ainsi qu’une chapelle, Et mettre une guirlande autour du genre humain. Avril s’appelle Amour et juin s’appelle Hymen,12 Le fruit suivra la fleur. Faisons des nids, fauvettes! La jeune fille rêve et rit quand vous en faites, Donnez l’exemple, oiseaux! les vierges aux yeux doux Vous regardent, ayant des ailes comme vous. J’erre; un vent tiède émeut les bois, je vois les scènes Que font les pauvres fleurs aux papillons obscènes; Le lys vers le bourdon se penche, et, l’écoutant, A l’air de s’écrier: Ah! vous m’en direz tant! L’ombre a le tremblement sonore d’une tente Et cache les amours; la nature est contente; Et la fécondité fermente; et les appas, Les soupirs, les baisers, ne s’inquiètent pas Si quelque orage couve, et si cette gorgone, La foudre, au loin, là-bas, à l’horizon bougonne. Le vallon fleuri semble un encensoir fumant. Quelqu’un a mis le feu partout, l’embrasement Va de l’arbre au nuage et du ciel à la terre; La prairie a l’éclat glorieux d’un cratère, Partout des fleurs de pourpre, et tout flambe et tout luit, Et la création bouillonnant à grand bruit Bout tout entière ainsi qu’une eau dans la chaudière, Et tout rit, le soleil étant l’incendiaire. Oh! quelle vaste joie en cet abîme bleu! À toute cette aurore il faudra dire adieu. Hélas! cela finit par s’éteindre, une fête!

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12. Capitalized, Amour often refers to the mythological god of love, Amor, or Cupid. Hymen is a common French literary reference to marriage, from the name of the mythological Greek god of marriage.

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Nous n’y consentons pas, on détourne la tête, À chaque heure qui passe on veut se retenir. Mais rien ne ralentit le pas de l’avenir, Il ne demande pas la permission d’être, Il vient. Souvenons-nous que Demain est un traître, Et, puisque nous avons Aujourd’hui, jouissons. L’eau qui fuit en chantant nous donne des leçons; Fuyons, mais chantons. L’air est plein de senteurs douces, Un ensemencement de fleurs couvre les mousses. L’homme est ombre; on ne peut guère dire pourquoi Nous sommes sur la terre. Eh bien, je le dis, moi, C’est pour aimer. Et Dieu nous a créés pour faire Éclore un peu d’amour sur cette obscure sphère Et pour faire lever un astre dans nos cœurs. Être deux, c’est la loi. Les merles, ces moqueurs, L’observent aussi bien que le ramier fidèle. Si la nature, avec de si puissants coups d’aile, Remue éperdument et partout à la fois La vie au fond des mers, des cieux, des champs, des bois, C’est afin d’arriver à son but, faire un couple. Si le chêne est solide et si la branche est souple, C’est parce que le nid a besoin dans l’azur Que le rameau soit tendre, et que l’arbre soit sûr. L’ombre en son innocence énorme a le satyre. L’homme cherche, la vierge attend, la femme attire; Léandre veut Héro, Manon veut Desgrieux; Sachez cela, vous tous, vivants mystérieux. Paix aux cœurs douloureux et joie aux fronts moroses! Quel tourbillonnement éblouissant de roses!

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En mai, Dernière Gerbe VII (1902) [In 1902, Hugo’s literary executor and friend, Paul Meurice, published Dernière Gerbe, choosing formerly unpublished poems and partial poems and organizing them in a way Hugo never imagined. Among the last poems Hugo wrote, “En mai” metaphorically portrays nature as a poet who, like Hugo, draws on the grotesque to enhance the sublime and can envision the power of such antitheses as day growing from monstrous night.]

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Une sorte de verve étrange, point muette, Point sourde, éclate et fait du printemps un poète; Tout parle et tout écoute et tout aime à la fois; Et l’antre est une bouche et la source une voix; L’oiseau regarde ému l’oiselle intimidée, Et dit: Si je faisais un nid? c’est une idée! Comme rêve un songeur le front sur l’oreiller, La nature se sent en train de travailler, Bégaie un idéal dans ses noirs dialogues, Fait des strophes qui sont les chênes, des églogues Qui sont les amandiers et les lilas en fleur, Et se laisse railler par le merle siffleur; Il lui vient à l’esprit des nouveautés superbes; Elle mêle la folle avoine aux grandes herbes; Son poème est la plaine où paissent les troupeaux; Savante, elle n’a pas de trêve et de repos Jusqu’à ce qu’elle accouple et combine et confonde L’encens et le poison dans la sève profonde; De la nuit monstrueuse elle tire le jour; Souvent avec la haine elle fait de l’amour; Elle a la fièvre et crée ainsi qu’un sombre artiste; Tout ce que la broussaille a d’hostile et de triste, Le buisson hérissé, le steppe, le maquis, Se condense, ô mystère, en un chef-d’œuvre exquis Que l’épine complète et que le ciel arrose; Et l’inspiration des ronces, c’est la rose. 21 janvier 1877.

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5  •  On the Mysterious, the Exotic, and the Grotesque

Ses obscurs corridors, ses noires spirales, ses voûtes tortueuses et comme souterraines vont aboutir brusquement aux cieux. —Océan vers, folio 6 [1828–30] C’est donc une des suprêmes beautés du drame que le grotesque. —Préface to Cromwell L’Homme a besoin du rêve. —Promontorium somnii II1

Victor Hugo explored the mysterious, the exotic, and the grotesque in his writing and art, and prompted his audience to recognize that the world is not as ordinary as it might seem. From his early poems in Odes et ballades and Les Orientales, fantastical drawings of ruined castles, and extravagant novels and plays, to his sweeping epic La Légende des siècles and his visionary exile poetry, he gives us access to the unfamiliar. Real life, writes Hugo in his Préface to Cromwell, includes not only the sublime (traditionally associated with the noble, the beautiful, the grand), but also the grotesque: the preposterous, horrific, hilarious, monstrous, or ugly. Moreover, dreams power­fully illuminate reality. Hugo explicitly maintains the poet’s need to dream as he harnesses his own 1. The quotation from Océan vers appears in Laffont, Poésie IV, 919; the quotation from Promontorium somnii appears in Laffont, Critique, 659.

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imagination, nightmares, and visions to craft provocative scenes and perspectives. With an aim to shake people from placid acceptance of their status quo, Hugo tirelessly plumbs the ultimate enigmas of the meaning of life and death, the complex natural world, the conundrum of progress, and the unknowability of God: “Je voue mon esprit à contempler le monde et à étudier le mystère” (from “Cauterets—À Louis B.” , in this chapter). For Hugo, as for many Romantics, expanding art across space and time into such exotic realms as the Middle Ages and the “Orient” permits and encourages much-desired artistic freedom. In his Les Orientales preface, Hugo invokes the poet’s fundamental freedom to indulge the imagination, even as he seems to make an early case on behalf of art for art’s sake: “D’ailleurs, tout est sujet; tout relève de l’art; tout a droit de cité en poésie. . . . L’art n’a que faire des lisières, des menottes, des baîllons; il vous dit: Va! et vous lâche dans ce grand jardin de poésie, où il n’y a pas de fruit défendu. L’espace et le temps sont au poète” (Laffont, Poésie I, 411). Exotic settings enable poets to indulge their taste for the picturesque, as well as to give freer erotic rein to sexual images, as Hugo famously does in “Sara la baigneuse.” For Hugo, the unusual and unknown were also personally interesting. His youthful sojourn in Spain was “un perpétuel ravissement, une extase continuelle.”2 No stranger to nightmares (see “Le Cauchemar”), Hugo found it a plus that Hauteville House was reputed to be haunted. Through his hobby of interior decoration, he indulged in his caprice for Chinese décor (see “Le Pot cassé,” for example). On Jersey he did not long hesitate before joining his family in their nightly séances. More than simply follow his poetic whims in his writing, Hugo leaves rationality and predictability behind as he creates a world he never visited and gives his readers a change of scenery. Describing Arab sultans, Greek freedom fighters, Turkish odalisques, Spanish adventurers, and Moorish kings, Hugo indulges his love of language and sense of play, and simultaneously breaks traditional poetic bans: for example, those against local color, uneven meter, common words (such as corridor in “Rêverie”), and new rhyme schemes (see “Les Djinns” in this chapter). Imagination unleashed, he does not hesitate to mix traditions and references for poetic effect (locating Persian poet Ferdousi in Mysore, India, for example, in the last poem in this chapter).3 2. Victor Hugo raconté, 217. 3. For background on Romanticism, Hugo, and Les Orientales, see especially Gabrielle Malandain, “Notice,” Les Orientales, Laffont, Poésie I, 1065–67; Franck Laurent, ed., Les Orientales (Paris: Librarie Générale Française/Livre de Poche, 2000): 5–23; Millet, Romantisme; Farrant, Introduction, 53–54; Barrère, Fantaisie I, 49–114; Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 371–79; Viegnes, Hugo et la chimère.

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As the exotic lifts one from quotidian experiences to contemplate the unfamiliar, the grotesque uses its capacity to disturb (or distract, as comic relief may do in a tragic situation) in order to lead readers to new understandings. Hugo argues explicitly for the grotesque in the Préface to Cromwell, and disputes the value of the Classicists’ separation of tragedy and comedy. In real life, he contends, the grotesque enriches the sublime. In representing life, theater should intermingle the elevated and the beautiful with the common, the comic, the outrageous, deformed, and ugly: “Le sublime sur le sublime produit malaisément un contraste, et l’on a besoin de se reposer de tout, même du beau. Il semble, au contraire, que le grotesque soit un temps d’arrêt, un terme de comparaison, un point de départ d’où l’on s’élève vers le beau avec une perception plus fraîche et plus excitée. La salamandre fait ressortir l’ondine; le gnome embellit le sylphe” (Laffont, Critique, 12). But the grotesque does more for Hugo than simply underpin his theory of the new theatrical form—drama—as a mixture of tragedy and comedy. The grotesque forces new perspectives: “Ce que nous appelons le laid, au contraire [du beau], est un détail d’un grand ensemble qui nous échappe, et qui s’harmonise, non pas avec l’homme, mais avec la création tout entière. Voilà pourquoi il nous présente sans cesse des aspects nouveaux, mais incomplets” (Laffont, Critique, 13). For Hugo, then, the grotesque—essential to the universe and inherent in creation—is as real as the beautiful and oddly more liberating: “Et comme il est libre et franc dans son allure! comme il fait hardiment saillir toutes ces formes bizarres que l’âge précédent avait si timidement enveloppés de langes!” (Laffont, Critique, 11). The harmony of the grotesque with the sublime is evident in many of Hugo’s characters, including Quasimodo (Notre-Dame de Paris), Triboulet (Le Roi s’amuse), and Gwynplaine (L’Homme qui rit). With the power to unleash the artist’s and the audience’s imagination, the grotesque plays through Hugo’s work all the way from his youthful novel Han d’Islande to Quatrevingt-treize and beyond. Dreams, of course, powerfully—and necessarily—shake up reality. “Nous passons notre vie à avoir besoin de révélations. Il nous faut à chaque instant la secousse du réel,” writes Hugo in Promontorium somnii (Laffont, Critique, 640). Hugo recognizes that poets’ imaginative creativity is inherently connected to their capacity to dream, and probes in this essay the antithetical elements of dreaming: illuminating inspiration or danger of insanity can come when we look beyond what our senses tell us. Throughout his life, Hugo finds musing desirable. In “Rêves,” for example, he follows his thoughts to the distant times and “wild ruins” of ancient, Celtic Brittany: “Qu’un songe au ciel m’enlève, / Que, plein d’ombre et d’amour, / Jamais il ne s’achève, / Et que la nuit je rêve /

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À mon rêve du jour!” Poets are dreamers, and the strange, grotesque, and exotic serve a dual purpose: to demonstrate the extent of the poet’s imaginative reach and to show the necessity of giving oneself that imaginative freedom. From the heights of reverie, the poet sees the fantastic, the uncanny, the obscure, the seemingly supernatural. The humorous side of reverie is whimsical, capricious, or weird: “Ce promontoire du Songe, dont nous venons de parler, il est dans Shakespeare. Il est dans tous les grands poètes. . . . Cette cime du Rêve est un des sommets qui dominent l’horizon de l’art. Toute une poésie singulière et spéciale en découle. D’un côté le fantastique; de l’autre le fantasque, qui n’est autre que le fantastique riant” (Promontorium somnii; Laffont, Critique, 644). The incredible, fanciful, and chimeric pervades Hugo’s art, as you see especially in this chapter’s examples. Moreover, Hugo consciously uses vigorous extremes and enigma to communicate his messages, as he makes clear in this list of adjectives describing Les Misérables: “Étonnant, extraordinaire, surprenant, surhumain, surnaturel, inouï, fauve, sinistre, formidable, gigantesque, sauvage, colossal, monstrueux, difforme, effaré, frissonnant, lugubre, funèbre, hideux, épouvantable, ténébreux, mystérieux, fantastique, nocturne, crépusculaire.”4 Writing his epic novel in the hope of improving the lot of the misérables, Hugo is well aware of the shock value of excess and the potent intrigue of the inscrutable. Hugo associates words such as songer, rêver, pensif with an exploration of mysteries, as well as with a moral, metaphysical meditation, according to Henri Meschonnic (CFL III, 487). And his fascination with the mysterious derives from his fundamental awe before the universe. He wonders about the meaning of life and death, the rapport between good and evil, and—overarching it all— the inscrutability of God. The poet has a major role to play: “L’être mystérieux, que vous croyez muet / Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire,” writes Hugo in “Oui, je suis le rêveur . . .” (in chapter 4). Because he is a dreamer who does not hesitate to confront mysteries, the poet has a special capacity to fathom the abysses of doubt and confusion that inhibit people’s understanding of God. The startling effects of Hugo’s outsized characters, his imaginative commingling of familiar and exotic elements in poems ostensibly set in the Middle East, and some novels’ nightmarish scenes (especially those in Les Travailleurs de la mer and L’Homme qui rit) aim to distance readers from their expectations and to provoke them to take a new look at their assumptions. 4. Quotation from Vargas Llosa, Temptation, 89–90, citing Henri Guillemin, Pierres (Geneva: 1951): 267.

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Les Djinns, Les Orientales XXVIII (1829) [Hugo neutrally calls the title creatures “spirits of the night” in his explanatory note. Although in Arab cultural tradition, “djinns” (or jinnees) can be either good genies or malevolent demons, the poem’s protagonist calls on the Prophet Muhammad to protect him from these “vampires.” Thus the setting is clearly Middle Eastern, but Hugo values poetic effect over cultural accuracy and includes oak trees, convents, and the violent, cold north wind known as l’aquilon. The epigraph, from Dante’s Divine Comedy (Inferno V, 46–69), describes a storm in the second circle of Hell. “Les Djinns” demonstrates Hugo’s poetic virtuosity, as he strikingly breaks from traditional poetic form to create an atmosphere that moves from quiet tranquility to horror at the fury of the djinns’ tempest and back again. Hugo begins and ends with stanzas of only two-syllable verses, and builds tension by increasing verse lengths, mostly one syllable at a time. Lines with an uneven number of syllables were particularly innovative at the time, and his clever rhyme scheme frequently plays on homonyms and multiple word meanings. A fine example of what Meschonnic calls le fantastique du rêve, “Les Djinns” is more than a poetic tour de force, as it builds to a crescendo and then dissipates the nightmare that Hugo has developed in the poems preceding it (CFL III, 572, n. 1).] E come i gru van cantando lor lai, Facendo in aer di se lunga riga; Cosi vid’ io venir traendo guai Ombre portate d’alla detta briga. dante. Et comme les grues qui font dans l’air de longues files vont chantant leur plainte, ainsi je vis venir traînant des gémissements les ombres employées par cette tempête.

Murs, ville, Et port, Asile De mort, Mer grise Où brise La brise; Tout dort.

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Dans la plaine Naît un bruit. C’est l’haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu’une flamme Toujours suit. La voix plus haute Semble un grelot. — D’un nain qui saute C’est le galop: Il fuit, s’élance, Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d’un flot. La rumeur approche; L’écho la redit. C’est comme la cloche D’un couvent maudit; — Comme un bruit de foule, Qui tonne et qui roule, Et tantôt s’écroule Et tantôt grandit. Dieu! la voix sépulcrale Des Djinns!… — Quel bruit ils font! Fuyons sous la spirale De l’escalier profond! Déjà s’éteint ma lampe; Et l’ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu’au plafond. C’est l’essaim des Djinns qui passe, Et tourbillonne en sifflant. Les ifs, que leur vol fracasse, Craquent comme un pin brûlant.

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Leur troupeau lourd et rapide Volant dans l’espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un éclair au flanc. Ils sont tout près! — Tenons fermée Cette salle où nous les narguons. Quel bruit dehors! hideuse armée De vampires et de dragons! La poutre du toit descellée Ploie ainsi qu’une herbe mouillée, Et la vieille porte rouillée Tremble, à déraciner ses gonds! Cris de l’enfer! voix qui hurle et qui pleure! L’horrible essaim, poussé par l’aquilon, Sans doute, ô ciel! s’abat sur ma demeure. Le mur fléchit sous le noir bataillon. La maison crie et chancelle penchée, Et l’on dirait que, du sol arrachée, Ainsi qu’il chasse une feuille séchée, Le vent la roule avec leur tourbillon! Prophète! si ta main me sauve De ces impurs démons des soirs, J’irai prosterner mon front chauve Devant tes sacrés encensoirs! Fais que sur ces portes fidèles Meure leur souffle d’étincelles, Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes Grince et crie à ces vitraux noirs! Ils sont passés! — Leur cohorte S’envole et fuit, et leurs pieds Cessent de battre ma porte De leurs coups multipliés. L’air est plein d’un bruit de chaînes, Et dans les forêts prochaines, Frissonnent tous les grands chênes, Sous leur vol de feu pliés!

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De leurs ailes lointaines Le battement décroît, Si confus dans les plaines, Si faible que l’on croit Ouïr la sauterelle Crier d’une voix grêle, Ou pétiller la grêle, Sur le plomb d’un vieux toit. D’étranges syllabes Nous viennent encor; — Ainsi, des Arabes Quand sonne le cor, Un chant sur la grève, Par instants s’élève, Et l’enfant qui rêve Fait des rêves d’or! Les Djinns funèbres, Fils du trépas, Dans les ténèbres Pressent leurs pas; Leur essaim gronde: Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu’on ne voit pas. Ce bruit vague Qui s’endort, C’est la vague Sur le bord; C’est la plainte Presque éteinte D’une sainte Pour un mort. On doute La nuit… J’écoute: — Tout fuit,

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Tout passe; L’espace Efface Le bruit.

120 Août 1828. [28 août 1828.]

“Quasimodo” (excerpt), Notre-Dame de Paris I, v (1831) [In celebration of Twelfth Night on January 6, 1482, the common people of Paris, led by sockmaker Jacques Coppenole, have a competition to choose the Pope of the Fools, the person who can make the ugliest grimace and who will lead a parade through the streets. The scene takes place in the Palais de Justice grand hall, where men and women stick their heads through the stone circle of a broken rose window, making the worst faces they can. The crowd is regaled with a series of hilariously impressive distorted faces, but none comes close to that described in this excerpt, Quasimodo’s normal expression. The people boisterously acclaim him “le pape des fous” with a medieval rejoicing cry of “Noël.” In this first encounter with the bellringer of Notre-Dame cathedral, we see how people react to his physical deformity. To read about his soul, see “Sourd” in chapter 1.] Un tonnerre d’applaudissements, mêlé à une prodigieuse acclamation, vint couper court à leur conversation. Le pape des fous était élu. —Noël! Noël! Noël! criait le peuple de toutes parts. C’était une merveilleuse grimace, en effet, que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Après toutes les figures pentagones, hexagones et hétéroclites qui s’étaient succédé à cette lucarne sans réaliser cet idéal du grotesque qui s’était construit dans les imaginations exaltées par l’orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever les suffrages, que la grimace sublime qui venait d’éblouir l’assemblée. Maître Coppenole lui-même applaudit; et Clopin Trouillefou, qui avait concouru (et Dieu sait quelle intensité de laideur son visage pouvait atteindre), s’avoua vaincu. Nous ferons de même. Nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil gauche obstrué d’un sourcil roux en broussailles, tandis que l’œil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue; de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d’une forteresse; de cette lèvre calleuse, sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d’un éléphant; de

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ce menton fourchu; et surtout de la physionomie répandue sur tout cela; de ce mélange de malice, d’étonnement et de tristesse. Qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble. L’acclamation fut unanime; on se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble; la grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux, entre les deux épaules une bosse énorme dont le contrecoup se faisait sentir par-devant; un système de cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu’elles ne pouvaient se toucher que par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée; de larges pieds, des mains monstrueuses; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, d’agilité et de courage; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force, comme la beauté, résulte de l’harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner. On eût dit un géant brisé et mal ressoudé. Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut; carré par la base, comme dit un grand homme; à son surtout mi-parti rouge et violet, semé de campanilles d’argent, et surtout à la perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et s’écria d’une voix: —C’est Quasimodo, le sonneur de cloches! c’est Quasimodo, le bossu de Notre-Dame! Quasimodo le borgne! Quasimodo le bancal! Noël! Noël! On voit que le pauvre diable avait des surnoms à choisir. —Gare les femmes grosses! criaient les écoliers. —Ou qui ont envie de l’être, reprenait Joannes. Les femmes en effet se cachaient le visage. —Oh! le vilain singe! disait l’une. —Aussi méchant que laid, reprenait une autre. —C’est le diable, ajoutait une troisième. —J’ai le malheur de demeurer auprès de Notre-Dame; la nuit je l’entends rôder dans la gouttière. —Avec les chats. —Il est toujours sur nos toits. —Il nous jette des sorts par les cheminées. —L’autre soir, il est venu me faire la grimace à ma lucarne. Je croyais que c’était un homme. J’ai eu une peur!

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—Je suis sûre qu’il va au sabbat. Une fois, il a laissé un balai sur mes plombs. —Oh! la déplaisante face de bossu! —Oh! la vilaine âme! —Buah! Les hommes au contraire étaient ravis, et applaudissaient. Quasimodo, objet du tumulte, se tenait toujours sur la porte de la chapelle, debout, sombre et grave, se laissant admirer. Un écolier (Robin Poussepain, je crois) vint lui rire sous le nez, et trop près. Quasimodo se contenta de le prendre par la ceinture, et de le jeter à dix pas à travers la foule, le tout sans dire un mot. Maître Coppenole, émerveillé, s’approcha de lui. —Croix-Dieu! Saint-Père! tu as bien la plus belle laideur que j’aie vue de ma vie. Tu mériterais la papauté à Rome comme à Paris. En parlant ainsi, il lui mettait la main gaîment sur l’épaule. Quasimodo ne bougea pas. Coppenole poursuivit: —Tu es un drôle avec qui j’ai démangeaison de ripailler, dût-il m’en coûter un douzain neuf de douze tournois. Que t’en semble? Quasimodo ne répondit pas. —Croix-Dieu! dit le chaussetier, est-ce que tu es sourd? Il était sourd en effet. Cependant il commençait à s’impatienter des façons de Coppenole, et se tourna tout-à-coup vers lui, avec un grincement de dents si formidable que le géant flamand recula comme un boule-dogue devant un chat. Alors il se fit autour de l’étrange personnage un cercle de terreur et de respect, qui avait au moins quinze pas géométriques de rayon. Une vieille femme expliqua à maître Coppenole que Quasimodo était sourd. —Sourd! dit le chaussetier avec son gros rire flamand. Croix-Dieu! c’est un pape accompli. —Hé! je le reconnais, s’écria Jehan, qui était enfin descendu de son chapiteau pour voir Quasimodo de plus près, c’est le sonneur de cloches de mon frère l’archidiacre. — Bonjour, Quasimodo! —Diable d’homme! dit Robin Poussepain, encore tout contus de sa chute. Il paraît: c’est un bossu. Il marche: c’est un bancal. Il vous regarde: c’est un borgne. Vous lui parlez: c’est un sourd. —Ah çà: que fait-il de sa langue, ce Polyphème? —Il parle quand il veut, dit la vieille; il est devenu sourd à sonner les cloches. Il n’est pas muet.

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—Cela lui manque, observa Jehan. —Et il a un œil de trop, ajouta Robin Poussepain. —Non pas, dit judicieusement Jehan. Un borgne est bien plus incomplet qu’un aveugle. Il sait ce qui lui manque. Cependant tous les mendiants, tous les laquais, tous les coupe-­bourses, réunis aux écoliers, avaient été chercher processionnellement, dans l’armoire de la basoche, la tiare de carton et la simarre dérisoire du pape des fous. Quasimodo s’en laissa revêtir sans sourciller et avec une sorte de docilité orgueilleuse. Puis on le fit asseoir sur un brancard bariolé. Douze officiers de la confrérie des fous l’enlevèrent sur leurs épaules; et une espèce de joie amère et dédaigneuse vint s’épanouir sur la face morose du cyclope, quand il vit sous ses pieds difformes toutes ces têtes d’hommes beaux, droits et bien faits. Puis la procession hurlante et déguenillée se mit en marche pour faire, selon l’usage, la tournée intérieure des galeries du Palais, avant la promenade des rues et des carrefours.

À Albert Dürer, Les Voix intérieures X (1837) [In this poem, Hugo addresses himself to German artist Albrecht Dürer (1471– 1528), whose engravings full of the strange, the grotesque, and late medieval imagery greatly influenced French Romantics. Drawing parallels between the artist and the poet as both visionaries who have an animistic view of nature, in which everything has a soul, Hugo describes the forest as eminently unfathomable, full of such fabled creatures as fauns and dryads; it is a hideous, fascinating mixture of good and evil, dreams and reality. Hugo admired the melancholy and grotesqueness of Dürer’s work, and composed several poems under his inspiration, including “Un Dessin d’Albert Dürer” in 1827 and two in Les Contemplations: “À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt” and “Melancholia.”5 ] Dans les vieilles forêts où la sève à grands flots Court du fût noir de l’aulne au tronc blanc des bouleaux, Bien des fois, n’est-ce pas? à travers la clairière, Pâle, effaré, n’osant regarder en arrière,

5. For an analysis of these poems, see Henry F. Majewski, “Reading Melancholy: French Romantic Interpretations of Dürer’s Engravings,” Nineteenth-Century French Studies 25, no. 1 and 2 (Fall–Winter 1996–97): 13–29.

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Tu t’es hâté, tremblant et d’un pas convulsif, Ô mon maître Albert Dure, ô vieux peintre pensif! On devine, devant tes tableaux qu’on vénère, Que dans les noirs taillis ton œil visionnaire Voyait distinctement, par l’ombre recouverts, Le faune aux doigts palmés, le sylvain aux yeux verts, Pan qui revêt de fleurs l’antre où tu te recueilles, Et l’antique dryade aux mains pleines de feuilles. Une forêt pour toi c’est un monde hideux. Le songe et le réel s’y mêlent tous les deux. Là se penchent rêveurs les vieux pins, les grands ormes Dont les rameaux tordus font cent coudes difformes, Et dans ce groupe sombre agité par le vent Rien n’est tout-à-fait mort ni tout-à-fait vivant. Le cresson boit; l’eau court; les frênes sur les pentes, Sous la broussaille horrible et les ronces grimpantes, Contractent lentement leurs pieds noueux et noirs; Les fleurs au cou de cygne ont les lacs pour miroirs; Et sur vous qui passez et l’avez réveillée, Mainte chimère étrange à la gorge écaillée, D’un arbre entre ses doigts serrant les larges nœuds, Du fond d’un antre obscur fixe un œil lumineux. Ô végétation! esprit! matière! force! Couverte de peau rude ou de vivante écorce! Aux bois, ainsi que toi, je n’ai jamais erré, Maître, sans qu’en mon cœur l’horreur ait pénétré, Sans voir tressaillir l’herbe, et, par le vent bercées, Prendre à tous les rameaux de confuses pensées. Dieu seul, ce grand témoin des faits mystérieux, Dieu seul le sait, souvent, en de sauvages lieux, J’ai senti, moi qu’échauffe une secrète flamme, Comme moi palpiter et vivre avec une âme, Et rire, et se parler dans l’ombre à demi-voix, Les chênes monstrueux qui remplissent les bois. Avril 1837. [22 avril 1837.]

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Le Charnier de Saint-Michel, Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées (1890) [Hugo wrote this and the following excerpt while traveling in southwestern France with Juliette Drouet. He shrouds in mystery his arrival at the SaintMichel de Bordeaux charnel house and heightens the strangeness of his surroundings, creating suspense. He intermingles metaphors of death with bits of humor; presenting the “curators” of the crypt, he calls them Philemon and Baucis, after the elderly married couple in Ovid’s Metamorphoses VIII who embody the idea of hospitality. With tongue in cheek, Hugo simultaneously sets the stage for horror by calling these porters spectres and the bellringer who guides him un vampire even before he encounters the seventy mummified bodies that constitute this “museum.” As background, Hugo tells how during the 1793 civil unrest following the French Revolution, people violated graveyards and dug up coffins and bodies, even in Bordeaux. When it was discovered that some of the bodies had been mummified by the clay surrounding them, they were grouped in the Saint-Michel bell tower vault, which became a sort of charnel-house museum. Hugo describes in detail the grotesque scene, which inspires him to philosophical musings about the enigmas of life, death, God, and the limits of human understanding. In the end, he revels in the antithesis of the Saint-Michel tower: the visible telegraph at the top communicates the minutiae of human existence, while below, in the hidden darkness, the crypt’s inhabitants converse with eternity.] Vous savez qu’un édifice m’intéresse presque comme un homme. C’est pour moi en quelque sorte une personne dont je tâche de savoir les aventures. J’étais là fort rêveur, quand tout à coup j’entends dire à quelques pas de moi: monsieur! Monsieur! Je regarde, j’écoute. Personne. La cour était déserte. Quelques passereaux jasaient dans les vieux arbres du cimetière. Une voix pourtant m’avait appelé, voix faible, douce et cassée, qui résonnait encore dans mon oreille. Je fais quelques pas, et j’entends la voix de nouveau: —Monsieur! Cette fois je me retourne vivement, et j’aperçois à l’angle de la cour près d’une porte, une figure de vieille sortant d’une lucarne. Cette lucarne affreusement délabrée laissait entrevoir l’intérieur d’une chambre misérable. Près de la vieille il y avait un vieux. Je n’ai de ma vie rien vu de plus décrépit que ce bouge si ce n’est ce couple. L’intérieur de la masure était blanchi de ce blanc de chaux qui rappelle le linceul, et je n’y voyais d’autres meubles que les deux escabeaux où étaient assises, me regardant avec leurs petits yeux gris, ces deux figures tannées, ridées,

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éraillées, qui étaient comme enduites de bistre et de bitume et paraissaient enveloppées, plutôt que vêtues, de vieux suaires raccommodés. Je ne suis pas comme Salvatore Rosa qui disait: Me figuro il sepulcro in ogni loco.6

Pourtant, même en plein jour, à midi, sous ce chaud et vivant soleil, l’apparition me surprit un moment, et il me sembla que je m’entendais appeler du fond d’une crypte antédiluvienne par deux spectres âgés de quatre mille ans. Après quelques secondes de réflexion, je leur donnai quinze sous. C’était tout simplement le portier et la portière du cimetière. Philémon et Baucis. Philémon, ébloui de la pièce de quinze sous, fit une effroyable grimace d’étonnement et de joie et mit cette monnaie dans une façon de vieille ­poche de cuir clouée au mur, autre injure des ans, comme dirait La Fontaine,7 et Baucis me dit avec un sourire aimable: —Voulez-vous voir le charnier? Ce mot, le charnier, réveilla dans mon esprit je ne sais quel vague souvenir d’une chose qu’en effet je croyais savoir, et je répondis: —Avec plaisir, madame. —Je le pensais bien, reprit la vieille. Et elle ajouta: tenez, voici le sonneur qui vous le montrera, c’est fort beau à voir. En parlant ainsi, elle posait aimablement sur ma main sa main rousse, diaphane, palpitante, velue et froide comme l’aîle d’une chauve-souris. Le nouveau personnage qui venait d’apparaître et qui avait senti sans doute l’odeur de la pièce de quinze sous, le sonneur, se tenait debout à quelques pas sur l’escalier extérieur de la tour dont j’avais entr’ouvert la porte. C’était un gaillard d’environ trente-six ans, trapu, robuste, gras, rose et frais, ayant tout l’air d’un bon vivant, comme il sied à celui qui vit aux dépens des morts. Mes deux spectres se complétaient d’un vampire. La vieille me présenta au sonneur avec une certaine pompe: —Voilà un monsieur anglais qui désire voir le charnier. Le vampire sans dire un mot, remonta les quelques pas qu’il avait descendus, poussa la porte de la tour et me fit signe de le suivre. J’entrai. 6. “I imagine the tomb everywhere,” attributed (probably erroneously) to Salvatore Rosa (1615–73), an Italian painter, poet, and musician, whose Satires are mischievous and whose landscapes tend toward the melancholic picturesque. 7. By including this quotation from La Fontaine’s “Philémon et Baucis” (Fables XII, 25, l. 66), Hugo emphasizes the warm, simple hospitality offered by the cemetery’s porters.

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Toujours silencieux, il referma la porte derrière moi. Nous nous trou­ vâmes dans une obscurité profonde. Cependant il y avait une veilleuse dans le coin d’une marche derrière un gros pavé. À la lueur de cette veilleuse, je vis le sonneur se courber et allumer une lampe. La lampe allumée, il se mit à descendre les degrés d’une étroite vis de St Gilles;8 je fis comme lui. Au bout d’une dizaine de marches, je crois que je me baissai pour franchir une porte basse et que je montai, toujours conduit par le sonneur, deux ou trois degrés; je n’ai plus ces détails présents à l’esprit; j’était plongé dans une sorte de rêverie qui me faisait marcher comme dans le sommeil. À un certain moment le sonneur me tendit sa grosse main osseuse, je sentis que nos pas résonnaient sur un plancher; nous étions dans un lieu très sombre, une sorte de caveau obscur. Je n’oublierai jamais ce que je vis alors. Le sonneur, muet et immobile, se tenait debout au milieu du caveau, appuyé à un poteau enfoncé dans le plancher, et de la main gauche il élevait sa lampe au-dessus de sa tête. Je regardai autour de nous. Une lueur brumeuse et diffuse éclairait vaguement le caveau, j’en distinguais la voûte ogive. Tout à coup, en fixant mes yeux sur la muraille, je vis que nous n’étions pas seuls. Des figures étranges, debout et adossées au mur, nous entouraient de toutes parts. À la clarté de la lampe, je les entrevoyais confusément à travers ce brouillard qui remplit les lieux bas et ténébreux. Imaginez un cercle de visages effrayants au centre duquel j’étais. Les corps noirâtres et nus s’enfonçaient et se perdaient dans la nuit; mais je voyais distinctement saillir hors de l’ombre et se pencher en quelque sorte vers moi, pressées les unes contre les autres, une foule de têtes sinistres et terribles qui semblaient m’appeler avec des bouches toutes grandes ouvertes, mais sans voix, et qui me regardaient avec des orbites sans yeux. Qu’était-ce que ces figures? Des statues sans doute. Je pris la lampe des mains du sonneur, et je m’approchai. C’était des cadavres. En 1793, pendant qu’on violait le cimetière des rois à St Denis, on viola le cimetière du peuple à Bordeaux. La royauté et le peuple sont deux souverainetés; la populace les insulta en même temps. Ce qui prouve, soit dit en passant aux gens qui ne savent pas cette grammaire, que peuple et populace ne sont point sinonymes. Le cimetière de St Michel de Bordeaux fut dévasté comme les autres. On arracha les cercueils du sol, on jeta au vent toute cette poussière. Quand 8. A spiral staircase.

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la pioche arriva près des fondations de la tour, on fut surpris de ne plus rencontrer ni bières pourries, ni vertèbres rompues mais des corps entiers, desséchés et conservés par l’argile qui les recouvrait depuis tant d’années. Cela inspira la création d’un musée-charnier. L’idée convenait à l’époque. Les petits enfants de la rue Montfaucon et du chemin des Bègles jouaient aux osselets avec les débris épars du cimetière on les leur reprit des mains; on recueillit tout ce qu’on put retrouver, et l’on entassa ces ossements dans le caveau inférieur de la campanille St Michel. Cela fit un monceau de dix sept pieds de profondeur sur lequel on ajusta un plancher avec balustrade. On couronna le tout avec les cadavres si étrangement intacts qu’on venait de déterrer. Il y en avait soixante-dix. On les plaça debout contre le mur dans l’espace circulaire réservé entre la balustrade et la muraille. C’est ce plancher qui résonnait sous mes pieds; c’est sur ces ossements que je marchais; ce sont ces cadavres qui me regardaient. Quand le sonneur eut produit son effet, car cet artiste met la chose en scène comme un mélodrame, il s’approcha de moi, et daigna me parler. Il m’expliqua ses morts. Le vampire se fit cicerone. Je croyais entendre jaser un livret de musée. Par moments c’était la faconde d’un montreur d’ours. — Regardez celui-ci, monsieur, c’est le numéro un. Il a toutes ses dents. — Voyez comme le numéro deux est bien conservé; il a pourtant près de quatre cents ans. — Quant au numéro trois, on dirait qu’il respire et qu’il nous entend. Ce n’est pas étonnant. Il n’y a guère que soixante ans qu’il est mort. C’est un des plus jeunes d’ici. Je sais des personnes de la ville qui l’ont connu. — Il continua ainsi sa tournée, passant avec grâce d’un spectre à l’autre, et débitant sa leçon avec une mémoire imperturbable. Quand je l’interrompais par une question au milieu d’une phrase, il me répondait de sa voix naturelle, puis reprenait sa phrase à l’endroit même où je l’avais coupée. Par instants il frappait sur les cadavres avec une baguette qu’il tenait à la main, et cela sonnait le cuir comme une valise vide. Qu’est-ce en effet que le corps d’un homme quand la pensée n’y est plus, sinon une valise vide? Je ne sache pas plus effroyable revue. Dante et Orgagna9 n’ont rien rêvé 9. Dante Alighieri (1265–1321) describes the horrors of hell in The Divine Comedy. Orcagna (c. 1308–68) was a Florentine painter to whom are attributed the frescoes of Campo Santo de Pisa, “The Triumph of Death.” A bridge over Lake Lucerne in Switzerland is decorated with plague paintings titled “Dance of Death,” by Kaspar Meglinger (1595–1670).

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de plus lugubre. Les danses macabres du pont de Lucerne et du CampoSanto de Pise ne sont que l’ombre de cette réalité. Il y avait une négresse suspendue à un clou par une corde passée sous les aisselles qui me riait d’un rire hideux. Dans un coin se groupait toute une famille qui mourut, dit-on, empoisonnée par des champignons. Ils étaient quatre. La mère tête baissée, semblait encore chercher à calmer son plus jeune enfant qui agonisait entre ses genoux; le fils aîné, dont le profil avait gardé quelque chose de juvénile, appuyait son front à l’épaule de son père. Une femme morte d’un cancer au sein repliait étrangement le bras comme pour montrer sa plaie élargie par l’horrible travail de la mort. À côté d’elle se dressait un portefaix gigantesque lequel paria un jour qu’il porterait de la porte Caillau aux Chartrons deux mille livres. Il les porta, gagna son pari, et mourut. L’homme tué par un pari était coudoyé par un homme tué en duel. Le trou de l’épée par où la mort est entrée était encore visible à droite sur cette poitrine décharnée. À quelques pas se tordait un pauvre enfant de quinze ans qui fut, dit-on, enterré vivant. C’est là le comble de l’épouvante. Ce spectre souffre. Il lutte encore après six cents ans contre son cercueil disparu. Il soulève le couvercle du crâne et du genou; il presse la planche de chêne du talon et du coude; il brise aux parois ses ongles désespérés: la poitrine se dilate; les muscles du cou se gonflent d’une manière affreuse; il crie. On n’entend plus ce cri, mais on le voit. C’est horrible. Le dernier des soixante-dix est le plus ancien. Il date de huit cents ans. Le sonneur me fit remarquer avec quelque coquetterie ses dents et ses cheveux. À côté est un petit enfant. Comme je revenais sur mes pas, je remarquai un de ces fantômes assis à terre près de la porte. Il avait le cou tendu, la tête levée, la bouche lamentable, la main ouverte, un pagne au milieu du corps, une jambe et un pied nus, et de son autre cuisse sortait un tibia dénudé posé sur une pierre comme une jambe de bois. Il semblait me demander l’aumône. Rien de plus étrange et de plus mystérieux qu’un pareil mendiant à une pareille porte. Que lui donner? Quelle aumône lui faire? Quel est le sou qu’il faut aux morts? Je restai longtemps immobile devant cette apparition, et ma rêverie devint peu à peu une prière. Quand on se dit que toutes ces larves, aujourd’hui enchaînées dans ce silence glacé et dans ces attitudes navrantes, ont vécu, ont palpité, ont souffert, ont aimé; quand on se dit qu’elles ont eu le spectacle de la nature, les arbres, la campagne, les fleurs, le soleil, et la voute bleue du ciel au lieu

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de cette voute livide; quand on se dit qu’elles ont eu la jeunesse, la vie, la beauté, la joie, le plaisir, et qu’elles ont poussé comme nous dans les fêtes de ces longs éclats de rire pleins d’imprudence et d’oubli; quand on se dit qu’elles ont été ce que nous sommes et que nous serons ce qu’elles sont; quand on se trouve ainsi, hélas! face à face avec son avenir, une morne pensée vous vient au cœur, on cherche en vain à se retenir aux choses humaines qu’on possède et qui toutes successivement s’écroulent sous vos mains comme du sable, et l’on se sent tomber dans un abîme. Pour qui regarde ces débris humains avec l’œil de la chair, rien n’est plus hideux. Des linceuls en haillons les cachent à peine. Les côtes apparaissent à nu à travers les diaphragmes déchirés; les dents sont jaunes, les ongles noirs, les cheveux rares et crépus; la peau est une basane fauve qui secrète une poussière grisâtre; les muscles qui ont perdu toute saillie, les viscères et les intestins se résolvent en une sorte de filasse roussâtre d’où pendent d’horribles fils que dévide silencieusement dans ces ténèbres l’invisible quenouille de la mort. Au fond du ventre ouvert on aperçoit la colonne vertébrale. Monsieur, me disait l’homme, comme ils sont bien conservés! Pour qui regarde cela avec l’œil de l’esprit, rien n’est plus formidable. Le sonneur, voyant se prolonger ma rêverie, était sorti à pas de loup et m’avais laissé seul. La lampe était restée posée à terre. Quand cet homme ne fut plus là, il me sembla que quelque chose qui me gênait avait disparu. Je me sentis, pour ainsi dire, en communication directe et intime avec les mornes habitants de ce caveau. Je regardais avec une sorte de vertige cette ronde qui m’environnait, immobile et convulsive à la fois. Les uns laissent pendre leurs bras, les autres les tordent; quelques uns joignent les mains. Il est certain qu’une expression de terreur et d’angoisse est sur toutes ces faces qui ont vu l’intérieur du sépulcre. De quelque façon que le tombeau le traite, le corps des morts est terrible. Pour moi, comme vous avez déjà pu l’entrevoir, ce n’était pas des momies; c’était des fantômes. Je voyais toutes ces têtes tournées les unes vers les autres, toutes ces oreilles qui paraissent écouter penchées vers toutes ces bouches qui paraissent chuchoter, et il me semblait que ces morts arrachés à la terre et condamnés à la durée vivaient dans cette nuit d’une vie affreuse et éternelle, qu’ils se parlaient dans la brume épaisse de leur cachot, qu’ils se racontaient les sombres aventures de l’âme dans la tombe, et qu’ils se disaient tout bas des choses inexprimables. Quels effrayants dialogues! Que peuvent-ils se dire? Ô gouffres où se perd la pensée! Ils savent ce qu’il y a derrière la vie. Ils connaissent le secret

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du voyage. Ils ont doublé le promontoire. Le grand nuage s’est déchiré pour eux. Nous sommes encore, nous, dans le pays des conjectures, des espérances, des ambitions, des passions, de toutes les folies que nous appelons sagesses, de toutes les chimères que nous nommons vérités. Eux ils sont entrés dans la région de l’infini, de l’immuable, de la réalité. Ils connaissent les choses qui sont et les seules choses qui soient. Toutes les questions qui nous occupent nuit et jour, nous rêveurs, nous philosophes, tous les sujets de nos méditations sans fin, but de la vie, objet de la création, persistance du moi, état ultérieur de l’âme, ils en savent le fond; toutes nos énigmes, ils en savent le mot. Ils connaissent la fin de tous nos commencements. Pourquoi ont-ils cet air terrible? Qui leur fait cette figure désespérée et redoutable? Si nos oreilles n’étaient pas trop grossières pour entendre leur parole, si Dieu n’avait pas mis entre eux et nous le mur infranchissable de la chair et de la vie, que nous diraient-ils? Quelles révélations nous feraient-ils? Quels conseils nous donneraient-ils? Sortirions-nous de leurs mains sages ou fous? Que rapportent-ils du tombeau? Ce serait de l’épouvante, s’il fallait en croire l’apparence de ces spectres. Mais ce n’est qu’une apparence, et il serait insensé d’y croire. Quoi que nous fassions, nous rêveurs, nous n’entamons la surface des choses qu’à une certaine profondeur. La sphère de l’infini ne se laisse pas plus traverser par la pensée que le globe terrestre par la sonde. Les diverses philosophies ne sont que des puits artésiens; elles font toutes jaillir du même sol la même eau, la même vérité mêlée de boue humaine et échauffée de la chaleur de Dieu. Mais aucun puits, aucune philosophie n’atteint le centre des choses. Le génie lui-même, qui est de toutes les sondes la plus puissante ne saurait toucher le noyau de flamme, l’être, le point géométrique et mystique, milieu ineffable de la vérité. Nous ne ferons jamais rien sortir du rocher que tantôt une goutte d’eau, tantôt une étincelle de feu. Méditons cependant. Frappons le rocher, creusons le sol. C’est accomplir une loi. Il faut que les uns méditent comme il faut que les autres labourent. Et puis résignons-nous. Le secret que veut arracher la philosophie est gardé par la nature. Or, qui pourra jamais te vaincre, ô nature? Nous ne voyons qu’un côté des choses; Dieu voit l’autre. La dépouille humaine nous effraie quand nous la contemplons; mais ce n’est qu’une dépouille, quelque chose de vide et de vain et d’inhabité. Il nous semble que cette ruine nous révèle des choses horribles. Non. Elle nous effraie, et rien de plus. Voyons-nous l’intelligence? Voyons-nous

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l’âme? Voyons-nous l’esprit? Savons-nous ce que nous dirait l’esprit des morts, s’il nous était donné de l’entrevoir dans son glorieux rayonnement? N’en croyons donc pas le corps qui se désorganise avec horreur, et qui répugne à sa destruction; n’en croyons pas le cadavre, ni le squelette, ni la momie, et songeons que, s’il y a une nuit dans le sépulcre, il y a aussi une lumière. Cette lumière, l’âme y est allée pendant que le corps restait dans la nuit; cette lumière, l’âme la contemple. Qu’importe donc que le corps grimace, si l’âme sourit? J’étais plongé dans ce chaos de pensées. Ces morts qui s’entretenaient entre eux ne m’inspiraient plus d’effroi; je me sentais presque à l’aise parmi eux. Tout à coup, je ne sais comment il me revint à l’esprit qu’en ce moment-là même, au haut de cette tour de St Michel à deux cents pieds sur ma tête au dessus de ces spectres qui échangent dans la nuit je ne sais quelles communications mystérieuses, un télégraphe, pauvre machine de bois menée par une ficelle, s’agitait dans la nuée et jetait l’une après l’autre à travers l’espace dans la langue mystérieuse qu’il a lui aussi, toutes ces choses imperceptibles qui demain seront le journal. Jamais je n’ai mieux senti que dans ce moment-là la vanité de tout ce qui nous passionne. Quel poème que cette tour de St Michel! Quel contraste et quel enseignement! Sur son faîte, dans la lumière et dans le soleil, au milieu de l’azur du ciel, aux yeux de la foule affairée qui fourmille dans les rues, un télégraphe qui gesticule et se démène comme Pasquin10 sur son tréteau, dit et détaille minutieusement toutes les pauvretés de l’histoire du jour et de la politique du quart d’heure. Espartero qui tombe, Narvaez qui surgit, Lopez qui chasse Mendizabal, les grands évènements microscopiques, les infusoires11 qui se font dictateurs, volvoces qui se font tribuns, les vibrions qui se font tyrans, toutes les petitesses dont se composent l’homme qui passe et l’instant qui fuit, et pendant ce temps-là, à sa base, au milieu du massif sur lequel la tour s’appuie, dans une crypte où n’arrive ni un rayon ni un bruit, un concile de spectres assis en cercle dans les ténèbres parle tout bas de la tombe et de l’éternité. 10. Pasquin was the commonly used name of a comic lackey in Classical French comedy. Mendizabál, Narváez, and Lopez all held powerful positions in shortlived midnineteenth-century Spanish governments. 11. Hugo uses three scientific terms to compare tyrants and dictators to microorganisms: unicellular animals living in liquid (infusoires), green algae formed by a colony of cells (volvoces), and mobile microorganisms shaped like curved sticks (vibrions).

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Cauterets—À Louis B., Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées (1890) [Hugo wrote in August 1843 to a close friend, artist Louis Boulanger (1806–67), from the thermal spas in Cauterets, near the French-Spanish border in the Hautes-Pyrénées (Hugo mentions his ongoing battle with eye inflammation, treated there). He neither finished nor mailed this letter, in which he brings the mountains to life with richly described images and makes clear how intriguing he finds nature’s complexity and profundity. He also details his belief that everything in the world, even what appears inanimate, is actually alive with la vie universelle, a philosophy that he developed while in exile.] Je viens de la mer et je suis dans la montagne. Ce n’est, pour ainsi dire, pas changer d’émotion. Les montagnes et la mer parlent au même côté de l’esprit. Si vous étiez ici, (je ne puis m’empêcher de faire constamment ce rêve) quelle vie charmante nous mènerions ensemble! quels tableaux vous remporteriez dans votre pensée pour les rendre ensuite à l’art plus beaux encore que la nature ne vous les aurait donnés! Figurez-vous, Louis, que je me lève tous les jours à quatre heures du matin, et qu’à cette heure sombre et claire tout à la fois je m’en vais dans la montagne. Je marche le long d’un torrent, je m’enfonce dans une gorge la plus sauvage qu’il y ait, et sous prétexte de me tremper dans de l’eau chaude et de boire du soufre, j’ai tous les jours un spectacle nouveau, inattendu et merveilleux. Hier, la nuit avait été pluvieuse, l’air était froid, les sapins mouillés étaient plus noirs qu’à l’ordinaire, les brumes montaient de toutes parts des ravins comme les fumées des fêlures d’une solfatare;12 un bruit hideux et terrible sortait des ténèbres, en bas, dans le précipice, sous mes pieds; c’était le cri de rage du torrent caché par le brouillard; je ne sais quoi de vague, de surnaturel et d’impossible se mêlait au paysage; tout était ténébreux et comme pensif autour de moi; les spectres immenses des montagnes m’apparaissaient par les trous des nuées comme à travers des linceuls déchirés; le crépuscule n’éclairait rien; seulement, par une crevasse au dessus de ma tête, j’apercevais au loin dans l’infini un coin du ciel bleu, pâle, glacé, lugubre et éclatant; tout ce que je distinguais de la terre, rochers, forêts, prairies,

12. Volcanic earth from which issues extremely hot water vapor containing hydrogen sulfide.

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glaciers, se mouvait pêle-mêle dans les vapeurs et semblait fuir, emporté par le vent à travers l’espace dans un gigantesque réseau de nuages. —Ce matin, la nuit avait été sereine, le ciel était étoilé, mais quel ciel et quelles étoiles! Vous savez, cette fraîcheur, cette grâce, cette transparence mélancolique et inexprimable du matin, les étoiles claires sur le ciel blanc, une voûte de cristal semée de diamants. À cette voute lumineuse s’appuyaient de toutes parts les énormes montagnes, noires, velues, difformes, celles de l’orient découpaient à leur sommet sur le plus vif de l’aube leurs sapins qui ressemblaient à ces feuilles dont les pucerons ne laissent que les fibres et font une dentelle. Celles de l’occident, noires à leur base et dans presque toute leur hauteur, avaient à leur cime une clarté rose. Pas un nuage, pas une vapeur. Une vie obscure et charmante animait le flanc ténébreux des montagnes; on y distinguait l’herbe, les fleurs, les pierres, les bruyères, dans une sorte de fourmillement doux et joyeux. Le bruit du gave n’avait plus rien d’horrible; c’était un grand murmure mêlé à ce grand silence. Aucune pensée triste, aucune anxiété ne sortait de cet ensemble plein d’harmonie. Toute la vallée était comme une urne immense où le ciel, pendant les heures sacrées de l’aube, versait la paix des sphères et le rayonnement des constellations. Il me semble, mon ami, que ces choses-là sont plus que des paysages. C’est la nature entrevue à de certains moments mystérieux où tout semble rêver, j’ai presque dit penser, où l’arbre, le rocher, le nuage et le buisson ­vivent plus visiblement qu’à d’autres heures et semblent tressaillir du sourd battement de la vie universelle. Vision étrange et qui pour moi est bien près d’être une réalité, aux instants où les yeux de l’homme sont ­fermés. Quelque chose d’inconnu apparaît dans la création. Ne le voyez-vous pas comme moi? Ne dirait-on pas qu’aux moments du sommeil, quand la pensée cesse dans l’homme, elle commence dans la nature? Est-ce que le calme est plus profond, le silence plus absolu, la solitude plus complète, et qu’alors le rêveur qui veille peut mieux saisir, dans ses détails subtils et merveilleux, le fait extraordinaire de la création? Ou bien y a-t-il en effet quelque révélation, quelque manifestation de la grande intelligence entrant en communication avec le grand tout, quelque attitude nouvelle de la nature? La nature se sent-elle mieux à l’aise quand nous ne sommes pas là? se déploie-t-elle plus librement? Il est certain, qu’en apparence du moins, il y a pour les objets que nous nommons inanimés une vie crépusculaire et une vie nocturne. Cette vie n’est peut être que dans notre esprit; les réalités sensibles se présentent à nous à de certaines heures sous un

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aspect inusité; elles nous émeuvent; il s’en fait un mirage au dedans de nous, et nous prenons les idées nouvelles qu’elles nous suggèrent pour une vie nouvelle qu’elles ont. Voilà les questions. Décidez. Quant à moi, je me borne à rêver. Je voue mon esprit à contempler le monde et à étudier le mystère. Je passe ma vie entre un point d’admiration et un point d’interrogation.

“Ce qu’on y voit” (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 1, xiii (1866) [In these two excerpts, Gilliatt finds himself at two different times in an other­ worldly underwater grotto, a horrifically lovely place in which the grotesque and sublime coexist: “On ne pouvait rien imaginer de plus charmant ni rien rencontrer de plus lugubre. C’était on ne sait quel palais de la mort, contente” (II, I, xii). During this scene in which desire and death intermingle, Hugo sets the stage for Gilliatt’s second visit to the grotto—and the unexpected, inhuman adversary he meets there.] Les magnifiques moisissures de la mer mettaient du velours sur les angles du granit. Les escarpements étaient festonnés de lianes grandiflores, adroites à ne point tomber, et qui semblaient intelligentes, tant elles ornaient bien. Des pariétaires à bouquets bizarres montraient leurs touffes à propos et avec goût. Toute la coquetterie possible à une caverne était là. La surprenante lumière édénique qui venait de dessous l’eau, à la fois pénombre marine et rayonnement paradisiaque, estompait tous les linéaments dans une sorte de diffusion visionnaire. Chaque vague était un prisme. Les contours des choses, sous ces ondoiements irisés, avaient le chromatisme des lentilles d’optique trop convexes; des spectres ­solaires flottaient sous l’eau. On croyait voir se tordre dans cette diaphanéité aurorale des tronçons d’arcs-en-ciel noyés. Ailleurs, en d’autres coins, il y avait dans l’eau un certain clair de lune. Toutes les splendeurs semblaient amalgamées là pour faire on ne sait quoi d’aveugle et de nocturne. Rien de plus troublant et de plus énigmatique que ce faste dans cette cave. Ce qui dominait, c’était l’enchantement. La végétation fantasque et la stratification informe s’accordaient et dégageaient une harmonie. Ce mariage de choses farouches était heureux. Les ramifications se cramponnaient en ayant l’air d’effleurer. La caresse du roc sauvage et de la fleur fauve était profonde. Des piliers massifs avaient pour chapiteaux et pour ligatures de frêles

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guirlandes toutes pénétrées de frémissement, on songeait à des doigts de fées chatouillant des pieds de béhémoths, et le rocher soutenait la plante et la plante étreignait le rocher avec une grâce monstrueuse. La résultante de ces difformités mystérieusement ajustées était on ne sait quelle beauté souveraine. Les œuvres de la nature, non moins suprêmes que les œuvres du génie, contiennent de l’absolu, et s’imposent. Leur inattendu se fait obéir impérieusement par l’esprit; on y sent une préméditation qui est en dehors de l’homme, et elles ne sont jamais plus saisissantes que lorsqu’elles font subitement sortir l’exquis du terrible. Cette grotte inconnue était, pour ainsi dire, et si une telle expression était admissible, sidéralisée. On y subissait ce que la stupeur a de plus imprévu. Ce qui emplissait cette crypte, c’était de la lumière d’apocalypse. On n’était pas bien sûr que cette chose fût. On avait devant les yeux une réalité empreinte d’impossible. On regardait cela, on y touchait, on y était; seulement il était difficile d’y croire. Était-ce du jour qui venait par cette fenêtre sous la mer? Était-ce de l’eau qui tremblait dans cette cuve obscure? Ces cintres et ces porches n’étaient-ils point de la nuée céleste imitant une caverne? Quelle pierre avait-on sous les pieds? Ce support n’allait-il point se désagréger et devenir fumée? Qu’était-ce que cette joaillerie de coquillages qu’on entrevoyait? À quelle distance était-on de la vie, de la terre, des hommes? Qu’étaitce que ce ravissement mêlé à ces ténèbres? Émotion inouïe, presque sacrée, à laquelle s’ajoutait la douce inquiétude des herbes au fond de l’eau. À l’extrémité de la cave, qui était oblongue, sous une archivolte cyclopéenne d’une coupe singulièrement correcte, dans un creux presque indistinct, espèce d’antre dans l’antre et de tabernacle dans le sanctuaire, derrière une nappe de clarté verte interposée comme un voile de temple, on apercevait hors du flot une pierre à pans carrés ayant une ressemblance d’autel. L’eau entourait cette pierre de toutes parts. Il semblait qu’une déesse vînt d’en descendre. On ne pouvait s’empêcher de rêver sous cette crypte, sur cet autel, quelque nudité céleste éternellement pensive, et que l’entrée d’un homme faisait éclipser. Il était difficile de concevoir cette cellule auguste sans une vision dedans; l’apparition, évoquée par la rêverie, se recomposait d’elle-même; un ruissellement de lumière chaste sur des épaules à peine entrevues, un front baigné d’aube, un ovale de visage olympien, des rondeurs de seins mystérieux, des bras pudiques, une chevelure

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dénouée dans de l’aurore, des hanches ineffables modelées en pâleur dans une brume sacrée, des formes de nymphe, un regard de vierge, une Vénus sortant de la mer, une Ève sortant du chaos; tel était le songe qu’il était impossible de ne pas faire. Il était invraisemblable qu’il n’y eût point là un fantôme. Une femme toute nue, ayant en elle un astre, était probablement sur cet autel tout à l’heure. Sur ce piédestal d’où émanait une indicible extase, on imaginait une blancheur, vivante et debout. L’esprit se représen­ tait, au milieu de l’adoration muette de cette caverne, une Amphitrite, une Téthys, quelque Diane pouvant aimer, statue de l’idéal formée d’un rayonnement et regardant l’ombre avec douceur. C’était elle qui, en s’en allant, avait laissé dans la caverne cette clarté, espèce de parfum lumière sorti de ce corps étoile. L’éblouissement de ce fantôme n’était plus là; on n’apercevait pas cette figure, faite pour être vue seulement par l’invisible, mais on la sentait; on avait ce tremblement, qui est une volupté. La déesse était absente, mais la divinité était présente. La beauté de l’antre semblait faite pour cette présence. C’était à cause de cette déité, de cette fée des nacres, de cette reine des souffles, de cette grâce née des flots, c’était à cause d’elle, on se le figurait du moins, que le souterrain était religieusement muré, afin que rien ne pût jamais troubler, autour de ce divin fantôme, l’obscurité qui est un respect, et le silence qui est une majesté. Gilliatt, qui était une espèce de voyant de la nature, songeait, confusément ému. Tout à coup, à quelques pieds au-dessous de lui, dans la transparence charmante de cette eau qui était comme de la pierrerie dissoute, il aperçut quelque chose d’inexprimable. Une espèce de long haillon se mouvait dans l’oscillation des lames. Ce haillon ne flottait pas, il voguait; il avait un but, il allait quelque part, il était rapide. Cette guenille avait la forme d’une marotte de bouffon avec des pointes; ces pointes, flasques, ondoyaient; elle semblait couverte d’une poussière impossible à mouiller. C’était plus qu’horrible, c’était sale. Il y avait de la chimère dans cette chose; c’était un être, à moins que ce ne fût une apparence. Elle semblait se diriger vers le côté obscur de la cave, et s’y enfonçait. Les épaisseurs d’eau devinrent sombres sur elle. Cette silhouette glissa et disparut, sinistre.

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“Qui a faim n’est pas le seul” and “Le Monstre” (excerpts), Les Travailleurs de la mer II, 4, i–ii (1866) [Chasing a crab he hopes to eat, Gilliatt again enters the same cave, which is full of not only beauty but also danger, as he discovers when something seizes his arm. Hugo does not name the creature until the end of the chapter, when he uses a Norman word rather than the standard French term. La pieuvre came to be common usage in French after Hugo introduced it here, replacing the formerly standard la poulpe. (See figure 10 in this chapter for one of Hugo’s depictions of “the monster.”)]

I [ … ] Il venait de rentrer dans cette cave étrange visitée par lui le mois d’auparavant. Seulement il y était rentré par la mer. Cette arche qu’il avait vue noyée, c’est par là qu’il venait de passer. À de certaines marées basses, elle était praticable. Ses yeux s’accoutumaient. Il voyait de mieux en mieux. Il était stupéfait. Il retrouvait cet extraordinaire palais de l’ombre, cette voûte, ces piliers, ces sangs ou ces pourpres, cette végétation à pierreries, et au fond, cette crypte, presque sanctuaire, et cette pierre, presque autel. Il se rendait peu compte de ces détails, mais il avait dans l’esprit l’ensemble et il le revoyait. Il revoyait en face de lui, à une certaine hauteur dans l’escarpement, la crevasse par laquelle il avait pénétré la première fois, et qui, du point où il était maintenant, semblait inaccessible. Il revoyait près de l’arche ogive ces grottes basses et obscures, sortes de caveaux dans la cave, qu’il avait déjà observées de loin. À présent, il en était près. La plus voisine de lui était à sec et aisément abordable. Plus près encore que cet enfoncement, il remarqua, au-dessus du niveau de l’eau, à portée de sa main, une fissure horizontale dans le granit. Le crabe était probablement là. Il y plongea le poing le plus avant qu’il put, et se mit à tâtonner dans ce trou de ténèbres. Tout à coup il se sentit saisir le bras. Ce qu’il éprouva en ce moment, c’est l’horreur indescriptible. Quelque chose qui était mince, âpre, plat, glacé, gluant et vivant venait

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de se tordre dans l’ombre autour de son bras nu. Cela lui montait vers la poitrine. C’était la pression d’une courroie et la poussée d’une vrille. En moins d’une seconde, on ne sait quelle spirale lui avait envahi le poignet et le coude et touchait l’épaule. La pointe fouillait sous son aisselle. Gilliatt se rejeta en arrière, mais put à peine remuer. Il était comme cloué. De sa main gauche restée libre il prit son couteau qu’il avait entre ses dents, et de cette main, tenant le couteau, s’arc-bouta au rocher, avec un effort désespéré pour retirer son bras. Il ne réussit qu’à inquiéter un peu la ligature, qui se resserra. Elle était souple comme le cuir, solide comme l’acier, froide comme la nuit. Une deuxième lanière, étroite et aiguë, sortit de la crevasse du roc. C’était comme une langue hors d’une gueule. Elle lécha épouvantablement le torse nu de Gilliatt, et tout à coup s’allongeant, démesurée et fine, elle s’appliqua sur sa peau et lui entoura tout le corps. En même temps, une souffrance inouïe, comparable à rien, soulevait les muscles crispés de Gilliatt. Il sentait dans sa peau des enfoncements ronds, horribles. Il lui semblait que d’innombrables lèvres, collées à sa chair, cherchaient à lui boire le sang. Une troisième lanière ondoya hors du rocher, tâta Gilliatt, et lui fouetta les côtes comme une corde. Elle s’y fixa. L’angoisse, à son paroxysme, est muette. Gilliatt ne jetait pas un cri. Il y avait assez de jour pour qu’il pût voir les repoussantes formes appliquées sur lui. Une quatrième ligature, celle-ci rapide comme une flèche, lui sauta autour du ventre et s’y enroula. Impossible de couper ni d’arracher ces courroies visqueuses qui adhéraient étroitement au corps de Gilliatt et par quantité de points. Chacun de ces points était un foyer d’affreuse et bizarre douleur. C’était ce qu’on éprouverait si l’on se sentait avalé à la fois par une foule de bouches trop petites. Un cinquième allongement jaillit du trou. Il se superposa aux autres et vint se replier sur le diaphragme de Gilliatt. La compression s’ajoutait à l’anxiété; Gilliatt pouvait à peine respirer. Ces lanières, pointues à leur extrémité, allaient s’élargissant comme des lames d’épée vers la poignée. Toutes les cinq appartenaient évidemment au même centre. Elles marchaient et rampaient sur Gilliatt. Il sentait se déplacer ces pressions obscures qui lui semblaient être des bouches. Brusquement une large viscosité ronde et plate sortit de dessous la crevasse. C’était le centre; les cinq lanières s’y rattachaient comme des rayons à un moyeu; on distinguait au côté opposé de ce disque immonde

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le commencement de trois autres tentacules, restés sous l’enfoncement du rocher. Au milieu de cette viscosité il y avait deux yeux qui regardaient. Ces yeux voyaient Gilliatt. Gilliatt reconnut la pieuvre.

II LE MONSTRE Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire. À de certains moments, on serait tenté de le penser, l’insaisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéa­ments se prennent, et de ces obscures fixations du rêve il sort des êtres. L’Inconnu dispose du prodige, et il s’en sert pour composer le ­monstre. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère; Dieu a fait la Pieuvre. Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable. Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux. Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre.

La Pieuvre (1866) [A month and a half after the publication of Les Travailleurs de la mer, Hugo had thirty-six of his drawings and illustrations bound into his manuscript (another appears in chapter 4). He placed this representation of la pieuvre within the chapter excerpted above, “Le Monstre” . Created with pen, brush, and brown ink on a backdrop covered with a brown wash, this vision of the octopus shows her not lying in wait for Gilliatt but rather in all her glory: “La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l’hymen. Elle se fait belle, elle s’allume, elle s’illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l’apercevoir au-dessous de soi dans les profondes ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre” (II, 4, ii). Hugo rather often included his initials in his drawings, as he did here, in the tentacles waving above.13 ]

13. For more details, see Georgel, Dessins pour Les Travailleurs; and Prévost, Océan, 294–95.

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Figure 10. La Pieuvre, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 24745, FOL. 382.

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Le Roi des Auxcriniers (1866) [The grotesque enters Les Travailleurs de la mer early, when Hugo describes the “King of the Auxcriniers,” a fictional legendary character he created: “Les ignorants seuls ignorent que le plus grand danger des mers de la Manche, c’est le Roi des Auxcriniers. Pas de personnage marin plus redoutable. Qui l’a vu fait naufrage entre une Saint-Michel et l’autre. Il est petit, étant nain, et il est sourd, étant roi. Il sait les noms de tous ceux qui sont morts dans la mer et l’endroit où ils sont. Il connaît à fond le cimetière Océan. Une tête massive en bas et étroite en haut, un corps trapu, un ventre visqueux et difforme, des nodosités sur le crâne, de courtes jambes, de longs bras, pour pieds des nageoires, pour mains des griffes, un large visage vert, tel est ce roi. Ses griffes sont palmées et ses nageoires sont onglées. Qu’on imagine un poisson qui est un spectre, et qui a une figure d’homme. Pour en finir avec lui, il faudrait l’exorciser, ou le pêcher. En attendant, il est sinistre” (I, 1, iv). Hugo modeled the King on a figurine of the ancient Egyptian god Bes, embellished with fancies from his dreams. Similarly, his neologism Auxcriniers had come to mind one night as an appropriate name for disruptive dreams. Drawn with pen and brown-ink wash, this illustration mirrors Hugo’s text, with its humorously mocking view of superstitious beliefs.14 ]

14. On the inspiration for the King, see Yves Gohin’s note in Laffont, Roman III, 1073, n. 6.

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Figure 11. Le Roi des Auxcriniers, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 24745, FOL. 57.

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Vianden à travers une toile d’araignée (1871) [Always intrigued by ruins and spiders (see “J’aime l’araignée et j’aime l’ortie . . .” in chapter 13), Hugo combined them in this nebulous view of Vianden, Luxembourg, and jotted in his journal on August 13: “J’ai dessiné sur mon livre de voyage la grande toile d’araignée à travers laquelle on aperçoit la ruine de Vianden comme un spectre. Vraie besogne d’un 13.” Despite its overall brown tone, this eerie watercolor is more colorful than some of Hugo’s art since he used violet ink for the upper sky.15 ]

15. Prévost, Océan, 332 (#332).

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Figure 12. Vianden à travers une toile d’araignée, © PMVP / Briant Remi.

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Paysage oriental (1837) [This imaginary Moorish or Middle Eastern scene is reminiscent of Spanish sights from Hugo’s youth and many exotic descriptions in Les Orientales, such as this one from “Les Têtes du sérail”: L’œil distinguait les tours par leurs angles marquées, Les maisons aux toits plats, les flèches des mosquées, Les moresques balcons en trèfles découpés, Les vitraux se cachant sous des grilles discrètes, Et les palais dorés, et comme des aigrettes     Les palmiers sur leur front groupés. One of a series of five pen-and-ink drawings done apparently in the same year, this piece exemplifies Hugo’s architectural style.16 ]

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Figure 13. Paysage oriental, © PMVP / Ladet.

16. CFL XVIII/2, #496. For more about this set of drawings, see Picon and Bargiel, Victor Hugo: Dessins, 213–14.

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Dentelles et spectres (1855–56) [To create this piece, Hugo first pressed a piece of lace saturated with graphite and brown-ink wash between two pieces of paper. With a pen he then turned the delicate lace imprint into two dreadful specters. He seems to have used the same flower-and-clover lace pattern for all his lace-imprint art.17 ]

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Figure 14. Dentelles et spectres, © PMVP / Joffre. 17. CFL XVIII/1, #464. See Lebel and Prévost, Chaos, 152–55 (#112) on Hugo’s work with lace.

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La Phare d’Eddystone (1866) [While writing L’Homme qui rit, Hugo became fascinated with the fantastical nature of the lighthouses he found illustrated in the reference book Délices d’Angleterre. Inspired by the plate of the Eddystone lighthouse, he drew it with pen, brown ink, and wash, and described it in his novel this way: “Au dixseptième siècle un phare était une sorte de panache de la terre au bord de la mer. L’architecture d’une tour de phare était magnifique et extravagante. On y prodiguait les balcons, les balustres, les tourelles, les logettes, les gloriettes, les girouettes. Ce n’étaient que mascarons, statues, rinceaux, volutes, rondesbosses, figures et figurines, cartouches avec inscriptions. Pax in bello, disait le phare d’Eddystone. Observons-le en passant, cette déclaration de paix ne désarmait pas toujours l’Océan. . . . Outre les fantaisies de pierre, il y avait les fantaisies de fer, de cuivre, de bois; les serrureries faisaient relief, les charpentes faisaient saillie. Partout, sur le profil du phare, débordaient, scellés au mur parmi les arabesques, des engins de toute espèce, utiles et inutiles, treuils, palans, poulies, contre-poids, échelles, grues de chargement, grappins de sauvetage” (I, 2, xi).18 ]

18. Prévost, Océan, 301, #293.

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Figure 15. La Phare d’Eddystone, © PMVP / Ladet.

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Autrefois, j’ai connu Ferdousi dans Mysore . . . , La Légende des siècles, Dernière série IX, 3 (1883) [Hugo wrote this mystifying poem forty years after the Romantics’ fascination with such rediscovered Persian poets as Ferdowsi (transliterated in French as Ferdousi), Hafez (from the fourteenth century), and Saadi (from the thirteenth century).19 Ferdowsi was the pseudonym of Abu Ol-qasem Mansur (ca. 935– ca. 1020), regarded by Iranians as perhaps their greatest poet. He authored the definitive version of the Shah-nameh (“Book of Kings”), the Persian national epic poem, which runs to 60,000 couplets.20 Although he left his native Tus when Sultan Mahmoud, to whom he dedicated the poem, paid him very poorly, Ferdowsi does not seem to have gone to Mysore, India.] Autrefois, j’ai connu Ferdousi dans Mysore. Il semblait avoir pris une flamme à l’aurore Pour s’en faire une aigrette et se la mettre au front; Il ressemblait aux rois que n’atteint nul affront, Portait le turban rouge où le rubis éclate Et traversait la ville habillé d’écarlate.

5

Je le revis dix ans après vêtu de noir. Et je lui dis:       — Ô toi qu’on venait jadis voir Comme un homme de pourpre errer devant nos portes, Toi, le seigneur vermeil, d’où vient donc que tu portes Cet habit noir, qui semble avec de l’ombre teint?

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— C’est, me répondit-il, que je me suis éteint. [12 janvier 1871.]

19. On the Romantics’ interest in Persian poetry, see Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 373. 20. Details from “Ferdowsi.” Encyclopædia Britannica. 2008. Encyclopædia Britannica Online. http://eb.com/.

6  •  On God and Religion

Dieu. L’âme. La responsabilité. Cette triple notion suffit à l’homme. Elle m’a suffi. C’est la religion vraie. J’ai vécu en elle. Je meurs en elle. Vérité, lumière, justice, conscience, c’est Dieu. Deus. Dies. —Victor Hugo’s will, August 31, 1881

Victor Hugo’s conception of God is not easy to summarize, as he consciously continued to search for understanding, and never completed what might have been his definitive work on the subject, an immense poem he dared to entitle Dieu. Nor did he finish his epic about evil, La Fin de Satan. Still, the nature of God and God in nature were abiding themes for Hugo as he worked out his metaphysical beliefs, pondered the apparent roles of fate and divine providence in the world, and responded to life-changing events (most notably, his daughter Léopoldine’s drowning and his political exile). His expressed desire that his works be read as a whole is particularly relevant to his writings about God and religion. No one poetry collection or novel gives a complete picture. Never baptized and nonpracticing, Hugo examined questions and ideas throughout his life, and offered bits of the picture and new discoveries in widely varying ways. This chapter aims to help clarify what might seem obscure on first reading, including Hugo’s conception of God’s infinity and his skepticism about established religion and dogma. Contemplation of a poetic genius’s determined

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quest for insight can help us reconsider our own beliefs, particularly in a world rife with religious and cultural conflicts. Victor Hugo was a teenager during the religious revival that paralleled, and helped to bring about, the Restoration monarchy in predominantly Catholic France. Chateaubriand’s Le Génie du christianisme, published the year Hugo was born, popularized Catholicism by lyrically evoking the religion’s aesthetic and emotional appeal and set the stage for the Romantic movement. The highly conservative Ultras, in reaction to Catholicism’s loss of power during Napoleon I’s rule, made the religion a central tenet of their support for the monarchy; liberals were skeptical and fought this renewed orthodoxy. Certainly, during Hugo’s lifetime religion was a divisive issue in French society, a conflict reflected in reactions to his work. Some authors, such as George Sand (1804–76), found his work too Catholic or too Christian; others, like his friend Felicité Robert de Lamennais (1782–1854), thought it not Catholic enough. A writer and priest whose original conservatism evolved into liberal Catholicism, Lamennais had some influence over the young Hugo, although he never convinced him to practice religion in an established church. But Hugo knew the Bible extremely well, wove biblical allusions into his poetry and prose, and had a lifelong habit of prayer. He also argued, especially in his youth, that l’écriture sainte and the existence of God give the poor hope for a better world, a reason to be patient, a way in which they equal the rich (see, for example, the ending of Claude Gueux and “Dieu est toujours là”). To a great extent, Hugo treated the Bible as a rich literary source; he explained in the delightful “Aux Feuillantines” how he and his brothers discovered entrancing Old Testament stories when children. At the same time, Hugo clearly valued other religious traditions; he recounted their stories in La Légende des siècles and admired their prophets as seers in his powerful visionary poetry (for example, the poet calls upon “Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!” in “Magnitudo parvi,” discussed in chapter 8). And he saw a connection between God and social justice: “Venez en aide à ceux qui travaillent et qui souffrent. Ce n’est qu’après avoir penché son regard sur le peuple qu’on peut oser le lever vers Dieu” (Laffont, Océan, “Questions sociales,” 119). Hugo created admirable characters whose beneficent deeds parallel Jesus Christ’s actions (see, for instance, Jean Valjean and Gwynplaine, heroes of Les Misérables and L’Homme qui rit). Still, Hugo’s admiration for Christ’s work did not extend to his embracing of religious dogma. In 1860, while working on Les Misérables, he wrote, “La religion n’est autre chose que l’ombre portée de l’univers sur l’intelligence humaine” (Philosophie, commencement d’un livre, section 16; Laffont, Critique, 494).

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As a statesman and social critic, Hugo was highly suspicious of the power of the Catholic clergy; in his speech against la loi Falloux, for instance, he argued for a public educational system removed from the church’s control (“La Liberté de l’enseignement” , excerpted in chapter 12). Over time, as he strove to articulate the incomprehensible infinity of God, Hugo came to question religion even more. He saw dogma as confining and viewed all religions as equally focused on defining and “finishing” God—a goal he could not accept (see Préface de mes œuvres, Laffont Critique, 700–701). In drafting his last will and testament, he wrote explicitly about the distinction he drew between faith in God and established religion: Je crois en Dieu. Je me sens, âme immortelle, en présence du Dieu éternel. Je le supplie de m’admettre, avec ceux qui j’aime et ceux qui m’aiment, dans la vie meilleure. Toutes les religions sont vraies et fausses; vraies par Dieu, fausses par le dogme. Chacune veut être la seule; de là les mensonges. J’espère que Dieu ne les exceptera pas de l’immense pardon qu’il accordera. Je n’accepte pas les oraisons des églises, je demande leur prière à toutes les âmes. Je supplie le Dieu éternel. (from Moi Prose; Laffont, Océan, 295)

Rejecting established religion and dogma ever more decidedly, he came to write in Religions et religion, “Pas de religion qui ne blasphème un peu” (Laffont, Poésie III, 972). Hugo sought in his own way answers about God, whose existence he seems never to have really doubted, although life events led him to pose the question.1 In working out his personal conception of God, Hugo is in several senses metaphysical. Although he sometimes reasons logically and deductively about the relationship between Creator and creation, his approach is far from wholly rational.2 Along with other Romantics, he felt that poets and artists had special visionary skills. He believed that science did not have all the answers, and 1. For relevant biographical and historical background, see Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil; Laster, Pleins feux, 150–53; Bénichou, Sacre, 111–16, 138–52; Bénichou, Mages, 1325–33; Magraw, France 1800–1914, 158–94; and Popkin, Modern France, 83–101. 2. For an example of Hugo’s deductive reasoning, see the 1853–54 note cited by Albouy, ed., Contemplations, 500–502, n. 1.

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trusted in the power of his own sensitivities and spiritual understanding. Thus most of his writings present his reflections poetically, emphasizing the obscurity and indefinite nature of God. Also in the spirit of 1820s and 1830s Romanticism, Hugo wrote dozens of poems rapturous about the evidence of nature, the “book of God”; he begins one, for example, “Je lisais. Que lisais-je? Ô, le vieux livre austère. . . .” Despite the evident pantheism of poems such as “Pan” and “Le Satyre,” Hugo declared in an 1867 letter, “Je ne suis pas panthéïste. Le panthéïsme dit: Tout est Dieu. Moi, je dis: Dieu est tout. —Différence profonde que votre attention pensive comprendra” (CFL XIII, 869). Hugo was one of the many inheritors of eighteenth-century deism, however, and his mother’s voltairien inclinations are central to his biography. The notion of God as creator of the universe, the supreme being who designed nature and put natural laws into motion, appears most frequently in Hugo’s pre-exile poetry. The tragic loss of his daughter in 1843 and exile in 1851 led Hugo to explore much more deeply questions of life and death, creation and creator, and the meaning of the universe. “Considérez qu’on doute, ô mon Dieu! quand on souffre, / Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler . . . ,” he wrote about Léopoldine’s death in “À Villequier” (included in chapter 3). But even before then he had experienced much personal anguish and at times voiced the doubt natural to those who suffer, writing to his friend, composer Louise Bertin, two poems that question the meaning of life: “Que nous avons le doute en nous” and “Pensar, dudar” (in Spanish, “To Think, To Doubt”). Although sometimes doubting, he never embraced atheism, and believed in the power and eternity of souls: “La mort a des révélations; les grands coups qui ouvrent le cœur ouvrent aussi l’esprit; . . . je crois, j’attends une autre vie. Comment n’y croirais-je pas? Ma fille était une âme.”3 He also recognized his interest in his own eventual death, noting at about age fifty-three, “Je suis à ce moment de la vie, à ce pointmilieu, où l’on cesse de voir le berceau et où l’on commence à voir le tombeau. . . . Alors la pensée devient attentive et ne se distrait plus. On se sonde et on sonde la tombe. On songe à l’âme qu’on sera” (Laffont, Océan, 272). Yet this belief in the eternity of souls did not answer his questions about the nature of God. In searching for that understanding, Hugo was ever conscious of the challenges he faced as he made the dedicated effort of the blind men to describe the elephant. He frequently portrayed people as incapable of understanding the nature of God and wrote thousands of magnificent poetic lines probing possibilities, only to find himself still wondering. He may well have made a 3. Cited in Laster, Pleins feux, p. 151.

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conscious decision not to finish Dieu, since it concludes, “Aveugle qui croit lire et fou qui croit savoir! / Et je vis au-dessus de ma tête un point noir.” These final words are followed by the same two dotted lines that, throughout the poem, have introduced further musings about God. It appears that the poet has not yet finished his explorations.4 Hugo’s interest in the mysteries of God and the universe was enhanced by his exile, both by the existential angst of being separated from his beloved France and by his never-ending fascination with the infinity of the surrounding sea. He continued to be intrigued by the vastness of the sky, with its limitless stars and mysterious planets (see his art in this chapter). Some critics find that Hugo’s wash drawings of sea and sky melding together, of birds flying in a limitless sky, and of light and shadows reflect his metaphysical vision of the universe.5 Hugo’s developing belief system was also affected by his family’s 1853–55 experiences with séances, referred to as les tables tournantes or les tables parlantes. An enormously popular fad for spiritualism—the belief that spirits can communicate with the living through a medium—began in the U.S. Sweeping through England and Europe in the 1850s, it was brought to Jersey in 1853 by Delphine de Girardin. Hugo was skeptical until it appeared that Léopoldine communicated through the table; then he vacillated between skepticism and belief. Although Charles Hugo, not Victor, was normally the medium, the transcripts of the messages that spirits ostensibly sent by rapping on the table show a remarkable similarity to Hugo’s poetic style. Most critics agree that Hugo’s tables parlantes experiences are visible in his key Les Contemplations poem “Ce que dit la bouche d’ombre,” as well as in Dieu (see the excerpt in this chapter). Moreover, Hugo’s note about one séance explicitly confirms his belief in a decidedly enigmatic God. Refusing to succumb to the obscurity of the “abyss, night, shadows, chasm,” Hugo compares his faith to that of Galileo, who is reputed to have said, “And yet it moves,” after he was forced to recant his certainty that the earth orbits the sun: 4. See René Journet and Guy Robert, “Pourquoi Victor Hugo n’a-t-il pas publié son poème ‘Dieu’?” Cahiers de l’Association internationale des études françaises 19 (mars 1967): 225–31. To read some of Hugo’s most explicit philosophical explorations, see Philosophie, commencement d’un livre (written in 1860 as a working “Préface philosophique” to Les Misérables); Promontorium somnii (written in 1863–64 and inspired by his 1834 visit to the Paris Observatory), and Préface de mes œuvres et Post-scriptum de ma vie (probably written in 1863–64; cited as Préface de mes œuvres) (all in Laffont, Critique). 5. See, especially, Georgel, Victor Hugo: Dessins, “Dessiner l’infini,” n.p.; and Gaétan Picon, “Le Soleil d’encre,” in Picon and Bargiel, Victor Hugo: Dessins, 22–23.

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Il devient évident pour moi… que le monde sublime… veut rester sublime; mais ne veut pas devenir exact… ; il veut être notre vision et non notre science.… En un mot, il veut que l’homme doute. C’est visiblement la loi, et je me résigne.… Les tables… nous laissent croyant davantage et tâtonnant encore plus.… Chaque fois que l’homme submergé à vau-l’eau dans les ténèbres, ruisselant de toutes les écumes de l’abîme et de la nuit, parvient à se cramponner au bord de la barque de foi et sort de l’obscurité à mi-corps, l’ombre qui est dans la barque lui fait lâcher prise, et le rejette au gouffre, et lui dit: —Va, homme, lutte, souffre, roule, nage, doute! —E pur si muove! et pourtant je crois! et pourtant je crois! et pourtant je crois! à toi, mon âme, à vous mon Dieu!6 In considering spiritualism and the supernatural, Hugo notes that science has repeatedly explained such “impossible” marvels as electricity. Why should we then assume that what we cannot see does not exist? Inclined to open his mind to worlds beyond those we can confirm through our senses, Hugo rejects the positivist notion that every logically justifiable assertion can be validated by science. He values observation and imagination but ranks intuition above both: “Cette bonne foi sublime, l’intuition la donne. Intuition, invention. L’intuition ne domine pas moins le géomètre inventeur que le poète. L’intuition c’est la puissance” (Préface de mes œuvres, Laffont XII, 706). Ever conscious of God’s infinite nature, he imagines a universe composed of multiple worlds, seen and unseen (see “Magnitudo parvi”). For Hugo, God is manifest in both the immense and the microscopic, in the beautiful and the ugly, in the gracious and the frightful. He conceives of God as antithetically both transcendent and immanent: simultaneously existing outside limitations of the material world and permanently pervading the universe. And godliness is a matter of nearness to or distance from God. Since Hugo sees evidence of God in the presence of souls, as well as in the natural world, his belief in immanence implies that all creatures and objects have souls: his daughter Adèle documented in her journal Hugo’s comment, “Dans ce siècle, je suis le premier qui ait parlé non seulement de l’âme des animaux, mais encore de l’âme des choses.”7 Poetically, in “Ce que dit la bouche d’ombre,” he expresses it this way: 6. Written after the December 17, 1854, séance; cited in Laster, Pleins feux, 152. About Hugo and the tables tournantes, see also Bénichou, Mages, 1442–49; Robert Kopp, “La religion des tables tournantes,” L’Histoire spécial no. 261 (Jan. 2002): 68–71; Hovasse, Pendant l’exil I, 202–22, 348–50; and Robb, Victor Hugo, 330–41. 7. Cited by Henri Peyre, Hugo (Paris: Presses universitaires de France, 1972): 65.

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Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi Tout parle? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes, Arbres, roseaux, rochers, tout vit!            Tout est plein d’âmes. In that long, important poem concluding Les Contemplations Book VI, Hugo describes his conception of the universe, or cosmology. Not only do souls inhabit everything, the bouche d’ombre tells the poet, but souls move closer to light and spirit (closer to God) when they do good. In Hugo’s view, God created the universe, but not evil, which springs independently from the universe. When souls commit evil acts, they thus move closer to shadow and to the material parts of the universe. Within this poem (and other poems of this period), Hugo refers to metempsychosis, that is, transmigration of souls, or a sort of reincarnation, an idea related to animism and contemplated among French Romantics (the concept dates back to Greek philosophy, as well as to Eastern religions such as Hinduism, Buddhism, and Jainism). Moreover, Hugo suspected, as did philosopher Jean Reynaud (whose works Hugo read), that eternal hell does not exist; rather, souls redeem their bad actions through atonement, or expiation, moving from planet to planet as they progress toward infinity (see the excerpts from “Saturne” and “Explication” in the discussion of the art in this chapter, as well as the poem “Cæruleum Mare”). The theme of redemption, especially as it implies an advancement toward God, also underlies La Légende des siècles and pervades Les Misérables. Although “Ce que dit la bouche d’ombre” is too long to include here, the same messenger from the shrouded mystery of God appears in “Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre . . .” in this chapter.8 Hugo’s cosmology includes his recognition of a sort of necessity, inevitability, ; KH, as he writes it fatality that he calls anankè. By using this Greek term (æANAG in Notre-Dame de Paris), Hugo focuses on the concept of necessity rather than on the predetermination typically associated with the term fatalité. Moreover, 8. Along with texts noted in this introduction, important Hugolian writings about God and the universe include Promontorium somnii (Laffont Critique, 639–68); Préface de mes œuvres, Laffont Critique, 698–712; most of Les Contemplations, Book VI; “Magnitudo parvi,” Les Contemplations III, xxx; Les Travailleurs de la mer; Dieu. For analyses of Hugo’s understandings of God and his exile-period metaphysics see, especially, Gohin, “Sur l’emploi”; Albouy, ed., Introduction and notes, Œuvres poétiques; Bénichou, Mages, 1325–1467; Léon Cellier, “Introduction” and “Notes,” Les Contemplations (Paris: Garnier, 1969): i–xxxvii, 773–95; and Porter, Victor Hugo, 95–97.

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anankè carries a wide variety of meanings, as seen in these definitions from the 1830 Greek-French dictionary page that Hugo requested while writing NotreDame de Paris: “nécessité; contrainte; loi fatale, obligation impérieuse; destin; mort; calamité: qqfois raison convaincante, argument décisif et sans réplique: qqfois surtt au pl. [surtout au pluriel] supplice, torture; qqfois relation intime, liaison, parenté.”9 For Hugo, anankè is centered primarily in the objects and natural laws that form the universe; but it also exists in man-made laws and doctrines, and can control humans: Nous rampons, oiseaux pris sous le filet de l’être; Libres et prisonniers, l’immuable pénètre         Toutes nos volontés; Captifs sous le réseau des choses nécessaires Nous sentons se lier des fils à nos misères         Dans les immensités. (“Pleurs dans la nuit”)

People are prisoners and free at the same time; Hugo notes the antithetical quality of the infinite, of God, in this letter to the critic Durandeau, who had written about the fatality associated with Hugo’s eponymous hero Hernani: La nécessité et la liberté sont les deux quantités de l’infini: quantités illimitées comme l’infini lui-même; la nécessité est visible dans l’univers, la liberté est visible dans l’homme. Toutes les fois que la nécessité empiète sur la liberté et l’opprime, elle s’appelle fatalité. Le poète dénonce cet abus de l’inconnu. C’est ce que j’ai fait dans NotreDame de Paris, dans les Misérables, dans les Travailleurs de la mer. Au nom de qui cette dénonciation? Au nom de la liberté. Anankè! Voilà ce que combattent Claude Frollo, Jean Valjean et Gilliatt. (1867; CFL XIII, 866–67)

In his preface to Les Travailleurs de la mer, Hugo was almost as explicit: Un triple anankè pèse sur nous, l’anankè des dogmes, l’anankè des lois, l’anankè des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l’auteur a dénoncé le premier; dans Les Misérables, il a signalé le second; dans ce livre, il indique le troisième.

9. From the reliquat cited by Jacques Seebacher, ed., Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (Paris: Gallimard/Pléiade, 1975): 527, cote 133/7.

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À ces trois fatalités qui enveloppent l’homme se mêle la fatalité intérieure, l’anankè suprême, le cœur humain. (Laffont, Roman III, 45)

Hugo at times describes the world as driven by a set of those inherent fatalistic laws, but he sees people as inherently free: “Ce qui est certain, —et quelle espérance qu’une telle certitude!— ce qui est certain, c’est qu’un phénomène grandiose, la liberté, commence dans l’homme sur la terre” (Préface de mes œuvres, Laffont, Critique, 709). As a result, he frequently writes about conflicts between people’s freedom and the outcomes rendered necessary by the very nature of the world and things in the world. In the unfinished La Fin de Satan, for instance, Hugo’s symbolism is clear as he connects fatality and anankè with darkness in the person of Satan’s daughter Lilith-Isis. Here, Lilith taunts the Angel Liberty, whom, Hugo explains, God created from a white feather that Satan left behind in his fall from grace: — «Je suis Lilith-Isis, l’âme noire du monde. «Tremble! L’être inconnu, funeste, illimité, «Que l’homme en frémissant nomme Fatalité, «C’est moi. Tremble! Anankè, c’est moi. Tremble! Le voile, «C’est moi. Je suis la brume et tu n’es que l’étoile;… » (“Hors de la terre III, [II] L’Ange Liberté,” 6) (Laffont Poésie IV, 142)

Consistent with Hugo’s imagery of light and dark—and his optimistic hopes for the future—Liberty’s star-like brightness in the end triumphs over the satanic, fatalistic, shadowy Lilith-Isis. Similarly, although many of Hugo’s protagonists seem to march toward death with an inexorable fatalism, they actually exert their free will. Their humanity (sometimes with the aid of providence, God’s sage governing of the universe) often prevails over anankè. Jean Valjean ultimately succeeds as he follows his conscience rather than laws. Gilliatt overcomes monstrous oceanic obstacles. In this chapter’s Notre-Dame de Paris excerpt, Frollo makes a conscious choice to bow to fate. So, although some critics see his work as fatalistic, Hugo disputes that label: On a voulu voir dans Anankè toute une profession de foi, et l’on a déclaré que l’auteur de Notre-Dame de Paris, des Misérables et des Travailleurs de la mer était fataliste. Il est le contraire. Il pense, quant à lui, que la série de ses œuvres est une série d’affirmations de l’Âme. À cette série il ajoute aujourd’hui ce livre.

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Contre la Fatalité l’homme a deux armes: la conscience et la liberté; la conscience qui lui indique le devoir, la liberté qui lui signale le droit. (Preface notes for L’Homme qui rit; CFL XIV, 387–88)

In arguing for the power of the human conscience and the inherent right to liberty, Hugo emphasizes how the human soul connects to God. People may be confronted by the necessity of laws and nature, but they can and should follow their conscience and exert their free will.10 Hugo insists on God’s essential unknowability and the importance of accepting that mystery while he concurrently and paradoxically seeks understanding through his poet’s intuitions. But it is, in fact, Hugo’s willingness and ability to juxtapose these apparent contradictions that provoke readers to ponder the eternal question of God. Despite the lack of clarity from “on high,” Hugo maintains his belief in human souls and resolutely recognizes God’s infinity: “Ce qui manque aux religions, c’est la religion. L’illimité est toute la religion” (Préface de mes œuvres; Laffont, Critique, 700). Hugo most often portrayed God as light and love; he wrote, for instance, to abolitionist Victor Schoelcher, “Croire à la vertu, à la liberté, au progrès, à la lumière, c’est croire à Dieu. Dieu, c’est la concrétion vivante de cette clarté sublime qui est votre âme même” (1862; CFL X, 1663). In concluding L’Art d’être grand-père with poems that he hoped his young grandchildren would understand when adults, Hugo proclaimed in “L’Âme à la poursuite du vrai” his tenacious quest to understand God. In this, the penultimate stanza, light and love overcome the antithetical symbols of darkness, shadow, and abyss: Car il faut qu’enfin on rencontre L’indestructible vérité, Et qu’un front de splendeur se montre Sous ces masques d’obscurité; La nuit tâche, en sa noire envie, D’étouffer le germe de vie, De toute-puissance et de jour, Mais moi, le croyant de l’aurore, 10. Other Hugo works in which anankè or fate figures largely include, for example, Hernani; Marion de Lorme; Les Burgraves; “À Olympio,” Les Voix intérieures XXX; “Lueur au couchant,” Les Contemplations V, xvi; “L’Échafaud,” Les Quatre Vents de l’esprit XVII. For literary analyses, see, for instance, Seebacher and Ubersfeld, Hugo le fabuleux; Albouy, Création, 263–70; Josette Acher, “L’Anankè des lois,” in Ubersfeld and Rosa, ed., Lire: 151–71; Yves Gohin, “Présentation,” Laffont, Roman III, i–v; and Bénichou, Mages, 1325–26.

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Je forcerai bien Dieu d’éclore À force de joie et d’amour! Hugo’s appreciation of God’s limitlessness, his fascination with God’s eternal mystery, and his poetic perception of God in nature and in human souls parallel in some ways the Yogic tradition of directly experiencing God through meditation. For propounding the poet’s direct connection to God, without the intervention of established religion or ordained priests, Hugo was accused of being irreligious, even atheistic. You can judge for yourself from his works in this chapter (see, especially, “Relligio” ), as well as from the codicil to his will, written less than two years before his death: “Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu” (1883; CFL XV-XVI/2, 963).

Extase, Les Orientales XXXVII (1829) [Already, in this relatively early poem, Hugo evokes the vastness and unimagin­ able scope of God in nature with images of unending ocean waves and infinite legions of stars. As in “Parfois, lorsque tout dort, . . .” (in chapter 4), probably written during the same month, the poet is in direct connection with the divine. It is interesting that—in this collection of poems situated primarily in the Islamic Middle East—Hugo’s epigraph drawn from Revelation 12:10 and 21:3 implicitly links Christian New Testament prophecies about God’s kingdom with nature. For Hugo, the sort of rêverie, or contemplation, expressed in this poem is key to the poet’s genius and to his perception of God.] Et j’entendis une grand voix. Apocalypse.

J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles. Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles. Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel. Et les bois, et les monts, et toute la nature, Semblaient interroger dans un confus murmure     Les flots des mers, les feux du ciel. Et les étoiles d’or, légions infinies, À voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,

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Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu; Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n’arrête, Disaient en recourbant l’écume de leur crête:     — C’est le Seigneur, le Seigneur Dieu!

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Novembre 1828. [25 novembre 1828.]

“Les Deux Hommes vêtus de noir” (excerpt), Notre-Dame de Paris VII, v (1831) [Anankè is a major theme of Notre-Dame de Paris. In the preface, the author purports to have found the word written in Greek letters in a dark corner of one of the Notre-Dame cathedral towers. And in the chapter preceding the one excerpted here, priest Claude Frollo has acknowledged his fatal, lustful attraction to the beautiful Bohemian gypsy dancer Esmeralda, engraving æANAvGKH on the wall (see the chapter 1 excerpt to read about Frollo’s obsession). In the scene here, Jacques Charmolue, the king’s chief prosecutor, has just described to Frollo the current trial and horrific torture of an accused magician. Archdeacon of the cathedral, Frollo is also a talented alchemist. As such, he seeks not only to turn base metals into gold but also to discover through science man’s relationship to the universe and use that understanding for his own benefit. Despite his official prosecutorial power, Charmolue is Frollo’s disciple in alchemy. Thus the priest actually holds Esmeralda’s fate in his hands when Charmolue asks Frollo about arresting, torturing, and executing the gypsy for her apparent magical powers: “Quant à la petite, —Smeralda, comme ils l’appellent,— j’attendrai vos ordres.” Charmolue’s questions about how to prosecute Esmeralda provoke Frollo’s despairing soliloquy on fate, in which he confounds in his mind the trapped fly and the gypsy dancer. At the same time, he sees himself as both the spider and the entrapped fly in search of enlightenment; the light he seeks is Esmeralda, or knowledge of God, or both.] —Hé! maître, à quoi pensez-vous donc? Dom Claude, abîmé en lui-même, ne l’écoutait plus. Charmolue, en suivant la direction de son regard, vit qu’il s’était fixé machinalement à la grande toile d’araignée qui tapissait la lucarne. En ce moment, une mouche étourdie, qui cherchait le soleil de mars, vint se jeter à travers ce filet et s’y englua. À l’ébranlement de sa toile, l’énorme araignée fit un mouvement brusque hors de sa cellule centrale, puis d’un bond, elle se précipita sur

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la mouche, qu’elle plia en deux avec ses antennes de devant, tandis que sa trompe hideuse lui fouillait la tête. — Pauvre mouche! dit le procureur du roi en cour d’église, et il leva la main pour la sauver. L’archidiacre, comme réveillé en sursaut, lui retint le bras avec une violence convulsive. —Maître Jacques, cria-t-il, laissez faire la fatalité. Le procureur se retourna effaré; il lui semblait qu’une pince de fer lui avait pris le bras. L’œil du prêtre était fixe, hagard, flamboyant, et restait attaché au petit groupe horrible de la mouche et de l’araignée. —Oh! oui, continua le prêtre avec une voix qu’on eût dit venir de ses entrailles; voilà un symbole de tout. Elle vole, elle est joyeuse, elle vient de naître; elle cherche le printemps, le grand air, la liberté; oh! oui, mais qu’elle se heurte à la rosace fatale, l’araignée en sort, l’araignée hideuse! Pauvre danseuse! pauvre mouche prédestinée! Maître Jacques, laissez faire! c’est la fatalité! — Hélas! Claude, tu es l’araignée. Claude, tu es la mouche aussi! — Tu volais à la science, à la lumière, au soleil, tu n’avais souci que d’arriver au grand air, au grand jour de la vérité éternelle; mais en te précipitant vers la lucarne éblouissante qui donne sur l’autre monde, sur le monde de la clarté, de l’intelligence et de la science, mouche aveugle, docteur insensé, tu n’as pas vu cette subtile toile d’araignée tendue par le destin entre la lumière et toi, tu t’y es jeté à corps perdu, misérable fou, et maintenant tu te débats, la tête brisée et les ailes arrachées, entre les antennes de fer de la fatalité! —Maître Jacques! maître Jacques! laissez faire l’araignée! —Je vous assure, dit Charmolue qui le regardait sans comprendre, que je n’y toucherai pas. Mais lâchez-moi le bras, maître, de grâce! vous avez une main de tenaille. L’archidiacre ne l’entendait pas. —Oh! insensé! reprit-il sans quitter la lucarne des yeux. Et quand tu l’aurais pu rompre, cette toile redoutable, avec tes ailes de moucheron, tu crois que tu aurais pu atteindre à la lumière! Hélas! cette vitre qui est plus loin, cet obstacle transparent, cette muraille de cristal plus dur que l’airain, qui sépare toutes les philosophies de la vérité, comment l’aurais-tu franchie? Ô vanité de la science! que de sages viennent de bien loin en voletant s’y briser le front! Que de systèmes pêle-mêle se heurtent en bourdonnant à cette vitre éternelle! Il se tut. Ces dernières idées, qui l’avaient insensiblement ramené de lui-même à la science, paraissaient l’avoir calmé. Jacques Charmolue le fit tout-à-fait revenir au sentiment de la réalité, en lui adressant cette question. —Or ça, mon maître, quand viendrez-vous m’aider à faire de l’or? il me tarde de réussir.

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Espoir en Dieu, Les Chants du crépuscule XXX (1835) [This simple poem addressed to Juliette Drouet expresses traditional views about God’s beneficence and capacity for forgiveness, views that Hugo sometimes wrote in his letters to Juliette. His belief in the value of prayer, as well as his hope for progress, did not diminish.] Espère, enfant! demain! et puis demain encore! Et puis toujours demain! croyons dans l’avenir. Espère! et chaque fois que se lève l’aurore, Soyons là pour prier comme Dieu pour bénir! Nos fautes, mon pauvre ange, ont causé nos souffrances. Peut-être qu’en restant bien long-temps à genoux, Quand il aura béni toutes les innocences, Puis tous les repentirs, Dieu finira par nous!

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Octobre 18… [7 octobre 1834]

Planète [Undated and unsigned, this brown-ink wash with soft black crayon or lithography is similar to several others that Hugo created between 1853 and 1855 (during the period of séances). The planet floats in an alternately somber and bright sky; Hugo pondered the theme of souls’ punishment and atonement of sins on other planets, as they travel higher in the sky throughout eternity. This concept, along with that of metempsychosis, interested Hugo over a forty-year period, beginning in 1839, when he wrote “Saturne”: “Saturne! sphère énorme! astre aux aspects funèbres! / Bagne du ciel! prison dont le soupirail luit!” Fifteen years later, he returned to the vision of planets as purgatorial places in “Explication,” which is in the third book of Les Contemplations along with “Saturne”: Ô globes sans rayons et presque sans aurores! Énorme Jupiter fouetté de météores, Mars qui semble de loin la bouche d’un volcan, Ô nocturne Uranus! ô Saturne au carcan! Châtiments inconnus! rédemptions! mystères!11 ] 11. Picon & Bargiel, Victor Hugo: Dessins, #264, p. 268; Albouy, ed., Les Contemplations, 466–67, n. 1 for “Saturne.”

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 16. Planète, BnF / Manuscrits occidentaux, NAF 13355, FOL. 106.

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Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre . . . , Les Contemplations VI, iii (1856) [This poem and the next two appear in the final book of Les Contemplations, the visionary “Au bord de l’infini,” which Hugo wrote almost entirely in exile. Here he not only argues that poets are seers; he also shows how grief, questions about life and death, and attention to the natural world give the poet a specific sense of God, thus enabling him to bridge this world and the next, the au-delà. The spectre in this poem is redolent of the famous bouche d’ombre (Les Contemplations VI, xxvi), which also communicated with the poet at the Rozel dolmen, a megalithic monument of twenty-three granite blocks near Rozel Bay on Jersey’s northeast coast. Always attentive to the structure of his works, Hugo placed this rather despairing poem immediately after “Ibo” (included in chapter 8). Thus this acknowledgment of the importance of doing good in the face of death’s inevitability appears after the poet’s confident prediction of his own triumph over the obscurity of the universe.] Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre, Et m’a dit:       —Le muet habite dans le sombre. L’infini rêve, avec un visage irrité. L’homme parle et dispute avec l’obscurité, Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche. Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche. Sais-tu pourquoi tu vis? sais-tu pourquoi tu meurs? Les vivants orageux passent dans les rumeurs, Chiffres tumultueux, flots de l’océan Nombre. Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans de l’ombre; L’homme est à peine né, qu’il est déjà passé, Et c’est avoir fini que d’avoir commencé. Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes, La fosse obscure attend l’homme, lèvres ouvertes. La mort est le baiser de la bouche tombeau. Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau D’une bonne action dans cette nuit qui gronde; Ce sera ton linceul dans la terre profonde. Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendront plus Qu’à l’heure de l’immense et lugubre reflux;

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Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre; Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif lit son livre. L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli. L’espace sait, regarde, écoute. Il est rempli D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans les ténèbres. Les morts ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres; Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux. Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux?

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Au dolmen de Rozel, avril 1853.

Éclaircie, Les Contemplations VI, x (1856) [Appearing just six poems after “Un spectre m’attendait . . . ,” “Éclaircie” offers an exquisite vision of the peace and calm of God and nature in harmony at the end of the day. Hence, this poem contrasts just as sharply with the poet’s triumphant confrontation of God’s mysteries in “Ibo” and his despair in “Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre . . .” . Since Les Contemplations Book VI presents a compendium of such conflicting perspectives, reading all the poems in sequence shows how Hugo explores the complexities of God.] L’Océan resplendit sous sa vaste nuée. L’onde, de son combat sans fin exténuée, S’assoupit, et, laissant l’écueil se reposer, Fait de toute la rive un immense baiser. On dirait qu’en tous lieux, en même temps, la vie Dissout le mal, le deuil, l’hiver, la nuit, l’envie, Et que le mort couché dit au vivant debout: Aime! et qu’une âme obscure, épanouie en tout, Avance doucement sa bouche vers nos lèvres. L’être, éteignant dans l’ombre et l’extase ses fièvres, Ouvrant ses flancs, ses seins, ses yeux, ses cœurs épars, Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts La pénétration de la sève sacrée. La grande paix d’en haut vient comme une marée. Le brin d’herbe palpite aux fentes du pavé; Et l’âme a chaud. On sent que le nid est couvé. L’infini semble plein d’un frisson de feuillée. On croit être à cette heure où la terre éveillée

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Entend le bruit que fait l’ouverture du jour, Le premier pas du vent, du travail, de l’amour, De l’homme, et le verrou de la porte sonore, Et le hennissement du blanc cheval aurore. Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit, Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit; L’air joue avec la mouche et l’écume avec l’aigle; Le grave laboureur fait ses sillons et règle La page où s’écrira le poème des blés; Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés; L’horizon semble un rêve éblouissant où nage L’écaille de la mer, la plume du nuage, Car l’Océan est hydre et le nuage oiseau. Une lueur, rayon vague, part du berceau Qu’une femme balance au seuil d’une chaumière, Dore les champs, les fleurs, l’onde et devient lumière En touchant un tombeau qui dort près du clocher. Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher L’ombre, et la baise au front sous l’eau sombre et hagarde. Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.

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Marine-Terrace, juillet 1855.

Relligio, Les Contemplations VI, xx (1856) [The title of this poem is essentially ambiguous. Although it seems to mean “religion,” the Latin noun relligio (also spelled religio) may, depending on context, variously connote scrupulousness, superstition, sanctity, violated sanctity (taint, pollution), sense of obligation, cult-observance, or relating to a deity. In “Relligio,” one of Hugo’s poetic alter egos, Hermann, interrogates the poet about his religious belief. Hermann dates from Hugo’s “Germanic period” in the 1840s; he appears in a similarly provocative role in “À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt” (for details, see CFL IX, 234–35, n. 1). Here, his questions to the poet about Catholic rituals such as the Eucharist and the ciborium (which holds the Eucharist during services) provoke the poet to articulate his belief about the presence of God in all nature. Hugo’s belief in the superiority of direct faith in God over faith funneled through religion dates from at least 1840, when he wrote a note very similar in theme to “Relligio”: “Moi, je vois Dieu à l’œil nu. Distinctement. Je laisse

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le dogme, la pratique et le symbole aux intelligences basses. La lunette est précieuse, l’œil est plus précieux encore. La foi à travers le dogme est bonne; la foi immédiate est meilleure. J’aime et je respecte la messe du dimanche à ma paroisse. J’y vais rarement, dis-tu. C’est que j’assiste sans cesse, religieux, rêveur et attentif, à cette autre messe éternelle que Dieu célèbre nuit et jour pour l’homme, dans la nature, sa grande église.”12 ] L’ombre venait; le soir tombait, calme et terrible. Hermann me dit: — Quelle est ta foi, quelle est ta bible? Parle. Es-tu ton propre géant? Si tes vers ne sont pas de vains flocons d’écume, Si ta strophe n’est pas un tison noir qui fume Sur le tas de cendre Néant, Si tu n’es pas une âme en l’abîme engloutie, Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie? Quelle est donc la source où tu bois? — Je me taisais; il dit: — Songeur qui civilises, Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises? — Nous marchions tous deux dans les bois. Et je lui dis: — Je prie. — Hermann dit: — Dans quel temple! Quel est le célébrant que ton âme contemple, Et l’autel qu’elle réfléchit? Devant quel confesseur la fais-tu comparaître? — L’église, c’est l’azur, lui dis-je; et quant au prêtre… — En ce moment le ciel blanchit. La lune à l’horizon montait, hostie énorme; Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l’orme, Le loup, et l’aigle, et l’alcyon; Lui montrant l’astre d’or sur la terre obscurcie, Je lui dis: — Courbe-toi. Dieu lui-même officie, Et voici l’élévation.13

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Marine-Terrace, octobre 1855. [10 octobre 1854.]

12. Cited by Albouy, ed., Contemplations, 495, n. 1 for p. 359. 13. L’élévation is the moment in the Catholic mass when the priest lifts up the host (la hostie), the bread consecrated in the Eucharist.

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Booz endormi, La Légende des siècles, Première série II, vi (1859) [Probably the most beautiful and admired of Hugo’s biblical story retellings, “Booz endormi” describes a universe replete with the spirit of God. Inspired by the Old Testament Book of Ruth, the poem recounts from Boaz’s point of view how the young Moabite widow marries the elderly, generous Israelite patriarch Boaz. Ruth, Boaz’s distant relative, had worked in his fields as a gleaner (glaneuse), salvaging grain left by the reapers. Together they began the genealogical tree (un chêne in the poem) that culminates in David, King of Israel. A prophet in Islam, David is seen in some Christian traditions as the ancestor of Jesus Christ. Not only are Boaz and Ruth admirable characters, but the sounds and images of Hugo’s verse give the story remarkable power and presence. Hugo often altered spelling of proper nouns to heighten their poetic value; read the poem aloud and listen to the poetry of such place names as “Galgala,” “Ur,” and “Jérimadeth.”] Booz s’était couché de fatigue accablé; Il avait tout le jour travaillé dans son aire; Puis avait fait son lit à sa place ordinaire; Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.14 Ce vieillard possédait des champs de blés et d’orge; Il était, quoique riche, à la justice enclin; Il n’avait pas de fange en l’eau de son moulin; Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge. Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril. Sa gerbe n’était point avare ni haineuse; Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse; «Laissez tomber exprès des épis,» disait-il. Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques, Vêtu de probité candide et de lin blanc; Et, toujours du côté des pauvres ruisselant, Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

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Booz était bon maître et fidèle parent; Il était généreux, quoiqu’il fût économe; 14. Although he owns the fields, Boaz has spent the day working on the threshing floor (aire) and falls asleep amid the bushels (boisseaux) of grain.

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Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme, Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

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Le vieillard, qui revient vers la source première, Entre aux jours éternels et sort des jours changeants; Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.            * Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens. Près des meules, qu’on eût prises pour des décombres, Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres; Et ceci se passait dans des temps très-anciens. Les tribus d’Israël avaient pour chef un juge; La terre, où l’homme errait sous la tente, inquiet Des empreintes de pieds de géants qu’il voyait, Était encor mouillée et molle du déluge.15

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           * Comme dormait Jacob, comme dormait Judith, Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée; Or, la porte du ciel s’étant entre-bâillée Au-dessus de sa tête, un songe en descendit. Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu; Une race y montait comme une longue chaîne; Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.

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Et Booz murmurait avec la voix de l’âme: «Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt? Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt, Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.

15. Hugo intermingles various biblical times, noting first that these events happened in the very ancient times when judges ruled Israel and when Noah’s ark survived the flood. Jacob (in the following stanza) is also an ancient ancestor of the Jews; the story of Judith comes from later times, after Moses.

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«Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi, Ô Seigneur! a quitté ma couche pour la vôtre; Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre, Elle à demi vivante et moi mort à demi. «Une race naîtrait de moi! Comment le croire? Comment se pourrait-il que j’eusse des enfants? Quand on est jeune, on a des matins triomphants; Le jour sort de la nuit comme d’une victoire; «Mais, vieux, on tremble ainsi qu’à l’hiver le bouleau; Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe, Et je courbe, ô mon Dieu! mon âme vers la tombe, Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l’eau.» Ainsi parlait Booz dans le rêve et l’extase, Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés; Le cèdre ne sent pas une rose à sa base; Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

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           * Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite, S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu, Espérant on ne sait quel rayon inconnu, Quand viendrait du réveil la lumière subite. Booz ne savait point qu’une femme était là, Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle. Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.16 L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle; Les anges y volaient sans doute obscurément, Car on voyait passer dans la nuit, par moment, Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

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16. Asphodel is a Mediterranean star-like flower that blooms in clusters, often used poetically to refer to an immortal flower growing in Elysium, or the Elysian Fields, a section of the Greek mythological underworld that was the final resting place of the souls of the heroic and the virtuous. Galgala, like Gilgal and Golgol in English, is a biblical place name that here most likely refers to hills around Bethlehem.

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La respiration de Booz qui dormait, Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse. On était dans le mois où la nature est douce, Les collines ayant des lys sur leur sommet. Ruth songeait et Booz dormait; l’herbe était noire; Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement; Une immense bonté tombait du firmament; C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.

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Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre; Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre Brillait à l’occident, et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été, Avait, en s’en allant, négligemment jeté Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

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“Sub umbra,”Les Travailleurs de la mer II, 2, v (1866) [At this point in the novel, Gilliatt has been for months in solitude at work to save the steamship Durande—balanced precariously on a treacherous reef—surrounded by the ocean and sky, day and night, birds and sea creatures. He has lost weight; his clothes are little more than rags; he has no drinking water and practically no food left. In the preceding chapter, “Sub re” (Latin for “Under the Thing” or “Under the Matter”), Hugo summarizes the physical challenges (the anankè of things) that Gilliatt has faced and surmounted through sheer willpower. Gilliatt is, Hugo says, a biblical Job who continues to fight, a Job Prométhée, who confronts the plagues attacking Job with the mythological hero Prometheus’s tenacity in the face of all odds. In this chapter, “Under the Shadow,” Hugo contemplates the mysteries of the universe and, in so doing, underlines the value of reflection. You will find here examples of Hugo’s antithetical visions, clear statements about his belief in the power of the unknown and unknowable, his conception of evil, and his abiding belief in the immanence of God and the necessity of faith in response to the amazing coherence of the universe.17 ] 17. For a thorough analysis of this chapter, see Gohin, ed., Travailleurs, 1543–45, n. 1.

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Parfois, la nuit, Gilliatt ouvrait les yeux et regardait l’ombre. Il se sentait étrangement ému. L’œil ouvert sur le noir. Situation lugubre; anxiété. La pression de l’ombre existe. Un indicible plafond de ténèbres; une haute obscurité sans plongeur possible; de la lumière mêlée à cette obscurité, on ne sait quelle lumière vaincue et sombre; de la clarté mise en poudre; est-ce une semence? est-ce une cendre? des millions de flambeaux, nul éclairage; une vaste ignition qui ne dit pas son secret, une diffusion de feu en poussière qui semble une volée d’étincelles arrêtée, le désordre du tourbillon et l’immobilité du sépulcre, le problème offrant une ouverture de précipice, l’énigme montrant et cachant sa face, l’infini masqué de noirceur, voilà la nuit. Cette superposition pèse à l’homme. Cet amalgame de tous les mystères à la fois, du mystère cosmique comme du mystère fatal, accable la tête humaine. La pression de l’ombre agit en sens inverse sur les différentes espèces d’âmes. L’homme devant la nuit se reconnaît incomplet. Il voit l’obscurité et sent l’infirmité. Le ciel noir, c’est l’homme aveugle. L’homme, face à face avec la nuit, s’abat, s’agenouille, se prosterne, se couche à plat ventre, rampe vers un trou, ou se cherche des ailes. Presque toujours il veut fuir cette présence informe de l’Inconnu. Il se demande ce que c’est; il tremble, il se courbe, il ignore; parfois aussi il veut y aller. Aller où? Là. Là? Qu’est-ce? et qu’y a-t-il? Cette curiosité est évidemment celle des choses défendues, car de ce côté tous les ponts autour de l’homme sont rompus. L’arche de l’infini manque. Mais le défendu attire, étant gouffre. Où le pied ne va pas, le regard peut atteindre; où le regard s’arrête, l’esprit peut continuer. Pas d’homme qui n’essaye, si faible et si insuffisant qu’il soit. L’homme, selon sa nature, est en quête ou en arrêt devant la nuit. Pour les uns, c’est un refoulement; pour les autres, c’est une dilatation. Le spectacle est sombre. L’indéfinissable y est mêlé. La nuit est-elle sereine? C’est un fond d’ombre. Est-elle orageuse? C’est un fond de fumée. L’illimité se refuse et s’offre à la fois, fermé à l’expérimentation, ouvert à la conjecture. D’innombrables piqûres de lumière rendent plus noire l’obscurité sans fond. Escarboucles, scintillations, ­astres. Présences constatées dans l’Ignoré; défis effrayants d’aller toucher à ces

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clartés. Ce sont des jalons de création dans l’absolu; ce sont des marques de distance là où il n’y a plus de distance; c’est on ne sait quel numérotage impossible, et réel pourtant, de l’étiage des profondeurs. Un point microscopique qui brille, puis un autre, puis un autre, puis un autre; c’est l’imperceptible, c’est l’énorme. Cette lumière est un foyer, ce foyer est une étoile, cette étoile est un soleil, ce soleil est un univers, cet univers n’est rien. Tout nombre est zéro devant l’infini. Ces univers, qui ne sont rien, existent. En les constatant, on sent la différence qui sépare n’être rien de n’être pas. L’inaccessible ajouté à l’inexplicable, tel est le ciel. De cette contemplation se dégage un phénomène sublime: le grandisse­ ment de l’âme par la stupeur. L’effroi sacré est propre à l’homme; la bête ignore cette crainte. L’intelligence trouve dans cette terreur auguste son éclipse et sa preuve. L’ombre est une; de là l’horreur. En même temps elle est complexe; de là l’épouvante. Son unité fait masse sur notre esprit, et ôte l’envie de résister. Sa complexité fait qu’on regarde de tous côtés autour de soi; il semble qu’on ait à craindre de brusques arrivées. On se rend, et on se garde. On est en présence de Tout, d’où la soumission, et de Plusieurs, d’où la défiance. L’unité de l’ombre contient un multiple. Multiple mystérieux, visible dans la matière, sensible dans la pensée. Cela fait silence, raison de plus d’être au guet. La nuit, — celui qui écrit ceci l’a dit ailleurs, — c’est l’état propre et normal de la création spéciale dont nous faisons partie. Le jour, bref dans la durée comme dans l’espace, n’est qu’une proximité d’étoile. Le prodige nocturne universel ne s’accomplit pas sans frottements, et tous les frottements d’une telle machine sont des contusions à la vie. Les frottements de la machine, c’est là ce que nous nommons le Mal. Nous sentons dans cette obscurité le mal, démenti latent à l’ordre divin, blasphème implicite du fait rebelle à l’idéal. Le mal complique d’on ne sait quelle tératologie à mille têtes le vaste ensemble cosmique. Le mal est présent à tout pour protester. Il est ouragan, et il tourmente la marche d’un navire, il est chaos, et il entrave l’éclosion d’un monde. Le Bien a l’unité, le Mal a l’ubiquité. Le mal déconcerte la vie, qui est une logique. Il fait dévorer la mouche par l’oiseau et la planète par la comète. Le mal est une rature à la création. L’obscurité nocturne est pleine d’un vertige. Qui l’approfondit s’y submerge et s’y débat. Pas de fatigue comparable à cet examen des ténèbres. C’est l’étude d’un effacement.

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Aucun lieu définitif où poser l’esprit. Des points de départ sans point d’arrivée. L’entre-croisement des solutions contradictoires, tous les embranchements du doute s’offrant en même temps, la ramification des phénomènes s’exfoliant sans limite sous une poussée indéfinie, toutes les lois se versant l’une dans l’autre, une promiscuité insondable qui fait que la minéralisation végète, que la végétation vit, que la pensée pèse, que l’amour rayonne et que la gravitation aime; l’immense front d’attaque de toutes les questions se développant dans l’obscurité sans bornes; l’entrevu ébauchant l’ignoré; la simultanéité cosmique en pleine apparition, non pour le regard mais pour l’intelligence, dans le grand espace indistinct; l’invisible devenu vision. C’est l’Ombre. L’homme est là-dessous. Il ne connaît pas le détail, mais il porte, en quantité proportionnée à son esprit, le poids monstrueux de l’ensemble. Cette obsession poussait les pâtres chaldéens à l’astronomie. Des révélations involontaires sortent des pores de la création; une exsudation de science se fait en quelque sorte d’elle-même, et gagne l’ignorant. Tout solitaire, sous cette imprégnation mystérieuse, devient, souvent sans en avoir conscience, un philosophe naturel. L’obscurité est indivisible. Elle est habitée. Habitée sans déplacement par l’absolu; habitée aussi avec déplacement. On s’y meut, chose inquiétante. Une formation sacrée y accomplit ses phases. Des préméditations, des puissances, des destinations voulues, y élaborent en commun une œuvre démesurée. Une vie terrible et horrible est là dedans. Il y a de vastes évolutions d’astres, la famille stellaire, la famille planétaire, le pollen zodi­ acal, le Quid divinum18 des courants, des effluves, des polarisations et des attractions; il y a l’embrassement et l’antagonisme, un magnifique flux et reflux d’antithèse universelle, l’impondérable en liberté au milieu des centres; il y a la sève dans les globes, la lumière hors des globes, l’atome errant, le germe épars, des courbes de fécondation, des rencontres d’accouplement et de combat, des profusions inouïes, des distances qui ressemblent à des rêves, des circulations vertigineuses, des enfoncements de mondes dans l’incalculable, des prodiges s’entre-poursuivant dans les ténèbres, un mécanisme une fois pour toutes, des souffles de sphères en fuite, des roues qu’on sent tourner; le savant conjecture, l’ignorant consent et tremble; cela est et se dérobe; c’est inexpugnable, c’est hors de portée, c’est hors d’approche. On est convaincu jusqu’à l’oppression. On a sur soi 18. Quid divinum is Latin for “something divine.”

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on ne sait quelle évidence noire. On ne peut rien saisir. On est écrasé par l’impalpable. Partout l’incompréhensible; nulle part l’inintelligible. Et à tout cela ajoutez la question redoutable: cette Immanence est-elle un Être? On est sous l’ombre. On regarde. On écoute. Cependant la sombre terre marche et roule; les fleurs ont conscience de ce mouvement énorme; la silène s’ouvre à onze heures du soir et l’émérocale à cinq heures du matin. Régularités saisissantes. Dans d’autres profondeurs, la goutte d’eau se fait monde, l’infusoire pullule, la fécondité géante sort de l’animalcule, l’imperceptible étale sa grandeur, le sens inverse de l’immensité se manifeste; une diatomée en une heure produit treize cent millions de diatomées. Quelle proposition de toutes les énigmes à la fois! L’irréductible est là. On est contraint à la foi. Croire de force, tel est le résultat. Mais avoir foi ne suffit pas pour être tranquille. La foi a on ne sait quel bizarre besoin de forme. De là les religions. Rien n’est accablant comme une croyance sans contour. Quoi qu’on pense et quoi qu’on veuille, quelque résistance qu’on ait en soi, regarder l’ombre, ce n’est pas regarder, c’est contempler. Que faire de ces phénomènes! Comment se mouvoir sous leur convergence! Décomposer cette pression est impossible. Quelle rêverie ajuster à tous ces aboutissants mystérieux? Que de révélations abstruses, simultanées, balbutiantes, s’obscurcissant par leur foule même, sortes de bégayements du verbe! L’ombre est un silence; mais ce silence dit tout. Une résultante s’en dégage majestueusement: Dieu. Dieu, c’est la notion incompressible. Elle est dans l’homme. Les syllogismes, les querelles, les négations, les systèmes, les religions, passent dessus sans la diminuer. Cette notion, l’ombre tout entière l’affirme. Mais le trouble est sur tout le reste. Immanence formidable. L’inexprimable entente des forces se manifeste par le maintien de toute cette obscurité en équilibre. L’univers pend; rien ne tombe. Le déplacement incessant et démesuré s’opère sans accident et sans fracture. L’homme participe à ce mouvement de translation, et la quantité d’oscillation qu’il subit, il l’appelle la destinée. Où commence la destinée? Où finit la nature? Quelle différence y a-t-il entre un événement et une saison, entre un chagrin et une pluie, entre une vertu et une étoile? Une heure, n’est-ce pas une onde? Les engrenages en mouvement

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c­ ontinuent, sans répondre à l’homme, leur révolution impassible. Le ciel étoilé est une vision de roues, de balanciers et de contrepoids. C’est la contemplation suprême, doublée de la suprême méditation. C’est toute la réalité, plus toute l’abstraction. Rien au delà. On se sent pris. On est à la discrétion de cette ombre. Pas d’évasion possible. On se voit dans l’engrenage, on est partie intégrante d’un Tout ignoré, on sent l’inconnu qu’on a en soi fraterniser mystérieusement avec un inconnu qu’on a hors de soi. Ceci est l’annonce sublime de la mort. Quelle angoisse, et en même temps quel ravissement! Adhérer à l’infini, être amené par cette adhérence à s’attribuer à soi-même une immortalité nécessaire, qui sait? une éternité possible, sentir dans le prodigieux flot de ce déluge de vie universelle l’opiniâtreté insubmersible du moi! regarder les astres et dire: je suis une âme comme vous! regarder l’obscurité et dire: je suis un abîme comme toi! Ces énormités, c’est la Nuit. Tout cela, accru par la solitude, pesait sur Gilliatt. Le comprenait-il? Non. Le sentait-il? Oui. Gilliatt était un grand esprit trouble et un grand cœur sauvage.

Mes Fils, Chapter VI (excerpt) (1874) [Originally drafted as an introduction to his son Charles’s Hommes de l’exil and initially published separately, Hugo’s autobiographical essay Mes Fils not only describes Charles’s and François-Victor’s accomplishments but also mourns their deaths. Hugo makes clear at the beginning of chapter VI that he is neither complaining nor blaming God nor France for such tragedies as his sons’ deaths. On the contrary, he tells God, he sees the necessity of accepting God’s mystery. As in Religions et religion (1880), Hugo here distinguishes between religion as faith and the multitude of established religions.] Quant à vous, Dieu, que vous dire? Est-ce que vous n’êtes pas l’Ignoré? Que savons-nous sinon que vous êtes et que nous sommes? Est-ce que nous vous connaissons, ô mystère! Éternel Dieu, vous faites tourner sur ses gonds la porte de la tombe, et vous savez pourquoi. Nous faisons la fosse, et vous ce qui est au-delà. Au trou de la terre s’ajuste une ouverture dans le firmament. Vous vous servez du sépulcre comme nous du creuset, et, l’indivisible étant l’incorruptible, rien ne se perd, ni l’atome matériel, la molécule, dans le creuset, ni l’atome moral, le moi, dans le tombeau. Vous

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maniez la destinée humaine; vous abrégez la jeunesse, vous prolongez la vieillesse; vous avez vos raisons. Dans notre crépuscule, nous qui sommes le relatif, nous nous heurtons à tâtons à vous qui êtes absolu, et ce n’est pas sans meurtrissure que nous faisons la rencontre obscure de vos lois. Vous êtes calomnié vous aussi; les religions vous appellent jaloux, colère, vengeur; par moments elles plaident vos circonstances atténuantes; voilà ce que font les religions. La religion vous vénère. Aussi la religion a-t-elle pour ennemies les religions. Les religions croient l’absurde. La religion croit le vrai. Dans les pagodes, dans les mosquées, dans les synagogues, du haut des chaires et au nom des dogmes, on vous conseille, on vous exhorte, on vous interprète, on vous qualifie; les prêtres se font vos juges, les sages non. Les sages vous acceptent. Accepter Dieu, c’est là le suprême effort de la philosophie. Nos propres dimensions nous échappent à nous-mêmes. Vous les connaissez, vous; vous avez la mesure de tout et de tous. Les lois de percussion sont diverses. Tel homme est frappé plus souvent que les autres; il semble qu’il ne soit jamais perdu de vue par le destin. Vous savez pourquoi. Nous ne voyons que des raccourcis; vous seul connaissez les proportions véritables. Tout se retrouvera plus tard. Chaque chiffre aura son total. Vivre ne donne sur la terre pas d’autre droit que mourir, mais mourir donne tous les droits. Que l’homme fasse son devoir, Dieu fera le sien. Nous sommes à la fois vos débiteurs et vos créanciers; relation naturelle des fils au père. Nous savons que nous venons de vous; nous sentons confusément, mais sûrement, le point d’attache de l’homme à Dieu; de même que le rayon a conscience du soleil, notre immortalité a conscience de votre éternité. Elles se prouvent l’une par l’autre; cercle sublime. Vous êtes nécessairement juste puisque vous êtes; et que ni le mal ni la mort n’existent. Vous ne pouvez pas être autre chose que la bonté au haut de la vie et la clarté au fond du ciel. Nous ne pouvons pas plus vous nier que nous ne pouvons nier l’infini. Vous êtes l’illimité évident. La vie universelle, c’est vous, le ciel universel, c’est vous. Votre bonté est la chaleur de votre clarté; votre vérité est le rayon de votre amour. L’homme ne peut que bégayer à jamais un essai de vous comprendre. Il travaille, souffre, aime, pleure et espère à travers cela. Devant vous, abaisser nos fronts, c’est élever nos esprits. C’est là tout ce que nous avons à vous dire, ô Dieu.

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Âme! être, c’est aimer. . . . (excerpt), Dieu VIII (1891) [Originally drafted in 1855–56 as Book VI of Les Contemplations, Dieu remained unfinished, most likely because Hugo did not believe it possible to grasp the entire mystery of God. Although Hugo left notes about posthumous publication of this work, the order of Dieu segments and fragments remains the object of critical study. As presented in the Laffont edition (Poésie IV, 575–706), Dieu consists of two large parts: “Le Seuil du gouffre” and “L’Océan d’en haut.” In the first part, where most sections are entitled “Une Autre Voix,” Hugo explores multiple conceptions of God from a number of religious and historical traditions, asking, “Et d’abord, de quel Dieux veux-tu parler? Précise” (598). In each of the nine sections of “L’Océan d’en haut,” the poet begins with the same verse: “Et je vis au-dessus de ma tête un point noir.” He then hears various perspectives on God from such symbolic winged creatures as the nihilistic atheist bat, the skeptic owl, the pagan vulture, and the Christian griffon. In this excerpt from the penultimate section, the poet listens to la Lumière ailée, which René Journet understands to present Hugo’s belief in God: “La Lumière ailée (VIII) apporte un dépassement qui représente sans doute la vision personnelle du poète: c’est l’affirmation de l’existence absolue et immanente. Tout l’univers le perçoit et l’exprime, en tant qu’amour, à travers la matière rayonnante. La nuit n’est pas. Tout est clarté” (Laffont, Poésie IV, 1148). This brief excerpt offers a sense of the vastness and tone of Dieu as Hugo connects God—beyond any religious tradition—with love, light, goodness, clemency, and permanence.19 ] Âme! être, c’est aimer.            Il est.             *              C’est l’être extrême. Dieu, c’est le jour sans borne et sans fin qui dit: j’aime. Lui, l’incommensurable, il n’a point de compas; Il ne se venge pas, il ne pardonne pas; Son baiser éternel ignore la morsure; Et quand on dit: justice, on suppose mesure. Il n’est point juste; il est. Qui n’est que juste est peu. La justice, c’est vous, humanité; mais Dieu

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19. For more information on Dieu, see Laster, Pleins Feux, 171. On immanence for Hugo, see Gohin, “Sur l’emploi.”

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Est la bonté. Dieu, branche où tout oiseau se pose! Dieu, c’est la flamme aimante au fond de toute chose. Oh! tous sont appelés et tous seront élus. Père, il songe au méchant pour l’aimer un peu plus. Vivants, Dieu pénétrant en vous, chasse le vice. L’infini qui dans l’homme entre, y devient justice; La justice n’étant que le rapport secret De ce que l’homme fait à ce que Dieu ferait. Bonté, c’est la lueur qui dore tous les faîtes; Et, pour parler toujours, hommes, comme vous faites, Vous qui ne pouvez voir que la forme et le lieu, Justice est le profil de la face de Dieu. Vous voyez un côté, vous ne voyez pas l’autre. Le bon, c’est le martyr; le juste n’est qu’apôtre; Et votre infirmité, c’est que votre raison De l’horizon humain conclut l’autre horizon. Limités, vous prenez Dieu pour l’autre hémisphère. Mais lui, l’être absolu, qu’est-ce qu’il pourrait faire D’un rapport? L’innombrable est-il fait pour chiffrer? Non, tout dans sa bonté sombre vient s’engouffrer. On ne sait où l’on vole, on ne sait où l’on tombe, On nomme cela mort, néant, ténèbres, tombe, Et, sage, fou, riant, pleurant, tremblant, moqueur, On s’abîme éperdu dans cet immense cœur! Dans cet azur sans fond la clémence étoilée Elle-même s’efface, étant d’ombre mêlée! L’être pardonné garde un souvenir secret, Et n’ose aller trop haut; le pardon semblerait Reproche à la prière, et Dieu veut qu’elle approche; N’étant jamais tristesse, il n’est jamais reproche, Enfants; et maintenant, croyez si vous voulez! Devant le sacrifice et les cieux constellés, Devant l’aigle effaré, devant les forêts vertes, Devant les profondeurs dans tout être entr’ouvertes, Hommes, on peut nier, mais l’inconvénient C’est que l’esprit décroît et noircit en niant. L’être fait pour l’extase et la soif infinie

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Devient sarcasme, rire, ignorance, ironie; Il n’a plus rien de saint, il n’a plus rien de cher; Et sa tête de mort apparaît sous sa chair. Votre terre niant ne serait qu’une infâme, Et sa nuit grandirait; car retirer cette âme À l’univers, c’est faire un abîme au milieu. Oui, du centre de l’être insondable, ôte Dieu, Ôte l’Idée avec tous ses aspects, puissance, Vérité, liberté, paix, justice, innocence; Ôte aux êtres le droit, ôte aux forces l’aimant, Ôte la clef de voûte, et vois l’écroulement!

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            * Je t’ai parlé ta langue, homme que je rencontre. Et que veux-tu de plus? faut-il qu’on te le montre? Ô regardeur aveugle et qui te crois voyant, Comment te montrer Dieu, cet informe effrayant? Comment te dire: ici finit, ici commence? Fin et commencement sont des mots de démence. Fin et commencement sont vos deux grands haillons. Homme, chante ou blasphème à travers tes bâillons, Tu mêleras, sans dire un mot de la grande âme, Ton blasphème à la nuit et ton hymne à la flamme. L’idée à peine éclôt que les mots la défont. Comment se figurer la face du profond, Le contour du vivant sans borne, et l’attitude De la toute-puissance et de la plénitude? Est-ce Allah, Brahma, Pan, Jésus, que nous voyons? Ou Jéhovah? Rayons! rayons! rayons! rayons!

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7  •  On Rights, Law, and Conscience— Where Private and Public Intersect

Ces trois éléments réunis: Liberté, Egalité, Fraternité, constituent le Droit. —from Hugo’s notebooks, dated between late May and early autumn, 1860 (CFL XII, 1528) La conscience, c’est le spectre solaire moral intérieur. Le soleil éclaire le corps. Dieu éclaire l’esprit. Au fond de tout cerveau humain il y a comme une lune de Dieu. —Post-scriptum de ma vie, notes [1850–60] (CFL XII, 617)

Essential to understanding Hugo’s worldview are the connections and differences between what he calls le droit écrit, or laws, and le droit non écrit, or simply le droit, which is more fundamental—and thus more powerful—than laws. In his 1847 draft notes for a speech in support of more humane children’s work laws, he defines le droit non écrit this way: “C’est l’ensemble de toutes les clartés qui composent l’équité naturelle, de toutes les notions qui composent la conscience humaine, et qui constituent essentiellement et invariablement le vrai pour chaque homme, le juste pour chaque peuple. Cette portion de droit qui n’est écrite dans aucune loi, mais qui est gravée dans toutes les âmes, s’appelle plus particulièrement dans le language politique droit des gens. Ius gentium” (“Le Travail des enfants,” CFL VII, 127). By adding the Latin term, ius gentium, Hugo emphasizes that this right is invested in the people. Like the

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Romans, Hugo thus distinguishes iūs/ iūris from lēx/ lēgis, laws defined by statutes, and from fās, divine law. Le droit, as Hugo conceives it, is a natural, inherent moral force, distinct from codified laws created by men. It seems obvious to Hugo, then, that le droit trumps la loi when they contradict each other. In this republican speech about children’s rights, Hugo implicitly extends the notion of divine right to all people when he refers to seventeenth-century French essay­ ist Bossuet on the divine right of kings: “C’est le droit supérieur et antérieur à tous les codes, c’est ce droit contre lequel, dit Bossuet, il n’y a pas de droit, c’est ce droit vénérable, éternel défenseur de tout ce qui est sans défense, éternel soutien du plus faible contre le plus fort, qui se lève aujourd’hui, qui vous adjure, qui proteste contre un projet de loi contraire à la justice et à l’humanité, et qui vous crie: Ne laissez pas exploiter les enfants par les hommes!” (127; Hugo’s italics). As he implies here by calling rights “eternal,” Hugo connects rights (and conscience) with God. Hugo was far from the first to write about le droit, a central concern of Enlightenment philosophers. In his 1860 Philosophie, commencement d’un livre, Hugo credits the French Revolution’s Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) for setting forth the idea of les droits de l’âme. Article 1 of the Déclaration says, “Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.” But Hugo went farther than many to expand the notion of human rights by broadly applying to social justice issues his conception of natural rights.1 As he articulated his position, Hugo often connected right and social justice in his personal notebooks, as in this 1860 entry: L’individu complet, c’est l’homme et la femme, plus l’enfant. Donc, outre le droit de l’homme, il y a le droit de la femme. Le droit de la femme c’est: plus d’esclavage. (La liberté du cœur n’est pas moins sainte que la liberté de l’esprit.) Le droit de l’enfant, c’est d’être un homme; ce qui fait l’homme, c’est la lumière; ce qui fait la lumière, c’est l’instruction. Donc le droit de l’enfant, c’est l’instruction gratuite, obligatoire. La criminalité naît de l’ignorance. L’instruction et la pénalité sont les deux extrêmes d’un équilibre. Ce qu’on ajoute à l’un, on l’ôte à l’autre. Augmentez l’éducation, la pénalité décroît. Supposez l’éducation parfaite, la loi pénale s’évanouit d’ellemême [Hugo’s italics]. La société ainsi réalisée et construite avec les éléments mêmes de l’idéal, abolit par sa seule clarté l’ignorance, la misère, l’échafaud, le bagne, la 1. Acher, “Hugo, défenseur,” 181.

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guerre, le despotisme sous toutes ses formes, l’esclavage sous toutes ses formes. . . . Dans l’ordre politique, tout ce qui n’est pas cette société-là est nul. En dehors du pouvoir social né du droit humain, tout est usurpation. (CFL XII, 1528–29)

Logically, if social actions that do not grow from human rights are a form of usurpation, laws that support them are implicitly criminal and should be broken: “Quand les lois sont contre le droit, il n’y a qu’une héroïque façon de protester contre elles, les violer” (Laffont, Océan, “Questions sociales,” fin de l’exil, 123). Hugo saw the negative effects of bad laws as part of the heavy fate weighing on humanity: “Un triple anankè pèse sur nous, l’anankè des dogmes, l’anankè des lois, l’anankè des choses,” he stated in his preface to Les Travailleurs de la mer, noting that in Les Misérables, he was writing about l’anankè des lois (Laffont, Roman III, 45). (For a discussion of Hugo’s conception of the Greek term anankè, see chapter 6.) In a note perhaps related to Les Misé­ rables, where Hugo deeply explored the relationship between rights and law, he was even more explicit: “Le plus effrayant livre qui se pourrait écrire, c’est celui-ci: Les crimes des lois” (1854; Laffont, Océan, 489). Only with maturity comes the understanding that natural rights are superior to laws and that laws may be criminal in themselves. When faced with Jean Valjean’s confession of his convict background, Marius is incapable of understanding the complexities of Valjean’s situation: “Marius, sur les questions pénales, en était encore, quoique démocrate, au système inexorable, et il avait, sur ceux que la loi frappe, toutes les idées de la loi. Il n’avait pas encore, disons-le, accompli tous les progrès. Il n’en était pas encore à distinguer entre ce qui est écrit par l’homme et ce qui est écrit par Dieu, entre la loi et le droit” (Les Misérables V, 7, ii). The conflict between what is right and what is legal underlies the epic conflict between the redeemed Jean Valjean, who fights to follow his conscience, and the ­single-minded, law-enforcing Inspecteur Javert. In the chapter entitled “Javert déraillé,” the inspector “goes off the tracks” when he realizes that he has a conscience and that it is pulling him toward what is humane and away from what the law requires. Hugo held that since droit manifests itself in human conscience, people who listen to their conscience intuitively know what is good, just, and fair: “Contre la Fatalité l’homme a deux armes: la conscience et la liberté; la conscience qui lui indique le devoir, la liberté qui lui signale le droit” (Preface notes for L’Homme qui rit; CFL XIV, 388). Hugo believed that he followed his duty throughout his

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life, in his actions, literature, art, and speeches, which are rife with references to conscience. As early as 1824, in the Préface to his Nouvelles Odes, writing of conflicts between Classical and Romantic writers, he expressed his dedication to his principles: “Dans le trouble où sont les esprits, le danger de parler est plus grand encore que celui de se taire; mais, quand il s’agit d’éclairer et d’être éclairé, il faut regarder où est le devoir, et non où est le péril; il se résigne donc” (Laffont, Poésie I, 57). Fifty years later, he described himself in the third person in “Le Droit et la loi” : “Sa conscience lui a imposé, dans ses fonctions de légis­ lateur, une confrontation permanente et perpétuelle de la loi que les hommes font avec le droit qui fait les hommes. Obéir à sa conscience est sa règle; règle qui n’admet pas d’exception” (see the excerpt below). He maintained that his conscience sent him into exile and kept him from accepting the 1859 general amnesty. To tenaciously follow one’s conscience, Hugo knew, does not lead to an easy life. Though such actions may be glorious, they can lead to martyrdom: Hugo alluded to Jesus Christ, for instance, when he described Gilliatt’s battle with the ocean in Les Travailleurs de la mer. He proposed that the more powerful one is, the more one has the responsibility to recognize others’ rights and to listen to one’s conscience, as Gwynplaine explains to the House of Lords in L’Homme qui rit (see the excerpt in this chapter). The very personal, private entity conscience and the concomitant duty, which often lead to public acts, underlie much of Victor Hugo’s personal engagement in—and writings about—public issues.

Le Droit et la loi, I–III, Actes et paroles: Avant l’exil, Préface (1875) [Perhaps Hugo explains most explicitly the differences and, in fact, “quarrel” between people’s rights and society’s laws in this preface to his three-volume Actes et Paroles, where he describes the divine nature of droit and the conflict between droit and the human creation loi. A fitting introduction to his political speeches, essays, and actions, “Le Droit et la loi” illuminates Hugo’s thoughts on the inviolability of human rights and his willingness to endure exile in order to help France and her people. In addition, Hugo puts forward his belief that humanity, led by France, is progressing toward a time when laws will be consistent with human rights, which reach their highest expression in liberty and which underpin a socially just society. The manuscript date, May 1875, is the anniversary of the night Hugo’s lodgings were attacked in Brussels, after

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he had proudly followed his conscience and broken the law to offer asylum to the Parisian communard insurgents (May 27, 1871). As a result, he was expelled from Belgium, confirming once again his belief: “La liberté, c’est le droit. La société, c’est la loi” (from section II of “Le Droit et la loi”).]

I Toute l’éloquence humaine dans toutes les assemblées de tous les peuples et de tous les temps peut se résumer en ceci: la querelle du droit contre la loi. Cette querelle, et c’est là tout le phénomène du progrès, tend de plus en plus à décroître. Le jour où elle cessera, la civilisation touchera à son apogée, la jonction sera faite entre ce qui doit être et ce qui est, la tribune politique se transformera en tribune scientifique; fin des surprises, fin des calamités et des catastrophes; on aura doublé le cap des tempêtes; il n’y aura pour ainsi dire plus d’événements; la société se développera majestueusement selon la nature; la quantité d’éternité possible à la terre se mêlera aux faits humains et les apaisera. Plus de disputes, plus de fictions, plus de parasitismes; ce sera le règne paisible de l’incontestable; on ne fera plus les lois, on les constatera; les lois seront des axiômes; on ne met pas aux voix deux et deux font quatre; le binôme de Newton ne dépend pas d’une majorité; il y a une géométrie sociale; on sera gouverné par l’évidence; le code sera honnête, direct, clair; ce n’est pas pour rien qu’on appelle la vertu la droiture. Cette rigidité fait partie de la liberté; elle n’exclut en rien l’inspiration; les souffles et les rayons sont rectilignes. L’humanité a deux pôles, le vrai et le beau; elle sera régie, dans l’un par l’exact, dans l’autre par l’idéal. Grâce à l’instruction substituée à la guerre, le suffrage universel arrivera à ce degré de discerne­ ment qu’il saura choisir les esprits; on aura pour parlement le concile permanent des intelligences; l’Institut sera le sénat. La Convention, en créant l’Institut, avait la vision, confuse mais profonde, de l’avenir.2 Cette société de l’avenir sera superbe et tranquille. Aux batailles succéderont les découvertes; les peuples ne conquerront plus, ils grandiront et s’éclaireront; on ne sera plus des guerriers, on sera des travailleurs; on trouvera, on construira, on inventera; exterminer ne sera plus une gloire. Ce

2. The post-revolutionary Convention had already improved education by creating several professionally oriented institutes for research and teaching.

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sera le remplacement des tueurs par les créateurs. La civilisation qui était toute d’action sera toute de pensée; la vie publique se composera de l’étude du vrai et de la production du beau; les chefs-d’œuvre seront les incidents; on sera plus ému d’une Iliade que d’un Austerlitz.3 Les frontières s’effaceront sous la lumière des esprits. La Grèce était très-petite; notre presqu’île du Finistère, superposée à la Grèce, la couvrirait; la Grèce était immense pourtant, immense par Homère, par Eschyle, par Phidias et par Socrate. Ces quatre hommes sont quatre mondes. La Grèce les eut; de là sa grandeur. L’envergure d’un peuple se mesure à son rayonnement. La Sibérie, cette géante, est une naine; la colossale Afrique existe à peine. Une ville, Rome, a été l’égale de l’univers; qui lui parlait parlait à toute la terre. Urbi et orbi.4 Cette grandeur, la France l’a, et l’aura de plus en plus. La France a cela d’admirable qu’elle est destinée à mourir; mais à mourir comme les dieux, par la transfiguration. La France deviendra Europe. Certains peuples finissent par la sublimation comme Hercule ou par l’ascension comme Jésus-Christ. On pourrait dire qu’à un moment donné un peuple entre en constellation; les autres peuples, astres de deuxième grandeur, se groupent autour de lui, et c’est ainsi qu’Athènes, Rome et Paris sont pléïades. Lois immenses. La Grèce s’est transfigurée, et est devenue le monde païen; Rome s’est transfigurée, et est devenue le monde chrétien; la France se transfigurera, et deviendra le monde humain. La révolution de France s’appellera l’évolution des peuples. Pourquoi? Parce que la France le mérite; parce qu’elle manque d’égoïsme, parce qu’elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu’elle est créatrice d’espérances universelles, parce qu’elle représente toute la bonne volonté humaine, parce que là où les autres nations sont seulement des sœurs, elle est mère. Cette maternité de la généreuse France éclate dans tous les phénomènes sociaux de ce temps; les autres peuples lui font ses malheurs, elle leur fait leurs idées. Sa révolution

3. In comparing the future France that he imagines to enlightened ancient Greece, Hugo proposes that people will be more moved by literature such as Homer’s epic Iliad than by such imperial war victories as Napoleon’s at Austerlitz. He also applauds Greek artists and thinkers Aeschylus (the first of Athens’ great tragic dramatists), Phidias (the Athenian sculptor who was artistic director for the Parthenon), and the philosopher Socrates. 4. Latin for “to the city (of Rome) and the world,” this expression refers to papal blessings or proclamations and has also come to mean in French usage “to everyone, everywhere.”

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n’est pas locale, elle est générale; elle n’est pas limitée, elle est indéfinie et infinie. La France restaure en toute chose la notion primitive, la notion vraie. Dans la philosophie elle rétablit la logique, dans l’art elle rétablit la nature, dans la loi elle rétablit le droit. L’œuvre est-elle achevée? Non, certes. On ne fait encore qu’entrevoir la plage lumineuse et lointaine, l’arrivée, l’avenir. En attendant on lutte. Lutte laborieuse. D’un côté l’idéal, de l’autre l’incomplet. Avant d’aller plus loin, plaçons ici un mot, qui éclaire tout ce que nous allons dire, et qui va même au delà. La vie et le droit sont le même phénomène. Leur superposition est étroite. Qu’on jette les yeux sur les êtres créés, la quantité de droit est adéquate à la quantité de vie. De là, la grandeur de toutes les questions qui se rattachent à cette notion, le Droit.

II Le droit et la loi, telles sont les deux forces; de leur accord naît l’ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. Le droit parle et commande du sommet des vérités; la loi réplique du fond des réalités; le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible; le droit est divin, la loi est terrestre. Ainsi, la liberté, c’est le droit; la société, c’est la loi. De là deux tribunes: l’une où sont les hommes de l’idée, l’autre où sont les hommes du fait; l’une qui est l’absolu, l’autre qui est le relatif. De ces deux tribunes, la première est nécessaire, la seconde est utile. De l’une à l’autre il y a la fluctuation des consciences. L’harmonie n’est pas faite encore entre ces deux puissances, l’une immuable, l’autre variable, l’une sereine, l’autre passionnée. La loi découle du droit, mais comme le fleuve découle de la source, acceptant toutes les torsions et toutes les impuretés des rives. Souvent la pratique contredit la règle; souvent le corollaire trahit le principe; souvent l’effet désobéit à la cause; telle est la fatale condition humaine. Le droit et la loi contestent sans cesse; et de leur débat, fréquemment orageux, sortent, tantôt les ténèbres, tantôt la lumière. Dans le langage parlementaire moderne, on pourrait dire: le droit, chambre haute; la loi, chambre basse.

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L’inviolabilité de la vie humaine, la liberté, la paix; rien d’indissoluble, rien d’irrévocable, rien d’irréparable; tel est le droit. L’échafaud, le glaive et le sceptre, la guerre, toutes les variétés de joug, depuis le mariage sans le divorce dans la famille jusqu’à l’état de siège dans la cité, telle est la loi. Le droit: aller et venir, acheter, vendre, échanger. La loi: douane, octroi, frontière. Le droit: l’instruction gratuite et obligatoire, sans empiètement sur la conscience de l’homme, embryonnaire dans l’enfant, c’est-à-dire l’instruction laïque. La loi: les ignorantins. Le droit: la croyance libre. La loi: les religions d’État. Le suffrage universel, le jury universel, c’est le droit; le suffrage restreint, le jury trié, c’est la loi. La chose jugée, c’est la loi; la justice, c’est le droit. Mesurez l’intervalle. La loi a la crue, la mobilité, l’envahissement et l’anarchie de l’eau, souvent trouble; mais le droit est insubmersible. Pour que tout soit sauvé, il suffit que le droit surnage dans une con­ science. On n’engloutit pas Dieu. La persistance du droit contre l’obstination de la loi; toute l’agitation sociale vient de là. Le hasard a voulu (mais le hasard existe-t-il?) que les premières paroles politiques de quelque retentissement prononcées à titre officiel par celui qui écrit ces lignes, aient été d’abord, à l’Institut, pour le droit, ensuite, à la chambre des pairs, contre la loi. Le 2 juin 1841, en prenant séance à l’Académie française, il glorifia la résistance à l’empire; le 12 juin 1847, il demanda à la chambre des pairs la rentrée en France de la famille Bonaparte, bannie. Ainsi, dans le premier cas, il plaidait pour la liberté, c’est-à-dire pour le droit; et dans le second cas, il élevait la voix contre la proscription, c’està-dire contre la loi. Dès cette époque une des formules de sa vie publique a été: Pro jure contra legem.5 5. In Latin, “for rights against law.”

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Sa conscience lui a imposé, dans ses fonctions de législateur, une con­ frontation permanente et perpétuelle de la loi que les hommes font avec le droit qui fait les hommes. Obéir à sa conscience est sa règle; règle qui n’admet pas d’exception. La fidélité à cette règle, c’est là, il l’affirme, ce qu’on trouvera dans ces trois volumes, Avant l’exil, pendant l’exil, depuis l’exil.

III Pour lui, il le déclare, car tout esprit doit loyalement indiquer son point de départ, la plus haute expression du droit, c’est la liberté. La formule républicaine a su admirablement ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait; la gradation de l’axiome social est irréprochable. Liberté, Egalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là. Nous sommes frères par la vie, égaux par la naissance et par la mort, libres par l’âme. Ôtez l’âme, plus de liberté. Le matérialisme est auxiliaire du despotisme.

“Les Tempêtes d’hommes pires que les tempêtes d’océans” (excerpts), L’Homme qui rit II, 8, vii (1869) [Hugo’s final words in “Le Droit et la loi” , “C’est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts” (Laffont, Politique, 87), underlie Gwynplaine’s speech to the seventeenth-century British House of Lords in L’Homme qui rit, excerpted here. Just the day before this scene, Gwynplaine has learned that he is truly Lord Clancharlie. Now rich and affianced to the most sensual woman at court, he chooses to use his new-found power to try to tell the peers of England about the plight—and the rights—of the common people and convince them of their duty toward the rest of humanity. Because of the grin that was scarred into his face when he was a baby, however, people tend to laugh at Gwynplaine; it is this rictus that he must, and can, control in order to have his audience take him seriously.] Un vieillard vénéré de toute la chambre, qui avait vu beaucoup d’­hommes et beaucoup de choses, et qui était désigné pour être duc, Thomas, comte de Warton, se leva effrayé.

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— Qu’est-ce que cela veut dire? cria-t-il. Qui a introduit cet homme dans la chambre? Qu’on mette cet homme dehors. Et apostrophant Gwynplaine avec hauteur: — Qui êtes-vous? d’où sortez-vous? Gwynplaine répondit: — Du gouffre. Et, croisant les bras, il regarda les lords. — Qui je suis? je suis la misère. Mylords, j’ai à vous parler. Il y eut un frisson, et un silence. Gwynplaine continua. — Mylords, vous êtes en haut. C’est bien. Il faut croire que Dieu a ses raisons pour cela. Vous avez le pouvoir, l’opulence, la joie, le soleil immobile à votre zénith, l’autorité sans borne, la jouissance sans partage, l’immense oubli des autres. Soit. Mais il y a au-dessous de vous quelque chose. Au-dessus peut-être. Mylords, je viens vous apprendre une nouvelle. Le genre humain existe. [ … ] Gwynplaine en ce moment sentait en lui un grandissement étrange. Un groupe d’hommes à qui l’on parle, c’est un trépied. On est, pour ainsi dire, debout sur une cime d’âmes. On a sous son talon un tressaillement d’entrailles humaines. Gwynplaine n’était plus l’homme qui, la nuit précédente, avait été, un instant, presque petit. Les fumées de cette élévation subite, qui l’avaient troublé, s’étaient allégées et avaient pris de la transparence, et là où Gwynplaine avait été séduit par une vanité, il voyait maintenant une fonction. Ce qui l’avait d’abord amoindri, à présent le rehaussait. Il était illuminé d’un de ces grands éclairs qui viennent du devoir. On cria de toutes parts autour de Gwynplaine: — Écoutez! Écoutez! Lui cependant, crispé et surhumain, réussissait à maintenir sur son visage la contraction sévère et lugubre, sous laquelle se cabrait le rictus, comme un cheval sauvage prêt à s’échapper. Il reprit: — Je suis celui qui vient des profondeurs. Mylords, vous êtes les grands et les riches. C’est périlleux. Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l’aurore. L’aube ne peut être vaincue. Elle arrivera. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel? Le soleil, c’est le droit. Vous, vous êtes le privilège. Ayez peur. Le vrai maître de la maison va frapper à la porte. Quel est le père du privilège? le hasard. Et quel est son fils? l’abus. Ni le ha-

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sard ni l’abus ne sont solides. Ils ont l’un et l’autre un mauvais lendemain. Je viens vous avertir. Je viens vous dénoncer votre bonheur. Il est fait du malheur d’autrui. Vous avez tout, et ce tout se compose du rien des autres. Mylords, je suis l’avocat désespéré, et je plaide la cause perdue. Cette cause, Dieu la regagnera. Moi, je ne suis rien, qu’une voix. Le genre humain est une bouche, et j’en suis le cri. Vous m’entendrez. Je viens ouvrir devant vous, pairs d’Angleterre, les grandes assises du peuple, ce souverain, qui est le patient, ce condamné, qui est le juge. Je plie sous ce que j’ai à dire. Par où commencer? Je ne sais. J’ai ramassé dans la vaste diffusion des souffrances mon énorme plaidoirie éparse. Qu’en faire maintenant? elle m’accable, et je la jette pêle-mêle devant moi. Avais-je prévu ceci? non. Vous êtes étonnés, moi aussi. Hier j’étais un bateleur, aujourd’hui je suis un lord. Jeux profonds. De qui? de l’inconnu. Tremblons tous. Mylords, tout l’azur est de votre côté. De cet immense univers, vous ne voyez que la fête; sachez qu’il y a de l’ombre. Parmi vous je m’appelle lord Fermain Clancharlie, mais mon vrai nom est un nom de pauvre, Gwynplaine. Je suis un misérable taillé dans l’étoffe des grands par un roi, dont ce fut le bon plaisir. Voilà mon histoire. Plusieurs d’entre vous ont connu mon père, je ne l’ai pas connu. C’est par son côté féodal qu’il vous touche, et moi je lui adhère par son côté proscrit. Ce que Dieu a fait est bien. J’ai été jeté au gouffre. Dans quel but? pour que j’en visse le fond. Je suis un plongeur, et je rapporte la perle, la vérité. Je parle, parce que je sais. Vous m’entendrez, mylords. J’ai éprouvé. J’ai vu. La souffrance, non, ce n’est pas un mot, messieurs les heureux. La pauvreté, j’y ai grandi; l’hiver, j’y ai grelotté; la famine, j’en ai goûté; le mépris, je l’ai subi; la peste, je l’ai eue; la honte, je l’ai bue. Et je la revomirai devant vous, et ce vomissement de toutes les misères éclaboussera vos pieds et flamboiera. J’ai hésité avant de me laisser amener à cette place où je suis, car j’ai ailleurs d’autres devoirs. Et ce n’est pas ici qu’est mon cœur. Ce qui s’est passé en moi ne vous regarde pas; quand l’homme que vous nommez l’huissier de la verge noire est venu me chercher de la part de la femme que vous nommez la reine, j’ai eu un moment l’idée de refuser. Mais il m’a semblé que l’obscure main de Dieu me poussait de ce côté, et j’ai obéi. J’ai senti qu’il fallait que je vinsse parmi vous. Pourquoi? à cause de mes haillons d’hier. C’est pour prendre la parole parmi les rassasiés que Dieu m’avait mêlé aux affamés. Oh! ayez pitié! Oh! ce fatal monde dont vous croyez être, vous ne le connaissez point; si haut, vous êtes dehors; je vous dirai moi, ce que c’est. De l’expérience, j’en ai. J’arrive de dessous la pression. Je puis vous dire ce que vous pesez.

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Ô vous les maîtres, ce que vous êtes, le savez-vous? Ce que vous faites, le voyez-vous? Non. Ah! tout est terrible. Une nuit, une nuit de tempête, tout petit, abandonné, orphelin, seul dans la création démesurée, j’ai fait mon entrée dans cette obscurité que vous appelez la société. La première chose que j’ai vue, c’est la loi, sous la forme d’un gibet; la deuxième, c’est la richesse, c’est votre richesse, sous la forme d’une femme morte de froid et de faim; la troisième, c’est l’avenir, sous la forme d’un enfant agonisant; la quatrième, c’est le bon, le vrai, et le juste, sous la figure d’un vagabond n’ayant pour compagnon et pour ami qu’un loup.

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La Conscience humaine devant une mauvaise action [Given the date 1866 because of the album in which it appears, this pen-andbrown-ink drawing with wash bears Hugo’s handwritten title. The palpable urgency with which the hand pushes away is reminiscent of lines from “Sultan Mourad” (La Légende des siècles, Première série, VI, iii; written in 1858), about a cruel tyrant finally punished: “Et l’on voyait sortir de l’abîme insondable / Un sinistre main qui s’ouvrait formidable; / ‘Justice!’ répétait l’ombre; et le châtiment / Au fond de l’infini se dressait lentement.”6 ]

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 17. La Conscience humaine devant une mauvaise action, © PMVP / Briant Remi.

6. Lebel and Prévost, Chaos, 397.

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La Conscience, La Légende des siècles, Première série II, ii (1859) [The third poem of La Légende des siècles, in the section entitled “D’Ève à Jésus,” “La Conscience” tells how Cain, with his family, tries to flee his conscience and God after having murdered his brother, Abel. With more concern for the poetic resonance of the names than strict Biblical accuracy, Hugo builds suspense as he involves several of Cain’s descendants: Jabel (Jabal), Tsilla (Zillah), Jubal, Hénoch (Enoch), Tubalcaïn, Enos, and Seth (from Genesis 4:17–26). Inspired perhaps also by Psalm 139, Hugo originally wrote “La Conscience” as the opening poem for Châtiments, where Cain (placed as one of the many criminals who preceded Napoleon III) would have served as an epic satirical figure. Readers contemporary with Hugo were familiar with this Cainversus-Abel symbolism, which had been commonly invoked during the 1848 revolution.7 ] Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes, Échevelé, livide au milieu des tempêtes, Caïn se fut enfui de devant Jéhovah, Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva Au bas d’une montagne en une grande plaine; Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine Lui dirent: «Couchons-nous sur la terre, et dormons.» Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts. Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres, Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres, Et qui le regardait dans l’ombre fixement. «Je suis trop près», dit-il avec un tremblement. Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse, Et se remit à fuir sinistre dans l’espace. Il marcha trente jours, il marcha trente nuits. Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits, Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve, Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève

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7. Millet, ed., Œuvres poétiques, 263, n. 2. For a psychoanalysis of Hugo and his work focused on this poem, see Charles Baudouin, Psychanalyse de Victor Hugo (Genève: Éd. du Mont-Blanc, [1943]). For the connection of “La Conscience” to Châtiments, see CFL X, 441, n. 1; and Hovasse, ed., Châtiments, 426.

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Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.8 «Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr. Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes.» Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes L’œil à la même place au fond de l’horizon. Alors il tressaillit en proie au noir frisson. «Cachez-moi!» cria-t-il; et, le doigt sur la bouche, Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche. Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont Sous des tentes de poil dans le désert profond: «Étends de ce côté la toile de la tente.» Et l’on développa la muraille flottante; Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb, «Vous ne voyez plus rien?» dit Tsilla, l’enfant blond, La fille de ses fils, douce comme l’aurore; Et Caïn répondit: «Je vois cet œil encore!» Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs Soufflant dans des clairons et frappant des tambours, Cria: «Je saurai bien construire une barrière.» Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière. Et Caïn dit: «Cet œil me regarde toujours!» Hénoch dit: «Il faut faire une enceinte de tours Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle. Bâtissons une ville avec sa citadelle, Bâtissons une ville, et nous la fermerons.» Alors Tubalcaïn, père des forgerons, Construisit une ville énorme et surhumaine. Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine, Chassaient les fils d’Énos et les enfants de Seth; Et l’on crevait les yeux à quiconque passait; Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles. Le granit remplaça la tente aux murs de toiles, On lia chaque bloc avec des nœuds de fer, Et la ville semblait une ville d’enfer;

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8. Assur, or Ashur, the capital of ancient Assyria, was located on the banks of the Tigris River in what is today Iraq.

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L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes; Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes; Sur la porte on grava: «Défense à Dieu d’entrer.» Quand ils eurent fini de clore et de murer, On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre; Et lui restait lugubre et hagard. «Ô mon père! L’œil a-t-il disparu?» dit en tremblant Tsilla. Et Caïn répondit: «Non, il est toujours là.» Alors il dit: «Je veux habiter sous la terre Comme dans son sépulcre un homme solitaire; Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien.» On fit donc une fosse, et Caïn dit: «C’est bien!» Puis il descendit seul sous cette voûte sombre; Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain, L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

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[29 janvier (1853?).]

Oh! quoique je sois, sur la grève, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVI (1881) [It is not surprising that Hugo, exiled from France and then from Belgium for his opposition to Napoleon III, was thinking a great deal about conscience and duty in 1854 when he wrote this poem and the next. The poem that Hugo placed between them, “Exil” (in chapter 10), makes the connection explicit and concludes with emphasis on the poet’s tenacity: “Pourtant le sort, caché dans l’ombre, / Se trompe si, comptant mes pas / Il croit que le vieux marcheur sombre / Est las.”] Oh! quoique je sois, sur la grève, Le flocon d’écume qui fuit, Quoique je n’aie en moi qu’un rêve, Quoique je sois poussière et nuit, Quoique je sois un peu de boue, Un ver parmi les vers humains, Écrasé par ces tours de roue Qu’on appelle les lendemains,

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Quoique le mal m’ait dans sa serre, Quoique je sois nu, faible, obscur, Quoique je sois fait de misère Et que tu sois faite d’azur, Sans fléchir dans ta confiance, Sans te rebuter dans ta foi, Sainte servante, conscience, Tu vas dans l’ombre devant moi! Tu vas devant moi, toujours prête, Et tu me montres le chemin; Le voile du sort sur ta tête, La lampe de Dieu dans ta main!

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Tu me dis: — Ta croix9 te réclame. Debout! c’est ailleurs qu’on s’assied. — Tu me dis: — Cache ici ton âme. Tu me dis: — Pose ici ton pied. Tu dis: — La tristesse est meilleure. L’ombre et le deuil sont nos amis. — Et tu souris lorsque je pleure, Et tu chantes quand je gémis. Tu m’éclaires, calme et ravie, Marche à marche, avec ton flambeau, Toutes les douleurs de la vie, Sombre descente du tombeau.

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[15 août 1854.]

9. The two variants that Hugo considered—“L’exil” and “Le deuil”—both underline the personal context of this poem and offer an example of his poetic skill, as his metaphor of a cross can include both exile and grief and broadens the meaning to include the idea of Christ’s crucifixion (CFL IX, 604, n. 3).

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Ô mon âme, en cherchant l’azur, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVIII [Hugo’s love of the antithesis of light and shadow pervades this short poem addressed to his soul, source and seeker of light, as it supports him in the demanding job of doing his duty.] Ô mon âme, en cherchant l’azur, ton vol dévie. Restons dans le devoir; le devoir, c’est la vie. Rentrons au noir foyer des hommes; essayons La chaîne des captifs; fais-toi, dans ce lieu sombre,       La servante de l’ombre,       Ô fille des rayons! Reprenons le labeur des saintes délivrances; Faisons la fonction divine des souffrances; Remettons notre lèvre à l’éponge de fiel; Continuons les pleurs, les deuils, la lutte austère;       Revenons à la terre       Pour retourner au ciel!

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[24 août 1854.]

“Une Tempête sous un crâne” (excerpts), Les Misérables I, 7, iii (1862) [Just-released ex-convict Jean Valjean found his life changed after the bishop (l’évêque) of Digne freely gave him the silver place settings Valjean had stolen. In also offering him his prized possession, two silver candelabra, M. Myriel saved him from immediate reincarceration and told him, “Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu” (I, 2, xii). Confused and disturbed by such generosity, wandering in the countryside, Valjean in a sort of stupor took a forty-sou coin from a passing chimney sweep, ten-year-old Petit-Gervais, and immediately regretted his action. Petit-Gervais reported the theft, and Valjean again became a wanted man. But Valjean’s outlaw status has changed: he is now outside the law not because he has broken it but because he goes beyond its expectations.10 In his ability and 10. Grossman, Miserables, 42.

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ultimate willingness to choose to do what his conscience tells him is right, as above what is legal and generally accepted by society and beyond what would be most agreeable to himself, he redeems himself in his own eyes and, he believes, in God’s. In “Une Tempête sous un crâne” (the beginning and end are excerpted here), Valjean faces one of a series of inordinately difficult decisions: Should he follow his conscience or his desires? As M. Madeleine, Valjean has spent seven years hiding his criminal past and improving life for dozens of workers in his success­ful Montreuil-sur-Mer factory. Police inspector Javert’s arrival in town is a threat: he has sworn to capture Valjean and has surmised M. Madeleine’s real identity. But when Javert apologizes for his suspicions and reports that a certain Champmathieu has been arrested and arraigned in Arras as the recidivist criminal Jean Valjean, Madeleine/Valjean confronts the fact that an innocent man will be condemned in his place to lifelong servitude in the forced labor camps—unless he confesses his identity. Yet he is committed to helping destitute, ill Fantine save her daughter, Cosette. What will happen to them—and to his factory employees—if he returns to the life of horror in le bagne? Still, how can he let an innocent man be condemned in his place? Valjean knows he is fighting for his soul. As Hugo wrote in support of the Cuban revolution: “La conscience est la colonne vertébrale de l’âme; tant que la conscience est droite, l’âme se tient debout” (1870; Laffont, Politique, 639). Hugo draws increasingly clear parallels with Christ’s agony in the garden of Gethsemane throughout the chapter, and shows through Valjean’s struggle with his conscience, and the conflicting demands on his goodness, how the right course is not necessarily an easy or clear-cut choice.] Le lecteur a sans doute deviné que M. Madeleine n’est autre que Jean Valjean. Nous avons déjà regardé dans les profondeurs de cette conscience; le moment est venu d’y regarder encore. Nous ne le faisons pas sans émotion et sans tremblement. Il n’existe rien de plus terrifiant que cette sorte de contemplation. L’œil de l’esprit ne peut trouver nulle part plus d’éblouisse­ ments ni plus de ténèbres que dans l’homme; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme. Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre

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toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie! Alighieri rencontra un jour une sinistre porte devant laquelle il hésita.11 En voici une aussi devant nous, au seuil de laquelle nous hésitons. Entrons pourtant. Nous n’avons que peu de chose à ajouter à ce que le lecteur connaît déjà de ce qui était arrivé à Jean Valjean depuis l’aventure de Petit-Gervais. À partir de ce moment, on l’a vu, il fut un autre homme. Ce que l’évêque avait voulu faire de lui, il l’exécuta. Ce fut plus qu’une transformation, ce fut une transfiguration. Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-Mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-Mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées: cacher son nom et sanctifier sa vie; échapper aux hommes et revenir à Dieu. Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule; elles étaient toutes deux également absor­ bantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie; elles le tournaient vers l’ombre; elles le faisaient bienveillant et simple; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuilsur-Mer appelait M. Madeleine, ne balançait pas à sacrifier la première à la 11. Dante Alighieri hesitates before the door of Hell in Inferno III.

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seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui. Toutefois, il faut le dire, jamais rien de pareil ne s’était encore présenté. Jamais les deux idées qui gouvernaient le malheureux homme dont nous racontons les souffrances n’avaient engagé une lutte si sérieuse. Il le comprit confusément, mais profondément, dès les premières paroles que prononça Javert, en entrant dans son cabinet. Au moment où fut si étrangement articulé ce nom qu’il avait enseveli sous tant d’épaisseurs, il fut saisi de stupeur et comme enivré par la sinistre bizarrerie de sa destinée, et, à travers cette stupeur, il eut ce tressaillement qui précède les grandes secousses; il se courba comme un chêne à l’approche d’un orage, comme un soldat à l’approche d’un assaut. Il sentit venir sur sa tête des ombres pleines de foudres et d’éclairs. Tout en écoutant parler Javert, il eut une première pensée d’aller, de courir, de se dénoncer, de tirer ce Champmathieu de prison et de s’y mettre; cela fut douloureux et poignant comme une incision dans la chair vive, puis cela passa, et il se dit: Voyons! voyons! — Il réprima ce premier mouvement généreux et recula devant l’héroïsme. Sans doute il serait beau qu’après les saintes paroles de l’évêque, après tant d’années de repentir et d’abnégation, au milieu d’une pénitence admirablement commencée, cet homme, même en présence d’une si terrible conjoncture, n’eût pas bronché un instant et eût continué de marcher du même pas vers ce précipice ouvert au fond duquel était le ciel; cela serait beau, mais cela ne fut pas ainsi. Il faut bien que nous rendions compte des choses qui s’accomplissaient dans cette âme, et nous ne pouvons dire que ce qui y était. Ce qui l’emporta tout d’abord, ce fut l’instinct de la conservation; il rallia en hâte ses idées, étouffa ses émotions, considéra la présence de Javert, ce grand péril, ajourna toute résolution avec la fermeté de l’épouvante, s’étourdit sur ce qu’il y avait à faire, et reprit son calme comme un lutteur ramasse son bouclier. Le reste de la journée il fut dans cet état, un tourbillon au dedans, une tranquillité profonde au dehors; il ne prit que ce qu’on pourrait appeler «les mesures conservatoires». Tout était encore confus et se heurtait dans

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son cerveau; le trouble y était tel qu’il ne voyait distinctement la forme d’aucune idée; et lui-même n’aurait pu rien dire de lui-même, si ce n’est qu’il venait de recevoir un grand coup. Il se rendit comme d’habitude près du lit de douleur de Fantine et prolongea sa visite, par un instinct de bonté, se disant qu’il fallait agir ainsi et la bien recommander aux sœurs pour le cas où il arriverait qu’il eût à s’absenter. Il sentit vaguement qu’il faudrait peut-être aller à Arras, et, sans être le moins du monde décidé à ce voyage, il se dit qu’à l’abri de tout soupçon comme il l’était, il n’y avait point d’inconvénient à être témoin de ce qui se passerait, et il retint le tilbury de Scaufflaire, afin d’être préparé à tout événement. Il dîna avec assez d’appétit. Rentré dans sa chambre il se recueillit. Il examina la situation et la trouva inouïe; tellement inouïe qu’au milieu de sa rêverie, par je ne sais quelle impulsion d’anxiété presque inexplicable, il se leva de sa chaise et ferma sa porte au verrou. Il craignait qu’il n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible. Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait. Il lui semblait qu’on pouvait le voir. Qui, on? Hélas! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience. Sa conscience, c’est-à-dire Dieu. Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion; il eut un sentiment de sûreté et de solitude; le verrou tiré, il se crut imprenable; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres. — Où en suis-je? — Est-ce que je ne rêve pas? — Que m’a-t-on dit? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi? — Que peut être ce Champmathieu? — Il me ressemble donc? — Est-ce possible? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure? — Qu’y a-t-il dans cet incident? — Comment se dénouera-t-il? — Que faire? Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter. De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cher-

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chait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse. Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table. La première heure s’écoula ainsi. Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails. Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître. Sa stupeur ne fit que s’en accroître. Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus épaisse, que ce voile déchiré accroîtrait le mystère, que ce tremblement de terre consoliderait son édifice, que ce prodigieux incident n’aurait d’autre résultat, si bon lui semblait, à lui, que de rendre son existence à la fois plus claire et plus impénétrable, et que de sa confrontation avec le fantôme de Jean Valjean, le bon et digne bourgeois monsieur Madeleine sortirait plus honoré, plus paisible et plus respecté que jamais —, si quelqu’un lui eût dit cela, il eût hoché la tête et regardé ces paroles comme insensées. Eh bien! tout cela venait précisément d’arriver, tout cet entassement de l’impossible était un fait, et Dieu avait permis que ces choses folles devinssent des choses réelles! Sa rêverie continuait de s’éclaircir. Il se rendait de plus en plus compte de sa position. Il lui semblait qu’il venait de s’éveiller de je ne sais quel sommeil, et qu’il se trouvait glissant sur une pente au milieu de la nuit, debout, frissonnant,

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reculant en vain, sur le bord extrême d’un abîme. Il entrevoyait distinctement dans l’ombre un inconnu, un étranger, que la destinée prenait pour lui et poussait dans le gouffre à sa place. Il fallait, pour que le gouffre se refermât, que quelqu’un y tombât, lui ou l’autre. Il n’avait qu’à laisser faire. La clarté devint complète, et il s’avoua ceci: — Que sa place était vide aux galères, qu’il avait beau faire, qu’elle l’y attendait toujours, que le vol de Petit-Gervais l’y ramenait, que cette place vide l’attendrait et l’attirerait jusqu’à ce qu’il y fût, que cela était inévitable et fatal. — Et puis il se dit: — Qu’en ce moment il avait un remplaçant, qu’il paraissait qu’un nommé Champmathieu avait cette mauvaise chance, et que, quant à lui, présent désormais au bagne dans la personne de ce Champmathieu, présent dans la société sous le nom de M. Madeleine, il n’avait plus rien à redouter, pourvu qu’il n’empêchât pas les hommes de sceller sur la tête de ce Champ­ mathieu cette pierre de l’infamie qui, comme la pierre du sépulcre, tombe une fois et ne se relève jamais. Tout cela était si violent et si étrange qu’il se fit soudain en lui cette espèce de mouvement indescriptible qu’aucun homme n’éprouve plus de deux ou trois fois dans sa vie, sorte de convulsion de la conscience qui remue tout ce que le cœur a de douteux, qui se compose d’ironie, de joie et de désespoir, et qu’on pourrait appeler un éclat de rire intérieur. Il ralluma brusquement sa bougie. — Eh bien quoi! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur? qu’est-ce que j’ai à songer comme cela? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entr’ouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie; cette porte, la voilà murée! à jamais! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolu­ ment dépisté! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville! Et tout cela s’est fait sans moi! Et je n’y suis pour rien! Ah çà, mais! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci? Des gens qui me verraient, parole d’honneur! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange? Qu’est-ce que je demande à présent? De quoi est-ce que je vais me mêler? Cela ne me regarde pas. Comment!

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je ne suis pas content! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses! laissons faire le bon Dieu! Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. — Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise! — Mais il ne se sentit aucune joie. Au contraire. On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan. Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait: pense! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné: marche! Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire. Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte; tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités. Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette «résolution prise». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que «laisser aller les choses, laisser faire le bon

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Dieu», c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux! Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action. Il la recracha avec dégoût. Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci: «Mon but est atteint!» Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but? cacher son nom? tromper la police? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste! est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné? — Fermer la porte à son passé? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu! il la rouvrait en faisant une action infâme! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil! il devenait un assassin! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité! Il fallait faire cela! il n’avait rien fait, s’il ne faisait pas cela! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire: à quoi bon? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience. Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable! Hélas! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir; mais il le fallait. Douloureuse destinée! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes!

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— Eh bien, dit-il, prenons ce parti! faisons notre devoir! sauvons cet homme! Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut. [ … ] Sa rêverie n’avait point dévié. Il continuait de voir clairement son devoir écrit en lettres lumineuses qui flamboyaient devant ses yeux et se déplaçaient avec son regard: — Va! nomme-toi! dénonce-toi! — Il voyait de même, et comme si elles se fussent mues devant lui avec des formes sensibles, les deux idées qui avaient été jusque-là la double règle de sa vie: cacher son nom, sanctifier son âme. Pour la première fois, elles lui apparaissaient absolument distinctes, et il voyait la différence qui les séparait. Il reconnaissait que l’une de ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait devenir mauvaise; que celle-là était le dévouement et que celle-ci était la personnalité; que l’une disait: le prochain, et que l’autre disait: moi; que l’une venait de la lumière et que l’autre venait de la nuit. Elles se combattaient, il les voyait se combattre. À mesure qu’il songeait, elles avaient grandi devant l’œil de son esprit; elles avaient maintenant des statures colossales; et il lui semblait qu’il voyait lutter au dedans de lui-même, dans cet infini dont nous parlions tout à l’heure, au milieu des obscurités et des lueurs, une déesse et une géante. Il était plein d’épouvante, mais il lui semblait que la bonne pensée l’emportait. Il sentait qu’il touchait à l’autre moment décisif de sa conscience et de sa destinée; que l’évêque avait marqué la première phase de sa vie nouvelle, et que ce Champmathieu en marquait la seconde. Après la grande crise, la grande épreuve. Cependant la fièvre, un instant apaisée, lui revenait peu à peu. Mille pensées le traversaient, mais elles continuaient de le fortifier dans sa résolution. Un moment il s’était dit: — qu’il prenait peut-être la chose trop vive­ment, qu’après tout ce Champmathieu n’était pas intéressant, qu’en somme il avait volé. Il se répondit: — Si cet homme a en effet volé quelques pommes, c’est un mois de prison. Il y a loin de là aux galères. Et qui sait même? a-t-il volé? est-ce prouvé? Le nom de Jean Valjean l’accable et semble dispenser

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de preuves. Les procureurs du roi n’agissent-ils pas habituellement ainsi? On le croit voleur parce qu’on le sait forçat. Dans un autre instant, cette idée lui vint que, lorsqu’il se serait dénoncé, peut-être on considérerait l’héroïsme de son action, et sa vie honnête depuis sept ans, et ce qu’il avait fait pour le pays, et qu’on lui ferait grâce. Mais cette supposition s’évanouit bien vite, et il sourit amèrement en songeant que le vol des quarante sous à Petit-Gervais le faisait récidiviste, que cette affaire reparaîtrait certainement et, aux termes précis de la loi, le ferait passible des travaux forcés à perpétuité. Il se détourna de toute illusion, se détacha de plus en plus de la terre et chercha la consolation et la force ailleurs. Il se dit qu’il fallait faire son devoir; que peut-être même ne serait-il pas plus malheureux après avoir fait son devoir qu’après l’avoir éludé; que s’il laissait faire, s’il restait à Montreuil-sur-Mer, sa considération, sa bonne renommée, ses bonnes œuvres, la déférence, la vénération, sa charité, sa richesse, sa popularité, sa vertu seraient assaisonnées d’un crime; et quel goût auraient toutes ces choses saintes liées à cette chose hideuse! tandis que, s’il accomplissait son sacrifice, au bagne, au poteau, au carcan, au bonnet vert, au travail sans relâche, à la honte sans pitié, il se mêlerait une idée céleste! Enfin il se dit qu’il y avait nécessité, que sa destinée était ainsi faite, qu’il n’était pas maître de déranger les arrangements d’en haut, que dans tous les cas il fallait choisir: ou la vertu au dehors et l’abomination au dedans, ou la sainteté au dedans et l’infamie au dehors. [ … ] Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie: — rester dans le paradis et y devenir démon! rentrer dans l’enfer et y devenir ange! Que faire, grand Dieu! que faire? La tourmente dont il était sorti avec tant de peine, se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit bois près Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril. Il chancelait au dehors comme au dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

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À de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et défini­ tivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer? Faut-il se taire? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu. Hélas! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était plus avancé qu’au commencement. Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument ­toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, ­pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.

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I I   •   Vi c t o r H u g o i n P u b l i c L i f e

To understand Victor Hugo’s public persona, as well as his political poetry, speeches, drawings, and actions, we need to wonder: How did the young royalist turn into a middle-aged republican and, eventually, the man many called the father of the French Republic?

Historical and Cultural Background If we could step back into the early nineteenth-century France of Hugo’s youth, we would be struck by the ever-contentious nature of the social order, the seesawing of financial and political fortunes, the struggle between religious and secular agendas. What convulsive and violent events this period saw! The western world witnessed the upheavals of industrialization and urbanization. From the French Revolution (1789) until the 1880s, France experienced insurrections, revolts, and revolutions that sometimes led to stunningly quick and marked changes of government: • the Convention (1792–94), which abolished the monarchy and oversaw the Reign of Terror, during which an estimated seventeen thousand ­people were guillotined and about twenty thousand summarily executed as a result of internal military operations1 • the Directory (1795–99), a transitional period marked by economic and

1. Pierre Bezback, Petit Larousse de l’histoire de France (Paris: Larousse/Sejer, 2004), 289.

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social crises that accentuated the contrasts between the poverty of the masses and the riches of some speculators2 • the Napoleonic period, including the Consulate (1799–1804) and the Em­ pire (1804–14 and the One Hundred Days in 1815), during which France was at war with several monarchic nations • the Restoration of the Bourbon monarchy (as a constitutional monarchy) under Louis XVIII (1814–24) and then Charles X (1824–30) (la Restauration) • a different constitutional monarchy established by the July Revolution of 1830 (July 27–29, also known as les Trois Glorieuses): la Monarchie de juillet, the reign of Louis-Philippe Ier, from the Bourbon-Orléans branch of the family (1830–48) • the Second Republic, launched by the February 1848 Revolution (February 23–25) (1848–51) • the Second Empire, declared by Louis-Napoleon Bonaparte after his Decem­ ber 1851 coup d’état (1851–70) • the Third Republic, set up after Bonaparte’s defeat by the Prussians (1870– [1940]) • la Commune (March 3–May 28, 1871), a revolutionary government formed mainly by working-class people in Paris and a few provinces. The official government in Versailles violently repressed this insurrection and then executed or deported surviving communards. Thus for everyone the question of political conservatism or liberalism in France was highly colored by experiences and memories of social and political up­ heavals. In fact, much of the nineteenth century constituted a transition between the ancien régime of monarchical rule, based on the notion of the divine right of kings supported by the powerful Catholic Church, and the modern period in which France eventually became a stable republic based on democratic ideals. From the time of the Restoration, conservatives, or royalists, typically supported the monarchy and worked toward reestablishing a status quo that had existed—in reality or in their imaginations—before the Revolution. These nobles and associates of the aristocracy remembered with horror their friends and relatives forced to emigrate during the Revolution or guillotined during the Reign of Terror. Since they saw Napoleon’s rule and his Empire as an outgrowth

2. Le Petit Robert des noms propres (Paris: Dictionnaires le Robert, 1974, 1994; Éd. revue, corrigée, 2005): 625.

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of the Revolution, they tended to consider as a revolutionary anyone formerly involved with the Empire. In Les Misérables, Marius’s grandfather, M. Gillenormand, typifies the ultra, or the most extreme form of the French conservative of the 1820s and 1830s. He views as a rebel or revolutionary anyone who does not believe in the divine right of kings or the legitimacy of absolute monarchy. He also despises any titles gained through success under the Empire, such as Marius’s status as a baron, which—as Hugo claimed for his own baron title—he had inherited from his Napoleonic general father. French liberals of the day focused on the freedoms and social justice that had grown from the Revolution and succeeding Assembly. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen had established a government by individuals freely choosing to work together; also, liberalization of the economy gave the middle class more chance of success. The liberals, whether bourgeois, well-todo, or titled nobility, were interested in improving the lot of common people, including workers and children. Moreover, they did not connect the glories of Napoleon’s victories with the bloody oppression and massacres wrought during the Reign of Terror a decade before Napoleon became emperor. They focused on progress and argued for the democratic ideal of universal suffrage. The right to vote would have been denied to women; even so, giving even all men the vote would have marked a significant advance in the nineteenth century, when voting privileges were often associated with wealth and sometimes granted only to landholders. When socialism, and then communism, began to appear in Europe in the 1830s and 1840s, with their emphasis on raising workers’ quality of life, liberal thinkers were sometimes accused of being socialists. Emotions ran high. French political and social debates during much of the nineteenth century were thus highly polarized, and the attitude “If you’re not with us, you’re against us” common. Therefore, Hugo’s remarkable evolution from royalist to republican was particularly striking, even shocking, to his contemporaries. His colleagues were appalled in 1848 when Hugo most often argued alongside and voted with the liberals; after all, he had been elected as a conservative and sat on the right in the Constituent Assembly. How did Hugo, who had been a peer of France under King Louis-Philippe (and thus a member of the legislature in the Chamber of Peers), come to support the French Republic, be labeled a socialist, and provoke immense antagonism from some contemporaries? To answer this question, we need to consider Hugo’s view of the poet’s role in society, his social consciousness and independent spirit, and events that helped mold his beliefs.

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Victor Hugo: Socially and Politically Engaged Hugo’s lifelong interest in humanitarian causes provided a strong base for his political development. Even as a young man, Hugo saw a close relationship between literature and social issues. He also defined himself as a poet and believed that poets had the responsibility to use their talents to fight social injustices and to speak for common people. At the age of twenty-nine, in the preface to his play Marion de Lorme, he wrote that he had been thrown at the age of sixteen into the literary world by his political passions. Two years later, in the 1833 preface to Lucrèce Borgia, he explained, “Il y a beaucoup de questions sociales dans les questions littéraires, et toute œuvre est une action. . . . [L]e drame, sans sortir des limites impartiales de l’art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine.” Using the term social here in a wide sense, Hugo meant not only the relationships between conditions and social forces but also the relationship between individuals and society. Such exploration is palpable in Le Dernier Jour d’un condamné (1829), a short novel in which Hugo engages the reader in an extraordinarily modern consideration of the horrific impact of the protagonist’s impending execution—not only on him, but on his family and society as well. Clearly evident early in Hugo’s career, this écrivain engagé perspective intermingled his political actions with most of his literary works and recurrently interwove his literary and political ambitions. Hugo wanted to be elected to the Académie Française as much for the increased likelihood of gaining public office as for the literary glory it meant (he was elected to the Académie in 1841, after being rejected three times). One of Hugo’s driving motivations to write Notre-Dame de Paris (1831) was his interest in preserving the Gothic cathedral, which had fallen into serious disrepair. His desire to improve society for common people defined his legislative work during the Second and Third Republics (1848–51; 1870–71; 1876–80). His tenacity in fighting against Napoleon III’s Second Empire for nearly twenty years (1851–70) grew from his heartfelt belief in the value of liberty for all, as well as his recognition that his voice was made the more powerful by his continued exile from a land where such liberty was denied. Among the many themes of his celebrated novel Les Misérables (1862), Hugo’s concern about the degradation of poverty is uppermost; it echoes from the title and dominates the main characters’ lives. In L’Année terrible (1872) and several senatorial speeches, he argued for amnesty for the revolutionary communards, although he had not supported their cause. Overall, Hugo used his literary talents to help improve people’s condition and offered an optimistic

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vision of God and the power of love in his undying hope for humanity, even in the face of wretchedness.

Hugo’s Independence Raised by his mother as a royalist but also as a free thinker—while living in a political climate that truly understood only conservatives and liberals—Hugo by the 1830s was in fact an independent, taking positions according to his conscience, whether they happened to be officially “conservative” or “liberal.”3 Always conscious of his responsibility and reputation, he argued that the poet must keep an independent mind when commenting on the human spirit, on nature and on people’s actions and politics: “Il faut enfin que, dans ces temps livrés à la lutte furieuse des opinions, au milieu des attractions violentes que sa raison devra subir sans dévier, il [le poète] ait sans cesse présent à l’esprit ce but sévère: Être de tous les partis par leur côté généreux, n’être d’aucun par leur côté mauvais. La puissance du poète est faite d’indépendance” (Préface, Les Voix intérieures, 1837). When Hugo entered politics in the 1840s, first as a peer of France under Louis-Philippe and then as a “conservative” who voted with the liberals, he knew that he thought outside political party lines: “Je ferai ce que j’ai fait, toujours fait, je resterai indépendant, dussé-je rester isolé. Je ne suis rien qu’un esprit pensif, solitaire et sérieux. L’homme qui aime la solitude ne craint pas l’isolement” (1848; Laffont, Politique, 162). And he recognized the conflicts his independent spirit provoked, noting in his journal in 1850: “Il y a cinq ans, j’ai été sur le point de devenir le favori du roi [Louis-Philippe]. Aujourd’hui je suis sur le point de devenir le favori du peuple. Je ne serai pas plus ceci que je n’ai été cela, parce qu’il viendra un moment où mon indépendance fera saillie et où ma fidélité à ma conscience irritera l’un dans la rue comme elle a choqué l’autre aux Tuileries [the French kings’ nineteenth-century Paris residence]” (Choses vues I, 177). Clearly proud of his independent spirit, Hugo often took stances against prevailing political winds, as when he argued for the elimination of poverty in 1849 and for amnesty for the communard insurrectionists in the 1870s.

3. For details, see Marieke Stein, “‘Je resterai indépendant, dussé-je rester isolé’: Victor Hugo et les parties politiques sous la Second République,” in Hugo politique, Actes du Colloque de Besançon, ed. Jean-Claude Caron and Annie Stora-Lamarre (Besançon: Presses Universitaires de Franche-Comté, 2004), 27–40.

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Some Political Turning Points As Hugo affected society, he was of course also affected by events. In each new regime, there came a period during which those in charge began to limit freedoms of speech, whether to consolidate their power or to limit growing voices of opposition. Such moments constituted some of the turning points in Hugo’s political development because he believed fundamentally in freedom and opposed limitations imposed on the press, on the theater, and on speech in general, no matter from what political orientation such limits came.

Rom a n t ic is m a nd ce nsor s h ip Under Louis XVIII, Hugo’s poetry was often political and sympathetic to the king, who rewarded Hugo with a royal pension in 1822. Three years later, when only twenty-three, Hugo was invited to the coronation of Charles X, who had Hugo’s laudatory poem, “Le Sacre de Charles X,” reprinted by the Royal Printing Office and invited Hugo to a congratulatory royal audience. At the coronation ceremonies, as Hugo told the story years later, he discovered the works of William Shakespeare through the auspices of his friend, writer Charles Nodier.4 Over the next four years Hugo became a key member of the growing circle of young artists devoted to the new artistic freedoms of Romanticism. In 1829 the Minister of the Interior censored Hugo’s play Marion de Lorme, banning it from the stage, worried that the negative portrait of Louis XIII might make the audience think of the current king. When, at a private audience, Charles X offered Hugo a position in the Conseil d’État and a tripling of his royal pension, in recompense for the revenues lost through censorship, Hugo declined both and wrote a new play, Hernani. Completed in a single month, Hernani launched the Romantic revolu­ tion in French theater. When it was staged in February 1830, audiences sometimes came to physical blows as they disputed the quality of the play, which deliberately overthrew many conventions that had defined French theater. Hugo had already expressed his views about the need for artistic freedom in his preface to Cromwell (1827); in rejecting the royal pension, he was faithful to his art and began to question royal power. He continued to fight censorship throughout his life.

T h e fi gh t f or f r e ed om s During the reign of Louis-Philippe, as we have seen, Vicomte Victor Hugo was close to the court. Just after the February 1848 Revolution, loyal to his oath as a 4. Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil I, 303–4.

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peer of France, Hugo first supported the regency of Hélène d’Orléans. He had often expressed a belief that the French people were not yet educated enough for a republic to survive: “Car la science [knowledge] en l’homme arrive la première. / Puis vient la liberté,” he wrote in 1871 in “À qui la faute?” (included in chapter 12; see also the December 1830 entry in Choses vues I, 121). His point of view was borne out by the public’s general acceptance of Bonaparte’s coup d’état in 1851. In this spirit, he declined his friend Lamartine’s offers of the positions of provisional mayor and Minister of Public Instruction. By March, however, Hugo began to see a republic as more consonant with greater freedoms and less censorship; at the end of his March 2, 1848, speech at the planting of the arbre de la liberté in the Place des Vosges (included in chapter 9), he cried, “Vive la République universelle!” and agreed to stand for election to the new Constituent Assembly. As a former peer, he was officially a Conservative candidate, although his May campaign poster speaks compellingly for progressive issues (see “Victor Hugo à ses concitoyens” in chapter 9). Once elected on a progressive platform, Hugo believed that his loyalty belonged to the people who had voted for him. The more the conservative majority argued for reactionary measures, the more Hugo argued against them. By June 1848, the suppression of nearly a dozen newspapers and the arrest of journalists provoked Hugo to confront the president of France, arguing that such censorship denoted a dictatorship. He went on to fight for such liberal policies as these: public assistance to combat poverty; the nationhood of Italy instead of dominance by the Pope; public education outside of church control; universal suffrage rather than the vote limited to property owners. Assailed by conservatives as a turncoat, he tirelessly remained true to his personal beliefs, defending the rights of the people and the validity of his position.5

E x ile f or t h e R e p ubl ic Along with many other republicans, Hugo found himself with a price on his head after Louis-Napoleon Bonaparte’s coup d’état on December 2, 1851. He fled into exile, first to Brussels, then to the island of Jersey in 1852. He settled on the island of Guernsey from 1855 until he returned to France on September 5, 1870, the day after the Third Republic was declared. Hugo took his exile seriously both politically and personally, and it cemented his basic beliefs. On the political front, he dedicated himself to denouncing Bonaparte’s takeover first through the incendiary, devastating pamphlet Napoléon le petit (1852) and then 5. Winock, Victor Hugo, 51.

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his scathing poetry collection Châtiments (1853). He declared publicly in the famous Châtiments poem “Ultima verba” (included in chapter 10) that if only one person remained defiant, he would be that person. He kept his promise and did not return to France in 1859 when Napoleon III issued a general pardon for all exiles; Hugo’s exile from then on was voluntary, driven by his conscience. Numerous poems testify to the emotional pain that exile brought for Hugo, though it cannot be denied that he proved to be more able than many to live a simple, relatively solitary life and that his writing profited from the solitude.

Hugo’s Conscience Like anyone who moves from one political consciousness to another, Hugo did not make straight-line progress. His point of view moved back and forth; he saw situations differently from one time to the next, and his conscience mattered more than political platforms. Thus he was frequently accused of changing sides for political gain. In this October 1830 journal entry, Hugo confronts opponents’ accusations of vacillation or opportunism (and goes far toward defining critical thinking); he recognizes the impact of experience on opinion: Mauvais éloge d’un homme que de dire: son opinion politique n’a pas varié depuis quarante ans. C’est dire que, pour lui, il n’y a eu ni expérience de chaque jour, ni réflexion, ni repli de la pensée sur les faits. C’est louer une eau d’être stagnante, un arbre d’être mort; c’est préférer l’huître à l’aigle. Tout est variable, au contraire, dans l’opinion; rien n’est absolu dans les choses politiques, excepté la moralité intérieure de ces choses. Or, cette moralité est affaire de conscience et non d’opinion. L’opinion d’un homme peut donc changer honorablement, pourvu que sa conscience ne change pas. Progressif ou rétrograde, le mouvement est essentiellement vital, humain, social. (Choses vues I, 116–17) Still, whether in response to his enemies or in an effort to believe his viewpoints coherent over time, Hugo did make some efforts to recast his past. In his poem “Réponse à un acte d’accusation,” published with an 1834 date but written in 1854, Hugo ostensibly defends himself against traditional Classical poets while in reality writing to convince liberal allies that he had held republican views in his twenties (which he had not). In this poem, Hugo berates himself for breaking with poetic tradition, explicitly linking republicanism and artistic freedom, a connection that he had indeed made between social and artistic freedom in the 1830s in his theatrical prefaces: “J’ai dit aux mots: Soyez république! soyez / La

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fourmilière immense, et travaillez! croyez, / Aimez, vivez!” And we may suspect that Hugo wrote the following summary of his political evolution in an effort to contradict those who had accused him of seeking power at all costs; nevertheless, these transitions closely parallel the tenor of his political writings: Depuis l’âge où mon esprit s’est ouvert et où j’ai commencé à prendre part aux transformations politiques et aux fluctuations sociales de mon temps, voici les phases successives que ma conscience a traversées en s’avançant sans cesse et sans reculer un jour, — je me rends cette justice, vers la lumière: 1818. — Royaliste. 1824. — Royaliste libéral. 1827. — Libéral. 1828. — Libéral-socialiste. 1830. — Libéral-socialiste-démocrate. 1849. — Libéral-socialiste-démocrate-républicain. (probably written in 1853–55; CFL IX, 1019–20)

In the end, if Hugo had wanted to deceive posterity, he would not have dated his manuscripts faithfully and accurately.6 In many ways, Hugo’s life can be seen as a long series of battles for his beliefs, battles that took place on the public stage and within his own conscience, as he grappled with conflicts between his sense of loyalty to existing regimes, his belief in republican values, and his certainty that people must be educated before they can responsibly govern themselves. Hugo’s lifelong belief in social justice, liberty, love, and God, as well as his ongoing eloquence against such inhumanities as capital punishment and slavery, underline the honesty in his stated commitment to conscience. In the long run, as Michel Winock compellingly argues in Victor Hugo dans l’arène politique, Hugo was not a calculating seeker of political gain; on the contrary, he was a man driven by his conscience to fight for what he believed in, even though this commitment demanded that he confront his past beliefs as well as oppose prevailing currents of thought. Hugo’s political life is a study in the intricacy of human nature, the human situation, and the complexity of the world.

6. For an analysis of “Réponse à un acte d’accusation,” see Albouy, ed., Contemplations, 448, n. 1.

8  •  On the Role of the Poet

Je n’ai jamais dit: l’art pour l’art; j’ai toujours dit: l’art pour le progrès. —Victor Hugo, letter to poet Charles Baudelaire, October 6, 1859 Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l’abîme il nagea seul et nu,… —“La Pente de la rêverie,” Les Feuilles d’automne XXIX (1830)

Throughout his life Victor Hugo believed that poets, as well as all great artists and thinkers, have special roles. Because their genius enables them to understand God and the universe, making them magi or visionaries, they have a priest-like mission to serve and educate humanity. Hugo’s idea is not unique: consideration of the proper role of philosophers, artists, and poets dates back to at least ancient Greece, when poets were commonly viewed as prophets. Their poetry was believed to have a divine source, and both Greek and Roman poets strongly felt their mission to educate humanity. Belief in the sacerdotal, or priestly, role of poets was prevalent in Renaissance France, especially with Ronsard. It was revitalized in the eighteenth century, when philosophy inherited to a great extent the role of the discredited church. Up through the French Revolution, the glorification of hommes de lettres was associated with a doctrine of emancipation and progress. Thus it is no surprise that Hugo, with his classical education and belief in progress, associated his poetry (and poetry in general) with an educative,

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­ rophetic mission. The French Romantic poets in general believed in the mythic, p heroic, prophetic nature of their role as Poète with a capital P, and deemed themselves the inheritors of earlier great literary minds, such as Homer, Dante, and Shakespeare. As poets, they believed that they could see and understand far better than other people, by contemplating the universe and by looking into themselves. Insofar as the individual poet could create a new vision of the universe— and fill a new role therein—he fulfilled a priestly mission, a notion that Hugo developed more than most of his contemporaries. In Alfred de Vigny’s preface to his play Chatterton, for example, the poet is inhabited by a special force, can see and understand unknown worlds, and can attain the highest spheres of beauty and truth. Yet, ironically and tragically, these powers that consecrate the poet as prophet also enable him to know man’s tragic duality as angel and dust. And since they provoke him to confront harsh realities and question accepted notions, the poet may face vilification alongside glorification: “Poète, c’est là un nom étrange. — Pour les uns, c’est un homme sonore et vide; pour les autres, c’est un démon armé. Rien n’est plus insignifiant, disent les uns. Rien n’est plus redoutable, disent les autres” (ca. 1863; Laffont, Océan, 278). Hugo continued to believe in this notion of the divine nature of poetry and the poet’s civilizing influence long after other writers had become disenchanted.1 Hugo developed his ideas most thoroughly in major works written while in exile during the 1850s and 1860s, including Les Contemplations, La Légende des siècles, La Fin de Satan, and Dieu. He incorporated aspects of his philosophy in the symbols and messages in his design of his Guernsey residence, Hauteville House. Already by the age of twenty, he had articulated his belief that the poet should help people. In his 1822 preface to Odes et ballades, he wrote, “Tout écri­ vain, dans quelque sphère qui s’exerce son esprit, doit avoir pour objet principal d’être utile”(Laffont, Poésie I, 54). Just two years later, in his new preface, the poet saw himself as not only pragmatically useful but, more important, as visionary: “Il doit marcher devant les peuples comme une lumière, et leur montrer le chemin. Il doit les ramener à tous les grandes principes d’ordre, de morale et d’honneur; . . . . Il ne sera jamais l’écho d’aucune parole, si ce n’est de celle de Dieu” (Laffont, Poésie I, 62). In another two years, writer Victor Pavie, a close friend, sent Hugo an encouraging letter that gives us an idea of what young 1. I am deeply indebted to Paul Bénichou’s work for information about the poet as prophet, visionary, and mage. See especially Sacre, 24–32, and Mages, 1429–67. To explore these notions, see also Gengembre, Combats politiques, 280–82; and Delattre, “Le Poète et Dieu.”

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Romantics expected of him. Pavie hoped that Hugo would indeed clarify the foundations of Romanticism, as he had begun to do in his prefaces: “C’est alors que le caractère du poète s’agrandit, qu’il n’écrit plus pour rimer, mais qu’il a une mission d’en haut, et que semblable à l’écho d’une grande voix, il transmet aux hommes des secrets, puisés dans la révélation d’une nature empreinte de Dieu” (December 18, 1826).2 As Pavie implies, Romantic writers in general communed with nature, believing that God was manifested there. For Hugo, too, nature offers proof of God’s existence; he deeply feels that the poet has a greater power to apprehend God in the universe because of his ability to appreciate and understand nature. In “Fonction du poète,” nature is inspirational, key to the poet’s experience of God. Hugo, as author, exhorts the poet to leave the crowds and cities and go into the woods, to the seashore, in order to interpret God’s music: “Dieu t’attend dans les solitudes; / Dieu n’est pas dans les multitudes; / . . . La nature est la grande lyre, / Le poète est l’archet divin!” Poets need such inspiration and insight because their task is to help people advance toward a brighter future full of hope and knowledge of God: Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs. Il est l’homme des utopies! Les pieds ici, les yeux ailleurs. C’est lui qui sur toutes les têtes, En tout temps, pareil aux prophètes, Dans sa main, où tout peut tenir, Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue, Comme une torche qu’il secoue, Faire flamboyer l’avenir! (“Fonction du poète”)

The poet, with his eyes “elsewhere,” is a visionary, a prophet, un contemplateur. Hugo’s complex, multifaceted, sometimes hallucinatory vision of the role of the poet is probably best captured in an expression he used more than others did: mage, or magus. By using a term dating to seventh-century Zoroastrianism, Hugo conjures up not only the sense of an ancient Persian priesthood but also draws on the mystical, visionary connotations the word came to have (the three

2. Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil I, 347.

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magi who found their way to the infant Jesus, for instance). The mysterious associations of mage echo the unknown qualities of God and the universe, the enigma of life and death, that the poète-mage was capable of exploring (“Cette lividité suprême / De l’énigme et de l’infini” [“Les Mages,” IV]). But Hugo’s sense of the Poète is too complex—and too broad—to be limited to one or two words, as a review of some of his terms reveals. Along with mage, Hugo evokes the poet’s familiarity with the supernatural and the sacred by calling him voyant, prêtre, pontife, prophète, célébrateur, and révélateur. Yet the poet is more than a seer; he is also a great thinker: penseur, rêveur, songeur, sage. Signaling the poet’s audacity and tirelessness, Hugo often refers to him as marcheur, chercheur, plongeur, trouveur, thus showing the poet as supplicant as well as celebrant. And, finally, the poet’s beneficial aid to people and social progress is inherent in his role as apôtre, missionaire, rédempteur, and libérateur. With so many different expressions from a variety of religious traditions, even occult ones, Hugo emphasizes the poet’s universality. He also moves beyond the Romanticism of his youth, creating poetic visions that influenced such symbolist poets as Mallarmé and Rimbaud and such surrealists as Breton.3 The poet’s sacred qualities are closely related to his genius. “Génie! ô tiare de l’ombre! / Pontificat de l’infini!” writes Hugo of such seers as the biblical prophet Moses and the ancient Greek poet Hesiod (“Les Mages,” I). He pairs prophet-poets from different cultures and equates genius to the pontificate (which refers to religious leaders in ancient Rome as well as high dignitaries in the Catholic Church)—and Hugo disconnects the poet-genius from any particular religious tradition. Moreover, the exaggeration and excess that Hugo finds inherent in the genius of great writers connotes their connectedness to the infinite: “Ces génies sont outrés. Ceci tient à la quantité d’infini qu’ils ont en eux” (William Shakespeare I, ii, 5; Laffont, Critique, 288). Yet, though genius is sacred and immeasurable, it is also close to madness (as Hugo had every reason to know after his brother Eugène, a talented young poet, was institutionalized at the Charenton asylum at age twenty-three). Genius is such a dominating force for the poet that it can feel like madness, as Hugo notes in poems as early as “Mazeppa” (1829), in which he recasts the popular Romantic tale about a 3. See Bénichou, Mages, 1431–32, for the analysis of names for poets. For explorations of the poet as visionary and prophet, see also Porter, Victor Hugo; Brombert, “Voix prophétique”; Albouy, Création; Albouy, ed., Contemplations; Gaudon, Temps de la Contemplation. On the connection between poets’ sacred qualities and genius, see, for instance, Bénichou, Mages, 1429–67; and Albouy, ed., Contemplations, 497–98, n. 1 for p. 371.

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Cossack hero who survived the plungings of the wild horse onto which he had been bound naked. After a vivid account of Mazeppa’s savage, violent ride, Hugo reveals the horse as a metaphor for poetic genius and sympathizes with the poet plagued by his genius (tu): Qui peut savoir, hormis les démons et les anges, Ce qu’il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges        À ses yeux reluiront, Comment il sera brûlé d’ardentes étincelles, Hélas! et dans la nuit combien de froides ailes        Viendront battre son front? Il crie épouvanté, tu poursuis implacable. Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l’accable        Il ploie avec effroi; Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe. Enfin le terme arrive.… il court, il vole, il tombe,        Et se relève roi! Clearly, even as genius makes poets what they are, it exacts a price, though it cannot conquer them. They are insulted, mocked, and jeered, but the poet’s power as a thinker and seer overcomes disdain: “On le raille. Qu’importe? il pense” (“Fonction du poète”). Even worse, their visions into infinity and the unknown, into questions of life and death are, in Hugo’s view, most often dreadful and alarming, rarely beautiful. This might be intolerable, were genius not what enables the poet to enlighten humanity: Oui, grâce aux penseurs, à ces sages, À ces fous qui disent: Je vois! Les ténèbres sont des visages, Le silence s’emplit de voix! L’homme, comme âme, en Dieu palpite, Et, comme être, se précipite Dans le progrès audacieux; Le muet renonce à se taire; Tout luit; la noirceur de la terre S’éclaire à la blancheur des cieux. (“Les Mages,” VI)

As people feel God in their souls and boldly choose progress, in Hugo’s vision, everything gleams, glistens, glows. Such human enlightenment is ­symbolically

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for Hugo a movement from dark to light, from low to high. The gloomy images that abound in his writing—ombres, gouffres, abîmes, nuit, brume, and so on—are transformed into antithetical, redemptive, radiant images—lumière, ciel, aube, aurore, clarté, rayon, éclair. Only by plunging into the terrifying depths can the poet help people understand God’s bright possibilities. Hugo’s conception of the universe as infinite multitudes of planets and beings is reflected in his multi-dimensional symbolism of height and light: gulfs and abysses are always murky, shadowy; heaven is splendidly luminous. Hugo’s poet frequently appears on a promontory, a summit from which he comprehends and guides. In real life, Hugo and his supporters promoted Charles Hugo’s photograph of his father sitting pensively atop the immense Jersey rocher des proscrits.4 In his magnificent “Magnitudo parvi,” Hugo wrote not from a pinnacle, but from the seashore, which lies beside another favored symbol of God—oceanic vastness. In this poem about the greatness of the small, seeing a shepherd’s simple fire and a star high in the heavens inspires the poet with a complex vision which he shares with his daughter (whom he remembers as a small girl beside him). God’s universe interconnects with the human dimension, and souls can be as impenetrable as the universe—and as worthy of contemplation: De ces deux feux, perçant le soir qui s’assombrit, L’un révèle un soleil, l’autre annonce un esprit.     C’est l’infini que notre œil sonde; Mesurons tout à Dieu, qui seul crée et conçoit! C’est l’astre qui le prouve et l’esprit qui le voit;     Une âme est plus grande qu’un monde. Here we see what Pierre Albouy called the “complicité-ressemblance” between God and Hugo, as Hugo is the prophetic, visionary guide he exhorts and describes so thoroughly in other writings.5 Victor Hugo, a poetic virtuoso who was showered with accolades in his youth, believed in his own genius and was not shy to make clear his view that he was a poète-mage, alongside such masters as Homer, Shakespeare, and Cervantes. Such an otherworldly role might seem to distance the artist from the work­aday world of average people. For Hugo, on the contrary, that role—far from precluding 4. Françoise Heilbrun and Danielle Molinari, eds., En collaboration avec le soleil: Victor Hugo; Photographies de l’exil (Paris: Paris Musées, 1998): 53. The photo is available at http://www.victorhugo2002.culture.fr/culture/celebrations/hugo/fr/jersey_1.htm. 5. Albouy, ed., L’Art, 230, n. 59.

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a social conscience—actually required one. The poet’s ability to envision and understand the depths of the universe gave him the insight and desire to help improve society. Thus Hugo’s belief in the écrivain engagé provoked and colored his metaphysical vision and his practical battles for progress and social justice presented throughout the following chapters. Politically and artistically, he fought—at times with biting satire—for freedom of thought and for the democratic values inherent in a republican form of government. His republican values led him into exile and a decades-long struggle against dictators. And the world he envisioned was humanitarian, peaceful, and progressive.

“Le Dix-neuvième Siècle” (excerpt), William Shakespeare III, ii (1864) [Although Hugo originally undertook William Shakespeare as the preface to son François-Victor’s impressive French translation of Shakespeare’s works, it soon became much more. A two-hundred-page collection of dense, sometimes confusing reflections on art, society, and progress, the work emphasizes what constitutes genius and what it can accomplish. As such it can be read as the great French manifesto of Romantic aspirations.6 In Part I, Book ii, “Les Génies,” Hugo writes about fourteen geniuses, including ancient Greek and Roman poets and historians, biblical prophets, and European poets and novelists. The list includes Homer and Shakespeare, of course, as well as Job, Aeschylus, Isaiah, Ezekiel, Lucretius, Juvenal, Tacitus, Saint John, Saint Paul, Dante, Rabelais, and Cervantes. “Which of them is the greatest?” asks Hugo. All of them, he replies. The chapter ends by predicting the arrival of future geniuses, which most critics read as a thinly veiled allusion to Hugo himself: “Ces suprêmes génies ne sont point une série fermée. L’auteur de Tout y ajoute un nom quand les besoins du progrès l’exigent” (Laffont, Critique, 289). Part III, Book ii (the penultimate Book) begins with a quick review of the various types of genius that preceded the Romantic revolution in art, noting the influence of the fourteen writer-geniuses but stating unequivocally that la mère auguste of the nineteenth century was the 1789 French Revolution: “Le triple mouvement littéraire, philosophique et social du dix-neuvième siècle, qui est un seul mouvement, n’est autre chose que le courant de la révolution dans les 6. Brombert, “Voix prophétique,” 14.

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idées” (Laffont, Critique, 432). Hugo rarely uses the term Romantic, but here he declares that the Romantics are recreating everything. In the excerpt below, Hugo discusses the impact the poet-genius must have on society and history. In these few pages, he refers to concerns that he addressed with his behavior as well as his writings: liberty, the poor, education, individual conscience, human rights, crime and punishment, the optimism of progress, and humanity.] Les écrivains et les poètes du dix-neuvième siècle ont cette admirable fortune de sortir d’une genèse, d’arriver après une fin de monde, d’accompagner une réapparition de lumière, d’être les organes d’un recommencement. Ceci leur impose des devoirs inconnus à leurs devanciers, des devoirs de réformateurs intentionnels et de civilisateurs directs. Ils ne continuent rien; ils refont tout. À temps nouveaux, devoirs nouveaux. La fonction des penseurs aujourd’hui est complexe: penser ne suffit plus, il faut aimer; penser et aimer ne suffit plus, il faut agir; penser, aimer et agir ne suffit plus, il faut souffrir. Posez la plume, et allez où vous entendez de la mitraille; voici une barricade; soyez-en. Voici l’exil; acceptez. Voici l’échafaud, soit. Qu’au besoin dans Montesquieu il y avait John Brown.7 Le Lucrèce qu’il faut à ce siècle en travail doit contenir Caton. Eschyle, qui écrivait l’Orestie, avait pour frère Cynégyre, qui mordait les navires ennemis; cela suffisait à la Grèce au temps de Salamine; cela ne suffit plus à la France après la Révolution; qu’Eschyle et Cynégyre soient les deux frères, c’est peu; il faut qu’ils soient le même homme. Tels sont les besoins actuels du progrès. Les serviteurs des grandes choses pressantes 7. With these examples, Hugo argues that the nature of the modern world and need for progress demand that complementary talents be combined in one person: the philosopher with the activist, the poet with the statesman, the dramatist with the war hero—and he offered several examples. French eighteenth-century philosopher Montesquieu wrote about laws and government. Nineteenth-century American abolitionist John Brown fought the government and broke laws. Lucretius, a first-century B.C. Greek poet and philosopher, wrote De rerum natura (On the Nature of Things) following Epicurean principles; Hugo is likely comparing him to Cato the Younger, a Roman politician and statesman from the same period, a Stoic. Athenian dramatist Aeschylus (author of the trilogy, the Oresteia, and often considered the father of tragic drama) joined his brother Cynegeirus in the Greek army to defeat the invading Persian army at the Battle of Marathon in 490 B.C. Cynegeirus was killed in that battle; ten years later Aeschylus helped the Athenians overpower the Persian fleet at Salamis. Pelion and Ossa were two mountains of ancient Greece.

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ne seront jamais assez grands. Rouler des idées, amonceler des évidences, étager des principes, voilà le remuement formidable. Mettre Pélion sur Ossa, labeur d’enfants à côté de cette besogne de géants: mettre le droit sur la vérité. Escalader cela ensuite, et détrôner les usurpations au milieu des tonnerres; voilà l’œuvre. L’avenir presse. Demain ne peut pas attendre. L’humanité n’a pas une minute à perdre. Vite, vite, dépêchons, les misérables ont les pieds sur le fer rouge. On a faim, on a soif, on souffre. Ah! maigreur terrible du pauvre corps humain! le parasitisme rit, le lierre verdit et pousse, le gui est florissant, le ver solitaire est heureux. Quelle épouvante, la prospérité du ténia! Détruire ce qui dévore, là est le salut. Votre vie a au dedans d’elle la mort, qui se porte bien. Il y a trop d’indigence, trop de dénûment, trop d’impudeur, trop de nudité, trop de lupanars, trop de bagnes, trop de haillons, trop de défaillances, trop de crimes, trop d’obscurité, pas assez d’écoles, trop de petits innocents en croissance pour le mal! le grabat des pauvres filles se couvre tout à coup de soie et de dentelles, et c’est là la pire misère; à côté du malheur il y a le vice, l’un poussant l’autre. Une telle société veut être promptement secourue. Cherchons le mieux. Allez tous à la découverte. Où sont les terres promises? la civilisation veut marcher; essayons les théories, les systèmes, les améliorations, les inventions, les progrès, jusqu’à ce que chaussure à ce pied soit trouvée. L’essai ne coûte rien; ou coûte peu. Essayer n’est pas adopter. Mais avant tout et surtout, prodiguons la lumière. Tout assainissement commence par une large ouverture de fenêtres. Ouvrons les intelligences toutes grandes. Aérons les âmes. Vite, vite, ô penseurs. Faites respirer le genre humain. Versez l’espérance, versez l’idéal, faites le bien. Un pas après l’autre, les horizons après les horizons, une conquête après une conquête; parce que vous avez donné ce que vous avez annoncé, ne vous croyez pas quittes. Tenir, c’est promettre. L’aurore d’aujourd’hui oblige le soleil pour demain. Que rien ne soit perdu. Que pas une force ne s’isole. Tous à la manœuvre! la vaste urgence est là. Plus d’art fainéant. La poésie ouvrière de civilisation, quoi de plus admirable! le rêveur doit être un pionnier: la strophe doit vouloir. Le beau doit se mettre au service de l’honnête. Je suis le valet de ma conscience; elle me sonne, j’arrive. Va! je vais. Que voulez-vous de moi, ô vérité, seule majesté de ce monde? Que chacun sente en soi la hâte de bien faire. Un livre est quelquefois un secours attendu. Une idée est un baume, une parole est un pansement; la poésie est un médecin. Que personne ne s’attarde. La souffrance perd ses forces pendant vos lenteurs.

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Qu’on sorte de cette paresse du songe. Laissez le kief aux turcs.8 Qu’on prenne de la peine pour le salut de tous, et qu’on s’y précipite, et qu’on s’y essouffle. N’allez-vous pas plaindre vos enjambées? Rien d’inutile. Nulle inertie. Qu’appelez-vous nature morte? Tout vit. Le devoir de tout est de vivre. Marcher, courir, voler, planer, c’est la loi universelle. Qu’attendezvous? qui vous arrête? Ah! il y a des heures où il semble qu’on voudrait entendre les pierres murmurer contre la lenteur de l’homme! Quelquefois on s’en va dans les bois. À qui cela n’arrive-t-il pas d’être parfois accablé? on voit tant de choses tristes. L’étape ne se fournit point, les conséquences sont longues à venir, une génération est en retard, la besogne du siècle languit. Comment! tant de souffrances encore! On dirait qu’on a reculé. Il y a partout des augmentations de superstition, de lâcheté, de surdité, de cécité, d’imbécillité. La pénalité pèse sur l’abrutissement. Ce vilain problème a été posé: faire avancer le bien-être par le recul du droit; sacrifier le côté supérieur de l’homme au côté inférieur; donner le principe pour l’appétit; César se charge du ventre, je lui concède le cerveau; c’est la vieille vente du droit d’aînesse pour le plat de lentilles. Encore un peu, et ce contre-sens fatal ferait faire fausse route à la civilisation. Le porc à l’engrais, ce ne serait plus le roi, mais le peuple. Hélas, ce laid expédient ne réussit même pas. Nulle diminution de malaise. Depuis dix ans, depuis vingt ans, l’étiage prostitution, l’étiage mendicité, l’étiage crime, marquent toujours le même chiffre; le mal n’a pas baissé d’un degré. D’éducation vraie, d’éducation gratuite, point. L’enfant a pourtant besoin de savoir qu’il est homme, et le père qu’il est citoyen. Où sont les promesses? où est l’espérance? oh! la pauvre misérable humanité! on est tenté de crier au secours dans la forêt; on est tenté de demander appui, concours et mainforte à cette grande nature sombre. Ce mystérieux ensemble de forces est-il donc indifférent au progrès? On supplie, on appelle, on lève les mains vers l’ombre. On écoute si les bruits ne vont pas devenir des voix. Le devoir des sources et des ruisseaux serait de bégayer: En avant! on voudrait entendre les rossignols chanter des marseillaises. Après tout, pourtant, ces temps d’arrêt n’ont rien que de normal. Le découragement serait puéril. Il y a des haltes, des repos, des reprises d’haleine dans la marche des peuples, comme il y a des hivers dans la marche 8. The word kief (spelled kif today), from the Arabic for hashish, was used by some nineteenth-century French poets, including Baudelaire and Nerval, to refer to the mental state of relaxation, ecstasy, or drunkenness brought on by smoking hashish or opium.

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des saisons. Le pas gigantesque, 89, n’en est pas moins fait. Désespérer serait absurde; mais stimuler est nécessaire. Stimuler, presser, gronder, réveiller, suggérer, inspirer, c’est cette fonction, remplie de toutes parts par les écrivains, qui imprime à la littérature de ce siècle un si haut caractère de puissance et d’originalité. Rester fidèle à toutes les lois de l’art en les combinant avec la loi du progrès, tel est le problème, victorieusement résolu par tant de nobles et fiers esprits. De là cette parole: Délivrance, qui apparaît au-dessus de tout dans la lumière, comme si elle était écrite au front même de l’idéal. La Révolution, c’est la France sublimée. Il s’est trouvé un jour que la France a été dans la fournaise, les fournaises à de certaines martyres guerrières font pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange. Aujourd’hui pour toute la terre la France s’appelle Révolution; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie. Je le répète, ne cherchez pas ailleurs le point d’origine et le lieu de naissance de la littérature du dix-neuvième siècle. Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution! Oui, génies, oui, poètes, philosophes, historiens, oui, géants de ce grand art des siècles antérieurs qui est toute la lumière du passé, ô hommes

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éternels, les esprits de ce temps vous saluent, mais ne vous suivent pas; ils ont vis-à-vis de vous cette loi: tout admirer, ne rien imiter. Leur fonction n’est plus la vôtre. Ils ont affaire à la virilité du genre humain. L’heure du changement d’âge est venue. Nous assistons, sous la pleine clarté de l’idéal, à la majestueuse jonction du beau avec l’utile. Aucun génie actuel ou possible ne vous dépassera, vieux génies, vous égaler est toute l’ambition permise; mais, pour vous égaler, il faut pourvoir aux besoins de son temps comme vous avez pourvu aux nécessités du vôtre. Les écrivains fils de la Révolution ont une tâche sainte. Ô Homère, il faut que leur épopée pleure, ô Hérodote, il faut que leur histoire proteste, ô Juvénal, il faut que leur satire détrône, ô Shakespeare, il faut que leur tu seras roi soit dit au peuple, ô Eschyle, il faut que leur Prométhée foudroie Jupiter, ô Job, il faut que leur fumier féconde, ô Dante, il faut que leur enfer s’éteigne, ô Isaïe, ta Babylone s’écroule, il faut que la leur s’éclaire! Ils font ce que vous avez fait; ils contemplent directement la création, ils observent directement l’humanité; ils n’acceptent pour clarté dirigeante aucun rayon réfracté, pas même le vôtre. Ainsi que vous, ils ont pour seul point de départ, en dehors d’eux, l’être universel, en eux, leur âme; ils ont pour source de leur œuvre la source unique, celle d’où coule la nature et celle d’où coule l’art: l’infini. Comme le déclarait il y a quarante ans tout à l’heure celui qui écrit ces lignes: les poètes et les écrivains du dix-neuvième siècle n’ont ni maîtres, ni modèles.9 Non, dans tout cet art vaste et sublime de tous les peuples, dans toutes ces créations grandioses de toutes les époques, non, pas même toi, Eschyle, pas même toi, Dante, pas même toi, Shakespeare, non, ils n’ont ni modèles ni maîtres. Et pourquoi n’ont-ils ni maîtres ni modèles? C’est parce qu’ils ont un modèle, l’Homme, et parce qu’ils ont un maître, Dieu.

9. Hugo footnoted “Préface de Cromwell” before citing the italicized quote from that 1827 work, which was quickly declared the manifesto of Romanticism.

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Ma Destinée [This 1867 pen-and-wash drawing with gouache, done on vellum paper, is about seven by ten inches in dimension. With the small boat lifted by ocean waves and almost hidden by sea foam, Hugo symbolically represents his chaotic destiny, as he wrote in this note: “Au revers de ce carton, j’ai barbouillé ma destinée: un bateau battu de la tempête au beau milieu du monstrueux océan, à peu près désemparé, assailli par les ouragans et par toutes les écumes et n’ayant qu’un peu de fumée qu’on appelle la gloire, que le vent arrache, —et qui est sa force.” During this same period, he includes himself among the hommes océans described in William Shakespeare. Resemblances between this piece and Hugo’s artwork for Les Travailleurs de la mer (in chapters 4 and 5) are clear, as are echoes of Hokusai’s “The Great Wave at Kanagawa” from his Thirty-six Views of Mount Fuji (ca. 1831–33). If Hugo was influenced by Japanese woodblock prints, he was one of the first French artists to take note of them since the strong influence of Japanese art on Western art dates from 1868, when Manet painted Émile Zola.10 The ocean’s metaphoric power for Hugo is not in genius alone but also in his resolute respect for his conscience. In an 1870 speech “Aux marins de la Manche,” he explicitly connects the power of sea storms to the indefatigability that made him choose as a motto perseverando (“persevering” in Latin): “En proie aux événements comme vous aux vents, je constate leur démence apparente et leur logique profonde; je sens que la tempête est une volonté, et que ma conscience en est une autre, et qu’au fond elles sont d’accord; et je persiste, et je résiste, et je tiens tête aux despotes comme vous aux cyclones, et je laisse hurler autour de moi toutes les meutes du cloaque et tous les chiens de l’ombre, et je fais mon devoir, pas plus ému de la haine que vous de l’écume” (Laffont, Politique, 653).11 ]

10. See Charles, Visions d’intérieurs, 63–67, on the possible influence of Japanese art on Hugo’s work. 11. See Prévost, Océan, 19, for this citation and the poem date. See Picon and Bargiel, Victor Hugo: Dessins, 250, for the first citation.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 18. Ma Destinée, © PMVP / Joffre.

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La Pente de la rêverie, Les Feuilles d’automne XXIX (1831) [In this well-known work, the first of his cosmic vision poems, Hugo describes a multitude of worlds and peoples that the poet could see across space and time, in life and death, as he imagined the descent into the center of one’s being, into eternity. Written when he was only twenty-eight, this reverie begins prosaically enough with a poetic, but realistic description of the rather mundane weather and view from his Paris apartment. Hugo remembers the literary and artistic colleagues who frequently gathered at his home for the Romantic salon, the Cénacle. But then thoughts of friends who are absent and those who have died lead him into an epic vision of the world, both exterior and interior. For Hugo, the word rêverie wraps together thought and imagination, but the term’s precise meaning is as cloudy as the state of mind itself: “La rêverie, qui est la pensée à l’état de nébuleuse, confine au sommeil, et s’en préoccupe comme de sa frontière” (Les Travailleurs de la mer I, 1, vii). The Trésor de la langue française defines rêverie in two ways, both of which are relevant to Hugo’s visions: “(1) Réflexion profonde dans laquelle l’esprit est plongé; l’intuition, la pensée qui en découlent; (2) État de conscience passif et généralement agréable dans lequel l’esprit se laisse captiver par une impression, un souvenir, un sentiment, une pensée et laisse aller son imagination au hasard des associations d’idées.”] Obscuritate rerum verba sæpe obscurantur. gervasius tilberiensis.12

Amis, ne creusez pas vos chères rêveries; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries; Et quand s’offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord; Car la pensée est sombre! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s’élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle!

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12. “It is the obscurity of things that often obscures words.” Attributed here to Gervais de Tilbury, this quote has not been found in the extant writings of the thirteenth-century English chronicler.

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L’autre jour, il venait de pleuvoir, car l’été, Cette année, est de brise et de pluie attristé, Et le beau mois de mai, dont le rayon nous leurre, Prend le masque d’avril, qui sourit et qui pleure. J’avais levé le store aux gothiques couleurs. Je regardais au loin les arbres et les fleurs. Le soleil se jouait sur la pelouse verte Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte Apportait du jardin à mon esprit heureux Un bruit d’enfants joueurs et d’oiseaux amoureux. Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière, Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière De cet astre de mai dont le rayon charmant Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant! Je me laissais aller à ces trois harmonies, Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies; La Seine ainsi que moi laissait son flot vermeil Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil Faisait évaporer à la fois sur les grèves L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves! Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi Mes amis, non confus, mais tels que je les voi Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle, Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle, Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent, Et nous tous, écoutant en cercle, ou regardant. Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages, Tous, même les absents qui font de longs voyages. Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci, Avec l’air qu’ils avaient quand ils vivaient aussi. Quand j’eus, quelques instants, des yeux de ma pensée, Contemplé leur famille à mon foyer pressée, Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés Pâlir en s’effaçant leurs fronts décolorés, Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s’écoule, Se perdre autour de moi dans une immense foule.

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Foule sans nom! chaos! des voix, des yeux, des pas. Ceux qu’on n’a jamais vus, ceux qu’on ne connaît pas. Tous les vivants! — cités bourdonnant aux oreilles Plus qu’un bois d’Amérique ou des ruches d’abeilles, Caravanes campant sur le désert en feu, Matelots dispersés sur l’océan de Dieu, Et, comme un pont hardi, sur l’onde qui chavire, Jetant d’un monde à l’autre un sillon de navire, Ainsi que l’araignée entre deux chênes verts Jette un fil argenté qui flotte dans les airs! Les deux pôles! le monde entier! la mer, la terre, Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère, Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver, Les vallons, descendant de la terre à la mer Et s’y changeant en golfe, et des mers aux campagnes Les caps épanouis en chaînes de montagnes, Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés, Par les grands océans sans cesse dévorés, Tout, comme un paysage en une chambre noire Se réfléchit avec ses rivières de moire, Ses passants, ses brouillards flottants comme un duvet, Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait! Alors, en attachant, toujours plus attentives, Ma pensée et ma vue aux mille perspectives Que le souffle du vent ou le pas des saisons M’ouvrait à tous moments dans tous les horizons, Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes, À côté des cités vivantes des deux mondes, D’autres villes aux fronts étranges, inouis, Sépulcres ruinés des temps évanouis, Pleines d’entassements, de tours, de pyramides, Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides. Quelques-unes sortaient de dessous des cités Où les vivants encor bruissent agités, Et des siècles passés jusqu’à l’âge où nous sommes Je pus compter ainsi trois étages de Romes. Et tandis qu’élevant leurs inquiètes voix, Les cités des vivants résonnaient à la fois

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Des murmures du peuple ou du pas des armées, Ces villes du passé, muettes et fermées, Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins, Se taisaient et semblaient des ruches sans essaims. J’attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes, Et je les vis marcher ainsi que les vivants, Et jeter seulement plus de poussière aux vents. Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes, Je vis l’intérieur des vieilles Babylones, Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions, D’où sans cesse sortaient des générations.13 Ainsi j’embrassais tout: et la terre, et Cybèle;14 La face antique auprès de la face nouvelle; Le passé, le présent; les vivants et les morts; Le genre humain complet comme au jour du remords. Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre. Le pélage d’Orphée et l’étrusque d’Évandre, Les runes d’Irmensul, le sphinx égyptien, La voix du nouveau monde aussi vieux que l’ancien.15 Or, ce que je voyais, je doute que je puisse Vous le peindre: c’était comme un grand édifice Formé d’entassements de siècles et de lieux; On n’en pouvait trouver les bords ni les milieux; À toutes les hauteurs, nations, peuples, races, Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces, Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas, Parlant chacun leur langue et ne s’entendant pas;

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13. Hugo details the breadth of his vision by mentioning ancient cities: Babylon in Mesopotamia, Carthage in Africa, the Phoenician Tyre in Lebanon, Thebes in Egypt, the citadel of Zion in Israel. 14. Cybele was an ancient goddess of Mother Earth. 15. Hugo imagines that people can communicate in archaic languages across different times and places: the mythic poet and singer Orpheus’s ability to charm wild creatures; the mythical Trojan king Evandrus’s Etruscan; the Saxon god Irmensul’s runic script.

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Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde, De degrés en degrés cette Babel du monde.16 La nuit avec la foule, en ce rêve hideux, Venait, s’épaississant ensemble toutes deux, Et, dans ces régions que nul regard ne sonde, Plus l’homme était nombreux, plus l’ombre était profonde, Tout devenait douteux et vague, seulement Un souffle qui passait de moment en moment, Comme pour me montrer l’immense fourmilière, Ouvrait dans l’ombre au loin des vallons de lumière, Ainsi qu’un coup de vent fait sur les flots troublés Blanchir l’écume, ou creuse une onde dans les blés. Bientôt autour de moi les ténèbres s’accrurent, L’horizon se perdit, les formes disparurent, Et l’homme avec la chose et l’être avec l’esprit Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit. J’étais seul. Tout fuyait. L’étendue était sombre. Je voyais seulement au loin, à travers l’ombre, Comme d’un océan les flots noirs et pressés, Dans l’espace et le temps les nombres entassés! Oh! cette double mer du temps et de l’espace Où le navire humain toujours passe et repasse, Je voulus la sonder, je voulus en toucher Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher, Pour vous en rapporter quelque richesse étrange, Et dire si son lit est de roche ou de fange. Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l’abîme il nagea seul et nu, Toujours de l’ineffable allant à l’invisible… Soudain il s’en revint avec un cri terrible, Ébloui, haletant, stupide, épouvanté, Car il avait au fond trouvé l’éternité.

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Mai 1830. [28 mai 1830.]

16. In the Book of Genesis, the people’s building of the Tower of Babel in an attempt to reach heaven provoked God to give them different languages.

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Ce que le poète se disait en 1848, Châtiments IV, ii (1853) [Hugo wrote only six poems in 1848, an important year historically because of the declaration of the Second French Republic in February and the bloody repression of workers’ riots in June. It was a key year in Hugo’s political development; after he turned down the offer of a ministerial post in the new Republic and was elected to a conservative legislative seat, he found his political stance moving further and further left. In June, he nearly lost his life when he attempted to reestablish order at the insurrectionists’ barricades.17 In this poem written toward the end of that momentous year, Hugo emphasized the poet’s essential role to speak out for justice.] Tu ne dois pas chercher le pouvoir, tu dois faire Ton œuvre ailleurs; tu dois, esprit d’une autre sphère, Devant l’occasion reculer chastement. De la pensée en deuil doux et sévère amant, Compris ou dédaigné des hommes, tu dois être Pâtre pour les garder et pour les bénir prêtre. Lorsque les citoyens, par la misère aigris, Fils de la même France et du même Paris, S’égorgent; quand, sinistre, et soudain apparue, La morne barricade au coin de chaque rue Monte et vomit la mort de partout à la fois, Tu dois y courir seul et désarmé; tu dois Dans cette guerre impie, abominable, infâme, Présenter ta poitrine et répandre ton âme, Parler, prier, sauver les faibles et les forts, Sourire à la mitraille et pleurer sur les morts; Puis remonter tranquille à ta place isolée, Et là, défendre, au sein de l’ardente assemblée, Et ceux qu’on veut proscrire et ceux qu’on croit juger, Renverser l’échafaud, servir et protéger  L’ordre et la paix, qu’ébranle un parti téméraire, Nos soldats trop aisés à tromper, et ton frère, Le pauvre homme du peuple aux cabanons18 jeté, Et les lois, et la triste et fière liberté; 17. About Hugo’s actions in 1848, see Hovasse, ed., Châtiments, 168–69. 18. Padded cells in which the dangerously insane were imprisoned.

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Consoler dans ces jours d’anxiété funeste, L’art divin qui frissonne et pleure, et pour le reste Attendre le moment suprême et décisif.

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Ton rôle est d’avertir et de rester pensif. Paris, juillet 1848. [27 novembre 1848.]

Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur, . . . , Les Contemplations I, xxviii (1856) [In this charming poem, Hugo demonstrates his rhythmic skill—moving between beautifully lyrical verse and hard, prose-like language—as he argues that the poet has multiple missions: he needs to shock readers even as he delights and inspires them.] Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur, Esprit doux et splendide, au rayonnement pur, Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent, Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent Les femmes, les songeurs, les sages, les amants, Devienne formidable à de certains moments. Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre, Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre, Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel, Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel; Au milieu de cette humble et haute poésie, Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie, Où l’on entend couler les sources et les pleurs, Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs, Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie; Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant, Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant! Il faut que le poète, aux semences fécondes, Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes, Pleines de chants, amour du vent et du rayon, Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion. Paris, mai 1842. [9 mai 1847.]

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Insomnie, Les Contemplations III, xx (1856) [Hugo does not always praise or admire his poetic genius. In this playful poem he argues with an idea that has awoken him in the middle of the night. His complaints and the conversational style show how effectively Hugo could weave informal language into verse. Hugo did in fact have serious bouts of insomnia, especially during his years on Guernsey.] Quand une lueur pâle à l’orient se lève, Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve, Commence à s’entr’ouvrir et blanchit l’horizon, Comme l’espoir blanchit le seuil d’une prison, Se réveiller, c’est bien, et travailler, c’est juste. Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste, Le travail, saint tribut dû par l’homme mortel, Est la strophe sacrée au pied du sombre autel; Le soc murmure un psaume; et c’est un chant sublime Qui, dès l’aurore, au fond des forêts, sur l’abîme, Au bruit de la cognée, au choc des avirons, Sort des durs matelots et des noirs bûcherons. Mais, au milieu des nuits, s’éveiller! quel mystère! Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre! Quand pas un œil vivant ne veille, pas un feu; Quand les sept chevaux d’or du grand chariot bleu Rentrent à l’écurie et descendent au pôle, Se sentir dans son lit soudain toucher l’épaule Par quelqu’un d’inconnu qui dit: Allons! c’est moi! Travaillons! — La chair gronde et demande pourquoi. — Je dors. Je suis très-las de la course dernière; Ma paupière est encor du somme prisonnière; Maître mystérieux, grâce! que me veux-tu? Certe, il faut que tu sois un démon bien têtu De venir m’éveiller toujours quand tout repose! Aie un peu de raison. Il est encor nuit close; Regarde, j’ouvre l’œil puisque cela te plaît; Pas la moindre lueur aux fentes du volet; Va-t’en! je dors, j’ai chaud, je rêve à ma maîtresse. Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,

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D’où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs. Va-t’en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs. Je te tourne le dos, je ne veux pas! décampe! Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe. La biche illusion me mangeait dans le creux De la main; tu l’as fait enfuir. J’étais heureux, Je ronflais comme un bœuf; laisse-moi. C’est stupide. Ciel! déjà ma pensée, inquiète et rapide, Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau. Tu m’apportes un vers, étrange et fauve oiseau Que tu viens de saisir dans les pâles nuées. Je n’en veux pas. Le vent, de ses tristes huées, Emplit l’antre des cieux; les souffles, noirs dragons, Passent en secouant ma porte sur ses gonds. — Paix-là! va-t’en, bourreau! quant au vers, je le lâche. — Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche; Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon. Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir!                    — Non! Est-ce que je dors, moi? dit l’idée implacable. Penseur, subis ta loi; forçat, tire ton câble. Quoi! cette bête a goût au vil foin du sommeil! L’orient est pour moi toujours clair et vermeil. Que m’importe le corps! qu’il marche, souffre et meure! Horrible esclave, allons, travaille! c’est mon heure. Et l’ange étreint Jacob, et l’âme tient le corps; Nul moyen de lutter; et tout revient alors, Le drame commencé dont l’ébauche frissonne, Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,19 Ou le roman pleurant avec des yeux humains, Ou l’ode qui s’enfonce en deux profonds chemins, Dans l’azur près d’Horace et dans l’ombre avec Dante;

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19. Ruy-Blas, Marion, and Don Ruy Gomez de Silva are characters in Hugo’s plays Ruy Blas, Marion de Lorme, and Hernani, respectively. The sounding of a horn is central to the plot of Hernani. Hugo frequently alludes to the biblical hero Job to express courage in the face of obstacles.

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Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente; Dans ces grands horizons subitement rouverts, Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers, S’en aller devant soi, pensif, ivre de l’ombre; Il faut, rêveur nocturne en proie à l’esprit sombre, Gravir le dur sentier de l’inspiration; Poursuivre la lointaine et blanche vision, Traverser, effaré, les clairières désertes, Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes, Et franchir la forêt, le torrent, le hallier, Noir cheval galopant sous le noir cavalier.

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1843, nuit. [9–10 novembre 1853.]

Veni, vidi, vixi, Les Contemplations IV, xiii (1856) [Hugo places this despairing poem, written six weeks after the 1848 Revolution, immediately before his trio of poems about his daughter Léopoldine’s death (included in chapter 3). He initially called the poem “Abattement,” then revised the title to say in Latin, “I came, I saw, I lived.” He thus echoes Julius Caesar’s triumphant “I came, I saw, I conquered,” as he alludes to his personal grief and disappointments. His regrets no doubt include the loss of Léopoldine in 1843 and his fading political hopes in the face of the new Republic (since at that time he still considered himself a conservative and did not see a role for himself in the new government). But this well-known poem also alludes to his frustration and anguish over repeated antagonistic responses to his writing and defense of artistic freedom, a suffering he explored further in a number of poems, including “À Villequier” (in chapter 3), “Réponse à un acte d’accusation,” and “Suite.”] J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs Je marche, sans trouver de bras qui me secourent, Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent, Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs; Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête, J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour; Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour, Hélas! et sent de tout la tristesse secrète;

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Puisque l’espoir serein dans mon âme est vaincu; Puisqu’en cette saison des parfums et des roses, Ô ma fille! j’aspire à l’ombre où tu reposes, Puisque mon cœur est mort, j’ai bien assez vécu. Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre. Mon sillon? Le voilà. Ma gerbe? La voici. J’ai vécu souriant, toujours plus adouci, Debout, mais incliné du côté du mystère. J’ai fait ce que j’ai pu; j’ai servi, j’ai veillé, Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine. Je me suis étonné d’être un objet de haine, Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

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Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile, Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, Morne, épuisé, raillé par les forçats humains, J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle. Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi; Je ne me tourne plus même quand on me nomme; Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi. Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse, Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit. Ô Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit Afin que je m’en aille et que je disparaisse!

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Avril 1848. [11 avril 1848.]

Ibo, Les Contemplations VI, ii (1856) [In “Ibo” (Latin for “I will go”), Hugo writes as a visionary, addressing himself directly to such verities as Love, Reason, Right, Liberty (which he calls lueurs de Dieu—glimmers of God). By capitalizing the abstract nouns—something he rarely does—he emphasizes their power. The inspiration for this poem comes from the dolmen de Rozel, a megalithic monument of twenty-three granite blocks near Rozel Bay on Jersey’s northeast coast, as it did for “Ce que dit la bouche

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d’ombre” (see the introduction to chapter 6). In this poem, the poet feels triumphant, endowed with the powerful qualities of an eagle and a lion as he seeks to approach and understand God and death. Hugo makes his biblical allusions clear in the eleventh stanza: the symbol of Mark the Evangelist is a winged lion, and Amos 3:4–7 mentions a lion and a bird just before speaking of God’s revelations to the prophets. In Revelation 4:6–8, an eagle and a lion are two of the four beasts each described as surrounded by six wings and “full of eyes within” in the apocalyptic vision. The poet in “Ibo” grapples with the mysteries of God, and exhorts the audacity with which Prometheus stole fire from the gods and Adam disobeyed Jehovah; the poet is not always equally sanguine. In many other poems in this final book of Les Contemplations, “Au bord de l’infini,” the poet confronts his own humility, as well as the terror of understanding, when confronted with the vastness of eternity.] Dites, pourquoi, dans l’insondable Au mur d’airain, Dans l’obscurité formidable Du ciel serein, Pourquoi, dans ce grand sanctuaire Sourd et béni, Pourquoi, sous l’immense suaire De l’infini, Enfouir vos lois éternelles Et vos clartés? Vous savez bien que j’ai des ailes, Ô vérités! Pourquoi vous cachez-vous dans l’ombre Qui nous confond? Pourquoi fuyez-vous l’homme sombre Au vol profond? Que le mal détruise ou bâtisse, Rampe ou soit roi, Tu sais bien que j’irai, Justice, J’irai vers toi! Beauté sainte, Idéal qui germes Chez les souffrants,

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Toi par qui les esprits sont fermes Et les cœurs grands, Vous le savez, vous que j’adore, Amour, Raison, Qui vous levez comme l’aurore Sur l’horizon, Foi, ceinte d’un cercle d’étoiles, Droit, bien de tous, J’irai, Liberté qui te voiles, J’irai vers vous! Vous avez beau, sans fin, sans borne, Lueurs de Dieu, Habiter la profondeur morne Du gouffre bleu, Âme à l’abîme habituée Dès le berceau, Je n’ai pas peur de la nuée; Je suis oiseau.

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Je suis oiseau comme cet être Qu’Amos rêvait, Que saint Marc voyait apparaître À son chevet, Qui mêlait sur sa tête fière, Dans les rayons, L’aile de l’aigle à la crinière Des grands lions. J’ai des ailes. J’aspire au faîte; Mon vol est sûr; J’ai des ailes pour la tempête Et pour l’azur. Je gravis les marches sans nombre. Je veux savoir; Quand la science serait sombre Comme le soir!

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Vous savez bien que l’âme affronte Ce noir degré, Et que, si haut qu’il faut qu’on monte, J’y monterai!

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Vous savez bien que l’âme est forte Et ne craint rien Quand le souffle de Dieu l’emporte! Vous savez bien Que j’irai jusqu’aux bleus pilastres, Et que mon pas, Sur l’échelle qui monte aux astres, Ne tremble pas! L’homme, en cette époque agitée, Sombre océan, Doit faire comme Prométhée Et comme Adam. Il doit ravir au ciel austère L’éternel feu; Conquérir son propre mystère, Et voler Dieu. L’homme a besoin, dans sa chaumière, Des vents battu, D’une loi qui soit sa lumière Et sa vertu.

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Toujours ignorance et misère! L’homme en vain fuit, Le sort le tient; toujours la serre! Toujours la nuit! Il faut que le peuple s’arrache Au dur décret, Et qu’enfin ce grand martyr sache Le grand secret! Déjà l’amour, dans l’ère obscure Qui va finir,

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Dessine la vague figure De l’avenir. Les lois de nos destins sur terre, Dieu les écrit; Et, si ces lois sont le mystère, Je suis l’esprit. Je suis celui que rien n’arrête, Celui qui va, Celui dont l’âme est toujours prête À Jéhovah;

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Je suis le poète farouche, L’homme devoir, Le souffle des douleurs, la bouche Du clairon noir; Le rêveur qui sur ses registres Met les vivants, Qui mêle des strophes sinistres Aux quatre vents; Le songeur ailé, l’âpre athlète Au bras nerveux, Et je traînerais la comète Par les cheveux. Donc, les lois de notre problème, Je les aurai; J’irai vers elles, penseur blême, Mage effaré! Pourquoi cacher ces lois profondes? Rien n’est muré. Dans vos flammes et dans vos ondes Je passerai; J’irai lire la grande bible; J’entrerai nu Jusqu’au tabernacle terrible De l’inconnu,

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Jusqu’au seuil de l’ombre et du vide, Gouffres ouverts Que garde la meute livide Des noirs éclairs, Jusqu’aux portes visionnaires Du ciel sacré; Et, si vous aboyez, tonnerres, Je rugirai. Au dolmen de Rozel, janvier 1853. [24 juillet 1854.]

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9  •  On Liberty and Democracy

La liberté est l’air respirable de l’âme. —Le Rhin, Conclusion XV (1842) La liberté! Sauvons la liberté! La liberté sauve le reste. —Choses vues, décembre 1851 La République affirme le droit et impose le devoir. —Choses vues, 7 juin 1884

“Quand la liberté rentrera, je rentrerai,” was Victor Hugo’s response to Napoleon III’s 1859 proclamation of a general pardon for those driven into exile by his 1851 coup d’état (Laffont, Politique, 511). Like some of his republican colleagues, Hugo preferred exile to life under an undemocratic regime. And in delaying his return until September 1870, when France again became a republic, he proclaimed the inherent connections between liberty and democracy, continuing battles for freedom begun in his youth. With his poetry and plays, he broke with Classical literary tradition. Hugo recognized that artistic freedom promotes social freedom; he fought for both, and consistently confronted censorship of the stage or press. The allegorical figure that overcomes evil in La Fin de Satan is the Angel Liberty. The longer he lived, the more Hugo worked for liberty writ large: freedom from tyranny, the establishment of democratic governments around the world, and the freedom to love the person one truly loves. As Guy Rosa writes, liberty for Hugo is without boundary, like being

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a bird: “Il a en horreur les frontières, les barrières, les horizons bornés, les jardins, les particularismes.”1 At age seventy-five, Hugo remembered in “Le Droit et la loi,” his preface to Actes et Paroles, these words of his godfather, Victor Lahorie: “Enfant, avant tout la liberté,” words ostensibly spoken not long before Lahorie’s execution for opposing the Napoleonic Empire. Hugo went on to say that it was not in vain that he heard from this “outlaw” “ce mot du droit et du devoir: Liberté” (Laffont, Politique, 74–75).

Artistic Freedom and Freedom of Speech Hugo as a playwright was no stranger to government censorship, and he saw clear parallels between freedom of thought, social freedoms, and artistic freedoms. In the Préface to his play Cromwell, Hugo contends that fundamental freedom of thought requires freedom from arbitrary literary rules: “Disons-le hardiment. Le temps en est venu, et il serait étrange qu’à cette époque, la liberté, comme la lumière, pénétrât partout, excepté dans ce qu’il y a de plus nativement libre au monde, les choses de la pensée. Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes.” Continuing his arguments in his preface to Hernani three years later, Hugo is explicit: “La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques. . . . La liberté littéraire est fille de la liberté politique.” Hernani was so artistically shocking to classically inclined conservatives that the play’s performances provoked nightly fights between Romantics and Classicists. After several weeks of insults and fisticuffs, the Romantics won “la bataille d’Hernani,” and Romantic dramas dominated the Parisian stage. Yet Hugo’s personal fight for theatrical freedom remained an uphill battle. Marion de Lorme was banned from the Paris stage in 1829; Le Roi s’amuse met the same fate three years later. The royal censors found both plays critical of the king. Hugo lost his appeal against government censorship of Le Roi s’amuse but powerfully united diverse freedoms in his speech to the court: “La liberté de pensée, dans tous ses modes de publication par le théâtre comme par la presse, par la chaire comme par la tribune, c’est là, Messieurs, une des principales bases de notre droit public” (Laffont, Théâtre I, 840). In his conclusion, Hugo foretold with remarkable accuracy his decades of struggle against repressive governments and his own exile in defense of liberty: “Aujourd’hui on me fait prendre ma liberté de poète par un censeur, demain on me fera prendre ma liberté de 1. “La République universelle,” 5–6.

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citoyen par un gendarme; aujourd’hui on me bannit du théâtre, demain on me bannira du pays; aujourd’hui on me bâillonne, demain on me déportera; aujourd’hui l’état de siège est dans la littérature, demain il sera dans la cité. De liberté, de garanties, de Charte, de droit public, plus un mot. Néant.” Hugo lost this case but sixteen years later successfully argued in the legislature for the reopening of theaters closed during the 1848 post-revolutionary state of siege. Decades later, under Napoleon III, revivals of Hugo’s successful Hernani and Ruy Blas were produced in accord with Hugo’s demand that they not be subject to the censors. But the productions were then shut down in response to Hugo’s poem in honor of Italian republican leader Garibaldi, La Voix de Guernesey. In his 1866 correspondence about his Théâtre en liberté Hugo wrote, “Pour que le drame écrit par moi cet hiver pût être joué, il faudrait des conditions de liberté refusés en France à tous, et à moi plus qu’à personne.”2 In Hugo’s eyes, liberty was a right that could not be outlawed. Censorship of art reflected censorship of thought, of the press, and of other basic human freedoms.

Democratic Ideals of the French Republic Given Hugo’s ongoing campaign for various liberties, it is not surprising that he found, as a legislator, that his ideals were more republican than monarchist. Nineteenth-century France was a time of continuous upheaval. For nearly a hundred years after the 1789 Revolution, French governments alternated between two main groups: those sometimes known as le parti de l’ordre, in favor of authority, a ruling class, and close political association with the Catholic Church; and those in favor of liberalism and a democratically elected, secular government (les républicains). Several times regimes came to power with promise of increased freedoms, and some began by liberalizing laws. The February 1848 Revolution brought a return of reforms that had originated in the 1790s, including universal male suffrage, the right to work, and abolition of slavery in French colonies. But many reforms were soon rescinded, following the violent July repression of a workers’ insurrection at the Paris ateliers nationaux. In March, Hugo had supported the République universelle at the planting of a Liberty tree (see the text in this chapter). By mid-November, however, he doubted the Republic’s viability: “Non, tu n’es pas la grande et sainte République! / Ô fantôme à l’œil louche, à l’attitude oblique . . .” (Choses vues II, 386). ­Repeatedly, new liberal governments became more authoritarian once they had been in power 2. Cited in Laster, Preface to Théâtre en liberté, ix.

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for a time—until France became firmly republican in the late 1870s during the Third Republic. Then the progressive values for which Hugo and his colleagues had worked for decades became staples of French society, with laws confirming freedom of the press, people’s right to assemble, workers’ right to unionize, secular government and education, the right to divorce, and universal suffrage. The Victor Hugo who returned from exile in 1870 was seen by many as a Father of the Republic for several reasons.3 Especially after rejecting Napoleon III’s general amnesty, Hugo both actively and symbolically supported freedom movements around the world. Often solicited to attend meetings and write supportive letters, he upheld republican causes in Italy, Poland, Ireland, Crete, Spain, Switzerland, Mexico, Cuba, and China. He advocated republicanism in increasingly direct and vocal ways, writing in the late 1860s, “Cette heure de Dieu est arrivée, et s’est appelée République” (L’Homme qui rit II, 8, vii), and then again with his heroic young republican Gauvain’s preference for la république de l’idéal (Quatrevingt-treize III, 7, v). Hugo used the term la République universelle to refer to his desire that democracy become the form of government for all, and increasingly argued that France, as a model of liberal ideals, could lead the way to a federation of European countries remarkably similar to today’s European Union.

Ruy Blas II, i (excerpt) (1838) [Even as he supported the constitutional monarchy of Louis-Philippe, befriended the queen, and hoped to become a peer of France, Victor Hugo wrote about the values of personal freedom and recognized to what extent being royal, aristocratic, or noble could repress such liberty. In this excerpt from his play Ruy Blas, the queen of Spain (Doña Maria de Neubourg) is bound by strict rules of decorum, which are upheld by the stern, elderly, black-clad duchess (the camerera mayor, or principal lady-in-waiting). The queen yearns to be free. Confiding in her confidante, Casilda, she nostalgically remembers her youth in Germany in the prose-like verse that Hugo often uses. Thirty years later, Hugo’s L’Homme qui rit hero, Gwynplaine, finds himself similarly distressed after he is identified as a rich aristocrat who had been kidnapped as a baby. He finds that his new status severely limits his freedom and protests, “Je ne suis pas lord pour être esclave” (II, 7, i).] 3. Winock, Voix, 7–11; Laurent, “République et Commune,” 211.

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LA REINE Paix! Elle s’éloigne un peu de Casilda et retombe dans sa rêverie.

   Que ne suis-je encor, moi qui crains tous ces grands, Dans ma bonne Allemagne avec mes bons parens! Comme, ma sœur et moi, nous courions dans les herbes! Et puis des paysans passaient, traînant des gerbes; Nous leur parlions. C’était charmant. Hélas! un soir, Un homme vint, qui dit: — Il était tout en noir. Je tenais par la main ma sœur, douce compagne. — «Madame, vous allez être reine d’Espagne.» Mon père était joyeux et ma mère pleurait. Ils pleurent tous les deux à présent. — En secret Je vais faire envoyer cette boîte à mon père, Il sera bien content. — Vois, tout me désespère. Mes oiseaux d’Allemagne, ils sont tous morts; Casilda fait le signe de tordre le cou à des oiseaux, en regardant de travers la camerera.

                    Et puis On m’empêche d’avoir des fleurs de mon pays. Jamais à mon oreille un mot d’amour ne vibre. Aujourd’hui je suis reine. Autrefois j’étais libre! Comme tu dis, ce parc est bien triste le soir, Et les murs sont si hauts qu’ils empêchent de voir. — Oh! l’ennui! — On entend au dehors un chant éloigné.

         Qu’est ce bruit? CASILDA                 Ce sont les lavandières Qui passent en chantant, là-bas, dans les bruyères. Le chant se rapproche. On distingue les paroles. La reine écoute avidement.

VOiX DU DEHORS À quoi bon entendre Les oiseaux des bois? L’oiseau le plus tendre Chante dans ta voix. Que Dieu montre ou voile Les astres des cieux!

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La plus pure étoile Brille dans tes yeux. Qu’Avril renouvelle Le jardin en fleur! La fleur la plus belle Fleurit dans ton cœur. Cet oiseau de flamme, Cet astre du jour, Cette fleur de l’ame S’appelle l’amour! Les voix décroissent et s’éloignent.

LA REINE, rêveuse. L’amour! — oui, celles-là sont heureuses. — Leur voix, Leur chant me fait du mal et du bien à la fois. LA DUCHESSE, aux duègnes. Ces femmes dont le chant importune la reine, Qu’on les chasse! LA REINE, vivement.          Comment! on les entend à peine. Pauvres femmes! je veux qu’elles passent en paix, Madame. À Casilda en lui montrant une croisée au fond.

     Par ici le bois est moins épais; Cette fenêtre-là donne sur la campagne; Viens, tâchons de les voir. Elle se dirige vers la fenêtre avec Casilda.

LA DUCHESSE se levant, avec une révérence.             Une reine d’Espagne Ne doit pas regarder à la fenêtre. LA REINE, s’arrêtant et revenant sur ses pas.                Allons! Le beau soleil couchant qui remplit les vallons, La poudre d’or du soir qui monte sur la route, Les lointaines chansons que toute oreille écoute, N’existent plus pour moi! j’ai dit au monde adieu. Je ne puis même voir la nature de Dieu! Je ne puis même voir la liberté des autres!

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Préface, Les Orientales, Première édition (excerpt) (1829) [Published when Hugo was twenty-six, Les Orientales, along with his earlier Odes et ballades, firmly established him as a leading Romantic poet. In the first edition preface excerpted here, Hugo celebrates the freedom inherent in art and poetry; he defends the poet’s right to choose any subject and argues that critics should concern themselves only with the quality of the writing. Often cited as an early defense of “art for art’s sake,” this preface equally makes the case for artistic freedom. Not only did Hugo and other Romantic poets write about subjects not previously deemed appropriate—the exotic Middle East, for instance, with descriptions of bloody wars and vividly sensual images—but in Les Orientales Hugo also frequently violates traditional French poetic rules, using rhyme and rhythm schemes that shocked 1820s readers. In the preface to the fourteenth edition (published just a month after the first), Hugo proudly recognizes the controversial, groundbreaking quality of his work, and notes that it had aroused the expected mix of antagonistic and supportive critical reactions. He revels in the interconnected freedoms of art and criticism: “Qui veut la liberté de l’art doit vouloir la liberté de la critique; et les luttes sont toujours bonnes. Malo periculosam libertatem (  Je préfère la liberté avec ses dangers)” (Laffont, Poésie I, 415).] L’auteur de ce recueil n’est pas de ceux qui reconnaissent à la critique le droit de questionner le poète sur sa fantaisie, et de lui demander pourquoi il a choisi tel sujet, broyé telle couleur, cueilli à tel arbre, puisé à telle source. L’ouvrage est-il bon ou est-il mauvais? Voilà tout le domaine de la critique. Du reste, ni louanges ni reproches pour les couleurs employées, mais seulement pour la façon dont elles sont employées. À voir les choses d’un peu haut, il n’y a en poésie ni bons ni mauvais sujets, mais de bons et de mauvais poètes. D’ailleurs, tout est sujet; tout relève de l’art; tout a droit de cité en poésie. Ne nous enquérons donc pas du motif qui vous a fait prendre ce sujet, triste ou gai, horrible ou gracieux, éclatant ou sombre, étrange ou simple, plutôt que cet autre. Examinons comment vous avez travaillé, non sur quoi et pourquoi. Hors de là, la critique n’a pas de raison à demander, le poète pas de compte à rendre. L’art n’a que faire des lisières, des menottes, des bâillons; il vous dit: Va! et vous lâche dans ce grand jardin de poésie, où il n’y a pas de fruit défendu. L’espace et le temps sont au poète. Que le poète donc aille où il veut en faisant ce qui lui plaît: c’est la loi. Qu’il croie en Dieu ou aux dieux, à Pluton ou à Satan, à Canidie ou à Morgane, ou à rien; qu’il acquitte

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le péage du Styx, qu’il soit du Sabbat;4 qu’il écrive en prose ou en vers, qu’il sculpte en marbre ou coule en bronze; qu’il prenne pied dans tel siècle ou dans tel climat; qu’il soit du midi, du nord, de l’occident, de l’orient; qu’il soit antique ou moderne; que sa muse soit une Muse ou une fée, qu’elle se drape de la colocasia ou s’ajuste la cotte-hardie.5 C’est à merveille. Le poète est libre. Mettons-nous à son point de vue, et voyons. L’auteur insiste sur ces idées, si évidentes qu’elles paraissent, parce qu’un certain nombre d’Aristarques  6 n’en est pas encore à les admettre pour telles. Lui-même, si peu de place qu’il tienne dans la littérature contemporaine, il a été plus d’une fois l’objet de ces méprises de la critique. Il est advenu souvent qu’au lieu de lui dire simplement: Votre livre est mauvais, on lui a dit: Pourquoi avez-vous fait ce livre? Pourquoi ce sujet? Ne voyez-vous point que l’idée première est horrible, grotesque, absurde (n’importe!), et que le sujet chevauche hors des limites de l’art? Cela n’est pas joli, cela n’est pas gracieux. Pourquoi ne point traiter des sujets qui nous plaisent et nous agréent? les étranges caprices que vous avez là! etc., etc. À quoi il a toujours fermement répondu: que ces caprices étaient ses caprices; qu’il ne savait pas en quoi étaient faites les limites de l’art; que de géographie précise du monde intellectuel, il n’en connaissait point; qu’il n’avait point encore vu de cartes routières de l’art, avec les frontières du possible et de l’impossible tracées en rouge et en bleu; qu’enfin il avait fait cela, parce qu’il avait fait cela.

4. With this list of personages from religion and mythology, Hugo frees the poet from any philosophical or theological perspective. He juxtaposes Satan with the Greek ruler of the underworld, Pluto, or Hades; Roman poet Horace’s sorceress Canidia with the Breton sorceress Morgana; the poisonous River Styx of the mythological Greek underworld with an ambiguous “Sabbat,” which likely refers here to a nightly gathering of witches and warlocks, but which also denotes the Jewish sabbath. 5. Colocasia in Latin, colocase in French, refers to an Egyptian plant sometimes used as jewelry. La cotte-hardie was an outer garment that French men and women wore from about 1300 until 1700. 6. The term Aristarque, meaning a meticulous, severe critic, derives from the name of Aristarchus, celebrated grammarian of ancient Alexandria known for his harsh judgments (third century B.C.).

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Plantation de l’arbre de la liberté, place des Vosges, Actes et paroles I, Avant l’exil [Réunions électorales, 1848–49, III] (1875) [The planting of “liberty trees” in France dates back at least to the 1789 Revolution, when as a public festival it encouraged everyone’s participation.7 On March 2, 1848, just a week after the February Revolution, Hugo was invited to speak at such a planting in the Place des Vosges (which had regained its Napoleonic name after having been the Place Royale during the Restoration). This speech may have been the first time that Hugo overtly supported the new Republic. In any case, he later pointed to his words as an indication that he had supported the republican cause before being elected to the legislature in June. In this short speech (the text of his campaign leaflet), Hugo connects several of his key principles: human rights, the value of progress, and his belief in humanity and in the goodness of God.] C’est avec joie que je me rends à l’appel de mes concitoyens et que je viens saluer au milieu d’eux toutes les espérances d’émancipation, d’ordre et de paix qui vont germer, mêlées aux racines de cet arbre de la liberté. C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre; comme l’arbre, elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. (Acclamations.) Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. (Acclamations.) Le premier arbre de la liberté, c’est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la fraternité du genre humain. (Bravos et longs applaudissements.) La signification de cet arbre n’a point changé depuis dix-huit siècles; seulement, ne l’oublions pas, à temps nouveaux devoirs nouveaux; la révolution que nos pères ont faite il y a soixante ans a été grande par la guerre; la révolution que vous faites aujourd’hui doit être grande par la paix. La première a détruit, la seconde doit organiser. L’œuvre d’organisation est le complément nécessaire de l’œuvre de destruction; c’est là ce qui rattache intimement 1848 à 1789. Fonder, créer, produire, pacifier; satisfaire à tous les droits, développer tous les grands instincts de l’homme, pourvoir à tous 7. Popkin, A Short History, 55.

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les besoins des sociétés; voilà la tâche de l’avenir. Or, dans les temps où nous sommes, l’avenir vient vite. (Applaudissements.) On pourrait presque dire que l’avenir n’est plus demain, il commence dès aujourd’hui. (Bravo! ) À l’œuvre donc, à l’œuvre, travailleurs par le bras, travailleurs par l’intelligence, vous tous qui m’écoutez et qui m’entourez! mettez à fin cette grande œuvre de l’organisation fraternelle de tous les peuples, conduits au même but, rattachés à la même idée, et vivant du même cœur. Soyons tous des hommes de bonne volonté, ne ménageons ni notre peine ni nos sueurs. Répandons sur le peuple qui nous entoure, et de là sur le monde entier, la sympathie, la charité et la fraternité. Depuis trois siècles, le monde imite la France. Depuis trois siècles, la France est la première des nations. Et savez-vous ce que veut dire ce mot, la première des nations? Ce mot veut dire, la plus grande; ce mot veut dire aussi, la meilleure. (Acclamations.) Mes amis, mes frères, mes concitoyens, établissons dans le monde entier, par la grandeur de nos exemples, l’empire de nos idées! Que chaque nation soit heureuse et fière de ressembler à la France. (Bravo! ) Unissons-nous dans une pensée commune, et répétez avec moi ce cri: Vive la liberté universelle! Vive la République universelle! (Vive la République! Vive Victor Hugo! — Longues acclamations.)

Victor Hugo à ses concitoyens, Actes et paroles I, Avant l’exil [Réunions électorales, 1848–49, IV] (1875) [Distributed as a leaflet in late May 1848, this campaign statement no doubt helped Hugo win a seat in the Assemblée constituante. Here Hugo condemns some of the worst excesses of the 1793–94 Terror by contrasting the government that oversaw it with the Republic he supports. Listing many of the societal changes he would promote as a deputy, Hugo even declares in his manuscript, though not in the printed version, the rights of women: “droits de la femme, distincts des droits de l’homme et non moins sacrés” (Laffont, Politique, 1099, n. 41). Knowing that his campaign statement was already quite provocative, Hugo may have realized that the voters were not yet ready to support women’s rights.] Mes concitoyens, Je réponds à l’appel des soixante mille électeurs qui m’ont spontanément honoré de leurs suffrages aux élections de la Seine. Je me présente à votre libre choix.

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Dans la situation politique telle qu’elle est, on me demande toute ma pensée. La voici: Deux républiques sont possibles. L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’Institut, l’École polytechnique et la Légion d’honneur, ajoutera à l’auguste devise: Liberté, Égalité, Fraternité, l’option sinistre: ou la Mort; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit, qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendre, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu; remettra en mouvement ces deux machines fatales qui ne vont pas l’une sans l’autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit. L’autre sera la sainte communion de tous les Français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique; fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d’hommes libres; donnera à tous l’enseignement comme le soleil donne la lumière, gratuitement; introduira la clémence dans la loi pénale et la conciliation dans la loi civile; multipliera les chemins de fer, reboisera une partie du territoire, en défrichera une autre, décuplera la valeur du sol; partira de ce principe qu’il faut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriété, assurera en conséquence la propriété comme la représentation du travail accompli, et le travail comme l’élément de la propriété future; respectera l’héritage, qui n’est autre chose que la main du père tendue aux enfants à travers le mur du tombeau; combinera pacifiquement, pour résoudre le glorieux problème du bien-être universel, les accroissements continus de l’industrie, de la science, de l’art et de la pensée; poursuivra, sans quitter terre pourtant, et sans sortir du possible et du vrai, la réalisation sereine de tous les grands rêves des sages; bâtira le pouvoir sur la même base que la liberté, c’est-à-dire sur le droit; subordonnera la force à l’intelligence; dissoudra l’émeute et la guerre, ces deux formes de la barbarie; fera de l’ordre la loi des citoyens, et de la paix la loi

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des nations; vivra et rayonnera; grandira la France, conquerra le monde, sera, en un mot, le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait. De ces deux républiques, celle-ci s’appelle la civilisation, celle-là s’appelle la terreur. Je suis prêt à dévouer ma vie pour établir l’une et empêcher l’autre.

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Le Char de la monarchie [This brown-ink-and-wash pen drawing probably dates from the 1860s, during the period in which Hugo wrote L’Homme qui rit, a novel designed, in part, to show how self-aggrandizing aristocrats and monarchs can push people into revolution. The title, “Le Char de la monarchie,” which appeared with the drawing in Le Courrier français in 1885, connects the piece to Hugo’s musings during his 1843 trip in the Pyrénées. Riding uncomfortably in a stagecoach (une diligence) with very hard seats, Hugo remarked that “stagecoach of the state” would be a more accurate term than the usual “carriage”—le char de l’État (akin to the English “ship of state”). Since char can mean a wagon or a highly decorated vehicle used for ceremonial purposes, the context conjures up a more fanciful image than that of a workaday horse-drawn stagecoach. In his travel journal, Hugo drew parallels between the stagecoach and the state: “La diligence a trois compartiments comme l’état. L’aristocratie est dans le coupé; la bourgeoisie est dans l‘intérieur; le peuple est dans la rotonde. Sur l’impériale, au-dessus de tous, sont les rêveurs, les artistes, les gens déclassées. Le roi, c’est le conducteur, qu’on traite volontiers de tyran; le ministère, c’est le postillon qu’on change à chaque relais. Quand la voiture est trop chargée de bagages, c’est-à-dire quand la société met les intérêts par-dessus tout, elle court risque de verser.” Artist François-Nicolas Chifflart, who illustrated Hugo’s novels, admired this drawing, finding it well rendered and unusually cheerful for Hugo.8 ]

8. Prévost, Océan, 304–05.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 19. Le Char de la monarchie, © PMVP / Ladet.

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La Liberté de la presse (excerpt), Napoléon le Petit II, v (1852) [Napoléon le Petit is Victor Hugo’s virulent diatribe indicting French president Charles-Louis-Napoleon Bonaparte for his 1851 coup d’état. A few days before its publication, Hugo left Belgium to settle on the isle of Jersey, foreseeing expulsion as a result of this pamphlet, which was smuggled into France by various means (including being hidden in a bust of Bonaparte himself). “La Liberté de la presse” appears in the second of the eight livres, “Le Gouvernement.” Thus it follows “L’Homme” (in which Hugo gives Bonaparte’s biography, recounting his presidential election) and precedes “Le Crime” (in which Hugo details events from December 2–5, 1851). In this livre, Hugo expresses his indignation at how Bonaparte’s proclamation of a new government under his personal control eliminated numerous rights and freedoms. In “La Liberté de la presse,” Hugo argues that those journalists who have not lost their jobs are working under highly restrictive conditions, under a sort of sword of Damocles, like the stick or whip used to control galley slaves (le gourdin of police prefect Maupas, who zealously fought any opposition). In February and March 1852, the commissions mixtes, to which Hugo refers, found some fourteen thousand French citizens “dangerous” and deported many of them.] Et la liberté de la presse! qu’en dire? n’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot? cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté faite de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle? qu’est-ce que M. Bonaparte en a fait? Elle est où est la tribune. À Paris, vingt journaux anéantis; dans les départements, quatre-vingts; cent journaux supprimés; c’est-à-dire, à ne voir que le côté matériel de la question, le pain ôté à d’innombrables familles, c’est-àdire, sachez-le, bourgeois, cent maisons confisquées, cent métairies prises à leurs propriétaires, cent coupons de rente arrachés du grand-livre. Identité profonde des principes: la liberté supprimée, c’est la propriété détruite. Que les idiots égoïstes, applaudisseurs du coup d’état, méditent ceci. Pour loi de la presse, un décret posé sur elle; un fetfa, un firman9 daté de l’étrier impérial; le régime de l’avertissement. On le connaît ce régime. On le voit tous les jours à l’œuvre. Il fallait ces gens-là pour inventer cette chose-là. Jamais le despotisme ne s’est montré plus lourdement insolent 9. A fetfa or fatwa is an Islamic leader’s authoritative ruling on a point of Islamic law. A firman is an edict or order issued by a Middle Eastern ruler.

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et bête que dans cette espèce de censure du lendemain qui précède et annonce la suppression, et qui donne la bastonnade à un journal avant de le tuer. Dans ce gouvernement, le niais corrige l’atroce et le tempère. Tout le décret de la presse peut se résumer en une ligne: Je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises. Qui donc règne? Est-ce Tibère? Est-ce Schahabaham?10 — Les trois quarts des journalistes républicains déportés ou proscrits, le reste traqué par les commissions mixtes, dispersé, errant, caché; çà et là, dans quatre ou cinq journaux survivants, dans quatre ou cinq journaux indépendants, mais guettés, sur la tête desquels pend le gourdin de Maupas, quinze ou vingt écrivains courageux, sérieux, purs, honnêtes, généreux, qui écrivent la chaîne au cou et le boulet au pied; le talent entre deux factionnaires, l’indépendance bâillonnée, l’honnêteté gardée à vue, et Veuillot11 criant: Je suis libre!

Stella, Châtiments VI, xv (1853) [Appearing in the sixth of the seven livres of Châtiments, “Stella” is one of the poems that look forward from the dark time brought on by Bonaparte’s coup d’état to the Republic that Hugo believes must return. The je of the poem, la Poésie ardente personified, sees hope in the star rising over the sea (stella in Latin). This morning star, which connotes both Venus (the planet named after the mythological goddess of love) and the Virgin Mary (called stella matutina in Catholic liturgy) offers a vision of liberty and light, always an optimistic image for Hugo. Poet Arthur Rimbaud noted in his 1871 “Lettre d’un voyant” the centrality of this poem to Hugo’s vision: “J’ai Les Châtiments sous la main: ‘Stella’ donne à peu près la mesure de la vue de Hugo [Rimbaud’s italics].”12 ] Je m’étais endormi la nuit près de la grève. Un vent frais m’éveille, je sortis de mon rêve, J’ouvris les yeux, je vis l’étoile du matin. Elle resplendissait au fond du ciel lointain Dans une blancheur molle, infinie et charmante.

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10. Hugo often compares the tyrannical Roman emperor Tiberius (42 B.C.–A.D. 37) to Napoleon III in Châtiments. Schahabaham, one of the Egyptian sultans under the Mameluke dynasty, was a name popular with Romantic authors. 11. Louis Veuillot (1813–83), founder of the newspaper L’Univers, supported the coup d’état and became one of Hugo’s most strident critics. 12. Cited in Hovasse, ed., Châtiments, 277.

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Aquilon s’enfuyait emportant la tourmente. L’astre éclatant changeait la nuée en duvet. C’était une clarté qui pensait, qui vivait; Elle apaisait l’écueil où la vague déferle; On croyait voir une âme à travers une perle. Il faisait nuit encor, l’ombre régnait en vain, Le ciel s’illuminait d’un sourire divin. La lueur argentait le haut du mât qui penche; Le navire était noir, mais la voile était blanche; Des goélands debout sur un escarpement, Attentifs, contemplaient l’étoile gravement Comme un oiseau céleste et fait d’une étincelle; L’océan, qui ressemble au peuple, allait vers elle, Et, rugissant tout bas, la regardait briller, Et semblait avoir peur de la faire envoler. Un ineffable amour emplissait l’étendue. L’herbe verte à mes pieds frissonnait éperdue, Les oiseaux se parlaient dans les nids; une fleur Qui s’éveillait me dit: C’est l’étoile ma sœur. Et pendant qu’à longs plis l’ombre levait son voile, J’entendis une voix qui venait de l’étoile Et qui disait: — Je suis l’astre qui vient d’abord. Je suis celle qu’on croit dans la tombe et qui sort. J’ai lui sur le Sina, j’ai lui sur le Taygète;13 Je suis le caillou d’or et de feu que Dieu jette, Comme avec une fronde, au front noir de la nuit. Je suis ce qui renaît quand un monde est détruit. Ô nations! je suis la Poésie ardente. J’ai brillé sur Moïse et j’ai brillé sur Dante. Le lion Océan est amoureux de moi. J’arrive. Levez-vous, vertu, courage, foi! Penseurs, esprits! montez sur la tour, sentinelles! Paupières, ouvrez-vous! allumez-vous, prunelles! Terre, émeus le sillon; vie, éveille le bruit;

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13. Mount Sinai and Mount Taygetus are both associated with lawgivers: Moses, recipi­ ent of the Ten Commandments, and Lycurgus, traditionally credited with building the institutions of Sparta.

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Debout, vous qui dormez; — car celui qui me suit, Car celui qui m’envoie en avant la première, C’est l’ange Liberté, c’est le géant Lumière!

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Jersey, juillet 1853. [3 décembre 1852.]

“Quel horizon on voit du haut de la barricade” (excerpt), Les Misérables V, 1, v (1862) [At this point in the novel, the student revolutionaries fighting for democratic ideals face nearly certain death at the Paris barricades as they await a major assault by the national guard. They have called themselves les amis de l’ABC, making a play on words: when pronounced in French, l’ABC is a homonym for L’Abaissé, the people who have been pushed down and humiliated by their lack of power in society. In this excerpt, the group’s charismatic leader, Enjolras, addresses his friends and speaks personally for a while to his colleague Feuilly, a worker and an orphan. In Enjolras’s fierce but poetic vision of the future, we see Hugo’s hope that revolution will be a path to a better world, one that believes in progress and upholds the 1789 values, Liberté, Égalité, Fraternité.] Enjolras était debout sur l’escalier de pavés, un de ses coudes sur le canon de sa carabine. Il songeait; il tressaillait, comme à des passages de souffles; les endroits où est la mort ont de ces effets de trépieds. Il sortait de ses prunelles, pleines du regard intérieur, des espèces de feux étouffés. Tout à coup, il dressa la tête, ses cheveux blonds se renversèrent en arrière comme ceux de l’ange sur le sombre quadrige fait d’étoiles, ce fut comme une crinière de lion effarée en flamboiement d’auréole, et Enjolras s’écria: — Citoyens, vous représentez-vous l’avenir? Les rues des villes inondées de lumières, des branches vertes sur les seuils, les nations sœurs, les hommes justes, les vieillards bénissant les enfants, le passé aimant le présent, les penseurs en pleine liberté, les croyants en pleine égalité, pour religion le ciel. Dieu prêtre direct, la conscience humaine devenue l’autel, plus de haines, la fraternité de l’atelier et de l’école, pour pénalité et pour récompense la notoriété, à tous le travail, pour tous le droit, sur tous la paix, plus de sang versé, plus de guerres, les mères heureuses! Dompter la matière, c’est le premier pas; réaliser l’idéal, c’est le second. Réfléchissez à ce qu’a déjà fait le progrès. Jadis les premières races humaines voyaient avec terreur passer devant leurs yeux l’hydre qui soufflait sur les eaux, le

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dragon qui vomissait du feu, le griffon qui était le monstre de l’air et qui volait avec les ailes d’un aigle et les griffes d’un tigre; bêtes effrayantes qui étaient au-dessus de l’homme. L’homme cependant a tendu ses piéges, les piéges sacrés de l’intelligence, et il a fini par y prendre les monstres. Nous avons dompté l’hydre, et elle s’appelle le steamer; nous avons dompté le dragon, et il s’appelle la locomotive; nous sommes sur le point de dompter le griffon, nous le tenons déjà, et il s’appelle le ballon. Le jour où cette œuvre prométhéenne sera terminée et où l’homme aura définitivement attelé à sa volonté la triple Chimère antique, l’hydre, le dragon et le griffon, il sera maître de l’eau, du feu et de l’air, et il sera pour le reste de la création animée ce que les anciens dieux étaient jadis pour lui. Courage, et en avant! Citoyens, où allons-nous? À la science faite gouvernement, à la force des choses devenue seule force publique, à la loi naturelle ayant sa sanction et sa pénalité en elle-même et se promulguant par l’évidence, à un lever de vérité correspondant au lever du jour. Nous allons à l’union des peuples; nous allons à l’unité de l’homme. Plus de fictions; plus de parasites. Le réel gouverné par le vrai, voilà le but. La civilisation tiendra ses assises au sommet de l’Europe, et plus tard au centre des continents, dans un grand parlement de l’intelligence. Quelque chose de pareil s’est vu déjà. Les amphictyons avaient deux séances par an, l’une à Delphes, lieu des dieux, l’autre aux Thermopyles, lieu des héros. L’Europe aura ses amphictyons; le globe aura ses amphictyons. La France porte cet avenir sublime dans ses flancs. C’est là la gestation du dix-neuvième siècle, ce qu’avait ébauché la Grèce est digne d’être achevé par la France. Écoutemoi, toi Feuilly, vaillant ouvrier, homme du peuple, homme des peuples. Je te vénère. Oui, tu vois nettement les temps futurs, oui, tu as raison. Tu n’avais ni père ni mère, Feuilly; tu as adopté pour mère l’humanité et pour père le droit. Tu vas mourir ici, c’est-à-dire triompher. Citoyens, quoi qu’il arrive aujourd’hui, par notre défaite aussi bien que par notre victoire, c’est une révolution que nous allons faire. De même que les incendies éclairent toute la ville, les révolutions éclairent tout le genre humain. Et quelle révolution ferons-nous? Je viens de le dire, la révolution du Vrai. Au point de vue politique, il n’y a qu’un seul principe, la souveraineté de l’homme sur lui-même. Cette souveraineté de moi sur moi s’appelle Liberté. Là où deux ou plusieurs de ces souverainetés s’associent commence l’état. Mais dans cette association il n’y a nulle abdication. Chaque souveraineté concède une certaine quantité d’elle-même pour former le droit commun. Cette quantité est la même pour tous. Cette identité de concession que chacun fait à tous

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s’appelle Égalité. Le droit commun n’est pas autre chose que la protection de tous rayonnant sur le droit de chacun. Cette protection de tous sur chacun s’appelle Fraternité. Le point d’intersection de toutes ces souverainetés qui s’agrègent s’appelle Société. Cette intersection étant une jonction, ce point est un nœud. De là ce qu’on appelle le lien social. Quelques-uns disent contrat social; ce qui est la même chose, le mot contrat étant étymologiquement formé avec l’idée de lien. Entendons-nous sur l’égalité; car, si la liberté est le sommet, l’égalité est la base. L’égalité, citoyens, ce n’est pas toute la végétation à niveau, une société de grands brins d’herbe et de petits chênes; un voisinage de jalousies s’entre-châtrant; c’est, civilement, toutes les aptitudes ayant la même ouverture; politiquement, tous les votes ayant le même poids; religieusement, toutes les consciences ayant le même droit. L’Égalité a un organe, l’instruction gratuite et obligatoire. Le droit à l’alphabet, c’est par là qu’il faut commencer. L’école primaire imposée à tous, l’école secondaire offerte à tous, c’est là la loi. De l’école identique sort la société égale. Oui, enseignement! Lumière! lumière! tout vient de la lumière et tout y retourne. Citoyens, le dix-neuvième siècle est grand, mais le vingtième siècle sera heureux. Alors plus rien de semblable à la vieille histoire; on n’aura plus à craindre, comme aujourd’hui, une conquête, une invasion, une usurpation, une rivalité de nations à main armée, une interruption de civilisation dépendant d’un mariage de rois, une naissance dans les tyrannies héréditaires, un partage de peuples par congrès, un démembrement par écroulement de dynastie, un combat de deux religions se rencontrant de front, comme deux boucs de l’ombre, sur le pont de l’infini; on n’aura plus à craindre la famine, l’exploitation, la prostitution par détresse, la misère par chômage, et l’échafaud, et le glaive, et les batailles, et tous les brigandages du hasard dans la forêt des événements. On pourrait presque dire: il n’y aura plus d’événements. On sera heureux. Le genre humain accomplira sa loi comme le globe terrestre accomplit la sienne; l’harmonie se rétablira entre l’âme et l’astre; l’âme gravitera autour de la vérité comme l’astre autour de la lumière. Amis, l’heure où nous sommes et où je vous parle est une heure sombre; mais ce sont là les achats terribles de l’avenir. Une révolution est un péage. Oh! le genre humain sera délivré, relevé et consolé! Nous le lui affirmons sur cette barricade. D’où poussera-t-on le cri d’amour, si ce n’est du haut du sacrifice? Ô mes frères, c’est ici le lieu de jonction de ceux qui pensent et de ceux qui souffrent; cette barricade n’est faite ni de pavés, ni de poutres, ni de ferrailles; elle est faite de deux monceaux, un monceau d’idées et un

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monceau de douleurs. La misère y rencontre l’idéal. Le jour y embrasse la nuit et lui dit: Je vais mourir avec toi et tu vas renaître avec moi. De l’étreinte de toutes les désolations jaillit la foi. Les souffrances apportent ici leur agonie, et les idées leur immortalité. Cette agonie et cette immortalité vont se mêler et composer notre mort. Frères, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de l’avenir, et nous entrons dans une tombe toute pénétrée d’aurore. Enjolras s’interrompit plutôt qu’il ne se tut; ses lèvres remuaient silencieusement comme s’il continuait de se parler à lui-même, ce qui fit qu’attentifs, et pour tâcher de l’entendre encore, ils le regardèrent. Il n’y eut pas d’applaudissement; mais on chuchota longtemps. La parole étant souffle, les frémissements d’intelligences ressemblent à des frémissements de feuilles.

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Les tyrans, qui n’ont pas d’âme, ne savent pas que les peuples en ont une. —Banquet polonais, Anniversaire de la révolution de Pologne, 29 novembre 1852, Actes et paroles: Pendant l’exil (1875) Le poète exilé rocher — solitude immensités de toutes parts — il parle, ayant dans l’ombre Derrière lui la mer, le peuple devant lui. —Draft notes (CFL IX, 832)

Victor Hugo spent nearly a quarter of his life in political exile. During that period he produced some of his finest works, including Châtiments, Les Contem­ plations, La Légende des siècles, Les Misérables, Les Travailleurs de la mer, Dieu. Afterward, he returned to Paris as a hero of the restored French Republic. His exile resulted directly from his opposition to what he and other republicans saw as tyranny—the criminal usurpation of power and illegal appropriation of the people’s will by Emperor Napoleon III and the cabal of powerful church and monied interests behind him. Although Hugo was only one of thousands driven into exile by the Second Empire, he became the most famous. In many ways, his exile was key to his developing a great literary and political reputation. Ironically, in 1848, Hugo had supported Louis-Napoleon Bonaparte’s ­candidacy

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for president. He believed that this man who had written in support of social causes was a better candidate than the dictatorial General Cavaignac, who had violently repressed the June 1848 workers’ riots. But the two men quickly grew apart in perspective: as Hugo moved closer to the republican point of view, Bonaparte more and more dismantled socially progressive programs. By July 17, 1851, Hugo had become so disenchanted with Bonaparte and his desire to revise the constitution to allow himself to be reelected that the poet condemned him with a now-famous comparison to his uncle, Napoleon I: “Quoi! Parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit!” (Laffont, Politique, 290). The ultimate break came on December 2, 1851, when Bonaparte issued a proclamation dissolving the legislative assembly. Most average French people and many leaders accepted this coup d’état, but Hugo fought it vociferously. Over the next couple of days he led the Comité de résistance that tried to rally the people and the army to resist the coup. He took the risk, too, of having his name appear alone on the broadside “Au peuple,” calling Bonaparte an outlaw. Although the public was mostly apathetic, on December 4 soldiers opened fire on an unarmed Parisian crowd, creating a bloodbath. Hugo immortalized the event in “Souvenir de la nuit du 4” (in this chapter). As Bonaparte and his forces prevailed, resistant legislators and generals were imprisoned or summarily executed. The coup led to the arrest of twenty-six thousand French citizens, many of whom were deported to Algeria and to Cayenne, French Guiana (a penal colony founded in 1852, near Devil’s Island). Spying and arrests were so common that novelist George Sand wrote, “La moitié de la France dénonce l’autre.” Hugo’s fame and his overt denunciations of the coup made him a prime police target; he was a wanted man, with a price on his head. His faithful friend and lover, Juliette Drouet, hid him for five days, helped him escape in disguise to Brussels, and followed with his trunk of manuscripts. As Hugo wrote to his wife, “Sans cette personne, je te le dis comme je le dirais à Dieu, je serais mort ou déporté à l’heure qu’il est” (CFL VIII, 970). From Brussels, as his wife and daughter Adèle auctioned their belongings and prepared to join him, Hugo documented events in Histoire d’un crime and in his virulent pamphlet Napoléon le petit. But it was with the strongly worded, poetically satirical Châtiments, in which he roundly chastised Bonaparte and his supporters for their crimes, comparing them to some of the worst tyrants of history, that Hugo gave everlasting life to his condemnation. At the same time, in Paris, Bonaparte lengthened his presidential term from four years to ten and claimed the power to propose laws and name Senate members for life. Even though Bonaparte’s referendum on these measures

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was held in questionable circumstances and brought 1,700,000 abstentions, it garnered the support of the great majority of French voters. In various texts, Hugo referred to the 7,500,000 oui votes to distinguish the deceivable foule from the thinking peuple (see, for instance, his Année terrible “Prologue”). One year later, on the anniversary of the imperial coronation of his uncle, Napoleon I, Bonaparte declared himself emperor, with direct descent through his family, and thus solidified his authoritarian, repressive regime.1 In Belgium, Hugo knew that he would be welcome only as long as he did not confront the French government. In August 1852, on the day Napoléon le petit appeared in print, he was ready to move to the Channel Island of Jersey where he and his family joined numerous other French political exiles who preferred over London this island, from which they could see the French coast. There Hugo wrote poetry prolifically. Beginning La Fin de Satan, he plumbed the depths of the agony of exile by exploring evil (le Mal ) and Satan’s misery after falling from heaven. With Châtiments, he carried out his duty as a poet to challenge the usurper. In “Oh! je sais qu’ils feront des mensonges sans nombre, . . . ,” he writes that all parts of nature will know him well and will say, “C’est un esprit vengeur qui passe, / Chassant devant lui les démons!” Hugo led other French republicans in waging a war of words against Bonaparte’s despotic government until, as he had predicted, he and thirty-five other French exiles were expelled in 1855 for their political writings. Hugo knew that Guernsey property owners could not be expelled, and used the proceeds from his best-selling Les Contemplations to purchase his first home in St. Peter Port, the capital of that more remote isle. Hugo lived in Hauteville House for fourteen years, refusing the 1859 general amnesty accepted by two-thirds of the French exiles. He wrote: “Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. Quand la liberté rentrera, je rentrerai” (Laffont, Politique, 511). He thus held fast to his “Ultima verba” refusal to compromise with what he saw as an illegal, tyrannical government (see the poem in this chapter). Juliette Drouet, for whom Hugo bought a nearby house, remained ever faithful. But his family became impatient with exile. Le rocher de Guernesey, with few French compatriots and only twenty-five square miles in size, was a quiet place for contemplation and writing but did not offer a lively social scene. More and more, Hugo’s wife and daughter traveled frequently in Europe, including Paris, and began to stay in London for months at a time. Hugo often frustrated his 1. This summary of Hugo’s entry into exile owes much to Hovasse, ed., Châtiments, 25–44; and Popkin, Modern France, 123–24.

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wife and children by trying to keep everyone together and by carefully watching expenses; he loved his family deeply and was greatly saddened by any breaking up of the group. Here are lines he wrote when his son François-Victor left Jersey in 1852 after a few days’ visit: Mon enfant, j’ai suivi jusqu’au bout la fumée Du bateau s’enfuyant sur ces mers, ma prison, Et je sentais mon âme, à tous les vents semée, S’en aller avec toi dans ce morne horizon. J’ai vu le paquebot lentement disparaître Derrière la rondeur du vaste océan bleu, Et je suis demeuré pensif à la fenêtre, Regardant le ciel sombre et tâchant de voir Dieu. Je vous cherche, ô mon Dieu! dans l’ombre de la vie… (CFL VIII, 890)

The isolation of exile, moreover, may have exacerbated his daughter Adèle’s psychological instability and helped provoke her unannounced flight to North America in pursuit of the man she loved. Later, Hugo could not accompany his wife’s body to her grave in France when she died in Brussels in 1868. Although Hugo’s literary success protected his family from the financial troubles experienced by many proscrits, exile clearly brought many stresses and difficulties: “L’exil ne m’a pas seulement détaché de la France, il m’a presque détaché de la terre, et il y a des instants où je me sens comme mort et où il me semble que je vis déjà de la grande et sublime vie ultérieure” (1856; CFL X, 1249). Nonetheless, Hugo was proudly tenacious in following his conscience and doing his duty. Moreover, he realized what a powerful political voice he had in exile, as he received hundreds of visitors and was often solicited for his support of republican movements worldwide. A great admirer of Voltaire, Hugo implicitly compared his situation to the philosopher’s, whose satires made him so unwelcome in European capitals that he retired to the village of Ferney: “Bonté de l’exil. Voltaire est plus Voltaire à Ferney qu’à Paris” (Laffont, Océan, 72). On the purely literary front, Hugo in many ways enriched his poetic voice as he worked in the glass-walled “look-out” he had designed at the top of his house, surrounded by the sea and growing ever closer to God and nature: “L’équinoxe commence à traverser notre ciel et notre mer avec ses splendeurs et ses furies. Il pleut du rayon et de l’ouragan; l’immensité et la terre, le soleil et l’océan, la nuée et l’écume ne font qu’un paysage; paysage violent, féroce, charmant, lumineux, ténébreux, inouï. Il ne fait pas jour le jour et il ne fait pas

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nuit la nuit. On dirait que le bon Dieu consulte Rembrandt sur les horizons qu’il me fait. J’habite le plus magnifique des clairs obscurs” (1856; Laffont, Océan, 273). From his perspective as a writer who wanted to make a difference in the world, Hugo also noted the practical value of exile: “Quel dommage que j’aie été exilé si tard! J’aurais fait toutes sortes de travaux, peut-être utiles” (1864; Choses vues III, 402). Hugo’s exile gave him the distance, time, and solitude to refine and deepen beliefs he had held since his twenties. Exile put him in a position to carry out in a sustained, powerful way his commitment to be a poet for the people. The trust in common people’s intelligence and capacity for self-governance that Hugo proposed in Ruy Blas (1843) comes to fruition in L’Homme qui rit (1869); the political aspects of Hernani (1830) point ahead to Châtiments (1853).2 Hugo crafted his finest masterpieces in the 1850s and 1860s, and returned to Paris immediately after the French Republic was reestablished, on September 5, 1870 (just as the Prussians threatened to blockade the city, a siege that would eventually end the Franco-Prussian War). Hugo was welcomed as a hero and prophet, with cheering crowds accompanying him and his companions from the Gare du Nord to their lodgings. Dozens of visitors and hundreds of letters followed, and the French edition of Châtiments sold out in two days with many more printings to follow. Proclaimed one of the Fathers of the French Republic, Hugo continued his fight for liberty in all forms, true to his conscience and the sense of duty that had sustained him during nineteen years in exile.3

Le Te Deum du 1er janvier 1852, Châtiments I, vi (1853) [Less than a month after Bonaparte’s coup, Archbishop Sibour of Paris, in a visible demonstration of the Catholic Church’s support, offered a mass of thanksgiving in Bonaparte’s honor at Notre-Dame Cathedral. The same day, a governmental decree ordered that Napoleon I’s imperial eagle adorn military flags. As in many Châtiments poems, le bandit here is Bonaparte. Hugo compares him to the harsh Austrian bailiff Gessler, whose failure to force the legendary William Tell to bow to his orders led to Swiss independence. Throughout this highly satirical poem, Hugo echoes verses of the Te Deum mass, including 2. Gengembre, Combats politiques, 10–11. 3. Winock, Voix, 497–98; 596–97.

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references to Sabaoth, the armies of God (l. 18), and the martyrs who praise God (l. 26). He thus starkly contrasts the beauty of the religious ceremony with the bloodshed resulting from the coup.4 ] Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton,       Est une chose impie. Derrière toi, le bras ployé sous le menton, Rit la mort accroupie. Prêtre, on voit frissonner, aux cieux d’où nous venons, Les anges et les vierges Quand un évêque prend la mèche des canons Pour allumer les cierges. Tu veux être au sénat, voir ton siège élevé Et ta fortune accrue;  Soit; mais pour bénir l’homme, attends qu’on ait lavé Le pavé de la rue. Peuples, gloire à Gessler! meure Guillaume Tell! Un râle sort de l’orgue. Archevêque, on a pris, pour bâtir ton autel, Les dalles de la morgue. Quand tu dis: — Te Deum! Nous vous louons, Dieu fort! Sabaoth des armées! — Il se mêle à l’encens une vapeur qui sort Des fosses mal fermées.

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On a tué, la nuit, on a tué, le jour, L’homme, l’enfant, la femme! Crime et deuil! Ce n’est plus l’aigle, c’est le vautour Qui vole à Notre-Dame. Va, prodigue au bandit les adorations; Martyrs, vous l’entendîtes! Dieu te voit, et là-haut tes bénédictions, Ô prêtre, sont maudites!

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4. For all Châtiments poem introductions and notes, I am indebted to Jean-Marc Hovasse’s commentaries in his edition of Châtiments.

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Les proscrits sont partis, aux flancs du ponton noir, Pour Alger, pour Cayenne; Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir En Afrique l’hyène. Ouvriers, paysans qu’on arrache au labour, Le sombre exil vous fauche! Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour, Et regarde à ta gauche. Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol Vends ton Dieu, vends ton âme. Allons, coiffe ta mître, allons, mets ton licol,5 Chante, vieux prêtre infâme!

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Le meurtre à tes côtés suit l’office divin, Criant: feu sur qui bouge! Satan tient la burette, et ce n’est pas de vin Que ton ciboire est rouge.6 Bruxelles, 3 janvier 1852. [7 novembre 1852.]

Souvenir de la nuit du 4, Châtiments II, iii (1853) [In this poem Hugo recalls the December 4, 1851, visit that he and colleagues paid to the grieving grandmother of a seven-year-old boy killed by government troops when they suppressed the post-coup Paris uprisings. After a lyrical yet realistic and graphic description of the boy’s body and his grandmother’s grief, Hugo invokes the irony and sarcasm so powerful in Châtiments, noting that Bonaparte liked his palaces, including his summer palace, Saint-Cloud. Poet and novelist Louis Aragon compared this poem to Hugo’s Histoire d’un crime prose version (IV, 1), and called it the best poetry lesson in existence.7 ]

5. Instead of the typical religious stole (l’étole), the Archbishop wears a halter (le licol) that puts him under Bonaparte’s control. 6. Hugo attributes to Satan the religious utensils used to give the Eucharist, or Communion—burette, or cruet, ciboire, or ciborium—and implies that they contain not wine but blood. 7. Cited in Hovasse, ed., Châtiments, 108.

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L’enfant avait reçu deux balles dans la tête. Le logis était propre, humble, paisible, honnête; On voyait un rameau bénit sur un portrait. Une vieille grand’mère était là qui pleurait. Nous le déshabillions en silence. Sa bouche, Pâle, s’ouvrait; la mort noyait son œil farouche; Ses bras pendants semblaient demander des appuis. Il avait dans sa poche une toupie en buis. On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies. Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies? Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend. L’aïeule regarda déshabiller l’enfant, Disant: — Comme il est blanc! approchez donc la lampe! Dieu! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe! — Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux. La nuit était lugubre; on entendait des coups De fusil dans la rue où l’on en tuait d’autres. — Il faut ensevelir l’enfant, dirent les nôtres, Et l’on prit un drap blanc dans l’armoire en noyer. L’aïeule cependant l’approchait du foyer Comme pour réchauffer ses membres déjà roides. Hélas! ce que la mort touche de ses mains froides Ne se réchauffe plus aux foyers d’ici-bas! Elle pencha la tête et lui tira ses bras, Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre. — Est-ce que ce n’est pas une chose qui nâvre, Cria-t-elle! monsieur, il n’avait pas huit ans! Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents. Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre, C’est lui qui l’écrivait. Est-ce qu’on va se mettre À tuer les enfants maintenant? Ah! mon Dieu! On est donc des brigands! Je vous demande un peu, Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre! Dire qu’ils m’ont tué ce pauvre petit être! Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus. Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus. Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte; Cela n’aurait rien fait à monsieur Bonaparte

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De me tuer au lieu de tuer mon enfant! — Elle s’interrompit, les sanglots l’étouffant, Puis elle dit, et tous pleuraient près de l’aïeule: — Que vais-je devenir à présent toute seule? Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd’hui. Hélas! je n’avais plus de sa mère que lui. Pourquoi l’a-t-on tué? je veux qu’on me l’explique. L’enfant n’a pas crié vive la République. — Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas, Tremblant devant ce deuil qu’on ne console pas. Vous ne compreniez point, mère, la politique. Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique, Est pauvre et même prince; il aime les palais; Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets, De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve, Ses chasses; par la même occasion, il sauve La famille, l’église et la société; Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l’été, Où viendront l’adorer les préfets et les maires; C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grand’mères, De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps, Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

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Jersey, 2 décembre 1852. [2 décembre 1852.]

Puisque le juste est dans l’abîme, . . . , Châtiments II, v (1853) [This poem is exemplary of the many texts in which Hugo proclaims exile as a satisfying response to the ruling criminal dictatorship. When he wrote these verses a year after fleeing France, his future was far from secure on the isle of Jersey. Still, from the rocher des proscrits, surrounded by the sea he would come to know so well, Hugo can imagine the soul emerging from grief, as he detailed in “Stella” (written a week earlier and included in chapter 9).] Puisque le juste est dans l’abîme, Puisqu’on donne le sceptre au crime, Puisque tous les droits sont trahis, Puisque les plus fiers restent mornes,

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Puisqu’on affiche au coin des bornes Le déshonneur de mon pays; Ô République de nos pères, Grand Panthéon plein de lumières, Dôme d’or dans le libre azur, Temple des ombres immortelles, Puisqu’on vient avec des échelles Coller l’empire sur ton mur; Puisque toute âme est affaiblie; Puisqu’on rampe; puisqu’on oublie Le vrai, le pur, le grand, le beau, Les yeux indignés de l’histoire, L’honneur, la loi, le droit, la gloire, Et ceux qui sont dans le tombeau; Je t’aime, exil! douleur, je t’aime! Tristesse, sois mon diadème. Je t’aime, altière pauvreté! J’aime ma porte aux vents battue. J’aime le deuil, grave statue Qui vient s’asseoir à mon côté. J’aime le malheur qui m’éprouve; Et cette ombre où je vous retrouve, Ô vous à qui mon cœur sourit, Dignité, foi, vertu voilée, Toi, liberté, fière exilée, Et toi, dévoûment, grand proscrit! J’aime cette île solitaire, Jersey, que la libre Angleterre Couvre de son vieux pavillon, L’eau noire, par moments accrue, Le navire, errante charrue, Le flot, mystérieux sillon. J’aime ta mouette, ô mer profonde, Qui secoue en perles ton onde Sur son aile aux fauves couleurs,

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Plonge dans les lames géantes, Et sort de ces gueules béantes Comme l’âme sort des douleurs! J’aime la roche solennelle D’où j’entends la plainte éternelle, Sans trève comme le remords, Toujours renaissant dans les ombres, Des vagues sur les écueils sombres, Des mères sur leurs enfants morts!

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Jersey, Décembre 1852. [10 décembre 1852.]

Le Manteau impérial, Châtiments V, iii (1853) [Napoleon I’s imperial coronation cloak was decorated with bees, which became for the French Empire the symbol that the fleur de lys was for royalty. Hugo exhorts the bees on the imperial mantle to attack Napoleon III since the people are too afraid to do so.] Oh! vous dont le travail est joie, Vous qui n’avez pas d’autre proie Que les parfums, souffles du ciel, Vous qui fuyez quand vient décembre, Vous qui dérobez aux fleurs l’ambre Pour donner aux hommes le miel, Chastes buveuses de rosée, Qui, pareilles à l’épousée, Visitez le lys du coteau, Ô sœurs des corolles vermeilles, Filles de la lumière, abeilles, Envolez-vous de ce manteau! Ruez-vous sur l’homme, guerrières! Ô généreuses ouvrières, Vous le devoir, vous la vertu, Ailes d’or et flèches de flamme, Tourbillonnez sur cet infâme! Dites-lui: — «pour qui nous prends-tu?

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«Maudit! nous sommes les abeilles! «Des châlets ombragés de treilles «Notre ruche orne le fronton; «Nous volons, dans l’azur écloses, «Sur la bouche ouverte des roses «Et sur les lèvres de Platon.8 «Ce qui sort de la fange y rentre. «Va trouver Tibère en son antre, «Et Charles-neuf sur son balcon. «Va! sur ta pourpre il faut qu’on mette, «Non les abeilles de l’Hymète, «Mais l’essaim noir de Montfaucon!»9 Et percez-le toutes ensemble, Faites honte au peuple qui tremble, Aveuglez l’immonde trompeur, Acharnez-vous sur lui, farouches, Et qu’il soit chassé par les mouches Puisque les hommes en ont peur!

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Jersey, juin 1853. [ janvier–février 1853.]

Ultima verba, Châtiments VII, xiv [At the time Hugo wrote this poem, reports of pardons and possible amnesty were coming from France; the Latin title “Last Words” thus has a double meaning. This poem appears in Châtiments just before the concluding “LUX.” Hugo remained faithful to his declaration never to return home as long as Napoleon III remained in power. Here, as he did frequently, Hugo referred to him

8. Legend has it that bees landed on Plato’s lips as a symbol of the birth of Western philosophy. 9. The second Roman emperor Tiberius was renowned during the last decade of his life for his reign of terror against those he perceived as rivals. French king Charles IX ordered the bloody St. Bartholomew’s Day massacre of Protestants in 1572. The Greek Hymettos Mountains were known for thyme honey; more appropriate for this emperor’s cloak are the flies of Montfaucon, the infamous Parisian gallows, where criminals’ bodies were left hanging.

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as the Roman emperor César, whom Bonaparte emulated and about whom he published Histoire de Jules César (1865–66).] La conscience humaine est morte; dans l’orgie, Sur elle il s’accroupit; ce cadavre lui plaît, Par moment, gai, vainqueur, la prunelle rougie, Il se retourne et donne à la morte un soufflet. La prostitution du juge est la ressource. Les prêtres font frémir l’honnête homme éperdu; Dans le champ du potier ils déterrent la bourse, Sibour revend le Dieu que Judas a vendu.10 Ils disent: — César règne, et le Dieu des armées L’a fait son élu. Peuple, obéis! tu le dois. — Pendant qu’ils vont chantant, tenant leurs mains fermées, On voit le sequin d’or qui passe entre leurs doigts. Oh! tant qu’on le verra trôner, ce gueux, ce prince, Par le pape béni, monarque malandrin, Dans une main le sceptre et dans l’autre la pince, Charlemagne taillé par Satan dans Mandrin;11 Tant qu’il se vautrera, broyant dans ses mâchoires Le serment, la vertu, l’honneur religieux; Ivre, affreux, vomissant sa honte sur nos gloires; Tant qu’on verra cela sous le soleil des cieux;

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Quand même grandirait l’abjection publique À ce point d’adorer l’exécrable trompeur; Quand même l’Angleterre et même l’Amérique Diraient à l’exilé: — Va-t-en! nous avons peur! Quand même nous serions comme la feuille morte, Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous;

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10. Remorseful after betraying Jesus Christ, Judas threw away the thirty pieces of silver he had been paid. The priests used that money to purchase the “potter’s field,” which became a burial place for the poor and for strangers (Matthew 27:7). Archbishop Sibour validated Bonaparte’s coup d’état with a mass in his honor. 11. Hugo compares Bonaparte to the celebrated brigand Mandrin, saying he carries a crowbar (une pince-monseigneur) along with his scepter.

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Quand le proscrit devrait s’enfuir de porte en porte, Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous, Quand le désert, où Dieu contre l’homme proteste, Bannirait les bannis, chasserait les chassés; Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste, Le tombeau jetterait dehors les trépassés; Je ne fléchirai pas! Sans plainte dans la bouche, Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau, Je vous embrasserai dans mon exil farouche, Patrie, ô mon autel! liberté, mon drapeau! Mes nobles compagnons, je garde votre culte; Bannis, la République est là qui nous unit. J’attacherai la gloire à tout ce qu’on insulte; Je jetterai l’opprobre à tout ce qu’on bénit!

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Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,12 La voix qui dit: malheur! la bouche qui dit: non! Tandis que tes valets te montreront ton Louvre, Moi, je te montrerai, César, ton cabanon. Devant les trahisons et les têtes courbées, Je croiserai les bras, indigné, mais serein. Sombre fidélité pour les choses tombées, Sois ma force et ma joie et mon pilier d’airain! Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste, Ô France! France aimée et qu’on pleure toujours, Je ne reverrai pas ta terre douce et triste, Tombeaux de mes aïeux et nid de mes amours! Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente, France! hors le devoir, hélas! j’oublirai tout. Parmi les éprouvés je planterai ma tente: Je resterai proscrit, voulant rester debout.

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12. Hugo implicitly compares himself to Mordecai, whose refusal to bow before the high prince Haman provoked a death threat against the Jews. Mordecai put on sackcloth and ashes to express his bitterness (Esther 3–4).

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J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme; Sans chercher à savoir et sans considérer Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme, Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

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Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis! Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla;13 S’il en demeure dix, je serai le dixième; Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là! Jersey, 2 décembre 1852. [14 décembre 1852.]

Letter to André Van Hasselt, 6 janvier 1852 [André Van Hasselt (1806–74) was a naturalized Belgian citizen born in the Netherlands, whose French poetry showed influences of Hugo’s style. He and Hugo became closer correspondents during Hugo’s exile. Here Hugo offers insights into his view of exile as he writes to thank Van Hasselt for sending him his verses, signing, in Latin, “from the depths of my heart” (CFL VIII, 960–61).] Bruxelles, 6 janvier 1852

Ce n’est pas moi, monsieur, qui suis proscrit, c’est la liberté; ce n’est pas moi qui suis exilé, c’est la France. La France hors du vrai, hors du juste, hors du grand, c’est la France exilée et hors d’elle-même. Plaignons-la et aimons-la plus que jamais. Moi, je ne souffre pas. Je contemple et j’attends. J’ai combattu, j’ai fait mon devoir, je suis vaincu, mais heureux. La conscience contente, c’est un ciel serein qu’on a en soi. Bientôt j’aurai près de moi ma famille et j’attendrai avec calme que Dieu me rende ma patrie. Mais je ne la veux que libre. Je vous remercie de vos beaux et nobles vers. Ex imo corde. VICTOR HUGO

13. Lucius Cornelius Sulla (138–78 B.C.) was the first Roman dictator given a limitless term of office.

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Ce que c’est que l’exil (excerpts), Actes et paroles II, Pendant l’exil (1875) [Hugo wrote this sixteen-part, twenty-page essay in November 1875, after returning to France; his opinions and arguments closely reflect those he expressed throughout his exile. Hugo explains why he chose to go into—and remain in—exile despite its hardships. He wanted to remain faithful to his closely held beliefs about liberty, truth, the French Republic, human rights and social justice, the relationship between rights and power. These excerpts give a sense of how Hugo experienced and understood exile. Hugo believed le proscrit has greater authority than le proscripteur because he is in the right. Yet, as Hugo knew, exiles can be made to feel more guilty than true criminal outlaws (as he notes in Les Travailleurs de la mer I, 5, i). In section IV below, Hugo reminds the reader of his beliefs after he ironically details how exiles are harrassed, spied upon, libeled, and slandered, noting that seemingly innocent people can be spies in disguise. He alludes to Vidocq (who under Napoleon helped to create the police de surêté when not engaged in his own criminal activities) and Troncin-Dumersan (a conspirator who helped President Thiers flee to Versailles during the 1871 Commune uprising in Paris). In section V, Hugo recalls the power of nature to assuage enemies’ calumnies; metaphorically, the poet-exile is the rock that the tyrant and his supporters (the ocean) try to wear away. As Hugo wrote in his notes for this essay, “Et pour vous consoler de l’œil fixe des mouchards, vous avez le regard des astres” (CFL XV–XVI/1, Reliquat de “Ce que c’est que l’exil,” 619). In the end, he writes, he cannot complain about his years in exile: “Car de quoi peut-on se plaindre quand on a eu vingt ans auprès de soi et avec soi, la justice, la raison, la conscience, la vérité, le droit, et la mer aux bruits immenses!” (Laffont, Politique 416).]

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I Le droit incarné, c’est le citoyen; le droit couronné, c’est le législateur. Les républiques anciennes se représentaient le droit assis dans la chaise curule, ayant en main ce sceptre, la loi, et vêtu de cette pourpre, l’autorité. Cette figure était vraie et l’idéal n’est pas autre aujourd’hui. Toute société régulière doit avoir à son sommet le droit sacré et armé, sacré par la justice, armé de la liberté. Dans ce qui vient d’être dit, le mot force n’a pas été prononcé. La force existe pourtant; mais elle n’existe pas hors du droit; elle existe dans le droit. Qui dit droit dit force. Qu’y a-t-il donc hors du droit? La violence. Il n’y a qu’une nécessité, la vérité; c’est pourquoi il n’y a qu’une force, le droit. Le succès en dehors de la vérité et du droit est une apparence. La courte vue des tyrans s’y trompe; un guet-apens réussi leur fait l’effet d’une victoire; mais cette victoire est pleine de cendre; le criminel croit que son crime est son complice; erreur; son crime est son punisseur; toujours l’assassin se coupe à son couteau; toujours la trahison trahit le traître; les délinquants, sans qu’ils s’en doutent, sont tenus au collet par leur forfait, spectre invisible; jamais une mauvaise action ne vous lâche; et fatalement, par un itinéraire inexorable, aboutissant aux cloaques de sang pour la gloire et aux abîmes de boue pour la honte, sans rémission pour les coupables, les Dix-huit Brumaire conduisent les grands à Waterloo et les Deux-Décembre traînent les petits à Sedan.14 Quand ils dépouillent et découronnent le droit, les hommes de violence et les traîtres d’État ne savent ce qu’ils font.

II L’exil, c’est la nudité du droit. Rien de plus terrible. Pour qui? Pour celui qui subit l’exil? Non, pour celui qui l’inflige. Le supplice se retourne et mord le bourreau. Un rêveur qui se promène seul sur une grève, un désert autour d’un 14. Hugo again compares Napoleon I, who seized power on November 9, 1799 (18 Brumaire in the revolutionary calendar), to lose it at the Battle of Waterloo in 1815, to Napo­ leon III, who seized power on December 2, 1851, to lose it after the Battle of Sedan in 1870.

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songeur, une tête vieillie et tranquille autour de laquelle tournent des oiseaux de tempête, étonnés, l’assiduité d’un philosophe au lever rassurant du matin, Dieu pris à témoin de temps en temps en présence des rochers et des arbres, un roseau qui non-seulement pense,15 mais médite, des cheveux qui de noirs deviennent gris et de gris deviennent blancs dans la solitude, un homme qui se sent de plus en plus devenir une ombre, le long passage des années sur celui qui est absent, mais qui n’est pas mort, la gravité de ce déshérité, la nostalgie de cet innocent, rien de plus redoutable pour les malfaiteurs couronnés. Quoi que fassent les tout-puissants momentanés, l’éternel fond leur résiste. Ils n’ont que la surface de la certitude, le dessous appartient aux penseurs. Vous exilez un homme. Soit. Et après? Vous pouvez arracher un arbre de ses racines, vous n’arracherez pas le jour du ciel. Demain, l’aurore. Pourtant, rendons cette justice aux proscripteurs; ils sont logiques, parfaits, abominables. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour anéantir le proscrit. Parviennent-ils à leur but? réussissent-ils? sans doute. Un homme tellement ruiné qu’il n’a plus que son honneur, tellement dépouillé qu’il n’a plus que sa conscience, tellement isolé qu’il n’a plus près de lui que l’équité, tellement renié qu’il n’a plus avec lui que la vérité, tellement jeté aux ténèbres qu’il ne lui reste plus que le soleil, voilà ce que c’est qu’un proscrit. [ … ]

IV Attendez-vous à tout, vous qui êtes proscrit. On vous jette au loin, mais on ne vous lâche pas. Le proscripteur est curieux et son regard se multiplie sur vous. Il vous fait des visites ingénieuses et variées. Un respectable pasteur protestant s’assied à votre foyer, ce protestantisme émarge à la caisse Tronsin-Dumersan; un prince étranger qui baragouine se présente, c’est Vidocq qui vient vous voir; est-ce un vrai prince? oui; il est de sang royal, et aussi de la police; un professeur gravement doctrinaire s’introduit chez vous, vous le surprenez lisant vos papiers. Tout est permis contre vous; vous êtes hors la loi, c’est-à-dire hors l’équité, hors la raison, hors le 15. “L’ homme n’est pas qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau qui pense,” wrote philosopher and mathematician Blaise Pascal (1623–62).

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respect, hors la vraisemblance; on se dira autorisé par vous à publier vos conversations, et l’on aura soin qu’elles soient stupides; on vous attribuera des paroles que vous n’avez pas dites, des lettres que vous n’avez pas écrites, des actions que vous n’avez pas faites. On vous approche pour mieux choisir la place où l’on vous poignardera; l’exil est à claire-voie; on y regarde comme dans une fosse aux bêtes; vous êtes isolé, et guetté. [ … ] On en vient à s’étonner que vous ne trouviez pas tout naturel d’être calomnié. Est-ce que vous n’êtes pas là pour cela? Ô homme naïf, vous êtes cible. Tel personnage est de l’Académie pour vous avoir insulté; tel autre a la croix pour le même acte de bravoure, l’empereur l’a décoré sur le champ d’honneur de la calomnie; tel autre, qui s’est distingué aussi par des affronts d’éclat, est nommé préfet. Vous outrager est lucratif. Il faut bien que les gens vivent. Dame! pourquoi êtes-vous exilé? Soyez raisonnable. Vous êtes dans votre tort. Qui vous forçait de trouver mauvais le coup d’État? Quelle idée avez-vous eue de combattre pour le droit? Quel caprice vous a passé par la tête de vous révolter du côté de la loi? Est-ce qu’on prend la défense du droit et de la loi quand ils n’ont plus personne pour eux? Voilà bien les démagogues! s’entêter, persévérer, persister, c’est absurde. Un homme poignarde le droit et assassine la loi. Il est probable qu’il a ses raisons. Soyez avec cet homme. Le succès le fait juste. Soyez avec le succès puisque le succès devient le droit. Tout le monde vous en saura gré. Nous ferons votre éloge. Au lieu d’être proscrit vous serez sénateur, et vous n’aurez pas la figure d’un idiot. Osez-vous douter du bon droit de cet homme? mais vous voyez bien qu’il a réussi! Vous voyez bien que les juges qui l’avaient mis en accusation lui prêtent serment! Vous voyez bien que les prêtres, les soldats, les évêques, les généraux, sont avec lui! Vous croyez avoir plus de vertu que tout cela! vous voulez tenir tête à tout cela! Allons donc! D’un côté tout ce qui est respecté, tout ce qui est respectable, tout ce qui est vénéré, tout ce qui est vénérable, de l’autre, vous! C’est inepte; et nous vous bafouons, et nous faisons bien. Mentir contre une brute est permis. Tous les honnêtes gens sont contre vous; et nous, les calomniateurs, nous sommes avec les honnêtes gens. Voyons, réfléchissez, rentrez en vous-même. Il fallait bien sauver la société. De qui? de vous. De quoi ne la menaciez-vous pas? Plus de guerre, plus d’échafaud, l’abolition de la peine de mort, l’enseignement gratuit et obligatoire, tout le monde sachant lire! C’était affreux. Et que

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d’utopies abominables! la femme de mineure faite majeure, cette moitié du genre humain admise au suffrage universel, le mariage libéré par le divorce; l’enfant pauvre instruit comme l’enfant riche, l’égalité résultant de l’éducation; l’impôt diminué d’abord et supprimé enfin par la destruction des parasitismes, par la mise en location des édifices nationaux, par l’égout transformé en engrais, par la répartition des biens communaux, par le défrichement des jachères, par l’exploitation de la plus-value sociale; la vie à bon marché par l’empoissonnement des fleuves; plus de classes, plus de frontières, plus de ligatures, la république d’Europe, l’unité monétaire continentale, la circulation décuplée décuplant la richesse; que de folies! il fallait bien se garer de tout cela! Quoi! la paix serait faite parmi les hommes, il n’y aurait plus d’armée, il n’y aurait plus de service militaire! Quoi! la France serait cultivée de façon à pouvoir nourrir deux cent cinquante millions d’hommes; il n’y aurait plus d’impôt, la France vivrait de ses rentes! Quoi! la femme voterait, l’enfant aurait un droit devant le père, la mère de famille ne serait plus une sujette et une servante, le mari n’aurait plus le droit de tuer sa femme! Quoi! le prêtre ne serait plus le maître! Quoi! il n’y aurait plus de batailles, il n’y aurait plus de soldats, il n’y aurait plus de bourreaux, il n’y aurait plus de potences et de guillotines! mais c’est épouvantable! il fallait nous sauver. Le président l’a fait: vive l’empereur! — Vous lui résistez; nous vous déchirons; nous écrivons sur vous des choses quelconques. Nous savons bien que ce que nous disons n’est pas vrai, mais nous protégeons la société, et la calomnie qui protège la société est d’utilité publique. Puisque la magistrature est avec le coup d’État, la justice y est aussi; puisque le clergé est avec le coup d’État, la religion y est aussi; la religion et la justice sont des figures immaculées et saintes; la calomnie qui leur est utile participe de l’honneur qu’on leur doit; c’est une fille publique, soit, mais elle sert des vierges. Respectez-la. Ainsi raisonnent les insulteurs. Ce que le proscrit a de mieux à faire, c’est de penser à autre chose.

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V Puisqu’il est au bord de la mer, qu’il en profite. Que cette mobilité sous l’infini lui donne la sagesse. Qu’il médite sur l’émeute éternelle des flots contre le rivage et des impostures contre la vérité. Les diatribes sont vaine­ ment convulsives. Qu’il regarde la vague cracher sur le rocher, et qu’il se demande ce que cette salive y gagne et ce que ce granit y perd. Non, pas de révolte contre l’injure, pas de dépense d’émotion, pas de représailles, ayez une tranquillité sévère. La roche ruisselle, mais ne bouge pas. Parfois elle brille du ruissellement. La calomnie finit par être un lustre. À un ruban d’argent sur la rose, on reconnaît que la chenille a passé. Le crachat au front du Christ, quoi de plus beau!

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Exil [Dated “Jersey — 1854” and preserved in the Album des proscrits, this drawing has a more complicated composition than it appears, with brown and black ink and wash, charcoal, and white gouache highlights.16 Its luminescence above a gray backdrop is reminiscent of the Jersey photographs taken by Charles Hugo and family friend Auguste Vacquerie (also included in this Album) and seems to reaffirm the optimism Hugo expressed in “Stella” (included in chapter 9): “Car celui qui m’envoie en avant la première, / C’est l’ange Liberté, c’est le géant Lumière!” At the same time, the interconnectedness of his “VH” with “EXIL” echoes Hugo’s repeated embracing of exile as the only response consistent with his conscience and duty.]

16. Prévost, Océan, 146.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 20. Exil, © PMVP / Ladet.

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Cheminée de la salle à manger de Hauteville House [Hugo spent over three years on the design and decoration of all the public spaces in Hauteville House, reusing medieval, Gothic, and Renaissance furniture and tapestries in imaginative, extravagant ways. It seemed entirely possible that he would spend the rest of his life in this house, and he had carved over the dining room doorway Exilium vita est (Latin for “Exile is life” or “Life is exile”). The dining room fireplace that Hugo conceived, shown here as covered with creeping vines and home to a spider’s web, is in reality a bright white, blue, and lavender double H made from seventeenth-century Delft faience tiles. Drawn with pencil, pen, and paintbrush, with brown and blue ink and brown wash, it probably dates from the late 1850s, when Hugo’s family was tiring of exile.17 The spider lurking in her web, the vines, and the plants that may well represent stinging nettle bring to mind the interconnections among nature, good, evil, and love expressed in “J’aime l’araignée et j’aime l’ortie” , written in 1855 for Les Contemplations (included in chapter 13).]

17. Prévost, Océan, 232.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 21. Cheminée de la salle à manger de Hauteville House, © PMVP / Joffre.

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Exil, Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVII (1881) [In this highly personal poem, Hugo mourns that exile prevents him from visiting in France the graves of so many loved ones, including those of his brothers Eugène and Abel, as well as of daughter Léopoldine (ma colombe) and even of his wife, who was buried next to her daughter in Villequier in 1868. Still, despite the heartfelt cries of “Alas!,” the poet remains steadfast in his duty. Although Hugo clearly wrote this poem in exile, the precise date is uncertain since the manuscript includes an illegible date, overwritten with Juillet 1869 and then with 1870 (Laffont, Poésie III, 1497, n. 28).] Si je pouvais voir, ô patrie, Tes amandiers et tes lilas, Et fouler ton herbe fleurie, Hélas! Si je pouvais, — mais, ô mon père, Ô ma mère, je ne peux pas, — Prendre pour chevet votre pierre, Hélas! Dans le froid cercueil qui vous gêne, Si je pouvais vous parler bas, Mon frère Abel, mon frère Eugène, Hélas! Si je pouvais, ô ma colombe, Et toi, mère, qui t’envolas, M’agenouiller sur votre tombe, Hélas! Oh! vers l’étoile solitaire, Comme je lèverais les bras! Comme je baiserais la terre, Hélas! Loin de vous, ô morts que je pleure, Des flots noirs j’écoute le glas; Je voudrais fuir, mais je demeure, Hélas!

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Pourtant le sort, caché dans l’ombre, Se trompe si, comptant mes pas Il croit que le vieux marcheur sombre Est las.

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11  •  On Social Justice

Je hais l’oppression d’une haine profonde. —“Amis, un dernier mot! . . .” Les Feuilles d’automne XL (1831) L’échafaud est un crime permanent. C’est le plus insolent des outrages à la dignité humaine, à la civilisation, au progrès. —Letter to the members of the Central Italian Committee for abolition of the death penalty, 1865, Actes et paroles II, Pendant l’exil

Issues of social justice were extremely important to Victor Hugo from his youth to old age. At age seventeen, he denounced slavery in Bug-Jargal, his first fictional work; at twenty-six he compellingly condemned capital punishment in Le Dernier Jour d’un condamné; at thirty he made manifest the connections between poverty and crime in Claude Gueux. In his epic novel Les Misérables, he explored numerous aspects of la misère, which he understood more broadly than simply “poverty.”1 The novel’s wretched, pitiful, destitute, miserable, and sometimes infamous characters experience—and often overcome—a number of societal and personal ills beyond poverty, including child abuse, parents’ death, lack of education, injustice, inequality before the law, rejection by society, prostitution, mercilessness, greed, and mendacity. Hugo recognized the interconnectedness of social ills, and saw much crime as closely related to personal 1. Acher, “Hugo, défenseur,” 181–205.

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wretchedness: “Il y a un moment où les infortunés et les infâmes se mêlent et se confondent dans un seul mot, mot fatal, les misérables; de qui est-ce la faute?” (Les Misérables III, 8, v). Hugo addresses this question to those who mainly have means to redress society’s imbalance. It is an appeal to conscience, which he tries to awaken by re-exposing grimmer aspects of life—and a cause-and-effect undertow of despair—from which his readership has physically removed itself. He knew that people can be so miserable and feel so powerless to change their destinies that they resort to revolution. As Hugo wrote about the dozens of poverty-stricken insurrectionists summarily executed during the Commune uprising: “Hélas, faisons aimer la vie aux misérables. / Sinon, pas d’équilibre . . .” (“Les Fusillés”). Hugo was not alone in addressing social injustice. During the 1830s and 1840s, workers engaged in strikes and insurrections for better working conditions and more social equality. In mid-century, socialist, communist, and feminist movements began. Legislators began to reconsider and revise child labor laws, as well as to question and then abolish slavery. Politicians, intellectuals, and regular citizens took up important causes. In the 1840s, Pauline Roland and others lobbied for women’s right to vote and Victor Schoelcher condemned slavery. The idea to abolish the death penalty dated back at least to the Enlightenment and was the hope of the first French Républicains.2 In the 1870s and 1880s, when he held a series of ministerial and legislative positions, Jules Ferry succeeded in legally establishing many of the human liberties and educational opportunities for children that Hugo had proposed. Hugo’s work was remarkable in the breadth of his interests, his foresight, his poetic power, and the complexity of his vision of social justice based on human rights. He most often argued the minority opinion for laws that would be passed decades later: abolition of the death penalty (abolished in France in 1981); equal education for women (established in 1880–81); free, required, secular education and shorter working hours for children (most efficaciously realized in 1882 with the Jules Ferry law requiring universal education). Tenacious in fighting for progress in the face of reactionary governments and legislative opponents, Hugo offered a powerful voice for progressive ideals that came from the strength of his convictions.

2. Badinter, Préface, Dernier Jour, 8.

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Women’s Rights Although Hugo, like other artists of his time, had several love affairs and sexual adventures, he differed from many contemporaries in his high level of respect and admiration for women. In several Châtiments poems (listed in “Further Reading”), he praised the courage, strength, and tenacity of the “glorious” women who opposed Bonaparte’s 1851 coup d’état. He made manifest his support of such politically engaged women as Louise Julien, who resisted the coup, and, later, Louise Michel, a leader of the Commune revolt.3 Seeing women as the equals of men, with the same natural rights, he recognized that they generally could not succeed in society without the same privileges as men. Hugo believed that societal rules and laws caused some women to descend into prostitution and degradation because society provided no other way than marriage for a woman to support herself or her children. He summed up the choice between dowry and wretchedness as a “Question sociale”: “Sous la vieille société . . . / dot ou misère / la femme obligée de choisir entre acheter un homme, ce qui s’appelle le mariage, ou se vendre aux hommes, ce qui s’appelle la prostitution” (1854; Laffont, Océan, 122). At Louise Julien’s funeral Hugo declared that women should have the same legal rights as men: “Le XVIIIe siècle a proclamé le droit de l’homme; le XIXe proclamera le droit de la femme . . .” (Laffont, Politique, 440). He contended that girls deserve an education equal to that of boys, particularly since, as mothers, they nurture children, who are society’s future.

Children’s Rights Hugo believed that education was the ultimate salvation of children, whose liveliness, innocence, and potential he loved. “La jeunesse, c’est l’avenir. Vous enseignez la jeunesse, vous préparez l’avenir,” wrote Hugo in a letter read at the opening of the Paris Congrès libre et laïque de l’éducation (1879; Laffont, Politique, 1062). Hugo gave children a status they had not had before, pointing out in his notes for a speech against child labor that they were not even capable of understanding the laws that made their lives miserable. He argued that children’s rights should come before those of their fathers: all children deserve to be educated. 3. Jean Rabaut, “Droits de la femme: Victor Hugo féministe!” L’Histoire 40 (1981): 79–81. See also Josette Acher, “Situations et droits des femmes: Discours et fiction chez Hugo,” La Revue des lettres modernes: Histoire des idées et des littératures 1024–1032 (1991): 67–88.

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Furthermore, children, in their innocence, must be protected from bad parents and from hurtful laws (see “La Liberté de l’enseignement” in chapter 12). In his fiction, Hugo brought to life the effects of social injustice on children and was one of the first authors to give children the status of heroes.4 In doing so, he created such cultural prototypes as Cosette and Gavroche from Les Misérables, who exemplify children’s resilience in a world in which adults can too easily betray them. Horrified by the difficult, dangerous living conditions of most nineteenthcentury children, Hugo studied and exposed such inequities as those rampant in the underground slum of the Caves de Lille (see his ironic “Joyeuse Vie” in this chapter). Particularly after the publication of Les Misérables in 1862, Hugo supported social causes through his personal actions, offering financial support to struggling families and individuals. With his wife, for years Hugo served free weekly dinners to between twelve and twenty-five poor children at their Guernsey home. Seeing such activities as a way to bring alive what he called “la sainte formule démocratique: Liberté, Egalité, Fraternité,” Hugo expanded these dinners to include gifts of clothing and toys and annual Christmas celebrations (Laffont, Politique, 540).

Abolition of Slavery On the question of slavery, as well, Hugo showed concern about human equality. The slave hero of Bug-Jargal, the novel he drafted at age seventeen and published at age twenty-four, leads a Santo Dominican revolt in 1791. In his forties, as a legislator, Hugo strongly supported Victor Schoelcher, who drafted the April 27, 1848, law that abolished slavery in all French colonies and possessions.5 During his exile, Hugo worked to end slavery throughout the world, calling it an essential affront to liberty and to the very idea of a republic. In letters and editorials, he protested against slavery in the United States, in Spanish colonies, and in Brazil.6 He also condemned prostitution as the slavery of women, and wrote about Fantine in Les Misérables (I, 5, xi): “On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.” 4. Michel Manson, “La poupée de Cosette, de la littérature au mythe,” in Poirel, ed., Lorsque l’enfant, 63. 5. Winock, Voix, 326. 6. Acher, “Hugo, défenseur,” 186.

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Abolition of the Death Penalty When ten years old, returning with his family from a visit to his father in Spain, Hugo ran from a gallows in Burgos only to fall upon a group bearing a condemned man to his execution. Later, in Segovia, he saw a crucified, dismembered corpse, still bloody.7 Never forgetting these horrors, Hugo consistently fought against the death penalty in any form, often referring to it simply as l’échafaud. The right to life, Hugo believed, is the most inviolable of human rights. He laid out some of his main arguments in his second preface to Le Dernier Jour d’un condamné (excerpts in this chapter) and expanded on them in later speeches. In his heartfelt 1848 constitutional assembly speech urging a total abolition of the death penalty, even when guilt is not in doubt, he argued that God alone has the right to grant life and death: “Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme: l’irrévocable, l’irréparable, indissoluble” (Laffont, Politique, 181). When, three years later, he unsuccessfully defended his son Charles against an accusation that he had broken the law by writing and publishing an article against the death penalty, Hugo noted the uncivilized nature of executions, calling them spectacles immoraux, dangereux, dégradants, féroces. As an alternative to the death penalty, Hugo proposed mercy and rehabili­ tation through a reformed prison system. Throughout his life, he lobbied for clemency for criminals condemned to death. He helped save the lives of French revolutionary Armand Barbès in 1839, the Irish Fenians in 1867, and some members of the Paris Commune after 1871. His pleas were unheard in such cases as those of Tapner on Guernsey (1854) and Maximilian, emperor of Mexico (1867).8 His famous character Jean Valjean is compelling in Les Misérables because of his great capacity for mercy. Unswerving and untiring in his battles against the death penalty and for clemency, pardon, and amnesty, Hugo expressed horror at state-sanctioned killing and the brutality of chain gangs and prisons that offered no effort at rehabilitation. At the end of Claude Gueux—based on the true story of a man who killed someone after being imprisoned for a theft provoked by his poverty—Hugo contends that better education would obviate the need for executions: “Tel a assassiné sur les grandes routes qui, mieux dirigé, eût été le 7. Hovasse, Victor Hugo: Avant l’exil, 109. For a chronology of Hugo’s encounters with executions and writings against the death penalty, see Guy Rosa’s “Commentaires” in Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné suivi de Claude Gueux et de l’Affaire Tapner (Paris: Librairie Générale Française, 1989): 272–80. 8. Acher, “Hugo, défenseur,” 186.

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plus excellent serviteur de la cité. Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la; vous n’aurez pas besoin de la couper.”

Préface, Les Misérables (1862) [In this oft-quoted preface, Hugo explicitly states his belief in his novel’s potential to help remediate social injustices, implicitly arguing for the power of literature to educate and inspire readers.] Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compli­ quant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres comme celui-ci pourront ne pas être inutiles. Hauteville House, 1er janvier 1862.

Le Suffrage universel (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil [Assemblée législative, 1848–51, VI] (1875) [In his May 20, 1850, Legislative Assembly speech excerpted here, Hugo harks back to the February 1848 revolution to contest a proposed law, which he called funeste. This loi du 31 mai 1850, passed over Hugo’s objections, took voting rights from a third of all French voters and sixty percent of Parisian male voters; it barred from the polls those who had been imprisoned more than a month for political offenses and those who had not maintained the same residence for three years (CFL VII, 280, n.a.). Thus this law made many liberals, workers, poor peasants, and homeless people ineligible to vote. Hugo argued that the vote gave people necessary power, made them as strong as Antaeus (Antée)— invincible as long as he touched the Earth—and gave them a political lever such as that explained by the ancient Greek scholar Archimedes. At this time in history, “universal suffrage” referred to adult men only. In 1853, at Louise

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Julien’s funeral, Hugo publicly proposed equality between men and women. Conservatives mocked the idea of entrusting the vote even to men, as you see from the laughter attributed to the right side of the aisle.] Oui, la grande sagesse de cette révolution de février qui, prenant pour base de la politique l’Évangile (À droite: Quelle impiété!  ), institua le suffrage universel; sa grande sagesse, et en même temps sa grande justice, ce ne fut pas seulement de confondre et de dignifier dans l’exercice du même pouvoir souverain le bourgeois et le prolétaire; ce fut d’aller chercher dans l’accablement, dans le délaissement, dans l’abandon, dans cet abaissement qui conseille si mal, l’homme de désespoir, et de lui dire: Espère! l’homme de colère, et de lui dire: Raisonne! le mendiant, comme on l’appelle, le vagabond, comme on l’appelle, le pauvre, l’indigent, le déshérité, le malheureux, le misérable, comme on l’appelle, et de le sacrer citoyen! (Acclamation à gauche.) Voyez, messieurs, comme ce qui est profondément juste est toujours en même temps profondément politique: le suffrage universel, en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur donne le calme. Tout ce qui grandit l’homme l’apaise. (Mouvement.) Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique: Soyez tranquilles, vous êtes souverains. (Sensation.) Il ajoute: Vous souffrez? eh bien! n’aggravez pas vos souffrances, n’aggravez pas les détresses publiques par la révolte. Vous souffrez? eh bien! vous allez travailler vous-mêmes, dès à présent, au grand œuvre de la destruction de la misère, par des hommes qui seront à vous, par des hommes en qui vous mettrez votre âme, et qui seront, en quelque sorte, votre main. Soyez tranquilles. […] Que l’assemblée me permette ici une observation qui, selon moi, éclaire jusqu’au fond, et d’un jour vrai et rassurant, cette grande question du suffrage universel. Quoi! le gouvernement veut restreindre, amoindrir, émonder, mutiler le suffrage universel! Mais y a-t-il bien réfléchi? Mais voyons, vous, ministres, hommes sérieux, hommes politiques, vous rendez-vous bien compte de ce que c’est que le suffrage universel? le suffrage universel vrai, le suffrage universel sans restrictions, sans exclusions, sans défiances, comme la révolution de février l’a établi, comme le comprennent et le veulent les

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hommes de progrès? (Au banc des ministres: C’est de l’anarchie. Nous ne voulons pas de ça!  ) Je vous entends, vous me répondez: “Nous n’en voulons pas! c’est le mode de création de l’anarchie!” (Oui! oui! à droite.) Eh bien! c’est précisément tout le contraire. C’est le mode de création du pouvoir. (Bravo! à gauche.) Oui, il faut le dire et le dire bien haut, et j’y insiste, ceci, selon moi, devrait éclairer toute cette discussion: ce qui sort du suffrage universel, c’est la liberté, sans nul doute, mais c’est encore plus le pouvoir que la liberté! Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations orageuses, crée un point fixe. Ce point fixe, c’est la volonté nationale légalement mani­ festée; la volonté nationale, robuste amarre de l’État, ancre d’airain qui ne casse pas et que viennent battre vainement tour à tour le flux des révolutions et le reflux des réactions! (Profonde sensation.) Et, pour que le suffrage universel puisse créer ce point fixe, pour qu’il puisse dégager la volonté nationale dans toute sa plénitude souveraine, il faut qu’il n’ait rien de contestable (C’est vrai! c’est cela!  ); il faut qu’il soit bien réellement le suffrage universel, c’est-à-dire qu’il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote; qu’il fasse de la cité la chose de tous, sans exception; car, en pareille matière, faire une exception, c’est commettre une usurpation (Bravo! à gauche); il faut, en un mot, qu’il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société: Je ne te connais pas! (Mouvement prolongé.) À ces conditions, le suffrage universel produit le pouvoir, un pouvoir colossal, un pouvoir supérieur à tous les assauts, même les plus terribles; un pouvoir qui pourra être attaqué, mais qui ne pourra être renversé, témoin le 15 mai, témoin le 23 juin (C’est vrai! c’est vrai!  );9 un pouvoir invincible parce qu’il pose sur le peuple, comme Antée parce qu’il pose sur la terre! (Applaudissements à gauche.) Oui, grâce au suffrage universel, vous créez et vous mettez au service de l’ordre un pouvoir où se condense toute la force de la nation; un pouvoir pour lequel il n’y a qu’une chose qui soit impossible, c’est de détruire son principe, c’est de tuer ce qui l’a engendré. (Nouveaux applaudissements à gauche.) Grâce au suffrage universel, dans notre époque où flottent et s’écroulent toutes les fictions, vous trouvez le fond solide de la société. Ah! vous êtes 9. Hugo refers to the 1848 uprisings of left-wing extremists (in May) and unemployed workers (in June), all of which were violently suppressed by government troops.

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embarrassés du suffrage universel, hommes d’état! ah! vous ne savez que faire du suffrage universel! Grand Dieu! c’est le point d’appui, l’inébranlable point d’appui qui suffirait à un Archimède politique pour soulever le monde! (Longue acclamation à gauche.) Ministres, hommes qui nous gouvernez, en détruisant le caractère intégral du suffrage universel, vous attentez au principe même du pouvoir, du seul pouvoir possible aujourd’hui! Comment ne voyez-vous pas cela? Tenez, voulez-vous que je vous le dise? Vous ne savez pas vous-mêmes ce que vous êtes ni ce que vous faites. Je n’accuse pas vos intentions, j’accuse votre aveuglement. Vous vous croyez, de bonne foi, des conservateurs, des reconstructeurs de la société, des organisateurs? Eh bien! je suis fâché de détruire votre illusion; à votre insu, candidement, innocemment, vous êtes des révolutionnaires! (Longue et universelle sensation.) Oui! et des révolutionnaires de la plus dangereuse espèce, des révolutionnaires de l’espèce naïve! (Hilarité générale.) Vous avez, et plusieurs d’entre vous l’ont déjà prouvé, ce talent merveilleux de faire des révolutions sans le voir, sans le vouloir et sans le savoir (Nouvelle hilarité  ), en voulant faire autre chose! (On rit. —Très bien! très bien!  ) Vous nous dites: Soyez tranquilles! Vous saisissez dans vos mains, sans vous douter de ce que cela pèse, la France, la société, le présent, l’avenir, la civilisation, et vous les laissez tomber sur le pavé par maladresse! Vous faites la guerre à l’abîme en vous y jetant tête baissée! (Long mouvement. —M. d’Hautpoul rit.)10 Eh bien! l’abîme ne s’ouvrira pas! (Sensation.) Le peuple ne sortira pas de son calme! Le peuple calme, c’est l’avenir sauvé. (Applaudissements à gauche. —Rumeurs à droite.) […] Je me résume et je finis: Messieurs, cette loi est invalide, cette loi est nulle, cette loi est morte même avant d’être née. Et savez-vous ce qui la tue? C’est qu’elle ment! (Profonde sensation.) C’est qu’elle est hypocrite dans le pays de la franchise, c’est qu’elle est déloyale dans le pays de l’honnêteté! C’est qu’elle n’est pas juste, c’est qu’elle n’est pas vraie, c’est qu’elle cherche en vain à créer une fausse justice et une fausse vérité sociales! Il n’y a pas deux justices et deux vérités; il n’y a qu’une justice, celle qui sort de la conscience, et il 10. Alphonse-Henri d’Hautpoul (1789–1865) was a peer of France under King LouisPhilippe, then a conservative deputy and senator.

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n’y a qu’une vérité, celle qui vient de Dieu! Hommes qui nous gouvernez, savez-vous ce qui tue votre loi? C’est qu’au moment où elle vient furtivement dérober le bulletin, voler la souveraineté dans la poche du faible et du pauvre, elle rencontre le regard sévère, le regard terrible de la probité nationale! lumière foudroyante sous laquelle votre œuvre de ténèbres s’évanouit. (Mouvement prolongé.) Tenez, prenez-en votre parti. Au fond de la conscience de tout citoyen, du plus humble comme du plus grand, au fond de l’âme —j’accepte vos expressions— du dernier mendiant, du dernier vagabond, il y a un sentiment sublime, sacré, indestructible, incorruptible, éternel, le droit! (Sensation) ce sentiment, qui est l’élément de la raison de l’homme; ce sentiment, qui est le granit de la conscience humaine; le droit, voilà le rocher sur lequel viennent échouer et se briser les iniquités, les hypocrisies, les mauvais desseins, les mauvaises lois, les mauvais gouvernements! Voilà l’obstacle caché, invisible, obscurément perdu au plus profond des esprits, mais incessamment présent et debout, auquel vous vous heurterez toujours, et que vous n’userez jamais, quoi que vous fassiez! (Non! non! ) Je vous le dis, vous perdez vos peines. Vous ne le déracinerez pas! vous ne l’ébranlerez pas! Vous arracheriez plutôt l’écueil du fond de la mer que le droit du cœur du peuple! (Acclamations à gauche.) Je vote contre le projet de loi. (La séance est suspendue au milieu d’une inexpri­mable agitation.)

Joyeuse Vie, Châtiments III, ix (1853) [“Joyeuse Vie” is one of Victor Hugo’s most scathing indictments of the costs tyrannical rulers exact from working people and the natural environment in order to build their empires. Here Hugo condemns Napoleon III’s Second Empire. He satirically and ironically encourages the wealthy to exploit the poor and contrasts rich nobles’ luxurious lives with the reality of such slums as the Caves de Lille, where in 1851 Hugo, with economist Adolphe Blanqui, saw the desperate lives of workers who actually lived underground. Later in the poem, he juxtaposes the horrors of poverty with the treasure evident in the Louvre and Saint-Cloud palaces. Hugo invokes the Florentine poet Dante Alighieri, author of The Divine Comedy, whom he considered one of the greatest dispensers of justice. Rich variations on these themes and tones appear in Ruy Blas’s lambasting of Spain’s corrupt ministers (Ruy Blas III, ii) and in the contrast between rich partygoers and women forced by hunger into prostitution in “Sur le bal de l’Hôtel-deVille” (Les Chants du crépuscule), one of Hugo’s first socially conscious poems.]

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I Bien, pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances! Attablez-vous en hâte autour des jouissances! Accourez! place à tous! Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide. Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide,11 Tout ce peuple est à vous! Vendez l’État! coupez les bois! coupez les bourses! Videz les réservoirs et tarissez les sources! Les temps sont arrivés. Prenez le premier sou! prenez, gais et faciles, Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes! Prenez, riez, vivez! Bombance! allez! c’est bien! vivez! faites ripaille! La famille du pauvre expire sur la paille, Sans porte ni volet. Le père en frémissant va mendier dans l’ombre; La mère n’ayant plus de pain, dénûment sombre, L’enfant n’a plus de lait.

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II Millions! millions! châteaux! liste civile!12 Un jour je descendis dans les caves de Lille; Je vis ce morne enfer. Des fantômes sont là sous terre dans des chambres, Blêmes, courbés, ployés; le rachis13 tord leurs membres Dans son poignet de fer. Sous ces voûtes on souffre, et l’air semble un toxique; L’aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique; L’eau coule à longs ruisseaux;

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11. Stupide can be read in two senses: stupefied, or stunned; and lacking in intelligence. 12. La liste civile is the sum allotted to the head of state for his personal expenses. 13. Le rachis means the spinal column, but Hugo here refers to rickets (le rachitisme), a childhood disease that softens the bones, due to malnutrition or lack of sunlight.

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Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente, Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante S’infiltrer dans ses os. Jamais de feu; la puie inonde la lucarne; L’œil en ces souterrains où le malheur s’acharne Sur vous, ô travailleurs, Près du roüet qui tourne et du fil qu’on dévide, Voit des larves errer dans la lueur livide Du soupirail en pleurs. Misère! L’homme songe en regardant la femme. Le père, autour de lui sentant l’angoisse infâme Étreindre la vertu, Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte, Et n’ose, l’œil fixé sur le pain qu’elle apporte, Lui dire: d’où viens-tu? Là dort le désespoir sur son haillon sordide; Là, l’avril de la vie, ailleurs tiède et splendide, Ressemble au sombre hiver; La vierge, rose au jour, dans l’ombre est violette; Là, rampent dans l’horreur la maigreur du squelette, La nudité du ver; Là, frissonnent, plus bas que les égouts des rues, Familles de la vie et du jour disparues, Des groupes grelottants; Là, quand j’entrai, farouche, aux méduses14 pareille, Une petite fille à figure de vieille Me dit: j’ai dix-huit ans! Là, n’ayant pas de lit, la mère malheureuse Met ses petits enfants dans un trou qu’elle creuse, Tremblants comme l’oiseau;

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14. In comparing the visibly aged girl to méduses, Hugo alludes to the petrifying horror of the mythological Medusa, and to jellyfish, whose transparency makes them seem to disappear, as he writes in Les Travailleurs de la mer (I, vii).

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Hélas! ces innocents aux regards de colombe, Trouvent en arrivant sur la terre une tombe, En place d’un berceau! Caves de Lille! on meurt sous vos plafonds de pierre! J’ai vu, vu de mes yeux pleurant sous ma paupière, Râler l’aïeul flétri, La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue, Et l’enfant spectre au sein de la mère statue! Ô Dante Alighieri! C’est de ces douleurs-là que sortent vos richesses, Princes! ces dénûments nourrissent vos largesses, Ô vainqueurs! conquérants! Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes, Du cœur de ces mourants, Sous ce rouage affreux qu’on nomme tyrannie, Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie, De l’aube jusqu’au soir, Sans trève, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes, Ainsi que des raisins on écrase des hommes, Et l’or sort du pressoir. C’est de cette détresse et de ces agonies, De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies, Espoir, tu ne vibras, C’est de ces bouges noirs pleins d’angoisses amères, C’est de ce sombre amas de pères et de mères Qui se tordent les bras, Oui, c’est de ce monceau d’indigences terribles Que les lourds millions, étincelants, horribles, Semant l’or en chemin, Rampant vers les palais et les apothéoses, Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses, Et teints de sang humain!

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III Ô paradis! splendeurs! versez à boire aux maîtres! L’orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres, La table éclate et luit; L’ombre est là sous leurs pieds; les portes sont fermées; La prostitution des vierges affamées Pleure dans cette nuit! Vous tous qui partagez ces hideuses délices, Soldats payés, tribuns vendus, juges complices, Évêques effrontés, La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes! C’est de fièvre et de faim et de mort que sont faites Toutes vos voluptés! À Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites, Quand s’ébat sous les fleurs l’essaim des favorites, Bras nus et gorge au vent, Dans le festin qu’égaie un lustre à mille branches, Chacune en souriant, dans ses belles dents blanches Mange un enfant vivant! Mais qu’importe! riez! Se plaindra-t-on sans cesse? Serait-on empereur, prélat, prince et princesse, Pour ne pas s’amuser? Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire, Doit être satisfait puisqu’il vous entend rire Et qu’il vous voit danser! Qu’importe! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche. Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche!15 Ce tableau nous manquait.

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15. All three were supportive of Napoleon III’s regime. Troplong and Baroche were lawyers who held governmental posts; along with Napoleon III, they are most often the target of Hugo’s attacks in Châtiments. While archbishop of Paris, Sibour supported first the Republic, then governmental repression of human rights, then Bonaparte’s coup d’état.

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Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre, Et faites, au-dessus de l’immense misère, Un immense banquet!

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IV Ils marchent sur toi, peuple! ô barricade sombre, Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre Ton front de sang lavé, Sous la roue emportée, étincelante et folle, De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole, Tu redeviens pavé! À César ton argent, peuple; à toi, la famine. N’es-tu pas le chien vil qu’on bat et qui chemine Derrière son seigneur? À lui la pourpre; à toi la hotte et les guenilles. Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles, À toi leur déshonneur!

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V Ah! quelqu’un parlera. La muse, c’est l’histoire. Quelqu’un élèvera la voix dans la nuit noire, Riez, bourreaux bouffons! Quelqu’un te vengera, pauvre France abattue, Ma mère! et l’on verra la parole qui tue Sortir des cieux profonds! Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races, Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces, Sans pitié, sans merci, Vils, n’ayant pas de cœur, mais ayant deux visages, Disent: — Bah! le poète! Il est dans les nuages! — Soit. Le tonnerre aussi. Jersey, janvier 1853. [19 janvier 1853.]

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Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe! . . . , Les Chants du crépuscule XIV (1835) [The September 1835 date strongly indicates that this poem was inspired by Juliette Drouet, who had been dependent on several other lovers before she met Victor Hugo in 1833. Still, its content and placement early in Les Chants du crépuscule make it clear that this poem is part of Hugo’s social and political commentary (CFL V, 429, n. 4). Hugo drew a detailed picture of the desperate, fallen woman in Fantine, the Les Misérables heroine who must sell her hair, her eyeteeth, and finally her virtue to pay for her illegitimate daughter Cosette’s care.] Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe! Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe! Qui sait combien de jours sa faim a combattu! Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu, Qui de nous n’a pas vu de ces femmes brisées S’y cramponner long-temps de leurs mains épuisées! Comme au bout d’une branche on voit étinceler Une goutte de pluie où le ciel vient briller, Qu’on secoue avec l’arbre et qui tremble et qui lutte, Perle avant de tomber et fange après sa chute! La faute en est à nous; à toi, riche! à ton or! Cette fange d’ailleurs contient l’eau pure encor. Pour que la goutte d’eau sorte de la poussière, Et redevienne perle en sa splendeur première, Il suffit, c’est ainsi que tout remonte au jour, D’un rayon du soleil ou d’un rayon d’amour!

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Septembre 1835. [6 septembre 1835.]

Questions sociales § 2: La Femme, Actes et paroles III, Depuis l’exil [2e partie, Paris X] (1876) [Noting women’s key role in the creation of a just society, Hugo wrote this open ­letter to Léon Richer, editor-in-chief of Avenir des Femmes, about the need to free women from the subjugation of laws and men, and stated that in writing the code of laws, men had given themselves all the rights and women all the duties. Read June 9, 1872, at a banquet organized for l’émancipation civile des

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femmes, it was published in Le Rappel, a political newspaper founded in 1869 by Hugo’s sons and highly contested by the French government.] Paris, le 8 juin 1872.

Monsieur, Je m’associe du fond du cœur à votre utile manifestation. Depuis quarante ans, je plaide la grande cause sociale à laquelle vous vous dévouez noblement. Il est douloureux de le dire: dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes; ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux plateaux du Code, dont l’équilibre importe à la conscience humaine; l’homme a fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond. De là la servitude de la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’este pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent: il faut qu’il cesse. Je sais que les philosophes vont vite et que les gouvernants vont lentement; cela tient à ce que les philosophes sont dans l’absolu, et les gouvernants dans le relatif; cependant, il faut que les gouvernants finissent par rejoindre les philosophes. Quand cette jonction est faite à temps, le progrès est obtenu et les révolutions sont évitées. Si la jonction tarde, il y a péril. Sur beaucoup de questions à cette heure, les gouvernants sont en retard. Voyez les hésitations de l’Assemblée à propos de la peine de mort. En attendant, l’échafaud sévit. Dans la question de l’éducation, comme dans la question de la répression, dans la question de l’irrévocable qu’il faut ôter du mariage et de l’irréparable qu’il faut ôter de la pénalité, dans la question de l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, dans la question de la femme, dans la question de l’enfant, il est temps que les gouvernants avisent. Il est urgent que les législateurs prennent conseil des penseurs, que les hommes d’État, trop souvent superficiels, tiennent compte du profond travail des écrivains, et que ceux qui font les lois obéissent à ceux qui font les mœurs. La paix sociale est à ce prix. Nous philosophes, nous contemplateurs de l’idéal social, ne nous lassons pas. Continuons notre œuvre. Étudions sous toutes ses faces, et avec une bonne volonté croissante, ce pathétique problème de la femme dont la solution résoudrait presque la question sociale tout entière. Apportons

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dans l’étude de ce problème plus même que la justice; apportons-y la vénération; apportons-y la compassion. Quoi! il y a un être, un être sacré, qui nous a formés de sa chair, vivifiés de son sang, nourris de son lait, remplis de son cœur, illuminés de son âme, et cet être souffre, et cet être saigne, pleure, languit, tremble. Ah! dévouons-nous, servons-le, défendons-le, secourons-le, protégeons-le! Baisons les pieds de notre mère! Avant peu, n’en doutons pas, justice sera rendue et justice sera faite. L’homme à lui seul n’est pas l’homme; l’homme, plus la femme, plus l’enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l’organisation sociale doit découler de là. Assurer le droit de l’homme sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d’en bas que nous appelons la loi. Redoublons de persévérance et d’efforts. On en viendra, espérons-le, à comprendre qu’une société est mal faite quand l’enfant est laissé sans lumière, quand la femme est maintenue sans initiative, quand la servitude se déguise sous le nom de tutelle, quand la charge est d’autant plus lourde que l’épaule est plus faible; et l’on reconnaîtra que, même au point de vue de notre égoïsme, il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme.

“Comment de frère on devient père” (excerpt), Les Misérables V, 1, xvi (1862) [When the generous, irreverent, and self-sufficient street urchin Gavroche is killed at the Paris barricades during the June 6, 1832, insurrection, he leaves behind two youngsters whom he had befriended without knowing they were his brothers (see excerpt in chapter 2). These seven- and five-year-old boys have climbed through the fence into the Jardin du Luxembourg, locked and quiet because of the insurrection and not far from the Tuileries royal residence, when some of the fighting takes place. In this excerpt, Hugo describes at length the immense peace and beauty of the flowers, the garden, the statues, and the brightness that promises God, ce millionnaire d’étoiles, before he recounts what happens to these brothers just as their benefactor, Gavroche, dies.] Les deux petits abandonnés étaient parvenus près du grand bassin, et, un peu troublés par toute cette lumière, ils tâchaient de se cacher, instinct du pauvre et du faible devant la magnificence, même impersonnelle; et ils se tenaient derrière la baraque des cygnes.

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Çà et là, par intervalles, quand le vent donnait, on entendait confusément des cris, une rumeur, des espèces de râles tumultueux, qui étaient des fusillades, et des frappements sourds, qui étaient des coups de canon. Il y avait de la fumée au-dessus des toits du côté des halles. Une cloche, qui avait l’air d’appeler, sonnait au loin. Ces enfants ne semblaient pas percevoir ces bruits. Le petit répétait de temps en temps à demi-voix: J’ai faim. Presque au même instant que les deux enfants, un autre couple s’approchait du grand bassin. C’était un bonhomme de cinquante ans qui menait par la main un bonhomme de six ans. Sans doute le père avec son fils. Le bonhomme de six ans tenait une grosse brioche. À cette époque, de certaines maisons riveraines, rue Madame et rue d’Enfer, avaient une clef du Luxembourg dont jouissaient les locataires quand les grilles étaient fermées, tolérance supprimée depuis. Ce père et ce fils sortaient sans doute d’une de ces maisons-là. Les deux petits pauvres regardèrent venir «ce monsieur», et se cachèrent un peu plus. Celui-ci était un bourgeois. [ … ] Il avait l’air affable et altier, et une bouche qui, ne se fermant pas, souriait toujours. Ce sourire mécanique, produit par trop de mâchoire et trop peu de peau, montre les dents plutôt que l’âme. L’enfant, avec sa brioche mordue qu’il n’achevait pas, semblait gavé. L’enfant était vêtu en garde national à cause de l’émeute, et le père était resté habillé en bourgeois à cause de la prudence. Le père et le fils s’étaient arrêtés près du bassin où s’ébattaient les deux cygnes. Ce bourgeois paraissait avoir pour les cygnes une admiration spéciale. Il leur ressemblait en ce sens qu’il marchait comme eux. Pour l’instant les cygnes nageaient, ce qui est leur talent principal, et ils étaient superbes. Si les deux petits pauvres eussent écouté et eussent été d’âge à comprendre, ils eussent pu recueillir les paroles d’un homme grave. Le père disait au fils: — Le sage vit content de peu. Regarde-moi, mon fils. Je n’aime pas le faste. Jamais on ne me voit avec des habits chamarrés d’or et de pierreries; je laisse ce faux éclat aux âmes mal organisées. Ici les cris profonds qui venaient du côté des halles éclatèrent avec un redoublement de cloche et de rumeur.

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— Qu’est-ce que c’est que cela? demanda l’enfant. Le père répondit: — Ce sont des saturnales. Tout à coup, il aperçut les deux petits déguenillés, immobiles derrière la maisonnette verte des cygnes. — Voilà le commencement, dit-il. Et après un silence il ajouta: — L’anarchie entre dans ce jardin. Cependant le fils mordit la brioche, la recracha, et brusquement se mit à pleurer. — Pourquoi pleures-tu? demanda le père. — Je n’ai plus faim, dit l’enfant. Le sourire du père s’accentua. — On n’a pas besoin de faim pour manger un gâteau. — Mon gâteau m’ennuie. Il est rassis. — Tu n’en veux plus? — Non. Le père lui montra les cygnes. — Jette-le à ces palmipèdes. L’enfant hésita. On ne veut plus de son gâteau; ce n’est pas une raison pour le donner. Le père poursuivit: — Sois humain. Il faut avoir pitié des animaux. Et, prenant à son fils le gâteau, il le jeta dans le bassin. Le gâteau tomba assez près du bord. Les cygnes étaient loin, au centre du bassin, et occupés à quelque proie. Ils n’avaient vu ni le bourgeois, ni la brioche. Le bourgeois, sentant que le gâteau risquait de se perdre, et ému de ce naufrage inutile, se livra à une agitation télégraphique qui finit par attirer l’attention des cygnes. Ils aperçurent quelque chose qui surnageait, virèrent de bord comme des navires qu’ils sont, et se dirigèrent vers la brioche lentement, avec la majesté béate qui convient à des bêtes blanches. — Les cygnes comprennent les signes, dit le bourgeois, heureux d’avoir de l’esprit. En ce moment le tumulte lointain de la ville eut encore un grossissement subit. Cette fois ce fut sinistre. Il y a des bouffées de vent qui parlent plus distinctement que d’autres. Celle qui soufflait en cet instant-là apporta

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nettement des roulements de tambour, des clameurs, des feux de peloton, et les répliques lugubres du tocsin et du canon. Ceci coïncida avec un nuage noir qui cacha brusquement le soleil. Les cygnes n’étaient pas encore arrivés à la brioche. — Rentrons, dit le père, on attaque les Tuileries. Il ressaisit la main de son fils. Puis il continua: — Des Tuileries au Luxembourg, il n’y a que la distance qui sépare la royauté de la pairie; ce n’est pas loin. Les coups de fusil vont pleuvoir. Il regarda le nuage. — Et peut-être aussi la pluie elle-même va pleuvoir; le ciel s’en mêle; la branche cadette est condamnée. Rentrons vite. — Je voudrais voir les cygnes manger la brioche, dit l’enfant. Le père répondit: — Ce serait une imprudence. Et il emmena son petit bourgeois. Le fils, regrettant les cygnes, tourna la tête vers le bassin jusqu’à ce qu’un coude des quinconces le lui eût caché. Cependant, en même temps que les cygnes, les deux petits errants s’étaient approchés de la brioche. Elle flottait sur l’eau. Le plus petit regardait le gâteau, le plus grand regardait le bourgeois qui s’en allait. Le père et le fils entrèrent dans le labyrinthe d’allées qui mène au grand escalier du massif d’arbres du côté de la rue Madame. Dès qu’ils ne furent plus en vue, l’aîné se coucha vivement à plat ventre sur le rebord arrondi du bassin, et, s’y cramponnant de la main gauche, penché sur l’eau, presque prêt à y tomber, étendit avec sa main droite sa baguette vers le gâteau. Les cygnes, voyant l’ennemi, se hâtèrent et en se hâtant firent un effet de poitrail utile au petit pêcheur; l’eau devant les cygnes reflua, et l’une de ces molles ondulations concentriques poussa doucement la brioche vers la baguette de l’enfant. Comme les cygnes arrivaient, la baguette toucha le gâteau. L’enfant donna un coup vif, ramena la brioche, effraya les cygnes, saisit le gâteau, et se redressa. Le gâteau était mouillé; mais ils avaient faim et soif. L’aîné fit deux parts de la brioche, une grosse et une petite, prit la petite pour lui, donna la grosse à son petit frère, et lui dit: — Colle-toi ça dans le fusil.16 16. With this slang expression, “Stick that in your gun,” the seven-year-old encourages his little brother to eat the larger piece just as Gavroche encouraged both of them in “Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon de Grand” (IV, 6, ii), excerpted in chapter 2.

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Question sociale, La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, iv (1877) [In the second series of his multi-volume epic collection La Légende des siècles, Hugo included more philosophical, less historical poems. This poem, the fourth and last under the heading “Les Petits,” tells what happens to girls in poverty. As he often did, Hugo calls on Greek mythology for powerful images: Atlas, the giant Titan condemned by Zeus to hold up the heavens (in some accounts, the world) on his shoulders after the Olympian gods defeated the Titans; Nemesis, the goddess who personified vengeance and, especially, signified the gods’ disapproval of human presumption; Medusa, one of three Gorgon monsters with snakes for hair and boars’ teeth (anyone who made eye contact with her was petrified and died). Writing after the violence of the Franco-Prussian War, the Germans’ siege of Paris and, later, the French authorities’ bloody suppression of the communards’ revolt, Hugo added after the manuscript date this line of verse addressed to his two grandchildren: “Ô mes petits enfants, ayez pitié des autres.”] Ô détresses du faible! ô naufrage insondable! Un jour j’ai vu passer un enfant formidable, Une fille; elle avait cinq ans; elle marchait Au hasard, elle était dans l’âge du hochet, Du bonbon, des baisers, et n’avait pas de joie; Elle avait l’air stupide et profond de la proie Sous la griffe, et d’Atlas que le monde étouffait, Et semblait dire à Dieu: Qu’est-ce que je t’ai fait? Dieu. Non. Elle ignorait ce mot. Le penseur creuse, L’enfant souffre. Elle était en haillons, pâle, affreuse, Jolie, et destinée aux sinistres attraits; Elle allait au milieu de nous, passants distraits, Toute petite avec un grand regard farouche. Le pli d’angoisse était aux deux coins de sa bouche; Tout son être exprimait Rien, l’absence d’appui, La faim, la soif, l’horreur, l’ombre, et l’immense ennui. Quoi! l’éternel malheur pèse sur l’éphémère! On entendait quelqu’un rire, c’était sa mère; Cette femme, une fille au fond d’un cabaret, N’avait pas même l’air de savoir qu’on errait

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Dehors, là, dans la rue, en grelottant, sans gîte, Sous le givre et la pluie, et qu’on était petite, Et que ce pauvre enfant tragique était le sien. Cette mère, pas plus qu’on ne remarque un chien, N’apercevait cet être et sa sombre guenille. Sorte de rose infâme ignorant sa chenille.

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Elle-même jadis avait été cela. Maintenant, Margoton changée en Paméla,17 Elle offrait aux passants des faveurs mal venues, Chantante; elles étaient toutes deux demi-nues, L’une pour les affronts, l’autre pour les douleurs; La mère, gaie, avait au front d’horribles fleurs; Il arrivait parfois, vers le soir, à la brune, Que la mère et l’enfant se rencontraient, et l’une Regardait son passé, l’autre son avenir.

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Voir l’une commencer et voir l’autre finir! Ô misère!      L’enfant se taisait, grave, amère. Cette femme, après tout, était-elle sa mère? Oui. Non. Ceux qui mêlaient autour d’elles leurs pas En parlaient au hasard et ne le savaient pas. L’infortune est de l’ombre, et peut-être cet ange N’avait-il même pas une mère de fange, Hélas! et l’humble enfant, seul sous le firmament, Marchait terrible avec un air d’étonnement. Elle ne paraissait ni vivante ni morte. — Mais qu’a donc cet enfant à songer de la sorte? Disait-on autour d’elle. — Est-ce qu’on la connaît? Non. Les gens lui donnaient du pain qu’elle prenait Sans rien dire; elle allait devant elle, indignée. Pour moi, rêveur, sa main tenait une poignée

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17. Margoton was a common synonym for a harlot or prostitute; Paméla seems to refer to the eponymous heroine of Samuel Richardson’s eighteenth-century novel, a servant who resisted the squire’s seduction efforts and became his wife.

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D’invisibles éclairs montant de bas en haut; Ses yeux, comme on regarde un plafond de cachot, Regardaient le grand ciel où l’aube ne sait naître Que pour s’éteindre, et tout l’ensemble de cet être Était on ne sait quoi d’âpre, de bégayant, Et d’obscur, d’où sortait un reproche effrayant; La ville avec ses tours, ses temples et ses bouges, Devant son front hagard et ses prunelles rouges S’étalait, vision inutile, et jamais Elle n’avait daigné remarquer ces sommets Qu’on nomme Panthéon, Étoile, Notre-Dame;18 On eût dit que sur terre elle n’avait plus d’âme, Qu’elle ignorait nos voix, qu’elle était de la nuit Ayant la forme humaine et marchant dans ce bruit; Et rien n’était plus noir que ce petit fantôme. La quantité d’enfer qui tient dans un atome Étonne le penseur, et je considérais Cette larve, pareille aux lueurs des forêts, Blême, désespérée avant même de vivre, Qui, sans pleurs et sans cris, d’ombre et de terreur ivre, Rêvait et s’en allait, les pieds dans le ruisseau, Némésis de cinq ans, Méduse du berceau.

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[13 novembre 1875.]

Seconde Lettre à l’Espagne, Actes et paroles II, Pendant l’exil [1868, IV] (1875) [In this 1868 open letter to the people of Spain, Hugo responded, as he very often did in exile, to foreign citizens’ appeals to support their cause. Hugo had first written to Spain a month earlier, expressing the hope that a republic would replace the fallen monarchy. Here, responding to a request from the fervent Spanish republican leader Emilio Castelar, he argues that the newly formed 18. Three important Paris monuments: The Panthéon in the Quartier latin was originally intended as a church but has been, since the French Revolution, most often a shrine to great men (Hugo himself is interred there). Étoile refers to the Place de l’Étoile (since 1970 the Place Charles-de-Gaulle), where twelve avenues fan out from the Arc de Triomphe. Notre-Dame is the cathedral of Paris on the Île de la Cité.

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Spanish republic should abolish slavery as unacceptable in a democracy. Spain needs, he writes, another Gibraltar (a British colony on the Iberian peninsula long governed as a republic where slavery was illegal) and one less Cuba (a Spanish colony where slavery was not abolished until 1886).] De plusieurs points de l’Espagne: de la Corogne, par l’organe du comité démocratique, d’Oviédo, de Séville, de Barcelone, de Saragosse, la ville patriote, de Cadix, la ville révolutionnaire, de Madrid, par la généreuse voix d’Emilio Castelar, un deuxième appel m’est fait. On m’interroge. Je réponds. De quoi s’agit-il? De l’esclavage. L’Espagne, qui d’une seule secousse vient de rejeter tous les vieux opprobres: fanatisme, absolutisme, échafaud, droit divin, gardera-t-elle de tout ce passé ce qu’il y a de plus odieux: l’esclavage? Je dis: Non! Abolition, et abolition immédiate. Tel est le devoir. Est-ce qu’il y a lieu d’hésiter? Est-ce que c’est possible? Quoi! ce que l’Angleterre a fait en 1838, ce que la France a fait en 1848, en 1868 l’Espagne ne le ferait pas! quoi! être une nation affranchie, et avoir sous ses pieds une race asservie et garrottée! quoi! ce contre-sens! être chez soi la lumière, et hors de chez soi la nuit! être chez soi la justice, et hors de chez soi l’iniquité! citoyen ici, négrier là! faire une révolution qui aurait un côté de gloire et un côté d’ignominie! quoi! après la royauté chassée, l’esclavage resterait? il y aurait près de vous un homme qui serait à vous, un homme qui serait votre chose! vous auriez sur la tête un bonnet de liberté pour vous et à la main une chaîne pour lui! qu’est-ce que le fouet du planteur? c’est le sceptre du roi, naïf et dédoré. L’un brisé, l’autre tombe. Une monarchie à esclaves est logique. Une république à esclaves est cynique. Ce qui rehausse la monarchie déshonore la république. La république est une virginité. Or, dès à présent, et sans attendre aucun vote, vous êtes république. Pourquoi? parce que vous êtes la grande Espagne. Vous êtes république; l’Europe démocratique en a pris acte. Ô Espagnols! vous ne pouvez rester fiers qu’à la condition de rester libres. Déchoir vous est impossible. Croître est dans la nature; se rapetisser, non. Vous resterez libres. Or la liberté est entière. Elle a la sombre jalousie de sa grandeur et de sa pureté. Aucun compromis. Aucune concession. Aucune diminution. Elle exclut en haut la royauté et en bas l’esclavage. Avoir des esclaves, c’est mériter d’être esclave. L’esclave au-dessous de vous justifie le tyran au-dessus de vous. Il y a dans l’histoire de la traite une année hideuse, 1768. Cette année-là

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le maximum du crime fut atteint: l’Europe vola à l’Afrique cent quatre mille noirs qu’elle vendit à l’Amérique. Cent quatre mille! jamais si effroyable chiffre de vente de chair humaine ne s’était vu. Il y a de cela juste cent ans. Eh bien! célébrez ce centenaire par l’abolition de l’esclavage; qu’à une année infâme une année auguste réponde; et montrez qu’entre l’Espagne de 1768 et l’Espagne de 1868 il y a plus d’un siècle, il y a un abîme, il y a l’infranchissable profondeur qui sépare le faux du vrai, le mal du bien, l’injuste du juste, l’abjection de la gloire, la monarchie de la république, la servitude de la liberté. Précipice toujours ouvert derrière le progrès; qui recule y tombe. Un peuple s’augmente de tous les hommes qu’il affranchit. Soyez la grande Espagne complète. Ce qu’il vous faut, c’est Gibraltar de plus et Cuba de moins. Un dernier mot: Dans la profondeur du mal, despotisme et esclavage se rencontrent et produisent le même effet. Pas d’identité plus saisissante. Le joug de l’esclavage est plus encore peut-être sur le maître que sur l’esclave. Lequel des deux possède l’autre? question. C’est une erreur de croire qu’on est le propriétaire de l’homme qu’on achète ou qu’on vend; on est son prisonnier. Il vous tient. Sa rudesse, sa grossièreté, son ignorance, sa sauvagerie, vous devez les partager; sinon, vous vous feriez horreur à vousmême. Ce noir, vous le croyez à vous; c’est vous qui êtes à lui. Vous lui avez pris son corps, il vous prend votre intelligence et votre honneur. Il s’établit entre vous et lui un mystérieux niveau. L’esclave vous châtie d’être son maître. Tristes et justes représailles, d’autant plus terribles que l’esclave, votre sombre dominateur, n’en a pas conscience. Ses vices sont vos crimes; ses malheurs deviendront vos catastrophes. Un esclave dans une maison, c’est une âme farouche qui est chez vous, et qui est en vous. Elle vous pénètre et vous obscurcit, lugubre empoisonnement. Ah! l’on ne commet pas impunément ce grand crime, l’esclavage! La fraternité méconnue devient fatalité. Si vous êtes un peuple éclatant et illustre, l’esclavage, accepté comme institution, vous fait abominable. La couronne au front du despote, le carcan au cou de l’esclave, c’est le même cercle, et votre âme de peuple y est enfermée. Toutes vos splendeurs ont cette tache, le nègre. L’esclave vous impose ses ténèbres. Vous ne lui communiquez pas la civilisation, et il vous communique la barbarie. Par l’esclave, l’Europe s’inocule l’Afrique. Ô noble peuple espagnol! c’est là, pour vous, la deuxième libération. Vous vous êtes délivré du despote; maintenant délivrez-vous de l’esclave. VICTOR HUGO. Hauteville-House, 22 novembre 1868.

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John Brown: Lettre aux États-Unis d’Amérique, Actes et paroles II, Pendant l’exil [1859, II] (1875) [On the December 2, 1859, anniversary of Bonaparte’s coup d’état, Hugo learned that abolitionist John Brown and his colleagues had been condemned to death by hanging for their assault on the arsenal at Harper’s Ferry, West Virginia, a raid meant to be the first stage in establishing an independent stronghold of freed slaves in the mountains of Maryland and Virginia. Solidly anti-slavery himself, Hugo saw Brown as something of a modern-day Spartacus, the hero of the Gladitorial War of ancient Rome whom revolutionaries have often revered. Hugo published in European newspapers his plea to Americans to spare the abolitionists’ lives, but it was in vain. The news of the stay of execution that Hugo mentions was erroneous, as Brown was hanged on December 2, 1859; four of his supporters were hanged on December 16, and two more in March 1860. Yet Hugo’s prophecy that Brown’s execution would help lead the United States into civil war was not long in coming true.]

AUX ÉTATS - UNIS D’ AMÉRIQUE Quand on pense aux États-Unis d’Amérique, une figure majestueuse se lève dans l’esprit, Washington. Or, dans cette patrie de Washington, voici ce qui a lieu en ce moment: Il y a des esclaves dans les états du Sud, ce qui indigne, comme le plus monstrueux des contre-sens, la conscience logique et pure des états du Nord. Ces esclaves, ces nègres, un homme blanc, un homme libre, John Brown, a voulu les délivrer. John Brown a voulu commencer l’œuvre de salut par la délivrance des esclaves de la Virginie. Puritain, religieux, au­ stère, plein de l’Évangile, Christus nos liberavit,19 il a jeté à ces hommes, à ces frères, le cri d’affranchissement. Les esclaves, énervés par la servitude, n’ont pas répondu à l’appel. L’esclavage produit la surdité de l’âme. John Brown, abandonné, a combattu; avec une poignée d’hommes héroïques, il a lutté; il a été criblé de balles, ses deux jeunes fils, saints martyrs, sont tombés morts à ses côtés, il a été pris. C’est ce qu’on nomme l’affaire de Harper’s Ferry.

19. This biblical quote from Galatians 5:1, “Christ has made us free,” is also the title of the chapter in Les Misérables (I, 5, xi) in which Hugo calls prostitution the enslavement of women.

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John Brown, pris, vient d’être jugé, avec quatre des siens, Stephens, Copp, Green et Coplands. Quel a été ce procès? disons-le en deux mots: John Brown, sur un lit de sangle, avec six blessures mal fermées, un coup de feu au bras, un aux reins, deux à la poitrine, deux à la tête, entendant à peine, saignant à travers son matelas, les ombres de ses deux fils morts près de lui; ses quatre co-accusés, blessés, se traînant à ses côtés, Stephens avec quatre coups de sabre; la «justice» pressée et passant outre; un attorney Hunter qui veut aller vite, un juge Parker qui y consent, les débats tronqués, presque tous délais refusés, production de pièces fausses ou mutilées, les témoins à décharge écartés, la défense entravée, deux canons chargés à mitraille dans la cour du tribunal, ordre aux geôliers de fusiller les accusés si l’on tente de les enlever, quarante minutes de délibération, trois condamnations à mort. J’affirme sur l’honneur que cela ne s’est point passé en Turquie, mais en Amérique. On ne fait point de ces choses-là impunément en face du monde civilisé. La conscience universelle est un œil ouvert. Que les juges de Charlestown, que Hunter et Parker, que les jurés possesseurs d’esclaves, et toute la popu­ lation Virginienne y songent, on les voit. Il y a quelqu’un. Le regard de l’Europe est fixé en ce moment sur l’Amérique. John Brown, condamné, devait être pendu le 2 Décembre (aujourd’hui même). Une nouvelle arrive à l’instant. Un sursis lui est accordé. Il mourra le 16. L’intervalle est court. D’ici là, un cri de miséricorde a-t-il le temps de se faire entendre? N’importe! le devoir est d’élever la voix. Un second sursis suivra peut-être le premier. L’Amérique est une noble terre. Le sentiment humain se réveille vite dans un pays libre. Nous espérons que Brown sera sauvé. S’il en était autrement, si John Brown mourait le 16 décembre sur l’échafaud, quelle chose terrible! Le bourreau de Brown, déclarons-le hautement (car les rois s’en vont et les peuples arrivent, on doit la vérité aux peuples), le bourreau de Brown, ce ne serait ni l’attorney Hunter, ni le juge Parker, ni le gouverneur Wyse, ni le petit état de Virginie; ce serait, on frissonne de le penser et de le dire, la grande République Américaine tout entière. Devant une telle catastrophe, plus on aime cette république, plus on la vénère, plus on l’admire, plus on se sent le cœur serré. Un seul état ne

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saurait avoir la faculté de déshonorer tous les autres, et ici l’intervention fédérale est évidemment de droit. Sinon, en présence d’un forfait à commettre et qu’on peut empêcher, l’Union devient Complicité. Quelle que soit l’indignation des généreux états du Nord, les états du Sud les associent à l’opprobre d’un tel meurtre; nous tous, qui que nous soyons, qui avons pour patrie commune le symbole démocratique, nous nous ­sentons atteints et en quelque sorte compromis; si l’échafaud se dressait le 16 décembre, désormais, devant l’histoire incorruptible, l’auguste fédération du nouveau monde ajouterait à toutes ses solidarités saintes une solidarité sanglante; et le faisceau radieux de cette république splendide aurait pour lien le nœud coulant du gibet de John Brown. Ce lien-là tue. Lorsqu’on réfléchit à ce que Brown, ce libérateur, ce combattant du Christ, a tenté, et quand on pense qu’il va mourir, et qu’il va mourir égorgé par la République Américaine, l’attentat prend les proportions de la nation qui le commet; et quand on se dit que cette nation est une gloire du genre humain, que, comme la France, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, elle est un des organes de la civilisation, que souvent même elle dépasse l’Europe dans de certaines audaces sublimes du progrès, qu’elle est le sommet de tout un monde, qu’elle porte sur son front l’immense lumière libre, on affirme que John Brown ne mourra pas, car on recule épouvanté devant l’idée d’un si grand crime commis par un si grand peuple! Au point de vue politique, le meurtre de Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie Américaine. Vous sauvez votre honte, mais vous tuez votre gloire. Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcirait, le jour où l’on verrait se consommer l’assassinat de la Délivrance par la Liberté. Quant à moi, qui ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille avec larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre République Américaine d’aviser au salut de la loi morale universelle, de sauver John Brown, de jeter bas le menaçant échafaud du 16 Décembre, et de ne pas permettre que,

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sous ses yeux, et, j’ajoute en frémissant, presque par sa faute, le premier fratricide soit dépassé. Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus. VICTOR HUGO. Hauteville-House, 2 Décembre 1859

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ECCE [Hugo originally did this 1854 drawing (in India ink, gouache, and sepia), along with three similar drawings, in response to the Guernsey execution of Tapner, a convicted murderer and arsonist. Hugo also pled for mercy for Tapner in a still frequently cited letter to Lord Palmerston, the British Minister of Justice. Hugo’s title for the drawing alludes to the Passion of Christ, from the Latin Ecce homo (“Behold the man”), words Pontius Pilate ostensibly spoke in ordering Christ’s crucifixion. Hugo even more explicitly connected Christ’s death to execution in his 1851 speech in defense of his son Charles when he was on trial for opposing the death penalty. Hugo declared before the courtroom image of Christ on the crucifix, “Cette loi du sang pour le sang, je l’ai combattue toute ma vie, . . . je la combattrai de tous mes efforts comme écrivain, de tous mes actes et de tous mes votes comme législateur, je le déclare devant cette victime de la peine de mort qui est là, qui nous regarde et qui nous entend! Je le jure devant ce gibet où, il y a deux mille ans, pour l’éternel enseignement des générations la loi humaine a cloué la loi divine!” (Laffont, Politique, 312). Beginning in 1860 this drawing was published as an engraving with the title “John Brown.” For a prose description of a hanged man on a scaffold that might be said to describe this drawing, see L’Homme qui rit I, 1, v–vi; for an evocative description of a guillotine, see Les Misérables I, 1, iv.]

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Figure 22. ECCE, © PMVP / Ladet.

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JVstitia [Hugo’s battle against all manner of executions continues with this moving 1857 representation of an open-mouthed disembodied head flying from a guillotine just vaguely discernible in the right-hand background. So dark as to be difficult to reproduce clearly, this piece was drawn with a wide variety of media, including pencil, brown ink, black wash, charcoal, red gouache, and rubbings of the beige paper. Hugo kept it in his atelier along with ECCE. The details echo descriptions in a number of Hugo’s poems. The Latin word JVstitia written in red among the paving stones is made manifest in these lines from “La Révolution,” III, written on December 25, 1857: “Une pourpre, semble à celle qui ruisselle / Et qui fume le long du mur des abattoirs, / Filtrait de telle sorte entre les pavés noirs / Qu’elle écrivait ce mot mystérieux: Justice.” A mysterious word, indeed. In the poem, Hugo goes on to say that the bitter and savage edifice— the revolutionary guillotine—was built out of despair, grief, and tears and thus might have brought the people some justice. Outside the revolutionary context, however, Hugo’s pictorial Justitia is starkly ironic: “Le bourreau, quel qu’il soit, a le pied dans l’abîme; / Quoi qu’elle fasse, hélas! la hache fait un crime; / Une lugubre nuit fume sur ce tranchant; . . .” (“L’Échafaud”).20 ]

20. See Lebel, Chaos, 348–49 for these and other connections.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 23. JVSTITIA, © PMVP / Joffre.

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Le Dernier Jour d’un condamné I and Préface de 1832 (excerpts) (1829, 1832) [At age twenty-six Hugo wrote Le Dernier Jour d’un condamné after visiting the Place de Grève, where Parisian guillotine executions took place. Hugo’s writing is powerfully modern. He succeeds in bringing the reader vibrantly and horrifically into the mind and feelings of a man facing the guillotine. In Chapter I, below, the protagonist writes from the Bicêtre prison, a former château and hospital south of Paris. In this novella, for the first time, a condemned man speaks directly. The publication was a popular success but much criticized by some writers for the very intensity that makes it resonate today. In the second excerpt, from his later preface (1832), Hugo details his central reasons to abolish capital punishment, after describing real executions in ghastly detail.21 ]

I Bicêtre.

Condamné à mort! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids! Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêques, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumières, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre. Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude: — condamné à mort! Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace 21. See Badinter, Préface, Dernier Jour, 8.

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quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot, m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau. Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant: — Ah! ce n’est qu’un rêve! — Eh bien! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille: — Condamné à mort!

P r é face de 1 8 3 2 ( e x cer p t ) Voyons: qu’ils donnent leurs raisons. Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire, d’abord: — parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. — S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries? Pas de bourreau où le geôlier suffit. Mais, reprend-on, — il faut que la société se venge, que la société punisse. — Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas «punir pour se venger»; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons. Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. — Il faut faire des exemples! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter! — Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle

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des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint-Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples! le mardi-gras vous rit au nez.

L’Échafaud, La Légende des siècles, Dernière série V (1883) [In this poem, written in 1856, Hugo describes the guillotine in Paris after an execution at Place de Grève, near the Hôtel de Ville on the right bank of the Seine, the seat of municipal government in Paris. Place de Grève was renamed Place de l’Hôtel de Ville in 1806.] C’était fini. Splendide, étincelant, superbe, Luisant sur la cité comme la faulx sur l’herbe, Large acier dont le jour faisait une clarté, Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité De l’éblouissement du triangle mystique, Pareil à la lueur au fond d’un temple antique, Le fatal couperet relevé triomphait. Il n’avait rien gardé de ce qu’il avait fait Qu’une petite tache imperceptible et rouge. Le bourreau s’en était retourné dans son bouge; Et la peine de mort, remmenant ses valets, Juges, prêtres, était rentrée en son palais, Avec son tombereau terrible dont la roue, Silencieuse, laisse un sillon dans la boue, Qui se remplit de sang sitôt qu’elle a passé.

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La foule disait: bien! car l’homme est insensé, Et ceux qui suivent tout, et dont c’est la manière, Suivent même ce char et même cette ornière. J’étais là. Je pensais. Le couchant empourprait Le grave Hôtel de Ville aux luttes toujours prêt,

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Entre Hier qu’il médite et Demain dont il rêve. L’échafaud achevait, resté seul sur la Grève, La journée, en voyant expirer le soleil. Le crépuscule vint, aux fantômes pareil. Et j’étais toujours là, je regardais la hache, La nuit, la ville immense et la petite tache. À mesure qu’au fond du firmament obscur L’obscurité croissait comme un effrayant mur, L’échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres, S’emplissait de noirceur et devenait ténèbres; Les horloges sonnaient, non l’heure, mais le glas; Et toujours, sur l’acier, quoique le coutelas Ne fût plus qu’une forme épouvantable et sombre, La rougeur de la tache apparaissait dans l’ombre. Un astre, le premier qu’on aperçoit le soir, Pendant que je songeais, montait dans le ciel noir. Sa lumière rendait l’échafaud plus difforme. L’astre se répétait dans le triangle énorme; Il y jetait ainsi qu’en un lac son reflet, Lueur mystérieuse et sacrée; il semblait Que sur la hache horrible, aux meurtres coutumière, L’astre laissait tomber sa larme de lumière. Son rayon, comme un dard qui heurte et rebondit, Frappait le fer d’un choc lumineux; on eût dit Qu’on voyait rejaillir l’étoile de la hache. Comme un charbon tombant qui d’un feu se détache, Il se répercutait dans ce miroir d’effroi; Sur la justice humaine et sur l’humaine loi De l’éternité calme auguste éclaboussure. Est-ce au ciel que ce fer a fait une blessure, Pensai-je? Sur qui donc frappe l’homme hagard? Quel est donc ton mystère, ô glaive? — Et mon regard Errait, ne voyant plus rien qu’à travers un voile, De la goutte de sang à la goutte d’étoile. [30 mars 1856.]

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12  •  On Poverty, Crime, and Education

L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. —“Écrit après la visite d’un bagne,” Les Quatre Vents de l’esprit I, xxiv (1881) Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire. —Discours sur la loi sur les prisons, mai 1847

Are criminals born or made? Should the public be protected from ­lawbreakers or should society help them become productive citizens? What is the purpose of prison and other punishments, and what sorts of punishments work? What are the relative values of rehabilitation and of “putting criminals away”? Does prison harden people into worse criminals? These and related questions were as vibrant in nineteenth-century France as they are today. Conservatives emphasize individual choice and moral responsibility; liberals “insist that crime is related to social deprivations and social dislocation.”1 For Victor Hugo, poverty, crime, education, and rehabilitation lay at the heart of social justice issues: vicious cycles of poverty and crime could be broken only by education and by rehabilitation through work for convicted criminals. Hugo asked whose fault it is that the melding of the unfortunate and infamous into les misérables leads to so much tragedy, despair, and death. He laid the blame squarely on the shoulders of society, and accepted his own share as an 1. Magraw, France, 1800–1914, 236, 237.

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individual: “Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute; / Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute; . . .” (“Écrit après la visite d’un bagne”). Hugo argued the liberal position, and acknowledged the complexities of the problem: society is at fault, but individuals can and do make choices, moral or immoral, as do the characters in Les Misérables, his great exploration of the interconnectedness of poverty and crime. Urban overcrowding and poverty increased in the 1830s and 1840s, as people migrated from the countryside, seeking new employment opportunities and fleeing rural overpopulation; as a result, cholera became a recurrent danger in French cities. Still, during the mid-nineteenth century, successful, mainstream French people generally did not talk about, or even acknowledge, the existence of poverty. Thus Hugo’s direct and thorough exposure of the relationship between poverty, crime, and inadequate or nonexistent education shocked many of his contemporaries. When he proclaimed in his 1849 speech on poverty (excerpted in this chapter), “Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère,” he provoked ongoing, violent reactions from other members of the Legislative Assembly. Les Misérables, in particular, must have been frightening partly because its story of a redeemed criminal was immediately and immensely popular: the first two volumes (of ten) sold out in Paris within three days. Antagonism to the novel generally came from political, social, and religious conservatives who supported the Second Empire and the Catholic Church; they assailed Hugo’s intellectual integrity, his motives and ambitions, and his message that society carried some responsibility for human suffering. For several years beginning in 1864, Les Misérables was on the Vatican’s list of forbidden books.2 Hugo saw poverty and hunger at the root of many crimes. He found unjust the often extreme and torturous penalties meted out for relatively minor offenses, such as theft of food. Up into the 1850s, theft rates in France correlated well with economic fluctuations, and Hugo’s position paralleled that of liberal colleagues: poor people who faced starvation in times of economic crisis, unable to find work, were victims of their circumstances, at the mercy of a society that 2. On the history of the period, see Popkin, Modern France, 101–02; Magraw, France, 1800–1914, 242–43; and Gengembre, “Préface,” Combats politiques, 12. On the reception of Les Misérables, see Grossman, Miserables, 14–15; and Pierre Maladain, “La réception des Misérables ou ‘Un lieu où des convictions sont en train de se former,’” Revue d’histoire littéraire de la France 86, no. 6 (November–December 1986): 1071. On Hugo and the penal system, see Marseille and Gomez, Années Hugo, 52, 88, 89.

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ignored them. Hugo in 1827 visited the Bicêtre prison and in 1839 the Toulon prison, where chained convicts did hard labor designed to exhaust them. Extreme punishments were to Hugo’s mind neither appropriate sentences nor a way to convince released ex-convicts to contribute to society. He lobbied against branding (not abolished until 1832), chain gangs made up of prisoners wearing soldered neck and ankle chains (la chiourme, described in this chapter’s Le Dernier Jour d’un condamné excerpt), and hard labor (le bagne). Hugo believed that prisons develop minor offenders into major criminals: “Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite, qu’il finit par voler; la société le met dans une prison si mal faite, qu’il finit par tuer. Qui est réellement coupable? Est-ce lui? Est-ce nous?” (Claude Gueux). In his 1847 notes drafted for a Chambre des pairs speech on the Loi sur les ­prisons, Hugo was perhaps most explicit about his belief in rehabilitation of criminals by incarcerating them in prisons that provide education, work, and opportunities for quiet meditation. He also lobbied to eliminate the post-prison surveillance of ex-convicts, an ongoing infamy that prevented them from rejoining society, as Jean Valjean discovers when he tries to pay for a night’s accommodation after his release (see “Le Soir d’un jour de marche” excerpted in this chapter). Hugo called into question the benefit of penal laws that so torture and degrade the convict condemned to hard labor that he turns into a hardened criminal: “Le forçat, par exemple, était une sorte de démon fait par la loi” (CFL VII, 111). The harshness of penalties imposed and the desire to label criminals derived in part, no doubt, from fear of crime. Nineteenth-century France “was plagued by recurrent anxieties over crime ‘epidemics,’” and fears about a ­Parisian “criminal class” reached paranoic levels from around 1830 to 1871.3 For Hugo, the remedy to the société mal faite was free, universal, secular education, as he argued in 1850 in his speech “La Liberté de l’enseignement” (excerpted in this chapter). How can people be expected to live honest lives without the enlightenment that education brings? Highly concerned about the interrelatedness of illiteracy and criminal behavior, Hugo began “Écrit après une visite d’un bagne” this way (see CFL VIII, 883, n. 7 about his statistics): Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne 3. Magraw, France, 1800–1914, 248, 249.

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Ne sont jamais allés à l’école une fois, Et ne savent pas lire, et signent d’une croix. C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime. L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. By the mid-nineteenth century in France, educational opportunities had been expanded from the nobility and the wealthy to the bourgeoisie, but schooling was far from universal. Who controlled education was, however, an issue of ongoing interest, since “successive regimes viewed education as central to nation-building, to cultural unity and social cohesion, to ‘moralisation’ of the masses or to the creation of a productive workforce.”4 Those who fought for republican democratic ideals, including Hugo, argued that the state should run the educational system. This position antagonized religiously minded conservatives who favored continuing the practical control of education by the Catholic Church that had widely prevailed in France before the 1789 Revolution. Hugo’s belief in the value of education to improve people’s lives made his 1850 speech against Catholic clerics’ control of education especially compelling. Thus, while he embraced republican ideals held by many of his contemporaries, Hugo brought to the debates a clear view of the causal connections between poverty and crime and a poetic vision of the human potential which could be unlocked through an enlightening education.

Claude Gueux (excerpt) (1834) [The real Claude Gueux was raised in poverty and served his first year in prison for theft when he was fourteen. Guillotined at age twenty-eight for killing the chief prison officer at Clairvaux, where he was incarcerated, Gueux symbolized for Hugo and others the devastating effects of justice and penal systems that brutalized offenders. The story foreshadows Les Misérables, and the conclusion, excerpted here, offers a glimpse into Hugo’s view of the interconnectedness of poverty and crime, as well as the power of education to break the downward spiral into ever more violent crime. Hugo’s medical metaphors emphasize the seriousness of the problem and the horror of such punishments as branding, iron collars, balls and chains, forced-labor camps (such as those in Toulon and 4. On education during this period, see Popkin, Modern France, 99; and Magraw, France, 1800–1914, 195.

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in French penal colonies), and decapitation. Hugo also calls for abolishing all torturous forms of punishment, and notes that the loi du 28 avril 1832 proscribed branding (la flétrissure), iron collars and shackles (le carcan), and the amputation of a thief’s hand. His reference to Italian jurist Prosper Farinacci alludes to his Praxis et Theorica Criminalis (1616), a definitive work on the jurisprudence of torture.5 ] «Messieurs des centres, messieurs des extrémités, le gros du peuple souffre. Que vous l’appeliez république ou que vous l’appeliez monarchie, le peuple souffre. Ceci est un fait. «Le peuple a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le sexe. Ayez pitié du peuple, à qui le bagne prend ses fils, et le lupanar ses filles. Vous avez trop de forçats, vous avez trop de prostituées. Que prouvent ces deux ulcères? Que le corps social a un vice dans le sang. Vous voilà réunis en consultation au chevet du malade: occupez-vous de la maladie. «Cette maladie, vous la traitez mal. Étudiez-la mieux. Les lois que vous faites, quand vous en faites, ne sont que des palliatifs et des expédiens. Une moitié de vos codes est routine, l’autre moitié empirisme. La flétrissure était une cautérisation qui gangrénait la plaie; peine insensée que celle qui pour la vie scellait et rivait le crime sur le criminel! qui en faisait deux amis, deux compagnons, deux inséparables! Le bagne est un vésicatoire absurde qui laisse résorber, non sans l’avoir rendu pire encore, presque tout le mauvais sang qu’il extrait. La peine de mort est une amputation barbare. «Or flétrissure, bagne, peine de mort, trois choses qui se tiennent. Vous avez supprimé la flétrissure; si vous êtes logiques, supprimez le reste. Le fer rouge, le boulet et le couperet, c’étaient les trois parties d’un syllogisme. Vous avez ôté le fer rouge; le boulet et le couperet n’ont plus de sens. Fari­ nace était atroce; mais il n’était pas absurde. «Démontez-moi cette vieille échelle boiteuse des crimes et des peines, et refaites-la. Refaites votre pénalité, refaites vos codes, refaites vos prisons, refaites vos juges. Remettez les lois au pas des mœurs. «Messieurs, il se coupe trop de têtes par en France. Puisque vous êtes

5. For details about the real Claude Gueux’s life, and more information about French nineteenth-century attempts to improve prisons, see Jacques Seebacher’s “Notice” in Laffont, Roman I, 946–50.

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en train de faire des économies, faites-en là-dessus. Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatrevingts bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école. «Songez au gros du peuple. Des écoles pour les enfans, des ateliers pour les hommes. Savez-vous que la France est un des pays de l’Europe où il y a le moins de natifs qui sachent lire? Quoi! La Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire! c’est une honte.»

Le Dernier Jour d’un condamné XIII (excerpt) (1829) [As explained in chapter 11, Hugo in this novella made a compelling case against the death penalty. In this excerpt, the focus is on the degrading and abusive nature of forced-labor camps (le bagne) and the way that criminals were transported to the camps. Here the protagonist, awaiting his execution, finds himself horrified to see how convicts (les forçats, les galériens) in the prison courtyard are chained together into la chiourme with iron collars and ankle irons. In Les Misérables (IV, 3, viii), published over thirty years later, the sight of convicts being transported is equally dreadful for Jean Valjean and Cosette.] Quand ces apprêts furent terminés, un monsieur brodé en argent, qu’on appelait monsieur l’inspecteur, donna un ordre au directeur de la prison; et un moment après voilà que deux ou trois portes basses vomirent presque en même temps, et comme par bouffées, dans la cour, des nuées d’hommes hideux, hurlants, et déguenillés. C’étaient les forçats. À leur entrée, redoublement de joie aux fenêtres. Quelques-uns d’entre eux, les grands noms du bagne, furent salués d’acclamations et d’applaudissements qu’ils recevaient avec une sorte de modestie fière. La plupart avaient des espèces de chapeaux tressés de leurs propres mains, avec la paille du cachot, et toujours d’une forme étrange, afin que dans les villes où l’on passerait le chapeau fît remarquer la tête. Ceux-là étaient plus applaudis encore. Un, surtout, excita des transports d’enthousiasme: un jeune homme de dix-sept ans, qui avait un visage de jeune fille. Il sortait du cachot, où il était au secret depuis huit jours; de sa botte de paille il s’était fait un vêtement qui l’enveloppait de la tête aux pieds, et il entra dans la cour en faisant la roue sur lui-même avec l’agilité d’un serpent. C’était un baladin condamné pour vol. Il y eut une rage de battements de mains et de cris de joie. Les galériens y répondaient, et c’était une chose

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effrayante que cet échange de gaietés entre les forçats en titre et les forçats aspirants. La société avait beau être là, représentée par les geôliers et les curieux épouvantés, le crime la narguait en face, et de ce châtiment horrible faisait une fête de famille. À mesure qu’ils arrivaient, on les poussait, entre deux haies de gardechiourmes, dans la petite cour grillée, où la visite des médecins les attendait. C’est là que tous tentaient un dernier effort pour éviter le voyage, alléguant quelque excuse de santé: les yeux malades, la jambe boiteuse, la main mutilée. Mais presque toujours on les trouvait bons pour le bagne; et alors chacun se résignait avec insouciance, oubliant en peu de minutes sa prétendue infirmité de toute la vie. La grille de la petite cour se rouvrit. Un gardien fit l’appel par ordre alphabétique; et alors ils sortirent un à un, et chaque forçat s’alla ranger debout dans un coin de la grande cour, près d’un compagnon donné par le hasard de sa lettre initiale. Ainsi chacun se voit réduit à lui-même; chacun porte sa chaîne pour soi, côte à côte avec un inconnu; et si par hasard un forçat a un ami, la chaîne l’en sépare. Dernière des misères. Quand il y en eut à peu près une trentaine de sortis, on referma la grille. Un argousin les aligna avec son bâton, jeta devant chacun d’eux une chemise, une veste et un pantalon de grosse toile, puis fit un signe, et tous commencèrent à se déshabiller. Un incident inattendu vint, comme à point nommé, changer cette humiliation en torture. Jusqu’alors le temps avait été assez beau; et si la bise d’octobre refroidissait l’air, de temps en temps aussi elle ouvrait çà et là dans les brumes grises du ciel une crevasse par où tombait un rayon de soleil. Mais à peine les forçats se furent-ils dépouillés de leurs haillons de prison, au moment où ils s’offraient nus et debout à la visite soupçonneuse des gardiens, et aux regards curieux des étrangers qui tournaient autour d’eux pour examiner leurs épaules, le ciel devint noir, une froide averse d’automne éclata brusquement, et se déchargea à torrents dans la cour carrée, sur les têtes découvertes, sur les membres nus des galériens, sur leurs misérables sayons étalés sur le pavé. En un clin d’œil le préau se vida de tout ce qui n’était pas argousin ou galérien. Les curieux de Paris allèrent s’abriter sous les auvents des portes. Cependant la pluie tombait à flots. On ne voyait plus dans la cour que les forçats nus et ruisselants sur le pavé noyé. Un silence morne avait succédé à leurs bruyantes bravades. Ils grelottaient, leurs dents claquaient; leurs jambes maigries, leurs genoux noueux, s’entrechoquaient, et c’était pitié

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de les voir appliquer sur leurs membres bleus ces chemises trempées, ces vestes, ces pantalons dégouttants de pluie. La nudité eût été meilleure. Un seul, un vieux, avait conservé quelque gaieté. Il s’écria en s’essuyant avec sa chemise mouillée, que cela n’était pas dans le programme, puis se prit à rire en montrant le poing au ciel. Quand ils eurent revêtu les habits de route, on les mena par bande de vingt ou trente à l’autre coin du préau, où les cordons allongés à terre les attendaient. Ces cordons sont de longues et fortes chaînes coupées transversalement de deux en deux pieds par d’autres chaînes plus courtes, à l’extrémité desquelles se rattache un carcan carré, qui s’ouvre au moyen d’une charnière pratiquée à l’un des angles et se ferme à l’angle opposé par un boulon de fer, rivé pour tout le voyage sur le cou du galérien. Quand ces cordons sont développés à terre, ils figurent assez bien la grande arête d’un poisson. On fit asseoir les galériens dans la boue, sur les pavés inondés; on leur essaya les colliers; puis deux forgerons de la chiourme, armés d’enclumes portatives, les leur rivèrent à froid à grands coups de masses de fer. C’est un moment affreux, où les plus hardis pâlissent. Chaque coup de marteau, asséné sur l’enclume appuyée à leur dos, fait rebondir le menton du patient; le moindre mouvement d’avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix. Après cette opération, ils devinrent sombres. On n’entendait plus que le grelottement des chaînes, et par intervalles un cri et le bruit sourd du bâton des garde-chiourmes sur les membres des récalcitrants. Il y en eut qui pleurèrent; les vieux frissonnaient et se mordaient les lèvres. Je regardais avec terreur tous ces profils sinistres dans leurs cadres de fer.

La Liberté de l’enseignement (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil [Assemblée législative, 1849–51, IV] (1850) [The concept of secular education goes hand in hand with commitment to a republic that relies on educated voters and democratic ratification of laws— in contrast to a monarchy built on the divine rights of kings bestowed by a state-supported church. During the Second Republic, Catholic clerics wanted to regain the right to control children’s education, a demand Hugo opposed. In his speech in support of free, universal, secular education, Hugo argued on January 15, 1850, against the loi Falloux, which was passed over his—and others’—objections. This law (named after the Ministre de l’Instruction public

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who had proposed it) indicated a renewed alliance between the Catholic Church and the French state, as it allowed Catholics to create a school system nearly as extensive as the public system and to introduce religious education into state schools. Hugo’s proposal for a more republican educational program came to fruition only decades later (1879–86), with implementation of the Jules Ferry education laws. In the speech excerpted below, Hugo disputed the position of the parti clérical, those anti-republican politicians and voters who distinctly let their religious beliefs dictate their politics, those who wanted to return to the class-based, authoritarian society epitomized by a monarchy closely allied with the Catholic Church. Hugo clearly believed in clerics’ teaching children about religious ideas but opposed their providing state-supported education. He believed they wanted to control children’s instruction not because of their faith but rather because of the power it would give them over future generations. He also feared the loss of freedom of thought if only one perspective was taught. Hugo argued for the concept of la laïcité, which refers today to secularity in public schooling, as well as in other aspects of public life. And in espousing universal education, Hugo claimed for the first time children’s rights over fathers’ rights. Similarly forward-looking, his conclusion highlights contemporary and future positive social and technological changes, which the clerics’ traditional educational program threatened to suppress.6 ] Messieurs, quand une discussion est ouverte qui touche à ce qu’il y a de plus sérieux dans les destinées du pays, il faut aller tout de suite, et sans hésiter, au fond de la question. Je commence par dire ce que je voudrais, je dirai tout à l’heure ce que je ne veux pas. Messieurs, à mon sens, le but, difficile à atteindre et lointain sans doute, mais auquel il faut tendre dans cette grave question de l’enseignement, le voici. (Plus haut! plus haut! ) Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici: L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. (Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant (Mouvement) qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État. 6. For details about the law, see Popkin, Modern France, 114.

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Je reprends. Voici donc, selon moi, l’idéal de la question: l’instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au Collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’Institut de France.7 Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences. Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté. Un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, lycées, gymnases, collèges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations. En un mot, l’échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l’État, posée dans l’ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité: le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. (Longs applaudissements.) Voilà comme je comprendrais l’éducation publique nationale. Messieurs, à côté de cette magnifique instruction gratuite, sollicitant les esprits de tout ordre, offerte par l’État, donnant à tous, pour rien, les meilleurs maîtres et les meilleures méthodes, modèle de science et de discipline, normale, française, chrétienne, libérale, qui élèverait, sans nul doute, le génie national à sa plus haute somme d’intensité, je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses, la liberté d’enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’État pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’État pour contre-poids. (Bravo! à gauche. — Murmures à droite.) Ceci, messieurs, je le répète, est l’idéal de la question. Ne vous en troublez pas, nous ne sommes pas près d’y atteindre, car la solution du problème contient une question financière considérable, comme tous les problèmes sociaux du temps présent. 7. Founded in 1795, the Institut de France was composed at the time of four academies, most of them founded earlier: Académie française (1634), Académie des inscriptions et belles-lettres (1663), Académie des sciences (1666), Académie des sciences morales et politiques (1795).

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Messieurs, cet idéal, il était nécessaire de l’indiquer, car il faut toujours dire où l’on tend; il offre d’innombrables points de vue, mais l’heure n’est pas venue de le développer. Je ménage les instants de l’assemblée, et j’aborde immédiatement la question dans sa réalité positive actuelle. Je la prends où elle en est aujourd’hui, au point relatif de maturité où les événements d’une part, et d’autre part la raison publique, l’ont amenée. À ce point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle, je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement; mais je veux la surveillance de l’État, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. L’honorable M. Guizot 8 l’a dit avant moi, en matière d’enseignement, l’État n’est pas et ne peut pas être autre chose que laïque. Je veux, dis-je, la liberté de l’enseignement sous la surveillance de l’État et je n’admets, pour personnifier l’État dans cette surveillance si délicate et si difficile, qui exige le concours de toutes les forces vives du pays, que des hommes appartenant sans doute aux carrières les plus graves, mais n’ayant aucun intérêt, soit de conscience, soit de politique, distinct de l’unité nationale. C’est vous dire que je n’introduis, soit dans le conseil supérieur de surveillance, soit dans les conseils secondaires, ni évêques, ni délégués d’évêques. J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État, qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. (Acclamation à gauche. — Protestation à droite.) Je viens de vous dire ce que je voudrais. Maintenant, voici ce que je ne veux pas: Je ne veux pas de la loi qu’on vous apporte. Pourquoi? Messieurs, cette loi est une arme. Une arme n’est rien par elle-même; elle n’existe que par la main qui la saisit. Or, quelle est la main qui se saisira de cette loi? Là est toute la question. 8. François Guizot (1787–1874), a politician and historian, held a variety of ministerial positions, including that of Ministère de l’Instruction publique under the July Monarchy. Believing that the government should concern itself with education, he worked to pass an early law on elementary education, la loi Guizot (1833).

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Messieurs, c’est la main du parti clérical. (C’est vrai! — Longue agitation.) Messieurs, je redoute cette main; je veux briser cette arme, je repousse ce projet. Cela dit, j’entre dans la discussion. J’aborde tout de suite, et de front, une objection qu’on fait aux opposants placés à mon point de vue, la seule objection qui ait une apparence de gravité. On nous dit: Vous excluez le clergé du conseil de surveillance de l’État; vous voulez donc proscrire l’enseignement religieux? Messieurs, je m’explique. Jamais on ne se méprendra, par ma faute, ni sur ce que je dis, ni sur ce que je pense. Loin que je veuille proscrire l’enseignement religieux, entendez-vous bien? il est, selon moi, plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Plus l’hômme grandit, plus il doit croire. Plus il approche de Dieu, mieux il doit voir Dieu. (Mouvement.) Il y a un malheur dans notre temps, je dirais presque il n’y a qu’un malheur, c’est une certaine tendance à tout mettre dans cette vie. (Sensation.) En donnant à l’homme pour fin et pour but la vie terrestre et matérielle, on aggrave toutes les misères par la négation qui est au bout, on ajoute à l’accablement des malheureux le poids insupportable du néant; et de ce qui n’était que la souffrance, c’est-à-dire la loi de Dieu, on fait le désespoir, c’est-à-dire la loi de l’enfer. (Long mouvement.) De là de profondes convulsions sociales. (Oui! oui! ) Certes je suis de ceux qui veulent, et personne n’en doute dans cette enceinte, je suis de ceux qui veulent, je ne dis pas avec sincérité, le mot est trop faible, je veux avec une inexprimable ardeur, et par tous les moyens possibles, améliorer dans cette vie le sort matériel de ceux qui souffrent; mais la première des améliorations, c’est de leur donner l’espérance. (Bravo! à droite.) Combien s’amoindrissent nos misères finies quand il s’y mêle une espérance infinie! (Très-bien! très-bien! ) Notre devoir à tous, qui que nous soyons, les législateurs comme les évêques, les prêtres comme les écrivains, c’est de répandre, c’est de dépenser, c’est de prodiguer, sous toutes les formes, toute l’énergie sociale pour combattre et détruire la misère (Bravo! à gauche), et en même temps de faire lever toutes les têtes vers le ciel (Bravo! à droite), de diriger toutes les âmes, de tourner toutes les attentes vers une vie ultérieure où justice sera faite et où justice sera rendue. Disons-le bien haut, personne n’aura injustement ni inutilement souffert. La mort est une restitution. ­(Très-bien!

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à droite. — Mouvement.) La loi du monde matériel, c’est l’équilibre; la loi du monde moral, c’est l’équité. Dieu se retrouve à la fin de tout. Ne l’oublions pas, et enseignons-le à tous: il n’y aurait aucune dignité à vivre, et cela n’en vaudrait pas la peine, si nous devions mourir tout entiers. Ce qui allège le labeur, ce qui sanctifie le travail, ce qui rend l’homme fort, bon, sage, patient, bienveillant, juste, à la fois humble et grand, digne de l’intelligence, digne de la liberté, c’est d’avoir devant soi la perpétuelle vision d’un monde meilleur rayonnant à travers les ténèbres de cette vie. (Vive et unanime approbation.) Quant à moi, puisque le hasard veut que ce soit moi qui parle en ce moment et met de si graves paroles dans une bouche de peu d’autorité, qu’il me soit permis de le dire ici et de le déclarer, je le proclame du haut de cette tribune, j’y crois profondément à ce monde meilleur; il est pour moi bien plus réel que cette misérable chimère que nous dévorons et que nous appelons la vie; il est sans cesse devant mes yeux; j’y crois de toutes les puissances de ma conviction, et, après bien des luttes, bien des études et bien des épreuves, il est la suprême certitude de ma raison, comme il est la suprême consolation de mon âme. (Profonde sensation.) Je veux donc, je veux sincèrement, fermement, ardemment, l’enseignement religieux, mais je veux l’enseignement religieux de l’Église et non l’enseignement religieux d’un parti. Je le veux sincère et non hypocrite. (Bravo! bravo! ) Je le veux ayant pour but le ciel et non la terre. (Mouvement.) Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre; je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. Ou, si je consens à ce mélange, moi législateur, je le surveille, j’ouvre sur les séminaires et sur les congrégations enseignantes l’œil de l’État, et, j’y insiste, de l’État laïque, jaloux uniquement de sa grandeur et de son unité. Jusqu’au jour, que j’appelle de tous mes vœux, où la liberté complète d’enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu’à ce jour-là, je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’Église et non au dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’État, par le clergé l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. (Oui! oui! ) […] Je suis de ceux qui veulent pour ce noble pays la liberté et non la compression, la croissance continue et non l’amoindrissement, la puissance et

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non la servitude, la grandeur et non le néant! (Bravo! à gauche.) Quoi! voilà les lois que vous nous apportez? Quoi! vous gouvernants, vous législateurs, vous voulez vous arrêter! vous voulez arrêter la France! Vous voulez pétrifier la pensée humaine, étouffer le flambeau divin, matérialiser l’esprit! (Oui! oui! — Non! non!  ) Mais vous ne voyez donc pas les éléments mêmes du temps où vous êtes! Mais vous êtes donc dans votre siècle comme des étrangers! (Profonde sensation.) Quoi! c’est dans ce siècle, dans ce grand siècle des nouveautés, des avènements, des découvertes, des conquêtes, que vous rêvez l’immobilité! (Très-bien! ) C’est dans le siècle de l’espérance que vous proclamez le désespoir! (Bravo! ) Quoi! vous jetez à terre, comme des hommes de peine fatigués, la gloire, la pensée, l’intelligence, le progrès, l’avenir, et vous dites: C’est assez! n’allons pas plus loin; arrêtons-nous! (Dénégations à droite.) Mais vous ne voyez donc pas que tout va, vient, se meut, s’accroît, se transforme et se renouvelle autour de vous, au-dessus de vous, au-dessous de vous! (Mouvement.) Ah! vous voulez vous arrêter! Eh bien! je vous le répète avec une profonde douleur, moi qui hais les catastrophes et les écroulements, je vous avertis la mort dans l’âme (On rit à droite), vous ne voulez pas du progrès? vous aurez les révolutions! (Profonde agitation.) Aux hommes assez insensés pour dire: L’humanité ne marchera pas, Dieu répond par la terre qui tremble! (Longs applaudissements à gauche.) (L’orateur, descendant de la tribune, est entouré par une foule de membres qui le félicitent. L’assemblée se sépare en proie à une vive émotion.)

La Misère (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil [Assemblée législative, 1849–51, I] [In this July 9, 1849, speech, Hugo supported the proposal of his colleague M. de Melun to set up a commission to study public assistance laws. This excerpt contains the second half of the speech, in which Hugo provocatively argued that poverty could be eliminated, a contention conservatives sharply opposed. Hugo began this speech by stating his belief that legislators needed to address social issues openly; he scorned those who whispered about problems in private and who proposed repression as the best response to social upheaval and protest. Implicit is his conviction that the February 1848 Revolution had grown out of profound social problems. Our excerpt begins with his recommendation that

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victor hugo in public life

legislators take advantage of the calm after the revolutionary chaos to intervene on behalf of the poor in ways that would benefit all. Hugo indicates that the proposed commission is not a socialist response to the problem of poverty. Although the socialists and the republicans were concerned about many of the same social issues in the 1840s, socialist ideas were repressed by the government, and republicans tended to distance themselves from socialism.9 Recognizing the complexity of the situation, Hugo acknowledged the real social injustices that the socialist movement aimed to remedy, and was thus branded by some as a socialist despite his clearly republican stance. M. de Melun’s proposal passed unanimously.] Il faut profiter du silence imposé aux passions anarchiques pour donner la parole aux intérêts populaires. (Sensation.) Il faut profiter de l’ordre reconquis pour relever le travail, pour créer sur une vaste échelle la prévoyance sociale; pour substituer à l’aumône qui dégrade (Dénégations à droite) l’assistance qui fortifie; pour fonder de toutes parts, et sous toutes les formes, des établissements de toute nature qui rassurent le malheureux et qui encouragent le travailleur; pour donner cordialement, en améliorations de toutes sortes, aux classes souffrantes, plus, cent fois plus que leurs faux amis ne leur ont jamais promis! Voilà comment il faut profiter de la victoire. (Oui! oui! Mouvement prolongé.) Il faut profiter de la disparition de l’esprit de révolution pour faire reparaître l’esprit de progrès! Il faut profiter du calme pour rétablir la paix, non pas seulement la paix dans les rues, mais la paix véritable, la paix définitive, la paix faite dans les esprits et dans les cœurs! Il faut, en un mot, que la défaite de la démagogie soit la victoire du peuple! (Vive adhésion.) Voilà ce qu’il faut faire de la victoire, et voilà comment il faut en profiter. (Très-bien! très-bien! ) Et, messieurs, considérez le moment où vous êtes. Depuis dix-huit mois, on a vu le néant de bien des rêves. Les chimères qui étaient dans l’ombre en sont sorties, et le grand jour les a éclairées; les fausses théories ont été sommées de s’expliquer, les faux systèmes ont été mis au pied du mur; qu’ont-ils produit? Rien. Beaucoup d’illusions se sont évanouies dans les masses, et, en s’évanouissant, ont fait crouler les popularités sans base et les haines sans motif. L’éclaircissement vient peu à peu; le peuple, 9. Popkin, Modern France, 121.

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messieurs, a l’instinct du vrai comme il a l’instinct du juste, et, dès qu’il s’apaise, le peuple est le bon sens même; la lumière pénètre dans son esprit; en même temps la fraternité pratique, la fraternité qu’on ne décrète pas, la fraternité qu’on n’écrit pas sur les murs, la fraternité qui naît du fond des choses et de l’identité réelle des destinées humaines, commence à germer dans toutes les âmes, dans l’âme du riche comme dans l’âme du pauvre; partout, en haut, en bas, on se penche les uns vers les autres avec cette inexprimable soif de concorde qui marque la fin des dissensions civiles. (Oui! oui! ) La société veut se remettre en marche après cette halte au bord d’un abîme. Eh bien! messieurs, jamais, jamais moment ne fut plus propice, mieux choisi, plus clairement indiqué par la Providence pour accomplir, après tant de colères et de malentendus, la grande œuvre qui est votre mission, et qui peut, tout entière, s’exprimer dans un seul mot: Réconciliation. (Sensation prolongée.) Messieurs, la proposition de M. de Melun va droit à ce but. Voilà, selon moi, le sens vrai et complet de cette proposition, qui peut, du reste, être modifiée en bien et perfectionnée. Donner à cette assemblée pour objet principal l’étude du sort des classes souffrantes, c’est-à-dire le grand et obscur problème posé par Février, environner cette étude de solennité, tirer de cette étude approfondie toutes les améliorations pratiques et possibles; substituer une grande et unique commission de l’assistance et de la prévoyance publique à toutes les commissions secondaires qui ne voient que le détail et auxquelles l’ensemble échappe; placer cette commission très-haut, de manière à ce qu’on l’aperçoive du pays entier (Mouvement); réunir les lumières éparses, les expériences disséminées, les efforts divergents, les dévouements, les documents, les recherches partielles, les enquêtes locales, toutes les bonnes volontés en travail, et leur créer ici un centre, un centre où aboutiront toutes les idées et d’où rayonneront toutes les solutions; faire sortir pièce à pièce, loi à loi, mais avec ensemble, avec maturité, des travaux de la législature actuelle le code coordonné et complet, le grand code chrétien de la prévoyance et de l’assistance publique; en un mot, étouffer les chimères d’un certain socialisme sous les réalités de l’Évangile (Vive approbation); voilà, messieurs, le but de la proposition de M. de Melun, voilà pourquoi je l’appuie énergiquement. (M. de Melun fait un signe d’adhésion à l’orateur.) Je viens de dire: les chimères d’un certain socialisme, et je ne veux rien retirer de cette expression, qui n’est pas même sévère, qui n’est que juste. Messieurs, expliquons-nous cependant. Est-ce à dire que, dans cet amas

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de notions confuses, d’aspirations obscures, d’illusions inouïes, d’instincts irréfléchis, de formules incorrectes, qu’on désigne sous ce nom vague et d’ailleurs fort peu compris de socialisme, il n’y ait rien de vrai, absolument rien de vrai? Messieurs, s’il n’y avait rien de vrai, il n’y aurait aucun danger. La société pourrait dédaigner et attendre. Pour que l’imposture ou l’erreur soient dangereuses, pour qu’elles pénètrent dans les masses, pour qu’elles puissent percer jusqu’au cœur même de la société, il faut qu’elles se fassent une arme d’une partie quelconque de la réalité. La vérité ajustée aux erreurs, voilà le péril. En pareille matière, la quantité de danger se mesure à la quantité de vérité contenue dans les chimères. (Mouvement.) Eh bien! messieurs, disons-le, et disons-le précisément pour trouver le remède, il y a au fond du socialisme une partie des réalités douloureuses de notre temps et de tous les temps (Chuchotements); il y a le malaise éternel propre à l’infirmité humaine; il y a l’aspiration à un sort meilleur, qui n’est pas moins naturelle à l’homme, mais qui se trompe souvent de route en cherchant dans ce monde ce qui ne peut être trouvé que dans l’autre. (Vive et unanime adhésion.) Il y a des détresses très-vives, très-vraies, trèspoignantes, très-guérissables. Il y a enfin, et ceci est tout à fait propre à notre temps, il y a cette attitude nouvelle donnée à l’homme par nos révolutions, qui ont constaté si hautement et placé si haut la dignité humaine et la souveraineté populaire, de sorte que l’homme du peuple aujourd’hui souffre avec le sentiment double et contradictoire de sa misère résultant du fait et de sa grandeur résultant du droit. (Profonde sensation.) C’est tout cela, messieurs, qui est dans le socialisme, c’est tout cela qui s’y mêle aux passions mauvaises, c’est tout cela qui en fait la force, c’est tout cela qu’il faut en ôter. VOIX NOMBREUSES. — Comment? M. VICTOR HUGO. — En éclairant ce qui est faux, en satisfaisant ce qui est juste. (C’est vrai! ) Une fois cette opération faite, faite consciencieusement, loyalement, honnêtement, ce que vous redoutez dans le socialisme disparaît. En lui retirant ce qu’il a de vrai, vous lui retirez ce qu’il a de dangereux. Ce n’est plus qu’un informe nuage d’erreurs que le premier souffle emportera. (Mouvements en sens divers.) Trouvez bon, messieurs, que je complète ma pensée. Je vois à l’agitation de l’assemblée que je ne suis pas pleinement compris. La question qui s’agite est grave. C’est la plus grave de toutes celles qui peuvent être traitées devant vous.

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Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. (Réclamations. — Violentes dénégations à droite.) Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures à droite.) La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. (Oui! oui! à gauche.) Détruire la misère! oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. (Sensation universelle). La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons? Voulez-vous des faits? Il y a dans Paris… (L’orateur s’interrompt.) Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies? (Très-bien! très-bien! ) Voici donc ces faits: Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. (Mouvement.) Voilà un fait. En voici d’autres: Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. (Longue interruption.)

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Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon! (Sensation.) Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire (Mouvement), et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu! (Sensation prolongée.) Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi, de majorité et de minorité en de telles questions; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère! (Bravo! — Applaudissements.) Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une assemblée de législateurs! Et, à ce sujet, un dernier mot: je terminerai par là. Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez, avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’État ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien! vous n’avez rien fait! (Mouvement.) Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé! (Très-bien! très-bien! — Vive et unanime adhésion.) Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre! (Bravos à gauche.) Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain! tant que ceux qui sont vieux et qui ont travaillé peuvent être sans asile! tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes (Mouve-

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ment prolongé  ), tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur! (Acclamation.) Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique! vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux! Vous le voyez, messieurs, je le répète en terminant, ce n’est pas seulement à votre générosité que je m’adresse, c’est à votre sagesse, et je vous conjure d’y réfléchir. Messieurs, songez-y, c’est l’anarchie qui ouvre les abîmes, mais c’est la misère qui les creuse. (C’est vrai! c’est vrai! ) Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère! (Mouvement prolongé sur tous les bancs. — L’orateur descend de la tribune et reçoit les félicitations de ses collègues.)

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MISERIA [This undated drawing in India ink, which Hugo labeled “Pour le frontispice des Misérables,” recalls these lines from his poem “Melancholia”: “Écoutez. Une femme au profil décharné, / Maigre, blême, portant un enfant étonné, / Est là qui se lamente au milieu de la nuit.” From Hugo’s daughter Adèle’s journal, we learn that Hugo had the idea for this poem (and for Les Misérables) in 1845, when he was a member of the Chamber of Peers and conceived of drafting a law to improve the lot of poor children. The 1848 revolution dissolved that parliament; “La Misère” , Hugo’s well-known speech calling for eradication of poverty, is excerpted above.]

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 24. MISERIA, © PMVP / Joffre.

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Le Mendiant, Les Contemplations V, ix (1856) [Like this poem about a beggar who stops at the narrator’s home, several ­poems in the fifth book of Les Contemplations reveal Hugo’s ultimate optimism in surmounting despair and tragedy.] Un pauvre homme passait dans le givre et le vent. Je cognai sur ma vitre; il s’arrêta devant Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile. Les ânes revenaient du marché de la ville, Portant les paysans accroupis sur leurs bâts. C’était le vieux qui vit dans une niche au bas De la montée, et rêve, attendant, solitaire, Un rayon du ciel triste, un liard de la terre, Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu. Je lui criai: «Venez vous réchauffer un peu. «Comment vous nommez-vous?» Il me dit: «Je me nomme «Le pauvre.» Je lui pris la main: «Entrez, brave homme.» Et je lui fis donner une jatte de lait. Le vieillard grelottait de froid; il me parlait, Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre. «Vos habits sont mouillés,» dis-je, «il faut les étendre «Devant la cheminée.» Il s’approcha du feu. Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu, Étalé largement sur la chaude fournaise, Piqué de mille trous par la lueur de braise, Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé. Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé D’où ruisselait la pluie et l’eau des fondrières, Je songeais que cet homme était plein de prières, Et je regardais, sourd à ce que nous disions, Sa bure où je voyais des constellations. Décembre 1834 [20 octobre 1854.]

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Choses vues, February 23, 1846 [When Hugo noted in his journal (I, 333–34) this contrast of the lives of a rich duchess and a poor man arrested for stealing a loaf of bread, he had already begun to write Les Misères, the novel that nearly twenty years later became Les Misérables (see the following excerpts). Hugo’s prediction of revolution was to come true just two years later.] Hier, 22 février, j’allais à la Chambre des pairs. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas; une blouse courte, souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu’il couchait habituellement sur le pavé; la tête nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu’il avait volé ce pain et que c’était à cause de cela qu’on l’emmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entre, et l’homme resta à la porte, gardé par l’autre soldat. Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. C’était une berline armoriée portant aux lanternes une couronne ducale, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait l’intérieur tapissé de damas bouton d’or. Le regard de l’homme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme ne voyait pas l’homme terrible qui la regardait. Je demeurai pensif. Cet homme n’était plus pour moi un homme, c’était le spectre de la misère, c’était l’apparition, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d’une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient. Autrefois le pauvre coudoyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s’aperçoit que cette femme existe, tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.

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“Le Soir d’un jour de marche” (excerpts), Les Misérables I, 2, i (1862) [In this excerpt from early in Les Misérables, hero, ex-convict, and ex-galley-slave Jean Valjean arrives in the village of Digne and seeks lodging for the night. Just released from nineteen years’ hard labor for stealing a loaf of bread (the original five-year conviction lengthened by several escape attempts), he must carry a yellow passport, which identifies him as “dangerous.” In this scene Hugo shows how society and people’s fear can militate against ex-prisoners—convicted in an oppressive justice system—becoming productive citizens.] L’hôte, entendant la porte s’ouvrir et entrer un nouveau venu, dit sans lever les yeux de ses fourneaux: — Que veut monsieur? — Manger et coucher, dit l’homme. — Rien de plus facile, reprit l’hôte. En ce moment il tourna la tête, embrassa d’un coup d’œil tout l’ensemble du voyageur, et ajouta: En payant. L’homme tira une grosse bourse de cuir de la poche de sa blouse et répondit: — J’ai de l’argent. — En ce cas on est à vous, dit l’hôte. L’homme remit sa bourse en poche, se déchargea de son sac, le posa à terre près de la porte, garda son bâton à la main, et alla s’asseoir sur une escabelle basse près du feu. Digne est dans la montagne. Les soirées d’octobre y sont froides. Cependant, tout en allant et venant, l’hôte considérait le voyageur. — Dîne-t-on bientôt? dit l’homme. — Tout à l’heure, dit l’hôte. Pendant que le nouveau venu se chauffait, le dos tourné, le digne aubergiste Jacquin Labarre tira un crayon de sa poche, puis il déchira le coin d’un vieux journal qui traînait sur une petite table près de la fenêtre. Sur la marge blanche il écrivit une ligne ou deux, plia sans cacheter et remit ce chiffon de papier à un enfant qui paraissait lui servir tout à la fois de marmiton et de laquais. L’aubergiste dit un mot à l’oreille du marmiton, et l’enfant partit en courant dans la direction de la mairie. Le voyageur n’avait rien vu de tout cela. Il demanda encore une fois: — Dîne-t-on bientôt? — Tout à l’heure, dit l’hôte.

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L’enfant revint. Il rapportait le papier. L’hôte le déplia avec empressement, comme quelqu’un qui attend une réponse. Il parut lire attentivement, puis hocha la tête, et resta un moment pensif. Enfin, il fit un pas vers le voyageur qui semblait plongé dans des réflexions peu sereines. — Monsieur, dit-il, je ne puis vous recevoir. L’homme se dressa à demi sur son séant. — Comment! avez-vous peur que je ne paye pas? voulez-vous que je paye d’avance? J’ai de l’argent, vous dis-je. — Ce n’est pas cela. — Quoi donc? — Vous avez de l’argent… — Oui, dit l’homme. — Et moi, dit l’hôte, je n’ai pas de chambre. L’homme reprit tranquillement: — Mettez-moi à l’écurie. — Je ne puis. — Pourquoi? — Les chevaux prennent toute la place. — Eh bien, repartit l’homme, un coin dans le grenier. Une botte de paille. Nous verrons cela après dîner. — Je ne puis vous donner à dîner. Cette déclaration, faite d’un ton mesuré, mais ferme, parut grave à l’étranger. Il se leva. — Ah bah! mais je meurs de faim, moi. J’ai marché dès le soleil levé. J’ai fait douze lieues. Je paye. Je veux manger. — Je n’ai rien, dit l’hôte. L’homme éclata de rire et se tourna vers la cheminée et les fourneaux. — Rien! et tout cela? — Tout cela m’est retenu. — Par qui? — Par ces messieurs les rouliers. — Combien sont-ils? — Douze. — Il y a là à manger pour vingt. — Ils ont tout retenu et tout payé d’avance. L’homme se rassit et dit sans hausser la voix: — Je suis à l’auberge, j’ai faim, et je reste. L’hôte alors se pencha à son oreille, et lui dit d’un accent qui le fit tressaillir: — Allez-vous-en.

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Le voyageur était courbé en cet instant et poussait quelques braises dans le feu avec le bout ferré de son bâton, il se retourna vivement, et, comme il ouvrait la bouche pour répliquer, l’hôte le regarda fixement et ajouta toujours à voix basse: — Tenez, assez de paroles comme cela. Voulez-vous que je vous dise votre nom? Vous vous appelez Jean Valjean. Maintenant voulez-vous que je vous dise qui vous êtes? En vous voyant entrer, je me suis douté de quelque chose, j’ai envoyé à la mairie, et voici ce qu’on m’a répondu. Savez-vous lire? En parlant ainsi il tendait à l’étranger, tout déplié, le papier qui venait de voyager de l’auberge à la mairie et de la mairie à l’auberge. L’homme y jeta un regard. L’aubergiste reprit après un silence: — J’ai l’habitude d’être poli avec tout le monde. Allez-vous-en. L’homme baissa la tête, ramassa le sac qu’il avait déposé à terre, et s’en alla. Il prit la grande rue. Il marchait devant lui au hasard, rasant de près les maisons, comme un homme humilié et triste. Il ne se retourna pas une seule fois. S’il s’était retourné, il aurait vu l’aubergiste de la Croix-de-Colbas sur le seuil de sa porte, entouré de tous les voyageurs de son auberge et de tous les passants de la rue, parlant vivement et le désignant du doigt, et, aux regards de défiance et d’effroi du groupe, il aurait deviné qu’avant peu son arrivée serait l’événement de toute la ville. Il ne vit rien de tout cela. Les gens accablés ne regardent pas derrière eux. Ils ne savent que trop que le mauvais sort les suit.

“Jean Valjean” and “Le Dedans du désespoir” (excerpts), Les Misérables I, 2, vi–vii (1862) [Turned away from all public lodgings and even driven from shelter by a dog, Jean Valjean is directed by a kind passerby to knock at a humble-looking door. He is warmly welcomed in by the bishop of Digne, known as Monseigneur Bienvenu, who respectfully invites him to dine and spend the night. Thus Monseigneur Bienvenu begins to reintroduce the concept of humanity to Jean Valjean, who has been brutalized by the justice system and his prison life. When Valjean awakens in the unfamiliarly comfortable bed, Hugo steps aside from his persona as narrator to summarize Valjean’s story: his poor, illiterate, rural background; his work as a tree-pruner who also took any manual job to help support his sister and her seven children; his unemployment at age twenty-five and unthinking theft of bread; his imprisonment and chain-gang work (la chiourme).

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Hugo draws parallels between the real-life story of Claude Gueux and his fictional hero Valjean, and analyzes the internal dilemma Valjean faces as a person who was good yet found reason to condemn society and divine providence.]

VI [ … ] Dix-neuf ans. En octobre 1815 il fut libéré, il était entré là en 1796 pour avoir cassé un carreau et pris un pain. Place pour une courte parenthèse. C’est la seconde fois que, dans ses études sur la question pénale et sur la damnation par la loi, l’auteur de ce livre rencontre le vol d’un pain, comme point de départ du désastre d’une destinée. Claude Gueux avait volé un pain; Jean Valjean avait volé un pain. Une statistique anglaise constate qu’à Londres quatre vols sur cinq ont pour cause immédiate la faim. Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré; il en sortit sombre. Que s’était-il passé dans cette âme?

VII LE DEDANS DU DÉSESPOIR Essayons de le dire. Il faut bien que la société regarde ces choses puisque c’est elle qui les fait. C’était, nous l’avons dit, un ignorant; mais ce n’était pas un imbécile. La lumière naturelle était allumée en lui. Le malheur, qui a aussi sa clarté, augmenta le peu de jour qu’il y avait dans cet esprit. Sous le bâton, sous la chaîne, au cachot, à la fatigue, sous l’ardent soleil du bagne, sur le lit de planches des forçats, il se replia en sa conscience et réfléchit. Il se constitua tribunal. Il commença par se juger lui-même. Il reconnut qu’il n’était pas un innocent injustement puni. Il s’avoua qu’il avait commis une action extrême et blâmable; qu’on ne lui eût peutêtre pas refusé ce pain s’il l’avait demandé; que dans tous les cas il eût mieux valu l’attendre, soit de la pitié, soit du travail; que ce n’est pas tout à fait une raison sans réplique de dire: peut-on attendre quand on a faim? que d’abord il est très rare qu’on meure littéralement de faim; ensuite

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que, malheureusement ou heureusement, l’homme est ainsi fait qu’il peut souffrir longtemps et beaucoup, moralement et physiquement, sans mourir; qu’il fallait donc de la patience; que cela eût mieux valu même pour ces pauvres petits enfants; que c’était un acte de folie, à lui, malheureux homme chétif, de prendre violemment au collet la société tout entière et de se figurer qu’on sort de la misère par le vol; que c’était, dans tous les cas, une mauvaise porte pour sortir de la misère que celle par où l’on entre dans l’infamie; enfin qu’il avait eu tort. Puis il se demanda: S’il était le seul qui avait eu tort dans sa fatale histoire? Si d’abord ce n’était pas une chose grave qu’il eût, lui travailleur, manqué de travail, lui laborieux, manqué de pain. Si, ensuite, la faute commise et avouée, le châtiment n’avait pas été féroce et outré. S’il n’y avait pas plus d’abus de la part de la loi dans la peine qu’il n’y avait eu d’abus de la part du coupable dans la faute. S’il n’y avait pas excès de poids dans un des plateaux de la balance, celui où est l’expiation. Si la surcharge de la peine n’était point l’effacement du délit, et n’arrivait pas à ce résultat de retourner la situation, de remplacer la faute du délinquant par la faute de la répression, de faire du coupable la victime et du débiteur le créancier, et de mettre définitive­ ment le droit du côté de celui-là même qui l’avait violé. Si cette peine, compliquée des aggravations successives pour les tentatives d’évasion, ne finissait pas par être une sorte d’attentat du plus fort sur le plus faible, un crime de la société sur l’individu, un crime qui recommençait tous les jours, un crime qui durait dix-neuf ans. Il se demanda si la société humaine pouvait avoir le droit de faire également subir à ses membres, dans un cas son imprévoyance déraisonnable, et dans l’autre cas sa prévoyance impitoyable, et de saisir à jamais un pauvre homme entre un défaut et un excès, défaut de travail, excès de châtiment. S’il n’était pas exorbitant que la société traitât ainsi précisément ses membres les plus mal dotés dans la répartition de biens que fait le hasard, et par conséquent les plus dignes de ménagements. Ces questions faites et résolues, il jugea la société et la condamna. Il la condamna à sa haine. Il la fit responsable du sort qu’il subissait et se dit qu’il n’hésiterait peutêtre pas à lui en demander compte un jour. Il se déclara à lui-même qu’il n’y avait pas équilibre entre le dommage qu’il avait causé et le dommage qu’on lui causait; il conclut enfin que son châtiment n’était pas, à la vérité, une injustice, mais qu’à coup sûr c’était une iniquité.

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victor hugo in public life

La colère peut être folle et absurde; on peut être irrité à tort; on n’est indigné que lorsqu’on a raison au fond par quelque côté. Jean Valjean se sentait indigné. Et puis, la société humaine ne lui avait fait que du mal. Jamais il n’avait vu d’elle que ce visage courroucé qu’elle appelle sa justice et qu’elle montre à ceux qu’elle frappe. Les hommes ne l’avaient touché que pour le meurtrir. Tout contact avec eux lui avait été un coup. Jamais, depuis son enfance, depuis sa mère, depuis sa sœur, jamais il n’avait rencontré une parole amie et un regard bienveillant. De souffrance en souffrance il arriva peu à peu à cette conviction que la vie était une guerre; et que dans cette guerre il était le vaincu. Il n’avait d’autre arme que sa haine. Il résolut de l’aiguiser au bagne et de l’emporter en s’en allant. Il y avait à Toulon une école pour la chiourme tenue par des frères ignorantins où l’on enseignait le plus nécessaire à ceux de ces malheureux qui avaient de la bonne volonté. Il fut du nombre des hommes de bonne volonté. Il alla à l’école à quarante ans, et apprit à lire, à écrire, à compter. Il sentit que fortifier son intelligence, c’était fortifier sa haine. Dans de certains cas, l’instruction et la lumière peuvent servir de rallonge au mal. Cela est triste à dire, après avoir jugé la société qui avait fait son malheur, il jugea la providence qui avait fait la société, et il la condamna aussi. Ainsi, pendant ces dix-neuf ans de torture et d’esclavage, cette âme monta et tomba en même temps. Il y entra de la lumière d’un côté et des ténèbres de l’autre. Jean Valjean n’était pas, on l’a vu, d’une nature mauvaise. Il était encore bon lorsqu’il arriva au bagne. Il y condamna la société et sentit qu’il devenait méchant; il y condamna la providence et sentit qu’il devenait impie. Ici il est difficile de ne pas méditer un instant. La nature humaine se transforme-t-elle ainsi de fond en comble et tout à fait? L’homme créé bon par Dieu peut-il être fait méchant par l’homme? L’âme peut-elle être refaite tout d’une pièce par la destinée, et devenir mauvaise, la destinée étant mauvaise? Le cœur peut-il devenir difforme et contracter des laideurs et des infirmités incurables sous la pression d’un malheur disproportionné, comme la colonne vertébrale sous une voûte trop basse? N’y a-t-il pas dans toute âme humaine, n’y avait-il pas dans l’âme de Jean Valjean en particulier, une première étincelle, un élément divin, incorruptible dans ce monde, immortel dans l’autre, que le bien peut développer, attiser, allumer et faire rayonner splendidement, et que le mal ne peut jamais entièrement éteindre?

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Questions graves et obscures, à la dernière desquelles tout physiologiste eût probablement répondu non, et sans hésiter, s’il eût vu à Toulon, aux heures de repos qui étaient pour Jean Valjean des heures de rêverie, assis, les bras croisés sur la barre de quelque cabestan, le bout de sa chaîne enfoncé dans sa poche pour l’empêcher de traîner, ce galérien morne, sérieux, silencieux et pensif, paria des lois qui regardait l’homme avec colère, damné de la civilisation qui regardait le ciel avec sévérité. Certes, et nous ne voulons pas le dissimuler, le physiologiste observateur eût vu là une misère irrémédiable; il eût plaint peut-être ce malade du fait de la loi, mais il n’eût pas même essayé de traitement; il eût détourné le regard des cavernes qu’il aurait entrevues dans cette âme; et, comme Dante de la porte de l’enfer, il eût effacé de cette existence le mot que le doigt de Dieu a pourtant écrit sur le front de tout homme: Espérance! [ … ] Pour résumer, en terminant, ce qui peut être résumé et traduit en résultats positifs dans tout ce que nous venons d’indiquer, nous nous bornerons à constater qu’en dix-neuf ans, Jean Valjean, l’inoffensif émondeur de Faverolles, le redoutable galérien de Toulon, était devenu capable, grâce à la manière dont le bagne l’avait façonné, de deux espèces de mauvaises actions: premièrement, d’une mauvaise action rapide, irréfléchie, pleine d’étourdissement, toute d’instinct, sorte de représaille pour le mal souffert; deuxièmement, d’une mauvaise action grave, sérieuse, débattue en conscience et méditée avec les idées fausses que peut donner un pareil malheur. Ses préméditations passaient par les trois phases successives que les natures d’une certaine trempe peuvent seules parcourir, raisonnement, volonté, obstination. Il avait pour mobiles l’indignation habituelle, l’amertume de l’âme, le profond sentiment des iniquités subies, la réaction, même contre les bons, les innocents et les justes, s’il y en a. Le point de départ comme le point d’arrivée de toutes ses pensées était la haine de la loi humaine; cette haine qui, si elle n’est arrêtée dans son développement par quelque incident providentiel, devient, dans un temps donné, la haine de la société, puis la haine du genre humain, puis la haine de la création, et se traduit par un vague et incessant et brutal désir de nuire, n’importe à qui, à un être vivant quelconque. — Comme on voit, ce n’était pas sans raison que le passe-port qualifiait Jean Valjean d’homme très dangereux. D’année en année, cette âme s’était desséchée de plus en plus, ­lentement,

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mais fatalement. À cœur sec, œil sec. À sa sortie du bagne, il y avait dixneuf ans qu’il n’avait versé une larme.

À qui la faute?, L’Année terrible, Juin VIII (1872) [“À qui la faute?,” written in Vianden, Luxembourg, is a dialogue between a revolutionary communard and a voice representing the conservative class. During the weeklong battle that ended the Paris Commune uprising in May 1871, fire destroyed a number of key buildings, including the Tuileries library of approximately 160,000 books. In this poem, a conservative voice speaks first and most, but the communard’s final statement is a compelling example of Hugo’s belief in the value of education to promote social equality and thus prevent the need for revolution.] Tu viens d’incendier la Bibliothèque?                  — Oui. J’ai mis le feu là.         — Mais c’est un crime inouï! Crime commis par toi contre toi-même, infâme! Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme! C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler! Ce que ta rage impie et folle ose brûler, C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage! Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. Une bibliothèque est un acte de foi Des générations ténébreuses encore Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore. Quoi! dans ce vénérable amas des vérités, Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés, Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire, Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir, Dans ce qui commença pour ne jamais finir, Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles, Dans le divin monceau des Eschyles terribles, Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon, Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,

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Tu jettes, misérable, une torche enflammée! De tout l’esprit humain tu fais de la fumée! As-tu donc oublié que ton libérateur, C’est le livre? le livre est là sur la hauteur; Il luit; parce qu’il brille et qu’il les illumine, Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine; Il parle; plus d’esclave et plus de paria. Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. Lis ces prophètes, Dante, ou Shakspeare,10 ou Corneille; L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille; Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous; Tu deviens en lisant grave, pensif et doux; Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître; Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître; À mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant, Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant; Ton âme interrogée est prête à leur répondre; Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs! Car la science en l’homme arrive la première. Puis vient la liberté. Toute cette lumière, C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins! Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints. Le livre en ta pensée entre, il défait en elle Les liens que l’erreur à la vérité mêle, Car toute conscience est un nœud gordien. Il est ton médecin, ton guide, ton gardien. Ta haine, il la guérit; ta démence, il te l’ôte. Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute! Le livre est ta richesse à toi! c’est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, Le progrès, la raison dissipant tout délire. Et tu détruis cela, toi!                

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— Je ne sais pas lire. [Vianden 25 juin 1871.]

10. As poets often did, Hugo omitted the first “e” in “Shakespeare” for reasons of meter.

13  •  On Humanity, Progress, and Peace

Le progrès, c’est le pas même de Dieu. —Banquet anniversaire du 24 février 1855, Actes et paroles, Pendant l’exile . . . avoir pour patrie le monde et pour nation l’humanité. —Préface, Les Burgraves (25 mars 1843)

When Victor Hugo’s longtime friend, poet and former government minister Alphonse de Lamartine first read Les Misérables, he applauded Hugo’s talent but was appalled to discover in the novel what he called le socialisme égalitaire. He concluded, “Les Misérables sont un sublime talent, une honnête intention, et un livre très-dangereux de deux manières: Non-seulement parce qu’il fait trop craindre aux heureux, mais parce qu’il fait trop espérer aux malheureux” (CFL XII, 1621). But before he panned most of the novel in his Cours familier de littérature, he wrote to Hugo to request his understanding. Hugo’s reply is revealing: Mon illustre ami, Si le radical, c’est l’idéal, oui, je suis radical. Oui, à tous les points de vue, je comprends, je veux et j’appelle le mieux; le mieux, quoique dénoncé par le proverbe, n’est pas ennemi du bien, car cela reviendrait à dire: le mieux est l’ami du mal. Oui, une société qui admet la misère, oui, une

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religion qui admet l’enfer, oui, une humanité qui admet la guerre, me semblent une société, une religion et une humanité inférieures, et c’est vers la société d’en haut, vers l’humanité d’en haut et vers la religion d’en haut que je tends: société sans roi, humanité sans frontières, religion sans livre. Oui, je combats le prêtre qui vend le mensonge et le juge qui rend l’injustice. Universaliser la propriété (ce qui est le contraire de l’abolir) en supprimant le parasitisme, c’est-à-dire arriver à ce but: tout homme propriétaire et aucun homme maître, voilà pour moi la véritable économie sociale et politique. Le but est éloigné. Est-ce une raison pour n’y pas marcher? J’abrège et je me résume. Oui, autant qu’il est permis à l’homme de vouloir, je veux détruire la fatalité humaine; je condamne l’esclavage, je chasse la misère, j’enseigne l’ignorance, je traite la maladie, j’éclaire la nuit, je hais la haine. Voilà ce que je suis, et voilà pourquoi j’ai fait les Misérables. Dans ma pensée, les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base et le progrès pour cime. With unceasing visionary idealism and optimism (as well as perhaps a certain powerful naïveté), Hugo insists on believing in humanity’s ultimate goodness and capacity to make crucial progress, and he expresses his conviction that the world—and the people in it—can be better than they are. He refuses to accept the status quo as right or desirable and rejects social fatalism. He wants to change the society that Lamartine considers permanent, a society that Hugo has shown to be flawed. Hugo holds to this frankly idealistic attitude throughout most of his works, even as he recognizes reality and directly confronts human weaknesses and the existence of evil. Making use of the poet’s visionary powers, he throws himself into the sea of experiences: Le poète complet se compose de ces trois visions: Humanité, Nature, Surnaturalisme. Pour l’Humanité et la Nature, la Vision est observation; pour le Surnaturalisme, la Vision est intuition.  Une précaution est nécessaire: s’emplir de science humaine. Soyez homme avant tout et surtout. Ne craignez pas de vous surcharger d’humanité. Lestez votre raison de réalité, et jetez-vous à la mer ensuite. (Promontorium somnii II; Laffont, Critique, 651)

Hugo works hard to understand why violence seems necessary in the world, even essential to history. Furthermore, he struggles to clarify how it relates to

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divine providence, which he thinks embodies a supreme will for absolute good (Yves Gohin, Présentation, Laffont, Roman III, iii). In several of his works, Hugo implies that evil in some ways parallels anankè, the powerful necessity, or fatality, that seems to be part of the world and inherent in some man-made laws. He wonders about the power of providence, which, he finds, sometimes manifests itself in surprisingly violent ways. And he also presents the breadth and depth of evil in a variety of forms: the voracious octopus of Les Travailleurs de la mer, a symbol of uncontrolled desire; the implacably violent, royalist lieutenant Imânus in Quatrevingt-treize; the perversely cynical and sexual Josiane in L’Homme qui rit; the thoughtless people who torture a toad in “Le Crapaud.” In the eternal struggle between evil and good, Hugo trusts that good will triumph over evil, or resist its temptation: Gilliatt kills the octopus; Imânus dies in battle and the worst of his vengeful plan is thwarted; Gwynplaine chooses the pure Dea over Josiane and immense wealth; but only the donkey pities the toad. As he proposed for his unfinished La Fin de Satan, Satan will eventually be redeemed, since the Angel Liberty, born of Goodness, will inspire him to love God. Hugo realizes the vast range of human weakness and vice, yet he has an almost mystical faith that people have the power to pick the right path because they are connected to God. All souls carry a divine spark: “Dieu et l’âme sont un fait identique, on peut même dire concentrique” (from draft notes for L’Homme qui rit, CFL XIV, 388; see, also, in this chapter “J’aime l’araignée et j’aime l’ortie, . . .” ). Only when good overcomes evil can people progress; but Hugo observes the almost incomprehensible paradox that catalysts for improvement are themselves often disastrous. When a revolution is necessary to make possible a republic, that progress costs lives and causes destruction, grief, and desolation (see, in this chapter, “L’Évêque en présence d’une lumière inconnue” and one of Hugo’s drawings illustrating war’s destructive power). The contradiction between the freedom and equality that Hugo associates with a democratic state and the pain of its birth is one that he acknowledges but does not completely resolve. He makes clear his confusion in “Loi de formation du progrès” in L’Année terrible, “Février V,” which he wrote in the context of the Prussians’ siege of Paris and the humiliating armistice conditions that ensued. A lifelong advocate of peace, he begins by confirming the need for war to defend one’s country: “Une dernière guerre! hélas, il la faut! oui. / Quoi! le deuil triomphant, le meurtre épanoui, / Sont les conditions de nos progrès! Mystère!” The recognition that advancement must come from more war—and the enigma of that paradox—leads him to over three hundred poetic lines in which he catalogues

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many instances of horrific paths to peace, noting, among others, such leaders as Attila the Hun, Genghis Khan, and Alexander the Great: Ô contradictions terribles! d’un côté On voit la loi de paix, de vie et de bonté Par-dessus l’infini dans les prodiges luire; Et de l’autre on écoute une voix triste dire: — Penseurs, réformateurs, porte-flambeaux, esprits, Lutteurs, vous atteindrez l’idéal! à quel prix? Au prix du sang, des fers, du deuil, des hécatombes. La route du progrès, c’est le chemin des tombes. — Never losing its tone of despair and confusion, the poem ends with a bleak picture of a world filled with hatred, in which peace bleeds, love is exiled, and Christ is still nailed to the cross. Even so, the first stanza of the next poem in the collection reverses this mood: N’importe, ayons foi! Tout s’agite, Comme au fond d’un songe effrayant, Tout marche et court, et l’homme quitte L’ancien rivage âpre et fuyant. On va de la nuit à l’aurore, Du noir sépulcre au nid sonore, Et des hydres aux alcyons. Les téméraires sont les sages. Ils sondent ces profonds passages Qu’on nomme Révolutions. (“Mars I”)

Here Hugo emphasizes the power of poets and prophets (les sages) to foresee a better future and understand revolution’s role in moving humanity forward. In his mid-seventies, Hugo called the Revolution the soul of Enlightenment thinkers such as Voltaire, whose ideas underpinned it: “[La Révolution] est leur émanation rayonnante. Elle vient d’eux; on les retrouve partout dans cette catastrophe bénie et superbe qui a fait la clôture du passé et l’ouverture de l’avenir” (“Le centenaire de Voltaire,” Laffont, Politique, 989; see also “Quel horizon on voit du haut de la barricade” in chapter 9). Over and over again, Hugo finds that progress, like the blessed catastrophe of revolution, is neither linear nor peaceful. It is, on the contrary, a chaotic, spiraling turmoil of advancement and recession that may be evolutionary but is often revolutionary. Throughout his

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work, Hugo grapples with the inherent conflicts between revolution, peace, and the republic, eventually seeming to accept revolution as a necessary evil, a cathartic remedy for society’s accumulated ills, a harbinger of a better future.1 For Hugo the statesman, patriot, and exile, that future was the French ­Republic: “la forme de gouvernement la plus logique et la plus parfaite, la république, qui est pour le peuple une sorte de droit naturel comme la liberté pour l’homme” (Laffont, Politique, 274–75). As he fought for the republic and for what he considered the true values of humanity, Hugo did not hesitate to confront such existing powers as the courts, the military, or a dogmatic or politi­ cized Catholic Church. His critics insisted that his position was anarchistic or atheistic, accusations that Hugo confronted directly in his speech in honor of the great philosopher Voltaire: Jamais, j’y insiste, aucun sage n’ébranlera ces deux augustes points d’appui du labeur social, la justice et l’espérance, et tous respecteront le juge s’il incarne la justice, et tous vénéreront le prêtre s’il représente l’espérance. Mais si la magistrature s’appelle la torture, si l’Église s’appelle l’Inquisition, alors l’humanité les regarde en face et dit au juge: Je ne veux pas de ta loi! et dit au prêtre: Je ne veux pas de ton dogme! je ne veux pas de ton bûcher sur la terre et de ton enfer dans le ciel! (Vive sensation. Applaudissements prolongés.) Alors le philosophe courroucé se dresse, et dénonce le juge à la justice, et dénonce le prêtre à Dieu! (Laffont, Politique, 988)

Hugo felt so strongly that he inscribed Hauteville House paintings with his predictions, “La fin du soldat / La fin du prestre / La fin du seigneur.”2 In the sense that he saw a democratic republic as a natural right, Hugo imagined that all people would eventually unite in what he called la République universelle. He predicted as much in “LUX,” the optimistic finale to his scathing Châtiments: “Ô République universelle, / Tu n’es encore que l’étincelle, / Demain tu seras le 1. On the interconnections of the Revolution and the republic, see Guy Rosa, “Massacrer les massacres,” L’Arc, 57 (avril–juin, 1974): 72–80; Marie Perrin, “La Révolution ou Comment ‘rester fidèle à toutes les lois de l’art en les combinant avec la loi du progrès,’” Presentation to the Groupe Hugo, 18 novembre 2006 (available at http://groupugo .div.jussieu.fr/Groupugo/06-11-18Perrin.htm); and Acher, “Hugo, défenseur.” For an introduction to the French Revolution, see Popkin, A Short History. 2. Hugo’s draft plan of these phrases is available at http://expositions.bnf.fr/hugo/ grands/182.htm.

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soleil!” From a political point of view and as someone who cherished France’s greatness, Hugo hoped that the French Republic would be such a powerful model that it would inspire all of Europe to come together: “Le peuple français a taillé dans un granit indestructible et posé au milieu même du vieux continent monarchique la première assise de cet immense édifice de l’avenir, qui s’appellera un jour les États-Unis d’Europe!” (Laffont, Politique, 274; see, too, his Discours d’ouverture to the International Peace Congress in Paris, in this chapter). In his introduction to the 1867 guide book, Paris, Hugo predicted that the twentieth century would see an extraordinary nation created, beginning with Europe (with Paris as its capital) and growing to include the world: “La nation centrale d’où ce mouvement rayonnera sur tous les continents . . . sera plus que nation, elle sera civilisation; elle sera mieux que civilisation, elle sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre, unité de méridien, unité de code; . . .” (Laffont, Politique, 5).3 Since all humanity is properly one family, national boundaries and exclusionary cultural practices are not only arbitrary—they are admissions of an unnatural deviation from what is best for humankind, strayings from the providential will for good. Moreover, all wars, including revolutions, are really civil wars: La guerre civile? qu’est-ce à dire? Est-ce qu’il y a une guerre étrangère? Est-ce que toute guerre entre hommes n’est pas la guerre entre frères? La guerre ne se qualifie que par son but. Il n’y a ni guerre étrangère, ni guerre civile; il n’y a que la guerre injuste et la guerre juste. Jusqu’au jour où le grand concordat humain sera conclu, la guerre, celle du moins qui est l’effort de l’avenir qui se hâte contre le passé qui s’attarde, peut être nécessaire. (Les Misérables IV, 13, iii)

Again, Hugo understands how war paradoxically can bring about peace. And it would seem logical that such a uniting of peoples, superseding separate nations, 3. For a summary of how the ideas of a European Union and perennial peace developed, see Frank Wilhelm, Victor Hugo et l’idée des États-Unis d’Europe (Luxembourg: Association des Amis de la Maison de Victor Hugo à Vianden, 2000): 8–23; Françoise Chenet-Faugeras, ed., Victor Hugo et l’Europe de la pensée, Colloque de Thionville-Viaden (8, 9 et 10 octobre 1993) (Paris: Nizet, 1995); Nicole Savy, “L’Europe de Victor Hugo du gothique au géopolitique,” Presentation to the Groupe Hugo, January 15, 1994, available at http:// groupugo.div.jussieu.fr/groupugo/94-01-15Savy.htm. For essays on Hugo’s views on war and peace, see Claude Millet, ed., Hugo et la guerre (Paris: Maisonneuve & Larose, 2002). On the idea of the “République universelle,” see Rosa, “La République universelle.”

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could set the stage for a lasting peace. Thus Hugo might seem an idealistic pacifist. But he was a flesh-and-blood man of sometimes contradictory passions, and his views on war and peace are more complex than his contrast of “just” and “unjust” wars would imply. For instance, his horror at the grisly war tragedies he saw in Spain when only nine years old contrasted with a youthful admiration for the military glories of his father, the Napoleonic general. Philosophically, his vision of the fraternity of all people clashed with his certainty that people could never be happy or peaceful without freedom. Thus, while calling for universal peace, he supported movements for national independence, even if they led to war. He was also a patriot fervent about fighting to defend his country. As the Prussians marched on Paris in response to the French Empire’s earlier war declaration, Hugo wrote them a conciliatory open letter asking that the newly Republican Paris be spared. A week later, after the Prussians had responded angrily and threatened to besiege Paris, Hugo published a vehement French call to arms, “Aux Français” (Laffont, Politique, 729–31). Once France was no longer under attack, however, Hugo reverted to his standard pacifist stance. Certainly aware of the disjunction between his battle cry and his longtime support of peace, he wrote the same day in his diary, “Il y a aujourd’hui un an, j’ouvrais le Congrès de la Paix à Lausanne. Ce matin, j’écris l’Appel aux Français pour la guerre à outrance contre l’invasion” (September 16, 1870; Choses vues IV, 557).4 As conflicted as he was about peace among nations, Hugo had no doubts about people’s need for mercy, and he considered their capacity to bestow it an essentially divine quality. He consistently argued for clemency and pardon for revolutionaries, insurgents, and political opponents, including forgiveness of his arch-rival Louis-Napoleon Bonaparte (see “Jeanne était au pain sec . . .” in this chapter). But he battled most visibly for amnesty for the members and supporters of the Paris Commune after they failed to overthrow the conservative Versailles government in 1871. When these communards were being executed or deported, Hugo offered asylum in his Brussels home even though he had not supported their rebellion. His generous offer provoked a midnight mob attack on his home, and the Belgian government expelled him. Two years later, 4. On Hugo’s ideas about peace and war, see especially Claude Millet, “Hugo entre guerre et paix,” in the section “Victor Hugo,” in Hommes et Libertés, Revue de la Ligue des Droits de l’Homme, 119 (juillet–septembre 2002), available at http://groupugo.div .jussieu.fr/Groupugo/Textes_et_documents/Hugo%20entre%20guerre%20et%20paix .pdf; and Robert Badinter on the DVD Victor Hugo: Écriture et politique (Paris: SCÉRÉNCNDP, 2004).

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Hugo turned down a request to rejoin the French National Assembly because he did not want to be part of a government that would not consider amnesty for these insurgents: “Si mon nom signifie quelque chose en ces années fatales où nous sommes, il signifie amnistie [Hugo’s italics]” (Laffont, Politique, 861). For nearly a decade, Hugo fought for the communards’ pardon (which was finally conferred in 1880 after Hugo’s third Senate speech on the issue).5 Hugo’s novel Quatrevingt-treize, set in 1793 during Revolutionary times, completed in 1872–73 immediately following the Commune’s civil strife, presents in Gauvain a humane, merciful hero. In many ways Gauvain embodies the clémence implacable that Hugo hoped would be implemented with the return of the French Republic: a rejection of vengeance and violence in preference for pardon and reconciliation (CFL, VIII, 1044; see the excerpt “Gauvain pensif” in this chapter). Hugo’s stance in support of amnesty brought him recriminations from nearly all political fronts, an animosity he clearly felt, although it did not dissuade him. In “Fraternité,” one of the L’Art d’être grand-père poems written for his grandchildren “to read when they’re grown,” he lays out his vision for a just, humane future, noting in the first stanza the isolation this desire has brought him: Je rêve l’équité, la vérité profonde, L’amour qui veut, l’espoir qui luit, la foi qui fonde, Et le peuple éclairé plutôt que châtié. Je rêve la douceur, la bonté, la pitié, Et le vaste pardon. De là ma solitude. A hopeful dream that people will embrace clemency, peace, equality, and compassion underlies Hugo’s trust in humanity’s fundamental goodness and civilization’s eventual improvement. In his complex vision of future possibilities, moral, social, and political progress intermingle, as he implies in summarizing his goal for La Légende des siècles, the story of humanity over the centuries: “L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l’autre; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière; . . .” (Préface; Laffont, Poésie II, 568). The depth of the poet’s feeling and his vision, utopian or not, continue 5. For a detailed analysis of Hugo’s mixed feelings about the Commune, see Laurent, “République et la Commune.”

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to compel readers today. As contemporary Peruvian novelist and essayist ­Mario Vargas Llosa concludes in The Temptation of the Impossible, his study of Les Misérables, Hugo’s novel is “one of the works that has been most influential in making so many men and women of all languages and cultures desire a more just, rational, and beautiful world than the one they live in” (176–77). Even while seeing that people can be diverted toward evil and that progress can be difficult, Hugo consistently envisions a better future, an ideal—and in some way radically different—world, as he wrote to his friend Lamartine. Hugo’s trust in humanity—in our divinely created capacity for love—underpins his optimism in the face of personal tragedy, his tenacity in exploring mysteries of life and death, his fight for human rights, social justice, and peace. Always wanting to believe that people, and hence society, are moving toward God, Hugo knows that progress is as inevitable as it is beneficial. Society is like a stream, which may eddy and even briefly flow backward, yet always goes on to its outlet, finally to the sea: Il n’y a pas plus de reculs d’idées que de reculs de fleuves. Mais que ceux qui ne veulent pas de l’avenir y réfléchissent. En disant non au progrès, ce n’est point l’avenir qu’ils condamnent, c’est eux-mêmes. Ils se donnent une maladie sombre; ils s’inoculent le passé. Il n’y a qu’une manière de refuser Demain, c’est de mourir. (Les Misérables, IV, 7, iv)

“L’Évêque en présence d’une lumière inconnue,” Les Misérables I, 1, x (1862) [The good-hearted, beloved bishop of Digne, M. Myriel (also known as Monseigneur Bienvenu), is so generous that he insists that the bishop’s mansion become the town’s hospital, while he lives simply in the small building that had been the hospital. At the beginning of this chapter, he decides that he must visit G., whom he realizes he has avoided. An elderly man who lives alone in the countryside, G. is an ancien conventionnel, a former member of the Convention, the Revolutionary governmental body that in January 1793 condemned King Louis XVI to death. When the Convention decreed that “terror was the order of the day,” thousands of French citizens, nobles and commoners alike, died by the guillotine in 1793 and 1794. Thus “93” became shorthand for the extreme measures and the horrors of the French Revolution, including the execution

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of Louis XVI and Marie-Antoinette, the Terror, and the death of ten-year-old Louis XVII in the Temple Prison in 1795. As a conventionnel, G. is a despised outcast, whom the townspeople have never met yet consider a monster and an atheist. Even though G. did not vote for the king’s death and was therefore not exiled from France, he is reviled as a regicide. The scene takes place in 1815, at the beginning of the Restoration, when Louis XVIII came to the throne after the Emperor Napoleon’s abdication. Although M. Myriel finds it difficult not to see the former Convention member as a sort of outlaw, someone almost not worthy of charity, he willingly engages in dialogue about the meaning of the Revolution and hears G.’s perspective on progress and humanity. This chapter, which Hugo wrote during exile, caused a scandal in Catholic and God-fearing circles (Laffont, Roman II, 1170, n. 20). For somewhat different perspectives on how revolution relates to progress, as well as to humanity, see Enjolras’s speech later in Les Misérables (V, 1, v) and Gauvain’s vision of the ideal republic in Quatrevingt-treize (III, 7, v).] Un jour enfin le bruit se répandit dans la ville qu’une façon de jeune pâtre qui servait le conventionnel G. dans sa bauge était venu chercher un médecin; que le vieux scélérat se mourait, que la paralysie le gagnait, et qu’il ne passerait pas la nuit. — Dieu merci! ajoutaient quelques-uns. L’évêque prit son bâton, mit son pardessus à cause de sa soutane un peu trop usée, comme nous l’avons dit, et aussi à cause du vent du soir qui ne devait pas tarder à souffler, et partit. Le soleil déclinait et touchait presque l’horizon, quand l’évêque arriva à l’endroit excommunié. Il reconnut avec un certain battement de cœur qu’il était près de la tanière. Il enjamba un fossé, franchit une haie, leva un échalier, entra dans un courtil délabré, fit quelques pas assez hardiment, et tout à coup, au fond de la friche, derrière une haute broussaille, il aperçut la caverne. C’était une cabane toute basse, indigente, petite et propre, avec une treille clouée à la façade. Devant la porte, dans une vieille chaise à roulettes, fauteuil du paysan, il y avait un homme en cheveux blancs qui souriait au soleil. Près du vieillard assis se tenait debout un jeune garçon, le petit pâtre. Il tendait au vieillard une jatte de lait. Pendant que l’évêque regardait, le vieillard éleva la voix: — Merci, dit-il, je n’ai plus besoin de rien. Et son sourire quitta le soleil pour s’arrêter sur l’enfant. L’évêque s’avança. Au bruit qu’il fit en marchant, le vieux homme assis

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tourna la tête, et son visage exprima toute la quantité de surprise qu’on peut avoir après une longue vie. — Depuis que je suis ici, dit-il, voilà la première fois qu’on entre chez moi. Qui êtes-vous, monsieur? L’évêque répondit: — Je me nomme Bienvenu Myriel. — Bienvenu Myriel! j’ai entendu prononcer ce nom. Est-ce que c’est vous que le peuple appelle monseigneur Bienvenu? — C’est moi. Le vieillard reprit avec un demi-sourire: — En ce cas, vous êtes mon évêque? — Un peu. — Entrez, monsieur. Le conventionnel tendit la main à l’évêque, mais l’évêque ne la prit pas. L’évêque se borna à dire: — Je suis satisfait de voir qu’on m’avait trompé. Vous ne me semblez, certes, pas malade. — Monsieur, répondit le vieillard, je vais guérir. Il fit une pause, et dit: — Je mourrai dans trois heures. Puis il reprit: — Je suis un peu médecin; je sais de quelle façon la dernière heure vient. Hier, je n’avais que les pieds froids; aujourd’hui, le froid a gagné les genoux; maintenant je le sens qui monte jusqu’à la ceinture; quand il sera au cœur, je m’arrêterai. Le soleil est beau, n’est-ce pas? je me suis fait rouler dehors pour jeter un dernier coup d’œil sur les choses. Vous pouvez me parler, cela ne me fatigue point. Vous faites bien de venir regarder un homme qui va mourir. Il est bon que ce moment-là ait des témoins. On a des manies; j’aurais voulu aller jusqu’à l’aube. Mais je sais que j’en ai à peine pour trois heures. Il fera nuit. Au fait qu’importe! Finir est une affaire simple. On n’a pas besoin du matin pour cela. Soit. Je mourrai à la belle étoile. Le vieillard se tourna vers le pâtre. — Toi, va te coucher. Tu as veillé l’autre nuit. Tu es fatigué. L’enfant rentra dans la cabane. Le vieillard le suivit des yeux et ajouta comme se parlant à lui-même: — Pendant qu’il dormira, je mourrai. Les deux sommeils peuvent faire bon voisinage.

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L’évêque n’était pas ému comme il semble qu’il aurait pu l’être. Il ne croyait pas sentir Dieu dans cette façon de mourir: disons tout, car les ­petites contradictions des grands cœurs veulent être indiquées comme le reste, lui qui, dans l’occasion, riait si volontiers de Sa Grandeur, il était quelque peu choqué de ne pas être appelé monseigneur, et il était presque tenté de répliquer: citoyen. Il lui vint une velléité de familiarité bourrue, assez ordinaire aux médecins et aux prêtres, mais qui ne lui était pas habitu­elle, à lui. Cet homme, après tout, ce conventionnel, ce représentant du peuple, avait été un puissant de la terre; pour la première fois de sa vie peut-être, l’évêque se sentit en humeur de sévérité. Le conventionnel cependant le considérait avec une cordialité modeste, où l’on eût pu démêler peut-être l’humilité qui sied quand on est si près de sa mise en poussière. L’évêque, de son côté, quoiqu’il se gardât ordinairement de la curiosité, laquelle, selon lui, était contiguë à l’offense, ne pouvait s’empêcher d’examiner le conventionnel avec une attention qui, n’ayant pas sa source dans la sympathie, lui eût été probablement reprochée par sa conscience vis-à-vis de tout autre homme. Un conventionnel lui faisait un peu l’effet d’être hors la loi, même hors la loi de charité. G., calme, le buste presque droit, la voix vibrante, était un de ces octogé­ naires qui font l’étonnement du physiologiste. La révolution a eu beaucoup de ces hommes proportionnés à l’époque. On sentait dans ce vieillard l’homme à l’épreuve. Si près de sa fin, il avait conservé tous les gestes de la santé. Il y avait dans son coup d’œil clair, dans son accent ferme, dans son robuste mouvement d’épaules, de quoi déconcerter la mort. Azraël, l’ange mahométan du sépulcre, eût rebroussé chemin et eût cru se tromper de porte. G. semblait mourir parce qu’il le voulait bien. Il y avait de la liberté dans son agonie. Les jambes seulement étaient immobiles. Les ténèbres le tenaient par là. Les pieds étaient morts et froids, et la tête vivait de toute la puissance de la vie et paraissait en pleine lumière. G., en ce grave moment, ressemblait à ce roi du conte oriental, chair par en haut, marbre par en bas. Une pierre était là. L’évêque s’y assit. L’exorde fut ex abrupto.6 — Je vous félicite, dit-il du ton dont on réprimande. Vous n’avez toujours pas voté la mort du roi. Le conventionnel ne parut pas remarquer le sous-entendu amer caché dans ce mot: toujours. Il répondit. Tout sourire avait disparu de sa face. 6. This sentence can be translated, “He began the conversation without preliminaries.”

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— Ne me félicitez pas trop, monsieur; j’ai voté la fin du tyran. C’était l’accent austère en présence de l’accent sévère. — Que voulez-vous dire? reprit l’évêque. — Je veux dire que l’homme a un tyran, l’ignorance. J’ai voté la fin de ce tyran-là. Ce tyran-là a engendré la royauté qui est l’autorité prise dans le faux, tandis que la science est l’autorité prise dans le vrai. L’homme ne doit être gouverné que par la science. — Et la conscience, ajouta l’évêque. — C’est la même chose. La conscience, c’est la quantité de science innée que nous avons en nous. Monseigneur Bienvenu écoutait, un peu étonné, ce langage très nouveau pour lui. Le conventionnel poursuivit: — Quant à Louis XVI, j’ai dit non. Je ne me crois pas le droit de tuer un homme; mais je me sens le devoir d’exterminer le mal. J’ai voté la fin du tyran. C’est-à-dire la fin de la prostitution pour la femme, la fin de l’esclavage pour l’homme, la fin de la nuit pour l’enfant. En votant la république, j’ai voté cela. J’ai voté la fraternité, la concorde, l’aurore! J’ai aidé à la chute des préjugés et des erreurs. Les écroulements des erreurs et des préjugés font de la lumière. Nous avons fait tomber le vieux monde, nous autres, et le vieux monde, vase des misères, en se renversant sur le genre humain, est devenu une urne de joie. — Joie mêlée, dit l’évêque. — Vous pourriez dire joie troublée, et aujourd’hui, après ce fatal retour du passé qu’on nomme 1814, joie disparue. Hélas, l’œuvre a été incomplète, j’en conviens; nous avons démoli l’ancien régime dans les faits, nous n’avons pu entièrement le supprimer dans les idées. Détruire les abus, cela ne suffit pas; il faut modifier les mœurs. Le moulin n’y est plus, le vent y est encore. — Vous avez démoli. Démolir peut être utile; mais je me défie d’une démolition compliquée de colère. — Le droit a sa colère, monsieur l’évêque, et la colère du droit est un élément du progrès. N’importe, et quoi qu’on en dise, la révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ. Incomplète, soit; mais sublime. Elle a dégagé toutes les inconnues sociales. Elle a adouci les esprits; elle a calmé, apaisé, éclairé; elle a fait couler sur la terre des flots de civilisation. Elle a été bonne. La révolution française, c’est le sacre de l’humanité. L’évêque ne put s’empêcher de murmurer:

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— Oui? 93! Le conventionnel se dressa sur sa chaise avec une solennité presque lugubre, et, autant qu’un mourant peut s’écrier, il s’écria: — Ah! vous y voilà! 93! J’attendais ce mot-là. Un nuage s’est formé pendant quinze cents ans. Au bout de quinze siècles, il a crevé. Vous faites le procès au coup de tonnerre. L’évêque sentit, sans se l’avouer peut-être, que quelque chose en lui était atteint. Pourtant il fit bonne contenance. Il répondit: — Le juge parle au nom de la justice; le prêtre parle au nom de la pitié, qui n’est autre chose qu’une justice plus élevée. Un coup de tonnerre ne doit pas se tromper. Et il ajouta en regardant fixement le conventionnel: — Louis XVII? Le conventionnel étendit la main et saisit le bras de l’évêque: — Louis XVII! voyons. Sur qui pleurez-vous? Est-ce sur l’enfant innocent? alors soit. Je pleure avec vous. Est-ce sur l’enfant royal? je demande à réfléchir. Pour moi, le frère de Cartouche,7 enfant innocent, pendu sous les aisselles en place de Grève jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour le seul crime d’avoir été le frère de Cartouche, n’est pas moins douloureux que le petit-fils de Louis XV, enfant innocent, martyrisé dans la tour du Temple pour le seul crime d’avoir été le petit-fils de Louis XV. — Monsieur, dit l’évêque, je n’aime pas ces rapprochements de noms. — Cartouche? Louis XV? pour lequel des deux réclamez-vous? Il y eut un moment de silence. L’évêque regrettait presque d’être venu, et pourtant il se sentait vaguement et étrangement ébranlé. Le conventionnel reprit: — Ah! monsieur le prêtre, vous n’aimez pas les crudités du vrai. Christ les aimait, lui. Il prenait une verge et il époussetait le temple. Son fouet plein d’éclairs était un rude diseur de vérités. Quand il s’écriait: Sinite parvulos…,8 il ne distinguait pas entre les petits enfants. Il ne se fût pas gêné pour rapprocher le dauphin de Barabbas du dauphin d’Hérode. Monsieur, 7. Cartouche (1693–1721), whose given name was Louis Dominique Bourguignon, was a bandit leader who was executed on the breaking wheel, which involved breaking the limbs of the condemned before they were either left to die or killed with blows to the chest. 8. Sinite parvulos is, in Latin, the beginning of Christ’s statement, “Suffer the little children to come unto me” (Mark 10:14). By using the term dauphin (“heir apparent”) to refer to the children of biblical thief Barabbas and King Herod, G. expresses his belief in equality.

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l’innocence est sa couronne à elle-même. L’innocence n’a que faire d’être altesse. Elle est aussi auguste déguenillée que fleurdelysée. — C’est vrai, dit l’évêque à voix basse. — J’insiste, continua le conventionnel G. Vous m’avez nommé Louis XVII. Entendons-nous. Pleurons-nous sur tous les innocents, sur tous les martyrs, sur tous les enfants, sur ceux d’en bas comme sur ceux d’en haut? J’en suis. Mais alors, je vous l’ai dit, il faut remonter plus haut que 93, et c’est avant Louis XVII qu’il faut commencer nos larmes. Je pleurerai sur les enfants des rois avec vous, pourvu que vous pleuriez avec moi sur les petits du peuple. — Je pleure sur tous, dit l’évêque. — Également! s’écria G., et si la balance doit pencher, que ce soit du côté du peuple. Il y a plus longtemps qu’il souffre. Il y eut encore un silence. Ce fut le conventionnel qui le rompit. Il se souleva sur un coude, prit entre son pouce et son index replié un peu de sa joue, comme on fait machinalement lorsqu’on interroge et qu’on juge, et interpella l’évêque avec un regard plein de toutes les énergies de l’agonie. Ce fut presque une explosion. — Oui, monsieur, il y a longtemps que le peuple souffre. Et puis, tenez, ce n’est pas tout cela, que venez-vous me questionner et me parler de Louis XVII? Je ne vous connais pas, moi. Depuis que je suis dans ce pays, j’ai vécu dans cet enclos, seul, ne mettant pas les pieds dehors, ne voyant personne que cet enfant qui m’aide. Votre nom est, il est vrai, arrivé confusément jusqu’à moi, et, je dois le dire, pas très mal prononcé; mais cela ne signifie rien; les gens habiles ont tant de manières d’en faire accroire à ce brave bonhomme de peuple. À propos, je n’ai pas entendu le bruit de votre voiture, vous l’avez sans doute laissée derrière le taillis, là-bas, à l’embranchement de la route. Je ne vous connais pas, vous dis-je. Vous m’avez dit que vous étiez évêque, mais cela ne me renseigne point sur votre personne morale. En somme je vous répète ma question. Qui êtes-vous? Vous êtes un évêque, c’est-à-dire un prince de l’église, un de ces hommes dorés, armoriés, rentés, qui ont de grosses prébendes, — l’évêché de Digne, quinze mille francs de fixe, dix mille francs de casuel, total, vingt-cinq mille francs, — qui ont des cuisines, qui ont des livrées, qui font bonne chère, qui mangent des poules d’eau le vendredi, qui se pavanent, laquais devant, laquais derrière, en berline de gala, et qui ont des palais, et qui roulent carrosse au nom de Jésus-Christ qui allait pieds nus! Vous êtes un prélat; rentes, palais, chevaux, valets, bonne table, toutes les sensualités de la vie, vous

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avez cela comme les autres, et comme les autres vous en jouissez, c’est bien, mais cela en dit trop ou pas assez; cela ne m’éclaire pas sur votre valeur intrinsèque et essentielle, à vous qui venez avec la prétention probable de m’apporter de la sagesse. À qui est-ce que je parle? Qui êtes-vous? L’évêque baissa la tête et répondit: — Vermis sum.9 — Un ver de terre en carrosse! grommela le conventionnel. C’était le tour du conventionnel d’être hautain, et de l’évêque d’être humble. L’évêque reprit avec douceur: — Monsieur, soit. Mais expliquez-moi en quoi mon carrosse, qui est là à deux pas derrière les arbres, en quoi ma bonne table et les poules d’eau que je mange le vendredi, en quoi mes vingt-cinq mille livres de rentes, en quoi mon palais et mes laquais prouvent que la pitié n’est pas une vertu, que la clémence n’est pas un devoir, et que 93 n’a pas été inexorable. Le conventionnel passa la main sur son front comme pour en écarter un nuage. — Avant de vous répondre, dit-il, je vous prie de me pardonner. Je viens d’avoir un tort, monsieur. Vous êtes chez moi, vous êtes mon hôte. Je vous dois courtoisie. Vous discutez mes idées, il sied que je me borne à combattre vos raisonnements. Vos richesses et vos jouissances sont des avantages que j’ai contre vous dans le débat, mais il est de bon goût de ne pas m’en servir. Je vous promets de ne plus en user. — Je vous remercie, dit l’évêque. G. reprit: — Revenons à l’explication que vous me demandiez. Où en étions-nous? Que me disiez-vous? que 93 a été inexorable? — Inexorable, oui, dit l’évêque. Que pensez-vous de Marat10 battant des mains à la guillotine? — Que pensez-vous de Bossuet chantant le Te Deum sur les dragon­ nades?11 9. Latin for “I am a worm,” from Psalms 21:7. 10. Jean-Paul Marat (1743–93) was one of the most intransigent French Revolution leaders. 11. Jacques-Bénigne Bossuet (1627–1704) was a French bishop and orator who in 1685 congratulated the king of France on “converting” Protestants to Catholics with an army (called “dragons”). The Te Deum, a hymn of thanksgiving, was sung after each Protestant town recanted its faith.

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La réponse était dure, mais elle allait au but avec la rigidité d’une pointe d’acier. L’évêque en tressaillit, il ne lui vint aucune riposte; mais il était froissé de cette façon de nommer Bossuet. Les meilleurs esprits ont leurs fétiches, et parfois se sentent vaguement meurtris des manques de respect de la logique. Le conventionnel commençait à haleter; l’asthme de l’agonie, qui se mêle aux derniers souffles, lui entrecoupait la voix; cependant il avait encore une parfaite lucidité d’âme dans les yeux. Il continua: — Disons encore quelques mots çà et là, je veux bien. En dehors de la révo­lution qui, prise dans son ensemble, est une immense affirmation humaine, 93, hélas! est une réplique. Vous le trouvez inexorable, mais toute la monarchie, monsieur? Carrier est un bandit; mais quel nom donnezvous à Montrevel? Fouquier-Tinville est un gueux; mais quel est votre avis sur Lamoignon-Bâville? Maillard est affreux, mais Saulx-Tavannes, s’il vous plaît? Le père Duchêne est féroce, mais quelle épithète m’accorderezvous pour le père Letellier? Jourdan-Coupe-Tête est un monstre, mais moindre que M. le marquis de Louvois.12 Monsieur, monsieur, je plains Marie-Antoinette archi­duchesse et reine, mais je plains aussi cette pauvre femme huguenote qui, en 1685, sous Louis le Grand, monsieur, allaitant son enfant, fut liée, nue jusqu’à la ceinture, à un poteau, l’enfant tenu à distance; le sein se gonflait de lait et le cœur d’angoisse; le petit, affamé et pâle, voyait ce sein, agonisait et criait; et le bourreau disait à la femme, mère et nourrice: Abjure! lui donnant à choisir entre la mort de son enfant et la mort de sa conscience. Que dites-vous de ce supplice de Tantale accommodé à une mère? Monsieur, retenez bien ceci, la révolution française a eu ses raisons. Sa colère sera absoute par l’avenir. Son résultat, c’est le monde meilleur. De ses coups les plus terribles, il sort une caresse pour le genre humain. J’abrège. Je m’arrête, j’ai trop beau jeu. D’ailleurs je me meurs. Et, cessant de regarder l’évêque, le conventionnel acheva sa pensée en ces quelques mots tranquilles: — Oui, les brutalités du progrès s’appellent révolutions. Quand elles 12. G. contrasts violent leaders of the Revolutionary Terror (Carrier, Fouquier-Tinville, Maillard, le Père Duchêne, Martin Jouve [who was called Jourdan-Coupe-Tête]) with men who had committed equally violent acts against Protestant Huguenots under the ancien régime: Lamoignon-Bâville (1648–1724), Saulx-Tavannes (1509–73), Father Letellier, and the Marquis of Louvois (1641–91), who organized dragonnades to terrorize Protestants.

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sont finies, on reconnaît ceci: que le genre humain a été rudoyé, mais qu’il a marché. Le conventionnel ne se doutait pas qu’il venait d’emporter successivement l’un après l’autre tous les retranchements intérieurs de l’évêque. Il en restait un pourtant, et de ce retranchement, suprême ressource de la résistance de monseigneur Bienvenu, sortit cette parole où reparut presque toute la rudesse du commencement: — Le progrès doit croire en Dieu. Le bien ne peut pas avoir de serviteur impie. C’est un mauvais conducteur du genre humain que celui qui est athée. Le vieux représentant du peuple ne répondit pas. Il eut un tremblement. Il regarda le ciel, et une larme germa lentement dans ce regard. Quand la paupière fut pleine, la larme coula le long de sa joue livide, et il dit presque en bégayant, bas et se parlant à lui-même, l’œil perdu dans les profondeurs: — Ô toi! ô idéal! toi seul existes! L’évêque eut une sorte d’inexprimable commotion. Après un silence, le vieillard leva un doigt vers le ciel, et dit: — L’infini est. Il est là. Si l’infini n’avait pas de moi, le moi serait sa borne; il ne serait pas infini; en d’autres termes, il ne serait pas. Or il est. Donc il a un moi. Ce moi de l’infini, c’est Dieu. Le mourant avait prononcé ces dernières paroles d’une voix haute et avec le frémissement de l’extase, comme s’il voyait quelqu’un. Quand il eut parlé, ses yeux se fermèrent. L’effort l’avait épuisé. Il était évident qu’il venait de vivre en une minute les quelques heures qui lui restaient. Ce qu’il venait de dire l’avait approché de celui qui est dans la mort. L’instant suprême arrivait. L’évêque le comprit, le moment pressait, c’était comme prêtre qu’il était venu; de l’extrême froideur, il était passé par degrés à l’émotion extrême; il regarda ces yeux fermés, il prit cette vieille main ridée et glacée, et se pencha vers le moribond: — Cette heure est celle de Dieu. Ne trouvez-vous pas qu’il serait regrettable que nous nous fussions rencontrés en vain? Le conventionnel rouvrit les yeux. Une gravité où il y avait de l’ombre s’empreignit sur son visage. — Monsieur l’évêque, dit-il, avec une lenteur qui venait peut-être plus encore de la dignité de l’âme que de la défaillance des forces, j’ai passé ma vie dans la méditation, l’étude et la contemplation. J’avais soixante ans

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quand mon pays m’a appelé, et m’a ordonné de me mêler de ses affaires. J’ai obéi. Il y avait des abus, je les ai combattus; il y avait des tyrannies, je les ai détruites: il y avait des droits et des principes, je les ai proclamés et confessés. Le territoire était envahi, je l’ai défendu; la France était menacée, j’ai offert ma poitrine. Je n’étais pas riche; je suis pauvre. J’ai été l’un des maîtres de l’état, les caves du Trésor étaient encombrées d’espèces au point qu’on était forcé d’étançonner les murs, prêts à se fendre sous le poids de l’or et de l’argent, je dînais rue de l’Arbre-Sec à vingt-deux sous par tête. J’ai secouru les opprimés, j’ai soulagé les souffrants. J’ai déchiré la nappe de l’autel, c’est vrai; mais c’était pour panser les blessures de la patrie. J’ai toujours soutenu la marche en avant du genre humain vers la lumière, et j’ai résisté quelquefois au progrès sans pitié. J’ai, dans l’occasion, protégé mes propres adversaires, vous autres. Et il y a, à Peteghem en Flandre, à l’endroit même où les rois mérovingiens avaient leur palais d’été, un couvent d’urbanistes,13 l’abbaye de Sainte-Claire en Beaulieu, que j’ai sauvé en 1793. J’ai fait mon devoir selon mes forces, et le bien que j’ai pu. Après quoi j’ai été chassé, traqué, poursuivi, persécuté, noirci, raillé, conspué, maudit, proscrit. Depuis bien des années déjà, avec mes cheveux blancs, je sens que beaucoup de gens se croient sur moi le droit de mépris, j’ai pour la pauvre foule ignorante visage de damné, et j’accepte, ne haïssant personne, l’isolement de la haine. Maintenant, j’ai quatrevingt-six ans; je vais mourir. Qu’est-ce que vous venez me demander? — Votre bénédiction, dit l’évêque. Et il s’agenouilla. Quand l’évêque releva la tête, la face du conventionnel était devenue auguste. Il venait d’expirer. L’évêque rentra chez lui profondément absorbé dans on ne sait quelles pensées. Il passa toute la nuit en prière. Le lendemain, quelques braves curieux essayèrent de lui parler du conventionnel G.; il se borna à montrer le ciel. À partir de ce moment, il redoubla de tendresse et de fraternité pour les petits et les souffrants. Toute allusion à «ce vieux scélérat de G.» le faisait tomber dans une préoccupation singulière. Personne ne pourrait dire que le passage de cet esprit devant le sien et le reflet de cette grande conscience sur la sienne ne fût pas pour quelque chose dans son approche de la perfection. 13. G. explains that he had saved an Urbanist group of nuns in Flanders, even though he had sometimes fought against the established Church.

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J’aime l’araignée et j’aime l’ortie, . . . , Les Contemplations III, xxvii (1856) [In Hugo’s worldview, spiders and stinging nettle—like everything else—are imbued with souls and receive God’s love. In proclaiming his relationship to the dangerous, almost evil spider and the nettle, and in attributing to them a desire for love, the poet draws parallels between them and the most down­trodden of people. Like the human outcasts in his novels and plays, Hugo sees these despised beings as part of God’s creation, connected with humanity through love, “l’humble aumône et la vaste largesse” (Être aimé  ).14 ] J’aime l’araignée et j’aime l’ortie, Parce qu’on les hait; Et que rien n’exauce et que tout châtie Leur morne souhait; Parce qu’elles sont maudites, chétives, Noirs êtres rampants; Parce qu’elles sont les tristes captives De leur guet-apens; Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre; Ô sort! fatals nœuds! Parce que l’ortie est une couleuvre, L’araignée un gueux; Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes, Parce qu’on les fuit, Parce qu’elles sont toutes deux victimes De la sombre nuit. Passants, faites grâce à la plante obscure, Au pauvre animal. Plaignez la laideur, plaignez la piqûre, Oh! plaignez le mal!

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Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie; Tout veut un baiser. 14. For an analysis of the relationship between the lack of love and misfortune, or unhappiness, see Albouy, ed., Les Contemplations, 446–47, n. 2; 472, n. 2 for p. 174.

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Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie De les écraser, Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe, Tout bas, loin du jour, La vilaine bête et la mauvaise herbe Murmurent: Amour!

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Juillet 1842. [12 juillet 1855.]

“Gauvain pensif,” Quatrevingt-treize III, 6, ii (1874) [Hugo finished this novel of Revolutionary France in the context of the FrancoPrussian War, the siege of Paris, and the revolutionary Paris Commune revolt of 1871. As in L’Année terrible of the same period, he voices concerns about humanity in the midst of civil war. In the events just preceding this scene, brilliant young Revolutionary leader Gauvain has led his forces in a resounding rout of monarchist troops. Their leader, the implacable, ferociously combative Marquis de Lantenac, has been captured and awaits military trial and inevitable death by guillotine. But Gauvain finds that he cannot ignore that Lantenac had known that he would be captured—or die in the inferno that he himself had ordered— when he chose to save from the fire the three young children whom he had formerly held hostage. As he confronts his own conscience, Gauvain wonders whether Lantenac has now shown such humanity that his life should be spared, despite his having ravaged villages and massacred civilians. In this selection, the narrator muses about the victory of humanity over inhumanity.] Gauvain venait d’assister à un prodige. En même temps que le combat terrestre, il y avait eu un combat céleste. Le combat du bien contre le mal. Un cœur effrayant venait d’être vaincu. Étant donné l’homme avec tout ce qui est mauvais en lui, la violence, l’erreur, l’aveuglement, l’opiniâtreté malsaine, l’orgueil, l’égoïsme, Gauvain venait de voir un miracle. La victoire de l’humanité sur l’homme. L’humanité avait vaincu l’in­humain. Et par quel moyen? de quelle façon? comment avait-elle terrassé un

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colosse de colère et de haine? quelles armes avait-elle employées? quelle machine de guerre? le berceau. Un éblouissement venait de passer sur Gauvain. En pleine guerre sociale, en pleine conflagration de toutes les inimitiés et de toutes les vengeances, au moment le plus obscur et le plus furieux du tumulte, à l’heure où le crime donnait toute sa flamme et la haine toutes ses ténèbres, à cet instant des luttes où tout devient projectile, où la mêlée est si funèbre qu’on ne sait plus où est le juste, où est l’honnête, où est le vrai; brusquement, l’Inconnu, l’avertisseur mystérieux des âmes, venait de faire resplendir, audessus des clartés et des noirceurs humaines, la grande lueur éternelle. Au-dessus du sombre duel entre le faux et le relatif, dans les profondeurs, la face de la vérité avait tout à coup apparu. Subitement la force des faibles était intervenue. On avait vu trois pauvres êtres, à peine nés, inconscients, abandonnés, orphelins, seuls, bégayants, souriants, ayant contre eux la guerre civile, le talion, l’affreuse logique des représailles, le meurtre, le carnage, le fratricide, la rage, la rancune, toutes les gorgones, triompher; on avait vu l’avortement et la défaite d’un infâme incendie, chargé de commettre un crime; on avait vu les préméditations atroces déconcertées et déjouées; on avait vu l’antique férocité féodale, le vieux dédain inexorable, la prétendue expérience des nécessités de la guerre, la raison d’État, tous les arrogants partis pris de la vieillesse farouche, s’évanouir devant le bleu regard de ceux qui n’ont pas vécu; et c’est tout simple, car celui qui n’a pas vécu encore n’a pas fait le mal, il est la justice, il est la vérité, il est la blancheur, et les immenses anges du ciel sont dans les petits enfants. Spectacle utile; conseil; leçon; les combattants frénétiques de la guerre sans merci avaient soudainement vu, en face de tous les forfaits, de tous les attentats, de tous les fanatismes, de l’assassinat, de la vengeance attisant les bûchers, de la mort arrivant une torche à la main, au-dessus de l’énorme légion des crimes, se dresser cette toute-puissance, l’innocence. Et l’innocence avait vaincu. Et l’on pouvait dire: Non, la guerre civile n’existe pas, la barbarie n’existe pas, la haine n’existe pas, le crime n’existe pas, les ténèbres n’existent pas; pour dissiper ces spectres, il suffit de cette aurore, l’enfance. Jamais, dans aucun combat, Satan n’avait été plus visible, ni Dieu.

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Jeanne était au pain sec . . . , L’Art d’être grand-père VI, vi (1877) [In this story of his granddaughter Jeanne’s banishment to a corner with only dry bread to eat, Hugo invokes children’s inherent innocence to bring a new perspective to his argument that humanity deserves mercy. With his fight for amnesty for the communards still under way, Hugo here uses such words as forfaiture, proscrite, and lois to propose pardon for Jeanne’s “crimes.” He thus turns a brief tale of an indulgent grandfather into a call for clemency for insurgents, freedom fighters, revolutionaries. And by amusingly acknowledging that such “indulgences” as forgiveness can lead people to their doom, he provokes a reconsideration of governments’ sometimes extreme responses to opposition.] Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir, J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture, Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, Repose le salut de la société, S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce: — Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce; Je ne me ferai plus griffer par le minet. Mais on s’est récrié: — Cette enfant vous connaît; Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche. Elle vous voit toujours rire quand on se fâche. Pas de gouvernement possible. À chaque instant L’ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend; Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête. Vous démolissez tout. — Et j’ai baissé la tête, Et j’ai dit: — Je n’ai rien à répondre à cela, J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte. Qu’on me mette au pain sec. — Vous le méritez, certe, On vous y mettra. — Jeanne alors, dans son coin noir, M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir, Pleins de l’autorité des douces créatures: — Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures. [21 octobre 1876.]

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Progrès, L’Art d’être grand-père XVIII, iii (1877) [Written when Hugo was sixty-eight, “Progrès” offers one of his most mature conceptions of progress, likely all the more definitive since he placed it in the section written explicitly for his grandchildren: “Que les petits liront quand ils seront grands.” Exhorting people toward progress, symbolized by light in its many forms, Hugo describes the divine beam that links the human soul to God. The mythological references to Phoebus Apollo and his triumphs encourage humankind’s movement toward enlightenment; phoebus means “brilliant” or “shining,” and Apollo’s name conjures up the idea of light. A son of the Greek god Zeus, Apollo, when only four days old, slew the serpent that Zeus’s wife had sent to torment his mother, Latona. He also killed the dragon, or hydra, at the shrine of Delphi, which he took over as his oracular shrine. Although not always beneficent in mythological stories, Apollo was generally seen to be a direct link between humans and the gods.] En avant, grande marche humaine! Peuple, change de région. Ô larve, deviens phénomène; Ô troupeau, deviens légion. Cours, aigle, où tu vois l’aube éclore. L’acceptation de l’aurore N’est interdite qu’aux hiboux. Dans le soleil Dieu se devine; Le rayon a l’âme divine Et l’âme humaine à ses deux bouts. Il vient de l’une et vole à l’autre; Il est pensée, étant clarté; En haut archange, en bas apôtre, En haut flamme, en bas liberté. Il crée Horace ainsi que Dante,15 Dore la rose au vent pendante, Et le chaos où nous voguons; De la même émeraude il touche

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15. Horace was Quintus Horatius Flaccus, (65–8 B.C.), the leading Roman lyric poet during the time of Augustus. Dante Alighieri (1265–1321), Italian poet from Florence, wrote the Divine Comedy.

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L’humble plume de l’oiseau-mouche Et l’âpre écaille des dragons. Prenez les routes lumineuses, Prenez les chemins étoilés. Esprits semeurs, âmes glaneuses, Allez, allez, allez, allez! Esclaves d’hier, tristes hommes, Hors des bagnes, hors des sodomes, Marchez, soyez vaillants, montez; Ayez pour triomphe la gloire Où vous entrez, ô foule noire, Et l’opprobre dont vous sortez! Homme, franchis les mers. Secoue Dans l’écume tout le passé; Allume en étoupe à ta proue Le chanvre du gibet brisé. Gravis les montagnes. Écrase Tous les vieux monstres dans la vase; Ressemble aux anciens Apollons; Quand l’épée est juste, elle est pure; Va donc! car l’homme a pour parure Le sang de l’hydre à ses talons.

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Discours d’ouverture, Congrès international de la paix à Paris — 21 août 1849, Actes et paroles I, Avant l’exil (1875) [Speaking to hundreds of delegates and visitors from Belgium, Canada, ­England, France, Germany, Italy, and the United States at the second international peace congress, Hugo developed his idea of the “United States of Europe,” a condition of universal harmony founded on fraternity. The conference was organized by the Society of the Friends of Peace, a group founded in 1847 by the British manufacturer and liberal statesman Richard Cobden (1804–65) to bring people together to establish everlasting peace. In this era, peace activists were frequently ridiculed as unrealistic utopians, a label that Hugo confronts directly; he emphasizes the technological advancements that had great potential to bring people together and presents in real terms the economic cost of wars. Still, as forward-looking as he is in his vision of the European Union (which would

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establish in 1999 the euro as common currency), Hugo’s perspective remains firmly mired in the nineteenth century when it comes to colonialism, which he considers an antidote to barbarism (although he always opposes slavery, as explained in chapter 11). This speech is but one example of the many in which Hugo uses his rhetorical skills and visionary power to show the potential of progress on all fronts and to describe the future as he wished it to be.16 ] M. Victor Hugo est élu président. M. Cobden est élu vice-président. M. Victor Hugo se lève et dit:

Messieurs, beaucoup d’entre vous viennent des points du globe les plus éloignés, le cœur plein d’une pensée religieuse et sainte; vous comptez dans vos rangs des publicistes, des philosophes, des ministres des cultes chrétiens, des écrivains éminents, plusieurs de ces hommes considérables, de ces hommes publics et populaires qui sont les lumières de leur nation. Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas seulement le bien d’un peuple, mais qui veulent le bien de tous les peuples. (Applaudissements.) Vous venez ajouter aux principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’état, les gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Évangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez proclamer la fraternité des hommes. Soyez les bienvenus! (Long mouvement.) En présence d’une telle pensée et d’un tel acte, il ne peut y avoir place pour un remercîment personnel. Permettez-moi donc, dans les premières paroles que je prononce devant vous, d’élever mes regards plus haut que moi-même, et d’oublier, en quelque sorte, le grand honneur que vous venez de me conférer, pour ne songer qu’à la grande chose que vous voulez faire.

16. Marc Nadaux, “Discours sur la paix, prononcé par Victor Hugo au Congrès de la Paix, le 21 août 1849” (Anovi, 2002). Available at http://www.19e.org/documents/ seconderepublique/hugopaixdiscours.htm. See also the Report of the Proceedings of the Second General Peace Congress, Held in Paris (London: Charles Gilpin, 1849), which is available at Google Book Search: http://books.google.com/books?hl=en&id=RdIBAAAAYAAJ&dq =peace-congress+1849+paris&printsec=frontcover&source=web&ots=SKO25Qgrpy&sig =asSk0Z5NRJdAbx9AZtUWggsq4N8#PPP7,M1.

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Messieurs, cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Évangile pour loi suprême, la médiation substituée à la guerre, cette pensée religieuse est-elle une pensée pratique? cette idée sainte est-elle une idée réalisable? Beaucoup d’esprits positifs, comme on parle aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques vieillis, comme on dit, dans le maniement des affaires, répondent: Non. Moi, je réponds avec vous, je réponds sans hésiter, je réponds: Oui! (Applaudissements) et je vais essayer de le prouver tout à l’heure. Je vais plus loin; je ne dis pas seulement: C’est un but réalisable, je dis: C’est un but inévitable; on peut en retarder ou en hâter l’avènement, voilà tout. La loi du monde n’est pas et ne peut pas être distincte de la loi de Dieu. Or, la loi de Dieu, ce n’est pas la guerre, c’est la paix. (Applaudissements.) Les hommes ont commencé par la lutte, comme la création par le chaos. (Bravo! bravo! ) D’où viennent-ils? De la guerre; cela est évident. Mais où vont-ils? À la paix; cela n’est pas moins évident. Quand vous affirmez ces hautes vérités, il est tout simple que votre affirmation rencontre la négation; il est tout simple que votre foi rencontre l’incrédulité; il est tout simple que, dans cette heure de nos troubles et de nos déchirements, l’idée de la paix universelle surprenne et choque presque comme l’apparition de l’impossible et de l’idéal; il est tout simple que l’on crie à l’utopie; et, quant à moi, humble et obscur ouvrier dans cette grande œuvre du dix-neuvième siècle, j’accepte cette résistance des esprits sans qu’elle m’étonne ni me décourage. Est-il possible que vous ne fassiez pas détourner les têtes et fermer les yeux dans une sorte d’éblouissement, quand, au milieu des ténèbres qui pèsent encore sur nous, vous ouvrez brusquement la porte rayonnante de l’avenir? (Applaudissements.) Messieurs, si quelqu’un, il y a quatre siècles, à l’époque où la guerre existait de commune à commune, de ville à ville, de province à province, si quelqu’un eût dit à la Lorraine, à la Picardie, à la Normandie, à la Bretagne, à l’Auvergne, à la Provence, au Dauphiné, à la Bourgogne: Un jour viendra où vous ne vous ferez plus la guerre, un jour viendra où vous ne lèverez plus d’hommes d’armes les uns contre les autres, un jour viendra où l’on ne dira plus: Les Normands ont attaqué les Picards, les Lorrains ont repoussé les Bourguignons. Vous aurez bien encore des différends à régler, des intérêts à débattre, des contestations à résoudre, mais savezvous ce que vous mettrez à la place des hommes d’armes? savez-vous ce que vous mettrez à la place des gens de pied et de cheval, des canons, des

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fauconneaux, des lances, des piques, des épées? Vous mettrez une petite boîte de sapin que vous appellerez l’urne du scrutin, et de cette boîte il sortira, quoi? une assemblée! une assemblée en laquelle vous vous sentirez tous vivre, une assemblée qui sera comme votre âme à tous, un concile souverain et populaire qui décidera, qui jugera, qui résoudra tout en loi, qui fera tomber le glaive de toutes les mains et surgir la justice dans tous les cœurs, qui dira à chacun: Là finit ton droit, ici commence ton devoir. Bas les armes! vivez en paix! (Applaudissements.) Et ce jour-là, vous vous sentirez une pensée commune, des intérêts communs, une destinée commune; vous vous embrasserez, vous vous reconnaîtrez fils du même sang et de la même race; ce jour-là, vous ne serez plus des peuplades ennemies, vous serez un peuple; vous ne serez plus la Bourgogne, la Normandie, la Bretagne, la Provence, vous serez la France. Vous ne vous appellerez plus la guerre, vous vous appellerez la civilisation! Si quelqu’un eût dit cela à cette époque, messieurs, tous les hommes positifs, tous les gens sérieux, tous les grands politiques d’alors se fussent écriés: «Oh! le songeur! Oh! le rêve-creux! Comme cet homme connaît peu l’humanité! Que voilà une étrange folie et une absurde chimère!» — Messieurs, le temps a marché, et cette chimère, c’est la réalité. (Mouvement.) Et, j’insiste sur ceci, l’homme qui eût fait cette prophétie sublime eût été déclaré fou par les sages, pour avoir entrevu les desseins de Dieu! (Nouveau mouvement.) Eh bien! vous dites aujourd’hui, et je suis de ceux qui disent avec vous, tous, nous qui sommes ici, nous disons à la France, à l’Angleterre, à la Prusse, à l’Autriche, à l’Espagne, à l’Italie, à la Russie, nous leur disons: Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. — Un jour viendra où les boulets et

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les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France! (Applaudissements.) Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être! (Rires et bravos.) Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe (Applaudissements), placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu! (Longs applaudissements.) Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle. Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour? Nous aimer. (Immenses applaudissements.) Nous aimer! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu! Car Dieu le veut, ce but sublime! Et voyez, pour y atteindre, ce qu’il fait de toutes parts! Voyez que de découvertes il fait sortir du génie humain, qui toutes vont à ce but, la paix! Que de progrès, que de simplifications! Comme la nature se laisse de plus en plus dompter par l’homme! comme la matière devient de plus en plus l’esclave de l’intelligence et la servante de la civilisation! comme les causes de guerre s’évanouissent avec les ­causes de souffrance! comme les peuples lointains se touchent! comme les distances se rapprochent! et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité! Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au moyen âge! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et

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le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. (Applaudissements.) Ici, messieurs, quand j’approfondis ce vaste ensemble, ce vaste concours d’efforts et d’événements, tous marqués du doigt de Dieu; quand je songe à ce but magnifique, le bien-être des hommes, la paix; quand je considère ce que la Providence fait pour et ce que la politique fait contre, une réflexion douloureuse s’offre à mon esprit. Il résulte des statistiques et des budgets comparés que les nations européennes dépensent tous les ans, pour l’entretien de leurs armées, une somme qui n’est pas moindre de deux milliards, et qui, si l’on y ajoute l’entretien du matériel des établissements de guerre, s’élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d’hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l’élite des populations, produit que vous ne pouvez pas évaluer à moins d’un milliard, et vous arrivez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l’Europe quatre milliards. Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre! (Sensation.) Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés; supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être Français, ou Anglais, ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille; et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si folle­ ment et si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie! ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnezles à la paix! (Applaudissements.) Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. Si, depuis trente-deux ans, cette gigan­tesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l’Amérique, de son côté, aidant l’Europe, savez-vous ce qui serait arrivé? La face du monde serait changée! les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n’y aurait plus nulle part ni landes, ni jachères, ni marais; on bâtirait des villes là où il n’y a encore que des solitudes; on creuserait des ports là où il n’y a encore que des écueils; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme; la richesse jaillirait de toutes parts de

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toutes les veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s’évanouirait! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère? Les révolutions. (Bravos prolongés.) Oui, la face du monde serait changée! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie! (Nouveaux applaudissements.) Voyez, messieurs, dans quel aveuglement la préoccupation de la guerre jette les nations et les gouvernants: si les cent vingt-huit milliards qui ont été donnés par l’Europe depuis trente-deux ans à la guerre qui n’existait pas, avaient été donnés à la paix qui existait, disons-le, et disons-le bien haut, on n’aurait rien vu en Europe de ce qu’on y voit en ce moment; le continent, au lieu d’être un champ de bataille, serait un atelier, et, au lieu de ce spectacle douloureux et terrible, le Piémont abattu, Rome, la ville éternelle, livrée aux oscillations misérables de la politique humaine, la Hongrie et Venise qui se débattent héroïquement, la France inquiète, appauvrie et sombre; la misère, le deuil, la guerre civile, l’obscurité sur l’avenir; au lieu de ce spectacle sinistre, nous aurions sous les yeux l’espérance, la joie, la bienveillance, l’effort de tous vers le bien-être commun, et nous verrions partout se dégager de la civilisation en travail le majestueux rayonnement de la concorde universelle. (Bravo! bravo! — Applaudissements.) Chose digne de méditation! ce sont nos précautions contre la guerre qui ont amené les révolutions! On a tout fait, on a tout dépensé contre le péril imaginaire! On a aggravé ainsi la misère, qui était le péril réel! On s’est fortifié contre un danger chimérique; on a tourné ses regards du côté où n’était pas le point noir; on a vu les guerres qui ne venaient pas, et l’on n’a pas vu les révolutions qui arrivaient. (Longs applaudissements.) Messieurs, ne désespérons pas pourtant. Au contraire, espérons plus que jamais! Ne nous laissons pas effrayer par des commotions momentanées, secousses nécessaires peut-être des grands enfantements. Ne soyons pas injustes pour les temps où nous vivons, ne voyons pas notre époque autrement qu’elle n’est. C’est une prodigieuse et admirable époque après tout, et le dix-neuvième siècle sera, disons-le hautement, la plus grande page de l’histoire. Comme je vous le rappelais tout à l’heure, tous les progrès s’y révèlent et s’y manifestent à la fois, les uns amenant les autres: chute des animosités internationales, effacement des frontières sur la carte et des préjugés dans les cœurs, tendance à l’unité, adoucissement des mœurs, élévation du niveau de l’enseignement et abaissement du niveau des pé-

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nalités, domination des langues les plus littéraires, c’est-à-dire les plus humaines; tout se meut en même temps, économie politique, science, industrie, philosophie, législation, et converge au même but, la création du bien-être et de la bienveillance, c’est-à-dire, et c’est là pour ma part le but auquel je tendrai toujours, extinction de la misère au dedans, extinction de la guerre au dehors. (Applaudissements.) Oui, je le dis en terminant, l’ère des révolutions se ferme, l’ère des améliorations commence. Le perfectionnement des peuples quitte la forme violente pour prendre la forme paisible; le temps est venu où la Providence va substituer à l’action désordonnée des agitateurs l’action religieuse et calme des pacificateurs. (Oui! oui! ) Désormais, le but de la politique grande, de la politique vraie, le voici: faire reconnaître toutes les nationalités, restaurer l’unité historique des peuples et rallier cette unité à la civilisation par la paix, élargir sans cesse le groupe civilisé, donner le bon exemple aux peuples encore barbares, substituer les arbitrages aux batailles; enfin, et ceci résume tout, faire prononcer par la justice le dernier mot que l’ancien monde faisait prononcer par la force. (Profonde sensation.) Messieurs, je le dis en terminant, et que cette pensée nous encourage, ce n’est pas d’aujourd’hui que le genre humain est en marche dans cette voie providentielle. Dans notre vieille Europe, l’Angleterre a fait le premier pas, et par son exemple séculaire elle a dit aux peuples: Vous êtes libres. La France a fait le second pas, et elle a dit aux peuples: Vous êtes souverains. Maintenant faisons le troisième pas, et tous ensemble, France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie, Europe, Amérique, disons aux peuples: Vous êtes frères! (Immense acclamation. — L’orateur se rassied au milieu des applaudissements.)

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Salle des séances du Conseil municipal de Thionville, après l’entrée des Prussiens en 1871 [Hugo wrote the following explanation on a page from the same album he used to create this brown, violet, and black watercolor: Ceci est la salle des séances du Conseil municipal de Thionville dans l’état où le bombardement prussien l’a mise. Toute la maison de ville est détruite. Les archives ont été brûlées. Dans cette salle, qui était la grande salle de la ville, il y avait le portrait de mon père. Il a disparu dans l’incendie avec la liberté et la nationalité de Thionville. Le maire m’a raconté cela les larmes aux yeux. Je lui ai dit: Je suis charmé de cette fin pour le portrait de mon père. Mon père ne devait pas être prisonnier de la Prusse, même en effigie [italics Hugo’s]. Mon père a laissé une grande mémoire à Thionville. Les femmes mêmes savent qu’il a défendu et sauvé leur ville en 1814 et en 1815. J’ai dessiné cette salle le 30 août 1871, à quatre heures après midi. Tout à côté est le jardin public. J’y voyais un soldat prussien en sentinelle, et pendant que je dessinais j’entendais des enfants chanter la Marseillaise. Situated on the Moselle river in northeastern France, Thionville was annexed to Germany and renamed Diedenhofen after the Franco-Prussian War in 1871 and again during World War II. Hugo’s father had indeed defended the city against the Prussians, and Hugo’s pride in his father’s military successes and the French children’s singing of their national anthem mixes with his sad recognition of the devastation wrought by war.17 ]

17. Prévost, Océan, 333.

To view this image, please refer to the print version of this book.

Figure 25. Salle des séances du Conseil municipal de Thionville, après l’entrée des Prussiens en 1871, © PMVP / Briant Remi.

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Depuis six mille ans la guerre . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 3, i (1865) [Hugo wrote this poem a week after the grueling, bloody battle of Solferino in which the French and their allies had won a costly victory: among the 200,000 men who fought, nearly 3,500 were killed, over 23,000 wounded, and over 11,500 missing or captured; there were reports of injured and dying soldiers on both sides being shot or bayoneted. Within the generally bucolic Chansons des rues et des bois, Hugo chose “Depuis six mille ans la guerre . . .” to begin the section entitled “Liberté, égalité, fraternité.” When the volume was published in 1865, the motto of the Revolution and the Republic might have seemed a disappearing dream in the face of an increasing number of armed conflicts: France’s military occupation of Mexico and repression of Algeria, the DanishPrussian War, and the American Civil War, among others. Anguished by the horrors of war, Hugo often argued forcibly against the glorification of war for profit, portraying it as an awful destruction of humanity and property, waged by rulers to extend their power and domain, but fought by common people who were its victims.] Depuis six mille ans la guerre Plaît aux peuples querelleurs, Et Dieu perd son temps à faire Les étoiles et les fleurs. Les conseils du ciel immense, Du lys pur, du nid doré, N’ôtent aucune démence Du cœur de l’homme effaré. Les carnages, les victoires, Voilà notre grand amour; Et les multitudes noires Ont pour grelot le tambour. La gloire, sous ses chimères Et sous ses chars triomphants, Met toutes les pauvres mères Et tous les petits enfants. Notre bonheur est farouche; C’est de dire: Allons! mourons!

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Et c’est d’avoir à la bouche La salive des clairons.

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L’acier luit, les bivouacs fument; Pâles, nous nous déchaînons; Les sombres âmes s’allument Aux lumières des canons. Et cela pour des altesses Qui, vous à peine enterrés, Se feront des politesses Pendant que vous pourrirez, Et que, dans le champ funeste, Les chacals et les oiseaux, Hideux, iront voir s’il reste De la chair après vos os! Aucun peuple ne tolère Qu’un autre vive à côté; Et l’on souffle la colère Dans notre imbécillité. C’est un Russe! Égorge, assomme. Un Croate! Feu roulant. C’est juste. Pourquoi cet homme Avait-il un habit blanc?

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Celui-ci, je le supprime Et m’en vais, le cœur serein, Puisqu’il a commis le crime De naître à droite du Rhin. Rosbach! Waterloo!18 Vengeance! L’homme, ivre d’un affreux bruit, N’a plus d’autre intelligence Que le massacre et la nuit.

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18. In these two battles the French army was famously defeated. Rosbach occurred in 1757 during the Seven Years’ War; Waterloo in 1815 signaled the end of the French Empire.

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On pourrait boire aux fontaines, Prier dans l’ombre à genoux, Aimer, songer sous les chênes; Tuer son frère est plus doux. On se hache, on se harponne, On court par monts et par vaux; L’épouvante se cramponne Du poing aux crins des chevaux. Et l’aube est là sur la plaine! Oh! j’admire, en vérité, Qu’on puisse avoir de la haine Quand l’alouette a chanté.

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[2 juillet 1859.]

Mon enfant, la guerre est une chose . . . , La Légende des siècles, Première série, Reliquat (ca. 1858) [Hugo sarcastically juxtaposes war tragedies with the beauty of spring in this undated, apparently unfinished poem, which he drafted as part of his first collection of epic poems (CFL X, 904).]     …Mon enfant, la guerre est une chose Superbe qui revient de temps en temps ainsi; C’est ton tour maintenant de t’en aller d’ici, La guerre recommence. Ah! C’est bien beau, la guerre! Jean, tu ne seras plus un paysan vulgaire. On dira: “C’est un brave. Il est là-bas vainqueur.” Ta fiancée aura quelque autre amant au cœur; Le maire et le curé te suivront sur la carte. Ah! tu pleures! — Mon Dieu, pourquoi faut-il qu’on parte? Qu’à vingt ans, amoureux, on s’en aille en exil, Cherche des coups de sabre et des coups de fusil, Qu’on s’en aille inquiet, jaloux, triste, et qu’on laisse Sa promise aux galants, sa mère à la vieillesse? Vois-tu, c’est une idée aux rois comme cela. Cet hiver sur l’un d’eux ce caprice souffla Qu’il devenait urgent, à l’époque où nous sommes,

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De faire exterminer au printemps beaucoup d’hommes; Que le doux mois de mai c’était le bon moment, Que les hommes étaient créés évidemment Pour s’égorger parmi les fleurs à peine écloses, Qu’il fallait ajouter un peu de sang aux roses; Donc qu’on ferait la nuit pour rendre grâce au jour, Et qu’à l’instant où Dieu ramènerait l’amour, L’homme ramènerait la mort à sa rencontre. Il faut bien que le roi de ce bon pays montre Qu’il peut faire tuer, quand c’est sa volonté, Autant d’hommes au moins que le roi d’à côté. Pardieu, tu dois trouver toi-même cela juste. Pars.

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A p p e ndi x A   •   Fur t h er Re ading

Here, alphabetized within the chapter topic to which they relate, are those works mentioned or quoted in this reader but not included. Poems or excerpts especially relevant to more than one chapter topic are included in the list for each chapter. In t roduc t ion to V ic tor H u g o a nd H is Wor k s • Cæruleum Mare, Les Rayons et les ombres XL • Fonction du poète, Les Rayons et les ombres I • Le Satyre, La Légende des siècles, Première série VIII • Le Sept Août mil huit cent vingt-neuf, Les Rayons et les ombres II • Le Titan, La Légende des siècles, Nouvelle série III, 3

Part I: Victor Hugo in Private Life • À Olympio, Les Voix intérieures XXX • Ce siècle avait deux ans . . . , Les Feuilles d’automne I • Date Lilia, Les Chants du crépuscule XXXIX • Dédain, Les Feuilles d’automne XI • Lise, Les Contemplations I, xi • Oh! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage . . . , Les Feuilles d’automne XXIII • Pepita, L’Art d’être grand-père IX • Réponse à un acte d’accusation, Les Contemplations I, ix C h a p t e r 1 : O n L ov e   a n d Pa s s i o n • Dieu • En Grèce!, La Légende des siècles, Dernière série XIII, iv • Garde à jamais dans ta mémoire . . . , Toute la lyre VI, xlix

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• Hernani • L’Homme qui rit II, 3, ix (“Abyssus absyssum vocat”) • Marion de Lorme • Les Misérables • Nourmahal la rousse, Les Orientales XXVII • Le Sacre de la femme, La Légende des siècles, Première série I, i • Sara la baigneuse, Les Orientales XIX • Un soir que je regardais le ciel, Les Contemplations II, xxviii chapter 2: On Children • À des oiseaux envolés, Les Voix intérieures XXII • Aux Feuillantines, Les Contemplations V, x • Ce qui se passait aux Feuillantines, Les Rayons et les ombres XIX • Dans l’alcôve sombre . . . , Les Feuilles d’automne XX • Fonction de l’enfant, La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, iii • Laissez. — Tous ces enfants sont bien là . . . , Les Feuilles d’automne  XV • Lucrèce Borgia • Petit Paul, La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, ii • La Prière pour tous, Les Feuilles d’automne XXXVII • Regardez, les enfants se sont assis en rond, Les Voix intérieures XX • Le Roi s’amuse • Le Syllabus, L’Art d’être grand-père XV, ii C h a p t er 3 : On De at h , G r i e f, a nd T r aged y • À celle qui est restée en France, Les Contemplations VI • À Mademoiselle Louise B., Les Contemplations V, v • Ce que dit la bouche d’ombre, Les Contemplations VI, xxvi • Claire P., Les Contemplations V, xiv • Claire, Les Contemplations VI, viii • Le Revenant, Les Contemplations III, xxiii • On vit, on parle, on a le ciel et les nuages . . . , Les Contemplations IV, xi C h a p t er 4 : On Nat ur e • À Granville, en 1836, Les Contemplations I, xiv  • Bièvre. À Mademoiselle Louise B., Les Feuilles d’automne XXXIV • Cæruleum Mare, Les Rayons et les ombres XL • Le Chant du vieux berger, Toute la lyre VII, 23, xvi • Ce qui se passait aux Feuillantines, Les Rayons et les ombres XIX • Dans le jardin, L’Art d’être grand-père X, iii • Notre ancienne dispute, Les Chansons des rues et des bois II, 4, iv, 4 • Oceano nox, Les Rayons et les ombres, XLII

further reading 

469

• Le Poète bat aux champs, Les Chansons des rues et des bois, I, 1, iv • Printemps, L’Art d’être grand-père I, x • Soleils couchants, Les Feuilles d’automne XXXV • Suite, Les Contemplations I, viii • La Vache, Les Voix intérieures XV • Vere novo, Les Contemplations I, xii C h a p t er 5 : On t h e M y s t er ious , t h e E xot ic , a nd t h e G rot e s q ue • À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt, Les Contemplations IV, xii • Le Cauchemar, Odes et ballades, V, vii • Un Dessin d’Albert Dürer, Toute la lyre II, xli • L’Homme qui rit I, 1, v (“L’Arbre de l’invention humaine”) • Le Pot Cassé, L’Art d’être grand-père VI, viii • Melancholia, Les Contemplations III, ii • Promontorium somnii • Rêverie, Les Orientales XXXVI • Rêves, Odes et ballades V, xxv • Sara la baigneuse, Les Orientales XIX • Les Têtes du sérail, Les Orientales III C h a p t er 6 : On G od a nd R e l i g ion • L’Âme à la poursuite du vrai, L’Art d’être grand-père XVIII, v • Cæruleum Mare, Les Rayons et les ombres XL • Les Contemplations, especially VI (“Au bord de l’infini”) and the following poems, listed in the order in which they appear in the collection: • Je lisais. Que lisais-je? Ô, le vieux livre austère . . . , Les Contemplations III, viii • Magnitudo parvi, Les Contemplations III, xxx • À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt, Les Contemplations IV, xii • Le Pont, Les Contemplations V, i • Écrit en 1846, Les Contemplations V, iii • Aux Feuillantines, Les Contemplations V, x • Pleurs dans la nuit, Les Contemplations VI, vi • Ce que dit la bouche d’ombre, Les Contemplations VI, xxvi • Dieu • Dieu est toujours là, Les Voix intérieures V • Explication, Les Contemplations III, xii • La Fin de Satan • Pan, Les Feuilles d’automne XXXVIII • Pensar, dudar, Les Voix intérieures XVIII • Philosophie, commencement d’un livre (often referred to as “Préface philosophique”)

470 

further reading

• Préface de mes œuvres et Post-scriptum de ma vie  • Promontorium somnii • Que nous avons de doute en nous, Les Chants du crépuscule XXXVIII • Religion et religions • Saturne, Les Contemplations III, iii • Le Satyre, La Légende des siècles, Première série VIII C h a p t e r 7 : O n R i g h t s , L aw, a n d C o n s c i e n c e — W h e r e P r i va t e a n d P u b l i c I n t e r s e c t • Exil, Les Quatre Vents de l’esprit, III, Livre lyrique, XXXVII • Les Misérables V, 4 (“Javert déraillé”) • Sultan Mourad, La Légende des siècles, Première série, VI, iii

Part II: Victor Hugo in Public Life Chapter 8: On the Role of the Poet • Fonction du poète, Les Rayons et les ombres I • Les Mages, Les Contemplations VI, xxiii • Magnitudo parvi, Les Contemplations III, xxx • Mazeppa, Les Orientales XXXIV • Réponse à un acte d’accusation, Les Contemplations I, ix • Le Sacre de Charles X, Odes III (1824–28), iv • Suite, Les Contemplations I, viii • William Shakespeare C h a p t er 9 : On L i b er t y a nd De m o c r ac y • L’Homme qui rit II, 8, vii (“Les Tempêtes d’hommes pires que les tempêtes d’océans”) • LUX, Châtiments • Préface de Cromwell, “La Théorie du drame” • Quatrevingt-treize Chapter 10: On Tyr anny and Exile • Oh! je sais qu’ils feront des mensonges sans nombre, . . . , Châtiments I, xi • PROLOGUE. LES 7 500 000 OUI, L’Année terrible • “Révision de la Constitution — 17 juillet 1851,” Actes et paroles I, Avant l’exil, 1841–1851 C h a p t er 1 1 : On So c i a l J us t ice On Social Justice, in general: • Amis, un dernier mot! . . . , Les Feuilles d’automne XL • Les Fusillés, L’Année terrible, Juin XII

further reading 

471

• Ruy Blas III, ii • Sur le bal de l’Hôtel-de-Ville, Les Chants du crépuscule VI On Women’s Rights: • Aux femmes, Châtiments VI, viii • Les Martyres, Châtiments VI, ii • Melancholia, Les Contemplations III, ii • Pauline Roland, Châtiments V, xi On the Abolition of the Death Penalty: • “Affaire Tapner. À Lord Palmerston” (1854), Actes et paroles II, Pendant l’exil, 1852–1870 • Claude Gueux • L’Homme qui rit I, 1, v–vi (“L’Arbre de l’invention humaine” and “Bataille entre la mort et la nuit”) • Les Misérables I, 1, iv (“Les Œuvres semblables aux paroles”) • “La Peine de mort — 15 septembre 1848,” Actes et paroles II, Pendant l’exil, 1852–1870 • “Pour Charles Hugo. La peine de mort — 11 juin 1851,” Actes et paroles I, Avant l’exil, 1841–1851 • La Révolution, III (“L’arrivée”), Les Quatre Vents des l’esprit IV C h a p t e r 1 2 : O n P ov e r t y, C r i m e , a n d E d u c a t i o n • “Congrès libre et laïque de l’éducation — 16 octobre 1879,” Actes et paroles IV, Depuis l’exil, 1876–1885 • Écrit après la visite d’un bagne, Les Quatre Vents de l’esprit I, xxiv • Melancholia, Les Contemplations III, ii • Les Misérables IV, 3, viii (“La Cadène”) c h a p t e r 1 3 : O n H u m a n i t y, P r o g r e s s , a n d P e a c e • “Aux Français,” Actes et paroles III, Depuis l’exil, 1870–1876, Première partie, Paris III • Le centenaire de Voltaire — 30 mai, Actes et paroles IV, Depuis l’exil, 1876–1885 • Le Crapaud, La Légende des siècles, Première série, XIII, ii • Être aimé, Le Théâtre en liberté, 15 mars 1874 • Fraternité, L’Art d’être grand-père XVIII, iv • La Fin de Satan • Loi de formation du progrès, L’Année terrible, Février V • LUX, Châtiments • N’importe, ayons foi. Tout s’agite . . . , L’Année terrible, Mars I • Paris

A p p e ndi x B   •   Tim e L i ne o f H u g o ’ s L i f e , Wo r k s , a n d F r e n c h H i s t o ry

Abbreviations: Under “Hugo’s Publications,” N = novel; P = poetry; S = speeches and political statements; T = theater; E = essay. Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

1802: February 26, Victor Hugo is born in Besançon. Brothers Abel and Eugène were born in 1798 and 1800, respectively.

Some Important Historical Events

Napoleon Bonaparte’s position as First Consul is made a lifetime appointment.

1803: Adèle Foucher, Victor’s future wife, is born. 1804: Charles-Augustin SainteBeuve, future literary critic and friend of the Hugos, is born.

Declared emperor, Napoleon introduces the Civil Code, known as the Code Napoléon.

1806: Juliette Drouet (baptized Julienne Gauvain), Victor’s future lover, is born. 1809: Victor’s father, Léopold Hugo, becomes a Napoleonic general in Spain. Victor, his mother, and brothers return from Italy to live at Les Feuillantines in Paris. 1804–12: Victor’s parents live mostly apart. He spends time with his family in Italy (1808) and Spain (1811).

Napoleon conquers Italy, Spain, Prussia, Austria, and other European countries.

472

t i m e l i n e o f h u g o ’ s l i f e a n d f r e n c h h i s t o r y   473 Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

1812: Victor returns to Paris with his mother and brother Eugène.

Some Important Historical Events

Napoleon’s Russian campaign ends in a bloody French retreat. 1814: Napoleon abdicates after the European allies enter Paris. Louis XVIII returns to the throne, and the Restoration period begins.

1815: Victor writes his first poems.

Napoleon returns from exile on Elba and seizes power (the Hundred Days) until his army is defeated at Waterloo. Abdi­cating again, he is exiled to the island of St. Helena. Louis XVIII returns to power in the Second Restoration.

1817: Victor wins an Académie Française honorable mention for one of his poems. 1818: Victor’s parents legally separate, and he and Eugène study law in Paris.

Odes (P)

1819: Victor wins the “Lys d’or” prize in the Jeux floraux de Toulouse poetry competition. He, Abel, and Eugène found the critical literary journal Le Conservateur littéraire. 1820: Victor courts Adèle Foucher. He decides to embark on a literary career.

Bug-Jargal (a novella, the first version)

1821: Hugo’s mother, Sophie Trébuchet Hugo, dies.

Napoleon dies on St. Helena. The Greek war for independence from the Turks begins.

1822: Victor marries Adèle Foucher. That evening, Eugène experiences a fit of madness.

Odes et poésies diverses (P)

1823: Victor becomes closer to his father. His son, Léopold, dies at age three months. Eugène is permanently institutionalized for insanity.

Han d’Islande (N)

The Restoration government enacts repressive laws against the press.

474 

t im e l i ne of h u g o’ s l if e a nd f r e nc h h is tory

Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

Some Important Historical Events

1824: Léopoldine Hugo is born.

Nouvelles Odes (P)

Louis XVIII dies. Charles X ascends to the throne.

1825: With Adèle, Hugo travels through the regions of France. He is invited as the official poet to Charles X’s coronation in Reims. 1826: Charles Hugo is born.

Bug-Jargal (N; expanded); Odes et ballades (P)

1827: Hugo becomes friends with Charles-Augustin SainteBeuve.

Cromwell (T)

1828: General Hugo dies. François-Victor Hugo is born.

Amy Robsart (T)

1829: Hugo refuses a new pension from the king after Marion Delorme is received at the Théâtre Français and then barred from the stage by the king’s censors.

Les Orientales (P); Le Dernier Jour d’un condamné (N); Marion Delorme (T)

1830: Charles-Augustin SainteBeuve and Adèle Foucher Hugo become intimately involved. Adèle Hugo is born.

Hernani (T) causes a scandal because of its literary audacity, sparks a debate over art, and ushers in Romantic theater.

Revolution of the Three Glorious Days (July 27–29). LouisPhilippe Ier becomes king under a constitutional monarchy. Belgium becomes independent. France begins a conquest of Algeria.

1831: Notre-Dame de Paris (N); Les Feuilles d’automne (P)

Riots in Paris and Lyon. Insurrections in Italy. The Polish uprising is crushed by Russian troops.

1832: The Hugo family moves to the Place Royale (today known as the Place des Vosges). Hugo loses his court battle against royal censorship of Le Roi s’amuse.

Le Roi s’amuse (T) is suspended after the premiere.

Cholera epidemic. Insurrections take place across France, including a Republican riot during General Lamarque’s funeral (basis of the barricades scenes in Les Misérables).

1833: Hugo begins his love affair with Juliette Drouet.

Lucrèce Borgia (T); Marie Tudor (T)

The Guizot Law makes elementary education the state’s responsibility.

Greek hostilities come to an end.

t i m e l i n e o f h u g o ’ s l i f e a n d f r e n c h h i s t o r y   475 Hugo’s Life: Some Key Events

1837: Hugo is received by Louis-Philippe at Versailles and spends time with the Duc d’Orléans, heir to the throne. His brother Eugène dies.

Hugo’s Publications

Some Important Historical Events

1834: Claude Gueux (novella)

Republican riots in Paris and Lyon are severely repressed.

1835: Angelo, tyran de Padoue (T); Les Chants du crépuscule (P)

Assassination attempt on Louis-Philippe.

Les Voix intérieures (P)

1838: Ruy Blas (T) 1839: Hugo plays a role in obtaining the pardon of Republican insurrectionist Armand Barbès. Hugo travels in the Haut-Rhine, Switzerland, and Provence with Juliette. 1840: Hugo travels in the lower Rhine with Juliette.

Republican and socialist riot in Paris.

Les Rayons et les ombres (P)

Louis-Napoleon Bonaparte, the emperor Napoleon’s nephew, fails in his attempt to take over Boulogne. Napoleon’s ashes are returned to Paris and interred at Les Invalides.

1841: Hugo is elected to the Academie Française. 1842: Le Rhin (E) 1843: Léopoldine marries Charles Vacquerie. Both drown in the Seine on September 4, during Victor’s travels in Spain with Juliette.

Les Burgraves (T)

1845: Soon after being named a peer of France, Hugo is caught in an adulterous affair with Léonie d’Aunet Biard. She is imprisoned, but his peer status protects him. He begins drafting the future Misérables.

Le Rhin (E; new, expanded edition)

1846: Hugo gives numerous speeches in the Chamber of Peers.

Louis-Napoleon Bonaparte escapes from prison.

476  t i m e l i n e o f h u g o ’ s l i f e a n d f r e n c h h i s t o r y Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

Some Important Historical Events

1847: Economic crises and riots over hunger. Various scandals threaten the government. 1848: Elected to the Constitutional Assembly, Hugo sits on the right but argues and votes for liberal policies. He supports Louis-Napoleon Bonaparte over the right-wing General Cavai­ gnac in the December presi­ dential election but is soon disappointed by his candidate.

The Revolution of February 22–24 leads to Louis-Philippe’s ouster and the proclamation of the Second Republic. With poet Lamartine as minister, the legislature votes for universal suffrage, abolition of slavery, abolition of the death penalty for political offenses, complete freedom of the press, and so on. General Cavaignac’s troops viciously repress a Parisian workers’ strike in June. LouisNapoleon Bonaparte is elected president.

1849: Elected to the Legislative Assembly, Hugo speaks in favor of eliminating poverty, thus breaking completely with the conservatives.

Leftist protests in France are repressed, as are revolutionary movements in several European countries.

1851: With some other legislators, Hugo unsuccessfully tries to organize Parisian resistance to Bonaparte’s coup d’état. Sought by the police and hidden by Juli­ette and her friends, he flees to Belgium.

With an overnight coup d’état, Bonaparte takes over the government on December 2 and institutes a severe repression, including imprisoning Hugo’s sons and his friend Paul Meurice. The December 20 referendum approves of the coup d’état.

1852: Along with 65 other legislative deputies, Hugo is officially exiled from France. Leaving Brussels before he is expelled because of Napoléon le petit, Hugo and his family settle into Marine-Terrace on Jersey.

Histoire d’un crime (history of the coup d’état), drafted; Napoléon le petit (polemical pamphlet)

The Empire is reestablished and Bonaparte proclaimed Napoleon III. Extremely repressive legislation against the press and the theater is passed.

1853: Hugo and his family begin experimenting with séances.

Châtiments (P)

Napoleon III marries Eugénie de Montijo. 1854: The Crimean War is declared.

t i m e l i n e o f h u g o ’ s l i f e a n d f r e n c h h i s t o r y   477 Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

1855: The séances end. Hugo begins Dieu. Expelled from Jersey after Napoleon III visits England, Hugo and his family move to Guernsey.

Some Important Historical Events

The French-English allies declare victory in the Crimea.

1856: Hugo buys Hauteville House in St. Peter Port, Guernsey.

Les Contemplations (P)

1859: Hugo refuses the amnesty granted to those who opposed the 1851 coup d’état.

La Légende des siècles, Première série (P)

France declares war on Austria and begins to colonize Indochina.

1862: Les Misérables (N)

The Second Empire begins to become more liberal.

1863: Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (written by Hugo’s wife, Adèle, edited by family members and close friends) is published anonymously. Hugo’s daughter Adèle secretly travels to Canada, believing that she will marry Lieutenant Pinson. This trip signals the beginning of her mental instability.

France conquers Mexico, but fighting continues.

1864: William Shakespeare (E)

The First Workers’ Inter­ national is established in London.

1865: Tired of exile, Hugo’s wife and sons spend most of their time in England and Europe. Charles marries Alice Lehaene in Brussels.

Les Chansons des rues et des bois (P)

The American Civil War ends, and slavery is abolished in the U.S.

1866: Hugo works on plays that will become part of his Théâtre en liberté.

Les Travailleurs de la mer (N)

Prussia gains in strength, and hostilities grow between Prussia and Napoleon III.

1867: Hugo’s first grandchild, Georges (Charles and Alice’s son) is born but dies at age one.

Paris (E)

French troops leave Mexico. The Universal Exposition takes place in Paris.

1868: Charles and Alice’s second son is born and named Georges. Hugo’s wife, Adèle, dies suddenly in Brussels.

French laws concerning the press and public meetings become relatively liberal.

478 

t im e l i ne of h u g o’ s l if e a nd f r e nc h h is tory

Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

Some Important Historical Events

1869: Charles and Alice’s daughter, Jeanne, born. In Paris, Hugo’s sons found the Republican journal Le Rappel.

L’Homme qui rit (N)

The Republican party gains strength in France. Hugo presides at the Lausanne Peace Conference.

1870: Hugo returns to Paris on September 5, after the declaration of the Republic, and remains in Paris throughout the Prussian siege.

A French plebiscite approves liberal reforms. France declares war on Prussia, the French army is defeated at Sedan, and Napoleon III is taken prisoner. The Third Republic is declared. The Prussians begin a siege of Paris on September 19.

1871: Hugo is elected Parisian deputy to the National Assembly of Bordeaux. His son Charles dies suddenly. Hugo offers asylum to the communards even though he had not supported their insurrection.

As part of the treaty with Prussia, France loses AlsaceLorraine. With Thiers as President of the Republic, the National Assembly moves from Bordeaux to Versailles. The Paris Commune insurgency is repressed through violent bloodshed (la Semaine sanglante, May 21–28).

1872: Hugo loses a partial election for a National Assembly seat. A successful revival of Ruy Blas stars the famous Sarah Bernhardt. Hugo’s daughter Adèle returns to France; mentally ill, she is institutionalized. Hugo leaves in August for Guernsey with Juliette Drouet and his grandchildren.

L’Année terrible (P)

1873: Hugo and his family return to Paris in July. His son, François-Victor, dies in December.

Napoleon III dies on January 7. Mac-Mahon becomes President and establishes l’Ordre moral as political strategists envision a new restoration of the monarchy. The Sacré-Cœur Basilica at Montmartre is consecrated. 1874: Quatrevingttreize (N); Mes fils (E)

Censorship gains in power.

1875: Actes et paroles I et II (S)

The Assembly votes for constitutional laws that recognize the republican nature of the government.

t i m e l i n e o f h u g o ’ s l i f e a n d f r e n c h h i s t o r y   479 Hugo’s Life: Some Key Events

Hugo’s Publications

Some Important Historical Events

1876: Elected as a senator from Paris, Hugo sits on the extreme left and continues to militate for amnesty for the communards.

Actes et paroles III (S)

Republicans gain a majority in the legislative elections.

1877: La Légende des siècles, Deuxième série (P); L’Art d’être grandpère (P); Histoire d’un crime (S)

Mac-Mahon dissolves the Republican chamber in May, but the Republicans win in the October elections.

1878: Hugo has a stroke and writes little after this time. He spends the autumn on Guernsey.

Le Pape (P)

1879: Hugo and Juliette Drouet move to the Avenue d’Eylau.

1879: La Pitié suprême (P)

Mac-Mahon resigns and is replaced by Grévy, a moderate Republican. The communards are granted partial amnesty.

1880: Hugo offers his third Senate speech for amnesty for the communards.

Religions et religion (P); L’Âne (P)

The communards are granted full amnesty. The Jules Ferry laws on public education reflect Hugo’s views from the 1840s.

1881: Large public festivities celebrate Hugo’s entering his eightieth year, and the Avenue d’Eylau is renamed the Avenue Victor Hugo.

Les Quatre Vents de l’esprit (P).

Liberalization of laws relating to the press and public gatherings. Laws establish free ele­ mentary education.

1882: Hugo is triumphantly re-elected to the Senate.

Torquemada (T)

Laws make primary education secular and obligatory.

1883: Juliette Drouet dies of stomach cancer.

La Légende des siècles, Dernière série (P); L’Archipel de la manche (E)

1885: May 22, Hugo dies of heart congestion at age 83. National funeral on June 1.

The Pantheon is deconsecrated and Hugo interred there.

Posthumous Publications: 1886: La Fin de Satan (P); Théâtre en liberté (T). 1887, 1900: Choses vues ( journal). 1888: Toute la lyre (P). 1889: Actes et paroles IV (S). 1890: Alpes et Pyrénées (E). 1891: Dieu (P). 1892: France et Belgique (E). 1898: Les Années funestes (P). 1901: Post-scription de ma vie (P). 1902: Dernière Gerbe (P).

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S e le c t ed B i bl io g r a ph y

Here you will find the works that proved most helpful in compiling this anthology, together with works useful for further study of Hugo’s ideas and writings. Web sites are listed at the end of this bibliography. Acher, Josette. “Situations et droits de femmes: Discours et fiction chez Hugo.” La Revue des lettres modernes: Histoire des idées et des Littératures. 1024–1032 (1991): 67–88. ———. “Victor Hugo, défenseur des Droits de l’Homme.” In Wilhelm, ed., “. . . Avoir pour patrie,” 181–205. Albouy, Pierre, ed., L’Art d’être grand-père, by Victor Hugo. Paris: Gallimard, 1974, 2002. ———, ed., Les Contemplations, by Victor Hugo. Paris: Gallimard, 1967, 1973. ———. La Création mythologique chez Victor Hugo. Paris: Corti, 1963. ———, ed., Œuvres poétiques, by Victor Hugo. 3 vols. Paris: Gallimard, 1964, 1967, 1974. Badinter, Robert. Préface to Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné suivi de Claude Gueux et de l’Affaire Tapner. Paris: Librairie Générale Française, 1989: 7–11. Barrère, Jean-Bertrand. La Fantaisie de Victor Hugo. 3 vols. Paris: Klincksieck, 1973. Bénichou, Paul. Les Mages romantiques. In Romantismes français II, 988–1474. Paris: Gal­limard, 2004. ———. Le Sacre de l’écrivain, 1750–1830. In Romantismes français I, 19–441. Paris: Gallimard, 2004. Blewer, Evelyn, ed. Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo. Correspondance 1833–1882. Paris: Fayard, 1985, 2001. Bordet, Gaston. Hugo: Hier, maintenant, demain. Centre régional de documentation pédagogique de Franche-Comté / Delagrave, 2002. Brombert, Victor. “Hugo et la voix prophétique,” in David Ellison and Ralph Heyndels, eds., Les Modernités de Victor Hugo. Paris: Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2004. 11–26.

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482  s e l e c t e d b i b l i o g r a p h y

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I nde x of Ti t l e s a nd F i r s t L i ne s

Here in alphabetical order are all the texts and art included in full or excerpted in this reader, with an indication of the page on which each begins. Poetry appears by title, or by first line for untitled poems. Graphic art appears by title and is indicated by an asterisk. Novel chapters appear by chapter title. Excerpts from plays and speeches appear under the play or speech titles. Letters appear under “L,” then alphabetically by recipient. À Albert Dürer, Les Voix intérieures X À Ol., Les Voix intérieures XII À qui la faute?, L’Année terrible, Juin VIII À quoi je songe? . . . , Les Voix intérieures XXIII À travers champs (excerpt), Le Rhin, Lettre XVI À une âme qui ne s’aperçoit pas qu’elle est une femme, Les Chansons des rues et des bois, Reliquat À Villequier, Les Contemplations IV, xv Aimons toujours! aimons encore! . . . , Les Contemplations II, xxii Âme! être, c’est aimer. . . . (excerpt), Dieu VIII Amour, Les Contemplations III, x L’Attraction et l’extinction, Les Misérables V, 8, iv Autrefois j’ai connu Ferdousi dans Mysore . . . , La Légende des siècles, Dernière série, IX, 3 Booz endormi, La Légende des siècles, Première série II, vi Cauterets—À Louis B., Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées Ce que c’est que l’exil (excerpts), Actes et paroles II, Pendant l’exil Ce que le poète se disait en 1848, Châtiments IV, ii Ce qu’on entend sur la montagne, Les Feuilles d’automne V Ce qu’on y voit (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 1, xiii Le Char de la monarchie*

487

181 57 426 92 152 75 118 59 238 70 129 208 228 191 346 299 140 193 322

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Le Charnier de Saint-Michel, Alpes et Pyrénées, Voyage de 1843—Pyrénées Cheminée de la salle à manger de Hauteville House* Choses vues, February 23, 1846 Claude Gueux (excerpt) La Coccinelle, Les Contemplations I, xv Le Combat (excerpt), Les Travailleurs de la mer  II, 3, vi Comment de frère on devient père (excerpt), Les Misérables V, 1, xvi La Conscience, La Légende des siècles, Première série II, ii La Conscience humaine devant une mauvaise action* Danger d’aller dans les bois, Toute la lyre VI, lx Demain dès l’aube, . . . , Les Contemplations IV, xiv Dentelles et spectres* Depuis six mille ans la guerre . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 3, i Le Dernier Jour d’un condamné I and Préface de 1832 (excerpts) Le Dernier Jour d’un condamné XIII (excerpt) Le Deuil, L’Année terrible, “Mars” III Les Deux Hommes vêtus de noir (excerpt), Notre-Dame de Paris VII, v Discours d’ouverture, Congrès international de la paix à Paris — 21 août 1849, Actes et paroles I, Avant l’exil Le Dix-neuvième Siècle (excerpt), William Shakespeare III, ii Les Djinns, Les Orientales XXVIII Le Droit et la loi, I–III, Actes et paroles I, Avant l’exil, Préface ECCE* L’Échafaud, La Légende des siècles, Dernière série V Éclaircie, Les Contemplations VI, x Elle avait pris ce pli . . . , Les Contemplations IV, v Encore à toi, Odes et ballades V, xii Les Enfants gâtés, L’Art d’être grand-père XV, i Les enfants lisent, troupe blonde; . . . , Les Chansons des rues et des bois II, 2, iv En mai, Dernière Gerbe VII Espoir en Dieu, Les Chants du crépuscule XXX Ève, L’Homme qui rit II, 7, iii L’Évêque en présence d’une lumière inconnue, Les Misérables I, 1, x Eviradnus: Un peu de musique, La Légende des siècles, Première série V, 2, xi Exil* Exil, Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVII Extase, Les Orientales XXXVII Fracta juventus* Frontispiece for Les Chansons des rues et des bois* Le Gai Château*

183 354 418 399 69 159 375 254 253 85 118 205 462 392 401 131 220 452 286 174 244 388 394 225 96 42 102 155 168 222 78 436 72 352 356 219 125 156 34

i n d e x o f t i t l e s a n d f i r s t l i n e s   489

Gauvain pensif, Quatrevingt-treize III, 6, ii Georges et Jeanne, L’Art d’être grand-père I, vi La Grande Tombe (excerpt), Les Travailleurs de la mer III, 3, v Ibo, Les Contemplations VI, ii Il faut boire et frapper la terre d’un pied libre! . . . , La Légende des siècles, Dernière série XIII, iii Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur, . . . , Les Contemplations I, xxviii Insomnie, Les Contemplations III, xx J’aime l’araignée et j’aime l’ortie . . . , Les Contemplations III, xxvii Je pressais ton bras qui tremble; . . . , Toute la lyre VI, lvi Jean Valjean and Le Dedans du désespoir (excerpts), Les Misérables I, 2, vi–vii Jeanne était au pain sec . . . , L’Art d’être grand-père VI, vi Jeanne fait son entrée, L’Art d’être grand-père I, iii Jeanne songeait, sur l’herbe assise, . . . , L’Art d’être grand-père III, i John Brown: Lettre aux États-Unis d’Amérique, Actes et paroles II, Pendant l’exil Joyeuse Vie, Châtiments III, ix JVSTITIA* Lasciate ogni speranza (excerpts), Notre-Dame de Paris VIII, 4 Letter to André Van Hasselt, 6 janvier 1852 Letter to Léonie d’Aunet Biard, undated Letter to Mademoiselle Louise Bertin, 10 septembre 1843 Letters to Juliette Drouet, 1835, 1842 La Liberté de la presse (excerpt), Napoléon le Petit II, v La Liberté de l’enseignement (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil Lorsque l’enfant paraît, . . . , Les Feuilles d’automne XIX Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure, . . . , Toute la lyre VI, i Ma Destinée* Le Manteau impérial, Châtiments V, iii Mari de Didine* and Mari de Dédé* Marine Terrace* Le Mendiant, Les Contemplations V, ix La Mère, Notre-Dame de Paris VIII, v Mes Fils, Chapter VI La Misère (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil MISERIA* Mon enfant, la guerre est une chose . . . , La Légende des siècles, Première série, Reliquat Le Monstre (excerpt), Les Travailleurs de la mer II, 4, ii Mors, Les Contemplations IV, xvi Ô mes lettres d’amour, . . . , Les Feuilles d’automne XIV

448 98 164 304 166 300 301 447 68 421 450 97 101 384 367 390 48 345 66 116 61 324 403 90 67 292 341 94 64 417 114 236 409 416 464 196 124 43

490  i n d e x o f t i t l e s a n d f i r s t l i n e s

Ô mon âme, en cherchant l’azur, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVIII Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe! . . . , Les Chants du crépuscule XIV Oh! quoique je sois, sur la grève, . . . , Les Quatre Vents de l’esprit III, Livre lyrique, XXXVI Oui, je suis le rêveur; . . . , Les Contemplations I, xxvii Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le Grand (excerpt), Les Misérables IV, 6, ii Le Pape aux foules, Le Pape, Scène première—Sommeil Parfois, lorsque tout dort, . . . , Les Feuilles d’automne XXI Paroles sur la dune, Les Contemplations V, xiii Paysage oriental* Pendant une maladie, Les Chansons des rues et des bois II, 4, ii La Pente de la rêverie, Les Feuilles d’automne XXIX La Phare d’Eddystone* La Pieuvre* Planète* Plantation de l’arbre de la liberté, place des Vosges, Actes et paroles I, Avant l’exil Préface, Les Misérables Préface, Les Orientales, Première édition (excerpt) Progrès, L’Art d’être grand-père XVIII, iii Puisque j’ai mis ma lèvre . . . , Les Chants du crépuscule XXV Puisque le juste est dans l’abîme, . . . , Châtiments II, v Puisque mai tout en fleurs . . . , Les Chants du crépuscule XXXI Quasimodo (excerpt), Notre-Dame de Paris I, v Quel horizon on voit du haut de la barricade (excerpt), Les Misérables V, 1, v Question sociale, La Légende des siècles, Nouvelle série XXIII, iv Questions sociales § 2: La Femme, Actes et paroles III, Depuis l’exil Qui a faim n’est pas le seul and Le Monstre (excerpts), Les Travailleurs de la mer II, 4, i–ii  Relligio, Les Contemplations VI, xx Les Rochers Douvres (excerpt), Les Travailleurs de la mer I, 6, ii Le Roi des Auxcriniers* Ruy Blas II, i (excerpt) Ruy Blas II, iii (excerpt) Salle des séances du Conseil municipal de Thionville, après l’entrée des Prussiens en 1871* Seconde Lettre à l’Espagne, Actes et paroles II, Pendant l’exil Le Soir d’un jour de marche (excerpts), Les Misérables I, 2, i

258 373 256 153 104 132 143 126 204 127 294 206 198 222 318 363 316 451 56 339 145 178 327 379 373 196 226 158 200 313 51 460 381 419

i n d e x o f t i t l e s a n d f i r s t l i n e s   491

Soleils couchants I, Les Feuilles d’automne XXXV Sourd, Notre-Dame de Paris IX, 3 Souvenir de la nuit du 4, Châtiments II, iii Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre . . . , Les Contemplations VI, iii Stella, Châtiments VI, xv SVB CLARÂ NVDA LVCERNÂ* Sub umbra, Les Travailleurs de la mer II, 2, v Le Suffrage universel (excerpt), Actes et paroles I, Avant l’exil Le Te Deum du 1er janvier 1852, Châtiments I, vi Tempête—La Dernière Lutte, or Le Bateau-vision* Une Tempête sous un crâne (excerpts), Les Misérables I, 7, iii Les Tempêtes d’hommes pires que les tempêtes d’océans (excerpts), L’Homme qui rit II, 8, vii Tristesse d’Olympio, Les Rayons et les ombres XXXIV Ultima verba, Châtiments VII, xiv Veni, vidi, vixi, Les Contemplations IV, xiii Vianden à travers une toile d’araignée* Victor Hugo à ses concitoyens, Actes et paroles I, Avant l’exil Victor, sed victus, L’Art d’être grand-père I, iv Vieille Maison*

144 45 337 224 325 77 231 363 335 163 258 249 146 342 303 202 319 97 35