Œuvres complètes. V Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs: Texte de 1806 9783110234473, 9783110234466

This volume makes accessible Benjamin Constant’s major political treatise, which was the basis for his political actions

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Œuvres complètes. V Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs: Texte de 1806
 9783110234473, 9783110234466

Table of contents :
Table des matieres
Table des illustrations
Principes d’édition des Œuvres complètes
Signes, symboles, sigles et abréviations
Chronologie
Introduction générale au tome v
Sources
1. Principes de politique applicables à tous les gouvernements établissement des textes, introductions et notes par Lisa Azorin, Étienne Hofmann, Kurt Kloocke et Giovanni Paoletti
Principes de politique applicables à tous les gouvernements
Introduction
Principes de politique applicables à tous les gouvernements
Preface
Livre i. Exposition du sujet
Chapitre i. Objet de cet ouvrage
Chapitre ii. Premier principe de Rousseau sur la source de l’autorite´ sociale
Chapitre iii. Second principe de Rousseau sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale
Chapitre IV. Raisonnements de Rousseau en faveur de l’e´tendue sans limites de l’autorite´ sociale
Chapitre V. Que l’erreur de Rousseau vient de ce qu’il a voulu distinguer les droits de la socie´te´de ceux du Gouvernement
Chapitre VI. Conse´quences du syste`me de Rousseau
Chapitre VII. De Hobbes
Chapitre VIII. Opinion de Hobbes reproduite
Chapitre IX. De l’inconse´quence qu’on a reproche´e a` Rousseau
Livre II. Des principes a substituer aux idees reçues sur l’étendue de l’autorité sociale
Chapitre I. De la limitation de l’autorite´ sociale
Chapitre II. Des droits de la majorite´
Chapitre III. De l’organisation du gouvernement, quand l’autorite´ sociale n’est pas limite´e
Chapitre IV. Objection contre la possibilite´ de limiter l’autorite´ sociale
Chapitre V. Des limites de l’autorite´ sociale, restreinte au strict ne´cessaire
Chapitre VI. Des droits individuels, quand l’autorite´ sociale se trouve ainsi restreinte
Chapitre VII. Du principe de l’utilite´ substitue´ a` l’ide´e des droits individuels
Livre III. Des raisonnemens et des hypothèses qui motivent l’extension de l’autorité sociale
Chapitre I. De l’extension de l’autorite´ sociale au dela` de sa jurisdiction indispensable, sous le pre´texte de l’utilite´
Chapitre II. Des hypothe`ses sans lesquelles l’extension de l’autorite´ sociale est inadmissible
Chapitre III. Les gouvernans sont-ils ne´cessairement plus exempts d’erreurs que les gouverne´s ?
Chapitre IV. Les erreurs des gouvernemens sont elles moins dangereuses que celles des individus ?
Chapitre V. De la nature des moyens que l’autorite´ sociale peut employer sous le pre´texte de l’utilite´
Livre IV. De la Multiplicité des loix
Chapitre I. Causes naturelles de la multiplicite´ des loix
Chapitre II. Ide´e qu’on se forme d’ordinaire de l’effet de la multiplicite´ des loix, et faussete´ de cette ide´e
Chapitre III. Que le principal avantage que cherchent dans la multiplicite´ des loix les partisans des gouvernemens populaires, n’existe pas en re´alite´
Chapitre IV. De la corruption que la multiplicite´ des loix introduit dans les agens de l’autorite´
Chapitre V. Autre inconve´nient de la multiplicite´ des loix
Livre V. Des mesures arbitraires
Chapitre I. Des mesures arbitraires, et pourquoi de tout tems, on a moins re´clame´ contre ces mesures, que contre les atteintes porte´es a` la proprie´te´
Chapitre II. Du pre´texte des mesures arbitraires et du droit de pre´venir les de´lits
Chapitre III. Sophisme en faveur de l’arbitraire
Chapitre IV. De l’effet des mesures arbitraires sous le rapport de la morale, sous celui de l’industrie, et sous celui de la dure´e des gouvernemens
Chapitre V. De l’influence de l’arbitraire sur les gouvernans eux memes
Livre VI. Des coups d’État
Chapitre I. De l’admiration pour les coups d’E´tat
Chapitre II. Des coups d’E´tat dans les pa¨?s ou` il y a des constitutions e´crites
Chapitre III. Condition ne´cessaire pour que les constitutions ne soient pas viole´es
Livre VII. De la liberté de la pensée
Chapitre I. Objet des trois livres suivans
Chapitre II. De la liberte´ de la pense´e
Chapitre III. De la manifestation de la pense´e
Chapitre IV. Continuation du meˆme sujet
Chapitre V. Continuation du meˆme sujet
Chapitre VI. Explication ne´cessaire
Chapitre VII. Dernie`re observation
Livre VIII. De la liberté religieuse
Chapitre I. Pourquoi la religion fut si souvent attaque´e par les hommes e´claire´s
Chapitre II. De l’intole´rance civile
Chapitre III. De la multiplicite´ des sectes
Chapitre IV. Du maintien de la religion pour l’autorite´ contre l’esprit d’examen
Chapitre V. Du re´tablissement de la religion par l’auto-rite
Chapitre VI. De l’axiome qu’il faut une religion au peuple
Chapitre VII. De la religion conside´re´e comme utile
Chapitre VIII. Autre effet de l’axiome qu’il faut une religion au peuple
Chapitre IX. De la tole´rance, quand l’autorite´ s’en me`le
Chapitre X. De la perse´cution contre une croyance religieuse
Livre IX. Des garanties judiciaires
Chapitre I. De l’inde´pendance des tribunaux
Chapitre II. De l’abbre´viation des formes
Chapitre III. Des peines
Chapitre IV. Du droit de faire grace
Livre X. De l’action de l’autorité sociale sur la propriéte
Chapitre I. Objet de ce livre
Chapitre II. Division naturelle des habitans d’un meˆme territoire en deux classes
Chapitre III. De la proprie´te
Chapitre IV. Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politiques
Chapitre V. Des exemples tire´s de l’Antiquite´
Chapitre VI. De l’esprit proprie´taire
Chapitre VII. Que la proprie´te´ territoriale re´unit seule tous les avantages de la proprie´te´
Chapitre VIII. De la proprie´te´ dans les fonds publics
Chapitre IX. De la quotite´ de proprie´te´ que la socie´te´ a droit d’exiger
Chapitre X. Que les proprie´taires n’ont pas interet d’abuser de la puissance contre les non proprie´taires
Chapitre XI. Des privile`ges he´re´ditaires, compare´s a` la proprie´te´
Chapitre XII. Observation ne´cessaire
Chapitre XIII. Du meilleur moyen de donner aux proprie´-taires une grande influence politique
Chapitre XIV. De l’action du Gouvernement sur la proprie´te´
Chapitre XV. Des loix qui favorisent l’accumulation de la proprie´te´ dans les meˆmes mains
Chapitre XVI. Des loix qui forcent la disse´mination des proprie´te´s
Chapitre XVII. Suites des atteintes porte´es a` la proprie´te´par le gouvernement. Mate´riaux
Chapitre XVIII. Re´sultat des conside´rations ci dessus Mate´riaux
Livre XI. De l’impôt
Chapitre I. Objet de ce livre
Chapitre II. Premier droit des gouverne´s, relativement aux impots
Chapitre III. Second droit des gouverne´s, relativement aux impoˆts
Chapitre IV. De diverses espe`ces d’impots
Chapitre v. Comment les impots deviennent contraires aux droits des individus
Chapitre VI. Que les impots qui pe`sent sur les capitaux, sont contraires aux droits des individus
Chapitre VII. Que l’intereˆt de l’Etat relativement aux impots est d’accord avec les droits des individus
Chapitre VIII. Axiome incontestable
Chapitre IX. Inconve´niens des impots excessifs
Chapitre X. Autre inconve´nient des impots excessifs
Livre XII. De la Juris diction de l’autorité sur l’industrie et sur la population
Chapitre I. Observation pre´liminaire
Chapitre II. De la Juris diction le´gitime de la societe´ sur l’industrie
Chapitre III. Que l’action de l’autorite´ sur l’industrie se divise en deux branches
Chapitre IV. Des privile`ges et prohibitions
Chapitre V. De l’effet ge´ne´ral des prohibitions
Chapitre VI. Des causes qui poussent les gouvernemens vers cette fausse route
Chapitre VII. Des encouragemens
Chapitre VIII. De l’e´quilibre des productions
Chapitre IX. Dernier exemple des facheux effets de l’intervention de l’autorite
Chapitre X. Re´sultat des conside´rations ci dessus
Chapitre XI. Des mesures des gouvernemens, relativement a` la population
Livre XIII. De la Guerre
Chapitre I. Sous quel point de vue la guerre peut eˆtre conside´re´e, comme ayant des avantages
Chapitre II. Des pre´textes de guerre
Chapitre III. Effet du systeˆme guerrier sur l’e´tat inte´rieur des peuples
Chapitre IV. Des garanties contre la manie guerrie`re des gouvernemens
Chapitre V. Du mode de formation et d’entretien des arme´es
Livre XIV. De l’action de l’autorité sur les lumières
Chapitre I. Questions a` traiter dans ce livre
Chapitre II. De l’utilite´ qu’on attribue aux erreurs
Chapitre III. De l’Autorite´ employe´e en faveur de la ve´rite´
Chapitre IV. De la protection des lumie`res par l’autorite´
Chapitre V. Des encouragemens par la morale
Chapitre VI. De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation
Chapitre VII. Des devoirs des gouvernemens vis a` vis des lumie`res
Livre XV. Résultat des recherches précédentes, relativement à l’action de l’autorité
Chapitre I. Re´sultat des recherches pre´ce´dentes
Chapitre II. De trois ide´es pernicieuses
Chapitre III. Des ide´es d’uniformite´
Chapitre IV. Application de ce principe a` la composition des assemble´es representatives
Chapitre V. Addition au chapitre pre´ce´dent
Chapitre VI. Des ide´es de stabilite´
Chapitre VII. Des ame´liorations pre´mature´es
Chapitre VIII. D’un raisonnement faux
Livre XVI. De l’Autorité sociale chez les anciens
Chapitre I. Pourquoi, chez les anciens, l’autorite´ sociale pouvait eˆtre plus e´tendue, que chez les modernes
Chapitre II. Premie`re diffe´rence entre l’e´tat social des anciens, et celui des modernes
Chapitre III. Seconde diffe´rence
Chapitre IV. Troisie`me diffe´rence
Chapitre V. Quatrie`me diffe´rence
Chapitre VI. Cinquie`me diffe´rence
hapitre VII. Re´sultat de ces diffe´rences entre les anciens et les modernes
Chapitre VIII. Des imitateurs modernes des Re´publiques de l’Antiquite´
Livre XVII. Des vrais principes de la liberté
Chapitre I. De l’impossibilite´ d’abuser jamais des vrais principes de la liberte´
Chapitre II. Que la circonscription de l’autorite´ sociale, dans ses limites pre´cises, ne tend point a` l’affaiblissement de l’action ne´cessaire du gouvernement
Chapitre III. Dernie`res conside´rations sur la liberte´ civile et sur la liberte´ politique
Chapitre IV. Apologie du despotisme par Louis XIV
Livre XVIII et dernier. Des devoirs des individus envers l’autorité sociale
Chapitre I. Difficulte´s relatives a` la question de la re´sistance
Chapitre II. De l’obe´issance a` la loi
Chapitre iii. Des Re´volutions
Chapitre iv. Des devoirs des hommes e´claire´s, durant les re´volutions
Chapitre v. Continuation du meˆme sujet
Chapitre vi. Devoirs des hommes e´claire´s apre`s les re´vo-lutions violentes
2. Secondes additions éparses texte établi par Lisa Azorin et Kurt Kloocke
Secondes additions e´parses
3. Additions à l’ouvrage intitulé Principes de politiques, applicables à toutes les formes de Gouvernement établissement du texte et notes par Fabienne Detoc et Kurt Kloocke
Additions a` l’ouvrage intitule´Principes de politiques, applicables a` toutes les formes de Gouvernement
Additions au livre i
Additions au livre ii
Additions au livre iii
Additions au livre iv
Additions au livre v
Additions au livre vi
Additions au livre vii
Additions au livre viii
Additions au livre ix
Additions au livre x
Additions au livre xi
Additions au livre xii
Additions au livre xiii
Additions au livre XIV
Additions au livre XV
Additions au livre XVI
Additions au livre XVII
Additions au livre XVIII
4. Instruments bibliographiques
Abre´viations bibliographiques
Bibliographie
Ouvrages cite´s par Benjamin Constant
5. Répertoire
Re´pertoire des auteurs et des personnages historiques mentionne´s dans l’ouvrage
6. Index Index des noms de personnes

Citation preview

Benjamin Constant Œuvres comple`tes Œuvres V

Benjamin Constant Œuvres comple`tes Se´rie Œuvres V Conseil Scientifique Membres d’honneur: Roland Mortier, Claude Reymond Membres: Andre´ Cabanis, Maurice De´chery, Michel Delon, Franc¸oise Fornerod, Doris Jakubec, Franc¸ois Jequier, Mario Matucci, Martine de Rougemont, Lionello Sozzi, Arnaud Tripet et les membres du Comite´ Directeur Comite´ Directeur Pre´sident: Paul Delbouille Jean-Daniel Candaux, C. P. Courtney, E´tienne Hofmann, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Claude Reymond, Franc¸ois Rosset, Markus Winkler et Dennis Wood Secre´taire: Anne Hofmann Commission des Œuvres Pre´sident: Kurt Kloocke Vice-Pre´sident: E´tienne Hofmann Re´viseur: Franc¸ois Rosset Le´onard Burnand, Paul Delbouille, Lucien Jaume, Fre´de´ric Jaunin, Franc¸oise Me´lonio, Claude Reymond, Markus Winkler et Dennis Wood Ce tome V appartient a` la deuxie`me pe´riode (1800-1813) La re´vision en a e´te´ assure´e par Claude Reymond La supervision du traitement informatique a e´te´ prise en charge par Kurt Kloocke

Benjamin Constant Principes de politique applicables a` tous les gouvernements repre´sentatifs (texte de 1806) Volume dirige´ par Kurt Kloocke E´tablissement des textes, introductions, notes et re´pertoire par Lisa Azorin, Paul Delbouille, Fabienne Detoc, E´tienne Hofmann, Kurt Kloocke, Giovanni Paoletti et Laura Wilfinger

De Gruyter

ISBN 978-3-11-023446-6 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.d-nb.de abrufbar. 쑔 2011 Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, Berlin/New York Druck: Hubert & Co. GmbH und Co. KG, Göttingen ⬁ Gedruckt auf säurefreiem Papier Printed in Germany www.degruyter.com

Table des matie`res

Pour des raisons de clarte´ les titres qui figurent dans cette table ont e´te´ uniformise´s. Ils sont ainsi parfois le´ge`rement diffe´rents des titres qui apparaissent dans le volume.

Table des illustrations . . . . . . . . Principes d’e´dition des Œuvres comple`tes Signes, symboles, sigles et abre´viations Chronologie . . . . . . . . . . . . Introduction ge´ne´rale au tome V . . . Sources . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . .

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. XV . . 1 . . 3 . . 7 . 11 . 13

1. Principes de politique applicables a` tous les gouvernements e´tablissement des textes, introductions et notes par Lisa Azorin, E´tienne Hofmann, Kurt Kloocke et Giovanni Paoletti PRINCIPES DE POLITIQUE APPLICABLES A` TOUS LES GOUVERNEMENTS Introduction

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17 19

Principes de politique applicables a` tous les gouvernements

89

Pre´face

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

91

Livre I. Exposition du sujet. . . . . . . . . . . . . .

97

Chapitre I. Objet de cet ouvrage. . . . . . . . . . .

99

Chapitre II. Premier principe de Rousseau sur la source de l’autorite´ sociale . . . . . . . . . . . . . . .

102

Chapitre III. Second principe de Rousseau sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale. . . . . . . . . . . . . . . .

106

VI

Table des matie`res

Chapitre IV. Raisonnements de Rousseau en faveur de l’e´tendue sans limites de l’autorite´ sociale . . . . . .

115

Chapitre V. Que l’erreur de Rousseau vient de ce qu’il a voulu distinguer les droits de la socie´te´ de ceux du Gouvernement . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

117

Chapitre

VI.

Conse´quences du syste`me de Rousseau. . .

119

Chapitre

VII.

De Hobbes. . . . . . . . . . . . . .

123

Chapitre

VIII.

Opinion de Hobbes reproduite. . . . . .

126

Chapitre IX. De l’inconse´quence qu’on a reproche´e a` Rousseau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

128

Livre II. Des principes a` substituer aux ide´es rec¸ues sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale. . . . . . . . . . . . .

131

Chapitre I. De la limitation de l’autorite´ sociale.

. . .

133

Chapitre II. Des droits de la majorite´. . . . . . . . .

136

Chapitre III. De l’organisation du gouvernement, quand l’autorite´ sociale n’est pas limite´e. . . . . . . . . .

141

Chapitre IV. Objection contre la possibilite´ de limiter l’autorite´ sociale. . . . . . . . . . . . . . . . .

143

Chapitre V. Des limites de l’autorite´ sociale, restreinte au strict ne´cessaire. . . . . . . . . . . . . . . . .

145

Chapitre VI. Des droits individuels, quand l’autorite´ sociale se trouve ainsi restreinte. . . . . . . . . . . .

146

Chapitre VII. Du principe de l’utilite´ substitue´ a` l’ide´e des droits individuels. . . . . . . . . . . . . . . . .

147

Livre III. Des raisonnemens et des hypothe`ses qui motivent l’extension de l’autorite´ sociale. . . . . . . . . . . .

151

Chapitre I. De l’extension de l’autorite´ sociale au dela` de sa jurisdiction indispensable, sous le pre´texte de l’utilite´.

153

Chapitre II. Des hypothe`ses sans lesquelles l’extension de l’autorite´ sociale est inadmissible. . . . . . . . . .

158

Chapitre III. Les gouvernans sont-ils ne´cessairement plus exempts d’erreurs que les gouverne´s ? . . . . . . .

160

VII

Table des matie`res

Chapitre IV. Les erreurs des gouvernemens sont elles moins dangereuses que celles des individus ? . . . . .

168

Chapitre V. De la nature des moyens que l’autorite´ sociale peut employer sous le pre´texte de l’utilite´. . . . .

171

Livre

IV.

De la Multiplicite´ des loix

. . . . . . . . .

175

Chapitre I. Causes naturelles de la multiplicite´ des loix.

177

Chapitre II. Ide´e qu’on se forme d’ordinaire de l’effet de la multiplicite´ des loix, et faussete´ de cette ide´e. . . .

179

Chapitre III. Que le principal avantage que cherchent dans la multiplicite´ des loix les partisans des gouvernemens populaires, n’existe pas en re´alite´. . . . . . . .

182

Chapitre IV. De la corruption que la multiplicite´ des loix introduit dans les agens de l’autorite´. . . . . . . . .

185

Chapitre V. Autre inconve´nient de la multiplicite´ des loix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

188

Livre V. Des mesures arbitraires. . . . . . . . . . . .

191

Chapitre I. Des mesures arbitraires, et pourquoi de tout tems, on a moins re´clame´ contre ces mesures, que contre les atteintes porte´es a` la proprie´te´. . . . . . . . . .

193

Chapitre II. Du pre´texte des mesures arbitraires et du droit de pre´venir les de´lits. . . . . . . . . . . . .

195

Chapitre

Sophisme en faveur de l’arbitraire. . . . .

200

Chapitre IV. De l’effet des mesures arbitraires sous le rapport de la morale, sous celui de l’industrie, et sous celui de la dure´e des gouvernemens. . . . . . . . .

202

Chapitre V. De l’influence de l’arbitraire sur les gouvernans eux meˆmes. . . . . . . . . . . . . . . . .

207

Livre

VI.

III.

Des coups d’E´tat.

. . . . . . . . . . . . . Chapitre I. De l’admiration pour les coups d’E´tat. . . . Chapitre II. Des coups d’E´tat dans les paı¨s ou` il y a des constitutions e´crites. . . . . . . . . . . . . . . .

209

219

Chapitre III. Condition ne´cessaire pour que les constitutions ne soient pas viole´es. . . . . . . . . . . . .

224

211

VIII

Table des matie`res

Livre

VII.

De la liberte´ de la pense´e.

. . . . . . . . .

Chapitre I. Objet des trois livres suivans. Chapitre II. De la liberte´ de la pense´e.

231

. . . . . .

233

. . . . . . .

234

Chapitre

III.

De la manifestation de la pense´e.

. . . .

237

Chapitre

IV.

Continuation du meˆme sujet.

. . . . . .

248

Chapitre V. Continuation du meˆme sujet.

. . . . . .

255

Explication ne´cessaire. . . . . . . . . .

263

Dernie`re observation.

. . . . . . . . .

264

. . . . . . . . . .

265

Chapitre I. Pourquoi la religion fut si souvent attaque´e par les hommes e´claire´s. . . . . . . . . . . . . .

267

Chapitre II. De l’intole´rance civile.

274

Chapitre

VI.

Chapitre

VII.

Livre

VIII.

Chapitre

De la liberte´ religieuse.

III.

. . . . . . . . . . . . . . .

277

Chapitre IV. Du maintien de la religion pour l’autorite´ contre l’esprit d’examen. . . . . . . . . . . . . .

280

Chapitre V. Du re´tablissement de la religion par l’autorite´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

282

Chapitre VI. De l’axiome qu’il faut une religion au peuple. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

283

Chapitre

De la religion conside´re´e comme utile. . .

285

Chapitre VIII. Autre effet de l’axiome qu’il faut une religion au peuple. . . . . . . . . . . . . . . . . .

287

Chapitre

289

VII.

IX.

De la multiplicite´ des sectes.

De la tole´rance, quand l’autorite´ s’en me`le.

Chapitre X. De la perse´cution contre une croyance religieuse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Livre

IX.

Des garanties judiciaires.

292

. . . . . . . . . .

295

Chapitre I. De l’inde´pendance des tribunaux. . . . . .

297

Chapitre II. De l’abbre´viation des formes.

305

. . . . . .

IX

Table des matie`res

Chapitre

III.

Des peines.

. . . . . . . . . . . . .

Chapitre

IV.

Du droit de faire grace.

. . . . . . . .

Livre X. De l’action de l’autorite´ sociale sur la proprie´te´

310 316

.

319

Chapitre I. Objet de ce livre . . . . . . . . . . . .

321

Chapitre II. Division naturelle des habitans d’un meˆme territoire en deux classes. . . . . . . . . . . . . .

323

Chapitre

De la proprie´te´. . . . . . . . . . . . .

325

Chapitre IV. Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politiques. . . . . . . . . . . . . .

327

Chapitre V. Des exemples tire´s de l’Antiquite´.

. . . .

332

. . . . . . . .

335

Chapitre VII. Que la proprie´te´ territoriale re´unit seule tous les avantages de la proprie´te´. . . . . . . . . . . .

337

Chapitre

III.

VI.

De l’esprit proprie´taire.

De la proprie´te´ dans les fonds publics. . .

344

Chapitre IX. De la quotite´ de proprie´te´ que la socie´te´ a droit d’exiger . . . . . . . . . . . . . . . . . .

349

Chapitre X. Que les proprie´taires n’ont pas interet d’abuser de la puissance contre les non proprie´taires. . . . .

351

Chapitre XI. Des privile`ges he´re´ditaires, compare´s a` la proprie´te´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

355

Chapitre

. . . . . . . .

358

Chapitre XIII. Du meilleur moyen de donner aux proprie´taires une grande influence politique. . . . . . . . .

363

Chapitre XIV. De l’action du Gouvernement sur la proprie´te´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

367

Chapitre XV. Des loix qui favorisent l’accumulation de la proprie´te´ dans les meˆmes mains. . . . . . . . . . .

368

Chapitre XVI. Des loix qui forcent la disse´mination des proprie´te´s. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

372

Chapitre XVII. Suites des atteintes porte´es a` la proprie´te´ par le gouvernement. Mate´riaux. . . . . . . . . . .

377

Chapitre XVIII. Re´sultat des conside´rations ci dessus. Mate´riaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

385

Chapitre

VIII.

XII.

Observation ne´cessaire

X

Table des matie`res

Livre

XI.

De l’impoˆt . . . . . . . . . . . . . . . .

387

Chapitre I. Objet de ce livre . . . . . . . . . . . .

389

Chapitre II. Premier droit des gouverne´s, relativement aux impots. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

390

Chapitre III. Second droit des gouverne´s, relativement aux impoˆts. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

392

Chapitre

De diverses espe`ces d’impots. . . . . . .

393

Chapitre v. Comment les impots deviennent contraires aux droits des individus. . . . . . . . . . . . . .

400

Chapitre VI. Que les impots qui pe`sent sur les capitaux, sont contraires aux droits des individus. . . . . . . .

403

Chapitre VII. Que l’intereˆt de l’Etat relativement aux impots est d’accord avec les droits des individus. . . . .

405

Chapitre

VIII.

. . . . . . . .

410

Chapitre

IX.

Inconve´niens des impots excessifs. . . . .

413

IV.

Axiome incontestable.

Chapitre X. Autre inconve´nient des impots excessifs.

.

415

Livre XII. De la Juris diction de l’autorite´ sur l’industrie et sur la population. . . . . . . . . . . . . . . . . .

419

Chapitre I. Observation pre´liminaire.

. . . . . . . .

421

Chapitre II. De la Juris diction le´gitime de la socie´te´ sur l’industrie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

423

Chapitre III. Que l’action de l’autorite´ sur l’industrie se divise en deux branches. . . . . . . . . . . . . .

424

Chapitre

IV.

Des privile`ges et prohibitions. . . . . . .

Chapitre V. De l’effet ge´ne´ral des prohibitions.

425

. . . .

457

Chapitre VI. Des causes qui poussent les gouvernemens vers cette fausse route. . . . . . . . . . . . . . .

462

Chapitre

VII.

Chapitre

VIII.

Des encouragemens.

. . . . . . . . .

468

De l’e´quilibre des productions. . . . . .

474

Chapitre IX. Dernier exemple des facheux effets de l’intervention de l’autorite´. . . . . . . . . . . . . . .

478

XI

Table des matie`res

Chapitre X. Re´sultat des conside´rations ci dessus.

. . .

480

Chapitre XI. Des mesures des gouvernemens, relativement a` la population. . . . . . . . . . . . . . .

482

. . . . . . . . . . . . . .

489

Chapitre I. Sous quel point de vue la guerre peut eˆtre conside´re´e, comme ayant des avantages. . . . . . . .

491

Chapitre II. Des pre´textes de guerre.

. . . . . . . .

495

Chapitre III. Effet du systeˆme guerrier sur l’e´tat inte´rieur des peuples. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

499

Chapitre IV. Des garanties contre la manie guerrie`re des gouvernemens. . . . . . . . . . . . . . . . . .

505

Chapitre V. Du mode de formation et d’entretien des arme´es. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

508

Livre

Livre

XIII.

XIV.

De la Guerre.

De l’action de l’autorite´ sur les lumie`res. . . .

Chapitre I. Questions a` traiter dans ce livre

515

. . . . .

517

Chapitre II. De l’utilite´ qu’on attribue aux erreurs . . .

519

Chapitre III. De l’Autorite´ employe´e en faveur de la ve´rite´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

523

Chapitre

IV.

De la protection des lumie`res par l’autorite´.

Chapitre V. Des encouragemens par la morale.

531

. . . .

537

Chapitre VI. De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

541

Chapitre VII. Des devoirs des gouvernemens vis a` vis des lumie`res. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

552

Livre XV. Re´sultat des recherches pre´ce´dentes, relativement a` l’action de l’autorite´ . . . . . . . . . . . . . . .

553

Chapitre I. Re´sultat des recherches pre´ce´dentes. . . . .

555

Chapitre II. De trois ide´es pernicieuses.

. . . . . . .

558

. . . . . . . .

559

Chapitre IV. Application de ce principe a` la composition des assemble´es representatives. . . . . . . . . . .

565

Chapitre

III.

Des ide´es d’uniformite´.

XII

Table des matie`res

Chapitre V. Addition au chapitre pre´ce´dent. Chapitre

VI.

Chapitre

VII.

Chapitre

VIII.

568

. . . . . . . . .

580

Des ame´liorations pre´mature´es D’un raisonnement faux.

. . . . .

585

. . . . . . .

595

. . . .

597

Chapitre I. Pourquoi, chez les anciens, l’autorite´ sociale pouvait eˆtre plus e´tendue, que chez les modernes. . . .

599

Chapitre II. Premie`re diffe´rence entre l’e´tat social des anciens, et celui des modernes. . . . . . . . . . .

601

Livre

XVI.

Des ide´es de stabilite´.

. . . . .

De l’Autorite´ sociale chez les anciens.

Chapitre

III.

Seconde diffe´rence

. . . . . . . . . .

603

Chapitre

IV.

Troisie`me diffe´rence.

. . . . . . . . .

607

Chapitre V. Quatrie`me diffe´rence.

. . . . . . . . .

616

Chapitre

. . . . . . . . .

618

Chapitre VII. Re´sultat de ces diffe´rences entre les anciens et les modernes. . . . . . . . . . . . . . . . .

621

Chapitre VIII. Des imitateurs modernes des Re´publiques de l’Antiquite´. . . . . . . . . . . . . . . . . .

628

Cinquie`me diffe´rence

. . . . . .

641

Chapitre I. De l’impossibilite´ d’abuser jamais des vrais principes de la liberte´. . . . . . . . . . . . . . .

643

Chapitre II. Que la circonscription de l’autorite´ sociale, dans ses limites pre´cises, ne tend point a` l’affaiblissement de l’action ne´cessaire du gouvernement. . . . .

647

Chapitre III. Dernie`res conside´rations sur la liberte´ civile et sur la liberte´ politique. . . . . . . . . . . . . .

649

Livre

XVII.

VI.

Des vrais principes de la liberte´

. .

660

Livre XVIII et dernier. Des devoirs des individus envers l’autorite´ sociale . . . . . . . . . . . . . . . . .

663

Chapitre I. Difficulte´s relatives a` la question de la re´sistance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

665

Chapitre II. De l’obe´issance a` la loi . . . . . . . . .

667

Chapitre

IV.

Apologie du despotisme par Louis XIV.

XIII

Table des matie`res

Chapitre

III.

Des Re´volutions.

. . . . . . . . . . .

678

Chapitre IV. Des devoirs des hommes e´claire´s, durant les re´volutions. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

684

Chapitre V. Continuation du meˆme sujet.

. . . . . .

694

Chapitre VI. Devoirs des hommes e´claire´s apre`s les re´volutions violentes. . . . . . . . . . . . . . . . .

702

2. Secondes additions e´parses texte e´tabli par Lisa Azorin et Kurt Kloocke SECONDES

ADDITIONS E´ PARSES

. . . . . . . . . . .

713

3. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politiques, applicables a` toutes les formes de Gouvernement e´tablissement du texte et notes par Fabienne Detoc et Kurt Kloocke ADDITIONS A` L’OUVRAGE INTITULE´ PRINCIPES DE POLI` TOUTES LES FORMES DE GOUVERTIQUES, APPLICABLES A NEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

717

Additions au livre

I

. . . . . . . . . . . . . . .

719

Additions au livre

II

. . . . . . . . . . . . . . .

730

Additions au livre

III

. . . . . . . . . . . . . . .

732

Additions au livre

IV

. . . . . . . . . . . . . . .

740

Additions au livre

V

. . . . . . . . . . . . . . .

745

Additions au livre

VI

. . . . . . . . . . . . . . .

750

Additions au livre

VII

. . . . . . . . . . . . . .

751

Additions au livre

VIII

. . . . . . . . . . . . . .

760

Additions au livre

IX

. . . . . . . . . . . . . . .

763

Additions au livre

X

. . . . . . . . . . . . . . .

770

Additions au livre

XI

. . . . . . . . . . . . . . .

785

Additions au livre

XII

. . . . . . . . . . . . . .

790

Additions au livre

XIII

. . . . . . . . . . . . . .

810

XIV

Table des matie`res

Additions au livre

XIV

. . . . . . . . . . . . . .

813

Additions au livre

XV

. . . . . . . . . . . . . .

825

Additions au livre

XVI

. . . . . . . . . . . . . .

835

Additions au livre

XVII

. . . . . . . . . . . . . .

845

Additions au livre

XVIII

. . . . . . . . . . . . .

853

Abre´viations bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrages cite´s par Benjamin Constant . . . . . . . . . . . .

869 871 881

4. Instruments bibliographiques

5. Re´pertoire Re´pertoire des auteurs et des personnages historiques mentionne´s dans l’ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

893

6. Index Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . . .

949

Table des illustrations

1. Page de titre des Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. I, BnF, NAF 14358, fo 86ro. . . . . . . . . . . . . . . . .

87

2. Premie`re page des Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, fo 28ro. . . . . . . . . . . . . . . .

90

3. Premie`re page du premier chapitre du livre IV des Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. I, BnF, NAF 14358, fo 132ro. . .

176

4. Premie`re page du premier chapitre du livre VI des Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. I, BnF, NAF 14358, fo 147ro. . .

210

5. Deux pages autographes du cahier des notes nume´rote´es, avec le texte des notes 561 a` 564, BCU, Co 3492. . . . . . . . . . .

232

6. Page autographe du livre VIII des Principes de politique, BCU, Co II/34/6/1, fo 287. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

266

7. Page autographe du livre IX des Principes de politique, BCU, Co II/34/6/1, fo 294. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

296

8. Premie`re page du livre X des Principes de politique, BCU, Co II/34/6/1, fo 320. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

320

9. Page autographe des Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, fo 61vo. . .

420

10. Table des matie`res autographe du livre XV des Principes de politique, BCU, Co II/34/6/1, fo 664. . . . . . . . . . . . . .

554

11. Deux pages autographes du cahier des notes nume´rote´es, avec le texte des notes 602 a` 606 BCU, Co 3492. . . . . . . . . . .

596

12. Page autographe du cahier des notes nume´rote´es, avec le texte des notes 924 a` 926 BCU, Co 3492. . . . . . . . . . . . . .

710

13. Page autographe des Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, fo 90ro. . .

712

XVI

Table des illustrations

14. Page autographe des Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Co II/34/5, fo 2ro. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

718

15. Page autographe des Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Co II/34/5, fo 4vo. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

865

Principes d’e´dition des Œuvres comple`tes

La pre´sente e´dition a pour re`gle de reproduire tous les textes connus, publie´s ou non, de Benjamin Constant. Elle donne, pour chacun, toutes les variantes. On a maintenu l’orthographe et la ponctuation des originaux. On a pre´serve´ la diversite´ des usages, selon qu’on avait affaire a` un autographe de Constant ou a` une copie. Dans le cas des imprime´s, on n’a corrige´ dans le texte, avec mention en note, que les seules fautes d’impression e´videntes. Pour les manuscrits, la re`gle est celle du respect maximal. Les ce´dilles n’ont pas e´te´ re´tablies. Les tildes et les traits horizontaux place´s sur certaines consonnes pour en indiquer le redoublement ont e´te´ conserve´s. En revanche, les capitales qui apparaissent parfois, dans l’e´criture de Constant, a` l’inte´rieur des noms communs, ont e´te´ conside´re´es comme de «grandes lettres», non comme de vraies majuscules, et ont de`s lors e´te´ normalise´es. Les capitales n’ont pas e´te´ re´tablies en teˆte des noms propres, ni en teˆte des phrases. Elles ont e´te´ respecte´es a` l’inte´rieur des noms propres (ex. «M. DeSaussure»). Les apostrophes et les traits d’union n’ont pas e´te´ re´tablis. Les mots lie´s ont e´te´ respecte´s («peutetre» pour «peut-eˆtre»). On n’ajoute aucun signe de ponctuation. En cas d’absence des parenthe`ses ou des guillemets fermants, une note signale le fait. On a respecte´ les tirets longs, mais non les traits qui, souvent chez Constant, ache`vent la ligne. On a respecte´ e´galement les deux points employe´s selon l’usage ancien. Les accents circonflexes et les tre´mas abusifs ont e´te´ maintenus. L’italique repre´sente les souligne´s simples ; l’italique souligne´ les souligne´s doubles. Lorsqu’il y avait doute dans l’interpre´tation d’une lettre, d’un accent ou d’une graphie quelconque, on a tranche´ en faveur de l’usage actuel. Lorsqu’il y avait he´sitation entre apostrophe et accent (exemple : «l e´te´» ou «l’ete´»), ou entre l’un de ces signes et la ponctuation de la ligne pre´ce´dente, on a privile´gie´ le signe de ponctuation par rapport a` l’apostrophe et a` l’accent, l’apostrophe par rapport a` l’accent. Les abre´viations ont e´te´ re´solues quand le signe n’existe pas en typographie. On explique en note celles qui feraient difficulte´ pour le lecteur. Les mots abre´ge´s ont e´te´ transcrits tels quels, avec une e´ventuelle explication en note. Pour la ste´nographie, une transcription en clair vient doubler la

2

Principes de politique

transcription en abre´ge´. En revanche, les terminaisons de mots simplifie´es, sauf s’il s’agit d’une e´vidente volonte´ d’abre´viation, ont e´te´ restitue´es comple`tement, meˆme si les dernie`res lettres e´taient mal forme´es. Les fautes de syntaxe ont e´te´ transcrites telles quelles. On a e´videmment maintenu la graphie des mots grecs isole´s ou des citations. Dans le texte, les crochets carre´s [ ] indiquent les restitutions textuelles. A l’inte´rieur d’une restitution, le point (la suite de points) indique la (les) lettre(s) illisible(s). Dans la transcription des variantes, le mot ou le passage en cause est suivi d’un crochet carre´ fermant ], lui-meˆme suivi de la variante. Si le passage en cause est relativement long, il est de´signe´ par son de´but et sa fin, se´pare´s par trois points. Les crochets pointus 〈 〉 encadrent les mots ou les passages biffe´s. Les barres obliques a` droites / / encadrent le(s) mot(s) biffe´s a` l’inte´rieur d’une variante biffe´e. La barre verticale indique dans les textes e´dite´s le changement de page ou de folio de la source, en relation avec le chiffre qui est dans la marge ; cette barre n’est toutefois pas pre´sente si elle devait se trouver en fin de ligne ; dans ce cas le chiffre se trouve a` la hauteur de la premie`re ligne de la page ou du folio en cause. Chacun des volumes des Œuvres comple`tes, aussi bien dans la se´rie Œuvres que dans la se´rie Correspondance, est soumis a` l’attention d’un re´viseur de´signe´ par le Comite´ directeur, dont la taˆche consiste a` controˆler l’ade´quation du travail aux principes d’e´dition qui viennent d’eˆtre succinctement e´nonce´s. On voudra bien noter que l’accord donne´ par ce re´viseur a` l’issue de son examen n’implique nullement, de sa part, une adhe´sion aux opinions exprime´es et aux jugements porte´s par les collaborateurs de l’e´dition.

Signes, symboles, sigles et abre´viations

La liste qui suit ne reprend pas certaines abre´viations d’usage tre`s ge´ne´ral (etc., M., Mme, Mlle) ; elle ne reprend pas non plus celles qui apparaissent dans les cotes des bibliothe`ques, ni celles sous lesquelles nous de´signons les ouvrages et les pe´riodiques souvent cite´s (on trouvera ces dernie`res dans les «Instruments bibliographiques» a` la fin du volume), ni les sigles par lesquels nous de´signons les manuscrits ou les e´ditions des textes que nous e´ditons (ils sont donne´s a` la fin des introductions, dans la section «E´tablissement du texte»). [...] ] 〈〉 // /

? *

2

1905

a. add. AN app.

: restitutions textuelles ; le point (la suite de points) indique la (les) lettre(s) illisible(s). : signe qui, dans la transcription des variantes, suit le mot ou le passage en cause, et qui est suivi de la variante. : encadrent les mots ou les passages biffe´s. : encadrent le(s) mot(s) biffe´(s) a` l’inte´rieur d’une variante biffe´e. : indique, dans une note ou dans une variante, le retour a` la ligne. : indique, dans les vers cite´s en note ou en variante, la limite de chaque vers ; indique, dans la description des imprime´s, le retour a` la ligne ; indique, dans les textes de Constant, le changement de page ou de folio de la source. : le point d’interrogation suit toute indication conjecturale : l’aste´risque mis en exposant devant le nume´ro d’un folio dans la description des manuscrits, indique que le folio ainsi de´signe´ est perdu. : un chiffre mis en exposant devant l’anne´e de publication d’un ouvrage dans la bibliographie, indique qu’il s’agit de la 2e (3e ...) e´dition. : autographe(s) : addition : Archives nationales, Paris : appendice

4 attr. art. BC BCU BL BnF BPU Bque Constant Bque Gött. br. chap. col. coll. corr. c. r. e´d. e´d. orig. e´dit. fasc. fo fos IBC illis. inf. interl. J.I. lac. livr. mm ms. mss n. no nos p. part. pl. pp. pre´c. ro ros

Principes de politique

: attribue´(e)(s) : article(s) : Benjamin Constant : Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne : British Library, Londres : Bibliothe`que nationale de France, Paris : Bibliothe`que de Gene`ve : Bibliothe`que de Constant : Bibliothe`que de Göttingen : broche´ : chapitre(s) : colonne(s) : collection : correction(s), corrige´(s), corrige´e(s) : compte rendu : e´dition : e´dition originale : e´diteur : fascicule(s) : folio : folios : Institut Benjamin Constant : illisible(s) : infe´rieur(e) : interligne : Journal intime : lacune : livraison(s) : millime`tres : manuscrit : manuscrits : note(s) : nume´ro : nume´ros : page : partiellement : planche(s) : pages : pre´ce´dent(s), pre´ce´dente(s) : recto : rectos

Signes, symboles, sigles et abre´viations

re´impr. s. s.d. s.e´d. s.l. s.l.n.d. sup. supp. sv. t. v. vv. vo vos vol.

: re´impression : signe´ : sans date : sans indication de l’e´diteur commercial : sans lieu : sans lieu ni date : supe´rieur(e) : supprime´(s), supprime´e(s) : suivant(s), suivante(s) : tome(s) : vers : vers : verso : versos : volume(s)

5

Chronologie

1767–1802 1767, 25 octobre : Naissance de Benjamin Constant a` Lausanne. 1783–1785 : Etudes a` l’universite´ d’Edimbourg. En rentrant a` Paris, il commence la re´daction de son ouvrage sur le polythe´isme. 1786 : Rencontre et amitie´ avec Mme de Charrie`re. 1788 : Se´jour a` Brunswick, ou` il rencontre Minna von Cramm, sa premie`re femme, et en 1793 Charlotte von Hardenberg, alors e´pouse de Wilhelm Christian von Mahrenholz. 1794 : Premie`re rencontre avec Mme de Stae¨l. 1795 : Constant accompagne Mme de Stae¨l a` Paris. Ils commencent a` jouer un roˆle politique. Constant sera nomme´ en 1800 membre du Tribunat, mais il sera e´limine´ en 1802 avec d’autres opposants. Se´jour en Suisse. 1802 21 aouˆt : Lettre a` Claude Fauriel pour lui annoncer qu’il a interrompu le travail a` un ouvrage e´tranger a` tout ce qui se fait. Cette information, confirme´e par une lettre du 23 octobre au meˆme, signifie qu’il abandonne la re´daction de son traite´ Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays. aouˆt : Necker publie les Dernie`res vues de politique et de finance, ouvrage que Constant e´tudie tre`s attentivement. 4 novembre : Dans une lettre a` Fauriel, Constant annonce qu’il pense a` un ouvrage e´le´mentaire sur la liberte´. Il s’agit probablement de son ouvrage Principes de politique. Cette lettre serait donc la premie`re attestation connue du projet. Mais il paraıˆt que ce plan ne sera pas poursuivi imme´diatement.

8

Principes de politique

1803 6 avril : La lettre que BC adresse ce jour a` Huber nous apprend qu’il renonce a` la publication de son traite´ politique Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays. Au cours de l’anne´e : Notes de lectures qui serviront a` re´diger les Principes de politique. Constant e´tudie entre autres les ouvrages de Cornelius de Pauw et d’Antoine Ferrand. Pendant cette anne´e : Projets de mariage avec Ame´lie Fabri. Re´daction d’Ame´lie et Germaine. De´part de Paris avec Mme de Stae¨l, exile´e. Se´jours d’une quinzaine de jours a` Metz, ou` il se liera d’amitie´ avec Charles de Villers. De´part pour l’Allemagne et installation a` Weimar. Il reprend ses e´tudes sur la religion. 1804 22 janvier 1804 : De´but du journal intime. 9 avril : Mort de Necker. BC, de´ja` de retour a` Lausanne, repart pour Weimar, a` la rencontre de son amie. 24–30 juillet : Se´jour a` Soleure, ou` il rencontre Julie Talma. Aouˆt-novembre : BC est a` Coppet et a` Gene`ve. Il y rencontre les fre`res Schlegel. De´cembre : Mme de Stae¨l part pour l’Italie. 22 de´cembre : Retour a` Paris, ou` il rencontre Charlotte von Hardenberg, qui a e´pouse´ le vicomte de Tertre. L’amour renaıˆt. 1805 BC travaille a` Paris et aux Herbages. Passion pour Anna Lindsay. Mais il a le de´sir d’e´pouser Charlotte. 5 mai et les jours suivants : Mort de Julie Talma. 10 juillet : Retour a` Coppet. Le se´jour se prolonge jusqu’au de´but de l’anne´e suivante, avec des de´placements entre Coppet, Gene`ve, Lausanne et Brevans. Fin de l’anne´e : Parution de l’ouvrage de Louis-Matthieu Mole´, Essais de morale et de politique. C’est probablement cet ouvrage qui de´cide Constant a` commencer ses Principes de politique. 27 de´cembre : Mort a` Colombier de Mme de Charrie`re.

Chronologie

9

1806 4 fe´vrier : De´but du travail aux Principes de politique, atteste´ par le Journal intime. BC projette un petit ouvrage. 4–25 fe´vrier : Re´daction, a` partir du traite´ Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays, de la premie`re version des chapitres qui deviendront les huit premiers livres. L’ouvrage prend une grande envergure. mars : Les chapitres des futurs livres IX et X sont atteste´s. mi-avril : Les livres XI a` XIV sont e´crits. 23 avril : BC note dans son Journal intime qu’il a revu le plan de tout son ouvrage. 28 avril–27 mai : Se´jour a` Lausanne. Il re´dige les derniers chapitres de l’ouvrage, donc probablement les livres XVII et XVIII. Il entreprend sans tarder la re´vision inte´grale de ce traite´, qui se comple`te par l’inte´gration d’anciens mate´riaux du traite´ Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays et de la Copie partielle de ‘Des circonstances actuelles’. 3 aouˆt : BC est au chateau de Vincelles en Bourgogne. Il note ce jour-la` dans son Journal intime : «Fini la re´daction de l’ouvrage. Reste a` classer les ide´es. Commence´e cette classification», ce qui signifie probablement une restructuration du texte et l’inte´gration de certaines notes de lecture. Nous ignorons les de´tails de ce projet. juin : Se´jour a` Rouen, pre`s de Mme de Stae¨l. 16 octobre : De´part pour Paris. Il est probable qu’a` cette date, l’ouvrage a pris la forme que nous connaissons. Nous supposons que la copie du manuscrit de Lausanne est acheve´e a` cette date. 18–28 octobre : Se´jour a` Paris. Nouvelle rencontre avec Charlotte, qui devient bientoˆt sa maıˆtresse. 29 octobre : Retour a` Rouen. Il commence la re´fection d’un roman qui deviendra Adolphe. 1807–1830 1807 : De nombreux de´placements entre Acosta, Paris, Brevans et Coppet. BC travaille a` Wallstein. juin 1808 : Mariage secret avec Charlotte. 1810 : Grosse perte de jeu qui conduit a` la vente des Herbages. BC organise la copie des Œuvres manuscrites. Les Principes de politique y occuperont les volumes I, II et III.

10

Principes de politique

18 septembre : BC travaille aux Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, comme l’atteste la date inscrite dans le manuscrit de notes de lecture (Co 3492). 29 novembre : Dernie`re date connue du travail de re´dactions aux Additions. Fin de l’anne´e, peut-eˆtre de´but de l’anne´e suivante : BC commence la copie autographe de ces additions au t. VII des Œuvres manuscrites. 1811 : De´part pour la Suisse, et de la` pour l’Allemagne, avec Charlotte. 1812–1814 : Se´jour a` Göttingen, puis a` Cassel et Hanovre. Rencontre avec Bernadotte. avril : Retour a` Paris apre`s la chute de l’Empire. 1815 : Retour de Napole´on a` Paris. Constant re´dige l’Acte additionnel et publie les Principes de politique, texte de 1815. 1816 : Se´jour en Angleterre jusqu’a` la fin de l’anne´e. Il revient a` Paris. 1817 : Constant se fait une re´putation de journaliste. Mort de Mme de Stae¨l. 1819 : E´lu de´pute´ de la Sarthe, Constant joue un roˆle important dans les de´bats de la Chambre. 1822 : Un e´chec e´lectoral lui donne le temps de reprendre son ouvrage sur la religion dont le premier volume paraıˆtra en 1824, le dernier en 1831. 1824 : Constant est re´e´lu comme de´pute´ de Paris a` la Chambre ou` il sie´gera de´sormais re´gulie`rement. E´lu a` Paris et a` Strasbourg en 1827, il opte pour le de´partement du Bas-Rhin, et jouera avec beaucoup d’e´clat le roˆle d’un chef de l’opposition libe´rale. Il publie de nombreux ouvrages politiques, des articles de journaux, ses discours a` la Chambre et les Me´langes. ` une date inde´termine´e, il projette une copie de Florestan, 1825–1826 : A pre´parant ainsi la copie, commence´e au plus tard autour du 18 mars 1826, du manuscrit de la Bibliotheca Bodmeriana. Cette copie qui aurait duˆ eˆtre ` une date inconnue, peut-eˆtre l’e´tat de´finitif du texte, n’est pas acheve´e. A encore en 1826, BC commence a` dicter le texte de Florestan. Ce nouveau manuscrit offre l’e´tat de´finitif de l’ouvrage. 1830 : Constant joue a` coˆte´ de La Fayette un roˆle actif dans la Re´volution de juillet. Il sera nomme´ pre´sident de section au Conseil d’Etat. Malade depuis longtemps de´ja`, il meurt le 8 de´cembre 1830 a` Paris.

Introduction ge´ne´rale au tome

V

Le tome V des Œuvres comple`tes est un des rares volumes de cette e´dition qui ne concernent qu’un texte unique, les Principes de politique applicables a` tous les gouvernements. Reste´e longtemps ine´dite, comme cache´e dans la masse des manuscrits de Constant, cette œuvre est le texte de the´orie politique qu’on peut qualifier a` juste titre de texte clef. Certes, on connaissait les grandes lignes des principes fondamentaux de sa the´orie politique, surtout graˆce a` son ouvrage publie´ en 1815 sous le titre Principes de politique applicables a` tous les gouvernements repre´sentatifs et particulie`rement a` la costitution actuelle de la France, et graˆce au Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, ne´glige´ trop longtemps par les commentateurs de la pense´e politique de Constant. Ce que l’on ne connaissait pourtant pas, c’est la structure syste´matique de cette pense´e qui s’offre a` nous et dont on a pu se faire une ide´e a` partir de la premie`re e´dition, ge´ne´tique en quelque sorte, publie´e par E´tienne Hofmann en 1980. Nous e´ditons ici le texte de cet ouvrage dans sa forme la plus e´labore´e qui soit, d’apre`s la version des Œuvres manuscrites de 1810 conserve´e a` la BnF. Cette version a l’avantage d’avoir donne´ aux e´tapes pre´ce´dentes de l’œuvre, repre´sente´es par le grand manuscrit de la BCU de Lausanne, des contours plus nets, de´livre´s des he´sitations de l’e´criture a` la recherche de la formulation de´finitive d’une ide´e. Cela ne signifie nullement d’ailleurs que l’œuvre que nous pouvons offrir ici soit acheve´e. Elle est, au contraire, reste´e fragmentaire, inacheve´e, comme l’attestent les te´moignages univoques de deux manuscrits qui contiennent des additions importantes, comme l’atteste le texte meˆme dans lequel on trouve beaucoup de passages qui sont des e´bauches de notes ou d’additions a` pre´voir, mais pas encore le texte de´finitif ni de ces notes, ni de ces additions. Il s’agit d’un texte en devenir, bien qu’il soit probablement tre`s proche de la forme qu’il aurait duˆ atteindre finalement. On trouvera donc ici une e´dition critique de ce grand ouvrage, dans laquelle nous avons inte´gre´ les additions a` leur endroit, d’apre`s les indications tout a` fait claires de Constant, avec les variantes entre les deux manuscrits principaux au bas des pages et comple´te´ par un apparat spe´cial re´pertoriant toutes les migrations de fragments plus ou moins importants de ce texte dans d’autres e´crits de Constant, du moins dans la mesure ou` nous avons re´ussi a` les identifier. Deux autres sections comple`tent ce volume. La

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Principes de politique

premie`re contient les «Secondes additions e´parses», c’est-a`-dire celles des additions auxquelles l’auteur n’a pas encore attribue´ une place pre´cise. La seconde contient l’e´tat pre´paratoire des additions des Œuvres manuscrites, tel qu’il est conserve´ dans le manuscrit de Lausanne, pour permettre la lecture de ces mate´riaux, qui ne sont pas identiques a` la version des additions des Œuvres manuscrites, dans une perspective ge´ne´tique. Il appartient a` nos habitudes d’annoncer que ce travail d’e´dition n’est pas concevable sans les apports importants des collaborateurs qui n’apparaissent pas tous a` la page de titre. La conception de ce volume, les impacts the´oriques et pratiques ont fait l’objet de longues de´libe´rations. L’introduction, ou` Giovanni Paoletti a une part importante, en rend compte. La saisie des textes a e´te´ re´alise´e a` Tübingen, sous la responsabilite´ du directeur de ce volume, par une e´quipe constitue´e de Waltraud Goller-Bertram et Holger Konzelmann. Lisa Azorin a assume´ une grande partie de l’e´tablissement du texte principal, tandis que Fabienne Detoc a accepte´ la meˆme fonction pour l’e´tablissement du texte des additions du manuscrit de Lausanne. Raphae¨lle Hückstädt-Rivet s’est charge´e de la dernie`re relecture du texte principal, Paul Delbouille et Lisa Azorin de celle des additions de Lausanne. La re´daction du Re´pertoire est due a` Paul Delbouille, celle de l’apparat des textes repris a` E´tienne Hofmann. Les Instruments bibliographiques ont e´te´ re´alise´s par Laura Wilfinger. Paul Delbouille a relu toutes les parties critiques de l’ouvrage et les introductions. Nous remercions enfin notre colle`gue Ernst A. Schmidt de l’Universite´ de Tübingen de nous avoir aide´ a` commenter des allusions de Constant aux auteurs de l’Antiquite´, et Michel Duchein, Paris, pour nous avoir fourni des renseignements pre´cieux sur l’histoire d’Angleterre. Les suggestions fines de Claude Reymond, charge´ de la re´vision de l’ouvrage, ont aide´ a` en ame´liorer la pre´sentation. Il faut mentionner encore la Bibliothe`que Cantonale et Universitaire de Lausanne et la Bibliothe`que nationale de France qui nous ont ouvert leurs collections et permis de reproduire quelques pages des manuscrits pour illustrer les proble`mes avec lesquels les e´diteurs ont e´te´ confronte´s. Qu’elles trouvent ici l’expression de nos remerciements. K. K.

Sources

La liste qui suit regroupe, en les re´sumant, les descriptions des sources anciennes de tous les textes contenus dans le tome V. Pour les manuscrits, le regroupement se fait par fonds, et a` l’inte´rieur de ceux-ci, les mentions apparaissent dans l’ordre croissant des sigles. Pour les imprime´s, la liste est unique et donne les ouvrages et les articles dans l’ordre de leur publication. Manuscrits A. Bibliothe`que nationale de France (BnF) – Paris A1. NAF 14358, fos 86ro–182vo Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens. 97 fos, 193 pp. de la main d’Audouin, avec des rajouts et des corrections a., 250 × 190 mm. 1810. Tome I des Œuvres manuscrites. Texte des livres I a` VII. Hofmann, Catalogue, II/75. A2. NAF 14359 [Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens.] 179 fos, 358 pp. de la main d’Audouin, avec des rajouts et des corrections a., 260 × 200 mm. 1810. Tome II des Œuvres manuscrites. Texte des livres VIII a` XV. Hofmann, Catalogue, II/75. A3. NAF 14360, fos 2ro–66vo [Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens.] 65 fos, 130 pp. de la main d’Audouin, avec des rajouts et des corrections a., 265 × 200 mm. 1810. Tome III des Œuvres manuscrites. Texte des livres XVI a` XVIII. Hofmann, Catalogue, II/75. A4. NAF 14364, fos 28ro–92vo Additions a` l’ouvrage intitule´ : Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens.

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Principes de politique

65 fos, 129 pp. a., 265 × 200 mm. Apre`s 1810. Tome VII des Œuvres manuscrites. Texte d’une pre´face et de nombreuses notes a` ajouter a` la copie d’Audouin, avec des renvois pre´cis aux endroits ou` ces additions doivent eˆtre inse´re´es. Hofmann, Catalogue, II/76. B. Bibliothe`que cantonale et Universitaire (BCU) – Lausanne B1. Fds Ct II, 34/6 Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens Liasse de 18 cahiers, 895 fos, 1515 pp. de la main d’Audouin, avec des rajouts et corrections a., 210–× 170 mm. 1806. Chaque livre constitue un cahier de doubles feuilles, enrobe´es d’une enveloppe du meˆme papier ou` se trouve la table des matie`res du livre en cause. Cette table a e´te´ re´dige´e par BC. B2. Fds Ct II, 34/5 Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique, applicables a` toutes les formes de gouvernement. 155 fos, 248 pp. a., fiches de 200 × 135 mm environ. 1806 – 1810. Papiers divers. Notes et additions a` l’ouvrage, appartenant a` diffe´rentes e´poques, mais re´unies sans doute en autome 1810. Ces notes serviront a` la re´daction du ms. A4. B3. Co 3492 et BnF, NAF 18823, fos 61–62 Me´langes. 29 fos, 58 pp. a. ou de la main d’Audouin. 1803–1804. Fragments d’un recueil de notes de lecture et de morceaux re´dige´s sur des questions relatives a` la religion et a` la politique. Les notes sont nume´rote´es (540 a` 1123), avec beaucoup de lacunes. Quelques-unes des notes ont servi a` comple´ter le texte des Principes de politique ou le dossier des Additions. B4. Co 3415 Conside´rations ge´ne´rales sur les rapports de la morale avec les croyances religieuses. 29 fos, 57 pp. de la main d’un copiste, 355 × 255 mm. 1803–1804 (?) Manuscrit qui appartient au dossier des ouvrages sur la religion. Quelques morceaux ont e´te´ inte´gre´s dans les Principes de politique.

Sources

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B5. Co 3259 Fragments des Conside´rations sur la marche de la religion, depuis l’origine du polythe´isme jusqu’a` l’e´tablissement du the´isme. 322 fos, 161 pp. de la main d’Audouin, 190 × 125 mm. 1805–1806. Manuscrit qui appartient au dossier des ouvrages sur la religion. Quelques morceaux ont e´te´ inte´gre´s dans les Principes de politique.

Principes de politique applicables a` tous les gouvernements 1806–1810

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Introduction

La re´daction Constant re´digea les Principes de politique applicables a` tous les gouvernements du 4 fe´vrier au 17 octobre 18061. Ce de´lai de huit mois et demi, pendant lequel la re´daction connut plusieurs interruptions2, frappe par sa brie`vete´ face a` l’ampleur du re´sultat. D’apre`s la correspondance et surtout le journal intime, il est possible de distinguer quelques e´tapes dans l’e´laboration du texte. Parti avec l’intention d’e´crire une simple brochure, probablement en re´ponse a` Mole´ et a` sa «sonate sur le despotisme» a` peine parue3, Constant voit son projet se modifier dans l’espace d’un mois, et le «petit ouvrage»4 qu’il avait a` l’esprit devenir un e´crit d’un genre et d’une porte´e comple`tement diffe´rents. Du 4 au 25 fe´vrier, s’inspirant librement des premie`res parties du «grand traite´» sur la constitution re´publicaine e´crit dans les anne´es 1800–1803, il re´dige quelque chose qui doit eˆtre comme un brouillon des huit premiers Livres des Principes. Au de´but de mars, s’ajoute ce qui deviendra les Livres IX (garanties judiciaires) et X (proprie´te´), pour un total, au 9 mars, de cinquante chapitres environ5. De la mi-mars a` la mi-avril, un certain ralentissement dans les rythmes de re´daction n’empeˆche pourtant pas Constant d’achever une premie`re version des futurs Livres XI (impoˆts), XIII (guerre), XVI (anciens et modernes), ainsi qu’un morceau du Livre XIV (chapitre sur l’e´ducation). A la fin d’avril une deuxie`me phase du travail commence, annonce´e par un nouvel arrangement d’ide´es (23 avril)6 et re´alise´e en un mois de travail 1

2 3

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5 6

Dore´navant, par Principes de politique nous de´signons naturellement le manuscrit de 1806– 1810, objet de la pre´sente e´dition, a` ne pas confondre avec l’ouvrage au titre presque identique, publie´ par Constant en 1815. Pour la reconstitution des de´placements de Constant pendant cette pe´riode, on se re´fe´rera a` la «Chronologie» du t. VI des OCBC, Œuvres, p. 10. Louis-Mathieu Mole´, Essais de morale et de politique, Paris : Nicolle, 1806 (mais parus en de´cembre 1805). Voir la lettre a` Hochet, 5 fe´vrier 1806, cite´e dans Hofmann, Gene`se, p. 233 (OCBC, CG, t. VI, pp. 39–41). Journal intime, 4 fe´vrier 1806, OCBC, Œuvres, t. VI, p. 425 : «Commence´ le petit ouvrage que je veux publier bientoˆt extrait de mon grand traite´ de politique je suis tre`s content de mon plan.». Hofmann, Gene`se, p. 264. Voir Journal intime, 23 avril 1806, OCBC, Œuvres, t. VI, p. 439 : «4 [=travaille´] pas trop bien mais la marche des ide´es est arrange´e.»

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Principes de politique

suivi, dans le calme de Lausanne (28 avril–27 mai). Deux ope´rations sont accomplies par Constant pendant cette pe´riode : il poursuit la re´daction provisoire de son traite´ jusqu’aux «derniers chapitres», ce qui pourrait signifier que les Livres XVII et XVIII sont esquisse´s a` cette e´poque ; il commence a` refondre, dans presque tout son texte1, les extraits provenant de la relecture de deux «anciennes copies», qui sont selon toute probabilite´ les Fragments du «grand traite´», ainsi que la copie de Des circonstances actuelles de Mme de Stae¨l, dont be´ne´ficie particulie`rement le futur Livre XVIII (et dernier) des Principes2. Les derniers temps de l’e´criture, de juin a` la mi-octobre, sont plus fragmente´s, et le journal ne fournit plus d’indication sur le contenu de la re´daction. Il est ne´anmoins possible de relever quelques points de repe`re : a) Le 3 aouˆt, au chaˆteau de Vincelles en Bourgogne, la premie`re re´daction des Principes est apparemment termine´e, pour un total de 74 chapitres3. b) La «re´daction de´finitive», a` laquelle Constant se livre de`s ce moment consiste a` la fois en une re´e´criture du texte, qui n’interdit pas l’e´criture de quelques chapitres nouveaux, et en une «classification des ide´es», qui inte´resse surtout la disposition et la structure du livre. c) De ces deux ordres d’interventions ressortissent notamment le Livre XII (industrie et population, le plus long de l’ouvrage)4 et peut-eˆtre le Livre XV. d) Le travail de «classification d’ide´es» est documente´ en particulier par deux diffe´rents plans des Principes, que Constant e´tablit respectivement en septembre et en octobre 1806, sans en eˆtre vraiment satisfait5. Le 16 octobre, il e´crit dans son journal les derniers mots concernant la re´daction du traite´6. Son de´part pour Paris, deux jours apre`s cette date, coı¨ncide avec l’interruption du travail, le manuscrit ayant probablement atteint la forme que nous lui connaissons (voir le premier tableau).

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4 5 6

Voir Hofmann, Gene`se, p. 266. Journal intime, 8 mai 1806, OCBC, Œuvres, t. VI, p. 441 : «Fini l’esquisse des derniers Chapitres de mon ouvrage. Il faudra a` pre´sent relire les deux anciennes copies, pour en extraire ce qui le me´rite, et tacher d’avoir acheve´ ce travail avant de partir d’ici.» Journal intime, 3 aouˆt 1806, p. 455 : «4 [=travaille´] assez bien. Fini la re´daction de l’ouvrage. Reste a` classer les ide´es. Commence´ cette classification.», et 4 aouˆt 1806 : «J’ai 74 chapitres a` revoir. Revu un chapitre.» Ce Livre est compose´ probablement pendant le mois de septembre a` partir (aussi) de chapitres qui avaient e´te´ dans un premier moment situe´s ailleurs. Journal intime, 15 octobre, p. 465 : «4 [=travaille´] bien, mais j’ai trouve´ qu’il fallait une suite diffe´rente d’ide´es.» Journal intime, p. 466 : «4 [=travaille´] toujours trop lentement, je n’en finirai jamais».

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Introduction

La re´daction des Principes de politique : chronologie, lieux, e´tapes · 4 fe´vrier 1806

«Commence´ le petit ouvrage»

b 50 chap. b a a c env. a Re´daction a a IX – X d c provisoire a XI, XIII, partie du a a XIV, XVI d

4–25 fe´vrier Dole ; 14  Gene`ve 1–9 mars

Livres

I-VIII

mi-mars – mi-avril Gene`ve ; Coppet

· 23 avril

«La marche des ide´es est arrange´e»

28 avril – 27 mai Lausanne

– XVIII «anciennes copies» (de´but) XVII

juin – juillet Auxerre (1–12 juin) ; Vincelles (13 – fin juin) ; Paris (1–15 juill.) ; Vincelles (du 16 juill.)

· 3 aouˆt

(suite et fin)

b a a a a a a c «Anciennes a a copies» a a a a a d

«Fini la re´daction de l’ouvrage. Reste a` classer les ide´es. Commence´ cette classification.»

aouˆt Vincelles ; 24  Paris septembre Paris ; 18  Rouen octobre Rouen ; 18  Paris

· 16 octobre 1806

«re´daction de´fi- 74 chap. b a nitive» (de´but) a a a «Re´daction (suite ; Plan1 : a Livre XII Livres c de´finitive» et XV ?) et sections a a a 2 a (fin) Plan : a Livres d

«Travaille´ un peu. Qui diable travaillerait au milieu de tout ceci !»

Depuis son e´dition par E´tienne Hofmann, en 1980, le texte des Principes de politique n’a pas cesse´ de frapper par son imposante mate´rialite´ : une

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Principes de politique

impression que cette nouvelle pre´sentation dans les Œuvres comple`tes, base´e sur le manuscrit poste´rieur, a` la forme plus soigne´e, celui de Paris, est destine´e a` renouveler. Une fois de´couverts, les Principes ont e´te´ conside´re´s, et a` raison, comme le chef d’œuvre the´orique de Constant, le maillon a` placer, dans la philosophie politique de langue franc¸aise, entre l’Esprit des lois ou le Contrat social et la De´mocratie en Ame´rique1. Issus d’un ve´ritable exploit intellectuel, ils ont paru renfermer de´ja` l’essentiel du libe´ralisme constantien, dans une synthe`se dont les premiers e´crits de l’auteur – les pamphlets du Directoire, ante´rieurs d’une dizaine d’anne´e – laissaient a` peine pre´sager toute la richesse2. Il faut pourtant se garder de quelques erreurs de perspective, les Principes e´tant en re´alite´ quelque chose de moins et, a` la fois, quelque chose de plus que tout cela. Quelque chose de moins : les Principes restent un ouvrage inacheve´, malgre´ les efforts de l’auteur, en 1806 et en 1810, et malgre´ leur haut degre´ d’e´laboration. Les Principes ne furent pas non plus l’œuvre d’un jour, ou de quelques semaines, malgre´ ce que le Journal intime pourrait involontairement laisser croire. Ils se de´tachent plutoˆt d’un ensemble complexe de recherches en cours, de chantiers ouverts et de textes de´ja` re´dige´s (sur la politique, mais aussi sur la religion et sur l’histoire), dont il faudrait mesurer en de´tail le roˆle dans la gene`se de l’ouvrage, par une e´tude qui reste a` faire et qui sera toujours proble´matique. On peut en tout cas e´carter toute solution simpliste : la composition des Principes se fit pour partie en agenc¸ant des mate´riaux pre´alables, mais dans une perspective nouvelle, dans un projet d’ensemble qui leur donnait un sens nouveau. Finalement, cette nature complexe de la gene`se, que Kurt Kloocke fait entrevoir ci-dessous par l’e´tude des manuscrits, nous interdit de voir dans

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2

Tzvetan Todorov, «Pre´face» a` Benjamin Constant, Principes de politique applicables a` tous les gouvernements, Paris : Hachette, 1997, p. 5. Pour mesurer l’impact de la premie`re e´dition critique des Principes, on lira par exemple l’article de George Armstrong Kelly, «Constant and his interpreters : a second visit», ABC, no 6, 1986, pp. 81–89, ainsi que l’e´tude de Mauro Barberis, «Benjamin Constant : inediti e questione di metodo», Materiali per una storia della cultura giuridica, 1, 1984, pp. 73–109. A la connaissance de l’ouvrage contribua e´galement la pre´sentation synthe´tique et tre`s claire qu’en fit Kurt Kloocke a` partir des manuscrits (K. Kloocke, Benjamin Constant : une biographie intellectuelle, Gene`ve : Droz, 1984, ch. III, notamment pp. 137–139 sur les Principes) : en restituant le contexte de ces anne´es, qui furent parmi les plus fe´condes de la biographie intellectuelle de Constant sur le plan the´orique (les recherches sur la religion) et litte´raire (Adolphe, la trage´die Wallstein), Kloocke esquissait aussi l’intuition de la direction a` choisir pour l’exe´ge`se de ce grand texte encore tre`s peu connu a` l’e´poque.

Introduction

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les Principes la quintessence, e´tablie une fois pour toutes, de la pense´e politique de Constant. De cette pense´e, dont une tradition heureusement de´passe´e a largement surestime´ le de´faut de cohe´rence, l’ouvrage de 1806– 1810 fut une expression fondamentale, mais qu’il faut ne´anmoins comprendre dans sa singularite´, et meˆme dans sa contingence. On ne peut pas ne´gliger le fait que Constant laissa ine´dit son traite´ le plus ambitieux, meˆme apre`s la chute de Napole´on1 : il faut voir la` l’indice e´vident d’un proble`me d’appre´ciation que Constant portait sur son propre travail. Mais les Principes sont aussi quelque chose de plus : leur singularite´, que nous venons de souligner afin d’inviter les interpre`tes a` la prudence, pose le proble`me du rapport qui peut exister entre ce traite´ et la production ulte´rieure de l’auteur. Rapport qui fut tre`s e´troit, on le sait, Constant n’ayant pas cesse´ de puiser dans son manuscrit des mate´riaux pour ses brochures de la Restauration. Dans une e´tude re´cente, pre´pare´e en vue de la pre´sente e´dition, E´tienne Hofmann a montre´ que, un passage apre`s l’autre, presque la moitie´ du texte des Principes a «migre´» vers les e´crits de la Restauration, par des parcours souvent complique´s et moyennant des ope´rations de re´e´criture qui furent tout sauf me´caniques2. Le rapport qui lie les Principes aux publications poste´rieures doit eˆtre e´value´ au cas par cas, mais en ge´ne´ral il ne se laisse qu’exceptionnellement re´duire a` une simple transposition sans conse´quences conceptuelles. S’il serait faux de voir dans les Principes l’expression authentique de la pense´e constantienne – une expression qui admettrait tout au plus des re´pliques, mais non des de´veloppements – les conside´rer comme un re´servoir bon surtout pour les ambitions de l’e´crivain a` son retour sur la sce`ne politique serait me´connaıˆtre e´trangement l’autonomie de l’ouvrage, et l’effort conceptuel qui le sous-tend. C’est pre´cise´ment cet effort, ses conditions, ses enjeux, qu’il s’agit de comprendre, si on veut pe´ne´trer le sens des Principes de politique de 1806–1810 et de´terminer leur place dans l’histoire de la philosophie politique.

1 2

Voir ci-dessous, l’introduction de K. Kloocke, pp. 59–83. E´tienne Hofmann, «Les Principes de politique de 1806 comme ‘re´servoir’ de textes pour les publications de Constant sous la Restauration. Une description sche´matique du proble`me», ABC, no 33, 2008, pp. 25–61. Le phe´nome`ne des reprises de passages emprunte´s des Principes ne concerne pas seulement les ouvrages que Constant a imprime´s sous la Restauration, mais e´galement des textes ine´dits comme son cours sur l’Angleterre donne´ en 1819 a` l’Athe´ne´e royal.

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Principes de politique

2. La structure Revenons a` la re´daction de l’ouvrage, et notamment a` la question de sa structure. Le 4 aouˆt 1806, Constant parle en effet de la «classification d’ide´es» comme d’une ope´ration qui lui reste a` faire et a` laquelle il va se livrer de`s ce moment. De quoi s’agit-il, puisque ses ide´es – disons plus concre`tement ses chapitres – sont a` cette date de´ja` «classe´es», au moins dans une certaine mesure ? Les indications dont nous disposons, provenant soit du journal soit des manuscrits, ne permettent pas de donner une re´ponse suˆre. Il est raisonnable de supposer que l’ope´ration a` mener consistait dans la mise au point de la disposition que Constant avait esquisse´e au fur et a` mesure que la re´daction avanc¸ait : il faudrait parler d’une meilleure classification d’ide´es, plutoˆt que d’une classification ex nihilo. Il est utile de distinguer la classification en ge´ne´ral, des plans de l’ouvrage proprement dits (les re´partitions du texte en unite´s formellement distinctes et organise´es logiquement). Nous avons e´voque´ les deux plans (proprement dits) que Constant e´labore vers la fin de sa re´daction, respectivement en septembre et octobre 1806. Donc un «ordre» des Principes existait de´ja`, au moins implicitement. Ce que les plans ajoutent a` l’ordre de´ja` existant c’est surtout la forme explicite, un passage qui est pour Constant une fac¸on de pre´senter le livre aux lecteurs potentiels, mais cela implique e´galement de la part de l’auteur un effort d’auto-interpre´tation. Les plans de septembre et d’octobre diffe`rent par leur structure d’une fac¸on remarquable. Celui de septembre est, selon un mot que nous empruntons a` Kurt Kloocke, un plan «hie´rarchise´», qui organise le texte sur quatre niveaux superpose´s : de haut en bas, Parties, Livres, Sections et Chapitres. Le plan d’octobre, le dernier impose´ par Constant a` son manuscrit, est un plan «line´aire», ou` cette hie´rarchie paraıˆt de´structure´e, les niveaux sont re´duits a` deux (Livres, Chapitres), et la nume´rotation des Livres se de´roule sans interruption du premier au dernier. On he´site sur l’e´valuation de ce changement. Il obe´issait probablement a` une ne´cessite´ pragmatique, l’abandon de la grille «forte» de septembre conduisant a` un re´sultat qui «e´tait peut-eˆtre moins bien construit, moins harmonieux, mais plus pratique pour l’e´crivain presse´ de finir»1 ; il pourrait e´galement eˆtre le signe d’une difficulte´ a` conformer son ouvrage a` un dessin vraiment syste´matique. Meˆme en admettant ces raisons ne´gatives, qui prennent en compte

1

Hofmann, Gene`se, p. 277.

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Introduction

plutoˆt le point de vue de l’auteur, ses soucis ou ses limites, on peut se demander si le fait de de´barrasser le texte de l’articulation explicite mais somme toute exte´rieure du plan de septembre peut avoir de notre point de vue de lecteurs potentiels un effet positif dans l’appre´ciation de sa logique interne, une logique que Constant a finalement laisse´e au moins en partie implicite. Nous nous appuyons pour cette appre´ciation sur la Table 2, ou` les plans de septembre et d’octobre sont mis en paralle`le1 (et un groupement the´matique est esquisse´ dans la colonne de droite).

Principes de politique : les plans de septembre et d’octobre 1806 septembre 1806 (Parties, Livres, Sections) e a a a a a a a a a a a a a a Premie`re a partie : f Principes a a ge´ne´raux a a a a a a a a a a a a a a a a a a a g

1

Livre

I

e Sect. a a a a f a Sect. a a a a g

e a a a Livre II a a Extensiona a autorite´ f a a a a a a a g Livre

III

oct. 1806 (Livres)

I

Ide´es rec¸ues sur e´tendue autorite´

I

II

Principes a` substituer aux ide´es rec¸ues

II

Sect.

I

Raisonnements en faveur extension autorite´

III

Sect. Sect.

II

IV

Sect.

IV

Multiplicite´ lois Mesures arbitraires Coups d’Etat Liberte´ pense´e Liberte´ religieuse Garanties judiciaires

VII

III

e Sect. I-II a a Sect. III f a a Sect. IV a a g

V

Autorite´ (principes sur l’)

Formes de´ge´ne´ratives

VI

VIII IX

Individuel (sphe`re de l’)

Pour tous les de´tails concernant l’e´tat des manuscrits et les titres inte´graux ou conjecturaux assigne´s par Constant aux partitions de son ouvrage, voir ci-dessous, l’Introduction de Kurt Kloocke, pp. 61–66.

26

Principes de politique

e a a a Seconde a a Livre partie : a a Applica- f tion des a a Livre principes a a ge´ne´raux a a a g Livre e a Troisie`mea a partie : a a Re´sultat a a a des a principes f ge´ne´raux a a et de leura a applica- a a a tion a a g

I

II

e a a f a a g e a a f a a g

III

e a a a a a a Livre I : a Re´ponses a a a` diverses a a objections f et conside´- a a a rations a a addition- a a nelles a a a a a a g

Sect. ISect. III Sect. IV Sect. I-II

Sect. Sect.

III

Sect.

I

I

Action autorite´ sur la proprie´te´ sur l’impoˆt sur l’industrie et la population sur la guerre sur les lumie`res Re´sultat des recherches sur action autorite´

X

XI XII

Relation (ne´gative) AI

XIII XIV

XV

Sect.

II

Autorite´ chez les anciens

XVI

Sect.

III

Des vrais principes de la liberte´

XVII

Sect.

IV

Devoirs des individus envers autorite´

XVIII

Relation (positive et ne´gative) IA

D’un plan a` l’autre, l’ordre ge´ne´ral des sujets traite´s (colonne centrale) ne connaıˆt pas de variations remarquables. La re`gle ge´ne´rale du changement semble avoir e´te´ tout simplement la transformation des Sections en Livres. Les le´ge`res modifications que Constant introduit obe´issent toujours a` une exigence de simplification – soit dans les partitions, soit dans les titres – qui ne change en rien le sens fondamental de la disposition. L’intervention la plus marque´e est la de´construction de la structure hie´rarchique du plan de septembre, et en particulier l’abolition des deux niveaux supe´rieurs (Parties et Livres). Ceux-ci pre´sentent des difficulte´s de deux genres diffe´rents et presque oppose´s. Dans le cas de la Premie`re Partie, qui devait traiter des «Principes ge´ne´raux», le titre ne convient proprement qu’a` une portion de l’ensemble, c’est-a`-dire aux deux ou trois premie`res Sections (futurs Livres I-III), le reste e´tant de´ja` des de´veloppements, des conse´quences ou des applications des principes en question1. Quant a` la Troisie`me Partie, le proble`me n’est pas l’exce`s de de´termination, mais, au contraire la ge´ne´ralite´ 1

Une difficulte´ semblable concerne le Livre II de cette meˆme Partie, consacre´ a` «L’extension

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de la de´nomination choisie : les titres abstraits employe´s dans ce cas par Constant («Re´sultat», «Re´ponses», «Conside´rations») pourraient correspondre soit a` une he´te´roge´ne´ite´ des sujets traite´s, soit – c’est notre hypothe`se – a` une inde´cision dans la fonction a` assigner a` cette partie finale de l’ouvrage. En tout cas, la disposition de la dernie`re partie des Principes constitue un proble`me2. En revanche, d’autres articulations du plan de septembre paraissent de´ja` marque´es avec une nettete´ suffisante : c’est le cas, par exemple, de la Seconde Partie, qui traite d’une fac¸on assez syste´matique du rapport de l’autorite´ avec des institutions ou des activite´s tenant a` la sphe`re individuelle (dans un ordre de ge´ne´ralite´ croissante : proprie´te´, impoˆt, industrie et population, guerre, lumie`res), mais aussi du Livre III de la Premie`re Partie (futurs Livres VII-IX), ou` Constant de´crit en elle-meˆme cette sphe`re individuelle, ou` l’autorite´ ne saurait pas entrer. Le plan d’octobre garde ces arrangements en de´barassant la structure des points faibles de la premie`re tentative. On peut donc partir des zones ou` la cohe´rence de la disposition paraıˆt clairement, pour essayer de reconstruire la logique de la classification des ide´es suivie par Constant, telle qu’aurait pu la deviner un lecteur de la fin d’octobre 1806, et encore plus clairement de 1810. Fide`le a` son titre, l’ouvrage commence donc avec un groupe de Livres entie`rement voue´s a` l’examen d’un «principe», c’est-a`-dire la limitation de l’autorite´ : Constant pre´sente ce principe comme e´tant le premier et virtuellement le seul de tout son traite´3, il l’e´tablit en passant par la re´futation de l’hypothe`se adverse (Livres I-III). Le groupe des trois livres suivants de´crit les formes typiques que la transgression de ce principe peut assumer dans diffe´rents genres d’association politique : la multiplicite´ des lois (IV-VI)

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de l’autorite´ sociale», un sujet qui est de´ja` (et surtout) traite´ dans les deux premie`res sections de l’ouvrage. Cette difficulte´ pourrait eˆtre re´solue en distinguant l’e´tendue de l’autorite´, en tant que notion the´orique, de son extension, c’est-a`-dire de l’acte d’e´tendre l’autorite´ au-dela` des limites le´gitimes, par telle ou telle institution. S’agit-il d’une hypothe`se trop subtile ? On constate ne´anmoins le fait que Constant dans le plan de septembre re´serve le terme d’«e´tendue» aux titres du Livre I, et passe a` l’«extension» avec le Livre II, qui en effet s’occupe de l’exercice concret du pouvoir plutoˆt que de sa de´finition conceptuelle. Il n’est pas e´vident en effet de de´terminer dans quel sens cette Troisie`me partie serait le «re´sultat» des deux pre´ce´dentes. Voir ci-dessous, I.1, p. 101 : «Le re´tablissement de ce principe, ses de´veloppements, ses conse´quences, son application a` toutes les formes de gouvernements, soit monarchiques, soit re´publicains, tel est le sujet de cet ouvrage.» ; XVII.4, p. 661 : «Tout ce raisonnement [a` propos du despotisme] est fonde´ sur l’erreur dont la re´futation fait l’objet de cet ouvrage.»

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dans les re´publiques, l’arbitraire dans les monarchies, les coups d’e´tat, enfin, dans des re´gimes qu’on dirait tyranniques ou despotiques. La cohe´rence de cette se´quence est assure´e par l’analogie implicite a` la typologie des gouvernements e´tablie par Montesquieu dans l’Esprit des lois (monarchie, re´publique, despotisme), typologie dont Constant pre´sente ici – dernie`re version, post-re´volutionnaire, d’un exercice longtemps classique – les formes de´ge´ne´ratives. L’e´tablissement du principe ne´gatif de la limitation du pouvoir ne serait pas complet, comme Constant l’affirme a` propos du meˆme Montesquieu, sans la de´finition positive du domaine ou` l’autorite´ ne devrait jamais exercer son action1. C’est la taˆche des Livres VII-IX, de´ja` nomme´s, ou` la sphe`re sacre´e de l’individuel est explore´e dans ses dimensions fondamentales : l’individu en tant qu’eˆtre pensant (Livre VII : liberte´ de la pense´e), dans son rapport a` Dieu (VIII : liberte´ religieuse), dans son inte´grite´ personnelle (IX : garanties judiciaires, ou habeas corpus). Dans le plan de septembre, ces livres concluaient la Premie`re Partie de l’ouvrage, et coı¨ncidaient, a` l’exception du Livre IX, avec la couche re´dactionnelle la plus ancienne, issue directement du «grand traite´». Une fois que les deux notions e´le´mentaires, antithe´tiques et comple´mentaires de l’Autorite´ et de l’Individualite´ ont e´te´ analyse´es en elles-meˆmes, Constant passe a` l’examen de leurs relations. La relation de l’autorite´ avec les individus est en effet le fil rouge des livres X-XIV, qu’on vient d’e´voquer. Arrive´s a` ce point, il convient de s’arreˆter un instant. A la fin du Livre XIV de son traite´, Constant a de´ja` acquis un point tre`s important : les de´finitions comple´mentaires de l’autorite´ (sa nature, ses pre´rogatives) et de la sphe`re individuelle, avec les conse´quences de ces de´finitions sur l’ensemble des pratiques qui constituaient le champ d’action de l’Etat moderne (re´gime fiscal, activite´s e´conomiques, relations internationales, culture). Le noyau the´orique de´veloppe´ par les Principes, une dizaine d’anne´es apre`s Thermidor et avec une clarte´ syste´matique qui a peu de pre´ce´dents, coı¨ncide avec le programme de ce qu’on appellera le «libe´ralisme pur»2 : limitation

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Voir ci-dessous, I.3, p. 109 : «La liberte´ n’est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire, et ce que la socie´te´ n’a pas celui d’empeˆcher.» Nous faisons allusion a` un article de Simone Goyard-Fabre, «L’ide´e de souverainete´ du peuple et le libe´ralisme pur de Benjamin Constant», Revue de Me´taphysique et de Morale, LXXXI, 1976, pp. 289–327. Kurt Kloocke parle dans ce sens des Principes comme de «la premie`re manifestation syste´matique de l’esprit libe´ral et la premie`re tentative de de´finir en un langage politique les revendications du libe´ralisme pour garantir dans une tre`s large mesure la liberte´ individuelle» (Kloocke, Biographie, p. 138). Pour situer la pense´e de

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de l’autorite´, sacralite´ des liberte´s individuelles, re´duction au minimum de l’action de l’Etat sur les activite´s (de´sormais dites) prive´es. Constant pourtant ne s’arreˆte pas ici, mais il va plus loin1. Pourquoi ? Seuls deux Livres dans tout l’ouvrage gardent le mot-cle´ de «principes» dans leur titre : le Livre II et le Livre XVII. Ils occupent dans le plan une position comparable, place´s l’un et l’autre au centre de deux ensembles de Livres homoge`nes par leur contenu (I-III ; XVI-XVIII). Plusieurs indices sugge`rent l’existence d’une correspondance e´troite entre ces deux ensembles : les renvois internes, quelques he´sitations de Constant dans la distribution du texte, le fait que le Livre I des Principes de politique de 1815 rec¸oit de nombreuses morceaux provenant de l’un et de l’autre2. Il semble en re´sulter que la structure de l’ouvrage n’obe´it pas a` l’articulation (principes – application – re´sultats) qui formait l’ossature du plan de septembre, mais suit plutoˆt un parcours circulaire. Le lecteur est ainsi amene´ en conclusion a` revenir pour un supple´ment de re´flexions sur des sujets que les premiers Livres paraissaient avoir e´tablis d’une fac¸on suffisamment nette. La reprise, parfois litte´rale, de certains passages du Livre XVIII dans les Additions au Livre I, ch. 1, semble signaler ouvertement l’intention de la part de Constant de revenir sur le de´but de l’ouvrage a` partir de ses conclusions3.

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Constant a` l’inte´rieur de la tradition libe´rale, voir Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libe´ralisme, Paris : Calmann Le´vy, 1987. Dans la mesure ou` elle place la liberte´ individuelle dans une sphe`re de droits soustraite a` toute intervention de l’autorite´, la pense´e de Constant marque pourtant un clivage par rapport aux expressions de cette tradition au XVIIe et au XVIIIe sie`cles (Locke, Montesquieu, Smith), qui n’avaient pas cesse´ d’identifier la liberte´ a` la se´curite´ garantie par l’Etat et les lois (voir Mauro Barberis, Liberta`, Bologna : Il Mulino, 1999, ch. 4, notamment pp. 97–103, avec re´fe´rence aux Principes de politique, I.3, II.1, II.5). Il est curieux de remarquer que le Livre XV et le Livre XVIII se terminent tous deux avec des paragraphes tre`s semblables sur la liberte´ en Angleterre (XV.8, p. 595 : «L’Angleterre a des institutions politiques qui garantissent la liberte´ [...] » ; XVIII.6, p. 705 : » [...] l’Angleterre a repris sa place parmi les peuples sages, vertueux et libres et l’a conserve´e.»), comme s’il s’agissait d’un final re´pe´te´. Quant aux renvois internes, voir I.1 et XVII.4 (cite´s ci-dessus, p. 27, n. 3) ; I.3, p. 108 (distinction entre la «liberte´» et la «garantie»), XVI.7, p. 626 et XVII.3 (distinction entre la «liberte´ civile» et la «liberte´ politique») ; XVII.1, p. 643 : «Nous avons essaye´ de de´terminer dans cet ouvrage l’e´tendue et la juridiction de l’autorite´ sociale [...]». Le livre I des Principes de politique de 1815 rassemble des mate´riaux provenant des PdP, I.3, 4, 5, 6, 7 et 9 ; II.1 et 4 ; XVIII.2. Il s’agit notamment de XVIII.6, p. 703 («En vain la fatigue des peuples [...]) et XVIII.4, p. 686 («De la` vient que des propositions dont l’absurdite´ nous e´tonne [...]»), repris respectivement dans la Pre´face, ci-dessous pp. 93 et 94.

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Jusqu’au seuil du Livre XV, qui nous paraıˆt de ce point de vue un livrecharnie`re, les Principes se pre´sentent essentiellement comme un traite´ sur la nature de l’autorite´ et du pouvoir politique. Une fois que l’action de l’autorite´ a` l’e´gard des individus a e´te´ examine´e, la relation semble s’inverser : le the`me de la partie conclusive de l’ouvrage serait plutoˆt – comme le titre du Livre XVIII le sugge`re – la relation ou l’action «des individus envers l’autorite´». De cette relation, les Livres XVI-XVIII prennent en conside´ration une varie´te´ de formes : du degre´ maximum d’adhe´sion aux de´cisions de l’autorite´ qui est celui de l’acquiescement, en passant par l’obe´issance et par la re´sistance, jusqu’a` la participation active du citoyen a` l’exercice du pouvoir, ou liberte´ politique1. Dans cette se´rie d’analyses, l’individu n’est pas conside´re´ en soi, comme dans les Livres VII-IX, ni en tant que destinataire «neutre» ou passif de l’action de l’autorite´ (Livres X-XIV), mais dans sa qualite´ de sujet d’une relation, ou` il joue toujours un roˆle politique actif. Meˆme dans le cas de l’acquiescement ou de l’obe´issance, le comportement des individus pre´suppose la pre´sence d’un mobile inte´rieur ou d’une de´termination de la volonte´. L’autorite´ est conside´re´e ici sous un rapport nouveau : non pas comme une force exte´rieure a` l’individu, a` examiner dans sa le´gitimite´ et a` limiter dans son exercice, mais comme l’objet d’une repre´sentations mentale, voire comme une dimension de l’existence. Ainsi, dans les derniers Livres des Principes, le point de vue se de´place vers la subjectivite´ individuelle, et vers les ressorts qui re`glent le rapport de celle-ci a` l’autorite´ et au pouvoir : le lecteur est descendu, pour ainsi dire, dans l’inte´riorite´ des individus conside´re´s en tant que sujets politiques.

3. Les pre´misses conceptuelles (1798–1805) : individu, loi, nature L’e´mergence du proble`me du sujet politique – a` quelles conditions les individus peuvent-ils devenir des acteurs dans la sce`ne politique ? qu’est-ce que signifie eˆtre citoyen dans un grand Etat moderne ? quelles conditions doit respecter la relation entre les individus et le pouvoir pour rester syme´trique, sans empie`tements d’un terme sur l’autre ? – est a` tel point cen-

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Voir notamment, sur l’acquiescement : XVI.8, p. 638 et XVIII.4–6 ; sur l’obe´issance : XVIII.2 («De l’obe´issance a` la loi») ; sur la re´sistance, XVIII.1 («Difficulte´s relatives a` la question de la re´sistance») et XVIII.6, pp. 702–704 ; sur la liberte´ politique, XVI.7 et XVII.3 («Dernie`res conside´rations sur la liberte´ politique et la liberte´ civile»).

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trale chez Constant, que Lucien Jaume a pu forger l’expression «libe´ralisme du sujet» pour de´signer l’inflexion typique de sa pense´e politique (ainsi que de celle de Mme de Stae¨l)1. Ce libe´ralisme fait de l’individu un e´le´ment incontournable de l’univers politique post-re´volutionnaire (cette position est paradoxalement minoritaire dans la famille des libe´ralismes franc¸ais du XIXe sie`cle). Ce libe´ralisme est aussi conscient du fait que cet «individu» ne saurait plus eˆtre conside´re´ comme une donne´e acquise a` priori, allant de soi : il sera ne´cessaire de le conside´rer de´sormais comme une re´alite´ complexe, qu’il faudra comprendre et en quelque sorte cre´er. Voila` ce qui fait justement de cet individu un «sujet». On peut se demander quand cette pense´e du sujet a pris son essor chez Constant. Cela pose la question de la nouveaute´ des Principes de politique dans le de´veloppement de la pense´e de leur auteur. L’e´cart entre les Principes et les pre´ce´dents e´crits politiques de Constant saute aux yeux : les principes dont il s’agit se veulent «applicables a` tous le gouvernements», lorsque toute sa re´flexion politique s’e´tait de´veloppe´e jusqu’alors comme une the´orie de la liberte´ sous une forme particulie`re de gouvernement, la re´publicaine – pour recommencer apre`s 1813 a` s’articuler a` partir d’une autre forme particulie`re, la monarchique. C’e´tait un mouvement the´orique fondamental, dont on ne saurait pas sous-estimer la porte´e2. Ce changement fut-il le seul ? Comment se raccorde-t-il aux proble`mes qui avaient e´te´ au cœur des pre´occupations de Constant dans les anne´es qui pre´ce`dent 1806 ? Rappelons brie`vement quelques e´le´ments tire´s du re´seau des textes de Constant imme´diatement ante´rieurs a` la re´daction des Principes3. Juste apre`s les de´buts de sa carrie`re de publiciste, il s’e´tait d’abord confronte´ longuement avec un ouvrage axe´ justement sur le proble`me des rapports individu/Etat, et qui de ce proble`me avait donne´ une solution tranchante, inspire´e d’un individualisme outrancier et anarchique (ainsi qu’oppose´ a` la proprie´te´) : l’Enquiry concerning Political Justice (1793) de William Godwin, dont Constant avait entame´ la traduction entre 1798 et 1800. La

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Voir Lucien Jaume, L’Individu efface´ ou le paradoxe du libe´ralisme franc¸ais, Paris : Fayard, 1997. Voir ci-dessous l’Introduction de Kurt Kloocke, p. 58. Les correspondances multiples entre les Principes et les fragments du traite´ sur les Possibilite´s d’une constitution re´publicaine dans un grand pays devraient faire l’objet d’une e´tude a` part : nous renvoyons aux conside´rations de Marı´a Luisa Sa´nchez-Mejı´a, Introduction aux Fragments, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 370–371 et au «Tableau de concordance» entre les deux textes, ibid., pp. 395–396.

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conception selon laquelle la socie´te´ ne serait qu’une agre´gation d’individus (atomisme social), dont les inte´reˆts, laisse´ libres, se coordonneraient spontane´ment, n’e´tait pas neuve : un livre comme la Richesse des nations d’Adam Smith, un des classiques rede´couverts en France apre`s Thermidor et ouvrage de re´fe´rence des Principes, en avait offert une illustration ce´le`bre. De cette conception Godwin avait donne´ une formulation claire, et avait conclu que l’appareil e´tatique est en de´finitive superflu. Dans les Principes, Constant cite litte´ralement sa traduction de la formule de l’atomisme social – «les peuples ne sont que des agre´gations d’individus»1 –, mais en re´alite´ son attitude envers les positions de Godwin avait e´te´ toujours ambivalente, voire critique, notamment sur le statut de la proprie´te´ et sur le roˆle (indispensable) de la politique et de l’Etat2. Ce n’est pas sur l’individualisme de Godwin que Constant peut fonder la doctrine de la limitation du pouvoir. Dans les meˆmes anne´es, une alternative dans cette direction lui venait de me M de Stae¨l, et pre´cise´ment de cet ouvrage Des circonstances actuelles, que Constant contribua activement a` enfanter, vers la fin de 1798, et dont il fit autour de 1800 une copie partielle a` son usage3 : on peut supposer que c’e´tait la` une des «anciennes copies» dont il se servit en e´te´ 1806, dans une phase cruciale de la re´daction des Principes. A l’arrie`re plan d’un livre conc¸u comme une intervention directe dans le de´bat politique de´clenche´ par la crise de Fructidor, Constant pouvait trouver l’esquisse d’une anthropologie investissant toujours l’individu d’une valeur positive, mais a` partir de raisons et de justifications diffe´rentes. Par rapport a` Godwin, deux e´le´ments surtout peuvent eˆtre cite´s, qui caracte´risent l’individualisme des Circonstances actuelles : l’accentuation de la dimension morale de celui-ci, et l’ide´al d’une rationalisation des faits politiques, selon le mode`le d’arithme´tique sociale proˆne´ e´galement dans le cercle des Ide´ologues, d’apre`s Condillac (Langue des calculs) et Condorcet. L’individu de Mme de Stae¨l est tout d’abord un agent moral, capable de sympathie et par la` de vertu (avec Rousseau, c’est le Smith de la The´orie des sentiments moraux qui est pre´sent ici, plutoˆt que celui de la Richesse des nations et de l’harmonisation spontane´e des inte´reˆts). Il est un tel agent meˆme avant d’eˆtre un acteur sur la sce`ne publique, voire malgre´ les circonstances de l’histoire et les jeux de 1

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Voir ci-dessous, VI.1, pp. 214–215, note a, et William Godwin, Enquiry concerning Political Justice, and its Influence on modern Morals and Happiness (London : Penguin, 1985, II.2, p. 176 ou OCBC, Œuvres, t. II/1, p. 419) : «Society is nothing more than an aggregation of individuals». Au point que le projet de traduction reste e´nigmatique : voir Mauro Barberis, «Introduction», OCBC, Œuvres, t. II/1. On se re´fe´rera, pour les de´tails de la datation de la Copie partielle, a` l’Introduction de Kurt Kloocke, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 789–793.

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force de la politique : comme Aristide, plaidant aupre`s des Athe´niens assemble´s la cause d’une justice supe´rieure a` l’utilite´, contre les ruses avantageuses mais injustes de The´mistocle1. Le noyau atemporel de moralite´, dont chaque individu serait de´positaire, n’est pas sans rapport avec une sorte de rationalite´ universelle, dont l’obligation morale et la ne´cessite´ mathe´matique ne seraient que deux aspects diffe´rents. La «puissance de la raison»2 est la voix de cet universel qui parle a` l’inte´rieur du sujet et doit le conduire a` la vertu, par l’empire qu’elle exerce sur les passions et les inte´reˆts. Or, c’est pre´cise´ment cet arrie`re plan the´orique que Constant met en relief par les choix ope´re´s dans sa Copie partielle des Circonstances actuelles, muˆ par un souci assez e´vident de ge´ne´ralisation philosophique. Faut-il en conclure que l’individualisme des Principes de politique est de meˆme nature que celui de Mme de Stae¨l ? Des traces de la dimension morale, ainsi que de l’ide´al de l’arithme´tique sociale e´mergent parfois dans l’ouvrage de Constant : mais leur place dans l’e´conomie conceptuelle du traite´ reste (ou devient) marginale, comme s’il s’agissait de fragments d’une couche ante´rieure de sa re´flexion. La comparaison entre le texte originel de la baronne, la Copie partielle et les passages de celle-ci qui ont e´te´ repris dans les Principes, fait plutoˆt de´gager d’autres the`mes, situe´s au cœur de de´veloppements cruciaux dans l’ouvrage de Constant. Il s’agit de l’apparition, pendant la Re´volution, d’une espe`ce nouvelle d’oppression, prenant les formes de la liberte´ ; de la diffe´rence de la liberte´ des anciens et de celle des modernes ; du poids de l’expe´rience du mal. Tous ces e´le´ments, le dernier aussi, tiennent beaucoup plus a` l’histoire et a` la politique qu’a` la morale, ou a` un mode`le mathe´matisant de rationalite´. D’ailleurs, en 1806 Constant be´ne´ficiait de´sormais de son expe´rience du Tribunat, l’assemble´e charge´e d’examiner les projets de loi, e´tablie par la Constitution de l’An VIII, dont il fut membre de de´cembre 1799 a` janvier 1802. Les re´publicains mode´re´s, dont par exemple Mme de Stae¨l, avaient cru trouver dans le Tribunat le lieu ou` de´battre des questions politiques et un organe constitutionnel charge´ de la surveillance de l’autorite´. En re´alite´, les cent membres de l’assemble´e ne re´ussirent que tre`s rarement a` influer sur le vote du Corps le´gislatif, appele´ a` sanctionner par un vote secret et sans discussion les projets de loi formule´s par l’exe´cutif – impuissance qui n’em-

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Germaine de Stae¨l, Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Re´volution et des principes qui doivent fonder la re´publique en France, e´d. par Lucia Omacini, Paris et Gene`ve : Droz, 1979, p. 245. Voir B. Constant, De la possibilite´ d’une constitutuion re´publicaine, VI.1, pp. 256–257, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 518–519. L’expression se trouve dans le titre du chapitre conclusif des Circonstances actuelles ; elle est reprise par Constant en teˆte de sa «Copie partielle».

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peˆcha pas Bonaparte d’e´purer les deux assemble´es le 17 janvier 1802, leur reprochant un exce`s d’inde´pendance. L’influence que Constant exerc¸a au sein du Tribunat a e´te´ tre`s faible ; ne´anmoins l’activite´ qu’il y de´ploya, dont te´moignent les treize discours qui nous sont parvenus (sur quatorze prononce´s), prouve qu’il faisait de la discussion politique un e´le´ment indispensable de me´diation entre l’opinion publique et l’autorite´ ; cette conviction sera the´orise´e dans les Principes1. La taˆche particulie`re du Tribunat, c’est-a`-dire l’examen des projets le´gislatifs, devait susciter chez Constant une re´flexion sur les conditions de validite´ de la loi, re´flexion dont nous lisons aujourd’hui les re´sultats dans le Livre XVIII des Principes2. Ce parcours, lie´ a` une expe´rience concre`te d’activite´ politique, entraıˆnait une conse´quence the´orique : la conside´ration de la loi comme e´tant une condition ne´cessaire de la le´gitimite´ politique – sans loi, il n’y a qu’arbitraire –, mais non pas une condition suffisante – il peut y avoir arbitraire meˆme sous la loi et par la loi. C’e´tait une avance´e par rapport a` la the´orie de l’arbitraire expose´e dans les Re´actions politiques3, et en ge´ne´ral par rapport au paradigme de la modernite´ politique, fonde´ sauf exception sur l’e´quivalence entre loi et liberte´ – nous y reviendrons. Quant a` la gene`se du libe´ralisme du sujet constantien, il est a` remarquer de`s maintenant que la the´orie de la limitation du pouvoir semble avoir comme point de de´part moins la sacralite´ des droits individuels que le scepticisme a` l’e´gard de la loi : autrement dit, l’exigence individualiste est de´couverte par Constant a` l’inte´rieur d’une certaine expe´rience de la politique, elle ne lui est pas ante´rieure, ce qui permet d’expliquer, par exemple, la vocation anti-e´conomiciste de son libe´ralisme. Pour la compre´hension des Principes de politique on retiendra surtout un changement dans la fac¸on de concevoir la relation autorite´/individu : si la loi n’est pas en soi synonyme de le´gitimite´, il s’ensuit que l’obe´issance a` la loi ne saurait pas eˆtre le devoir seul et inconditionnel des membres de l’association, contrairement a` un axiome que la philosophie politique moderne avait rarement mis en question4. 1

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Voir ci-dessous, XV.6, p. 581 : «Toutes les fois qu’une institution a dure´ longtemps, a` moins qu’elle n’ait toujours e´te´ maintenue par la violence, il y a eu transaction entre cette institution et les inte´reˆts qui avaient a` coexister avec elle». Une loi ne doit pas eˆtre re´troactive, contraire a` la morale, valable seulement pour quelques cate´gories de citoyens, au point de nier la responsabilite´ individuelle. Voir ci-dessous, XVIII.2, pp. 672–673. En ge´ne´ral, l’«arbitraire» est pour Constant la cate´gorie qui comprend tout pouvoir ille´gitime, c’est-a`-dire tout pouvoir qui, quant a` son titre, n’est pas fonde´ sur la souverainete´ populaire et qui, quant a` son exercice, ne respecte pas les limites de sa compe´tence, c’esta`-dire les droits individuels (voir ci-dessous, II.1, pp. 133–135). Constant en fit la the´orie pour la premie`re fois dans le chapitre IX des Re´actions politiques, ou` l’arbitraire, de´fini par «l’absence des re`gles, des limites, des de´finitions», e´tait encore tout simplement oppose´ a` la loi. C’est le proble`me du droit de re´sistance. Voir ci-dessous, XVIII.1–2, pp. 665–677.

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Il y avait, finalement, les recherches historiques de Constant. La the´orie constantienne de l’histoire, connue par les lecteurs de son e´poque seulement depuis la publication de l’essai sur la perfectibilite´ dans les Me´langes de litte´rature et de politique de 1829, remonte en effet a` ces premie`res anne´es du sie`cle. De son propre aveu, Constant partageait cette doctrine avec Turgot, Priestley, Condorcet ou Mme de Stae¨l. En 1800, la croyance dans le perfectionnement inde´fini et naturel a` l’espe`ce humaine s’opposait a` l’ide´e d’un mouvement historique circulaire ou re´trograde soutenue par les traditionnalistes1. En meˆme temps, la the´orie de la perfectibilite´ permettait de conside´rer le brusque changement re´volutionnaire comme une exception a` la marche graduelle et progressive des ide´es et des institutions. Des premie`res esquisses de Constant, dont surtout l’Histoire abre´ge´e de l’e´galite´ (1799), il est ne´anmoins a` retenir un de´veloppement qui fait aussi la spe´cificite´ de sa version de la perfectibilite´ : c’est une critique de la notion de nature, qui trouvera sa place dans les Principes de politique et qui empeˆche de concevoir le devenir historique comme un changement soumis a` une loi naturelle2. En dernier lieu, mais en re´alite´ premier par proximite´ chronologique, nous trouvons les recherches de Constant sur les religions de l’Antiquite´, qui pre´ce`dent (et suivent) la re´daction des Principes. Il est difficile de ne pas e´voquer une certaine continuite´ entre son approche de la religion des Anciens et la maturation de sa pense´e politique. L’e´tat de la documentation sur ces e´tudes, qu’il avait mene´es avec une intensite´ particulie`re en 1804– 1805, ne permet pourtant que des suppositions, en attendant que la publication dans les Œuvres comple`tes du premier grand manuscrit qui nous soit reste´ – les Recherches historiques sur les religions des anciens peuples (1809) – n’offre quelques e´le´ments supple´mentaires. Un facteur peut eˆtre ne´anmoins de´gage´ du journal intime et des lectures faites par Constant en 1804–1805 : une progressive historicisation de l’image des Anciens, et particulie`rement de celle des Grecs. La fre´quentation avec les historiens de l’e´cole de Gœttingue, Heyne surtout, ainsi que l’e´tude du polythe´isme sacerdotal de l’Egypte et de l’Orient, datant l’une et l’autre de ces anne´es, ame`nent Constant a` ne plus voir dans la cite´ grecque le paradigme d’une liberte´ naturelle, oppose´e a` l’aberration du despotisme oriental, mais le 1 2

Voir ci-dessous, VII.5, p. 260. Voir Du moment actuel et de la destine´e de l’espe`ce humaine, ou Histoire abre´ge´e de l’e´galite´ (1799), in OCBC, Œuvres, t. III/1, p. 371 : «L’ordre des choses au sein duquel un homme prend naissance et rec¸oit ses premie`res impressions paraıˆt a` ses yeux comme une des lois physiques qui l’environnent et le dominent», ide´e passe´e aux Principes, Pre´face, pp. 92–93 : «L’homme se plie aux institutions qu’il trouve e´tablies, comme a` des re`gles de la nature physique.». Voir ci-dessous, XVIII.2, p. 669 : «Le mot de loi est aussi vague que celui de nature. En abusant de celui-ci, l’on renverse la socie´te´. En abusant de l’autre, on tyrannise les individus.»

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produit entie`rement historique d’un ensemble de facteurs complexe et en partie contingent. Cette historicisation de la liberte´ est a` la base, avec les de´finitions tire´es des Circonstances actuelles, des de´veloppements consacre´s par le livre XVI des Principes a` la distinction des liberte´s ancienne et moderne, deux formes de liberte´ comparables en tant qu’historiques au meˆme titre, au-dela` de toute position dogmatique ou des anachronismes implicites dans la pre´fe´rence accorde´e a` l’une ou a` l’autre. C’est une des voies par lesquelles Constant ajoute une dimension historique a` son rationalisme politique.

4. Le style Les Principes de politique sont le re´sultat d’une e´laboration conceptuelle graduelle et composite d’une re´flexion que fit Constant sur sa propre expe´rience en s’interrogeant sur le sens de son e´poque. L’e´vocation d’e´le´ments particuliers – le statut de l’individu, le roˆle de la loi, le rapport entre histoire et nature – pourrait sugge´rer l’ide´e d’une continuite´ profonde dans la pense´e politique de Constant. Il reste que les Principes sont quelque chose de neuf, meˆme la` ou` ils puisent leurs mate´riaux dans des textes ante´rieurs, ne seraitce que pour la fac¸on dont l’auteur les arrange dans un cadre unitaire, lequel finit, graˆce a` sa logique propre, par jeter une lumie`re nouvelle sur les e´le´ments qui y sont inte´gre´s. Constant attribuait d’ailleurs la plus haute valeur, presque le seul prix de son travail a` l’ordre et a` la structure conceptuelle internes a` son ouvrage. Tout au long des Principes, il ne cesse jamais de souligner l’importance qu’y reveˆtent l’«ordre des ide´es», la «manie`re de raisonner», la «justesse d’esprit», la «ne´cessite´ de la preuve», bref tout ce qui a affaire a` la trame argumentative a` laquelle son discours devrait pre´cise´ment sa solidite´. Or, c’est justement sur la qualite´ de cette trame, que l’auteur des Principes voudrait eˆtre juge´. Ce qu’il demande a` son lecteur n’est pas seulement, ou pas tellement, d’accepter les the`ses qu’il avance – a` partir du principe capital de la limitation de l’autorite´, dont il ne pre´tend pas eˆtre le de´couvreur –, mais d’examiner la manie`re dont il les avance. Prendre au se´rieux cette pre´sentation que Constant fait de son œuvre, signifie focaliser l’attention sur la logique interne des Principes, a` partir de certains aspects formels de l’e´criture et de l’argumentation, puis passer de la` a` la mise en e´vidence de quelques-uns de ses the`mes les plus caracte´ristiques. La nouveaute´ des Principes de politique est en premier lieu une nouveaute´ dans le style, soit par rapport aux premiers e´crits de Constant, soit par rapport aux mode`les classiques de la philosophie politique de langue

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franc¸aise. De`s les premie`res pages, le lecteur des Principes est frappe´ par l’allure fortement dialogique de l’e´criture, c’est-a`-dire par l’alternance des points de vue, et par les argumentations implicitement construites comme des e´changes d’objections et de re´ponses entre deux ou plusieurs interlocuteurs. L’enjeu de ce trait de style est, e´videmment, le rapport entre le point de vue de l’auteur, ses interlocuteurs et le genre de lecteur auquel il s’adresse. On a remarque´ en effet que Constant pre´sente les Principes comme s’ils e´taient une sorte de cate´chisme politique, anime´ par une forte vocation persuasive, et meˆme didactique. On peut s’interroger sur la ne´cessite´ d’un tel effort de persuasion, et sur les possibilite´s re´elles dont l’e´crivain croit disposer pour mener a` bien sa «mission»1. Il suffit, pour confirmer cette impression, d’observer la varie´te´ des phrases ayant comme sujet des pronoms personnels inde´termine´s2, une varie´te´ qui e´loigne les Principes du mode`le ide´al du traite´ scientifique, ou` a` la rigueur les pronoms pourraient eˆtre totalement absents, pour les approcher de la richesse pronominale du langage parle´. La polyphonie de l’e´criture de Constant se manifeste e´galement par la distribution des occurrences de ces pronoms, marque´e par l’e´quilibre entre la voix de l’auteur et les interventions d’autres sujets. Il suffira, pour apercevoir la diffe´rence, de comparer le style des Principes avec celui de l’Esprit des lois, avec son recours tre`s sobre a` la premie`re personne et la pre´dominance d’un registre impersonnel3, ou avec celui du Contrat social, ou` le point de vue de l’auteur est au contraire tout a` fait pre´dominant. La tonalite´ adopte´e par Constant dans les Principes est caracte´rise´e par un e´quilibre diffe´rent et en quelque sorte interme´diaire entre les deux mode`les du XVIIIe sie`cle. A un je qui ne cache pas son point de vue, sans pourtant le donner pour absolu, correspond l’e´vocation fre´quente d’autres sujets, avec lesquels la voix d’auteur dia-

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Voir ci-dessous, XVIII.6, p. 704 : «Missionnaires de la ve´rite´, si la route est intercepte´e, redoublez de ze`le, redoublez d’efforts.» C’est-a`-dire tout ceux qui ne se re´fe´rent pas a` des sujets indique´s dans le texte de fac¸on univoque (par exemple, un e´crivain de´termine´) : dans ce dernier cas, les pronoms fonctionnent comme des «de´signateurs rigides» a` la fonction uniquement de´notative, c’est-a`-dire comme des expressions qui de´notent une chose ou une personne d’une fac¸on univoque. Au contraire, les pronoms personnels sujet (je, nous, vous, ...) inde´termine´s invitent le lecteur a` une ope´ration d’interpre´tation ou d’identification (par exemple : «qui est le nous dont on parle ? est-ce que j’en fait partie ?», etc.), dont le re´sultat, tout en e´tant envisage´ par l’auteur, reste non ne´cessaire et en quelque sorte ouvert a` plusieurs solutions. Or, c’est bien au moment ou` cette ope´ration est accomplie, que la relation auteur/lecteur se construit. C’est un mode`le d’e´criture pre´sent, par exemple, dans les premiers chapitres de Des re´actions politiques.

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logue, se confronte ou dispute. Cette e´vocation n’est que rarement conventionnelle, dans la mesure ou` chacun de ces sujets peut jouer dans le texte des fonctions diffe´rentes, et ou` l’identification par le lecteur du sujet concret dont le pronom est le substitut reste souvent ouverte. Ainsi, par exemple, la premie`re personne plurielle (nous), loin de n’eˆtre qu’un synonyme de la voix de l’auteur1, est souvent employe´e par Constant pour de´signer un sujet collectif, dont l’identite´ n’est pas e´tablie a priori, mais qu’il s’agit justement de contribuer a` de´finir ou a` cre´er : en direction d’un passe´ historique partage´ (presque toujours, l’expe´rience de la Re´volution), mais aussi par rapport a` un e´tat pre´sent et meˆme aux conse´quences dans l’avenir d’une certaine the´orie ou action politique2. D’un passage a` l’autre, a` des pages ou seulement a` quelques lignes de distance, l’identification du meˆme pronom/sujet peut donc changer sensiblement3. Parfois, le de´placement du point de vue a lieu a` l’inte´rieur d’un meˆme passage. Dans des cas de ce genre, rares mais significatifs, le discours des Principes quitte le terrain stable des principes, des ve´rite´s et des faits, pour s’enfoncer dans celui des croyances et de la persuasion. Constant semble alors inviter son lecteur a` reconstruire ou a` revivre de l’inte´rieur un processus de changement de l’opinion, a` la fin duquel le nous psychologique qui correspond au nous grammatical ne sera plus le meˆme (il se sera, par exemple, de´fait d’un pre´juge´) : «Il n’est pas vrai que le despotisme pre´serve de l’anarchie. Nous le croyons, parce que depuis longtemps, dans notre Europe, nous n’avons pas vu de despotisme complet. Mais tournons nos regards vers le Bas-Empire : nous trouverons les le´gions se soulevant sans cesse, les ge´ne´raux se de´clarant empereurs, et dix-neuf pre´tendants a` la couronne levant simultane´ment l’e´tendard de la re´volte ; et sans remonter a` l’histoire ancienne, quel spectacle nous offrent aujourd’hui les provinces soumises au grand seigneur ?4»

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Comme, par exemple, ci-dessous, I.3, p. 111 («la the´orie que nous avons expose´e [...]»). Dans tous ces exemples, c’est nous qui soulignons. Passe´ : «Nous avons, en peu d’anne´es, essaye´ cinq ou six constitutions [...]» (ci-dessous, I.1, p. 99). Pre´sent : «Telles nous voyons apparaıˆtre a` toutes les e´poques de l’histoire les conse´quences de ce syste`me.» (I.6, p. 119). Futur : «Ils [= les e´crivains du moment] espe`rent que nous les prendrons pour les inventeurs de ce qu’ils imitent [...]» (I.1, p. 100). Nous, te´moins et victimes de la Re´volution, c’est-a`-dire Franc¸ais de tout e´tat social, ayant ve´cu pendant la Re´volution, oppose´s a` d’autres Franc¸ais de la meˆme e´poque ; nous, lecteurs du Contrat social de tout temps ; nous, lecteurs de la presse et des journaux, c’est-a`-dire opinion publique du moment actuel ; etc. Voir ci-dessous, I.2, p. 105.

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Des figures stylistiques semblables peuvent eˆtre observe´es pour les pronoms sujet plus e´loigne´s du point de vue de l’auteur. Le on impersonnel revient de fac¸on neutre (a` la Montesquieu) seulement dans une minorite´ de cas. La plupart de ses occurrences est accompagne´e par un jugement de valeur, positif (a` la Rousseau) mais surtout ne´gatif, selon cette pre´ponde´rance de la re´futation d’opinions d’autrui, qui est caracte´ristique du style argumentatif des Principes et sur laquelle on reviendra dans le paragraphe suivant. Un dernier cas relevant est celui du vous, dont l’emploi pre´suppose toujours un e´cart par rapport au locuteur et la pre´sence de quelqu’un qui e´coute, d’un interlocuteur re´el du discours : vous est par excellence le sujet de´signant le public des Principes. Or, ce public paraıˆt changer selon les contextes : vous peut e´voquer un ensemble assez large de lecteurs, tous ceux qui pourraient eˆtre inte´resse´s par un «ouvrage e´le´mentaire»1 sur la politique ; mais le cercle parfois se restreint a` un public (virtuel ou re´el) plus se´lectionne´, qu’il s’agisse de philosophes engage´s ou de ce salon genevois des amis de Mme de Stae¨l ou` Constant, surtout au de´but, avait l’habitude de lire les chapitres qu’il venait d’e´crire2. Diffe´rents par inte´reˆts ou par compe´tences, les destinataires que Constant met directement en cause dans le premier Livre des Principes sont en tout cas des sujets qui re´fle´chissent sur la politique et sur le pouvoir : ailleurs, et surtout dans les Livres centraux de l’ouvrage, vous peut e´galement de´signer les de´tenteurs du pouvoir eux-meˆmes, qu’on de´fie ou qu’on conseille, dans une sorte de pastiche du genre traditionnel des «Miroirs des princes»3. A ces changements correspondent les he´sitations que l’auteur nourrissait, au fur et a` mesure qu’il avanc¸ait dans la re´daction, sur la nature et sur la destination de son livre : texte d’intervention ou traite´ philosophique ? manifeste des droits de l’individu, ou adresse aux gouvernants ? Le registre de la subjectivite´ mis en place par les Principes paraıˆt donc consister dans un re´seau assez complexe d’e´changes entre une varie´te´ de sujets. Dans ce re´seau, la premie`re personne de l’auteur se trouve constamment confronte´e a` une pluralite´ d’interlocuteurs, qu’il s’agit tour a` tour de 1 2

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Voir ci-dessous, Pre´face, p. 91. Dans le cas du «grand traite´ de politique», comme le montrent notamment les lettres a` Claude-Charles Fauriel du 21 aouˆt et du 4 novembre 1802 (OCBC, CG, t. IV, pp. 502 et 544), Constant voit dans l’«e´lite qui gravite autour de l’Institut et de la De´cade» – c’est-a`dire le cercle des Ide´ologues et de leurs proches – «son unique public» (Hofmann, Gene`se, pp. 223–224). Voir, par exemple, ci-dessous, VI.1, p. 215 : «Soyez justes d’abord, dirai-je toujours aux de´positaires de l’autorite´ [...], car si vous ne pouvez exister avec la justice, vous aurez beau faire, avec l’injustice meˆme, vous n’existerez pas longtemps.» Cette fonction du vous comme de´signation des gouvernants est surtout fre´quente dans les Livres VIII-X et XII.

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de´crier, de´mythifier, persuader – a` tel point qu’on a parfois l’impression que la de´finition du je lui-meˆme serait elle aussi en question. En tout cas, la fonction de de´signation joue´e par ces pronoms est variable, et cela rend ne´cessaire de la part du lecteur, ine´vitablement pris dans un jeu de projections et d’identifications, un certain effort d’interpre´tation pour de´meˆler les ambivalences. Les mode`les de cette e´criture aux aspects dialogiques et parfois meˆme dramatiques sont peut-eˆtre a` chercher dans la sociabilite´ des salons, d’ou` Constant avait pris l’habitude de soumettre ses manuscrits a` l’examen de la lecture publique, et surtout dans l’e´loquence parlementaire : de ce point de vue, c’est comme si, au moment d’e´crire son ouvrage le plus the´orique, Constant continuait en partie a` raisonner en tribun. Plus ge´ne´ralement, la diffe´rence de la «subjectivite´» des Principes compare´e aux classiques d’Ancien re´gime – Esprit des lois et Contrat social – ne saurait pas eˆtre sans rapport avec la diffe´rence du contexte historique : dans la dynamique interne du texte, avec ses personnages aux physionomies floues et avec ses changements de points de vue, semble re´sonner l’e´cho d’une saison politique ou` les anciennes appartenances avait e´te´ e´branle´es par le passage de la Re´volution, et l’identite´ des sujets politiques e´tait devenue enfin modifiable – ou dramatiquement incertaine.

5. L’argumentation Il reste que les Principes de politique ne sont pas un morceau d’e´loquence, mais la synthe`se d’une re´flexion philosophique de longue haleine sur la politique, une synthe`se qui se veut fonde´e sur des principes vrais et universalisables. Or, si les principes sont vrais, car correspondants a` la nature des choses, pourquoi ne s’imposent-ils pas spontane´ment aux esprits ? D’ou` vient la ne´cessite´ de faire recours a` la dialogicite´ et a` la persuasion ? Avec son ouvrage de 1806–1810 Constant prend donc en re´alite´ un double recul par rapport aux premie`res formulations de sa pense´e politique. D’une part, il se propose de remonter aux principes e´le´mentaires de la re´alite´ politique, principes sous-jacents aux formes particulie`res de celle-ci (espe`ces de gouvernements, mode`les constitutionnels, organisation des pouvoirs), ce qui confe`re a` sa re´flexion une dimension ge´ne´rale et philosophique. De l’autre, l’individuation des principes en question paraıˆt indissociable d’une interrogation de deuxie`me degre´ sur leur statut : non seulement «quels sont les principes ?», mais aussi «qu’est-ce qui les rend des principes ?» et surtout «parce qu’ils ne sont pas partout et toujours reconnus ?». Les Principes re´ve`lent ainsi deux centres d’inte´reˆt : l’un proprement

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de philosophie politique, concernant la the´orie de l’autorite´ et les droits des individus ; l’autre e´piste´mologique, concernant le statut de la ve´rite´ et de l’erreur, dans leur rapport avec le sujet politique. Ces deux centres ne vont pas l’un sans l’autre. C’est un trait marquant du Constant des Principes d’avoir compris que s’occuper de the´orie politique apre`s la Re´volution franc¸aise ne pouvait plus se faire sans se demander en meˆme temps comment parlera-t-on de´sormais de politique, apre`s la Re´volution franc¸aise : «Tant de ve´rite´s qu’on euˆt dites universellement reconnues, ont e´te´ re´voque´es en doute ou meˆme mises de coˆte´, sans qu’on daignaˆt dire un mot d’explication ou d’excuse, que je n’ai pas cru devoir e´noncer une seule ve´rite´, quelque e´vidente qu’elle fuˆt, sans en rappeler les preuves1». La ne´cessite´ de la preuve sera donc la premie`re re`gle de la me´thode des Principes. Face a` un exercice aveugle du doute, et a` la re´apparition de «tant d’erreurs qui paraissaient tombe´es en de´sue´tude»2, il ne suffira plus de n’admettre que des ve´rite´s e´videntes, mais il faudra e´galement accompagner toujours ces e´vidences par l’exhibition des preuves qui les soutiennent3. Parmi ces preuves, a` coˆte´ des te´moignages de l’histoire, ancienne ou re´cente, les argumentations the´oriques reveˆtent une importance particulie`re ; les Principes mobilisent a` ce propos un outillage logique imposant, qui fait de cet ouvrage une sorte de «Traite´ des sophismes», pour reprendre le titre d’un ouvrage de Bentham, datant des meˆmes anne´es4. Les argumentations de Constant peuvent eˆtre ordonne´es sous forme d’un catalogue des mauvais raisonnements, dont il esquisse d’ailleurs lui-meˆme la typologie5. Sophis1 2 3

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Ci-dessous, Pre´face, p. 91. Ibid. Ce lien entre la ve´rite´ (ou l’e´vidence), la de´monstration et la persuasion est de´ja` souligne´ par Constant en 1802, a` propos de son «grand traite´» de politique : «On n’a point fait ce qui me semble la chose la plus ne´cessaire, un ouvrage e´le´mentaire sur la politique ; et l’on est toujours parti tantoˆt de donne´es vraies, mais qui, n’e´tant pas de´montre´es a` tous les esprits, ne portaient pas la conviction suffisante pour en faire adopter tous les re´sultats, tantoˆt de donne´es rec¸ues, mais qui n’e´tant pas analyse´es, n’e´taient pas d’une ve´rite´ suffisamment rigoureuse.» (Lettre a` Fauriel du 4 novembre 1802, cit.). Traite´ des sophismes politiques est pre´cise´ment le titre donne´ par Etienne Dumont au manuscrit de Bentham connu e´galement sous le nom de Book of Fallacies ou de Manuel des sophismes politiques (on le lira de´sormais dans la nouvelle traduction par Bertrand Binoche et Jean-Pierre Cle´ro, in B. Binoche et al., Bentham contre les droits de l’homme, Paris : PUF, 2007). La traduction de Dumont (1816) e´tait en fait la premie`re e´dition de ce texte, que Bentham ne publia en anglais qu’en 1824. Dumont rappelle pourtant qu’un essai de cette de´marche se trouve de´ja` dans le Traite´ de le´gislation (e´d. fr. 1802, chapitre «Des fausses manie`res de raisonner en matie`re de le´gislation»), longuement cite´ dans les Principes de politique. Ci-dessous, XV.8, p. 595 : «Causes diverses et presque constantes d’erreurs. 1o, confusion d’ide´es. 2o, prise de l’effet pour la cause. 3o, effets ne´gatifs, apporte´s en preuves d’assertions positives. 4o, inte´reˆt mis au but, sans examen des moyens. 5o, a` cause au lieu de malgre´.».

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mes lie´s au langage (in dictione) : contradictions dans les termes, ambiguı¨te´ des mots et des de´finitions. Vices de la de´duction : pe´titions de principe, cercles vicieux. Vices de ge´ne´ralisation ou d’abstraction : l’abstrait se´pare´ du concret, la the´orie de la pratique, le but des moyens employe´s pour l’atteindre. Vices de la conse´quence : conclure du fait au droit, de la ne´gation a` l’affirmation. Enfin, et surtout, les sophismes de la causalite´ : les causes proches, secondaires ou factices confondues avec les causes re´elles ou premie`res (non causa pro causa), l’effet pris pour la cause et, en ge´ne´ral, toute sorte de me´connaissance de la complexite´ de l’ordre causal1. Cela fait que, dans l’argumentation des Principes, l’affirmation positive d’une the`se est normalement indissociable de la discussion, et souvent de la re´duction a` l’absurde, des positions contraires. De cette surcroissance de la pars destruens de son discours, Constant offre quelques raisons. Des raisons logiques, d’abord, comme le fait que de principes vrais peuvent de´couler soit des conse´quences vraies, soit des conse´quences fausses2, d’ou` un risque plus grand de tomber dans l’erreur que d’atteindre la ve´rite´3. Des raisons anthropologiques, ensuite. Entre les inte´reˆts et les opinions – dit Constant dans le premier Livre des Principes en allant a` l’encontre de toute the´orie de l’harmonie spontane´e des inte´reˆts4 – il y aura toujours un e´cart : «on cache les uns et [...] on montre les autres, parce que ceux-la` divisent et que celles-ci rallient»5. Mais la poursuite d’un inte´reˆt particulier peut rarement se passer d’une certaine socialisation6. Dans ce cas, par un me´canisme quelque peu pe´remptoire, ce qu’on montre (l’opinion) sera mis au service d’un but qui lui est e´tranger et qui sera donc force´ment de´guise´ (l’inte´reˆt). Les sophismes fonde´s sur de mauvais universaux (abstraction)7 ou sur l’am1

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Pour des exemples de´taille´s, qu’il nous soit permis de renvoyer a` G. Paoletti, «Constant selon l’ordre des raisons. Structure, style et argumentation dans les Principes de politique de 1806», ABC, no 33, 2008, pp. 77–119. Par exemple si l’application du principe est dogmatique, imme´diate ou insouciante du contexte. Par exemple, ci-dessous, I.7, p. 124 : «Presque tous les e´crivains partent d’un principe vrai. Mais ce principe pose´, il suffit, pour vicier tout leur syste`me, ou d’une distinction inutile, ou d’un mot mal de´fini, ou d’un mot superflu.» Voir ci-dessous, XIV.2, p. 522 : «la ve´rite´ est une, et l’erreur est innombrable». Voir sur cela un texte peu connu comme la «Note sur l’inte´reˆt personnel» (1800–1806 ?), reproduite dans OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 769–770. Voir ci-dessous, I.3, p. 111. Il serait faux de croire que l’opinion n’est que l’instrument d’un inte´reˆt pre´existant et inde´pendant ; a` un niveau plus profond, le prix qu’un inte´reˆt reveˆt aux yeux du sujet ne peut pas se passer de la me´diation d’une opinion : «L’on s’exage`re souvent l’influence de l’inte´reˆt personnel. L’inte´reˆt personnel lui-meˆme a besoin, pour agir, de l’existence de l’opinion. L’homme dont l’opinion languit e´touffe´e n’est pas longtemps excite´ meˆme par son inte´reˆt. Une sorte de stupeur s’empare de lui [...]» (ci-dessous, VII.5, p. 257). «Une ruse habituelle des ennemis de la liberte´ et des Lumie`res – e´crit Constant dans la Pre´face des Principes, ci-dessous, p. 95 – est d’affirmer que leur ignoble doctrine est universellement adopte´e.» Le de´voilement des faux universels, souvent par des formulations ironiques, est en effet une de´marche typique du style d’argumentation des Principes.

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biguı¨te´ de mots et de´finitions pourront de´river de cette incommensurabilite´ entre deux facteurs essentiels de la nature humaine, destine´s a` une coexistence impossible. Mais la ve´ritable prolife´ration de mauvais raisonnements, dont Constant se conside`re le te´moin, tient surtout a` des raisons historiques, qui caracte´risent la situation de´termine´e ou` le projet meˆme des Principes a pris corps. C’est e´videmment l’expe´rience re´volutionnaire, dont «les orages [...] avaient bouleverse´ toutes les ide´es»1, a` jouer ce roˆle. Dans la Re´volution, Constant ne voit pas seulement un de´rangement social et politique profond, mais aussi un moment de rupture e´piste´mologique, dont les effets ont e´te´ accentue´s jusqu’a` devenir dramatiques par l’e´tat de faiblesse cognitive ou` versaient les sujets d’Ancien Re´gime. On aperc¸oit l’influence de cette rupture dans la de´stabilisation se´mantique du langage, mais surtout dans l’incapacite´ de compre´hension d’une situation politique caracte´rise´e par une acce´le´ration soudaine et par l’intervention de plusieurs facteurs he´te´roge`nes. La difficulte´ de maıˆtriser le sens des mots et la complexite´ causale2 a touche´ en meˆme temps re´volutionnaires et re´actionnaires, bourreaux et victimes, les gouvernants non moins (ou encore plus) que les gouverne´s3. Voisins de the`mes de´ja` e´tudie´s de la pense´e de Constant, tels que l’abus des mots4 ou les pre´textes du pouvoir5, les de´sordres de la causalite´ et les sophismes correspondants occupent de par leur nature d’arche´types une place centrale dans l’investissement critique des Principes. 6. Nature et causes des erreurs «On ne de´sarme l’erreur qu’en la re´futant»6 : par cette profession de foi rationaliste, la pense´e de Constant fait sien cet esprit des Lumie`res dont s’e´taient encore pre´valus – face aux e´ve´nements re´volutionnaires et a` la lecture qu’en donnaient les traditionnalistes a` la Burke – un Condorcet et un Kant, les Ide´ologues et Mme de Stae¨l. De la` aussi les devoirs que Constant assigne a` l’intellectuel post-re´volutionnaire7 : e´claircir les principes et leur liaison avec les conse´quences, analyser les opinions afin d’en de´voiler les 1 2

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Ci-dessous, IX.2, p. 307, variante a` la ligne 23. Sur nature, causalite´ et possibilite´, voir par exemple ci-dessous, III.1, p. 156 : «Tout a sa cause, tout a ses effets. Tout a des re´sultats re´els ou possibles [...]. L’autorite´ sociale e´tant seule juge de toutes ces possibilite´s [...]». Voir ci-dessous, III.3, p. 164 : «Il y a dans le pouvoir quelque chose qui fausse plus ou moins le jugement.» Voir Hofmann, Gene`se, pp. 332–335 ; Mauro Barberis, Benjamin Constant. Rivoluzione, costituzione, progresso, Bologna : Il Mulino, 1988, pp. 258 et sv. Voir Stephen Holmes, Benjamin Constant et la gene`se du libe´ralisme moderne, Paris : PUF, 1994, notamment pp. 111–145. Voir ci-dessous, I.3, p. 112. Ci-dessous, Pre´face, I.1, p. 93.

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mobiles cache´s, comprendre les re´seaux des causes dans leur complexite´. L’auteur des Principes de politique ne s’arreˆte donc pas au moment de la re´futation de l’erreur : la «manie`re de raisonner»1 que l’ouvrage met en place, et c’est la` un de ses aspects plus marquants, impose un effort d’explication de la gene`se de l’erreur elle-meˆme, de sa permanence et de sa diffusion. Ce que Bentham, par exemple, ou Mme de Stae¨l dans les Circonstances actuelles, s’e´taient borne´s a` constater2, c’est-a`-dire l’influence en politique des mauvais raisonnements, Constant veut aussi le comprendre. L’adoption de cette posture e´piste´mologique nouvelle et plus complexe fait ainsi que l’analyse de l’erreur quitte le terrain de la lutte et de l’intervention politique pour se transformer en tentative ge´ne´rale de compre´hension du sens de son e´poque. «En vain la fatigue des peuples, l’inquie´tude des chefs, la servilite´ des instruments forment un assentiment factice que l’on appelle l’opinion publique et qui ne l’est point3». Les trois causes de la distorsion du consensus politique, e´voque´es dans cette citation, se trouvent a` l’origine de la plupart des sophismes, soit isole´ment, soit en se combinant les unes avec les autres d’une manie`re redoutable. On en aurait la preuve en relevant toutes les sources d’erreurs que Constant e´nume`re dans son ouvrage. Tout instrument politique peut eˆtre plie´ a` plusieurs buts, le´gitimes et ille´gitimes : cela vaut pour la force coercitive ne´cessaire au gouvernement, pour les agents de celui-ci4, mais aussi pour la division des pouvoirs ou la repre´sentation, le «glaive» de la loi5, les formes et les proce´dures, la religion ou le raisonnement lui-meˆme6. Le moyen servile par excellence reste d’apre`s Constant la parole, a` la «complaisance sans bornes»7. Les sophismes dus a` des impre´cisions du langage sont universels comme la cause qui les favorise, mais ils seront surtout la pre´rogative de sujets politiques qui agissent dans et par un univers forme´ uniquement de mots : e´crivains et philosophes, publicistes et orateurs. Le premier Livre des Principes s’at1 2

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Voir ci-dessous, XI.3, p. 392 : «Nous choisirons seulement quelques exemples, pour donner une ide´e de la manie`re de raisonner qui nous paraıˆt la meilleure.» B. Constant, Copie partielle des circonstances actuelles de Madame de Stae¨l, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 819 et 847 ; voir e´galement Germaine de Stae¨l, De la litte´rature (1800), IIe partie, chap. 8, Paris : Garnier-Flammarion, 1998, p. 397 : «A plusieurs e´poques de notre re´volution, les sophismes les plus re´voltants remplissaient seuls de certains discours...». Ci-dessous, XVIII.6, p. 703. Voir ci-dessous, IV.4, Addition, p. 185 : «Il lui [=au gouvernement] faut des instruments, qui, quelquefois, exe´cutent sans examen et obe´issent sans conviction.» ; VII.5, p. 259, note c : «Les gouvernements voudraient que les hommes fussent souples pour leur obe´ir [...]». Voir ci-dessous, VI.2, p. 221. Voir ci-dessous, XVIII.6, p. 701 : «[...] l’esprit qui, se´pare´ de la conscience, est le plus vil des instruments. [...] La religion n’est plus qu’un vil instrument de l’autorite´ ; le raisonnement qu’un laˆche commentaire de la force.» Ci-dessous, XVII.1, p. 645.

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tache notamment a` critiquer des mauvais raisonnements de cette espe`ce, jaillis de distinctions purement verbales (Rousseau), de mots mal de´finis (Helve´tius) ou de mots non ne´cessaires, comme celui a` partir duquel Hobbes a argumente´ en faveur d’une souverainete´ illimite´e : «On voit que dans Hobbes un mot superflu cause tout le mal. Il part aussi d’une ve´rite´, c’est qu’il faut une force coercitive pour gouverner les associations humaines. Mais il glisse dans sa phrase une seule e´pithe`te superflue, le mot absolu, et tout son syste`me devient un tissu d’erreurs»1. Passant de l’instrument a` son utilisateur, l’«inquie´tude des chefs» renvoie a` une intervention active du pouvoir : on penserait notamment a` cet usage politique et intentionnel de la tromperie dont l’utilite´ avait e´te´ longuement de´battue au sie`cle des Lumie`res2. Le mot d’«inquie´tude» ajoute pourtant une nuance diffe´rente. Contrairement a` la ruse ou a` l’astuce, sentiments froids qui s’exercent par le calcul des conse´quences et la capacite´ de temporiser ou de suspendre l’initiative, l’inquie´tude sugge`re l’ide´e d’un mouvement force´, qui ne peut qu’engendrer des actions intempestives et insouciantes des conse´quences. Meˆme si elle re´pond a` un penchant naturel, et accompagne donc l’exercice ordinaire de l’autorite´3, cette impulsion a` agir incessamment sera surtout typique de deux figures particulie`res du pouvoir : l’autorite´ qui se croit toute-puissante et donc le´gitime´e a` intervenir partout, sans voir qu’il y a des domaines – en priorite´, la sphe`re de l’individuel de´limite´e dans les Livres VII-IX des Principes – ou` son intervention fait toujours du mal ; mais aussi une autorite´ tre`s faible, inquie`te cette fois au sens d’angoisse´e, de peur d’eˆtre renverse´e par le meˆme «flot des e´ve´nements» auquel elle doit sa puissance mais qu’elle n’arrive pas a` maıˆtriser4. «Non seulement les extreˆmes se touchent, mais ils se suivent»5 : l’histoire de France, de Louis XIV au 18 Brumaire, avait offert aux yeux de Constant maints exemples d’une autorite´ s’efforc¸ant de justifier des actes arbitraires, de´coule´s tantoˆt d’un exce`s de sa force, tantoˆt du de´faut de celle-ci. L’activite´ inquie`te des chefs renferme ainsi un noyau de passivite´, qui rend souvent involontaire la production gouvernementale de sophismes. De l’autre coˆte´, la «fatigue des peuples», n’indique pas seulement une propen1 2

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Voir ci-dessous, I.7, p. 125. A la question s’il est utile de tromper les hommes, mise a` concours par Fre´de´ric II et occasion d’un me´moire ce´le`bre de Condorcet (1780, mais re´e´dite´ en 1790), Constant renvoie explicitement dans le Livre XIV des Principes, chapitre 2 : «De l’utilite´ qu’on attribue aux erreurs». Voir ci-dessous, IV.1, p. 177 : «Les gouvernants veulent toujours gouverner [...]». Voir par exemple ci-dessous, XVIII.3, p. 677 : pendant une re´volution violente, «les citoyens se sentent pousse´s comme involontairement au renversement de ce qui existe. Les chefs sont de´passe´s au loin par la foule et les re´volutions s’ope`rent sans que personne sache bien encore ce que l’on voulait de´truire et ce que l’on veut e´difier.» Voir ci-dessous, I.1, p. 99.

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sion des gouverne´s a` eˆtre trompe´s, mais aussi un humus favorable a` la formulation autonome de mauvais raisonnements de leur part. Condition historique et non inne´e, contrairement a` la pre´tendue cre´dulite´ populaire, la «fatigue des peuples» est le produit d’une expe´rience politique de´termine´e, ou` l’auteur des Principes semble se reconnaıˆtre plus aise´ment : en fait, c’est en reconnaissant les raisons de cet e´tat de lassitude des esprits au lendemain de la Re´volution, que de´bute son ouvrage1. Compre´hensible ou meˆme raisonnable ne signifie pas pour autant moins proble´matique : si on peut en ge´ne´ral avoir confiance dans le jugement politique des hommes2, l’arbitraire n’ayant jamais pour soi le vœu du peuple que d’une fac¸on passage`re («Il peut tomber de lassitude et vouloir se reposer un instant, comme le voyageur e´puise´ peut s’endormir dans un bois, malgre´ les brigands qui l’infestent»3), la fatigue qui suit une oppression «exerce´e au nom de la liberte´» peut e´galement conduire a` «se re´signer avec joie a` une oppression nouvelle»4 : a` l’abıˆme politique de la servitude volontaire. Pre´cipitation et lassitude, inquie´tude et stupeur : les troubles du sens de la temporalite´, de l’acce´le´ration intempestive a` une fausse ide´e de stabilite´5, forment ainsi le revers dans le sujet politique d’un e´tat exte´rieur de crise, d’ou` de´coulent des de´sordres dans l’ordre cognitif. A cause des acce´le´rations ou des arythmies des e´ve´nements, dont la Re´volution est une fois de plus la matrice par excellence, la ge´ne´ration des ide´es se trouve de´nue´e de la gradualite´ qui lui est ne´cessaire, les raisonnements et les «calculs de la morale» peuvent finir par sauter les degre´s indispensables a` leur formulation et a` leur exe´cution correcte6. Pousse´e par la volonte´ d’e´tablir des institutions nouvelles, l’autorite´ sous-estime alors la fonction et le poids des habitudes, ou mieux croit pouvoir les cre´er artificiellement, comme s’il e´tait 1

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Voir ci-dessous, I.1, p. 99 : «Les recherches relatives a` l’organisation constitutionnelle des gouvernements [...] sont frappe´es maintenant d’une grande de´faveur. Je n’examine point ici si cette de´faveur est fonde´e. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est naturelle. Nous avons, en peu d’anne´es, essaye´ de cinq ou six constitutions et nous nous en sommes mal trouve´s. Aucun raisonnement ne peut pre´valoir contre une pareille expe´rience.» Pour donner autorite´ a` cette the`se, qui signale la persistance d’e´le´ments lato sensu re´publicains dans sa pense´e politique, Constant s’appuie sur Montesquieu (Esprit des lois, II, 2 : «Du gouvernement re´publicain et des lois relatives a` la de´mocratie») et surtout sur Machiavel, Discours sur la Premie`re De´cade de Tite-Live, I, 47 («Que les hommes, quoique sujets a` se tromper dans les affaires ge´ne´rales, ne se trompent pas dans les particulie`res»). Voir ci-dessous, III.3, p. 162. Ci-dessous, XVIII.6, p. 703, note a. Ci-dessous, XVIII.6, p. 700. Voir ci-dessous, XV.6, «Des ide´es de stabilite´». Voir ci-dessous, X.13, p. 366. Voir e´galement E. Travers, Benjamin Constant, les Principes et l’Histoire, Paris : Champion, 2005, pp. 501–513 («Rythmique sociale et the´orie des re´volutions»).

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possible de «cre´er du passe´»1. Une fois l’ordre compromis, les ide´es peuvent connaıˆtre des «renversement[s] bizarre[s]»2 ou former des «se´ries factices»3. A partir de l’e´tiologie des sophismes politiques, les Principes esquissent ainsi une sorte de psychologie du temps et de la me´moire, e´nume´rant les causes et les conse´quences politiques de l’oubli, du souvenir fourvoyant, et meˆme des faux souvenirs, e´vocations illusoires d’un temps historique seulement imagine´4. L’imitation des anciens pendant la Re´volution franc¸aise est sans doute le cas plus connu et plus complexe de cette relation proble´matique avec son passe´, qui peut ressortir de l’action conjointe des causes de l’erreur : du mythe re´volutionnaire des Grecs et des Romains, devenu depuis Thermidor un lieu commun parmi les accusateurs des jacobins, Constant propose une analyse nuance´e et tre`s innovatrice, qui passera du Livre XVI des Principes au discours de 1819 De la liberte´ des anciens compare´e a` celle des modernes. Les distorsions de la me´moire, effets toujours possibles de ces moments de crise ou de de´sarroi collectif, lorsque «chacun abjure les liens de sa vie passe´e»5, peuvent aboutir finalement a` la ne´gation de la temporalite´, l’effacement du passe´ allant de pair avec le re´tre´cissement de l’horizon d’attente de l’avenir. A la distension naturelle du temps succe`de alors un mouvement de contraction du sentiment de la dure´e dans la seule dimension d’un pre´sent qui exclut tout changement, sorte d’amne´sie de´sespe´re´e d’ou` seule l’oppression peut tirer avantage. C’est alors comme si quelque chose de la pe´rennite´ imme´moriale des grands empires despotiques de l’Orient venait se reproduire au sein de la socie´te´ moderne, dans le microcosme existentiel d’individus sujets a` une autorite´ arbitraire, «se de´tachant du sein de leur naissance, sans point de contact avec le passe´, ne vivant que dans un pre´sent rapide et jete´s comme des atomes sur une plaine monotone, se de´sinte´ressant d’une patrie qu’ils n’aperc¸oivent nulle part et dont l’ensemble leur devient indiffe´rent, parce que leur affection ne peut se reposer sur aucune de ses parties»6. 1

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Ci-dessous, XVI.8, p. 634. Voir XVIII.4, p. 683 : «chez les peuples qui repoussent tous leurs souvenirs et qui pensent qu’il faut tout changer, tout re´former, tout cre´er, les re´volutions ne finissent jamais.» Ci-dessous, XVIII.6, p. 700, voir XIV.3, p. 525 et V.4, Additions, p. 205. Ci-dessous, XIV.2, p. 520. «L’on remonte vers des sie`cles recule´s, l’on parcourt des contre´es lointaines pour composer de mille traits e´pars une servitude bien comple`te qu’on puisse donner pour mode`le» (PdP, XVIII.6, p. 701). La reconstruction chime´rique du passe´ (chez Mably, par exemple) est compare´e par Constant a` la croyance aux revenants : «personne n’en a vu, mais tout le monde a dans sa famille quelque le´gende qui en atteste l’existence.» (XVI.8, p. 634 ; voir e´galement p. 635, note a). Ci-dessous, XVIII.5, p. 698. Voir aussi B. Constant, Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 832. Ci-dessous, XV.3, pp. 563–564.

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7. Despotisme et modernite´ Dans les premiers de´cennies du XIXe sie`cle, sous l’impulsion des deux grandes re´volutions politiques de la fin du XVIIIe, plusieurs notions cle´ de la philosophie politique moderne connurent de nouvelles formulations : de citoyennete´ a` souverainete´, en passant par de´mocratie ou Etat, constitution ou re´publique, le sens attache´ a` ces ide´es ne fut plus le meˆme, avant et apre`s 1776 et 1789. Ce phe´nome`ne concerna aussi les modalite´s ine´dites de l’oppression politique, et les mots cense´s les de´signer. Le cas est bien connu de la «tyrannie de la majorite´», la cate´gorie forge´e en 1835 par Tocqueville face a` la jeune de´mocratie ame´ricaine. Constant s’e´tait en re´alite´ de´ja` pose´ un proble`me semblable depuis 1806, alerte´ par les «nouvelles espe`ces» de tyrannie et de despotisme qu’il voyait se profiler a` l’ombre des associations politiques modernes, fonde´es sur les droits de l’individu, l’e´galite´ et le consentement. Du riche corpus de re´flexions sur le despotisme de´veloppe´es au sie`cle des Lumie`res, Constant he´rita notamment la conviction qu’une telle notion, loin de n’eˆtre qu’un outil pole´mique a` employer dans la critique de l’arbitraire, pouvait servir a` de´crire et a` analyser une forme positive de la domination politique, dans sa re´alite´ concre`te. Montesquieu avait fourni de ce point de vue aussi le grand mode`le, par sa the´orie du despotisme oriental ; l’auteur des Principes de politique alla au-dela`, se re´clamant d’une notion consacre´e pour essayer de penser quelque chose d’ine´dit, une espe`ce de despotisme enfante´e par les Etats libres occidentaux, sans e´quivalent ni mode`le nulle part ailleurs. L’ide´e d’une distinction entre des genres diffe´rents de despotisme, a` peine esquisse´e dans les e´crits du Directoire, se trouve surtout en germe chez Mme de Stae¨l. Dans les Circonstances actuelles, la Premie`re Re´publique est de´crite comme un gouvernement qui, proclame´ trop rapidement par rapport a` l’e´tat de l’esprit public, «ne pouvait se contenter d’eˆtre tyrannique, mais [...] avait encore besoin de forcer une approbation ge´ne´rale a` sa tyrannie, de sanctionner le despotisme par les formes populaires»1. L’ide´e est e´nucle´e´e par Constant dans sa Copie partielle, sous des rubriques auxquelles il donne des titres e´loquents : «Des Tyrannies qui se font passer pour des institutions libres», «Du despotisme avec les formes de la liberte´»2. Cette ide´e est en meˆme temps ge´ne´ralise´e, par l’effacement de la re´fe´rence explicite aux premie`res assemble´es re´volutionnaires et aux jacobins : signe que, apre`s les preuves re´ite´re´es offertes par les re´publicains eux-meˆmes 1 2

Germaine de Stae¨l, Des circonstances actuelles, pp. 35–36. B. Constant, Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, t. IV, p. 841 et p. 870 (repris partiellement ci-dessous, XVIII.4, p. 688).

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sous le Directoire, et finalement par Bonaparte, la le´galite´ vide´e de l’inte´rieur lui paraissait caracte´riser un avatar du despotisme de plus en plus stable et fre´quent. Dans les Principes, une typologie est preˆte a` eˆtre formalise´e. Nous aurons d’une part le despotisme «ordinaire», «qui se montre a` de´couvert» ou «s’avouant pour tel»1 : celui fonde´ sur l’exercice de la force et sur l’arbitraire explicite, qui caracte´risait l’absolutisme d’Ancien re´gime. De l’autre, un despotisme de nouvelle espe`ce, inaugure´ de fac¸on souvent inconsciente par les re´volutionnaires, perfectionne´ ensuite par le Premier Consul : un despotisme qui se cache derrie`re le voile d’institutions libres et qui exerce son arbitraire a` travers les formes meˆmes qui devraient garantir la le´gitimite´ du pouvoir – loi, justice, consentement2. Cette sorte de despotisme des modernes se place sous le signe de l’apparence et de l’invisibilite´. Les deux centres d’inte´reˆt des Principes se re´unissent ainsi : le poids donne´ dans l’ouvrage aux sophismes de toute sorte, l’urgence e´piste´mologique de s’engager dans un travail obstine´ de de´voilement des erreurs est solidaire d’une transformation de la re´alite´ politique, ou` les e´garements individuels ou collectifs paraissaient ouvrir des voies nouvelles a` l’oppression, sans qu’il fuˆt toujours possible de marquer nettement la diffe´rence entre trompeurs et trompe´s. Ce qui, par contre, ne faisait pas de doute aux yeux de Constant, c’est que ce despotisme nouveau repre´sentait une menace redoutable, par son intensite´ ainsi que par sa dure´e potentielle3. Il avilit les membres de l’association, il en corrompt les formes, il s’enracine dans la pense´e elle-meˆme – «la domination de la pense´e est le caracte`re distinctif de l’autorite´ nouvelle»4. C’est pourquoi, en synthe`se, «les institutions pre´tendues libres, qui se servent des moyens du despotisme, re´unissent tous les malheurs d’une monarchie opprime´e par un tyran et tous ceux d’une re´publique de´chire´e par des factions»5. 1 2

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Ci-dessous, VII.3, p. 245 ; XVIII.4, p. 688. La dernie`re expression est tire´e des Fragments, VII.5, OCBC, t. IV, p. 584. Voir ci-dessous, VI.1, p. 215 (les «apparences de la mode´ration» et de la le´galite´) ; VII.3, p. 245 (l’emploi de la presse et la «parodie de la liberte´») ; IX.1, p. 297 («les apparences de la justice») ; XIII.3, p. 502 («l’apparence du consentement»). Voir par exemple ci-dessous, I.6, p. 119 : «Ce qu’aucun tyran n’oserait faire en son propre nom, ceux-ci le le´gitiment par l’e´tendue sans bornes de l’autorite´ sociale», ou XVIII.4, p. 688 : «Il n’y a pas de terme a` la tyrannie qui veut arracher de force les symptoˆmes du consentement.» Ci-dessous, XVIII.5, pp. 687–688. Voir XVIII.6, p. 703 : «Le despotisme n’est redoutable que lorsqu’il e´touffe la raison dans son enfance. Il peut alors arreˆter ses progre`s et retenir l’espe`ce humaine dans une longue imbe´cillite´», une formulation qui n’est pas sans e´voquer les remarques de Kant sur l’e´tat de minorite´ dans Was ist Aufklärung ? Voir e´galement ci-dessous, VII.3, p. 254 (citation de Bentham) et XVI.8, p. 631, a` propos des E´gyptiens (un peuple «retenu par un joug de fer dans une e´ternelle enfance»). Voir ci-dessous, XVIII.4, p. 688.

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Cette re´flexion sur les formes dont la domination est susceptible a` l’inte´rieur meˆme de celles que nous appellerions les de´mocraties repre´sentatives modernes contribue a` expliquer l’inte´reˆt suscite´ par la pense´e politique de Constant a` certaines e´poques du XXe sie`cle, et encore a` cette aube du XXIe1. Dans les Principes, cette the´orie est seulement amorce´e : elle s’enrichira dans les e´crits poste´rieurs de Constant, avec la succession des re´gimes politiques et la multiplication des exemples. Elle sugge`re ne´anmoins quelques remarques a` propos de la place de l’ouvrage de 1806 dans l’histoire de la philosophie politique et, finalement, a` propos de son inache`vement. C’est en effet comme une confrontation avec la grande tradition de la philosophie politique moderne, que les Principes de politique se pre´sentent au lecteur : par le choix des auteurs (Hobbes, Montesquieu, Rousseau) que Constant discute de`s les premie`res pages dans leur pre´suppose´ commun, la the´orie de la souverainete´ ; par l’objet e´le´mentaire et la structure syste´matique ; par le titre meˆme, e´voquant, entre autres, celui du Contrat social (ou Principes du droit politique), ou les Elements of Law de Hobbes. Etre modernes en politique avait signifie´ substituer au pouvoir personnel l’impersonnalite´ de la loi, incarne´e dans la personne seulement juridique du souverain ; penser l’association politique, par contraste avec l’e´tat de nature, comme e´tant une construction rationnelle et artificielle, la seule qui aurait pu garantir par la voie du contrat et de la repre´sentation les droits naturels des hommes ; finalement, identifier le roˆle de la politique avec la de´limitation formelle et la protection d’un espace d’actions indiffe´rentes a` la loi (silentium legis), ou` les individus seraient de´sormais laisse´s libres de chercher leur voie vers le bonheur, en se´curite´ et chacun a` sa fac¸on, en dehors de toute hie´rarchie, tradition, suje´tion personnelle, autorite´ spirituelle. De ce paradigme de la modernite´, objet a` l’e´poque d’une critique radicale de la part des penseurs contre-re´volutionnaires (Burke, Bonald ou de Maistre), Constant se voulut le continuateur et le de´fenseur. En meˆme temps, l’expe´rience re´volutionnaire l’avait mis dans une position ide´ale pour s’apercevoir, non sans inquie´tude, que les coordonne´s e´tablies par la modernite´ politique n’e´taient pas inconditionne´es : ne´cessaires, la souverai-

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Un exemple suffira parmi tous : le livre de Stephen G. Breyer, Active Liberty (2005), ou` l’auteur, juge a` la Cour supreˆme des Etats-Unis, re´actualise la distinction consacre´e par Constant entre liberte´ des Anciens et liberte´ des Modernes a` la lumie`re de la re´flexion de celui-ci sur les «nouvelles formes de despotisme» (traduction franc¸aise : Pour une de´mocratie active, avec une pre´face de Robert Badinter, Paris : Odile Jacob, 2007, pp. 40–41 ; voir e´galement, dans cette e´dition, la pre´face «Aux lecteurs franc¸ais», p. 29).

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nete´ populaire et la division des pouvoirs, mais impuissantes contre les transformations de l’arbitraire, si l’autorite´ reste sans limites et si les pouvoirs se coalisent ; ne´cessaires, la suˆrete´ et la liberte´ individuelle, mais aussi expose´es au despotisme, si elles ne sont pas supporte´es par l’esprit public, par la jouissance et l’exercice re´els de la liberte´ politique ; incontournable, enfin, la loi, mais aussi susceptible de devenir l’instrument du despotisme des modernes. Si les proble`mes pose´s par les premie`res phases de la Re´volution pouvaient encore eˆtre interpre´te´s comme e´tant issus d’une mauvaise application de principes bons en soi – Constant l’avait soutenu en 1797 dans Des re´actions politiques –, la succession des e´ve´nements dans les dix anne´es suivantes incitait plutoˆt a` penser que c’e´tait directement du niveau des principes que la difficulte´ ressortait. La rationalisation mise en œuvre par les auteurs modernes e´tait passe´e par un effort formidable d’abstraction, visant a` mettre hors du jeu toutes les qualite´s subjectives, pour ainsi dire, de la re´alite´ politique (he´re´dite´, privile`ges, souvenirs, pre´juge´s), et a` de´finir simultane´ment l’individu et le pouvoir comme deux sphe`res a` la fois comple´mentaires et formellement se´pare´es. A Constant de se mesurer avec ce grand he´ritage, et d’en montrer de l’inte´rieur, par les Principes de politique, l’importance, les couˆts et les limites.

8. La conclusion De ce point de vue, les quatre derniers Livres des Principes se re´ve`lent de´cisifs dans l’e´quilibre de l’ouvrage. Constant y prend en compte une fois de plus le rapport entre l’autorite´ et les individus, en l’abordant ici du coˆte´ de ces derniers. Une gamme de relations politiques en e´merge, qui exce`de celle re´duite a` l’essentiel – obe´issance des individus aux lois, protection des droits individuels par l’Etat –, typique du contractualisme moderne et de la pense´e libe´rale. La se´paration formelle des deux domaines de l’individu et du pouvoir finit ainsi par eˆtre mise en question. Il en est de meˆme pour la double abstraction sur laquelle cette se´paration formelle e´tait fonde´e. La critique faite aux abstractions de l’autorite´, qui innerve les premiers Livres de l’ouvrage, est le coˆte´ plus connu de l’ope´ration constantienne. L’autre coˆte´, indissociable du premier, consiste a` montrer comment les individus, dont l’association politique est faite, ne sont pas des unite´s de mesure abstraites, mais des acteurs concrets, complexes, diffe´rencie´s par leur histoire et conditionne´s par la re´alite´ particulie`re qui en oriente inte´reˆts et points de vue : de cet individu profonde´ment socialise´, parfois malgre´ lui et a` son insu, Adolphe fournira sous peu en quelque sorte le spe´cimen litte´raire. Ainsi conc¸us, les individus, ou mieux les sujets, loin de n’eˆtre que des «ato-

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mes» semblables l’un a` l’autre, se mouvant dans l’espace vide et indiffe´rencie´ de´limite´ a` l’exte´rieur par la loi, paraissent a` Constant enracine´s dans un milieu plus dense, qui contourne et a` la fois rend possible leurs actions par des «liens imperceptibles, mais indissolubles»1. Cette valorisation des e´le´ments concrets de la sphe`re politique, des diffe´rences et des particularite´s sur l’uniformite´ et l’unanimite´, n’e´voque que par un effet de surface certaines revendications des penseurs traditionnalistes, apparemment analogues, mais en re´alite´ inse´re´es dans le cadre radicalement diffe´rent d’un refus global de la modernite´ et des Re´volutions qui en e´taient issues. Pour Constant il s’agit au contraire de garder l’esprit du rationalisme politique moderne, sans oublier la nature concre`te et plurielle de la re´alite´ politique. Les autorite´s qui l’accompagnent dans cette partie de son parcours ne sont pas Bossuet ou Sua´rez, mais Machiavel, Montesquieu et Adam Smith, ces derniers e´tant les deux e´crivains les plus cite´s dans les Principes2. Si jamais un paralle`le s’impose pour cet aspect de son ouvrage, ce sera avec ces philosophes allemands qui essaye`rent a` la meˆme e´poque de penser la relation individu/autorite´ d’une fac¸on a` la fois moins abstraite et plus complexe, mais toujours dans un esprit de continuite´ avec la modernite´ politique : de la «publicite´» kantienne (Öffentlichkeit), espace de la critique et de la philosophie, ni prive´ ni e´tatique, a` la relation re´ciproque et essentielle qu’Hegel verra re´alise´e entre la subjectivite´ individuelle et l’E´tat moderne3.

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Ci-dessous, XVI.7, p. 623. Pour exprimer le caracte`re complexe et ouvert de cette notion d’individualite´, nous reprenons volontiers la formulation employe´e par Marie-France Piguet, dans une e´tude du lexique de l’individu/individualisme : «individualite´ de´signe chez Constant une proprie´te´ et la potentialite´ meˆme de cette proprie´te´» (avec citation d’un texte central a` ce propos, contemporain des Principes, comme les Re´flexions sur la trage´die de Wallstein, 1807) : M.-F. Piguet, «Benjamin Constant et la naissance du mot ‘individualisme’», ABC, no 29, 2005, p. 119. Suivis, par le nombre de citations, par Bentham, Rousseau, Cornelius De Pauw, Say, Ferrand et Sismondi. De ce dernier, Constant connaissait aussi le manuscrit des Recherches sur les constitutions des peuples libres (1796, e´d. par Marco Minerbi, Gene`ve : Droz, 1965), qui fournit des e´le´ments importants notamment pour la critique de la notion propre a` Rousseau de souverainete´, expose´e dans le Livre I des Principes : voir Stefano De Luca, «Introduzione» a` la traduction italienne des Principes de politique (Soveria Mannelli : Rubbettino, 2007, pp. xl-xlii). Mais sur cela on se re´fe´rera de´sormais a` l’ouvrage de Emmanuelle Paulet-Grandguillot, Libe´ralisme et de´mocratie. De Sismondi a` Constant, a` partir du Contrat social (1801–1806), pre´face de Bertrand Binoche, Gene`ve : Slatkine, 2010 (Travaux et recherches de l’Institut Benjamin Constant, 12). La liaison possible entre Constant et la philosophie allemande de son e´poque a` fait notamment l’objet de quelques e´tudes re´centes de Kurt Kloocke, a` propos notamment de la the´orie

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De´finir les droits respectifs et comple´mentaires de l’individu et de l’autorite´ ; en meˆme temps, ne pas sous-estimer les re´alite´s concre`tes auxquelles ces droits se re´fe`rent : les Principes de politique s’inse`rent dans cette tendance de la philosophie politique europe´enne au tournant du sie`cle avec leur accent particulier, ou` l’on perc¸oit l’e´cho a` la fois de la proximite´ de l’auteur avec l’expe´rience re´volutionnaire, et des recherches qu’il conduisait paralle`lement sur l’histoire des religions. Dans l’ouvrage de 1806–1810, cette imple´mentation de la conception de la re´alite´ politique connaıˆt quelques moments forts. Dans le Livre IV, par exemple : la prolife´ration des lois, typique surtout des gouvernements re´publicains, y devient l’occasion d’une re´flexion sur l’impossibilite´ de se´parer le droit politique des relations existantes entre les hommes («les lois ne sont autre chose que ces relations observe´es et exprime´es»1), ainsi que, vice-versa, sur l’influence active, ou mieux re´troactive, que ces meˆmes lois exercent sur le «moral» des sujets2. Ou dans le Livre X, sur la proprie´te´ : un the`me central dans l’essor du concept de civil society au XVIIIe sie`cle3, et traditionnellement controverse´ parmi les interpre`tes de Constant. Or, dans le syste`me des droits individuels esquisse´ par les Principes, la proprie´te´ – ni droit naturel (a` la Locke), ni crite`re rigide de distinction de classe, mais «convention sociale» –, est surtout examine´e dans sa fonction particulie`re, qui est celle de raccorder la politique et la socie´te´4 : une position the´orique originale, qui impose a` Constant une longue digression, quitte a` de´se´quilibrer la structure meˆme de son ouvrage5. Enfin et justement, dans les tout derniers Livres : ouverts emble´matiquement dans le signe de Montesquieu, par un chapitre sur «Les ide´es d’uniformite´» (troisie`me du Livre XV), ou` Constant, allant a` l’encontre de cette tendance artificialiste et ge´ome´trisante du rationalisme politique moderne qui e´tait aussi a` certains e´gards la sienne, re´habilite partiel-

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de la religion, ou` le rapprochement peut compter sur des e´le´ments philologiques plus forts, mais sans renoncer a` des aperc¸us en direction de la the´orie politique : voir K. Kloocke, «Benjamin Constant et l’Allemagne. Individualite´ – Religion – Politique», ABC, no 27, 2003, pp. 127–171, et «L’ide´e de l’individualite´ dans les e´crits politiques de Benjamin Constant», ABC, no 29, 2005, pp. 143–158. Et non pas des expressions de la volonte´ ge´ne´rale, selon une conception inspire´e de Rousseau (voir Du contrat social, II.6) : voir ci-dessous, IV.1, Addition, p. 178. Voir ci-dessous, IV.2, Addition, p. 179 : «leur existence morale, leur volonte´, leur jugement se trouvent e´touffe´s sous leur existence civile, politique, et le´gale». Et meˆme de`s le XVIIe, avec les the´oriciens janse´nistes de l’amour propre tels Domat ou Nicole : voir sur cela la reconstruction de Lucien Jaume, Qu’est-ce que l’esprit europe´en ?, Paris : Flammarion, 2010, pp. 80–87. Selon l’analyse d’Alain Laquie`ze, «Autorite´ sociale, droits individuels et garanties dans les Principes de politique de 1806», ABC, no 33, 2008, notamment pp. 71, 75–76. Ce n’est en effet qu’au chapitre 14 («De l’action du Gouvernement sur la proprie´te´»), que Constant aborde le sujet annonce´ dans le titre du Livre X.

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lement les inte´reˆts particuliers, en les distinguant des privile`ges1, et met en e´vidence les principes de diffe´rentiation de l’existence humaine dont toute rationalisation de la politique devra toˆt ou tard tenir compte – cette «foule de sentiments, de souvenirs, de convenances locales, dont se compose le bonheur individuel, c’est-a`-dire le seul bonheur ve´ritable»2. C’est ainsi que, entre le pouvoir et l’individu, une dimension interme´diaire commence a` prendre relief aux yeux de Constant : une dimension d’affections et de relations, de transactions, d’«e´lectricite´ morale»3 et de sentiments d’appartenance, bref de ces «cordes d’imagination», dont est fait, d’apre`s une expression de Pascal, le tissu des relations humaines. La prise en conside´ration d’une telle re´alite´ requiert une pense´e des liens a` coˆte´ des lois, du consensus plutoˆt que du contrat (ce dernier mot, dont on remarquera l’absence dans les Principes). A un vocabulaire conceptuel de ce genre, Constant s’approche en effet a` plusieurs reprises. On retiendra notamment son adoption d’un principe holistique («tout se tient dans les socie´te´s humaines»4), comme celui qui distingue l’«organisation» sociale du simple me´canisme5 – une remarque qu’on a de la peine a` concilier avec les formules de l’atomisme social6. L’«organisation complique´e des socie´te´s modernes»7 lui paraıˆt capable d’engendrer des effets politiques spe´cifiques, et d’entrer en tension avec les membres de l’association8, par cette illusion d’exte´riorite´, bien connue aux sociologues, selon laquelle la re´alite´ sociale «s’autoproduit et se re´ge´ne`re par les individus, mais en paraissant agir sur les individus»9. Les Principes de politique repre´sentent vraiment sous ce rapport la liaison ide´ale entre l’Esprit des lois et la De´mocratie en Ame´rique, en donnant continuite´ historique a` un filon de la philosophie politique franc¸aise qui s’e´loigne du mode`le contractualiste d’un Rousseau ou d’un Sieye`s par l’espace plus grand qu’il accorde a` la productivite´ du social. Cette pense´e des relations et des liens n’aboutit pourtant pas a` une «sociologie», pour ainsi

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La the`se selon laquelle la sphe`re publique ne saurait admettre que deux genres d’inte´reˆts, ge´ne´ral et individuel, a` l’exclusion de tout inte´reˆt particulier ou corporatif, avait e´te´ consacre´e pour toute la pe´riode re´volutionnaire par Sieye`s dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? (1789) : voir sur cela Mauro Barberis, «Constant, Mme de Stae¨l et la constitution re´publicaine. Un essai d’interpre´tation», Le Groupe de Coppet et le monde moderne. Conceptions – Images – De´bats. Actes du VIe Colloque de Coppet, Lie`ge, 10–12 juillet 1997, e´d. par Franc¸oise Tilkin, Gene`ve : Droz, 1998, pp. 177–205. Ci-dessous, XV.3, p. 560. Ci-dessous, XV.5, p. 574. Ci-dessous, XII.8, p. 476. Ci-dessous, XV.7, p. 590. Voir ci-dessous, XVI.4, pp. 610–611, note b. Ci-dessous, X.8, p. 346. Ci-dessous, IX.3, p. 314. L. Jaume, Qu’est-ce que l’esprit europe´en ?, p. 88.

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dire1, du moins certainement pas dans les Principes de 1806–1810. Ce rendez-vous manque´ ne tient pas au de´faut de pre´cision d’un vocabulaire encore he´sitant, mais a` des raisons plus essentielles. D’abord, la re´alite´ sociale entrevue par Constant n’est jamais conside´re´e comme e´tant une dimension sui generis, re´gie par une normativite´ propre, mais toujours dans sa relation avec les individus, d’une part, le pouvoir politique, de l’autre. Certains choix lexicaux sont a` cet e´gard re´ve´lateurs : des expressions comme «autorite´ sociale», pour de´signer le pouvoir politique, ou «existence sociale» (des individus)2, signalent par leur forme adjectivale le fait que la socie´te´ est pour Constant une qualite´ de la vie politique et de la vie individuelle, plutoˆt qu’un sujet collectif inde´pendant. Ensuite, et a fortiori, la socie´te´ reste chez Constant une dimension subordonne´e a` la politique. La pluralite´ elle-meˆme des facteurs de socialisation, qui particularisent de plus en plus les individus et les cercles sociaux, rend cette subordination ne´cessaire. Sauf dans certains domaines (l’e´conomie, notamment, selon la lec¸on d’Adam Smith), la vie sociale est trop composite et agite´e par des inte´reˆts et des mobiles trop diffe´rents entre eux pour compter sur une vertu d’auto-re´gulation3 : a` la politique, a` ses principes et a` leur mise en œuvre, la fonction de donner forme a` cet ensemble he´te´roge`ne, empeˆchant que les relations ne se transforment en conflits insolubles ou en hie´rarchies cristallise´es, les diffe´rences en ine´galite´s. Les derniers Livres des Principes n’offrent pourtant pas d’issues faciles, ni de´finitives de ce parcours. Les principaux the`mes e´piste´mologiques et politiques e´voque´s ci-dessus y convergent, s’entrecroisant. Les analyses et les explications les plus complexes de sophismes, celles fonde´es sur l’interaction des causes, s’y font plus nombreuses. On citera par exemple l’analyse des ide´es d’uniformite´ et de stabilite´ (une sorte de psychologie du 1

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Marcel Gauchet parle plus pre´cise´ment d’un «sociologisme» a` l’œuvre dans la pense´e politique de Constant, a` partir de la confiance dans «la puissance auto-constituante du social» et de la conception du «pouvoir-effet», e´manation de la socie´te´ («Benjamin Constant : l’illusion lucide du libe´ralisme», in B. Constant, E´crits politiques, Paris : Gallimard, 1997, pp. 62, 68–71). Voir e´galement, sur une position semblable, Emeric Travers, Les Principes et l’Histoire, op. cit., notamment pp. 455–461. Ci-dessous, XIV.4, p. 536, Additions : «Il y a deux parties de l’existence des hommes en socie´te´, l’une qu’il met en commun, qu’il rend de´pendante de ses associe´s, l’autre qu’il conserve isole´e et inde´pendante. j’appelle l’une existence sociale, l’autre existence individuelle». Vrai en ge´ne´ral, cela vaut encore davantage pour les socie´te´s modernes, ou` les «ramifications sociales» se font de plus en plus complexes (XVI.7, p. 623 et les «relations individuelles se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se de´natureraient de mille manie`res, si l’on tentait de leur donner plus de pre´cision» (XVI.8, p. 638). C’est sur ce point que Constant se de´marque de l’utilitarisme de Bentham, qui lui paraıˆt fonde´ sur une notion (l’utilite´, justement) trop abstraite et ge´ne´rique.

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conservatisme) au Livre XV, celle du penchant a` imiter les Anciens au Livre XVI. La meˆme me´thode est employe´ par Constant ou ` il passe en revue dans le Livre XVIII, toutes les redoutables menaces auxquelles les principes de liberte´ – dont l’abus devrait eˆtre impossible (L. XVII) – sont expose´s : le me´canisme fatal des re´volutions politiques (L. XVIII, ch. 3), les sophismes que ce me´canisme engendre sur la ne´cessite´ du despotisme pour la liberte´ (ch. 4), le vertige mental qu’on appelle fanatisme (ch. 5), pour finir (ch. 6) avec une me´ditation sur l’e´poque de l’apre`s-re´volution. C’est bien a` «la dernie`re et pe´nible e´preuve» que celle-ci peut re´server, que Constant applique une dernie`re fois son mode`le explicatif de l’erreur : «Le peuple fatigue´ par l’oppression, qui s’est exerce´e au nom de la liberte´, semble ne demander autre chose, pour se re´signer presque avec joie a` une oppression nouvelle, qu’un titre diffe´rent a` cette oppression. Il lui suffit qu’on proclame d’une manie`re bien franche que ce n’est pas au nom de la liberte´ qu’on le foule aux pieds. Renversement bizarre d’ide´es. [...] Un despotisme sans bornes a pese´ sur tous et l’on re´clame non la liberte´ mais un autre despotisme»1. L’ambivalence de la modernite´ se montre ici, dans l’e´mergence de formes nouvelles d’oppression qui s’appuient mime´tiquement sur les conqueˆtes des socie´te´s modernes – comme le perfectionnement des formes le´gales, le de´veloppement de l’inte´riorite´ des sujets, le de´laissement des anciens liens et appartenances – et qui suivent leurs transformations. D’ou` l’accent caracte´ristique de ce dernier Livre des Principes, e´toffe´ par la reprise de plusieurs passages des Circonstances actuelles, et oscillant entre les appels aux «missionnaires de la ve´rite´» et une re´flexion inquie`te sur le mal politique. Les «devoirs des hommes e´claire´s apre`s les re´volutions violentes» (selon le titre du chapitre final) – c’est-a`-dire les taˆches d’un intellectuel en 1806, «re´duit sans cesse a` de´montrer l’e´vidence»2 – peuvent se re´ve´ler tre`s difficiles a` acquitter. Soumis a` l’action combine´e des causes des sophismes, entoure´ d’instruments serviles, de chefs inquiets, de peuples fatigue´s, le je qui raisonne dans les Principes semble perdre dans ces pages tous ses interlocuteurs : «La fatigue du peuple se combine avec l’inquie´tude de ses chefs, pour circonscrire de toutes parts le domaine de la pense´e»3. A ce je, coince´ dans le cercle de sa subjectivite´ par un despotisme qui travaille justement a` rendre les individus isole´s, accompagne´ uniquement par un ge´nie malin dont il est peut-eˆtre le seul a` apercevoir l’existence4, il ne lui vaut rien d’e´noncer la ve´rite´, vu que «les hommes e´claire´s ne trouvent plus 1 2 3 4

Ci-dessous, XVIII.6, p. 700. Ci-dessous, XVIII.4, p. 686. Ci-dessous, Pre´face, p. 93. Ci-dessous, XVIII.6, Additions, p. 707 : «Il y a des eˆtres a` qui le ge´nie du mal semble avoir dit : j’ai besoin de toi pour de´jouer tout ce qui est bon, rabaisser tout ce qui est e´leve´, fle´trir tout ce qui est noble et je te doue du froid sourire, du regard e´teint, du silence habile et de l’ironie ame`re».

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de voix qui leur re´ponde»1. Apre`s avoir longtemps he´site´ sur la nature de son travail, l’auteur des Principes semble s’arreˆter sur l’option paradoxale d’un livre sans lecteurs. L’inache`vement de l’ouvrage serait inscrit de la sorte, du moins partiellement, a` l’inte´rieur de sa structure et dans l’ordre meˆme de ses raisons. G. P. Historique du texte L’œuvre intitule´e Principes de politique applicables a` tous les gouvernements existe en deux manuscrits. Le premier (L), datable de 1806, est conserve´ a` Lausanne. Le second (P) appartient aux Œuvres manuscrites, une vaste collection de textes e´tablie en 1810 par Constant, conserve´e a` Paris, et qui font 7 volumes. Le texte occupe les folios 86–182 du vol. I, le vol. II en ` cela s’ajoutent les Additions a` l’ouentier et les folios 2–66 du vol. III. A vrage intitule´ Principes de politique, applicables a` toutes les formes de gouvernement, une liasse importante de notes sur fiches, conserve´e e´galement a` Lausanne (LA). Ces fiches sont le canevas du quatrie`me manuscrit (PA), car elles servaient a` re´diger des additions du meˆme genre. Celles-ci se rapportent tre`s pre´cise´ment au texte du manucrit P et occupent, dans le septie`me et dernier tome des Œuvres manuscrites, les folios 28–92. Une description approfondie de ces quatre manuscrits nous permettra de reconstituer, du moins en partie, le travail de B. Constant. Soulignons d’abord que ce texte majeur de l’œuvre politique de Constant n’est pas acheve´. Cela peut surprendre, si l’on tient compte des structures e´labore´es de l’ouvrage, de son e´tendue et du souci d’aborder les sujets principaux de la philosophie politique de l’auteur. Mais a` y regarder de plus pre`s, on reconnaıˆt que bien des parties ne sont que des esquisses provisoires, destine´es a` eˆtre retravaille´es, a` eˆtre de´veloppe´es, comme le prouvent incontestablement les deux importantes liasses des additions et notes qui forment une partie inte´grante de cette œuvre, ou encore des passages qui ont servi plus tard de canevas pour un morceau plus e´labore´ dans un autre contexte ou pour un article de journal2. Le fait que le livre n’e´tait pas

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Voir ci-dessous, XVIII.5, p. 697 ; et voir XVIII.6, p. 702), a` propos des efforts des amis de la liberte´ : «Les ve´rite´s qu’ils re´pe`tent en vain seront e´coute´es, quand ils ne seront plus.» Un exemple tre`s re´ve´lateur est l’article «De l’obe´issance a` la loi», publie´ le 8 novembre 1817 dans le Mercure. Cet article reprend une se´rie de chapitres du livre XVIII des Principes de politique, e´bauche de la meˆme doctrine qui trouve son expression classique dans l’article du Mercure, et non dans les chapitres des Principes de politique. Voir OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 598–609.

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publiable en 1806, sous le re´gime de Napole´on, est peut-eˆtre moins important pour notre propos que la de´cision de Constant de ne pas tenter une publication de son traite´ apre`s la chute de l’Empire, alors qu’il aurait pu le faire. Il ne l’a meˆme pas essaye´. Il a, par contre, publie´ des ouvrages autonomes, qui exploitent largement les Principes de politique, a` savoir L’esprit de conqueˆte (1813), Les re´flexions sur les constitutions et les garanties (1814), les Principes de politique de 1815, pour nommer les œuvres les plus connues. Il s’agit d’ouvrages de circonstance, certes, mais d’ouvrages qui se distinguent par le fait qu’ils exposent un sujet circonscrit et pre´sente´ en mettant en œuvre une structure argumentative ade´quate, de´rive´e de la matie`re choisie en fonction du contexte politique. Ce que nous venons de rappeler ne signifie point qu’il n’y avait pas, chez Constant, et surtout en 1806, la volonte´ d’e´crire un ouvrage publiable sur l’organisation du pouvoir politique, dont le but principal e´tait d’exposer les principes fondateurs d’un syste`me de garantie pour les liberte´s personnelles. Il ne s’agit plus d’une the´orie politique relative a` une certaine forme de gouvernement (re´publique, monarchie, de´mocratie directe etc.), mais d’une the´orie ge´ne´rale, inde´pendante des formes de gouvernement, ve´ritable perce´e dans la pense´e politique de Constant, dont les efforts visaient jusqu’alors a` e´tablir les re`gles pour une liberte´ lie´e essentiellement a` une forme re´publicaine de gouvernement. Ce qu’il envisage maintenant est un livre e´le´mentaire qui parle des pre´misses indispendables pour un gouvernement dont le but doit eˆtre de respecter et de garantir la liberte´. Changement fondamental, par lequel il rejoint, sans pourtant approfondir les fondements philosophiques de cette nouvelle doctrine, la pense´e politique libe´rale par excellence, telle qu’elle trouve son fondement et sa forme la plus parfaite dans la philosophie kantienne. Nous ne sommes pas renseigne´s du tout sur ce qui a de´clenche´ chez Constant le revirement de sa philosophie ou, disons plus prudemment, de sa doctrine. Bien qu’il coı¨ncide avec les e´ve´nements historiques de l’e´poque, nous he´sitons a` y reconnaıˆtre une raison suffisante pour la nouvelle orientation. Ce que nous savons, c’est que Constant abandonne, apre`s le vote sur le Consulat a` vie (2 aouˆt 1802), son traite´ sur les Possibilite´s d’une constitution re´publicaine dans un grand pays, dont il ne reste que les importants fragments du manuscrit de Lausanne et la copie des Œuvres manuscrites, pour entreprendre, comme il ressort d’une lettre adresse´e le 4 novembre 1802 a` Claude Fauriel, un ouvrage «e´le´mentaire sur la liberte´»1 qui deviendra les Principes de politique applicables a` tous les gouvernements. Nous savons par une note du Journal Intime du 4 fe´vrier 1806, qu’il commence 1

OCBC, CG, t. IV, p. 544.

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un nouvel ouvrage, conc¸u dans un premier temps comme un petit texte qui pourrait eˆtre publie´ assez vite, mais dont sortira par la suite le grand manuscrit conserve´ a` Lausanne1. Ajoutons encore que nous sommes tre`s mal renseigne´s sur les progre`s de ce travail de re´daction entre novembre 1802 et fe´vrier 1806. Le manuscrit de Lausanne, manuscrit composite, comme nous allons le voir, est acheve´ en octobre 1806 environ, au moment ou` Constant commence a` e´crire ce qui deviendra plus tard Adolphe. Le travail au grand traite´ politique est interrompu au moment ou` Constant a trouve´ une structure simple, la division de l’ouvrage en livres, qui remplace une structure hie´rarchique (parties principales, livres, sections, chapitres) et une organisation plus me´thodique du texte. Les titres des parties, livres et sections, conserve´s en partie, le prouvent. L’examen du manuscrit nous permet d’en approfondir quelques aspects, notamment quelques de´tails relatifs a` la gene`se du texte.

Le manuscrit L Le manuscrit se compose de 18 liasses ou cahiers de 215 × 170 mm environ, forme´s de 895 folios qui font 1515 pages de la main d’Audouin, avec des passages et des corrections autographes. Les dimensions des feuilles peuvent le´ge`rement varier, selon le papier employe´. Chaque livre constitue un cahier forme´ de feuilles de papier ministre plie´es au milieu pour obtenir des feuilles doubles. Les livres sont entoure´s d’une de ces feuilles doubles portant, toujours de la main de Constant, la table des matie`res du livre en cause. Cette table est souvent corrige´e, pour l’adapter a` une pre´sentation retravaille´e du texte selon des crite`res reconnaissables, dans la plupart des cas une simplification de l’argumentation pour obtenir une marche plus rigoureuse des de´monstrations. Les feuilles doubles destine´es a` recevoir le texte ne sont pas emboıˆte´es l’une dans l’autre, mais tout simplement empile´es. Chaque page des folios qui donnent le texte est divise´e en deux colonnes. Le texte occupe toujours la colonne de droite, la colonne de gauche reste blanche pour pouvoir y inscrire des rajouts ou des corrections, ce qui sera fre´quemment le cas. Chaque nouveau chapitre commence sur la premie`re page d’une feuille double. Les dernie`res pages d’une feuille peu-

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OCBC, Œuvres, t. VI, p. 425 et note 3. Dans la note, l’e´diteur identifie le «petit ouvrage» dont il est question, avec les Principes des politique, version de 1806, ce qui est sans doute exact, et le «grand traite´» avec le texte sur la Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays, ce qui est moins suˆr, mais pas a` exclure d’emble´e non plus.

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Principes de politique

vent rester blanches si la fin d’un chapitre est atteinte avec la premie`re, la deuxie`me ou la troisie`me colonne d’un folio. Les pages ne sont pas nume´rote´es. Le foliotage actuel au crayon est de la main d’un bibliothe´caire. La disposition inhabituelle du texte indique clairement que Constant demande a` son secre´taire une mise au net du texte auquel il travaille encore. L’autonomie relative des diffe´rents chapitres et des pages a` l’inte´rieur des chapitres, ainsi que la de´cision de ne pas nume´roter les feuilles, facilitent les retouches ou permettent meˆme des interventions plus importantes (de´placement de chapitres entiers, ajout d’un chapitre nouveau) sans eˆtre oblige´ de refaire la pagination ou de recopier des chapitres entiers. Quelques indications de Constant a` l’intention de son copiste le prouvent. Une preuve plus importante encore est le fait que le manuscrit de Lausanne est constitue´, en de´pit de l’impression d’unite´ apparente, de cahiers assez divers qui proviennent de plusieurs manuscrits probablement plus anciens. Le travail de composition est donc suffisamment avance´ pour justifier ou meˆme pour exiger une mise au net, mais il est ne´anmoins encore visiblement inacheve´. Le manuscrit de Lausanne ne donne pas, comme l’avons de´ja` dit, une œuvre acheve´e, mais une œuvre en devenir. Il est possible de pre´ciser quelques de´tails en examinant un a` un les 18 livres. Notamment, la confection de ce grand manuscrit a` partir de plusieurs manuscrits pre´ce´dents qui y sont inte´gre´s ressort assez clairement si l’on examine les feuilles attentivement. Les filigranes et les dimensions le´ge`rement variables des folios, la couleur et la qualite´ du papier, l’e´criture enfin (ceci concerne aussi bien les pages e´crites par Audouin que les pages autographes) sont des indicateurs pre´cieux pour mieux saisir les e´tapes de ce travail de re´daction et de copie. Nous distinguons 8 sortes de papier avec 15 filigranes. Cela n’a rien d’e´tonnant en soi, parce que les feuilles de format ministre peuvent tre`s bien avoir e´te´ fabrique´es a` partir de feuilles de double format, avec des filigranes diffe´rents sur chaque grande page. Nous de´signons ci-dessous chaque filigrane par le sigle d’une lettre majuscule de A a` O, quelques sous-groupes par l’apposition d’un chiffre a` la lettre en cause. Premier papier. 220 × 340 mm. Papier e´pais, bleuaˆtre, rainure´. Deux filigranes. A : une corne. B : F. DODO DE SEUZEI. Deuxie`me papier. 215 × 340 mm. Papier e´pais, verdaˆtre, rainure´. Deux filigranes. C : animal mythologique (griffon ?). D : cartouche ronde avec des lettres enlace´es. Troisie`me papier. 210 × 320 mm. Papier moyen, blanc, rainure´. Deux filigranes. E : J. Honig & Zoonen. F : de´cor fantaisiste (couronne entoure´e d’un dessin comme pour des armes) ; le nom du fabriquant apparaıˆt parfois avec ce de´cor.

Introduction

61

Quatrie`me papier. 225 × 330 mm. Papier fin, blanc, sans rainures. Trois filigranes ou sans filigrane du tout. G1 : Chappuis. G2 : sans filigrane. H1 : couronne entoure´e d’un cercle, au dessus du mot FIN. H2 : J. Claude. Cinquie`me papier. 215 × 340 mm. Papier assez e´pais, rainure´. Filigrane. I : F. H. Sixie`me papier. 220 × 330 mm. Papier e´pais verdaˆtre, discre`tement rainure´. Deux filigranes ou sans filigrane. L1 : sans filigrane. L2 : animal mythologique (griffon ?). M : D. P. et un F. en-dessous de ces lettres qui forment ensemble un triangle. Septie`me papier : 220 × 330 mm. Papier e´pais verdaˆtre, rainure´. Deux filigranes. N : P. ◊ Fersie. N2 : corne entoure´e d’un cercle. Huitie`me papier. 215 × 340 mm. papier e´pais verdaˆtre. Filigrane. O : D & C Blaum. Une e´tude attentive du manuscrit permet d’affirmer que les papiers employe´s le plus fre´quemment sont ceux qui portent les filigranes A, B, C et D, donc le papier verdaˆtre du Livre premier, du Livre II, du Livre XVII, et de quelques autres parties d’autres livres encore, et de la plupart des enveloppes avec les tables. Les parties que nous venons d’indiquer d’une manie`re sommaire sont celles ou` nous pouvons de´couvrir avec beaucoup de vraisemblance la couche la plus re´cente du manuscrit. Cette supposition se de´duit de l’analyse des enveloppes et des tables de matie`res des diffe´rents livres. Les tables conservent effectivement pour nous de la manie`re la plus fiable les deux structures successives de l’ouvrage. La premie`re composition du traite´ suivait un plan hie´rarchise´. L’ouvrage comprenait au moins trois parties. Chaque partie e´tait subdivise´e en livres, chaque livre en sections, et chaque section comprenait probablement plusieurs chapitres ou une unite´ e´quivalente. Cette structure assez complique´e et ambitieuse, parce qu’elle obe´it a` un souci de pre´senter la matie`re selon une logique syste´matique, dominait dans un premier temps, sans doute pendant les premiers mois du travail aux Principes de politique, la re´daction des parties de ce traite´. Car, comme nous pouvons le constater, la copie d’Audouin avance, les cahiers se constituent, mais Constant re´dige les tables des diffe´rents cahiers en se servant encore des structures hie´rarchise´es. Les enveloppes qui ne donnent plus cette structure sont ou bien des enveloppes re´dige´es plus tard seulement, ou des enveloppes qui remplacent des feuilles abandonne´es en cours de route. Le tableau suivant re´sume les donne´es de l’analyse des tables du manuscrit de Lausanne. Nous reproduisons les titres des parties, des livres et des

62

Principes de politique

sections de la version hie´rarchise´e s’ils sont atteste´s. Les restitutions sont donne´es entre crochets carre´s. Les titres des chapitres ne sont reproduits que rarement, dans l’intention de fournir des exemples pour les transformations successives. Puisque nous n’avons pu trouver d’indices mate´riels pour la place que les livres I, IV, VII, IX et XVIII occupaient dans la structure hie´rarchise´e, nous les avons place´s par hypothe`se a` la hauteur d’une section possible, tout en les glissant a` droite pour les distinguer clairement des autres entre´es.

Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens Structures de l’ouvrage Structure hie´rarchise´e fe´vrier – sept. ou octobre 1806

Structure line´aire septembre ou octobre 1806

[Premie`re partie] [Livre premier] [Section premie`re]

Section II Des principes a` substituer aux ide´es rec¸ues sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale Chap. 1 a` 7

Livre I Des ide´es rec¸ues sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale Chap. 1 a` 9 Livre II meˆme titre

Chap. 1 a` 7

Premie`re partie Livre second De l’extension de l’autorite´ sociale Section premie`re Livre III Des raisonnemens et des meˆme titre hypothe`ses qui motivent l’extension de l’autorite´ sociale Chap. 1 a` 5 Chap. 1 a` 5 [Section seconde] Livre IV De la multiplicite´ des lois Chap. 1 a` 5 Section troisie`me Livre V Des mesures arbitraires meˆme titre

63

Introduction

Chap. 1 a` 5 Section quatrie`me Des coups d’e´tat Chap. 1 a` 3

Chap. 1 a` 5 Livre VI meˆme titre Chap. 1 a` 3

Premie`re partie Livre troisie`me [Section premie`re]

Livre VII De la liberte´ de la pense´e Chap. 1 a` 7

[Section seconde] Section troisie`me Livre VIII De la liberte´ religieuse meˆme titre Chap. 1 a` 5 Chap. 1 a` 5 Chap. 6 De la religion Chap. 6 De l’axiome conside´re´e comme utile qu’il faut une religion au peuple Chap. 7 et 8 Chap. 7 et 8 Chap. 9 De la re´union Chap. 9 De la tole´rance des croyances diffe´quand l’autorite´ s’en meˆle rentes Chap. 10 et 11 Chap. 10 Chap. 12 Que la multiplicite´ des sectes est favorable au sentiment religieux et a` la morale Chap. 13 De l’esprit actuel relativement a` la religion Chap. 14 Fin de cette section [Section quatrie`me (?)] Livre IX Des garanties judiciaires Chap. 1 a` 4 Seconde partie Application des principes ge´ne´raux Livre premier De l’action de l’autorite´ sur la proprie´te´ Section premie`re Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions sociales Chap. 1 a` 8 (?) [Section seconde] [Titre ?] Chap. [1] a` 5 (?) [Section troisie`me]

Livre X De l’action de l’autorite´ sur la proprie´te´

Chap. 1 a` 8

Chap. 9 a` 13

64

Principes de politique

[Titre ?] Chap. [1] a` [3] (?), peut-eˆtre encore [4] a` [6] (?) Section quatrie`me De l’impoˆt Chap. 1 a` 3 Chap. 4 De l’impoˆt sur la terre Chap. 5 De l’impoˆt sur les patentes Chap. 6 De l’impoˆt indirect Chap. 7 a` 12

Chap. 14 a` 18 Livre XI meˆme titre Chap. 1 a` 3 Chap. 4 Des diverses espe`ces d’impoˆts

Chap. 5 a` 10

Seconde partie Livre second Section premie`re Livre XII De l’action du gouvernement De la juridiction de l’autorite´ sur l’industrie sur l’industrie et la population Chap. 1 a` 3 Chap. 1 a` 3 Chap. 4 Des privile`ges en Chap. 4 Des privile`ges et prohibitions fait de commerce (reprend les anciens chap. 5 a` 10 Chap. 5 Des maıˆtrises, de la section premie`re) jurandes et apprentissages Chap. 6 De la fixation du prix des journe´es Chap. 7 Des lois contre l’industrie Chap. 8 Des lois contre l’exportation de l’or Chap. 9 De la le´gislation des grains Chap. 10 Du taux de l’inte´reˆt [Section seconde] [Titre ?] Chap. 1 a` ? Chap. ? Fin de cette section

Section troisie`me De la guerre Chap. 1 a` 5 Seconde partie Livre troisie`me

Chap. 5 a` 9 Chap. 10 Re´sultat des conside´rations ci-dessus Chap. 11 Des mesures ... Livre XIII meˆme titre Chap. 1 a` 5

65

Introduction

De l’action de l’autorite´ sur les lumie`res Section premie`re Des rapports de l’autorite´ avec les lumie`res Chap. 1 a` 7 Troisie`me partie Re´sultats des principes ge´ne´raux et de leur application Livre premier Re´ponses a` diverses objections et conside´rations additionnelles Section premie`re Re´sultat des recherches pre´ce´dentes relativement a` l’action de l’autorite´ Chap. 1 a` 8 Section seconde De l’autorite´ sociale chez les Anciens Chap. 1 a` 8 Section troisie`me Des vrais principes de liberte´ Chap. 1 a` 4 [Section quatrie`me ?]

Livre XIV De l’action de l’autorite´ sur les lumie`res Chap. 1 a` 7

Livre XV meˆme titre

Chap. 1 a` 8 Livre XVI meˆme titre Chap. 1 a` 8 Livre XVII meˆme titre Chap. 1 a` 4 Livre XVIII Des devoirs des individus envers l’autorite´ sociale Chap. 1 a` 6 (avec corr. de la nume´rotation)

Il re´sulte de ce tableau que B. Constant, tout en abandonnant la structure complique´e de l’ouvrage, ne change gue`re l’ordre des parties. Il intervient a` plusieurs reprises au niveau de la structure des chapitres, rien de plus. Les livres I, IV, VII, IX et XVIII qui n’ont pas d’e´quivalents atteste´s dans la se´rie des anciennes structures, sont tout de meˆme faciles a` inte´grer dans celles-ci. Cela signifie que le traite´ que nous lisons aujourd’hui obe´it aux meˆmes principes de la de´monstration syste´matique sans les afficher ouvertement. Une seconde conse´quence s’impose. Les enveloppes avec les tables sont une trace pre´cieuse du travail de re´daction. Constant constituait les cahiers

66

Principes de politique

dont il avait besoin au fur et a` mesure des progre`s de la re´daction et de la copie. Les corrections des tables sont la suite de la de´cision prise en faveur de la divison de l’ouvrage en une se´rie de 18 Livres. Ces corrections sont probablement de 1806, mais sans doute ante´rieures a` l’ache`vement de la copie d’Audouin, donc ante´rieures, mais de combien ?, a` octobre 1806. Constant se sert d’ailleurs du meˆme papier que son copiste, de sorte que l’on peut affirmer que toutes les pages avec les filigranes A, B, C, sont de 1806, tandis que les autres feuilles peuvent provenir de manuscrits plus anciens, inte´gre´s de´finitivement ou provisoirement dans la grande liasse du manuscrit de Lausanne. Les papiers avec le filigrane D peuvent appartenir a` une re´daction plus ancienne. Il faut probablement penser que le travail a` ce grand manuscrit n’avance pas re´gulie`rement de la premie`re a` la dernie`re page. Il est plutoˆt vraisemblable qu’Audouin copiait des morceaux isole´s, des chapitres ou des livres que Constant tenait pour acheve´s. Cela explique peut-eˆtre aussi pourquoi chaque chapitre commence sur une nouvelle feuille et pourquoi les folios ne sont pas nume´rote´s. Constant se re´servait ainsi une certaine souplesse dans la composition, parce qu’il pouvait ajouter ou enlever des chapitres entiers et les placer au besoin dans un autre contexte. Les diffe´rents papiers qu’on trouve dans les livres, la nume´rotation des chapitres fre´quemment corrige´e, une ancienne nume´rotation des pages qui subsiste sur certains folios sugge`rent une telle manie`re de composition. Le tableau suivant re´sume l’emploi des papiers de´crits ci-dessus et donne quelques de´tails supple´mentaires pour appuyer les hypothe`ses que nous venons d’exposer1. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens Manuscrit de Lausanne folios

fos 1 et 48 fos 2–7

1

contenu chapitres

filicommentaires granes Livre premier. enveloppe A table autographe Chap. 1 (fo 2) C Livre I, Audouin 1806

Dans le tableau qui suit, nous distinguons 3 mss que nous de´signons par les sigles BC, ms. a. ; Audouin 1805 ; Audouin 1806. Le ms. le plus ancien est l’autographe de BC (entre novembre 1802 et 1805). Le ms. Audouin 1805 a e´te´ e´tabli entre fe´vrier 1805 et fe´vrier 1806. Le ms. le plus re´cent est la copie d’Audouin e´tablie en 1806. Celle-ci intercale parfois des feuilles de la copie pre´ce´dente, due au meˆme, et des feuilles du ms. a. de BC. Faut-il rappeler que ces propositions sont des hypothe`ses pour reconstituer d’une manie`re plausible le travail de re´daction aux Principes de politique ? Voir ci-dessous, pp. 73–74.

67

Introduction

fos fos fos fos fos

8–15 16–17 18–21 22–23 24–31

fos fos fos fos

32–35 36–37 38–41 42–47

fos 49 et 80 fos 50–57 fos fos fos fos fos fos

58–59 60–65 66–67 68–69 69–71 72–79

fos 81 et 112 fos 82–87 fos 88–111

fos 113 et 130 fos 114–115 fos 116–119 fos 120–123 fos 124–125 fos 126–127 fos 128–129 fos 131 et 154 fos 132–145

Chap. 2 (fo 6) Chap. 3 (fo 12)

Chap. 4 (fo 24) Chap. 5 (fo 28) Chap. 6 (fo 32) Chap. 7 (fo 38) Chap. 8 (fo 42)

D C D C D

rajouts a. fos 15vo–17ro, fo 34ro

C D B A

Deuxie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 50) A Livre II, Audouin 1806 Chap. 2 (fo 54) B Chap. 3 (fo 62) A Chap. 4 (fo 66) B A Chap. 5 (fo 70) B Chap. 6 (fo 72) A rajout a. sur feuille Chap. 7 (fo 74) de´coupe´e, colle´e fo 79ro Troisie`me Livre enveloppe A table autographe Chap. 1 (fo 82) E Livre III, Audouin 1805 Chap. 2 (fo 88) F add. a. fos 82vo, 88ro/vo, 90ro, 103vo, 104vo Quatrie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 114) D Livre IV, Audouin 1806, Chap. 2 (fo 116) C sauf fos 114, 126–128, o Chap. 3 (f 120) A BC, ms. a. Chap. 4 (fo 122) B Chap. 5 (fo 126) G1 H1 Cinquie`me Livre enveloppe D table autographe Chap. 2 (fo 132) D Livre V, Audouin 1806

68

Principes de politique

fos 146–153

fos 155 et 188 fos fos fos fos fos fos fos fos

156–162 163–165 166–169 170–171 172–173 174–177 178–179 180 et 183

fos 181–182 fos 184–187 fos 189 et 244 fos 190–195 fos 196–205 fos 206–211 fos 212–213 fos fos fos fos fos fos fos fos fos

214–215 216–217 218–219 220–223 224–229 230–233 234–237 238–239 240–243

fos 245 et 290 fos 246–255

Chap. Chap. Chap. Chap.

2 3 4 5

(fo 136) (fo 144) (fo 146) (fo 152)

B

Sixie`me Livre enveloppe I table autographe Chap. 1 (fo 156) B Livre VI, chap. 1er, A Audouin 1806 B Chap. 2 (fo 170) L chap. 2, Audouin 1805 M add. a. fos 172ro, 173vo, 175vo, L Chap. 3 (fo 178) A chap. 3, copie part. Audouin 1806, N add. a. fos 179ro, 183vo, 184vo, 185ro fos 181ro–183ro entie`rement a. D feuille intercale´e N Septie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 190) A Livre VII, Audouin 1806, Chap. 2 (fo 192) fos 190–211, o Chap. 3 (f 196) C add. a. fo 193ro D Chap. 4 (fo 212) G1 fos 212–239, 241 Audouin 1805, add. a. fos 219ro/vo, 233ro H2 G1 L H1 Chap. 5 (fo 224) G2 F E F Chap. 6 (fo 240), H1 fos 240, 242–243 a. o Chap. 7 (f 242) Huitie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 246) B Livre VIII, Audouin 1806, sauf les fos 285–288

69

Introduction

fos 256–257 fos 258–265 fos fos fos fos

266–269 270–271 272–273 274–283

fos 284 et 289 fos 285–288

fos 291 et 318 fos 292–295

fos 296–299

fos 300–301

fos 302–303 fos 304–305 fos 306–307 fos fos fos fos

308–309 310–313 314–315 316–317

fos 319 et 412 fos 320–327

fos 328–333 fos 334–335

Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap.

2 (fo 258) 3 (fo 262) 4 (fo 266) 5 (fo 270) 6 (fo 272) 7 (fo 276) 8 (fo 278) 9 (fo 280) 10 (fo 282)

A B A B A B

A H1

enveloppent les 4 pp. suivantes BC, ms. a., pp. d’un ancien chap. 29, nume´rote´es I.I.I. et K.K.K. emboite´es dans le fo 284 et 289

Neuvie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 292) H2 Livre IX, Audouin 1805 BC, ms. a., ancien chap. 30, nume´rote´ L.L.L. a` N.N.N. Chap. 2 (fo 298) O BC, ms. a., ancien chap. 31, nume´rote´ O.O.O., P.P.P., P.P.P.2, P.P.P.3 ? part. a. (fos 300–313), feuille fabrique´e en collant deux moitie´s de fos ; filigrane emporte´ ? et H1 feuille fabrique´e en collant deux moitie´s de folios H1 Chap. 3 (fo 306) G2 ancien chap. 〈32〉 33, nume´rote´ Q.Q.Q. a` T.T.T. O G2 Chap. 4 (fo 314) C Audouin 1806 D Dixie`me Livre enveloppe ? table autographe Chap. 1 (fo 320) B Livre X, Audouin 1806 fo 320vo add. a. o Chap. 2 (f 322) Chap. 3 (fo 326) Chap. 4 (fo 330) A B

70 fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos

Principes de politique

336–337 338–341 342–343 344–349 350–357 358–363 364–365 366–369 370–375 376–383 384–387 388–389 390–391 392–411

fos 413 et 464 fos 414–423

fos fos fos fos

424–425 426–429 430–439 440–463

Chap. 5 (fo 338) Chap. 6 (fo 342), Chap. 7 (fo 344) Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap.

Chap. 14 (fo 390) Chap. 15 (fo 394) Chap. 16 (fo 402) enveloppe table Chap. 1 (fo Chap. 2 (fo Chap. 3 (fo Chap. 4 (fo

Chap. Chap. Chap. Chap. Chap.

fo 465

table

fos 466–467 fos 468–473

Chap. Chap. Chap. Chap.

fos fos fos fos fos fos fos fos fos

474–477 478–479 480–481 482–483 484–497 498–505 506–507 508–515 516–545

8 (fo 358) 9 (fo 364) 10 (fo 366) 11 (fo 372) 12 (fo 376) 13 (fo 384)

5 6 7 8 9

1 2 3 4

(fo (fo (fo (fo (fo

(fo (fo (fo (fo

Chap. 5 (fo

A B B B A B A B A B H2 G1 B A

fos 338ro–340vo a. fo 342 feuille colle´e ; au vo add. a.

fos 358ro–363ro a. fos 368ro–369vo a. fo 375ro add. a. fo 380vo add. a. fos 384ro–388ro a. Audouin 1806

Onzie`me Livre A autographe 414) B Livre XI, Audouin 1806 416) 420) 422) A B 438) A fo 434vo add. a. 444) B 448) 456) 460) Douzie`me Livre ? autographe ; second volet de l’enveloppe perdu 466) B Livre XII, Audouin 1806 470) A 472) 474) B A fo 479vo add. a. B A B A B A 526) B fos 526ro–536vo a.

71

Introduction

fos 546–549 fos 550–559 fos fos fos fos

560–565 566–567 568–571 572–573

fos 574 et 615 fos 575–580 fos 581–582 fos 583–584 fos 585–592 fos fos fos fos

593–596 597–598 599–604 605–606

fos 607–608 fos 609–612 fos 613–614 fos 616 et 663 fos 617–620 fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos

621–622 623–624 625–628 629–630 631–634 635–636 637–638 639–640 641–642 643–646

Chap. Chap. Chap. Chap. Chap. Chap.

6 (fo 530) 7 (fo 538) 8 (fo 548) 9 (fo 554) 10 (fo 558) 11 (fo 560)

A B G1 H1 G1 H1

Treizie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 575) A Livre XIII, Audouin 1806 Chap. 2 (fo 581) N ms. ante´rieur ; chap. 2, ancien chap. I. fo 581 a. C Chap. 3 (fo 589) D ms. ante´rieur, chap. 3, ancien chap. II. C fo 595ro, col. gauche, ajout a. D Chap. 4 (fo 599) B Chap. 5 (fo 605) D ms. ante´rieur ; chap. 5, ancien chap., nume´ro illis. C D C Quatorzie`me enveloppe B table Chap. 1 (fo 617) G1 Chap. 2 (fo 621)

Chap. 3 (fo 629)

Chap. 4 (fo 637)

Chap. 5 (fo 643)

Livre autographe Livre XIV, Audouin 1806, fos 617–628 Audouin 1805 fos 617– 619 a.

F H1 E fo 625vo add. a. L fos 629–642 Audouin 1805 M L fo 635ro add. a. L (?) M L C de´but de la copie 1806 ; fos 643ro– 644vo a.

Chap. 6 (fo 645) fos 647–650

fos 560–573 ms. ante´rieur fo 566ro add. a.

D

72 fos fos fos fos

Principes de politique

651–654 655–656 657–658 659–662

fos 664 et 729 fos 665–666 fos 667–668 fos 669–672 fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos

673–674 675–676 677–678 679–680 681–686 687–688 689–690 691–694 695–698 699–702 703–708 709–710 711–714 715–716 717–718 719–722 723–726 727–728

fos 730 et 795 fos 731–732

fos fos fos fos fos fos fos fos

733–734 735–738 739–744 745–746 747–748 749–750 751–752 753–758

Chap. 7 (fo 661)

C D C D

fo 661ro/vo a.

Quinzie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 665) D Audouin 1806, fos 665ro–667vo a. C Chap. 2 (fo 669) N2 Audouin 1805 Chap. 3 (fo 671) N N2 N N2 Chap. 4 (fo 681) N N2 fo 687vo corr. a. N fos 689vo–690ro add. a. N2 N N2 N fo 704vo add. a. o Chap. 6 (f 709) A B Chap. 7 (fo 715) N2 Audouin 1805, fo 715ro add. a. L M L (?) B Seizie`me Livre enveloppe B table autographe Chap. 1 (fo 731), H1 Livre XVI, Audouin 1806, ancien chap. 1, les fos 731 et 732 appartiennent au meˆme ms. que les fos 779–794. D Chap. 2 (fo 735) C Chap. 3 (fo 739) D C Chap. 4 (fo 747) D C D Chap. 5 (fo 757) C

73

Introduction

fos 759–760 fos 761–768 fos fos fos fos

769–778 779–782 783–784 785–794

fos 796 et 825 fos 796–824

fo 826 fos 827–832 fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos fos

833–840 841–852 853–856 857–864 865–868 869–884 885–886 887–888 889–890 891–892 893–894

Chap. 6 (fo 761) Chap. 7 (fo 767) Chap. 8 (fo 779),

enveloppe table Chap. 1 (fo Chap. 2 (fo Chap. 3 (fo Chap. 4 (fo

D C D H1 D H1

ancien chap. 2 ; Audouin 1805 feuille intercale´e a. fo 785vo–787ro add. a. ; fos 788vo– 789ro add. a. cache´es sous des feuilles colle´es

Dix-septie`me Livre A autographe 797) B Livre XVII, Audouin 1806 805) 809) 823)

Dix-huitie`me Livre table A ou B autographe Chap. 1 (fo 827) A Livre XVIII, Audouin 1806 Chap. 2 (fo 831) B A Chap. 3 (fo 853) B Chap. 4 (fo 857) A B Chap. 5 (fo 873) A Chap. 6 (fo 885) D Audouin 1805 C D C D

En re´sume´, nous pouvons dire ceci : Le manuscrit de Lausanne pre´suppose un travail continu pendant quelques mois (fe´vrier - octobre 1806). Il pre´suppose l’existence de plusieurs manuscrits pre´ce´dents, au moins deux, dont l’un est de la main de Joseph Audouin, depuis fe´vrier 1805 le secre´taire de Constant, l’autre autographe et pagine´ a` l’aide de se´ries de lettres1. Ce dernier est sans doute plus ancien que la copie d’Audouin ou` la pagination des folios est de´ja` abandonne´e. Ces deux manuscrits hypothe´tiques sont difficilement datables. Ils se placent pourtant, pour le second, entre novembre 1802 et le de´but de la copie du manuscrit de Lausanne, pour le 1

Voir ci-dessus, p. 69, sous «Neuvie`me Livre».

74

Principes de politique

premier, entre fe´vrier 1805 et fe´vrier 1806. Constant, qui a abandonne´ le travail a` son traite´ sur la Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays au mois d’aouˆt 1802, apre`s l’e´tablissement du Consulat a` vie, annonce, comme nous l’avons de´ja` souligne´ ci-dessus, dans une lettre adresse´e le 4 novembre 1802 a` Fauriel, qu’il travaille a` un «ouvrage e´le´mentaire sur la liberte´». Il s’agit fort probablement des Principes de politique. Les circonstances des progre`s a` cet ouvrage nous e´chappent. Ce que nous savons pourtant c’est que le travail est souvent interrompu par les e´tudes sur la religion qu’il poursuit par moments, sollicite´ par les rencontres de Weimar. Les deux manuscrits que nous avons pu de´tecter par l’analyse des filigranes, sont un te´moignage pre´cieux pour le travail de re´daction ante´rieur a` 1806, anne´e ou` Constant intensifie ses efforts. Le manuscrit, tel qu’il existe aujourd’hui, ne donne pourtant pas un texte acheve´. Les additions sur fiches le prouvent.

Le manuscrit P Le texte des Œuvres manuscrites est une copie tre`s soigne´e du manuscrit L, commence´e par Audouin en 1810 dans des cahiers blancs. Cette copie tient compte de toutes les corrections et rajouts apporte´s par Constant au texte du manuscrit L, y compris des notes qui apparaissent au bas des pages. Nous supposons, graˆce aux dates appose´es sur certains extraits du manuscrit N, que ce travail pre´paratoire et de re´vision du texte de L se fait entre les mois de septembre et novembre 1810, lorsque l’auteur reprend son grand ouvrage et beaucoup de papiers avec des notes de lecture pour donner a` son secre´taire un texte revu. Les trois volumes ne pre´sentent pourtant pas un nouvel e´tat profonde´ment remanie´ de l’ouvrage, mais signalent une e´tape de sa gene`se, celle de l’ache`vement relatif. Le traite´ est toujours fragmentaire. Constant n’a pu faire avancer et moins encore achever son texte dont il connaissait les lacunes et imperfections, dont il savait qu’il avait besoin d’importants comple´ments. La preuve en est le manuscrit LA et le manuscrit PA qui en est de´rive´.

Le manuscrit LA ` un moment difficile a` e´tablir, sans doute apre`s l’ache`vement du manuscrit A inte´gral de son ouvrage, plus probablement au moment ou` Audouin travaille a` la copie de ce texte pour les Œuvres manuscrites, Constant commence a` re´diger des Additions a` son texte. Il s’agit d’un ve´ritable travail de com-

Introduction

75

position. Le dossier est un document pre´cieux qui permet d’analyser certains aspects du travail de Constant. Nous savons qu’il aimait composer des textes en notant sur des fiches les ide´es a` mettre en ordre. C’est le cas ici. Constant utilise des notes anciennes, sans doute souvent des e´paves du travail au manuscrit L, ou de son traite´ Possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays. Nous lisons des notes de lecture, porte´es sur des feuilles de papiers divers, tre`s souvent de mauvaise qualite´, ce qui explique la diversite´ des plumes et la ne´gligence de l’e´criture de beaucoup de ces feuilles, ce qui explique aussi pourquoi beaucoup de ces folios ne comprennent qu’une seule note, parfois deux morceaux, de sorte que beaucoup de versos sont reste´s blancs. Il y a aussi des textes re´dige´s avec soin, textes comple´mentaires et rajouts a` son ouvrage. Ces feuilles, disons plutoˆt ces fiches, toutes autographes, sont partiellement datables, graˆce a` des indices mate´riels qui permettent de formuler des hypothe`ses. C’est ainsi qu’un article de journal copie´ sur le folio 2 du dossier destine´ a` comple´ter le livre premier, donne la date post quem : janvier 18061, de la fiche. Pour maıˆtriser ces mate´riaux he´te´roge`nes, Constant inscrit en haut de beaucoup de folios une espe`ce de titre inspire´ des titres de son ouvrage (p. ex. «Livre VII. ch. 2.»). Les titres sont donc le re´sultat d’un tri pre´alable. Pour affiner la distribution des diffe´rentes entre´es, il les nume´rote, ce qui lui permet de les de´placer a` l’inte´rieur des se´ries sans les recopier une nouvelle fois, comme il le fait pour les feuilles du premier livre, ou d’organiser la re´daction de´finitive des textes. Ce travail e´tait-il destine´ a` comple´ter le manuscrit de Lausanne ? On peut en douter, car Constant n’attribue aucun des morceaux, dans ce manuscrit meˆme, a` un contexte pre´cis. Aucun renvoi ne permet de caser une note ou d’introduire avec certitude une addition dans un des chapitres de l’ouvrage. Nous pensons que le manuscrit des additions de Lausanne e´tait destine´ a` pre´parer les additions qu’on trouve maintenant dans le t. VII des Œuvres manuscrites. Ce dernier est une pre´sentation tre`s soigne´e de ces mate´riaux et offre d’une manie`re exemplaire ce qui manque a` l’autre : les renvois pre´cis quand il s’agit de notes et des indications qui permettent d’ajouter les additions aux chapitres en cause, tout en distinguant les fragments les uns des autres. Si cette hypothe`se est exacte, le manuscrit de Lausanne a e´te´ constitue´ en 1810, plus pre´cise´ment pendant ou apre`s l’ache`vement de la copie faite par Audouin. Car le copiste ne disposait pas encore de ce manuscrit qui lui aurait permis de porter les notes et les additions a` leur place. Constant par contre pouvait e´tablir la mise au net de ce dossier en se reportant aux volumes des Œuvres manuscrites. Cette mise au net est alors une partie inte´grante du manuscrit de Paris. 1

Voir ci-dessous, p. 76.

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Principes de politique

Pour bien saisir la me´thode de travail de Constant, il est indispensable de de´crire les dossiers se´pare´ment, pour chaque livre de l’ouvrage. Livre I. Exposition du sujet. Il s’agit de 10 folios. Constant pre´voyait, d’apre`s les titres sur certaines fiches, des changements aux chapitres 1, 2, 4, 6 et 8. Au cours du travail venaient s’ajouter encore les chapites 3 et 9. Les 10 folios se regroupent en 4 ensembles (1–7, 8, 9, 10) qui portent un titre ge´ne´ral, pre´cisant le livre en cause et le chapitre ou` il fallait inte´grer les morceaux. Constant notait les mate´riaux sur ces fiches sans ordre e´vident. Dans un second temps, il a redistribue´ les morceaux en les affectant a` des chapitres pre´cis, ce qui s’exprime par une nume´rotation parfois complexe qu’il inscrit a` coˆte´ des morceaux, le plus souvent a` la hauteur de la premie`re ligne. Liv. I, ch. 1. fo 1ro 1 12, 14, 2 fo 1vo o o f 2r suite de 2, 5, 6, 13 fo 2vo suite de 13, 8, 9A fo 3ro un titre, 4A, 3 o o o f 3v – 4r suite de 3 fo 4vo 4B, 〈1A〉 17, 9C fo 5ro suite de 17, 7 o o 10, 〈9B〉 15, 9B f 5v fo 6ro – 6vo suite de 9B fo 7ro 11, 16 fo 7vo blanc Nous constatons que ces 7 folios forment une unite´ autonome, comme le prouve la dernie`re page reste´e blanche. Ils donnent les textes dans l’ordre de la re´daction. Le fo 2 porte l’extrait d’un article du Moniteur de janvier 1806, ou` il est question de la censure impe´riale. Ce texte permet de dater le de´but du travail a` ces Additions. Le folio 4vo pre´sente une autre irre´gularite´. Constant interrompt la re´daction du texte 17 au milieu d’un mot. Il restait l’espace pour quatre lignes, dans lequel il inscrit le texte 9C. La suite du texte 17 se trouve a` la premie`re ligne du folio 5ro, appele´ par un signe. Le titre qu’on trouve au folio 3ro (Fragmens de l’Introduction a` l’ouvrage Intitule´ : 〈des Moyens de constituer une Re´publique dans un grand pays〉 Principes de politique) prouve qu’une partie des fiches appartient a` une e´poque ante´rieure a` 1806.

Introduction

77

La nume´rotation des textes est le re´sultat d’un travail de re´daction nettement poste´rieur a` la premie`re mouture des fiches. En plac¸ant les morceaux dans l’ordre des nume´ros l’un apre`s l’autre on obtient, avec les textes 1 a` 9B, a` quelques variantes pre`s, la pre´face qui ouvre la copie parisienne de l’ouvrage. La suite (les morceaux 10 a` 16) aurait conside´rablement e´largi cette introduction. Constant y renonce et utilise les mate´riaux ailleurs ou renonce a` les inte´grer dans son ouvrage.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

Concordance de l’Introduction, manuscrits P et LA1 P LA Cet ouvrage, commence´ 1(1) Cet ouvrage, commence´ Celui contenoit 1(2) Mon ouvrage contenait J’ai donc retranche´ 2 J’ai retranche´ Lorsque des questions 3(1) Lorsque des questions Il n’est donc pas 3(2) Il n’est donc pas De la sorte 3(3) De la sorte Lorsqu’une teˆte intempestive 4A Lorsqu’une teˆte intempestive A Athe`nes 4B A Athe`nes On m’accusera peut-eˆtre 5 On m’accusera peut-eˆtre La sottise 6 La sottise J’ai beaucoup cite´ 7 J’ai beaucoup cite´ Une ruse habituelle 8 Je n’ai fait Un exemple plus imposant 9C apre`s avoir rempli Bien que la volonte´ 9B Though the will Ces principes mis en pratique –

Les trois dernie`res feuilles du dossier du livre premier ont subi la perte d’un folio et quelques changements. Le folio 8ro contient un rajout au chapitre 2. Les morceaux du folio 9ro–9vo e´taient destine´s d’abord au chapitre 4. La nouvelle nume´rotation dans la marge gauche les pre´voit pour les chapitres 4, 9 et 3. Le dernier texte n’est pas complet. Nous en connaissons la suite2, ce qui nous permet de penser qu’un folio *9bis est perdu. Le folio 10ro–10vo porte des morceaux destine´s d’abord au chapitre 4. Dans un premier temps, Constant les a nume´rote´s de 1 a` 6. La nume´rotation continue au folio 12ro, ce qui sugge`re que Constant utilise des mate´riaux 1

2

Dans ce tableau, les chiffres de la colonne P de´signent en continu des aline´as du texte de l’ntroduction, ceux de la colonne LA reprennent la nume´rotation de BC. On a ajoute´ entre parenthe`ses des chiffres pour pouvoir distinguer les paragraphes a` l’inte´rieur d’un nume´ro de BC. Voir ci-dessous, pp. 106 et 728.

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Principes de politique

anciens et re´partis selon d’autres crite`res. Les textes du folio 10 ont e´te´ redistribue´s en de´passant meˆme les limites du premier livre : 1 (Livre I,6), 2 (Livre II,2), 3 (Livre II,1), 4 (Livre II,2) 5 et 6 (Livre I,8). Livre II. Des principes a` substituer aux ide´es rec¸ues sur l’ide´e de l’autorite´ sociale. Les additions se trouvent sur trois folios, avec le texte sur le recto, versos blancs. fo 11ro, Liv. II. Ch. 1. Citation de Petronius. fo 12ro, Liv. II. Ch. 2. Suite imme´diate des textes du fo 10. Les morceaux sont nume´rote´s de 7 a` 10. fo 13ro, Livre II. Ch. 7. Trois aline´as non nume´rote´s. Livre III. Des raisonnemens et des hypothe`ses qui motivent l’extension de l’autorite´ sociale. Les additions comprennent 8 folios. Les versos des folios 19 a` 21 sont blancs. On peut distinguer 4 unite´s de textes qui n’appartiennent pas au meˆme moment de re´daction : celles des folios 14, 15 a` 18, 19 a` 20 et 21. Constant en a fait le dossier pour le livre 3, ajoutant d’abord les 5 titres des rubriques (Livre III, ch. 1., Livre III, ch. 1., Livre III, ch. 3., Livre III, ch. 4., Livre III, ch. 5.), et nume´rotant ensuite les sous-unite´s de 1 a` 12 tout en corrigeant l’ordre de deux grands morceaux a` l’inte´rieur du fragment no 4. Il utilisera par la suite la plupart de ses notes en les inte´grant dans la re´daction de´finitive des Principes de politique. Livre IV. De la multiplicite´ des lois. Les additions sont porte´es sur 5 folios (fos 22 a` 26). Les versos des 4 premiers folios sont blancs. La perte d’un fo *24bis explique le mieux la lacune importante au de´but du texte nume´rote´ [12]. Les notes e´taient destine´es, dans un premier temps, a` comple´ter les chapitres 1, 2, 3, [4] et 5 du livre IV, comme il ressort des titres des fiches qu’on trouve en teˆte des folios ou` commence une nouvelle se´rie de notes. Mais Constant a change´ d’avis au cours de son travail de re´daction. Il s’est de´cide´ a` transporter les notes 7 a` 19, en partie dans des contextes nouveaux. Puisque les nume´ros 1 a` 6 manquent dans cette se´rie, on peut penser que Constant a de´truit les fiches correspondantes, car il n’y a pas de trace de rajouts supple´mentaires dans le manuscrit de Lausanne. Livre V. Des mesures arbitraires. Le dossier des additions comprend 5 folios (fos 27 a` 31). Les versos des folios 30 et 31 sont blancs. Il se peut que les feuilles soient en partie de´ja` une mise au net de brouillons perdus, parce que l’e´criture des 3 premiers folios est soigne´e et que les titres des rubriques se trouvent toujours sur le

Introduction

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haut d’une feuille, meˆme s’il restait de la place sur la feuille pre´ce´dente. La nume´rotation des morceaux va de 1 a` 18. Le travail de re´daction a perturbe´ conside´rablement le premier projet et entraıˆne´ le de´placement de plusieurs entre´es dans d’autres contextes. Livre VI. Des coups d’E´tat. Le dossier consiste en une seule feuille (fo 32) avec une addition nume´rote´e 19 qui est destine´e au chap. 1 de ce livre. Livre VII. De la liberte´ de la pense´e. Les 9 folios avec les additions au livre VII (fos 33–41) appartiennent a` plusieurs dossiers ante´rieurs. Les folios 33 a` 34 et 39 a` 40 se distinguent par une e´criture soigne´e (texte copie´ ?), tandis que les folios 35 a` 38 et 41 sont visiblement des notes de lecture. Constant les classe, sans tenir compte de ces divergences, sous cinq chapitres (chap. 2 a` 6 du livre VII) et redistribue les mate´riaux sans changements selon ces indications. La dernie`re fiche contient deux citations qui se trouvent de´ja` sous les nume´ros 11 et 15. Livre VIII. De la liberte´ religieuse. Les 6 folios he´te´roclites de ce dossier (fos 42–47) sont des fiches re´dige´es au fur et a` mesure des lectures de Constant. Titres en haut des feuilles et nume´rotation de 1 a` 3, 5 a` 9, ce qui peut signifier que la fiche qui portait la note 4 a e´te´ e´carte´e par Constant. Il a en tout cas profonde´ment restructure´ cette section. C’est ainsi que l’entre´e nume´rote´e 2 qui se trouve sur une fiche probablement ancienne, est entre´e dans le corps du texte en travaillant a` la copie du manuscrit de Lausanne et se retrouve par conse´quent aussi dans le manuscrit de Paris. Livre IX. Des garanties judiciaires. Les notes de lecture re´unies dans ce dossier de 8 folios (fos 48–55) ont e´te´ prises en lisant un ouvrage de Gach sur l’institution du jugement par jure´s, des textes de Bentham et de Montesquieu. C’est un exemple typique pour le travail de Constant qui re´organise ces mate´riaux en en faisant des notes parfois tre`s e´tendues. Comme dans les autres cas, les titres et la nume´rotation ont e´te´ ajoute´s dans l’espace qui restait en haut des feuilles, dans les interlignes et dans les marges. Livre X. De l’action de l’autorite´ sur la proprie´te´. Les 16 folios de ce dossier (fos 56–71) proviennent d’anciennes notes de lecture ou contiennent des pages de la plume de Constant destine´es finalement a` devenir des chapitres a` ajouter au livre X qui, dans le manuscrit de Lausanne, n’en comporte que 16. Cela explique la restructuration parfois profonde de certaines des entre´es. Comme toujours, les titres en haut des

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Principes de politique

rectos de la plupart des folios et la nume´rotation des entre´es ont e´te´ ajoute´s apre`s coup, et obe´issent, surtout dans les pages avec les mate´riaux destine´s aux nouveaux chapitres 17 et 18, a` la structure future des textes. Le fo 62ro porte en haut 〈Additions a` l’Ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement〉. C’est la premie`re attestation que nous connaissions du titre choisi par Constant pour le dossier de ces rajouts. Il le maintiendra, avec un changement («a` tous les Gouvernemens»), pour la re´daction du manuscrit de Paris. La fiche est certainement plus ancienne que l’ensemble du dossier lausannois. Puisque le texte 18, le premier texte de ce folio, est en meˆme temps le premier du nouveau chapitre 17 du livre X, on peut supposer que le projet des «Additions» re´pondait d’abord au besoin de comple´ter les livres de l’ouvrage en ajoutant des de´veloppements sur des questions non encore aborde´es auparavant. Livre XI. De l’impoˆt. Le dossier des additions au livre XI comprend 7 folios (fos 72–78) qui portent tous, a` l’exception des fos 77–78, des notes de lecture tire´es d’ouvrages divers et prises au fur et a` mesure des progre`s de l’e´tude. Cela explique le fait que les versos des fiches 73–76 sont blancs. Le texte des 4 pages des fos 77–78 est un de´veloppement suivi a` ajouter au chapitre 10 du livre XI, re´dige´ d’un trait et e´crit presque sans corrections. Comme dans les dossiers pre´ce´dents, les titres en haut des fiches et la nume´rotation des entre´es ont e´te´ ajoute´s apre`s coup en pre´parant la re´daction de´finitive des additions pour le vol. VII des Œuvres manuscrites. Livre XII. De la juridiction de l’autorite´ sur l’industrie et sur la population. Les vingt fiches de ce dossier (fos 79–98) contiennent 92 notes qui seront reprises, a` l’exception de quelques entre´es de´ja` employe´es ailleurs, dans les «Appendices» des Œuvres manuscrites ou` on les retrouvera comme notes aux chapitres 1 et 5 a` 11. Quelques-unes seront transforme´es en additions au texte des chapitres 1, 5 et 10, et trois passeront dans les «Secondes e´ditions e´parses». Il s’agit du dossier le plus e´toffe´ de ce manuscrit. L’e´tendue des lectures supple´mentaires est un indice de l’importance que B. Constant accordait a` ce sujet. Comme toujours, titres des folios et nume´rotation des entre´es sont ajoute´s en travaillant a` la re´daction finale. Livre XIII. De la guerre. Les quatre folios de ce dossier (fos 99–102) re´unissent trois fiches avec, aux rectos, des notes de lecture (fos 99–101) et un folio avec une addition importante au chap. 5 de ce livre, re´dige´e avec soin et e´crite presque sans corrections. Titres et nume´rotations ont e´te´ ajoute´s pour pre´parer la version de´finitive du manuscrit de Paris.

Introduction

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Livre XIV. De l’action de l’autorite´ sur les lumie`res. Le dossier de 11 folios (fos 103–113) est lacunaire, comme il ressort de la nume´rotation des textes, ajoute´e, comme les titres des folios, apre`s coup. Le manuscrit de Paris confirme cette hypothe`se, puisqu’il contient des textes qui ne sont pas atteste´s dans LA. Une autre particularite´ de ce dossier est qu’il contient des textes que Constant n’a pas repris dans les Principes de politique. Nous supposons qu’il manque 4 folios, a` savoir le fo *103a, qui contenait les textes nume´rote´s 4–6 ; le fo *107a avec les textes 31–35 et le de´but du texte 36, dont la suite se lit au fo 108ro ; le fo *111a avec le de´but du texte sur la philosophie a` Rome et enfin le fo *112a avec la fin du meˆme texte, peut-eˆtre encore un autre texte pour une note ou une addition. Les textes du fo 113ro sont des doubles emplois. Ils apparaissent de´ja` plus haut dans LA. Livre XV. Re´sultat des recherches pre´ce´dentes relativement a` l’action de l’autorite´. Il s’agit d’un dossier de 11 folios (fos 114–124), re´dige´ comme les pre´ce´dents (titres des fiches, nume´rotation des entre´es ajoute´s pour la re´daction du texte de´finitif des additions), avec, peut-eˆtre un fo *116a perdu ou e´limine´ par Constant ; cette fiche contenait les entre´es 8 et 9 dont nous ne savons rien. Livre XVI. De l’autorite´ sociale chez les anciens. Le dossier re´unit 10 folios (fos 125–134) de provenance diverse que Constant arrange pour la re´daction de la version de´finitive des additions du manuscrit PA en ajoutant les titres sur plusieures fiches et en comptant les entre´es (43 textes, avec une erreur dans la nume´rotation, parce que le nume´ro 37 est attribue´ deux fois a` deux textes conse´cutifs). Une partie importante des entre´es ne sera pas reprise. Livre XVII. Des vrais principes de la liberte´. Ce dossier de 9 folios (fos 135–143) nous permet de dire d’une manie`re certaine que les fiches du manuscrit LA comprennent aussi des mate´riaux qui ont servi dans un premier temps a` la re´daction de la version de Lausanne des Principes de politique. Quelques textes se retrouvent effectivement dans le corps des chapitres de cet ouvrage. A cela s’ajoute le fait que deux textes reviennent deux fois dans ce meˆme dossier (5 et 11 ; 8 et 14). Comme toujours, les titres des fiches et la nume´rotation des entre´es ont e´te´ ajoute´s pour le travail de la re´daction des additions du manuscrit PA. Livre XVIII. Des devoirs des individus envers l’autorite´ sociale. Les 11 folios de ce dossier (fos 144–154) re´unissent, comme ceux du livre pre´ce´dent, des mate´riaux he´te´roge`nes, dont certainement aussi quelques pa-

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Principes de politique

ges des papiers pre´paratoires du manuscrit de Lausanne des Principes de politique (L). Quelques-uns des textes qui figurent ici, n’ont pas e´te´ retenus par Constant, un texte y est note´ deux fois (25 et 33), et, chose surprenante, la version de´finitive des additions du manuscrit PA contient plus de mate´riaux qu’on n’en trouve dans les feuilles de LA. Constant les a sans doute trouve´s ailleurs, car rien ne nous permet de supposer que le dossier de LA soit incomplet.

Le manuscrit PA Les Additions a` l’ouvrage intitule´ : Principes de politique, applicables a` tous les gouvernemens» (Œuvres manuscrites, t. VII, fos 28ro–92ro) sont une copie tre`s soigne´e des notes et rajouts que Constant voulait introduire encore dans son texte et dont il avait organise´ la re´daction en partant des mate´riaux du manuscrit LA. Les textes de LA sont repris tre`s souvent litte´ralement ; parfois, Constant corrige la pre´sentation en les e´courtant ou en en de´veloppant l’argument. Les textes de LA n’apparaissent pas toujours dans le meˆme ordre que dans ce dernier manuscrit. Ils sont au contraire tre`s souvent de´place´s. Il y a aussi un nombre conside´rable de morceaux qui ne sont pas repris. La disposition des mate´riaux dans PA suit les structures du texte principal de P. Constant indique par conse´quent les livres avec les titres des livres, les chapitres, e´galement avec les titres, et il introduit sous les rubriques «Note(s)» et «Addition(s)» les textes a` placer. Les endroits ou` il faut accrocher les notes sont pre´cise´s en citant, en les soulignant, quelques mots du chapitre original avant le texte de la note. La rubrique «Addition(s)» se trouve a` la fin des chapitres. S’il y a plusieurs textes dont il faut tenir compte, ils sont se´pare´s par des traits horizontaux centre´s. La dernie`re entre´e de ce manuscrit, le texte d’une addition au chapitre XVIII, est suivie du mot «Fin», place´ au milieu de la ligne. A cela s’ajoute encore une section nouvelle intitule´e «Secondes additions e´parses». Constant re´unit dans ces cinq pages 16 morceaux destine´s sans doute a` son ouvrage, mais pour lesquels il n’avait pas encore arreˆte´ une place pre´cise.

Introduction

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Le manuscrit N Le manuscrit N n’appartient pas exclusivement au dossier des Principes de politique. Il s’agit de fragments d’un recueil de notes de lectures nume´rote´es (de 540 a` 1123, le de´but est perdu, beaucoup de lacunes) sur la religion et la politique, conserve´s a` la BCU sous la cote Co 3492 et a` la BnF sous la cote NAF 18823, fos 61–621. Ce manuscrit a e´te´ e´tabli entre 1803 et 1804. Les entre´es sont effectivement en partie datables. Car les notes sur l’ouvrage de Ferrand, L’Esprit de l’histoire ont e´te´ re´dige´es au plus toˆt en 1803, puisque Constant utilise ici la troisie`me e´dition de cet ouvrage. La premie`re note concernant Ferrand est la note 544. La note 930, une des dernie`res qui soient conserve´es, est datable de 1804. Elle contient des extraits de l’ouvrage de Gach, Les vices de l’institution du jury en France qui a paru cette anne´e-la`. Cela date du coup les autres, a` l’exception peut-eˆtre des dernie`res qui pourraient avoir e´te´ re´dige´es l’anne´e suivante. L’utilisation d’un certain nombre de notes qui passeront dans les Principes de politique est parfaitement reconnaissable par la date inscrite a` coˆte´ du nume´ro d’ordre. Cela nous permet de dire avec certitude que le travail de re´vision du texte se situe entre les 18 septembre et 25 novembre 1810. Il faut e´videmment supposer que la re´vision a commence´ plus toˆt et qu’elle a duˆ se continuer au dela` de la dernie`re date. Les textes nume´rote´s 561–575, 600–606, 638–640, 733, 744–745, 924–926, 928–930, 1009–1010, 1012–1013, 1019 et 1117 ont laisse´ des traces repe´rables dans les manuscrits des Principes de politique, ou` ils se retrouvent souvent textuellement, parfois retravaille´s. Deux notes (562 et 926) sont d’un inte´reˆt particulier. Elles esquissent des projets de re´vision jamais re´alise´s.

Les manuscrits R1 et R2 Les deux manuscrits appartiennent aux vastes dossiers des e´tudes sur la religion. Ils sont datables de 1804–1805 environ, donc d’une e´poque qui pre´ce´de imme´diatement le travail aux Principes de politique. Constant a inte´gre´ quelques phrases de ces manuscrits dans son traite´ politique. Ces emprunts sont re´pertorie´s dans l’apparat des textes repris. Les manuscrits n’apportent rien pour l’e´tablissement du texte, mais confirment la technique de composition et la date de re´daction du traite´ politique.

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On consultera pour l’e´dition inte´grale du ms. N le t. XVI des OCBC, Œuvres, a` paraıˆtre.

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Principes de politique

E´tablissement du texte Puisque les manuscrits P et PA donnent l’e´tat le plus complet et le plus acheve´ des Principes de politique, nous avons choisi ce texte comme texte de base. Les «Additions a` l’ouvrage intitule´ : Principes de politique» sont inte´gre´es a` leur endroit dans le texte de P, mais de telle manie`re qu’on peut les identifier facilement. Les variantes du manuscrit L ainsi que les questions souleve´es par le manuscrit P sont re´pertorie´s dans l’apparat critique. Celui-ci est signale´ en teˆte des entre´es par la lettre V. Un second apparat critique fournit la liste des textes repris (TR). Les passages en question sont balise´s de la meˆme manie`re que pour l’apparat des variantes avec le renvoi a` la ligne et, au besoin, a` la page. Ensuite, une fle`che dirige´e vers la droite () indique les reprises dans des publications ulte´rieures, tandis que la fle`che dirige´e vers la gauche () signale un passage provenant d’une re´daction ante´rieure a` celle des Principes de politique de 1806. L’e´dition princeps de ce traite´, en 1980, avait de´ja` signale´ la plupart de ces reprises dans ses notes explicatives ; la pre´sente e´dition a be´ne´ficie´ d’une re´vision comple`te ce qui a conduit a` de nombreux ajouts, et nous avons pre´fe´re´, pour privile´gier la clarte´, consacrer aux reprises un apparat se´pare´. De meˆme, nous avons renonce´ a` de´signer les œuvres concerne´es par des abre´viations qui auraient oblige´ le lecteur a` se reporter a` une liste. Constant a utilise´ parfois des extraits relativement longs pour les inse´rer dans dans telle ou telle brochure de la Restauration et, a` l’inte´rieur de ces cas, il se trouve assez fre´quemment d’autres passages, plus courts, re´utilise´s dans d’autres ouvrages ou articles. Lorsque cette sorte d’enchaˆssement se pre´sente, nous indiquons d’abord la reprise la plus longue et ensuite celles qui sont comprises dans la premie`re. On renvoie aux OCBC chaque fois que l’ouvrage, cre´diteur ou de´biteur, a de´ja` e´te´ publie´ dans la pre´sente collection. La mention «Co» suivie d’un chiffre, renvoie a` la cote des manuscrits conserve´s dans le fonds d’Estournelles de Constant a` la Bibliothe`que de Lausanne (BCU)1. Le texte ainsi e´tabli des Principes de politique est suivi dans notre e´dition des «Secondes additions e´parses». Nous reproduisons a` la fin des textes le dossier inte´gral de LA pour offrir au lecteur la possiblilite´ d’e´tudier le travail de re´daction de Constant. Certes, une partie des variantes entre PA et LA a pu eˆtre inte´gre´e dans l’apparat critique, mais en ne donnant pas la

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Pour une analyse chiffre´e de ces passages repris, on se reportera a` l’article et aux tableaux commente´s par E´tienne Hofmann, «Les Principes de politique de 1806 comme ‘re´servoir’ de textes pour les publications de Constant sous la Restauration. Une description sche´matique du proble`me», ABC, no 33, 2008, pp. 25–61.

Introduction

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possibilite´ de consulter le texte inte´gral, on aurait sacrifie´ l’information qu’on peut trouver dans l’ordre des textes tre`s diffe´rent de ces deux manuscrits. La pre´sentation des textes non repris de LA aurait e´te´ en outre fort difficile a` re´aliser. Ajoutons encore que l’annotation de ce volume doit beaucoup aux notes ´ d’Etienne Hofmann qu’on lit dans son e´dition de ce texte. Nous les citons parfois litte´ralement, nous les comple´tons, si cela est possible, nous les rectifions quelquefois. Nous utilisons de meˆme les notes que nous trouvons dans les autres volumes des OCBC, si cela s’impose. Manuscrits : 1. Principes de politique, applicables a` tous les gouvernemens. 18 cahiers, 895 fos, 1515 pp. de la main d’Audouin avec des passages et des corrections autographes. 170 × 210 mm. BCU, Lausanne, Co II, 34/6 Chaque livre constitue un cahier forme´ de feuilles de papier ministre et est enveloppe´ d’une feuille ou` se trouve la table a. du contenu de chaque cahier. Hofmann, Catalogue, II/73. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle L. 2. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens. 340 fos, 679 pp. de la main d’Audouin, avec quelques rares additions et corrections a. environ 190 × 250 mm. Œuvres manuscrites de 1810, t. I, fos 86–182 ; t. II, et t. III, fos 2–66. BnF, Paris, NAF 14358–14360. Hofmann, Catalogue, II/75. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle P. 3. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement. 155 fos, 248 pp. a. sur des feuilles de formats et de papiers divers, environ 135 × 205 mm. BCU, Lausanne, Co II, 34/5 Hofmann, Catalogue, II/74. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle LA. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ : Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens. 65 fos, 129 pp. a., 200 × 265 mm. Œuvres manuscrites de 1810, t. VII, fos 28–92ro. BnF, Paris, NAF 14364. Hofmann, Catalogue, II/76. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle PA.

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Principes de politique

5. Me´langes. 29 fos, 58 pp. a. ou de la main d’Audouin. BCU, Co 3492 et BnF, NAF 18823, fos 61–62, 195 × 130 mm. Hofmann, Catalogue, II/29. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle N. 6. Conside´rations ge´ne´rales sur les rapports de la morale avec les croyances religieuses. 29 fos, 57 pp. de la main d’un copiste, 355 × 255 mm. BCU, Co 3415. Hofmann, Catalogue, II/23. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle R1. 7. Fragments des Conside´rations sur la marche de la religion, depuis l’origine du polythe´isme jusqu’a` l’e´tablissement du the´isme. 322 fos, 161 pp. de la main d’Audouin, 190 × 125 mm. BCU, Co 3259. Hofmann, Catalogue, II/47 Manuscrit qui appartient au dossier des ouvrages sur la religion. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle R2. E´dition : Le manuscrit de Lausanne (L) a e´te´ e´dite´ par E´tienne Hofmann. Benjamin Constant, Principes de politique applicables a` tous les gouvernements, Texte e´tabli d’apre`s les manuscrits de Lausanne et de Paris avec une introduction et des notes par E´tienne Hofmann, (Travaux d’histoire e´thicopolitique, t. XXXIV), Gene`ve : Droz, 1980. K. K.

1. Page de titre des Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. I, BnF, NAF 14358, f° 86r°.

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Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens

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Multi autem et sunt et fuerunt, et hi equidem clarissimi viri, qui nec populi nec principum mores ferre potuerunt. Ciceron1.

E´tablissement du texte : manuscrit : Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14358, fo 86ro [=P].

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Cice´ron, De officiis, I, 69. La citation n’est pas litte´rale. «Multi autem et sunt et fuerunt, qui eam, quam dico tranquillitatem expetentes a negotiis publicis se removerint ad otiumque perfugerint, in his et nobilissimi philosophi longeque principes et quidam homines severi et graves, nec populi nec principum mores ferre potuerunt vixeruntque non nulli in agris delectati re sua familiari.» On voit que la devise place´e en teˆte de ce traite´ est une simplification de l’ide´e exprime´e par Cice´ron dans son ouvrage.

2. Première page des Additions à l’ouvrage intitulé Principes de politique applicables à tous les gouvernemens. Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, f° 28r°.

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[Pre´face]

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Cet ouvrage, commence´ depuis longtems, a e´te´ continue´ sous plusieurs des gouvernemens qui se sont succe´de´s en France1. On y trouvera rappele´es et censure´es des mesures qui n’existent plus : mais comme on y trouvera de meˆme rappele´es et censure´es des mesures qui existent encore, on ne croira pas, je pense que j’aı¨e voulu plaire au pouvoir du jour, en attaquant celui de la veille. j’ai suivi les principes, inde´pendamment des circonstances, et ce n’a point e´te´ a` dessein que je me suis de´tourne´, pour l’approbation ni pour le blaˆme. Tant d’erreurs qui paraissaient tombe´es en de´sue´tude, tant de sophismes qu’on eut cru de´masque´s, tant d’iniquite´s qui sembloient a` jamais fle´tries, se sont reproduites, tantot sous les meˆmes noms, tantot sous des noms diffe´rens, que j’ai cru devoir parler contre ces choses avec une force e´gale, qu’elles fussent dans le pre´sent ou dans le passe´. tant de ve´rite´s qu’on eut dit universellement reconnues, ont e´te´ revoque´es en doute ou meˆme mises de cote´, sans qu’on daignat dire un mot d’explication ou d’excuse, que je n’ai pas cru devoir enoncer une seule ve´rite´, quelqu’e´vidente qu’elle fut sans en rappeler les preuves. Mon but a e´te´ de composer un ouvrage e´le´mentaire ; un ouvrage de ce genre, sur les principes fondamentaux de la politique, m’a paru manquer dans toutes les litte´ratures que je connois. Celui-ci contenoit originairement deux parties, les Institutions constitutionelles et les droits des Individus, en d’autres mots, les moyens de garantie et les principes de liberte´. Comme sur les premiers on peut contester, tandis que les seconds sont incontestables, j’ai cru devoir presenter ces derniers se´pare´ment. J’ai donc retranche´ de mon ouvrage tout ce qui avoit rapport aux formes de gouvernement. J’avais traite´ ce sujet dans toute son e´tendue. La Division des citoyens en gouvernans et en gouverne´s, les pouvoirs politiques, le pouvoir exe´cutif, l’Unite´ temporaire ou a` vie du De´positaire de ce Pouvoir, les dangers de cette unite´ dans l’e´lection du Chef de l’Etat, le mode d’e´lecE´tablissement du texte : manuscrits : Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 28ro–31ro [=PA]. 2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5; Fos 1ro–7ro [=LA]. 1

La pre´face n’a pas de titre.

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tion qui avoit e´te´ e´tabli en France, la tendance de l’Unite´ e´lective vers le Gouvernement militaire, la complexite´ du pouvoir exe´cutif, les objections que fournit contre cette complexite´ l’histoire tant des Re´publiques anciennes que de nos re´volutions modernes, les Abus naturels au pouvoir exe´cutif, de quelque manie`re qu’il soit compose´, les garanties contre ces abus, la limitation du droit de paix et de guerre, la faculte´ de refuser les Impots, l’inde´pendance du pouvoir judiciaire, la responsabilite´, l’organisation de la force arme´e, le pouvoir le´gislatif, ses abus, les garanties institue´es ou a` instituer contres ces abus, la puissance illimite´e que donne au pouvoir exe´cutif l’Initiative exclusive, la Division en deux Chambres, le Veto, la Dissolution des assemble´es le´gislatives, l’Election populaire enfin, et les avantages qui ne se trouvent qu’en elle, les deux systeˆmes substitue´s successivement en france a` l’e´lection populaire, le tableau d’une Constitution ou tous les pouvoirs seroient e´lectifs et tous les Droits des citoyens reconnus, les parties faibles de cette constitution, et les moyens d’y porter reme`de, tels avoient e´te´ les objets de mes recherches. Mais une ge´ne´ration doit eˆtre jeune de sentimens et forte de pense´es pour s’occuper de pareilles discussions. dans le Cirque de Constantinople, au milieu des factions des bleus et des verds, elles seroient de´place´es1. elles feroient naˆitre les Soupc¸ons des uns, et fatigueroient la frivolite´ des autres. Lorsque des questions politiques ont cause´ de longues agitations et de nombreux malheurs, il s’e´tablit, dans beaucoup de teˆtes, une conviction que sur tout ce qui a rapport au gouvernement, le raisonnement ne sert a` rien. les erreurs de la the´orie paraissent beaucoup plus facheuses que les abus de la pratique. Comme elles sont en effet plus illimite´es et plus incalculables dans leurs re´sultats, les essais qu’elles occasionnent ont un de´savantage dont les abus sont exempts. l’homme se plie aux institutions qu’il trouve e´tablies, TR: 27-p. 93.4 l’homme ... ce qui existe. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 52, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 589. 1

Allusion qui e´voque l’ide´e du Bas-Empire faible et scle´rose´ en rappelant les couleurs qui distinguaient les rivaux des courses dans les hippodromes de Constantinople et de l’Empire byzantin, surtout aux VIe et VIIe sie`cles. On de´signait ainsi aussi les deux factions rivales (les bleus pour les aristocrates, les verts pour le peuple) qui agite`rent l’Empire durant cette pe´riode. Cette allusion historique e´tait fre´quente a` l’e´poque de Constant pour e´voquer l’antagonisme entre les partisans de la Re´volution et les monarchistes. Bentham l’e´voque pour de´noncer la futilite´ des haines politiques : «N’a-t-on pas vu les citoyens de Rome et de Constantinople se diviser en factions implacables pour des histrions, des cochers, des gladiateurs ? et pour donner de l’importance a` ces honteuses querelles, ne pre´tendait-on pas que le succe`s des Verts ou des Bleus pre´sageaient l’abondance ou la disette, les victoires ou les revers de l’Empire ?» (Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, t. I, p. 15).

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comme a` des re`gles de la nature physique. Il arrange, d’apre`s leurs de´fauts meˆmes, ses interets, ses speculations, son plan de vie. toutes ses relations, toutes ses espe´rances, tous ses moyens d’industrie et de bonheur se grouppent autour de ce qui existe. Mais dans les Re´volutions, comme tout change a` chaque instant, les hommes ne savent plus a` quoi s’en tenir. Ils sont force´s, par leurs propres besoins, et souvent aussi par les menaces de la puissance, a` se conduire come si ce qui vient de naˆitre devoit toujours subsister : et pre´sageant ne´anmoins des alte´rations prochaines, Ils ne posse`dent ni l’inde´pendance individuelle qui devrait re´sulter de l’absence de la garantie, ni la garantie seul de´dommagement du sacrifice de la liberte´. Il n’est donc pas e´tonnant qu’apre`s des re´volutions re´ite´re´es, toute ide´e d’ame´lioration, meˆme abstraite, et se´pare´e de toute application particulie`re, soit odieuse et incommode, et que l’aversion qu’elle inspire s’e´tende sur tout ce qui semble indiquer la possibilite´ d’un changement, meˆme de la manie`re la plus indirecte. Il est tout simple encore que les possesseurs de l’autorite´ favorisent cette disposition naturelle. en supposant aux gouvernans les intentions les plus pures, Ils doivent eˆtre enclins a` se re´server le privile`ge de me´diter sur le bien qu’ils veulent faire : ou s’ils confient ce soin de´licat a` quelques uns des collaborateurs subordonne´s qui les environnent, ce ne peut eˆtre que partiellement. Ils voyent sans peine que des esprits soumis et flexibles se chargent de leur indiquer quelques moyens de de´tail pour arriver a` leur but, ou mieux encore, qu’ils leur facilitent, par des de´veloppemens secondaires, les moyens que l’autorite´ croit avoir de´couverts. mais le penseur inde´pendant qui pre´tend embrasser d’un coup d’œuil l’ensemble, dont les gouvernans permettent tout au plus qu’on s’occupe par partie, come instrument et non comme juge, le philosophe qui remonte aux principes de la puissance et de l’organisation sociale, lors meˆme qu’il s’isole des choses pre´sentes, et concentre´ dans ses souvenirs et ses espe´rances, ne veut parler qu’a` l’avenir et ne prononce que sur le passe´, leur paraˆit ne´anmoins un rhe´teur pre´somptueux, un observateur importun, un dangereux sophiste. De la sorte, la fatigue du peuple se combine avec l’inquie´tude de ses chefs, pour circonscrire de toutes parts le Domaine de la pense´e. On a dit qu’il existait dans la Monarchie une classe interme´diaire, la noblesse, qui ne conservoit de l’inde´pendance que ce qui de´core et consolide la soumission. de meˆme, dans l’e´tat des choses que nous de´crivons, il se forme une classe interme´diaire, qui ne reclame du raisonnement que ce qui est ne´cessaire pour limiter l’empire de la raison. des hommes instruits, mais sans force, subalternes e´le´gans, qui prenent pour but le style, et pour moyens quelques Ide´es restreintes et secondaires, se constituent les organes de l’opinion, les surveillans de la pense´e. Ils e´le´vent un autel a` la litte´rature, en opposition

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avec la philosophie. Ils de´clarent sur quelles questions l’esprit humain peut s’exercer. Ils lui permettent de s’e´battre, avec subordination toutefois et menagement, dans l’enceinte qu’ils lui ont conce´de´e. Mais anatheˆme a` lui, s’il franchit cette enceinte, si, n’abjurant pas sa ce´leste origine, il se livre a` des speculations de´fendues, s’il ose penser que sa Destination la plus noble n’est pas la De´coration inge´nieuse de sujets frivoles, la louange adroite, la de´clamation sonore sur des sujets indiffe´rens, mais que le Ciel et sa Nature l’ont constitue´ Tribunal e´ternel, ou tout s’examine, ou tout se pe`se, ou tout se juge en dernier ressort. Lorsqu’une teˆte intempestive veut s’e´lancer inconside´re´ment de la the´orie abstraite a` la pratique violente, et sur la foi de ses propres spe´culations peut eˆtre incomple`tes, peut eˆtre de´fectueuses, tout de´truire, tout changer, il y a sans doute folie, et meme plus il y a crime. mais la perfidie seule peut comparer la pense´e immobile et solitaire avec l’action solitaire ou le conseil de´sordonne´. l’action est faite pour le moment : la pense´e juge pour les sie`cles. elle le`gue aux ge´ne´rations futures et les ve´rite´s qu’elle a pu de´couvrir et les erreurs qui lui semble`rent des ve´rite´s. le tems, dans sa marche e´ternelle, les recueille et les se´pare. a` Athe`nes, un citoyen qui de´posoit sur l’autel un rameau d’olivier entoure´ de bandelettes sacre´es, pouvoit s’expliquer en liberte´ sur les matie`res politiques. On m’accusera peut eˆtre alternativement de de´velopper des choses e´videntes et d’e´tablir des principes inapplicables. les hommes qui ont renonce´ a` la raison et a` la morale trouvent tout ce qu’on dit dans ce sens, tantot des paradoxes, et tantot des lieux comuns ; et comme les ve´rite´s leur sont de´sagre´ables surtout par leurs conse´quences, Il arrive sans cesse qu’ils de´daignent la premie`re assertion, come n’ayant pas besoin d’eˆtre de´montre´e, et qu’ils se re´crient sur la seconde et sur la troisie`me, comme insoutenable et paradoxale, quoique cette dernie`re soit e´videmment le re´sultat ne´cessaire et imme´diat de la premie`re. La sottise aime singulie`rement a` re´pe´ter des axiomes qui lui donnent l’apparence de la profondeur, et la tyrannie est fort adroite a` s’emparer des axiomes de la sottise. De la` vient que des propositions dont l’absurdite´ nous e´tonne, lorsqu’elles sont analyse´es, se glissent dans mille teˆtes, sont redites par mille bouches, et que les hommes qui veulent s’entendre sont re´duits continuellement a` de´montrer l’e´vidence. J’ai beaucoup cite´ dans mon ouvrage, et principalement des auteurs vivans, ou morts depuis peu d’anne´es, ou des hommes dont le nom seul fait autorite´, come Adam Smith, Montesquieu, Filangieri1. j’ai tenu a` prouver 1

C’est, avec le chap. 3 du livre Ier de l’ouvrage De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays ainsi que le chap. 8, livre VIII du meˆme ouvrage (OCBC, Œuvres,

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que souvent je ne fesais que reproduire, avec des expressions plus adoucies, des opinions qu’on trouve dans les e´crivains les plus mode´re´s. Une ruse habituelle des Ennemis de la liberte´ et des lumie`res, est d’affirmer que leur ignoble doctrine est universellement adopte´e, que les principes sur lesquels se fonde la Dignite´ de l’espe`ce humaine, sont abandonne´s, par un consentement unanime, et qu’il est hors de mode et presque de mauvais gout de les professer, raisonnement d’un grand poids en france. j’ai tache´ de leur prouver que cette unanimite´ pre´tendue e´toit un mensonge. Un exemple plus imposant encor que les the´ories des e´crivains meˆme les plus estimables, est, il est vrai, venu a` l’appui de mes principes, pre´cise´ment tandis que je travaillais a` les exposer. c’est la conduite du Gouvernement Ame´ricain, telle qu’elle fut annonce´e par le Pre´sident des Etats Unis, a` son installation, et telle qu’elle a e´te´ en effet depuis dix anne´es1. «Bien que la volonte´ de la majorite´, disoit M. Jefferson, le 4 mars 1801, doive pre´valoir dans tous les cas, cette volonte´, pour eˆtre le´gitime, doit eˆtre raisonnable. La minorite´ posse`de des Droits e´gaux, que des loix e´gales doivent prote´ger. Violer ces droits seroit une oppression. on dit quelquefois que l’on ne doit pas confier a` l’homme le gouvernement de lui meˆme. mais comment peut-on lui confier alors le gouvernement des autres ? ou bien a-t-on trouve´ des Anges, sous la forme de Rois pour nous gouverner ? empeˆcher les homes de se faire du mal mutuellement, et leur laisser d’ailleurs pleine liberte´ de se diriger dans les efforts de leur industrie, et dans leurs progre´s vers l’ame´lioration, voila` le but unique d’un bon gouvernement. Une justice e´gale et exacte pour tous les homes, quelque soit ou leur condition ou leur croyance, religieuse et politique, la paix, le comerce, la loyaute´ envers toutes les nations, sans alliances insidieuses avec aucune, le maintien des gouvernemens des Etats particuliers dans tous leurs droits, comme l’administration la plus convenable pour nos interets domestiques, est le boulevard le plus assure´ contre les tendances anti re´publicaines, la conservation du gouvernement fe´de´ral, dans toute sa vigueur constitutionnelle, comme la garantie de notre repos au dedans et de notre Surete´ au dehors, une attention scrupuleuse au droit d’election par le peuple, correctif doux et sur des abus qu’autrement le fer des Re´volutions de´truit, lorsqu on

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t. IV, pp. 406–407 et 634–635), une des premie`res mentions de cet auteur dans l’œuvre de BC. Il lui consacrera en 1822 un ouvrage, les Commentaires sur l’ouvrage de Filangieri (OCBC, Œuvres, t. XXVI, a` paraıˆtre). Allusion qui permet de dater la re´daction de´finitive de la pre´face : 1810, a` compter depuis 1801. Le ms. lausannois des «Additions» permet de penser que beaucoup de passages de ce texte ont e´te´ re´dige´s avant cette date, et que BC les a range´s seulement en 1810 dans l’ordre actuel. On retrouve d’ailleurs le de´but du passage du discours dans un cahier de notes. Voir la p. suivante, n. 1.

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n’a prepare´ aucun reme`de paisible, un assentiment sans reserve aux de´cisions de la Majorite´, une milice bien discipline´e, notre meilleur Sauvegarde en tems de paix, et dans les premiers momens d’une guerre, jusqu’a` ce que des troupes regle´es puissent la seconder, la supre´matie de l’autorite´ civile sur l’autorite´ militaire, l’Economie dans les de´penses publiques, afin de ne charger que le´ge´rement la Classe laborieuse, le payement fide`le de nos Dettes, et un respect inviolable pour la foi publique, la disse´mination de l’Instruction, et l’appel a` la raison publique, contre tous les abus, quels qu’ils soı¨ent, la liberte´ religieuse, la liberte´ de la presse, la liberte´ des personnes, sous la protection de l’habeas Corpus et du jugement par des jure´s choisis avec impartialite´, voila` les principes essentiels de notre gouvernement. les veilles de nos sages, le sang de nos he´ros ont e´te´ consacre´s a` leur triomphe. C’est la profession de notre foi politique, le texte de l’instruction des Citoyens, la pierre de touche par laquelle nous pouvons appre´cier les services de ceux en qui nous mettons notre confiance ; et si nous nous e´cartions de ces principes dans des moments d’erreur ou d’alarme, Il faudrait nous hater de revenir sur nos pas, et de rentrer dans la Route qui seule conduit a la paix, a` la liberte´ et a` la surete´»1. Ces principes mis en pratique avec tant de succe´s dans une Re´publique vaste et florissante, sont ceux que j’ai tache´ d’e´tablir dans cet ouvrage, et je me suis livre´ a` cette entreprise, avec d’autant plus de ze´le et de confiance, qu’apre`s avoir quelque tems rempli des fonctions le´gislatives, dans l’Etat qu’on nomoit la Re´publique francoise, Je me retrouve libre2, sans avoir fait un acte ou e´mis une opinion, qui me force a` faire fle´chir le moindre de´tail du systeme que je crois le seul vrai, le seul utile, le seul digne des homes de Bien.

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Jefferson’s first inaugural address, March 4, 1801. BC avait copie´ d’abord le texte anglais, probablement dans un journal, comme le de´montre le ms. lausannois des «Additions». Un autre fragment du discours de Jefferson se trouve dans une note a. (BCU, Co 3492, no 640). BC exerc¸ait les fonctions de Tribun de janvier 1800 a` janvier 1802 (voir ses discours et opinions dans OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 33–351). La tournure «je me retrouve libre» pourrait sugge´rer, comme le dit Hofmann dans son e´dition (Principes de politique, p. 517, n. 5), que ce passage est re´dige´ en 1806.

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Livre

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Ier

Exposition du sujet1

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 87ro–105vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 28ro– 33ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 1ro–46ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fos 8ro–10vo [=LA].

V: 2 Expositions du sujet ] des ide´es rec¸ues sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale L

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Le titre du ms. de Lausanne est plus explicite et plus clair. Nous ignorons pourquoi BC l’a abandonne´. Il est inscrit sur la chemise des folios qui constituent le premier livre. BC a reporte´ en dessous du titre du livre les titres des 9 chapitres qu’il contient. La pratique est la meˆme pour tous les autres livres de l’ouvrage. Cette pre´sentation permet de s’orienter aise´ment dans le livre en cause.

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Chapitre 1er Objet de cet ouvrage

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Les recherches relatives a` l’organisation constitutionnelle des gouvernemens, apre`s avoir e´te´ parmi nous, depuis le contrat social et l’esprit des loix, l’objet favori des spe´culations de nos e´crivains les plus e´claire´s, sont frappe´es maintenant d’une grande de´faveur. Je n’examine point ici si cette de´faveur est fonde´e. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est naturelle. Nous avons en peu d’anne´es, essaye´ de cinq ou six constitutions, et nous nous en sommes assez mal trouve´s1. Aucun raisonnement ne peut pre´valoir contre une pareille expe´rience. Il y a plus, si malgre´ le de´gout universel, aujourd’hui pour toutes les discussions de ce genre, on voulait se livrer a` des me´ditations sur la nature, les formes, les limites, les attributions des gouvernemens, il est vraisemblable qu’on se tromperait dans un sens oppose´ a` celui dans lequel on s’est trompe´, mais qu’on ne se tromperait pas moins grossierement, ni d’une manie`re moins funeste. Lorsque de certaines ide´es se sont associe´es a` de certains mots, l’on a beau re´pe´ter et de´montrer que cette association est abusive, ces mots reproduits rappe`lent longtems les meˆmes ide´es2. C’est au nom de la liberte´ qu’on nous a donne´ des prisons, des e´chaffauds, des vexations innombrablement multiplie´es. Il est tout simple que ce nom, signal de mille mesures odieuses et tyranniques, ne soit prononce´ qu’avec une disposition de´fiante et malveillante. Non seulement les extreˆmes se touchent, mais ils se suivent a. Une exage´ration produit toujours l’exage´ration contraire. Cela s’applique surtout a` a

[Add.] tout ce qui tend a` restreindre les droits du Roi, disoit M. de Clermont-Tonnerre en 1790, est accueilli avec transport, parce que l’on se rappelle les abus de la Royaute´. Il viendra peut eˆtre un tems, ou tout ce qui tendra a` restreindre les droits du peuple sera

TR: 16–21 Lorsque de ... tyranniques, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, p. 134, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 641. 23–24 Non seulement ... contraire. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, pp. 133–134, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 641. 1 2

Allusion aux constitutions de 1791, de 1793, de l’an III, de l’an VIII, de l’an X et de l’an XI. Hofmann observe qu’on peut rapprocher cette observation de BC des the`ses de´veloppe´es par Maine de Biran dans Influence de l’habitude sur la faculte´ de penser, Paris : Henrichs, an XI [1803]. Surtout la dernie`re partie, qui de´veloppe une the´orie des signes du langage contient des passages a` citer ici. Voir p. ex. le de´veloppement sur les «premie`res signes», arbitraires au de´but, et difficiles a` changer dans leur signification. Voir pp. 320–321 une re´flexion de ce genre.

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Principes de politique

une nation ou` tout le monde a pour but de faire effet, et, comme le disait Voltaire, de frapper fort, plutot que de frapper juste1. L’ambition des e´crivains du moment, dans tous les momens, c’est de paraitre plus convaincus que personne, de l’opinion dominante. Ils regardent de quel cote´ la foule se pre´cipite, puis ils s’e´lancent a` toutes jambes pour la de´vancer. Ils croyent par la` s’acque´rir la gloire d’avoir donne´ l’impulsion qu’ils ont rec¸ue. Ils espe`rent que nous les prendrons pour les inventeurs de ce qu’ils imitent, et que, parce qu’ils courent tout essoufle´s devant la troupe qu’ils ont rattrape´e, ils paraitront les guides de cette troupe qui ne se doute pas meˆme de leur existence. Un homme d’horrible me´moire2, dont le nom ne doit plus souiller aucun e´crit, puis que la mort a fait justice de sa personne, disait en examinant la constitution anglaise : j’y vois un Roi, je recule d’horreur : la royaute´ est contre nature. Je ne sais quel anonyme, dans un essai re´cemment publie´, de´clare de meˆme contre nature tout gouvernement re´publicain3. Tant il est vrai, qu’a` de certaines e´poques il faut parcourir tout le cercle des folies pour revenir a` la raison. Mais, s’il est de´montre´ que toute recherche sur les constitutions propremens dites, doit ne´cessairement, apre`s les agitations que nous avons subies, eˆtre pour quelques-uns un sujet de folie, et pour tous les autres un objet

accueilli avec le meˆme fanatisme parce que l’on aura non moins fortement senti les dangers de l’Anarchie. II. 2324. V: 9 les guides ] Les les guides L existe ] il 〈en〉 existe P

11 Un homme ] Un 〈horrible d〉 homme P

21 il

TR: 1–2 comme le ... juste. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 15 ;  De la Religion, I, 6, p. 112. 11–17 Un homme ... raison. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 1, p. 70, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 601. 1

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Phrase qu’on trouve dans le Cours de litte´rature de Jean-Franc¸ois de La Harpe a` propos du the´aˆtre de Voltaire. Celui-ci «fondait son excuse sur ce principe [...] qu’au the´aˆtre il fallait plutoˆt frapper fort que juste». BC la cite assez souvent. Voir p. ex. ses Lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal (1818), ou` il l’emploie dans sa premie`re lecture du 8 fe´vrier 1818 (OCBC, Œuvres, t. XI, a` paraıˆtre). Il s’agit de Georges Couthon qui, dans son Discours prononce´ a` la se´ance des Jacobins du 1 er pluvioˆse de la Re´publique [20 janv. 1794], Paris : Impr. des 86 de´partements, s.d., de´clare en effet : «Je vois dans cette constitution un roi. Un roi ! Je recule d’horreur. Un roi ! c’est un monstre que la nature de´savoue, c’est un maıˆtre qu’elle ne reconnaıˆt point, c’est un tyran qu’elle de´teste» (pp. 3–4). Allusion a` l’ouvrage de Louis-Mathieu Mole´, Essai de morale et de politique, Paris : H. Nicolle, 1806. L’ouvrage, publie´ sans le nom de l’auteur en de´cembre 1805, tend a` prouver dans sa seconde partie que le gouvernement monarchique est naturel. Stanislas-Marie de Clermont-Tonnerre, Opinion sur une motion de M. Mirabeau, combattue par M. Barnave, Recueil des opinions, t. II, p. 232.

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d’indiffe´rence, il existe ne´anmoins des principes politiques, inde´pendans de toute constitution, et ces principes me semblent encore utiles a` de´velopper. Applicables sous tous les gouvernemens, n’attaquant les bazes d’aucune organisation sociale, compatibles avec la royaute´, comme avec la re´publique, quelques soient les formes de l’une et de l’autre, ces principes peuvent eˆtre discute´s avec franchise et confiance. Ils peuvent l’eˆtre surtout dans un empire dont le chef vient de proclamer d’une manie`re a` jamais memorable la liberte´ de la presse, et de declarer l’inde´pendance de la pense´e, la premie`re conqueˆte du sie`cle a. Parmi ces principes, il en est un qui me parait de la plus haute importance. Il a e´te´ me´connu par les e´crivains de tous les partis. Montesquieu ne s’en est point occupe´. Rousseau dans son contrat social a fonde´ son eloquente et absurde the´orie sur la subversion de ce principe. Tous les malheurs de la re´volution franc¸aise sont venus de cette subversion. Tous les crimes dont nos de´magogues ont e´pouvante´ le monde ont e´te´ sanctionne´s par elle. Le re´tablissement de ce principe, ses de´veloppemens, ses conse´quences, son application a` toutes les formes de gouvernemens, soit monarchiques, soit re´publicaines, tel est le sujet de cet ouvrage. a

[Add.] Ordre du jour de Sa Majeste´ l’Empereur dans le Moniteur du [22] Janvier 1806. Il n’existe point de censure en France. tout citoyen franc¸ois peut publier tel livre qu’il jugera convenable, sauf a` en re´pondre. aucun ouvrage ne doit eˆtre supprime´, aucun auteur ne peut eˆtre poursuivi, que par les Tribunaux, ou d’apre`s un De´cret de S.M., dans le cas ou l’e´crit attenteroit aux premiers droits de la surete´ et de l’interet public. Nous retomberions dans une e´trange situation, si un simple commis s’arrogeoit le droit d’empeˆcher l’impression d’un livre ou de forcer un auteur a` en retrancher ou a` y ajouter quelque chose. la liberte´ de la pense´e est la premie`re Conqueˆte du sie`cle. l’Empereur veut qu’elle soit conserve´e &ca.

V: 19–20 Ordre du jour ... Il n’existe point ] le brouillon ne connaıˆt pas cette phrase introductive mais fait pre´ce´der le texte d’un passage qui donne les circonstances : On lit dans le journal de l’Empire du jeudi 9 janvier qu’a` la suite d’une come´die nouvelle que M. Collin d’Harleville a comprise dans la collection de ses œuvres, on a imprime´ ces mots. vu le permis l’impression et la mise en vente d’apre`s de´cision de S. E. le Se´nateur Ministre de la police ge´ne´rale de l’Empire en date du 9 prair[ial] an 13. par ordre de S. E. le chef de la Division de la liberte´ de la presse. signe´ : P. Lagarde. S. M. a e´te´ surprise d’apprendre par cet article qu’un auteur aussi estimable que Collin d’Harleville avoit eu besoin d’approbation pour imprimer un ouvrage qui porte son nom. Il n’existe point LA 19 conserve´e &ca ] le brouillon continue : conserve´e ; il faut seulement que l’usage de cette liberte´ ne pre´judicie ni aux mœurs ni aux droits de l’autorite´ supreˆme, et ce n’est sans doute qu’un e´crivain de´prave´ qui peut vouloiur y porter atteinte. Ce ne serait aussi qu’un prince faible qui pourrait tole´rer une licence destructive des dondemens de l’ordre social et de la tranquillite´ des citoyens. la liberte´ et la civilisation n’existent qu’entre les extreˆmes. c’est aussi entre les extreˆmes que l’administration et la le´gislation doivent se maintenir. Moniteur. Janvier 1806. LA TR: 8–9 pense´e ... sie`cle. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, Œuvres, p. 433.

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Chap. 2e Premier principe de Rousseau sur la source de l’autorite´ sociale

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Principes de politique

Rousseau commence par e´tablir que toute autorite´ qui gouverne une nation, doit eˆtre e´mane´e de la volonte´ ge´ne´rale1. Ce n’est pas ce principe que je pre´tends contester. L’on a cherche´ de nos jours a` l’obscurcir : et les maux que l’on a cause´s, et les crimes que l’on a commis sous le pre´texte de faire exe´cuter la volonte´ ge´ne´rale, preˆtent une force apparente aux raisonnemens de ceux qui voudraient assigner une autre source a` l’autorite´ des gouvernemens2. Ne´anmoins, tous ces raisonnemens ne peuvent tenir contre la ` moins de ressusciter la docsimple de´finition des mots qu’on employe. A trine du droit divin, il faut convenir que la loi doit eˆtre l’expression ou de la volonte´ de tous, ou de celle de quelques uns : Or quelle sera l’origine du privile`ge exclusif que vous concederiez a` ce petit nombre ? Si c’est la force, la force appartient a` quiconque s’en empare. Elle ne constitue pas un droit : ou si vous la reconnaissez comme le´gitime, elle l’est e´galement, quelques mains qui s’en saisissent, et chacun voudra la conque´rir a` son tour. Si vous supposez le pouvoir du petit nombre sanctionne´ par l’assentiment de tous, le pouvoir devient alors la volonte´ ge´ne´rale. Ce principe s’applique a` toutes les institutions. La The´ocracie, la Royaute´, l’Aristocratie, lorsqu’elles dominent les esprits, sont la volonte´ ge´ne´rale. Lorsqu’elles ne les dominent pas, elles ne sont autre chose que la force. En un mot, il n’existe au monde que deux pouvoirs, l’un ille´gitime, c’est la force a : l’autre le´gitime, c’est la volonte´ ge´ne´rale3. a

[Add.] une ville, dit Louis XIV, en parlant de Ge`nes, autrefois sujette de mes ayeux, et qui

TR: 5–24 Ce n’est pas ... c’est la volonte´ ge´ne´rale. ]  Principes de politique (1815), 1, 6-p. 105.20 L’on a cherche´ ... eˆtre le´gitime ]  pp. 13–14, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 679. Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4b, pp. 9–14 ; Co 3252/4i, pp. 12–17. 1

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Allusion a` Rousseau, Du contrat social, Livre II, chap. 1 : «La premie`re et la plus importante conse´quence des principes ci-devant e´tablis est que la volonte´ ge´ne´rale peut seule diriger les forces de l’Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun» (Rousseau, Œuvres comple`tes, t. III, p. 368). BC pense peut-eˆtre a` Joseph de Maistre, Conside´rations sur la France, Londres [Paris ?] : s.e´d., 1797, ou a` Louis-Gabriel-Ambroise de Bonald, The´orie du pouvoir politique et religieux, Constance [Paris ?] : s.e., 1796, 3 vol. Le premier ouvrage est une re´ponse a` De la force du gouvernement actuel, comme le dit Hofmann (Principes de politique, p. 22, n. 12), en ajoutant que BC ne cite jamais ces deux ouvrages ni dans ses traite´s ni dans sa correspondance. Cette constatation fera l’objet des censeurs de l’Inquisition espagnole qui pouvaient la lire

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Les objections que l’on peut faire contre cette volonte´ portent ou sur la difficulte´ de la reconnaitre et de l’exprimer, ou sur l’e´tendue qu’on accorde a` l’autorite´ qui en e´mane. L’on peut pre´tendre, et souvent avec raison, que ce que l’on proclame comme la volonte´ ge´ne´rale, n’est pas cette volonte´, et que les objets qu’on lui soumet ne doivent pas lui eˆtre soumis : mais ce n’est plus alors la le´gitimite´ qu’on attaque : c’est sa compe´tence ou la fidelite´ de ses interpre`tes. Ce principe ne de´cide rien contre la le´gitimite´ d’aucune forme de gouvernement. Dans certaines circonstances, l’association peut vouloir la monarchie, comme dans d’autres la Re´publique. Ces deux institutions peuvent donc eˆtre e´galement le´gitimes et naturelles : et ceux qui de´clarent l’un ou l’autre ille´gitime ou contre nature, sont ou les organes d’un parti, et ils ne disent pas ce qu’ils pensent, ou les dupes de l’esprit de systeˆme, et ils ne savent pas ce qu’ils disent. Il n’y a que deux formes de gouvernement, si toutefois on peut leur donner ce titre, qui soient essentiellement, e´ternellement ille´gitimes, parce qu’aucune association ne les peut vouloir, c’est l’anarchie et le despotisme. Je ne sais au reste si cette distinction souvent re´pe´te´e en faveur du dernier n’est pas illusoire. Il y a entre le despotisme et l’anarchie plus d’analogie que l’on ne pense. L’on a de nos jours nomme´ anarchie, c’est a` dire absence de Gouvernement, ce qui e´tait le gouvernement le plus despotique qui ait

n’avoit d’autres droits de souverainete´ que ceux qu’elle tirait de sa Re´bellion. Memoir. I. 241. si les Re´publiques, jadis sujettes des Monarchies, n’ont d’autres droits de Souverainete´ que leur rebellion, les Rois pourroient bien n’avoir d’autres droits que leur usurpation.

TR: 15-p. 104.17 Il n’y a que ... despotisme. ] re´sume´  De l’esprit de conqueˆte, II, 15, pp. 169–170, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 660.

1

dans les Principes de politique de 1815. Voir Maria Luisa Sanchez-Mejia et Kurt Kloocke, «Le dossier de l’Inquisition espagnole relatif a` l’ouvrage de Benjamin Constant Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens repre´sentatifs», ABC, 35, 2010, a` paraıˆtre. BC renvoie ici, abre´geant le titre d’une manie`re assez insolite, aux Me´moires de Louis XIV : e´crits par lui-meˆme, compose´s pour le Grand Dauphin, son fils, et adresse´s a` ce prince ; suivis de plusieurs fragmens de me´moires militaires, de l’instruction donne´e a` Philippe V, de dix-sept lettres adresse´es a` ce monarque sur le gouvernement de ses E´tats, et de diverses autres pie`ces ine´dites, mis en ordre et publie´s par J. L. M. de Gain-Montagnac, Paris : Garnery, Nicolle, 1806, 2 vol. BC renvoie ici au t. I de cet ouvrage.

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Principes de politique

existe´ sur la terre, un comite´ de quelques hommes, reveˆtant ses agens de pouvoirs illimite´s, des tribunaux sans appel, des loix motive´es sur des soupc¸ons, des jugemens sans aucune forme, des incarce´rations innombrables, et cent assassinats par jour ordonne´s juridiquement1. Mais c’est abuser des termes et confondre les ide´es. Le gouvernement re´volutionnaire n’e´tait certes point une absence de gouvernement. Le gouvernement est l’usage de la force publique contre les individus : quand cette force est employe´e a` les empecher de se nuire, c’est un bon gouvernement, quand elle est employe´e a` les opprimer, c’est un gouvernement affreux, mais nullement une anarchie. Il y avait gouvernement dans le comite´ de salut public : il y avait gouvernement dans le tribunal re´volutionnaire : il y avait gouvernement dans la loi des suspects. Cela e´tait exe´crable, mais point anarchique. Ce n’est point faute d’avoir e´te´ gouverne´e, que la nation franc¸aise a e´te´ e´gorge´e par des bourreaux. Elle n’a e´te´ au contraire e´gorge´e, que parce que des bourreaux la gouvernaient : Il n’y avait point absence de gouvernement, mais pre´sence continue et universelle d’un gouvernement atroce. Il n’y avait point anarchie, mais despotisme.

1

BC prend position sans doute dans une discussion qui avait lieu dans la France re´volutionnaire, ce qui implique aussi une de´finition du terme d’anarchie. Dans son e´tude sur «La notion d’anarchie pendant la Re´volution franc¸aise (1789–1801)» (Annales historiques de la Re´volution franc¸aise, 1992, 287, pp. 17–45), M. Deplace montre que «l’anarchie est [...] associe´e a` ‘l’ide´e d’arbitraire’, comme le re´sultat de l’exercice d’un ‘pouvoir arbitraire’» (p. 20). Les exemples des discussions et discours cite´s de´montrent que BC reprend ici une proble´matique e´troitement lie´e a` une constitution repre´sentative. On pourrait approfondir cette question en consultant l’ouvrage de Kant, Zum ewigen Frieden. Ein philosophischer Entwurf (Königsberg : Nicolovius, 1795), ou` Kant expose une de´finition qui rejoint de tre`s pre`s les ide´es de BC : «Alle Regierungsform nämlich, die nicht repräsentativ ist, ist eigentlich eine Unform, weil der Gesetzgeber in einer und derselben Person zugleich Vollstrecker seines Willens [...] sein kann ; und wenngleich die zwei anderen Staatsverfassungen [a` savoir : «Autokratie» et «Aristokratie»] sofern immer fehlerhaft sind, daß sie einer solchen Regierungsart Raum geben, so ist es bei ihnen wenigstens doch möglich, daß sie eine dem Geiste eines repräsentativen Systems gemäße Regierungsart annehmen, [...] dahingegen die demokratische es unmöglich macht, weil alles da Herr sein will.» (Immanuel Kant, Kleinere Schriften zur Geschichtsphilosophie, Ethik und Politik, hersg. von Karl Vorländer, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1973, p. 129.) Une traduction franc¸aise anonyme de ce texte a paru en 1796 (Königsberg et Paris) sous le titre Projet de paix perpe´tuelle. «Toute forme de gouvernement, qui n’est pas repre´sentative, n’en est point : le le´gislateur» ne peut «se re´unir dans la meˆme personne avec l’exe´cuteur de sa volonte´ [...]. Quoique l’aristocratie et l’autocratie soient de´fectueuses, en ce qu’elles sont susceptibles du vice dont je parle, elles renferment ne´anmoins la possibilite´ d’une administration repre´sentative [...]. au lieu que la de´mocratie rend la repre´sentation impossible, chacun y voulant faire le maıˆtre.» (Kant, Œuvres philosophiques, Ple´iade, t. III, p. 344).

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Le despotisme a ceci de semblable a` l’anarchie, qu’il de´truit la garantie et foule aux pieds les formes. Il n’en diffe`re qu’en ce qu’il re´clame pour lui ces formes qu’il a brise´es, et qu’il enchaine ses victimes pour les immoler. Il n’est pas vrai que le despotisme pre´serve de l’anarchie. Nous le croyons, parce que depuis longtems dans notre Europe, nous n’avons pas vu de despotisme complet. Mais tournons nos regards vers le bas empire, nous trouverons les le´gions se soulevant sans cesse, les ge´ne´raux se de´clarant empereurs, et dix neuf pre´tendans a` la couronne levant simultane´ment l’e´tendart de la re´volte : et sans remonter a` l’histoire ancienne, quel spectacle nous offrent aujourd’hui les provinces soumises au grand seigneur1 ? L’anarchie et le despotisme re´introduisent dans l’e´tat social l’e´tat sauvage. Mais l’anarchie y remet tous les hommes. Le despotisme s’y remet lui seul, et frappe ses esclaves, garotte´s qu’ils sont, des fers dont il s’est de´barrasse´. Quoiqu’il en soit au reste de cette comparaison, ce qu’il y a de sur, c’est qu’elle ne peut faire pencher la balance en faveur d’aucun des deux objets compare´s, et qu’ainsi l’espe`ce humaine ne peut vouloir ni l’anarchie, ni le despotisme. Toute autre forme de gouvernement peut eˆtre utile, toute autre forme peut eˆtre bonne, toute autre forme peut eˆtre voulue par une association, et par conse´quent eˆtre le´gitime.

V: 10 grand seigneur ? ] a` la hauteur de cette dernie`re phrase, on lit dans la marge a` retrouver et a` retrancher dans les additions. P

TR: 1–3 Le despotisme ... immoler. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 15, p. 171, OCBC, Œu11–14 L’anarchie ... de´barrasse´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 15, vres, VIII, 1, p. 661. p. 171, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 661.

1

BC pense au sultan Se´lim III (1761–1808), dont le re`gne (depuis 1789) e´tait caracte´rise´ par des guerres parfois de´sastreuses, des re´formes avorte´es et des re´bellions. Cet aline´a se retrouve, presque identique, dans une des notes pre´vues dans les additions au livre XVII, chap. 3, ce qui explique la remarque rapporte´e dans la marge (voir la variante).

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Principes de politique

Chapitre 3e`me Second principe de Rousseau sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale.

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Si le premier principe de Rousseau est d’une ve´rite´ incontestable, il n’en est pas ainsi d’un second axiome, qu’il e´tablit et qu’il de´veloppe avec tout le prestige de son e´loquence. Les clauses du contrat social, dit-il, se re´duisent a` une seule, savoir l’alie´nation totale de chaque associe´ avec tous ses droits a` la communaute´1. Il en re´sulte que la volonte´ ge´ne´rale doit exercer sur l’existence individuelle une autorite´ illimite´e a. Les publicistes ante´rieurs ou poste´rieurs a` J. J. ont professe´ pour la plupart la meˆme opinion2. Aucun ne l’a formellement rejette´e. 7, fo 31vo 7, fo 32ro

a

[Add.] la voix du plus grand nombre dit Rousseau, oblige toujours tous les autres. c’est une suite du contrat meˆme3. on demande comment un homme peut eˆtre libre et force´ de se conformer a` des volonte´s qui ne sont pas les siennes ? comment les opposans sont-ils libres et soumis a` des loix auxquelles Ils n’ont pas consenti ? la question est mal pose´e. le citoyen consent a` toutes les loix, meˆme a` celles qu’on passe malgre´ lui, et meˆme a` celles qui le punissent, quand il ose en violer quelqu’une. la volonte´ constante de tous les Membres de l’e´tat est la volonte´ ge´ne´rale. quand on propose une loi dans l’assemble´e du peuple, ce qu’on leur demande n’est pas pre´cise´ment s’ils approuvent la proposition ou s’ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non a` la volonte´ ge´ne´rale qui est la leur. chacun, en donant son suffrage, donne son avis la` dessus, et du calcul des voix se tire la De´claration de la volonte´ ge´ne´rale. quand donc l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve autre chose, sinon que je m’e´tois trompe´, et que ce que j’estimois eˆtre la volonte´ ge´ne´rale ne l’e´toit pas. si mon avis particulier l’eut emporte´, j’aurais fait autre chose que ce que j’aurais voulu ; c’est alors que je n’aurais pas e´te´ libre. Rousseau ne fait ici que reculer la difficulte´ et l’exprimer en d’autres mots. Comment se fait-il que la De´claration de la majorite´ constate

V: 10 J. J. ] J. J. 〈Rousseau〉 L 11 rejette´. ] ajout d’une note pre´vue, puis biffe´e par BC (?) dans L ; le texte de la note est tre`s proche du passage qu’on trouve dans le corps du chapitre (p. 109, lignes 7–10) Condorcet fait exception ; il a tre`s bien fixe´ les limites de l’autorite´ sociale. Voyez ses Me´moires sur l’instruction publique. En ge´ne´ral il n’est pas vrai que l’ide´e soit aussi neuve. Franklin, (On the smallest quantity of government.) Payne, Beccaria et d’autres l’ont eue, mais personne n’en a tire´ toutes les conse´quences qui en de´coulent. Le titre en anglais ajoute´ a` la fin de cette note L TR: 6-p. 107.9 Les clauses du contrat ... borne´e par rien. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 17–18. 1 2

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Rousseau, Du contrat social, Livre I, chap. 6. Citation modifie´e par BC. Hofmann souligne (Principes de politique, p. 25, n. 20) que les auteurs dont il est question dans les aline´as suivants n’adoptent pas la the´orie de l’alie´nation de Rousseau, mais professent seulement l’autorite´ illimite´e de la volonte´ ge´ne´rale sur l’existence individuelle. Le de´but de la note est une citation tire´e du Contrat social, Liv. IV, chap. 2. Les phrases qui suivent expriment la critique de BC.

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Dans tout gouvernement, il faut une autorite´ absolue, dit l’auteur de la politique naturelle. Quelque part que cette autorite´ re´side, elle doit disposer a` son gre´ de toutes les forces de la socie´te´ et de´terminer toutes les tendances particulie`res pour les obliger a` se joindre a` la tendance du tout1. De quelque manie`re que le pouvoir souverain soit distribue´, la somme totale est toujours illimite´e. C’est un axiome avoue´ sur toute la terre, dit Mably, que la puissance le´gislative, celle qui de´clare et rend exe´cutrice la volonte´ ge´ne´rale, ne doit eˆtre borne´e par rien2. Les partisans du despotisme se sont a` cet e´gard rapproche´s du systeˆme de Rousseau. Pour qu’une socie´te´ subsiste, dit M. Ferrand, (esprit de l’histoire I. 134) il faut qu’il y ait quelque part un pouvoir au dessus de tout obstacle a, qui dirige les volonte´s et comprime les passions particulie`res3. Quelques e´crivains4, et Montesquieu dans ce nombre, ont apporte´ des restrictions apparentes a` cette doctrine ? Mais ces restrictions trop vagues n’ont jamais pu servir a` tracer des bornes fixes a` l’autorite´ sociale. Dire que

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aux yeux de la Minorite´ la volonte´ ge´ne´rale. elle constate seulement que cette volonte´ est celle de la Majorite´. ce qu’il falloit dire, c’est que l’association a pu consentir a` ce que, dans les Cas ou une de´termination e´toit ne´cessaire, la volonte´ de la Majorite´ fit loi. alors, quoiqu’il ne soit pas vrai que, lorsque la Minorite´ obe´it a un avis contraire au sien, elle en soit d’autant plus libre, quoiqu’il soit encore moins vrai qu’un individu dont l’avis particulier l’emporteroit, ne seroit pas libre et feroit autre chose que sa volonte´, tout en la fesant. Il est concevable que chacun se plie a` ce sacrifice, parce que les autres s’engagent a` s’y plier. mais ce ne peut eˆtre que dans le cas ou une de´termination est ne´cessaire. Autrement le sacrifice est sans but. meˆme de ceux que la morale oppose, c’est a` dire par exemple un pouvoir qui puisse condamner un innocent ? Est-ce la` ce qu’entend M. Ferrand ?

V: 13 particulie`res. ] suit encore dans L un passage biffe´ qui sera reproduit plus loin. Voir ci-dessous, p. 110, lignes 3–5 TR: 14-p. 108.19 Quelques e´crivains ... c’est la garantie. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 18–19. 16-p. 108.23 Dire ... cette autorite´ meˆme. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A en note, CPC, I, pp. 174–175, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1161–1162. 1 2

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Holbach, La politique naturelle ou discours sur les vrais principes du gouvernement, t. I, p. 72. BC ne cite que d’une manie`re tre`s abre´ge´e le texte du philosophe. Il ne s’agit probablement pas d’une citation litte´rale. BC pourrait re´sumer des ide´es de l’abbe´ Mably. On trouve une doctrine de ce genre dans l’ouvrage Du Gouvernement et des loix de Pologne. A M. le comte de Wielhorski. (Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. VIII, Lyon : J. B. Delamollie`re, 1792, premie`re partie, chap. 1–3, pp. 1–42). Quoi qu’il en soit, BC utilise dans ce passage la terminologie de l’abbe´ Mably. Antoine Ferrand, L’esprit de l’histoire ou lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France, Paris : Vve Nyon, 1802, pp. 134–135. BC pense ici sans doute aussi a` John Locke, comme le sugge`re Hofmann, p. 26, n. 27.

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la justice existait avant les loix (Esp. des loix, liv. I1) c’est bien impliquer que les loix et par conse´quent la volonte ge´ne´rale dont les loix ne sont que l’expression, doivent eˆtre subordonne´es a` la justice. Mais que de de´veloppemens cette ve´rite´ demande encore pour eˆtre applique´e ! Au de´faut de ces developpemens, qu’est-il arrive´ de cette assertion de Montesquieu ? que souvent les de´positaires du pouvoir sont partis du principe que la justice existait avant les loix pour soumettre les individus a` des loix re´troactives, ou pour les priver du be´ne´fice des loix existantes, couvrant de la sorte d’un feint respect pour la justice la plus re´voltante des iniquite´s. Tant il importe sur des objets de ce genre de se garder d’axiomes non de´finis ! M. De Montesquieu, d’ailleurs dans sa de´finition de la liberte´, a me´connu toutes les limites de l’autorite´ sociale. La liberte´, dit-il, est le droit de faire tout ce que les loix permettent2. Sans doute il n’y a point de liberte´, quand les citoyens ne peuvent pas faire tout ce que les loix ne de´fendent pas ; mais les loix pourraient de´fendre tant de choses, qu’il n’y aurait encore point de liberte´. M. de Montesquieu, comme la pluˆpart de nos e´crivains politiques, me semble avoir confondu deux choses, la liberte´ et la garantie3. Les droits individuels c’est la liberte´ : les droits sociaux c’est la garantie. L’axiome de la souverainete´ du peuple a e´te´ conside´re´ comme un principe de liberte´. C’est un principe de garantie. Il est destine´ a empeˆcher un individu de s’emparer de l’autorite´ qui n’appartient qu’a` l’association entie`re : mais il ne de´cide rien sur la nature de cette autorite´ meˆme. Il n’augmente donc en rien la somme de liberte´ des individus : et si l’on ne recourt pas a` d’autres principes pour de´terminer l’e´tendue de cette souverainete´, la liberte´ peut eˆtre perdue malgre´ le principe de la souverainete´ du peuple, ou meˆme par ce principe. La maxime de M. de Montesquieu, que les individus ont le droit de faire tout ce que les loix permettent, est de meˆme un principe de garantie. Il signifie que nul n’a le droit d’empecher un autre de faire ce que les loix ne V: 4 encore pour ] 〈encore〉 encore pour L 10 garder d’axiomes ] garder 〈des〉 d’axiomes P 20 conside´re´ ] la source porte conside´re´e P TR: 23–27 Il n’augmente ... ce principe. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, 28-p. 110.2 La maxime ... hors de doute : ]  p. 175, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1162. Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 19–20. 28-p. 109.4 La maxime ... empecher. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A en note, CPC, I, p. 175, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1162. 1 2 3

De l’esprit des lois, Liv. I, chap. 1, ou` Montesquieu admet, comme le dit BC, qu’avant les lois positives, il y avait des notions de justice. De l’esprit des lois, Liv. XI, chap. 3. BC reviendra sur cette question («liberte´ civile», «liberte´ politique»). Voir ci-dessous, livre XVI, chap. 7 et livre XVII, chap. 3, pp. 621–627 et pp. 649–659.

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de´fendent pas. Mais il n’explique pas ce que les loix ont ou n’ont pas le droit de de´fendre. Or, c’est la`, ce me semble, que la liberte´ re´side. La liberte´ n’est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire, et ce que la socie´te´ n’a pas celui d’empecher. Depuis M. de Montesquieu, des hommes ce´le´bres se sont e´leve´s contre la maxime de Rousseau. Beccaria, dans son traite´ des de´lits et des peines1, Condorcet, dans ses me´moires sur l’instruction publique, ont raisonne´ d’apre`s des principes oppose´s2. Franklin a fait une brochure tendant a` prouver qu’il ne fallait que la plus petite quantite´ possible de gouvernement3. Payne a de´fini l’Autorite´ un mal ne´cessaire4. Sieyes, enfin, dans une opinion e´mise a` la tribune, a de´clare´ que l’autorite´ sociale n’etait point illimite´e a. Mais il ne parait pas que la logique de ces e´crivains ait fait ima

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Les pouvoirs illimite´s sont un monstre en politique, et une grande erreur du peuple franc¸ais. Il ne la commettra plus a` l’avenir. Vous lui direz encore une grande ve´rite´ trop me´connue parmi nous. C’est qu’il n’a pas lui meˆme ces pouvoirs, ces droits illimite´s que ses flatteurs lui ont attribue´s. Lorsqu’une association politique se forme, on ne met point en commun tous les droits que chaque individu apporte dans la socie´te´, toute la puissance de la masse entie`re des individus. L’on ne met en commun sous le nom de pouvoir public, en politique, que le moins possible, et seulement ce qui est ne´cessaire pour maintenir chacun dans ses droits et ses devoirs. Il s’en faut bien que cette portion de puissance ressemble aux ide´es exage´re´es dont on s’est plu a` revetir ce qu’on appe`le la souverainete´ : et remarquez

V: 5-p. 110.5 Depuis ... la souverainete´. ] ce passage, y comprise la note, ajoute´ par BC dans la marge L. 1

2 3

4

L’observation de BC est pertinente. Meˆme s’il faut admettre que Beccaria est fortement influence´ par Rousseau, il ne l’est pas en ce qui concerne l’e´tendue de l’autorite´ sociale, comme il ressort d’une phrase du Traite´ des de´lits et des peines : «Ce fut donc la ne´cessite´ qui contraignit les hommes a` ce´der une partie de leur liberte´ ; or il est certain que chacun n’en veut mettre a` la disposition de la communaute´ que la plus petite portion possible, mais qui suffise a` engager les autres a` se de´fendre.» (Cite´e d’apre`s Hofmann, p. 28, n. 35). BC cherche ici des allie´s pour mieux appuyer sa doctrine. Dans un autre contexte, il parle avec moins de respect de Beccaria. Voir ci-dessous, p. 311, n. 2. BC renvoie toujours a` l’e´dition des Me´moires sur l’instruction publique parue dans la Bibliothe`que de l’homme public, 2e anne´e, Paris : Buisson, 1791. Hofmann a montre´ (p. 28, n. 37) que BC renvoie ici a` deux articles de la Pennsylvania Gazette, parus les 1er et 8 avril 1736, intitule´s «On government», qu’il attribue, comme beaucoup de ses contemporains, a` Benjamin Franklin, mais qui sont de John Webbe. Cette erreur n’a pas beaucoup d’importance en soi, car les articles contiennent bien l’opinion que BC exprime ici. «Governemnt is aptly compared to architecture ; if the superstructure is too heavy for the foundation, the building totters, though assisted by outwads props of art». Hofmann (p. 29, n. 38) donne la bonne re´fe´rence : Thomas Paine, Common sense (Philadelphia : R. Bell, 1776), chap. 1er, «On the origin and design of government in general», «Society in every state is a blessing, but Government, even in its best state, is but a necessity ; in its worst state an intolerable one».

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pression. L’on parle encore sans cesse d’un pouvoir sans bornes, qui re´side dans le peuple ou dans ses chefs, comme d’une chose hors de doute : et l’auteur de certains essais de morale et de politique, a reproduit re´cemment en faveur de l’autorite´ absolue tous les raisonnemens de Rousseau sur la souverainete´1. L’assemble´e constituante, a` son de´but, parut reconnaitre des droits individuels, inde´pendans de la socie´te´. Telle fut l’origine de la de´claration des droits. Mais cette assemble´e de´via bientot de ce principe. Elle donna l’exemple de poursuivre l’existence individuelle dans ses retranchemens les plus intimes. Elle fut imite´e et surpasse´e par les le´gislateurs qui la remplace`rent. Les hommes de parti, quelques pures que leurs intentions puissent eˆtre, doivent re´pugner a` limiter l’autorite´ sociale. Ils se regardent comme ses he´ritiers pre´somptifs, et me´nagent meˆme dans les mains de leurs ennemis leur proprie´te´ future. Ils se de´fient de telle ou telle espe`ce de gouvernement, de telle ou telle classe de gouvernans ; mais permettez leur d’organiser a` leur manie`re l’autorite´, souffrez qu’ils la confient a` des mandataires de leur choix, ils croiront ne pouvoir assez l’e´tendre. que c’est bien de la souverainete´ du peuple que je parle, car s’il en est une, c’est celle-la`. Ce mot ne s’est pre´sente´ si colossal devant l’imagination, que, parceque l’esprit des franc¸ais, encore plein des superstitions royales, s’est fait un devoir de le doter de tout l’he´ritage de pompeux attributs et de pouvoirs absolus qui ont fait briller les souverainete´s usurpe´es. Nous avons meˆme vu l’esprit public, dans ses largesses immenses, s’irriter encore de ne pas lui donner davantage. On semblait se dire avec une sorte de fierte´ patriotique, que si la souverainete´ des grands Rois est si puissante, si terrible, la souverainete´ d’un grand peuple devait eˆtre bien autre chose encore ; et moi, je dis qu’a` mesure qu’on s’e´clairera, qu’on s’e´loignera des tems ou` l’on a cru savoir, quand on ne fesait que vouloir, la puissance de la souverainete´ rentrera dans ses justes limites ; car encore une fois, la souverainete´ du peuple n’est point illimite´e. Sieyes, opinion dans le moniteur2. V: 10 le´gislateurs ] le´gislatures L

21–22 de pompeux ] de 〈po〉 pompeux P

TR: 6–18 L’assemble´e constituante ... l’e´tendre. ] 12–18 Les hommes ... l’e´tendre. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 15, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 680 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 175–176, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1162. 1

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Allusion a` Mole´, Essais de morale et de politique, p. 134, ou` l’on trouve : «Il fallait donner des sens a` cet eˆtre moral [la socie´te´] dont on avait reconnu l’existence. Il e´tait pressant qu’il euˆt des yeux pour tout pe´ne´trer et un glaive pour se faire obe´ir.» Nous sommes encore assez loin du Mole´ libe´ral de la Seconde Restauration. Sieye`s, discours du 2 thermidor an III (20 juillet 1795) a` la Convention. Voir le Moniteur no 302, pp. 1236–1239. Texte conforme, a` deux fautes de lecture pre`s qui touchent le sens. Sieye`s e´crit «sous le nom de pouvoir public, ou politique» (ci-dessus, p. 109, ligne 18) et, vers la fin, «la notion de la souverainete´» (ci-dessus, lignes 27–28).

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L’on peut donc regarder la the´orie de Rousseau qui de´clare illimite´e l’autorite´ sociale, comme la seule adopte´e jusqu’a` ce jour. C’est cette the´orie qui me parait fausse et dangereuse. C’est elle qu’on doit accuser, a` mon avis, de la plupart des difficulte´es qu’a rencontre´es chez les divers peuples l’e´tablissement de la liberte´, de la plupart des abus qui se glissent dans tous les gouvernemens, quelles que soient leurs formes, enfin de la pluˆpart des crimes qu’entrainent a` leur suite les troubles civils et les bouleversemens politiques. C’est nomme´ment cette the´orie qui a motive´ les horreurs de notre re´volution, ces horreurs dont la liberte´ a tout a` la fois e´te´ le pre´texte et la victime. Je ne veux pas dire que les iniquite´s innombrables dont nous avons e´te´ les te´moins ou les objets, n’ayent eu d’ordinaire pour cause imme´diate les interets particuliers des hommes qui s’e´taient empare´s de la puissance. Mais ces hommes n’e´taient parvenus a` saisir d’une main coupable l’administration de la force publique, qu’en couvrant d’un voile les interets qui les dirigeaient en alle´guant des principes, des opinions en apparence desinteresse´es qui leur servaient de bannie`re. Or tous leurs principes, toutes leurs opinions reposaient sur la the´orie que nous avons expose´e dans ce chapitre sur la supposition que la socie´te´ peut exercer sur ses membres une autorite´ illimite´e, et que tout ce qu’ordonne la volonte´ ge´ne´rale devient par cela seul le´gitime. Il est donc utile de re´futer cette the´orie. Il est utile en ge´ne´ral de rectifier les opinions, quelque me´taphysiques, et quelqu’abstraites qu’elles nous semblent, parce que c’est dans les opinions que les interets cherchent des armes. Il y a cette diffe´rence entre les interets et les opinions, d’abord qu’on cache les uns, et qu’on montre les autres, parce que ceux la` divisent, et que celles-ci rallient : secondement que les interets varient dans chaque individu suivant sa situation, ses gouts, ses circonstances, au lieu que les opinions sont les meˆmes ou paraissent telles, dans tous ceux qui agissent ensemble : enfin que chacun ne peut diriger que soi par le calcul de ses interets, et que, lorsqu’il veut engager les autres a` le seconder, il est oblige´ de leur pre´senter une opinion qui leur fasse illusion sur ses ve´ritables vues. De´voilez la faussete´ de l’opinion qu’il met en avant, vous le de´pouillez de sa force principale. Vous ane´antissez ses moyens d’influence sur ses alentours, vous de´chirez l’e´tendart, l’arme´e se dissipe a. a

[Add.] l’opinion est de deux espe`ces, opinion d’interet, opinion de justice. l’opinion de

V: 4 divers peuples ] divers 〈peu〉 peuples P 31 leur fasse ] 〈lui〉 leur fasse L ve´ritables vues. ] ve´ritables 〈illis.〉 vues. P 34 dissipe. ] a` la hauteur des deux dernie`res lignes, dans la marge gauche, BC a inscrit ceci placer ici le morceau de Hume sur l’opinion, en note. P TR: 4–34 la plupart des difficulte´s ... se dissipe. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 22–24. 21-p. 114.4 Il est donc utile ... l’examen. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 192–196, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1170–1172.

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Aujourd’hui, je le sais, on se dispense de re´futer les ide´es que l’on veut combattre en professant une e´gale aversion contre toutes les the´ories, quelles qu’elles soient. on de´clare toute espe`ce de me´taphysique au dessous de tout examen. Mais les de´clamations contre la me´taphysique m’ont paru toujours indignes de tous les hommes qui pensent. Ces de´clamations ont un double danger. Elles n’ont pas moins de force contre la ve´rite´ que contre l’erreur. Elles tendent a` fle´trir la raison, a` diriger le ridicule contre nos faculte´s intellectuelles, a` de´cre´diter la plus noble partie de nous meˆmes. Elles n’ont pas meˆme en second lieu l’avantage qu’on leur attribue : Ecarter par le de´dain, ou comprimer par la violence les opinions qu’on croit dangereuses, ce n’est que suspendre momentane´ment leurs conse´quences pre´sentes, et c’est doubler leur influence a` venir. Il ne faut pas se laisser tromper par le silence ni le prendre pour l’assentiment. Aussi longtems que la raison n’est pas convaincue, l’erreur est preˆte a` reparaitre au premier e´ve´nement qui la de´chaine. Elle tire alors avantage de l’oppression meˆme qu’elle a e´prouve´e. L’on aura beau faire. La pense´e seule peut combattre la pense´e : le raisonnement seul peut rectifier le raisonnement. Lorsque la puissance le repousse, ce n’est pas uniquement contre la ve´rite´ qu’elle e´choue, elle e´choue aussi contre l’erreur. On ne de´sarme l’erreur qu’en la re´futant. Tout le reste n’est qu’un charlatanisme grossier, renouvelle´ de sie`cle en sie`cle, au profit de quelques-uns, au malheur et a` la honte du reste. Certes, si le me´pris de la pense´e avait pu pre´server les hommes des dangers dont ses e´carts la menacent, ils auraient recueilli depuis longtems le justice a toujours eu beaucoup plus d’influence que l’interet. Cela peut se prouver facilement, par l’attachement qu’ont toutes les nations a` leurs anciens gouvernemens, et meˆme aux noms qui ont rec¸u la sanction de l’antiquite´. quelque jugement de´favorable que nous portions sur l’espe`ce humaine, elle a toujours prodigue´ son sang et ses biens, pour ce qu’elle croyoit le maintien de la justice publique. Il n’y a sans doute pas d’assertion, qui, au premier coup d’œuil, paraisse plus de´mentie par les faits. les homes, entre´s dans une faction, violent sans honte et sans remords, tous les liens de la morale et de la justice, pour servir cette faction : et cependant, lorsqu’une faction est fonde´e, ou s’appuye sur des principes de droit, c’est alors que les homes montrent la plus grande obstination, et le plus grand de´vouement a` ces principes1. V: 31 ou ] lecture incertaine ; on pourrait lire on P 33 principes. ] ce mot est suivi dans la source de ibid. nous avons supprime´ cette indication qui ne peut renvoyer ici a` rien P 1

Texte de Hume, traduit par BC. Hume, Essays and treaties on several sujects, t. I, pp. 27–28. Il y a proble`me. La phrase «placer ici le morceau de Hume sur l’opinion publique, en note» (voir la variante) dit clairement ce que BC comptait faire. Nous supposons qu’il n’avait pas le texte a` porte´e de main. Au moment de re´diger les additions au livre XVIII, il utilise ce meˆme morceau, pre´ce´de´ dans ses notices pre´paratoires d’un autre morceau du meˆme auteur, pour une note au chap. 3 de ce livre (voir ci-dessous, p. 679, n. 1). Nous le reproduisons ici et au livre XVIII, sans de´cider a` quel projet de BC il faut donner la pre´fe´rence.

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be´ne´fice de ce pre´servatif si vante´. Le me´pris de la pense´e n’est pas une de´couverte. Ce n’est pas une ide´e neuve que d’en appeler toujours a` la force, de constituer un petit nombre de privile´gie´s au pre´judice de tous les autres, de conside´rer la raison de ceux ci comme superflue, de de´clarer leurs me´ditations une occupation oiseuse et funeste. Depuis les goths jusqu’a` nos jours, l’on a vu ce systeˆme se transmettre. Depuis les Goths jusqu’a` nos jours, l’on a de´clame´ contre la me´taphysique et les the´ories : et cependant les the´ories ont toujours reparu. Avant nous, l’on a dit que l’e´galite´ n’e´tait qu’une chime`re, une abstraction vaine, une the´orie vide de sens. L’on a traite´ de reˆveurs et de factieux les hommes qui voulaient de´finir l’e´galite´ pour la se´parer des exage´rations qui la defigurent, et l’e´galite´ mal de´finie est revenue sans cesse a` la charge. La jacquerie, les nivelleurs, les re´volutionnaires de nos jours ont abuse´ de cette the´orie, pre´cise´ment parce qu’on l’avait proscrite au lieu de la rectifier : preuve incontestable de l’insuffisance des moyens qu’ont pris les ennemis des ide´es abstraites pour se pre´server de leurs attaques, et pour en pre´server, disaient ils, l’espe`ce aveugle et stupide qu’ils condescendaient a` gouverner. C’est que l’effet de ces moyens n’a qu’un tems. Lorsque des the´ories fausses ont e´gare´ les hommes, ils pretent l’oreille aux lieux communs contre les the´ories, les uns par fatigue, d’autres par interet, le plus grand nombre par imitation. Mais lorsqu’ils sont repose´s de leur lassitude ou de´livre´s de leurs terreurs, ils se rappe`lent que la the´orie n’est pas une chose mauvaise en elle meˆme, que tout a sa the´orie, que la the´orie n’est autre chose que la pratique re´duite en re`gles par l’expe´rience, et que la pratique n’est que la the´orie applique´e. Ils sentent que la nature ne leur a pas donne´ la raison pour qu’elle fut muette ou ste´rile. Ils rougissent d’avoir abdique´ ce qui constituait la dignite´ de leur eˆtre. Ils reprennent les the´ories, et si l’on ne les a pas rectifie´es, si l’on n’a fait que les de´daigner, ils les reprennent avec tous leurs vices, et sont entraine´s de nouveau par elles dans tous les e´carts qui les en avaient de´tache´s pre´ce´demment. Pre´tendre que parce que des the´ories fausses ont de grands dangers, il faut renoncer a` toutes les the´ories, c’est enlever aux hommes le remede le plus sur contre ces dangers meˆmes. C’est dire, que, parce que l’erreur est funeste, il faut se refuser a` jamais la recherche de la ve´rite´. J’ai donc essaye´ de combattre par des raisonnemens qui m’ont paru justes, des raisonnemens de´fectueux. J’ai taˆche´ d’opposer a` la me´taphysique que je crois fausse, de la me´taphysique que je crois vraie. Si j’ai re´ussi, je V: 5–6 goths ... Depuis les ] ajoute´ dans l’interligne P TR: 23–24 la the´orie n’est autre chose ... applique´e. ]  Le Temps, 12 fe´vrier 1830, Recueil d’articles, 1829–1830, p. 218.

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me flatterai d’avoir e´te´ plus utile que ceux qui commandant le silence, le`guent a` l’avenir des questions inde´cises, et dans leur e´troite et soupconneuse prudence, ajoutent aux inconve´niens des ide´es erronne´es, par cela meˆme qu’ils n’en permettent pas l’examen.

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Chape 4e Raisonnemens de Rousseau en faveur de l’e´tendue sans limites de l’autorite´ sociale.

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Rousseau de´finit le contrat social l’alie´nation complette de chaque individu avec tous ses droits et sans re´serve a` la communaute´1. Pour nous rassurer sur les suites de cet abandon si absolu de toutes les parties de notre existence au profit d’un eˆtre abstrait, il nous dit que le souverain, c’est a` dire le corps social ne peut nuire ni a` l’ensemble de ses membres, ni a` chacun d’eux en particulier : que chacun se donnant tout entier, la condition est e´gale pour tous, et que nul n’a interet de la rendre one´reuse aux autres : que chacun se donnant a` tous ne se donne a` personne : que chacun acquiert sur tous les associe´s les meˆmes droits qu’il leur ce`de, et gagne l’e´quivalent de tout ce qu’il perd avec plus de force pour conserver ce qu’il a. Mais il oublie que tous ces attributs pre´servateurs qu’il confe`re a` l’eˆtre abstrait qu’il nomme le souverain, re´sultent de ce que cet eˆtre se compose de tous les individus sans exception a. Or, aussitot que le souverain doit faire usage de 7, fo 32vo

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[Add.] le systeme de jeanjacques et tous les raisonnemens qui l’appuye[nt] sont frappe´s d’un grand vice, l’oubli des choses re´elles. l’homme y est compte´ comme valeur nume´rique. lorsqu’on y dit tous ou chacun, l’on croit parler d’Unite´s ou de collections d’Unite´s, qui ne diffe´rent point entr’elles, et ne peuvent changer de Nature. l’on prend pour de´montre´ qu’aucun des chiffres ne peut empie´ter sur l’autre. Mais ces chiffres e´tant des eˆtres moraux, le

TR: 4-p. 116.14 Rousseau de´finit ... ce qu’ils ont. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 18–20, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 682–683 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 179–182, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1164–1165.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 25–27. 1

Du contrat social, Livre I, chap. 6. La citation n’est pas litte´rale. Les phrases qui suivent re´sument un passage plus de´veloppe´ du meˆme chapitre. Rousseau e´crit a` la suite de la phrase cite´e : «Car premierement, chacun se donnant tout entier, la condition est e´gale pour tous, et la condition e´tant e´gale pour tous, nul n’a inte´reˆt de la rendre one´reuse aux autres. De plus, l’alie´nation se faisant sans re´serve, l’union est aussi parfaite qu’elle ne peut l’eˆtre et nul associe´ n’a plus rien a` re´clamer : Car s’il restoit quelques droits aux particuliers, comme il n’y auroit aucun supe´rieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun e´tant en quelque point son propre juge pre´tendroit bientoˆt l’eˆtre en tous, l’e´tat de nature subsisteroit et l’association deviendroit ne´cessairement tirannique ou vaine. Enfin, chacun se donnant a` tous ne se donne a` personne, et comme il n’y a pas un associe´ sur lequel on n’acquiere le meˆme droit qu’on lui cede sur soi, on gagne l’e´quivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a.» Rousseau, Du contrat social, Œuvres comple`tes, t. III, Ple´iade, pp. 360–361.

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la force qu’il posse`de, c’est a` dire aussitot qu’il faut proce´der a` l’organisation de l’autorite´ sociale, comme le souverain ne peut l’exercer par lui meˆme, il la de´le`gue et tous ses attributs disparaissent. L’action qui se fait au nom de tous e´tant ne´cessairement de gre´ ou de force a` la disposition d’un seul ou de quelques-uns, il en arrive qu’en se donnant a` tous, il n’est point vrai qu’on ne se donne a` personne. On se donne au contraire a` ceux qui agissent au nom de tous. De la` suit qu’en se donnant tout entier, l’on n’entre pas dans une condition e´gale pour tous, puisque quelques-uns profitent exclusivement du sacrifice du reste. Il n’est pas vrai que nul n’ait interet de rendre la condition one´reuse aux autres, puisqu’il existe des associe´s qui sont hors de la condition commune. Il n’est pas vrai que tous les associe´s acquie`rent les meˆmes droits qu’ils ce´dent ; ils ne gagnent pas tous l’e´quivalent de ce qu’ils perdent, et le re´sultat de ce qu’ils sacrifient, est ou peut eˆtre l’e´tablissement d’une force qui leur enle`ve ce qu’ils ont. Comment ces conside´rations e´videntes n’ont elles pas convaincu Rousseau de l’erreur et des dangers de sa the´orie ? C’est qu’il s’est laisse´ tromper par une distinction trop subtile. Un double e´cueil est a` redouter dans l’examen de questions importantes. Les hommes s’e´garent, tantot parce qu’ils me´connaissent les distinctions qui existent entre deux ide´es, tantot parce qu’ils e´tablissent sur une ide´e simple des distinctions qui n’existent pas.

re´sultat de l’assemblage de dix de ces chiffres n’est pas en raison combine´e de leur Valeur nume´rique, mais en raison de la Valeur Morale de tel d’entr’eux : Ce qui fait qu’en les rassemblant, l’on n’obtient pas le produit modifie´ de leurs forces respectives, mais l’on de´cuple seulement la force individuelle de l’un d’entr’eux.

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Chap. 5e Que l’erreur de Rousseau vient de ce qu’il a voulu distinguer les droits de la socie´te´ de ceux du Gouvernement

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Rousseau a distingue´ les droits de la socie´te´ des droits du Gouvernement. Cette distinction n’est admissible, que lorsqu’on prend le mot de gouvernement dans une acception tre`s resserre´e. Mais Rousseau le prenait dans son acception la plus e´tendue, comme la re´union, non seulement de tous les pouvoirs constitue´s, mais de toutes les manie`res constitutionnelles qu’ont les individus de concourir, en exprimant leurs volonte´s particulie`res, a` la formation de la volonte´ ge´ne´rale1. D’apre`s ses principes, tout citoyen qui, en Angleterre, nomme ses de´pute´s, tout franc¸ais qui, sous la Re´publique, votait dans une assemble´e primaire, doit eˆtre cense´ participer au Gouvernement. Le mot de gouvernement pris dans ce sens, toute distinction entre ses droits et ceux de la socie´te´ se trouve absolument illusoire, et peut devenir, dans la pratique, d’un incalculable danger. La socie´te´ ne peut exercer par elle meˆme les droits qu’elle rec¸oit de ses membres. En conse´quence elle les de´le`gue. Elle institue ce que nous appelons un gouvernement. De`s lors toute distinction entre les droits de la socie´te´ et ceux du gouvernement est une abstraction chimerique. Car, d’un cote´, la socie´te´ eut-elle le´gitimement une autorite´ plus e´tendue que celle qu’elle de´le`gue, la partie qu’elle ne de´le`gue pas, ne pouvant eˆtre exerce´e, serait comme non existante. Un droit qu’on ne peut ni exercer par soi meˆme, ni de´le`guer a` d’autres, est un droit qui n’existe pas : et de l’autre part, il y aurait, a` reconnaitre de pareils droits, l’inconve´nient ine´vitable que les de´positaires de la partie de´le´gue´e parviendraient infailliblement a` se faire de´le´guer le reste. Un exemple e´claircira mon ide´e. Je suppose que l’on reconnaisse a` la socie´te´, comme on l’a fait souvent, le droit d’expulsion contre une partie d’elle meˆme en minorite´ qui lui fait ombrage. Nul ne concede ce droit terrible au gouvernement, mais quand le gouvernement veut s’en saisir, que fait-il ? Il attribue a` la minorite´

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BC ne peut se re´fe´rer au livre III, chap. 1er du Contrat social, ou` Rousseau de´finit, comme le souligne Hofmann (p. 34, n. 49), le gouvernement comme «un corps interme´diaire e´tabli entre les sujets et le Souverain pour leur mutuelle correspondance, charge´ de l’exe´cution des loix et du maintien de la liberte´, tant civile que politique.» (Rousseau, Œuvres comple`tes, Ple´iade, t. III, p. 396.) Ce que BC critique ici est l’aporie inhe´rente au syste`me de Rousseau qui se manifeste tre`s clairement dans le livre II du Contrat social, ou` Rousseau postule que la souverainete´ est inalie´nable ce qui entraıˆne les difficulte´s dont parle BC dans ce chapitre. Une fois de plus nous constatons la proximite´ the´orique entre BC et Kant.

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malheureuse, proscrite a` la fois et redoute´e, tous les obstacles, tous les dangers. Il fait ensuite un appel a` la nation. Ce n’est pas comme sa pre´rogative qu’il demande a` se´vir sur de simples soupcons contre des individus exempts de crime. Mais il rappe`le le droit imprescriptible de l’association entie`re, de la majorite´ toute puissante, de la nation souveraine dont le salut est la supreˆme loi. Le gouvernement ne peut rien, dit-il, mais la nation peut tout : et bientot la nation parle, c’est a` dire que quelques hommes ou de´pendans, ou furieux, ou soudoye´s, ou poursuivis de remords, ou domine´s de craintes se font ses organes en lui imposant silence, proclament sa toute puissance en la menac¸ant ; et de la sorte par un de´tour facile et rapide, le gouvernement s’empare du pouvoir re´el et terrible que l’on n’aurait regarde´ d’abord que comme le droit abstrait de la socie´te´ toute entie`re. Il y a bien un droit, qu’abstraitement parlant, la socie´te´ posse`de, et qu’elle ne de´le´gue pas au Gouvernement, c’est celui de changer l’organisation de ce gouvernement meˆme. De´le´guer ce droit serait un cercle vicieux, puisque le gouvernement pourrait s’en servir pour se transformer en une autorite´ tyrannique. Mais cette exception meˆme confirme la re`gle. Si la socie´te´ ne de´le´gue pas ce droit, elle ne l’exerce pas non plus. Autant le de´le´guer serait absurde, autant l’exercer est impossible, et le proclamer dangereux. Le peuple, observe Rousseau, est souverain sous un rapport et sujet sous un autre1 : mais dans la pratique ces deux rapports se confondent. Il est facile aux hommes puissans d’opprimer le peuple comme sujet, pour le forcer a` manifester comme souverain la volonte´ qu’ils lui dictent. Il ne faut pour cela que frapper individuellement de terreur les membres de l’association, et rendre ensuite un hypocrite hommage a` l’association en masse. L’on ne peut donc reconnaitre a` la socie´te´ que des droits qui puissent eˆtre exerce´s par le Gouvernement, sans devenir dangereux. La souverainete´ e´tant une chose abstraite, et la chose re´elle l’exercice de la souverainete´, c’est a` dire le gouvernement e´tant ne´cessairement remis a` des eˆtres d’une autre nature que le souverain, puisqu’ils ne sont pas des eˆtres abstraits, il faut prendre des pre´cautions contre le pouvoir souverain a` cause de la Nature de ceux qui l’exercent, comme l’on en prendrait contre une arme trop puissante qui pourrait tomber en des mains peu sures.

TR: 20–23 Le peuple ... lui dictent. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 24, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 685 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, p. 186, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1167.

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Du contrat social, Livre I, chap. 7.

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Chapitre 6e Conse´quences du systeˆme de Rousseau

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Lorsque vous avez pose´ pour principe, que les droits de la socie´te´ deviennent toujours en de´finitif1 les droits du Gouvernement, vous voyez tout de suite combien il est ne´cessaire que l’autorite´ sociale soit limite´e. Si elle ne l’est pas, l’existence individuelle se trouve d’un cote´ soumise sans re´serve a` la volonte´ ge´ne´rale : la volonte´ ge´ne´rale se trouve de l’autre, repre´sente´e sans appel par la volonte´ des gouvernans. Ces repre´sentans de la volonte´ ge´ne´rale ont des pouvoirs d’autant plus redoutables, qu’ils ne se disent qu’instrumens dociles de cette volonte´ pre´tendue, et qu’ils ont en main les moyens de force ou de se´duction ne´cessaires pour en assurer la manifestation dans le sens qui leur convient. Ce qu’aucun tyran n’oserait faire en son propre nom, ceux-ci le le´gitiment par l’e´tendue sans bornes de l’autorite´ sociale. L’aggrandissement d’attributions dont ils ont besoin, ils le demandent au proprie´taire de l’autorite´ sociale, au peuple a dont la toute puissance n’est la` que pour justifier leurs empie`temens. Les loix les plus injustes, les institutions les plus oppressives sont obligatoires, comme l’expression de la volonte´ ge´ne´rale. Car les individus, dit Rousseau, alie´ne´s tout entiers au profit du corps social, ne peuvent avoir d’autre volonte´ que cette volonte´ ge´ne´rale. En obe´issant a` cette volonte´, ils n’obe´issent qu’a` eux meˆmes, et sont d’autant plus libres qu’ils obe´issent plus implicitement2. Telles nous voyons apparaitre a` toutes les e´poques de l’histoire les conse´quences de ce systeˆme. Mais elles se sont de´veloppe´es surtout dans leur

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[Add.] le nom du peuple est une signature contrefaite pour justifier ses chefs. Bentham3.

V: 17 sont obligatoires ] ces mots dans l’interl. sup. P TR: 5-p. 122.9 Si elle ne l’est pas ... institutions politiques. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 27–31. 8-p. 120.4 Ces repre´sentans ... profondes. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 182–183, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1165. 1 2

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Locution rare mais encore en usage au XVIIIe sie`cle, e´quivalent de la tournure «en de´finitive». Allusion a` deux passages de Du contrat social ; «La volonte´ constante de tous les membres de l’Etat est la volonte´ ge´ne´rale ; c’est par elle qu’ils sont citoyens et libres» (livre IV, chap. 2, Rousseau, Œuvres comple`tes, Ple´iade, t. III, p. 440) et «Tant que les sujets ne sont soumis qu’a` de telles conventions, ils n’obe´issent a` personne, mais seulement a` leur propre volonte´» (Livre II, chap. 4, ibid., p. 375). Bentham, Traite´s de le´gislation, t. I, p. 125.

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effrayante latitude au milieu de notre re´volution. Elles ont fait a` des principes sacre´s des ble´ssures peut-eˆtre incurables. Plus le gouvernement que l’on voulait donner a` la France e´tait populaire, plus ces blessures ont e´te´ profondes. Lorsqu’on ne reconnait point de bornes a` l’autorite´ sociale, les chefs du peuple dans un gouvernement populaire, ne sont point des de´fenseurs de la liberte´, mais des candidats de tyrannie, aspirant non pas a` briser, mais a` conque´rir la puissance illimite´e qui pe`se sur les citoyens. (Sous une constitution repre´sentative, une nation n’est libre que quand ses de´pute´s ont un frein.) Il serait facile de de´montrer par des citations sans nombre, que les sophismes les plus grossiers des plus fougueux apotres de la terreur, dans les circonstances les plus re´voltantes, n’e´taient que des conse´quences parfaitement justes des principes de Rousseau a. Le peuple qui peut tout, est o o 1, f 100v aussi dangereux, plus dangereux qu’un tyran. Le petit nombre des gouvernans ne constitue pas la tyrannie : leur grand nombre ne garantit pas la liberte´. Le de´gre´ seul de pouvoir social, en quelques mains qu’on le de´pose, fait une constitution libre, ou un gouvernement oppressif : et lorsque la tyrannie est constitue´e, elle est d autant plus affreuse, que les tyrans sont plus nombreux. Sans doute l’extension exage´re´e de l’autorite´ sociale n’a pas toujours des re´sultats e´galement funestes. La nature des choses, la disposition des esprits en diminuent quelque fois les exce`s : mais ce systeˆme est ne´ammoins accompagne´ toujours de graves inconve´niens. Cette doctrine cre´e et je´te au hazard dans la socie´te´ humaine un de´gre´ de pouvoir trop grand pour lui meˆme, et qui est un mal, en quelques mains que vous le placiez. Confiez le a` un seul, a` plusieurs, a` tous, vous le trouverez e´galement un mal. Vous vous en prendrez aux de´positaires de ce pouvoir, et, suivant les circonstana

Lorsqu’on voulait condamner le Roi a` mort, l’un disait que la volonte´ du peuple fesait la loi, que l’insurrection, de´montrant la volonte´ du peuple e´tait une loi vivante, et que Louis XVI e´tait condamne´ par cette loi.

V: 7–9 Sous une ... un frein. ] phrase mise entre parenthe`ses dans P ; c’est a` cette phrase que se rapporte la remarque a. dans la marge gauche a` retrancher dans les additions BC vise e´videmment le ms. de Lausanne, ou` la phrase en cause ne se trouve pas (plus). TR: 4–6 Lorsqu’on ... candidats de tyrannie, ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 27, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 976 ;  Principes de politique (1815), 3, pp. 60–61, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 708. 9–13 Il serait facile ... tyran. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, p. 183, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1165–1166. 16–18 et lorsque ... nombreux. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 27, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 976 ;  Principes de 22-p. 121.5 Cette doctrine ... politique (1815), 3, p. 61, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 708. hommes. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 15–16, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 680 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, p. 176, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1162.

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6, Conse´quences du syste`me de Rousseau

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ces, vous accuserez tour a` tour la monarchie, l’aristocratie, la de´mocratie, les gouvernemens mixtes, le syste`me repre´sentatif. Vous aurez tort a. C’est le de´gre´ de force et non les de´positaires de cette force qu’il faut accuser. C’est contre l’arme et non contre le bras qu’il faut se´vir. Il y a des masses trop pesantes pour la main des hommes. (Remarquez les efforts infructueux des diffe´rens peuples pour remedier aux maux du pouvoir illimite´ dont la socie´te´ leur semble investie. Ils ne savent a` qui le confier. Les Carthaginois cre´ent successivement les suffe`tes pour mettre des bornes a` l’aristocratie du se´nat, le tribunal des Cent pour re´primer les suffe`tes, le tribunal des cinq pour contenir les Cent. Ils voulaient, dit Condillac, imposer un frein a` une autorite´, et ils en e´tablissaient une autre qui avait e´galement besoin d’eˆtre limite´e, laissant ainsi toujours subsister l’abus auquel ils croyaient porter reme`de1.) L’erreur de Rousseau et des e´crivains les plus amis de la liberte´, lorsqu’ils accordent a` la socie´te´ un pouvoir sans bornes, vient de la manie`re dont se sont forme´es leurs ide´es en politique. Ils ont vu dans l’histoire un a

Jurieu a dit que le Peuple e´tait la seule autorite´ qui n’ait pas besoin d’avoir raison pour valider ses actes2.

V: 12 une autre ] une contre corr. d’une faute de copie dans L 17 Jurieu ... ses actes. ] note ajoute´e dans la marge gauche ; corr. a. P 21 autre ] contre L TR: 8–13 Les Carthaginois ... reme`de. ]  Re´flexions sur les constitutions, 1, pp. 6–7, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 964 ;  Principes de politique (1815), 2, p. 39, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 695. 14-p. 122.9 L’erreur ... politiques. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 16–17, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 680–681 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 176–177, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1163. 1

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E´tienne Bonnot de Condillac, Histoire ancienne (livre VII, chap. 7) : «Ils voulaient mettre un frein a` une autorite´ et ils en e´tablissent une autre, qui avait besoin d’eˆtre contenue. Ils laissaient donc subsister les abus auxquels ils croyaient reme´dier.» (Cours d’e´tude pour l’instruction du prince de Parme, Gene`ve : Du Villard et Nouffer, 1780, t. V, pp. 473–474). Cette maxime de Pierre Jurieu est bien connue a` l’e´poque. Bonald la cite dans les meˆmes termes dans une lettre a` Emanuel Friedrich von Fischer, membre du Conseil souverain de Berne, date´e du 1er septembre 1821 (Journal des De´bats du 13 septembre 1821, p. 2b). Tenant compte de la formulation de cette phrase chez BC, on peut penser qu’il ne l’a peut-eˆtre pas trouve´e directement chez Jurieu dans la Dix-huitie`me lettre pastorale. Justification du Prince d’Orange & de la Nation Angloise du 15 mai 1689, Lettres pastorales adresse´es aux fide`les de France, qui ge´missent sous la captivite´ de Babylon, troisie`me anne´e, Rotterdam : Abraham Acher, 1688, p. 140a (reprint Hildesheim, Zürich, New York : Georg Olms Verlag, 1988). Jurieu s’exprime ainsi : «Il ne s’agit pas mesme de sc¸avoir si la nation a eu raison dans le fonds de tout cecy [a` savoir dans une question relative a` la le´gitimite´ de la succession du prince de Galles]. Car quand elle auroit tort il faut qu’il y ait dans les socie´te´s certaine authorite´ qui ne soit pas oblige´e d’avoir raison pour valider ses actes. Or cette authorite´ n’est que dans les peuples.»

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petit nombre d’hommes, ou meˆme un seul, en possession d’un pouvoir immense qui fesait beaucoup de mal. Mais leur courroux s’est dirige´ contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir meˆme. Au lieu de le de´truire, ils n’ont songe´ qu’a` le de´placer. C’e´tait un fle´au : ils l’ont conside´re´ comme une conqueˆte, ils en ont dote´ la socie´te´ entie`re. Il a passe´ force´ment d’elle a` la Majorite´, de la Majorite´ entre les mains de quelques hommes : il a fait tout autant de mal qu’auparavant, et les exemples, les objections, les argumens et les faits se sont multiplie´s contre toutes les institutions politiques.

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Chape 7e De Hobbes.

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L’homme qui a le plus spirituellement re´duit le despotisme en systeˆme, Hobbes, s’est empresse´ de reconnaitre l’autorite´ sociale comme illimite´e, pour en conclure a` la legitimite´ du gouvernement absolu d’un seul. Le souverain, dit-il, (et par ce mot il entend la volonte´ ge´ne´rale) est irre´pre´hensible dans ses actions. Tous les individus doivent lui obe´ir et ne peuvent lui demander compte de ses mesures. La souverainete´ est absolue. Cette ve´rite´ a e´te´ reconnue de tout tems, meˆme par ceux qui ont excite´ des se´ditions ou suscite´ des guerres civiles. Leur motif n’e´tait pas d’ane´antir la souverainete´, mais bien d’en transporter ailleurs l’exercice. La de´mocratie est une souverainete´ absolue entre les mains de tous ; l’aristocratie une souverainete´ absolue entre les mains de quelques-uns, la monarchie une souverainete´ absolue entre les mains d’un seul. Le peuple a pu se dessaisir de cette souverainete´ absolue, en faveur d’un monarque, qui alors en est devenu le´gitime possesseur1. L’on voit clairement que le caracte`re absolu que Hobbes attribue a` l’autorite´ sociale, est la baze de tout son systeˆme. Ce mot absolu de´nature toute la question, et nous entraine dans une se´rie nouvelle de conse´quences. C’est V: 7 doivent lui ] le dernier mot dans l’interl. P doivent L TR: 3-p. 124.26 L’homme ... plus silencieux. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 21–23, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 684–685 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 184–186, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1166–1167. 3-p. 124.20 L’homme ... revetus. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 34–36. 1

Comme l’a souligne´ Hofmann (p. 40, n. 65), BC ne cite pas, mais re´sume la pense´e du Le´viathan de Hobbes. L’absolutisme est le re´sultat de la manie`re dont les socie´te´s se sont cre´e´es. L’expe´rience des guerres civiles incline Hobbes a` confier le pouvoir des membres d’une socie´te´ a` un seul (ou a` une seule assemble´e) pour re´duire les volonte´s divergentes en une seule. «Il est donc tout a` fait clair, a` mes yeux [...] que le pouvoir souverain, qu’il re´side en un seul homme, comme dans une monarchie, ou dans une assemble´e, comme dans les re´publiques populaires ou aristocratiques, est tel qu’on ne saurait imaginer que les hommes en e´difient un plus grand. Et, encore qu’on puisse imaginer maintes conse´quences mauvaises d’un pouvoir a` ce point illimite´, ne´anmoins, bien pire sont les conse´quences de son absence, laquelle s’identifie a` la guerre de chacun contre son voisin». (Thomas Hobbes, Le´viathan, traite´ de la matie`re, de la forme et du pouvoir de la re´publique eccle´siastique et civile, traduit de l’anglais, annote´ et compare´ avec le texte latin par Franc¸ois Tricaud, Paris : Sirey, 1971, p. 219).

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le point ou l’e´crivain quitte la route de la ve´rite´ pour marcher par le sophisme au but qu’il s’est propose´ en commenc¸ant. Il prouve que les conventions des hommes ne suffisant pas pour eˆtre observe´es, il faut une force coe¨rcitive pour en ne´cessiter l’observance, que la socie´te´ devant se pre´server des aggressions exte´rieures, il faut une force commune qui arme pour la de´fense commune, que les hommes e´tant divise´s par leurs pre´tentions, il faut des loix pour re´gler leurs droits. Il conclut du premier point que le souverain a le droit absolu de punir, du second que le souverain a le droit absolu de faire la guerre, du troisie`me que le souverain est le´gislateur absolu. Rien de plus faux que ces conclusions. Le souverain a le droit de punir, mais seulement les actions coupables : il a le droit de faire la guerre, mais seulement lorsque la socie´te´ est attaque´e : il a le droit de faire des loix, mais seulement lorsque ces loix sont ne´cessaires, et en tant qu’elles sont conformes a` la justice. Il n’y a par conse´quent rien d’absolu, rien d’arbitraire dans ces attributions. La de´mocratie est l’autorite´ de´pose´e entre les mains de tous, mais seulement la somme d’autorite´ ne´cessaire pour la surete´ de l’association. L’aristocratie est cette autorite´ confie´e a` quelques-uns : la 1, fo 102vo monarchie, cette autorite´ remise a` un seul. Le peuple peut se dessaisir de cette autorite´ en faveur d’un seul homme, ou d’un petit nombre, mais leur pouvoir est borne´ comme celui du peuple qui les en a revetus. Par ce retranchement d’un seul mot, inse´re´ gratuitement dans la construction d’une phrase, tout l’affreux systeˆme de Hobbes s’e´croule. Au contraire avec le mot absolu, ni la liberte´, ni, comme on le verra dans la suite, le repos ni le bonheur ne sont possibles sous aucune institution. Le gouvernement populaire n’est qu’une tyrannie convulsive, le gouvernement monarchique qu’un despotisme plus morne et plus silencieux. Lorsqu’on remarque qu’un auteur distingue´ arrive par des argumens spe´cieux a` des re´sultats manifestement absurdes, une recherche a` la fois instructive en elle meˆme et propre a` faciliter singulierement la re´futation des erreurs, c’est de remonter, pour ainsi dire, le fil des ide´es de cet e´crivain pour de´couvrir le point pre´cis ou` il a commence´ a` de´vier de la ve´rite´. Presque tous les e´crivains partent d’un principe vrai. Mais ce principe pose´, il suffit pour vicier tout leur systeˆme, ou d’une distinction inutile, ou d’un mot mal de´fini, ou d’un mot superflu. Dans Helve´tius, par exemple, c’est un mot mal de´fini. Il part d’une ve´rite´ incontestable, c’est que toutes nos ide´es nous viennent des sens. Il conclut de la` que la sensation est tout. Penser, dit

V: 18 remise ] re´unie L 29 elle meˆme ] le ms. porte ellemeˆme exemple unique pour cette graphie (contre 69) dans les mss de cet ouvrage P

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7, De Hobbes

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il, c’est sentir, donc sentir c’est penser1. La` commence l’erreur. Elle vient d’un mot mal de´fini, celui de sentir ou de sensation. Penser c’est sentir, mais sentir n’est pas penser. Dans Rousseau, nous avons vu que l’erreur venait d’une distinction inutile. Il pose pour baze une ve´rite´, c’est que la volonte´ ge´ne´rale doit faire la loi : mais il distingue les droits de la socie´te´ de ceux du gouvernement. Il croit que la socie´te´ doit eˆtre investie d’une puissance sans bornes, et de`s lors il s’e´gare. On voit que dans Hobbes un mot superflu cause tout le mal. Il part aussi d’une ve´rite´, c’est qu’il faut une force coe¨rcitive pour gouverner les associations humaines. Mais il glisse dans sa phrase une seule e´pithe`te superflue, le mot absolu, et tout son syste`me devient un tissu d’erreurs.

1

Helve´tius, De l’esprit : «Juger c’est sentir» (chap. 1er). Voir aussi Destutt de Tracy, E´le´ments d’ide´ologie, Paris : P. Didot l’aıˆne´, F. Didot et Debray, an IX (1803/1804). Une position contraire se trouve chez Hume, Traite´ de la nature humaine, essai pour introduire la me´thode expe´rimentale dans les sujets moraux, (Paris : Aubier, 1946) qui distingue entre «penser» et «sentir». Rousseau soutient dans l’E´mile (Ple´iade, t. IV, p. 571) que «juger et sentir ne sont pas la meˆme chose.» BC a-t-il connu le texte de Hume, alors pas encore traduit en Franc¸ais ?

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Principes de politique

Chapitre 8e Opinion de Hobbes reproduite.

1, fo 103vo

Un e´crivain de nos jours, l’auteur des essais de morale et de politique, a renouvelle´ le systeˆme de Hobbes avec beaucoup moins de profondeur seulement, et moins d’esprit et de logique. Il est parti, comme Hobbes, du principe de la souverainete´ illimite´e. Il a suppose´ l’autorite´ sociale absolue, et cette autorite´ transporte´e de la socie´te´ a` un homme qu’il de´finit l’espe`ce personifie´e, la re´union individualise´e1. De meˆme que Rousseau avait dit que le corps social ne pouvait nuire ni a` l’ensemble de ses membres, ni a` chacun d’eux en particulier2, celui-ci dit que le de´positaire du pouvoir, l’homme constitue´ socie´te´, ne pouvait faire du mal a` la socie´te´, parce que tout le tort qu’il lui aurait fait, il l’aurait e´prouve´ fide`lement, tant il e´tait la socie´te´ elle meˆme. De meˆme que Rousseau dit que l’individu ne peut re´sister a` la socie´te´, parce qu’il lui a alie´ne´ tous ses droits sans re´serve3, celui-ci pre´tend que l’autorite´ du de´positaire du pouvoir est absolue, parce qu’aucun membre de la re´union ne peut lutter contre la re´union entie`re : qu’il ne peut exister de responsabilite´ pour le de´positaire du pouvoir, parce qu’aucun individu ne peut entrer en compte avec l’eˆtre dont il fait partie, et que TR: 6-p. 127.5 Il a suppose´ ... mot ! ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, pp. 117–120 en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 633. 1

2

3

BC tient compte, sans tarder, de l’ouvrage de Mole´, Essais de morale et de politique, dont on a parle´ dans le journaux fin de´cembre 1805. Il montre par la suite que la the´orie de Mole´ est proche d’un e´loge du pouvoir illimite´ de l’autorite´, ce qui explique peut-eˆtre pourquoi Napole´on s’inte´resse a` ce personnage. Dans les Essais de morale et de politique, (Paris : H. Nicolle, 1806, p. 140) l’on trouve ceci : «L’autorite´ ne dut point eˆtre arbitraire ; les hommes craignirent de de´pendre de la fantaisie ou du caprice de celui qui l’exerc¸ait : aussi ne lui dit-on pas de faire ce qu’il jugerait convenable pour le bien de la socie´te´ : mais [...] on le chargea de la conservation des faits qui constituaient son existence. Il vengeait les outrages, il poursuivait la re´paration des torts, et par toutes ces choses il consacrait ce premier fait moral, qu’il ne faut faire a` autrui que ce que nous voudrions qu’il nous fuˆt fait.» Ces phrases assez contourne´es ont duˆ e´veiller les soupc¸ons de BC. Renvoi au Contrat social, livre I, chap. 7 : «Or le Souverain n’e´tant forme´ que des particuliers qui le composent n’a ni ne peut avoir d’inte´reˆt contraire au leur». (Rousseau, Œuvres comple`tes, Ple´iade, t. III, p. 363.) Du contrat social, Livre I, chap. 7. «Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obe´ir a` la volonte´ ge´ne´rale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’eˆtre libre» (e´d. cite´e, p. 364).

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8, Opinion de Hobbes reproduite

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celui-ci ne peut lui re´pondre qu’en le fesant rentrer dans l’ordre dont il n’aurait jamais du sortir, et, pour que nous ne craignions rien de la tyrannie, il ajoute : or voici pourquoi son autorite´ (du de´positaire du pouvoir) ne fut pas arbitraire. Ce n’e´tait plus un homme, c’e´tait un peuple a. Merveilleuse garantie que ce changement de mot !

a

[Add.] on voit avec quelle facilite´ le systeˆme de Rousseau conduit au despotisme le plus absolu. aussi avons-nous de´ja remarque´ que les partisans de cette forme de gouvernement s’en e´toient avide´ment empare´s. les homes, en se re´unissant, dit M. Ferrand ont soumis a` un mot de la volonte´ ge´ne´rale toutes les forces des volonte´s particulie`res. pre´face de l’esprit de l’histoire. cette phrase ne semble-t-elle pas eˆtre de Rousseau ? Noter que M. Ferrand et d’autres ne cessent de reprocher aux amis de la liberte´ de se perdre dans les abstractions. mais quand ils nous parlent de la volonte´ ge´ne´rale personifie´e et du souverain n’e´tant plus un homme, mais un peuple, trouve-t-on qu’ils les e´vitent1 ?

V: 5 mot ! ] mot〈if〉 ! les deux dernie`res lettres gratte´es P motif ! L ellement re´crit sur un mot illis. P

8 avide´ment ] parti-

TR: 3–4 voici pourquoi ... peuple. ]  Co 3492, 924.

1

Hofmann (p. 520, n. 10) renvoie a` Antoine Ferrand, L’Esprit de l’histoire ou lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France, Paris : Vve Nyon, 1802. On y lit : Les hommes «n’ont pu se re´unir et jouir du bienfait de la liberte´ civile, sans renoncer aux funestes droits de la liberte´ sauvage, sans soumettre a` un mot de la volonte´ ge´ne´rale toutes les forces de chaque volonte´ particulie`re.» (Pre´face, pp. XXI-XXII).

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Principes de politique

Chape 9e De l’inconse´quence qu’on a reproche´e a` Rousseau.

1, fo 104vo

Faute d’avoir senti que l’autorite´ sociale devait eˆtre limite´e, Rousseau s’est trouve´ dans un embarras auquel il n’a pu se de´rober, qu’en de´faisant d’une main ce que de l’autre il avait construit. Il a de´clare´ que la souverainete´ ne pourrait eˆtre ni alie´ne´e1, ni de´le´gue´e, ni repre´sente´e a ; c’e´tait de´clarer en termes moins clairs qu’elle ne pouvait eˆtre exerce´e. C’e´tait ane´antir de fait le principe qu’il venait de proclamer. Ceux qui ont voulu appliquer son systeˆme, l’ont accuse´ d’inconse´quence2. Il avait au contraire raisonne´ tre`s 7, fo 33ro

a

[Add.] la souverainete´, dit-il, ne peut eˆtre repre´sente´e, par la meˆme raison qu’elle ne peut eˆtre alie´ne´e. elle consiste essentiellement dans la volonte´ ge´ne´rale, et la volonte´ ne se repre´sente point. elle est la meˆme, ou elle est autre. il n’y a point de milieu3. cette ide´e de Rousseau vient de ce qu’il n’a jamais de´fini la nature ni surtout les limites de la volonte´ ge´ne´rale. si l’on appelle volonte´ ge´ne´rale la volonte´ de tous sur tous les objets, sans doute elle ne se repre´sente point : mais si l’on n’appelle volonte´ ge´ne´rale que la volonte´ des membres d’une association sur les objets mis en commun par l’association, elle peut se repre´senter, c’est a` dire une association plus e´troite peut eˆtre faite dans le meˆme but et de´cider suivant le meˆme interet que la plus grande. les De´pute´s du peuple, continue-t-il, ne

V: 2 reproche´e ] la source porte reproche´ P dernier mot re´crit sur 〈du〉 tout. P

25 repre´sentant le tout. ] 〈le〉 repre´sentant le ce

TR: 5–8 Il a de´clare´ ... proclamer. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 20, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 683 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 183–184, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1166. 1

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Du contrat social, livre II, chap. 1. «Je dis donc que la souverainete´ n’e´tant que l’exercice de la volonte´ ge´ne´rale ne peut jamais s’alie´ner, et que le souverain, qui n’est qu’un eˆtre collectif, ne peut eˆtre repre´sente´ que par lui-meˆme ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonte´.» (Rousseau, Œuvres comple`tes, Ple´iade, t. III, p. 368). Hofmann (p. 44, n. 75) a suppose´, avec de tre`s bonnes raisons, que BC pense ici probablement a` l’ouvrage de Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, Berlin : G. J. Decker, 1788, ou` l’on trouve cette phrase : «Rousseau, le raisonneur le plus inconse´quent qui ait jamais paru.» (t. II, p. 167). Nous savons que BC a utilise´ les ouvrages de Pauw auxquels il renvoie fre´quemment, et qu’il en posse`de trois titres dans sa bibliothe`que, a` savoir : Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, Berlin : C. J. Decker, 1773, 2 vol. ; Recherches philosophiques sur les Ame´ricains, ou me´moires inte´ressantes pour servir a` l’histoire de l’espe`ce humaine, Berlin : s.e´d., 1777, 2 vol. ; et enfin les Recherches philosophiques sur les Grecs. Du contrat social, livre III, chap. 15, ibid., p. 429. Citation conforme.

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9, De l’inconse´quence qu’on a reproche´e a` Rousseau

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conse´quemment. frappe´ de terreur a` l’aspect de l’immensite´ du pouvoir social qu’il venait de cre´er, il n’avait su dans quelles mains de´poser un pouvoir si monstrueux, et n’avait trouve´ de pre´servatif contre le danger inse´parable de la souverainete´ qu’il avait conc¸ue, qu’un expe´dient qui rendit impossible l’exercice de cette souverainete´. Ceux la` seuls qui ont adopte´ son principe, en le se´parant de ce qui le rendait moins de´sastreux, ont e´te´ mauvais logiciens et politiques coupables. C’est le principe qu’il faut rejetter, puisqu’aussi long tems qu’il ne conduit pas au despotisme, il n’est qu’une the´orie inapplicable, et qu’il conduit au despotisme, de`s qu’on tente de l’appliquer. Ce n’est donc point d’inconse´quence que Rousseau doit eˆtre accuse´. Le reproche qu’il me´rite, c’est d’eˆtre parti d’hypothe`ses vaines, et de s’eˆtre e´gare´ dans des subtilite´s superflues. Je ne me joins point a` ses de´tracteurs. Une tourbe d’esprits subalternes plac¸ant leur succe`s d’un jour a` re´voquer en doute toutes les ve´rite´s courageuses, s’agite pour diminuer sa gloire. C’est une raison de plus pour lui consacrer notre hommage. Il a le premier rendu populaire le sentiment de ` sa voix se sont re´veille´s les cœurs ge´ne´reux, les ames inde´nos droits. A pendantes. Mais ce qu’il sentait avec force, il n’a pas suˆ le de´finir avec pre´cision. Plusieurs chapitres du contrat social sont dignes des e´crivains scholastiques du seizie`me sie`cle. Que signifient des droits dont on jou¨it d’autant plus qu’on les alie`ne plus complettement ? Qu’est-ce qu’une liberte´ en vertu de laquelle on est d’autant plus libre qu’on fait plus implicitement

sont donc ni ne peuvent eˆtre ses repre´sentans : Ils ne sont que des commissaires : Ils ne peuvent rien conclure de´finitivement1. mais on pourroit dire avec autant de raison que la majorite´ ne peut rien conclure de´finitivement : car la majorite´ n’est que le repre´sentant du tout, et l’on sent a` quelles absurdite´s meneroit ce systeˆme. toute loi, dit-il enfin, que le peuple en personne n’a pas ratifie´e, est nulle : ce n’est point une loi2. mais Rousseau n’explique point comment la ratification de la majorite´ lie la majorite´. le pouvoir de la majorite´ ne s’explique qu’en la conside´rant comme repre´sentant le tout. TR: 1–5 frappe´ ... cette souverainete´. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 20, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 683 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, p. 183, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1166. 14-p. 130.1 Je ne me ... propre ? ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, pp. 116–117, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 632 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A en note, CPC, I, pp. 178–179, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1163–1164. 1 2

Ibid., pp. 429–430. La citation conforme comprend la phrase «Les de´pute´s du peuple ... de´finitivement.» Ibid., p. 430. La phrase cite´e («Toute loi ... point une loi.») suit imme´diatement la citation pre´ce´dente.

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Principes de politique

ce qui contrarie sa volonte´ propre1 ? funestes subtilite´s the´ologiques, qui fournissent des armes a` toutes les tyrannies, a` celles d’un seul, a` celle de plusieurs, a` l’oppression constitue´e sous des formes le´gales, a` celle exerce´e par des fureurs populaires ! Les erreurs de Jean Jacques ont se´duit beaucoup d’amis de la liberte´, parce qu’elles se sont e´tablies en opposition avec des o o 1, f 105v erreurs plus avilissantes : mais on ne saurait les re´futer avec trop de force, parce qu’elles mettent des obstacles invincibles a` l’e´tablissement de toute constitution libre ou mode´re´e, et qu’elles sont le pre´texte bannal de tous les attentats politiques.

1

Hofmann (p. 44, n. 77) voit ici une critique des paradoxes de Rousseau qui sont exprime´s dans des phrases de ce genre : «quiconque refusera d’obe´ir a` la volonte´ ge´ne´rale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’eˆtre libre.» (Du contrat social, livre I, chap. 7, e´d. cite´e, p. 364. Une autre phrase non moins paradoxale se lit dans le livre IV, chap. 2 (e´d. cite´e, p. 441), ou` Rousseau explique pourquoi une de´cision majoritaire exprime la volonte´ ge´ne´rale, et l’opinion minoritaire une erreur. Avec cette conclusion effectivement e´trange : «Si mon avis particulier l’eut emporte´, j’aurois fait autre chose que ce que j’avois voulu, c’est alors que je n’aurois pas e´te´ libre.»

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Livre

1, fo 106ro

IIe`me

Des principes a` substituer aux ide´es rec¸ues sur l’e´tendue de l’autorite´ sociale

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 106ro–119ro [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 33ro– 34ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 49ro–79vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fos 11ro–13ro [=LA].

V: 1 Livre

IIe`me

] Section II. L

133

Chapitre 1er De la limitation de l’autorite´ sociale

1, fo 106ro

Il faut distinguer soigneusement l’un de l’autre les deux principes de Rousseau. Il faut reconnaitre le premier. Toute autorite´ qui n’e´mane pas de la volonte´ ge´ne´rale est incontestablement ille´gitime. Il faut rejetter le second. L’autorite´ qui e´mane de la volonte´ ge´ne´rale n’est pas le´gitime par cela seul, quelle que puisse eˆtre son e´tendue, et quels que soient les objets sur lesquels elle s’exerce. Le premier de ces principes est la ve´rite´ la plus salutaire : le second la plus dangereuse des erreurs. L’un est la baze de toute liberte´, l’autre la justification de tout despotisme. Dans une socie´te´ dont les membres apportent des droits e´gaux, il est certain qu’il n’appartient a` aucun de ces membres isole´ment de faire des loix obligatoires pour les autres : mais il est faux que la socie´te´ entie`re posse`de cette faculte´ sans restriction. L’universalite´ des citoyens est le sou1, fo 106vo verain, c’est a` dire nul individu, nulle fraction, nulle association partielle ne peut s’arroger la souverainete´ qu’elle ne lui ait e´te´ de´le´gue´e. Mais il ne s’ensuit pas que l’universalite´ des citoyens, ou ceux qui par elle sont investis de l’exercice de la souverainete´, puisse disposer souverainement de l’existence des individus. Il y a au contraire une partie de l’existence humaine, qui, de ne´cessite´, reste individuelle et inde´pendante, et qui est de droit hors de toute compe´tence sociale. La souverainete´ n’existe que d’une manie`re limite´e et relative. Au point ou` commence l’inde´pendance de l’existence individuelle, s’arreˆte la juris diction de cette souverainete´. Si la socie´te´ franchit cette ligne, elle se rend aussi coupable de tyrannie que le despote qui n’a pour titre que le glaive exterminateur. La le´gitimite´ de l’autorite´ de´pend de son objet, aussi bien que de sa source. Lorsque cette autorite´ s’e´tend sur des objets hors de sa sphe`re, elle devient ille´gitime a. La 7, fo 33ro

a

[Add.] elle e´toit tyrannique, la vente de 5000 citoyens sous Pe´ricle`s, parcequ’ils e´toient ne´s d’une e´trange`re. elles e´toient tyranniques, les institutions de Lycurgue, sur la vie prive´e des

V: 1 Chapitre

Ier

] Chapitre I L

19 contraire ] contraire, L

20 qui est ] qui est, L

TR: 11-p. 135.3 Dans une socie´te´ ... Caligula. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 31–33. 11-p. 135.1 Dans une socie´te´ ... pas plus le´gitime. ]  Re´flexions 11– sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 177–178, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1163. 25 Dans une socie´te´ ... exterminateur. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 17–18, OCBC, 19–27 Il y a ... ille´gitime. ]  Commentaire sur Filangieri, I, Œuvres, IX/2, p. 681. pp. 51–52. 27-p. 135.1 La socie´te´ ... pas plus le´gitime. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 18, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 681–682.

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Principes de politique

socie´te´ ne peut exce´der sa compe´tence sans eˆtre usurpatrice, la majorite´ sans eˆtre factieuse. L’assentiment de la majorite´ ne suffit point dans toutes les circonstances pour donner a` ses actes le caracte`re de loi. Il existe des actes que rien ne peut revetir de ce caracte`re. Lorsqu’une autorite´ quelconque porte une main attentatoire sur la partie de l’existence individuelle qui n’est pas de son ressort, il importe peu de quelle source cette autorite´ se dit e´mane´e, il importe peu qu’elle se nomme individu ou nation. Elle seroit la nation entie`re, sauf le citoyen qu’elle vexe a, qu’elle n’en seroit pas plus

a

citoyens. elles sont tyranniques, nos loix sur le systeˆme mercantile. v. Smith. IV. Chap. 1–8. elle e´toit tyrannique, la loi de Pierre I pour faire couper la barbe de ses sujets. elle est tyrannique enfin, toute loi qui pre´tend pre´scrire a` chacun coment il doit se conduire pour sa propre utilite´. la loi peut de´cider entre un home et un autre, et entre un home et la socie´te´. mais toute loi est tyrannique, qui re´git la conduite d’un homme par rapport a` lui meˆme et a` lui seul. toutes ces loix tyraniques sont ne´anmoins justifie´es par le systeˆme de Rousseau1. [Add.] Pellitur a populo victus Cato : tristior ille est Qui vicit, fasces que pudet rapuisse Catoni. Namque hoc dedecus est populi, morum que ruina. Non homo pulsus erat : sed in uno victa potestas, Romanum que Decus. Petrone2 .

V: 3 loi ] Loi L

7 seroit ] serait L

TR: 4-p. 135.1 Lorsqu’une autorite´ ... pas plus le´gitime. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 52. 1

2

Hofmann (p. 521, n. 15) a de´couvert la source des exemples cite´s par BC : Jean-CharlesLe´onard Simonde de Sismondi, Recherches sur les constitutions des peuples libres, ouvrage que BC a pu consulter avant l’impression. Le passage en cause dit ceci : «Et pour donner des exemples, je regarde comme tyrannique la vente de cinq mille citoyens athe´niens, prive´s de leurs droits et re´duits a` l’esclavage sous l’administration de Pe´ricle`s, parce qu’ils e´taient ne´s d’une e´trange`re ; de´cret atroce, qui en le supposant ve´ritable, n’exce`de point le pouvoir que Rousseau abandonne a` la socie´te´. Je regarde comme tyranniques plusieurs des institutions de Lycurgue, qui entravent la vie prive´e de chaque citoyen, je regarde comme tyranniques la plupart des lois e´mane´es dans l’Europe moderne du fatal syste`me mercantile, et toutes les restrictions sur le commerce et l’industrie qui en sont la suite. Je regarde comme tyrannique, malgre´ la futilite´, jusqu’a` la loi du Czar Pierre, pour forcer ses sujets a` renoncer a` leurs barbes. En un mot je regarde comme tyrannique toute loi qui pre´tend prescrire a` chacun comment il doit se conduire pour sa propre utilite´, ou ce qu’il doit croire pour son propre salut [...].» Voir l’e´dition princeps de ce texte par Marco Minerbi, Gene`ve : Droz, 1965, p. 112. Pe´trone, Satyricon, CXIX, vers 45–49. BC cite d’apre`s une source non identifie´e, peu exacte. Il faudrait lire «namque hoc dedecoris populo» dans le vers peut-eˆtre interpole´. «Caton est battu et repousse´ par le peuple ; son vainqueur, plus humilie´ que lui-meˆme, rougit d’avoir ravi les faisceaux a` un Caton, car (voila` qui montre l’infamie des citoyens et la ruine des mœurs) ce n’est pas un homme qui est exclu du pouvoir ; mais en lui, c’est la puissance et l’honneur romain qui succombent.» (Traduction Alfred Ernout, Paris : Belles Lettres, 1922,

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II,

2, De la limitation de l’autorite´ sociale

135

le´gitime. Si l’on regarde ces maximes comme dangereuses, qu’on re´fle´chisse que le systeˆme contraire autorise e´galement les horreurs de Robespierre et l’oppression de Caligula.

l’honneur romain qui succombent.» (Traduction Alfred Ernout, Paris : Belles Lettres, 1922, p. 137.) Pe´trone commente dans ce passage le fait que Caton jeune avait e´choue´ en 55 lorsqu’il essayait d’obtenir la preˆture et en 52 en briguant le consulat.

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Chapitre 2e`me Des droits de la majorite´

1, fo 107vo

1, fo 108ro

Principes de politique

Sans doute il faut soumettre les individus a` la majorite´. Ce n’est pas que les de´cisions de la majorite´ doivent eˆtre regarde´es comme infaillibles. Toute de´cision collective, c’est a` dire toute de´cision prise par une association d’hommes est expose´e a` deux espe`ces d’inconve´niens. Quand c’est la passion qui la dicte, il est clair que la passion peut conduire a` l’erreur. Mais, lors meˆme que les de´cisions de la majorite´ se prennent dans le calme, elles sont expose´es a` des dangers d’un autre genre. Elles se forment d’une transaction entre les opinions divergentes. Or, si la ve´rite´ se trouvait dans l’une de ces opinions, il est e´vident que la transaction n’a pu se faire qu’au de´triment de la ve´rite´. Elle peut avoir rectifie´ sous quelques rapports les opinions fausses ; mais elle a de´nature´ ou rendu moins exacte l’opinion juste. Il a e´te´ prouve´ par des calculs mathe´matiques, que lorsqu’une assemble´e se re´unit pour faire un choix entre un certain nombre de candidats, d’ordinaire celui qui l’emporte n’est pas l’objet du plus complet assentiment, mais de la moindre re´pugnance1. Il arrive aux opinions de la majorite´ la meˆme V: 1 Chapitre 2e`me ] Chapitre 2 L 3 majorite´. ] BC pre´voit dans la re´daction du ms. de Lausanne pour le chapitre 2 au moins 4 notes, nume´rote´es de 7 a` 10 dans le ms. conserve´. Les notes 7 et 8 sont difficiles a` attribuer a` un contexte pre´cis ; nous les transcrivons pour cette raison en teˆte de ce chapitre. La note 7 trouvera une autre place dans P (voir ci-dessous, p. 141). La premie`re note : 7. Notre sort seroit bien mise´rable, si les premiers principes de la morale et de la justice, e´toient remis a` la majorite´ d’une assemble´e qui forme la trente millie´me partie de la nation. Il y a des principes inalte´rables, dont la nation entie´re est gardienne, qu’elle meˆme ne peut enfreindre et qui n’entrent point dans la masse des opinions qu’elle soumet a` ceux qu’elle charge de vouloir pour elle. la raison en est simple : c’est qu’elle meˆme n’a pas le droit d’avoir une volonte´ contraire a` ses principes. La deuxie`me note : 8. Les re´volutions rendent le pouvoir de la majorite´ terrible, parcequ’au lieu que dans les tems ordinaires, la majorite´ et la minorite´ sont des choses journalie`res et variables, les re´volutions en font des partis diffe´rens, d’une manie`re permanente, des esclaves et des maitres, des opprime´s et des oppresseurs. L TR: 3 Sans doute ... a` la majorite´. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, p. 36. 1

Hofmann (p. 51, n. 4) a pu montrer que l’allusion de BC concerne un ouvrage de Condorcet, l’Essai sur l’application de l’analyse a` la probabilite´ des de´cisions rendues a` la pluralite´ des voix, Paris : Impr. royale, 1785. Dans le discours pre´liminaire de cette publication, il est question du choix de plusieurs candidats par une assemble´e (pp. LIX-LXX).

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chose qu’aux candidats dans les assemble´es. Mais c’est un mal ine´vitable. Si, des erreurs possibles de la majorite´, l’on concluait que l’on doit subordonner sa volonte´ a` celle du petit nombre, l’on arriverait a` des institutions violentes ou mensonge`res. Le droit de la majorite´ est le droit du plus fort, il est injuste ; mais il serait plus injuste encore que l’autorite´ du plus faible l’emportaˆt1. La socie´te´ devant prononcer, le plus fort ou le plus faible, le plus ou le moins nombreux doit triompher. Si le droit de la majorite´, c’est a` dire du plus fort n’e´tait pas reconnu, le droit de la minorite´ le serait, c’est a` dire que l’injustice pe`serait sur un plus grand nombre. Le Liberum veto de Pologne qui voulait que les loix n’eussent de force que nemine contradicente, ne rendait pas tous les citoyens libres, mais les soumettait tous a` un seul. C’est pour conserver la liberte´ du plus grand nombre, que les le´gislateurs les plus justes se sont vus force´s de porter atteinte a` celle de tous. Il faut se re´signer a` l’inconve´nient qui re´sulte de la nature des choses, et que la nature des choses re´pare. Il existe dans la nature une force re´paratrice. Tout ce qui est naturel porte son reme`de avec soi. Ce qui est factice au contraire, a des inconve´niens au moins aussi grands, et la nature ne fournit pas le reme`de. celui qu’elle oppose aux erreurs de la majorite´, c’est la circonscription de ses droits dans des limites pre´cises. Si vous de´clarez son autorite´ sans bor1, fo 108vo nes, vous renoncez a` tout pre´servatif contre les suites de ses erreurs. La majorite´ ne peut faire la loi que sur les objets sur lesquels la loi doit prononcer ; sur ceux sur lesquels la loi ne doit pas prononcer, le vœu de la majorite´ n’est pas plus le´gitime que celui de la plus petite des minorite´s. a Qu’on me pardonne de de´velopper peut-eˆtre trop un sujet si important, et de recourir a` un exemple pour rendre ces ve´rite´s plus sensibles. Supposons des hommes qui s’associent pour une entreprise de commerce, ils mettent en commun une partie de leur fortune : cette portion est la fortune commune : ce qui reste a` chacun, est sa fortune prive´e. La majorite´ des associe´s peut diriger l’emploi des fonds mis en commun. Mais si cette majorite´ 7, fo 33vo

a

[Add.] l’on a de´fini les loix l’expression de la volonte´ ge´ne´rale2. Cette de´finition est tre`s

V: 18 inconve´niens ] inconve´nients L 19 celui ] 〈Mais〉 celui P Mais celui L p. 138.33 l’on a ... vouloir. ] dans L, note 10 au chapitre 2 ; texte identique.

31-

TR: 22-p. 140.11 La majorite´ ... comme associe´s. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 36–43. 1

2

Encore un passage («Le droit de la majorite´ ... celle de tous.») qui provient du manuscrit de Sismondi, comme le dit Hofmann (p. 51, n. 5). Sismondi cite a` son tour Stanislas Leszczinski, La voix libre du citoyen, ou observations sur le gouvernement de Pologne, s.l. [Amsterdam], s.e´d., 1749. On peut se demander si l’ouvrage de l’abbe´ de Mably sur les affaires de la Pologne (voir ci-dessus, p. 107, n. 2) ne devrait pas eˆtre e´galement cite´ ici. BC semble critiquer ici l’article 6 de la De´claration des droits de l’homme (1789), comme le sugge`re Hofmann (p. 522, n. 17).

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pre´tendait e´tendre sa compe´tence sur le reste de la fortune des associe´s, aucun tribunal ne sanctionnerait cette pre´tention. Il en est de meˆme de l’autorite´ sociale. Si la comparaison est inexacte, ce n’est que dans un point, et cette inexactitude est a` l’avantage de nos principes. Dans notre hypothe`se d’une association particulie`re, il existe hors de cette association une force qui peut empecher la majorite´ d’opprimer la minorite´. Un petit nombre d’hommes ne peut pas s’emparer du nom de la majorite´ pour tyranniser l’association. Enfin cette association peut avoir pris 1, fo 109ro envers un tiers des engagemens dont elle est solidaire. Mais dans les associations politiques, aucune de ces circonstances n’a lieu. L’association n’est responsable envers aucun tiers. Il n’existe que deux fractions, la majorite´ et la minorite´ : la majorite´ qui est juge, lorsqu’elle n’exce`de pas sa compe´tence, et devient partie, lorsqu’elle l’exce`de. Aucune force en dehors ne met obstacle a` ce que la majorite´ ne s’immole la minorite´, ou a` ce qu’un petit nombre d’hommes ne s’intitule la majorite´ pour dominer sur le tout. Il est donc indispensable de supple´er a` cette force exte´rieure qui n’existe pas par des principes immuables dont la majorite´ ne de´vie jamais. a Il en est de l’autorite´ sociale comme du cre´dit des gouvernemens. Les gouvernemens e´tant toujours plus forts que leurs cre´anciers, sont par la` meˆme oblige´s a` une fide´lite´ plus rigoureuse. Car, s’ils s’en e´cartent une fois, aucun moyen coe¨rcitif ne pouvant eˆtre pris contr’eux, ils ne rassurent plus la confiance effarouche´e. De meˆme la majorite´ ayant toujours le pouvoir d’envahir les droits des individus, ou de la minorite´, si elle ne s’en abstient avec le plus grand scrupule, toute se´curite´ disparait : Car il n’y a nulle garantie ni contre les re´cidives, ni contre des exce`s toujours croissans. Une source d’erreur continuelle sur la compe´tence de l’autorite´ sociale, 1, fo 109vo c’est la confusion constante de l’intereˆt commun avec l’interet de tous. L’intereˆt commun ne regarde que le corps collectif. L’intereˆt de tous n’est autre chose que les interets de chacun, conside´re´s ensemble. Inde´pendamment des interets partiels qui ne concernent qu’un individu ou qu’une fraction, et qui par conse´quent sont e´trangers a` toute juris diction sociale, il y a

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a

fautive et tre`s dangereuse, en ce qu’elle paraˆit donner a` la volonte´ ge´ne´rale une puissance illimite´e. Il eut fallu ajouter, sur les objets sur lesquels la volonte´ ge´ne´rale a droit de vouloir. [Add.] avec le systeˆme des droits illimite´s de la majorite´ nume´rique, on irait a` faire du monde entier un seul peuple. car comment une ligne ide´ale de territoire changeroit-elle ce droit ? si trente mille voisins ne veulent pas ce que veut un peuple de trente millions, de quel droit re´sisteroient-ils ? et si nous leur accordions le droit de re´sister, comment une ville de´ja enclave´e n’auroit-elle pas celui de redevenir voisine ?

V: 20 fide´lite´ ] fidelite´ L 21 coe¨rcitif ] coercitif L 24 toute se´curite´ ] toute 〈la〉 se´curite´ P toute la se´curite´ L 27 intereˆt ] interet L 34–38 avec le systeˆme ... voisine ? ] dans L, note 9 au chapitre 2 ; texte quasi identique. 34 systeˆme ... majorite´ nume´rique ] systeˆme de la majorite´ nume´rique L 34–35 faire du monde entier ] faire de l’Europe et du monde L

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encore des objets qui interessent tous les membres de la socie´te´, et sur lesquels ne´anmoins la volonte´ ge´ne´rale ne doit pas s’exercer. Ces objets interessent tous les associe´s comme individus, et non comme membres du corps collectif. La religion par exemple est dans ce cas. L’autorite´ sociale doit toujours s’exercer sur l’interet commun, mais ne doit s’exercer sur celui de tous, qu’autant que l’interet commun s’y trouve aussi compromis. La comparaison que j’ai employe´e pre´ce´demment expliquera mon ide´e. La portion de fortune que des individus mettent en commun, est la fortune commune. L’on pourrait appeler l’aggre´gation de ce qui reste a` chacun des associe´s la fortune de tous : mais s’ils ne l’ont pas mise en commun, c’est la fortune de tous, sans eˆtre la fortune commune. Elle ne fait pas une et meˆme chose. C’est une aggre´gation de fortunes particulie`res inde´pendantes l’une de l’autre, qui ne se confondent pas, qui ne se fondent point ensemble. L’association peut bien disposer de la fortune commune, mais non de la fortune de tous. C’est une erreur de conclure de ce qu’un objet interesse tous les membres d’une socie´te´, que ce soit un objet d’intereˆt commun. Ce peut n’eˆtre qu’un objet qui interesse chacun comme individu. Avant de permettre a` l’autorite´ sociale de s’exercer sur cet objet, il faut voir s’il a un point d’intereˆt commun, c’est a` dire si les interets de chacun sur ce point sont de nature a` se rencontrer et a` se froisser les uns les autres. Ce n’est qu’alors que l’autorite´ sociale est appele´e a` s’en occuper. Elle ne l’est meˆme alors que pour pre´venir les frottemens. Si au contraire ces interets coexistent sans se confondre, ils ne sont point sous la juris diction de l’autorite´ sociale. Ils n’y sont pas de droit, et nous de´montrerons qu’ils n’y doivent pas eˆtre de fait, car elle ne ferait que les troubler sans utilite´. Ils doivent rester dans leur inde´pendance et leur individualite´ parfaite. La plupart des e´crivains politiques, ceux surtout qui e´crivaient dans les principes les plus populaires, sont tombe´s dans une erreur bizarre en parlant des droits de la majorite´. Ils l’ont repre´sente´e comme un eˆtre re´el a dont l’existence se prolonge, et qui est toujours compose´ des meˆmes parties. Mais il arrive sans cesse qu’une partie de la majorite´ de hier forme la a

[Add.] Ce n’est au fond jamais la majorite´ qui opprime. on lui ravit son nom, et l’on se sert contr’elle meˆme des armes qu’elle a fournies. l’interet de la Majorite´ n’est jamais d’opprimer ; la Somme des malheurs qui existe dans une Socie´te´, s’e´tend plus ou moins a` tous ses Membres, et s’augmente par l’injustice. nuire a` un individu ou a` une Classe, c’est nuire a` la totalite´.

V: 17 individu. Avant ] individu. La religion par exemple est dans ce cas. Avant L individu. Avant ] individu. 〈La religion par exemple est dans ce cas.〉 Avant P 32–36 Ce n’est ... totalite´. ] manque dans L

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minorite´ d’aujourd’hui. En de´fendant les droits de la minorite´ l’on de´fend donc les droits de tous, car chacun a` son tour se trouve en minorite´. L’association entie`re se divise en une foule de minorite´s que l’on opprime 1, fo 110vo successivement. Chacune d’entr’elles, isole´e pour eˆtre victime, redevient par une e´trange me´tamorphose partie de ce qu’on appe`le le grand tout pour servir de pre´texte au sacrifice d’une autre minorite´. Accorder a` la majorite´ une autorite´ illimite´e, c’est offrir au peuple en masse l’holocauste du peuple en de´tail. L’injustice et le malheur font le tour de l’association en s’appesantissant au nom de tous sur chacun isole´ment, et tous a` la fin de cette rotation de´plorable se trouvent avoir perdu sans retour, comme individus, beaucoup plus qu’ils n’avaient gagne´ passage`rement comme associe´s.

V: 5 appe`le ] appelle L

TR: 4–8 Chacune ... de´tail. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 56, OCBC, Œuvres, p. 591.

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Chapitre 3e De l’organisation du gouvernement, quand l’autorite´ sociale n’est pas limite´e.

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Lorsque l’autorite´ sociale n’est pas limite´e, l’organisation du gouvernement devient une chose tre`s secondaire. La surveillance mutuelle des fractions diverses de l’autorite´ n’est utile que pour empeˆcher l’une d’entr’elles de s’aggrandir aux de´pens des autres. Mais si la somme totale de leurs pouvoirs est illimite´e, s’il est permis a` ces autorite´s re´unies de tout envahir, qui les empechera de se coaliser pour opprimer a` leur gre´ ? Ce qui m’importe, ce n’est pas que mes droits personnels ne puissent eˆtre viole´s par tel pouvoir, sans l’approbation de tel autre : mais que cette violation soit interdite a` tous les pouvoirs. Il ne suffit pas que les agens de l’exe´cution aient besoin d’invoquer l’autorisation du le´gislateur, il faut que le le´gislateur ne puisse autoriser leur action que dans une sphe`re de´termine´e. C’est peu que le pouvoir exe´cutif n’ait pas le droit d’agir sans le concours d’une loi, si l’on ne met pas de bornes a` ce concours, si l’on ne de´clare pas qu’il est des objets sur lesquels le le´gislateur n’a pas le droit de faire une loi a, ou en o o 1, f 111v d’autres termes, qu’il y a des parties de l’existence individuelle sur lesquelles la socie´te´ n’a pas le droit d’avoir une volonte´1. Si l’autorite´ sociale n’est pas limite´e, la division des pouvoirs qui est d’ordinaire la garantie de la liberte´, devient un danger et un fle´au. La division des pouvoirs est excellente en ce qu’elle rapproche, autant que possible, l’intereˆt des gouvernans de celui des gouverne´s. Les hommes de´po-

7, fo 33vo

a

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[Add.] Il y a des principes inalte´rables, dont la nation entie`re est gardienne, qu’elle meˆme ne peut enfreindre, et qui n’entrent point dans la masse des opinions qu’elle soumet a` ceux qu’elle charge de vouloir pour elle. la raison en est simple. c’est qu’elle meˆme n’a pas le droit d’avoir une volonte´ contraire a` ces principes.

V: 1 Chapitre 3e ] Chapitre 3 L 9 coaliser pour ] coaliser 〈a` leur gre´〉 pour L 18 sur lesquelles ] sur laquelle L 24 Il y a ... principes. ] Correspond partiellement a` la note 7 au chapitre 2 de L ; voir ci-dessus, p. 137 TR: 4–19 Lorsque l’autorite´ ... une volonte´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, pp. 186–187, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1167–1168.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4i, pp. 43–44. 20-p. 142.15 Si l’autorite´ ... de l’exe´cution. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, pp. 21–22, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 974.

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Voir ci-dessous, livre XVII, chap. 3, pp. 649–459, ou` BC revient sur la question de la division des pouvoirs.

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sitaires de l’autorite´ exe´cutrice ont mille moyens d’e´chapper a` l’action des loix. Il est donc a` craindre que s’ils font les loix, elles ne se ressentent d’eˆtre faites par des hommes qui ne craignent pas qu’elles retombent jamais sur eux. En se´parant la confection des loix de leur exe´cution, vous atteignez ce but, que ceux qui font les loix, s’ils sont gouvernans en principe, sont gouverne´s en application, et que ceux qui les exe´cutent, s’ils sont gouvernans en application, sont gouverne´s en principe. Mais si en divisant le pouvoir, vous ne mettez pas des bornes a` la compe´tence de la loi, il arrive qu’une classe d’hommes fait des loix sans s’embarrasser des maux qu’elles occasionnent, et qu’une autre classe exe´cute ces loix en se croyant innocente du mal qu’elle fait, parce qu’elle dit qu’elle n’a pas contribue´ a` la loi. La justice et l’humanite´ se trouvent entre ces deux classes, sans pouvoir parler a` l’une ou a` l’autre. Mieux vaudrait mille fois alors que le pouvoir qui exe´cute les loix fut aussi charge´ de les faire. Au moins appre´cierait-il les difficulte´s et les douleurs de l’exe´cution.

TR: 6–7 s’ils sont gouvernans ... gouverne´s en principe. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, II, 1, OCBC, Œuvres, IV, p. 429. 13–15 Mieux ... de l’exe´cution. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, II, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 432.

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Chapitre 4e Objection contre la possibilite´ de limiter l’autorite´ sociale

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Une objection se presente contre la limitation de l’autorite´ sociale. Est-il possible de la limiter ? Existe-t-il une force qui puisse l’empecher de franchir les barrieres qu’on lui aura prescrites ? On peut, dira-t-on, par des combinaisons inge´nieuses limiter le pouvoir en le divisant. On peut mettre en opposition et en e´quilibre ses diffe´rentes parties. Mais par quel moyen fera-t-on que la somme totale n’en soit pas illimite´e ? comment borner le pouvoir autrement que par le pouvoir ? Sans doute la limitation abstraite de l’autorite´ sociale serait une recherche ste´rile, si on ne lui donnait pas ensuite dans l’organisation du gouvernement les garanties dont elle a besoin. L’investigation de ces garanties n’est pas du ressort de cet ouvrage1. Nous dirons seulement qu’il nous semble possible de de´couvrir des bazes d’institutions politiques, qui combinent tellement les interets des divers de´positaires de la puissance, que leur avantage le plus manifeste, le plus durable et le plus assure´ soit de rester chacun dans les bornes de leurs attributions respectives, et de s’y contenir mutuellement. Mais la premie`re question n’en est pas moins la limitation de la somme totale de l’autorite´. Car avant d’organiser une chose, il faut en avoir de´termine´ la nature et l’e´tendue. Nous dirons ensuite que, sans vouloir, comme l’ont fait trop souvent les philosophes, exage´rer l’influence de la ve´rite´ sur les hommes, l’on peut affirmer que, lorsque de certains principes sont complettement et clairement de´montre´s, ils se servent en quelque sorte de garantie a` eux meˆmes. Les intereˆts les plus ve´he´mens ont une sorte de pudeur qui les empeˆche de s’appuyer d’erreurs trop manifestement re´fute´es. Au moment meˆme ou` la lutte de la re´volution franc¸aise remettait en fermentation tous les pre´juge´s encore existans, des erreurs de meˆme nature n’ont pas ose´ se reproduire uniquement parceque la de´monstration en avait fait justice. Ceux qui de´V: 1 Chapitre 4e ] Chapitre 4 L TR: 3–24 Une objection ... a` eux meˆme. ]  Principes de politique (1815), 1, pp. 29–30, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 688 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 188–189, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1168. 29-p. 144.3 Ceux qui ... passer. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 864. 1

C’est effectivement un sujet dont il faudrait parler dans un ouvrage consacre´ aux questions constitutionnelles.

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fendaient les privile`ges de la fe´odalite´ n’ont pas songe´ a` proposer le re´tablissement de l’esclavage dont Platon dans sa Re´publique ide´ale, et dont Aristote dans sa politique ne supposaient pas qu’on put se passer. Il se forme a` l’e´gard de toutes les ve´rite´s que l’on parvient a` environner 1, fo 113vo de preuves incontestables une opinion universelle qui bientot est victorieuse. S’il est reconnu que l’autorite´ sociale n’est pas sans bornes, c’est a` dire qu’il n’existe sur la terre aucune puissance illimite´e, nul, dans aucun tems n’osera re´clamer une semblable puissance. L’expe´rience meˆme le de´montre de´ja1. Bien que l’autorite´ sociale ne soit pas encore limite´e en the´orie, elle est ne´ammoins de fait plus resserre´e de nos jours qu’autrefois. L’on n’attribue plus, par exemple, meˆme a` la socie´te´ entie`re le droit de vie et de mort sans jugement ; aussi nul gouvernement moderne ne pre´tend exercer un pareil droit. Si les tyrans des anciennes Re´publiques nous paraissent bien plus effre´ne´s que les gouvernans de l’histoire moderne, c’est en partie a` cette cause qu’il faut l’attribuer. Les attentats les plus monstrueux du despotisme d’un seul furent souvent duˆs a` la doctrine de la puissance sans bornes de tous. La limitation de l’autorite´ sociale est donc possible. Elle sera garantie, d’abord par la meˆme force qui garantit toutes les ve´rite´s reconnues, par l’opinion. L’on pourra s’occuper ensuite de la 1, fo 114ro garantir d’une manie`re plus fixe, par l’organisation particulie`re des pouvoirs politiques. Mais avoir obtenu et consolide´ la premie`re garantie sera toujours un grand bien.

TR: 4–9 Il se forme ... de´montre de´ja. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 30, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 688–689 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, pp. 189–190, 11–21 L’on n’attribue ... pouvoirs politiques. ]  OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1168–1169. Principes de politique (1815), 1, pp. 30–31, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 689 ;  Re´flexions sur les constitutions, note A, CPC, I, p. 190, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1169.

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Cette affirmation optimiste a e´te´ mise en doute par l’histoire du

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Chapitre 5e Des limites de l’autorite´ sociale, restreinte au strict ne´cessaire.

Deux choses sont indispensables pour qu’une socie´te´ existe, et pour qu’elle existe heureuse. L’une, qu’elle soit a` l’abri des de´sordres inte´rieurs, l’autre, qu’elle soit a` couvert des invasions e´trange`res. L’autorite´ sociale doit en conse´quence eˆtre spe´cialement charge´e de re´primer ces desordres et de repousser ces invasions. Pour cet effet elle doit eˆtre investie du droit de porter des loix pe´nales contre les crimes, du droit d’organiser une force arme´e contre les ennemis exte´rieurs, du droit enfin d’imposer aux individus le sacrifice d’une portion de leur proprie´te´ particulie`re pour subvenir aux de´penses de ces deux objets. La juris diction indispensable de l’autorite´ sociale se compose donc de deux branches : chaˆtiment des de´lits, re´sistance aux aggressions. Il faut meˆme distinguer deux espe`ces de de´lits, les actions essentiellement nuisibles en elles meˆmes, et les actions qui ne sont nuisibles que comme violations d’engagemens contracte´s. La juris diction de la socie´te´ sur les premie`res est absolue. Elle n’est que relative a` l’e´gard des secondes. Elle de´pend et de la nature de l’engagement et de la re´clamation de l’individu le´se´. Lors meˆme que la victime d’un assassinat ou d’un vol voudrait pardonner au coupable, la socie´te´ devrait le punir, parceque l’action commise est nuisible par son essence. Mais lorsque la rupture d’un engagement est consentie par toutes les parties contractantes ou inte´resse´es, la socie´te´ n’a pas le droit d’en prolonger de force l’exe´cution, comme elle n’a pas le droit de le dissoudre sur la demande d’une seule des parties. Il est e´vident que la juris diction de la socie´te´ ne peut rester en dec¸a de ces bornes, mais qu’elle peut s’arreˆter la`. On ne pourrait concevoir un peuple, chez lequel les crimes individuels demeureraient impunis, et qui n’aurait pre´pare´ aucun moyen de re´sister aux attaques que pourraient entreprendre contre lui les nations e´trange`res. Mais on pourrait en concevoir dont le gouvernement n’aurait d’autre mission que de veiller a` ces deux objets. L’existence des individus et celle de la socie´te´ seraient parfaitement assure´es. Le ne´cessaire serait fait. V: 1 Chapitre 5e ] Chapitre 5 L TR: 4–33 Deux choses ... serait fait. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 48–49.

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Principes de politique

Chapitre 6e Des droits individuels, quand l’autorite´ sociale se trouve ainsi restreinte.

Les droits individuels se composent de tout ce qui reste inde´pendant de l’autorite´ sociale. Dans l’hypothe`se que nous venons de pre´senter au chap.re pre´ce´dent, les droits individuels consisteraient dans la faculte´ de faire tout ce qui ne nuit pas a` autrui, ou dans la liberte´ d’action, dans le droit de n’eˆtre astreint a` la profession d’aucune croyance dont on ne serait pas convaincu, cette croyance, fut-elle celle de la majorite´, ou dans la liberte´ religieuse, dans le droit de manifester sa pense´e, par tous les moyens de publicite´, pourvu que cette publicite´ ne nuisit a` aucun individu et ne provoquaˆt aucune action coupable, enfin dans la certitude de ne pas eˆtre arbitrairement traite´, comme si l’on avait exce´de´ les bornes des droits individuels, c’est a` dire dans la garantie de n’eˆtre arreˆte´, de´tenu, ni juge´ que d’apre`s les loix et suivant les formes. Les droits de la socie´te´ ne sauraient eˆtre utilement distingue´s de ceux du gouvernement, parce qu’il est impossible d’indiquer un mode pour la socie´te´ d’exercer ses droits, sans que le gouvernement s’en me`le. Mais les droits des individus peuvent eˆtre utilement distingue´s de ceux du gouvernement et de la socie´te´, parce qu’il est possible, comme on le voit, d’indiquer les objets sur lesquels le gouvernement et la socie´te´ doivent s’abstenir de prononcer, et laisser les individus parfaitement libres.

V: 1 Chapitre 6e ] Chapitre 6 L dans la marge gauche P

4 Les droits ] au de´but et a` la fin de ce chapitre une croix ×

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Chapitre 7e Du principe de l’utilite´ substitue´ a` l’ide´e des droits individuels.

1, fo 116vo

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Un ecrivain tre`s recommandable par la profondeur, la justesse et la nouveaute´ de ses pense´es, Je´re´mie Bentham, s’est e´leve´ re´cemment contre l’ide´e de droits, et surtout contre celle de droits naturels, inalie´nables ou imprescriptibles ; il a pre´tendu que cette notion n’e´tait propre qu’a` nous e´garer, et qu’il fallait mettre a` sa place celle de l’utilite´, qui lui parait plus simple et plus intelligible1. Comme la route qu’il a pre´fe´re´e l’a conduit a` des re´sultats parfaitement semblables aux miens, je voudrais ne pas disputer contre sa terminologie. Je suis pourtant force´ de la combattre ; car le principe d’utilite´, tel que Bentham nous le pre´sente, me semble avoir les inconve´niens communs a` toutes les locutions vagues : et il a de plus son danger particulier. Nul doute qu’en de´finissant convenablement le mot d’utilite´, l’on ne parvienne a` appuyer sur cette notion pre´cise´ment les meˆmes re`gles que celles qui de´coulent de l’ide´e du droit naturel et de la justice. En examinant avec attention toutes les questions qui paraissent mettre en opposition ce qui est utile et ce qui est juste, on trouve toujours que ce qui n’est pas juste n’est jamais utile. Mais il n’en est pas moins vrai que le mot d’utilite´, suivant l’acception vulgaire, rappe`le une notion diffe´rente de celle de la justice ou du droit. Or, lorsque l’usage et la raison commune attachent a` un mot une signification de´termine´e, il est dangereux de changer cette signification. On explique vainement ensuite ce qu’on a voulu dire. Le mot reste, et l’explication s’oublie. V: 1 Chapitre 7e ] Chapitre 7 L

3 des droits ] de droits L

TR: 4-p. 150.15 Un e´crivain ... cette re´daction. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, pp. 300–305, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1222–1226. 1

BC critique Je´re´mie Bentham, Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, pre´ce´de´s de principes ge´ne´raux de le´gislation, publie´s en franc¸ais par Et[ienne] Dumont, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X, 1802, 2 vol. BC souligne que Bentham a publie´ «re´cemment» cet ouvrage, ce qui inspire a` Hofmann (p. 59, n. 15) l’ide´e que ce chapitre a e´te´ re´dige´ en 1802, de sorte que ce morceau faisait partie du «grand traite´» politique abandonne´ au profit des Principes de politique. Cela n’exclut e´videmment pas que les anciens papiers aient e´te´ copie´s en 1806 pour former le ms. de Lausanne (L).

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Principes de politique

On ne peut, dit Bentham, raisonner avec des fanatiques a, arme´s d’un droit naturel que chacun entend comme il lui plait, et applique comme il lui convient. Mais de son aveu meˆme, le principe de l’utilite´ est susceptible de tout autant d’interpre´tations et d’applications contradictoires. L’utilite´, ditil b, a e´te´ souvent mal applique´e : entendue dans un sens e´troit, elle a prete´ son nom a` des crimes. Mais on ne doit pas rejetter sur le principe les fautes qui lui sont contraires, et que lui seul peut servir a` rectifier. Comment cette 1, fo 117vo apologie s’appliquerait elle a` l’utilite´, et ne s’appliquerait-elle pas au droit naturel ? Le principe de l’utilite´ a ce danger de plus que celui du droit, qu’il re´veille dans l’esprit de l’homme, l’espoir d’un profit et non le sentiment d’un devoir. or l’e´valuation d’un profit est arbitraire : c’est l’imagination qui en de´cide. Mais ni ses erreurs ni ses caprices ne sauraient changer la notion du devoir. Les actions ne peuvent pas eˆtre plus ou moins justes : mais elles peuvent eˆtre plus ou moins utiles. En nuisant a` mes semblables, je viole leurs droits. C’est une ve´rite´ incontestable : mais si je ne juge de cette violation que par son utilite´, je puis me tromper dans ce calcul, et trouver de l’utilite´ a` cette violation. Le principe de l’utilite´ est parconse´quent bien plus vague que celui du droit naturel. Loin d’adopter la terminologie de Bentham, je voudrais le plus possible se´parer l’ide´e du droit de la notion de l’utilite´. Ce n’est qu’une diffe´rence de re´daction. Mais elle est plus importante qu’on ne pense. Le droit est un principe : l’utilite´ n’est qu’un re´sultat. Le droit est une cause : l’utilite´ n’est qu’un effet. 1, fo 118ro Vouloir soumettre le droit a` l’utilite´, c’est vouloir soumettre les re`gles e´ternelles de l’arithme´tique a` nos interets de chaque jour. a b

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Principes de le´gislation. Ch. 131. ibid. ch. 52. On lit chez Bentham : «On ne peut plus raisonner avec des fanatiques arme´s d’un droit naturel, que chacun entend comme il lui plaıˆt, applique comme il lui convient, dont il ne peut rien ce´der, rien retrancher, qui est inflexible en meˆme temps qu’inintelligible, qui est consacre´ a` ses yeux comme un dogme et dont on ne peut s’e´carter sans crime.» Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, Principes de le`gislation, chap. 13 «Exemples des fausses manie`res de raisonner en matie`re de le´gislation», t. I, p. 136. «On peut faire du mal en croyant suivre le Principe de l’Utilite´. Un esprit foible et borne´ se trompe, en ne prenant en conside´ration qu’une petite partie des biens et des maux. Un homme passionne´ se trompe en mettant une importance extreˆme a` un bien qui lui de´robe la vue de tous les inconve´niens. Ce qui constitue le me´chant, c’est l’habitude de plaisirs nuisibles aux autres ; et cela meˆme suppose l’absence de plusieurs espe`ces de plaisirs. Mais on ne doit pas rejetter sur le Principe, les fautes qui lui sont contraires, et que lui seul peut servir a` rectifier.» (Principes de le´gislation, chap. 5, Ibid., p. 27).

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II,

7, Du principe de l’utilite´ substitue´ a` l’ide´e des droits individuels

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Sans doute il est utile pour les transactions ge´ne´rales des hommes entr’eux, qu’il existe entre les nombres des rapports immuables : mais si l’on pre´tendait que ces rapports n’existent que parcequ’il est utile que cela soit ainsi, l’on ne manquerait pas d’occasions ou` l’on prouverait qu’il serait infiniment plus utile de faire plier ces rapports. L’on oublierait que leur utilite´ constante vient de leur immutabilite´, et cessant d’etre immuables, ils cesseraient d’eˆtre utiles. Ainsi l’utilite´, pour avoir e´te´ trop favorablement traite´e en apparence et transforme´e en cause, aulieu qu’elle doit rester effet, disparaitrait bientot totalement elle meˆme. Il en est ainsi de la morale et du droit. Vous de´truisez l’utilite´ par cela seul que vous la placez au premier rang. Ce n’est que lorsque la re`gle est de´montre´e, qu’il est bon de faire ressortir l’utilite´ qu’elle peut avoir. Je le demande a` l’auteur meˆme que je re´fute. Les expressions qu’il veut nous interdire, ne rappe`lent-elles pas des ide´es plus fixes et plus pre´cises que celles qu’il pre´tend leur substituer ? Dites a` un homme : vous avez le droit de n’eˆtre pas mis a` mort ou de´pouille´ arbitrairement ; vous lui donnez 1, fo 118vo un bien autre sentiment de se´curite´ et de garantie, que si vous lui dites : il n’est pas utile que vous soyez mis a` mort ou de´pouille´ arbitrairement. On peut de´montrer, je l’ai de´ja reconnu, qu’en effet cela n’est jamais utile. Mais en parlant du droit, vous pre´sentez une ide´e inde´pendante de tout calcul. En parlant de l’utilite´, vous semblez inviter a` remettre la chose en question, en la soumettant a` une ve´rification nouvelle. Quoi de plus absurde, s’e´crie l’inge´nieux et savant collaborateur de Bentham a, que des droits inalie´nables qui ont toujours e´te´ alie´ne´s, des droits imprescriptibles qui ont toujours e´te´ prescrits ! Mais en disant que ces droits sont inalie´nables ou imprescriptibles, on dit simplement qu’ils ne doivent pas eˆtre alie´ne´s, qu’ils ne doivent pas eˆtre prescrits. On parle de ce qui doit eˆtre, non de ce qui est. Bentham en re´duisant tout au principe d’utilite´, s’est condamne´ a` une e´valuation force´e de ce qui re´sulte de toutes les actions humaines, e´valuation qui contrarie les notions les plus simples et les plus habituelles. Quand il parle de la fraude, du vol &ca., il est oblige´ de convenir que s’il y a perte d’un cote´, il y a gain de l’autre, et alors son principe pour repousser des 1, fo 119ro actions pareilles, c’est que bien de gain n’est pas e´quivalent a` mal de perte : mais le bien et le mal e´tant se´pare´s, l’homme qui commet le vol, trouvera que son gain lui importe plus que la perte d’un autre. Toute ide´e de justice e´tant mise hors de la question, il ne calculera plus quel gain il fait. Il a

M. Dumont de Gene`ve1.

37 quel gain il ] que le gain qu’il L 1

Citation non localise´e. Hofmann (p. 62, n. 22) pense que les propos attribue´es ici a` E´tienne

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dira : gain pour moi est plus qu’e´quivalent pour moi a` perte d’autrui. Il ne sera donc retenu que par la crainte d’eˆtre de´couvert. Tout motif moral est ane´anti par ce systeˆme. En repoussant le premier principe de Bentham, je suis loin de me´connaitre le me´rite de cet e´crivain. Son ouvrage est plein d’ide´es neuves et de vues profondes. Toutes les conse´quences qu’il tire de son principe sont des ve´rite´s pre´cieuses en elles meˆmes. C’est que ce principe n’est pas faux ; la terminologie seule est vicieuse. De`s qu’il parvient a` se de´gager de sa terminologie, il re´unit dans un ordre admirable les notions les plus saines sur l’e´conomie politique, sur les pre´cautions avec lesquelles le gouvernement doit intervenir dans les affaires des individus, sur la population, sur la religion, sur le commerce, sur les loix pe´nales, sur la proportion des chaˆtimens aux de´lits. Mais il lui est arrive´ comme a` beaucoup d’auteurs estimables, de prendre une re´daction pour une de´couverte, et de tout sacrifier alors a` cette re´daction.

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[Addition] o

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Bentham dit que si le partisan de l’utilite´ trouvoit dans le Catalogue des vertus une action dont il re´sultaˆt plus de peine que de plaisir, il la rayeroit de ce Catalogue. I. 5. Ceci est remarquable, en ce qu’il dit ailleurs qu’il est mauvais de parler de Droits naturels, parceque chacun veut en juger d’apre`s son jugement particulier. mais n’est-ce pas ainsi qu’il fait agir le partisan de l’Utilite´ ? dans tous les Systeˆmes, il faut en revenir au jugement Individuel. Si on veut juger d’apre`s sa conscience, dit Bentham, I. 31. on ne distinguera pas entre une conscience e´claire´e et une concience aveugle. Mais si on veut juger d’apre`s le principe de l’utilite´, l’on ne distinguera pas plus entre les bons et les mauvais calculs sur ce principe. Dans l’immense varie´te´ des Ide´es sur les loix naturelles, dit Bentham, Princ. de Le´gisl. ch. 13. chacun ne trouvera-t-il pas des raisons pour re´sister a` toutes les loix humaines ? Mais il les trouvera de meˆme dans le principe de l’utilite´ applique´e a` sa manie`re1.

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Dumont sont l’e´cho d’une des conversations dans la socie´te´ de Coppet. Dumont se´journait a` Coppet en 1802. La discussion du premier principe de Bentham, l’utilite´, part du premier chap. des Principes de le´gislation (Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, t. I, pp. 1–5). C’est dans ce chap. que BC choisit sa premie`re citation : «Si le partisan du Principe de l’Utilite´ trouvoit dans le catalogue banal des vertus, une action dont il re´sultaˆt plus de peines que de plaisirs, il ne balanceroit pas a` regarder cette pre´tendue vertu comme un vice». L’axiome sur le droit naturel se trouve dans le chap. 13 de cet ouvage (t. I, p. 133). La seconde citation relative a` la distinction entre la conscience e´claire´e et aveugle se trouve dans le chap. 5 (t. I, pp. 30– 31). La dernie`re citation, presque litte´rale, se lit au chap. 13, t. I, p. 137.

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Livre

III

Des raisonnemens et des hypothe`ses qui motivent l’extension de l’autorite´ sociale.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 119vo–131vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 34ro– 37ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 81ro–111vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fos 14ro–21ro [=LA].

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Chapitre 1er De l’extension de l’autorite´ sociale au dela` de sa juris diction indispensable, sous le pre´texte de l’utilite´.

1, fo 119vo

Chez aucun peuple, les individus n’ont jou¨i des droits individuels dans toute leur ple´nitude. Aucun gouvernement n’a restreint l’exercice de l’autorite´ sociale dans les limites du strict ne´cessaire. Tous l’ont e´tendue fort au dela` : et les philosophes de tous les sie`cles, les e´crivains de tous les partis a ont sanctionne´ cette extension de tout le poids de leurs suffrages. Je ne compte pas dans ce nombre seulement des esprits vulgaires et subalternes, mais les auteurs les plus distingue´s des deux derniers sie`cles, Fe´ne´lon1, Rousseau, Mably2, et meˆme a` quelques e´gards Montesquieu b3. 7, fo 34ro

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7, fo 34ro

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[Add.] tout gouvernement est institue´ pour le bonheur des hommes. donc tout ce qui peut assurer leur bonheur doit faire partie du gouvernement. Ferrand. Esp. de l’hist. I. 1074. [Add.] Bentham, dans ses principes de le´gislation, ch. 12, intitule´ des limites qui se´parent la Morale et la le´gislation, commence par une proposition fausse. la Morale dit-il, est l’art de diriger les actions des hommes de manie`re a` produire la plus grande somme possible de bonheur. la Le´gislation a pre´cise´ment le meˆme but. c’est en confondant ainsi le but de la

V: 6 ple´nitude. ] BC pre´voit encore un ajout difficile a` inte´grer dans le texte les loix, dans les petits e´tats, sont l’expression fide`le des opinions et des usages, et comme la sphere est plus assure´e, que les exemples sont plus uniformes, qu’il y a moins de relation au dehors, les usages et les opinions restant plus longtemps stationnaires, les loix conservent plus longtems leur convenance et leur conformite´ avec l’esprit ge´ne´ral. le gouvernement ayant moins de force que 1

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Fe´nelon, cite´ fre´quemment par BC dans son ouvrage sur la religion avec admiration pour ses ide´es subtiles sur le sentiment religieux, est attaque´ ici, a` tort d’ailleurs, comme auteur politique. Dans un ouvrage attribue´ a` Ramsay et intitule´ Essai sur le gouvernement civil, ou` l’on traite de la ne´cessite´, de l’origine, des droits, des bornes, & des differentes formes de la souverainete´, selon les principes de feu M. [...] de Fenelon, Londres : Aux de´penses de la Compagnie, 31722, l’auteur anonyme soutient la the`se proche de la doctrine de Hobbes qu’«il faut donc ne´cessairement que tout gouvernement soit absolu» (p. 29). Et il continue : «Je n’entends point par absolu un pouvoir arbitraire de faire tout ce qu’on veut, sans autre re`gle, & sans autre raison, que la volonte´ despotique d’un seul, ou de plusieurs hommes.» La remarque de BC permet d’appre´cier l’e´tendue de ses recherches, meˆme s’il se trompe en attribuant l’ouvrage a` Fe´nelon, en de´pit de ce qui est dit dans la pre´face (p. [VI]). Chaque fois que BC aborde les e´crits de l’abbe´ de Mably, il les refute, meˆme s’il ne les cite pas, comme c’est le cas ici. Le jugement sur la pense´e de Montesquieu est tre`s nuance´ et prudent. BC ne lui reproche pas, comme a` Fe´nelon, de se rapprocher trop de la pense´e absolutiste. Il semble penser aux livres XII et XIII de l’Esprit des lois qui parlent des rapports de la liberte´ politique et celle du citoyen ainsi que des impoˆts. Ferrand et son ouvrage L’Esprit de l’histoire est attaque´ tre`s fre´quemment par BC, pas seulement dans les Principes de politique, mais aussi dans d’autres contextes. Voir p. ex. le

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1, fo 120ro

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M. Necker n’est pas exempt des erreurs que je reproche a` ceux qui ont favorise´ l’extension de l’autorite´ sociale1. Il appe`le le souverain le tuteur de la felicite´ publique, et lorsqu’il traite des prohibitions commerciales, il suppose sans cesse que les individus se laissant dominer par l’intereˆt du moment, le souverain entend mieux qu’eux meˆmes leur intereˆt durable. Ce qui rend dans M. Necker cette erreur plus excusable et plus touchante, c’est qu’il est toujours de´vore´ du desir de faire le bien, et qu’il ne voit dans l’autorite´ qu’un moyen plus e´tendu de bienveillance et de bienfaisance.

7, fo 34vo

le´gislation et celui de la Morale qu’on a donne´ a` la le´gislation l’extension qui est devenue si funeste. Bentham le sent lui meˆme. car il dit un peu plus bas que les moyens de la legislation sont tre`s diffe´rens et la juris diction beaucoup plus e´tendue que celle de la morale, qu’il y a des actes utiles a` la communaute´ que la loi ne doit pas commander, et des actes nuisibles qu’elle ne doit pas de´fendre. Il conclut par cette maxime e´vidente : ne faites intervenir la puissance des loix que pour empeˆcher les hommes de se nuire entreux. mais la de´finition par laquelle il comence n’en est pas moins inexacte. le but de la le´gislation est beaucoup plutot de garantir les homes du mal qu’ils pourroient se faire que de leur procurer la plus grande somme de bonheur possible. la de´finition de la morale et de la le´gislation me semble eˆtre que la premie`re indique aux homes coment ils peuvent eˆtre heureux, en rendant heureux leurs semblables, et que la seconde pre´serve les homes de ce qui, de la part de leurs semblables, les empeˆcheroit de se rendre heureux, sans nuire a` autrui : ce qu’il y a de singulier, c’est que Bentham re´unit deux de´finitions qui se contredisent et que nous combattons e´galement. car il dit ailleurs que toute loi est un mal ne´cessaire2. V: [suite des variantes de la p. 153] dans les empires d’une vaste e´tendue, n’a ni la volonte´, ni le pouvoir de se mettre en opposition avec les vœux et les habitudes des gouverne´s. Alors les observateurs superficiels prennent l’effet pour la cause et appellent les mœurs 〈l’e´quation〉 l’ouvrage des loix, tandis que les loix sont l’ouvrage des mœurs. L p. 153.13 donc ] la source porte dont P p. 153.14 Ferrand. ... 107. ] Ferrand. I. 107. e´videmment faux. L 1–8 M. Necker ... bienfaisance. ] ajout dans la colonne gauche, corr. a. L 10 Bentham ... plus bas que ] Bentham a l’esprit trop juste pour ne le pas sentir. car dans le meˆme chapitre et apre´s cette de´finition, il dit que L 21–22 de´finitions ... e´galement. ] de´finitions que nous combattons. L

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compte rendu de l’ouvrage The´orie des re´volutions du meˆme Ferrand publie´ par BC dans le Mercure de France en deux articles les 28 juin et 16 aouˆt 1817 (OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 579–591), qui exploite largement aussi L’Esprit de l’histoire pour re´futer la doctrine de Ferrand. Le passage auquel il fait allusion ici se trouve dans l’ouvrage De l’administration des finances de la France (1784). «Le regard du souverain va meˆme encore plus loin ; et ce tuteur de la fe´licite´ publique aperc¸oit que les proprie´taires eux-meˆmes ne font qu’un calcul du moment, lorsqu’ils regrettent de ne pouvoir pas appliquer librement leurs revenus a` tous les objets de de´penses qu’ils envient, puisque c’est par le nombre d’ouvriers et d’artistes de toute espe`ce, re´unis autour d’eux, qu’ils trouvent plus facilement le de´bit des productions de leurs terres, et que leurs revenus sont devenus plus conside´rables et plus assure´s.» (Jacques Necker, De l’administration des finances de la France, Œuvres comple`tes de M. Necker, publie´s par M. le Baron de Stae¨l, Paris : Treuttel et Würtz, 1820–1821, t. IV, p. 558). Les re´serves a` l’e´gard des doctrines de Bentham de´passent en fait les limites d’une critique de la terminologie. Il s’agit du fond, de la doctrine de l’utilitarisme. On s’en rendra compte

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III,

1, De l’extension de l’autorite´ sociale au dela de sa juridiction indispensable

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L’homme, nous disent-ils, est l’ouvrage des loix. Au commencement les hommes font les institutions, et dans la suite les institutions font les hommes. L’autorite´ doit s’emparer de nous de`s les premiers moments de notre existence, pour nous entourer d’exemples et de pre´ceptes de vertu. Elle doit diriger, ame´liorer, e´clairer cette classe nombreuse et ignorante du peuple, qui, n’ayant pas le tems de l’examen, est condamne´e a` recevoir les ve´rite´s meˆmes sur parole et comme des pre´juge´s. Tout le tems ou` la loi nous abandonne, est un tems qu’elle donne aux passions pour nous tenter, nous se´duire et nous subjuguer. La loi doit exciter l’amour du travail, graver dans l’ame de la jeunesse le respect pour la morale, frapper l’imagination par des institutions habilement combine´es, pe´ne´trer jusqu’au fond des cœurs pour en arracher les pense´es coupables, au lieu de se borner a` comprimer les actions nuisibles, pre´venir les crimes au lieu de les punir. La loi doit re´gler 1, fo 120vo nos moindres mouvemens, pre´sider a` la diffusion des lumie`res, au de´veloppement de l’industrie, au perfectionnement des arts, conduire comme par la main, la foule aveugle qu’il faut instruire, ou la foule corrompue qu’il faut corriger. ` l’appui de cette doctrine, ces publicistes illustres citent les exemples A les plus me´morables des nations anciennes, ou` les loix suivaient l’homme dans toutes les professions, dans toutes les actions de sa vie, lui dictaient ses moindres paroles et inspectaient jusqu’a` ses plaisirs1. Imbus de leurs principes, les chefs de la re´volution franc¸aise se sont crus des Lycurgues, des Solon, des Numa, des Charlemagne : aujourd’hui meˆme, malgre´ le triste re´sultat de leurs efforts on accuse plutot la maladresse des entreprenneurs, que la nature de l’entreprise. Une observation ge´ne´rale est ne´cessaire avant d’examiner en de´tail la the´orie qui tend a` le´gitimer l’extension de l’autorite´ sociale. Cette extension n’est pas d’une ne´cessite´ absolue, nous croyons l’avoir de´montre´. Elle est motive´e uniquement sur l’espe´rance de l’utilite´. Mais l’alle´gation de l’utilite´ une fois admise, nous nous trouvons reporte´s malgre´ V: 26 Une observation ... ne´cessaire ] 〈Deux〉 Une observation〈s〉 ge´ne´rale〈s〉 〈sont〉 est ne´cessaire〈s〉 L 28 Cette extension ] 〈En premier lieu,〉 cette extension L

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en e´tudiant l’article «De l’obe´issance a` la loi» publie´ le 8 novembre 1817 dans le Mercure de France (OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 355–358 et 598–609) et ci-dessous, le livre XVIII (chap. 2–6, pp. 667–709). BC renvoie a` Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, Principes de le´gislation, chap. 12 «Des limites qui se´parent la morale et la le´gislation» (t. I, p. 98–107) ; la citation du premier aline´a est conforme. Il choisit encore une autre phrase du de´but de ce chapitre, puis une troisie`me qu’il prend a` la p. 103 («ne faites ... nuire entreux»), ce qui lui permet de re´sumer la doctrine de Bentham. Voir ci-dessous, livre XVI, chap. 8, pp. 628–639.

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tous nos efforts, vers tous les inconve´niens qui re´sultent de la force aveugle et colossale qui nous a paru si terrible sous le nom de souverainete´ illimite´e. L’utilite´ n’est pas susceptible d’une de´monstration pre´cise. C’est un objet d’opinion individuelle, et conse´quemment de discussion inde´finie. L’on peut trouver des motifs d’utilite´ pour tous les commandemens et pour toutes les prohibitions. De´fendre aux citoyens de sortir de leurs maisons pre´viendrait tous les de´lits qui se commettent sur les grandes routes. Les obliger de se pre´senter chaque matin devant leur municipalite´, empecherait les vagabonds, les brigands, les hommes dangereux, de se cacher dans les grandes villes, pour y attendre les occasions d’y faire du mal1. C’est avec cette logique, que, de nos jours, on a fait de la France un vaste cachot. Rien dans la nature n’est indiffe´rent, suivant le sens rigoureux de cette expression. Tout a sa cause, tout a ses effets. Tout a des re´sultats ou re´els ou possibles, tout peut eˆtre utile, tout peut eˆtre dangereux. L’autorite´ sociale e´tant seule juge de toutes ces possibilite´s, il est clair que dans ce systeˆme, elle n’a point et ne peut point avoir de limites. a Cependant si elle doit eˆtre limite´e, tout ce qui est de sa juris diction doit l’eˆtre : ce qui ne peut l’eˆtre, n’est pas de cette juris diction. Or nous avons prouve´ qu’elle devait eˆtre limite´e. Donc, avant 1, fo 121vo de comprendre un objet quelconque dans ses attributions, il faut examiner si l’on peut marquer la borne ou` l’exercice de cette attribution doit s’arreˆter. S’il n’est aucun moyen de tracer cette borne, c’est que l’attribution elle meˆme ne doit pas exister : c’est qu’on transporte l’autorite´ hors de sa 1, fo 121ro

7, fo 34vo

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[Add.] pourquoi le pouvoir judiciaire est-il le moins dangereux de tous les pouvoirs ? c’est que sa nature est parfaitement connue. on sait qu’il est essentiellement rigoureux, qu’il est indispensable, mais que le bien qu’il produit n’est que l’absence du mal. aussi ne l’e´tend-on pas facilement au dela de ses bornes, et lorsqu’on a voulu en abuser, il a fallu le de´naturer, et en faire un pouvoir politique, au lieu d’un pouvoir judiciaire. les de´positaires des autres pouvoirs n’ont pas voulu eˆtre resserre´s dans des bornes si e´troites. Ils ont en conse´quence cherche´ a` donner le change sur la nature de leurs fonctions. au lieu de se pre´senter comme des gardiens de l’ordre public, c’est a` dire comme une sorte de mare´chausse´e politique, Ils se sont pre´sente´s comme les Pe`res du peuple. Ils y ont gagne´ d’eˆtre ou de se dire entoure´s d’affections au lieu de de´fiances, et ils ont pu beaucoup plus aise´ment abuser de leurs pouvoirs.

V: 30 public, c’est ] public, 〈Ils〉 c’est L 31 gagne´ d’eˆtre ... entoure´s ] gagne´ d’eˆtre 〈entoure´s〉 ou de se dire entoure´s P gagne´ d’eˆtre entoure´s L TR: 3–4 L’utilite´ ... inde´finie. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 65. limites. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 65. 1

4–16 L’on peut ...

Les meˆmes exemples apparaissent dans une addition au chap. 3 du livre IV (voir ci-dessous, p. 183), signe e´vident du fait que l’ouvrage attend encore sa re´daction finale.

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III,

1, De l’extension de l’autorite´ sociale au dela de sa juridiction indispensable

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sphe`re. Car il est de l’essence de cette sphe`re, qu’elle ne soit pas sans bornes. faites la sans bornes, et vous retombez dans l’abyme incommensurable de l’arbitraire. faites la sans bornes sur un seul objet, et il n’y a plus aucune garantie dans l’ordre social. Car, si une seule partie de l’ordre social est sans garantie, la garantie de tout le reste s’ane´antit. Si elle ne s’ane´antit pas de fait, elle s’ane´antit de droit : Or le fait n’est qu’un accident ; le droit seul est la garantie.

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Principes de politique

Chapitre 2e Des hypothe`ses sans lesquelles l’extension de l’autorite´ sociale est inadmissible.

1, fo 122ro

L’imagination peut inventer un emploi singulierement utile de l’autorite´ sociale, dans son extension inde´finie, en la supposant toujours exerce´e en faveur de la raison, de l’intereˆt de tous, et de la justice, choisissant toujours des moyens d’une noble nature et d’un succe`s assure´, parvenant a` s’assujettir les faculte´s de l’homme sans les de´grader, agissant en un mot, comme les de´vots concoivent l’action de la providence, par la re´union de la force qui commande et de la conviction qui pe´ne´tre au fond des cœurs1. Mais pour adopter ces suppositions brillantes, il faut admettre trois hypothe`ses. Il faut se repre´senter d’abord le gouvernement, sinon comme infaillible, du moins comme indubitablement plus e´claire´ que les gouverne´s. Car pour intervenir dans les relations des individus entr’eux avec plus de sagesse qu’ils ne le pourraient eux meˆmes, pour diriger le de´veloppement de leurs faculte´s et l’emploi de leurs moyens avec plus de succe`s que le ferait leur jugement propre, il faut avoir le privile`ge assure´ de distinguer mieux 1, fo 122vo qu’eux, ce qui est avantageux de ce qui est nuisible. Sans cela que gagnez vous pour le bonheur, l’ordre ou la morale, en e´tendant les attributions des gouvernans ? Vous cre´ez une force aveugle dont la disposition est abandonne´e au hazard. Vous tire`z au sort entre le bien et le mal, entre l’erreur et la ve´rite´, et le sort de´cide qui sera revetu de la puissance. Toute extension de l’autorite´ dont les gouvernans sont investis, ayant lieu toujours aux de´pens V: 1 Chapitre 2e ] Chapitre 2 L 5 L’imagination ... brillantes ] 〈Pour reconnaıˆtre l’utililite´ de l’extension l’autorite´ sociale〉 ajout dans la colonne gauche pour remplacer les mots biffe´s, corr. a. L 23 Toute extension ... leur liberte´. ] ajout a. dans la colonne gauche L TR: 5–12 L’imagination ... brillantes, ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 60. 1

BC peint ici, sans nommer l’exemple, l’ide´al d’un gouvernement absolutiste e´claire´, tel qu’il a existe´ dans une certaine mesure dans la Prusse de Fre´de´ric II qui aimait se voir dans le roˆle du premier serviteur de ses E´tats. Cela pouvait fonctionner dans la pratique, de sorte que Kant remarque avec la finesse d’une ironie sublime «so entspringt allmählich [...] Aufklärung, als ein großes Gut, welches das menschliche Geschlecht sogar von der selbstsüchtigen Vergrößerungsabsicht seiner Beherrscher ziehen muß, wenn sie nur ihren eigenen Vorteil verstehen.» (Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher Absicht, dans Kleinere Schriften, e´d. cite´e, p. 17). «ainsi jaillissent peu a` peu [...] les lumie`res ; c’est la` un grand bien que le genre humain doit tirer meˆme de la soif e´goı¨ste d’expansion qui est celle de ses chefs, pourvu seulement que ceux-ci comprennent leur propre inte´reˆt». (Kant, Ide´e d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Œuvres philosophiques, Ple´iade, t. II, p. 201).

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III,

2, L’extension de l’autorite´ sociale

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de la liberte´ des gouverne´s, encore faut il pour consentir a` ce sacrifice, qu’il soit probable que les premiers feront de leur pouvoir aggrandi de la sorte, un meilleur usage que les seconds de leur liberte´. Il faut, en second lieu supposer que si, malgre´ ses lumie`res supe´rieures, le gouvernement se trompe, ses erreurs seront moins funestes que celles des particuliers. Il faut s’assurer enfin que les moyens qui sont entre les mains des gouvernemens, ne produiront pas un mal plus grand, que le bien qu’ils doivent atteindre. Nous allons examiner successivement ces trois hypothe`ses.

V: 7 ne produiront pas ... plus grand que le ] premie`re re´daction ne produiront jamais plus de mal que le deuxie`me re´daction ne produiront pas un ces deux derniers mots dans l’interl. sup. mal plus grand ces deux derniers mots ajoute´s dans l’interl. sup. que le L

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Principes de politique

Chapitre 3e Les gouvernans sont-ils ne´cessairement plus exempts d’erreurs que les gouverne´s ?

1, fo 123ro

Il est facile d’affirmer que des lieux e´leve´s doit partir la lumie`re, et qu’un gouvernement e´claire´ doit mener la foule1. En e´crivant ces mots, on se repre´sente le gouvernement comme un eˆtre abstrait, compose´ de ce qu’il y a de meilleur, de plus instruit et de plus sage dans une nation. Mais il y a dans cette ide´e que l’on se forme du gouvernement, confusion d’e´poques et pe´tition de principe. Il y a confusion d’e´poques, en ce que l’on ne distingue pas les nations barbares, des nations civilise´es. Nul doute que, lorsqu’une peuplade ne posse´dant que les notions grossie`res, indispensables a` l’existence physique, rec¸oit par la conqueˆte, ou de toute autre manie`re, un gouvernement qui lui fait connaitre les premiers e´le´mens de la civilisation, les hommes qui composent ce gouvernement, ne soient plus e´claire´s que ceux qu’ils gouvernent. Ainsi l’on peut croire que Ce´crops, s’il a existe´, avait plus de lumie`res que les Athe´niens, Numa que les Romains, Mahomet que les Arabes. Mais appliquer ce raisonnement a` une association civilise´e est, ce me semble, une grande erreur. Dans une pareille association, une portion nombreuse ne s’e´claire, il est vrai, que tre`s difficilement, voue´e qu’elle est 1, fo 123vo par la nature des choses, a` des occupations me´chaniques, et les gouvernans sont incontestablement supe´rieurs a` cette portion. Mais il y a aussi une classe e´claire´e, dont les gouvernans meˆmes font partie, et ne font qu’une tre`s petite partie. Ce n’est pas entre les classes ignorantes et les gouvernans que la comparaison doit s’e´tablir, mais entre les gouvernans et la classe e´claire´e. Celle-ci doit instruire et diriger le reste de la nation. Mais il faut V: 1 Chapitre 3e ] Chapitre 3 L 4 Il est ... la foule. ] ajout a. dans la colonne gauche L 5 foule. ] BC pre´voit pour ce chapitre une note difficile a` placer a` son endroit Il s’en faut bien, dit Bentham, qu’on ait employe´ autant d’esprit de calcul et de prudence pour de´fendre la socie´te´ que pour l’attaquer et pour pre´venir les de´lits que pour les comettre. Ce que dit ici Bentham provient de ce que les Individus sont toujours plus spirituels et plus adroits que les Gouvernemens.L TR: 10–25 Nul doute ... e´claire´e. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 60–61. 1

La se´rie des le´gislateurs le´gendaires (Ce´crops, le fondateur de’Athe`nes, Numa Pompilius, le deuxie`me roi le´gendaire de Rome, qui suivait les conseils de la nymphe E´ge´rie et qui dotait la ville de lois sages et lui assurait une paix stable, Mahomet, fondateur de l’Islamisme) revient souvent dans les e´crits de BC, qui utilise, avec une certaine distance critique, les traditions plus ou moins fabuleuses.

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3, Les gouvernans sont-ils plus exempts d’erreurs que les gouverne´s ?

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distinguer son influence comme e´claire´e, de celle d’une fraction d’elle meˆme comme gouvernante. La question pose´e ainsi, il y a pe´tition de principe a` confe´rer aux gouvernemens la supe´riorite´ des lumie`res : car on franchit sans l’examiner une premie`re difficulte´ qui se rencontre dans la formation des gouvernemens. Les gouvernemens peuvent eˆtre forme´s de trois manie`res, par l’he´re´dite´, par l’e´lection, par la force : nous ne disons rien de ce dernier mode. On ne l’attaque gue`res en pratique, parce qu’il a l’avantage d’imposer silence. Mais on ne s’avise pas non plus de le justifier en the´orie. Lorsque la monarchie he´re´ditaire s’appuyait du droit divin, le myste`re meˆme qui sanctionnait cette institution the´ocratique, pouvait faire attribuer au Monarque des lumie`res supe´rieures comme un don du ciel, et l’on retrouve cette notion dans les me´moires e´crits par Louis XIV1. Mais aujourd’hui que les gouvernemens reposent sur des bazes purement humaines, cette hypothe`se religieuse est inadmissible. L’he´re´dite´ ne nous pre´sente qu’une succession de gouvernans e´leve´s dans la puissance, et l’expe´rience est presque superflue pour nous indiquer le re´sultat de deux e´le´mens tels que le hazard et la flatterie. L’e´lection donne aux gouvernemens la sanction du vœu populaire. Mais cette sanction est elle une garantie de lumie`res exclusives dans ceux qu’elle investit du pouvoir ? Les e´crivains qui le pre´tendent, parcourent un singulier cercle. Lorsqu’on se permet quelque doute sur l’excellence des gouvernans, le choix du peuple leur parait une re´futation sans replique de ces doutes injurieux ; dans cette partie de leur systeˆme, le peuple est donc infaillible. Mais lorsqu’on re´clame pour ce meˆme peuple le droit de se diriger dans ses interets et ses opinions, ils affirment qu’au gouvernement appartient cette direction, et dans cette seconde partie, ils de´clarent le peuple incapable de marcher seul, sans tomber d’erreurs en erreurs. Ainsi par je ne sais quel prodige, une foule ignoble, absurde, de´grade´e, stupide qui ne peut se conduire et qu’il faut guider sans cesse, se trouve soudain e´claire´e pour un moment unique et sans retour ; elle nomme ou elle accepte ses chefs, puis elle retombe imme´diatement dans l’aveuglement et dans l’ignorance. Le peuple, comme le prouve Machiavel2, et V: 23–24 dans ... donc ] 〈et〉 dans ... donc ce dernier mot ajoute´ dans l’interl. sup. c. a. L 29 se trouve soudain e´claire´ ] ces quatre mots ajoute´s dans l’interl. sup., c. a. L 1

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Hofmann (p. 70, n. 11) a montre´ que BC ne tient pas le texte des Me´moires de Louis XIV comme entie`rement re´dige´ par Louis XIV. La preuve est la lettre du 27 mars 1806 de BC a` Claude Hochet (OCBC, CG, t. VI, pp. 55–57). En de´pit de ces re´serves, BC cite cet ouvrage fre´quemment dans ses e´crits politiques. Il ne figure pourtant pas dans le catalogue de sa bibliothe`que. BC pense e´videmment a` Montesquieu, De l’esprit des lois, livre II, chap. 2, ou` il a pu lire : «Le peuple est admirable pour choisir ceux a` qui il doit confier quelque partie de son autorite´. Il n’a qu’a` se de´terminer que par des choses qu’il ne peut ignorer, et des faits qui

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d’apre`s lui Montesquieu, fait presque toujours des bons choix pour des emplois particuliers. Mais les raisonnemens meˆmes de ces e´crivains de´montrent que pour assurer la bonte´ des choix du peuple, il est ne´cessaire que les fonctions qu’il confe`re, soient d’une circonscription bien de´termine´e et rena 2, fo 124vo ferme´e dans des limites pre´cises. Le peuple, dit Montesquieu , est admirable pour choisir ceux a` qui il doit confier quelque partie de son autorite´. Il sait tre`s bien qu’un homme a e´te´ souvent a` la guerre, qu’il y a eu tels ou tels succe`s. Il est donc tre`s capable d’e´lire un ge´ne´ral. Il sait qu’un juge est assidu, que beaucoup de gens se retirent de son tribunal, contens de lui, qu’on ne l’a pas convaincu de corruption. En voila` asse`z pourqu’il e´lise un pre´teur. Il a e´te´ frappe´ de la magnificence ou des richesses d’un citoyen ; cela suffit pourqu’il puisse choisir un e´dile. Il n’a a` se determiner que par des motifs qu’il ne peut ignorer, et des faits qui tombent sous les sens. L’on voit que tous les exemples dont M. de Montesquieu s’appuye, ne s’appliquent qu’aux fonctions de l’autorite´ sociale, restreinte au strict ne´cessaire. Il en est de meˆme de ce que dit Machiavel b. Les hommes, observe-t-il, quoique sujets a` se tromper sur le ge´ne´ral, ne se trompent pas sur le particulier. Mais appeler le peuple a` nommer des gouvernans, si ces gouvernans font autre chose que punir le crime, et repousser les invasions, s’ils s’arrogent une juris diction sur l’opinion, sur les lumie`res, sur les actions indiffe´rentes, sur la proprie´te´, sur l’industrie, en un mot sur tout, ce n’est plus l’appeler a` prononcer sur le particulier, mais sur le ge´ne´ral. Le choix du

a b

Esp. des loix. II.21 . Disc. sur Tit. Liv. II.47.

V: 4 circonscription ] 〈circonspection〉 circonscription L 19–20 et repousser ... s’ils s’arrogent ] et ce mot ajoute´ dans l’interl. sup. repousser les invasions, 〈conserver acquisitions physiques ou intellectuelles de la socie´te´,〉 s’ils s’arrogent L 27 Tit. Liv. II. 47. ] Tit. Liv. I. 47. L TR: 5–6 Le peuple ... autorite´. ]  Principes de politique (1815), 5, pp. 83–84, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 721.

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tombent sous les sens.» Montesquieu donne trois exemples : e´lection d’un ge´ne´ral, d’un juge et d’un e´dile (e´d. cite´e, pp. 240–241). La source de cette observation est effectivement Machiavel, Discours sur la premie`re De´cade de Tite-Live, chap. 47, dont il cite le titre. BC a pu trouver cette re´fe´rence chez Filangieri, La science de la le´gislation, livre I, chap. 12, n. 1, (e´d. de Paris : Cuchet, 1786, p. 168, e´d. de 1822, t. I, p. 142, n.1) ou` le passage sur Machiavel est tre`s proche du texte de BC. Ce que BC ne prend pas, c’est la source de Machiavel, un passage de Tite-Live, Ab urbe condita, 4.6.11 «Quorum comitiorum eventus docuit alios animos in contentione libertatis et honoris, alios secundum deposita certamina in incorrupto iudicio esse.» Voir Montesquieu, De l’esprit des lois, livre II, chap. 2, e´d. cite´e, pp. 240–241. BC transcrit assez fide´lement le texte («Le peuple ... les sens.»), meˆme s’il intervertit ses e´le´ments. Les changements n’affectent pas le sens. Voir la note pre´ce´dente.

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3, Les gouvernans sont-ils plus exempts d’erreurs que les gouverne´s ?

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peuple, lorsqu’il est libre et dans les tems calmes, prouve en faveur du talent particulier de l’homme auquel il confie une mission particulie`re. Il appre´cie un juge par ses jugemens, un ge´ne´ral par ses victoires : Mais lorsqu’il est question d’un pouvoir inde´fini, portant sur des choses vagues, arbitraires et illimite´es, le choix du peuple ne prouve rien : Il n’a pas alors pour se de´terminer, des faits qui tombent sous les sens. Le choix du peuple appe`le naturellement aux places des hommes de la classe e´claire´e. Mais ces e´lus du peuple n’ont aucune chance pour posse´der une supe´riorite´ intellectuelle sur le reste de cette classe. Leurs opinions seront au niveau des ide´es les plus universellement re´pandues. Par cela meˆme ils seront excellens pour la conservation, pour la protection ne´gative. Ils ne vaudront rien pour la direction. Pour garantir et pour conserver, il suffit d’eˆtre au niveau. Pour diriger, il faudrait eˆtre au dessus. Si vous supposez, dit Condorcet, 1er me´moire sur l’e´ducation (page 55) la puissance publique plus e´claire´e que la masse du peuple, vous devez la supposer moins e´claire´e que beaucoup d’individus1. Nous ajouterons que les qualite´s qui conduisent a` l’autorite´ dans un gouvernement fonde´ sur le choix du peuple, sont toujours plus ou moins exclusives d’autres qualite´s particulierement propres a` l’accroissement des lumie`res. Il faut pour s’attirer la confiance de la grande masse d’une nation, de la tenacite´ dans les ide´es, de la partialite´ dans les opinions, 1, fo 125vo quelque chose de positif dans la manie`re de voir et d’agir, plus de force que de finesse, et plus de promptitude a` saisir l’ensemble, que de de´licatesse a` discerner les de´tails. Ces choses sont excellentes pour la re´pression, pour la surveillance, pour tout ce qu’il y a dans les fonctions du gouvernement de fixe, de de´termine´, de pre´cis. Mais transporte´es dans le domaine de l’intelligence, de l’opinion, des lumie`res, de la morale, elles ont quelque chose de rude, d’inflexible, de grossier qui va contre le but d’ame´lioration ou de 1, fo 125ro

V: 6 des faits ... les sens. ] des faits ante´rieurs, des faits qui tombent sous les sens. L 11 vaudront ] 〈valent〉 vaudront corr. a., ilterl. sup. L 20 de la ] 〈une〉 de la corr. a., interl. sup. L TR: 13–16 Si vous supposez ... d’individus. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 61. 16-p. 164.1 Nous ajouterons ... se propose. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 67. 1

BC se reporte aux Me´moires sur l’instruction publique de Condorcet qu’il cite toujours d’apre`s la Bibliothe`que de l’homme public dont les volumes n’apparaissent pas dans le catalogue de sa bibliothe`que. Il renvoie ici au t. Ier de la deuxie`me anne´e (Paris : Buisson, 1791, p. 55) ou` l’on lit ceci : «La puissance publique doit d’autant moins donner ses opinions pour base de l’instruction, qu’on ne peut la regarder comme au niveau des lumie`res du sie`cle ou` elle s’exerce. Les de´positaires de la puissance publique resteront toujours a` une distance plus ou moins grande du point ou` sont parvenus les esprits destine´s a` augmenter la masse des lumie`res. Quand bien meˆme quelques hommes de ge´nie seraient assis parmi ceux qui exercent le pouvoir, ils ne pourraient jamais avoir, dans tous les instants, une pre´ponde´rance qui leur permıˆt de re´duire en pratique les re´sultats de leurs me´ditations.» La remarque de BC montre sa puissance de condenser les re´flexions des auteurs qu’il utilise.

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perfectionnement que l’on se propose. Une autre conside´ration ne doit pas nous e´chapper. Il y a dans le pouvoir quelque chose qui fausse plus ou moins le jugement. Les chances d’erreur de la force sont plus multiplie´es que celles de la faiblesse. La force trouve ses ressources en elle meˆme. La faiblesse a besoin de la raison. Toutes choses e´gales, il est toujours vraisemblable que les gouvernans auront des opinions moins justes, moins saines, moins impartiales que les gouverne´s. a Supposez deux hommes e´galement e´claire´s, l’un revetu du pouvoir, l’autre simple citoyen. Ne sentez vous pas que le premier appele´ sans cesse a` agir, plus ou moins compromis dans ses actions, place´ plus en e´vidence, aura moins de tems pour la re´flexion, plus d’intereˆt a` la persistance, et par conse´quent plus de chances d’erreur, que le second qui examine a` loisir, ne prend d’engagement envers aucune opinion, n’a nul motif de de´fendre une ide´e fausse, n’a compromis ni son pouvoir, ni sa surete´, ni son amour propre, et qui, enfin, s’il se passionne pour cette ide´e fausse, n’a nul moyen de la faire dominer ? Les chances d’erreur des gouvernans ne sont point un motif pour re´voquer en doute la ne´cessite´ des fonctions du gouvernement dans ce qui a rapport a` la surete´ exte´rieure ou inte´rieure. Ces fonctions e´tant d’une ne´cessite´ de´montre´e, il faut instituer a` tout prix une autorite´ qui les exerce, et courir le risque de ses erreurs. Ces erreurs ont d’ailleurs peu de dangers. Rien de plus simple que les objets sur lesquels ces fonctions appe`lent le gouvernement a` prononcer. b Pour pre´server l’e´tat des invasions ennemies, il faut que la loi de´cre´te a

b

[Add.] c’est par erreur que l’on admet un immense intervalle entre les hommes qui dictent, et ceux qui rec¸oivent les loix. leurs lumie`res respectives sont toujours dans une certaine proportion, et ne s’en e´cartent pas. la nature n’accorde de privile`ge a` aucun individu. Nul ne devance de beaucoup son pays et son sie`cle et ceux qui le devancent le plus sont peut eˆtre les moins propres a` les dominer. [Add.] dans le systeˆme de la liberte´ naturelle, dit Smith, IV. 9. V. 1. le Souverain n’a que trois devoirs a` remplir, trois devoirs a` la ve´rite´ d’une haute importance, mais clairs, simples et a` la porte´e d’une intelligence ordinaire. le premier, c’est le devoir de de´fendre la socie´te´ de tout acte de violence ou d’invasion de la part des autres Socie´te´s inde´pendantes : le second, c’est le devoir de prote´ger, autant qu’il est possible chaque membre de l’association contre l’injustice ou l’opression de tout autre membre, ou bien le devoir d’e´tablir une administration exacte de la justice : et le troisie`me c’est le devoir d’e´riger et d’entretenir

V: 17–18 fonctions du gouvernement ... inte´rieure. ] fonctions 〈positives〉 du Gouvernement dans ce qui a rapport a` la surete´ exte´riure ou inte´rieure les mots dans ce ... exte´rieure. ajoute´s dans la col. gauche L 21–22 ces fonctions ... prononcer. ] 〈les〉 ces fonctions 〈positives du〉 appellent le ces deux derniers mots dans l’interl. sup. gouvernement 〈l’appellent〉 a` prononcer. L 22 par ereur ] par une erreur L 22 ennemies ] 〈exte´rieurs〉 ennemies L 28 naturelle, ... le souverain ] naturelle, le souverain le renvoi a` l’ouvrage de Smith est donne´ a` la fin de la note, sans le mot dit L 7–15 Supposez ... TR: 2–5 Il y a ... raison. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 66. dominer ? ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 66–67. 23–27 c’est par erreur ... dominer. ]  Co 3415, fo 1.

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que des agens responsables veilleront sur les de´marches des e´trangers, et qu’une masse d’hommes sera preˆte a` se mettre en mouvement a` un signal donne´. Pour maintenir le bon ordre inte´rieur, il faut que la loi de´cre`te que tel de´lit sera suivi de tel chaˆtiment. Pour subvenir aux de´penses de ces deux objets, il faut que la loi de´cre`te que chaque citoyen versera dans le tre´sor public une portion de´termine´e de sa fortune. Ces fonctions n’exigent des gouvernans qu’une intelligence et des lumie`res communes, telles qu’en as1, fo 126vo sure l’e´ducation a` la majorite´ de la classe instruite. Il n’en est pas de meˆme des fonctions innombrables et illimite´es a que l’autorite´ s’arroge lors-

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certains ouvrages publics et certaines institutions que l’interet prive´ d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter a` e´riger ou a` entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourseroit la de´pense a` un particulier ou a` quelques particuliers, quoiqu’a` l’egard d’une grande socie´te´, ce profit fasse beaucoup plus que rembourser la De´pense1. [Add.] Le Marquis de Mirabeau, dans le premier livre de l’ami des hommes, e´tablit une distinction tre`s juste entre les loix positives et les loix spe´culatives1. selon lui les loix positives se bornent au maintien : les Loix spe´culatives embrassent la direction. Il ne tire point de cette distinction des conse´quences e´tendues. son objet n’e´toit point de fixer les limites des fonctions du gouvernement, et quoique, dans le reste de son livre, il soit conduit sans cesse par la force des choses a` restreindre ces fonctions de fait, il admet ne´anmoins leur le´gitimite´ de droit, et s’efforce seulement d’indiquer coment elles peuvent eˆtre le plus utiles et avantageuses. Nous dont le but est diffe´rent, nous adopterons la meˆme distinction, mais pour en suivre tous les re´sultats. lorsque le gouvernement punit une action nuisible, lorsqu’il re´prime la violation d’un engagement contracte´, lorsqu’il e´tablit ou re´pare des

V: 7 qu’en ] qu’〈on〉 en corr. au crayon dans l’interl. sup. L 16 spe´culatives ] la source porte pe´nales P 24 canaux, il ] canaux, 〈qu’il institue des de´pots pour les monumens des arts〉 il P TR: 22-p. 167.37 Le Marquis ... contrarier. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 56–59. 1

1

La citation provient d’A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 9, a` la fin (e´d. cite´e, t. II, pp. 308–309). Texte conforme, a` quelques de´tails insignifiants pre`s. Notons encore que la premie`re indication (IV. 9.) indique bien la source utilise´e par BC. La seconde (V. 1.) n’est pas explique´e, s’il ne s’agit pas d’un raccourci de la dernie`re phrase de ce meˆme chapitre : «Ainsi, le livre suivant se divisera naturellement en trois chapitres.» Car renvoyer a` un chapitre V, 1 n’aurait pas de sens dans ce contexte. La the´orie esquisse´e ici a` partir d’une observation de Mirabeau (L’Ami des hommes, chap. 1) est d’une importance capitale pour la doctrine libe´rale de BC. Les lois dites spe´culatives correspondent effectivement a` une pratique qui prendra une place de plus en plus grande dans les e´tats modernes ou` elle de´veloppera un dynamisme e´tonnant dans la vie des socie´te´s qui cherchent par la politique e´conomique a` re´aliser l’ide´e de la «justice sociale» ou autres objectifs d’importance pour l’organisation de la communaute´. BC souligne les risques d’un dirigisme force´ment ide´ologique, ce qui le poussera a` exposer ses re´flexions d’une manie`re plus soigne´e dans le chap. 9 («Des erreurs en le´gislation») de son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Le sujet est d’une importance fondamentale et le passage qu’on lit dans ce chap. 3 des Principes de politique n’est que la re´daction provisoire d’une re´flexion sur les bases d’un syste`me.

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qu’elle franchit ces limites. Il est a` la fois moins ne´cessaire que ces nou-

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routes ou des canaux, il remplit une fonction positive. Lorsqu’il se´vit contre une action qui n’est pas nuisible, sous pre´texte qu’elle pourrait mener indirectement a` une action qui le serait, lorsqu’il impose aux individus de certaines re`gles de conduite qui ne font pas partie ne´cessaire des engagemens qu’ils ont contracte´s, lorsqu’il ge`ne la disposition de la proprie´te´ ou l’exercice de l’industrie, lorsqu’il cherche a` dominer l’opinion, soit par des chatimens ou des re´compenses, soit en s’emparant de l’e´ducation, il s’arroge une fonction spe´culative. car il se fonde sur des calculs, des suppositions, des hypothe`ses, des spe´culations en un mot. le gouvernement dans ses fonctions positives, n’agit point d’une manie`re spontane´e. il re´agit contre des faits, contre des actions ante´ce´dantes, qui ont eu lieu inde´pendament de la volonte´. dans ses fonctions spe´culatives, il n’a point a` re´agir contre des faits, contre des actions commises, mais a` pre´voir des actions futures. Il agit donc spontane´ment. Son action est le produit de sa seule volonte´. Les fonctions positives du Gouvernement sont d’une nature infiniment simple : et dans leur exercice son action n’est ni e´quivoque ni complique´e. Ses fonctions spe´culatives sont d’une autre nature. Elles n’ont point de baze re´elle, elles ne s’exercent pas sur des faits. Elles partent d’une supposition, d’une pre´somption. Elles peuvent varier, s’e´tendre, se compliquer a` l’infini. les fonctions positives permettent souvent a` l’autorite´ de demeurer immobile. les fonctions spe´culatives ne lui permettent jamais l’imobilite´. sa main, qui, tantot pre´vient, tantot dirige, tantot cre´e et tantot re´pare, peut quelquefois etre invisible, jamais rester inactive. Son action prenant sa source dans sa volonte´, il faut qu’elle raisonne, qu’elle suppose, qu’elle devine. C’est indiquer assez sous combien de rapports les limites des fonctions spe´culatives sont difficiles a` tracer. tantot l’autorite´ pose en dec¸a du crime des Barrie`res de son propre Choix, pour e´tablir ensuite des peines contre le renversement de ces Barrie`res. tantot elle recourt a` des mesures prohibitives, contre des Actions indiffe´rentes en elles meˆmes, mais dont les conse´quences indirectes lui semblent dangereuses. tantot elle accumule les loix coercitives pour forcer les homes a` faire ce qui lui paraˆit le plus utile. d’autrefois elle e´tend sa juris diction sur l’opinion. d’autrefois encore elle modifie ou limite la jou¨issance de la proprie´te´, en re`gle arbitrairement les formes, en de´termine, en ordone, ou en prohibe la transmission. elle assujettit a` des entraves nombreuses l’exercice de l’industrie, l’encourage d’un cote´, la restreint de l’autre. Actions, discours, e´crits, erreurs, ve´rite´s, ide´es religieuses, systeˆmes philosophiques, affections morales, sentimens intimes, usages, habitudes, mœurs, institutions, ce qu’il y a de plus vague dans l’imagination de l’homme, de plus inde´pendant dans sa Nature, tout est par la` du Domaine de l’autorite´. Elle enlace notre existence de toutes parts, s’empare de nos premie`res anne´es, surveille et restreint nos moindres mouvemens, consacre ou combat nos conjectures les plus incertaines, modifie ou dirige nos impressions les plus fugitives. Il y a donc cette diffe´rence entre les fonctions spe´culatives et les fonctions positives, que ces dernie´res ont des bornes fixes, au lieu que les premie`res, de`s qu’elles sont admises, n’ont aucune borne. La loi ou l’acte d’autorite´ par lequel le gouvernement enverroit les citoyens aux frontie`res, pour de´fendre ces frontie`res attaque´es, seroit une loi ou un acte d’autorite´ positif. car le but en seroit e´videmment de repousser une agression comise et d’empeˆcher que le sol ne fut envahi. la loi ou l’acte d’autorite´ par lequel le gouvernement obligeroit les citoyens a` porter la guerre chez un autre peuple, qu’il soupconeroit de me´diter lui meˆme une attaque, seroit une loi ou un acte d’autorite´ spe´culatif. car le gouvernement n’agirait pas d’apre´s un fait, contre une action comise, mais d’apre´s une spe´culation, contre une action pre´sume´e. aussi dans le premier cas, l’autorite´ du gouvernement seroit-elle borne´e ; car le gouverneV: 1 franchit ces limites ] 〈veut s’e´tendre a` tout〉 franchit ces limites corr. a. dans l’interl. sup. L 2 dans ] 〈Il〉 dans P

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velles fonctions soient remplies, plus difficile qu’elles le soient bien, et plus dangereux qu’elles le soient mal. Elles n’ont pas la meˆme sanction que les fonctions ne´cessaires. On ne peut alle´guer en leur faveur que l’utilite´. Or cette utilite´ ne repose que sur la supe´riorite´ pre´sume´e des gouvernans sur les gouverne´s. Quand nous n’aurions prouve´ autre chose, sinon que cette supe´riorite´ est douteuse, ce serait, ce me semble, une objection sans replique contre ces fonctions. La terminologie a e´te´ la source de la plupart des ide´es fausses. Les verbes impersonnels ont trompe´ les e´crivains politiques. Ils ont cru dire quelque chose, en disant, il faut diriger l’opinion des hommes. On ne doit pas abandonner les hommes aux divagations de leur esprit. Il faut influer sur la pense´e. Il y a des opinions dont on peut tirer utilement parti pour tromper les hommes. Mais ces mots, il faut, on doit, on ne doit pas ne se rapportent-ils pas a` des hommes ? On croiroit qu’il est question d’une espe`ce diffe´rente. Cependant toutes ces phrases qui nous en imposent, se re´duisent a` dire : Les hommes doivent diriger les opinions des hommes. Les hommes ne doivent pas abandonner les hommes a` leurs propres divagations. Il y a des opinions dont les hommes peuvent tirer parti pour tromper les hommes. Les verbes impersonnels semblent avoir persuade´ a` nos philosophes qu’il y avait autre chose que des hommes dans les gouvernans. L’on peut re´pondre a` ceux qui veulent soumettre l’intelligence du grand nombre a` celle de quelques-uns, ce qu’un Romain ce´le`bre disait a` son fils qui lui proposait de prendre une ville en sacrifiant trois cens soldats1. Voudrais-tu bien eˆtre un de ces trois cens ? et encore faudrait-il ajouter : il n’est pas sur que la ville sera prise.

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ment ne pourrait agir contre un fait, si ce fait n’existoit pas. Dans le second, au contraire, l’autorite´ du Gouvernement seroit sans limites, la spe´culation e´tant toujours a` la discre´tion du gouvernement. Une autre diffe´rence entre les fonctions positives et les fonctions spe´culatives, c’est que, lorsque le gouvernement se borne aux premie`res, il ne peut se tromper : mais lorsqu’il s’arroge les secondes Il s’expose a` tous les genres d’erreurs. Quand l’autorite´ fait une loi contre l’assassinat ou le vol, come elle ne fait que se´vir contre des actions de´termine´es, elle ne peut s’e´garer. mais si l’autorite´ fait des loix pour empeˆcher la De´cadence du Comerce ou la stagnation de l’Industrie, elle court [le] risque de prendre pour des moyens d’encouragement ce qui n’en est pas. Une loi contre le vol ou l’assassinat peut eˆtre plus ou moins parfaite, et par la` meˆme atteindre plus ou moins son but. mais il est impossible qu’elle aille tout a` fait contre ce but. une loi pour encourager le Comerce peut de´truire le Comerce. une loi pour favoriser l’industrie peut la contrarier. Il y a donc dans les fonctions spe´culatives du gouvernement un inconve´nient double. n’e´tant point susceptibles de limitation, elles livrent tout a` l’arbitraire. Obligeant le gouvernement a` agir sur des suppositions, elles multiplient les chances d’erreur. TR: 8–19 Les verbes ... gouvernans. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 40. 1

Personnage et anecdote non identifie´s.

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Chapitre 4e Les erreurs des gouvernemens sont elles moins dangereuses que celles des individus ?

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Les gouvernans e´tant expose´s a` l’erreur comme les individus, il faut examiner maintenant si les erreurs des gouvernemens sont moins dangereuses que celles des particuliers. Car l’on pourrait se retrancher a` dire que l’erreur e´tant ine´vitable, il vaut mieux que l’autorite´ se trompe, et que les individus lui obe´issent. Ce serait en quelque sorte donner au gouvernement un plein pouvoir de se tromper a` notre place. Mais les erreurs des gouvernemens ont des inconve´niens d’une triple espe`ce. Elles font d’abord un mal positif par le vice meˆme de leur principe. Mais en second lieu, les hommes e´tant force´s de s’y re´signer, y plient leurs interets et leurs habitudes : et quand l’erreur est reconnue, il est presqu’aussi funeste de la de´truire que de la laisser subsister. L’autorite´ frappe´e tantot du danger de perse´ve´rer dans un systeˆme de´fectueux, tantot du danger de renoncer a` ce systeˆme, suit une marche incertaine et vacillante, et vexe dans un double sens. Enfin, lorsque l’erreur s’e´croule, de nouveaux malheurs re´sultent du renversement des calculs et du froissement des usages. Les particuliers peuvent aussi se tromper sans doute : mais plusieurs diffe´rences essentielles rendent leurs erreurs beaucoup moins funestes que celles de l’autorite´. Si les individus s’e´garent, les loix sont la` pour les re´primer. Mais si l’autorite´ se trompe, ses erreurs se fortifient de toute la force des loix. Ainsi les erreurs de l’autorite´ sont ge´ne´rales, et condamnent les individus a` l’obeissance. Les meprises de l’intereˆt particulier sont individuelles. L’erreur de l’un n’influe en rien sur la conduite d’un autre. Lorsque l’autorite´ reste neutre, toute erreur e´tant pre´judiciable a` celui qui la commet, la nature a donne´ a` chacun deux guides, l’intereˆt et l’expe´rience. S’il se trompe dans son intereˆt, il s’e´clairera alors par ses propres pertes ; quel motif de persistance aurait-il ? Tout se passe de lui a` lui meˆme ; il peut, sans que personne le remarque ou lui en impose, reculer, avancer, changer de route, se corriger enfin librement a. La situation a

[Add.] La Nature a donne´ a` nos erreurs deux grands correctifs, l’interet et l’expe´rience. si

V: 1 Chapitre 4e ] Chapitre 4 L 10 des inconve´niens ] des 〈erreurs d’〉 inconve´niens L 18 usages ] 〈habitudes〉 usages corr. a. L 25 e´tant ] est L 26 commet, la ] commet. 〈Chacun〉 La nature L 29 en impose ] 〈en〉 impose P en impose L 31 La nature ... s’e´clairera ] 〈chacun〉 la nature ... son interet, il passage ajoute´ dans la col. gauche s’e´clairera terminaison du futur ajoute´e apre`s coup L 18TR: 9–14 Mais les ... subsister. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 68–69. p. 169.13 Les particuliers ... gouvernans. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 69–70.

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4, Les erreurs des gouvernemens moins dangereuses que celles des individus ?

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d’un gouvernement est pre´cise´ment inverse. Plus e´loigne´ des conse´quences de ses mesures, et n’en e´prouvant pas les effets d’une manie`re aussi imme´diate, il de´couvre plus tard sa me´prise ; quand il la de´couvre, il se trouve en pre´sence d’observateurs ennemis. Il a raison de craindre de se de´conside´rer 1, fo 128vo en se corrigeant. Entre le moment ou ` l’autorite´ de´vie de la bonne route, et le moment ou` elle s’en apperc¸oit, beaucoup de tems s’e´coule : mais entre ce dernier moment et celui ou` elle revient sur ses pas, il s’e´coule plus de tems encore ; et l’action meˆme de revenir sur ses pas n’est point sans danger. Toutes les fois donc qu’il n’y a pas ne´cessite´, c’est a` dire toutes les fois qu’il n’est pas question de la punition des crimes ou de la re´sistance aux invasions e´trange`res, il vaut mieux se livrer a` la chance naturelle de l’erreur des particuliers a, que courir le risque non moins probable de celle des gouvernans. Le droit dont je suis le plus jaloux, disait je ne sais quel philosophe1, c’est celui de me tromper. Il avait raison. Si les hommes permet-

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l’interet se trompe, il s’e´clairera par ses pertes meˆmes. Il sera bien mieux garanti, par ce qu’il aura souffert que par des prohibitions dont la ne´cessite´ ne lui sera jamais de´montre´e, dont l’utilite´ n’existera que dans la pre´voyance de l’autorite´, et dans lesquelles l’interet particulier ne verra jamais un preservatif, mais une entrave. [Add.] tout ce que l’homme fait pour lui meˆme, dit Godwin Political Justice VI. ch. 8 est un bien. tout ce que ses concitoyens ou son pays entreprennent de faire pour lui, contre son consentement est un mal2. Godwin a raison, et c’est un mal sous plusieurs rapports. 1o. il y a violation des droits de chacun. la justice veut que tout homme soit juge de ce qui constitue son bonheur. Lorsque vous portez atteinte a` ce droit individuel, eussiez-vous mille fois raison dans la circonstance particulie`re, vous foulez aux pieds un principe ge´ne´ral, qui ne peut eˆtre renverse´ sans les inconve´niens les plus e´tendus et les plus graves. mais 2o. il est tre`s douteux que, meˆme dans la circonstance particulie`re, vous aı¨ez raison. Vous eˆtes sujet a` l’erreur, tout autant que l’homme dont vous pre´tendez connoˆitre l’interet mieux que lui meˆme. vous eˆtes, sur cette matie`re beaucoup plus sujet a` l’erreur que lui, car il est bien plus au fait de l’ensemble de son existence que vous qui n’en apercevez qu’un cote´, et a` qui cet

V: 5 de la bonne route ] mots ajoute´s dans l’interl. sup., corr. a. L 14-p. 170.3 Si les hommes ... individus. ] 〈Sans ce droit il n’existe ni inde´pendance d’opinion, ni possibilite´ de liberte´ individuelle.〉 Si les hommes ... individus. passage ajoute´ a` la fin, corr. a. L 1

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La remarque sur le privile`ge de´fendu avec jalousie par un philosophe anonyme revient, sous forme d’une note a` pre´voir, dans les additions du manuscrit de Lausanne : «Un des droits dont les hommes sont les plus jaloux et a` juste titre, c’est le droit de se tromper. S’ils permettent a` l’autorite´ de leur enlever ce droit, ils n’auront plus aucune liberte´ individuelle, et ils ne seront point par ce sacrifice a` l’abri de l’erreur. l’autorite´ substituera les siennes a` celle des individus et nous avons montre´ ailleurs que les erreurs de l’autorite´ sont bien plus dangereuses.» Cette note est dite eˆtre «employe´e», et elle l’e´tait effectivement, comme le de´montre le passage ci-dessus. La feuille qui porte cette note est donc ante´rieure a` la copie du texte du ms. de Lausanne. Reste a` savoir qui est le philosophe dont parle BC ici. On ne le sait pas. Hofmann (p. 76, n. 23) propose d’y reconnaıˆtre BC lui-meˆme. C’est une hypothe`se possible. Voir OCBC, Œuvres, t. II/1, p. 319. BC ne cite pas litte´ralement, mais re´sume le raisonnement de Godwin.

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tent a` l’autorite´ de leur enlever ce droit, ils n’auront plus aucune liberte´ individuelle, et ce sacrifice ne les mettra point a` l’abri de l’erreur, puisque l’autorite´ ne fera que substituer les siennes a` celles des individus.

apercu partiel et incomplet peut sugge´rer des notions tre`s fausses. enfin, 3o., rien n’est avantageux que par la suite, la persistance, l’accord et la dure´e. or ce que vous faites pour un home malgre´ lui, il le de´fera. il travaillera avec le reste de sa liberte´ a` de´truire l’ouvrage que vous e´levez aux de´pens d’une partie de sa liberte´. Il n’y aura donc ni ensemble, ni suite, ni persistance : il y aura lutte. Si vous avez raison, et que ce soit effectivement pour les interets de cet home que vous lui fassiez violence, savez vous ce qui en re´sultera ? c’est que vous le de´tacherez de son interet : et il n’aura pas tort de s’en de´tacher. car l’interet de son inde´pendance est beaucoup plus important a` son bonheur que l’interet particulier au nom duquel vous pre´tendez l’asservir. S’il vous ce´doit dans cette circonstance, dans laquelle vous avez raison, vous exigeriez la meˆme soumission dans une autre circonstance, ou peut eˆtre vous auriez tort. Il est donc de son interet durable de vous re´sister, meˆme quand vous agissez pour son interet momentane´.

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Chapitre 5e De la nature des moyens que l’autorite´ sociale peut employer sous le pre´texte de l’utilite´.

Nous arrivons a` l’examen de la troisie`me question. Les moyens qui sont entre les mains des gouvernemens, ne produisent-ils pas, lorsqu’ils sont employe´s sous le vague pre´texte de l’utilite´, un mal supe´rieur au bien que les gouvernemens se proposent d’atteindre ? Toutes les faculte´s humaines sont susceptibles d’abus. Mais lorsqu’on fixe ses regards sur les abus de ces faculte´s, et qu’on se persuade facilement qu’il est bon de les restreindre, ou lorsqu’on pense que l’autorite´ doit contraindre l’homme a` faire de ces faculte´s le meilleur emploi possible, on envisage la question sous un point de vue tre`s incomplet. Il ne faut jamais oublier ce qui re´sulte des restrictions mises a` ces faculte´s. La the´orie de l’autorite´ se compose de deux termes de comparaison, utilite´ du but, nature des moyens. Si l’on ne conside`re que le premier de ces termes, on se trompe. Car on ne fait pas entrer en ligne de compte la pression que ces moyens exercent, les obstacles qu’ils rencontrent, et par conse´quent le danger et le malheur des frottemens. On peut alors faire un 1, fo 129vo grand e´talage des avantages que l’on se propose d’obtenir. Tant que l’on de´crit ces avantages, on trouve le but merveilleux et le systeˆme inattaquable. Il n’existe aucun despotisme dans le monde, quelqu’inepte qu’il soit dans ses plans, et quelqu’oppressif dans ses mesures, qui ne sache alle´guer un but abstrait, plausible et desirable. Mais si ce but est impossible a` atteindre, ou si l’on ne peut y arriver que par des moyens qui fassent un mal V: 1 Chapitre 5e ] Chapitre 5 L 5 question. ] BC pre´voit pour ce chapitre une note difficile a` placer a` son endroit l’action inde´finie du gouvernement e´tablit une lutte fatale entre la le´gislateur et le citoyen. les volonte´s individuelles s’irritent de rencontrer partout une volonte´ ge´ne´rale qui pre´tend les comprimer. les loix promulgue´es sous le pre´texte de l’utilite´ restent sans exe´cution. le le´gislateur dans son courroux appelle les loix pe´nales. Car il veut de´fendre son ouvrage, come le citoyen de´fend sa liberte´. Il avait commence´ par exhorter, par instruire, il finit par frapper. se disant plus e´claire´ que nous sur nos propres interets, et travestissant nos doutes en crimes, il invoque l’injustice au secours de sa pre´somption. le voila` lance´ dans une carrie`re qui n’a point de terme. une loi de´sobe´ie en appelle une plus rigoureuse. Cette seconde inexe´cute´e en ne´cessite une plus se´ve`re encore. cette progression ne peut s’arreˆter. 17 Car on ] Car l’on L TR: 15-p. 172.2 La the´orie ... vexations. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 148, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1051.

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plus grand que le bien auquel on aspire, l’on aura prodigue´ envain beaucoup d’e´loquence, on se sera soumis gratuitement a` beaucoup de vexations. Cette observation nous dirigera dans cet ouvrage. Nous nous attacherons principalement a` de´terminer l’effet des moyens que l’autorite´ sociale peut employer dans l’exercice des attributions qu’elle s’arroge, sous le pre´texte de l’utilite´. Nous finirons par examiner jusqu’a` quel point les exemples que nous fournissent les nations anciennes, sont applicables aux peuples modernes, aux habitudes, aux mœurs, a` la nature morale en un mot des socie´te´s de nos jours[.] Les moyens que l’autorite´ peut employer, sont de deux espe`ces. Les loix prohibitives ou coe¨rcitives, et les actes que l’on appe`le mesures de police 1, fo 130ro dans les circonstances ordinaires, coups d’e´tat dans les circonstances extraordinaires. Plusieurs e´crivains attribuent a` l’autorite´ des moyens d’une troisie`me espe`ce. Ils nous parlent sans cesse d’une action douce, adroite, indirecte sur l’opinion. Cre´er l’opinion, re´ge´ne´rer l’opinion, e´clairer l’opinion sont des mots que nous rencontrons a` chaque page, comme attributions du gouvernement, dans toutes les brochures, dans tous les livres, dans tous les projets de politique ; et durant la re´volution franc¸aise nous les rencontrions dans tous les actes d’autorite´. Mais une circonstance m’a paru toujours embarrassante dans ce systeˆme. J’ai toujours vu que toutes les mesures de gouvernement, destine´es a` ce genre d’influence, aboutissaient a` des peines prononce´es contre ceux qui s’y de´robaient. A l’exception des proclamations qui sont en conse´quence regarde´es comme des choses de pure forme, l’autorite´, lorsqu’elle commence par des conseils, finit toujours par des menaces. En effet, comme le disait tre`s bien Mirabeau, tout ce qui tient a` la pense´e, a` l’opinion est individuel1. Ce n’est jamais en sa qualite´ de gouvernement, qu’un gouvernement persuade. Il ne peut, en cette qualite´, que commander ou punir. Je ne place donc point parmi les moyens re´els de l’autorite´, ces tentatives amphibies qui ne sont pour elle qu’un de´guisement qu’elle ne tarde pas a` de´poser comme inutile et comme incommode. Je reviendrai sur ce sujet dans un chapitre particulier a` la fin de cet ouvrage2. 1, fo 130vo Ici, je me borne a` examiner les deux moyens qui sont ve´ritablement a` la disposition de l’autorite´. Les Etats populaires, lorsqu’ils sont tranquilles, sont prodigues de loix prohibitives et coercitives : lorsqu’ils sont agite´s, ils ne sont pas moins prodigues de coups d’Etat. Cette forme de gouvernement a ce danger, que les hommes qui arrivent a` la teˆte des affaires, n’ont pas l’habitude de gou-

V: 3 Cette observation ] Cette 〈seconde〉 observationL 1 2

Allusion non e´lucide´e. Voir ci-dessous, pp. 468–473. Hofmann (p. 78, n. 26) remarque a` cette occasion que le plan de l’ouvrage n’est pas encore bien arreˆte´.

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verner et ne savent pas tourner les obstacles. a` chaque difficulte´ qu’ils rencontrent, ils croyent la violence ne´cessaire. Ils suspendent les loix, renversent les formes, et crient beˆtement qu’ils ont sauve´ la patrie. Mais c’est une patrie bientot perdue, qu’une patrie sauve´e ainsi chaque jour. Les Etats monarchiques, a` moins qu’ils ne soient re´gis tre`s stupidement, se bornent d’ordinaire aux mesures de police, mais en font un ample usage. On peut dire que la multiplicite´ des loix est la maladie des Etats qui se pre´tendent libres, parce que dans ces Etats on exige que l’autorite´ fasse tout par les loix. Nous avons vu nos de´magogues, apre`s avoir foule´ aux pieds toutes les notions de justice et toutes les loix naturelles et civiles, se re1, fo 131ro mettre tranquillement a` faire ce qu’ils appelaient des loix a. On peut dire que l’absence des loix, les mesures de police, les actes arbitraires sont la maladie des gouvernemens qui n’ont pas la pre´tention d’etre libres, parce que dans ces gouvernemens l’autorite´ fait tout par les hommes. C’est pour cette raison qu’en ge´ne´ral, il y a moins d’inde´pendance individuelle dans les Re´publiques, moins de se´curite´ personnelle dans les monarchies. Je parle de ces deux e´tats institue´s re´gulierement. Car dans les Re´publiques gouverne´es par des factions, ou dans les monarchies mal constitue´es ou mal affermies, les deux inconve´niens se re´unissent. Nous allons rechercher en premier lieu les effets de la Multiplicite´ des loix sur le bonheur et la morale des individus. On trouvera peut-eˆtre que c’est cette imprudente multiplicite´ qui a` de certaines e´poques, a jette´ de la de´faveur sur ce qu’il y a de plus noble au monde, sur la liberte´, et fait chercher un refuge dans ce qu’il y a de plus mise´rable et de plus bas, dans la servitude. Nous traiterons ensuite des effets qu’entrainent e´galement sur la morale et sur le bonheur des citoyens, les mesures arbitraires. Le lecteur alors pourra comparer les moyens que l’autorite´ sociale em1, fo 131vo ploye lorsqu’elle franchit les bornes indispensables, avec le but qu’elle doit se proposer, examiner si elle atteint ce but, et juger enfin si ce but, fut il atteint, est une indemnite´ suffisante pour le re´sultat moral des moyens mis en usage pour y parvenir.

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[Add.] nous avons vu mieux encore : nous avons vu nos assemble´es le´gislatives oublier les loix qu’elles avoient faites et les faire une seconde fois.

TR: 12–15 On peut dire ... hommes. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 24, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 975. 22–26 On trouvera ... servitude. ]  Principes de politique (1815), 3, p. 60, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 708.

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Livre

IVe˙

De la Multiplicite´ des loix

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 132ro–138vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 37vo– 39vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 113ro–128ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fos 22ro–26vo [=LA].

3. Première page du premier chapitre du livre IV des Principes de politique, Œuvres manuscritesW,%Q)1$)IƒUƒ&RSLHG¶$XGRXLQ/D¿QG¶XQFKDpitre est dans ce manuscrit toujours signalée par un long trait centré.

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Chapitre 1er Causes naturelles de la multiplicite´ des loix.

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La multiplicite´ des loix flatte dans le le´gislateur deux penchans naturels a` l’homme, le besoin d’agir, et le plaisir qu’il trouve a` se croire ne´cessaire. Toutes les fois que vous donnez a` un homme une vocation spe´ciale, il fait plutot plus que moins. Ceux qui sont charge´s d’arreˆter les vagabonds sur les grandes routes, sont tente´s de chercher querelle a` tous les voyageurs. Lorsque les espions n’ont rien de´couvert, ils inventent. L’on a remarque´ qu’il suffisait de cre´er dans un paı¨s un ministe`re qui surveillaˆt les conspirateurs, pourqu’on entendit parler sans cesse de conspirations. Les gouvernans veulent toujours gouverner ; et lorsque par la division des pouvoirs une classe de gouvernans est charge´e de faire des loix, elle s’imagine n’en pouvoir trop faire. Les le´gislateurs se partagent l’existence humaine, par droit de conqueˆte, comme les ge´ne´raux d’Alexandre se partageaient le monde. [Addition] o

7, f 37v

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L’on a de´fini les Loix l’expression de la volonte´ ge´ne´rale. c’est une de´finition tre`s fausse1. les Loix sont la de´claration des relations des homes V: 1 Chapitre ] 〈Causes n〉 Chapitre P 3 loix ... deux ] loix 〈resulte de〉 flatte das le le´gislateur deux L 4 ne´cessaire. ] BC pre´voit de placer une note au chapitre premier sans donner d’indication concernant son emplacement 〈illis. 〉 vous n’avez, dit l’abbe´ Galiani, p. 250. jamais lie´ dans votre vie quelque chose que ce soit, avec de la ficelle ou du fil, sans donner un tour de trop ou sans faire un nœud de plus. Il est dans notre instinct, dans le petit comme dans le grand, de de´passer toujours la mesure naturelle, suivant l’impulsion de notre intention. 〈il faut〉 j’en conclus qu’il faut lier le moins qu’il est possible. L 6 qui sont ] qui 〈sur les grandes routes〉 sont L 7 lorsque ] 〈Les espio〉 lorsque L 9 remarque´ qu’il ] remarque´ 〈de cre´er〉 qu’il L qui ] 〈pour surv〉 qui L TR: 3–10 La multiplicite´ ... conspirations. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, pp. 24–25, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 975 ;  Principes de politique (1815), 3, pp. 59–60, OCBC, Œuvres, IX, 2, pp. 707–708. 14–15 Les le´gislateurs ... monde. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 25, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 975 ;  Principes de politique (1815), 3, p. 60, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 708. 17-p. 178.19 L’on a de´fini ... de ces Loix. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 52–53. 1

BC a de´ja` re´fute´ cette de´finition dans le livre II, chap. 2, de son traite´. Voir ci-dessus, p. 137, n. 2.

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entr’eux. du moment ou la socie´te´ existe, Il s’e´tablit entre les hommes de certaines relations ; ces relations sont conformes a` leur Nature, car si elles n’e´toient pas conformes a` leur nature, elles ne s’e´tabliroient pas. les Loix ne sont autre chose que ces relations observe´es et exprime´es. elles ne sont pas la cause de ces relations, qui, au contraire, leur sont ante´rieures, elles declarent que ces relations existent. elles sont la de´claration d’un fait. elles ne cre´ent, ne de´terminent, n’instituent rien, sinon des formes pour garantir ce qui existoit avant leur institution. Il s’ensuit qu’aucun homme, aucune fraction de la socie´te´, ni meˆme a` proprement parler, la socie´te´ entie`re ne peut, a` proprement parler, et dans un sens absolu, s’attribuer le droit de faire des loix. les Loix, n’etant que l’expression des relations qui existent entre les hommes, et ces relations e´tant de´termine´es par leur nature, faire une loi nouvelle, c’est seulement une de´claration nouvelle de ce qui existoit pre´ce´demment. La Loi n’est point a` la disposition du Le´gislateur. elle n’est point son œuvre spontane´e. le Le´gislateur est pour l’ordre social ce que le Physicien est pour la nature. Newton lui meˆme n’a pu que l’observer, et nous de´clarer les loix qu’il reconoissoit ou croı¨oit reconnoˆitre. Il ne s’imaginoit pas sans doute qu’il fut le cre´ateur de ces Loix. Une chose rend les gouvernemens excusables, quant a` la Multiplicite´ des Loix; c’est que tout le monde les y sollicite. un homme concoit-il un nouveau projet ? vite il implore l’autorite´. les hommes les plus amis de la liberte´ ne sont pas exempts de cette erreur. Les e´conomistes &ca.

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179 1, fo 132vo

1, fo 133ro

Chapitre 2e Ide´e qu’on se forme d’ordinaire de l’effet de la multiplicite´ des loix, et faussete´ de cette ide´e.

L’on imagine d’ordinaire que, lorsque l’autorite´ se permet de multiplier a` volonte´ les loix prohibitives et coe¨rcitives, pourvu que l’intention du le´gislateur soit clairement exprime´e, pourvu que les loix n’ayent point un effet re´troactif, pourvu que les citoyens soient informe´s a` tems de la re`gle de conduite qu’ils doivent suivre, la multiplicite´ des loix n’a d’autre inconve´nient que de geˆner un peu la liberte´ des individus. Il n’est pas ainsi. La multiplicite´ des loix, dans les circonstances meˆme les plus ordinaires, a l’inconve´nient de fausser la morale des individus. Les actions qui sont de la compe´tence de l’autorite´, selon sa destination premie`re, sont de deux espe`ces : actions nuisibles par leur nature, l’autorite´ doit les punir : engagemens contracte´s par les individus entr’eux, l’autorite´ doit en commander l’exe´cution. Aussi longtems qu’elle reste dans ces bornes, elle n’e´tablit aucune contradiction, aucune diffe´rence entre la morale le´gislative, et la morale naturelle. Mais lorsqu’elle prohibe des actions qui ne sont point criminelles, ou qu’elle en ordonne qui ne sont point devenues obligatoires par des engagemens ante´rieurs, et qui n’ont par conse´quent que sa volonte´ pour origine, il s’introduit dans la socie´te´ deux espe`ces de crimes, et deux espe`ces de devoirs, ceux qui sont tels par leur nature, et ceux que l’autorite´ de´clare tels. Il en re´sulte, soit que les individus soumettent leur jugement a` l’autorite´, soit qu’ils le maintiennent dans sa primitive inde´pendance, des effets e´galement desastreux. Dans la premie`re hypothe`se, la morale devient vacillante et versatile. Les actions ne sont plus bonnes ou mauvaises en raison du bien ou du mal qu’elles produisent, mais selon que la loi les ordonne ou les de´fend. Ainsi la the´ologie repre´sentait les actions comme vertueuses, parce qu’elles plaisaient a` Dieu, et non comme agre´ables a` Dieu, parce qu’elles e´taient vertueuses. La re`gle du juste et de l’injuste n’est plus dans la conscience de l’homme, mais dans la volonte´ du le´gislateur : et V: 9 individu. ] BC pre´voit de placer une note au second chapitre sans donner d’indication concernant son emplacement. En re´digeant son texte il ajoute : a` placer plus loin. Marche ordinaire des gouvernemens. Ils commencent a` faire du mal. Ils s’en apperc¸oivent. au lieu de faire cesser alors le mal qu’ils ont fait, en en e´cartant la cause, et en revenant a` une inactivite´ salutaire, Ils accumulent divers modes d’activite´ en sens oppose´, et produisent, imparfaitement et avec une douleur, par deux pressions contraires, ce qui aurait existe´ naturellement d’une manie`re plus comple`te et sans douleur par la seule liberte´. L 23 inde´pendance ] 〈d’〉inde´pendance P

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Principes de politique

la moralite´, le sentiment inte´rieur e´prouvent une de´gradation incalculable par cette de´pendance d’une chose e´trange`re, accessoire, factice, variable, susceptible d’erreur et de perversion. Dans l’hypothe`se contraire, en supposant que l’homme se mette en opposition avec la loi, il en re´sulte d’abord beaucoup de malheurs individuels pour lui et pour ceux dont le sort de´pend du sien. Mais en second lieu, s’arreˆtera-t-il long tems a` contester la com1, fo 133vo pe´tence de la loi sur les actions qu’il conside`re comme indiffe´rentes ? En violant des prohibitions ou des commandemens qui lui semblent arbitraires, il court les meˆmes dangers qu’en enfreignant les re`gles de la morale e´ternelle. Cette injuste parite´ dans les conse´quences n’entrainera-t-elle pas la confusion de toutes ses ide´es ? Ses doutes ne se porteront ils pas indistinctement sur toutes les actions que la loi re´prouve ou commande, et dans le trouble de sa lutte pe´rilleuse contre des institutions menac¸antes, n’est-il pas a` craindre que bientot il ne discerne plus le bien d’avec le mal, ni la loi d’avec la nature a ? Ce qui pre´serve du crime la majorite´ des hommes, c’est le sentiment de n’avoir jamais franchi la ligne de l’innocence. Plus on resserre cette ligne, plus on expose les hommes a` la transgresser, quelque le´ge`re que soit l’infraction. Par cela seul qu’ils ont vaincu le premier scrupule, ils ont perdu leur sauvegarde la plus assure´e. Ils employent pour e´luder les interdictions qui leur semblent inutiles, des moyens qui pourraient leur servir contre les o o 1, f 134r loix les plus saintes. Ils se forment de la sorte a` la de´sobe´issance, et lors meˆme que leur but est innocent encore, ils se pervertissent par la route qu’ils sont oblige´s de prendre pour y parvenir. Forcer les hommes a` s’abstenir de ce qui n’est pas re´prouve´ par la morale, ou leur imposer des devoirs qui ne leur sont pas commande´s par elle, c’est donc non seulement les faire souffrir, mais les de´praver. a

Esp. des loix XXIV. 14. Les loix qui font regarder comme ne´cessaire ce qui est indiffe´rent, ont cet inconve´nient qu’elles font conside´rer comme indiffe´rent ce qui est ne´cessaire1.

V: 2 e´trange`re ] 〈d’〉e´trange`re P

9 re`gles de ] re`gles 〈e´ternelles〉 de P

TR: 16–19 Ce qui pre´serve ... plus assure´e. ]  De la liberte´ des brochures, pp. 32–33, OCBC, Œuvres, IX/1, p. 86 en note.

1

Citation conforme d’une phrase qu’on trouve dans l’Esprit des lois, dans le chapitre qui parle du rapport de certaines ide´es religieuses avec les lois civiles. BC utilise cette meˆme citation a` plusieurs reprises. Voir p. ex. la premie`re lecture sur la religion a` l’Athe´ne´e royal (OCBC, Œuvres, t. XI, a` paraıˆtre).

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IV,

2, Ide´e qu’on se forme de l’effet de la multiplicite´ des loix

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[Addition] 7, fo 38ro

Les Institutions complique´es du Gouvernement et de la Le´gislation ont cre´e´ un tel nombre de relations factices entre les hommes, qu’il n’y a plus de place pour leur ve´ritable nature. leur existence morale, leur volonte´, leur jugement se trouvent e´touffe´s sous leur existence civile, politique, et le´gale, existence sinon contraire a` la premie´re du moins tout autrement modifie´e. l’on a fait pour la vie entie`re de l’homme, ce qu’avoient fait les constitutions pour les assemble´es primaires. l’on a re´dige´ des proce`s verbaux a` l’avance, dans lesquels on n’a laisse´ en blanc que le nom et la date, et d’apre`s lesquels l’espe`ce humaine se re´signe docilement a` calquer toutes ses actions. Les hommes aujourdhui ne tiennent rien d’eux meˆmes. pour les actions intimes, Il y a des dogmes religieux positifs. pour les actions exte´rieures, Il y a la loi, ce qui fait que lorsque la loi ou la religion s’e´croule, les hommes n’ont plus de guide, et ne savent plus ce qu’ils doivent faire. Je lis dans la de´claration des droits : nul n’est homme de bien, s’il n’est strictement et rigoureusement observateur des loix1. cela veut-il dire, que si je suis bon fils, bon e´poux, bon pe`re, bon ami, mais que j’oublie ou que je transgresse l’une des 32 mille loix qui composent notre code, je ne serai pas homme de bien ? j’aperc¸ois dans cette doctrine une morale tout aussi factice que celle des Fakirs de l’Inde, qui attachent de la vertu ou du crime a` l’observance ou l’inobservance d’une foule de pratiques sans utilite´ ou sans danger2.

1

2

BC renvoie ici, comme le dit Hofmann (p. 532, n. 39 et 40), a` deux articles de la De´claration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen a` la teˆte de la Constitution du 5 fructidor an III (22 aouˆt 1795) : «Nul n’est homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois» (art. 5) et «Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon pe`re, bon ami, bon e´poux» (art. 4). Une des nombreuses re´miniscences des lectures de BC pour son ouvrage sur la religion. La source n’est pas identifie´e.

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Principes de politique

Chapitre 3e Que le principal avantage que cherchent dans la multiplicite´ des loix les partisans des gouvernemens populaires, n’existe pas en re´alite´.

1, fo 134vo

Nous avons dit que la multiplicite´ des loix e´tait la maladie des Etats pre´tendus libres. Les amis des gouvernemens populaires recourent a` un argument spe´cieux pour les justifier. Il vaut mieux, disent-ils, obe´ir aux loix qu’aux hommes : Il faut que la loi commande, pourque les hommes ne commandent pas. Nul doute, lorsqu’il s’agit d’obe´ir et quand il faut que quelqu’un commande. Mais sur mille objets, les hommes et la loi doivent se taire. Sur mille objets, il ne faut obe´ir ni aux hommes ni aux loix. C’est d’ailleurs a` tort qu’on espe`re que la multiplicite´ des loix pre´servera de la tyrannie des hommes. En multipliant les loix, vous multipliez ne´cessairement les agens de l’autorite´. Vous donnez par conse´quent a` un plus grand nombre d’hommes du pouvoir sur leurs semblables. Vous doublez ainsi les chances de l’arbitraire. Car quelles que pre´cises soient ces loix, il y a toujours possibilite´ d’arbitraire, ne fut ce que dans l’exactitude plus ou 1, fo 135ro moins se´ve`re de l’exe´cution. De plus toute loi e´crite est susceptible d’eˆtre e´lude´e. Envain le le´gislateur veut y pourvoir par des pre´cautions menac¸antes ou des formalite´s minutieuses. Son attente est toujours trompe´e. Dans ce de´fi que soutient chaque individu contre les loix, les actions se diversifient a` l’infini. Une lutte fatale commence entre le le´gislateur et le citoyen. Les volonte´s individuelles s’irritent de rencontrer partout une volonte´ ge´ne´rale qui pre´tend les comprimer. La loi se subdivise, se complique, se multiplie vainement. Les actions parviennent toujours a` se de´rober a` sa poursuite. Le le´gislateur veut de´fendre son ouvrage, comme le citoyen de´fend sa liberte´. Une loi de´sobe´ie en appe`le une plus rigoureuse. Cette seconde inexe´cute´e en ne´cessite une plus se´ve`re encore. Cette progression ne peut s’arreˆter. Enfin fatigue´ de tant d’efforts inutiles, le le´gislateur ne fait plus des loix pre´cises, parceque l’expe´rience l’a convaincu qu’il est trop aise´ de leur e´chapper, quelques se´ve`res qu’elles puissent eˆtre. Il fait des loix vagues et de la sorte la tyrannie des hommes est en dernie`re analyse le re´sultat de la multiplicite´ des loix. C’est ainsi que parmi nous, de pre´tendus republicains ont commence´ par des centaines de de´crets pue´rils, barbares et toujours inexe´cute´s contre les preˆ1, fo 135vo tres, et ont fini par confier a` cinq hommes le droit de de´porter les preˆtres sans jugement1. 1

Hofmann (p. 86, n. 6) explique la complexite´ de l’affaire ainsi : «Allusion d’abord aux lois du 20 fructidor an III (6 septembre 1795), du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) qui

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IV,

3, Que l’avantage de la multiplicite´ des loix n’existe pas

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[Addition] o

7, f 38r

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Plus une mesure de gouvernement est contraire a` la justice et a` la raison, plus elle entraine de de´sordres et de violences, et l’on motive alors sur ces de´sordres et sur ces violences la ne´cessite´ de cette mesure. Si, sous le pre´texte que la plupart des de´lits se commettent sur les grandes routes, et qu’en forc¸ant les citoyens a` rester enferme´s dans leurs maisons, l’on pre´viendrait ces de`lits, la loi leur intimoit l’ordre de ne pas sortir de leur domicile, et placoit partout des gardes pour arreˆter les contrevenans, les citoyens, condamne´s ou a` ne´gliger le soin de leurs interets, et a` interrompre leurs relations re´ciproques, ou a` de´sobe´ir a` la loi, prendroient probablement ce dernier parti. les gardes se pre´senteroient pour les arreˆter. Ils opposeroient de la re´sistance. les rixes, les menaces, les combats sur les grandes routes se multiplieroient plus que jamais, et le le´gislateur en concluroit a` la ne´cessite´ de la loi, premie`re cause de toutes ces calamite´s. Il prendroit l’effet pour la cause : c’est l’histoire de beaucoup de loix1. Souvent rencontrant mille obstacles a` l’exe´cution d’une loi, vous imaginez de lever ces obstacles par une loi nouvelle. cette loi nouvelle se trouve encore e´lude´e. vous y reme´diez par une troisie`me loi. Vous allez de la sorte jusqu’a` l’infini. si apre`s vous eˆtre e´puise´ en infructueuses tentatives, vous remontiez jusqu’a´ la premie`re loi, source fe´conde de tant de loix secondaires, et si vous essayiez de l’abroger, vous verriez la plupart du tems que tout en irait mieux, et vous parviendriez par cette suppression, non seulement a` vous de´livrer d’une loi mauvaise, mais de toute la se´rie de loix indispensables pour assurer, meˆme imparfaitement, l’exe´cution de votre premie`re loi. Vous n’avez dit l’abbe´ Gagliani2, p. 250. jamais lie´ dans votre vie quelque chose que ce soit avec de la ficelle ou du fil, sans donner un tour de trop, ou sans faire un nœud de plus. Il est dans notre instinct, dans le petit comme dans le grand, de de´passer toujours la mesure naturelle, suivant l’impulsion de notre intention. J’en conclus qu’il ne faut lier que le moins qu’il est possible.

1 2

pre´voyaient des mesures re´pressives contre les preˆtres re´fractaires, et a` celle du 7 vende´miaire an IV (29 sepembre 1795) qui obligeait le clerge´ a` reconnaıˆtre la souverainete´ du peuple ; ensuite a` la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797) qui autorisait effectivement le Directoire a` de´porter les preˆtres qui ne s’y soumettaient pas.» Voir Jean Boussolade, L’E´glise de Paris du 9 Thermidor au Concordat, Paris : Procure ge´ne´rale du Clerge´, 1950. J.R. Suratteau, «Le directoire avait-il une politique religieuse ?», Annales historiques de la Re´volution franc¸aise, 283, 1991, p. 79–82. Histoire du christianisme des origines a` nos jours, t. X, Deuxie`me partie, chap. 3, «L’impossible laı¨cite´ de l’E´tat re´publicain», pp. 428– 433. Voir ci-dessus, p. 156, n. 1. [Ferdinando Galiani], Dialogues sur le commerce des bleds, par l’abbe´ Galiani ; revus par Grimm et Diderot, Londres : s.e´d. (Paris : Merlin ?), 1770. La citation (discours du chevalier), pp. 249–250, est conforme, a` quelques de´tails insignifiants pre`s.

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Apre´s le tremblement de Terre de Lisbonne, le Marquis de Pombal1, pour empeˆcher le peuple de quitter en foule la ville, e´tablit un cordon de cavalerie sur les rives du Tage, et fit garder par de gros de´tachemens d’infanterie les rues qui aboutissoient a` la campagne. aucune secousse n’eut lieu, ce qui fit que ces pre´cautions n’eurent pas d’inconve´niens. mais si le Tremblement de Terre se fut renouvelle´, Il est clair que les obstacles mis a` la fuite du peuple auroient redouble´ le de´sespoir et les malheurs. car on eut combattu et contre les e´le´mens et contre les soldats.

1

[Gusta, Francesco] Me´moires de Se´bastien-Joseph de Carvalho et Melo, comte d’Oeyras, marquis de Pombal, Secre´taire d’E´tat et Premier Ministre du Roi de Portugal Joseph I, Bruxelles : B. Le Francq, 1784, t. I, p. 118. BC cite quelques lignes de ce texte tre`s critique a` l’e´gard du marquis de Pombal («[Il] e´tablit un cordon ... campagne.»), puis il re´sume les re´flexions de l’auteur sur cette mesure.

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185 1, fo 136ro

Chapitre 4e De la corruption que la multiplicite´ des loix introduit dans les agens de l’autorite´.

Un autre inconve´nient de la multiplicite´ des loix, c’est que ne´cessairement elles corrompent les agens charge´s de veiller a` ce qu’elles ne soient pas enfreintes ou e´lude´es. La loi n’a pas besoin de solder des de´lateurs pour assurer la poursuite et la punition des crimes. Les individus que ces crimes blessent, se chargent naturellement d’en demander re´paration. Mais quand les loix se multiplient, c’est un signe que l’autorite´ ne se renferme plus dans sa sphe`re primitive : et son action rencontre alors de nouveaux obstacles. Lorsque sous le pre´texte de l’utilite´, les loix se dirigent contre des actions qui par leur nature, ne sont pas des de´lits, nul n’a interet a` de´noncer des transgressions qui ne lui nuisent en rien. Il faut que l’autorite´ cre´e cet intereˆt : la corruption seule peut le cre´er. Ainsi l’autorite´ agissant hors de sa sphe`re, ne corrompt pas seulement d’une manie`re ge´ne´rale, comme nous l’avons de´montre´ plus haut, ceux sur qui elle agit ; elle corrompt plus par1, fo 136vo ticulierement ceux par qui elle agit. Les sbires, les espions, les de´lateurs sont aussi des hommes. Lorsque l’autorite´ les ache`te pour les pre´cipiter dans le dernier degre´ de la perversite´ et de l’infamie, c’est une portion de citoyens qu’elle voue a` la bassesse et au crime, et elle porte atteinte a` la morale du reste, en pre´sentant a` tous l’exemple du crime re´compense´. «Les de´positaires du pouvoir s’imaginent a` tort profiter seuls de la corruption de leurs agens. Les hommes qui se vendent au pouvoir contre les individus, se vendent de meˆme aux individus contre le pouvoir, et la de´pravation se communique a` toutes les classes.» Les loix prohibitives et coe¨rcitives sont des moyens d’une nature toujours dangereuse, et dont le danger s’accroit en raison de leur nombre et de leur complication. Les loix meˆmes dirige´es contre les crimes ne sont pas sans inconve´niens, mais elles sont le´gitime´es par leur urgente ne´cessite´. Devant la perspective assure´e de la dissolution de toute socie´te´, perspective qui resulterait de l’impunite´ des crimes, tout inconve´nient de de´tail doit eˆtre compte´ pour rien. Mais lorsqu’il n’est question que d’utilite´, c’est a` dire d’un calcul incertain et variable, quoi de plus absurde que de sacrifier a` ce calcul des avantages certains, le repos, le bonheur, la moralite´ des gouverne´s ?

V: 13 cre´e cet ] cre´e un L

17 ceux par ] ceux 〈par〉 par L

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186 1, fo 137ro

Principes de politique

Ces observations conservent la meˆme force sous toutes les formes de gouvernemens. Mais ils s’appliquent surtout aux gouvernemens qui se disent libres. De pre´tendus amis de la liberte´ se sont berce´s trop longtems de l’ide´e de dominer toutes les actions humaines, et de briser dans le cœur de l’homme tout ce qui contrariait leurs spe´culations, tout ce qui s’opposait a` leurs the´ories. Les loix de la liberte´, dit Rousseau, sont mille fois plus auste`res, que n’est dur le joug des tyrans1. Il n’est pas e´tonnant que ces ardens et maladroits apoˆtres aient fait de´tester la doctrine qu’ils prechaient ainsi. On aura beau dire : la condition la plus indispensable pour faire adopter aux hommes les principes de la liberte´ sera toujours, quoique l’on fasse, la jou¨issance de la liberte´.

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[Addition] o

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Lors meˆme que le gouvernement reste strictement dans les limites que sa destination lui prescrit, il corrompt toujours plus ou moins les instrumens qu’il employe. corrompre, c’est substituer aux conside´rations morales qui nous de´cideroient, si elles e´toient seules a` se faire entendre, des conside´rations d’une autre espe`ce. toute addition, ou tout changement dans les motifs qui doivent de´terminer les homes, toute menace, toute promesse, soit de re´compenses pe´cuniaires, soit de pouvoir est un genre de corruption. or ce genre de corruption est inse´parable du gouvernement, dans quelques limites e´troites que vous le renfermiez. Il lui faut des instrumens, qui quelquefois, exe´cutent sans examen, et obe´¨ıssent sans conviction. ces instrumens sont ne´cessairement corrompus. Si, aux fonctions naturelles dont il est reveˆtu, le gouvernement ajoute des fonctions qui ne lui appartiennent pas, comme celle, par exemple, d’influer sur les opinions, la conscience des gouverne´s, la corruption de ses agens s’e´tendra jusqu’a` l’infini. lorsque le gouvernement n’est qu’un instrument de re´pression qui punit les crimes, qui ont pu se commettre, ses agens n’ont que peu de latitude. Ils ont le tort ine´vitable et le malheur d’obe´ir, sans eˆtre convaincus, et par des motifs d’une nature tout a` fait diffe´rente de la conviction. mais rien n’est livre´ a` leur arbitraire. mais dans tout ce qui n’est pas purement de re´pression, la digue unique une TR: 6–7 Les loix ... tyrans. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, 1

IV,

p. 259.

Voir Jean-Jacques Rousseau, Conside´rations sur le gouvernement de Pologne et sur sa re´formation projette´e, chap. 6 : «Fie`re et sainte liberte´ ! si ces pauvres gens pouvoient te connoitre, s’ils savoient a` quel prix on t’acquiert et te conserve, s’ils sentoient combien tes lois sont plus auste´res que n’est dur le joug des tyrans.» (Œuvres comple`tes, Ple´iade, t. III, p. 974).

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IV,

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4, Corruption que la multiplicite´ des loix introduit dans les agens de l’autorite´

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fois renverse´e, l’arbitraire ne trouve plus rien qui ralentisse sa marche. Il en re´sulte une bien plus vaste carrie`re a` la corruption des agens. cette corruption s’aggrave encore par le mepris qu’elle excite. le sentiment naturel est tellement, que le gouvernement doit laisser les citoyens libres, dans la partie industrielle, spe´culative, et morale de leur existence, que les hommes meˆmes qui n’ont pas adopte´ ce systeˆme ne voı¨ent qu’avec aversion et de´dain les agens du systeˆme oppose´. or ce me´pris tend a` les corrompre toujours davantage. Dela sorte, le gouvernement, par ses fausses mesures, fait un mal re´el pour parvenir a` un bien qu’il n’atteint pas, et qu’il n’est pas dans sa nature d’atteindre. Sa ve´ritable destination n’est pas de faire le bien, mais d’empeˆcher le mal, et de l’empeˆcher par des loix pe´nales. il ne corrompt alors qu’un tre`s petit nombre des exe´cuteurs de ces Loix, et les relations de ces homes avec la Socie´te´ n’e´tant ni fre´quentes ni complique´es, et e´tant toujours hostiles, la corruption pe´ne´tre moins dans le Corps social, au lieu que lorsque le gouvernement veut faire du bien positivement, come il corrompt de meˆme ses agens, que ces agens se trouvent en plus grand nombre, que leurs relations avec la socie´te´ sont plus fre´quentes, plus multiformes et moins hostiles, le mal est beaucoup plus grand. Les loix coercitives destine´es a` forcer les gouverne´s a` telle ou telle action, ont un inconve´nient de plus que les loix prohibitives, destine´es seulement a` interdire telle ou telle action aux gouverne´s. l’absence d’action est plus difficile a` constater que l’action meˆme. Il faut exercer contre ce crime ne´gatif une surveillance plus constante, plus positive et plus inquisitoriale. Dans le cas ou les loix coercitives seroient absolument ne´cessaires, Il faudrait attacher plutot des re´compenses a` l’obe´issance que des peines a` la transgression. Mais l’e´tat ne pouvant eˆtre prodigue de re´compenses, Il faudrait en meˆme tems le moins qu’il serait possible de loix de ce genre.

V: 8 mesures, fait ] mesures 〈pour ame´liorer〉 fait P gouver〉 n’est P

10 destination n’est ] destination 〈de

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Chapitre 5e Autre inconve´nient de la multiplicite´ des loix.

1, fo 137vo

1, fo 138ro

Principes de politique

Les loix multiplie´es subsistent contre l’intention, et meˆme a` l’insc¸u des le´gislateurs qui se succe`dent. Elles s’entassent dans les codes, elles tombent en de´sue´tude, les gouverne´s les oublient. Elles planent ne´ammoins sur eux, enveloppe´es d’un nuage. L’une des principales tyrannies de Tibere, dit Montesquieu a, fut l’abus qu’il fit des anciennes loix. Tibe`re avait he´rite´ de toutes les loix enfante´es par les dissensions civiles de Rome. Or les dissentions civiles produisent des loix violentes et dures. Elles produisent encore une foule de re`glemens minutieux, destructifs de toute liberte´ individuelle. Ces choses survivent aux tempeˆtes qui les ont cre´e´es. L’autorite´ le´gataire de ces armes pernicieuses, trouve d’avance toutes les injustices autorise´es par des loix. Pour les grandes perse´cutions, il existe un arsenal de loix ignore´es, le´gitimant toutes les iniquite´s, et pour le de´tail de chaque jour, un re´pertoire de dispositions re´glementaires, moins odieuses, mais plus habituellement vexatoires. Dans cette situation, tout est avantage pour l’autorite´, mais tout est pe´ril pour les citoyens. Le gouvernement s’arroge le droit de ne pas faire exe´cuter les loix de´fectueuses ou les loix barbares. On ne peut gue`res lui en faire un crime. Mais il se familiarise de la sorte avec l’infraction de ses devoirs, et soumet bientot a` son jugement la le´gislation entie`re. Tout devient arbitraire dans ses actes. Ce n’est pas tout. Ces loix oppressives, dont l’inexe´cution lui concilie la reconnaissance populaire, il ne les ane´antit pas. Elles restent comme en embuscade, preˆtes a` reparaitre au premier signe, et a` tomber a` l’improviste sur les citoyens. Ce serait, je le pense, une pre´caution utile dans tout pays, qu’une revision pe´riodique et ne´cessaire de toutes les loix, a` des e´poques fixes. Chez les peuples qui ont confie´ le pouvoir le´gislatif a` des assemble´es repre´sentatives, a

Esp. des loix.

VII.

131.

TR: 4–25 Elles s’entassent ... les citoyens. ]  Minerve franc¸aise, fin janvier 1819, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, pp. 668–669. 9–25 Or les dissentions ... les citoyens. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 527, apparat l. 5. 1

Citation conforme. E´d.cite´e, p. 346. Les exemples qui suivent reposent probablement aussi sur Montesquieu.

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IV,

5, Autre inconve´nient de la multiplicite´ des loix

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ces assemble´es seraient naturellement investies de cette fonction. Car il serait absurde que le corps qui vote les loix, n’eut pas le droit de les rapporter, et que son ouvrage subsistaˆt, malgre´ lui, avec toutes ses erreurs, en de´pit de ses regrets et de ses remords. Cette organisation ressemblerait a` notre ancienne et de´testable jurisprudence sur les pre´venus d’e´migration. o o 1, f 138v L’autorite´ reveˆtue de la faculte´ d’inscrire, n’avait plus celle de rayer. Admirable arrangement, pour rendre l’injustice irre´parable. Dans les pays ou` tous les pouvoirs seraient concentre´s dans la meˆme main, il serait encore salutaire d’astreindre l’autorite´ a` faire connaitre pe´riodiquement les loix qu’elle veut maintenir. Tous les codes en contiennent, dont les gouvernemens font usage, parce qu’ils les trouvent pre´existantes : mais ils rougiraient souvent de prendre sur eux la responsabilite´ publique d’une nouvelle sanction.

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[Addition] 7, fo 39vo

Il y avoit exce`s dans nos Institutions anciennes. Il y a encore plus exce`s dans nos Institutions actuelles. Il s’agit, la plupart du tems, non d’ajouter, mais de retrancher. Je vous de´livre d’une Beˆte fe´roce, disoit Voltaire, et vous me demandez ce que je mets a` sa place1. Ce mot peut s’appliquer a` beaucoup de loix. gardons nous de conclure de la foule de loix que nous avons e´tablies qu’une foule de loix soit ne´cessaire a` l’ordre public. voyons quelles loix nous paraitraient indispensables, si, pour la premie`re fois, l’ide´e de loix se pre´sentoit a` nous.

TR: 3–7 en de´pit ... irre´parable. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, OCBC, Œuvres, IV, p. 526, apparat l. 22.

1

Citation ou propos non localise´s.

VI,

3,

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191 1, fo 139ro

Livre

Ve

Des mesures arbitraires.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 139ro–146vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fos 39vo– 42ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 131ro–152vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fos 27ro–31ro [=LA].

193

Chapitre 1er Des mesures arbitraires, et pourquoi de tout tems, on a moins re´clame´ contre ces mesures, que contre les atteintes porte´es a` la proprie´te´. Les gouvernemens qui n’ont pas la pre´tention d’eˆtre libres, e´chappent aux inconve´niens de la multiplicite´ des loix par les mesures arbitraires. Ces mesures ne pe`sent que successivement sur les individus isole´s, et bien qu’elles les menacent tous, la majorite´ de ceux qui sont menace´s, se fait illusion sur le danger qui plane a` son insc¸u sur sa teˆte. De la` vient que sous les gouvernemens qui ne font qu’un usage mode´re´ de l’arbitraire, la vie parait d’abord plus douce, que dans les Re´publiques qui poursuivent leurs citoyens de leurs loix geˆnantes et multiplie´es. Il faut d’ailleurs assez de re´flexion, il faut une droiture de sens, une raison pre´voyante qui ne re´sultent que de l’habitude meˆme de la liberte´ pour appercevoir de`s l’origine et dans un seul acte arbitraire toutes les conse´quences de ce terrible moyen. 1, fo 139vo L’un des traits caracte´ristiques de notre nation, c’est de n’avoir jamais attache´ suffisamment d’importance a` la se´curite´ individuelle. Incarce´rer arbitrairement un citoyen, le retenir inde´finiment dans les cachots, le se´parer de sa femme et de ses enfans, briser toutes ses relations, bouleverser tous ses calculs de fortune, nous a semble´ toujours une suite de mesures simples et pour le moins excusables. Lorsque ces mesures nous frappent, ou frappent les objets qui nous sont chers, nous nous plaignons, mais c’est de l’erreur plutot que de l’injustice : et peu d’hommes dans la longue se´rie de nos oppressions diverses, se sont donne´ le facile me´rite de re´clamer pour des individus d’un parti diffe´rent du leur. L’on a remarque´ que M. de Montesquieu qui de´fend avec force les droits de la proprie´te´ particulie`re contre l’intereˆt meˆme de l’Etat, traite avec beaucoup moins de chaleur la question de la liberte´ des individus, comme si les personnes e´taient moins sacre´es que les biens1. Il y a une cause toute simple TR: 16–17 L’un des traits ... individuelle. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 12, p. 146, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 647. 21-p. 194.7 Lorsque ces ... deux cas. ]  De l’esprit de 26-p. 194.7 L’on a remarconqueˆte, II, 12, p. 146, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 647. que´ ... deux cas. ]  Minerve franc¸aise, 9 janvier 1819, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 648. 1

BC pense, comme il ressort de l’addition ajoute´e a` la fin de chapitre, au livre XXVI, chap. 15 de L’Esprit des lois, ou` cette doctrine est expose´e. «Posons donc pour maxime que, lorsqu’il s’agit du bien public, le bien public n’est jamais que l’on prive un particulier de son bien ou meˆme qu’on lui en retranche la moindre partie par une loi ou un re`glement politique. Dans ce cas, il faut suivre a` la rigueur la loi civile, qui est le palladium de la proprie´te´.» (e´d. cite´e, p. 768).

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1, fo 140ro

Principes de politique

pourque chez un peuple distrait et e´goı¨ste, les droits de la liberte´ individuelle soient moins bien prote´ge´s que ceux de la proprie´te´. L’homme auquel on enle`ve sa liberte´ est de´sarme´ par ce fait meˆme, au lieu que l’homme qu’on de´pouille de sa proprie´te´, conserve sa liberte´ pour la re´clamer. Ainsi la liberte´ n’est jamais de´fendue que par les amis de l’opprime´, la proprie´te´ l’est par l’opprime´ lui meˆme. On conc¸oit que la vivacite´ des re´clamations soit diffe´rente dans les deux cas.

5

[Addition] 7, fo 40ro

C’est dans le Ch. 15 du Liv. 26 de l’Esprit des Loix que Montes quieu e´tablit des principes beaucoup plus favorables a` la proprie´te´ qu’a` la liberte´1. mais en examinant bien ses raisonnemens, on voit qu’ils s’appliqueroient a` la liberte´ avec autant de force qu’a` la proprie´te´. c’est, dit-il, un paralogisme de dire que le bien particulier doit ce´der au bien public. cela n’a lieu que dans les cas ou il s’agit de l’empire de la Cite´, c.a`.d de la liberte´ du Citoyen. cela n’a pas lieu dans ceux ou il est question de la proprie´te´ des Biens, parce que le bien public est toujours que chacun conserve invariablement la proprie´te´ que lui donnent les loix civiles. mais comment Montesquieu n’a-t-il pas senti que le bien public e´toit toujours aussi que chacun conservaˆt sa liberte´ le´gitime ? pourquoi est-il facheux que, sous le pre´texte du bien public, on porte atteinte a` la proprie´te´ ? parce qu’une seule atteinte de ce genre oˆte a` toutes les proprie´te´s toute garantie, et que le systeˆme entier de la proprie´te´ est de´truit. Mais il en est de meˆme de la liberte´. posons pour maxime, continue-t-il, que lorsqu’il s’agit du bien public, le bien public n’est jamais que l’on prive un particulier de son bien, ni meˆme qu’on lui en retranche la moindre partie. Nous en disons autant de la liberte´, et l’expe´rience le prouve.

TR: 9–18 C’est dans ... aussi que chacun ]  Co 3492, no 1019.

1

Cette addition de´veloppe, en citant un passage du chap. 15 du livre XXVI de l’Esprit des lois, ce qui est dit dans le texte de ce premier chapitre. La citation («c’est un paralogisme ... loix civiles») est conforme (e´d. cite´e, p. 767). On peut penser que cette addition sert d’e´bauche pour une nouvelle re´daction du troisie`me aline´a («L’on a remarque´ ... les deux cas.») de ce chapitre.

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Chapitre 2e Du pre´texte des mesures arbitraires et du droit de pre´venir les de´lits.

1, fo 140vo

1, fo 141ro

Le pre´texte de l’utilite´ ne manque pas aux mesures arbitraires. Elles sont destine´es a` maintenir l’ordre et a` pre´venir les crimes. L’on a re´pe´te´ mille fois qu’il valait mieux pre´venir les de´lits que les punir : et comme cette assertion vague est susceptible de plusieurs interpre´tations, personne ne s’est encore avise´ de la re´voquer en doute. Si l’on entend par le droit de pre´venir les de´lits, celui de repartir de la mare´chausse´e sur les routes, ou de dissiper des rassemblemens avant qu’ils aient cause´ du de´sordre, l’autorite´ posse`de ce droit, ou, pour mieux dire, c’est un de ses devoirs. Mais le droit de pre´venir les de´lits n’est que trop fre´quemment la faculte´ de se´vir contre des innocens, de peur qu’ils ne se rendent coupables. Soupconne-t-on tels individus d’eˆtre dispose´s a` conspirer, on les arreˆte, on les e´loigne, non qu’ils soient criminels, mais pour les empecher de le devenir. Conside`re-t-on telle classe comme mal intentionne´e ? on la distingue d’une manie`re humiliante du reste des citoyens, on lui impose des formalite´s, on la soumet a` des pre´cautions dont les autres sont exempts. On se souviendra longtems des inventions diverses qui ont signale´ ce que nous nommons le re´gne de la terreur, et de la loi contre les suspects, et de l’e´loignement des nobles et de la proscription des preˆtres1. L’intereˆt de ces classes, affirmait-on, e´tant contraire a` l’ordre public, on avait a` redouter qu’elles ne le troublassent, et l’on aimait mieux pre´venir leurs de´lits que les punir. Preuve de ce que nous avons observe´ ci dessus, qu’une Re´publique domine´e par une faction, re´unit aux de´sordres de l’anarchie toutes les vexations du despotisme. D’un autre cote´, je ne sais quel tyran d’une petite principaute´ d’Italie s’arrogeait un droit universel de de´portation, sous pre´texte qu’il e´tait de sa cle´mence d’empeˆcher des hommes enclins au crime de se livrer a` ce funeste penchant. Preuve de ce que nous avons dit encore, que le gouvernement d’un seul, mal constitue´ ou mal affermi, re´unit aux vexations silentieuses les moyens bruyans et scandaleux des factions2. V: 13 innocens ] 〈innocens〉 innocens L 24 ne le troublassent ] 〈le troublassent〉 ne le troublassent L 31–32 vexations silencieuses ] vexations constantes et silencieuses L 1 2

BC se sert une fois de plus des lois re´volutionnaires comme exemple d’une le´gislation tyrannique. Voir pour une re´flexion du meˆme genre, ci-dessus, p. 182, n. 1. La source de cet argument n’est pas indubitablement identifie´e. BC l’a trouve´ probablement dans l’ouvrage de Sismondi, Histoire des re´publiques italiennes du Moyen Age. On trouve dans ce livre un passage qui se rapporte a` Charles d’Anjou : «il disposait arbitrairement des

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Principes de politique

Le pre´texte de pre´venir les de´lits a les conse´quences les plus vastes et les plus incalculables. La possibilite´ d’un de´lit est renferme´e dans la liberte´ de 1, fo 141vo tous les individus, dans l’existence de toutes les classes, dans le de´veloppement de toutes les faculte´s. Les de´positaires de l’autorite´ feignant toujours de craindre qu’un crime ne se commette, peuvent ourdir un vaste filet qui enveloppe tous les innocens. L’incarce´ration de ceux qu’on soupconne, et l’e´ternelle captivite´ de ceux qu’on serait force´ d’absoudre, mais qui sont irrite´s peut-eˆtre par une de´tention prolonge´e, et l’exil arbitraire de ceux que l’on croit devoir craindre, bien qu’on n’ait rien a` leur reprocher, et l’esclavage de la pense´e, et ce vaste silence qui plait a` l’oreille de l’autorite´, tout s’explique par ce pre´texte. L’e´ve´nement pre´sente toujours une apologie. Si le crime qu’on pre´tendait redouter ne se re´alise pas, la gloire en est a` l’autorite´ pre´servatrice. Si des vexations non me´rite´es provoquent l’opposition, une re´sistance que l’injustice a seule amene´e, est alle´gue´e a` l’appui de l’injustice. Rien de plus facile que de faire passer l’effet pour la cause. Plus une mesure de gouvernement est contraire a` la liberte´ et a` la raison, plus elle entraine et des de´sordres et de violences. L’on motive alors sur ces violences et sur ces de´sordres la ne´cessite´ de cette mesure. Ainsi nous avons vu les agens de la terreur parmi nous, forcer les preˆtres a` la re´sistance en leur refusant toute se´curite´ dans la soumission, et justifier ensuite leur perse´cu1, fo 142ro tion par la re´sistance des preˆtres1. De meˆme les Romains voyaient Tibe`re, quand ses victimes disparaissaient en silence, s’e´norgueillir de la paix qu’il maintenait dans l’empire, et quand des plaintes se fesaient entendre, trouver un motif de tyrannie dans ce que ses flatteurs appelaient des tentatives de se´dition2.

V: 8 l’exil BC ajoute dans la marge Note sur l’exil P 13 des vexations ] des 〈deux actions〉 vexations ce dernier mot dans l’interl. P deux actions L

1 2

he´ritie`res riches et nobles, qu’il donnait en mariage a` ses partisans, comme re´compense ; tandis que, pour se de´faire des hommes qui lui e´taient suspects, ou il les envoyait a` la mort sans meˆme les accuser d’aucun crime, ou il les faisait languir dans d’infernales prisons, ou il les condamnait a` la de´portation et a` de longs exils.» (5e e´dition, Bruxelles : Socie´te´ typographique belge, 1838, t. II, p. 260). Mais la Sicile n’est pas une petite principaute´ d’Italie, et il n’est pas question ici d’une inclination au crime, mais de vexations d’un tyran. La premie`re e´dition de ce vaste ouvrage ayant paru en 1809, BC l’a sans doute lu a` l’e´tat manuscrit, ce qui pourrait expliquer pourquoi il y renvoie si vaguement. Voir ci-dessus, p. 182, n. 1. Allusion aux dernie`res anne´es du re`gne de Tibe`re. L’empereur s’e´tait retire´ a` Capri en 26, ou` il re´sida jusqu’a` sa mort en 37, gouvernant le vaste empire au moyen de mesures tyranniques.

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2, Des mesures arbitraires et du droit de pre´venir les de´lits

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Le pre´texte de pre´venir les de´lits peut se transporter de l’administration inte´rieure aux relations e´trange`res. Les meˆmes abus en re´sultent, et les memes sophismes le justifient. Les de´positaires de l’autorite´ provoquent-ils nos voisins les plus paisibles, nos plus fide`les allie´s ? Ils ne font, disent-ils, que punir des intentions hostiles, et de´vancer des attaques me´dite´es. Comment de´montrer la non existence de ces intentions, l’impossibilite´ de ces attaques ? si le peuple malheureux qu’ils calomnient, est facilement subjugue´, ils l’ont pre´venu, puis qu’il se soumet. s’il a le tems de re´sister a` ces aggresseurs hypocrites, il voulait la guerre puis qu’il se de´fend. Pour de´montrer que dans cette peinture, il n’y a point d’exage´ration, est il besoin de rappeler la guerre de Suisse1 ? Quoi, dira-t-on, le gouvernement instruit qu’une conspiration se trame dans les te´ne´bres, ou que des brigands projettent l’assassinat d’un citoyen et le pillage de son domicile, n’aura de ressource que de punir les coupables, lorsque le crime sera consomme´ ! L’on confond ici deux choses tre`s diffe´rentes : les de´lits commence´s et la disposition pre´tendue a` commettre des de´lits. Le gouvernement a le devoir et par conse´quent le droit de veiller sur 1, fo 142vo les mouvemens qui lui semblent dangereux. Lorsqu’il a des indices de la conspiration trame´e ou de l’assassinat me´dite´, il peut s’assurer des hommes que ces indices accusent. Mais alors ce n’est point une mesure arbitraire, c’est une action juridique. Alors meˆme ces hommes doivent eˆtre remis a` des tribunaux inde´pendans. Alors meˆme, si les preuves ne se montrent pas, la de´tention des accuse´s ne peut eˆtre prolonge´e. Aussi long tems que le gouvernement n’a que des doutes sur les intentions, il doit veiller immobile, et l’objet de ses doutes ne doit pas s’en ressentir. Ce serait pour les hommes une condition trop mise´rable que d’eˆtre a` la merci sans cesse des doutes du gouvernement a. 7, fo 40ro

a

[Add.] la ne´cessite´ de pre´venir les de´lits n’est quelquefois qu’un pre´texte pour l’indolence

V: 18 mouvemens ] 〈mouvemens〉 mouvemens L TR: 3–9 Les de´positaires ... se de´fend. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 8, p. 30, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 574. 1

BC fait allusion a` un e´ve´nement qu’il connaıˆt bien, mais ou` il a e´vite´, en 1798, de s’engager ouvertement, contrairement a` Mme de Stae¨l. L’invasion du pays de Vaud – qui venait de secouer la domination bernoise – par le ge´ne´ral Me´nard date du 28 janvier 1798. Cette occupation a conduit a` des ope´rations militaires en Suisse ale´manique. Certaines ont donne´ lieu a` une re´sistance he´roı¨que, re´prime´e de manie`re sauvage par les troupes franc¸aises. Voir, pour les de´tails, Johannes Dierauer, Histoire de la Confe´de´ration suisse, Lausanne : Payot, 1929, t. IV, chap. 4 et 5, pp. 465–573. Hofmann, Gene`se, pp. 166–168. L’article du Dictionnaire historique de la Re´volution franc¸aise (p. 544) re´sume les e´ve´nements et fait ressortir les ope´rations qui ont donne´ lieu a` la critique de BC.

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Pour rendre le droit de pre´venir admissible, il faut distinguer encore la juris diction de l’autorite´ sur les actions, et sa juris diction sur les individus. C’est dans cette distinction qu’est le pre´servatif contre l’arbitraire. Le gouvernement a quelquefois le droit de diriger son autorite´ contre des actions indiffe´rentes ou innocentes, lorsqu’elles lui paraissent conduire a` des re´sultats dangereux. Mais il n’a jamais celui de faire peser cette meˆme autorite´ sur des individus qui ne sont pas reconnus coupables, lors meˆme que les intentions de ces individus lui seraient suspectes, ou que leurs moyens lui paraitraient a` craindre. Si par exemple un pays e´tait infeste´ par des rassemblemens en armes, l’on pourrait sans injustice mettre momentane´ment a` toute re´union, des entraves qui geˆneraient les innocens ainsi que les coupables. Si, comme on l’a vu dans quelques contre´es de l’Allemagne, les incendies se multipliaient, l’on pourrait attacher une peine au simple transport, a` la simple possession de certaines matie`res combustibles. Si les meurtres devenaient nombreux, comme en Italie, le port d’armes pourrait eˆtre interdit a` tout individu sans distinction. Ces exemples sont susceptibles d’eˆtre nuance´s a` l’infini a. L’action la plus innocente par sa nature peut eˆtre place´e dans des circonstances ou` elle produirait autant de mal que l’action la plus criminelle. Il faut sans doute apporter un grand scrupule dans l’application de ce principe, puisque la prohibition de toute action non criminelle est toujours nuisible a` la morale autant qu’a` la liberte´ des gouverne´s. Ne´ammoins cette latitude ne peut eˆtre refuse´e au gouvernement. Des interdictions de la nature de celles que nous avons indique´es, doivent eˆtre re-

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Principes de politique

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des gouvernans. qui aiment mieux nous enchainer que nous surveiller. mais ils doivent apprendre que le gouvernement est un poste de travail et de peine, que c’est a` nous gouverne´s qu’appartien[nen]t le repos et la liberte´ et a` eux gouvernans l’assujettissement, l’inquie´tude et le travail. les gouvernemens confondent trop souvent la surete´ publique avec leur se´curite´ individuelle. Le´gislateurs et Magistrats de tous les pays, c’est au sacrifice de votre repos qu’est attache´ le repos de l’Etat. S’il faut qu’on vous e´pargne toute allarme, qu’on vous dispense de toute sollicitude, qu’on vous delivre de tout souci, vos fonctions sont de´nature´es : et que vous restera-t-il donc ? des honneurs et du pouvoir. Non ce n’est pas la` votre partage. la socie´te´ qui vous e´le`ve au poste que vous remplissez, vous y devoue a` une surveillance infatigable. c’est a` vous d’observer le ciel et les vents, d’e´viter les e´cueils, de diriger la manoeuvre, de tenir assiduˆment le gouvernail, et l’on n’inquie´tera pas les passagers, pour favoriser le sommeil du pilote. [Add.] dans un moment de trouble, il peut eˆtre le´gitime et sage d’ordonner aux citoyens de porter tel signe de ralliement, ou de se munir de telle autorisation de la force publique. mais si cet ordre ne portait que sur une classe particulie`re, il seroit souverainement injuste.

V: 13 au simple ] au〈ssi〉 simple L 15 nombreux ... pourrait ] nombreux, comme en Italie ces trois derniers mots dans l’interl. sup. le port d’armes pourrait, 〈comme en Italie〉 L

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2, Des mesures arbitraires et du droit de pre´venir les de´lits

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garde´es comme le´gitimes, tant qu’elles sont ge´ne´rales. Mais ces interdictions meˆmes, si elles e´taient dirige´es d’une manie`re exclusive contre certains individus ou certaines classes, comme nous en avons eu tant d’exemples pendant notre re´volution, deviendraient injustes. Elles ne seraient autre chose que des peines qui de´vanceraient le crime. Car c’est une peine qu’une distinction facheuse entre des hommes e´galement innocens. C’est une peine que la privation non me´rite´e de la liberte´ dont les autres jou¨issent. Or, toute peine qui n’est pas la suite d’un crime de´montre´ le´galement est elle meˆme un crime de l’autorite´.

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[Addition]

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Quelquefois, les le´gislateurs, pour pallier les injustices qu’ils commettent, sous le pre´texte de pre´venir les de´lits, ou de pourvoir a` la surete´ publique, recourent a` un subterfuge, qui est aussi odieux qu’il est illusoire. Ils semblent plaindre ceux qu’ils frappent, ge´mir eux meˆmes de leurs vexations, et chercher a` les re´parer par des te´moignages d’estime et d’interet. mais c’est priver les opprime´s du dernier appui qui leur reste. lorsqu’un citoyen est poursuivi par un homme puissant, s’il s’agit de lui ravir sa vie, sa re´putation, ses Biens, Il est a` espe´rer que l’opinion sera e´mue et qu’il trouvera des de´fenseurs. mais lorsqu’on pare de fleurs la victime, qu’on semble l’honorer, qu’on pre´tend que l’injustice ajoute a` sa gloire, on applanit le chemin du crime. Ce n’est pas une peine, vous disent ceux qui veulent la perte d’un innocent, c’est une pre´caution, qui devient presqu’un triomphe pour qui en est l’objet. Ostracisme transporte´ dans les tems modernes1. Comme les loix prohibitives sont beaucoup plus favorables aux empie`temens de l’autorite´ que les loix pe´nales, l’autorite´ se plait a` exage´rer le peu d’influence de ces dernie`res, pour recourir largement aux autres.

1

L’ostracisme est une mesure adopte´e a` Athe`nes entre 508/507 et 417/416 pour e´loigner, pour dix ans, une personne soupc¸onne´e de rechercher la tyrannie.

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Chapitre 3e Sophisme en faveur de l’arbitraire.

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1, fo 144ro

Principes de politique

Les actes de l’autorite´, nous dira-t-on, ne portent que sur les imprudens qui les provoquent. L’homme qui se re´signe et se tait, se trouve partout a` l’abri. Rassure´ par ce vain sophisme, ce n’est pas contre les oppresseurs qu’on s’e´le`ve, c’est aux victimes qu’on cherche des torts. Nul ne sait eˆtre courageux meˆme par prudence. Chacun se tait, chacun baisse la teˆte dans l’espoir trompeur de de´sarmer le pouvoir par son silence. On ouvre au despotisme un libre passage, se flattant d’eˆtre me´nage´. Chacun marche silencieusement et les yeux baisse´s dans l’e´troit sentier qui doit le conduire en surete´ vers la tombe. Mais lorsque l’arbitraire est tole´re´, il se disse´mine par de´gre´s entre une telle quantite´ d’agens, que le citoyen le plus inconnu peut rencontrer la puissance dans la main de son ennemi. Quelles que soient les espe´rances des ames pusillanimes, heureusement pour la moralite´ de l’espe`ce humaine, il ne suffit pas, pour eˆtre en surete´, de se tenir a` l’e´cart et de laisser frapper les autres. Mille liens nous unissent a` nos semblables, et l’e´goı¨sme le plus inquiet ne parvient pas a` les briser tous. Vous vous croyez invulne´rable dans votre obscurite´ volontaire et dans votre honteuse apathie, mais vous avez un fils, la jeunesse l’emporte ; un fre`re moins prudent que vous se permet un murmure ; un ancien ennemi qu’autrefois vous avez blesse´ a su conque´rir quelque puissance, votre maison d’Albe1 devient l’objet de la fantaisie d’un pre´torien. Que ferez vous alors ? Apre`s avoir avec amertume blame´ toute lutte contre le pouvoir, lutterez vous a` votre tour ? Vous eˆtes condamne´ d’avance et par votre propre conscience, et par cette opinion publique avilie que vous avez contribue´ vous meˆme a` former. Ce´derez vous sans re´sistance ? Mais vous permettra-t-on de ce´der ? N’e´loignera-t-on pas, ne

V: 24 opinion ] opinion 〈qu〉 L TR: 3-p. 201.3 Les actes ... votre tour. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, pp. 141–143, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 645. 11-p. 201.3 Mais lorsque ... votre tour. ]  Principes de politique (1815), 18, pp. 288–289, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 837–838 ;  Re´flexions sur les constitutions, note W, CPC, I, p. 319, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1234. 1

Allusion a` la politique du duc d’Albe, d’une maison puissante en Espagne, employe´ par Charles-Quint et Philippe II pour de´fendre les inte´reˆts de la couronne en Flandre et en France. Les e´clipses sont dues a` des intrigues.

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3, Sophisme en faveur de l’arbitraire

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poursuivra-t-on pas un objet importun, monument d’une injustice ? Des innocens ont disparus, vous les avez juge´s coupables, vous avez pre´pare´ la route ou` vous marchez a` votre tour.

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Chap.e 4e De l’effet des mesures arbitraires sous le rapport de la morale, sous celui de l’industrie, et sous celui de la dure´e des gouvernemens.

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Principes de politique

Si nous examinons les conse´quences des mesures arbitraires sous le rapport de la morale, sous celui de l’industrie ou meˆme de la dure´e des gouvernemens, nous les trouverons e´galement desastreuses. Lorsqu’un gouvernement frappe sans scrupule les hommes qui lui sont suspects, ce n’est pas seulement un individu qu’il perse´cute, c’est la nation entie`re qu’il indigne ou qu’il de´grade. Les hommes tendent toujours a` s’affranchir de la douleur. Lorsque ce qu’ils aiment est menace´, ils s’en de´tachent ou le de´fendent. Point de morale sans se´curite´ a. Point d’affections douces sans la certitude que les objets de nos affections reposent a` l’abri, sous la sauvegarde de leur innocence. Les mœurs se corrompent subitement dans les villes attaque´es de la peste1. On s’y vole l’un l’autre en mourant (M. de Paw). L’arbitraire est au moral ce que la peste est au physique. Il re´duit les citoyens a` choisir entre l’oubli de tous les sentimens, ou la haine de l’autorite´. Lorsqu’un peuple contemple froidement une succession d’actes tyranniques, lorsqu’il voit sans murmure les prisons s’encombrer, se multiplier les bannissemens, lorsque chacun se tait, s’isole, et tremblant

a

[Add.] l’arbitraire nuit en ce qu’il empeˆche tout calcul durable. Or la Morale a besoin de ce genre de calcul. le moment peut eˆtre pour le vice ; le tems seul est toujours pour la vertu.

V: 7 e´galement ] ce mot ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L TR: 8–16 Lorsqu’un gouvernement ... au physique. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 12, pp. 143–144, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 646 ;  Principes de politique (1815), 18, p. 287, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 837 ;  Re´flexions sur les constitutions, note W, CPC, I, p. 318, 14–16 Les mœurs ... (M. de Paw). ]  Co 3492, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1233–1234. no 639. 18-p. 204.3 Lorsqu’un peuple ... de´termine´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 12, p. 144–147, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 647–648. 1

Cornelius de Pauw parle dans ses Recherches philosophiques sur les Grecs a` deux reprises de la peste. La premie`re mention se touve dans le t. I, pp. 174–175 ou` il est question de la pre´tendue peste a` Athe`nes sous Pe´ricle`s. La seconde se lit dans le t. II, p. 52 : «Quant a` la barbarie des supplices, Solon avait raison de l’abolir, puisqu’elle rend de plus en plus les hommes atroces ; par la meˆme raison que les mœurs se corrompent subitement dans les villes attaque´es de la peste : la grandeur des calamite´s qu’on y e´prouve, y efface toutes les notions de la morale & toutes les ide´es du juste & de l’injuste : on s’y vole les uns les autres en mourant.» Ajoutons encore que cette note appartient a` une couche ancienne des travaux a` ce traite´. (coir l’apparat des TR ci-dessus), mais nous savons que BC l’a utilise´e le 22 octobre 1810 ; la date est inscrite a` coˆte´ du nume´ro de la note (639) du ms. Co 3492.

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4, De l’effet des mesures arbitraires sous le rapport de la morale

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pour soi, cherche a` de´sarmer l’autorite´ par la dissimulation ou par un assentiment plus coupable encore, croit on qu’il suffise, au milieu de ce de´testable exemple, de quelques phrases bannales pour ranimer les sentimens honneˆtes et ge´ne´reux ? L’on parle de la ne´cessite´ de la puissance paternelle. Mais le premier devoir d’un fils est de de´fendre son pe`re opprime´ : et lorsque vous enlevez un pe`re du milieu de ses enfans, lorsque vous forcez ces derniers a` garder un lache silence, que devient l’effet de vos maximes et de vos codes, de vos de´clamations et de vos loix ? L’on rend hommage a` la saintete´ du mariage : mais sur une de´nonciation te´ne´breuse, sur un simple soupc¸on, par une mesure que l’on appe`le de pre´caution, de surete´, de police, on se´pare un e´poux de sa femme, une femme de son mari ! Pense-ton que l’amour conjugal renaisse tour a` tour et disparaisse sous le bon plaisir de l’autorite´ ? L’on vante les liens domestiques. Mais la sanction des liens domestiques, c’est la liberte´ individuelle, l’espoir fonde´ de vivre ensemble, de vivre libre dans l’azyle que la justice garantit au citoyen ; si les liens domestiques existaient, les pe`res, les enfans, les e´poux, les femmes, les amis, les proches de ceux que l’arbitraire opprime, se soumettraient-ils a` cet 1, fo 145vo arbitraire ? On parle de cre´dit, de commerce, d’industrie a : mais celui qu’on arreˆte a des cre´anciers, dont la fortune s’appuye sur la sienne, des associe´s interesse´s a` ses entreprises. L’effet de sa de´tention n’est pas seulement la perte momentane´e de sa liberte´, mais l’interruption de ses spe´culations, peut-eˆtre sa ruine. Cette ruine s’e´tend a` tous les copartageans de ses interets. Elle s’e´tend plus loin encore : car elle frappe toutes les opinions, elle e´branle toutes les se´curite´s. Lorsqu’un individu souffre sans avoir e´te´ reconnu coupable, tout ce qui n’est pas de´pourvu d’intelligence se croit menace´, et avec raison, car la garantie est de´truite. L’on se tait parce qu’on a peur, mais toutes les transactions s’en ressentent. La terre tremble et l’on ne marche qu’avec effroi b. Tout se tient dans nos associations nombreuses, 7, fo 41ro

a

[Add.] les grandes Entreprises des ne´gocians sont toujours ne´cessairement meˆle´es avec les affaires publiques. mais dans les monarchies, les affaires publiques sont la plupart du tems aussi suspectes aux Marchands qu’elles leur paraissent sures dans les e`tats Re´publicains1.

TR: 11–13 Mais la sanction ... au citoyen ; ]  Principes de politique (1815), 18, pp. 287– 288, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 837. 22–26 Lorsqu’un individu ... avec effroi. ]  Principes de politique (1815), 18, p. 288, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 837. 1

Hofmann (p. 102, n. 19) a identifie´ le passage chez Montesquieu auquel pense BC. Montesquieu (De l’esprit des lois, livre XX, chap. 10, p. 592), en parlant allusivement de la Hollande, dit ceci : «Dans les E´tats qui font le commerce d’e´conomie, on a heureusement e´tabli des banques, qui, par leur cre´dit, ont forme´ de nouveaux signes de valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les E´tats qui font le commerce de luxe. Les mettre dans les pays gouverne´s par un seul, c’est supposer l’argent d’un coˆte´, et de l’autre la puissance :

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au milieu de nos relations si complique´es. Les injustices qu’on nomme particulie`res sont d’intarissables sources de malheur public. Il ne nous est pas donne´ de les circonscrire dans une sphe`re de´termine´e. L’arbitraire va chercher au fond du cœur la morale pour la de´grader ; et le repos momentane´ qu’il procure est un repos pre´caire, douloureux, l’avant coureur des plus horribles tempeˆtes. Il ne faut pas s’y tromper. Quelqu’avili que l’exte´rieur d’une Nation nous paraisse, les affections ge´ne´reuses se re´fugieront toujours dans quelques ames solitaires, et c’est la` qu’indigne´es, elles fermenteront en silence. Les voutes des assemble´es peuvent retentir de de´clamations furieuses, l’e´cho des palais d’expressions de me´pris pour la race humaine. Les flatteurs des peuples peuvent l’irriter contre la pitie´ : les flatteurs des Rois leur de´noncer le courage. Mais aucun sie`cle ne sera jamais tellement de´she´rite´ par le ciel, qu’il pre´sente le genre humain tout entier, tel qu’il le faudrait pour l’arbitraire. La haine de l’oppression, soit au nom d’un seul, soit au nom de tous, s’est transmise d’aˆge en aˆge, sous le despotisme qui variait ses formes. L’avenir ne trahira pas cette belle cause. Il restera toujours de ces hommes pour qui la justice est une passion, la de´fense du faible un besoin. La nature a voulu cette succession. Nul n’a jamais pu l’interrompre : nul n’aura jamais ce pouvoir. Ces hommes ce´deront toujours a` cette impulsion magnanime. Beaucoup souffriront, beaucoup pe´riront peut-eˆtre, mais la terre a` laquelle ira se me`ler leur cendre, sera souleve´e par cette cendre et s’entr’ouvrira tot ou tard.

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[Addition] 7, fo 41ro

L’arbitraire en faveur de la vertu est infiniment plus dangereux que l’arbitraire en faveur du crime. lorsque des sce´le´rats violent les formes contre des hommes honneˆtes, on sait que c’est un de´lit de plus. On s’attache aux formes par leur violation meˆme. on apprend en silence et par le malheur a` les regarder comme des choses sacre´es, protectrices et conservatrices de l’ordre social. mais lorsque des homes honeˆtes violent les formes contre des sce´le´rats, le peuple ne sait plus ou il en est. les formes et les loix se pre´sena

Les banques, dit Montesquieu, sont incompatibles avec la monarchie pure. C’est dire en d’autres termes que le credit est incompatible avec l’arbitraire.

TR: 6–22 Quelqu’avili ... tot ou tard. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 18, pp. 191–192, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 673. c’est-a`-dire, d’un coˆte´, la faculte´ de tout avoir sans aucun pouvoir ; et de l’autre, le pouvoir avec la faculte´ de rien du tout. Dans un gouvernement pareil, il n’y a jamais eu que le prince qui ait eu, ou qui ait pu avoir un tre´sor ; et partout ou` il y en a un, de`s qu’il est excessif, il devient d’abord le tre´sor du prince.» BC re´pe`te la meˆme maxime dans les «Additions e´parses». Voir ci-dessous, p. 716.

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4, De l’effet des mesures arbitraires sous le rapport de la morale

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tent a` lui, come des obstacles a` la justice. Il contracte je ne sai quelle habitude, il se batit je ne sai quelle the´orie d’arbitraire e´quitable, qui est le bouleversement de toutes les ide´es : car dans le corps politique, il n’y a que les formes qui soient stables, et qui re´sistent aux hommes. le fonds meˆme, c.a`.d. la justice, la vertu peuvent eˆtre de´figure´es. leurs noms sont a` la merci de qui veut les employer. Un trait comun a` tous les partis, c’est de ne pas haı¨r l’arbitraire en lui meˆme, la premie`re chose qu’il faille haı¨r dans un pays libre, mais seulement tel ou tel arbitraire, qui contrarie ses impulsions et ses interets. des qu’il est admis de parler de circonstances, Il y a toujours des circonstances a` invoquer contre les principes. les factions marcheront de circonstances en circonstances, sans cesse en dehors de la loi, tantot avec des intentions pures, tantot avec des projets perfides, demandant e´ternellement de grandes mesures, au nom du peuple, de la liberte´, de la justice. dans tout ce que le salut public exige, il y a deux manie`res de proce´der, l’une le`gale, l’autre arbitraire. la premie`re est la seule qui puisse eˆtre admise, et c’est toujours a` la longue celle dont le gouvernement meˆme se trouve le mieux. tant que l’on ne conside`re l’arbitraire que comme un Instrument qu’il ne faut qu’arracher a` son ennemi pour s’en servir, cet ennemi s’efforce a` son tour de s’en emparer, et la lutte est e´ternelle, parce que les moyens arbitraires sont ine´puisables. Dans les Re´publiques, toutes les mesures arbitraires, toutes les formules destine´es a` servir de pre´texte a` l’oppression, retombent sur leurs auteurs. j’en trouve un exemple frappant dans les actes de l’assemble´e constituante, et j’emploı¨erai pour le rapporter les expressions d’un de ses membres1. Clermont Tonnerre IV. 90. l’assemble´e nationale voulut de´clarer la liberte´ absolue des opinions religieuses. les Preˆtres Catholiques, les Partisans de la religion dominante force`rent l’assemble´e a` modifier ce principe, en y ajoutant cette phrase, pourvu que la manifestation des opinions religieuses ne trouble pas l’ordre public. l’on abusa bientot avec cruaute´, contre cette meˆme religion dominante, de cette phrase obscure et vague, que Son influence avoit fait adopter. les Amis trop ardens de la Re´volution se pre´valurent de la Re´daction qu’ils avoient eux meˆmes combattue, pour accabler, contre toute raison, ceux qui la leur avoient arrache´e. Les anciens croyoient que les lieux souille´s par les crimes devoient subir une expiation : et moi je crois que le sol fle´tri par un acte arbitraire a besoin, pour eˆtre purifie´, de la punition e´clatante du coupable, et toutes les fois que je verrai chez un peuple un citoyen arbitrairement incarce´re´, et que je ne 1

BC cite un passage des Re´flexions sur le fanatisme, Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, Paris : Migneret, 1791, p. 90. La citation n’est pas litte´rale, mais rend l’ide´e de Clermont-Tonnerre.

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verrai pas, peu de tems apre`s, trainer dans les meˆmes cachots, et le satellite qui l’arreˆta, et le geolier qui le rec¸ut, et l’home au pouvoir, quel qu’il fut, qui viola les formes, je dirai : ce peuple ne sait ni de´sirer ni me´riter d’etre libre, et n’en est pas encore aux premie`res notions de la liberte´. S’il e´toit donne´ a` l’homme d’intervertir une Seule fois l’ordre des Saisons, quelqu’avantage qu’il en put retirer dans une circonstance particulie`re, Il n’en e´prouverait pas moins un de´savantage incalculable, en ce qu’il ne pourrait plus, dans la suite, se reposer sur l’invariable re´gularite´ et sur la succession uniforme qui sert de baze a` ses travaux.

V: 2 geolier qui ] geolier 〈qu’il〉 qui P

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207 1, fo 146vo

Chapitre 5e De l’influence de l’arbitraire sur les gouvernans eux meˆmes.

Les moyens arbitraires une fois admis, les de´positaires de l’autorite´ les trouvent tellement courts, tellement simples, tellement commodes, qu’ils n’en veulent plus employer d’autres. De la sorte, pre´sente´s d’abord comme une ressource extreˆme dans des circonstances infiniment rares, l’arbitraire devient la solution de tous les proble`mes et la pratique de chaque jour. Mais cet instrument perfide, en tourmentant ceux sur qui on l’exerce, tourmente aussi la main qui l’emploie. Une de´vorante inquie´tude s’empare des gouvernemens de`s qu’ils entrent dans cette route. Leur incertitude est une sorte de responsabilite´ me`le´e de remords qui pe`se sur eux. Comme ils n’ont plus aucune re`gle fixe, ils avancent, ils reculent, ils s’agitent, ils ne savent jamais s’ils en font assez, s’ils n’en font pas trop. La loi serait du repos pour eux.

[Addition] 7, fo 42ro

En s’imposant le droit de pre´venir, les gouvernemens multiplient tellement leurs devoirs que leur responsabilite´ devient sans bornes. leur respect pour les traite´s les plus saints, leurs me´nagemens pour la liberte´ individuelle, peuvent leur eˆtre impute´s a` crime.

TR: 4–8 Les moyens ... chaque jour. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 181, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 667 ;  Principes de politique (1815), 18, pp. 291–292, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 839.

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Livre VIe Des coups d’Etat.

1, fo 147ro

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 147ro–161vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 42ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 155ro–186ro [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 32 [=LA].

V: 1 Livre

VIe

] 〈Section quatrie`me〉 Livre

VIe

ces deux derniers mots dans l’interl., c.a. L

4. Première page du premier chapitre du livre VI des Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. I, BnF, NAF 14358, f° 147r°. Copie d’Audouin, 1810. Les notes de Constant, qui sont appelées ici par un astérisque, ailleurs par un chiffre en exposant, sont reportées dans l’espace au bas des pages, séparées par un trait du texte principal et continuées au besoin à la page suivante. On reconnaît ici, dans la marge gauche, un signe, le chiffre 2 surmonté d’un trait, qui marque le début d’un passage à choisir et GRQW OD ¿Q HVW LQGLTXpH j OD SDJH VXLYDQWH SDU OH PrPH FKLIIUH VRXOLJQp FHWWH IRLV Nous ignorons souvent pourquoi un passage a été ainsi choisi.

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Chapitre 1er De l’admiration pour les coups d’Etat.

1, fo 147ro

L’on est convenu d’admirer de sie`cle en sie`cle certains exemples d’une rapidite´ extrajudiciaire, certains attentats politiques ; et pour les admirer plus a` son aise, on les conside`re isole´ment, comme si les faits qui les ont suivis, ne fesaient pas partie de leurs conse´quences. Les Gracques a, nous a

1, fo 147vo

Les Gracques voulaient une re´volution, dit M. Ferrand, Esp. de l’histoire Tom. I. p. 2621, ce que personne n’a droit de vouloir, ce qui, dans un e´tat constitue´, est un arret de mort. Le leur e´tait donc prononce´ par la loi, par le bien, par l’ordre public. Il ne fut pas exe´cute´ par des moyens le´gaux, parce qu’eux meˆmes avaient rendus ces moyens impossibles, parce qu’en troublant la socie´te´, ils s’e´taient mis en e´tat de guerre. Vous trouverez quelques e´crivains qui ont reproche´ au Se´nat la mort des Gracques, comme ils ont reproche´ a` Ciceron la mort des conjure´s de Catilina2, a` Henri III celle des Guises. Dans la circonstance ou` ces e´ve´nemens ont eu lieu, ils de´rivaient du droit de surete´, qui e´tant celui de tout individu, est a` plus forte raison celui de toute socie´te´. Un souverain, un Etat quelconque fait une faute sans doute, lorsqu’il se laisse re´duire a` cette ne´cessite´ par des mouvemens qu’il eut pu arreter : mais il en fait une bien plus grande, si appliquant encore les principes de la socie´te´ a` ce qui les renverse, il n’exe´cutait pas la condamnation prononce´e par la premie`re de ces loix, salus populi ..... Lorsqu’il n’y a qu’un moyen de sauver l’Etat, la premie`re de toutes les loix est de l’employer. Je demande ce qu’il y aurait eu a` re´pondre au comite´ de salut public, ces argumens admis ? Notez que, lorsqu’il est question d’un peuple, au lieu d’un gouvernement consolide´,

TR: 3–6 L’on est convenu ... conse´quences. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, pp. 408–409, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1277. 6-p. 212.8 Les Gracques ... cette vengeance. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 182, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 668. 7-p. 212.21 Les Gracques ... emparer ! ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, en note, CPC, I, pp. 410–411, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1278–1279 ;  Mercure de France, 16 aouˆt 1817, OCBC, Œuvres, X/1, pp. 587–588. 1 2

BC renvoie ici a` la seconde e´dition de L’Esprit de l’histoire, parue en 1803. Nous reproduisons ici la note du chap. 17 de la premie`re e´dition de De l’esprit de conqueˆte (OCBC, Œuvres, t. VIII/1, p. 668, n. 1) qui re´sume les allusions au sort des fre`res Gracques dont BC se sert a` plusieurs reprises dans ses e´crits politiques. Tibe´rius, en 133 av. J.C., a e´te´ tue´, et Caius, en 121 av. J.C., s’est donne´ la mort. La mort de tous deux a e´te la suite d’e´meutes fomente´es par le parti aristocratique. «Le Se´nat, conduit contre le premier par P. Scipion Nascia, contre le second par Minucius Rufus, joua un roˆle important dans ces morts violentes, en principe au nom de la de´fense de la Re´publique, en fait pour e´viter l’application d’une re´forme agraire qui inquie´tait les inte´reˆts des plus riches. Moins de quinze ans plus tard, Marius (157–86 av. J.C.) ge´ne´ral et plusieurs fois consul, cherche le pouvoir en s’appuyant sur le parti populaire et en rappelant le souvenir des Gracques, n’he´sitant pas a` faire massacrer ses adversaires.»

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Principes de politique

1, fo 147vo dit-on, 1, fo 148ro e´taient

mettaient en danger la Re´publique romaine : toutes les formes impuissantes. Le Senat recourut deux fois a` la loi terrible de la ne´cessite´, et la Re´publique fut sauve´e. La Re´publique fut sauve´e, c’est a` dire que de cette e´poque il faut dater sa perte. Tous les droits furent me´connus, toute constitution renverse´e : le peuple un instant consterne´ reprit bientot des pre´tentions fortifie´es par la vengeance. Il n’avait demande´ que l’e´galite´ des privile`ges. Il jura le chaˆtiment des meurtriers de ses de´fenseurs. Le fe´roce Marius1 vint pre´sider a` cette vengeance. Les complices de Catilina e´taient dans les fers. on craignait que d’autres complices ne les de´livrassent a. Cice´ron les fit mettre a` mort sans jugement, et l’on vante sans

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a

c’est tout autre chose. M. Ferrand pre´tend alors que les loix de proscription qu’on intitule Salus populi n’ont jamais sauve´ le peuple ; que tout homme vivant dans une socie´te´ a acquis trois droits que personne ne peut lui oter, et qu’il ne peut perdre que par sa faute ou par sa propre volonte´ : ces droits sont sa liberte´ personnelle, sa proprie´te´, sa vie (ibid. p. 307, 310, 319). Or donc, dirons-nous a` M. Ferrand, si vous le condamnez sans forme ni jugement, comment savez vous qu’il a me´rite´ par sa faute de perdre ces biens ? Ce n’est pas a` force d’injustice, qu’on peut, continue M. Ferrand, re´organiser un Etat. Mais n’y a-t-il pas injustice le´gale quand vous violez les formes, et comment savez vous qu’il n’y a pas aussi injustice pour le fond ? Mise´rables fauteurs de l’arbitraire qui n’y voyez jamais qu’une arme dont vous voulez vous emparer2 ! [Add.] Les Triumvirs, dit M. Ferrand. I. 392. s’accorde`rent pour retrancher d’une Re´publique dont la perte e´toit devenue ne´cessaire ceux qui s’obstinoient a vouloir la de´fendre. approbation des proscriptions. ici rendre hommage au caracte`re et aux intentions de Cice´ron3.

TR: 8-p. 213.4 Les complices ... avant Cice´ron. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 409, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1277–1278. 1 2

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Sur Marius, voir ci-dessus, p. 211, n. 2. Passage repris dans la deuxie`me e´dition des Re´flexions sur les constitutions, note BB (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1278) ou` l’on trouve dans la note les re´flexions suivantes, que nous reproduisons ici pour l’essentiel. Le raisonnement de BC, tre`s pertinent, mais qui n’est pas reste´ inconteste´ par les spe´cialistes de la the´orie constitutionnelle, est base´ sur une critique de la doctrine de Ferrand ; il l’appuie en partie sur une citation composite de Cice´ron qu’il avait de´ja` trouve´e chez Ferrand. La citation ne fausse pas les sources latines, mais les re´sume. «L’interroi Lucius Flaccus a porte´ en faveur de Sulla une loi pour le´galiser tout ce qu’il ferait, ... et je ne crois nullement que cette loi soit juste qui autorise le dictateur de pouvoir tuer impune´ment et sans indiquer la raison celui des citoyens qu’il voulait». (Cice´ron, De lege agraria, III, 5 ; De legibus, I, 42.) L’argumentation de Ferrand appartient a` un type de raisonnement que BC a toujours combattu, a` savoir l’ide´e de sauver la constitution d’un pays par des mesures inconstitutionnelles en apparence justifie´es par les circonstances graves qui menacent l’E´tat. Cette note nous fait comprendre que le texte n’est pas acheve´. La note 562 de N ajoute encore une autre conside´ration du meˆme genre. Nous la donnons ici, bien que BC ne l’ait pas retenue. «Dans le Chapitre ou nous nous elevons contre les mesures extraordinaires,

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cesse la prudence de Cice´ron. Certes les fruits de sa prudence et de ses mesures rapides et ille´gales furent au moins de peu de dure´e. Ce´sar re´unit autour de lui les partisans de Catilina ; la liberte´ de Rome pe´rit encore avant Cice´ron a. Mais s’il avait frappe´ Ce´sar, Antoine e´tait la` : derrie`re Antoine, d’autres encore1. L’ambition des Guises agitait le re´gne de Henri III. Il semblait impossible de juger les Guises. Henri III fit assassiner l’un d’eux. 1, fo 148vo Son re`gne en devint-il plus tranquille ? Henri III fut assassine´ lui meˆme. Vingt anne´es de guerres civiles de´chire`rent l’empire franc¸ais : et peut-eˆtre le bon Henri IV porta-t-il quarante ans apre`s la peine du crime du dernier Valois2. Dans les crises de cette nature, les coupables que l’on immole ne sont jamais qu’en petit nombre. D’autres se taisent, se cachent, attendent. Ils profittent de l’indignation que la violence a refoule´e dans les ames : ils profitent de la consternation que l’apparence de l’injustice re´pand dans l’esprit des hommes scrupuleux. Le gouvernement, en s’affranchissant des loix, a perdu son caracte`re le´gal et son plus grand avantage ; et lorsque les factieux l’attaquent avec des armes pareilles aux siennes, la foule des citoyens peut eˆtre partage´e, car il lui semble qu’elle n’a que le choix entre deux factions. L’intereˆt de l’Etat, les dangers de la lenteur, le salut public. Si vous admettez ces pre´textes imposans, ces mots spe´cieux, chaque gouvernement ou chaque parti verra l’intereˆt de l’Etat dans la destruction de ses ennemis, les dangers de la lenteur dans une heure d’examen, le salut public dans une condamnation sans jugement et sans preuves. a

L. Flaccus, interrex, de Sylla legem tulit, ut omnia, quaecumque ille fecerit, essent rata.... – nihilo credo magis, illa justa est ut dictator, quem vellet civium, indictaˆ causaˆ, impune posset occidere. Cicero. et les complices de Catilina n’avaient-ils pas e´te´ mis a` mort indictaˆ causaˆ ?

TR: 5–22 L’ambition ... sans preuves. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, pp. 182–183, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 668–669. 23–26 L. Flaccus ... causaˆ ? ]  Co 3492, no 573 ;  Re´flexions sur les constitutions, note BB, en note, CPC, I, pp. 409–410, OCBC, Œuvres, VIII, 2, pp. 1278.

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destine´es a` pre´venir les conspirations, comme celles du Senat contre les Gracques, celles de Ciceron contre les complices de Catilina, il faudra peut-eˆtre indiquer, si je le puis brievement, la diffe´rence entre les mesures a` prendre contre les pouvoirs et contre les individus, et placer quelques unes de mes ide´es sur le pouvoir neutre.» Vers la fin de la conjuration de Catilina, Cice´ron, menace´ de mort par Catilina, autorise´ par le Se´nat (SCU) a` prendre des mesures extraordinaires, fit tuer les partisans de Catilina dans les prisons de Rome sans jugements. Catilina fut tue´ la meˆme anne´e dans une bataille pre`s de Pistoia. Il est a` ajouter que Cice´ron avait re´ussi a` de´jouer les ambitions de Ce´sar, mais cela ne fit que retarder de quelques anne´es le de´clin de la Re´publique, dans lequel quelques membres de la famille des Antoine jouent aussi un roˆle en soutenant Ce´sar qui est depuis 46 dictateur de Rome pour 10 ans. Avec l’ave`nement d’Auguste en 45, apre`s l’assassinat de Ce´sar, commence l’e´poque impe´riale. Henri III (1551–1589), roi de France, dernier repe´sentant de la branche des Valois-Angouleˆme, commanda l’assassinat du duc de Guise (1550–1588), qui, chef de la Ligue catholique

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Lorsque les chefs pre´sume´s d’une conspiration ne peuvent eˆtre juge´s, sans qu’il soit a` craindre que le peuple ne les de´livre, la disposition de ce peuple est telle, que la punition des chefs de cette conspiration sera inutile. Un peuple ainsi dispose´ ne manquera jamais de chefs. On parle bien a` l’aise de l’utilite´ des coups d’Etat, et de cette rapidite´ qui ne laissant pas aux factieux le tems de se reconnaitre, raffermit l’autorite´ des gouvernemens et la constitution des empires ; et l’on ne trouve pas dans l’histoire un seul exemple de rigueurs ille´gales, produisant d’une manie`re durable un effet salutaire. Sans doute il y a pour les socie´te´s politiques, des momens de danger que toute la prudence humaine a peine a` conjurer. Mais ce n’est point par la violence, par la suppression de la justice, en ramenant dans l’e´tat social le cahos de l’e´tat sauvage, ce n’est point ainsi que ces dangers se peuvent conjurer. C’est au contraire, en adhe´rant plus scrupuleusement que jamais, aux loix e´tablies, aux formes tute´laires, aux garanties pre´servatrices. Deux avantages re´sultent de cette courageuse persistance dans ce qui est juste et le´gal. Les gouvernemens laissent a` leurs ennemis tout l’odieux de l’irre´gularite´ et de la violation des loix les plus saintes ; et de plus ils conquie`rent 1, fo 149vo par le calme et la se´curite´ qu’ils te´moignent, la confiance de cette masse timide qui resterait au moins inde´cise, si des mesures extraordinaires, arbitraires prouvaient dans les de´positaires de l’autorite´ le sentiment d’un peril pressant. Enfin, il faut le dire, il est quelquefois dans les arrets de la destine´e, c’est a` dire dans l’enchainement ine´vitable des causes qu’un gouvernement pe´risse, lorsque ses institutions forment un trop grand contraste avec les mœurs, les habitudes, les dispositions des gouverne´s, mais il est des actions que l’amour de la vie ne le´gitime pas dans les individus a. Il en est 1, fo 149ro

7, fo 42ro

a

[Add.] les hommes, en se re´unissant, ne font que mettre en commun ce que chacun d’eux posse´dait isole´ment1. Mille individus qui s’associent donnent par cette association une garantie et de la force aux droits ante´rieurs qu’ils avoient, mais ne se cre´ent aucun nouveau

TR: 1–4 Lorsque les chefs ... jamais de chefs. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 412, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1279. 4–7 On parle ... des empires ; ]  De 10–22 Sans doute l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 181, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 667–668. ... pressant. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, pp. 183–184, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 669. 25-p. 215.3 mais il est ... confirme. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 412, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1279.

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et tre`s populaire a` Paris, lui faisait de l’ombre. Pre´senter, comme le fait Constant, l’assassinat d’Henri IV (1553–1610), vingt-deux ans plus tard, comme une punition lointaine pour la mort du duc de Guise, c’est ne´gliger l’assassinat d’Henri III lui-meˆme par un moine, Jacques Cle´ment, catholique fanatique. (Note au chap. 17, seconde partie, de la premie`re e´dition de De l’Esprit de conqueˆte, OCBC, Œuvres, t. VIII/1, p. 668, n. 2). Un des textes ou` BC fait comprendre ce qu’il entend par la notion de «contrat social», libe´re´ de ce qu’il appelle parfois la me´taphysique de Jean-Jacques Rousseau. Il cite d’ailleurs par la suite des phrases de Godwin. Voir OCBC, Œuvres, t. II/2, p. 1000.

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de meˆme pour les gouvernemens, et l’on cessera peut-eˆtre de qualifier cette re`gle de morale niaise, si l’on re´fle´chit qu’elle se fortifie d’une expe´rience que l’histoire de tous les peuples confirme. Lorsqu’un gouvernement n’a d’autre ressource pour prolonger sa dure´e que les mesures ille´gales, ces mesures ne retardent sa perte que de peu de tems, et le bouleversement qu’il croyait pre´venir, s’ope`re ensuite avec plus de malheurs et de honte. Soyez justes d’abord, dirai-je toujours aux de´positaires de l’autorite´ : car si l’existence de votre pouvoir n’est pas compatible avec la justice, l’existence de votre pouvoir ne vaut pas la peine d’eˆtre conserve´e. Soyez justes, car si vous ne pouvez exister avec la justice, vous aurez beau faire, avec l’injustice meˆme vous n’existerez pas longtems. Ceci ne s’applique, j’en conviens, qu’aux gouvernemens soit re´publicains, soit monarchiques qui pre´tendent reposer sur des principes raisonnables, et se de´corer des apparences de la mode´ration. Un despotisme tel que celui de Constantinople peut gagner a` la violation des formes. Son existence meˆme en est la violation permanente. Il est force´ perpe´tuellement de tomber a` coups de haˆches sur l’innocent et sur le coupable : il se condamne a` trembler devant ses complices qu’il enre´gimente, qu’il flatte et qu’il enrichit. Il vit de coups d’e´tat, jusqu’a` ce qu’un coup d’e´tat le fasse pe´rir lui meˆme de la main de ses suppots1. Mais tout gouvernement mode´re´, droit. Les droits de la majorite´ ne sont que l’aggre´gation des droits de chacun. les peuples ne sont que des aggre´gations d’individus. leurs droits ne sont que la re´union des droits individuels. quelle pourrait donc eˆtre cette morale publique, qu’on veut opposer a` la Morale prive´e ? la Morale publique ne se compose que de l’aggre´gation des devoirs et des droits particuliers. Or l’injustice, n’e´tant le droit de personne ne peut eˆtre le droit de tous. Comment les Individus acquerraient-ils, en se re´unissant, un droit qu’ils n’avoient pas etant isole´s ? TR: 3–6 Lorsqu’un gouvernement ... de honte. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 408, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1277. 6–11 Soyez justes ... pas longtems. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 184, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 669 ;  Mercure de France, 16 aouˆt 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 590. 12–16 Ceci ne ... permanente. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 414, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1280. 16–20 Il est force´ ... suppots. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 18, p. 189, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 672 20-p. 216.7 Mais tout ... lui portaient. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 184, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 669. 1

L’empire ottoman comme exemple d’un re´gime absolu sans bornes ni droits appartient aux cliche´s de l’e´poque. Citons un passage de Jurieu, XVIIIe lettre pastorale : «Enfin qu’on jette les yeux sur les paı¨s ou` s’e´tend la domination des Turcs, c’est un pouvoir non seulement absolu : mais sans bornes, que celui dont les Empereurs Mahometans se servent. Qu’on voye ce que cela produit. Premie`rement cette domination a fait des plus beaux paı¨s du monde, les plus riches, & les plus peuplez, de vastes de´serts. La Gre`ce, l’Asie, l’Orient de l’Europe sont re´duits a` un e´tat lamentable par cette puissance sans bornes. Et d’ailleurs il n’y a point d’e´tat ou` les se´ditions & les re´voltes soyent si fre´quentes.» (ouvr. cite´, p. 138a).

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tout gouvernement qui veut s’appuyer d’un systeˆme de re´gularite´ et de justice, se perd par toute suspension de la justice, par toute de´viation de la re´gularite´. Comme il est dans sa nature de s’adoucir toˆt ou tard, ses ennemis attendent cette e´poque pour se pre´valoir des souvenirs arme´s contre lui. La violence a paru le sauver un instant : mais elle a rendu sa chute plus ine´vitable. Car en le de´livrant de quelques adversaires, elle a ge´ne´ralise´ la haine que ces adversaires lui portaient. 1, fo 150vo Beaucoup d’hommes ne voyent les causes des e´ve´nemens du jour que dans les actes de la veille. En conse´quence, lorsque la violence, apre`s avoir produit une stupeur momentane´e, est suivie d’une re´action qui en de´truit l’effet, ces hommes attribuent cette re´action a` la suppression des mesures violentes, a` trop de parcimonie dans les proscriptions, au relachement de l’autorite´. Il leur semble que, si l’on eut e´te´ plus injuste encore, on eut gouverne´ plus longtems a. Cela ressemble aux raisonnemens de ces voleurs qui se reprochent de n’avoir pas tue´ les voyageurs qui les de´noncent, ne re´fle´chissant pas que les assassins meˆmes sont tot ou tard de´couverts. Mais il est dans la nature des de´crets iniques de tomber en de´sue´tude. Il n’y a de stable que la justice. Il est dans la nature de l’autorite´ de s’adoucir meˆme a` 1, fo 151ro son insc¸u. Les pre´cautions devenues odieuses s’affaiblissent et se ne´gligent. L’opinion pe`se, malgre´ son silence : la puissance fle´chit. Mais comme elle fle´chit de faiblesse au lieu de se mode´rer par la justice, elle ne se concilie pas les cœurs. Les trames se renouent, les haines se de´veloppent. Les innocens frappe´s par l’arbitraire reparaissent plus forts. Les coupables qu’on a condamne´s sans les entendre semblent innocens. Le mal qu’on a retarde´ de quelques heures revient plus terrible, aggrave´ du mal qu’on a fait. a

Lors de l’insurrection des Ce´vennes occasionne´e par la perse´cution des religionnaires, le parti qui avait sollicite´ cette perse´cution pre´tendait que la re´volte des camizards n’avait pour cause que le relaˆchement des mesures de rigueur. Si l’oppression avait continue´, disait-il, il n’y aurait point eu de soule`vement. Si l’oppression n’avait point commence´, disaient ceux qui s’e´taient oppose´s a` ces violences, il n’y aurait point eu de me´contens. Rhulie`res. Eclairciss. sur la re´vocation de l’Edit de Nantes. II. 278.

V: 10 stupeur ] 〈sphe`re〉 stupeur L TR: 8–13 Beaucoup ... de l’autorite´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 185, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 669 ;  Des e´lections prochaines, p. 60, en note, OCBC, Œuvres, X/2, p. 790. 16–17 Mais ... de´sue´tude. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 415, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1280–1281. 18-p. 217.9 Il est dans la nature ... Re´publique romaine. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, pp. 185–186, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 670. 18–25 Il est dans la nature ... mal qu’on a fait. ]  Des e´lections prochaines, p. 60, 26–31 Lors de ... Nantes. II. 278. ]  De l’esprit de en note, OCBC, Œuvres, X/2, p. 790. conqueˆte, II, 17, pp. 185–186, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 669–670 ;  Des e´lections prochaines, p. 60, en note.

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Non : il n’y a point d’excuses pour des moyens qui servent e´galement a` toutes les intentions et a` tous les buts, et qui invoque´s par les hommes honneˆtes contre les brigands, se retrouvent dans la bouche des brigands avec l’autorite´ des hommes honneˆtes, avec la meˆme apologie de la ne´cessite´, avec le meˆme pre´texte de salut public. La loi de Valerius Publicola qui permettait de tuer sans formalite´ quiconque aspirerait a` la tyrannie sous la condition de rapporter ensuite les preuves de l’accusation, servit alternativement aux fureurs aristocratiques et populaires, et perdit la Re´publique romaine1. Permettre a` la socie´te´, c’est a` dire aux de´positaires du pouvoir social, de violer les formes, c’est sacrifier le but meˆme que l’on se propose, aux moyens que l’on emploie. Pourquoi veut-on que l’autorite´ re´prime ceux qui 1, fo 151vo attaqueraient nos proprie´te´s, notre liberte´ ou notre vie ? pourque notre vie, notre liberte´, notre fortune soient en surete´. Mais si notre fortune peut eˆtre de´truite, notre liberte´ menace´e, notre vie trouble´e par l’arbitraire, quel bienassure´ retirons-nous de la protection de l’autorite´ ? Pourquoi veut-on que l’autorite´ punisse ceux qui conspireraient contre la constitution de l’Etat ? Parce que l’on craint que ces conspirateurs ne substituent une puissance oppressive a` une organisation le´gale et mode´re´e. Mais si l’autorite´ elle meˆme exerce cette puissance oppressive, quel avantage conserve-t-elle sur les coupables qu’elle punit ? Un avantage de fait pendant quelque tems peut-eˆtre. Les mesures arbitraires d’un gouvernement e´tabli sont moins multiplie´es que celles des factions qui ont a` e´tablir leur puissance ; Mais cet avantage meˆme se perd a` mesure que les gouvernemens font usage de l’arbitraire. Non seulement le nombre de leurs ennemis augmente en raison de celui des victimes, mais leur de´fiance s’accroit hors de toute proportion avec le nombre de leurs ennemis. Une atteinte porte´e a` la liberte´ individuelle en appe`le d’autres; et le gouvernement une fois entre´ dans cette funeste route, finit bientot par n’eˆtre pre´fe´rable en rien a` une faction.

TR: 10–23 Permettre ... leur puissance ; ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, pp. 180–181, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 667 ;  Principes de politique (1815), 18, p. 291, OCBC, Œuvres, IX, 2, pp. 838–839. 25–29 Non seulement ... une faction. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, p. 181, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 667.

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Il s’agit probablement, comme le dit Hofmann (p. 109, n. 20), de la loi de Valerius Poplicola, consul en 510/509 av. J. Chr. a` Rome. On trouve ceci chez Tite-Live, Histoire romaine, (livre II.8.2) : «Entre autres la loi qui permet d’en appeler au peuple contre un magistrat et celle qui de´clare anathe`mes la personne et les biens de quiconque aspirera au troˆne». (Traduction franc¸aise par Gaston Baillet). BC a peut-eˆtre aussi consulte´ Cice´ron, De re publica, 2, 53.

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La fureur de presque tous les hommes, c’est de se montrer au dessus de ce qu’ils sont. La fureur des e´crivains, c’est de se montrer des hommes d’Etat. En conse´quence, les coups d’Etat, loin d’eˆtre frappe´s en ge´ne´ral de la re´probation qu’ils me´ritent, ont e´te´ d’ordinaire raconte´s avec respect et de´crits avec complaisance. L’auteur paisiblement assis a` son bureau, lance de tous cote´s l’arbitraire, cherche a` mettre dans son style la rapidite´ qu’il recommande dans les mesures, se croit revetu pour un moment du pouvoir, parce qu’il en preˆche l’abus, re´chauffe sa vie spe´culative de tous les de´veloppemens de force & de puissance dont il de´core ses phrases, se donne ainsi quelque chose de plaisir de l’autorite´, re´pe´te a` tue teˆte tous les grands mots de salut du peuple, de loi supreˆme, d’intereˆt public, est en admiration de sa profondeur et s’e´merveille de son e´nergie. Pauvre imbe´cille ! Il parle a` des hommes qui ne demandent pas mieux que de l’e´couter et de le rendre un jour la premie`re victime de sa the´orie ! Cette vanite´ qui a fausse´ le jugement de tant d’e´crivains, a eu plus d’inconve´niens qu’on ne croit, durant nos dissentions civiles. Tous les esprits me´diocres que le flot des e´ve´nemens plac¸ait passage`rement a` la teˆte des affaires, remplis qu’ils e´taient de toutes ces maximes, d’autant plus agre´ables a` la sottise, qu’elles lui servent a` trancher les nœuds qu’elle ne peut 1, fo 152vo de´lier, ne reˆvaient que mesures de salut public, grandes mesures, coups d’e´tat. Ils se croyaient des ge´nies extraordinaires, parce qu’ils s’e´cartaient a` chaque pas des moyens ordinaires. Ils se proclamaient des teˆtes vastes, parce que la justice leur paraissait une chose e´troite. Est-il besoin de dire ou` tout cela nous a conduit ? 1, fo 152ro

TR: 1–23 La fureur de ... chose e´troite. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 17, pp. 186–188, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 670–671. 1–14 La fureur de ... de sa the´orie ! ]  Mercure de France, 16 aouˆt 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 589.

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Chape 2e Des coups d’Etat dans les paı¨s ou` il y a des constitutions e´crites.

1, fo 153ro

Les coups d’e´tat sont surtout funestes dans les pays qui ne se gouvernent point par des traditions, des souvenirs, des habitudes, mais dont les institutions sont fixe´es par une charte positive, par une constitution e´crite. Durant tout le cours de notre re´volution, nos gouvernemens ont pre´tendu qu’ils avaient le droit de violer la constitution pour la sauver. Le de´poˆt constitutionnel, disaient-ils, leur e´tant confie´, leur devoir e´tait de pre´venir toutes les atteintes qu’on oserait y porter : et comme le pre´texte de pre´venir permet de tout faire et de tout tenter, nos autorite´s, dans leur pre´voyance pre´servatrice, ont toujours de´me`le´ de secrets desseins et des intentions perfides dans ceux qui leur portaient ombrage, et ge´ne´reusement elles ont pris sur elles de faire un mal certain pour empeˆcher un mal douteux. Rien ne sert mieux a` fausser les ide´es que les comparaisons. L’on a dit que l’on pouvait sortir de la constitution pour la de´fendre, comme la gar1, fo 153vo nison d’une place assie´ge´e ferait une sortie contre une troupe qui la bloquerait. Cette logique rappe`le celle du berger dans l’avocat patelin1. Mais comme elle a tantot couvert la France de deuil et de ruines, tantot servi de pre´texte au despotisme le plus oppresseur, je pense qu’il est ne´cessaire d’y re´pondre se´rieusement. Un gouvernement qui existe par une constitution, cesse d’exister, aussitot que la constitution qui l’a cre´e´ n’existe plus, et une constitution n’existe plus de`s qu’elle est viole´e. V: 1 Chap. 2e ] Chapitre 〈6〉 2 L ajoute´ apre`s coup, corr. a. L

7 nos gouvernemens ] 〈un〉 nos gouvermens le pluriel

TR: 7–14 Durant ... mal douteux. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, pp. 404–405, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1275–1276. 15 Rien ne sert ... comparaisons. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 55, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 996. 15–18 Rien ne sert ... bloquerait. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 658, apparat l. 6–7. 15–21 L’on a dit ... se´rieusement. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 162, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1059. 22–24 Un gouvernement ... viole´e. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, p. 406, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1276. 1

Allusion a` la logique du berger Agnelet, personnage de la come´die L’Avocat Patelin, de David-Augustin Brueys, qui tue les moutons de son maıˆtre pour les empeˆcher de mourir de la clavele´e, et pour les vendre a` son profit (Acte I, sce`ne V). (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1276, n. 1).

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On peut demander sans doute ce que le gouvernement doit faire, quand un parti veut e´videmment renverser la constitution. Mais cette objection pousse´e a` un certain point est insoluble. On arrive aise´ment par l’hypothe´se a` un arrangement de faits qui de´fie toutes les pre´cautions ante´rieures. L’on ne peut organiser de contrepoids moraux contre des tentatives de force physique. Ce qu’il faut, c’est que les institutions soient telles, que les partis soient de´tourne´s de pareilles tentatives, qu’ils n’y trouvent pas d’intereˆt, qu’ils n’y puisent pas de moyens, et que, si quelque forcene´ s’y porte, les forces physiques de la grande majorite´ soient preˆtes a` re´sister a` la force 1, fo 154ro physique qu’il employerait. C’est la` ce qu’on nomme esprit public. Mais cela est tre`s diffe´rent des violations de constitution qu’on a nomme´es parmi nous coups d’e´tat, et que les gouvernemens me´ditent a` loisir et font e´clater, quand il leur convient, sous le pre´texte d’une ne´cessite´ pre´tendue. C’est sans doute une niaiserie de dire en e´loge d’une constitution, qu’elle irait parfaitement, si tout le monde voulait l’observer. Mais ce n’est pas une niaiserie de dire que si vous prennez pour baze de vos objections l’hypothe`se que personne ne voudra respecter la constitution, et que tout le monde se plaira a` la violer, sans motifs, il vous sera facile de prouver qu’aucune constitution ne peut subsister. La possibilite´ physique d’un renversement existe toujours. Le tout est d’opposer a` cette possibilite´ des barrie`res morales. Toutes les fois qu’on adopte ou qu’on justifie des moyens qui ne peuvent eˆtre juge´s qu’apre`s l’e´ve´nement, et qui ne sont pas accompagne´s de formes pre´cises et tute´laires, on e´rige la tyrannie en systeˆme, parce que la chose faite, les victimes ne sont plus la` pour re´clamer, et leurs amis n’ont de ressource pour ne pas partager leur sort, que l’assentiment ou le silence. Encore le silence est-il du courage. Que reste-t-il apre`s une constitution viole´e ? plus de se´curite´, plus de 1, fo 154vo confiance. Dans les gouvernans le sentiment de l’usurpation, dans les gouverne´s la conviction d’eˆtre a` la merci d’un pouvoir arbitraire. Toute protestation de respect pour la constitution parait dans les uns une de´rision, tout appel a` cette constitution parait dans les autres une hostilite´. Supposez les intentions les plus pures, tous les efforts seront infructueux. Les de´positaires V: 14–21 C’est sans doute ... morales. ] aline´a ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L TR: 14–21 C’est sans doute ... morales. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 15, OCBC, Œuvres, IV, p. 670. 28-p. 221.7 Que reste-t-il ... secousses. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, pp. 416–417, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1281–1282 ;  Minerve franc¸aise, 23 janvier 1820, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 1141– 1142. 28-p. 221.7 Que reste-t-il ... au premier. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 658, apparat l. 6–7.

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de l’autorite´ savent qu’ils ont pre´pare´ un glaive qui n’attend qu’un bras assez fort pour le diriger contr’eux. Le peuple oublierait peut-eˆtre que le gouvernement est ille´gitime, et s’est e´tabli sur la violation des loix. Mais le gouvernement ne l’oublie pas. Il y pense, et pour regarder comme pre´caire une autorite´ dont il connait l’origine, et pour avoir toujours en arrie`re pense´e la possibilite´ d’un coup d’Etat pareil au premier. Il marche avec effort au jour le jour par secousses. De l’autre cote´, non seulement le parti frappe´, mais tous les pouvoirs dans l’Etat qui n’ont que des attributions constitutionnelles, sentent que la ve´rite´, que l’e´loquence, que tous les moyens moraux sont inutiles contre une autorite´ devenue uniquement arbitraire. En conse´quence ils renoncent a` toute force intellectuelle. Ils rampent, mais haı¨ssent en esclaves. Partout ou` la constitution a e´te´ viole´e, cette constitution est de´montre´e mauvaise. Car de trois choses l’une, ou il e´tait impossible aux pouvoirs constitue´s de gouverner avec la constitution, ou il n’y avait pas dans tous les pouvoirs un intereˆt e´gal au maintien de cette constitution, ou enfin il n’existait pas dans les pouvoirs oppose´s au pouvoir usurpateur des moyens suffisans de la de´fendre. Mais lors meˆme qu’on supposerait par impossible que cette constitution eut e´te´ bonne, sa puissance est de´truite sur l’esprit des peuples. Elle perd tout ce qui la rend respectable, tout ce qui forme son culte, de`s qu’on attente a` sa le´galite´. Rien n’est plus commun que de voir un Etat exister tole´rablement sans constitution. Mais le fantoˆme d’une constitution qu’on outrage, nuit beaucoup plus a` la liberte´, que l’absence totale de tout acte constitutionnel. Il est, je le sais, des moyens factices d’entourer les violations de constitution, d’une apparente le´gitimite´. On encourage le peuple a` se prononcer par des adresses, on lui fait sanctionner les changemens propose´s1. V: 14–16 Car de trois ... cette constitution ] passage ajoute´ dans la col. gauche, cor.. a. 〈et lors meˆme qu’elle〉 L TR: 7–12 De l’autre coˆte´ ... en esclaves. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, 11, Œuvres, IV, p. 658, apparat l. 6–7. 13–21 Partout ou` ... sa le´galite´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note BB, CPC, I, pp. 417–418, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1282. 13–18 Partout ou` ... la de´fendre. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 657 apparat l. 8–17. VIII,

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Il faut rappeler dans ce contexte un ouvrage que BC connaissait tre`s bien : Vrai sens du vote national sur le Consulat a` vie, par le citoyen Camille Jordan, Paris : Les Marchands de Nouveaute´s, 1802. Ce texte est le contraire des adresses d’adhe´sion dont il est question par la suite. Ces adresses apparaissent de´ja` dans un des premiers discours de BC au Tribunat «Je n’ai qu’un mot a` dire sur ces dernie`res [les adresses], et je le place ici pour n’y plus revenir ; elles me´ritent tout au plus une simple mention au proce`s-verbal, encore aimerois-je mieux qu’on les passaˆt comple`tement sous silence. On en a trop abuse´ dans le cours de notre

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On a recouru a` cet expe´dient de`s les premiers jours de notre re´volution, bien que l’assemble´e constituante eut fait de`s l’origine ce qu’il fallait pour le rendre ridicule, en admettant en sa pre´sence les de´pute´s du genre humain. 1, fo 155vo Mais c’est a` tort que l’on a cru le ridicule tout puissant en France. Le ridicule parmi nous, attaque tout, mais ne de´truit rien, parceque la vanite´ se trouve contente de s’eˆtre mocque´e de ce qui se fait, et que chacun, flatte´ de la supe´riorite´ qu’il a montre´e, tole`re ensuite ce dont il s’e´tait mocque´. La sanction du peuple ne peut jamais eˆtre qu’une formalite´ vaine. A cote´ des actes que l’on soumet a` cette sanction pre´tendue, il y a toujours ou la force du gouvernement existant, provisoire ou de´finitif qui veut que ces actes soient accepte´s, ou dans l’improbable supposition de sa neutralite´ complette, la perspective en cas de refus, de guerres et de dissentions civiles. La sanction du peuple, les adresses d’adhe´sion ont pris naissance dans la teˆte de ces hommes, qui ne trouvant de point d’appui ni dans la Morale, ni dans la raison, en cherchent un dans un assentiment simule´, qu’ils obtiennent de l’ignorance, ou qu’ils arrachent a` la terreur. Les le´gislateurs qui font les plus mauvaises loix, sont ceux qui attachent le plus d’importance a` ce qu’on obe´isse a` la loi, en sa qualite´ de loi, et sans examen. De meˆme les hommes qui adoptent les mesures les plus contraires au bien ge´ne´ral, ne pouvant leur trouver de motifs dans l’intereˆt public, veulent y supple´er en leur donnant l’apparence de la volonte´ du peuple. Ce moyen coupe court a` toutes les objections. Se plaint-on que le peuple est opprime´ ? il a de´clare´ qu’il voulait l’eˆtre. 1, fo 156ro Les adresses d’adhe´sion devraient eˆtre bannies de tout pays ou` l’on a quelqu’ide´e de liberte´. Elles ne peuvent jamais etre conside´re´es comme l’expression d’un sentiment vrai. Le nom de peuple, dit Bentham, est une signature contrefaite pour justifier ses chefs1. La peur vient sans cesse empruntant la langue de l’e´nergie, pour encenser le pouvoir, pour se fe´liciter V: 26–27 le nom de peuple ... chefs. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L TR: 4–7 Le ridicule ... mocque´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 3, p. 91, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 614. 16–23 Les le´gislateurs ... voulait l’eˆtre. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 656 apparat l. 4.

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re´volution ; chacune de nos crises a e´te´ suivie d’un de´luge d’adresses pareilles, qui ne prouvoient jamais que la profonde terreur des foibles et le despotisme des forts.» (Discours sur les pe´titions adresse´es au Tribunat, se´ance du 12 pluvioˆse an VIII (1er fe´vrier 1800), OCBC, Œuvres, t. IV, p. 94). Les adresses de ce genre seront e´galement mentionne´es dans la pre´face des Re´flexions sur les constitutions. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, p. 958, n. 3. BC renvoie a` Je´re´mie Bentham, Traite´s de le´gislation, t. I, p. 125.

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de la servitude et pour encourager les vainqueurs avides de vengeance au sacrifice des vaincus. C’est toujours apre`s les grandes injustices que viennent les grandes adulations. Rome ne se prosternait pas devant Marc Aurele, mais bien devant Tibere et Caracalla. Si je voyais une nation consulte´e dans un pays ou` l’opinion publique serait e´touffe´e, la liberte´ de la presse ane´antie, l’e´lection populaire de´truite, je croirais voir la tyrannie demandant a` ses adversaires une liste pour les reconnaitre et pour les frapper a` loisir. Pour qui pre´tend-on que les adresses d’adhe´sion sont ne´cessaires ? pour les auteurs d’une mesure de´ja prise ? mais ils ont agi. Quel scrupule tardif les saisit tout a` coup ? D’ou vient que nague`res audacieux, ils sont subitement timides ? pour le peuple ? mais s’il blamait leur conduite, retourneraient-ils sur leurs pas ? Ne diraient ils point que les adresses de´sappro1, fo 156vo batrices sont l’ouvrage d’une faction rebelle ? ne feraient-ils point arriver des adresses oppose´es ? Les adresses d’adhe´sion sont une ce´re´monie purement illusoire. Or toute ce´re´monie illusoire est pis qu’inutile. Il y a quelque chose qui fausse et qui de´grade l’esprit d’un peuple dans cette formalite´. On lui commande toutes les apparences de la liberte´ pour voter dans un sens prescrit d’avance. Ce persifflage l’avilit a` ses propres yeux, et rend la liberte´ ridicule. Les adresses d’adhe´sion corrompent le peuple. Elles l’accoutument a` se courber devant la puissance : ce qui est toujours une mauvaise chose, lors meˆme que la puissance a raison.

V: 2–7 C’est toujours ... loisir. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L mot re´crit sur un mot illis. (froisse ?), corr. a. P froisse L

16 fausse ]

TR: 2–3 C’est toujours ... adulations. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 656, apparat l. 15. ; Pense´e de´tache´e, BnF, NAF, 14362, fo 147 3–4 Rome ... Caracalla. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, vo . OCBC, Œuvres, IV, p. 656 ;  De l’esprit de conqueˆte, II, 3, p. 92, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 614. 4–7 Si je voyais ... a` loisir. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 656, apparat l. 15 ; Pense´e de´tache´e, BnF, NAF, 14362, fo 148 ro. 6–7 demandant ... a` loisir. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 3, p. 91, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 614. 15–22 Les adresses d’adhe´sion sont ... raison. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 656, apparat l. 15. VIII,

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Chapitre 3e Condition ne´cessaire pour que les constitutions ne soient pas viole´es.

Bien que nous nous soyons interdits dans cet ouvrage, toute recherche sur les constitutions proprement dites, ce que nous venons d’e´tablir sur la ne´cessite´ de ne les violer sous aucun pre´texte, la` ou` il en existe, nous oblige a` parler d’une condition indispensable, pour pre´venir ces violations. Le bonheur des socie´te´s et la se´curite´ des individus reposent sur certains principes positifs et immuables. Ces principes sont vrais dans tous les climats, sous toutes les latitudes. Ils ne peuvent jamais varier, quelle que soit l’e´tendue d’un pays, le degre´ de sa civilisation, ses mœurs, sa croyance et ses usages. Il est incontestable dans un hameau de 120 cabanes, comme dans une nation de 40 millions d’hommes, que nul ne doit eˆtre arreˆte´ arbitrairement, puni sans avoir e´te´ juge´, juge´ qu’en vertu des loix et selon les formes, empeche´ de manifester son opinion, d’exercer son industrie, de disposer de ses faculte´s d’une manie`re innocente et paisible. Une constitution est la garantie de ces principes. Par conse´quent tout ce 1, fo 157vo qui tient a` ces principes est constitutionnel, et par conse´quent aussi rien n’est constitutionnel de ce qui n’y tient pas. Il y a de grandes bazes auxquelles toutes les autorite´s constitue´es ne doivent pas pouvoir toucher. Mais la re´union de ces autorite´s doit pouvoir faire tout ce qui n’est pas contraire a` ces bazes. Etendre une constitution a` tout, c’est faire de tout des dangers pour elle. C’est cre´er des e´cueils pour s’en entourer. Vous ne pouvez assez pre´voir l’effet d’une disposition partielle pour renoncer a` toute faculte´ de la changer. Une ligne, un mot, dans une constitution peuvent produire des re´sultats V: 1 Chapitre 3e ] Chapitre 〈7〉 3 L gauche, corr. a. L

24-p. 225.1 Vous ... ide´e. ] passage ajoute´ dans la col.

TR: 8–19 Le bonheur ... qui n’y tient pas. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, pp. 159–160, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1058. 8–17 Le bonheur ... de ces principes. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 651, apparat l. 6. 8–16 Le bonheur ... paisible. ]  Principes de politique (1815), p. VI, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 672. 17–19 Une constitution ... qui n’y tient pas. ]  Des re´actions politiques, Ch. 9, p. 95, OCBC, Œuvres, I, p. 502. 19–24 Il y a de grandes ... entourer. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 159, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1058. 19–22 Il y a de grandes ... bazes. ] 23–24 Etendre ...  Principes de politique (1815), p. VI, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 672. entourer. ]  Des re´actions politiques, Ch. 9, pp. 95–96, OCBC, Œuvres, I, p. 503 ;  Principes de politique (1815), pp. V-VI, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 672.

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dont vous n’aviez pas la moindre ide´e. si la constitution entre dans une multitude de de´tails, elle sera infailliblement viole´e : elle le sera dans les petites choses, parce que les entraves que le gouvernement rencontre dans son action ne´cessaire, retombant toujours sur les gouverne´s, ils appe`leront eux meˆmes cette violation. Mais cette constitution sera viole´e aussi dans les grandes choses, parce que le gouvernement partira de sa violation dans les petites pour s’arroger la meˆme liberte´ sur des objets importans. Un sophisme assez spe´cieux lui servira d’excuse. Si pour des conside´rations 1, fo 158ro d’une utilite´ me´diocre, dira-t-il, il est permis de s’e´carter de la charte constitutionnelle, a` plus forte raison doit-il l’eˆtre quand il s’agit de sauver l’Etat. La circonscription se´ve´re d’une constitution dans ses bornes est mille fois pre´fe´rable a` la ve´ne´ration superstitieuse dont on a voulu dans quelques pays, entourer les constitutions successives qu’on leur donnait, comme si l’attachement et l’enthousiasme e´taient des proprie´te´s transmissibles, appartenant toujours par droit de conqueˆte a` la constitution du jour. Cette ve´ne´ration en masse, ine´vitablement et manifestement hypocrite a plusieurs inconve´niens, comme tout ce qui manque de justesse et de ve´rite´. Le peuple y croit, ou le peuple n’y croit pas. S’il y croit, il regarde la constitution comme un tout indivisible, et lorsque les frottemens occasionne´s par les de´fauts de cette constitution le blessent, il s’en de´tache en totalite´. Au lieu de diriger son me´contentement contre certaines parties dont il pourrait espe´rer l’ame´lioration, il le dirige contre l’ensemble qu’il regarde comme incorrigible. Si au contraire le peuple ne croit pas a` la ve´ne´ration qu’on professe, il s’accoutume a` soupconner les de´positaires du pouvoir, d’hypocrisie et de 1, fo 158vo duplicite´. Il re´voque en doute tout ce qu’ils lui disent. Il voit le mensonge en honneur ; et il est a` craindre que dans l’inte´rieur de sa vie prive´e, il ne recourre aux meˆmes moyens dont ses chefs lui donnent l’exemple public. L’on peut exister tole´rablement sous un gouvernement vicieux lorsqu’il n’y a pas de constitution, parce qu’alors le gouvernement est une chose V: 30-p. 226.14 L’on peut exister ... les loix d’Angleterre ] passage ajoute´ sur une feuille intercale´e et dans la col. gauche du folio suivant, corr. a. BC a biffe´ a` la fin du folio pre´ce´dent le de´but d’un aline´a 〈L’axiome des Barons anglais : nous ne voulons pas changer les loix d’Angleterre,〉 L TR: 12–27 La circonscription ... lui disent. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, pp. 160– 13–29 ve´ne´ration ... public. ]  De la pos161, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1058–1059. sibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 653, apparat l. 5. 30-p. 226.28 L’on peut exister ... paisiblement. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 652, apparat l. 2.

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variable qui de´pend des hommes, qui change avec eux, et que l’expe´rience corrige ou pallie, mais une constitution vicieuse, lorsqu’elle est immuable, est beaucoup plus funeste, parce que ses de´fauts sont permanens, se reproduisent toujours, et ne peuvent eˆtre rectifie´s insensiblement ou tacitement par l’expe´rience. Pour faire disparaitre momentane´ment les inconve´niens d’un gouvernement imparfait, il ne faut que de´placer ou e´clairer quelques hommes : pour lutter contre les inconve´niens d’une constitution imparfaite, il faut violer cette constitution, c’est a` dire faire un mal beaucoup plus grand dans ses conse´quences a` venir, que le bien pre´sent que l’on veut atteindre. L’on se repre´sente toujours les modifications apporte´es a` la constitution d’un empire, comme accompagne´es de convulsions terribles et de grandes calamite´s. Si l’on consultait l’histoire, l’on verrait que ces calamite´s n’ont lieu le plus souvent, que parce que les peuples se forment une ide´e exage´re´e de leur constitution, et ne se re´servent aucun mode de l’ame´liorer insensiblement. Nous avons remarque´ plus haut que l’homme avait une facilite´ singulie`re a` manquer a` ses devoirs les plus re´els, de`s qu’il s’affranchissait d’un devoir meˆme imaginaire1. Cette ve´rite´ s’applique aux constitutions, lorsqu’un peuple ne s’est re´serve´ dans son organisation politique aucun moyen de corriger les de´fauts, la plus le´ge´re modification devient pour lui un acte aussi hazardeux, aussi irre´gulier que le plus entier bouleversement. Mais, si, n’envisageant sa constitution que comme un moyen d’arriver au plus haut de´gre´ de bonheur et de liberte´ possible, il s’e´tait me´nage´ dans son organisation meˆme, avec les pre´cautions et les lenteurs convenables, la faculte´ d’apporter a` sa constitution les ame´liorations convenables, comme il n’aurait point en usant de cette faculte´, le sentiment de manquer a` un devoir, ou de donner a` l’e´tat social un e´branlement universel, la modification requise ou desire´e s’ope´rerait paisiblement. Toutes les fois que pour atteindre un but, il faut une violation des formes, il est a` craindre que le but ne soit de´passe´ par ce seul effort. Lorsqu’au contraire la route est trace´e par la constitution meˆme, le mouvement devient re´gulier. Les hommes s’e´tant dit ou` ils veulent arriver, ne s’e´lancent pas au hazard et ne franchissent pas le terme, esclaves de l’impulsion meˆme qu’ils se sont donne´e. 20 de corriger ] d’en corriger L TR: 16–22 l’homme avait ... bouleversement. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 163, 29–34 Toutes les fois ... donne´e. ]  De la possiOCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1059–1060. bilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 8, OCBC, Œuvres, IV, pp. 630–631 ;  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 163, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1060. 1

Ide´e re´currente chez BC.

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Pour la stabilite´ meˆme, la possibilite´ d’une ame´lioration graduelle est mille fois pre´fe´rable a` l’inflexibilite´ d’une immuable constitution. Plus la perspective du perfectionnement est assure´e, moins les me´contens ont de prise. L’on de´fend la totalite´ d’une constitution avec bien plus d’avantage, en de´montrant au peuple la convenance d’ajourner un changement, qu’en lui fesant de sa persistance dans ce qu’il serait abusif, une sorte de devoir mystique, et en opposant a` sa conviction des scrupules superstitieux qui ` un certain de´gre´ de civilisation interdisent l’examen, ou le rendent inutile. A sociale, toute superstition, contrariant le reste des ide´es des mœurs et des habitudes, n’a qu’une influence passage`re. Rien n’est durable pour une Nation, de`s qu’elle a commence´ a` raisonner, sinon ce qui s’explique par le raisonnement et se de´montre par l’expe´rience. L’axiome des Barons anglais : Nous ne voulons pas changer les loix d’Angleterre, e´tait beaucoup plus raisonnable, que s’ils avaient dit, nous ne pouvons pas. Le refus de changer les loix parce qu’on ne veut pas les changer s’explique ou par la bonte´ de ces loix, ou par l’inconve´nient d’un changement imme´diat. Mais un tel refus, motive´ sur l’impuissance devient inintelligible. Quelle est la cause de cette impuissance ? Ou` est la re´alite´ de la barrie`re qu’on nous oppose ? Toutes les fois qu’on met la raison hors de la question, la question se de´nature, et l’on marche contre son but. Il est des articles constitutionnels qui tiennent aux droits de l’espe`ce humaine, a` la liberte´ individuelle, a` celle de l’opinion, a` celle des loix, a` celle des tribunaux. Toutes les autorite´s re´unies ne doivent pas eˆtre compe´tentes pour un changement dans les objets qui sont le but de toute association. Tout le reste est le´gislatif. Ce qui a le plus longtems maintenu la liberte´ britannique, c’est que les trois pouvoirs re´unis ont une autorite´ tre`s e´tendue, meˆme sur l’acte constitutionnel1. V: 6 serait abusif ] croit abusif L 27 L’acte constitutionnel. ] BC pre´voyait ici un e´largissement qu’il a biffe´ par la suite 〈Il y a encore un autre rapport sous lequel cette autorite´ est ne´cessaire. vous ne pouvez assez pre´voir l’effet d’une disposition partielle pour renoncer a` toute faculte´ de la changer. une ligne, un mot dans une constitution peuvent produire des re´sutats dont vous n’aviez pas la moindre ide´e.〉 L TR: 1–12 Pour la stabilite´ ... l’expe´rience. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 653, apparat l. 2. 13–19 L’axiome ... oppose ? ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 653, apparat l. 2. 13–18 L’axiome ... inintelligible. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, pp. 163–164, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1060. 1

Ide´e d’une porte´e fondamentale. Il y a dans quelques constitutions modernes, la premie`re e´tant celle de la Norve`ge de 1814, des articles ou` tout changement est exclu. Est-ce que cette maxime de Constant a eu une influence sur la re´daction d’autres constitutions ? Nous

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Je ne connais rien de si ridicule que ce que nous avons vu sans cesse se renouveller dans notre re´volution. Une constitution se re´dige, on la discute, on la de´cre`te, on la met en activite´. Mille lacunes se font remarquer, mille superfluite´s se rencontrent, mille doutes s’e´le`vent. On commente la constitution, on l’interpre`te comme un manuscrit ancien qu’on aurait nouvellement de´terre´. La constitution ne s’explique pas, dit-on, la constitution se 1, fo 160vo tait, la constitution a des parties te´ne´breuses. Eh ! malheureux ! Croyezvous qu’un peuple se gouverne par des e´nigmes, et que ce qui fut hier l’objet d’une critique se´ve`re et publique, puisse se transformer tout a` coup en objet de ve´ne´ration silencieuse et d’imbe´cille adoration ? Organisez bien vos divers pouvoirs, interessez toute leur existence, toute leur moralite´, tous leurs calculs personnels, toutes leurs espe´rances honorables a` la conservation de votre e´tablissement public, et si toutes les autorite´s re´unies veulent profiter de l’expe´rience pour apporter a` leurs relations re´ciproques des changemens qui ne pe`sent en rien sur les citoyens, qui n’attentent ni a` la surete´ personnelle, ni a` la manifestation de la pense´e, ni a` l’inde´pendance du pouvoir judiciaire, ni aux principes de l’e´galite´, laissez leur toute liberte´ sous ce rapport. Il faut apprendre a` perfectionner la constitution, disait l’ancien e´veˆque d’Autun, dans son rapport sur l’instruction publique, le 10 septembre 17911. En fesant serment de la de´fendre, nous n’avons pu renoncer au droit et a` l’espoir de l’ame´liorer.

V: 12 moralite´, ] moralite´, 〈toutes les espe´rances honorables〉 L orer. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L

18–21 Il faut ... l’ame´li-

TR: 1–18 Je ne connais ... rapport. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, pp. 164–165, 1–10 Je ne connais ... adoration ? ]  De la OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1060–1061. possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 653, apparat l. 2. 11–15 Organisez ... changemens ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 654, apparat l. 32. 17–18 laissez ... rapport. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 654, apparat l. 32.

1

ne le savons pas. Il n’est pourtant pas a` exclure que l’article 79, § 3 de la constitution de la Re´publique Fe´de´rale Allemande, qui statue que les articles 1 et 20 sont exclus de tout changement, meˆme par une loi pre´voyant des changements dans des articles de la constitution, ait e´te´ arreˆte´ sur la base de la connaissance de la doctrine de Constant. Carlo Schmidt, un des membres du comite´ charge´ de re´diger la constitution (Verfassungskonvent) e´tait un connaisseur tre`s e´rudit de la pense´e politique et de la litte´rature franc¸aises. Charles-Maurice de Talleyrand-Pe´rigord, Rapport sur l’instruction publique fait au nom du Comite´ de constitution a` l’Assemble´e nationale les 10, 11 et 19 septembre 1791, Paris : Baudouin et Du Pont, 1791, pp. 11–12.

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VI,

3, Condition ne´cessaire pour que les constitutions ne soient pas viole´es

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Si l’ensemble de vos autorite´s abuse de la liberte´ que vous lui accordez, c’est que votre constitution est vicieuse; car si votre constitution e´tait 1, fo 161ro bonne, elle leur aurait donne´ l’intereˆt de ne pas en abuser a. Mais, dira-t-on, les constitutions ne se font pas par la volonte´ des hommes. Le tems les fait : Elles s’introduisent graduellement et d’une manie`re imperceptible. Elles ne se composent point, comme on l’a cruˆ, d’e´le´mens nouveaux, pour la re´union desquels aucun ciment n’est assez solide. Elles se composent d’anciens e´le´mens, plus ou moins modifie´s. Toutes les constitutions qu’on a voulu faire, se sont e´croule´es. Toutes celles qui ont existe´, qui existent encore, n’avaient pas e´te´ faites. Pourquoi donc chercher des principes pour faire des constitutions ? Sans examiner l’ide´e qui sert de baze a` cette objection, et que nous croyons en ge´ne´ral assez vraye, nous dirons que le principe que nous avons e´tabli, ne s’applique pas exclusivement aux constitutions a` faire, mais a` toutes les constitutions faites. Il de´montre la ne´cessite´ de les de´gager des de´tails superflus qui les empeˆchent d’eˆtre exe´cute´es facilement. Il prouve qu’il faut qu’elles contiennent en elles meˆmes des moyens paisibles d’ame´lioration. Car, plus elles sont inflexibles, moins elles sont respecte´es. 1, fo 161vo Au reste notre de´termination positive de ne traiter dans cet ouvrage aucune des questions qui se rapportent aux formes de gouvernemens, nous force a` laisser plusieurs lacunes sans les remplir, et beaucoup d’objections sans re´ponse. Il y a de certaines institutions que nous conside´rons comme incompatibles avec la liberte´, dans certaines situations donne´es. Il est clair que toutes les autorite´s constitue´es d’un pays ne peuvent pas eˆtre autorise´es a

quelle est la garantie d’un gouvernement durable ? c’est lorsque les diffe´rens ordres de l’Etat l’aiment tel qu’il est, et ne veulent pas de changement. Aristot. Polit. liv. II. ch. 71 .

V: 25–26 quelle est ... ch. 7. ] note ajoute´e dans la col. gauche, corr. a. L TR: 1–3 Si l’ensemble ... abuser. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 11, OCBC, Œuvres, IV, p. 654, apparat l. 32 ;  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 165, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1061. 4–6 Mais, dira-t-on ... imperceptible. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9, p. 165, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1061. 25–26 quelle est ... chap. 7. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 12, en note, OCBC, Œuvres, IV, p. 661. 1

BC renvoie, dans l’ancienne nume´rotation des ouvrages d’Aristote, a` un chap. 7 du livre II, ce qui correspond, dans la nouvelle nume´rotation, au livre II, chap. 10, 1272a. Le passage en cause est le suivant : «La` [=a` Sparte], en effet, parce que tous les citoyens sont e´ligibles, le peuple, participant ainsi a` la magistrature supreˆme, suhaite le maintien de la constitution» (Aristote, Politique, texte e´tabli et traduit par Jean Aubonnet (Paris : Belles Lettres, 1960). Le passage cite´ par BC contient donc exactement l’opinion qu’il re´sume.

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a` e´tablir ces institutions. Mais, pour assigner cette limite a` la juris diction des autorite´s, il eut fallu discuter les institutions qu’il doit leur eˆtre interdit d’adopter, et c’est ce que nous avons re´solu de ne pas faire1.

1

BC attaquera la discussion des proble`mes constitutionnels dans ses Re´flexions sur les constitutions et les garanties ; publie´es le 24 mai 1814, avec une esquisse de constitution (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 931–1283). Et il est l’auteur principal de l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire (OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 561–623).

231 1, fo 162ro

Livre VIIe. De la liberte´ de la pense´e.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14358, fos 162ro–182vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 42vo– 45vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 190ro–243ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 33–41 [=LA].

5. Deux pages autographes du cahier de notes numérotées, BCU, Co 3492. Les textes 561, 563 et 564 seront intégrés dans les Additions du manuscrit de Lausanne. La note 562 esquisse un projet d’écriture qui ne sera pas réalisé. La notion de « pouvoir neutre » évoquée ici n’apparaît nulle part ailleurs dans les Principes de politique.

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Chapitre 1er Objet des trois livres suivans.

1, fo 162ro

Nous allons traiter dans les trois livres suivans, de la liberte´ de la pense´e, de la liberte´ religieuse et de la garantie judiciaire. La liberte´ politique serait une chose de nulle valeur, si les droits des individus n’e´taient place´s a` l’abri de toute atteinte. Tout paı¨s ou` ces droits ne sont pas respecte´s est un paı¨s soumis au despotisme, quelle que soit d’ailleurs l’organisation nominale du gouvernement1. Il y a quelques anne´es que ces ve´rite´s e´taient universellement reconnues. De longues erreurs, une longue oppression sous les pre´textes les plus oppose´s, sous les e´tendarts les plus diffe´rens ont rejette´ toutes les ide´es dans la confusion. Des questions que l’on croirait use´es, si l’on en jugeait par les e´crivains du 18e`me sie`cle, sembleront n’avoir jamais e´te´ l’objet des me´ditations humaines, si l’on en juge par la pluˆpart des e´crivains de nos jours.

V: 4 liberte´ religieuse ] liberte´ de la presse L mot dans l’interl. P

1

religieuse ] 〈de la pense´e〉 religieuse ce dernier

Cette phrase donne l’explication de la lutte acharne´e de BC en faveur de la liberte´ de la presse. Les e´crits consacre´s a` cette question, disperse´s dans les volumes des OCBC, rempliraient a` eux seuls un gros volume. On pourrait en dire presque autant des textes qui traitent de la liberte´ religieuse ou des questions relatives aux garanties judiciaires.

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Principes de politique

Chape 2e De la liberte´ de la pense´e.

1, fo 162vo

Les loix, dit Montesquieu, ne se chargent de punir que les actions exte´rieures a. cette ve´rite´ parait inutile a` de´montrer. L’autorite´ neammoins l’a souvent me´connue. Elle a quelquefois voulu dominer la pense´e meˆme. Les dragonades de Louis XIV, les loix insense´es de l’implacable parlement de Charles II, les fureurs de nos re´volutionnaires n’ont point eu d’autre but. D’autrefois l’autorite´ renonc¸ant a` cette pre´tention ridicule, a de´core´ sa renonciation du nom de concession volontaire, et de tole´rance me´ritoire b. a o

7, f 42v

o

b

Esp. des loix. XII. 111. [Add.] Chacun, dit M. Ferrand, doit avoir la liberte´ de penser ce qui lui plaıˆt, mais non de propager ses opinions, si elles sont dangereuses, come il est permis d’avoir du poison dans son cabinet, mais non de le distribuer ou d’en faire usage2. parmi les phrases qui prouvent jusqu’a` quel point les hommes sont dupes des mots, celle-ci, qui a e´te´ re´pe´te´e par maint e´crivain, est une des plus remarquables. on la retrouve dans les pre´ambules des e´dits, dans tous les discours mitige´s sur la tole´rance, et par les quels on tentait de retarder ses progre`s : et il est de fait que les hommes e´claire´s ont cru pendant quelque tems devoir tenir compte aux possesseurs de l’autorite´ de cette pre´tendue indulgence. Ainsi l’on se fesoit un me´rite de nous permettre de penser ce qui nous paraissait raisonable ! Mais comment pouvait-on nous en empeˆcher ? par quels moyens aurait-on pe´ne´tre´ dans le secret de nos pense´es qu’on nous de´fendoit d’exprimer ? l’on pre´tendoit a` notre reconnoissance, et l’on nous imposoit un indigne silence, et l’on nous fesoit tout le mal qu’on pouvoit nous faire. On respectoit, disoit-on l’inde´pendance de notre pense´e : oui, aussi longtems qu’on l’ignorait, aussi longtems que, silencieuse et ste´rile, elle restoit renferme´e dans notre sein, de´pouille´e de toute expression, prive´e de toute communication sociale, de cette source fe´conde de rectitude et de perfectionnement. Mais exprimer sa pense´e est un besoin de l’homme. la pense´e elle meˆme n’est quelque chose que lorsqu’elle est exprime´e. que ferait le pouvoir contre la pense´e qu’il ne connoˆit pas ? Insolente de´rision de la tyrannie qui pre´tend accorder come une grace ce qu’elle ne peut refuser !

V: 1 Chapitre 2e ] Chapitre 〈2〉 2 le chiffre «2» re´crit sur 1er, sans biffer les lettres en exposant L 1

2

Voir L’esprit des lois, p. 441. Il est inte´ressant de relire l’exemple choisi par Montesquieu, un e´pisode tire´ de Plutarque, Vies paralle`les, chap. «Denys et Brutus». Il y est raconte´ que Denys fait e´corcher Marsyas, un des officiers qu’il avait nomme´ lui-meˆme, parce qu’il se me´fiait de lui, car celui-ci avouait avoir tue´ le tyran dans un reˆve. Nous n’avons trouve´ cette phrase ni dans les e´crits de Ferrand avant 1806, ni dans des textes indique´s par BC dans cette note.

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VII,

1, fo 163ro

2, De la liberte´ de la pense´e.

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Plaisant me´rite que d’accorder ce dont le refus est impossible, et de tole´rer ce que l’on ignore. Pour sentir l’absurdite´ de toute tentative de la socie´te´ sur l’opinion inte´rieure de ses membres, peu de mots suffisent et sur la possibilite´ et sur les moyens. La possibilite´ n’existe pas. La nature a donne´ a` la pense´e de l’homme un azyle inexpugnable. Elle lui a cre´e´ un sanctuaire impe´ne´trable a` toute puissance. Les moyens sont toujours les meˆmes, tellement les meˆmes, qu’en racontant ce qui s’est fait, il y a deux sie`cles, nous semblerons dire ce qui nague`res s’est fait sous nos yeux. Et ces moyens toujours les meˆmes vont toujours contre leur but. On peut de´ployer contre l’opinion muette toutes les ressources d’une curiosite´ inquisitoriale. On peut scruter dans les consciences, imposer sermens sur sermens a, dans l’espoir que celui dont la conscience n’a pas e´te´ re´volte´e d’un premier acte, le sera d’un second ou d’un troisie`me. On peut frapper le scrupule avec une rigueur sans mesure, tout en entourant l’obe´issance d’une inexorable de´fiance. L’on peut perse´cuter les hommes fiers et honneˆtes, en ne me´nageant qu’a regret les esprits souples et complaisans. On peut se montrer e´galement incapable de respecter la re´sistance et de croire a` la soumission b. L’on peut tendre des pie`ges aux citoyens, inventer des formules recherche´es pour de´clarer tout un peuple re´fractaire c, le a

b

c

On prononca sous Charles II le bannissement perpe´tuel de tous les ministres qui ne preˆteraient pas le serment de suprematie. Burnet. Me´moires de son tems. I. 2091. En 1688, trois ans apre`s avoir force´ les religionnaires a` l’abjuration par une perse´cution qui fit pe´rir dix mille hommes sur la roue et dans les flammes, on de´sarma tous les nouveaux convertis, et l’on prononca leur exclusion de toutes les charges municipales. Eclaircissemens sur la re´vocation de l’Edit de Nantes. I. 3792. Le parlement de Charles II de´clara que le Roi pouvait demander a` la nation e´cossaise en masse une caution de sa soumission future, et agir contr’elle comme rebelle, si sa caution n’e´tait pas satisfaisante. hume. XI. 286, 2873.

V: 14 scruter ] 〈s’arreˆter〉 scruter L 14–16 dans ... troisie`me. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L 21 citoyens ] citoyens 〈dans l’espoir que celui dont〉 le passage biffe´ ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L 1

2

3

Nous ne savons pas si BC cite ici la traduction franc¸aise de l’ouvrage de Burnet ou une e´dition anglaise de Bishop Burnet’s History of his own Time. From the Restauration of K. Charles II. to the Conclusion of the Peace at Utrecht, in the Reign of Queen Anne. BC utilise ici un petit extrait d’un passage de Rulhie`re, E´claircissemens historiques sur les causes de la re´vocation de l’e´dit de Nantes : «On crut ne´cessaire d’exclure des moindres charges municipales, apre`s leur abjuration, ceux qui dans ce meˆme sie`cle, avaient donne´ Sully au Royaume.» (t. I, pp. 378–379). David Hume, The History of England from the Invasion of Julius Cæsar to the Revolution in

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1, fo 163vo mettre

1, fo 164ro

hors de la protection des loix, sans qu’il ait agi, le punir sans qu’il ait commis de crimes, le priver du droit meˆme du silence a, poursuivre enfin les hommes jusques dans les douleurs de l’agonie et a` l’heure solennelle de la mort b. Qu’arrive-t-il ? Les hommes honneˆtes s’indignent, les hommes faibles se de´gradent, tous souffrent, nul n’est ramene´. Des sermens impose´s comme des ordres sont une prime a` l’hypocrisie, ils n’atteignent que ce qu’il est criminel d’atteindre, la franchise et l’inte´grite´. On fle´trit l’assentiment lorsqu’on le commande. Appuyer une opinion par des menaces, c’est inviter le courage a` la contester : pre´senter a` l’obe´issance des motifs de se´duction, c’est condamner a` la re´sistance le de´sinteressement. Vingt huit ans apre`s toutes les vexations invente´es par les Stuarts comme une sauvegarde, les Stuarts ont e´te´ chasse´s. Un sie`cle apre`s les attentats contre les Protestans sous Louis XIV, les Protestans ont concouru au renversement de la famille de Louis XIV. A peine dix ans nous se´parent des gouvernemens re´volutionnaires qui se disaient re´publicains, et par une confusion funeste, mais naturelle, le nom meˆme qu’ils ont profane´ ne se prononce qu’avec horreur. a

b

Sous Charles II, on adressait aux suspects en Ecosse trois questions. Le silence ou l’he´sitation e´tait puni de mort. Sous ce pre´texte, des femmes furent pendues, d’autres noye´es. parmi ces dernie`res, une fille de 18 ans et une de 13. Hume XII. 15, 17, 181. La re´vocation de l’Edit de Nantes fut suivie d’une loi portant que ceux qui dans une maladie refuseraient les sacremens, seraient apre`s leur mort, traine´s sur la claye, et leurs biens confisque´s. On voyait souvent des preˆtres e´chaufe´s, le viatique en main, escorte´s d’un juge, de ses huissiers et de ses records, se rendre chez les mourans. Ils provoquaient au sacrile`ge les vieillards a` l’agonie. Ils les exposaient en spectacle a` la multitude attire´e par la curiosite´, et qui tressaillait de joye, a` l’aspect de l’he´re´tique humilie´ ; et lorsque le malheureux expirait, cette populace fanatique se fesait un jeu d’insulter a` ses restes et d’exe´cuter la loi dans toute son horreur. Eclaircissemts, &a. I. 351, 355. II. 1772 .

TR: 19–21 Sous ... 18. ]  Des suites de la contre-re´volution, p. 60, OCBC, Œuvres, I, p. 667. 24–29 On voyait ... II. 177. ]  Minerve franc¸aise, 20 mai 1818, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 415.

1

2

1688, by D. H., new Edition, Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1789, 12 vol. C’est cette e´dition que BC utilise. Son renvoi est impre´cis, bien que le chapitre parle des affaires e´cossaises et du despotisme de Charles II. E. Hofmann a montre´ que BC reprend dans cette note un passage de Des suites de la contre-re´volution. Voir OCBC, Œuvres, t. I, p. 667. Il n’est pas retourne´ au texte de Hume, mais a pris les renvois au t. XII de l’Histoire d’Angleterre dans sa brochure. BC se re´fe`re a` trois passages de l’ouvrage de Rulhie`re qu’il re´sume ici, en inte´grant des expressions de l’auteur cite´ dans sa propre re´daction des faits. Hofmann cite, dans sa note (p. 152, n. 65) les textes de Rulhie`re pour illustrer cette constatation.

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Chape 3e De la manifestation de la pense´e.

1, fo 164vo

Les hommes ont deux moyens de manifester leur pense´e, la parole et les e´crits a. 7, fo 42vo 7, fo 43ro

7, fo 43vo

a

[Add.] Inde´pendamment de la parole et de la presse, les Individus ont un autre moyen de manifester leurs opinions, celui de se re´unir pour les discuter. tous nos souvenirs se soule´vent contre l’exercice de cette faculte´ dont l’abus est si dangereux. je n’excuserai pas assure´ment les rassemblemens insense´s et monstrueux qui ont pre´cipite´ le peuple dans des exce`s de tout genre. je ne connois qu’une circonstance qui justifie les associations d’opinion, entre de simples particuliers : c’est le besoin de reclamer pour des Individus opprime´s. une sorte de courage contagieux force les faibles a` paraıˆtre forts. une assemble´e, dans les momens de danger, est d’ordinaire dirige´e par les plus braves. l’esprit de Corps supple´e a` l’esprit de justice et l’usurpation aperc¸oit une barrie`re. Mais, sous tous les autres rapports, les Re´unions que les Citoyens forment entr’eux, pour discuter leurs opinions, sont plus nuisibles qu’utiles. elles sont le plus souvent dirige´es par de pre´tendus re´formateurs, qui se mettent a` la place du tems et de la volonte´ publique. c’est une petite minorite´ qui veut commander au nom de tous. ces hommes entourent leurs the´ories d’une force qui n’est point celle de la Ve´rite´. Ils e´tablissent au sein des re´unions qu’ils dominent une sorte de gouvernement, qui a tout le poids des gouvernemens re´guliers, sans avoir aucun de leurs avantages. Le Re`gne des Clubs est la tyrannie la plus de´gradante, la plus inhumaine, et la plus grossie`re. En conclurons-nous que le gouvernement ait le droit de proscrire ces re´unions, de limiter le nombre des assistans, d’interdire l’examen de certaines questions dangereuses ? Toutes les loix de ce genre sont e´lude´es ou sont arbitraires. elles exigent de plus des moyens de corruption, car il faut de´grader une partie de la Socie´te´ pour surveiller et de´noncer l’autre. Or, toutes les fois que, sur un objet quelconque, il est impossible de faire une loi tout a` la fois pre´cise, exe´cutable, et qui n’ait pas besoin d’agens corrompus, cet objet ne demande et ne comporte pas de loi. Il faut chercher un autre reme`de, et ce reme`de est la liberte´. que le gouvernement n’interdise point les re´unions, mais qu’il maintienne une liberte´ ve´ritable. qu’il de´fende la liberte´ des Individus contre les re´unions qui tenteroient de l’opprimer. Ces re´unions, en perdant tous les moyens de faire du mal, perdront bientot toute leur importance. Si les individus qui se re´unissent nuisent a` la surete´ de ceux qui ne font pas partie de leur re´union, que le gouvernement se´visse contre les perturbateurs de l’ordre, non comme Membres d’une Socie´te´ ou d’une secte, mais comme perturbateurs. Il serait facile de prouver, que les clubs n’ont acquis, dans la Re´volution Francoise, leur monstrueuse puissance, que parce qu’ils ont employe´ de`s l’origine, pour ranger sous leurs e´tendards, les citoyens contre leur gre´, des moyens de force que le gouvernement auroit du punir. Une loi pe´nale exe´cute´e, car il n’y auroit pas eu besoin d’en faire, il en existoit deja, auroit mieux

V: 1 Chapitre 3e ] Chapitre 3 le chiffre «3» re´crit sur un «2» L 〈contre〉 exe´cute´e P

37 pe´nale exe´cute´e ] pe´nale

TR: 3-p. 239.34 Les hommes ... atteindre. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 143–145, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1048–1050.

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Il fut un tems ou` la parole paraissait digne de toute la surveillance de l’autorite´. En effet si l’on conside`re que la parole est l’instrument indispensable de tous les complots, l’avant coureur ne´cessaire de presque tous les crimes, le moyen de communication de toutes les intentions perverses, l’on conviendra qu’il serait a` desirer qu’on put en circonscrire l’usage, de manie´re a` faire disparaitre ses inconve´niens, en lui laissant son utilite´. Pourquoi donc a-t-on renonce´ a` tout effort pour arriver a` ce but si desirable ? C’est que l’expe´rience a de´montre´ que les mesures propres a` y valu que toutes les loix prohibitives. elle auroit e´te´ d’un effet plus sur et d’une exe´cution plus facile. mais comme les loix prohibitives sont plus favorables aux empie`temens de l’autorite´ et a` sa paresse que les loix pe´nales, elle aime a` s’exage´rer le peu d’influence des premie`res, pour recourir largement aux autres. l’on suppose que les questions politiques ont plus de tendance que les questions de toute autre espe`ce a` mettre en fermentation les passions humaines. c’est une erreur. l’importance intrinse`que d’un objet influe moins sur l’ardeur avec laquelle les hommes s’agitent que celle qu’ils attachent a` eux meˆmes. l’esprit de parti se compose moins de l’appre´ciation de la Chose dispute´e que des engagemens qu’a pris l’amourpropre, des sacrifices que l’on a faits, des dangers que l’on court, des allie`s dont on s’entoure et des ennemis que l’on combat. l’on a massacre´ pour les Courses de Chars et les couleurs bleues et vertes, dans le Cirque de Constantinople, avec autant d’acharnement que dans les Carrefours de Paris, pour la Religion et la liberte´. Que peut-on imaginer de plus frivole que les diffe´rences des couleurs dans des courses de chevaux ? cependant cette diffe´rence cre´a les factions les plus acharne´es dans l’Empire Grec, les Prasini et les Veneti, qui ne suspendirent leur animosite´ qu’apre`s avoir cause´ la perte de ce malheureux gouvernement. Hume. Essays. VIII. p. 541. Dans les Etats ou le peuple n’a point de part au gouvernement. il s’e´chauffera pour un acteur, comme il aurait fait pour les affaires. E. d. L. II. 22. l’on a sollicite´ des Lettres de cachet contre les gluckistes et les Piccinistes3, comme contre les Janse´nistes ou les Athe`es. Conside´rez donc les re´unions comme les Individus. ignorez les si elles sont paisibles. se´vissez contr’elles, si elles troublent l’ordre public. frappez les actions ; abandonnez le reste a` la liberte´ : mais sachez l’assurer, la garantir. Vous la trouverez essentiellement, infailliblement re´paratrice. 1

2 3

L’exemple choisi par BC provient de David Hume, Essays and Treatises on several Subjects, Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1793, t. I, p. 54. La phrase est une traduction presque litte´rale du texte de Hume. BC cite assez fre´quemment cette phrase de l’Esprit des lois. BC fait allusion a` la querelle qui opposa autour de 1778 les partisans de Gluck et de Piccini a` Paris. Christoph Willibald Gluck (1714–1787), compositeur d’ope´ras, d’ope´ras comiques, de compositions instrumentales et de Lieder. Tre`s impressionne´ par Haendel qu’il a connu de`s 1745 a` Londres, il a obtenu un grand succe`s a` Paris avec Iphige´nie en Aulide (1774), Orfe´o (1774) et Alceste (1776). C’est en cette anne´e qu’arriva a` Paris Nicola` Piccini (1728– 1800), compositeur de grand talent de l’e´cole napolitaine. Avec son ope´ra Roland (1778), l’opposition entre les partisans de Gluck et de Piccini se manifesta a` Paris et fut meˆme prolonge´e par l’Acade´mie de musique qui commanda a` ces deux maıˆtres une composition sur le meˆme sujet, Iphige´nie en Tauride. L’œuvre de Gluck, mise en sce`ne en 1779, eut un tre`s grand succe`s durable, tandis que l’œuvre de Piccini, repre´sente´e en 1781, ne put atteindre de loin la meˆme faveur aupre`s du public.

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parvenir e´taient productives de maux plus grands que ceux auxquels on voulait porter reme`de. Espionnage, corruption, de´lations, calomnies, abus de confiance, trahison, soupcons entre les parens, dissentions entre les amis, inimitie´s entre les indiffe´rens, achat des infidelite´s domestiques, ve´nalite´, mensonge, parjure, arbitraire, tels e´taient les e´le´mens dont se composait l’action de l’autorite´ sur la parole. L’on a senti que c’e´tait acheter trop cher l’avantage de la surveillance, l’on a de plus appris que c’e´tait attacher de l’importance a` ce qui ne devait pas en avoir ; qu’en enre´gistrant l’impru1, fo 165ro dence, on la rendait hostilite´ ; qu’en arreˆtant au vol des paroles fugitives, on les fesait suivre d’actions te´me´raires, et qu’il valoit mieux en se´vissant contre les faits que la parole pouvait avoir amene´s, laisser s’e´vaporer d’ailleurs ce qui ne produisait point de re´sultats. En conse´quence, a` l’exception de quelques circonstances tre`s rares, de quelques e´poques e´videmment de´sastreuses, ou de quelques gouvernemens ombrageux qui ne de´guisent point leur tyrannie, la socie´te´ a conserve´ une distinction qui rend sa juris diction sur la parole plus douce et plus le´gitime. La manifestation d’une opinion peut dans un cas particulier produire un effet tellement infaillible qu’elle doive eˆtre conside´re´e comme une action. Alors si cette action est coupable, la parole doit eˆtre punie. Mais il en est de meˆme des e´crits. Les e´crits, comme la parole, comme les mouvemens les plus simples peuvent faire partie d’une action. Ils doivent eˆtre juge´s comme partie de cette action, si elle est criminelle. Mais s’ils ne font partie d’aucune action, ils doivent, comme la parole, jouı¨r d’une entie`re liberte´. Ceci re´pond e´galement aux hommes qui de nos jours, e´tablissaient la ne´cessite´ d’abattre un nombre de teˆtes qu’ils designaient et se justifiaient en disant qu’apre`s tout, ils ne fesaient qu’e´mettre leur opinion, et a` ceux qui veulent profiter de ce de´lire pour soumettre la manifestation de toute opinion a` la juris diction de l’autorite´. Si vous admettez la ne´cessite´ de re´primer la manifestation des opinions, il faut, ou que la partie publique agisse judiciairement, ou que l’autorite´ s’arroge des attributions de police qui la dispensent de recourir aux voies judiciaires. Dans le premier cas les loix seront e´lude´es : Rien de plus facile a` 1, fo 165vo une opinion, que de se pre´senter sous des formes tellement varie´es, qu’une loi pre´cise ne la puisse atteindre. Dans le second, en autorisant le gouvernement a` se´vir contre des opinions quelles qu’elles soient, vous l’investissez du droit d’interpre´ter la pense´e, de tirer des inductions, de raisonner en un mot, et de mettre ses raisonnemens a` la place des faits contre lesquels seuls V: 15 conserve´ ] commence´ L

37 seuls doit ] seuls 〈il〉 doit P

TR: 34-p. 240.1 Dans le second ... latitude. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 146, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1050.

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doit agir l’autorite´. C’est e´tablir l’arbitraire dans toute sa latitude. Quelle est l’opinion qui ne puisse attirer une peine a` son tour ? Vous donnez au gouvernement toute faculte´ de mal faire, pourvuˆ qu’il ait soin de mal raisonner. Vous ne sortirez jamais de ce cercle. Les hommes auxquels vous confiez le droit de juger les opinions, sont tout aussi susceptibles que d’autres, d’eˆtre e´gare´s ou corrompus, et le pouvoir arbitraire dont vous les aurez investis peut eˆtre employe´ contre les ve´rite´s les plus ne´cessaires, comme contre les erreurs les plus funestes. Lorsqu’on ne conside`re qu’un cote´ des questions morales et politiques, il est facile de tracer un tableau terrible de l’abus de nos faculte´s : Mais lorsqu’on envisage ces questions sous tous les points de vue, le tableau des malheurs qu’occasionne l’autorite´ sociale en limitant ces faculte´s, n’est, je le pense, pas moins effrayant. Quel est en effet le re´sultat de toutes les atteintes porte´es a` la liberte´ des e´crits ? d’aigrir contre le gouvernement tous les e´crivains qui auront le sentiment de l’inde´pendance, inse´parable du talent, de les forcer a` recourir a` des allusions indirectes et perfides, de ne´cessiter la circulation de productions clandestines, et d’autant plus dangereuses, d’alimenter l’avidite´ du public pour les anecdotes, les personnalite´s, les principes se´ditieux, de donner a` la calomnie l’air toujours interessant du courage, enfin d’attacher une importance excessive aux ouvrages qui seront proscrits. Sans l’intervention de l’autorite´ la se´dition, l’immoralite´, la calomnie imprime´es ne feraient gue`res plus d’effet au bout d’un certain tems d’une liberte´ complette, que la calomnie, l’immoralite´, la se´dition verbales ou manuscrites. Une re´flexion m’a toujours frappe´. Supposons une socie´te´ ante´rieure a` l’invention du langage et supple´ant a` ce moyen de communication rapide et facile par des moyens moins faciles et plus lents. La de´couverte du langage aurait produit dans cette socie´te´ une explosion subite. L’on aurait attache´ sans doute une gigantesque importance a` des sons encore nouveaux, et bien des esprits prudens et sages aurait pu regretter le tems d’un paisible et V: 2 a` son tour ] a` son auteur L TR: 1–3 Quelle est ... raisonner. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 147, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1051. 4–8 Vous ne sortirez ... funestes. ]  Re´flexions sur les constitutions, 9–13 Lorsqu’on ne conside`re ... effrayant. ]  8, p. 146, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1050. Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 148, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1051. 14–21 Quel est en effet ... proscrits. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 149, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1051. 26-p. 242.18 Une re´flexion ... de la liberte´. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 150–152, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1052–1053. 26-p. 241.7 Supposons ... moyen de plus. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 150, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1052 ;  Principes de politique (1815), 16, pp. 246–247, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 814–815. 26– 29 Supposons ... subite. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 431.

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complet silence. Mais cette importance se serait use´e graduellement. La serait devenue un moyen borne´ dans ses effets. Une de´fiance salutaire, fruit de l’expe´rience aurait pre´serve´ les auditeurs d’un entrainement irre´fle´chi a. Tout enfin serait rentre´ dans l’ordre, avec cette diffe´rence que les communications sociales, et par conse´quent le perfectionnement de tous les arts, la rectification de toutes les ide´es auraient conserve´ un moyen de plus. Il en sera de meˆme de la presse partout ou` l’autorite´ juste et mode´re´e ne se mettra pas en lutte avec elle. Le gouvernement anglais ne fut point e´branle´ par les ce´le´bres lettres de Junius1. Il sut re´sister a` la double force de l’e´loquence et du talent. En Prusse, sous le re´gne le plus brillant qui ait illustre´ cette monarchie, la liberte´ de la presse fut illimite´e2. Fre´de´ric II,

1, fo 166vo parole

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[Add.] j’admets pour un instant que de certains livres puissent corrompre les mœurs ou e´branler les principes de la Morale. Il faut apprendre aux hommes a` se pre´server de ces dangers par leurs propres forces, par leur raison et en s’en de´fendant eux meˆmes. si vous ne faites qu’e´carter les ide´es corruptrices et les sophismes dangereux, les hommes se trouveront sans pre´paration quand ils les rencontreront et se laisseront de´sarmer ou pervertir beaucoup plus vite. les enfans, dont on a toujours enveloppe´ la teˆte, de peur qu’ils ne se la blessaˆssent en tombant, tombent un jour que leur teˆte n’est pas garantie et se la cassent3. S’il est de l’inte´reˆt d’un Individu de re´pandre de mauvaises maximes, Il sera de l’inte´reˆt de mille autres de les refuter.

TR: 1-p. 242.5 La parole ... inestimable. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 431. 1

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L’auteur des Letters of Junius, parues anonymement entre le 21 janvier 1769 et le 21 janvier 1772 dans le Public Advertiser n’a jamais pu eˆtre identifie´. (Voir le Re´pertoire sous Junius, Francis et Woodfall.) Le but de ces pamphlets e´tait de critiquer la politique du ministe´re du duc de Grafton et de Lord North. Nous savons que BC s’est inte´resse´ de tre`s pre`s a` Fre´de´ric II, qu’il projettait meˆme, en 1803, comme il ressort de sa correspondance avec Huber et Sismondi, d’e´crire «l’histoire du re`gne du grand Fre´de´ric, [...] surtout sous le rapport philosophique», ce qui signifie, comme il l’explique, d’e´crire une histoire «de´gage´e de tous les de´tails militaires, et meˆme, autant que faire se pourroit, de la plupart des de´tails de la diplomatie de cette e´poque.» Ce plan pre´voit de «conside´rer surtout le ge´nie de Fre´de´ric II, l’influence de sa philosophie sur celle de l’Allemagne, les progre`s que la liberte´ de la presse qu’il respecta fit faire a` la litte´rature», etc. (OCBC, CG, t. V, p. 88). Cette orientation des recherches base´es sur «la plupart des ouvrages publie´s sur Fre´de´ric II, apre`s sa mort» (ibid.) qu’il posse´dait dans sa bibliothe`que, ressemble d’ailleurs a` ce qu’il comptait faire pour la religion, et explique la pre´cision des remarques sur la monarchie prussienne qu’on trouve ici. Il est fort probable que la source principale de ce passage est l’ouvrage de Friedrich Christoph Jonathan Fischer, Geschichte Friedrichs II., Königs von Preussen, Halle : Friedrich Daniel Francke, 1787, 2 vol. Voir pour plus de de´tails OCBC, Œuvres, t. III/1, pp. 393–430. L’allusion, a` la fin de ce passage, aux «E´dits [...] destine´s a` les [c.-a`-d. les opinions] re´primer» vise l’e´dit de Wöllner sur la religion («Wöllnersches Religionsedikt») de juillet 1788, l’e´dit sur la censure en matie`re de religion («Cesuredikt») de la meˆme anne´e et la cre´ation d’une commission de l’examination du clerge´ (Geistliche Examinationskommission») de 1791, tous destine´s a` assurer l’orthodoxie protestante. BC caracte´rise ainsi les principes applicables par tous les organismes de censure. On les

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durant 46 anne´es, ne de´ploya jamais son autorite´ contre aucun e´crivain, contre aucun e´crit. La tranquillite´ de son re´gne ne fut point trouble´e, bien qu’il fut agite´ par des guerres terribles et qu’il luttaˆt contre l’Europe ligue´e. La liberte´ re´pand du calme dans l’ame, de la raison dans l’esprit des hommes qui jou¨issent sans inquie´tude de ce bien inestimable. Ce qui le prouve, c’est que le successeur de Fre´de´ric II, ayant adopte´ la conduite oppose´e, une fermentation ge´ne´rale se fit sentir. Les e´crivains se mirent en lutte contre l’autorite´ : le gouvernement se vit abandonne´ par les tribunaux, et si les nuages qui s’e´leve`rent de toutes parts sur cet horizon, jadis si paisible, ne se termine`rent pas par une tempeˆte, c’est que les restrictions meˆmes que Fre´de´ric Guillaume tenta d’imposer a` la manifestation de la pense´e, se ressentirent de la sagesse du grand Fre´de´ric. Le nouveau Roi fut contenu par la me´moire de son oncle dont l’ombre magnanime semblait veiller encore sur la Prusse. Ses prohibitions furent re´dige´es plutot dans un style d’excuse que de menaces. Il rendit hommage a` la liberte´ des opinions dans le pre´ambule des Edits meˆmes destine´s a` les re´primer : et des mesures vexatoires en principe furent adoucies dans l’exe´cution par une sorte de pudeur tacite, et par la tradition de la liberte´. L’autorite´ d’ailleurs a pour se de´fendre les meˆmes moyens que ses ennemis pour l’attaquer. Elle peut e´clairer l’opinion, elle peut meˆme la se´duire, et il n’est pas a` craindre que le pouvoir manque jamais d’hommes adroits et habiles qui lui consacrent et leur ze`le et leurs talens. Les partisans de l’autorite´ ne demandent pas mieux que de se donner le me´rite du courage, et de repre´senter l’apologie des gouvernemens comme difficile et hazardeuse. Pour appuyer leurs suppositions, ils choisissent l’exemple du gouvernement franc¸ais renverse´, disent-ils, en 1789, par la liberte´ de la presse1. Mais ce n’est point la liberte´ de la presse qui a renverse´ la monarTR: 6–18 Fre´de´ric II ... de la liberte´. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 27-p. 243.23 Mais ce n’est point ... servitude. ]  Re´flexions sur les 3259, fo 25–26. constitutions, 8, pp. 152–153, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1053–1054 ; et partiellement dans  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, Œuvres, X/1, pp. 431–432.

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retrouve aussi dans les statuts de l’Inquisition romaine ou espagnole qui condamnera en 1817 et en 1824 des ouvrages de Constant. C’est un the`me re´current sous le Consulat et l’Empire que celui des responsabilite´s de la presse dans la chute de la monarchie d’Ancien Re´gime. Les plus ardents a` de´noncer ces responsabilite´s sont e´videmment les contre-re´volutionnaires qui disposent de deux organes de presse : le Journal des De´bats (transforme´ en Journal de l’Empire) et le Mercure de France. Sur les attaques syste´matiques auxquelles ils se livrent contre la Re´volution, voir Andre´ Cabanis, «Le Courant Contre-Re´volutionnaire sous le Consulat et l’Empire (dans le Journal des De´bats et le Mercure de France)», Revue des sciences politiques, 24, 1971, pp. 35–40. Ces attaques contre les journaux de l’e´poque re´volutionnaire sont encourage´es par Napole´on qui, selon sa forte formule «ne veut pas se laisser insulter comme un

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franc¸aise. Ce n’est point la liberte´ de la presse qui a cre´e´ le de´sordre des finances, cause ve´ritable de la Re´volution. Au contraire, si la liberte´ de la presse avait existe´ sous Louis XIV et Louis XV, les guerres insense´es du premier et la corruption dispendieuse du second n’auraient pas e´puise´ l’Etat. La publicite´ aurait contenu l’un de ces Rois dans ses entreprises, l’autre dans ses vices : ils n’auraient pas transmis au malheureux Louis XVI un empire qu’il e´tait impossible de sauver. Ce n’est point la liberte´ de la presse qui a enflamme´ l’indignation populaire contre les de´tentions ille´gales et les lettres de cachet. C’est l’indignation populaire qui a saisi contre l’oppression de la puissance, non pas la liberte´ de la presse, mais la ressource dangereuse du libelle, ressource que toutes les pre´cautions de la police ne parviennent jamais a` enlever au peuple asservi. si la liberte´ de la presse avait existe´, d’un cote´ les de´tentions ille´gales auraient e´te´ moins multiplie´es, de l’autre on n’aurait pu les exage´rer. L’imagination n’aurait pas e´te´ frappe´e par des suppositions dont la vraisemblance e´tait fortifie´e du myste´re meˆme qui les entourait. Ce n’est pas enfin la liberte´ de la presse qui a entraine´ les forfaits et le de´lire d’une re´volution dont je reconnais tous les malheurs. C’est la longue privation de la liberte´ de la presse qui avait rendu le vulgaire des franc¸ais cre´dule, inquiet, ignorant et par la` meˆme souvent fe´roce. C’est parceque, durant des sie`cles, on n’avait pas ose´ re´clamer les droits du peuple, que le peuple n’a su quel sens attacher a` ces mots prononce´s tout d’un coup au milieu de la tempeˆte. Dans tout ce qu’on nomme les exce`s de la liberte´, je ne reconnais que l’e´ducation de la servitude a. a

[Add.] la conqueˆte subite de la liberte´ enyvre des esclaves. La jouı¨ssance de la liberte´ forme des homes dignes de la posse`der. Il est absurde de vouloir cacher les ve´rite´s contraires a` la constitution e´tablie. l’ordre e´tabli pouvant eˆtre renverse´, moins les hommes ont re´fle´chi sur les erreurs qu’il renfermoit, et sont pre´pare´s au principe qu’il faut mettre a` la place, plus il y aura dans le renversement et dans ses suites de de´sordres et de malheurs. Un peuple assure´ de ses droits en jouı¨t avec calme et tranquillite´. s’il en abuse, c’est qu’il en doute. Sa pre´cipitation est l’effet de sa crainte. Bentham. III. 1901.

V: 26 a` la ] a` 〈l’ordre e´tabli〉 la P

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roi». A l’oppose´ de ces the`ses, l’argumentation de Constant ne variera jamais : c’est la censure de la presse qui fragilise les re´gimes en rendant impossibles d’utiles mises en garde et en empeˆchant l’apparition d’une opinion publique e´claire´e. Il de´montre ici qu’elle a fragilise´ la monarchie d’Ancien Re´gime. Sous la Restauration, il ne se lassera pas de re´pe´ter qu’elle a fragilise´ le re´gime de Napole´on (OCBC, Œuvres, t. X/2, pp. 960–1019). BC cite les trois dernie`res phrases du chapitre 21 de la quatrie`me partie des Principes du code pe´nal, Traite´s de le´gislation, t. III, p. 190.

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Les gouvernemens ne savent pas le mal qu’ils se font, en se re´servant le privile`ge exclusif de parler et d’e´crire sur leurs propres actes. On ne croit rien de ce qu’affirme une autorite´ qui ne permet pas qu’on lui re´ponde. On croit tout ce qui s’affirme contre une autorite´ qui ne tole´re pas l’examen. Ce sont ces pre´cautions minutieuses et tyranniques contre les e´crits, comme contre des phalanges ennemies, ce sont ces pre´cautions qui, leur attribuant une influence imaginaire, grossissent leur influence re´elle. Lorsque les hommes voyent des codes entiers de loix prohibitives et des arme´es d’inquisiteurs, ils doivent supposer bien redoutables les attaques repousse´es ainsi. Puis qu’on se donne tant de peines pour e´carter de nous de certains e´crits, doivent-ils se dire, sans doute l’impression qu’ils produiraient, serait bien profonde. Ils portent sans doute avec eux une e´vidence bien irre´sistible. Les dangers de la liberte´ de la presse ne sont point pre´venus par les moyens de l’autorite´. Elle n’atteint point son but ostensible. Mais le but qu’elle atteint, c’est de comprimer la pense´e de tous les citoyens timides ou scrupuleux, de fermer tout acce`s aux re´clamations des opprime´s, de laisser 1, fo 168vo s’inve´te´rer tous les abus, sans qu’aucune repre´sentation s’e´le`ve, de s’entourer elle meˆme d’ignorance et de te´ne`bres, de consacrer le despotisme de ses agens les plus subalternes, contre lesquels on n’ose rien imprimer, de refouler dans les ames l’aigreur, la vengeance, le ressentiment, d’imposer silence a` la raison, a` la justice, a` la ve´rite´, sans pouvoir commander le meˆme silence a` l’audace et a` l’exage´ration qui bravent ses loix a. Ces ve´rite´s seraient incontestables, lors meˆme que nous conviendrions de tous les inconve´niens attribue´s a` la liberte´ de la presse. Que sera-ce si un examen plus approfondi nous porte a` nier ces inconve´niens, et s’il nous est de´montre´ que les calamite´s reproche´es a` la liberte´ de la presse n’ont pour la pluˆpart e´te´ que l’effet de son asservissement. 7, fo 44ro

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[Add.] sous l’ancien Re´gime francois, Il suffisoit qu’un livre de Science Morale fut imprime´ a Paris pour inspirer une pre´vention de´favorable. Bentham. III. 178. la ve´ritable censure est celle d’un public e´claire´, qui fle´trit les opinions dangereuses, et qui encourage les de´couvertes utiles. l’audace d’un Libelle, dans un pays libre, ne le sauve pas du me´pris ge´ne´ral. mais par une contradiction facile a` expliquer, l’indulgence du public a` cet e´gard se proportionne toujours a` la rigueur du gouvernement. Benth. III. 201.

V: 12 serait bien profonde ] la source porte seraient bien profondes P TR: 1–4 Les gouvernemens ... l’examen. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, 5–13 Ce sont ... irre´sistible. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, Œuvres, X/1, p. 432. pp. 149–150, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1051–1052. 1

Traite´s de le´gislation, «Principes du code pe´nal», quatrie`me partie, chap. 21, t. III, p. 178. Citation conforme.

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D’ordinaire, dans le moment meˆme ou` une faction dominante exerce sur la presse le despotisme le plus scandaleux, elle dirige cet instrument contre ses antagonistes, et lorsque, par ses propres exce`s cette faction a amene´ sa chute, les he´ritiers de son pouvoir citent contre la liberte´ de la presse les maux qu’ont occasionne´s des e´crivains mercenaires et des de´lateurs autorise´s. Ceci me conduit a` une conside´ration qui me parait d’un grand poids dans la question. Dans un paı¨s encore agite´ par des partis, lorsqu’un de ces partis parvient 1, fo 169ro a` restreindre la liberte´ de la presse, il a une puissance beaucoup plus illimite´e et plus redoutable que les despotismes ordinaires. Sous les gouvernemens despotiques, on ne permet point la liberte´ de la presse : mais tout se tait e´galement, gouvernans et gouverne´s. L’opinion est silencieuse, mais elle reste elle meˆme. Rien ne l’e´gare, rien ne la fait de´vier. Mais dans une contre´e ou` la faction re´gnante s’est empare´e de la presse, les e´crivains de cette faction argumentent, inventent, calomnient dans un sens comme on pourrait le faire dans tous, si la liberte´ d’e´crire existait. Ils discutent comme s’il e´tait question de convaincre : ils s’emportent comme s’il y avait de l’opposition : ils injurient comme si l’on avait la faculte´ de re´pondre. Leurs calomnies absurdes pre´ce´dent des perse´cutions barbares : leurs plaisanteries fe´roces pre´ludent a` d’ille´gales condamnations. Le public e´loigne´ prend cette parodie de la liberte´ pour la liberte´ meˆme. Il puise des opinions dans leurs libelles mensongers. Leurs de´monstrations d’attaque lui persuadent que les victimes font re´sistance, comme en voyant de loin les danses guerrieres des sauvages, on croirait qu’ils combattent contre les malheureux qu’ils vont de´vorer. Dans les grandes associations des tems modernes, la liberte´ de la presse e´tant le seul moyen de publicite´, est par la` meˆme, quelle que soit la forme du gouvernement, l’unique sauvegarde de nos droits. Collatin pouvait exposer sur la place publique de Rome le corps de Lucre`ce, et tout le peuple 1, fo 169vo e´tait instruit de l’outrage qu’il avait rec¸u ˆ 1. Le de´biteur ple´be´ien pouvait TR: 10–25 Sous les gouvernements ... de´vorer. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 824. 12–25 L’opinion ... de´vorer. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 3, p. 92, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 614–615. 16–25 Ils discutent ... de´vorer. ]  Minerve franc¸aise, fin fe´vrier 1820, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 1181–1182. 26-p. 246.10 Dans les grandes ... flottante. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 153– 154, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1054 ;  Minerve franc¸aise, fin fe´vrier 1820, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 1179–1180. 26-p. 246.5 Dans les grandes ... contre´es. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, OCBC, Œuvres, X/1, pp. 439–440. 1

BC renvoie ici a` Tite-Live, Histoire romaine, livre I, 59, 3. Lucre`ce, l’e´pouse de Collatin, se suicida apre`s avoir e´te´ viole´e par le fils de Tarquin le Superbe, Sextus Tarquin. Cet acte est a` l’origine de la re´volte du peuple de Rome et de l’abolition de la royaute´. Tarquin le Superbe, ayant e´te´ vaincu a` la bataille du lac de Re´gille, dut s’exiler avec sa famille. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1054 et 1147.

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montrer a` ses concitoyens indigne´s, les blessures que lui avait inflige´es le patricien avide, son cre´ancier usuraire1. Mais de nos jours l’immensite´ des empires met obstacle a` ce mode de re´clamation. Les injustices partielles restent toujours inconnues a` la presque totalite´ des habitans de nos vastes contre´es. Si les gouvernemens e´phe´me`res qui ont tyrannise´ la France ont attire´ sur eux la haine publique, c’est moins par ce qu’ils ont fait, que par ce qu’ils ont avoue´. Ils se vantaient de leurs injustices. Ils les publiaient dans leurs journaux. Des gouvernemens plus prudens agiraient en silence, et l’opinion qui ne serait frappe´e que par des bruits sourds, interrompus et mal constate´s, resterait incertaine, inde´cise et flottante. Sans doute l’explosion, comme nous l’avons de´ja remarque´, n’en serait que plus terrible, mais ce serait un mal qui en remplacerait un autre. Toutes les barrie`res civiles, politiques, judiciaires deviennent illusoires sans liberte´ de la presse. L’inde´pendance des tribunaux peut eˆtre viole´e au me´pris de la constitution la mieux re´dige´e. Si la publicite´ n’est pas garantie, ce de´lit ne sera pas re´prime´, car il restera couvert d’un voile. Les tribunaux eux meˆmes peuvent pre´variquer dans leurs jugemens ou bouleverser les formes. La seule sauvegarde des formes est encore la publicite´. L’innocence peut eˆtre plonge´e dans les fers. Si la publicite´ n’avertit pas les citoyens du danger qui plane sur toutes les teˆtes, les cachots retiendront inde´finiment leurs victimes a` la faveur du silence universel. On peut perse´cuter pour des opinions, des croyances ou des doutes, et nul n’ayant la faculte´ d’appeler a` lui l’attention publique, la protection promise par les loix n’est qu’une chime`re, un danger de plus. Dans les pays ou` il y a des assemble´es repre´sentatives, la repre´sentation nationale peut eˆtre asservie, mutile´e, calomnie´e. Si l’imprimerie n’est qu’un instrument entre les mains de l’autorite´, l’empire entier retentira de ses calomnies, sans que la ve´rite´ trouve une seule voix qui s’e´le´ve en sa faveur. Enfin la liberte´ de la presse, ne fut elle accompagne´e d’aucune conse´quence le´gale, aurait encore cet avantage que, dans plusieurs cas, les de´positaires supe´rieurs de l’autorite´ peuvent eˆtre dans l’ignorance des attentats qui se commettent, et que dans d’autres cas ils trouvent commode de feindre cette ignorance. La liberte´ de la presse re´me´die a` ces deux inconve´niens. Elle e´claire l’autorite´ ; elle l’empeˆche de V: 14 sans ] la source porte san P fut elle ] fuˆt-elle L

25 l’imprimerie ] 〈l’impression〉 l’imprimerie L

28 ne

TR: 13–28 Toutes les barrie`res ... faveur. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 154–155, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1054 ;  Minerve franc¸aise, fin fe´vrier 1820, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, p. 1180. 28-p. 247.1 Enfin la liberte´ ... yeux. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, p. 155, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1055. 1

Allusion non e´lucide´e.

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fermer volontairement les yeux. force´e d’apprendre les faits qui se passent dans le myste`re, et de convenir qu’elle en est instruite, elle osera plus rarement le´gitimer des vexations qu’il lui est commode de laisser commettre, en ayant l’air de n’en point eˆtre informe´e. Toutes les re´flexions que l’on vient de lire, ne s’appliquent qu’aux relations de l’autorite´ avec la publicite´ des opinions. Il reste toujours aux individus que cette publicite´ blesse dans leurs interets ou dans leur honneur, le droit d’en exiger la re´paration. Tout homme a celui d’invoquer la loi pour repousser le mal qu’on lui fait, n’importe avec quelle arme. La poursuite 1, fo 170vo individuelle de la calomnie n’a point les inconve´niens de l’intervention de l’autorite´. Personne n’a d’intereˆt a` se pre´tendre attaque´, ni a` recourir a` des interpre´tations force´es pour aggraver les inculpations dirige´es contre lui. Le jugement par Jure´s serait d’ailleurs une garantie contre ces interpre´tations abusives.

V: 4 informe´e. ] la source porte informe´. P

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Chape 4e Continuation du meˆme sujet

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Nous n’avons dans le chapitre pre´ce´dent traite´ de la liberte´ de la presse, que d’une manie`re en quelque sorte administrative. Mais des conside´rations plus importantes, sous les rapports de la politique et de la morale appe`lent notre attention. Restreindre aujourd’hui la liberte´ de la presse, c’est restreindre toute la liberte´ intellectuelle de l’espe`ce humaine. La presse est un instrument dont elle ne peut plus se passer. La nature et l’e´tendue de nos associations modernes, l’abolition de toutes les formes populaires et tumultueuses, rendent l’imprimerie le seul moyen de publicite´, le seul mode de communication des nations entr’elles, comme des individus entr’eux. La question de la liberte´ de la presse est donc la question ge´ne´rale du de´veloppement de l’esprit humain. C’est sous ce point de vue qu’il est ne´cessaire de l’envisager. Dans les pays ou` le peuple ne participe point au gouvernement d’une manie`re active, c’est a` dire partout ou` il n’y a pas une repre´sentation nationale, librement e´lue, et reveˆtue de pre´rogatives imposantes, la liberte´ de la presse remplace en quelque sorte les droits politiques. La partie e´claire´e de la nation s’interesse a` l’administration des affaires, lorsqu’elle peut exprimer son opinion, sinon directement sur chaque ope´ration en particulier, du 1, fo 171vo moins sur les principes ge´ne´raux du gouvernement1. Mais lorsqu’il n’y a dans un paı¨s ni liberte´ de la presse, ni droits politiques, le peuple se de´tache entie`rement des affaires publiques. Toute communication est rompue entre les gouvernans et les gouverne´s. L’autorite´, pendant quelque tems, et les partisans de l’autorite´ peuvent regarder cela comme un avantage. Le gouvernement ne rencontre point d’obstacles. Rien ne le contrarie. Il agit librement, mais c’est que lui seul est vivant, et que la nation est morte. L’opinion publique est la vie des Etats. Quand l’opinion publique ne se renouvelle pas, les Etats de´pe´rissent et tombent en dissolution. Il y avait autrefois en Europe, dans tous les pays, des institutions me`le´es de beaucoup d’abus, mais V: 1 Chap. 4e ] Chapitre 4 le chiffre re´crit sur 3 L TR: 16–30 Dans les pays ... dissolution ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 75. 1

BC pense e´videmment a` la monarchie prussienne sous Fre´de´ric II.

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qui donnant a` de certaines classes des privile`ges a` de´fendre et des droits a exercer, entretenaient dans ces classes une activite´ qui les pre´servait du de´couragement et de l’apathie. C’est a` cette cause qu’il faut attribuer l’e´nergie des caracte`res jusqu’au XVIe sie`cle, e´nergie dont nous ne retrouvons plus aucun vestige. Ces institutions ont e´te´ partout de´truites, ou tellement modifie´es, qu’elles ont perdu presqu’entierement leur influence. Mais vers le meˆme tems ou` elles se sont e´croule´es, la de´couverte de l’imprimerie a fourni aux hommes un moyen nouveau de discussion, une nouvelle cause de mouvement intellectuel. Cette de´couverte et la liberte´ de penser qui en est re´sulte´e ont e´te´ depuis trois sie`cles, favorise´es par certains gouvernemens, tole´re´es par d’autres, e´touffe´es par d’autres encore. Or nous ne craignons pas d’affirmer que les nations chez lesquelles cette occupation de l’esprit a e´te´ encourage´e ou permise, ont seules conserve´ de la force et de la vie, et que celles dont les chefs ont impose´ silence a` toute opinion libre, ont perdu graduellement tout caracte`re et toute vigueur. Les franc¸ais sous la monarchie n’ont e´te´ complettement prive´s des droits politiques qu’apre`s Richelieu. J’ai de´ja dit1 que des institutions de´fectueuses mais investissant des classes puissantes de certains privile`ges qu’elles sont occupe´es sans cesse a` de´fendre, ont au milieu de beaucoup d’inconve´niens, cet avantage qu’elles ne laissent pas la nation entie`re se de´grader et s’abaˆtardir. Le commencement du re`gne de Louis XIV fut encore agite´ par la guerre de la fronde, guerre pue´rile a` la ve´rite´, mais qui e´tait le reste d’un esprit de re´sistance, accoutume´ a` l’action, et continuant a` agir presque sans but. Le despotisme s’accrut beaucoup vers la fin de ce re´gne. Cependant l’opposition se maintint toujours, se re´fugiant dans les querelles religieuses, tantot des calvinistes contre le catholicisme, tantot des catholiques entr’eux. La mort de Louis XIV fut l’e´poque du relachement de l’autorite´. La liberte´ des opinions gagna chaque jour du terrain. Je ne veux point dire que cette liberte´ s’exerc¸a de la manie`re la plus de´cente et la plus utile. Je veux dire seulement qu’elle s’exerc¸a et que de la sorte on ne peut mettre les franc¸ais a` aucune e´poque jusqu’au renversement de la monarchie, parmi les peuples condamne´s a` l’asservissement complet et a` une le´thargie morale. Cette marche de l’esprit humain finit, j’en conviens, par une re´volution terrible. Je suis plus dispose´ que personne a` de´plorer les maux de cette re´volution. Je pense avoir de´montre´ ailleurs qu’elle eut bien d’autres causes que l’inde´pendance et la manifestation de la pense´e2. Mais sans revenir ici sur cette matie`re, je dirai que ceux qui en accusent avec amertume la liberte´ TR: 15–32 Les Franc¸ais ... morale. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 83–84. 1 2

Renvoie a` ce qu’il vient de dire environ 15 lignes plus haut. Voir ci-dessus, pp. 242–243, ou` BC parle des causes ve´ritables de la Re´volution franc¸aise.

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de la presse, n’ont pas re´fle´chi probablement aux effets qu’aurait produits la destruction complette de cette liberte´. L’on voit tre`s bien en toutes choses les maux qui ont eu lieu, et l’on croit voir les causes imme´diates de ces 1, fo 172vo maux. Mais on n’apperc¸oit pas aussi clairement ce qui serait re´sulte´ d’un enchainement diffe´rent de circonstances. Si Louis XIV eut eu pour successeur un prince ombrageux, despotique et assez habile pour opprimer la nation sans la soulever, la france serait tombe´e dans la meˆme apathie que des monarchies voisines, jadis non moins formidables et non moins peuple´es. Mais les Francais ont toujours conserve´ de l’intereˆt a` la chose publique, parce qu’ils ont toujours eu, sinon le droit, au moins la faculte´ de s’en occuper. L’on a beaucoup exage´re´ dans ces derniers tems l’abaissement momentane´ de la France durant la guerre de sept ans, et pendant les anne´es qui pre´ce´de`rent imme´diatement la re´volution. Mais il seroit facile de de´montrer que cet abaissement dont on accuse beˆtement les philosophes, tenoit a` une administration mauvaise, a` de mauvaises nominations, dicte´es, que je pense, non par les philosophes, mais par des maitresses et des courtisans. Cet abaissement ne provenait point d’un manque d’e´nergie dans la nation, elle l’a bien prouve´ quand elle a eu l’Europe a` combattre. L’espagne, il y a 400 ans, e´tait plus puissante et plus peuple´e que la France. Cet empire, avant l’abolition des Corte`s, avait trente millions d’habitans : il en a neuf aujourd’hui. ses vaisseaux couvraient toutes les mers, et dominaient sur toutes les colonies. sa Marine est maintenant infe´rieure a` celle de l’angleterre, de la France et de la Hollande. Cependant le caracte`re espagnol est e´nergique, brave, entreprennant. D’ou` vient donc la diffe´rence frappante entre les destine´es de l’Espagne et celles de la france ? de ce qu’au moment ou` la liberte´ politique disparut en Espagne, rien ne vint offrir a` l activite´ intellectuelle et morale de ses habitans, un nouveau moyen 1, fo 173ro d’essor. On attribuera sans doute la de´cadence de l’Espagne aux fautes de son administration, a` l’inquisition qui la gouverne, a` mille autres causes imme´diates. Mais toutes ces causes tiennent a` la meˆme source. S’il y avait eu en Espagne de la liberte´ pour la pense´e, l’administration eut e´te´ meilleure, parce qu’elle se fut e´claire´e des lumie`res des individus : et quant a` l’inquisition, partout ou` la liberte´ de la presse existe, l’inquisition ne peut pas exister, et partout ou` il n’y a pas de liberte´ de la presse, il se glisse toujours, sous une forme quelconque, quelque chose de pareil a` l’inquisition. L’Allemagne nous fournit le sujet d’une comparaison toute semblable et plus frappante encore, vuˆ la disproportion des deux objets compare´s. L’une des deux grandes monarchies qui se partagent cette contre´e, e´tait jadis un colosse de puissance1. Elle s’affaiblit chaque jour. Ses finances se de´te´rioV: 31 eu en ] la source porte eut en P 1

BC parle de l’Autriche.

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rent : sa force militaire se de´grade. Ses ope´rations inte´rieures sont impuissantes contre le de´pe´rissement qui la mine. Ses efforts exte´rieurs sont mal combine´s et ses de´faites inexplicables. Son cabinet, cependant, nous a long tems e´te´ pre´sente´ par les publicistes, comme un mode`le de suite, de prudence et de secret. Mais il n’existe dans cet empire ni liberte´ politique, ni inde´pendance intellectuelle. Non seulement la presse y est soumise a` des restrictions se´ve`res, mais l’introduction de tout livre e´tranger y est se´ve`rement prohibe´e. La nation se´pare´e de son gouvernement par une nuit e´paisse, ne prend a` ses mesures qu’une faible part. Il n’est pas au pouvoir de l’autorite´ d’endormir ou de re´veiller les peuples suivant ses convenances ou ses fantaisies momentane´es. La vie n’est pas une chose qu’on ote, et qu’on rende tour a` tour. 1, fo 173vo Il est si vrai qu’on doit attribuer les malheurs de la monarchie que j’ai en vue a` ce de´faut de vie inte´rieure, que la portion qui lui a toujours fourni les meilleures troupes et les de´fenseurs les plus ze´le´s est un pais, qui libre autrefois, a conserve´ des regrets, des souvenirs et quelques formes de liberte´. L’he´re´dite´ du throˆne n’a e´te´ reconnue en Hongrie que dans l’assemble´e de 1687 au milieu des plus sanglantes exe´cutions. L’e´nergie des Hongrois ne s’est soutenue sous le gouvernement autrichien, que parce que ce gouvernement ne pe`se sur eux que depuis un peu plus d’un sie`cle. Observez que ce paı¨s est en meˆme tems la portion la plus me´contente de cette monarchie : Mais des sujets me´contens valent encore mieux pour leurs maitres, que des sujets sans ze`le, parce qu’ils sont sans intereˆt a. La Prusse au contraire ou` l’opinion publique n’a jamais e´te´ complettement e´touffe´e, et ou` cette opinion a joui de la plus grande liberte´ depuis a

Il serait curieux de calculer ce que la Maison d’Autriche a perdu, par suite de son systeˆme envers ses peuples, depuis la paix de Cateau Cambresis jusqu’a` celle de Presbourg. Celle de Vervins commenc¸a les restitutions : celle de Westphalie lui couta la hollande et l’alsace. Celle des Pyrenne´es entraina d’autres sacrifices. Avant la fin du meˆme sie`cle, elle renonc¸a a` la Franche-Comte´. Et dans le sie`cle suivant, elle perdit en moins de 50 ans l’Espagne, le Nouveau Monde, Parme, la Sicile, Naples et la Sile´sie. Ajoutez ce qu’elle a perdu depuis lors jusqu’a pre´sent1.

V: 17–20 L’he´re´dite´ ... d’un sie`cle. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L serait ... jusqu’a` pre´sent. ] note ajoute´e dans la col. gauche, corr. a. L 1

26–32 Il

Comme le remarque Hofmann (p. 153, n. 66), la liste de BC est e´tablie dans une optique tre`s franc¸aise et elle ne´glige les acquisitions territoriales de l’Autriche a` l’est au de´triment de la Pologne et de l’empire ottoman. Plus importante est encore l’observation a` la fin de cette note : «L’argument de Constant n’est pas tre`s convaincant : il part du principe que le re´tre´cissement progressif de l’Empire des Habsbourgs provient du manque de liberte´ accorde´e aux lumie`res ; mais ce que l’Autriche perdait, profitait a` des princes tout aussi despotiques.»

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Fre´de´ric II, a lutte´ avec succe`s contre beaucoup de de´savantages, d’autant moins faciles a` surmonter, qu’ils e´taient inhe´rens a` sa situation et a` ses circonstances locales. Mais jusqu’a` l’e´poque de son e´rection en monarchie, 1, fo 174ro vers le commencement du sie`cle dernier, la Prusse s’e´tait ressentie de l’agitation introduite dans tous les esprits en Allemagne par la re´formation. Les e´lecteurs de Brandebourg s’e´taient toujours distingue´s parmi les chefs de la ligue forme´e en faveur de la liberte´ religieuse, et leurs sujets s’e´taient associe´s a` eux de pense´e et d’action, dans cette noble et grande entreprise. Le re´gne militaire de Frederic Guillaume n’avait point amorti cette disposition, quand Frederic II le remplac¸a1. Il laissa la plus grande latitude a` la pense´e, il permit l’examen de toutes les questions de politique et de religion. Son aversion meˆme pour la litte´rature allemande qu’il connaissait peu, fut tre`s favorable a` la liberte´ complette des e´crivains allemands. Le plus grand service que l’autorite´ puisse rendre aux lumie`res, c’est de ne pas s’en occuper. Laisser faire est tout ce qu’il faut pour porter le commerce au plus haut point de prospe´rite´ ; laisser e´crire est tout ce qu’il faut, pour que l’esprit humain parvienne au plus haut de´gre´ d’activite´, de pe´ne´tration et de justesse. Cette conduite de Fre´de´ric eut ce re´sultat que ses sujets s’identifie`rent avec lui dans toutes ses entreprises. Quoiqu’il n’y eut en Prusse aucune liberte´ politique, aucune garantie assure´e, un esprit public s’y forma, et ce fut avec cet esprit public, autant qu’avec ses le´gions, que Fre´de´ric repoussa l’Europe coalise´e contre lui. Durant la guerre de sept ans, il e´prouva de fre´quens revers. Sa capitale fut prise, ses arme´es furent disperse´es : mais il y avait je ne sais quelle e´lasticite´ morale qui se communiquait de lui a` son peuple, et de son peuple a` lui. Les Prussiens avaient quelque chose a` perdre par la de´faite de leur Roi, car ils auraient perdu la liberte´ de la pense´e, la liberte´ de la presse et cette part inde´finissable, mais re´elle que l’exercice de ces deux faculte´s leur donnait dans ses entreprises et dans son administration. Ils le favorisaient de leurs vœux ; ils re´agissaient sur son arme´e ; ils l’appuyaient d’une sorte d’atmosphe`re d’opinion, d’esprit public, 1, fo 174vo qui la soutenait et doublait ses forces. Nous ne nous de´guisons point, en e´crivant ces lignes, qu’il y a une classe d’hommes qui n’y appercevra qu’un sujet de de´rision et de moquerie. Ces hommes veulent a` toute force qu’il n’y ait rien de moral, rien d’intellectuel dans le gouvernement de l’espe`ce humaine. Ils mettent ce qu’ils ont de faculte´s a` prouver l’inutilite´ et l’impuisV: 35 Ils mettent ... a` prouver ] Ils mettent 〈par une sorte de suicide〉 ce qu’ils ont de faculte´s 〈en ce genre〉, a` prouver L TR: 22–25 Durant la guerre ... peuple a` lui. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, p. 155, OCBC, 29-p. 253.1 Ils le favorisaient ... ces faculte´s. ]  De l’esprit de Œuvres, VIII/1, p. 652. conqueˆte, II, 13, pp. 155–156, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 652. 1

Voir ci-dessous, p. 290, n. 1.

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sance de ces faculte´s. Je les prierai pourtant de re´pondre aux exemples que j’ai cite´s, et de nous dire pourquoi, de quatre monarchies encore existantes, les deux anciennement les plus fortes, mais ayant e´touffe´ dans leurs sujets toute activite´ de l’esprit et tout de´veloppement de la pense´e sont tombe´es graduellement dans un e´tat de faiblesse et de le´thargie toujours croissante, et pourquoi les deux autres dont la premie`re a tole´re´ le plus souvent, malgre´ elle, l’existence et l’autorite´ de l’opinion, et dont la seconde l’a favorise´e, se sont e´leve´es a` un haut degre´ de prospe´rite´ et de puissance. Je re´pe´te que des raisonnemens tire´s des fautes et des inconse´quences des gouvernemens dans les deux premie`res monarchies, ne seraient pas admissibles, car ces gouvernemens auraient commis moins de fautes, si la liberte´ les eut entoure´s de plus de lumie`res, ou, lors meˆme qu’ils auraient commis ces fautes, la nation aurait conserve´ quelqu’e´nergie par le seul exercice de la desapprobation bien qu’impuissante. Elle aurait e´te´ prete, comme la nation franc¸aise, a` se relever au premier signal. Je n’ai point voulu m’appuyer de l’exemple de l’Angleterre, bien qu’il m’eut e´te´ beaucoup plus favorable. Quelque jugement qu’on porte sur l’Angleterre, on conviendra, je pense, qu’elle a un esprit national, plus fort et plus actif, que celui d’aucun autre peuple de l’Europe. Mais on aurait pu attribuer, et avec raison, l’e´nergie de l’Angleterre a` sa constitution politique, et je voulais prouver les avantages de la liberte´ de la presse, inde´pendamment de toute constitution. Si j’avais voulu multiplier les preuves, j’aurais pu parler encore de la Chine a. Le gouvernement de cette contre´e est parvenu a` dominer la pense´e a

7, fo 44vo

[Add.] La presse est en Chine aussi libre, ostensiblement qu’en Angleterre, c’est a` dire que chacun peut y exercer la profession d’Imprimeur. mais la manie`re expe´ditrice dont on punit, dans ce pays, sans la formalite´ d’une Instruction juridique toute espe`ce de faute, suffit pour arreˆter la licence de la presse. L’Imprimeur, le Vendeur, le Lecteur d’un e´crit qui de´plairait a` l’autorite´, sont e´galement dans le cas de recevoir la punition du Bambou. La Publication d’un ouvrage qui contiendroit des re´flexions sur la Conduite du gouvernement ou sur celle de ses principaux officiers serait suivie de la perte certaine de l’Auteur et de l’imprimeur. Aussi rien ne parait sur l’administration et la Politique, si ce n’est la gazette de Pe´kin1. M.

V: 23-p. 254.12 Si j’avais ... facile. ] passage ajoute´ a` la fin du texte, col. droite et gauche, corr. a. L TR: 23-p. 254.12 Si j’avais ... facile. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 160–162, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 655. 1

Hofmann (p. 544, n. 57) a identifie´ la source du passage qui suit : John Barrow, Voyage en Chine, formant le comple´ment du voyage de Lord Macartney, traduit de l’anglais avec des notes par J. Caste´ra, Paris : Buisson, an XIII (1805), 3 vol., t. II, pp. 178–180.

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et a` la rendre un pur instrument. Les sciences n’y sont cultive´es que par ses ordres, sous sa direction et sous son empire. Nul n’ose se frayer une route nouvelle, ni s’e´carter en aucun sens des opinions commande´es. Il en est re´sulte´ que la Chine a e´te´ perpetuellement conquise par des e´trangers, moins nombreux que les Chinois. Pour arreˆter le de´veloppement de l’esprit, il a fallu briser en eux l’e´nergie qui leur aurait servi a` se de´fendre et a` de´fendre leur gouvernement. Les chefs des peuples ignorans ont toujours fini dit Bentham III, 21, par eˆtre les victimes de leur politique e´troite et pusillanime. Ces nations vieillies dans l’enfance, sous des tuteurs qui prolongent leur imbecillite´ pour les gouverner plus aise´ment, ont toujours offert au premier agresseur une proye facile1.

de Paw observe2 dans ses recherches que la Chine est entie`rement gouverne´e par le fouet et par le Bambou. a` ces deux choses, il auroit pu ajouter le calendrier annuel et la gazette impe´riale. Car ce sont deux instrumens d’un usage habituel entre les mains du gouvernement. Cette Gazette sert a` re´pandre dans tous les coins de l’Empire l’eloge des vertus et de l’affection paternelle du souverain qui occupe le trone. elle a la forme d’un petit pamphlet. On la publie tous les deux jours. les Missionaires ont pre´tendu qu’une Mort imme´diate seroit la punition d’un mensonge inse´re´ dans cette Gazette. Cependant elle est fameuse pour publier la description de combats qui n’ont point e´te´ livre´s, et pour annoncer des Victoires qu’on n’a jamais remporte´es. Les Missionaires se sont mal explique`s. Ils vouloient seulement dire que l’e´diteur de la Gazette seroit puni, s’il s’avisoit d’y inse´rer quelqu’article, qui ne lui serait pas envoye´ par le gouvernement.

V: 5 de l’esprit ] des esprits L

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Bentham, Traite´s de le´gislation, «Principes du code pe´nal», quatrie`me partie, chap. 1, t. III, p. 21. BC ne cite pas litte´ralement, mais arrange le passage indique´ en le re´sumant partiellement, sans toucher au sens des paroles de l’auteur. «Les principaux ressorts de ce gouvernement sont le fouet & le baˆton : il n’y a pas de Chinois, il n’y a point de Tartare, qui puisse s’y soustraire.» Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, pour servir de suite aux Recherches philosophiques sur les Ame´ricains, Londres : Thoms Johnson, 1774, t. II, p. 401. Nous posse´dons plusieurs e´tats de cette note. Voir ci-dessous, p. 757, n. 3 et p. 758.

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Chape. 5e Continuation du meˆme sujet

1, fo 175vo

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5, Continuation du meˆme sujet

Si vous appliquez a` l’e´tat actuel de l’esprit humain cette expe´rience des trois derniers sie`cles de l’histoire, vous vous convaincrez facilement, que l’ane´antissement de la liberte´ de la Presse, c’est a` dire des progre`s de la pense´e, aurait aujourd’hui des re´sultats plus funestes encore que ceux que nous avons retrace´s. Les monarchies dont nous avons de´crit le de´pe´rissement progressif et la marche re´trograde, prive´es de l’usage libre de l’imprimerie de`s son origine, n’ont ressenti cette privation, que d’une manie`re sourde, lente, imperceptible. Un peuple qui se verrait de´pouille´ de la liberte´ de la presse, apre`s en avoir jou¨i, en e´prouverait d’abord une douleur plus vive, et bientot apre`s, une de´gradation plus rapide. Ce qui avilit les hommes, ce n’est point de ne pas avoir une faculte´, mais de l’abdiquer. Il y a, dit Condillac, deux sortes de barbarie, l’une qui pre´ce´de les sie`cles e´claire´s, l’autre qui leur succe`de1. On peut dire de meˆme, qu’il y a deux sortes de servitude, l’une qui pre´ce´de la liberte´, l’autre qui la remplace. La premie`re est un e´tat de´sirable, si vous la comparez a` la seconde. Mais le choix n’en est pas laisse´ aux gouvernemens, parce qu’ils ne peuvent ane´antir le passe´. Je suppose une nation e´claire´e, enrichie des travaux de plusieurs ge´ne´rations studieuses, posse´dant des chefs d’œuvres de tout genre, ayant fait d’immenses progre`s dans les sciences et dans les arts, et parvenue a` ce point, par la seule route qui puisse y conduire, par une jou¨issance soit assure´e, soit pre´caire de la liberte´ de la presse. Si l’autorite´ mettait chez cette nation de telles entraves a` cette liberte´, qu’il fut chaque jour plus difficile de les e´luder, si elle ne permettait l’exercice de la pense´e que dans un sens de´termine´ d’avance, la nation pourrait vivre quelque tems sur ses capitaux anciens, pour ainsi dire, sur ses lumie`res acquises, sur des habitudes de me´ditation et d’activite´ contracte´es ante´rieurement, mais rien ne se V: 1 Chap.e 5e ] Chapitre 5 le chiffre re´crit sur 4 L 23 mettait chez ] mettait 〈a` cette〉 chez L

10 la liberte´ ] la 〈pense´e〉 liberte´ P

TR: 19-p. 258.5 Je suppose ... entraine´s par elle. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 149– 154, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 649–651. 1

BC prend la citation dans dans l’introduction de l’ouvrage de Condillac, Cours d’e´tude pour l’instruction du prince de Parme, Paris : Ch. Houel, an VI (1798), t. IX, p. 2 : «Il y a donc deux sortes de barbaries, l’une qui succe`de aux sie`cles e´claire´s, l’autre qui les pre´ce`de ; et elles ne se ressemblent point. Toutes deux supposent une ignorance : mais un peuple qui a

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renouvellerait dans les ide´es. Le principe reproducteur serait desse´che´. Durant quelques anne´es, la vanite´ supple´erait peut-eˆtre a` l’amour des lumie`res. Des sophistes se rappelant l’e´clat et la conside´ration que donnaient auparavant les travaux litte´raires, se livreraient a` des travaux du meˆme genre en apparence1. Ils combattraient avec des e´crits le bien que des e´crits auraient faits, et tant qu’il resterait quelque trace des principes libe´raux, il y aurait dans la litte´rature d’un tel peuple, une espe`ce de mouvement, une sorte de lutte contre ces ide´es et ces principes. Mais ce mouvement meˆme et cette lutte seraient un he´ritage de la liberte´ de´truite. A mesure que l’on en ferait disparaitre les derniers vestiges, les dernie`res traditions, il y aurait moins de succe`s et moins de profits a` continuer des attaques, chaque jour, plus superflues. Quand tout aurait disparu, le combat finirait, parce que les combattans n’appercevraient plus meˆme l’ombre de leurs adversaires, et les vainqueurs comme les vaincus garderaient le silence. Qui sait si l’autorite´ ne jugerait pas utile de l’imposer ? Elle ne voudrait pas que l’on re´veillat des souvenirs e´teints, qu’on agitat des questions de´laisse´es. Elle peserait sur ses acolytes trop ze´le´s, comme autrefois sur ses ennemis. Elle de´fendrait 1, fo 176vo d’e´crire meˆme dans son sens, sur les intereˆts de l’espe`ce humaine, comme je ne sais quel gouvernement de´vot avait interdit de parler de Dieu, en bien ou en mal. Ainsi la carriere de la pense´e proprement dite serait de´finitivement ferme´e a` l’esprit humain. La ge´ne´ration e´claire´e disparaitrait graduellement ; la ge´ne´ration suivante ne voyant dans les occupations intellectuelles aucun avantage, y voyant meˆme des dangers s’en de´tacherait sans retour. Envain direz vous que l’esprit humain pourrait s’exercer encore dans la litte´rature le´ge`re, qu’il pourrait se livrer aux sciences exactes et naturelles, qu’il pourrait s’adonner aux arts. La nature en cre´ant l’homme, n’a pas consulte´ l’autorite´. Elle a voulu que toutes nos faculte´s eussent entr’elles une liaison intime, et qu’aucune ne put etre limite´e sans que les autres s’en ressentissent. L’inde´pendance de la pense´e est aussi ne´cessaire, meˆme a` la litte´rature le´ge`re, aux sciences et aux arts, que l’air a` la vie physique. L’on pourrait aussi bien faire travailler des hommes sous une pompe pneumatique, en disant qu’on n’exige pas d’eux, qu’ils respirent, mais qu’ils remuent les bras et les jambes, que maintenir l’activite´ de l’esprit sur un objet donne´, en l’empeˆchant de s’exercer sur les sujets importans qui lui rendent son e´nergie, parce qu’ils lui rappellent sa dignite´. Les litte´rateurs ainsi garotte´s 1, fo 177ro font d’abord des pane´gyriques : mais ils deviennent peu a` peu incapables V: 7 dans ] la source porte dan P

1

toujours e´te´ barbare, n’a pas autant de vices, qu’un peuple qui le devient apre`s avoir connu les arts de luxe.» La description qui suit expose sous forme d’une the`se ge´ne´rale ce que BC a dit de la litte´rature latine du temps d’Auguste. Voir K. Kloocke, «Une e´tude litte´raire inacheve´e de Benjamin Constant : Les ‘Fragments d’un essai sur la litte´rature dans ses rappors avec la liberte´’», ABC, no 1, 1980, pp. 173–200.

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meˆme de louer, et la litte´rature finit par se perdre dans les anagrammes et les acrostiches. Les savans ne sont plus que les de´positaires de de´couvertes anciennes qui se de´te´riorent et se de´gradent entre des mains charge´es de fers. La source du talent se tarit chez les artistes, avec l’espoir de la gloire qui ne se nourrit que de liberte´, et par une relation myste´rieuse, mais incontestable, entre des choses que l’on croyait pouvoir s’isoler, ils n’ont plus la faculte´ de repre´senter noblement la figure humaine, lorsque l’ame humaine est avilie. Et ce ne serait pas tout encore. Bientot le commerce, les professions et les me´tiers les plus ne´cessaires se ressentiraient de la mort de la pense´e. Il ne faut pas croire que le commerce soit a` lui seul un mobile d’activite´ suffisant. L’on s’exage`re souvent 1’influence de l’intereˆt personnel. L’intereˆt personnel lui meˆme a besoin, pour agir, de l’existence de l’opinion. L’homme dont l’opinion languit e´touffe´e, n’est pas long tems excite´ meˆme par son intereˆt. Une sorte de stupeur s’empare de lui : et comme la paralysie s’e´tend d’une portion du corps a` l’autre, elle s’e´tend aussi de l’une a` l’autre de nos faculte´s. L’intereˆt se´pare´ de l’opinion est borne´ dans ses besoins, et facile a` contenter dans ses jou¨issances, il travaille juste ce qu’il faut pour le pre´sent, 1, fo 177vo mais ne pre´pare rien pour l’avenir. Voyez l’Espagne que nous avons cite´e ci dessus1, il arrive ainsi que les gouvernemens qui veulent tuer l’opinion, et croyent encourager l’intereˆt, se trouvent a` leur grand regret par leur ope´ration double et maladroite les avoir tue´s tous les deux. Il existe sans doute un intereˆt qui ne s’e´teint pas sous le despotisme : mais ce n’est pas celui qui porte l’homme au travail. C’est celui qui le porte a` mendier, a` piller, a` s’enrichir des faveurs de la puissance et des de´pouilles de la faiblesse. Cet intereˆt n’a rien de commun avec le mobile ne´cessaire aux classes laborieuses. Il donne aux alentours des despotes une grande activite´ : mais il ne peut servir de levier ni aux efforts de l’industrie, ni aux speculations du commerce. Nous avons montre´ par l’exemple de Fre´de´ric II, combien l’inde´pendance intellectuelle avait d’influence meˆme sur les succe`s militaires2. L’on n’appercoit pas au premier coup d’œuil la relation qui existe entre l’esprit public d’une nation et la discipline ou la valeur d’une arme´e qui combat, se´pare´e de cette nation, et qui souvent est compose´e d’e´le´mens e´trangers. Cette relation pourtant est constante et ne´cessaire. L’on aime de nos jours a` ne conside´rer les soldats que comme des instrumens dociles, qu’il suffit de savoir habilement employer. Cela n’est que trop vrai a` certains e´gards. Mais V: 35 ne´cessaire ] 〈mercen〉 ne´cessaire L 1 2

Voir ci-dessus, p. 250. Voir ci-dessus, p. 251.

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il faut ne´ammoins que ces soldats aient la conscience qu’il existe derrie`re eux une certaine opinion publique. Elle les anime presque sans qu’ils la connaissent. Elle ressemble a` cette musique au son de laquelle ces meˆmes soldats s’avancent a` l’ennemi. Nul n’y prete une attention suivie, et cependant tous sont remue´s, encourage´s, entraine´s par elle. Si elle cessait de se faire entendre, tous se relaˆcheraient insensiblement. Les hordes barbares peuvent seules marcher au combat avec ardeur, sans eˆtre soutenues par l’opinion d’une nation de compatriotes, dont ils de´fendent la cause, et qui prend part a` leur succe`s. Mais c’est que les hordes barbares sont anime´es par l’espoir du pillage ou par le desir de former des e´tablissemens nouveaux, dans le pays dont elles s’emparent. Cet espoir et ce desir leur tiennent lieu d’une opinion publique, ou plutot ce desir et cet espoir sont une ve´ritable opinion. La conqueˆte des Gaules, remarque Filangieri, couta dix ans de fatigues, de victoires, de ne´gociations a` Ce´sar, et ne couta, pour ainsi dire, qu’un jour a` Clovis1. Cependant les Gaulois qui re´sistaient a` Ce´sar e´taient surement moins discipline´s que ceux qui combattaient contre Clovis, et qui avaient e´te´ dresse´s a` la tactique romaine. Clovis, aˆge´ de 15 ou 16 ans, n’e´tait certainement pas plus grand capitaine que Ce´sar. Mais Ce´sar avait a` dompter un peuple qui prenait une grande part a` l’administration de ses affaires inte´rieures, Clovis un peuple esclave depuis cinq sie`cles. Nous avons de´ja o o 1, f 178v dit en commenc¸ant ce chapitre, que chez les peuples modernes, la liberte´ de la presse tenait lieu sous quelques rapports, de la participation imme´diate a` l’administration des affaires. Il y a deux circonstances, j’en conviens, qui peuvent supple´er momentane´ment chez les peuples police´s eux meˆmes, a` l’opinion publique, dans ce qui concerne les succe`s militaires. La premie`re, c’est lorsqu’un grand ge´ne´ral inspire a` ses soldats un enthousiasme personnel. La seconde, lorsque l’opinion publique ayant existe´ long tems avec force, l’arme´e a conserve´ l’impulsion que cette opinion lui avait donne´e. C’est alors l’esprit public qui s’est re´fugie´ de la nation dans l’arme´e. Il est tout simple que cet esprit qui ne se conserve que par le mouvement et par l’intereˆt, s’e´teigne d’abord dans 1, fo 178ro

V: 2 les anime ] ces mots dans l’interl. sup. au-dessus de deux mots biffe´s illis. L la source porte dan P

32 dans ]

TR: 14–21 La conqueˆte ... cinq sie`cles. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, p. 179, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 665. 1

BC cite ici, en transformant le´ge`rement le texte, une note du chap. VII du livre II de La science de la le´gislation de Filangieri (Œuvres de G. Filangieri, traduites de l’italien, nouvelle e´dition, Paris : P. Dufart, 1822, t. I, p. 270).

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la partie paisible et inactive du peuple, lorsque l’autorite´ lui enle`ve tout aliment, et qu’il se conserve plus long tems dans la partie active et guerrie`re. Mais de ces deux circonstances, l’une est accidentelle, l’autre est passage`re, et dans toutes les deux, c’est une cause factice qui supple´e a` la seule cause re´elle et durable. Toutes les faculte´s de l’homme se tiennent a. L’industrie et l’art militaire se perfectionnent par les de´couvertes des sciences. Les sciences gagnent a` leur tour aux perfectionnemens de l’art militaire et de l’industrie. Les lumie`res s’appliquent a` tout. Elles font faire des progre`s a` l’industrie, a` tous les arts, a` toutes les sciences, puis en analysant ces progre`s, elles e´tendent leur propre horizon. La morale enfin s’e´pure et se rectifie par les lumie`res. Si le gouvernement porte atteinte a` la manifestation de la pense´e, la morale en sera moins saine b, les connaissances de fait moins exactes, les sciences moins actives dans leurs de´veloppemens, l’art militaire moins avance´, l’industrie moins enrichie par des de´couvertes. L’existence humaine, attaque´e dans ses parties les plus nobles, sent bientot le poison s’e´tendre jusqu’aux parties les plus e´loigne´es. Vous croyez n’avoir fait que la borner dans quelque liberte´ superflue, ou lui retrancher quelque pompe inutile, votre arme empoisonne´e l’a blesse´e au cœur. Cette marche que nous retrac¸ons ici, ce n’est point de la the´orie, c’est de l’histoire. C’est l’histoire de l’empire grec, de cet empire he´ritier de celui de Rome, investi d’une grande portion de sa force et de toutes ses lumie`res, de cet empire ou` le despotisme s’e´tablit avec toutes les donne´es les plus favorables a` sa puissance et a` sa dure´e, et qui de´pe´rit et tomba par cela seul que tout empire despotique doit de´pe´rir et tomber c. a

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7, fo 44vo

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[Add.] quant au mal qui peut re´sulter de la Censure, Il est impossible de l’evaluer, car il est impossible de dire ou il s’arreˆte. Ce n’est rien moins que le danger d’arreˆter tous les progre´s de l’esprit humain dans toutes les carrie`res. Si cela n’avoit tenu qu’aux hommes constitue´s en autorite´, ou en serions nous aujourdhui ? Religion, le´gislation, physique, morale, tout serait encore dans les Tene`bres. Benth. III. 22–231. Le voyage en Chine de John Barrow peut servir a` montrer ce que devient pour la morale, comme pour tout le reste un peuple frappe´ d’immobilite´ par l’autorite´ qui le re´git2. [Add.] Les gouvernemens voudroient que les hommes fussent souples pour leur obe´ir et

V: 30 Le voyage en Chine ... re´git. ] note ajoute´e dans la col. gauche, corr. a. L TR: 5–18 L’industrie ... au cœur. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 156–157, OCBC, 15–18 L’existence ... au cœur. ]  Commentaire sur Filangieri, I, Œuvres, VIII/1, p. 653. p. 77. 19–24 Cette marche ... tomber. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, p. 160, OCBC, 30–31 Le voyage ... re´git. ]  Co 3492, no 600. Œuvres, VIII/1, p. 654. 1

2

BC renvoie a` Bentham, Traite´s de le´gislation, «Principes du code pe´nal», quatrie`me partie, chap. 1, t. III, pp. 22–23, ou` il prend, dans un passage plus de´veloppe´, les phrases qu’il cite ici. BC coupe un passage sur le censeur, «esprit si rare» qui «s’e´le`ve au-dessus des pre´juge´s e´tablis». BC reprend ici une note qui formulait dans un premier temps tout simplement l’intention

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L’on nous parle souvent, je le sais, d’un cercle pre´tendu que parcourt l’esprit humain, et qui, dit-on, rame`ne par une fatalite´ ine´vitable, l’ignorance apre`s les lumie`res, la barbarie apre`s la civilisation1. Mais par malheur pour ce syste`me, le despotisme s’est toujours glisse´ entre ces e´poques, de 1, fo 179vo manie`re qu’il est difficile de ne le pas accuser d’entrer pour quelque chose dans cette re´volution. La ve´ritable cause de ces vicissitudes dans l’histoire des peuples, c’est que l’intelligence de l’homme ne peut rester stationnaire. Si vous ne l’arretez pas, elle s’avance ; si vous l’arretez, elle recule, parce qu’elle ne peut demeurer au meˆme point. La pense´e est le principe de tout. Si vous la de´couragez sur elle meˆme, elle ne s’exercera plus sur aucun objet qu’avec langueur. On dirait qu’indigne´e de se voir repousse´e de la sphe`re qui lui est propre, elle veut se venger par un noble suicide de l’humiliation qui lui est inflige´e. Tous les efforts de l’autorite´ ne lui rendent pas la vie. Le mouvement factice et interrompu qu’elle rec¸oit ne ressemble qu’a` ces convulsions qu’un art plus effrayant qu’utile imprime aux cadavres sans les ranimer. que si le gouvernement voulait supple´er par son activite´ propre a` l’activite´ naturelle de l’opinion enchaine´e, comme dans les places assie´ge´es on fait piaffer entre des colonnes, les chevaux qu’on tient enferme´s, il se chargerait d’une taˆche difficile. D’abord une agitation toute artificielle est che`re a` entretenir : car elle ne s’entretient que par des choses extraordinaires. Lorsque chacun est libre, chacun s’interesse ou s’amuse de ce qu’il fait, de ce qu’il dit, de ce qu’il e´crit. Mais, lorsque la grande masse d’une nation ˆ le de spectateurs force´s au silence, il faut, pourque ces 1, fo 180ro est re´duite au ro spectateurs muets applaudissent, ou seulement pourqu’ils regardent, que les entreprenneurs du spectacle re´veillent sans cesse leur curiosite´ par des coups de the´atre et des changemens de sce`ne a. Or c’est sans doute un 7, fo 45ro 7, fo 45ro

a

courageux pour les de´fendre, ignorans de manie`re a` ne jamais avoir d’opinion a` eux, et e´claire´s de manie`re a` eˆtre des instrumens habiles. mais cette re´union de choses oppose´es et incompatibles ne dure jamais longtems. [Add.] l’observation, que, lorsqu’un gouvernement, mettant des entraves a` la pense´e, empeˆche ses sujets de s’occuper par eux meˆmes, il faut qu’il les occupe, et que pour les occuper, il fasse des choses extraordinaires, est de circonstance. Les gouvernemens qui

TR: 1–13 L’on nous ... inflige´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 157–158, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 653. 7–9 l ’intelligence ... meˆme point. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 77. 9 La pense´e ... tout. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, p. 156, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 653. 10–13 Si vous la ... inflige´e. ]  Commentaire sur Filangieri, I, p. 77. 16–26 que si le gouvernement ... sce`ne. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 158–159, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 654. 26-p. 261.4 Or, c’est ... ne l’exige pas. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, III, 6, OCBC, Œuvres, IV, p. 452.

1

d’acheter l’ouvrage de Barrow : «〈acheter〉 le voyage en Chine de 〈illis.〉 John Borrow, 3 vol. a` Paris chez Buisson, peut servir a` montrer ce que devient pour la morale comme pour tout un peuple stationnaire». Il est difficile de dire qui est vise´ ici. On pourrait penser a` Ferrand. En tout cas, la version

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avantage dans un gouvernement, qu’il soit propre a` de grandes choses, quand le bien ge´ne´ral l’exige. Mais c’est un inconve´nient incalculable pour les gouverne´s, que le gouvernement soit condamne´ a` faire ce qu’on appe`le de grandes choses, quand le bien ge´ne´ral ne l’exige pas. D’ailleurs ce mouvement factice ne remplit pas long tems son but. Les gouverne´s cessent bientot d’e´couter un long monologue qu’il ne leur est jamais permis d’interrompre. La nation se fatigue d’un vain e´talage, dont elle ne supporte que les fraix ou les pe´rils, mais dont les intentions et la conduite lui sont e´trange`res. L’intereˆt aux choses publiques se concentre entre l’autorite´ et ses cre´atures. Une barrie`re morale s’e´le`ve entre le pouvoir qui s’agite et le peuple qui reste immobile. Le premier s’efforce vainement de communiquer a` l’autre son agitation, et les entreprises les plus e´clatantes et les ce´le´brations les plus pompeuses de ces entreprises, ne sont que des ce´re´monies fune´raires, ou` l’on forme des danses sur des tombeaux. Les places se remplissent d’instrumens passifs, et l’obe´issance se de´pouille de toute spontane´¨ıte´. Tout marche,

ge`nent l’activite´ individuelle ont aussi la possibilite´ de ne rien faire et de rester immobiles, en forc¸ant la Nation a` demeurer telle. c’est ce qu’ils font souvent. alors ils s’abrutissent eux et la Nation. Ce´sar, de`s qu’il eut enleve´ aux Romains leur liberte´, et par la` leur occupation exclusive et unique, fut oblige´ de leur annoncer la guerre des Parthes. Louis XIV, ayant re´ussi a` rendre plus lourd le joug de l’Autorite´, jeta la France dans une suite de guerres, fit de´vaster le Palatinat, bouleversa l’Europe, le tout pour fournir un aliment a` l’inquie´tude d’un peuple nouvellement asservi. Rien n’est plus naturel. Sous une administration semblable, le gouvernement se met a` la place de la Nation. On ne parle plus de la Nation, come dans les Etats libres, on parle du gouvernement. Or il faut alors que le gouvernement pre´pare sans cesse de quoi faire parler. Les gouvernans se trouvent, en quelquesorte, vis a` vis des gouverne´s, dans la situation des favoris vis a` vis des Rois, bien que d’ailleurs leurs rapports soient tre`s diffe´rens. Louvois pre´cipita Louis XIV dans une entreprise de´sastreuse, pour lui oter le tems de re´fle´chir sur la conduite de ses ministres. Il faut que les Gouvernemens qui enle`vent aux V: 9–10 cre´atures. Une ] cre´atures. 〈a` la moindre interruption, tous les rouages cessent de se mouvoir.〉 Une L TR: 5–8 Les gouverne´s ... e´trange`res. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 11, p. 41, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 581. 10–11 Une barrie`re ... immobile. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 11, 12–14 les entreprises ... tombeaux. ]  De pp. 41–42, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 582. l’esprit de conqueˆte, I, 11, p. 42, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 582. 15-p. 262.8 Tout marche ... toutes immobiles. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, p. 159, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 654.

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optimiste de la the´orie du progre`s du genre humain, propose´e par Condorcet et adopte´e par BC, n’est pas reste´e sans objections. Franc¸ois-Michel Le Tellier, sieur de Chaˆville, puis marquis de Louvois (1639–1691), surtout connu pour son caracte`re impe´tueux et comme organisateur de l’arme´e royale. BC fait allusion ici a` la de´vastation du Palatinat, aux dragonnades contre les protestants et aux guerres inutiles et de´sastreuses de la France.

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1, fo 180vo mais

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par le commandement et par la menace. Tout est plus cher, parce que les hommes se font payer pour descendre au rang de simples machines. Il faut que l’argent fasse la fonction de l’opinion, de l’e´mulation et de la gloire. Tout est moins facile, parce que rien n’est volontaire. Le gouvernement est obe´i plutot qu’il n’est seconde´. a` la moindre interruption tous les rouages cessent d’agir. C’est une partie d’e´checs, la main du pouvoir la dirige ; aucune pie`ce ne re´siste ; mais si le bras s’arreˆtait un instant, elles resteraient toutes immobiles. Enfin le mouvement s’affaiblit dans l’autorite´ meˆme. La le´thargie d’une nation ou` il n’y a pas d’opinion publique, se communique a` son gouvernement, quoiqu’il fasse. N’ayant pu la tenir e´veille´e, il finit par s’endormir avec elle. Ainsi donc tout se tait, tout s’affaisse, tout de´ge´ne`re, tout se de´grade chez une nation qui n’a plus le droit de manifester sa pense´e, et tot ou tard un tel empire offre le spectacle de ces plaines de l’Egypte ou` l’on voit une immense pyramide, peser sur une poussiere aride, et re´gner sur de silencieux de´serts a. C’e´tait une belle conception de la nature d’avoir place´ la re´compense de l’homme hors de lui, d’avoir allume´ dans son cœur cette flamme inde´finissable de la gloire, qui se nourrissant de nobles espe´rances, source de toutes les actions grandes, pre´servatif contre tous les vices, lien des ge´ne´rations entr’elles et de l’homme avec l’univers, repousse les plaisirs grossiers et de´daigne les desirs sordides. Malheur a` qui l’e´teint cette flamme sacre´e ! Il remplit dans ce monde le role du mauvais principe, il courbe de sa main de fer notre front vers la terre, tandis que le ciel nous a cre´e´s pour marcher la teˆte haute et pour contempler les astres.

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Gouverne´s l’exercice le´gitime de leurs faculte´s, les tiennent dans un e´tat d’e´tourdissement continuel par des Entreprises gigantesques. [Add.] Il y a, je le sai, des hommes tellement concentre´s dans le besoin de l’autorite´, tellement de´vore´s d’un aˆpre et sombre e´goı¨sme, que ce tableau meˆme pourroit ne pas les e´pouvanter. Il faut que la pense´e pe´risse, pourqu’ils dominent, et dussent les arts, les Sciences et les lettres pe´rir avec la pense´e, Ils de´pouilleront volontiers l’espe`ce humaine de toutes les pompes de sa Nature, pour perpe´tuer leur empire sur cette espe`ce mise´rable et mutile´e. On dirait que le ge´nie du Mal les a lance´s sur la terre, de quelque plane`te inconnue, en leur donnant la figure de l’homme, pour la perte de l’humanite´. Dans une Nation libre, Il est tre`s souvent indiffe´rent que les particuliers raisonnent bien ou mal. il suffit qu’ils raisonnent... de meˆme, dans un gouvernement despotique, Il est e´galement pernicieux qu’on raisonne bien ou mal. il suffit qu’on raisonne, pourque le Principe du gouvernement soit choque´. E. d. L. XIX. 27.

V: 5–6 a` la moindre ... d’agir. ] a` la moindre interruption, tous les rouages cessent d’agir ce dernier mot re´crit sur de se suivi de 〈mouvoir〉 passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L 34–37 Dans une nation ... XIX. 27. ] aline´a ajoute´, comme une note, au texte sur l’e´goı¨sme despotique P TR: 9–15 La le´thargie ... de´serts. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 159–160, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 654. 15–24 C’e´tait ... astres. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 162– 163, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 656.

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Chap. 6e Explication ne´cessaire.

En disant que la liberte´ de la presse remplace en quelque sorte les droits politiques, je n’ai point voulu dire qu’elle les remplac¸at parfaitement. Comme elle n’est jamais que pre´caire, la` ou` ces droits n’existent pas, elle ne fait pas tout le bien qu’elle pourrait faire, et le bien qu’elle fait est me´le´ de beaucoup de maux. C’est ce qui est arrive´ en france, a` la fin du dix huitie`me sie`cle. Mais dans ce cas, comme dans tous ceux de cette espe`ce, ce n’est pas a` la liberte´ qu’il faut s’en prendre, c’est a` l’absence de la garantie ; il ne faut pas retrancher l’une, mais assurer l’autre. La liberte´ de la presse ne peut eˆtre convenablement limite´e que la` ou` la liberte´ politique existe. Ailleurs les hommes e´claire´s sont oblige´s de s’e´lever contre toutes les limites, parce que l’arbitraire ne peut rien limiter convenablement.

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[Addition] La pense´e est un besoin de l’homme, come tous les autres. Il est impossible de faire taire ce besoin, en invitant l’home a` en satisfaire un diffe´rent. tous les besoins de l’homme veulent eˆtre satisfaits.

V: 1 Chap. 6 ] Chap. 6 le chiffre re´crit sur 5 L

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Principes de politique

Chap. 7e Dernie`re observation

En arreˆtant la manifestation de la pense´e, vous fermez au talent sa plus belle carrie`re. Mais vous n’empecherez pas la nature de donner naissance a` des hommes de talent. Il faudra bien que leur activite´ s’exerce. Qu’arrivera-t-il ? qu’ils se diviseront en deux classes. Les uns, fide`les a` leur destination primitive, attaqueront votre autorite´, les autres se pre´cipiteront dans l’e´goisme, et feront servir leurs faculte´s supe´rieures a` l’accumulation de tous les moyens de jouissances, seul de´dommagement qui leur soit laisse´. Ainsi l’autorite´, par son activite´ merveilleuse, aura fait deux parts des hommes d’esprit. Les uns seront se´ditieux, les autres fripons. Elle les punira sans doute ; mais elle les punira de son propre crime. Si leur ambition le´gitime avait trouve´ le champ libre pour ses espe´rances et ses efforts honorables, les uns seraient encore paisibles, les autres encor[e] vertueux. Ils n’ont cherche´ la route coupable qu’apre`s avoir e´te´ repousse´s des routes naturelles qu’ils 1, fo 182vo avaient droit de parcourir. Je dis qu’ils en avaient le droit, car l’illustration, la renomme´e, la gloire sont le patrimoine de l’espe`ce humaine. Il n’appartient pas a` quelques hommes de les ravir a` leurs e´gaux. Il ne leur est pas permis de fle´trir la vie, en la de´pouillant de ce qui la rend brillante.

V: 1 Chap. 7e ] Chap. 7 le chiffre re´crit sur 6 L 13 honorables, les ] honorables, 〈ils seroient〉 les L 18 de les ravir a` ] 〈d’en de´pouiller tous〉 de les ravir a` corr. a, dans l’interl. sup. L

TR: 3–19 En arreˆtant ... brillante. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, pp. 161–162, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 655–656.

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Livre VIIIe. De la liberte´ religieuse.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14359, fos 2ro–18ro [=P] 2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 45vo–47ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 245ro–287ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 42–47 [=LA].

V: 1 Livre VIIIe ] 〈Premie`re partie. Livre troisie`me Section troisie`me.〉 Livre derniers mots e´crits au-dessus de la premie`re ligne L

VIII

les deux

6. Page autographe du livre VIII des Principes de politique, manuscrit de Lausanne, f° 287. La colonne gauche conserve des traces de l’ancienne distribution du texte. La page appartenait à un chapitre 29 de l’état précédent de l’ouvrage, à dater avant 1806.

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Chapitre 1er Pourquoi la religion fut si souvent attaque´e par les hommes e´claire´s.

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En examinant la compe´tence de l’autorite´ sur la religion, nous ne pre´tendons point contester les avantages des ide´es religieuses. Plus on aime la liberte´, plus on che´rit les ide´es morales, plus l’e´le´vation, le courage, l’inde´pendance sont un besoin, plus il est ne´cessaire, pour se reposer des hommes, de se re´fugier dans la croyance d’un Dieu. Si la religion avait toujours e´te´ parfaitement libre, elle n’aurait, je le pense, e´te´ jamais qu’un objet de respect et d’amour1. L’on ne concevrait gue`res le fanatisme bizarre qui rendrait la religion en elle meˆme, un objet de haine ou de malveillance. Ce recours d’un eˆtre malheureux a` un eˆtre juste, d’un eˆtre faible a` un eˆtre bon, me semble ne devoir exciter dans ceux meˆmes qui le conside´rent comme chimerique, que l’intereˆt et la sympathie. Celui qui regarde comme des erreurs toutes les espe´rances de la religion, doit eˆtre plus profonde´ment e´mu que tout autre, de ce concert universel de tous les eˆtres souffrans, de ces demandes de la douleur, s’e´lanc¸ant vers un ciel d’airain de tous les points de la terre pour rester sans re´ponse, et de l’illusion secourable qui prend pour une re´ponse le bruit confus de tant de prie`res re´pe´te´es au loin dans les airs. Les causes de nos peines sont nombreuses. L’autorite´ peut nous proscrire, le mensonge nous calomnier. Les liens d’une socie´te´ toute factice nous blessent : la nature inflexible nous frappe dans ce que nous che´rissons. La vieillesse s’avance vers nous, e´poque sombre et solennelle ou` les objets s’obscurcissent et semblent se retirer, ou` je ne sais quoi de froid et de terne se re´pand sur tout ce qui nous entoure. TR: 9–273.3 Si la religion ... l’attaquer. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 255–265, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 820–825 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, Si la religion ... qu’il est e´mu. ]  pp. 331–340, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1240–1244. Minerve franc¸aise, 20 avril 1819, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 812–814. 9–14 Si la religion ... sympathie. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 1.15 15–20 Celui qui ... airs. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 7–8 ;  De la Religion, I, 1, pp. 9–10. 21-p. 268.12 Les causes ... l’infortune´. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 1–2 ;  De la Religion, I, 1, pp. 8–9. 1

C’est une des the`ses principales de De la Religion. BC en parle publiquement pour la premie`re fois avec les de´veloppements ne´cessaires dans ses lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal (fe´vrier – avril 1818). Voir OCBC, Œuvres, t. XI, a` paraıˆtre.

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Contre tant de douleurs nous cherchons partout des consolations, et toutes nos consolations durables sont religieuses. Lorsque le monde nous abandonne, nous formons je ne sais quelle alliance au dela` du monde. Lorsque les hommes nous perse´cutent, nous nous cre´ons je ne sais quel recours par dela` les hommes. Lorsque nous voyons s’e´vanouir nos chime`res les plus che´ries, la justice, la liberte´, la patrie, nous nous flattons qu’il existe quelque part un eˆtre qui nous saura gre´ d’avoir e´te´ fide`les, malgre´ notre sie`cle, a` la justice, a` la liberte´, a` la patrie. Quand nous regrettons un objet aime´, nous jetons un pont sur l’abyme et le traversons par la pense´e. Enfin quand la vie nous e´chappe, nous nous e´lanc¸ons vers une autre vie. Ainsi la religion est de son essence la compagne fide`le, l’inge´nieuse et infatigable amie de l’infortune´. Ce n’est pas tout. Consolatrice du malheur, la religion est en meˆme tems de toutes nos e´motions la plus naturelle. Toutes nos sensations physiques, tous nos sentimens moraux la font renaitre dans nos cœurs a` notre insc¸uˆ. Tout ce qui nous parait sans bornes et produit en nous la notion de l’immensite´, la vue du ciel, le silence de la nuit, la vaste e´tendue des mers, tout ce qui nous conduit a` l’attendrissement ou a` l’enthousiasme, la conscience d’une action vertueuse, d’un ge´ne´reux sacrifice, d’un danger brave´ courageusement, de la douleur d’autrui secourue ou soulage´e, tout ce qui soule`ve au fond de notre ame les e´le´mens primitifs de notre nature, le me´pris du vice, la haine de la tyrannie, nourrit le sentiment religieux. Ce sentiment tient de pre`s a` toutes les passions nobles de´licates et profondes. Comme toutes ces passions, il a quelque chose de myste´rieux. Car la raison commune ne peut expliquer aucune de ces passions d’une manie`re satisfaisante. L’amour, cette pre´fe´rence exclusive pour un objet dont nous avions pu nous passer longtems, et auquel tant d’autres ressemblent, le besoin de la gloire, cette soif d’une ce´le´brite´ qui doit se prolonger apre`s nous, la jouissance que nous trouvons dans le de´vouement, jouissance contraire a` l’instinct habituel de notre e´goisme, la me`lancolie, cette tristesse sans cause, au fond de laquelle est un plaisir que nous ne saurions analyser, mille autres sensations qu’on ne peut de´crire, et qui nous remplissent d’impressions vagues et d’e´motions confuses, sont inexplicables par la rigueur du raisonnement. Elles ont toutes de l’affinite´ avec le sentiment religieux. Toutes ces choses sont favorables au de´veloppement de la morale. Elles font sortir l’homme du cercle e´troit de ses interets, elles rendent a` l’ame cette TR: 16–22 Tout ce qui ... religieux. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, 23-p. 270.3 Ce sentiment ... the`se ge´ne´rale. ]  Conside´rations sur la marche de la fo 8. religion, Co 3259, fo 8–11. 26–34 L’amour ... raisonnement. ]  De la Religion, I, 1, pp. 32–33.

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e´lasticite´, cette de´licatesse, cette exaltation qu’e´touffe l’habitude de la vie commune, et des calculs qu’elle ne´cessite. L’amour est la plus me`lange´e de ces passions, parce qu’il a pour but une jouissance de´termine´e, que ce but est pre`s de nous, et qu’il aboutit a` l’e´goisme. Le sentiment religieux pour la raison contraire est de toutes ces passions la plus pure. Il ne fuit point avec la jeunesse. Il se fortifie quelquefois dans l’age avance´, comme si le ciel nous l’avait donne´ pour consoler l’e´poque la plus de´pouille´e de notre vie. Un homme de ge´nie disait que la vue de l’Apollon du Belvedere ou d’un tableau de Raphae`l le rendait meilleur1. En effet il y a dans la contemplation du beau en tout genre, quelque chose qui nous de´tache de nous meˆmes, en nous fesant sentir que la perfection vaut mieux que nous, et qui, par cette conviction, nous inspirant un de´sinteressement momentane´, re´veille en nous la puissance du sacrifice, puissance me`re de toute vertu. Il y a dans l’e´motion, quelle qu’en soit la cause, quelque chose qui fait circuler notre sang plus vite, qui nous procure une sorte de bien eˆtre, qui double le sentiment de notre existence et de nos forces, et qui par la` nous rend susceptibles d’une ge´ne´rosite´, d’un courage, d’une sympathie au dessus de notre disposition habituelle. L’homme corrompu lui meˆme est meilleur, lorsqu’il est e´mu et aussi long tems qu’il est e´mu. Je ne veux point dire que l’absence du sentiment religieux prouve dans tout individu l’absence de morale. Il y a des hommes dont l’esprit est la partie principale et ne peut ce´der qu’a` une e´vidence complette. Ces hommes sont d’ordinaire livre´s a` des me´ditations profondes et pre´serve´s de la plupart des tentations corruptrices par les jouissances de l’e´tude ou l’habitude de la pense´e. Ils sont capables par conse´quent d’une moralite´ scrupuleuse. Mais dans la foule des hommes vulgaires, l’absence du sentiment religieux ne tenant point a` de pareilles causes, annonce le plus souvent, je le crois, un cœur aride, un esprit frivole, une ame absorbe´e dans des interets petits et ignobles, une grande ste´rilite´ d’imagination. J’excepte le cas ou` la perse´cution aurait irrite´ ces hommes. L’effet de la perse´cution est de re´volter contre ce qu’elle commande a ; et il peut arriver alors que des hommes a

[Add.] Besoin de la liberte´ de conscience, fesant e´migrer les femmes les plus de´licates, dans un pays inculte, ou elles pe´rissoient, faute de nourriture. Rech. sur les Et. Un., I. 34.

V: 6 fuit ] fuit re´crit sur fait L

23 Ces ] Ces re´crit sur Les L

TR: 9–19 Un homme ... habituelle. ]  Publiciste, 12 mai 1807, OCBC, Œuvres, pp. 1061–1062 ;  De la Religion, V, 7, p. 324. 1 2

III/2,

Il s’agit de Goethe. Voir Kloocke, Biographie, p. 140, n. 88. BC renvoie a` [Filippo Mazzei], Recherches historiques et politiques sur les E´tats-Unis de l’Ame´rique Septentrionale [...] par un citoyen de Virginie, Colle, Paris : Froulle´, 1788 :

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sensibles, mais fiers, indigne´s d’une religion qu’on leur impose, rejettent sans examen tout ce qui tient a` la religion : mais cette exception qui est de circonstance ne change rien a` la the`se ge´ne´rale. Je n’aurais pas mauvaise opinion d’un homme e´claire´, si on me le pre´sentait comme e´tranger au sentiment religieux. Mais un peuple incapable de ce sentiment me paraitrait prive´ d’une faculte´ pre´cieuse, et deshe´rite´ par la nature. Si l’on m’accusait de ne pas de´finir ici d’une manie`re assez pre´cise le sentiment religieux, je demanderais comment on de´finit avec pre´cision cette partie vague et profonde de nos sensations morales qui par sa nature meˆme de´fie tous les efforts du langage. Comment de´finirez-vous l’impression d’une nuit profonde, d’une antique foreˆt, du vent qui ge´mit a` travers des ruines ou sur des tombeaux, de l’oce´an qui se prolonge au dela` des regards ? Comment de´finirez vous l’e´motion que vous causent les chants d’Ossian1, l’e´glise de St. Pierre, la me´ditation de la mort, l’harmonie des sons ou celles des formes ? comment de´finirez vous la reˆverie, ce fre´missement inte´rieur de l’ame ou` viennent se rassembler et comme se perdre dans une confusion myste´rieuse, toutes les puissances des sens ou de la pense´e ? Il y a de la religion au fond de toutes ces choses. Tout ce qui est beau, tout ce qui est intime, tout ce qui est profond est religieux. Ide´e d’un Dieu, centre commun ou` se re´unissent au dessus de l’action du tems et de la porte´e du vice toutes les ide´es de justice, d’amour, de liberte´, de pitie´, qui, dans ce monde d’un jour composent la dignite´ de l’espe`ce humaine, tradition permanente de tout ce qui est beau, grand et bon a` travers l’avilissement et l’iniquite´ des sie`cles, voix e´ternelle qui re´pond a` la vertu dans sa langue, quand la langue de tout ce qui l’entoure est celle de la bassesse et du crime, appel du pre´sent a` l’avenir, de la terre au Ciel, recours solemnel de tous les opprime´s dans toutes les situations, dernie`re espe´rance de la faiblesse qu’on foule aux pieds, de l’innocence qu’on immole, pense´e consolante et fie`re, non, quoiqu’on fasse, l’espe`ce humaine ne se passera jamais de vous2. V: 8 m’accusait ] m’accusait 〈ici〉 P m’accusait ici L TR: 4–18 Je n’aurais pas ... pense´e ? ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 8-p. 271.20 Si l’on m’accusait ... malheur. ]  Minerve franc¸aise, 20 avril 3259, fo 11. 21–27 Ide´e d’un dieu ... 1819, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 814–816. du crime ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 11–12.

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«Parmi les victimes qui succombe`rent aux malheurs & aux calamite´s de cette anne´e, Hubbard cite milady Arabella Johnson, fille du comte de Lincoln, dont il raconte la mort de la manie`re la plus touchante. Son mari, homme tre`s-conside´re´, n’ayant pu supporter la douleur que lui causa cette perte, ne lui surve´cut qu’environ deux mois.» Sur les chants d’Ossian et Macpherson, voir le Re´pertoire sous ces noms. Cet aline´a trouve des expressions et une couleur du style qu’on rencontrera plus tard dans

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Mais d’ou` vient que la religion, cette allie´e constante, cet appui ne´cessaire, cette lueur unique au milieu des te´ne´bres qui nous environnent, a, dans tous les sie`cles, e´te´ en butte a` des attaques fre´quentes et acharne´es ? D’ou vient que la classe qui s’en est de´clare´e l’ennemie, a presque toujours e´te´ la plus e´claire´e, la plus inde´pendante et la plus instruite ? C’est qu’on a de´nature´ la religion. L’on a poursuivi l’homme dans ce dernier azyle, dans ce sanctuaire intime de son existence1. La religion s’est transforme´e entre les mains de l’autorite´, en institution menac¸ante. Apre`s avoir cre´e´ la plupart et les plus poignantes de nos douleurs, le pouvoir a pre´tendu commander a` l’homme, jusques dans ses moyens de consolation. La religion dogmatique, puissance hostile et perse´cutrice, a voulu soumettre a` son joug l’imagination dans ses conjectures et le cœur dans ses besoins. Elle est devenue un fle´au plus terrible que ceux qu’elle e´tait destine´e a` faire oublier. De la` dans tous les sie`cles ou` les hommes ont re´clame´ leur inde´pendance morale, cette re´sistance a` la religion qui a paru dirige´e contre la plus douce des affections, et qui ne l’e´tait en effet que contre la plus oppressive des tyrannies. L’intole´rance en plac¸ant la force du cote´ de la foi, a place´ le courage du cote´ du doute2. La fureur des croyans a exalte´ la vanite´ des incre´dules, et l’homme est arrive´ de la sorte a` se faire un me´rite de ce que, laisse´ a` lui meˆme, il aurait regarde´ comme un malheur. La perse´cution provoque la re´sistance. L’autorite´ menac¸ant une opinion quelle qu’elle soit, excite a` la manifestation de cette opinion tous les esprits qui ont quelque valeur. Il y a dans l’homme un principe de re´volte contre toute contrainte intellectuelle. Ce principe peut aller jusqu’a` la fureur. Il peut eˆtre la cause de beaucoup de crimes. Mais il tient a` tout ce qu’il y a de noble au fond de notre ame. Je me suis senti souvent frappe´ de tristesse et d’e´tonnement en lisant le fameux systeˆme de la nature3. Ce long acharnement d’un vieillard a` fermer V: 1 vient ] vient 〈donc〉 P vient donc L

17 de la foi ] la source porte de la loi P de la loi L

TR: 1-p. 272.3 Mais d’ou` vient ... bizarre de´lire. ]  Conside´rations sur la marche de la 14–20 De la` dans tous ... malheur. ]  De la Religion, I, 1, religion, Co 3259, fo 2–3. pp. 10–11. 20–26 La perse´cution ... notre ame. ]  Co 3415, fo V. 27-p. 272.4 Je me suis 28-p. 272.3 Ce long ... bizarre de´lire. ]  Co ... e´crivain. ]  De la Religion, I, 1, p. 11. 3415, fo V.

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un passage fameux d’Adolphe, le de´but du chapitre IV (OCBC, Œuvres, t. III/1, p. 130). Ceci est l’autre volet de la the`se dont il a e´te´ question ci-dessus (p. 267, n. 1). L’opposition entre les religions sacerdotales et celles non soumises aux preˆtres domine la structure argumentative de De la Religion, et conditionne ainsi l’e´chafaudage de l’ouvrage. BC revient a` plusieurs reprises dans ses ouvrages sur cet argument. Citons a` titre d’exemple les Me´moires de Juliette qui contiennent un portrait du litte´rateur La Harpe et fournissent a` l’auteur l’occasion de parler de ces questions. Voir OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 301–302 et 317–318. [Paul-Henri-Dietrich d’Holbach], Syste`me de la nature ou des lois du monde physique et du

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devant lui tout avenir, cette inexplicable soif de la destruction cette haine aveugle et presque fe´roce, contre une ide´e douce et consolante, me paraissaient un bizarre de´lire. Mais je le concevais toutefois en me rappelant les dangers dont l’autorite´ entourait cet e´crivain. De tout tems on a trouble´ la re´flexion des athe´es. Ils n’ont jamais eu le tems ou la liberte´ de conside´rer a` loisir leur propre opinion. Elle a toujours e´te´ pour eux une proprie´te´ qu’on voulait leur ravir. Ils ont songe´ moins a` l’approfondir qu’a` la justifier ou a` la de´fendre. Mais laissez les en paix. Ils jetteront bientot un triste regard sur le monde qu’ils ont de´peuple´ de Dieux. Ils s’e´tonneront eux meˆmes de leur victoire. L’agitation de la lutte, la soif de reconque´rir le droit d’examen, toutes ces causes d’exaltation ne les soutiendront plus. Leur imagination, nague`res toute occupe´e du succe`s, maintenant de´sœuvre´e, et comme de´serte se retournera sur elle meˆme. Ils verront l’homme seul sur une terre qui doit l’engloutir. L’univers est sans vie. Des ge´ne´rations passage`res, fortuites, isole´es y paraissent, souffrent, meurent. Quelques ambitieux se les disputent, se les arrachent, les froissent, les de´chirent. Elles n’ont pas meˆme la consolation d’espe´rer qu’une fois ces monstres seront juge´s, qu’elles verront luire enfin le jour de la re´paration et de la vengeance. Nul lien n’existe entre ces ge´ne´rations dont le partage est ici la douleur, plus loin le ne´ant. Toute communication est rompue entre le passe´, le pre´sent et l’avenir. Aucune voix ne se prolonge des races qui ne sont plus aux races vivantes, et la voix des races vivantes doit s’abymer un jour dans le meˆme silence e´ternel. Qui ne sent que si l’athe´isme n’avait pas rencontre´ l’intole´rance, ce qu’il y a de de´courageant dans ce systeˆme aurait agi sur l’ame de ses sectateurs de manie`re a` les retenir dans l’indiffe´rence pour tout, dans l’apathie et dans le silence. Je le re´pe´te. Aussi long tems que l’autorite´ laissera la religion parfaitement inde´pendante, nul n’aura interet d’attaquer la religion. La pense´e V: 1–2 cette haine ... fe´roce ] passage ajoute´ dans l’interl. sup., corr. a. L, P 2–3 paraissaient ] la terminaison re´crite sur des lettres illis. P 19 douleur ] dans l’interl. sup., au-dessus de 〈servitude〉 P servitude L TR: 4-p. 273.3 De tout tems ... l’attaquer. ]  Minerve franc¸aise, 20 avril 1819, Recueil 8–15 Ils jetteront ... meurent. ]  d’articles, le Mercure, la Minerve, II, pp. 816–817. 18–22 Nul lien ... e´ternel. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 6. Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 6–7. monde moral, par M. Mirabaud, Londres : s.e´d., 1770. L’ouvrage, qui expose un mate´rialisme me´caniste et athe´e, a e´te´ vivement critique´ de`s sa publication par le clerge´, le Parlement de Paris et par Voltaire. Constant y voit percer une doctrine nihiliste qu’il combat d’autant plus vivement qu’il a connu ce danger lui-meˆme.

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VIII,

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1, Pourquoi la religion fut si souvent attaque´e par les hommes e´claire´s

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meˆme n’en viendra pas. Mais si l’autorite´ pre´tend la de´fendre, si elle veut surtout s’en faire une allie´e, l’inde´pendance intellectuelle ne tardera pas a` l’attaquer.

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Principes de politique

Chape 2e De l’intole´rance civile.

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Aujourd’hui que le progre`s des lumie`res s’oppose a` l’intole´rance religieuse proprement dite, c’est a` dire a` celle qui a pour but de forcer les opinions, plusieurs gouvernemens se retranchent derrie`re la ne´cessite´ d’une certaine intole´rance civile. Rousseau qui che´rissait toutes les ide´es de liberte´, et qui a fourni des pre´textes a` toutes les pre´tentions de la tyrannie, est encore cite´ en faveur de ce systeˆme1. Il y a, dit-il, une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas pre´cise´ment comme dogmes de religion, mais comme sentimens de sociabilite´. Sans pouvoir obliger personne a` croire ces dogmes, il peut bannir de l’Etat quiconque ne les croit pas. Il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable a. qu’est ce a

Rousseau. contr. social. Liv. IV. ch. 8. il ajoute que si quelqu’un, apre`s avoir reconnu publiquement ces meˆmes dogmes, se conduit, comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort. Il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les loix. Mais celui qui a le malheur de ne pas croire ces dogmes, ne peut avouer ses doutes, sans se vouer au bannissement. Et si ses affections le retiennent, s’il a une famille, une femme, des enfans, des amis

V: 18 s’il ] 〈S’il ?〉 s’il L TR: 6-p. 276.17 Rousseau ... a` l’erreur. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 328–331, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 817–820 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 331–340, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1238–1239. 6–13 Rousseau ... insociable. ]  Co 14–273.25 Rousseau ... pas la ve´rite´. ]  Principes de politique (1815), 17, 3415, fo VI. p. 252, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 817–819 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 328–329, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1238. 1

Pole´mique contre la doctrine de Rousseau qui propose dans le Contrat social, livre IV, chap. 8, l’institution d’une profession de foi purement civile, qui connaıˆt peu d’articles : «L’existence de la Divinite´ puissante, intelligente, bienfaisante, pre´voyante et pourvoyante, la vie a` devenir, le bonheur des justes, le chaˆtiment des me´chans, la saintete´ du Contrat social et des Loix ; voila` les dogmes positifs.» (Du contrat social, Ple´iade, t. III, p. 468). L’unique dogme ne´gatif («l’intole´rance») serait, selon Rousseau, la garantie contre des abus. BC ne suit pas ce raisonnement, comme il ressort du deuxie`me aline´a de ce chapitre, ou plutoˆt, il repousse les conse´quences ne´fastes que d’autres en ont de´rive´es. Car pour Rousseau, l’intole´rance civile (formule qui se retrouve dans le titre du second chapitre de ce livre VIII) est aussi ne´faste que l’intole´rance religieuse, comme il ressort de la fin de ce chap. 8 du Contrat social (p. 469). En ce qui concerne les dernie`res phrases de la note de

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2, De l’intole´rance civile.

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que l’Etat de´cidant des sentimens qu’il faut adopter ? Que m’importe que le souverain ne m’oblige pas a` croire, s’il me punit de ce que je ne crois pas ? Que m’importe qu’il ne me frappe pas comme impie, s’il me frappe comme insociable ? Que m’importe que l’autorite´ s’abstienne des subtilite´s de la the´ologie, si elle se perd dans une morale hypothe´tique, non moins subtile, non moins e´trange`re a` la juris diction naturelle ? Je ne connais aucun systeˆme de servitude qui ait consacre´ des erreurs plus funestes, que l’e´ternelle me´taphysique du contrat social. L’intole´rance civile est aussi dangereuse, plus absurde et surtout plus injuste que l’intole´rance religieuse. Elle est aussi dangereuse, puis qu’elle a les meˆmes re´sultats sous un autre pre´texte. Elle est plus absurde, puis qu’elle n’est pas motive´e sur la conviction. Elle est plus injuste, puis que le mal qu’elle cause, n’est pas pour elle un devoir, mais un calcul. L’intole´rance civile emprunte mille formes et se re´fugie de poste en poste pour se de´rober au raisonnement. Vaincue sur le principe, elle dispute sur l’application. On a vu des hommes perse´cute´s depuis pre`s de trente sie`cles, dire au gouvernement qui les relevait de leur longue proscription, que, s’il e´tait ne´cessaire qu’il y eut dans un Etat plusieurs religions positives, il ne l’e´tait pas moins d’empeˆcher que les sectes tole´re´es ne produisissent en se subdivisant, de nouvelles1 sectes a. Mais chaque secte tole´re´e n’est elle pas

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qu’il he´site a` quitter pour se pre´cipiter dans l’exil, n’est ce pas vous, vous seul qui le forcez a` ce que vous appelez le plus grand des crimes, au mensonge devant les loix. Je dirai du reste que dans cette circonstance, ce mensonge me parait loin d’eˆtre un crime. quand de pre´tendues loix n’exigent de nous la ve´rite´ que pour nous proscrire, nous ne leur devons pas la ve´rite´. Discours des Juifs au Gouvt. franc¸ais, en 1806.

V: 13 un devoir ] 〈mais〉 un devoir L 26 1806. ] la source porte, comme le ms. de Lausanne 1808 inadvertance que nous corrigeons L, P TR: 1–13 Que m’importe que le souverain ... un calcul. ]  Co 3415, fo VI. 14-p. 276.3 L’intole´rance civile ... passe´es ? ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, p. 443. 26 Discours ... 1806. ]  Principes de politique (1815), 17, p. 254, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 819.

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BC, il est vrai qu’elles reprennent la conclusion de la querelle, si querelle il y a, entre Kant et BC sur le droit de cacher la ve´rite´ dans certaines circonstances. Mais il est exact aussi que BC pose la question d’une manie`re e´quivoque et contradictoire dans ses principes. Voir l’excellente e´tude de Jules Vuillemin, «On Lying : Kant and Benjamin Constant», KantStudien, 73, 1982, pp. 413–424. BC cite ici une publication qui vient de paraıˆtre dans le Moniteur no 265, 22 septembre 1806, pp. 1171–1172. Cette indication est une des rares dates pre´cises pour le travail sur les Principes de politique. Le texte de l’article porte le titre Re´ponse d’Abraham Furtado, Pre´sident de l’Assemble´e des Juifs, au discours des commissaires de S. M. I. et R. le 18

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` quel titre contesterait elle meˆme une subdivision d’une secte ancienne ? A elle aux ge´ne´rations futures les droits qu’elle a reclame´s contre les ge´ne´rations passe´es ? L’on a pre´tendu1 dans un pays qui se vante de la liberte´ des cultes, qu’aucune des e´glises reconnues ne pouvait changer ses dogmes, sans le consentement de l’autorite´ a. Mais si par hazard ces dogmes venaient a` eˆtre rejette´s par la majorite´ de la communaute´ religieuse, l’autorite´ pourrait elle l’astreindre a` les professer ? Or en fait d’opinion, les droits de la majorite´ et ceux de la minorite´ sont les meˆmes. On concoit l’intole´rance lorsqu’elle impose a` tous une seule et meˆme profession de foi. Elle est au moins conse´quente. Elle peut croire qu’elle retient les hommes dans le sanctuaire de la ve´rite´. Mais lorsque deux opinions seulement sont permises, comme l’une des deux est ne´cessairement fausse, autoriser le gouvernement a` forcer les individus de l’une et de l’autre, a` rester attache´s a` l’opinion de leur secte, ou les sectes a` ne jamais changer d’opinion, c’est l’autoriser formellement a` preˆter son assistance a` l’erreur.

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[Add.] Les Luthe´riens et les Calvinistes se sont re´unis a` Strasbourg. cette Re´union ne peut manquer d’avoir l’approbation du gouvernement, sans le consentement duquel les communes protestantes ne sont pas autorise´es a` changer leurs dogmes religieux. Journal des De´bats, 6 Thermidor an X2.

septembre. Le passage auquel il est fait allusion est le suivant : «Conside´rons que, d’apre`s les principes du droit politique, tout culte religieux doit eˆtre soumis a` l’autorite´ souveraine, autant du moins qu’il peut relever du pouvoir humain ; d’abord, pour qu’il n’enseigne point de dogmes nuisibles et ne de´ge´ne`re pas en superstitions absurdes ; ensuite, pour qu’il ne se divise pas en sectes diffe´rentes : car si la nature des choses a voulu qu’il y euˆt plus d’une religion positive dans un meˆme E´tat, l’ordre public et la morale sociale veulent aussi que chacune de ces religions ne se subdivise point, et n’enfante pas des sectes particulie`res, au grand de´triment de la paix inte´rieure des empires.» (cite´ d’apre`s OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 819, n. 2). Sur la «longue proscription» et les efforts successifs d’accorder aux juifs l’e´galite´ des droits, voir au meˆme endroit, pp. 818–819, n. 1. Allusion a` la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) qui e´nonc¸ait effectivement cette doctrine, apre`s la signature du Concordat (15 juillet 1801). Voir OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 820, n. 1, ou` l’on trouve les de´tails complique´s qui se cachent sous cette remarque de BC. BC note cet article du Journal des De´bats du 25 juillet 1802 pour appuyer l’opinion e´mise dans la premie`re phrase de l’aline´a. La constation que «les communes protestantes ne sont pas autorise´es de changer leurs dogmes religieux» est la paraphrase d’un passage de la loi du 18 germinal (voir la note pre´ce´dente) qui statue qu’aucune de´cision doctrinale ou dogmatique» ne peut eˆtre rendue publique «avant que le gouvernement en ait autorise´ la publication ou la promulgation». Voir, pour plus de de´tails, OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 820, n. 2, vers la fin.

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Chapitre 3e De la multiplicite´ des sectes.

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Cette multiplicite´ des sectes dont on s’e´pouvante, est ce qu’il y a pour la religion de plus salutaire1. Elle fait que la religion ne cesse pas d’eˆtre un sentiment pour devenir une simple forme, une habitude presque me´chanique qui se combine avec tous les vices, et quelquefois avec tous les crimes. Quand la religion de´ge´ne`re de la sorte, elle perd toute son influence sur la morale. Elle se loge, pour ainsi dire, dans un recoin des teˆtes humaines, ou` elle reste isole´e de tout le reste de l’existence. Nous voyons en Italie la messe pre´ce´der le meurtre, la confession le suivre, la pe´nitence l’absoudre, et l’homme ainsi de´livre´ de remords, me´diter des meurtres nouveaux. Rien n’est plus simple. Pour empecher la subdivision des sectes, il faut empecher que l’homme ne re´fle´chisse sur sa religion, il faut donc empecher qu’il ne s’en occupe. Il faut la re´duire a` des symboles que l’on re´pe´te, a` des pratiques que l’on observe. Tout devient exte`rieur. Tout doit se faire sans examen, tout se fait bientot par la` meˆme sans interet et sans attention. Dans toutes les choses morales, l’examen est la source de la vie : et la liberte´ la condition premie`re et indispen sable de tout examen. Je ne sais quels peuples Mogols, astreints par leur culte a` des prie`res fre´quentes, se sont persuade´s que ce qu’il y avait d’agre´able aux Dieux dans les prie`res, c’e´tait que l’air frappe´ par le mouvement des le`vres, leur prouvaˆt sans cesse que l’homme s’occupait d’eux. En conse´quence ces peuples ont invente´ de petits moulins a` prie`res, qui agitant l’air d’une certaine fac¸on, entretiennent perpe´tuellement le mouvement desire´, et pendant que ces moulins tournent, chacun persuade´ que les Dieux sont satisfaits, vaque sans TR: 3-p. 279.11 Cette multiplicite´ ... signal. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 275– 279, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 829–832 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, 3–6 Cette multiplicite´ ... crimes. ]  pp. 349–353, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1247–1249. Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, p. 444. 12–16 Pour empecher ... sans attention. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, p. 444. 1

BC s’appuie, comme l’a montre´ Hofmann (p. 165, n. 15) sur la traduction franc¸aise d’Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction nouvelle avec des notes et observations par Germain Garnier, Paris : H. Agasse, an X (1802). On y trouve dans le livre V, chap. 1, section 3, des reflexions sur cette question (voir pp. 413– 442).

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inquie´tude a` ses affaires ou a` ses plaisirs. La religion, chez plus d’une nation Europe´enne m’a rappele´ souvent les petits moulins des peuples Mogols1. La multiplication des sectes a pour la morale un avantage qu’on ne parait pas encore avoir remarque´. Toutes les sectes naissantes tendent a` se distinguer de celles dont elles se se´parent par une morale plus scrupuleuse ; et souvent aussi la secte qui voit s’e´lever dans son sein une scission nouvelle, anime´e d’une e´mulation recommandable, ne veut pas rester dans ce genre en arriere des novateurs. Il est incontestable que l’apparition du protestantisme re´forma les mœurs du clerge´ catholique2. Si l’autorite´ ne se me`lait point de la religion, les sectes se multiplieraient a` l’infini. Chaque congre´gation nouvelle chercherait a` prouver la bonte´ de sa doctrine par la purete´ de ses mœurs. Chaque congre´gation de´laisse´e voudrait se de´fendre avec les meˆmes armes. De la` re´sulterait une heureuse lutte ou` l’on placerait le succe`s dans une moralite´ plus auste`re. Les mœurs s’amelioreraient sans effort par une impulsion naturelle et une honorable rivalite´. C’est ce que l’on peut remarquer en Amerique et meˆme en Ecosse, ou` la tole´rance est loin d’eˆtre parfaite, mais ou` cependant le Presbyte´rianisme s’est subdivise´ en de nombreuses ramifications3. Jusqu’a pre´sent, la naissance des sectes, loin d’eˆtre accompagne´e de ces effets salutaires, a presque toujours e´te´ marque´e par des troubles et par des malheurs. C’est que l’autorite´ s’en est me`le´e. La nature, comme Oromaze, avait mis en toutes choses le principe du bien. L’autorite´, comme Arimane, est venue placer a` cote´ le principe du mal4. En s’opposant a` la multiplication des sectes, les gouvernemens me´connaissent leurs propres interets. Quand les sectes sont tre`s nombreuses dans V: 4 parait ] partiellement re´crit sur des lettres illis. P

pre´sent, ] pre´sent, sans doute, L

TR: 4–19 La multiplication ... ramifications. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´25-p. 279.11 En s’opposant ... ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, p. 444. signal. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, pp. 444–445. 1

2 3 4

BC reproduit ici une opinion commune, mais fausse sur le «moulin a` prie`res» ou «roue de la loi», re´pandu dans le bouddhisme. Le cylindre en me´tal ou en bois, qui est monte´ sur un axe et contient a` l’inte´rieur des bandes de papiers avec le texte de prie`res, est mis en mouvement par la personne qui passe, pour obtenir les graˆces lie´es a` cette pieuse ope´ration. Sur cette observation, voir OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 830–831, n. 2. Le mouvement du presbyte´rianisme en E´cosse fait l’objet d’une explication historique dans OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 831, n. 2. Cette comparaison d’une hypothe`se explicative de l’e´volution de la religion avec les deux principes fondamentaux de la religion de Zoroastre est sans doute ressentie plus tard comme geˆnante par BC, car il ne la reproduit pas dans la version des Principes de politique de 1815.

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3, De la multiplicite´ des sectes

un pays, elles se contiennent mutuellement, et dispensent le souverain de transiger avec aucune d’elles pour les contenir. Quand il n’y a qu’une secte dominante, le pouvoir est oblige´ de recourir a` mille moyens pour n’avoir rien a` en craindre. Quand il n’y en a que deux ou trois, chacune e´tant assez nombreuse pour menacer les autres, il faut une surveillance, une re´pression non interrompue. Singulie`re pratique ! Vous voulez, dites-vous, maintenir la paix ! Et pour cet effet vous empechez les opinions de se subdiviser de manie´re a` partager les hommes en petites re´unions faibles et imperceptibles, et vous constituez trois ou quatre grands corps ennemis que vous mettez en pre´sence, et qui, graces au soin que vous prenez de les conserver nombreux et puissans, sont prets a` s’attaquer au premier signal.

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[Addition] M. Hume donne des raisons assez inge´nieuses pour salarier les religions, mais alors il faut les salarier toutes. Smith V. 11.

V: 4 en ] ce mot dans l’interl. sup. P 〈Hume〉 Smith P

1

6 pratique ] politique L

8 les ] ces L

14 Smith ]

BC renvoie ici au meˆme chapitre de l’ouvrage de Smith que ci-dessus, p. 277, n. 1.

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Chape 4e Du maintien de la religion pour l’autorite´ contre l’esprit d’examen.

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De quelque manie`re que l’autorite´ intervienne dans ce qui a rapport a` la religion, elle fait du mal. Elle fait du mal, lorsqu’elle veut maintenir la religion contre l’esprit d’examen. Car l’autorite´ ne peut agir sur la conviction, elle n’agit que sur l’intereˆt. En n’accordant ses faveurs qu’aux hommes qui professent les opinions consacre´es, que gagne-t-elle ? d’e´carter ceux qui avouent leur pense´e, ceux qui par conse´quent ont au moins de la franchise. Les autres par un facile mensonge savent e´luder ses pre´cautions. Elles atteignent les hommes scrupuleux, elles sont sans force contre ceux qui sont ou deviennent corrompus. Quels sont d’ailleurs, je le demande aux de´positaires de l’autorite´, car c’est toujours en de´finitif1 le probleˆme qu’il faut re´soudre, quels sont vos moyens pour favoriser une opinion ? Confierez vous exclusivement a` ses sectateurs les fonctions importantes de l’Etat ? Mais les individus repousse´s s’irriteront de la pre´fe´rence. Ferez-vous e´crire ou parler pour l’opinion que vous prote´gez ? d’autres e´criront ou parleront dans un sens contraire. Restreindrez-vous la liberte´ des e´crits, des paroles, de l’e´loquence, du raisonnement, de l’ironie meˆme et de la de´clamation ? Vous voila` dans une carrie`re nouvelle. Il ne s’agit plus de favoriser ou de convaincre, mais d’e´touffer et de punir. Pensez vous que vos loix pourront saisir toutes les nuances et se graduer en proportion ? Vos mesures re´pressives seront elles douces ? on les bravera. Elles ne feront qu’aigrir sans intimider. Seront-elles se´ve`res ? Vous voila` perse´cuteurs. Une fois sur cette pente glissante et rapide, vous cherchez envain a` vous arreˆter. Mais vos perse´cutions meˆmes, quel succe`s en esperez-vous ? Aucun Roi, que je pense, ne fut entoure´ de plus de prestiges que Louis XIV. L’honneur, la vanite´, la mode, la mode toute puissante s’e´taient place´s sous son re´gne V: 16 Confierez ] partiellement (les deux dernie`res syllabes) re´crit sur Confiez P TR: 4-p. 281.15 De quelque manie`re ... a` l’exce`s. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 266–267, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 825–826 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 341–343, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1244–1245. 15–27 quels sont vos moyens ... arreˆter. ]  Co 3415, fo IX. 1

Sur cette tournure (7 occurences dans les Principes de politique), voir ci-dessus, p. 119, n. 1.

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4, Du maintien de la religion pour l’autorite´

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dans l’obe´issance. Il preˆtait a` la religion l’appui du throˆne, ainsi que celui de son exemple. Il avait de la dignite´ dans les manie`res, de la convenance dans les discours. Sa volonte´, plutot constante que brusque, plutot uniforme que violente et n’ayant jamais l’apparence du caprice, semblait honorer ce qu’elle prote´geait. Il attachait le salut de son ame au maintien de la religion dans ses pratiques les plus rigides1, et il avait persuade´ a` ses courtisans que le salut de l’ame du Roi e´tait d’une particulie´re importance. Cependant, malgre´ sa sollicitude toujours croissante, l’austerite´ d’une vieille cour, le souvenir de cinquante anne´es de gloire, le doute se glissa dans les esprits, meˆme avant sa mort. Nous voyons dans les me´moires du tems, des lettres intercepte´es, e´crites par des flatteurs assidus de Louis XIV, et offensantes e´galement, nous dit Made de Maintenon, a` Dieu et au Roi. Le Roi mourut. L’impulsion philosophique renversa toutes les digues. Le raisonnement, se de´dommagea de la contrainte qu’il avait impatiemment supporte´e, et le re´sultat d’une longue compression fut l’incre´dulite´ pousse´e a` l’exce`s.

V: 8 sa ] la L

TR: 10–15 Nous voyons ... a` l’exce`s. ]  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 85–86.

1

La duchesse d’Orle´ans (Charlotte-E´lisabeth de Bavie`re, Madame Palatine), croyait ainsi qu’a` la fin de sa vie Louis XIV portait sous sa chemise un cilice franciscain. Lettres de Madame, duchesse d’Orle´ans, Paris : Mercure de France, 1981, cite´e par F. Bluche, Louis XIV, Paris : Fayard, 1986, p. 722 ; sur les pratiques religieuses de Louis XIV, voir dans le meˆme ouvrage le chap. XX, «La de´votion du roi», pp. 563–591 (OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 826, n. 2).

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Chapitre 5e Du re´tablissement de la religion par l’autorite´.

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Principes de politique

L’autorite´ ne fait pas moins de mal, et n’est pas moins impuissante, lorsqu’au milieu d’un sie`cle sceptique, elle veut re´tablir la religion. La religion doit se re´tablir seule, par le besoin que l’homme en a : et quand vous l’inquie´tez par des conside´rations e´trange`res, vous l’empechez de ressentir toute la force de ce besoin. Vous dites, et je le pense, que la religion est dans la nature : ne couvrez pas sa voix de la votre1. L’intervention de l’autorite´ pour la de´fense de la religion, quand l’opinion lui est de´favorable, a cet inconve´nient particulier, que la religion est de´fendue par des hommes qui n’y croyent pas. Les gouvernans sont soumis, comme les gouverne´s, a` la marche des ide´es humaines. Lorsque le doute a pe´ne´tre´ dans la partie e´claire´e d’une nation, il se fait jour dans le gouvernement meˆme. Or dans tous les tems, les opinions ou la vanite´ sont plus fortes que les interets. C’est envain que les de´positaires de l’autorite´ se disent qu’il est de leur avantage de favoriser la religion. Ils peuvent de´ployer pour elle leur puissance : Mais ils ne sauraient s’astreindre a` lui te´moigner des e´gards. Ils trouvent quelque jouissance a` mettre le public dans la confidence de leur arrie`re pense´e. Ils craindraient de paraitre convaincus, de peur d’eˆtre pris pour des dupes. Si leur premiere phrase est consacre´e a` commander la cre´dulite´, la seconde est destine´e a` reconque´rir pour eux les honneurs du doute. Mauvais missionnaires qui veulent se placer au dessus de leur propre profession de foi.

V: 9 L’intervention ] a` coˆte´ du second aline´a, dans la marge de la main de BC lire P

TR: 3–23 L’autorite´ ... de foi. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 268–269, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 826–827 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 343–344, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1245.

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BC glisse ici dans son texte un de ses axiomes principaux, la the`se que le sentiment religieux est une disposition naturelle de l’homme, qu’il constitue une constante anthropologique incontestable, opinion qu’il partage avec Schleiermacher.

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Chape 6e De l’axiome qu’il faut une religion au peuple.

Alors s’e´tablit cet axiome qu’il faut une religion au peuple, axiome qui flatte la vanite´ de ceux qui le re´pe´tent, parce qu’en le re´pe´tant, ils se se´parent de ce peuple auquel il faut une religion. Cet axiome est faux par lui meˆme, en tant qu’il implique que la religion est plus ne´cessaire aux classes laborieuses de la socie´te´, qu’aux classes oisives et opulentes. Si la religion est ne´cessaire, elle l’est e´galement a` tous les hommes et a` tous les de´gre´s d’instruction. Les crimes des classes pauvres et peu e´claire´es ont des caracte`res plus violens, plus terribles, mais plus faciles en meˆme tems a` de´couvrir et a` re´primer. La loi les entoure, elle les saisit, elle les comprime aise´ment, parceque ces crimes la heurtent d’une manie`re directe. La corruption des classes supe´rieures se nuance, se diversifie, se de´robe aux loix positives, se joue de leur esprit, en e´ludant leurs formes, leur oppose d’ailleurs le cre´dit, l’influence, le pouvoir. Raisonnement bizarre ! Le pauvre ne peut rien ; il est environne´ d’entraves, il est garotte´ par des liens de toute espe`ce, il n’a ni protecteurs ni soutiens. Il peut commettre un crime isole´ ; mais tout s’arme contre lui, de`s qu’il est coupable. Il ne trouve dans ses juges, tire´s toujours d’une classe ennemie, aucun me´nagement, dans ses relations impuissantes comme lui, aucune chance d’impunite´. Sa conduite n’influe jamais sur le sort ge´ne´ral de la socie´te´ dont il fait partie : et c’est contre lui seul que vous voulez la garantie myste´rieuse de la religion. Le riche au contraire est juge´ par ses pairs, par ses allie´s, par des hommes sur qui rejaillissent toujours plus ou moins les peines qu’ils lui infligent. La socie´te´ lui prodigue ses secours. Toutes les chances mate´rielles et morales sont pour lui par l’effet seul de la richesse. Il peut influer au loin ; il peut bouleverser ou corrompre : et c’est cet eˆtre puissant et favorise´ que vous voulez affranchir du joug qu’il vous semble indispensable de faire peser sur un eˆtre faible et de´sarme´. Je dis tout ceci dans l’hypothe`se ordinaire que la religion est surtout pre´cieuse, comme fortifiant les loix pe´nales. Mais ce n’est pas mon opinion. V: 3 Alors ] a` coˆte´ du premier aline´a, dans la marge de la main de BC lire P TR: 3-p. 284.10 Alors ... vertus. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 269–272, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 827–828 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 344–346, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1245–1246.

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Je place la religion plus haut. Je ne la conside`re point comme le supple´ment de la potence et de la roue. Il y a une morale commune, fonde´e sur le calcul, sur l’intereˆt, sur la surete´, et qui, je le pense, peut a` la rigueur se passer de la religion. Elle peut s’en passer dans le riche, parcequ’il re´fle´chit ; dans le pauvre, parce que la loi l’e´pouvante, et que d’ailleurs ses occupations e´tant trace´es d’avance, l’habitude d’un travail constant produit sur sa vie l’effet de la re´flexion. Mais malheur au peuple qui n’a que cette morale commune ! C’est pour cre´er une morale plus e´leve´e, que la religion me semble desirable. Je l’invoque, non pour re´primer les crimes grossiers, mais pour annoblir toutes les vertus1.

V: 7 morale ] ce mot dans l’interl. sup., au-dessus d’un mot illis. 〈p....〉 P

TR: 1–10 Je place ... vertus. ]  Mercure de France, 1er fe´vrier 1817, «Re´ponse a` la lettre de M. ***», OCBC, Œuvres, X/1, p. 445.

1

Allusion a` Jeremy Bentham, Traite´s de le´gislation, «Principes du code pe´nal», quatrie`me partie, chap. 18, «Emploi du mobile de la religion», t. III, pp. 134–147.

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Chapitre 7e˙ De la religion conside´re´e comme utile.

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Les de´fenseurs de la religion croyent souvent faire merveille en la repre´sentant surtout comme utile. Que diraient-ils si on leur de´montrait qu’ils rendent le plus mauvais service a` la religion1 ? De meˆme qu’en cherchant dans toutes les beaute´s de la nature, un but positif, un usage imme´diat, une application a` la vie habituelle, on fle´trit tout le charme de ce magnifique ensemble, en pretant sans cesse a` la religion une utilite´ vulgaire, on la met dans la de´pendance de cette utilite´. Elle n’a plus qu’un rang secondaire, elle ne parait plus qu’un moyen, et par la` meˆme elle est de´grade´e. L’on a proscrit tre`s justement de la langue franc¸aise le mot d’utiliser2. Je ne sais si je me trompe : mais il me semble que dans tout ce qui tient aux affections de l’ame et aux ide´es nobles, il faudrait rejetter la chose, comme dans le langage on a rejette´ le mot. Au reste ce besoin d’utilite´ rapproche´e, et pour ainsi dire, mate´rielle, est peut-eˆtre le vice inhe´rent a` l’esprit franc¸ais. On pourrait appliquer au caracte`re moral de notre nation ce que l’on raconte de la paresse physique des Turcs. On dit que le se´cre´taire d’un ambassadeur de France a` Constantinople, se promenant tous les soirs pendant quelque tems dans un jardin, les Turcs voisins de cet ambassadeur le prie`rent de pardonner a` son se´cre´taire, et de ne plus lui imposer une pe´nitence aussi rigoureuse. Ils ne concevaient pas que l’on put marcher pour rien. Nous avons l’air de ne pas concevoir qu’on puisse croire pour rien. Aussi sommes-nous de tous les peuples, celui dont les e´crivains ont presque toujours envisage´ la religion de la manie`re la plus imparfaite et la plus e´troite a. a

La justice exige que j’excepte, Bossuet, Fenelon, M. Necker et M. de Chateaubriand. En-

TR: 3–11 Les de´fenseurs ... de´grade´e. ]  Principes de politique (1815), 17, p. 272, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 828 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 346–347, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1246. 6–11 De meˆme qu’en ... de´grade´e. ]  De la Religion, I, 6, p. 114. 6–8 De meˆme qu’en ... ensemble, ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 16. 12–15 L’on a proscrit ... le mot. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 16. 17–23 On pourrait ... pour rien. ]  De la Religion, I, 6, p. 113, en note. 1 2

C’est un proble`me que BC discute depuis sa rencontre avec Jacob Mauvillon. Allusion a` Jacques Necker, Du pouvoir exe´cutif dans les grands E´tats, s.l., s.e´d., 1792, t. II, p. 205, comme l’a montre´ E´. Hofmann (p. 171, n. 27).

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Bentham, d’apre`s son principe unique, celui de l’Utilite´, veut soumettre au calcul la Religion1. mais ne sent-il pas qu’il sappe la Religion dans sa baze, en la pre´sentant comme utile, avant de la pre´senter comme divine ? nous ajouterons qu’il la de´grade. nous ajouterons encore qu’il suppose une classe d’hommes jugeant la Religion et l’imposant a` une autre classe. Du reste ses principes sont bons, comme non-intervention de l’autorite´, dans ce qui regarde la Religion. Bentham. III. 134.

core ce dernier a-t-il cru ne´cessaire pour servir le christianisme, de le peindre comme particulierement utile a` la poe¨sie2. Cette envie de conside´rer la religion comme utile a conduit parmi nous ses de´fenseurs a` des pue´rilite´s sans nombre. On a justifie´ le careˆme comme favorable a` la marine. Quel mise´rable point de vue ! Et de plus, comment l’apologie s’appliquera-t-elle aux pays situe´s au milieu des terres, et qui ne peuvent avoir de marine.

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2

Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, quatrie`me partie, t. III, chap. 18, «Emploi du mobile de la religion», pp. 134–147. La critique concerne tout le chapitre. Les noms cite´s ici se rencontrent dans un contexte semblable aussi dans De la Religion, t. I, au chap. 6 du livre premier. BC appre´ciait chez Fe´nelon sa the´orie de l’amour ou` il apercevait une expression pure du sentiment religieux. Bossuet e´tait aux yeux de BC un esprit a` tendance despotique, mais il reconnaıˆt «qu’il e´tait admirable par la noblesse et l’e´le´vation.» Et, continue-t-il, «la religion dans sa bouche parlait un langage digne et fier, qu’elle a tristement abjure´ depuis. A l’insu meˆme de l’orateur qu’entraıˆnait son ge´nie, les dernie`res e´tincelles de la liberte´ s’e´taient re´fugie´es dans son e´loquence.» (ibid., p. 109). Necker n’est pas mentionne´ dans De la Religion, mais BC pense e´videmment a` son ouvrage De l’importance des opinions religieuses, Londres : s.e´d., 1788, ainsi qu’au Cours de morale religieuse, Gene`ve : Grenets ou impr. de Bonnand, Paris : Maradan, an IX (1800). Et quant a` Chateaubriand, BC parle de lui dans une note (ibid., p. 114, n. 1) ou` l’on trouve cette remarque : «Il fait valoir celle [=l’utilite´] du christianisme pour la poe´sie, comme si un peuple cherchait dans sa croyance de quoi procurer une mythologie a` ses versificateurs.»

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Chapitre 8e Autre effet de l’axiome qu’il faut une religion au peuple.

L’axiome qu’il faut une religion au peuple, est en outre tout ce qu’il y a de plus propre a` de´truire toute religion. Le peuple est averti par un instinct assez suˆr de ce qui se passe sur sa teˆte. La cause de cet instinct est la meˆme que celle de la pe´ne´tration des enfans, des domestiques, de toutes les classes de´pendantes. Leur interet les e´claire sur la pense´e secrette de ceux qui disposent de leur destine´e. On compte trop sur la bonhomie du peuple, lorsqu’on espe`re qu’il croira long tems ce que ses chefs refusent de croire. Je sais que des gouvernans athe´es avec des sujets superstitieux, paraissent aujourd’hui le beau ide´al a` certains hommes d’Etat. Mais cette douce chime`re ne peut se re´aliser. Tout le fruit de leur artifice c’est que le peuple qui les voit incre´dules, se de´tache de sa religion sans savoir pourquoi. Ce que ces hommes gagnent en prohibant l’examen, c’est d’empeˆcher le peuple d’eˆtre e´claire´, mais non d’eˆtre impie. Il devient impie par imitation. Il traite la religion de chose niaise et de duperie, et chacun la renvoie a` ses infe´rieurs qui de leur cote´ s’empressent de la repousser encore plus bas. Elle descend ainsi chaque jour plus de´grade´e. Elle est moins menace´e, surtout moins avilie, lorsqu’on l’attaque de toutes parts. Elle peut alors se re´fugier au fond des ames sensibles. La vanite´ ne craint pas de faire preuve de sottise, et de de´roger en la respectant. Ce n’est pas tout encore. Quand un gouvernement preˆte de la sorte sa hautaine assistance a` la religion de´chue, il exige d’elle une reconnaissance qui complette son abaissement. «Ce n’est plus cette puissance divine, descendant du ciel pour e´tonner et re´former la terre. Esclave timide, humble V: 3 L’axiome ] a` la hauteur de ce mot dans la marge lire P 16 chose niaise ] chose〈s〉 niaise〈s〉 P 18 est ] ce mot dans l’interl. sup. au-dessus de 〈e´tait〉 P e´tait L 19 attaque ] re´crit sur attaqu〈ait〉 P attaquait L peut alors] ces mots dans l’interl. sup. au-dessus de 〈pouvait〉 P pouvait L 20 craint ] ce mot dans l’interl. sup. au-dessus de 〈craignait〉 P craignait L TR: 3–9 L’axiome ... de croire. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 272–273, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 828–829 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 347–348, 12–21 Tout le fruit ... respectant. ]  Principes de OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1246–1247. politique (1815), 17, p. 273, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 829 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 347–348, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1247. 24-p. 288.8 «Ce n’est plus ... leur Dieu.» ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 14, p. 152, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 657.

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de´pendante, elle se prosterne aux genoux du pouvoir, observe ses gestes, demande ses ordres, flatte qui la me´prise et n’enseigne aux nations des ve´rite´s e´ternelles que sous le bon plaisir de l’autorite´. Ses ministres be´gayent en tremblant, au pied de leurs autels asservis, des paroles mutile´es. Ils n’osent faire retentir les voutes antiques des accens du courage et de la conscience ; et loin de parler, comme Bossuet, aux grands de ce monde, au nom d’un Dieu qui juge les Rois, ils cherchent avec terreur, dans les regards de´daigneux d’un maitre, comment ils doivent parler de leur Dieu1.»

7, fo 46ro

[Addition] Ceux qui de´fendent aujourd’hui la religion la de´fendent comme appui du despotisme.

V: 5 voutes ] re´crit sur un mot illis. P ve´rite´s L

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La citation n’est pas identifie´e.

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Chapitre 9e De la tole´rance, quand l’autorite´ s’en me`le

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Qui le croirait ? l’autorite´ fait du mal, meˆme lorsqu’elle veut souˆmettre a` sa juris diction les principes de la tole´rance. Elle impose a` la tole´rance des formes positives, fixes qui sont contraires a` sa nature. La tole´rance n’est autre chose que la liberte´ de tous les cultes pre´sens et futurs. L’Empereur Joseph II voulut e´tablir la tole´rance ; et libe´ral dans ses vues, il commenc¸a par faire dresser un vaste catalogue de toutes les opinions religieuses, professe´es par ses sujets. Je ne sais combien furent enre´gistre´es pour eˆtre admises au be´ne´fice de sa protection. Qu’arriva-t-il ? Un culte qu’on avait oublie´, vint a` se montrer tout a` coup, et Joseph II, prince tole´rant, lui dit qu’il e´tait venu trop tard. Les de´istes de Boheˆme furent perse´cute´s, vu leur date, et le monarque philosophe se mit a` la fois en hostilite´ contre le Brabant qui re´clamait la domination exclusive du catholicisme, et contre les malheureux Bohemiens qui demandaient la liberte´ de leur opinion1. Cette tole´rance limite´e renferme une singulie`re erreur. L’imagination seule peut satisfaire aux besoins de l’imagination. Quand dans un empire, vous auriez tole´re´ vingt religions, vous n’auriez rien fait encore pour les sectateurs de la vingt unie`me. Les gouvernemens qui s’imaginent laisser aux gouverne´s une latitude convenable en leur permettant de choisir entre un nombre fixe de croyances religieuses, ressemblent a` ce Franc¸ais, qui, arrive´ dans une ville d’Allemagne dont les habitans voulaient apprendre l’Italien, leur enseignait le basque et le bas-breton. [Addition] L’interim de Charlesquint est l’un des exemples les plus plaisans, sauf les conse´quences, de tous ceux que l’histoire nous pre´sente, de la tole´rance de l’autorite´2. L’autorite´ fait du mal encore, lorsqu’e´blouı¨e de la chime´re d’une 10 qu’on ] que l’on L TR: 3–23 Qui le croirait ? ... bas-breton. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 273–275, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 829 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 348–349, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1247. 6–15 L’Empereur ... leur opinion. ]  Co 3415, fo IX ;  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 30–31. 1 2

BC revient a` plusieurs reprises sur cet exemple, qu’il inte`gre, en reprenant son texte, dans d’autres ouvrages, pour critiquer les contradictions des de´cisions de Joseph II. Sur l’Interim de 1548, voir ci-dessous, p. 530, n. 2.

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harmonie inutile et impossible, elle veut rapprocher des croyances diffe´rentes. les moindres dissemblances, inaperc¸ues, tant que le pouvoir ne s’en meˆle pas, devienent des germes de discorde, s’ils s’en meˆlent. Fre´deric Guillaume, le Pe`re du grand Fre´deric, e´tonne´ de ne pas voir re´gner dans la Religion de ses sujets, la meˆme discipline que dans ses cazernes, voulut un jour re´unir les Luthe´riens et les Re´forme´s. Il retrancha de leurs formules respectives ce qui occasionoit leurs dissentimens, et leur ordonna d’eˆtre d’accord. jusqu’alors ces deux Sectes avoient ve´cu se´pare´es, mais dans une intelligence parfaite. condamne´es a` l’Union, elles commence`rent aussitot une guerre acharne´e, s’attaque´rent entr’elles, et re´siste´rent a` l’autorite´. a` la mort de Fre´deric Guillaume, Fre´deric II monta sur le trone. il laissa toutes les opinions libres. les deux Sectes se combattirent sans attirer ses regards ; elles parle`rent sans eˆtre e´coute´es1. bientot elles perdirent l’espoir du succe`s et l’irritation de la crainte. elles se turent. les diffe´rences subsiste´rent, et les dissentions furent appaise´es. Il n’existe qu’un seul principe en fait d’opinion, c’est une liberte´ comple`te. toutes les fois qu’on veut s’en e´carter, l’on tombe dans des absurdite´s plus ou moins choquantes, mais toujours e´galement dangereuses, parce qu’elles se tienent toutes, et que l’une rame`ne ne´cessairement les autres. L’i de´e d’accorder de la tole´rance aux opinions de´ja existantes, et d’en refuser a` celles qui pourraient naıˆtre, part de la supposition que croire ou ne pas croire est un effet de la volonte´. d’apre´s ce principe, on pense eˆtre singulie`rement humain, en se preˆtant aux faiblesses que l’habitude a rendues ne´cessaires, et avoir le droit d’interdire tout e´cart nouveau. l’on oublie qu’il est de l’essence de l’esprit humain d’aller en avant, de suivre la chaine de ses ide´es, de tirer des conse´quences de ses principes, et que ces conse´quences, lui e´tant aussi de´montre´es que les principes dont il les tire, c’est une absurdite´ d’interdire les unes en permettant les autres. C’est pre´tendre tole´rer la cause, pourvu qu’elle ne produise pas d’effet. Cependant cette opinion, si absurde, lorsqu’on la de´veloppe, a e´te´ celle de plusieurs philosophes, tant on se de´gage difficilement de tout pre´juge´, tant les pre´juge´s meˆmes que l’on a vaincus, laissent a` l’esprit qui les a secoue´s une direction fausse. l’intole´rance complette est moins inconse´quente que cette espe`ce d’intole´rance mitige´e. Si le pouvoir a des droits sur l’opinion, pourquoi n’exerceroit-il pas ses droits sur l’erreur ancienne, comme sur l’erreur nou-

1

BC, excellent connaisseur de l’histoire de la Prusse, avait de´ja` e´voque´ cette disposition du roi Fre´de´ric Guillaume plus haut (p. 252). Il faut savoir que la Prusse, qui avait adopte´ en

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velle ? Si le pouvoir n’a pas de pareils droits, pourquoi pre´tendrait-il en avoir sur l’avenir et non sur le passe´ ? est-ce parce qu’il lui paraitrait plus facile d’exercer ses droits sur l’avenir ? vaine espe´rance ! le besoin de tirer des conse´quences n’est pas moins impe´rieux que celui de croire ce qui nous parait prouve´. l’esprit ne peut pas frapper de ste´rilite´ les pre´misses qu’il a admises, et la tyrannie qui veut l’empeˆcher d’aller d’ide´es en ide´es, est tout aussi vexatoire et contre nature que celle qui lui ordonne d’abjurer l’ide´e qu’il a adopte´e. les gouvernemens fonde´s sur les pre´juge´s, et ne´anmoins ambitionnant dans ces derniers tems la gloire philosophique, ont avide´ment adopte´ le systeˆme que nous combattons ici. Il leur e´toit en effet singulie´rement commode. doner aux peuples une petite portion de ve´rite´, en otant a` la ve´rite´ la qualite´ qui la rend victorieuse, celle de s’e´tendre et de conque´rir, c’eut e´te´ tout a` la fois s’assurer le profit de l’erreur et l’honneur des lumie`res. mais la ve´rite´ ne se laisse pas mutiler ainsi. de quelque manie´re qu’on la divise, qu’on la morce`le, sa plus petite fraction porte en elle meˆme la faculte´ conque´rante. elle grossit, se de´veloppe, ame`ne ses conse´quences, forme son arme´e, et vous la voı¨ez range´e en bataille, lorsque vous croyez encore ses e´le´mens e´pars dans l’isolement auquel vous trouviez bon de les condamner.

1525 la re´forme luthe´rienne, posse´dait a` la suite de l’adoption du calvinisme par l’E´lecteur Johann Sisgmund (Confessio Sogismundi, 1614) deux e´glises protestantes, le calvinisme de la maison re´gnante, et la confession luthe´rienne des Stände. Les tensions qui en re´sulte`rent devenaient avec l’acquisition de nouveaux territoire de plus en grandes, ce qui de´termina Fre´de´ric Guillaume Ier, le Roi-Sergent, a` tenter sans succe`s d’obtenir une union des deux «sectes». Le re´sultat fut plutoˆt une augmentation des disputes the´ologiques, qui se prolongeaient au sie`cle des Lumie`res pendant le re`gne de Fre´de´ric II jusqu’au moment ou` l’e´dit de Wöllner (1788) mit fin a` la tole´rance en matie`re de doctrines pour soutenir l’orthodoxie traditionnelle. De ces crises, conflits et nouveaux de´parts, dont la fondation de l’universite´ de Halle (1694), avec une faculte´ de the´ologie importante, est un e´ve´nement majeur, est sortie au de´but du XIXe sie`cle la tentative de re´aliser en Prusse l’union des confessions protestantes. Le roi s’y e´tait re´serve´ un roˆle actif, ce que le jeune Schleiermacher, favorable a` l’union des e´glises, mais refusant l’intervention de la couronne, a commente´ dans une se´rie importante de publications et de me´moires, dont le premier a paru sous le titre Zwei unvorgreifliche Gutachten in Sachen des protestantischen Kirchenwesens zunächst in Beziehung auf den preußischen Staat, Berlin : In der Realschulbuchhandlung, 1804 (KGA, I, t. IV, pp. 359–460). Voir sur ces questions Histoire du Christianisme des origines a` nos jours, t. X, Paris : Descle´e, 1997, pp. 55–62. RGG, t. VI, Tübingen : Mohr-Siebeck, 42003, col. 1634–1638. TRE, t. X, pp. 678–681 ; t. XVIII, pp. 703–707 ; t. XXVII, pp. 364–371 ; t. XXXIV, 326–327.

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Chapitre 10e De la perse´cution contre une croyance religieuse.

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Principes de politique

L’autorite´ fait du mal enfin, lorsqu’elle proscrit une religion, parce qu’elle la croit dangereuse : et le mal ne serait pas moindre, quand le jugement de l’autorite´ sur cette religion serait fonde´. Qu’elle punisse les actions coupables, qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables, elle parviendra facilement a` les re´primer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir aux fanatiques, et si elle voulait remonter jusqu’a` l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de perse´cutions, de vexations et d’iniquite´s qui n’auraient plus de termes. Le seul moyen d’affaiblir une opinion, c’est d’e´tablir le libre examen. Or, qui dit examen libre, dit e´loignement de toute espe`ce d’autorite´, absence de toute intervention collective. L’examen est essentiellement individuel. Pourque la perse´cution qui naturellement re´volte les esprits, et les rattache a` la croyance perse´cute´e, parvienne au contraire a` de´truire cette croyance, il faut de´praver les ames, et l’on ne porte pas seulement atteinte a` la religion qu’on veut de´truire, mais a` tout sentiment de morale et de vertu. Pour persuader a` un homme de me´priser ou d’abandonner un de ses semblables, malheureux a` cause d’une opinion, c’est a` dire injustement pour l’engager a` quitter aujourd’hui la doctrine qu’il professait hier, parce que tout a` coup elle est menace´e, il faut e´touffer en lui toute justice et toute fierte´. Borner, comme on l’a fait parmi nous, les mesures de rigueur aux ministres d’une religion, c’est tracer une limite illusoire. Ces mesures atteignent bientot tous ceux qui partagent la meˆme doctrine, et elles atteignent ensuite tous ceux qui plaignent le malheur des opprime´s. Qu’on ne me dise pas, disait M. de Clermont tonnerre en 1791, et l’e´ve´nement a doublement justifie´ sa pre´diction, qu’on ne me dise pas qu’en poursuivant a` outrance les preˆtres qu’on appe`le re´fractaires, on e´teindra toute opposition. J’espe`re le contraire, et je l’espe`re par estime pour la nation franc¸aise : car toute nation qui ce´de a` la force en matie`re de conscience, est une nation tellement vile, tellement corrompue, que l’on n’en peut rien espe´rer ni en raison, ni en liberte´1. TR: 3-p. 293.5 L’autorite´ fait ... de l’autorite´. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 279– 281, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 832–833 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 353–355, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1249–1250. 5–11 Qu’elle punisse ... de termes. ]  11-p. 293.13 Le seul moyen ... hommes de bien. ]  Co 3415, fo XIV-XV. Co 3415, fo XIII. 1

BC cite un passage des Re´flexions sur le fanatisme (voir Recueil des opinions de Stanislas

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10, De la perse´cution contre une croyance religieuse

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La superstition n’est funeste que lorsqu’on la prote`ge, ou qu’on la menace. Ne l’irritez pas par des injustices ; otez lui seulement tout moyen de nuire par des actions. Elle deviendra d’abord une passion innocente et s’e´teindra bientot, faute de pouvoir interesser par ses souffrances, ou commander par l’alliance de l’autorite´. Refuser sa pitie´, refuser ses secours a` des hommes perse´cute´s, parce qu’ils le sont pour ce qui nous paraıˆt une erreur, le renversement de tous les principes, c’est se livrer au sentiment d’une pre´somption et d’un fanatisme inexcusables1. Ces hommes de´fendent leurs droits. Erreur ou ve´rite´, la pense´e de l’homme est sa proprie´te´ la plus sacre´e. Erreur ou ve´rite´, les tyrans sont e´galement coupables lorsqu’ils l’attaquent. Celui qui proscrit au nom de la philosophie la superstition spe´culative, celui qui proscrit au nom de Dieu la raison inde´pendante, me´ritent e´galement l’exe´cration des hommes de bien. Qu’il me soit permis de citer encore en finissant M. de Clermont tonnerre. On ne l’accusera pas de principes exage´re´s. Bien qu’ami de la liberte´, ou peut-eˆtre parce qu’il e´tait ami de la liberte´, il fut presque toujours repousse´ des deux partis dans l’assemble´e constituante. Il est mort victime de sa mode´ration. Son opinion, je pense, paraıˆtra de quelque poids2. La religion et l’Etat, disait-il, sont deux choses parfaitement distinctes, parfaitement se´pare´es, dont la re´union ne peut que de´naturer l’une et l’autre. L’homme a des relations avec son cre´ateur. Il se fait, ou il rec¸oit telles ou telles ide´es sur ces relations. On appelle ce syste`me d’ide´es religion. La religion de chacun V: 7 le renversement ... principes ] ces mots dans l’interl. sup., n’appartiennent peut-eˆtre pas au texte ; ils peuvent eˆtre un titre interme´diaire (pour une lecture publique ?) P 13 de bien. ] BC e´crit ici apre`s les derniers mots une note a` l’intention du copiste prendre ici pour finir le chap. les pages ci incluses de mon e´criture marque´es # sont incluses dans la feuille deux feuilles plie´es au milieu pour faire 8 pp. en tout avec le reste du chapitre ; une partie du texte correspondant au passage et je l’espe`re ... des hommes de bien. est barre´e L TR: 9–13 Erreur ou ... hommes de bien. ]  Des suites de la contre-re´volution, p. 45–46 ;  Principes de politique (1815), 17, pp. 282, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 833–834 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, p. 355, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1250. 14-p. 294.4 Qu’il me soit ... pacte social. ]  Principes de politique (1815), 17, pp. 282–283, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 834 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, pp. 355–356, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1250. 18-p. 294.14 La religion et... convention sociale. ]  Co 3415, fo XII-XIII.

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de Clermont-Tonnerre, Paris : Migneret, 1791, t. IV, pp. 98–99). Voir ci-dessus, la variante a` la ligne 7. ` partir d’ici jusqu’a` la fin du chapitre, BC cite des morceaux de Stanislas-Marie de A Clermont-Tonnerre, Opinion sur la proprie´te´ des biens du clerge´, novembre 1789 (voir Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, Paris : Migneret, 1791, t. II, pp. 71, 74–75, 75–76, 73, 73–74, 72). Il proce`de donc par montage de textes, sans toujours indiquer les coupures (voici les derniers mots de chaque passage : «l’une et l’autre.» «telle religion...» «de ses actes.» «sociale.» «politique...» «public.»).

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est donc l’opinion que chacun a de ses relations avec Dieu. L’opinion de chaque homme e´tant libre, il peut prendre ou ne pas prendre telle religion.... L’opinion de la minorite´ ne peut jamais eˆtre assujettie a` celle de la majorite´. Aucune opinion ne peut donc eˆtre commande´e par le pacte social. Ce qui est vrai de la religion, l’est aussi du culte. Le culte est la profession que chacun fait avec ceux qui ont une meˆme opinion religieuse. Les formes du culte sont le rite convenu entre ceux qui professent la meˆme religion. Les actes du culte sont le devoir rigoureux de l’homme qui a l’opinion religieuse qui les prescrit. Ainsi le culte, les actes du culte participent de la nature et de la liberte´ de l’opinion dont ils sont la suite ne´cessaire. Donc, ce qui est vrai de l’opinion l’est aussi du culte et de ses actes. La religion est de tous les tems, de tous les lieux, de tous les gouvernemens. Son sanctuaire est dans la conscience de l’homme et la conscience est la seule faculte´ que l’homme ne puisse jamais sacrifier a` une convention sociale. La religion se refuse a` toute association, a` tout rapport de supre´matie ou de soumission avec le gouvernement politique.... Le corps social ne doit commander aucun culte. Il n’en doit rejeter aucun, a` moins que ce culte ne trouble l’ordre public.

V: 5 chacun ] 〈chaqu〉 chacun L

14 sacrifier ] 〈alie´ner〉 sacrifier L

TR: 11–17 La religion est ... ordre public. ]  Principes de politique (1815), 17, p. 283, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 834 ;  Re´flexions sur les constitutions, note X, CPC, I, p. 356, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1250.

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Livre IXe. Des garanties judiciaires

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14359, fos 18vo–28vo [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 47ro–50vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 291ro–317vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 48–55 [=LA].

7. Page autographe du livre IX des Principes de politique, manuscrit de Lausanne, f° 294r°. La colonne gauche porte la numérotation ancienne de cette page extraite d’un chapitre 30, appartenant à la quatrième section du livre III de la première partie de l’ouvrage. Avant 1806.

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Chapitre 1er De l’inde´pendance des tribunaux.

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Nous avons place´, parmi les droits individuels, la certitude de ne pas eˆtre traite´ arbitrairement, comme si l’on avait exce´de´ les bornes de ces droits, c’est a` dire la garantie de n’eˆtre arreˆte´, de´tenu, juge´ que d’apre`s les loix et suivant les formes. Nous sommes oblige´s en conse´quence de parler ici du pouvoir judiciaire. Nous croyons d’autant moins sortir, en en parlant, des limites de cet ouvrage, que les conditions indispensables pour rendre le pouvoir judiciaire la sauve garde des citoyens sont les meˆmes sous toutes les formes de gouvernemens. La premie`re condition, c’est que le pouvoir judiciaire soit inde´pendant : cette assertion n’a pas besoin de preuves. Un peuple che`z lequel l’autorite´ peut influer sur les jugemens, diriger ou forcer l’opinion des juges, employer contre ceux qu’elle veut perdre, les apparences de la justice, se cacher derrie`re le voile des loix pour frapper ses victimes de leur glaive, un tel peuple est dans une situation plus malheureuse, plus contraire au but et aux principes de l’e´tat social, que la horde sauvage des bords de l’Ohio, ou que l’arabe du de´sert. Pour rendre le pouvoir judiciaire inde´pendant, il n’existe qu’un moyen, c’est de rendre ses membres inamovibles a. L’e´leca

[Add.] De ce qu’a` Athe`nes le peuple entier concourait aux jugemens, M. de Montesquieu conclud que dans les Re´publiques, la puissance de juger doit eˆtre amovible1. Mais faites donc alors que ce soit le peuple qui juge, et pour cela faites que chaque Re´publique tienne dans une seule Ville et n’ait que 20.000 citoyens. quand cet e´crivain paraˆit ne pas vouloir que la puissance de juger soit permanente, E. d. L. XI. 6. Il parle moins des Juges que des Jure´s. cela est e´vident par cette phrase : Il faut que les Juges soı¨ent de la condition de

V: 1 Chapitre 1er ] Chap. 〈30〉 1. L 12 un peuple ... de´sert ] passage ajoute´ dans la col. gauche un peuple ... victimes 〈d’un voile le´gal〉 de leur glaive, ... de´sert. L 16 peuple ] pays L 18 judiciaire ] ajoute´ dans l’interl. sup. L TR: 12–18 Un peuple ... du de´sert. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 33, OCBC, 20-p. 298.17 M. de Montesquieu ... I. 159. ]  De la possiŒuvres, VIII/2, pp. 979–980. bilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 586. 1

BC critique ici le passage suivant : «La puissance de juger ne doit pas eˆtre donne´e a` un se´nat permanent, mais exerce´e par des personnes tire´es du corps du peuple, dans certains temps de l’anne´e, de la manie`re pre´scrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la ne´cessite´ le requiert.» Et Montesquieu ajoute en note aux mots «du corps du peuple» son exemple : «Comme a` Athe`nes». (De l’esprit des lois, p. 398). Voila` les e´le´ments pour la critique de Constant qui soutient que la solution propose´e par Montesquieu n’est plus pratiquable dans les grands e´tats.

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tion pe´riodique par le peuple, la nomination pour un tems par le pouvoir exe´cutif, la possibilite´ de re´vocation a` moins d’un jugement, portent d’e´gales atteintes a` l’inde´pendance du pouvoir judiciaire. On s’est e´leve´ fortement contre la ve´nalite´ des charges a. C’e´tait un abus : mais cet abus avait un avantage, que l’ordre judiciaire qui a existe´ pendant la re´volution nous a fait souvent regretter. C’e´tait l’inde´pendance et l’inamovibilite´ des juges. Pendant seize anne´es1, les tribunaux, les juges, les jugemens, rien n’a e´te´ libre. Les divers partis se sont empare´s tour a` tour des instrumens et des formes de la loi. Le courage des guerriers les plus intre´pides eut a` peine suffi a` nos magistrats, pour prononcer leurs arreˆts dans leur conscience : et tel est meˆme l’affreux empire des troubles civils, que le courage qui fait braver la mort dans une bataille, est plus facile que la profession publique d’une opinion libre au milieu des menaces des factieux. Un juge amovible

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l’accuse´ ou ses pairs. ailleurs il reconnoit que le pouvoir judiciaire soumis au peuple est tellement dangereux que les Le´gislateurs de Rome permirent aux accuse´s de s’exiler avant le jugement2. I. 159. Les juges pouvoient eˆtre temporaires chez les anciens, et ne peuvent l’eˆtre chez les modernes, parce que les relations sociales e´tant plus complique´es offrent mille moyens de vengeance tardifs, mais surs, contre le juge inde´pendant, qui serait redevenu simple citoyen. Il est bon que le pouvoir le´gislatif de´pende du peuple : Il est bon que le pouvoir judiciaire n’en de´pende pas. [Add.] Sous une Monarchie Arbitraire, la ve´nalite´ des charges, comme une garantie de plus de l’inamovibilite´, e´toit bonne. les choix du Monarque n’auroient surement pas e´te´ meilleurs. Il faut distinguer dans les fonctions des Parlemens francais celles qui se rapportoient a` la le´gislation, et qui leur furent toujours conteste´es, et celles qui se rapportoient a` l’administration de la justice. les premie`res auroient e´te´ mieux remplies par une assemble´e nommee par la Nation. Mais il e´toit heureux que les secondes fussent soustraites a` l’autorite´. c’e´toit un abri contre l’arbitraire.

V: 3 judiciaire. ] BC avait l’intention de prolonger le texte 〈de ce qu’a`〉 L 14-p. 299.3 un juge ... perdre. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L 20 de la condition de l’accuse´ ] de l’accuse´ PA de la condition de l’accuse´ LA TR: 4-p. 299.3 On s’est e´leve´ ... perdre. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 34, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 980 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 301, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 845–846. 4–9 On s’est e´leve´ ... n’a e´te´ libre. ]  De la possibilite´ d’une constitution 8–14 Pendant ... factieux. ]  Copie re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 583. 14-p. 299.3 Un juge ... partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 814. perdre. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 583. 1 2

C’est-a`-dire depuis la Re´volution. Indication pre´cieuse qui permet de dater la re´daction de ce livre IX. La phrase cite´e par BC se trouve ibid., p. 399. Et la phrase sur l’exil volontaire des accuse´s a` Rome est un souvenir de la remarque de Montesquieu au Livre XII, chap. 20 de De l’esprit des lois : «J’ai de´ja` parle´ de cette loi athe´nienne et romaine qui permettoit a` l’accuse´ de se retirer avant le jugement.» (p. 450). Le renvoi qu’on trouve dans le texte de la note de BC

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1, De l’inde´pendance des tribunaux

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ou re´vocable est bien plus dangereux qu’un juge qui a achete´ son emploi. Avoir achete´ sa place est une chose bien moins corruptrice que d’avoir toujours a` redouter de la perdre. C’est a` tort que l’on craint l’esprit de corps dans le pouvoir judiciaire a. L’esprit de corps n’est a` redouter que lorsque l’institution des Jure´s n’existe pas, et que des loix multiplie´es, et dont par cela meˆme une partie est ne´cessairement tombe´e en de´sue´tude, fournissent aux juges des moyens d’envelopper et de proscrire tous les citoyens. Dans tout autre cas, l’esprit de corps est une des meilleures garanties, que les juges ne se laisseront pas dominer par les autres pouvoirs de l’Etat. Les anciens Parlemens de France nous ont le´gue´, j’en conviens, des souvenirs faˆcheux. Mais la faute en e´tait beaucoup moins a` leur organisation, qu’a` une foule de causes qui n’existent plus. Les Parlemens ont bien moins me´rite´ la haine publique, en pre´variquant dans leurs fonctions, que parce qu’ils e´taient les organes de loix exe´crables. Les condamnations a` jamais infaˆmes des Calas, des Sirven, des Labarre, tenaient a l’esprit d’intole´rance dont notre le´gislation et toute notre organisation sociale e´taient impre´gne´es1. S’il n’avait point existe´ de religion a

[Add.] l’esprit de corps est une des meilleures barrie`res contre la servilite´ envers le pouvoir ou les factions, chez une Nation chez laquelle tout le monde se laisse entrainer par l’opinion dominante. aucun individu n’ose avoir une opinion oppose´e a` celle de tous. l’esprit de corps au contraire se met en avant, et les Individus qui veulent re´sister a` l’opinion dominante, rassure´s par cet allie´, se joignent a` lui. un Corps judiciaire inamovible est ne´cessaire pour qu’un juge ne craigne pas de blesser, en jugeant selon sa conscience, l’autorite´ sous laquelle il se retrouverait simple Citoyen. Chez une Nation, d’un cote´ tre´s accoutume´e a` l’arbitraire, et le trouvant tre´s commode pour son impatience naturelle, et de l’autre portant a` l’extreˆme toutes les opinions dont elle s’empare, l’inde´pendance des Tribunaux est la seule chose qui puisse lui faire perdre l’habitude de l’arbitraire, et lui doner des principes dont elle ne puisse pas abuser. les reclamations des Tribunaux contre l’arbitraire, e´tant toujours fonde´es sur des faits, portent avec elles une conviction et une mesure dont les The´ories se´pare´es des faits ne sont pas susceptibles.

V: 5 redouter ] 〈craindre〉 redouter L TR: 4–8 C’est a` tort ... citoyens. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 586. 16-p. 300.10 Les condamnations ... accuse´s. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 587–588.

1

(I. 159) s’explique, selon Hofmann, parce que l’auteur cite le t. I, p. 159 de l’e´dition d’Amsterdam de cet ouvrage. Les trois affaires judiciaires ou` Voltaire a joue´ un roˆle glorieux en publiant son Traite´ sur la tole´rance a` l’occasion de la mort de Jean Calas (1763) et en luttant pour la re´habilitation des victimes, sans succe`s dans le cas de Jean-Franc¸ois Lefebvre, chevalier de La Barre. Voir Voltaire, L’Affaire Calas et autres affaires, e´dition pre´sente´e, e´tablie et annote´e par Jacques Van den Heuvel, Paris : Gallimard, 1975 (Collection Folio, 672). BC lui-meˆme s’engagera en 1818 avec beaucoup d’e´nergie dans une affaire du meˆme genre, l’affaire Wilfrid Re-

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dominante, des juges farouches n’auraient pas immole´ Calas ni proscrit Sirven : et l’infortune´ Labarre n’eut pas pe´ri sur la roue a` 17 ans, pour avoir insulte´ les symboles du culte privile´gie´. Les parlemens perse´cutaient les e´crivains courageux, parce que des loix vexatoires prodiguaient a` l’exercice de nos droits les plus le´gitimes des arrets de mort. Jusqu’a` la fin du 18e. sie`cle, en 1767, Les Edits condamnaient a` des peines capitales, les auteurs d Ecrits propres a` e´mouvoir les esprits1. Si aucune loi vague n’avait attente´ a` la liberte´ de la presse, nos Parlemens n’auraient pu poursuivre des hommes qui n’auraient pu eˆtre accuse´s. Avec tous leurs vices, par leur inamovibilite´ seule, les Parlemens ont e´te´ conduits sans cesse a` lutter contre le pouvoir, a` re´clamer contre l’accroissement des impots, contre les arrestations ille´gales, contre les lettres de cachet. Je suppose d’ailleurs l’existence des formes se´ve`res contre les juges qui exce´deraient leurs pouvoirs, ou qui s’e´carteraient des loix. Je suppose qu’aucun jugement n’est sans appel a, parce que l’homme doit toujours avoir un recours assure´ contre l’injustice et contre l’erreur. a

[Add.] la Maxime qui dit qu’au Criminel il n’y a pas d’appel est la maxime la plus absurde qui ait jamais pu tomber dans l’esprit des hommes. Celui qui a perdu en premie´re instance sa cause, pour un droit de gouttie`re, en appelle a` une Cour Supe´rieure, et celui qui a e´te´ condamne´ injustement a eˆtre brule´ vif par neuf Echevins ne peut appeler. Or si l’imbe´cillite´ elle meˆme venoit dicter des loix, elle ne dirait rien de pis que cela, ni rien de plus horrible

V: 2 sur la roue a` 17 ans ] ajoute´ dans l’interl. sup. L 6–7 en 1767 ... condamnaient ] en 1767 la date ajoute´e dans la col. gauche un ce dernier mot re´crit sur les et Edit〈s〉 mis au singulier 〈de nos Rois〉 condamnoit terminaison corrige´e sur -oient L 15 des ] les L 16 qui s’e´carteroient des loix. ] 〈pre´variqueroient dans leurs fonctions〉 qui s’e´carteroient des loix. corr. dans l’interl. sup. L TR: 15–16 Je suppose ... des loix. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, pp. 34–35, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 980 ;  Principes de politique (1815), 19, pp. 301–302, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 846.

1

gnault. Voir E´tienne Hofmann, Une erreur judiciaire oublie´e : L’Affaire Wilfrid Regnault (1817–1818), Gene`ve : E´ditions Slatkine, 2009. Les textes de Constant sont publie´s dans OCBC, Œuvres, t. XI, a` paraıˆtre. BC se re´fe`re, comme l’a montre´ Hofmann (p. 183, n. 5) a` la «De´claration du 16 avril 1757, punissant de mort tous ceux qui seraient convaincus d’avoir compose´, imprime´, vendu, colporte´ des e´crits tendant a` attaquer la religion, a` e´mouvoir les esprits, a` donner atteinte a` l’autorite´ royale, a` troubler l’ordre et la tranquillite´ publics.» Il se trompe en donnant une fausse date. (Titre de la De´claration cite´ d’apre`s Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France au XVIIe et XVIIIe sie`cles, Paris : A. Picard, 1923, p. 77b, article «censure»). Cette «De´claration» en fait une loi, re´action a` l’attentat de Robert-Franc¸ois Damiens contre Louis XV, disparaıˆt avec la promulgation du «Code pe´nal du 25 septembre – 6 octobre 1791» qui abolit dans ses derniers articles («Appendice») les lois jusqu’alors existantes.

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1, De l’inde´pendance des tribunaux

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Mais ces pre´cautions sagement prises, que le pouvoir judiciaire soit dans une inde´pendance parfaite. Que l’autorite´ exe´cutive n’exerce sur lui aucune influence, meˆme indirecte. Que jamais dans ses actes, ni dans ses discours publics, elle ne se permette un murmure contre la baze des associations, la sauvegarde des citoyens, la liberte´ des tribunaux. Rien n’est plus propre a` de´praver l’opinion, que ces de´clamations perpe´tuelles, re´pe´te´es parmi nous, dans tous les sens, et a` toutes les e´poques, contre des hommes qui devaient eˆtre respecte´s, s’ils jugeaient dans leur conscience, punis, s’ils pre´variquaient dans leurs jugemens. J’ai suppose´ de plus toujours existante l’institution des jure´s a. Je ne connais pas de garantie judiciaire sans cette institution. Malheur au peuple

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que cela. Car il en re´sulte qu’un droit de gouttie´re est un objet plus important que l’honneur et la vie d’un homme de´voue´ aux plus cruels tourmens. Paw. Rech. s. l. Grecs. II. 61. [Add.] les principaux argumens d’un auteur qui a attaque´ l’institution du Jure´, (Gach, pre´sident d’un Tribunal de 1e`re Instance dans le De´partement du Lot) reposent sur le de´faut de ze`le l’Insouciance, l’ignorance, la frivolite´ francaise2. Il ne fait pas le proce´s de l’Institution du Jure´, mais celui de la Nation. il faut pourtant reconnoˆitre que si ses raisonnemens e´toient fonde´s, Il faudrait renoncer a` l’institution du Jure´ en france. mais qui ne sait qu’une institution peut paraitre dans ses premiers tems, peu convenable a` une Nation, en raison du peu d’habitude et lui devenir convenable, si l’institution est bonne intrinse´quement, parce que la Nation s’y fait et acquiert la capacite´ qu’elle n’avoit pas. Je ne dis ceci que des institutions fixes et le´gales, non des mœurs et des usages que les loix ne peuvent changer. Je re´pugnerai toujours a` croire une Nation insouciante sur le premier de ses interets, sur l’administration de la justice, et sur la garantie a` donner a` l’innocence accuse´e. les Franc¸ais,

V: 1 le pouvoir ] 〈l’auto〉 le pouvoir L sauvegarde L

3 ni ] ou L

4 la sauvegarde ] 〈contre〉 la

TR: 1–9 Mais ces pre´cautions ... jugemens. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 35, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 980 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 302, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 846. 10 J’ai suppose´ ... des jure´s. ]  Principes de politique (1815), 19, p. 30, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 846. 11-p. 304.2 Malheur ... illimite´s. ]  De la possibilite´ d’une 14-p. 302.33 les princonstitution re´publicaine, VII, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 588–589. cipaux ... fre`re. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 80–83, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1013–1015 ;  Principes de politique (1815), 19, pp. 303–306, OCBC, Œuvres, IX/2, 21–22 Je ne dis ... pp. 847–848. 14–24 les principaux ... accuse´e. ]  Co 3492, no 929. changer. ]  Co 3492, no 929 ;  Re´flexions sur les constitutions, 5, p. 80, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1013, note a. 24-p. 302.8 les Franc¸ais ... Croit-on qu’il ]  Co 3492, no 930. 1

2

BC cite ici un passage de la Sixie`me section, «De l’e´tat de la civilisation chez les Athe´niens», § 1, «De la formation des tribunaux» des Recherches philosophiques sur les Grecs de Cornelius van Pauw, Berlin : George Jacques Decker & Fils, 1788, t. II, pp. 5–6. Citation conforme. Il s’agit de Jean-Joseph Gach (1762–?), magistrat et homme politique, pre´sident du tribunal civil de Figeac, auteur d’une brochure intitule´e Des vices de l’Institution du jury en France (Paris : Petit, an XIII – 1804). Les passages reproduits d’apre`s cet ouvrage ne sont pas des citations textuelles. BC donne le plus souvent des paraphrases pour re´sumer les arguments de Gach. Il se re´fe`re aux pp. 10–11, 12, 38–39, 40–41, 42–43 et 90 de l’ouvrage de Gach.

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qui se laisse abuser par des objections astucieuses. Les jure´s, dit-on, se dit Gach, n’auront jamais l’instruction ni la fermete´ ne´cessaires pour remplir le but de l’Institution du Jure´. telle est notre indiffe´rence pour tout ce qui a rapport a` l’administration publique, tel est l’empire de l’e´goı¨sme, et de l’interet particulier, la tie´deur, la Nullite´ de l’Esprit public, que la loi qui e´tablit la proce´dure par jure´s ne peut eˆtre execute´e1. Mais qui ne sent que ce qu’il faut, c’est avoir un esprit public qui surmonte cette tie´deur et cet e´goisme ? cet esprit public se cre´eroit par l’habitude de la justice et de la liberte´. Croit-on qu’il existeroit chez les Anglais, sans l’ensemble de leurs Institutions politiques ? mais la` ou l’institution des Jure´s est sans cesse suspendue, la liberte´ des Tribunaux viole´e, les accuse´s traduits devant des Commissions, cet esprit ne peut naˆitre. On accuse l’institution des Jure´s. ce sont les atteintes qu’on lui porte qu’il faudrait accuser. Gach invoque l’expe´rience de 12 anne´es2. de 12 anne´es de revolutions ! Le Jure´, dit-il, ne pourra pas, comme l’esprit de l’Institution l’exige, se´parer sa conviction intime des pie´ces, des te´moignages, des indices, choses qui ne sont pas ne´cessaires quand la conviction existe, et qui sont insuffisantes, quand elle n’existe pas3. mais c’est une chicane. Il n’y a aucun motif de se´parer ces choses. au contraire ce sont les e´le´mens de la conviction. l’esprit de l’Institution veut seulement que le Jure´ ne soit pas astreint, d’apre´s un calcul nume´rique ou le´gal, mais d’apres l’impression que l’ensemble des pie`ces, te´moignages et indices aura produite sur lui. Or les lumie´res du simple Bonsens suffisent, pour qu’un Jure´ sache et puisse de´clarer, si, apre´s avoir entendu les te´moins, pris lecture des pie´ces, compare´ les Indices, il est convaincu ou non. Si les Jure´s, continue-t-il, trouvent une loi trop se´ve`re, Ils absoudront l’accuse´ et de´clareront le fait non constant, contre leur conscience, et il suppose le cas ou un homme seroit accuse´ d’avoir donne´ azyle a` son fre`re, et aurait par la` encouru la peine de mort4. Cet exemple, selon moi, loin de militer contre l’Institution du Jure´, en fait le plus grand e´loge. Il prouve que cette institution met obstacle a` l’exe´cution des loix contraires a` l’humanite´, a` la justice et a` la morale. On est homme avant d’eˆtre Jure´. par conse´quent, loin de blamer le jure´ qui, dans ce cas, prononcerait contre sa conscience, et manquerait ainsi au devoir de jure´, je le louerais de remplir le devoir d’homme, et de courir, de la manie`re qui seroit en son pouvoir, au secours d’un homme preˆt a` eˆtre condamne´ pour une action qui n’est pas un crime. l’exemple cite´ par Gach ne prouve point qu’il ne faille pas de Jure´s. il prouve qu’il ne faut pas de loix qui prononcent [la] peine de mort contre un homme qui donnerait azyle a` son fre`re. avec cette manie`re de raisonner, l’objection militerait contre toute organisation judiciaire ; car on pourrait inventer des loix tellement atroces, qu’aucun juge, jure´ ou non, amovible ou permanent, ne voudrait les appliquer. Bonne de´finition du Jure´ : c’est, dit Deperret, (De la Garantie individuelle) la raison du coupable, dans son e´tat ordinaire d’innocence, qui juge cette meˆme raison, e´gare´e momentane´ment par le crime5. Le jure´ juge moralement, le juge mate´riellement. Le Jure´ juge comme le bon sens de chaque individu jugeroit, comme jugeroit celui de l’Accuse´ meˆme, s’il n’e´toit partial, parce que c’est sa propre cause. Le juge prononce d’apre´s les loix dicte´es par l’interet commun de la socie´te´.

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«Les Franc¸ais ... exe´cute´e.» Passage qui correspond au texte des pp. 10–11 de la brochure de Gach. Le recours a` l’expe´rience re´volutionnaire se trouve chez Gach a` la p. 12. BC re´sume dans les phrases pre´ce´dentes les pp. 38–39 de Gach. BC re´sume les pp. 40–41 de la brochure de Gach. BC cite Pierre-Joseph Lauze de Pe´ret, Traite´ de la garantie individuelle, et des diverses preuves en matie`re criminelle, Paris : Imprimerie de Caillot, 1805, p. IV. Il modifie le´ge`rement la phrase pour l’adapter a` son texte. Lauze de Pe´ret termine ainsi : «[...] crime, ou par les terreurs qui le suivent».

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IX,

1, De l’inde´pendance des tribunaux

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plaisent a` absoudre les coupables. Mais ils ont intereˆt, comme citoyens et proprie´taires a` la punition des criminels. Ils craignent de devenir victimes de leur se´ve´rite´. La faute alors en est au gouvernement, au de´faut de police, aux agens charge´s de poursuivre les ennemis de la surete´ publique. Si vous adoptez une fois que l’arbitraire soit un moyen convenable pour arreˆter la multiplicite´ des forfaits, vous inte´resserez le gouvernement a` ce que les Quand les peines seront excessives, dit Gach, ou paraitront telles aux Jure´s, ils absoudront le coupable, bien qu’ils ayent une conviction comple`te de son crime1. Je re´ponds que ce sera la faute des peines et non des Jure´s. il ne faut pas que les peines soı¨ent excessives, et si elles paraissent excessives a` des Jure´s, c’est qu’elles le sont, car les Jure´s n’ont aucun interet a` les trouver telles. On dira que c’est soumettre sans cesse les peines a` la revision des Jure´s. mais je re´ponds que les Jure´s ne se re´soudront a` s’e´carter de leurs fonctions que dans des cas extreˆmes. car encore une fois, ils sont, comme citoyens, inte´resse´s pour la surete´ publique a` ne pas s’en e´carter. Or dans les cas extreˆmes, c. a` dire, quand ils seront place´s entre le sentiment de la justice et de l’humanite´, et la lettre de la loi, ce n’est pas un mal qu’ils s’en e´cartent. il ne faut pas qu’il existe une loi qui re´volte l’humanite´ du commun des hommes, tellement que des Jure´s, pris dans le sein d’une Nation, ne puissent se de´terminer a` concourir a` l’application de cette loi : et l’institution de juges permanens, que l’habitude re´concilieroit avec une loi si barbare, loin d’eˆtre un avantage, serait un mal. On dit : les Jure´s manqueront a` leur devoir, tantot par peur, tantot par pitie´. Si c’est par peur, ce sera la faute de la police trop ne´gligente. Si c’est par pitie´, ce sera la faute de la loi trop rigoureuse. Plusieurs des objections contre l’institution des jure´s, tire´es de leur manque de fermete´, de leur susceptibilite´ de se´duction, pourraient a` peu de choses pre´s s’appliquer aux juges. supposez un pays ou les juges auroient e´te´ tantot vexe`s et froisse´s par l’autorite´ publique, tantot abando[n]ne´s par cette meˆme autorite´ publique a` la vengeance des parens ou des complices des accuse´s, come les jure´s l’ont e´te´, durant la re´volution franc¸aise, croit-on que ces juges auroient e´te´ beaucoup plus fermes et ine´branlables que les Jure´s ? Les inconve´niens de l’Institution des Jure´s sont tous du cote´ de l’indulgence. ceux des Juges du cote´ de la se´ve´rite´. S’il n’est pas un pays, dit Gach, ou les arts et les Sciences soı¨ent cultive´s avec plus de succe´s qu’en France par un petit nombre d’esprits privile´gie´s, il n’en est pas non plus ou la masse de la Nation croupisse dans une plus profonde ignorance de tout ce qui a quelque rapport aux loix et a` l’administration publique2. d’ou cela vient-il ? de ce qu’il y a toujours eu dans le sanctuaire des loix et dans l’administration publique beaucoup d’arbitraire, de ce que la nature du gouvernement e´loignoit les Francois de ces objets, de ce que, pour nous rapprocher plus spe´cialement du sujet que nous traitons, l’instruction des proce´s criminels

7, fo 49vo

TR: 7–9 Quand ... des Jure´s. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, p. 83, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1014 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 307, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 848. 16–23 il ne faut pas ... rigoureuse. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 84–85, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1015 ;  Principes de politique (1815), 19, pp. 307–308, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 849. 1 2

BC re´sume un passage de la brochure de Gach (p. 42). Gach, Des vices de l’Institution du jury, p. 90. Citation conforme, a` cela pre`s que Gach e´crit : «la masse des citoyens».

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Principes de politique

forfaits se multiplient. Il sera ne´gligent dans sa surveillance pour vous forcer a` lui donner des pouvoirs illimite´s.

en France e´toit secre`te, et elevoit parla meˆme une barrie`re, entre la justice et les Citoyens. Changez toutes ces choses, vous verrez le caracte`re national perdre cette frivolite´ et sortir de cette ignorance qui ne sont que le re´sultat de toutes ces mauvaises institutions, et qu’on alle´gue come une raison de les perpe´tuer. Aucun peuple ne reste indiffe´rent a` ce qui inte´resse sa liberte´, sa surete´, son honeur et sa vie, quand on lui permet de s’en occuper. lorsqu’il est indiffe´rent a` ces grands objets, c’est qu’on l’en a repousse´. l’institution du Jure´ est sous ce rapport d’autant plus ne´cessaire au peuple francois qu’il en paraˆit momentane´ment moins capable. Il y trouverait non seulement les avantages ge´ne´raux inherens a` cette institution, mais l’avantage particulier de refaire son e´ducation morale.

TR: 6–11 Aucun ... morale. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, p. 85, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1015 ;  Principes de politique (1815), 19, pp. 308–309, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 849.

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Chape 2e De l’abbre´viation des formes.

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Ceci me conduit a` examiner un raisonnement qui sert de pre´texte a` la plupart des atteintes porte´es aux formes de la justice, raisonnement d’autant plus dangereux, qu’aux yeux des hommes superficiels, il revet ces atteintes d’une apparence re´gulie`re et des dehors de la le´gitimite´. Lorsque les crimes se multiplient, ou que l’Etat semble menace´ de quelques pe´rils, on nous dit qu’il faut abre´ger les formes dont la lenteur compromettrait la surete´ publique. l’on supprime les proce´dures, l’on acce´le`re les jugemens, l’on e´tablit des tribunaux extraordinaires, l’on retranche en tout ou en partie les garanties judiciaires a. Cette manie`re de proce´der m’a frappe´ toujours comme reposant sur une singulie`re pe´tition de principes. C’est de´clarer convaincus d’avance des hommes qui ne sont encore qu’accuse´s. Les formes sont une sauvegarde : l’abbre´viation des formes est la diminution ou la perte de cette sauvegarde. L’abbre´viation des formes est donc une peine. Soumettre un accuse´ a` cette peine, c’est le punir avant de le juger. Que si vous le punissez, c’est donc que son crime est prouve´ d’avance. Si son crime est prouve´, a` quoi bon un tribunal, quel qu’il soit, pour de´cider de son sort ? si son crime n’est pas a

Montesquieu.

VI.21.

V: 1 Chape 2e ] Chap. 〈31〉 2. L TR: 12-p. 307.23 Cette manie`re ... tous les citoyens. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, 12-p. 307.18 Cette manie`re ... pour pp. 86–89, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1016–1018. l’opinion. ]  Principes de politique (1815), 19, pp. 309–312, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 849– 851. 13-p. 306.30 C’est de´clarer ... sont ne´cessaires ; ]  Discours au Tribunat, 5 pluvioˆse 14–306.3 Les formes ... l’e´tat social ? ]  Des an IX, OCBC, Œuvres, IV, pp. 241–242. e´lections prochaines, pp. 61–62, en note, OCBC, Œuvres, X/2, p. 790. 1

Hofmann (p. 184, n. 9) souligne que le renvoi de BC au Livre VI, chap. 2 de De l’Esprit des lois est une abre´viation pour une observation importante. «On entend dire sans cesse qu’il faudroit que la justice fuˆt rendue partout comme en Turquie. Il n’y aura donc que les plus ignorants de tous les peuples qui auront vu clair dans la chose du monde qu’il importe le plus aux hommes de savoir ?» Et apre`s avoir e´voque´ les formalite´s de la justice, Montesquieu continue : «vous verrez que les peines, les de´penses, les longueurs, les dangers meˆme de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberte´.» (pp. 309–310).

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Principes de politique

prouve´, de quel droit placez vous cet accuse´ dans une classe particulie`re et proscrite, et le privez vous sur un simple soupc¸on, du be´ne´fice commun a` tous les membres de l’e´tat social ? Cette absurdite´ n’est pas la seule. Les formes sont ne´cessaires, ou sont inutiles a` la conviction ; car la conviction, je le pense, est le seul but des proce´dures. Si les formes sont inutiles, pourquoi les conservez vous dans les proce`s ordinaires ? si elles sont ne´cessaires, comment les retranchez vous dans les proce`s les plus importans ? quoi ! lorsqu’il s’agit d’une faute le´ge`re, et que l’accuse´ n’est menace´ ni dans sa vie, ni dans son honneur, l’on instruit sa cause de la manie`re la plus solemnelle ! L’on observe toutes les formes, l’on accumule les pre´cautions pour constater les faits et ne pas frapper l’innocence ! mais lorsqu’il est question de quelque forfait e´pouvantable, et par conse´quent de l’infamie et de la mort, l’on supprime d’un mot toutes les pre´cautions tutelaires ! l’on ferme le code des loix, l’on abre´ge les formalite´s ! Comme si l’on pensait que plus une accusation est grave, plus il est superflu de l’examiner. Ce sont des brigands, dites vous, des assassins, des conspirateurs auxquels seuls vous enlevez le be´ne´fice des formes. Mais avant de les reconnaitre pour tels, il faut constater les faits : or, que sont les formes, sinon les meilleurs moyens de constater les faits ? S’il en existe de meilleurs et de plus courts, qu’on les prenne, mais qu’on les prenne alors pour toutes les causes. Car, pourquoi y en aurait-il une classe sur laquelle on observerait des lenteurs superflues, ou bien une autre qu’on de´ciderait avec une pre´cipitation dangereuse. Le dilemme est clair : si la pre´cipitation n’est pas dangereuse, les lenteurs sont superflues : si les lenteurs ne sont pas superflues, la pre´cipitation est dangereuse. Ne dirait on pas qu’on peut distinguer a` des signes exte´rieurs et infaillibles avant le jugement, avant l’instruction, les hommes innocens et les hommes coupables, ceux qui doivent jou¨ir de la pre´rogative des formes et ceux qui doivent en eˆtre prive´s. Mais alors le pouvoir judiciaire, de quelqu’espe`ce qu’il soit, serait inutile. C’est parceque ces signes n’existent pas, que les formes sont ne´cessaires ; c’est parceque les formes ont paru l’unique moyen de discerner l’innocent du coupable, que tous les peuples libres et humains en ont reclame´ l’institution. Quelqu’imparfaites que soient les formes, elles ont une faculte´ protectrice, qu’on ne leur ravit qu’en les de´truisant. Elles sont les ennemies ne´es, les adversaires inflexibles de la tyrannie populaire ou autre. Aussi long tems que les V: 9 sa cause ] sa re´crit sur la cause P la cause L

19 et de ] et 〈dep〉 de P

TR: 8–15 lorsqu’il s’agit ... l’examiner. ]  Des e´lections prochaines, pp. 62–63, en note, 16–30 Ce sont ... ne´cessaires. ]  Des e´lections prochaines, OCBC, Œuvres, X/2, p. 791. p. 62, en note, OCBC, Œuvres, X/2, p. 791. 16-p. 307.8 Ce sont ... fureur. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 87–89, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1016–1017.

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2, De l’abbre´viation des formes

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formes subsistent, les tribunaux opposent au despotisme une re´sistance plus ou moins ge´ne´reuse, mais qui sert toujours a` le contenir. Sous Charles I, les tribunaux Anglais acquitte`rent, malgre´ les menaces de la cour, plusieurs amis de la liberte´1. Sous Cromwell, bien que domine´s par le protecteur, ils renvoyerent souvent absous des citoyens accuse´s de royalisme. Sous Jacques II, Jefferis fut oblige´ de fouler aux pieds toutes les formes et de violer l’inde´pendance des juges meˆmes de sa cre´ation, pour assurer les nombreux supplices des victimes de sa fureur2. En Prusse l’on a vu les tribunaux de´fendre, contre les soupc¸ons du successeur de Fre´de´ric II, la tradition de la liberte´ intellectuelle et religieuse3. Il y a dans les formes quelque chose d’imposant et de pre´cis qui force les juges a` se respecter, et a` suivre une marche e´quitable et re´gulie`re. L’affreuse loi, qui, sous Robespierre, de´clara les preuves superflues, et supprima les de´fenseurs, est un hommage rendu aux formes4. Elle de´montre que les formes, modifie´es, mutile´es, torture´es en tout sens par le ge´nie des factions, geˆnaient encore des hommes choisis soigneusement, entre tout le peuple franc¸ais, comme les plus affranchis de tout scrupule de la conscience et de tout respect pour l’opinion. Les observations pre´ce´dentes s’appliquent avec une double force a` ces jurisdictions dont les noms seuls sont devenus odieux et terribles, a` ces conseils ou commissions militaires, qui, chose e´trange, pendant toute la dure´e d’une re´volution entreprise pour la liberte´, ont fait trembler tous les citoyens5. V: 5 souvent ] ce mot ajoute´ dans l’interl. sup. L 7 l’inde´pendance ] l’inde´pendance 〈meˆme〉 P 9 du successeur ] d〈e〉u 〈Freder〉 successeur P 15 mutile´es, torture´es ] 〈torture´es〉 mutile´es, torture´es L 23 citoyens. ] citoyens. 〈Mais les orages de ces trois derniers mots dans l’interl. sup. cette Re´volution 〈avoit〉 avoient corr. dans l’interl. sup. bouleverse´ toutes les ide´es. Une guerre longue et acharne´e avait fait pe´ne´trer l’esprit militaire et 1

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Allusion aux de´cisions du «Long Parliament» et a` la «Grande Remontrance» de 1641 qui firent obstacle aux efforts de Charles Ier pour arreˆter les chefs de l’opposition John Pym et John Hampdon. Voir aussi OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 710, n. 2. George Jeffreys, 1er baron de Wem, devenu «chief justice» d’Angleterre durant le re`gne de Jacques II, e´tait connu autant pour sa cruaute´ que pour sa corruption. Durant les «Assises sanglantes» qui suivirent l’insurrection du duc de Monmouth en juillet 1685, Jeffreys fit exe´cuter pre`s de 200 rebelles et ordonna que d’autres soient vendus comme esclaves dans les colonies, tout en extorquant de l’argent a` ses victimes. Il fut emprisonne´ dans la tour de Londres apre`s la «Glorious Revolution» de 1688 et y resta jusqu’a` sa mort en 1689 (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1017, n. 3). Voir ci-dessus, p. 241, n. 2. Il s’agit de la loi du 22 prairial an II, de´but de la Terreur. Voir OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 851, n. 3. Nous reprenons ici l’explication de Hofmann (p. 187, n. 18) : «Ces commissions militaires, e´tablies par le De´cret du 9 octobre 1792 pour juger les e´migre´s pris les armes a` la main, ne prononc¸aient qu’une seule sentence, la mort, qui e´tait imme´diatement exe´cutoire. Ces com-

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Nos neveux ne croiront pas, s’ils ont quelqu’ide´e de liberte´, qu’il fut un tems, ou` des hommes nourris sous la tente et ignorans de la vie civile, interrogeaient des pre´venus qu’ils e´taient incapables de comprendre, condamnaient sans appel des citoyens qu’ils n’avaient pas le droit de juger. Nos neveux ne croiront pas, s’ils ne sont le plus avili des peuples, qu’on ait fait comparaitre devant des tribunaux militaires, des le´gislateurs, des e´crivains, des accuse´s de de´lits politiques, donnant ainsi par une de´rision fe´roce pour juge a` l’opinion et a` la pense´e, le courage sans lumie`res et la soumission sans jugement. Ils ne croiront pas qu’on ait impose´ a` des guerriers, revenant de la victoire, couverts de lauriers que rien n’avait fle´tris, l’horrible devoir de se transformer en sbirres, de poursuivre, de saisir, de fusiller des concitoyens peut-eˆtre coupables, mais dont les noms comme les crimes leur e´taient encore inconnus. Non, tel ne fut jamais, s’e´crieront-ils, le prix des exploits, la pompe triomphale. Non, ce n’est pas ainsi que les libe´rateurs de la France reparaissaient dans leur patrie, et saluaient le sol natal. Le pre´texte de cette subversion de la justice, c’est que la nature du tribunal est de´termine´e par la nature du crime. Ainsi l’embauchage, l’espionnage, les provocations a` l’indiscipline, l’azyle ou l’assistance donne´e a` la de´sertion, et par une extension naturelle, les conspirations que l’on pre´sume V: dans nos institutions politiques et dans le sanctuaire des Loix. Nos gouvernants e´toient assez dispose´s a` croire que, pour la liberte´ comme pour la victoire, rien n’e´toit plus convenable que l’obe´issance passive et la rapidite´ des re´solutions. Ils conside´roient les opinions come des corps de troupes, qu’il falloit enroler ou qu’il falloit combattre, les assemble´es repre´sentatives comme les agents du gouvernement, leur opposition comme des actes d’indiscipline, les tribunaux comme des camps, les juges come des guerriers, les accuse´s comme des ennemis, les jugemens come des batailles. / De la` cette substitution de la force militaire aux garanties paisibles et tute´laires de la justice.〉 L 7 pour juge ] 〈a´ la pense´e〉 pour juge L 19 et par ] 〈ont e´te´ regarde´es comme ressor=〉 〈ont e´te´ regar〉 et par les passages biffe´s trahissent deux tentatives de re´daction ; le premier se trouve a` la fin d’un folio ; le second en teˆte du folio suivant L pre´sume ] 〈suppose〉 pre´sume corr. dans l’interl. L TR: 1–15 Nos neveux ... sol natal. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, pp. 603–604 ;  De l’esprit de conqueˆte, I, 6, pp. 23–24, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 570. 16-p. 309.5 Le pre´texte ... chaˆtiment. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 89–90, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1017–1018. 21–26 pour la liberte´ ... batailles. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 601. 22–26 Ils conside´roient ... batailles. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 6, pp. 22–23, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 570. missions e´taient un instrument encore plus terrible que les tribunaux re´volutionnaires.» Hofmann renvoie a` Jacques Godechot, Les institutions de la France sous la Re´volution et l’Empire, Paris : PUF, 1951, pp. 324–325. – Le passage supprime´ apre`s les mots «tous les citoyens» (voir la variante) se trouve dans le corps du texte, ci-dessous, p. 501.

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IX,

2, De l’abbre´viation des formes

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avoir ou pre´pare´ quelqu’intelligence ou quelque point d’appui dans l’arme´e, sont regarde´s souvent comme ressortant de la jurisdiction militaire. Mais ce pre´texte est absurde, comme nous l’avons dit, puis que c’est encore travestir en crime l’accusation, traiter le pre´venu comme un condamne´, supposer la conviction avant l’examen, et faire pre´ce´der la sentence par un chaˆtiment.

V: 2 regarde´s ] la source porte regarde´es P

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Chapitre 3e Des peines.

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Les coupables ne perdent pas tous leurs droits a. La socie´te´ n’est point investie, meˆme sur eux, d’une autorite´ illimite´e. Elle leur doit de ne leur infliger que des peines proportionne´es a` leurs de´lits. Elle leur doit de ne leur faire subir de souffrances que celles qui ont e´te´ de´termine´es par des loix ante´rieures. Elle a meˆme un autre devoir, celui de n’e´tablir contre les coupables que des chaˆtimens qui ne puissent ni re´volter, ni corrompre les innocens qui en sont les te´moins. Ce dernier devoir rend inadmissible tout rafinement dans les supplices b. On paraissait, vers la fin du dernier sie`cle, avoir senti cette ve´rite´. On ne recherchait plus avec art, comment prolonger, le plus possible, en pre´sence de plusieurs milliers de spectateurs, l’agonie convulsive d’un de leurs semblables. On ne s’avouait plus la pre´me´ditation de la cruaute´. On avait de´couvert que ces barbaries, inutiles pour la victime, pervertissaient les te´7, fo 49vo

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[Add.] Lorsque les individus troublent par des actions criminelles la surete´ de l’association, ils perdent une partie de leurs droits, que cette association est autorise´e a` restreindre pour les empeˆcher de lui nuire. mais on pousse d’ordinaire ce principe beaucoup trop loin. se´questre´ de ses concitoyens, livre´ a` des geoliers, puis a` des bourreaux, le coupable semble un eˆtre a` part que la nature repousse, que la pitie´ publique de´laisse, et que l’humanite´ de´savoue. Je ne parle ici que du coupable convaincu, car il est e´vident qu’a` moins du renversement de toute justice, le pre´venu, non encore juge´, conserve tous les droits qui sont compatibles avec les mesures ne´cessaires pour qu’il n’e´chappe pas a` son jugement. mais le criminel, meˆme convaincu, n’est pas de´pouille´ de tous ses droits. Il a celui d’exiger que son jugement soit public, parce que les actions humaines se composent d’une foule de nuances que la loi ne peut saisir, il faut, lors meˆme que le coupable saisit une peine, que si son action est atte´nue´e par quelques unes de ces nuances que la justice le´gale n’a pu prendre en conside´ration, l’opinion l’en de´dommage. Il a droit, en second lieu a` ce que le chatiment qu’il e´prouve ne re´volte pas la Nature, et ne soit pas susceptible d’eˆtre aggrave´ arbitrairement par le caprice des exe´cuteurs. [Add.] on croit beaucoup trop a` la ne´cessite´ des supplices effrayans. a` Athe`nes la mort des condamne´s e´toit fort douce, puisque chacun choisissoit son genre de mort. Il n’y avoit pas plus de crimes qu’ailleurs.

V: 1 Chapitre 3e ] Chap. 〈33.〉 3. L 4–5 Elle ... de´lits. ] phrase re´pe´te´e par inadvertance, puis biffe´e P 15 ces barbaries ] 〈l’influence〉 ces barbaries L 19 livre´ ] la source porte livre´s P TR: 10-p. 311.7 Ce dernier ... silence. ]  Re´flexions sur les constitutions, note M, CPC, I, pp. 264–265, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1204–1205.

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moins de ses tourmens, et que pour punir un seul criminel, on de´pravait une nation toute entie`re. Il y a quelques anne´es que subitement la proposition fut faite par des hommes sans mission, de revenir a` ces e´pouvantables usages1. Toute la partie saine du public en fre´mit d’horreur. L’autorite´ recula devant cette flatterie fe´roce : et si l’on ne daigna pas re´pondre a` ces hommes, ils ne durent qu’au me´pris qu’ils inspiraient de n’eˆtre repousse´s que par le silence. La peine de mort meˆme re´duite a` la simple privation de la vie, a e´te´ l’objet des re´clamations de plusieurs philosophes estimables2. Leurs raisonnemens ne m’ont point convaincu que cette peine ne fut jamais admissible, et je n’avais pas besoin de leurs raisonnemens pour penser qu’on ne devait l’e´tendre qu’a` un tre`s petit nombre de crimes. La peine de mort a ce grand avantage que peu d’hommes se vouent a` des fonctions odieuses et avilissantes. Il vaut mieux que ces agens de´plorables d’une se´ve´rite´ ne´cessaire, rejette´s avec horreur par la socie´te´, se consacrent a` l’affreux emploi d’exe´cuter quelques criminels, que si une multitude se condamnait a` veiller sur les coupables, et a` se rendre l’instrument perpe´tuel de leur malheur prolonge´. Causer de sang froid la douleur de ses semblables, est toujours une action qui pervertit, quelque justement que cette douleur puisse eˆtre inflige´e par les loix. V: 19 pervertit ] 〈deprave〉 pervertit L TR: 8-p. 314.30 La peine de mort meˆme ... estimables. ]  Re´flexions sur les constitutions, 13–18 La peine de mort a ... note N, CPC, I, p. 265, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1206. prolonge´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note N, CPC, I, p. 266, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1206. 1 2

Allusion non e´lucide´e. Voir pour plus de de´tails OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1205, n. 1. Hofmann renvoie a` juste titre (p. 189, n. 25) aux discussions a` l’Assemble´e nationale du 30 mai au 1er juin 1791 sur la peine de mort, qui fut maintenue. On citait dans les de´bats Montesquieu et Beccaria, entre autres. On trouve entre autres orateurs Robespierre (contre la peine de mort) et le philosophe Brillat-Savarin qui se prononc¸ait pour le maintien de la peine capitale. L’observation quelque peu distante de BC vise, en dehors de ces de´bats, la discussion de´clenche´e par l’ouvrage du philanthrope Cesare Bonesano de Beccaria (1738– 1794), Dei delitti e delle pene, paru sans nom d’auteur en 1764 a` Monaco. On peut penser que BC a consulte´ la traduction franc¸aise Traite´ des de´lits et des peines par Beccaria, traduit de l’italien par Andre´ Morellet. Nouvelle e´dition corrige´e, pre´ce´de´e d’une correspondance de l’auteur avec le traducteur, accompagne´e de notes de Diderot, et suivie d’une the´orie des lois pe´nales, par Je´re´mie Bentham. Traduite de l’anglais par Saint-Aubin, Paris : Impr. du Journal d’e´conomie publique, de morale et de politique, 1797. Il y a encore un autre e´dition qui ne donne que le texte : De de´lits et des peines. Ouvrage traduit de l’Italien de Beccaria, Paris : Nartin et Veuve Gauthier, an III.

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Cette conside´ration me porte a` rejetter la de´tention perpe´tuelle a. Elle corrompt les geoliers, comme les de´tenus. Elle accoutume les pre´venus a` une fe´rocite´ capricieuse, Elle est inse´parable de beaucoup d’arbitraire. Elle peut couvrir de son voile une foule de cruaute´s. La condamnation aux travaux publics, si recommande´e par la plupart de nos politiques modernes, m’a paru toujours entrainer des inconve´niens de tous les genres. Il ne m’est, en premier lieu, nullement prouve´ que la socie´te´ ait sur les individus qui troublent l’ordre public, d’autre droit que celui de leur enlever toute possibilite´ de nuire. La mort est comprise dans ce droit, mais nullement le travail. Un homme peut me´riter de perdre l’usage ou la possession de ses faculte´s, mais il ne peut les alie`ner que volontairement. Si vous admettez qu’il puisse eˆtre contraint de les alie`ner, vous retombez en entier dans le syste´me de l’esclavage. Imposer le travail comme une peine est de plus d’un exemple dangereux. Dans nos associations actuelles, la grande majorite´ de l’espe`ce humaine est oblige´e a` l’exce`s du travail. Quoi de plus imprudent, de plus impolitique, de plus insultant que de lui pre´senter le travail comme le chatiment du crime ? Si le travail des condamne´s est ve´ritablement une peine, s’il est diffe´rent de celui auquel sont soumises les classes innocentes et laborieuses de la socie´te´, s’il est, en un mot, audessus des forces humaines, il devient un supplice de mort plus lent, plus douloureux que tout autre. Entre le captif autrichien, qui, deminud, et le corps a` moitie´ dans l’eau, traine des vaisseaux sur le Danube, et le malheureux qui pe´rit sur l’e´chaffaud, je ne vois que la diffe´rence du tems, qui est en faveur du dernier1. Joseph II et Catherine IIe parlaient toujours de l’abolition de la peine de mort, au nom de a

[Add.] Je crains toujours, si l’on admet comme peine la de´tention perpe´tuelle, que quelqu’une des nombreuses prisons dont l’e´tablissement sera ne´cessaire, ne se transforme toˆt ou tard en prison d’e´tat, me´tamorphose d’autant plus facile, que presque partout, pour des motifs plausibles de surete´ publique, la permission du gouvernement ouvre seule l’entre´e de ces lugubres habitations. je n’aime pas que les Citoyens s’accoutument a` passer froidement a` cote´ d’une prison, sans demander qui sont ceux qu’elle renferme, sans s’informer si nul n’y ge´mit Victime d’un acte ille´gal, sans y pouvoir pe´ne´trer, pour se convaincre par leurs propres yeux, que la mise`re des de´tenus n’est point aggrave´e par la durete´ ou la cupidite´ de leurs gardes.

V: 2 accoutume les pre´venus ] 〈est〉 accoutume les premiers L 12 les alie`ner ] 〈eˆtre contraint a〉 les alie´ner L 25 Joseph II et Catherine IIe ] Joseph deux et Catherine seconde L TR: 5-p. 313.18 La condamnation ... d’ignominie. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 93–95, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1020–1021. 1

Allusion tre`s pre´cise a` la pratique des travaux force´s en Autriche. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1020, n. 1.

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l’humanite´, tandis qu’ils infligeaient des peines non moins mortelles, mais plus longues et plus rigoureuses. Si au contraire la condamnation aux travaux publics n’est pas une mort rafine´e, c’est une cause de de´pravation re´voltante et contagieuse. Dans quelques pays de l’Allemagne, les condamne´s a` cette peine, traite´s avec douceur, s’accoutument a` leur destine´e, se complaisent dans leur opprobre, et ne travaillant dans leur servitude pas plus qu’ils ne feraient en liberte´, ils offrent aux spectateurs le tableau de la gaıˆte´ dans la de´gradation, du bonheur dans l’avilissement a, de la se´curite´ dans la honte1 ; ce qui doit produire dans l’ame du pauvre, dont l’innocence ne sert qu’a` lui imposer une existence non moins laborieuse et plus pre´caire des ide´es de comparaison qui le de´couragent ou l’e´garent. Enfin ce bruit des chaines, ces habits de forc¸ats, tous ces signes de crime et de chatiment, expose´s sans cesse et publiquement a` nos regards, sont pour les hommes qui portent en eux quelque sentiment de la dignite´ humaine, une peine plus habituelle et plus douloureuse que pour les coupables. La socie´te´ n’a pas le droit de nous entourer d’une e´ternelle comme´moration de perversite´ et d’ignominie. L’e´tablissement de colonies b, ou` l’on transporte les criminels, est peuteˆtre, de toutes les mesures de rigueur, la plus conforme a` la justice, aux interets de la socie´te´, a` ceux des individus qu’elle se voit force´e d’e´loigner. La plupart de nos fautes sont occasionne´es par une sorte de de´saccord entre nous et les institutions sociales. Nous arrivons a` la jeunesse, souvent a

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[Add.] les fle´trissures inde´le´biles ont le meˆme inconve´nient que les travaux publics. elles empeˆchent tout retour a` la vertu, et elles montrent des criminels heureux dans la honte. Bentham les permet pour les faux-Monnoyeurs, parce qu’en les fle´trissant, elles ne leur ote[nt] pas les moyens de vivre. me´prise´s comme fripons, dit-il, ils seront encore employe´s, comme gens a` talent2. mais ne sera-ce pas une chose tre´s immorale que de montrer au peuple des fripons reconnus, employe´s come gens a` talent ? et si, ce qui est probable, Ils s’accoutument a` leur honte, quel spectacle plus corrupteur que la satisfaction dans l’opprobre ? [Add.] Bentham fait une objection assez forte a` l’e´tablissement des Colonies. La De´portation est un Bien, dit-il, pour des gens qui n’ont aucune ressource dans leur pays. car elle n’est autre chose que le passage gratuit dans le lieu de cette de´portation accorde´ a` celui qui

V: 4 re´voltante ] 〈re´elle〉 revoltante L

23 entre ] 〈qui〉 entre L

TR: 19–314.32 L’e´tablissement ... estimables. ]  Re´flexions sur les constitutions, 5, pp. 91– 93, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1018–1020. 1 2

Second exemple qui atteste une connaissance plus que superficielle de la re´forme pe´nale dans les e´tats de l’Empire germanique. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1021, n. 1. BC re´sume dans cette note quelques phrases de Bentham sur les faux-monnayeurs (Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, troisie`me partie, chap. 9, «Examen de quelques peines usite´es», t. II, p. 421).

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avant de connaitre, et presque toujours avant de concevoir ces institutions complique´es. Elles nous entourent de barrie`res que nous franchissons quelquefois sans nous en appercevoir. Alors s’e´tablit entre nous et nos alentours une opposition, qui s’accroit par l’impression meˆme qu’elle produit. Cette opposition se fait remarquer, dans presque toutes les classes de la socie´te´. Dans les classes supe´rieures, depuis le misanthrope qui s’isole, jusqu’a` l’ambitieux et au conque´rant, dans les classes infe´rieures, depuis l’homme qui s’e´tourdit par l’yvresse, jusqu’a` celui qui commet des attentats, tous sont des hommes en opposition avec les institutions sociales. Cette opposition se de´veloppe avec plus de violence la` ou` se trouve le moins de lumie`res. Elle s’affaiblit, a` mesure qu’on avance en age, que l’e´nergie des passions s’affaisse ; que l’on n’e´value la vie que ce qu’elle vaut, et que le besoin de l’inde´pendance devient moins impe´rieux que le besoin du repos. Mais lorsqu’avant d’arriver a` cette pe´riode de re´signation, l’on a commis quelque faute irre´parable, le souvenir de cette faute, le regret, le remords, le sentiment que l’on est juge´ trop se´ve´rement, et que ce jugement est ne´anmoins sans appel, toutes ces impressions entretiennent celui qu’elles poursuivent dans une inquie´tude, dans une irritation, source de fautes nouvelles et plus irre´parables encore. Si maintenant l’on arrachait tout a` coup les hommes qui se trouvent dans cette situation funeste, a` la pression d’institutions de´sobe´ies, et au froissement de relations a` jamais vicie´es, si de leur vie ante´rieure, il ne leur restait que le souvenir de ce qu’ils ont souffert, et l’experience qu’ils ont acquise, combien ne suivraient pas une route oppose´e ! Avec quel empressement, rendus tout a` coup, comme par miracle, a` la securite´, a` l’harmonie, a` la possession de l’ordre et de la morale, ils pre´fe´reraient ces jouissances aux tentations momentane´es qui les avaient e´gare´s ! L’experience a prouve´ ce que nous affirmons. Des hommes de´porte´s a` Botany-Bay pour des actions criminelles ont recommence´ la vie sociale et ne se croı¨ant plus en guerre avec la socie´te´, en sont redevenus des membres paisibles et estimables1. a commis un crime. II. 4262. Il y auroit un moyen de pre´venir cet inconve´nient : ce seroit de faire pre´ce´der la De´portation de quelque peine positive, comme d’un emprisonnement plus V: 21–22 au froissement ] mots ajoute´s dans la col. gauche L addition interl., de la main de BC P et ne ... socie´te´ L 1

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29–30 et ne ... socie´te´ ]

La colonie pe´nitentiaire de Botany Bay, e´tablie en 1788, pre`s de Sydney. Depuis l’inde´pendance de l’Ame´rique, il fallait pour l’Angleterre un nouvel exutoire pour les personnes condamne´es a` la de´portation. Ce que dit BC ici est une image simplifie´e et ide´alise´e d’une re´alite´ en fait beaucoup plus dure. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1019, n. 2. Ibid., meˆme chapitre, pp. 425–426. BC re´sume un passage de Bentham sur la peine de la de´portation.

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Mais s’il est juste et utile de se´parer ainsi les coupables de leurs alentours qui ne pourraient que les blesser et les pervertir, nous rendons l’e´tablissement de colonies de cette nature absurde et barbare, lorsque nous poursuivons d’une haine implacable des hommes qui ne doivent plus exister pour nous, lorsque sous un nouvel he´misphe`re, nous prolongeons pour eux les chatimens et la honte, lorsque nous entretenons avec eux des relations de malveillance et d’ignominie, et paraissons re´clamer, comme un droit de la me´tropole, celui de les entourer dans leur lointain azyle, de causes de douleur, d’avilissement et de corruption. Est-il ne´cessaire d’ajouter, que rien de ce qu’on vient de lire ne s’applique a` la de´portation dans les colonies, sinon comme peine. Toute de´portation arbitraire est le renversement de tous les principes et la violation de tous les droits. Une question qui tient de pre`s a` celle des peines, c’est l’extradition. Cette question serait facile a` re´soudre, s’il n’existait que des gouvernemens justes. Il n’y aurait d’interdit que les actions coupables. Il n’y aurait de peines prononce´es que contre les veritables de´lits. Rien alors ne serait plus naturel qu’une coalition entre tous les hommes contre ce qui les menace tous. Mais aussi long tems qu’il existera des de´lits factices, aussi long tems surtout que des opinions seront regarde´es comme des crimes, l’extradition sera l’arme des tyrans, et la proscription de quiconque aura le courage de leur re´sister. Tel est l’inconve´nient des institutions vicieuses, qu’elles nous forcent de donner un azyle au crime pour leur oter le pouvoir de poursuivre la vertu. C’est un malheur que d’offrir a` des coupables la chance de l’impunite´, mais c’en est un moins grand que de livrer l’homme de bien a` la vengeance de l’oppresseur. [Addition] dire dans ce chapitre que les peines doivent eˆtre varie´es et renvoyer a` l’ouvrage de Bentham. parler dans ce chapitre du droit qu’ont ceux qui ont e´te´ injustement de`tenus, condamne`s, en un mot qui ont souffert par les erreurs de la justice, d’eˆtre de´dommage´s aux de´pens du public[.] ou moins long, &cera. cette pre´caution de´tourneroit celui qui seroit tente´ de comettre un crime pour se procurer une nouvelle patrie. mais il faut se´parer la peine d’avec l’etablissement nouveau. Il faut que le coupable recommence sa nouvelle carrie`re, sans eˆtre poursuivi par la socie´te´. le Bonheur dont pourroient jouı¨r les coupables dans leur nouvel azyle n’auroit point un effet de´moralisant, comme celui dont jouissent quelquefois les condamne´s aux travaux publics. le peuple n’en serait pas le te´moin, et il auroit e´te´ le te´moin de la peine subie pre´ce´demment par le criminel. V: 22 est l’inconve´nient ] est 〈donc〉 l’inconve´nient P est donc l’inconve´nient L

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Chape 4e Du droit de faire grace.

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Toute le´gislation qui n’admet pas le droit de faire grace ou de commuer les peines, prive les accuse´s et meˆme les coupables d’un droit qui leur appartient le´gitimement. Un inconve´nient inse´parable des loix ge´ne´rales, c’est que ces loix ne peuvent s’appliquer a` plusieurs actions avec une justice e´gale. Plus une loi est ge´ne´rale, plus elle s’e´loigne des actions particulie`res sur lesquelles ne´ammoins elle est destine´e a` prononcer. Une loi ne peut eˆtre parfaitement juste, que pour une seule circonstance. De`s qu’elle s’applique a` deux circonstances que distingue la diffe´rence la plus le´ge`re, elle est plus ou moins injuste dans l’un des deux cas. Les faits se nuancent a` l’infini. Les loix ne peuvent les suivre dans toutes leurs modifications. Le droit de faire grace ou d’adoucir la peine est ne´cessaire pour supple´er a` l’inflexibilite´ de la loi. Ce droit en re´alite´ n’est autre chose que celui de prendre en conside´ration les circonstances d’une action pour de´cider si la loi lui est applicable. On a oppose´ au droit de faire grace un de ces dilemmes tranchans qui semblent simplifier les questions, parce qu’ils les faussent. Si la loi est juste, a-t-on dit, nul ne doit avoir la puissance d’en empeˆcher l’exe´cution. Si la loi est injuste, il faut la changer. Une condition seulement serait requise, pourque ce raisonnement ne fut pas absurde, ce serait qu’il y eut une loi pour chaque fait1 V: 3 le droit ] 〈d〉le droit L 12 l’un des ] l’un dans l’interl. sup., corr. a. des P l’un ajoute´ dans l’interl. 〈c〉des L 13–14 ne ... modifications. ] ne 〈les〉 peuvent les ce dernier mot dans l’interl. suivre dans toutes ce dernier mot dans l’interl. leurs modifications corr. de le main de BC P TR: 8–14 Plus une loi ... modifications. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 13, OCBC, Œuvres, IV, p. 664 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 313, OCBC, 15–17 Ce droit ... applicable. ]  De la possibilite´ d’une Œuvres, IX/2, pp. 852–853. constitution re´publicaine, VIII, 13, OCBC, Œuvres, IV, p. 664. 18–23 On a oppose´ ... chaque fait. ]  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 37, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 982 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 313, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 852. 19–21 Si la loi ... changer. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 13, OCBC, Œuvres, IV, p. 664. 1

Hofmann (p. 194, n. 32) indique que BC re´sume (et ajoutons-le, critique) ici le chap. 7 du livre VI de l’ouvrage de William Godwin, De la justice politique. Voir OCBC, Œuvres, t. II/1, pp. 312–314. Une autre source possible serait Bentham, Traite´s de le´gislation, Prin-

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La question intentionnelle remplace en partie le droit de faire grace. Mais elle n’y supple´e qu’imparfaitement. Lorsque vous appelez d’ailleurs des jure´s a` prononcer sur autre chose que sur des faits, vous de´naturez la fonction de jure´. Lorsque vous appelez des juges a` faire autre chose, que lire le texte de la loi e´crite, vous de´naturez la fonction de juge. Le tribunal de cassation, parmi nous, exerce indirectement le droit de faire grace1. Lorsqu’une loi se trouve litte´ralement, mais trop rigoureusement applique´e a` un coupable, ce tribunal cherche dans les proce´dures quelque vice de forme qui l’autorise a` casser le jugement. Mais un bien qui nait d’un abus est toujours un mal sous d’autres rapports. D’ailleurs, si les proce´dures sont parfaitement re´gulie`res, le tribunal de cassation se voit force´ de livrer le condamne´ a` une peine qu’il ne me´rite pas moralement, et qu’il eut e´te´ juste de mitiger. Ce cas est rare a` la ve´rite´, vu la complication des formalite´s prescrites : mais ce n’est la` qu’un vice de plus. Une seule difficulte´ s’e´le´ve relativement au droit de faire grace. Si vous confiez ce droit aux de´positaires du pouvoir exe´cutif, ils conside´reront cette attribution comme accidentelle et secondaire : Ils s’en acquitteront avec ne´gligence. Le tems leur manquera pour se livrer a` l’examen de toutes les circonstances qui devaient motiver leur de´cision. Les peines alors n’e´tant inflige´es d’apre`s aucune re`gle pre´cise, l’avantage principal des loix positives disparait, tous les coupables se flatteront d’eˆtre favorise´s par le hazard ou par le caprice. Ce systeˆme deviendra une loterie de mort, ou mille incidens incalculables confondront arbitrairement toutes les chances de salut et de destruction.

TR: 6–9 Le tribunal ... jugement. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 13, OCBC, Œuvres, IV, p. 664 ;  Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 38, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 982 ;  Principes de politique (1815), 19, p. 314, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 853. 9–13 Mais un bien ... mitiger. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 13, 15–24 Si vous ... destruction. ]  De la possibilite´ d’une OCBC, Œuvres, IV, p. 664. constitution re´publicaine, VIII, 13, OCBC, Œuvres, IV, p. 665.

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cipes du code pe´nal, troisie`me partie, chap. 10, t. II, pp. 432–434. Ce chapitre se termine ainsi : «Si les lois sont trop dures, le pouvoir de faire graˆce est un correctif, mais le correctif est un autre mal. Faites de bonnes lois et ne cre´ez pas de baguette magique qui ait la puissance de les annuler. Si le peine est ne´cessaire, on ne doit pas la remettre ; si elle n’est pas ne´cessaire, on ne doit pas la prononcer.» (p. 434). Le tribunal de cassation (loi des 27 novembre et 2 de´cembre 1792) pouvait «annuler toutes proce´dures dans lesquelles les formes ont e´te´ viole´es et casser tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi.» (Cite´ d’apre`s Hofmann, p. 194, n. 34).

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Principes de politique

L’on pre´viendrait cet inconve´nient, en fesant de ce droit l’attribution d’un pouvoir particulier. Les hommes qui en seraient revetus, l’exerceraient alors avec la re´flexion et la gravite´ qu’il exige. Mais un autre inconve´nient se pre´senterait. Un pouvoir particulier, ou une section quelconque du pouvoir judiciaire, investie du droit de grace, se ferait naturellement des re`gles pour l’exercer. L’exercice du droit de grace deviendrait par la` meˆme un jugement. L’on n’y trouverait plus l’espe`ce de vague et de latitude morale qui en constitue essentiellement la justice et l’utilite´. Il n’entre pas dans l’objet de nos recherches, de de´cider auquel de ces deux inconve´niens il faut se re´signer. C’est une question qui doit peut-eˆtre eˆtre re´solue diffe´remment, suivant les circonstances de chaque pays. Ce qu’il y a de sur, c’est que ni l’un ni l’autre de ces inconve´niens n’est assez grand pour l’emporter sur la ne´cessite´ de confier a` une autorite´ quelconque le droit de faire grace.

TR: 6–9 L’exercice ... l’utilite´ ]  Re´flexions sur les constitutions, note D, CPC, I, p. 220, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1183.

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De l’action de l’autorite´ sociale sur la proprie´te´1.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14359, fos 29ro–66vo [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 51ro–58vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 319ro–410ro [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 56–71 [=LA].

V: 1 Livre Xe ... proprie´te´. ] 〈Seconde Partie Application des principes ge´ne´raux〉 Livre 〈Ier〉 X. De l’Action de l’autorite´ sur la proprie´te´. 〈section 1e`re. Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politiques〉 L

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Le livre X est un des morceaux qui permet d’observer de plus pre`s le travail de re´daction. Nous avons montre´ ci-dessus (pp. 63–64) dans le tableau re´capitulatif de notre introduction que ce livre formait, avec le livre XI, dans la premie`re re´daction de l’ouvrage, le livre premier de la Seconde partie. Celle-ci e´tait subdivise´e effectivement en trois livres qui comprenaient a` leur tour quatre, trois et plusieurs (nombre non connu) sections, subdivise´es en chapitres. Le livre X actuel correspond donc a` la Seconde partie, Livre premier, Section premie`re, [Section seconde] et [Section troisie`me], le livre XI a` l’ancienne Section quatrie`me. Les indices mate´riels qui permettent cette reconstitution sont, pour le livre X, les titres anciens de certains chapitres conserve´s dans le manuscrit de Lausanne [L] pour la Section premie`re ; l’ancienne nume´rotation du chapitre 13 actuel, qui portait dans l’e´tat pre´ce´dent le nume´ro 5, ce qui permet d’indentifier l’actuel chapitre 9 avec le chapitre premier de la [Section seconde]. Le chapitre 〈5〉 13 actuel est entie`rement autographe et e´crit sur un papier avec un filigrane diffe´rent de celui de la copie de 1806, tandis que les chapitres 9 a` 12 font partie de cette dernie`re copie par Audouin (voir le tableau ci-dessus, p. 70). Du point de vue du contenu de ces cinq chapitres, cette subdivision hypothe´tique est plausible. La [Section troisie`me] enfin comprenait sans doute les chapitres 14 a` 16 actuels. Elle n’e´tait peut-eˆtre pas acheve´e, car BC pre´voyait d’ajouter encore trois chapitres, atteste´s par le ms. L. Ces trois chapitres correspondent partiellement aux chapitres e´bauche´s 17 et 18 actuels (voir ci-dessous pp. 377–385). Les chapitres de cette [Section troisie`me] hypothe´tique forment sur le plan du contenu une unite´ autonome. L’ancienne Section quatrie`me, atteste´e par le ms. L, cloˆt ce Premier livre «De l’action de l’autorite´ sur la proprie´te´». Elle deviendra le livre XI actuel des Principes de politique.

8. Première page du premier chapitre du livre X des Principes de politique, manuscrit de Lausanne, f° 320, écriture d’Audouin, avec quelques corrections autographes. Les lignes biffées du titre permettent de reconstituer la structure hiérarchisée de l’ouvrage.

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Chapitre 1er Objet de ce livre

Nous nous sommes interdits dans cet ouvrage toute recherche sur la constitution des Etats, et l’organisation de leurs pouvoirs politiques. Nous ne pouvons ne´ammoins nous dispenser de traiter du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les gouvernemens, puisque nous avons a` de´terminer quels doivent eˆtre les rapports des gouvernemens avec la proprie´te´. Nous sommes donc force´s de pre´senter quelques ide´es qui tiennent aux premiers principes des associations humaines. Mais ces ide´es s’appliquant e´galement a` toutes les formes d’institutions, ne nous entraineront nullement dans les discussions que nous voulons e´viter. L’on sera peut-eˆtre e´tonne´ de ce que nous refutons avec quelques de´tails, des opinions qui paraissent aujourd hui ge´ne´ralement abandonne´es. Mais notre but n’est point d’e´crire simplement sur les opinions qui peuvent avoir la faveur du jour. Nous attaquons les opinions fausses, a` mesure que nous les trouvons sur notre route. Nous savons d’ailleurs, avec quelle rapidite´ les hommes, surtout en France, passent d’une opinion a` une autre. Telle erreur a` laquelle, a` telle e´poque, on de´daigne de re´pondre parce qu’on la croit sans partisans, peut au premier e´ve´nement se montrer appuye´e sur des raisonnemens que l’on regardait comme a` jamais repousse´s. Ajoutez qu’il y a parmi nous un assez grand nombre d’e´crivains, toujours au service du syste´me dominant. Nous les avons vus passer de´ja de la de´magogie la plus effre´ne´e a` l’exage´ration contraire. Rien ne serait moins V: 3–5 constitution ... dispenser ] 〈sur la forme des gouvernements〉 Constitution des Etats ces trois derniers mots dans l’interl. sup., et 〈sur〉 l’organisation de leurs ce mot ajoute´ dans l’interl. sup. pouvoir politique. 〈Ayant ne´anmoins a` de´terminer quels doivent eˆtre les rapports du gouvernement avec la proprie´te´〉 nous ne pouvons 〈nous〉 ne´anmoins nous ces derniers mots dans l’interl. sup. dispenser toutes les corr. a L 6–7 puisque ... proprie´te´. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L 7–9 nous sommes ... humaines. ] 〈et〉 nous sommes donc ce dernier mot dans l’interl. force´s 〈par la`〉 de pre´senter quelques ide´es 〈sur les premie`res bazes〉 qui tiennent aux premiers principes ces cinq derniers mots dans l’interl. sup. des associations 〈politiques〉 humaines. ce mot dans l’interl. sup. L TR: 22-p. 322.6 Ajoutez ... conviction. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 15, pp. 65–66, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 596 ;  Re´flexions sur les constitutions, note T, CPC, I, p. 292, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1218.

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e´tonnant de leur part qu’une nouvelle apostasie. Ce sont de vrais lansquenets, sauf la bravoure. Les de´saveux ne leur coutent rien. Les absurdite´s ne les arreˆtent pas parceque les opinions ne sont pour eux qu’un calcul. Ils cherchent partout une force, dont ils re´duisent les volonte´s en principes. Leur ze`le est d’autant plus actif et infatigable, qu’il se passe de leur conviction.

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Chapitre 2e Division naturelle des habitans d’un meˆme territoire en deux classes.

Aucun peuple n’a conside´re´ comme membres de l’association tous les individus re´sidant, de quelque manie`re que ce fut, sur son territoire. Il n’est pas ici question des distinctions arbitraires, qui, chez les anciens, se´paraient les esclaves des hommes libres, et qui, chez les modernes, se´parent les nobles des roˆturiers. La de´mocratie la plus absolue e´tablit deux classes : dans l’une sont re´le´gue´s les e´trangers et ceux qui n’ont pas atteint l’aˆge prescrit par la loi pour exercer les droits de cite´. L’autre est compose´e des hommes parvenus a` cet aˆge, et ne´s dans le paı¨s. Ces derniers seuls sont membres de l’association politique. Il existe donc un principe, d’apre`s lequel, entre des individus rassemble´s sur un territoire, il en est qui sont citoyens, et il en est qui ne le sont pas. Ce principe est e´videmment, que pour eˆtre membre d’une association, il faut avoir un certain de´gre´ de lumie`res et un interet commun avec les autres membres de cette association. Les hommes au dessous de l’age le´gal ne sont pas cense´s posse´der ce de´gre´ de lumie`res. Les e´trangers ne sont pas cense´s se diriger par cet intereˆt. La preuve en est que les premiers, en arrivant a` l’age de´termine´ par la loi, deviennent membres de l’association politique, et que les seconds le deviennent par leur re´sidence, leurs proprie´te´s ou leurs relations. L’on pre´sume que ces choses donnent aux uns les lumie`res, aux autres l’intereˆt requis. Mais ce principe a besoin d’une extension ulte´rieure. Dans nos associations actuelles, la naissance dans le paı¨s et la maturite´ de l’age ne suffisent point pour confe´rer aux hommes les qualite´s propres a` l’exercice des droits de cite´. Ceux que l’indigence retient dans une e´ternelle de´pendance, et qu’elle condamne de`s leur enfance a` des travaux journaliers, ne sont ni plus e´claire´s que des enfans sur les affaires publiques, ni plus interesse´s que des e´trangers, a` une prospe´rite´ nationale dont ils ne connaissent pas les e´le´mens et dont ils ne partagent qu’indirectement les avantages. V: 15 eˆtre ] re´crit sur un mot illis. P mots ajoute´s dans l’interl. L

17 cette ] ce mot dans l’interl. sup. P

28 ne sont ]

TR: 4-p. 324.10 Aucun peuple ... des droits politiques. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 105–107, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1028–1029 ;  Principes de politique (1815), 6, pp. 104–106, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 733–734.

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Je ne veux faire aucun tort a` la classe laborieuse. Cette classe n’a pas moins de patriotisme que les autres classes. Elle est preˆte souvent aux sacrifices les plus he´roı¨ques, et son de´vouement est d’autant plus admirable, qu’il n’est re´compense´ ni par la fortune, ni par la gloire. Mais autre est, je le pense, le patriotisme qui donne le courage de mourir pour son pays, autre est celui qui rend capable de bien connaitre ses interets. Il faut donc une condition de plus que la naissance sur le territoire et l’age prescrit par la loi. Cette condition, c’est le loisir indispensable a` l’acquisition des lumie`res, a` la rectitude du jugement. La proprie´te´ seule assure ce loisir. La proprie´te´ seule rend les hommes capables de l’exercice des droits politiques. Les proprie´taires seuls peuvent eˆtre citoyens. Que si l’on objecte l’e´galite´ naturelle, l’on raisonne dans une hypothe`se inapplicable a` l’e´tat actuel des socie´te´s. Si de ce que les hommes sont e´gaux en droits, l’on pre´tend que les proprie´taires ne devraient pas en avoir de plus e´tendus que les non proprie´taires, il faut en conclure que tous doivent eˆtre proprie´taires, ou que personne ne devrait l’eˆtre. Car assure´ment le droit de proprie´te´ e´tablit entre ceux qui le posse´dent, et ceux qui en sont prive´s, une ine´galite´ bien plus grande que tous les droits politiques. Or si l’on transige sur cette ine´galite´ si de´cisive, il faut se preˆter a` toutes les transactions ulte´rieures indispensables pour consolider cette transaction premie`re. Le principe seul peut eˆtre douteux. Une fois admis, il entraine toutes ses conse´quences. La proprie´te´ estelle ne´cessaire au bonheur et au perfectionnement de l’e´tat social ? Si nous adoptons l’affirmative, l’on ne pourra s’e´tonner de nous voir admettre ses re´sultats e´videns.

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Chapitre 3e De la proprie´te´.

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Plusieurs de ceux qui ont de´fendu la proprie´te´ par des raisonnemens abstraits, me semblent eˆtre tombe´s dans une erreur grave. Ils ont repre´sente´ la proprie´te´ comme quelque chose de myste´rieux, d’ante´rieur a` la socie´te´, d’inde´pendant d’elle. Rejetter ces hypothe`ses, c’est servir la proprie´te´. Dans tout ce qui ne tient pas a` la superstition, le myste`re est nuisible. La proprie´te´ n’est point ante´rieure a` la socie´te´ : car sans l’association qui lui donne une garantie, elle ne serait que le droit du premier occupant, en d’autres mots le droit de la force, c’est a` dire un droit qui n’en est pas un. La proprie´te´ n’est point inde´pendante de la socie´te´, car un Etat social, a` la ve´rite´ tre`s mise´rable peut eˆtre conc¸u sans proprie´te´, tandis qu’on ne peut imaginer de proprie´te´ sans e´tat social. La proprie´te´ existe de par la socie´te´. La socie´te´ a trouve´ que le meilleur moyen de faire jou¨ir ses membres, des biens communs a` tous, ou dispute´s par tous avant son institution, e´tait d’en conce´der une partie a` chacun, ou de maintenir chacun dans la partie qu’il se trouvait occuper en lui en garantissant la jou¨issance avec les changemens que cette jou¨issance pourrait e´prouver soit par les chances multiplie´es du hazard, soit par les de´gre´s ine´gaux de l’industrie. La proprie´te´ n’est autre chose qu’une convention sociale1. Mais de ce que nous la reconnaissons pour telle, il ne s’ensuit TR: 3-p. 326.35 Plusieurs ... lumie`res. ]  Principes de politique (1815), 15, pp. 220–224, 13–19 La socie´te´ ... l’industrie. ]  Discours au OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 799–801. Tribunat, 29 ventoˆse an VIII, OCBC, Œuvres, IV, p. 154. 1

La proprie´te´ comme une convention sociale repose en fait sur la the´orie d’une garantie de la socie´te´ sur l’inviolabilite´ de la proprie´te´ prive´e. L’origine de la proprie´te´ prive´e peut trouver des re´ponses de diffe´rente nature. On peut alle´guer, comme le fait Grotius, le droit du premier occupant, ou faire de´river la proprie´te´ du travail, comme le soutient Locke, on peut penser que la proprie´te´ de´rive d’un besoin naturel de l’homme. Dire, comme le fait BC ici, qu’il n’y a pas de proprie´te´ ante´rieure a` la socie´te´, n’est peut-eˆtre pas incontestable. BC est proche de Kant qui regarde la proprie´te´ comme fonde´e dans le droit naturel et garantie par la socie´te´ comme une disposition illimite´e sur les choses qui lui appartiennent (Metaphysik der Sitten, Akad.-Ausg. 6, 245–270 ; Œuvres philosophiques, Ple´iade, t. III, pp. 494–527). La pole´mique contre les philosophes proto-communistes ou contre ceux qui envisageaient l’abolition de la proprie´te´ prive´e vise, comme le dit Hofmann, Godwin qui parle dans son dernier livre «On Property» (OCBC, Œuvres, t. II/1, p. 765–816) de la question et attaque entre autres la the´orie consistant a` fonder la proprie´te´ sur le travail. La dernie`re partie de ce chapitre vise sans doute un texte ou une doctrine pre´cise dont BC re´sume les arguments pour les re´futer. On pourrait penser a` la doctrine de Charles Fourier, s’il avait de´ja` publie´ son ouvrage. Un nom a` citer ici est e´videmment celui de Babeuf, dit Gracchus Babeuf, et avec lui la Conjuration des E´gaux.

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pas que nous l’envisagions comme moins sacre´e, moins inviolable, moins ne´cessaire que les e´crivains qui adoptent un autre systeˆme. Quelques philosophes ont conside´re´ son e´tablissement comme un mal, son abolition comme possible. Mais ils ont eu recours, pour appuyer leurs the´ories, a` une foule de suppositions dont quelques unes peuvent ne se re´aliser jamais, et dont les moins chimeriques sont re´le´gue´es a` une e´poque qu’il ne nous est pas meˆme permis de pre´voir. Non seulement ils ont pris pour baze un accroissement de lumie`res auquel l’homme arrivera peut-eˆtre, mais sur lequel il serait absurde de fonder nos institutions pre´sentes : mais ils ont e´tabli comme de´montre´e une diminution du travail actuellement requis pour la subsistance de l’espe`ce humaine, telle que cette diminution de´passe toute invention meˆme soupconne´e. Certainement chacune de nos de´couvertes en me´canique qui remplace par des instrumens et des machines la force physique de l’homme, est une conqueˆte pour la pense´e : et d’apre`s les loix de la nature, ces conqueˆtes devenant plus faciles a` mesure qu’elles se multiplient, doivent se succe´der avec une vitesse acce´le´re´e. Mais il y a loin encore de ce que nous avons fait, et meˆme de ce que nous pouvons imaginer en ce genre, a` une exemption totale de travail manuel. Ne´ammoins cette exemption serait indispensable pour rendre possible l’abolition de la proprie´te´, a` moins qu’on ne voulut, comme quelques-uns de ces e´crivains le demandent, repartir ce travail e´galement entre tous les membres de l’association. Mais cette re´partition, si elle n’e´tait pas une reˆverie absurde, irait contre son but meˆme, enleverait a` la pense´e le loisir qui doit la rendre forte et profonde, a` l’industrie la perse´ve´rance qui la porte a` la perfection, a` toutes les classes les avantages de l’habitude, de la suite, de l’unite´ du but et de la centralisation des forces. Sans proprie´te´ l’espe`ce humaine existerait stationnaire, et dans le de´gre´ le plus brut et le plus sauvage de son existence. Chacun charge´ de pourvoir seul a` tous les besoins, partagerait ses forces pour y subvenir, et courbe´ sous le poids de ces soins multiplie´s n’avancerait jamais d’un pas. L’abolition de la proprie´te´ serait destructive de la division du travail, baze du perfectionnement de tous les arts et de toutes les sciences. La faculte´ progressive, espoir favori des e´crivains que je combats, pe´rirait faute de tems et d’inde´pendance ; et l’e´galite´ grossie`re et force´e qu’ils nous recommandent, mettrait un obstacle invincible a` l’e´tablissement graduel de l’e´galite´ ve´ritable, celle du bonheur et des lumie`res.

V: 3 comme un ] comme 〈possible〉 un P 14 pour ] pour re´crit sur par P par L perfectionnement ] du 〈perf〉 perfectionnement P

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Chapitre 4e Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politiques.

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La question e´tant ainsi re´solue, la proprie´te´ e´tant ne´cessaire au perfectionnement et a` la prospe´rite´ de l’Etat social, il en re´sulte qu’il faut l’entourer de toutes les sauve gardes, et la puissance est pour elle la seule sauve garde suffisante. Il ne faut pas en faire une cause e´ternelle de luttes et de forfaits. Mieux vaudrait la de´truire, comme d’extravagans raisonneurs le veulent, que la tole´rer comme un abus, en la traitant avec de´faveur a. Ces raisonneurs du moins pre´sentent un systeˆme qu’ils croyent compatible avec l’e´tat social, tel qu’ils le concoivent. Mais que dire de ces ennemis cache´s de la proprie´te´, qui l’admettant sans lui donner d’influence, semblent ne l’instituer que pour la livrer de´sarme´e aux passions qu’elle soule`ve ? que penser de Mably qui la peint comme un fle´au, puis nous exhorte a` la respecter1 ? C’est le´guer a` la socie´te´ un germe indestructible de discorde. Il faut que la proprie´te´ re´gne, ou qu’elle soit ane´antie b. Si vous mettez le pouvoir d’un cote´ et la proprie´te´ de l’autre, cette dernie`re est bientot en guerre avec la le´gislation, La conside´ration se se´pare de l’autorite´. L’opinion lutte contre le gouvernement. 7, fo 51ro

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[Add.] ce que je dis de la proprie´te´, que, de`s qu’elle existe, il faut lui donner la puissance, je le dis de toutes les Institutions ; dans les pays ou il y a une Noblesse, il faut donner a` cette Noblesse une autorite´ forte et le´gale, ou si on ne veut pas lui donner une autorite´ forte et le´gale, il faut abolir toute distinction nobiliaire. en un mot, il faut vouloir ce qu’on veut. la Noblesse, telle qu’elle e´toit en france, imme´diatement avant la re´volution, e´tait une institution absurde et dangereuse, pre´cise´ment parce qu’elle irritoit sans contenir. [Add.] Malheur, dit Ganilh, II, 251, aux gouvernemens qui placent la puissance hors de la richesse ! il ajoute, et la richesse hors de la liberte´ ! en effet, ce qu’il faut, c’est que tous e´galement soı¨ent en e´tat d’acque´rir, et que ceux qui posse´dent soı¨ent charge´s de conserver2.

V: 9 raisonneurs ] la dernie`re syllabe re´crite sur ...emens P de P 1

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13 penser de ] penser 〈de M〉

Dans les quatre chap. du premier livre de De la le´gislation ou principes des lois, (Œuvres comple`tes de l’Abbe´ de Mably, Lyon : Delamollie`re, 1792, et 21796, t. IX), les contradictions de Mably sont effectivement flagrantes. Elles signalent un de´ficit the´orique que BC souligne ici. Mably parle d’une part (pp. 40–42) des maux qui re´sultent de la proprie´te, mais preˆche dans le dernier chap. la mode´ration. BC renvoie ici a` Charles Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, du Moyen-aˆge, des sie`cles modernes et spe´cialement de la France et de l’Angleterre, depuis le milieu du XVe sie`cle jusqu’au XIXe, Paris : Giguet et Michaud, 1806. Citation («Malheur ... liberte´ !») presque litte´rale, a` l’exception d’une incise supprime´e.

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L’on peut dire que l’e´tat actuel de la socie´te´ me`lant et confondant de mille manie`res les proprie´taires et les non proprie´taires, donne a` une partie des seconds les meˆmes interets et les meˆmes moyens qu’aux premiers ; que l’homme qui travaille, n’a pas moins que l’homme qui posse`de, besoin de repos et de se´curite´ ; que les proprie´taires ne sont de droit et de fait que les distributeurs des richesses communes entre tous les individus, et qu’il est de l’avantage de tous, que l’ordre et la paix favorisent le de´veloppement de toutes les faculte´s et de tous les moyens individuels. Ces raisonnemens ont le vice de prouver trop. S’ils e´taient concluans, il n’existerait plus aucun motif de refuser aux e´trangers les droits politiques. Les relations commerciales de l’Europe font qu’il est de l’interet de la grande majorite´ europe´enne, que la tranquillite´ et le bonheur re´gnent dans tous les pays. Le bouleversement d’un empire, quel qu’il soit, est aussi funeste aux e´trangers qui par leurs spe´culations pecuniaires ont lie´ leur fortune a` cet empire, que ce bouleversement peut l’eˆtre a` ses propres habitans, si l’on en excepte les proprie´taires. Les faits le de´montrent. Au milieu des guerres les plus cruelles, les ne´gocians d’un pays font sans cesse des vœux et quelquefois des efforts, pour que la nation ennemie ne soit pas de´truite. Ne´ammoins une conside´ration si vague ne paraitra pas suffisante, que je pense, pour accorder aux e´trangers les droits politiques. Sans doute, si vous supposez que les non proprie´taires examineront toujours avec calme tous les cote´s de la question, leur intereˆt re´fle´chi sera de respecter la proprie´te´, et de devenir proprie´taires : mais si vous admettez l’hypothe`se plus probable, qu’ils seront souvent de´termine´s par leur intereˆt le plus apparent et le plus imme´diat, ce dernier intereˆt les portera, sinon a` de´truire la proprie´te´, du moins a` en diminuer l’influence. De plus, en admettant la supposition la plus favorable, le premier intereˆt des non proprie´taires e´tant de devenir proprie´taires, si l’organisation de la proprie´te´ met quelqu’obstacle a` ce qu’ils y parviennent, ou si seulement ils s’imaginent qu’elle y met obstacle, leur mouvement naturel sera d’en modifier l’organisation. Or l’organisation de la proprie´te´ est une chose qu’on ne trouble gue`res sans blesser sa nature, et sans e´branler tout le corps social. Nous verrons plus loin a` combien de vexations l’ide´e de forcer la disse´mination des proprie´te´s a donne´ naissance. Enfin ces raisonnemens ne portent jamais que sur une tre`s petite classe de non proprie´taires. L’immense majorite´ sera toujours prive´e du loisir, condition indispensable pour l’acquisition des lumie´res. La garantie civile, la liberte´ individuelle, la liberte´ TR: 1–20 L’on peut dire ... droits politiques. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 107– 109, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1029–1030 ;  Principes de politique (1815), 6, pp. 107–108, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 735–736.

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4, Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politique

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d’opinion, la protection sociale, en un mot, est due aux non proprie´taires, parceque toute association les doit meˆme a` l’e´tranger qu’elle recoit dans son sein : mais les droits politiques ne sont pas une protection ; ils sont une puissance. L’association ne la doit confier qu’a` ses membres ; En investir les non proprie´taires, ce n’est pas leur donner un bouclier, mais une arme offensive. Le but ne´cessaire des non proprie´taires est d’arriver a` la proprie´te´. Tous les moyens que vous leur donnerez ils les employeront dans ce but. Si a` la liberte´ de faculte´s et d’industrie que vous leur devez, vous joignez les droits politiques que vous ne leur devez pas, ces droits, dans les mains du plus grand nombre serviront infailliblement a` envahir la proprie´te´. Ils y marcheront par cette route irre´gulie`re et factice, au lieu de suivre la route naturelle, le travail : ce sera pour eux une cause de corruption, pour l’Etat une source de de´sordres. On a fort bien observe´ que lorsque des non proprie´taires ont des droits politiques, de trois choses il en arrive une : ou ils ne recoivent d’impulsion que d’eux meˆmes, et alors ils de´truisent la socie´te´ ; ou ils recoivent celle de l’homme ou des hommes en pouvoir, et ils sont des instrumens de tyrannie, c’est ce qui a lieu dans les tems ordinaires, ou ils recoivent celle des aspirans au pouvoir, et ils sont des instrumens de faction. C’est ce qui a lieu dans les grandes crises politiques. Il existe toujours deux classes dans un pays, ceux qui veulent conserver, et ceux qui veulent acque´rir1. Les premiers n’ont besoin que de la garantie, les seconds, avant d’avoir besoin de la garantie, ont besoin de la force. La liberte´ et la justice sont les seuls moyens de bonheur pour les premiers. Par la justice, ils conservent ce qu’ils posse`dent, par la liberte´ ils en jouissent. Mais l’injustice et la tyrannie peuvent eˆtre souvent pour les seconds des V: 18 c’est ... ordinaires, ] mots ajoute´s dans la col. gauche L ajoute´s a` la fin de l’aline´a L

20 c’est ... politiques. ] mots

TR: 7–19 Le but ... faction. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 109, OCBC, Œuvres, VIII, 2, pp. 1030–1031 ;  Principes de politique (1815), 6, pp. 108–109, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 736. 21–22 Il existe ... acque´rir. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 901. 1

Bel exemple pour l’interde´pendance de la pense´e de BC et de Mme de Stae¨l. La formule trouve´e dans la Copie partielle des circonstances actuelles convient mieux pour saisir la complexite´ du phe´nome`ne : «Or il y a deux grands interets, deux interets e´le´mentaires, pour ainsi dire, qui [...] partagent le monde. le besoin d’acquerir et celui de conserver. les Proprie´taires et les non proprie´taires, la ge´ne´ration au milieu de la vie Et la ge´ne´ration qui debute dans la Carriere. Les Esprits innovateurs, les Caracteres tranquilles se partagent tous Entre ces deux interets,» (OCBC, Œuvres, t. IV, p. 901).

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moyens de succe`s. Ils envahissent par l’injustice, ils de´fendent leurs envahissemens par la tyrannie. Machiavel e´tablit qu’il vaut mieux confier la garde de la liberte´ a` ceux qui veulent acque´rir, qu’a` ceux qui veulent conserver1. Mais il ne parle pas de la proprie´te´ ; il parle de la puissance et d’une puissance oppressive, comme celle des Patriciens a` Rome, et des nobles a` Venise. C’est ne dire autre chose, sinon qu’il vaut mieux confier la garde de la liberte´ a` ceux qui souffrent de la tyrannie, qu’a` ceux qui en jouissent. Dans les paı¨s qui ont des formes repre´sentatives ou re´publicaines, il importe surtout que les assemble´es, quelle que soit d’ailleurs leur organisation ulte´rieure, soient compose´es de proprie´taires a. Un individu par un me´rite e´clatant peut captiver la foule. Mais les corps ont besoin pour se concilier la confiance populaire, d’avoir des interets e´videmment conformes a` leurs devoirs. Une nation pre´sume toujours, que des hommes re´unis sont guide´s par leur intereˆt. Elle se croit sure que l’amour de l’ordre, de la justice et de la conservation aura la majorite´ parmi des proprie´taires. Ils ne sont donc pas utiles seulement par les qualite´s qui leur sont propres, ils le sont encore par les qualite´s qu’on leur attribue, par les interets qu’on leur suppose, et par les pre´ventions favorables qu’ils inspirent. Placez des non proprie´taires a` la teˆte de l’Etat, quelque bien intentionne´s qu’ils soient, l’inquie´tude des proprie´taires entravera toutes leurs mesures. Les loix les plus sages seront soupconne´es, par conse´quent de´sobe´ies, tandis que l’organisation oppose´e conciliera l’assentiment populaire, meˆme a` un gouvernement de´fectueux a` quelques e´gards. Durant la re´volution franc¸aise, les proprie´taires ont concouru avec les non proprie´taires a` faire des loix absurdes et spoliatrices. C’est que les proprie´taires avaient peur des non proprie´taires revetus du pouvoir. Ils voulaient se faire pardonner leur proprie´te´. La crainte de perdre ce qu’on a, rend tout a

[Add.] les nonproprie´taires, dira-t-on, peuvent-ils eˆtre repre´sente´s par les proprie´taires ? comme les repre´sente´s par les repre´sentans. car les repre´sentans, en devenant tels, cessent a` beaucoup d’e´gards, d’eˆtre dans la meˆme Situation que les repre´sente´s.

TR: 8-p. 331.3 Dans les paı¨s ... non proprie´taires. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 110–111, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1031 ;  Principes de politique (1815), 6, pp. 109–110, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 736–737. 1

Machiavel, Discours sur la premie`re de´cade de Tite-Live, chap. 5. Hofmann (p. 206, n. 14) souligne qu’une nouvelle traduction franc¸aise de cet ouvrage venait de paraıˆtre : Re´flexions de Machiavel sur la premie`re de´cade de Tite-Live, nouvelle traduction, pre´ce´de´e d’un discours pre´liminaire par M. D. M. M. D. R. [de Meng], Paris : Bachelier-Le Normant, 1806. BC, bien qu’il utilise cette e´dition, a lu sans aucun doute les c.r. qui avaient parus dans le Mercure de France les 30 novembre et 14 de´cembre 1805 ainsi que le 11 janvier 1806.

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4, Du rang que la proprie´te´ doit occuper dans les institutions politique

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aussi pusillanime ou aussi furieux, que l’espoir d’acque´rir ce qu’on n’a pas. Mais ces fautes ou ces crimes des proprie´taires furent une suite de l’influence des non proprie´taires.

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Principes de politique

Chape 5e Des exemples tire´s de l’Antiquite´.

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Il faut e´carter de ce sujet tous les exemples tire´s de l’Antiquite´ a. Nous 7, fo 51ro

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[Add.] Ciceron, de Officiis, Liv. II. Ch. 21. Edit. d’Olivet. III, 359, cite cette phrase du Tribun Philippe. non esse in civitate duo milia hominum qui rem haberent, et il lui reproche comme une action criminelle d’avoir tenu au peuple un discours semblable, parcequ’il tendoit au partage des biens. mais si, l’an 649, e´poque du Tribunat de Lucius Marcus Philippus, il n’y avoit plus dans l’immensite´ de l’Empire Romain, que 2000 Citoyens proprie´taires, la proprie´te´, au lieu d’un be´ne´fice accorde´ par la socie´te´, n’e´toit elle pas devenue un abus intole´rable, et par respect pour le peuple, ne fallait-il pas abjurer un vain respect pour la proprie´te´. Non : mais il falloit corriger l’organisation de la proprie´te´ qui e´toit tre´s de´fectueuse a` Rome. on l’avait essaye´ par des palliatifs. les loix contre les fide´¨ıcommis et les majorats, et celles qui donnoient une part e´gale a` tous les fils et a` toutes les filles, tendoient a` diviser les proprie´te´s territoriales. mais l’aristocratie tendoit a` les re´unir. Ce n’e´toit pas le vice de la proprie´te´, mais de l’aristocratie. Chez les anciens, ou la proprie´te´ n’e´toit pas d’une circulation journalie`re et facile, les droits politiques ne pouvoient sans injustice appartenir aux proprie´taires seuls. c’est l’oppose´ chez les modernes. Chez les anciens, les pauvres e´toient toujours endette´s envers les riches. chez les modernes, ce sont d’ordinaire les riches qui sont endette´s envers les pauvres. cette diffe´rence est importante a` examiner dans les re´sultats. l’un des plus frappans, c’est que les relations des proprie´taires et des non proprie´taires sont absolument dissemblables dans les deux cas. chez les anciens, les riches demandoient aux pauvres ce que ceux-ci n’avoient pas, de l’argent, et cette demande exigeant, pour eˆtre satisfaite, des violences, et le plus souvent ne l’e´tant pas, malgre´ ces violences, il en re´sultoit une opposition et une haine continuelle entre ces deux classes. chez les modernes, les Riches demandent aux pauvres ce dont ceux-ci peuvent toujours disposer, le travail, et il en re´sulte un beaucoup plus grand accord mutuel. ceci pourrait eˆtre assigne´ comme une raison de ce que la baze des droits politiques ne pouvoit pas eˆtre la proprie´te´ chez les anciens et peut l’eˆtre chez les modernes1.

V: 5 milia ] les sources portent millia lapsus que nous corrigeons PA, LA cratie. ] BC a ajoute´ sans doute plus tard ceci doit eˆtre place´ dans le Ch. 10 PA anciens ] BC a ajoute´ empl. ch. 10 voir ci-dessous p. 352 PA 1

15 l’aristo19 Chez les

Nous apprenons ici que BC utilisait l’e´dition monumentale M. Tullii Ciceronis Opera, cum delectu commentariorum edidit Josephus Olivetus, Parisiis : apud Coignard, H. L. Gue´rin, J. Desaint et J. Gue´rin, 1740–1742, 9 vol. BC cite De officiis, livre II, chap. 73 (dans la nume´rotation moderne). L’analyse de la politique du consul Lucius Marcius Philippus (vers 136 – vers 75), tribun en 104 (BC utilise ici le calendrier romain), accepte l’argumentation de Ciceron : «Hanc enim ob causam maxime, ut sua tenerentur, res publicae civitatesque constitutae sunt». BC sugge`re qu’il y avait ne´cessite´ d’une re´forme des lois qui re´glaient la distribution de la proprie´te´ pour e´liminer les abus de l’aristocratie. Cette note aboutit effectivement, par la comparaison avec les Anciens, a` la justification the´oriquement consistante de prendre la proprie´te´ foncie`re ou industrielle pour base des droits politiques chez les modernes (de cette e´poque), quitte a` laisser la porte ouverte a` des re´formes ulte´rieures.

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5, Des exemples tire´s de l’Antiquite´

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consacrerons un autre livre de cet ouvrage a` developper les diffe´rences sans nombre qui nous distinguent des anciens1. Disons seulement ici, que, dans les petits Etats de l’antiquite´, la proprie´te´ n’e´tait nullement la meˆme chose que ce qu’elle est parmi nous. Le partage des terres conquises rendait ou pouvait rendre tous les individus proprie´taires. De nos jours, les conqueˆtes aggrandissent les Etats, mais ne donnent point aux citoyens des terres nouvelles. Tous les travaux me´chaniques, qui enle`vent tout loisir a` ceux qui s’y livrent, se fesaient par des esclaves. L’esclavage est aboli. Les riches appaisaient les indigens en les nourrissant par leurs largesses. Notre Systeˆme financier ne permet plus de distributions d’argent ni de bled. La place publique contenait le peuple entier que gouvernait l’e´loquence, puissance qui n’existe plus dans nos immenses associations. Les discussions donnaient au peuple des ide´es ge´ne´rales sur la politique, lors meˆme qu’elles le dirigeaient mal, dans telle occasion particulie`re. Ainsi dispense´s du travail manuel par les esclaves, nourris souvent gratuitement par les riches, ou ce qui revenait au meˆme, par l’Etat, mis au fait de l’administration par les orateurs, les non proprie´taires pouvaient donner presque tout leur tems aux affaires publiques. Ils contractaient l’habitude de s’en occuper, et cette habitude les y rendait moins impropres. Maintenant, les affaires prive´es, les soins impose´s a` chacun pour sa subsistance prennent, sinon tout le tems du pauvre, du moins la plus grande partie de son tems. Les affaires publiques ne sont qu’un accessoire. L’imprimerie a remplace´ les delibe´rations populaires. Mais les classes infe´rieures ont peu le tems de lire. Ce qu’elles lisent sans choix, elles l’adoptent sans examen. Aucune opinion ne se de´bat devant elles. La leur se forme donc au hazard. Les non proprie´taires pouvaient en conse´quence, dans les Re´publiques de l’antiquite´, exercer les droits politiques avec moins d’inconve´niens qu’ils ne le pourraient dans nos e´tats modernes : et toutefois si l’on examine la chose V: 4–12 nous. Le partage ... associations. ] nous. 〈Son absence, qui prive aujourd’hui les non proprie´taires de toute instruction en les privant de tout loisir, n’avoit point cet effet, lorsque tous les travaux me´caniques se faisoient par des esclaves et que les riches subvenoient fre´quemment aux besoins des pauvres par des distributions d’argent ou de bled. la place publique contenoit le peuple entier. Ce peuple e´toit gouverne´ par des homes e´loquens, qui l’e´garoient trop souvent sans doute, mais qui l’e´clairoient quelquefois et dont〉 Le partage ... associations. passage ajoute´ dans la col. gauche L 9 en les nourissant ] partiellement re´crit sur et les nourrissaient P 12–13 discussions ... au peuple ] discussions 〈lui〉 donnoient au peuple les deux derniers mots dans l’interl. sup. L 14 ainsi ] ajoute´ dans l’interl. L 27 en conse´quence ] 〈donc〉 en conse´quence L 1

Voir ci-dessous, pp. 597–639, le livre XVI, «De l’autorite´ sociale chez les anciens».

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avec attention, l’on se convaincra que leur influence a e´te´ funeste a` ces Re´publiques meˆmes1. Athe`nes souffrit beaucoup de n’avoir pas fonde´ son gouvernement sur la proprie´te´. Ses le´gislateurs eurent toujours a` combattre l’ascendant des non proprie´taires. La plupart de ses e´crivains, de ses philosophes et meˆme de ses poe`tes ont une forte tendance vers l’olygarchie a. C’est qu’ils cherchaient dans le pouvoir du petit nombre, la garantie qu’ils auraient du placer dans la proprie´te´ seule. Les institutions lace´de´moniennes n’avaient pas la proprie´te´ pour baze : mais ces institutions bizarres avaient de´nature´ la proprie´te´, comme elles avaient ane´anti la liberte´ personnelle et impose´ silence a` toutes les affections. Elles reposaient d’ailleurs sur la plus horrible servitude. Les He´lotes et les Messe´niens e´taient les ve´ritables non proprie´taires de la Laconie ; et pour eux la perte des droits politiques e´tait comprise dans celle des droits naturels. Les ennemis de la proprie´te´ nous alle`guent avec emphase la pauvrete´ de quelques citoyens illustres de l’ancienne Rome. Mais ces citoyens illustres, malgre´ leur indigence, e´taient des proprie´taires. Cincinnatus avait la proprie´te´ du champ qu’il labourait. Si les hommes sans proprie´te´ avaient a` Rome l’apparence des droits politiques, ils payaient cher cet honneur ste´rile, expirans de mise`re, jette´s dans des cachots, pouvant le´galement eˆtre mis en pie`ces par les Patriciens leurs cre´anciers. Tel sera toujours le sort de cette classe, lorsqu’elle posse´de´ra des droits qu’elle ne peut exercer sans mettre en pe´ril la chose publique. Les proprie´taires allarme´s recourront aux moyens les plus violens pour briser, entre les mains de leurs adversaires, l’arme menac¸ante qu’une imprudente constitution leur aura confie´e. La peur, en politique, est de toutes les passions la plus hostile. Les proprie´taires seront oppresseurs pour n’eˆtre pas opprime´s. La proprie´te´ ne sera jamais sans puissance. Si vous lui refusez une influence le´gale, elle s’emparera bientot d’une influence arbitraire et corruptrice. a

V. Surtout Xe´nophon et les come`dies d’Aristophane.

V: 29 V. Surtout ... Aristophane. ] note ajoute´e dans la col. gauche L 1

L’analyse des faits historiques de l’Antiquite´ est poursuivie jusqu’a` la fin du chapitre. BC utilise des arguments historiques tire´s de sources diffe´rentes. L’opinion oligarchique qu’il attribue a` Xe´nophon appartient en fait a` un anonyme du 5e sie`cle qui a e´crit une œuvre intitule´e ÆΑθηναι ων Πολιτει α. Lorsqu’il cite Aristophane, il pense probablement a` la come´die Ploutos, qui est consacre´e a` la distribution injuste de la proprie´te´. L. Quinctius Cincinnatus, du 5e sie`cle, appartient a` la Rome re´publicaine et posse´dait une petite terre. Il est devenu, dans la le´gende, un repre´sentant de la virtus romaine. Ce que BC veut montrer dans ce chapitre, ce sont les dangers d’une socie´te´ qui n’admet pas franchement la proprie´te´. On risque ou le despotisme ou une mauvaise administration.

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Chape 6e De l’esprit proprie´taire.

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Une observation est indispensable pour pre´venir une confusion d’ide´es. Mettre le pouvoir dans la proprie´te´ n’est point la meˆme chose que mettre la proprie´te´ dans le pouvoir. Les richesses n’ont d’influence, ne commandent de conside´ration, qu’en tant qu’elles ne sont pas acquises subitement. Plus d’une fois, pendant la re´volution, nos gouvernans, entendant louer et regretter sans cesse le gouvernement des proprie´taires, ont eu la tentation de devenir proprie´taires pour se rendre plus dignes d’eˆtre gouvernans. Mais lors meˆme qu’ils se seraient investis d’un jour a` l’autre de proprie´te´s conside´rables, par une volonte´ qu’ils auraient appele´e loi, le peuple aurait pense´ que ce que la loi avait confe´re´, la loi pouvait le reprendre ; et la proprie´te´, aulieu de prote´ger l’institution, aurait eu continuellement besoin d’eˆtre prote´ge´e par elle. De nouveaux proprie´taires assis sur leurs conqueˆtes, conservent l’esprit conque´rant. On ne prend pas l’esprit proprie´taire aussi lestement qu’on prend la proprie´te´. Durant la guerre des paysans de la Souabe contre leurs seigneurs, les premiers revetaient quelquefois les armes de leurs maitres qu’ils avaient vaincus1. Qu’en arrivait-il ? que l’on voyait, V: 1–3 Chape 6 ... observation est ] lignes ajoute´es dans la col. gauche et au-dessus de la premie`re ligne d’une ancienne page de droite de´coupe´e ; BC a donc supprime´ environ 40 lignes en teˆte de ce chapitre L 16 Durant ... grossie`rete´. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L TR: 6–14 Plus d’une fois ... prote´ge´e par elle. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 2, pp. 87–88, 14–16 De nouveaux ... la proprie´te´. ]  De l’esprit de OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 612 16-p. 336.2 Durant la guerre ... conqueˆte, II, 2, p. 86, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 611. grossierete´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 2, p. 83, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 609. 1

En citant cet exemple de la Guerre des paysans, pre´sente´e sans doute dans ses aspects terribles sous l’influence des images qu’on avait de la phase violente de la Re´volution franc¸aise, BC se re´ve`le eˆtre un observateur attentif des recherches historiques. Georg Friedrich Sartorius (1765–1828) a publie´ en 1795 la premie`re monographie sur la grande re´volution allemande sous le titre Versuch einer Geschichte des Deutschen Bauernkrieges oder der Empörung in Deutschland zu Anfang des sechzehnten Jahrhunderts, (Berlin : Unger, 1795), et c’est dans cet ouvrage qu’il a pu trouver des anecdotes de ce genre : un exemple est la prise de Weinsberg et la mort du comte Ludwig von Helfenstein (pp. 123–129). La Guerre des paysans, une re´volte contre les abus du re´gime fe´odal, sans doute aussi encourage´e par la Re´forme, e´tait une ve´ritable re´volution qui a bouleverse´ en 1524 et 1525

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sous les armures chevaleresques, non moins d’insolence et plus de grossierete´. Si la classe opulente inspire de la confiance, c’est que le point de de´part des membres de cette classe est plus avantageux, leur esprit plus libre, leur intelligence plus pre´pare´e aux lumie`res, leur e´ducation plus soigne´e. Mais en enrichissant tout a` coup des hommes au milieu de leur carrie`re, vous ne leur donnez aucun de ces avantages. Leur soudaine richesse n’a pas un effet re´troactif. Il en est de meˆme des salaires conside´rables, attache´s aux places. Ils ne remplacent point la proprie´te´. Lorsqu’ils sont disproportionne´s a` la fortune ante´rieure des hommes qui les recoivent, ils ne forment point une classe riche. Ils donnent a` des individus de nouveaux besoins et des habitudes qui les corrompent ; et loin de les rendre inde´pendans et calmes, ils les rendent de´pendans et agite´s. En richesse, comme en autre chose, rien ne supple´e au tems.

TR: 3–5 le point de de´part ... soigne´e. ]  Principes de politique (1815), 5, p. 100, OCBC, 14–15 En richesse ... tems. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 2, p. 88, Œuvres, IX/2, p. 731. OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 612.

l’empire germanique et quelques cantons de la Suisse. Les insurrections, condamne´es finalement par Luther, n’ont pu eˆtre arreˆte´es que graˆce a` des efforts militaires extraordinaires en e´te´ 1525. L’ouvrage de Sartorius ne se trouve pas dans la bibliothe`que de BC. Il connaissait e´videmment la pie`ce de Goethe, Götz von Berlichingen.

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Chapitre 7e Que la proprie´te´ territoriale re´unit seule tous les avantages de la proprie´te´.

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Plusieurs e´crivains qui reconnaissent la ne´cessite´ de confier exclusivement aux proprie´taires les droits politiques, ne conside`rent pas la proprie´te´ foncie`re, comme la seule proprie´te´ ve´ritable. Les Economistes, comme on sait, et dans ce nombre M. Turgot, avaient un systeˆme directement oppose´. Le territoire, disaient ils, est le principal e´le´ment qui constitue l’e´tat social. C’est de la proprie´te´ ou de la non proprie´te´ du territoire, qu’e´mane la seule distinction positive et le´gale entre les hommes. Les non proprie´taires ne pouvant re´sider dans un paı¨s que de l’aveu des proprie´taires qui leur accordent, en e´change de leur travail ou de leurs capitaux, un azyle qu’ils pourraient leur refuser, ne sont pas membres d’une association ou` leur re´sidence n’est pas un droit. Mais ce raisonnement, quelque rigoureux qu’il soit en apparence, me parait peu propre a` fonder une institution pratique. Je n’aime pas que l’on raisonne d’apre`s une hypothe`se que repousse la re´alite´, et rien ne me semble moins capable de re´concilier les non proprie´taires fonciers avec le sacrifice ne´cessaire des droits de cite´, que de les repre´senter comme des vagabonds sans azyle, que peut expulser a` sa fantaisie un homme qui n’a sur eux de pre´e´minence que de s’eˆtre le premier empare´ du sol. Je crois d’ailleurs inutile de recourir a` des suppositions aussi force´es. Des raisonnemens d’un autre genre, plus applicables et moins abstraits nous conduiront au meˆme but. L’on a distingue´ deux espe`ces de proprie´te´s diffe´rentes de la proprie´te´ territoriale. L’une est la proprie´te´ industrielle a. On a nomme´ l’autre intellectuelle et morale. a

[Add.] l’agriculture a encore sur l’industrie un avantage que je n’ai pas fait remarquer. elle exige beaucoup plus d’intelligence et l’exerce beaucoup plus que les professions industrielles. Smith. I. 10. 265. V. Mirabeau, Ami des hommes, sur la diffe´rence des classes agricoles et des artisans. I. 54 et suiv1.

V: 22 abstraits ] la source porte abstraites P 1

BC renvoie ici au chap. 10 du livre Ier des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, t. I, pp. 203–204. Il ne cite pas litte´ralement, mais re´sume un raisonnement de´taille´. Il revient au meˆme endroit ci-dessous, p. 339. Quant a` Mirabeau, L’Ami des hommes, t. I, p. 54, BC fait allusion a` ce que Mirabeau dit dans son ouvrage sur l’agriculture.

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Parlons d’abord de la proprie´te´ industrielle. Elle manque de plusieurs des avantages de la proprie´te´ foncie`re, et ces avantages sont pre´cise´ment ceux dont se compose l’esprit pre´servateur, ne´cessaire aux associations politiques. La proprie´te´ foncie`re influe sur le caracte`re et la destine´e de l’homme par la nature meˆme des soins qu’elle exige. Le cultivateur se livre a` des occupations constantes et progressives. Il contracte ainsi la re´gularite´ dans ses habitudes. Le hazard qui est une grande source d’immoralite´, parce qu’il bouleverse tous les calculs, et par conse´quent ceux de la morale, n’est jamais de rien dans la vie de l’agriculteur. Toute interruption lui est nuisible, toute imprudence lui est une perte assure´e. Ses succe`s sont lents. Il ne les peut acheter que par le travail. Il ne peut les haˆter, ni les accroitre par d’heureuses te´me´rite´s. Il est dans la de´pendance de la nature et dans l’inde´pendance des hommes. Toutes ces choses lui donnent une disposition calme, un sentiment de se´curite´, un esprit d’ordre qui l’attachent a` la vocation a` laquelle il doit son repos, autant que sa subsistance. La proprie´te´ industrielle n’influe sur l’homme que par le gain positif qu’elle lui procure ou lui promet. Elle met dans sa vie moins de re´gularite´. elle est plus factice et moins immuable que la proprie´te´ foncie`re. Les ope´rations du commerc¸ant se composent souvent de transactions fortuites, ses succe`s sont plus rapides ; mais le hazard y entre pour beaucoup. La proprie´te´ industrielle n’a pas pour e´le´ment ne´cessaire cette progression lente et sure qui donne a` l’homme l’habitude et bientot le besoin de l’uniformite´. La proprie´te´ industrielle ne le rend pas inde´pendant des autres hommes ; elle le place au contraire dans leur de´pendance. La vanite´, ce germe fe´cond d’agitations politiques est sans cesse blesse´e en lui. Elle ne l’est presque jamais dans l’agriculteur a. Ce dernier calcule en paix l’ordre des saisons, la nature du sol, le caracte`re du climat. Les e´le´mens des calculs du commerc¸ant sont les caprices, les passions, l’orgueil, le luxe de ses semblables. Une a

Pius questus, dit Caton l’ancien de l’agriculture, stabilissimus, minime que invidiosus, minime que male cogitantes qui in eo studio occupati sunt1.

V: 10 de rien ] le premier mot ajoute´ dans l’interl. sup. P 19 elle est ] ces mots ajoute´s dans l’interl. sup. P omis dans L 27 l’agriculteur. ] la dernie`re syllabe re´crite sur les lettres ...ture P agriculteur ] agriculture L TR: 2-p. 340.3 Elle manque ... soulever. ]  Principes de politique (1815), 6, pp. 112–116, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 739–741. 30–31 Pius questus ... occupati sunt. ]  Principes de politique (1815), 6, p. 114, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 739–740. 1

Passage de Caton l’ancien, De agricultura, cite´ d’apre`s A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 2, t. II, p. 49.

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7, La proprie´te´ territoriale re´unit les avantages de la proprie´te´

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ferme est une patrie en diminutif. L’on y nait, l’on y est e´leve´ l’on y grandit avec les arbres qui l’entourent. La proprie´te´ industrielle exclut ces sources de sensations douces. Les objets de spe´culation s’accumulent, s’entassent : mais tout en eux est stationnaire. Rien ne porte l’empreinte d’un de´veloppement naturel. Rien ne parle a` l’imagination, rien aux souvenirs, rien a` la partie morale de l’homme. On dit : le champ de mes anceˆtres, la cabane de mes pe`res. On n’a jamais dit : l’attelier ou le comptoir de mes pe`res. Les ame´liorations a` la proprie´te´ territoriale ne se peuvent se´parer du sol qui les rec¸oit, et dont elles deviennent partie. La proprie´te´ industrielle n’est pas susceptible d’ame´lioration, mais d’accroissement, et cet accroissement peut se transporter a` volonte´. Le proprie´taire foncier ne gagne que d’une manie´re indirecte a` ce que perdent ses concurrens. Jamais il n’est en son pouvoir de contribuer a` leurs pertes. Le laboureur ne peut, par ses spe´culations, porter atteinte a` la re´colte voisine. Le proprie´taire industriel gagne directement a` ce que les autres perdent. Souvent il de´pend de lui d’ajouter a` leurs pertes, et dans beaucoup de circonstances, c’est sa spe´culation la plus habile, son avantage le plus assure´. Sous le rapport des faculte´s intellectuelles l’agriculteur a sur l’artisan une grande supe´riorite´. L’agriculture exige une suite d’observations, d’expe´riences qui forment et de´veloppent le jugement a. Dela` dans les paysans, ce sens juste et droit qui nous e´tonne. Les professions industrielles se bornent pour la pluˆpart, par la division du travail, a` des ope´rations me´chaniques. La proprie´te´ foncie`re enchaine l’homme au pays qu’il habite, entoure les de´placemens d’obstacles, cre´e le patriotisme par l’intereˆt. L’industrie rend indiffe´rens tous les paı¨s, facilite les de´placemens, se´pare l’interet d’avec le patriotisme b. Cet avantage de la proprie´te´ foncie`re, ce de´savantage de la proprie´te´ industrielle, sous le rapport politique, augmente en raison de ce que la valeur de la proprie´te´ diminue. Un artisan ne perd presque rien a` se de´placer : un petit proprie´taire foncier se ruine en s’expatriant. Or c’est surtout par les classes infe´rieures des proprie´taires qu’il faut juger les effets des diffe´rentes espe`ces de proprie´te´, puisque ces classes forment le grand nombre. Inde´pendamment de cette pre´e´minence morale de la proprie´te´ foncie`re, elle est favorable a` l’ordre public par la situation meˆme dans laquelle elle a b

V. Smith. Rich. des Nat. Liv. I. ch. 101. Montesquieu remarque, Esprit des loix XX. 2, que si le commerce unit les nations, il n’unit pas demeˆme les particuliers. D’ou` il re´sulte que les nations e´tant unies, elles se confondent, c’est a` dire qu’il n’y a plus de patriotisme : et que les particuliers n’e´tant pas unis, il n’y a plus que des commerc¸ans, c’est a` dire qu’il n’y a plus de concitoyens2.

V: 6 partie ] re´crit sur un mot illis., force (?) P 1 2

17–18 l’agriculteur ] dans l’interl. sup. P

Voir ci-dessus, p. 337, n. 1. BC ne cite pas, mais commente le chap. 2 du livre XX de L’Esprit des lois. Montesquieu ne parle pas de patriotisme.

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place ses possesseurs. Les artisans entasse´s dans les villes sont a` la merci des factieux. Les agriculteurs, disperse´s dans les campagnes, sont presqu’impossibles a` re´unir, et par conse´quent a` soulever. Les proprie´taires industriels, a-t-on dit, doivent eˆtre beaucoup plus attache´s a` l’ordre, a` la stabilite´, a` la paix publique, que les proprie´taires fonciers, parce qu’ils perdent beaucoup plus aux bouleversemens. Brulez la re´colte d’un agriculteur, le champ lui reste : il ne perd qu’une anne´e de revenu. Pillez le magasin d’un marchand : sa fortune est ane´antie. Mais la perte ne se compose pas uniquement du dommage instantane´ qu’e´prouve le proprie´taire. Il faut conside´rer la de´gradation que subit la proprie´te´ : Or un magasin pille´ peut en 24 heures se trouver rempli de richesses pareilles a` celles qu’on avait enleve´es. Mais une ferme brule´e, un sol appauvri faute de culture, ne peuvent se re´tablir que par une longue suite de travaux et de soins. Cela devient plus frappant encore, lorsqu’il s’agit des proprie´taires pauvres. Des factieux pourraient en un jour de´dommager tous les artisans d’une ville, fut-ce meˆme en leur abandonnant les de´pouilles des riches, mais la nature seule peut de´dommager avec sa lenteur accoutume´e les cultivateurs d’un canton. Ces ve´rite´s ont e´te´ senties par Aristote. Il a fait ressortir avec beaucoup de force les caracte`res distinctifs des classes agricoles et des classes mercantiles : et il a de´cide´ sans he´sitation en faveur des premie`res1. Sans doute, la proprie´te´ industrielle a ses avantages. L’industrie et le commerce ont cre´e´ pour la liberte´ un nouveau moyen de de´fense, le cre´dit. La proprie´te´ foncie`re garantit la stabilite´ des institutions : la proprie´te´ industrielle assure l’inde´pendance des individus. Aussi le refus des droits politiques a` ces capitalistes, a` ces commerc¸ans dont l’activite´ et l’opulence doublent la prospe´rite´ du pays qu’ils habitent, ce refus, disons-nous, s’il e´tait absolu, serait une injustice et de plus une imprudence. Ce serait faire ce dont nous avons prouve´ le danger plus haut ; ce serait mettre la richesse en opposition avec le pouvoir. Mais si l’on re´fle´chit, l’on appercevra facilement que l’exclusion ne frappe nullement ceux des proprie´taires industriels qu’il serait faˆcheux d’exclure2. Quoi pour eux de plus facile que d’acque´rir une proprie´te´ territoriale V: 17–20 Ces ve´rite´s ... premie`res. ] passage ajoute´ par le copiste dans la col. gauche L 30 d’exclure ] dans la marge BC a commence´ une phrase explicative car ils sont presque tous en meˆme tems proprie´taires fonciers. La constit. a pousse´ plus loin encore la sollicit. envers l’industrie. Elle 〈lui a ... a voulu lui〉 a cre´e´ pour elle une repre´s. spe´c. Mais elle a le texte s’arreˆte la` P TR: 17–31 Ces ve´rite´s ... d’exclure. ]  Principes de politique (1815), 6, pp. 116–117, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 741–742. 1 2

Aristote, Politique, dans la nouvelle nume´rotation livre VI, chap. 4, (1318b 8). La note ajoute´e dans la marge de P (voir la variante), est datable de 1815, puisqu’elle cite

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qui les rende citoyens ? S’ils s’y refusent, j’augurerai mal de leur attachement a` leur patrie, ou plutot j’augurerai mal de leur gouvernement. Car c’est toujours la faute du gouvernement quand les hommes n’aiment pas le sol natal. Ceux des proprie´taires industriels qui ne pourront pas acque´rir de proprie´te´ territoriale, seront des hommes voue´s par une ne´cessite´ que vos institutions ne vaincront jamais, a` des occupations me´chaniques, des hommes par conse´quent prive´s de tout moyen de s’instruire, et pouvant avec les intentions les plus pures, faire porter a` l’Etat, la peine de leurs ine´vitables erreurs. Ces hommes, il faut les prote´ger, les respecter, les garantir de toute vexation de la part du riche, e´carter toutes les entraves qui pe`sent sur leurs travaux, applanir, autant que possible, leur laborieuse carrie`re, mais non les transporter dans une sphe`re nouvelle, ou` leur destine´e ne les appe`le pas, ou` leur concours est inutile, ou` leurs passions seraient menac¸antes, et ou` leur pre´sence seule deviendrait pour les autres classes une cause funeste d’inquie´tudes, de de´fiances, et par la` meˆme de pre´cautions hostiles et d’iniquite´s. La proprie´te´ qu’on a nomme´e intellectuelle a e´te´ de´fendue d’une manie`re assez inge´nieuse. Un homme distingue´ dans une profession libe´rale, a-t-on dit, un juris consulte, par exemple, n’est pas attache´ moins fortement au pays qu’il habite, que le proprie´taire territorial. Il est plus facile a` ce dernier d’alie´ner son patrimoine, qu’il ne le serait au premier de de´placer sa re´putation. Sa fortune est dans la confiance qu’il inspire. Cette confiance tient a` plusieurs anne´es de travail, d’intelligence, d’habilete´, aux services qu’il a rendus, a` l’habitude qu’on a contracte´e de recourir a` lui dans des circonstances difficiles, aux connaissances locales que sa longue expe´rience a rassemble´es. L’expatriation le priverait de ces avantages. Il serait ruine´ par cela seul qu’il se pre´senterait inconnu sur une terre e´trange`re. Mais cette proprie´te´ qu’on nomme intellectuelle ne re´side que dans l’opinion. S’il est permis a` tous de se l’attribuer, tous la re´clame´ront sans doute : Car les droits politiques deviendront non seulement un avantage social, V: 2 a` leur ... mal de ] passage partiellement corrige´ a` leur ces deux derniers mots re´crits sur des mots illis. patrie, ou plutot j’augurerai mal les deux derniers mots dans l’interl. de P 8 la peine ] la 〈petite〉 (?) peine P TR: 4–16 Ceux des ... iniquite´s. ]  Principes de politique (1815), 6, p. 117, OCBC, Œuvres, 2, p. 742. 17-p. 343.15 La proprie´te´ ... d’autres classes. ]  Principes de politique (1815), 6, pp. 118–122, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 742–744 ;  Re´flexions sur les constitutions, note U, CPC, I, pp. 396–300, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1220–1222. IX,

l’art. 33, Titre II de l’Acte additionnel. OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 616. Elle appartient au travail de re´daction des Principes de politique de 1815, ou` elle figure dans le texte meˆme.

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mais une attestation de talent, et se les refuser alors serait un acte rare de de´sinteressement a` la fois et de modestie. Si c’est l’opinion des autres qui doit confe´rer cette proprie´te´ intellectuelle, l’opinion des autres ne se manifeste que par le succe`s, et par la fortune qui en est le re´sultat ne´cessaire. Alors il en sera des hommes distingue´s dans les professions libe´rales, comme des capitalistes opulens. Rien de plus facile pour eux que l’acquisition de la proprie´te´ territoriale exige´e. Mais il y a des conside´rations d’une plus haute importance a` faire valoir. Les professions libe´rales demandent plus qu’aucune autre peut-eˆtre, pourque leur influence ne soit pas funeste dans les discussions politiques, d’eˆtre re´unies a` la proprie´te´ foncie`re. Ces professions si recommandables a` tant de titres ne comptent pas toujours au nombre de leurs avantages, celui de mettre dans les ide´es cette justesse pratique ne´cessaire pour prononcer sur les interets positifs des hommes. L’on a vu, dans notre re´volution, des litte´rateurs, des mathe´maticiens, des chimistes, se livrer aux opinions les plus exage´re´es, non que sous d’autres rapports ils ne fussent e´claire´s ou estimables : Mais ils avaient ve´cu loin des hommes. Les uns s’e´taient accoutume´s a` se livrer a` leur imagination : les autres a` ne tenir compte que de l’e´vidence rigoureuse, les troisie`mes a` voir la nature dans la re´production des eˆtres, faire l’avance de la destruction. Ils e´taient arrive´s par des chemins dissemblables au meˆme re´sultat, celui de de´daigner les conside´rations tire´es des faits, de me´priser le monde re´el et sensible, et de raisonner sur l’e´tat social en enthousiastes, sur les passions en ge´ome`tres, sur les douleurs humaines en physiciens. Si ces erreurs ont e´te´ le partage d’hommes supe´rieurs, quels ne seront pas les e´garemens des candidats subalternes, des pretendans malheureux ? Combien n’est il pas urgent de mettre un frein aux amours propres blesse´s, aux vanite´s aigries, a` toutes ces causes d’amertume, d’agitation, de mecontentement contre une socie´te´ dans laquelle on se trouve de´place´, de haine contre des hommes qui paraissent d’injustes appre´ciateurs ! Tous les travaux intellectuels sont honorables sans doute : tous doivent eˆtre respecte´s. Notre premier attribut, notre faculte´ distinctive, c’est la pense´e. Quiconque en fait usage a droit a` notre estime, meˆme inde´pendamment du succe`s. Quiconque l’outrage ou la repousse, abdique le nom d’homme, et se place en dehors de l’espe`ce humaine. Cependant, chaque science donne a` l’esprit de celui qui la cultive, une direction exclusive qui devient dangereuse dans les affaires politiques, a` moins qu’elle ne soit contrebalance´e. or le contrepoids ne peut se trouver que dans la proprie´te´ foncie`re. Elle seule e´tablit entre les hommes des liens uniformes. Elle les met en garde contre le sacrifice imprudent du bonheur et de la tranquillite´ des autres, en enveloppant dans ce sacrifice leur propre bien eˆtre, en les obligeant a` calculer pour eux meˆmes. Elle les fait

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descendre du haut des the´ories chimeriques et des exage´rations inapplicables, en e´tablissant entr’eux et le reste des membres de l’association des relations nombreuses et complique´es, et des intereˆts communs. Et qu’on ne croye pas cette pre´caution utile seulement pour le maintien de l’ordre. Elle ne l’est pas moins pour celui de la liberte´. Par une re´union bizarre, les sciences, qui, dans les agitations politiques, disposent quelquefois les hommes a` des ide´es de liberte´ impossibles, les rendent d’autrefois indiffe´rens et serviles sous le despotisme. Les savans proprement dits, sont rarement froisse´s par le pouvoir meˆme injuste. Il ne hait que la pense´e. Il aime assez les sciences comme moyens pour les gouvernans, et les beaux arts comme distractions pour les gouverne´s. Ainsi la route que suivent les hommes dont les e´tudes n’ont aucun rapport avec les interets actifs de la vie humaine, les garantissent des vexations d’une autorite´ qui ne voit jamais en eux des rivaux, ils s’indignent souvent trop peu des abus de pouvoir qui ne pe`sent que sur d’autres classes.

V: 14 rivaux, ils ] corr. de rivaux. Ils P

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Chapitre 8e De la proprie´te´ dans les fonds publics.

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La situation pre´sente des grands Etats de l’Europe a cre´e´ de nos jours une nouvelle espe`ce de proprie´te´, celle des fonds publics. Cette proprie´te´ n’attache point son possesseur au sol, comme la proprie´te´ foncie`re. Elle n’exige ni travail assidu, ni spe´culations difficiles, comme la proprie´te´ industrielle. Elle ne suppose point des talens distingue´s, comme la proprie´te´ que nous avons nomme´e intellectuelle. Le cre´ancier de l’Etat n’est inte´resse´ a` la prospe´rite´ de son pays, que comme tout cre´ancier l’est a` la richesse de son de´biteur. Pourvu que ce dernier le paye, il est satisfait : et les ne´gociations qui ont pour but d’assurer son payement, lui semblent toujours suffisamment bonnes, quelque dispendieuses qu’elles puissent eˆtre. La faculte´ qu’il a d’alie´ner sa cre´ance le rend indiffe´rent a` la chance probable, mais e´loigne´e de la ruine nationale. Il n’y a pas un coin de terre, pas une manufacture, pas une source de production, dont il ne contemple l’appauvrissement avec insouciance, aussi long tems qu’il y a d’autres ressources qui subviennent a` l’acquittement de ses revenus, et qui soutiennent dans l’opinion la valeur ve´nale de son capital a. Quelques e´crivains ont conside´re´ l’e´tablissement d’une dette publique comme une cause de prospe´rite´. Parmi les Sophismes dont ils ont e´taye´ cette opinion bizarre, ils ont fait surtout valoir une conside´ration bien propre a` se´duire les gouvernemens. Ils ont dit que les cre´anciers d’un Etat e´taient les appuis naturels de l’autorite´, et qu’associe´s a` ses destine´es, ils devaient la de´fendre de toutes leurs forces, comme la garantie unique des capitaux qui leur e´taient dus. Cela serait vrai, dans tous les cas, qu’un moyen de dure´e, favorable e´galement aux plus vicieuses et aux meilleures des institua

Smith. Liv. V. ch. 31.

V: 13 qu’il a d’alie´ner ] qu’il a continuellement d’alie´ner L TR: 4–18 Cette proprie´te´ ... de ses revenus, ]  Principes de politique (1815), 15, pp. 228– 19–20 Quelques e´crivains ... prospe´rite´s. ]  229, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 803–804. Principes de politique (1815), 15, p. 228, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 803. 27 Smith ... ch. 3. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 229, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 804. 1

BC renvoie au chap. 3 du livre V de l’ouvrage de Smith, intitule´ «Des dettes publiques». Le passage en cause identifie´ par Hofmann (p. 242, n. 87), se lit dans les Recherches de Smith t. II, pp. 575–576.

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tions, me paraitrait encore avoir autant d’inconve´niens pour le moins que d’avantages. Mais il faut ajouter qu’une classe d’hommes qui ne tient au gouvernement que par le desir de voir ses cre´ances assure´es, est toujours preˆte a` s’en de´tacher, de`s qu’elle est inquie´te´e dans ses espe´rances. Or, est-ce un bien, dans un empire, que l’existence d’un ordre d’individus, qui ne considerent le gouvernement que sous un rapport purement pe´cuniaire, et qui, le soutenant, malgre´ ses abus, lorsqu’il les paye, s’en de´clarent les ennemis acharne´s s’il cesse un instant de les payer ? Sans doute la mauvaise foi de l’administration et son inexactitude a` remplir ses engagemens, impliquent un oubli de la justice qui doit s’e´tendre a` bien d’autres choses. Les gouvernemens libres se sont toujours distingue´s par une loyaute´ rigoureuse a. L’Angleterre n’a jamais fait e´prouver la moindre crainte, le moindre retard aux cre´anciers de son immense dette. L’Amerique, depuis que son inde´pendance est consolide´e, observe scrupuleusement les meˆmes principes de fidelite´. La Hollande a me´rite´ les meˆmes e´loges, aussi long tems qu’elle a existe´. Il n’en est pas ainsi des Etats soumis a` des autorite´s arbitraires. C’est que les gouvernemens libres sont les seuls qui ne puissent dans aucune circonstance se´parer leurs interets d’avec leurs devoirs. Sous ce rapport, les proprie´taires des cre´ances nationales doivent desirer, comme tous les autres citoyens, que la liberte´ s’e´tablisse et se maintienne. Mais j’aimerais mieux, je l’avoue, qu’ils fussent anime´s par des motifs plus nobles. Il pourrait arriver que le despotisme, e´claire´ sur le danger de me´contenter ses creanciers, mit tous ses soins a` les satisfaire, et qu’il y a

Nous ne parlons ici que des Etats modernes. La Re´publique romaine s’est affranchie plus d’une fois des re`gles de la justice a` l’e´gard de ses cre´anciers. V. Montesq. Esp. des loix, [XXII.11]. Mais les anciens n’avaient point les meˆmes ide´es que nous sur le revenu, ni le cre´dit public1.

V: 1 encore ] ajoute´ dans l’interl. P manque dans L 2–4 qu’une ... de´tacher, ] passage profonde´ment remanie´ ; premie`re re´daction que l’attachement de cette classe au gouvernement, n’ayant de baze que de voir sa cre´ance assure´e, elle devien〈droit〉t le plus dangereux adversaire de l’Autorite´, seconde re´daction qu’une ces deux mots dans l’interl. sup. classe d’hommes qui ne tient les trois derniers mots ajoute´s dans l’interl. au gouvernement, que par le de´sir les quatre derniers mots dans l’interl. de voir ses cre´ances assure´es, est toujours preˆte a` s’en de´tacher, L ne ] ajoute´ dans l’interl. P 7 paye, ... acharne´s ] paye, 〈sont preˆts a`〉 s’en de´clare〈r〉nt les 〈adversaires〉 ennemis acharne´s ce mot dans l’interl. sup. L 10 oubli ... qui ] oubli 〈de la loyaute´ et〉 de la justice qui 〈s’ap〉 L 15–16 la Hollande ... existe´. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L 19 leurs devoirs ] la source porte leur devoirs P 25–28 Nous ... public. ] Nous ... des loix, Mais ... public. note ajoute´e dans la col. gauche, avec un espace blanc pour pouvoir ajouter la re´fe´rence a` l’ouvrage de Montesquieu L 1

BC a laisse´ un blanc dans la note (voir la variante) pour pouvoir y ajouter la re´fe´rence a` L’Esprit des lois, lacune que nous avons comple´te´e.

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re´ussit pour un tems plus ou moins long, en e´crasant le peuple par des contributions excessives. Dans ce cas, les proprie´taires de la dette publique, isole´s du reste de la nation, demeureraient fide`les a` un pouvoir qui ne serait juste que pour eux. La proprie´te´ dans les fonds publics, est d’une nature essentiellement e´goiste et solitaire, et qui devient facilement hostile, parcequ’elle n’existe qu’aux de´pens des autres. Par un effet remarquable de l’organisation complique´e des socie´te´s modernes, tandis que l’interet naturel de toute nation est que les impots soient re´duits a` la somme la moins e´leve´e qu’il est possible, la cre´ation d’une dette publique fait que l’interet d’une partie de chaque nation est l’accroissement des impots a. Nous pourrions rassembler beaucoup d’autres objections encore, contre une the´orie, qui, dans le fait, comme bien d’autres the´ories, n’est autre chose qu’une excuse sous la forme d’un pre´cepte. Mais en regardant l’existence d’une dette publique, comme moralement et politiquement facheuse, nous l’envisageons en meˆme tems, dans la situation actuelle des socie´te´s, comme un mal ine´vitable, pour les grands Etats. Ceux qui subviennent habituellement aux de´penses nationales par des impots, sont presque toujours force´s d’anticiper, et leurs anticipations forment une dette. Ils sont de plus a` la premie`re circonstance extraordinaire, oblige´s d’emprunter. Quant a` ceux qui ont adopte´ le systeˆme des emprunts, pre´fe´rablement a` celui des impots, et qui n’e´tablissent de contributions que pour faire face aux interets de leurs emprunts (tel est a` peu pre`s de nos jours le syste´me de l’Angleterre) une dette publique est inse´parable de leur existence. Ainsi recommander aux Etats modernes de renoncer aux ressources que le cre´dit leur offre, serait une vaine tentative. Mais par cela meˆme que la dette publique cre´e une proprie´te´ d’espe`ce nouvelle, et dont les effets sont tre`s diffe´rens de ceux a

Adm. des Fin. Tom. II. p. 378–3791.

TR: 5–11 La proprie´te´ ... des impots. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 229, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 804. 14–26 Mais en regardant ... tentative. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 230, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 804–805. 28 Adm. ... 379. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 229, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 804. 1

BC pense a` ce passage remarquable de Jacques Necker, De l’administration des finances de la France, s.l. [Lausanne] : s.e´d. [J.-P. Heubach], 1784, t. II, pp. 378–379 : «L’accroissement de la dette publique, a comme de´nature´ l’esprit social ; en multipliant chez quelques nations, le nombre des personnes qui ont un inte´reˆt contraire a` l’inte´reˆt commun : les rentiers veulent, par dessus tout, la richesse du tre´sor royal ; et comme l’e´tendue des impoˆts en est la source la plus facile, les tributaires (et le peuple surtout, qui en compose la principale partie, et qui n’a point d’argent a` preˆter) trouvent aujourd’hui dans le sein meˆme de l’E´tat, une partie adverse dont le cre´dit et l’influence s’accroissent de jour en jour.» (cite´ d’apre`s Hofmann, p. 243, n. 89).

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des autres genres de proprie´te´, et surtout de ceux de la proprie´te´ foncie`re, il faut donner a` la proprie´te´ foncie`re, d’autant plus d’importance pour contrebalancer les mauvais effets de cette nouvelle espe`ce de proprie´te´. C’est ce qu’a fait habilement la constitution anglaise. Les proprie´taires d’une dette de pre`s de quinze milliards ont moins d’influence politique, que les proprie´taires d’un sol dont les revenus ne suffiraient pas pour acquitter les interets de cette dette a ; et c’est ce qui explique comment elle n’a pas perverti l’esprit public britannique. La repre´sentation nationale, fonde´e en majeure partie sur la prospe´rite´ territoriale, a maintenu cet esprit public, dans son inte´grite´. Admirable effet de la liberte´ bien organise´e ! L’opinion, cre´e´e par les rentiers de l’Etat en france, a concouru au renversement de la monarchie franc¸aise, parce qu’il n’existait, dans la monarchie franc¸aise, aucun autre centre le´gal et durable d’opinion. Celle des cre´anciers de l’Etat en Angleterre s’est identifie´e avec l’esprit national, parceque l’organisation politique, y prenant pour baze la proprie´te´ du sol, pour moyen d’action les droits du peuple b, pour limite les plus importans des droits individuels c a su rendre ainsi salutaires les e´le´mens meˆmes qui par leur tendance naturelle, paraissent les plus dangereux. [Addition] Un inconve´nient certain de l’usage des dettes publiques, c’est qu’il facilite l’entreprise de la guerre, parce qu’au lieu de pourvoir aux de´penses qu’elle exige par des impots qui seroient toujours plus ou moins difficiles a` asservir et lourds a` supporter on y subvient par des emprunts faciles a` obtenir, a`

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V. A brief examination into the increase of the revenue, commerce and navigation of G. B. by M. Beeke1. L’e´lection populaire. La liberte´ de la presse, l’habeas corpus, les jure´s, la liberte´ de conscience.

V: 6 dont les ] dont tous les L 1

9 en majeure partie ] mots ajoute´s dans la col. gauche L

Hofmann (p. 243, n. 90) a rectifie´ une erreur de BC. L’ouvrage cite´ (A Brief Examination into the Increase of the Revenue, Commerce and Navigation of Great Britain from 1792 to 1799, Dublin : Graisberry and Campbell, 1799, 21806) est de George Rose, tandis que Henry Beeke a e´crit Observations on the Produce of Income Tax, and on its Proportion to the whole Income of Great Britain, a new and corrected Edition with considerable Additions respecting the Extent, Commerce, Population, Division of Income, and Capital of this Kingdom, London : J. Wright, 21800. BC utilise ce second ouvrage pour ses articles du Mercure de France. Voir OCBC, Œuvres, t. X/1 et l’index des noms de personnes.

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cause des se´ductions qui les accompagnent, et dont le fardeau ne pe`se que d’une manie`re partielle et e´loigne´e sur le peuple. Smith. V. 31. L’on a dit qu’une dette publique attachoit au sort du gouvernement tous les cre´anciers de l’e´tat, et que ceux ci, associe´s a` sa bonne, comme a` sa mauvaise fortune, devenoient ses appuis naturels. c’est tre´s vrai : mais ce moyen de conservation, s’appliquant a` un mauvais ordre de choses comme a` un bon, est pre´cise´ment aussi dangereux a` une nation qu’il peut lui eˆtre utile. Say. Liv. V2. L’accroissement de la Dette publique de´nature l’esprit social, en multipliant chez quelques nations le nombre des personnes qui ont un interet contraire a` l’interet commun. les rentiers veulent pardessus tout la Richesse du Tre´sor Royal : et come l’e´tendue des impots en est la source la plus facile, les Tributaires, et le peuple surtout, qui en compose la plus grande partie, et qui n’a point d’argent a` preˆter, trouvent aujourd hui dans le sein meˆme de l’Etat, une partie adverse dont l’influence s’accroıˆt chaque jour. l’accroissement de la dette publique augmente la puissance de l’Autorite´, en habituant une grande partie de la Nation a` redouter par dessus tout le plus petit e´branlement dans les ressorts du gouvernement, ou le plus le´ger changement dans ses habitudes. adm. des Fin. II. 378–3793. Effet remarquable de la complication des ressorts de l’organisation sociale. l’interet naturel de toute nation est de payer le moins de contributions possible. la cre´ation d’une Dette publique fait que l’interet d’une grande partie de la Nation est l’accroissement des contributions. Contradiction apparente. le cre´dit, qui, d’un cote´, affaiblit l’autorite´ du gouvernement, de l’autre la fortifie.

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BC fait une paraphrase d’un passage des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre V, chap. 3, t. II, p. 566. Aline´a tire´ de Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique ou simple exposition de la manie`re dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses, Paris : Impr. de Crapelet, an XI (1803), livre V, chap. 17, t. II, p. 523. BC posse`de l’e´dition de 1814 dans sa bibliothe`que. Troisie`me emprunt de ces additions : Necker, De l’administration des finances de la France, s.l. : s.e´d., 1784, t. II, pp. 378–379. Citation conforme. BC posse`de les 15 vol. (1820–1821) des Œuvres comple`tes de Necker dans sa bibliothe`que.

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Chapitre 9e De la quotite´ de proprie´te´ que la socie´te´ a droit d’exiger1.

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Malgre´ mon desir d’e´carter les de´tails, je suis force´ d’ajouter quelques mots sur la quotite´ de proprie´te´ qui doit eˆtre exige´e. Une proprie´te´ peut eˆtre tellement restreinte, que celui qui la posse`de ne soit proprie´taire qu’en apparence. Quiconque n’a pas, dit l’ecrivain que j’ai cite´ ci dessus, en revenu territorial, la somme suffisante pour exister pendant l’anne´e, sans eˆtre tenu de travailler pour autrui, n’est pas entie`rement proprie´taire2. Il se retrouve, quant a` la portion de proprie´te´ qui lui manque dans la classe des salarie´s. Les proprie´taires sont maitres de son existence, car ils peuvent lui refuser le travail. Celui qui posse`de le revenu ne´cessaire pour exister inde´pendamment de toute volonte´ e´trange`re, peut donc seul exercer les droits politiques. Une condition de proprie´te´ infe´rieure est illusoire. Une condition de proprie´te´ plus e´leve´e est injuste. Une fois le ne´cessaire assure´, l’inde´pendance est toute relative. Elle est en raison du caracte`re ou du de´sinte´ressement. Les avantages de la proprie´te´ fonciere viennent plus de sa nature, que de sa quotite´. Les e´conomistes ont eu l’ide´e d’attacher tellement a` la terre les droits politiques, que les proprie´taires du sol eussent un nombre de voix plus ou moins grand, suivant l’e´tendue de leurs possessions. Cette ide´e de´naturerait la proprie´te´. Elle en ferait bientot une olygarchie qui deviendrait chaque jour plus resserre´e, car la tendance des grandes proprie´te´s est d’engloutir les petites a. Le minimum de proprie´te´ fonciere qui doit impliquer les droits de Cite´ e´tant une fois de´termine´, les grands proprie´taires ne doivent avoir sur les autres aucune supe´riorite´ le´gale. La division des pouvoirs s’applique en quelque sorte au gouvernement des proprie´taires, comme a` toutes les formes a

[Add.] Si les riches seuls peuvent eˆtre puissans, les puissans deviendront tous les jours plus riches.

TR: 5–14 Une proprie´te´ ... injuste. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 111–112, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1032 ;  Principes de politique (1815), 6, pp. 110–111, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 737–738. 1 2

La feuille de garde du ms. L donne un titre plus explicite : «De la quotite´ de proprie´te´ que la socie´te´ a droit d’exiger pour l’exercice des droits politiques». Germain Garnier, Abre´ge´ e´le´mentaire des principes de l’e´conomie politique, Paris : H. Agasse, an IV (1796), pp. 12–28. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1032, n. 2.

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de gouvernement : et de meˆme que dans toutes les constitutions libres, on cherche a` revetir les autorite´s subordonne´es, de la faculte´ et de l’intereˆt de s’opposer aux empie`temens de l’autorite´ supe´rieure, il faut donner aux petits proprie´taires l’interet et la faculte´ de mettre obstacle a` l’aristocratie des grands. Cela se fait naturellement, si tous les proprie´taires jou¨issant d’une inde´pendance veritable ont des droits e´gaux.

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Chapitre 10e Que les proprie´taires n’ont pas interet d’abuser de la puissance contre les non proprie´taires.

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Craindrait-on que les proprie´taires, investis seuls des pouvoirs politiques, ne les fissent peser sur la classe de´pouille´e ? La nature de la proprie´te´ suffit pour dissiper cette crainte. Depuis la naissance du commerce a, les proprie´taires ne forment plus une classe distincte b, se´pare´e du reste des hommes par des pre´rogatives durables. Les membres de cette classe se renouvellent sans cesse. Les uns en sortent, d’autres y pe´ne´trent. Si la proprie´te´ e´tait stationnaire, si elle demeurait a` jamais dans les meˆmes mains, elle serait une institution tre´s abusive. Elle ferait deux parts de l’espe`ce humaine. L’une serait tout, l’autre rien. Mais telle n’est pas son essence. Elle tend en de´pit de ceux qui la posse`dent, a` un de´placement continuel. Ce qu’il faut seulement e´viter avec soin, comme nous le dirons tout a` l’heure, c’est tout ce qui pourrait arreˆter ce de´placement salutaire. Si les loix favorisent l’accumulation de la proprie´te´, si elles la rendent inalie´nable dans de certaines familles ou dans de certaines classes, le gouvernement des proprie´taires devient tyrannique. C’est la circulation de la proprie´te´ qui garantit la justice de l’institution. Cette circulation est dans la nature des choses. Il suffit de ne pas l’entraver. D’ailleurs, dans l’e´tat actuel de la civilisation, l’inte´reˆt des proprie´taires n’est point se´pare´ de celui des classes industrielles ou salarie´es. Un tre`s grand nombre de proprie´taires appartient a` l’une ou a` l’autre de ces classes. Ce qui les blesse retombe sur les proprie´taires eux meˆmes. a

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Smith. Rich. des Nat. III. 41. [Add.] c’est parce que les diffe´rens e´tats de la Socie´te´ se confondent, qu’on peut mettre toute la puissance politique entre les mains des proprie´taires. s’ils formoient une classe exclusive, ils feroient des loix injustes, parce qu’ils contracteroient un esprit exclusif. C’est ce qui est arrive´ en Europe pendant plusieurs sie`cles. les proprie´taires ont longtems par exemple voulu borner la dure´e des Baux, pour mieux conserver leurs proprie´te´s a` leur disposition. Ils imaginoient qu’un bail passe´ par leurs pre´de´cesseurs ne devoit pas les empeˆcher, pendant un long terme d’anne´es, de jouir de la pleine valeur de leurs Terres. mais l’avarice voit toujours mal. les proprie´taires ne pre´virent pas combien un tel re´glement mettrait d’obstacles a` toute ame´lioration, et par la` nuirait a` la longue a` leurs ve´ritables Interets.

V: 1 Chapitre 10e ] Chapitre 10 le chiffre re´crit sur 3 L 1

BC re´sume, en les paraphrasant, les re´flexions de Smith. Voir Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre III, chap. 4, t. I, pp. 509–510.

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Il re´sulte de ces deux raisons que les proprie´taires s’abstiendront toujours de loix vexatoires. Ces loix, fussent-elles dirige´es uniquement contre les non proprie´taires, menaceraient doublement leurs propres auteurs. Chez quelques peuples anciens, a` Rome, par exemple, le gouvernement des proprie´taires a e´te´ fort abusif. Cela tient a` une circonstance que l’on n’a pas remarque´e. Chez les anciens, les pauvres e´taient toujours endette´s envers les riches, parceque ces derniers n’employaient au travail que leurs esclaves. Chez les modernes, ce sont d’ordinaire les riches qui sont endette´s envers les pauvres. Dans le premier cas les riches demandaient aux pauvres ce que ceux-ci n’avaient point, c’est a` dire de l’argent, et cette demande exigeant pour eˆtre satis faite, des violences, et le plus souvent ne l’e´tant pas, malgre´ ces violences, il y avait un germe de haine et d’opposition continuelle entre ces deux classes. Dans les socie´te´s actuelles, les riches demandent aux pauvres ce dont ceux-ci peuvent toujours disposer, c’est a` dire du travail, et il en re´sulte un beaucoup plus grand accord mutuel entre les uns et les autres. Lors meˆme qu’on me prouverait qu’il existe encore aujourd’hui quelques abus dans le gouvernement des proprie´taires, je n’abandonnerais pas mon opinion. Je m’engagerais a` de´montrer que ces abus, vestiges des sie`cles moins e´claire´s, nuisent chaque jour plus aux proprie´taires eux meˆmes. J’en donne un exemple en note a. J’espe´rerais donc le redressement de ces abus, a

Les statuts d’Angleterre interdisent a` tout individu sans proprie´te´ de passer d’une paroisse a` une autre, sans le consentement de cette dernie`re, de peur que cet individu, n’ayant pas de moyens de subsistance, ne soit a` la charge de ses nouveaux concitoyens. Ces statuts paraissent a` l’avantage des proprie´taires contre le non proprie´taire qui cherche un azyle. Mais ils sont une atteinte manifeste a` la liberte´ individuelle. Celui qui ne peut gagner sa vie par le genre de travail auquel il est propre, dans la paroisse ou` il est domicilie´, est exclu de celle ou` son industrie le nourrirait facilement. Quelle est la conse´quence de cette injustice ? Souvent une paroisse est surcharge´e de bras, tandis qu’une autre en manque. Alors le prix des journe´es dans celle-ci monte a` un prix excessif. Le proprie´taire, qui a repousse´ l’homme laborieux dont il craignait qu’un jour la subsistance ne lui devint a` charge, porte donc par ce renche´rissement, la peine de son calcul inique. C’est ainsi que tous les abus retombent infailliblement sur ceux meˆmes qu’ils semblent favoriser1.

V: 3 auteurs. ] suit encore dans L 〈Ce ne sont jamais les proprie´taires qui font des loix de´sastreuses pour le comerce ou l’industrie. Si l’on croit pouvoir les en accuser, c’est qu’on regarde comme des proprie´taires des hommes qui ne le sont pas. / Ces loix ont eu pour cause ou l’ignorance universelle des premiers principes de l’e´conomie politique, ignorance commune alors a` toutes les classes, ou la violence farouche des non proprie´taires, ou les calculs personnels et les interets momentane´s des commerc¸ans. Ces derniers surtout ont e´te´ funestes. Les monopoles, les prohibitions, les privile`ges, qui〉 le texte s’interrompt ici. Il sera reporte´ dans P un peu plus loin ; voir ci-dessous, p. 353 L 10 c’est a` dire ] ajoute´ dans l’interl. L 31 donc ] mot dans l’interl. L 1

BC re´sume ici Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre I, chap. 10, section 2, t. I, pp. 213–215. Le meˆme texte, tourne´ un peu autrement et e´largi, revient dans les «Additions e´parses». Voir ci-dessous, p. 713.

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10, Les proprie´taires n’ont pas inte´reˆt d’abuser de la puissance

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des seuls progre`s des lumie`res et de l’expe´rience, et je verrais beaucoup moins d’inconve´niens a` les supporter momentane´ment, qu’a` donner aux non proprie´taires des droits politiques, c’est a` dire du pouvoir. Lorsqu’une fois on est convaincu que la proprie´te´ est indispensable a` la prospe´rite´ de l’Etat social, il faut, nous l’avons de´ja dit1, la garantir de toute manie`re, et son seul moyen suffisant de garantie, est l’autorite´ des proprie´taires. Il faut vouloir les institutions qu’on e´tablit et toute institution qui admet la proprie´te´, en donnant du pouvoir aux non proprie´taires, n’est plus qu’une institution suicide. Ce serait a` tort que les classes commerc¸antes ou industrielles craindraient l’administration des proprie´taires du sol. Ce ne sont point eux qui ont fait des loix de´sastreuses pour le commerce ou l’industrie. Ces loix ont eu pour cause ou l’ignorance universelle des premiers principes de l’e´conomie politique, ignorance commune alors a` toutes les classes, ou la violence farouche des non proprietaires, ou les calculs personnels et les interets momentane´s des commerc¸ans. Ces derniers surtout ont e´te´ funestes. Les monopoles, les prohibitions, les privile`ges qui fournissant a` l’industrie particulie`re, des moyens disproportionne´s, et de´truisant la concurrence, sont funestes a` l’industrie ge´ne´rale, toutes ces inventions sont mercantiles. Le commerce vit de liberte´ : mais le commerc¸ant peut s’enrichir par les entraves dont il entoure ses compe´titeurs. Accoutume´ qu’il est a` spe´culer sur tout, il est dispose´ souvent a` spe´culer sur les loix meˆmes. Si vous ne le contenez il fera des loix pour favoriser ses entreprises, au lieu de se contenter d’assurer a` ses entreprises la sauve garde de la loi. Autant, dit le sage commentateur d’Adam Smith, autant l’influence des manufacturiers, des marchands et des capitalistes, sur la le´gislation, se manifeste par des vues e´troites, par des re´glemens complique´s, et par des geˆnes oppressives, autant le re´gne des proprie´taires se fera reconnaitre a` la rectitude des intentions, a` la simplicite´ des moyens, et a` la marche libre et facile de tous les genres de circulation a. a

Garnier. Notes a` la traduction de Smith2.

V: 3 politiques ] 〈plus facilement〉 politiques L 5 nous l’avons ] 〈nous,〉 nous l’avons L 6 moyen suffisant ] moyen 〈de s〉 suffisant P 6–17 l’autorite´ ... fournissant ] passage ajoute´ dans la col. gauche et continue´ dans la col. gauche du f o suivant l’autorite´ des proprie´taires. 〈si l’on me prouvoit la ne´cessite´ de la noblesse, je dirais mettez l’autorite´〉 Il faut ... qui fournissant les corrections commencent au f o 367v o (voir ci-dessus, p. 352, la variante de la ligne 3) et se poursuivent jusqu’en teˆte du f o 370r o ; les f os 368 et 369 sont entie`rement autographes ; ils s’intercalent entre des f os e´crits par le copiste ; BC a sans doute remplace´ une partie du texte qu’il jugeait imparfaite L 21 entoure ] 〈est〉 entoure L 1 2

Voir ci-dessus, pp. 325–331. BC renvoie a` la note XXXII du traducteur de Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris : Agase, 1802, t. V, p. 309. La citation est litte´rale.

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Pour l’intereˆt meˆme du commerce, il est donc utile que la puissance le´gislative soit confie´e aux proprie´taires du sol dont l’activite´ est moins inquie`te et dont les calculs sont moins mobiles. Nous disons tout ceci dans l’hypothe`se d’une association sans castes privile´gie´es. Les castes de ce genre e´tant un moyen de conserver, et de plus un moyen d’acque´rir, corrompent la proprie´te´. Si les proprie´taires posse`dent des pre´rogatives abusives, ils seront ennemis de la liberte´ et de la justice, non comme proprie´taires, mais comme privile´gie´s. S’ils ne sont pas privile`gie´s, ils en seront les soutiens les plus fide`les a.

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[Add.] Mais si les proprie´taires fesoient une ligue pour rendre les proprie´te´s inalie´nables ? Ce serait comme gouvernans, non come proprie´taires qu’ils feroient cet acte tyrannique : et qu’on ne dise pas que c’est e´luder l’objection par un jeu de mots. Il est si vrai que c’est comme gouvernans, que si vous supposez le gouvernement entre les mains des non-proprie´taires, ces gouvernans pourront tout aussi bien faire une ligue pour rendre inalie´nables les fonctions du gouvernement. 2o. si le pays ou les proprie´taires prendroient une pareille re´solution, contenait des non proprie´taires riches, ces non-proprie´taires quitteraient le pays, et les inconve´niens de la re´solution retomberaient sur les proprie´taires. Si ce pays ne contenoit que des non proprie´taires pauvres, lors meˆme que les proprie´taires ne prendraient pas une re´solution pareille, l’acquisition de la proprie´te´ seroit ferme´e a` des nonproprie´taires qui n’auraient nul moyen de l’acque´rir.

V: 2 le´gislative ] la source porte le´gis lative P berait P

17 retomberaient ] la source porte retom-

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Chapitre 11e Des privile`ges he´re´ditaires, compare´s a` la proprie´te´.

L’on a compare´ les privile`ges he´re´ditaires a` la proprie´te´. Les ennemis de la proprie´te´ ont adopte´ cette comparaison avec empressement. Les privile`ges e´tant devenus une chose odieuse, ils ont voulu faire retomber sur la proprie´te´ cette de´faveur. Les amis des privile`ges ont adopte´ ce rapprochement par un motif contraire. La proprie´te´ e´tant une chose indispensable, ils ont espe´re´ donner aux privile`ges l’excuse d’une ne´cessite´ de´montre´e. Cette comparaison ne serait exacte que si la proprie´te´ ne passait pas de main en main. Alors seulement elle ressemblerait aux privile`ges. Mais alors aussi, comme nous l’avons dit plus haut, elle serait l’usurpation la plus oppressive. Si elle est l’intereˆt constant de la majorite´ des ge´ne´rations, c’est parceque tous peuvent y pre´tendre, et sont assure´s d’y arriver par le travail. Mais les privile`ges he´re´ditaires ne sont et ne peuvent devenir jamais que l’intereˆt du petit nombre. Ils excluent tout ce qui ne fait pas partie de la caste favorise´e : ils pe`sent, non seulement sur le pre´sent, mais sur l’avenir, et de´pouillent les ge´ne´rations futures. La proprie´te´ re´veille l’e´mulation ; les privile`ges la repoussent et la de´couragent. La proprie´te´ tient a` toutes les relations, a` tous les e´tats ; les privile`ges s’isolent. La proprie´te´ se communique, et en se communiquant s’ame´liore. Les privile`ges s’entourent de retranchemens et perdent leurs avantages par la communication. Plus il y a de proprie´taires dans un paı¨s, plus la proprie´te´ est respecte´e, plus le peuple est dans l’aisance. Plus il y a de privile`gie´s, plus les privile`ges sont avilis, et plus ne´ammoins le peuple est opprime´. Car c’est sur lui que toutes les exemptions des privile´gie´s retombent. Il est difficile, meˆme en e´tendant le plus possible, la sphe`re de nos conjectures, de concevoir un e´tat social tole´rable sans proprie´te´. L’Amerique nous pre´sente un gouvernement sage et paisible, sans institutions privile`gie´es. Les privile`ges et la socie´te´ sont toujours en guerre. L’une e´tablit une re`gle, les autres une exception. Si la proprie´te´ a quelquefois des inconve´niens, ils viennent des privile`ges qui, suivant leurs combinaisons diverses, rendent l’acquisition de la proprie´te´ souvent imposV: 15 excluent ] 〈excellent〉 excluent L dans l’interl. L

17 l’e´mulation ] 〈l’imagination〉 l’e´mulation corr. a.

TR: 3–356.17 L’on a compare´ ... e´branle´e. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 3, OCBC, Œuvres, IV, pp. 404–406.

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sible, et toujours difficile a` la classe non privile´gie´e. Les substitutions, le droit d’ainesse, tous les re`glemens qui rendent la proprie´te´ stationnaire et vexatoire, tiennent de la nature des privile`ges et en sont e´mane´s. De ce que plusieurs des hommes qui, de nos jours, avaient aboli les privile`ges he´re´ditaires, ont e´branle´ la proprie´te´, il n’en faut pas conclure que ces choses soient intimement unies1. Dans toutes les questions, il existe un point ou` les insense´s et les sages se se´parent. Ceux-ci s’arreˆtent apre`s le renversement des pre´juge´s qu’il importait de de´truire. Les autres veulent e´tendre l’action destructive sur ce qu’il est utile de conserver. Quand on supposerait la proprie´te´ une convention de la meˆme espe`ce que les privile`ges he´re´ditaires, il faudrait encore dans les pays ou` ces privile`ges sont de´cre´dite´s, se´parer ces deux ide´es. Rien ne nuit plus aux choses utiles que de s’appuyer sur des choses abusives. Les unes et les autres s’e´croulent ensemble. Il en est des privile`ges et de la proprie´te´ comme de la superstition et de la morale. La superstition peut fournir a` la morale un secours factice, mais il arrive alors que la superstition perdant sa puissance, la morale elle meˆme est e´branle´e. Les privile`ges et les proscriptions sont des erreurs sociales du meˆme genre. C’est de meˆme soustraire des citoyens a` la loi, soit par l’arbitraire de la peine, soit par l’arbitraire de la faveur. L’on cite fre´quemment Montesquieu en faveur des privile`ges. Mais Montesquieu examine plutot qu’il ne juge les loix. Il en explique les motifs. Il assigne les causes sans justifier les intentions. Il e´crivait d’ailleurs sous un gouvernement doux en re´alite´, mais arbitraire de sa nature. Or, sous un gouvernement pareil, les privile`ges peuvent eˆtre utiles a. La` ou` les droits ont disparu, les privile`ges sont une de´fense. Malgre´ leurs inconve´niens, ils a

C’est bien la` le point de vue sous lequel Montesquieu a conside´re´ les privile`ges. Comme le despotisme, dit-il, cause a` la nature des maux effroyables, le mal meˆme qui le limite est un bien. Esp. des loix, liv. II. ch. 42.

V: 6 dans toutes ] dans 〈tout〉 toutes P 23 les intentions. ] les institutions. L bien ... ch. 4. ] note ajoute´e dans la col. gauche L

27–29 C’est

TR: 21-p. 357.3 L’on cite ... fle´au. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 406. 1

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BC reprend ici les re´flexions qu’il avait de´ja` entame´es ci-dessus, chap. 3, p. 325. L’allusion vise e´videmment Gracchus Babeuf, la Conjuration des E´gaux et le «Manifeste des ple´be´iens» publie´ par le Tribun du peuple (9 frimaire an IV, 30 novembre 1795). C’e´tait la premie`re manifestation d’une utopie communiste (on parlait de la «communaute´ des biens et des travaux»), base´e sans doute sur la pense´e de Rousseau, sur celle de l’Abbe´ Mably et sur le Code de la nature d’E´tienne-Gabriel Morelly, paru en 1755. Citation conforme. L’Esprit des lois, livre II, chap. 4, p. 248.

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valent mieux que l’absence de tout pouvoir interme´diaire. Pour se passer des privile`ges, il faut qu’une constitution soit excellente. Sous le despotisme l’e´galite´ devient un fle´au.

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Chape 12e`me Observation ne´cessaire

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Ce qui s’est passe´ de nos jours en France, relativement aux castes privile´gie´es, m’oblige a` mettre ici quelques explications de mon opinion a` cet e´gard. Je ne voudrais pas eˆtre confondu avec des hommes qui, dans l’abolition des abus, n’ont cherche´ qu’un moyen de satisfaire leur haine et leur vanite´ long tems blesse´e. La destruction des privile`ges he´re´ditaires en France, e´tait une suite ine´vitable des progre`s de la civilisation. Depuis que la noblesse avait cesse´ d’eˆtre fe´odale, elle e´tait devenue une de´coration brillante, mais sans but pre´cis, agre´able a` ses possesseurs, humiliante pour ceux qui ne la posse´daient pas, mais sans moyens re´els et surtout sans force. Ses avantages se composaient plutot d’exclusions pour la classe roturie`re, que des pre´rogatives pour la classe pre´fe´re´e. Les nobles obtenaient des faveurs abusives, ils n’e´taient revetus d’aucun pouvoir le´gal. Ils ne composaient point un corps interme´diaire qui maintint le peuple dans l’ordre, et qui re´primaˆt l’autorite´. Ils formaient une corporation presqu’imaginaire, qui pour tout ce qui n’e´tait pas souvenir et pre´juge´, de´pendait du gouvernement. L’he´re´dite´ d’Angleterre ne confe`re point a` ses membres une puissance conteste´e, arbitraire et vexatoire, mais une autorite´ de´termine´e et des fonctions constitutionnelles. Ses pre´rogatives e´tant d’une nature le´gale, et cre´e´es pour un but pre´cis sont moins blessantes pour ceux qui n’en jou¨issent pas, et donnent plus de force a` ceux qui en jou¨issent. Cette he´re´dite´, par conse´quent, est moins expose´e a` eˆtre attaque´e, en meˆme tems qu’elle est plus susceptible d’eˆtre de´fendue. Mais la noblesse en France invitait toutes les vanite´s a` l’attaquer, et n’armait presqu’aucun intereˆt pour sa de´fense. Elle n’avait point de baze, point de place fixe dans le corps social. Rien ne garantissait sa dure´e. Tout au contraire conspirait sa perte, jusqu’aux lumie`res et a` la supe´riorite´ individuelle de ses propres membres. Aussi a-t-elle e´te´ de´truite presque sans secousse. Elle s’est e´vanouie comme une ombre, parce qu’elle n’e´tait que le V: 13 des ] de L Ils〉 obtenaient L

14 nobles obtenaient ] nobles 〈avoient des privile`ges plutot que des droits.

TR: 3-p. 359.3 Ce qui s’est passe´ ... insense´. ] re´sume´  Principes de politique (1815), 4, 8–18 La destruction ... du gouvernement. ]  De la p. 70, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 713. possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 414 ;  Re´flexions sur 26-p. 359.1 Elle n’avait point ... les constitutions, 1, p. 11, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 967. demi de´truit. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 414.

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souvenir inde´finissable d’un systeˆme a` demi de´truit. Son abolition ne peut donc eˆtre l’objet d’une censure me´rite´e. Mais tout ce que les chefs de notre re´volution ont ajoute´ a` cette mesure e´tait injuste et insense´. Une cause que l’on n’a pas suffisamment remarque´e a contribue´, si je ne me trompe, aˆ me`ler a` des principes sages des moyens odieux et de´raisonnables. Parmi les diffe´rences qui nous distinguent des anciens, nous pouvons placer l’origine des privile`ges he´re´ditaires. Chez les peuples de l’antiquite´, civilise´s par des colonies sans eˆtre conquis par elles, l’ine´galite´ des rangs n’avait eu d’origine qu’une supe´riorite´ soit physique, soit morale. On sent que je ne parle pas des esclaves qui doivent eˆtre compte´s pour rien dans le systeˆme social des anciens. Chez eux, les privile`gie´s e´taient une classe de compatriotes, parvenus a` la richesse ou a` la conside´ration, parce que leurs anceˆtres avaient bien me´rite´ de la socie´te´ naissante, en lui enseignant soit les premiers principes du gouvernement, soit les ce´re´monies de la religion, soit les de´couvertes ne´cessaires aux besoins de la vie et les e´le´mens de la civilisation. Chez les modernes, au contraire, l’ine´galite´ des rangs a eu pour principe la conqueˆte. Les peuples police´s de l’empire romain ont e´te´ partage´s comme de vils troupeaux entre des aggresseurs fe´roces. Les institutions europe´ennes ont porte´, durant des sie`cles, l’empreinte de la force militaire. Dompte´s par le fer, les vaincus ont, par le fer aussi, e´te´ maintenus dans la servitude. Leurs maitres n’ont pas daigne´ de´guiser par d’inge´nieuses fables, ou rendre respectables, par des pre´tentions bien ou mal fonde´es a` une sagesse supe´rieure, l’origine de leur puissance. Les deux races se sont perpe´tue´es, sans autre relation, pendant long tems que l’asservissement d’un cote´, de l’autre l’oppression. Tout depuis le 4e jusqu’au 15e sie`cle, a retrace´ a` l’Europe civilise´e, mais envahie, le fle´au qu’elle avait recu du Nord. La supe´riorite´ des peuples antiques tient peut-eˆtre a` cette cause. Ils marchaient exempts de toute domination sur une terre que n’avait jamais foule´e le pied superbe d’un vainqueur. Les modernes ont erre´ sur un sol conquis, raˆce abaˆtardie et de´posse´de´e. De cette diffe´rence entre les anciens et nous, est resulte´e une opposition frappante dans le systeˆme des amis de la liberte´, a` ces deux e´poques. Malgre´ les inconve´niens des privile`ges he´re´ditaires, meˆme chez les anciens, presque tous les publicistes de l’antiquite´ veulent que le pouvoir soit concentre´ dans V:30 sol ] seul L TR: 4–31 Une cause ... de´posse´de´e. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 415–417. 32-p. 360.13 De cette diffe´rence ... des citoyens. ]  De 35la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 417–418. p. 360.6 tous les publicistes ... guides. ]  Minerve franc¸aise, 15 juin 1818, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 453.

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les mains des classes supe´rieures. Aristote fait de cette condition une partie essentielle d’une de´mocracie bien constitue´e1. Au contraire depuis la renaissance des lumie`res, les partisans de la liberte´ politique n’ont jamais cru son e´tablissement possible sans la destruction des castes pre´dominantes. Machiavel ne voit que des victimes indispensables a` sacrifier la` ou` Aristote appercoit des guides a. C’est que ceux qui depuis le 15e sie`cle jusqu’a` nos jours se sont e´leve´s, auront e´crit en faveur de l’e´galite´, ont agi ou parle´ comme les descendans des opprime´s, contre les descendans des oppresseurs. En proscrivant non seulement les privile`ges he´re´ditaires, mais les possesseurs de ces privile`ges, ils ont eux meˆmes, a` leur insu, e´te´ domine´s par des pre´juge´s he´re´ditaires. A la fondation de la Re´publique en France, l’on a eu pour but, comme dans les Re´publiques d’Italie, plutot de repousser des conque´rans, que de donner des droits e´gaux a` des citoyens. En parcourant les loix porte´es contre les Nobles en Italie, a` Florence surtout, on croit lire les loix de la convention b. On a peint ces nobles dans le 18e`me sie`cle, a

b

Voyez Decades sur Tite live2. Voyez encore Condillac, ou plutot Mably sous le nom de Condillac, dans le cours d’e´tude3, Sieyes, essai sur les privile`ges4. Gli ordinamenti della Justizia, Loix qui soumettaient les nobles de Florence a` une proce´dure particulie`re, les excluaient du droit de cite´, autorisaient a` les condamner sans autre preuve que le bruit public. Ces loix furent porte´es par le peuple, vers l’an 1294, a` l’instigation de Gianno della Bella (noble) qui s’e´tait mis a` sa teˆte5.

V: 7 auront ] re´crit sur un mot illis. L la col. gauche L

18–21 Gli ordinamenti ... sa teˆte. ] note ajoute´e dans

TR: 9–13 En proscrivant ... des citoyens. ]  Minerve franc¸aise, 15 juin 1818, Recueil d’ar13–15 En parcourant ... convention. ]  Minerve ticles, le Mercure, la Minerve, I, p. 455. franc¸aise, 15 juin 1818, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 455, en note. 15-p. 361.16 ces nobles ... flexibilite´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 413–414. 16–17 Voyez ... privile`ges. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 418. 1

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Aristote revient a` plusieurs reprises dans la Politique a` cette question. On pourrait citer dans ce contexte le livre III, chap. 17 (nouvelle nume´rotation), 1288a, ou` il est question de l’aristocratie appele´e a` la direction d’un e´tat. BC pense au Discours sur le premie`re de´cade de Tite-Live, premie`re partie, chap. V, ou` Machiavel pre´fe`re une institution du type de la Re´publique romaine a` celle du type ve´nitien. Il se peut que BC pense aux pages consacre´es par Condillac a` Vale´rius, organisateur de l’expulsion des rois. Voir Cours d’e´tude pour l’instruction du prince de Parme, Gene`ve : Du Villard et Nouffer, 1780, t. IX, pp. 108–110. Emmanuel Sie´ye`s, Essai sur les privile`ges, s.l. : s.e´d., s.d. [1788]. Sie´ye`s entreprend de de´montrer que les privile`ges d’une caste politique (noblesse) sont contraires a` une administraion raisonnable d’un e´tat. L’Assemble´e nationale adopte une position semblable en aouˆt 1789 en abolissant tous les privile`ge`s. BC exploite Sismondi, Histoire des re´publiques italiennes du Moyen Age, t. II, chap. 8, qui parle des troubles a` Florence, pp. 303–308 (e´d. Bruxelles : Socie´te´ typographique belge, 1838). Giano della Bella, (seconde moitie´ du 13e sie`cle – entre 1311 et 1314), le plus

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comme les barons du 15e`me Les hommes haineux ont habilement me`le´ toutes les e´poques pour rallumer et entretenir les haines. Comme on remontait jadis aux francs et aux Goths pour opprimer, ils remontaient aux francs et aux Goths pour trouver des pre´textes d’oppression en sens inverse. Une vanite´ pue´rile cherchait autrefois des titres d’honneur dans les archives et dans les chroniques. Une vanite´ plus aˆpre et plus vindicative a puise´ des actes d’accusation dans les chroniques et dans les archives. Un peu de re´flexion doit pourtant nous convaincre que des privile`ges abusifs par leur nature peuvent eˆtre pour leurs possesseurs des moyens de loisir, de perfectionnement et de lumie`res. Une grande inde´pendance de fortune est en ge´ne´ral une garantie contre plusieurs genres de bassesses et de vices. La certitude de se voir respecte´ est un pre´servatif contre cette vanite´ ombrageuse et inquie`te qui partout apperc¸oit l’insulte ou suppose le de´dain, passion implacable qui se venge par le mal qu’elle fait, de la douleur qu’elle e´prouve. L’usage des formes douces et l’habitude des nuances inge´nieuses donnent a` l’ame une susceptibilite´ de´licate, a` l’esprit une rapide flexibilite´. Il fallait profiter de ces qualite´s pre´cieuses. Il fallait entourer l’esprit chevaleresque de barrie`res qu’il ne put franchir, mais ne pas l’exclure de la carriere que la nature rend commune a` tous. De la sorte se serait forme´e cette classe d’hommes que les le´gislateurs anciens regardaient comme destine´e par la nature au Gouvernement. Elle se serait compose´e de la partie e´claire´e du tiers et de la partie e´claire´e de la noblesse. Malheur aux hommes qui ont empeche´ cet amalgame aussi facile que ne´cessaire. Ils n’ont voulu ni tenir compte des e´poques, ni distinguer les nuances, ni rassurer les appre´hensions, ni pardonner aux vanite´s passage`res, ni laisser de vains murmures s’e´teindre, de folles menaces s’e´vaporer. Ils ont enregistre´ les engagemens de l’amour propre. En traitant tous les nobles

V: 6 vindicative ] la source porte indicative P, L

17 qualite´s ] la source porte qualites P

TR: 1–7 les hommes ... archives. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, pp. 131–132, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 639–640. 8–16 des privile`ges ... flexibilite´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, pp. 130–131, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 639. 17–19 Il fallait ... commune a` tous. ]  24De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 415. p. 362.8 Il n’ont voulu ... justice. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 418–419. important personnage d’une famille noble gibeline de Florence, opta pour le parti guelfe et devint le chef du parti populaire a` Florence. Les «Ordinamenti della Giustizia» (1293) pre´voyaient l’exclusion des nobles et des «latifondisti» du gouvernement de la ville, confie´ maintenant a` la bourgeoisie, dont les membres n’e´taient e´ligibles que lorsqu’ils pouvaient prouver qu’ils posse´daient un me´tier («arte»), ce qui excluait la population pauvre des salarie´s. Les lois cite´es par BC sont effectivement mentionne´es par Sismondi. La fin de cet e´pisode du gouvernement de Florence fut initie´e par les intrigues du pape Boniface VIII en 1294.

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comme des ennemis de la liberte´, ils ont fait a` la liberte´ des ennemis sans nombre. L’on a releve´ la noblesse par une distinction nouvelle, la perse´cution, et forte de ce privile`ge elle a combattu avec avantage les institutions pre´tendues libres, au nom des quelles on l’opprimait. Elle a trouve´ dans la proscription des motifs le´gitimes de re´sistance, et des moyens infaillibles d’interesser a` sa cause. Accompagner d’injustices l’abolition des abus, ce n’est pas mettre a` leur retour plus d’obstacles, c’est leur me´nager l’espoir qu’ils reviendront avec la justice.

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Chapitre 13e Du meilleur moyen de donner aux proprie´taires une grande influence politique.

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Le moyen le plus sur et le plus doux de donner aux proprie´taires une grande influence politique a de´ja e´te´ indique´ par Aristote1. Combinez tellement vos institutions et vos loix, dit-il, que les emplois ne puissent eˆtre l’objet d’un calcul inte´resse´. Sans cela, la multitude qui d’ailleurs est peu affecte´e de l’exclusion des honneurs, parce qu’elle aime a` vaquer a` ses affaires, enviera les honneurs et le profit. Toutes les pre´cautions sont d’accord, si les magistratures ne tentent pas l’avidite´. Les pauvres pre´fe´reront des occupations lucratives a` des fonctions difficiles et gratuites. Les riches occuperont les magistratures, parce qu’ils n’auront pas besoin d’indemnite´s. Ces principes sans doute ne sont pas applicables a` tous les emplois dans les Etats modernes, parce qu’il en est qui exigent une fortune au dessus de toute fortune particulie`re. Mais rien n’empeˆche de les appliquer aux fonctions le´gislatives qui n’augmentent que le´ge`rement la de´pense habituelle de ceux qui en sont revetus. Il en e´tait ainsi a` Carthage. Toutes les magistratures nomme´es par le peuple e´taient exerce´es sans indemnite´s. Les autres fonctions e´taient salarie´es. Il en est de meˆme en Angleterre. Je me crois fort quand je tire mes preuves de cette demeure de la liberte´2. L’on s’e´le`ve beaucoup parmi nous contre la corruption des communes. Comparez ce que, meˆme dans des V: 1 Chapitre 13e ] Chap. 〈illis.〉 13 les f os 384–388 autographes sont tire´s d’un autre ms, peut-eˆtre plus ancien que la copie d’Audouin, comme on peut le de´duire de la correction du nume´ro du chapitre L 7 de l’exclusion des honneurs ] des honneurs P de l’exclusion des honneurs L 10 tentent ] la source porte tendent P tentent L 21 nous contre ] nous 〈d〉 contre P TR: 5–16 Combinet ... fonctions le´gislatives ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/5, pp. 9–10. 5–17 Combinez ... revetus. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 6, OCBC, Œuvres, IV, p. 540 ;  Re´flexions sur les constitutions, 4, pp. 67– 68, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1005. 5–20 Combinez ... salarie´es. ]  Principes de politique 20-p. 364.3 Je me crois ... succes(1815), 5, pp. 101–102, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 731. sifs. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 6, OCBC, Œuvres, IV, p. 541 ;  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 68, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1005–1006. 1 2

C’est le chap. 8, livre V (dans la nouvelle nume´rotation) de la Politique qui est a` consulter ici. (BC cite le passage 1308b – 1309a). Phrase a` rapprocher de la formule de Montesquieu : «Je me trouve fort dans mes maximes, lorsque j’ai pour moi les Romains.» Esprit des lois, livre VI, chap. 15, p. 325.

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circonstances difficiles, cette corruption a fait pour la couronne, et ce qu’ont fait ailleurs d’autres assemble´es largement paye´es, pour mille tyrans successifs. Dans une constitution libre, ou` les non proprie´taires ne posse`dent pas les droits politiques, c’est une contradiction outrageante que de repousser le peuple de la repre´sentation, comme si le riche seul devait le repre´senter, et de lui faire payer ses repre´sentans, comme si ses repre´sentans e´taient pauvres. Je n’aime pas les fortes conditions de proprie´te´, j’en ai dit ailleurs la raison1. L’inde´pendance est toute relative. Aussitot qu’un homme a le ne´cessaire, il ne lui faut que de l’e´le´vation d’ame pour se passer du superflu. Cependant il est de´sirable que les fonctions le´gislatives soient en ge´ne´ral occupe´es par des hommes opulens. Or en les de´clarant gratuites, on place la puissance dans la classe aise´e, sans refuser une chance e´quitable a` toutes les exceptions le´gitimes. Lorsque des e´molumens conside´rables sont attache´s aux fonctions le´gislatives, ces e´molumens deviennent l’objet principal. La me´diocrite´, l’ineptie et la bassesse n’appercoivent dans ces devoirs augustes qu’une mise´rable spe´culation de fortune, dont le succe`s leur est garanti par le silence et la servilite´. La corruption qui est le produit de vues ambitieuses est bien moins funeste que celle qui re´sulte de calculs ignobles. L’ambition est compatible avec mille qualite´s ge´ne´reuses, la probite´, le courage, le de´sinte´ressement, l’inde´pendance. L’avarice n’est compatible avec aucune de ces qualite´s. L’on ne peut e´carter les hommes ambitieux des emplois publics, e´cartons en du moins les hommes avides. Par la` nous diminuerons conside´rablement le nombre des concurrens, et ceux que nous e´loignerons seront pre´cise´ment les moins estimables. V: 16–17 le´gislatives ] la source porte le´gis latives P TR: 4–8 Dans une constitution ... pauvres. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 68, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1005 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 102, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 731.  Lectures a ` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/5, p. 11. 5–8 c’est une contradiction ... pauvres. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 6, OCBC, Œuvres, IV, pp. 539–540. 9–15 Je n’aime pas ... le´gitimes. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 6, OCBC, Œuvres, IV, p. 539 ;  Re´flexions sur les constitutions, 4, pp. 66–67, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1004–1005 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 100–101, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 730–731. 16–365.2 Lorsque des ... long tems. ]  16– De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 6, OCBC, Œuvres, IV, p. 541. 17 Lorsque des ... principal. ]  Principes de politique (1815), 5, p. 99, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 730. 20–27 La corruption ... estimables. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 69, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1006 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 102, OCBC, Œuvres, IX, 2, pp. 731–732.  Lectures a ` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/5, pp. 11–12. 1

Voir ci-dessus, chap. 9, pp. 349–350.

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13, Donner aux proprie´taires une grande influence politique

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Payer les repre´sentans du peuple, ce n’est pas leur donner un intereˆt a` bien remplir leurs fonctions, c’est les inte´resser a` les exercer long tems. Deux conditions sont ne´cessaires pour que les fonctions repre´sentatives puissent eˆtre gratuites. La premie`re c’est qu’elles soient importantes. Personne ne voudrait exercer gratuitement des fonctions pue´riles par leur insignifiance, ou qui seraient honteuses, si elles cessaient d’eˆtre pue´riles. Mais aussi dans une pareille constitution, mieux vaudrait qu’il n’y eut point de fonctions le´gislatives. La seconde condition, c’est que la re´e´lection soit possible inde´finiment1. L’impossibilite´ de la re´e´lection dans un gouvernement representatif, est sous tous les rapports, une grande erreur. La chance d’une re´e´lection, non interrompue, offre seule au me´rite une re´compense digne de lui, et forme chez un peuple une masse de noms imposans et respecte´s. Loin de tout peuple libre, et ces pre´juge´s honteux qui exigent des distinctions de naissance pour arriver aux emplois et les posse´der exclusivement, et ces loix prohibitives qui de´fendent au peuple de re´e´lire ceux qui n’ont pas perdu sa confiance. L’influence des individus ne se de´truit point par des institutions jalouses. Ce qui a` chaque e´poque subsiste librement de cette influence est toujours ne´cessaire. L’influence des individus diminue d’elle meˆme par la disse´mination des lumie`res. N’y meˆlons pas nos loix envieuses. Les individus perdent naturellement leur supre´matie, lorsqu’un plus grand nombre s’e´le`ve a` la meˆme hauteur. Ne de´posse´dons pas le talent par des exclusions arbitraires. Autant il y a dans les assemble´es d’hommes qui ne peuvent pas V: 6–8 mais aussi ... le´gislatives. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L libre ] 〈nous〉 tout peuple libre L

13 tout peuple

TR: 1–2 Payer ... long tems. ]  Principes de politique (1815), 5, p. 100, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 730. 3–8 Deux conditions ... le´gislatives. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 69, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1006 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 102–103, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 732. 4–8 La premie`re ... le´gislatives. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co3 252/5, pp. 12–13. 10–23 L’impossibilite´ ... arbitraires. ]  De la possibilite´ d’une 10–13 L’impossibilite´ ... constitution re´publicaine, VI, 5, OCBC, Œuvres, IV, p. 537. respecte´s. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 69, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1007 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 96, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 728–729. 17–19 L’influence ... ne´cessaire. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 70, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1007 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 96, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 729. 22–23 Ne de´posse´dons ... arbitraires. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, p. 70, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1007 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 96, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 729. 23-p. 366.21 Autant il y a ... long tems ! ]  Principes de politique (1815), 5, pp. 97–99, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 729–730. 23-p. 366.6 Autant il y a ... et sur. ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, pp. 70–71, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1007. 1

On consultera la Copie partielle des circonstances actuelles de Madame de Stae¨l, le chapitre «De la re´e´lection», OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 815–816.

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eˆtre re´e´lus, autant il y aura d’hommes faibles, qui voudront ou se concilier la faveur du pouvoir pour retrouver des de´dommagemens, ou se faire du moins le plus petit nombre d’ennemis possibles, pour vivre en paix dans leur retraite. Si vous mettez obstacle a` la re´e´lection inde´finie, vous frustrez le ge´nie et le courage de ce qui leur est duˆ. Vous pre´parez a` la laˆchete´ et a` l’ineptie un azyle commode et sur. Vous placez sur la meˆme ligne l’homme qui a brave´ tous les dangers, et celui qui a courbe´ sous le joug une teˆte avilie. La re´e´lection favorise les calculs de la morale. Ces calculs seuls ont un succe`s durable, mais pour l’obtenir, ils ont besoin du tems. Les hommes inte`gres, intre´pides, expe´rimente´s dans les affaires, ne sont pas tellement nombreux, qu’on doive repousser ceux qui ont de´ja me´rite´ l’estime ge´ne´rale. Les talens nouveaux parviendront aussi. La tendance du peuple est a` les acceuillir. Ne lui imposez a` cet e´gard aucune contrainte. Ne l’obligez pas, a` chaque renouvellement, a` choisir de nouveaux venus qui auront leur fortune a` faire, en fait d’amour propre, et qui voudront conque´rir la ce´le´brite´. Rien ne coute plus cher a` une Nation que les re´putations a` cre´er. Voyez l’amerique. Les suffrages du peuple n’ont cesse´ d’y entourer les fondateurs de la liberte´. Voyez l’Angleterre. Des noms illustre´s par des re´e´lections non interrompues, y sont devenus en quelque sorte une proprie´te´ populaire. Heureuses les nations qui pre´sentent de pareils exemples, et qui savent estimer long tems !

V: 16 ne coute ... a` une ] 〈n’est〉 ne coute plus cher 〈pour〉 a` une L TR: 9–21 Les hommes ... long tems ! ]  Re´flexions sur les constitutions, 4, pp. 71–72, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1008.

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Chape 14e De l’action du Gouvernement sur la proprie´te´.

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Le lecteur a pu remarquer que, parmi les conside´rations que nous avons alle´gue´es pour de´terminer le rang e´minent que doit occuper la proprie´te´ dans nos associations politiques, aucune n’a e´te´ puise´e dans la nature me´taphysique de la proprie´te´ meˆme. Nous ne l’avons conside´re´e que comme une convention sociale. Mais on a vu que cette opinion ne nous empeˆchait pas d’envisager la proprie´te´ comme une chose que la socie´te´ doit entourer de tous les remparts. Notre axiome est toujours qu’il vaudrait mieux ne pas e´tablir la proprie´te´, qu’en faire un sujet de lutte et de de´chiremens, et que ce danger ne peut etre e´vite´ qu’en lui donnant inviolabilite´ d’une part, et puissance de l’autre. Des conside´rations du meˆme genre nous guideront dans nos efforts pour de´terminer les limites de la jurisdiction sociale sur la proprie´te´. La proprie´te´, en sa qualite´ de convention sociale, est de la compe´tence et sous la jurisdiction de la socie´te´. La socie´te´ posse`de sur elle, des droits qu’elle n’a point sur la liberte´, la vie et les opinions de ses membres. Mais la proprie´te´ se lie intime´ment a` d’autres parties de l’existence humaine, dont les unes ne sont pas du tout soumises a` la jurisdiction collective, et dont les autres ne sont soumises a` cette jurisdiction que d’une manie`re limite´e. La socie´te´ doit en conse´quence restreindre sa jurisdiction sur la proprie´te´, parce qu’elle ne pourrait l’exercer dans toute son e´tendue, sans porter atteinte a` des objets qui ne lui sont pas subordonne´s. Il ne faut jamais que l’autorite´ sociale pour agir sur la proprie´te´ geˆne des droits qui sont inviolables. La socie´te´ doit restreindre encore sa jurisdiction sur la proprie´te´ pour ne pas donner aux individus l’intereˆt d’e´luder ses loix. Cet interet est facheux pour la morale, premierement, en ce qu’il entraine l’habitude de l’hypocrisie et de la fraude, et en second lieu, parce qu’il ne´cessite des encouragemens pour la de´lation. Nous avons traite´ ce sujet plus haut1. Mais comme cette remarque s’applique a` presque tous les objets sur lesquels l’autorite´ veut agir, il est impossible qu’elle ne se reproduise pas fre´quemment dans nos recherches. TR: 15–23 La proprie´te´ ... subordonne´s. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 224, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 801. 1

Voir ci-dessus, livre IV, chap. 2, pp. 179–181.

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Chape 15e Des loix qui favorisent l’accumulation de la proprie´te´ dans les meˆmes mains.

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Les loix sur la proprie´te´ peuvent eˆtre de deux espe`ces. Elles peuvent avoir pour but d’en favoriser l’accumulation, et de la perpe´tuer dans les meˆmes mains, dans les meˆmes familles ou dans des classes particulie`res. Telle est l’origine des domaines de´clare´s inalie´nables, de l’exemption des impots pour certaines castes, des substitutions a, du droit d’ainesse, enfin de toutes les coutumes fe´odales et nobiliaires. Ce systeˆme de le´gislation pris dans toute son e´tendue et dans la rigueur qu’il avait autrefois dans toute l’Europe, ote a` la proprie´te´ son vrai caracte`re et son plus grand avantage. Il en fait un privile`ge. Il de´she´rite la classe qui se trouve n’etre pas proprie´taire. Il transforme le hazard d’un moment, 7, fo 53ro

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[Add.] les Substitutions, dit Smith, III. 31. furent invente´es pour perpe´tuer un e´tat de choses qui e´toit par lui meˆme une grande calamite´, je veux dire, l’accumulation entre un tre`s petit nombre de conque´rans, d’une e´norme e´tendue de terres ne´cessairement incultes par la` meˆme, pour la plupart. cet e´tat de choses donne´, les Substitutions e´toient raisonnables. Il n’y avoit point de justice publique. la force e´tait la seule garantie contre la spoliation. la force ne se trouvoit que dans une proprie´te´ conside´rable, qui donnoit un certain nombre de Vassaux suffisans pour se de´fendre. morceler les proprie´te´s, C’e´toit livrer le proprie´taire a` l’invasion de ses voisins. les substitutions avoient donc un but raisonnable, dans la situation donne´e bien que cette Situation elle meˆme fut Vicieuse. Mais les Substitutions comme il arrive a` la plupart des institutions humaines ont surve´cu a` ce but. Les Substitutions, en tant que favorisant la perpe´tuite´ d’immenses proprie´te´s indivisibles, sont de´favorables a` l’agriculture. Un proprie´taire tre´s conside´rable ne´glige ne´cessairement une grande partie de ses proprie´te´s. Il ne faut que comparer, dit Smith, III. 2, les grandes terres qui sont reste´es sans interruption dans les meˆmes familles, depuis le tems de l’anarchie fe´odale, avec les possessions des petits proprie´taires des environs, pour juger, sans autre argument, combien les proprie´te´s trop e´tendues sont peu avantageuses pour la Culture. Il en est des proprie´te´s come des Etats. de trop petites proprie´te´s sont peu avantageuses, parce que le proprie´taire n’a pas le moyen de les bien cultiver. mais de trop grandes ne sont pas moins funestes, parce que le proprie´taire n’a ni l’interet ni le tems d’en surveiller toutes les parties e´galement. les substitutions enchainent les individus, et les ge´ne´rations, sans prendre en conside´ration les changemens qui peuvent survenir dans l’e´tat des uns et des autres.

V: 9 et ] ou L 1

BC se trompe. Il donne ici une paraphrase de quelques pages du livre III, chap. 2 des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, t. I, pp. 477–479.

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hazard que le moment d’apre`s aurait re´pare´, en une injustice permanente. Si le pays est commerc¸ant et industrieux, ce systeˆme de proprie´te´ le mine, parce qu’il force les individus par l’industrie et par le commerce, a` chercher un azyle et des proprie´te´s dans une contre´e plus hospitalie`re. Si le pays est purement agricole, ce systeˆme y introduit le despotisme le plus oppressif. Une oligarchie terrible se forme. Les paı¨sans sont re´duits a` la condition de serfs. Les proprie´taires eux meˆmes se corrompent par l’abus dont ils profitent. Ils prennent un esprit farouche et presque sauvage. Ils ont besoin, pour se maintenir, d’e´carter toute lumie`re, de repousser toute ame´lioration dans le sort du pauvre, de s’opposer a` la formation de cette classe interme´diaire, qui, re´unissant les avantages de l’e´ducation a` l’absence des pre´juge´s que l’e´tat de privile`gie´ entraine, est chez tous les peuples, de´positaire des ide´es justes, des connaissances utiles, des opinions de´sinte´resse´es et des espe´rances de l’humanite´. Il y a de nos jours peu de pays ou` ce systeˆme subsiste en entier. Mais presque partout on en trouve des vestiges qui ne sont pas sans inconve´niens. Les loix de ce genre, lorsqu’elles ne sont que partielles, ont meˆme un nouveau de´savantage. La classe a` laquelle l’acquisition de certaines proprie´te´s est interdite, s’irrite de cette exclusion, qui d’ailleurs est toujours accompagne´e d’autres distinctions humiliantes. Car un abus ne va jamais seul. Elle profite de ce qu’elle posse`de pour re´clamer les droits qu’on lui refuse. Elle encourage dans tous les nonproprie´taires le me´contentement et des opinions exage´re´es. Elle pre´pare des troubles, des luttes, des re´volutions dont tout le monde ensuite est victime. Dans les pays ou` ces loix oppressives subsistent encore dans toute leur rigueur, l’on a pre´tendu, comme on le fait toujours dans les cas pareils, que les classes qu’elles opprimaient, en reconnaissaient les avantages. L’on a dit que l’esclavage de la Gle`be, suite naturelle de ce systeˆme de proprie´te´, e´tait un bonheur pour les paysans, et l’on a cite´ des exemples. Des seigneurs qu’on pourrait soupconner d’hypocrisie, et qu’il faut tout au moins accuser d’impre´voyance, ont offert a` leurs vassaux de les affranchir : c’est a` dire ils ont propose´ a` des hommes abrutis par l’ignorance, sans industrie, sans faculte´s, sans ide´es, de prendre tout a` coup l’activite´ qui n’est l’attribut que des homes libres de renoncer aux secours que le despotisme leur accorde pour un temps avec parcimonie, mais que l’habitude leur fait pre´fe´rer aux V: 19 d’ailleurs est ] d’ailleurs 〈est〉 est P par BC dans la marge P manque dans L

33 de prendre ... eux-meˆmes, ] passage ajoute´

TR: 25-p. 370.16 Dans les pays ... consulte´s. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, I, 5, OCBC, Œuvres, IV, pp. 411–412.

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ress[ources] qu’ils trouvt en eux meˆmes, de quitter leurs champs et leurs cabanes, pour aller librement, avec leurs pe`res infirmes, et leurs enfans en bas aˆge, chercher une subsistance qu’ils n’avaient nul moyen de se procurer. Ces vassaux ont pre´fe´re´ les chaines sous le poid[s] des quel[l]es ils e´toient courbe´[s] depuis leur naissance, et l’on a cru pouv[oir] en conclure que l’e´tat de serf e´tait doux. Mais que prouve une pareille expe´rience ? Ce que nous savions, que pour donner la liberte´ a` des hommes, il ne faut pas les avoir de´grade´s par l’esclavage, au dessous de la condition humaine. Alors sans doute la liberte´ n’est qu’un pre´sent illusoire et funeste, comme le jour devient douloureux pour celui dont la vue est affaiblie par les te´ne´bres d’un cachot. Cette ve´rite´ s’applique a` tous les genres de servitude. Des hommes qui n’ont jamais connu les avantages de la liberte´, ont beau recevoir le joug avec enthousiasme : Re´cusez leur honteux et trompeur te´moignage. Ils n’ont pas le droit de de´poser dans une si sainte cause. Ecoutez sur la liberte´ ceux qui sont anoblis par ses bienfaits. Ce sont eux seuls qu’il faut entendre. Eux seuls doivent eˆtre consulte´s1. Tous les gouvernemens au reste travaillent aujourd’hui d’une manie`re digne d’e´loges, a` faire disparaitre les dernie`res traces de cette le´gislation barbare. Un prince surtout qui semble avoir porte´ sur le throˆne l’amour de l’humanite´ et de la justice, et qui met sa gloire, non pas a` faire reculer son peuple vers la barbarie, mais a` le pre´parer a` la liberte´ par l’instruction, Alexandre Ier encourage dans ses immenses e´tats l’affranchissement des Serfs et la disse´mination des proprie´te´s2. V: 4–5 les chaines ... conclure ] 〈leurs〉 les ce dernier mot dans l’interl. chaines, sous le poid desqueles ils e´toient courbe´s depuis leur naissance, cette incise dans l’interl. et ce dernier mot ajoute´ en fin de ligne l’on a cru pouv. ces quatre derniers mots dans l’interl. en 〈a〉 conclure la terminaison infinitive ajoute´e dans l’espacement ; corr. a. P leurs chaines, et l’on en a conclu L 1

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Hofmann (p. 236, n. 80) a de´couvert que ces dernie`res phrases de BC sont sans doute inspire´es de Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’ine´galite´ parmi les hommes : «Ce n’est donc pas par l’avilissement des Peuples asservis qu’il faut juger des dispositions naturelles de l’homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu’ont faits tous les Peuples libres pour se garantir de l’oppression. Je sais que les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouı¨ssent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant : mais quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance meˆme a` la conservation de ce seul bien si de´daigne´ de ceux qui l’ont perdu ; [...] je sens que ce n’est pas a` des Esclaves qu’il appartient de raisonner de liberte´.» (pp. 181–182). Les projets de re´forme du tsar Alexandre Ier se trouvent esquisse´s dans la lettre de Fre´de´ricCe´sar de La Harpe adresse´e le 16 octobre 1801 au tsar. Voir la Correspondance ge´ne´rale, t. I, Correspondance de Fre´de´ric-Ce´sar de La Harpe et Alexandre I er, publie´e par Jean Charles Biaudet et Franc¸oise Nicod, Neuchaˆtel : A la Baconnie`re, 1978, pp. 316–330. Les projets de re´forme ont e´te´ pre´sente´s dans la presse de l’e´poque.

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Il en est de l’inalie´nabilite´ des biens, comme de toutes les choses humaines. Elle avait un motif raisonnable a` l’e´poque ou` elle a pris naissance : Mais l’institution a surve´cu a` l’utilite´. Lorsqu’il n’y avait point de justice publique, et que la force e´tait la seule garantie contre la spoliation, cette force ne se trouvant que dans des proprie´te´s conside´rables, qui fournissaient de nombreux vassaux prets a` de´fendre leur maitre, l’inalie´nabilite´ des proprie´te´s e´tait un moyen de surete´. Aujourd’hui que l’Etat social est tout autre, cette inalie´nabilite´ est un mal pour l’agriculture, et c’est un mal inutile. Le possesseur de proprie´te´s tre`s conside´rables ne´glige ine´vitablement une grande partie de ses domaines. Il ne faut pour s’en convaincre, dit Smith, Rich. des Nat. liv. III. ch. 2, que comparer les grandes terres qui sont reste´es sans interruption dans la meˆme famille, depuis le tems de l’anarchie fe´odale, avec les possessions des petits proprie´taires qui les environnent. Il en est des proprie´te´s comme des Etats. Leur petitesse excessive les prive des moyens d’ame´lioration les plus efficaces. Leur excessive e´tendue les expose a` eˆtre administre´es avec le´ge´rete´, pre´cipitation et ne´gligence1. Celui qui veut vendre, prouve qu’il n’a pas les moyens ou la volonte´ d’ame´liorer. Celui qui veut acheter prouve qu’il a cette volonte´ et ces moyens. Les substitutions et tous les genres d’inalie´nabilite´ forcent les uns a` conserver ce qui leur est a` charge, en empechant les autres d’acque´rir ce qui leur serait avantageux. C’est une double perte pour la socie´te´, car l’ame´lioration des proprie´te´s est une richesse nationale. Nous devons observer en finissant cet article, que l’ordre des ide´es nous a force´s a` intervertir l’ordre des faits. Ce n’est point par des loix prohibitives de la disse´mination des proprie´te´s, que l’oligarchie fe´odale s’e´tablit, c’est par la conqueˆte, et c’est alors cette oligarchie qui, pour se perpe´tuer, a recours a` ces loix prohibitives. Ainsi l’on aurait tort de redouter un re´sultat semblable du gouvernement des proprie´taires. Ce gouvernement, lorsqu’il repose sur les principes que nous avons e´tablis plus haut2, reste fide`le a` ces principes, parce que les proprie´taires n’ont aucun intereˆt a` substituer a` la jouissance le´gitime que leur assure une proprie´te´ qu’ils sont certains de conserver, s’ils le veulent, des entraves qui n’ajouteraient rien a` leur jouissance, et qui geˆneraient leur volonte´. Nulle part le gouvernement des proprie´taires n’a produit le gouvernement fe´odal ; c’est le gouvernement fe´odal qui a corrompu le gouvernement proprie´taire. V: 24 a` ] mot re´crit sur 〈d’〉 P 1 2

BC cite ici, en le transformant, un passage des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, t. I, p. 479. Voir ci-dessus, le chap. pre´ce´dent, p. 367.

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Chapitre 16e Des loix qui forcent la disse´mination des proprie´te´s.

Les loix peuvent avoir une tendance oppose´e, et se proposer pour but la plus grande disse´mination possible des proprie´te´s. Tel est le motif avoue´ des loix agraires, du partage des terres, de l’interdiction des testamens et de cette foule de re´glemens destine´s a` empecher qu’on ne parvienne a` se jouer de ces loix. Cette action de l’autorite´, celle surtout qui porte sur la faculte´ de tester, (car les loix agraires sont suffisamment de´cre´dite´es) parait d’abord plus le´gitime et plus conforme aux principes de l’e´galite´ que l’action contraire. Mais elle est superflue. Elle veut forcer ce qui se ferait naturellement. La proprie´te´ tend a` se diviser. Si l’autorite´ la laisse a` elle seule, elle ne sera pas plutot acquise, que vous la verrez se disse´miner. La preuve en est dans les loix multiplie´es qui sont ne´cessaires sous tous les gouvernemens aristocratiques, pour la maintenir dans les meˆmes familles. L’accumulation des proprie´te´s est toujours une suite des institutions. Dela` re´sulte que le moyen le plus simple et le plus sur pour favoriser la disse´mination des proprie´te´s serait l’abolition de toutes les loix qui la contrarient. Mais comme les gouvernemens ne se contentent jamais d’actions ne´gatives, ils ont pour la plupart e´te´ beaucoup plus loin. Ils ont non seulement abroge´ des institutions vicieuses, mais combattu par des re´glemens positifs l’effet des habitudes, des souvenirs et des pre´juge´s qui pouvaient survivre a` ces institutions. Il est arrive´ ce qui naturellement doit arriver, lorsque l’autorite´ restreint arbitrairement la liberte´ des hommes. Les loix sur cette matie`re ont e´te´ e´lude´es. Il a fallu d’autres loix pour re´primer ces infractions. Dela` des entraves innombrables a` la mutation, a` la disposition, a` la transmission des proprie´te´s. Ces entraves ont entraine´ de nouveaux inconve´niens. Les hommes se sont accuse´s mutuellement de les avoir viole´es. L’avidite´ a trouve´ des armes dans ce qui e´tait destine´ a` re´primer l’avidite´. L’on a e´rige´ dans notre re´volution, une foule de pre´cautions de Circonstances en principes e´ternels. Les le´gislateurs qui s’imaginaient avoir les V: 10 que l’action contraire. ] ajoute´ dans la col. gauche L 15 meˆme ] ajoute´ dans la col. gauche L

12 seule ] meˆme L

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vues les plus profondes et les ide´es les plus e´tendues, ont toujours fixe´ leurs regards sur la possibilite´ d’une petite minorite´ re´fractaire : et ils ont pese´, pour l’atteindre, sur la totalite´ des franc¸ais. Le´gislateurs aveugles qui fesaient des loix, non pour leurs concitoyens, mais contre leurs ennemis ! Le´gislateurs insense´s, sous l’empire desquels la loi n’e´tait plus l’azyle de tous, mais une arme offensive contre quelques-uns ! L’on attaque sans cesse la liberte´ par des raisonnemens qui ne s’appliquent qu’a` la contrainte. Ainsi l’on a de nos jours employe´ contre la libre transmission des proprie´te´s, des argumens qui n’e´taient valables que contre les restrictions mises a` cette transmission par des loix anciennes. L’on a confondu la faculte´ de tester et le droit d’ainesse, tandisque le droit d’ainesse est au contraire l’envahissement et la destruction de la faculte´ de tester. Je ne m’arreˆterai point a` re´futer sur cette matie`re d’autres sophismes tire´s d’une me´taphysique obscure et abstraite. L’on a argue´ de l’ane´antissement qu’entraine la mort : l’on a pre´tendu qu’il e´tait absurde de laisser a` l’homme disposer des biens qui n’e´taient plus a` lui, et de preter une existence fictive a` sa volonte´, lorsqu’il avait cesse´ d’exister. Ces raisonnemens peˆchent par leur baze. Ils pourraient s’appliquer a` toutes les transactions des hommes : Car si leur volonte´ doit n’avoir plus d’effet, de`s que leur vie s’e´teint, les dettes a` long terme, les baux, toutes les ope´rations qui ne doivent s’accomplir qu’a` des e´poques de´termine´es et lointaines cesseraient de droit par la mort. La question des testamens fournit un exemple frappant, ce me semble, du bien que produirait quelque fois sans geˆne et sans effort l’absence de l’intervention de l’autorite´ sur un objet, tandis que ce bien n’est obtenu que d’une manie`re imparfaite, factice et geˆne´e par deux loix contradictoires. Les le´gislateurs de plusieurs peuples libres, conside´rant d’une part la disse´mination des proprie´te´s comme favorable a` la liberte´, et de l’autre, la puissance paternelle, comme ne´cessaire a` la morale, ont fait en conse´quence des loix pour mettre obstacle a` l’accumulation des proprie´te´s, et ils ont essaye´ mille institutions pour fortifier la puissance paternelle a. Or ces loix a

[Add.] l’on a voulu fortifier par des institutions la puissance paternelle, et l’on s’est appuye´, come pour toutes les ide´es impraticables, de l’exem ple des anciens1 ; chez les anciens, l’exce`s de la puissance paternelle, contre lequel d’autres philosophes ont largement de´clame´, n’e´tait pas un inconve´nient. De nos jours, la diminution le´gale de cette puissance, diminution que tant de moralistes de´plorent avec e´loquence, n’est pas non plus un tre´s grand

V: 21 toutes ] 〈d〉 toutes P 29 favorable ] la source porte favorables P justifier L fortifier ] mot partiellement re´crit sur justifier P justifier L 1

32 fortifier ]

BC renvoie ici aux discussions du Tribunat, ou` il est intervenu lui-meˆme dans la se´ance du 29 ventoˆse an VIII (20 mars 1800) avec un discours «sur le projet de loi relatif a` la faculte´ de tester». Voir OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 149–162.

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et ces institutions se sont combattues re´ciproquement, et leur double but a e´te´ manque´. Les proprie´te´s n’ont pas subi la disse´mination qui e´tait dans la volonte´ le´gislative, parceque les pe`res jaloux de la pre´rogative qu’on leur disputait, ont appele´ a` leur aide toutes les fraudes qui pouvaient favoriser ou leurs affections particulie`res, ou ce penchant naturel a` l’homme d’e´luder les re´glemens qui le blessent. La puissance paternelle n’en a pas e´te´ moins affaiblie, parceque les fils, fiers des droits e´gaux que la loi leur donnait, ont regarde´ comme des artifices coupables les tentatives des pe`res pour leur de´rober en partie la jouissance de ces droits. Si le le´gislateur s’e´tait abstenu de tout commandement a` cet e´gard, la puissance paternelle aurait trouve´ dans la liberte´ de tester, un appui solide ; et la disse´mination des proprie´te´s aurait eu dans l’e´quite´ paternelle qui ne rencontre, quoiqu’on en dise, que peu d’exceptions, une garantie bien plus assure´e, que dans toutes les pre´cautions des loix positives. Mais les gouvernemens, lorsqu’ils pensent qu’il est de leur devoir, comme de leur gloire, de se proposer sur tous les objets un but utile, font des loix partielles qui se contrarient, se neutralisent, et n’ont d’autre effet que la vexation. mal. la conciliation de ces deux assertions, contradictoires en apparence, se trouve dans les diffe´rences qui existent entre les anciens et nous. V. Liv. XVI. Il n’est pas douteux ne´anmoins que les secousses Re´volutionnaires n’ayent trop diminue´ la puissance paternelle. Mais pour reme´dier a` cet abus, il faut, non pas e´tablir, mais de´truire des institutions. Abrogez vos loix prohibitives sur les testamens une plus grande liberte´ accorde´e aux pe`res re´tablira leur puissance. e´loignez les entraves : les inconve´niens disparaitront. C’est en vous me´lant de tout que vous les accumulez, et vous vous en plaignez ensuite, et vous croyez reme´dier par un plus grand nombre de loix aux inconve´niens qui ne re´sultent que de ce qu’il y a de´ja trop de Loix. tous les avantages de la puissance paternelle tiennent a` ce que cette puissance est purement naturelle et morale. Si vous la fesiez le´gale, vous la de´natureriez. Il ne faut pas que les loix la combattent, mais il ne faut pas qu’elles s’en meˆlent. elle existe inde´pendamment des Loix et doit continuer d’exister ainsi. y porter atteinte est injuste. vouloir y ajouter est inutile, et tout ce qui est inutile en le´gislation devient funeste. laissez aux pe`res la Disposition de leurs biens et l’e´ducation de leurs enfans. Du reste ne meˆlez pas l’autorite´ grossie`re a` la nature inde´pendante et de´licate. Ce que vous croyez sanctionner, vous le corrompez. vous gaˆtez ce que vous essayez d’ame´liorer. la puissance paternelle est ne´cessairement arbitraire. une telle puissance est bonne quand elle existe par la nature. elle serait funeste, si elle existoit par la loi. la puissance paternelle nous offre un exemple de ce que nous disons sans cesse, que la plupart du tems l’abolition d’une loi produirait plusieurs avantages qui paraissent tout a` fait e`trangers les uns aux autres, et pour chacun desquels on fait se´parement une multitude de loix qui ont de nouveau leurs inconve´niens particuliers. l’abolition de toute substitution d’un cote´, la liberte´ entie`re de tester de l’autre, c’est a` dire deux retranchemens produiraient a` la fois le re´tablissement de la puissance paternelle, et la re´partition plus e´gale des fortunes, avantages auxquels on croit arriver par des loix positives, auxquels on n’arrive qu’imparfaitement, et que l’on ache`te par des inconve´niens multiplie´s, tandis que l’absence de deux loix positives les produirait bien plus surement, en meˆme tems que cette absence, de´livrant la liberte´ individuelle de quelques entraves de plus, et otant par conse´quent aux homes quelques occasions de violer la loi, serait par cela seul un grand bien.

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Les restrictions mises a` la libre disposition des proprie´te´s, apre`s la mort des proprie´taires, ont l’inconve´nient que nous avons releve´ dans tant d’autres loix, celui d’inviter a` la fraude, de n’exister que pour se voir e´lude´es, de ne´cessiter l’inquisition, la de´fiance et la de´lation. Mais elles ont cet inconve´nient de plus, que les vices qu’elles entrainent, pe´ne´trent jusques dans les familles. Ce ne sont plus uniquement les citoyens, mais les parens qui sont arme´s les uns contre les autres. Vous empoisonnez les relations non seulement de la socie´te´, mais de la nature : les pe`res n’en sont pas moins injustes, mais ils sont de mauvaise foi. Les enfans autorise´s a` l’ingratitude, se croyent autorise´s de meˆme a` une sorte d’inspection sur les actions de leurs pe`res. Le sanctuaire domestique qui devrait eˆtre l’azyle du calme et des affections paisibles devient le the´atre honteux d’une lutte intestine entre l’inde´pendance filiale qui s’appuye des loix, pour exercer une surveillance injurieuse, et le ressentiment paternel qui punit cette surveillance en s’efforc¸ant d’e´luder les loix. La jurisdiction le´gitime de l’autorite´ sur la transmission des proprie´te´s se resserre dans des bornes tre`s e´troites. Il faut qu’elle la garantisse et la laisse libre, qu’elle e´tablisse des formes pour constater la volonte´ ve´ritable des possesseurs, sans imposer a` cette volonte´ des restrictions ou des entraves. Tole´rez les injustices partielles, elles sont ine´vitables parmi les hommes, mais elles sont beaucoup moins fre´quentes que vous n’aimez a` le croire pour vous donner des pre´textes d’action perpe´tuelle. Si vous voulez y porter reme`de, vous vous lancerez dans une carrie`re infinie, vous vous y agiterez vainement, et sans re´ussir a` mettre obstacle aux injustices des individus, vous arriverez seulement a` eˆtre injustes vous meˆmes. Toutes les fois qu’un abus existe, le reste des institutions sociales le favorise. Ne pouvant le de´truire, elles lui font place, et se grouppent, pour ainsi dire, autour de lui. La faculte´ de tester se ressentait autrefois des privile`ges he´re´ditaires ; mais elle ne s’en ressentait, que parce qu’elle lui e´tait sacrifie´e. Lorsque des institutions ont fait du mal, et que ce mal se prolonge apre`s que ces institutions sont de´truites, il vaut mieux tole´rer les inconve´niens cause´s par le souvenir de ces institutions de´fectueuses, que de s’empresser d’y porter remede par d’autres institutions qui auraient aussi des inconve´niens qu’on ne pre´voit pas. Les meˆmes calculs qui ont motive´ les restrictions a` la libre transmission des proprie´te´s, ont conduit les gouvernemens aux impots progressifs, aux emprunts force´s, aux taxes dirige´es uniquement contre les classes opulentes. Mais ces mesures sont tellement re´prouve´es par l’expe´rience, qu’il est V: 30 sacrifie´. ] 〈confie´〉 sacrifie´. L

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presque superflu d’en de´montrer l’inutilite´ et le danger. Elles sont en opposition directe avec la tendance actuelle des socie´te´s. Elles condamnent la richesse au mensonge. Elles la mettent en hostilite´ avec les institutions. Or, quoi de plus pernicieux et de plus absurde que d’exciter la guerre entre le pouvoir social et la richesse, puissance plus disponible dans tous les instans, plus applicable a` tous les interets, et par conse´quent bien plus re´elle et mieux obe´ie ! Le pouvoir menace ; la richesse re´compense : On e´chappe au pouvoir en le trompant. Pour obtenir les faveurs de la richesse, il faut la servir. Celle-ci doit l’emporter. C’est a` tort d’ailleurs que l’on imagine que le pauvre gagne a` ce qui est ainsi enleve´ au riche. Celui qui n’a pas, de´pendra toujours, quoiqu’on fasse, de celui qui a. Si vous inquie´tez le riche, il se livrera moins a` ses gouts, a` ses spe´culations, a` ses fantaisies ; il retirera, le plus possible, sa proprie´te´ de la circulation, et le pauvre s’en ressentira.

TR: 5–9 la richesse ... l’emporter. ]  passe, en ajoutant apre`s «la richesse» les mots «est une» dans De l’esprit de conqueˆte, II, 19, p. 194, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 675.

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[Addition] Ch[apitre] 17 a. Suites des atteintes porte´es a` la proprie´te´ par le gouvernement. Mate´riaux.

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Nous ne parlons point ici des confiscations et autres attentats politiques contre la proprie´te´1. on ne peut conside´rer ces violences comme des pratiques usite´es par les gouvernemens re´guliers. elles sont de la nature des coups d’Etat, et de toutes les mesures arbitraires, dont nous avons ci-dessus examine´ les conse´quences. c’est donc contre les coups d’Etat, contre les mesures arbitraires qu’il faut s’e´lever. les confiscations n’en sont qu’une partie, et une partie inse´parable. quand on ne respecte pas la vie et la liberte´ des hommes, coment pourroit-on respecter leurs biens ? les Spoliations dont nous nous occupons dans ce chapitre sont celles que les Gouvernemens se permettent pour diminuer leurs Dettes, ou accroˆitre leurs ressources, tantot sous le pre´texte de la ne´cessite´, quelquefois sous celui de la justice, toujours en alle´guant l’interet de l’Etat. car de meˆme que les apotres zeˆle´s de la souverainete´ du peuple pensent que la liberte´ publique gagne aux entraves mises a` la liberte´ individuelle, les financiers de nos jours semblent croire que l’e´tat s’enrichit de la ruine des Individus b. Ces atteintes a` la proprie´te´ se divisent en deux classes. a b

a` faire2. honneur a notre Gouvt qui se les est interdites par un article positif de notre acte constitutionel3 !

V: 23–24 honneur ... constitutionnel ! ] note ajoute´e dans l’espace libre a` la fin de l’aline´a, e´criture tre`s serre´e P TR: 5 Mate´riaux ] en partie tire´ du  Discours au Tribunat, 28 ventoˆse an IX, OCBC, 6-p. 378.9 Nous ne ... particuliers. ]  Re´flexions sur les consŒuvres, IV, pp. 265–291. titutions, note Z, CPC, I, pp. 383–386, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1265–1266. 1

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Le chapitre 17 e´bauche´ ici correspond probablement aux chapitres 17 et 18 projete´s dont nous trouvons les titres sur la feuille de garde du livre X du manuscrit de Lausanne : «Ch. 17. Des atteintes porte´es a` la proprie´te´ par les gouvernements» et «Ch. 18. Des actes d’autorite´ relativement aux dettes publiques» (Hofmann, p. 197). Ce dernier sujet est aborde´ dans le chapitre 17 actuel dans une note base´e sur un chapitre de L’Esprit des lois (voir ci-dessous, p. 383, n. a). Au chapitre 19 projete´, mais reste´ sans titre sur la feuille de garde du ms. de Lausanne, correspond par conse´quent le chapitre 18 actuel qui ne devait contenir que la conclusion ge´ne´rale de ce livre. Il ne s’agit pas d’une note a` proprement parler. BC a place´ cette phrase en teˆte des mate´riaux re´unis ici pour re´diger le chapitre. Cette note appartient au travail de re´daction du texte des Principes de politique de 1815. BC

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Je mets dans la premie`re les Banqueroutes partielles ou totales, la re´duction des Dettes nationales, soit en capitaux, soit en Interets, le payement de ces Dettes en effets d’une valeur infe´rieure a` leur valeur nominale, l’alte´ration des Monnoyes, les retenues, les arrie´re´s &ca. Je comprends dans la seconde les actes d’autorite´ contre les hommes qui ont traite´ avec les gouvernemens, pour leur fournir les objets ne´cessaires a` leurs entreprises militaires et civiles, les Loix ou Mesures re´troactives contre les Enrichis, les Chambres ardentes, l’annullation des contrats, des concessions, des Ventes faites par l’Etat a` des particuliers. L’on a eu recours a` une grande varie´te´ de de´nominations pour de´signer ces choses. les obscurite´s du langage, remarque un auteur anglais, (Bentham I. 348.), ont servi aux financiers pour tromper les Simples. Ils ont dit, par exemple, une retenue et non pas un vol1. Il est assez curieux d’observer que le meˆme artifice a servi aux Le´gislateurs qui ont fait des loix manifestement injustes. les Emigre´s, durant la Re´volution francaise e´toient punis par la mort et la confiscation de leurs biens. quand on a voulu traiter de meˆme les de´porte´s, c’est a` dire des hommes que l’on forc¸oit a` quitter leur patrie tandis qu’on en punissoit d’autres pour l’avoir quitte´e, on a dit simplement qu’ils e´toient assimile´s aux e´migre´s, ce qui e´loignoit le mot et ce qui e´tendait la chose2. comme toutes les injustices ont un fond d’analogie entr’elles, Il y a aussi de l’analogie dans le langage de toutes les injustices. De`s qu’une Dette nationale existe, Il n’y a qu’un moyen d’en adoucir les effets nuisibles, c’est de la respecter scrupuleusement. on lui done de la sorte une stabilite´ qui l’assimile, autant que le permet sa nature, aux autres genres de proprie´te´. On ne peut admettre comme un moyen de diminuer les mauvais effets des Dettes publiques, celui de ne les pas payer. ce serait vouloir combattre un mal ine´vitable par un mal inutile et plus grand encore. la mauvaise foi ne peut jamais eˆtre un reme`de a` rien. loin d’atteindre le but de´sire´, l’on ajouterait aux conse´quences immorales d’une proprie´te´ qui donne a` ses posses-

V: 4 arrie´re´s &ca. ] arrie´re´s 〈et tous les actes d’autorite´ car〉 &ca. P TR: 23-p. 382.33 De`s qu’une Dette ... fide´lite´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, p. 387–395, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1267–1271.

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pense e´videmment a` l’Acte additionnel, titre VI, art. 63 : «Toutes les proprie´te´s posse´de´es ou acquises en vertu des lois, et toutes les cre´ances sur l’E´tat, sont inviolables.» (OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 621). Bentham, Traite´s de le´gislation, Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, chap. 21, «Plan d’un Code de Finance», p. 348. Citation avec quelques coupures. Allusion non e´lucide´e.

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seurs des interets diffe´ rens de ceux de la Nation dont ils font partie, les conse´quences plus funestes encore de l’incertitude et de l’arbitraire. l’arbitraire et l’incertitude sont les premie`res causes de ce qu’on a nomme´ l’agiotage. Il ne se de´veloppe jamais avec plus de force et d’activite´ que lorsque l’e´tat viole ses engagemens. tous les Citoyens sont force´s alors a` chercher dans le hazard des spe´culations quelques de´dommagemens aux pertes que l’autorite´ leur fait e´prouver. Toute distinction entre les Cre´anciers, entre les cre´ances, toute inquisition dans les transactions des individus, toute recherche de la route que les effets publics ont suivie, des mains qu’ils ont traverse´e jusqu’a` leur e´che´ance, est une banqueroute. un gouvernement contracte des dettes, et donne en payement ses effets a` des hommes auxquels il doit de l’argent. ces hommes sont force´s de vendre les effets qu’il leur a donne´s. sous quel pre´texte partirait-il de cette vente, pour contester la valeur de ces effets ? plus il contestera leur valeur, plus ils perdront. Il s’appuyera sur cette de´pre´ciation nouvelle, pour ne les recevoir qu’a` un prix encore plus bas. cette double progression, re´agissant sur elle meˆme, re´duira bientot le cre´dit au ne´ant, et les particuliers a` la ruine. Le cre´ancier originaire a pu faire de son titre ce qu’il a voulu. s’il a vendu sa cre´ance, la faute n’en est pas a` lui, que le besoin y a force´, mais a` l’e´tat qui ne le payoit qu’en effets, qu’il s’est vu re´duit a` vendre. s’il a vendu sa cre´ance a` vil prix, la faute n’en est pas a` l’Acheteur, qui l’a achete´e avec des chances de´favorables ; la faute en est encore a` l’Etat qui a cre´e´ ces chances de´favorables. car la cre´ance vendue ne serait pas tombe´e a` vil prix, si l’Etat n’avoit pas inspire´ la de´fiance. En e´tablissant qu’un effet baisse de valeur, en passant dans la seconde Main, a` des conditions quelconques que le Gouvernement doit ignorer, puisqu’elles sont des stipulations libres et inde´pendantes, vous faites de la Circulation qu’on a regarde´es toujours comme un moyen de richesse une cause d’appauvrissement. coment justifier cette politique, qui refuse a` des Cre´anciers ce qu’elle leur doit, et de´cre´dite ce qu’elle leur donne ? De quel front Les Tribunaux condamnent-ils le De´biteur, cre´ancier lui meˆme d’une autorite´ banqueroutie`re ? Eh quoi ! traine´ dans un cachot, de´pouille´ de ce qui m’appartenoit, parce que je n’ai pu satisfaire aux Dettes que j’ai contracte´es sur la foi publique, Je passerai devant le Palais d’ou sont e´mane´es les loix Spoliatrices. d’un cote´ Sie´gera le pouvoir qui me de´pouille, de l’autre les Juges qui me punissent d’avoir e´te´ de´pouille´. Tout payement nominal est une banqueroute. toute e´mission d’un papier qui ne peut eˆtre a` volonte´ converti en nume´raire, toute alte´ration de la V: 1 diffe´rens ] la source porte diffe´- BC ayant oublie´ d’e´crire la dernie`re syllabe en allant en nouvelle page P ils font ] la source porte il fait P 3 et ] re´crit sur un mot illis. P 29 regarde´e ] la source porte regarde´es P richesse ] richesse〈s〉 P

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valeur des monnoyes sont des Actes de faux. les gouvernemens qui recourent a` ces expe´diens coupables ne sont autre chose que des faussaires arme´s du pouvoir public a. L’autorite´ qui paye un Citoyen en valeurs suppose´es, le force a` des payemens de meˆme nature. pour ne pas fle´trir des ope´rations et les rendre impossibles, Elle est oblige´e de le´gitimer toutes les ope´rations semblables. en cre´ant la ne´cessite´ pour quelques uns, elle fournit a` tous l’excuse. l’e´goı¨sme, bien plus subtil, plus adroit, plus prompt, plus diversifie´ que l’autorite´, s’e´lance au signal donne´. Il de´concerte toutes les pre´cautions, par la rapidite´, la complication, la varie´te´ de ses fraudes : quand la corruption peut se justifier par la ne´cessite´, elle n’a plus de bornes. Si le gouvernement veut mettre une diffe´rence entre ses transactions et les transactions des Individus, l’injustice n’en est que plus scandaleuse. Les Cre´anciers d’une Nation ne sont qu’une partie de cette nation. quand on met des impots pour acquitter les Interets de la Dette publique, c’est sur la nation entie`re qu’on la fait peser : car les Cre´anciers de l’Etat, comme contribuables payent leur part de ces impots. par une Banqueroute, au contraire, on rejette la dette sur les Cre´anciers seuls. c’est donc conclure, de ce qu’un poids est trop fort pour eˆtre supporte´ par tout un peuple, qu’il sera supporte´ plus facilement par le Quart ou par le huitie`me de ce peuple. Toute re´duction force´e est une banqueroute. Vous avez traite´ avec des Individus, d’apre`s des conditions que vous avez librement offertes. Ils ont rempli ces conditions. Ils vous ont livre´ leurs Capitaux. Ils les ont retire´s des branches d’industrie qui leur promettoient des be´ne´fices : vous leur devez tout ce que vous leur avez promis. l’accomplissement de vos promesses est l’indemnite´ le´gitime des sacrifices qu’ils ont faits, des risques qu’ils ont courus. que si vous regrettez d’avoir propose´ des conditions one´reuses, la faute en est a` vous et nullement a` ceux qui n’ont fait que les accepter. la faute en est doublement a` vous. car ce qui a surtout rendu vos conditions one´reuses, ce sont vos infide´lite´s ante´rieures. Si vous aviez inspire´ une confiance entie`re, vous auriez obtenu de meilleures conditions. Si vous re´duisez la dette d’un quart, qui vous empeˆche de la re´duire d’un tiers, des neuf dixie`mes, ou de la totalite´ ? quelles garanties pourrez vous donner a` vos cre´anciers ou a` vous meˆme ? le premier pas en tout genre rend le second plus facile. Si des principes se´ve´res vous avoient astreint a` l’accomplissement de vos promesses, vous auriez cherche´ des ressources dans l’ordre et l’e´conomie. mais vous avez essaye´ celles de la fraude. vous avez a

Say, II. 51.

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BC fait une paraphrase du livre II, chap. V de Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique t. I, pp. 449–465.

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admis qu’elles sont a` votre usage. elles vous dispensent de tout travail, de toute privation, de tout effort. Vous y reviendrez sans cesse, car vous n’avez plus pour vous retenir, la conscience de l’inte´grite´. Tel est l’aveuglement des gouvernemens, lorsqu’ils abandonnent la route de la justice, qu’il en est qui se sont imagine´s qu’en re´duisant leur Dette par un acte d’autorite´, Ils ranimeroient le cre´dit qui sembloit de´choir. Ils sont parti d’un principe mal compris, qu’ils ont mal applique´. Ils ont pense´ que, moins ils devroient, plus ils inspireroient de confiance, parce qu’ils seroient plus en e´tat de payer leurs Dettes. mais ils ont confondu l’effet d’une libe´ration le´gitime et l’effet d’une Banqueroute. Il ne suffit pas qu’un De´biteur puisse satisfaire a` ses engagemens, il faut encore qu’il le veuille ou qu’on ait les moyens de l’y forcer. or un gouvernement qui profite de son autorite´ pour annuller une partie de sa Dette, prouve qu’il n’a pas la volonte´ de payer. Ses cre´anciers n’ont pas la faculte´ de l’y contraindre. qu’importent donc ses ressources ? Il n’en est pas d’une Dette publique comme des Denre´es de premie`re ne´cessite´ ou de besoin habituel. moins Il y a de ces denre´es, plus elles ont de valeur. C’est qu’elles ont une valeur intrinse`que, et que leur valeur relative s’accroit par leur rarete´. la valeur d’une dette au contraire ne de´pend que de la fide´lite´ du de´biteur. e´branlez la fide´lite´, la valeur est de´truite. vous avez beau re´duire la dette a` la moitie´, au quart, au huitie`me. Ce qui reste de cette dette n’en est que plus de´cre´dite´. personne n’a besoin ni envie d’une Dette que l’on ne paye pas. quand il s’agit des particuliers, la puissance de remplir leurs engagemens, est la condition principale, parce que la loi est plus forte qu’eux. mais quand il est question des gouvernemens, la condition principale est la volonte´. Il est un autre genre de banqueroute, sur lesquelles les gouvernemens semblent se faire encore moins de scrupule. engage´s, soit par ambition, soit par imprudence, soit par une activite´ indiscre`te dans des entreprises inutiles, Ils contractent, avec des comercans, pour les objets ne´cessaires a` ces entreprises. leurs traite´s sont de´savantageux. cela doit eˆtre. les interets d’un gouvernement ne peuvent jamais eˆtre de´fendus avec autant de ze`le que les interets particuliers. c’est la destine´e commune a` toutes les transactions sur lesquelles les parties ne peuvent pas veiller elles meˆmes, et c’est une destine´e ine´vitable. alors l’autorite´ prend en haine des homes qui n’ont fait que profiter du be´ne´fice inhe´rent a` leur situation. elle encourage contr’eux les de´clamations et les calomnies. elle exage´re ses propres pertes, c. a` d. sa propre ineptie, et parce qu’elle a e´te´ ignorante et inepte, elle se croit le droit d’eˆtre violente et injuste. elle annule ses marche´s, elle retarde ou refuse les payemens qu’elle a promis. elle prend des mesures ge´ne´rales, qui, pour atteindre quelques suspects, enveloppent sans examen toute une classe. pour

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pallier cette iniquite´, l’on a soin de repre´senter ces mesures, come frappant exclusivement ceux qui sont a` la teˆte des entreprises dont on leur enle`ve le salaire. on excite contre quelques noms odieux ou fle´tris, l’animadversion du peuple. mais les hommes que l’on de´pouille ne sont pas isole´s. Ils n’ont pas tout fait par eux meˆmes. ils ont employe´ des artisans, des manufacturiers, qui leur ont fourni des valeurs re´elles. c’est sur ces derniers que retombe la spoliation qu’on semble n’exercer que contre les autres ; et ce meˆme peuple, qui, toujours cre´dule, applaudit a` la destruction de quelques fortunes, dont l’e´normite´ pre´tendue l’irrite, ne calcule pas que toutes ces fortunes, reposant sur des travaux dont il avoit e´te´ l’instrument, tendaient a` refluer jusqu’a´ lui, tandis que leur destruction lui enle`ve a` lui meˆme le prix de ses propres travaux. Les gouvernemens ont toujours un besoin plus ou moins grand d’hommes qui traitent avec eux. un gouvernement ne peut acheter au comptant, comme un particulier. Il faut, ou qu’il paye d’avance, ce qui est impraticable, ou qu’on lui fournisse a` cre´dit les objets dont il a besoin. si l’on maltraite les fournisseurs, qu’arrive-t-il ? que les homes honneˆtes se retirent, ne voulant pas faire un meˆtier fle´tri d’avance. les fripons seuls se pre´sentent, et pre´voyant qu’on les payera mal, Ils se payent par leurs propres mains. un gouvernement est trop lent, trop entrave´, trop embarasse´ dans ses mouvemens, pour suivre les calculs de´lie´s et les manœuvres rapides de l’Interet individuel. nous avons vu des gouvernemens vouloir lutter de corruption avec les particuliers, mais celle de ces derniers e´toit toujours la plus habile. la seule politique de la force, c’est la loyaute´. Le premier effet d’une de`faveur jete´e sur un genre de commerce, c’est d’en e´carter tous les commerc¸ans que l’avidite´ ne se´duit pas. le premier effet d’un systeˆme d’arbitraire, c’est d’inspirer a` tous les hommes honneˆtes le de´sir de ne pas rencontrer cet arbitraire, et d’e´viter les transactions qui pourraient les mettre en rapport avec cette terrible puissance. Les Economies fonde´es sur la violation de la foi publique ont trouve´ dans tous les pays leur chatiment infaillible, dans les Transactions qui les ont suivies. l’interet de l’iniquite´, malgre´ ses re´ductions arbitraires et ses loix violentes, s’est paye´ toujours au centuple de ce qu’aurait paye´ la fide´lite´. Les Gouvernemens perdent tout cre´dit par les re´ductions force´es des dettes publiques. Ils e´branlent la valeur de leurs Cre´ances, en les e´valuant d’apre´s la perte qu’elles e´prouvent. alors leurs propres ne´gotiations deviennent ruineuses. par l’alte´ration des monnoyes, Ils perdent comme cre´anciers

V: 5 eux ] re´pe´te´ en allant en nouvelle page P 〈puissance〉 P

24 force ] dans l’interl. au-dessus de

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des contribuables et dans leurs achats ce qu’ils gagnent comme De´biteurs a. en traitant injustement les fournisseurs, Ils font que les honneˆtes gens se retirent, et Ils ne trouvent a` ne´gocier qu’avec les fripons b. enfin, en de´truisant le cre´dit, Ils mettent contr’eux les Cre´anciers de l’Etat, dela` les Re´volutions. En Angleterre, depuis 1688, les Engagemens de l’Etat ont toujours e´te´ sacre´s. aussi les Cre´anciers de l’Etat sont une des Classes les plus inte´resse´es au maintien du gouvernement. en France, sous la Monarchie, les violations de la foi publique ayant e´te´ fre´quentes, les cre´anciers de l’Etat, a` la premie`re annonce du De´ficit, se montre`rent ardens pour une re´volution. Chacun crut voir sa surete´ a` oter au Souverain l’administration des Finances, et a` la de´poser dans un Conseil National. Benth. princ. du Code civil1. L’arbitraire sur la proprie´te´ est bientot suivi de l’arbitraire sur les personnes. 1o parce que l’arbitraire est contagieux. 2o parce que la violation de la proprie´te´ provoque naturellement la re´sistance. l’autorite´ se´vit alors contre l’opprime´ qui re´siste, et parce qu’elle a voulu lui ravir son bien, elle est conduite a` porter atteinte a` sa liberte´. Ajoutez qu’en jetant les hommes dans l’incertitude sur ce qu’ils posse´dent, vous les excitez a` envahir ce qu’ils ne posse´dent pas. Sans la se´curite´, a

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Il y a des raisonnemens de Montesquieu qu’on ne conc¸oit pas qu’il se soit permis : c’est surtout quand il traite de l’industrie, du commerce, et des Monnoyes. la Re´publique Romaine, dit-il, ne se trouvait pas en e´tat d’acquitter ses dettes. elle fit des as de cuivre. elle gagna une moitie´ sur ses cre´anciers. cette ope´ration donna une grande secousse a` l’Etat. il falloit la donner la moindre qu’il e´toit possible. elle avoit pour but la libe´ration de la Re´publique envers ses cre´anciers. Il ne falloit donc pas qu’elle eut celui de la libe´ration des citoyens entr’eux. cela fit faire une seconde ope´ration. l’on ordonna que le denier qui n’avoit jusques la` e´te´ que de six as en contiendroit seize. Il re´sulta que pendant que les Cre´anciers de la Re´publique perdoient la moitie´, ceux des particuliers ne perdoient qu’un cinquie`me, &ca. Esprit des Loix. Liv. XXII. ch. 11. mais avec quoi les Cre´anciers de la Re´publique paye`rent ils leurs propres Cre´anciers ? V. sur l’injustice des Re´vocations, annullations de traite´s, &ca. Ganilh. I. 3032.

V: 18 jettant ] re´crit sur un mot illis. P TR: 13–17 L’arbitraire ... liberte´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, p. 383, 19-p. 384.3 Sans ... Spoliation. ]  Re´flexions sur les OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1265. constitutions, note Z, CPC, I, pp. 384–385, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1265–1266. 1

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Bentham, Traite´s de le´gisation, Principes du code civil, Premie`re partie, chap. 15, «Exemples de quelques atteintes a` la suˆrete´». BC cite des morceaux et re´sume le texte de Bentham : «En Angleterre, depuis la re´volution, les engagemens de l’E´tat ont toujours e´te´ sacre´s» [...] «Lorsque de nos jours l’annonce d’’un de´ficit alarma tous les cre´anciers de l’E´tat, cette classe si inte´resse´e en Angleterre au maintien du Gouvernement, se montra en France ardente pour une re´volution». (t. II, pp. 78 et 79). BC renvoie ici a` Charles Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de

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l’e´conomie devient duperie, et la mode´ration imprudence. lorsque tout peut eˆtre enleve´, il faut conque´rir le plus qu’il est possible, parce qu’on a plus de chances de soustraire quelque chose a` la Spoliation a. Lorsque tout peut eˆtre enleve´, Il faut de´penser le plus qu’il est possible, parce que tout ce qu’on de´pense est autant d’arrache´ a` l’arbitraire b. Les Rois, dit Louis XIV, dans ses Me´moires1, sont Seigneurs absolus, et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens de leurs sujets. mais quand les Rois se regardent come Seigneurs absolus de tout ce que posse´dent leurs sujets, les sujets enfouı¨ssent ce qu’ils posse`dent ou le dissipent. s’ils l’enfouı¨ssent, c’est autant de perdu pour l’agriculture, pour le Comerce, pour l’industrie, pour tous les genres de prospe´rite´. s’ils le prodiguent pour des jouı¨ssances frivoles, grossie´res et improductives, c’est encore autant de de´tourne´ des emplois utiles et des spe´culations reproductrices. Louis XIV croı¨oit dire une chose bien favorable a` la richesse des Rois : Il disoit une chose qui devoit ruiner les Rois en ruinant les peuples. a

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les homes s’habituent a` reconque´rir rapidement ce qui peut leur eˆtre enleve´ rapidement. Ils s’efforcent de ressaisir par la ruse ce que leur arrache la violence. dans un pareil ordre de choses, dit Bentham, Princ. du Code civil, ch. 11, Il n’y auroit qu’un parti sage pour les gouverne´s, celui de la prodigalite´. il n’y auroit qu’un parti insense´, celui de l’Economie. Voiez ch. 9 & 10 du meˆme ouvrage2.

V: 5 l’arbitraire. ] l’arbitraire 〈Ainsi le tems〉 P TR: 6–15 Les Rois ... peuples. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, pp. 384– 385, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1265–1266.

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l’Antiquite´, du Moyen-aˆge, des sie`cles modernes, livre premier, t. I, pp. 303–312. On y trouve, entre autres, ce passage : «Mais dans les contrats faits avec le gouvernement il n’y a nul moyen de les soumettre a` une re´vision exacte et suˆre, et toute mesure de cet espe`ce, quelle qu’elle soit, est injuste, odieuse et pre´judiciable aux ve´ritables inte´reˆts de l’E´tat.» (p. 304). Ganilh e´voque par la suite la politique de Sully pour illustrer sa the`se. Me´moires de Louis XIV : e´crits par lui-meˆme, La citation se trouve au t. I, p. 156. Ce qui est curieux tout de meˆme c’est que BC simplifie le raisonnement du roi et qu’il en ne´glige le contexte. Louis XIV parle des gens de l’e´glise qui se flattent «un peu trop des avantages de leur e´tat» et qui croient pouvoir «affoiblir leurs devoirs les plus le´gitimes», c’est-a`-dire la «ce´le´bration des myste`res sacre´s et la publication de la doctrine e´vange´lique». Suit maintenant la citation, qui, au lieu de se terminer par les mots «de tous leurs sujets» finit ainsi : «[...] tous les biens qui sont posse´de´s, aussi bien par les gens d’e´glise que par les se´culiers, pour en user en tout temps comme de sages e´conomes, c’est-a`-dire, suivant le besoin ge´ne´ral de l’e´tat.» Bentham, Traite´s de le´gisation, Principes du code civil, premie`re partie, chap. 11, «Suˆrete´. – E´galite´. Leur opposition», t. II, p. 49. Bentham e´crit a` la fin de ce passage : «celui de l’industrie.» Les chap. 9 et 10 sont intitule´s, le premier : «Re´ponse a` une objection» (relative a` la proprie´te´) ; Bentham y analyse les conse´quences de la the`se de Beccaria sur la proprie´te´ qu’il nomme «un doute subversif de l’ordre social» (ibid., p. 37) et l’autre : «Analyse des maux re´sultans des atteintes porte´es a` la proprie´te´», ou` il est question de la mauvaise gestion de la proprie´te´ qui entraıˆne la destruction de l’esprit de l’industrie.

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[Addition] Chapitre 18 a Re´sultat des conside´rations ci dessus. Mate´riaux

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Pour re´sumer maintenant en peu de mots les principes qui doivent diriger l’action du gouvernement sur la proprie´te´, Je dirai qu’il peut la geˆner, lorsqu’il y a ne´cessite´ e´vidente pour la Surete´ publique b. ce droit distingue sa jurisdiction sur les proprie´te´s de sa jurisdiction sur les personnes. car il n’auroit pas le droit d’attenter a` la vie d’un seul innocent, fut-ce pour le salut de tout un peuple. Mais dans tous les cas ou la surete´ publique n’est pas menace´e, le gouvernement doit garantir la proprie´te´, et la laisser libre.

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a` faire1. la valle´e de Chamonni n’est garantie des avalanches que par des bois appartenant a` une multitude de particuliers. Si ces Bois etoient coupe´s, la valle´e de chamonni seroit comble´e par les neiges, comme l’a e´te´ par la meˆme cause, une autre valle´e, nome´e l’alle´e Blanche. cependant la proprie´te´ de ces Bois e´tant disse´mine´e entre une foule d’individus pauvres, chacun de ces Individus doit eˆtre d’autant plus tente´ de couper sa portion de Bois, que l’abbatage de cette portion ne feroit aucun mal isole´ment. Il est clair que dans un cas pareil, l’autorite´ peut intervenir, pour contrebalancer cette tendance particulie`re, et qu’elle a le droit de restreindre la libre disposition de la proprie´te´ individuelle. Je ne sai toutefois, s’il ne serait pas du devoir de la Socie´te´ d’indemniser les proprie´taires. Mais, quoiqu’il en soit, il est e´vident que ce droit tient a` une circonstance locale. Il en est de meˆme de diverses restrictions de plusieurs genres, dont il seroit trop long de parler.

Voir ci-dessus, p. 377, n. 2.

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Livre 11e`me De l’impoˆt

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14359, fos 67ro–86ro [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 58vo–61vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 413ro–463ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 72–78 [=LA].

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Chapitre 1er Objet de ce livre

La nature de cet ouvrage ne comporte pas des recherches approfondies sur la the´orie des impoˆts, ni sur le meilleur genre de contributions qu’on puisse e´tablir. Ces recherches nous entraineraient dans des de´tails qui ne conviennent qu’a` des traite´s consacre´s uniquement a` cette matie`re. Notre seul but doit eˆtre de de´terminer quels sont a` cet e´gard les droits respectifs des gouvernans et des gouverne´s.

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Chape˙ 2e˙ Premier droit des gouverne´s, relativement aux impots.

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Principes de politique

L’autorite´ ayant a` pourvoir a` la de´fense inte´rieure et a` la surete´ exte´rieure de l’Etat, a le droit de demander aux individus le sacrifice d’une portion de leur proprie´te´, pour subvenir aux de´penses que l’accomplissement de ces devoirs ne´cessite. Les gouverne´s ont droit de leur cote´, d’exiger de l’autorite´, que la somme des impots n’exce´de pas ce qui est ne´cessaire au but qu’elle doit atteindre. Cette condition ne peut eˆtre remplie que par une organisation politique qui mette des bornes aux demandes, et de la sorte a` la prodigalite´ et a` l’avidite´ des gouvernans. On trouve des vestiges de cette organisation dans les institutions des monarchies les moins limite´es, comme la plupart des principaute´s de l’Allemagne ou les Etats he´re´ditaires de la maison d’Autriche : et le principe en est solemnellement reconnu par la constitution franc¸aise1. Les de´tails de cette organisation ne sont pas de notre ressort. Une seule observation nous semble ne devoir pas eˆtre omise. Le droit de consentir les impots peut eˆtre conside´re´ sous deux points de vue, comme limite au pouvoir, et comme moyen d’e´conomie. L’on a dit mille fois qu’un gouvernement ne pouvant faire la guerre, ni meˆme exister dans l’inte´rieur, si l’on ne subvenait a` ses de´penses ne´cessaires, le refus des impots e´tait dans la main du peuple ou de ses repre´sentans une arme efficace, et qu’en l’employant avec courage, ils pouvaient forcer le gouvernement, non seulement a` rester en paix avec ses voisins, mais encore a` respecter la liberte´ des gouverne´s. L’on oublie en raisonnant ainsi, que ce qui parait au premier coup d’œuil de´cisif dans la the´orie, est souvent d’une V: 7 d’exiger ] d’exiger 〈que〉 P TR: 3-p. 415.28 L’autorite´ ... pauvrete´. ] Tout le livre XI depuis le chap. 2 est reproduit dans  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 132–160. 18-p. 391.21 L’on a dit ... malheurs. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 4, OCBC, Œuvres, IV, pp. 581–582 ;  Re´flexions sur les constitutions, 4, pp. 53–55, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 995. 18-p. 391.1 L’on a dit ... impossible. ]  Minerve franc¸aise, 30 de´cembre 1818, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 637. 1

BC renvoie au Titre VII, art. 53 de la Constitution de l’an XII : «Le serment de l’Empereur est ainsi conc¸u : ‘Je jure [...] de ne lever aucun impoˆt, de n’e´tablir aucune taxe qu’en vertu de la loi.’»

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pratique impossible. Lorsqu’un gouvernement a commence´ une guerre, fut elle injuste, lui disputer les moyens de la soutenir, ne serait pas le punir seul, mais punir la nation innocente de ses fautes. Il en est de meˆme du refus des impots pour malversations ou vexations inte´rieures. Le gouvernement se permet des actes arbitraires. Le corps le´gislatif croit le de´sarmer en ne votant aucune contribution. Mais en supposant, ce qui est difficile, que dans cette crise extreˆme, tout se passe constitutionnellement, sur qui retombera cette lutte ? Le pouvoir exe´cutif trouvera des ressources momentane´es dans son influence, dans les fonds mis ante´rieurement a` sa disposition, dans les avances de ceux qui jou¨issant de ses faveurs ou meˆme de ses injustices, ne voudront pas qu’il soit renverse´, et de ceux encore qui croyant a` son triomphe, spe´culeront sur ses besoins du moment. Les premie`res victimes seront les employe´s subalternes, les entreprenneurs de toutes les de´nominations, les cre´anciers de l’Etat, et par contre coup les cre´anciers de tous les individus de ces diffe´rentes classes. Avant que le gouvernement succombe ou ce´de, toutes les fortunes particulie`res seront bouleverse´es. Il en re´sultera contre la repre´sentation nationale une haine universelle. Le gouvernement l’accusera de toutes les privations personnelles des citoyens. Ces derniers n’examineront point le motif de la re´sistance ; et sans se livrer au milieu de leurs souffrances a` des questions de droit et de the´orie, ils lui reprocheront leurs besoins et leurs malheurs. Le droit de refuser les impots n’est donc point a` lui seul une garantie suffisante pour reprimer les exce`s du pouvoir exe´cutif. On peut conside´rer ce droit comme un moyen d’administration pour ame´liorer la nature des impots, ou comme un moyen d’e´conomie pour en diminuer la masse. Mais il faut bien d’autres pre´rogatives pour que les assemble´es representatives puissent prote´ger la liberte´. Une nation peut avoir de pre´tendus repre´sentans investis de ce droit illusoire, et ge´mir en meˆme tems dans l’esclavage le plus complet. Si le corps charge´ de cette fonction ne jou¨it pas d’une grande conside´ration et d’une grande inde´pendance, il deviendra l’agent du pouvoir exe´cutif, et son assentiment ne sera qu’une formule vaine et illusoire. Pourque la liberte´ de voter les impots soit autre chose qu’une frivole ce´re´monie, il faut que la liberte´ politique existe dans son entier, comme il faut dans le corps humain, que toutes les parties soient saines et bien constitue´es pourque les fonctions d’une seule se fassent re´gulierement et complettement. V: 19 la ] sa L TR: 22–33 Le droit ... son entier, ]  Minerve franc¸aise, 30 de´cembre 1818, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, p. 638. 23–25 On peut conside´rer ... masse. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 4, OCBC, Œuvres, IV, p. 582.

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Chapitre 3e˙ Second droit des gouverne´s, relativement aux impoˆts.

Un second droit des gouverne´s, relativement aux impots, c’est que leur nature et la manie`re de les percevoir, soient le moins one´reuses qu’il est possible, pour les contribuables, ne tendent ni a` les vexer, ni a` les corrompre, et ne donnent pas lieu par des frais inutiles, a` la cre´ation de nouveaux impots. Il re´sulte de ce droit que les gouverne´s ont celui d’exiger que les impots pe`sent e´galement sur tous, proportionnellement a` leur fortune, qu’ils ne laissent rien d’incertain, ni d’arbitraire dans la quotite´ et dans le mode de la perception, qu’ils ne frappent de ste´rilite´ aucune proprie´te´, aucune industrie, qu’ils n’occasionnent que les frais de leve´e indispensables, enfin qu’il y ait dans leur assiette une certaine stabilite´. L’e´tablissement d’un nouvel impot produit toujours un e´branlement qui se communique des branches impose´es a` celles meˆmes qui ne le sont pas. Beaucoup de bras et de capitaux refluent vers ces dernie`res pour e´chapper a` la contribution qui frappe les autres. Le gain des unes diminue par l’impot : Le gain des secondes par la concurrence. L’e´quilibre ne se re´tablit que lentement. Le changement quel qu’il soit, est donc faˆcheux pour un tems donne´. C’est en appliquant ces re`gles aux diverses espe`ces de contributions, qu’on pourra juger de celles qui sont admissibles, et de celles qui ne le sont pas. Il n’est pas de notre sujet de les examiner toutes. Nous choisirons seulement quelques exemples, pour donner une ide´e de la manie`re de raisonner qui nous parait la meilleure.

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Chapitre 4e˙ De diverses espe`ces d’impots.

Des hommes e´claire´s du sie`cle dernier ont recommande´ l’impot sur la terre, comme le plus naturel, le plus simple et le plus juste. Ils ont voulu meˆme en faire l’impot unique. Imposer la terre est en effet une ide´e fort se´duisante, qui se pre´sente d’elle meˆme, et qui parait reposer sur une ve´rite´ incontestable. La terre est la source la plus e´vidente et la plus durable des richesses ; pourquoi chercher des voı¨es indirectes, artificielles et complique´es aulieu d’aller droit a` cette source ? Si cette doctrine n’a pas e´te´ mise en pratique, c’est bien moins parcequ’on a cru remarquer des vices dans l’impot territorial, que parcequ’on a senti, que meˆme en le portant au taux le plus e´leve´, on ne pourrait en tirer les sommes que l’on voulait arracher aux peuples. On a combine´ d’autres contributions avec celle la` : mais dans la plupart des pays de l’Europe, elle n’a pas cesse´ d’eˆtre la plus conside´rable de toutes, et en quelque fac¸on la baze du systeˆme financier. De la sorte en rejettant le principe, on n’en a point rejette´, comme on l’aurait duˆ, toutes les conse´quences, et pour concilier la contradiction de cette conduite, on a eu recours a` une the´orie, dont le re´sultat e´tait a` peu pre`s le meˆme que celui des apologistes de l’impot territorial. Ceux ci pre´tendaient qu’en de´finitif tous les impots retombaient sur la terre : Quelques-uns de leurs adversaires ont pre´tendu qu’en de´finitif tous e´taient paye´s par le consommateur : et comme les premiers, affirmant que les impots traversaient, pour ainsi dire, le consommateur pour arriver a` la terre, en concluaient qu’il fallait de`s l’origine leur e´pargner ce de´tour, et les faire peser sur le sol ; les seconds imaginant que, par une marche inverse, les impots assis sur la terre, remontaient aux consommateurs, ont pense´ qu’il e´tait inutile de decharger la terre d’un fardeau qu’elle ne supportait pas en re´alite´. Si nous appliquons a` l’impot territorial les re`gles que nous avons e´tablies, nous serons conduits a` des conclusions tre`s diffe´rentes. Il est faux d’un cote´ que tous les impots sur les consommations retombent sur la terre. L’impot sur la poste aux lettres n’est certainement pas supporte´ par les proprie´taires du sol, en leur qualite´ de proprie´taires. Un V: 2 De diverses espe`ces d’impots ] 〈De l’impot sur la terre.〉 De diverses espe`ces d’Impots le nouveau titre dans la col. gauche L 21 quelques-uns de ] ajoute´ dans la col. gauche L 26 imaginant ] part. re´crit sur imaginaient (?) P

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possesseur de terres qui ne prend ni the´, ni tabac, ne paye aucune partie des impots mis sur ces denre´es, au moment de leur introduction, de leur transport ou de leur vente. Les impots sur les consommations ne pe`sent en rien sur les classes qui ne produisent, ni ne consomment la chose impose´e a. Il est e´galement faux que l’impot sur la terre influe sur le prix de la denre´e et retombe sur le consommateur qui l’ache`te. Ce qui de´termine le prix d’une denre´e, ce n’est pas toujours ce qu’elle coute a` produire, c’est la demande qu’on en fait. Lorsqu’il y a plus de demandes que de productions, la denre´e hausse de prix. Elle baisse, lorsqu’il y a plus de productions que de demandes. Or l’impot sur la terre, quand il diminue la production, ruine le producteur, et quand il ne la diminue pas, il n’augmente en rien la demande. En voici la preuve. Lorsqu’un impot porte sur les terres, il arrive de deux choses l’une : ou il enle`ve la totalite´ du produit net, c’est a` dire que la production de la denre´e coute plus que sa vente ne rapporte : alors la culture est ne´cessairement abandonne´e. Mais le producteur qui abandonne la culture, ne profite point de la disproportion que cet abandon peut entrainer, entre la quantite´ des demandes, et celle de la denre´e qu’il ne produit plus. Ou l’impot n’enle`ve pas la totalite´ du produit net, c’est a` dire que la vente de la denre´e rapporte encore apre`s l’impot, plus que sa production ne coute : alors le proprie´taire continue a` cultiver : mais dans ce cas, la quantite´ de la production e´tant apre`s l’impot aussi abondante qu’elle l’e´tait auparavant, la proportion entre la production et la demande reste la meˆme, et le prix n’en saurait hausser b. a

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Say. Econ. polit. Liv. V. ch. 131. [Add.] Les Denre´es ou Marchandises ne haussent pas uniquement en raison de ce qu’elles coutent, mais en raison de leur rarete´. d’ordinaire, lorsqu’une production coute plus a` produire que sa valeur ve´nale, ou du moins lorsqu’elle coute tellement, et a une valeur ve´nale si faible que le profit est nul ou tre`s petit, les producteurs se de´tournent de cette production et se livrent a` une autre plus profitable : mais s’ils ne pouvoient pas se de´tourner de cette production, il faudroit qu’ils continuaˆssent a` s’y livrer, meˆme a` perte, et la production restant en meˆme affluence, ne hausseroit pas de prix. peu a` peu, sans doute la classe productrice diminueroit, et la production manquant, sa valeur hausseroit en raison de sa rarete´. mais si cette production e´toit de ne´cessite´ premie`re, ce seroit un nouveau malheur. argument contre l’impot sur la terre. Il ruine d’abord les agriculteurs, qui, ne pouvant produire que les meˆmes productions, et ne pouvant que se ruiner plus vite, s’ils ne la produisent pas, ne peuvent, comme les manufacturiers, rendre la production plus rare, pour la faire hausser. ensuite il ruine l’agriculture, et avant que l’e´quilibre entre les fraix et la valeur des Denre´es soit re´tabli, le peuple souffre de la Disette. Toutes les fois que le producteur peut diminuer son nombre ou sa production, l’impot BC exploite Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre V, chap. 13, t. II, pp. 480– 494.

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L’impot territorial pe`se en conse´quence, quoiqu’on en ait pu dire, et continue toujours a` peser sur le proprie´taire foncier. Le consommateur n’en paye aucune partie, a` moins que, par l’effet de l’appauvrissement graduel du cultivateur, les produits de la terre ne diminuent au point d’occasionner la disette : mais cette calamite´ ne peut eˆtre un e´le´ment de calcul dans un syste`me de contributions. L’impot territorial, tel qu’il existe dans beaucoup de pays, n’est donc point conforme a` la premie`re re`gle que nous avons e´nonce´e. Il ne pe`se pas e´galement sur tous, mais particulierement sur une classe. En second lieu, cet impot, quelle que soit sa quotite´, frappe toujours de ste´rilite´ une portion quelconque des terres d’un pays. Il y a des terres qui a` raison du sol ou de la situation ne rapportent rien, et par conse´quent restent sans culture. Il y en a qui ne rapportent que le plus petit produit imaginable audessus de rien. Cette progression continue en s’e´levant jusqu’aux terres qui donnent le produit le plus conside´rable possible. Figurez vous cette progression comme une se´rie de nombres depuis 1 jusqu’a` 100, en supposant 1 repre´sentant une quantite´ de produit tellement petite qu’elle soit indivisible. L’impot territorial enle`ve une portion du produit de chacune de ces terres. En admettant qu’il soit aussi bas qu’on peut le concevoir, il ne sera pas audessous de 1. Par conse´quent toutes les terres qui ne rapportent que 1, et qui sans l’impot auraient e´te´ cultive´es, sont mises par l’impot au rang des terres non productives, et rentrent dans la classe des terres qu’on laisse incultes. Si l’impot s’e´le`ve a` 2, toutes les terres qui ne rapportent que 2, e´prouvent le meˆme sort, et ainsi de suite. De manie`re que si l’impot s’e´levait a` 50, toutes les terres du produit de 50 inclusivement, resteraient sans culture. Il est donc clair que, lorsque l’impot hausse, il ote a` la culture une portion de terres proportionne´e a` sa hausse, et que, lorsqu’il baisse, il lui rend une portion proportionne´e a` sa baisse. Si l’on re´pondait que l’impot sur la terre n’est pas fixe, mais proportionnel, ce ne serait pas re´soudre notre objection. L’impot proportionnel pe`se sur le produit brut : or les fraix emportant une partie plus ou moins grande de produit brut, il en re´sulte toujours, que si vous fixez l’impot au huitie`me du produit brut, les terres qui coutent 9 a` cultiver pour produire 10, deviennent ste´riles par l’impot : si vous fixez l’impot au quart, celles qui coutent 8 pour produire 10, le deviennent de meˆme et ainsi de suite. pe`se sur le Consomateur. toutes les fois que le producteur ne peut diminuer ni son nombre ni sa production, l’impot pe`se sur le producteur. ce cas-ci est celui du proprie´taire de terres. V: 1 quoiqu’on en ait ] quoiqu’on 〈ait〉 en ait P 12 situation ] mot part. disparu sous une tache d’encre P 13 culture ] les deux dernie`res lettres couvertes par une tache d’encre P 27 hausse, et ] hausse, 〈et que, lorsqu’il hausse, il ote a` la culture une portion de terres proportionne´es a` sa hausse,〉 et L

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Que l’impot ait cet effet, cela est prouve´ par les pre´cautions meˆmes des gouvernemens. Les plus e´claire´s, comme l’Angleterre, et la Hollande, ont exempte´ de tout impot les terres loue´es au dessous d’une certaine valeur a. Les plus violens ont de´clare´ confisque´s les terreins laisse´s incultes par les proprie´taires. Mais quel proprie´taire laisserait sa terre inculte, s’il avait a` gagner en la cultivant ? Aucun. Car le riche meˆme l’affermerait ou la ce´derait au pauvre. Les terreins ne restent incultes que pour une des raisons de´veloppe´es ci dessus, ou parcequ’ils ne sont susceptibles d’aucun produit, ou parceque l’impot enle`ve le produit dont ils sont susceptibles. Ainsi les gouvernemens punissent les particuliers du mal qu’eux meˆmes leur ont fait. Cette loi de confiscation, odieuse comme injuste, est meˆme absurde comme inutile. Car en quelques mains que le gouvernement transporte les terreins confisque´s, si ces terreins rapportent moins que leur culture ne coute, quelqu’un pourra bien essayer de les cultiver, mais assure´ment il ne continuera pas. Sous ce second rapport, l’impot territorial s’e´loigne encore de l’une des conditions ne´cessaires, pour qu’une contribution soit admissible. Car il rend la proprie´te´ ste´rile entre les mains des individus. En troisie`me lieu, le payement de l’impot foncier repose sur la pre´voyance du cultivateur, qui pour eˆtre en e´tat de le payer, doit e´conomiser d’avance d’assez fortes sommes. Or la classe laborieuse n’est point doue´e de cette pre´voyance. Elle ne peut lutter sans cesse contre les tentations du moment. Tel qui chaque jour s’acquitterait en de´tail, et presqu’a` son insu, d’une portion de ses contributions, si elle se confondait avec ses consommations habituelles, n’accumulera jamais pendant un certain tems la somme ne´cessaire pour s’en acquitter en masse. La perception de l’impot foncier, quoique tre`s simple, n’est donc nullement facile. Les moyens de contrainte qu’il faut employer la rendent tre`s dispendieuse. Sous ce dernier point de vue, l’impot territorial est vicieux, en ce qu’il occasionne des frais de leve´e qu’un autre mode de contributions pourrait e´pargner. Je ne conclus point de la`, qu’il faille supprimer l’impot sur les terres. Comme il y a des impots sur les consommations auxquels les proprie´taires de terres peuvent se de´rober, il est juste qu’ils supportent une part des contributions publiques en leur qualite´ de proprie´taires : mais comme les autres classes de la socie´te´ ne supportent point l’impot territorial, il ne faut pas que cet impot excede la proportion qui doit retomber sur les proprie´taires de terres. Il n’y a donc aucune justice a` faire de l’impoˆt foncier, l’impoˆt unique, ou meˆme l’impoˆt principal.

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en Hollande 30 £. en Angleterre 20 £. Stirl.

V: 1 cela ] ajoute´ dans la col. gauche L

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Nous venons de dire que l’impot sur la terre, porte´ a` un certain point, rend la proprie´te´ ste´rile entre les mains de ses possesseurs. L’impot sur les patentes frappe de ste´rilite´ l’industrie. Il ote la liberte´ du travail, et c’est un cercle vicieux assez ridicule. On ne peut rien payer si l’on ne travaille, et l’autorite´ de´fend a` des individus le travail auquel ils sont propres, si auparavant ils n’ont paye´. L’impot sur les patentes est donc attentatoire aux droits des individus. Il ne leur enle`ve pas seulement une portion de leurs be´ne´fices, il en taˆrit la source, a` moins qu’ils ne posse`dent des moyens ante´rieurs d’y satisfaire, supposition que rien n’autorise. Cet impot ne´ammoins peut eˆtre tole´re´, si on le restreint a` des professions qui par elles meˆmes impliquent une certaine aisance ante´rieure. C’est alors une avance que l’individu fait au gouvernement, et dont il se paye par ses propres mains, avec les profits de l’industrie : comme le marchand qui paye les impots sur la denre´e dont il trafique, les comprend ensuite dans le prix de cette denre´e et les fait supporter au consommateur. Mais, dirige´ sur des meˆtiers auxquels pourrait se consacrer l’indigence, l’impot sur les patentes est d’une re´voltante iniquite´ a. Les impots indirects ou portant sur les consommations se confondent avec les jouissances. Le consommateur qui les paye en achetant ce dont il a besoin, ou ce qui lui fait plaisir, ne distingue pas au milieu du sentiment de la satisfaction qu’il se procure, la re´pugnance qu’inspire le payement de l’impot. Il les paye quand cela lui convient. Ces impots s’accomodent aux tems, aux circonstances, aux faculte´s, aux gouts de chacun. Ils se divisent de manie`re a` disparaitre b. Le meˆme poids que nous supportons sans a

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[Add.] v. pour les inconve´niens financiers de l’impot des patentes, Simonde, Le´gisl. Commerc. II. 89. et suiv. nous ne parlons ici que de son injustice1. la taxe territoriale, en Angleterre, ne s’e´le`ve qu’a` 2,037,627 £. St. Elle excite beaucoup et de fre´quens murmures. La taxe sur l’orge, seule, dans ses diverses formes, s’e´le´ve a` 3 millions. Elle est a` peine sentie. Sinclair. du revenu public de l’Angleterre2.

V: 1 Nous venons ] BC indique dans la col. gauche du f o 432 Il faut continuer ici comme suite du Chap. 4 et il biffe l’ancien titre 〈Chapitre 5. De l’impoˆt des patentes〉 L 18 Les impots ] BC indique dans la col. gauche du f o 434 continuer encore ici come suite du Ch. 4 et il biffe l’ancien titre 〈Chapitre 6. Des impoˆts indirects. 27–29 La taxe ... l’Angleterre. ] note ajoute´e dans la col. gauche L L 1

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La note renvoie au t. II, pp. 88–90 de l’ouvrage de Sismondi, De la richesse commerciale, ou Principes d’e´conomie politique, applique´s a` la le´gislation du commerce, Gene`ve : J. J. Paschoud, an XI (1803). Sismondi analyse les suites funestes de la patente exige´e de «tout homme qui ache`te pour vendre» par la loi du 1er Brumaire an VII. Les difficulte´es se montrent toujours lorsque le commerce est «en de´cadence». BC posse`de cet ouvrage dans sa bibliothe`que. Hofmann (p. 270, n. 43) a pu montrer que cette note reproduit les donne´es et les formulations d’un passage de Charles Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, t. II, p. 350. Ganilh, a` son tour, renvoie, en traduisant le titre, a` John Sinclair,

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peine, lorsqu’il est reparti sur la totalite´ de notre corps, deviendrait intole´rable, s’il portait sur une seule partie a. La repartition des impots indirects se fait, pour ainsi dire, d’elle meˆme ; Car elle se fait par la consommation qui est volontaire. Conside´re´s sous ce point de vue, les impots indirects ne contrarient en rien les re`gles que nous avons e´tablies. Mais ils ont trois graves inconve´niens. Le premier, qu’ils sont susceptibles d’eˆtre multiplie´s jusqu’a` l’infini, d’une manie`re presqu’imperceptible ; le second que leur perception est difficile, vexatoire, souvent corruptrice a` plusieurs e´gards. Le troisie`me, qu’ils cre´ent un crime factice, la contrebande. Le premier inconve´nient trouve son reme`de dans l’autorite´ qui vote les impots. Si vous supposez cette autorite´ inde´pendante, elle saura mettre obstacle a` leur accroissement inutile. Si vous ne la supposez pas inde´pendante, quelque soit la nature de l’ı¨mpot, n’espe´rez pas borner les sacrifices qu’on exigera du peuple. Il sera sans de´fense sous ce rapport, comme sous tous les autres. Le second inconve´nient est plus difficile a` pre´venir. Je trouve ne´ammoins dans le premier meˆme, une preuve que le second peut eˆtre pre´venu. Car si l’un des vices des impots indirects est de pouvoir eˆtre accrus sans mesure, d’une manie`re presqu’imperceptible, il faut que leur perception puisse eˆtre tellement organise´e qu’ils ne soient pas insupportables. Quant au troisie`me b, je suis dispose´ moins que personne, a` l’atte´nuer. J’ai dit plus d’une fois que les devoirs factices tendaient a` porter les hommes a` s’affranchir des devoirs re´els. Ceux qui transgressent les loix relativement a` la contrebande, les transgressent bientot relativement au vol et au meurtre. Ils ne courent a

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b

Encyclope`die. Art : Atmosphe`re1. [Add.] la fraude est le de´faut de l’impot sur la consommation (impot indirect). l’injustice est le de´faut de l’impoˆt sur la rente. (impoˆt direct). Canard. Princip. d’Econ. politique2.

V: 2 partie. ] partie. 〈C’est ainsi que la pesanteur de l’air re´partie sur le corps de l’homme est de plus de 30.000 £. il la supporte et ne s’en appercoit pas, tandis qu’un poids beaucoup plus le´ger, portant sur une seule partie du corps serait impossible a` supporter.〉 la phrase biffe´e a e´te´ corrige´e 〈Un poids reparti sur la totalite´ de notre corps, et que nous supportons sans nous en apercevoir, nous seroit insupportable,〉 correction a., interl. sup. P C’est ainsi ... sur le corps entier de l’homme ... a` supporter L 11 mettre ] 〈mieux〉 mettre L

1 2

The History of the Public Revenue of the British Empire, London : T. Cadell and W. Davies, 3 1803, Part. III, Ch. 4, pp. 349–350, ou` l’on trouve des informations du meˆme genre, des formulations tre`s proches de Ganilh, mais les chiffres des recettes arrondis. BC retient les donne´es de Ganilh, mais renvoie a` un ouvrage qu’il n’a probablement pas utilise´. Dans l’article de d’Alembert, on apprend que l’homme supporte un poids de 33.600 livres. BC cite deux maximes de Nicolas-Franc¸ois Canard, Principes d’e´conomie politique, Paris : F. Buisson, an X (1801), p. 175. L’ouvrage a e´te´ couronne´ par l’Institut National l’anne´e pre´ce´dant sa publication.

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4, De diverses espe`ces d’impoˆts

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pas plus de danger ; et leur conscience se familiarise avec la re´volte contre le pouvoir social. Cependant, si l’on y re´fle´chit bien, l’on verra que la ve´ritable cause de la contrebande est moins dans les impots indirects que dans le systeˆme prohibitif. Les gouvernemens de´guisent quelquefois leurs prohibitions sous la forme d’impots. Ils frappent les marchandises dont ils voudraient empeˆcher l’entre´e de droits disproportionne´s avec leur valeur. Si tout systeˆme prohibitif e´tait aboli, cette disproportion n’aurait jamais lieu, et la contrebande, cet apprentissage du crime, cette e´cole du mensonge et de l’audace, d’autant plus funeste qu’elle s’annoblit en quelquesorte par sa ressemblance avec l’e´tat militaire et par le me´rite de l’adresse et du courage, ne trouverait pas dans les profits immenses que cette disproportion lui fait espe´rer, des encouragemens et des tentations irre´sistibles.

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Chape˙ 5e˙ Comment les impots deviennent contraires aux droits des individus.

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Principes de politique

Les impots deviennent contraires aux droits des individus, lorsqu’ils autorisent ne´cessairement des vexations contre les citoyens. Tel est l’Alcavala d’Espagne qui assujettit a` des droits la vente de toutes les choses mobiliaires et immobiliaires, chaque fois que ces choses passent d’une main a` l’autre1. Les impots deviennent encore contraires aux droits des individus, lorsqu’ils portent sur des objets qu’il est aise´ de de´rober a` la connaissance de l’autorite´ charge´e de la perception. En dirigeant l’impot contre des objets d’une soustraction facile, vous ne´cessitez les visites, les inquisitions. Vous eˆtes conduit a` exiger des citoyens un espionnage et des de´nonciations re´ciproques. Vous re´compensez ces actions honteuses, et votre impot retombe dans la classe de ceux qui ne sont pas admissibles parceque leur perception nuit a` la morale. Il en est de meˆme des impots tellement e´leve´s qu’ils invitent a` la fraude. La possibilite´ plus ou moins grande de la soustraction d’un objet a` la connaissance de l’autorite´, se compose et de la facilite´ mate´rielle qui peut re´sulter de la nature de cet objet, et de l’intereˆt qu’on trouve a` le soustraire. Lorsque le profit est conside´rable, il peut se diviser entre plus de mains, et la coope´ration d’un plus grand nombre d’agens de la fraude, compense la difficulte´ physique sur laquelle le fisc aurait pu compter. Lorsque l’objet sur lequel porte l’impot ne permet pas de l’e´luder de cette manie`re, l’impot ane´antit tot ou tard la branche de commerce ou l’espe`ce de transaction sur lequel il pe`se. Il faut le rejetter alors comme contraire aux droits de la proprie´te´ ou de l’industrie. V: 1 Chape˙ 5e ] Chape 〈7〉 5. L 1

25 ou l’espe`ce ] ou 〈la〉 l’espe`ce L

Autre exemple de l’utilisation de l’ouvrage de Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, t. II, pp. 306–307. L’alcavala espagnol dont il est question ici semble eˆtre, chez les the´oriciens de l’impoˆt, un cas mode`le pour un impoˆt nuisible. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre V, chap. 2, section 2, (t. II, p. 542) en parle longuement et renvoie dans ce contexte, comme d’ailleurs Ganilh, a` l’ouvrage de Geronymo de Ustariz, The´orie et pratique du commerce et de la marine, traduction libre sur l’espagnol, Paris : Vve Estienne et Fils, 1753, ouvrage que BC citera e´galement ci-dessous.

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5, Comment les impoˆts deviennent contraires aux droits des individus

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Il est e´vident que les individus ont le droit de limiter leur consommation suivant leurs moyens, ou suivant leurs volonte´s, et de s’abstenir des objets qu’ils ne veulent ou qu’ils ne peuvent pas consommer. En conse´quence les impots indirects deviennent injustes, lorsqu’au lieu de reposer sur la consommation volontaire, on leur donne pour baze la consommation force´e. Ce qu’avait d’odieux la gabelle qu’on a si ridiculement voulu confondre avec l’impot sur le sel, c’est qu’elle ordonnait aux citoyens de consommer une quantite´ de´termine´e de cette denre´e. Cette vexation excitait en eux une indignation juste et naturelle contre l’autorite´ qui leur prescrivait jusqu’aux besoins qu’ils devaient avoir. Il ne faut jamais pour e´tablir un impot sur une denre´e, interdire a` l’industrie ou a` la proprie´te´ particulie´re la production de cette denre´e, comme on le fesait autrefois dans quelques parties de la france, relativement au sel, et comme on le fait dans plusieurs pays de l’Europe, relativement au tabac. C’est violer manifestement la proprie´te´. C’est vexer injustement l’industrie. Pour faire observer ces interdictions, l’on a besoin de peines se´ve`res, et ces peines sont alors re´voltantes a` la fois par leur rigueur et par leur iniquite´. Les impots indirects doivent porter le moins possible sur les denre´es de premie`re ne´cessite´, sans quoi tous leurs avantages disparaissent. La consommation de ces denre´es n’est pas volontaire ; elle ne se plie plus a` la situation et ne se proportionne plus a` l’aisance du consommateur. Il n’est point vrai, comme on l’a dit trop souvent, que les taxes sur les denre´es de premie`re ne´cessite´ ope´rant le renche´rissement de ces denre´es, produisent la hausse de la main d’œuvre. Au contraire, plus les denre´es ne´cessaires a` la subsistance sont che`res, plus le besoin de travailler augmente. La concurrence de ceux qui offrent leur travail, passe la proportion de ceux qui font travailler, et le travail tombe a` plus bas prix, pre´cise´ment quand il devrait eˆtre a` un prix plus haut, pour que les travailleurs pussent vivre. Les impots sur les denre´es de premie`re ne´cessite´ produisent l’effet des anne´es ste´riles et de la disette a. Il y a des impots dont la perception est tre`s facile et qui cependant doivent eˆtre rejette´s, parceque leur tendance directe est de corrompre et de pervertir les hommes. Aucun impot, par exemple, ne se paye avec autant de

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Smith. Liv.

1

BC renvoie curieusement a` un passage de Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 2, t. II, p. 53, qui annonce une analyse approfondie des conse´quences nuisibles de taxes sur «les choses ne´cessaires a` la vie» pour une autre partie de l’ouvrage, a` savoir les chapitres sur les impoˆts (livre V, chap. 2, section 2).

IV.

ch. 21.

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Principes de politique

plaisir que les loteries b. L’autorite´ n’a besoin d’aucune force coercitive pour assurer la rentre´e de cette contribution. Mais les loteries, offrant des moyens de fortune qui ne tiennent point a` l’industrie, au travail, a` la prudence, jettent dans les calculs du peuple le genre de desordre le plus dangereux. La multiplicite´ des chances fait illusion sur l’improbabilite´ du succe`s. La modicite´ des mises invite a` des tentatives re´ite´re´es. Le derangement, les embarras, la ruine, les crimes en re´sultent. Les classes infe´rieures de la socie´te´, victimes des reˆves se´duisans dont on les enyvre, attentent a` la proprie´te´ qui se trouve a` leur porte´e, se flattant qu’un sort favorable leur permettra de cacher leur faute en la re´parant. Aucune conside´ration fiscale ne peut justifier des institutions qui entrainent de pareilles conse´quences. De ce que les individus ont le droit d’exiger que la manie`re de recueillir les impots soit le moins one´reuse possible pour les contribuables, il re´sulte que les gouvernemens ne doivent pas adopter a` cet e´gard un mode d’administration essentiellement oppressif et tyrannique. Je veux parler de l’usage d’affermer les contributions : C’est mettre les gouverne´s a` la merci de quelques individus qui n’ont pas meˆme autant d’intereˆt que le gouvernement a` les me´nager. C’est cre´er une classe d’hommes qui revetus de la force des loix, et favorise´s par l’autorite´ dont ils semblent de´fendre la cause, inventent chaque jour des vexations nouvelles, et re´clament les mesures les plus sanguinaires. Les fermiers des impots, dans tous les paı¨s, sont, pour ainsi dire, les repre´sentans ne´s de l’injustice et de l’oppression b.

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[Add.] ce que les gouvernemens croyent gagner en argent, par l’impot des Loteries, Ils le perdent et au dela`, meˆme en argent, par le mal que cet impot fait a` l’industrie, et par les Crimes qu’il fait commettre a` la classe laborieuse, crimes qui, en mettant a` part les conside´rations morales, et en ne les envisageant que fiscalement, sont une de´pense pour l’e´tat. Smith. Liv. V. ch. 2. Ganilh. Tom. II. p. 4451.

La dernie`re phrase de BC re´sume une opinion largement discute´e par Smith Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre V. Le passage auquel il renvoie, peut eˆtre indique´ avec pre´cision : livre V, chap. 2, section 2, t. II, p. 545. Le passage de Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, ouvr. cite´, t. II, p. 449 exprime une ide´e du meˆme genre, en faisant une proposition d’ordre pratique : «Il me semble que si l’on voulait concilier les inte´reˆts du revenu public avec la suˆrete´ du contribuable, il faudrait n’inte´resser a` la grandeur des produits que les agents infe´rieurs de la perception, ceux qui l’ope`rent directement, et n’accorder aux agents supe´rieurs que des traitements suffisants et capables de payer le talent et meˆme de contenter l’ambition.»

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Chapitre 6e˙ Que les impots qui pe`sent sur les capitaux, sont contraires aux droits des individus.

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De quelque nature que soient les impots adopte´s dans un paı¨s, ils doivent peser sur les revenus et ne jamais entamer les capitaux a. C’est a` dire ils doivent n’enlever qu’une partie de la production annuelle, et ne toucher jamais aux valeurs accumule´es ante´rieurement. Ces valeurs sont les seuls moyens de re´production, les seuls alimens du travail, les seules sources de fe´condite´ b. Ce principe me´connu par tous les gouvernemens, et par un grand nombre d’e´crivains peut se prouver avec e´vidence. Si les impots portent sur les capitaux, au lieu de porter uniquement sur les revenus, il en re´sulte que les capitaux sont diminue´s chaque anne´e, de la somme e´gale a` ce qu’on le`ve l’impot. Par la` meˆme la re´production annuelle est frappe´e d’une diminution proportionne´e a` la diminution annuelle des capitaux. Cette diminution de la re´production diminuant les revenus, et l’impot restant le meˆme, il y a chaque anne´e une plus grande somme de capitaux enleve´e, et chaque anne´e par conse´quent une moindre somme de revenus reproduite. Cette double progression est toujours croissante. a

b

[Add.] v. sur l’effet de la Consomation des capitaux par les nations, Simonde, I, 4. Si les de´penses des trois classes productives surpassent leurs revenus, la nation doit infailliblement s’appauvrir. Simonde. I. 94 et suiv1. Voyez sur l’effet des capitaux et sur leur indispensable ne´cessite´ pour tous les genres de production, Simonde, de la richesse commerciale. Liv. I. ch. 1, et Ganilh du Revenu public. Vol. II. p. 281–306. La nature de mon ouvrage ne me permet pas d’entrer dans plus de de´tails2.

V: 1 Chapitre 6e˙ ] Chapitre 〈8〉 6 L 1

2

L’ouvrage De la richesse commerciale de Sismondi est cite´ une nouvelle fois pour confirmer une the`se de BC. Les deux indications de BC renvoient en fait au meˆme endroit, au chap. 4 de la premie`re partie, dans lequel Sismondi parle du «bilan des classes productives» (p. 94–96). BC cite presque litte´ralement une phrase de ce passage. Voir t. I, p. 94. Sismondi, De la richesse commerciale, t. I, pp. 18–38. BC pense surtout aux deux dernie`res pages, ou` il est question du «capital», fruit du superflu du travail. Ces pages pre´parent les deux chapitres suivants, qui traitent des «capitaux fixes» et des «capitaux en circulation». BC cite encore Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 281–306, ou` son ancien colle`gue au Tribunat expose la the`se que «les contributions ne doivent eˆtre assises que sur le revenu», et donne des exemples de l’histoire d’Angleterre et de la France.

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Supposez un proprie´taire de terre qui fait valoir sa proprie´te´. Trois choses lui sont ne´cessaires, sa terre, son industrie et son capital. S’il n’avait point de terre, son capital et son industrie seraient inutiles a. S’il n’avait point d’industrie, son capital et sa terre seraient improductifs. S’il n’avait point de capital, son industrie serait vaine et sa terre ste´rile, car il ne pourrait fournir aux avances indispensables pour sa production, il n’aurait point d’instrumens aratoires, d’engrais, de semences, de bestiaux. Ce sont toutes ces choses qui forment son capital. Quel que soit donc celui de ces trois objets sur lequel vous frappez, vous appauvrissez e´galement le contribuable. Si, aulieu de lui enlever chaque anne´e une portion de son capital, vous lui enleviez une portion de sa terre e´quivalente a` telle somme de´termine´e. qu’arriverait-il ? que l’anne´e suivante, en lui enlevant la meˆme portion de terre, vous le priveriez d’une partie relativement plus grande de sa proprie´te´, et ainsi de suite, jusqu’a` ce qu’il se trouvat entie`rement de´pouille´. La meˆme chose a lieu, quand vous imposez ses capitaux. L’effet est moins apparent, mais non moins infaillible. Le capital est pour tout individu, quelle que soit sa profession, ce qu’est pour un agriculteur sa charrue. Or, si vous prennez a` l’agriculteur un sac de bled qu’il vient de recueillir, il se remet au travail et en produit un autre l’anne´e suivante : mais si vous lui prennez sa charrue, il ne peut plus produire de bled. Qu’on ne pense pas que l’e´conomie des individus puisse remedier a` cet inconve´nient, en cre´ant de nouveau des capitaux. En imposant les capitaux, on diminue le revenu des particuliers, car on leur enle`ve les moyens reproducteurs de ce revenu. Sur quoi veut-on qu’ils e´conomisent ? Qu’on ne dise pas non plus que les capitaux se reproduisent. Les capitaux ne sont que des valeurs accumule´es, prises graduellement sur le revenu. Mais plus ce capital est entame´, plus le revenu diminue, moins l’accumulation peut donc avoir lieu, moins les capitaux peuvent se reproduire. L’Etat qui impose les capitaux pre´pare donc la ruine des individus b. Il leur enle`ve graduellement leur proprie´te´. Or la garantie de cette proprie´te´ e´tant l’un des devoirs de l’Etat, il est manifeste que les individus ont le droit de reclamer cette garantie contre un systeˆme de contributions dont le re´sultat serait contraire a` ce but. a

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Principes de politique

b

je suppose, pour la facilite´ de l’exemple, qu’il ne puisse emploier son capital et son industrie ailleurs. s’il le peut, le raisonement se reportera sur la matie`re premie`re sur laquelle il emploiera son capital et son industrie. [Add.] l’Economie du gouvernement est ce qui favorise le plus la prospe´rite´ d’un pays, parce qu’elle laisse plus de capitaux a` la disposition de l’industrie des particuliers.

V: 1 fait ] 〈ferait val〉 fait L 35–37 je suppose ... industrie. ] n. ajoute´e par BC ; corr. a. P meˆme texte, sauf la comparaison au lieu de le raisonnement L

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Chapitre 7e˙ Que l’intereˆt de l’Etat relativement aux impots est d’accord avec les droits des individus.

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Prouvons maintenant que l’intereˆt de l’Etat en fait d’impots, est d’accord avec les droits des individus. Car, malheureusement il ne suffit pas d’indiquer ce qui est juste, il faut encore convaincre la puissance que ce qui est juste n’est pas moins utile. Nous avons de´montre´ l’iniquite´ de l’impot territorial, lorqu’il de´passait le taux ne´cessaire pour faire supporter aux proprie´taires du sol, leur part proportionnelle dans le payement des contributions. Le meˆme impot nuit au gouvernement et par la cherte´ de sa perception, et par ses mauvais effets sur l’agriculture. Il retient dans la pauvrete´ la majorite´ de la classe agricole. Il entretient dans une activite´ ste´rile une foule de bras qui ne sont employe´s qu’a` le recueillir. Il absorbe des capitaux qui, ne reproduisant rien, sont enleve´s a` la richesse particulie`re, et perdus pour la richesse publique. Nos frais de contrainte, nos innombrables garnisaires, la force arme´e repartie dans les campagnes pour ope´rer le recouvrement des taxes arrie´re´es doivent nous avoir convaincus de ces ve´rite´s. Il a e´te´ constate´ que la leve´e de 250 millions par ce mode d’impots, entrainait 50 millions de frais de contrainte seulement. En conse´quence la nation la plus ce´le´bre par l’habilete´ de son administration financiere, loin de prendre l’impot foncier pour la baze de son revenu, ne le porte tout au plus qu’a` la 12e`me partie de la totalite´ des impots a. Nous avons condamne´ comme attentatoire aux droits sacre´s du travail l’impot sur les patentes1, dirige´ sur des metiers que le pauvre pourrait exercer : et cet impot organise´ de la sorte est un des moins faciles a` recouvrer, et l’un de ceux qui entrainent le plus de non valeurs, c’est a` dire le plus de pertes pour le tre´sor public. a

Le revenu public en Angleterre e´tait en 1799 de pre`s de 27 millions : et la taxe territoriale de 2 seulement2.

V: 1 Chapitre 7e˙ ] Chapitre 〈9〉 7 L corr. a. P 1 2

13 de bras ] dans l’interl. sup., au-dessus de 〈d’abus〉 (?)

BC parle a` plusieurs reprises de cette question. Voir ci-dessus, pp. 400–402. Autre exemple d’une information de seconde main. BC trouve les chiffres chez Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 350–351, qui, a` son tour, renvoie a` l’ouvrage de Sinclair, Du revenu public de l’Angleterre, sans pre´ciser l’endroit.

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Nous avons dit que les impots devenaient contraires aux droits des individus, quand ils autorisaient des recherches vexatoires1 : nous avons cite´ l’Alcavala d’Espagne, impot qui assujettit a` un droit chaque vente, de quelqu’objet que ce soit, mobilier ou immobilier2. Don Ustaritz a le conside`re comme la cause de la de´cadence des finances espagnoles. Nous avons rejette´ les contributions qui provoquaient a` la fraude3. Est-il besoin de prouver combien est funeste cette lutte entre le pouvoir et les citoyens ? Et ne voit on pas du premier coup d’œuil, qu’elle est ruineuse meˆme sous le rapport financier ? Nous avons ajoute´ que, lorsque les impots ane´antissaient par leur exce`s une branche de commerce, c’e´tait un attentat contre l’industrie4. L’Espagne a e´te´ punie d’un attentat pareil. Plusieurs de ses mines du Pe´rou restent sans etre exploite´es, parce que la taxe due au Roi absorbe la totalite´ du produit des proprie´taires b. C’est un double dommage et pour le fisc et pour les particuliers c. Nous avons re´prouve´ les loteries, bien que d’une perception facile, parceque leur effet est de corrompre les hommes5. Mais les gouvernemens eux meˆmes portent la peine de cette corruption. D’abord le mal que les loteries causent a` l’industrie, diminue la re´production et par conse´quent la richesse nationale. En second lieu, les crimes qu’elles font commettre a` la classe laborieuse, sont en mettant a` part toute consideration morale, et en ne les envisageant que fiscalement, une de´pense publique. Troisie`mement les agens subalternes se laissent se´duire a` l’appat des loteries, et c’est aux frais des gouvernemens. Il y eut dans une seule anne´e, sous le Directoire, pour douze millions de banqueroutes de percepteurs des impositions, et l’on constata que la loterie avait ruine´ les deux tiers environ de ces percepteurs. Enfin la perception d’un pareil impot, pour eˆtre facile, n’en est pas moins che`re. Pourque les loteries rapportent, il faut multiplier les tentations : pour multiplier les tentations, il faut multiplier les bureaux. Dela` de grands frais de recette. Du tems de M. Necker, le revenu des loteries e´tait de 11,500,000. et les frais de recouvrement de 2,400,000, c’est a` dire de pre`s de 21 pour a

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Principes de politique

b c

Theorie prat. du commerce d’Espagne. [Add.] depuis 1736, la taxe des Mines du Pe´rou avoit e´te´ re´duite du 5e au 10e. Smith. I. 11. Voy. d’Ulloa.

V: 3–4 Impot ... immobilier. ] ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L 〈impositions〉 contributions L 1 2 3 4 5

Voir Voir Voir Voir Voir

ci-dessus, ci-dessus, ci-dessus, ci-dessus, ci-dessus,

pp. 400–402. p. 400, n. 1. p. 400. p. 400. p. 402, n. 1.

6 contributions ]

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7, L’inte´reˆt de l’Etat d’accord avec les droits des individus

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cent, desorte que l’impot le plus immoral est en meˆme tems le plus couteux a` l’Etat1. Nous avons e´tabli en dernier lieu, que les impots ne devaient jamais porter que sur les revenus2. Quand ils entament les capitaux, les individus sont ruine´s d’abord, mais le gouvernement l’est ensuite. La raison en est simple. Tous les hommes qui ont quelque notion de l’e´conomie politique, savent que les consommations se divisent en deux classes, les productives et les improductives. Les premie`res sont celles qui cre´ent des valeurs, les secondes celles qui ne cre´ent rien. Une foret qu’on abat pour construire des vaisseaux ou une ville est aussi bien consomme´e que celle que de´vore une incendie3. Mais dans le premier cas, la flotte ou la cite´ que l’on a construite, remplace avec avantage la foreˆt qui a disparu : dans le second, il ne reste que des cendres. Les consommations improductives peuvent eˆtre ne´cessaires. Chaque individu consacre a` sa nourriture une portion de son revenu. C’est une consommation improductive, mais indispensable. Un Etat en guerre avec ses voisins consomme une portion de la fortune publique, pour subvenir a` la subsistance de ses arme´es, et leur fournir les munitions de guerre requises pour l’attaque ou la de´fense. Ce n’est point la` une consommation inutile, bien que ce soit une consommation improductive. Mais si les consommations improductives sont ne´cessaires souvent a` l’existence ou a` la surete´ des individus et des nations, il n’y a cependant que les consommations productives qui puissent ajouter aux richesses des uns et des autres. Ce qui est consomme´ improductivement est toujours une perte, excusable et le´gitime, quand le besoin l’exige, insense´e et sans excuse quand le besoin ne l’exige pas. Le nume´raire qui s’est introduit entre toutes les productions, comme moyen d’e´change, a servi a` re´pandre quelqu’obscurite´ sur cette question. V: 11 ou une ville ] mots ajoute´s dans l’interl. sup. corr. a. P 1 2 3

BC prend l’exemple et les chiffres dans l’ouvrage de Necker, De l’administration des finances, t. I, pp. 84–88. Voir ci-dessus, p. 403. L’emploi du mot «incendie» au fe´minin est bien atteste´ en franc¸ais, du XVIIe au XIXe sie`cles, ainsi que dans les dialectes (Wartburg, FEW, t. IV, p. 620a). Vaugelas (Remarques sur la langue franc¸aise, 1647) condamnait de´ja` ce fe´minin, comme celui de beaucoup d’autres substantifs a` initiale vocalique pour lesquels le genre est imperceptible dans de nombreux contextes (Nyrop, Grammaire historique, t. III, p. 385). Fe´raud (Dictionnaire critique, 1787, t. II, p. 1743b) signale cet emploi au fe´minin comme caracte´ristique des «Provinces me´ridionales», tandis que Pierrehumbert (Dictionnaire historique du parler neuchaˆtelois et suisse romand, p. 309) le conside`re comme une «faute commune en Suisse Romande [...] qui se rencontre aussi en France».

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2, fo 82ro

Principes de politique

Comme le nume´raire se consomme sans s’ane´antir, on a cru, que, de quelque manie`re qu’il fut employe´, la chose revenait au meˆme. On aurait du penser que le nume´raire pouvait eˆtre employe´ a` une re´production, ou qu’il pouvait etre consomme´ sans rien produire. Si un Gouvernement de´pense dix millions a` faire marcher une arme´e en diffe´rens sens, ou a` donner des feˆtes magnifiques, des spectacles, des illuminations, des danses, des feux d’artifice, les dix millions ainsi consomme´s ne sont pas de´truits. La nation n’est pas appauvrie de ces dix millions, mais ces dix millions n’ont rien produit. Il ne reste a` l’Etat de cet emploi de capitaux, que les dix millions qu’il posse´dait primitivement. Si au contraire ces dix millions avaient e´te´ employe´s a` construire des usines, ou des baˆtimens propres a` un genre quelconque de manufacture ou d’industrie, a` ame´liorer des terres, a` reproduire en un mot, n’importe quelles denre´es, la nation aurait eu d’un cote´ les dix millions consomme´s de la sorte, et de l’autre les valeurs que ces dix millions auraient produites. Je voudrais m’e´tendre davantage sur cet important sujet. Car c’est une opinion de´sastreuse que celle qui repre´sente tout emploi des capitaux comme indiffe´rent. Cette opinion est favorise´e par tous ceux qui profitent des dilapidations des gouvernemens, et pour tous ceux encore qui re´pe´tent sur parole des maximes qu’ils n’entendent pas. Sans doute, le nume´raire, signe des richesses, ne fait que passer dans tous les cas d’une main a` l’autre : Mais lorsqu’il est employe´ en consommations reproductives, pour une valeur, il y en a deux : lorsque sa consommation est improductive, au lieu de deux valeurs, il n’y en a jamais qu’une. De plus, comme pour eˆtre dissipe´ en consommations improductives, il est arrache´ a` la classe qui l’eut employe´ productivement, la nation, si elle ne s’appauvrit pas de son nume´raire, s’appauvrit de toute la production qui n’a pas eu lieu. Elle conserve le signe, mais elle perd la re´alite´ : et l’exemple de l’Espagne nous apprend assez que la possession du signe n’est rien moins qu’une richesse re´elle. Il est donc certain que le seul moyen de prospe´rite´ pour une nation, c’est l’emploi de ses capitaux en consommations productives. Or les gouvernemens, meˆme les plus sages ne peuvent employer les fonds enleve´s aux individus, qu’en consommations improductives. Le payement des salaires dus aux fonctionnaires publics de toutes les de´nominations, les de´penses de la police, de la justice, de la guerre, de toutes les administrations sont des consommations de ce genre. Lorsque l’Etat n’employe a` ces consommations qu’une portion des revenus, les capitaux restant entre les mains des particuliers, servent a` la re´production ne´cessaire. Mais si l’Etat de´tourne les capitaux de leur destination, la re´production diminue, et V:

2 revenait ] venait L

28 de l’Espagne ] d’Espagne L

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XI,

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7, L’inte´reˆt de l’Etat d’accord avec les droits des individus

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comme il faut alors chaque anne´e, ainsi que nous l’avons de´montre´ plus haut, enlever une portion de capitaux plus conside´rable, la re´production finirait par cesser entierement, et l’Etat, aussi bien que les particuliers, se trouverait ruine´. Comme le dissipateur qui consomme au dela` de son revenu, dit Ganilh dans son histoire du revenu public a, diminue sa proprie´te´ de tout ce dont il a exce´de´ son revenu, et ne tarde pas a` voir disparaitre revenu et proprie´te´, l’Etat qui impose les proprie´te´s b et consomme leur produit comme revenu, marche a` une de´cadence certaine et rapide. Ainsi donc en fait d’impot, comme en toute autre chose, les loix de l’e´quite´ sont les meilleures a` suivre, dut on ne les conside´rer que sous le rapport de l’utilite´. L’autorite´ qui viole la justice, dans l’espoir d’un gain mise´rable, paye che`rement cette violation, et les droits des individus devraient etre respecte´s par les gouvernemens, lors meˆme que ces gouvernemens n’auraient que leur propre intereˆt en vue.

a b

1

Tome II. p. 2891. les capitaux.

Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 289–290, citation conforme, a` quelques petits de´tails pre`s, sans importance pour le sens.

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Chape˙ 8e˙ Axiome incontestable

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Principes de politique

En indiquant, comme nous l’avons fait dans ce livre, d’une manie`re ne´cessairement tre´s abre´ge´e, quelques unes des re`gles relatives aux impots, nous nous sommes propose´ plutot de sugge´rer au lecteur des ide´es qu’il put e´tendre, que d’en developper aucune. Ce travail nous eut entraine´ fort au dela` des bornes dans lesquelles nous nous sommes renferme´s. Un axiome incontestable, et qu’aucun sophisme ne peut obscurcir, c’est que tout impot, de quelque nature qu’il soit, a toujours une influence plus ou moins facheuse a. Si l’impot produit quelque fois un bien par son emploi, il produit toujours un mal par sa leve´e b. Il peut etre un mal ne´cessaire. Mais, comme tous les maux ne´cessaires, il faut le rendre le moins grand possible. Plus on laisse de moyens a` la disposition de l’industrie des particuliers, plus un Etat prospe`re. L’impot par cela seul qu’il enle`ve une portion quelconque de ces moyens a` cette industrie, est infailliblement nuisible. Plus on tire d’argent des peuples, dit M. de Vauban dans la dixme royale, plus on ote d’argent au commerce1. L’argent du royaume le mieux employe´ est celui qui demeure entre les mains des particuliers, ou` il n’est jamais inutile ni oisif. a b

7, fo 59vo

Smith. liv. V. pour l’application de cette ve´rite´ ge´ne´rale a` chaque impot en particulier2. Say. Liv. V. ch. 83. [Add.] le premier effet ge´ne´ral de l’impot est de diminuer le gain des vendeurs, en diminuant la consommation dans les branches impose´es. Il arrive de la` que ceux qui cultivoient ces branches les abandonnent, pour s’attacher a` d’autres plus lucratives. Ils y augmentent la

V: 1 Chapitree˙ 8e˙ ] Chapitre 〈10〉 8 L TR: 8–15 c’est que tout ... nuisible. ]  Principes de politique (1815), 15, pp. 241–242, 20 Smith ... particulier. ]  Principes de politique OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 811–812. (1815), 15, p. 241, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 811. 1

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BC cite Vauban, La Dıˆme royale, d’apre`s Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. II, chap. 11, «De l’impoˆt en ge´ne´ral», p. 465. Say e´crit : «Plus on tire des peuples, disait Vauban avec beaucoup de raison, plus on oˆte d’argent du commerce». BC renvoie a` Smith, Recherches, livre V, chap. 2, section 2, «Des Impoˆts», subdivise´e en quatre «articles» qui traitent des diffe´rents types d’impoˆts (rentes et loyers, profit des capitaux, salaires du travail, impoˆts projete´s sur toutes les diffe´rentes espe`ces de revenus), pp. 456–550. Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. II, chap. 11, p. 466 : «[...] si l’impoˆt produit souvent un bien quant a` son emploi, il produit toujours un mal quant a` sa leve´e».

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8, Axiome incontestable

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Rousseau qui en finances n’avait aucune lumie`re, a re´pe´te´ apre`s beaucoup d’autres, que dans les paı¨s monarchiques, il fallait consommer par le luxe du prince l’exce`s du superflu des sujets, parcequ’il valait mieux que cet exce´dent fut absorbe´ par le gouvernement, que dissipe´ par les particuliers a. On apperc¸oit dans cette doctrine un me`lange absurde de pre´juge´s monarchiques et d’opinions re´publicaines. Le luxe du prince, loin de de´courager celui des individus, lui sert d’encouragement et d’exemple. Il ne faut pas croire qu’en les de´pouillant, il les re´forme. Il peut les pre´cipiter dans la mise`re, mais il ne peut les ramener a` la simplicite´. Seulement la mise`re des uns se combine avec le luxe des autres, et c’est de toutes les combinaisons la plus de´plorable b.

7, fo 60ro

a

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b

concurrence, et par conse´quent ils diminuent le gain. donc l’impot influe sur toutes les sources de rentes. mais avant qu’il se repartisse sur elles, et que le de´savantage de la branche impose´e se soit partage´ entre toutes les autres, de manie´re a` produire l’e´quilibre, Il s’ope`re un frottement plus ou moins long, qui rend l’impot de´sastreux. tout vieil impot est bon, tout nouvel impot pernicieux. Canard. Princip. d’e´con. politiq1. Contr. Soc. III. 82. [Add.] les Re´publiques finissent par le luxe, dit Montesquieu, les monarchies par la pauvrete´. Il en conclut que l’e´conomie convient aux Re´publiques, et le luxe aux monarchies. singulie`re conclusion : car que signifie l’observation meˆme sur laquelle il se fonde ? que les Re´publiques s’enrichissent par l’e´conomie et que les Monarchies se ruinent par le luxe3.

V: 12 raisonneurs ] part. re´crit sur raisonnemens P raisonnemens L TR: 1–11 Rousseau ... de´plorable. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 242, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 812 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, p. 397, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1271–1272. 17 Contr. ... 8. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 242, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 812. 1

2

3

BC cite l’ouvrage de Canard d’apre`s Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. II, p. 492 : «Que penser [...] d’une doctrine qui a obtenu l’approbation d’une socie´te´ illustre, et ou` l’on e´tablit qu’il importe peu que l’impoˆt pe`se sur une branche de revenu ou sur une autre, pourvu qu’il soit anciennement e´tabli». BC renvoie a` un curieux passage du Contrat social qui figure dans cet ouvrage comme une digression, une variation sur la the´orie du climat de Montesquieu. Rousseau parle dans ce contexte de «l’ordre de la nature» pour les trois types de gouvernement qu’il distingue : «Les lieux ou` le travail des hommes ne rend exactement que le ne´cessaire doivent eˆtre habite´s par des peuples barbares, toute politique y seroit impossible ; les lieux ou` l’exce`s du produit sur le travail est me´diocre conviennent aux peuples libres ; ceux ou` le terroir abondant et fertile donne beaucoup de produit pour peu de travail veulent eˆtre gouverne´s monarchiquement, pour consumer par le luxe du Prince l’exce`s du superflu des sujets ; car il vaut mieux que cet exce`s soit absorbe´ par le gouvernement que dissipe´ par les particuliers.» (ouvr. cite´, pp. 415–416). La pole´mique de BC contre Rousseau vise peut-eˆtre moins la the´orie e´conomique de cet auteur que le pessimisme de la the´orie rousseauiste du progre`s. Hofmann (p. 573, n. 113) a montre´ que le raisonnement de BC sur la remarque de Mon-

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Principes de politique

Des raisonneurs non moins inconse´quens ont conclu que parceque les paı¨s les plus charge´s d’impots, comme l’Angleterre, et la Hollande, e´taient les plus riches, qu’ils e´taient plus riches, parcequ’ils payaient plus d’impots. Ils prenaient l’effet pour la cause. On n’est pas riche parce qu’on paye : mais on paye parce qu’on est riche a. Tout ce qui exce`de les besoins re´els, dit un ecrivain dont on ne contestera pas l’autorite´ sur cette matie`re b, cesse d’etre le´gitime. Il n’y a d’autre diffe´rence entre les usurpations particulie`res et celles du souverain, si ce n’est que l’injustice des unes tient a` des ide´es simples, et que chacun peut aise´ment distinguer, tandis que les autres e´tant lie´es a` des combinaisons dont l’e´tendue est aussi vaste que complique´e, personne ne peut en juger autrement que par des conjectures.

a b

Say. V. ch. 21. Adm. des Fin. Liv. I. ch. 22.

V: 10 e´tant ] re´crit sur e´tait corr. a. P

TR: 6–12 Tout ce qui ... conjectures. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 241, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 811 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, pp. 395–396, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1271. 14 Adm ... 2. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 241, en note, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 811.

1 2

tesquieu (Esprit des lois, livre VII, chap. 4, p. 337) continue celui de Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre V, chap. 1er, t. II, p. 340 : On trouve chez Montesquieu : «Ve´rite´ constante qui prouve que la frugalite´ enrichit les E´tats et que le luxe les ruine. Mais si le luxe ruine les monarchies, il ne saurait leur convenir, car il ne convient a` aucun E´tat de devenir de´pendant et pauvre.» Il n’est pas certain que Say et BC aient bien compris la the`se de Montesquieu. Il faut lire : Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre V, chap. 11 (t. II, pp. 465–466). Necker, De l’administration des finances, t. I, p. 43.

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Chape˙ 9e˙ Inconve´niens des impots excessifs.

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Partout ou` la constitution de l’Etat ne met pas obstacle a` la multiplication arbitraire des impots, partout ou` le gouvernement n’est pas arrete´ par des barrie`res insurmontables dans ses demandes toujours croissantes, quand on ne les conteste jamais, ni la justice, ni la morale, ni la liberte´ individuelle ne peuvent eˆtre respecte´es. Ni l’autorite´ qui enle`ve aux classes laborieuses leur subsistance che`rement acquise, ni ces classes opprime´es qui voyent cette subsistance arrache´e de leurs mains pour enrichir des maitres avides, ne peuvent rester fide`les aux loix de l’e´quite´ dans cette lutte scandaleuse de la faiblesse contre la violence, de la pauvrete´ contre l’avarice, du besoin contre la spoliation. Tout impot inutile est un vol que la force qui l’accompagne ne rend pas plus le´gitime que tout autre attentat de cette nature a. C’est un vol d’autant plus odieux, qu’il s’exe´cute avec toutes les solemnite´s de la loi. C’est un vol d’autant plus coupable, que c’est le riche qui l’exerce contre l’indigent. C’est un vol d’autant plus laˆche, qu’il est commis par l’autorite´ en armes, contre l’individu desarme´. L’autorite´ elle meˆme ne tarde pas a` en eˆtre punie. a

[Add.] ce que le bien de l’Etat exige, voila` la de´cision et le trait de lumie´re. Les impots proportione´s a` ce bien public, dont un Souverain est le juge et le gardien, sont un acte de justice. ce qui exce`de cette mesure cesse d’eˆtre le´gitime. Il n’y a donc d’autre diffe´rence entre les usurpations particulie`res et celles du Souverain, Si ce n’est que l’injustice des uns tient a` des ide´es simples, et que chacun peut aise´ment distinguer, tandis que les autres, e´tant lie´es a` des combinaisons dont l’e´tendue est aussi vaste que complique´e, personne ne peut en juger autrement que par des conjectures. ... c’est une violation du plus saint des de´pots, que d’employer les sacrifices des peuples a` des largesses inconside´re´[e]s, a` des de´penses inutiles, et a` des entreprises e´trange´res au bien de l’e´tat. ... l’e´tendue de´raisonnable des Impots est de plus une source constante de maux et de vexations. Adm. des finances. I. ch. 21.

V: 1 Chapitree˙ 9e˙ ] Chapitre 〈11〉 9 L TR: 7–12 Ni l’autorite´ ... Spoliation. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 243, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 812 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, pp. 397–398, OCBC, 12–17 Tout impot ... de´sarme´. ]  Principes de politique (1815), Œuvres, VIII/2, p. 1272. 15, p. 241, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 811 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, p. 396, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1271. 1

BC choisit dans le chapitre 2 de l’ouvrage de Necker, Administration des finances, trois morceaux, se´pare´s ici par les points de suspension (t. I, pp. 43, 47 et 48) pour re´sumer les re´flexions de l’auteur sur l’impoˆt juste et supportable.

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Principes de politique

Les peuples dans les provinces romaines, dit Hume a, e´taient si opprime´s par les Publicains, qu’ils se jettaient avec joye dans les bras des barbares. Heureux que des maitres grossiers et sans luxe leur pre´sentassent une domination moins avide et moins spoliatrice que les Romains.

a

Ess. polit. 81.

1

Hofmann (p. 272, n. 56) a montre´ que BC prend cet exemple chez Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 403–404, n. 1, qui s’inspire de Hume, Essays and Treaties on several subjects, plus pre´cise´ment du troisie`me essai «That Politics May be Reduced to a Science» (Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1793, pp. 10–27, surtout p. 16 qui contient la phrase de´cisive : «What cruel tyrants were the Romans over the world during the time of the commonwealth.») La preuve pour cette hypothe`se est d’une part la formulation de BC qui utilise en partie les termes de Ganilh et de l’autre le renvoi fautif au huitie`me essai.

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Chape˙ 10e˙ Autre inconve´nient des impots excessifs.

L’on se tromperait encore en supposant que l’inconve´nient des impots excessifs se borne a` la mise`re et aux privations du peuple. Il en re´sulte un mal plus grand, que l’on ne me parait pas jusqu’a` ce jour, avoir suffisamment remarque´. La possession d’une tre`s grande fortune inspire aux particuliers des desirs, des caprices, des fantaisies de´sordonne´es qu’ils n’auraient point eues dans une situation plus modique et plus restreinte. Il en est de meˆme des gouvernemens. Le superflu de leur opulence les enyvre, comme le superflu de leur force, parceque l’opulence est une force, et de toutes les forces la plus re´elle. Dela` des plans chimeriques, des ambitions effre´ne´es, des projets gigantesques qu’un gouvernement qui n’aurait posse´de´ que le ne´cessaire, n’eut jamais conc¸us. Ainsi le peuple n’est pas mise´rable seulement parcequ’il paye au dela` de ses moyens, mais il est mise´rable encore par l’usage que son gouvernement fait de ce qu’il paye. Ses sacrifices tournent contre lui. Il ne paye plus des impots pour avoir la paix assure´e par un bon systeˆme de de´fense : il en paye pour avoir la guerre, parceque l’autorite´ fie`re de ses immenses tre´sors invente mille pre´textes pour les de´penser glorieusement comme elle dit. Le peuple paye, non pourque le bon ordre soit maintenu dans l’inte´rieur, mais pourqu’une cour insolente, enrichie de ses de´pouilles trouble au contraire l’ordre public par ses vexations impunies. De la sorte une nation qui n’a pas de garantie contre l’accroissement des impots ache`te par ses privations les malheurs, les troubles et les dangers. Le pe`re paye pourque son fils saisi dans ses bras soit envoye´ a` la mort, loin des frontie`res. Le cultivateur paye pourque ses champs soient de´vaste´s par une meute nourrie de l’argent qu’il a donne´. Dans cet e´tat de choses, le Gouvernement se corrompt par sa richesse, et le peuple par sa pauvrete´. V: 1 Chape˙ 10e˙ ] Chapitre 〈12〉 10 L inconve´nient L

3 inconve´nient ] la source porte inconve´niens P

TR: 3–10 L’on se tromperait ... gouvernemens. ]  Principes de politique (1815), 15, p. 243, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 812 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, p. 398, 10–28 Le superflu ... pauvrete´. ]  Principes de politique OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1272. (1815), 15, p. 244, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 813 ;  Re´flexions sur les constitutions, note Z, CPC, I, pp. 398–399, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1272–1273.

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Principes de politique

[Addition] 7, fo 60ro 7, fo 60vo

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on excuse souvent l’exce´s des impots par la ne´cessite´ pre´tendue d’entourer les gouvernemens d’une grande magnificence. l’on pre´tend que, pour inspirer aux hommes du respect pour leurs institutions, il faut les e´blouı¨r par l’e´clat des de´positaires du pouvoir. cet axiome est faux e´galement dans les Re´publiques et dans les Monarchies. dans celles-ci, la Simplicite´ du Monarque e´tant volontaire et par la` me´ritoire, produit une impression beaucoup plus profonde que l’e´talage d’une Richesse extorque´e aux gouverne´s. Fre´de´ric II, et meˆme Charles XII inspiroient sous ce rapport, plus de ve´ritable respect que Louis XIV. Le faste est moins ne´cessaire encore dans les Re´publiques. Il se peut qu’une aristocracie ait besoin que l’opulence de la classe gouvernante impose au peuple. mais il faut que cette opulence appartienne he´re´ditairement a` cette classe, et non qu’elle tire son origine des impots de chaque jour, source a` la fois ignoble et odieuse. Quant aux Gouvernemens e´lectifs, le faste n’y produit aucun des effets qu’on lui attribue. Ce qui se fait dans le but avoue´ de frapper, d’e´blouir, de se´duire, manque infailliblement ce but. Aucune ve´ne´ration personelle ne re´sulte des de´corations qui n’ont elles meˆmes rien de personnel. cette magnificence emprunte´e ressemble a` la toilette de nos acteurs. La pompe a de l’influence sur la Nation Spectatrice, lorsqu’elle est apporte´e dans le gouvernement par l’individu, et non lorsqu’elle est, pour ainsi dire, pose´e sur l’Individu, en sa qualite´ de gouvernant. les effets avantageux qu’on attend du faste, se composent de souvenirs, d’habitudes, de superstitions he´re´ditaires. les Gouvernemens qui n’ont pas ces appuis doivent renoncer a` ces moyens. Mais si la pompe est inutile, Il y a une e´le´gance de mœurs, indispensable dans les gouvernans. cette e´le´gance s’allie avec la plus grande simplicite´, comme la grossie´rete´ la plus brutale s’allie avec le faste et l’ostentation. cette e´le´gance de mœurs commande la conside´ration ve´ritable. elle est l’effet lent et sur de l’e´ducation et de l’ensemble de la vie. elle est la garantie de la justice, et ses conse´quences sont bien plus importantes que l’on ne pense. Des homes grossiers peuvent eˆtre e´mus : mais pour une circonstance ou ils le seront, que de circonstances ou ils resteront durs et fe´roces ! Il ne faut pas oublier d’ailleurs que pour e´mouvoir des ames grossie`res, un redoublement dans les accens et les symptomes de la douleur sera ne´cessaire. Or que de douleurs silentieuses et profondes, ils n’apercevront meˆme pas ! que de sensations timides ou de´licates reculeront devant leurs formes repoussantes et tumultueuses ! que d’innocens dont la fierte´ re´volte´e glacera la langue, e´touffera l’expression ! La grossie´rete´, la violence sont les deux plus grands fle´aux dans les hommes reveˆtus du pouvoir. Elles mettent une insurmontable barrie`re

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10, Autre inconve´nient des impoˆts excessifs

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entr’eux et tout ce qu’il y a de noble, d’e´leve´, de de´licat, de profond dans la nature humaine. Les hommes grossiers, les hommes irascibles, lors meˆme que leurs Intentions sont pures, sont comptables de tout le bien qu’on ne leur propose pas de faire, et de tout le Mal qui se commet, sans qu’on ose reclamer. Un auteur, ce´le´bre par ses e´crits sur les moyens de soulager la classe souffrante1, M. de Rumford, dit, dans ses me´moires sur les hopitaux et les maisons de force, que les soins physiques contribuent beaucoup a` l’ame´lioration morale des hommes, et qu’il a souvent observe´ le changement le plus rapide dans les criminels eux meˆmes, lorsqu’un air plus pur, de meilleurs veˆtemens, une nourriture plus saine, les avoient transporte´s, pour ainsi dire dans une autre sphe`re. l’absence des soins physiques, dit-il, cause une douleur, un mal aise, qui met l’ame dans une disposition irritable, et qui jette je ne sai quoi de convulsif et de de´sordonne´ dans les sentimens et dans les actions. J’en dis autant de la grossie´rete´ des formes et de cette irascibilite´ dont les hommes puissans veulent faire un moyen pour n’eˆtre pas re´duits a` s’en excuser comme d’un vice. ces choses mettent notre eˆtre dans une espe`ce d’agitation convulsive, qui e´touffe toutes les impressions douces. l’homme influe sur lui meˆme par sa voix, par ses gestes, par ses discours, et de meˆme que ses sensations inte´rieures agissent sur les formes qu’il reveˆt, ces formes re´agissent sur sa disposition inte´rieure. a` quelques e´poques de notre Re´volution, l’on e´toit tombe´ dans la contradiction la plus ridicule. l’on avoit voulu entourer le gouvernement de magnificence, et consacrer dans les gouvernans la grossie´rete´. l’on n’avoit pas senti que ce qu’il y avoit de bon dans l’institution populaire, c’e´toient la simplicite´, l’absence d’une pompe inutile, d’une ostentation humiliante pour le pauvre, et que ce qu’il y avoit de bon dans l’institution aristocratique, c’e´toient l’e´le´gance des mœurs, la hauteur de l’ame, la de´licatesse des sentimens, re´sultats d’une e´ducation que la richesse avoit permis de soigner. l’on avoit re´uni les Inconve´niens des deux systeˆmes, et combine´ le faste stupide avec la farouche brutalite´.

1

BC fait allusion a` Benjamin Thompson, Reichsgraf von Rumford, dont les Essays, political, economical and philosophical avaient parus en 1796 a` Londres (4 vol) et qu’il peut aussi avoir connu dans la traduction franc¸aise parue a` Gene`ve en 1800 ou dans la traduction allemande, Benj[amin] Grafen von Rumford kleine Schriften politischen, ökonomischen und philosophischen Inhalts, nach der zweyten vermehrten Ausgabe aus dem Englischen übersetzt, und mit neuen Beylagen bereichert, Erster Band, Weimar : Im Verlage des IndustrieComptoirs, 21800. Cet ouvrage contient trois me´moires (pp. 1–370) sur cette matie`re. Les remarques de BC se rapportent au premier me´moire : «Nachricht von einer Armen-Anstalt zu München», et plus particulie`rement au chap. 7 de cet essai.

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Livre XIIe˙ De la Juris diction de l’autorite´ sur l’industrie et sur la population.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14359, fos 86vo–125ro [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 61vo–69ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 465ro–572ro [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 79–98 [=LA].

9. Page des Additions aux Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, f° 61v°. Copie autographe, à partir du manuscrit de Lausanne de ces Additions, pour le livre XII. Notes et additions sont classées par chapitres, les notes sont numéroWpHVHWOHXUSODFHHVWGp¿QLHSDUODFLWDWLRQG¶XQSDVVDJHGXWH[WHVRXOLJQpLFLTXLSHUPHWGHOHVLQWpJUHUDXERQHQGURLW/HVDGGLWLRQVVRQWGHVWLQpHVjrWUHSODFpHVjOD¿QGX chapitre en cause.

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Chapitre 1e˙r Observation pre´liminaire

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Dans l’e´nume´ration qui se trouve au commencement de cet ouvrage, des droits inalie´nables des individus, je n’ai pas place´ la liberte´ d’industrie1. Cependant les philosophes les plus e´claire´s du sie`cle dernier ont de´montre´ jusqu’a` l’e´vidence, l’injustice des restrictions qu’e´prouve cette liberte´ dans presque tous les pays. Ils ont prouve´ de meˆme, et tout aussi e´videmment a` mes yeux, que ces restrictions n’e´taient pas moins inutiles et mal entendues, que contraires a` l’e´quite´. Cette dernie`re question toutefois parait encore douteuse a` beaucoup de gens. Des volumes seraient ne´cessaires pour l’e´claircir d’une manie`re qui leur parut satisfaisante. Les principes de la liberte´ industrielle reposent sur une multitude de faits, et chaque fait qui lui semble contraire exige, pour eˆtre replace´ sous son vrai point de vue, un examen long et de´taille´ a. La liberte´ du commerce n’est utile que lorsqu’elle est scrupuleusement respecte´e. Une seule violation re´pandant l’incertitude dans tout le systeˆme, en de´truit tous les bons effets, et les gouvernemens tirent alors parti de leurs fautes meˆmes pour justifier leur intervention. Ils arguent des re´sultats imparfaits et quelque fois funestes d’une liberte´ pre´caire et restreinte contre les re´sultats toujours salutaires d’une liberte´ complette et assure´e. Je n’ai pas voulu en conse´quence, bien que toutes les questions de cette nature soient lie´s entr’elles, mettre sur la meˆme ligne la liberte´ commerciale et la liberte´ civile, de peur que les hommes qui diffe´reraient d’opinion sur la premie`re, n’en fussent plus dispose´s a` contester les principes importans qui servent de baze au bonheur des associations et a` la surete´ des citoyens. Il s’est ne´a

Un fait particulier, observe le judicieux Say, ne suffit point pour de´truire un fait ge´ne´ral. Car on ne peut s’assurer qu’une circonstance inconnue n’ait pas produit la diffe´rence qu’on remarque entre les re´sultats de l’un et de l’autre..... Combien peu de faits particuliers sont complettement ave´re´s ! Combien peu sont observe´s avec toutes leurs circonstances ! Econ. pol. pre´face.

V: 2 Chapitre 1er ] Seconde Partie / Livre second / Section premie`re / De l’action du gouvernement sur l’industrie. Chapitre 1er tout ce qui pre´ce`de des deux derniers mots n’est pas biffe´ L 1 2

Voir ci-dessus, livre II, chap. 6, p. 146. Voir Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. I, «Discours pre´liminaire», pp.VIIIIX2.

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ammoins pre´sente´ a` moi non seulement des conside´rations morales qui rentrent dans le sujet de cet ouvrage, et qui sous le rapport moral decident la question favorablement pour la liberte´, mais encore des observations et des faits qui la de´cident de meˆme sous le point de vue industriel. Je n’ai pas cru devoir les supprimer. Mais je prie le lecteur de ne pas oublier que ce livre1 n’est nullement un traite´ d’e´conomie commerciale, et contient simplem˙t des re´flexions ge´ne´rales que j’isole a` dessein du reste de mes recherches, pour que mes erreurs, si j’en ai commises, ou les dissentimens que mes opinions a` cet e´gard pourraient rencontrer, ne retombent point sur les autres questions que j’ai discute´es. Je me serais trompe´ dans mes assertions sur la liberte´ de l’industrie et du commerce, que mes principes sur la liberte´ religieuse, intellectuelle et personnelle, n’en seraient point affaiblis.

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[Addition] 7, fo 61vo

Il est prouve´ que l’industrie ne fleurit que par la liberte´ : mais si le contraire e´toit de´montre´, les restrictions mises a` la liberte´ sous le pre´texte de favoriser l’industrie, ont des conse´quences tellement de´sastreuses pour le bonheur ge´ne´ral et pour la morale, qu’il vaudroit mieux laisser languir l’industrie qu’attenter a` la liberte´.

V: 1 non seulement ] ces deux mots dans l’interl. sup. P manquent L section L

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5 ce livre ] cette

La variante a` la ligne 5 prouve que nous lisons un morceau qui appartient a` la re´daction hie´rarchique de l’ouvrage.

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Chapitre 2e˙ De la Juris diction le´gitime de la socie´te´ sur l’industrie.

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La socie´te´ n’ayant d’autres droits sur les individus que de les empecher de se nuire mutuellement, elle n’a de juris diction sur l’industrie, qu’en supposant celle-ci nuisible. Mais l’industrie d’un individu ne peut nuire a` ses semblables, aussi long tems que cet individu n’invoque pas en faveur de son industrie et contre la leur des secours d’une autre nature. La nature de l’industrie est de lutter contre l’industrie rivale, par une concurrence parfaitement libre, et par des efforts pour atteindre une supe´riorite´ intrinse`que. Tous les moyens d’espe`ce diffe´rente qu’elle tenterait d’employer, ne seraient plus de l’industrie, mais de l’oppression ou de la fraude. La socie´te´ aurait le droit et meˆme l’obligation de la re´primer. Mais de ce droit que la socie´te´ posse`de, il re´sulte qu’elle ne posse`de point celui d’employer contre l’industrie de l’un, en faveur de celle de l’autre, les moyens qu’elle doit e´galement interdire a` tous. Toutes les objections que nous avons rassemble´es dans le livre pre´ce´dent1 contre les entraves mises a` la jou¨issance ou a` la transmission de la proprie´te´, acquie`rent une force double, lorsqu’elles s’appliquent a` l’industrie. Ces objections sont fonde´es pour la plupart sur la facilite´ avec laquelle les loix prohibitives sont e´lude´es et sur la corruption qu’entrainent les occasions pre´sente´es aux hommes de de´sobe´ir aux loix. Or la nature de l’industrie offre bien plus de moyens de transgressions secre`tes et impunies, que la nature de la proprie´te´ fonciere.

V: 15 tous. ] suit une barre oblique, signe pour un copiste (?) P

TR: 3–15 La socie´te´ ... a` tous. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 358– 359, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1251–1252.

1

La tournure «dans le livre pre´ce´dent» est une trace de la re´daction hie´rarchique de l’ouvrage, car BC renvoie pre´cise´ment au livre X de la re´daction actuelle, qui faisait effectivement partie du chapitre premier de la re´daction pre´ce´dente. Voir ci-dessus notre introduction, pp. 63–64, le tableau «Structure de l’ouvrage».

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Chapitre 3e˙ Que l’action de l’autorite´ sur l’industrie se divise en deux branches.

L’action de l’autorite´ sur l’industrie peut se diviser en deux branches : les prohibitions et les encouragemens. Les privile`ges ne doivent pas eˆtre se´pare´s des prohibitions, parceque ne´cessairement ils les impliquent. Comme nous voulons ici plutot donner des exemples, que suivre le systeˆme industriel dans toutes ses parties, nous prendrons au hazard quelquesunes des prohibitions les plus en vigueur dans la plupart des gouvernemens, et qui par conse´quent ont au moins en leur faveur l’opinion de la classe gouvernante. Nous ne dirons rien de celles dont l’absurdite´ long tems conteste´e est aujourd’hui ge´ne´ralement connue.

V: 6 impliquent. ] suit une barre oblique, signe pour un copiste (?) P

TR: 4–6 L’action ... impliquent. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 359, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1252.

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Chape˙ 4e˙ Des privile`ges et prohibitions

Qu’est ce qu’un privile`ge en fait d’industrie ? C’est l’emploi de la force du corps social, pour tourner au profit de quelques hommes, les avantages que le but de la socie´te´ est de garantir a` tous. C’est ce que fesait l’Angleterre, lorsqu’avant l’union de l’Irlande a` ce royaume, elle interdisait aux Irlandais presque tous les genres de commerce e´tranger. C’est ce qu’elle fait aujourd’hui, lorsqu’elle de´fend a` tous les Anglais de faire aux Indes un commerce inde´pendant de la compagnie qui s’est empare´e de ce vaste Monopole. C’est ce que faisaient les bourgeois de Zurich avant la re´volution de la suisse, en forc¸ant les habitans des campagnes a` ne vendre qu’a` eux seuls presque toutes leurs denre´es et tous les objets qu’ils fabriquaient. Il y a manifestement injustice en principe. y a-t-il utilite´ dans l’application ? Si le privile`ge est le partage d’un petit nombre, il y a sans doute utilite´ pour ce petit nombre. Mais cette utilite´ est du genre de celle qui accompagne toute spoliation. Ce n’est pas celle qu’on se propose, ou du moins qu’on avoue se proposer. y a-t-il utilite´ nationale ? Non sans doute : Car en premier lieu, c’est la grande majorite´ de la nation qui est exclue du be´ne´fice. Il y a donc perte sans compensation pour cette majorite´. En second lieu, la branche d’industrie ou de commerce qui est l’objet du privile`ge est exploite´e plus ne´gligemment et d’une manie`re moins e´conomique par des individus dont les gains sont assure´s par l’effet seul du Monopole, qu’elle ne le serait, si la concurrence obligeait tous les rivaux a` se surpasser a` l’envi par l’activite´ et par l’adresse. Ainsi la richesse nationale ne retire pas de cette industrie tout le parti qu’elle en pourrait tirer. Il y a donc perte relative pour la nation toute entie`re. Enfin les moyens dont l’autorite´ doit se servir pour maintenir le privile`ge, et pour repousser de la concurrence les individus non privilegie´s, sont ine´vitablement oppressifs et vexatoires. Il y a donc encore

V: 2 et prohibitions ] 〈en fait de commerce〉 et prohibitions corr. a. dans l’interl. sup. L 28 encore ] 〈encore〉 encore L TR: 3-p. 429.7 Qu’est-ce qu’un ... compense. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 127– 131. Qu’est-ce qu’un ... privile`gie´s. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 359–361, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1252–1253.

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pour la nation toute entie`re perte de liberte´. Voila` trois pertes re´elles a que ce genre de prohibition entraine, et le de´dommagement de ces pertes n’est re´serve´ qu’a` une poigne´e de privile`gie´s. L’excuse bannale des privile`ges, c’est l’insuffisance des moyens individuels, et l’utilite´ d’encourager des associations qui y supple´ent b. Mais on s’exage`re beaucoup cette insuffisance, et l’on ne s’exage`re pas moins cette ne´cessite´ c. Si les moyens individuels sont insuffisans, quelques individus se ruineront peut-etre, mais un petit nombre d’exemples e´clairera tous les citoyens d, et quelques malheurs particuliers sont bien pre´fe´rables a` la masse incalculable de malheurs et de corruption publique, que les privile`ges introduisent. Si l’Etat voulait surveiller les individus dans toutes les ope´rations par les quelles ils peuvent se nuire, il arriverait a` restreindre la liberte´ de presque toutes les actions : et s’e´rigeant une fois en tuteur des

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[Add.] en voici une quatrie`me. les manufactures qui, en s’ouvrant a` la faveur des privile`ges, de´tournent les capitaux de celles qui n’ont pas besoin de privile`ges pour se soutenir, font que ces dernie`res se de´gradent faute de capitaux suffisans. Simonde. Le`g. Com. II. 531. [Add.] de deux choses l’une, ou un commerce ne peut se faire que par une compagnie, et alors la compagnie n’a rien a` craindre de la concurrence des Individus, ou si la compagnie a` quelque chose a` en craindre, c’est que le comerce peut se faire sans compagnie privile´gie´e, et alors une compagnie de ce genre est une injustice. On a dit sans cesse que le commerce de l’Inde ne pouvait eˆtre fait que par une compagnie. Mais pendant plus d’un sie`cle, les portugais ont fait ce commerce sans compagnie, avec plus de succe´s, qu’aucun autre peuple. Say. Liv. 1. ch. 27. p. 1632[.] [Add.] Il est e´vident que chaque Individu, dans sa position particulie`re, est beaucoup mieux a` meˆme de juger de l’espe`ce d’industrie que son capital peut mettre en oeuvre le plus avantageusement, qu’aucun home d’e´tat ou Le´gislateur ne pourra le faire pour lui. Smith. IV. 23.

V: 3 privile`gie´s. ] suit une barre oblique P

24 Say ... p. 163. ] manque L, LA

TR: 21–23 On a dit ... peuple. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 128, en note. 1

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Voir Sismondi, De la richesse commerciale, t. II, p. 53. BC re´sume le passage suivant : «La nation e´prouve encore un autre inconve´nient de cette contrainte a` laquelle son industrie est soumise, c’est que ses manufactures se de´gradent ; neuf millions doivent de´sormais leur suffire pour produire les meˆmes choses qu’elles produisoient auparavant avec dix ; comme il faut cependant que malgre´ la diminution du capital, le consommateur trouve tout ce qui lui est ne´cessaire, les fabricans le servent de´sormais en qualite´ infe´rieure, et pour travailler meilleur marche´, ils travaillent plus mal.» Il faut lire a` la fin de la note : p. 193. Exemple pris chez Say, Traite´ d’e´conomie politique, «Il ne faut pas non plus s’imaginer le´ge`rement qu’un certain commerce ne puisse absolument eˆtre fait que par une compagnie ; cela a e´te´ dit bien souvent de celui de l’Inde, et cependant plus d’un sie`cle durant, les Portugais l’ont fait, sans compagnie, avec plus de succe`s qu’aucune autre nation.» BC reproduit une phrase du chapitre 2 du livre IV des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, p. 43.

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4, Des privile`ges et prohibitions

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citoyens, il ne tarderait pas a` devenir leur tyran. Si les associations sont ne´cessaires pour une branche d’industrie ne´cessaire ou de commerce e´loigne´, les associations se formeront et les individus ne lutteront pas contr’elles, mais chercheront a` y entrer pour en partager les avantages ; que si les associations existantes s’y refusent, vous verrez naitre de nouvelles associations, et l’industrie rivale en sera plus active. Que le gouvernement n’intervienne que pour maintenir et les associations et les individus dans leurs droits respectifs et dans les bornes de la justice : la liberte´ se charge du reste et s’en charge avec succe`s. On se trompe d’ailleurs, quand on regarde les compagnies de commerce comme une chose avantageuse de sa nature. Toute compagnie puissante, observe un auteur verse´ dans cette matie`re1, lors meˆme qu’elle ne fait le commerce qu’en concurrence avec les particuliers, les ruine d’abord, en baissant les prix des marchandises ; et quand les particuliers sont ruine´s, cette compagnie fesant seule, ou presque seule le commerce, ruine la nation en haussant les prix : Ensuite ses gains excessifs portant ses agens a` la ne´gligence, elle se ruine elle meˆme a. On voit dans Smith, Liv. V. ch. l, par des exemples nombreux et incontestables2, que plus les compagnies anglaises ont e´te´ exclusives, investies de privile`ges importans, riches et puissantes, plus elles ont eu d’inconve´niens pendant leur dure´e, et plus elles ont mal fini, tandis que les seules qui ayent re´ussi ou se soient soutenues, sont les compagnies borne´es a` un capital modique, compose´es d’un petit nombre d’individus, n’employant que peu d’agens, c’est a` dire se rapprochant le plus possible par leur administration et par leurs moyens de ce que pourraient eˆtre des associations particulie`res. L’Abbe´ Morellet comptait, en 1780, 55 compagnies revetues de privile`ges exclusifs en diffe´rens pays de

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[Add.] les compagnies de commerce ont ce de´savantage, qu’il en est des directeurs de ces compagnies comme des gouvernemens, qui ont bientot un interet diffe´rent de celui des gouverne´s. les Directeurs de ces compagnies ont bientot un interet diffe´rent de celui de la compagnie.

V: 27 ont ] mot re´pe´te´ par inadvertance P

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Hofmann (p. 279, n. 9) suppose qu’il pourrait s’agir de Morellet, mentionne´ quelques lignes plus bas. BC renvoie ici au livre V, chap. 1, section 3, article 3, § 2, des Recherches pp. 355–365.

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l’Europe, et qui e´tablies depuis 1600, avaient toutes fini par une banqueroute a. Il en est des compagnies trop puissantes, comme de toutes les forces trop grandes, comme des trop grands Etats, qui commencent par de´vorer leurs voisins, puis leurs sujets, et qui ensuite se de´truisent eux meˆmes. La seule circonstance qui rende une compagnie admissible, c’est lorsque des individus s’associent pour e´tablir a` leurs pe´rils et risques, une nouvelle branche de commerce avec des peuples lointains et barbares. L’Etat peut alors leur accorder en de´dommagement des dangers qu’ils bravent, un monopole de quelques anne´es. Mais le terme expire´, le monopole doit eˆtre supprime´ et le commerce redevenir libre b. On peut citer des faits isole´s en faveur des privile`ges, et ces faits paraissent d’autant plus concluans, qu’on ne voit jamais ce qui aurait eu lieu, si ces privile`ges n’avaient pas existe´. Mais j’affirme en premier lieu, qu’en admettant au nombre des e´le´mens le tems dont on cherche vainement a` se a

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[Add.] un exemple bien remarquable des facheux effets des compagnies de commerce, c’est l’histoire du commerce franc¸ais de l’Inde, depuis 1664 jusqu’en 1719. la compagnie cre´e´e en 1664 avoit un privile`ge exclusif. elle perdit jusqu’en 1708 pre`s de 20 millions. pendant ce tems, des marchands de St Malo fesoient un commerce interlope, he´risse´ de toutes les difficulte´s et les dangers de la contrebande. Ils y gagnoient. ces marchands imagine`rent d’acheter en 1708 le privile`ge de la compagnie qui les tourmentoit et devinrent ainsi eux meˆmes une compagnie privile´gie´e. aussitot leurs be´ne´fices cesse`rent, et en onze ans ils porte`rent les pertes de la compagnie des Indes, dont ils avoient acquis le privile´ge, a` 30 millions. Savary. Dict. de Com. IV, p. 10751. Smith. V. 12. Il y a deux pistes a` de´meˆler : Dans le texte meˆme, BC reproduit un exemple qu’il a trouve´ chez Smith, Recherches. L’auteur anglais cite Morellet qui parle des 55 compagnies de commerce, ayant «toutes failli par les vices de leur administration, quoiqu’elles eussent des privile`ges exclusifs» depuis 1600. Ce qui n’est pas explique´, c’est l’anne´e 1780 mentionne´e par BC dans son texte. BC ajoute a` cette information encore un exemple pour illustrer les conse´quences ne´fastes de l’organisation du commerce en compagnies, qu’il a trouve´ dans l’ouvrage de Sismondi, De la richesse commerciale, t. II, pp. 309–310 ; celui-ci donne comme re´fe´rence le long article de Jacques Savary des Bruslons, a` la fin de son Dictionnaire universel de Commerce, d’Histoire naturelle, & des Arts & Me´tiers, 61750, t. IV, col. 1075–1228, ouvrage que BC n’a probablement pas consulte´. BC veut renvoyer au passage suivant : «Quand une socie´te´ de marchands entreprend, a` ses propres de´pens et a` ses risques, d’e´tablir quelque nouvelle branche de commerce avec des peuples lointains et non civilise´s, il peut eˆtre assez raisonnable de l’incorporer comme compagnie en socie´te´ de fonds, et de lui accorder, en cas de re´ussite, le monopole de ce commerce pour un certain nombre d’anne´es. [...] Un monopole temporaire de ce genre peut eˆtre justifie´ par les meˆmes principes qui font qu’on accorde un semblable monopole a` l’inventeur d’une machine nouvelle, [...]. Mais a` l’expiration du terme, le monopole doit eˆtre supprime´.» Smith, Recherches, t. II, pp. 379–380.

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passer, et en ne se livrant pas a` une impatience pue´rile, la liberte´ finirait toujours par produire sans me`lange d’aucun mal, le meˆme bien qu’on s’efforce d’arracher par les privile`ges au prix de beaucoup de maux ; et je de´clare secondement, que s’il existait une branche d’industrie qui ne put eˆtre exploite´e que par l’introduction des privile`ges, les inconve´niens en sont tels pour la moralite´ et la liberte´ d’une nation, qu’aucun avantage ne les compense a. Trop d’ecrivains avant moi se sont e´leve´s contre les Jurandes b, les maitrises, les apprentissages, pourque j’entre a` ce sujet dans de longs de´tails. Ces institutions sont des privile`ges de l’espe`ce la plus inique et la plus absurde ; la plus inique c, puisque l’on ne permet a` l’individu le travail qui le pre´serve du crime, que sous le bon plaisir d’un autre : la plus absurde d, puis que sous le pre´texte du perfectionnement des metiers, on met obstacle a` la concurrence, le plus sur motif de perfectionnement e. L’interet des acheteurs1 est une bien plus sure garantie de la bonte´ des productions, que a

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4, Des privile`ges et prohibitions

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Je crois ne´cessaire d’ajouter, pour pre´venir une objection minutieuse, mais qui paraitrait fonde´e, que je ne mets point les brevets d’invention, usite´s parmi nous, au nombre des privile`ges. Ces brevets sont des contrats avec la socie´te´, et sous ce rapport ils sont le´gitimes. Le soin de veiller a` l’exe´cution de ces contrats, n’est d’ailleurs confie´ qu’aux inte´resse´s, et ne ne´cessite en conse´quence de la part du pouvoir aucune inquisition immorale ou vexatoire. [Add.] les apprentissages empeˆchent les Individus d’exercer librement tel ou tel meˆtier. les maitrises et jurandes sont des associations qui de´terminent le nombre de leurs propres membres et les conditions pour y eˆtre admis. [Add.] quand une des conditions des apprentissages est de payer pour eˆtre rec¸u dans un meˆtier, c’est le comble de l’injustice. car c’est repousser du travail ceux qui ont le plus besoin de travailler. [Add.] en fixant le nombre des gens exercant chaque profession, Il arrive qu’il y a deux contre un, pour que ce nombre ne soit pas proportionne´ aux besoins des consomateurs. car il peut y en avoir trop, ou y en avoir trop peu. s’il y en a trop, les hommes de cette profession, ne pouvant pas en embrasser une autre, parce que le nombre des maıˆtres dans cette autre les repousse, travaille a` perte, ou ne travaille pas et tombe dans la mise`re. s’il y en a trop peu, le prix du travail hausse, suivant l’avidite´ de ces travailleurs. [Add.] Singulie´re pre´tention du gouvernement, qui, comme le dit Simonde, II. 285, veut enseigner aux fabricans a` faire leur meˆtier, et aux consommateurs a` connoˆitre leur gout !

V: 8 Trop ] BC e´crit dans la col. gauche a la suite du Chap. 4. et il enle`ve le titre d’un ancien chapitre 〈Chapitre 5. Des maitrises, jurandes et apprentissages〉 L 16–21 Je crois ... vexatoire. ] note ajoute´e dans la col. gauche L TR: 10-p. 431.3 Ces institutions ... corporation. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 364–366, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1255–1256 ;  Du triomphe ine´vitable, pp. 76– 77. 10-p. 430.10 Ces institutions ... couteuses. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 120– 121. 1

Hofmann (p. 578, n. 120) a montre´ que BC paraphrase un passage de Sismondi, De la richesse commerciale, t. II, pp. 284–285 : «On lui [a` savoir : au le´gislateur] a donne´ a` en-

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des re´glemens arbitraires, qui, partant d’une autorite´ qui confond ne´cessairement tous les objets, ne distingue point les divers metiers, et prescrit un apprentissage aussi long pour les plus aise´s que pour les plus difficiles. Il est bizarre d’imaginer que le public est un mauvais juge des ouvriers qu’il employe, et que le gouvernement qui a tant d’autres affaires, saura mieux quelles pre´cautions il faut prendre pour appre´cier leur me´rite a. Il ne peut que s’en remettre a` des hommes qui formant un corps dans l’Etat, ont un intereˆt diffe´rent de la masse du peuple, et qui, travaillant d’une part a` diminuer le nombre des producteurs, et de l’autre a` faire hausser le prix des productions b, les rendent a` la fois plus imparfaites et plus couteuses. L’expe´rience a partout prononce´ contre l’utilite´ pre´tendue de cette manie re´glementaire. Les villes d’Angleterre c ou` l’industrie est la plus active, qui ont

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[Add.] Nous exceptons de l’entie´re liberte´ du commerce les professions qui inte´ressent la surete´ publique, les architectes, parce que le peu de solidite´ d’une maison menace tous les citoyens, les Pharmaciens, les Me´decins, les Notaires. [Add.] les apprentissages sont oppressifs pour les consommateurs : car en diminuant le nombre des travailleurs, Ils renche´rissent le prix du travail. Ils vexent donc le pauvre et coutent au riche une surcharge de prix. [Add.] l’angleterre, malgre´ son systeˆme prohibitif, a toujours tendu a` libe´rer l’industrie. les apprentissages ont e´te´ restreints aux meˆtiers existans, lors du statut d’Elisabeth qui les a e´tablis, et les Tribunaux ont accueilli toutes les distinctions les plus subtiles, tendant a` soustraire a` ces statuts le plus de meˆtiers qu’il a e´te´ possible. p. ex. Il faut avoir e´te´ en apprentissage pour faire des chariots, et non pour faire des carrosses. Blackstone1.

TR: 12-p. 431.3 Les villes ... corporation. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 122. 13–15 Nous exceptons ... Notaires. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 121–122. 19–23 l’angleterre ... Blackstone. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 122 et p. 95 en note.

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tendre, qu’il e´toit ne´cessaire de repousser tous ceux qui ne donneroient pas une preuve de leur habilete´, en faisant leur chef-d’œuvre ; sans quoi l’on verroit de´ge´ne´rer rapidement les arts et l’industrie ; et c’est aussi pour cela qu’on a e´taye´ cette premie`re loi des corps de me´tiers d’une foule de re´glemens sur la manie`re dont doivent travailler les artisans, sur les qualite´s que doit avoir leur ouvrage, et sur les visites de jure´s auxquelles il convient de l’assujettir ; comme si les consommateurs auxquels il est destine´ et qui n’ache`tent que ce qui leur convient, n’e´taient pas les meilleurs de tous les jure´s pour l’inspection des fabriques.» Cette ide´e se rencontre chez beaucoup d’auteurs d’orientation libe´rale de cette e´poque. BC l’a lu p. ex. chez Bentham. Allusion non e´lucide´e a` Blackstone, Commentaire sur les lois anglaises.

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pris dans un tems tre`s court le plus grand accroissement, et ou` le travail a e´te´ porte´ au plus haut degre´ de perfection, sont celles qui n’ont point de chartes a, et ou` il n’existe aucune corporation b. a b

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Birmingham, Manchester, Baert1. La plus sacre´e et la plus inviolable de toutes les proprie´te´s est celle de sa propre industrie, parcequ’elle est la source originaire de toutes les autres proprie´te´s. Le patrimoine du pauvre est dans la force et l’adresse de ses mains ; et l’empecher d’employer cette force et cette adresse de la manie`re qu’il juge la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage a` personne, est une violation manifeste de cette proprie´te´ primitive. C’est une usurpation criante sur la liberte´ le´gitime, tant de l’ouvrier, que de ceux qui seraient dispose´s a` lui donner du travail ; C’est empecher a` la fois l’un de travailler a` ce qu’il juge a` propos, et l’autre d’employer qui bon lui semble. On peut bien en toute surete´, s’en fier a` la prudence de celui qui occupe un ouvrier, pour juger si cet ouvrier me´rite de l’emploi, puis qu’il y va de son intereˆt. Cette sollicitude qu’affecte le le´gislateur, pour pre´venir qu’on n’employe des personnes incapables, est e´videmment aussi absurde qu’oppressive. Smith. Voyez aussi Bentham. Principes du code civil. partie. III. ch. 12. [Add.] observez comme la liberte´, come la simple absence de loi mettent ordre a` tout. les associations des Individus exerc¸ant des meˆtiers sont d’ordinaire une ligue contre le public. en conclura-t-on qu’il faut interdire ces associations par des Loix prohibitives ? nullement. en les interdisant, l’autorite´ se condamneroit a` des vexations, a` une surveillance, a` des chatimens, qui auroient des inconve´niens graves ; mais que l’autorite´ ne sanctione pas ces associations, quelle ne leur reconnoisse pas le droit de limiter le nombre des hommes de telle ou telle profession : par la` meˆme, ces associations n’auront plus de but. si vingt Individus de tel meˆtier veulent se liguer pour porter a` un taux trop e´leve´ le prix de leur travail, d’autres se pre´senteront pour faire ce travail a` meilleur compte.

V: 2 chartes ] chartres L TR: 4 Birmingham ... Baert. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 366, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1256 ;  Commentaire sur Filangieri, II, p. 122, en note. 5–16 La plus sacre´e ... ch. 1. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 366, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1256 ;  Commentaire sur Filangieri, II, p. 122, en note. 1

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Le meˆme passage se retrouve dans les «Additions et notes» des Re´flexions sur les constitutions. L’e´diteur explique : BC renvoie au tome premier de l’ouvrage de Baert [a` savoir : Tableau de la Grande Bretagne, de l’Irlande et des possessions angloises dans les quatre parties du monde, Paris : Maradan, 1802], et plus particulie`rement aux pp. 90–93 et 105– 108. «Birmingham n’ayant point de charte de corporation, ne nomme point de membres au parlement, et n’est gouverne´ que par des baillis et des constables. La liberte´ qu’on a de venir s’y e´tablir et d’y exercer une profession quelconque, sans crainte d’eˆtre inquie´te´, ne contribue pas peu a` son agrandissement et a` sa prospe´rite´.» (pp. 92–93). Une observation tout a` fait analogue concernant Manchester se lit pp. 107–108 (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1256, n. 1). BC cite tout un aline´a de Smith, Recherches, livre I, chap. 10, t. I, p. 198. Le renvoi a` Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code civil, troisie`me partie, «Droits et obligations a` attacher aux divers e´tats prive´s», chap. 1, «Maıˆtre et serviteur» (t. II, pp. 176–178), sert a` confirmer la position de´fendue par Smith. Bentham s’y oppose «a` cette manie re´glementaire» qui re´clame l’apprentissage pour garantir la qualite´ du travail.

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Une vexation plus re´voltante encore, parce qu’elle est plus directe et moins de´guise´e, c’est la fixation du prix des journe´es a. Cette fixation, dit Smith, est le sacrifice de la majeure partie a` la plus petite. Nous ajouterons que c’est le sacrifice de la partie indigente a` la partie riche, de la partie laborieuse a` la partie oisive, au moins comparativement, de la partie qui est de´ja souffrante par les dures loix de la socie´te´, a` la partie que le sort et les institutions ont favorise´e. On ne saurait se repre´senter sans quelque pitie´ cette lutte de la mise`re contre l’avarice, ou le pauvre de´ja presse´ par ses besoins et ceux de sa famille, n’ayant d’espoir que dans son travail, et ne pouvant attendre un instant, sans que sa vie meˆme, et la vie des siens ne soit menace´e, rencontre le riche, non seulement fort de son opulence et de la faculte´ qu’il a de re´duire son adversaire, en lui refusant ce travail qui est son unique ressource, mais encore arme´ de loix vexatoires qui fixent les salaires, sans e´gard aux circonstances, a` l’habilete´, au ze`le de l’ouvrier. Et qu’on ne croye pas cette fixation ne´cessaire pour re´primer les pre´tentions exhorbitantes et le renche´rissement des bras. La pauvrete´ est humble dans ses demandes. L’ouvrier n’a-t-il pas derrie`re lui la faim qui le presse, qui lui laisse a` peine un instant pour discuter ses droits, et qui ne le dispose que trop a` vendre son tems et ses forces au dessous de leur valeur ? La concurrence ne tient elle pas le prix du travail au taux le plus bas qui soit compatible avec la subsistance physique ? Chez les Athe´niens, comme parmi nous, le salaire d’un journalier e´tait e´quivalent a` la nourriture de quatre personnes. Pourquoi des re´glemens, lorsque la nature des choses fait la loi, sans vexations ni violence ? La fixation du prix des journe´es, si funeste a` l’individu, ne tourne point a` l’avantage du public. Entre le public et l’ouvrier, s’e´le`ve une classe impia

[Add.] V. sur les efforts des maˆitres pour faire baisser et sur ceux des ouvriers pour faire hausser le prix des journe´es, et sur l’inutilite´ de l’intervention de l’autorite´ a` cet e´gard, Smith. I. 132–159. Trad. de Garnier. la fixation du prix des journe´es est le sacrifice de la majeure partie a` la plus petite1.

V: 1 Une vexation ] BC e´crit dans la col. gauche a` la suite du Chap. 4 et il enle`ve le titre d’un ancien chapitre 〈Chapitre 6. De la fixation des prix des Journe´es〉 L 10 sa vie ] la vie L 26 l’avantage du public ] l’avantage public L TR: 1-p. 433.9 Une vexation ... rigueur. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 366–368, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1257–1258 ;  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 125–126. 1

La re´pe´tition d’une phrase du texte dans une note ajoute´e est un signe de la re´daction encore provisoire de ce chapitre d’ailleurs fort long et en quelque sorte composite. BC renvoie ici (Hofmann, p. 579, n. 123) au chap. 8 du livre I des Recherches, t. I, pp. 135–159.

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toyable, celle des maitres. Elle paye le moins et demande le plus possible, et profite ainsi seule tout a` la fois et des besoins de la classe laborieuse et des besoins de la classe aise´e. Etrange complication des institutions sociales ! Il existe une cause e´ternelle d’e´quilibre entre le prix et la valeur du travail, une cause qui agit sans contrainte, de manie´re a` ceque tous les calculs soient raisonnables et tous les intereˆts contens. Cette cause est la concurrence : Mais on la repousse. On met obstacle a` la concurrence par des re´glemens injustes : et l’on veut ensuite re´tablir l’e´quilibre par d’autres re´glemens non moins injustes, qu’il faut maintenir par les chatimens et par la rigueur. Les Gouvernemens ressemblent dans presque tout ce qu’ils font au Me´decin de Molie`re. Lorsqu’on leur parle de ce qui a e´te´ e´tabli, organise´ par la nature, ils re´pondent sans cesse : nous avons change´ tout cela1. Les loix contre les productions de l’industrie e´trange`re, ont pour but d’engager ou de contraindre les habitans d’un pays a` fabriquer eux meˆmes ce qu’autrement ils acheteraient de l’e´tranger. Ces loix ne sont donc ne´cessaires, dans le sens meˆme de l’autorite´ qui les impose, que lorsque telle production se tirerait dudehors a` meilleur marche´ qu’elle ne se fabrique. Car dans la supposition contraire, l’intereˆt personnel suffit a` lui seul pour de´terminer les individus a` manufacturer eux meˆmes ce qui leur couterait plus cher, s’ils l’achetaient manufacture´. Meˆme a` cherte´ e´gale, les productions d’un pays ont dans ce paı¨s un grand avantage. La vente, dit un e´crivain recommandable a, est une espe`ce de prix que les marchandises gagnent a` la course, et les marchandises e´trange`res partent de plus loin. Mais est-ce un avantage pour une nation, d’e´tablir chez elle des manufactures qui pour lui fournir telle somme et telle quantite´ de productions, absorbent plus de capitaux que l’achat de ces productions n’en exigerait ? L’on ne peut adopter l’affirmative qu’en supposant que si ces capitaux n’e´taient pas employe´s de la sorte, ils ne seraient pas employe´s du tout. Or, cette supposition est e´videmment absurde. Si ces capitaux n’e´taient pas employe´s de la sorte, ils seraient employe´s d’une autre manie`re et d’une a

Say. Econ. polit. Liv. I. ch. 3[5]2.

V: 8 l’e´quilibre ] 〈la concurrence〉 l’e´quilibre corr. a. dans l’interl. L 10 Les ] davant ce mot une barre oblique P 13 Les loix ] BC e´crit dans la col. gauche a` la suite du Ch. 4 et il enle`ve le titre d’un ancien chapitre 〈Chapitre 7. Des loix contre l’industrie e´trange`re.〉 L 31 35. ] 3 P, L, LA, faute de copie que nous corrigeons 1 2

Sganarelle a` Ge´ronte dans le Me´decin malgre´ lui (acte II, sce`ne IV). Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 35, p. 290. Citation conforme, sauf que Say dit : «que les denre´es gagnent a` la course ; et les produits e´trangers partent de plus loin.»

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manie`re plus avantageuse : c’est a` dire qu’avec une partie de ces capitaux, on acheterait les productions que leur totalite´ est maintenant occupe´e a` produire, et que le reste refluerait sur quelqu’autre branche d’industrie qu’il fe´conderait. Les gouvernemens, en forc¸ant leurs sujets a` manufacturer eux meˆmes des objets qu’ils n’auraient pas manufacture´s volontairement, les forcent a` faire de leurs moyens un emploi de´savantageux. Ils diminuent le produit de leurs capitaux et de leur travail ; ils diminuent donc leur richesse, et par la` meˆme la richesse nationale a. On a cite´ souvent l’inge´nieuse comparaison de smith a` cet e´gard1. Je la cite encore, parceque l’e´vidence dont il a entoure´ cette ve´rite´, ne parait gue`res avoir convaincu les administrateurs des empires. On pourrait, dit-il, faire croıˆtre en Ecosse, a` l’aide de serres chaudes, de couches, de chassis de verre, de fort bon raisin, dont on pourrait aussi faire de fort bon vin, trente fois plus cher, que celui qu’on ache`te de l’e´tranger. Si cela parait absurde, il l’est e´galement de vouloir faire manufacturer dans un paı¨s ce qui couterait deux fois, une fois, ou seulement une demie fois plus, ainsi manufacture´ que venant du dehors. L’absurdite´ semble plus forte, parceque la somme nous frappe davantage : mais le principe est e´galement insense´ b. Craindra-t-on que la libre importation des marchandises e´trange`res ne jette une nation dans la paresse en la dispensant de travailler pour se procurer ce dont elle a besoin ? Mais ce qu’elle ne se procure pas par un travail direct, il faut qu’elle l’obtienne par des capitaux, et pour acque´rir des capitaux, il faut qu’elle travaille. Seulement une liberte´ complette lui permettra de choisir les genres d’industrie les plus profitables, et de s’y perfeca

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[Add.] Il est a` remarquer qu’en meˆme tems que les fabricans franc¸ais reclament les prohibitions pour soutenir leurs manufactures, Ils se plaignent tous du manque de capitaux. (v. les Statistiques des De´partemens publie´es par ordre du gouvernement) Cela prouve qu’il n’y a pas assez de capitaux pour les Entreprises existantes. Or, si l’on renonc¸oit aux prohibitions, et que l’admission libre des produits de l’industrie e´trange`re fit abandonner une partie des entreprises, les capitaux reflueraient vers les autres. Ils ne se consomeroient plus a` alimenter des Manufactures perdantes, et les Manufactures vraiment avantageuses y gagneroient en meˆme tems que la totalite´ des consommateurs2. Smith. Rich. des nat. Liv. I. ch. 2. Hofmann (p. 284, n. 21) a montre´ que BC pense ici surtout a` Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 24, p. 163, qui renvoie a` Smith, Recherches, livre IV, chap. 2, pp. 45– 46. BC ne transcrit pas le texte de Smith litte´ralement, bien qu’il en utilise beaucoup de tournures. La source de cette information est probablement Sismondi, De la richesse commerciale, livre troisie`me, chap. 2, «De l’influence des douanes sur les manufactures franc¸oises», t. II, pp. 156–220, comme l’a montre´ Hofmann (p. 579, n. 124). L’auteur cite des statistiques de´partementales qui ont e´te´ e´tablies par les pre´fets et publie´es de`s l’an IX a` l’an XI (Paris : Imprimerie des Sourds et Muets, 36 vol.).

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tionner a, en s’y vouant d’une manie`re plus exclusive. Car la division du travail a les meˆmes effets pour l’industrie des nations, que pour celle des individus. La prohibition des produits de l’industrie e´trange`re tend a` priver un peuple des avantages de la division du travail. Ce peuple ressemble alors a` un particulier qui, loin de se consacrer uniquement a` une profession qui l’enrichirait, voudrait a` lui seul par son propre travail, fabriquer ses outils, fac¸onner ses veˆtemens, pre´parer sa nourriture, construire sa maison, et qui se partageant ainsi entre mille professions diverses, pour enlever aux ouvriers de chacune le be´ne´fice qui leur reviendrait, resterait pauvre et mise´rable, au milieu de ses tentatives infructueuses et interrompues. Chez un peuple encore dans l’enfance de la civilisation, le recours fre´quent aux manufactures du dehors peut retarder l’e´tablissement de manufactures inte´rieures. Mais comme il est tre`s probable que le gouvernement d’un tel peuple sera lui meˆme fort ignorant, il y a peu de chose a` espe´rer de ses efforts en faveur de l’industrie. Il faut se re´signer et attendre. Il est sans exemple qu’une nation qui n’e´tait pas industrieuse ait e´te´ porte´e de force a` l’industrie par l’autorite´. Il y a une fort bonne raison pour cela. L’autorite´ qui porte les hommes de force, n’importe vers quel but, est une autorite´ arbitraire et vicieuse, et ne peut faire aucun bien. Quant aux nations industrieuses, il suffit de laisser chaque individu parfaitement libre dans l’usage de ses capitaux et de son travail. Il distinguera mieux qu’aucun gouvernement, le meilleur emploi qu’il en peut faire. Si telle industrie est avantageuse, il ne laissera pas les e´trangers en receuillir le be´ne´fice. S’il leur abandonne telle autre industrie, c’est qu’il en a de´couvert une troisie`me plus profitable. Les entraves mises a` l’importation des productions e´trange`res sont impolitiques encore sous un autre rapport. Si vous empechez les e´trangers de vendre a` vos sujets, avec quoi voulez vous qu’ils ache`tent d’eux ? Plus un peuple est riche, plus la nation qui entretient des relations de commerce avec ce peuple, gagne par ces relations. Mais empecher un peuple de vendre les produits de son industrie, c’est travailler, autant qu’on le peut, a` l’appauvrir. C’est donc travailler, autant qu’on le peut, a` diminuer le be´ne´fice qu’on retirerait du commerce avec ce peuple. Mais si les e´trangers refusent de recevoir les productions de notre pays, devons-nous, dira-t-on, laisser importer librement les leurs ? Lorsqu’un a

[Add.] les prohibitions des produits de l’industrie e´trange`re tendent a` e´teindre l’e´mulation ` quoi sert, dit Simonde II. 163, de chercher a` faire mieux, lorsque des fabricans indige`nes. A le gouvernement a pris l’engagement de trouver des acheteurs a` ceux meˆmes qui font plus mal1 ?

V: 5 a` un particulier ] a` un ces deux mots re´crits sur 〈aux〉 particulier〈s〉 L 1

Sismondi, De la richesse commerciale, t. II, pp. 163. Citation conforme.

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peuple ferme l’entre´e de son territoire a` vos marchandises, c’est, ou pour les manufacturer lui meˆme, ou pour favoriser quelqu’autre nation. Dans le premier cas, il arrive de deux choses l’une. Ou il manufacture ces marchandises a` meilleur marche´ qu’il ne les acheterait de vous, alors la prohibition est indiffe´rente puis que vos productions auraient toujours le de´savantage, ou il les manufacture plus che`rement, alors il paye un prix plus haut pour des productions moins bonnes. Les votres, meilleures et moins couteuses, pe´ne´trent par contrebande. La nation qui a voulu les repousser s’appauvrit, parcequ’elle de´tourne ses capitaux d’emplois profitables, pour manufacturer des objets qu’elle ferait mieux d’acheter ailleurs. Elle s’impose des contraintes qui la blessent de mille manie`res. L’Etat lutte envain contre la fraude qui de´concerte tous ses efforts. Les individus souffrent des entraves qu’ils rencontrent presqu’a` chaque pas. Les vices d’un pareil systeˆme ne tardent pas a` se faire sentir : et si vous avez persiste´ dans celui d’une liberte´ entie`re, il est hors de doute que la nation qui s’en e´tait e´carte´e, trouve son interet a` y revenir. Que si cette nation repousse vos marchandises pour acceuillir celle d’un autre peuple, la question est encore presque la meˆme. Ou les productions du peuple favorise´ sont meilleures que les votres, et l’effet serait le meˆme quand il n’y aurait pas de prohibitions ; ou ces productions sont infe´rieures, et les votres l’emporteront tot ou tard. La re´ciprocite´ a cet inconve´nient qu’elle engage les amours propres et par la` perpe´tue les vexations et les geˆnes. Il ne suffit plus que celui qui s’est trompe´ le premier, s’e´claire et se corrige. Il faut le concours de deux volonte´s qui peuvent ne pas se rencontrer dans la succession rapide des e´ve´nemens. Les injustices ame`nent les injustices. les prohibitions re´ciproques e´ternisent les prohibitions. Il y a peu de questions sur lesquelles les gouvernemens deraisonnent autant que sur la re´ciprocite´. Cet argument leur sert constamment a` maintenir des loix dont ils ne peuvent contester les conse´quences funestes. Le droit d’aubaine en est une preuve. Parceque nos voisins ont fait une loi qui empeˆche nos concitoyens de s’e´tablir parmi eux, nous fesons vite une loi pour empeˆcher nos voisins de s’e´tablir parmi nous1. belle vengeance ! Si au contraire nous n’avions pas la sottise d’imiter leur exemple, nous profiterions de leur mauvaise loi ; Car nos concitoyens repousse´s de chez eux nous 1

Hofmann (p. 286, n. 23) a montre´ que BC fait allusion ici a` une discussion au Conseil d’E´tat. Le 12 ventoˆse an XI (3 mars 1803), Jean-Baptiste Treilhard justifie, lors d’une discussion sur le Code civil, le re´tablissement partiel du droit d’aubaine, aboli en 1789. Hofmann renvoie aux Proce`s-verbaux du Conseil d’E´tat contenant la discussion du projet de Code civil, t. II, Paris : de l’Imprimerie de la Re´publique, an XI (1803), pp. 444–447. Un discours ou une publication de Treilhard sur cette matie`re n’a pu eˆtre localise´.

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resteraient avec leurs richesses, et nous profiterions encore de n’avoir pas fait une loi, parceque nos voisins accueillis par nous, nous apporteraient librement leur industrie et leurs capitaux. Soyez justes envers les justes. Vous le leur devez. Mais soyez justes encore envers ceux qui sont injustes : c’est le meilleur moyen de leur faire porter la peine de leur injustice, tout en leur laissant la faculte´ de la re´parer. Les meˆmes motifs qui ont engage´ les gouvernemens a` mettre des entraves a` l’importation des produits de l’industrie e´trange`re, les a conduits a` de´fendre l’exportation de l’or et de l’argent monnaye´. Comme plusieurs philosophes ont pris les mots, c’est a` dire les signes des ide´es pour les ide´es, les administrateurs ont pour la plupart pris l’argent c’est a` dire le signe des richesses pour les richesses. Il serait ne´ammoins aise´ de prouver que le nume´raire ne s’exporte d’un pays, que lorsque cette exportation lui est avantageuse. Il ne s’exporte en effet, que lorsqu’il fournit le moyen d’acque´rir au dehors une plus grande valeur en e´change que celle que la meˆme quantite´ de nume´raire procurerait au dedans. Or il est clair que par cette ope´ration l’on enrichit le pays meˆme dans lequel on fait entrer cette valeur supe´rieure a. Lorsqu’il y a trop peu de nume´raire dans un pays, il est inutile d’en prohiber la sortie. Car le nume´raire valant plus dans ce paı¨s, que dans aucun autre, les individus ont intereˆt a` ne pas l’en faire sortir. Lorsqu’au contraire il y a dans un pays plus de nume´raire que les besoins du commerce et de la circulation n’en exigent, il est funeste d’en interdire l’exportation. Il en re´sulte que toutes les marchandises et tous les travaux se payent dans ce paı¨s la` plus cher proportionnellem˙t, que partout ailleurs. Alors cet Etat ne peut qu’acheter et jamais vendre b. Il peut acheter, parce qu’en achetant, il supporte la perte occasionne´e par la baisse de valeur de son nume´raire. Mais il ne peut pas vendre, parce qu’il ne peut trouver d’acheteurs qui veuillent se re´signer a` supporter cette perte. De la sorte la surabondance force´e du nume´raire nuit essentiellement aux progre`s de l’industrie. a

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Smith. Liv. IV. ch. 11. [Add.] on croirait, a` voir les pre´cautions que les gouvernemens prennent, contre l’exportation du nume´raire, qu’on l’exporte a` perte et simplement pour leur faire niche. Simonde. Rich. Comm. p. 139–1512.

V: 2 une loi ] une loi pareille L 7 les meˆmes ] BC e´crit dans la col. gauche a` la suite du Ch 4. et il enle`ve le titre d’un ancien chapitre 〈Chapitre 8. / Des loix contre l’exportation de l’or et de l’argent monnaye´.〉 L 1 2

BC se rapporte a` l’analyse des e´changes du nume´raire et de marchandises qu’on trouve dans le livre IV, chap. 1 des Recherches, t. II, pp. 13 a` 25. Voir Sismondi, De la richesse commerciale, livre Ier, chap. V, «Du nume´raire» (I, pp. 119– 157) ; BC re´sume un long de´veloppement de Sismondi, pp. 147–157.

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En conside´rant le nume´raire sous son point de vue le plus habituel, comme moyen d’e´change, son exportation doit demeurer libre a. On ne l’exportera pas a` perte b : et si on l’exporte avantageusement, la masse de 7, fo 63ro

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[Add.] toutes les fois qu’on ge`ne une nation sur les moyens de s’acquitter, c’est comme si, pour augmenter le cre´dit d’un Marchand, on lui de´fendait de payer ses Dettes. Simonde. I. 2001. [Add.] pour justifier les pre´cautions prises contre l’exportation du nume´raire, on exage`re beaucoup les fantaisies, les folles De´penses, les prodigalite´s des Individus. mais ces choses ne font jamais qu’une partie infiniment petite de la totalite´ des de´penses ; et pour empeˆcher ce tre´s petit mal, l’on fait un mal bien plus grand, et l’on encourt meˆme, tant en salaires d’espionage qu’en poursuites judiciaires, une De´pense plus grande2. Les fantaisies qui font sortir le nume´raire improductivement, sont des de´penses particulie´res aux riches. Or le Riche aura toujours le moyen de faire sortir son nume´raire, car il pourra toujours payer la prime de la contrebande. Les partisans des prohibitions contre l’exportation du nume´raire disent fort bien que le nume´raire, en facilitant les e´changes, et en acce´le´rant la circulation cre´e des marchandises. mais oublient-ils que les marchandises cre´ent de l’argent, c’est a` dire rame`nent le nume´raire ? Ils e´crivent toujours, comme si le but de ceux qui reclament la liberte´ d’exportation pour le nume´raire e´toit de faire sortir tout celui qui est dans le pays, et ils de´veloppent tre`s bien les avantages du nume´raire et les Inconve´niens de sa disparition v. Ferrier [....] p. 13–18. mais l’exportation permise n’est pas l’exportation force´e. La logique des de´fenseurs des prohibitions est de supposer que toutes les choses dangereuses et pre´judiciables seroient faites aussitot qu’elles ne seroient plus de´fendues. Ils se mettent, fort a` leur aise en posant cela en fait, et ensuite ils de´montrent amplement le mal qui en re´sulteroit. p. ex. quant au nume´raire, Ils n’examinent pas, si lors meˆme que la sortie n’en serait pas prohibe´e le nume´raire sortirait. mais ils se livrent a` une peinture pathe´tique des maux qu’e´prouverait un pays, s’il e´toit prive´ de tout son nume´raire. c’est une ruse de logique qui trompe beaucoup de monde. on affirme une chose : on en de´montre une seconde qui est incontestable ; et l’on conclut de l’e´vidence de la seconde assertion, a` la ve´rite´ de la premie`re, quoiqu’il n’y ait nul rapport entre les deux. Si la France, dit Ferrier, p. 59. se voyait enlever toutes les anne´es seulement vingt millions, au bout de 50 ans, son nume´raire seroit re´duit de moitie´. les manufactures tomberoient, &ca˙. la seconde assertion est vraye sans doute, en admettant la premie´re. la difficulte´, c’est que la premie´re ne l’est pas et ne peut jamais l’eˆtre. c’est une chose qui arrive fre´quemment dans toutes les disputes. l’un des partis de´place sciemment la question, et l’autre, ne s’apercevant pas que la question est de´place´e, se laisse entrainer a´ suivre son adversaire et a´ combattre sur un mauvais terrein. les adversaires de la libre exportation, au lieu de prouver que l’exportation laisse´e libre, feroit sortir tout le nume´raire, ont suppose´ la chose prouve´e, et ont alors de´montre´ les mauvais effets de cette sortie, et alors aussi leurs antagonistes, au lieu de prouver que la libre exportation ne ferait sortir que le nume´raire superflu, ont e´te´ pousse´s par la chaleur de la Discussion a` combattre tout ce que disoient leurs opposans et se sont mis a` soutenir que la sortie du nume´raire ne seroit pas

V: 3 l’exporte ] 〈l’exporte〉 l’exporte L 1 2

Voir Sismondi, De la richesse commerciale, chap. VII, t. I, pp. 200. Citation conforme. BC renvoie, en re´sumant le texte, a` la premie`re e´dition de l’ouvrage de Franc¸ois-Louis-Auguste Ferrier, Du gouvernement conside´re´ dans ses rapports avec le commerce, Paris : Egron, an XIII (1805). Le renvoi a` Smith, Recherches, a` la fin de la note, cible le chap. 1 du livre IV (voir ci-dessus, p. 437, n. 1).

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la richesse publique s’augmentant du be´ne´fice de l’individu, la nation entie`re y gagnera. Mais on peut conside´rer aussi le nume´raire comme objet de fabrication, et son exportation, sous ce rapport, me´riterait d’eˆtre encourage´e. Chez presque tous les peuples, la fabrication de la monnaı¨e n’e´tant pas gratuite, l’exportation de cette monnaı¨e est aussi avantageuse a` l’Etat qui la frappe, que l’exportation de toute autre marchandise manufacture´e. Singulie`re inconse´quence des hommes d’e´tat financiers ! Le commerce de bijouterie est regarde´ comme lucratif, bien qu’il envoye au dehors de l’or et de l’argent, et l’exportation de la monnaı¨e dont la fabrication rapporte un be´ne´fice de meˆme nature, et qui, parconse´quent, n’est autre chose qu’une manufacture nationale, est envisage´e comme une calamite´. C’est que les Gouvernemens, il faut le dire, n’ont pas eu jusqu’apre´sent les premie`res ide´es des questions sur lesquelles ils ont entasse´ loix sur loix a. Cependant, nous le reconnaissons volontiers, il y a des gouvernemens auxquels il convient de prohiber l’exportation du nume´raire. Ce sont les gouvernemens, tellement injustes, tellement arbitraires, que chacun travaille en secret a` se de´rober a` leur joug. Alors sans doute le nume´raire s’exporte, sans qu’il en revienne aucun avantage au pays ainsi gouverne´. Il s’exporte a` tout prix, il s’exporte a` perte, parceque chacun agit comme dans un incendie, jettant au hazard loin de l’embrasement les meubles qu’il veut sauver, sans s’embarrasser du dommage qu’ils recoivent de leur chute, certain qu’il ne conservera que ce qu’il aura pu soustraire a` l’e´le´ment de´vastateur. Alors sans doute il faut veiller aux frontie`res pour en lever aux individus leur triste et dernie`re ressource. Il faut arreter la sortie du nume´raire, comme il faut arreˆter l’e´migration des personnes, comme il faut violer le secret des lettres, comme il faut en un mot, porter atteinte a` toutes les faculte´s, a` tous

a

un mal. v. Smith. ainsi les sophismes d’un parti faussent la logique du parti adverse. pour juger sainement cette question, il faut partir de deux principes. 1o toutes les fois qu’un peuple a trop peu de nume´raire, le nume´raire ne sortira pas, l’exportation fut-elle permise. 2o toutes les fois qu’il y a trop de nume´raire, l’exportation fut-elle de´fendue, on ne pourra pas l’empeˆcher. [Add.] mesures contradictoires des gouvernemens. Ils prohibent rigoureusement l’exportation du nume´raire, et ils cre´ent du papier monnoye, dont l’effet naturel et ine´vitable est d’expulser le nume´raire de leur pays. v. Smith, Simonde et Say1.

V: 16 prohiber l’exportation ] prohiber rigoureusement l’exportation L source porte fausse P 1

28 faussent ] la

BC cite, sans entrer dans les de´tails de l’argument, le livre II, chap. 2, des Recherches de Smith, l’ouvrage de Sismondi, De la richesse commerciale, chap. V, t. I, pp. 136–137 et enfin celui de Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre II, chap. 17, t. II, pp. 42–52. Il s’agit de l’e´bauche d’une note, comme l’indique aussi le style te´le´graphique.

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les droits, a` toutes les liberte´s de l’homme. Toutes ces faculte´s, toutes ces liberte´s, tous ces droits sont, a` leur insc¸u et sans intention, en lutte permanente contre l’oppression. Et comme tout dans la nature tend a` s’affranchir du despotisme, le despotisme ne peut rien permettre, il ne peut rien laisser de libre dans la nature. Les gouvernemens qui ont fait des loix prohibitives sur le commerce des grains, en ont fait de deux espe`ces. Par les unes, ils ont voulu que le commerce de cette denre´e se fit directement du producteur au consommateur, sans qu’il put intervenir entr’eux une classe qui achetat les productions du premier pour les revendre au second. Dela` les re´glemens contre les accapareurs. Par les autres, ils ont voulu que les productions de l’agriculture ne pussent eˆtre exporte´es. Dela` les peines se´ve`res attache´es dans plusieurs pays a` l’exportation des grains. Le motif des loix de la premie`re espe`ce e´tait probablement, qu’une classe interme´diaire entre le consommateur et le producteur, devant trouver un be´ne´fice dans le commerce qu’elle entreprenait, tendait a` faire hausser le prix de la denre´e, et que cette classe pouvant profiter habilement de la difficulte´ des circonstances avait la faculte´ dangereuse de porter cette hausse jusqu’au renche´rissement le plus de´sastreux.. Le motif des loix de la seconde espe`ce a e´te´ la crainte qu’une exportation pousse´e a` l’exce`s n’entrainat la famine. Dans les deux cas, l’intention des gouvernemens e´tait louable : mais dans les deux cas, ils ont pris de mauvais moyens, et dans les deux cas ils ont manque´ leur but. Tous les avantages de la division du travail se trouvent dans l’e´tablissement d’une classe interme´diaire de commercans, place´e entre le producteur de grains et le consommateur a. Cette classe interme´diaire a plus de capitaux que le producteur. Elle a plus de moyens de former des magasins. S’occupant exclusivement de cette industrie, elle e´tudie mieux les besoins a

[Add.] une loi qui partout et toujours a e´te´ juge´e fort utile, c’est celle qui de´fend a` aucune main de s’entremettre entre l’agriculteur et le consommateur des villes. cependant, n’est-il pas e´vident que le manufacturier est toujours de´tourne´ de son travail par la vente de ses productions, qu’il peut fabriquer beaucoup plus et mieux, lorsque quelque capitaliste se charge du de´bit ? pourquoi faire a` cet e´gard une exception contre l’agriculture ? s’il faut que le paysan porte ses denre´es a` la ville, il perd ne´cessairement un tems conside´rable. il de´pense en luxe de ville ce qu’il retire de ses productions. les homes s’y enyvrent. les femes

V: 4 laisser ] 〈de〉 laisser L 6 Les gouvernemens ] barre oblique devat ces mots P dans la col. gauche a` la suite du Ch. 4. 〈Chapitre 9 / De la le´gislations des Grains.〉 L TR: 6–21 Les gouvernemens ... famine. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 86–87. 25-p. 443.23 Tous les ... ses fureurs. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 95–99.

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qu’elle se charge de satisfaire. Elle dispense le fermier de se livrer a` des spe´culations qui absorbent son tems, de´tournent ses fonds, l’entrainent au milieu des villes ou` il corrompt ses moeurs, et dissipe ses e´pargnes, perte quadruple pour l’agriculture. Les soins que cette classe prend, doivent lui eˆtre paye´s sans doute. Mais ces meˆmes soins pris par le fermier lui meˆme, avec moins de suite et d’habilete´, puisqu’ils ne forment pas son industrie principale, et par conse´quent avec plus de fraix, doivent aussi lui eˆtre paye´s ; et cet exce´dent de de´pense retombe sur le consommateur que l’on a cru favoriser. Cette classe interme´diaire qu’on proscrit comme cause de disette et de renche´rissement, est pre´cise´ment celle qui met obstacle a` ce que le renche´rissement ne devienne excessif. Elle ache`te le bled dans les anne´es trop fe´condes, elle empeˆche par la` qu’il ne tombe a` trop bas prix, qu’on ne le prodigue, qu’on ne le dissipe a. Elle le retire du marche´, lorsque sa trop grande affluence occasionnant une baisse de´sastreuse pour le producteur, de´couragerait ce dernier et lui ferait ne´gliger ou borner impru-

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s’y corrompent. cet ordre de choses de´prave les habitans des campagnes et les ruine. Mirab. Mon. Pruss. I. 1691. Un laboureur qui ne peut vendre son bled a` profit, cherche a` le faire consommer pour e´viter les frais et les de´chets qu’il essuyerait en le gardant. On donne d’autant plus de grain aux volailles et aux animaux de toute espe`ce, que la valeur en est moindre : or, c’est autant de perdu pour la subsistance des hommes. Ce n’est pas dans le lieu et dans l’anne´e ou` se fait ce gaspillage, que les consommateurs ont a` le regretter. Mais ce grain aurait rempli un vuide dans quelques provinces disetteuses, ou dans une anne´e ste´rile. Il aurait sauve´ la vie a` des familles entie`res, et pre´venu des cherte´s excessives si l’activite´ d’un commerce libre, en lui pre´sentant un de´bouche´ toujours ouvert, eut donne´ dans le tems au proprie´taire un grand intereˆt a` le conserver, et a` ne pas le prostituer a` des usages auxquels on peut employer des grains moins pre´cieux. Septie`me lettre de M. Turgot a` l’abbe´ Terray. p. 62–632.

V: 11 ne devienne ] devienne L 22–30 aurait rempli ... p. 62–63. ] passage e´crit dans la col. gauche pour remplacer le texte biffe´ qui reviendra plus loin (v. p. 442) 〈accroit parce que l’intereˆt personnel ne peut arreˆter la concurrence, quand l’autorite´ la permet. mais comme les loix font parler de leurs auteurs, on veut toujours des loix, et comme la concurrence est une chose qui va d’elle meˆme, et dont personne ne fait honneur aux gouvernemens, les gouvernemens me´prisent et me´connaissent les avantages de la concurrence.〉 L TR: 18–27 Un laboureur ... pp. 62–63. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 96, en note. 1

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Honore´-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, De la monarchie prussienne sous Fre´de´ric le Grand, London : s.e´d., 1788, t. I, «Conside´ration ge´ne´rales sur l’e´le´vation de la Maison de Brandebourg», pp. 167–168. BC cite ce long passage avec des coupures et quelques changements de la syntaxe, sans en alte´rer le sens. Il faut se souvenir que cet ouvrage doit beaucoup a` Jacob Mauvillon, notamment dans sa partie e´conomique. Voir l’ouvrage Lettres amicales du comte de Mirabeau a` M. Mauvillon a` Brunsuic, e´crites entre les anne´es 1786– 90 et pre´ce´de´es d’une notice sur ses liaisons litte´raires en Allemagne, Hambourg : PierreFranc¸ois Fauche, 1794. Anne-Robert-Jacques Turgot, Lettres sur les grains, e´crites a` M. l’abbe´ Terray, controˆleur ge´ne´ral, par M. Turgot, intendant de Limoges, s.l.n.d. [1788].

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demment la production de l’anne´e suivante. Quand le besoin se fait sentir, elle remet en vente ce qu’elle avait amasse´. De la sorte elle vient au secours, tantot du cultivateur, en soutenant a` un taux raisonnable la valeur de sa denre´e, tantot du consommateur, en re´tablissant l’abondance de cette denre´e, au moment ou` sa valeur ve´nale passe de certaines bornes a. Elle produit, en un mot, l’effet qu’on espe`re de magasins publics, forme´s par l’Etat, avec cette diffe´rence, que des magasins dirige´s et surveille´s par des particuliers qui n’ont aucune autre affaire, ne sont point une source d’abus et de dilapidations, comme tout ce qui est d’administration publique. Elle fait tout ce bien par interet personnel sans doute : mais c’est que sous le re´gime de la liberte´, l’intereˆt personnel est l’allie´ le plus e´claire´, le plus constant, le plus utile de l’intereˆt ge´ne´ral. On parle d’accaparemens, de machinations, de ligue entre les accapareurs. Mais qui ne voit que la liberte´ a` elle seule offre le reme`de a` ces maux ? Ce reme`de c’est la concurrence. Il n’y aura plus d’accaparemens si tout le monde a le droit d’accaparer. Ceux qui garderaient leurs denre´es pour en tirer un prix excessif, seraient victimes de leur calcul, non moins absurde alors que coupable, puisque d’autres re´tabliraient l’abondance en se contentant d’un gain plus mode´re´. Les loix ne parent a` rien, parce qu’on les e´lude : la concurrence pare a` tout, parceque l’intereˆt personnel ne peut arreter la concurrence quand l’autorite´ la permet. Mais comme les loix font parler de leurs auteurs, on veut toujours des loix, et comme la concurrence est une chose qui va d’elle meˆme, et dont personne ne fait honneur aux gouvernemens, les gouvernemens me´prisent et me´connaissent les avantages de la concurrence b. S’il y a eu des accaparemens, s’il y a eu des monopoles, c’est que le commerce des grains a toujours e´te´ frappe´ de prohibitions, environne´ de a

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Smith a de´montre´ d’une manie`re admirable, que l’intereˆt du marchand qui commerce sur les bleds dans l’inte´rieur, et l’intereˆt de la masse du peuple, oppose´s en apparence, sont pre´cise´ment le meˆme dans les anne´es de la plus grande cherte´. Liv. IV. ch. 51. [Add.] De`s qu’une branche de commerce, ou une division de travail quelconque est avantageuse au public, elle le sera toujours d’autant plus que la concurrence y sera plus librement et plus ge´ne´ralement e´tablie. Smith II. Ch. 2. le principe de la concurrence s’applique a` tout. l’e´tablissement de plusieurs banques qui e´mettent des billets de confiance vaut mieux, observe Say, II. ch. 15, que l’e´tablissement d’une seule. alors chaque e´tablissement de ce genre cherche a` me´riter la faveur du public, en lui offrant de meilleures conditions et des gages plus solides2.

V: 36 faveur ] 〈confiance〉 faveur P, L TR: 28–30 Smith ... ch. 5. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 97, en note. 1 2

Smith, Recherches, livre IV, chap. 5, t. II, p. 121. La phrase transcrite par BC ouvre les re´flexions du § 1, intitule´ «Commerce inte´rieur». BC cite dans cette note la dernie`re phrase conclusive du chap. 2 du livre II de Smith,

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craintes. Il n’a par la` meˆme jamais e´te´ qu’un commerce suspect, presque toujours un commerce clandestin. Or, en fait de commerce, tout ce qui est suspect, tout ce qui est clandestin devient vicieux. Tout ce qui est autorise´, tout ce qui est public, redevient honneˆte. 2, fo 100ro Certes, on n’a gue`res lieu de s’e´tonner de ce qu’une industrie, proscrite par l’autorite´, fle´trie par une opinion errone´e et violente, menace´e de chatimens se´ve´res par des loix injustes, menace´e encore de saccagemens et de pillages par une populace trompe´e, n’ait e´te´ jusqu’a` ce jour qu’un metier fait a` la de´robe´e par des hommes avides et vils, qui voyant la socie´te´ arme´e contr’eux, ont fait payer a` la socie´te´, toutes les fois qu’ils l’ont pu, dans des circonstances critiques, la honte et les pe´rils dont elle les entourait. On fermait a` tous les ne´gocians attache´s a` leur surete´ et a` leur honneur l’acce`s d’une industrie naturelle et ne´cessaire. Comment ne serait-il pas re´sulte´ d’une politique aussi mal entendue, une prime en faveur des aventuriers et des fripons ? a` la premie`re apparence de disette, aux premiers soupc¸ons de l’autorite´, les magazins e´taient force´s, les grains enleve´s et vendus au dessous de leur valeur, la confiscation, les amendes, la peine de mort a prononce´e contre les proprie´taires. Ne fallait-il pas que les proprie´taires se de´dommageassent de ces chaines, en poussant a` l’exce`s tous les profits qu’ils pouvaient arracher par la fraude, au milieu des hostilite´s perpe´tuellement exerce´es contr’eux ? Il n’y avait rien d’assure´ dans leurs profits le´gitimes : Ils devaient recourir aux gains ille´gitimes comme indemnite´. La socie´te´ devait porter la peine de ses folies et de ses fureurs b. La question de l’exportation des grains est plus de´licate encore a` traiter 2, fo 100vo que celle des magasins. Rien de plus facile que de tracer un tableau toua b

arret du Parlement de Paris du 11 Xb˙re 16261. Voyez pour des de´veloppemens ulte´rieurs Smith. liv. aux Magistrats. 17692.

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ch. 5. Morellet, Repre´sentations

TR: 24-p. 450.23 La question ... sie`cle dernier. ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 87–95. 27–28 Voyez pour ... 1769. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 99, en note.

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Recherches (t. I, p. 416). La citation de Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre II, chap. 15, t. II, p. 21, est conforme. Hofmann (p. 324, n. 106) cite Arreˆt de la Cour du Parlement portant de´fense a` toutes personnes de faire transporter hors royaume, les bleds, grains et le´gumes, n’y d’en faire magazins, a` peine de vie, Paris : F. Morel, P. Mettayez et A. Estienne, 1626. Il serait inte´ressant de connaıˆtre la provenance de cette note. BC renvoie ici d’une manie`re ge´ne´rale au chap. 5 du livre IV de Smith, Recherches. Il re´sume les analyses de´taille´es de Smith sur cette matie`re. Voir p. ex. t. II, pp. 121–134. Quant au second titre cite´ ici, Hofmann (p. 325, n. 108) a rectifie´ une erreur de BC. Il cite en fait Pierre-Joseph-Andre´ Roubaud, Repre´sentations aux magistrats contenant l’exposition raisonne´e des faits relatifs a` la liberte´ du commerce des grains et les re´sultats respectifs des re´glements de la liberte´, s.l., s.e´d., 1769. S’agit-il d’une erreur de copie, parce que BC aurait emprunte´ ce renvoi a` un autre auteur ?

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chant du malheur du pauvre, de la durete´ du riche, d’un peuple entier mourant de faim, pendant que d’avides spe´culateurs exportent les grains, fruits de ses sueurs et de ses travaux. Il y a un petit inconve´nient a` cette manie`re de conside´rer les choses : C’est tout ce que l’on dit sur le danger de la libre exportation, qui n’est que l’un des usages de la proprie´te´, pourrait se dire avec tout autant de force et non moins de fondement contre la proprie´te´ elle meˆme. Certes les non proprie´taires sont sous tous les rapports a` la merci des proprie´taires. Si l’on veut supposer que ces derniers ont un intereˆt puissant d’accabler, d’opprimer, d’affamer les autres, les peintures les plus pathe´tiques resulteront abondamment de cette supposition. Cela est tellement vrai, que les ennemis de la liberte´ d’exportation, ont toujours e´te´ force´s de dire en passant quelques injures aux proprie´taires. Linguet les appelait des monstres auxquels il fallait arracher leur proı¨e, sans eˆtre e´mus de leurs hurlemens1 : et le plus e´claire´, le plus vertueux, le plus respectable des de´fenseurs du systeˆme prohibitif, a fini par comparer les proprie´taires et ceux qui parlaient en leur faveur a` des crocodiles a. Je voudrais envisager cette matie`re sous un point de vue qui en e´cartaˆt toutes les de´clamations, et pour cela partir d’un principe qui fut adopte´ par tous les interets. Or voici ce principe, si je ne me trompe. Pour que le bled soit abondant, il faut qu’il y en ait le plus qu’il est possible. Pour qu’il y en ait le plus qu’il est possible, il faut en encourager la production. Tout ce qui encourage la production du bled, favorise l’abondance. Tout ce qui de´courage cette production, appe`le directement ou indirectement la famine. Or, si vous vouliez encourager la production d’une manufacture, que feriez vous ? diminueriez vous le nombre des acheteurs ? non sans doute. Vous l’augmenteriez. Le fabricant suˆr de son de´bit multiplierait ses productions, autant que cette multiplication serait en son pouvoir. Si vous au contraire, vous diminuiez le nombre des acheteurs, le fabricant limiterait ses a

Recherches sur la le´gislation et le commerce des grains. p. 1802.

V: 4 C’est tout ] C’est que tout L 1

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D’apre`s Hofmann (p. 292, n. 32), BC cite ici Simon-Nicolas-Henri Linguet, The´orie des lois civiles ou principes fondamentaux de la socie´te´, London : s.e´d., 1767, t. II, p. 519 : «& lors meˆme que le monstre dont tu dois eˆtre la paˆture te de´vore, subis ton sort avec re´signation, puisqu’il n’est pas possible de la changer.» BC re´sume une phrase de Necker, Sur la le´gislation et le commerce des grains, Paris : Pissot, 1776 : «C’est un grand abus que de faire servir la compassion pour le peuple a` fortifier les pre´rogatives des proprie´taires ; C’est presque imiter l’art de ces animaux terribles, qui, sur les bords des fleuves de l’Asie, prennent la voix des enfants pour de´vorer les hommes.» (p. 180 ; Hofmann, p. 325, n. 109).

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produits. Il ne voudrait pas qu’ils exce´dassent la quantite´ dont il pourrait disposer. Il calculerait donc avec une exactitude scrupuleuse ; et comme il lui serait beaucoup plus faˆcheux d’avoir trop peu d’acheteurs que d’en avoir trop, il re´duirait sa manufacture, de manie`re qu’elle produisit plutot en dec¸a` qu’au dela` du ne´cessaire. Quel est le paı¨s ou` l’on fabrique le plus de montres ? Celui, je pense, d’ou` les fabricans de montres en exportent le plus. Si vous de´fendiez l’exportation des montres, croyez vous qu’il en resterait davantage dans le pays ? Non : mais il y en aurait moins de fabrique´es. 2, fo 101vo Il en est des grains, quant a` leur production, comme de toute autre chose. L’erreur des apologistes des prohibitions est d’avoir conside´re´ le grain comme objet de consommation seulement, non de production. Ils ont dit : moins on en consommera, plus il en restera. Raisonnement faux, en ce que le grain n’est pas une denre´e pre´ existante. Ils auraient duˆ voir que plus la consommation serait limite´e, plus la production serait restreinte, et qu’en conse´quence celle-ci ne tarderait pas a` devenir insuffisante pour l’autre. Car la production des grains diffe`re en ceci des manufactures ordinaires, qu’elle ne de´pend pas uniquement du manufacturier. Elle de´pend des saisons. Cependant le producteur force´ de limiter ses produits, ne peut calculer que sur les anne´es moyennes. En limitant sa production au strict ne´cessaire, il en re´sulte que si la re´colte trompe ses calculs, le produit de sa culture ainsi limite´e est insuffisant. Le grand nombre des agriculteurs, sans doute, ne limite pas la production, de propos de´libe´re´. Mais ceux la` meˆme se de´couragent par l’ide´e que leur travail, fut-il favorise´ par la nature, peut ne pas leur eˆtre utile, que leur denre´e peut rester sans acheteurs, et leur devenir a` charge : et bien qu’ils ne forment pas un plan suivi d’apre`s cette conside´ration, ils en cultivent plus ne´gligemment : en y gagnant moins, ils ont moins de capitaux pour alimenter leur culture, et de fait, la production diminue. 2, fo 102ro En empeˆchant l’exportation du bled, vous ne faites donc pas, que le superflu du bled ne´cessaire a` l’approvisionnement d’un paı¨s reste dans ce paı¨s, vous faites que ce superflu ne se produit pas. Or, comme il peut arriver par les intempe´ries de la nature, que ce superflu devienne ne´cessaire, vous faites que le ne´cessaire manque a. 7, fo 64vo

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[Add.] quiconque examinera avec attention l’histoire des cherte´s et des famines1 qui ont

V: 4 de manie`re qu’elle ] de manie`re a` ce qu’elle L 1

BC cite, en coupant dans le texte, deux passages de Smith, Recherches, livre IV, chap. 5, t. II, pp. 124–125. La fin de la note re´sume l’opinion de Smith, en utilisant des formulations qu’il a trouve´es dans ce chapitre.

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De´fendre d’exporter, c’est de´fendre de vendre, au moins au dela` d’une certaine mesure ; car, lorsque l’inte´rieur est pourvu, le surplus de la production reste sans acheteurs. Or, de´fendre de vendre, c’est de´fendre de produire a ; car c’est oter au producteur le motif qui le fait agir. De´fendre d’exporter, c’est par conse´quent en d’autres termes, de´fendre de produire : qui croirait que c’est la` le moyen qu’on a choisi pourque la production fut toujours abondante ? Je ne saurais quitter ce sujet. Les entraves mises a` l’exportation sont une atteinte porte´e a` la proprie´te´. Tout le monde en convient. Or, n’est-il pas e´vident, que si la proprie´te´ est moins respecte´e, quand il s’agit du grain, que lorsqu’il s’agit de toute autre denre´e, on aimera mieux avoir en superflu, c’est a` dire, comme objet de vente, toute autre denre´e que du grain ? Que si vous permettez et de´fendez alternativement et a` volonte´ l’exportation, votre permission ne portant jamais que sur la production existante, et pouvant toujours e´tre re´voque´e, elle ne devient point un motif suffisant pour encourager la production avenir.

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afflige´ quelque partie de l’Europe, pendant le cours de ce sie`cle et des deux pre´ce´dens, sur plusieurs desquels nous avons des renseignemens fort exacts, trouvera qu’une cherte´ n’est jamais venue d’aucune ligue entre les vendeurs de bled de l’inte´rieur, ni d’aucune autre cause que d’une rarete´ re´elle du bled, occasionne´e peut eˆtre quelquefois et dans quelque lieu particulier par les ravages de la guerre, mais dans le plus grand nombre de cas, sans comparaison, par les mauvaises anne´es, tandis qu’une famine n’est jamais provenue d’une autre cause que des mesures violentes du gouvernement et des moyens impropres employe´s par lui, pour tacher de reme´dier aux inconve´niens de la cherte´. ... le comerce des bleds, sans restriction, sans geˆnes, sans limites, qui est le pre´servatif le plus efficace contre les malheurs d’une famine, est aussi le meilleur palliatif des Inconve´niens d’une disette. car il n’y a pas de reme`de aux Inconve´niens d’une disette re´elle : il ne peut y avoir que des adoucissemens. Smith IV. ch. 5. Il prouve tre´s bien dans le meˆme chapitre que plus vous jetez de de´conside´ration sur le comerce du bled, et plus vous l’entourez de dangers, en fesant conside´rer ceux qui se vouent a` ce genre de comerce come des accapareurs, plus vous faites que ceux qui s’y voueront, malgre´ cette De´conside´ration et ces dangers, voudront s’en de´dommager par de gros profits. le peuple se trouve alors, dans les anne´es de disette, entre les mains d’hommes sans conscience, qui se vengent de son me´pris, en tirant parti de sa detresse. [Add.] La Maremme Toscane produisoit 4 fois plus de bled qu’il n’en falloit pour nourrir ses habitans, avant que l’exportation fuˆt de´fendue. Les grands Ducs de la famille des Me´dicis la prohibe´rent, et les Terres reste`rent incultes. Simonde. II. 128. l’exportation des laines est se´ve´rement de´fendue en Angleterre. qu’en est-il re´sulte´ ? que le nombre des brebis y diminue, et que la laine y devient plus rare, et d’une moins bonne qualite´. le premier fait a e´te´ constate´ par une Enqueˆte du Parlement en 1802. le second est reconnu par tous les Anglais. Sim. II. 351.

V: 32 se ] ce mot dans l’interl. sup. P 1

BC re´sume deux passages de Sismondi, De la richesse commerciale, livre II, chap. 9, t. II, pp. 128–129 et 133–135.

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Je veux re´pondre a` une objection. J’ai dit ailleurs1 que le renche´rissement des denre´es de premie`re ne´cessite´ me semblait funeste au peuple, parceque le prix des journe´es ne haussait pas proportionnellement. L’exportation du bled, dira-t-on, n’ope´rera-t-elle pas le renche´rissement de cette denre´e ? Elle empechera sans doute qu’elle ne tombe a` vil prix. Mais, si, d’un autre cote´, l’exportation prohibe´e empeche que le grain ne se produise, le renche´rissement ne sera-t-il pas bien plus ine´vitable et plus excessif ? Croiriez vous pouvoir forcer la production du grain ? Je veux bien que vous le tentiez. Vous empecherez les proprie´taires d’enlever leurs terres a` la culture du bled : et voici deja une autre surveillance. Mais les surveillerez vous aussi dans leur manie`re de cultiver ? les obligerez vous a` faire les avances, a` donner les fac¸ons, a` se procurer les engrais ne´cessaires ? le tout pour produire une denre´e, qui, si elle est abondante, sera pour eux impossible a` vendre et couteuse meˆme a` garder. quand le gouvernement veut faire faire une seule chose d’autorite´, il se voit bientot re´duit a` tout faire. Je n’ai pas fait valoir d’autres raisonnemens pour la libre exportation, parce qu’ils ont e´te´ de´veloppe´s mille fois. Si le bled est cher, on ne l’exportera pas : car a` prix e´gal, il vaudra mieux le vendre sur les lieux que l’exporter. On ne l’exportera donc, que lorsqu’il sera bon qu’on l’exporte. Vous pouvez supposer une disette universelle, une famine chez vous, une famine chez vos voisins. Alors il faudra des loix singulie`res pour un de´sastre singulier. Un tremblement de terre qui de´placerait toutes les proprie´te´s, exigerait un code a` part pour un partage nouveau des biens fonds. On prend des mesures particulie`res pour la distribution des subsistances, dans une ville assie´ge´e. Mais faire une le´gislation habituelle pour une calamite´ qui n’a pas lieu naturellement une fois dans deux sie`cles, c’est faire de la le´gislation une calamite´ habituelle a. La nature n’est pas prodigue de ses rigueurs. Si l’on comparait le nombre des disettes qui ont e´te´ le re´sultat d’anne´es ve´ritablement mauvaises, avec celui des disettes occasionne´es par les re´glemens, on se re´jouirait du peu de mal qui nous vient de la nature, et l’on fre´mirait du mal qui nous vient des hommes. J’aurais voulu prendre sur cette question un parti mitoyen. Il y a un certain me´rite de mode´ration qu’il est agre´able de s’attribuer, et qui n’est pas difficile a` acque´rir, pourvuˆ qu’on ne soit pas de tre´s bonne foi. On se a

[Add.] V. d’excellentes ide´es dans Bentham, Princip. du Code Civil, ch. 4. sur l’intervention des Loix relatives a` la subsistance2.

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Voir ci-dessus, p. 401. Renvoi a` Bentham, Traite´s de le`gislation, Principes du code civil, premie`re partie, chap. 4, «Des lois relativement a` la subsistance», t. II, p. 13–14. E´bauche d’une note a` de´velopper.

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rend te´moignage par la` qu’on a bien examine´ les deux cote´s des questions : et l’on donne son he´sitation pour une de´couverte. Au lieu d’avoir raison contre une seule opinion, l’on parait avoir raison contre toutes les deux. J’aurais donc mieux aime´ trouver pour re´sultat de mes recherches, qu’on pouvait laisser au gouvernement le droit de permettre ou de prohiber l’exportation. Mais en essayant de de´terminer les re`gles d’apre`s les quelles il devrait agir, j’ai senti que je me replongeais dans le cahos des prohibitions. Comment le gouvernement jugera-t-il, pour chaque province, a` une vaste distance, a` un grand intervalle, des circonstances qui peuvent changer, avant que la connaissance lui en soit parvenue ? Comment re´primera-t-il les fraudes de ses agens ? comment se garantira-t-il du danger de prendre un em2, fo 103vo barras du moment pour une disette re´elle ? une difficulte´ locale pour un de´sastre universel ? et les ordonnances durables et ge´ne´rales, fonde´es sur des difficulte´s instantane´es ou partielles produisent le mal qu’on veut pre´venir a. Les hommes qui recommandent le plus vivement cette le´gislation versatile, ne savent comment s’y prendre, quand ils en viennent aux moyens d’execution b. a

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On peut voir toutes ces difficulte´s de´veloppe´es dans toute leur e´tendue par l’abbe´ Gagliani, dans ses dialogues, sur le commerce des bleds. J’aime a` renvoyer le lecteur a` cet e´crivain, bien qu’il ait e´crit d’un ton beaucoup trop le´ger sur une matie`re aussi importante. Mais comme il est le premier et l’un des plus redoutables adversaires du systeˆme de liberte´, ses aveux sur l’inconve´nient de l’intervention administrative a` cet e´gard, doivent avoir un grand poids1. Voyez l’ouvrage de M Necker sur la le´gislation et le commerce des grains2. Il a examine´ avec une sagacite´ remarquable toutes les restrictions, tous les re´glemens, toutes les mesures qui composent ce que l’on nomme la police des grains ; et, quoique son but fut de de´montrer que l’action constante du gouvernement e´tait ne´cessaire, il a e´te´ force´ de condamner tous les moyens qu’on a essaye´s. [Add.] de la Le´gislation des grains, dans la Bibliothe`que de l’homme public XII. p. 110 et suivantes. toute denre´e, sans exception, doit avoir un comerce libre, si l’on veut en prouver l’abondance. Il suffit d’en geˆner ou d’en restreindre le de´bit, pour en faire ne´gliger la culture et la rendre rare. les permissions particulie`res pour l’exportation font plus de mal que de bien, parce que, sans donner plus de liberte´, elles joignent l’incertitude a` la geˆne.

TR: 18–23 On peut ... poids. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 93, en note. 28 Voyez l’ouvrage ... essaye´s. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 93, en note. 1 2

24–

Renvoi non spe´cifie´ a` Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des ble´s, London [i.e. Paris] : s.e´d. [Merlin], 1770. BC parle ici d’abord de Necker, Sur la le´gislation et le commerce des grains, Paris : Pissot, 1776, paradoxalement une preuve pour le bien fonde´ des the´ories libe´rales ; ensuite de l’e´crit de Condorcet (?), «De la le´gislation des grains depuis 1692. Analyse historique a` laquelle on a donne´ la forme d’un rapport a` l’Assemble´e nationale», Bibliothe`que de l’homme public, Paris : Buisson, 1790, t. XII, pp. 105–243, surtout pp. 110–111 qui sont re´sume´es ici, en partant d’une phrase cite´e litte´ralement («Toute denre´e ... rendre rare.»). Les autres indications sont une espe`ce de table de matie`re de ce texte. La pre´sentation tre`s technique de cette note pourrait eˆtre un indice pour une re´daction provisoire.

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S’il y a des inconve´niens a` tout, laissez aller les choses. Au moins les soupc¸ons du peuple et les injustices de l’autorite´ ne se joindront pas aux calamite´s de la nature. Sur trois fle´aux, vous en aurez deux de moins ; et vous aurez de plus cet avantage que vous accoutumerez les hommes a` ne pas regarder la violation de la proprie´te´ comme une ressource a. Ils en chercheront alors et en trouveront d’autres. Si, au contraire, ils appercoivent celle la`, ils y recourront toujours, parce qu’elle est la plus courte et la plus commode b. Si vous justifiez par l’intereˆt public, l’obligation impose´e aux proprie´taires de vendre en tel lieu, c’est a` dire de vendre a` perte, puisqu’ils pourraient vendre mieux ailleurs, vous arriverez a` de´terminer le prix de leurs denre´es. L’un ne sera pas plus injuste que l’autre, et pourra facilement eˆtre repre´sente´ comme aussi ne´cessaire. Je n’admets donc que tre`s peu d’exceptions a` l’entie`re liberte´ du commerce des grains, comme de tout autre commerce ; et ces exceptions sont purement de circonstance.

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ainsi c’est mal raisonner que de conclure du mal que causent quelquefois les permissions particulie`res au mal que fesait la liberte´ ge´ne´rale. quand 1’exportation est de´fendue, qu’arrive-t-il ? que le bled tombe a` vil prix, que pendant cette anne´e on le prodigue, que les anne´es suivantes on cultive peu et mal, et qu’il y a disette. que si on ne veut pas de systeˆme ge´ne´ral, et qu’on s’en remette a` la prudence du gouvernement, le gouvernement comettant la moindre erreur, les plus grands Inconve´niens en re´sultent, outre que l’interet particulier, qui est la meilleure et la seule garantie de l’approvisionnement, sachant qu’il peut eˆtre contrarie´ a` chaque instant, par l’arbitraire, le caprice ou l’erreur du gouvernement, perd de sa se´curite´, et parla` meˆme de son activite´. Il met son adresse en fraude, au lieu de la mettre en utiles spe´culations. 1o parce que ses spe´culations peuvent eˆtre inopine´ment entrave´es. 2o parce que, toutes les fois qu’il y a possibilite´ de fraude, Il y a plus a` gagner par la fraude que par toute autre spe´culation. p. 111. Inconve´niens des magazins, p. 119–120. 178. Loix contre les Monopoles. Suite de mesures vexatoires et toujours inutiles. p. 148–164. excellent e´dit de 1774. p. 192. Ne´cessite´ de prendre des pre´cautions, a` cause des pre´juge´s du peuple. p. 205–211. excellent me´moire pre´sente´ a` l’assemble´e des notables sur le comerce des grains. les prohibitions favorisent l’exportation soudaine et a` vil prix, parce qu’on les le`ve pre´cise´ment quand le grain est bas. p. 222. Il faut ajouter au prix du bled maintenu a` un taux mode´re´ par le gouvernement, les de´penses que coutent les mesures ne´cessaires pour le maintenir a` ce taux. car rien n’est si cher que les vexations. Or ces de´penses retombent sur les contribuables. p. 228. la de´fense d’exporter est une annonce du besoin, qui a l’effet infaillible de faire renche´rir. p. 234. Voyez Lettres de M. Turgot a` l’abbe´ Terray1. [Add.] v. Smith sur les effets des prohibitions relatives a` l’exportation et a` l’accaparement des grains. III. 22 .

V: 21 le gouvernement ] 〈ce〉 le gouvernement P TR: 38 Voyez : Lettres ... Terray. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 94, en note. 1 2

Voir ci-dessus, p. 441, n. 2. BC cite dans cette note une phrase du dernier aline´a du chap. 2, livre III (t. I, p. 487), qui

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La premie`re, c’est la situation d’un petit Etat, sans territoire, oblige´ de maintenir son inde´pendance contre des voisins puissans. Ce petit Etat pourrait e´tablir des magasins, pour qu’on ne cherchat pas a` le subjuguer en l’affamant, et comme l’administration d’un Etat pareil ressemble a` celle d’une famille, les abus de ces magazins seraient e´vite´s en grande partie. La seconde exception, c’est une famine soudaine et ge´ne´rale, effet de quelque cause impre´vue, naturelle ou politique : j’en ai de´ja parle´ ci dessus1. La troisie`me est a` la fois la plus importante, et celle a` laquelle il est le plus difficile de se re´signer. Sa ne´cessite´ re´sulte des pre´juge´s populaires, 2, fo 104vo nourris et consacre´s par l’habitude enracine´e de l’erreur. Il est certain que dans un paı¨s ou` le commerce des grains n’a jamais e´te´ libre, La liberte´ subite produit une commotion funeste. L’opinion se soule`ve, et par son action aveugle et violente, elle cre´e les maux qu’elle craint. Il faut donc, j’en conviens, de grands me´nagemens pour ramener sur ce point les peuples aux principes les plus conformes a` la ve´rite´ et a` la justice. Les secousses sont pernicieuses, dans la route du bien, comme dans celle du mal : Mais l’autorite´ qui ne fait souvent ce bien qu’a` regret, ne met pas un grand ze´le a` pre´venir ces secousses, et les hommes e´claire´s, lorsqu’ils parviennent a` la dominer par l’ascendant des lumie`res, croyent trop souvent l’engager davantage en l’entraıˆnant dans des mesures pre´cipite´es. Ils ne sentent pas que c’est lui fournir de spe´cieux pretextes pour re´trograder. C’est ce qui est arrive´ en France, vers le milieu du sie`cle dernier. La question du taux de l’intereˆt a est peut-eˆtre celle sur laquelle, depuis quelque tems on avait le mieux raisonne´. Des hommes fatigue´s probable7, fo 65vo

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[Add.] La loi ne doit pas garantir les interets usuraires. en ne les garantissant pas, elle se dispense de les prohiber. mais en meˆme tems elle doit accorder une garantie assure´e aux Interets le´gaux. car si elle ne mettoit pas les interets le´gaux a` l’abri de tout risque, la difficulte´ de se les faire payer feroit renaˆitre l’usure. en garantissant solidement les Interets le´gaux, et en ne garantissant pas les interets usuraires, elle concilie tout. les preˆteurs pre´fe´reront un profit le´gitime, s’il est assure´, a` un profit plus grand, mais pre´caire. Si, au contraire, aucun profit n’est assure´, les pre´teurs chercheront, a` risque e´gal, le plus gros profit. N.B. je ne sai si tout ceci est juste, et n’est pas en contradiction avec mes principes. peut eˆtre le mieux, comme le plus simple, est que la loi garantisse tous les interets, quelqu’e´leve´s qu’ils soient. alors la se´curite´ produira la concurrence et l’interet baissera par cela seul2.

V: 22 dernier ] la fin de l’aline´a marque´e par une barre oblique P 24 La question ] BC e´crit dans la col. gauche a` la suite du Ch. 4. et il enle`ve le titre d’un ancien chapitre 〈Chapitre 10. / Du taux de l’interet〉 L

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re´sume ce qui a e´te´ expose´ dans ce meˆme chapitre. Voir ci-dessus, p. 447. L’e´bauche d’une note projete´e, comme il ressort du doute exprime´ vers la fin.

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ment de voir que l’on s’entendait sur cette question, ont recommence´ de nos jours a` la conside´rer sous un rapport the´ologique1. Je ne me sens gue`res dispose´ a` l’envisager sous ce point de vue. Je dirai toutefois que, meˆme religieusement, la prohibition de tout interet, est un pre´cepte absurde, parceque c’est un pre´cepte injuste, et qu’il est de plus inexe´cutable. La religion ne trouve point mauvais que le proprie´taire d’une terre, vive du revenu de sa 2, fo 105ro terre. Comment de´fendrait elle au proprie´taire d’un capital, de vivre du revenu de ce capital ? Ce serait lui commander de mourir de faim. Que si vous transformez le pre´cepte en conseil, ce changement n’aura qu’un avantage, c’est qu’on ne croira plus se rendre aussi coupable en desobe´issant. Preter sans intereˆt peut eˆtre un acte de bienfaisance, comme l’acte de faire l’aumoˆne. Mais ce ne peut jamais eˆtre qu’un acte particulier, et vous ne sauriez en faire la re`gle de la conduite habituelle des hommes. Il est utile pour la socie´te´ que les capitaux soient employe´s. Il est donc utile que ceux qui ne les employent pas eux meˆmes, les preˆtent a` d’autres qui les employent. Mais si les capitaux preˆte´s ne rapportent aucun revenu, on aimera mieux les enfou¨ir, que les preter : car on e´vitera les dangers du preˆt. L’autorite´ n’a que trois choses a` faire a` cet e´gard. Elle doit re´primer la fraude, c’est a` dire empecher que l’on n’abuse de la jeunesse, de l’inexpe´rience ou de l’ignorance, que l’on ne preˆte a` des enfans, a` des mineurs, a` tous ceux que la loi regarde comme incapables de veiller sur leurs propres interets. Il suffit pour cela qu’elle ne reconnaisse pas les engagemens que ces sortes de personnes pourraient contracter. Elle doit en second lieu garantir les conventions le´gitimes et en assurer l’exe´cution. Plus l’exe´cution sera facile, et assure´e, plus le taux de l’intereˆt baissera. Car les preˆteurs se font toujours payer les risques qu’ils encourent. Elle doit enfin de´terminer un intereˆt le´gal, pour le cas seulement ou` le debiteur, le depositaire, le de´tenteur d’une somme ne la restituerait pas a` l’e´poque et suivant les conditions convenues. Cet intereˆt le´gal doit eˆtre le 2, fo 105vo plus haut qu’il est possible : car s’il e´tait infe´rieur au taux ordinaire, le debiteur frauduleux se trouverait jou¨ir du capital retenu contre toute justice, avec plus d’avantage que le de´biteur de bonne foi qui l’aurait emprunte´ du consentement du proprie´taire a. a

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Voyez Garnier. Notes sur Smith. Note XXII2. Un auteur recommandable e´tablit sur ce point une doctrine toute oppose´e, mais qui me parait tout a` fait inadmissible. Il convient, dit-il, que la loi fixe un intereˆt pour tous les cas ou` il est duˆ, sans qu’il y ait de convention Allusion non e´lucide´e. BC renvoie a` la note «Du taux de l’inte´reˆt de l’argent», dans le t. V de la traduction de Garnier, pp. 204–208. La presque totalite´ de la note est un commentaire critique de l’opinion de Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre IV, chap. 15, (t. II, pp. 302–303) dont il cite un passage assez long.

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Toute intervention ulte´rieure de l’autorite´ sur cette matie`re est inique et manque son but. En limitant l’intereˆt on excite l’usure. Il faut aux capitalistes, outre le profit naturel des capitaux qu’ils pretent, une prime d’assurance contre les loix qu’ils enfreignent. Cette re`gle de la nature s’est fait respecter dans tous les sie´cles, malgre´ tous les re´glemens. La puissance populaire a` Rome, la puissance religieuse chez les chreˆtiens, et les Mahome´tans, ont e´galement e´choue´ contr’elle a. Je trouve deux erreurs a` ce sujet chez deux e´crivains e´galement ce´le´bres et recommandables, Adam Smith et M. Necker1.

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pre´alable, comme lorsqu’un jugement ordonne la restitution d’une somme avec les interets. Ce taux doit etre fixe´ au niveau des plus bas intereˆts paye´s dans la socie´te´, parce que le taux le plus bas est celui des emplois les plus surs. Or la justice peut bien vouloir que le de´tenteur d’un capital le rende, et meˆme avec les interets ; mais pour qu’il le rende, il faut qu’elle le suppose encore entre ses mains : et elle ne peut le supposer entre ses mains, qu’autant qu’il l’a fait valoir de la manie`re la moins hazardeuse, et par conse´quent qu’il en a retire´ le plus bas de tous les interets. Say. Econ. polit. liv. IV. ch. 15. 1o˙ Si vous fixez l’interet d’une somme de´tenue injustement au taux des interets le plus bas, vous re´compensez le detenteur. Un honneˆte homme qui ne voudra emprunter que de gre´ a` gre´, payera un interet plus haut, et celui qui aura emprunte´ de force, c’est a` dire de´robe´ l’usage de ce qui ne lui appartient pas, en payera un moindre. 2o˙ Ce n’est pas parce que la socie´te´ suppose qu’un de´tenteur est en e´tat de rendre, qu’elle l’y contraint, c’est parce qu’il est juste qu’il rende. 3o˙ Ce que la socie´te´ suppose ne change rien a` ce qui est. Si le de´tenteur n’est pas en e´tat de rendre, quelque bas que soit l’intereˆt auquel il est condamne´, il ne rendra pas. 4o˙ un de´tenteur me´rite une peine. Un interet e´leve´ est la plus naturelle, et re´pare en quelque sorte le mal qu’il a fait. 5o˙ Enfin d’apre`s cette doctrine, un calcul excellent serait de s’emparer de manie`re ou d’autre, de toutes les sommes dont on pourrait se rendre maitre, sans encourir un proce`s criminel, et de les preˆter a` d’autres, comme de´tenteur on payerait l’interet le plus bas possible. comme preˆteur, on en aurait un plus haut. Voyez Say. Econ. polit. IV. 14 et 15. Montesq. Esp. des loix XXII, ch. 19, 20, 21, 22. [Add.] Frederic Guillaume, le Pe`re du grand Fre´deric, avoit contre les Juifs des pre´ventions violentes. Il les vexait de mille manie`res. aussi fut-il oblige´ de leur accorder des privile`ges, pour les de´dommager de ses vexations. Il leur permit, par exemple, exclusivement, de preˆter a` interet usuraire, par la raison qu’ils n’avoient pas, pour les fonds qu’ils preˆtoient autant de surete´ que les Chre´tiens. singulier arrangement, suivant lequel il autorisoit la friponnerie des uns, parce qu’il les avoit livre´s sans de´fense a` la friponnerie des autres2. BC re´fute l’opinion de Smith, Recherches, livre II, chap. 4, vers la fin (t. I, p. 446) et de Necker, De l’administration des finances, t. III, pp. 239 et 240 (citations conformes). Les renvois sont assez sommaires, le premier a` deux chapitres du Traite´ d’e´conomie politique, livre IV, chap. 14 et 15 de l’ouvrage de Say (voir la note pre´ce´dente), le second a` plusieurs chapitres de L’Esprit des lois, consacre´s aux inte´reˆts (voir pp. 675–682). Les de´tails sur le «privile`ge» de Fre´de´ric Guillaume accorde´ aux juifs proviennent probablement des notes prises par BC en vue d’une biographie de Fre´de´ric II.

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Le taux le´gal de l’intereˆt, dit le premier a ne doit pas e´tre trop e´leve´, sans quoi la plus grande partie de l’argent qui se preterait, irait a` des prodigues qui seuls consentiraient a` le payer aussi cher. De la sorte les capitaux du pays se trouveraient enleve´s aux mains industrieuses, pour eˆtre livre´s a` des hommes qui ne sauraient que les dissiper et les ane´antir. Mais cet auteur oublie que les prodigues qui dissipent les capitaux qu’ils empruntent, sont rarement en e´tat de les rendre apre`s qu’ils les ont dissipe´s ; et qu’en conse´quence la grande majorite´ des preˆteurs pre´fe´rera toujours a` des interets excessifs mais pre´caires, un intereˆt plus bas, mais assure´. Ils confieront donc en ge´ne´ral leurs capitaux a` la classe laborieuse et me´nage`re, qui n’empruntant que pour se livrer a` des spe´culations profitables, peut a` l’e´poque fixe remplir ses engagemens. 2, fo 106vo M. Necker b approuve aussi que le gouvernement fixe le taux de l’intereˆt le´gal. Les preˆteurs ne sont en ge´ne´ral, dit-il, que des proprie´taires inactifs. Les emprunteurs, au contraire, ont un but, un mouvement, dont la socie´te´ profite de quelque manie`re. Ainsi le gouvernement doit desirer que dans les contestations sur le prix de l’intereˆt, l’avantage leur appartienne. Mais si l’avantage appartient aux emprunteurs dans les contestations sur le prix de l’intereˆt, les preˆteurs se feront payer le de´savantage qui sera de leur cote´ : et les emprunteurs qu’on a cru servir en porteront la peine. Cela est infaillible, et cela ira contre le but que M. Necker veut que le gouvernement se propose. Il le sent lui meˆme, car il ajoute : comme les rapports qui de´terminent le taux de l’intereˆt sont plus puissans que l’autorite´, les souverains ne peuvent jamais espe´rer de le gouverner par des loix impe´rieuses. Mais comment l’autorite´ interviendra-t-elle dans les contestations entre les preteurs et les emprunteurs, si ce n’est par des loix. Les be´ne´fices de la culture, continue-t-il, et ceux de toutes les entreprises qui ne sont pas uniques et privile´gie´es, ne peuvent supporter la de´pense d’un intereˆt au dessus

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Rich. des Nat. II. 41. Adm. des Fin. III. 239–2402. BC re´sume A. Smith : «Il est a` observer que si le taux le´gal doit eˆtre un peu au-dessus du taux courant de la place, il ne faut pas qu’il soit non plus trop au-dessus. Si, par exemple, en Angleterre, le taux le´gal de l’inte´reˆt e´tait fixe´ a` 8 ou 10 pour 100, la plus grande partie de l’argent qui se preˆterait serait preˆte´e a` des prodigues ou a` des faiseurs de projets, la seule classe de gens qui vouluˆt consentir a` payer l’argent aussi cher. Les gens sages qui ne veulent donner pour l’usage de l’argent qu’une partie du profit qu’ils espe`rent en retirer, n’iraient pas risquer de se mettre en concurrence avec ceux-la`. Ainsi, une grande partie du capital du pays se retrouverait, par ce moyen, enleve´e aux mains les plus propres a` en faire un usage profitable et avantageux, et jete´e dans celles qui sont les plus dispose´es a` la dissiper et a` l’ane´antir.» Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre II, chap. 4, t. I, pp. 446–447. BC cite presque lite´ralement deux passages de Necker («Les preˆteurs ... appartienne.» et «comme ... impe´rieuses.») suivis d’observations ou d’objections a` ce sujet.

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des usages ordinaires ; et ce n’est point aider l’industrie que de favoriser la licence des preˆteurs. Mais n’est-il pas e´vident que ceux qui empruntent pour des entreprises agricoles ou industrielles, ne seront point tente´s de payer un interet au dessus de leurs profits ? Et ceux qui empruntent pour dissiper, seront ils retenus par des loix faciles a` e´luder ? pour les premiers, les re´glemens sont superflus ; pour les seconds, ils sont illusoires. L’intereˆt prohibe´ prend toutes sortes de formes. Il se de´guise sous le nom de capital : vendre plus cher, quand on vend a` cre´dit, qu’est-ce autre chose que se faire payer l’intereˆt de son argent ? En exceptant la circonstance dont nous avons parle´ ci dessus, celle d’un capital retenu ille´galement par un de´biteur, le taux de l’intereˆt ne doit point eˆtre fixe´ a. Cet intereˆt, comme le prix de toutes les marchandises, doit eˆtre re´gle´ par la demande. Fixer le taux de l’intereˆt, c’est introduire le maximum pour les capitaux, et le maximum pour les capitaux a le meˆme effet que pour les denre´es. Il fait disparaitre celles qui peuvent se placer ailleurs, et rend plus che`res celles qu’on vend, en contravention avec la loi b. Sans doute il y a dans cette question une partie morale : mais l’opinion seule peut prononcer sur cette partie morale, et elle prononce toujours sa-

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[Add.] La hausse de l’inteˆret n’est pas toujours le signe d’une mauvaise situation financie`re. l’interet peut hausser, lorsque l’emploi des capitaux est devenu plus vaste, par un marche´ plus e´tendu, ou un comerce nouveau, ouvert a` une nation. il en est donc de la baisse de l’interet come de celle des profits. cette baisse est un signe, tantot de prospe´rite´, tantot du contraire. Simonde. I. 78. l’interet de l’argent n’a pas baisse´ en Ame´rique, malgre´ l’accroissement rapide de la fortune publique, parce que le besoin de capitaux augmente, par les progre´s de l’industrie, en meˆme tems et meˆme plus vite que la masse des capitaux. la baisse et la hausse de l’interet et la baisse et la hausse des profits e´tant un signe tantot de prospe´rite´, tantot du contraire, ne peuvent servir de re`gle pour diriger les gouvernemens dans leurs mesures. N.B. ceci contraire a` la note 271. [Add.] en Italie, beaucoup de gens riches se font scrupule de preˆter a` interet. qu’en re´sultet-il ? qu’ils enfouı¨ssent leur nume´raire. Ce fait se prouve par l’extreˆme cre´dulite´ avec laquelle le public adopte tous les re´cits de tre´sors de´couverts. Sim. I. 144. ainsi le fruit du pre´cepte religieux qui de´fend le preˆt a` inteˆret n’est que la disparution d’un nume´raire, qui, preˆte´, auroit alimente´ l’industrie. nous demandons qui gagne a` ce pre´cepte religieux2.

BC utilise un passage de Sismondi, De la richesse commerciale, livre I, chap. 3, t. I, p. 78. L’observation de la dernie`re phrase trahit une fois de plus un proble`me the´orique, qui s’articule comme un proble`me de re´daction. La note indique´e sous le nume´ro 27 est celle qu’on trouve ci-dessus, p. 450, n. a. Elle contient a` la fin e´galement une phrase qui fait e´tat du meˆme proble`me. Renvoi a` Sismondi, De la richesse commerciale, livre I, chap. 5, t. I, p. 144.

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4, Des privile`ges et prohibitions

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gement. Solon a ne voulut point fixer a` Athe`nes le taux de l’intereˆt b. Mais on y regardait comme infames ceux qui exigeaient des intereˆts immode´re´s. Vous craignez l’exce`s des usures clandestines : mais ce sont vos prohibitions qui les e´le`vent a` ce taux. Permettez a` toutes les transactions d’eˆtre publiques, la publicite´ les mode´rera c.

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[Additions] 7, fo 66vo

1. l’industrie qu’encourage principalement le systeˆme prohibitif, c’est celle sur laquelle porte le be´ne´fice des gens riches et puissans. Celle qui alimente les profits du pauvre et de l’indigent, est presque toujours ne´glige´e ou opprime´e. v. Smith. IV. 81.

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Lysias contre Theomneste. Demosthe`ne contre Lacrite2. [Add.] la liberte´ de comerce fut toujours pleine et entie`re a` Athe`nes. il n’y avoit aucun monopole ni privile´ge exclusif. Il n’y avoit non plus aucune loi contre l’usure. mais ceux qui exigeaient de trop forts interets e´toient fle´tris par l’opinion. Paw. I. 372. [Add.] On a constament re´veille´ l’usure, quand on a voulu limiter le taux de l’Interet ou l’abolir entie`rement. plus les menaces e´toient violentes, plus l’exe´cution en e´toit rigoureuse, et plus l’interet de l’argent s’e´levait. c’e´tait le re´sultat de la marche naturelle des choses. plus le preˆteur courait de risques, et plus il avoit besoin de s’en de´dommager, par une forte prime d’assurance. a` Rome, pendant tout le tems de la Re´publique, l’interet de l’argent fut e´norme. les De´biteurs qui e´toient les Ple´be´iens menac¸aient sans cesse leurs cre´anciers qui e´toient les Patriciens. Mahomet a proscrit le preˆt a` interet. qu’arrive-t-il ? On preˆte dans les Etats Mahome´tans a` usure. le preˆteur s’indemnise de l’usage de son capital qu’il ce`de et de plus du pe´ril de la contravention. la meˆme chose est arrive´e chez les Chre´tiens, surtout vis a` vis des Juifs. Say. Liv. IV, ch. 153.

V: 12 Lysias ... Lacrite. ] note e´crite dans la col. gauche L 1

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Citation du chap. 8 du livre IV des Recherches qui parle du syste`me mercantile, syste`me dirigiste selon Smith. La citation est exacte, a` l’exception du mot «prohibitif» qui remplace «mercantile» de l’original (t. II, p. 261). La source de ces exemples ainsi que l’information de la note suivante est Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 372. Constant n’est probablement pas retourne´ aux e´ditions ni des discours de Lysias ni des discours de Demosthe`ne, bien qu’il ne soit pas exclu qu’il ait connu du moins celle des discours de Lysias, dont l’e´diteur e´tait John Gillies : The Orations of Lysias and Isocrates, translated from the Greek : with some Account of their Lives ; and a Discourse on the History, Manner, and Character of the Greeks, from the Conclusion of the Peloponnesian War, to the Battle of Chæronea by John Gillies, London : John Murray, Edinburgh : John Bell, 1778. BC paraphrase un passage de Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. II, pp. 279–280, qui appartient au chap. 14 du livre IV de cet ouvrage.

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2. Les gouvernemens avoient autrefois le principe de mettre obstacle a` l’invention ou a` l’e´tablissement des machines qui e´pargnent les bras1. Montesquieu les approuve. c’e´toit sous le pre´texte que ces machines re´duisoient une quantite´ d’ouvriers a` l’inaction et a` la mise`re. Lors de l’invention des bas au meˆtier, les Intendans de plusieurs provinces de´clame`rent contre une De´couverte qui, disoient-ils, devoit re´duire a` la mendicite´ 50000 Individus. On de´fendit a` l’inventeur de profiter de son secret ou de le communiquer. on assure meˆme qu’il fut mis a` la Bastille. qu’arriva-t-il ? que relache´, Il se re´fugia en Angleterre, que les anglais mirent sa de´couverte a` profit, et que dix ans apre`s la France fut oblige´e de se la procurer avec beaucoup de fraix et de peines. Depuis cette e´poque, l’industrie en ce genre a multiplie´ ses produits. la classe pauvre en a profite´, parce qu’elle s’est trouve´e mieux veˆtue, et la mendicite´, loin d’augmenter a diminue´. Say.

1

BC combat une opinion de Montesquieu (Hofmann, p. 586, n. 144 cite le livre XXIII, chap. 15 de L’Esprit des lois) par un argument qu’il a trouve´ chez Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 7 (t. I, p. 36). Mais les faits alle´gue´s par Say ne correspondent pas a` l’histoire de l’invention du me´tier a` faire des bas. Hofmann (p. 587, n. 145) re´sume l’essentiel. L’inventeur est William Lee qui, sans succe`s en Angleterre, semble s’eˆtre installe´ en France autour de 1600, mais n’a pu y lancer la production. Elle a fleuri en Angleterre au milieu du 17e sie`cle et a commence´ en France peu apre`s.

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Chapitre 5e˙ De l’effet ge´ne´ral des prohibitions.

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Les prohibitions, en fait d’industrie et de commerce, comme toutes les autres prohibitions, et plus que toutes les autres, mettent les individus en hostilite´ avec le gouvernement. «Elles forment une pe´pinie´re d’hommes qui se pre´parent a` tous lescrimes a, en s’accoutumant a` violer les loix, et une autre pe´pinie´re d’hommes qui se familiarisent avec l’infamie, ou vivent du malheur de leurs semblables b.» Non seulement les prohibitions commerciales cre´ent des de´lits factices c, mais elles invitent a` commettre ces de´lits par le profit qu’elles attachent, aux succe`s de la fraude qui parvient a` les, 7, fo 66vo

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[Add.] Il y a toujours beaucoup d’inconve´niens a` imposer sans ne´cessite´ des loix contraires a` l’interet particulier, et qu’on peut facilement enfreindre en secret. car on engage ainsi les hommes a s’affranchir par de´gre´s du joug de leur conscience. On affaiblit le respect du aux Loix, en de´fendant ce qu’on ne peut empeˆcher, et l’on expose les citoyens a` des inquisitions continuelles, en attachant des peines graves a` des de´lits qu’on ne peut jamais reconnoˆitre et qu’on peut toujours soupconner. Adm. des Fin. III. 55–56. toutes les fois qu’on de´fend une chose naturellement permise ou ne´cessaire, on ne fait que rendre malhonneˆtes gens ceux qui la font. E. d. L. XXI. 201 . L’Etat des contrebandiers arrete´e en France sous la Monarchie, e´tait, anne´e commune de 10,700 individus, dont 2,300 hommes, 1,800 femmes, et 6,600 enfans. Adm. des Fin. II. 57. Le corps de brigade charge´ de cette poursuite e´tait de plus de 2,300 hommes, et la de´pense de 8 a` 9 millions. ibid. 822. [Add.] une nation, dont le code interdit e´galement le vol, le meurtre, et la vente ou l’achat de telle ou telle e´toffe ou de telle ou telle denre´e, peut-elle avoir des ide´es justes sur le bien ou le mal moral ?

V: 7 ou vivent ] en vivant L TR: 3-p. 460.10 Les prohibition ... oisivete´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 361–364, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1253–1255. 19–22 L’e´tat des ... 82. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 361, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1253.

1

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BC a recours a` l’ouvrage de Necker, De l’administration des finances, t. III, p. 55–56 pour illustrer sa the`se, ainsi qu’a` Montesquieu, De l’esprit des lois, qui donne, dans un contexte e´tranger au propos du chapitre de BC, la maxime cite´e a` la fin de cette note. Les chiffres statistiques proviennent de Necker, Administration des finances, t. II, p. 57. Nous ne savons pas si l’estimation est vraisemblable.

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Principes de politique

tromper. C’est un inconve´nient qu’elles ont de plus que les autres loix prohibitives a. Elles tendent des embuches a` la classe indigente, a` cette classe de´ja entoure´e de trop de tentations irre´sistibles, et dont on a dit avec raison que toutes ses actions sont pre´cipite´es b, parce que le besoin la presse, que sa pauvrete´ la prive des lumie`res, et que son obscurite´ l’affranchit de l’opinion. J’ai dit en commenc¸ant que je ne mettais pas la meˆme importance a` la liberte´ d’industrie qu’aux autres genres de liberte´1. Cependant, les restrictions qu’on y apporte entraıˆnent des loix si cruelles, que toutes les autres s’en ressentent. Voyez en Portugal le privile`ge de la Compagnie des vins occasionner d’abord des e´meutes, ne´cessiter par ces e´meutes des supplices barbares, de´courager le commerce par le spectacle de ces supplices, et porter enfin par une suite de contraintes et de cruaute´s une foule de proprie´taires a` arracher eux meˆmes leurs vignes et a` de´truire dans leur de´sespoir la source de leurs richesses, pourqu’elles ne servissent plus de pre´textes a` tous les genres de vexations c. Voyez en Angleterre les rigueurs, les violences, les actes arbitraires que traine a` sa suite pour se maintenir le privile`ge exa b c

Smith. Tom. V. Trad. de Garnier, p. 274 et suiv2. Adm. des Fin : II. 983. Me´moires du Marquis de Pombal. Le gouvernement portugais plac¸a des soldats pour empeˆcher les proprie´taires d’arracher leurs vignes. Qu’est-ce qu’un systeˆme qui force l’autorite´ a` garantir la proprie´te´ du desespoir des proprie´taires4.

V: 3–4 avec raison ... sont ] 〈eloquemment〉 avec raison ... 〈etoient〉 sont L 18 Smith. ... suiv. ] note e´crite dans la col. gauche L 19 Adm. des finances. II. 98. ] note e´crite dans la col. gauche L TR: 18 Smith, Tome V ... suiv. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 362, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1253. 20–22 Me´moires ... proprie´taires. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 363, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1254. 1 2 3

4

Voir ci-dessus, p. 421. Renvoi sans doute fautif. Hofmann (p. 327, n. 120) propose de consulter la note XXV de Garnier, et en particulier les pp. 222–223 de cette note. Ce n’est pas la premie`re fois qu’on trouve chez BC des renvois a` des analyses de faits importants pour la compre´hension de conflits sociaux. Necker, De l’administration des finances, [Lausanne] : [J.-R. Heubach], 1784, t. II, p. 98 dit ceci : «[...] cette classe d’hommes, dont la vue est obscurcie par le manque d’e´ducation, et dont en meˆme tems, toutes les actions sont pre´cipite´es, parce que les besoins pressants de la vie les rendent chaque jour inquiets du lendemain.» Rappelons que les Me´moires que BC cite ici sont l’ouvrage de Francesco Gusta, publie´ sous le titre de Me´moires de Se´bastien-Joseph de Carvalho et Melo, comte d’Oeyras, marquis de Pombal, Secre´taire d’E´tat et Premier Ministre du Roi de Portugal Joseph I, Bruxelles : B. Le Francq, 1784. La remarque de BC vise Me´moires, Livre troisie`me, rubriques 15 a` 17, t. I, pp. 71–76.

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5, De l’effet ge´ne´ral des prohibitions

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clusif de la compagnie des Indes a. Ouvrez les statuts de cette nation d’ailleurs humaine et libe´rale. Vous y verrez la peine de mort prodigue´e a` des actions qu’il est impossible de conside´rer comme des crıˆmes b. Lorsqu’on 2, fo 108vo parcourt l’histoire des e´tablissemens Anglais dans l’Amerique septentrionale c, on vit, pour ainsi dire, chaque privile`ge suivi de l’e´migration des individus non privile´gie´s. Les colons fuyaient devant les restrictions coma b

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c

Baert1. Par le statut de la 8e anne´e d’Elisabeth, ch. 3. quiconque exporte des brebis, agneaux ou beliers, doit pour la premie´re fois avoir tous ses biens confisque´s, a` perpe´tuite´, subir une prison d’un an, et au bout de ce tems avoir la main gauche coupe´e, a` un jour de marche´, dans une ville ou` elle restera cloue´e. En cas de re´cidive il doit eˆtre puni de mort. Par des actes de la 13e˙ et 14e˙ anne´e de Charles II, l’exportation de la laine fut de´clare´e crime capital. Smith. Liv. IV. ch. 82. [Add.] Tel contrebandier, dit Smith, V. 2. coupable sans doute d’enfreindre les loix de son pays, se trouve ne´anmoins souvent incapable de violer celles de la justice naturelle. Il e´toit ne´ pour faire a` tous e´gards un excellent citoyen, si les loix de son pays ne se fussent avise´es de rendre criminelles des actions qui n’ont point rec¸u ce caracte`re de la nature. [Add.] le mauvais effet de l’action du gouvernement sur l’industrie se montre par l’influence des re´glemens comerciaux sur la Ge´orgie. Pictet. Tabl. d. Et. Un. II. 3083

V: 7 Baert. ] note e´crite dans la col. gauche L gauche L

8 Par le ... ch. 8. ] note e´crite dans la col.

TR: 7 Baert. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 363, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1254. 8–13 Par le statut ... ch. 8. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 363, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1254. 1

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BC a trouve´, dans l’ouvrage d’Alexandre-Balthazar de Paule, baron de Baert-Duholant, Tableau de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et des possessions angloises dans les quatre parties du monde (Paris : Maradan, 1802) le chapitre «Des compagnies de commerce» (t. IV, pp. 84–143, avec des documents en annexe a` la fin du volume) contenant les mate´riaux qu’il re´sume dans cette remarque visiblement inspire´e de la vision tre`s critique de Baert. «Les possessions de la compagnie angloise, et sa funeste souverainete´, monstruosite´ morale et politique qui associe aux ide´es de gain et de l’avidite´ commerciale, les ide´es de justice, de sagesse, de de´sinte´ressement par lesquelles seules les hommes peuvent eˆtre gouverne´s» (p. 117) remarque celui-ci en analysant les mesures effectivement arbitraires qui se sont e´tablies dans la ge´rance de cet organisme gigantesque (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1254, n. 2). BC renvoie aux «statutes» (lois) de la Grande-Bretagne par l’interme´diaire de l’ouvrage d’Adam Smith. Le passage se trouve livre IV, chap. 8, t. II, p. 265. BC le reproduit avec deux modifications mineures qui n’en affectent pas le sens. Tout le chap. 8 du quatrie`me livre est consacre´ aux mesures qui sont destine´es a` re´gler le commerce exte´rieur par un syste`me parfois contradictoire d’encouragements et de prohibitions. Le renvoi au livre V, chap. 2, section 2, qui vient s’ajouter a` cette note, se trouve dans les Recherches t. II, p. 540. La citation n’est pas litte´rale, mais les changements n’affectent pas le sens du passage en cause. BC re´sume ici Charles Pictet de Rochemont, Tableau de la situation actuelle des E´tats-Unis d’Ame´rique, d’apre`s Jedihah Mosse et les meilleurs auteurs ame´ricains, Paris : Du Pont, an III – 1795, t. II, p. 308.

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Principes de politique

merciales, abandonnant les terres qu’ils achevaient a` peine de de´fricher, pour retrouver la liberte´ dans les bois, et demandant a` la nature sauvage une retraite contre les perse´cutions de l’e´tatsocial a. Si le systeˆme prohibitif n’a pas ane´anti toute l’industrie des nations qu’il vexe et qu’il tourmente, c’est, comme le remarque Smith b, que l’effort naturel de chaque individu, pour ame´liorer son sort, est un principe re´parateur qui reme´die a` beaucoup d’e´gards aux mauvais effets de l’administration re´glementaire, comme la force vitale lutte souvent avec succe`s, dans l’organisation physique de l’homme, contre les maladies qui re´sultent de ses passions, de son intempe´rance ou de son oisivete´.

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l. les Tartares, a` leur arrive´e a` la Chine, s’aperc¸urent qu’il re´sultait de grands inconve´niens pour l’agriculture de l’irre´gularite´ des cantons trop peuple´s, de ceux qui ne le sont pas assez, et de ceux qui ne le sont pas du tout. Ils crurent que la source du mal consistait dans le commerce maritime, qui attiroit sur les cotes les familles des provinces me´diterrane´es, ou les terres restoient en friche. Ils imagine´rent de de´fendre le commerce maritime, de demolir dans six provinces les habitations qui se trouvoient a` moins de trois lieues de la mer, et de forcer les habitans a` se retirer plus avant dans le pays. qu’arriva-t-il ? ces habitans ne construisirent point de maisons, et attendirent dans des trous creuse´s en terre, que les de´fenses des Tartares tombassent en de´sue´tude. car les hommes les moins e´claire´s ont un singulier instinct, une prescience, qui les avertit que tout ce qui est violent passera. En effet les Tartares se relache´rent de la de´fense de la pe´che et du commerce maritime. Ces familles tourmente´es pour cultiver la terre, et qui, au lieu de a b

Me´moires sur les Etats unis1 . Rich : des Nat. Liv. IV. ch. 92.

V: 8 souvent ] 〈quel〉 souvent L TR: 27 Me´moires ... Etats-Unis. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 364, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1255. 28 Rich ... 9. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 364, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1255. 1

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La source de ces informations est difficile a` e´tablir. Il doit s’agir d’ouvrages de statistique. Hofmann (p. 328, n. 125) pense, non sans he´sitations d’ailleurs, a` l’ouvrage de Pictet cite´ dans la note pre´ce´dente. Les descriptions de cet auteur ne sont pas assez de´taille´es pour qu’on puisse indiquer un passage pre´cis, mais ne contredisent pas non plus le jugement de BC. Il est probable que BC connaissait encore d’autres sources auxquelles il renvoie d’une manie`re impre´cise et que nous n’avons pu identifier. Paraphrase d’un passage qu’on trouve dans le livre IV, chap. 9, p. 294. BC s’e´carte des formulations de Smith pour aller plus directement a` la conclusion.

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5, De l’effet ge´ne´ral des prohibitions

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la cultiver, l’avoient creuse´e pour se loger dans des trous, sortirent de leurs trous et s’e´tablirent de nouveau sur les cotes. Paw. Eg. et Chinois1. 2. On a fait en france des Re`glemens pour veiller a` la conservation des bois appartenant aux particuliers, qui ne peuvent les abattre sans permission. Il re´sulte de ces re`glemens que les particuliers craignent de planter des arbres qu’ils n’ont pas le droit d’abattre. Stewart Econ. polit. I. 1462.

1

2

Paraphrase de Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, Berlin : G.-J. Decker, 1773, t. I, pp. 81–82. BC utilise ce texte peut-eˆtre a` coˆte´ de la Description de la Chine du Pe`re du Halde. Le passage sur les tentatives des Tartares de faire cultiver les provinces plus e´loigne´es par les commerc¸ants installe´s sur la coˆte se trouve pp. 85–86. BC copie le texte de de Pauw, avec quelques coupures. Emprunt a` James Stuart, Recherches des principes de l’e´conomie politique, ou essai sur la science de la police inte´rieure des nations libres, dans lequel on traite spe´cialement de la population, de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, du nume´raire, des espe`ces monnoye´es, de l’inte´reˆt de l’argent, de la circulation des banques, du change, du cre´dit public, et des impoˆts, Paris : Didot l’aıˆne´, 1789. BC cite le premier des 5 volumes de ce grand ouvrage, mais renvoie, comme l’a montre´ Hofmann (p. 589, n. 149), a` l’e´dition anglaise de ce livre, bien qu’il cite le titre en franc¸ais.

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Principes de politique

Chapitre 6e˙ Des causes qui poussent les gouvernemens vers cette fausse route

2, fo 109ro

Il est d’autant plus important que ces ve´rite´s se fassent jour dans l’opinion des gouvernemens, que chaque classe de proprie´taires, de fabricans, ou de manufacturiers implore sans cesse l’intervention de l’autorite´ contre tout ce qui diminue ses profits imme´diats, soit par des de´couvertes utiles, soit par quelque genre d’industrie nouveau : et il est a` craindre que les gouvernemens ne prennent l’intereˆt de ces classes pour celui de la socie´te´ : ces deux interets ne´ammoins sont presque toujours oppose´s l’un a` l’autre a. Les demandes adresse´es a` l’autorite´ pour empecher la concurrence, l’e´tablissement des machines, la facilite´ des communications, la multiplication des denre´es pourraient se traduire ainsi. Permettez nous de fabriquer, ou de vendre seuls tel ou tel objet, afin que nous vous le vendions plus cher. N’est-il pas e´trange que de pareilles demandes aı¨ent e´te´ si fre´quemment accueillies ?

a

Smith. Liv. I. ch. 111.

V: 1 Chapitre 6e˙ ... fausse route. ] Chap. 〈12〉 6. / 〈du commerce et de l’Esprit du Monopole〉 / 〈de la Tendance vers le monopole〉 / des causes qui ... fausse route. L 4 des gouvernemens ... genre ] passage fort remanie´ ; premie`re re´daction du gouvernement que les commerc¸ans implorent sans cesse son intervention contre tout ce qui diminue leur profit imme´diat, contre toute de´couverte utile, contre tout genre seconde re´daction ; les corr. se trouvent soit dans la col. gauche, soit dans l’interl. sup., soit dans l’espace encore disponible entre les mots des gouvernements, que chaque classe de proprie´taires de fabricans, ou de manufacturiers implore sans cesse l’intervention de l’autorite´ contre tout ce qui diminue ses profits imme´diats, soit par des de´couvertes utiles, soit par quelque genre L 9 de ces classes ] 〈des commercans〉 de ces classes le premier mot re´crit sur des L 11 Les demandes adresse´es a` l’autorite´ ] une amorce de re´daction pre´ce`de 〈On pourrait trad〉 les demandes adresse´es 〈par le commerce〉 a` l’autorite´ L 14 cher. N’est-il ] cher. 〈c’est le vrai sens de ces petitions pre´sente´es de france en 1731 par les proprie´taires de vignes au conseil de Roi, pour qu’on prohibat la plantation de vignes nouvelles. c’est le vrai sens de ces regrets des Comte´s adresse´s a la Chambre des Communes par le Comte´s voisins de Londres qui voulaient qu’on ne fit pas de routes vers les Provinces plus e´loigne´es, de peur que le bled de ces provinces ne fit baisser le prix du leur.〉 n’est-il L

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Paraphrase du de´but du dernier aline´a du chap. 11, livre Ier, Recherches, t. I, p. 336.

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Quand les profits baissent, les commerc¸ans sont dispose´s a` se plaindre de la de´cadence du commerce ; la diminution des profits est cependant l’effet naturel d’une prospe´rite´ progressive. Les profits du commerce diminuent, 1o˙ par la concurrence ; 2o˙ par la hausse des salaires, re´sultat de la concurrence qui fait renche´rir les bras : 3o˙ par l’augmentation des capitaux verse´s 2, fo 109vo dans le commerce, augmentation qui fait baisser l’intereˆt de ces capitaux. Or ces trois causes de la diminution des profits sont trois signes de prospe´rite´. C’est toutefois alors que les commerc¸ans se plaignent, et qu’ils en appe`lent a` l’autorite´, pour une intervention extraordinaire a de sorte que dans le fait, c’est contre la prospe´rite´ du commerce que les commerc¸ans invoquent l’intervention de l’autorite´. Lorsque l’esprit commerc¸ant se me`le a` l’esprit administrateur et le domine, il est la source de mille erreurs et de mille maux b. Rien de plus a o

7, f 67v

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Smith. Liv. I1. [Add.] les hommes, qui, dans l’administration publique, sont dirige´s par l’esprit comerc¸ant, croient que les mesures qui favorisent les gains des marchands ou fabricans et qui les enrichissent rapidement, sont favorables a` la richesse nationale2. Ils ne pensent pas que la Richesse de ces marchands ou fabricans ne se compose qu’aux de´pens des autres Individus de la nation. on ne croit pas que la nation soit enrichie parce que l’homme qui tient une maison de jeu fait une grande fortune aux de´pens de beaucoup d’individus. la nation n’est pas plus enrichie de ce qu’un fabricant, a` la faveur d’un monopole, acquiert une fortune immense, aux de´pens de beaucoup de consommateurs. v. Sim. Le´g. Com. II. 15 et suiv.

V: 5 l’augmentation ] l’augmentation 〈tation〉 re´pe´te´ par inadvertance en changeant de page L 11 l’autorite´. Lorsque ... l’Intereˆt ] l’autorite´. 〈Si les capitalistes osoient, Ils parleroient sur la baisse des Interets, comme les comercans sur la baisse des profits. un Capitaliste qui auroit longtems preˆte´ son argent a dix pour cent, 〈〈ne demanderoit pas mieux que〉〉 et qui ne pourrait plus le placer qu’a` cinq, ne demanderait pas mieux que de dire que le pays qu’il habite se ruine, parce qu’il se trouverait moins opulent dans le pays qu’il habite : et il solliciteroit volontiers l’autorite´ de prendre des mesures pour que l’interet ne baissaˆt pas. Il est cependant incontestable que la baisse de l’interet est une preuve de la prosperite´ d’un pays, et 〈〈q〉〉 la hausse une preuve de la mauvaise situation financie`re. / Lorsque l’Esprit commercant se meˆle a` l’esprit administrateur et le domine, il est la source de mille erreurs et de mille maux. on voit un individu s’enrichissant par un monopole : on ne re´fle´chit〉 phrase interrompue / Lorsque ... et ces habitudes sont ce passage dans la col. gauche remplace les quelques mots biffe´s en teˆte du nouveau paragraphe 〈Les calculs de l’interet particulier,〉 transporte´[e]s dans l’administration des affaires publiques ; 〈sont la source de mille maux et de mille erreurs.〉 l’interet L 14 Smith Liv. I. ] note e´crite dans la col. gauche L 1 2

BC re´sume, en simplifiant, le chap. 9, livre Ier des Recherches (t. I, p. 172). BC utilise probablement Sismondi, Le´gislation du Commerce, livre II, chap. 8, t. II, pp. 115– 118. La suite de la note renvoie au chap. 11 du livre Ier des Recherches, mais BC ne cite pas, il re´sume les re´flexions de Smith (t. I, pp. 334–335). Les deux dernie`res phrases de cette note font comprendre que nous lisons l’e´bauche d’un texte.

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dangereux que les habitudes et les moyens qu’employe l’interet particulier pour atteindre son but, lorsque ces moyens et ces habitudes sont transporte´s dans l’administration des affaires publiques : L’intereˆt ge´ne´ral sans doute n’est que la re´union de tous les interets prive´s : mais c’est la re´union de tous les interets, par le retranchement de la partie de chacun d’eux qui blesse les autres. Or c’est pre´cise´ment cette partie a` laquelle chaque interet prive´ attache le plus de prix, parce que c’est celle qui dans chaque circonstance lui est le plus profitable. Il en reˆsulte que l’interet prive´ qui est tre`s e´claire´ quand il raisonne sur ce qui le regarde et sur ce qu’il doit faire, est un tre`s mauvais guide, lorsqu’on veut ge´ne´raliser ses raisonnemens et en faire la baze d’un systeˆme d’administration. On voit un individu s’enrichissant par un monopole, on ne re´fle´chit pas qu’il s’enrichit aux de´pens du reste de la nation : et l’on e´tablit des monopoles, comme moyen de richesse pour cette nation meˆme, tandis qu’ils l’appauvrissent et la de´pouillent. C’est que les gouvernemens sont d’ordinaire dirige´s sur ces objets par des hommes imbus des pre´juge´s mercantiles : et par une contradiction singulie`re, mais dont ils ne s’appercoivent pas, tout en motivant leurs mesures prohibitives sur l’aveuglement ou la tendance nuisible de l’intereˆt particulier, ils introduisent perpe´tuellement les calculs de l’intereˆt particulier, comme re`gle de leur conduite publique. Ce que nous disons de l’esprit commerc¸ant ne s’applique pas uniquement a` la classe que l’on nomme commerc¸ante pour la distinguer des autres classes. Cet esprit devient celui de tous ceux qui dans la socie´te´ receuillent, produisent ou accumulent pour vendre. Ainsi les agriculteurs contractent l’esprit commerc¸ant quand il s’agit de la vente des grains, et nous les voyons entraine´s dans les meˆmes erreurs que les hommes livre´s a` des spe´culations purement mercantiles. Les proprie´taires de vignes en France ne demande`rent-ils pas au Conseil du Roi, vers l’an 1731, que l’on prohibaˆt la plantation de vignes nouvelles1 ? Les proprie´taires des comte´s voisins de Londres ne s’adresserent-ils pas a` la chambre des communes, pour qu’on l’interet des marchands et maitres manufacturiers est toujours oppose´ a` celui du public ; en conse´quence toute proposition de loi ou de re´glement de commerce par cette classe, ne doit eˆtre rec¸ue qu’avec une extreˆme de´fiance. Smith. I. ll. Transplantation des calculs de l’Interet particulier dans l’administration des affaires publiques. Un particulier gagneroit beaucoup a` faire impune´ment de la fausse monoye. les gouvernemens ont cru qu’ils gagneroient de meˆme en en fesant. V: 4 les ] ces L 11 d’aministration. ] d’administration 〈publique〉. L prohibitions sont le genre d’arbitraire〉 Ce que L 1

21 Ce que ] 〈Le

Exemple que BC prend chez Smith, Recherches, livre I, chap. 11, section 1, p. 232.

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n’ouvrit pas de grandes routes a vers les provinces plus e´loigne´es, de peur que le bled de ces provinces, arrivant plus facilement dans la capitale, ne fit baisser le prix duleur b ? Si les capitalistes osaient, ils parleraient sur la baisse des interets, comme les commerc¸ans sur la baisse des profits. Un capitaliste, qui aurait long tems preˆte´ son argent a` dix pour cent, et qui ne pourrait plus le placer qu’a` cinq ne demanderait pas mieux que de dire que 2, fo 110vo le pays qu’il habite, se ruine, parce qu’il se trouverait moins opulent dans le paı¨s qu’il habite : et il solliciterait volontiers l’autorite´ de prendre des mesures pourque l’intereˆt ne baissaˆt pas. Il est cependant incontestable que la baisse de l’intereˆt est une preuve de la prospe´rite´ d’un pays, et la hausse une preuve de sa mauvaise situation financiere. Les prohibitions sont le genre d’arbitraire dont les hommes peuvent se servir les uns contre les autres, en fait d’industrie : et de meˆme que dans les discordes civiles, ils cherchent a` s’emparer de l’arbitraire politique, au lieu de le de´truire, dans les interets de commerce ils cherchent a` s’emparer de l’arbitraire des re´glemens. Ils ne re´clament presque jamais contre les prohibitions en ge´ne´ral, mais s’efforcent de faire tourner les prohibitions a` leur profit. Lors de l’e´tablissement des manufactures de soı¨e, sous Henri IV, les manufacturiers en drap demanderent l’interdiction de ces manufactures c. Lors de l’introduction des e´toffes de coton, les manufacturiers en soye invoquerent une loi prohibitive contre les e´toffes de coton. Lors de l’invention des toiles peintes, les manufacturiers en e´toffes de coton repre´sente`rent les toiles peintes comme une affreuse calamite´ d. Si l’on avait e´coute´ 7, fo 67vo

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c d

[Add.] Smith observe a` cette occasion, I. ll. que ces grandes routes furent ouvertes, et que depuis ce tems les reclamans, malgre´ leurs craintes, ont vu leurs rentes s’accroˆitre et leur culture s’ame´liorer1. quelques de´tails sur la cruaute´ des entraves mises au travail, en Angleterre, par les loix relatives au domicile dans les paroisses2 . Mem. de Sully3. Say. Liv. I. ch. 304.

V: 12 d’arbitraire ] 〈d’instr〉 d’arbitraire L sement L 1 2 3

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18 l’e´tablissement ] 〈l’introduction〉 l’e´tablis-

Autre exemple trouve´ dans le chap. cite´ dans la note pre´ce´dente (t. I, p. 225). BC pre´voit dans cette e´bauche d’une note de renvoyer a` Smith, Recherches, livre I, chap. 10, section 2 (t. I, p. 213). Voir ci-dessous, p. 713, les «secondes additions e´parses». Hofmann (p. 329, n. 130) a montre´ que BC cite l’exemple de Sully d’apre`s Charles Ganilh, Essai politique, t. I, pp. 315–316. Dans les Me´moires de Maximilien de Be´thune, duc de Sully, Lie`ge : F.-J. Desoer, 1788, t. V, pp. 63–72, se trouvent les de´tails alle´gue´s dans le texte de BC, mais reporte´s d’apre`s la note 1, p. 316, de l’ouvrage de Ganilh. Exemples cite´s d’apre`s Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 30, t. I, p. 247.

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toutes les plaintes, la France n’aurait aujourd’hui ni soı¨eries, ni cotonades, ni toiles peintes. Chaque manufacture, comme chaque religion naissante, re´clame la liberte´. Chaque manufacture comme chaque religion e´tablie, preˆche la perse´cution. Ce qu’il y a de plus funeste dans les re´glemens, c’est que motive´s sur une ne´cessite´ qui n’existe pas, ils cre´ent quelquefois cette ne´cessite´. Les hommes arrangent leurs calculs et leurs habitudes d’apre`s ces re´glemens qui deviennent alors aussi dangereux a` re´voquer que facheux a` maintenir a. M. de Montesquieu n’avait, comme l’observe un judicieux e´crivain b, que des notions tre`s superficielles en e´conomie politique. Il faut e´viter de le prendre pour guide sur cette matie`re. Tout ce qu’il expliquait en fait d’institution, il croyait le justifier. La de´couverte du motif le rendait indulgent pour l’institution, parce qu’elle le rendait content de lui meˆme. ll dit en parlant du systeˆme des prohibitions en Angleterre : elles geˆnent le ne´gociant, mais c’est en faveur du commerce c : il aurait e´te´ plus vrai de dire : elles geˆnent le commerce en faveur de quelques ne´gocians d. a b c d

Smith. Liv. IV. ch. 7. Say. I. 361. Garnier Notes sur Smith2 . Esp. des loix. XX. 12. Lorsqu’on se permet de censurer une opinion de M. de Montesquieu, on est tenu, je le sens, a` de fortes preuves. J’en vais citer une, qui de´montrera que ce grand homme, si supe`rieur, quand il e´crivait sur les sujets politiques, ne s’entendait quelque fois pas lui meˆme, sur les objets de commerce. La peˆche de la baleine, dit-il, Esp. des loix, XX. 6, ne rend presque jamais ce qu’elle coute : mais ceux qui ont e´te´ employe´s a` la construction du vaisseau, ceux qui ont fourni les agre`s, les apparaux, les vivres, sont aussi ceux qui prennent le plus grand intereˆt a` cette peˆche. Perdissent-ils sur la peˆche, ils ont gagne´ sur les fournitures. Mais s’ils

V: 1 les plaintes ] ces plaintes L rendoit 〈content〉 indulgent L 1 2

12 la de´couverte ... indulgent ] 〈tan〉 la de´couverte ... le

Paraphrase de Smith, Recherches, livre IV, chap. 7, section 3 (t. II, p. 219). Le renvoi a` Say, Traite´ d’e´conomie politique, chap. 36 est vague, signe d’une re´daction encore en cours. BC approfondit la critique de Garnier a` l’e´gard de Montesquieu en donnant a` la note XXI de Garnier aux Recherches de Smith, tout en la re´sumant, un tour concret. Les passages attaque´s par BC sont les chap. 6 et 12 du livre XX de L’Esprit des lois, comme il ressort de la dernie`re phrase de ce chapitre et de la note d, ou` BC reprend des re´flexions de Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 23, t. I, pp. 164–165 (Hofmann, p. 330, n. 135). Garnier par contre analyse d’une manie`re assez fine l’e´criture de Montesquieu : «Il est remarquable de voir l’e´crivain franc¸ais tourmenter son esprit et sa raison pour exalter la police absurde et oppressive de l’Angleterre, et l’auteur anglais, supe´rieur aux pre´ventions nationales comme aux pre´juge´s de l’habitude, exposer au plus grand jour les vices et les inconve´niens de ce syste`me re´gle´mentaire ; mais c’est que Smith n’a qu’un seul but dont il ne de´vie pas un moment : celui d’eˆtre vrai et instructif.» (t. V de l’e´dition des Recherches, p. 204).

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(Suite de la note d de la page pre´ce´dente.) sont a` la fois entreprenneurs de la peˆche et fournisseurs, de qui gagnent ils sur les fournitures ce qu’ils perdent sur la peˆche ? a` entendre M. de Montesquieu, l’on croirait qu’ils s’indemnisent eux meˆmes a` leurs propres fraix. Singulier genre de be´ne´fice !

V: 4 l’on ] on L

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Chapitre 7e˙ Des encouragemens

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Le systeˆme des primes et des encouragemens a moins d’inconve´niens que celui des privile`ges a. Il me semble ne´ammoins dangereux sous plusieurs rapports. Il est a` craindre premie`rement, que l’autorite´, lorsqu’une fois elle s’est arroge´ le droit d’intervenir dans ce qui concerne l’industrie, ne fut-ce que par des encouragemens, ne soit pousse´e bientot, si ces encouragemens ne suffisent pas, a` recourir a` des mesures de contrainte et de rigueur b. L’autorite´ se re´signe rarement a` ne pas se venger du peu de succe`s de ses tentatives. Elle court apre`s son argent, comme les joueurs. Mais, aulieu que ceux-ci en appe`lent au hazard, l’autorite´ souvent en appe`le a` la force. L’on peut redouter en second lieu, que l’autorite´ par des encouragemens extraordinaires, ne de´tourne les capitaux de leur destination naturelle qui est toujours la plus profitable c. Les capitaux se portent d’eux meˆmes vers 7, fo 67vo

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[Add.] v. sur l’absurdite´ des primes un exemple dans celle accorde´e par le gouvernement anglais pour le transport des grains en Irlande. Tabl. de la g.de Bret. I. 305. 333. 338. 351–3521. [Add.] Un Intendant de province en France, dans le dessein d’encourager la formation du miel et le travail des abeilles, demanda des de´clarations sur le nombre des ruches entretenues dans sa province. en peu de jours, toutes les ruches furent de´truites. Adm. des Fin. T. . p. 2382. [Add.] tout systeˆme qui cherche, ou par des encouragemens extraordinaires a` attirer vers une espe`ce particulie`re d’industrie, une plus forte portion du capital de la socie´te´, que celle qui s’y porterait naturellement, ou par des entraves extraordinaires, a` de´tourner force´ment une portion de capital d’une espe`ce particulie`re d’industrie, dans laquelle il irait sans cela chercher un emploi, est un systeˆme re´ellement subversif de l’objet qu’il se propose, comme son principal et dernier terme3. Bien loin de les acce´le´rer, il retarde les progre`s de la socie´te´

TR: 3-p. 473.5 Le systeˆme ... par l’autorite´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, pp. 368–377, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1258–1262. 1 2

3

BC cite l’ouvrage de Baert-Duholant auquel il a de´ja` eu recours. Voir ci-dessus, p. 459. BC se re´fe`re a` ce passage de De l’administration des finances de la France : sans pouvoir donner ici le volume qu’il a consulte´. «[...] un intendant, avec la dessein louable d’encourager la formation du miel et le travail des abeilles, commenc¸a par demander des de´clarations sur le nombre des ruches entretenues dans la province : on ne comprit point ses intentions ; on s’en de´fia, peut-eˆtre, et dans peu de jours presque toutes les ruches furent de´truites.» (e´d de [Lausanne], [J.-P. Heubach], 1784, pp. 232–233 ; e´d. de 1785, s.l., s.e´d., t. III, p. 163). BC cite un aline´a de Smith, Recherches, livre IV, chap. 9 (t. II, p. 308).

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l’emploi qui offre le plus a` gagner. Pour les y attirer, il n’y a pas besoin d’encouragemens : pour ceux ou` il y aurait a` perdre, les encouragemens seraient funestes. Toute industrie qui ne peut se maintenir inde´pendamment des secours de l’autorite´, finit par eˆtre ruineuse a. Le gouvernement paye 2, fo 112vo alors les individus pourque ceux ci travaillent a` perte : en les payant de la sorte, il parait les indemniser. Mais comme l’indemnite´ ne se peut tirer que du produit des impots, ce sont en de´finitif les individus qui en supportent le poids. Enfin les encouragemens de l’autorite´ portent une atteinte tre`s grave a` la moralite´ des classes industrielles. La morale se compose de la suite naturelle des causes et des effets. De´ranger cette suite, c’est nuire a` la morale. Tout ce qui introduit le hazard parmi les hommes, les corrompt. Tout ce qui n’est pas l’effet direct, ne´cessaire, habituel d’une cause, tient plus ou moins de la nature du hazard. Ce qui rend le travail la cause la plus efficace de moralite´, c’est l’inde´pendance ou` l’homme laborieux se trouve des autres hommes, et la de´pendance ou` il est de sa propre conduite, et de l’ordre, de la suite, de la re´gularite´ qu’il met dans sa vie. Telle est la ve´ritable cause de la moralite´ des classes occupe´es d’un travail uniforme, et de l’immoralite´ si commune des mendians et des joueurs. Ces derniers sont de tous les hommes les plus immoraux, parceque ce sont ceux qui, de tous les hommes, comptent le plus sur le hazard. Les encouragemens ou les secours du gouvernement pour l’industrie, sont une espe`ce de jeu. Il est impossible de supposer que l’autorite´ n’accorde jamais ces secours ou ces encouragemens a` des hommes qui ne les me´ritent pas, ou n’en accorde jamais plus que les objets de cette faveur n’en me´ritent. Une seule erreur dans ce genre fait des encouragemens, une loterie. Il suffit d’une seule chance pour introduire le hazard dans tous les calculs, et par conse´quent pour les de´naturer. La probabilite´ de la chance 2, fo 113ro n’y fait rien. Car sur la probabilite´, c’est l’imagination qui de´cide. L’espoir meˆme e´loigne´, meˆme incertain, de l’assistance de l’autorite´ jette dans la vie et dans les calculs de l’homme laborieux un e´le´ment tout a` fait diffe´rent du reste de son existence. Sa situation change. Ses interets se compliquent. Son e´tat devient susceptible d’une sorte d’agiotage. Ce n’est plus ce commerc¸ant ou ce manufacturier paisible, qui fesait de´pendre sa prospe´rite´ de la sagesse

a

vers l’opulence et l’aggrandissement re´el. bien loin de l’accroˆitre, Il diminue la valeur re´elle du produit annuel des terres et du travail de la socie´te´. Smith, IV, 9. Smith. Liv. IV. ch. 91.

V: 4 ruineuse ] mineure L 1

Renvoie au passage qui est cite´ dans la note pre´ce´dente. Le travail de re´daction n’est pas acheve´.

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de ses spe´culations, de la bonte´ de ses produits, de l’approbation de ses concitoyens, fonde´e sur la re´gularite´ de sa conduite et sur sa prudence reconnue. C’est un homme dont l’intereˆt imme´diat, dont le desir pressant est de s’attirer l’attention de l’autorite´. La nature des choses avait, pour le bien de l’espe`ce humaine, mis une barrie`re presqu’insurmontable entre la grande masse des nations et les de´positaires du pouvoir. Un petit nombre d’hommes seulement e´tait condamne´ a` s’agiter dans la sphe`re de la puissance, a` spe´culer sur la faveur, a` s’enrichir par la brigue. Le reste suivait tranquillement sa route, ne demandant au gouvernement, que de lui garantir son repos et l’exercice de ses faculte´s. Mais si l’autorite´, peu contente de cette fonction salutaire, et se mettant par des libe´ralite´s ou des promesses en pre´sence de tous les individus, provoque des espe´rances, et cre´e des passions qui n’existaient pas, tout alors se trouve de´place´. par la`, sans doute se re´pand dans la classe industrielle une nouvelle activite´. Mais c’est une activite´ vicieuse, une activite´ qui s’occupe plutot de l’effet qu’elle produit au dehors, que de la solidite´ de ses propres entreprises, qui cherche l’e´clat plus 2, fo 113vo que le succe`s, parce que le succe`s pour elle peut re´sulter d’un e´clat meˆme trompeur, une activite´ enfin qui rend la nation entie`re te´me´raire, inquie`te, cupide, d’e´conome et de laborieuse qu’elle aurait e´te´. Et ne pensez pas qu’en substituant aux encouragemens pe´cuniaires, des motifs tire´s de la vanite´, vous fassiez moins de mal. Les gouvernemens ne mettent que trop le charlatanisme au nombre de leurs moyens, et il leur est facile de croire que leur seule pre´sence, comme celle du soleil, vivifie toute la nature. En conse´quence ils se montrent, ils parlent, ils sourient, et le travail a` leur avis doit se tenir honore´ pour des sie`cles. Mais c’est encore sortir les classes laborieuses de leur carrie`re naturelle. C’est leur donner le besoin du cre´dit, c’est leur inspirer le desir d’e´changer leurs relations commerciales contre des relations de souplesse et de clientelle. Elles prendront les vices des cours sans prendre en meˆme tems l’e´le´gance qui voile du moins ces vices. Les deux hypothe`ses les plus favorables au systeˆme des encouragemens ou des secours de l’autorite´ sont assure´ment, l’une, l’e´tablissement d’une branche d’industrie encore inconnue dans un pays, et qui exige de fortes avances, l’autre, l’assistance donne´e a` de certaines classes industrielles ou agricoles, lorsque des calamite´s impre´vues ont considerablement diminue´ leurs ressources. Je ne sais cependant si, meˆme dans ces deux cas, a` l’exception peut-eˆtre de quelques circonstances tre`s rares, pour lesquelles il est impossible de tracer des re`gles fixes, l’intervention du gouvernement n’est pas plus nuisible qu’avantageuse. V: 33 d’une ] 〈de〉 d’une L

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Dans le premier cas, nul doute que la nouvelle branche d’industrie, ainsi prote´ge´e, ne s’e´tablisse plutot et avec plus d’e´tendue ; mais reposant plus sur l’assistance du gouvernement, que sur les calculs des particuliers, elle s’e´tablira moins solidement. Ceux-ci indemnise´s d’avance des pertes qu’ils pourront faire, n’apporteront pas le meˆme ze`le et les meˆmes soins que s’ils e´taient abandonne´s a` leurs propres forces, et s’ils n’avaient de succe`s a` attendre que ceux qu’ils pourraient me´riter a. Ils se flatteront avec raison que le gouvernement, en quelque sorte engage´ par les premiers sacrifices qu’il aura consentis, viendra de rechef a` leur secours, s’ils e´chouent, pour ne pas perdre le fruit de ces sacrifices, et cette arrie`re pense´e d’une nature diffe´rente de celle qui doit servir d’aiguillon a` l’industrie, nuira plus ou moins, et toujours d’une manie`re notable a` leur activite´ et a` leurs efforts. L’on imagine d’ailleurs beaucoup trop facilement, dans les pays habitue´s aux secours factices de l’autorite´, que telle ou telle entreprise est au dessus des moyens individuels : et c’est une seconde cause de relachement pour l’industrie particulie`re : elle attend que le gouvernement la provoque, parce qu’elle est accoutume´e a` recevoir l’impulsion premie`re du gouvernement. A peine en Angleterre une de´couverte est-elle connue, que des souscriptions nombreuses fournissent aux inventeurs tous les moyens de de´veloppement et d’application. Seulement ces souscripteurs apportent plus de scrupule dans l’examen des avantages promis, qu’un gouvernement n’en pourrait apporter ; parceque l’intereˆt de tous les individus qui entreprennent pour leur compte, est de ne pas se laisser tromper, tandisque l’intereˆt de la plupart de ceux qui spe´culent sur les secours du gouvernement est de tromper le gouvernement. Le travail et le succe`s sont l’unique ressource des 2, fo 114vo premiers. L’exage´ration ou la faveur sont pour les seconds une ressource beaucoup plus certaine et surtout plus rapide. Le systeˆme des encouragemens est encore sous ce rapport, un principe d’immoralite´. 2, fo 114ro

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[Add.] on peut regarder comme un encouragement l’usage par lequel les ouvriers en Perse sont paye´s par la cour, lors meˆme qu’ils ne travaillent pas ou qu’ils sont malades. aussi, comme on est toujours dispose´ a` louer l’action de l’autorite´, Chardin donne-t-il de grands e´loges a` cet usage. Voy. de Perse. II, p. 19. on peut conside´rer sous le meˆme point de vue l’usage qui fait qu’a` Siam, ceux qui excellent dans leurs professions sont employe´s six ans par la cour. Laloube`re. Relat. de Siam. Tom. I. Part. II. Il en re´sulte qu’en Perse les ouvriers ne font aucun progre´s et vont meˆme en se de´te´riorant, et qu’a` Siam, ils e´vitent de se distinguer par leur travail, afin de conserver la liberte´ de ne travailler que pour qui Ils veulent. Paw. Eg. et Chin. I. 278–2881. BC trouve chez Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, t. I, p. 276 une partie des renseignements sur la Perse, mais surtout p. 291, la re´fe´rence a` Chardin, Journal du voyage du chevalier Chardin en Perse et aux Indes, par la Mer Noire et la Colchide, Amsterdam : A. Wolfgang, 1686, et celle a` Simon de Laloube`re, Du royaume de Siam, Amsterdam : A. Wolfgang, 1691. Il n’a pas consulte´ ces ouvrages, parce qu’il re´pe`te les erreurs des renvois de Pauw. Signes d’une re´daction encore inacheve´e.

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Il est possible, je ne le nie pas, que l’industrie des individus, prive´e de tout secours e´tranger, s’arreˆte quelquefois devant un obstacle. Mais d’abord elle se tournera vers d’autres objets, et l’on peut compter, en second lieu, qu’elle rassemblera ses forces pour revenir tot ou tard a` la charge, et surmonter la difficulte´. Or j’affirme que l’inconve´nient partiel et momentane´ de cet ajournement ne sera pas comparable au de´savantage ge´ne´ral du de´sordre et de l’irre´gularite´ que toute assistance artificielle introduit dans les ide´es et dans les calculs. Des raisonnemens a` peu pre`s pareils trouvent leur application dans la seconde hypothe`se, qui, au premier coup d’œuil, parait encore bien plus le´gitime et plus favorable. En venant au secours des classes industrielles ou agricoles, dont les ressources ont e´te´ diminue´es par des calamite´s impre´vues et ine´vitables, le gouvernement affaiblit d’abord en elles le sentiment qui donne le plus d’e´nergie et de moralite´ a` l’homme : celui de se devoir tout a` soi meˆme et de n’espe´rer qu’en ses propres forces. En second lieu, l’espoir de ces secours engage les classes souffrantes a` exage´rer leurs pertes, a` cacher leurs ressources, et leur donne de la sorte un intereˆt au mensonge. J’accorde que ces secours soient distribue´s avec prudence et parcimonie. Mais l’effet qui n’en sera pas le meˆme pour l’aisance des individus, en sera le meˆme pour leur moralite´. L’autorite´ ne leur aura pas moins enseigne´ a` compter sur les autres, au lieu de ne compter que sur eux meˆmes. Elle trompera ensuite leurs esperances : mais leur activite´ n’en aura pas moins e´te´ relache´e. Leur ve´racite´ n’en aura pas moins souffert une alte´ration. S’ils n’obtiennent pas les secours du gouvernement, c’est qu’ils n’auront pas suˆ tromper avec une habilete´ suffisante. Le gouvernement s’expose enfin a` se voir trompe´ par des agens infide`les. Il ne peut suivre dans tous les de´tails l’exe´cution des mesures qu’il ordonne : et la ruse est toujours plus habile que la surveillance. Fre´de´ric le grand et Catherine II avaient adopte´ pour l’agriculture et l’industrie le systeˆme des encouragemens. Ils visitaient fre´quemment eux meˆmes les provinces qu’ils s’imaginaient avoir secourues. On placait alors sur leur passage des hommes bien ve`tus et bien nourris, preuves apparentes de l’aisance qui re´sultait de leurs libe´ralite´s, mais rassemble´s a` cet effet par les distributeurs de leurs graces, tandis que les ve´ritables habitans de ces contre´es ge´missaient au fond de leurs cabanes, dans leur ancienne mise`re, ignorant jusqu’a` l’intention des souverains qui se croyaient leurs bienfaiteurs. Dans les pays qui ont des constitutions libres, la question des encouragemens et des secours peut encore etre conside´re´e sous un autre point de vue. Est il salutaire que le gouvernement s’attache certaines classes de V: 8 et dans ] et 〈les〉 dans L

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gouverne´s par des libe´ralite´s qui, fussent-elles sages dans leur distribution, ont ne´cessairement de l’arbitraire dans leur nature ? N’est-il pas a` craindre que ces classes se´duites par un gain imme´diat et positif ne deviennent indiffe´rentes a` des violations de la liberte´ individuelle ou de la justice. On pourrait alors les regarder comme achete´es par l’autorite´.

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Principes de politique

Chapitre 8e˙ De l’e´quilibre des productions.

2, fo 115vo

En lisant plusieurs e´crivains, l’on serait tente´ de croire qu’il n’y a rien de plus stupide, de moins e´claire´, de plus insouciant que l’intereˆt individuel. Ils nous disent gravement, tantot que si le gouvernement n’encourage pas l’agriculture, tous les bras se tourneront vers les manufactures, et que les campagnes resteront en friche, tantot que si le gouvernement n’encourage pas les manufactures, tous les bras resteront dans les campagnes, que le produit de la terre sera fort au dessus des besoins, et que le pays languira sans commerce et sans industrie a. Comme s’il n’e´tait pas clair, d’un cote´, que l’agriculture sera toujours en raison des besoins d’un peuple, car il faut que les artisans et les manufacturiers ayent de quoi se nourrir, de l’autre, que les manufactures s’e´leveront aussitot que les produits de la terre seront en quantite´ suffisante, car l’intereˆt individuel poussera les hommes a` s’appliquer a` des travaux plus lucratifs que la multiplication des denre´es, dont la quantite´ re´duirait le prix. Les gouvernemens ne peuvent rien changer aux besoins physiques des hommes : La multiplication et le taux des produits, de quelqu’espe`ce qu’ils soient, se conforment toujours aux demandes de ces besoins. Il est absurde de croire qu’il ne suffit pas, pour rendre un genre de travail commun, qu’il soit utile a` ceux qui s’y livrent. S’il y a plus de bras qu’il n’en faut pour exciter la fertilite´ du sol, les habitans tourneront naturellement leur activite´ vers d’autres branches d’industrie. Ils sentiront, sans a

V. Filangieri et beaucoup d’autres1.

V: 3-p. 476.3 En lisant ... parfait. ] passage encadre´ de deux signes forme´s de deux barres obliques montants et croise´es d’une barre oblique descendante P 21 fertilite´ ] 〈sensibilite´〉 fertilite´ L 22 activite´ ... d’industrie ] 〈industrie〉 activite´ ... 〈d’activite´〉 d’industrie les corr. au-dessus des mots biffe´s P industrie ... activite´ L TR: 3-p. 477.16 En lisant ... les distinguer. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, pp. 377–383, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1262–1265. 3-p. 476.19 En lisant ... que l’on peut ? ]  Commentaire sur Filangieri, II, pp. 103–106. 23 V. ... d’autres. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 378, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1262. I,

1

Constant pense a` Filangieri, La science de la le´gislation, livre II, chap. 16, «Des arts et me´tiers» (e´d. de 1822, t. II, pp. 55–67). Dans son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, BC critique la doctrine de Filangieri parce que l’auteur italien demande des subventions et des mesures protectrices. Voir Commentaire, chap. 11, «De la protection accorde´e a` l’industrie», pp. 107–113. Les autres : les physiocrates probablement.

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que le gouvernement les en avertisse, que la concurrence passant une certaine ligne, ane´antit l’avantage du travail. L’intereˆt particulier, sans eˆtre encourage´ par l’autorite´, sera suffisamment excite´ par sa propre nature a` chercher un genre d’occupation plus profitable. Si la nature du terrein rend ne´cessaire un grand nombre de cultivateurs, les artisans et les manufacturiers ne se multiplieront pas, parce que le premier besoin d’un peuple e´tant de subsister, un peuple ne ne´glige jamais sa subsistance a. D’ailleurs l’Etat d’agriculteur e´tant plus ne´cessaire, sera par cela meˆme plus lucratif que tout autre. Lorsqu’il n’y a pas de privile`ge abusif qui intervertisse l’ordre naturel, l’avantage d’une profession se compose toujours de son utilite´ absolue et de sa rarete´ relative. Le ve´ritable encouragement pour tous les genres de travail, c’est le besoin qu’on en a. La liberte´ seule est suffisante pour les maintenir tous dans une salutaire et exacte proportion. Les productions tendent toujours a` se mettre au niveau des besoins, sans que l’autorite´ s’en me`le b. Quand un genre de production est rare, son prix s’e´le`ve. Le prix s’e´levant, cette production mieux paye´e, attire a` elle l’industrie et les capitaux. Il en re´sulte que cette production devient plus commune. Cette production e´tant plus commune, son prix baisse ; et le prix baissant, une partie de l’industrie et des capitaux se tourne d’un autre cote´. a

b

[Add.] les missionaires chinois attribuent les famines si fre´quentes a` la Chine a` la distillation du Riz. mais qui ne sent que dans un pays ou le grain manqueroit, Il seroit plus utile de le vendre que de le distiller, puis qu’on auroit bien plus besoin de manger du pain que de boire de l’Eau de vie. Paw. Eg. et Ch. I. 801. V. Smith. Liv. I. ch. 7 et Say. Econ. polit2.

V: 3 l’autorite´ ] 〈l’autorite´〉 l’autorite´ L

19 d’un autre ] d〈e〉’ un 〈l’〉 autre P de l’autre L

TR: 24 V. Smith ... polit. ]  Re´flexions sur les constitutions, note Y, CPC, I, p. 379, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1263 ;  Commentaire sur Filangieri, II, p. 105, en note. 1

2

Information puise´e dans Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, t. I, p. 84 : «le P. Parrenin compte aussi au nombre des causes qui produisent les famines, la distillation du riz pour faire ce qu’il appelle l’arrack, & par la` on voit combien peu cet homme e´toit instruit ; puisqu’on n’a jamais fait d’arrack a` la Chine : mais bien du Sampsu, qui est infiniment moins fort, & dont le peuple n’use qu’avec la plus grande mode´ration». Ce que de Pauw rapporte ici provient probablement des Gazettes Chinoises du P. Cenencin, cite´es dans une note a` la p. 81. BC reste vague sur sa source, signe peut-eˆtre d’une re´daction provisoire de cette note. Smith, Richesse des nations, t. I. Le chapitre 7 est intitule´ «Du prix naturel des marchandises et de leur prix de marche´» (pp. 125–137), ou` BC a lu la phrase suivante : «La quantite´ qu’on ame`ne au marche´ de chaque marchandise, se proportionne naturellement d’elle-meˆme a` la demande effective» (p. 127). BC renvoie en outre a` Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique. Est particulie`rement concerne´e ici la premie`re partie de l’ouvrage («De la production») qui parle longuement des conditions ne´cessaires pour encourager celle-ci. L’opinion cite´e et approuve´e par BC est expose´e par exemple dans le chap. 15 (t. I, p. 341).

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Alors la production redevenant plus rare, le prix se rele`ve, et l’industrie y revient, jusqu’a` ce que la production et son prix ayent atteint un e´quilibre parfait. Ce qui trompe beaucoup d’e´crivains, c’est qu’ils sont frappe´s de la langueur ou du malaise qu’e´prouvent sous des gouvernemens arbitraires, les classes laborieuses de la nation. Ils ne remontent pas a` la cause du mal, mais s’imaginent qu’on y pourrait re´me`dier par une action directe de l’autorite´, en faveur des classes souffrantes. Ainsi, par exemple, pour l’agriculture, 2, fo 116vo lorsque des institutions injustes et oppressives exposent les agriculteurs aux vexations des classes privile´gie´es, les campagnes sont bientot en friche, parce qu’elles se de´peuplent. Les classes agricoles accourent, le plus qu’elles peuvent, dans les villes pour se de´rober a` la servitude et a` l’humiliation. Alors des spe´culateurs imbe´cilles conseillent des encouragemens positifs et partiels pour les agriculteurs. Ils ne voyent pas que tout se tient dans les socie´te´s humaines. La de´population des campagnes est le re´sultat d’une mauvaise organisation politique. Des secours a` quelques individus ou tout autre palliatif artificiel et momentane´ n’y remedieront pas. Il n’y aurait de ressource que dans la liberte´ et dans la justice. Pourquoi la prend-on toujours le plus tard que l’on peut ? Il faut, nous dit-on quelquefois, annoblir l’agriculture, la relever, la rendre honorable : Car c’est sur elle que repose la prospe´rite´ des nations. Des hommes assez e´claire´s ont de´veloppe´ cette ide´e. L’un des esprits les plus pe´ne´trans, mais les plus bizarres du sie`cle dernier, le Marquis de Mirabeau, n’a cesse´ de la re´pe´ter a. D’autres en ont dit autant des manufactures. Mais l’on n’annoblit que par des distinctions, si tant est que l’on annoblisse par des distinctions faites a` la main. Or, si le travail est utile, comme il sera profitable, il sera commun. Quelle distinction voulez-vous accorder a` ce qui est commun ? Le travail ne´cessaire est d’ailleurs toujours facile. Or, il ne de´pend pas de l’autorite´ d’influer sur l’opinion de manie`re a` ce qu’elle attache un rare me´rite a` ce que tout le monde peut faire e´galement bien. Les seules distinctions vraiment imposantes sont celles qui annoncent du pouvoir, parce qu’elles sont re´elles, et que le pouvoir qui s’en de´core, peut 2, fo 117ro agir en mal ou en bien. Les distinctions fonde´es sur le me´rite sont toujours conteste´es par l’opinion, parceque l’opinion se re´serve a` elle seule le droit de de´cider du me´rite. Elle est force´e, malgre´ qu’elle en ait, de reconnaitre le

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[Add.] v. l’Ami des hommes sur les encouragemens pour l’agriculture. I. 44–54.

V: 4 Ce qui ] devant ces mots un chiffre et un signe qui a la forme d’un cercle ou d’un ze´ro barre´ 2 0/ P 20 Il faut ] devant ces mots un signe qui a la forme d’un cercle ou d’un ze´ro barre´ 0/ P

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pouvoir. Mais le me´rite, elle peut le nier. C’est pour cela que le Cordon bleu commandait le respect. Il constatait que celui qui le portait e´tait un grand seigneur, et l’autorite´ peut tre`s bien juger que tel homme est un grand seigneur. Le cordon noir au contraire e´tait ridicule. Il de´clarait celui qui en e´tait de´core´, un litte´rateur, un artiste distingue´. Or, l’autorite´ ne peut prononcer sur les litte´rateurs ou les artistes. Les distinctions honorifiques pour les agriculteurs, pour les artisans, pour les manufacturiers sont encore plus illusoires. Les cultivateurs, les artisans, les manufacturiers veulent arriver a` l’aisance ou a` la richesse par le travail, et au repos par la garantie. Ils ne vous demandent point de vos distinctions artificielles, ou s’ils y aspirent, c’est que vous avez fausse´ leur intelligence, c’est que vous avez rempli leur teˆte d’ide´es factices. Laissez les jou¨ir en paix du fruit de leurs peines, de l’e´galite´ des droits, de la liberte´ d’action qui leur appartienne : vous les servirez bien mieux en ne leur prodiguant ni faveurs, ni injustices, qu’en les vexant d’un cote´, et en cherchant de l’autre a` les distinguer.

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Chapitre 9e˙ Dernier exemple des facheux effets de l’intervention de l’autorite´.

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Je veux finir en prouvant que l’intervention de l’autorite´ dans ce qui a rapport a` l’industrie, est tellement funeste qu’elle l’est e´galement, soit qu’elle ordonne une chose, soit qu’elle de´fende cette meˆme chose. Je choisis pour exemple la division du travail. La division du travail a d’immenses avantages. Elle facilite la multiplication de tous les produits, elle e´pargne beaucoup de tems et de forces, elle conduit l’homme a` une perfection qu’il lui serait impossible d’atteindre sans elle. Elle donne aux calculs du spe´culateur une nettete´, une pre´cision, une justesse qui simplifient ses ope´rations et rendent ses calculs plus assure`s. Il est donc certain que l’autorite´ fait du mal, quand elle s’oppose a` la division du travail par des loix prohibitives. C’est ce qu’elle a fait, comme nous l’avons explique´ ailleurs1, pour le commerce des grains, en interdisant au fermier de vendre son bled en gros a` ceux qui voudraient en faire des magasins. Il en est re´sulte´ pour ce commerce, des difficulte´s sans nombre, et ces difficulte´s ont amene´ fre´quemment des disettes re´elles, ou des allarmes imaginaires, aussi faˆcheuses que des disettes re´elles. Mais si vous concluez de la`, que l’autorite´, loin de mettre des obstacles ou des bornes a` la division du travail, doit la commander, qu’arrivera-t-il ? La division du travail, a` cote´ de ses avantages, a de grands inconve´niens. Elle circonscrit et re´tre´cit par la` meˆme les faculte´s intellectuelles. Elle re´duit l’homme au rang de simple machine. Il peut s’y resigner, lorsque son intereˆt l’y de´termine volontairement. Mais il serait blesse´ par une action de l’autorite´, qui, ne lui paraissant pas conforme a` son intereˆt, lui semblerait gratuitement vexatoire et de´gradante. Rien de plus injuste que d’empecher l’ouvrier habile qui peut avec succe`s combiner deux metiers, de les re`unir, ou de passer a` son gre´ de l’un a` l’autre. Il est donc certain que l’autorite´ fait du mal, lorsqu’elle force la division du travail par des re´glemens. C’est ce qu’elle a fait par les Jurandes et les maitrises, qui condamnent les individus de telle ou telle profession, a` n’en exercer aucune autre. Nous avons vu partout ces institutions nuire a` l’industrie, provoquer des fraudes, et retarder meˆme les progre`s des metiers dont elles se proposaient de favoriser le perfectionnement.

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Voir ci-dessus, p. 442.

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Que doit donc faire l’autorite´ ? ne s’en pas meˆler. La division du travail doit se limiter et se maintenir par elle meˆme. Lorsqu’une division du travail quelconque est avantageuse, elle s’e´tablit naturellement. Quand les hommes repassent de la division du travail a` la re´union de deux genres de travaux, c’est que cette re´union leur est plus convenable. On voit par cet exemple, que l’autorite´ peut faire du mal, non seulement en agissant dans tel sens, mais encore en agissant dans le sens contraire. Il est des circonstances nombreuses, dans lesquelles elle ne peut faire du bien, qu’en n’agissant pas a.

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[Add.] Sully regarde dans ses Me´moires, Liv. XIX, la multiplicite´ des Edits et des Re´glemens relatifs au commerce et a` l’industrie, comme un obstacle direct a` la prospe´rite´ de l’Etat. v. les observations de Garnier, Pre´f. de Smith, sur la non Intervention du gouvernement sur l’Industrie. XXII. XXIII. Il en est des hommes comme des Troupeaux. on a remarque´ que les troupeaux prospe´raient particulie´rement dans les prairies encloses, parce qu’on les y laissoit paˆitre librement et qu’ils n’e´toient trouble´s ni par le Berger ni par son chien. Tel est le malheur de la France, dit Simonde. I. 166, qu’elle emprunte toujours de chaque systeˆme d’Economie politique ce qu’il a de plus ruineux. C’est d’apre´s les Economistes qu’elle a e´crase´ les campagnes de l’Impot foncier. d’apre`s les mercantiles, elle a entrave´ le commerce de ses douanes, et appauvri les consommateurs. d’apre`s les Disciples de Law, elle a dissipe´ a` deux reprises la fortune publique, avec celle des capitalistes, par la cre´ation des billets de banque, puis des assignats1.

V: 2 du travail ] de travail L

1

On comprend comment BC travaille. Dans cette note, il commence par la copie d’un morceau des Me´moires de Sully qu’il prend dans Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. I, pp. 321–322 ; il y ajoute une citation de la pre´face de Garnier a` l’ouvrage de Smith, qu’il avait sur sa table de travail, avec le livre de Sismondi, De la richesse commerciale, ou` il trouve la citation finale.

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Chapitre 10e˙ Re´sultat des conside´rations ci dessus.

Je ne donne point, je l’ai dit en commenc¸ant les conside´rations pre´ce´dentes, comme une de´monstration complette, que l’autorite´ ne doit se me`ler que le moins de l’industrie. Mille raisonnemens et mille faits se pressent autour de moi, tendant tous a` re´pandre sur ce principe une plus grande e´vidence. Je les repousse, parceque je sens l’impossibilite´ de les exposer dans une e´tendue satisfaisante. Chaque fait isole´ peut fournir une exception, et il faut ve´rifier le fait, c’est a` dire se livrer a` des recherches locales, historiques, ge´ographiques, politiques meˆme, pour montrer ou que l’exception n’est pas fonde´e, ou qu’elle n’affaiblit pas le principe. Je ne puis dans cet ouvrage entreprendre ce travail. Je crois ne´ammoins en avoir dit assez pour prouver que l’effet de l’intervention de l’autorite´, dans ce qui concerne l’industrie, quelquefois ne´cessaire peut-eˆtre, n’est jamais positivement avantageux. L’on peut s’y re´signer comme a` un mal ine´vitable : mais on doit tendre toujours a` circonscrire ce mal dans les limites les plus resserre´es. Mon opinion rencontrera sans doute un grand nombre d’opposans. Je ne l’en croirai pas moins juste. Dans un pays ou` le gouvernement distribue des secours et des re´compenses, beaucoup d’esperances sont e´veille´es. Avant d’avoir e´te´ de´c¸ues, elles doivent eˆtre me´contentes d’un systeˆme qui ne remplace la faveur que par la liberte´. La liberte´ fait un bien, pour ainsi dire, ne´gatif, quoique graduel et ge´ne´ral. La faveur procure des avantages positifs, imme´diats et personnels. L’e´goı¨sme et les vues courtes seront toujours contre la liberte´ et pour la faveur. [Addition] 7, fo 68vo

Les Re´glemens de commerce, dit Smith, IV. 7. ont ce double inconve´nient, que non seulement ils font naˆitre des maux tre`s dangereux dans l’Etat du corps politique, mais encore que ces maux sont tels qu’il est souvent difficile de les gue´rir sans occasionner, au moins pour un tems, des maux encore plus grands. Quand on considere murement, dit Say, I. 36. le tort que cause le systeˆme re´glementaire quand il est e´tabli, et les maux auxquels on peut eˆtre expose´, en l’abolissant, on est conduit naturellement a´ cette re´flexion. V: 2 Re´sultat ... ci dessus. ] 〈Fin de cette section〉 Re´sultat ... ci dessus. L

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10, Re´sultat des conside´rations ci-dessus

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s’il est si difficile de rendre la liberte´ a` l’industrie, combien ne doit-on pas eˆtre re´serve´ quand il s’agit de l’oter1 ?

1

L’addition se compose de deux citations, dont la premie`re provient de Smith, Recherches, livre IV, chap. 7 (t. II, p. 219), suivie d’une autre tire´e de Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre I, chap. 35 (t. I, p. 292). Pour la citation de Smith, voir ci-dessus, p. 466, n. 1.

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Chapitre 11e˙ Des mesures des gouvernemens, relativement a` la population.

Si les gouvernemens ont voulu influer sur l’industrie, ils ont voulu de meˆme influer sur la population, et, qui le croirait ? ils ont fait des loix coe¨rcitives pour forcer l’homme a` satisfaire au plus doux penchant de la nature. Ils pensaient avoir un intereˆt e´vident a` se me`ler de la population. Elle fait leur force la plus re´elle. Ils ne savaient pas que par cela meˆme qu’ils dirigeaient sur elle leur autorite´, ils ne pouvaient que lui nuire. Le pre´texte ne leur manquait pas. Les affections domestiques sont la meilleure garantie de la morale. Le ce´libat favorise le desordre et l’e´goı¨sme. Le mariage inspire a` l’homme plus de besoin de stabilite´. Que de raisons pour frapper le ce´libat de rigueur, et pour encourager le mariage ! C’est dommage que plusieurs gouvernemens en proscrivant le ce´libat par les loix, re´duisissent le mariage a` la ste´rilite´ par les vexations et par la mise`re. Deux sortes de causes peuvent s’opposer a` ce que la population augmente, et faire qu’elle diminue. Les unes influent imme´diatement sur la population. Telles sont les e´pide`mies, les inondations, les tremblemens de terre, les e´migrations, la guerre enfin, conside´re´e, non pas sous son rapport politique, mais dans son effet instantane´ de moissonner une partie de la population d’un pays. Les autres influent d’une manie`re me´diate. Tels sont les vices des institutions et les vexations des gouvernemens. Les premie`res de´truisent les hommes qui existent, les secondes empeˆchent de naitre, les hommes qui naitraient. Le Marquis de Mirabeau, l’un des esprits les plus originaux du dernier 2, fo 119vo sie`cle, et qui par une combinaison singulie`re re´unissait beaucoup de philantropie dans les ide´es, a` beaucoup de despotisme dans le caracte`re, et amour tre`s since`re de la liberte´ avec tous les pre´juge´s de la noblesse et meˆme de la fe´odalite´, le Marquis de Mirabeau a prouve´ d’une manie`re e´vidente dans l’ami des hommes, que les causes directes n’avaient sur la population qu’un effet instantanne´. L’on remarque, dit-il avec e´tonnement, qu’apre`s des tems de troubles ou des calamite´s, un Etat est tout aussi peuple´

V: 6 la nature ] sa nature L 19 et faire ] et peuvent faire L dans l’ami L 33 L’on remarque ] 〈J’ai〉 L’on remarqu〈e´〉e L

32 dans l’ami ] dans l’ami 34 ou des ] 〈ou d〉 ou des P

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11, Des mesures des gouvernements relativement a` la population

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qu’il l’e´tait auparavant, tandis que les e´difices, les chemins, tout ce qui de´signe enfin la prospe´rite´ apparente, se ressent visiblement de l’interruption de l’ordre et de la justice1. Les causes indirectes, moins nuisibles en apparence, ont des effets beaucoup plus e´tendus et plus durables ; c’est qu’elles attaquent la population dans son principe, c’est a` dire dans les moyens de subsistance. Le paysan laboure, baˆtit et se marie sur des champs bouleverse´s par des tremblemens de terre, apre`s une e´pide´mie, ou derrie`re l’arme´e qui a saccage´ ses proprie´te´s, parce qu’il espe`re que le tremblement de terre ne reviendra pas, parce qu’il voit que l’e´pide`mie a cesse´, parce que la paix e´tant faite, il se croit suˆr que l’arme´e devastatrice s’est e´loigne´e pour toujours. Mais il ne laboure, ne baˆtit, ne se marie qu’avec inquie´tude sous un gouvernement oppresseur qui lui arrache les moyens de subsistance ne´cessaires pour nourrir ou e´lever sa famille. L’homme se console tre`s vite des calamite´s qui lui paraissent momentane´es. Les morts laissent les vivans plus au large, et mettent plus de moyens de subsistance a` leur disposition. Ceux-ci multiplient en raison des places vacantes et des ressources qu’ils trouvent pour exister. La nature a mis le reme`de a` cote´ de tous les maux qui viennent d’elle. Elle a doue´ l’homme d’une faculte´ qui parait de l’insouciance ou de l’impre´voyance, et qui, dans le fait, est de la raison. Il sent que les inconve´niens qui naissent de la nature, ne se renouvellent qu’a` des e´poques e´loigne´es l’une de l’autre, tandis que ceux qui naissent du caprice de ses semblables, pe`sent a` chaque instant sur lui. Les vices des gouvernemens donnent de la dure´e a` quelques causes de de´population qui sans ces vices, ne seraient que passage`res. Il faut en conse´quence conside´rer ces causes sous un double rapport, comme nuisant a` la population d’une manie`re directe, et comme y nuisant encore, en tant que multiplie´es par les erreurs des gouvernemens. Par exemple, l’expulsion des Juifs et des Maures n’a contribue´ a` la de´population de l’Espagne, que parceque cette expulsion re´sultait d’un systeˆme oppressif et perse´cuteur d’administration : pour la meˆme raison, les colonies parties de ce pays pour le nouveau monde n’ont jamais e´te´ remplace´es, tandis qu’un Etat libre peut envoyer au dehors de nombreuses colonies sans se de´peupler. Dans un Etat libre, tout ce qui occasionne un vide, excite en meˆme tems tous ceux qui restent, a` le remplir. Le mal direct que cause la guerre, se re´pare facilement. Mais lorsqu’un gouvernement peut a` son gre´ recommencer ou prolonger la V: 3 indirectes ] 〈moins〉 directes L 1

16 multiplient ] multipli〈aient〉ent L

La citation provient de Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, L’Ami des hommes ou traite´ de la population, Hambourg : Chre´tien He´rold, 31758, t. I, p. 28.

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guerre, cela suppose dans ce gouvernement, une autorite´ despotique qui est bien un autre fle´au que la guerre meˆme, et qui portant sur les moyens de subsistance, empeche la population de s’accroitre, et de remplir les vides que la guerre a occasionne´s. Il en est de meˆme du ce´libat. Si ce ne sont pas tels ou tels individus qui se marient et qui peuplent, il y en a d’autres. mais quand le ce´libat re´sulte ou de la mise`re, ou de l’absurdite´ des institutions, le mal est tout autrement irre´parable. Je cite encore le Marquis de Mirabeau. Il montre clairement que 2, fo 120vo le ce´libat des preˆtres ne nuit en rien par lui meˆme a` la population. Au contraire. Toutes les fois qu’un certain nombre d’individus parvient, en se re´unissant, a` vivre du produit d’une plus petite e´tendue de terre, qu’il n’en faudrait a` la subsistance du meˆme nombre d’individus isole´s, cette re´union est favorable a` l’accroissement nume´rique de l’espe`ce. Les individus qui se re´unissent, se resserrent volontairement et laissent plus de place a` d’autres. Ce n’est jamais la population qui manque, mais la place, c’est a` dire le terrein et surtout la subsistance. Mais le ce´libat des preˆtres implique un e´tat de choses plus superstitieux, par conse´quent une plus mauvaise administration, et voila` les causes qui s’e´tendent a` tout. Ce n’est pas parceque les preˆtres ne se marient pas, que le pays se de´peuple ; c’est que le gouvernement qui consacre le ce´libat des preˆtres, est un gouvernement ignorant. Or un gouvernement ignorant est toujours vexatoire. Il tourmente les hommes qui se marient, leur arrache leurs moyens de subsistance, les jette dans le de´couragement, les empeˆche par la` de multiplier, ou s’ils multiplient, fait pe´rir leurs enfans de de´nuement et de besoin. L’on attribue a` la suppression des ordres ce´libataires l’e´tat plus peuple´ et plus florissant des pays protestans. On aurait du l’attribuer a` la diminution des pre´juge´s et a` l’accroissement de liberte´ civile que la re´forme introduisit dans ces contre´es a. o o 2, f 121r Ce n’est point parcequ’un certain nombre d’individus se sont marie´s, que la population s’est accrue, c’est qu’il y a eu un peu plus de possibilite´ d’examen, un peu plus de lumie`res d’abord sur un objet, puis, comme toutes les ide´es se tiennent, sur tous les autres. De la` un re´gime plus juste, moins d’oppression, moins de pauvrete´ plus de subsistance. Ceci nous conduit a` regarder, comme un calcul bien mise´rable, celui des gouvernemens, qui, 7, fo 69ro

a

[Add.] L’Ami des hommes, I, p. 33, sur les institutions monastiques. ibid. p. 38, pourquoi la situation des Etats protestans est meilleure que celle des Etats catholiques1.

V: 33 Ceci ... propager. ] passage e´crit dans la col. gauche L 1

Ibid., p. 33 et p. 38, ce qui prouve que BC avait cette publication a` porte´e de main. Il posse`de les trois volumes dans sa bibliothe`que.

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non contens de de´clarer le ce´libat des preˆtres, purement volontaire, ont voulu contraindre au mariage, des hommes qui se croyaient engage´s par leur conscience et les sermens les plus saints a` s’en abstenir : comme si le mariage de quelques religieux eut e´te´ un moyen bien efficace de population, comme si la naissance de quelques enfans de plus e´tait pre´fe´rable aux de´licatesses de l’honneur, et a` la vertu du scrupule, qui, bien ou mal fonde´, est toujours une vertu, enfin, comme si l’homme, cre´ature ignoble et souple, n’e´tait jette´ sur cette terre que pour obe´ir et propager. Lorsque les hommes ont de quoi subsister, et faire subsister leurs enfans, la population s’accroıˆt. Lorsque les hommes n’ont pas de quoi subsister et faire subsister leurs enfans, ou ils ne se marient pas et ont moins d’enfans, ou, s’ils ont des enfans, la plupart de ces enfans disparaissent en bas age. La population atteint toujours le niveau de la subsistance. En amerique, la population double en 20 ou 25 ans. C’est que le travail y est si bien re´compense´, qu’une nombreuse famille, aulieu d’eˆtre une charge, est une source d’opulence et de prospe´rite´. Une jeune veuve, ayant quatre ou cinq enfans, ne trouverait gue`re en Europe un second mari, dans les classes moyennes ou infe´rieures. En Ame´rique, c’est un parti recherche´ comme une espe`ce de fortune1. (Smith. liv. I. ch. 8) Les e´crivains ont pendant long tems deraisonne´ sur la population, de la manie`re la plus bizarre. Ils ont apperc¸u des 2, fo 121vo ve´rite´s isole´es, qu’ils n’ont su ˆ ni concilier, ni de´finir clairement, et sur une seule observation inexacte, ils ont voulu construire un systeˆme de loix. Les gouvernemens qui ne peuvent avoir sur rien, que des ide´es superficielles, parcequ’ils n’ont pas le tems d’observer par eux meˆmes, ont adopte´ tantot l’un des systeˆmes, tantot l’autre, toujours sur parole, ce qui est un moyen suˆr de ne tirer aucun avantage, meˆme de la ve´rite´. L’on a vu que la mise`re favorisait sous un certain rapport, la population. Les mendians ont beaucoup d’enfans. mais l’on n’a pas distingue´ entre deux espe`ces de mise`re, celle des classes mendiantes, et celle des classes laborieuses. Les gueux qui n’ont absolument rien, ont beaucoup d’enfans, dit Montesquieu Liv. XXIII. ch. 2. Il n’en coute rien au pe`re pour donner son art a` ses enfans qui meˆme sont en naissant, des instrumens de cet art2. Mais les gens qui ne sont pauvres, que parce qu’ils vivent sous un gouvernement dur, ces gens ont peu d’enfans. Ils n’ont pas meˆme leur nourriture, comment pourraient-ils songer a` la partager ? S’ils vivent de peu, ce n’est pas parV: 26 meˆme ] ajoute´ dans l’interl. L porte XXII P XXIII L 1 2

27 vu ] vu re´crit sur cru L

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] la source

BC cite ici presque textuellement Smith, Recherches, livre I, chap. 8 (t. I, p. 142). Citation de Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XXIII, chap. 11, p. 689.

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cequ’il leur faut peu de chose, c’est parcequ’ils n’ont pas ce qu’il leur faut. Autant le peu qui est ne´cessaire aux classes mendiantes, favorise leur population, autant le peu que posse´dent les classes laborieuses, est contraire a` la population de ces classes. Les e´crivains et les gouvernemens ont vu sur le dos des femmes mendiantes, ou autour de leurs huttes, une foule d’enfans mise´rables : ils n’ont pas porte´ leurs regards a` un an audela`, e´poque avant 2, fo 122ro laquelle les trois quarts de cette ge´ne´ration malheureuse sont moissonne´s par la faim. Ils n’ont envisage´ de la sorte que la moitie´ de la question, et c’est pourtant sur cette question ainsi conside´re´e, que s’est fonde´ le systeˆme le plus inhumain. Plus les sujets sont pauvres, a-t-on dit, plus les familles sont nombreuses. Sophisme, s’e´crie Montesquieu, qui a toujours perdu et perdra toujours les monarchies1. La population qui vient de la mise`re, a une borne e´vidente, c’est la mort de cette population qui pe´rit par cette mise`re meˆme qui a d’abord paru la favoriser. D’un autre cote´, l’on a vu que l’aisance favorisait la population. L’on a cru que le luxe des classes riches e´tait une cause d’aisance pour les classes pauvres. L’on a dit : plus il y aura de luxe dans un Etat, plus l’aisance s’augmentera ; plus il y aura d’aisance, plus nous verrons la population s’accroitre. Mais il y avait deux erreurs dans cette manie`re de raisonner. Premie`rement l’aisance que produit le luxe, est tre`s douteuse et tre`s factice. Le luxe double les consommations et les rend bientot disproportionne´es avec la population. Ni les riches, ni les pauvres ne multiplient : les riches, parcequ’ils craignent les privations qu’entraine une famille nombreuse ; les pauvres, parce qu’ils sont dans un e´tat de souffrance. En second lieu, l’aisance meˆme re´elle ne favorise la population que jusqu’a` un certain de´gre´. Elle fait d’un cote´, que les hommes multiplient davantage, elle fait de l’autre qu’ils consomment plus. Or, plus les habitans d’un pays consomment, moins ce pays peut nourrir d’habitans. Pourque ce calcul fut exact, il faudrait pouvoir a` la fois ajouter aux moyens de subsistance, et empeˆcher les habitans de les consommer en plus grande quantite´. Chose impossible. 2, fo 122vo Un auteur qui dans ces derniers tems, s’est plaisamment trompe´ sur les principes de la population, c’est le chevalier d’Ivernois dans son tableau historique et politique des pertes du peuple franc¸ais2. Il a e´value´ a` deux millions le nombre d’hommes de´truits par la re´volution. Et comme, d’apre`s 1 2

Ibid.. BC parle a` plusieurs reprises de l’ouvrage de Francis d’Ivernois, Tableau historique et politique des pertes que la Re´volution et la guerre ont cause´es au peuple franc¸ais, dans sa population, son agriculture, ses colonies, ses manufactures et son commerce, London : Impr. de Baylis, 1799. C’est pour lui un ouvrage foncie`rement faux. Le renvoi a` l’Histoire naturelle de Buffon et a` la note XXX de Garnier (t. V de la traduction de l’ouvrage de Smith) ne sert qu’a` renforcer ce jugement par l’exage´ration.

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les calculs de Buffon, un mariage devrait produire six enfans pour en amener deux a` l’aˆge d’homme ordinaire en remplacement des pe`re et me`re, voila`, suivant lui douze millions d’hommes de moins pour la ge´ne´ration future. Il est facheux, comme l’observe Garnier, qu’il se soit arrete´ en si beau chemin, et qu’il n’ait pas pousse´ a` une ou deux ge´ne´rations de plus ce savant calcul, d’apre`s lequel il aurait trouve´, de`s sa seconde ge´ne´ration, une perte pour la France de 72 millions d’habitans. Les gouvernemens n’ont aucune mesure directe a` prendre relativement a` la population. Ils doivent respecter le cours naturel des choses. Que les individus soient heureux, c’est a` dire que chacun soit libre de chercher son bonheur, sans nuire a` celui des autres, la population sera suffisante. Toutes les loix de de´tail a, les prohibitions du ce´libat, les fle´trissures, les peines, les re´compenses pour le mariage, tous ces moyens factices n’atteignent jamais leur but, et, en tant que geˆnant la liberte´, ils s’en e´loignent. Les loix qui forcent au mariage, ne forcent pas a` la population. Comme la loi Pappia Poppoea interdisait a` ceux qui n’e´taient pas marie´s, de rien recevoir des e´trangers, soit par institution d’he´ritiers, soit par legs, et a` ceux qui e´tant marie´s, n’avaient pas d’enfans, de recevoir plus de la moitie´ de l’he´ritage ou du legs, les Romains imagine`rent de re´pudier leurs femmes ou de les faire avorter apre`s en avoir eu un seul enfant1. Ajoutons que la plupart des gouvernemens qui font des loix contre le ce´libat, ressemblent aux lettre´s et aux mandarins chinois qui font de longs sermons pour exhorter le peuple a` l’agriculture, mais qui laissent croitre leurs ongles, pour se pre´server du soupc¸on meˆme d’eˆtre agriculteurs. Ce qui trompe les observateurs superficiels, c’est que nous voyons quelque fois la population fleurir dans certains Etats, et qu’en meˆme tems les loix positives y poursuivaient les ce´libataires. Mais ce n’e´tait point a` cause de ces loix positives, que la population fleurissait, c’e´tait en raison d’autres circonstances, qui toutes s’expriment par un mot, la liberte´. Ce qui le prouve, c’est que dans les meˆmes pays, ces circonstances ayant change´, la population a diminue´, bien que les loix restassent les meˆmes ou devinssent encore plus se´ve`res. Consultez le sie`cle d’Auguste et les vains efforts de cet Empereur. Lorsque les vices des gouvernemens ne mettent pas d’obstacle a` la population, les loix sont superflues. Lorsqu’ils y mettent obstacle, les loix sont infructueuses. Le principe de la population, c’est l’accroissement des a

[Add.] v. Mirab. Ami des hommes. I. 392.

1

BC s’appuie, pour cet exemple, sans doute sur le livre XXIII, chap. 21 de L’Esprit des lois, p. 699. Hofmann (p. 320, n. 92) renvoie a` l’article de la Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, Suppl. VI, col. 227–232, qui donne une information quasi exhaustive. Voir ci-dessus, p. 337, n. 1.

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moyens de subsistance. Le principe de l’accroissement des moyens de subsistance, c’est la surete´ et le repos. Le principe de la surete´ et du repos, c’est la justice et la liberte´.

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Livre XIIIe˙ De la Guerre.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14359, fos 125vo–137ro [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 69ro–70ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 574ro–614vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 99–102 [=LA].

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Chapitre 1e˙r La guerre peut eˆtre conside´re´e, comme ayant des avantages.

«Nous ne reproduirons point ici des declamations mille fois re´pe´te´es contre la guerre1. Plusieurs philosophes, entraine´s par l’amour de l’humanite´2, dans de louables exage´rations, n’ont envisage´ la guerre que sous ses cote´s de´savantageux. Nous reconnaissons volontiers ses avantages. La guerre elle meˆme n’est pas un mal. Elle est dans la nature de l’homme. Elle favorise le de´veloppement de ses plus belles et de ses plus grandes faculte´s. Elle lui ouvre un tre´sor de pre´cieuses jou¨issances. Il lui V: 2 Sous quels ... avantages. ] De la guerre L TR: 5–10 Plusieurs ... joüissances. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 1, p. 3, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 559. 1

2

Dans ce livre apparaissent dans tous les chapitres des guillemets qui encadrent des passages comme s’il s’agissait de citations. Aucune de ces citations n’a pu eˆtre identifie´e. Mais cela ne signifie pas que BC ne se rapporte pas a` un autre texte. Nous reproduisons ici la note que nous avions jointe au passage de De l’Esprit de conqueˆte : BC pense e´videmment a` l’ouvrage de l’abbe´ de Saint-Pierre, Projet de paix perpe´tuelle (1713) qui pre´voyait un tribunal au sein d’un congre`s permanent pour maintenir la paix entre les souverains et les nations. On doit ajouter encore et surtout l’e´crit de Kant, Zum ewigen Frieden (1795), Projet de paix perpe´tuelle (1796 ; Ple´iade, t. III, pp. 327–383) qui soutient que l’abolition de la guerre est un devoir impose´ par la raison. Il de´veloppe son ide´e dans le cadre du droit des nations et la pre´sente avec beaucoup d’ironie, dirige´e contre ceux qu’il de´signe par «der weltkundige Staatsmann», donc l’homme politique re´aliste, niant le besoin d’accepter les pre´ceptes de la raison. La pole´mique de BC contre ces projets n’a rien d’exceptionnel dans un contexte qui conc¸oit les rapports entre les E´tats souverains dans le cadre du droit des gens classique, attribuant a` chaque nation en Europe, inde´pendamment de sa puissance re´elle, la qualite´ d’une personne juridique. Cette fiction n’a jamais empeˆche´ ni les guerres, ni les partages, ni les conqueˆtes, ni les expulsions, ni les ge´nocides, ni les destructions et le pillage des biens culturels. Elle ressemble a` ce que Hobbes expose dans son Le´viathan pour les particuliers. Le projet de Kant est devenu re´alite´ politique et est toujours d’actualite´, comme le de´montrent les efforts plus ou moins re´ussis de la Socie´te´ des Nations, de l’Organisation des Nations unies pour cre´er un droit international, comme le font voir aussi les Tribunaux de Nuremberg et de La Haye, et les discussions de´clenche´es par la politique ame´ricaine en Irak. Voir Jürgen Habermas, «Hat die Konstitutionalisierung des Völkerrechts noch eine Chance ?» (Das Kantische Projekt und der gespaltene Westen), Der gespaltene Westen (Kleine politische Schriften, X), Frankfurt : Suhrkamp, 2004, pp. 111–193. (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1134–1135, n. 1).

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doit d’eˆtre le protecteur des objets che´ris de ses affections. Il se place avec de´lices entr’eux et les pe´rils. Il se forme a` la grandeur d’ame, a` l’adresse, au sang froid, au courage, au me´pris de la mort, sans lequel il ne peut jamais se re´pondre qu’il ne commettra pas toutes les laˆchete´s qu’on exigera de lui. La guerre lui enseigne des de´vouemens he´roı¨ques et lui fait contracter des amitie´s sublimes. Elle l’unit de liens plus e´troits a` ses compagnons d’armes. 2, fo 124ro Elle donne un corps a` sa patrie pour qu’il la de´fende. Elle fait succe´der a` de nobles entreprises de nobles loisirs. De trop longues e´poques de paix abaˆtardissent les peuples et les pre´parent a` la servitude.» Mais tous ces avantages de la guerre tiennent a une condition indispensable. C’est qu’elle soit le re´sultat naturel de la situation et du caracte`re des peuples. Quand la guerre n’est le re´sultat que de l’ambition des gouvernemens, de leur avidite´, de leur politique et de leurs calculs, la guerre alors ne fait que du mal. Les peuples belliqueux par caracte`re sont d’ordinaire des peuples libres, parce que les meˆmes qualite´s qui leur inspirent l’amour de la guerre, les remplissent d’amour pour la liberte´. Mais les gouvernemens qui sont belliqueux, malgre´ les peuples, ne sont jamais que des gouvernemens oppresseurs. Il en est de la guerre comme de toutes les choses humaines. Elles sont toutes, a` leur e´poque, bonnes et utiles. De´place´es, elles sont toutes funestes. Ainsi, lorsqu’en sens inverse de l’esprit d’un sie`cle, on veut faire de la religion, on fait je ne sais quel me`lange de persiflage et d’hypocrisie. Lorsqu’en de´pit du caracte`re paisible des peuples, on veut perpe´tuer la guerre, elle ne se compose que de vexations et de massacres. «La re´publique romaine, sans commerce, sans lettres, sans arts, n’ayant pour occupation inte´rieure que l’agriculture, ne posse´dant qu’un territoire trop resserre´ pour les habitans, entoure´e de peuples barbares, et toujours menace´e ou menac¸ante, suivait sa destine´e en se livrant a` des entreprises militaires non interrompues ; Un gouvernement qui de nos jours se laisserait emporter a` la fureur des conqueˆtes, a` une soif inextinguible de domination, o o 2, f 124v a` des projets d’aggrandissement inde´fini, et qui croirait imiter la Re´publique romaine, aurait ceci de particulier et de diffe´rent, qu’agissant en opposition avec son peuple et son sie`cle, il serait force´ d’avoir recours a` des moyens tellement extreˆmes, a` des mesures si vexatoires, a` des mensonges si scandaleux, a` des injustices si multiplie´es, que les vainqueurs dans son empire, TR: 2–8 Il se forme ... loisirs. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 1, pp. 3–4, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 559. 10–12 Mais tous ... peuples. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 1, p. 4, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 559. 26-p. 493.5 «La re´publique ... agite´.» ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 9, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 562–563.

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seraient aussi malheureux que les vaincus. Un peuple ainsi gouverne´ serait le peuple romain, moins la liberte´, moins le mouvement national qui rend faciles tous les sacrifices, moins l’espoir qu’avait chaque individu du partage des terres, moins en un mot toutes les circonstances qui embellissaient aux yeux des Romains ce genre de vie hazardeux et agite´.» «La situation des peuples modernes les empeche d’eˆtre belliqueux par caracte`re. Les hazards et les chances de la guerre, dit un e´crivain1 recommandable a, ne pourront jamais offrir de perspective comparable a` celle qui se pre´sente aujourd’hui a` l’homme laborieux, dans tous les pays ou` le travail obtient le salaire qui lui est du. La nouvelle manie`re de combattre, le changement des armes, l’artillerie ont de´pouille´ la vie militaire de ce qu’elle avait de plus attrayant. Il n’y a plus de lutte contre le pe´ril mais de la fatalite´. Le courage moderne n’est plus une passion, mais de l’insouciance. On n’y goute plus cette jou¨issance de volonte´, d’e´lan, de de´veloppement des forces physiques et des faculte´s morales qui fesaient aimer aux he´ros anciens et aux chevaliers du moyen age, les combats corps a` corps. La guerre a perdu ses plus grands charmes. L’e´poque de l’amour de la guerre est donc passe´e.» Il ne faut pas nous laisser tromper par nos souvenirs, mais l’envisager sous un nouveau point de vue, le seul veritable, de nos jours, comme une ne´cessite´ qu’on subit. «Conside´re´e de la sorte, la guerre aujourd’hui n’est plus qu’un fle´au b. Applique´e a` des nations commerc¸antes, industrieuses, civilise´es, place´es sur un sol assez e´tendu pour leurs besoins, avec des relations dont l’interruption devient un de´sastre, n’ayant aucune prospe´rite´, aucun accroissement d’aisance a` espe´rer des conqueˆtes, la guerre e´branle sans compensation toutes les garanties sociales ; elle met en danger la liberte´ individuelle par les pre´cautions qu’elle semble autoriser dans l’inte´rieur ; elle introduit dans les formes judiciaires, une rapidite´ destructive de leur saintete´ comme de leur a

o

1, La guerre conside´re´e comme ayant des avantages

b

Ganilh. I. 237. [Add.] La nouvelle manie`re de faire la guerre, le changement des armes, l’artillerie, ont diminue´ les bons effets de la guerre. le courage moderne tient de l’insouciance. Il n’y a plus cet e´lan, cette volonte´, ce plaisir dans le de´veloppement des faculte´s physiques et morales que produisoient les Combats corps-a`-corps. v. Mirabeau, l’Ami des homes sur les guerres ne´cessaires, et sur les guerres entreprises par la fantaisie des gouvernemens. I. 27–292.

TR: 10–17 La nouvelle ... charmes. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, pp. 10–11, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 563 ;  Commentaire sur Filangieri, I, pp. 23–24. 22-p. 494.2 Applique´e ... e´tranger : ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 15, pp. 64–65, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 596. 1 2

Charles Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, livre II, chap. 1er, t. I, p. 237. Mirabeau, L’Ami des hommes, t. I, pp. 27–29, parle des ide´es re´sume´es ici par BC.

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but, elle tend a` repre´senter tous les adversaires de l’autorite´, tous ceux qu’elle voit avec malveillance, comme des complices de l’ennemi e´tranger : enfin, troublant toutes les se´curite´s, elle pe`se encor sur toutes les fortunes par les sacrifices pe´cuniaires auxquels sont condamne´s tous les citoyens.» Ses succe`s meˆmes pre´cipitent dans l’e´puisement les peuples vainqueurs. Ils n’aboutissent qu’a` cre´er des Etats sans limites, qui, pour eˆtre gouverne´s, exigent un pouvoir sans1 frein a, et qui apre`s avoir e´te´, pendant qu’ils existaient, une cause de tyrannie, s’e´croulent au milieu des crimes par d’innombrables calamite´s.

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[Addition]

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Que la puissance ne s’y trompe pas : elle irait vainement chercher au bout de la terre, les lauriers, les Tributs, l’empire et les richesses du monde. elle n’obtiendroit que l’e´tonnement. sans la morale et la liberte´, le succe`s n’est qu’un me´te´ore, qui ne vivifie rien sur son passage. a` peine le`ve-t-on la teˆte pour le contempler un instant. puis chacun continue sa route, silencieux et morne, s’efforc¸ant de fuir l’arbitraire, le malheur et la mort. a` mettre Liv. XVIII2.

a

[Add.] le prompt e´tablissement du pouvoir sans bornes est le reme`de qui, dans ces cas, (ceux des e´tats extreˆmement vastes) peut pre´venir la dissolution : nouveau malheur apre`s celui de l’aggrandissement. Esp. d. Loix. VIII. 17.

V: 16–17 a` mettre ... XVIII. ] addition faite apre`s la copie ou peut-eˆtre en travaillant a` la copie du ms. L ; e´criture diffe´rente P 20 VIII. 17. ] VIII P, L VIII. 17. LA

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Maxime de Montesquieu que BC ne cite que dans ce contexte, bien que sa critique des conqueˆtes napole´oniennes devait la lui rappeler. Le dernie`re phrase est un note ajoute´e apre`s ou pendant la re´daction de la copie des «Additions a` l’ouvrage Principes de politique». Cela peut signifier que BC continue dans un premier temps la copie de LA, mais qu’il revient en arrie`re pour noter ses doutes sur l’emplacement de´finitif de ce morceau. Il se peut e´videmment aussi que cette note soit poste´rieure a` ce ms., elle serait par conse´quent a` dater apre`s 1810. Le texte ne semble pas avoir e´te´ de´place´ dans le contexte du dernier livre.

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Chapitre 2e˙ Des pre´textes de guerre.

Les gouvernemens eux meˆmes ont e´te´ force´s depuis quelque tems de reconnaitre ces ve´rite´s, du moins en the´orie. Ils ne pre´tendent plus que les peuples sont la` pour fonder au prix de leur sang et de leurs mise`res la ce´le´brite´ de´sastreuse de quelques-uns de leurs chefs. Quelque despotique que fut de nos jours un souverain, il n’oserait gue`res, je le pense, pre´senter a` ses sujets comme le de´dommagement de leur repos et de leur vie son illustration personnelle. Le seul Charles XII avait ainsi me´connu son sie`cle. Mais, depuis cette re´volution dans les ide´es, les gouvernemens ont invente´ tant de pre´textes de guerre que la tranquillite´ des peuples et les droits des individus a` cet e´gard sont loin encore d’eˆtre garantis. «Nous n’examinerons que fort en passant ces divers pre´textes. L’inde´pendance nationale, l’honneur national, la ne´cessite´ de faire respecter au dehors notre influence, l’arrondissement de nos frontie`res, les interets commerciaux, que sais-je encore ? Car il est ine´puisable ce vocabulaire de l’hypocrisie et de l’injustice.» «Que dirait-on d’un individu qui regarderait son inde´pendance ou son honneur comme compromis, aussi long tems que d’autres individus posse´deraient quelqu’honneur ou quelqu’inde´pendance, et qui ne se croirait en surete´, que lorsqu’il serait entoure´ d’esclaves et de victimes tremblantes ?» En mettant a` part l’insolence et l’immoralite´ du calcul, cet individu courrait a` sa perte, par cela seul que la haine re´unirait bientot contre lui ceux qu’auraient surpris et subjugue´s momentane´ment son adresse et son audace. Il en est de meˆme d’un Etat. L’inde´pendance des nations repose sur l’e´quite´, non moins que sur la force. La force, telle qu’il la faut, pour tenir tous les autres peuples dans la sujettion, est une situation contre nature. Un peuple qui place dans une force pareille la garantie de son inde´pendance, ou, pour

V: 8 leur repos ] leur 〈sang et de leurs mise`res〉 repos L 9 le seul ] 〈mais depuis cette revolution〉 le seul L 11–12 la tranquillite´ ... e´gard ] 〈repos〉 tranquillite´ ce mot dans l’interl. sup. ... a` cet e´gard ces trois mots ajoute´s dans l’interl. L TR: 13–17 L’inde´pendance ... l’injustice. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 14, p. 60, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 593. 26-p.496.4 La force ... l’enveloppent. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 14, p. 60, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 573.

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mieux dire, de son despotisme, est plus en danger que le peuple le plus faible. «Car toutes les opinions, tous les vœux, toutes les haines le menacent : et tot ou tard, ces haines, ces opinions et ces vœux e´clatent et l’enveloppent. Il y a sans doute dans ces sentimens quelque chose d’injuste : un peuple n’est jamais coupable des exce`s que son gouvernement lui fait commettre. C’est ce gouvernement qui l’e´gare, ou plus souvent encore qui le domine sans l’e´garer. Mais les nations victimes de sa de´plorable obe´issance ne lui peuvent tenir compte des sentimens cache´s que sa conduite de´ment. Elles s’en prennent aux instrumens des exce`s de la main qui les dirige.» La France entie`re souffrait de l’ambition de Louis XIV, et la de´testait1; mais l’Europe accusait la france de cette ambition, et la Sue`de a porte´ la peine du delire de Charles XII. «Quant a` l’influence au dehors, sans examiner si l’e´tendue excessive de cette influence n’est pas fre´quemment pour un peuple plutot un malheur qu’un avantage, il faut conside´rer combien est peu stable toute influence impe´tueuse et de´sordonne´e. L’on ne croit point a` sa dure´e, lors meˆme qu’on ce´de a` son ascendant instantane´. Tous a` telle e´poque, a` tel moment donne´, obe´issent peut-eˆtre au gouvernement dominateur. Mais nul n’associe ses 2, fo 126vo calculs aux siens. On le regarde comme une calamite´ passage`re. L’on attend que le torrent ait cesse´ de rouler ses ondes, certain qu’il doit se perdre un jour dans le sable aride, et qu’on foulera tot ou tard, a` pied sec, le sol que son cours avait sillonne´.» «Que si l’on nous parlait de l’arrondissement des frontie`res, nous re´pondrions qu’avec ce pre´texte, l’espe`ce humaine jamais ne pourrait jou¨ir d’un instant de paix. Nul souverain n’a sacrifie´, que je sache, une portion de son territoire pour donner a` ses e´tats une plus grande re´gularite´ ge´ome´trique. C’est donc toujours en dehors que les peuples voudraient s’arrondir. Ainsi c’est un systeˆme dont la baze se de´truirait par elle meˆme. C’est un systeˆme dont les e´le´mens se combattraient, et dont l’exe´cution ne reposerait que sur la spoliation des plus faibles, n’aurait d’autre effet que de rendre ille´gitime la possession des plus forts.» Le droit des nations ne serait plus qu’un code d’expropriation et de barbarie ; toutes les ide´es de justice que les lumie`res de plusieurs sie`cles avaient introduites dans les relations des socie´te´s, TR: 4–12 Il y a ... Charles XII. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 14, pp. 60–61, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 593. 19–22 On le regarde ... sillonne´. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 14, p. 61, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 594. 23–31 «Que si l’on nous ... forts.» ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 8, pp. 28–29, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 574. 31-p. 497.5 Le droit ... croirait. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 8, p. 32, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 575–576. 1

Ide´e re´currente chez BC, qui revient souvent sur les guerres inutiles de Louis XIV et les suites funestes qui en de´coulent.

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comme dans celles des individus, en seraient de nouveau repousse´es et bannies par ce systeˆme. Le genre humain reculerait vers ces tems de de´vastations et d’envahissemens qui nous semblaient jadis l’opprobre de l’histoire. L’hypocrisie seule en ferait la diffe´rence, et cette hypocrisie serait d’autant plus scandaleuse et plus corruptrice, que personne n’y croirait. Tous les mots perdraient leur sens. Celui de mode´ration pre`sagerait la violence, celui de justice annoncerait l’iniquite´. Il y a un systeˆme d’arrondissement pour les frontie`res qui ressemble sauf la bonne foi de ceux qui le professent, aux the´ories ide´ales sur la perfection des constitutions. On n’atteint jamais cette perfection, mais elle sert a` motiver chaque jour quelque bouleversement nouveau. «Que si l’on mettait en avant les interets du commerce, croit on de bonne foi, dirions nous, servir le commerce, quand on de´peuple un paı¨s de sa jeunesse la plus florissante, quand on arrache les bras les plus ne´cessaires a` l’agriculture, aux manufactures, a` l’industrie, quand on e´le´ve entre les autres peuples et soi, des barrie`res arrose´es de sang ?» La guerre coute plus que ses fraix, a dit un e´crivain judicieux ; elle coute tout ce qu’elle empeche de1 gagner a. Le commerce s’appuye sur la bonne intelligence des nations entr’elles : il ne se soutient que par la justice : il repose sur l’e´galite´, il prospe`re dans le repos, et c’est pour l’intereˆt du commerce qu’on entretiendrait une nation dans des guerres non interrompues, que l’on appe`lerait sur sa teˆte une haine universelle, qu’on marcherait d’injustice en injustice, qu’on e´branlerait chaque jour le cre´dit par des violences, qu’on ne voudrait point tole´rer d’e´gaux !» L’on avait invente´ durant la re´volution franc¸aise, un pre´texte de guerre inconnu jusques alors, celui de de´livrer les peuples du joug de leurs gouvernemens qu’on supposait ille´gitimes et tyranniques. Avec ce pre´texte l’on a porte´ la mort et la de´vastation chez des hommes dont les uns vivaient tranquilles sous des institutions fautives, mais adoucies par le tems et l’habitude, et dont les autres jouissaient depuis plusieurs sie`cles, de tous les bienfaits de la liberte´. Epoque a` jamais honteuse, ou` l’on vit un gouvernement perfide graver des mots sacre´s sur ses e´tendarts coupables, troubler la paix, violer l’inde´pendance, de´truire la prospe´rite´ de ses voisins innocens, a

Say. V. ch. 8.

TR: 12–24 «Que si l’on mettait ... d’e´gaux !» ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 8, pp. 29–30, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 574. 25-p. 498.4 L’on avait ... De´cades. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 8, p. 30, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 574–575. 1

Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre V, chap. 8, le deuxie`me des quatre sous-chapitres «De´penses de l’arme´e», ouvr. cite´, t. II, p. 426. Citation conforme.

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en ajoutant au scandale de l’Europe par des protestations mensonge`res de respect pour les droits des hommes et de ze`le pour l’humanite´. La pire des conqueˆtes, C’est l’hypocrite, dit Machiavel, comme s’il avait pre´dit notre histoire. De´cades1. 2, fo 127vo Donner a` un peuple la liberte´, malgre´ lui, ce n’est que lui donner l’esclavage. Des nations conquises ne peuvent contracter un esprit, ni des habitudes libres. Chaque association doit ressaisir elle meˆme ses droits envahis, si elle est digne de les posse´der. Des maitres ne sauraient imposer la liberte´. Pour les nations qui jouissent de la liberte´ politique, les conqueˆtes ont encore par dessus toute autre hypothe`se, ceci de plus e´videmment insense´, que si ces nations restent fide`les a` leurs principes, leurs triomphes ne les conduisent qu’a` se de´pouiller d’une portion de leurs droits pour les communiquer aux vaincus. Lorsqu’un peuple de dix millions d’hommes gouverne´s par ses repre´sentans, ajoute a` son territoire une province habite´e par un million, il n’y gagne autre chose que de perdre un dixie`me de sa repre´sentation, car il transporte ce dixie`me a` ses nouveaux concitoyens. L’on ne peut croire que l’absurdite´ du systeˆme des conqueˆtes, combine´ avec une constitution repre´sentative eut e´chappe´ aux gouvernans re´publicains de la France. Mais les habitudes anciennes ont sur les hommes un si grand empire, qu’ils agissent en vertu de ces habitudes, lors meˆme qu’ils les ont abjure´es solennellement. Peu s’en est fallu qu’a` force de victoires et de re´unions, la france ne fut sous le Directoire, repre´sente´e en majorite´ par des e´trangers. Chaque succe`s de plus e´tait pour les franc¸ais un repre´sentant franc¸ais de moins.

V: 12 qu’a` ] 〈pas〉 qu’a` L

TR: 6–9 Des nations ... liberte´. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 833.

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Le renvoi aux Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio est faux. La citation est peut-eˆtre attribue´e a` tort a` Machiavel.

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Chapitre IIIe˙ Effet du systeˆme guerrier sur l’e´tat inte´rieur des peuples.

Apre`s avoir examine´ les plus spe´cieux pre´textes de guerre chez les gouvernemens modernes, arretons nous sur un de leurs effets, que l’on n’a pas, ce nous semble, remarque´ suffisamment jusqu’ici. Ce syste`me jette dans les socie´te´s une masse d’hommes dont l’esprit est diffe´rent de celui du peuple, et dont les habitudes forment un contraste dangereux avec les usages de la vie civile, avec les institutions de la justice, avec le respect pour les droits de tous, avec ces principes de liberte´ pacifique et re´gulie´re qui doivent eˆtre e´galement inviolables sous toutes les formes de gouvernement. On nous a beaucoup parle´ depuis seize anne´es, d’arme´es compose´es de citoyens. Certes, nous ne voulons pas faire injure a` ceux qui ont de´fendu si glorieusement l’inde´pendance nationale, a` ceux qui par tant d’exploits immortels fonde`rent la Re´publique franc¸aise. Lorsque des ennemis osent attaquer un peuple sur son territoire, les citoyens deviennent soldats pour les repousser. Ils e´taient citoyens, ils e´taient les premiers des citoyens, ceux qui ont affranchi notre sol de l’e´tranger qui le profanait. Mais en traitant une question ge´ne´rale, il faut e´carter les souvenirs de gloire qui nous entourent et nous e´blouissent, les sentimens de reconnaissance qui nous entrainent et nous subjuguent. Dans l’e´tat actuel des associations europe´ennes, le mot de citoyens et celui de soldats implique contradiction. Une arme´e de citoyens n’est possible, que lorsqu’une nation est renferme´e presque dans une seule cite´. Alors les soldats de cette nation peuvent raisonner l’obe´issance. Place´s au sein de leur pays natal, entre des gouvernans et des gouverne´s qu’ils connaissent, leur intelligence peut entrer pour quelque chose dans leur 2, fo 128vo soumission. Mais un vaste paı¨s soit monarchique, soit re´publicain, rend cette hypothe`se absolument chime`rique. Un vaste paı¨s ne´cessite dans les soldats une subordination me´chanique, et en fait des agens passifs, irre´fle´V: 5 nous semble ] 〈me semble〉 nous semble L un copiste ? P

11 On ] mot pre´ce´de´ du chiffre 2 signe pour

TR: 12–20 Certes ... subjuguent. ]  Re´flexions sur les constitutions, 6, pp. 97–98, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1024. 12–17 Certes ... profanait. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 594 ;  Principes de politique (1815), 14, p. 210, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 792. 21-p. 500.10 Une arme´e de ... instrument. ]  De la possi21-p. 500.2 Une bilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 601. arme´e de ... jugement. ]  Re´flexions sur les constitutions, 6, pp. 98–99, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1024 ;  Principes de politique (1815), 14, p. 213, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 795.

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chis et dociles. Aussitot qu’ils sont de´place´s, ils perdent toutes les donne´es ante´rieures qui pourraient e´clairer leur jugement. La grandeur du pays, facilitant a` l’autorite´ qui dispose de la force militaire l’envoi des habitans d’une province dans une autre province e´loigne´e, ces hommes soumis a` la discipline qui les isole des indige`nes, ne sont pour eux que des e´trangers, bien qu’ils soient nominalement leurs compatriotes. Ils ne voyent que leurs chefs, ne connaissent qu’eux, n’obe´issent qu’a` leurs ordres. Citoyens dans le lieu de leur naissance, ils sont des soldats partout ailleurs. De`s qu’une arme´e se trouve en pre´sence d’inconnus, de quelque manie`re qu’elle soit organise´e, elle n’est qu’une puissance physique, un pur instrument. L’expe´rience de la re´volution n’a que trop de´montre´ ce que j’affirme. Il importe, nous avait-on dit, que les soldats soient citoyens, pourqu’ils ne tournent jamais leurs armes contre le peuple, et nous avons vu de malheureux requisitionnaires, enleve´s a` la charrue, non seulement concourir au sie`ge de Lyon, ce qui pourrait n’eˆtre qu’un acte de guerre civile, mais se rendre les instrumens du supplice des Lyonnais, prisonniers et de´sarme´s, ce qui e´tait un acte d’obe´issance implicite et de discipline, de cette discipline pre´cise´ment et de cette obe´issance dont on avait cru que les soldats citoyens sauraient toujours se garantir. Une arme´e nombreuse, quels que soient ses e´le´mens primitifs, contracte involontairement un esprit de corps. Cet esprit s’empare toujours tot ou tard des associations qu’un meˆme but re´unit. La seule analogie durable des hommes, c’est leur intereˆt. Dans tous les paı¨s, dans tous les sie`cles, une confe´de´ration de preˆtres a forme´ dans l’Etat, un e´tat a` part. Dans tous les sie`cles, dans tous les pays, les homes long tems re´unis en corps d’arme´e se sont se´pare´s de la nation. Les soldats meˆme de la liberte´, en combattant pour elle, concoivent pour l’emploi de la force, inde´pendamment de son but, une sorte de respect, et contractent ainsi des mœurs, des ide´es, des habitudes subversives, a` leur insc¸u, de la cause qu’ils de´fendent. Les mesures qui assurent les triomphes de la guerre, pre´parent la chute des loix. L’esprit militaire est altier, rapide et conque´rant. Les loix doivent eˆtre calmes, souvent lentes, toujours protectrices. L’esprit militaire de´teste le raisonnement, comme un commencement d’indiscipline. Toute autorite´ le´gitime repose sur les lumie`res et la conviction. Aussi nous voyons souvent, dans les annales des peuples, la force arme´e repousser les e´trangers loin du territoire : mais nous ne la voyons pas moins souvent livrer sa patrie a` ses chefs. Elle porte au plus haut de´gre´ la gloire des nations : mais elle met leurs droits au nombre de leurs conqueˆtes pour les de´poser en pompe aux TR: 4–10 ces hommes ... instrument. ]  Re´flexions sur les constitutions, 6, p. 99, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1024 ;  Principes de politique (1815), 14, pp. 213–214, OCBC, Œuvres, IX, 2, pp. 795–796. 20–501.1 Une arme´e nombreuse ... triomphateur. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 596. 21–29 Cet esprit ... de´fendent. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 6, p. 21, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 569.

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pieds du triomphateur. Nous voyons les le´gions romaines, compose´es au moins en partie de citoyens d’une Re´publique illustre´e par six sie`cles de victoires, d’hommes ne´s sous la liberte´, entoure´s des monumens e´leve´s par vingt ge´ne´rations de he´ros a` cette divinite´ tute´laire, fouler aux pieds la cendre des Cincinnatus et des Camilles, et marcher sous l’ordre d’un usuro o 2, f 129v pateur, pour profaner les tombeaux de leurs anceˆtres, et pour asservir la ville e´ternelle a. Nous voyons les le´gions anglaises, qui, de leurs propres mains, avaient brise´ le troˆne des Rois, et verse´ leur sang pendant vingt anne´es pour e´tablir une Re´publique, s’e´lancer avec Cromwel contre cette Re´publique naissante pour imposer au peuple un joug plus honteux que les fers dont leur valeur l’avait de´livre´. L’ide´e de citoyens soldats est singulierement dangereuse. Lorsqu’on dirige des hommes arme´s contre des autorite´s sans armes ou des individus paisibles, on oppose, dit-on, citoyens a` citoyens. Le Directoire a fait de´libe´rer des soldats sous leurs drapeaux, et quand il leur commandait une opinion politique, comme un exercice, il disait que des citoyens soldats, loin d’avoir un droit de moins, avaient un droit de plus que les autres, puisqu’ils avaient combattu pour la patrie. L’esprit militaire s’est ainsi fait jour dans la Re´publique. L’on a pre´tendu que pour la liberte´, comme pour les victoires, rien n’e´tait plus convenable que la rapidite´ des e´volutions. L’on a conside´re´ les opinions comme des corps de troupes a` enroˆler ou a` combattre, les a

Nec civis meus est, in quem tua classica Caesar, audiero..... his aries actus disperget saxa lacertis, illa licet, penitus tolli quam jusseris urbem, Roma sit.... Pharsal1.

V: 1 triomphateur. ] 〈troˆne〉 triomphateur. L TR: 1–11 Nous voyons ... de´livre´. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 7, pp. 25–26, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 571. 2–11 citoyens ... de´livre´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 596–597. 12–502.4 L’ide´e ... batailles. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 601. 20p. 502.4 L’on a conside´re´ ... batailles. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 6, pp. 22–23, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 570. 22–27 Nec civis ... Pharsal. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 597. 1

Lucain, La guerre civile (La Pharsale), livre I, vers 373–374 et 384–386. Vers tire´s du discours de Le´lius (Laelius) (dans la re´alite´ politique d’abord partisan de Pompe´e, il soutint depuis 48 Ce´sar dans la guerre civile ; on voit que Lucain ne respecte pas la chronologie des e´ve´nements). A. Bourgery donne dans son e´dition (Paris : Les Belles Lettres, 51976, t. I, pp. 17–18) la traduction suivante : «Il n’est plus mon concitoyen, celui contre qui j’aurai

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assemble´es repre´sentatives comme les organes du commandement, leur opposition comme des actes d’indiscipline, les tribunaux comme des camps, les juges comme des guerriers, les accuse´s comme des ennemis, les jugemens comme des batailles. Il n’est donc pas indiffe´rent de cre´er dans un 2, fo 130ro pays par un systeˆme de guerres prolonge´es ou renouvelle´es sans cesse sous divers pre´textes, une masse d’hommes, imbus exclusivement de l’esprit militaire ; le despotisme le plus rigoureux devient ine´vitable, ne fut ce que pour contenir ces hommes ; et cela seul est un grand mal, qu’il y ait une portion nombreuse du peuple qu’on ne puisse contenir que par le despotisme le plus rigoureux. Mais ces hommes contre lequel le despotisme est ne´cessaire, sont en meˆme tems instrumens du despotisme contre le reste de la nation. Il est difficile que des soldats dont le premier devoir est l’obe´issance au moindre signe, ne se persuadent pas facilement que tous les citoyens sont astreints a` ce devoir. Des pre´cautions de de´tail ne suffisent pas contre ce danger, le plus terrible qui puisse menacer un peuple. Rome en avait prises de puissantes. Aucune arme´e ne pouvait s’approcher de la capitale. Aucun soldat sous les armes ne pouvait exercer les droits de citoyen. Mais il est toujours facile a` l’autorite´ de se de´rober a` ces pre´cautions. L’on donnera vainement au pouvoir le´gislatif la faculte´ d’e´loigner les troupes, de fixer leur nombre, de mettre obstacle a` ceux de leurs mouvemens, dont l’intention hostile serait manifeste, enfin de les licencier. Ces moyens sont a` la fois extreˆmes et impuissans. Le pouvoir exe´cutif doit avoir de droit et a toujours de fait la direction de la force arme´e. Charge´ de veiller a` la surete´ publique, il peut faire naitre des troubles pour motiver l’arrive´e d’un corps de troupes ; il peut les faire venir en secret ; il peut, quand elles sont rassemble´es, arracher au pouvoir le´gislatif l’apparence du consentement. Toutes les pre´cautions qui exigent de ce pouvoir une de´libe´ration poste´rieure au danger qui le menace, tournent dans un cercle vicieux. Le pouvoir le´gislatif n’agit qu’a` ` le pe´ril se de´couvre, c’est a` dire quand le mal est fait, et quand 2, fo 130vo l’instant ou le mal est fait, le pouvoir le´gislatif ne peut plus agir. l’esprit militaire,

V: 16 peuple. Rome ] peuple. 〈Il est toujours facile a` l’autorite´ de se de´rober a` ses pre´cautions.〉 Rome L 18–31 Mais ... plus agir. ] passage ajoute´ dans la col. gauche, corr. a. L 31 l’esprit ] Mais l’esprit L TR: 4–7 Il n’est donc ... militaire. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 6, pp. 21–22, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 569. 19–31 L’on donnera ... agir. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 7, OCBC, Œuvres, IV, p. 599. entendu l’appel de tes trompettes, Ce´sar. [...] Nos bras pousseront le be´lier qui en disjoindra les assises de la ville que tu ordonnerais d’ane´antir, fuˆt-elle Rome.» La coupure contient des atrocite´s contre les parents ou l’e´pouse.

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partout ou` il existe, est plus fort que les loix e´crites. C’est l’esprit militaire qu’il faut restreindre. Rien ne le restreint qu’un esprit national, tourne´ vers un autre but. L’esprit national se communique de la nation a` l’arme´e, quelle que soit la composition de cette dernie`re. quand cet esprit national n’existe pas, les soldats, bien qu’autrefois citoyens, n’en prennent pas moins l’esprit militaire. Quand cet esprit national existe, l’esprit militaire, meˆme chez les soldats qui ne sont pas citoyens, est re´prime´ par cet esprit national, et la tyrannie meˆme en est adoucie. Ceux qui corrompirent les re´publiques grecques, dit Montesquieu a, ne devinrent pas toujours tyrans : c’est qu’ils s’e´taient plus attache´s a` l’e´loquence qu’a` l’art militaire1. Sous quelque point de vue que l’on envisage cette terrible question de la guerre, on doit se convaincre, que toute entreprise de ce genre qui n’a pas un but de´fensif, est le plus grand attentat qu’un gouvernement puisse commettre, parce qu’il re´unit les effets de´sastreux de tous les attentats des gouvernemens. «Il met en pe´ril tous les genres de liberte´, il blesse tous les interets, il foule aux pieds tous les droits, il combine et il autorise tous les modes de tyrannie exte´rieure et inte´rieure, il de´prave les ge´ne´rations naissantes, il divise le peuple en deux parts, dont l’une me´prise l’autre et passe volontiers du me´pris a` l’injustice, il pre´pare des destructions futures par les destructions passe´es, il ache`te par les malheurs du pre´sent les malheurs de l’avenir.» «Ces ve´rite´s ne sont pas neuves, et je ne les donne point pour telles2. Mais les ve´rite´s qui paraissent le plus reconnues, ont besoin souvent d’eˆtre a

Esp. des loix.

VIII.

V: 11 terrible question ] 〈question〉 terrible question L nues L

23 reconnues ] 〈communes〉 recon-

TR: 8–10 Ceux qui ... militaire. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 2, pp. 80–81, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 608. 13-p. 504.2 le plus grand ... communs. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 15, pp. 64–65, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 596. 22-p. 504.2 Ces ve´rite´s ... lieux communs. ]  Fragmens d’un essai sur la perfectibilite´, no 2, OCBC, Œuvres, III/1, pp. 439–440 ; Journal intime, 10 juin 1804, OCBC, Œuvres, VI, pp. 142–143 ;  Du triomphe ine´vitable, p. 39, en note. 1 2

Montesquieu, De l’esprit des lois, livre VIII, chap. 2, p. 351. Hofmann (p. 343, n. 31) a remarque´ que cette ide´e se retrouve de´ja` dans une note du J. I., 10 juin 1804 (OCBC, Œuvres, t. VI, p. 142). Elle y apparaıˆt pour la premie`re fois sous la plume de BC dans le contexte de son travail sur la religion. «Schlegel est une grande preuve d’une ve´rite´ dont je suis convaincu depuis longtems. C’est qu’il ne faut, que le moins possible, annoncer comme nouvelles les ide´es nouvelles qu’on a. Il faut au contraire leur donner le plus qu’on peut l’air d’ide´es rec¸ues, pour qu’elles soient admises avec moins de peine : et si l’on est force´ de convenir de la nouveaute´ d’une de ses ide´es, il faut l’entourer

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re´pe´te´es. Car l’autorite´, dans son de´dain superbe, les traite sans cesse comme des paradoxes, tout en les appelant des lieux communs.» C’est d’ailleurs une chose assez remarquable, que, tandis que notre gouvernement, dans tous ses discours publics, dans toutes ses communications avec le peuple, professe l’amour de la paix et le desir de donner le repos au monde, des hommes qui pre´tendent lui eˆtre de´voue´s, e´crivent chaque jour que la nation franc¸aise e´tant essentiellement belliqueuse, la gloire militaire est la seule digne d’elle, et que c’est par l’e´clat des armes, que la France doit s’illustrer. Ces hommes devraient nous dire comment la gloire militaire s’acquiert autrement que par la guerre, et comment le but qu’ils proposent exclusivement au peuple franc¸ais s’accorde avec le repos de l’univers. Probablement au reste ces auteurs eux meˆmes n’y ont jamais pense´. Contens de faire des phrases, tantot sur un sujet, tantot sur un autre, suivant la direction du moment, ils s’en remettent avec raison a` l’oubli pour voiler leur inconse´quence1. J’ai pense´ toutefois que cette doctrine, de quelque part qu’elle osat se pre´senter, me´ritait d’eˆtre repousse´e, et qu’il e´tait utile de confondre des e´crivains, qui, lorsqu’ils traitent de l’administration inte´rieure, recommandent le despotisme, parce qu’ils espe`rent n’en eˆtre jamais que les instrumens, et lorsqu’ils s’occupent des relations des peuples entr’eux, ne voyent rien de si glorieux que la guerre, comme si du fond de leur cabinet obscur, ils e´taient les distributeurs de tous les fle´aux qui peuvent peser sur l’humanite´.

V: 17 inte´rieure ] ulte´rieure L TR: 2–22 C’est d’ailleurs ... l’humanite´. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 15, pp. 65–66, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 596–597.

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d’un corte`ge d’ide´es aux quelles le public soit de´ja` plus habitue´.» L’e´diteur ajoute cette note : «L’ide´e n’est pas e´loigne´e de celle qu’exposait Mme de Stae¨l dans De la litte´rature, quand elle distinguait entre conception et exe´cution. BC la reprendra dans les «Fragments d’un essai sur la perfectibilite´» (OCBC, Œuvres, t. III, pp. 439–440) et dans De la Religion (Livre XV, chap. IV, t. V, p. 203). Il appliquera la re`gle qu’il e´nonce quand il e´crira Wallstein.» (Ibid., n. 4). Bel exemple de la manie`re d’e´crire de BC. Le paralle`le e´vident entre ce morceau sur «les e´crivains qui proˆnent la guerre» et un long passage de la lettre du 2 juillet 1802 a` Claude Fauriel (OCBC, CG, t. IV, p. 461) a e´te´ de´couvert par Hofmann (p. 344, n. 33). Il propose de dater ce chap. 3 de 1802, ce qui le transporterait dans le contexte de De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays. Ceci peut eˆtre exact. Un argument supple´mentaire est le fait que ce meˆme chapitre est e´crit sur un papier avec un filigrane qui permet de l’attribuer a` une version ante´rieure a` 1806. Voir ci-dessus, p. 66, notre introduction.

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Chapitre 4e˙ Des garanties contre la manie guerrie`re des gouvernemens.

Il faudrait maintenant indiquer des garanties contre les guerres injustes ou inutiles que les gouvernemens peuvent entreprendre, puisque, dans notre e´tat social actuel, ces entreprises qui sont de grands maux par elles meˆmes, conduisent encore a` tous les autres maux. Mais des maximes ge´ne´rales seraient insuffisantes et des recherches sur les limites constitutionnelles qu’on peut assigner a` l’autorite´, nous entraineraient au dela` des bornes de cet ouvrage. Rien n’est plus facile a` juger suivant les lumie`res de la raison, que les mesures du gouvernement, relativement a` la guerre. L’opinion publique a` cet e´gard est toujours suffisamment juste, parceque l’intereˆt de chacun et de tous parle hautement dans cette question. Chacun sent que la guerre est une chose funeste : chacun sent aussi qu’une patience pusillanime, lorsque les e´trangers nous blessent ou nous offensent, les invitant a` redoubler d’orgueil et d’injustice, ame`ne tot ou tard la guerre que l’on voulait e´viter, et que, lorsqu’une fois les hostilite´s sont commence´es, l’on ne peut de´poser les armes, qu’apre`s avoir acquis pour l’avenir des garanties solides, car une paix honteuse n’est qu’une cause de guerres nouvelles, avec des chances moins favorables. Mais autant l’opinion publique est infaillible sur cette question, autant il est impossible de rien prescrire ou de´terminer d’avance. Dire qu’il faut s’en tenir a` la de´fensive, c’est ne rien dire. Il est facile aux gouvernemens d’insulter ou de menacer tellement leurs voisins, qu’ils les re´duisent a` les attaquer, et dans ce cas le coupable n’est pas l’aggresseur, mais celui qui re´unissant la perfidie a` la violence, a force´ l’autre a` l’aggression. Ainsi la de´fensive peut n’eˆtre quelquefois qu’une adroite hypocrisie : et l’offensive devenir une pre´caution de de´fense le´gitime. On peut affirmer que toute guerre que le sentiment national de´sapprouve est une guerre injuste : mais aucun moyen n’existe pour constater ce sentiment national. Les gouvernemens ont seuls la parole : ils peuvent s’emparer exV: 12 chacun ] 〈tous〉 chacun L TR: 10–21 Rien n’est ... d’avance. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 578 ; re´sume´  Principes de politique (1815), 13, p. 205, OCBC, 22–27 Dire ... le´gitime. ]  Principes de politique (1815), 13, Œuvres, IX/2, p. 788. pp. 205–206, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 788–789 ;  Re´flexions sur les constitutions, note E, CPC, I, p. 223, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1184.

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clusivement de l’imprimerie, et leurs cre´atures et leurs e´crivains parlant au nom d’un peuple silencieux et comprime´, forment un concert d’assentiment factice qui ne permet point a` l’opinion re´elle de se faire entendre. Quant aux peuples qui jou¨issent de la liberte´ politique, nous trouverions sans doute dans les discussions publiques des assemble`es, dans le consentement ou le refus des impots, dans la responsabilite´ des ministres, des moyens de re´primer les abus relatifs a` la guerre, d’une manie`re sinon satisfaisante, du moins ge´ne´ralement utile, et qui pre´viendrait les derniers exce`s. Encore de´couvrirait-on par un examen approfondi, que ces garanties sont trop souvent illusoires, qu’il est toujours facile au pouvoir exe´cutif de com2, fo 132vo mencer une guerre, que le pouvoir le´gislatif est alors force´ de le soutenir contre les e´trangers qu’il a provoque´s, que, si, tout en l’appuyant, il le censure, les ennemis seront encourage´s par ce dissentiment entre les pouvoirs, que les arme´es auront moins d’ardeur dans une guerre de´sapprouve´e par les repre´sentans de la nation, que le peuple y concourra moins volontiers par des sacrifices pe´cuniaires, que le gouvernement se sentant accuse´ apportera dans ses ope´rations moins de de´cision, de certitude, de rapidite´, que les pre´tentions hostiles se grossiront, que la paix deviendra plus difficile a` conclure, par cela seul que la guerre aura e´te´ l’objet d’un blaˆme public. Je ne veux point dire que ces inconve´niens soient sans reme`de. Je crois, au contraire, qu’il serait possible d’en indiquer un, dont on trouve le germe chez plusieurs peuples, bien qu’il n’existe encore complettement chez aucun. Mais nous ne pourrions en traiter ici, sans de´naturer en entier cet ouvrage. Nous en avons e´carte´ tout ce qui concerne la liberte´ politique : et nous nous trouverions entraine´s dans des discussions sur tout ce qui a rapport aux constitutions. Car toutes les questions de ce genre se tiennent e´troitement. Pour qu’une constitution soit efficace sur un seul point, il faut qu’elle soit bonne sur tous les autres1. Vous croyez qu’une assemble´e repre´sentative peut arreˆter le pouvoir exe´cutif dans ses entreprises militaires. Mais, pour qu’une assemble´e repre´sen-

V: 29 assemble´e ] assemble´e 〈assemble´e〉 re´pe´te´ en tournant la page L TR: 13–19 les ennemis ... public. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VII, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 579. 1

Cette re´flexion e´nigmatique en apparence vise les assemble´es repre´sentatives comme il ressort des Principes de politique de 1815 : «La seule garantie possible contre les guerres inutiles ou injustes, c’est l’e´nergie des assemble´es repre´sentatives. Elles accordent les leve´es d’hommes, elles consentent les impoˆts. C’est donc a` elles et au sentiment national qui doit les diriger, qu’il faut s’en remettre, soit pour appuyer le pouvoir exe´cutif, quand la guerre est juste, duˆt-elle eˆtre porte´e hors du territoire [...], soit pour contraindre ce meˆme pouvoir exe´cutif a` faire la paix, quand l’objet de la de´fense est atteint» (OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 789).

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tative impose au pouvoir exe´cutif, il faut qu’elle tire sa mission d’une source le´gitime, il faut qu’elle soit arme´e de pre´rogatives, et environne´e de garanties qui mettent son inde´pendance hors de tout danger. Si elle est 2, fo 133ro arme´e de vastes pre´rogatives, il faut qu’elle soit en meˆme tems contenue dans ses actes et re´prime´e dans ses exce`s ; car une assemble´e qui n’a pas de frein est plus dangereuse que le despote le plus absolu. Ainsi, de quelque point du cercle que vous partiez vous serez oblige´ de le parcourir tout entier pour arriver a` un re´sultat satisfaisant. Je ne ferai sur les constitutions politiques qu’une re´flexion, parce que je ne sache pas qu’elle ait e´te´ faite. Des e´crivains modernes pre´tendent que les institutions qui limitent et divisent les pouvoirs, ne sont que des formes trompeuses que les gouvernemens e´ludent avec adresse. Cela serait vrai, que ces formes auraient encore leur utilite´. Les gouvernemens e´tant oblige´s de les e´luder ont moins de tems pour se livrer a` des entreprises e´trange`res. Ils sont trop occupe´s au dedans pour chercher au dehors une occupation factice. Les despotes entretiennent leurs sujets dans des guerres lointaines pour les distraire de l’inte´rieur. Les peuples qui veulent jou¨ir de quelque repos, doivent donner quelque chose a faire au gouvernement dans l’inte´rieur, pour n’eˆtre pas pre´cipite´s par son de´sœuvrement et son ambition dans les calamite´s de la guerre. Je suis loin de convenir au reste que les institutions pre´servatrices de la liberte´ ne soient que de vaines formes. Elles donnent aux citoyens un grand sentiment de leur importance, une grande jou¨issance dans ce sentiment, un vif interet a` la prospe´rite´ de l’Etat. De la sorte inde´pendamment de leurs avantages directs, elles ont celui de cre´er et d’entretenir un esprit public. Cet esprit public est la seule garantie efficace. Elle a sa baze dans l’opio o 2, f 133v nion : elle pe´ne`tre dans les cabinets des ministres : elle modifie, elle arreˆte leurs projets a` leur insc¸uˆ. Mais remarquez le bien, cet esprit public tient beaucoup plus a` l’organisation de l’autorite´, qu’a` son action. Un gouvernement absolu peut, sous un despote vertueux, eˆtre tre`s doux, et ne cre´era point l’esprit public. Un gouvernement limite´ peut, sous un mauvais prince, eˆtre tre`s vexatoire, malgre´ ses limites, et l’esprit public n’en sera pas de´truit pour cela. Mais encore une fois, toutes ces choses sont e´trange`res a` notre sujet.

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Chape˙ 5e˙ Du mode de formation et d’entretien des arme´es.

L’aversion des peuples modernes pour les hazards de la guerre, qui ont cesse´ d’eˆtre des plaisirs, rend la question des recrutemens tre`s difficile. Lorsque le ge´nie de l’espe`ce humaine e´tait belliqueux, les hommes couraient aux combats. Il faut les y trainer aujourd’hui. Les droı¨ts de l’autorite´, relativement aux recrutemens, sont tre`s ne´cessaires a` fixer. Si elle est investie a` cet e´gard d’une puissance illimite´e, c’est comme si elle en avait une illimite´e sur tous les objets. Qu’importe qu’elle ne puisse pas arreˆter les citoyens dans l’inte´rieur et les retenir inde´finiment dans les cachots, si elle peut les envoyer eux, ou leurs enfans, pe´rir sur des plages lointaines, si elle fait planer cette menace sur les teˆtes les plus che´ries et porte a` son gre´ le de´sespoir dans toutes les familles par l’exercice d’un droit pre´tendu. Il y a deux modes de recrutement, qui se subdivisent encore, mais a` l’un ou l’autre desquels on peut rapporter toutes les diffe´rentes manie`res adopte´es dans tous les pays. L’un consiste a` imposer a` tous les citoyens d’un aˆge de´termine´ le devoir de porter les armes pendant un certain nombre d’anne´es ; l’autre est le recrutement libre & volontaire. Les inconve´niens du premier mode ne peuvent eˆtre conteste´s. ` de certaines e´poques de la vie humaine, les interruptions a` l’exercice «A des faculte´s intellectuelles ou industrielles ne se re´parent pas. Les habitudes hazardeuses, insouciantes et grossie`res de l’e´tat gue´rrier, la rupture soudaine o o 2, f 134v de toutes les relations domestiques, une de´pendance me´chanique pour des devoirs minutieux, quand l’ennemi n’est pas en pre´sence, une inde´pendance complette sous les rapports des mœurs, a` l’aˆge ou les passions sont dans leur fermentation la plus active, ce ne sont pas la` des choses indiffe´rentes pour la morale ou pour les lumie`res. Condamner a` l’habitation des camps ou des cazernes les jeunes rejettons de la classe aise´e, dans laquelle re´sident, en de´finitif, l’instruction, la delicatesse, la justesse des ide´es, et cette tradition V: 2 Du mode ... arme´es. ] Du (ce mot re´crit sur Des) 〈Recrutemens〉 mode de formation et d’entretien des arme´es. L ` de certaines ... ine´vitable. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 10, pp. 36–37, TR: 22-p. 509.8 A OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 579.

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de douceur, de noblesse et d’e´le´gance qui seule nous distingue des barbares, c’est faire a` la nation tout entie`re un mal que ne compensent ni de vains succe`s, ni la terreur qu’elle inspire, et qui n’est pour elle d’aucun avantage. Vou¨er au me`tier de soldat le fils du commerc¸ant, de l’artiste, du magistrat, le jeune homme qui se consacre aux lettres, aux sciences, a` l’exercice de quelqu’industrie difficile et complique´e, c’est lui de´rober tout le fruit de son e´ducation ante´rieure. Cette e´ducation meˆme se ressentira d’avance de la perspective d’une interruption ine´vitable. Le ze`le des parens se de´couragera. L’imagination du jeune homme sera frappe´e en bien ou en mal de la destine´e qui l’attend. De quelque manie`re que son imagination en soit frappe´e, son application ne pourra qu’en souffrir. S’il s’enyvre des reˆves brillans de la gloire militaire, il de´daignera des e´tudes paisibles, des occupations se´dentaires, un travail d’attention contraire a` ses gouts et a` la mobilite´ de ses faculte´s naissantes. S’il se voit avec douleur arrache´ a` ses foyers, s’il calcule combien le sacrifice de plusieurs anne´es apportera de retard a` ses progre`s, il de´sesperera de lui meˆme. Il ne voudra pas se consumer en efforts, dont une main de fer lui de´roberait le fruit. Il se dira que, puisque son pays lui dispute le tems ne´cessaire a` l’acquisition de ses connaissances, au perfectionnement de l’art qu’il cultive, ou de l’industrie qu’il a embrasse´e, il est inutile de lutter contre la force ; il se re´signera paresseusement a` sa destine´e.» Que si, transformant de quelque manie`re l’obligation de porter les armes en un impot sur le riche, vous la restreignez en re´alite´ a` la classe laborieuse et indigente, sans doute, bien que cette ine´galite´ semble avoir quelque chose de plus re´voltant, elle sera moins funeste dans ses re´sultats, que l’e´galite´ pre´tendue qui peserait sur toutes les classes. Un manœuvre, un journalier souffrent moins de l’interruption de leurs occupations habituelles, que des hommes voue´s a` des professions qui exigent de l’experience, de l’assiduite´, de l’observation et de la pense´e. En arrachant le fils d’un agriculteur a` la charrue, vous ne le mettez pas hors d’e´tat de reprendre a` son retour sa premie`re vocation mais d’autres inconve´niens se pre´sentent qui ne sont pas d’une moindre importance. «Vous verrez les pe`res punis pour les fautes de leurs enfans, l’intereˆt des enfans se´pare´ par conse´quent de celui des pe`res, les familles re´duites ou a` se re´unir pour re´sister a` la loi, ou a` se diviser pour qu’une partie contraigne l’autre a` l’obe´issance, l’amour paternel traite´ comme un crime, la tendresse filiale qui ne veut pas abandonner un pe`re dans la vieillesse et l’isolement, transforme´e en re´volte et frappe´e avec V: 29–30 la charrue ] sa charrue L TR: 11–20 S’il s’enyvre ... force; ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 10, pp. 37–38, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 579. 32-p. 510.10 Vous verrez ... ce´le´brite´. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 9, pp. 33–34, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 577.

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rigueur, l’espionnage et la de´lation, ces e´ternelles ressources de l’autorite´, lorsqu’elle a cre´e´ des de´lits factices, encourage´es et re´compense´es, des devoirs odieux impose´s aux magistrats subalternes, des hommes lache´s comme des dogues fe´roces, dans les cite´s et dans les campagnes, pour poursuivre et pour enchainer des fugitifs innocens aux yeux de la morale et de la nature : et que sera-ce, si toutes ces vexations n’ont pas lieu pour une de´fense le´gitime, mais pour l’envahissement et la de´vastation de re´gions 2, fo 135vo e´loigne´es, dont la possession n’ajoute rien a` la prospe´rite´ nationale, a` moins qu’on n’appe`le prospe´rite´ nationale le vain renom de quelques hommes et leur funeste ce´le´brite´ a.» Les raisonnemens qu’on alle`gue en faveur des institutions qui forcent tous les citoyens au metier des armes, ressemblent, a` quelques e´gards, a` ceux des ennemis de la proprie´te´, qui, sous le pre´texte d’une e´galite´ sauvage, veulent repartir le travail manuel, indistinctement entre tous les hommes, ne re´fle´chissant pas, que le travail reparti de la sorte, non seulement serait moins utile, parce qu’il serait mal exe´cute´, mais que de plus, il mettrait obstacle a` toute suite, a` toute occupation exclusive, a` tous les bons effets de l’habitude et de la centralisation des forces, et par la` meˆme a` tout progre`s, a` tout perfectionnement. «De meˆme la vie militaire s’emparant successivement de toutes les ge´ne´rations, pendant leurs jeunes anne´es, pre´cipiterait infailliblement un peuple dans l’abrutissement et dans l’ignorance.» Le seul inconve´nient du second mode, je veux dire du recrutement libre et volontaire, c’est la possibilite´ de son insuffisance. Je crois cette insuffisance fort exage´re´e. Les obstacles que l’autorite´ rencontre pour le recrutement, sont toujours en raison de l’inutilite´ de la guerre. De`s qu’il s’agit d’une guerre le´gitime, ces obstacles diminuent. L’opinion parle, l’intereˆt de tous se fait entendre. Tous sont entraine´s par cet interet et 2, fo 136ro cette opinion. Chacun s’anime, chacun se pre´sente pour marcher au combat, en connaissance de cause. Le mouvement national existe. L’autorite´ n’a pas besoin de le cre´er par des ordres et par des menaces. Elle n’a qu’a` le diriger. a

Il y avait sous la monarchie 60,000 hommes de milice en france : l’engagement e´tait de six ans. Ainsi le sort tombait chaque anne´e sur dix mille hommes. Adm. des Fin. 1–30. M˙r Necker appellait la milice une effrayante loterie. Qu’aurait-il dit de la conscription1 ?

TR: 33–35 Il y avait ... conscription ? ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 10, p. 38, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 580. 1

Necker, De l’administration des finances, t. I, p. 30. «Il y a 60 mille hommes de milice en France, & l’engagement est de six ans ; ainsi chaque anne´e, dix mille deviennent miliciens par l’effet du sort. Tous les roturiers du Royaume au-dessus de cinq pieds, & depuis 16 ans jusqu’a` 40, participent a` cette effrayante loterie, a` moins qu’ils n’en soient exempts par des

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On peut l’affirmer sans crainte. Si les gouvernemens n’entreprenaient que des guerres justes, si dans l’inte´rieur ils prenaient aussi la justice pour re`gle de leur conduite, ils rencontreraient bien peu d’obstacles a` la composition des arme´es. Nous ne leur disputons point, dans l’e´tat actuel de l’Europe, le droit d’entretenir des forces militaires toujours sur pied, meˆme en tems de paix, et celui d’imposer aux citoyens de certains devoirs pour la formation et le maintien de ces forces militaires. Mais combien, dans l’hypothe`se que l’autorite´ n’entreprendrait que des guerres le´gitimes, c’est a` dire motive´es sur la ne´cessite´ de la de´fense, bien que les circonstances pussent les rendre offensives, combien dans cette hypothe`se, disons-nous, la force militaire indispensable serait moins nombreuse, et les devoirs des citoyens plus faciles a` remplir ! Ne soyez pas alors de´fians de leur ze`le. Ils ne sont pas lents a` courir aux armes pour leur patrie, quand ils en ont une. Ils s’e´lancent pour le maintien de leur inde´pendance au dehors, lorsqu’au dedans ils posse´dent la se´curite´. Quand ils restent immobiles, quand il faut les contraindre, c’est qu’ils n’ont rien a` perdre, et a` qui la faute ? L’on objectera peut-eˆtre que ce mouvement unanime ne peut avoir lieu dans un grand empire, que les hommes ne courent a` la de´fense de leurs frontie`res, que lorsque ces frontie`res sont tre`s voisines de leurs foyers, et qu’une guerre qui serait occasionne´e par l’entre´e d’un ennemi dans une province e´loigne´e, ne produirait au centre ou a` l’extreˆmite´ oppose´e, ni indignation, ni ze`le pour la repousser. Cette assertion d’abord est beaucoup moins incontestable qu’on ne le pense. Supposez un grand peuple libre, 2, fo 136vo heureux de sa liberte´, attache´ par le sentiment de son bonheur a` l’autorite´ qui le gouverne, il contractera des ide´es plus e´tendues et plus ge´ne´reuses que ceux qui fondent leur pouvoir sur l’avilissement de l’espe`ce humaine, n’aiment a` le croire. De meˆme que les hommes accoutume´s a` la liberte´, voyent dans l’oppression d’un seul citoyen, quelqu’e´tranger qui leur puisse eˆtre, un attentat punissable contre tous les membres de l’e´tat social, de meˆme un peuple qui a une patrie, voit dans l’envahissement d’une portion de son territoire, une insulte faite a` cette patrie tout entie`re. La jouissance de la liberte´ cre´e, un sentiment d’orgueil national tellement de´licat, tellement susceptible que l’autorite´ a plus souvent a` le restreindre qu’a` l’exciter. Cette ve´rite´ sans doute a des bornes. Mais il en re´sulte seulement que les empires aussi doivent en avoir. Lorsqu’un pays est tellement e´tendu qu’aucun lien

TR: 13–15 Ils s’e´lancent ... se´curite´. ]  Principes de politique (1815), 14, p. 218, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 798. privile´ges attache´s a` leur e´tat, ou au lieu de leur habitation. Les habitants des coˆtes e´tant classe´s pour le service de mer, ne sont point compris parmi les hommes destine´s a` la milice.»

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national ne peut exister entre ses diffe´rentes provinces, je ne concois gue`res le raisonnement qui justifierait cette e´tendue excessive. Un peuple ne refuse de se de´fendre contre un ennemi qui le menace, ou de contribuer dans une proportion suffisante a` l’e´tablissement ne´cessaire a` la surete´ du paı¨s qu’il habite, que lorsque son gouvernement par ses injustices, l’a de´tache´ de ses interets, ou lorsque l’ambition forcene´e de ce gouvernement, voulant e´tablir partout aux de´pens de ses sujets, une domination tyrannique, exige des efforts et des sacrifices que ne reclament ni la surete´, ni la prospe´rite´ de ce peuple. Ce gouvernement est alors re´duit a` trainer au combat ses esclaves charge´s de fers. C’est assez ne´ammoins que le recrutement volontaire puisse eˆtre suppose´ insuffisant, pour qu’on doive indiquer le reme`de a` cette insuffisance. L’on a dit que si un gouvernement n’e´tait pas assez bon pour inspirer a` ses sujets le desir de le de´fendre, il devait porter la peine de ses vices. Cela est vrai. Mais aucun gouvernement ne s’y re´signera. Il est inutile de poser des principes dont la nature fait qu’ils ne sont jamais observe´s. Dans le cas ou` le recrutement volontaire est insuffisant, il faut bien accorder au gouvernement le droit de recourir au recrutement force´. Quand on ne lui accorderait pas ce droit, il le prendrait. Mais pour combiner ce droit avec quelque liberte´, quelque se´curite´ individuelle, il faut en revenir a` la liberte´ politique. Car, ainsi que nous l’avons dit en commenc¸ant, si le droit du recrutement force´ n’est pas strictement limite´, il n’y a plus de bornes au despotisme. Tout nous rame`ne donc, malgre´ nous, a` la liberte´ politique par toutes les routes. Il faut que les repre´sentans de la nation de´terminent, comment, en quel nombre, a` quelles conditions, pour quel but, les citoyens pourront eˆtre contraints a` marcher a` la de´fense de leur paı¨s. Il ne faut pas que cette de´termination de la repre´sentation nationale soit permanente, mais qu’elle ait lieu, toutes les fois que les circonstances l’exigent, et qu’elle cesse de droit, quand les circonstances ont change´ : et ceci nous force a` re´pe´ter ce que nous avons dit plus haut, de l’ensemble des pre´rogatives a` accorder aux assemble´es repre´sentatives, pour qu’elles atteignent ce but. Car, si elles sont faibles et de´pendantes, elles voteront tout ce que voudra le pouvoir exe´cutif.

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L’une des fonctions du gouvernement e´tant de repousser les invasions exte´rieures, il en re´sulte pour l’autorite´ le droit d’exiger des individus qu’ils concourent a` la de´fense publique. Il est impossible de restreindre ce droit dans des limites pre´cises. son e´tendue de´pend en entier des attaques aux

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5, Du mode de formation et d’entretien des arme´es

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quelles la socie´te´ se voit expose´e. les gouvernemens peuvent se prescrire a` cet e´gard de certaines re´gles pour la commodite´ des citoyens, et pour la plus grande facilite´ de l’organisation de la force arme´e. Ils peuvent fixer, par exemple, l’age avant et apre`s lequel nul service militaire ne peut eˆtre exige´, de´terminer les raisons qui doivent dispenser de ce service, e´tablir des formes pour constater que leurs loix a` cet e´gard ne seront pas de´sobe´¨ıes. Mais aucune de ces re`gles ne peut eˆtre conside´re´es comme absolue. pour qu’une re´gle de cette nature fut absolue, Il faudrait le consentement de l’ennemi. car la vigueur de la de´fense doit toujours eˆtre proportionne´e a` la violence de l’aggression. On ne peut donc jamais affirmer qu’un citoyen ou une classe quelconque ne sera pas oblige´e de concourir a` cette de´fense, puisqu’on ne peut jamais affirmer que le concours de tous ne sera pas ne´cessaire. ce qui a introduit dans les esprits l’ide´e de conge´s ou d’exemptions absolues et irre´vocables, c’est que les gouvernemens ont porte´ souvent leurs mesures de´fensives fort au dela` de la ne´cessite´, parce qu’ils ont eu l’arrie`re pense´e d’en faire des moyens d’attaque. alors les Individus, ne pouvant mettre de bornes a` l’humeur belliqueuse de leurs gouvernans, ont cherche´ du moins a` se garantir de quelques unes des conse´quences de cette manie, en supposant qu’il pouvoit exister entr’eux et l’autorite´ des engagemens en vertu desquels elle renonc¸oit a` les employer a` la guerre. les gouvernemens ont de leur cote´ encourage´ cette ide´e, parce qu’ils ont vu, dans cette renonciation toujours tre´s limite´e, l’autorisation de disposer a` leur fantaisie de tous ceux que cette renonciation ne comprenait pas. mais dans la re´alite´ un conge´ absolu est une chose absurde. c’est promettre a` un home qu’il sera dispense´ de de`fendre sa patrie, c’est a` dire de se de´fendre lui meˆme, si un ennemi vient l’attaquer. les gouvernemens ont tre´s bien senti cette absurdite´. ils en ont profite´ pour dire a` ceux qui n’avoient pas de conge´s absolus qu’ils ne pouvoient se refuser a` aucune expe´dition, quelque lointaine ou quelqu’inutile qu’elle fut. Mais quand le danger s’est rapproche´ des frontie`res, Ils ont tre´s bien su dire aux porteurs de ces conge´s pre´tendus irre´vocables, qu’il e´toit de leur devoir comme de leur interet de combattre. l’application de ce principe varie sans doute suivant l’e´tendue ou les circonstances d’un pays. dans un vaste empire, Il est presqu’impossible que tous les citoyens soient jamais re´duits a` prendre les armes. mais le principe n’en existe pas moins. c’est seulement son application qui devient plus rarement ne´cessaire. Dela sorte l’e´tat du monde moderne restreint aujourdhui ou modifie ce principe. la ne´cessite´ de combattre ne porte gue`res que sur la classe particulie´rement voue´e pour plus ou moins de tems au service militaire. Les habitans des villes, les artisans, les Bourgeois, les agriculteurs dans les campagnes, en un mot, tous ceux qui ne sont pas formellement enrole´s ne sont tenus a` aucune re´sistance envers l’ennemi.

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Livre XIVe˙ De l’action de l’autorite´ sur les lumie`res.

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E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14359, fos 137vo–154vo [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 70ro–75ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 617ro–661vo [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 103–113 [=LA].

V: 1 Livre

XIVe˙

] Livre 〈VI〉

XIV.

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Chapitre 1e˙r Questions a` traiter dans ce livre

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Les rapports de l’autorite´ avec les lumie`res sont d’une nature plus difficile et plus de´licate encore a` de´terminer, que ceux qui ne concernent que les actions, la proprie´te´ ou l’industrie, choses exte´rieures et mate´rielles. Si l’homme tend a` l’inde´pendance dans l’exercice de toutes ses faculte´s, il en e´prouve surtout le besoin dans l’exercice de la pense´e. Plus il re´fle´chit, plus il s’appercoit que toutes ses pense´es se tiennent, qu’elles forment une chaine indissoluble, qu’il est impossible d’en briser ou d’en soustraire arbitrairement un seul anneau. La religion peut dominer la pense´e, parce qu’elle devient la pense´e meˆme. Mais l’autorite´ ne le peut pas. Ces deux choses n’ont entr’elles aucun point de contact re´el. Les mate´rialistes ont reproduit souvent, contre la doctrine de l’esprit pur, une objection qui n’a perdu sa force, que depuis qu’une philosophie moins te´me´raire nous a fait reconnaitre l’impuissance ou` nous sommes de rien concevoir sur ce que nous appelons matie`re, et sur ce que nous nommons esprit. L’esprit pur, disaient-ils, ne peut agir sur la matie`re, on peut dire avec plus de raison, et sans se perdre dans une me´taphysique subtile, qu’en fait de gouvernement, la matie`re ne peut agir sur l’esprit. Or l’autorite´, comme autorite´, n’a jamais que de la matie´re a` son service. Lorsqu’elle veut employer le raisonnement, elle change de nature, et se soumet a` la pense´e, au lieu de la dominer. Elle cherche a` la convaincre, donc elle la reconnait pour son juge. Aussi voyons-nous toujours, qu’apre`s quelques tentatives de ce genre, elle s’appercoit qu’elle n’est plus dans sa sphe`re, qu’elle s’est de´pouille´e de ses armes habituelles, et lorsqu’elle veut les reprendre, la lutte entr’elle et la pense´e recommence. Pour attribuer a` l’autorite´ la direction des lumie`res, il faut supposer, ou que les hommes ne peuvent arriver par leurs propres forces a` la de´couverte V: 3 Les rapports ... re´el. ] passage marque´ dans la marge gauche par deux signes en forme de trait vertical ou peut-eˆtre du chiffre 1, le premier surmonte´, le second soustendu d’une barre horizontale (a` l’intention d’un copiste ou tentative d’une restructuration des mate´riaux ?) P 20 Lorsque ... recommence´. ] passage nume´rote´ au de´but et a` la fin du chiffre 2 dans la marge gauche ; le premier chiffre est surmonte´, le second soustendu d’une barre horizontale ; corrections du second chiffre 2 〈2/3〉 P 27 Pour ... prote´ger. ] passage nume´rote´ au de´but et a` la fin du chiffre 3 dans la marge gauche ; le premier chiffre est surmonte´, le second soustendu d’une barre horizontale ; corrections du second chiffre 3〈/4〉 P TR: 13–20 Les mate´rialistes ... service. ]  Re´flexions sur les constitutions, 8, pp. 145–146, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1050.

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des ve´rite´s dont la connaissance leur est salutaire, ou qu’il y a de certaines ve´rite´s dont la de´couverte serait dangereuse, et par conse´quent de certaines erreurs qu’il est utile de maintenir. Dans la premie´re hypothe`se, l’on charge l’autorite´ de de´truire l’erreur, dans la seconde de la prote´ger. Ceci nous rame`ne a` un sujet que nous avons traite´ cy dessus1. Les moyens de l’autorite´ pour maintenir l’erreur, consistent, en grande partie, en restrictions impose´es a` la manifestation de la pense´e. Nous ne reviendrons point sur cette matie`re que nous croyons avoir suffisamment e´claircie. Mais le principe meˆme de l’utilite´ des erreurs nous parait me´riter quelqu’examen. Ce probleˆme souvent agite´ n’a pas encore e´te´, ce nous semble, conside´re´ o o 2, f 138v comme il devait l’eˆtre. Conside´re´ de la sorte, peu de mots suffiront pour le re´soudre, et nous prouverons par ce peu de mots que les partisans de ce systeˆme, n’ont pas eux meˆmes bien approfondi leur propre opinion.

V: 5 Ceci ] 〈Cette〉 Ceci L

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Voir ci-dessus, pp. 265–294, le livre VIII sur la liberte´ religieuse.

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Chapitre 2e˙ De l’utilite´ qu’on attribue aux erreurs1.

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Nul doute que la conse´quence apparente d’une erreur ne puisse eˆtre tre`s utile, c’est a` dire que l’effet qui semble devoir en re´sulter naturellement, peut paraitre tre`s avantageux. Mais la difficulte´ ve´ritable, c’est que rien ne garantit, que l’effet moral d’une erreur sera tel qu’on le suppose ou qu’on le desire. Les partisans des erreurs utiles tombent dans une me´prise que nous avons releve´e ailleurs2. Ils ne font entrer dans leurs calculs que le but, et ne songent point a` l’effet des moyens employe´s pour y arriver. Ils ne consideˆrent telle erreur que comme e´tablie isole´ment ; ils oublient le danger de donner a` l’homme l’habitude de l’erreur. La raison est une faculte´ qui se perfectionne ou se de´te´riore. En imposant a` l’homme une erreur, vous de´te´riorez en lui cette faculte´. Vous brisez la chaine de ses ide´es. Qui vous garantit que cette chaine ne se brisera pas de nouveau, quand il s’agira d’appliquer l’erreur que vous lui aurez inculque´e. S’il e´tait accorde´ a` l’homme d’intervertir une seule fois l’ordre des saisons, quelqu’avantage qu’il put retirer de ce privile`ge dans une circonstance particulie´re, il n’en e´prouverait pas moins un de´savantage incalculable, en ce qu’il ne pourrait plus dans la suite se reposer sur la succession uniforme, et l’invariable re´gularite´ qui sert de baze a` ses travaux. Il en est de la nature morale, comme de la nature physique. Toute erreur fausse l’esprit ; car pour y pe´2, fo 139vo ne´trer, il faut qu’elle l’empeˆche de marcher, suivant sa destination, du principe a` la conse´quence. Qui vous assure que cette ope´ration ne se re´pe´tera pas sans cesse ? qui peut tracer la route que doit suivre un esprit sorti de celle de la raison ? Une erreur est une impulsion dont la direction est incalculable : en donnant cette impulsion, et par l’ope´ration meˆme qu’il vous a fallu faire pour la donner, vous vous eˆtes mis hors d’e´tat de la conduire. Vous avez donc a` craindre ce qui parait le moins en re´sulter. C’est par une pe´tition de principe que vous dittes : telle erreur est favorable a` la V: 3-p. 522.20 Nul doute ... pour le cœur. ] passage nume´rote´ au de´but des chiffres 6/1 dans la marge gauche, et a` la fin du chiffre 1 (ou I) P TR: 8-p. 520.31 Ils ne font ... par la force ? ]  Co 3415, fo 1 2

VIII.

Hofmann (p. 358, n. 2) signale le paralle`le qui existe entre ce chap. 2 et le chap. 7 de De la force du gouvernement actuel (OCBC, Œuvres, t. I, pp. 367–375). Voir ci-dessus, pp. 171–173, livre III, chap. 5.

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morale : non, car pour que cette erreur fut re´ellement favorable a` la morale, il faudrait que l’homme qui a raisonne´ faux pour adopter cette erreur, raisonnat juste en partant de ce point donne´, et rien n’est moins suˆr. Un esprit que vous avez accoutume´ a` raisonner faux dans telle occasion ou` l’imperfection de sa logique vous paraissait commode et se preˆtait a` vos vues, raisonnera faux dans telle autre occasion ou` le vice de son raisonnement contrariera vos intentions. Tel homme adopte sur la nature d’un eˆtre supreˆme des ide´es absurdes : il l’imagine, vindicatif, jaloux, capricieux, que sais-je ? si ne´ammoins il partait de ces donne´es pour raisonner bien de´sormais, elles pourraient, malgre´ leur peu de raison, re´gler encore utilement sa conduite. Il se dirait : cet eˆtre tout puissant, souvent bizarre, quelquefois cruel, veut cependant le maintien des socie´te´s humaines, et dans notre incertitude sur ses volonte´s particulie`res, le plus sur moyen de lui plaire est la justice qui satisfait son vœu ge´ne´ral. Mais aulieu de raisonner de la sorte, cet esprit suffisamment e´gare´ pour adopter un premier principe absurde, ira probablement de suppositions en suppositions, de myste`res en myste`res, d’absurdite´s en absurdite´s, jusqu’a` se forger une morale toute contraire a` celle qu’on avait cru mettre sous la sauve garde de la religion. Il n’est donc pas utile de tromper les hommes, lors meˆme que l’on tire de cet artifice un avantage momentane´. Le ge´ne´ral qui enseigne a` ses troupes, que la foudre qui gronde est un pre´sage de la victoire, s’expose a` voir ses soldats prendre la fuite, si quelqu’imposteur plus habile leur persuade que ce bruit terrible est un signe de la cole`re des Dieux. C’est ainsi que ces animaux e´normes que des peuples barbares placaient en teˆte de leurs arme´es pour les diriger sur leurs ennemis, reculaient tout a` coup, frappe´s d’e´pouvante ou saisis de fureur, et me´connaissant la voix de leurs maitres, e´crasaient ou dispersaient les bataillons meˆmes qui attendaient d’eux leur salut et leur triomphe. Mais voici bien une autre difficulte´. Les erreurs que vous appelez utiles, ne´cessitent une se´rie d’ide´es diffe´rentes de l’enchainement auquel nous destinait la nature. Que le hazard nous de´couvre quelque ve´rite´, cette se´rie factice est rompue. Que ferez vous alors ? la re´tablirez vous par la force ? vous voila` reporte´s aux loix prohibitives dont nous avons ailleurs de´montre´ l’impuissance et le danger1. Ce serait d’ailleurs en vous une grande inconse´quence. V: 8 l’imagine, vindicatif ] 〈ne〉 l’imagine 〈incompre´hensible〉, vindicatif P ne l’imagine incompre´hensible, vindicatif L 30 quelque ve´rite´ ] 〈cette ve´rite´〉 quelque ve´rite´ L TR: 23–27 C’est ainsi ... triomphe. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 7, p. 26, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 572. 28-p. 521.14 Les erreurs ... pense´e. ]  Co 3492, no 728. 33-p. 521.14 Ce serait ... pense´e. ]  Co 3415, fo VIII. 1

Voir ci-dessus, pp. 425–456, livre XII, chap. 4.

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XIV,

2, De l’utilite´ qu’on attribue aux erreurs

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Vous avez pose´ en principe que l’homme n’est pas susceptible d’eˆre gouverne´ par la ve´rite´, et que l’erreur en assujettissant l’esprit, dispense des moyens de force, et bientot apre`s vous employeriez ces moyens a` l’appui de l’erreur meˆme dont l’avantage devait eˆtre de les rendre superflus. Pour maintenir l’ordre public, vous recourez a` ce que vous appelez des illusions, et vous eˆtes en admiration de cette ressource, bien plus douce, dites vous, et non moins efficace que les loix pe´nales. Mais on re´voque en doute vos 2, fo 140vo illusions tute´laires. Vous ne pouvez les de´fendre par des ide´es d’une nature semblable : La sanction elle meˆme est attaque´e. Appelerez-vous les loix a` votre secours ? Cette rigueur que vous vous vantiez nagueres de ne pas employer en faveur de la tranquillite´ publique, l’invoquerez vous a` l’aide des erreurs que vous croyez ne´cessaires a` cette tranquillite´. Autant aurait valu, ce me semble, vous dispenser de ce long de´tour et ne se´vir que contre le crime, ce qui vous aurait e´pargne´ l’odieux de perse´cuter la pense´e. Votre taˆche aurait e´te´ plus facile, car la pense´e vous e´chappera mille fois plus que n’auraient fait les actions. Enfin une objection se pre´sente contre l’utilite´ des erreurs, objection de´ja rapporte´e dans cet ouvrage, et que pour cette cause nous nous contenterons d’indiquer1. La de´faveur qui frappe une erreur de´couverte, retombe sur la ve´rite´ qu’on avait associe´e a` cette erreur, par un ze`le aveugle et un calcul mal adroit. Des hommes bien intentionne´s, dit Bentham a, pensent qu’on ne doit oter a` la morale aucun de ses appuis, lors meˆme qu’il porte a` faux....... Mais quand un esprit de´prave´ a triomphe´ d’un faux argument, il croit avoir triomphe´ de la morale meˆme. Les erreurs sont toujours funestes et par l’effet qu’elles produisent sur l’esprit meˆme, et par les moyens indispensables en de´finitif pour assurer leur dure´e. Les erreurs qui vous paraissent les plus salutaires, ne sont que des fle´aux de´guise´s. Vous desirez le maintien d’un gouvernement. Vous e´cartez les ve´rite´s oppose´es aux principes sur lesquels ce gouvernement repose. Vous encouragez 2, fo 141ro les erreurs contraires a` ces ve´rite´s. Mais un gouvernement peut eˆtre renverse´ par mille causes que vous ne pre´voyez pas. Alors plus les erreurs que vous aurez encourage´es auront jete´ des racines profondes, plus les ve´rite´s que vous aurez repousse´es, seront ignore´es. Moins les hommes seront pre´pare´s a` ce qu’il faudra mettre a` la place de ce qui n’existe plus, plus il y a

Princ. de legisl. publie´s par Dumont. Tom. II. p. 2112.

V: 13 long de´tour ] 〈tour de force〉 long de´tour corr. a. dans l’interl. sup. L 16–23 Enfin ... morale meˆme. ] passage, y compris la note (ligne 34), ajoute´ dans la col. gauche L 1 2

Voir ci-dessus, p. 112, livre I, chap. 3. BC renvoie a` Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code civil, troisie`me partie, chap. 5, «Du mariage», t. II, p. 211. Citation conforme, sauf que BC supprime un adjectif devant le mot «morale» (bonne morale).

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aura dans le renversement et dans ses suites, de violence, de malheurs et de de´sordre. Nous l’affirmons avec confiance : toutes les fois que l’on croit remarquer qu’il y a eu abus de lumie`res, c’est qu’il y avait manque de lumie`res. Toutes les fois que l’on accuse la ve´rite´ d’avoir fait du mal, ce mal n’a pas e´te´ l’effet de la ve´rite´, mais de l’erreur. Dire que la ve´rite´ peut eˆtre dangereuse, c’est profe´rer une terrible accusation contre la providence qui a mis au rang des besoins de l’homme la recherche de la ve´rite´. Dans cette hypothe`se la providence a trace´ a` l’espe`ce humaine une route qu’elle est condamne´e a` suivre par une impulsion irre´sistible, et cette route aboutit a` un abyme. La ve´rite´ d’ailleurs est une, et l’erreur est innombrable1. Quels sont vos moyens pour choisir dans la foule des erreurs ? L’erreur est a` la ve´rite´ ce que le machiave´lisme est a` la morale. Si vous abandonnez la morale pour vous jetter dans les ruses du machiave´lisme, vous n’eˆtes jamais sur d’avoir entre ces ruses choisi la meilleure. Si vous renoncez a` la recherche de la ve´rite´, vous n’eˆtes jamais certain d’avoir choisi l’erreur la plus utile. La ve´rite´ n’est pas seulement bonne a` connaitre, mais bonne a` chercher. Lors meˆme qu’on se trompe dans cette recherche, on est plus heureux qu’en y renonc¸ant. L’ide´e de la ve´rite´ est du repos pour l’esprit, comme l’ide´e de la morale est du repos pour le cœur.

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BC se cite lui-meˆme : De la force du gouvernement actuel, OCBC, Œuvres, t. I, p. 373 : «La ve´rite´ est une, mais l’erreur est multiforme.»

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XIV,

3, De l’autorite´ employe´e en faveur de la ve´rite´

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Chapitre 3e˙ De l’Autorite´ employe´e en faveur de la ve´rite´.

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Eh bien, dira-t-on, puisque l’erreur est toujours funeste, l’autorite´ doit en pre´server les hommes et les conduire a` la ve´rite´. Mais quels sont les moyens de l’autorite´ pour la de´couvrir a ? Nous avons prouve´ au commencement de cet ouvrage, que les gouvernans n’e´taient pas moins sujets a` l’erreur que les gouverne´s1. D’ailleurs les objections que nous avons alle´gue´es contre les erreurs pre´tendues utiles, s’appliquent avec une force presqu’e´gale aux ve´rite´s que l’autorite´ voudrait inculquer et faire admettre sur parole. L’appui du pouvoir assure´ meˆme a` la ve´rite´ se transforme en une cause d’erreur. Le 7, fo 70ro

a

[Add.] la pre´tention des gouvernemens a` diriger les gouverne´s dans l’exercice de leurs faculte´s intellectuelles, devient surtout ridicule, sous des institutions repre´sentatives, ou les opinions, e´tant discute´es publiquement, arrivent de´she´rite´es de tout prestige. aucune alors ne peut eˆtre impose´e avec cette solemnite´ redoutable, qui naˆit de la combinaison de la force et du myste`re, et qui accompagna la promulgation du Zend-avesta et de l’alcoran. Il s’en faut bien, dit Bentham, qu’on aıˆt employe´ autant d’esprit, de calcul, et de prudence pour de´fendre la socie´te´ que pour l’attaquer et pour pre´venir les de´lits que pour les commettre. ce que dit Bentham provient de ce que les Individus sont toujours plus spirituels et plus adroits que les gouvernemens. c’est par une erreur que l’on admet un immense intervalle entre les hommes qui dictent et ceux qui recoivent les loix. leurs lumie`res respectives sont toujours dans une certaine proportion et ne s’en e´cartent pas. la nature n’accorde de privile`ges a` aucun individu. Nul ne devance beaucoup son pays et son sie`cle, et ceux qui les devancent sont peut-eˆtre les moins propres a` les dominer2.

V: 5 Nous avons ... gouverne´s. ] passage nume´rote´ au de´but et a` la fin du chiffre 5 dans la marge gauche ; le premier chiffre est surmonte´, le second soustendu d’une barre oblique P 9 L’appui ... a` quelques-uns. ] passage nume´rote´ au de´but et a` la fin du chiffre 7 dans la marge gauche ; le premier chiffre, place´ a` coˆte´ d’un 〈4〉 et re´crit sur un chiffre illis. est surmonte´, le second soustendu d’une barre oblique P TR: 10-p. 526.34 Le soutien ... s’exclure. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, pp. 296–300. 19–23 c’est par ... dominer. ]  Co 3415, fo I. Le soutien ... cause. ]  Co 3415, fo VII. 1 2

Voir ci-dessus, livre III, chap. 3, pp. 160–167. La note place´e ici est le re´sultat d’une re´daction complexe. Les additions du ms. de Lausanne (LA) contiennent pour livre XIV, au fo 107vo, sous le nume´ro 27, le de´but de cette note («la pre´tention ... de l’alcoran.»), et au fo 19ro, sous les nume´ros 8 et 9, la suite de ce texte, («Il s’en faut bien, dit Bentham, ... les moins propres a` les dominer.»). Ces deux dernie`res entre´es e´taient destine´es au livre III, chap 3, mais n’y sont pas reprises, parce qu’elles sont inte´gre´es dans la note actuelle. – BC renvoie a` Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal. Dans la quatrie`me partie, chapitre premier, Bentham parle des moyens indirects pour prote´ger la socie´te´. BC ne semble pas citer une phrase, mais re´sumer une opinion.

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soutien naturel de la ve´rite´ c’est l’e´vidence. La route naturelle vers la ve´rite´, c’est le raisonnement, la comparaison, l’examen. Persuader a` l’homme que l’e´vidence, ou ce qui lui parait l’e´vidence n’est pas le seul motif qui doive le de´terminer dans ses opinions, que le raisonnement n’est pas la seule route qu’il doive suivre, c’est fausser ses faculte´s intellectuelles. C’est e´tablir une relation factice entre l’opinion qu’on lui pre´sente et l’instrument avec lequel il doit la juger. Ce n’est plus d’apre`s la valeur intrinse`que de l’opinion qu’il prononce, mais d’apre`s des conside´rations e´trange`res, et son intelligence est pervertie de`s qu’elle suit cette direction. Supposez infaillible le pouvoir qui s’arroge le droit d’annoncer la ve´rite´, il n’en employe pas moins des moyens qui ne sont pas homoge`nes, il n’en de´nature pas moins et la ve´rite´ qu’il proclame, et l’intelligence a` laquelle il ordonne sa propre renonciation. M. de Montesquieu dit avec raison a, qu’un homme condamne´ a` mort par les loix qu’il a consenties est politiquement plus libre que celui qui vit tranquille sous des loix institue´es sans le concours de sa volonte´. L’on peut dire avec la meˆme justesse que l’adoption d’une erreur d’apre`s nous meˆmes, et parce qu’elle nous parait la ve´rite´, est une ope´ration plus favorable au perfectionnement de notre esprit, que l’adoption d’une ve´rite´ sur la parole d’une autorite´ quelconque b. Dans le premier cas, nous nous formons a` l’examen. Si cet examen dans telle circonstance particulie`re ne nous conduit pas a` des re´sultats heureux, nous sommes toutefois sur la route. En perse´a

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Esp. des loix. XII. 121. [Add.] Le despotisme politique, soit qu’il suive, soit qu’il viole les re`gles de la justice, est, dit Aristote, le renversement de toute loi. nous dirons de meˆme que l’influence de l’autorite´ sur l’opinion, soit que, dans la circonstance particulie`re elle s’exerce d’une manie`re conforme ou contraire a` la ve´rite´ et a` la raison, est ne´anmoins, en principe, le renversement de toute raison et de toute ve´rite´. on ne soit pas employer la ve´rite´, si l’on ne sait d’ou elle vient, comment, et de quelle chaine de raisonnemens elle de´rive. Dial. s. le com. des bleds. 1622. BC donne a` une maxime de Montesquieu (De l’esprit des lois, livre XII, chap. 2, p. 432) une tournure kantienne, ce que la phrase de Montesquieu ne laisse gue`re soupc¸onner, bien qu’une telle interpre´tation ne soit pas impossible. La phrase sur la notion du despotisme dans la philosophie aristote´licienne n’est probablement pas une citation, mais re´sume, en l’interpre´tant, ce qui est dit dans le livre IV, chap. 10 (nume´rotation moderne ; 1295a) sur le gouvernement tyrannique. Aristote distingue un gouvernement tyrannique sur une base le´gale (sa domination repose sur des conventions le´gales, mais connaıˆt tout de meˆme des mesures arbitraires) et un gouvernement tyrannique qui est exerce´ d’une manie`re absolutiste au profit d’un seul. La plus grande partie de cette note renvoie pourtant a` Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des bleds (p. 92) : «Une ve´rite´ que le pur hasard fait naıˆtre comme un champignon dans un pre´ n’est bonne a` rien. On ne la sait pas employer, si on ne sait d’ou` elle vient, comment et de quelle chaıˆne de raisonnements elle de´rive. Une ve´rite´ hors de sa ligne est aussi nuisible que l’erreur.»

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ve´rant dans notre investigation scrupuleuse et inde´pendante nous arriverons tot ou tard. Mais dans la seconde supposition, nous ne sommes plus que le jouet de l’autorite´ devant laquelle nous avons courbe´ notre propre jugement a. Non seulement, dans la suite nous adopterons des erreurs, si l’autorite´ qui domine, se trompe ou trouve utile de nous tromper, mais nous ne saurons pas meˆme tirer, des ve´rite´s que cette autorite´ nous aura re´ve´le´es, les conse´quences qui doivent en re´sulter. L’abne´gation de notre intelligence nous aura rendus des eˆtres mise´rablement passifs. Le ressort de notre esprit 2, fo 142vo se trouvera brise´. Ce qui nous restera de force, ne servira qu’a` nous e´garer. Un ecrivain doue´ d’une pe´ne´tration remarquable b observe a` ce sujet, qu’un miracle ope´re´ pour de´montrer une ve´rite´ ne produirait point de conviction re´elle dans les spectateurs, mais de´te´riorerait leur jugement. Car il n’existe entre une ve´rite´ et un miracle aucune liaison naturelle. Un miracle n’est point la de´monstration d’une assertion. C’est une preuve de force. Re´que´rir par un miracle l’assentiment a` une opinion, c’est exiger que l’on accorde a` la force ce que l’on ne doit accorder qu’a` l’e´vidence, c’est renverser l’ordre des ide´es et vouloir qu’un effet soit produit par ce qui ne saurait eˆtre sa cause. Nous avons observe´ ailleurs que la morale ne se composait que de l’enchainement des causes et des effets1. De meˆme la connaissance de la ve´rite´ ne se compose que de l’enchainement des principes et des conse´quences. Toutes les fois que vous interrompez cet enchainement, vous de´truisez soit la morale, soit la ve´rite´. Tout ce qui est impose´ par l’autorite´ a` l’opinion, ne peut eˆtre utile et devient nuisible, la ve´rite´ comme l’erreur. La ve´rite´ n’est pas alors nuisible comme ve´rite´ ; elle est nuisible, comme n’ayant pas pe´ne´tre´ dans l’esprit humain par la route naturelle. 7, fo 70vo

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[Add.] Celui qui, pour maintenir l’au torite´ d’une opinion, se sert de la force, au lieu du raisonnement, peut avoir des intentions pures, mais cause re´ellement le plus grand des maux. appeler autour de la ve´rite´ d’autres secours que l’e´vidence est la plus folle des erreurs. Celui qui admet la proposition la plus vraı¨e par l’influence de l’autorite´ n’admet pas une ve´rite´, mais un mensonge. Il ne comprend pas la proposition, car la comprendre seroit connoˆitre le de´gre´ d’e´vidence dont elle est accompagne´e, le sens de tous ses termes, et leur consonance respective. ce qu’il admet, c’est qu’il est convenable de soumettre a` l’usurpation et a` l’injustice. Godwin, Pol. Just2. Godwin.

V: 10 Chacun ] 〈de plus〉 chacun L 1 2

Voir ci-dessus, livre XII, chap. 7, pp. 468–473. Renvoi a` Godwin, De la justice politique ; voir OCBC, Œuvres, t. II/1, p. 238, pour la traduction franc¸aise, texte anglais, ibid., p. 649.

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Mais il y a une classe dont les opinions ne peuvent eˆtre que des pre´juge´s, une classe qui n’ayant pas de tems de re´fle´chir, ne peut apprendre que ce 2, fo 143ro qu’on lui enseigne, une classe qui doit croire ce qu’on lui affirme, une classe enfin qui ne pouvant se livrer a` l’examen, n’a nul interet a` l’inde´pendance intellectuelle. On voudra peut-eˆtre que le gouvernement, en laissant a` la partie e´claire´e de l’association toute liberte´, dirige l’opinion de la partie ignorante. Mais un gouvernement qui s’arrogera ce droit exclusif, pre´tendra ne´cessairement faire respecter ce privile`ge. Il ne voudra pas que des individus quels qu’ils soient, agissent dans un sens diffe´rent du sien. J’accorde que dans les premiers momens, il couvre cette volonte´ de formes douces et tole´rantes. De`s lors ne´ammoins il en re´sultera quelqu’entrave. Ces entraves iront toujours en croissant. Une religion professe´e par l’autorite´ entraine la perse´cution plus ou moins de´guise´e de toutes les autres. Il en est de meˆme des opinions en tout genre. De la pre´fe´rence pour une opinion a` la de´faveur pour l’opinion contraire, l’intervalle est impossible a` ne pas franchir. Ce premier de´savantage est la cause d’un second. Les hommes e´claire´s ne tardent pas a` se se´parer d’une autorite´ qui les blesse. Cela est dans la nature de l’esprit humain, surtout, lorsqu’il est fortifie´ par la me´ditation et cultive´ par l’e´tude. L’action de l’autorite´, meˆme la mieux intentionne´e, a quelque chose de rude et de grossier, et froisse mille fibres de´licates qui souffrent et se re´voltent. Il est donc a` craindre que si l’on attribue au gouvernem˙t le droit de diriger, fut-ce vers la ve´rite´, l’opinion des classes ignorantes, en se´parant cette direction de toute action sur la classe e´claire´e, cette classe qui sent que 2, fo 143vo l’opinion est de son domaine, ne se mette en lutte contre le gouvernement. Mille maux alors en re´sultent. La haine d’une autorite´ qui intervient dans ce qui n’est pas de son ressort, peut tellement s’accroitre, que lorsqu’elle agit en faveur des lumie`res, les amis des lumie`res se rangent du cote´ des pre´juge´s. Nous avons vu ce spectacle bizarre a` quelques e´poques de notre re´volution. Un gouvernement fonde´ sur les principes les plus e´videns et professant les opinions les plus saines, mais qui par la nature des moyens qu’il employerait, aurait alie´ne´ la classe cultive´e, deviendrait infailliblement ou le gouvernement le plus avili, ou le gouvernement le plus oppresseur. Souvent meˆme il re´unirait ces deux choses qui semblent s’exclure. La re´volution franc¸aise avait e´te´ dirige´e contre des erreurs de tout genre : c’est a` dire elle avait eu pour but d’enlever a` ces erreurs l’appui de l’autorite´. Les chefs de cette re´volution voulurent aller plus loin. Ils voulurent faire servir l’autorite´ meˆme a` la destruction de ces erreurs. Aussitot le mouvement national s’arreˆta. L’opinion s’e´tonna de l’impulsion e´trange`re qu’on voulait lui imprimer, et recula devant ses allie´s nouveaux. Un instinct de´licat et rapide l’avertit que la cause avait change´, bien que l’e´tendart fut le

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meˆme, et elle abandonna l’e´tendart. Qu’avait en effet voulu cette masse d’hommes e´claire´s et d’un sens droit, qui durant la derniere moitie´ du dix huitie`me sie`cle, avait soutenu les philosophes contre la cour et le clerge´ ? L’inde´pendance de l’opinion, la liberte´ de la pense´e. Mais aussitot que le pouvoir se mettait du cote´ des philosophes et l’exercait en sa faveur, l’opinion n’e´tait plus inde´pendante, la pense´e n’e´tait plus libre. Il faut distinguer l’influence de la classe e´claire´e, comme e´claire´e et celle d’une partie de cette classe, comme revetue de l’autorite´. Personne ne de´sire plus que moi l’influence des lumie`res ; mais c’est pre´cise´ment parceque je la desire, que je la pre´fe´re a` tout moyen d’une autre espe`ce, et que je ne veux pas qu’on la de´nature. C’est pour conserver dans toute sa force l’empire de la classe e´claire´e, que je re´pugne a` la subordonner a` une petite portion d’elle meˆme, moins de´sinte´resse´e ne´cessairement et probablement moins e´claire´e que le reste. L’action libre, graduelle et paisible de tous serait retarde´e et souvent meˆme arrete´e par ce privile`ge accorde´ a` quelquesuns.

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L’histoire de l’Introduction de la philosophie grecque a` Rome est un exemple remarquable de l’impuissance de l’autorite´, soit contre la ve´rite´, soit contre l’erreur1. ll y avoit beaucoup de ve´rite´, mais il y avoit aussi de l’erreur, dans la philosophie apporte´e aux Romains par l’ambassade athe´V: 6 libre. ] libre〈s〉. P 7–16 Il faut ... quelques-uns. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L 18-p. 530.14 L’histoire ] dans la ligne pre´ce´dente un renvoi biffe´ 〈4. d’une autorite´ qui les blesse〉 19 remarquable ] 〈frappant〉 remarquable P 21 ambassade Athe´nienne ] ambassade 〈de Carne´ade des〉 Athe´nienne P TR: 18-p. 530.14 L’histoire ... arreˆter ! ]  De la philosophie chez les Romains, Co 3408 ;  Commentaire sur Filangieri, IV, pp. 292–296. On en repe`re aussi quelques traces dans «Aperc¸u sur la marche et les re´volutions de la philosophie a` Rome», dans les Me´langes de litte´rature et de politique, pp. 4–5. 1

Cette addition repre´sente le deuxie`me e´tat (sur sept qui se sont conserve´s) d’un texte sur l’introduction de la philosophie a` Rome. Le ms. LA en offre une copie soigne´e, bien que partielle, parce que le dossier est incomplet (voir ci-dessus, p. 81, notre introduction, et ci-dessous la transcription du texte), presque sans ratures, ce qui s’explique par le fait que BC copie un autre manuscrit ou une e´bauche. Le texte diffe`re de celui du premier e´tat connu (BCU, Co 3408), datable de 1804 ou 1805. Il connaıˆtra encore d’autres transformations, surtout une reprise fide`le dans le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri en 1822 (OCBC, Œuvres, t. XXVI, a` paraıˆtre). On consultera l’introduction au chap. 1er des Me´langes de litte´rature et de politique, qui expose les filiations avec plus de de´tail.

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nienne. d’un cote´ les progre´s des lumie`res avaient pousse´ les Philosophes grecs a´ rejeter des fables absurdes, a` s’e´lever a` des notions religieuses plus e´pure´es, a` se´parer la morale du Polythe´isme vulgaire, et a` en placer la baze et la garantie dans le cœur et dans la raison de l’homme. de l’autre, l’abus d’une Dialectique subtile avoit, dans les e´coles de plusieurs philosophes, e´branle´ les principes naturels et incontestables de la justice, soumis tout a` l’interet, et de la sorte fle´tri le mobile de toutes les actions et de´pouille´ la vertu meˆme de ce qu’elle a de plus noble et de plus pur. Le Se´nat prit d’abord la philosophie grecque en masse, premie´re me´prise, que l’autorite´ ne pouvoit e´viter de commettre, puisqu’il n’est pas de sa mission ni en sa puissance de se livrer a` l’examen approfondi d’aucune opinion. elle ne peut jamais en saisir que les dehors. le Se´nat, ayant pris la philosophie en masse, fut beaucoup plus frappe´ du mal que du bien. Cela devoit eˆtre. les sophismes de Carne´ade1, qui, se fesant une gloire du talent me´prisable d’attaquer indiffe´remment les opinions les plus oppose´es, parlait en public, tantot pour, tantot contre la justice, devaˆit inspirer, contre une science jusques alors inconnue, des pre´ventions tre´s de´favorables. en conse´quence, le Se´nat proscrivit toute la philosophie Grecque, seconde me´prise, doublement facheuse. car, en premier lieu, le Se´nat proscrivoit sur de trompeuses apparences, la chose qui, principalement a` l’e´poque ou les mœurs se corrompoient, pouvoit seule rappeler les Romains a` l’amour de la liberte´, de la ve´rite´ et de la vertu. Caton2 qui de´cida la proscription de la philosophie grecque, ne se doutoit pas qu’un sie`cle apre`s lui, cette meˆme philosophie, mieux approfondie et mieux connue, seroit le seul azyle de son petit fils contre les trahisons de la fortune, et la cle´mence insolente de Ce´sar. en second lieu, les mesures de rigueur, prises par le Se´nat, contre la philosophie grecque ne fesoient que lui pre´parer un triomphe, qui, retarde´, n’en devint que plus complet. les De´pute´s d’Athe`nes furent renvoye´s precipitaV: 1 cote´ ] a` la hauteur de ce mot ainsi que des mots l’autorite´ et Se´nat une croix dans la marge gauche pour marquer ces passages ; nous ignorons la raison de ces signes P 8 pur. ] mot suivi d’un trait oblique P 18 Grecque ] Grecque〈s〉 P 1

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Carne´ade de Cyre`ne (214/3–129/8 av. J.-C.), fondateur de la Troisie`me Acade´mie (ou Acade´mie nouvelle), continua l’orientation sceptique qu’Arche´silas avait de´ja` imprime´e a` l’e´cole fonde´e par Platon. L’ambassade des philosophes athe´niens a` Rome, dont faisaient partie e´galement Critolau¨s de Phaselis, pe´ripate´ticien, et Dioge`ne de Babylone, stoı¨cien, eut lieu en 155 av. J.-C. Caton l’Ancien : Marcus Porcius Cato, homme politique et orateur romain (234–149 av. J.-C.), dit «le Censeur». Il se voulut le de´fenseur des mœurs romaines traditionnelles, en critiquant leur corruption parmi les aristocrates et le peuple, et en de´nonc¸ant en particulier l’influence croissante dans la culture romaine d’e´le´ments venant de la Gre`ce. En 155 av. J.-C. il parla au Se´nat contre l’ambassade des philosophes.

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ment dans leur patrie. des Edits rigoureux contre toute doctrine e´trange`re furent fre´quemment renouvelle´s. efforts inutiles ! l’impulsion etoit donne´e. les moyens de l’autorite´ ne pouvoient l’arreˆter. Supposons maintenant que le Se´nat de Rome ne fut intervenu ni pour ni contre la philosophie grecque. les hommes e´claire´s de cette capitale du monde auroient examine´ impartialement la nouvelle doctrine. Ils auroient se´pare´ les ve´rite´s qu’elle contenoit d’avec les sophismes qui s’e´toient introduits a` la faveur de ces ve´rite´s. Il n’e´toit certes pas difficile de prouver que les raisonnemens de Carne´ade contre la justice n’e´toient que de mise´rables arguties. Il n’e´toit pas difficile de re´veiller dans le cœur de la jeunesse Romaine les sentimens inde´le´biles qui sont dans le cœur de tous les hommes, et de soulever l’indignation de ces ames encor neuves, contre une The´orie qui, consistant toute entie´re en e´quivoques et en chicanes, devoit, par la plus simple analyse, se voir bientot couverte de ridicule et de me´pris. Mais cette analyse ne pouvoit eˆtre l’ouvrage de l’autorite´. elle devoit seulement la rendre possible, en laissant l’examen libre. car l’examen, lorsqu’il est proscrit, ne s’en fait pas moins, mais se fait imparfaitement, avec trouble, passion, ressentiment et violence. l’on veut supple´er a´ cet examen par des e´dits et des soldats. ces moyens sont commodes et paraissent surs. Ils ont l’air de tout re´unir, facilite´, brie´vete´, dignite´. Ils n’ont qu’un seul de´faut, celui de ne jamais re´ussir. les jeunes Romains conserve`rent d’autant plus obstine´ment dans leur me´moire les discours des sophistes, qu’on leur sembloit avoir injustement e´loigne´ leurs personnes. Ils regarde`rent la dialectique de Carne´ade, moins comme une opinion qu’il falloit examiner, que comme un bien qu’il falloit de´fendre, puisqu’on menacoit de le leur ravir. l’e´tude de la philosophie grecque ne fut plus une affaire de simple spe´culation, mais ce qui paraˆit bien plus pre´cieux encore, a` l’e´poque de la vie ou l’ame est doue´e de toutes ses forces de re´sistance, un triomphe sur l’autorite´. les homes e´claire´s d’un age plus mur, re´duits a` choisir entre l’abandon de toute e´tude philosophique, ou la de´sobe´issance au gouvernement, furent force´s a` ce dernier parti, par le gout des lettres, passion qui s’accroit chaque jour, parceque sa jouı¨ssance est en elle meˆme. les uns suivirent la philosophie dans son exil d’athe´nes. d’autres y envoye`rent leurs enfans : et la philosophie, revenant ensuite de son bannissement, eut d’autant plus d’influence qu’elle arrivoit de plus loin et qu’on l’avoit acquise avec plus de peine.

V: 3 l’arreˆter. ] mot suivi d’un trait oblique P

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La me´taphysique d’Aristote fut frappe´e d’anatheˆme par cette redoutable puissance, qui fesoit plier sous son joug et les passions et les pense´es et les souverains et les sujets. c’est contre la cendre insensible d’un philosophe mort depuis vingt sie`cles, que le Concile de Paris1, sous Philippe le bel, dirigea ses foudres, et cette poussie´re muette sortit victorieuse du combat. la me´taphysique du pre´cepteur d’Alexandre fut plus que jamais adopte´e dans les e´coles : elle devint l’objet d’une ve´ne´ration religieuse. elle eut ses apoˆtres, ses martyrs, ses missionaires, et les The´ologiens eux meˆmes courbe`rent les dogmes du christianisme, pour les concilier avec les maximes des Pe´ripate´ticiens, tant l’opinion est irre´sistible dans sa marche progresive, tant le Pouvoir, civil, religieux et politique, est force´ malgre´ lui de suivre cette marche, heureux, pour sauver les apparences, de sanctionner ce qu’il vouloit interdire, et de se mettre en teˆte du mouvement qu’il pre´tendoit d’abord arreˆter !

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l’Interim de Charlesquint est un me´morable exemple des ide´es que les gouvernemens se font de leur autorite´ sur l’opinion2. l’Interim, come on sait, e´toit un ordre de croire provisoirement tels ou tels dogmes, jusqu’a` ce qu’il fut de´cide´ quels dogmes on devoit croire. C’est une ide´e qui ne peut eˆtre concue que par le pouvoir dans l’yvresse que celle de commander a` l’homme de croire comme vrai pour un tems, ce qu’on annonce pouvoir eˆtre de´clare´ faux dans la suite.

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BC se trompe. Le concile de Paris se tenait en 1210, sous le re`gne de Philippe Auguste. Soulignons encore que le paragraphe sur la philosophie aristote´licienne au Moyen-Age, repris dans le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri (voir ci-dessus, p. 527, l’apparat TR) est pre´ce´de´ dans cet ouvrage d’un passage de transition. Cela prouve, si besoin y e´tait, que les Principes de politique sont un ouvrage en devenir. L’Interim d’Augsburg est un document propose´ en 1548 a` la die`te d’Augsburg, sur la demande des Charles Quint. Il de´cre´ta en faveur de la the´ologie protestante une tole´rance provisoire de la nouvelle doctrine, mais exigea le re´tablissement du culte dans ses formes traditionnelles. Il faut le distinguer de la paix d’Augsburg, signe´e le 25 septembre 1555 (paix de Religion), qui accorda aux protestants la liberte´ de conscience et aux princes territoriaux la liberte´ de la religion. Le principe «cuius regio, eius religio» re´glait l’appartenance des sujets a` la confession, celle du prince de la re´gion, avec la possibilte´ d’e´migrer et de s’installer dans un territoire de la religion qu’ils avaient adopte´e.

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Chapitre 4e˙ De la protection des lumie`res par l’autorite´.

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Vous re´duirez-vous a` demander que l’autorite´ favorise de tout son pouvoir l’accroissement inde´fini des lumie`res. Mais en chargeant l’autorite´ de cette fonction, vous eˆtes vous bien assure´s que vous ne lui imposez pas un devoir en sens inverse de son intereˆt ? Il faut distinguer entre les sciences proprement dites et les lumie`res dans le sens le plus e´tendu de cette expression a. Nous avons dit, et nous croyons avoir de´montre´1 que les sciences gagnaient toujours au progre`s des lumie`res, et qu’elles perdaient a` leur de´cadence. Mais le mate´riel des sciences est ne´ammoins susceptible de s’isoler a` beaucoup d’e´gards des interets les plus chers au bonheur et a` la dignite´ de l’espe`ce humaine. Les mathe´matiques ou la physique, entre les mains de D’Alembert, de Condorcet, de Biot ou de Cabanis sont des moyens de perfectionnement pour l’esprit, pour la raison et par la` meˆme pour la morale. Mais ces sciences peuvent aussi eˆtre se´pare´es du grand but de la pense´e : elles deviennent alors une espe`ce d’industrie d’un genre plus difficile et d’une utilite´ plus e´tendue que l’industrie du commun des hommes, mais non moins e´trange`re a` ce que l’on entend particulierement par philosophie. Tous les gouvernemens ont intereˆt a` encourager les sciences circonscrites de la sorte, et en conse´quence, presque tous les encouragent b. Ils font avec elles un marche´, en vertu duquel elles s’engagent a` ne a

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[Add.] Les faculte´s hu maines peuvent se diviser en deux classes, celles qui ont pour but de satisfaire a` des besoins ou de procurer des jouı¨ssances pre´sentes, et celles qui conduisent a` un perfectionnement futur. l’agriculture, le commerce, les sciences exactes et naturelles doivent eˆtre place´es dans la premie´re classe : la seconde comprend la morale, la connoissance des opinions et des faits ante´rieurs, tout ce qui tend a` e´tablir des relations entre nous et les ge´ne´rations passe´es, ou a` en pre´parer entre nous et les ge´ne´rations avenir. On peut nommer les premie`res faculte´s industrielles, les secondes faculte´s intellectuelles2. [Add.] on a vu des hommes qui cultivaient les Sciences, indiffe´rens a` la situation de leurs concitoyens et de leur patrie, continuer, avec le meˆme sang-froid, leurs recherches au milieu des proscriptions les plus sanglantes, et sous le despotisme le plus avilissant, et permettre indistinctement aux Tyrannies diverses de tirer parti de leurs De´couvertes, ou de se faire Voir ci-dessus, livre XII, chap. 5, p. 255–262. C’est a` notre connaissance la premie`re fois que BC aborde ce sujet. La division des sciences et des activite´s humaines en «sciences naturelles» et activite´s pratiques d’une part et «sciences humaines» et activite´s culturelles de l’autre est un des grands proble`mes de la philosophie a` cause des recoupements des diffe´rentes matie`res.

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pas sortir de la sphe`re convenue a. Un auteur ce´le´bre1 a dit inge´nieusement, que l’autorite´ cherchait a` diviser les faculte´s de l’homme, comme elle divise les citoyens entr’eux pour les tenir plus facilement dans la servitude. Mais il n’en est pas ainsi des lumie`res. Un marche´ pareil est contre leur nature. L’intereˆt personnel des de´positaires de l’autorite´ n’est donc point de les prote´ger franchement et le plus possible. L’intereˆt des gouvernans comme gouvernans, c’est que les gouverne´s posse´dent un degre´ de lumie`res qui les rende des agens habiles, mais qui ne diminue point leur docilite´, qui ne nuise point au pouvoir, et qui ne l’inquie`te en rien. Le pouvoir, sous quelque forme qu’il existe, quelque le´gitime, quelque mode´re´ que vous le supposiez, est impatient de la surveillance. Or, plus les nations sont e´claire´es, plus la surveillance est redoutable. L’accroissement des faculte´s intellectuelles dans les gouverne´s est la cre´ation d’une puissance rivale de celle des gouvernans. La conscience de chaque individu de la classe cultive´e constitue un tribunal inflexible qui juge les actes de l’autorite´. Les gouvernans comme gouvernans, n’ont donc pas intereˆt a` un progre`s inde´fini des lumie`res, mais a` un progre`s relatif et limite´.

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vanite´ de leurs succe`s. conside´re´s sous ce point de vue, les arts et les sciences ne sont ve´ritablement qu’une espe´ce d’industrie d’un genre plus difficile, d’une utilite´ plus e´tendue que celle du manufacturier et de l’artisan, mais ne´anmoins se´pare´ du grand but de la pense´e, et non moins e´trange´re a` ce que les bons esprits entendent particulie`rement par philosophie. Sans doute, meˆme alors, les Sciences servent la philosophie par leurs re´sultats : mais on ne peut en faire un me´rite a` ceux qui s’y vouent. C’est malgre´ eux ou a` leur insc¸u. Ils font, autant qu’il est en eux, des Sciences un me´tier vulgaire, qui n’offre qu’un aliment a` la curiosite´, un instrument a` l’autorite´, qu’elle qu’elle soit. le Pouvoir tend a` leur donner cette direction de`s qu’il se me`le de les prote´ger2. [Add.] l’espoir des faveurs de la puissance engage les hommes voue´s aux Sciences a` choisir avec complaisance les sujets de leurs recherches, suivant la fantaisie des puissans du jour. lIs se refusent le loisir ne´cessaire. ils ne se croyent plus comptables de leur tems a` eux meˆmes, au public, a` la poste´rite´, mais a` des patrons et des protecteurs. Ils se haˆtent de publier comme des resultats de´finitifs des conjectures encore incertaines. Ils donnent comme des de´couvertes ce qui n’en est pas : ou ce qui est pis encore, ils reculent devant les ve´rite´s ou les conduit la se´rie des raisonnemens et des expe´riences, si ces ve´rite´s se rapprochent de quelques opinions en de´faveur. toutes leurs faculte´s sont vicie´es par l’introduction de motifs e´trangers a` la nature de leurs e´tudes, a` l’amour du vrai, a` la liberte´ de la pense´e.

V: 1 convenue ] mot re´crit sur connue L 1 2

Non identifie´, si ce n’est qu’une mystification. Analyse d’un dilemme ine´luctable et toujours d’actualite´. Il serait fort inte´ressant de pouvoir illustrer cette analyse sceptique et de´sillusionne´e de noms de personnes ou de projets pre´cis. BC ne nous laisse pas deviner les personnes, ni ne trahit les recherches auxquelles il pense. Nous constatons ne´anmoins que les re´flexions e´voquent une mentalite´ utilitariste, sans e´gards pour les pre´ceptes de la morale.

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4, De la protection des lumie`res par l’autorite´

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Comme individus, il est plus e´vident encore que leur intereˆt imme´diat n’est pas sous le rapport des lumie`res le meˆme que celui des gouverne´s. Il serait trop niais de nous arreˆter a` demontrer qu’il est plus agre´able aux de´positaires du pouvoir, quelques bien intentionne´s qu’ils soient, aux minis2, fo 145vo tres quelques purs qu’ils veuillent eˆtre, d’eˆtre entoure´s d’hommes moins e´claire´s qu’eux, et dont ils commandent facilement l’admiration et l’obe´issance. Il en re´sulte que, lors meˆme que le but ostensible de l’autorite´ serait d’encourager les lumie`res, son desir secret serait encor de les tenir dans la de´pendance et pour cela de les limiter. Mais ce desir n’existerait pas dans les possesseurs de la puissance, que les objets de sa protection seraient enclins a` le supposer. Dela` je ne sais quelle contrainte, obstacle e´ternel a` tout mouvement libre, a` toute logique se´ve`re, a` toute recherche exacte, a` tout raisonnement impartial. La protection de l’autorite´ nuit aux lumie`res, lors meˆme que l’autorite´ since`re et de´sinteˆresse´e dans ses vues, repousse toute arrie`re pense´e et toute ide´e de domination. Comparez les progre`s de la litte´rature franc¸aise et de la litte´rature allemande a` Berlin sous Fre´de´ric II. Nul souverain fut de meilleure foi que Fre´de´ric dans son ze`le pour le de´veloppement de l’esprit humain. Il invita son academie a` de´montrer que jamais l’erreur ne pouvait eˆtre utile. La litte´rature de son paı¨s lui paraissant encore dans l’enfance, il prodigua ses faveurs a` tous les lettre´s franc¸ais qui se rendirent aupre`s de lui. Il les combla de distinctions, de richesses, il leur accorda cette familiarite´ des grands qui jette, dit-on, presque tous les hommes dans une yvresse si douce. Cependant les e´crits franc¸ais, publie´s a` sa cour, ne furent jamais que des productions subalternes et superficielles. Le ge´nie de Fre´de´ric ne pouvait effacer le caracte`re inde´le´bile de l’autorite´. Ses prote´ge´s re´pe´taient, il est vrai, des ide´es philosophiques, parce que ces ide´es 2, fo 146ro e´taient le mot d’ordre : mais les ve´rite´s meˆmes sont ste´riles, quand elles sont commande´es. Ils e´crivaient des choses hardies, mais ils les e´crivaient d’une main tremblante, incertains sur les re´sultats qu’il e´tait prudent d’en tirer, et se retournant sans cesse avec inquie`tude pour consulter le pouvoir. Voltaire fit une courte apparition dans ce cercle litte´raire, re´chauffe´ par la protection royale : mais comme Voltaire n’e´tait pas une cre´ature de la protection, comme il e´tait une puissance, les deux potentats ne purent vivre ensemble, et Voltaire laissa bientot le monarque prote´ger a` son aise ses humbles litte´rateurs. V: 17 fut ] ne fut L

25 inde´le´bile ] inde´pendant L

33 e´tait une ] e´tait lui-meˆme une L

TR: 19-p. 534.5 son paı¨s ... me´rite. ]  Conside´rations sur la marche de la religion, Co 3259, fo 26–27. 24–34 Le ge´nie ... ensemble ]  Mercure de France, 18 janvier 1817, «Tableau politique de l’Europe», OCBC, Œuvres, X/1, p. 396.

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Principes de politique

Les lettre´s allemands de´daigne´s par Fre´de´ric, n’avaient aucune part a` ses encouragemens ou a` ses faveurs. Ils ne travaillaient que pour le public et pour eux meˆmes. C’est a` leurs e´crits ne´ammoins que l’Allemagne doit le haut de´gre´ de lumie`res auquel elle est parvenue : et c’est a` l’oubli du pouvoir que leurs e´crits doivent leur me´rite. S’il fallait choisir entre la perse´cution et la protection, la perse´cution vaudrait mieux pour les lumie`res a. Il y a dans les moyens que la nature a donne´s a` l’homme un ressort qui re´agit contre la main qui l’opprime, mais qui se de´tend ou se fausse, lorsque cette main plus adroite est parvenue a` s’en emparer. C’est avec la terreur d’eˆtre accuse´ de sorcellerie par l’autorite´ que Roger Bacon de´vancait son sie`cle. C’est sous le joug de l’inquisition que Galile´e de´couvrait le mouvement de la terre. C’est loin de sa patrie, d’ou la tyrannie l’avait banni, que Locke analysait les faculte´s de l’homme. L’on conclut trop souvent de ce 2, fo 146vo qu’une cause a produit un effet, que diffe´remment employe´e, elle produirait l’effet contraire. Les gouvernemens ont quelquefois re´ussi a` suspendre pour un tems la marche de l’intelligence humaine. Mais on en infe´rerait a` tort qu’ils re´ussissent a` l’encourager. L’ignorance peut a` leur voix se prolonger sur la terre. Les lumie`res ne brillent qu’a` la voix de la liberte´.

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[Additions] 7, fo 72vo

Les gouvernemens qui pre´tendent favoriser les lumie`res saisissent au hazard l’opinion qu’ils prote`gent. quelquefois, par charlatanisme ou condescendance, Ils se soumettent a` la vaine forme de la discussion ; mais raisonner est pour eux une politesse superflue. leur obstination leur garantit l’obe´issance de tout ce qui les entoure. Voiez Fre´deric le grand, disputant avec les

7, fo 72vo

a

1

[Add.] combien la perse´cution donne d’e´clat. Socrate, avant d’eˆtre victime de la fureur des Athe´niens, e´toit tellement obscur, que lorsqu’Aristophane le joua en plein The´aˆtre dans les Nue´es, les de´pute´s des villes allie´es, qui assiste`rent a` la premie´re repre´sentation, s’en retourne`rent tre´s me´contens de ce qu’on les avoit si longtems occupe´s au spectacle d’un homme qu’on appeloit Socrate, et auquel ils ne prenaient aucun interet. Elien. Hist. div. II. 131. BC renvoie a` une e´dition en 2 volumes dont il a trouve´ l’indication bibliographique chez un tiers qu’il ne nomme pas. Il s’agit de Cornelius de Pauw, qui renvoie toujours a` l’e´dition suivante : Claudii Aeliani Sophistae Varia historia et fragmenta : cum integro commentario Iacobi Perizonii aliorumque virorum doctorum notis Gronoviana nondum comprehensis editione. Curavit editionem indicemque graecitatis adiecit Carolus Gottlob Kuehn, Lipsiae : Sumtibus Engelh. Beniam. Svikerti, 1780, 2 vol. L’indication renvoie au chap. 13 du livre II de cet ouvrage, qui raconte effectivement l’anecdote de Socrate comme personnage des Nue´es d’Aristophane : «Περι Σωκρα τες κωμωδημενη ì υë ποÁ ëΑριςτοϕανης». t. I, pp. 69–78. Il est fort probable que BC n’a pas consulte´ cet ouvrage.

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XIV,

4, De la protection des lumie`res par l’autorite´

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Philosophes, Fre´deric le Grand, de tous les hommes le plus digne de se passer du pouvoir. la pense´e fait son avant-garde : mais vous apercevez derrie´re elle la force, presque honteuse de sa complaisance, et le Despotisme qui se croit sur de l’infaillibilite´. 5

Personne ne de´sire plus que moi l’influence des lumie´res ; mais c’est pre´cise´ment parce que je la de´sire, parce que je la pre´fe`re a´ tout moyen d’une autre espe`ce, que je ne veux pas qu’on la de´nature. C’est pour conserver dans toute sa force l’empire de toute la classe e´claire´e que je re´pugne a` la subordonner a` une petite partie d’elle-meˆme, moins e´claire´e souvent que le reste. je voudrais empeˆcher que l’action libre, graduelle, et paisible de tous ne fut retarde´e et meˆme arreˆte´e par un privile`ge accorde´ a` quelques uns.

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a` entendre les e´crivains sur l’action des gouvernemens sur les lumie`res, on croirait qu’il n’y a qu’a` de´chirer un voile pour faire briller une lumie`re longtems cache´e.

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Les Athe´niens avoient un Tribunal pour juger les pie`ces de The´atre. jamais aucun Tribunal ne prononc¸a de jugemens plus absurdes. Ce fut ce Tribunal qui couronna les Trage´dies de Denys l’ancien. Il e´tait accuse´ de se laisser corrompre a` prix d’argent. Paw. Rech. s. l. Grecs. I. 145, 184–187. Elien. Hist. Div. II. 8. Diod. Sic. XVII. Quintilien1

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TR: 18–22 Les Athe´niens ... Quintilien. ]  Co 3492, no 601.

1

BC profite de l’ouvrage de Pauw mentionne´ dans la note pre´ce´dente. C’est la` (pp. 181–188) qu’il a trouve´ les de´tails sur le tribunal pour juger les pie`ces de the´aˆtre, l’anecdote sur le tyran Denys qui meurt de joie au moment ou` il apprend le succe`s de ses trage´dies, la corruption des juges qui se laissent payer, et, enfin, il y trouve les auteurs qu’il cite dans les notes de Pauw. Il se peut qu’il se trompe en e´crivant «Diod. Sic. XVII», alors que de Pauw renvoie au livre XV, chap. 74 de son ouvrage historique Βιβλιοθη κη. Le renvoi a` l’Institution rhe´torique de Quintilien est vague, il repose sur la note de Pauw qui, citant quelques mots du rhe´teur latin sur les jugements du tribunal athe´nien («mala iudicia»), justifie la tournure de BC qui parle de «jugemens absurdes». La re´fe´rence a` de Pauw, p. 145 doit eˆtre une erreur, comme le dit Hofmann (p. 602, n. 172). Disons encore que l’ambition litte´raire du tyran Denys de Syracuse est bien atteste´e. On connaıˆt meˆme quelques vers de ses trage´dies, et le re´sultat favorable du scrutin du tribunal litte´raire d’Athe`nes lui parvient pendant sa dernie`re campagne contre Carthage, quelques mois avant sa mort.

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7, fo 73ro

Principes de politique

Il y a deux parties dans l’existence de l’homme en socie´te´, l’une qu’il met en commun, qu’il rend de´pendante de ses associe´s, l’autre qu’il conserve isole´e et inde´pendante. j’appelle l’une existence sociale, l’autre existence individuelle. l’homme a e´videmment plus de moyens de perfectionner son existence individuelle que son existence sociale. car il est oblige´ de proportionner la seconde aux faculte´s de la majorite´ de ses associe´s, et ne peut ainsi de´passer la ligne commune, au lieu qu’il est libre de porter son existence individuelle a` tel de´gre´ d’amelioration que ses faculte´s lui rendent possible. Il en re´sulte, ce que nous avons dit plus d’une fois, que, lorsqu’il est ne´cessaire, de soumettre l’Individu a` la socie´te´, la raison de la socie´te´, c’est a´ dire la raison commune, quelqu’imparfaite qu’elle puisse eˆtre, doit dominer souverainement. Mais dans tous les autres cas, la raison individuelle doit rester libre. Ce n’est pas que les faculte´s des Individus ne puissent s’associer, pour agir avec plus de force ou de perse´ve´rance. Mais il faut qu’elles s’associent librement, et non qu’on les force de se confondre et de se mettre par une transaction sur une ligne commune. Toutes les fois qu’elles se confondent, il y a de part ou d’autre retranchement d’une portion de faculte´s. toute transaction entre les raisons individuelles, pour former une raison collective, a lieu aux de´pens des plus parfaites.

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Chapitre 5e˙ Des encouragemens par la morale.

2, fo 147ro

Il y a dans les encouragemens pour la morale, de la part de l’autorite´, les meˆmes inconve´niens que dans la protection qu’elle accorde aux lumie`res. Il y a meˆme un autre danger. Ces encouragemens ont l’effet d’ajouter un motif d’intereˆt aux motifs naturels qui portent l’homme a` la vertu. Quelques philosophes ont, d’apre`s ce principe, redoute´ jusqu’a` l’intervention de la toute puissance divine pour punir ou re´compenser, comme portant atteinte au de´sinteressement. Cependant chacun re´unissant dans l’ide´e de Dieu toutes les perfections, il est sur au moins que les de´cisions de la providence toujours infaillibles ne seront jamais en opposition avec la justice qui doit diriger les actions des hommes. Mais il n’en est pas de meˆme des gouvernemens expose´s a` l’erreur, susceptibles de pre´ventions, capables d’injustice : vous ne subordonnez pas la moralite´ de l’homme seulement a` un eˆtre plus puissant que lui, ce qui est de´ja un inconve´nient : vous la subordonnez a` des eˆtres semblables a` lui, et qui peuvent valoir moins que lui. Par la`, vous le familiarisez avec l’ide´e de faire plier devant leur puissance, sans autre calcul que l’intereˆt, ce qui lui parait son devoir. La protection de l’autorite´, dut elle n’eˆtre jamais accorde´e qu’a` la vertu, je croirais encore que la vertu se trouverait mieux d’eˆtre inde´pendante. Mais la protection de l’autorite´ 2, fo 147vo pouvant eˆtre accorde´e au vice qui la trompe, ou qui la sert, il faut repousser, ce me semble, une intervention qui, dans son principe, nuit a` la purete´ de nos sentimens, et dans son application, peut manquer souvent l’avantage particulier qu’on lui attribue a. Il est d’ailleurs beaucoup moins ne´cessaire qu’on ne pense, que l’autorite´ encourage les hommes a` la morale, a` la bienveillance, a` la bonte´, d’une 7, fo 73ro

a

[Add.] le gouvernement par ses fausses mesures ou ses pre´tendus encouragemens pour la morale fait autant de mal a` la morale qu’a` la liberte´. Il substitue aux motifs de´licats et a` l’instinct du bien qui nous pousse aux actions honneˆtes des motifs qui de´pouillent ces actions de toute moralite´ et de tout me´rite, comme, en fait d’opinion, il substitue a` la chaine de raisonnemens qui devroit nous conduire a` la ve´rite´ par la conviction, des motifs qui, ne tenant en rien du raisonnement ni de l’e´vidence, font que la verite´ a pour nous tous les inconve´niens de l’erreur. pour la perfection de l’espe`ce, il pervertit les individus, comme pour le bonheur de l’espe`ce, il les opprime.

V: 3 par ] pour L 〈comp〉 comme L

5 un motif d’intereˆt ] mots ajoute´s dans la col. gauche. L 25 que l’autorite´ ] 〈d’encourager les h〉 que l’autorite´ L

8 comme ]

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Principes de politique

manie`re le´gale. Pourvu que la socie´te´ empeˆche ses membres de se nuire, ils trouveront assez de motifs pour se servir mutuellement. Un intereˆt personnel positif engage les hommes a` se rendre des services re´ciproques, pour en obtenir a` leur tour, tandis qu’il n’y a qu’un interet ne´gatif qui les engage a` s’abstenir des actions nuisibles. Leur activite´ qui est un de leurs penchans naturels les porte a` se faire du bien l’un a` l’autre : mais cette meˆme activite´ peut aussi les porter a` se faire du mal. Chacun n’a que deux moyens d’engager ses semblables a` concourir a` ce qu’il desire, la force et la persuasion. Il faut qu’il les contraigne, ou qu’il les ame`ne a` son but, en gagnant leur bienveillance. Si les loix interceptent la premie`re route, les individus prendront infailliblement la seconde. S’ils perdent tout espoir de succe`s par la violence, ils voudront arriver a` ce succe`s, en me´ritant la reconnaissance et l’affection. L’autorite´ n’a qu’une chose a` faire, c’est que les hommes ne se nuisent pas. S’ils ne se nuisent pas, ils se serviront. [Additions] o

o

7, f 73r

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v. Mirabeau, l’Ami des hommes. du droit du Souverain sur les affections. I. 9. des efforts des gouvernemens pour porter les hommes par l’honneur et par l’exemple a` la frugalite´. p. 221. a` la Chine, la loi a voulu tout re´gler. mais dans le fait elle n’a re´gle´ que les manie`res. elle n’a point re´gle´ les mœurs. le peuple y est accable´ de ge`nes et perdu de corruption2.

7, fo 73vo

5

La morale, comme sentiment, comme affection, est uniquement du ressort de l’homme individuel. Il prononce d’apre´s mille nuances, mille ramifications, mille de´licatesses, qu’il est impossible de pre´ciser, et par conse´quent de soumettre a` l’autorite´ collective. le ve´ritable juge de la morale, c’est le cœur de l’homme, et l’exe´cuteur de ses jugemens, c’est l’opinion, l’opinion libre, conse´quemment individuelle, se´pare´e de l’autorite´ et nullement de´figure´e par l’alliance du pouvoir. Il ne faut pas me´connoˆitre une distinction qui est importante. come la plupart des actions oppose´es a` la morale trouV: 1 le´gale ] 〈positive〉 le´gale corr. dans l’interl. L 7 Chacun ] 〈de plus〉 chacun L 1

2

un intereˆt ] 〈elle n’a〉 un intereˆt L

Mirabeau, L’Ami des hommes, t. I, p. 13 : «D’ou` naıˆt que la principale attention du Gouvernement doit eˆtre de porter par l’aiguillon de l’honneur, & par la force de l’exemple l’orgueil humain vers la frugalite´». Le renvoi a` la p. 22 n’est pas explique´ (fin du chapitre ?). BC commente le dernier chapitre de Pauw, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, sans se rapporter a` un passage pre´cis.

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XIV,

fo 74ro

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5, Des encouragements par la morale

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blent aussi l’ordre public, la socie´te´ doit re´primer ces actions. mais ce n’est pas en vertu de leur me´rite ou de leur de´me´rite intrinse´que, c’est comme contraire au but de garantie pour lequel l’autorite´ sociale a e´te´ institue´e. Il faut nous garder de confondre deux choses absolument diffe´rentes, l’aversion qu’inspire a` l’eˆtre individuel une action en tant qu’immorale, et la rigueur que le corps politique exerce contre cette action, en tant que perturbatrice. lorsqu’une action immorale est en meˆme tems contraire a` l’ordre, Il faut l’envisager sous un double rapport : come immorale, l’opinion la fle´trit : come contraire a` l’ordre, la force publique la re´prime. ce sont deux tribunaux diffe´rens dont la compe´tence est et doit a` jamais rester distincte. elle reste telle de fait : car nous voyons tous les jours que la force frappe et que l’opinion refuse de ratifier ses jugemens. l’e´dit des Duels, dit M. Ferrand, donna un nouvel aliment a` l’opinion qu’il e´toit destine´ a` de´truire. IV. 3341. mais cette distinction doit encore eˆtre reconnue en the´orie, pour qu’on ne puisse jamais l’obscurcir dans la pratique. Si nous confondions ces deux choses, nous donnerions au corps collectif une jurisdiction ne´cessairement illimite´e sur la morale. Car pour tous les objets sur lesquels le corps collectif prononce, il n’existe aucun juge supe´rieur qui puisse casser ses arreˆts. faute d’avoir consacre´ cette distinction d’une manie`re assez formelle, il est re´sulte´ je ne sais quelle ide´e d’une liaison entre la morale et l’autorite´ collective, liaison qui e´tant purement factice et arbitraire ne se laisse pas de´finir, et rend la morale, qui est a` la fois la plus sainte des proprie´te´s individuelles et la re`gle la plus immuable de cet Univers, une chose ondoyante, modifiable par l’autorite´, a` la merci des Institutions, et pouvant varier dans chaque pays, dans chaque sie`cle, sous chaque gouvernement2. Les loix coercitives, qui obligeroient, sous des peines quelconques, a` des actions commande´es par la morale, comme la reconnoissance, &.ca, auroient ce mauvais effet, qu’elles substitueroient des motifs de crainte aux motifs naturels.

V: 18 arreˆts. ] mot suivi de ¨ p. 147 ce qui renvoie a` la p. suivante du ms. (f o 74r o), ou` le signe est re´pe´te´ devant le mot faute P 1

2

BC renvoie a` Antoine Ferrand, L’Esprit de l’histoire, 21803, t. I, p. 333. Nous supposons que ce beau morceau sur une distinction fondamentale entre la morale comme appartenant a` l’individualite´ et l’action de l’autorite´ contre une action qui peut blesser aussi la morale, mais qui est contraire a` l’ordre public, a e´te´ re´dige´ vers 1810. Preuve, s’il en faut une, que la pense´e morale de BC ressemble a` celle de Kant. Le lignes 19–25 de ce texte se trouvent a` la p. suivante du ms. BC les place ici en indiquant le texte a` prendre par un signe. Voir la variante a` la ligne 18.

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7, fo 74ro

Principes de politique

Lorsque l’autorite´ ne se meˆle que de maintenir la justice, les affections dangereuses se mode`rent, et les affections sociales se de´veloppent. du principe seul de l’e´galite´ de´coulent tous les genres d’ame´lioration. de`s qu’on garantit les droits de tous, c’est a` dire de´s qu’on empeˆche les individus d’user de violence les uns contre les autres, il en re´sulte que le seul moyen de bonheur, c’est l’exercice de la vertu. Si les gouvernemens s’e´toient contente´s de garantir les droits de tous, les richesses n’auroient plus e´te´ que des moyens de jouı¨ssances physiques, et non d’oppression, de privile´ge et de supe´riorite´ sur les autres hommes. Or les plaisirs physiques e´tant ne´cessairement tre´s borne´s, les riches auroient bientot voulu tirer de leur opulence un autre parti. Ils l’auroient employe´e a` se concilier l’affection de leurs semblables, puisqu’elle ne pouvoit plus leur servir a` les dominer : et cet usage des richesses auroit conduit a` toutes les vertus sociales, sans l’intervention de l’autorite´. Il en est de meˆme de tous les objets sur lesquels les gouvernemens s’arrogent une influence morale. Bentham, I. 101, donne un tre´s bon exemple des mauvais effets de l’intervention de l’autorite´ pour re´primer certains vices1.

1

A l’endroit indique´ on trouve ceci : «Supposez, par exemple, qu’un Le´gislateur se cruˆt bien fonde´ a` vouloir extirper, par des lois directes, l’ivrognerie et la fornication. [...] La difficulte´ de se procurer des preuves sera telle qu’il faudra encourager des de´lateurs et entretenir une arme´e de surveillants. [...] Les de´lits de cette nature, si l’on peut donner ce nom a` des imprudences, ne produisent aucune alarme ; mais le reme`de pre´tendu re´pandra un effroi universel ; innocent ou coupable, chacun craindra pour soi ou pour les siens : [...]».

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XIV,

6, De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation

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Chapitre 6e˙ De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation.

2, fo 148ro

L’e´ducation peut eˆtre conside´re´e sous deux points de vue. On peut la regarder en premier lieu, comme un moyen de transmettre a` la ge´ne´ration naissante les connaissances de tout genre conquises par les ge´ne´rations ante´rieures. Sous ce rapport, elle est en entier de la compe´tence du gouvernement. La conservation et l’accroissement de toute connaissance est un bien positif. Le gouvernement doit nous en garantir la jou¨issance. Mais on peut voir aussi dans l’e´ducation le moyen de s’emparer de l’opinion des hommes pour les fac¸onner a` l’adoption d’une certaine quantite´ d’ide´es soit religieuses, soit morales, soit philosophiques, soit politiques ; et c’est surtout, comme menant a` ce but, que les e´crivains de tous les sie`cles lui prodiguent leurs e´loges. Nous pourrions d’abord, sans re´voquer en doute les faits qui servent de baze a` cette the´orie, nier que ces faits fussent applicables a` nos socie´te´s actuelles. L’empire de l’e´ducation, dans la toute puissance qu’on lui attribue, et en admettant cette toute puissance comme de´montre´e chez les anciens, serait encore parmi nous plutot une re´miniscence qu’un fait existant. L’on me´connait les tems, les nations et les e´poques ; et l’on applique 2, fo 148vo aux modernes ce qui n’e´tait praticable qu’a` une e`re diffe´rente de l’esprit humain. Parmi des peuples qui, comme le dit Condorcet a, n’avaient aucune notion de la liberte´ personnelle, et ou` les hommes n’e´taient que des machia

Mem. sur l’instr. publique1.

TR: 3-p. 550.20 L’e´ducation ... avec succe`s. ]  Mercure de France, 11 octobre 1817, OCBC, Œuvres, XXXIII ;  Me´langes de litte´rature et de politique, pp. 240–254, OCBC, Œuvres, XXXIII. L’e´ducation ... de la pitie´. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, pp. 234–237. 1

Les cinq essais sur l’instruction publique ont paru d’abord dans le recueil de la Bibliothe`que de l’homme public e´dite´e par Charles de Peyssonnel, Isaac-Rene´-Guy Le Chapelier et Condorcet (Bibliothe`que de l’homme public ; ou analyse raisonne´e des principaux ouvrages franc¸ois et e´trangers, sur la politique en ge´ne´ral, la le´gislation, les finances, la police, l’agriculture et le commerce en particulier, et sur le droit naturel et public, par M. Condorcet, Secre´taire perpe´tuel de l’Acade´mie des sciences, l’un des Quarante de l’Acade´mie Franc¸oise, et d’autres gens de lettres, Paris : Buisson, 1791 [1792, 1793]). Voici les titres des me´moires : Nature et objet de l’instruction publique, 2e anne´e, t. I, pp. 3–80 ; De l’instruction commune pour les enfans, 2e anne´e, t. II, pp. 3–128 ; Sur l’instruction commune pour les hommes, 2e anne´e, t. III, pp. 3–74 ; Sur l’instruction relative aux professions, 2e

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2, fo 149ro

Principes de politique

nes dont la loi re´glait les ressorts et dirigeait les mouvemens, l’action de l’autorite´ pouvait influer plus efficacement sur l’e´ducation, parce que cette action uniforme et constante n’e´tait combattue par rien. Mais aujourd’hui la socie´te´ entie`re se soule`verait contre la pression de l’autorite´ ; et l’inde´pendance individuelle que les hommes ont reconquise, re´agirait avec force sur l’e´ducation des enfans. La seconde e´ducation, celle du monde et des circonstances de´ferait bien vite l’ouvrage de la premie`re a. Il serait possible de plus, que nous prissions pour des faits historiques les romans de quelques philosophes, imbus des meˆmes pre´juge´s que ceux qui de nos jours ont adopte´ leurs principes : et alors ce systeˆme, au lieu d’avoir e´te´ du moins autrefois une ve´rite´ pratique, ne serait qu’une erreur perpe´tuelle d’aˆge en aˆge. Ou` voyons nous en effet cette puissance merveilleuse de l’e´ducation ? est-ce a` Athe`nes ? mais l’e´ducation publique, consacre´e par l’autorite´, y e´tait renferme´e dans les e´coles subalternes qui se bornaient a` la simple instruction. Il y avait d’ailleurs liberte´ complette d’enseignement. Est-ce a` Lace´de´mone ? L’esprit uniforme et monacal des Spartiates tenait a` un ensemble d’institutions dont l’e´ducation ne fesait qu’une partie, et cet ensemble, je le pense, ne serait ni facile, ni desirable a` renouveller parmi nous. Est-ce en Cre`te ? mais les Cre´tois e´taient le peuple le plus fe´roce, le plus inquiet, le plus corrompu de la Gre`ce. On se´pare les institutions de leurs effets, et on les admire d’apre`s ce qu’elles e´taient destine´es a` produire, sans prendre en conside´ration ce qu’elles ont produit en re´alite´. On nous cite les Perses et les Egyptiens. Mais nous les connaissons tre`s imparfaitement. Les e´crivains grecs ont fait de la Perse et de l’Egypte le the´atre de leurs spe´culations, comme Tacite de la Germanie. Ils ont mis en

a

Helve´tius de l’homme1.

TR: 28 Helve´tius, De l’homme. ]  Commentaire sur Filangieri,

1

IV,

p. 235, en note.

anne´e, t. IX, pp. 3–48 ; Sur l’instruction relative aux sciences, 2e anne´e, t. IX, pp. 49–83. BC utilise cette e´dition, et non pas celle des Œuvres comple`tes de 1804. Les textes ont e´te´ re´e´dite´s, avec le rapport lu devant l’Assemble´e le´gislative, par Charles Coutel et Catherine Kintzler : Condorcet, E´crits sur l’instruction publique, Paris : Edilig, 1989, 2 vol. Le renvoi de BC vise le passage suivant : «Les anciens n’avoient aucune notion de ce genre de liberte´ ; ils sembloient meˆme n’avoir pour but dans leurs institutions que de l’ane´antir. Ils auroient voulu ne laisser aux hommes que les ide´es, que les sentimens qui entroient dans le systeˆme du le´gislateur. Pour eux la nature n’avoit cre´e´ que des machines, dont la loi seule devoit re´gler les ressorts et diriger l’action.» Bibliothe`que de l’homme public, 2e anne´e, t. I, p. 47. Claude-Adrien Helve´tius, De l’homme, de ses faculte´s intellectuelles et de son e´ducation, Londres : chez la socie´te´ typographique, 1776. BC ne cite pas un passage pre´cis, mais pense surtout a` la «Premie`re section» de l’ouvrage ou` l’auteur parle de l’e´ducation des jeunes gens par le monde.

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action chez des peuples lointains ce qu’ils auraient desire´ voir e´tabli dans leur patrie. Leurs me´moires sur les institutions e´gyptiennes et Persanes sont quelque fois de´montre´s faux par la seule impossibilite´ manifeste des faits qu’ils contiennent, et presque toujours rendus tre`s douteux par des contradictions inconciliables. Ce que nous savons d’une manie`re certaine, c’est que les Perses et les Egyptiens e´taient gouverne´s despotiquement, et que la lachete´, la corruption, l’avilissement, suites e´ternelles du despotisme, e´taient le partage de ces nations mise´rables. Nos philosophes en conviennent dans les pages meˆmes ou` ils nous les proposent pour exemple, relativement a` l’e´ducation. Bizarre faiblesse de l’esprit humain qui n’appercevant les objets qu’en de´tail, se laisse tellement dominer par une ide´e favorite, que 2, fo 149vo les effets les plus de´cisifs ne l’e´clairent pas sur l’impuissance des causes dont il lui convient de proclamer le pouvoir. La plupart des preuves historiques ressemblent a` celle que M. de Montesquieu alle`gue en faveur de la gymnastique. L’exercice de la lutte fit gagner aux The´bains la bataille de Leuctres. Mais sur qui gagne`rent-ils cette bataille ? Sur les Lace´de´moniens qui s’exercaient a` la gymnastique depuis 400 ans1. Le systeˆme qui met l’e´ducation sous la main du gouvernement, repose sur deux ou trois pe´titions de principes. L’on suppose d’abord que le gouvernement sera tel qu’on le desire. L’on voit toujours en lui un allie´, sans re´fle´chir que souvent il peut devenir un ennemi. L’on ne sent pas que les sacrifices que l’on impose aux individus, peuvent ne pas tourner au profit de l’institution que l’on croit parfaite, mais au profit d’une institution quelconque. Cette conside´ration est d’un poids e´gal pour les partisans de toutes les opinions. Vous regardez comme le bien supreˆme le gouvernement absolu, l’ordre qu’il maintient, la paix que, selon vous, il prouve. Mais si l’autorite´ s’arroge le droit de s’emparer de l’e´ducation, elle ne se l’arrogera pas seulement dans le calme du despotisme, mais au milieu de la violence et des fureurs des factions. Alors le re´sultat sera tout diffe´rent de ce que vous 2, fo 150ro espe´rez. L’e´ducation soumise a` l’autorite´, n’inspirera plus aux ge´ne´rations naissantes ces habitudes paisibles, ces principes d’obe´issance, ce respect 1

BC cite une phrase du livre VIII, chap. 11 de De l’Esprit des lois de Montesquieu (p. 359) en partant, comme l’a bien vu E. Hofmann (p. 371, n. 28), de Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs (Berlin : G.-J. Decker, 1788, t.I, pp. 150–151), ou` il a trouve´ le passage suivant : «M. de Montesquieu dit que l’exercice de la lutte fit gagner aux The´bains la bataille de Leuctres ; mais il avait oublie´ que cette bataille fut livre´e en la cent-deuxie`me olympiade ; de sorte qu’on comptait alors plus de quatre cents ans depuis le moment ou` les Lace´de´moniens s’e´taient aussi exerce´s a` la lutte, qui ne peut cependant les sauver d’une de´faite totale.» Les emprunts textuels font comprendre que BC s’approprie l’argument de Pauw, peut-eˆtre sans recourir au texte original de l’Esprit des lois.

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pour la religion, cette soumission aux puissances visibles et invisibles que vous conside´rez comme la baze du bonheur et du repos social. Les factions feront servir l’e´ducation, devenue leur instrument, a` re´pandre dans l’ame de la jeunesse, des opinions exage´re´es, des maximes farouches, des axiomes impitoyables, le me´pris des ide´es religieuses qui leur paraitront des doctrines ennemies, l’amour du sang, la haine de la pitie´. N’est-ce pas ce qu’aurait fait le gouvernement re´volutionnaire, s’il avait dure´ plus long tems ? Et le gouvernement re´volutionnaire e´tait pourtant un gouvernement. Ce raisonnement n’aura pas moins de force, si nous l’adressons a` des amis d’une liberte´ sage et mode´re´e. Vous voulez, leur dirons nous, que dans une Re´publique, l’autorite´ domine l’e´ducation pour former les citoyens de`s l’age le plus tendre a` la connaissance et au maintien de leurs droits, pour leur apprendre a` braver le despotisme, a` re´sister au pouvoir injuste, a` de´fendre l’innocence contre l’oppression. Mais le despotisme employera l’e´ducation a` courber sous le joug ses esclaves dociles, a` briser dans les cœurs tout sentiment noble et courageux, a` bouleverser toute notion de justice, a` jetter de l’obscurite´ sur les ve´rite´s les plus e´videntes, a` repousser dans les te´ne´bres, ou a` fle´trir par le ridicule tout ce qui a rapport aux droits 2, fo 150vo les plus sacre´s, les plus inviolables de l’espe`ce humaine. N’est-ce pas ce que feraient aujourd’hui, s’ils e´taient revetus de quelque pouvoir, ces ennemis ardens de toute lumie`re, ces destructeurs de toute philosophie, ces calomniateurs de toute ide´e noble, qui, trouvant la carrie`re du crime de´ja parcourue, s’en de´dommagent au moins amplement dans celle de la bassesse ? On croirait que le Directoire avait e´te´ destine´ a` nous donner de me´morables lec¸ons sur tous les objets de cette nature. Nous l’avons vu pendant quatre ans, voulant diriger l’e´ducation, tourmentant les instituteurs, les re´primandant, les de´plac¸ant, les avilissant aux yeux de leurs e´le`ves, les soumettant a` l’inquisition de ses agens les plus subalternes, et des hommes les moins e´claire´s, entravant l’instruction particulie`re, et troublant l’instruction publique par une action perpe´tuelle et pue´rile. Le Directoire n’e´tait il pas un gouvernement ? Je voudrais connaitre la garantie myste´rieuse que l’on a rec¸ue, que l’avenir ne ressemblera jamais au passe´1. V: 10 que ] 〈que〉 que L TR: 9–19 Ce raisonnement ... humaine. ]  Commentaire sur Filangieri, 1

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p. 238.

Voir Gabriel Compayre´, Histoire critique des doctrines de l’e´ducation en France depuis le seizie`me sie`cle, Paris : [Hachette], 1879 ; re´impr. Gene`ve : Slatkine, 1970. Hofmann (p. 372, n. 30) cite encore : Maurice Gontard, L’enseignement primaire en France, de la Re´volution a` la Loi Guizot (1789–1833), Paris : Les Belles Lettres, 1959, pp. 156–188 ; Louis Grimaud, Histoire de la liberte´ de l’enseignement, Paris : B. Arthaud, 21944.

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Dans toutes ces hypothe`ses, ce que l’on desire que le gouvernement fasse en bien, le gouvernement peut le faire en mal. Ainsi les espe´rances peuvent eˆtre dec¸ues, et l’autorite´ que l’on e´tend a` l’infini, d’apre`s des suppositions gratuites, peut marcher en sens inverse du but pour lequel on l’a cre´e´e. L’e´ducation qui vient du gouvernement, doit se borner a` l’instruction seule. L’autorite´ peut multiplier les canaux, les moyens de l’instruction, mais elle ne doit pas la diriger. Qu’elle assure aux citoyens des moyens e´gaux, qu’elle procure aux professions diverses l’enseignement des connaissances positives qui en facilitent l’exercice, qu’elle fraye aux individus une route libre pour arriver a` toutes les ve´rite´s de fait constate´es a, et pour parvenir au point d’ou` leur intelligence peut s’e´lancer spontane´ment a` des decouvertes nouvelles, qu’elle rassemble pour l’usage de tous les esprits investigateurs les monumens de toutes les opinions, les inventions de tous les sie`cles, les de´couvertes de toutes les me`thodes, qu’elle organise enfin l’instruction de manie`re a` ce que chacun puisse y consacrer le tems qui convient a` son interet ou a` son desir, et se perfectionner dans le metier, l’art ou la science auxquels ses gouts ou sa destine´e l’appe`lent. Qu’elle ne nomme point les instituteurs : qu’elle ne leur accorde qu’un traitement qui, leur assurant le ne´cessaire, leur rende pourtant desirable l’affluence des e´le`ves, qu’elle pourvoye a` leurs besoins lorsque l’age ou les infirmite´s auront mis un terme a` leur carrie`re active : qu’elle ne puisse point les destituer sans des causes graves, et sans le concours d’hommes inde´pendans d’elle b. Les instituteurs soumis au gouvernement seront a` la fois ne´gligens et serviles. Leur servilite´ leur fera pardonner leur ne´gligence. Soumis a` l’opinion seule, ils seraient a` la fois actifs et inde´pendans c. a b

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On peut enseigner les faits sur parole, mais jamais les raisonnemens1. Pour les de´tails de l’organisation de l’instruction publique qui ne sont pas du ressort de cet ouvrage, je renvoye le lecteur aux me´moires de Condorcet, ou` toutes les questions qui se rapportent a` cette matie`re sont examine´es et re´solues, et aux vues du quel je doute qu’il soit possible de rien ajouter2. Smith. Richesse des nations3. Il faut faire le plus possible que les instituteurs ayent besoin de l’affluence des e´le`ves, c. a` d. de se distinguer par leur travail et leurs connoissances. le

V: 8 procure ] prouve L TR: 1-p. 550.20 Dans toutes ... avec succe`s. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, pp. 238–245. 27 On peut ... raisonnemens. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, p. 239. 28–31 Pour les ... ajouter. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, p. 239, en note. 32 Smith ... nations. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, p. 239, en note. 1 2 3

Cette maxime se retrouve a` plusieurs reprises dans ce volume. Il se peut que BC cite un auteur non identifie´. Voir ci-dessous, p. 551 et p. 821. Voir ci-dessus, p. 109, n. 2. Le renvoi a` Smith, Recherches, vise le livre V, chap. 1, section 3, en re´sumant la doctrine de

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En dirigeant l’e´ducation, le gouvernement s’arroge le droit et s’impose la taˆche de maintenir un corps de doctrine a. Ce mot seul indique les moyens dont il est oblige´ de se servir. En admettant qu’il choisisse d’abord les plus doux, il est certain du moins qu’il ne permettra d’enseigner dans ses

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seul moyen d’atteindre ce but, c’est de ne pas leur donner un traitement suffisant pour leurs aisances mais seulement tel qu’un accident, une maladie, ou quelque circonstance qui e´loigneroit d’eux les e´le`ves momentane´ment, ne les reduisissent pas a` la mise`re. vouloir supple´er a` cette de´pendance, dans laquelle les Instituteurs doivent eˆtre du public, en les mettant dans la de´pendance d’une autorite´ e´trange´re, telle que celle du gouvernement, ou de quelques uns de ses agens, c’est une mauvaise mesure sous plusieurs rapports. 1o Il y a d’autres moyens de plaire a` cette autorite´, que le ze´le, l’activite´ et les connoissances. 2o cette autorite´ n’a pas les lumie´res ne´cessaires. elle peut s’exercer capricieusement ou insolemment, et il est dans la nature du pouvoir qu’elle s’exerce souvent ainsi. ... tout ce qui oblige ou engage un certain nombre d’e´tudians a` rester a` un colle`ge ou a` une universite´, inde´pendamment du me´rite ou de la re´putation des maˆitres, comme d’une part la ne´cessite´ de prendre certains de´gre´s, qui ne peuvent eˆtre confe´re´s qu’en certains lieux, et de l’autre les bourses et assistances accorde´es a` l’indigence studieuse, ont l’effet de ralentir le ze´le et de rendre moins ne´cessaires les connoissances des maˆitres ainsi privile´gie´s sous une forme quelconque. ... Il est arrive´ assez ge´ne´ralement relativement a` l’e´ducation, ce qui est arrive´ relativement au gouvernement. la plupart des e´tablissemens publics ont l’air d’avoir e´te´ institue´s, non pour l’avantage des e´coliers, mais pour la commodite´ des maˆitres. Smith. V. 1. [Add.] De ce qu’une ide´e est utile comme ide´e individuelle, il n’en faut pas toujours conclure qu’elle le serait e´galement, qu’elle fut e´tablie comme ide´e dominante ou collective. Mirabeau disait : il n’existe point de ve´rite´s nationales. Je dis : il n’existe donc point de ve´rite´s de gouvernement. La pense´e est une et individuelle par sa nature. Il est impossible d’en faire un eˆtre collectif. On la tourmente, on l’e´touffe, on la tue, mais sa nature ne se change pas1. l’auteur. On trouve effectivement les ide´es, meˆme les mots qui les expriment ici chez Smith. Un cas un peu diffe´rent est la suite de la note. BC commence par re´sumer la doctrine de Smith, puis cite presque litte´ralement le de´but d’une phrase du livre V, chap. 1 («Tout ce qui ... des maıˆtres ;» t. II, pp. 388), le reste de´veloppe les observations de l’auteur anglais. BC cite une phrase du comte de Mirabeau, tire´e du discours du 14 janvier 1791. Dans la discussion du projet sur la constitution civile du clerge´ pre´sente´ par le comite´ eccle´siastique a` l’Assemble´e nationale, Mirabeau dit ceci : «Seroit-ce comme juge de sa ve´rite´, ou comme juge de son aptitude a` former de bons citoyens que le le´gislateur rendroit une religion constitutionnelle ? Mais d’abord y a-t-il des ve´rite´s nationales ? En second lieu, peut-il jamais eˆtre utile au bonheur public que la conscience des hommes soit enchaıˆne´e par la loi de l’e´tat ? La loi ne nous unit les uns aux autres que dans les points ou` nous nous touchons. Or, des hommes ne se touchent que par la superficie de leur eˆtre ; par la pense´e et la conscience, ils demeurent isole´es, et l’association leur laisse, a` cet e´gard, l’existence absolue de la nature.» Collection complette des travaux de M. Mirabeau l’aine´, a` l’Assemble´e nationale, pre´ce´de´e de tous les discours et ouvrages de l’auteur, prononce´s ou publie´s en Provence pendant le cours des e´lections, par M. E´tienne Me´jan, t. V, Paris : Devaux, 1792, p. 266.

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e´coles, que les opinions qu’il pre´fe´re a. Il y aura donc rivalite´ entre l’e´ducation publique et l’e´ducation particulie`re. L’e´ducation publique sera salarie´e ; il y aura donc des opinions investies d’un privile`ge. Mais si ce privile`ge ne suffit pas pour faire dominer les opinions favorise´es, croyez vous que l’autorite´ jalouse de sa nature, ne recourra pas a` d’autres moyens ? Ne voyez vous pas, pour dernier re´sultat, la persecution plus ou moins de´guise´e, mais compagne constante de toute action superflue de l’autorite´ ? Nous voyons les gouvernemens qui paraissent ne geˆner en rien l’e´ducation particulie`re favoriser ne´ammoins toujours les e´tablissemens qu’ils ont fonde´s, en exigeant de tous les candidats aux places relatives a` l’e´ducation publique, une sorte d’apprentissage dans ces e´tablissemens. Ainsi le talent qui a suivi la route inde´pendante, et qui par un travail solitaire, a re´uni peut-eˆtre autant de connaissances et probablement plus d’originalite´ qu’il ne l’aurait fait dans la routine des classes, trouve sa carrie`re naturelle, celle ou` il peut se communiquer et se reproduire, ferme´e tout a` coup devantlui b. Ce n’est pas que, toutes choses e´gales, je ne pre´fe´re l’e´ducation publique a` l’e´ducation prive´e. La premie`re fait faire a` la ge´ne´ration qui s’e´le´ve, un noviciat de la vie humaine, plus utile que toutes les lec¸ons de pure the´orie qui ne supple´ent jamais qu’imparfaitement a` la re´alite´ et a` l’expe´rience. L’e´ducation publique est salutaire surtout dans les pays libres. Les hommes rassemble´s, a` quelqu’aˆge que ce soit, et surtout dans la jeunesse, contractent par un effet naturel de leurs relations re´ciproques, un sentiment de justice et des habitudes d’e´galite´ qui les pre´parent a` devenir des citoyens courageux et des ennemis de l’arbitraire. On a vu sous le despotisme meˆme, des e´coles de´pendantes de l’autorite´, reproduire en de´pit d’elle des germes de liberte´ qu’elle s’efforc¸ait envain d’e´touffer. a

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Condorcet. 1e˙r. mem. p. 551. Tout ce qui oblige, ou engage un certain nombre d’e´tudians a` rester a` un colle`ge ou a` une universite´, inde´pendamment du me´rite ou de la re´putation des maitres, comme d’une part la ne´cessite´ de prendre certains de´gre´s qui ne peuvent eˆtre confe´re´s qu’en certains lieux, et de l’autre les bourses et assistances accorde´es a` l’indigence studieuse, ont l’effet de ralentir le ze`le et de rendre moins ne´cessaires les connaissances des maitres ainsi privilegie´s sous une forme quelconque. Smith. V. I2 .

TR: 32 Condorcet ... p. 55. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, p. 240, en note. 28– 33 Tout ce qui ... Smith, V. I. ]  Commentaire sur Filangieri, IV, pp. 240–241, en note. 1

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Dans ce Premier Me´moire, on trouve le passage suivant : «Il est bien plus important que la puissance publique ne dicte pas la doctrine commune du moment comme des ve´rite´s e´ternelles, de peur qu’elle ne fasse de l’instruction un moyen de consacrer les pre´juge´s qui lui sont utiles et un instrument de pouvoir de ce qui doit eˆtre la barrie`re la plus suˆre contre tout pouvoir injuste.» Bibliothe`que de l’homme public, 2e anne´e, t. I, p. 55. BC prend la citation dans Smith Recherches, t. II, p. 388. Le passage qui parle des imperfections des institutions publiques se lit pp. 386–388.

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Mais je pense que cet avantage peut eˆtre obtenu sans contrainte. Ce qui est bon n’a jamais besoin de privile`ges, et les privile`ges de´naturent toujours ce qui est bon. Il importe d’ailleurs que si le systeˆme d’e´ducation que le gouvernement favorise est, ou parait eˆtre vicieux a` quelques individus, ils puissent chercher un azyle dans l’e´ducation particulie`re, ou dans des instituts sans rapports avec le gouvernement. La socie´te´ doit respecter les droits 2, fo 152vo individuels, et dans ces droits sont compris les droits des pe`res sur les enfans a. Si son action les blesse, une re´sistance s’e´levera qui rendra l’autorite´ tyrannique, et qui corrompra les individus en les obligeant a` l’e´luder. On objectera peut-eˆtre a` ce respect que nous exigeons du gouvernement pour les droits des pe`res, que les classes infe´rieures du peuple, re´duites par leur mise`re a` tirer parti de leurs enfans, de`s que ceux ci sont capables de les seconder, dans leurs travaux, ne les feront point instruire dans les connaissances les plus ne´cessaires, l’instruction fut elle meˆme gratuite, si le gouvernement n’est autorise´ a` les y contraindre. Mais cette objection repose sur l’hypothe`se d’une telle mise`re dans le peuple, qu’avec cette mise`re rien ne peut exister de bon. Ce qu’il faut, c’est que cette mise`re n’existe pas. De`s que le peuple jou¨ira de l’aisance qui lui est due, loin de retenir ses enfans dans l’ignorance, il s’empressera de leur donner de l’instruction. Il y mettra de la vanite´. Il en sentira l’intereˆt. Le penchant le plus naturel aux pe`res est d’e´lever leurs enfans au dessus de leur e´tat. C’est ce que nous voyons en Angleterre, et ce que nous avons vuˆ en France pendant la re´volution. Durant cette e´poque, bien qu’elle fut agite´e, et que le peuple eut beaucoup a` souffrir de son gouvernement, cependant par cela seul qu’il acquit plus d’aisance, l’instruction fit des progre´s e´tonnans dans cette classe. Partout l’instruction du peuple est en proportion de son aisance. Nous avons dit au commencement de ce chapitre1, que les Athe´niens n’avaient soumis a` l’inspection des magistrats que les e´coles subalternes. 2, fo 153ro Celles de philosophie reste`rent toujours dans l’inde´pendance la plus absolue, et ce peuple e´claire´ nous a transmis a` ce sujet un me´morable exemple. Le de´magogue Sophocle ayant propose´ de subordonner a` l’autorite´ du se´nat l’enseignement des philosophes, tous ces hommes qui, malgre´ leurs erreurs nombreuses, doivent a` jamais servir de mode`les, et comme amour de la ve´rite´, et comme respect pour la tole´rance, se de´mirent de leurs a

Condorcet. 1e˙r. Mem. p. 442.

TR: 35 Condorcet ... p. 44. ]  Commentaire sur Filangieri, 1 2

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p. 242, en note.

Voir ci-dessus, p. 542. BC renvoie a` la Bibliothe`que de l’homme public (2e anne´e, t. I, p. 44) en re´sumant une page du premier me´moire.

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6, De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation

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fonctions. Le peuple re´uni les de´clara solemnellement affranchis de toute inspection du Magistrat, et condamna leur absurde adversaire a` une amende de cinq talens a. Mais, dira-t-on, s’il s’e´levait un e´tablissement d’e´ducation, reposant sur des principes contraires a` la morale, vous disputeriez au Gouvernement le droit de re´primer cet abus. On oublie que, pourqu’un e´tablissement d’e´ducation se forme et subsiste, il faut des e´le`ves, que, pourqu’il y ait des e´le`ves, il faut que leurs parens les y placent, et qu’en mettant a` part ce qui ne´ammoins n’est nullement raisonnable, la moralite´ des parens, il ne sera jamais de leur intereˆt de laisser e´garer le jugement et pervertir le cœur de ceux avec lesquels ils ont, pour toute la dure´e de leur vie, les relations les plus importantes et les plus intimes. La pratique de l’injustice et de la perversite´ peut eˆtre utile, momentane´ment, et dans une circonstance particulie`re. Mais la the´orie ne peut jamais avoir aucun avantage. La the´orie ne sera jamais professe´e que par des fous que repoussera incontinent l’opinion ge´ne´rale, o o 2, f 153v sans que le gouvernement s’en me`le. Il n’aura jamais besoin de supprimer les e´tablissemens d’e´ducation, ou` l’on donnerait des lec¸ons de vice et de crime, parce qu’il n’y aura jamais d’e´tablissemens semblables, et que, s’il y en avait, ils ne seraient gue`res dangereux, parceque les instituteurs resteraient seuls. Mais au de´faut d’objections plausibles, on s’appuye de suppositions absurdes, et ce calcul n’est pas sans adresse. Car il y a du danger a` laisser les suppositions sans re´ponse, et il parait y avoir, en quelque sorte, de la niaiserie a` les re´futer. a

Dioge`ne Lae¨rce. Vie de The´ophraste1.

TR: 24 Dioge`ne ... The´ophraste. ]  Commentaire sur Filangieri, 1

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p. 243, en note.

BC cite cette anecdote d’apre`s Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, pp. 232–233. La meˆme histoire est rapporte´e, dans des termes tre`s semblables, par Leonard von Dresch, dans son ouvrage Übersicht der allgemeinen politischen Geschichte, insbesondere Europens, Weimar : Landes-Industrie-Comptoir, 1814, p. 215. De Pauw e´tait donc l’auteur qui faisait autorite´ dans cette matie`re. BC cache ses lectures en renvoyant a` la source commune, Dioge`ne Lae¨rce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre V, chap. 2, «Vie de The´ophraste» (voir la traduction par Robert Genaille, Paris : GF, 1965, t. I, p. 242). Il faut dire toutefois que le texte de Dioge`ne Lae¨rce est moins univoque que ne le pre´tend BC et qu’il ignore un certain nombre des de´tails. Il ne parle ni d’une de´mission des philosophes, mais d’un exil, ni de l’affranchissement des philosophes de l’inspection du magistrat, mais de l’abolissement, sur l’initiative d’un Philon, de la loi accepte´e l’anne´e pre´ce´dente (307/306) sur la proposition de Sophocle de Sounion, fils d’un certain Amphikleides dont on ne sait par ailleurs rien d’autre (LGPN, II, Attica). Il faut ajouter encore que l’exe´ge`se des faits expose´e ici n’est pas confirme´e par la recherche moderne. Voir Matthias Haake, Der Philosoph in der Stadt. Untersuchungen zur öffentlichen Rede über Philosophen und Philosophie in den hellenistischen Poleis, München : C. H. Beck, 2007, pp. 16–43.

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J’espe`re beaucoup plus pour le perfectionnement de l’espe`ce humaine, des e´tablissemens particuliers d’e´ducation, que de l’instruction publique, la mieux organise´e par l’autorite´. Qui peut limiter le de´veloppement de la passion des lumie`res, dans un pays de liberte´. Vous supposez aux gouvernemens l’amour des lumie`res. Sans examiner ici jusqu’a` quel point cette tendance est leur intereˆt, nous vous demanderons seulement pourquoi vous supposez moins le meˆme amour dans les individus cultive´s, dans les esprits e´claire´s, dans les ames ge´ne´reuses. Partout ou` l’autorite´ ne pe`se pas sur les hommes, partout ou` elle ne corrompt pas la richesse, en conspirant avec elle, contre la justice, les lettres, l’e´tude, les sciences, l’aggrandissement et l’exercice des faculte´s intellectuelles seront les jou¨issances favorites des classes opulentes des socie´te´s. Voyez en Angleterre, comme elles agissent, se coalisent, s’empressent de toutes parts. Contemplez ces muse´es, ces bibliothe`ques, ces associations inde´pendantes de savans voue´s uniquement a` la recherche de la ve´rite´, ces voyageurs bravant tous les dangers pour faire avancer d’un pas les connaissances humaines a. En e´ducation, comme en tout, que le gouvernement veille et qu’il pre´serve : mais qu’il reste neutre. Qu’il e´carte les obstacles, qu’il applanisse les chemins. L’on peut s’en remettre aux individus pour y marcher avec succe`s.

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La morale doit s’apprendre partout et ne s’enseigner nulle part. Say. V. 81. Un candidat est-il appele´ a` faire ses preuves ? il ne convient pas de consulter des professeurs qui sont juges et parties, qui doivent trouver bon tout ce qui sort de leur e´cole et mauvais tout ce qui n’en vient pas... il faut constater le me´rite du candidat, et non le lieu de ses e´tudes, ni le tems qu’il

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[Add.] tous les beaux etablissemens en Ame´rique sont individuels, le grand Hopital de Philadelphie, la maison de correction, les Bibliothe`ques, les Canaux, les Ponts, les Ecoles connues sous le nom d’Acade´mies, les Pharmacies de charite´, les socie´te´s de Marine, les Ecluses, les grandes Routes. Pictet. Tabl. des Et. Unis2. Say, Traite´ d’e´conomie politique, livre V, chap. 8, t. II, p. 438. Encadre´ d’une re´flexion ge´ne´rale sur l’instruction publique, Say dit : «La seule e´tude importante qui ne me paraisse pas pouvoir eˆtre l’objet d’un enseignement public, est l’e´tude de la morale. Faut-il que ce soit un maıˆtre qui nous dise ce que nous devons a` notre pe`re, a` nos fre`res et sœurs, a` nos amis ? La morale doit s’apprendre par-tout et ne s’enseigner nulle part.» BC renvoie ici a` Charles Pictet de Rochemont, Tableau de la situation actuelle des E´tatsUnis d’Ame´rique, t. II, pp. 90–100.

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XIV,

7, fo 75ro

6, De l’action du Gouvernement sur l’e´ducation

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y a consacre´ ; car exiger qu’une certaine instruction soit rec¸ue dans un lieu de´signe´, c’est empeˆcher une instruction qui pourrait eˆtre meilleure. prescrire un certain cours d’e´tude, c’est proscrire toute marche plus expe´ditive. Smith1. 5

Il est impossible, dira-t-on, que le gouvernement ne dirige pas les e´tablissemens d’e´ducation qu’il fonde ou qu’il salarie. Il est impossible de se´parer entie`rement l’instruction de l’e´ducation. l’instruction meˆme y perdrait, car il en re´sulterait ne´cessairement des lacunes. Oui : mais il faut alors que le gouvernement laisse a` chaque individu le droit d’e´tablir des Instituts particuliers, et a` tous les parens le droit de choisir entre l’e´ducation dirige´e par le gouvernement, et celle que les Individus dirigent. Garnier, dans ses Notes sur Smith, prouve tre`s bien que le gouvernement quand il offre gratuitement des connoissances autres que les connaissances e´le´mentaires, de´tourne la partie laborieuse de la socie´te´, d’une manie`re pre´judiciable et sans utilite´, de ses occupations naturelles. v. aussi les observations de Smith sur les inconve´niens des Bourses. I. 102. On peut enseigner les faits sur parole, mais jamais les raisonnemens3. L’arrangement naturel de l’e´ducation laissant le choix, le mode, et le fardeau de l’e´ducation aux parens, peut se comparer a` une suite d’expe´riences qui ont pour objet de perfectionner le systeˆme ge´ne´ral. tout s’avance et se de´veloppe par cette e´mulation des Individus, par cette diffe´rence d’ide´es et d’esprits, en un mot par la varie´te´ des impulsions particulie`res. mais que tout soit jete´ dans un moule unique, que l’enseignement prenne partout le caracte´re de l’autorite´ le´gale, les erreurs se perpe´tuent, et il n’y a plus de progre`s. Benth. II. 201–2024.

1 2

3 4

Ce passage se lit comme une note a` de´velopper. BC ne cite pas Smith, mais renvoie a` l’ensemble du chap. Ier, section 3, art. 2 et 3, pp. 384–442. Autre note de travail. BC se propose de retourner a` la premie`re note de Garnier a` sa traduction de l’ouvrage de Smith et a` Smith, Recherches, livre Ier, chap. 10, section 2, p. 207. Voir ci-dessus, p. 545, n. 1. Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code civil, troisie`me partie, chap. 4, «Pe`re et enfant», t. II, pp. 200–201.

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552 2, fo 154vo

Principes de politique

Chapitre 7e˙ Des devoirs des gouvernemens vis a` vis des lumie`res.

Les devoirs des gouvernemens vis a` vis des lumie`res sont simples et faciles. Mais ils sont d’une toute autre nature que la direction que trop souvent il s’attribue. Chaque ge´ne´ration ajoute aux moyens, soit physiques, soit moraux de l’espe`ce humaine. Tantot ce sont des me´thodes de´couvertes, d’autrefois des machines invente´es, tantot des signes perfectionne´s, tantot des faits e´claircis. Toutes ces choses sont en quelque sorte des faculte´s nouvelles acquises a` l’homme. Elles sont bonnes a` conserver, inde´pendamment du but accidentel pour lequel elles peuvent eˆtre employe´es. Toutes les faculte´s de l’homme sans doute, tant celles que la nature lui a donne´es, que celles que le tems lui de´couvre, ou que l’industrie invente, ont des inconve´niens, aussi bien que des avantages. Mais les inconve´niens d’aucune faculte´ ne sont dans la faculte´ meˆme : ils sont dans l’usage qu’on en fait. aussi long tems par conse´quent que le gouvernement ne s’applique qu’a` conserver les moyens, les de´couvertes, les faculte´s nouvelles conquises par l’homme sans leur donner un but, sans en diriger l’usage, il remplit une fonction salutaire : son action n’est ni e´quivoque, ni complique´e. Il ne fait que du bien, et un bien sans meˆlange et sans danger.

V: 4 il ] elle L

18 salutaire ] 〈p...iti..〉 salutaire L

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Livre XV. Re´sultat des recherches pre´ce´dentes, relativement a` l’action de l’autorite´.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ vernemens, BnF, NAF 14359, fos 155ro–179ro [=P] Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 75ro–79ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 665ro–725vo [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 114–124 [=LA].

V: 1 Livre ... de l’autorite´. ] 〈Troisie`me Partie〉 〈Re´sultats des principes ge´ne´raux et de leur application〉 〈Livre Premier〉 〈Re´ponses a` diverses objections et conside´rations additionnelles〉 Livre XV. 〈Section premie`re〉 Re´sultat ... autorite´ L

10. Table des matières autographe du livre XV des Principes de politique, manuscrit de Lausanne, f° 664r°. Les lignes biffées permettent de retrouver l’ancienne structure hiérarchisée de l’ouvrage. Celle-ci est répétée sous une forme abrégée dans l’angle supérieur à gauche.

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Chape˙ 1e˙r Re´sultat des recherches pre´ce´dentes.

Nous avons parcouru presque tous les objets sur lesquels l’autorite´, sortant des bornes du strict ne´cessaire, peut agir sous le pre´texte de l’utilite´. Nous avons trouve´ que, sur tous ces objets, si l’homme avait e´te´ abandonne´ a` lui meˆme, il en serait resulte´ moins de mal et plus de bien a. Quand les mode´rateurs des empires seront dans les bons principes, dit Mirabeau b, ils 7, fo 75ro

a

b

[Add.] tout dans la Nature a ses inconve´niens. mais les Institutions conformes a` la Nature ont cet avantage que comme la Nature est essentiellement conservatrice, elle a pourvu a` ce que les inconve´niens ne fussent pas sans reme`de, au lieu que, dans les institutions contraires a` la Nature, come la force conservatrice ne s’y trouve pas, les inconve´niens qu’elles entrainent sont souvent sans re´paration. ainsi, en ordonnant que chaque homme seroit charge´e du soin de ses interets, la Nature a sans doute expose´ l’espe`ce humaine a` de tre´s grands maux. les passions et les faux calculs font que souvent les Individus s’acquittent tre´s mal de la charge qui leur est confie´e. mais si, frappe´s du peril attache´ a` cet arrangement naturel, nous imaginons de charger un homme de veiller aux Interets d’un autre, ou de plusieurs autres, que re´sulte-t-il de cette institution factice ? d’abord les meˆmes inconve´niens que de l’institution naturelle. car les meˆmes passions, les meˆmes calculs errone´s peuvent avoir lieu, dans celui que vous avez charge´ d’interets qui ne sont pas les siens. mais l’institution naturelle portoit son reme`de en elle meˆme. Chaque homme souffre des erreurs qu’il commet dans ses propres affaires, et ne tarde pas a` s’en corriger. l’institution factice au contraire est sans reme`de. l’home qui, contre le vœu de la Nature de´cı¨de pour autrui ne souffre nullement des erreurs qu’il commet. elles portent sur les autres. elles ne l’e´clairent point, il ne s’en corrige donc pas. que sera-ce encore s’il y gagne ? autre risque. celui que vous avez de´pouille´ du droit de veiller a` ses interets resistera peut eˆtre a` l’homme que vous avez mis a` sa place : et tous deux s’en trouveront mal. Toutes les fois que ce qui est naturel, c’est a` dire juste, c’est-a`-dire conforme a` l’e´galite´ (e´galite´, justice, Nature, c’est meˆme chose) vous parait entrainer des inconve´niens, et que vous n’en apercevez pas le reme`de, fiez-vous a` l’expe´rience, qui ne tardera pas a` vous le montrer, a` moins que vous n’ayez meˆle´, ce qui arrive presque toujours quelque chose de factice a` l’institution naturelle, et alors c’est d’ordinaire cette addition qui cre´e l’inconve´nient ou qui empeˆche la force re´paratrice d’agir. toutes les fois que l’on vous propose quelque institution contraire a` la Nature, et que vous n’en voyez pas l’inconve´nient, ce n’est que l’expe´rience qui vous manque. l’inconve´nient existe et se de´veloppera bientot1. Monarch. Pruss. Introd2.

V: 9 elle a ] ces deux mots re´pe´te´s par indadvertance P autrui〉 commet P 1

2

23 qu’il commet ] qu’il 〈porte sur

L’addition qui exprime une ide´e fondamentale de la pense´e de BC est, en de´pit de sa longueur, seulement l’e´bauche d’un texte. Il y a dans la de´monstration une espe`ce de taˆtonnement signalant un travail de recherche. Mirabeau, De la monarchie prussienne sous Fre´de´ric le Grand, t. I, pp. [VIII-IX]. Citation conforme, a` l’exception de la tournure «un millier d’hommes seulement» a` la place de «un

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Principes de politique

n’auront que deux affaires, celle de maintenir la paix exte´rieure par un bon systeˆme de de´fense, et celle de conserver l’ordre inte´rieur par une administration exacte, impartiale, inflexible de la justice. Tout le reste sera laisse´ a` l’industrie particulie`re dont l’irre´sistible influence ope´rant une plus grande somme de jouissances pour chaque citoyen, produiroit infailliblement une masse plus conside´rable de bonheur public. Nul souverain, nul ministre ne peut connoıˆtre les affaires d’un millier d’hommes seulement, et chaque individu voit en ge´ne´ral tre`s bien les siennes propres. Les gouvernans se sont cre´e´s des devoirs pour e´tendre leurs droits. Agens officieux du peuple, ils attentent sans cesse a` sa liberte´, c’est a` dire aux moyens de bonheur que lui a donne´s la nature, et ils le font sous le pre´texte de le rendre heureux a. Ils veulent diriger les lumie`res, ce n’est que l’ex2, fo 155vo pe´rience qui les ame`ne. Ils veulent pre´venir les de´lits : ce n’est que le spectacle du chaˆtiment qui les re´prime avec certitude et sans arbitraire. Ils veulent encourager l’industrie, ce n’est que l’intereˆt particulier qui lui donne de l’activite´. Ils veulent e´tablir des institutions ; l’habitude seule les forme. Les gouvernemens doivent veiller a` ce que rien n’entrave le de´veloppement de nos faculte´s diverses, mais non se permettre d’y porter la main. Que diraient les habitans d’une maison, si des sentinelles qu’ils auraient place´s aux portes pour repousser toute intrusion e´trange`re et pour appaiser tout de´sordre inte´rieur, s’arrogeaient le droit de les diriger dans leurs actions, et de leur prescrire un genre de vie, sous pre´texte de pre´venir ces intrusions et ces desordres, ou sous celui, plus absurde encore, que leur genre de vie serait plus doux par ces changemens ? Les gouvernans sont ces sentinelles, place´es par les individus qui s’associent pre´cise´ment pourque rien ne trouble leur repos ou ne ge`ne leur activite´. S’ils vont plus loin, ils deviennent eux meˆmes une cause de trouble et de geˆne. 7, fo 75vo

a

[Add.] Il est absurde de raisoner sur le bonheur des hommes autrement que par leurs propres de´sirs et leurs propres sensations. Il est absurde de vouloir de´montrer par des calculs qu’un homme est heureux, lorsqu’il se trouve malheureux. argument de Bentham, contre l’esclavage, mais qui s’applique a` tout1. on a de´fini le gouvernement l’institution destine´e a` faire le bonheur des homes. il y a une grande diffe´rence entre garantir le bonheur que les individus se font a` eux meˆmes ou se font entr’eux et se charger a` leur place de faire leur bonheur. c’est presque toujours en pre´tendant le faire que les gouvs˙ cessent de le garantir.

V: 10 ils attentent ] 〈qui les no〉 ils attentent L 26 ou ne ge`ne ] ne ge`ne L 28 Il est ... garantir. ] passage marque´ au de´but par une croix dans la marge gauche et a` la fin par une barre verticale P 33 ou se font ] 〈et〉 ou 〈se charge〉 font correction imme´diate P

1

million d’hommes seulement» et du verbe «voit» a` la place de «sait» dans la dernie`re phrase. Voir aussi ci-dessous, p. 845. Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code civil, troisie`me partie, chap. 2, «De l’esclavage», t. II, p. 181. Citation conforme, a` quelques petits changements pre`s, sans importance pour le sens.

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XV,

2, fo 156ro

1, Re´sultat des recherches pre´ce´dentes

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L’emploi des loix pe´nales devient alors l’abus le plus coupable du droit de punir. Aulieu d’e´tendre ce droit terrible, il faudrait travailler a` le restreindre. Au lieu de multiplier le nombre des de´lits, il faudrait le diminuer. Ce n’est pas un crime dans l’homme de me´connaitre son propre intereˆt, en supposant qu’il le me´connaisse : ce n’est pas un crime dans l’homme de vouloir se diriger par ses propres lumie`res, lors meˆme que l’autorite´ les trouve imparfaites. Mais c’en est un dans l’autorite´ de punir les individus parcequ’ils n’adoptent pas comme leur interet cequi parait tel a` d’autres hommes, ou qu’ils ne soumettent pas leurs lumie`res a` des lumie`res, dont apre`s tout, chacun d’eux est juge en dernier ressort. Subordonner a` la volonte´ ge´ne´rale les volonte´s individuelles sans une ne´cessite´ absolue, c’est mettre gratuitement des obstacles a` tous nos progre`s. L’interet particulier est toujours plus e´claire´ sur cequi le concerne, que le pouvoir collectif. Son de´faut c’est de sacrifier a` son but, sans me´nagement et sans scrupule tout ce qui le contrarie. On a donc besoin de le re´primer, et nullement de le conduire. Augmenter la force de l’autorite´ collective, n’est jamais que donner plus de pouvoir a` quelques individus. Si la me´chancete´ des hommes est un argument contre la liberte´, elle en est un plus fort encore contre la puissance. Car le despotisme n’est autre chose que la liberte´ d’un seul ou de quelques-uns contre tous. Burke dit que la liberte´ est une puissance1 : on peut dire de meˆme que la puissance est une liberte´ a.

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[Addition] o

7, f 76r

o

Marche ordinaire des gouvernemens. Ils commencent par faire du mal. Ils s’en aperc¸oivent. au lieu de faire cesser alors le mal qu’ils ont fait, en en e´cartant la cause, et en revenant a` une inactivite´ salutaire, ils accumulent divers modes d’activite´ en sens oppose´, et produisent imparfaitement et avec douleur, par deux pressions contraires, ce qui auroit existe´ naturellement, d’une manie´re plus comple`te et sans douleur par la seule liberte´2. a

V. Jd 477. 4883.

V: 6 par ses ] d’apre`s ses L 26 la cause, et ] la cause, 〈ils accumulent divers modes d’activite´ en sens oppose´ et produisent imparf〉 et P 1

2 3

Edmund Burke, Re´flexions sur la Re´volution de France et sur les proce´de´s de certaines socie´te´s a` Londres relatifs a` cet e´ve´nement, Paris : Laurent, London : Edward, s.d. [1791], p. 12 : «Mais quand les hommes agissent en corps, la liberte´ est puissance» (e´d. de 1819, Paris : E´gron, p. 10). Burke n’est cite´ que deux fois dans cet ouvrage, et toujours avec cette phrase qui sera critique´e par BC. Voir ci-dessous, p. 646. La premie`re phrase fonctionne comme un titre qui indique le sujet a` traiter dans cette note e´bauche´e. Non e´lucide´.

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Principes de politique

Chape˙ 2e˙ De trois ide´es pernicieuses.

Trois ide´es sont particulie`rement dangereuses, lorsqu’elles s’emparent de l’esprit des gouvernans ; ce sont les ide´es d’uniformite´, les ide´es de stabilite´, et le de´sir inconside´re´ d’ame´liorations premature´es.

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Chapitre 3e˙ Des ide´es d’uniformite´.

2, fo 157ro

M. de Montesquieu qui, dans son admirable ouvrage, avait presque tout apperc¸u, condamne dans un court chapitre les ide´es d’uniformite´, mais en peu de mots, sans developpemens, et plutot de manie`re a` diriger l’attention du lecteur sur ce sujet, qu’a` le traiter et l’approfondir lui meˆme. Il y a, dit-il a, de certaines ide´es d’uniformite´, qui saisissent quelquefois les grands esprits, car elles ont touche´ Charlemagne, mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu’ils reconnaissent, parcequ’il est impossible de ne pas le de´couvrir, les meˆmes poids dans la police, les meˆmes mesures dans le commerce, les meˆmes loix dans l’Etat, la meˆme religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours a` propos sans exception ? Le mal de changer est-il toujours moins grand que celui de souffrir ? Et la grandeur du ge´nie ne consisterait elle pas a` savoir dans quel cas il faut l’uniformite´, et dans quel cas il faut les diffe´rences1 ? Si l’auteur de l’esprit des loix avait voulu s’appuyer de l’histoire, il aurait facilement de´montre´ qu’une uniformite´ absolue est dans plusieurs circonstances contraire a` la nature et des hommes et des choses. Il est e´vident que des portions diffe´rentes du meˆme peuple, place´es dans des situations, e´leve´es dans des coutumes, habitant des lieux dissemblables, ne peuvent eˆtre ramene´es a` des formes, a` des usages, a` des pratiques, a` des loix absolument pareilles, sans une violence qui leur coute beaucoup plus 2, fo 157vo qu’elle ne leur vaut. «Le petit avantage2 d’offrir une surface unie sur a

Liv.

XXIX.

ch. 18.

V: 1 Chapitre 3e˙ ] Chapitre 3e le chiffre re´crit sur un 4 L L, Montesquieu 1

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15 les diffe´rences ] des diffe´rences

BC cite largement le chap. 18 du livre XIX de L’Esprit des lois, p. 882. Les re´flexions qui suivent cette citation partent d’ailleurs de l’exemple avec lequel Montesquieu cloˆt son chapitre et de´veloppe la phrase finale : «A la Chine, les Chinois sont gouverne´s par le ce´re´monial chinois, et les Tartares par le ce´re´monial tartare : c’est pourtant le peuple du monde qui a le plus la tranquillite´ pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils suivent la meˆme ?» Comme dans le livre pre´ce´dent, beaucoup de passages ont e´te´ entoure´s dans le ms. par des guillemets. Mais il n’est pas suˆr qu’il s’agisse de citations ; il est fort possible que BC de´finisse ainsi des passages a` transporter dans un autre contexte que nous n’avons pas re´ussi a` identifier.

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2, fo 158ro

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laquelle l’œuil superbe du pouvoir se prome`ne en liberte´, sans rencontrer aucune ine´galite´ qui le blesse ou borne sa vue, n’est qu’une che´tive compensation pour le sacrifice d’une foule de sentimens, de souvenirs, de convenances locales, dont se compose le bonheur individuel, c’est a` dire le seul bonheur ve´ritable. Le hazard qui soumet au meˆme gouvernement diverses peuplades, n’alte`re enrien la disposition ulte´rieure de chaque membre de ces peuplades. La se´rie d’ide´es dont leur eˆtre moral s’est forme´ graduellement et de`s leur enfance, ne peut eˆtre modifie´e par un arrangement purement nominal, purement exte´rieur, inde´pendant de leur volonte´ la plupart du tems, et qui n’a rien de commun avec leurs habitudes, source intime et re´elle de leurs peines et de leurs plaisirs.» C’est en immolant tout a` des ide´es exage´re´es d’uniformite´, qu’on a rendu les grands Etats un fle´au pour l’espe`ce humaine. En renonc¸ant a cette perfection ide´ale, on conserverait dans les grands pays, beaucoup des avantages des petits Etats, et on les combinerait avec les avantages qui re´sultent d’une plus grande e´tendue. Pour la morale, la justice, le repos, un certain genre de bonheur, et toutes les affections naturelles, les petits Etats sont pre´fe´rables aux grands. Pour la surete´ exte´rieure qui est la garantie du bonheur prive´, pour l’inde´pendance nationale, sans laquelle un Etat est le jouet et la victime de ses voisins, pour les lumie`res qui sont la plus forte barrie`re contre l’oppression, les grands Etats ont sur les petits d’immenses avantages. Les combinaisons y e´tant beaucoup plus varie´es, ajoutent beaucoup a` l’expe´rience de chaque jour. Les pre´juge´s s’usent plus vite. Tel abus, qui se re´forme tout a` coup et presque de lui meˆme dans un grand empire, se fut maintenu e´ternellement dans un paı¨s resserre´ dans des limites e´troites.. C’est parceque l’empire romain avait conquis les trois quarts du monde, que l’esclavage a e´te´ de´truit. Si cet empire eut e´te´ divise´ en une multitude d’Etats inde´pendans, aucun n’aurait donne´ l’exemple de l’abolition de l’esclavage, parceque chacun eut e´te´ frappe´ de l’avantage imme´diat qui en serait re´sulte´ pour ses voisins a` son de´triment a. Il y a des actes de justice qui ne pouvant se faire a

Paw. Rech. sur les Grecs. I. 1731.

V: 6 ulte´rieure ] inte´rieure L

20 et la ] ou la L

TR: 17–28 Pour la morale ... de´truit. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 641. 31-p. 561.3 Il y a ... ge´ne´rosite´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 642. 1

Cornelius de Pauw, parlant des spartiates qui avaient re´duit a` l’e´tat d’esclavage les Ilotes, et des autres villes grecques, qui avaient besoin des esclaves pour organiser le travail quotidien, observe : «L’e´tat ou` se trouvoit la Gre`ce y rendoit l’abolition de la servitude impos-

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XV,

3, Des ide´es d’uniformite´

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que simultane´ment, ne se font jamais, parceque s’ils se fesaient partiellement, les plus ge´ne´reux seraient momentane´ment victimes de leur ge´ne´rosite´. Mais en reconnaissant ces avantages des grands Etats, l’on ne peut me´connaitre leurs inconve´niens multiplie´s et terribles. «Leur e´tendue oblige a` donner aux ressorts du gouvernement une activite´ et une force qu’il est difficile de contenir, et qui de´ge´ne`re en despotisme. Les loix partent d’un lieu tellement e´loigne´ de ceux ou` elles doivent s’appliquer, que des erreurs graves et fre´quentes sont l’effet ine´vitable de cet e´loignement. Les injustices partielles ne pe´ne´trent jamais jusqu’au centre du gouvernement. Place´ dans la capitale, il prend l’opinion de ses alentours, ou tout au plus du lieu de sa re´sidence pour celle de tout l’empire. Une circonstance locale ou momen2, fo 158vo tane´e devient de la sorte le motif d’une loi ge´ne´rale, et les habitans des provinces les plus recule´es sont tout a` coup surpris par des innovations inattendues, des rigueurs non me´rite´es, des re´glemens vexatoires, subversifs de toutes les bazes de leurs calculs et de toutes les sauvegardes de leurs interets, parce qu’a` deux cent lieues, des hommes qui leur sont entierement e´trangers ont cru pressentir quelques mouvemens, deviner quelques besoins, ou appercevoir quelques dangers.» Je ne sais meˆme, si pour la gloire, ce noble mobile des actions humaines, les grands pays ne sont pas funestes. On de´daigne, de nos jours, les petits Etats, comme des the´atres trop resserre´s. Mais une association trop nombreuse met a` la distinction personnelle, un obstacle presqu’insurmontable. Pour conque´rir l’admiration de ses concitoyens, il faut soulever la masse du peuple. Plus le paı¨s est vaste, plus la masse est lourde. Aussi voyons nous dans les empires trop e´tendus, qu’un petit Etat se forme au centre. Ce petit Etat est la capitale. La` vont s’agiter toutes les ambitions. Le reste est immobile, inerte et de´colore´. L’on parerait a` la plupart de ces inconve´niens, en abjurant, ou du moins en restreignant a` tre`s peu d’objets les ide´es d’uniformite´. Le gouvernement d’un grand pays devrait toujours tenir beaucoup de la nature du fe´de´ralisme. TR: 5–19 Leur e´tendue ... dangers. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 642. 7–19 Les loix ... dangers. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 57, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 591 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, CPC, I, 25–28 Aussi ... de´colore´. ]  De l’esprit de pp. 207–208, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1177. conqueˆte, I, 13, p. 54, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 590 ;  Principes de politique (1815), 12, p. 203, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 786 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, CPC, I, p. 206, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1177. sible ; car il auroit fallu pour cela que toutes les re´publiques de cette partie du monde eussent e´te´ exactement d’accord. [...] Et aussi longtemps qu’ils n’affranchissoient pas les He´lotes, qui faisoient leur puissance, les autres E´tats ne pouvoient pas non plus donner la liberte´ aux esclaves qui faisoient e´galement leur puissance.» Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 172.

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Principes de politique

Les re`gles a` cet e´gard sont fort simples ; elles partent toutes du principe qui fait la baze de cet ouvrage. La direction des affaires de tous appartient a` tous, c’est a` dire au gouvernement que tous ont institue´. Ce qui n’inte´resse qu’une fraction, doit eˆtre de´cide´ par cette fraction. Ce qui n’a de rapport 2, fo 159ro qu’avec l’individu, ne doit eˆtre soumis qu’a` l’individu. On ne saurait trop re´pe´ter que la volonte´ ge´ne´rale n’est pas plus respectable que la volonte´ particulie`re, lorsqu’elle sort de sa sphe`re. Supposez une nation de vingt millions d’individus, repartis dans un nombre quelconque de communes. Dans chaque commune, chaque individu aura des interets qui ne regarderont que lui, et qui par conse´quent ne devront pas eˆtre soumis a` la juris diction de la commune. Il en aura d’autres qui interesseront, ainsi que lui, tous les habitans de la commune, et ces derniers interets seront de la compe´tence communale. Ces communes, a` leur tour auront des interets qui ne regarderont que leur inte´rieur, et d’autres interets qui regarderont l’association. On sent que je saute les interme´diaires. Les premiers seront du ressort purement communal, les seconds du ressort de la le´gislation ge´ne´rale. L’uniformite´ n’est admissible que pour ces derniers. Remarquez que sous le nom d’interets, je comprends les habitudes. Rien de plus absurde que de pre´tendre faire violence aux habitudes, sous le pre´texte de mieux diriger les hommes dans le sens de leurs interets. Le premier de leurs interets est d’etre heureux, et les habitudes forment une partie essentielle du bonheur. Si les gouvernemens observaient ces re`gles, les grands Etats seraient avantageux sous plusieurs rapports, et cesseraient d’eˆtre un mal sous plusieurs autres. La capitale ne serait plus un centre unique, destructif de tout autre centre ; elle deviendrait un lien entre les centres divers. Le patriotisme o o 2, f 159v renaitrait, «le patriotisme qui ne peut exister que par l’attachement aux interets, aux mœurs, aux coutumes de localite´. Comme la nature de l’homme lutte obstine´ment, bien que presque toujours sans succe`s, contre les erreurs non moins obstine´es de l’autorite´, l’on voit ce genre de patrioV: 14 l’association ] 〈l’association〉 l’association L

25 tout autre centre ] tout centre L

TR: 2–17 La direction ... derniers. ]  Principes de politique (1815), 12, pp. 193–194, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 791 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, CPC, I, pp. 198–199, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1173. 2–16 La direction ... ge´ne´rale. ]  De la possibilite´ d’une constitu3–7 Ce qui n’inte´resse ... tion re´publicaine, VIII, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 643–644. sphe`re. ]  Co 4427, fo 2. 7–16 Supposez ... ge´ne´rale. ]  Co 4427, fo 1. 18–22 Rien de plus ... bonheur. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 53, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 589. 30-p. 563.9 l’on voit ... morale. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, pp. 53–54, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 589 ;  Principes de politique (1815), 12, p. 202, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 786 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, CPC, I, p. 206, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1176–1177.

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XV,

2, fo 160ro

3, Des ide´es d’uniformite´

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tisme, le seul ve´ritable, se ranimer comme de ses cendres, de`s que la main du pouvoir suspend un instant son action. Les magistrats des plus petites communes se complaisent a` les embellir ; les habitans trouvent une jou¨issance a` tout ce qui leur donne l’apparence meˆme trompeuse d’eˆtre constitue´s en corps et re´unis par des liens particuliers. On sent que, s’ils n’e´taient arrete´s dans le de´veloppement de cette inclination innocente, il se formerait bientot en eux une sorte d’honneur communal, pour ainsi dire, d’honneur de ville, d’honneur de province, et ce sentiment serait singulie`rement favorable a` la morale.» Il serait encore singulierement favorable a` l’amour de la me´tropole meˆme, qui paraitrait la protectrice et la divinite´ tute´laire de toutes les petites patries qui vivraient a` l’abri de sa puissance, au lieu qu’elle en est aujourd’hui l’adversaire implacable et l’ennemie toujours menac¸ante. «Chose bizarre, que ceux qui se disaient les amis ardens de la liberte´, aient travaille´ toujours avec acharnement a` de´truire le principe naturel du patriotisme, pour lui substituer une passion factice pour un eˆtre abstrait, pour une ide´e ge´ne´rale, de´pouille´e de tout ce qui frappe l’imagination, et de tout ce qui parle aux souvenirs ! Chose bizarre que pour baˆtir un e´difice, ils aient commence´ par broyer et re´duire en poudre tous les mate´riaux qu’ils devaient employer. Peu s’en est fallu qu’ils ne de´signassent par des chiffres les diffe´rentes parties de l’empire qu’ils pre´tendaient re´ge´ne´rer, comme ils ont de´signe´ par des chiffres les le´gions destine´es a` le de´fendre, tant ils semblaient craindre qu’aucune ide´e morale ne put se rattacher a` ce qu’ils instituaient, et de´ranger l’uniformite´ qui leur paraissait si belle et si de´sirable ! Mais cette bizarrerie s’explique, quand on re´fle´chit que ces hommes e´taient enyvre´s de pouvoir. Les interets et les souvenirs locaux contiennent un principe de re´sistance que l’autorite´ ne souffre qu’a` regret, et qu’elle s’empresse de de´raciner. Elle a meilleur marche´ des individus. Elle roule sur eux sans effort son poids e´norme comme sur le sable : mais aussi ces individus se de´tachant du sein de leur naissance, sans point de contact avec le passe´, ne vivant que dans un pre´sent rapide, et jete´s comme des atoˆmes sur une plaine monotone, se de´sinteressant d’une patrie qu’ils n’appercoivent nulle part et dont l’ensemble leur devient indiffe´rent, parceque leur V: 17 bizarre que ] bizarre 〈pour〉 que P

32 leur devient ] lui devient L

TR: 13–23 Chose bizarre, que ceux ... instituaient. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 48, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 586 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, CPC, I, p. 197, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1172. 25–28 Les interets ... sable : ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 49, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 586–587 ;  Re´flexions sur les constitutions, note B, 28-p. 564.1 mais aussi ... parties ]  De CPC, I, p. 197, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1172. l’esprit de conqueˆte, I, 13, p. 55, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 990 ;  Principes de politique (1815), 12, p. 203, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 786.

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Principes de politique

affection ne peut se reposer sur aucune de ses parties.» Dans ces grands empires ou` les interets, les coutumes, les habitudes de localite´, traite´s avec me´pris sont constamment sacrifie´s a` ce que l’on appe`le des conside´rations ge´ne´rales, le patriotisme, ainsi que le dit M. de Paw a, serait un eˆtre de raison, quand meˆme ces Etats ne seraient pas gouverne´s d’une manie`re si despotique, qu’on n’y connait d’autre intereˆt que celui du despote meˆme.

a

Rech. sur les Grecs. I. 811.

1

BC revient a` de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. Ier, p. 81. Le texte est cite´ litte´ralement.

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Chapitre 4e˙ Application de ce principe a` la composition des assemble´es representatives.

2, fo 160vo

La manie de nı¨veler un pays par des institutions uniformes, la haine des interets de localite´, le de´sir de les faire disparaitre, ont conduit de nos jours a` un singulier systeˆme sur la composition des assemble´es repre´sentatives. Montesquieu semble avoir pressenti ce systeˆme et l’avoir voulu re´futer d’avance. L’on connait beaucoup mieux, dit il, les besoins de sa ville, que ceux des autres villes, et on juge mieux de la capacite´ de ses voisins, que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les membres du corps le´gislatif soient tire´s en ge´ne´ral du corps de la nation. Mais il convient que, dans chaque lieu principal, les habitans se choisissent un repre´sentant a. On a dit dans ces derniers tems pre´cise´ment le contraire. Quand un peuple nombreux et disse´mine´ sur un vaste territoire, a-t-on affirme´, nomme ses mandataires sans interme´diaire, cette ope´ration l’oblige a` se diviser en sections. Ces sections sont place´es a` des distances qui ne leur permettent ni communication, ni accord re´ciproque. Il en re´sulte des choix sectionnaires. Il faut chercher l’unite´ des e´lections dans l’unite´ du pouvoir e´lectoral1. Les choix doivent partir non d’en bas ou` ils se feront toujours ne´cessairement mal, mais d’en haut ou` ils se feront ne´cessairement bien. Il faut placer le a

Esp. des loix.

XI.

82.

V: 1 Chapitre 4e˙ ] Chapitre 4e le chiffre re´crit sur un 5 L ajoute´e dans la col. gauche L

4 La manie ... uniformes ] phrase

TR: 13–18 Quand un peuple ... e´lectoral. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 562–563 ;  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 127– 128, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1041 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 84–85, OCBC, 18–20 Les choix ... bien. ]  De la possibilite´ d’une constitution Œuvres, IX/2, p. 721. re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 561–562 ;  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 126, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1040 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 83, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 720–721. 1

2

Hofmann (p. 390, n. 16) a identifie´ la source de ces phrases, le discours du 13 ventoˆse an IX (4 mars 1801) de Jacques-Fortunat Savoye de Rollin au Corps le´gislatif, pour soutenir le projet de loi relatif a` la formation des listes d’e´ligibilite´. Le discours de son ancien colle`gue au Tribunat a e´te´ publie´ au Moniteur, no 165, 15 ventoˆse an IX, p. 687a-c, ou` BC a pu le lire. La citation de De l’Esprit des lois provient du livre XI, chap. 6, pp. 399–400.

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Principes de politique

corps e´lectoral, non point a` la baze, mais au sommet de l’e´tablissement politique1. Un corps ainsi place´ peut seul bien connaitre l’objet ou le but ge´ne´ral de toute le´gislation. Ces raisonnemens reposent sur une ide´e tre`s exage´re´e de l’interet ge´ne´ral, du but ge´ne´ral, de la le´gislation ge´ne´rale, de toutes les choses auxquelles cette e´pithe`te s’applique : mais qu’est ce que l’intereˆt ge´ne´ral, sinon la transaction qui s’ope`re entre tous les interets particuliers ? Qu’est ce que la repre´sentation ge´ne´rale, sinon la repre´sentation de tous les interets partiels qui doivent transiger sur les objets qui leur sont communs ? L’intereˆt ge´ne´ral est distinct sans doute des interets particuliers. Mais il ne leur est point contraire. On parle toujours, comme s’il gagnait a` ce qu’ils perdent. Il n’est que le re´sultat de ces interets combine´s. Il ne diffe`re d’eux, que comme un corps diffe`re de ses e´le´mens. Les interets individuels sont cequi interesse le plus les individus. Les interets sectionnaires, pour me servir de l’expression invente´e pour les fle´trir, sont ce qui interesse le plus les sections. Or ce sont les individus, ce sont les sections qui composent le corps politique. Ce sont par conse´quent les interets de ces individus et de ces sections qui doivent eˆtre prote´ge´s. Si on les prote`ge tous, l’on retranchera par cela meˆme de chacun ce qu’il contiendra de nuisible aux autres, et dela` seulement peut re´sulter le ve´ritable intereˆt public. Cet interet public n’est autre chose que les interets individuels mis hors d’e´tat de se nuire re´ciproquement. Le principe sur lequel repose le besoin d’unite´ du corps e´lectoral est donc complettement erronne´. Cent de´pute´s nomme´s par cent sections d’un Etat, apportent dans le seı¨n de l’assemble´e les interets particuliers, les pre´ventions locales de leurs commettans. Cette baze leur est 2, fo 161vo utile. Force´s de delibe´rer ensemble, ils s’appercoivent bientot des sacrifices respectifs qui sont indispensables. Ils s’efforcent de diminuer, le plus possible, l’e´tendue de ces sacrifices, et c’est l’un des grands avantages de ce 2, fo 161ro

V: 19 aux autres ... public. ] mots ajoute´s dans la col. gauche L TR: 3-p. 567.25 Ces raisonnemens ... inadmissible. ]  De la possibilite´ d’une constitution 3-p. 567.17 Ces raisonnements ... re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 563–565. nivellement, ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 128–130, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1042 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 85–87, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 722–723. 1

L’autre citation, qui exprime une opinion semblable, est tire´e du discours de Pierre-JeanGeorges Cabanis du 25 frimaire an VIII (16 de´cembre 1799) au Corps le´gislatif intitule´ Quelques conside´rations sur l’organisation sociale en ge´ne´ral et particulie`rement sur la nouvelle constitution (Paris : Imprimerie nationale, an VIII, pp. 25–26) : «Du reste, des corps e´lectoraux relatifs aux diffe´rents ordres de fonctions, doivent eˆtre institue´s non point a` la base, mais au sommet de l’e´tablissement ; les choix doivent partir non d’en bas, ou` ils se font toujours ne´cessairement mal, mais d’en haut, ou` ils se feront ne´cessairement bien.»

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2, fo 162ro

4, Application de ce principe a` la composition des assemble´es repre´sentatives

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mode de nomination. La ne´cessite´ finit toujours par les re´unir dans une transaction commune, et plus les choix ont e´te´ sectionnaires, plus la repre´sentation atteint son but ge´ne´ral. Si vous renversez la gradation naturelle, si vous placez le corps e´lectoral au sommet de l’e´difice, ceux qu’il nomme, se trouvent appele´s a` prononcer sur un interet public, dont ils ne connaissent pas les e´le´mens. Vous les chargez de transiger pour des parties dont ils ignorent, ou dont ils de´daignent les interets et les besoins re´ciproques. Je veux que le repre´sentant d’une section de l’Etat soit l’organe de cette section, qu’il n’abandonne aucun de ses droits re´els, ou imaginaires, qu’apre`s les avoir de´fendus, qu’il soit partial pour la section dont il est le mandataire, parceque si chacun est partial pour ses commettans, la partialite´ de chacun re´unie aura tous les avantages de l’impartialite´ de tous. Les assemble´es, quelque sectionnaire que puisse eˆtre leur composition, n’ont que trop de penchant a` contracter un esprit de corps qui les isole de la nation. Place´s dans la capitale, loin de la portion du peuple qui les a nomme´s, les repre´sentans perdent de vue les usages, les besoins, la manie`re d’eˆtre des repre´sente´s. Ils se livrent a` des ide´es ge´ne´rales de nivellement, de simme´trie, d’uniformite´, a` des changemens en masses, a` des refontes universelles qui portent au loin le bouleversement, le de´sordre et l’incertitude. C’est cette disposition qu’il faut combattre : car il y a tel souvenir, telle habitude, telle loi partielle sur laquelle reposent le bonheur et la paix d’une province. Les assemble´es nationales sont de´daigneuses et prodigues de ces choses. Que sera-ce, si ces organes de la volonte´ publique n’ont de rapport qu’avec un corps place´ au sommet de l’e´difice social ? Plus un Etat est grand, plus un corps e´lectoral unique est inadmissible. Plus l’autorite´ centrale a de force, plus il est ne´cessaire que les choix partent d’en bas, et non pas d’en haut. Vous aurez sans cela des corporations de´libe´rant dans le vague et concluant de leur indiffe´rence pour les interets particuliers a` leur de´vouement pour l’intereˆt ge´ne´ral.

V: 25 e´lectoral unique ] e´lectoral P e´lectoral unique L

TR: 21–29 Les assemble´es ... ge´ne´ral. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 130–131, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1042 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 87–88, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 723. 27–29 Vous aurez ... ge´ne´ral. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 565.

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Chape˙ 5e˙ Addition au chapitre pre´ce´dent.

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Je me suis laisse´ entrainer a` l’examen d’une question qui, je l’avoue, a pour moi beaucoup d’attrait, et, bien qu’elle sorte, sous quelques rapports, des limites pre´cises de cet ouvrage, je ne puis m’empecher d’ajouter ici quelques re´flexions encore sur les inconveniens de la nomination des assemble´es repre´sentatives par un corps unique, et sur les avantages du systeˆme contraire. Quelque de´faveur que l’on jette sur la brigue, sur les efforts pour captiver une multitude mobile et passionne´e, ces choses sont cent fois moins corruptrices que les tentatives detourne´es dont on a besoin pour se concilier un petit nombre d’hommes en pouvoir. La brigue dit Montesquieu est dangereuse dans un se´nat, elle est dangereuse dans un corps de nobles, elle ne l’est pas dans le peuple, dont la nature est d’agir par passion. Le malheur d’une Re´publique, c’est lorsqu’il n’y a point de brigues a. Rien de ce qui est vil ne plait au peuple assemble´. Mais les individus puissans ne sont que trop porte´s a` jou¨ir de l’humilite´ des prie`res et de la bassesse des adulations. Ce que l’on fait pour entrainer une re´union nombreuse, doit paraitre au grand jour, et la pudeur mode`re les actions publiques. Mais lorsqu’on rampe devant quelques hommes que l’on implore isole´ment, on se prosterne a

Mont. Esp. des loix. Liv. II. 21.

V: 1 Chapitre 5e˙ ] Chapitre 5e le chiffre re´crit sur un 6 L 12–21 La brigue ... II. 2. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L dit Montesquieu ] mots ajoute´s dans l’interl. P manque L 21 II. 2, ] II. 2. 3. P TR: 9–14 Quelque ... passion. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 134, OCBC, Œuvres, VIII, 2, p. 1044 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 91, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 725. Quelque ... pouvoir. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 566. 15-p. 569.28 Rien de ce ... l’e´gare. ]  De la possibilite´ d’une constitution 16-p. 569.1 Mais les individus ... re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 566–567. te´ne`bres. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 134–135, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1044 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 91, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 725. 1

BC renvoie a` Montesquieu, De l’esprit des lois, livre II, chap. 2, pp. 243–244. La citation n’est pas litte´rale, mais les changements n’affectent pas le sens. (Le chiffre 3, ajoute´ a` la fin de cette note – voir la variante – est une erreur. Peut-eˆtre BC he´sitait-il en notant les renvois).

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XV,

5, Addition au chapitre pre´ce´dent

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dans les te´ne´bres, et la servilite´ n’a plus de bornes. Si l’e´lection par le peuple entraine quelque fois a` des se´ductions coupables, le plus souvent elle commande des moyens honorables et utiles, la bonte´, la bienfaisance, la justice et la protection. Lorsque l’e´lection de´pend d’un corps, une autre route est trace´e. Ce n’est point vers la demeure des l’habitans des campagnes, mais vers le palais du corps e´lectoral, que les candidats tournent leurs pas. Ils sont de´pendans non du peuple, mais de la puissance, et si la de´pendance envers des infe´rieurs fait des citoyens, la de´pendance envers des supe´rieurs forme des esclaves Triste e´ducation pour les mandataires du peuple, que celle qui leur impose un apprentissage de dissimulation et d’hypocrisie, qui les condamne aux supplications humiliantes, aux salutations obse´quieuses, a` l’adresse, aux Ge´nuflexions, a` la flatterie, pour les pre´parer sans doute a` l’inflexibilite´ et au courage qui doit arreˆter l’arbitraire, et plaider la cause du faible contre le fort. Il y a des e´poques ou` l’on craint tout ce qui ressemble a` quelqu’e´nergie, ou` l’on vante sans cesse la douceur, la souplesse, les talens occultes, les vertus prive´es. Alors on imagine les modes d’e´lection les plus propres a` re´compenser ces dons pre´cieux. Mais ce sont des e´poques d’abaˆtardissem˙t que la douceur et la souplesse obtiennent la faveur des cours, que les talens occultes se fassent connaitre : que les vertus prive´es trouvent leur salaire dans le bonheur domestique. Aux hom2, fo 163vo mes qui commandent l’attention, qui attirent le respect, qui ont acquis des droits a` l’estime, a` la confiance, a` la reconnaissance du peuple, appartiennent les choix de ce peuple. Et ces hommes plus e´nergiques seront aussi plus mode´re´s. On se figure toujours la me´diocrite´ comme paisible. Elle n’est paisible que lorsqu’elle est enchaine´e. Quand le hazard l’a revetue de la force, elle est mille fois plus incalculable dans sa marche, plus envieuse, plus obstine´e, plus de´sordonne´e, plus convulsive que le talent, meˆme, lorsque la passion l’e´gare. Les lumie`res calment les passions, adoucissent l’e´goisme, rassurent la vanite´. L’un des plus grands avantages du gouvernement repre´sentatif est d’e´tablir des relations fre´quentes entre les diverses classes de lasocie´te´ a. L’e´lec7, fo 76ro

a

[Add.] C’est un inconve´nient, pour tout mode d’e´ligibilite´ de se´parer les e´lecteurs des e´lus.

V: 28–29 Les lumie`res ... vanite´. ] les lumie`res calment les passions, 〈rassurent l’e´goı¨sme〉 adoucissent l’e´goı¨sme, rassurent la vanite´. L 31 la socie´te´. ] socie´te´. 〈Cet avantage disparait quand vous confiez les e´lections au choix d’un grand corps e´lectoral.〉 la phrase biffe´e ici est reprise a` la fin du paragraphe L TR: 14–29 Il y a ... vanite´. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 135–136, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1044–1045 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 92, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 726. 30–31 L’un des plus ... socie´te´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 8, OCBC, Œuvres, IV, p. 552 ;  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 131, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1042 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 88, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 724.

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tion sectionnaire ne´cessite de la part des classes puissantes des me´nagemens soutenus envers les classes infe´rieures. Elle force la richesse a` dissimuler son arrogance, le pouvoir a` mode´rer son action en plac¸ant dans les suffrages du peuple une re´compense pour la justice et pour la bonte´, un chaˆtiment contre l’oppression. Cet avantage disparait, quand vous confiez les e´lections au choix d’un grand corps e´lectoral. L’on objectera peut-eˆtre qu’en accordant les droits politiques aux proprie´taires seuls, je diminue cet avantage du systeˆme repre´sentatif. Mais dans l’e´tat actuel des socie´te´s, il n’y a pas entre les petits proprie´taires, et les non proprie´taires une ligne de de´marcation, telle que le riche puisse se concilier les premiers en opprimant les seconds. Les non proprie´taires, les artisans dans les bourgs et les villages, les journaliers dans les hameaux sont tous parens des petits proprie´taires. Ils feraient cause commune contre l’oppresseur. Il sera donc ne´cessaire de les me´nager tous, pour obtenir le suffrage de ceux qui auront le droit de voter. Il ne faut pas renoncer le´ge`rement a` ce moyen journalier de bonheur et d’harmonie, ni de´daigner ce motif de bienfaisance qui peut n’eˆtre d’abord qu’un calcul, mais qui devient bientot une vertu d’habitude. L’on se plaint de ceque les richesses se concentrent dans la capitale, et de ceque les campagnes sont epuise´es par le tribut continuel qu’elles y portent v. Smith sur l’influence avantageuse de l’e´lection populaire, comme donant de la conside´ration a` la classe infe´rieure des agriculteurs1. TR: 1–5 L’e´lection ... l’oppression. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 8, OCBC, Œuvres, IV, p. 552 ;  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 131–132, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1043 ;  Principes de politique (1815), 5, p. 89, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 724. 7–18 L’on objectera ... d’habitude. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´pu7–15 L’on objectera ... voter. ]  Re´blicaine, VI, 8, OCBC, Œuvres, IV, pp. 552–553. flexions sur les constitutions, 7, p. 132, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1043. 15–18 Il ne faut pas ... d’habitude. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 132, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1043. 19-p. 571.25 L’on se plaint ... individus. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 8, OCBC, Œuvres, IV, p. 552–553. 19-p. 571.18 L’on se plaint ... me´nager. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 132–134, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1043– 1044 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 89–90, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 724–725. 1

La note de BC est peu claire, probablement parce qu’elle est une e´bauche. Il se peut qu’il pense au passage suivant : «D’ailleurs, en Angleterre, un bail a` vie de la valeur de 40 schellings de rente annuelle est re´pute´ franche tenure et donne au preneur du bail le droit de voter pour l’e´lection d’un membre du Parlement ; et comme il y a une grande partie de la classe des paysans qui a des franches tenures de cette espe`ce, la classe entie`re se trouve traite´e avec e´gard par les proprie´taires, par rapport a` la conside´ration politique que ce droit lui donne. [...] Ces lois et ces coutumes, si favorables a` la classe des paysans, ont peut-eˆtre plus contribue´ a` la grandeur actuelle de l’Angleterre, que ces re´glements de commerce tant proˆne´s, a` les prendre meˆme tous ensemble.» Smith, Recherches, livre III, chap. 2, pp. 483– 484.

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et qui ne leur revient jamais. L’e´lection populaire repousse les proprie´taires vers les proprie´te´s dont ils s’e´loignent. Lorsqu’ils n’ont que faire des suffrages du peuple, leur calcul se borne a` retirer de leur proprie´te´ le produit le plus e´leve´ possible. L’e´lection populaire leur sugge`re un calcul plus noble et bien plus utile a` ceux qui vivent sous leur de´pendance. Sans l’e´lection populaire, ils n’ont besoin que de cre´dit, et ce besoin les rassemble autour de l’autorite´ centrale, l’e´lection par le peuple leur donne le besoin de la popularite´, et les reportant vers sa source, fixe la racine de leur existence 2, fo 164vo politique dans leurs possessions. On a vante´ quelque fois les bienfaits de la fe´odalite´, qui retenait le seigneur au milieu de ses vassaux, et repartissait e´galement l’opulence entre toutes les parties du territoire. L’e´lection populaire a le meˆme effet de´sirable, sans entrainer les meˆmes abus. L’on parle sans cesse d’encourager l’agriculture et d’honorer le travail. L’on essaye des primes que distribue le caprice, des de´corations que l’opinion conteste. Il serait plus simple de donner de l’importance aux classes agricoles. Mais cette importance ne se cre´e point par des de´crets, ou des Edits. La baze en doit eˆtre place´e dans l’interet de toutes les espe´rances a` la reconnaitre, de toutes les ambitions a` la me´nager. En substituant aux moyens factices qu’ils essayent et qu’ils varient, le respect pour les principes de la liberte´, les gouvernemens atteindraient plus vite et plus surement le but qu’ils doivent se proposer. En laissant jou¨ir les hommes des droits qui leur appartiennent, ils se trouveraient dispense´s de recourir a` des ressources incertaines, a` des inventions recherche´es qui n’ont aucun effet durable, parceque leur stabilite´ de´pend, non de la nature des choses, mais du systeˆme de quelques individus. Enfin l’e´lection sectionnaire et par le peuple peut seule investir la repre´sentation nationale d’une force ve´ritable, et lui donner dans l’opinion des racines profondes. Vous ne surmonterez jamais, vous ne ferez jamais 2, fo 165ro taire le sentiment qui nous crie que l’homme que nous n’avons pas nomme´, n’est pas notre repre´sentant. Lui meˆme, s’il est poursuivi par la calomnie, s’il est menace´ par le pouvoir, saura-t-il a` qui recourir contre leurs attaques ? a` qui dira-t-il : j’ai rempli fidelement la mission que vous m’aviez confie´e, je suis perse´cute´ pour vous avoir prote´ge´s ? Ou´ trouvera-t-il une voix qui reconnaisse la sienne et qui lui re´ponde ? quelle fraction du peuple se croira solidaire de son courage et de son danger ? la nation entie`re ? Mais la nation entie`re n’est rien. Une nation disse´mine´e sur un territoire immense V: 23 inventions ] re´crit sur un mot illis. L TR: 25-p. 573.8 Enfin ... individuel. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 8, OCBC, Œuvres, IV, pp. 554–556. 25-p. 572.6 Enfin ... repaire. ] re´sume´  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 141, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1047.

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peut-elle manifester une opinion, e´prouver une impulsion spontane´e ? C’est en parlant toujours de la nation entie`re, c’est en ane´antissant toutes les fractions, c’est en interceptant toute communication entr’elles et leurs de´fenseurs, c’est en ne reconnaissant leurs mandataires que comme les repre´sentans d’un eˆtre abstrait qui n’a jamais d’existence positive, c’est ainsi que le despotisme devient inexpugnable dans son repaire. Lorsque les assemble´es qui s’intitulent representatives, ne sont pas nomme´es par le peuple, elles sont sans force contre le pouvoir exe´cutif. Si elles lui opposent quelque resistance, ou` sont vos titres, leur dit-il ? quelle est votre mission ? Comment seriez vous les repre´sentans du peuple ? Le peuple vous a-t-il nomme´s ? Si l’opinion de´sapprouve quelque loi, ou s’e´le`ve contre quelqu’acte arbitraire, quelles sont, s’e´crie alors le gouvernement, ces reclamations se´2, fo 165vo ditieuses ? La repre´sentation nationale n’a-t-elle pas discute´, de´libe´re´, consenti ? Ou bien n’a-t-elle pas sanctionne´ par son silence ? Les organes le´gitimes de la nation peuvent seuls exprimer sa volonte´ souveraine. Le pouvoir exe´cutif est a` l’abri de tout blame, car les de´le´gue´s du peuple applaudissent. Ainsi l’on se joue tour a` tour de la nation malheureuse et de ses mandataires suppose´s. Ainsi le simulacre de la repre´sentation ne sert jamais de barrie`res, mais sert d’apologie a` tous les exce`s. L’on se tromperait, et c’est une observation de M. Necker, l’on se tromperait si l’on croyait que la part qu’on donne au peuple dans l’e´lection des le´gislateurs, n’a pour but que d’assurer davantage la convenance des choix1. 650 hommes tire´s au sort dans la classe opulente et cultive´e qui fournit en Angleterre des membres a` la chambre des Communes, formeraient, je le pense, un corps aussi e´claire´ que celui qui re´sulte aujourd’hui des e´lections britanniques. Mais tous les avantages que nous venons de de´crire disparaitraient. Plus de me´nagemens pour les infe´rieurs, plus de titres sacre´s a` opposer au pouvoir, enfin plus de ce mouvement salutaire qui re´pand la vie, la force et la sante´ dans toutes les parties du corps politique. Les citoyens ne s’interessent a` leurs institutions, que lorsqu’ils sont appele´s a` y concourir par leurs suffrages. Or cet interet est indispensable pour former un esprit public, cette puissance sans laquelle o o 2, f 166r nulle liberte´ n’est durable, cette garantie contre tous les pe´rils, que dans V: 17 nation ] 〈repre´sentation〉 nation L 1

Hofmann (p. 396, n. 31) a identifie´ la citation : «On se tromperait, si l’on jugeait que, par cette disposition politique, on se soit uniquement propose´ d’assurer davantage la convenance des choix. Une telle opinion deviendrait dangereuse, car on se croirait en droit d’enlever au peuple une de ses plus pre´cieuses pre´rogatives, de`s qu’on trouverait, de`s qu’on imaginerait avoir trouve´ un mode d’e´lection dont la combinaison serait plus simple, le re´sultat plus e´claire´.» Necker, Dernie`res vues de politique et de finance, offertes a` la nation franc¸aise, s.l. : s.e´d., an X, 1802, p. 13.

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certains pays on invoque toujours sans la cre´er jamais. C’est l’esprit public, re´sultat de l’e´lection populaire qui a soutenu la grande Bretagne, au milieu de la guerre la plus dispendieuse et la plus acharne´e. C’est par l’e´lection populaire, que, sous des ministres ombrageux, la liberte´ de la presse a surve´cu a` toutes les crises. Sans l’e´lection populaires, les citoyens d’un pays n’ont jamais ce sentiment de leur importance qui leur pre´sente la gloire et la liberte´ de leur pays comme la portion la plus pre´cieuse de leur patrimoine individuel. L’on a, je le sais, conc¸u, parmi nous, dans ces derniers tems, beaucoup de pre´ventions contre les e´lections populaires. Ne´ammoins jusqu’a` nos jours, toutes les expe´riences de´posaient en leur faveur. Le peuple d’Athe`nes, libre dans ses choix, n’a jamais, dit Xe´nophon, qu’on ne soupc¸onnera pas de trop d’attachement pour une de´mocracie orageuse, demande´ pour des hommes indignes de les remplir, les emplois qui pouvaient interesser son salut et sa gloire. Tite Live nous montre le re´sultat des comices de Rome, prouvant toujours que l’esprit du peuple e´tait diffe´rent, lorsqu’il re´clamait le droit de posse´der les dignite´s de la Re´publique, et lorsque, le combat fini, la victoire remporte´e, il prononcait dans le calme, d’apre`s sa conscience et sa raison. Malgre´ les efforts des Tribuns, malgre´ l’intereˆt de sa classe, ses choix se dirigeaient constamment vers les plus vertueux et les plus illustres1. Depuis 1688, les e´lections d’Angleterre n’ont porte´ dans la o o 2, f 166v chambre des communes que des proprie´taires e´claire´s. L’on aurait peine a` citer un homme distingue´ par ses talens politiques, que cette e´lection n’ait pas honore´ s’il l’a brigue´e. La paix profonde de l’Amerique, la fermete´ V: 8 conc¸u parmi nous ... contre ] conc¸u parmi nous ces trois derniers mots ajoute´s dans l’interl. dans ces derniers tems, 〈conc¸us〉 beaucoup de pre´ventions 〈parmi nous〉 contre L 14 et sa ] ou sa L TR: 8-p. 574.6 L’on a, ... a` l’e´lection populaire. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, 10-p. 574.6 Le peuple ... a` l’e´lection pp. 114–115, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1034–1035. populaire. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 7, OCBC, Œuvres, IV, pp. 546–547. 1

On peut observer comment BC travaille. Il prend la re´fe´rence a` Xe´nophon soit dans le livre II, chap. 2 de L’Esprit des lois (p. 241), soit dans La science de la le´gislation de Filangieri (Paris : Cuchet, 1786, t. I, pp. 168–169 ; ajoutons que BC n’utilise pas cette e´dition, mais la seconde e´dition revue de l’an VII qui avait paru chez Dufart, pour re´diger son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri ; dans l’e´dition de Paris : Dufart, 1822, le passage en cause se lit t. I, p. 146). La re´fe´rence aux œuvres de Xe´nophon est passe´e de Montesquieu a` Filangieri, puis a` BC. La citation de Tite-Live qui ne se trouve chez Montesquieu que sous forme du nom, mais est donne´e en toutes lettres chez Filangieri fait penser que BC a utilise´ les deux ouvrages en meˆme temps, ou seulement le texte de Filangieri. Celui-ci e´crit, en transformant le`ge`rement le texte de Tite-Live, «Quorum comitiorum eventus docuit alios animos in contentione libertatis et honoris, alios secundum deposita certamina in incorrupto iudicio esse.» BC traduit cette phrase librement.

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mode´re´e qu’elle a deploye´e dans des circonstances difficiles, les discours et les actes de Jefferson, le choix d’un tel homme par les repre´sentans e´lus parle peuple, forment en faveur de son suffrage, une de´monstration que rien ne peut affaiblir, puisqu’on ne peut l’attribuer a` des relations infide`les et exage´re´es. Si dans l’histoire de dix anne´es qui viennent de s’e´couler, quelques faits paraissent de´favorables a` l’e´lection populaire, des causes particulieres l’expliquent. D’abord l’e´lection populaire n’a jamais existe´ re´ellement parmi nous. De`s l’introduction de la repre´sentation dans nos institutions politiques, on a redoute´ l’intervention du peuple : on a cre´e´ des assemble´es e´lectorales, et les assemble´es e´lectorales ont de´nature´ les effets de l’e´lection. Les gouvernemens populaires seraient le triomphe de la me´diocrite´, sans une sorte d’e´lectricite´ morale dont la nature a doue´ les hommes, comme pour assurer la domination du ge´nie. Plus les assemble´es sont nombreuses, plus cette e´lectricite´ est puissante ; et comme, lorsqu’il est question d’e´lire, il est utile qu’elle dirige les choix, les assemble´es charge´es de la nomination des repre´sentans du peuple doivent eˆtre aussi nombreuses que cela est compatible avec le bon ordre. En Angleterre, les candidats du haut d’une tribune, au milieu d’une place publique, ou d’une plaine couverte de peuple, haranguent les e´lecteurs qui les environnent. Dans nos assemble´es e´lectorales, le nombre e´tait resserre´, les formes se´ve`res, un silence rigoureux e´tait prescrit, aucune question ne se pre´sentait qui put remuer les ames, et subjuguer momentane´ment l’ambition individuelle ou l’e´goisme de localite´. Or les hommes vulgaires ne sont justes que lorsqu’ils sont entraine´s, ils ne sont entraine´s que lorsque re´unis en foule, ils agissent et re´agissent presque tumultueusement les uns sur les autres. L’on n’attire les regards de plusieurs milliers de citoyens que par une grande opulence, ou par une re´putation e´tendue. Quelques relations domestiques accaparent une majorite´ dans une re´union de 2 ou 300. pour eˆtre nomme´ par le peuple, il faut avoir des partisans place´s au dela` de ses alentours et par conse´quent des avantages positifs. Pour eˆtre choisi par quelques e´lecteurs, il suffit de n’avoir point d’ennemis : l’avantage est tout entier pour les qualite´s ne´gatives, et la chance est meˆme contre le talent. La repre´sentation nationale en France a, sur beaucoup d’objets, e´te´ souvent moins avance´e que l’opinion. Je ne parle

TR: 7-p. 576.23 D’abord ... commettans. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 7, OCBC, Œuvres, IV, pp. 548–551. 7–21 D’abord ... l’opinion. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 116–118, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1035–1036. 9–17 on a cre´e´ ... bon ordre. ]  Mercure de France, 18 janvier 1817, «Loi sur les e´lections», OCBC, Œuvres, X/1, p. 406. 15-p. 575.2 les assemble´es ... politique. ]  Principes de politique (1815), 5, pp. 76–77, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 717–718. 23–32 Or les hommes ... talent. ]  Mercure de France, 18 janvier 1817, «Loi sur les e´lections», OCBC, Œuvres, X/1, p. 407.

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pas des questions de parti, sur lesquelles au milieu des commotions civiles, les lumie`res n’influent pas : Je parle des objets d’e´conomie politique. C’est que nos assemble´es e´lectorales, avec les entraves qu’elles apportaient a` toute influence personnelle, et les facilite´s qu’elles preˆtaient a` la calomnie, 2, fo 167vo fesaient des e´lections une loterie dont les lots devaient fre´quemment tomber sur des hommes me´diocres ou inconnus. Sous ce premier rapport, l’e´lection populaire ne peut eˆtre juge´e en France, car elle n’y a point existe´. En second lieu, pourque l’e´lection soit populaire, il faut qu’elle soit essentiellement libre, or elle ne l’a e´te´ a` aucune e´poque durant la re´volution. Qui ne sent que les premiers essais d’une institution peuvent eˆtre accompagne´s de troubles e´trangers a` l’institution meˆme ? Le renversement de ce qui a existe´, les passions qui s’agitent en sens oppose´s, toutes ces choses sont d’ordinaire contemporaines des grands changemens politiques, chez les peuples avance´s dans la civilisation, mais ne tiennent en rien aux principes ou a` la nature de ce qu’on veut e´tablir. Prononcer contre l’e´lection populaire d’apre`s les e´ve´nemens de la re´volution francaise, c’est juger les assemble´es nationales par le Parlement de Cromwell, ou la royaute´ par le re´gne de Charles VI en de´mence. Enfin durant l’empire de nos assemble´es, aucune constitution n’avait assigne´ de ve´ritables limites au pouvoir le´gislatif. Or lorsque le pouvoir le´gislatif n’a point de limites, lorsque les repre´sentans de la nation se croyent investis d’une souverainete´ sans bornes, lorsqu’il n’existe de contrepoids a` leurs de´crets ni dans le pouvoir executif, ni dans le pouvoir 2, fo 168ro judiciaire, la tyrannie des e´lus du peuple est aussi de´sastreuse que toute autre tyrannie, quelque de´nomination qu’elle porte. La souverainete´ du peuple absolue, illimite´e avait e´te´ transporte´e par la nation, ou dumoins en son nom, comme c’est l’ordinaire, par ceux qui la dominaient, a` des assemble´es repre´sentatives. Ces assemble´es ont exerce´ l’arbitraire le plus inoui. Cela devait eˆtre. Nous l’avons assez de´montre´ plus haut1. La constitution qui la premie`re a mis un terme a` cette pe´riode de despotisme et de de´lire, ne limitait pas encore suffisamment le pouvoir le´gislatif2. Elle n’e´tablissait contre ses exce`s aucun contrepoids. Elle ne consacrait ni l’indispensable veto du pouvoir exe´cutif, ni la possibilite´ non moins indispensable de la dissolution des assemble´es repre´sentatives. Elle ne garantissait pas meˆme TR: 7–15 En second lieu ... e´tablir. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 118–119, 28-p. 576.13 La constitution ... nomme´e. ]  OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1036–1037. Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 119–120, en partie en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1037–1038. 1

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Cette phrase est un exemple de l’adaptation d’une re´daction ante´rieure au nouveau contexte. Le passage est tire´ de De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine (voir l’apparat des RT, ci-dessus, p. 574), le renvoi concerne effectivement le livre VI de cet ouvrage. Dans les Principes de politique, BC pense e´videmment aux passages qui parlent des mesures arbitraires des gouvernements re´volutionnaires. Voir ci-dessus, pp. 118, 120, 129 etc. Allusion a` la constitution de l’an III (1795).

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comme certaines constitutions americaines les droits les plus sacre´s des individus contre les empie´temens des le´gislateurs a. o o 2, f 168v Doit on s’e´tonner si le pouvoir le´gislatif a continue´ a` faire du mal. L’on s’en est pris a` l’e´lection populaire. C’e´tait une me´prise profonde. Il n’en fallait point accuser le mode de nomination des le´gislateurs despotes, mais la nature de leur autorite´ ; la faute n’en e´tait pas aux choix faits par les repre´sente´s, mais aux pouvoirs sans frein des repre´sentans. Le mal n’aurait pas e´te´ moins grand, quand les mandataires de la nation se seraient nomme´s eux meˆmes, ou quand ils auraient e´te´ nomme´s par une corporation constitue´e quelconque. Ce mal tenait a` ceque leur volonte´ de´core´e du nom de loi n’e´tait contrebalance´e, reprime´e, arrete´e par rien. Lorsque l’autorite´ le´gislative s’e´tend a` tout, elle ne peut faire que du mal, de quelque manie`re qu’elle soit nomme´e. Si vous la restreignez aux objets de sa compe´tence, si elle n’est appele´e a` prononcer que sur les peines applicables pour l’avenir aux de´lits, sur la portion de proprie´te´ particulie´re qui doit eˆtre consacre´e au service public, sur les moyens de de´fense a` diriger contre les ennemis exte´rieurs, si, loin de pouvoir attenter a` sa liberte´, elle n’a de forces que pour la garantir et la prote´ger, ne craignez pas de remettre au peuple le choix des 2, fo 169ro de´positaires de cette autorite´ tute´laire : elle ne fera que du bien. Mais pourqu’elle en fasse, elle doit e´maner de sa ve´ritable source ; les repre´sentans de la nation, fiers de leur mission nationale, ne doivent placer leur espoir, et trouver leur re´compense que dans le suffrage de leurs commettans. Je terminerai cette digression par deux conside´rations d’autant plus importantes, qu’elles inte´ressent autant la puissance que la liberte´. La nomination des assemble´es repre´sentatives par un corps e´lectoral cre´e une autorite´ qui n’est celle ni du gouvernement ni du peuple : Et si cette autorite´ contracte un esprit de haine contre le gouvernement, c’est envain qu’il est a

Les membres de la le´gislature de New Jersey font serment de ne pas voter contre les loix qui assurent les e´lections pe´riodiques, le jugement par Jure´s1, la liberte´ de conscience et celle de la presse. Ceux de la caroline me´ridionale preˆtent le meˆme serment, et de plus celui de ne de´cre´ter aucune loi re´troactive et de n’e´tablir aucun titre de noblesse.

V: 17 a` sa ] a` la L 28–31 Les membres ... noblesses. ] le texte de la note faisait d’abord partie du texte principal ; il est encadre´ dans le ms des mots Note et fin de la note L TR: 28–31 Les membres ... noblesse. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, 7, en note, OCBC, Œuvres, IV, pp. 550–551 ;  De la possibilite´ d’une constitution re´pu28–30 Les membres ... presse. ]  blicaine, VIII, 2, OCBC, Œuvres, IV, pp. 615–616. Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 120, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1037. VI,

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La source des indications de cette note n’est pas e´lucide´e. BC les avait de´ja` utilise´es dans De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays (OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 550–551).

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entoure´ de l’affection publique, c’est envain qu’il la me´rite. Le peuple qui n’a pas le droit d’e´lire, ne peut rien changer a` la composition des assemble´es qui parlent en son nom. Le gouvernement aurait vainement le droit de les dissoudre. La dissolution n’est rien sans l’e´lection populaire, car ce n’est plus au vœu du peuple que l’on a recours1. Si le corps e´lectoral est d’accord avec le gouvernement, la nation contemplera, sans eˆtre admise a` se faire entendre, l’e´loignement de ses mandataires les plus fide`les, des ve´ritables repre´sentans de sa volonte´. Si le corps e´lectoral est ennemi du gouvernem˙t, c’est envain que le peuple entourera ce dernier de son amour et de sa confiance. Le gouvernement et le peuple verront re´e´lire, sans qu’aucune opposition soit constitutionnellement le´gitime, des mandataires factieux que 2, fo 169vo l’unanime de´saveu de leurs commettans ne pourra de´pouiller du nom de leurs de´pute´s. Une e´poque remarquable dans les annales du Parlement britannique fait ressortir l’importance de cette conside´ration1. En 1783, le Roi d’Angleterre renvoya ses ministres. Le Parlement, presque tout entier e´tait de leur parti. Le peuple anglais e´tait d’une opinion diffe´rente. Le Roi en ayant appele´ au peuple par la dissolution de la chambre des communes, une immense majorite´ vint appuyer le ministe´re nouveau. Supposez maintenant l’e´lection populaire, remplace´e par l’autorite´ d’un corps e´lectoral. Si la majorite´ de ce corps eut penche´ pour un parti qui n’avait ni l’assentiment des gouvernans, ni celui des gouverne´s, ce parti eut conserve´ la direction des affaires, malgre´ la volonte´ nationale unanimement manifeste´e. Tant il est vrai que ce n’est point en portant atteinte aux droits du peuple, que l’on augmente la force re´elle et le´gitime du gouvernement, et qu’il est impossible d’inventer une organisation stable, en s’e´cartant des principes sur lesquels repose la liberte´. Que si l’on pre´tendait qu’avec un peu d’adresse, ou beaucoup de force, le gouvernement dominera toujours le corps e´lectoral, je re´pondrais que d’abord c’est une terrible hypothe`se que celle d’une assemble´e repre´sentative n’e´tant que l’instrument d’un seul ou de quelques hom2, fo 170ro mes. Mieux vaudrait mille fois n’avoir point d’assemble´es. L’oppression n’est jamais si terrible au nom d’un seul, que lorsqu’elle emprunte les apparences de la liberte´. Un homme n’oserait jamais vouloir par lui meˆme ce qu’il ordonne a` ses agens de vouloir, lorsque ces agens se disent les TR: 5–26 Si le corps ... liberte´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 9, OCBC, Œuvres, IV, pp. 568–569. 13–18 Une e´poque ... nouveau. ]  Principes de politique 14–22 En 1783 ... manifeste´e. ]  (1815), 4, p. 73, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 714–715. Re´flexions sur les constitutions, 2, p. 19, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 972. 30-p. 578.2 L’oppression ... Henri VIII. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 2, pp. 85–86, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 611. 1 1

BC re´sume ici, comme le dit Hofmann (p. 401, n. 42), le chap. 9 du livre VI de son ouvrage De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays. La politique re´pressive du roi George III, massivement applique´e par son ministre Lord North, beˆte noire des coloniaux ame´ricains, incita ceux-ci a` se soulever et mena a` la Guerre

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organes d’une autorite´ inde´pendante. Songez au Se´nat de Tibe`re, songez au Parlement d’Henri VIII. Mais je dirai ensuite, qu’un instrument de´sordonne´ peut re´agir contre la main qui l’employe. Un gouvernement qui se sert d’une assemble´e qu’il domine, court toujours le risque de voir cette assemble´e se retourner soudain contre lui. Les corporations les plus asservies sont en meˆme tems les plus furieuses, lorsqu’un e´ve´nement impre´vu vient briser leurs fers. Elles veulent expier l’opprobre de leur longue servitude. Les meˆmes se´nateurs qui avaient vote´ des feˆtes publiques pour ce´le´brer la mort d’Agrippine, et felicite´ Ne´ron du meurtre de sa me`re, le condamne`rent a` eˆtre battu de verges et precipite´ dans le Tibre1 L’on veut, je le sais, effrayer les esprits par des peintures exage´re´es du tumulte des e´lections populaires. Te´moin plus d’une fois des desordres apparens qui accompagnent en Angleterre les choix conteste´s, j’ai vu combien les descriptions qu’on en fait, sont infide`les. J’ai vu sans doute des e´lections me`le´es de clameurs, de rixes, de disputes violentes, d’injures souvent grossie`res, de tout ce qui caracte´rise la classe que des occupations me´chaniques 2, fo 170vo privent de toute culture e´le´gante et de toute occupation recherche´e. Mais l’e´lection n’en portait pas moins sur des hommes distingue´s par leurs talens ou par leur fortune. Et cette ope´ration finie, tout rentrait dans la re`gle accoutume´e. Les artisans, les ouvriers, nague`res obstine´s et turbulens, redevenaient laborieux, dociles, respectueux meˆmes. Satisfaits d’avoir exerce´ leurs droits, ils se pliaient d’autant plus facilement aux supe´riorite´s et aux conventions sociales, qu’ils avaient la conscience en agissant de la sorte,

V: 2–5 qu’un instrument ... contre lui. ] passage ajoute´ dans la col. gauche 〈que〉 L TR: 5–10 Les corporations ... Tibre. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 19, p. 197, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 677. 12-p. 579.5 Te´moin ... ranimer. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VI, 10, OCBC, Œuvres, IV, p. 571 ;  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 138–139, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1046 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 81–82, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 720.

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d’inde´pendance, ce qui obligea le ministre a` de´missionner apre`s la de´faite de Yorktown. Lord North s’allia brie`vement avec le Whig Charles James Fox, mais cette coalition parlementaire fut dissoute par le roi qui e´tait soutenu par son peuple et investi de la faculte´ de cre´er de nouveaux lords. Le roi pouvait ainsi augmenter le nombre de membres de la Chambre des Lords a` volonte´. L’homme d’e´tat libe´ral Fox soutint par la suite les Ame´ricains ainsi que la Re´volution franc¸aise (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 972, n. 2). BC utilise ici peut-eˆtre Sue´tone qui raconte dans Les douze Ce´sars les circonstances de la mort de Ne´ron. Il peut avoir consulte´ Sue´tone, Les douze Ce´sars. Traduits du latin de Sue´tone, avec des notes et des re´flexions par M. de La Harpe, Paris : Lacombe, 1805 ; ou l’e´dition illustre´e du meˆme ouvrage, paru a` Paris : Gabriel Ware´e, 1805 (voir dans cette dernie`re e´dition, t. II, pp. 304–315). Mais a` coˆte´ de cette source, il a recours a` d’autres traditions non identifie´es qui contiennent des de´tails que Sue´tone ne donne pas.

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qu’ils n’obe´issaient qu’au calcul inde´pendant d’un intereˆt e´claire´. Le lendemain d’une e´lection, il ne restait plus la moindre trace de l’agitation de la veille. Le peuple avait repris ses travaux, mais il s’e´tait convaincu de son importance politique, et l’esprit public avait rec¸u l’e´branlement salutaire, ne´cessaire pour le ranimer. Il en est des e´lections, comme de presque tout ce qui tient a` l’ordre public. C’est a` force de pre´cautions vexatoires qu’on les cause ou qu’on les accroit. En France, nos spectacles, nos feˆtes sont he´risse´es de gardes et de bayonnettes. On croirait que trois citoyens franc¸ais ne peuvent se rencontrer, sans avoir besoin de deux soldats pour les se´parer. En Angleterre, vingt mille hommes se rassemblent. Pas un soldat ne parait au milieu d’eux. La surete´ de chacun est confie´e a` la raison et a` l’intereˆt de chacun : et cette multitude, se sentant depositaire et de l’ordre public et de sa surete´ particulie`re, veille avec scrupule sur ce de´pot. J’irai plus loin. Tout ceque l’on invente sur les e´lections de l’Angleterre serait de´montre´, que je ne changerais pas d’opinion. Je me dirais que pourque le sentiment de la liberte´ pe´ne`tre jusques dans l’ame du peuple, il faut peut-eˆtre que la liberte´ revete quelque fois des formes a` sa porte´e, des formes populaires, orageuses et bruyantes. J’aime mieux que quelques accidens impre´vus en re´sultent, que si par l’absence de ces formes, la nation devenait indiffe´rente et de´courage´e. Lorsque la nation se de´sinte´resse de ses droits, le pouvoir s’affranchit de ses limites. Alors il entreprend des guerres insense´es, alors il se permet des vexations ille´gales. Et si vous m’objectez quelques malheurs individuels, quelques hommes pe´rissant e´touffe´s par la foule ou dans une rixe inopine´e, je vous demanderai s’ils ne pe´rissent pas ceux qu’on de´porte au loin sur des plages lointaines, ceux qu’un vain caprice envoye au dela` des mers, pour des expe´ditions meurtrie`res, ceux qu’on entasse dans les cachots. Si ces choses ne peuvent eˆtre empeche´es que par une repre´sentation librement e´lue, tout homme qui re´fle´chit, courra volontiers le risque tre`s improbable d’un hazard funeste, pour obtenir cette unique sauvegarde contre les soupc¸ons de la tyrannie et le de´lire de l’ambition.

TR: 5–13 Il en est ... de´pot. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, pp. 139–140, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1046–1047 ;  Principes de politique (1815), 5, pp. 78–79, OCBC, Œu13–30 Tout ceque ... l’ambition. ]  De la possibilite´ d’une vres, IX, 2, pp. 718–719. constitution re´publicaine, VI, 10, OCBC, Œuvres, IV, p. 572. 13–27 Tout ceque ... cachots. ]  Re´flexions sur les constitutions, 7, p. 140, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1047.

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Il en est des ide´es de stabilite´, comme de celles d’uniformite´. Elles sont la source des plus grandes et des plus facheuses erreurs. Nul doute qu’un certain de´gre´ de stabilite´ dans les institutions ne soit de´sirable. Il y a des avantages qui ne se de´veloppent que par la dure´e. Le besoin de l’habitude est naturel a` l’homme, comme celui de la liberte´. Or la` ou` il n’y a point de stabilite´, les habitudes ne peuvent naitre. Un homme qui vivrait 50 ans dans une auberge qu’il se croirait destine´ toujours a` quitter le lendemain, ne contracterait que l’habitude de n’en pas avoir. L’ide´e de l’avenir est un e´le´ment de l’habitude, non moins ne´cessaire que le passe´. Une nation qui, consacrant perpe´tuellement toutes ses forces a` des tentatives d’ame´liorations politiques, ne´gligerait toutes les ame´liorations individuelles, morales et philosophiques, qui ne s’obtiennent que par le repos, sacrifierait le but aux moyens. Mais de cela meˆme que les institutions sont des moyens, elles doivent par leur nature se modifier suivant les tems. Par une me´prise assez commune, lorsqu’une institution ou une loi ne produit plus le bien qu’elle produisait jadis, on croit que pour lui rendre son utilite´ premie`re, il faut la re´tablir dans ce qu’on appe`le son ancienne purete´. Mais lorsqu’une institution est utile, c’est qu’elle est d’accord avec les ide´es et les lumie`res contemporaines. Lorsqu’elle de´ge´ne`re ou tombe en desue´tude, c’est que cet accord n’existe plus. Alors son utilite´ cesse. Plus vous la re´tablissez dans sa purete´ primitive, plus vous la rendez disproportionne´e avec le reste de ce qui existe a. a

[Add.] nous blamons les Novateurs de faire des loix en sens inverse de l’opinion existante, et nous avons raison : Ils pre´fe´rent l’avenir ou ce qu’ils appellent l’avenir au pre´sent, & ils n’en ont pas le droit. mais la loi qui se perpe´tue lorsqu’elle n’est plus l’expression du sentiment national, a un tort du meˆme genre, avec cette seule diffe´rence que c’est devant le passe´ qu’elle veut faire plier le pre´sent. or le tems n’y fait rien. l’opinion passe´e n’existe plus : elle ne peut motiver des loix. l’opinion a venir n’existe pas encore : elle n’existera peut eˆtre jamais. elle ne peut pas non plus motiver des loix. l’opinion pre´sente est la seule qui existe re´ellement.

TR: 5–6 Nul doute ... dure´e. ]  Mercure de France, 28 juin 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 585. 5–11 Nul doute ... que le passe´. ]  E´loge de Sir Samuel Romilly, Cours de 12–24 Une nation ... qui existe. ]  politique constitutionnelle, IV, 7, p. 67 (note 8). Mercure de France, 28 juin 1817, OCBC, Œuvres, X/1, p. 585. 17-p. 581.8 Par une me´prise ... e´tablie, ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, VIII, 10, OCBC, Œuvres, IV, pp. 648–649.

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Le vague des mots nous trompe toujours. L’on a dit souvent que le gouvernement devait eˆtre conservateur, mais on n’a pas dit ce qu’il devait conserver. On n’a pas senti qu’il ne devait eˆtre conservateur que des garanties de la liberte´, de l’inde´pendance des faculte´s individuelles, et pour cela de la surete´ physique des individus. Il en est re´sulte´ que les gouvernemens ont cru, ou qu’ils ont feint de croire qu’ils devaient employer l’autorite´ qui leur e´tait confie´e, a` conserver une certaine masse d’opinions et d’usages, tantot telle qu’ils la trouvaient e´tablie, tantot telle qu’on leur racontait qu’elle avait jadis existe´. La marche de l’autorite´ a de la sorte e´te´ presqu’habituellement en sens inverse de la nature et de la destination de l’espe`ce humaine. L’espe`ce humaine e´tant progressive, tout ce qui s’oppose a` cette progression est dangereux, soit que l’opposition produise son effet, soit qu’elle nele produise pas. Quand l’opposition est efficace, il y a stagnation dans les faculte´s, de´gradation, pre´juge´s, ignorance, erreur, et par conse´quent crime et souffrance. Si au contraire le principe stationnaire n’est pas de´cide´ment le plus fort, il y a lutte, violence, convulsions, calamite´s. L’on a peur des bouleversemens, et l’on a raison : mais on se jette dans l’autre extreˆme, dans des ide´es de stabilite´ exage´re´es, et ces ide´es, en con2, fo 172vo trariant la marche des choses, occasionnent une re´action qui produit les bouleversemens. Le meilleur moyen de les e´viter, c’est de se preter aux changemens insensibles qui sont ine´vitables dans la nature morale, comme dans la nature physique. L’ide´e exage´re´e de la stabilite´ vient du desir de gouverner les hommes par les pre´juge´s. On veut leur inspirer pour ce qui est ancien, une admiration sur parole. J’estime beaucoup ce qui est ancien, et je l’ai dit plus d’une fois dans ce livre. j’estime ce qui est ancien, parceque tous les interets s’y sont associe´s. Toutes les fois qu’une institution a dure´ long tems, a` moins qu’elle n’ait toujours e´te´ maintenue par la violence, il y a eu transaction entre cette institution et les interets qui avaient a` coexister avec elle. Mais cette transaction meˆme a modifie´ l’institution. Cette modification est pre´cise´ment ce qui la rend utile et applicable. S’opposer a` cette modification, sous pre´texte de conserver l’institution plus intacte, c’est oter a` ce qui est ancien son caracte`re le plus utile, son avantage le plus pre´cieux. On ne concoit pas les V: 34 oter ] 〈oter〉 ce dernier mot re´crit sur un mot illis. oter L TR: 11–18 L’espe`ce humaine e´tant ... calamite´s. ]  De la possibilite´ d’une constitution 19–24 L’on a peur ... physique. ]  De re´publicaine, VIII, 10, OCBC, Œuvres, IV, p. 648. 29– l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), pp. 212–213, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 813. 31 Toutes les fois ... elle. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 13, pp. 52–53, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 589.

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raisonnemens de certains e´crivains a` cet e´gard. Lorsqu’il est impossible a` une loi ancienne d’atteindre son but, dit l’un d’entr’eux a, c’est un indice suˆr..... que l’ordre moral contredit trop e´videmment cette loi, et dans ce cas, ce n’est pas la loi, mais les mœurs qu’il faut changer. Qui n’aurait cru que 2, fo 173ro cet auteur allait dire qu’il fallait changer la loi ? d’ailleurs comment change-t-on les mœurs ? La re´volution franc¸aise a rempli beaucoup d’hommes sages et tous les hommes tranquilles, d’un grand respect et d’un grand amour pour la stabilite´. Les chefs de cette re´volution avaient commence´ par de´clarer qu’il fallait tout de´truire, tout changer, tout re´cre´er. Leurs successeurs ne s’e´taient pas crus moins autorise´s a` proce´der a` des destructions et des reconstructions arbitraires. Cette ope´ration renouvelle´e sans cesse, a du porter une nation malheureuse et fatigue´e a` desirer pardessus tout la dure´e d’un e´tat quelconque. Dela` cette admiration pour certains peuples qui semblent n’avoir eu pour but que d’imposer a` l’avenir des institutions e´ternelles, et de mettre obstacle a` tout changement. Cette admiration n’a pas toujours e´te´ re´fle´chie. Les historiens ont quelque fois su gre´ a` ces peuples de leurs intentions sans examiner s’ils avaient re´ussi. Rien de plus plaisant sous ce rapport qu’un article sur la Chine, par un e´crivain que j’ai de´ja cite´1. Apre`s avoir reconnu qu’il ne s’est gue`res passe´ un sie`cle, sans que cet empire ait subi des guerres civiles, des invasions, des de´membremens et des conqueˆtes, et apre`s avoir avoue´ que ces crises terribles exterminaient chaque fois des ge´ne´rations entie`res, honneur, s’e´crie-til, aux sages le´gislateurs, aux profonds moralistes, ... qui ont e´carte´ de la 2, fo 173vo chine toute nouveaute´ dangereuse ! Et qu’aurait produit de plus facheux une nouveaute´ b ? Il est vrai qu’il ajoute que ces le´gislateurs ont eu plus en vue les principes que les individus. C’est ainsi que Robespierre disait : pe´rissent les colonies, plutot qu’un principe3 ! a o

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Ferrand. Esp. de l’hist. II. 1932. [Add.] la Chine est pre´cise´ment l’exemple d’un peuple ou l’on a rendu tout stationnaire. aussi nos nouveaux publicistes s’extasient sur les institutions chinoises. mais il en est re´sulte´ que la Chine a e´te´ sans cesse conquise par des e´trangers moins nombreux que les Chinois. pour rendre les Chinois stationnaires, il a fallu briser en eux l’e´nergie qui leur auroit servi a` se de´fendre.

TR: 30–34 la Chine ... de´fendre. ]  Co 3492, no 575. 1

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Une des nombreuses sorties pole´miques contre Ferrand. D’apre`s Hofmann (p. 406, n. 53), BC fait allusion a` deux passages de l’Esprit de l’histoire, t. I, pp. 456–457, ou` Ferrand loue la stabilite´ morale de la Chine et les sages le´gislateurs qui ont su donner a` ce pays «le pre´servatif le plus puissant contre toute nouveaute´ dangereuse». Autre passage pole´mique de BC contre Ferrand, dont il cite ici L’Esprit de l’histoire dans l’e´dition de l’an XI (1803). Citation preˆte´e, lors de la se´ance de l’Assemble´e nationale constituante du 13 mai 1791,

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Les hommes sont enclins a` l’enthousiasme, ou a` s’enyvrer de certains mots. Pourvu qu’ils re´pe´tent ces mots, peu leur importe la chose. Deux ans d’une servitude horrible et sanglante n’empechaient pas les franc¸ais de dater leurs actes de l’an quatrie`me de la liberte´. Une re´volution, un changement de dynastie, et deux cent mille hommes e´gorge´s tous les cent ans, ne de´couragent pas les pane´gyristes de la chine de vanter la stabilite´ de cet empire. Cette stabilite´ n’existe pas pour les gouverne´s, puisque les gouverne´s sont pe´riodiquement massacre´s en grand nombre, a` l’ave´nement de chaque usurpateur qui fonde sa dynastie. Cette stabilite´ n’existe pas non plus pour les gouvernans, puis que le throˆne est rarement le partage de la meˆme famille pendant plusieurs ge´ne´rations. Mais cette stabilite´ existe pour les institutions, et c’est la` ceque nos publicistes admirent. On dirait que la stabilite´ des institutions est le but unique, inde´pendamment du bonheur des hommes, et que l’espe`ce humaine ici bas n’est qu’un moyen pour la stabilite´ des institutions.

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Au moment ou certaines institutions se sont e´tablies, come elles e´toient proportionne´es a` l’e´tat des mœurs et des opinions rec¸ues, ou plutot comme elles e´toient l’effet meˆme de ces opinions et de ces mœurs, elles avoient une utilite´, une bonte´ relatives. Ces avantages ont diminue´, a` mesure que l’esprit humain a fait des progre`s, et les institutions se sont modifie´es. les gouvernemens croyent souvent faire un grand bien en re´tablissant ces institutions dans ce qu’ils appellent leur purete´. Mais cette purete´ se trouve pre´cise´ment la chose la plus contraire aux ide´es contemporaines, et la plus propre en conse´quence a` faire du mal. De cette diffe´rence entre les Institutions qui sont stationnaires, et les ide´es qui sont progressives, resulte la plupart des contradictions et des faux raisonnemens des gouvernemens et V: 14 pour ] 〈de stabilite´〉 pour L deux croix P

17-p. 584.6 Au moment ... les deux. ] passage encadre´ de

TR: 1–15 Les hommes ... institutions. ]  Mercure de France, 28 juin 1817, OCBC, Œuvres, X, 1, pp. 584–585. tantoˆt a` Dupont de Nemours, tantoˆt a` Robespierre. En fait, c’est le me´lange de deux formules. Celle de Dupont (de Nemours) : «votre inte´reˆt, celui de l’Europe, celui du monde exigerait que vous n’he´sitassiez pas dans le sacrifice d’une colonie plutoˆt que d’un principe» (Archives parlementaires, t. XXVI, Paris 1887, p. 50a) ; celle de Robespierre : «Pe´rissent vos colonies, si vous les conservez a` ce prix» (ibidem, p. 60b). Synthe´tise´e, la formule est souvent utilise´e depuis 1791 pour pre´senter l’ide´e selon laquelle il faut savoir sacrifier ses inte´reˆts a` ses principes (OCBC, Œuvres, t. X/1, p. 460, n. 3).

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des publicistes. Ils voyent qu’a` telle e´poque telle institution e´toit utile, et ils s’imaginent que si maintenant elle est nuisible, c’est qu’elle a de´ge´ne´re´. c’est pre´cise´ment l’inverse. l’institution est reste´e la meˆme : mais les ide´es ont change´, et la cause du mal auquel vous voulez porter reme`de n’est pas dans la de´ge´ne´ration de la premie`re, mais dans la disproportion qui s’est e´tablie entre les deux. Les rapports de l’autorite´ avec les loix sont une matie`re sur laquelle il importe beaucoup de s’entendre. Il faut distinguer dans les loix deux espe`ces de de´fectuosite´s : l’une, leur opposition avec la morale, l’autre leur disproportion avec les ide´es rec¸ues. Une loi peut contrarier la morale par l’effet de l’ignorance et de la barbarie universelle. c’est alors le malheur de l’e´poque. une loi peut contrarier la morale par l’effet de l’erreur ou de la corruption particulie´re de l’autorite´. c’est alors le crime du le´gislateur. l’antiquite´ nous offre un exemple de la premie´re espe`ce d’imperfection dans la tole´rance des philosophes anciens pour l’esclavage. les sie`cles modernes nous en fournissent de la seconde espe`ce dans les de´crets injustes qui ont eu lieu pendant notre re´volution. dans ce dernier cas, le mal est bien plus incalculable que dans le premier. le le´gislateur se met non seulement en opposition avec la morale, mais avec l’opinion. non seulement il outrage l’une mais il opprime l’autre. Il combat a` la fois et contre ce qui devrait eˆtre, et contre ce qui est. Dela` suit une ve´rite´ importante. C’est qu’aucun exemple ante´rieur ne le´gitime une injustice. Cette injustice a pu eˆtre excusable, lorsque l’esprit humain ne l’avoit pas reconnue pour telle. mais elle n’e´toit excusable que comme un malheur ine´vitable. l’esprit humain s’e´tant e´claire´, l’excuse cesse, et l’autorite´ qui prolonge ou qui renouvelle l’injustice, se rend coupable d’un double attentat. Les loix qui portent l’empreinte de l’imperfection de l’esprit ge´ne´ral sont proportionne´es a` l’e´poque pour laquelle elles existent. des Loix plus parfaites contrasteroient avec les ide´es. dans cette hypothe`se, les besoins du peuple n’e´tant pas l’origine de ses loix, et leurs auteurs agissants spontane´ment et n’e´tant pas infaillibles, le peuple se voit expose´ a` tous les inconve´niens attache´s a` la disproportion des loix avec les ide´es, et a` tous ceux quı¨ peuvent provenir des me´prises des Le´gislateurs.

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Si l’autorite´ fait du mal, lorsqu’elle arreˆte la marche naturelle de l’espe`ce humaine, et que, dirige´e par de fausses ide´es de stabilite´, elle s’oppose aux changemens insensibles qu’introduit graduellement dans les institutions la progression des ide´es, elle ne fait pas un mal moins grand, lorsqu’elle empie`te sur les droits du tems, et se livre a` des projets inconside´re´s d’ame´liorations ou de reformes. Nous aurons a` traiter avec de´tail de cette matie`re, lorsque nous parlerons des re´volutions, qui ne sont d’ordinaire, dans les intentions, ou du moins dans le langage de leurs auteurs, que de vastes re´formes et des ame´liorations ge´ne´rales1. Ici nous n’avons a` conside´rer que les tentatives des gouvernemens re´guliers et stables, tentatives moins hazardeuses que les re´volutions populaires, mais qui ne´ammoins ont e´te´ plus d’une fois suffisamment pernicieuses. Quand l’autorite´ dit a` l’opinion comme Seı¨de a` Mahomet, j’ai devance´ ton ordre, l’opinion lui re´pond, comme Mahomet a` Seı¨de, il eut fallu l’attendre ; et quand l’autorite´ refuse de l’attendre, l’opinion se venge infailliblement2. V: 1 Chape˙ 7e˙ ] Chapitre 7 le chiffre re´crit sur un 8 L 9–14 Nous aurons ... pernicieuses. ] passage ajoute´ dans la col. gauche L 14–15 pernicieuses. ] suit encore un passage biffe´ qui sera repris ci-dessous, pp. 685.38–686.1, et 686.23–687.6 〈Une amelioration, une reforme, l’abolition d’un abus, toutes ces choses se pervertissent, lorsqu’elles ne sont pas accompagnees d’un assentiment national. Ce ne sont plus des perfectionnements mais des actes de force et de tyrannie. Les ameliorations ne sont utiles que lorsqu’elles suivent le vu general. Elles deviennent funestes quand elles le precedent. L’important n’est pas qu’elles s’operent rapidement, mais que l’esprit public marche dans ce sens et que les institutions soient d’accord avec les idees. Les hommes qui devancent l’opinion attribuent d’ordinaire les malheurs, que leurs tentatives prematurees occasionnent, a` l’opposition qu’ils rencontrent. Ce n’est point une excuse : il ne faut pas faire des changements qui rencontrent une telle opposition. Les difficultes memes que ces changements eprouvent sont une condamnation contre leurs auteurs.〉 L TR: 16–18 Quand ... se venge ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 197, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 805. 1 2

Voir ci-dessous, le livre XVIII. BC aime citer ce passage du Fanatisme ou Mahomet le prophe`te de Voltaire, acte II, sce`ne 3. Voir l’apparat des TR.

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Le XVIIIe sie`cle est fertile en exemples de ce genre. Le hazard porte un homme de ge´nie au ministe`re du Portugal1. Il trouve ce pays plonge´ dans l’ignorance et courbe´ sous le joug du sacerdoce. Il ne calcule point que pour briser ce joug et pour dissiper cette nuit profonde, il faut avoir un point d’appui dans la disposition nationale. Par une erreur commune aux possesseurs du pouvoir, il cherche ce point d’appui dans l’autorite´. Il croit qu’en frappant le rocher, il en fera jaillir une source. Mais sa pre´cipitation imprudente re´volte contre lui le peu d’esprits inde´pendans, dignes de le seconder. Ils se mettent en opposition contre une autorite´ vexatoire, dont les moyens injustes rendent le but au moins douteux. L’influence des preˆtres s’accroit de la perse´cution meˆme dont ils sont victimes. Le marquis de Pombal veut envain tourner contr’eux des armes puissantes entre leurs mains. La censure destine´e a` re´prouver les ouvrages favorables aux Je´suites, est elle meˆme frappe´e de re´probation. La noblesse se soule`ve. Les prisons se remplissent. D’affreux supplices portent partout la consternation. Le ministre devient l’objet de l’horreur de toutes les classes. Apre`s vingt ans d’une administration tyrannique, la mort du Roi lui ravit son protecteur ; il e´chappe avec peine a` l’e´chaffaud, et la nation be´nit le moment ou` un gouvernement apathique et superstitieux remplace le gouvernement qui s’intitulait re´formateur. En Autriche Joseph II succe´de a` Marie The´re´se2. Il voit avec douleur combien les lumie`res de ses sujets sont infe´rieures a` celles de tous les peuples circonvoisins. Impatient de faire disparaitre une disproportion qui le blesse, il appe`le a` son aide tous les moyens que lui fournit la puissance. Il ne ne´glige pas meˆme ceux que lui promet la liberte´. Il consacre celle de la presse. Il excite les e´crivains a` de´voiler tous les abus, et croit les seconder TR: 1-p. 587.9 Le XVIIIe sie`cle ... malheur ; ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), pp. 200–202, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 806–807.

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Sebastiao Jose´ de Carvalho e Melo, marquis de Pombal (1699–1782) : nomme´ en 1750 secre´taire aux Affaires e´trange`res et a` la Guerre, puis en 1756 secre´taire aux Affaires du royaume (c’est-a`-dire Premier ministre) du roi du Portugal Joseph Ier (1714–1777), ce dernier ayant succe´de´ a` Jean V (1689–1750). Pombal met en œuvre, sous l’autorite´ du roi, une politique de despotisme e´claire´ comparable a` celle qui e´tait en honneur dans nombre d’E´tats d’Europe a` l’e´poque, marque´e par la re´forme de l’administration, des encouragements au de´veloppement e´conomique et, sur le plan religieux, l’expulsion des je´suites (1759). Il fut disgracie´ a` la mort de Joseph Ier. (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 806–807, n. 5). Marie-The´re`se (1717–1780) associa son fils Joseph II (1741–1790) a` son pouvoir a` partir de 1765. Apre`s la mort de sa me`re, il me`ne une politique de despotisme e´claire´ comparable a` celle qui e´tait en honneur dans nombre d’E´tats d’Europe a` l’e´poque : abolition du servage, rationalisation du gouvernement, controˆle de l’Eglise... (Ibid., p. 808, n. 2).

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merveilleusement en leur preˆtant l’appui de la force. Qu’arrive-t-il de cette alliance contre nature ? Que des moines obscurs, et des nobles ignorans luttent avec avantage contre les projets du philosophe, parceque le philosophe e´tait empereur. Son autorite´ s’e´puise en efforts redouble´s. La re´sistance le rend cruel. Son administration devient odieuse par des se´verite´s excessives et des spoliations iniques. Les regrets qui accompagnent de bonnes intentions ste´riles, la douleur d’eˆtre me´connu, peut-eˆtre aussi les chagrins d’une vanite´ blesse´e font descendre Joseph dans la tombe. Ses dernie`res paroles sont un aveu de son impuissance et de son malheur a ; et depuis la fin de son re´gne, nous voyons chaque jour surgir et se relever quelques-uns des abus qu’il croyait avoir de´truits. 2, fo 175vo De tous les souverains qui se sont arroge´ la fonction difficile d’acce´le´rer la marche de leurs peuples vers la civilisation, ceux de la Russie sont certainement les plus excusables. L’on ne peut nier, qu’a` dater de Pierre 1e˙r, les monarques de ce vaste empire n’aient e´te´ beaucoup plus e´claire´s que leurs sujets. A l’exception de quelques bizarreries inse´parables de tout systeˆme arrange´ spontane´ment dans la teˆte des hommes puissans, les re´formes projette´es et exe´cute´es par les autocrates de la Russie e´taient incontestablement des ame´liorations veritables. Mais les grands ne les adopte`rent que par calcul ou imitation, sans avoir pu se convaincre par eux meˆmes de leur me´rite intrinse`que et, regardant la philosophie, et les lumie`res, ainsi que le luxe et les arts, comme des parures ne´cessaires a` une nation qui voulait devenir Europe´enne, le peuple ne se soumit a` ces changemens que par la contrainte, apre`s des perse´cutions sans mesure. Aucune des ide´es saines, appercues par l’autorite´ ne prit racine. Aucune des institutions qu’elle commanda, ne devint une habitude. La morale souffrit de l’abolition d’usages antiques qui de tout tems lui avaient servi de baze. Les lumie`res ne firent que peu de progre`s, parceque leurs progre`s de´pendent d’une se´rie d’ide´es a

Joseph II demanda en mourant, qu’on gravaˆt sur son tombeau, qu’il avait e´te´ malheureux dans toutes ses entreprises1.

TR: 12-p. 588.16 De tous les ... de´vancer. ] re´sume´  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), pp. 203–204, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 808. 29–30 Joseph II ... entreprises. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 202, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 807. 1

Nous ne savons pas ou` BC a trouve´ la formule de cette «e´pitaphe», qui est atteste´e eˆtre une des dernie`res phrases de l’empereur sur son lit de mort. Voir l’article de Carl von Rotteck sur l’empereur Joseph II dans Staats-Lexicon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften in Verbindung mit vielen der angesehensten Publicisten Deutschlands herausgegeben von Carl von Rotteck und Carl Welcker, Altona : Johann Friedrich Hammerich, 1839, t. VIII, p. 671. «Ich wünschte, man schriebe auf mein Grab : ‘Hier ruht ein Fürst, dessen Absichten rein waren, der aber das Unglück hatte, alle seine Entwürfe scheitern zu sehen’».

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qui n’a de puissance, que lorsqu’elle est complette, et qui ne peut eˆtre introduite par une autorite´ absolue. Les efforts de Pierre Ie˙r en faveur de la raison reste`rent sans fruit, parcequ’ils e´taient vicieux en principe. La raison n’est plus elle meˆme, lorsqu’elle manque de liberte´. L’on trouve en Russie, des formes franc¸aises a` la cour et chez les nobles, des formes prussiennes dans le militaire, des formes anglaises dans la marine ; mais la masse de la nation, dans ses opinions, dans ses coutumes, dans son esprit, jusque dans ses veˆtemens est encore une nation asiatique. Ce n’est que depuis le commencement du re´gne d’Alexandre, que la Russie a quelques chances de s’e´clairer1. Ce jeune prince ne cherche point a` re´former le peuple, mais a` mode´rer le gouvernement : Ce n’est point la pense´e qu’il dirige, mais l’autorite´ qu’il restreint. Or la pense´e se fortifie de tout le superflu qu’on enle`ve a` l’autorite´. Pourqu’un peuple fasse des progre`s, il suffit que le pouvoir ne les entrave pas. L’avancement est dans la nature de l’homme. Le gouvernement qui le laisse libre, le favorise assez. Puisse Alexandre perse´ve´rer dans cette conduite prudente a` la fois et ge´ne´reuse, et se garantir e´galement de la de´fiance qui veut interrompre, et de l’impatience qui veut de´vancer. Que si l’on attribuait le mauvais succe`s de tant de re´formes et d’innovations essaye´es vainement par l’autorite´, a` la nature des gouvernemens qui pre´sidaient a` ces tentatives, si l’on affirmait que reposant sur des bazes o o 2, f 176v abusives, et craignant toujours d’e´branler ces bazes, ils ne pouvaient faire un bien durable, parce qu’ils ne pouvaient vouloir le bien que partiellement, si l’on pensait que des gouvernemens plus exempts d’erreurs, et qui ne se seraient impose´s de me´nagemens pour aucun abus, auraient marche´ d’un pas plus ferme, de´truit sans obstacle tout ce qu’il e´tait ne´cessaire de de´truire, e´tabli sans peine tout ce qu’il e´tait de´sirable d’e´tablir, l’expe´rience viendrait bientot renverser cette supposition chime`rique. Sans doute les gouvernemens que nous avons cite´s pour exemple, se trouvaient dans une situation particulierement difficile. Entraine´s par l’esprit du sie`cle, ils aspiraient a` l’honneur de la philosophie, mais ils n’osaient renoncer franchement a` l’appui des pre´juge´s. Ils avouaient quelques-uns des droits les plus e´videns de l’espe`ce humaine, mais ils croyaient de leur dignite´ de repre´senter cet aveu, comme une grace. Tout le mal qu’ils ne fesaient pas, ils pensaient se devoir de se re´server la faculte´ de le faire, non qu’ils en usassent, il faut leur rendre justice, mais en abjurant pour l’ordinaire la pratique du despotisme, ils en conservaient la the´orie, comme une de leurs pompes dont ils aimaient a` se de´corer. Ils sentaient bien ne´ammoins que la se´curite´ seule pouvait me´riter la reconnaissance, et par des phrases 2, fo 176ro

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Voir ci-dessus, p. 370, n. 2.

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conditionnelles et des pre´ambules pleins de restrictions, ils s’efforcaient de produire la se´curite´ sans donner la garantie. Ce double travail destructif de 2, fo 177ro lui meˆme a contribue´ pour beaucoup, je veux le croire, a` leurs fautes et a` leurs revers. Mais n’avons nous pas vu parmi nous, durant les premieres anne´es de la re´volution, une autorite´ libre de toute intention contradictoire, se trouver d’abord de´laisse´e, bientot attaque´e par l’opinion, uniquement pour l’avoir devance´e, pour avoir exe´cute´ pre´cipitamment des ame´liorations que cette opinion meˆme avait long tems semble´ re´clamer ? C’est que l’autorite´ avait pris pour une volonte´ ge´ne´rale et durable des velle´ite´s encor incertaines et des lumie`res encore partielles. Mais, dira-t-on, comment connaitre avec pre´cision l’e´tat de l’opinion publique ? On ne peut compter les suffrages. Ce n’est qu’apre`s que telle mesure a e´te´ prise, que l’opposition se manifeste. Il est alors souvent trop tard pour reculer. Dire qu’il ne faut pas de´vancer l’opinion, c’est donc ne rien dire. Je reponds en premier lieu, que si vous laissez a` l’opinion la faculte´ de s’exprimer, vous la connaitrez facilement. Ne la provoquez pas, ne l’excitez pas par des espe´rances, en lui indiquant le sens dans lequel vous desirez qu’elle se prononce, car alors pour complaire a` la puissance, la flatterie prendra la forme de l’opinion. Placez un monarque irre´ligieux a` la teˆte d’un peuple de´vot, les plus souples de ses courtisans seront pre´cise´ment les plus incre´dules. Aussitot que le pouvoir se de´clare pour un systeˆme, autour de lui se rassemble une phalange qui abonde d’autant plus dans l’opinion pre´fe´re´e, 2, fo 177vo qu’elle meˆme n’a point d’opinion : et le pouvoir prend facilement cet accord de ses alentours dociles pour le sentiment universel. Mais si l’autorite´ reste neutre et laisse parler, les opinions se combattent, et de leur choc nait la lumie`re. Le jugement national se forme, et la ve´rite´ re´unit bientot un tel assentiment qu’il n’est plus possible de le me´connaitre. En second lieu l’opinion tend a` modifier graduellement les loix et les institutions qui la contrarient. Laissez lui faire ce travail. Il a le double V: 10 partielles. ] suit encore un passage biffe´ qui sera partiellement repris ci-dessous, p. 687, lignes 21–23 〈L’Assemblee nationale, ecrivait Chamfort en 1789, a donne´ au peuple une constitution plus forte que lui. Il faut qu’elle se hate d’elever la nation a` cette hauteur. Conseil inutile ! On ne soutient point une nation a` la hauteur a` laquelle sa propre disposition ne l’e´le`ve pas. Pour la soutenir a` ce point, il faut lui faire violence et, par cela meˆme qu’on lui fait violence, le bien qu’on me´dite rencontre un obstacle impossible a` surmonter.〉 L TR: 11–14 Mais, dira-t-on ... reculer. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), pp. 198– 199, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806. 16–22 Je reponds ... incre´dules. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 199, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806. 25–28 Mais si ... me´connaitre. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 199, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806. 30 Laissez lui ... travail. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 200, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806.

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avantage d’adoucir l’exe´cution des loix de´fectueuses, encor existantes, et d’en pre´parer l’abrogation. Quand vous voulez de´truire une institution qui vous semble abusive, permettez qu’on s’en affranchisse, permettez et n’obligez pas. En permettant, vous appelez a` votre aide toutes les lumie`res. En obligeant, vous armeriez contre vous beaucoup d’interets. Je serai plus clair en me servant d’un exemple. Il y a deux manie`res de supprimer les couvens : l’une d’en ouvrir les portes, l’autre d’en chasser les habitans. Le premier fait du bien sans faire du mal. Il brise des chaines et ne viole point d’azyle. Le second bouleverse des calculs fonde´s sur la foi publique. Il insulte a` la vieillesse qu’il traine languissante, et de´sarme´e au milieu d’un monde inconnu. Il porte atteinte a` un droit incontestable des individus, celui de choisir leur genre de vie, de mettre en commun leur proprie´te´, de se re´unir enfin pour professer la meˆme doctrine, pour vaquer aux meˆmes rites, pour jou¨ir de la meˆme aisance, et pour gouter le meˆme repos : et cette injustice tourne contre la re´forme l’opinion meˆme qui nague`res semblait la le´gitimer. Enfin toute ame´lioration, toute innovation contraire aux habitudes d’une partie nombreuse du peuple, doit eˆtre, le plus possible, ajourne´e quant a` l’e´poque. L’on me´nage ainsi la ge´ne´ration pre´sente, et l’on pre´pare celle qui doit suivre. La jeunesse s’avance auxiliaire de l’innovation : l’aˆge avance´ n’a point d’intereˆt a` s’en de´clarer l’adversaire, et le changement pre´vu de la sorte, est devenu presqu’une habitude avant qu’il soit exe´cute´. Le tems, dit Bacon, est le grand re´formateur1. Ne refusez pas son assistance. Laissez le marcher devant vous, pourqu’il applanisse la route. Si ce que vous instituez n’a pas e´te´ pre´pare´ par lui, vous commanderez vainement. Votre institution, quelque bonne qu’elle soit en the´orie, n’est pas de l’organisation, mais du me´chanisme. Il ne sera pas plus difficile d’abroger V: 14 de se ] 〈enfin〉 de se L page ; corr. a. L

27–28 Votre ... me´canisme. ] passage ajoute´ au bas de la

TR: 3–17 Quand vous ... le´gitimer. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 204, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 809. 24–27 Le tems ... vainement. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 200, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806. 28-p. 591.2 Il ne sera ... auront fait. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 200, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 806. 1

Hofmann (p. 412, n. 70) a e´claire´ l’allusion : «Novator maximus tempus, quidni igitur tempus imitemur ?» Phrase tire´e de Francis Bacon, De dignitate et augmentis scientiarum, livre VI, Exemplum antithetorum XL, sous le titre «Innovatio», une des propositions. (Nous avons consulte´ Francisci Baconis De dignitate et augmentis scientiarum libri IX. Ad fidem optimarum editionum edidit vitamque auctoris adjecit Philippus Mayer, tomus II, Norimbergae : Sumptibus Riegilii et Wiessneri, 1829, p. 121.)

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vos loix, qu’il ne vous l’a e´te´ d’en abroger d’autres, et il ne restera de vos loix abroge´es que le mal qu’elles auront fait. [Additions] 7, fo 77ro

7, fo 77vo

Toutes les fois que les Ame´liorations sont le produit naturel et ve´ritable de la volonte´ ge´ne´rale, c’est a` dire du sentiment des besoins de tous, exprime´ par la liberte´ de la presse, seul interpre´te fide`le et inde´pendant de l’opinion publique, ces ame´liorations ont au moins une bonte´ relative. Mais lorsque le gouvernement se constitue leur juge, il cherche cette bonte´ relative dans ses propres spe´culations, dans ses propres opinions, dans ses propres lumie´res, et les ame´liorations, sous le pre´texte d’acque´rir le plus haut de´gre´ de perfection possible, sont tantot contraires au vœu ge´ne´ral et hors de proportion avec les ide´es, tantot contraires aux principes e´ternels et universels de la morale. Les Gouvernemens qui s’arrogent le droit d’ame´liorer, sont, lorsqu’ils sont corrompus, des hypocrites et meˆme lorsqu’ils sont bien intentionne´s, des Spe´culateurs systeˆmatiques, aux erreurs multiformes desquels les peuples se voient sans cesse sacrifie´s. les loix qui portent l’empreinte de l’Imperfection de l’esprit ge´ne´ral, sont proportionne´es a` l’e´poque pour laquelle elles existent. des loix plus parfaites contrasteroient avec les ide´es.

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Il est des Ame´liorations qui, prises abstraitement sont incontestables. mais tant que la Nation ne les de´sire pas, c’est qu’elle n’en a pas besoin, et le tems seul et l’expression libre des opinions individuelles, par la presse, peuvent les lui faire de´sirer. Il ne faut pas meˆme accorder au gouvernement le droit de provoquer ce desir. ce serait lui attribuer une fonction qui n’appartient qu’aux individus e´claire´s. Or le gouvernement peut ne pas eˆtre compose´ de pareils individus, et les Individus e´claire´s n’ont d’ailleurs de puissance utile par l’opinion, que parce qu’ils n’ont pas de pouvoir constitue´.

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Oh Re´formateurs a` coup de coigne´e, vous eˆtes les plus malhabiles des Jardiniers ! Mirab. Ami des hom. I. 791.

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V: 4 Toutes ] a` la hauteur de la premie`re ligne une crois dans la marge PA 13 morale. ] mot suivi d’un trait vertical PA 16 loix ] a` la hauteur de ce mot une croix dans la marge PA 18 ide´es. ] la fin du paragraphe marque´e par un trait oblique PA 30 Oh Re´formateurs ] note marque´e d’une croix dans la marge PA 1

Mirabeau, L’Ami des hommes, t. I, p. 78, (p. 45 dans l’e´dition d’Avignon de 1756). Citation conforme.

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Je dis souvent qu’il faut respecter les habitudes des peuples, et en meˆme tems je propose beaucoup de choses qui semblent contraires a` ces habitudes. Mais il faut observer que je ne propose que des choses ne´gatives, c.a`.d. je conseille aux gouvernemens de ne plus exercer leur autorite´ en faveur de telles ou telles entraves, quı¨ls croyent de leur interet de maintenir. en n’exerc¸ant plus leur autorite´ dans ce sens, ils ne blessent point les habitudes existantes. Ils permettent a` chacun de continuer a` faire librement ce qu’autre fois Ils lui commandoient de faire. Il peut arriver que pendant longtems l’habitude contracte´e soit la plus forte. mais peu a` peu, si elle est contraire aux vrais interets des Individus, Ils s’en affranchiront l’un apre`s l’autre, et le bien se fera sans nulle secousse. supposez un troupeau que son proprie´taire ait retenu longtems, par un mauvais calcul, sur un sol aride et ste´rile, en l’entourant d’une palissade. Si, pour le transporter dans un meilleur terrein, vous le faites sortir de force, en excitant contre lui des chiens, et en l’effrayant de cris, il est possible que plusieurs se blessent, en se pre´cipitant dehors, et meˆme que la frayeur soit si grande que beaucoup se dispersent et s’egarent. mais abattez seulement la palissade et laissez le troupeau tranquille. Il restera quelque tems sur le sol ou il a coutume de paıˆtre : mais peu a` peu, il se re´pandra tout autour, et au bout de quelque tems, il arrivera par une marche insensible dans la prairie fertile, ou vous voulez le transporter. On donne toujours de grands e´loges aux hommes d’e´tat qui travaillent pour l’avenir. mais est-il bien ne´cessaire, est-il bien dans la nature qu’en fait de gouvernement les hommes travaillent pour l’avenir, c.a`.d. pour des ge´ne´rations qui n’existent pas encore, et dont on ignore l’e´tat, les ide´es, les dispositions et les circonstances ?

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On nous vante toujours Charlemagne comme un grand Le´gislateur et pour le prouver on nous dit que sa monarchie ne tomba que lorsque ses loix tombe`rent. mais le talent d’un le´gislateur auroit e´te´ de faire que ses loix ne tombaˆssent pas. les e´loges que l’on donne a` tous ces Talents le´gislatifs ressemblent a` ceux qu’on accorde aux Constitutions, en disant qu’elles iroient parfaitement, si tout le monde vouloit leur obe´ir, comme si l’art des Constitutions ne devoit pas eˆtre de se faire obe´ir par tout le monde.

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V: 1 Je dis ] a` la hauteur de la premie`re ligne une crois dans la marge PA 20 transporter. ] la fin du paragraphe marque´e par un trait oblique PA 22 On donne ] a` la hauteur de la premie`re ligne une crois dans la marge PA 34 monde. ] la fin du paragraphe marque´e par un trait oblique PA TR: 28–34 On nous vante ... monde. ]  Co 3492, no 564.

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7, Des ame´liorations pre´mature´es

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La Gre´ce doit le brillant de ses annales plus a` la manie`re progressive parlaquelle elle se civilisa, qu’a` aucune circonstance qui lui fut propre. les Grecs furent abandonne´s, par un heureux hazard, a` la marche sure et lente de la civilisation inte´rieure. les colonies e´trange`res qui vinrent y porter les germes de quelques arts, n e´toient ni assez puissantes pour conque´rir, ni assez rafine´es pour corrompre, ni assez instruites pour e´clairer. les chefs de ces colonies e´toient d’ordinaire ou des criminels, qui fuyaient le chatiment qui les menac¸oit dans leur patrie, ou des ambitieux chasse´s par des factions ennemies. errans a` l’avanture, Ils e´toient pousse´s par les vents sur quelque plage inconnue. Ils y trouvoient des habitans, qui, sans cesse expose´s aux incursions des nations voisines, et a` se voir enlever, eux, leurs troupeaux et leurs femmes, avoient concu contre tout e´tranger une haine invincible. les arrivans e´toient force´s d’ajouter a` cette haine par des violences ne´cessaires a` leur subsistance et a` leur surete´. Les premiers momens se passaient ainsi en efforts continuels des deux cote´s et en massacres re´ciproques. e´tablis enfin dans un petit territoire, les nouveaux colons n’e´toient entoure´s que de hordes nombreuses et indompte´es qu’ils pouvoient vaincre, mais qu’ils ne pouvoient soumettre, et de la part des quelles Ils e´toient expose´s a` des Incursions continuelles. Quant a` leur patrie primitive, les Emigrans ne pouvoient, vu les raisons qui les avoient force´s de l’abandonner, entretenir avec elle aucune relation. au contraire, il arrivoit souvent que leurs compatriotes e´toient leurs plus mortels ennemis. de la sorte, on voit facilement que la civilisation de la Gre`ce ne doit point s’attribuer aux colonies qui s’y e´tablirent. Ce fut le tems seul qui civilisa les Grecs, et cette manie`re plus lente est aussi la meilleure de toutes. On peut re´duire les autres a` trois, la civilisation par les vainqueurs, par les vaincus, et par les tyrans. les Ame´ricains nous fournissent l’exemple de la premie`re, les Barbares du Nord et les Chinois de la seconde, les Russes de la troisie`me. Quand ce sont les vainqueurs qui se chargent de l’e´ducation des vaincus, Ils commencent par avilir leurs e´le`ves. leur interet du moment ne demande pas qu’ils en fassent des hommes, mais des esclaves. c’est donc a` former des esclaves humbles et laborieux, des machines adroites et dociles que ces pre´cepteurs qui ont la force en main travaillent et re´ussissent. ce n’est qu’apre´s huit ou dix ge´ne´rations que les tristes restes des indige`nes, re´duits commune´ment a` la centie´me partie du nombre de leurs anceˆtres, commencent a´ se meˆler a` leurs oppresseurs, et a` se civiliser imparfaitement par l’imitation de leurs mœurs corrompues et par l’adoption de leurs opinions errone´es. Lorsqu’au contraire les peuples subjugue´s civilisent leurs maıˆtres, Ils les e´nervent sans les adoucir, et les avilissent sans les policer. Les vices du luxe

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viennent s’unir a` la fe´rocite´ de la barbarie, et de ce me´lange naissent les effets les plus funestes. dans l’histoire de ces peuples, les rapines, les violences, les de´vastations qui caracte´risent l’homme encore sans frein, sont accompagne´es de la laˆchete´, de la faiblesse, des plaisirs honteux de l’homme de´nature´ par un long abus de la civilisation. Enfin quand un Despote veut policer ses esclaves, il croit qu’il n’a qu’a` vouloir. accoutume´ a` les voir trembler et ramper au moindre signe, il pense qu’ils s’e´claireront de meˆme. pour haˆter leurs progre`s, il n’imagine d’autres expe´diens que ceux de la tyrannie. Il croit pre´parer ainsi ses peuples aux lumie`res, filles de la liberte´. Il veut que ses sujets ne s’instruisent, ne pensent et ne voyent que comme lui, et s’irrite e´galement contre le regret des mœurs anciennes, et contre la censure des Institutions nouvelles. quels sont les re´sultats de ces efforts insense´s ? jetons les yeux sur ce vaste empire dont on vante souvent les rapides progre´s. Nous y verrons les grands faire leur premier me´rite de l’imitation servile des modes de leurs voisins, les sciences entre les mains d’e´trangers, qui, obscurs dans leur patrie, vont chercher chez une nation qu’ils me´prisent des tre´sors et des e´loges, le peuple re´duit a` la condition d’esclaves, et ne se doutant pas qu’on pre´tende l’e´clairer. Ces Le´gislateurs a` coups de Knout me paraissent comparables a` une poule qui, lasse de couver, casseroit ses œufs pour les faire e´clore. Quand vous e´tablissez une institution, sans que l’esprit du peuple y soit pre´pare´, cette institution, quelque bonne qu’elle soit en the´orie, n’est pas de l’organisation, mais du Me´chanisme. le canard de Vaucanson1.

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Nous ne fesons rien de mieux que ce que nous fesons librement et en suivant notre ge´nie naturel. Esp. d. Loix. XIX. 5. 7, fo 79ro

Ce que nous disons des fonctions spe´culatives, &ca˙, additions au Ch. 1. du Livre III doit eˆtre place´ dans ce chapitre2.

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Automate du me´canicien Jacques de Vaucanson, construit en 1738. Les dernie`res phrases de cette addition montrent tre`s clairement que nous lisons des notes pour un texte a e´crire.

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Chape˙ 8e˙ D’un raisonnement faux.

2, fo 178vo

2, fo 179ro

Une erreur se glisse sans cesse dans les raisonnemens dont on appuye la latitude inde´finie, donne´e a` l’action du gouvernement. On conclud de faits ne´gatifs en faveur de the´ories positives. Lorsque, par exemple, on s’extasie sur la puissance des loix, sur l’influence de la direction donne´e par l’autorite´ aux faculte´s intellectuelles de l’homme, on cite la corruption de l’Italie, fruit de la superstition, l’apathie et l’abrutissement des Turcs, produit du despotisme politique et religieux, la frivolite´ franc¸aise, re´sultat d’une administration arbitraire, et qui reposait sur la vanite´. De ceque l’autorite´ peut faire beaucoup de mal, on en conclut qu’elle peut faire beaucoup de bien. Ce sont deux questions tre`s diffe´rentes. Que si l’on nous alle`gue l’Angleterre, nous ne chercherons point a` diminuer l’hommage que nous rendons a` plus d’un sie`cle d’esprit public et de liberte´. Mais on confond encore deux ide´es, l’organisation de l’autorite´ dans la constitution anglaise, et l’intervention de cette autorite´ dans les relations des individus. L’on attribue a` cette dernie`re cause les effets produits par la premie`re. L’Angleterre a des institutions politiques qui garantissent la liberte´. Elle a des institutions industrielles qui la geˆnent. C’est a` cause des unes, et malgre´ les autres que l’Angleterre1 fleurit a. Nous sommes loin de nier les bienfaits de la liberte´ : nous les reconnaissons avec joye, nous les demandons avec ardeur : mais la liberte´ est pre´cise´ment le contraire de ceque l’on nous propose. [Additions]

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Causes diverses et presque constantes d’erreurs. 1o. confusion d’ide´es. 2o. prise de l’effet pour la cause. 3o. effets ne´gatifs apporte´s en preuves d’assertions positives. 4o. Interet mis au but, sans examen des moyens. 5o. a` cause au lieu de malgre´. a

V. Smith. Rich. des nat. Liv.

1

BC renvoie ici, comme l’a montre´ Hofmann (p. 414, n. 81) a` un passage de Smith, Recherches, livre IV, chap. 5, § 4, «Commerce de transport», t. II, pp. 141–142.

IV.

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11. Deux pages autographes du cahier de notes numérotées, BCU, Co 3492. Les notes 602, 604 et 606 sont intégrées dans les Principes de politiqueODQRWHHVWSUpYXHSRXUSDVVHUGDQVXQWH[WHQRQLGHQWL¿pVXUODUHOLJLRQODQRWH esquisse un projet de travail qui ne sera pas exécuté. Les notes 603 et 605 sont accompagnées de la date de leur utilisation : 28 septembre et 23 octobre 1810.

597 3, fo 2ro

Livre XVIe˙ De l’Autorite´ sociale chez les anciens.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14360, fos 2ro–27vo [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 79ro–81vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 730ro–794vo [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 125–134 [=LA].

V: 1 Livre xvie˙ ] 〈Troisie`me partie. Livre Premier. Section Seconde.〉 Livre

XVI

L

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Chapitre 1e˙r Pourquoi, chez les anciens, l’autorite´ sociale pouvait eˆtre plus e´tendue, que chez les modernes.

3, fo 2vo

Avant de terminer cet ouvrage, je crois devoir re´soudre une difficulte´ qui peut-eˆtre a de´ja frappe´ l’esprit de plus d’un de mes lecteurs. Les principes que je repre´sente, comme la baze de toute liberte´ possible aujourd’hui, sont directement oppose´s aux principes adopte´s jadis pour l’organisation politique par la plupart des nations libres de l’antiquite´. Toutes les re´publiques grecques, si nous en exceptons Athe`nes, souˆmettaient les individus a` une juris diction sociale, d’une e´tendue presqu’illimite´e. Il en e´tait de meˆme dans les beaux sie`cles de la Re´publique Romaine. L’individu e´tait entierement sacrifie´ a` l’ensemble. Les anciens, comme le remarque Condorcet a, n’avaient aucune notion des droits individuels. Les hommes n’e´taient, pour ainsi dire, que des machines dont la loi re´glait les ressorts et dirigeait tous les mouvemens. Ce sont ne´ammoins les anciens qui nous offrent les plus nobles exemples de liberte´ politique que l’histoire nous transmette. Nous trouvons chez eux le mode`le de toutes les vertus que la jouissance de cette liberte´ produit, et qui sont ne´cessaires pour qu’elle subsiste. L’on ne relit pas meˆme aujourd’hui les belles pages de l’antiquite´, l’on ne se retrace point les actions de ses grands hommes, sans ressentir je ne sais quelle e´motion d’un genre profond et particulier, que ne fait e´prouver rien de ce qui est moderne. Les vieux e´le´mens d’une nature ante´rieure, pour ainsi dire, a` la notre, semblent se re´veiller en nous a´ ces souvenirs. Il est difficile de ne pas regretter ces tems ou` les faculte´s de l[’]homme se de´veloppaient dans une direction trace´e d’avance, mais dans un champ si vaste, tellement fortes de leurs propres forces et avec un tel sentiment d’e´nergie et de dignite´, et, lorsqu’on se livre a` ces regrets, il est impossible de ne pas tendre a` imiter ceque l’on regrette. En conse´quence, ceux qui depuis la renaissance des lettres, se sont efforce´s de tirer l’espe`ce humaine a

Mem : sur l’instr. publ1.

TR: 12–15 Les anciens ... mouvemens. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 244. 19–28 L’on ne relit ... regrette. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, pp. 253–254. 21–27 e´motion ... dignite´, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 1, pp. 71–73, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 603. 1

BC ne cite pas, mais re´sume un passage de Condorcet, Me´moires sur l’instruction publique, dans la Bibliothe`que de l’homme public, t. I, p. 47. Il l’avait de´ja` cite´ ci-dessus, p. 541.

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de l’avilissement ou` l’avaient plonge´e les deux fle´aux re´unis de la superstition et de la conqueˆte, ont cru, pour la plupart, devoir puiser chez les anciens, les maximes, les institutions, les usages favorables a` la liberte´. Mais ils ont me´connu beaucoup de differences, qui en nous distinguant essentiellement des anciens, rendent presque toutes leurs institutions d’une application impossible de nos jours. Comme cette me´prise a contribue´, plus qu’on ne pense, aux malheurs de la re´volution qui a signale´ la fin du sie`cle dernier, je crois devoir consacrer quelques chapitres a` faire ressortir ces diffe´rences.

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Chapitre 2e˙ Premie`re diffe´rence entre l’e´tat social des anciens, et celui des modernes.

3, fo 3vo

L’on a remarque´ souvent que les Re´publiques anciennes e´taient resserre´es dans des limites e´troites a. L’on a tire´ de cette ve´rite´ une conse´quence qu’il n’est pas de notre sujet d’examiner ici, c’est qu’une Re´publique est impossible dans un grand Etat1. Mais on n’en a pas tire´ une autre conse´quence qui me parait en re´sulter bien plus naturellement. C’est que les Etats beaucoup plus vastes que les Re´publiques de l’antiquite´ devaient modifier autrement les devoirs des citoyens, et que le degre´ de liberte´ des individus ne pouvait eˆtre le meˆme dans les deux cas. «Chaque citoyen dans les Re´publiques anciennes, circonscrites par la petitesse de leur territoire avait politiquement une grande importance personnelle2. L’exercice des droits politiques y fesait l’amusement et l’occupation constante de tous. Par exemple a` Athe`nes, le peuple entier concourait aux jugemens. Sa part de la souverainete´ n’e´tait pas comme de nos jours 7, fo 79ro

a

[Add.] les citoyens, dit Sismondi, IV. 370, trouvent la consolation de la perte de leur liberte´ dans l’acquisition ou dans le partage d’un grand pouvoir. cette compensation n’existe que dans un e´tat ou les citoyens sont en petit nombre, et ou` par conse´quent la chance de parvenir au pouvoir supreˆme est assez grande ou assez prochaine pour adoucir le sacrifice journalier que chaque citoyen fait de ses droits a` ce pouvoir. ainsi dans les Re´publiques de l’Antiquite´, il n’existoit aucune liberte´ civile. le Citoyen s’e´toit reconnu esclave de la Nation dont il fesoit partie. Il s’abandonnoit en entier aux De´cisions du Souverain, sans contester au Le´gislateur le droit de controler toutes ses actions, de contraindre en tout sa volonte´. mais d’autre part il e´toit lui meˆme a` son tour ce souverain et ce le´gislateur. il connaissoit la valeur de son suffrage, dans une nation assez petite pour que chaque citoyen fut une puissance, et il sentoit que c’e´toit a` lui meˆme comme souverain qu’il sacrifioit comme sujet sa liberte´ civile. On sent combien une pareille compensation seroit illusoire dans un pays qui compterait des millions de citoyens actifs3.

V: 20 prochaine ] mot omis par inadvertance dans P, nous le re´tablissonsd’apre`s l’ouvrage de Sismondi TR: 12-p. 602.1 Chaque ... re´elle, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 109, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 627. 1 2

3

C’est le sujet du grand ouvrage que BC avait entrepris avant les Principes de politique. Voir OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 355–761. Comme dans le livre pre´ce´dent, on trouve dans celui-ci plusieurs passages encadre´s de guillemets. Nous ne savons pas s’il s’agit de citations de morceaux appartenant a` d’autres textes de BC. Citation de l’Histoire des re´publiques italiennes, chap. XXVIII, dans l’e´dition de Zurich : H.

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Principes de politique

une supposition abstraite. Sa volonte´ avait une influence re´elle, et n’e´tait pas susceptible d’une contrefaction mensonge`re et d’une abusive repre´sentation. Si le pouvoir social e´tait oppressif, chaque associe´ s’en consolait par l’espe´rance de l’exercer. Aujourd’hui la masse des citoyens n’est plus appele´e qu’illusoirement a` l’exercice de la souverainete´. Le peuple ne peut eˆtre qu’esclave ou libre : il n’est jamais gouvernant.» Le bonheur de la majorite´ ne se place plus dans la jou¨issance du pouvoir, mais dans la liberte´ individuelle. L’extension de l’autorite´ sociale composait chez les anciens la pre´rogative de chaque citoyen. Elle se compose chez les modernes des sacrifices des individus. En meˆme tems que l’exercice de l’autorite´ politique e´tait dans les Republiques de l’antiquite´ une jou¨issance pour tous, la soumission a` cette autorite´ redoutable e´tait aussi pour tous une ne´cessite´. Le peuple delibe´rait en souverain sur la place publique. Chaque citoyen e´tait en vue et soumis de fait a` cette souverainete´. Les grands Etats ont cre´e´ de nos jours une garantie nouvelle, celle de l’obscurite´. Cette garantie diminue la de´pendance des individus envers la Nation. Or, il est clair qu’une de´pendance qui d’un cote´ donne moins de jou¨issances, et qui peut de l’autre eˆtre e´lude´e plus facilement, il est clair, disons nous, qu’une telle de´pendance ne peut subsister.

V: 1 Sa ] mot dans l’interl. pour remplacer un mot illis. et peut-eˆtre biffe´ 〈La〉 (?) couvert d’une grosse tache d’encre P La L 15 souverainete´ ] 〈autorite´〉 souverainete´ L

Gessner, 1808, vol. IV, pp. 368–369. La citation est litte´rale. La dernie`re phrase de cette note est un commentaire de BC.

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Chape˙ 3e˙ Seconde diffe´rence

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«Une seconde diffe´rence entre les anciens et les modernes tient a` l’e´tat tre`s diffe´rent de l’espe`ce humaine, a` ces deux epoques. Autrefois de petites peuplades, presque sans re´lations reciproques, se disputaient a` main arme´e un territoire resserre´. Ces peuplades pousse´es par la ne´cessite´, l’une contre l’autre, se combattaient ou se menacaient sans cesse. Celles qui ne voulaient pas eˆtre conque´rantes ne pouvaient de´poser le glaive sous peine d’eˆtre conquises. Elles achetaient leur suˆrete´, leur inde´pendance, leur existence au prix de la guerre.» Si l’histoire nous pre´sente a` cote´ de ces peuplades quelques grands peuples commerc¸ans ou pacifiques, ces nations nous sont beaucoup moins connues que les nations belliqueuses. Nous n’appercevons l’Egypte qu’a` travers les relations mensonge`res de ses preˆtres, de´figure´es encore par les exage´rations de la cre´dulite´ grecque. Nous ne posse´dons sur les Phe´niciens, que des donne´s purement ge´ographiques. Nous suivons sur la carte leurs navigations : nous conjecturons sur quelles coˆtes ils ont aborde´. Mais nous ignorons presqu’entierement leurs institutions, leurs mœurs, leur vie inte´rieure. Les Athe´niens sont la seule peuplade de l’antiquite´ qui ne soit pas exclusivement guerrie`re, et sur laquelle l’histoire nous transmette pourtant des de´tails pre´cis. Aussi diffe´rait-elle beaucoup moins des associations modernes, que les autres peuplades de la meˆme e´poque. Mais par une singularite´ remarquable, ceux qui nous proposent l’Antiquite´ pour mode`le, citent de pre´fe´rence les nations entie`rement belliqueuses, comme les Spartiates et les Romains. C’est que ces nations sont les seules qui viennent a` l’appui de leur syste`me, c’est a` dire les seules qui aient re´uni une grande liberte´ politique a` une absence presque totale de liberte´ individuelle a. a

Dans Rome, comme dans toutes les Re´publiques de l’antiquite´, la force de la constitution, c’est a` dire la liberte´ politique e´tait perpe´tuellement alte´re´e par la liberte´ individuelle. Esp. de l’hist. I. 242. Grossie`re ignorance ! C’est le contraire pre´cise´ment1.

V: 13 l’Egypte ] 〈l’effet〉 l’Egypte L TR: 4–10 Autrefois ... guerre. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 6, OCBC, Œuvres, p. 561. 1

VIII/1,

Ferrand, Esprit de l’histoire ; dans la 4e e´dition de 1805, cette citation venant du chap. 13, «Rapprochement de Rome sous ses rois, et de Rome re´publique», se lit t. I, p. 321. La dernie`re phrase de la note est e´videmment un commentaire de BC.

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Le monde de nos jours est pre´cise´ment l’oppose´ du monde ancien. Tout dans l’antiquite´ se rapportait a` la guerre. Tout est aujourd’hui calcule´ pour la paix. «Chaque peuple autrefois e´tait une famille isole´e, ennemie ne´e des autres familles. Maintenant une masse d’hommes existe sous diffe´rens noms et divers modes d’organisation sociale, mais homoge`ne par sa nature : elle est assez civilise´e pourque la guerre lui soit a` charge : elle est assez forte pour n’avoir a` craindre aucune invasion de la part de quelques hordes encore barbares, re´le´gue´es a` l’extremite´ de son territoire. Sa tendance uniforme est vers la paix. La tradition belliqueuse, he´ritage de tems recule´s, les crimes et les erreurs des gouvernemens ne´s de la violence retardent les effets de cette tendance. Mais elle fait, chaque jour, un progre`s de plus.» L’on se bat encore aujourd’hui. Les hommes puissans s’e´clairent commune´ment plus tard que ceux qu’ils re´gissent. Ils font tourner leur puissance au profit de leurs pre´juge´s. La guerre est encore quelque fois la passion des gouvernans, mais elle n’est plus la passion des gouverne´s. Les gouvernans eux-meˆmes s’en justifient. «Ils n’avouent plus l’amour des conqueˆtes, ni l’espoir d’une gloire personnelle acquise par les armes. Nous l’avons observe´ pre´ce´demment1. Aucun Alexandre n’oserait proposer a` ses sujets sans de´guisement l’envahissement du monde, et le discours de Pyrrhus a` Cyne´as nous paraitrait le comble de l’insolence et de la folie2. Un gouvernement qui parlerait aujourd’hui de la gloire militaire, comme but, me´connaitrait ou me´priserait l’esprit des nations et celui de l’e´poque. Il se tromperait d’un millier d’anne´es : et lors meˆme qu’il re´ussirait d’abord, il serait curieux de voir qui gagnerait cette e´trange gageure, de notre sie`cle ou de ce gouvernement. La guerre n’existe plus comme but, mais comme moyen. Le repos, V: 10 retardent ] retarde`rent L 13 puissance ] la premie`re syllabe re´crite sur 〈joui〉sance P 20 folie. Un ] 〈La guerre n’existe plus comme but, mais comme moyen. Le repos, avec le repos l’aisance, et pour arriver a` l’aisance l’industrie sont le but unique vers lequel se dirige l’espe`ce humaine. Les peuples civilise´s ne se combattent que parceque des vues erronne´es et de faux〉 passage repris quelques lignes plus loin Un L TR: 1–11 Le monde ... de plus. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, pp. 6–7, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 561. 18–20 Aucun ... folie. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 7, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 561 ;  Commentaire sur Filangieri, I, p. 24. 20–25 Un gouvernement ... ce gouvernement. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 7, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 562. 25-p. 605.2 Le repos ... humaine. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 8, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 561 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 247 ;  Commentaire sur Filangieri, I, p. 23. 1 2

Voir ci-dessus, p. 493. BC se rapporte a` Plutarque, Vies paralle`les, «Pyrrhos et Marius», chap. 14, le dialogue entre Cyne´as et Pyrrhos, dans lequel le rhe´teur Cyne´as fait re´pondre Pyrrhos a` des questions en apparence naı¨ves comme un fanfaron des exploits militaires. Le commentaire de BC semble sugge´rer qu’il cite de me´moire, parce qu’il ne tient pas compte du coˆte´ comique de ce passage.

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avec le repos l’aisance, et pour arriver a` l’aisance l’industrie sont le but unique vers lequel se dirige l’espe`ce humaine.» Les peuples civilise´s ne se combattent que parce que des vues erronne´es et de faux calculs leur montrent des rivaux ou` ils ne devraient voir que des e´mules, et leur persuadent qu’affaiblir leurs concurrens c’est se fortifier, que les ruiner c’est s’enrichir. Mais cette erreur ne change rien au fond de leur caracte`re. «Autant celui des anciens e´tait guerrier, autant le notre est pacifique. Chez eux, une guerre heureuse e´tait un moyen infaillible de richesse pour les individus ; chez nous une guerre heureuse coute toujours plus qu’elle ne vaut.» Les re´sultats des guerres ne sont plus les meˆmes. Il n’est plus question maintenant d’envahir des pays entiers pour en re´duire les habitans en esclavage, et s’en partager les terres. Dans les guerres ordinaires, les frontie`res des grands Etats ou leurs colonies lointaines peuvent tomber au pouvoir de l’ennemi. Le centre reste intact, et si l’on excepte quelques sacrifices pe´cuniaires, il continue a` jou¨ir des avantages de la paix, meˆme lorsque des circonstances extraordinaires et des motifs qui agitent tous les abymes du cœur humain, rendent les haines plus inve´te´re´es et les hostilite´s plus violentes, comme par exemple durant la re´volution franc¸aise, le sort des pays conquis n’est encore alors comparable en rien a` ce qu’il e´tait dans l’antiquite´. Or la circonscription de l’autorite´ sociale est ne´cessairement autre dans un e´tat habituel de guerre et dans un e´tat habituel de paix. La guerre exige une force publique plus e´tendue, et d’une autre espe`ce que la paix. La force publique ne´cessaire a` la paix est toute ne´gative, c’est a` dire de garantie. La guerre ne´cessite une force active. La discipline qu’elle introduit se communique a` toutes les autres institutions. La guerre, pour re´ussir, a besoin de l’action commune. Dans la paix, chacun n’a besoin que de son travail, de son industrie, de ses ressources individuelles. C’est comme eˆtre collectif, qu’un peuple profite des fruits de la guerre. Chaque individu jou¨it se´pare´ment de ceux de la paix, et il en jou¨it d’une manie`re d’autant plus complette, qu’elle est plus inde´pendante. Le but de la guerre est de´termine´ ; c’est la victoire, la conqueˆte. Ce but est toujours devant les yeux des inte´resse´s. Il les re´unit, il les enchaine, il fait de leurs efforts, de leurs projets, de leurs volonte´s un tout indivisible. La paix ne pre´sente aucun but pre´cis. C’est un e´tat durant lequel chacun forme en liberte´ ses

V: 21 et dans un e´tat habituel de paix. ] mots ajoute´s par BC dans P et qui manquent dans L TR: 7–9 Chez eux ... vaut. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 8, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 562 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 248 ;  Commentaire sur Filangieri, I, p. 23.

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projets, me´dite sur ses moyens, donne l’essor a` ses calculs individuels. Les peuples guerriers doivent supporter en conse´quence plus facilement que les peuples pacifiques, la pression de l’autorite´ sociale. Les premiers se proposent dans leurs institutions libres, d’empecher que des usurpateurs ne s’emparent du pouvoir collectif, proprie´te´ de la masse entie`re. Les seconds veulent de plus limiter le pouvoir en lui meˆme, de manie`re qu’il ne les geˆne ni dans leurs spe´culations, ni dans leurs jou¨issances. Les uns disent aux gouvernemens : conduisez nous a` la victoire, et pour nous l’assurer, soumettez nous aux loix se´ve`res de la discipline. Les autres leur disent : Garantissez nous de toute violence, et ne vous me`lez pas de nous.

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Chape˙ 4e˙ Troisie`me diffe´rence.

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En troisie`me lieu, aucune des Re´publiques qu’on a voulu nous faire imiter, n’e´tait commerc¸ante. Les bornes de cet ouvrage nous empeˆchent d’alle´guer toutes les causes qui mettaient obstacle aux progre`s du commerce chez les anciens peuples. L’ignorance de la boussole les forcait a` ne perdre les coˆtes de vue dans leurs navigations, que le moinspossible a. Traverser les colonnes d’hercule, c’est a` dire passer le de´troit de Gibraltar, e´tait conside´re´ comme l’entreprise la plus hardie. Les Phe´niciens et les Carthaginois, les plus habiles navigateurs des anciens, ne l’ose`rent que fort tard, et furent longtems sans imitateurs. A Athe`nes qui, comme nous le dirons plus loin1, e´tait la re´publique la plus commerc¸ante de l’antiquite´, l’intereˆt maritime e´tait d’environ 60 p.%, tandis que l’intereˆt ordinaire n’e´tait que de 12 : tant l’ide´e d’une navigation lointaine impliquait celle du danger ! Des pre´juge´s religieux s’opposaient au commerce maritime chez plusieurs peuples de l’antiquite´. Par exemple l’horreur de la mer chez les Egyptiens, comme encore aujourd’hui, chez les Indiens ou les rites sacre´s de´fendent d’allumer du feu sur l’eau, ce qui met obstacle a` toute navigation de long cours, parce qu’il serait impossible de faire cuire les alimens ne´cessaires. «Inde´pendamment de ces preuves de fait, le simple raisonnement suffit pour prouver que la guerre a du pre´ce´der le commerce. L’une et a

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[Add.] les hommes, ignorant l’usage de la boussole, craignoient de perdre de vue les coˆtes, et dans l’e`tat d’imperfection ou e´tait l’art de la construction des vaisseaux, ils n’osoient s’abandonner aux flots impe´tueux de l’oce´an. traverser les Colonnes d’Hercule, c’est a` dire, naviguer au dela` du detroit de gibraltar, fut longtems regarde´ dans l’antiquite´ comme l’entreprise la plus hardie et la plus surprenante[.] les Phe´niciens et les Carthaginois, les plus habiles navigateurs et les plus savans constructeurs de vaisseaux, dans ces anciens tems, ne tente´rent meˆme ce passage que fort tard, et ils furent longtems les seuls peuples qui l’ose´rent. Smith. W. of n. I. 32.

V: 17 ou ] ajoute´ dans l’interl. P

19 alimens ne´cessaires ] aliments L

TR: 3–14 En troisie`me ... danger ! ]  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, pp. 246–247. 21 L’une ... calcul. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, pp. 7–8, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 562 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 246 ;  Commentaire sur Filangieri, I, p. 22. 1 2

Voir ci-dessous, p. 612. Smith, Recherches, livre Ier, chap. 3, t. I, p. 88. La citation dans la note re´pe`te celle du texte, signe e´vident d’un travail de re´daction non acheve´.

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l’autre ne sont que deux moyens diffe´rens d’arriver au meˆme but, qui doit eˆtre e´ternellement le but de l’homme, celui de s’assurer la possession de ce qui lui parait de´sirable. Le commerce n’est autre chose qu’un hommage rendu a` la force de celui qui posse`de ce dont nous voudrions nous emparer. C’est le de´sir d’obtenir de gre´ a` gre´ ceque nous n’espe´rons plus enlever par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort, n’aurait jamais l’ide´e du commerce. C’est l’expe´rience, qui prouvant a` l’homme, que la guerre, c’est a` dire l’emploi de la force contre la force d’autrui, est expose´e a` diverses re´sistances et a` divers e´checs, le porte a` recourir au commerce, c’est a` dire a` un moyen plus doux et plus sur d’engager l’intereˆt des autres a` consentir a` ce qui convient a` son intereˆt. La guerre donc est ante´rieure au commerce. L’une est l’impulsion, l’autre est le calcul. L’esprit des peuples modernes est essentiellement commerc¸ant.» Le commerce rend une grande extension de l’autorite´ sociale a` la fois plus vexatoire et plus facile a` e´luder : plus vexatoire, parceque le commerce jettant dans les spe´culations des hommes une plus grande varie´te´, il faut que l’autorite´ multiplie ses actes pour atteindre ces spe´culations sous toutes leurs formes ; plus facile a` e´luder, parceque le commerce changeant la nature de la proprie´te´, rend cette partie de l’existence humaine, partie qui en devient bientot la plus importante, presqu’insaisissable pour l’autorite´. Le commerce donne a` la proprie´te´ une qualite´ nouvelle, la circulation. Sans circulation, la proprie´te´ n’est qu’un usufruit. L’autorite´ peut toujours influer sur l’usufruit : car elle peut enlever la jou¨issance. Mais la circulation met un obstacle invisible et invincible a` cette action illimite´e du pouvoir social. Les effets du commerce s’e´tendent encore plus loin. Non seulement il affranchit les individus du joug de l’autorite´ commune, mais en cre´ant le cre´dit, il soumet sous plusieurs rapports l’autorite´ commune aux individus. L’on a remarque´ mille fois que l’argent qui est l’arme la plus dangereuse du despotisme, est en meˆme tems son frein le plus puissant. Le cre´dit soumis a` l’opinion place les gouvernans dans la de´pendance des gouverne´s. La force est inutile. L’argent se cache ou s’enfuit. Toutes les ope´rations de l’Etat sont suspendues. Le cre´dit n’avait pas la meˆme influence chez les anciens a. Un deficit de 60 a

Le revenu public des anciens, dit Ganilh1, se composait du travail des esclaves, des de´-

TR: 13–32 Le commerce ... les anciens. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 198, pp. 193–194, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 674–675 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, pp. 267–268. 1

Cette note contient des observations que BC a trouve´es chez Ganilh aux pp. 66–67 et sur lesquelles il revient dans ce passage. Servius Tullius est mentionne´ chez Ganilh pp. 54–55, tandis que le renvoi a` l’Ονομαστικον du lexicographe Pollux lui est probablement fourni par de Pauw qui le cite a` plusieurs reprises.

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millions a fait la re´volution franc¸aise. Un de´ficit de 600 millions ne produisit pas sous Vespasien, le moindre e´branlement dans l’empire1.» «Ainsi les gouvernemens anciens e´taient ne´cessairement plus forts que les individus. Les individus sont plus forts que leurs gouvernemens actuels a». Autre effet du commerce. Chez les nations anciennes, chaque citoyen voyait non seulement ses affections, mais ses interets et sa destine´e enve-

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a

pouilles des vaincus, des tributs des peuples subjugue´s. Il n’y avait rien la` qui put donner naissance au cre´dit, tel que nous le concevons de notre tems, parce qu’il n’y avait rien la` qui de´pendit de l’opinion et de la confiance individuelle des membres de la socie´te´. Cette assertion est peut eˆtre un peu trop ge´ne´rale, puis que les citoyens d’Athe`nes (Pollux liv. VIII. ch. 10. art. 130.) et les citoyens de Rome, de`s le tems de Servius Tullius payaient sur leurs biens des tributs a` l’Etat. Mais ces tributs e´taient peu de chose en comparaison de ce qu’on arrachait aux allie´s et aux provinces. Et le fond du systeˆme de l’auteur n’en est pas moins vrai. Voyez a` ce sujet un excellent ouvrage qui vient de paraitre : Essai sur le revenu public Chez les peuples anciens et modernes par Ganilh. Les diffe´rences qui existent sur ce point entre notre e´poque et l’antiquite´, sont parfaitement developpe´es, ainsi que les re´sultats de ces diffe´rences2.

V: 11 les citoyens d’Athe`nes et ] mots ajoute´s dans la col. gauche, avec un renvoi a` Pollux Lib. VIII. ch. 10. art. 130. L 11–12 (Pollux ... art. 130.) ] renvoi reporte´ a` la fin de cette note et appele´ par un aste´risque ; nous l’avons remonte´ ici et place´ entre parenthe`ses P 12 sur leur biens ] mots ajoute´s dans la col. gauche, corr. a. L 14 aux allie´s et ] mots ajoute´s dans la col. gauche, corr. a. L TR: 3–5 Ainsi ... actuels. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 19, p. 194, OCBC, Œuvres, p. 675 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 268. 1

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VIII/1,

Ganilh, Essai politique, Introduction, t. I, pp. 64–65. «Les re`gnes de Ne´ron, de Galba, d’Othon et de Vitellius ne dure`rent que quinze ans et huit mois, et ils avaient tellement e´puise´ l’empire que lorsque Vespasien monta sur le troˆne, il de´clara que l’e´tat ne pouvait se soutenir, a` moins qu’on ne trouvaˆt le moyen de lever une somme de 6.900.000.000.» BC a trouve´ l’exemple chez Ganilh, comme le prouvent les chiffres (meˆme si BC a commis une erreur en arrondissant le montant). Ganilh a` son tour exploite Sue´tone, Vie des Ce´sars. Vespasien, chap. 16, 6 : «[...] professus quadringenties milies opus esse, ut res p. stare posset». Ganilh, Essai politique, Introduction, t. I. BC renvoie ici en fait pas seulement a` quelques phrases, mais a` tout le de´veloppement de Ganilh sur ce sujet. On eut commencer avec la the`se formule´e pp. 66–67, selon laquelle «le revenu public des anciens peuples conque´rants, des Perses, des Grecs, des Carthaginois et des Romains fut principalement assis sur les de´pouilles des vaincus, les secours des allie´s et les tributs des peuples subjugue´s.» Mais l’antithe`se de BC reste incompre´hensble sans ajouter les pages sur l’e´tablissement du syste`me fe´odal, sur la politique financie`re des villes commerc¸antes et sur le succe`s des entreprises individuelles. «Le meˆme inte´reˆt qui avait de´termine´ les gouvernements a` prote´ger l’individu dans sa personne, e´tendit leur protection sur son industrie et sur les fruits de son travail. Si la suˆrete´ individuelle favorisait l’accroissement des tributs publics par l’accroissement des contribuables, le maintien des proprie´te´s prive´es en favorisant la richesse des

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loppe´s dans le sort de la patrie a. Son patrimoine e´tait ravage´ si l’ennemi gagnait une bataille. Un revers public le pre´cipitait du rang d’homme libre et le condamnait a` l’esclavage. chez les Spartiates, la ranc¸on des prisonniers e´toit fixe´e a` 200 Drachmes1. puis-je dire, sans restriction, que, chez les anciens, les de´faites re´duisoient les vaincus du rang d’homes libres a` l’e´tat d’esclaves ? Nul n’avait la ressource de de´placer sa fortune. «Chez les nations modernes, les individus, graces au commerce, font leur destine´e malgre´ les e´ve´nemens. Ils transplantent au loin leurs tre´sors b ; leurs

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[Add.] les Nations modernes tout entie`res, pouvant exister par elles meˆmes, restent presque dans le meˆme e´tat, quand leurs gouvernemens sont renverse´s. Say. IV. ch. 122. [Add.] lorsqu’un citoyen ne trouvoit hors de sa patrie que des sauvages, et qu’ainsi la mort ou une privation de toute socie´te´ humaine e´toit la suite de l’expatriation, la patrie a` laquelle on devoit la vie, et tous les biens qui en font le prix, pouvoit exiger de beaucoup plus grands sacrifices qu’aujourdhui, qu’un citoyen, sortant de son pays, retrouve partout a` peu pre´s les meˆmes mœurs, les meˆmes commodite´s physiques, et a` beaucoup d’e´gards les meˆmes ide´es morales. lorsque Ciceron disoit : pro quaˆ patriaˆ mori, et cui nos totos dedere, et in quaˆ nostra omnia ponere, et quasi consecrare debemus, c’est que la patrie contenoit alors tout ce qu’un homme avoit de cher, et que perdre sa patrie, e´toit perdre sa femme, ses enfans, ses amis, toutes ses affections et toutes ses jouı¨ssances3. l’e´poque de ce patriotisme est passe´e. pour pouvoir exiger de nous des sacrifices, Il faut que la patrie nous soit che`re, et pour qu’elle nous soit che`re, il ne faut pas la de´pouiller de tout ce qui nous la fait aimer. Or qu’aimons-nous dans notre patrie ? la liberte´, la se´curite´, la garantie, la proprie´te´ de nos biens, la possibilite´ du repos, de l’activite´, de la gloire, une foule de jouı¨ssances de tout genre. le mot de patrie rappelle a` notre imagination bien plus la re´union de toutes ces jouı¨ssances que l’ide´e topographique d’un pays particulier. si l’on nous propose de sacrifier toutes ces jouı¨ssances a` la patrie, c’est nous proposer de sacrifier a` la patrie la patrie elle

V: 3 l’esclavage. ] suit encore un signe de renvoi sous forme d’un die`se # P Spartiates ... d’esclaves ? ] manque L

3–6 chez les

TR: 8-p. 611.6 Ils transplantent ... compatriotes. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 18, p. 195, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 675 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 268. 16–19 lorsque ... joüissances. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 61. 22–25 la liberte´ ... particulier. ]  Commentaire sur Filangieri, II, p. 61.

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2 3

individus, facilitait l’augmentation du revenu public.» (p. 159). La note contient d’ailleurs implicitement un indice pour la datation du travail. L’ouvrage de Ganilh avait paru en 1806. BC cite ici une observation de Pauw, mais il simplifie beaucoup. Pauw veut de´montrer en effet, pourquoi la ville de Lace´de´mone posse`de plus d’or et d’argent «qu’il n’existe dans tout le reste de la Gre`ce». Voila` pourquoi : «Les Spartiates double`rent la ranc¸on des prisonniers de guerre, & exige`rent pour la de´livrance de chaque homme, pris les armes a` la main, la somme de deux cents drachmes du poids d’E´gine ; & c’est sur ce poids plus fort que celui d’Athe`nes, qu’ils re´gloient les payemens & toutes les ope´rations de leurs finances.» BC cite le dernier aline´a du chap. 12, livre quatrie`me, de Jean-Baptiste Say, Traite´ d’e´conomie politique, t. II, p. 264. Citation conforme. BC cite ici une des phrases les plus connues de Cice´ron, non pas pour en de´montrer la ve´rite´, mais pour mieux comprendre l’esprit moderne. Meˆme s’il sacrifie des nuances qui se trouvent dans le chap. 2, 5 du livre II de De legibus, et meˆme s’il ne tient pas compte de l’ide´e pour ainsi dire «romantique» d’un lien affectif entre l’individu et la patrie que celui-ci

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transactions sont impe´ne´trables a` l’autorite´ : ils portent avec eux toutes les jouissances de la vie prive´e. Ajoutez que chez les anciens, la guerre isolait les peuples. Leurs mœurs e´taient dissemblables, leurs dispositions farouches, l’expatriation presqu’impossible a. Le commerce a rapproche´ les nations, leur a donne´ des mœurs et des habitudes a` peu pre`s pareilles. Les chefs sont ennemis, mais les peuples sont compatriotes. Le commerce a modifie´ jusqu’a` la nature de la guerre. Les nations commercantes e´taient autrefois toujours subjugue´es par les peuples guerriers. Elles leur re´sistent aujourd’hui avec avantage b. Carthage luttant contre Rome dans l’antiquite´ devait succomber : elle avait contr’elle la force des choses. Mais si la lutte s’e´tablissait maintenant entre Rome et Carthage, Carthage aurait pour elle les vœux de tous les peuples : elle aurait pour allie´s l’esprit et les mœurs du

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7, fo 79vo 7, fo 80ro b

meˆme. c’est vouloir nous rendre dupes des mots. ceci s’applique e´galement a` la socie´te´. il n’y a que des individus dans le monde. Socie´te´ veut dire tous les individus. Or sacrifier tout le bonheur de tous les individus a` la socie´te´, c’est a` dire a` tous les individus, n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Dans la langue latine le mot hostis servait indiffe´remment a` de´signer un e´tranger ou un ennemi. Cicer. de offic. Lib. II1. [Add.] haine des e´trangers chez les Anciens, au milieu de la plus grande civilisation. les peuples, dit le jurisconsulte Pomponius, Leg. V. § de Captivis, avec lesquels nous n’avons ni amitie´, ni hospitalite´, ni alliance, ne sont point nos ennemis. cependant, si une chose qui nous appartient tombe en leur puissance, Ils en sont proprie´taires. les homes libres deviennent leurs esclaves, et ils sont dans les meˆmes termes a` notre e´gard. Dans les guerres modernes, observe Smith, la grande de´pense des armes a` feu donne un avantage marque´ a` la nation qui est le plus en e´tat de fournir a` cette de´pense, et par conse´quent a` une nation civilise´e et opulente sur une nation pauvre et barbare. Dans les tems anciens, les nations opulentes et civilise´es trouvaient difficile de se de´fendre contre les nations pauvres et barbares. Dans les tems modernes, les nations pauvres et barbares trouvent difficile de se de´fendre contre les nations civilise´es et opulentes. Rich : des Nat. Liv. V. ch. 12.

TR: 7–9 Les nations ... avantage. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 9, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 563. 9-p. 612.1 Carthage ... sie`cle. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 2, p. 10, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 563.

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de´clare eˆtre la sienne, les valeurs e´voque´es dans cette note pour circonscrire une notion moderne de ce qu’on peut appeler «patrie» montrent tre`s clairement que nous sommes en pre´sence d’une doctrine avec au centre les ide´es qui de´finissent l’individualite´. BC emprunte a` Ganilh ce qu’il dit ici sur le sens du mot «hostis» (Essai politique, t. I, p. 221, n. 1). En ce qui concerne le renvoi a` Cice´ron, il faut lire De officiis, lib. I, dont le § 37 contient la phrase fameuse «hostis enim apud maiores nostros is dicebatur quem nunc peregrinum dicimus». – Comment, BC a-t-il trouve´ la citation du juriste Sextus Pomponius ? Hofmann (p. 616, n. 198) donne le texte de la phrase qui est traduite ici : «Nam si cum gente aliqua neque amicitiam neque hospitium neque foedus amicitiae causa factum habemus, hi hostes quidem non sunt, quod autem ex nostro ad eos pervenit, illorum fit, et liber homo noster ab eis captus servus fit et eorum ; idemque est, si ab illis ad nos aliquid perveniat.» (Ad Quintum Mucium, liber XXXVII, De captivis). Smith, Recherches, livre V, chap. 1er, p. 331. Citation litte´rale.

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sie`cle.» Autant la guerre, comme nous l’avons de´ja prouve´, favorise une vaste e´tendue de pouvoir social, autant le commerce est favorable a` la liberte´ individuelle a. Cette observation se ve´rifie, meˆme quand on l’applique a` des nations contemporaines. L’on jou¨issait a` Athe`nes d’une liberte´ individuelle b beaucoup plus grande qu’a` Sparte, parce qu’Athe`nes e´tait a` la fois guerrie`re et commerc¸ante c et que Sparte e´tait exclusivement guerriere. Cette diffe´rence se fait sentir sous toutes les formes d’organisation politique. Sous le despotisme, comme sous la liberte´, la guerre presse les hommes autour du gouvernement. Le commerce les en isole. Si nous pouvions entrer ici dans ces de´tails historiques, nous montrerions que le commerce avait fait disparaitre de chez les Athe´niens les diffe´rences les plus essentielles qui distinguent les peuples anciens des nations modernes. L’esprit des commerc¸ants d’Athe`nes e´tait pareil a` celui des notres. Durant la guerre du Pe´loponne`se, ils sortaient leurs capitaux du continent de l’Attique et les envoyaient aux isles de l’archipel d. Le commerce avait a

b c

d

On trouve sur les rapports du commerce avec la liberte´ individuelle et politique, quelques ide´es inge´nieuses dans l’essai sur l’histoire de l’espe`ce humaine par Walkenaer. p. 250 et suiv1. v. sur la liberte´ individuelle chez les Athe´niens Paw. Rech. S. L. Gr. I. 1932. Toutes les denre´es, dit Isocrate, Panegyr. p. 114, qui ne sont disperse´es que par petites parties dans les autres marche´s de la Gre`ce, se trouvent re´unies au Pire´e en abondance3. Xenoph. de Rep. Athen4.

V: 20 a` sa disposition ] 〈saisi〉 a` sa disposition L TR: 5–7 L’on joüissait ... exclusivement guerriere. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, p. 250. 11-p. 614.3 Si nous pouvions ... Magistrat. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, pp. 250–251. 1 2

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IV, IV,

BC renvoie ici a` l’ouvrage du naturaliste Charles-Athanase Walckenaer, Essai sur l’histoire de l’espe`ce humaine, Paris : Du Pont. 1798. Renvoi e´nigmatique. Cornelius de Pauw parle a` l’endroit indique´ ici de la loi de Solon sur le mariage, telle qu’elle est re´sume´e chez Plutarque, Vies paralle`les, «Solon et Poplicola», chap. 20. Cette loi ne parle nullement de la liberte´ individuelle. Avec cela on trouve encore un renvoi a` Samuel Petit, Recueil des lois attiques, livre VI, titre I, «De connubis», (c’esta`-dire a` une des e´ditions latines, p. ex. Samuelis Petiti Leges Atticae et commentarius, cum animadversionibus Jac. Palmerii [...], Lugduni Batavorum : Verbeek & Kallewier, 1741). Hofmann a montre´ (p. 446, n. 88) que cette note reproduit un passage de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 71, ou` se trouve aussi la source de cette affirmation, Isocrate, Discours, Pane´gyrique, 42. De Pauw ne cite pas correctement. «Comme un marche´ au milieu de la Gre`ce elle e´tablit le Pire´e ou` la surabondance est telle que les objets qu’on ne peut trouver ailleurs qu’avec peine et se´pare´ment, sont tous faciles a` se procurer ici.» (Isocrate, Discours, t. II, Paris : Belles Lettres, 1942, p. 24). BC renvoie ici a` Xe´nophon, La Re´publique des Athe´niens, livre II, 16, comme le dit Hofmann (p. 446, n. 90). Il est pourtant probable qu’il cite l’auteur de seconde main. Une source possible est Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XXI, chap. 7, «Athe`nes, dit

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cre´e´ chez eux la circulation. Ils connaissaient l’usage des lettres de change a. Dela`, car tout se tient, un grand adoucissement dans les mœurs, plus d’indulgence envers les femmes b, plus d’hospitalite´ pour les e´trangers c ` Lace´de´mone, dit et un amour excessif de l’independance individuelle. A a

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Isocrate raconte dans son Trapesitique, qu’un e´tranger qui avait amene´ du bled a` Athe`nes, donna une lettre de change sur une ville du Pont euxin, a` un marchand nomme´ Stratocle´s1. Pourvu que la paix et l’amitie´ continuent a` re´gner dans l’inte´rieur des maisons, on y a de grands e´gards pour les me`res de famille. On y compatit meˆme aux maux que leur fait endurer la nature, et lorsqu’elles succombent sous la tyrannie irre´sistible des passions, on pardonne la premie`re faiblesse, et on oublie la seconde. Xenoph.- Dialogue entre Hieron et Simonide2. Preuves de cette hospitalite´ a` retrouver Art. industrie. Loi de Solon. Les e´migrans qui viendront se fixer a` Athe`nes avec toute leur famille pour y e´tablir un metier ou une fabrique pourront, de`s cet instant, eˆtre e´leve´s a` la dignite´ de Citoyens. Samuel Petit. Recueil des loix attiques. Liv. I. tit. III. Plutarq. Solon. Paw. Rech. Sur les Grecs. I. 68–693 .

V: 15 Paw. ... 68–69. ] manque dans L TR: 7–11 Pourvu que ... Simonide. ]  Co 3492, no 602 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 250.

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Xe´nophon (note de Montesquieu : De republ. athen., [c. II].), a l’empire de la mer ; mais comme l’Attique tient a` la terre, les ennemis la ravagent, tandis qu’elle fait ses expe´ditions au loin. Les principaux laissent de´truire leurs terres, et mettent leur biens en suˆrete´ dans quelque ˆıle : la populace, qui n’a point de terres, vit sans aucune inquie´tude.» (p. 611). Meˆme la comparaison avec l’esprit commerc¸ant des modernes est exprime´e, dans la dernie`re phrase de cet aline´a : «Vous diriez que Xe´nophon a voulu parler de l’Angleterre.» Voir aussi de Pauw, Recherches philosophiques sur le Gecs, t. I, p. 66, ou` se trouve la tournure «le continent de l’Attique» lorsqu’il parle de cette question. Le renvoi a` Isocrate, Trapesitique, est une re´fe´rence de seconde main. BC cite en partie litte´ralement l’ouvrage de Pauw, Recherches historiques sur le Grecs, t. I, p. 335 : «C’est dans les ope´rations de ce commerce [le commerce du froment] qu’on trouve la premie`re notion des Lettres de change ; & Isocrate dit de la manie`re la plus claire qu’un e´tranger qui avoit amene´ des cargaisons de grains a` Athe`nes, y donna a` un marchand nomme´ Stratocle, une lettre de change a` tirer sur quelque place du Pont-Euxin ou` il lui e´toit duˆ de l’argent (note de Pauw : Isocrate, dans le playdoyer, contre le banquier Pasion, intitule´ Τραπεζιτικος. Pag. 550.). Celui-ci se chargeoit de ce billet, y trouvoit un grand avantage ; car il n’avoit pas besoin d’exposer sa fortune sur une mer couverte des armateurs & des pirates de Lace´de´mone, qui enlevoient tous les navires sortis de quelque port de l’Attique.» Emprunt a` de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 191, y compris la source (Xe´nophon, Dialogue entre Hie´ron et Simonide). Hofmann (p. 446, n. 92) soutient a` tort que le texte de Xe´nophon ne contenait pas les faits dont il est question ici. Une note tre`s proche de celle-ci se trouve dans le ms. Co 3492, sous le nume´ro 602, avec la date de son utilisation, le 23 obtobre 1810. Note de travail qui nous rappelle l’e´tat provisoire de beaucoup de parties de cet ouvrage, comme il ressort de la premie`re phrase. La suite est une citation fide`le de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, pp. 69–70, qui traduit un passage d’une loi de Solon, et BC copie le faux renvoi a` Samuel Petit, Leges atticae, livre- I, titre III, [7], – il aurait fallu renvoyer au livre II – et la re´fe´rence a` Plutarque, Vies paralle`les, Solon, chap. 24, ou` cette loi n’est pas juge´e si favorablement.

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` Athe`Xenophon a, les citoyens accourent quand le magistrat les appe`le. A nes un homme riche serait au de´sespoir qu’on crut qu’il de´pend du Magistrat. Si le caracte`re tout a` fait moderne des Atheniens n’a pas e´te´ suffisamment remarque´, c’est que l’esprit ge´ne´ral de l’e´poque influait sur leurs philosophes, et qu’ils e´crivaient toujours en sens inverse des mœurs nationales.

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[Additions] 7, fo 80ro

Chez les Anciens les Individus e´toient souvent nourris, ou tiraient leurs ressources du Tre´sor public. chez les modernes, le tre´sor public se compose des richesses des Individus.

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les De´pouilles des vaincus et les ranc¸ons des prisonniers e´toient les seuls fonds affecte´s par les Spartiates aux besoins publics1. C’est en suivant des ide´es absurdes puise´es dans les mœurs des Romains que Vale`re Maxime et Juvenal ont parle´ de De´mosthe`ne comme s’il eut e´te´ le fils d’un forgeron, qui ne subsistoit que du travail de ses mains ; c’e´tait au contraire un citoyen tre´s illustre, et tre´s distingue´ par ses richesses. son pe`re avoit posse´de´ deux manufactures, ou il occupoit 52 esclaves. De´mosthe`ne dans son premier plaidoyer contre son tuteur Aphobe. les familles les plus nobles de l’attique avoient elles meˆmes des fabriques. Paw. Rech. s. l. Gr. I. 682.

a

Xenoph. Rep. Lacon3.

V: 4 leurs ] les L 1

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25 Lacon. ] lecture incertaine, peut-eˆtre une distraction P Laced. L

Information qui vient de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs. Il ne s’agit pas d’une citation. BC re´sume le chap. 5 de la quatrie`me partie, «Des richesses de Lace´de´mone & et de la cupidite´ des Spartiates», t. II, pp. 272–289. Le de´but de cette note est une citation exacte du texte de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, pp. 68–69 ; la fin re´sume ce qu’on trouve aux pp. pre´ce´dentes (pp. 66– 68), ou` de Pauw mentionne aussi la source, le premier plaidoyer de De´mosthe`ne contre Aphobe, son tuteur (ΚαταÁ ÆΑϕο βου, α). Voir De´mosthe`ne, Plaidoyers civils, t. I, texte e´tabli et traduit par Louis Gernet, Paris : Belles Lettres, 1954, pp. 32–52. Renvoi a` Xe´nophon, La Re´publique des Lace´de´moniens, livre VIII, 2. On y trouve le passage suivant : «A Sparte, au contraire, les hommes les plus conside´rables sont les plus soumis aux autorite´s ; il se font gloire de leur humilite´ et se piquent, quand on les appelle, d’obe´ir non en marchant, mais en courant.» (Cite´ d’apre`s Hofmann, p. 447, n. 96).

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XVI,

4, Troisie`me diffe´rence

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Montesquieu remarque, E. d. L. XX. 2. que le commerce unit les nations, mais n’unit pas de meˆme les particuliers, d’ou il re´sulte que les nations e´tant unies, elles se confondent, c. a` d. qu’il n’y a plus de patriotisme, et que les particuliers n’e´tant pas unis, il n’y a plus que des commercans, c. a` d. qu’il n’y a plus de citoyens1.

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L’esprit des anciens e´toit si peu commercant qu’Aristote met le brigandage au nombre des manie`res d’acque´rir2. Aujourd’hui, l’on de´couvre les terres par des voyages de mer. autrefois on de´couvroit les mers par des voyages de terre. Mont. E. d. L. XXI. 93.

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BC de´veloppe son raisonnement en partant d’une remarque critique de Montesquieu : «Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de meˆme les particuliers. Nous voyons que dans les pays (note : La Hollande) ou` l’on n’est affecte´ que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanite´ demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.» (p. 586). Rien de tout cela chez BC. Allusion a` Aristote, Politique, livre I, chap. 8 (nouvelle nume´rotation), 1256a 36. «d’autres vivent du brigandage». C’est la partie descriptive des re´flexions sur l’acquisition de biens. La citation pre´ce´dente, tire´e de L’Esprit des lois, explique cette remarque, car Montesquieu utilise dans ce chapitre cette observation : «La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage qu’Aristote met au nombre des manie`res d’acque´rir.» (p. 586). «Aujourd’hui l’on de´couvre les terres par les voyages de mer : autrefois on de´couvroit les mers par la conqueˆte des terres.» (p. 619). Montesquieu commente les exploits du ge´ne´ral mace´donien, Seleucos, qui fonda, apre`s la mort d’Alexandre, la dynastie des Se´leucides. Apre`s avoir atteint le Gange, on de´couvrait le golfe de Bengale.

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Chapitre 5e˙ Quatrie`me diffe´rence.

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Principes de politique

Quatrie`mement, l’esclavage universellement en usage chez les anciens donnait a` leurs mœurs, quelque chose de se´ve`re et de cruel qui leur rendait facile le sacrifice des afffections douces aux interets politiques. L’existence des esclaves, c’est a` dire, d’une classe d’hommes qui ne jou¨it d’aucun des droits de l’humanite´, change absolument le caracte`re des peuples chez lesquels cette classe existe. La conse´quence ine´vitable de l’esclavage c’est l’affaiblissement de la pitie´, de la sympathie pour la douleur. La douleur de ` civilisation e´gale, une nation qui a l’esclave est un moyen pour le maitre. A des esclaves, doit eˆtre beaucoup moins compatissante qu’une nation qui n’en a pas. L’antiquite´, meˆme chez les peuples les plus police´s, et parmi les individus les plus distingue´s par leur rang, leur e´ducation et leurs lumie`res, nous fournit des exemples nombreux et presqu’incroyables de l’inhumanite´ qu’inspirait au maitre son pouvoir illimite´ sur l’esclave a. En lisant le plaidoyer de Lysias pour nous avons peine a` concevoir un e´tat social assez fe´roce pourque ce plaidoyer y put eˆtre prononce´1. Deux hommes ont a

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cum omnibus horis aliquid atrociter fieri videmus aut audimus, etiam qui naturaˆ mitissimi sumus, assiduitate molestiarum sensum omnem humanitatis ex animis omittimus. Cicer. pro. Roscio. Cice´ron parle dans ce passage des mœurs des Romains en ge´ne´ral. Mais on pourrait l’appliquer a` l’esclavage en particulier. Tout le monde sait combien les hommes qui ont habite´ long tems dans les colonies sont peu susceptibles de pitie´. Xe´nophon traite´ de la Rep. d’Athe`nes, ose soutenir qu’on traitait les esclaves avec trop d’e´gards2.

V: 21 eclavage ] esclave L 1

2

BC renvoie a` un discours de Lysias, Περι τραυματοσ, Au sujet d’une accusation pour blessures avec pre´me´ditation de meurtre. Il voulait donner dans son texte le nom du client, mais ne le peut pas, celui-ci e´tant inconnu. Voir Lysias, Discours, texte e´tabli et traduit par Louis Gernet et Marcel Bizos, Paris : Belles Lettres, 1924, t. I, pp. 80–84, et plus particulie`rement pp. 82 et 84. De Pauw cite d’ailleurs assez fre´quemment les e´crits de Lysias comme source de faits historiques. BC cite un passage du discours de Cice´ron, Pro Sex. Roscio Amerino et ajoute une re´flexion sur l’esclavage, en partant d’une constatation de Xe´nophon qu’on trouve dans son traite´ sur la re´publique d’Athe`nes. Cette dernie`re lui vient de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 168, qui, a` son tour, critique l’opinion de Xe´nophon. La traduction franc¸aise du texte latin (Cice´ron, Discours, texte e´tabli et traduit par H. de la Ville de Mirmont, Paris : Belles Lettres, 1921, t. I, p. 126) : «Lorsqu’a` toute heure nous voyons, nous apprenons quelque atrocite´, nous avons beau avoir un naturel tre`s doux, la continuite´ de ces e´ve´nements pe´nibles fait perdre a` nos aˆmes tout sentiment d’humanite´.»

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5, Quatrie`me diffe´rence

achete´ une esclave qu’ils destinent a` leurs plaisirs communs. Premier outrage fait a` la de´cence et a` la nature. Cette esclave s’attache a` l’un d’eux au pre´judice de l’autre. Celui-ci comparait devant les juges, il re´clame publiquement de leur tribunal sa part de la possession de cette esclave qu’il a le´gitimement acquise : et pour prouver les faits qu’il alle`gue, il demande qu’elle soit applique´e a` la torture : s’indignant de ce que son adversaire s’y oppose, et ne voyant dans ses objections que le refus ille´gal d’un plaideur de mauvaise foi qui repousse avec perfidie le moyen le plus propre a` faire e´clater la ve´rite´. Les tourmens de l’esclave, la profanation de tout ce qu’il y a de saint dans l’humanite´ et dans l’amour, l’horrible me`lange de supplices et de jouissances qui re´volterait toute imagination moderne, ne sont compte´s pour rien, ni par celui qui forme cette honteuse demande, ni par les juges qu’il invoque, ni par les spectateurs qui l’e´coutent, ni par Lysias qui compose de sang froid une harangue pour appuyer cette pre´tention. L’absence de l’esclavage jointe aux progre`s de la civilisation nous a donne´ des mœurs plus humaines. La cruaute´ meˆme pour notre intereˆt nous est devenue en ge´ne´ral e´trange`re. Elle nous est devenue impossible par des ide´es abstraites et des interets publics.

V: 1 une ] un L

7 ses ] les L

17 Elle ] 〈Elle〉 Elle ll

par ] pour L

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Chape˙ 6e˙ Cinquie`me diffe´rence

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Principes de politique

Enfin les hommes n’ont pas vieilli de plus de 20 sie`cles, sans que leur caracte`re ait change´. Les anciens e´taient dans toute la jeunesse de la vie morale. Les modernes sont dans la maturite´, peut-eˆtre dans la vieillesse. Cette observation se prouverait au besoin par la seule inspection des ouvrages des anciens. Leur poe¨sie est une et simple. L’enthousiasme de leurs poe¨tes est vrai, naturel et complet. Les poe¨tes modernes trainent toujours apre`s eux je ne sais quelle arrie`re pense´e qui tient de l’expe´rience et qui de´fait l’enthousiasme. On dirait qu’ils craignent de paraitre dupes, et qu’aulieu de se livrer a` un mouvement irre´sistible, ce sont des hommes qui re´fle´chissent sur la poe¨sie avec leurs lecteurs. C’est que la premie`re condition pour l’enthousiasme, c’est de ne pas s’observer avec finesse, et que les modernes ne cessent de s’observer au milieu meˆme de leurs impulsions les plus sensibles ou les plus violentes. Le mot illusion est un mot dont l’e´quivalent ne se trouve dans aucune langue ancienne, parceque le mot ne se cre´e que quand la chose n’existe plus. La philosophie des anciens est exalte´e, lors meˆme qu’elle pre´tend eˆtre abstraite. La philosophie des modernes est toujours se`che, meˆme lorsqu’elle s’efforce d’eˆtre exalte´e. Il y a de la poe¨sie dans la philosophie des anciens, et de la philosophie dans la poe¨sie des modernes. Les historiens anciens croyent et affirment : les historiens de nos jours examinent et doutent. Les anciens avaient sur toutes choses une conviction entie`re. Nous n’avons presque sur rien que l’hypocrisie de la conviction. Or, rien n’est isole´ dans la nature. La litte´rature porte toujours l’empreinte du caracte`re ge´ne´ral. Moins use´s par la civilisation, les anciens avaient dans leurs impressions plus de vivacite´. Leurs habitudes belliqueuses leur inspiraient une grande activite´, une confiance profonde en leurs forces, le me´pris de la mort, l’indiffe´rence pour la douleur ; dela` plus de de´vouement, plus d’e´nergie, plus d’e´le´vation. Les modernes fatigue´s par l’expe´rience ont une senV: 29 l’indiffe´rence pour ] l’indiffe´rence rec¸ue pour L TR: 4–5 Les anciens ... vieillesse. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 113, OCBC, Œuvres, 1, p. 630. 8–10 Les poe¨tes ... l’enthousiasme. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, 12–18 C’est que ... n’existe plus. ]  De pp. 113–114, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 114, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. 23–24 Les anciens ... la conviction. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 1114, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. VIII,

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sibilite´ plus triste, et par la` meˆme plus de´licate, une faculte´ d’eˆtre e´mus plus habituelle. L’e´goı¨sme meˆme qui se me`le a` cette faculte´ d’e´motion, peut la corrompre, mais non la de´truire. Pour re´sister au pouvoir de la souffrance sur nous, nous sommes force´s d’en e´viter le spectacle. Les anciens le bravaient sans crainte et le supportaient sans pitie´. Une femme d’un esprit tre`s supe´rieur a remarque´ avec beaucoup de sagacite´, combien il y avait moins de rafinement dans la sensibilite´ des anciens que dans la notre, en comparant l’Andromaque de Racine avec l’Andromaque de Virgile qui est ne´ammoins incontestablement le plus sensible des anciens poe¨tes1. Des e´crivains qui sont venus apre`s elle et qui l’ont copie´e sans la citer, ont attribue´ cette diffe´rence a` des causes religieuses : c’est un renversement d’ide´es2. Cette diffe´rence se fait sentir dans la religion, comme ailleurs. Mais la religion n’en est point la cause. La cause en est dans les progre`s de la civilisation, qui adoucit le caracte`re en l’affaiblissant, et qui, rendant les relations domestiques plus suˆres, moins menace´es, moins interrompues, en font de la sorte une portion plus constante et plus intime de la vie humaine. Les anciens, comme les enfans, croyaient avec docilite´, e´coutaient avec respect. Ils pouvaient recevoir sans re´pugnance un ensemble d’institutions qui se composait de traditions, de pre´ceptes, d[’]usages, de pratiques myste´rieuses, autant que de loix positives. Les modernes ont perdu la faculte´ de croire long tems et sans examen. Le doute est sans cesse derrie`re eux. Il affaiblit l’impression meˆme de ce qu’ils adoptent. Le le´gislateur ne peut leur parler en prophe`te. Il leur faut des loix positives pour donner de la se´curite´ a` leur existence. Mais ils ne peuvent eˆtre domine´s que par l’habitude. Chaque pas qu’on fait dans la vie, donne l’empire a` une faculte´ diffe´rente chez les nations, comme chez les individus. L’imagination re´gnait sur les anciens, la raison re´gne sur nous. Or l’imagination court au devant de ce qu’on veut lui persuader. La raison attend, repousse, et meˆme lorsqu’elle V: 23 faut ] fait L 1

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Allusion a` Mme de Stae¨l, De la litte´rature conside´re´e dans ses rapports avec les institutions sociales, Nouvelle e´dition critique e´tablie, pre´sente´e et annote´e par Axel Blaeschke, Paris : Classiques Garnier, 1998, «Pre´face de la seconde e´dition», p. 7, note de Mme de Stae¨l. BC vise la re´plique relativement discre`te de Chateaubriand a` Mme de Stae¨l qui se trouve dans le Ge´nie du Christianisme, deuxie`me partie, livre II, chap. 10, «Paralle`le de Virgile et de Racine» (Ple´iade, pp. 674–679). Il faut reconnaıˆtre que Chateaubriand ne cite pas Mme de Stae¨l, bien qu’il accepte le re´sultat de ses re´flexions. Il faut reconnaıˆtre de meˆme que la critique de BC relative aux hypothe`ses explicatives du phe´nome`ne litte´raire en cause exprime la diffe´rence profonde entre la the´orie de la religion de BC qui implique la perfectibilite´ de ide´es religieuses et celle de Chateaubriand qui cherche dans la religion re´ve´le´e les causes de l’e´volution de la sensibilite´ des modernes.

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ce´de, ne ce´de jamais qu’a` son corps defendant. Dela` re´sulte une ve´rite´ dont les conse´quences sont aussi importantes qu’e´tendues. Rien n’e´tait plus facile que de refondre les peuples anciens par des institutions. Rien ne serait plus impossible que de traiter ainsi les peuples modernes. Une institution chez les anciens e´tait dans sa force, au moment de son e´tablissement. Une institution chez les modernes n’a de force, que lorsqu’elle est devenue une habitude. Dans les tems recule´s de l’antiquite´, les peuples avaient si peu d’habitudes qu’ils changeaient de nom presqu’aussi souvent que de chefs. Denys d’halicarnasse a nous apprend que l’Italie fut de´signe´e successivement par six appellations diffe´rentes, suivant le nom de ceux qui s’empare`rent l’un apre`s l’autre de cette contre´e. Essayez, chefs des peuples ou conque´rans de la terre de de´signer de nos jours une rue par votre nom. Toute votre puissance ne fera pas que le peuple oublie l’habitude ancienne et lui substitue ce nom nouveau.

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Liv. I. ch.

V: 15 ch.

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VI1.

] ch. I L

Renvoi a` ëΡωμαιÈκη αÆ ρχαιολογιÍα, Les antiquite´s romaines, livre Ier, ou` l’auteur parle des diffe´rents noms des peuples d’Italie. BC utilise le chapitre de l’historiographe romain (de langue grecque) qui explique que le meˆme peuple prend diffe´rents noms, de´rive´s des noms des rois qui le dominent, pour souligner une diffe´rence essentielle entre les anciens et les modernes, la puissance de la me´moire historique fonde´e dans les habitudes.

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Chapitre 7e˙ Re´sultat de ces diffe´rences entre les anciens et les modernes.

«Il re´sulte de toutes ces diffe´rences que la liberte´ ne peut eˆtre chez les modernes ce qu’elle e´tait chez les anciens. La liberte´ des tems anciens e´tait tout ce qui assurait aux citoyens la plus grande part dans l’exercice du pouvoir social. La liberte´ des tems modernes, c’est tout ce qui garantit l’inde´pendance des citoyens contre le pouvoir. Les anciens par leur caracte`re avaient surtout besoin d’action, et le besoin d’action se concilie tre´s bien avec une grande extension de l’autorite´ sociale. Les modernes ont besoin de repos et de jou¨issances. Le repos ne se trouve que dans un petit nombre de loix qui empeˆchent qu’il ne soit trouble´, les jou¨issances dans une grande liberte´ individuelle. Toute le´gislation qui exige le sacrifice de ces jou¨issances, est incompatible avec l’e´tat actuel de l’espe`ce humaine. Sous ce rapport, rien n’est plus curieux a` observer que les discours des de´magogues franc¸ais. Le plus spirituel d’entr’eux, S˙t Just, fesait tous ses discours en petites phrases, propres a` re´veiller des ames use´es. Et tandis qu’il paraissait supposer la nation capable des sacrifices les plus douloureux, il la reconnaissait par son propre style, comme incapable meˆme d’attention. Il ne faut pas exiger des peuples modernes l’amour et le de´vouement qu’avaient les anciens pour la liberte´ politique : c’est la liberte´ civile que che´rissent surtout les hommes de notre e´poque. Parce qu’outre que la liberte´ civile, en raison de la multiplication des jouissances prive´es a gagne´ en avantages, la liberte´ politique a perdu des siens par la grandeur des associations.» La seule classe chez les anciens qui re´clamaˆt une sorte d’inde´pendance individuelle, c’e`taient les philosophes. Mais l’inde´pendance des philosophes ne ressemblait en rien a` la liberte´ personnelle qui nous parait desirable. Leur inde´pendance consistait a` renoncer a` toutes les jouissances et a` toutes les affections de la vie. La notre au contraire ne nous est pre´cieuse, que comme nous garantissant ces jouissances, et nous permettant ces affections. La marche de l’espe`ce humaine ressemble a` celle de l’individu. Le jeune homme croit aimer sa patrie plus que sa famille, et quelque fois le monde plus que sa patrie. Mais a` mesure qu’il avance en age, la sphe`re de ses sentimens se re´tre´cit, et comme averti par l’instinct de la diminution de ses forces, il ne se fatigue plus a` aimer au loin. C’est autour de lui qu’il TR: 5–8 La liberte´ ... pouvoir. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 804.

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place ce qui lui reste de la puissance de sentir. De meˆme a` mesure que le genre humain vieillit, les affections domestiques remplacent les grands interets publics. Il faut donc faire ensorte que la liberte´ politique soit achete´e le moins che`rement possible, c’est a` dire qu’il faut laisser le plus possible de liberte´ individuelle a, dans tous les genres, sous tous les rapports. La tole´rance des anciens ne nous suffirait pas. Elle e´tait purement nationale. On respectait le culte de chaque peuple, mais on forcait chaque membre d’un Etat a` ne pas s’e´carter de la religion de son pays b. La liberte´ religieuse que reclame la civilisation de nos jours, est d’une autre nature. C’est une liberte´ individuelle que chacun veut pouvoir exercer isole´ment. Les loix sur les mœurs, sur le ce´libat, sur l’oisivete´ sont inadmissibles c. Ces loix supa

b

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Principes de politique

c

En parlant des Re´publiques avant et apre`s leur corruption, M. de Montesquieu dit : on e´tait libre avec les loix, on veut l’eˆtre contr’elles. Esp. des loix. Liv. III. ch. 3. Cela pourrait se dire dans un autre sens, des anciens et des modernes1. Platon dans son dixie`me livre de la Re´publique, e´tablit comme le´gitimes les accusations d’impie´te´. Les premiers philosophes qui ayent adopte´ les ve´ritables principes de la tole´rance sont les nouveaux Platoniciens2. [Add.] lors meˆme que l’esprit du sie`cle ne tendroit pas a` la liberte´ civile, la grandeur des associations rendroit cette liberte´ ne´cessaire. les loix sur les mœurs, sur le ce´libat, sur l’oisivete´, sont impossibles dans un grand e´tat et seroient incalculablement vexatoires dans leur exe´cution, si elles e´toient essaye´es.

TR: 15–17 Platon ... Platoniciens. ]  Co 3492, no 638. 1

2

Formule paradoxale pour exprimer le progre`s des modernes. BC oppose dans ses re´flexions la liberte´ des anciens (la liberte´ «avec les lois» de Montesquieu) et celle des modernes, qui est une liberte´ individuelle («contre les lois» chez Montesquieu, qui pense aux «re´publiques corrompues»). Si l’on accepte avec BC (et avec Kant) que la liberte´ des modernes se situe dans un espace «en dehors de la loi», un espace ou` la loi ne peut pas pe´ne´trer, on ne donne pourtant pas libre cours a` l’anarchie, meˆme si les jouissances prive´es ont une grande porte´e. La maxime kantienne du devoir formule la garantie. Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs (t. II, p. 46), cite Platon, Re´publique et mentionne aussi, dans sa note, les «nouveaux Platoniciens». «Ce qu’il y a maintenant de surprenant, c’est que Platon a ne´anmoins e´tabli lui-meˆme les accusations d’impie´te´ dans sa Re´publique : il ne faut pas, dit-il, qu’on y souffre les incre´dules, & on devra y rendre un culte public aux plane`tes : ceux qui apre`s cela, ajoute-t-il, oseront soutenir que les plane`tes ne sont pas Divinite´s, devront eˆtre traduits en justice comme des impies.» BC, en copiant ce passage et en le commentant, d’abord dans le cahier du ms. 3492, sous le nume´ro 638, ensuite, sous forme re´duite, dans le ms. L, ne controˆle pas cette affirmation de Pauw. C’est le livre X des Lois qu’il aurait fallu citer. La loi se lit 907d–908a, la justification de cette loi fait l’objet de ce livre. La seconde phrase de la note e´voque une the`se philosophique bien connue. Le terme «nouveaux platoniciens» est probablement une traduction pour ainsi dire provisoire du mot allemand «Neuplatoniker» introduit par Dietrich Tiedemann dans son ouvrage Geist de spekulativen Philosophie (Marburg : Akademische Buchhandlung, 1791–1797) pour de´signer l’e´cole philosophique de l’antiquite´ tardive. BC a utilise´ cet ouvrage, comme le prouvent les extraits que nous posse´dons. Le premier a` avoir trouve´ ce mot est l’e´rudit anglais Thomas Gale qui le forge en 1670.

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7, Re´sultat de ces diffe´rences entre les anciens et les modernes

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posent un asservissement de l’individu au corps social, tel que nous ne pourrions plus le supporter a. Les loix meˆmes contre la mendicite´ quelque ne´cessaires qu’elles puissent eˆtre, sont d’une exe´cution difficile et odieuse, parce qu’elles ont quelque chose de contraire a` nos usages. Il faut par la meˆme raison, ne donner a` la vie que peu de secousses. Les ramifications sociales sont beaucoup plus multiplie´es qu’autrefois. Les classes meˆmes qui paraissent ennemies sont lie´es entr’elles par des liens imperceptibles, mais indissolubles. Les proscriptions, les confiscations, les spoliations, injustes dans tous les tems, sont devenues deplus aujourd’hui absurdes et inutiles. La proprie´te´ ayant pris une nature beaucoup plus stable, et s’e´tant identifie´e plus intime´ment a` l’existence de l’homme, demande a` eˆtre beaucoup plus respecte´e et laisse´e beaucoup plus libre. L’homme ayant perdu en imagination ce qu’il a gagne´ en connaissances positives, et par la` meˆme beaucoup moins susceptible d’enthousiasme, les le´gislateurs n’ont plus sur lui la meˆme puissance. Ils doivent renoncer a` tout bouleversement d’habitudes, a` toute tentative pour agir fortement sur l’opinion. Plus de Lycurgue, plus de Numa, plus de Mahomet b. On peut appliquer a` la le´gislation les observations de M. Paw sur la musique. La musique la plus me´diocre, dit-il, produit sur les peuples barbares, des sensations sans comparaison plus fortes que la plus douce me`lodie ne peut en exciter chez les a

b

A Athe`nes la loi de Solon contre l’oisivete´ tomba rapidement en de´sue´tude, comme attentatoire aux droits d’un peuple libre. La liberte´ consiste, disait Socrate, a` travailler quand on veut, et a` ne pas travailler quand on ne veut pas1. C’est dans la formation de l’esprit public, qu’excellaient les anciens le´gislateurs. Mais leurs miracles politiques doivent eˆtre attribue´s moins a` la sagesse des uns, qu’a` la faiblesse des autres. Ils parlaient au genre humain encor enfant. Le legislateur moderne re´duit a` la seule autorite´ de la raison peut bien commander de croire, mais non pas faire croire. Toulongeon. de l’esprit public2.

TR: 5–8 Les ramifications ... indissolubles. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 113, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. 10–11 La proprie´te´ ... de l’homme, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, p. 113, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. 12–17 L’homme ... Mahomet. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 7, pp. 113–114, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 630. 1 2

BC note ici une observation qu’il avait trouve´e chez de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. II, pp. 61–62. Renvoi a` Franc¸ois-Emmanuel d’Emskerque, vicomte de Toulongeon, De l’esprit publique. Me´moire de´signe´ pour eˆtre lu a` la dernie`re se´ance de l’Institut national, Paris : Du Pont, 1797. «Nous sommes e´tonne´s de la facilite´ de domination qu’ont eu les anciens le´gislateurs : c’est qu’ils parlaient a` l’esprit humain encore enfant. On croyait aux apparitions, aux miracles politiques, aux augures ; l’homme fort et simple e´coutait et croyait. L’esprit humain, dans sa maturite´, ne croit plus sur parole. Pour lui donner des lois, il faut le persuader, ce qui est plus difficile que de lui donner a` croire.» (Cite´ d’apre`s Hofmann, p. 449, n. 103).

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nations civilise´es. Plus les grecs voulaient perfectionner la musique, continue-t-il, plus ils en voyaient les prodiges s’affaiblir a. C’e´tait precise´ment parce qu’ils voulaient perfectionner la musique, c’est a` dire, parce qu’ils la jugeaient. Leurs sauvages anceˆtres n’avaient fait que l’e´couter b. Je ne voudrais pas affirmer que les modernes ne sont pas susceptibles d’enthousiasme pour certaines opinions, mais ils ne le sont certainement plus d’enthousiasme pour les hommes. La re´volution franc¸aise est tre`s remarquable a` cet e´gard. Quoiqu’on ait pu dire de l’inconstance du peuple dans les Republiques anciennes, rien n’e´gale la mobilite´ dont nous avons e´te´ les te´moins. Parcourez attentivement, meˆme dans l’explosion de la fermentation la mieux pre´pare´e, les rangs obscurs d’une populace aveugle et soumise, vous la verrez, tout en suivant ses chefs, attacher ses regards d’avance sur le moment ou` ils doivent tomber, et vous appercevrez dans son exaltation factice, un me`lange bizarre d’analyse et de moquerie. Elle vous semblera se de´fier de sa conviction propre, travailler en meˆme tems a` s’e´tourdir par ses acclamations et a` se de´dommager par ses railleries, et pressentir, pour ainsi dire, elle meˆme l’e´poque ou` le prestige sera dissipe´. L’on s’e´tonne de ce que les entreprises les plus merveilleuses, les succe`s les plus inattendus, des prodiges d’activite´, de valeur et d’adresse ne font de nos a b

Rech. sur les Grecs. Pr III. §. 61. Les Athe´niens, qu’on peut regarder comme des modernes, a` beaucoup d’e´gards au sein de l’antiquite´, e´taient de tous les grecs ceux qui attachaient le moins d’importance a` la musique. Ils ne font pas grand cas, nous dit Xenophon, (Rep. Athen.) des hommes qui s’occupent uniquement de l’harmonie. C’est que le gout de la Musique n’est une passion que chez les peuples simples et peu avance´s dans la civilisation. Les Athe´niens, plus avance´s qu’aucun autre peuple ancien, eurent le gout moins qu’un autre : mais leurs philosophes qui, comme nous l’avons dit, e´crivaient sans cesse en sens inverse des mœurs et des inclinations nationales, n’en recommandaient et n’en vantaient pas moins la musique.

V: 1 Plus ... continue-t-il ] Plus les Grecs, continue-t-il, vouloient ... musique L TR: 10–17 Parcourez ... dissipe´. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, IV, 9, OCBC, Œuvres, IV, p. 489 ;  De l’esprit de conqueˆte, II, 4, p. 100, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 620–621. 17-p. 625.4 L’on s’e´tonne ... re´compense. ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 11, p. 41, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 581. 1

Cette note ainsi que la suivante de´pendent de la lecture de l’ouvrage de Pauw. BC renvoie d’abord au t. II, pp. 120–122, ou` il a trouve´ les phrases qu’il inte`gre dans son texte. La note suivante repose sur un passage du t. I, pp. 225–226. De Pauw y mentionne Xe´nophon, La Re´publique des Athe´niens, I, 13. Le texte de la seconde note se retrouve, le´ge`rement diffe´rent de celui que nous lisons ici dans le ms. Co 3492, sous le nume´ro 606, avec la date a` laquelle elle a e´te´ inte´gre´e dans l’ouvrage, le 23 octobre 1810.

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jours presque pas de sensation. C’est que le bon sens de l’espe`ce humaine l’avertit que ce n’est point pour elle qu’on fait tout cela. C’est un luxe des gouvernemens. Comme ils y trouvent seuls du plaisir, on les charge seuls de la re´compense. L’activite´ des de´positaires du pouvoir est devenue beaucoup moins ne´cessaire depuis que le bonheur, pour la masse des hommes, s’est place´ dans les relations prive´es. Dans un e´tat de choses essentiellement belliqueux, l’on admirait particulierement le courage, parceque le courage e´tait la qualite´ la plus indispensable dans les chefs des peuples. Aujourd’hui l’e´tat des choses e´tant essentiellement pacifique, ce qu’on demande aux gouvernans, c’est de la mode´ration et de la justice : et quand ils nous prodiguent de grands spectacles, et de l’he´roı¨sme, et des cre´ations, et des destructions sans nombre, on serait tente´ de leur re´pondre : le moindre grain de bonte´ serait bien mieux notre affaire : Toutes les institutions morales des anciens nous sont devenues inapplicables. J’appelle institutions morales par opposition aux institutions purement politiques, celles qui, comme la censure ou l’ostracisme, attribuaient a` la socie´te´, ou a` un nombre d’hommes quelconque, une juris diction discre´tionnaire qui s’exercait, non d’apre`s des formes le´gales et judiciaires, mais d’apre`s l’ide´e vaguement conc¸ue de la moralite´ de certains individus, de leurs intentions et du danger dont ils pouvaient menacer l’Etat. J’appelle une institution morale, l’usage qui attribuait a` tous les citoyens des anciennes Re´publiques la fonction d’accusateur. Cette fonction e´tait honorable. On cherchait a` se distinguer en de´nonc¸ant et poursuivant des coupables. De nos jours la fonction d’accusateur est odieuse. Un homme serait de´shonore´ s’il l’exercait sans mission le´gale. Tout cela tient a` la meˆme cause. Jadis l’intereˆt public allait avant la suˆrete´ et la liberte´ individuelle. Aujourd’hui la surete´ et la liberte´ individuelle vont avant l’intereˆt public. La paix, la tranquillite´, le bonheur domestique e´tant la tendance naturelle et invincible des peuples modernes, il faut faire a` cette tranquillite´ plus de sacrifices que n’en fesaient les anciens. Le de´sordre n’est pas toujours incompatible avec la liberte´ politique ; mais il l’est toujours avec la liberte´ civile et individuelle. La liberte´ politique offrant moins de jou¨issances qu’autrefois, et les de´sordres qu’elle peut entrainer e´tant plus insupportables, il n’en faut conserver que ce qui est absolument ne´cessaire. Pre´tendre aujourd’hui consoler les hommes par la liberte´ politique, de la perte de la liberte´ civile, c’est marcher en sens inverse du ge´nie actuel de l’espe`ce humaine. Loin d’opposer l’une de ces liberte´s a` l’autre, il faut ne pre´senter la premiere, que comme garantie TR: 6–13 Dans un e´tat ... affaire : ]  De l’esprit de conqueˆte, I, 11, p. 42, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 582.

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de la seconde a. L’on me comprendrait mal ne´ammoins, si l’on pretendait puiser dans ce re´sultat des raisonnemens contre la liberte´ politique. Beaucoup d’hommes aujourd’hui voudraient en tirer cette conse´quence. Parceque les anciens ont e´te´ libres, ils en concluent que nous sommes destine´s a` eˆtre esclaves. Ils voudraient constituer le nouvel e´tat social avec un petit nombre d’e´le´mens qu’ils disent seuls adapte´s a` la situation du monde moderne. Ces e´le´mens sont : des pre´juge´s pour effrayer les hommes, de l’avidite´ pour les corrompre, de la frivolite´ pour les e´tourdir, des plaisirs grossiers pour les de´grader, du despotisme pour les conduire, et, il le faut bien, des connaissances positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. Il serait bizarre que tel fut le terme de 40 sie`cles, durant lesquels l’espe`ce humaine a conquis plus de moyens moraux et physiques ; je ne puis le penser. La conse´quence que je tire des diffe´rences qui nous distinguent de l’antiquite´, ce n’est point qu’il faille affaiblir la garantie, mais c’est qu’il faut e´tendre la jouissance. Ce n’est point a` la liberte´ politique que je veux renoncer, c’est la liberte´ civile que je re´clame avec d’autres formes de liberte´ politique. Les gouvernemens n’ont pas plus qu’autrefois, le droit de s’arroger un pouvoir ille´gitime : mais les gouvernemens le´gitimes ont de moins qu’autrefois le droit d’entraver la liberte´ individuelle b. Nous posse´dons encore aujourd’hui les droits que nous eumes de tout tems, ces droits e´ternels a` la justice, a` l’e´galite´, a` la garantie, parce que ces droits sont le but des associations humaines. Mais les gouvernemens qui ne sont que les moyens de a

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[Add.] Il seroit moins absurde aujourdhui de vouloir faire d’un peuple d’esclaves un peuple de Spartiates que de former des Spartiates par la liberte´. Autrefois, la` ou il y avoit de la liberte´, on pouvoit supporter les privations ; aujourdhui, partout ou il y a privations, il faut, pour qu’on s’y re´signe, l’esclavage. le peuple qui estime le plus les jouı¨ssances de la vie, meˆme physiques, est en meˆme tems le seul peuple libre de l’Europe. Chez les anciens, la classe e´claire´e mettoit plus d’importance aux mœurs qu’a` la liberte´ politique, et le peuple plus d’importance a` la liberte´ politique qu’a` la liberte´ individuelle. chez nous, il n’y a que les penseurs d’une part, et la populace de l’autre qui mettent de l’importance a` la liberte´ politique. dire pourquoi1. Dans l’e´tat actuel de la civilisation et dans le systeˆme commercial sous lequel nous vivons, tout pouvoir public doit eˆtre limite´, et un pouvoir absolu ne peut subsister. Ganilh. hist. du revenu public. I. 4192.

TR: 3-p. 627.5 Parceque ... le´ge`re. ]  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, pp. 265–266. 3–13 Parce que ... penser. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 13, p. 156, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 652–653. 1 2

Note de travail. BC se propose de de´velopper cette ide´e en partant des the´ories politiques qui proposaient les spartiates comme mode`le politique. BC cite Ganilh, Essai politique, t. I, pp. 419–420. Citation conforme.

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parvenir a` ce but, ont de nouveaux devoirs. Les progre`s de la civilisation, les changemens ope´re´s par les sie`cles dans les dispositions de l’espe`ce humaine leur commandent plus de respect pour les habitudes, pour les affections, en un mot pour l’inde´pendance des individus. Ils doivent porter chaque jour sur ces objets sacre´s une main plus prudente et plus le´ge`re.

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Chez les Anciens, la fonction d’accusateur e´toit honorable. tous les citoyens se chargeoient de cette fonction, et cherchoient a` se distinguer en accusant et en poursuivant des coupables. Chez nous, la fonction d’accusateur est odieuse. un home serait de´shonore´, s’il s’en chargeoit sans mission le´gale. c’est que, chez les anciens, l’interet public alloit avant la surete´ et la liberte´ individuelle, et que chez nous, la surete´ et la liberte´ individuelle vont avant l’interet public.

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Chapitre 8e˙ Des imitateurs modernes des Re´publiques de l’Antiquite´.

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Les ve´rite´s que nous venons de de´velopper, ont de nos jours e´te´ me´connues, tant par les philosophes spe´culatifs, qui, durant le 18e`˙me sie`cle, ont re´clame´ d’ailleurs, avec un courage digne de louanges, les droits oublie´s de l’espe`ce humaine, que par les hommes plus impe´tueux et moins e´claire´s qui ont voulu mettre en pratique les principes de ces philosophes. Il est re´sulte´ de la` dans les systeˆmes de nos e´crivains les plus illustres, des me´prises et des inconse´quences qui nous paraissent presqu’inexplicables. Nous n’en citerons qu’un exemple que nous prenons au hazard. Les le´gislateurs anciens avaient une grande haine des richesses. Platon refusa de donner des loix a` l’Arcadie, uniquement a` cause de son opulence1. Tous les politiques de l’antiquite´ voyaient dans la pauvrete´, la source de toute vertu et de toute gloire. Les moralistes modernes ont copie´ ces maximes. Ils n’ont pas re´fle´chi, que si les richesses e´taient corruptrices chez les peuples belliqueux de l’antiquite´, c’est qu’elles e´taient le fruit de la conqueˆte et du pillage, et qu’elles pe´ne´traient ainsi subitement chez des peuples pauvres, qu’enyvrait bientot cette jouissance inusite´e. Les richesses redeviendraient corruptrices, si, par quelque secousse violente, nous retombions a` cet e´gard dans la situation des peuples anciens ; c’est a` dire, si la classe pauvre et ignorante s’emparant soudain des de´pouilles de la classe cultive´e, avait a` sa disposition des tre´sors dont elle ne saurait faire qu’un de´plorable et grossier usage. Mais lorsque les richesses sont le produit graduel d’un travail assidu et d’une vie occupe´e, ou qu’elles se transmettent de ge´ne´rations en ge´ne´rations par une possession paisible, loin de corrompre ceux qui les acquie`rent ou qui en jouissent, elles leur offrent de nouveaux moyens de loisir, de lumie`res, et par conse´quent des motifs nouveaux de moralite´. Faute d’avoir conside´re´ la diffe´rence des tems, nos moralistes ont voulu remonter le cours du fleuve. Ils ont recommande´ les privations a` des peuples e´leve´s au milieu des puissances, et par un singulier contraste, tandis que toutes les loix e´taient calcule´es pour encourager l’acV: 1 Chapitre 8e˙ ] Chapitre 8 le chiffre re´crit sur 2 L disposition L 1

22 a` sa disposition ] 〈saisi〉 a` sa

La provenance de cette fausse doctrine attribue´e a` Platon n’est pas e´lucide´e. L’Arcadie, qui n’a jamais eu chez les auteurs de l’antiquite´ la re´putation de vivre dans l’opulence, n’est mentionne´e que deux fois dans l’œuvre de Platon. Les deux mentions (Politeia, Symposion) n’ont aucun rapport avec l’ide´e e´voque´e ci-dessus.

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quisition des richesses, et en de´couvrir de nouvelles sources, tous les pre´ceptes e´taient destine´s a` les pre´senter comme un fle´au a. Les erreurs de nos philosophes, innocentes, tant qu’elles ne furent qu’une the´orie, devinrent terribles en application. Lorsque le flot des e´ve´nemens porta, durant la re´volution franc¸aise, a` la teˆte des affaires, des hommes qui avaient adopte´ la philosophie comme un pre´juge´, ces hommes crurent pouvoir exercer la force publique, comme ils la voyaient exerce´e dans les e´tats libres de l’antiquite´. Ils crurent que tout devait encore aujourd’hui ce´der devant l’autorite´ collective, que la morale prive´e devait se taire devant l’interet public, que tous les attentats contre la liberte´ civile seraient re´pare´s par la jou¨issance de la liberte´ politique dans sa plus grande e´tendue. Mais l’autorite´ collective ne fit que blesser en tout sens l’inde´pendance individuelle, sans en de´truire le besoin. La morale prive´e se tuˆt ; mais comme l’intereˆt public n’exerce pas sur nous le meˆme empire que chez les anciens, c’est a` un e´goı¨sme hypocrite et fe´roce que la morale prive´e se vit immole´e. Les grands sacrifices, les actes de de´vouement, les victoires remporte´es en Gre`ce et a` Rome par le patriotisme sur les affections naturelles, servirent, parmi nous, de pre´texte au de´chainement le plus effre´ne´ des passions particulie`res. L’on parodie mise´rablement les plus nobles exemples. Parceque jadis des pe`res inexorables, mais justes, avaient condamne´ leurs enfans criminels, leurs modernes copistes firent pe´rir leurs ennemis innocens. Enfin les institutions qui dans les Republiques anciennes entouraient d’une forte garantie la liberte´ politique, fondement de la liberte´ civile, n’aboutirent qu’a` violer la liberte´ civile sans e´tablir la liberte´ politique. Parmi les e´crivains du 18e`˙me sie`cle, il en est un surtout qui a entraine´ l’opinion dans cette route errone´e et dangereuse, c’est l’abbe´ de Mably1. a

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Les politiques grecs, qui vivaient sous le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d’autre force qui put le soutenir, que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufacture, de commerce, de finances, de richesses et de luxe meˆme. Mont. Esp. des loix. III. 3. Il attribue cette diffe´rence a` la Re´publique et a` la monarchie. Il faut l’attribuer a` l’Etat dissemblable des tems anciens et des tems modernes2.

V: 18 le plus ] plus L 27–31 Les politiques ... modernes. ] texte de la note dans la col. gauche, corr. a. Les politiques ... ne nous parlent que de 〈comerce〉 manufactures ... modernes. L 1

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Comme Rousseau, l’abbe´ de Mably est un des e´crivains dont BC attaque les the´ories. La longue note ci-dessous fournit les mate´riaux pour cette pole´mique. On consultera toujours avec inte´reˆt les travaux d’E´phraı¨m Harpaz sur cette matie`re : «Mably et la poste´rite´», Revue des sciences humaines, t. XIX, 1954, pp. 25–40 ; «Mably et ses contemporains», Revue des sciences humaines, t. XX, 1955, pp. 351–366 ; «Le social de Mably», Revue d’histoire e´conomique et sociale, t. XXXIV, 1956, 411–425. Montesquieu, De l’esprit des lois, livre III, chap. 3, p. 252. On peut se demander si l’exe´ge`se du texte de Montesquieu esquisse´e ici est correcte.

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L’abbe´ de Mably, qu’on a surnomme´ le Spartiate, e´tait un homme d’une ame pure, che´rissant la morale, et croyant aimer la liberte´ ; mais c’e´tait ` assure´ment l’esprit le plus faux, la teˆte la plus despotique qui ait existe´ a. A a

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L’ouvrage de Mably, de la Le´gislation ou principes des loix est le code de despotisme le plus complet que l’on puisse imaginer. Combinez ses trois principes, 1o. La proprie´te´ est un mal ; si vous ne pouvez la de´truire, affaiblissez son influence de toute manie`re. 2o. La liberte´ individuelle est un fle´au, si vous ne pouvez l’ane´antir, restreignez la du moins, autant que possible. 3o. L’autorite´ legislative est illimite´e ; il faut l’e´tendre a` tout, et faire tout plier devant elle. Vous sentirez combien il est difficile d’e´chapper a` cette terrible combinaison. Aussi une constitution faite, d’apre`s Mably, serait la constitution re´unie de Constantinople et de Robespierre. En voici quelques axiomes transcrits avec une fide`lite´ scrupuleuse. Ordonnez des mœurs. p. 175. Ne vous effrayez pas de la pauvrete´. Qu’importe que tel arrangement fasse fleurir le commerce et double les revenus de l’Etat. 176. L’e´tablissement de la proprie´te´ vous rejette dans un abyme. 186. Qu’importe la population ? Mieux vaut pour le genre humain, avoir quelques vertus, que beaucoup de fruits, et ne compter qu’un million d’hommes heureux, qu’une multitude de mise´rables. 187. Diminuez les finances de l’Etat. 193. Abjurez tout cre´dit public. 197. Proscrivez les arts inutiles, imposez aux arts ne´cessaires une certaine grossie`rete´. Etendez vos loix somptuaires sur tout. 199. Proscrivez le commerce. Avilissez cette profession. 200. Empeˆchez la vente, l’alie´nation des biens et les testamens. 202. Etablissez les loix agraires. ibid. Ne permettez pas aux citoyens d’aller audehors amasser des richesses. 203. Etablissez une e´ducation publique, et ne tole´rez pas les re`gles arbitraires que les pe`res de famille se font a` cet e´gard. 278. Redoutez les Athe´es et les De´¨ıstes. 286. La prison perpe´tuelle pour les premiers. 297. Ne permettez pas qu’on de´vie du culte autorise´. 299. Enfermez les De´istes, instruisez les dans leur prison, et et s’ils se rendent coupables deux fois de manifester leur pense´e, la prison perpe´tuelle comme pour les Athe´es. 302. Ne permettez pas de nouvelles religions, ni que les citoyens professent l’ancienne, sans faire usage de ses ministres publics. 310. &ca1. On conviendra qu’il est bizarre que ce soit cet e´crivain que l’on a cite´ sans cesse a` la tribune nationale, comme pouvant servir de guide dans l’e´tablissement de la liberte´. J’ajouterai que ses connaissances historiques sont aussi peu exactes, que ses principes politiques sont erronne´s et perse´cuteurs. Il adopte avec une aveugle cre´dulite´ tout ce que les historiens nous ont transmis sur Lycurgue, sans s’arreˆter un instant aux difficulte´s de toute espe`ce qui environnent tout ce qui a rapport a` ce le´gislateur. Il exage`re sans cesse l’influence politique

V: 4-p. 631.30 L’ouvrage de Mably ... pour la liberte´. ] texte de la note ajoute´ sur les f os 783–784, intercale´s entre les feuilles doubles 781–782 et 785–786 qui se suivaient imme´diatement L’ouvrage de Mably ... en voici 〈les articles〉 quelques axiomes ces deux mots dans l’interl. ... notions fausses, et les plus dangereuses pour la liberte´. L TR: 3-p. 631.11 A peine ... nuptiale. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, pp. 120–121, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 634 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 256. 4–11 L’ouvrage ... Robespierre. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, pp. 119–120, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 633–634. 1

La note est un montage de textes. Nous donnons ici d’apre`s Hofmann (pp. 450–452, n. 109– 129) les pp. du t. IX des Œuvres comple`tes de Mably ou` l’on trouve les citations : 16 ; 19–20 ; 58 ; 68 ; 97 ; 107–108 ; 112–113 ; 113–115 ; 116–120 ; 120 ; 125 ; 309 ; 324 et sv. ; 354 ; 355 et sv ; 364–365 ; 388–389. L’e´dition utilise´e par BC n’a pu eˆtre identifie´e.

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peine appercevait-il, n’importe chez quel peuple, une mesure vexatoire, qu’il pensait avoir fait une de´couverte, et qu’il la proposait pour mode`le. Ce qu’il de´testait le plus, c’e´tait la liberte´ individuelle, et lorsqu’il rencontrait une nation qui en e´tait bien complettement prive´e, il ne pouvait s’empecher de l’admirer, lors meˆme qu’elle n’avait point de liberte´ politique. Il s’enthousiasmait sur les Egyptiens, parceque, disait-il, tout chez eux e´tait prescrit par la loi. Tous les momens de la journe´e e´taient remplis par quelque devoir. Jusqu’aux de´lassemens, jusqu’aux besoins, tout pliait sous l’empire du le´gislateur. L’amour meˆme e´tait soumis a` cette intervention respecte´e, et c’e´tait la loi qui tour a` tour ouvrait et fermait la couche nuptiale a. Depuis quelque tems l’on nous re´pe´te les meˆmes absurdite´s sur les Egyptiens. L’on nous recommande l’imitation d’un peuple victime d’une double servitude, repousse´ par ses preˆtres du sanctuaire de toutes les connaissances, divise´ en castes, dont la dernie`re e´tait prive´e de tous les droits de l’e´tat social et de l’humanite´ meˆme, retenu par un joug de fer dans une e´ternelle enfance, masse immobile, incapable e´galement et de s’e´clairer et de se de´fendre et constamment la proie du premier conque´rant qui vint envahir, je ne dirai pas sa patrie, mais son territoire. Il faut reconnaitre que ces nouveaux apologistes de l’Egypte sont plus conse´quens dans leur sys-

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de Sparte sur la Gre`ce, sans conside´rer qu’Athe`nes a posse´de´ pour le moins autant d’influence que Sparte, et comptant pour rien la disproportion de ces deux puissances. Sparte occupait plus d’espace en Gre`ce, et un territoire plus fertile, qu’Athe`nes, Me´gare, Corinthe, Argos et Sycrone ensemble. Mais il a voulu me´connaitre cette disproportion, parce qu’il avait besoin de citer un grand exemple en faveur des institutions morales des Spartiates. Je dois dire cependant, que, lorsque Mably sort de ses exage´rations pour aborder des sujets moins vagues, il montre un beaucoup meilleur esprit. Dans le troisie`me livre de ses principes des loix, comme il traite spe´cialement des loix positives, il de´veloppe plusieurs ide´es tre`s justes et plusieurs ve´rite´s tre`s utiles. Ses observations sur l’histoire de France sont un des meilleurs ouvrages sur cette matie`re1. Mais il n’en est pas moins, je le pense, un de nos e´crivains les plus remplis de notions funestes, et les plus dangereux pour la liberte´. Entret. de Phocion2.

V: 29 je le ] mots re´pe´te´s par inadvertance en tournant la page P

30 funestes ] fausses L

TR: 11-p. 632.4 Depuis ... posse´der. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, p. 121, en note, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 634. 1 2

Mably, Observations sur l’histoire de France, Gene`ve : par la compagnie des libraires, 1765. Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. I-II. BC cite Mably, Entretiens de Phocion sur les rapports de la morale avec la politique, Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. IX, pp. 71–72.

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teˆme que les philosophes qui lui ont prodigue´ les meˆmes e´loges. Ils ne mettent aucun prix a` la liberte´, a` la dignite´ de notre nature, a` l’activite´ de l’esprit, au de´veloppement des faculte´s intellectuelles. Ils ne veulent que servir le despotisme, faute de pouvoir le posse´der a. Si l’Egypte esclave parut a` Mably me´riter une admiration presque sans bornes, uniquement, parce que toute inde´pendance individuelle y e´tait comprime´e, on conc¸oit que Sparte qui re´unissait des formes re´publicaines au meˆme asservissement des individus, dut exciter son admiration plus vive encore. Ce vaste couvent

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V. les nouveaux essais de morale et de politique, et l’esprit de l’histoire par M. Ferrand. Les loix religieuses et les loix politiques, dit ce dernier, e´taient dans un accord parfait avec les devoirs de la socie´te´. Toutes deux s’emparaient du citoyen au moment de sa naissance, et concouraient a` former l’homme pour la socie´te´. Toutes deux le suivaient dans toutes les professions, dans toutes les actions de sa vie, pour rectifier ses volonte´s, pour re´primer ses passions. Elles inspectaient, elles dirigeaient ses travaux et jusqu’a` ses plaisirs. L’Egyptien semblait eˆtre toujours sous cette double garde : et cette geˆne sociale e´tait ce qui assurait sa liberte´. La loi assignait a` chacun son emploi qui se perpe´tuait de pe`re en fils. Cette re`gle otait peut eˆtre a` l’Egypte quelques hommes superieurs, mais elle lui donnait, ce qui vaut beaucoup mieux, une continuite´ d’hommes utiles. Elle prescrivait une marche uniforme a` ces esprits inquiets qui auraient trouble´ l’Etat, en ne prenant que leur imagination pour guide. (choisir sa vocation et son genre d’industrie suivant ses dispositions et ses aptitudes naturelles, c’est le propre d’un esprit inquiet qui ne prend que son imagination pour guide !) Lisez les re´volutions de tous les empires. Ce fut toujours l’ouvrage de quelques hommes qui voulurent monter plus haut que leurs professions. (C’est a` dire, ce fut souvent l’ouvrage de quelques hommes qui sentaient que la socie´te´ leur imposait des entraves qu’elle n’avait pas le droit de leur imposer. or plus vous multipliez les entraves de ce genre, plus vous multipliez les motifs, et par conse´quent les tentatives de re´volutions.) Nos philosophes modernes ont re´pe´te´ sans cesse que les meilleures loix sont celles qui laissent a` la volonte´ de l’homme une plus grande latitude. Renvoyez les, ces fle`aux de l’humanite´ a` l’enfance du genre humain. (C’est a` l’enfance du genre humain, effectivement, c’est a` dire aux sie`cles d’ignorance et de barbarie, qu’il faut remonter, pour croire qu’il soit utile ou le´gitime de geˆner la volonte´ de l’homme dans ce qui ne nuit pas a` autrui.)1

V: 9–31 V. les nouveaux essais ... a` autrui.) ] texte de la note ajoute´ dans les col. gauches des f os 786r o, 786v o et 787r o, corr. a. L TR: 7-p. 633.4 Sparte ... veut. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, p. 122, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 635 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, pp. 256–257. 1

BC nomme a` la teˆte de cette note l’ouvrage de Louis-Mathieu Mole´, Essais de morale et de politique, Paris : Nicolle, 1806, qui venaient de paraıˆtre et dont il avait de´ja` lu des extraits en de´cembre 1805 (lettre a` Claude Hochet du 31 de´cembre 1805, OCBC, CG, t. V, p. 432). – Les citations de Ferrand, L’esprit de l’histoire, peuvent venir de l’e´dition de 1802 (pp. 63– 66) ou de celle de 1803, plus de´veloppe´e (pp. 72–78). BC cite avec de nombreuses coupures.

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lui semblait l’ide´al d’une Re´publique libre b. Il avait pour Athe`nes un profond me´pris, et il aurait dit volontiers de cette premie`re nation de la Gre`ce, ce que je ne sais quel acade´micien grand seigneur disait de l’acade`mie. Quel e´pouvantable despotisme ! Tout le monde y fait ce qu’il veut1 Le regret qu’il exprime sans cesse dans ses ouvrages, c’est que la loi ne puisse atteindre que les actions. Il aurait voulu qu’elle atteignit les pense´es, les impressions les plus passage`res, qu’elle poursuivit l’homme sans relache, et sans lui laisser un azyle ou` il put e´chapper a` son pouvoir. Il prenait sans cesse l’autorite´ pour la liberte´ ; et tous les moyens lui paraissaıˆent bons pour e´tendre l’action de l’autorite´ sur la partie re´calcitrante de l’existence humaine dont il de´plorait l’inde´pendance. Mably est apre`s Rousseau l’e´crivain qui a eu le plus d’influence sur notre re´volution a. Son austerite´, son a

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8, Des imitateurs modernes des re´publiques de l’antiquite´

b

Isocrate et Platon assurent que les Lace´de´moniens pour la plupart, e´taient si peu instruits, qu’ils ne savaient ni lire, ni signer leur nom, ni calculer au dela` de leurs doigts2 . [Add.] dans son traite´ du gouvernement de Pologne, J. J. Rousseau fait ressortir, avec beaucoup de sagacite´, les obstacles qui se rencontrent a` l’introduction de moeurs et d’habitudes nouvelles, chez une Nation et meˆme le danger de se mettre en lutte contre ces moeurs et ces habitudes. Malheureusement on n’a pris de lui que ses principes absolus, son fanatisme spartiate, tout ce qu’il y avoit d’inapplicable et de tyrannique dans ses the´ories, et de la sorte ses partisans et ses admirateurs les plus enthousiastes, ne s’attachant qu’a` ce qu’il avoit de de´fectueux, ont acheve´ de le rendre de tous nos e´crivains le plus fertile en notions fausses, en principes vagues et le plus dangereux pour la liberte´3.

V: 13–14 Isocrate ... leurs doigts. ] texte de la note ajoute´ dans la col. gauche du f o 785v o, corr. a. L TR: 4–8 Le regret ... pouvoir. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, pp. 120–121, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 634 ;  De la liberte´ des anciens, CPC, IV, p. 256. 8–11 Il prenait ... l’inde´pendance. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, p. 120, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 633–634. 12-p. 634.12 Son auste´rite´ ... absolu. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 8, p. 123, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 635. 1 2

3

Non identifie´. BC cite ici une phrase de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. II, p. 335. L’auteur ne pre´cise pas ses sources, mais puisqu’il cite quelques pages plus loin le Panathe´naı¨que d’Isocrate, il aura lu ceci : «Les Spartiates [...] sont demeure´s si loin en arrie`re sur la voie de l’e´ducation et du savoir [...] qu’ils n’apprennent meˆme pas leurs lettres.» (209). Et Socrate fait dire a` son interlocuteur Hippias «beaucoup d’entre eux, on peut le dire, ne savent meˆme pas compter.» (Platon, Hippias Majeur, 285c). Hofmann (p. 618, n. 202) a identifie´ le passage auquel BC fait allusion ici : «Mais une grande nation qui ne s’est jamais trop meˆle´e avec ses voisins doit en avoir beaucoup [de mœurs, d’usages civils et domestiques] qui lui soient propres, et qui peut-eˆtre s’abaˆtardissent journellement par la pente ge´ne´rale en Europe de prendre les gouts et les mœurs des Franc¸ois. Il faut maintenir, re´tablir ces anciens usages, et en introduire de convenables, qui soient propres aux Polonois. Ces usages, fussent-ils diffe´rens, fussent-ils mauvais meˆme a` certains e´gards, auront toujours l’avantage d’affectionner les Polonois a` leur pays et de leur

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intole´rance, sa haine contre toutes les passions humaines, son avidite´ de les asservir toutes, ses principes exage´re´s sur la compe´tence de la loi, son acharnement contre la liberte´ individuelle qu’il traitait en ennemi personnel, la diffe´rence entre ce qu’il recommandait et ce qui avait existe´, ses de´clamations contre les richesses et meˆme contre la proprie´te´, toutes ces choses devaient plaire a` des hommes e´chauffe´s par une victoire re´cente, et qui conque´rans d’une puissance qu’on appelait loi, e´taient bien aises d’e´tendre cette puissance sur tous les objets. C’e`tait pour eux une autorite´ pre´cieuse qu’un e´crivain qui de´sinteresse´ dans la question, et prononc¸ant toujours anathe`me contre la Royaute´, avait au fond de son cabinet, long tems avant la re´volution, re´dige´ en axiomes toutes les maximes ne´cessaires pour organiser sous le nom de Re´publique, le despotisme le plus absolu. Mably avait remarque´ dans l’antiquite´, inde´pendamment des loix proprement dites, cequ’il nommait des institutions. Il serait assez difficile de de´finir avec pre´cision ce qu’il entendait par ce mot. C’e´tait un ensemble de loix, d’habitudes, de traditions, de ce´re´monies propres a` frapper l’imagination et a` preter aux constitutions e´tablies l’appui de cette puissance vague, mais irre´sistible. Mably ne re´fle´chit point que les philosophes meˆmes de l’antiquite´ qui nous vantaient l’influence des institutions, parlaient le plus souvent d’un tems ante´rieur, et qu’il en e´tait de ces choses, comme des revenans ; personne n’en a vu, mais tout le monde a dans sa famille quelque le´gende qui en atteste l’existence. Mably exalta donc outre mesure les institutions de l’antiquite´ et la ne´cessite´ d’en e´tablir de pareilles ; et nos le´gislateurs se mirent a` e´tablir des institutions. Mais comme les institutions reposent sur les habitudes, c’e´tait vouloir cre´er des habitudes, c’est a` dire cre´er du passe´. V: 22 existence. ] texte de la note ajoute´ dans les col. gauches des f os 788v o et 789r o, cache´ plus tard par du papier colle´ au moyen de dix cachets de cire, corr. a. 〈Mably me´connut [en 1er] lieu une diffe´rence [entre] les anciens et les modernes, que nous avons deja indique´e ailleurs. tous les peuples modernes ont e´te´ conquis par les barbares venus du nord. les peuples anciens paraissent n’avoir pas e´te´ conquis, mais seulement civilise´s par les Colonies Etrange`res. Or la marche des peuples qui ont e´te´ conquis et de ceux qui n’ont jamais subi de conqueˆtes, est fort dissemblable. Ceux ci cherchent a` se donner les institutions qui leur manquent. Ceux la` travaillent a` se de´livrer des institutions qu’on leur a impose´es. Il en re´sulte mille diffe´rences. De la` chez les derniers une habitude de re´sistance qui se perpe´tue et se dirige, non seulement contre les institutions introduites de force, mais contre toute espe`ce d’institutions. les peuples modernes ont lutte´ contre les leurs, de toutes les manie´res, dans les temps barbares par la force, dans les temps police´s par la Moquerie. Or cette dernie`re arme est terrible, en ce qu’elle est destructrice non seulement du passe´, mais encore de l’avenir.〉 23 pareilles ; ] mot suivi d’une barre oblique P donner une re´pugnance naturelle a` se meˆler avec l’e´tranger. Je regarde comme un bonheur qu’ils aient un habillement particulier. Conservez avec soin cet avantage ; faites exactement le contraire de ce que fit ce Czar si vante´.» (Conside´rations sur le gouvernement de Pologne et sur sa re´formation projette´e, Œuvres comple`tes de Jean-Jacques Rousseau, t. III, Ple´iade, p. 962). Le «Czar si vante´» est Pierre le Grand.

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Ils institue`rent des feˆtes nationales, des ce´re´monies, des assemble´es pe´riodiques. Bientot il fallut sous des peines se´ve`res commander l’observance de ces feˆtes, l’assistance a` ces assemble´es, le respect pour ces ce´re´monies. L’on fit un devoir de ce qui devait eˆtre volontaire : l’on entoura de contrainte, la ce´le´bration de la liberte´1. Nos gouvernans s’e´tonnaient de ce que les de´crets d’un jour n’effacaient pas aussitot les souvenirs de plusieurs sie`cles. Ils donnaient aux habitudes le nom de malveillance : l’effet lent et graduel des impressions de l’enfance ; la direction imprime´e a` l’imagination par une longue suite d’anne´es leur paraissaient des actes de re´bellion. La loi e´tant l’expression de la volonte´ ge´ne´rale il leur semblait qu’elle devait faire ce´der toutes les puissances, meˆme celles de la me´moire et du tems. Tous ces efforts, toutes ces vexations ont plie´ sous le poids de leur propre extravagance. Il n’est si petit saint dans le plus obscur hameau qui n’ait lutte´ avec avantage contre toute l’autorite´ nationale, range´e en bataille contre lui. Les partisans de tous les systeˆmes de ce genre prennent toujours l’effet pour la cause. Parceque les habitudes se transforment en institutions, ils pensent que rien n’est plus facile que de transformer les institutions en habitudes a. Ils veulent appuyer par des institutions tous les sentimens naturels, l’honneur, le patriotisme, la puissance paternelle, l’amour conjugal, le respect pour l’aˆge avance´. C’est suivre une marche inverse de la nature. Ce sont ces a

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[Add.] dans les tems e´claire´s, observe M. Gibbon dans ses me´langes, les hommes se hazardent rarement a` e´tablir des coutumes qui ne soyent recommandables que par leur but et leur utilite´. le peuple qui suit respectueusement la sagesse de ses anceˆtres, me´priseroit celle de ses contemporains et ne conside´reroit des institutions pareilles que sous le point de vue qui donneroit lieu au ridicule. pour qu’une institution soit efficace, elle doit avoir pour auteur Dieu ou le tems. Il pourrait bien en eˆtre des institutions comme des revenans : personne n’en a vu, mais tout le monde a parmi ses anceˆtres, quelqu’un qui en a vu2.

TR: 4–14 L’on fit ... contre lui. ]  De l’esprit de conqueˆte, Œuvres, VIII, 1, pp. 635–636. 1

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8, pp. 124–125, OCBC,

Hofmann a souligne´ qu’il y a une certaine contradiction entre cette phrase et la pratique de BC lorsqu’il e´tait Pre´sident de la Commune de Luzarches en 1796. Voir Hofmann, Gene`se, pp. 92–95. BC traduit le passage suivant : «In enlightened ages, men seldom venture to establish customs which are respectable only in their end and purpose. The people, who respectfully follow the wisdom of their ancestors, would despise that of their contemporaries ; and would regard such establishments merely in that point of view which laid them upon to ridicule.» The Miscellaneous Works of Edward Gibbon, Esq., with Memoirs of his Life and Writings, Composed by Himself : Illustrated from his Letters, with Occasional Notes and Narrative, by John, Lord Sheffield, London : B. Blake, 1837. Dans cet ouvrage, la passage se trouve dans le chapitre «A Collection of his Remarks and Detached Pieces on Different Subjects», no VII, «Upon the Triumphs of the Romans», p. 591. BC a consulte´ probablement une des deux e´ditions suivantes : Basil[ea], J.-J. Tourneisen, 1796–1797, 7 vol., ou London : A. Strahan, T. Cadell Jun., W. Davies, 1796, 2 vol. Le reste de la note est un de´veloppement de BC.

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sentimens dont l’impulsion spontane´e doit cre´er les institutions. Pour qu’elles soient puissantes, et ne soient pas tyranniques, il faut que leur origine se perde dans la nuit des tems. Pour que leur teˆte s’e´le´ve au ciel et nous couvre de son ombrage, leur racine doit eˆtre cache´e au sein de la terre. Elles sont utiles, comme he´ritage : elles ne sont qu’oppressives, alors qu’on les re´dige en loix. Le gouvernement n’est a` sa place, que lorsqu’il re´prime. Alors aucune de ses actions n’est vaine. Mais lorsqu’il veut encourager, diriger, e´mouvoir, enthousiasmer, et qu’il se pre´sente avec des phrases, toujours suivies de moyens coe¨rcitifs, il est ridicule s’il e´choue, il est despote s’il contraint. L’on peut ranger au nombre des institutions mal conc¸ues, ce que plusieurs publicistes ont a nomme´ peines d’infamie, et recompenses d’honneur tentatives isole´es interrompues, vicieuses dans leur source, susceptibles de partialite´, de contradiction et d’inconse´quences a` l’aide des quelles le gouvernement veut se mettre a` la place du sentiment le plus ombrageux, le plus de´licat, et croit distribuer a` son gre´ la gloire et la honte. Si la peine d’infamie est accompagne´e de la privation de certains droits, de l’exclusion de certaines fonctions, elle devient alors une peine positive, et non pas uniquement d’opinion. Si les recompenses honorifiques que le gouvernement confe`re, emportent la jou¨issance de certaines pre´rogatives, ce ne sont plus des re´compenses honorifiques. Elles rentrent dans la cathe´gorie des de´dommagemens que la socie´te´ peut accorder pour les services qu’elle a rec¸us. Alors il y a inexactitude dans les expressions. Mais si l’un et l’autre de ces moyens sont se´pare´s de tout inconve´nient et de tout avantage d’une autre nature, il y a contresens. C’est demander que l’autorite´ fasse la fonction de l’opinion. La honte diminue, et l’honneur se fle´trit b, quand l’aua

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Filangieri1. [Add.] Bentham a compris dans son code pe´nal les de´lits contre l’honneur et la re´paration de ces de´lits2. il a porte´ dans cette e´nume´ration la pe´ne´tration qui le caracte´rise. mais son chapitre meˆme sur ce sujet est une preuve de l’impuissance de rien faire par les loix dans ce qui est du domaine seul de l’opinion. Il veut que l’home qui se croit offense´ puisse obliger l’offenseur pre´tendu a` de´clarer qu’il n’a pas eu l’intention de lui marquer du me´pris. mais la question est impossible a` re´soudre devant un Tribunal, parce que la supposition seule est

V: 11 ranger ] 〈regarder〉 ranger L 1

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21 honorifiques ] purement honorifiques L

Les mots «peines d’infamie» montrent clairement que BC se re´fe`re ici a` l’ouvrage de Gaetano Filangieri, La science de la le´gislation dont il utilisait l’e´dition de l’an VII (Paris : Dufart). Voir le Troisie`me livre, «Des lois criminelles», seconde partie, «Des de´lits et des peines», chap. 7, «Des peines d’infamie» (Œuvres de G. Filangieri, nouvelle e´dition, t. III, Paris : Dufart, 1822, pp. 32–46 ; dans l’e´dition italienne, ce meˆme chapitre porte le nume´ro 31, «Delle pene d’infamia», t. IV de l’e´dition critique, pp. 33–47). Voir le pane´gyrique par Filangieri de ce qu’il appelle «la crainte de l’infamie», pp. 33–34. Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, Seconde partie, «Reme`des

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torite´ s’arroge le droit de les appliquer. Il faut pervertir l’intelligence humaine et froisser les fibres les plus de´licates du sentiment inte´rieur, pourque les hommes se soumettent aux de´cisions du pouvoir dans ce qui a rapport a` la morale. Voyez sous la monarchie meˆme et a` l’e´poque ou` la vanite´ se trouvait porte´e au plus haut de´gre´ de susceptibilite´ par tous les moyens factices qu’il est de la nature de ce gouvernement d’employer, voyez, dis-je, combien furent inutiles toutes les tentatives, toutes les proclamations de l’autorite´ pour fle´trir le duel. L’on a beaucoup vante´ l’effet moral de la censure romaine. Mais les censeurs avaient une puissance le´gale, et ils infligeaient des peines positives. Ils les infligeaient arbitrairement a` la ve´rite´. Mais cet arbitraire e´tait contrebalance´ par la simplicite´ des mœurs antiques, et par la possibilite´ qu’avait chaque citoyen, Spectateur presqu’imme´diat de toutes les actions de ses e´gaux, d’appre´cier l’e´quite´ des censeurs. Lorsque ces Magistrats priverent de l’entre´e du se´nat le dictateur Mamercus qui avait re´duit leurs fonctions a` 18 mois, cette vengeance excita l’indignation du Se´nat et du peuple, et Mamercus fut amplement de´dommage´ par l’opinion1. Mais c’est que tous les concitoyens de ce dictateur e´taient rassemble´s dans la meˆme ville, et te´moins et juges de l’injustice qu’il e´prouvait. Dans un Etat, comme la france, la puissance des censeurs serait une tyrannie intole´rable. Si le gouvernement d’un grand peuple osait par un acte public et sans jugement, prononcer qu’un individu est de´shonore´, ce ne serait pas l’individu, mais la nation entie`re que ce gouvernement de´clarerait incapable de tout sentiment d’honneur, et la nation re´clamerait contre cet arreˆt, en ne ratifiant pas les de´cisions de l’autorite´. La censure de´ge´ne´ra meˆme a` Rome, lorsque l’e´tendue de la Re´publique, la complication des relations sociales et les rafinemens de la civilisation eurent enleve´ a` cette institution ce qui lui servait a` la fois de baze et de humiliante. la re´ponse ne serait pas, comme Bentham le suppose une simple de´ne´gation, meˆme dans le cas ou l’intention d’offenser n’auroit pas existe´ pre´ce´demment, parce que cette De´ne´gation pouvant eˆtre re´pute´e force´e, tout home d’honeur s’y refuseroit. enfin la re´paration ordonne´e par la justice pourroit bien eˆtre honteuse pour le condamne´, mais ne seroit en rien honorable pour son adversaire. Il faut laisser l’opinion a` elle-meˆme avec ses inconve´niens et ses avantages. V: 7 tentatives ] tentatives 〈faites〉 L

1

politiques contre le mal des de´lits». BC pense aux chapitres 14, «De la satisfaction honoraire», et 15, «Reme`des aux de´lits contre l’honneur», t. II, pp. 335–351 et 352–358. L’exemple du consul et dictateur Aemilius Mamercus est cite´ par BC d’apre`s Machiavel, Discours sur la premie`re de´cade de Tite-Live, Premie`re partie, chap. 49, comme il ressort clairement des termes qui se recoupent. Voir Machiavel, Œuvres comple`tes, Ple´iade, p. 485.

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limite. Ce n’e´tait pas la censure qui avait cre´e´ les bonnes mœurs, C’e´tait la simplicite´ des mœurs qui constituait la puissance et l’efficacite´ de la censure a. Dans l’e´tat pre´sent de la socie´te´, les relations individuelles se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables qui se de´natureraient de mille manie`res, si l’on tentait de leur donner plus de pre´cision. L’opinı¨on seule peut les atteindre. Elle seule peut les juger parce qu’elle est de meˆme nature. Les e´poques des troubles civils sont, je l’avoue, particulierement de´favorables a` la puissance de l’opinion. C’est une sorte de sens moral qui ne se de´veloppe que dans le calme. C’est le fruit du loisir, de la se´curite´, de l’inde´pendance intellectuelle. Les secousses des re´volutions, les exce`s des re´actions la font disparaitre. Des e´chaffauds, des de´portations et des massacres ne laissent plus aucune force a` des nuances purement morales. L’opinion publique ne peut exister que la` ou` il n’y a plus ni arbitraire, ni divisions politiques. L’opinion publique et l’autorite´ arbitraire sont incompatibles. Il faut que la premie`re renverse l’autre, ou qu’elle soit e´touffe´e. Les divisions politiques qui suivant les partis, font de telle croyance le plus noir des crimes, ou la plus haute des vertus sont destructives de l’opinion, parce qu’elle est fausse´e dans son principe et qu’elle suit une direction absolument erronne´e. Dans des cas pareils, il faut attendre et laisser passer. J’ajouterais qu’il faut que la loi se taise, si je ne re´fle´chissais, que dans ces circonstances, ceux qui font les loix, ont pre´cise´ment pour but de fausser l’opinion. Ils empeˆchent l’homme de rentrer en lui meˆme, de consulter son propre cœur, de penser d’apre`s ses propres lumie`res ; Et comme s’il ne leur suffisait pas de son intereˆt pour le corrompre, ils veulent encore l’e´tourdir, en se donnant la fausse apparence de s’adresser a` son jugement et a` sa raison. a

Esp. des loix.

VII.

14.

XXIII.

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V: 20 erronne´e. ] mot ajoute´ dans l’interl. L 24 raison. ] suit encore Mably meconnut une difference entre les anciens et les modernes, que nous avons deja indiquee ailleurs. Tous les peuples modernes ont ete conquis par les barbares venus du nord. Les peuples anciens paraissent n’avoir pas ete conquis, mais seulement civilises par les colonies etrangeres. Or la marche des peuples qui ont ete conquis et de ceux qui n’ont jamais subi de conquetes, est fort dissemblable. Ceux-ci a se donner les institutions qui leur manquent. Ceux la travaillent a se delivrer des institutions qu’on leur a imposees. 〈ll en resulte mille differences.〉 De la chez les derniers une habitude de resistance qui se perpetue et se dirige, non seulement contre les institutions introduites de force, mais contre toute espece d’institutions. Les peuples modernes ont lutte contre les leurs, de toutes les manieres, dans les temps barbares par la force, dans les temps pollues par la moquerie. Or cette derniere arme est terrible, en ce qu’elle est destructrice non seulement du passe, mais encore de l’avenir. L TR: 4–7 Dans l’e´tat ... nature. ]  De la liberte´ des anciens, CPC,

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p. 263.

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Les anciens, ayant moins besoin de liberte´ individuelle que nous, mettoient la plus grande importance aux loix sur les moeurs. nous mettons cette importance aux rouages constitutionnels. 5

Chez les Grecs et les Romains, les pauvres et les riches formoient re´ellement deux classes, dont l’une e´toit compose´e de cre´anciers, l’autre de de´biteurs, et l’insuffisance des moyens de comerce et d’industrie empe´choit ces deux classes de se fondre ensemble. cela fesoit que chez les anciens les Insurrections e´toient beaucoup plus since´res que parmi nous. Or ce qui est vrai est, dans tous les genres, moins violent que ce qui est factice. une insurrection factice, inde´pendamment de la violence de l’insurrection, a encore la violence qui est ne´cessaire pour la produire : et de plus le calcul est beaucoup plus immoral que la Nature. j’ai vu durant la re´volution des hommes qui avoient organise´ des insurrections factices, proposer des massacres pour donner a` l’insurrection, disoient-ils, un air populaire ou national. 7, fo 81vo

lorsque je vois la confiance aveugle que beaucoup de modernes ont accorde´ aux assertions des anciens, sur la puissance des Institutions, et la se´rie des conse´quences qu’ils tirent d’un fait souvent rapporte´ comme un bruit vague, ou contenu sans explication dans une seule ligne, je me rappelle ce voyageur, qui, ayant vu un Prince d’arabie, de´coupant par de´soeuvrement un baton avec son couteau, en conclut que c’e´toit une institution fondamentale, et une institution tre´s sage de cet e´tat, que tout homme, y compris le prince, apprit un me´tier. Les anciens recevoient leurs institutions comme ame´liorations. Nous luttons contre les notres, come impose´es par la Conqueˆte.

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Livre XVIIe˙ Des vrais principes de la liberte´

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E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14360, fos 28ro–39vo [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 81vo–83vo [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique 34/6, fos 796ro–824vo [=L]. applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 135–143 [=LA].

V: 1 Livre

XVIIe˙

] 〈Troisie`me parte〉 Livre 〈premier〉

XVII

〈Section troisie`me.〉 L

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Chapitre 1e˙r De l’impossibilite´ d’abuser jamais des vrais principes de la liberte´.

3, fo 28vo

3, fo 29ro

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Nous avons essaye´ de de´terminer dans cet ouvrage l’e´tendue et la juris diction de l’autorite´ sociale sur les divers objets qui comprennent tous les intereˆts des hommes. Voyons maintenant quels principes de liberte´ en re´sultent, et s’il est possible d’exage´rer ces principes, ou d’en abuser. Les individus doivent jou¨ir d’une liberte´ d’action complette pour toutes les actions innocentes ou indiffe´rentes. Lorsque dans une circonstance particulie`re, une action indiffe´rente par elle meˆme peut menacer la surete´ publique, comme telle manie`re de se ve`tir qui servirait de signe de ralliement, la socie´te´ a le droit de l’interdire. Lorsqu’une action du meˆme genre fait partie d’une action coupable, comme le rendez vous que se donneraient des brigands avant d’effectuer un assassinat, la socie´te´ a le droit de se´vir contre cette action indiffe´rente pour interrompre un crime commence´. Dans les deux cas, l’intervention de la socie´te´ est le´gitime, parceque la ne´cessite´ est de´montre´e. Mais aussi dans les deux cas, elle n’est le´gitime qu’a` cette condition. Les individus doivent jou¨ir d’une liberte´ entie`re d’opinion soit inte´rieure, soit manifeste´e, aussi longtems que cette liberte´ ne produit pas des actions nuisibles. Lorsqu’elle en produit, elle se confond avec ces actions et doit eˆtre a` ce titre re´prime´e et punie. Mais l’opinion separe´e de l’action doit rester libre. La seule fonction de l’autorite´ est de la renfermer dans son domaine propre, la spe´culation et la the´orie. Les individus doivent jou¨ir d’une liberte´ sans bornes dans l’usage de leur proprie´te´ et l’exercice de leur industrie, aussi long tems qu’en disposant de leur proprie´te´ et en exerc¸ant leur industrie, ils ne nuisent pas aux autres qui ont les meˆmes droits. S’ils leur nuisent, la socie´te´ intervient, non pour envahir les droits de quelques-uns, mais pour garantir les droits de tous. Maintenant quels abus peuvent re´sulter de ces principes qui sont les seuls ve´ritables principes de la liberte´, et de quelle exage´ration sont-ils susceptibles ? Une erreur singulie`re que nous avons indique´e en commenc¸ant cet ouvrage, et dont on doit accuser surtout Rousseau et Mably, mais dont presqu’aucun publiciste n’a e´te´ exempt, a confondu toutes les ide´es sur cette matie`re a. a

[Add.] on a confondu, dit Montesquieu, XI. 3. le pouvoir du peuple avec la liberte´ du peuple. par une erreur du meˆme genre, Bentham conside´re come un moyen indirect de gouvernement beaucoup de choses qui ne sont que l’absence de toute intervention de l’autorite´. Il observe, p. ex. III, 7. que la rivalite´ de l’Eglise protestante et de l’e´glise Catholique

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L’on n’a pas distingue´ les principes de l’autorite´ sociale, des principes de la liberte´. Comme, dans le systeˆme des philosophes amis de l’humanite´, les principes de l’autorite´ sociale tendaient a` enlever aux oppresseurs des associations humaines les pouvoirs qu’ils avaient usurpe´s, et a` restituer ces pouvoirs a` l’association entie`re, l’on n’a pas senti que ce n’e´tait la` qu’une ope´ration pre´alable, qui n’avait fait que de´truire ce qui ne devait pas eˆtre, mais par laquelle on ne de´cidait rien sur ce qu’il fallait y substituer. Ainsi, lorsqu’apre`s avoir proclame´ le dogme de la souverainete´ nationale, l’on a abuse´ de ce dogme, l’on a cru que c’e´tait d’un principe de liberte´ que l’on abusait, tandis que l’on n’avait abuse´ que d’un principe d’autorite´. Parceque la` ou` les citoyens ne sont rien, les usurpateurs sont tout, l’on a cru que, pourque le peuple fut tout, il fallait que les individus ne fussent rien. Cette maxime est d’une faussete´ palpable. Elle fait que la liberte´ n’est autre chose qu’une formule nouvelle de despotisme1. La` ou` l’individu n’est a beaucoup contribue´ a` re´former les abus de la Papaute´ : que la libre concurrence est le meilleur moyen de faire baisser, soit le prix des marchandises, soit l’interet. Mais c’est une expression tout a` fait abusive que d’appeler ces choses des moyens indirects de gouvernement1. 1

1

BC part d’une maxime de Montesquieu (De l’esprit des lois, livre XI, chap. 2, p. 394), pour attaquer certaines erreurs de la terminologie et de la pense´e de Bentham. L’exemple cite´ se trouve dans Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, quatrie`me partie, Introduction, t. III, pp. 6–7. BC ne cite pas, mais re´sume le texte de Bentham. «Tous les historiens modernes ont observe´ combien les abus de l’E´glise Catholique avoient diminue´ depuis l’e´tablissement de la religion protestante. Ce que les Papes et les Conciles n’avoient pu faire par leurs de´crets, une heureuse rivalite´ l’a ope´re´ sans peine : on a craint de donner un scandale qui seroit devenu un sujet de triomphe pour ses ennemis.» (p. 6). Cette de´finition des abus du principe d’autorite´ me´rite d’eˆtre rapproche´e d’un passage de Kant auquel elle fait e´cho. Dans son ouvrage Zum ewigen Frieden, (De la paix perpe´tuelle), paru a` Königsberg en 1795, Kant distingue, en parlant de l’E´tat, civitas, entre le principe d’autorite´, forma imperii, et la forme du gouvernement, forma regiminis, et il dit, a` propos de la de´mocratie, une forma imperii qui correspond chez BC au peuple en tant que pouvoir illimite´, que la de´mocratie est ne´cessairement un despotisme : «Unter den drei Staatsformen [Autokratie, Aristokratie, Demokratie] ist die Demokratie im eigentlichen Verstande des Worts notwendig ein Despotism, weil sie eine exekutive Gewalt gründet, da alle über und allenfalls auch wider Einen (der also nicht mitbestimmt), mithin alle, die doch nicht alle sind, beschließen ; welches ein Widerspruch des allgemeinen Willens mit sich selbst und der Freiheit ist.» (Kleine Schriften zur Geschichtsphilosophie, Hamburg : Felix Meiner, 1973, p. 129). La traduction franc¸aise rend ce passage de la manie`re suivante : «La de´mocratie est ne´cessairement despotisme, puisqu’elle e´tablit un pouvoir exe´cutif contraire a` la volonte´ ge´ne´rale ; tous pouvant y de´cider contre un seul dont l’avis est diffe´rent ; la volonte´ de tous n’y est donc pas celle de tous : ce qui est contradictoire et oppose´ a` la liberte´.» (Œuvres philosophiques, t. III, pp. 343–344).

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1, De l’impossibilite´ d’abuser jamais des vrais principes de la liberte´

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rien, le peuple n’est rien. Pense-t-on que le peuple s’enrichisse des pertes de chacun de ses membres, comme un tyran s’enrichit de ce qu’il ravit a` chacun de ses sujets ? Rien n’est plus absurde. Le peuple est riche de ce que ses membres posse`dent, il est libre de leur liberte´, il ne gagne rien a` leurs sacrifices. Les sacrifices des individus sont quelquefois ne´cessaires, mais ne sont jamais un gain positif, ni pour eux meˆmes, ni pour le tout. Les de´positaires ou les usurpateurs de l’autorite´ peuvent emprunter pour le´gitimer leurs empie`temens, le nom de la liberte´, parceque malheureusement la parole est d’une complaisance sans bornes : mais jamais ils ne peuvent emprunter ses principes, ni meˆme aucune de ses maximes. Lorsque, par exemple, une majorite´ e´gare´e opprime la minorite´, ou, ce qui arrive bien plus souvent, lorsqu’une minorite´ fe´roce et tumultueuse s’empare du nom de la majorite´ pour tyranniser l’ensemble, que re´clame-telle pour la justification de ses attentats ? La souverainete´ du peuple, le pouvoir de la socie´te´ sur ses membres, l’abne´gation des droits individuels en faveur de l’association, c’est a` dire toujours des principes d’autorite´, jamais des principes de liberte´. En effet, comment ces derniers pourraient-ils eˆtre invoque´s en faveur de l’opposition ? Qu’e´tablissent-ils ? que la socie´te´ n’a pas le droit d’eˆtre injuste envers un seul de ses membres, que la re´union de tous, moins un, n’est pas autorise´e a` geˆner ce dernier dans ses opinions, dans celle de ses actions qui ne sont pas nuisibles, dans l’usage de sa proprie´te´ ou l’exercice de son industrie, sauf les cas ou` cet usage ou cet exercice geˆnerait un autre individu revetu des meˆmes droits. Or, que font les majorite´s ou les minorite´s qui oppriment ? pre´cise´ment le contraire de ce qu’e´tablissent ces principes. Ce ne sont donc pas ces principes qu’elles exage`rent. Ce n’est pas de ces principes qu’elles abusent. Elles agissent en conse´quence d’assertions directement oppose´es. Dans quel cas l’opinion manifeste´e par la presse peut elle devenir un moyen de tyrannie ? C’est lorsqu’un seul homme, ou un nombre d’hommes re´unis s’empare exclusivement de la presse, en fait l’organe de son opinion, repre´sente cette opinion comme nationale, et veut a` ce titre la faire pre´valoir sur toutes les autres. Mais alors quels principes cet homme ou ces hommes proclament-ils a` l’appui de leur conduite ? Non pas les principes de la liberte´ qui interdisent de faire dominer aucune opinion, meˆme celle de tous contre celle d’un seul, mais les principes de l’autorite´ sociale, qui, exage´re´s et soumettant les individus avec tous leurs droits et sans re´serve a` la com-

V: 37 les individus ] 〈tous〉 les individus L

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munaute´ souveraine, permettent de restreindre, de geˆner, de proscrire les opinions des individus. Nous pourrions multiplier a` l’infini ces exemples : et le re´sultat serait toujours le meˆme. C’est par une suite de cette erreur que Burke disait que la liberte´ est une puissance1. La liberte´ n’est une puissance que dans le sens dans lequel un bouclier est une arme. Lors donc que l’on parle des abus possibles des principes de la liberte´, l’on s’exprime avec inexactitude. Les principes de la liberte´ auraient pre´venu tout ce qu’on a nomme´ les abus de la liberte´. Ces abus, quelqu’en soit l’auteur, ayant lieu toujours aux de´pens de la liberte´ d’un autre, n’ont jamais e´te´ la conse´quence, mais le renversement des principes.

1

BC avait de´ja` cite´ cette phrase plus haut (voir ci-dessus, p. 557). Dans ce contexte-ci, il est e´vident que l’erreur de Burke consiste en ce qu’il a confondu la forma imperii avec la forma regiminis qui de´coule de ce que BC appelle les «principes de la liberte´».

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Chapitre 2e˙ Que la circonscription de l’autorite´ sociale, dans ses limites pre´cises, ne tend point a` l’affaiblissement de l’action ne´cessaire du gouvernement. La circonscription de l’autorite´ sociale dans ses limites pre´cises, ne tend point a` l’affaiblissement de cette autorite´ necessaire. Elle lui donne au contraire la seule ve´ritable force qu’elle puisse avoir. On doit limiter avec scrupule la compe´tence de l’autorite´ : mais cette compe´tence fixe´e, on doit l’organiser de manie`re a` ce qu’elle ne soit jamais incapable d’atteindre rapidement et complettement tous les objets de sa compe´tence. La liberte´ gagne tout a` ce que le gouvernement soit se´ve`rement renferme´ dans l’enceinte le´gitime : mais elle ne gagne rien a` ceque, dans cette enceinte, il soit faible. La faiblesse d’une partie quelconque du gouvernement est toujours un mal. Cette faiblesse ne diminue en rien les inconve´niens que l’on craint, et de´truit les avantages que l’on espe`re. Elle ne met point d’obstacles a` l’usurpation, mais elle e´branle la garantie, parceque l’usurpation est l’effet des moyens que le gouvernement envahit, et la garantie celui de ses moyens le´gitimes. Or en affaiblissant le gouvernement, vous le forcez a` envahir. Ne pouvant atteindre son but ne´cessaire avec les forces qui lui appartiennent, il aura recours pour l’atteindre, a` des forces qu’il usurpera : et de cette usurpation, pour ainsi dire, oblige´e, a` l’usurpation spontane´e, a` l’usurpation sans limites, il n’y a qu’un pas. Mais si vous e´tendez le gouvernement a` tout, les amis de la liberte´ et tous les hommes inde´pendans, c’est a` dire tout ce qui a quelque valeur sur la terre, ne pourront se plier a` cette conside´ration. Ils auraient consenti volontiers a` ceque le gouvernement fut tout puissant dans sa sphe`re : mais le rencontrant sans cesse hors de cette sphe`re, ils voudront diminuer une puissance qu’ils ne sauront comment limiter : et de la sorte ils organiseront, comme nous en avons vu plusieurs exemples, des gouvernemens trop faibles, qui, parcequ’ils seront faibles, deviendront usurpateurs. Il n’est aucunement ne´cessaire de sacrifier la moindre partie des principes de la liberte´ pour l’organisation d’une autorite´ le´gitime et suffisante. Ces principes existent avec cette autorite´, prote´ge´s par elle et la prote´geant : car ils V: 9 de manie`re ... qu’elle ] de manie`re qu’elle L

32 Ces ] Les L

TR: 14–23 La faiblesse ... qu’un pas. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, II, 3, OCBC, Œuvres, IV, p. 432 ;  Re´flexions sur les constitutions, p. IX, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 956.

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s’opposent a` ceque des factions la renversent en re´clamant ces droits sociaux, oppose´s aux droits individuels, ces axiomes de souverainete´ illimite´e, ce despotisme de la volonte´ pre´tendue ge´ne´rale, enfin ce pouvoir populaire sans bornes, dogmes qui sont le pre´texte de tous les bouleversemens, et que l’on a repre´sente´s comme des principes de liberte´, tandis qu’ils sont pre´cise´ment le contraire. Les principes de la liberte´, tels que nous les avons de´finis, sont utiles et ne´cessaires a` tous, car ils pre´servent les droits de tous, ceux des individus, ceux de la socie´te´, ceux des gouvernemens. Ces principes sont les seuls moyens de bonheur re´el, de repos assure´, d’activite´ re´gulie`re, de perfectionnement, de calme et de dure´e.

V: 7 de la liberte´ ] de liberte´ L

8 ceux des individus ] des individus L

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Chapitre 3e˙ Dernie`res conside´rations sur la liberte´ civile et sur la liberte´ politique.

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En traitant exclusivement dans cet ouvrage, des objets qui ont rapport a` la liberte´ civile, nous n’avons point pre´tendu insinuer que la liberte´ politique fut une chose superflue a. Ceux qui veulent sacrifier la liberte´ politique pour jou¨ir plus tranquillement de la liberte´ civile, ne sont pas moins absurdes que ceux qui veulent sacrifier la liberte´ civile, dans l’espoir d’assurer et d’e´tendre davantage la liberte´ politique. Ces derniers immolent le but aux moyens. Les premiers renoncent aux moyens sous le pre´texte d’arriver au but. L’on pourrait appliquer a` l’impot tous les argumens qu’on employe contre la liberte´ politique. L’on dirait qu’il est ridicule pour conserver ce qu’on a, de commencer par en sacrifier une partie. Pourvu que le peuple soit heureux, dit-on quelquefois, il importe peu qu’il soit libre politiquement. Mais qu’est ce que la liberte´ politique ? la faculte´ d’eˆtre heureux sans qu’aucune puissance humaine puisse arbitraitement troubler ce bonheur. Si la liberte´ politique ne fait pas partie des jou¨issances individuelles que la nature a donne´es a` l’homme, c’est elle qui les garantit1. La de´clarer inutile, a

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[Add.] dans tout ce qui a rapport a` l’home, il faut distinguer deux choses, le but et les moyens. dans les associations humaines, le bonheur est le but, la garantie est le moyen. la garantie n’est donc pas un bien par elle meˆme. elle a au contraire des inconve´niens mais comme elle est le moyen ne´cessaire pour arriver au but, il faut se re´signer a` ses inconve´niens. dans les affaires prive´es, ou` les formalite´s qu’on observe entrainent des fraix, des lenteurs, des discussions, dans les affaires publiques, ou les autorisations accorde´es au gouvernement restreignent la liberte´ individuelle, il seroit assure´ment plus commode de s’en rapporter a` la bonne foi et a` la sagesse de chacun. mais il faut une garantie, parce que l’inconve´nient qui re´sulteroit, meˆme de la perversite´ d’un petit nombre seroit plus grand pour tous que celui qui re´sulte des formalite´s prescrites et des restrictions consenties. la garantie, quoiqu’elle ne soit pas elle meˆme un bien absolu, est donc un bien relatif, puis qu’elle vaut mieux que le mal qu’elle empeˆche. deux conse´quences re´sultent de ceci. 1o la garantie devant eˆtre comple`te et assure´e, il faut faire, pour la rendre telle, tous les sacrifices indispensables, mais il ne faut pas aller au dela` ; car si c’est raison de supporter des inconve´niens ne´cessaires, c’est folie d’y joindre du superflu. 2o tout systeˆme dans lequel les inconve´niens de la garantie exce´dent le ne´cessaire est essentiellement vicieux. appliquons ces principes a` l’institution politique. nous la reconnaissons pour ne´cessaire, il faut donc lui BC change peut-eˆtre de terminologie, ou, plus probablement il cherche une terminologie ade´quate pour exprimer d’une manie`re nuance´e l’axiome fondamental ou fondateur de sa the´orie politique. Il lui faut effectivement distinguer clairement entre la liberte´ individuelle, domaine ou` la loi ne peut pe´ne´trer, et la garantie de cette liberte´. Tout ce livre XVII est consacre´ a` cette question majeure.

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c’est de´clarer superflus les fondemens de l’e´difice qu’on habite. Les gouvernans, poursuit-on, n’ont rien a` gagner au malheur des gouverne´s. En conse´quence, la liberte´ politique, c’est a` dire les pre´cautions des gouverne´s contre les gouvernans sont peu ne´cessaires a. Mais cette assertion n’est point exacte. Il n’est nullement vrai premie`rement, que l’intereˆt des gouvernans et celui des gouverne´s soit le meˆme. Les gouvernans, quelle que soit l’organisation politique, e´tant toujours limite´s en nombre, sont menace´s de perdre le pouvoir, si d’autres y parviennent. Ils ont donc intereˆt a` ceque les gouverne´s n’arrivent point au gouvernement, c’est a` dire ils ont clairement un intereˆt distinct de celui des gouverne´s. Nous avons dit ailleurs1 que la proprie´te´ tendait a` circuler et a` se re´pandre, parceque les proprie´taires ne cessaient pas de l’eˆtre quand d’autres le devenaient. Par la raison contraire, le pouvoir tend a` se concentrer. Dela` re´sulte qu’aussitot qu’un homme passe, n’importe comment, de la classe des gouverne´s dans celle des gouvernans, il prend l’intereˆt de ces derniers. C’est le spectacle qu’offraient a` Rome pour la plupart les de´fenseurs de la cause populaire, quand le succe`s couronnait leur ambition : et nous voyons la meˆme chose chez les ministres en Angleterre. Le systeˆme repre´sentatif ne le`ve point cette difficulte´. Vous choisissez un homme pour vous repre´senter parcequ’il a le meˆme intereˆt que vous. Mais par cela meˆme que vous le choisissez, votre choix le plac¸ant dans une

a

accorder tout ce qu’il lui faut pour eˆtre assure´e, tout ce qu’il lui faut, disons-nous, mais rien de ce qu’il ne lui faut pas, et de ce que reclament ou envahissent, sous divers pre´textes, les de´positaires des divers pouvoirs, de´le´gue´s ambitieux, qui ne croyent jamais leurs attributions suffisantes, ni en intensite´ ni en e´tendue. [Add.] en entourant le Souverain de la ne´cessite´ d’eˆtre juste, Il imposera au sujet l’obligation d’etre soumis. Ferrand. I. 146. qu’est-ce que cela veut dire, hors des principes de la liberte´ politique, que cette ne´cessite´ pour le souverain d’eˆtre juste2 ?

V: 1 qu’on ] que l’on L

24 de ce qu’il ] de 〈plus〉 ce qu’il P

TR: 6–10 Il n’est nullement ... gouverne´s. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publi14-p. 651.10 Dela` re´sulte ... interets. ]  De la caine, II, 1, OCBC, Œuvres, IV, p. 429. possibilite´ d’une constitution re´publicaine, II, 1, OCBC, Œuvres, IV, p. 429. 1 2

Voir ci-dessus, pp. 351 et 608. BC cite une phrase d’Antoine Ferrand, L’esprit de l’histoire, Premie`re partie, lettre 7, «De la le´gislation des Grecs. Principes sur la le´gislation», t. Ier, Paris : Veuve Nyon, 41805, p. 149. Ferrand, en parlant d’un le´gislateur ide´al (de´signe´ ici pas le pronom personnel), sugge`re «qu’il imposera aux sujets» la soumission. BC attaque cette phrase, parce que «eˆtre juste» ne signifie rien sans les «principes de la liberte´».

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situation diffe´rente de la votre, lui donne un autre intereˆt que celui qu’il est charge´ de repre´senter. On pre´vient cet inconve´nient en cre´ant diverses espe`ces de gouvernans investis de pouvoirs de diffe´rens genres. Alors les de´positaires de ces pouvoirs contenus les uns par les autres, de manie`re a` eˆtre hors d’e´tat de faire triompher leur intereˆt propre, se rapprochent de celui des gouverne´s qui est l’intereˆt moyen de tous. Tel est l’avantage de la division des pouvoirs. Il ne faut pas toute fois se faire illusion sur l’efficacite´ de ces moyens, ou se flatter que l’on parvienne jamais a` amalgamer complettement ces deux interets. Maxime incontestable. Il est toujours de l’intereˆt du grand nombre que les choses aillent bien, plutot que mal. Il est quelquefois de l’intereˆt du petit nombre que les choses aillent mal plutot que bien. En second lieu, si nous examinons les diffe´rentes manie`res dont les gouvernans peuvent abuser de leur pouvoir, nous trouverons que leur intereˆt n’est nullement de n’en pas abuser, mais de n’en abuser que jusqu’a` un certain point. Ils ont par exemple intereˆt a` ne pas dissiper les revenus de l’Etat, de manie`re a` l’appauvrir et a` lui enlever toutes ressources. Mais il leur est agre´able de s’approprier la plus grande partie possible de ces revenus pour les donner a` leurs cre´atures, et pour les employer a` une pompe et une magnificence inutiles. Entre ce qui est juste et ne´cessaire, et ce qui serait e´videmment dangereux, l’intervalle est vaste, et en accordant aux gouvernans de la prudence et un degre´ ordinaire de patriotisme, l’on est autorise´ a` supposer, que s’ils ne sont pas contenus, ils approcheront le plus possible de cette dernie`re ligne sans la de´passer. Il en est demeˆme pour les expe´ditions militaires. Ils ne s’exposeront pas a` eˆtre accable´s par le nombre de leurs ennemis : ils n’attireront pas sur leur territoire les nations voisines en les attaquant gratuitement. Mais s’ils peuvent se livrer a` leur gre´ a` de belliqueuses entreprises, ils profiteront de cette faculte´ pour provoquer ou continuer des guerres qui, sans entrainer la perte de l’Etat, ajouteront a` leur autorite´ qui s’accroit toujours dans les circonstances pe´rilleuses : ils sacrifieront a` ce but la tranquillite´ publique et le bien eˆtre de beaucoup de citoyens[.] Il en est de meˆme encore pour les actes arbitraires. Les gouvernans e´viteront de re´volter le peuple en multipliant les vexations au dela` de toute mesure. Mais ils se permettront des oppressions partielles : ces choses la` sont dans la nature. Elles sont dans l’interet personnel des individus V: 6 est ] ont L

28 s’ils ] ils L

TR: 17-p. 652.8 Ils ont ... comble. ]  De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, 1, OCBC, Œuvres, IV, pp. 575–576.

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gouvernans. Quand elles ne seraient pas dans leur intereˆt durable ou bien entendu, elles seraient dans leur intereˆt momentane´, dans leurs passions, dans leurs fantaisies, Ce qui suffit pour les pre´voir ou les craindre. La supposition meˆme qu’ils apporteront dans ces abus une certaine mesure, repose sur la prudence et les lumie`res que nous leur attribuons. Mais ils peuvent eˆtre e´gare´s par des voies errone´es, emporte´s par des passions haineuses. Alors toute mode´ration disparaitra : les exce`s parviendront au comble a. En disant que l’intereˆt des gouvernemens est toujours conforme a` a

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Il est insense´ de croire, dit Spinosa, que celui la` seul ne sera pas entraine´ par ses passions, dont la situation est telle qu’il est entoure´ des tentations les plus fortes, et qu’il a plus de facilite´ et moins de danger a` leur ce´der. La souveraine justice de Dieu, dit Ferrand, tient a` la souveraine puissance. (Etude de l’histoire. I. 445.) d’ou` il conclut que la souveraine puissance entre les mains d’un homme doit eˆtre la souveraine justice : mais il aurait du prouver que cet homme serait Dieu1. [Add.] l’interet d’un Despote n’est nullement le meˆme que celui de ses sujets. un seul home, reve´tu d’un pouvoir despotique, n’a de moyens de gouverner a` sa fantaisie que d’abrutir tous ceux qu’il gouverne. aussi longtems que tous ne sont pas re´duits au rang de simples machines, le possesseur du pouvoir est menace´. les Instrumens raisonnent. Les agens ont des scrupules. ceux qui n’en ont pas en feignent pour se faire acheter plus che`rement. De plus, on ne peut pas acheter tout le monde. le Despote n’est riche que de ce qu’il prend a´ ses sujets. Or ceux qu’il ache`te veulent qu’il leur done plus qu’ils n’avoient. Il faut donc que pour en enrichir quelques uns, il en de´pouille d’autres, soit directement, en prenant leurs biens, soit indirectement, en les chargeant d’impots. Il re´sulte de la`, qu’a` moins que tous ne soient abrutis, Il y a toujours sous le Despotisme deux classes qui ne sont pas de´voue´es au gouvernement, celle qui est de´pouille´e de tout, elle est me´contente, et celle, qui, sans eˆtre de´pouille´e, n’est pas enrichie. elle conserve de l’inde´pendance, et l’inde´pendance est aussi faˆcheuse pour le Despotisme que le me´contentement.

V: 6 voies ] vues L 7 au comble ] au 〈comble〉 comble L 12 puissance. (Etude ... I.445.) ] nous plac¸ons ici entre parenthe`ses le renvoi qui se trouve dans le ms. a` la fin de la note et que BC appelle par une croix pour corriger un oubli P puissance. Etude de l’histoire, I. 445. le renvoi a` l’ouvrage de Ferrand place´ ici au lieu de figurer a` la fin de la note L 14 Dieu ] un Dieu L TR: 9–11 Il est insense´ ... ce´der. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, p. 139, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 643. 11–14 La souveraine ... Dieu. ]  Co 3492, no 574. 11–12 La souveraine ... 445. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, p. 137, en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 643. 1

Le renvoi a` Spinoza vise le Tractatus politicus. BC re´sume le raisonnement de Spinoza qui dit ceci : «Et sane stultitia est ab alio id exigere, quod nemo a se ipso impetrare potest, nempe ut alteri potius quam sibi vigilet, ut avaros non sit, neque invidus, neque ambitiosus, etc., praesertim is, qui omnium affectuum incitamenta maxima quotie habet.» (Cap. VI, § 3) Un autre passage exprime une ide´e proche de celle-ci : «Sed quoniam ratio nihil contra naturam docet, non potest ergo sana ratio dictare, ut unusquisque sui juris maneat, quamdiu homines affectibus sunt obnoxii (per art. 15 praeced. cap.), hoc est (per art. 5 cap. I), ratio hoc posse fieri negat.» (Baruch Spinoza, Politischer Traktat, Tractatus politicus, p. 70 et 38). – En ce qui concerne le renvoi a` Ferrand, L’esprit de l’histoire, Premie`re partie, lettre 20, «Re´flexions sur la situation politique de cet Empire» [de l’Empire romain], t. I,

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l’intereˆt des gouverne´s, on prend l’intereˆt des gouvernemens abstraitement. On commet, relativement au gouvernement, la meˆme erreur que Rousseau commettait relativement a` la socie´te´. Il y a d’ailleurs une remarque a` faire. Admettons pour un instant ce principe. Convenons qu’un Monarque se´pare´ de ses sujets par une distance immense, n’a rien a` gagner pour son bonheur, ou meˆme pour son caprice, a` froisser les individus. Le gouvernement ne se compose pas uniquement de l’homme qui est a` la teˆte de l’Etat. Le pouvoir se subdivise, se partage entre des milliers de subalternes. Alors il n’est pas vrai que ces innombrables gouvernans n’aient rien a` gagner au malheur des gouverne´s. Chacun d’eux au contraire a tout pre`s de lui quelqu’un de ses e´gaux ou de ses infe´rieurs, dont les pertes l’enrichiraient, dont le champ ame´liorerait sa fortune, dont l’humiliation flatterait sa vanite´, dont l’e´loignement le de´livrerait d’un ennemi, d’un concurrent, d’un surveillant incommode. S’il est vrai, sous quelques rapports, que l’intereˆt du gouvernement pris a` la sommite´ de l’e´difice social soit toujours d’accord avec l’intereˆt du peuple, il n’est pas moins incontestable que l’intereˆt des gouvernans subalternes lui peut souvent eˆtre oppose´. Une re´union impossible a` espe´rer serait ne´cessaire pour supposer le despotisme compatible avec le bonheur des gouverne´s. Au haut de la hie´rarchie politique, un homme sans passions individuelles, inaccessible a` l’amour, a` la haine, a` la faveur, a` la cole`re, a` la jalousie, actif, vigilant, tole´rant pour toutes les opinions, n’attachant aucun amour propre a` perse´ve´rer dans les erreurs qu’il aurait commises, de´vore´ du desir du bien, et sachant ne´ammoins re´sister a` l’impatience et respecter les droits du tems. Plus bas, dans la gradation des pouvoirs, des ministres doue´s des meˆmes vertus, existant dans la de´pendance sans eˆtre serviles, au milieu de l’arbitraire, sans eˆtre tente´s de s’y preˆter par crainte, ou d’en abuser par intereˆt, enfin partout dans les fonctions infe´rieures, meˆme re´union de qualite´s rares, meˆme surete´, meˆme amour de la justice, meˆme oubli de soi. Si cet enchainement de vertus surnaturelles se trouve rompu dans un seul anneau, tout est en pe´ril. Les deux moitie´s ainsi se´pare´es resteraient toutes deux irre´prochables que le bien ne serait point assure´. La ve´rite´ ne remonterait plus avec exactitude jusqu’au faıˆte du pouvoir, la justice ne descen-

V: 22 amour ] 〈secours〉 amour L TR: 7–14 Le pouvoir ... incommode. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, p. 139, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 644. 19-p. 654.9 Au haut de ... l’humanite´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, pp. 140–141, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 644–645. p. 449, BC se permet d’intervertir l’ordre des phrases pour pouvoir souligner plus e´nergiquement la faussete´ des pre´misses du raisonnement. La suite de cette invective approfondit, sur un plan the´orique, la pole´mique contre Ferrand. Il est inte´ressant de confronter ce passage avec l’image que BC esquisse dans ses e´crits du tyran Denys de Syracuse, dont il parle en renvoyant a` Plutarque. Voir ci-dessus, p. 234.

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drait plus pure et entie`re dans les rangs obscurs des gouverne´s. Une seule transmission infide`le suffit pour e´garer l’autorite´, pour l’armer contre l’innocence. Lorsqu’on pre´tend que la liberte´ politique n’est pas ne´cessaire, l’on croit toujours n’avoir de rapports qu’avec le chef du gouvernement, mais l’on en a dans la re´alite´ avec tous les agens subalternes, et la question n’est plus d’attribuer a` un seul homme des faculte´s distingue´es et une e´quite´ a` toute e´preuve. Il faut supposer l’existence de Cent ou deux cent mille cre´atures ange´liques audessus de toutes les faiblesses et de tous les vices de l’humanite´. Si l’on place le bonheur des gouverne´s dans les jou¨issances purement physiques, il est possible de dire avec quelque raison, que l’intereˆt des gouvernans, surtout dans les grandes associations modernes n’est presque jamais de troubler les gouverne´s dans ces jou¨issances. Mais si l’on place le bonheur des gouverne´s plus haut, dans le de´veloppement de leurs faculte´s intellectuelles, l’intereˆt de la plupart des gouvernemens sera d’arreˆter ce de´veloppement. Or, comme il est naturel a` l’espe`ce humaine de re´sister quand on veut arreˆter le de´veloppement de ses faculte´s, l’autorite´, pour y parvenir, aura recours a` la contrainte. D’ou` il re´sulte qu’elle arrivera par un de´tour, a` peser sur les jouissances physiques des gouverne´s, pour les dominer dans des parties de leur existence qui ne semblent avoir avec ces jouissances qu’un rapport tre`s e´loigne´1. Enfin l’on dit tous les jours, que l’intereˆt bien entendu de chaque homme est de ne pas enfreindre les re`gles de la justice, et cependant on fait des loix, on e´tablit des supplices pour les criminels. Tant il est constate´ que les hommes s’e´cartent sans cesse de leur intereˆt bien entendu ! Comment n’en serait-il pas de meˆme des gouvernemens ! On accuse la liberte´ politique de jeter les peuples dans des agitations continuelles. Il serait aise´ de prouver que si la conqueˆte de cette liberte´ peut enyvrer des esclaves, la jou¨issance de cette liberte´ forme des hommes dignes de la posse´der. Mais quand cette assertion contre la liberte´ serait de` entendre les amis de montre´e, il n’en re´sulterait rien pour le despotisme. A ce honteux re´gime, on le croirait un sur garant du repos. Mais si l’on consulte l’histoire, on verra que presque toujours, le pouvoir absolu s’e´croule au moment ou` de longs efforts l’ayant de´livre´ de tout obstacle, semblent lui promettre le plus de dure´e. Le royaume de france, dit M. Ferrand, III, 448, rassemblait sous l’autorite´ unique de Louis XIV tous les moyens de force et de prospe´rite´.... Sa granTR: 21–24 Enfin ... entendu ! ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 11, pp. 138–139, OCBC, Œu31–34 Mais si ... dure´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, p. 174, vres, VIII, 1, p. 643. OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 663. 35-p. 655.9 Le royaume ... re´volution. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, p. 176 en note, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 664.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, pp. 6–7. 1

Une des questions inte´ressantes est le rayonnement de la pense´e politique de BC. Hofmann

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deur avait e´te´ long tems retarde´e par tous les vices dont un moment de barbarie l’avait surcharge´e, et dont il avait fallu pre`s de sept sie`cles pour emporter entierement la rouille. Mais cette rouille e´tait dissipe´e. Tous les ressorts venaient de recevoir une dernie`re trempe. Leur action e´tait rendue plus libre, leur jeu plus prompt et plus sur. Ils n’e´taient plus arreˆte´s par une multitude de mouvemens e´trangers. Il n’y en avait plus qu’un qui imprimait l’impulsion a` tout le reste1. Eh bien, que re´sulte-t-il de tout cela ? de ce ressort unique et puissant, de cette unite´ pre´cieuse ? un re´gne brillant a, puis un re´gne honteux, puis un re´gne faible, puis une re´volution. On trouve dans les me´moires de Louis XIV publie´s nouvellement, le de´tail complaisamment raconte´ par ce prince, de ses ope´rations pour de´truire l’autorite´ du parlement, du Clerge´, de tous les pouvoirs interme´diaires2. Il se fe´licite toujours du re´tablissement ou de l’accroissement de l’autorite´ royale. Il s’en fait un me´rite aux yeux de ses successeurs. Il e´crivait vers l’an 1666. 123 ans apre`s, la monarchie francaise e´tait renverse´e b. a

b

[Add.] pendant lequel la france s’e´puise en guerres continuelles, vers la fin duquel trois millions de francais sont perse´cute´s, bannis, traite´s avec la barbarie la plus re´voltante, et apre`s ce re`gne, un long re`gne ou se de´veloppe la corruption la plus excessive, ou la france perd sa conside´ration au dehors, ou les finances tombent dans un de´sordre irre´parable, ou tous les e´le´mens de trouble, de me´contentement, de bouleversement s’accumulent au point que le Prince le mieux Intentionne´ n’y peut porter reme`de, puis la plus sanglante des re´volutions. beau re´sultat, vraiment, des cruaute´s de Louis XI et de Richelieu. [Add.] le passage suivant est curieux a` relire dans les Me´moires de Louis XIV, quand on le rapproche de ce qui est arrive´ 74 ans apre`s sa mort a` son [arrie`re] petit fils. apre`s avoir peint ce qu’il nomme la mise`re des Rois qui ne sont pas absolus+, Il continue ainsi. Mais c’est trop longtems m’arreˆter sur une re´flexion qui semble vous eˆtre inutile, ou qui ne peut au plus vous servir qu’a` reconnoˆitre la mise´re de nos voisins, puisqu’il est constant que dans l’e´tat ou vous devez re´gner apre`s moi, vous ne trouverez point d’autorite´ qui ne se fasse

V: 6 imprimait ] imprime L, Ferrand

13 ou de ] 〈de〉 ou de L

TR: 9–15 On trouve ... renverse´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, pp. 175–176, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 664.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, p. 6.

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2

(p. 467, n. 11) donne une piste inte´ressante en e´voquant le journaliste et homme politique Pre´vost-Paradol. BC choisit cette citation dans Ferrand, L’esprit de l’histoire, Troisie`me partie, lettre 76, «Re´flexions sur le ministe`re de Richelieu», t. III, pp. 450–451. Le texte est le´ge`rement arrange´, sans en alte´rer le sens. Les questions implacables qui suivent montrent que Ferrand est accuse´ d’alte´rer l’histoire, ce qui est souligne´ encore plus e´nergiquement par la note a (ci-dessus), qui de´finit ce qu’on peut entendre par «re`gne brillant». Le Me´moires de Louis XIV avaient paru au de´but de 1806, ce qui permet d’affirmer que ce livre XVII appartient encore a` la meˆme anne´e. Voir la chronologie. Le texte de cet ouvrage lui fournit beaucoup d’exemples pour l’esprit qu’il combat, et il n’he´site pas a` en extraire de longs morceaux.

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En Angleterre le pouvoir absolu s’e´tablit sous Henri VIII. Elisabeth le consolide. On s’extasie sur l’autorite´ sans bornes de cette reine. Mais son successeur est occupe´ a` lutter sans cesse contre la nation qu’on croyait asservie, et le fils de ce successeur porte sa teˆte sur un e´chaffaud. On nous cite perpe´tuellement les quatorze sie`cles de la monarchie franc¸aise comme une preuve de la solidite´ de la monarchie absolue. Mais de ces 14 sie`cles, douze furent consume´s en lutte contre la fe´odalite´, systeˆme oppressif, mais le plus oppose´ qui se puisse concevoir au despotisme d’un seul. Il n’y a, dit un e´crivain a, d’ailleurs le partisan le plus exage´re´ de la monarchie absolue, il n’y a pas de gouvernement moins monarchique, que celui de la 3e`˙me race, surtout pendant les trois derniers sie`cles. Apologistes du despotisme, ce gouvernement a trois chances b. Ou il re´volte le peuple et le

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b

honneur de tenir de vous son origine et son caracte`re, point de corps de qui les suffrages s’osent e´carter des termes du respect, point de compagnie qui ne se croye oblige´e de mettre sa principale grandeur dans le bien de votre service, et son unique surete´ dans son humble soumission. Me´m. I. 60–63. Combien la Monar chie absolue est difficile a` maintenir dans un grand e´tat. Clovis e´tablit (??) une monarchie absolue. elle se divise et se morce`le sous ses successeurs. les Seigneurs deviennent souverains, et la race de Clovis finit par eˆtre de´pouille´e de l’autorite´ Royale devenue presque nulle. Charlemagne la re´tablit. elle disparaˆit de nouveau Sous Louis le De´bonnaire, et le systeˆme fe´odal, l’un des plus oppose´s a` la monarchie, telle que nous la concevons, s’eleve sur ses ruines. une nouvelle re´volution place Hugues Capet sur le trone. mais l’autorite´ Royale ne se rele`ve pas. elle ne s’e´tablit positivement que sous Louis XIII, et 150 ans apre`s, la monarchie tombe. + Cet assujettissement qui met le Souverain dans la ne´cessite´ de prendre la loi de ses peuples est la dernie`re calamite´ ou puisse tomber une personne de notre rang. M. ferrand. Etude de l’histoire. III. 3481. [Add.] voulez-vous juger le Despotisme pour les diffe´rentes classes2 ? pour les hommes

V: 9 dit un ] dit 〈cet〉 un L lignes plus haut PA

26 348 ] 38 L

23 +Cet ] renvoi au mot absolus+ quelques

TR: 1–4 En Angleterre ... e´chaffaud. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, p. 175, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 663.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, pp. 5–6. 11p. 657.7 Apologistes ... anglaise. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, pp. 178–179, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 665. 12-p. 657.4 ce gouvernement ... certaine. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, p. 9. 1

2

Nouvelle attaque contre Ferrand dont il cite une phrase qu’on trouve dans une note a` la lettre 51 de la Troisie`me partie, Esprit de l’histoire, t. III, p. 38. Le renvoi a` une p. 348 (comme d’ailleurs le titre) est faux. Hofmann (p. 472, n. 26) explique d’une manie`re plausible cette erreur en sugge´rant que BC a lu in extenso l’ouvrage de Ferrand, ce qui est plus que probable. BC cite trois exemples : les suicides inspire´s par l’honneˆtete´ des victimes (le se´nateur Clodius Thrasea Paetus, adversaire de Ne´ron ; Se´ne`que, accuse´ d’avoir e´te´ informe´ d’une des conjurations contre Ne´ron et force´ de se tuer) ; un des crimes spectaculaires de la Rome impe´riale ; la mort honteuse des empereurs Ne´ron et Vitellius.

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peuple le renverse : ou il enerve le peuple, et alors, si les e´trangers l’attaquent, il est renverse´ par les e´trangers : ou si les e´trangers ne l’attaquent pas, il de´pe´rit lui meˆme plus lentement, mais d’une manie`re plus honteuse et non moins certaine. On a dit souvent que la prospe´rite´ des Re´publiques e´tait passage`re. Celle du pouvoir absolu l’est bien plus encore. Il n’y a pas un e´tat despotique qui ait subsiste´ dans toute sa force autant que la liberte´ anglaise. La raison en est simple : cette liberte´ politique qui sert au pouvoir de barrie`re, lui sert en meˆme tems d’appui. Elle le guide dans sa route, elle le soutient dans ses efforts, elle le mode`re dans ses acce`s de de´lire et l’encourage dans ses momens d’apathie. Elle re´unit autour de lui les interets des diverses classes. Lors meˆme qu’il lutte contr’elle, elle lui impose de certains me´nagemens qui rendent ses e´carts moins ridicules et ses exce`s moins odieux. Quand la liberte´ politique est tout a` fait de´truite, le pouvoir ne trouvant rien qui le re`gle, rien qui le dirige, rien qui le contienne, commence a` marcher au hazard. Son allure devient ine´gale et vagabonde. Tantot il est furieux et rien ne le calme, tantot il s’affaisse et rien ne le ranime. Il s’est de´fait de ses allie´s en croyant se de´barrasser de ses adversaires. Tout confirme cette maxime de Montesquieu, qu’a` mesure que le pouvoir du Monarque devient immense, sa surete´ diminue a.

a

e´claire´s, pensez a` la mort de Trase´as, de Se´ne´que, pour le peuple a` l’incendie de Rome, a` la de´vastation des Provinces, pour les Empereurs meˆme, a` la mort de Ne´ron, a` celle de Vitellius. Esp. des loix. Liv. VIII. ch. 71.

V: 6 autant que ] autant de temps que L

TR: 4–7 On a dit souvent ... liberte´ anglaise. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, pp. 8–9. 7–16 La raison ... le ranime. ]  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, pp. 7–8. 17–19 Tout ... diminue. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 16, p. 179, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 665.  Lectures a` l’Athe´ne´e royal (1819), Co 3252/4d, p. 9.

1

BC, au lieu de citer le texte de Montesquieu, le re´sume. Tout le chapitre 7 contient des analyses qui confirment sa the´orie, et qui sont exprime´es dans un style qui souligne encore la parente´. On trouve dans L’Esprit des lois ceci : «Le principe de la monarchie se corrompt lorsque des aˆmes singulie`rement laˆches tirent vanite´ de la grandeur que pourroit avoir leur servitude ; et qu’elles croient que ce qui fait qu’on doit tout au prince, fait que l’on ne doit rien a` sa patrie.» (pp. 355–356). Peut-eˆtre est-ce la deuxie`me partie de cette phrase qui fait he´siter BC.

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Il n’est pas vrai que le Despotisme pre´serve de l’anarchie. nous le croyons, parce que depuis longtems, nous n’avions pas vu, en Europe de Despotisme complet. mais tournons nos regards vers le bas Empire. Nous trouverons les Soldats se soulevant sans cesse, les ge´ne´raux se de´clarant Empereurs, et 19 pre´tendans a` la couronne, levant simultane´ment l’e´tendart de la re´volte : et sans remonter a` l’histoire ancienne, quel spectacle nous offrent les provinces soumises au grand seigneur ?

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Lorsqu’une Re´volution violente renverse un gouvernement arbitraire, les hommes mode´re´s et amis du repos jugent le despotisme plus favorablement, 1o parceque les maux pre´sens font oublier les maux passe´s ; 2o parceque dans un e´tat consolide´ les Re´volutions sont quelquefois cause´es par la faiblesse du gouvernement, et que cette faiblesse, bien que funeste dans ses conse´quences, donne ne´anmoins aux gouverne´s des jouı¨ssances momentane´es, qu’ils regardent ensuite comme des avantages inhe´rens au pouvoir absolu, tandis qu’elles ne sont que des effets de son affaiblissement et des acheminemens a` sa destruction.

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Si la me´chancete´ des hommes est un argument contre la liberte´ individuelle, elle en est un plus fort encore contre le Despotisme. car le Despotisme n’est autre chose que la liberte´ de quelques uns contre tous. les gouvernans ont toutes les tentations, par conse´quent tous les vices des homes prive´s, et de plus le pouvoir.

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Un homme peut faire de bonnes Trage´dies, sans connoitre les re´gles de l’art dramatique. mais si ses Trage´dies sont bonnes, c’est qu’il aura observe´ les re`gles sans les connoˆitre. de meˆme un Prince peut rendre son peuple heureux, quoiqu’il n’y ait pas de garanties politiques dans la constitution de l’e´tat. mais si ce Prince rend son peuple heureux, c’est qu’il se conduit comme s’il y avoit dans la Constitution de l’Etat des garanties politiques. Ces exemples ne prouvent l’inutilite´ ni des re´gles de l’art ni des garanties politiques. Ils prouvent qu’on peut agir quelquefois par instinct conforme´ment a` ces re`gles et a` ces garanties. mais de cela meˆme qu’en agissant ainsi on fait bien, il re´sulte qu’il vaudrait mieux que ces choses fussent connues et e´tablies d’avance. la liberte´ politique est un art comme tous les autres. or V: 2 de ] au-dessus de ce mot de´ja` employe´ L. I. C. 2. P voir ci-dessus, p. 105. 〈pour〉 contre P

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un art, comme le dit tre´s bien Laharpe, Cours de litt. II. 252, n’est que le re´sultat de l’expe´rience re´duite en me´thode1. le but de cet art est d’e´pargner a` ceux qui nous suivent, tout le chemin qu’ont fait ceux qui nous ont pre´ce´de´s, et qu’il faudrait recommencer, si l’on avoit des guides.

1

Jean-Franc¸ois La Harpe, Lyce´e ou cours de litte´rature ancienne et moderne, Paris : H. Agasse, an VII (1799), t. II, p. 252. «Ce qu’on appelle un art n’est que le re´sultat de la raison et de l’expe´rience, re´duit en me´thode, que le but de cet art est d’e´pargner a` ceux qui nous suivront, tout le chemin qu’ont fait ceux qui nous ont pre´ce´de´s, et qu’il faudrait ne´cessairement recommencer, si l’on n’avait pas de guides.» (cite´ d’ape`s Hofmann, p. 624, n. 210). BC ne posse`de pas (plus ?) cet ouvrage de Laharpe dans sa bibliothe`que qu’il cite pourtant assez re´gulie`rement dans ses textes pour parler de certains aspects de la the´orie litte´raire.

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Chape˙ 4e˙ Apologie du despotisme par Louis

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XIV.

Il est assez curieux d’entendre Louis XIV sur le despotisme. Il en fait l’apologie et non sans adresse1. On doit demeurer d’accord, dit-il, qu’il n’est rien qui e´tablisse avec tant de suˆrete´ le bonheur et le repos des provinces, que la parfaite re´union de toute l’autorite´ dans la personne du souverain. Le moindre partage qui s’en fait, produit toujours de tre`s grands malheurs ; et soit que les parties qui en sont de´tache´es se trouvent entre les mains des particuliers, ou dans celles de quelques compagnies, elles n’y peuvent jamais demeurer que comme dans un e´tat violent. Le prince qui les doit conserver unies en soi meˆme, n’en saurait permettre le de´membrement, sans se rendre coupable de tous les desordres qui en arrivent..... Sans compter les re´voltes et les guerres intestines que l’ambition des puissans produit infailliblement, lorsqu’elle n’est pas re´prime´e, mille autres maux naissent encore du relachement du souverain. Ceux qui l’approchent du plus pre`s, voyant, les premiers, sa faiblesse, sont aussi les premiers qui en veulent profiter. Chacun d’eux, ayant ne´cessairement des gens qui servent de ministres a` leur avidite´, leur donne en meˆme tems la licence de les imiter. Ainsi de de´gre´ en de´gre´, la corruption se communique partout et devient e´gale en toutes les professions....... de tous ces crimes divers le peuple seul est la victime. Ce n’est qu’aux depens des faibles et des mise´rables que tant de gens pre´tendent e´lever leurs monstrueuses fortunes : au lieu d’un seul Roi que les peuples devraient avoir, ils ont a` la fois mille tyrans. TR: 3-p. 661.11 Il est assez ... y est partout. ]  Mercure de France, 14 juin 1817, Recueil d’articles, le Mercure, la Minerve, I, pp. 264–265 ;  Me´langes de litte´rature et de politique, pp. 455–456. 1

Ce dernier chapitre du livre XVII commence par une longue citation des Me´moires de Louis XIV, t. I, pp. 17–19 (avec coupures), tire´e probablement de ces pages ou` BC croyait reconnaıˆtre l’e´criture des «hommes de lettres». Et il se termine, avec l’addition, par une autre citation du meˆme genre (t. I, pp. 271–272). Les citations sont le´ge`rement accommode´es au contexte, mais le sens n’en est pas affecte´. Le commentaire de BC au milieu et dans la dernie`re phrase de ce chapitre va dans le meˆme sens que ses attaques contre la the´orie de Ferrand. On sent d’ailleurs que le texte de ce chapitre n’est pas acheve´, comme il se peut que tout ce livre XVII ne soit qu’une partie inacheve´e de l’ouvrage, en de´pit de la pre´sentation parfaitement heureuse des trois premiers chapitres, sans doute a` compter parmi les meilleurs textes de la plume de BC.

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Tout ce raisonnement est fonde´ sur l’erreur dont la re´futation fait l’objet de cet ouvrage. On croirait que le despotisme doit toujours eˆtre quelque part, soit entre les mains d’un seul, soit entre celles de plusieurs. Mais aulieu du despotisme, il peut y avoir une chose qu’on nomme la liberte´. Alors il ne re´sulte point de ce que le chef du pouvoir supreˆme n’a qu’une autorite´ limite´e, que les agens subalternes ayent ce qui manque a` cette autorite´ pour eˆtre absolue. Eux aussi n’ont qu’une autorite´ limite´e : et loin que l’oppression se disse´mine et descende d’e´che´lon en e´che´lon, tous sont contenus et re´prime´s. Louis XIV nous peint un gouvernement libre, comme si le despotisme y e´tait partout et la liberte´ nulle part. C’est tout le contraire. Le despotisme n’y est nulle part, parceque la liberte´ y est partout. La faiblesse d’une autorite´ absolue fait le malheur des peuples parceque la puissance flotte au hazard, et que les grands s’en emparent. Des limites sagement fixe´es font le bonheur des nations, parcequ’elles circonscrivent la puissance, de manie`re que nul n’en peut abuser.

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[Additions] 7, fo 83vo

Si nous voulions, dit Louis XIV, I. 271. nous priver de toutes les choses, aussitot qu’il nous en peut arriver du mal, nous serions bientot de´pouille´s, non seulement de tout ce qui fait notre grandeur et notre commodite´, mais encore de ce qui est le plus ne´cessaire a` notre subsistance. les alimens que la nature choisit pour la nourriture de l’homme servent quelquefois a` l’e´touffer. les reme`des les plus salutaires nuisent infiniment quand ils sont mal menage´s. les loix les plus prudentes font naˆitre souvent de nouveaux abus, et la religion qui ne devroit eˆtre que l’objet de nos plus profonds respects, est elle-meˆme sujette a` souffrir les plus terribles profanations du monde, et cependant il n’est personne qui osaˆt conclure pour cela qu’il fut avantageux d’eˆtre prive´s des viandes, des reme`des, des loix et de la religion.» Ces Raisonnemens ne s’appliquent-ils pas a` la liberte´ avec autant de force qu’a` toutes ces choses ?

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663 3, fo 40ro

Livre XVIIIe˙ et dernier Des devoirs des individus envers l’autorite´ sociale.

E´tablissement du texte : manuscrits : 1. Principes de politique applicables a` tous les gou2. Additions a` l’ouvrage intitule´ Prinvernemens, BnF, NAF 14360, fos 40ro–66vo [=P] cipes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BnF, NAF 14364, fo 83vo–90ro [=PA]. 3. Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens, BCU, Fds Ct II, 34/6, fos 826ro–893vo [=L]. 4. Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement, BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 144–154 [=LA].

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Chapitre 1e˙r Difficulte´s relatives a` la question de la re´sistance.

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L’autorite´ sociale n’e´tant pas sans limites, il est e´vident que les devoirs des individus envers elle, ne sont pas illimite´s. Ces devoirs diminuent en raison de ce que l’autorite´ empie`te sur la partie de l’existence individuelle qui n’est pas de sa compe´tence. Lorsque ces empieˆtemens sont porte´s au comble, il est impossible que la re´sistance n’en re´sulte pas. Il en est de l’autorite´ comme de l’impoˆt. Chaque individu consent a` sacrifier une partie de sa fortune pour subvenir aux de´penses publiques dont le but est de lui assurer la jouissance paisible de ce qu’il conserve : mais si l’Etat exigeait de chacun la totalite´ de sa fortune, la garantie qu’il offrirait serait illusoire, puis que cette garantie n’aurait plus d’application. De meˆme chaque individu consent a` sacrifier une partie de sa liberte´ pour assurer le reste ; mais si l’autorite´ envahissait toute sa liberte´, le sacrifice serait sans but. Nous connaissons tous les dangers de la question trop fameuse de la re´sistance. Nous savons a` quels abus, a` quels crimes elle ouvre l’entre´e. Nul ne peut aujourd’hui prononcer le mot de re´volution sans un trouble voisin du remords. Cependant quelque parti que l’on prenne sur cette question, elle offrira toujours beaucoup de difficulte´s. Dans les pays ou` l’autorite´ est partage´e, si les de´positaires de cette autorite´ se divisent, il faut choisir entr’eux, et la re´sistance devient force´e contre les uns ou contre les autres. La constitution d’Angleterre veut que les deux chambres et le Roi concourent a` l’assiette des impots et a` la confection des loix. Si le Roi voulait lever des impots, malgre´ l’une des deux chambres, obe´ir au Roi serait re´sister a` l’autorite´ le´gale du Parlement. Si l’une des deux chambres ou toutes les deux voulaient faire une loi inde´pendamment de la sanction royale, leur obe´ir serait re´sister a` l’autorite´ le´gale de la couronne. Mais dans les pays meˆmes ou` le pouvoir est concentre´ dans une seule main, la question de la re´sistance est moins simple qu’elle ne le parait. Il V: 19 sur cette question ] sur 〈la〉 cette ce mot dans l’interl. question 〈de la re´sistance〉 L TR: 8–15 Il en est ... sans but. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 306, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1226.

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de´pend bien de chaque citoyen de ne pas re´sister au pouvoir, mais il ne de´pend pas de lui d’empecher que d’autres ne lui re´sistent et ne le renversent. Or si ce pouvoir est renverse´, faut-il se re´unir imme´diatement au pouvoir nouveau ? ce principe sanctionnerait toutes les tentatives de la force. Il deviendrait une source fe´conde des malheurs meˆmes que l’on parait vouloir e´viter. Car il pre´senterait a` l’audace l’appat continuel de la re´compense, en le´galisant le premier succe`s. Les mouvemens qui renversent des autorite´s usurpatrices sont des actes de re´sistance, aussi bien que ceux qui de´truisent des gouvernemens e´tablis. Le renversement du comite´ de salut public n’e´tait autre chose qu’un acte de re´sistance. Aurions-nous duˆ rester a` jamais soumis au comite´ de salut public ? Si l’on dit que toute puissance vient de Dieu, Cartouche e´tait une puissance, et Robespierre en e´tait une autre. Mais le probleˆme ne serait pas encore re´solu. L’autorite´ ancienne peut, apre`s sa chuˆte, conserver des ressources, des partisans ou des espe´ran` quelle e´poque, a` quel signe, par quel calcul moral ou nume´rique le ces ? A devoir des individus, fonde´ sur le droit divin ou sur telle autre baze qu’on voudra lui donner, se trouve-t-il transfe´re´ de leurs anciens a` leurs nouveaux maitres ? Enfin peut-on e´tablir se´rieusement que la re´sistance soit toujours ille´gitime ? Peut-on la de´clarer coupable sous Ne´ron, sous Vitellius ou Caracalla ? On croit se tirer d’embarras par des maximes abstraites et ge´ne´rales, qui semblent mettre le jugement personnel hors de la question : mais les circonstances qui se compliquent et se nuancent, rendent ces maximes inutiles et ste´riles dans l’application.

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Les gouvernemens qui prennent leur origine dans la volonte´ nationale, ou dans ce qu’ils nomment ainsi, se trouvent, relativement a` la re´sistance, dans une situation embarassante. s’ils de´clarent que la re´sistance est toujours un crime, Ils reconnoissent avoir participe´ a` ce crime, et avoir he´rite´ de ses re´sultats. s’ils avouent la le´gitimite´ de la re´sistance, Ils l’autorisent contre leurs propres actes, de´s qu’ils sont injustes ou ille´gaux.

V: 7–13 Les mouvemens ... une autre. ] passage encadre´ de crochets carre´s dont la signification nous e´chappe P 19 ou ] 〈sous〉 ou L

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Chapitre 2e˙ De l’obe´issance a` la loi1

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La re´sistance peut eˆtre de deux espe`ces, la re´sistance ne´gative, ou la de´sobe´issance a` la loi, la resistance positive ou l’opposition active a` l’autorite´. Traitons d’abord de la re´sistance ne´gative, question moins complique´e et moins dangereuse a` examiner, que celle de la re´sistance positive. Elle a ne´ammoins sa difficulte´ particulie`re. L’autorite´ du gouvernement peut eˆtre limite´e d’une manie`re pre´cise, parceque la loi peut la limiter. La limitation est en dehors. Il est aise´ de voir si elle est transgresse´e ; mais il n’en est pas de meˆme de la compe´tence de la loi. La loi e´tant la seule re`gle e´crite qui puisse exister, il est beaucoup moins aise´ de dire ce qui en elle constitue la transgression. Pascal, le chancelier Bacon a et beaucoup d’autres ont coupe´ court a` toute difficulte´, en posant en principe qu’il fallait obe´ir a` la loi, en tant que a

C’est affaiblir, dit-il, la puissance des loix, que d’en rechercher les motifs.

V: 13 Pascal ] a` la suite du ch.2. cette phrase dans la col. gauche, ajout a. 〈Chapitre 3 / Systeˆme de divers e´crivains a` cet e´gard.〉 Pascal L et beaucoup ] et comme eux beaucoup L 14 en tant ] autant L TR: 2-p. 677.20 De l’obe´issance ... les plus forts. ]  Mercure de France, 8 nov. 1817, OCBC, Œuvres, X/1, pp. 598–609. 13-p. 668.11 Pascal ... meˆme de la loi ? ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, pp. 307–308, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1227–1228. 15 C’est affaiblir ... motifs. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 307, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1227. 1

Il y a plusieurs textes de BC sur cette question qui de´rivent tous de ce chapitre des Principes de politique. Il faut nommer en premier lieu l’article du Mercure de France du 8 novembre 1817 (OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 598–609), mais aussi le chap. 11 des Principes de politique de 1815 (OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 774–780), ainsi que les re´emplois de parties de ce chapitre dans d’autres contextes qu’on trouvera dans l’apparat critique. La question aborde´e ici est effectivement au centre d’une the´orie politique libe´rale, car il faut savoir ce qui fait d’une loi une loi, qu’on doive lui obe´ir ou qu’on puisse lui re´sister le´gitimement. Qui de´cide ? Selon Locke, comme l’a montre´ L. Jaume dans son introduction a` l’article du Mercure (OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 355–358), c’est le peuple qui se soumet a` l’arbitrage de Dieu, ou l’individu qui s’en remet a` sa conscience personnelle, qui peuvent prendre une de´cision en comparant la loi en cause avec les principes du droit naturel. BC «s’inscrit dans cette ligne´e, dans la mesure ou` il fonde l’obe´issance a` la loi sur la capacite´ de jugement de l’individu et sur le droit naturel», comme le dit Jaume dans son introduction.

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Principes de politique

loi, et sans examen1. Pour re´futer cette assertion, il ne faut qu’en rechercher le sens rigoureux. Pre´tend-on que le nom de loi doit toujours suffire pour obliger a` l’obe´issance ? Si un nombre d’hommes, ou meˆme un homme seul sans mission, intitule loi l’expression de sa volonte´ particulie`re, les autres individus de la socie´te´ seront-ils tenus de s’y conformer ? L’affirmative est absurde, mais la ne´gative implique que le titre de loi n’impose pas le devoir d’obe´ir, et que ce devoir suppose une recherche ante´rieure de la source d’ou` part cette loi. Pre´tend-on que l’examen est permis, lorsqu’il s’agit de constater si ce qui nous est pre´sente´ comme loi part d’une autorite´ le´gitime : mais, que ce dernier point e´clairci, l’examen n’a plus lieu sur le contenu meˆme de la loi ? En premier lieu, si l’on veut pre´voir toujours l’abus infaillible de toutes les faculte´s accorde´es a` l’homme, l’examen de la le´gitimite´ de l’autorite´ le´gislative n’ouvrira pas la porte a` des de´sordres moins grands que celui de la loi meˆme. Secondement une autorite´ n’est le`gitime qu’en vertu de la mission qui lui a e´te´ donne´e. Une municipalite´, un juge de paix sont des autorite´s le´gitimes : elles cesseraient ne´ammoins de l’eˆtre, si elles s’attribuaient le droit de faire des loix. Il faudra donc, dans tous les systeˆmes, accorder aux individus l’usage de leur raison, non seulement pour connaitre le caracte`re des autorite´s, mais pour juger leurs actes. Dela` re´sulte l’examen du contenu, comme celui de la source de la loi. L’on voit en conse´quence que la proposition de Pascal est illusoire, de`s qu’on ne veut pas qu’elle me`ne a` l’absurde. L’homme a le droit d’examiner a` l’aide de ses lumie`res, car c’est le seul instrument d’examen qu’il ait, quelle est la source d’une loi. Si vous lui refusez cette faculte´, vous vous exposez vous meˆme a` ce qu’il vous poignarde au gre´ du premier brigand qui s’intitulera le´gislateur. L’homme posse`de en outre le droit d’examiner le contenu d’une loi, car ce n’est que d’apre`s le contenu d’une loi qu’il peut appre´cier la le´gitimite´ de TR: 17–22 Une municipalite´ ... source de la loi. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 308, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1228. 1

Le renvoi a` Pascal est vague, et celui a` Bacon probablement une erreur. Ont e´te´ cite´s plusieurs fragments de Pascal pour appuyer le jugement de BC. Jaume, dans son introduction (p. 356, n. 2), cite le fragment 60 : «Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obe´it parce qu’elles sont justes, obe´it a` la justice qu’il imagine, mais non pas a` l’essence de la loi. Elle est toute ramasse´e en soi. Elle est loi et rien davantage.» Hofmann (p. 477, n. 2) choisit un autre passage du meˆme fragment et soutient (p. 506, n. 69), probablement a` juste titre, que l’opinion attribue´e a` Bacon est, elle aussi, une maxime de Pascal.

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2, De l’obe´issance a` la loi

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sa source. Si vous lui contestez ce droit, vous facilitez aux autorite´s les plus subalternes, les empieˆtemens les plus inde´finis et les plus de´sordonne´s sur toutes les autorite´s existantes1. Remarquez que ceux meˆmes qui de´clarent l’obe´issance implicite aux loix de devoir rigoureux, exceptent toujours de cette re`gle la chose qui les inte´resse. Pascal en exceptait la religion. Il ne se soumettait point a` l’autorite´ de la loi civile en matie`re religieuse : et il brava la perse´cution par sa de´sobe´issance a` cet e´gard2. Entraine´ par la de´termination de ne reconnaitre aucun droit naturel, Bentham3 s’est vu force´ d’e´tablir que la loi seule cre´ait les de´lits, que toute action prohibe´e par la loi devenait un crime a ; et de la sorte l’esprit de systeˆme a repousse´ cet e´crivain qui d’ailleurs s’e´le´ve a` chaque page contre les erreurs et les empieˆtemens de l’autorite´, dans les rangs des apologistes de l’obe´issance la plus implicite et la plus servile. a

Corps complet de le´gislation. ch. 24.

V: 8 Entraine´ ] a` la suite du ch.2. cette phrase dans la col. gauche, ajout a. 〈Chapitre 4. / Systeˆme de Bentham.〉 Entraine´ L TR: 4–8 Remarquez ... e´gard. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 308, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1228. 1

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Les deux aline´as pre´ce´dents peuvent eˆtre rapproche´s de Kant, de son petit e´crit Über den Gemeinspruch : Das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis (publie´ d’abord dans la Berlinische Monatsschrift, t. XXII, 1793, pp. 201–284). On y lit : «Denn diese Freiheit [= die Freiheit der Feder] ihm auch absprechen zu wollen, ist nicht allein soviel, als ihm allen Anspruch auf Recht in Ansehung des obersten Befehlshabers (nach Hobbes) nehmen, sondern auch dem letzteren, dessen Wille bloß dadurch, daß er den allgemeinen Volkswillen repräsentiert, Untertanen als Bürgern Befehle gibt, alle Kenntnis von dem entziehen, was, wenn er es wüßte, er selbst abändern würde, und ihn mit sich selbst in Widerspruch setzen.» (Kleinere Schriften, pp. 102–103). «Car vouloir lui de´nier aussi cette liberte´ [= la liberte´ d’e´crire], ce n’est pas seulement lui enlever toute pre´tention au droit face a` celui qui commande (selon Hobbes), mais c’est aussi priver ce dernier, dont la volonte´, simplement par le fait qu’elle repre´sente la volonte´ ge´ne´rale du peuple, donne des ordres aux sujets en tant que citoyens, de toute information quant a` ce qu’il modifierait de lui-meˆme s’il e´tait au courant, et c’est le mettre en contradiction avec lui-meˆme.» (Kant, Œuvres philosophiques, Ple´iade, t. III, p. 288). Allusion au fait que les Lettres provinciales, publie´es en 1656–1657 sous le pseudonyme Louis de Montalte, ont e´te´ mises a` l’Index en 1657. La «loi civile» est e´voque´e ici, comme l’explique Jaume, «dans la mesure ou` l’E´tat royal et le Parlement sont implique´s dans la querelle du janse´nisme» (p. 599, n. 2). Sur les rapports a` la fois intenses et critiques de Mme de Stae¨l et de BC avec Bentham, on lira les re´flexions de L. Jaume (OCBC, Œuvres, t. X/1, p. 600, n. 1). BC renvoie a` Bentham, Traite´s de le´gislation, Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, chap. 2, t. I, p. 154 : «Ainsi, de´clarer par une loi que tel ou tel acte est prohibe´, c’e´toit e´riger cet acte en de´lit.»

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heureusement il se re´fute lui meˆme en de´finissant les de´lits. Un de´lit, dit-il, est un acte dont il re´sulte du mal. Mais la loi qui interdit un acte dont il ne re´sulte pas de mal, cre´e-t-elle un de´lit ? oui, re´pond-il, car en attachant une ` ce compte, la loi peut peine a` cet acte, elle fait qu’il en re´sulte du mal. A attacher une peine a` ce que je sauve la vie de mon pe`re, a` ce que je ne le tue pas. Sera-ce assez pour faire un de´lit de la pie´te´ filiale, une obligation du parricide ? Et cet exemple, tout horrible qu’il est, n’est pas une vaine hypothe`se. N’a-t-on pas vu condamner au nom de la loi, dans mille re´volutions politiques, des pe`res pour avoir sauve´ leurs enfans, des enfans pour avoir secouru leurs pe`res1 ? Bentham se re´fute bien mieux, lorsqu’il parle des de´lits imaginaires a. Si la loi cre´ait des delits b, aucun de´lit cre´e´ par la loi ne serait imaginaire. Tout ce qu’elle aurait de´clare´ de´lit, serait tel. L’auteur anglais se sert d’une comparaison tre`s propre a` e´claircir la question. Certains actes innocens par eux meˆmes, dit-il, sont range´s parmi les de´lits, comme, chez certains peuples, des alimens sains sont conside´re´s comme des poisons ou des choses immondes2. Ne s’ensuit-il pas, que, de meˆme que l’erreur de ces peuples ne convertit pas en poisons les alimens sains qu’ils envisagent comme tels, l’erreur de la loi ne convertit pas en de´lits les actes innocens qu’elle de´clare coupables ? Il arrive sans cesse que a

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Principes de politique

b

Code pe´nal. part. 3. ch. 1. La maladresse du le´gislateur, ajoute-t-il, cre´e souvent elle meˆme une opposition entre la sanction naturelle et la sanction politique. Il reconnait donc une sanction naturelle3. [Add.] ceux qui pre´tendent que c’est la loi seule qui cre´e les de´lits, tombent dans un cercle vicieux sur cette question : pourquoi est-ce un de´lit que de de´sobe´ir a` la loi4 ?

TR: 1-p. 671.22 Un de´lit ... une loi. ]  Re´flexions sur les constitutions, note pp. 309–311, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1229–1230. 1

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V,

CPC, I,

Allusion a` la loi du 16 septembre 1791 qui oblige a` la de´nonciation, meˆme anonyme, conside´re´e comme un acte civique. Voir L. Jaume, Le discours jacobin et la de´mocratie, Paris : Fayard, 1989, pp. 203–209, le chapitre sur la brochure d’E´tienne Barry, Essai sur la de´nonciation politique de 1793. Hofmann (p. 479, n. 11) a explique´ l’allusion de BC : Bentham e´crit : «Si on a saisi l’ide´e de vrai de´lit, on le distinguera aise´ment d’avec les de´lits de mal imaginaire, ces actes innocents en eux-meˆmes, qui se trouvent range´s parmi les de´lits par des pre´juge´s, des antipathies, des erreurs d’administration, des principes asce´tiques, a` peu pre`s comme des aliments sains sont conside´re´s, chez certains peuples, comme des poisons ou des nourritures immondes. L’he´re´sie et le sortile`ge sont de´lits de cette classe.» Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, troisie`me partie, «Des peines», chap. Ier, t. II, pp. 380–381. Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes du code pe´nal, troisie`me partie, «Des peines», t. II, pp. 380–384. La phrase cite´e dans la note n’appartient pas a` ce chapitre. BC met le doigt sur une aporie implicite du raisonnement de Bentham, a` savoir l’impossibilite´ du positivisme juridique de justifier le principe qu’il pre´conise.

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2, De l’obe´issance a` la loi

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lorsqu’on parle de la loi abstraitement, on la suppose ce qu’elle doit eˆtre : et quand on s’occupe de ce qu’elle est, on la rencontre toute autre. De la` des contradictions perpe´tuelles dans les systeˆmes et les expressions. Le mot de loi est aussi vague que celui de nature. En abusant de celui-ci, l’on renverse la socie´te´. En abusant de l’autre, on tyrannise les individus. S’il fallait choisir entre les deux, celui de nature re´veille au moins une ide´e a` peupre`s la meˆme chez tous les hommes. Celui de loi peut s’appliquer aux ide´es les plus oppose´es. Quand on nous a commande´ le meurtre, la de´lation, l’espionnage, on ne nous les a pas commande´s au nom de la nature. tout le monde aurait senti qu’il y avait contradiction dans les termes : on nous les a commande´s au nom de la loi, et il n’y a plus eu de contradiction. Vouloir faire entie`rement abstraction de la nature, dans un systeˆme de le´gislation, c’est oter aux loix tout a` la fois leur sanction, leur baze et leur limite. Bentham va jusqu’a` dire que toute action, quelqu’indiffe´rente qu’elle soit, pouvant eˆtre prohibe´e par la loi, c’est a` la loi que nous devons la liberte´ de nous asseoir, ou de nous tenir debout, d’entrer ou de sortir, de manger ou de ne pas manger, parceque la loi pourrait nous l’interdire1. Nous devons cette liberte´ a` la loi, comme le visir qui rendait chaque jour grace a` sa hautesse d’avoir encore sa teˆte sur ses e´paules, devait au sultan de n’eˆtre pas de´capite´2. Mais la loi qui aurait prononce´ sur ces actions indiffe´rentes aurait prononce´ ille´gitimement : elle n’aurait pas e´te´ une loi. L’obe´issance a` la loi sans doute est un devoir : mais ce devoir n’est pas absolu, il est relatif. Il repose sur la supposition que la loi part de sa source

V: 23 L’obe´issance ] a` la suite du ch.2. cette phrase dans la col. gauche, ajout a. 〈Chapitre 5 / Principe sur l’obe´issance a` la loi.〉 L’obe´issance L (6.6.10

)flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, pp. 311–312, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1230–1231. 1

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Autre exemple pour l’aporie du positivisme juridique. BC cite en partie le passage suivant : «Je puis rester debout ou m’asseoir, entrer ou sortir, manger ou ne pas manger, etc. La loi ne prononce rien sur cela : cependant le droit que j’exerce a` cet e´gard, je le tiens de la loi, parce que c’est elle qui e´rige en de´lit toute violence par laquelle on voudrait m’empeˆcher de faire ce qui me plaıˆt.» Bentham, Traite´s de le´gislation, Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, chap. 2, t. I, p. 157. Cette anecdote, sans doute une re´miniscence litte´raire, figure de´ja` dans le journal intime du 21 de´cembre 1804, comme l’a indique´ Hofmann (p. 480, n. 13).

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Principes de politique

naturelle et se renferme dans ses bornes le´gitimes1. Ce devoir ne cesse pas absolument, lorsque la loi ne s’e´carte de cette re`gle qu’a` quelques e´gards. Nous devons au repos public beaucoup de sacrifices. Nous nous rendrions coupables aux yeux de la morale, si, par un attachement trop inflexible a` nos droits, nous re´sistions a` toutes les loix qui nous sembleraient leur porter atteinte. Mais aucun devoir ne nous lie envers ces loix pre´tendues, dont l’influence corruptrice menace les plus nobles parties de notre existence, envers ces loix, qui, non seulement restreignent nos liberte´s le´gitimes et s’opposent a` des actions qu’elles n’ont pas le droit d’interdire, mais nous en commandent de contraires aux principes e´ternels de justice et de pitie´ que l’homme ne peut cesser d’observer sans de´mentir sa nature. Le publiciste que nous avons re´fute´ pre´ce´demment convient lui meˆme de cette ve´rite´ a. Si la loi, dit-il, n’est pas ce qu’elle doit e´tre, faut-il lui obe´ir, a

Bentham. Principes de le´gislation. Ch. 122.

V: 11 cesser d’observer ] observer L TR: 3–11 Nous devons ... nature. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 26, OCBC, Œuvres, IX, 2, p. 686. 1

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Passage capital a` rapprocher d’une maxime de Kant. Celui-ci est, comme l’observe L. Jaume (OCBC, Œuvres, t. X/1, p. 357) moins hardi que BC, mais, disons-le, peut-eˆtre plus prudent. La nuance est pourtant essentielle pour bien juger de la doctrine de BC. La liberte´ de la presse, «die Freiheit der Feder», dans les bornes du respect duˆ a` la constitution, est selon Kant «das einzige Palladium der Volksrechte», ce qu’il justifie par la re´flexion que nous avons cite´e ci-dessus (p. 158, n. 1). Mais il e´rige, sans doute sous l’impression de la Re´volution, une digue la` ou` BC soutient le droit a` la re´sistance, pousse´ par l’ide´e e´galement kantienne de la loi fonde´e dans l’autonomie morale de l’individu ; la re´sistance est l’expression d’une volonte´ conforme a` cette autonomie. Kant par contre dit : «Dem Oberhaupte aber Besorgnis einzuflößen, daß durch Selbst- und Lautdenken Unruhen im Staate erregt werden dürften, heißt soviel, als ihm Mißtrauen gegen seine eigene Macht, oder auch Haß gegen sein Volk erwecken.» (Kleinere Schriften, p. 103). «Mais inspirer au souverain la crainte que la pense´e libre et publiquement exprime´e pourrait faire naıˆtre des troubles dans l’E´tat, revient a` e´veiller en lui la me´fiance vis-a`-vis de son propre pouvoir ou meˆme de la haine a` l’e´gard de son peuple.» (Kant, Œuvres philosophiques, Ple´iade, t. III, p. 288). Ou encore : «In allen Fällen aber, wenn etwas gleichwohl doch von der obersten Gesetzgebung so [= gegen den ursprünglichen Willen] verfügt wäre, können zwar allgemeine und öffentliche Urteile darüber gefällt, nie aber wörtlicher oder tatsächlicher Widerstand dagegen aufgeboten werden.» (Ibid.). «Mais dans tous les cas, meˆme si une disposition de cette nature [= contraire au contrat originel] e´tait cependant prise par la le´gislation supreˆme, on peut sans doute porter a` son sujet des jugements ge´ne´raux et publics, mais jamais faire appel contre elle a` une re´sistance verbale ou physique.» (ibid., p. 289). On voit que les positions de BC et de Kant sont a` la fois proches l’une de l’autre, mais que les conclusions diffe`rent sensiblement. Il y a «obe´issance au me´canisme de la constitution politique», «mais en meˆme temps un esprit de liberte´ e´tant donne´ que chacun exige, en ce qui touche au devoir universel des hommes, d’eˆtre convaincu par la raisons que cette contrainte est conforme au droit.» (ibid.), ce qui exclut la de´sobe´issance a` la loi. Bentham, Traite´s de le´gislation, Principes de le´gislation, chap. 12, «Des limites qui se´pa-

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2, De l’obe´issance a` la loi

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faut-il la violer ? faut-il rester neutre entre la loi qui ordonne le mal, et la morale qui le de`fend ? Il faut examiner si les maux probables de l’obe´issance sont moindres, que les maux probables de la de´sobe´issance. Il reconnait dans ce passage les droits du jugement individuel qu’il conteste ailleurs a. La doctrine d’obe´issance illimite´e a` la loi a e´te´ la cause de plus de maux peut-eˆtre, que toutes les autres erreurs qui ont e´gare´ les hommes. Les passions les plus exe´crables se sont retranche´es derrie`re cette forme en apparence impassible et impartiale pour se livrer a` tous les exce`s. Voulez vous rassembler sous un seul point de vue les conse´quences de votre doctrine d’obe´issance aveugle et implicite a` la loi ? Rappellez vous que les empereurs Romains ont fait des loix, que Louis XI a fait des loix, que Richard III a fait des loix, que le comite´ de salut public a fait des loix. Il n’existe pas un sentiment naturel qu’une loi n’ait interdit, pas un devoir dont une loi n’ait prohibe´ l’accomplissement, pas une vertu qu’une loi n’ait proscrite, pas une affection qu’une loi n’ait punie, pas une trahison qu’une loi n’ait salarie´e, pas un forfait qu’une loi n’ait com[m]ande´. Il est donc ne´cessaire de mettre des bornes a` ce devoir pre´tendu d’obe´issance. Il est ne´cessaire d’indiquer les caracte`res qui font qu’une loi n’est pas une loi. La re´troactivite´ est le premier de ces caracte`res b. Les hommes n’ont consenti aux entraves des loix, que pour attacher a` leurs actions des con-

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[Add.] lorsqu’on trouve, dit Bentham, I. 6. dans le catalogue des de´lits, quelqu’action indiffe´rente, quelque plaisir innocent, on ne doit pas balancer a` transporter ce pre´tendu de´lit dans la classe des actes le´gitimes, a` accorder sa pitie´ aux pre´tendus criminels, et a` re´server son indignation pour les pre´tendus vertueux qui les perse´cutent1. [Add.] la plupart des mauvaises loix ne sont faites que pour un but qui exige un effet re´troactif. presque toutes les loix que les passions et les partis font, seroient nulles, si elles n’e´toient pas re´troactives.

V: 11–17 l’empereur ... com[m]ande´.] passage encadre´ de crochets carre´s P 12 que 17 com[m]ande´. ] 〈ordonne´〉. comande´ Richard III a fait des loix, ] dans la col. gauche L corr. a. dans l’interl. sup., lecture incertaine ; peut-eˆtre concorde´ P ordonne´ L TR: 17-p. 674.4 Il est donc ... impose´. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 313, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1231.

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rent la morale et la le´gislation», t. I, pp. 105–106, n. 1. «Ceci touche a` une des questions les plus difficiles : si la loi n’est pas ce qu’elle doit eˆtre, si elle combat ouvertement le principe de l’Utilite´ ? – Faut-il lui obe´ir ? faut-il la violer ? faut-il rester neutre entre la loi qui ordonne le mal et la morale qui le de´fend ? – La solution de ce proble`me doit se tirer d’une conside´ration de prudence et de bienveillance : il faut examiner s’il y a plus de danger a` violer la loi qu’a` la suivre : si les maux probables de l’obe´issance sont moindres que les maux probables de la de´sobe´issance.» Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, chap. 6, «De la division des De´lits», t. I, pp. 172–204, et plus part. p. 188. BC cite dans la note le dernier aline´a du chap. Ier de Principes de le´gislation, t. I, p. 5.

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se´quences certaines, d’apre`s les quelles ils pussent se diriger et choisir la ligne de conduite qu’ils voulaient suivre : la retroactivite´ leur ravit cet avantage. Elle rompt la condition du traite´ social. Elle de´robe le prix du sacrifice qu’elle a impose´. Souvent les gouvernemens ayant ne´glige´ des pre´cautions qu’ils auraient duˆ prendre, croyent re´parer leur faute en e´tendant sur le passe´ meˆme, l’effet des loix dont l’expe´rience leur de´montre la ne´cessite´. L’atrocite´ d’un crime, l’indignation qu’il excite, la crainte que l’impunite´ d’un coupable qui profite du silence de la loi, n’encourage d’autres coupables, lors meˆme qu’elle aura parle´, portent quelque fois des hommes sages a` justifier cette extension de l’autorite´. C’est l’ane´antissement de toute justice, c’est faire subir aux gouverne´s la peine de l’impre´voyance des gouvernans. Mieux vaut laisser e´chapper l’homme coupable du crime le plus odieux, que punir une action qui n’aurait pas e´te´ prohibe´e par une loi ante´rieure. Un second caracte`re d’ille´galite´ dans les loix, c’est de prescrire des actions contraires a` la morale. Toute loi qui ordonne la de´lation, la de´nonciation, n’est pas une loi. Toute loi portant atteinte a` ce penchant qui commande a` l’homme de donner un refuge a` quiconque lui demande azyle, n’est pas une loi. Le gouvernement est institue´ pour surveiller. Il a des instrumens pour accuser, pour poursuivre, pour de´couvrir, pour livrer, pour punir. Il n’a pas le droit de faire retomber sur l’individu qui ne remplit aucune mission, ces devoirs ne´cessaires, mais pe´nibles. Il doit respecter dans les citoyens cette sensibilite´, la partie la plus pre´cieuse de notre existence, et qui nous porte a` plaindre et a` secourir sans examen le faible frappe´ par le fort. C’est pour rendre la pitie´ individuelle inviolable, que nous avons rendu l’autorite´ publique imposante. Nous avons voulu conserver en nous les sentimens de la sympathie, en chargeant le pouvoir, des fonctions se´ve`res qui auraient pu blesser ou fle´trir ces sentimens. J’excepte ne´ammoins les crimes contre lesquels se soule`ve la sympathie meˆme. Il est des actions tellement atroces, que tous les hommes sont dispose´s a` concourir a` leur chaˆtiment. La poursuite des coupables ne re´pugne point alors a` leurs affections, n’e´mousse point leur sensibilite´, ne de´te´riore pas leur morale. Mais ces actions sont en tre`s petit nombre. L’on ne peut ranger affirmativement dans cette cathe´gorie que les de´lits attentatoires a` la vie des hommes. Les atteintes a` la proprie´te´, quoique tre`s criminelles, n’excitent point en nous une indignation suffisante V: 25 individuelle ] 〈individuelle〉 individuelle L oblique P

28 sentimens. ] apre`s ce mot une barre

TR: 15–28 Un second ... sentimens. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 313, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1231. 28-p. 675.8 J’excepte ... vigueur. ]  Re´flexions sur les constitutions, 6, pp. 101–102, en note, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1026.

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pour e´touffer toute pitie´ : et quant aux de´lits qu’on pourrait nommer factices, c’est a` dire qu’ils ne sont tels, que parce qu’ils enfreignent certaines loix positives, lorsqu’on force les individus a` en favoriser la poursuite, on les tourmente et on les de´grade. Je me suis demande´ quelque fois ce que je ferais, si je me trouvais enferme´ dans une ville ou` il fuˆt de´fendu, sous peine de mort, de donner azyle a` des citoyens accuse´s de crimes politiques. Je me suis re´pondu que si je voulais mettre ma vie en surete´, je me constituerais prisonnier, aussi long tems que cette mesure serait en vigueur. Toute loi qui divise les citoyens en classes, qui les punit de ce qui n’a pas de´pendu d’eux, qui les rend responsables d’autres actions que les leurs, toute loi pareille n’est pas une loi. Ce n’est pas, nous le re´pe´tons, que nous recommandions l’emploi toujours dangereux de la re´sistance. Elle met en pe´ril la socie´te´. Qu’elle soit interdite, non par de´fe´rence pour l’autorite´ qui usurpe, mais par me´nagement pour les citoyens que des luttes continuelles priveraient des avantages de l’e´tat social. Aussi long tems qu’une loi, bien que mauvaise, ne tend pas a` nous de´praver, aussi long tems que les empieˆtemens de l’autorite´ n’exigent que des sacrifices qui ne nous rendent ni vils, ni fe´roces, nous y pouvons souscrire. Nous ne transigeons que pour nous. Mais si elle nous prescrit de fouler aux pieds ou nos affections, ou nos devoirs, si sous le pre´texte absurde d’un de´vouement gigantesque et factice pour ce qu’elle appe`le tour a` tour Monarchie ou Re´publique, ou Prince ou nation, elle nous interdit la fide`lite´ a` nos amis malheureux, si elle nous commande la perfidie envers nos allie´s, ou meˆme la perse´cution envers des ennemis vaincus, anatheˆme et de´sobe´issance a` cette autorite´ corruptrice et a` la re´daction d’iniquite´s et de crimes qu’elle de´core du nom de loi a. Un devoir positif, ge´ne´ral, sans restriction, toutes les fois qu’une loi parait injuste, c’est de ne pas s’en rendre l’exe´cuteur. Cette force d’inertie a

[Add.] des loix pareilles a` celles qui vouloient forcer les francais a` laisser pe´rir de mise`re et de faim, dans des climats e´loigne´s, leurs pe`res et leurs enfans, se´pare´s de leur pays, par des opinions politiques, soulevoient contr’elles tous les sentimens honneˆtes et ge´ne´reux. ces loix impies sont toujours e´lude´es pendant leur dure´e, et repousse´es avec horreur, au premier instant de calme et de liberte´.

V: 13 pe´ril ] 〈danger〉 pe´ril L 16–26 Aussi longtemps ... nom de loi. ] passage encadre´ de crochets carre´s P 26 iniquite´s ] injustices L 27 Un devoir ] a` la suite du ch.2. cette phrase dans la col. gauche, ajout a. 〈Chap. 6 / Devoir positif a` cet e´gard〉 Un devoir L 9– TR: 4–8 Je me suis ... vigueur. ]  Commentaire sur Filangieri, III, pp. 179–180. 26 Toute loi ... du nom de loi. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, pp. 314– 315, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1231–1232. 16–26 Aussi long tems ... du nom de loi. ]  27-p. 676.10 Un Principes de politique (1815), 1, pp. 26–27, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 686. devoir ... bourreaux. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, pp. 315–316, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1232. 27-p. 676.1 Un devoir ... de´sordres : ]  Principes de politique (1815), 1, p. 27, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 687.

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n’entraine ni bouleversemens, ni re´volutions, ni de´sordres : et ce serait un beau spectacle que de voir une autorite´ coupable, re´digeant envain des loix sanguinaires, des proscriptions en masse, des arreˆte´s de de´portation, et ne trouvant dans le peuple immense et silencieux qui ge´mit sous sa puissance, nul exe´cuteur de ses injustices, nul complice de ses forfaits. Rien n’excuse l’homme qui preˆte son assistance a` la loi qu’il croit inique a, le juge qui sie`ge dans une cour qu’il croit ille´gale, ou qui prononce une sentence qu’il de´sapprouve, le ministre qui fait exe´cuter un de´cret contre sa conscience, le satellite qui arreˆte l’homme qu’il sait innocent pour le livrer a` ses bourreaux. Sous l’un des gouvernemens les plus oppressifs qui ayent re´gi la france, un homme qui demandait de l’emploi, s’excusait de cette de´marche, en disant qu’il n’avait d’alternative que d’obtenir une place, ou de voler sur le grand chemin. Mais si le gouvernement se refuse a` vos demandes, lui re´pondit quelqu’un, vous volerez donc ? La terreur n’est pas une excuse plus valable que toutes les autres passions infaˆmes. Malheur a` ces hommes e´ternellement comprime´s, a` ce qu’ils nous disent, agens infatigables de toutes les tyrannies existantes, de´nonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renverse´es. Nous en avons d’innombrables preuves. Ces hommes ne se rele`vent jamais de la fle´trissure qu’ils ont accepte´e. Jamais leur ame brise´e ne reprend l’attitude de l’inde´pendance. C’est envain que par calcul, ou par complaisance, ou par pitie´, nous feignons d’e´couter les mise´rables excuses qu’ils nous balbutient. Envain nous nous montrons convaincus que par un inexplicable prodige, ils ont reconquis tout a` coup leur courage long tems disparu. Eux meˆmes n’y croyent pas. Ils n’ont plus la faculte´ d’espe´rer d’eux meˆmes. Ils trainent apre`s eux le souvenir profond de leur opprobre inex-

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[Add.] les hommes qui veulent, par ambition ou par avarice, se faire les exe´cuteurs de mauvaises loix, disent qu’en acceptant le pouvoir, ils ne l’acceptent que pour faire le plus de bien possible ; cela signifie qu’ils sont preˆts a` faire tout le mal qui leur sera commande´.

V: 2 une autorite´ coupable ] un mis au fe´minin pour obtenir une 〈gouvernement injuste〉 autorite´ coupable les corr. dans l’interl. L 4 qui ge´mit ] 〈qu’il tiendrait〉 qui ge´mit corr. a. dans l’interl. L 11 la france ] mots dans la col. gauche L TR: 6–7 Rien n’excuse ... inique. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 27, OCBC, Œuvres, 2, p. 687. 15–18 La terreur ... renverse´es. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 27, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 687. 19-p. 677.2 Nous en avons ... nouveau. ]  Re´flexions sur les constitutions, note V, CPC, I, p. 317, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1233. IX,

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piable, et leur teˆte plie´e sous le joug qu’elle a porte´, se courbe d’habitude et sans re´sistance, pour recevoir un joug nouveau. Ils nous disent qu’ils ne se font les exe´cuteurs des loix injustes, que pour en affaiblir la rigueur, que le pouvoir dont ils consentent a` se rendre les de´positaires, ferait plus de mal encore, s’il e´tait remis a` des mains moins pures. Transaction mensonge`re qui ouvre a` tous les crimes une carrie`re sans bornes. Chacun marchande avec sa conscience ; et pour chaque de´gre´ d’injustice, les tyrans trouvent de dignes exe´cuteurs. Je ne vois pas pourquoi, dans ce systeˆme, on ne se rendrait pas le bourreau de l’innocence, sous le pre´texte qu’on l’e´tranglerait plus doucement. Mieux vaudrait mille fois que des loix atroces ne fussent exe´cute´es que par des hommes e´videmment criminels. Ces hommes douteux, ces hommes encore sans ta`che, diminuent aux yeux du peuple l’odieux des institutions les plus horribles, et l’accoutument a` les supporter. Sans eux, sans le prestige de leurs noms trop estime´s, elles seraient renverse´es de`s l’origine par l’indignation publique. Ensuite, lorsque le mal arrive a` son comble, ces hommes honneˆtes se rettirent, laissant le champ libre aux sce´le´rats. De la sorte, le service qu’ils nous rendent, c’est de couvrir d’une e´gide les assassins encore faibles, pour leur donner le tems de devenir les plus forts.

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Loi de Solon1. Il sera permis a` chaque citoyen d’arracher la vie, non seulement a` un tyran et a` ses complices, mais encore au Magistrat, qui continuera ses fonctions, apre´s la destruction de la Democratie. Andocide de Myst. Voy. d’Anach. Introduct. p. 120. bone loi contre les Instrumens. Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonent ou de´fendent les loix positives, c’est dire qu’avant qu’on eut trace´ de cercle tous les rayons n’e´toient pas e´gaux. Esp. d. Loix. I. 12. TR: 3–10 Ils nous disent ... doucement. ]  Principes de politique (1815), 1, p. 28, OCBC, Œuvres, IX/2, p. 687. 1

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C’est dans l’ouvrage de Jean-Jacques Barthe´le´my, Voyage du jeune Anarcharsis en Gre`ce, Paris, Venise : J. Storti, 1790, t. I, p. 120, que BC a trouve´ la loi de Solon qu’il cite ici litte´ralement et la re´fe´rence a` Andocide, De myste´riis, I, 96–98 (Hofmann, p. 625, n. 212 et 213). Dans l’e´dition monumentale (Paris : de Bure l’aıˆne´, 1788) le passage se trouve t. I, p. 71. Barthe´lemy utilise Andocide, De mysteriis et de pace, Oratores graeci, e´d. Henricus Stephani, 1575. La dite loi de Solon se retrouve, commente´e, chez Samuel Petit, Jurisprudentia romana et attica continens varios commentatores [...], Lugduni Batavorum : Apud Johan. et Herman. Verbeek, Abrahamum Kallewier, 1741, p. 314. Citation conforme de ce passage fondamental de L’Esprit des lois, p. 232.

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Chapitre 3e˙ Des Re´volutions.

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Ce serait un travail pue´rile que de vouloir pre´senter aux individus des re`gles fixes relativement aux re´volutions. Les re´volutions participent de la nature des bouleversemens physiques. Des causes cache´es les pre´parent. Un hazard les de´cide, comme un hazard peut les retarder. La circonstance la plus le´ge`re, un e´ve´nement moins important que mille autres qui n’avaient produit aucun re´sultat, donnent quelque fois tout a` coup le signal inattendu de l’impulsion subversive. La fureur contagieuse se communique. Les ames sont souleve´es. Les citoyens se sentent pousse´s comme involontairement au renversement de ce qui existe. Les chefs sont de´passe´s au loin par la foule, et les re´volutions s’ope`rent sans que personne sache bien encore ce que l’on voulait de´truire et ce que l’on veut e´difier1. Il serait e´galement impossible de juger les re´volutions d’une manie`re ge´ne´rale par leurs conse´quences. Elles n’ont pas toutes e´te´ funestes. L’expulsion des Tarquins a e´tabli la liberte´ romaine. L’insurrection helve´tique a valu a` la Suisse pre`s de cinq sie`cles de repos et de bonheur. Le bannissement des Stuarts a donne´ a` l’Angleterre 120 ans de prospe´rite´. Les Hollandais sont redevables a` la re´bellion de leurs anceˆtres, d’une longue jouissance de calme et de liberte´ civile. Le soule`vement des Ame`ricains a e´te´ suivi d’une organisation sociale qui permet a` l’homme le de´veloppement le plus libre de toutes ses faculte´s. Il y a eu des re´volutions qui ont eu des resultats diffe´rens : celle de Pologne par exemple, celle du Brabant sous Joseph II, plusieurs de celles d’Italie, et d’autres encore. V: 1 Chapitre 3e˙ ] Chapitre 3 le chiffre re´crit sur 〈7〉 L 1

Les premie`res phrases de ce chapitre annoncent un sujet important. Effectivement, BC appartient a` ceux qui ont essaye´ tre`s toˆt de trouver ce que l’on doit appeler une the´orie des re´volutions. Une des premie`res traces de ces efforts se trouve dans les lettres e´crites entre les 9 et 19 novembres 1793 a` Isabelle de Charrie`re, ou` BC parle d’un Dialogue entre Louis XVI, Brissot et Marat (OCBC, Œuvres, t. I, p. 257), et l’autre texte important est ce troisie`me chapitre du Livre XVIII. Nous devons nous borner ici a` signaler cette proble´matique qui prend toute son importance lorsqu’on lit le texte de BC dans l’e´clairage des the´ories modernes, dont l’ouvrage de Hannah Arendt, Über die Revolution, (premie`re e´dition, München : Piper, 1963, et On revolution, New York : Viking Press ; traduction franc¸aise Essai sur la re´volution, Paris : Gallimard, 1967). Une e´tude approfondie de cette question reste a` faire.

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Ce n’est qu’aux gouvernemens qu’on peut donner des conseils utiles pour e´viter les re´volutions. La re´signation la plus implicite de la part des individus est une garantie impuissante contre ces crises terribles, parce que cette re´signation ne peut exce´der de certaines bornes. L’injustice qui se prolonge, se re´pe´te et se multiplie, l’insolence, plus difficile encore a` souffrir que l’injustice, l’yvresse du pouvoir, les secousses de l’administration qui froissent successivement tous les intereˆts, ou sa ne´gligence qui refuse d’e´couter les plaintes et qui laisse les griefs s’accumuler, ces choses produisent tot ou tard une telle fatigue, un tel me´contentement, que tous les conseils de la prudence ne peuvent arreˆter cette disposition. Elle pe´ne´tre dans tous les esprits avec l’air qui se respire. Elle devient le sentiment habituel, l’ide´e fixe de chacun. L’on ne se re´unit pas pour conspirer, mais tous ceux qui se rencontrent, conspirent. C’est envain que l’autorite´ pre´tend alors se maintenir par la force. Les apparences sont pour elle. La re´alite´ n’existe pas. Les gouvernemens ressemblent a` ces corps frappe´s de la foudre. Leurs contours exte´rieurs sont encor les meˆmes. Mais il suffit du moindre vent, du plus le´ger choc pour les re´duire en poussie`re. De quelques moyens physiques que les de´positaires du pouvoir soient environne´s, c’est toujours l’opinion qui cre´e, rassemble, retient autour d’eux, et dirige ces moyens a. Ces soldats qui nous paraissent et qui sont a

[Add.] rien ne paraˆit plus surprenant a` ceux qui conside`rent les affaires humaines avec un œil philosophique, que la facilite´ avec laquelle le grand nombre est gouverne´ par le petit et la soumission implicite avec laquelle les hommes subordonnent leurs sentimens et leurs passions a` celles de leurs chefs1. mais quand nous recherchons par quels moyens ce miracle s’effectue, nous trouvons que, comme la force est toujours du cote´ des gouverne´s, les gouvernans n’ont jamais d’autre appui que l’opinion. c’est donc sur l’opinion seule que tout gouvernement repose, et cette maxime s’e´tend aux plus despotiques et aux plus militaires, comme aux plus populaires et aux plus libres. les Soudans de l’Egypte, ou les empereurs de Rome pouvoient bien chasser devant eux leurs sujets de´sarme´s come des beˆtes brutes : mais quant a` leurs pre´toriens ou leurs mamelouks, il falloit qu’ils agissent sur leurs opinions ou leurs interets. Hume. Essay. IV, 27. l’opinion est de deux espe`ces, opinion d’interet, opinion de justice. l’opinion de justice a toujours eu beaucoup plus d’influence que l’interet. Cela

TR: 10–13 Elle pe´ne´tre ... conspirent. ]  De l’esprit de conqueˆte, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 673. 1

II,

18, pp. 190–191,

BC traduit ici de David Hume, Essays and Treatises on Several Subjects, Basil[ea] : J.-J. Tourneisen, 1793, t. I, deux passages du quatrie`me essai, «Of the First Principles of Government», pp. 27–28 et 28–29. Les deux morceaux se suivent imme´diatement. BC introduit pourtant deux coupures dont il remplace la premie`re par une phrase de transition («l’opinion de justice ... l’inte´reˆt.», ligne 33). La seconde concerne une phrase apre`s le mot «l’antiquite´.» (p. 678, ligne 25).

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en effet a` tel moment donne´, d’aveugles machines, ces soldats qui fusillent leurs concitoyens, sans discernement, comme sans pitie´, ces soldats sont des hommes, ont des faculte´s morales, de la sympathie, de la sensibilite´, une conscience qui peut se re´veiller tout a` coup. L’opinion a sur eux le meˆme empire que sur nous, et nulle prescription n’atteint son empire. Voyez la traversant les troupes franc¸aises en 1789, transformant en citoyens des hommes rassemble´s de toutes les parties, non seulement de la France, mais du monde, ranimant des esprits froisse´s par la discipline, e´nerve´s par la de´bauche, fesant pe´ne´trer comme un pre´juge´, dans ces teˆtes ignorantes, les notions de la liberte´, et brisant par ce pre´juge´ nouveau, les liens qu’avaient tissus tant de pre´juge´s anciens et d’habitudes enracine´es. Voyez plus tard l’opinion variable et rapide, tantot de´tachant nos guerriers de leurs chefs, tantot les rassemblant autour d’eux, les rendant tour a` tour rebelles ou de´voue´s, de´fians ou enthousiastes. Voyez en Angleterre, apre`s la mort de Cromwell, les Re´publicains concentrant toutes les forces entre leurs mains, disposant des arme´es, des tre´sors, des autorite´s civiles, du Parlement, des tribunaux. L’opinion muette e´tait seule contr’eux : soudain tous leurs moyens sont dissous, tout s’e´branle et s’e´croule. Etouffer dans le sang l’opinion me´contente est la maxime favorite de certains hommes d’Etat. Mais on n’e´touffe pas l’opinion. Le sang coule, mais elle surnage, revient a` la charge et triomphe. Plus elle est comprime´e, ` Londres, dit un plus elle est terrible. Quand elle ne peut parler, elle agit. A a Anglais , le peuple s’exprime par des pe´titions, a` Constantinople par des

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peut se prouver facilement, par l’attachement qu’ont toutes les Nations a` leurs anciens gouvernemens, et meˆme aux noms qui ont rec¸u la sanction de l’antiquite´. quelque jugement de´favorable que nous portions sur l’espe`ce humaine, elle a toujours prodigue´ son sang et ses biens, pour ce qu’elle croyoit le maintien de la justice publique. Il n’y a sans doute pas d’assertion, qui, au premier coup d’œuil, paraisse plus de´mentie par les faits. les homes, entre´s dans une faction, violent sans honte et sans remords, tous les biens de la morale et de la justice, pour servir cette faction : et cependant, lorsqu’une faction est fonde´e, on s’appuye sur des principes de droit, c’est alors que les homes montrent la plus grande obstination, et le plus grand de´vouement a` ces principes. ibid. Bentham. III. 4891.

V: 4 peut ] peut〈vent〉 la lettre t re´crite sur v P peuvent L barre oblique P

18 s’e´croule. ] mot suivi d’une

TR: 19–22 Etouffer ... terrible. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 18, p. 190, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 673. 1

BC renvoie probablement a` un des chapitres de Bentham, Traite´s de le´gislation, De l’influence des tems et des lieux en matie`re de le´gislation, t. III. Le renvoi a` une p. 489 est inexact ; il n’y a pas de p. 489. BC ne cite peut-eˆtre pas, mais rend par une formule commode ce qui est dit dans le chap. 4, «Influence du Tems», pp. 382–388.

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` Londres, aurait il pu dire encore, on censure les mesures du incendies. A Monarque : a` Constantinople, on ne le blaˆme pas, mais on l’e´trangle. [Additions] 7, fo 84vo

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l’art des gouvernemens qui oppriment les Citoyens, c’est de les tenir e´loigne´s les uns des autres, et de rendre les communications difficiles et les re´unions dangereuses. alors l’oppression de la majorite´ ne peut jamais eˆtre constate´e. lorsque des gouvernemens arbitraires oppriment les citoyens, les amis de la liberte´ confondent quelquefois le droit de resistance avec le droit d’ope´rer une re´volution. Il y a ne´anmoins une grande diffe´rence, et cette diffe´rence est tre´s importante. la re´sistance, proprement dite, tend simplement a` repousser l’oppression+, tandis que les Re´volutions ont pour but d’organiser le gouvernement sous des formes nouvelles. ce sont deux choses absolument distinctes. Resister est un droit positif, individuel, imprescriptible, qui n’est subordonne´ qu’aux conside´rations re´sultant de l’Utilite´, de la chance du succe`s, du danger de la secousse, et de la comparaison du mal qu’elle peut entrainer avec le mal qu’on veut pre´venir. mais faire une re´volution n’est jamais un droit, c’est un pouvoir dont on est accidentellement reveˆtu. les maux des re´volutions ne prouvent rien contre la le´gitimite´ de la re´sistance : la le´gitimite´ de la re´sistance ne prouve rien en faveur des re´volutions. seulement, la re´sistance ayant souvent pour effet d’amener des re´volutions, ce danger doit faire partie du calcul des opprime´s, et les engager, soit a` supporter le mal qu’ils e´prouvent, soit a` faire ce qu’ils peuvent pour que la re´sistance qu’ils opposent n’entraine pas des secousses trop violentes et de funestes bouleversemens. les Re´volutions et la re´sistance, distinctes par leur Nature, sont soumises a` des re`gles absolument dissemblables. un homme isole´, une minorite´ a le droit de re´sister. toutes les fois que des individus sont opprime´s, il est indiffe´rent qu’ils soı¨ent en majorite´ ou en minorite´ dans l’association. la garantie est viole´e a` leur e´gard. Si l’on rejetoit cette opinion comme de´sorganisatrice, on tomberait, 1o, dans tous les inconveniens de donner a` la majorite´ une puissance illimite´e. car si la tole´rance de la majorite´ pouvait le´gitimer l’oppression de la minorite´, a` plus forte raison la volonte´ positive de cette majorite´ le pourrait-elle. 2o, ne permettre la re´sistance que lorsque la majorite´ de l’association est opprime´e, seroit, inV: 4 l’art ] au-dessus de ce mot, dans la marge, les signes # X qui reviennent a` la p. suivante P

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de´pendamment de l’injustice de ce systeˆme, interdire de fait, la re´sistance dans tous les cas. enfin, la nature de la garantie est telle, qu’elle ne peut eˆtre viole´e pour un seul, sans eˆtre ane´antie pour tous. en fait d’arbitraire, une seule victime repre´sente le corps social. je ne parle ici que du droit. quand il s’agit de l’exe´cution, Il est clair qu’il faut faire entrer en ligne de compte, les circonstances. l’exercice de nos pre´rogatives les plus e´videntes doit eˆtre subordonne´ aux calculs de l’utilite´. le recours inconside´re´ a` la force, fut-il dirige´ contre l’usurpation la plus scandaleuse est funeste et par conse´quent doit eˆtre condamne´. l’homme qui, menace´ d’une arrestation arbitraire, soule´verait son village, serait coupable, non de sa re´sistance, mais de son entreprise insense´e et des maux qu’elle pourrait entrainer. mais si une minorite´, ou meˆme un seul homme a le droit de re´sister, jamais une minorite´ quelconque n’a le droit de faire une re´volution. De l’absence de cette distinction est re´sulte´e une grande confusion dans les ide´es. lorsqu’aujourdhui quelque malheureux perse´cute´ se sert des moyens qui lui restent pour reclamer contre l’arbitraire, ou pour s’y de´rober, on ne voit pas en lui un homme attaque´ qui se de´fend, mais un ambitieux qui attaque ; et l’on conside`re les opprime´s qui invoquent le secours des loix come des factieux qui les enfreignent. Comme il arrive commune´ment, les deux partis extreˆmes se sont empare´s de cette confusion pour en profiter. les gouvernemens oppresseurs n’ont pas mieux demande´ que de repre´senter comme des usurpateurs futurs ceux qui re´sistoient a` l’usurpation pre´sente : et les aspirans a` la tyrannie se sont empresse´s de s’intituler victimes, pour le´gitimer leurs soule´vemens. La re´sistance est le´gitime, toutes les fois qu’elle est fonde´e sur la justice, parce que la justice est la meˆme pour tous, pour un que pour trente millions. Mais une re´volution n’est le´gitime, de meˆme qu’elle n’est utile, que lorsqu’elle est conforme au sentiment universel. car des institutions nouvelles ne peuvent eˆtre salutaires, ne peuvent eˆtre stables, ne peuvent eˆtre libres, en un mot, que lorsqu’elles sont voulues par l’association entie`re chez laquelle on les introduit. + de la suit que les meilleures constitutions sont celles ou les pouvoirs sont tellement combine´s qu’on peut re´sister a` la partie du gouvernement qui opprime, sans pour cela re´sister a` l’ensemble du gouvernement.

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Le moyen le plus sur pour un gouvernement de se concilier l’opinion publique, c’est de la laisser libre. ce n’est jamais que la tyranie qui alie`ne V: 2 cas. ] BC place ici une note qui renvoie au premier texte des additions a` ce chapitre, probablement dans l’intention de le placer ici ; la note commence par un signe en forme de die`se # v. a` la pag. pr. X voir ci-dessus, p. 681 P

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l’opinion du grand nombre : car le grand nombre n’a rien a` gagner a` eˆtre oppose´ au gouvernement. moins donc il y aura de tyranie, moins l’opinion courra risque d’eˆtre alie´ne´e.

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Chapitre 4e˙ Des devoirs des hommes e´claire´s, durant les re´volutions.

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Conclura-t-on de ce que les volonte´s individuelles ont peu d’influence sur les causes des re´volutions, qu’au milieu de ces convulsions sociales, chacun battu par la tempeˆte peut s’abandonner sans re´sistance a` l’impe´tuosite´ des vagues, vivre au jour le jour, suivant les e´ve´nemens dont la rapide succession l’entraine, et prendre conseil du hazard ? Je ne le pense pas. Dans les circonstances les plus orageuses, il y a toujours une route indique´e par la morale. Il y a donc toujours un devoir a` remplir a. Deux mouvemens sont naturels a` toute nation qui renverse des institutions qu’elle trouve oppressives ou vicieuses. Le premier, de vouloir tout de´truire pour tout reconstruire a` neuf. l’autre de de´ployer une rigueur implacable contre ceux qui profitaient des vices des institutions anciennes. Ces deux mouvemens sont pre´cise´ment ce qui rend les re´volutions funestes, ce qui les porte au de la` des besoins du peuple, ce qui prolonge leur dure´e, ce qui compromet leur re´ussite. C’est a` les arreˆter, ou a` les suspendre, que les hommes e´claire´s doivent s’appliquer. Il faut profiter, dit on, de l’e´poque ou` tout est e´branle´ pour refondre tout. L’assemble´e constituante est partie de ce sophisme qui est en effet tre`s spe´cieux. Tel qui se ferait scrupules de renverser un e´difice encor existant, et qui pre´sente un abri tole´rable, trouve le´gitime d’achever la ruine d’un e´difice a` demi de´truit, pour en e´lever un plus regulier dans toutes ses parties et dans son ensemble. C’est ne´ammoins dela` que proviennent les plus a

[Add.] c’est en se persuadant qu’il est inutile de lutter contre la violence des situations extraordi naires qu’on les rend en effet irre´sistibles. Chacun se dit, quand meˆme je remplirais mon devoir, les autres ne rempliroient pas le leur, et je me sacrifierais sans fruit : et il re´sulte de ce raisonnement qu’en effet personne ne fait ce qu’il doit. Si au contraire chacun se disait : quand meˆme les autres ne rempliraient pas leur devoir, je veux remplir le mien, il arriveroit que tout le monde ferait ce qu’il doit. on cre´e l’impossibilite´ du bien, en s’y re´signant1.

V: 1 Chapitre 4e˙ ] Chape 4 le chiffre re´crit sur 〈8〉 L 1

Ce texte se trouve de´ja` dans le ms. Co 3492, sous le nume´ro 1117. Il y commence de la manie`re suivante : «Il est d’autant plus ne´cessaire de retracer les devoirs des Individus, dans toutes les situations, meˆme les plus violentes, que c’est en se persuadant...». Le reste du texte est identique. Il s’agit probablement d’une re´flexion de BC, pas d’une note de lecture.

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grands maux des re´volutions. Non seulement tous les abus se tiennent, mais tous les abus tiennent a` toutes les ide´es. L’e´branlement se communique d’un bout a` l’autre de la chaine immense. Un abus de´truit, on en attaque un second, un troisie`me. On s’e´chauffe dans la lutte : bientot on prend tout pour des abus. On en appe`le de la majorite´ pre´sente a` la majorite´ future qu’on se flatte ou de dominer ou de convaincre. On parcourt tout le cercle des ide´es humaines. On de´vance l’opinion, esperant toujours la trainer apre`s soi. Il y a d’ordinaire dans les re´volutions deux e´poques, l’une ou` le sentiment unanime renverse ce qui e´tait insupportable a` tous : l’autre ou` par la prolongation factice d’un mouvement qui n’est plus national, on cherche a` de´truire tout ce qui est contraire au systeˆme de quelques-uns. Si les hommes e´claire´s peuvent arreter la re´volution a` la premie`re e´poque, les chances sont pour le succe`s. Les re´volutions ou` ce principe a e´te´ observe´, ont e´te´ les plus courtes, les plus heureuses, les moins sanglantes. Les Tarquins opprimaient la liberte´ romaine. Les Tarquins sont chasse´s. Mais d’ailleurs toute l’organisation de Rome reste intacte. L’e´branlement s’arreˆte, le calme renait, la Re´publique s’e´le´ve et s’affermit. Sans doute en conservant dans la constitution romaine tout ce qui n’e´tait pas la royaute´, l’on conservait des abus et en grand nombre. Mais ces abus e´taient proportionne´s a` l’e´tat de l’opinion. Si l’on avait renverse´ simultane´ment a` Rome, les Rois, les Pontifes et les Patriciens, la re´volution n’eut jamais fini et Rome eut e´te´ ane´antie. En Angleterre en 1688, on chasse les Stuarts, mais on n’e´difie rien a` neuf1. Les communes existent, les Pairs existent, la grande charte existe, la royaute´ constitutionnelle existe. On rassemble, on re´unit, on combine tous les e´le´mens de l’ordre ancien. Il en re´sulte une constitution qui a donne´ de´ja plus d’un sie`cle de bonheur a` l’Angleterre. Il en est de meˆme pour l’Ame`rique. Les Ame`ricains ont conserve´ presque toutes les institutions en vigueur parmi eux avant leur inde´pendance. Au contraire, chez les peuples qui repoussent tous leurs souvenirs, et qui pensent qu’il faut tout changer, tout re´former, tout cre´er, les re´volutions ne finissent jamais. Des divisions interminables de´chirent ces peuples. Chacun jugeant d’apre`s lui meˆme du mieux possible, du mieux praticable, du mieux ide´al, il y a autant de re´volutions au moins essaye´es, qu’il y a sur cet ine´puisable sujet d’opinions diverses. Chaque intereˆt cache´ prend pour e´tendart une the´orie, et la nation succombe tot ou tard de lassitude et d’e´puisement. Une ame´lioration, une re´forme, l’abolition d’un abus, toutes ces choses ne sont utiles, que lorsqu’elles suivent le vœu national. Elles deviennent TR: 38-p. 686.4 Une ame´lioration ... ide´es. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 198, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 805. 1

Voir ci-dessus, p. 678.

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funestes, quand elles le pre´ce´dent. Ce ne sont plus des perfectionnemens, mais des actes de force et de tyrannie. L’important n’est pas qu’elles s’ope`rent rapidement, mais que l’esprit public marche dans ce sens, et que les institutions soient d’accord avec les ide´es. Les individus ont envers la socie´te´ les meˆmes devoirs que la socie´te´ envers les individus. Elle n’a pas le droit de les arreˆter dans le de´veloppement de leurs faculte´s intellectuelles, ni de mettre des bornes a` leurs progre`s. Mais ils n’ont pas non plus celui de juger d’autorite´ des progre`s que la socie´te´ doit faire, et de la trainer violemment vers un but au dela` de ses ` quel titre une minorite´ me´diterait-elle des changemens que la desirs. A majorite´ de´sapprouverait ? Serait-ce comme plus e´claire´e, plus sage que le reste des citoyens, comme plus capable de juger sainement de ce qui est utile ? Mais a` quel signe reconnaitrez vous dans une minorite´ ces qualite´s privile`gie´es ? qui sera juge de ces signes caracte´ristiques ? La minorite´ elle meme sans doute, puis que la majorite´ ne peut eˆtre consulte´e ! Ainsi c’est de son autorite´ prive´e que cette minorite´ tient sa mission : j’aime autant les Rois qui tiennent leur pouvoir de Dieu et de leur e´pe´e. Toutes ces re´formes subites ont comme moyen de liberte´, d’ame´lioration et de lumie`res, tous les inconve´niens que nous avons reproche´s a` l’autorite´. ` la place de la raison, elles mettent la force. Ne serait-il pas absurde de A pardonner aux partisans des re´volutions ce que nous de´testons dans les agens des gouvernemens ? Les hommes qui de´vancent l’opinion, tombent a` leur insuˆ dans une contradiction tre`s bizarre. Pour justifier leurs funestes tentatives, ils disent qu’il ne faut point de´rober a` la ge´ne´ration pre´sente les bienfaits du systeˆme qu’ils pre´tendent e´tablir, et pour excuser le sacrifice de la ge´ne´ration pre´sente, ils s’e´crient que c’est un calcul e´troit, de ne pas l’immoler, sans he´siter, a` l’immense majorite´ des ge´ne´rations futures. Ces hommes se plaignent sans cesse de la malveillance. Nouvelle contradiction dans les termes. N’agissent-ils pas au nom du peuple ? N’appuyentils pas tout ce qu’ils font sur la volonte´ ge´ne´rale ? Qu’est-ce donc que la malveillance ? peut-il y avoir une volonte´ en masse, a` laquelle tous les ` les entendre, on dirait que la malveillance est individus soient oppose´s ? A

V: 23-p. 687.6 Les hommes ... auteurs. ] passage encadre´ d’un signe en forme d’une tre`s grande croix P 27 e´troit, ] e´troit, 〈que〉 L

TR: 23–28 Les hommes ... futures. ]  De l’esprit de conqueˆte, 4e e´d., 1 (ajoute´), p. 198, OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 805.

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une puissance magique qui, par je ne sais quel miracle, force le peuple a` faire constamment le contraire de ce qu’il veut. Ils attribuent les malheurs que leurs tentatives pre´mature´es occasionnent, a` l’opposition qu’ils rencontrent. Ce n’est point une excuse : il ne faut pas faire des changemens qui provoquent une telle opposition. Les difficulte´s meˆmes que ces changemens rencontrent, sont une condamnation contre leurs auteurs. Il y a un point de vue sous lequel la le´gitimite´ des mesures violentes, en fait d’ame´lioration, n’a pas encore e´te´, que je sache envisage´e. S’il existait un systeˆme de gouvernement sans de´fauts dans toutes ses parties, et apre`s l’affermissement duquel l’espe`ce humaine n’eut plus qu’a` se reposer, on serait excusable de s’e´lancer vers ce systeˆme par un effort subit et violent, au risque de froisser les individus ou meˆme les ge´ne´rations entie`res. Les sacrifices seraient compense´s par l’e´ternite´ de bonheur assure´e a` la longue suite des races futures. Mais aucun gouvernement n’est parfait. L’ame´lioration est graduelle et inde´finie. Apre`s que vous aurez ame´liore´ vos institutions dans une partie, beaucoup d’autres ame´liorations resteront a` desirer. L’ame´lioration meˆme que vous aurez e´tablie ou conquise aura besoin de perfectionnemens ulte´rieurs. Ainsi donc vous ne faites pas, comme vous le pensez un mal incertain et passager pour un bien positif et durable : vous faites un mal certain et positif pour un bien incertain, relatif et passager. L’assemble´e nationale, disait Chamfort en 17891, a donne´ au peuple franc¸ais une constitution plus forte que lui. Il faut qu’elle se haˆte d’e´lever la nation a` cette hauteur...... Les le´gislateurs doivent faire comme ces me´decins habiles, qui, traitant un malade e´puise´, font passer les restaurans a` l’aide des stomachiques. Il y a ce malheur dans cette comparaison, que les le´gislateurs sont, la plupart du tems, des malades qui se disent des me´decins. On ne soutient point une nation a` la hauteur a` laquelle sa propre disposition ne l’e´le`ve pas. Pour la soutenir a` ce point, il faut lui faire violence, et, par cela meˆme qu’on lui fait violence, elle retombe et s’affaisse a. a

[Add.] l’esprit public est le fruit du tems. il se forme d’une longue suite d’ide´es acquises,

V: 12 les ge´ne´rations ] des ge´ne´rations L TR: 21–30 L’assemble´e ... s’affaisse. ]  De l’esprit de conqueˆte, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 636. 1

II,

8, p. 125, en note,

BC cite Nicolas-Se´bastien Roch, dit de Chamfort, Maximes et pense´es, chap. 8, «De l’esclavage et de la liberte´ ; de la France avant et depuis la Re´volution». (Œuvres de Chamfort, recueillies et publie´es par un de ses amis, t. IX, Paris : Impr. des sciences et des arts, an III, p. 206). Hofmann (p. 491, n. 33) propose de de´placer la virgule qui se trouve apre`s 1789 et de la mettre apre`s le nom de Chamfort, pour faire comprendre que la date fait partie de la citation. Cette proposition est probablement bonne a` retenir. Nous ne l’avons pas fait parce que BC utilise toujours la version non corrige´e de ce passage.

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Pour la tyrannie, dit Machiavel, il faut tout changer1. On peut dire de meˆme que pour tout changer, il faut recourir a` la tyrannie. Aussi fait-on. Chez une nation vaine et imitatrice, rien n’est plus puissant que les re´dactions2. Elles sont courtes, elles semblent claires, elles se gravent aise´ment dans la me´moire. Les hommes ruse´s les jettent aux sots qui s’en emparent, parcequ’elles leur e´pargnent la peine de re´fle´chir, et qui les re´pe´tent parcequ’ils se donnent l’air de les comprendre. Dela` vient que des propositions dont l’absurdite´ nous e´tonne, lorsqu’elles sont analyse´es, se glissent dans mille teˆtes, sont redites par mille bouches, et que l’on est re´duit sans cesse a` de´montrer l’e´vidence. Parmi les re´dactions funestes, il en est une que nous avons entendu redire mille fois dans notre re´volution, et que toutes les re´volutions violentes invitent a` reproduire : c’est que le despotisme est ne´cessaire pour fonder la liberte´. Cet axiome justifie toutes les oppressions, et justifie encore la prolongation inde´finie de toutes les oppressions. Car on ne de´termine pas la dure´e de ce despotisme auquel on pre´tend que la liberte´ devra sa naissance. de sensations e´prouve´es, de modifications successives, qui sont inde´pendantes des hommes, et se transmettent et se modifient encore d’une ge´ne´ration a` l’autre. l’esprit public de l789 e´toit le re´sultat, non seulement des e´crits du 18e˙ sie`cle, mais de ce que nos pe`res avoient souffert sous Louis XIV, nos ayeux sous Louis XIII. l’esprit public est l’he´ritage des expe´riences de la nation, qui y ajoute ses expe´riences de chaque jour. dire qu’il faut recre´er l’esprit public, c’est dire qu’il faut prendre la place du tems, et cette usurpation du moins est impossible aux usurpateurs. les assemble´es, les clubs ont particulie´rement cette pre´tention, voulant supple´er en superficie a` ce qui leur manque en profondeur. Ils se mettent a` la place du peuple pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas. ils se chargent de la demande et de la re´ponse, et de l’e´loge encore que me´rite a` leurs propres yeux leur propre opinion. Il y a toujours un esprit public, c. a` d. une volonte´ publique. les homes ne peuvent jamais eˆtre indiffe´rens a` leur propre sort, ni se de´sinte´resser de leurs destine´es. mais lorsque les gouvernemens agissent en sens inverse du vœu du peuple, le peuple se lasse de l’exprimer, et come on ne peut pas, meˆme par la terreur, forcer toute une nation a` mentir a` sa conscience, on dit que l’esprit public sommeille, tout en se tenant preˆt a` l’e´touffer, pour peu qu’il laissat soupconner qu’il est e´veille´. TR: 1–10 Pour la tyrannie ... l’e´vidence. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, p. 127, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 637. 12–13 c’est que ... liberte´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, p. 127, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 637. 1

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Pourquoi, BC cite-t-il cette phrase, qui est la dernie`re du chap. 25 des Discours sur la premie`re De´cade de Tite-Live de Machiavel ? C’est une phrase de transition qui annonce le chap. suivant dans lequel cette matie`re est traite´e. La graphie «re´daction» pour «re´action», qu’on trouve ici a` plusieurs reprises (p. 686, lignes 4 et 10, p. 693, ligne 22), est aussi celle qui apparaissait dans les journaux intimes (voir OCBC, Œuvres, t. VI, p. 89, n. 1). On pourrait en conclure que pour BC il existe deux termes re´daction homonymes, l’un correspondant a` «re´agir» et l’autre a` «re´diger» et, l’existence de cette graphie commune n’e´tant signale´e nulle part – a` notre connaissance du moins – ni par les grammairiens ni par les lexicographes, la conside´rer comme une particularite´ constantienne inexplique´e. Il faut toutefois noter que la brochure e´dı´te´e par le meˆme Cons-

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Mais la liberte´ n’est d’un prix inestimable, que parcequ’elle donne a` notre esprit de la justesse, a` notre caracte`re de la force, a` notre ame de l’e´le´vation. Tous ces bienfaits de la liberte´ tiennent a` ce qu’elle existe en re´alite´. Si vous employez le despotisme pour l’introduire, vous n’introduirez que de vaines formes, le fond vous e´chappera toujours. La victoire que vous remportez, est contraire par son essence a` l’esprit meˆme de l’institution. Et comme les succe`s ne persuadent point les vaincus, ils ne rassurent point les vainqueurs. Que faut-il dire au peuple, en effet, pourqu’il se pe´ne´tre des avantages de la liberte´ ? Vous e´tiez soumis a` des castes privile`gie´es ; le grand nombre vivait pour l’ambition de quelques-uns : des loix ine´gales prote´geaient le fort contre le faible. Vous n’aviez que des jou¨issances pre´caires, qu’a` chaque instant l’arbitraire menacait de vous enlever. Vous ne contribuiez ni a` la confection de vos loix, ni a` l’e´lection de vos magistrats. Tous ces abus vont disparaitre : tous vos droits vous seront rendus. Mais les hommes qui veulent former entre le despotisme et la liberte´, je ne sais quelle alliance insense´e, que peuvent-ils dire ? Aucun privile`ge ne se´parera les citoyens, mais tous les jours les hommes qui nous paraissent nos ennemis seront frappe´s sans eˆtre entendus. La vertu sera la seule distinction parmi les hommes ; mais les plus perse´cuteurs et les plus violens se cre´eront par la tyrannie un patriciat garanti par la terreur. Les loix faites par la volonte´ du peuple prote´geront la proprie´te´ ; mais a` chaque instant, l’expropriation sera le partage des individus ou des classes soupconne´es. Le peuple e´lira ses magistrats ; mais s’il ne les e´lit dans un sens prescrit d’avance, ses choix seront de´clare´s nuls. Les opinions seront libres, mais toute opinion contraire, non seulement au systeˆme ge´ne´ral, mais aux moindres mesures de circonstance, sera punie comme un attentat. Ainsi apre`s une re´volution faite contre l’arbitraire, contre l’asservissement de l’opinion, l’arbitraire se

V: 33 et la ] le premier mot dans l’interl. P la L TR: 1–5 Mais la liberte´ ... toujours. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, pp. 127–128, OCBC, 9–27 Que faut-il dire ... attentat. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, Œuvres, VIII/1, p. 637. pp. 128–129, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 638. 9–14 Que faut-il dire ... magistrats. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 830. 17–19 Aucun ... enten19–21 La dus. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 830. vertu ... terreur. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, pp. 830– 831. tant en 1797 a bien pour titre Des re´actions politiques (OCBC, Œuvres, t. I, p. 455). En l’absence du manuscrit autographe de ce texte, on pourrait penser soit qu’on a la` une graphie amende´e par le typographe sans que l’auteur s’en avise, soit que ce dernier croyait user a` cet endroit d’un terme technique du vocabulaire politique (voir J. Starobinski, «Benjamin Constant : la pense´e du progre`s et l’analyse des re´actions», ABC, 23–24, 2000, notamment pp. 47–48).

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trouve exerce´ avec mille fois plus de rigueur, les opinions mille fois plus asservies. On attribue a` chaque mot, a` chaque geste, a` chaque e´panchement de l’amitie´, a` chaque cri du malheur, une influence redoutable. On interdit la discussion de l’opinion triomphante. On rappelle avec exage´ration les tentatives de l’autorite´ qui n’est plus, pour e´touffer la pense´e ; et la domination de la pense´e est le caracte`re distinctif de l’autorite´ nouvelle. Pour rendre les hommes libres, on les poursuit de la crainte des supplices : on de´clame contre les gouvernemens tyranniques, et l’on organise le plus tyrannique des gouvernemens. Pour soutenir ce qu’on croit la liberte´ par les moyens du despotisme, il faut inventer bien plus de perse´cutions, bien plus de fraude, que pour gouverner simplement d’autorite´. Il ne suffit pas de perdre un innocent, il faut le calomnier dans tous les esprits. Il ne suffit pas de donner le pouvoir a` ceux que le peuple repousse ; il faut le forcer a` les choisir. Il ne suffit pas d’interdire la liberte´ de la presse, il faut avoir des journaux qui la parodient. Il ne suffit pas d’imposer silence aux assemble´es repre´sentatives ; il faut entretenir un vain simulacre d’opposition, qu’on tole`re quand elle est pue´rile, qu’on disperse si elle fait ombrage. Il ne suffit pas de se passer du vœu national ; il faut faire venir des adresses de la minorite´ qui s’intitule majorite´. On est tous les jours entraine´ loin de sa route par les difficulte´s qui se multiplient. Il n’y a point de terme a` la tyrannie qui veut arracher de force les symptoˆmes du consentement. La lutte contre l’esprit public est un moindre mal sous le despotisme qui se montre a` de´couvert, parcequ’il n’est pas de l’essence du despotisme de s’appuyer sur l’esprit public. Il procure au moins d’ordinaire le repos dans l’inte´rieur, parcequ’on re´gne plus facilement dans le silence : mais les institutions pre´tendues libres qui se servent des moyens du despotisme re´unissent tous les malheurs d’une monarchie opprime´e par un tyran, et tous ceux d’une Re´publique de´chire´e par des factions. Les hommes paisibles sont perse´cute´s comme indiffe´rens, les hommes ardens comme dangereux. La servitude est sans repos, le mouvement sans but et sans jouissance. On ajourne la liberte´ jusqu’a` ce que les factions soient ane´anties. Mais les factions ne sont jamais ane´anties, aussi long tems que la liberte´ est ajourne´e. L’arbitraire pe`se tour a` tour sur l’une ou l’autre de ces factions : mais il n’y a rien de libre entre deux. Les mesures violentes, adopte´es comme dictature, en attendant l’esprit public, s’opposent a` ce qu’il se forme. On s’agite dans un cercle vicieux, on marque une e´poque qu’on est assure´ de ne pas atteindre, car les moyens adopte´s sous le pre´texte de l’atteindre, l’empechent V: 29 l’autre des factions ] sur l’autre L TR: 10–20 il faut inventer ... majorite´. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 826.

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toujours d’arriver. La force rend de plus en plus la force ne´cessaire, la cole`re s’accroıˆt par la cole`re, les loix se forgent comme des armes, les codes deviennent des de´clarations de guerre et les amis aveugles de la liberte´ qui ont cru l’imposer par le despotisme, soule`vent contr’eux toutes les ames libres, et n’ont pour appui que les plus vils flatteurs du pouvoir. Il y a plus : les loix injustes contre les ennemis de la liberte´ retombent infailliblement sur ses amis meˆmes. Investir les gouvernemens d’une puissance arbitraire, c’est leur donner un interet distinct de celui des gouverne´s. Cet interet devient alors leur objet unique, et ce n’est qu’a` le faire pre´valoir, qu’ils employent les moyens les plus vastes qu’on leur avait confie´s pour l’avantage public. Il ne faut pas croire qu’on puisse dans un code faire la part de l’iniquite´, et demeurer, quant au reste, fide`le a` la justice. Une seule loi barbare de´cide de la le´gislation toute entie`re. La premie`re loi se fait de passion ou de calcul, la seconde de peur ou de ne´cessite´. Aucune loi juste ne peut subsister a` cote´ d’une seule mesure arbitraire. On ne peut refuser la liberte´ aux uns et l’accorder aux autres. Supposez un seul acte de rigueur contre des hommes qui ne soient pas convaincus le´galement. Vous ne pouvez plus tole´rer la liberte´ de la presse. On s’en servira pour e´mouvoir le peuple en faveur de victimes peut-eˆtre innocentes. Vous ne pouvez plus respecter la liberte´ individuelle. Ceux que vous avez voulu priver de leurs droits s’en pre´vaudront pour se confondre avec le reste des citoyens. Vous ne pouvez plus laisser l’industrie a` elle meˆme. Elle fournira des ressources aux proscrits. Ceque vous ferez contre vos ennemis, vos amis en porteront la peine. Ceque vous ferez pour vos amis, vos ennemis en profiteront. Les hommes voudraient transiger avec la liberte´, sortir de son cercle pour un jour, pour un obstacle, pour un individu, pour un objet de´termine´, et rentrer ensuite dans l’ordre. Ils voudraient la garantie de la re`gle et les succe`s de l’exception. La nature s’y oppose. Le systeˆme de la liberte´ est complet et re´gulier. Une seule de´viation le de´truit, comme dans un calcul arithme´tique, l’erreur d’un chiffre ou de mille fausse e´galement le re´sultat.

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Les lumie`res font apercevoir aux hommes une route en avant des institutions qui existent : mais la commotion que les re´volutions causent ou e´teint la lumie`re, ou fait outrepasser l’espace qu’elles avoient e´claire´. 35

TR: 2–3 les loix ... guerre ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 870–871. 11–30 Il ne faut pas ... re´sultat. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 12, pp. 147– 148, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 648. 24–30 Les hommes ... re´sultat. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 868.

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Premie´re devise des Provinces-unies apre´s leur insurrection. un vaisseau sans mats et sans voiles, au milieu des flots avec ces mots, incertum quo fata ferant1. 7, fo 86vo

les Re´volutionnaires Francois ont voulu comme Me´de´e, rajeunir le vieillard dans un bain de sang, et le vieillard est sorti du bain, come cela devoit eˆtre, mille fois plus vieux qu’auparavant. Une re´volution interrompt et suspend toute recherche, toute spe´culation, tous ces travaux patiens de l’esprit, auxquels l’espe`ce humaine doit ses progre´s. de pareils travaux demandent la se´curite´ : ils ont besoin de l’avenir. coment s’y livrer lorsque rien ne garantit au philosophe paisible un jour de vie, une heure de tranquillite´ ? les lumie`res exigent l’impartialite´, le de´sinte´ressement. coment rester impartial, au milieu de toutes les passions souleve´es, de´sinte´resse´, quand tous les interets sont compromis ? Contre quel abus les re´volutions sont-elles dirige´es ? contre l’asservissement de l’opinion. mais les opinions ne sont elles pas mille fois plus asservies pendant une re´volution et longtems apre`s ? n’attribue-t-on pas a` chaque mot, a` chaque geste, a` chaque e´panchement de l’amitie´, a` chaque cri du malheur, une influence redoutable ? y a-t-il jamais eu une re´volution ou la discussion de l’opinion triomphante ait e´te´ permise ? Vous vous plaignez des tentatives de l’autorite´ pour dominer la pense´e, et la domination de la pense´e n’est-elle pas le caracte´re distinctif des re´volutions ? Vous vous proposez de rendre les homes libres, et votre me´thode, c’est d’influer sur eux par la crainte ! vous de´clamez contre les gouvernemens usurpateurs, et vous organisez un gouvernement mille fois plus usurpateur dans ses principes et plus terrible dans ses mesures ! l’esclavage est-il donc un moyen de conduire les hommes a` la liberte´ ? la terreur est-elle une e´ducation propre a` les rendre courageux, Inde´pendans, magnanimes ? Les Re´volutions rendent le pouvoir de la majorite´ terrible, parce que, au lieu que, dans les tems ordinaires, la majorite´ et la minorite´ sont des choses journalie`res et variables, les Re´volutions en font des partis diffe´rens, d’une manie`re permanente, des esclaves et des maˆitres, des opprime´s et des oppresseurs.

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Le meˆme texte se retrouve dans le ms. Co 3492, sous le nume´ro 604, entre deux notes employe´es la premie`re le 28 septembre, la seconde le 23 octobre 1810.

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les factions populaires traitent l’opinion publique avec d’autant plus de me´pris, que les chefs de ces factions se de´clarent le peuple et par conse´quent l’opinion publique. Plus les lumie´res sont e´tendues, moins les re´volutions sont violentes. plus il subsiste de pre´juge´s et de notions vagues, plus la lutte est acharne´e et le succe´s douteux. Un an de retard est un an de gagne´. pendant cette anne´e, des ve´rite´s nouvelles peuvent se de´couvrir, ou des ve´rite´s de´ja` connues, mais renferme´es encore dans un petit nombre de teˆtes, peuvent eˆtre plus comple´tement e´claircies, ou plus universellement disse´mine´es. un de´gre´ de plus d’e´vidence peut ramener mille adversaires.

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Lorsque des ve´rite´s qui ne sont encore qu’a` la porte´e du petit nombre, sont introduites sans mesure et avec violence, dans les institutions politiques qui doivent reposer sur l’assentiment ge´ne´ral, beaucoup d’homes qui blaˆment a` juste titre cette pre´cipitation dangereuse, sont enclins a` reporter sur les ve´rite´s meˆmes qui en sont l’objet, leur de´sapprobation. cette disposition est naturelle ; mais elle est de´place´e et peut devenir funeste. c’est toujours par un faux calcul que l’on se consacre a` une mauvaise cause, quelque soit le motif de cet effort. Il faut partir de la ve´rite´ qui est proclame´e, fut-elle meˆme intempestive, et lorsqu’elle est jete´e sans pre´paration dans un systeˆme pratique qui ne devrait se composer que de ve´rite´s reconnues, Il faut, non s’efforcer vainement de la faire reculer, car elle ne re´trograde pas, mais l’entourer au plus vite de l’e´vidence qu’elle n’a pas encore acquise, et que ne savent pas lui donner les hommes impatiens et fougueux qui n’arrivent a` elle que par l’instinct. en se condamnant a` de´fendre l’erreur, on de´cre´dite la raison et la mode´ration meˆme. Ces deux choses si pre´cieuses se ressentent d’eˆtre employe´es en faveur de principes qui ne sont pas parfaitement et rigoureusement vrais, et la portion de sophisme a` laquelle on les allie rejaillit sur elles et les affaiblit. d’ailleurs tous les homes e´claire´s ne se mettent pas de ce cote´. il en est qui suivent les principes a` travers les agitations et les e´cueils. l’e´lite de la nation se divise. ce nombre si petit se trouve encore par tage´. des noms e´galement estimables servent d’e´gide aux deux partis extreˆmes, a` celui qui veut conserver l’erreur, ainsi qu’a` celui qui porte la ve´rite´ au dela` des bornes, et le de´sordre s’augmente et se prolonge, par cela` meˆme que les homes conscientieux sont de´sunis sur les moyens de le re´primer. Il y a des e´poques ou toutes les aspe´rite´s de la liberte´ servent au despotisme.

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Chapitre 5e˙ Continuation du meˆme sujet.

Le second devoir des hommes e´claire´s est plus important encore, car il ne tient pas seulement a` la prudence, mais a` la morale. Lorsqu’une constitution abusive, ou une longue habitude consacrent dans les gouvernans ou dans une classe des privile`ges vexatoires, ou l’usage de l’arbitraire, la faute n’en est ni aux gouvernans, ni a` cette classe, mais a` la nation qui a tole´re´ ce qui ne devait pas exister. Nul n’est coupable en profitant d’une faculte´ qu’il a trouve´e e´tablie et que la socie´te´ lui avait conce´de´e paisiblement. Le peuple peut reprendre ses droits, parce que ses droits sont imprescriptibles : il peut enlever au gouvernement une pre´rogative injuste. Il peut de´pouiller une classe d’un privile`ge oppressif. Mais il ne doit les punir ni l’un ni l’autre. Il a perdu tout droit d’exiger une indemnite´, d’exercer une vengeance, pour un dommage auquel il semblait s’eˆtre re´signe´. Sans ce principe, les re´volutions n’ont plus de terme. On entre dans une abominable carrie`re retroactive, ou` chaque pas, sous pre´texte d’une injustice passe´e conduit a` une injustice pre´sente. On tombe dans l’absurdite´ que l’on reproche aux partisans des institutions les plus de´fectueuses. On punit des hommes de ce qu’ils e´taient, et de ce qu’ils ne pouvaient pas ne pas eˆtre. On fait d’une re´volution l’e´poque d’une ine´galite´ nouvelle, et que sa nouveaute´ ne rend que plus re´voltante. On se`me pour l’avenir des germes d’iniquite´, de regrets, de souffrances, de ressentimens. On le`gue aux ge´ne´rations qu’on pre´tend affranchir, des semences de discorde, de haine et de malheur. Les classes que vous proscrivez, ces classes enrichies d’abus, sont en meˆme tems les plus cultive´es. Si vous de´truisez jusqu’aux individus qui les composaient, vous diminuez d’autant la masse des lumie`res nationales. L’e´ducation d’un peuple n’est pas l’ouvrage d’un jour. Il ne suffit pas de vous efforcer d’instruire cette majorite´ fougueuse qu’un ordre social imparfait avait retenue dans l’ignorance. La taˆche est longue : les e´ve´nemens qui se pressent, peuvent ne pas attendre que cette taˆche soit acheve´e. Les hommes e´claire´s sont place´s entre tous les partis pour les pre´server de

V: 1 Chapitre 5e˙ ] Chape 5 le chiffre re´crit sur 〈9〉 L 10 paisiblement. ] mot suivi d’une barre verticale P 16 Sans ] mot pre´ce´de´ d’une barre verticale P 28 suffit ] la source porte suffie P

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l’arbitraire. Les grecs pardonnaient aux captifs qui re´citaient des vers d’Euripide. La moindre lumie`re, le moindre germe de la pense´e, le moindre sentiment doux, la moindre forme e´le´gante doivent eˆtre soigneusement prote´ge´s. Ce sont autant d’e´le´mens indispensables au bonheur social. Il faut les sauver de l’orage : il le faut, et pour l’intereˆt de la justice, et pour l’intereˆt de la liberte´ meˆme. Car toutes ces choses, par des routes plus ou moins directes, aboutissent a` la liberte´. ` peine les re´volutions comCe devoir sans doute est difficile a` remplir. A mencent, que de´ja les amis de la liberte´ se voyent partage´s en deux sections. D’un cote´ se rangent les hommes mode´re´s, de l’autre les hommes violens. Mais ces derniers seuls restent long tems unis, parceque l’impulsion qu’ils ont rec¸ue les empeˆche de se se´parer, et qu’ils sont exclusivement absorbe´s dans une ide´e qui leur est commune. Les hommes mode´re´s n’e´tant pas entraine´s par une passion dominante, preˆtent aise´ment l’oreille aux conside´rations individuelles. L’amour propre se re´veille en eux, le courage s’e´branle, la fermete´ se lasse, le calcul personnel un moment repousse´ revient a` la charge. La laˆchete´ prend mille formes et se travestit de mille manie`res pour se de´guiser a` ses propres yeux. Elle ne s’appe`le pas seulement prudence, raison, sagesse, appre´ciation des choses ; elle s’intitule quelquefois inde´pendance. Combien j’en ai vu quitter le parti le plus juste et le plus faible, parce qu’ils e´taient, disaient-ils, trop inde´pendans pour s’associer a` aucun parti ! Ce langage annoncait qu’ils allaient passer du cote´ de la force, et leur proclamation d’inde´pendance n’e´tait qu’une re´daction plus fie´re de la lachete´. Un allie´ terrible, le fanatisme, qui s’exerce sur les questions politiques, comme sur les questions religieuses, se de´voue au parti violent. Le fanatisme n’est autre chose que l’empire d’une seule ide´e qu’on veut, a` tout prix, faire triompher. Il est sans doute plus absurde encore, lorsqu’il s’agit de liberte´, que lorsqu’il s’agit de religion. Le fanatisme et la liberte´ sont incompatibles. L’un repose sur l’examen : l’autre proscrit la recherche et punit le doute. L’une concoit et appre´cie toutes les opinions : l’autre voit un attentat dans l’objection la plus timide. L’une cherche a` persuader, l’autre commande. L’une enfin conside`re comme un malheur la ne´cessite´ de la victoire et traite les vaincus comme des e´gaux, dont elle se hate de reconnaitre les droits, l’autre se pre´cipite sur toutes les questions, comme sur des redoutes ennemies, et n’apperc¸oit dans ses adversaires que des captifs toujours dangereux qu’il faut immoler, pour n’avoir plus a` les craindre. TR: 1–7 Les grecs ... liberte´. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, p. 131, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 639. 1–2 Les grecs ... d’Euripide. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, p. 887.

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Mais quelle que soit l’incompatibilite naturelle de l’amour de la liberte´ et du fanatisme, ces deux choses se re´unissent facilement dans la te´te des hommes, qui n’ayant pas contracte´ l’habitude de la re´flexion, ne peuvent recevoir les ide´es que sur parole, plutot comme une re´ve´lation myste´rieuse, que comme une suite de principes et de conse´quences. C’est sous la forme d’un dogme, que la notion de la liberte´ se fait jour dans les esprits, sans lumie`res, et son effet alors est celui de tout autre dogme, une sorte d’exaltation, de fureur, l’impatience de toute contradiction, l’impossibilite´ de supporter la moindre re´serve, le moindre changement dans le symbole de la croyance. Cet empire de la foi, transporte´ ainsi sur des questions qui touchent a` tous les interets, sur des opinions qui, sujettes a` la loi des circonstances, deviennent un crime aujourd’hui, tandis qu’elles e´taient hier un devoir, est beaucoup plus redoutable, que lorsqu’il est renferme´ dans le cercle abstrait des subtilite´s the´ologiques. Ces subtilite´s laissent en paix, au sein de leurs familles, beaucoup d’hommes indiffe´rens a` des discussions te´ne´breuses. Mais quelle vie obscure, quelle existence immobile, quel nom ignore´ parviendraient a` de´sarmer le fanatisme, sur le terrein de la politique ! Cette vie obscure, ce nom ignore´, cette existence immobile sont, a` ses yeux, des trahisons. L’inaction lui semble punissable : les affections domestiques, un oubli de la patrie : le bonheur un but suspect. Ceux qui le desirent ou le regrettent, il les appe`le des conspirateurs. Arme´ pour la liberte´, il se plie avec joye au plus dur esclavage, pourvu qu’on l’exerce au nom de sa doctrine che´rie. Il combat pour la cause et renonce a` son effet. La rigueur, l’injustice, les vexations de tout genre lui semblent dans ses chefs, des actes me´ritoires, comme gages de sincerite´. Il est importune´ des lumie`res, parcequ’elles permettent difficilement d’embrasser une opinion, sans quelques restrictions, sans quelques nuances. Il est soupconneux de la fierte´ d’ame, parceque les ames fie`res e´prouvent je ne sais quel e´loignement contre les plus forts, et ne servent la force qu’avec re´pugnance. Les seules qualite´s qu’il exige, c’est la croyance et la volonte´. Il voit dans la morale une faiblesse, une chicane, un obstacle. Tout est bien si le but est bon. Il viole les loix parcequ’elles ne sont faites que pour les amis, non les ennemis de la patrie. Il trahit l’amitie´, parceque l’amitie´ ne peut exister entre les de´fenseurs et les oppresseurs du peuple. Il manque aux engagemens les plus sacre´s, parceque leur exe´cution fournirait peut-eˆtre a` des hommes dangereux des moyens contre le salut public. Il efface la pitie´ jusqu’en ses derniers vestiges. Il ne s’attendrit point a` l’aspect de la douleur. Il ne s’amortit point avec l’aˆge. L’on a vu des vieillards, accable´s de souffrances qui leur V: 23 effet. ] mot suivi d’une barre verticale P dans P, mais re´tablis ici d’apre`s L

26 sans quelques restrictions ] mots omis

TR: 38-p. 697.3 L’on a vu ... l’e´ternite´. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, pp. 856–857.

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annoncaient une fin prochaine, frapper leurs victimes d’une main de´faillante, se montrer inflexibles au bord de la tombe, et demeurer impitoyables en pre´sence de l’e´ternite´. Le fanatisme a cela de funeste, que sa sincerite´ meˆme glace le courage qui veut le combattre. Il est aise´ de braver l’injustice des me´chans, parce qu’on sait qu’au fond de leur cœur, ils rendent hommage a` ceux qu’ils perse´cutent. Ce n’est rien d’attaquer de front des ennemis reconnus pour tels. On se re´signe sans peine a` la haine de ces adversaires. On est se´pare´ d’eux par des barrie`res fixes, on les combat au nom de tout ce qui e´le´ve l’ame, de tout ce qui est cher au cœur. Mais appeler sur sa teˆte la de´fiance des hommes que l’on veut servir, perdre cette popularite´, vaste de´dommagement du danger, moyen de consoler ou de sauver l’innocence, repousser les applaudissemens re´pe´te´s d’une foule passionne´e qui vous entend, vous re´pond, vous salue et vous suit comme un Dieu protecteur, renoncer a` l’appui de son parti, sans se concilier le parti contraire, eˆtre me´connu par ceux meˆmes qui partagent le plus vivement vos opinions, et qui sont de´voue´s avec enthousiasme a` la cause que vous che´rissez, c’est la` qu’est le de´couragement, c’est la` qu’est la douleur profonde. Lorsque des hommes de´sinte´resse´s, intre´pides, ardens pour la liberte´, purs de tout e´goı¨sme et de toute passion vile, poursuivent de leurs soupc¸ons les amis de l’humanite´ et de la morale, ils sont anime´s, au milieu de leurs erreurs, d’une conviction si ferme, qu’elle enle`ve a` ceux qu’ils soupconnent, une partie du sentiment et de la force de l’innocence. Ce n’est pas tout encore. Le fanatisme, renferme´ d’abord dans quelques ames e´nergiques, semble se communiquer par une contagion rapide aux caracte`res timides et faibles. C’est par calcul qu’ils apprennent sa langue ; c’est pour lui complaire qu’ils la parlent. Mais bientot son ascendant les subjugue. Ils s’e´tourdissent de ce qu’ils disent. Chaque mot qu’ils prononcent est un engagement qu’ils contractent. Ils avancent dans cette carrie`re par le sentiment qui les porterait a` fuir. Tantot ils redoutent leurs victimes, plus souvent leur propre parti. S’ils pouvaient se reconnaitre mutuellement, leur e´pouvante serait moins grande ; mais ils re´agissent les uns sur les autres. Ainsi, parmi nous, des hommes fe´roces par crainte s’enyvre`rent de leur propre effroi. Ainsi se re´pandit sur la France cet inexplicable vertige qu’on a nomme´ le re´gne de la terreur.

V: 3 e´ternite´.] mot suivi d’une barre oblique P TR: 34–35 Ainsi se re´pandit ... terreur. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, p. 133, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 640.

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Le fanatisme alors perd jusqu’aux qualite´s qui l’annoblissaient. Il fournit des pre´textes a` tous les genres de vices. L’ingrat ami, le de´biteur infide`le, le de´lateur obscur, le juge pre´varicateur trouvent leur apologie e´crite d’avance dans la langue convenue : et cette excuse bannale pre´pare´e pour tous les de´lits, ache`ve de corrompre cette foule d’ames e´quivoques qui n’ont ni l’audace du crime, ni le courage de la vertu. Parvenues a` ce terme les re´volutions de´truisent toute morale. Elles brisent l’enchainement re´gulier des causes et des effets ; elles se´parent les actions de leurs suites naturelles ; elles rompent tout e´quilibre entre les obligations et les sacrifices. Il n’y a plus de devoirs faciles, plus de vertus sans danger. Tout devient de´vouement, tout devient he´roı¨sme : et la personnalite´ s’empare de toutes les ames vulgaires, incapables de ces grands efforts. Chacun, dans le vaisseau qui s’abyme, saisit une planche, et repousse le compagnon d’infortune qui voudrait s’attacher a` lui. Chacun abjure les liens de la vie passe´e. Il s’isole pour se de´fendre, et ne voit dans le malheur ou l’amitie´ qui l’implore, qu’un obstacle a` sa surete´. Une seule chose conserve son prix. Ce n’est pas l’opinion publique. Il n’existe plus ni gloire pour les puissans, ni respect pour les victimes. Ce n’est pas la justice. ses loix sont me´connues et ses formes profane´es. C’est la richesse. Elle peut de´sarmer la tyrannie : elle peut se´duire quelques-uns de ses agens. Elle peut appaiser la proscription, en faciliter la fuite. Elle peut re´pandre enfin quelques jouissances mate´rielles sur une vie toujours menace´e. Ainsi les penchans honteux viennent s’unir aux passions fe´roces. On amasse pour jou¨ir. On jou¨it pour oublier des dangers ine´vitables. On oppose au malheur d’autrui la durete´, au sien propre l’insouciance. On laisse couler le sang a` cote´ des feˆtes. On repousse la sympathie en stoı¨cien farouche : on se pre´cipite dans le plaisir en Sybarite voluptueux a. a

[Add.] (autre re´daction). les Re´volutions de´truisent l’e´quilibre entre les obligations et les sacrifices. ce qui n’est dans les tems calmes, qu’un devoir simple et facile, devient un effort de courage, un acte he´roı¨que de devouement. Dans une tempeˆte qui menace de la mort quiconque ne saisit pas une planche, un e´goı¨sme furieux s’empare de chacun. chaque infortune´, luttant contre les flots, craint qu’un de ses associe´s d’infortune, en s’attachant a` lui, ne l’entraine au fond des mers. de meˆme, dans les dangers imminens des convulsions politiques, les hommes se de´lient de tout ce qui les unissoit jadis. Ils ont peur qu’une main amie ne les ralentisse, en s’appuyant sur eux. ils isolent leur sort pour se de´fendre plus

V: 1 annoblissaient ] annoblissent L pre´ce´de´ d’une barre oblique P

8 les actions ] leurs actions L

13 Chacun ] mot

TR: 2–5 L’ingrat ... de´lits, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 9, pp. 132–133, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 640. 13–27 Chacun ... voluptueux. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 12, p. 144, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 646.

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Perdus dans ce cahos, les hommes e´claire´s ne trouvent plus de voix qui leur re´ponde. Toutes les raisons semblent perverties. Personne ne se sent irre´prochable. La justesse d’esprit est un accusateur dont on se de´livre. On le fausse pour vivre en paix. Chacun est poursuivi par le souvenir de quelque fait qui le tourmente. Toute sa logique se grouppe autour de ce fait. Vous croyez qu’il vous expose un systeˆme : c’est une heure de sa vie qu’il s’occupe a` justifier. On s’interroge tristement sur soi meˆme, sur la morale, sur les principes qu’on avait adopte´s de`s son enfance. On est regarde´ comme un traitre, lorsqu’on rappelle quelques ide´es de mode´ration ou de prudence. On est traite´ comme un coupable, lorsqu’on embrasse avec quelque ze`le la cause ` tous les te´moignages de de´sapprobation qu’on rencontre, d’un infortune´. A on est tente´ de se reprocher un crime, tandis qu’on remplit un devoir. Honte cependant a` celui qui est charge´ de pre´server sa patrie des pe´rils que lui pre´parent d’aveugles fureurs, a` celui qui doit prote´ger l’eˆtre faible, l’eˆtre opprime´, l’eˆtre sans de´fense, honte a` lui s’il se decourage ! Malheur aux amis de la liberte´, s’ils transigent avec cet esprit perse´cuteur dont la nature est de de´daigner toute transaction ! leur cause de`s lors est de´shonore´e. Toˆt ou tard, ne les trouvant pas assez ze`le´s, il tournera contr’eux ses armes, leur arrachera leurs drapeaux, les repoussera dans les rangs ennemis, et les proscrira comme des transfuges. Ils auront alors le courage de mourir, courage ste´rile, dont l’avenir leur tiendra peu de compte. faute d’avoir e´te´ courageux plutot, faute d’avoir lutte´ contre l’injustice de`s ses premiers pas, ils mourront sans gloire, victimes a` la fois, et responsables des crimes qu’ils auront soufferts.

aise´ment. la richesse devient le seul moyen d’inde´pendance, le premier bonheur, l’unique espoir de salut. on se flatte d’appaiser la tyrannie par sa fortune, ou de de´sarmer les agens. on ne cherche plus l’estime. Il n’existe ni gloire pour les puissans, ni interet pour les victimes. la fortune est pre´cieuse pour quitter un pays ou l’on craint chaque jour une crise publique, ou une proscription individuelle. Il vaut mieux racheter sa vie que prouver son innocence, se concilier l’avidite´ de ses juges que convaincre leur justice. Il ne s’agit plus de raisons, mais de motifs, [plus] de ve´rite´, mais de calcul. l’absence de se´curite´ de´tache a` la fois de toute sympathie pour la douleur des autres, et de toute confiance en sa propre existence. on repousse l’attendrissement en stoı¨cien : on se pre´cipite dans les volupte´s en sybarite.

V: 8 soi meˆme ] 〈sa vie〉 soi meˆme L

32 [plus] ] manque dans P, L

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[Additions] 7, f 87v

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Serment des habitans d’une des Philippines : cela est vrai, comme il l’est qu’un homme n’en tue jamais un autre1.

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Ceux qui parloient de liberte´ religieuse e´toient appele´s fanatiques, ceux qui parloient de perse´cutions s’appeloient philosophes. Lacretelle2.

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Le fanatisme politique se bat pour la cause plus que pour l’effet. que les amis de la liberte´ n’oublient jamais, que si le crime ou la perse´cution pe´ne`tre dans leur arme´e, l’arreˆt est porte´ contre elle, et que tot ou tard les innocens porteront la peine des coupables, qu’ils ont reconnu pour leurs allie´s.

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Le malheur consiste moins dans la souffrance meˆme que l’injustice cause a` ses victimes que dans les passions qu’elle excite et qui sont contagieuses, la vengeance, la terreur, le vil mensonge, les espe´rances coupables, les honteux calculs. ces passions, l’injustice les e´voque. elles accourent a` sa voix. elles redigent en arreˆts leurs cris de fureur. elles reveˆtent leur rage de formes abstraites. perse´cuteurs, perse´cute´s, tous agitent, se haı¨ssent, souffrent. Celui que le hazard pre´serve d’une douleur personnelle est fle´tri par la vue du crime ou de´vore´ par l’indignation : et tel est l’e´tat de ce peuple, dont le bonheur ge´ne´ral occupoit seul vos conceptions vastes et le´gitimoit vos attentats.

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pour faire triompher une opinion, il ne suffit pas de la faire adopter aveugle´ment. elle peut eˆtre adopte´e de telle manie`re que son adoption meˆme tourne contr’elle. C’est le cas du fanatisme pour la liberte´. la souffrance n’entre plus en ligne de compte, dans nos discussions ni dans nos loix. lors du projet de de´portation des nobles, l’on n’a point alle´gue´ la douleur physique et morale dont cette mesure auroit accable´ la caste proscrite3. dans l’exe´cution des loix sur la conscription, l’on foule aux pieds le 1 2 3

Citation qui semble provenir d’un re´cit de voyageur non identifie´. Citation non identifie´e. Le projet de la proscription des nobles fut porte´ devant les Cinq-Cents le 25 vende´miaire an VI (16 octobre 1797) par Boulay de la Meurthe dans des termes si violents qu’une opposition tre`s vive se manifesta et que Boulay dut retirer cette proposition. Il en pre´senta une autre le 29 vende´miaire qui retirait seulement aux nobles le droit de cite´. Voir Georges Lefebvre, La France sous le Directoire (1795–1799), Paris : E´ditions sociales, 1977, chap. XIII, 9, «La proscription des nobles», pp. 452–454.

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malheur des vieillards perdant a` la fois les derniers objets de leurs affections, et la dernie`re ressource de leur mise´rable vie : et ceux meˆmes qui raisonnoient contre l’atroce loi des otages, n’alle´guoient la souffrance des victimes que comme une conside´ration secondaire. tout interet pour des adversaires parait aux hommes de parti une trahison. la pitie´ semble se´ditieuse et la sympathie conspiratrice.

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Le sang que les re´volutions font re´pandre n’est pas le plus grand mal qu’elles causent. un tremblement de terre, qui engloutit a` la fois cent mille Individus n’est de´plorable que par la douleur de ceux qui survivent. mais lorsque l’homme pe´rit par la main de l’homme, la mort a des effets bien diffe´rens et bien plus terribles. la De´pravation des assassins, l’angoisse des victimes, le regret, l’indignation, la fureur de ceux qui sont prive´s des objets les plus chers de leurs affections, les ressentimens qui s’accumulent, la de´fiance qui se re´pand, les vengeances qui e´clatent, le de´chirement des liens, les forfaits qui appellent d’autres forfaits, voila` les ve´ritables malheurs. Quand c’est un peuple en fureur qui attente a` la proprie´te´ ou a` la vie des citoyens, ceux-ci peuvent avoir recours a` la loi : mais quand la loi meˆme se fait l’organe de la proscription, tout est perdu2. Si vous entrainez le peuple loin de la morale pour arriver a` un but, comment lui rendrez-vous la morale, quand ce but sera atteint ?

1

2

«La loi des otages du 24 messidor an VII (12 juillet 1799) [...] conside´rait comme otages, sur leur personne et sur leurs biens, les parents des e´migre´s et les adversaires notoires de la Re´publique. En cas d’assassinat ou d’enle`vement de certaines cate´gories de citoyens, le Directoire pouvait de´porter cinq otages. De plus, les otages e´taient responsables d’une amende et d’une indemnite´ pour chaque crime commis.» (OCBC, Œuvres, t. X/2, p. 770, n. 2). Meˆme texte dans N, no 561.

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Chape˙ 6e˙ Devoirs des hommes e´claire´s apre`s les re´volutions violentes.

On croirait, lorsque les re´volutions s’appaisent, que des jours de de´dommagement, ou dumoins de repos commencent pour les amis de l’humanite´. Mais le sort leur re´serve quelquefois une dernie`re et pe´nible e´preuve. Le peuple fatigue´ de l’oppression qui s’est exerce´e au nom de la liberte´, semble ne demander autre chose pour se re´signer presqu’avec joye a` une oppression nouvelle, qu’un titre diffe´rent a` cette oppression. Il lui suffit que l’on proclame d’une manie`re bien franche, que ce n’est pas au nom de la liberte´ qu’on le foule aux pieds. Renversement bizarre d’ide´es ! Toutes les loix ont e´te´ viole´es par une autorite´ sans limites, et ce ne sont pas les loix qu’on invoque, mais une autorite´ de meˆme illimite´e. Un despotisme sans bornes a pese´ sur tous, et l’on reclame non la liberte´, mais un autre despotisme. Toutes les passions qui, durant la violence des re´volutions, se sont montre´es si funestes, se reproduisent sous d’autres formes. La peur et la vanite´ parodiaient jadis l’esprit de parti dans les fureurs les plus implacables : elles surpassent maintenant dans ses de´monstrations insense´es la plus abjecte servilite´. L’amour propre qui survit a` tout, place encore un succe`s dans la bassesse ou` l’effroi cherche un azyle. La cupidite´ parait a` de´couvert, offrant son opprobre comme garantie a` la tyrannie. Le nouveau pouvoir est arme´ de tous les souvenirs. Il he´rite de toutes les the´ories criminelles. Il se croit justifie´ par tout ce qui s’est fait avant lui. Il affiche le me´pris des hommes, le de´dain pour la raison. Il se fortifie de tous les attentats, de toutes les erreurs de ceux meˆmes qu’il vient comprimer ou punir. Il n’a plus le frein de l’opinion publique, qui contient quelque fois le despotisme consolide´. Il n’a point la purete´ d’intention, le de´sinte´ressement, la bonne foi qui caracte´risent les masses aveugles au milieu de leur fureur. Autour de lui se re´unissent tous les desirs ignobles, tous les calculs adroits, toutes les de´gradations rafine´es. Le sophisme s’empresse a` ses pieds, l’e´tonne de son ze`le, le devance de ses cris, obscurcissant toutes les ide´es et nommant V: 1 Chap.e˙ 6e˙ ] Chape 6 le chiffre re´crit sur 〈10〉 L 13 Un despotisme ] Un re´crit sur 〈Le〉 despotisme L 16 La peur ] mots pre´ce´de´s du chiffre 2 P 17 les fureurs ] ses fureurs L 28 Autour ] mot pre´ce´de´ du chiffre 3 P TR: 15–24 Toutes les passions ... raison. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 199, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 678. 28-p. 703.6 Autour ... du jour, ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, pp. 199–200, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 678.

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se´ditieuse la voix qui veut le confondre. L’esprit lui vient offrir ses services, l’esprit qui se´pare´ de la conscience est le plus vil des instrumens. Les apostats de toutes les opinions accourent en foule, n’ayant conserve´ de leurs doctrines passe´es, que l’habitude des moyens coupables. Les transfuges habiles se glissent, illustres par la tradition du vice ; leur dexte´rite´ rapide les porte de la prospe´rite´ de la veille a` la prospe´rite´ du jour, afin qu’a` toutes les e´poques, ils fle´trissent tout ce qui est bon, rabaissent tout ce qui est e´leve´, insultent a` tout ce qui est noble. Des talens me´diocres a, unis a` des ames subalternes se constituent au nom de la puissance, surveillans de la pense´e. Ils de´clarent sur quelles questions l’esprit humain peut s’exercer. Ils lui permettent de s’e´battre avec subordination toutefois, dans l’e´troite enceinte qu’ils lui ont conce´de´e ; mais anatheˆme a` lui, s’il franchit cette enceinte, s’il de´daigne des sujets pue´riles, s’il n’abjure pas son origine ce´leste. La religion n’est plus qu’un vil instrument de l’autorite´ : le raisonnement qu’un lache commentaire de la force. Les doctrines les plus bizarres se pre´sentent avec arrogance. Les pre´juge´s de tous les ages, les injustices de tous les pays sont rassemble´s comme mate´riaux du nouvel ordre social. L’on remonte vers des sie`cles recule´s, l’on parcourt des contre´es lointaines pour composer de mille traits e´pars une servitude bien complette qu’on puisse donner pour mode`le. La parole deshonore´e vole de bouche en bouche, ne partant d’aucune source re´elle, ne portant nulle part la conviction, bruit importun, oiseux et ridicule, qui ne laisse a` la ve´rite´, ni a` la justice aucune expression qui ne soit souille´e. Tel fut ce re´gne de Charles II, re´sultat de trente anne´es de guerres civiles, re´gne a` jamais honteux, ou` l’on vit succe´der a` tous les exce`s de la de´mence tous les exce`s de l’avilissement b.

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[Add.] ainsi Swift nous peint les Lilliputiens, accourant de toutes parts, entourant par milliers Gulliver couche´ sur la terre, et profitant de son sommeil pour enchaˆiner le ge´ant. [Add.] Certains hommes qui raisonent bien sur mille questions, raisonnent mal sur une question en particulier, et quelquefois sur une tre`s importante. on est tout e´tonne´ de cette disparite´ dans leurs faculte´s, et de ce que leur logique les abandonne ainsi tout a` coup. le mot de cette malheureuse e´nigme n’est pas dans leur esprit, mais dans leur caracte`re. leurs sophismes ne tienent pas a` des erreurs, mais a` un fait. une circonstance a fausse´ leur jugement, en les blessant dans quelqu’endroit sensible. tel jour ils furent faibles, laˆches peut eˆtre, et par laˆchete´, cruels. ce souvenir les poursuit et toute leur the´orie n’est qu’une excuse ge´ne´ralise´e, a` laquelle nous ne pouvons rien comprendre, tant que nous ignorons la circonstance.

V: 13 La religion ] mots pre´ce´de´s du chiffre 4 P TR: 14–23 La religion ... souille´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 200, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 678.

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Un pareil e´tat est plus de´sastreux que la re´volution la plus orageuse. On peut de´tester quelquefois les tribuns se´ditieux de Rome ; mais on est oppresse´ du me´pris qu’on e´prouve pour le Se´nat sous les Ce´sars. On peut trouver durs et coupables les ennemis de Charles Ie˙r, mais un de´gout profond nous saisit pour les cre´atures de Cromwell. Lorsque les portions ignorantes de la socie´te´ commettent des crimes, les classes e´claire´es restent intactes ; et comme la force des choses remet tot ou tard le pouvoir entre leurs mains, elles peuvent facilement ramener l’opinion qui est plutot e´gare´e que corrompue. Mais lorsque ces classes elles meˆmes desavouant leurs principes anciens, de´posent leur pudeur accoutume´e et s’autorisent d’exe´crables exemples, quel espoir reste-t-il ? ou` trouver dans un peuple un germe d’honneur, un e´le´ment de vertu ? Tout n’est que fange, sang et poussie`re. Destine´e cruelle a` toutes les e´poques pour les amis de la liberte´ ! Me´connus, soupconne´s, entoure´s d’hommes incapables de croire a` l’impartialite´, au courage, a` la conviction de´sinteresse´e, tourmente´s tour a` tour par le sentiment de l’indignation, quand les oppresseurs sont les plus forts, et par celui de la pitie´ quand les oppresseurs sont devenus victimes, ils ont toujours erre´ sur la terre, en butte a` tous les partis, isole´s au milieu des ge´ne´rations tantot furieuses, tantot de´prave´es. C’est en eux cependant que repose l’espoir de la race humaine. Nous leur devons cette grande correspondance des sie`cles qui de´pose en lettres ineffac¸ables contre les sophismes que renouvellent tous les tyrans. Par elle Socrate a surve´cu aux perse´cutions d’une populace aveugle. Brutus et Ciceron ne sont pas morts tout entiers sous les proscriptions de l’infaˆme Octave. Lucain et Se´ne`que ont pu braver les suppots de Ne´ron, Boe`ce les cachots et le glaive de The´odoric. Leur exemple a fait du bien long tems apre`s leur mort. Que leurs successeurs ne se de´couragent pas. Les meˆmes recompenses les attendent dans un avenir lointain, mais brillant de gloire. Les ve´rite´s qu’ils re´petent envain, seront e´coute´es quand ils ne seront plus. Aucun effort ne se perd dans cette route ou` la nature des choses rame`ne ne´cessairement les hommes. Il s’agit seulement de savoir lutter long tems, peut-eˆtre toute la vie. V: 1 Un pareil ] mots pre´ce´de´s du chiffre 5 P 2–3 est oppresse´ du me´pris qu’on e´prouve ] est oppresse´ ces deux mots dans la col. gauche 〈e´prouve〉 du me´pris 〈sans bornes〉 qu’on e´prouve corr. a. L 17 les ] ces L 25 Octave. Lacain ] une barre verticale entre ces deux noms P 27 mort. ] une double barre oblique apre`s ce mot P TR: 1–25 Un pareil e´tat ... Octave. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, pp. 200–202, OCBC, Œuvres, VIII/1, pp. 678–679. 27 Que leurs ... de´couragent pas. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 202, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 679.

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Qu’ils e´le`vent donc de nouveau leurs voix. qu’ils n’abjurent point leurs opinions. Ils n’ont rien a` se faire pardonner. Ils n’ont besoin ni d’expiations, ni de de´saveux. Ils posse`dent intact le tre´sor d’une re´putation pure. Qu’ils osent avouer l’amour des ide´es ge´ne´reuses ; elles ne re´fle´chissent point sur eux un jour accusateur. Envain la fatigue des peuples, l’inquie´tude des chefs, la servilite´ des instrumens forment un assentiment factice que l’on appe`le l’opinion publique, et qui ne l’est point. Les hommes ne se de´tachent jamais de la liberte´ a. Dire qu’ils s’en de´tachent, c’est dire qu’ils aiment l’humiliation, la douleur, le de´nuement et la mise`re. Les repre´senter comme absorbe´s dans leurs sentimens domestiques et dans leurs calculs individuels, c’est par une contradiction grossie`re les peindre a` la fois comme mettant un prix excessif a` leurs jou¨issances, et comme ne mettant aucun prix a` la dure´e de ces jou¨issances. Car la garantie n’est autre chose que la dure´e. Dire que les hommes peuvent se de´tacher de la liberte´, c’est pre´tendre qu’ils se re´signent sans peine a` eˆtre opprime´s, incarce´re´s, se´pare´s des objets de leur amour, interrompus dans leurs travaux, de´pouille´s de leurs biens, tourmente´s dans leurs opinions et dans leurs plus secrettes pense´es, traine´s dans les cachots et sur l’e´chaffaud. Car c’est contre ces choses que l’on institue la garantie, c’est pour eˆtre pre´serve´ de ces fle´aux que l’on invoque la liberte´. Ce sont ces fle´aux que le peuple craint, qu’il maudit, qu’il de´teste. En quelque lieu, sous quelque de´nomination qu’il les rencontre, il s’e´pouvante, il recule. Cequ’il abhorrait dans ce que ses oppresseurs appelaient la liberte´, ce n’e´tait pas la liberte´, c’e´tait l’esclavage : mais si l’esclavage se pre´sentait sous son vrai nom, sous ses ve´ritables formes, croit-on qu’il le de´testerait moins ? Quelqu’active que soit l’inquisition, avec quelque soin que ses pre´cautions se multiplient, les hommes e´claire´s conservent toujours mille moyens de se faire entendre. Le despotisme n’est redoutable que lorsqu’il e´touffe la raison dans son enfance. Il peut alors arreˆter ses progre`s, et retenir l’espe`ce humaine dans une longue imbe´cillite´. Mais lorsque la raison s’est mise en a

[Add.] Il n’est jamais exact de pre´tendre que le vœu du peuple soit pour l’arbitraire. il peut tomber de lassitude et vouloir se reposer un instant, come le voyageur e´puise´ peut s’endormir dans un bois, malgre´ les brigands qui l’infestent. mais cette stupeur passage`re ne peut eˆtre prise pour un e´tat stable.

V: 6 Envain ] mot pre´ce´de´ des chiffres 5/7 P 10 absorbe´s ] 〈absol〉 absorbe´s L 〈sans〉 (?) sous L 26 Quelqu’active ] mots pre´ce´de´s du chiffre 7 P

24 sous ]

TR: 1–5 Qu’ils e´le`vent ... accusateur. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 202, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 679. 14–25 Dire que ... moins ? ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, pp. 202–203, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 680.

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marche, elle est invincible : ses partisans peuvent pe´rir ; elle survit et triomphe. Il n’existe qu’un moment pour la proscrire avec fruit : ce moment passe´, tous les efforts sont vains. La lutte intellectuelle est engage´e, l’opinion se se´pare du pouvoir, la ve´rite´ se fait jour dans toutes les te´tes. Apre`s l’avantage inestimable d’e`tre citoyen d’un e´tat libre, il n’est peuteˆtre aucune situation plus douce que d’eˆtre l’interpre`te courageux d’une nation asservie, mais e´claire´e. Ce ne sont point des tems sans compensation que ceux ou` le despotisme de´daignant une hypocrisie qu’il croit inutile, arbore ses propres couleurs, et de´ploye avec insolence des e´tendarts de`s long tems connus. Combien il vaut mieux souffrir de l’oppression de ses ennemis, que rougir des exce`s de ses allie´s. Les de´fenseurs de la liberte´ rencontrent alors l’assentiment de la meilleure partie de l’espe`ce humaine. Ils plaident une noble cause en pre´sence du monde, et seconde´s par les vœux de tous les hommes de bien. La perse´cution suivie de la gloire est largement re´compense´e. Celui qui succombe, le`gue avec confiance a` ses contemporains le soin de de´fendre sa me´moire et d’achever son ouvrage. Missionnaires de la ve´rite´, si la route est intercepte´e, redoublez de ze`le, redoublez d’efforts. Que la lumie`re perce de toutes parts ; obscurcie, qu’elle reparaisse ; repousse´e, qu’elle revienne. Qu’elle se reproduise, se multiplie, se transforme. Qu’elle soit infatigable comme la perse´cution. Que les uns marchent avec courage, que les autres se glissent avec adresse. Que la ve´rite´ se re´pande, pe´ne`tre, tantot retentissante et tantot re´pe´te´e tout bas. Que toutes les raisons se coalisent, que toutes les esperances se raniment, que tous travaillent, que tous servent, que tous attendent. Il n’y a point de prescription pour les ide´es utiles, dit un homme illustre a. Le courage peut revenir apre`s l’abattement, la lumie`re apre`s l’ignorance, et l’ardeur du bien public apre`s le sommeil de l’indiffe´rence. Le despotisme, l’immoralite´, l’injustice sont des choses tellement contre nature, qu’il ne faut qu’une circonstance, un effort, une voix courageuse pour retirer l’homme de cet abyme. Il revient a` la morale par le malheur qui a

Adm. des fin. II. 761.

V: 17 Missionnaires ] mot pre´ce´de´ des chiffres 6/9 P TR: 7–14 Ce ne sont ... de bien. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 202, OCBC, Œuvres, VIII, 1, p. 679. 17–24 Missionnaires ... attendent. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 203, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 680. 28-p. 707.9 Le despotisme ... conserve´e. ]  De l’esprit de conqueˆte, II, 20, p. 204, OCBC, Œuvres, VIII/1, p. 680. 1

BC prend cette phrase chez Necker, Administration des finances, t. II, p. 76, dans le premier chap. de ce second vol., intitule´ «Recherches et conside´rations sur la re´forme de l’impoˆt du sel». Citation conforme.

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re´sulte pour lui de l’oubli de la morale. Il revient a` la liberte´ par l’oppression que fait peser sur lui toute puissance qu’il a ne´glige´ de limiter. La cause d’aucune nation n’est de´sespe´re´e. Quoi de plus fe´roce que l’Angleterre, durant les guerres civiles du Parlement et de Charles Ie˙r a. Quoi de plus avili que cette meˆme Angleterre, durant le re´gne de Charles II. Et cependant 40 ans apre`s avoir offert au monde d’horribles exemples de fe´rocite´, 20 ans apre`s lui avoir donne´ de honteux exemples de licence et de bassesse, l’Angleterre a repris sa place parmi les peuples sages, vertueux et libres, et l’a conserve´e.

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[Additions]

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Maxime de quelques homes. une Re´volution est une ville prise d’assaut. les fous tuent, les sages pillent.

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La plupart des peuples d’Europe sont encore gouverne´s par les mœurs. mais si, par un long abus du pouvoir, si, par une grande conqueˆte, le Despotisme s’e´tablissoit a` un certain point, Il n’y auroit pas de mœurs ni de climats qui tinssent : et dans cette belle partie du monde, la nature humaine souffriroit pour un tems les insultes qu’on lui fait dans les trois autres. Esp. d. Loix. Liv.[VIII]. ch. 81.

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Dans certains pays, on ne comence a` plaindre les opprime´s que lorsqu’on voit qu’ils ont la chance de devenir oppresseurs. Si la mission du soldat est pe´rilleuse, qui oserait dire que celle de l’ami de la liberte´ est sans danger. le soldat combat en plein champ. l’audace belli-

a

On proposa dans le long Parlement de de´porter et de faire vendre a` Alger les nobles avec leurs familles, sans en excepter les femmes grosses, pour les quelles quelques membres re´clamaient. Parliam. Regist2.

V: 4 Charles Ie˙r ] a` cet endroit commence une addition interline´aire au crayon qui ne semble pas appartenir a` la re´daction de ce chap. a offert de terribles exemples d’inhumanite´ en offrit de [illis.] abjure´ toute ide´e ge´ne´reuse, revenu de son [illis.] que pour tomber dans l’avilissement P 19 VIII ] BC a laisse´ un blanc pour pouvoir y porter le chiffre que nous avons ajoute´ P 1 2

BC transcrit fide`lement le dernier aline´a du chap. 8 du livre VIII de L’Esprit des lois (p. 356). Tous nos efforts ont e´te´ vains pour e´lucider cette myste´rieuse note de BC. La source qu’il indique n’est pas identifiable non plus avec certitude. Peut-eˆtre faut-il y reconnaıˆtre les Journals of the House of Commons.

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Principes de politique

queuse le transporte. Il done, Il recÆ oit d’honorables blessures. Il meurt couvert de Lauriers. mais qui comptera le nombre de ces homes paisibles et de´sinte´resse´s, qui, du fond de leur retraite, e´clairoient le monde, et qui, saisis par les tyrannies de tous les genres, sont morts lentement. dans les cachots et sur les buchers. la pense´e seule est toujours inde´pendante, quelques soient les circonstances. sa nature est de planer sur les objets qu’elle juge, de ge´ne´raliser ce qu’elle observe. les Individus ne sont rien pour elle, ni comme seduction, ni comme crainte. elle reprend, a` travers les sie`cles, malgre´ les re´volutions, et sur les tombeaux des ge´ne´rations englouties, le grand travail de la recherche de la ve´rite´. la valeur des ge´ne´raux, la souplesse des Ministres, peuvent servir e´galement la tyrannie et la liberte´. la pense´e seule est inflexible. jamais le Despotisme ne peut la rendre son instrument, et dela` vient la haine dont tous les tyrans l’honorent.

7, fo 89vo

Redoublez donc d’efforts, e´crivains e´loquens et courageux. recherchez les vieux e´le´mens dont se compose la nature humaine Vous trouverez partout morale et liberte´, dans tout ce qui de tout tems produisit les Emotions vrayes, dans les caracte`res dont on a fait le mode´le des he´ros, dans les sentimens qui ont servi de mobile a` l’e´loquence, dans tout ce qui, depuis le commencement du monde, lia les nations a` leurs chefs, et l’estime de la posterite´ aux souvenirs des sie`cles passe´s. vous trouverez partout ces principes, servant aux uns de mode´le ide´al, trac¸ant aux autres la route de la gloire, et captivant toujours l’assentiment universel. et dites le bien a` la puissance ; qu’elle ne s’y trompe pas. v. p. 137 ci dessus, Ch. XIII. addition.

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Que nous importent les interpre´tations perfides, les objections absurdes ? ne savons-nous pas que les hommes qui nous attaquent sont d’une autre nature, parlent une autre langue que nous ? de ces hommes les uns sont ne´s ce que nous les voyons. les autres se sont rendus tels par un travail opiniaˆtre. Ils ont brise´ de leurs propres mains ce qu’ils avoient de fier ou de sensible, et par les efforts qu’ils ont faits avec succe`s sur eux meˆmes. Ils ont acquis une de´gradation bien mieux calcule´e et bien plus comple`te que ceux que la nature seule s’e´tait charge´e de de´grader. entr’eux et nous rien n’est comun. Il faut traverser cette tourbe ignoble, come la petite troupe du Capitaine Cook parcourait, au milieu des hurlemens des Sauvages, les Isles nouvelV: 26 perfides ] 〈absurd〉 perfides PA TR: 15–24 Redoublez ... addition. ]  Copie partielle des circonstances actuelles, OCBC, Œuvres, IV, pp. 810–811.

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XVIII,

6, Devoirs des hommes e´claire´s apre`s les re´volutions violentes

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lement de´couvertes. ces courageux navigateurs ont pe´ri. mais la civilisation profite de leurs conqueˆtes, et l’Europe reconnoissante deplore leur perte et consacre leurs noms. non, jamais tout un peuple ne devient indigne de la liberte´, jamais tout un peuple n’y renonce. au milieu des e´poques du plus profond avilissement, lorsque l’impossibilite´ du succe`s force a` l’inaction jusqu’aux plus braves, Il reste des ames qui souffrent et s’indignent en silence. Joye d’un ami de la liberte´ a` Rome, lors de l’Election de l’Empereur[.] Tacite1.

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7, fo 90ro

Vos flatteurs peuvent vous apporter en hommage leur froide ironie contre le courage et la vertu. Vous pouvez bannir le courage et la vertu de votre pre´sence. Vous ne les bannirez pas de la terre ni meˆme de votre empire. la haine de l’oppression s’est transmise d’aˆge en aˆge, sous Denys de Syracuse, sous Auguste, sous Domitien, sous Louis XI et sous Charles IX.

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Il y a des eˆtres a` qui le ge´nie du mal semble avoir dit, j’ai besoin de toi pour de´jouer tout ce qui est bon, rabaisser tout ce qui est e´leve´, fle´trir tout ce qui est noble, et je te doue du froid sourire, du regard e´teint, du silence habile, et de l’ironie ame`re.

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Systeˆme moral, philosophique et litte´raire du 19e˙ siecle. une grande re´volution s’est ope´re´e. elle a eu ses effets, mais elle a aussi eu ses causes. conserver les effets, c’est a` dire le pouvoir et l’argent qu’on y a gagne´, de´truire les causes, c’est a` dire les principes. se´duire les teˆtes faibles par l’apparence du raisonnement, les esprits frivoles par l’e´le´gance et le luxe.

V: 8 d’un ] 〈de l’empereur Tacite〉 d’un PA

1

Allusion non e´lucide´e.

25

12. Page autographe du cahier de notes numérotées, BCU, Co 3492. Les notes sont datées des 18 et 28 septembre 1810, jours où Constant reprend ses matériaux. 2QUHPDUTXHUDTXHODQRWHGRQWRQDLFLOD¿QHWODQRWHVRQWHQIDLW une seule entrée comme il ressort de la croix qui indique l’enchaînement des textes. Elle sera intégrée, ainsi que la note 925, dans le livre I des Principes de politique. La note 926 esquisse un projet de travail qui n’a pas eu de suite.

Secondes additions e´parses

13. Additions aux Principes de politique, Œuvres manuscrites, t. VII, BnF, NAF 14364, f° 90r°. Fin du texte des Additions et début des Secondes additions éparses. Copie autoJUDSKHjSDUWLUGXPDQXVFULWGH/DXVDQQHGHFHVPrPHVDGGLWLRQV

713 7, fo 90ro

Secondes additions e´parses

Il n’y a rien de plus re´voltant que les statuts d’Angleterre relativement a` l’e´tablissement des pauvres dans les paroisses. Ces statuts, en obligeant chaque paroisse a` prendre soin de ses pauvres, ont d’abord une apparence de bienfaisance : mais il en re´sulte qu’aucun pauvre, ou pour mieux dire aucun homme n’ayant que son travail pour subsister ne peut quitter une paroisse pour s’e´tablir dans une autre, sans le consentement de cette dernie`re, consentement qu’il n’obtient jamais, premie´re atteinte porte´e a` la liberte´ individuelle, et cette atteinte est tre´s grave ; car tel homme qui ne peut pas gagner sa vie par le genre de travail qu’il a adopte´, dans la paroisse ou il est domicilie´, est empeˆche´ d’aller dans une autre, ou il la gagneroit plus facilement. il en re´sulte en second lieu que la taxe des pauvres de chaque paroisse retombant sur tous les individus de cette paroisse, tous sont inte´resse´s a` s’opposer a` l’e´tablissement d’un pauvre, ou seulement d’un homme ne vivant que de son travail, et qu’une maladie ou le manque de travail rendroit pauvre. dela` une perse´cution et des vexations contre l’individu indigent et laborieux qui cherche a` changer de re´sidence, perse´cution de´moralisante pour ceux qui l’exercent, et cruelle pour celui qui en est l’objet. Smith. I. 10. Comme les vexations retombent toujours sur leurs auteurs, Il re´sulte de ces entraves que souvent une paroisse est surcharge´e de bras, tandis qu’une autre en manque. alors le prix des journe´es dans celle ci monte a` un taux excessif, et ce renche´rissement est a` la charge des meˆmes proprie´taires, qui, depeur de voir retomber sur eux les fraix de la subsistance des pauvres, s’opposent au libre e´tablissement des individus laborieux dans leurs paroisses. ainsi, de ce que la socie´te´ est intervenue pour assurer la subsistance des pauvres, Il en est re´sulte´ qu’elle leur a rendu le travail difficile et les a soumis a` plusieurs vexations. 7, fo 90vo

Mauvais calcul des gouvernemens ; quand une ville est pauvre, ils croyent qu’en y fixant quelqu’e´tablissement, non pas de commerce ou d’industrie, mais de luxe, ils l’enrichiront. c’est ainsi que lorsqu’il s’agit de raviver les villes pauvres de france ou des pays re´unis, on parle d’y e´tablir des Eveˆche´s des Tribunaux, c. a` d. des hommes qui consoment sans produire. v. sur cette erreur et sur l’effet de ces mesures Smith. II. ch. 3. Les grandes Nations ne s’appauvrissent jamais par la prodigalite´ et la mauvaise conduite des individus, mais quelquefois bien par celle de leur gou-

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714 vernement. Smith. et des cours.

Principes de politique III.

3 et les re´flexions qui suivent sur le systeˆme du luxe

Un e´tat ne s’enrichissant que par les consommations productives, la question est de´cide´e contre le luxe. voir sur l’inconve´nient des consommations improductives Simonde I. 4. plus les classes proprie´taires maintiennent d’ouvriers improductifs, moins elles peuvent en maintenir de ceux qui produisent. Simonde. I. 4. 117.

5

Si l’on supprime les Re´glemens, disait au milieu du sie`cle dernier un apologiste des prohibitions, les Souverains ne sont plus que des grands, que quelqu’e´clat distingue, mais que nulle utilite´ n’accompagne. J’entends. les Re´glemens ne sont pas faits pour l’avantage des gouverne´s, mais pour que les gouvernans ne paraissent pas inutiles.

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Un gouvernement qui veut s’emparer de l’opinion, pour la diriger, ressemble a` Salmone´e, qui vouloit lancer la foudre. Il fesait grand bruit avec son Chariot d’Airain, et grand peur aux passans avec ses torches enflamme´es. la foudre, un beau jour sortit de la nue et le consuma. Et cum singulorum error facit publicum, singulorum errorem facit publicus. Senec. ep. 81. avec cette diffe´rence, que dans le premier cas, il y a la force de moins. 7, fo 91ro

La ne´cessite´ d’e´tudier les pays de l’Europe moderne sous tous les rapports, et la possibilite´ de parvenir a` une profonde connaissance de leurs affaires, ma toujours paru de´river d’un des plus grands maux de l’humanite´. en effet, si l’ambition et l’avidite´ de tous les gouvernemens les obligent seules a` s’informer soigneusement de leurs forces respectives, le motif qui les engage, au moins en ge´ne´ral, a` s’efforcer de connoˆitre jusques dans les de´tails les plus minutieux ce qui concerne leurs propres domaines n’est ni plus raisonnable ni d’une autre nature : et si, pour e´viter de heurter trop vivement les homes et les choses, j’admets qu’il est plusieurs administrateurs chez qui l’ardeur de tout surveiller dans leur pays naˆit d’une source plus pure, du de´sir since´re de mieux remplir leurs devoirs, aurai-je moins le droit d’en conclure que leur activite´ inquisitive est un grand mal qui tient a` cette autre maladie meurtrie´re de vouloir trop gouverner. Quand les mode´rateurs des Empires seront dans les bons principes, ils n’auront que deux affaires : celle de maintenir la paix exte´rieure par un bon systeˆme de de´fense, et celle de conserver l’ordre inte´rieur, par une administration exacte, impartiale, inflexible de la justice. tout le reste sera laisse´ a` l’industrie particulie´re, dont l’irre´sistible influence, ope´rant une plus grande some de jouı¨ssances pour chaque citoyen, produiroit infailliblement une masse plus conside´rable de bonheur public. Nul Souverain, nul Ministre, nul Conseil ne peut conaˆitre

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Secondes additions e´parses

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les affaires d’un millier d’hommes seulement, et chaque individu voit en ge´ne´ral tre´s bien les siennes propres. Mirabeau. Mon. pruss. Introd.

7, fo 91vo

Les erreurs en Le´gislation sont mille fois plus funestes que toutes les autres calamite´s. Il re´sulte qu’il faut diminuer, autant qu’il est possible, la chance de ces erreurs. or si le gouvernement n’a pour but que la pre´servation et la garantie, la chance des erreurs sera conside´rablement diminue´e. Il n’y a que des moyens simples en petit nombre pour la garantie et pour la pre´servation. Il y en a d’innombrables et de complique´s pour l’ame´lioration et le bonheur. Si le gouvernement se trompe dans les premiers, son erreur n’est que ne´gative, ainsi que les conse´quences de cette erreur. Il ne fait pas tout ce qu’il devroit faire, Il n’atteint pas en tout le but qu’il devrait atteindre, mais le mal que les fautes de cette nature entrainent est re´parable. C’est un mal dont l’effet cesse avec la cause. Si, au contraire, le gouvernement se trompe dans ses tentatives d’ame´lioration (et come nous l’avons dit, il a mille fois plus de chances de se tromper dans cette carrie`re) ses erreurs se prolongent, les homes s’y plient les habitudes se forment, les Interets se grouppent autour d’une baze vicieuse, et lorsque l’erreur est reconnue, Il est presque aussi dangereux de la de´truire que de la laisser subsister. de la sorte, les erreurs de cette seconde espe`ce, produisent des maux dont l’intensite´ et la dure´e sont incalculables. non seulement elles entraˆinent des maux en tant qu’erreurs autorise´es. elles en entrainent encore, lorsqu’elles sont reconnues. l’autorite´ souvent he´site a` les de´truire. alors, vacillante et inde´cise, elle fait, dans sa marche peu assure´e, peser l’arbitraire sur tous les citoyens. enfin de nouveaux inconve´niens se manifestent, lors meˆme que l’autorite´ s’est de´cide´e. les calculs sont renverse´s, les liens contracte´s se de´chirent, les habitudes se trouvent froisse´es, la foi publique s’e´branle. Comparez les effets, dans les gouvernemens qui ont geˆne´ la publication des pense´es, et dans ceux qui leur ont laisse´ un libre cours. Vous avez d’un cote´, l’Espagne, le Portugal, l’ltalie. Vous avez de l’autre l’Angleterre, la Hollande, l’Ame´rique septentrionale. ou y a-t-il plus de mœurs et plus de bonheur ? ou se commet-il plus de crimes ? ou la socie´te´ est-elle plus douce ? Benth. III. 20. Qu’est-ce qu’un censeur ? c’est un juge inte´resse´, un juge unique, un juge arbitraire, qui fait une proce´dure clandestine, condamne sans ouı¨r, et de´cide sans appel. Benth. III. 21. Entre le le´gislateur et le gouvernant, lorsque l’un ou l’autre exce`de ses pouvoirs, Il y a cette diffe´rence, que le le´gislateur a un orgueil farouche et le gouvernant une vanite´ pue´rile. l’un veut eˆtre obe´i plutot que flatte´, parce que la flatterie partage´e avec un grand nombre ne le convaincrait pas de son

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me´rite autant que l’obe´issance. L’autre aime a` eˆtre flatte´, plus encore qu’il ne veut eˆtre obe´i, parce que dispenser de l’obe´issance, apre`s l’avoir exige´e, lui paraˆit une seconde preuve de pouvoir. La mal-adresse du Le´gislateur, dit Bentham, cre´e souvent elle meˆme une opposition, entre la sanction naturelle et la sanction politique. III. 24. Il admet donc une sanction naturelle1.

5

On peut dire en ge´ne´ral de toutes les banques, tant de celles de de´pot, que de celles qui e´mettent des billets dont elles sont suppose´es avoir la valeur en caisse, ce que dit Say, L. II. ch. 14. des banques de de´pot seulement. on a mis en question si telle chose pouvoit subsister dans un e´tat ou l’on rencontreroit une autorite´ politique, sans responsabilite´, et sans bornes. c’est a` l’opinion seule a` de´cider une semblable question. chacun a` cet e´gard peut avoir la sienne : mais nul n’est force´ de la dire.

10

Ganilh prouve manifestement dans sa digression sur le cre´dit public II. 251 et suiv. que cet agent essentiel et pour ainsi dire unique de la prospe´rite´ moderne, est incompatible avec le pouvoir absolu.

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Les banques, dit Montesquieu, sont incompatibles avec la Monarchie pure. c’est dire, en d’autres mots, que le cre´dit est incompatible avec le pouvoir arbitraire. Les meˆmes homes, qui, ze´lateurs ombrageux de l’inde´pendance, lorsqu’ils luttent contre le gouvernement, croyent ne pouvoir assez restreindre ses attributions, s’e´puisent pour les multiplier et les aggrandir, lorsque, d’adversaires du pouvoir, Ils en sont devenus les he´ritiers. c’est dans les e´crits des re`formateurs les plus auste`res, des ennemis les plus implacables des institutions existantes, qu’on trouve les principes les plus absolus sur la compe´tence de l’Autorite´ Sociale.

1

BC pense a` ce passage : «Les moyens que nous allons pre´senter sont de nature [...] a` diminuer cette contrarie´te´ entre les motifs, qui n’existe souvent que par la maladresse du Le´gislateur, par une opposition qu’il a cre´e´e lui-meˆme entre la sanction naturelle et le sanction politique, entre la sanction morale et la sanction religieuse.» (Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, Principes du code pe´nal, quatrie`me partie, chap. 3, t. III, p. 24).

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717 [fo 1a ro]

Additions a` l’ouvrage Intitule´ Principes de politique, applicables a` toutes les formes de Gouvernement

E´tablissement du texte : manuscrit : 1. Additions aux Principes de politique, BCU, Lausanne, Co II/34/5/2/1 [=LA] 2. Additions a` l’ouvrage intitule´ : Principes de politique, applicables a` tous les gouvernemens, BnF, Paris, NAF 14364, fos 28ro–92ro [PA] 3. Me´langes. Cahier de notes nume´rote´es, BCU, Co 3492 et BnF, NAF 18823, fod 61–62 [N]

14. Le f° 2r° des Additions aux Principes de politiquePDQXVFULWGH/DXVDQQHDYHFOD¿Q de la note 2, les notes 5 et 6 et le début de la note 13. On voit que les numéros d’ordre RQWpWpDMRXWpVDSUqVFRXSGDQVODPDUJHRXGDQVO¶HVSDFHGXUHWUDLWHQWrWHG¶XQSDUDgraphe.

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[Additions au livre I]

Liv. I. Ch. 11.

fo 1ro

1. Cet ouvrage com[m]ence´ depuis longtems, a e´te´ continue´ sous plusieurs des gouvernemens qui se sont succe´de´s en France. on y trouvera rappele´es et censure´es des mesures qui n’existent plus : mais come on y trouvera de meˆme rappele´es et censure´es des mesures qui existent encore, on ne croira pas, je pense, que j’ai voulu plaire au pouvoir du jour, en attaquant celui de la veille. tant de folies qui paraissaient tombe´es en de´sue´tude, tant de sophismes qu’on eut dit de´masque´s, tant d’iniquite´s qui sembloient a` jamais fle`tries, se sont reproduits, tantot sous les meˆmes noms, tantot sous des noms diffe`rens, que j’ai cru devoir parler contre ces choses, avec une force e´gale, qu’elles fussent dans le passe´ ou dans le pre´sent. tant de ve´rite´s, qu’on auroit cru reconnues universellement, ont e´te´ re´voque´es en doute ou meˆme mises de cote´, sans qu’on daignat en dire un seul mot, que je n’ai pas cru devoir e´noncer une seule ve´rite´, quelque e´vidente qu’elle fut, sans en rappeler les preuves. mon But a e´te´ de composer un ouvrage e´lementaire, un ouvrage de ce genre, sur les principes fondamentaux, m’a paru manquer dans toutes les litte´ratures que je connois. Mon ouvrage contenoit originairement deux parties, les institutions constitutionelles, les droits des individus, en d’autres mots, les moyens de garantie et les principes de liberte´. come sur les premiers on peut contester, tandis que les seconds sont incontestables, j’ai cru [de]voir pre´senter ceuxci se´pare´ment : et ils font seuls le sujet de l’o[uvr]age actuel. fo 1vo

122 tout ce qui tend a` restreindre les droits du Roi, disoit M. de Clermont Tonnerre en 1790, est accueilli avec transport, parceque l’on se rappelle les abus de la Royaute´. Il viendra peuteˆtre un tems ou tout ce qui tendra a` restreindre les droits du peuple sera accueilli avec le meˆme fanatisme, parceque l’on aura non moins fortement senti les dangers de l’anarchie. II. p. 232. V: 24 tout ce qui tend ] 〈en 1790,〉 tout ce qui tend〈oit〉 LA 1 2

Nous renvoyons a` notre introduction qui explique la redistribution des mate´riaux re´unis dans ce chapitre (ci-dessus, pp. 76–77). Ce texte 12 sera repris dans la note a du Liv. I, chap. 1, ci-dessus, p. 99.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

141 Multi autem et sunt et fuerunt.... qui nec populi nec principum mores ferre potuerunt. Ciceron.

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2 J’ai retranche´ de mon ouvrage tout ce qui avoit rapport aux formes de gouvernement. j’avais traite´ ce sujet dans toute son e´tendue. la division des Citoyens en gouvernans et en gouverne´s, les pouvoirs politiques, le pouvoir exe´cutif, l’unite´ e´lective ou a` vie du de´positaire de ce pouvoir, les dangers de cette unite´ dans l’e´lection du chef de l’e´tat, le mode d’election qui avoit e´te´ e´tabli en france, la tendance de l’unite´ e´lective vers le gouvernement militaire, la complexite´ du pouvoir exe´cutif, les objections que fournit contre cette complexite´ l’histoire tant des Re´publiques anciennes que de nos re´volutions modernes, les abus du pouvoir exe´cutif de quelque manie`re qu’il soit compose´, les garanties contre ces abus, la limitation du droit de paix et de guerre, la faculte´ de refuser les impots, l’inde´pendance du pouvoir judiciaire, la responsabilite´, l’organisation de la force arme´e, le pouvoir le´gislatif, ses abus, les garanties institue´es ou a` instituer contre ces abus, la puissance illimite´e que donne au pouvoir exe´cutif l’initiative exclusive, la division en deux Chambres, le veto, la dissolution des assemble´es le´gislatives, l’e´lection populaire enfin, et les avantages qui ne se trouvent qu’en elle, les deux systeˆmes, substitue´s successivement en france a` l’e´lection popu[la]ire, le tableau d’une Constitution ou tous les pouvoirs [ser]oient e´lectifs, et tous les droits des citoyens reconnus, les parties faibles de cette Constitution, et les moyens d’y porter reme`de, Tels avoient e´te´ les objets de mes recherches. mais une ge´ne´ration doit eˆtre jeune de sentimens et forte de pense´es pour s’occuper de pareilles discussions. dans le cirque de Constantinople, au milieu des factions des bleus et des verts, elles seroient de´place`es. elles feraient naˆitre les soupcons des uns et fatigueroient la frivolite´ des autres. 5. on m’accusera peut eˆtre alternativement de developper des choses e´videntes et d’e´tablir des principes inapplicables. les hommes qui ont renonce´ a` la raison et a` la morale, trouvent tout ce qu’on dit dans ce tems, tantot des paradoxes et tantot des lieux communs : et come les ve´rite´s leur sont de´sagre´ables surtout par leurs conse´quences, il arrive sans cesse qu’ils de´daignent votre premie`re assertion come n’ayant pas besoin d’etre de´montre´e, et qu’ils se re´crient sur la seconde ou sur la troisie`me, come insouteV: 1 qui nec populi ] qui 〈neque〉 nec ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. populi LA 30 la raison et a` la morale ] la raison et 〈la〉 a` la morale LA 33 de´daignent votre premie`re assertion ] de´daignent 〈les〉 votre mot e´crit dans l’int. sup. premie`re〈s〉 assertion ce dernier mot e´crit dans l’int. sup.. LA 1

Deviendra le texte en exergue de la page de titre, ci-dessus, p. 89.

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Livre I

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nable et paradoxale, quoique cette dernie`re soit e´videmment le re´sultat ne´cessaire et imme´diat de la premie`re. 6. la sottise aime singulie`rement a` repeter des axiomes qui lui donent l’apparence de la profondeur : et la tyranie est fort adroite a` s’emparer des axiomes de la sottise. dela` vient que des propositions dont l’absurdite´ nous e´tonne, lorsqu’elles sont analyse´es, se glissent dans mille teˆtes, sont redites par mille bouches, et que les homes qui veulent s’entendre sont re´duits continuellement a` de´montrer l’e´vidence.

fo 2vo

13. on lit dans le journal de l’Empire du Jeudi 9 Janvier qu’a` la suite d’une come´die nouvelle que M. Collin d’Harleville a comprise dans la collection de ses œuvres, on a imprime´ ces mots. vu et permis l’impression et la mise en vente d’apre`s de´cision de S. E. le Se´nateur Mini[str]e de la police ge´ne´rale de l’Empire en date du 9 prai[rial] an 13. par ordre de S. E. le chef de la Division de la liberte´ de la presse. signe´ : P. Lagarde. S. M. a e´te´ surprise d’apprendre par cet article qu’un auteur aussi estimable que M. Collin d’Harleville avoit eu besoin d’approbation pour imprimer un ouvrage qui porte son nom. Il n’existe point de censure en France. tout citoyen francois peut publier tel livre qu’il juge convenable, sauf a` en re´pondre. aucun ouvrage ne doit eˆtre supprime´, aucun auteur ne peut eˆtre poursuivi que par les Tribunaux, ou d’apre`s un de´cret de S. M. dans le cas ou l’e´crit attenteroit aux premiers droits de la surete´ et de l’Interet public. Nous retomberions dans une e´trange situation, si un simple commis s’arrogeoit le droit d’empeˆcher l’Impression d’un livre ou de forcer un auteur a` en retrancher ou a` y ajouter quelque chose. la liberte´ de la pense´e est la premie´re conqueˆte du sie`cle. l’Empereur veut qu’elle soit conserve´e ; il faut seulement que l’usage de cette liberte´ ne pre´judicie ni aux mœurs ni aux droits de l’autorite´ supreˆme, et ce n’est sans doute qu’un e´crivain de´prave´ qui peut vouloir y porter atteinte. Ce ne serait aussi qu’un prince faible qui pourrait tole´rer une licence destructive des fondemens de l’ordre social et de la tranquillite´ des citoyens. la liberte´ et la civilisation n’existent qu’entre les exreˆmes. c’est aussi entre les extreˆmes que l’administration et la le´gislation doivent se maintenir. Moniteur. Janvier 1806.

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8. Je n’ai fait, la plupart du tems, que reproduire avec des expressions plus adoucies, des opinions qu’on trouve dans les e´crivains les plus mode´re´s, Smith, Filangieri, Montesquieu, &tc.

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9. A Liberte´ avec laquelle Smith s’exprime sur le gouvernement de son pays. le gouvernement d’angleterre, dit-il, s’est en ge´ne´ral conduit en tems de paix avec la prodigalite´, l’abandon et l’insouciance naturelle peut eˆtre aux monarchies et a constament agi en tems de gu[err]e avec tous les exce`s et l’inconside´ration ordinaires aux de[mocra]cies1.

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Voir Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations,

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Fragmens de l’Introduction a` l’ouvrage Intitule´ : Principes de politique1 4. A 1o˙ Lorsqu’une teˆte intempestive veut s’e´lancer inconside´re´ment de la The´orie abstraite a` la pratique violente, et sur la foi de ses propres spe´culations, peut eˆtre incomple`tes, peut eˆtre de´fectueuses, tout de´truire, tout re´former, tout changer, Il y a sans doute folie, et meˆme plus, il y a crime. mais la perfidie seule peut comparer la pense´e imobile et solitaire avec l’action se´ditieuse ou le conseil de´sordonne´. l’action est faite pour le moment. la pense´e juge pour les Sie`cles. elle le`gue aux ge´ne´rations futures et les ve´rite´s qu’elle a pu de´couvrir, et les erreurs qui lui semble`rent des ve´rite´s. Le tems dans sa marche e´ternelle, les recueille et les se´pare.

fo 3vo

3. 2o˙ Lorsque des questions politiques ont cause´ de longu[es] agitations et de nombreux malheurs, il s’e´tablit, dans beaucoup de teˆtes, une conviction que sur tout ce qui se rapporte au gouvernement, le raisonnement ne sert a` rien. les erreurs de sa the´orie paraissent beaucoup plus facheuses que les abus de la pratique. comme elles sont en effet plus illimite´es et plus incalculables dans leurs re´sultats, les essais qu’elles occasionnent ont un de´savantage dont les abus sont exempts. l’home se plie aux institutions qu’il trouve e´tablies, come a` des re`gles de la nature physique. Il arrange, d’apre`s leurs de`fauts meˆmes, Ses interets, Ses Spe´culations, Son plan de vie. toutes ses relations, toutes ses espe´rances, tous ses moyens d’industrie et de bonheur se grouppent autour de ce qui existe. mais dans les re´volutions, comme tout change a` chaque instant, les hommes ne savent plus a` quoi s’en tenir. Ils sont force´s, par leurs propres besoins, et souvent aussi par les menaces de la puissance, a` se conduire come si ce qui vient de naˆitre devoit toujours subsister : et pre´sageant ne´anmoins des alte´rations prochaines, Ils ne posse´dent ni l’inde`pendance individuelle, qui devrait re´sulter de l’absence de la garantie, ni la garantie, seul de´dommagement de la perte de la liberte´. V: 1 ouvrage Intitule´ ] ouvrage Intitule´ : 〈des Moyens de constituer une Re´publique dans un grand pays〉 14 sa the´orie ] on pourrait lire la the´orie LA

1

Traduction de Germain Garnier, revue par Adolphe Blanqui, Introduction et index par Daniel Diatkine, Paris : GF Flammarion, 1991, 2 vol. BC cite, en transformant la phrase le´ge`rement, un passage du livre V, chap. 2, «Des sources du revenu ge´ne´ral de la socie´te´ ou du revenu de l’E´tat», section 1, «Des fonds ou sources du revenu qui peuvent appartenir particulie`rement au souverain ou a` la re´publique». (t. II, p. 448). Ce titre en teˆte du folio sugge`re qu’il s’agit d’une des fiches sans doute les plus anciennes de ce dossier. Elle provient des mate´riaux qui ont servi a` la re´daction de l’ouvrage De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays (voir la variante). La nume´rotation ancienne des morceaux (1o, 2o) confirme cette hypothe`se.

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Il n’est donc pas e´tonnant qu’apre`s des re´volutions re´ite´re´es, toute ide´e d’ame´lioration, meˆme abstraite et se´pare´e de toute application particulie´re, soit odieuse et incommode, et que l’aversion qu’elle inspire s’e´tende sur tout ce qui semble indiquer la possibilite´ d’un changement, meˆme de la manie´re la plus indirecte. Il est tout simple encore que les possesseurs de l’autorite´ favorisent cette disposition naturelle. en supposant aux gouvernans les intentions les plus pures, Ils doivent eˆtre enclins a` se re´server le privile´ge de me´diter seuls sur le bien qu’ils veulent faire ; ou s’ils confient ce soin de´licat a` quelques uns des collaborateurs subordonne´s qui les environnent, ce ne peut eˆtre que partiellement. Ils voı¨ent sans peine que des esprits soumis et flexibles se chargent de leur indiquer quelques moyens de de´tail pour arriver a` leur but, ou mieux encore, qu’ils leur facilitent, par des de´veloppemens secondaires, les moyens que l’autorite´ croit avoir de´couverts. mais le penseur inde´pendant qui pre´tend em brasser d’un coup d’œuil l’ensemble, dont les gouvernans permettent tout au plus qu’on s’occupe par partie, comme instrument et non comme juge, le philosophe, qui remonte aux principes de la puissance et de l’organisation sociale, lors meˆme qu’il s’isole des choses pre´sentes, et concentre´ dans ses souvenirs et ses espe´rances, ne veut parler qu’a l’avenir et ne prononce que sur le passe´, leur parait ne´anmoins un rhe´teur pre´somptueux, un observateur importun, un dangereux Sophiste. de la sorte, la fatigue du peuple se combine avec l’inquie´tude de ses chefs, pour circonscrire de toute manie`re le domaine de la pense´e. on a dit qu’il existait dans les monarchies une classe interme´diaire, la noblesse, qui ne conservoit de l’inde´pendance que ce qui de´core et consolide la soumission. de meˆme, dans l’e´tat de choses que nous de´crivons, il se forme une classe interme´diaire, qui ne reclame du raisonnement, que ce qui est ne´cessaire pour limiter l’empire de la raison, des homes instruits, mais sans force, subalternes e´le´gans, qui prennent pour but le style, et pour moyens quelques ide´es restreintes et secondaires, se constituent les organes de l’opinion, les surveillans de la pense´e. ils e´le´vent un autel a` la litte´rature, en opposition avec la philosophie. ils declarent sur quelles questions l’esprit humain peut s’exercer. Ils lui permettent de s’e´battre, avec subordination toutefois et me´nagement, dans l’enceinte qu’ils lui ont conce´de´e. mais anatheˆme a` lui s’il franchit cette enceinte, si n’abjurant pas sa ce´leste origine, il se livre a` des spe´culations de´fendues, s’il ose penser que la destination la plus noble n’est pas la de´coration inge´nieuse de sujets frivoles, la louange adroite, la de´clamation sonore, la critique subtile sur des objets indiffe´rens, mais que le ciel et la nature l’ont constitue´ Tribunal e´ternel ou tout s’examine, ou tout se pe`se, ou tout se juge en dernier ressort. V: 33 Ils lui permettent ] Ils 〈ont〉 lui permettent LA

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

4 B. a` Athe`nes, un Citoyen qui de´posoit sur l’autel un Rameau d’olivier entoure´ de bandelettes Sacre´es, pouvoit s’expliquer en liberte´ sur les matie´res politiques. 9 C.1 apre`s avoir rempli quelque tems des fonctions le´gislatives Je me retrouve libre, n’ayant pas fait un acte, pas e´mis une opinion qui me force a` violer ou a` faire fle´chir le moindre des principes que je crois vrais ou utiles.

fo 5ro

Un auteur expose d’ordinaire, dans sa pre´face, le sujet dont il traite, 17.2 et le point de vue sous lequel il se propose d’envisager ce sujet. dans les tems de parti, une pre´caution de plus me semble ne´cessaire, celle d’indiquer les homes pour lesquels on e´crit, et le public qu’on reconnoit pour son juge. Sans doute, cette pre´caution n’empeˆche pas ceux qu’on a recuse´s de prononcer : elle peut meˆme les engager a` prononcer plus se´ve´rement. mais lorsqu’on s’est bien rendu compte des ennemis qu’on doit rencontrer, et du genre d’attaques que l’on provoque, l’injustice, la haine, les interpre´tations perfides, les objections absurdes, devienent indiffe´rentes. on sait ce que signifient les injures des e´crivains dont on s’est bien explique´ les motifs, et l’on s’en console, convaincu que l’on est que ces homes sont d’une autre nature et parlent une autre langue, que la partie estima ble de l’espe´ce humaine. de ces homes, les uns sont ne´s ce que nous les voions, les autres se sont rendus tels. par un travail opiniaˆtre, ils ont brise´ de leurs propres mains ce qu’ils avoient de fier ou de sensible, et par les efforts qu’ils ont faits avec succe´s sur eux meˆmes, ils ont acquis une de´gradation bien mieux calcule´e et bien plus comple´te que ceux que la nature seule s’e´toit charge´e de de´grader. entr’eux et nous, rien n’est commun. Il faut traverser cette tourbe ignobl[e] comme la petite troupe du Capitaine Cook et de ses compagnons parcourait au milieu des hurlemens des sauvages les isles nouvellement de´couvertes. ces courageux navigateurs ont pe´ri ; mais la civilisation profite de leurs conqueˆtes, et l’Europe reconnoissante de´plore leur perte et consacre leurs noms. 7. J’ai beaucoup cite´, et principalement des auteurs vivans, ou morts depuis peu d’anne´es, ou des homes dont le nom fait autorite´, come Adam V: 7 17. Un ] 〈1A〉 17 ce dernier nume´ro re´crit sur un autre devenu illisible. Un LA 16 et l’on s’en console ] et 〈convaincu〉 l’on s’en console LA 18 partie estimable ] partie estimable la fin de ce mot et du paragraphe se trouvent sur le f o suivant (5r o). Au bas du f o 4v o est de´veloppe´e a` la place laisse´e libre une nouvelle addition LA 1

2

Pour rendre la lecture plus commode, nous avons place´ ce morceau, qui se trouve au bas du fo 4vo (voir la variante a` la ligne 18) avant le texte no 17. Voir pour les de´tails, notre introduction, ci-dessus, p. 76. L’ide´e exprime´e dans ce morceau passe dans une des additions du livre XVIII, chap. 6 (voir ci-dessus, p. 708).

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Smith ou Montesquieu. une ruse habituelle des ennemis de la liberte´ et des lumie´res est d’affirmer que leur ignoble doctrine est universellement adopte´e, que les principes sur lesquels se fonde la dignite´ de l’espe`ce humaine sont abandonne´s, par un consentement unanime, et qu’il est hors de mode et presque de mauvais gout de les professer. raisonnement d’un grand poids en france. j’ai tache´ de leur prouver que cette unanimite´ pre´tendue etoit un mensonge. fo 5vo

10. je n’ai voulu parler en rien de nos institutions actuelles. m’etant interdit toute censure, j’ai du supprimer tout assentiment. quand on e´vite toutes les occasions de blamer, Il y a de l’hypocrisie a chercher les occasions d’e´loge. 15. Qui sont-ils donc, ceux qui osent pre´tendre que les opprime´s ne re´sistent que faute d’eˆtre au nombre des oppresseurs ? Ils abominent l’espe`ce humaine, dont une partie et la plus excellente s’indigne des abus, lors meˆme qu’ils tournent a` son avantage, et ne vont ni souffrir la tyrannie ni la partager. quand nous admettrions pour un instant qu’un interet ignoble et resserre´ pre´side toujours aux reclamations des homes, en faudrait-il moins respecter les reclamations fonde´es ? les Ple´beyens peut eˆtre ne luttoient contre les Patriciens que parce qu’ils n’e´toient pas Patriciens eux meˆmes : les Ilotes se plaignoient probablement des Spartiates parce qu’ils ne fesoient point partie de cette caste favorise´e. mais leurs plaintes e´toient elles moins conformes a` l’e´ternelle justice ?

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9. B. Principes du gouvernement ame´ricain conformes a` ceux e´tablis dans mon ouvrage. Though the will of the majority is in all cases to prevail, that will, to be rightful, must be reasonable. the minority possess their equal rights, which equal laws must protect, and to violate would be oppression ; sometimes it is said that man cannot be trusted with the government of himself. can he then be trusted with the government of others ? or have we found angels, in the form of Kings, to govern him ? to restrain men from injuring one another, and have them otherwise free to regulate their vase pursuits of industry and improvement, is the aim of good government. Equal and exact justice to all men, of whatever state or persuasion, religious or political, peace, commerce, and honest friendship with all nations, entangling alliances with none, the support of the State governments in all their rights, as the most competent administrations for our domestic concerns, and the most bulwarks against anti-republican tendencies, the preservation of the general government in its whole constitutionnal rigor, as V: 12 15. ] 〈23〉 15.

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the sheet anchor of our peace at home, and safety abroad, a jealous care of the right of election by the people, a mild and safe corrective of abuses which are lopped by the sword of revolutions, when peaceable remedies are unprovided, absolute acquiescence in the divisions of the majority, a well disciplined militia, our best reliance in peace, and for the first moments of war, till regulars may relieve them, the supremacy of the civil over the military authority, oeconomy in the public expense, that labour may be lightly burthened, the honest payment of our debts, and sacred preservation of the public faith, the diffusion of information, and arraignment of all abuses at the bar of public reason, freedom of religion, freedom of the press, and freedom of the person, under the protection of the habeas Corpus and trial by juries impartially selected, these are the essential principles of our government ; the wisdom of our sages and the blood of our heroes have been devoted to their attainment. they should be the creed of our political faith, the text of civic instruction, the touchstone by which to try the services of those we trust, and should we wander from them in moments of error or of alarm, let us hasten to retrace our steps, and to regain the road which alone leads to peace, liberty and safety. Jefferson’s speech at his instalment, on the 4th of March 1801. 11. je suis les principes independamment des circonstances, et ce n’est point a` dessein que je me de´tourne, pour l’approbation ni pour le blaˆme. 16 faire dans cette introduction un tableau de l’e´tat de l’espe`ce humaine au 18e sie`cle. Dans la dernie´re moitie´ du 18e sie`cle, le poids de l’opinion publique contenait l’autorite´. les gouvernemens s’e´tonnaient d’eˆtre entoure´s d’une surveillance dont ils ne s’expliquaient pas la cause. Ils s’indignaient de se voir arreˆte´s par une puissance myste´rieuse, partout pre´sente et partout invisible, qui trac¸oit autour du despotisme un cercle pour ainsi dire magique ; mais il leur e´toit impossible d’en sortir sans que la de´sapprobation ge´ne´rale ne les entouraˆt de son murmure. Ils affectoient sainement de le de´daigner. Ils finissoient par s’y soumettre. chaque violence offroit aux homes inde´pendans une occasion de courage : chaque pas re´trograde un sujet de triomphe. la liberte´ se fortifioit e´galement et des actes arbitraires qui se comettoient, et de ceux qu’on n’osoit pas comettre.

V: 1 sheet anchor ] sheet 〈author〉 anchor LA

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Livre I. Ch. 2.

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Une ville, dit Louis XIV, en parlant de Ge´nes, autrefois sujette de mes ayeux, et qui n’avoit d’autres droits de souverainete´ que ceux qu’elle tirait de sa Re´bellion. Me´m. I. 24. Si les Re´publiques, jadis sujettes des monarchies, n’ont d’autres droits de souverainete´ que leur rebellion, les Rois pourraient bien n’avoir d’autres droits de souverainete que leur usurpation. Livre I. Ch. 41.

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ch. 4. Le Systeˆme de Jean Jacques, et tous les raisonnemens qui l’appuyent, sont frappe´s d’un grand vice, l’oubli des choses re´elles. l’homme y est compte´ come valeur nume´rique. Lorsqu’on y dit tous ou chacun, l’on croit parler d’unite´s ou de collections d’unite´s qui ne diffe´rent point entr’elles, et ne peuvent changer de nature. l’on prend pour de´montre´ qu’aucun des chiffres ne peut empie´ter sur l’autre. mais ces chiffres e´tant des eˆtres moraux, le re´sultat de l’assemblage de dix de ces chiffres n’est pas en raison combine´e de leur valeur nume´rique, mais en raison de la valeur morale de tel d’entr’eux : ce qui fait qu’en les rassemblant, l’on n’obtient pas le produit modifie´ de leurs forces respectives, mais l’on de´cuple seulement la force individuelle de l’un d’entr’eux.

fo 9vo

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ch. 9. la souverainete´, dit Rousseau, ne peut eˆtre repre´sente´e par la meˆme raison qu’elle ne peut eˆtre alie´ne´e. elle consiste essentiellement dans la volonte´ ge´ne´rale, et la volonte´ ne se repre´sente point : elle est la meˆme ou elle est autre : Il n’y a point de milieu. [cette ide´e de Rousseau tient a ce qu’il n’a jamais de´fini la nature ni surtout les limites de la volonte´ ge´ne´rale. si l’on appelle volonte´ ge´ne´rale, la volonte´ de tous sur tous les objets, sans doute elle ne se repre´sente point : mais si l’on n’appelle volonte´ ge´ne´rale que la volonte´ des membres d’une association sur les objets mis en commun par l’association, elle peut se repre´senter, c’est a` dire, une association plus e´troite peut eˆtre faite dans le meˆme but et par le meˆme proce´de´ que la V: 12 pour de´montre´ qu’aucun ] pour de´montre〈r〉 accent ajoute´ par la suite LA qu’aucun 28 une association ] 〈l’〉association le mot une re´crit sur l’article barre´ LA 1

Les trois morceaux re´unis sous ce chapeau ont e´te´ redistribue´s apre`s coup. Les indications «ch. 4», «ch. 9» et «ch. 3» indiquent la nouvelle distribution des textes. Les re´flexions re´unies sous le titre «ch. 9» ont peut-eˆtre e´te´ scinde´es en plusieurs morceaux, encadre´s ici par des crochets.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

premiere] les De´pute´s du peuple ne sont donc ni ne peuvent eˆtre ses repre´sentans, Ils ne sont que des commissaires : ils ne peuvent rien conclure de´finitivement. [on pourrait dire, avec tout autant de raison que la majorite´ ne peut rien conclure de´finitivement : car la majorite´ n’est que le repre´sentant du tout, et l’on sent a` quelles absurdite´s me´neroit ce systeˆme.] toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifie´e est nulle : ce n’est point une loi. [mais Rousseau n’explique point comment la ratification de la majorite´ lie la minorite´ : le pouvoir de la majorite´ sur la minorite´ ne s’explique qu’en conside´rant la majorite´ comme repre´sentant le tout.]

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Il n’y a qu’une seule loi qui, par sa nature, exige un consentement ch. 31 unanime : c’est le pacte social. hors ce contrat primitif, la voix du plus grand nombre oblige toujours tous les autres : c’est une suite du contrat meˆme. on demande comment un home peut eˆtre libre et force´ de se conformer a des volonte´s qui ne sont pas les siennes ? comment les opposans sont-ils libres, et soumis a` des loix auxquelles Ils n’ont pas consenti ? la question est mal pose´e. le Citoyen consent a` toutes les loix, meˆme a` celles qu’on passe malgre´ lui, et meˆme a` celles qui le punissent quand il ose en violer quelqu’une la volonte´ constante de tous les membres de l’e´tat est la volonte´ ge´ne´rale. quand on propose une loi [dans l’assemble´e du peuple] [...]

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12. Le nom du peuple est une signature, contrefaite pour justifier ses chefs. Bentham. 2. (Liv. II Ch. 2.)3 ce qui rend l’abus du nom de majorite´ si dangereux, c’est que les gouvernemens qui oppriment les citoyens les tenant e´loigne´s les uns des autres, et rendant les communications difficiles et les re´unions dangereuses, l’oppression de la majorite´ ne peut jamais eˆtre constate´e. V: 10 ch. 3 Il n’y ] ch. 〈5〉 3 ce dernier chiffre re´crit sur la premie`re indication ch. 3 ajoute´ dans la marge gauche apre`s la re´daction du texte. Une barre oblique entre tout.] et Il n’y indique ou` cette indication doit eˆtre inse´re´e. LA 19 propose une loi ] suite du texte manquante LA 1 2 3

Ce fragment deviendra une longue note du liv. I, chap. 3 (voir ci-dessus, p. 106). L’interruption au milieu de la dernie`re phrase du fo 9vo sugge`re l’hypothe`se qu’un fo *9bis a disparu. Cette phrase revient a` deux reprises dans le texte de´finitif. On la trouve dans une note au chap. 6 du premier livre et au livre VI, chap. 2. Voir ci-dessus, p. 119 et p. 222. Morceau transporte´ dans le chap. 3 du livre XVIII (ci-dessus p. 681).

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3 (Liv. II. Ch. 1.)1 elle e´toit tyrannique, la vente de 5.000 Citoyens sous Pe´ricle`s, parce qu’ils e´toient ne´s d’une e´trange`re. elles e´toient tyranniques, les institutions de Lycurgue sur la vie prive´e des Citoyens. elles sont tyranniques, nos loix sur le systeˆme mercantile. v. Smith Liv IV. 81em chap. elle e´toit tyranique la loi de Pierre Ier pour couper ses sujets. elle est tyrannique enfin, toute loi qui pre´tend prescrire a` chacun coment il doit se conduire pour sa propre utilite´. la loi peut de´cider entre un home et un autre, et entre un home et la socie´te´. mais toute loi est tyrannique qui re´git la conduite d’un homme par rapport a` lui meˆme et a` lui seul. Toutes ces loix tyranniques sont justifie´es ne´anmoins par le systeˆme de Rousseau. 4 (L. II. Ch. 2.)2 Ce n’est au fond jamais la majorite´ qui opprime. on lui ravit son nom, et l’on se sert contre elle meˆme des armes qu’elle a fournies. l’interet de la majorite´ n’est jamais d’opprimer. la somme de malheurs qui existe dans une socie´te´ s’etend plus ou moins a` tous ses membres et s’augmente par l’injustice. nuire a` un individu ou a` une classe, c’est nuire a` la totalite´. fo 10vo

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5 (ch. 8.)3 les hommes, en se re´unissant, dit Ferrand, ont fournis a` un mot de la volonte´ ge´ne´rale toutes les forces des volonte´s particulie´res. pre´face de l’Esprit de l’histoire. cette phrase pourroit etre de Rousseau, tant il est vrai que le principe de Rousseau est essentiellement favorable au Despotisme.

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6.4 Les partisans du Despotisme pre´tendent que les philosophes amis de la liberte´ se perdent dans les abstractions. mais voyons si eux-meˆmes les e´vitent. tout etat qui veut rectifier ses loix, dit M. Ferrand, I. 124, s’adressera a` un home sage. cet home s’assurera d’abord du consentement ge´ne´ral &ra &ra si ce consentement ge´ne´ral n’est pas une abstraction, qu’est-ce ?

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V: 5 couper ses sujets ] couper 〈la barbe de〉 ses sujets LA 11 n’est au fond jamais ] n’est au fond ces deux derniers mots ajoute´s dans l’int. sup. jamais LA 23–24 s’adressera a` un home ] s’adressera 〈d’abord〉 a` un home LA

1 2 3 4

Ide´e qu’on retrouve dans une note du chap. 1 du second livre (ci-dessus, pp. 133–134). Note du chap. 2 du second livre (ci-dessus, p. 139). Note du chap. 8 du premier livre (ci-dessus, p. 127). Note du chap. 8 du premier livre (ci-dessus, p. 127).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre II]

Livre II. Ch. 1.

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Pellitur a populo victus Cato : Tristior ille est qui vicit, fascesque pudet rapuisse Catoni. Namque hoc dedecus est populi, morum que ruina. Non homo pulsus erat ; sed in uno victa potestas Romanum que Decus. Petron.1

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Livre II. Ch. 2.

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7.2 Notre sort seroit bien mise´rable, si les premiers principes de la morale et de la justice, e´toient remis a` la majorite´ d’une assemble´e qui forme la trente millie´me partie de la nation. Il y a des principes inalte´rables, dont la Nation entie`re est gardienne, qu’elle meˆme ne peut enfreindre, et qui n’entrent point dans la masse des opinions qu’elle soumet a ceux qu’elle charge de vouloir pour elle. la raison en est simple : c’est qu’elle meˆme n’a pas le droit d’avoir une volonte´ contraire a` ces principes. 8. Les re´volutions rendent le pouvoir de la majorite´ terrible, parce qu’au lieu que dans les tems ordinaires, la majorite´ et la minorite´ sont des choses journalie`res et variables, les re`volutions en font des partis diffe`rens, d’une manie´re permanente, des esclaves et des maitres, des opprime´s et des opresseurs. avec le systeˆme de la majorite´ nume´rique, on irait a` faire de l’Europe 9.3 et du monde un seul peuple. car coment une ligne ide´ale de territoire changerait elle ce droit ? Si 30.000 voisins ne veulent pas ce que veut un peuple de 30 millions, de quel droit re´sisteroient ils ? et si nous leur accordions le droit de re´sister, coment une ville deja enclave´e n’auroit-elle pas celui de redevenir voisine ? l’on a de´fini les loix l’expression de la volonte´ ge´ne´rale. cette de´10.4 finition est tre`s fautive et tre`s dangereuse, en ce qu’elle paraˆit donner a` la volonte´ ge´ne´rale une puissance illimite´e. il eut fallu ajouter, sur les objets sur lesquels la volonte´ ge´ne´rale a droit de vouloir. 1 2 3 4

Note au chapitre 2 du second livre. Voir ci-dessus, p. 134 et n. 1. Les textes 7 et 8 n’ont pas e´te´ utilise´s. Voir la note a, livr. II, chap. 2, ci-dessus, p. 138. Voir la note a, livr. II, chap. 2, ci-dessus, p. 137.

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Livre II

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Livre II. Ch. 7.

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Bentham dit que si le partisan de l’Utilite´ trouvoit dans le Catalogue des vertus une action dont il re´sultaˆt plus de peine que de plaisir, il la rayeroit de ce Catalogue. 1. 5. ceci est remarquable, en ce qu’il dit ailleurs qu’il est mauvais de parler de Droits naturels, parce que chacun veut en juger d’apre´s son jugement particulier. mais n’est-ce pas ainsi qu’il fait agir le partisan de l’Utilite´ ? dans tous les Systeˆmes, il faut en revenir au jugement individuel. Si on veut juger d’apre´s sa conscience, dit Bentham, 1. 31, on ne distinguera pas entre une conscience e´claire´e et une conscience aveugle. Mais si on veut juger d’apre´s le principe de l’Utilite´, on ne distinguera pas plus entre les bons et les mauvais calculs sur ce principe. dans l’immense varie´te´ des ide´es sur les loix naturelles, dit Bentham, Pr. de Le´g. ch. 13. chacun ne trouvera-t-il pas des raisons pour re´sister a` toutes les loix humaines ? mais il les trouvera de meˆme, dans le principe de l’utilite´ applique´e a` sa manie´re[.]1

1

Voir ci-dessus, p. 150, n. 1.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre

Livre

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III.

III]

Ch. 1.

1 les loix, dans les petits e´tats, sont l’expression fide`le des opinions et des usages, et come la sphere est plus ressere´e, que les exemples sont plus uniformes, qu’il y a moins de relations au dehors, les usages et les opinions restant plus longtems stationnaires, les loix conservent plus longtems leur convenance et leur conformite´ avec l’esprit ge´ne´ral. le gouvernement ayant moins de force que dans les empires d’une vaste e´tendue, n’a ni la volonte´ ni le pouvoir de se mettre en opposition avec les vœux et les habitudes des gouverne´s. Alors des observateurs superficiels prennent l’effet pour la cause et appellent les mœurs l’ouvrage des loix, tandis que les loix sont l’ouvrage des mœurs. 21 Tout gouvernement est institue´ pour le Bonheur des homes. donc tout ce qui peut assurer leur bonheur doit faire partie du gouvernement. Ferrand. 1. 107. e´videmment faux.

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32 Bentham, dans ses principes de le´gislation, ch. 12, intitule´ des limites qui se´parent la morale et la le´gislation, commence par une proposition fausse. la morale, dit il, est l’art de diriger les actions des homes de manie`re a` produire la plus grande some possible de bonheur. la le´gislation a pre´cise´ment le meˆme but. c’est en confondant ainsi le but de la le´gislation et celui de la morale qu’on a donne´ a` la le´gislation l’extension qui est devenue si funeste. Bentham a l’esprit trop juste pour ne le pas sentir. car dans le meˆme chapitre et apre´s cette de´finition, il dit que les moyens de la Le´gislation sont tre`s diffe´rens et sa jurisdiction beaucoup plus ressere´e que celle de la morale, qu’il y a des actes utiles a` la Comunaute´ que la loi ne doit pas commander, et des actes nuisibles qu’elle ne doit pas de´fendre. Il conclut par cette maxime e´vidente : ne faites intervenir la puissance des loix que pour empeˆcher les homes de se nuire entr’eux. mais la de´finition par laquelle il commence n’en est pas moins inexacte. le but de la le´gislation est V: 11 l’ouvrage ] 〈l’e´quation〉 l’ouvrage LA 1 2

21 qui est ] qui 〈lui〉 (?) est LA

Ce texte deviendra une note au chap. 1 du livre Ce texte deviendra une note au chap. 1 du livre

III. III.

Voir ci-dessus, p. 153. Voir ci-dessus, pp. 153–154.

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beaucoup plutot de garantir les homes du mal qu’ils pourroient se faire que de leur procurer la plus grande some de bonheur possible. la definition de la morale et de la le´gislation me semble eˆtre que la 1ere indique aux homes coment ils peuvent eˆtre heureux, en rendant heureux leurs semblables, et que la 2de pre´serve les homes de ce qui, de la part de leurs semblables, les empeˆcheroit de se rendre heureux sans nuire a` autrui. Ce qu’il y a de singulier c’est que Bentham re´unit les deux de´finitions que nous combattons. car il dit ailleurs que toute loi est un mal ne´cessaire. Livre

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III.

Ch. 1.

41 Le Marquis de Mirabeau, dans le premier Livre de l’ami des hommes, e`tablit une distinction tre´s juste entre les Loix positives et les Loix spe´culatives. selon lui les Loix positives se bornent au maintien. les Loix spe´culatives embrassent la direction. il ne tire point de cette distinction des conse`quences e´tendues. son objet n’etoit point de fixer les limites des fonctions du gouvernement, et quoi que dans le reste de son livre il soit conduit sans cesse par la force des choses a` les restreindre de fait, il admet ne´anmoins leur le`gitimite´ de droit, et s’efforce seulement d’indiquer coment elles peuvent eˆtre le plus utiles et avantageuses. Les fonctions du gouvernement, dans la latitude qu’on leur accorde d’ordinaire, peuvent eˆtre definies de la manie`re suivante. 1o˙ punir les individus qui comettroient des actions nuisibles, et repousser les e´trangers qui envahiroient le territoire. 2o˙ pre´venir les de´lits inte´rieurs et les aggressions e´trange´res, c’est a` dire, interdire aux Individus, avant qu’ils ayent commis des actions coupables, de certaines actions indiffe`rentes en elles meˆmes, mais qui pourroient les conduire au crime, et prendre, contre les e´trangers, avant qu’ils ayent attaque´ l’association, des mesures hostiles, secre`tes ou manifestes, qui, les affaiblissant, les effrayant, ou meˆme les de´truisant, leur otent toute envie ou toute possibilite´ d’attaquer. 3o˙ ame´liorer le peuple, l’e´clairer, le former, de manie`re que sa moralite´ et sa sagesse le pre´servent de tout de´sordre et de toute action criminelle, et que son courage, son patriotisme et son de´vouement opposent a` l’ennemi qui voudroit l’attaquer une re´sistance insurmontable. V: 8 que toute ] que 〈la〉 toute LA 9 Livre III. ch. 1. ] Livre III. ch. 1. a placer Liv. XV. ch. 7 indication ajoute´e plus tard par BC, LA 1

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Le premier aline´a de ce texte sera repris au de´but d’une longue note au chap. 3 du livre Voir ci-dessus, p. 165. Le second n’est pas utilise´ litte´ralement.

III.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

B.1 Il y a cette diffe´rence entre les Loix spe´culatives et les loix positives que ces dernieres ont des bornes fixes, au lieu que les premie`res, de`s qu’elles sont admises, n’ont aucune borne la Loi, ou l’acte d’autorite´ par lequel le gouvernement enverroit les Citoyens aux frontie´res, pour de´fendre les frontie`res attaque´es, seroit une loi ou un acte d’autorite´ positif. car son but ne serait evidemment que de repousser une agression comise et d’empeˆcher que le sol ne fut envahi. la loi ou l’acte d’autorite´ par lequel le gouvernement obligeroit les Citoyens a` porter la guerre chez un autre peuple, qu’il soupc¸onneroit de me´diter lui meˆme une attaque, seroit une loi ou un acte d’autorite´ spe´culatif. car le gouvernement n’agirait pas d’apre`s un fait, contre une action commise, mais d’apre`s une spe´culation, contre une action pre´sume´e. aussi dans le premier cas, l’autorite´ du gouvernement seroit-elle borne´e ; car le gouvernement ne pourrait agir contre un fait, ce fait n’existant. dans le second, au contraire, l’autorite´ du gouvernement seroit sans limites, la spe´culation etant toujours a` la discre´tion du gouvernement. une autre diffe´rence entre les Loix positives et les loix spe´culatives, c’est que, lorsque le gouvernement se borne aux premie`res, Il ne peut se tromper. mais lorsqu’il s’arroge les secondes, Il s’expose a` tous les genres d’erreur. Quand l’autorite´ fait une Loi contre l’assassinat ou le vol, comme elle ne fait que se´vir contre des actions de´termine´es, elle ne peut s’e´garer. mais si l’autorite´ fait des loix pour empeˆcher la de´cadence du comerce ou la stagnation de l’industrie, elle court risque de prendre pour des moyens d’encouragement ce qui n’en est pas. une loi contre le vol ou l’assassinat peut etre plus ou moins parfaite, et parla meˆme atteindre plus ou moins son but. mais il est impossible qu’elle aille tout a` fait contre ce but. une loi pour encourager le comerce peut de´truire le comerce. une loi pour favoriser l’industrie peut la contrarier. Il y a donc dans les loix spe´culatives du gouvernement un inconve´nient double n’etant point susceptibles de limitation, elles livrent tout a` l’arbitraire. obligeant le gouvernement a` agir sur des suppositions, elles multiplient les chances d’erreur. B. A Lorsque le gouvernement punit une action nuisible, lorsqu’il re´prime la violation d’un engagement contracte´, lorsqu’il e´tablit ou re´pare des routes V: 1 entre les Loix spe´culatives et les loix positives ] entre les 〈fonctions〉 Loix spe´culatives et les 〈fonctions〉 loix positives LA 29 Il y a ] 〈De meˆme〉 Il y a LA loix ] 〈fonctions〉 loix LA 1

Les morceaux encadre´s ici (pp. 734–736) des lettres A et B ont e´te´ utilise´s par BC dans l’ordre indique´ par les lettres pour re´diger une tre`s longue note ajoute´e au chap. 3 du livre III. BC ne se copie pas litte´ralement. Voir ci-dessus, pp. 165–167.

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et des canaux, qu’il institue des de´pots pour les monumens des arts, qu’il confie a` des homes salarie´s par la socie´te´ la transmission des me´thodes scientifiques, l’exposition des de´couvertes de quelqu’espece que ce soit, la narration de faits ante´rieurs, Il remplit une fonction positive. Lorsqu’il se´vit contre une action qui n’est pas nuisible, sous pre´texte qu’elle pourrait mener indirectement a` une action qui le serait, lorsqu’il impose aux individus de certaines re´gles de conduite qui ne font pas partie ne´cessaire des engagemens qu’ils ont contracte´s, mais qui lui permissent [d’]assurer l’exe´cution de ces engagemens, lors qu’il cherche a` dominer l’opinion, lorsqu’il ge`ne la disposition de la proprie´te´ ou l’exercice de l’industrie, lorsqu’a` la conservation des me´thodes, a` la transmission des decouvertes, a` la tradition des faits, il joint des directions sur l’usage a` en faire ou les resultats a` en tirer, Il s’arroge une fonction spe´culative car il se fonde sur des calculs, des suppositions, des hypothe´ses, des spe´culations en un mot. le gouvernement, dans ses fonctions positives, n’agit point d’une manie´re spontane´e. il re´agit contre des faits, contre des actions ante´ce´dentes, qui ont eu lieu inde´pendamment de sa volonte´. Il pre´serve des faculte´s et des moyens existans, en laissant parfaitement libre l’usage individuel de ces faculte´s et de ces moyens. dans ses fonctions spe´culatives, il n’a point a` re´agir contre des faits, contre des actions comises, mais a` pre´voir des actions futures. Il n’a point a` conserver ce qui existe, mais a` diriger l’usage qu’on en doit faire. il agit donc spontane`ment : son action est le produit de sa seule volonte´. les fonctions positives du gouvernement sont d’une nature infiniment simple. toutes les faculte´s et toutes les decouvertes de l’homme ont des avantages et des inconve´niens. mais les inconve´niens d’aucune faculte´ ne sont dans la faculte´ meˆme ; ils sont dans l’usage qu’on en fait. aussi longtems par conse´quent que le gouvernement ne s’applique qu’a` conserver ces faculte´s, sans en diriger l’usage, son action n’est ni e´quivoque ni complique´e. mais ses fonctions spe´culatives sont loin d’etre aussi simples. elles n’ont pas une baze aussi re´elle. elles ne s’exercent pas sur des faits. elles partent d’une supposition, d’une pre´somption. elles peuvent varier, s’e´tendre, se compliquer a` l’infini. les fonctions positives permettent souvent a` l’autorite´ de demeurer immobile. les fonctions spe´culatives ne lui permettent jamais l’immobilite´. sa main qui tantot pre´vient, tantot dirige, tantot cre´e et tantot re´pare, peut quelquefois eˆtre invisible, jamais rester inactive. Son action prenant sa source dans sa volonte´, il faut qu’elle raisonne, qu’elle suppose, qu’elle devine. c’est indiquer assez combien les limites des fonctions spe´culatives sont difficiles, peut eˆtre impossibles a` tracer. Tantot l’autorite´ pose en deca du crime des Barrie`res de son propre choix, pour e´tablir ensuite des V: 5 mener ] 〈conduire〉 mener LA

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peines contre le renversement de ces Barrie`res. tantot elle recourt a` des mesures prohibitives, contre des actions indiffe´rentes en elles meˆmes, mais dont les conse´quences indirectes lui semblent dangereuses. tantot elle accumule les loix coercitives pour forcer les homes a` faire ce qui lui paraˆit le plus utile. d’autrefois elle e´tend sa jurisdiction sur l’opinion. d’autrefois encore elle modifie ou limite la jouı¨ssance de la proprie´te´, en re`gle arbitrairement les formes, en de´termine, en ordonne ou en prohibe la transmission. quelquefois enfin elle assujettit a` des entraves nombreuses l’exercice de l’industrie, l’encourage d’un cote´, la restreint de l’autre. actions, discours, e´crits, erreurs, ve´rite´s, ide´es religieuses, systeˆmes philosophiques, affections morales, sentimens intimes, usages, habitudes, mœurs, institutions, ce qu’il y a de plus vague dans l’imagination de l’homme, de plus inde´pendant dans sa nature, tout est par la´ du domaine de l’autorite´. elle enlace notre existence de toutes parts, s’empare de nos premie´res anne´es, surveille et restreint nos moindres mouvemens, consacre nos conjectures les plus incertaines ou les combat, veut re´gulariser, modifier, et diriger nos impressions les plus fugitives. A 51 Tout ce que l’homme fait pour lui meˆme, dit Godwin, Just. Pol. VI. ch. 8. est un bien. tout ce que ses concitoyens ou son pays entreprennent de faire pour lui contre son consentement est un mal. Godwin a raison, et c’est un mal sous plusieurs rapports. 1o˙ il y a violation des droits de chacun. la justice veut que tout home soit juge de ce qui constitue son bonheur. lorsque vous portez atteinte a` ce droit individuel, eussiez vous mille fois raison dans la circonstance particulie´re, vous foulez aux pieds un principe ge´ne´ral, qui ne peut eˆtre renverse´ sans les inconve´niens les plus e´tendus et les plus graves. mais 2o˙ il est tre´s douteux que vous aı¨ez raison. vous eˆtes sujet a´ l’erreur tout autant que l’homme dont vous pre´tendez connoˆitre l’interet mieux que lui meˆme. vous eˆtes sur cette matie`re beaucoup plus sujet a` l’erreur que lui, car il est bien plus au fait de l’ensemble de son existence que vous qui n’en apercevez qu’un cote´, et a` qui cet aperc¸u partiel et incomplet peut sugge´rer des notions tre´s errone´es. enfin 3o˙ rien n’est avantageux que par la suite, la persistance, l’amour et la dure´e de ce que vous faites pour un home malgre´ lui, il le de´fera : il travaillera avec le reste de sa liberte´ a` detruire l’ouvrage que vous elevez aux de´pens d’une partie de sa liberte´. il n’y aura donc ni ensemble ni suite ni persistance. il y aura lutte. si vous avez raison, et que ce soit effectivement pour les interets de cet individu que vous lui fassiez violence, savez-vous ce qui en re´sultera ? c’est que vous le de´tacherez de son interet ; et avec raison : car l’in1

Ce texte sera repris comme note au chap. 4 du livre III. Voir ci-dessus, pp. 169–170, note a.

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teret de son inde´pendance est beaucoup plus important a` son bonheur que l’interet particulier au nom duquel vous pre´tendez l’asservir. S’il vous ce´doit dans cette circonstance dans laquelle vous avez raison, vous exigeriez la meˆme soumission dans une autre circonstance, ou peut eˆtre vous auriez tort. il est donc de son interet durable de vous re´sister, meˆme quand vous agiriez pour son interet momentane´.

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pourquoi le pouvoir judiciaire est-il le moins dangereux des pou61 voirs ? c’est que sa nature est parfaitement connue. on sait qu’il est essentiellement rigoureux, qu’il est indispensable, mais que le bien qu’il produit n’est que l’absence du mal. aussi ne l’e`tend-on pas facilement au dela` de ses bornes, et lorsqu’on a voulu en abuser, il a fallu le de`naturer et en faire un pouvoir politique, au lieu d’un pouvoir judiciaire. les De´positaires des autres pouvoirs n’ont pas voulu eˆtre resserre´s dans des bornes si e´troites. Ils ont en conse´quence cherche` a` doner le change sur la nature de leurs fonctions. au lieu de se pre´senter come des gardiens de l’ordre public, c’est a` dire une sorte de mare´chausse´e politique, ils se sont pre´sente´s come les Pe`res du Peuple, Ils y ont gagne´ d’eˆtre entoure´s d’affections, au lieu de l’eˆtre de de´fiance, et ils ont pu beaucoup plus aise´ment abuser de leurs pouvoirs. 72 dans le systeˆme de la liberte´ naturelle, le souverain n’a que trois devoirs a` remplir, trois devoirs a` la ve´rite´ d’une haute importance, mais clairs, simples, et a` la porte´e d’une intelligence ordinaire. le premier c’est le devoir de de´fendre la socie´te´ de tout acte de violence ou d’invasion de la part des autres socie´te´s independantes : le second c’est le devoir de prote´ger autant qu’il est possible, chaque membre de l’association contre l’injustice ou l’opression de tout autre membre, ou bien le devoir d’e´tablir une administration exacte de la justice : et le troisie`me c’est le devoir d’eriger et d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l’interet prive´ d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourroit jamais les porter a e´riger ou a` entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourserait la de´pense a` un particulier ou a quelques particuliers, quoiqu’a` l’e´gard d’une grande socie´te´, ce profit fasse beaucoup plus que rembourser la de`pense. Smith IV. 9. V. 1. V: 15 public, c’est a` dire ] public, 〈Ils〉 c’est a` dire LA publics LA 1 2

28 ouvrages publics ] ouvrages 〈et〉

Ce texte sera repris comme note au chap. 1 du livre III. Voir ci-dessus, p. 156, note a. Ce texte sera repris comme une note au chap. 3 du livre III. Voir ci-dessus, pP. 164–165, note a.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

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III.

Ch. 3.

81 Il s’en faut bien, dit Bentham, qu’on ait employe´ autant d’esprit de calcul et de prudence pour de´fendre la Socie´te´ que pour l’attaquer et pour pre´venir les de´lits que pour les comettre. Ce que dit ici Bentham provient de ce que les Individus sont toujours plus spirituels et plus adroits que les gouvernemens. 92 C’est par une erreur que l’on admet un immense intervalle entre les homes qui dictent et ceux qui rec¸oivent les loix. leurs lumieres respectives sont toujours dans une certaine proportion et ne s’en e´cartent pas. la Nature n’accorde de privile´ges a` aucun Individu. nul ne devance de beaucoup son pays et son siecle, et ceux qui les devancent le plus sont peut eˆtre les moins propres a` les dominer. Livre

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III.

114 Un des droits dont les hommes sont le plus jaloux et a` juste titre, c’est le droit de se tromper. s’ils permettent a` l’autorite´ de leur enlever ce droit, Ils n’auront plus aucune liberte´ individuelle, et ils ne seront point par ce sacrifice a` l’abri de l’erreur. l’autorite´ substituera les siennes a` celles des individus et nous avons montre´ ailleurs que les erreurs de l’autorite´ sont bien plus dangereuses. V: 2 8 ] BC donne dans l’interligne un autre nume´ro, 69 reste sans doute d’une nume´rotation ancienne LA 7 9 ] BC donne avant ce chiffre un autre nume´ro, 70 reste sans doute d’une nume´rotation ancienne LA 20 les hommes ] au-dessus du mot, dans l’interl., la mention employe´ LA

2 3 4

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Ch. 4.

103 la nature a donne´ a` nos erreurs deux grands correctifs, l’interet et l’expe´rience. Si l’interet se trompe, Il s’e´clairera par ses pertes meˆmes. Il sera bien mieux garanti parce qu’il aura souffert que par des prohibitions dont la ne´cessite´ ne lui sera jamais de´montre´e dont l’Utilite´ n’existera que dans la pre´voyance de l’autorite´, et dans lesquelles l’interet particulier ne verra jamais un pre´servatif, mais une entrave.

1

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Voir ci-dessous, p. 819, n. 1. Ce texte, utilise´ deux fois, deviendra une note dans le chap. 3 du livre III et dans le chap. 3 du livre XIV. Voir ci-dessus, p. 164 p. 523. Ce texte sera inte´gre´ dans le chap. 4 du livre III. Voir ci-dessus, pp. 168–169, note a. Comme le dit BC, il a utilise´ ailleurs ce morceau (voir la variante). Il est inte´gre´, comme le sugge`re le titre de ce folio, dans le chap. 4 du livre III. Voir ci-dessus, p. 169, note 1.

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Ch. 5.

12 l’action inde´finie du gouvernement e´tablit une lutte fatale entre le le`gislateur et le Citoyen. les volonte´s individuelles s’irritent de rencontrer partout une volonte´ ge´ne´rale qui pre´tend les comprimer. les loix promulgue´es sous le pre´texte de l’utilite´ restent sans exe´cution. le le´gislateur dans son courroux appelle les loix pe´nales. Car il veut de`fendre son ouvrage, come le Citoyen de`fend sa liberte´. Il avoit commence´ par exhorter, par instruire, il finit par frapper. se disant plus e´claire´ que nous sur nos propres interets, et travestissant nos doutes en crimes, il invoque l’injustice au secours de la pre´somption. le voila` lance´ dans une carrie`re qui n’a point de terme. une loi de´sobe´ie en appelle une plus rigoureuse. cette seconde inexe´cute´e en ne´cessite une plus severe encore. cette progression ne peut s’arreˆter.

V: 1 Ch. 5. ] a` coˆte´ de ces mots la mention employe´ LA

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre

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IV.

IV]

Ch. 1.

71 vous n’avez, dit l’abbe´ Galiani, p. 250. jamais lie´ dans votre vie quelque chose que ce soit, avec de la ficelle ou du fil, sans donner un tour de trop, ou sans faire un nœud de plus. Il est dans notre instinct, dans le petit comme dans le grand, de de´passer toujours la mesure naturelle, suivant l’impulsion de notre intention. j’en conclus qu’il faut lier le moins qu’il est possible. Livre

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IV.

Ch. 2.

82 Marche ordinaire des gouvernemens. Ils commencent par faire du mal. Ils s’en apperc¸oivent. au lieu de faire cesser alors le mal qu’ils ont fait, en en e´cartant la cause, et en revenant a` une inactivite´ salutaire, Ils accumulent divers modes d’activite´ en sens oppose´, et produisent, imparfaitement et avec douleur, par deux pressions contraires, ce qui auroit existe´ naturellement, d’une manie`re plus complete et sans douleur par la seule liberte´.

Livre

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IV.

Ch. 3.

93 les meˆmes homes, qui, ze´lateurs ombrageux de l’inde´pendance, lorsqu’ils luttent contre le gouvernement, croyent ne pouvoir assez restreindre ses attributions, s’e´puisent pour les multiplier et les aggrandir, lorsque d’adV: 3 vous n’avez ] 〈Inversement〉 (?) vous n’avez LA 7 intention. j’en ] intention. 〈il faut〉 j’en LA 9 Ch. 2. ] suit dans l’espace reste´ libre une indication ajoute´e au cours du travail de re´daction a` placer plus loin LA 16 Ch. 3. ] suit dans l’espace reste´ libre une indication ajoute´e au cours du travail de re´daction 2des additions. LA

1 2 3

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Note non utilise´e pour la re´daction du texte de´finitif. Soulignons en plus qu’il n’y a pas de textes nume´rote´s 1 a` 6 dans cette se´rie. Cette note passera dans les additions au chap. 1 du livre XV. Voir la variante. Cette note passera dans les «Secondes additions e´parses». Voir la variante.

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Livre IV

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versaires du pouvoir, Ils en sont devenus les he´ritiers. c’est dans les e´crits des re´formateurs les plus auste´res des enemis les plus implacables des institutions existantes que l’on trouve les principes les plus absolus sur la compe´tence de l’autorite´ sociale. les loix coercitives destine´es a` forcer les gouverne´s a` telle ou telle 101 action, ont un inconve´nient de plus que les loix prohibitives, destine´es seulement a` interdire aux gouverne´s telle ou telle action. l’absence d’action est plus difficile a` constater que l’action meˆme. Il faut exercer contre ce crime ne´gatif une surveillance plus constante, plus positive et plus inquisitoriale. 11 dans le cas ou les loix coercitives seroient absolument ne´cessaires, Il faudrait attacher plutot des recompenses a` l’obe´issance que des peines a` la transgression. mais l’etat ne pouvant eˆtre prodigue de recompenses Il faudroit en meˆme tems le moins possible de loix de ce genre. Livre

fo *24bro fo 25ro

IV.

V: 5 10 ] nume´ro d’ordre pre´ce´de´ du mot emploie´ LA 10 11 ] nume´ro d’ordre pre´ce´de´ du mot emploie´ LA 15 [Lors meˆme ... relations] de ces ] le de´but de texte manque (perte d’un f o) LA

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Ch. 4.]

[12]2 [Lors meˆme ... et les relations] de ces hommes avec la socie´te´, n’e´tant ni fre´quentes ni complique´es, et e´tant toujours hostiles, la corruption pe`ne`tre moins dans le corps social, au lieu que lorsque le gouvernement veut faire du bien positivement, come il corrompt de meˆme ses agens, que ces agens se trouvent en plus grand nombre, que leurs relations avec la socie´te´ sont plus fre´quentes, plus multiformes et moins hostiles, le mal est beaucoup plus grand.

1

5

Ce texte, ainsi que le suivant, porte´s dans l’addition au chap. 4 du livre IV (ci-dessus, p. 187). Voir les variantes. Puisque nous connaissons le de´but de ce morceau, une longue addition au chap. 4 du livre IV (voir ci-dessus, pp. 186–187), et puisque la nume´rotation des textes ignore l’entre´e 12, nous pouvons supposer que le dossier du livre IV comprenait au moins encore un fo *24bis, perdu. Mais il y a un doute a` signaler. Le texte qui manque au de´but comprend environ 2300 signes. Une page du manuscrit pouvait en contenir environ 1500 signes. La fiche portait sans doute au de´but le titre interme´diaire [Livre IV, ch. 4.] et le texte qui manque, e´crit de la plume assez grasse que nous retrouvons sur le folio conserve´. Si on suppose que la fiche perdue e´tait utilise´e des deux coˆte´s, la place e´tait largement suffisante pour recevoir le de´but du texte. Faut-il compter avec des biffures (10 lignes environ) ? Constant aurait-il retravaille´ son texte en le copiant ? Ce n’est pas exclu, d’autant moins que l’addition en cause comprend a` la fin deux aline´as qui ne proviennent pas de notre source.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

131 pourvu que la socie´te´ empeˆche ses membres de se nuire, Il n’est point ne´cessaire qu’elle les force a` se servir. chacun n’a que deux moyens d’engager les autres a` concourir a` ce qu’il de´sire, la force et la persuasion. il faut qu’il les contraigne, ou qu’il les ame`ne a` son but, en acquerrant leur bienveillance. que la socie´te´ ferme la premie`re route, les Individus ne´cessairement prendront la seconde. il re´sulte de la` que les loix coercitives outre qu’elles ont les meˆmes inconveniens que les prohibitives, sont encore plus inutiles. l’home a beaucoup plus de motifs de servir ses semblables qu’il n’en 142 a de ne pas leur nuire. la socie´te´ en conse´quence n’a nul besoin de s’en meˆler. un interet personnel positif engage les homes a` se servir mutuellement : et il n’y a qu’un interet ne´gatif qui les engage a` ne pas se nuire. leur activite´ les porte a` se servir : et cette meˆme activite´ peut les porter a` se nuire. Il n’est donc aucunement ne´cessaire que la socie´te´ excite la tendance de ses membres a` des services re´ciproques, tandis qu’il est de toute ne´cessite´ qu’elle re´prime les actions nuisibles. Livre

fo 26ro

IV.

V: 1 13 ] nume´ro d’ordre pre´ce´de´ des mots a` placer plus loin LA 6 coercitives outre qu’elles ] coercitives 〈sont encore〉 outre qu’elles LA 9 14 ] nume´ro d’ordre pre´ce´de´ des mots a` placer plus loin LA 21 relations. ces relations ] relations 〈ou pour mieux dire leurs relations deviennent〉 ces relations LA elles ] la source porte elle LA

2 3

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Ch. 5.

153 L’on a de´fini les Loix l’expression de la volonte´ ge´ne´rale. c’est une de´finition tre´s fausse. les Loix sont la declaration des relations des hommes entr eux. Du moment que la Societe´ existe, Il s’e´tablit entre les hommes de certaines relations. ces relations sont conformes a` leur Nature : car si elle[s] n’e´toient pas conformes a` leur Nature, elles ne s’e´tabliroient pas. les Loix ne sont autre chose que ces relations observe´es et exprime´es. elles ne sont pas la cause de ces relations, qui, au contraire, leur sont ante´rieures. elles de´clarent que ces relations existent et doivent exister. elles sont la de´claration d’un fait. elles ne cre´ent, ne de´terminent, n’instituent rien. tout ce qu’elles statuent existoit avant leur institution. Il suit dela` qu’aucun homme, aucune fraction de la Socie´te´, ni meˆme la Socie´te´ entie`re, ne peut, a` pro-

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Ce passage partiellement inte´gre´ dans le chap. 5 du livre XIV. Voir la variante. Ce passage partiellement inte´gre´ dans le chap. 5 du livre XIV, avant celle qui pre´ce`de. Voir la variante. Ce texte se retrouve dans les additions au chap. 1 du livre IV (ci-dessus, pp. 177–178).

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Livre IV

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prement parler et dans un sens absolu, s’attribuer le droit de faire des Loix. les Loix, n’etant que l’expression des relations qui existent entre les homes, et ces relations e`tant de´termine´es par leur Nature, personne ne peut faire une loi nouvelle, car personne ne peut cre´er une relation qui n’existe pas. 161 Je lis dans la de´claration des droits : nul n’est home de bien, s’il n’est strictement et rigoureusement observateur des Loix. cela veut-il dire, que si je suis bon fils, bon e´poux, bon pe`re, bon ami, mais que j’oublie ou que je transgresse l’une des 32.000 loix qui composent notre code, je ne serai pas home de Bien ? j’apercois dans cette doctrine une morale tout aussi factice que celle des Fakirs de l’Inde qui attachent de la vertu ou du crime a` l’observance ou l’inobservance d’une foule de pratiques sans utilite´ ou sans danger. fo 26vo

172 la loi n’est point a` la disposition du le´gislateur. elle n’est point son œuvre spontane´e. le Le´gislateur est pour l’ordre social ce que le physicien est pour la nature. Newton lui meˆme n’a pu que l’observer, et nous de´clarer les loix qu’il reconnoissoit ou croyoit reconnoˆitre. Il n’imaginait pas sans doute qu’il put cre´er une loi nouvelle. ayons pour le monde moral le respect qu’avoit Newton pour le monde physique. 183 apre`s le Tremblement de Terre de Lisbonne, le Marquis de Pombal, pour empeˆcher le peuple de quitter en foule la ville, e´tablit un cordon de cavalerie sur les rives du Tage, et fit garder par de gros de´tachemens d’infanterie les rues qui aboutissoient a` la campagne. aucune secousse n’eut lieu, ce qui fit que ces pre´cautions n’eurent pas d’inconve´niens. mais si le Tremblement de Terre se fut renouvelle´, Il est clair que les obstacles mis a` la fuite du peuple auroient redouble´ le de´sespoir et les Malheurs : car on eut combattu et contre les elemens et contre les soldats. 194 Il y avoit exce´s dans nos institutions anciennes. Il y a encore plus exce´s dans nos institutions actuelles. Il s’agit, la plupart du tems, non d’ajouter, mais de retrancher. Je vous de´livre d’une Beˆte fe´roce, disoit Voltaire et vous me demandez ce que je mets a` la place. ce mot peut s’appliquer a` beaucoup de loix. gardons nous de conclure de la foule de loix que nous V: 3 et ces relations ] et 〈ent〉 ces relations LA 11 d’une foule de pratiques ] d’une foule 〈d’institu〉 de pratiques LA 24 Tremblement de Terre se fut ] Tremblement de Terre 〈de Lisbonne〉 se fut LA 1 2 3 4

Texte place´ dans le chap. 2, livre IV (ci-dessus, p. 181). Ce texte se retrouve dans les additions au chap. 1 du livre IV (ci-dessus, p. 178). Texte inte´gre´ dans les additions au chap. 3 du livre IV (ci-dessus, p. 184). Texte inte´gre´ dans les additions au chap. 5 du livre IV (ci-dessus, p. 189).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

trouvons e`tablies qu’une foule de loix est ne´cessaire a` l’ordre public. voyons quelles loix nous paraˆitraient indispensables, si pour la premie`re fois l’ide´e de loix se pre´sentoit a` nous.

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[Additions au livre V]

Livre V. Ch. 1.

fo 27ro

11 entre le le´gislateur et le gouvernant, lorsque l’un ou l’autre exce´de ses pouvoirs, il y a cette diffe´rence, que le le´gislateur a un orgueil farouche, et le gouvernant une vanite´ pue´rile. l’un veut eˆtre obe´i plutot que flatte´, parce que la flatterie partage´e avec un grand nombre, ne le convaincrait pas de son me´rite autant que l’obe´issance. l’autre aime a` eˆtre flatte´, plus encore qu’il ne veut eˆtre obe´i, parce que dispenser de l’obe´issance, apre´s l’avoir exige´e lui parait une seconde preuve de pouvoir 22 la ne´cessite´ suppose´e de pre´venir les de´lits n’est qu’un pre´texte pour l’indolence des gouvernans, qui aiment mieux nous enchainer que nous surveiller. mais ils doivent apprendre que le gouvernement est un poste de travail et de peine, que c’est a` nous gouverne´s, qu’appartient le repos et la liberte´, et a` eux gouvernans l’assujettissement, l’inquie´tude et le travail.

fo 27vo

33 C’est dans le Chap. XV. du Liv. XXVI. de l’Esprit des Loix que Montesquieu e´tablit des principes beaucoup plus favorables a´ la proprie´te´ qu’a` la liberte´. mais en examinant bien les raisonnemens, on voit qu’ils s’appliqueroient a` la liberte´ avec autant de force qu’a` la proprie´te´. C’est, dit-il, un paralogisme de dire que le bien particulier doit ce´der au bien public. cela n’a lieu que dans les cas ou il s’agit de l’Empire de la Cite´, c. a` d. de la liberte´ de citoyen. cela n’a pas lieu dans ceux ou il est question de la proprie´te´ des biens, parce que le bien public est toujours que chacun conserve invariablement la proprie´te´ que lui donnent les loix civiles. mais V: 2 Ch. 1. ] dans l’espace reste´ libre a` coˆte´ des mots Livre V. Ch. 1. on trouve, apre`s la nume´rotation du premier texte 1 la notice se rapportant a` ce premier texte 2des additions, reporte´ au Liv. III. ch. 5. LA 10 la ne´cessite´ ] dans la marge, a` coˆte´ du chiffre, le mot employe´ LA 15 C’est ] dans la marge, a` coˆte´ du chiffre, le mot employe´ LA 16 favorables a` la proprie´te´ ] favorables a` la 〈lib〉 proprie´te´ LA 18 a` la liberte´ avec autant de force qu’a` la proprie´te´ ] a` la 〈proprie´te´〉 liberte´ ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. avec autant de force qu’a` la 〈liberte´〉 proprie´te´ ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. LA 1 2 3

Morceau passe´ dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 715), mais pas dans le chapitre 5 du livre III. Ce texte, ainsi que le suivant, inte´gre´s dans le chap. 2 du livre V (ci-dessus, pp. 197–198). Copie du texte no 1019 de N. Voir aussi ci-dessus, p. 194.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

comment Montesquieu n’a-t-il pas senti que le bien public etoit toujours aussi que chacun conservaˆt sa liberte´ le´gitime ? pourquoi est-il facheux que sous le pre´texte du bien public on porte atteinte a` la proprie´te´ ? parce qu’une seule atteinte de ce genre ote a` toutes les proprie´te´s toute garantie, et que le systeˆme entier de la proprie´te´ est de´truit. mais il en est de meˆme de la liberte´. posons pour maxime, continue-t-il, que lorsqu’il s’agit de bien public, le bien public n’est jamais que l’on prive un particulier de son bien, ni meˆme qu’on lui en retranche la moindre partie. Nous en disons autant de la liberte´, et l’expe´rience le prouve.

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Livre V. ch. 2

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4 les gouvernans confondent trop Souvent la Surete´ publique avec leur se´curite´ individuelle. Le´gislateurs et Magistrats de tous les pays, c’est au Sacrifice de votre repos qu’est attache´ le repos de l’Etat. S’il faut qu’on vous e´pargne toute allarme, qu’on vous dispense de toute sollicitude, qu’on vous de´livre de tout souci vos fonctions sont de´nature´es. et que vous resteroit-il donc ? des honneurs et du pouvoir ? non, ce n’est pas la` votre partage. la Socie´te´ qui vous e´le`ve au poste que vous remplissez vous y de´voue a` une surveillance infatigable. c’est a` vous d’observer le ciel et les vents, d’e´viter les e´cueils, de diriger la manœuvre, de tenir assidument le gouvernail, et l’on n’inquie´tera pas les passagers pour favoriser le sommeil du pilote. Vigilance, activite´, fermete´, sagesse, voila` les ve´ritables pre´servateurs de la liberte´, et non pas l’exil arbitraire de ceux que l’on croit avoir a` craindre, quoi qu’on n’ait rien a` leur reprocher.

fo 28vo

5 quelquefois, les Le´gislateurs, pour pallier les injustices qu’ils comettent, sous le pre´texte de pre´venir les de´lits, ou de pourvoir a` la surete´ publique, recourent a` un subterfuge qui est aussi odieux qu’il est illusoire. Ils semblent plaindre ceux qu’ils frappent, ge´mir eux meˆmes de leurs vexations, et chercher a` les re´parer par des te´moignages d’estime et d’inte´reˆt. mais c’est priver les opprime´s du dernier appui qui leur reste. lorsqu’un citoyen est poursuivi par un homme puissant, s’il s’agit de lui ravir sa vie, sa reputation, ses biens, Il est a` espe`rer que l’opinion sera e´mue et qu’il trouvera des De´fenseurs. mais lorsqu’on pare de fleurs la victime, qu’on semble l’honorer, que l’on pre´tend que l’injustice ajoute a` sa gloire, on applanit le chemin du crime. ce n’est pas une peine, vous disent les enemis qui veulent sa perte, c’est une pre´caution qui devient presqu’un triomphe pour qui en [est] l’objet. ostracisme transporte´ dans les tems modernes. V: 25 ou de pourvoir a` ] ou 〈d’ass〉 de pourvoir a` LA 32 lorsqu’on ] la premie`re syllabe du syntagme ajoute´e dans l’interl. sup. LA 36 en est l’objet ] le ms. porte en l’objet faute que nous corrigeons LA en est l’objet PA

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Livre V

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61 En s’imposant le droit de pre´venir, les gouvernemens multiplient tellement leurs Devoirs que leur responsabilite´ devient sans bornes. leur respect pour les traite´s les plus saints, leurs me´nagemens pour la liberte´ individuelle, peuvent leur eˆtre impute´s a` crime. 72 dans un moment de trouble, il peut eˆtre le´gitime et sage d’ordonner aux citoyens de porter tel signe de ralliement, ou de se munir de telle autorisation de la surete´ publique. mais il est e´vident que si cet ordre portoit sur une classe particulie´re, Il seroit souverainement injuste. comme les loix prohibitives sont beaucoup plus favorables aux em83 pie´temens de l’autorite´ que les loix pe´nales, l’autorite´ se plaˆit a` exage´rer le peu d’influence des dernie`res, pour recourir largement aux autres.

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Livre V. Ch. 4

fo 29ro

94 l’arbitraire en faveur de la vertu est infiniment plus dangereux que l’arbitraire en faveur du crime. lorsque des sce´le´rats violent les formes contre des hommes honeˆtes, on sait que c’est un de´lit de plus. on s’attache aux formes par leur violation meˆme. on apprend en silence et par le malheur, a` les regarder comme des choses sacre´es, protectrices et conservatrices de l’ordre social. mais lorsque des homes honeˆtes violent les formes contre des sce´le´rats, le peuple ne sait plus ou il en est. les formes et les Loix se pre´sentent a` lui come des obstacles a` la justice. Il contracte je ne sai quelle habitude, Il se baˆtit je ne sai quelle the´orie d’arbitraire e´quitable qui est le bouleversement de toutes les ide´es, car dans le corps politique il n’y a que les formes qui soient stables, et qui re´sistent aux homes. le fonds meˆme, c’est a` dire, la justice, la vertu peuvent eˆtre de´figure´es. Leurs noms sont a` la merci de qui veut les employer. Un trait commun a` tous les partis, c’est de ne pas haı¨r l’arbitraire en lui meˆme, la premie`re chose qu’il faille haı¨r dans un pays libre, mais seulement tel ou tel arbitraire, qui contrarie nos impulsions et nos interets. des qu’il est admis de parler de circonstances, il y a toujours des circonstances a` invoquer contre les principes. les factions marcheront de circonstances en circonstances, sans cesse en dehors de la loi,

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Texte inte´gre´ dans le chap. 5 du livre V (ci-dessus, p. 207). Texte qui devient une note du chap. 2 du livre V (ci-dessus, p. 198). Morceau inte´gre´ dans les additions au chap. 2 du livre V (ci-dessus, p. 199). Morceau qui sera inte´gre´, ainsi que le texte suivant, aux additions du chap. 4, livre (ci-dessus, pp. 204–205).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

tantot avec des intentions pures, tantot avec des projets perfides, demandant e´ternellement de grandes mesures, au nom du peuple, de la liberte´, de la justice. dans tout ce que le salut public exige, il y a deux manie`res de proce´der, l’une le´gale, l’autre arbitraire. la premie´re est la seule qui puisse eˆtre admise, et c’est toujours a` la longue celle dont le gouvernement meˆme se trouve le mieux. Tant que l’on ne conside`re l’arbitraire que come un instrument qu’il ne faut qu’arracher a` son ennemi pour s’en servir, cet ennemi s’efforce a` son tour de s’en emparer, et la lutte est e´ternelle, parce que les moyens arbitraires sont ine´puisables. fo 29vo

10 toutes les mesures arbitraires, toutes les formules destine´es a` servir de pre´texte a` l’oppression, retombent sur leurs auteurs. j’en trouve un exemple frappant dans les actes de l’assemble´e constituante, et j’employerai pour les rapporter les expressions d’un de ses membres. clermont tonnerre. IV. 90. l’assemble´e Nationale voulut de´clarer la liberte´ absolue des opinions religieuses. les Preˆtres catholiques, les Partisans de la religion dominante force`rent l’assemble´e a` modifier ce principe, en y ajoutant cette phrase, pourvu que la manifestation des opinions religieuses ne trouble pas l’ordre public. on abusa bientot avec cruaute´, contre cette meˆme religion dominante, de cette phrase obscure et vague, que son influence avoit fait adopter. les amis trop ardens de la Re´volution se pre´valurent de la re´daction qu’ils avoient eux meˆmes combattue, pour accabler, contre toute raison ceux qui la leur avoit arrache´e. l’arbitraire nuit encore en ce qu’il empeˆche tout calcul durable. or la 11.1 morale a besoin de ce genre de calcul. le moment peut eˆtre pour le vice, le tems seul est toujours pour la vertu. 12.2 les anciens croyaient que les lieux souille´s par les crimes devoient subir une expiation : et moi je crois qu’a` l’avenir le sol fle´tri par un acte arbitraire, aura besoin pour eˆtre purifie´ de la punition e´clatante du coupable, et toutes les fois que je verrai chez un peuple un citoyen arbitrairement incarce´re´, et que je ne verrai pas peu de tems apre`s trainer dans les meˆmes cachots et le satellite qui l’arreˆta, et le geolier qui le recut, et le gouvernant, quel qu’il soit, qui viola les formes, je dirai. ce peuple ne sait ni desirer ni me´riter d’etre libre, et n’en est pas encore aux premieres notions de la liberte´.

V: 35 peuple ... fureur ] au dessus de ces mots, dans l’interl. sup. a` placer ds le livre XVIII. LA 1 2

Devient une note du chap. 4, livre V (ci-dessus, p. 202). Passe dans les additions au chap. 4, livre V (ci-dessus, pp. 205–206).

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Livre V

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13 B.1 quand c’est un peuple en fureur qui attente a` la proprie´te´ ou a` la vie des citoyens, ceux ci peuvent avoir recours a` la loi : mais quand la loi meˆme se fait l’organe de la proscription, tout est perdu. Livre V. ch. 4.

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142 Il faudra dans ce chapitre indiquer brie´vement la diffe´rence entre les mesures a` prendre contre les pouvoirs et celles contre les Individus, et placer quelques ide´es sur le pouvoir neutre ou pre´servateur. les Triumvirs s’accorde`rent pour retrancher d’une Re´publique dont la 153 perte e´toit devenue ne´cessaire ceux qui s’obstinoient a` vouloir la de´fendre. approbation implicite des proscriptions. Ferrand I. 392.

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16 B4 Si vous entrainez le peuple loin de la morale pour arriver a` un But, coment lui rendrez vous la morale, quand ce but sera atteint ? 17.5 les grandes entreprises des negocians sont toujours ne´cessairement meˆle´es avec les affaires publiques. mais dans les monarchies, les affaires publiques sont la plupart du tems aussi suspectes aux marchands, qu’elles leur paraissent sures dans les etats Re´publicains. E. d. L. XX. 4.

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Liv. V. Ch. 5.

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186 S’il e´toit donne´ a` l’homme d’intervertir une seule fois l’ordre des saisons, quelqu’avantage qu’il en put retirer dans une circonstance particulie´re, Il n’en e´prouveroit pas moins un de´savantage incalculable, en ce qu’il ne pourrait plus, dans la suite, se reposer sur l’invariable re´gularite´ et sur la succession uniforme qui sert de baze a` ses travaux. V: 1 ch. 4. ] dans l’espace reste´ libre, apre`s le chiffre 14 cette note Livre VI. employe´. LA 5 s’accorde`rent ] au-dessus de ce mot, dans l’interl. employe LA 8 le peuple loin de ] au-dessus de ces mots, dans l’interl. a` placer dans le liv. XVIII. LA 10 les ] au-dessus de ce mot, dans l’interl. employe´ LA 1 2

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Ce texte, ainsi que celui nume´rote´ «16 B», transporte´s dans les additions au chap. 5 du livre XVIII (ci-dessus, p. 701). Copie du texte no 561 de N. Ce texte est issu sans aucun doute de la note 562 des «Me´langes», recueil de notes nume´rote´es du ms. N. Voir p. 232, illustration 5. Puisque la note 16 B est identique a` la note 572 du manuscrit N et que la copie est date´e du 23 octobre 1810, nous pouvons eˆtre certains que la re´daction du fo 30 de LA s’est faite ce jour-la`. Ce morceau devient une note du chap. 1 du livre VI (ci-dessus, p. 212). Copie du texte no 571 de N. Devient la dernie`re des additions au chap. 5 du livre XVIII, p. 701. Cette maxime se retrouve dans le ms. Co 3492 (N), sous le nume´ro 572. Devient une note du chap. 4 du livre V (ci-dessus, p. 203). Passe dans les additions au chap. 4, livre V (ci-dessus, p. 206).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre

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VI.

VI]

ch. 1.

19.1 les homes, en se re´unissant, ne font que mettre en comun ce que chacun d’eux posse´dait isole´ment. Mille individus qui s’associent donent par cette association une garantie et de la force aux droits ante´rieurs qu’ils avoient, mais ne se cre´ent aucun nouveau Droit. les droits de la majorite´ ne sont que l’aggre´gation des droits de chacun. les peuples ne sont que des aggre´gations d’individus. leurs droits ne sont que la re´union des droits individuels. d’apre`s ces ve´rite´s e´videntes, quelle pourrait eˆtre cette morale publique, qu’on veut opposer a` la morale prive´e ? la morale publique ne se compose que de l’aggre´gation des devoirs et des droits particuliers. or l’injustice n’e´tant le Droit de persone ne peut eˆtre le droit de tous. les Individus acquerroient ils en se re´unissant, un Droit qu’ils n’avoient pas etant isole´s.

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Cette note se retrouve au chap. 1 du livre

VI,

p. 214.

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[Additions au livre

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VII.

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Ch. 2.

1.1 Inde´pendamment de la parole et de la presse, les Individus ont un autre moyen de manifester leurs opinions, celui de se re´unir pour les discuter. tous nos souvenirs se soule´vent contre l’exercice de cette faculte´ dont l’abus est si dangereux. je n’excuserai pas assure´ment les rassemblemens insense´s et monstrueux qui ont pre´cipite´ le peuple dans des exce´s de tout genre. je ne connois qu’une circonstance qui justifie les associations d’opinion entre de simples particuliers : c’est le besoin de reclamer pour des individus opprime´s. une sorte de courage contagieux force les faibles a` paraˆitre forts. une assemble´e, dans les momens de danger, est d’ordinaire dirige´e par les plus braves. l’esprit de corps supple´e a` l’esprit de justice et l’usurpation aperc¸oit une barrie`re. mais sous tous les autres rapports, les Re´unions que les citoyens forment entr’eux, pour discuter leurs opinions sont plus nuisibles qu’utiles. elles sont le plus souvent dirige´es par de pre´tendus re´formateurs, qui se mettent a` la place du tems et de la volonte´ publique. c’est une petite minorite´ qui veut comander au nom de tous. ces hommes entourent leurs the´ories d’une force qui n’est point celle de la ve´rite´. Ils e´tablissent au sein des re´unions qu’ils dominent une sorte de gouvernement, qui a tout le poids des gouvernemens re´guliers, sans avoir aucun de leurs avantages. le Re`gne des Clubs est la tyrannie la plus de´gradante, la plus inhumaine et la plus grossie´re. En conclurons nous que le gouvernement ait le droit de proscrire ces re´unions, de limiter le nombre des assistans, d’interdire l’examen de certaines questions dangereuses. toutes les loix de ce genre sont e´mule´es ou sont arbitraires2. elles exigent de plus des moyens de corruption, car il faut de´grader une partie de la socie´te´ pour surveiller et de´noncer l’autre. Or toutes les fois que sur un objet quelconque, il est impossible de faire une loi tout a` la fois pre´cise, exe´cutable, et qui n’ait pas besoin d’agens corrompus, cet objet ne demande et ne comporte pas de loi. il faut chercher un autre reme`de, et ce reme`de est la liberte´. que le gouvernement n’interdise point les re´unions, mais qu’il maintienne une liberte´ ve´ritable. qu’il defende la liberte´ des Individus contre les re´1 2

Ce texte est reproduit en note au chap. 3 du livre-VII (ci-dessus, pp. 237–238). Le verbe «e´muler», qui signifie «chercher a` e´galer ou a` surpasser» est peu usite´ (TLF, t. VII, p. 997b). Fe´raud (Dictionnaire critique, t. II, p. 70b) le conside`re comme un «ne´ologisme peu heureux». L’emploi qu’en fait BC ici pourrait se gloser «lois qui sont le fruit d’une surenche`re».

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

unions qui tenteroient de l’opprimer. ces re´unions, en perdant tous les moyens de faire du mal, prendront bientot toute leur importance. Si les Individus qui se re´unissent nuisent a` la surete´ de ceux qui ne font pas partie de leur re´union, que le gouvernement se´visse contre les perturbateurs de l’ordre, non comme membres d’une socie´te´ ou d’une secte, mais come perturbateurs. Il seroit facile de prouver, que les clubs n’ont acquis, dans la Re´volution francaise leur monstrueuse puissance, que parce qu’ils ont employe´, de`s l’origine, pour ranger sous leurs e´tendarts les citoyens contre leur gre´, des moyens de force que le gouvernement auroit du punir. une loi pe´nale contre les exce´s de cette nature auroit mieux valu que toutes les loix prohibitives. elle auroit e´te´ d’un effet plus sur et d’une exe´cution plus facile. mais come les loix prohibitives sont plus favorables aux empie´temens de l’autorite´ et a` sa paresse que les loix pe´nales, elle aime a` s’exa ge´rer le peu d’influence des premie`res pour recourir largement aux autres. l’on suppose que les questions politiques ont plus de tendance que les questions de toute autre espe´ce a` mettre en fermentation les passions humaines. c’est une erreur. l’importance intrinse´que d’un objet influe moins sur l’ardeur avec laquelle les homes s’agitent, que celle qu’ils attachent a` eux meˆmes ; l’esprit de parti se compose moins de l’appre´ciation de la chose dispute´e, que des engagemens qu’a pris l’amour propre, des sacrifices que l’on a faits, des dangers que l’on court, des allie´s dont on s’entoure, et des ennemis que l’on combat. L on a massacre´ pour les courses de char et les couleurs bleue et verte, dans le Cirque de Constantinople, avant autant d’acharnement que dans les carrefours de Paris pour la religion et la liberte´. L’on a sollicite´ des lettres de cachet contre les Gluckistes et les Piccinistes, come contre les philosophes et les athe´es. conside´rez donc les re´unions comme les Individus. ignorez les, si elles sont paisibles. se´vissez contr’elles, si elles troublent l’ordre public. frappez les actions : abandonez le reste a` la liberte´. mais sachez l’assurer, la garantir. vous la trouverez alors essentiellement infailliblement re´paratrice. 2.1 Chacun doit avoir la liberte´ de penser ce qui lui plait, mais non de propager ses opinions si elles sont dangereuses, come il est permis d’avoir du poison dans son cabinet, mais non de le distribuer ou d’en faire usage. parmi les phrases qui prouvent jusqu’a` quel point les homes sont dupes des mots, celle qu’on vient de transcrire et qui a e´te´ re´pe´te´e par maint e´crivain, V: 17 d’un objet influe ] d’un〈e question〉 objet ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. influe LA 20 que des ] que de 〈l’oppressi〉 ; BC en se corrigeant a re´crit le «s» du mot des sur l’article colle´ au mot de LA 1

Ce texte est reproduit en note au chap. 2 du livre-VII (ci-dessus, p. 234).

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Livre VII

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est une des plus remarquables. On la retrouve dans les pre´ambules des e´dits, dans tous les discours mitige´s sur la tole´rance, par lesquels on tentait de retarder les progre`s : et il est de fait que les homes e´claire´s ont cru pendant quelque tems devoir tenir compte aux possesseurs de l’autorite´ de cette pre´tendue indulgence. ainsi l’on se feroit un me´rite de nous permettre de penser ce qui nous paraˆitrait raisonnable ! mais comment pouvoit-on nous en empeˆcher ? on nous imposoit un indigne silence ! par quels moyens auroit on pe´ne´tre´ dans le secret de nos pense´es qu’on nous de´fendoit d’exprimer ? on pre´tendoit a` notre reconoissance : et l’on nous fesoit tout le mal qu’on pouvoit nous faire ! on respectoit disoit-on l’inde´pendance de notre pense´e ; Oui, aussi longtems qu’on l’ignoroit, aussi longtems que silencieuse et ste´rile elle restoit renferme´e dans notre sein, de´pouille´e de toute expression, prive´e de toute comunication sociale, de cette source fe´conde de rectitude et de perfectionnement, Mais exprimer sa pense´e est un besoin de l’home. la pense´e elle meˆme n’est quelque chose que lorsqu’elle est exprime´e. que fera le pouvoir contre la pense´e qu’il ne conoit pas ? Insolente de´rision de la tyrannie qui pre´tend accorder ce quelle ne peut refuser ! Livre

fo 35ro

VII.

la maladresse du Le´gislateur, dit Bentham cre´e souvent elle meˆme 4.2 une opposition entre la sanction naturelle et la sanction politique. III. 24. Il reconoit donc une sanction naturelle. 53 dans les e´tats ou le peuple n’a point de part au gouvernement, il s’e´chauffera pour un acteur, comme il auroit fait pour les affaires. E. d. L. II. 2. V: 17 pretend ] le ms. porte prend distraction e´vidente que nous corrigeons LA pre´tend PA 22 apre`s avoir cause´ ] apre`s avoir 〈de´truit〉 cause´ LA 24 de Le´gislation ] lecture incertaine de Le´gislateur (?) au-dessus de ce mot dans l’interl. 2des additions. Liv. II. Ch. 7. LA

2 3

10

15

ch. 2.

31 que peut-on imaginer de plus frivole que la diffe´rence des couleurs dans des courses de chevaux ? cependant cette diffe´rence cre´a les factions les plus acharne´es dans l’Empire grec, les Prasini et les Veneti, qui ne suspendirent leur animosite´, qu’apre`s avoir cause´ la perte de ce malheureux gouvernement. Hume. Essai 8. p. 54.

1

5

Inte´gre´ dans la longue note a du chap. 3 du livre VII (ci-dessus, p. 238). Morceau qui sera porte´ dans les «Secondes additions e´parses» et qu’on retrouve dans le chap. 2 du livre XVIII (ci-dessus, p. 716 et p. 670). Passera dans une note du chap. 3 du livre VII (ci-dessus, p. 238, lignes 24–26).

20

25

754

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Livre

fo 36ro

VII.

Ch. 3

6.1 la conqueˆte subite de la liberte´ enyvre des esclaves. la jouı¨ssance de la liberte´ forme des homes dignes de la posse´der. 7.2 Il est absurde de vouloir cacher les ve´rite´s contraires a` la constitution e´tablie. l’ordre etabli pouvant eˆtre renverse´, mais les homes sont familiarise´s avec les erreurs qu’il renfermoit, et pre´pare´s au principe qu’il faut mettre a` la place, plus il y aura, dans le renversement et dans ses suites, de de´sordres et de malheurs. 8.3 j’admets, pour un instant, que de certains livres puissent corrompre les mœurs, ou e´branler les principes de la morale. il faut apprendre aux homes a` se pre´server de ces dangers par leurs propres forces, par leur raison, et en s’en de´fendant eux meˆmes. si vous ne faites qu’e´couter les ide´es corruptrices et les Sophismes dangereux, les hommes se trouveront de´sarme´s quand ils les rencontreront, et se laisseront de´sarmer ou pervertir beaucoup plus vite. les enfans, dont on a toujours enveloppe´ la teˆte de peur qu’ils ne se la blessassent en tombant, tombent un jour que leur teˆte n’est pas garantie et se la cassent.

fo 36vo

l’on suppose que les questions politiques ont plus de tendance que les 94 questions de toute autre espe`ce a` mettre en fermentation les passions humaines. C’est une erreur. l’importance intrinse`que d’une question influe moins qu’on ne pense sur l’ardeur avec laquelle les hommes s’agitent. l’esprit de parti se compose moins de l’appre´ciation de l’objet qu’on se dispute, que de l’appre´ciation de soi meˆme, des sacrifices que l’on a faits, des dangers que l’on court, des allie´s dont on s’entoure et des Ennemis que l’on combat. l’on a massacre´ pour les courses de char et les couleurs bleues et vertes dans les Cirques de Constantinople, aussi longtems et avec autant d’acharnement que pour la Religion et la liberte´ dans les Carrefours de Paris. On a sollicite´ des Lettres de Cachet contre les Gluckistes et les Piccinistes, comme contre les philosophes et les athe´es. V: 4 cacher .... a` ] au-dessus de ces mots, dans l’interl. 7. renvoye´ a l’autre ouvrage. LA constitution ] 〈l’ordre e´tabli〉 la constitution LA 1

2 3 4

la

Cette ide´e se retrouve dans une note du chap. 3, livre VII, et dans le chap. 3 du livre XVII (ci-dessus, pp. 243 et 654). Notons que les fos 36 et 37 proviennent probablement d’un ancien manuscrit que BC arrange ici pour ses besoins. Texte non repe´re´. L’ouvrage dont il est question dans la note (voir la variante) n’est pas identifie´. Passe, avec le morceaux 10 ci-dessous, dans une note du chap. 3, livre VII (ci-dessus, p. 241). Inte´gre´ dans une longue note du chap. 3, livre VII (ci-dessus, p. 238).

5

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15

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25

Livre VII

755

10. S’il est de l’Interet d’un individu de re´pandre de mauvaises maximes, Il sera de l’interet de mille autres de les refuter.

fo 37ro

fo 37vo

11.1 comparez les effets, dans les gouvernemens qui ont ge´ne´ la publication des pense´es et dans ceux qui leur ont laisse´ un libre cours. vous avez d’un cote´ l’Espagne, le Portugal, l’Italie, vous avez de l’autre l’Angleterre, la Hollande, l’Ame´rique Septentrionale. ou y a-t-il plus de mœurs et plus de bonheur ? ou se comet-il plus de crimes ? ou la socie´te´ est elle plus douce. Bentham III. 20. qu’est-ce qu’un censeur ? c’est un juge interesse´, un juge unique, un juge arbitraire, qui fait une proce´dure clandestine, condamne sans ouı¨r, et de´cide sans appel. Benth. III. 21. quant a ce mal qui peut re´sulter de la censure, il est impossible de l’e´valuer, car il est impossible de dire ou il s’arreˆte. ce n’est rien moins que le danger d’arreˆter tous les progre`s de l’esprit humain dans toutes les carrie´res. ib. 22. s’il n’avoit tenu qu’aux homes constitue´s en Autorite´ d’arreˆter la marche de l’Esprit humain, ou en serions nous aujourdhui ? Religion, le´gislation, physique, morale ; tout seroit encore dans les Te´ne´bres. ib. 23. la ve´ritable Censure est celle d’un public e´claire´ qui fle´trit les opinions dangereuses, et fausses, et qui encourage les de´couvertes utiles. l’audace d’un libelle, dans un pays libre, ne le sauve pas du me´pris ge´ne´ral. mais par une contradiction facile a` expliquer, l’indulgence du public a` cet e´gard se proportionne toujours a` la rigueur du gouvernement. ib. 23.

5

10

15

20

12.2 sous l’ancien Re´gime franc¸ois, il suffisoit qu’un livre de science morale fut imprime´ a` Paris pour inspirer une pre´vention de´favorable. Benth. III. 178. Un peuple assure´ de ses droits en jouı¨t avec mesure et tranquillite´. 13.3 s’il en abuse, c’est qu’il en doute. la pre´cipitation est l’effet de sa crainte. Benth. III. 190. Livre

fo 38ro

VII.

Ch. 4.

144 L’observation que lorsqu’un gouvernement mettant des entraves a` la pense´e, empeˆche ses sujets a` s’occuper par eux meˆmes et il faut qu’il les V: 30 eux meˆmes et il faut ] eux meˆmes et 〈que pour les occu〉 il faut LA 1

2 3 4

25

Morceau transcrit partiellement dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 715) et qui sera repris ci-dessous, p. 758. Il s’agit d’extraits de l’ouvrage de Bentham dont BC retiendra quelques-uns pour ses notes. Passe dans une note du chap. 3, livre VII (ci-dessus, p. 244). Passe dans une note du chap. 3, livre VII (ci-dessus, p. 243). Devient le de´but d’une note du chap. 5, livre VII (ci-dessus, p. 260).

30

756

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

occupe et que pour les occuper Il fasse des choses extraordinaires, est de circonstance. les gouvernemens qui ge`nent l’activite´ individuelle ont aussi la possibilite´ ou de ne rien faire et de rester immobiles, en forcant la nation a` demeurer telle. c’est ce qu’ils font souvent. alors ils s’abrutissent eux et la nation. 15.1 malgre´ l’e´clat du re`gne de charles quint, et les richesses immenses accumule´es dans les coffres de Philippe II, l’autriche ne fit que de´cliner depuis la paix de Cateau Cambresis. celle de Vervins commenca ses restitutions : celle de Westphalie lui couta l’abandon de la Hollande et de l’Alsace : celle des Pyre´ne´es confirma ces Sacrifices et en entraina d’autres. avant la fin du meˆme siecle, Il lui fallut renoncer a` la Franche Comte´, et dans le siecle suivant, elle perdit en moins de 50 ans l’espagne, le nouveau monde, Parme, la Sicile, Naples et la Sile´sie. Ferr. IV. 395. Livre

fo 39ro

VII.

17.3 la pense´e est un besoin de l’home, come tous les autres. il est impossible de faire taire ce besoin, en invitant l’homme a en satisfaire un diffe´rent. tous les besoins de l’home veulent eˆtre satisfaits. 184 Ce´sar, des qu’il eut enleve´ aux Romains leur liberte´, et par la leur occupation exclusive et unique, fut oblige´ de leur annoncer la guerre des Parthes. Louis XIV ayant re´ussi a` rendre plus lourd le joug de l’autorite´, jetta V: 3 individuelle ont aussi la possibilite´ ou de ] individuelle ont 〈l’alternative〉 aussi la possibilite´ ces trois derniers mots e´crits dans l’int. sup. ou de LA 18 dominent ] suit un signe de renvoi + dont on ne connaıˆt pas la signification LA

2 3 4

10

Ch. 5.

162 Il y a, je le sai, des homes tellement concentre´s dans le besoin de l’autorite´, tellement de´vore´s d’un apre et sombre e´goisme, que ce tableau meˆme pourrait ne les pas e´pouvanter. il faut que la pense´e pe´risse pour qu’ils dominent, et dussent les arts, les sciences, et les Lettres pe´rir avec la pense´e, Ils de´pouilleront volontiers l’espe´ce humaine de toutes les pompes de sa nature, pour perpetuer leur empire sur cette espe´ce mise´rable et mutile´e. on dirait que le ge´nie du mal les a lance´s sur la terre, de quelque plane´te inconnue, en leur donant la figure de l’homme pour la perte de l’humanite´.

1

5

Revient dans une note du chap. 4, livre VII (ci-dessus, p. 251). Inte´gre´ dans une note, chap. 5, livre VII (ci-dessus, p. 262). Addition au chap. 5, livre VII (ci-dessus, p. 263). Partie d’une note, chap. 5, livre VII (ci-dessus, p. 261).

15

20

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Livre VII

fo 39vo

757

la france dans une suite de guerres, fit devaster le Palatinat, bouleversa l’Europe, le tout pour fournir un aliment a` l’inquie´tude d’un peuple nouvellement asservi. rien n’est plus naturel. sous une administration semblable, le gouvernement se met a` la place de la nation. on ne parle plus de la Nation comme dans les Etats libres, on parle du gouvernement. Or il faut alors que le gouvernement pre´pare sans cesse de quoi faire parler. les gouvernans se trouvent en quelque sorte vis a` vis des gouverne´s dans la situa tion des favoris, vis-a`-vis des Rois, bien que sous tout le reste leurs rapports soient tre´s diffe´rens. Louvois pre´cipita Louis XIV dans une entreprise de´sastreuse, pour lui oter le tems de re´fle´chir sur la conduite de Ses ministres. il faut que les gouvernans qui enle´vent aux gouverne´s l’exercice le´gitime de leurs faculte´s les tiennent dans un e´tat d’e´tourdissement continuel par des entreprises gigantesques. 191 les gouvernemens voudroient que les homes fussent souples pour leur obe´ir et courageux pour les de´fendre, ignorans de manie´re a` ne jamais avoir d’opinion a` eux, et e´claire´s de manie´re a` eˆtre des instrumens habiles. mais cette re´union de choses oppose´es et incompatibles ne dure jamais longtems. 202 dans une nation libre, il est tre´s souvent indiffe´rent que les particuliers raisonnent bien ou mal, Il suffit qu’ils raisonnent... de meˆme, dans un gouvernement despotique, Il est e´galement pernicieux qu’on raisonne bien ou mal : il suffit qu’on raisone, pour que le principe de gouvernement soit choque´. E. d. L. XIX. 27. Livre

fo 40ro

VII.

V: 8 sous tout le reste leurs rapports ] sous tout le〈s autres〉 reste leurs rapports LA

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Ch. 6.

21.3 La presse est en Chine aussi libre qu’en angleterre et chacun peut exercer la profession d’Imprimeur, ce qui est, observe Barrow, dans son

1

5

Inte´gre´ dans une note, chap. 5, livre VII (ci-dessus, pp. 259–260). Partie d’une note, chap. 5, livre VII (ci-dessus, p. 262). A rapprocher de la note 600 du ms. Co. 3492 qui dit : «Le voyage en Chine de John Barrow, 3 vol. a` Paris chez Buisson, peut servir a` montrer ce que devient pour la morale comme pour tout un peuple stationnaire.» BC a utilise´ cette note le 28 septembre 1810. On trouve un texte plus proche encore dans le meˆme dossier (NAF 18823, fo 62vo) sous le no 1072 : «Borrow, Voyage en Chine, II. 178. M. de Paw observe dans ses recherches, que la Chine est entie`rement gouverne´e par le fouet et par le Bambou. A ces deux choses il auroit pu ajouter le calendrier annuel et la Gazette de Pe´king, car ce sont dans les mains du gouvt deux instrumens qui contribuent puissamment au [...]» (le texte s’arreˆte la`). La note 21 est partiellement utilise´e. Voir ci-dessus, livre VII, chap. 4, p. 259.

25

758

fo 40vo

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Voyage en Chine II. 178., une chose singulie´re, et l’unique peut eˆtre de son Espe`ce dans un gouvernement despotique. mais la manie´re expe´ditive dont on punit, dans ce pays, sous la formalite´ d’une instruction juridique toute espe`ce de faute, suffit pour arreˆter la licence de la presse. l’imprimeur, le vendeur, Le lecteur d’un e´crit qui deplairait a l’autorite´, sont e´galement dans le cas de recevoir la punition du bambou. la Publication d’un ouvrage qui contiendrait des Re´flexions sur la conduite du gouvernement ou sur celle de ses principaux officiers, serait suivie de la perte certaine de l’auteur et de l’Imprimeur. Aussi rien ne pesait sur l’administration et la politique si ce n’est la gazette de Pekin. M. de Paw observe dans ses recherches que la chine est entie´rement gouverne´e par le fouet et par le Bambou. a` ces deux choses, il auroit pu ajouter le calendrier annuel et la gazette impe´riale. car ce sont deux Instrumens d’un usage habituel entre les mains du gouvernement. cette gazette sert a re´pandre dans tous les coins de l’Empire, l’eloge des vertus et de l’affection paternelle du souverain qui occupe le throne. elle a la forme d’un petit pamphlet. On la publie tous les deux jours. Les missionaires ont pre´tendu qu’une mort imme´diate seroit la punition d’un mensonge inse´re´ dans cette gazette. cependant elle est fameuse pour publier la description de combats qui n’ont point e´te´ livre´s, et pour annoncer des Victoires qu’on n’a jamais remporte´es. les missionaires se sont mal explique´s. Ils vouloient seulement dire que l’e´diteur de la gazette serait puni, s’il s’avisait d’y inse´rer quelqu’article qui ne lui serait pas envoye´ par le gouvernement.

Livre

fo 41ro

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VII.1

Comparez les effets dans les gouvernemens qui ont geˆne´ la publication des pense´es et dans ceux qui leur ont laisse´ un libre cours. Vous aurez d’un cote´ l’Espagne, le Portugal, l’Italie : vous aurez de l’autre l’angleterre, la Hollande, l’Ame´rique Septentrionale. ou y a-t-il plus de mœurs et plus de bonheur ? ou se commet-il plus de crimes ? ou la Socie´te´ est-elle plus douce ? Benth. III. 20.

V: 4 espe`ce de faute, suffit ] espe`ce de faute, 〈fait〉 suffit LA 5 lecteur d’un e´crit ] lecteur d’un 〈pamph[l]et〉 e´crit LA 24 Livre VII ] suit dans l’espace reste´ libre 2des additions LA 1

5

Les deux notes que voici se retrouvent de´ja` plus haut dans ce dossier (voir ci-dessus, p. 755). BC s’est servi pour son travail d’anciennes notes de lecture.

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Livre VII

759

Qu’est ce qu’un censeur ? c’est un juge inte´resse´, un juge unique, un Juge arbitraire, qui fait une proce´dure clandestine, condamne sans ouı¨r, et de´cide sans appel. Benth. III. 21.

760

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre

Livre

fo 42ro

VIII.

VIII]

ch. 3.

1.1 Raisons assez inge´nieuses de M. Hume pour salarier les religions, mais alors il faudrait les salarier toutes. Smith. V. 1. principes excellens de liberte´ religieuse. Smith. ibid. Il prouve tre´s inge´nieusement que la multiplication des sectes est tre´s favorable a` la morale. quand les Sectes sont tre´s nombreuses dans un pays, elles se contien2.2 nent mutuellement, et dispense le souverain de transiger avec aucune d’elles pour la contenir : quand il n’y a qu’une secte dominante, le Gouvernement est oblige´ d avoir recours a` mille moyens pour n’avoir rien a` en craindre, et il finit toujours par s’emparer d’une influence qui avilit la religion. Livre

fo 43ro

VIII.

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Ch. 5.

3.3 Ceux qui de´fendent la Religion aujourdhui la de´fendent comme appui du Despotisme. Livre

fo 44ro

VIII.

Ch. 7.

5.4 Bentham, d’apre`s son principe unique celui de l’utilite´, veut soumettre au calcul la Religion. mais ne sent-il pas qu’il sappe la Religion dans sa baze, en la pre´sentant come utile, avant de la pre`senter comme divine. Nous ajouterons qu’il la de´grade. Nous ajouterons encore qu’il suppose une classe dhommes jugeant la Religion, et l’imposant a` une autre classe. Du reste les principes sont bons come non-intervention de l’autorite dans ce qui regarde la Religion. Bentham. III. 134. V: 8 et dispense le souverain ] et dispense verbe bien au singulier dans le texte le souverain LA 1 2 3 4

Devient une addition au chap. 3, livre VIII. Le renvoi a` Smith est supprime´. Voir ci-dessus, p. 279. Revient dans le texte principal (chap. 3, livre VIII). Constant a utilise´ cette fiche en travaillant au manuscrit de Lausanne. Addition au chap. 8, livre VIII (ci-dessus, p. 288). Addition au chap. 7, livre VIII (ci-dessus, p. 286).

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Livre VIII

Livre

fo 45ro

VIII.

761

ch. 8.

6.1 l’autorite´ fait du mal encore, lorsqu’e´blouı¨e de la chime`re d’une harmonie inutile et impossible, elle veut rapprocher des croyances diffe´rentes. les moindres dissemblances, inaperc¸ues, tant que le pouvoir ne s’en meˆle pas, deviennent des germes de discorde, s’il s’en meˆle. Fre´deric Guillaume, le pe`re du grand Fre´deric, e´tonne´ de ne pas voir re´gner dans la religion de ses sujets la meˆme discipline que dans ses cazernes, voulut un jour re´unir les Luthe´riens et les re´forme´s. Il retrancha de leurs formules respectives ce qui occasionnoit leurs dissentimens et leur ordonna d’eˆtre d’accord. jusqu’alors ces deux sectes avoient ve´cu se´pare´es, mais dans une intelligence parfaite. condamne´es a` l’union, elles commence`rent aussitot une guerre acharne´e, s’attaquant entr’elles, et re`sistant a` l’autorite´. Fre´deric II monta sur le trone. il laissa toutes les opinions libres. les deux Sectes Se combattirent sans attirer Ses regards, elles parle`rent sans eˆtre e´coute´es. bientot elles perdirent l’espoir du succe`s et l’irritation de la crainte. elles se turent. les diffe´rences subsiste`rent et les dissentions furent appaise´es. Livre

fo 46ro

VIII.

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Ch. 9.

7. L’Interim de Charlesquint est l’un des plus plaisans exemples, sauf les conse´quences, que l’histoire nous offre, de la tole´rance de l’autorite´. 8. Il n’existe qu’un seul principe en fait d’opinion, c’est une liberte´ comple`te. toutes les fois qu’on veut s’en e´carter, l’on tombe dans des absurdite´s plus ou moins choquantes, mais toujours e´galement dangereuses, parce qu’elles se tiennent toutes, et que l’une rame`ne ne´cessairement les autres. l’ide´e d’accorder de la tole´rance aux opinions de´ja existantes, et d’en refuser a` celles qui pourroient naˆitre, part de la supposition que croire ou ne pas croire est un effet de la volonte´. d’apre´s ce principe, on pense eˆtre singulie`rement humain, en se preˆtant aux faiblesses que l’habitude a rendues ne´cessaires, et avoir le droit d’interdire tout e´cart nouveau. l’on oublie qu’il est de l’essence de l’esprit humain d’aller en avant, de suivre la chaine de ses ide´es, de tirer des conse´quences de ses principes, et que ces conse´quences lui e´tant aussi de´montre´es que les principes dont il les tire, c’est une absurdite´ que de permettre les premiers et d’interdire les seconds : c’est pre´tendre tole´rer la cause pourvu qu’elle ne produise pas d’effet. cependant cette opinion, si absurde lorsqu’on la de´veloppe, a e´te´ celle de plusieurs 1

Les trois entre´es 7, 6 et 8 se retrouvent dans cet ordre dans une longue addition au chap. 9, livre VIII (ci-dessus, pp. 289–291).

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fo 46vo

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

philosophes, tant on se degage difficilement de tout pre´juge´, tant les pre´juge´s meˆmes que l’on a vaincus, laissent a` l’esprit qui les a secoue´s une direction fausse. l’intole´rance comple`te est moins inconse´quente que cette espe`ce d’intole´rance mitige´e. Si le pouvoir a des droits sur l’opinion, pourquoi n’exerceroit il pas ses droits sur l’erreur ancienne comme sur l’erreur nouvelle ? si le pouvoir n’a pas de pareils droits, pourquoi pre´tendroit-il en avoir sur l’avenir et non sur le passe´ ? est-ce parce qu’il lui paraitroit plus facile d’exercer ses droits sur l’avenir ? vaine espe´rance. le besoin de tirer des conse´quences n’est pas moins impe´rieux que celui de croire ce qui nous paraˆit prouve´. l’esprit ne peut pas frapper de ste´rilite´ les pre´misses qu’il a admises, et la tyrannie qui veut l’empeˆcher d’aller d’ide´es en ide´es, est tout aussi vexatoire et contre nature que celle qui lui ordonne d’abjurer l’ide´e qu’il a adopte´e. Les gouvernemens fonde´s sur les pre´juge´s, et ne´anmoins ambitionnant dans ces derniers tems la gloire philosophique, ont avide´ment adopte´ le systeme que nous combattons ici. Il leur e´toit en effet singulie´rement commode. donner aux peuples une petite portion de ve´rite´, en otant a` la ve´rite´ la qualite´ qui la rend victorieuse, celle de s’e´tendre et de conque´rir, eut e´te´ tout a` la fois s’assurer le profit de l’erreur et l’honneur des lumie´res. mais la ve´rite´ ne se laisse pas mutiler ainsi. de quelque manie`re qu’on la divise, qu’on la morce`le, sa plus petite fraction porte en elle meˆme la faculte´ conque´rante. elle grossit, se de´veloppe, ame`ne ses conse´quences, forme son arme´e, et vous la voı¨ez range´e en bataille, lorsque vous croı¨ez encore ses e´le´mens epars dans l’isolement auquel vous trouviez bon de les condamner. Livre

fo 47ro

VIII.

Ch. 9.

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91 les Luthe´riens et les Calvinistes se sont re´unis. cette re´union ne peut manquer d’avoir l’approbation du gouvernement sans le consentement duquel les comunes protestantes ne sont pas autorise´es a` changer leurs dogmes religieux. Journal des De´bats, 6 Thermidor an X. 102 Besoin de la liberte´ de conscience, fesant e´migrer les femmes les plus de´licates dans un pays inculte, ou elles pe´rissoient faute de nourriture. Rech. S. L. Et. Unis. I. 34. V: 7 passe´ ? est-ce parce qu’il ] passe´ ? 〈vaine esperance〉 est-ce 〈que〉 parce qu’il LA 30 10 ] 〈9〉 10 1 2

Note du chap. 2, livre Note du chap. 1, livre

VIII VIII

(ci-dessus, p. 276). (ci-dessus, p. 269).

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[Additions au livre

Livre

fo 48ro

IX.

IX]

Ch. 1.

11 De ce qu’a` Athe`nes le peuple entier concouroit aux jugemens, M. de Montesquieu conclut que dans les Re´publiques la puissance de juger doit eˆtre amovible. mais faites donc alors que ce soit le peuple qui juge, et pour cela faites que chaque re´publique tienne dans une seule ville, et n’ait que 20.000 citoyens. 22 l’Esprit de corps est une des meilleures barrie`res contre la servilite´ envers le pouvoir ou les factions, chez une nation chez laquelle tout le monde se laisse entrainer par l’opinion dominante. aucun individu n’ose avoir une opinion oppose´e a´ celle de tous. l’esprit de corps, au contraire, se met en avant, et les Individus qui veulent re´sister a` l’opinion dominante, rassure´s par cet allie´, se joignent a` lui. un corps judiciaire inamovible est ne´cessaire pour qu’un juge ne craigne pas de blesser, en jugeant selon sa conscience, l’autorite´ sous laquelle il se retrouverait simple citoyen. chez une nation, d’un cote´ tre´s accoutume´e a` l’arbitraire, et le trouvant tre´s comode pour son impatience naturelle, et de l’autre portant a` l’extreˆme toutes les opinions dont elle s’empare, l’independance des Tribunaux est la seule chose qui puisse lui faire perdre l’habitude de l’arbitraire et lui donner des principes dont elle ne puisse pas abuser. les reclamations des Tribunaux contre l’arbitraire, e´tant toujours fonde´es sur des faits, portent avec elles une conviction et une mesure dont les The´ories se´pare´es des faits ne sont pas susceptibles. 3. Le pouvoir judiciaire soumis au peuple est tellement dangereux que les Le´gislateurs de Rome permirent aux accuse´s de s’exiler avant le jugement. Montesq. Esp. d. L. I. 159. 4. les Juges pouvoient eˆtre temporaires chez les anciens, et ne peuvent l’eˆtre chez les modernes, parce que les relations sociales e´tant plus complique´es offrent mille moyens de vengeance tardifs, mais surs, contre le Juge inde´pendant qui seroit devenu simple citoyen. V: 14 juge ne ] juge 〈illis.〉 ne LA 1 2

Les entre´es 1, 3, 4, 5 et 16 seront re´unies dans une note du chap. 1, livre pp. 297–298). Devient une note du chap. 1, livre IX (ci-dessus, p. 299).

IX

(ci-dessus,

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764 fo 48vo

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

5 M. de Montesquieu ne veut pas que la puissance de juger soit permanente. E. d. L. XI. 6. mais d’abord dans ce chapitre, il parle moins des juges que des jure´s. cela est e´vident par cette phrase : Il faut que les juges soı¨ent de la condition de l’accuse´ ou ses pairs. en 2d˙ lieu il cite Athe`nes. v. ci dessus. 6.1 Les principaux argumens d’un auteur qui a attaque´ l’institution du jury, (Gach pre´sident d’un Tribunal de 1e˙re instance dans le De´p. du Lot) re´posent sur le de´faut de ze´le, l’insouciance, l’ignorance, la frivolite´ francaise. Il ne fait pas le proce´s de l’institution du jury, mais celui de la nation. Il faut pourtant reconnoˆitre que si les raisonemens etoient fonde`s, Il faudrait renoncer a` l’institution du jury en france. mais qui ne sait qu’une institution peut paraˆitre, dans ses premiers tems, peu convenable a` une nation, en raison du peu d’habitude, et lui devenir convenable, si l’institution est bonne intrinse´quement, parce que la nation s’y fait, et acquiert la capacite´ qu’elle n’avoit pas. N. B. je ne dis ceci que des institutions fixes et le`gales, non des mœurs et des usages que les loix ne peuvent changer. Je repugnerai toujours a croire une nation insouciante sur le premier de ses Interets, sur l’administration de la justice, et sur la garantie a` donner a` l’innocence accuse´e. Livre

fo 49ro

IX.

Ch. 1.

7. les francais, dit Gach, n’auront jamais l’instruction ni la fermete´ ne´cessaire pour remplir le but de l’institution du Jury. p. 10. telle est notre indiffe´rence pour tout ce qui a rapport a` l’administration publique, tel est l’empire de l’e´goı¨sme, et de l’interet particulier, la tie´deur, la nullite´ de l’esprit public, que la loi qui e´tablit la Proce´dure par Jure´s ne peut eˆtre exe´cute´e. p. 11. mais qui ne sent que ce qu’il faut, c’est avoir un esprit public, qui surmonte cette tie´deur et cet e´goisme ? cet esprit public se cre´eroit par l’habitude de la justice et de la liberte´. Croit-on qu’il existerait chez les Anglais, sans l’ensemble de leurs Institutions politiques ? mais la`, ou l’institution des Jurys est sans cesse suspendue, la liberte´ des Tribunaux viole´e, les accuse´s traduits devant des Comissions, cet esprit ne peut naˆitre. On accuse l’institution des Jure´s. ce sont les atteintes qu’on lui porte qu’il faudrait accuser. 1

Le meˆme texte se trouve dans la ms. Co 3492 (N), sous le nume´ro 929. BC l’a copie´ le 25 novembre 1810 sur la fiche 48 du dossier des Additions, en meˆme temps que le texte no 930 (fragmentaire ; il s’arreˆte avec les mots «croit-on qu’il», ci-dessus, ligne 28) du meˆme manuscrit, qui deviendra l’entre´e suivante. Ces deux morceaux se retrouvent, avec les entre´es 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 17 et 20 dans une tre`s longue note du chap. 1, livre IX (ci-dessus, pp. 301–304).

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8. Gach invoque l’expe´rience de 12 anne´es. (de 12 anne´es de revolution !) p. 12. fo 49vo

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9. Objection de Gach. p. 38. le Jure´ ne pourra pas, comme l’esprit de l’institution l’exige, se´parer sa conviction intime, des pie´ces, des te´moignages, des Indices, choses qui ne sont pas ne´cessaires, quand la conviction existe, et qui sont insuffisants quand elle n’existe pas. mais c’est une chicane. il n’y a aucun motif de se´parer ces choses. au contraire ce sont les e´le´mens de la conviction. l’esprit de l’Institution veut seulement que le Jure´ ne soit pas astreint d’apre`s un calcul nume´rique ou le´gal, mais d’apre`s l’impression que l’ensemble des pie`ces, te´moignages, et indices aura produite sur lui. Or les lumie´res du simple Bonsens suffisent pour qu’un Jure´ sache et puisse de´clarer, si, apre´s avoir entendu les te´moins, pris lecture des pie`ces, compare´ les indices, Il est convaincu ou non. 10. Autre objection. Si les Jure´s trouvent une loi trop seve`re, Ils absoudront l’accuse´ et de´clareront le fait non constant, contre leur conscience : et Gach, p. 40., suppose le cas ou un home serait accuse´ d’avoir donne´ azyle a` son fre`re, et aurait par la` encouru la peine de mort. Cet exemple, selon moi, loin de militer contre l’Institution du Jury, en fait le plus grand e´loge. Il prouve que cette institution met obstacle a` l’execution des loix contraires a` l’humanite´, a` la justice et a` la morale. On est homme avant d’etre Jure´. par conse´quent, loin de blamer le Jure´ qui dans ce cas prononcerait contre sa conscience, et manqueroit ainsi au devoir de Jure´, je le louerais de remplir le devoir d’homme, et de courir, de la manie`re qui serait en son pouvoir, au secours d’un home pret a` eˆtre condamne´ pour une action qui n’est pas un crime. l’exemple cite´ par Gach ne prouve point qu’il ne faille pas de Jure´s. il prouve qu’il ne faut pas de loix qui prononcent peine de mort contre un home qui donerait azyle a` son fre`re. Avec cette manie´re de raisonner l’objection militerait contre toute organisation judiciaire, car on pourrait inventer des loix tellement atroces qu’aucun Juge, jure´ ou non, amovible ou permanent, ne voulut les appliquer. 11 bonne de`finition du jury. c’est la raison du coupable, avant qu’il fut devenu tel, c’est cette raison qui le juge apre`s son crime. c’est, dit Deperret (garantie individuelle) la raison du coupable, dans son e´tat ordinaire d’inocence, qui juge cette meˆme raison e´gare´e momentane´ment par le crime. le jury juge moralement, le juge mate´riellement. le jury juge come le bon sens de chaque individu jugeroit, come jugeroit celui de l’accuse´ meˆme, s’il n’etoit partial, parce que c’est sa propre cause, le juge prononce d’apre´s les loix dicte´es par l’interet commun de la Socie´te´. V: 3 comme l’esprit de ] comme 〈l’institution〉 l’esprit de LA secours d’un 〈eˆtre〉 home LA

24 secours d’un home ]

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

12. quand les peines seront excessives, dit Gach, p. 42., ou paraˆitront telles aux Jure´s, ils absoudront le coupable, bien qu’ils ayent une conviction complete de son crime. je re´ponds que ce sera la faute des peines et non des jure´s. il ne faut pas que les peines soient excessives, et si elles paraissent excessives a´ des Jure´s, c’est qu’elles le sont, car les Jure´s n’ont aucun interet a` les trouver telles. on dira que c’est soumettre sans cesse les peines a` la revision des Jure´s. mais je re´ponds que les Jure´s ne se re´soudront a` s’e´carter de leurs fonctions que dans des cas extreˆmes, car encore une fois ils sont, comme citoyens inte´resse´s, pour la surete´ publique, a` ne pas s’en e´carter. or, dans les cas extreˆmes, c’est a` dire quand ils seront place´s entre le sentiment de la justice et de l’humanite´, et la lettre de la loi, ce n’est pas un mal qu’ils s’en e´cartent. s’il n’est pas un pays, dit Gach, p. 90. ou les arts et les Sciences soient cultive´es avec plus de succe´s qu’en france par un petit nombre d’esprits privile´gie´s, Il n’en est pas non plus ou la masse de la Nation croupisse dans une plus profonde ignorance de tout ce qui a quelque rapport aux Loix et a` l’administration publique. d’ou cela vient-il ? de ce qu’il y a toujours eu dans le sanctuaire des Loix et dans l’administration publique beaucoup d’arbitraire, de ce que la nature du gouvernement e´loignoit les francois de ces objets, de ce que, pour nous rapprocher plus spe´cialement du sujet que nous traitons, l’Instruction des proce´s criminels en france e´toit secre`te, et e´levoit par la´ meˆme une barrie´re entre la justice et les Citoyens. changez toutes ces choses, vous verrez le caracte´re national perdre cette frivolite´ et sortir de cette ignorance qui ne sont que le re´sultat de toutes ces mauvaises institutions, et qu’on alle`gue comme une raison de les perpe´tuer. aucun peuple ne reste indiffe´rent a` ce qui inte´resse sa liberte´, sa surete´, son honneur et sa vie, quand on lui permet de s’en occuper. lorsqu’il est indiffe´rent a` ces grands objets, c’est qu’on l’en a repousse´. l’institution du jury est sous ce rapport d’autant plus ne´cessaire au peuple francois qu’il en paraˆit momentane´ment moins capable. Il y trouverait non seulement les avantages inhe´rens a` cette institution, mais encore celui de refaire momentane´ment son education morale.

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13. Les Inconve´niens de l’institution des Jure´s sont tous du cote´ de l’indulgence. les inconve´niens des Juges sont du cote´ de la se´ve´rite´. 14 Plusieurs des objections contre l’institution des Jure´s, tire´es de leur manque de fermete´, de leur susceptibilite´ de se´duction, pourroient a` peu de choses pre`s, s’appliquer aux Juges. supposez un pays ou les Juges auroient e´te´, tantot vexe´s et froisse´s par l’autorite´ publique, tantot abandonne´s par V: 12 e´cartent. s’il n’est ] e´cartent. 〈tout〉 s’il n’est LA ce dernier mot dans l’interl. sup. l’institution LA

34 contre l’institution ] 〈de〉 contre

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Livre IX

cette meˆme autorite´ publique a` la vengeance des parens ou des complices des accuse´s, come les Jure´s l’ont e´te´, durant la re´volution, croit-on que ces Juges auroient e´te´ beaucoup plus fermes et ine´branlables que les Jure´s ? fo 51vo

15.1 Sous une monarchie arbitraire, l’institution des Parlemens, leur inamovibilite´, et meˆme la ve´nalite´ des charges, come une garantie de plus de l’inamovibilite´, e´toient bonnes. les choix du monarque n’auroient surement pas e´te´ meilleurs. Il faut distinguer dans les fonctions des Parlemens francais celles qui se rapportoient a` la le´gislation, et qui leur furent toujours conteste´es, et celles qui se rapportoient a` l’administration de la justice, et qui formoient leur attribution reconue. les premie`res auroient e´te´ mieux remplies par une assemble´e nome´e par la Nation. mais il e´toit heureux que les secondes fussent soustraites a` l’autorite´. c’e´toit un abri contre l’arbitraire. Il est bon que le pouvoir le´gislatif de´pende du peuple : il est bon que 16.2 le pouvoir judiciaire n’en de´pende pas.

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17.3 On objecte souvent a` l’institution des Jure´s que lorsque la peine prononce´e par une loi contre un crime leur paraˆit trop forte, ils se de´cident a` de´clarer contre leur conscience que le fait n’est pas constant, plutot que de livrer par une de´claration conforme a` la ve´rite´ le coupable a` une peine disproportionne´e a` son de´lit. on cite a´ ce sujet l’infanticide. je repons que c’est alors la faute de la loi, et non pas celle de l’institution du Jure´. Il ne faut pas qu’il existe une loi qui re´volte l’humanite´ du commun des homes, tellement que des Jure´s, pris dans le sein d’une nation ne puissent se de´terminer a` concourir a` l’application de cette loi : et l’institution de juges permanens que l’habitude reconcilieroit avec une loi si barbare, loin d’eˆtre un avantage, seroit un mal. On dit : les Jure´s ne rempliront pas leur devoir, tantot par peur, tantot par pitie´. Si c’est par peur, ce sera la faute de la police trop ne´gligente. Si c’est par pitie´, ce sera la faute de la loi trop rigoureuse. Livre

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IX.

Citer sur la ne´cessite´ de l’appel au criminel Paw sur les Grecs. II. 7.

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abbre´viation des formes. Montesquieu. E. d. L.

VI.

2.

20. la maxime qui dit qu’au criminel il n’y a pas d’appel est la maxime la plus absurde qui ait jamais pu tomber dans l’esprit des hommes. celui qui a

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Ch. 2.

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Devient une note au chap. 1 du livre IX,p. 298. Voir ci-dessus, p. 298, fin de la n. a de la p. pre´ce´dente. Voir ci-dessus, p. 764, n. 1.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

perdu en premie`re instance sa cause pour un droit de gouttie`re, en appelle a` une cour supe´rieure, et celui qui a e´te´ condamne´ injustement etre brule´ vif par 9 Echevins ne peut appeller. or si l’imbecillite´ venoit elle meˆme dicter des Loix, elle ne dirait rien de pis que cela ni rien de plus horrible que cela. car il en re´sulte qu’un droit de gouttiere est un objet plus important que l’honneur et la vie d’un home de´voue´ aux plus cruels tourmens. Paw. Grecs. II. 6. Livre

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IX.

Ch. 3.

211 Je crains toujours, si l’on admet come peine la de´tention perpe´tuelle, que quelqu’une des nombreuses prisons dont l’e´tablissement sera ne´cessaire, ne se transforme tot ou tard en prison d’e´tat, me´tamorphose d’autant plus facile que presque partout, pour des motifs plausibles de surete´ publique, la permission du gouvernement ouvre seule l’entre´e de ces lugubres habitations. je n’aime pas que les citoyens s’accoutument a` passer froidement a` cote´ d’une prison, sans demander qui sont ceux qu’elle renferme, sans savoir si nul n’y ge´mit victime d’un acte ille´gal, sans y pouvoir pe´ne´trer pour se convaincre par leurs propres yeux que la mise`re des de´tenus n’est point aggrave´e par la durete´ ou la cupidite´ de leurs gardes.

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lorsque les individus troublent par des actions criminelles la surete´ 22.2 de l’association, ils perdent une partie de leurs droits, que cette association est autorise´e a` restreindre pour les empeˆcher de lui nuire. mais on pousse d’ordinaire ce principe beaucoup trop loin. Se´questre´ de ses concitoyens, livre´ a` des ge´oliers, puis a` des Bourreaux, le coupable semble un eˆtre a` part que la nature repousse, que la pitie´ publique de´laisse, et que l’humanite´ de´savoue. je ne parle ici que du coupable convaincu, car il est e´vident qu’a moins du renversement de toute justice, le pre´venu non encore juge´ conserve tous les droits qui sont compatibles avec les mesures ne´cessaires pour qu’il n’e´chappe pas a` son jugement. mais le criminel, meˆme convaincu, n’est pas de´pouille´ de tous ses droits. Il a celui d’exiger que son jugement soit public, parce que les actions humaines se composant d’une foule de nuances que la loi ne peut saisir, il faut, lors meˆme que le coupable subit une peine, que, si son action est atte´nue´e par quelques unes de ces nuances que la justice le´gale n’a pu prendre en conside´ration, l’opinion l’en de´dommage. Il a droit, en second lieu, a` ce que le chatiment qu’il e´prouve ne re´volte pas la nature et ne soit pas susceptible d’etre aggrave´ arbitrairement par le caprice des exe´cutions. 1 2

Devient une note, chap. 3, livre Devient une note, chap. 3, livre

IX IX

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(ci-dessus, p. 312). (ci-dessus, p. 310).

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23.1 les fle´trissures inde´le´biles empeˆchent tout retour a` la vertu, et elles ont le meˆme inconve´nient que les travaux publics, celui de montrer des criminels heureux dans la honte. Bentham les permet pour les faux monoyeurs parce qu’en les fle´trissant, elle ne leur ote pas les moyens de vivre. me´prise´s come fripons, dit-il, ils seront encore employe´s, come gens a` talent2. mais ne sera-ce pas une chose tre`s immorale que de montrer au peuple des fripons reconnus, employe´s coe gens a` talens ? et si ce qui est probable, ils s’accoutument a` leur honte, quel spectacle plus corrupteur que le bonheur dans l’opprobe ?

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objection a` la colonisation par Bentham. la De´portation est un Bien 243 pour des gens qui n’ont aucune ressource dans leur pays. car elle n’est autre chose que le passage gratuit dans le lieu de cette de´portation accorde´ a` celui qui a comis un crime. II. 426. Il y auroit un moyen de pre´venir cet inconve´nient : ce serait de faire pre´ce´der la De´portation de quelque peine positive, come d’un emprisonnement plus ou moins long, &ca˙. cette pre´caution de´tourneroit celui qui seroit tente´ de comettre un crime pour se procurer une nouvelle patrie. mais il faut se´parer la peine d’avec l’e´tablissement nouveau. Il faut que le coupable recomence sa nouvelle carrie`re, sans eˆtre poursuivi par la socie´te´. le Bonheur dont pourroient jouı¨r les coupables dans leur nouvel azyle n’auroit point un effet de´moralisant, coe celui dont jouı¨ssent les condamne´s aux Travaux publics. le peuple n’en seroit pas le te´moin, et il auroit e´te´ le te´moin de la peine subie pre´ce´demment par le criminel. 25.4 On croit beaucoup trop a` la ne´cessite´ des supplices effrayans. a` athe´nes la mort des condamne´s e´toit fort douce, puis que chacun choisissoit son genre de mort. Il n’y avoit pas plus de crimes qu’ailleurs.

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265 dire dans ce chap. que les peines doivent eˆtre varie´es et renvoyer a` l’ouvrage de Bentham avec e´loge. 27. parler dans ce chap. du droit qu’ont ceux qui ont e´te´ injustement de´tenus, condamne´s, en un mot qui ont souffert par les erreurs de la justice, d’eˆtre de´dommage´s aux depens du public.

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Devient une note, chap. 3, livre IX (ci-dessus, p. 313, note a). Signalons que l’abre´viation pour des mots comme «homme», «comme» peut varier dans les mss de BC. On y trouve «hoe», «home», «come», «coe», «coe». Devient une note, chap. 3, livre IX (ci-dessus, p. 313, note b). Devient une note, chap. 3, livre IX (ci-dessus, p. 310, note b). Les deux dernie`res entre´es passeront dans les additions au chap. 3 du livre IX (ci-dessus, p. 315).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Additions au livre X]

Livre X. Ch. 4.

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11 ce que je dis de la proprie´te´, que de´s qu’elle existe, il faut lui donner la puissance, je le dis de toutes les institutions. dans les pays ou il y a une noblesse, il faut donner a` cette noblesse une autorite´ forte et le´gale, ou si on ne veut pas lui donner une autorite´ forte et le´gale, il faut abolir toute distinction nobiliaire. en un mot, il faut vouloir ce qu’on veut. la noblesse, telle qu’elle e´toit en france, imme´diatement avant la re´volution, e´toit une institution absurde et dangereuse pre´cisement par ce qu’elle irritoit sans contenir.

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2.2 les non proprie´taires, dira-t-on, peuvent-ils eˆtre represente´s par les proprie´taires ? come les gouverne´s peuvent eˆtre represente´s par les gouvernans. car les repre´sentans en devenant tels cessent d’etre dans la meˆme situation, a` beaucoup d’e´gards, que les repre´sente´s. malheur aux gouvernemens qui placent la puissance hors de la ri3.3 chesse, et la richesse hors de la liberte´. Ganilh. II. 251.

15

Livre X. Ch. 5.

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4.4 chez les anciens, ou la proprie´te´ n’e´toit pas d’une circulation journalie`re et facile, les droits politiques ne pouvoient sans injustice appartenir aux proprie´taires seuls. c’est l’oppose´ chez les modernes. 5.5 chez les anciens les pauvres e´toient toujours endette´s envers les riches. chez les modernes ce sont d’ordinaire les riches qui sont endette´s, non pas envers les pauvres pre´cise´ment, mais envers les classes mitoyennes de V: 18–19 circulation journalie`re et facile ] circulation 〈generale〉 journalie`re ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. et facile LA 23 envers les pauvres pre´cise´ment ] envers les 〈riches〉 pauvres pre´cise´ment LA 1 2 3 4 5

Deviendra une note du chap. 4, livre X (ci-dessus, p. 327, note a). Deviendra une note du chap. 4, livre X (ci-dessus, p. 330). Deviendra une note du chap. 4, livre X (ci-dessus, p. 327, note b). Deviendra une partie de la note a du chap. 5, livre X (ci-dessus, p. 332). Suivra dans la note a le morceau pre´ce´dent (ci-dessus, p. 332).

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Livre X

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la Socie´te´. cette diffe´rence est importante a` examiner dans ses re´sultats. l’un des plus frappans, c’est que les relations des proprie´taires et des non proprie´taires sont absolument dissemblables dans les deux cas. chez les anciens, les riches demandoient aux pauvres ce que ceux ci n’avoient pas, de l’argent, et cette demande exigeant pour eˆtre satisfaite des violences, et le plus souvent ne l’e`tant pas, malgre´ ces violences, il en re´sultoit une opposition et une haine continuelle entre ces deux classes. chez les modernes, les Riches demandent aux pauvres ce dont ceux ci peuvent toujours disposer, le travail, et il en re´sulte un beaucoup plus grand accord mutuel entre ces deux classes. ceci pourroit eˆtre assigne´ come une raison de ce que la baze des droits politiques ne pouvoit pas eˆtre la proprie´te´, chez les anciens, et peut l’eˆtre chez les modernes.

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Livre X. Ch. 7.

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6.1 l’agriculture a encore sur l’industrie un avantage que je n’ai pas fait remarquer. elle exige beaucoup plus d’intelligence et l’exerce beaucoup plus que les professions industrielles. Smith. I. 10. 265.

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7. v. Mirabeau, Ami des homes, sur la diffe´rence des classes agricoles et des artisans. I. p. 54 et suiv. Livre X. Ch. 8.

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82 Un inconve´nient certain de l’usage des dettes publiques, c’est qu’il facilite l’entreprise de la guerre, parce qu’au lieu de pourvoir aux de´penses qu’elle exige par des impots qui seroient toujours plus ou moins difficiles a` asseoir, et lourds a` supporter, on y subvient par des Emprunts faciles a` obtenir, a` cause des se´ductions qui les accompagnent, et dont le fardeau ne pe`se que d’une manie´re partielle et eloigne´e sur le peuple. Smith. V. 3. 9. On a dit qu’une Dette publique, attachoit au sort du gouvernement tous les cre´anciers de l’e´tat, et que ceux ci, associe´s a` sa bonne comme a` sa mauvaise fortune, devenaient ses appuis naturels. c’est tre`s vrai : mais ce moyen de conservation, s’appliquant a` un mauvais ordre de choses comme a` un bon, est pre´cisement aussi dangereux a` une nation qu’il peut lui eˆtre utile. Say. Liv. V. 1 2

Cette entre´e deviendra avec celle qui suit une note du chap. 7 du livre X (ci-dessus, p. 337). Les entre´es 8 a` 12 seront re´unies dans une addition au chap. 8, livre X (ci-dessus, pp. 347– 348).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

10. l’accroissement de la Dette publique de´nature l’esprit social, en multipliant chez quelques nations le nombre des personnes qui ont un interet contraire a` l’interet commun. les chantiers veulent par dessus tout la Richesse du Tre´sor royal : et come l’e´tendue des impots en est la source la plus facile, les Tributaires et le peuple surtout qui en compose la plus grande partie, et qui n’a point d’argent a` preˆter, trouvent aujourd hui, dans le sein meˆme de l’Etat, une partie adverse dont l’influence s’accroit chaque jour. l’accroissement de la dette publique augmente la puissance de l’autorite´, en habituant une grande partie de la nation a` redouter par dessus tout le plus petit e´branlement dans les ressorts du gouvernement, ou le plus leger changement dans ses habitudes. Adm. des Fin. II. 378–379. 11. Effet remarquable de la complication de l’organisation sociale. l’interet naturel de toute nation est de payer le moins de contributions possible. la cre´ation d’une Dette publique fait que l’interet d’une grande partie de la nation est l’accroissement des contributions.

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12. Contradiction apparente. le cre´dit, d’un cote´, affaiblit l’autorite´ du gouvernement, de l’autre il la fortifie. Livre X. Ch. 9.

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13.1 Si les riches seuls peuvent eˆtre puissans, les puissans deviendront tous les jours plus riches.

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Livre X. Ch. 10.

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14.2 Objection. si les proprie´taires fesoient une ligue pour rendre les proprie´te´s inalie´nables ? ce seroit come gouvernans, non come proprie´taires, qu’ils feroient cet acte tyrannique : et qu’on ne dise pas que c’est e´luder l’objection par un jeu de mots. il est si vrai que c’est comme gouvernans que si vous supposez Le gouvernement entre les mains de non proprie´taires, ces gouvernans pourront tout aussi bien faire une ligue pour rendre inalie´nables les fonctions du gouvernement. 2o˙ Si le pays ou les proprie´taires prendroient une pareille re´solution contenoit des non proprie´taires riches, V: 26 non proprie´taires, ces gouvernans ] non proprie´taires, 〈ceux ci〉 ces gouvernans LA 1 2

Deviendra une note du chap. 9, livre X (ci-dessus, p. 349). Deviendra une note du chap. 10, livre X (ci-dessus, p. 354).

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Livre X

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ces non proprie´taires quitteroient le pays, et les inconve´niens de la re´solution retomberoient sur les proprie´taires. si ce pays ne contenoit que des non proprie´taires pauvres, lors meˆme que les proprie´taires ne prendroient pas une re´solution pareille, l acquisition de la proprie´te´ seroit de fait ferme´e a` des non proprie´taires qui n’auroient nul moyen de l’acque´rir.

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15.1 Ciceron, de officiis, Livre 2, ch. 21, Edit. d’Olivet III. p. 359, cite cette phrase du Tribun Philippe. non esse in civitate duo millia hominum, qui rem haberent, et il lui reproche come une action criminelle d’avoir tenu au peuple un discours semblable, parce qu’il tendait au partage des biens. Il y tendait en effet, car si l’an 649, e´poque du Tribunat de Lucius Marcus Philippus, il n’y avoit plus, dans l’immensite´ de l’univers Romain, que deux mille citoyens proprie´taires, la proprie´te´, au lieu d’un be´ne´fice accorde´ par la socie´te´, etait devenue un abus intole´rable, et il fallait respecter assez le peuple, pour ne plus respecter la proprie´te´. l’organisation de cette proprie´te´ e´tait, il est vrai, de´fectueuse a` Rome, on l’avoit essaye´ par des palliatifs ; Les loix contre les fide´i comis, et les majorats, et celles qui donoient une part e´gale a` tous les fils et a` toutes les filles, tendoient a` diviser les proprie´te´s territoriales. mais l’aristocracie tendait a` les re´unir. ce n’etoit pas le vice de la proprie´te´ mais de l’aristocracie[.]

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16.2 c’est parce que les diffe´rens e´tats de la Socie´te´ se confondent, qu’on peut mettre toute la puissance politique entre les mains des proprie´taires. s’ils formoient une classe exclusive, Ils feroient des loix injustes, parce qu’ils contracteroient un esprit exclusif. c’est ce qui est arrive´ en Europe pendant plusieurs sie`cles. les proprie´taires ont toujours voulu borner, par exemple, la dure´e des Baux, pour mieux conserver leurs proprie´te´s a` leur disposition. Ils imaginoient qu’un bail passe´ par leurs pre´de´cesseurs ne devoit pas les empeˆcher, pendant un long terme d’anne´es, de jouir de la pleine valeur de leur terre. mais l’avarice et l’injustice voı¨ent toujours mal, et ne pre´voient pas combien un tel re´glement mettrait d’obstacles a` l’ame´lioration de leurs terres et par la nuirait a` la longue a` leurs ve´ritables interets. V: 15 on l’avoit... mais de l’aristocratie ] passage ajoute´ par BC a` la fin du f o en remplacement du suivant : mais les loix ennemies de fide´i commis, des majorats, les loix qui donaient une part e´gale a` tous les fils et a` toutes les filles, tendoient ne´anmoins sans cesse a` diviser les proprie´te´s territoriales. l’aristocratie plus puissante des proprie´taires tendait sans cesse a` les re´unir. objection de Simonde. LA palliatifs ; Les loix ] palliatifs ; 〈par des〉 Les loix LA 1

2

Deviendra une note du chap. 5, livre X (ci-dessus, p. 332). Ici, comme a` la p. 332, BC e´crit «Lucius Marcus Philippus», faute e´vidente en ce qui concerne le nom de la gens romaine qui doit s’e´crire Marcius. Deviendra une note du chap. 10, livre X (ci-dessus, p. 351).

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18.1 Nous ne parlerons point ici des Confiscations et autres attentats politiques contre la proprie´te´. On ne peut conside´rer ces violences comme des pratiques usite´es par les gouvernemens re´guliers. elles sont de la nature des coups d’Etat et de toutes les mesures arbitraires, dont nous avons ci dessus examine´ les conse´quences. c’est donc contre les coups d’Etat, contre les mesures arbitraires qu’il faut s’e´lever. les confiscations n’en sont qu’une partie, et une partie inse´parable. quand on ne respecte pas la vie et la liberte´ des hommes, comment pourroit-on respecter leurs biens ?

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19 Les spoliations dont nous nous occupons dans les chapitres suivans sont celles que les gouvernemens se permettent pour diminuer leurs Dettes, accroitre leurs ressources, tantot sous le pre´texte de la ne´cessite´, quelquefois sous celui de la justice, toujours en alle´guant l’interet de l’e´tat : car de meˆme que les apotres zeˆle´s de la souverainete´ du peuple pensent que la liberte´ publique gagne aux pertes de la liberte´ individuelle, les financiers de nos jours semblent croire que l’e`tat s’enrichit de la ruine des individus. Ces atteintes a` la proprie´te´ se divisent en deux classes. Je place dans la premie`re les Banqueroutes partielles ou totales, la re´duction des dettes nationales, soit en capitaux, soit en interets, le payement de ces dettes, en effets d’une valeur infe´rieure a` leur valeur nominale, l’alte´ration des Monnoyes, les Retenues, les arrie´re´s, et tous les actes d’autorite´ contre les hommes qui ont traite´ avec les gouvernemens pour leur fournir les objets ne´cessaires a` leurs entreprises militaires et civiles. Je comprends dans la seconde les Loix ou les mesures re´troactives contre les Enrichis, les Chambres ardentes, l’annullation des contrats, des concessions, des ventes faites par l’e´tat a` des particuliers. L’on a eu recours a` une grande varie´te´ de de´nominations pour de´signer ces choses. les obscurite´s du langage, remarque un auteur anglais (Bentham. I. 348) ont servi aux financiers pour tromper les simples. Ils ont dit, par exemple, une retenue et non pas un vol.

V: 1 Livre X. Ch. 14. ] 〈Additions a` l’ouvrage intitule´ Principes de politique applicables a` toutes les formes de gouvernement〉 Livre X. Ch. 14. LA 8 quand on ne respecte ] quand on 〈repo...〉 ne respecte LA 11 permettent pour diminuer ] permettent pour 〈leur Interet〉 diminuer LA

1

Les entre´es 18 a` 27 appartiennent aux mate´riaux pour le nouveau chapitre 17. Voir cidessus, pp. 377–384. La variante prouve que cet e´largissement e´tait pre´vu avant la constitution du dossier pour le livre X.

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Il est assez curieux d’observer que le meˆme artifice a servi aux le´gislateurs qui ont fait des Loix manifestement injustes. les e´migre´s, durant la Re´volution francaise, e´toient punis par la mort et la confiscation de leurs Biens. quand on a voulu traiter de meˆme les de´porte´s, c’est a` dire des hommes que l’on forc¸oit a` quitter leur patrie, tandis qu’on en punissoit d’autres pour l’avoir quitte´e, on a dit simplement qu’ils e´toient assimile´s aux Emigre´s, ce qui e´loignait le mot, et ce qui e´tendait la chose. comme toutes les injustices ont un fond d’analogie entr’elles, il y a aussi de l’analogie dans le langage de toutes les injustices.

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20. Des actes d’autorite´ relativement aux Dettes publiques. De´s qu’une dette nationale existe, il n’y a qu’un mode d’en adoucir les effets nuisibles, c’est de la respecter scrupuleusement. on lui donne de la sorte une stabilite´ qui l’assimile, autant que le permet sa nature, aux autres genres de proprie´te´. On ne peut admettre, comme un moyen de diminuer les mauvais effets des Dettes publiques, celui de ne pas les payer. ce serait vouloir combattre un mal ine´vitable par un mal inutile et plus grand encore. la mauvaise foi ne peut jamais eˆtre un reme`de a` rien. loin d’atteindre le but de´sire´, l’on ajouterait aux conse´quences immorales d’une proprie´te´ qui done a` ses possesseurs des interets diffe´rens de ceux de la Nation dont ils font partie, les conse´quences plus funestes encore de l’incertitude et de l’arbitraire. l’arbitraire et l’incertitude sont les premie´res causes de ce qu’on a nomme´ l’agiotage. Il ne se de´veloppe jamais avec plus de force et d’activite´ que lorsque l’e´tat viole ses engagemens. tous les citoyens sont force´s alors a` chercher dans le hazard des spe´culations quelques de´dommagemens aux pertes que l’autorite´ leur fait e´prouver. Toute distinction entre les cre´anciers, entre les Cre´ances, toute inquisition dans les transactions des individus, toute recherche de la route que les effets publics ont suivie, des mains qu’ils ont traverse´es1, jusqu’a` leur e´che´ance, est une banqueroute. un gou vernement contracte des dettes, et donne en V: 9 toutes les injustices. ] toutes les injustices. 〈Ch. XVI. Pour re´sumer maintenant en peu de mots les principes qui doivent diriger l’action des gouvernemens sur la proprie´te´,〉 LA 1

L’expression «traverser les mains» au sens de «passer dans les mains», «passer de main en main» n’est pas rec¸ue en franc¸ais.

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payement ses effets a` des hommes auxquels il doit de l’argent. ces hommes sont force´s de vendre les effets qu’il leur a donne´s. sous quel pre´texte partiroit-il de cette vente, pour contester la valeur de ces effets ? plus il contestera leur valeur, plus ils perdront. Il s’appuyera sur cette de´pre´ciation nouvelle, pour ne les recevoir qu’a` un prix encore plus bas. cette double progression, re´agissant sur elle meˆme, re´duira bientot le cre´dit au ne´ant, et les particuliers a` la ruine. Le cre´ancier originaire a pu faire de son titre ce qu’il a voulu. s’il a vendu sa cre´ance, la faute n’en est pas a` lui, que le besoin y a force´, mais a` l’e´tat qui ne le payoit qu’en effets qu’il s’est vu re´duit a´ vendre. S’il a vendu sa cre´ance a` vil prix, la faute n’en est pas a` l’acheteur, qui l’a achete´e avec des chances de´favorables ; la faute en est encore a` l’e´tat qui a cre´e´ ces chances de´favorables. car la cre´ance vendue ne serait pas tombe´e a` vil prix, si l’Etat n’avoit pas inspire´ la de`fiance. En e´tablissant qu’un effet baisse de valeur, en passant dans la seconde main, a´ des conditions quelconques que le gouvernement doit ignorer, puisqu’elles sont des stipulations libres et inde´pendantes, vous faites de la circulation qu’on a regarde´e toujours comme un moyen de richesse une cause d’appauvrissement. comment justifier cette politique, qui refuse a` ses cre´anciers ce qu’elle leur doit, et de´cre´dite ce qu’elle leur donne ? De quel front les Tribunaux condamnent-ils le de´biteur, cre´ancier lui meˆme d’une autorite´ banqueroutie`re ? Eh quoi ! traine´ dans un cachot, de´pouille´ de ce qui m’appartenait, parce que je n’ai pu satisfaire aux Dettes que j’avois contracte´es sur la foi publique, je passerai devant le Palais d’ou sont e´mane´es les Loix Spoliatrices. d’un cote´ sie´gera le pouvoir qui me de´pouille, de l’autre les Juges qui me punissent d’avoir e´te´ depouille´ ! Il est un autre genre de Banqueroute, sur lesquelles les gouvernemens semblent se faire encore moins de scrupule. engage´s, soit par ambition, soit par imprudence, soit par une activite´ indiscre´te, dans des entreprises inutiles, Ils contractent avec des comercans, pour les objets ne´cessaires a` ces entreprises. leurs traite´s sont de´savantageux, cela doit eˆtre. les interets d’un gouvernement ne peuvent jamais eˆtre de´fendus avec autant de ze´le que les interets particuliers. c’est la destine´e commune a´ toutes les transactions sur lesquelles les parties ne peuvent pas veiller elles-meˆmes, et c’est une destine´e ine´vitable. alors l’autorite´ prend en haine des hommes qui n’ont fait que profiter du be´ne´fice inhe´rent a` leur situation. elle encourage contr’eux les de´clamations et les calomnies. elle exage´re ses propres pertes, c’est a` dire, sa propre ineptie, et parce qu’elle a e´te´ ignorante et inepte, elle se croit le droit d’eˆtre violente et injuste. elle annulle ses marche´s, elle retarde ou V: 32 avec autant de ze`le ] avec 〈le〉 autant de ze`le LA

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refuse les payemens qu’elle a promis. elle prend des mesures ge´ne´rales qui pour atteindre quelques suspects, enveloppent sans examen toute une classe. pour pallier cette iniquite´, l’on a soin de repre´senter ces mesures, comme frappant exclusivement ceux qui sont a` la teˆte des entreprises dont on leur enle´ve le salaire. on excite contre quelques noms odieux ou fle´tris l’animadversion du peuple. mais les homes que l’on de´pouille ne sont pas isole´s. ils n’ont pas tout fait par eux meˆmes. Ils ont employe´ des artisans, des manufacturiers, qui leur ont fourni des valeurs re´elles. c’est sur ces derniers que retombe la spoliation qu’on semble exercer contre les autres ; et ce meˆme peuple, qui, toujours cre´dule, applaudit a` la destruction de quelques fortunes dont l’e´normite´ pre´tendue l’irrite, ne calcule pas que ces fortunes, reposant sur des travaux dont il avoit e´te´ l’instrument, tendoient a` refluer jusqu’a` lui, tandis [que] leur destruction lui enle`ve a` lui meme le prix de ses propres travaux. Tout payement nominal est une banqueroute. toute e´mission d’un papier qui ne peut eˆtre a` volonte´ converti en nume´raire toute alte´ration de la valeur des monnayes sont des actes de faux. les gouvernemens qui recourent a` ces expe´diens coupables ne sont autre chose que des faussaires arme´s du pouvoir public. [Say. II. 5] l’autorite´, qui paye un Citoyen en valeurs suppose´es, le force a` des payemens de meˆme nature. pour ne pas fle´trir ses ope´rations, et les rendre impossibles, elle est oblige´e de le´gitimer toutes les ope´rations semblables. en cre´ant la ne´cessite´ pour quelques uns, elle fournit a` tous l’excuse. l’e´goı¨sme, bien plus subtil, plus adroit, plus prompt, plus diversifie´ que l’autorite´, s’e´lance au signal donne´. Il de´concerte toutes les pre´cautions, par la rapidite´, la complication, la varie´te´ de ses fraudes ; quand la corruption peut se justifier par la ne´cessite´, elle n’a plus de bornes. ide´es 10051. Si le gouvernement veut mettre une diffe´rence entre ses transactions et les transactions des individus, l’injustice n’en est que plus scandaleuse. Les cre´anciers de cette nation ne sont qu’une partie de cette nation. quand on met des impots pour acquitter les interets de la Dette publique, c’est sur la nation entie´re qu’on la fait peser : car les cre´anciers de l’Etat, comme contribuables, payent leur part de ces impots. par une Banqueroute au

V: 13 refluer jusqu’a` lui, tandis [que] leur destruction ] refluer jusqu’a` lui, tandis 〈qu’en tarissant la source, on tarit les canaux 〈〈qui ne sont de´truits qu’en〉〉 〈〈et〉〉 ce dernier mot dans l’interl. et que〉 les mots biffe´s appartiennent a` plusieurs corrections successives leur destruction LA 16 en nume´raire toute alte´ration ] en nume´raire 〈sont des〉 toute alte´ration LA 1

BC renvoie ici et a` la fin de cette entre´e a` un autre dossier que nous ne connaissons pas.

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contraire, on rejette la Dette sur les cre´anciers seuls. c’est donc conclure, De ce qu’un poids est trop fort pour eˆtre supporte´ par tout un peuple, qu’il sera supporte´ plus facilement, par le quart ou par le huitie`me de ce peuple. Toute re´duction force´e est une banqueroute. Vous avez traite´ avec des Individus, d’apre´s des conditions que vous avez librement offertes : Ils ont rempli ces conditions : Ils vous ont livre´ leurs Capitaux : ils les ont retire´s des branches d’industrie qui leur promettoient des be`ne´fices. Vous leur devez tout ce que vous leur avez promis. l’accomplissement de vos promesses est l’indemnite´ le´gitime des sacrifices qu’ils ont faits, des risques qu’ils ont courus, que si vous regrettez d’avoir propose´ des conditions one´reuses, la faute en est a` vous, et nullement a` ceux qui n’ont fait que les accepter. la faute en est doublement a` vous : car ce qui a surtout rendu vos conditions one´reuses, ce sont vos infide´lite´s ante´rieures. Si vous aviez inspire´ une confiance entie´re, vous auriez obtenu de meilleures conditions. Si vous reduisez la dette d’un quart, qui vous empeˆche de la re´duire d’un tiers, des neuf dixie`mes, ou de la totalite´ ? quelles garanties pourrez vous donner a` vos cre´anciers ou a` vous meˆmes ? le premier pas en tout genre rend le second plus facile. Si des principes seve`res vous avoient astreint a` l’accomplissement de vos promesses, vous auriez cherche´ des ressources dans l’ordre et l’e´conomie. mais vous avez essaye´ celles de la fraude. vous avez admis qu’elles sont a` votre usage. Elles vous dispensent de tout travail, de toute privation, de tout effort. Vous y reviendrez sans cesse, car vous n’avez plus pour vous retenir la conscience de l’inte´grite´. v. Ide´es. 795.

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Livre X. ch. 14. 21. Tel est l’aveuglement des gouvernemens, lorsqu’ils abandonnent la route de la justice, qu’il en est qui se sont imagine´s qu’en re´duisant leur dette par un acte d’autorite´, Ils ranimeroient le cre´dit qui sembloit de´cheoir. Ils sont partis d’un principe mal compris, qu’ils ont mal applique´. Ils ont pense´ que, moins ils devroient, plus ils inspireroient de confiance, parce qu’ils seroient plus en e`tat de payer leurs dettes. mais ils ont confondu l’effet d’une libe´ration le´gitime et l’effet d’une Banqueroute. Il ne suffit pas qu’un De´biteur puisse satisfaire a` ses engagemens. il faut encore qu’il le veuille, ou qu’on ait les moyens de l’y forcer. or un gouvernement qui profite de son autorite´ pour annuller une partie de sa dette, prouve qu’il n’a pas la volonte´ de payer. Ses cre´anciers n’ont pas la faculte´ de l’y contraindre : qu’importent donc ses ressources ? V: 3 peuple. ] suit encore une grosse croix, signe de renvoi non explique´ LA une grosse croix, signe de renvoi non explique´ LA

23 795 ] suit

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Les gouvernemens ont toujours un besoin plus ou moins grand d’homes qui traitent avec eux. un gouvernement ne peut acheter au comptant, comme un particulier. Il faut, ou qu’il paye d’avance, ce qui est impraticable, ou qu’on lui fournisse a` cre´dit les objets dont il a besoin. si l’on maltraite les fournisseurs, qu’arrive-t-il ? que les homes honneˆtes se retirent, ne voulant pas faire un meˆtier fle´tri d’avance. les fripons seuls se pre´sentent, et pre`voyant qu’on les payera mal, ils se payent par leurs propres mains. un gouvernement est trop lent, trop entrave´, trop embarasse´ dans ses mouvemens pour suivre les calculs de´lie´s et les manœuvres rapides de l’interet individuel. nous avons vu des gouvernemens vouloir lutter de corruption avec les particuliers, mais, celle de ces derniers e´toit toujours la plus habile. la seule politique de la puissance, c’est la loyaute´. Le premier effet d’une de´faveur jete´e sur un genre de commerce, c’est d’en e´carter tous les comercans que l’avidite´ ne se´duit pas. le premier effet d’un systeˆme d’arbitraire, c’est d’inspirer a` tous les hommes honneˆtes le de´sir de ne pas remontrer cet arbitraire, et d’e´viter les transactions qui pourraient les mettre en rapport avec cette terrible puissance. Quand il s’agit des particuliers, la puissance de remplir leurs engagemens est la condition principale, parce que la loi est plus forte qu’eux : mais quand il est question des gouvernemens, la condition principale est la volonte´. Il n’en est pas d’une Dette publique comme des denre´es de premie´re ne´cessite´, ou de besoin habituel. moins il y a de ces denre´es, plus elles ont de valeur. c’est qu’elles ont une valeur intrinse´que, et que leur valeur relative s’accroit par leur rarete´. la valeur d’une Dette, au contraire, ne de´pend que de la fide´lite´ du De´biteur. e´branlez la fide´lite´. vous avez beau reduire la Dette a` la moitie´, au quart, au huitie`me. ce qui reste de cette Dette n’en est que plus de´cre´dite´. persone n’a besoin ni envie d’une dette que l’on ne paye pas.

Livre X. Ch. 14. 22. Les gouvernemens perdent tout cre´dit par les re´ductions force´es des Dettes publiques. Ils e´branlent la valeur de leurs cre´ances, en les e´valuant d’apre`s la perte qu’elles e´prouvent. alors leurs propres ne´gociations deviennent ruineuses. par l’alte´ration des monnoyes, ils perdent comme cre´anciers des contribuables et dans leurs achats ce qu’ils gagnent comme de´biteurs. En traitant injustement les fournisseurs, ils font que les honneˆtes gens se retirent, et ils ne trouvent a` ne´gocier qu’avec les fripons. enfin, en e´branlant le cre´dit, ils mettent contr’eux les cre´anciers de l’Etat. dela` les Re´volutions.

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23. Avantages de la Bonne foi. en Angleterre, depuis la Re´volution de 1688, les engagemens de l’Etat ont toujours e´te´ sacre´s. aussi les cre´anciers de l’Etat sont une des classes les plus inte´resse´es au maintien du gouvernement : en France, sous la Monarchie, les violations de la foi publique ayant e´te´ fre´quentes, les cre´anciers de l’Etat, a` la premie`re annonce du De´ficit, se montre`rent ardens pour une re´volution. chacun crut voir sa surete´ a` oter au Souverain l’administration des finances et a` la de´poser dans un conseil national. Benth. princ. du Code civil. Ch. 15. 24. les Economies, fonde´es sur la violation de la foi publique, ont trouve´ dans tous les pays leur chatiment infaillible, dans les Transactions qui les ont suivies. l’interet de l’iniquite´, malgre´ les re´ductions arbitraires et les loix violentes, s’est paye´ toujours au centuple de ce qu’auroit paye´ la fide´lite´. fo 67vo

24 B. les hommes s’habituent a` reconque´rir rapidement ce qui peut leur eˆtre enleve´ rapidement. Ils s’efforcent de ressaisir par la ruse ce que leur arrache la violence.

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25 injustice des re´vocations, annullations de traite´, &c Ganilh. Tome. I. 303. 26 Il y a des raisonnemens de Montesquieu qu’on ne conc¸oit pas qu’il se soit permis : c’est surtout quand il traite de l’industrie, du comerce et des monoı¨es. la Re´publique Romaine, dit-il, ne se trouvoit point en e´tat d’acquitter ses dettes. elle fit des as de cuivre : elle gagna une moitie´ sur ses cre´anciers. cette ope´ration donna une grande secousse a` l’e´tat. il falloit la doner la moindre qu’il e´toit possible. elle avoit pour objet la libe´ration de la Re´publique envers ses cre´anciers. Il ne falloit donc pas qu’elle eut celui de la libe´ration des citoyens entr’eux. cela fit faire une seconde ope´ration. l’on ordona que le denier qui n’avoit e´te´ jusques la´ que de six as en contiendroit seize. Il re´sulta que pendant que les cre´anciers de la Re´publique perdoient la moitie´, Ceux des particuliers ne perdoient qu’un cinquie´me &ca˙ E. d. L. Liv. XXII. ch. 11. mais avec quoi les Cre´anciers de la Re´publique paye´rent ils leurs propres Cre´anciers ? 27. V. Bentham. Princ. du Code civil. ch. 9 et 10 sur la proprie´te´ et les suites de la violation. dans un pareil ordre de choses, (la` ou le gouvernement ne respecte pas la proprie´te´) il n’y aurait qu’un parti sage pour les gouverne´s, celui de la prodigalite´. il n’y auroit qu’un parti insense´ celui de l’Economie. ib. ch. 111. V: 2 de l’Etat ont toujours ] de l’Etat 〈s〉ont 〈une des classes〉 toujours LA la proprie´te´ ] ch. 9 et 10 sur 〈l’intervention des loix〉 la proprie´te´ LA 1

31 ch. 9 et 10 sur

BC renvoie a` Traite´s de le´gislation civile et pe´nale. Principes du code civil, t. II, pp. 36–46 pour les chap. 9 et 10 et pp. 47–51 pour le chap. 11 de cet ouvrage.

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281 Toutes les fois que la surete´ publique est manifestement inte´resse´e, le gouvernement a le droit de geˆner la proprie´te´, pour pourvoir a` la surete´ publique. par exemple, la valle´e de chamonni n’est garantie des avalanches, que par des Bois appartenant a` une multitude de particuliers. si ces Bois e´toient coupe´s, la valle´e de chamonni seroit comble´e par les Neiges, come l’a e´te´ par la meˆme cause, une autre valle´e nomme´e l’alle´e Blanche. cependant la Proprie´te´ de ces Bois e´tant disse´mine´e entre une foule d’individus pauvres, chacun de ces Individus doit eˆtre d’autant plus tente´ de couper sa portion de Bois, que l’abbatage de cette portion ne feroit aucun mal isole´ment. Il est clair que, dans un cas pareil, l’autorite´ doit intervenir, pour contrebalancer cette tendance particulie´re, et qu’elle a le droit de restreindre la libre disposition de la proprie´te´ individuelle. je ne sai toutefois s’il ne seroit pas du devoir de la socie´te´ d’indemniser les proprie´taires. mais, quoiqu’il en soit, il est e´vident que ce Droit tient a` une circonstance locale. Il en est de meˆme de diverses restrictions de plusieurs genres, dont il serait trop long de parler.

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29.2 les Banques, dit Montesquieu, sont incompatibles avec la Monarchie pure. c’est dire, en d’autres mots, que le credit est incompatible avec l’arbitraire. 30. On peut dire en ge´ne´ral de toutes les banques, tant de celles de de´pot que de celles qui e´mettent des billets dont elles sont suppose´es avoir la valeur en caisse, ce que dit Say, Liv. II. ch. 14, des Banques de de´pot seulement. On a mis en question si telle chose pourroit subsister dans un Etat ou l’on rencontrerait une autorite´ politique sans responsabilite´ et sans bornes. c’est a` l’opinion seule a` de´cider une semblable question. chacun a` cet e´gard peut avoir la sienne : mais nul n’est force´ de la dire. 31. Ganilh prouve manifestement dans sa Digression sur le cre´dit public II. 251 & suiv. que cet agent essentiel et p. a. d. unique de la prospe´rite´ moderne, est incompatible avec le pouvoir absolu. V: 2 Toutes ] a` coˆte´ de ce mot dans la marge gauche employe´ LA 13 restreindre la libre disposition ] restreindre la 〈disp〉 libre disposition LA 16 de meˆme de diverses ] de meˆme 〈des〉 de diverses LA 18 les Banques ] a` coˆte´ de ce mot dans la marge gauche 2des Addit. LA 21 dire en ge´ne´ral ] au-dessus de ces mots dans le peu de place qui reste en haut de la feuille 30. 2des additions. LA 28 prouve ] au-dessus de ce mot dans l’interl. 2des additions LA 1 2

Sera repris dans le nouveau chapitre 18 du livre X. Voir ci-dessus, p. 385. Les trois entre´es 29 a` 31 passeront dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 716). Voir les variantes.

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32.1 Les Substitutions, dit Smith, III. 2., furent invente´es pour perpe´tuer un e´tat de choses qui e´toit par lui meˆme une grande calamite´, je veux dire l’accumulation entre un tre´s petit nombre de conque´rans d’une e´norme e´tendue de terre ne´cessairement incultes par la` meˆme pour la plupart. cet e´tat de choses donne´, les substitutions e´toient raisonnables. Il n’y avoit point de justice publique. la force e´toit la seule garantie contre la spoliation. la force ne se trouvoit que dans une proprie´te´ conside´rable, qui donoit un certain nombre de vassaux suffisans pour se de`fendre. morceler les proprie´te´s, c’etoit livrer le proprie´taire a` l’invasion de ses voisins. les Substitutions avoient donc un but raisonnable, dans la situation donne´e, Bien que cette situation elle meˆme fut vicieuse. mais les substitutions, come il arrive a` la plupart des institutions humaines, ont surve´cu a` ce but. Les substitutions, en tant que favorisant la perpetuite´ d’imenses proprie´te´s indivisibles sont de´favorables a` l agriculture. un proprie´taire tre´s conside´rable neglige ne´cessairement une grande partie de ses proprie´te´s. il ne faut que comparer, dit Smith, III. 2. les grandes terres qui sont reste´es sans interruption dans la meˆme famille depuis le tems de l’anarchie fe´odale, avec les possessions des petits proprie´taires des environs, pour juger sans autre argument, combien les proprie´te´s trop e´tendues sont peu avantageuses pour la culture. Il en est des proprie´te´s come des Etats. de trop petites proprie´te´s sont peu avantageuses parce que le proprie´taire n’a pas le moyen de les bien cultiver : mais de trop grandes ne sont pas moins funestes parce que le proprie´taire n’a ni l’interet ni le tems den surveiller toutes les parties e´galement. les substitutions enchainent les individus, et les ge´ne´rations, sans prendre en conside´ration les changemens qui peuvent survenir dans l’e`tat des uns et des autres.

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32. B.2 Pour re´sumer maintenant en peu de mots les principes qui doivent diriger l’action des gouvernemens sur la proprie´te´, Je dirai qu’il peut la V: 18 dans la meˆme famille depuis ] dans l〈es〉a cette dernie`re lettre re´crite sur la forme au pluriel meˆme〈s〉 〈mains〉 famille ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. LA fe´odale, avec les possessions ] fe´odale, 〈du〉 avec les possessions LA 1 2

Deviendra une note du chap. 15 du livre X (ci-dessus, p. 368). Passe partiellement dans le nouveau chapitre 18, et, a` partir du second aline´a, dans le nouveau chapitre 17 du livre X (ci-dessus, p. 385 et 383).

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geˆner, lorsqu’il y a ne´cessite´ e´vidente pour la surete´ publique. ce droit distingue la jurisdiction du gouvernement sur les proprie´te´s de celle qu’il posse`de sur les persones. car il n’auroit pas le droit d’attenter a` la vie d’un seul innocent, fut-ce pour le salut de tout un peuple. mais dans tous les cas ou la surete´ publique n’est pas menace´e, le gouvernement doit garantir la proprie´te´ et la laisser libre. L’arbitraire sur la proprie´te´ est bientot suivi de l’arbitraire sur les personnes, 1o˙ parce que l’arbitraire est contagieux : 2o˙ parce que la violation de la proprie´te´ provoque naturellement la re´sistance. l’autorite´ sevit alors contre l’opprime´ qui re´siste, et parce qu’elle a voulu lui ravir son bien, elle est conduite a` porter atteinte a` sa liberte´. ajoutez qu’en jetant les homes dans l’incertitude sur ce qu’ils posse`dent, vous les excitez a` envahir ce qu’ils ne posse´dent pas. sans la se´curite´, l’economie devient duperie et la mode´ration imprudence. lorsque tout peut eˆtre enleve´, il faut conque´rir le plus possible, parce qu’on a plus de chances de soustraire quelque chose a` la spoliation. lorsque tout peut eˆtre enleve´, il faut de´penser le plus possible, parce que tout ce qu’on de´pense est autant d’arrache´ a` l’arbitraire. ainsi le tems n’entre plus dans les calculs des homes, et par cela meˆme la morale est de´truite. la morale, ainsi que la prudence, n’est un bon calcul, que lorsqu’elle dispose du tems. Les succe´s du moment sont ou peuvent eˆtre pour l’audace et pour le vice. Les Rois, dit Louis XIV, dans ses me´moires, sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les Biens de leurs sujets. mais quand les Rois se regardent comme seigneurs absolus de tout ce que posse`dent leurs sujets, les sujets enfouı¨ssent ce qu’ils posse´dent ou le dissipent. s’ils l’enfouissent, c’est autant de perdu pour l’agriculture, pour le commerce, pour l’industrie, pour toutes les sources de prospe´rite´. s’ils le prodiguent pour des jouı¨ssances passageres c’est encore autant de de´tourne´ des emplois utiles et des spe´culations reproductives. Louis XIV croı¨oit dire une chose bien favorable a` la richesse des Rois. il disoit une chose qui devoit ruiner les rois en Ruinant les peuples. l’on a voulu fortifier par des Institutions la puissance paternelle, et 33.1 l’on s’est appuye´, come pour toutes les ide´es impraticables, de l’exemple des anciens. chez les anciens, l’exce´s de la puissance paternelle, contre lequel d’autres philosophes ont largement de´clame´, n’etoit pas un inconV: 14 imprudence. lorsque ] imprudence. 〈p. 27〉 lorsque LA 16 a` la spoliation ] a` la spoliation. + 24 B cette dernie`re indication est ajoute´e dans l’interl. sup. LA 18 a` l’arbitraire ] a` l’arbitraire. + 27 indication indique´e dans l’interl. sup. LA 1

Deviendra une note du chap. 16 du livre X (ci-dessus, pp. 373–374).

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ve´nient. De nos jours, la Diminution le´gale de cette puissance, diminution que tant de moralistes de´plorent avec e´loquence, n’est pas non plus un tre´s grand mal. la conciliation de ces deux assertions contradictoires en apparence se trouve dans les diffe´rences que nous avons fait remarquer entre les anciens et nous. Il n’est pas douteux ne´anmoins que les Secousses re´volutionnaires n’aı¨ent trop diminue´ la puissance paternelle. mais pour remedier a` cet abus, Il faut, non pas e´tablir mais de´truire des institutions. abrogez vos loix prohibitives sur les testamens. une plus grande liberte´ accorde´e aux pe´res retablira leur puissance. e´loignez les entraves : les inconve´niens disparaˆitront. c’est en vous meˆlant de tout que vous les accumulez, et vous vous en plaignez ensuite, et vous croyez reme´dier par un plus grand nombre de loix aux inconve´niens qui ne re´sultent que de ce qu’il y a deja trop de loix. tous les avantages de la puissance paternelle tiennent a` ce que cette puissance est purement naturelle et morale. Si vous la fesiez le´gale, vous la de´natureriez. Il ne faut pas que les loix la combattent, mais il ne faut pas qu’elles s’en meˆlent. elle existe inde´pendamment des Loix, et doit continuer d’exister ainsi. y porter atteinte est injuste. vouloir y ajouter est inutile et par conse´quent funeste. laissez aux pe`res la disposition de leurs biens et l’e´ducation de leurs enfans. Du reste, ne meˆlez pas l’autorite´ grossie`re a` la nature inde´pendante et de´licate. Ce que vous croyez sanctionner, vous le corrompez. Vous gatez ce que vous essayez d’ame´liorer. la puissance paternelle est ne´cessairement arbitraire. une telle puissance est bonne quand elle existe par la nature. elle serait funeste, si elle existoit par la loi. La puissance paternelle nous offre un exemple de ce que nous disons sans cesse, que la plupart du tems l’abolition d’une seule loi produirait plusieurs avantages qui paraissent tout a` fait e´trangers les uns aux autres, et pour chacun desquels on fait se´parement une multitude de loix qui ont de nouveau leurs inconve´niens particuliers. l’abolition de toute substitution d’un cote´, la liberte´ entie´re de tester de l’autre, c’est a` dire, l’absence de deux institutions produirait le re´tablissement de la puissance paternelle et la repartition plus e´gale des fortunes, avantages auxquels on croit arriver par des loix positives, auxquels on n’arrive qu’imparfaitement, et que l’on ache`te par des inconve´niens multiplie´s, tandis que l’absence de deux loix positives les produirait bien plus surement, en meˆme tems que cette absence, de´livrant la liberte´ individuelle de quelques entraves de plus et otant par conse´quent aux homes quelques occasions de violer la loi, serait par cela seul un grand bien.

V: 26 abolition d’une seule loi ] abolition d’une 〈loi〉 seule loi LA l’absence de de le mot de est ici re´pe´te´ par inadvertance. LA

30 l’absence de ]

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XI.

XI]

Ch. 4.

11 la fraude est le de`faut de l’impot sur la consomation, (impots indirects) l’injustice le de´faut de l’impot sur la rente, (impot direct) Canard. Principes d’Economie politique.

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2.2 renvoyer pour les inconve´niens financiers de l’impot des patentes a` Simonde, Le´gisl. commerc. II. 85 et suiv. nous ne parlons ici que de son injustice. 33 Ce que les gouvernemens croyent gagner en argent, par l’impot des Loteries, Ils le perdent et au dela`, meˆme en argent, par le mal que cet impot fait a` l’industrie, et par les crimes qu’il fait commettre a´ la classe laborieuse, crimes, qui, en mettant a` part les conside´rations morales, et en ne les envisageant que fiscalement, sont une de´pense pour l’e´tat.

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44 les Denre´es en marchandises ne haussent pas uniquement en raison de ce qu’elles coutent, mais en raison de leur rarete´. d’ordinaire lorsqu’une production coute plus a` produire que sa valeur ve´nale, ou du moins lorsqu’elle coute tellement et a une valeur ve´nale si faible que le profit est nul, ou tre´s petit, les producteurs se de´tournent de cette production et se livrent a` une autre plus profitable : mais s’ils ne pouvoient pas se de´tourner de cette production, il faudroit qu’ils continuaˆssent a` s’y livrer, meˆme a´ perte, et la production restant en meˆme affluence ne hausseroit pas de prix. peu a` peu, sans doute, la classe productrice diminueroit, et la production manquant, sa valeur hausseroit en raison de sa rarete´. mais si cette production etoit de ne´cessite´ premie´re, ce seroit un nouveau malheur. argument contre l’impot sur la Terre. Il ruine d’abord les agriculteurs, qui, ne pouvant produire que les meˆmes productions, et ne pouvant que se ruiner plus vite, s’ils ne les produisoient pas, ne peuvent, coe les manufacturiers, rendre la production V: 20 il faudroit ] il faudroi〈en〉t LA 1 2 3 4

Devient une note au chap. 4, livre XI (ci-dessus, p. 398). Devient une note au chap. 4, livre XI (ci-dessus, p. 397). Devient une note au chap. 5, livre XI (ci-dessus, p. 402). Devient, avec l’entre´e suivante, une note au chap. 4, livre

XI

(ci-dessus, p. 394).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

plus rare pour la faire hausser. ensuite Il ruine l’agriculture, et avant que l’e´quilibre entre les fraix de culture et la valeur des Denre´es soit re´tabli, le peuple souffre de la Disette. 5. toutes les fois que le producteur peut diminuer son nombre ou sa production, l’impot pe`se sur le consomateur. toutes les fois que le producteur ne peut diminuer ni son nombre ni sa production, l’impot pe´se sur le producteur. ce cas-ci est celui du proprie´taire de terre. Livre

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XI.

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Ch. 6.

61 V. Sur l’effet de la consommation des Capitaux par les nations Simonde I. 4. Si les depenses des trois classes productives surpassent leurs revenus, la nation doit indubitablement s’appauvrir. Simonde I. 94 et suiv.

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l’economie du gouvernement est ce qui favorise le plus la prospe´rite´ 7.2 d’un pays, parce qu’elle laisse plus de Capitaux a la disposition de l’industrie des particuliers. Livre

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XI.

Ch. 7.

83 depuis 1736, la Taxe des mines du Pe´rou a e´te´ re´duite du 5e˙ au 10e˙ Smith 1. 11. le premier effet ge´ne´ral de l’impot est de diminuer le gain des ven94 deurs, en diminuant la consommation, dans les branches impose´es. il arrive dela` que ceux qui cultivoient ces branches les abandonent, pour s’attacher a` d’autres plus lucratives. ils y augmentent la concurrence, et conse´quement ils diminuent le gain. donc l’impot influe sur toutes les sources de rentes. mais avant qu’il se repartisse sur elle, et que le de´savantage de la branche impose´e se soit partage´ entre toutes les autres, de manie`re a` produire l’e´quilibre, il s’ope`re un frottement plus ou moins long, qui rend l’impot de´sastreux. tout vieil impot est bon, tout nouvel impot pernicieux. Canard. principes d’e´conomie politique. V: 6 l’impot pe`se sur le producteur ] l’impot pe`se sur le 〈c〉 producteur LA 12 l’economie du gouvernement ] 〈la fraude〉 l’economie du gouvernement LA gouvernement, est ce qui favorise ] gouvernement, 〈l’on〉 est 〈de〉 ce qui favorise LA 1 2 3 4

Devient Devient Devient Devient

une une une une

note note note note

au au au au

chap. 6, chap. 6, chap. 7, chap. 8,

livre livre livre livre

XI XI XI XI

(ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus,

p. 403). p. 404). p. 406). pp. 410–411).

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ch. 8.

10.1 Les Re´publiques finissent par le luxe, dit Montesquieu, les Monarchies par la pauvrete´. Il en conclut que l’e´conomie convient aux Re´publiques et le Luxe aux Monarchies. singulie´re conclusion. car que signifie l’observation meˆme sur laquelle il se fonde ? que les Re´publiques s’enrichissent par l’e´conomie et que les Monarchies se ruinent par le luxe. Livre

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XI.

ch. 9.

11.2 Ce que le bien de l’Etat exige, voila´ la De´rision et le trait de lumie´re, les impots proportionne´s a` [c]e bien public, dont un Souverain est le juge et le gardien, sont un acte de Justice. ce qui exce`de [c]ette mesure cesse d’etre le´gitime. Il n’y a donc [d]’autre diffe´rence entre les usurpations particulie´res et celles du souverain, si ce n’est [q]ue l’injustice des uns tient a` des ide´es simples, [et] que chacun peut aise´ment distinguer, tan[di]s que les autres e`tant lie´s a` des combinaisons [do]nt l’etendue est aussi vaste que compli[qu]e´e, personne ne peut en juger autrement [que] par des conjectures..... C’est une violation [du] plus saint des de´pots que d’employer les sacrifices des peuples a` des largesses inconsi[de´]re´es, a` des de´penses inutiles, et a` des [en]treprises e´trange´res au bien de l’Etat..... [l’e´]tendue deraisonable des Impots est de [p]lus une source constante de maux et de [v]exations. adm. des Fin. I. ch. 2. Liv.

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XI.

V: 8 manuscrit de´chire´ dans la marge gauche, nous re´tablissons les lettres perdues entre crochets carre´s LA

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Ch 10.

123 On excuse souvent l’exce´s des impots, par la ne´cessite´ pre´tendue d’entourer les gouvernemens d’une grande magnificence. L’on pre´tend que pour inspirer aux hommes du respect pour leurs institutions, il faut les e´blouı¨r par l’e´clat des de´positaires du pouvoir. cet axiome est faux e´galement dans les Re´publiques et dans les Monarchies. dans celles-ci, la Simplicite´ du Monarque, e´tant volontaire et parla` me´ritoire, produit une impression beaucoup plus profonde que l’e´talage d’une Richesse extorque´e

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Devient une note au chap. 8, livre XI (ci-dessus, p. 411). Devient une note au chap. 9, livre XI (ci-dessus, p. 413). Devient une addition au chap. 10, livre XI (ci-dessus, pp. 416–417).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

aux gouverne´s. Fre´deric II et meˆme Charles XII inspiroient, sous ce rapport, plus de ve´ritable respect que Louis XIV. le faste est moins ne´cessaire encore dans les Re´publiques. Il se peut que, dans les Aristocracies, l’opulence de classe gouvernante impose au peuple ; mais il faut que cette opulence appartiene he´re´ditairement a` cette classe, et non qu’elle tire son origine ignoble des Impots de chaque jour. Quant aux Gouvernemens Electifs, le faste n’y produit aucun des effets qu’on lui attribue. ce qui se fait dans le but avoue´ de frapper, d’e´blouir, de se´duire, manque infailliblement ce but. aucune ve´ne´ration personnelle ne re´sulte des de´corations qui n’ont elles meˆmes rien de personel. cette magnificence emprunte´e ressemble a´ la toilette de nos acteurs. la pompe a de l’influence sur la nation spectatrice, lorsqu’elle est apporte´e dans le gouvernement par l’individu, et non, lorsqu’elle est, pour ainsi dire, pose´e sur l’individu, en sa qualite´ de gouvernant. les effets avantageux qu’on attend du faste se composent de souvenirs, d habitudes, de superstitions he´re´ditaires. les gouvernemens qui n’ont pas ces appuis doivent renoncer a´ ces effets. Mais si la pompe est inutile, il y a une e´le´gance de mœurs, indispensable dans les gouvernans. cette e´le´gance s’allie avec la plus grande simplicite´, comme la grossie´rete´ la plus Brutale s’allie avec le faste et l’ostentation. Cette e´le´gance de mœurs commande la conside´ration ve´ritable. elle est l’effet lent et sur de l’e´ducation et de l’ensemble de la vie ; elle est la garantie de la justice et ses conse´quences sont bien plus importantes que l’on ne le pense. des hommes grossiers peuvent eˆtre e´mus : mais pour une circonstance ou ils le seront, que de circonstances dans lesquelles ils resteront durs et fe´roces ! Il ne faut pas oublier d’ailleurs que pour e´mouvoir des ames grossie`res, un redoublement dans les accens et les symptomes de la douleur sera ne´cessaire. or, que de douleurs silentieuses et profondes, ils n’appercevront meˆme pas. que de sensations timides ou de´licates reculeront devant leurs formes repoussantes et bruyantes ! que d’innocens dont la fierte´ re´volte´e glacera la langue, e´touffera l’expression. La grossie´rete´, la violence, Sont les deux plus grands fle´aux dans les hommes revetus du pouvoir. elles mettent une insurmontable barrie`re entr’eux, et tout ce qu’il y a de noble, d’e´leve´, de de´licat, de profond dans la Nature humaine. les hommes grossiers, les hommes irascibles lors meˆme que leurs intentions sont pures, sont comptables de tout le bien qu’on ne leur propose pas de faire et de tout le mal qui se commet, sans que l’on ose reclamer. V: 10 de personel. cette magnifence ] de personel. 〈le peuple au contraire a〉 cette magnificence LA 27 ne´cessaire. ] la source porte ne´cessaires. LA 34 les hommes irascibles lors meˆme ] les hommes 〈irritables,〉 irascibles ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. lors meˆme LA

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Un Auteur, cele`bre par ses e´crits sur les moyens de soulager la classe souffrante, M. de Rumford, dit, dans ses me`moires sur les hopitaux et les maisons de force, que les soins physiques contribuent beaucoup a` l’ame´lioration morale des hommes, et qu’il a souvent observe´ le changement le plus rapide dans les criminels eux meˆmes, lorsqu’un air plus pur, de meilleurs veˆtemens, une nourriture plus Saine les avoient transporte´s, pour ainsi dire, dans une autre sphe´re. l’absence des soins physiques, dit-il, cause une douleur, un malaise, qui met l’ame dans une disposition irritable, et qui jette, je ne sai quoi de convulsif et de de´sordonne´ dans les sentimens et dans les actions. J’en dis autant de la grossie´rete´ des formes, et de cette irascibilite´ dont les homes puissans veulent faire un moyen, pour n’etre pas re´duits a` s’en excuser come d’un vice. Ces choses mettent notre eˆtre dans une espe´ce d’agitation convulsive qui e´touffe toutes les impressions douces. L’homme influe sur lui meˆme par sa voix, par ses gestes, par ses discours, et de meˆme que ses sensations inte´rieures agissent sur les formes qu’il reveˆt, ces formes re´agissent sur la disposition inte´rieure. a` quelques e´poques de notre Revolution, l’on e´toit tombe´ dans la contradiction la plus ridicule. l’on avoit voulu entourer le gouvernement de magnificence, et consacrer dans les gouvernans la grossierete´. l’on n’avoit pas senti que ce qu’il y avoit de bon dans l’institution populaire, c’etoient la simplicite´, l’absence d’une pompe inutile, d’une ostentation humiliante pour le pauvre, et que ce qu’il y avoit de bon dans l’institution aristocratique, c’e´toient l’e´le´gance des mœurs, la hauteur de l’ame, la de´licatesse des expressions. l’on avoit re´uni les inconve´niens des deux systeˆmes, et combine´ le faste stupide avec la farouche Brutalite´.

V: 14 qui e´touffe ] qui e´touffe BC avait d’abord e´crit e´touffe´ LA

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

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XII.

XII]

Ch. 1.

1.1 Il est prouve´ que l’industrie ne fleurit que par la liberte´ : mais si le contraire etoit demontre´, les restrictions mises a` la liberte´, sous le pre´texte de favoriser l’industrie, ont des conse´quences tellement de´sastreuses pour le bonheur ge´ne´ral et pour la morale, qu’il vaudroit mieux laisser languir l’industrie qu’attenter a` la liberte´

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2.2 Un fait particulier ne suffit point pour de´truire un fait ge´ne´ral. car on ne peut s’assurer qu’une circonstance inconnue n’ait pas produit la diffe´rence qu’on remarque entre les re´sultats de l’un et de l’autre. Combien peu de faits particuliers sont comple´tement bien conus ! combien peu sont observe´s avec toutes leurs circonstances ! Say. Econom. polit. pre`f. p. IX.

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ch. 4.

33 V. sur les efforts des Maˆitres pour faire baisser et sur ceux des ouvriers pour faire hausser le prix des journe´es et sur l’inutilite´ de l’Intervention de l’autorite´ a` cet e´gard Smith W. of II. I. 132–159. Trad. de Garn. la fixation du prix des journe´es est le sacrifice de la majeure partie a` la plus petite. le preˆt a` interet e´tant comple´tement de´fendu chez les Mahome´tans, 44 l’usure y est beaucoup plus forte pour compenser le danger de la contravention. v. Montesquieu a` ce sujet. Smith. I. 9. la loi ne doit pas garantir les interets usuraires en ne les garantissant pas, elle se dispense de les prohiber. mais en meˆme tems elle doit accorder une garantie assure´e aux Interets le´gaux. car si elle ne mettoit pas les interets le´gaux a` l’abri de tout risque, la V: 19 e´tant comple´tement ] e´tant 〈illis.〉 comple´tement LA 1 2 3 4

Devient une addition au chap. 1, livre XII (ci-dessus, p. 422). Devient une note du chap. 1, livre XII (ci-dessus, p. 421). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 432). Repris partiellement dans une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 455).

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difficulte´ de se les faire payer feroit renaˆitre l’usure. en garantissant solidement les interets le´gaux et en ne garantissant pas les interets usuraires, elle concilie tout. les preˆteurs pre´fe´reront un profit le´gitime, s’il est assure´, a` un profit plus grand, mais pre´caire. si au contraire aucun profit n’est bien assure´, les preˆteurs chercheront a` risque e´gal le plus gros profit.

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51 la plus sacre´e et la plus inviolable de toutes les proprie´te´s est celle de sa propre industrie, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres proprie´te´s. le patrimoine du pauvre est dans la force et l’adresse de ses mains, et l’empeˆcher d’employer cette force et cette adresse de la manie`re qu’il juge la plus convenable, est une violation manifeste de cette proprie´te´ primitive. c’est une usurpation criante sur la liberte´ le´gitime, tant de l’ouvrier que de ceux qui seroient dispose´s a` lui donner du travail : c’est empeˆcher a` la fois l’un, de travailler a` ce qu’il juge a` propos, et l’autre d’employer qui bon lui semble. on peut bien en toute surete´ s’en fier a` la prudence de celui qui occupe un ouvrier, pour juger si cet ouvrier me´rite de l’emploi, puisqu’il y va de son propre interet. cette sollicitude qu’affecte le Le´gislateur, pour prevenir qu’on n’employe des personnes incapables, est e´videmment aussi absurde qu’oppressive Smith. une loi qui partout et toujours a e´te´ juge´e fort utile, c’est celle qui 6.2 de´fend a` aucune main de s’entremettre entre l’agriculteur et le consommateur des villes. cependant n’est il pas e´vident que le manufacturier est toujours de´tourne´ de son travail par la vente de ses productions, qu’il peut fabriquer beaucoup plus et mieux, lorsque quelque capitaliste se charge du de´bit ? pourquoi faire a´ cet e´gard une exception contre l’agriculture ? s’il faut que le paysan porte ses denre´es a` la ville, il perd ne´cessairement un tems conside´rable. Il de´pense en luxe de ville ce qu’il retire de ses productions. les homes s’y enivrent. les femmes s’y corrompent. cet ordre des choses de´prave les habitans des campagnes et les ruine. Mirab. Mon. Pr. I. 169. 73 Le mauvais effet de l’action du gouvernement sur l’industrie se montre par l’influence des re´glemens comerciaux sur la Georgie. Pictet. Tabl. des Etats Unis. II. 308.

V: 26–27 ses productions. les homes ] ses productions. 〈cet ordre de choses〉 les homes LA

1 2 3

E´tait de´ja` une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 431). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 440). Devient une note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 459).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

8.1 De la le´gislation des grains, dans la bibliothe`que de l’homme public, XII. p. 110 et suiv. toute denre´e, sans exception doit avoir un comerce libre, si l’on veut en procurer l’abondance. Il suffit d’en geˆner ou d’en restreindre le de´bit, pour en faire ne´gliger la culture et la rendre rare. les permissions particulie`res pour l’exportation font plus de mal que de bien, parce que, sans donner plus de liberte´, elles joignent a` la ge´ne l’incertitude. ainsi c’est mal raisonner que de conclure du mal que causent quelquefois les permissions particulie´res au mal que feroit la liberte´ ge´ne´rale. quand l’exportation est de´fendue, qu’arrive-t-il ? que le ble´ tombe a` vil prix, que pendant cette anne´e on le prodigue, que les anne´es suivantes on cultive peu et mal, et qu’il y a disette. que si on ne veut pas de systeˆme ge´ne´ral, et qu’on s’en remette a` la prudence du gouvernement, alors, le gouvernement, commettant la moindre erreur, les plus grands inconve´niens en re´sultent, outre que l’interet particulier, qui est la meilleure et la seule garantie de l’approvisionement, sachant qu’il peut eˆtre contrarie´ a` chaque instant, par l’arbitraire, le caprice, ou l’erreur du gouvernement, perd de sa se´curite´, et par la´ meˆme de son activite´. il met son adresse en fraude, au lieu de la mettre en utiles spe´culations. 1o˙ parce que ses spe´culations peuvent eˆtre inopine´ment entrave´es ; 2o˙ parce que, toutes les fois qu’il y a possibilite´ de fraude, Il y a plus a gagner par la fraude que par toute autre spe´culation. p. 111. Inconve´niens des magazins. p. 119–120. 178. Loix contre les monopoles. Suite de mesures vexatoires et toujours inutiles. 148–164. excellent e´dit de 1774. p. 192. ne´cessite´ de prendre des pre´cautions, a` cause des pre´juge´s du peuple. 205– 211. excellent me´moire pre´sente´ a` l’assemble´e des notables sur le comerce des grains. les prohibitions favorisent l’exportation soudaine et a´ vil prix, parce qu’on les leve pre´cise´ment quand le grain est bas. p. 222. il faut ajouter au prix du ble´, maintenu a` un taux mode´re´ par le gouvernement, les de´penses que coutent les mesures ne´cessaires pour le maintenir a` ce taux. car rien n’est si cher que les vexations. or ces de´penses retombent sur les contribuables. p. 228. la de´fense d’exporter est une annonce du besoin qui a l’effet infaillible de faire renche´rir. p. 234 9 Loi fondamentale a` athe`nes, de ne jamais accorder a` qui que ce put eˆtre un privilege exclusif. S. Petit. Recueil des Loix attiques Lib I. Tit. 3. a` athe`nes, on pouvoit re´compenser les grands homes par des honeurs et des distinctions flatteuses : mais on ne pouvoit leur donner un octroi pour faire seuls le comerce, ou pour e´tablir seuls des fabriques. Paw. I. 272. Loi de Solon par laquelle il abolit l’interet le´gal, on ne voulut point la fixer. Lysias contre The´omneste. Demosthe`ne contre Lacrite. Paw sur l’usure. quoique 1

Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, pp. 448–449).

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Solon n’eut pas fixe´ l’interet le´gal, ceux qui ne se conformoient pas a` l’usage e`toient conside´re´s come les plus vils et les plus ignominieux des homes. Paw. R. S. L. G. I. 286. 101 Les villes d’Angleterre ou il n’y a point de corporations et ou il y a entie`re liberte´ d’industrie sont les plus florissantes. Birmingham, Manchester. fo 82ro

Il est e´vident que chaque individu, dans sa position particulie`re est 112 beaucoup mieux a` meˆme de juger de l’espe`ce d’industrie que son capital peut mettre en œuvre le plus avantageusement, qu’aucun homme d’e´tat ou le´gislateur ne pourra le faire pour lui. Smith. IV. 2.

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123 on croirait, a` voir les pre´cautions que les gouvernemens prennent, contre l’exportation du nume´raire, que l’on exporte a` perte et simplement pour leur faire niche. 134 Smith sur les effets des prohibitions relatives a` l’exportation et a` l’accaparement des grains. III. 2.

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14 l’industrie qu’encourage principalement le systeˆme prohibitif, c’est celle sur laquelle porte le be´ne´fice des gens riches et puissans. celle qui alimente les profits du pauvre et de l’indigent est presque toujours ne´glige´e ou opprime´e. v. Smith. IV. 8.

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155 cruaute´ des loix prohibitives en angleterre. par le statut de la 8e˙ anne´e d’Elisabeth, ch. 3. quiconque exporte des Brebis agneaux ou beliers, doit pour la premie`re fois avoir tous ses biens confisque´s a` perpe´tuite´, subir une prison d’un an, et au bout de ce tems avoir la main gauche coupe´e a` un jour de marche´, dans une ville ou elle restera cloue´e. en cas de recidive il doit etre puni de mort. par des actes de la 13e˙ et 14e˙ anne´e de Charles II, l’exportation de la laine fut de´clare´e crime capital. Smith. IV. 8. V: 5 sont les plus florissantes ] sont 〈cel〉les plus florissantes LA 7 particulie`re ] mot re´pe´te´ deux fois de suite en tournant la page, certainement par inadvertance LA 11 on croirait ] 〈si l’exportation du nume´raire n’e´toit pas avantageuse, elle ne se ferait pas. or qu’est-ce qui la rend avantageuse ? la possibilite´ d’acque´rir du dehors une plus grande valeur en e´change que celle que la meˆme quantite´ de nume´raire pourroit au dedans. Il est clair que par cette ope´ration vous enrichissez le pays meˆme dans lequel vous faites entrer cette valeur supe´rieure.〉 on croirait LA 16 l’industrie ] 〈14 Montesquieu sur l’usure. E. d. L. XXII. 22. 〉 14 l’industrie LA 1 2 3 4 5

Appartient de´ja` au texte du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 431). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 426). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 437). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 449). Devient une note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 459).

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16. Ce qui peut tromper sur les conse´quences des discours des gouvernemens en e´conomie politique, c’est que l’effort naturel que fait sans cesse chaque individu pour ame´liorer son sort, est un principe de conservation, capable de pre´venir et de corriger a` beaucoup d’e´gards les mauvais effets d’une e´conomie partiale et meˆme oppressive..... si une nation ne pouvoit prospe´rer sans la jouı¨ssance d’une parfaite liberte´ et d’une parfaite justice, Il n’y a pas au monde une seule nation qui eut jamais pu prospe´rer heureusement que dans le corps politique la sagesse de la nature a place´ une abondance de pre´servatifs propres a` reme´dier a` la plupart des mauvais effets de la folie et de l’injustice humaine, comme elle en a mis dans le corps physique, pour reme´dier aux suites de l’intempe´rance et de l’oisivete´. Smith. IV. 9.

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171 Fre´deric Guillaume. le Pe`re du grand Fre´deric, avoit contre les Juifs des pre´ventions violentes. Il les vexoit de mille manie´res aussi fut-il oblige´ de leur accorder des privile`ges, pour les de´dommager de ses vexations. Il leur promit p. e. exclusivement de preˆter a` interet usuraire par la raison qu’ils n ont pas pour les fonds qu’ils preˆtent autant de surete´ que les chre´tiens. singulier arrangement suivant lequel on auto rise la friponnerie des uns, parce qu on les a livre´s sans de`fense a` la friponnerie des autres. 18.2 quand une des conditions des apprentissages est de payer, pour eˆtre rec¸u dans un meˆtier, une compensation pe´cuniaire, c’est le comble de l’injustice. car c’est repousser du travail ceux qui ont le plus besoin de travailler. 19.3 l’angleterre malgre´ son systeˆme prohibitif a toujours tendu a` libe´rer l’industrie. les apprentissages ont e´te´ restreints aux meˆtiers existans, lors du Statut d’Elisabeth qui les a e´tablis, et les Tribunaux ont acceuilli toutes les distinctions les plus subtiles, tendant a` soustraire a´ ces statuts le plus de branches de ces meˆtiers qu’il a e´te´ possible. p. ex. il faut avoir e´te´ en apprentissage pour faire des chariots, et non pour faire des carosses. Blackstone.

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20.4 Les apprentissages sont oppressifs pour les consommateurs : car en diminuant le nombre des travailleurs, Ils renche´rissent le prix du travail. Ils vexent donc le pauvre, et coutent au riche une surcharge de prix. les apprentissages empeˆchent les individus d’exercer tel meˆtier libre215 ment : les maˆitrises et jurandes sont des associations qui de´terminent le nombre des membres de ces associations. 1 2 3 4 5

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chap. 4, chap. 4, chap. 4, chap. 4, chap. 4,

livre livre livre livre livre

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(ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus,

p. 452). p. 452). p. 429). p. 430). p. 429).

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221 Observez come la liberte´, come la simple absence de loi met ordre a` tout. les associations des Individus exerc¸ant des meˆtiers sont d’ordinaire une ligue contre le public. en conclura-t-on qu’il faut interdire ces associations par des loix prohibitives. nullement. en les interdisant, l’autorite´ se condamnerait a` des vexations, a une surveillance, a` des chatimens qui auroient des inconve´niens graves. mais que l’autorite´ ne sanctionne point ces associations, qu’elle ne leur reconoisse pas le droit de limiter le nombre des homes de telle ou telle profession, par la` meˆme ces associations n’auront plus de but. Si 20 Individus de tel meˆtier veulent se liguer pour porter a` un taux trop e´leve´ le prix de leur travail, d’autres se pre´senteront pour faire ce travail a` meilleur compte. En fixant le nombre des gens exercant chaque profession, Il arrive 23.2 qu’il y a deux contre un pour que ce nombre ne soit pas proportionne´ aux besoins des consommateurs. car il peut y en avoir trop ou y en avoir trop peu ; s’il y en a trop, les homes de cette profession, ne pouvant pas en embrasser une autre, parce que le nombre des maˆitres dans cette autre les repousse, travaille[nt] a` perte ou ne travaille[nt] pas, et tombe[nt] dans la mise`re. s’il y en a trop peu, le prix du travail hausse suivant l’avidite´ de ces travailleurs. 243 Singulie´re pre´tention du gouvernement qui, coe le dit Simonde, II. 285 veut enseigner aux fabricans a` faire leur meˆtier, et aux consommateurs a` connoˆitre leur gout. 25.4 Nous exceptons de l’entie´re liberte´ du comerce les professions qui inte´ressent la surete´ publique, les architectes, parce que le peu de solidite´ d’une maison menace tous les citoyens, les Pharmaciens, les Me´decins, les notaires. 265 les compagnies de comerce ont ce de´savantage, qu’il en est des Directeurs de ces compagnies come des gouvernemens qui ont bientot un interet diffe´rent de celui des gouverne´s. les Directeurs de ces compagnies ont bientot un interet diffe´rent de celui de la compagnie. V: 8 telle profession ] telle 〈pre´tention〉 profession LA par la` meˆme ces associations ] par 〈le but〉 la` meˆme 〈tout le but de〉 ces associations LA associations n’auront ] associations 〈illis.〉 n’auront LA 1 2 3 4 5

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chap. 4, chap. 4, chap. 4, chap. 4, chap. 4,

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(ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus,

p. 431). p. 429). p. 429). p. 430). p. 427).

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27.1 De deux choses l’une ou un comerce ne peut se faire que par une compagnie et alors la compagnie n’a rien a` craindre de la concurrence des individus, ou si la Compagnie a quelque chose a´ en craindre, c’est que le commerce peut se faire sans compagnie privile´gie´e, et alors une Compagnie de ce genre est une injustice. 28.2 Un exemple bien remarquable des facheux effets des compagnies de comerce, c’est l’histoire du comerce francais de l’Inde depuis 1664 jusqu’en 1719. la compagnie cre´e´e en 1664 avoit un privile´ge exclusif. elle perdit jusqu’en 1708 pre´s de 20 millions. pendant ce tems des marchands de S. Malo fesoient un comerce interlope, he´risse´ de toutes les difficulte´s et les dangers de la contrebande. ils y gagnoient. ces marchands imagine`rent d’acheter en 1708 le privile´ge de la compagnie qui les tourmentoit et devinrent ainsi eux meˆmes une Compagnie privile´gie´e. aussitot leurs be´ne´fices cesse´rent, et en onze ans ils porte`rent les pertes de la Compagnie des Indes, dont ils avoient acquis le privile´ge a 30 millions. Savary Dict. de Comerce. T. IV. p. 1075.

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pour justifier les pre´cautions prises contre l’exportation du nu29.3 me´raire, on s’exage´re beaucoup la prodigalite´, les fantaisies, les prodigalite´s des Individus. Mais ces choses ne font jamais qu’une partie infiniment petite de la totalite´ des de´penses : et pour empeˆcher ce tre´s petit mal, en admettant que c’en fut un, l’on fait un mal bien plus grand, et l’on encourt meˆme, tant en salaires d’espionage qu’en poursuites judiciaires, une de´pense plus grande. 30 Les de´penses en fantaisies, qui font sortir le nume´raire improductivement, sont des de´penses particulie´res aux riches. Or le riche aura toujours le moyen de faire sortir son nume´raire, car il pourra toujours payer la prime de la contrebande. 31 les partisans des prohibitions contre l’exportation du nume´raire disent fort bien que le nume´raire, en facilitant les e´changes, et en acce´le´rant la circulation cre´e´ des marchandises. mais oublient-ils que les marchandises cre´ent de l’argent, c’est a` dire rame`nent le nume´raire ? Ils e´crivent toujours comme si le but de ceux qui reclament la liberte´ d’exportation pour le nume´raire etait de faire sortir tout celui qui est dans le pays, et ils de´velopV: 33 et ils de´veloppent ] et ils 〈depo〉 de´veloppent LA 1 2 3

Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 426). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 428). Devient, avec les entre´es 30 a` 34, une note du chap. 4, livre

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(ci-dessus, p. 438).

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pent tre´s bien les avantages du nume´raire et les inconve´niens de sa disparition. v. Ferrier p. 13–18. mais l’exportation permise n’est pas l’exportation force´e. on reclame pour le nume´raire la liberte´ de sortir et d’entrer suivant les besoins, et on la reclame 1o˙ parce que toutes les fois qu’un peuple a trop peu de nume´raire, le nume´raire entrera et ne sortira pas. 2o˙ parce que l’exportation de nume´raire quand il y en a trop est impossible a` empeˆcher. 32 la logique des de´fenseurs des prohibitions est toujours de supposer que toutes les Choses dangereuses et pre´judiciables seroient faites aussitot qu’elles ne seroient plus de´fendues. Ils se mettent fort a` leur aise en posant cela en fait, et ensuite Ils de´montrent amplement le mal qui en re`sulteroit. veulent-ils p. ex. prouver la ne´cessite´ d’interdire l’exportation du nume´raire ? Ils n’examinent pas, si, lors meˆme que cette prohibition n’existerait pas, le nume´raire sortirait : mais Ils se livrent a` une peinture pathe´tique des maux qu’e´prouverait un pays, s’il e´toit prive´ de tout son nume´raire. C’est une ruse de logique qui trompe beaucoup de Monde. on affirme une chose. on en de´montre une seconde qui est incontestable : et l’on conclut de l’e´vidence de la seconde assertion, a` la ve´rite´ de la premie´re, quoiqu’il n’y ait nul rapport entre les deux. 33 Si la france dit Ferrier, p. 59, se voı¨ant enlever toutes les anne´es seulement 20 millions, au bout de 50 ans, son nume´raire serait re´duit de moitie´. les manufactures tomberaient &ca˙ la seconde assertion est vraı¨e sans doute, en admettant la 1e˙re mais La difficulte´, c’est que la 1e˙re ne l’est pas, et ne peut l’eˆtre jamais.

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34 Il est arrive´ dans les disputes sur l’exportation du nume´raire une chose qui arrive fre´quemment dans toutes les disputes. c’est que l’un des partis a de´place´ sciemment la question, et que l’autre, ne s’appercevant pas que la question e´toit de´place´e, a combattu sur un mauvais terrein. les adversaires de la libre exportation, au lieu de prouver que l’exportation laisse´e libre ferait sortir tout le nume´raire ont suppose´ la chose prouve´e, et ont alors de´montre´ les mauvais effets de cette sortie, et alors aussi leurs antagonistes, au lieu de prouver que la libre exportation ne ferait sortir que le nume´raire superflu, ont e´te´ entraine´s par la chaleur de la discussion, a` combattre tout ce que disoient leurs opposans, et se sont mis a` dire que la sortie du nume´raire ne serait pas un mal. v. Smith. c’est ainsi que les Sophismes d’un parti faussent la logique du parti adverse.

V: 27 a combattu sur un mauvais ] sur re´pe´te´ deux fois de suite, certainement par inadvertance LA

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35.1 La Maremme Toscane produisoit quatre fois plus de ble´ qu’il n’en falloit pour nourrir ses habitans, avant que l’exportation fut de´fendue. les grands Ducs de la famille des Me´dicis la prohibe´rent, et les terres reste´rent incultes. Simonde. II. 128. 36 la liberte´ de commerce fut toujours pleine et entie`re a` athe`nes. Il n’y avoit aucun monopole ni privile´ge exclusif. Il n’y avoit non plus aucune loi contre l’usure. mais ceux qui exigeoient de trop forts interets e´toient fle´tris par l’opinion. Paw. I. 372. Tre´s bonnes ide´es dans Bentham, Princ. du Code Civil, ch. 4. sur 372 l’intervention des Loix relativement a` la subsistance.

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38. on a dit sans cesse que le comerce de l’Inde ne pouvait eˆtre fait que par une compagnie. mais pendant plus d’un sie`cle, les Portugais ont fait ce comerce sans compagnie avec plus de succe`s qu’aucun autre peuple. Say. Liv. I. ch. 27. p. 183. Livre

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393 inutilite´ de de´fendre les marchandises e´trange`res, en les supposant de valeur e´gale avec les Indige´nes. la vente est une espe´ce de prime que les marchandises gagnent a` la course, et les marchandises e´trange´res partent de plus loin. Say. I. ch. 35. p. 290. 404 on a constamment reveille´ l’usure, quand on a voulu limiter le taux de l’interet ou l’abolir entie`rement. plus les menaces e´toient violentes, plus l’exe´cution en e´toit rigoureuse, et plus l’interet de l’argent s’elevait. c’e´tait le re´sultat de la marche naturelle des choses. plus le preˆteur courait de risques, et plus il avoit besoin de s’en de´domager, par une forte prime d’assurance. a` Rome, pendant tout le tems de la Re´publique, l’interet de l’argent fut e´norme. les de´biteurs, qui e´toient les Ple´beiens menacoient sans cesse leurs cre´anciers qui e´toient les Patriciens. Mahomet a proscrit le pret a` interet. qu’arrive-t il ? on preˆte dans les Etats mahome´tans a` usure. le preˆteur s’indemnise de l’usage de son capital qu’il ce`de et de plus du pe´ril de la V: 5 pleine et entie`re ] et re´pe´te´ deux fois de suite, certainement par inadvertance LA 1 2 3 4

Devient, avec l’entre´e 49, une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 446). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 447). Appartient de´ja` au texte du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 433). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 455).

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contravention. la meˆme chose est arrive´e chez les Chre´tiens surtout vis-a` vis des Juifs. Say. Liv. IV. Ch. 15. fo 87vo

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41.1 quiconque examinera avec attention l’histoire des cherte´s et des famines qui ont afflige´ quelque partie de l’Europe, pendant le cours de ce Sie´cle et des deux pre´ce´dens, sur plusieurs des quelles nous avons des renseignemens fort exacts, trouvera qu’une cherte´ n’est jamais venue d’aucune ligue entre les vendeurs de Bled de l’Inte´rieur, ni d’aucune autre cause que d’une rarete´ re´elle du bled, occasionne´e peuteˆtre quelquefois et dans quelque lieu particulier par les ravages de la guerre, mais dans le plus grand nombre de cas, sans comparaison, par les mauvaises anne´es, tandis qu’une famine n’est jamais provenue d’une autre cause que des mesures violentes du gouvernement et des moyens impropres employe´s par lui, pour tacher de remeˆdier aux inconve´niens de la cherte´..... le comerce des bleds, sans restrictions, sans ge`nes, sans limites, qui est le pre´servatif le plus efficace contre les malheurs d’une famine, est aussi le meilleur palliatif des inconveniens d’une Disette. car il n’y a pas de remede aux inconve´niens d’une disette re´elle : il ne peut y avoir que des adoucissemens. Smith. IV. ch. 5. il prouve tre´s bien dans le meˆme chapitre que plus vous jetez de de´conside´ration sur le comerce du bled, et plus vous l’entourez de danger, en fesant conside´rer ceux qui se vouent a` ce genre de comerce come des accapareurs, plus vous faites que ceux qui s’y voueront, malgre´ cette de´conside´ration et ces dangers, voudront s’en de´dommager par de gros profits. le peuple se trouve alors, dans les anne´es de Disette, entre les mains d’homes sans conscience qui tirent parti de sa de´tresse et de ses besoins. 422 La hausse de l’Interet n’est pas toujours le signe d’une mauvaise situation financie´re. l’interet peut hausser, lorsque l’emploi des capitaux est devenu plus vaste, par un marche´ plus e´tendu, ou un comerce nouveau, ouvert a` une nation. Il en est donc de la baisse de l’interet come de celle des profits. cette baisse est un signe, tantot de prospe´rite´, tantot du contraire. Simonde. I. 78. l’interet de l’argent n’a pas baisse´ en ame´rique, malgre´ l’accroissement rapide de la fortune publique, parce que le besoin de capitaux augmente par les progre´s de l’industrie en meˆme tems et meˆme plus vite que la masse des capitaux. la baisse et la hausse de l’Interet et la baisse et la hausse des profits e´tant une ligne tantot de prospe´rite´ tantot du contraire, ne peuvent servir de regle pour diriger les gouvernemens dans leurs mesures.

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Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 445). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 454).

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431 en Italie beaucoup de gens riches se font scrupule de preˆter a` interet. qu’en resulte-t-il ? qu’ils enfouı¨ssent leur nume´raire. ce fait se prouve par l’extreˆme cre´dulite´ avec laquelle le public adopte tous les re´cits de tre´sors de´couverts. Sim. I. 144. ainsi le fruit du pre´cepte religieux qui de´fend le preˆt a` interet n’est que la disparition d’un nume´raire qui prete´ auroit alimente´ l’industrie. nous demandons qui gagne a` ce pre´cepte religieux. fo 88vo

les gouvernemens avoient autrefois le Principe de mettre obstacle a` 442 l’invention ou a` l’e´tablissement des machines qui epargnent les bras. Montesquieu les approuve. c’e´toit sous le pre´texte que ces machines re´duisoient une quantite´ d’ouvriers a` l’inaction et a´ la mise`re. lors de l’Invention des Bas au meˆtier, les Intendans de plusieurs provinces de´clame`rent contre une de´couverte qui, disoient ils, devoit re´duire a` la mendicite´ 50.000 individus. on de´fendit a` l’inventeur de profiter de son secret ou de le comuniquer. on assure meˆme qu’il fut mis a` la Bastille. qu’arriva-t-il ? que relache´ Il se re´fugia en Angleterre, que les Anglais mirent Sa De´couverte a` profit, et que dix ans apre`s la france fut oblige´e de se la procurer avec beaucoup de fraix et de peines. Depuis cette e´poque, l’industrie en ce genre a multiplie´ ses produits. la classe pauvre en a profite´ parce qu elle s’est trouve´e mieux veˆtue et la mendicite´ loin d’augmenter a diminue´. mesures contradictoires des gouvernemens. Ils prohibent rigoureu45.3 sement l’exportation du nume´raire, et ils cre´ent du papier monnoye, dont l’effet naturel et ine´vitable est d’expulser le nume´raire de leur pays. v. a` ce sujet Smith, Simonde et Say.

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Toutes les fois qu’on ge´ne une Nation sur les moyens de s’acquitter, 46.4 c’est come si, pour augmenter le cre´dit d’un marchand, on lui de´fendoit de payer ses Dettes. Simonde I. 200.

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47.5 l’angleterre, malgre´ son systeˆme prohibitif, a toujours tendu a` libe´rer l’industrie. les apprentissages ont e´te´ restreints aux me´tiers qui existoient lors du statut d’Elisabeth qui les a e´tablis, et les Tribunaux ont accueilli toutes les plus subtiles, tendant a` soustraire a` ce statut le plus de branches de ces meˆtiers qu’il a e´te´ possible. p. ex. il faut avoir e´te´ en apprentissage pour faire des chariots et non pour faire des carosses. Blackstone.

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V: 1 43 ] BC ajoute ceci contraire a` la note 27. LA 1 2 3 4 5

Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 454). Devient une addition au chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 456). Le texte no 1010 se recoupe avec cette note. Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 439). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 438). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 430).

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48.1 les manufactures qui, en s’ouvrant a` la faveur des privile`ges, de´tournent les Capitaux de celles qui n’ont pas besoin de privile´ges pour se soutenir, font que ces dernie´res se degradent, faute de capitaux Suffisans. Sim. II. 53. l’exportation des laines est se´ve´rement de´fendue en Angleterre. 492 Qu’en est-il re´sulte´. que le nombre des Brebis y diminue, et que la laine y devient plus rare et d’une moins bonne qualite´. le 1e˙r fait a e´te´ constate´ par une Enqueˆte du Parlement en 1802. le 2d˙ est reconnu par tous les Anglais. Sim. II. 35. 503 Les prohibitions des produits de l’Industrie e´trange`re tendent a´ e´teindre l’e´mulation des fabricans Indige´nes. a` quoi sert, dit Simonde II. 163. de chercher a´ faire mieux, lorsque le gouvernement a pris l’engagement de trouver des acheteurs a` ceux meˆmes qui font plus mal ?

fo 89vo

Il est a´ remarquer qu’en meˆme tems que les fabricans francais re514 clament les prohibitions pour soutenir leurs manufactures, Ils se plaignent tous du manque de capitaux. (v. les Statistiques des De´partemens publie´es par ordre du gouvernement.) cela prouve qu’il n’y a pas assez de capitaux pour les Entreprises existantes. Or, si l’on renonc¸oit aux prohibitions, et que l’admission libre des produits de l’industrie e´trange´re fit abandoner une partie des entreprises, les Capitaux reflueroient vers les autres : Ils ne se consomeroient plus a´ alimenter des manufactures perdantes, et les manufactures vraiment avantageuses y gagneroient en meˆme tems que la totalite´ des Consomateurs. 52. Fre´deric Guillaume, le Pere du grand Fre´deric, permettoit exclusivement aux Juifs de preˆter a´ interet usuraire, par la raison qu’ils n’avoient pas, pour les fonds qu’ils preˆtoient, autant de moyens de surete´ que les chre´tiens : singulier arrangement, suivant lequel on autorise la friponnerie des uns, parce qu’on a encourage´ la friponnerie des autres. Les Statuts d’Angleterre, relativement aux pauvres, sont une preuve 53.5 remarquable que l’Intervention de l’autorite´ sociale, pour des objets de V: 1 48. ] BC ajoute employe´. LA 5 49 ] BC ajoute employe´ LA 10 50 ] BC ajoute employe´ LA 14 51 ] BC ajoute employe´. LA 24 52. ] BC ajoute employe´. LA 29 53. ] BC ajoute a` placer ailleurs LA 1 2 3 4 5

Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 426). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 446). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 435). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 434). Repris dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 713).

5

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20

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802

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

bienfaisance, est moins utile que dangereuse. la socie´te´ a voulu assurer la subsistance des pauvres. elle leur a rendu le travail difficile et les a soumis a` mille vexations. Livre

fo 90ro

541

XII.

Ch. 5

Effet des Re´glemens sur la Ge´orgie. Pictet. Tabl. des Et. Un. II. 308.

5

552 Une nation dont le code interdit e´galement le vol, le meurtre, et l’exercice paisible de telle ou telle branche d’industrie, peut-elle avoir des ide´es justes sur le bien et le mal moral ? les Tartares, a` leur arrive´e a` la Chine, s’aperc¸urent qu’il re´sultait de 563 grands inconve´niens pour l’agriculture de l’irre´gularite´ des cantons trop peuple´s, de ceux qui ne le sont pas assez, et de ceux qui ne le sont pas du tout. ils crurent que la source du mal consistait dans le comerce maritime, qui attiroit sur les cotes les familles des Provinces me´diterrane´es, ou les terres restoient en friche. Ils imagine`rent de de`fendre le comerce maritime, de de´molir dans six provinces les habitations qui se trouvoient a´ moins de trois lieues de la mer, et de forcer les habitans a´ se retirer plus avant dans le pays. qu’arriva-t-il ? les habitans ne construisirent point de maisons, et attendirent, dans des trous creuse´s en terre, que les de´fenses des Tartares tombassent en de´sue´tude. car les homes les moins e´claire´s ont un singulier instinct, une prescience qui leur dit que tout ce qui est violent passera. En effet, les Tartares se relache`rent de la de´fense de la peche et du comerce maritime. Ces familles, tourmente´es pour cultiver la terre, et qui, au lieu de la cultiver, l’avoient creuse´e pour se loger dans des trous, sortirent de leurs trous et s’e´tablirent de nouveau sur les cotes. Paw. Eg. et ch.

fo 90vo

574 Tel contrebandier, dit Smith, V. 2. coupable sans doute d’enfreindre les loix de son pays, se trouve ne´anmoins souvent incapable de violer celles de la justice naturelle ; il e´toit ne´ pour faire, a´ tous e´gards, un excellent citoyen, si les loix de son pays ne se fussent avise´es de rendre criminelles des actions qui n’ont point recu ce caracte´re de la nature. V: 10 inconve´niens pour l’agriculture de l’irre´gularite´ des cantons ] inconve´niens 〈pour l’agriculture〉 pour l’agriculture ces deux derniers mots re´crits dans l’int. sup. de l’irre´gularite´ des cantons LA 1 2 3 4

Devient Devient Devient Devient

une une une une

note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 459). note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 457). addition au chap. 5, livre XII (ci-dessus, pp. 460–461). note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 459).

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Livre XII

803

581 des maux assez grands sont autour de ceux que la mise´re assaillit de`s le berceau, sans les exposer encore a` des dangers, ou l’art le plus subtil n’eut su rien ajouter, et qui semblent autant de pie`ges, destine´s cependant a` cette classe d’homes, dont la vue est obscurcie par le manque d’e´ducation, et dont en meˆme tems toutes les actions sont pre´cipite´es parce que les besoins pressans de la vie les rendent chaque jour inquiets du lendemain. Adm. des Fin. II. 98. 592 Il y a toujours beaucoup d’inconve´niens a` imposer sans ne´cessite´ des loix contraires a` l’interet particulier, et qu’on peut facilement enfreindre en secret. car on engage ainsi les homes a` s’affranchir par de´gre´s du joug de leur conscience. on affaiblit le respect du aux Loix, en de´fendant ce qu’on ne peut empeˆcher, et l’on expose les citoyens a` des inquisitions continuelles, en attachant des peines graves a` des de´lits qu’on ne peut jamais reconoˆitre et qu’on peut toujours soupconner. adm. des Fin. III. 55–56.

fo 91ro

603 quand on conside`re murement le tort que cause le systeˆme re´glementaire quand il est e´tabli, et les maux aux quels on peut eˆtre expose´ en l’abolissant, on est conduit naturellement a` cette re´flexion : S’il est si difficile de rendre la liberte´ a` l’industrie, combien ne doit-on pas eˆtre re´serve´, quand il s’agit de l’oter. Say. I. 36. 614 le principe de la concurrence s’applique a` tout ; l’etablissement de plusieurs banques, qui e´mettent des billets de confiance, vaut mieux, dit Say II. ch. 15. que l’e´tablissement d’une seule. alors chaque e´tablissement de ce genre cherche a` me´riter la faveur du public, en lui offrant de meilleures conditions et des gages plus solides. 62 toutes les fois que l’on de´fend une chose naturellement permise ou ne´cessaire, on ne fait que rendre malhonneˆtes gens ceux qui la font. E. d. L. XXI. 20. Livre

fo 92ro

XII.

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Ch. 6.

63.5

l’interet prive´, qui est tre´s e´claire´ quand il raisonne sur ce qui le regarde, et sur ce qu’il doit faire, est un tre´s mauvais guide, lorsqu’il veut ge´ne´raliser ses raisonnemens et les appliquer a` l’administration publique. 1 2 3 4 5

Devient une note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 458). Devient, avec l’entre´e 62, une note du chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 457). Repris comme addition au chap. 10, livre XII (ci-dessus, pp. 480–481). Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 442). Se trouve de´ja` dans le texte du chap. 6, livre XII (ci-dessus, p. 464).

30

804

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

l’interet public n’est sans doute que la re´union de tous les interets prive´s, mais c’est la re´union de tous ces interets, par le retranchement de la partie de chacun d’eux qui blesse les autres. Or c’est pre´cise´ment cette partie a` laquelle chaque interet prive´ attache le plus de prix dans ses calculs, parce que c’est celle qui, dans chaque circonstance lui est la plus profitable. il arrive dela` que, lorsqu’on croit atteindre le but de l’interet public, en ge´ne´ralisant les calculs de l’interet prive´, l’on prend une tre`s fausse route. un individu peut gagner beaucoup par un monopole, un privile`ge &c˙ie les nations se perdent par ces moyens. cependant elles les adoptent sans cesse, parce qu’elles sont gouverne´es par des homes qui apportent dans l’administration l’habitude et les pre´juge´s de leurs calculs individuels. Smith observe, I. 11, a` l’occasion de la petition presente´e par les 641 comte´s voisins de Londres contre l’ouverture des grandes routes, que ces grandes routes furent ouvertes et que depuis ce tems les reclamans, malgre´ leurs craintes, ont vu leur rentes s’accroitre et leur culture s’ame´liorer.

5

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65 l’interet des Marchands et Maitres Manufacturiers est toujours oppose´ a` celui du public, en conse´quence toute proposition de loi ou de re`glement de comerce par cette classe ne doit eˆtre rec¸ue qu’avec une extreˆme de´fiance. Smith I. ch. 11.

fo 92vo

66.2 les hommes qui, dans l’administration publique sont dirige´s par l’esprit comerc¸ant, croyent que les mesures qui favorisent les gains des marchands ou fabricans, et qui les enrichissent rapidement, sont favorables a` la richesse nationale. Ils ne pensent pas que la richesse de ces marchands ou fabricans ne se compose qu’aux de´pens des autres individus de la nation. on ne croit pas que la nation soit enrichie parce que l’homme qui tient une maison de jeu se forme une grande fortune aux de´pens de beaucoup d’individus. la nation n’est pas plus enrichie de ce qu’un fabricant a` la faveur d’un monopole acquiert une fortune immense, aux de´pens de beaucoup de consomateurs. v. Simonde. Le´g. Com. II. p. 15 et suiv. 67. Erreurs de Montesquieu E. d. L. XXI. 21. qui approuve la conduite vexatoire des gouvernemens modernes envers leurs colonies. 68. transplantation des calculs de l’interet particulier dans l’administration des affaires publiques. un particulier gagneroit beaucoup a` faire impune´ment de la fausse monnoye. les gouvernemens ont cru qu’ils gagneroient de meˆme en en fesant. 1 2

Devient une note du chap. 6, livre XII (ci-dessus, p. 465). Devient, avec les entre´es 65 et 68, une note du chap. 6, livre

XII

(ci-dessus, p. 463–464).

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Livre XII

Livre

fo 93ro

XII.

805

Ch. 7.

711 Voı¨ez sur l’absurdite´ des Primes un exemple dans celle accorde´e par le gouvernement anglais pour le transport des grains en Irlande. Tableau de la gd˙e Bretagne. I. 305. 333. 338. 351–352. 72 V. Mirabeau, l’ami des homes, sur les encouragemens pour l’agriculture. I. 44–54. 732 Comme les homes sont toujours dispose´s a` louer l’action de l’autorite´, Chardin donne de grands e´loges a` l’usage par lequel les ouvriers en Perse sont paye´s par la cour, lors meˆme qu’ils ne travaillent pas ou qu’ils sont malades. mais on les paye et on les nourrit, observe M. de Paw, Eg. et Ch. I. 278, parce qu’ils sont esclaves : et c’est aussi parce qu’ils sont esclaves, qu’ils ne font aucun progre´s dans leur art et qu’ils vont meˆme en se de´te´riorant. 74. Ce qui fait qu’a` Siam, dit La Loube´re, personne ne se soucie d’exceller dans sa profession, c’est que les ouvriers qui y excellent doivent travailler six ans pour la cour. Relat. du Roi de Siam. Tome 1. Part. II. cet usage est en vigueur dans presque toute l’asie. Paw. Eg. et Ch. I. 288. Chardin Roy. de Perse. II. p. 19. fo 93vo

75 2.

V: 2 un exemple dans celle accorde´e ] un exemple 〈cite´〉 dans celle accorde´e LA 18 Chardin Roy. de Perse. II. p. 19. ] Chardin Roy. de Perse. II. p. 19. 〈Nul souverain n’a consacre´ plus d’argent que Fre´deric II au soulagement des parties pauvres de son royaume. nul n’a surveille´ ses agens avec plus de rigueur. eh bien ! [lorsqu’il] parcourait les provinces qu’il pensoit avoir secourues, on plac¸ait sur son passage des paysans bien nourris et bien veˆtus, preuves apparentes de 〈sa libe´ralite´〉 l’aisance qui re´sultait de ses libe`ralite´s, mais dans le fait rassemble´s pour ce but par les distributeurs de ses graces, tandis que les ve´ritables habitans de ces contre´es malheureuses ge´missaient au fond de leurs cabanes, dans leur ancienne mise`re, ignorant jusqu’a` l’intention du Roi qui se croyoit leur bien faiteur.〉 LA

2 3

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15

Smith sur le peu d’avantage du travail fait par des mains esclaves. III.

763 Tout systeˆme qui cherche, ou par des encouragemens extraordinaires a` attirer vers une espe´ce particulie´re d’industrie, une plus forte portion du capital de la socie´te´ que celle qui s’y porterait naturellement, ou par des entraves extraordinaires a` de´tourner force´ment une partie de capital d’une

1

5

Devient une note du chap. 7, livre XII (ci-dessus, p. 468). Devient, avec l’entre´e suivante, une note du chap. 7, livre XII (ci-dessus, p. 471). Devient une note du chap. 7, livre XII (ci-dessus, p. 468).

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806

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

espe`ce particuliere d’industrie dans laquelle il irait sans cela chercher un emploi, est un systeˆme re´ellement subversif de l’objet qu’il se propose comme son principal et dernier terme. Bien loin de les acce´le´rer, Il retarde les progre´s de la socie´te´ vers l’opulence et l’aggrandissement re´el bien loin de l’accroitre, Il diminue la valeur re´elle du produit annuel des terres et du travail de la socie´te´. Smith IV. 9. Un intendant de province en france, dans le dessein d’encourager la 77.1 formation du miel et le travail des abeilles, demande des de´clarations sur le nombre des ruches entretenues dans sa province. en peu de jours, toutes les ruches furent de´truites. Adm. des Fin. T. . p. 238. Livre

fo 94ro

XII.

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Ch. 7.

782 on a fait en france des re´glemens pour veiller a´ la conservation du Bois appartenant aux particuliers, qui ne peuvent les abattre sans permission. Il re´sulte de ces re´glemens que les particuliers craignent de planter des arbres qu’ils n’ont pas le droit d’abattre. Stewart. Econ. polit. I. 146.

15

793 Un e´tat ne s’enrichissant que par les consommations productives, la question est de´cide´e contre le luxe. voir sur l’inconve´nient des consomations improductives Simonde. I. 4. plus les classes proprie´taires maintiennent d’ouvriers improductifs, moins elles peuvent en maintenir de ceux qui produisent. Simonde. I. 4. 117.

20

Livre

fo 95ro

XII.

Ch. 8

804 les faits faux ont beaucoup contribue´ a` nous affermir dans les fausses The´ories. les missionaires chinois attribuent les famines, si fre´quentes a´ la chine, a` la distillation du Riz. mais qui ne sent que dans un pays ou le grain manqueroit, il seroit plus utile de le vendre que de le distiller, puis qu’on auroit bien plus besoin de manger du pain que de boire de l’eau de vie. Paw. Eg. et Ch. I. 80.

V: 12 78 ] BC ajoute employe´ LA

1 2 3 4

16 79 ] suit 2des additions Liv. Impots. LA

Devient une note du chap. 7, livre XII (ci-dessus, p. 468). Repris comme addition au chap. 5, livre XII (ci-dessus, p. 461). Repris dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 714). Devient une note du chap. 8, livre XII (ci-dessus, p. 475).

25

Livre XII

Livre

fo 96ro

XII.

807

Ch. 9.

811 de´s qu’une branche de commerce, ou une division de travail quelconque est avantageuse au public, elle le sera toujours d’autant plus que la concurrence y sera plus librement et plus ge´ne´ralement e´tablie. Smith. II. Ch. 2.

5

822 Sully regarde dans ses memoires Liv. XIX la multiplicite´ des Edits et des Re´glemens relatifs au commerce et a` l’Industrie come un obstacle direct a` la prospe´rite´ de l’Etat. Livre

fo 97ro

XII.

Ch. 10.

83 la division du travail est une chose singulie´rement utile, qui facilite tous les travaux, e´pargne beaucoup de tems, et conduit chaque ouvrier a` une plus grande perfection. cependant, si l’autorite´ vouloit comander la division du travail, ou y astreindre l’homme, elle ferait plus de mal que de bien. l’home se soule´verait contre cette action de l’autorite´ ; il se verrait traite´ come une machine. il s’apercevroit des inconve´niens de la division du travail pour l’intelligence, inconve´niens tre´s re´els, auxquels il ne se soumet, que parce qu’il s’y soumet volontairement, et que par la` meˆme ils diminuent. 84 Observations de Garnier, pre´face de Smith, sur la non intervention du gouvernement sur l’industrie. XXII. XXIII.

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85 Il en est des homes come des troupeaux. on a remarque´ que les troupeaux prospe´raient particulie´rement dans les prairies encloses, parce qu’on les y laissoit paˆitre librement, et qu’ils n’e´toient trouble´s ni par le Berger ni par son chien. Smith. 863 les Re´glemens du commerce ont ce double inconve´nient, dit Smith, que non seulement ils font naˆitre des maux tre´s dangereux dans l’e´tat du corps politique, mais encore que ces maux sont tels qu’il est souvent difficile de les gue´rir, sans occasionner, au moins pour un tems, des maux encore plus grands. IV. 7. 87 Tel est le malheur de la france, dit Simonde I. 166. quelle emprunte toujours de chaque systeme d’Economie politique ce qu’il a de plus rui1 2 3

Devient une note du chap. 4, livre XII (ci-dessus, p. 442). Devient, avec les entre´es 85 et 87, une note du chap. 9, livre XII (ci-dessus, p. 479). Devient une addition au chap. 10, livre XII (ci-dessus, p. 480).

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808

fo 97vo

neux. C’est d’apre´s les Economistes qu’elle a e´crase´ les campagnes de l’Impot foncier ; d’apre´s les mercantiles, elle a entrave´ le comerce de ses douanes et appauvri le consommateur ; d’apre´s les Disciples de Law, elle a dissipe´ a` deux reprises la fortune publique avec celle des capitalistes par la cre´ation des Billets de Banque, puis des assignats. Livre

fo 98ro

fo 98vo

Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

XII.

Ch. 11.

88.1 Il n’y a rien de plus re´voltant que les Statuts d’angleterre relativement a` l’e´tablissement des pauvres dans les paroisses. ces Statuts, en obligeant chaque paroisse a` prendre soin de ses pauvres, ont d’abord une apparence de bienfaisance ; mais il en re´sulte qu’aucun pauvre, ou pour mieux dire aucun homme n’ayant que son travail pour subsister, ne peut quitter une paroisse pour s’e`tablir dans une autre, sans le consentement de cette dernie´re, consentement qu’il n’obtient jamais, premie´re atteinte porte´e a` la liberte´ individuelle, et cette atteinte est tre´s grave, car tel home qui ne peut pas gagner sa vie par le genre de travail qu’il a adopte´, dans la paroisse ou il est domicilie´, est empeˆche´ d’aller dans une autre, ou il la gagneroit plus facilement. il en re´sulte en second lieu que la taxe des pauvres de chaque paroisse retombant sur tous les individus de cette paroisse, tous sont inte´resse´s a` s’opposer a` l’etablissement d’un pauvre, ou seulement d’un homme ne vivant que de son travail, et qu’une maladie ou le manque de travail rendroit pauvre. de la une perse´cution et des vexations contre l’individu indigent et laborieux qui cherche a´ changer de re´sidence, persecution demoralisante pour ceux qui l’exercent, et cruelle pour celui qui en est l’objet. Smith. I. 10. comme les vexations retombent toujours sur leurs auteurs, il re´sulte de ces entraves que souvent une paroisse est surcharge´e de bras, tandis qu’une autre en manque. alors le prix des journe´es dans celle-ci monte a` un taux excessif, et ce renche´rissement est a` la charge des meˆmes proprie´taires, qui, de peur de voir retomber sur eux les fraix de la subsistance des pauvres, s’opposent au libre e´tablissement des individus laborieux dans leurs paroisses. 892 v. Mirabeau, l’ami des hoes, sur les ordonnances en faveur de la Population. I. 19. des Instiutions monastiques. ib. p. 33. de la Situation des Etats protestans meilleure que celle des Etats Catholiques. ib. 38. V: 3 elle a dissipe´ a` deux reprises ] elle a 〈diminue´〉 dissipe´ a` deux reprises LA 7 88. ] suit 2des additions LA 15 dans la paroisse ] dans la dans la expression re´pe´te´e deux fois par BC en allant a` la ligne paroisse LA 31 89 ] BC ajoute empl. LA 1 2

5

Devient le premier texte des «Secondes additions e´parses». Devient une note du chap. 11, livre XII (ci-dessus, p. 484).

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809

Livre XII

901 mauvais calcul des gouvernemens. quand une ville est pauvre, Ils croyent qu’en y fixant quelqu’e´tablissement, non pas de comerce ou d’industrie, mais de luxe, ils s’enrichiront. c’est ainsi que lorsqu’il s’agit de raviver les villes pauvres de france ou des pays re´unis, on parle d’y e´tablir, des Eveches, des Tribunaux, c’est a` dire des homes qui consomment sans produire. v. Sur cette erreur et sur l’effet de ces e´tablissemens Smith. II. ch. 3. 912 les grandes nations ne s’appauvrissent jamais par la prodigalite´ et la mauvaise conduite des individus, mais quelquefois bien par celle de leur gouvernement. Smith III. 3. et les re´flexions qui suivent sur le systeˆme du Luxe et des cours. 92. les colonies envoye´es dans le nouveau monde n’ont contribue´ a` la de´population de l’Espagne que parce qu’il y avoit en meˆme tems un systeˆme oppressif d’administration. sans cela, les colonies, en fesant un vide, auroient excite´ a` le remplir3.

V: 1 90 ] suit 2des addit. LA

1 2 3

8 91 ] suit 2des add. LA

12 92. ] BC ajoute employe´. LA

Devient le deuxie`me texte des «Secondes additions e´parses». Devient le troisie`me texte des «Secondes additions e´parses». Copie du texte no 563 de N.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

[Addition au livre

Livre

fo 99ro

XIII.

XIII]

Ch. 1.

1.1 La nouvelle manie´re de faire la Guerre, le changement des armes, l’artillerie, ont diminue´ les bons effets de la guerre. le courage moderne tient de l’insouciance. Il n’y a plus cet e´lan, cette volonte´, ce plaisir dans le de´veloppement des faculte´s physiques et morales que produisoient les combats corps a` corps. Livre

fo 100ro

XIII.

5

Ch. 2.

22 La pire des Conqueˆt[e]s, c’est l’hypocrite, dit Machiavel, dans ses De´cades.

10

3. v. Mirabeau, l’ami des homes, sur les guerres ne´cessaires et les guerres entreprises par les gouvernemens. I. 27–29. Livre

fo 101ro

XIII.

Ch. 3

43 Le prompt e´tablissement du pouvoir sans bornes est le reme´de qui, dans ces cas, (ceux des Etats extreˆmement vastes,) peut pre´venir la dissolution : nouveau malheur, apre´s celui de l’aggrandissement. Esp. d. Loix. VIII. 17. 54 que la puissance ne s’y trompe pas. elle irait vainement chercher au bout de la terre les lauriers, les Tributs, l’Empire et les richesses du monde. elle n’obtiendroit que l’etonement. Sans la morale et la liberte´, le succe´s n’est qu’un me´te´ore qui ne vivifie rien sur son passage. a´ peine leve-t-on la teˆte, pour le contempler un instant. puis l’on continue sa route silencieux et morne, s’efforc¸ant de fuir l’arbitraire, le malheur et la mort.

1 2 3 4

Cette entre´e et la troisie`me deviendront une note au chap. 1, livre XIII (ci-dessus, p. 493). La phrase revient dans le corps du chap. 2 du livre XIII (ci-dessus, p. 498). Devient une note au chap. 1, livre XIII (ci-dessus, p. 494). Addition au chap. 1, livre XIII (ci-dessus, p. 494).

15

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Livre XIII

Livre

fo 102ro

fo 102vo

XIII.

811

Ch. 5.

6.1 L’une des fonctions du gouvernement e´tant de repousser les Invasions exte´rieures, Il en re´sulte pour l’autorite´ le droit d’exiger des individus qu’ils concourent a` la de´fense publique. Il est impossible de restreindre ce droit dans des limites pre´cises. son e´tendue depend en entier des attaques aux quelles la socie´te´ se voit expose´e. les gouvernemens peuvent se prescrire a` cet e´gard de certaines re`gles pour la commodite´ des Citoyens, et pour la plus grande facilite´ de l’organisation de la force arme´e. Ils peuvent fixer, par exemple, l’age avant et apre`s lequel nul service militaire ne peut eˆtre exige´, de´terminer les raisons qui devront dispenser de ce service, e´tablir des formes pour constater que leurs loix a` cet egard ne seront pas de´sobe´¨ıes. Mais aucune de ces re`gles ne peut eˆtre conside´re´e comme absolue. pour qu’une re`gle de cette nature fut absolue, Il faudrait le consentement de l’ennemi. car la vigueur de la de´fense doit toujours eˆtre proportionne´ a` la violence de l’agression. on ne peut donc jamais affirmer qu’un citoyen ou une classe quelconque ne sera pas oblige´e de concourir a` cette de´fense, puisqu’on ne peut jamais affirmer que le concours de tous ne sera pas ne´cessaire. ce qui a introduit dans l’esprit l’ide´e de conge´s ou d’exemptions absolues, et irre´vocables, c’est que les gouvernemens ont porte´ souvent leurs mesures de´fensives fort au dela` de la ne´cessite´ ; parce qu’ils ont eu l’arrie´re pense´e d’en faire des moyens d’attaque. alors les individus, ne pouvant mettre de bornes a` l’humeur belliqueuse de leurs gouvernans, ont cherche` du moins a` se garantir de quelques unes des conse´quences de cette manie, en supposant qu’il pouvoit exister entre eux et l’auto rite´, des engagemens en vertu desquels elle renonc¸ait a` les employer a` la guerre. les gouvernemens ont de leur cote´ encourage´ cette ide´e, parce qu’ils ont vu, dans cette renonciation, toujours tre´s limite´e, l’autorisation de disposer a` leur fantaisie de tous ceux que cette renonciation ne comprenait pas. mais dans la re´alite´ un conge´ absolu est une chose absurde. c’est promettre a` un home qu’il sera dispense´ de de´fendre sa patrie, c’est a` dire de se de`fendre lui meˆme, si un enemi vient l’attaquer. les gouvernemens ont tre`s bien senti cette abusurdite´. Ils en ont profite´ pour dire a´ ceux qui n’avoient pas de conge´s absolus, qu’ils ne pouvoient se refuser a` aucune expedition, quelque lointaine qu’elle fut, ou quelque inutile. mais quand le danger s’est rapproche´ des frontie´res, Ils ont tre`s bien su dire aux porteurs de ces conge´s pre´tendus irre´vocables, qu’il e´tait de leur devoir come de leur interet de combattre. L’application de ce principe varie sans doute, suivant l’e´tendue ou les circonstances d’un pays. Dans un vaste empire come la france, Il est 1

Addition au chap. 5, livre

XIII

(ci-dessus, pp. 512–513).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

presqu’impossible que tous les citoyens soı¨ent jamais re´duits a` prendre les armes : mais le principe n’en existe pas moins. c’est seulement son application qui devient plus rarement ne´cessaire. on peut objecter que l’e´tat du monde moderne restreint ou modifie aujourd’hui ce principe. la ne´cessite´ de combattre ne porte gue´res que sur la classe particulie´rement voue´e pour plus ou moins de tems au service militaire. les habitans des villes, les artisans, les Bourgeois, les agriculteurs dans les campagnes, en un mot tous ceux qui ne sont pas formellement enrole´s ne sont tenus a` aucune re´sistance contre l’ennemi.

V: 4–5 restreint ou modifie aujourd’hui ] restreint ou modifie aujourd’hui ce dernier mot e´crit dans l’int. inf. l’e´tat du monde LA 5 ne porte gue`res que sur la classe ] ne porte gue`res 〈aujourd’hui〉 que sur la classe LA

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[Additions au livre

Livre

fo 103ro

XIV.

XIV]

Ch. 1.

11 Et cum singulorum error facit publicum, singulorum errorem facit publicus. Senec. cp. 81. avec cette diffe´rence que dans le premier cas, il y a la force de moins.

fo 103vo

2 nous ne voulons pas, dira-t-on, que le gouvernement geˆne la classe e´claire´e ; nous voulons seulement qu’il dirige l’opinion de la classe qui ne l’est pas, classe a` laquelle il est supe´rieur, de votre aveu. si le gouvernement s’arroge le droit exclusif de diriger la classe ignorante dans ses opinions, il exigera ne´cessairement que les homes e´claire´s respectent ce privile´ge. Il ne voudra pas qu’ils agissent dans un sens diffe´rent du sien. dans les premiers momens, peut eˆtre cherchera-t-il a` couvrir cette volonte´ de formes douces et tole´rantes, mais de`s lors ne´ammoins, il en resultera quelqu’entrave. ces entraves iront toujours en croissant. une religion reconue ou professe´e par l’autorite´, entraıˆne la perse´cution plus ou moins de´guise´e de toutes les autres. Il en est de meˆme des opinions quelles qu’elles soı¨ent. de la pre´fe´rence pour une opinion a` la de`faveur pour l’opinion contraire, l’intervalle est impossible a` ne pas franchir. ce premier de´savantage est la cause d’un second. les homes e´claire´s ne tardent pas a´ se separer d’une autorite´ qui les blesse. cela est dans la nature de l’esprit humain, surtout lorsqu’il est fortifie´ par la me´ditation et cultive´ par l’e´tude. dans cet e´tat de choses, la haine d’une autorite´ qui intervient dans ce qui n’est pas de son ressort, devient quelquefois telle que lors que cette autorite´ prote´ge les lumie´res, les amis des lumie´res se rangent du cote´ des pre´juge´s. nous avons vu ce spectacle bizarre durant la re´volution. c’est que l’action de l’autorite´, meˆme la mieux intentionne´e, a quelque chose de rude et de grossier, et froisse mille fibres de´licates qui souffrent et se re´voltent. Il est donc a` craindre, si l’on permet au gouvernement de diriger l’opinion de la partie ignorante du peuple, de V: 3 une religion reconue ou professe´e ] une religion reconue 〈et〉 ou ce dernier mot e´crit dans l’int. sup. professe´e LA 14 re´volution. c’est que l’action de l’autorite´ ] re´volution. c’est que 〈les lumie`res su〉 l’action de l’autorite´ LA 25 1 ] suit encore 2des addit. LA 1

Repris dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 714).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

cette partie qui n’ayant jamais eu le tems de l’examen, ne parait pas avoir un grand interet a` l’inde´pendance intellectuelle, Il est a` craindre, disons nous, lors meˆme que l’on se´pare cette direction de toute action sur la classe e´claire´e, que cette classe, qui sent que l’opinion est de son domaine, ne se mette en lutte avec le gouvernement. alors mille maux en re´sultent, et pour la liberte´ et pour la morale. un gouvernement fonde´ sur les principes les plus e´videns, et professant les opinions les plus saines, mais qui par la nature des moyens qu’il employeroit auroit alie´ne´ la classe cultive´e de la socie´te´, deviendrait infailliblement ou le gouvernement le plus avili, ou le gouvernement le plus opresseur. Souvent meˆme il re´uniroit ces deux choses qui semblent s’exclure. 3 «Le progre´s des lumie´res avoit pris en France une toute autre route que dans la gre`ce et dans l’Italie. les philosophes de l’antiquite´ n’attaquoient ni la religion ni l’autorite´. la philosophie du 18 e˙ sie`cle avoit de´clare´ une guerre a` mort a` tout pouvoir religieux et politique». Ferrand. Esp. de l’hist. Pre´f. XII. re´ponse c’est que les institutions de l’antiquite´ n’avoient pas e´te´, come celles des tems modernes, e´tablies par la force, mais par le progre`s de la civilisation, de sorte que meˆme imparfaites elles n’e´toient pas en de´saccord avec les lumie`res. ce n’etoient pas les institutions qu’il falloit changer, mais les lumie´res qu’il falloit accroitre. c’etoit le contraire chez nous. Livre

fo 104ro

XIV.

8.2 l’influence de l’autorite´ sur l’opinion a plusieurs espe`ces d’inconve´niens. 1o˙ l’autorite´ peut enseigner des erreurs. 2o˙ qu’elle enseigne des V: 12 3 ] suit encore a placer Liv. XVIII. LA 28 d’e´vidence dont elle est accompagne´e ] d’e´vidence dont elle est 〈susceptible〉 accompagne´e LA

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Ch. 3.

71 Celui qui, pour maintenir l’autorite´ d’une opinion, se sert de la force, au lieu du raisonnement, peut avoir des intentions pures, mais cause re´ellement le plus grand des maux. appeler autour de la ve´rite´ d’autres secours que l’e´vidence, est la plus folle des erreurs. Celui qui admet la proposition la plus vraı¨e par l’influence de l’autorite´, n’admet pas une ve´rite´ mais un mensonge. Il ne comprend pas la proposition, car la comprendre seroit connoˆitre le de´gre´ d’e´vidence dont elle est accompagne´e, le sens de tous ses termes, et leur consonance respective. ce qu’il admet, c’est qu’il est convenable de se soumettre a` l’usurpation et a` l’injustice. Godwin.

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Devient une note du chap. 3, livre XIV (ci-dessus, p. 525). Partiellement repris dans une note du chap. 3, livre XIV (ci-dessus, p. 524).

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erreurs ou des ve´rite´s, le moyen dont elle se sert est l’origine d’une erreur de la nature la plus grave. en appuyant des opinions sur autre chose que leurs soutiens naturels, c’est a` dire des preuves, elle enseigne a` l’homme que l’e´vidence n’est pas la seule chose qui doive le de´terminer. son esprit est dispose´ par la meˆme a` ceder a` une puissance a` laquelle il ne devroit pas ce´der. une relation factice s’e´tablit entre lui et les opinions qu’on lui pre´sente. ce n’est plus d’apre´s leur valeur intrinse´que qu’il les juge, mais d’apre´s des conside´rations qui ne devroient nullement entrer en ligne de compte. Montesquieu dit avec raison qu’un home condamne´ a` eˆtre pendu d’apre´s des loix qu’il a consenties est plus libre que l’home qui vit tranquille sous des loix aux quelles il n’a pas concouru. l’on peut dire de meˆme que l’home qui se trompe d’apre´s ses propres lumie´res, et qui adopte une erreur parce qu’elle lui parait la ve´rite´, est plus pre´s de la ve´rite´ que l’home qui admet l’opinion la plus vraye, parce qu’il regarde come un devoir d’en croire sur parole une autorite´ quelconque. le despotisme politique, soit qu’il suive, soit qu’il viole les re`gles de la justice, est, dit Aristote, le renversement de toute loi. nous disons que l’influence de l’autorite´ sur l’opinion, soit que, dans la circonstance particulie`re, elle s’exerce d’une manie´re contraire ou conforme a´ la ve´rite´ et a` la raison, est ne´anmoins en principe le renversement de toute raison et de toute ve´rite´.

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9 la force a un effet si mauvais que, dans le cas d’une conqueˆte, quand ce sont les vainqueurs qui influent sur les vaincus, Ils les abrutissent : quand ce sont les vaincus qui influent sur les vainqueurs, ils les civilisent1. Mirabeau disoit ; il n’existe point de ve´rite´s nationales. je dis : il 10.2 n’existe donc point de ve´rite´s de gouvernement. la pense´e est une et individuelle par sa nature : Il est impossible d’en faire un eˆtre collectif. on la tourmente, on l’e´touffe, on la tue, mais on ne change pas sa nature.

V: 9 ligne de compte. Montesquieu dit ] ligne de compte. 〈Or〉 Montesquieu dit LA 15 quelconque. ] suit encore une grande croix, signe de renvoi non explique´ LA 17 renversement de toute loi. nous disons ] renversement de toute loi. 〈on pen〉 nous disons LA

1

2

Ide´e re´currente chez BC. On trouve la meˆme phrase ci-dessous, p. 823, dans un autre contexte (voir la variante a` la ligne 33). La version de´veloppe´e de cet aphorisme se lit ci-dessus, p. 593. Voir ci-dessus, p. 546, note a.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Livre

fo 105ro

XIV.

Ch. 4.

151 Un Gouvernement, qui veut s’emparer de l’opinion, pour la diriger, ressemble a` Salmone´e, qui vouloit lancer la foudre. il fesoit grand bruit, avec son Chariot d’Airain, et grand peur aux passans, avec des torches enflamme´es. la foudre, un beau jour, sortit de la nue et le consuma. 16 La pre´tention des Gouvernemens a` diriger les Gouverne´s dans l’exercice de leurs faculte´s intellectuelles devient surtout ridicule, sous des institutions repre´sentatives, ou les opinions, e´tant discute´es publiquement, arrivent, de´she´rite´es de tout prestige. Aucune, alors, ne peut eˆtre impose´e avec cette solemnite´ redoutable, qui naˆit de la combinaison de la force et du myste´re, et qui accompagna la promulgation du Zendavesta et de l’Alcoran. Les gouvernemens qui pre´tendent favoriser les lumie`res, saisissent 172 au hazard l’opinion qu’ils prote´gent. quelquefois, par charlatanisme ou condescendance, ils se soumettent a` la vaine forme de la discussion. mais raisonner est pour eux une politesse presque superflue. leur obstination leur garantit l’obe´issance de tout ce qui les entoure. Voı¨ez Fre´deric le grand, disputant avec les Philosophes, Fre´deric le grand, de tous les homes le plus digne de se passer du pouvoir. la pense´e fait son avant-garde : mais vous apercevez derrie`re elle la force presque honteuse de sa complaisance, et le Despotisme qui se croit sur de l’infaillibilite´. o

f 105v

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183 Personne ne de´sire plus que moi l’influence des lumie`res. mais c’est pre´cisement parce que je la de´sire, parce que je la pre´fe´re a` tout moyen d’une autre espe`ce, que je ne veux pas qu’on la de´nature. c’est pour conserver dans toute sa force l’empire de toute la classe e´claire´e que je re´pugne a` la subordonner a` une petite partie d’elle meˆme, moins e´claire´e que le reste. je voudrais empecher que l’action libre, graduelle, et paisible de tous ne fut retarde´e et souvent meˆme arreˆte´e par un privile´ge accorde´ a` quelques uns. L’espoir des faveurs de la puissance engage les hommes voue´s aux 194 sciences a` choisir avec complaisance les sujets de leurs recherches, suivant la fantaisie des puissans du jour. Ils se refusent le loisir ne´cessaire. Ils ne se V: 2 15 ] suit encore a` placer ailleurs. LA 1 2 3 4

Cette entre´e apparaıˆt deux fois dans le dossier du livre XIV : voir ci-dessous, p. 823. BC ne l’utilise pas, mais la reprend dans les «secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 714). Repris dans les additions au chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 534). Repris dans les additions au chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 535). Partiellement repris dans une note du chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 532).

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croyent plus comptables de leur tems a` eux meˆmes, au public, a` la poste´rite´, mais a` des patrons et des protecteurs. ils se hatent de publier come des re´sultats de´finitifs des conjectures encore incertaines. Ils donent come des de´couvertes ce qui n’en est pas : ou ce qui est pis encore, ils reculent devant les ve´rite´s ou les conduit la se´rie des raisonnemens et des expe´riences, si ces ve´rite´s se rapprochent de quelques opinions en de`faveur. toutes leurs faculte´s sont vicie´es par l’introduction de motifs e´trangers a` la nature de leurs e´tudes, a` l’amour du vrai, a` la liberte´ de la pense´e : et j’ajouterai, pour les sciences come pour l’industrie, que les encouragemens de l’autorite´ ne sont point ne´cessaires. c’est le plus souvent au contraire, en de´pit des menaces du pouvoir que les sciences ont avance´. c’est sous le joug de l’inquisition que Galile´e decouvroit le mouvement de la terre. c’est avec la terreur d’eˆtre accuse´ de sorcellerie que Roger Bacon laissoit son sie`cle loin derrie`re lui. Liv.

fo 106ro

XIV.

212 combien la perse´cution donne d’e´clat. Socrate, avant d’eˆtre victime de la fureur des Athe´niens, etoit tellement obscur que lorsqu’Aristophane le joua en plein the´aˆtre dans les Mere`s, les De´pute´s des villes allie´es qui assiste`rent a` la 1ere repre´sentation, s’en retourne´rent tre´s me´contens de ce qu’on les avoit si longtems occupe´s au spectacle d’un Inconnu qu’on appelloit Socrate et auquel ils ne prenoient aucun interet. Elien. Hist. Div. II. 13. 223 l’Interim de Charles quint est un memorable exemple des ide´es que les gouvernemens se font de leur autorite´ sur l’opinion. l’interim come on sait etoit un ordre de croire tels ou tels dogmes jusqu’a` ce qu’il fut de´cide´ quels dogmes on devoit croire. cest une ide´e qui ne peut eˆtre concue que par le pouvoir dans l’yvresse que celle de comander a` l’homme de croire comme vrai pour un tems ce qu’on annonce pouvoir eˆtre de´clare´ faux dans la Suite.

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Ch. 4.

201 les Athe´niens avoient un Tribunal pour juger les pie´ces de The´atre. jamais aucun Tribunal ne prononc¸a des jugemens plus absurdes. Ce fut ce Tribunal qui couronna les trage´dies de Denys l’Ancien. Il etoit accuse´ de se laisser corrompre a` prix d’argent. Paw. I. 184–187. Elien, hist. Div. II. 8. Diod. Sic. XVII. Quintilien

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Le meˆme texte ce trouve dans le ms. Co 3492, sous le nume´ro 601. Il est repris, avec l’entre´e 25, dans les additions au chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 535). Devient une note du chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 534). Repris dans les additions au chap. 3, livre XIV (ci-dessus, p. 530).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

231 a` entendre les e´crivains sur l’action des gouvernemens sur les lumie`res, on croirait qu’il n’y a qu’a` de´chirer un voile, pour faire briller une lumie`re longtems cache´e. Livre

fo 107ro

XIV.

Ch. 4.

242 On a vu des homes qui cultivoient les sciences, indiffe´rens a` la situation de leurs concitoyens et de leur patrie, continuer, avec le meˆme sang froid, leurs recherches au milieu des proscriptions les plus sanglantes, et sous le despotisme le plus avilissant, et permettre indistinctement a` ces tyrannies diverses, de tirer parti de leurs de´couvertes, ou de se faire vanite´ de leurs succe`s. conside´re´s sous ce point de vue, les arts et les sciences ne sont ve´ritablement qu’une espe`ce d’industrie d’un genre plus difficile, d’une utilite´ plus e´tendue que celle du manufacturier et de l’artisan, mais non moins se´pare´e du grand but de la pense`e, et non moins e´trange´re a` ce que les bons esprits entendent particulie`rement par philosophie. sans doute meˆme alors, les sciences servent la philosophie par leurs re´sultats mais on ne peut en faire un me´rite a ceux qui s’y vouent : car c’est malgre´ eux et a` leur inscu. Ils font des sciences un me´tier vulgaire, qui n’offre qu’un aliment a` la curiosite´, un instrument a` l’autorite´ quelle qu’elle soit. le pouvoir tend a` leur donner cette direction des qu’il se meˆle de les prote´ger. 25 Juges du The`atre a` Athe´nes. absurdite´ des jugemens de ce Tribunal. Paw. Rech. sur les Grecs. I. 145.

fo 107vo

26. En supposant aux gouvernans les intentions les plus pures, ils doivent eˆtre enclins a` se re´server le privile´ge de me´diter seuls sur le bien qu’ils veulent faire, ou s’ils confient ce soin de´licat a` quelques uns des collaborateurs subordonne´s qui les environnent, ce ne peut eˆtre que partiellement. Ils voyent sans peine que des esprits soumis et flexibles se chargent de leur indiquer quelques moyens de de´tail pour arriver a` leur but, ou mieux encore qu’ils leur facilitent par des de´veloppemens secondaires les moyens que l’autorite´ croit avoir de´couverts. mais le penseur inde´pendant qui pre´tend embrasser d’un coup d’œuil l’ensemble dont les gouvernans permettent tout au plus qu’on s’occupe par parties, come instrument et non comme juge, le philosophe qui remonte aux principes de la puissance et de l’organisation sociale, lors meˆme qu’il s’isole des choses pre´sentes, et concentre´ dans ses souvenirs et ses espe´rances, ne veut parler que sur l’avenir et ne prononce 1 2

Repris dans les additions au chap. 4, livre XIV (ci-dessus, p. 535). Devient une note du chap. 4, livre XIV (ci-dessus, pp. 531–532).

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que sur le passe´, leur paraˆit ne´anmoins un rhe´teur presomptueux, un observateur importun, un dangereux sophiste. 271 la pre´tention des gouvernemens a` diriger les gouverne´s dans l’exercice de leurs faculte´s intellectuelles devient surtout ridicule sous des institutions repre´sentatives, ou toutes les opinions etant discute´es publiquement, arrivent de´she´rite´es de tout prestige. aucune alors ne peut eˆtre impose´e avec cette solemnite´ redoutable qui nait de la combinaison de la force et du myste`re, et qui accompagna la promulgation de Zendavesta et de l’alcoran. 28 Les gouvernemens espe`rent dans le succe´s de leurs efforts pour diriger l’esprit humain, parce qu’ils ont quelquefois reussi, lorsque leur but e´toit de l’e´touffer. Ils peuvent prolonger la dure´e de l’ignorance, mais il ne leur est pas donne´ d’e´tendre leur domination sur les lumie´res. 292 un concile assemble´ a` Paris sous Philippe le Bel, proscrivit la me´taphysique d’Aristote. cette proscription ne fut point exe´cute´e. impuissance de l’autorite´. fo 108ro

[36]3 [...] de´s qu’on garantit les droits de tous, c’est a` dire, de´s qu’on empeˆche les Individus d’user de violence les uns contre les autres, il en re´sulte que le seul moyen de bonheur, c’est l’exercice de la vertu. si les gouvernemens s’e´toient contente´s de garantir les droits de tous, les richesses n’auroient plus e´te´ que des moyens de jouı¨ssances physiques, et non d’oppression, de privile´ge et de supe´riorite´ sur les autres homes. or. les plaisirs physiques e´tant ne´cessairement tre´s borne´s, les riches auroient bientot voulu tirer de leur opulence un autre parti. Ils l’auroient employe´e a` se concilier l’affection de leurs semblables, puisqu’elle ne pouvoit plus leur servir a` les dominer : et cet usage des richesses auroit conduit a` toutes les vertus sociales, sans l’intervention de l’autorite´. Il en est de meˆme de tous les objets, sur lesquels les gouvernemens s’arrogent une influence morale. 37.4 Bentham I. 101. donne un tre´s bon exemple des mauvais effets de l’intervention de l’autorite´ pour re´primer certains vices.

V: 1 ne´anmoins un rhe´teur presomptueux ] ne´anmoins un 〈retheur〉 rhe´teur presomptueux LA 1 2 3 4

Devient, avec les entre´es 8 et 9 du fo 19ro (ci-dessus, p. 738), une note du chap. 3, livre XIV (ci-dessus, p. 523). Repris dans les additions au chap. 3, livre XIV ci-dessus, p. 530). Repris dans les additions au chap. 5, livre XIV (ci-dessus, pp. 539–540). Le de´but de ce texte ainsi que les textes 30 a` 35 se trouvaient sur le fo *107a perdu. Repris dans les additions au chap. 5, livre XIV (ci-dessus, p. 540).

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Liv.

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XIV.

ch. 6.

38 tous les beaux e´tablissemens en ame´rique sont individuels, le grand Hopital de Philadelphie, la maison de correction, les Bibliothe`ques, les Canaux, les Ponts, les Ecoles connues sous le nom d’acade´mies, les Pharmacies de charite´, les Socie´te´s de marine, les Ecluses, les grandes routes. Pictet Tableau des Etats unis.

5

la morale doit s’apprendre partout et ne s’enseigner nulle part. Say. 391 V. ch. 8. un candidat est-il appele´ a` faire ses preuves ? il ne convient pas de 402 consulter des professeurs qui sont juges et parties, qui doivent trouver bon tout ce qui sort de leur e´cole et mauvais tout ce qui n’en vient pas..... il faut constater le me´rite du candidat, et non le lieu de ses e´tudes, ni le tems qu’il y a consacre´. car exiger qu’une certaine instruction soit recue dans un lieu de´signe´, c’est empeˆcher une instruction qui pourrait eˆtre meilleure. prescrire un certain cours d’e´tude, c’est prohiber toute marche plus expe´ditive.

fo 109vo

413 Il faut faire le plus possible que les instituteurs ayent besoin de l’affluence des e´le´ves, c’est a` dire de se distinguer par leur travail et leurs conoissances. le seul moyen d’atteindre ce but, c’est de ne pas leur donner un traitement suffisant pour leur aisance, mais seulement tel qu’un accident, une maladie, ou quelque circonstance qui e´loigneroit d’eux les e´le`ves momentane´ment, ne les re`duisissent pas a` la mise´re. vouloir supple´er a` cette de´pendance dans laquelle les instituteurs doivent eˆtre de leurs e´le`ves, en les mettant dans la de´pendance d’une autorite´ e´trange`re, telle que celle du gouvernement ou de quelqu’un de ses agens, c’est une mauvaise mesure, sous plusieurs rapports. 1o˙ Il y a d’autres moyens de plaire a` cette autorite´ que le ze´le l’activite´ et les conoissances. 2o˙ cette autorite´ n’a pas les lumie´res ne´cessaires. 3o˙ elle peut s’exercer capricieusement ou insolemment, et il est dans la nature du pouvoir qu’elle s’exerce souvent ainsi....... tout ce qui oblige ou engage un certain nombre d’e´tudians a` rester a` un colle´ge ou a` une universite´, inde´pendament du me´rite ou de la reputation des maˆitres, come d’une part la ne´cessite´ de prendre certains de´gre´s, qui ne peuvent eˆtre confe´re´s qu’en certains lieux, et de l’autre les bourses et assistances accorde´es a` l’indigence studieuse, ont l’effet de ralentir le ze`le et de rendre moins ne´cessaires les conoissances des maˆitres ainsi privile´gie´s sous une forme quelconque..... Il est arrive´ assez ge´ne´ralement relativement 1 2 3

Repris dans les additions au chap. 6, livre XIV (ci-dessus, p. 550). Repris dans les additions au chap. 6, livre XIV (ci-dessus, pp. 550–551). Repris dans une note du chap. 6, livre XIV (ci-dessus, pp. 545–546).

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a` l’e´ducation, ce qui est arrive´ relativement au gouvernement. la plupart des e´tablissemens publics ont l’air d’avoir e´te´ institue´s, non pour l’avantage des e´coliers, mais pour la commodite´ des maitres. Smith. V. 1. 421 Il est impossible, dira-t-on, que le gouvernement ne dirige pas les e´tablissemens d’e´ducation qu’il fonde ou qu’il salarie. Il est impossible de separer entie`rement l’instruction de l’e´ducation. l’instruction meˆme y perdrait, car il en re´sulterait ne´cessairement des lacunes. Oui : mais il faut alors que le gouvernement laisse a` chaque Individu le droit d’e´tablir des Instituts particuliers, et a` tous les parens le droit de choisir entre l’e´ducation dirige´e par le gouvernement et celle dirige´e par les Individus. fo 110ro

fo 110vo

43. On objectera peut eˆtre avec quelque raison que les classes infe´rieures du peuple, re´duites par la mise´re a` tirer parti de leurs enfans, de`s que ceux ci sont capables de les seconder dans leurs travaux, ou de leur rapporter le moindre profit, ne les enverront point meˆme a des e´coles gratuites, pour y etre instruits dans les conoissances les plus ne´cessaires, et qu’en conse´quence il faudrait peut eˆtre donner au gouvernement le droit de les forcer a´ les y envoyer. mais cette objection repose sur l’hypothe`se d’une telle mise´re dans le peuple qu’avec cette mise`re rien ne peut exister de bon, ce qu’il faut, c’est que cette mise´re n’existe pas. de`s que le peuple jouı¨ra de l’aisance qui lui est due, Il s’empressera de doner a` ses enfans toute l’instruction possible. Il y mettra de la vanite´, Il en sentira l’interet. c’est ce que nous voyons en Angleterre et ce que nous avons vu en france, pendant la re´volution. Durant cette e´poque bien qu’agite´e, et quoique le peuple eut beaucoup a` souffrir de son gouvernement, cependant par cela seul qu’il acquit plus d’aisance, l’instruction fit des progre´s e´tonnans dans cette classe. partout l’instruction du peuple est en proportion de son aisance Garnier, dans ses notes sur Smith, prouve tre`s bien que le gouver442 nement, quand il offre gratuitement des connoissances autres que les connoissances e´le´mentaires, de´tourne la partie laborieuse de la Socie´te´ d’une manie`re prejudiciable, et sans utilite´ de ses occupations naturelles. v. aussi les observations de Smith sur les inconve´niens des Bourses. Liv. I. Ch. 10. 453

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On peut enseigner les faits sur parole, mais jamais les raisonnemens.

L’arrangement naturel de l’e´ducation laissant le choix, le mode, et le 464 fardeau de l’e´ducation aux parens, peut se comparer a` une suite d’expe´1

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Repris Repris Repris Repris

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additions additions additions additions

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chap. 6, chap. 6, chap. 6, chap. 6,

livre XIV livre XIV livre XIV livre XIV

(ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus, (ci-dessus,

p. 551). p. 551). p. 551). p. 551).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

riences qui ont pour objet de perfectioner le systeˆme ge´ne´ral. tout s’avance et se de´veloppe par cette emulation des individus, par cette diffe´rence d’ide´es et d’esprits, en un mot par la varie´te´ des impulsions particulie`res. mais que tout soit jete´ dans un monde unique, que l’enseignement prenne partout le caracte`re de l’autorite´ le´gale, les erreurs se perpe´tuent et il n’y a plus de progre`s. Benth. II. 201–202. Livre

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XIV.

Ch. 7.

48. les encouragemens de l’autorite´ pour la morale ont l’effet d’ajouter aux motifs naturels qui portent les homes a´ la vertu des motifs d’interet ou de vanite´. quelques philosophes ont d’apre´s une conside´ration semblable, redoute´, jusqu’a` l’intervention de la toute puissance divine, pour re´compenser ou punir. cependant chacun, re´unissant dans l’ide´e de Dieu toutes les perfections, il est sur du moins que les de´cisions de la providence, toujours infaillible, ne seront jamais en opposition avec la justice qui doit diriger les actions humaines. mais il n’en est pas de meˆme des gouvernemens, expose´s a` l’erreur, susceptibles de pre´ventions, capables d’injustices. vous ne subordonnez pas la moralite´ de l’homme seulement a` un eˆtre plus puissant que lui ce qui est de´ja un inconve´nient, mais cet inconve´nient est diminue´ par la perfection supe´rieure de cet eˆtre : au lieu que dans ce qui regarde l’autorite´, vous subordonez la moralite´ de l’homme a` des eˆtres semblables a` lui, et qui peuvent valoir moins que lui. Vous le familiarisez avec l’ide´e de faire plier devant leur puissance, sans autre calcul que celui de l’interet, ce qui lui paraˆit la justice. la protection de l’autorite´ dut-elle n’etre jamais accorde´e qu’a la raison, a` la vertu, aux lumie`res, je croirais encore que les lumie`res, la vertu, la raison, se trouveraient mieux de n’eˆtre pas prote´ge´es, et de marcher sans assistance comme sans entraves e´trange´res, dans leur liberte´ naturelle et leur primitive inde´pendance. mais la protection de l’autorite´ pouvant eˆtre accorde´e au vice qui la sert ou a` l’erreur qui la flatte, Il faut repousser, ce me semble, une intervention, qui, dans son principe, a l’inconve´nient ge´ne´ral de porter atteinte a` l’inte´grite´ de nos faculte´s, et qui peut de plus, dans ses applications, manquer souvent l’avantage particulier qu’on lui attribue. [49?]1 [...] fortune et la cle´mence insolente de Ce´sar. en second lieu, les mesures de rigueur prises par le Se´nat contre la philosophie grecque ne 1

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Texte fragmentaire sur l’histoire de la philosophie a` Rome. La perte d’au moins un fo en teˆte et d’un autre a` la fin de ce fragment a fait disparaıˆtre deux grands morceaux qu’on peut lire ci-dessus, pp. 527–529, additions au chap. 3 du livre XIV.

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fesoit que lui pre´parer un triomphe, qui, retarde´, n’en devint que plus complet. les De´pute´s d’Athe´nes furent renvoye´s pre´cipitamment dans leur patrie. pendant pre`s d’un siecle des Edits rigoureux contre toute doctrine e´trange´re furent fre´quement renouvelle´s. efforts inutiles. l’impulsion e´toit donne´e. les moyens de l’autorite´ ne pouvoient l’arreˆter. Supposez maintenant que le Se´nat de Rome ne fut intervenu ni pour ni contre la philosophie grecque. les homes e´claire´s de cette capitale du monde auroient examine´ impartialement la nouvelle doctrine. Ils auroient se´pare´ les ve´rite´s qu’elle contenoit d’avec les sophismes qui s’e´toient introduits a` la faveur de ces ve´rite´s. Il n’etoit certes pas difficile de prouver que les raisonemens de Carne´ade contre la justice n’e´toient que de mise´rables arguties. Il n’e´toit pas difficile de re´veiller dans le cœur de la jeunesse Romaine les senti mens inde´le´biles qui sont dans le cœur de tous les homes, et de soulever l’indignation de ces ames encor neuves, contre une The´orie qui, consistant toute entie`re en e´quivoques et en chicanes, devoit par la plus simple analyse, se voir bientot couverte de ridicule et de me´pris. Mais cette analyse ne pouvoit eˆtre l’ouvrage de l’autorite´. elle devoit seulement la rendre possible, en laissant l’examen libre. car l’examen, lorsqu’il est proscrit, ne s’en fait pas moins, mais se fait imparfaitement, avec trouble, passion, ressentiment et violence. l’on veut supple´er a cet examen par des Edits et des Soldats. Ces moyens sont comodes et paraissent surs. Ils ont l’air de tout reunir, facilite´, brie´vete´, dignite´. Ils n’ont qu’un seul de´faut celui de ne jamais reussir. les jeunes Romains conserve`rent d’autant plus obstinement dans leur me´moire les discours des sophistes, qu’on leur sembloit avoir injustement e´loigne´ leurs persones. Ils regarde´rent la dialectique de Carne´ade moins come une opinion qu’il falloit examiner, que come un Bien qu’il falloit de´fendre, puis qu’on menacoit de le leur ravir. l’e´tude [...] un Gouvernement, qui veut s’emparer de l’opinion, pour la diriger, ressemble a´ Salmone´e, qui vouloit lancer la foudre. Il fesait grand bruit, avec son chariot d’airain, et grand peur aux passans avec ses torches enflamme´es. la foudre, un beau jour, sortit de la nue et le consuma1. Et cum singulorum error facit publicum, singulorum errorem facit publicus. V: 33 Et cum singulorum ] pre´ce`de une note biffe´e par des grands traits de plume croise´s 〈la force a un effet si mauvais, que dans le cas d’une conqueˆte, quand ce sont les vainqueurs qui influent sur les vaincus, Ils les abrutissent : quand ce sont les vaincus qui influent sur les vainqueurs, ils les civilisent. il est vrai qu’ils les e`nervent en meˆme tems.〉 / Et cum singulorum LA 1

Voir ci-dessus, p. 816, n. 1.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Senec. cp. 81. avec cette diffe´rence que dans le 1e˙r cas, il y a la force de moins1.

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Cet aphorisme apparaıˆt a` deux reprises dans le ms. de Lausanne. Voir ci-dessus, p. 813.

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[Additions au livre

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XV.

XV]

Ch. 1.

1.1 tout dans la nature a ses inconve´niens. mais les Institutions conformes a` la nature ont cet avantage, que come la nature est essentiellement conservatrice, elle a pourvu a` ce que les inconve´niens ne fussent pas sans reme´de au lieu que dans les institutions contraires a` la nature, come la force conservatrice ne s’y trouve pas, les inconve´niens qu’elles entrainent sont souvent sans re´paration. aussi, en ordonnant que chaque home seroit charge´ du soin de ses interets, la nature a sans doute expose´ l’espece humaine a´ de grands inconve´niens. les passions et les mauvais calculs font que souvent les individus s’acquittent tre`s mal de la charge qui leur est confie´e. mais si frappe´ de l’inconve´nient qui se trouve attache` a` cet arrangement naturel, nous imaginons de charger un homme de veiller aux interets d’un autre ou de plusieurs autres, que re´sulte-t-il de cette institution factice ? les meˆmes inconve´niens que de l’institution naturelle. car les meˆmes passions, les meˆmes calculs errone´s peuvent avoir lieu. mais l’institution naturelle portoit son reme`de en elle meˆme. chaque home souffre des erreurs qu’il commet dans ses propres affaires et ne tarde pas a` s’en corriger. l’Institution factice au contraire est sans reme`de. l’home que vous avez charge´ contre le vœu de la nature de de´cider pour autrui, ne souffre nullement des erreurs qu’il commet. elles portent sur les autres. elles ne l’eclairent point, et il ne s’en corrige donc pas. Toutes les fois que ce qui est naturel, c’est a` dire juste, c’est a` dire conforme a` l’e´galite´, (e´galite´, justice, nature, c’est meˆme chose) vous parait entrainer des inconve´niens, et que vous n’en apercevez pas le reme`de, fiez vous a` l’expe´rience, qui ne tardera pas a` vous le montrer, a` moins que vous n’ayez meˆle´, ce qui arrive presque toujours, quelque chose de factice a` l’institution naturelle, et alors c’est d’ordinaire cette addition qui cre´e l’inconve´nient ou qui empeˆche la force re´paratrice d’agir. toutes les fois que l’on vous propose quelque institution contraire a` la nature, et que vous n’en voyez pas l’inconve´nient, ce n’est que l’expe´rience qui vous manque. l’inconve´nient existe et se de´veloppera bientot. V: 3 1. ] suit encore employe´. LA non explique´ LA 1

22 pas. ] suit encore une grosse croix, signe de renvoi

Devient en partie une note du chap. 1, livre XV (ci-dessus, p. 555).

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2.1 les erreurs en Le´gislation sont mille fois plus funestes que toutes les autres calamite´s. Il re´sulte qu’il faut diminuer, autant qu’il est possible, la chance de ces erreurs. Or, si le gouvernement n’a pour but que la pre´servation et la garantie, la chance des erreurs sera conside´rablement diminue´e. Il n’y a que des moyens simples et en petit nombre pour la garantie et pour la pre´servation. Il y en a d’innombrables et de complique´s pour l’ame´lioration et le bonheur. Si le gouvernement se trompe dans les premiers, son erreur n’est que ne´gative, ainsi que les conse´quences de cette erreur. s’il se trompe, Il ne fait pas tout ce qu’il devrait faire, il n’atteint pas le but qu’il devrait atteindre, mais le mal que les fautes de cette nature entrainent est re´parable. C’est un mal dont l’effet cesse avec la cause. si au contraire, le gouvernement se trompe dans ses tentatives d’ame´lioration, et, come nous l’avons dit, il a mille fois plus de chances de se tromper dans cette carrie`re, ses erreurs se prolongent, les homes s’y plient, les habitudes se forment, les interets se grouppent autour d’une baze vicieuse, et lorsque l’erreur est reconnue, il est presqu’aussi dangereux de la de´truire, que de la laisser subsister. de la sorte, les erreurs de cette 2de espe´ce produisent des maux dont l’intensite´ et la dure´e sont incalculables. non seulement elles entrainent des maux, en tant qu’erreurs autorise´es. elles en entrainent encore, lorsqu’elles sont reconnues. l’autorite´ souvent he´site a` les de´truire. alors, vacillante et inde´cise, elle fait dans la marche peu assure´e peser l’arbitraire sur tous les Citoyens. enfin de nouveaux inconve´niens se manifestent, lors meˆme que l’autorite´ s’est de´cide´e. les calculs sont renverse´s, les liens contracte´s se de´chirent, les habitudes se trouvent froisse´es, la foi publique s’e´branle. 3 Toutes les fois que les ame´liorations sont le produit naturel et ve´ritable de la volonte´ ge´ne´rale, c’est a` dire du sentiment des besoins de tous exprime´ par tous les citoyens, ou par la liberte´ de la presse, leur seul interpre`te inde´pendant, ces ameliorations ont au moins une bonte´ relative. mais lorsque le gouvernement se constitue leur juge, il cherche cette bonte´ relative dans ses propres spe´culations, dans ses propres opinions, dans ses propres lumie`res, et les ame´liorations, sous le pre´texte d’acque´rir le plus haut de´gre´ de perfection possible, sont tantot contraires au vœu ge´ne´ral et hors de proportion avec les ide´es, tantot contraires aux principes e´ternels et uniV: 1 2. ] suit encore 2des addit. LA 4 chance des erreurs sera conside´rablement diminue´e ] chance des erreurs sera conside´rablement 〈augmente´e〉 diminue´e LA 10 mais le mal que les fautes ] mais le mal 〈qu’il〉 que les fautes LA 12 et, ] la source porte (et, LA 26 3. ] suit encore emploie´ LA 1

Passe dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 715).

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versels de la morale. les gouvernemens qui s’arrogent le droit d’ame´liorer, sont, lorsqu’ils sont corrompus, des hypocrites. et meˆme lorsqu’ils sont bien intentionne´s, des spe´culateurs syste´matiques, aux erreurs multiformes desquels les peuples se voyent sans cesse sacrifie´s. les loix qui portent l’empreinte de l’imperfection de l’esprit ge´ne´ral, sont proportionne´es a` l’e´poque pour laquelle elles existent1. des loix plus parfaites contrasteroient avec les ide´es. lorsque les besoins du peuple ne sont pas l’origine de ses loix, le peuple se voit expose´ a` tous les inconve´niens attache´s a` la disproportion des loix avec les ide´es, et a` tous ceux qui peuvent provenir des me´prises des le´gislateurs. il est des ame´liorations qui, prises abstraitement sont incontestables. mais tant que la nation ne les de´sire pas, c’est qu’elle n’en a pas besoin, et le tems seul et l’expression libre des opinions individuelles par la presse peuvent les lui faire de´sirer. Il ne faut pas meˆme accorder au gouvernement le droit de provoquer ce desir. ce seroit lui attribuer une fonction qui n’appartient qu’aux Individus e´claire´s. Or le gouvernement peut ne pas eˆtre compose´ de pareils Individus, et les individus e´claire´s n’ont d’ailleurs de puissance utile par l’opinion, que parce qu’ils n’ont pas de pouvoir constitue´. 4 Ce n’est pas un crime dans l’homme que de me´connoˆitre son propre interet, en supposant qu’il le me´connoisse. ce n’est pas un crime dans l’homme, que de se tromper, en se dirigeant d’apre`s ses lumie´res, en supposant qu’il se trompe : mais c’en est un dans l’autorite´ que de punir les individus parce qu’ils n’adoptent pas come leur interet ce qui parait tel a` d’autres, ou parce qu’ils ne soumettent pas leurs lumie´res a` d’autres lumie´res dont apre`s tout chacun d’entr’eux est juge en dernier ressort.

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52 Il est absurde de raisonner sur le bonheur des hommes autrement que par leurs propres de´sirs et leurs propres sensations. Il est absurde de vouloir demontrer par des calculs qu’un homme est heureux, lorsqu’il se trouve malheureux. argument de Bentham contre l’esclavage, mais qui s’applique a` tout.

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6. On a de´fini le gouvernement l’institution destine´e a` faire le bonheur des homes. Il y a une grande diffe´rence entre garantir le bonheur que les Individus se font a´ eux meˆmes, ou se font entr’eux, et se charger a` leur place de faire leur bonheur. C’est presque toujours en pre´tendant le faire que les Individus cessent de le garantir.

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Le passage qui commence avec cette phrase se retrouve ci-dessus, p. 584. Devient, avec l’entre´e suivante, une note du chap. 1, livre XV (ci-dessus, p. 556).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

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Ch. 4.

71 C’est un inconve´nient, pour tout mode d’e´ligibilite´ de se´parer les e´lecteurs des e´lus. Livre

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Ch. 6.

102 Nous blamons les novateurs de faire des loix en sens inverse de l’opinion existante, et nous avons raison. Ils pre´fe´rent l’avenir ou ce qu’ils appellent l’avenir au pre´sent, et ils n’en ont pas le droit. mais la loi qui se perpe´tue, lorsqu’elle n’est plus l’expression du sentiment national, a un tort du meˆme genre, avec cette seule diffe´rence, que c’est devant le passe´ qu’elle veut faire plier le pre´sent. or le tems n’y fait rien. l’opinion passe´e n’existe plus. elle ne peut motiver des loix. l’opinion avenir n’existe pas encore : elle n’existera peut-eˆtre jamais. elle ne peut pas non plus motiver des Loix. l’opinion pre´sente est la seule qui existe re´ellement.

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Au moment ou certaines institutions se sont e´tablies, come elles 11.3 e´toient proportionne´es a` l’e`tat des mœurs et des opinions rec¸ues, ou plutot comme elles e´toient l’effet meˆme de ces opinions et de ces mœurs, elles avoient une utilite´, une bonte´ relatives. ces avantages ont diminue´ a` mesure que l’esprit humain a fait des progre`s, et les institutions se sont modifie´es. les gouvernemens croyent souvent faire un grand bien, en re´tablissant ces institutions dans ce qu’ils appellent leur purete´. mais cette purete´ se trouve pre´cise´ment la chose la plus contraire aux ide´es contemporaines, et la plus propre en conse´quence a` faire du mal. de cette diffe´rence entre les institutions qui sont stationnaires, et les ide´es qui sont progressives, re´sulte la plupart des contradictions et des faux raisonnemens des gouvernemens et des publicistes. ils croyent qu’a` telle e´poque telle institution e´toit utile, et ils s’imaginent que si maintenant elle est nuisible, c’est qu’elle a de´ge´ne´re´. c’est pre´cise´ment l’inverse. l’institution est reste´e la meˆme : mais les ide´es ont change´, et la cause du mal auquel vous voulez porter reme´de n’est pas dans la de´ge´neration de la premie`re, mais dans la disproportion qui s’est e´tablie entre les deux. les rapports de l’autorite´ avec les loix sont une matie´re sur laquelle il importe beaucoup de s’entendre. il faut distinguer dans les loix deux espe´ces de de´fectuosite´s. l’une leur opposition avec la morale, l’autre leur disproportion avec les ide´es rec¸ues. Une loi peut contrarier la morale par l’effet de l’ignorance et de la barbarie universelle. c’est alors le 1 2 3

Note du chap. 5, livre XV (ci-dessus, p. 569). Note du chap. 6, livre XV (ci-dessus, p. 580). Addition au chap. 6, livre XV (ci-dessus, pp. 583–584).

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malheur de l’e´poque. une loi peut contrarier la morale par l’effet de l’erreur ou de la corruption particulie´re de l’autorite´. c’est alors le crime du Le´gislateur. l’Antiquite´ nous offre un exemple de la premie´re espe´ce d’imperfection, dans la tole´rance des philosophes anciens envers l’esclavage. les sie´cles modernes nous en fournissent de la seconde espe´ce dans les de´crets injustes qui ont eu lieu pendant notre re´volution. dans ce dernier cas, le mal est bien plus incalculable que dans le premier. le le´gislateur se met non seulement en opposition avec la morale, mais avec l’opinion. non seulement il outrage l’une, mais il opprime l’autre. il combat a` la fois et contre ce qui devrait eˆtre et contre ce qui est. Dela´ suit une ve´rite´ importante. C’est qu’aucun exemple ante´rieur ne le´gitime une injustice. Cette injustice a pu eˆtre excusable, lorsque l’esprit humain ne l’avoit pas reconnue pour telle : mais elle n’e´toit excusable que come un malheur ine´vitable. l’esprit humain s’e´tant e´claire´, l’excuse cesse, et l’autorite´ qui prolonge ou qui renouvelle l’injustice, se rend coupable d’un double attentat. fo 119ro

121 la Chine est pre´cise´ment l’exemple d’un peuple ou l’on a rendu tout stationnaire. aussi nos nouveaux publicistes s’extasient sur les institutions chinoises. mais il en est re´sulte´ que la chine a e´te´ sans cesse conquise par des e´trangers moins nombreux que les chinois. pour rendre les chinois stationaires, Il a fallu briser en eux l’e´nergie qui leur auroit servi a´ se de´fendre. Livre

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13.2 quelque tems avant les re´volutions qui ont signale´ les dix dernie`res anne´es du 18e sie´cle, les gouvernemens, soit qu’ils fussent inquiets sur la solidite´ de leur puissance, soit que l’impulsion ge´ne´rale les entrainaˆt, comme tout le reste de la race humaine, et cette dernie´re supposition me paraˆit plus probable, les gouvernemens, disons nous, s’e´toient de´clare´s leurs propres re´formateurs. Ils offroient, dans cette fonction nouvelle, le spectacle le plus bizarre. Ils vouloient inspirer la reconnoissance : ils ne vouloient pas cesser d’inspirer la crainte. Ils pre´tendoient a` l’honneur de la philosophie. Ils auroient voulu ne pas renoncer a` l’appui des pre´juge´s. Ils de´siroient paraˆitre moins despotes, mais avec le desir de rester aussi puissans. Ils avoient envie de faire quelques brillans sacrifices pour me´riter des e´loges : mais ils craignoient qu’on ne leur tıˆnt pas compte des sacrifices consomme´s, et demandoient a` l’admiration de pre´ce´der ces sacrifices. ils croı¨oient surtout devoir a` leur dignite´ de repre´senter come une grace tout ce qu’ils 1

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Note du chap. 6, livre XV (ci-dessus, p. 582). Copie du texte no 575 de N. Le meˆme texte se trouve dans le ms. Co 3492 sous le nume´ro 575.

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trouvoient bon d’accorder, et de se re´server le droit de faire tout le mal qu’ils ne fesoient pas. Ils sentoient bien neanmoins que la se´curite´ seule pouvoit exciter l’enthousiasme qu’ils ambitionnoient d’inspirer : et ils s’efforc¸oient, par des phrases et des pre´ambules, de produire la se´curite´, sans donner la garantie.

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141 Oh reformateurs a` coup de coigne´e, vous eˆtes les plus malhabiles des jardiniers. Mirabeau Ami des hommes. I. 79.

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152 Je dis souvent qu’il faut respecter les habitudes des peuples, et en meˆme tems je propose beaucoup de choses qui semblent contraires a` ces habitudes. mais il faut observer que je ne propose que des choses ne´gatives, c’est a` dire, je conseille aux gouvernemens de ne plus exercer leur autorite´ en faveur de telles ou telles entraves qu’ils croyent de leur interet de maintenir. en n’exercant plus leur autorite´ dans ce sens, ils ne blessent point les habitudes existantes. Ils permettent a´ chacun de continuer a faire librement ce qu’autrefois ils lui commandoient de faire. Il peut arriver que pendant longtems l’habitude contracte´e soit la plus forte. mais peu a` peu, si elle est contraire aux vrais Interets des Individus, ils s’en affranchiront l’un apre`s l’autre, et le bien se fera sans nulles secousses. supposez un troupeau que son proprie´taire ait, par un mauvais calcul, retenu longtems sur un sol aride et ste´rile, en l’entourant d’une palissade. si pour le transporter dans un meilleur terrein, vous le faites sortir de force, en excitant contre lui des chiens, et en l’effrayant de cris, il est possible que plusieurs se blessent, en se pre´cipitant dehors, et meˆme que la frayeur soit si grande que beaucoup se dispersent et s’e´garent. mais abattez seulement les palissades et laissez le troupeau tranquille. Il restera quelque tems sur le sol ou il a coutume de paˆitre : mais peu a` peu Il se re´pandra tout autour, et au bout de quelque tems il arrivera par une marche insensible dans la prairie fertile ou vous voulez le transporter. 163 On done toujours de grands e´loges aux homes d’e´tat qui travaillent pour l’avenir. est-il bien ne´cessaire, est-il bien dans la nature que les homes travaillent pour l’avenir ?

1 2 3

Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 591). Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 592). Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 592).

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ch. 7.

171 On nous vante toujours Charlemagne comme un grand Le´gislateur, et pour le prouver on nous dit que Sa monarchie ne tomba que lorsque ses loix tombe`rent. mais le talent d’un le´gislateur est de faire que ses loix ne tombent pas. les e´loges que l’on donne a` tous ses talens le´gislatifs ressemblent a` ceux qu’on accorde aux constitutions, en disant, qu’elles iroient parfaitement, si tout le monde vouloit leur obe´ir, come si l’art des Constitutions ne devoit pas eˆtre de se faire obe´ir par tout le monde. 18. en Russie la cour et la noblesse sont francaises, l’arme´e est prussienne, la marine est anglaise, la masse de la nation est asiatique.

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19.2 la Gre´ce doit le brillant de ses annales plus a` la manie´re progressive par laquelle elle se civilisa qu’a aucune circonstance qui lui fut propre. les Grecs furent abandonne´s, par un heureux hazard, a` la marche sure et lente de la civilisation inte´rieure. les colonies e´trange`res qui vinrent y porter les germes de quelques arts, n’etoient ni assez puissantes pour conque´rir, ni assez rafine´es pour corrompre, ni assez instruites pour e´clairer. les chefs de ces colonies e´toient d’ordinaire ou des criminels qui fuyaient le chatiment qui les menac¸oit dans leur patrie, ou des ambitieux chasse´s par des factions ennemies ; Errans au hazard, ils e´toient pousse´s au gre´ des vents sur quelque plage inconnue. Ils y trouvoient des habitans qui sans cesse expose´s aux incursions des nations voisines, et a` se voir enlever eux, leurs troupeaux et leurs femmes, avoient concu, contre tout e´tranger une haine invincible. les arrivants e´toient force´s d’ajouter a` cette haine par des violences ne´cessaires a` leur surete´. les premiers momens se passoient ainsi en efforts continuels des deux cote´s, et en massacres re´ciproques. e´tablis enfin et redoute´s des peuples soumis, les nouveaux colons n’e´toient pourtant entoure´s que de hordes nombreuses et indompte´es qu’on pouvoit vaincre, mais qu’on ne pouvait soumettre, et de la part desquelles, ils e´toient expose´s a` des Incursions continuelles. Quant a` leur patrie primitive, les Emigrans ne pouvoient, vu les raisons qui les avoient force´s de l’abandonner, entretenir avec elle aucune liaison. au contraire, il arrivoit souvent que leurs compatriotes e´toient leurs plus mortels ennemis. de la sorte on voit facilement que la civilisation de la Gre`ce ne doit point s’attribuer aux colonies qui s’y etaV: 6 accorde aux ] accorde 〈a`〉 aux LA 12 qui lui fut propre. les Grecs ] qui lui fut propre. 〈place´s dans ce climat peut et〉 les Grecs LA 1 2

Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 592). Copie du texte no 564 de N. Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, pp. 593–594).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

blirent. Ce fut le tems seul qui civilisa les Grecs, et cette manie`re plus lente est aussi la meilleure de toutes. On peut re´duire les autres a trois, la civilisation par les vainqueurs, par les vaincus, et par les tyrans. les Ame´ricains nous fournissent l’exemple de la premie`re, les Barbares du nord et les chinois de la seconde, Les Russes de la troisie`me. Quand ce sont les vainqueurs qui se chargent de l’e´ducation des vaincus, Ils commencent par avilir leurs e´le´ves. leur interet du moment ne demande pas qu’ils en fassent des homes, mais des esclaves. c’est donc a` former des esclaves humbles et laborieux, des machines adroites et dociles que ces pre´cepteurs qui ont la force en main travaillent et re´ussissent. ce n’est qu’apre´s huit ou dix ge´ne´rations, que les tristes restes des Indige`nes, re´duits commune´ment a` la centie´me partie du nombre de leurs anceˆtres, comencent a` se meˆler a` leurs oppresseurs, et a` se civiliser imparfaitement, par l’imitation de leurs mœurs corrompues et par l’adoption de leurs opinions errone´es. Lorsqu’au contraire les peuples subjugue´s civilisent leurs maˆitres, Ils les e´nervent sans les adoucir, et les avilissent sans les policer. les vices du Luxe vienent s’unir a` la fe´rocite´ de la barbarie et de cet affreux me´lange naissent les effets les plus funestes. dans l’histoire de ces peuples, nous voyons a` la fois, par une union monstrueuse, les rapines, les violences, les de´vastations qui caracte´risent l’homme encore sans frein, accompagne´es de la lachete´, de la faiblesse, des plaisirs honteux de l’homme de´nature´ par un long abus de la civilisation. Enfin, quand un Despote veut policer ses esclaves Il croit qu’il n’a qu’a` vouloir. accoutume´s a` les voir trembler et ramper au moindre signe, Il pense qu’ils s’e´claireront de meˆme. pour haˆter leurs progre`s, Il n’imagine d’autres expe´diens que ceux de la tyrannie. Il croit ainsi pre´parer ses peuples aux lumie´res filles de la liberte´. Il veut que ses sujets ne s’instruisent, ne pensent et ne voyent que come lui, et s’irrite e´galement contre le regret des mœurs anciennes et contre la censure des Institutions nouvelles. quels sont les re´sultats de ces efforts insense´s ? Jetons les yeux sur ce vaste empire dont on vante souvent les rapides progre´s. nous y verrons les grands faire leur premier me´rite de l’imitation servile des modes de leurs voisins, les Sciences entre les mains d’e´trangers, qui obscurs dans leur patrie, vont chercher chez une nation qu’ils me´prisent des tre´sors et des e´loges, le V: 5 de la premie`re, les Barbares du nord et les chinois de la seconde, Les Russes de la troisie`me ] de la premie`re, les 〈Goths et〉 les Barbares du nord et les chinois ces trois derniers mots e´crits dans l’int. sup. de la seconde, Les 〈Chinois〉 Russes de la troisie`me LA 17 les peuples subjugue´s ] les peuples 〈opprime´s〉 subjugue´s LA 32 ce vaste empire dont on vante ] ce vaste empire 〈auq〉 dont on vante LA

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Livre XV

peuple reduit a la condition d’esclave et ne se doutant pas qu’on pre´tende l’e´clairer. Ces le´gislateurs a` coups de knout me paraissent comparables a` une poule qui lasse de couver casserait ses œufs pour les faire eclore. Livre

fo 123ro

XV.

Ch. 7.

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201 quand vous e´tablissez une institution, sans que l’esprit du peuple y soit pre´pare´, cette institution, quelque bonne qu’elle soit en the´orie, n’est pas de l’organisation, mais du me´chanisme. 212 Nous ne ferons rien de mieux que ce que nous fesons librement et en suivant notre ge´nie naturel. E. d. L. XIX. 5.

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a ˙

223 ce que nous disons des fonctions spe´culatives &c additions au Ch. I. du Liv. III doit etre mis dans ce chapitre ci. Les loix qui portent l’Empreinte de l’imperfection de l’esprit ge´ne´ral 234 sont proportio[n]ne´es a` l’e´poque pour la quelle elles existent5. Des Loix plus parfaites contrasteraient avec les Ide´es. dans cette hypothe´se, les besoins du peuple n’e´tant pas l’origine de ces loix, et leurs auteurs agissant spontane´ment et n’e´tant pas infaillibles, le peuple se voit expose´ a` tous les Inconve´niens attache´s a` la disproportion des loix avec les Ide´es, et a` tous ceux qui peuvent provenir des me´prises des le´gislateurs. Il est des ame´liorations qui, prises abstraitement, sont incontestables. mais tant que la nation ne les desire pas, c’est qu’elle n’en a pas besoin, et le tems seul et l’expression libre des opinions Individuelles par la liberte´ de la presse, peuvent les lui faire de´sirer. Il ne faut pas meˆme accorder au gouvernement le droit de provoquer ce desir par des moyens indirects. ce seroit lui attribuer une fonction qui n’appartient qu’aux Individus e´claire´s. or le gouvernement peut ne pas etre compose´ de pareils individus, et les individus e´claire´s n’ont d’ailleurs de puissance utile par l’opinion, que parce qu’ils n’ont pas de pouvoir constitue´. V: 1 le peuple reduit a la condition ] le peuple 〈sans e´nergie, d〉 reduit a la condition LA 11 ce que nous disons ] 〈les loix qui〉 ce que nous disons LA spe´culatives &ca˙ additions au a Ch. du Liv. ] spe´culatives &c ˙ 〈Les〉 additions au Ch. du Liv. LA 1 2 3 4

5

Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 594). Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 594). Addition au chap. 7, livre XV (ci-dessus, p. 594). La premie`re partie du texte (Les loix ... des le´gislateurs) devient une addition au chap. 6, livre XV (ci-dessus, p. 584), la suite (Il est des ame´liorations ... constitue´.) passe dans les additions au chap. 7 du meˆme livre (ci-dessus, p. 591). Le meˆme texte se lit ci-dessus, p. 827.

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

Livre

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XV.

ch. 8.

241 en gene´ral, pourvu qu’on cite un fait, qu’il aille ou non a` l’assertion a` l’appui de laquelle on le cite, il e´blouit toujours le lecteur. on trouve de cela mille exemples dans Montesquieu. en voici un entr’autres. en fesant l’e´loge de la gymnastique, l’exercice de la lutte, dit-il, fit gagner aux The´bains la bataille de Leuctres. Mais cette bataille fut gagne´e en la 102e Olympiade, et il y avoit alors plus de 400 ans que les Lace´de´moniens s’exerc¸oient a` cet art, qui ne put les sauver d’une de´faite totale. 25.2 Causes diverses et presque constante d’erreurs. 1o˙ confusion d’ide´es. o 2 ˙ prise de l’effet pour la cause. 3o˙ effets ne´gatifs apporte´s en preuves d’assertions positives. 4o˙ interet mis au but sans examen des moyens. 5o˙ a` cause au lieu de malgre´.

V: 2 24 ] suit encore de´ja` employe´ LA mille LA

1 2

3 on trouve de cela mille ] on trouve 〈la〉 de cela

Repris dans le chap. 6, livre XV (ci-dessus, p. 543). Addition au chap. 8, livre XV (ci-dessus, p. 595).

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[Additions au livre

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XVI.

XVI]

Ch. 1.

1.1 Lorsqu’un citoyen ne trouvoit hors de sa patrie que des sauvages, et qu’ainsi la mort ou une privation de toute socie´te´ humaine e´tait la suite de l’expatriation, la patrie a` laquelle on devoit la vie et tous les biens qui en font le prix, pouvoit exiger de beaucoup plus grands sacrifices qu’aujourdhui, qu’un citoyen, sortant de son pays, retrouve partout a peu pre´s les meˆmes mœurs, les meˆmes comodite´s physiques, et a` beaucoup d’egard les memes ide´es morales. Lorsque Ciceron disoit : pro que patria, mori, et cui nos totos dedere, et in qua nostra omnia ponere, et quasi conservare debemus, c’est que la patrie contenoit alors tout ce qu’un home avoit de cher, et que perdre sa patrie, e´toit perdre sa femme, ses enfans, ses amis, toutes ses affections et toutes ses jouı¨ssances. l’e´poque du patriotisme superstitieux est passe´. pour pouvoir exiger de nous des sacrifices, il faut que la Patrie nous soit che´re, et pour qu’elle nous soit che´re il ne faut pas la de´pouiller de tout ce qui nous la fait aimer. or qu’aimons nous dans notre patrie ? la liberte´, la se´curite´, la garantie, la proprie´te´ de nos biens, la possibilite´ de nous distinguer, une foule de jouı¨ssances de tout genre. le mot de Patrie rappelle a` notre imagination bien plus la reunion de toutes ces jouissances que l’ide´e topographique d’un pays particulier. si l’on nous propose de sacrifier toutes ces jouı¨ssances a` la patrie, c’est nous proposer de sacrifier a` la patrie la patrie elle meˆme. c’est vouloir nous rendre dupes des mots. Ceci s’applique e`galement a` la socie´te´. il n’y a que des individus dans le monde. Socie´te´ veut dire tous les individus. or sacrifier le bonheur de tous les individus a` tous les individus, c’est une contradiction dans les termes. fo 125vo

2.2 Les homes, ignorant l’usage de la boussole, craignoient de perdre de vue les cotes, et dans l’e´tat d’imperfection ou e´tait l’art de la construction des vaisseaux, ils n’osoient s’abandonner aux flots impe´tueux de l’oce´an. traverser les colonnes d’Hercule, c’est a` dire, naviguer au dela` du de´troit de Gibraltar, fut longtems regarde´ dans l’antiquite´, come l’entreprise la plus hardie et la plus surprenante. les Phe´niciens et les Carthaginois, les plus 1 2

Devient une note du chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 610). Devient une note du chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 607).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

habiles navigateurs et les plus savans constructeurs de vaisseaux, dans ces anciens tems, ne tente´rent meˆme ce passage que fort tard, et ils furent longtems les seuls peuples qui l’ose´rent. Smith. W. of N. I. 3. ceci confirme ce que je dis que l’antiquite´, ne´cessairement moins adonne´e au commerce, ne put avoir l’esprit commercant des peuples modernes. 3.

5

l’imagination e´toit chez les anciens ce que la conviction est chez nous.

Lors meˆme que l’esprit du sie`cle ne tendroit pas a´ la liberte´ civile, la 4.1 grandeur des associations rendroit cette liberte´ ne´cessaire. les loix sur les mœurs, sur le ce´libat, sur l’oisivete´, sont impossibles dans un grand e´tat, et seraient incalculablement vexatoires dans leur exe´cution, si elles etoient essaye`es.

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5. Goguet, de l’Origine des Loix V, 83, assure que par le re´sultat de ses recherches, Il avoit trouve´ que Lycurgue n’avoit fait a` Lace´de´mone aucune loi civile. les anciens, ayant moins besoin de liberte´ individuelle que nous, 6.2 mettaient la plus grande importance aux loix sur les mœurs. nous mettons cette importance aux rouages constitutionnels. 7 nouvelle preuve que les athe´niens avoient un grand sentiment de liberte´ individuelle. la loi de Solon contre les faine´ans tomba bientot en de´sue´tude, comme attentatoire aux droits d’un peuple libre. la ve´ritable liberte´, disoit Socrate, consiste a` travailler quand on veut et a` ne point travailler quand on ne veut pas. Paw. II. 62. fo 126ro

8.3 les citoyens trouvent la consolation de la perte de leur liberte´ dans l’acquisition ou dans le partage d’un grand pouvoir. cette compensation n’existe que dans un e´tat ou les citoyens sont en petit nombre, et ou par conse´quent la chance de parvenir au pouvoir supreˆme est assez grande ou assez prochaine pour adoucir le sacrifice journalier que chaque citoyen fait de ses droits a` ce pouvoir. ainsi dans les Re´publiques de l’antiquite´, Il n’existait aucune liberte´ civile. le citoyen s’e´toit reconnu esclave de la nation dont il fesoit partie. Il s’abandonnoit en entier aux De´cisions du souverain, sans contester au le´gislateur le droit de controler toutes ses actions, de contraindre en tout sa volonte´ : mais d’autre part Il e´toit lui meˆme a` son tour ce souverain et ce le´gislateur. Il connoissoit la valeur de son suffrage, dans une nation assez petite pour que chaque citoyen fut une puissance, et il 1 2 3

Devient une note du chap. 7, livre XVI (ci-dessus, p. 622). Addition au chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 639). Devient une note du chap. 2, livre XVI (ci-dessus, p. 601).

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sentoit que c’e´toit a` lui meˆme come souverain qu’il sacrifioit come sujet sa liberte´ civile. on sent combien une possible compensation seroit illusoire dans un pays qui compteroit des millions de citoyens actifs. Simonde. IV. 370. fo 126vo

fo 127ro

9. parmi les erreurs des Philosophes qui n’ont pas senti les diffe´rences existant entre l’antiquite´ et les tems modernes, Il faut compter leurs assertions sur la Tole´rance des anciens, qui n’e´toit point une tole´rance individuelle mais de nation a´ nation, toute diffe´rente de celle que les philosophes modernes reclament.

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XVI.

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ch. 3.

10. Les politiques grecs, qui vivoient sous le gouvernement populaire, ne reconnoissoient d’autre force qui put le soutenir que celle de la vertu. ceux d’aujourdhui ne nous parlent que de manufactures, de comerce, de finances, de richesses et de luxe meˆme. On e´toit libre avec les loix, on veut eˆtre libre contr’elle. Montesq. Espr. des Loix. III. 3. il attribue cela a` la diffe´rence de la re´publique et de la Monarchie. la cause en est celle de l’antiquite´ et des tems modernes.

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11. V. Sur la liberte´ individuelle des Athe´niens Paw. Rech. S. L. Grecs. I. 193. 12 Loix prohibitives du comerce chez les athe´niens. Paw. R. s. l. G. I. 260. 13. Ce n’est pas qu’il n’y eut des nations comercantes dans l’antiquite´. mais mon raisonnement n’en tient pas moins, 1o˙ parce que c’est pre´cise´ment chez les peuples Belliqueux que les Re´volutionnaires et les philosophes tels que Mably ont puise´ leurs exemples, ce qui ajoute a` leurs erreurs. Ils ont par exemple toujours pre´fe´re´ Sparte a` Athe´nes. 2o˙ le commerce meˆme des anciens avoit quelque chose de belliqueux que n’a pas celui des modernes. 3o˙ Athe`nes est de toutes les anciennes re´publiques celle qui ressemble le plus a` un e´tat moderne. aussi cette ville e´toit elle singulie`rement comercante. toutes les denre´es, dit Isocrate, Panegyr. p. 114, qui ne sont disperse´es que par petites portions dans les autres marche´s de la gre`ce, se trouvent V: 21 Paw. R. s. l. G. I. 260. ] Paw. R. s. l. G. I. 260. suit encore une phrase biffe´e 〈Loix fondamentales d’athe`nes, de ne pouvoir accorder a` qui que ce peut eˆtre un privile´ge exclusif. S. Petit. Recueil des Loix〉 LA

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

re´unies au Pire´e en une grande abondance. aussi y avoit-il plus de liberte´ individuelle a` athe´nes qu’ailleurs. Livre

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XVI.

Ch. 4.

14 les Phe´niciens, adonne´s au comerce, invente`rent ou perfectionne`rent tous les arts. ils ve´curent presque toujours dans une paix profonde. le comerce fit affluer chez eux une foule d’e´trangers, qui augmente`rent la population perpe´tuellement. me´m. de l’acad. des Inscript. il n’est donc pas vrai qu’il n’y ait pas eu de nations comerc¸antes dans l’antiquite´ ; mais il l’est que nous ne connoissons pas l’histoire de ces nations, mais seulement celle des nations guerrie`res. 15.1 Nouvelle ressemblance entre les athe´niens et les nations modernes. la musique ne formoit point chez eux une partie aussi essentielle de l’education que chez les autres grecs. Ils ne font pas grand cas, dit Xe´nophon en parlant des athe´niens, dans son traite´ de la Re´publique d’Athe`nes, de ces homes qui s’occupent de l’harmonie. c’est que le gout de la musique n’est une passion que chez les peuples simples et peu avance´s dans la civilisation. Or les athe´niens, comme plus civilise´s qu’aucun autre peuple ancien, eurent ce gout moins qu’aucun autre. mais leurs philosophes, qui e´crivoient en sens inverse des mœurs nationales, n’en recommandoient et n’en vantoient pas moins la musique.

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16.2 chez les anciens, les individus etoient souvent nourris, ou tiraient leurs richesses du tre´sor public. chez les modernes le tre´sor public se compose des richesses des Individus. fo 128vo

Les de´pouilles des vaincus et les ranc¸ons des prisonniers e´toient les 173 seuls fonds affecte´s par les Spartiates aux besoins publics. 18 Anecdote qui prouve chez les comercans d’athe´nes un esprit pareil a` celui des noˆtres. pendant la guerre du Pe´loponne´se, l’extreˆme faiblesse des V: 23 des richesses des Individus... Les de´pouilles ] des richesses des Individus. 〈le Revenu public des anciens se composoit du travail des esclaves, des de´pouilles des vaincus, des Tributs des peuples subjugue´s. Il n’y avoit rien la` qui put donner puissance au cre´dit tel que nous le concevons de notre tems parce qu’il n’y avoit rien la` qui de´pendıˆt de l’opinion et de la confiance individuelle des membres de la Socie´te´.〉 Les de´pouilles LA 1 2 3

Devient une note du chap. 7, livre XVI (ci-dessus, p. 624). Copie du texte no 606 de N. Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 614). Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 614).

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Livre XVI

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frontie´res de l’attique fit baisser les fonds de terre au point qu’on aimoit mieux dit Xe´nophon, dans son traite´ de la Re´publique d’athe´nes, placer son argent dans les Isles de l’archipel que dans le continent de l’attique. Paw. Grecs. I. 66. C’est en suivant des ide´es absurdes puise´es dans les mœurs des 191 Romains que Valere Maxime et Juve´nal ont parle´ de Demosthe`nes come s’il eut e´te´ le fils d’un forgeron, qui ne subsistoit que du travail de ses mains. c’e´toit au contraire un citoyen tre´s illustre, et tre´s distingue´ par ses richesses. son pere avoit posse´de´ deux manufactures ou il occupoit 42 esclaves. De´mosthe`ne dans son 1er plaidoyer contre son tuteur aphobe. les familles les plus nobles de l’attique avoient elles meˆmes des fabriques. Paw. Grecs. I. 68. 20. Esprit hospitalier des athe´niens suite du comerce. Paw. ib. I. 68–69. bien que l’esprit des athe´niens fut commercant l’esprit ge´ne´ral de l’epoque influa sur les systemes des philosophes athe´niens, qui en consequence de´clamoient contre ces Richesses. Livre

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XVI.

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Ch. 4.

21 l’Interet maritime e´toit a` Athe`nes d’environ 60 p%. l’interet territorial e´toit de 12. tant, meˆme dans cette Republique comercante, l’ide´e d’une navigation lointaine impliquoit celle du danger.

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222 Montesquieu remarque, E. d. L. XX. 2. que le commerce unit les nations, mais n’unit pas de meˆme les particuliers. d’ou il re´sulte que les nations e´tant unies, elles se confondent, c. a. d. qu’il n’y a plus de patriotisme, et que les particuliers n’e´tant pas unis, il n’y a plus que des comercans, c. a´ d. qu’il n’y a plus de citoyens.

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233 l’esprit des Anciens etoit si peu comercant qu’Aristote met le brigandage au nombre des manie`res d’acque´rir aujourd hui on de´couvre les terres par des voyages de mer : autrefois 244 on de´couvrait les mers par des voyages de Terre. Mont. E. d. L. XXI. 9. 25.5 haine des e´trangers chez les Anciens au milieu de la plus grande civilisation. les peuples, dit le Juris consulte Pomponius, Leg. V. 8. de 1 2 3 4 5

Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 614). Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 615). Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 615). Addition au chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 615). Note du chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 611).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

captivis, avec lesquels nous n’avons ni amitie´, ni hospitalite´, ni alliance, ne sont point nos enemis. cependant, si une chose qui nous appartient tombe en leur puissance, ils en sont proprie´taires. les homes libres devienent leurs esclaves ; et ils sont dans les meˆmes termes a` notre e´gard.

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XVI.

ch. 5

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26 Xe´nophon, dans son traite´ de la Republique d’athe`nes ose soutenir qu’on y traitoit les esclaves avec trop d’e´gards.

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XVI.

Ch. 7.

271 Il seroit moins absurde de nos jours de vouloir faire d’un peuple d’Esclaves un peuple de Spartiates que de pre´tendre former des Spartiates par la liberte´. Autrefois, la` ou il y avoit de la liberte´, on pouvoit supporter les privations : aujourd hui, partout ou il y a privations, il faut, pour qu’on s’y re´signe l’esclavage. le peuple qui estime le plus les jouı¨ssances de la vie, meˆme physiques, est en meˆme tems le seul peuple libre de l’Europe.

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28 Chez les anciens, la classe e´claire´e mettoit plus d’importance aux mœurs, qu’a´ la liberte´ politique et le peuple plus d’importance a´ la liberte´ politique qu’a` la liberte´ individuelle. chez nous il n’y a que les penseurs d’une part et la populace de l’autre qui mettent de l’importance a` la liberte´ politique. dire pourquoi.

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29 l’inde´pendance des philosophes anciens ne ressembloit en rien a` ce que nous reclamons de liberte´ personnelle. pour obtenir cette inde´pendance, il falloit renoncer a` toutes les jouı¨ssances de la vie. notre inde´pendance au contraire ne nous est pre´cieuse que comme nous garantissant ces jouı¨ssances.

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302 les nations modernes tout entie´res, pouvant exister par elles meˆmes, restent presque dans le meˆme etat quand leurs gouvernemens sont renverse´s. Say. L. IV. ch. 12.

V: 10 de pre´tendre former des Spartiates ] de pre´tendre 〈red〉 former des Spartiates LA 1 2

Devient, avec l’entre´e suivante, une note du chap. 7, livre XVI (ci-dessus, p. 626). Devient une note du chap. 4, livre XVI (ci-dessus, p. 610).

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Livre XVI fo 131vo

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31.1 Chez les anciens, la fonction d’accusateur e´toit honorable. tous les citoyens se chargeoient de cette fonction, et cherchoient a` se distinguer en accusant et en poursuivant des coupables. chez nous, la fonction d’accusateur est odieuse. un homme seroit de´shonore´, s’il s’en chargeoit sans mission le´gale. c’est que chez les anciens, l’interet public alloit avant la surete´ et la liberte´ individuelle, et que chez nous la surete´ et la liberte´ individuelle vont avant l’interet public. Livre

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XVI.

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ch. 8.

322 dans les tems e´claire´s, observe M. Gibbon dans ses me´langes, les homes se hazardent rarement a` etablir des coutumes qui ne soient recommandables que par leur but et leur utilite´. le peuple, qui suit respectueusement la sagesse de ses anceˆtres, me´priseroit celle de ses contemporains, et ne conside´reroit des institutions pareilles que sous le point de vue qui donneroit lieu au ridicule. 33 pour qu’une institution soit efficace, elle doit avoir pour auteurs Dieu ou le tems.

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34 Il pourrait bien en eˆtre des institutions comme des revenans. personne n’en a vus mais tout le monde a, parmi ses anceˆtres, quelqu’un qui en a vu. Extraits de Mably. de la le´gislation ou principe des loix. contre la 353 richesse p. 171–175. les loix doivent nous guider selon les vues de la nature, et les magistrats doivent nous faire respecter ces guides. 178. les peuples ne jouı¨ront de tous les avantages de la Socie´te´, que quand leurs modestes magistrats seront tire´s de la charrue. alors les loix seront justes et impartiales, et les campagnes florissantes. 180. le le´gislateur ne se donnera que des peines inutiles, si toute son attention ne se porte d’abord a` e´tablir l’e´galite´ dans les fortunes et les conditions des citoyens. l’ine´galite´ des fortunes de´compose pour ainsi dire l’homme, et alte`re les sentimens naturels de son cœur. chez les grecs et les Romains, les pauvres et les riches formoient 364 re´ellement deux classes dont l’une e´toit compose´e de cre´anciers, l’autre de V: 18 tout le monde a, parmi ses anceˆtres ] tout le monde a, 〈dans sa famille〉 parmi ses anceˆtres LA 19 35 ] suit encore 2des additions. LA 1 2 3 4

Addition au chap. 7, livre XVI (ci-dessus, p. 627). Devient une note du chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 635). Les exemples cite´s dans ce passage ne sont pas repris dans l’ouvrage, en de´pit de la critique se´ve`re de la doctrine de Mably. Addition au chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 639).

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de´biteurs, et l’insuffisance des moı¨ens de comerce et d’industrie, empeˆchoit ces deux classes de se fondre ensemble. cela fesoit que chez les Anciens les Insurrections e´toient beaucoup plus since´res que parmi nous. or ce qui est vrai est beaucoup moins violent dans ce genre que ce qui est factice. une insurrection factice, inde´pendamment de la violence de l’insurrection, a encore la violence qui est ne´cessaire pour la produire : et de plus le calcul est beaucoup plus immoral que la nature. j’ai vu durant la re´volution des homes qui avoient organise´ des insurrections a` la main, proposer des massacres, pour donner, disoient-ils, un air national ou populaire a` l’insurrection. 37 Accord de Ferrand avec Mably et Rousseau. les loix religieuses et les loix politiques e´toient en Egypte dans un accord parfait avec les devoirs de la Socie´te´. toutes deux s’emparaient du citoyen au moment de sa naissance et concouroient a` former l’home pour la socie´te´. toutes deux le suivoient dans toutes les professions, dans toutes les actions de sa vie, pour rectifier ses volonte´s, pour re´primer ses passions. elles inspectoient, elles dirigeaient ses travaux et meˆme jusqu’a` ses plaisirs. l’Egyptien sembloit eˆtre toujours sous cette double garde : et cette geˆne sociale e´tait ce qui assurait sa liberte´. la loi assignait a` chacun son emploi qui se perpe´tuoit de pe´re en fils. cette re`gle otoit peut eˆtre a` l’Egypte quelques homes supe´rieurs, mais elle lui donoit, ce qui vaut beaucoup mieux, une continuite´ d’homes utiles. elle prescrivoit une marche uniforme a` ces esprits inquiets, qui auroient trouble l’e´tat, en ne prenant que leur imagination pour guide. Esp. de l’hist. I. 63. (choisir sa vocation et son genre d’industrie, c’est le propre d’un Esprit inquiet !) lisez les re´volutions de tous les Empires. ce fut toujours l’ouvrage de quelques homes qui voulurent monter plus haut que leur profession. (c’est a dire, ce fut souvent l’ouvrage de quelques homes qui sentoient que la socie´te´ leur imposait des entraves qu’elle n’avoit pas le droit de leur imposer. plus vous multipliez les entraves de ce genre, plus vous multipliez les motifs et par conse´quent les tentatives de re´volution) nos philosophes modernes ont re´pe´te´ sans cesse, que les meilleures loix sont celles qui laissent a` la volonte´ de l’homme une plus grande latitude. renvoyez les, ces fle´aux de l’humanite´ a` l’enfance du genre humain. (c’est la` en effet qu’il faut remonter pour croire qu’il soit utile ou le´gitime de geˆner la volonte´ de l’homme dans ce qui ne nuit pas a` autrui)

V: 11 Accord de Ferrand avec Mably et ] Accord de 〈Mably avec〉 Ferrand avec Mably et LA 21 beaucoup mieux, une continuite´ ] beaucoup mieux, 〈beau〉 une continuite´ LA 24 c’est le propre d’un Esprit inquiet ] c’est le propre d〈e〉’un ces deux dernie`res lettres re´crites sur le «e» 〈l’industrie〉 Esprit inquiet LA

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371 Dans son traite´ du gouvernement de Pologne, J. J. Rousseau fait ressortir, avec beaucoup de sagacite´ les obstacles qui se rencontrent a` l’introduction de mœurs et d’habitudes nouvelles, chez une nation, et meˆme le danger de se mettre en lutte contre ces mœurs et ces habitudes. Malheureusement on n’a pris de lui que ses principes absolus, son fanatisme spartiate, tout ce qu’il y avoit d’inapplicable et de tyrannique dans ses the´ories, et de la sorte ses partisans et ses admirateurs les plus enthousiastes ne s’attachant qu’a` ce qu’il avoit de de´fectueux ont acheve´ de le rendre de tous nos e´crivains le plus fertile en notions fausses, en principes vagues et le plus dangereux pour la liberte´.

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382 les Ephores a` Sparte, les censeurs a` Rome, pe´ne´traient dans les secrets domestiques de tous les citoyens, et leur infligeaient, e´quitablement, dit-on, des peines arbitraires. fo 133vo

39 combien impossible seroit dans nos etats modernes et vastes l’application de la loi de Solon contre l’oisivete´. 403 lorsque je vois la confiance aveugle que beaucoup de modernes ont accorde´e aux assertions des anciens sur la puissance des institutions, et surtout la se´rie de conse´quences qu’ils tirent d’un fait souvent rapporte´ comme un bruit vague, ou contenu sans explication dans une seule ligne, Je me rappelle ce voyageur qui, ayant vu un Prince d’arabie, de´coupant par de´sœuvrement un balon avec son couteau, en conclut que c’e´toit une institution fondamentale, et une institution tre´s sage de cet e´tat, que tout homme, y compris le prince, apprit un meˆtier. les anciens recevoient leurs institutions come ame´liorations ; nous 414 luttons contre les notres, come impose´es par la conqueˆte.

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425 Bentham a compris dans son code pe´nal les de´lits contre l’honneur et la re´paration de ces de´lits. il a porte´ dans ces recherches la pe´ne´tration qui le caracte´rise. mais son chapitre meˆme sur ce sujet est une preuve de l’impuissance de rien faire par les Loix dans ce qui est du domaine seul de l’opinion. Il veut que l’home qui seroit offense´ puisse obliger l’offenseur pre´tendu a` de´clarer qu’il n’a pas eu l’intention de lui marquer du me´pris. Mais la question est impossible a` adresser devant un tribunal, parce que la supposition seule est humiliante. la Re´ponse ne serait pas, come Bentham le suppose une simple de´ne´gation, meˆme dans le cas ou l’intention d’offenser 1 2 3 4 5

Le nume´ro 37 est employe´ en double par inadvertance. L’entre´e sera reprise en note, chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 633). Copie du texte no 541, N. Addition au chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 639). Addition au chap. 8, livre XVI (ci-dessus, p. 639). Devient une note du chap. 8, livre XVI (ci-dessus, pp. 636–637).

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n’auroit pas existe´ pre´ce´demment, parce que cette De´ne´gation pouvant eˆtre re´pute´e force´e, tout home d’honneur s’y refuseroit. enfin la re´paration, ordonne´e par la justice pourroit bien eˆtre honteuse pour le condamne´, mais ne seroit en rien honorable pour son adversaire. Il faut laisser l’opinion a` elle meˆme avec ses inconve´niens et ses avantages.

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[Additions au livre

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XVII.

XVII]

Ch. 1.

1.1 On a confondu, dit Montesquieu, XI. 3. le pouvoir du peuple avec la liberte´ du peuple. par une erreur du meˆme genre Bentham considere come un moyen indirect de gouvernement beaucoup de choses qui ne sont que l’absence de toute intervention de l’Autorite´. Il observe, p. ex. que la Diversite´ de l’Eglise protestante et de l’Eglise catholique a beaucoup contribue´ a` reformer les abus de la Papaute´ que la libre concurrence est le meilleur moyen de faire baisser soit le prix des marchandises soit l’interet. mais c’est une expression tout a fait abusive que d’appeler ces choses des moyens indirects de gouvernement. Bentham. III. 7. Livre

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Ch. 2.

22 la ne´cessite´ d’e´tudier les pays de l’Europe sous tous les rapports, et la possibilite´ de parvenir a` une profonde connoissance de leurs affaires, m’a toujours paru de´river d’un des plus grands maux qui affligent l’humanite´. en effet, si l’ambition et l’avidite´ de tous les gouvernemens les obligent seules a` s’informer soigneusement de leurs forces respectives, le motif qui les engage au moins en ge´ne´ral a` s’efforcer de connoˆitre jusques dans les de´tails les plus minutieux, ce qui concerne leurs propres domaines, n’est ni plus raisonnable ni d’une autre nature : et si pour e´viter de heurter trop vivement les hommes et les choses, j’admets qu’il est plusieurs administrateurs chez qui l’ardeur de tout surveiller dans leur pays, naˆit d’une source plus pure, du desir since`re de mieux remplir leurs Devoirs, aurai-je moins le droit d’en conclure que leur activite´ inquisitive est un grand mal qui tient a` cette autre maladie meurtrie`re de vouloir trop gouverner. quand les mode´rateurs des Empires seront dans les bons principes, ils n’auront que deux affaires : celle de maintenir la paix exte´rieure par un bon systeˆme de de`fense, et celle de conserver l’ordre inte´rieur par une administration exacte, 1

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Note du chap. 1, livre VII (ci-dessus, p. 643). Passe dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 714).

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impartiale, inflexible, de la justice. tout le reste sera laisse´ a` l’industrie particulie`re, dont l’irre´sistible influence, ope´rant une plus grande somme de jouı¨ssances pour chaque citoyen, produirait infailliblement une masse plus conside´rable de bonheur public. nul Souverain, nul Ministre, nul conseil ne peut conaˆitre les affaires d’un millier d’homes seulement, et chaque individu voit en ge´ne´ral tre´s bien les siennes propres. Mirabeau. Mon. pruss. Introd.

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31 Dans tout ce qui a rapport a` l’homme il faut distinguer deux choses, le but et les moyens. dans les associations humaines, le bonheur est le but, la garantie est le moyen. La garantie n’est donc pas un bien par elle meˆme. elle a au contraire des inconve´niens ; mais comme elle est le moyen ne´cessaire d’arriver au but, il faut se re´signer a` ses inconve´niens. dans les affaires prive´es, ou les formalite´s qu’on observe entrainent des fraix, des lenteurs, des discussions, dans les affaires publiques ou les autorisations accorde´es au gouvernement restreignent la liberte´ individuelle, il serait assure´ment plus comode de s’en rapporter a´ la bonne foi et a` la sagesse de chacun. mais il faut une garantie, parce que l’inconve´nient qui re´sulterait de la perversite´ d’un petit nombre seroit plus grand pour tous que celui qui re´sulte des formalite´s prescrites et des restrictions consenties. la garantie, quoiqu’elle ne soit pas par elle meˆme un Bien absolu est donc un bien relatif, puis qu’elle vaut mieux que le mal qu’elle empeˆchoi deux conse´quences resultent de ceci. 1o˙ la garantie devant eˆtre comple`te et assure´e, il faut faire, pour la rendre telle, tous les sacrifices indispensables, mais il ne faut pas aller au dela`, car si c’est raison de supporter des inconve´niens ne´cessaires, c’est folie d’y joindre du superflu. 2o˙ tout systeˆme dans lequel les inconve´niens de la garantie depassent le ne´cessaire est essentiellement vicieux. appliquons ces principes a` l’institution politique. nous la reconnoissons pour ne´cessaire. Il faut donc lui accorder tout ce qu’il lui faut pour eˆtre assure´e, tout ce qu’il lui faut, disons nous, mais rien de ce qu’il ne lui faut pas, et de ce que reclament ou envahissent sous divers pre´textes, les de´positaires des divers pouvoirs, de´le´gue´s ambitieux qui ne croyent jamais leurs attributions suffisantes en intensite´ ni en e´tendue. en conse´quence, bien que toute volonte´ nationale en sa qualite´ collective, soit ne´cessairement fautive et de´nature´e, come toutes les fois que la socie´te´ doit agir, il faut une volonte´ sociale qui produise un pouvoir social, cre´ons cette volonte´, en prenant tous les moyens de la rendre la moins fautive qu’il est possible, mais en meˆme tems ne multiplions pas inutilement les occasions ou elle doit agir, et ne lui V: 36 la rendre ] la 〈fai〉 rendre LA 1

Partiellement dans une note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 649).

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permettons jamais, sans une ne´cessite´ absolue, de peser sur les volonte´s individuelles. 41 si l’on supprime les reglemens, disait au milieu du sie´cle dernier un apologiste des prohibitions, les souverains ne sont plus que des grands, que quelqu’e´clat distingue, mais que nulle utilite´ n’accompagne. j’entends : les Re´glemens ne sont pas faits pour l’avantage des gouverne´s, mais pour que les gouvernans ne paraissent pas inutiles. Livre

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Ch. 3.

52 Il n’est pas vrai que le despotisme pre´serve de l’anarchie. nous le croyons, parce que, depuis longtems, nous n’avons pas vu, en Europe, de Despotisme complet. mais tournons nos regards vers le bas Empire : nous trouverons les soldats se soulevant sans cesse, les ge´ne´raux se de´clarant Empereurs, et dix neuf pre´tendans a` la couronne, levant simultane´ment l’e´tendart de la Re´volte : et sans remonter a` l’histoire ancienne, quel spectacle nous offrent les provinces soumises au grand Seigneur ? 63 Lorsqu’une re´volution violente renverse un gouvernement despotique, les homes mode´re´s et amis du repos jugent le despotisme plus favorablement que jamais. 1o˙ parce que les maux pre´sens font oublier les maux passe´s. 2o˙ parce que dans un e´tat consolide´ les re´volutions sont quelquefois cause´es par la faiblesse du gouvernement, et que cette faiblesse, bien que funeste dans ses conse´quences, donne ne´anmoins aux gouverne´s des jouı¨ssances momentane´es qu’ils regardent ensuite come des avantages inhe´rens au pouvoir absolu, tandis qu’elles ne sont que des effets de son affaiblissement et des acheminemens a` sa destruction. 74 La souveraine justice de Dieu, dit Ferrand, tient a` sa souveraine puissance. Espr. de l’hist. I. 445. d’ou il conclud que la souveraine puissance, entre les mains d’un homme, doit eˆtre la souveraine justice. mais il auroit du prouver que cet home seroit un Dieu. fo138vo

85 l’inte´reˆt d’un Despote n’est nullement le meˆme que celui de ses sujets. un seul homme, reveˆtu d’un pouvoir despotique, n’a de moyens de gou1 2 3 4 5

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Passe dans les «Secondes additions e´parses» (ci-dessus, p. 714). Le meˆme texte se retrouve ci-dessous, p. suivante, sous le nume´ro 11. Additions au chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 658). Additions au chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 658). Le meˆme texte, avec la date de copie (23 octobre 1810) se retrouve dans le ms. Co 3492 (N), sous le nume´ro 574. Il devient une note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 652). Le meˆme texte se retrouve ci-dessous, p. 849, sous le nume´ro 14. Note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 652).

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verner a` sa fantaisie que d’abrutir tous ceux qu’il gouverne. aussi longtems que tous ne sont pas re´duits au rang de simples machines, le possesseur du pouvoir est menace´. les Instrumens raisonent. les agens ont des scrupules. Ceux qui n’en ont pas en feignent pour se faire acheter plus che´rement. de plus on ne peut pas acheter tout le monde. le Despote n’est riche que de ce qu’il prend a` ses sujets. or ceux qu’il ache´te veulent qu’ils leur donnent plus qu’ils n’avoient. Il faut donc que, pour enrichir quelques uns, il en de´pouille d’autres, soit directement, en prenant leurs Biens, soit indirectement en les chargeant d’Impots. Il re´sulte de la`, qu’a´ moins que tous ne soient abrutis, Il y a toujours sous le Despotisme deux classes qui ne sont pas de´voue´es au gouvernement, celle qui est de´pouille´e de tout, elle est me´contente, et celle qui, sans eˆtre de´pouille´e, n’est pas enrichie. elle conserve quelque inde´pendance, et l’inde´pendance est aussi facheuse pour le Despotisme que le me´contentement. pourvu que le peuple soit heureux, dit-on quelquefois, Il importe peu 91 qu’il soit libre. pour de´meˆler la verite´ ou la faussete´ d’une proposition, le meilleur moyen c’est de la traduire. qu’est-ce que la liberte´, sinon la faculte´ d’eˆtre heureux, sans qu’aucune puissance humaine puisse arbitrairement troubler notre bonheur. la liberte´ est la baze de tout bonheur social. elle ne fait pas partie des jouı¨ssances individuelles que la nature a done´es a` l’home mais elle les garantit. la de´clarer inutile, c’est de´clarer superflus les fondemens d’e´difice, sous pre´texte que les habitans n’ont besoin que des appartemens qu’ils occupent. Livre

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XVII.

113 Il n’est pas vrai que le Despotisme pre´serve de l’anarchie. nous le croyons, parce que depuis longtems nous n’avons pas en Europe, vu de V: 21–22 les fondemens d’e´difice, sous pre´texte ] les fondemens d’〈un〉 e´difice LA

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Ch. 3.

102 en disant que l’interet des gouvernans est toujours conforme a` l’interet des gouverne´s, on prend l’interet du gouvernement abstraitement. on comet relativement au gouvernement l’erreur que Rousseau comettoit relativement a` la socie´te´. ce qui est joint au Despotisme n’a plus de force. Montesquieu. E. d. L. IX. 21.

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Morceau qui se retrouve dans le texte principal du chap. 3 de ce livre. Preuve que cette fiche provient des papiers pre´paratoires de l’ouvrage. Revient partiellement dans le texte principal du chap. 3, livre XVII. Voir la note pre´ce´dente. Meˆme texte que ci-dessus, no 5. Addition au chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 845).

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Despotisme complet. mais tournons nos regards vers le bas Empire ; nous trouverons les le´gions se soulevant sans cesse, les ge´ne´raux se de´clarant Empereurs, et 19 pretendans a` la couronne levant simultane´ment l’e`tendart de la re´volte : et sans remonter a´ l’histoire ancienne, quel spectacle nous offrent les provinces soumises au grand seigneur ?

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12.1 les gouvernans, dit-on, n’ont rien a gagner au malheur des gouverne`s. pour les gouvernans supreˆmes, cette assertion est souvent fonde´e. Il est difficile de concevoir coment le monarque, se´pare´ de ses sujets par une distance immense, peut gagner quelque chose pour son bonheur ou meˆme pour son caprice a` les rendre malheureux. mais le gouvernement ne se compose pas uniquement des hommes a` la teˆte de l’Etat. le pouvoir se subdivise, se partage entre des milliers, entre des millions de subalternes ; alors il n’est pas vrai que ces inombrables gouvernans n’ayent rien a` gagner au malheur des gouverne´s, chacun d’eux au contraire a tout pre`s de lui quelqu’un de ses e´gaux ou de ses infe´rieurs, dont les pertes l’enrichiroient, dont le champ ame´lioreroit sa fortune, dont l’humiliation flatteroit sa vanite´, dont l’e´loignement le de´livreroit, d’un concurrent, d’un ennemi, d’un surveillant incommode. s’il est vrai, sous quelques rapports, que l’interet du gouvernement, pris a` la sommite´ de l’e´difice social, est toujours d’accord avec l’interet du peuple, il n’est pas moins incontestable que l’interet des gouvernans subalternes peut souvent lui eˆtre tout oppose´.

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le passage suivant est curieux a` relire dans les Memoires de Louis quand on le rapproche de ce qui est arrive´ 74 ans apre`s sa mort a` son arrie´re petit fils. apre´s avoir peint ce qu’il nome la mise´re des Rois qui ne sont pas absolus, il continue ainsi. mais c’est trop longtems m’arreˆter sur une re´flexion qui semble vous eˆtre inutile, ou qui ne peut au plus vous servir qu’a` reconaˆitre la mise´re de nos voisins, puisqu’il est constant que dans l’e´tat ou vous devez re´gner apre´s moi vous ne trouverez point d’autorite´ qui ne se fasse honeur de tenir de vous son origine et son caracte`re, point de corps de qui les suffrages s’osent e´carter des termes du respect, point de compagnie qui ne se voye oblige´e de mettre sa principale grandeur dans le Bien de votre service, et son unique surete´ dans son humble soumission. I. 60–63. XIV

l’interet d’un despote n’est nullement le meˆme que celui de ses 143 sujets. un seul home reveˆtu d’un pouvoir despotique n’a de moyens de gouverner a` sa fantaisie que d’abrutir tous ceux qu’il gouverne. aussi long1 2 3

Revient dans le texte principal du chap. 3 de ce livre XVII (ci-dessus, p. 650). Devient, avec les notes 18 et 24, une note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, pp. 655–656). Meˆme texte que ci-dessus, no 8. Note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 847).

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tems que tous ne sont pas re´duits a` la qualite´ de machines, le possesseur du pouvoir est menace´ de rencontrer quelque re´sistance. les instrumens raisonnent, les agens ont des scrupules. ceux qui n’en ont pas en feignent, pour se faire acheter plus che´rement. de plus, on ne peut pas acheter tout le monde. le Despote n’est riche que de ce qu’il prend a` ses sujets. ceux qu’il ache´te veulent qu’il leur donne plus qu’ils n’avoient. il faut donc que, pour enrichir quelques uns il en de´pouille d’autres, soit directement, en prenant leurs biens, soit indirectement en les chargeant d’impots. Il re´sulte dela`, qu’a` moins que tous ne soı¨ent abrutis, il y a toujours sous le despotisme deux classes qui ne sont pas de´voue´es au gouvernement, celle qui, e´tant de´pouille´e de tout, est me´contente, et celle qui, sans eˆtre depouille´e de tout n’e´tant pas enrichie, conserve quelqu’inde´pendance : or l’inde´pendance est aussi facheuse pour le despotisme que le me´contentement. Si nous voulions, dit Louis XIV, Me´m. I. 271. nous priver de toutes 151 les choses aussitot qu’il nous en peut arriver du mal, nous serions bientot de´pouille´s non seulement de tout ce qui fait notre grandeur et notre commodite´, mais encore de ce qui est le plus ne´cessaire a` notre subsistance. les alimens que la nature choisit pour la nourriture de l’homme servent quelquefois a` l’e´touffer. les reme`des les plus salutaires nuisent infiniment quand ils sont mal me´nage´s. les loix les plus prudentes font naˆitre souvent de nouveaux abus, et la religion qui ne devroit etre que l’objet de nos plus profonds respects, est elle meˆme sujette a` souffrir les plus terribles profanations du monde, et cependant il n’est personne qui osaˆt conclure pour cela qu’il fut avantageux d’etre prive´ des viandes, des reme`des, des loix et de la religion. ces raisonnemens s’appliquent a` la liberte´ avec autant de force qu’a` toutes ces choses.

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Si la me´chancete´ des hommes est un argument contre la liberte´ 162 individuelle, elle en est un plus fort encore contre le Despotisme. car le Despotisme n’est autre chose que la liberte´ de quelques uns contre tous. voulez vous juger le Despotisme pour les diffe´rentes classes. pour 173 les homes e´claire´s, pensez a` la mort de Trase´as, de Se´ne´que, pour le peuple, a` l’incendie de Rome, a` la De´vastation des Provinces, pour les Empereurs eux meˆmes, a` la mort de Ne´ron, a` celle de Vitellius. combien la monarchie absolue est difficile a` maintenir dans un grand 184 e´tat. Clovis e´tablit une monarchie absolue. elle se divise et se morce´le sous 1 2 3 4

Additions au chap. 4 de ce livre XVII (ci-dessus, p. 661). Addition au chap. 3 de ce livre XVII (ci-dessus, p. 658). Note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, pp. 656–657). (Voir ci-dessus, p. 849, n. 2).

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ses successeurs. les seigneurs devienent Souverains, et la race de Clovis finit par eˆtre de´pouille´e de l’autorite´ Royale devenue presque nulle. Charlemagne la re´tablit. elle disparait de nouveau sous Louis le de´bonnaire, et le systeˆme fe´odal, l’un des plus oppose´s a` la monarchie, telle que nous la concevons s’ele`ve sur ses ruines. une nouvelle revolution place Hugues Capet sur le throne. mais l’autorite´ Royale ne se rele´ve pas. elle ne s’e´tablit positivement que sous Louis 13 et 150 ans apre`s la monarchie est renverse´e. Livre

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XVII.

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Ch. 3

191 en entourant le souverain de la ne´cessite´ d’etre juste, il imposera au sujet l’obligation d’etre soumis. Ferrand. I. 146. qu’est ce que cela veut dire, hors des principes de la liberte´ politique, que cette ne´cessite´ pour le souverain d’etre juste ? 202 addition p. 73. un re´gne brillant, pendant lequel la france s’e´puise en guerres continuelles, vers la fin duquel 3 millions de francais sont perse´cute´s, bannis, traite´s avec la barbarie la plus re´voltante, et apre`s ce re´gne, un long re´gne ou se de´veloppe la corruption la plus excessive, ou la france perd la conside´ration au dehors, ou les finances tombent dans un de´sordre irre´parable, ou tous les e´le´mens de trouble, de me´contentement, de bouleversement s’accumulent au point que le Prince le mieux intentionne´ n’y peut porter reme´de, puis la plus sanglante des revolutions. beau resultat en verite´ des cruaute´s de Louis XIV3 et de Richelieu !

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214 dans l’e´tat actuel de la civilisation, et dans le systeme commercial sous lequel nous vivons, tout pouvoir public doit eˆtre limite´, et nul pouvoir absolu ne peut subsister. Ganilh. I. p. 419. fo 141vo

un homme peut faire de bonnes Trage´dies sans connoˆitre les re`gles 225 de l’art dramatique. mais si ses trage´dies sont bonnes, c’est qu’il aura observe´ les re`gles sans les connoˆitre. de meˆme un Prince peut rendre son peuple heureux, quoiqu’il n’y ait pas de garanties politiques dans la Constitution de l’Etat ; mais si ce prince rend son peuple heureux, c’est qu’il se V: 15 ce re`gne ] ce 〈long〉 re`gne LA 1 2 3 4 5

21 Louis XIV ] le ms. porte Louis XI LA Louis XI PA

Note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 650). Note du chap. 3, livre XVII (ci-dessus, p. 655). Bien que les deux mss (LA et PA) portent «Louis XI» nous croyons qu’il faut lire «Louis XIV» d’apre`s les faits qui sont re´sume´s dans cette note. Note du chap. 7, livre XVI (ci-dessus, p. 626). Addition au chap. 3 de ce livre XVII (ci-dessus, p. 658).

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conduit come s’il y avoit dans la Constitution de l’Etat des garanties politiques. Ces exemples ne prouvent l’inutilite´ ni des re´gles de l’art ni des garanties politiques. Ils prouvent qu’on peut agir quelquefois par instinct conforme´ment a´ ces re´gles et a` ces garanties. Mais de cela meˆme qu’en agissant ainsi, on fait bien, il re´sulte qu’il vaudrait mieux que ces choses fussent conues et e´tablies d’avance. la liberte´ politique est un art come tous les autres. Or un art, come dit tre´s bien Laharpe, cours de Litt. II. 252. n’est que le re´sultat de la raison et de l’expe´rience re´duite en me´thode. le But de cet art est d’epargner a` ceux qui nous suivent, tout le chemin qu’ont fait ceux qui nous ont pre´ce´de´, et qu’il faudrait recomencer si on n’avoit des guides.

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XVII.

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ch. 3.

231 les gouvernans ont toutes les tentations des hommes prive´s, et de plus le pouvoir.

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XVII.

Ch. 4.

24.2 cet assujettissement, dit Louis XIV, Me´m. I. 60, qui met le souverain dans la ne´cessite´ de prendre la loi de ses peuples, est la dernie`re calamite´ ou puisse tomber une personne de notre rang.

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Addition au chap. 3 de ce livre (ci-dessus, p. 658, lignes 22–24). (Voir ci-dessus, p. 849, n. 2).

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[Addition au livre

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XVIII.

XVIII]

Ch. 1

1.1 Les gouvernemens qui prennent leur origine dans la volonte´ nationale, ou dans ce qu’ils nomment ainsi, se trouvent relativement a´ la re´sistance dans une situation embarassante ; s’ils de´clarent que la re´sistance est toujours un crime, ils reconaissent avoir participe´ a` ce crime et avoir he´rite´ de ses resultats. s’ils avouent la le´gitimite´ de la re´sistance, ils l’autorisent contre leurs propres actes, de`s qu’ils sont injustes et ille´gaux. l’art des gouvernemens qui oppriment les citoyens c’est de les tenir 2.2 e´loigne´s les uns des autres, et de rendre les communications difficiles et les re´unions dangereuses. alors l’oppression de la majorite´ ne peut jamais eˆtre constate´e. Livre

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XVIII.

la plupart des mauvaises Loix ne sont faites que pour un but qui exige 44 un effet re´troactif. presque toutes les loix que les passions et les partis font seroient nulles si elles n’e´toient pas re´troactives. 55 Loi de Solon. il sera permis a` chaque Citoyen d’arracher la vie, non seulement a´ un tyran et a` ses complices, mais encore au magistrat qui continuera ses fonctions apre`s la destruction de la De´mocracie. Andocid. de Myst. Voy. d’Anach. Introd. p. 120. bonne loi contre les Instrumens. V: 16 acceptent que pour faire le plus de bien ] acceptent que pour faire 〈tout〉 le plus ces deux derniers mots e´crits dans l’int. sup. de bien LA

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Ch. 2.

33 les hommes qui veulent, par ambition ou par avarice se faire les exe´cuteurs de mauvaises loix, disent quen acceptant le pouvoir, ils ne l’acceptent que pour faire le plus de bien possible. cela veut dire qu’ils sont preˆts a` faire tout le mal qui leur sera commande´.

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Addition au chap. 1, livre XVIII (ci-dessus, p. 666). Addition au chap. 3, livre XVIII (ci-dessus, p. 681). Note du chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 676). Note du chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 673). Addition au chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 677).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

61 des loix pareilles a´ celles qui vouloient forcer les francais a` laisser pe´rir de mise`re et de faim, dans des climats e´loigne´s, leurs pe´res et leurs enfans, se´pare´s de leur pays, par des opinions politiques, soulevoient contr’elles tous les sentimens honneˆtes et ge´ne´reux. ces loix impies sont toujours e´lude´es pendant leur dure´e, et repousse´es avec horreur, au premier instant de calme et de liberte´. lorsqu’on trouve, dit Bentham, I. 6. dans le catalogue des de´lits, 72 quelque action indiffe´rente, quelque plaisir innocent, on ne doit pas balancer a` transporter ce pre´tendu de´lit dans la classe des actes le´gitimes, a` accorder sa pitie´ aux pre´tendus criminels, et a` re´server son indignation pour les pre´tendus vertueux qui les perse´cutent. fo 145vo

Si la loi n’est pas ce qu’elle doit eˆtre, faut-il lui obe´ir, faut-il la 83 violer ? faut-il rester neutre, entre la loi qui ordone le mal et la morale qui le de´fend. il faut examiner si les maux probables de l’obe´issance sont moindres que les maux probables de la de´sobe´issance. Benth. princ. de Le´g. ch. 12. jugement individuel qu’il conteste ailleurs. 94 quel avantage voit-on, dit Bentham, a` laisser chez un peuple de grands de´lits sans aucune peine, a` infliger de grandes peines a` des de´lits imaginaires, &ca˙ III. 184. donc il y a des de´lits imaginaires, c’est a` dire des de´lits qui ne sont pas des de´lits : donc la loi ne cre´e pas les de´lits : car si la loi cre´oit les de´lits, on ne pourroit donner le nom d’imaginaire a` aucun de`lit.

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105 dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou de´fendent les loix positives, c’est dire qu’avant qu’on eut trace´ de cercle, tous les rayons n’e´toient pas e´gaux. E. d. L. Liv. I. ch. 1. 116 ceux qui pre´tendent que c’est la loi seule qui cre´e les de´lits, tombent dans un cercle vicieux sur cette question : pourquoi est-ce un de´lit que de de´sobe´ir a` la loi ? V: 9 a` transporter ce pre´tendu de´lit ] a` transporter 〈le〉 ce pre´tendu de´lit LA 1 2 3 4

5 6

Note du chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 675). Note du chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 673). Passe dans le chap. 2 du livre XVIII, p. 673. Le renvoi est inexact. BC ne cite pas Bentham, mais re´sume, en utilisant partiellement des tournures du texte de cet auteur, des the`ses expose´es dans la troisie`me partie des Principes du Code pe´nal. Il y est question de «de´lits de mal imaginaire» (Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, t. II, p. 380) ou dans un chapitre qui parle des «proportions entre les peines et les de´lits» de l’abus qui consisite a` «appliquer des grands supplices a` de petits de´lits» (ibid., p. 388). Le sujet est traite´ dans le chap. 2 du livre XVIII (ci-dessus, p. 670). Addition au chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 677). Note du chap. 2, livre XVIII (ci-dessus, p. 670).

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XVIII.

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Ch. 3.

121 Lorsque des Gouvernemens arbitraires oppriment les citoyens, les amis de la liberte´ confondent quelquefois le droit de re´sistance avec le droit d’ope´rer une Re´volution. il y a ne´anmoins une grande diffe´rence, et cette diffe´rence est importante. la re´sistance proprement dite, tend simplement a` repousser l’opression, tandis que les Re´volutions ont pour but d’organiser le gouvernement sous des formes nouvelles. ce sont deux choses absolument distinctes. Re´sister est un droit positif, individuel, imprescriptible, qui n’est subordonne´ qu’aux conside´rations re´sultant de l’utilite´, de la chance du succe´s, du danger de la secousse, et de la comparaison du mal qu’elle peut entrainer avec le mal qu’on veut pre´venir. mais faire une re´volution n’est jamais un droit, c’est un pouvoir dont on est accidentellement reveˆtu. Les maux des re´volutions ne prouvent rien contre la le´gitimite´ de la re´sistance : la le´gitimite´ de la Re´sistance ne prouve rien en faveur des re´volutions. seulement, la re´sistance ayant souvent pour effet d’amener des re´volutions, ce danger doit faire partie du calcul des opprime´s, et les engager, soit a` supporter le mal qu’ils e´prouvent, soit a` faire ce qu’ils peuvent pour que la re´sistance qu’ils opposent n’entraine pas des secousses trop violentes et de funestes bouleversemens. Les Re´volutions et la re´sistance, distinctes par leur nature, sont soumises a` des re´gles absolument dissemblables. un home isole´, une minorite´ a le droit de re´sister. toutes les fois que des individus sont opprime´s, Il est indiffe´rent qu’ils soient en majorite´ ou en minorite´ dans l’association. la garantie est viole´e a´ leur e`gard. si l’on rejettoit cette opinion comme de´sorganisatrice, on tomberait dans tous les inconve´niens de donner a` la majorite´ une puissance illimite´e. car si la tole´rance de la majorite´ peut le´gitimer l’oppression de la minorite´, a` plus forte raison la volonte´ positive de cette majorite´ le pourrait-elle. d’ailleurs, ne permettre la re´sistance que lorsque la majorite´ de l’association est opprime´e, seroit, inde´pendamment de l’injustice de ce systeˆme, interdire de fait la re`sistance dans tous les cas. l’art des gouvernemens opresseurs est de tenir les citoyens e´loigne´s les uns des autres. Ils rendent les communications difficiles, les re´unions dangereuses. l’oppression de la majorite´ ne peut jamais eˆtre constate´e. enfin, la nature de la garantie est telle qu’elle ne peut eˆtre viole´e pour un seul, sans eˆtre ane´antie pour tous. en fait d’arbitraire, une seule V: 24 on tomberait dans tous les inconve´niens de donner ] on tomberait dans tous les in〈conve´niens que j’ai releve´s〉 de donner LA nous re´tablissons les trois dernie`res syllabes du mot «inconve´niens» que BC a biffe´es a` tort LA 1

Addition au chap. 3, livre

XVIII

(ci-dessus, pp. 681–682).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

victime repre´sente le corps social. Je ne parle ici que du droit. quand il s’agit de l’exe´cution, il est clair qu’il faut faire entrer en ligne de compte les circonstances. l’exercice de nos pre´rogatives les plus e´videntes doit eˆtre subordonne´ aux calculs de l’utilite´. le recours inconside´re´ a la force, fut-il dirige´ contre l’usurpation la plus scandaleuse, est funeste et doit par conse´quent eˆtre condamne`. l’home qui, menace´ d’une arrestation arbitraire, soule´verait son village, seroit coupable, non de sa re´sistance, mais de son entreprise insense´e et des maux qu’elle pourroit entrainer. mais si une minorite´, ou meˆme un seul homme, a le droit de re`sister, jamais une minorite´ quelconque n’a le droit de faire une revolution. de l’absence de cette distinction est resulte´e une grande confusion dans les ide´es. lorsqu’aujourdhui quelque malheureux perse´cute´ se sert des moyens qui lui restent pour se lancer contre l’arbitraire, ou pour s’y de´rober, on ne voit pas en lui un homme attaque´ qui se de`fend, mais un ambitieux qui veut bouleverser sa patrie : et l’on considere les opprime´s qui invoquent le secours des loix comme des factieux qui les enfreignent. Comme il arrive commune´ment, les deux partis extreˆmes se sont empare´s de cette confusion pour en profiter. Les gouvernemens n’ont pas mieux demande´ que de repre´senter comme des usurpateurs futurs ceux qui re´sistoient a` l’usurpation pre´sente : et les aspirans a` la tyrannie se sont empresse´s de s’intituler victimes pour le´gitimer leurs soule`vemens. la re´sistance est le´gitime, toutes les fois qu’elle est fonde´e sur la justice, parce que la justice est la meˆme pour tous, pour un que pour trente millions. mais une re´volution n’est le´gitime, de meˆme qu’elle n’est utile que lorsqu’elle est conforme au sentiment universel. car des institutions nouvelles ne peuvent eˆtre salutaires, ne peuvent eˆtre stables, ne peuvent eˆtre libres, en un mot, que lorsqu’elles sont voulues par l’association chez laquelle on les introduit. 131 heureux le pays ou les pouvoirs sont tellement combine´s que l’on puisse re´sister a` la partie du gouvernement qui opprime, sans pour cela re´sister a` l’ensemble du gouvernement ! 142 Rien n’est plus bizarre que la manie´re dont on a perverti les plus fameux exemples de l’antiquite´. l’on nous parle sans cesse de Manlius, de Brutus l’ancien, de la me`re de Pausanias. mais Pausanias, mais les deux fils de Brutus, mais le fils de Manlius e´toient coupables, et c’est la justice de V: 13 pour se lancer contre l’arbitraire ] pour se lancer contre contre ce dernier mot re´pe´te´ deux fois de suite par inadvertance l’arbitraire LA 1 2

Repris dans les additions du chap. 3 (ci-dessus, p. 682, lignes 32–34). Texte non utilise´.

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leur chatiment qui rend sublime dans leurs juges le silence impose´ aux affections paternelles. leurs imitateurs ont mise´rablement parodie´ cet he´roisme. parce que ces anciens avoient condamne´ leurs enfans criminels, leurs copistes modernes ont fait pe´rir leurs ennemis innocens.

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151 Les re´volutions cre´ent non seulement des mots nouveaux, mais des pre´tentions nouvelles. les uns et les autres se ressentent de leur origine, du besoin de supposer ce qui n’est pas pour le´gitimer ce qu’on veut entreprendre, et de donner un de´menti a` l’evidence, en affirmant toujours que ce qui saute aux yeux n’est qu’une apparence trompeuse. l’on dirait, a` entendre les chefs des Re´volutions, que la malveillance est un magicien qui e´voque des Spectres, ote aux choses leur figure naturelle, et cre´e autour de nous un monde qui n’est pas le monde re´el. Tant ces politiques ont besoin de repousser le sentiment de ce qui est pour se de´guiser et surtout pour de´guiser au peuple les effets de leur ineptie et de leur violence. c’est ainsi qu’ils disent toujours qu’il faut recre´er l’esprit public. mais l’esprit public est le fruit du tems. il se forme d’une longue suite d’ide´es acquises, de sensations e´prouve´es, de modifications successives, qui sont inde´pendantes des hommes, et se transmettent et se modifient encore d’une ge´ne´ration a` l’autre. l’esprit public de 1789 e´toit le re´sultat, non seulement des e´crits du 18e sie`cle, mais de ce que nos pe`res avoient souffert, sous Louis XIV, sous Louis XIII, sous Henri IV. l’esprit public est l’he´ritage des expe´riences de la nation, qui y ajoute des expe´riences de chaque jour. Dire qu’il faut recre´er l’esprit public, c’est dire qu’il faut prendre la place du tems, et cette usurpation du moins est impossible aux usurpateurs. Les assemble´es, les Clubs ont singulie´rement cette pre´tention, voulant supple´er en superficie a` ce qui leur manque en profondeur. Ils se mettent a´ la place du peuple, pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas : ils se chargent de la demande et de la re´ponse, et de l’e´loge encore que me´rite a` leurs yeux leur propre opinion. il y a toujours un esprit public, c’est a` dire une volonte´ publique. les homes ne peuvent jamais eˆtre indiffe´rens a` leur propre sort, se de´sinte´resser de leurs destine´es. mais lorsque les gouvernemens agissent en sens inverse du vœu du peuple, le peuple se lasse de l’exprimer, et come on ne peut pas, meˆme par la terreur, V: 2 affections paternelles. leurs imitateurs ont mise´rablement ] affections paternelles. 〈De nos jours〉 leurs imitateurs ont 〈fait de la〉 mise´rablement LA 21 est l’he´ritage des expe´riences de la nation ] est l’he´ritage 〈de〉 ce dernier mot au pluriel des 〈la nation qui exp〉 expe´riences de la nation LA 26 Ils se mettent ... pour lui ... ne dit pas : ils ] le ms. porte elles se mettent .... pour leur ... ne dit pas : elles inadvertance e´vidente que nous corrigeons d’apre`s PA LA 30 a` leur propre sort, se de´sinte´resser de ] a` leur propre sort, 〈c’est〉 se de´sinte´resser de LA 1

Partiellement repris dans une note du chap. 4 de ce livre (ci-dessus, pp. 687–688).

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forcer toute une nation a` mentir a` la conscience, on dit que l’esprit public sommeille, tout en se tenant preˆt a´ l’e´touffer, pour peu qu’il laissaˆt soupconner qu’il est e´veille´.

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161 rien ne parait plus surprenant a` ceux qui conside`rent les affaires humaines avec un œuil philosophique, que la facilite´ avec laquelle le grand nombre est gouverne´ par le petit, et la soumission implicite avec laquelle les homes soumettent leurs sentimens et leurs passions a` celles de leurs chefs. mais quand nous recherchons par quels moyens ce miracle s’effectue, nous trouvons que come la force est toujours du cote´ des gouverne´s, les gouvernans n’ont jamais d’autre appui que l’opinion. c’est donc sur l’opinion seule que tout gouvernement repose, et cette maxime s’e´tend aux plus despotiques et aux plus militaires, come aux plus populaires et aux plus libres. les soudans de l’Egypte, ou les empereurs de Rome, pouvoient bien chasser devant eux leurs sujets de´sarme´s come des beˆtes brutes : mais quant a` leurs pre`toriens ou leurs mamelouks, Il falloit qu’ils agissent sur leurs opinions ou leurs interets. Hume Essay IV. p. 27. l’opinion est de deux espe`ces, opinion d’interet, opinion de justice. l’opinion de justice a toujours eu beaucoup plus d’influence que l’interet. cela peut se prouver facilement, par l’attachement qu’ont toutes les nations a` leurs anciens gouvernemens, et meˆme aux homes qui ont rec¸u la sanction de l’antiquite´. quelque jugement de´favorable que nous portions sur l’espe´ce humaine, elle a toujours prodigue´ son sang et ses biens, pour ce qu’elle croyoit le maintien de la justice publique. Il n’y a sans doute pas d’assertion qui au premier coup d’œuil paraisse plus dementie par les faits. les homes, entre´s dans une faction, violent sans honte et sans remord, tous les liens de la morale et de la justice pour servir cette faction : et cependant, lorsqu’une faction est fondee on s’appuye sur des principes de droit, c’est alors que les homes montrent la plus grand[e] obstination, et le plus grand devouement a` ces principes. ibid. 172 maxime de quelques hommes. une re´volution est une ville prise d’assaut, ou les foux tuent et les sages pillent.

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183 Serment des habitans d’une des Philippines : cela est vrai, comme il l’est qu’un homme n’en tue jamais un autre. V: 15 mais quant a` leurs pre´toriens ou leurs ] mais quant a` leurs pre´toriens 〈et〉 ou leurs LA 28 grande obstination ] le ms. porte grand 〈op〉 obstination LA 1 2 3

Note du chap. 3, livre XVIII (ci-dessus, pp. 679–680). Addition au chap. 6, livre XVIII (ci-dessus, p. 707). Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700).

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191 les lumie`res font apercevoir aux homes une route en avant des institutions qui existent. mais la comotion que les revolutions causent fait outrepasser l’espace e´claire´ par les lumie`res. 202 Le moyen le plus sur pour un gouvernement de se concilier l’opinion publique, c’est de la laisser libre. Ce n’est jamais que la tyrannie qui alie`ne l’opinion du grand nombre : car le grand nombre n’a rien a` gagner a` eˆtre oppose´ au gouvernement. moins il y aura de tyrannie, moins l’opinion courra le risque d’eˆtre alie´ne´e. premie`re devise des Provinces unies apre`s leur insurrection. un 20 B. 3 vaisseau sans mats et sans voiles, au milieu des flots avec ces mots, incertum quo fata ferant.

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214 Les Re´volutionnaires Francois ont voulu, come Me´de´e rajeunir le vieillard dans un bain de sang, et le vieillard est sorti du bain come cela devoit eˆtre, cent fois plus vieux qu’auparavant.

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225 Une re´volution interrompt et suspend toute recherche, toute spe´culation, tous ces travaux patiens de l’esprit, auxquels l’esprit humain doit tous ses progre`s. de pareils travaux demandent la se´curite´ ; Ils ont besoin de l’avenir. comment s’y livrer, lorsque rien ne garantit au philosophe paisible un jour de vie, une heure de tranquillite´ ; les lumie´res exigent l’impartialite´, le de´sinte´ressement. coment rester impartial, au milieu de toutes les pas sions souleve´es, de´sinte´resse´, quand tous les interets sont compromis ? 236 Contre quels abus les Re´volutions sont elles dirige´es ? contre l’asservissement de l’opinion. mais les opinions ne sont-elles pas mille fois plus asservies pendant une Re´volution et longtems apre´s ? n’attribue-t-on pas a` chaque mot, a´ chaque geste, a` chaque e´panchement de l’amitie´, a` chaque cri du malheur une influence redoutable ? y a-t-il jamais eu une revolution ou la discussion de l’opinion triomphante ait e´te´ permise ? Vous vous plaignez des tentatives de l’autorite´ pour dominer la pense´e : et la domination de la pense´e n’est-elle pas le caracte´re distinctif des re´volutions ? Vous vous proposez de rendre les homes libres, et la me´thode que vous adoptez, c’est d’influer sur eux par la crainte. vous de´clamez contre les gouvernemens usurpateurs, et vous organisez un gouvernement mille fois plus usurpateur dans ses principes et plus terrible dans ses mesures. l’escla1 2 3 4 5 6

Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 691). Addition au chap. 3, livre XVIII (ci-dessus, p. 682). Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 692). Copie du texte no 604 de N. Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 692). Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 692). Partiellement repris dans deux additions au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, pp. 692 et 693).

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Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne

vage est-il donc le meilleur moyen de conduire les homes a` la liberte´ ? une terreur perpe´tuelle est elle une e´ducation propre a` les rendre courageux, inde´pendans, magnanimes ? Lorsque des ve´rite´s qui ne sont encore qu’a` la porte´e du petit nombre sont intro duites sans mesure et avec violence, dans les institutions politiques qui doivent reposer sur l’assentiment ge´ne´ral, beaucoup d’homes qui blament a` juste titre cette pre´cipitation dangereuse, sont enclins a` reporter sur les ve´rite´s meˆmes qui en sont l’objet leur sentiment de´sapprobateur. Cette disposition est naturelle mais elle est de´place´e et peut devenir singulie`rement funeste. c’est toujours par un calcul errone´ que l’on se consacre a´ une mauvaise cause, quelque soit le motif de cet effort. Il faut partir de la ve´rite´ qui est proclame´e, fut-elle meˆme intempestive, et lorsqu’elle est jete´e sans pre´paration dans un systeˆme pratique, qui ne devrait se composer que de ve´rite´s reconnues, Il faut, non s’efforcer vainement de la faire reculer, car elle ne retrograde pas, mais s’entourer au plus vite de l’e´vidence qu’elle n’a pas encore acquise et que ne savent pas lui donner les homes impatiens et fougueux qui n’arrivent a` elle que par l’Instinct. Lorsqu’on se condamne a´ de´fendre l’erreur, on de´cre´dite la mode´ration meˆme, on depopularise le raisonnement, il se ressent d’eˆtre employe´ en faveur de principes qui ne sont pas parfaitement vrais, et la de´faveur du sophisme ou des pre´juge´s auxquels la raison s’allie, rejaillit sur elle et la de´conside´re. d’ailleurs tous les homes e´claire´s ne se mettent pas de ce cote´. Il en est qui suivent les principes a` travers les agitations et les e´cueils. l’e´lite de la nation se divise : ce nombre si petit se trouve encore partage´. Des noms e´galement estimables servent d’e´gide aux deux partis extreˆmes, a` celui qui veut re´tablir l’erreur, ainsi qu’a` celui qui porte la ve´rite´ au dela des bornes, et le de´sordre s’augmente et se prolonge par cela meˆme que les homes conscientieux sont de´sunis sur les moyens de le re´primer. 241 Les Re´volutions rendent le pouvoir de la majorite´ terrible, parce qu’au lieu que dans les tems ordinaires, la majorite´ et la minorite´ sont des choses journalieres et variables, les Re´volutions en font des partis diffe´rens, d’une manie´re permanente, des esclaves et des maˆitres, des opprime´s et des oppresseurs. V: 4 Lorsque des ve´rite´s ] Lorsque des ve´rite´s au-dessus de ces mots, dans l’interl. au no˙ 31. indication qui renvoie ce qui suit a` un passage ulte´rieur ; voir ci-dessous, p. 862 LA 29 re´primer. ] mot suivi d’un signe de renvoi en forme d’un tre`s grand x LA 1

Addition au chap. 4, livre

XVIII

(ci-dessus, p. 692).

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251 Ceux qui parloient de liberte´ religieuse e´toient appele´s fanatiques : ceux qui parloient de perse´cution s’appeloient philosophes. Lacretelle. les factions populaires traitent l’opinion publique avec d’autant plus 262 de me´pris que les chefs de ces factions se de´clarent le peuple et par conse´quent l’opinion publique.

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Dans certains pays, on ne commence a` plaindre les opprime´s que 273 lors qu’on voit qu’ils ont la chance de devenir oppresseurs. Plus les lumie´res sont e´tendues, moins les re´volutions sont violentes. 284 plus il subsiste de pre´juge´s ou de notions vagues, plus la lutte est acharne´e et le succe´s douteux. un an de retard est un an de gagne´. Pendant cette anne´e, des ve´rite´s nouvelles peuvent se de´couvrir, ou des ve´rite´s de´ja connues, mais renferme´es encore dans un petit nombre de teˆtes, peuvent eˆtre plus comple`tement e´claircies, ou plus ge´ne´ralement disse´mine´es. un de´gre´ de plus d’e´vidence peut vous ramener mille adversaires.

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295 Il est d’autant plus ne´cessaire de retracer les devoirs des Individus dans toutes les situations, meˆme les plus violentes, que c’est en se persuadant qu’il est inutile de lutter contre la violence de ces situations, que les individus les rendent irre´sistibles. chacun se dit, quand meˆme je remplirais mon devoir, les autres ne rempliraient pas le leur, et je me sacrifierais sans fruit ; et il re´sulte de ce raisonnement qu’en effet personne ne fait ce qu’il

V: 27 c’est ainsi ] 〈Un tort de beaucoup d’homes mode´re´s et sages est de ne pas sentir, que, lorsqu’une fois la lutte est engage´e, l’on ne peut se de´cider que pour la cause de la ve´rite´. plusieurs reportent sur la ve´rite´ le sentiment de´sapprobateur qu’ils e´prouvent, en voyant devancer l’e´poque, ou elle leur paraisssait devoir eˆtre mise en pratique, et ils se condamnent a` de´fendre l’erreur. il en re´sulte qu’ils de´cre´ditent la mode´ration et la raison meˆme. Ces deux choses si pre´cieuses se ressentent d’etre employe´es en faveur de principes qui ne sont pas parfaitement et rigoureusement vrais, et la portion de sophisme a` laquelle on les allie, rejaillit sur elles et les affaiblit. Il faut partir toujours du point ou l’on est arrive´, et toutes les fois qu’une ve´rite´ trop peu pre´pare´e, est introduite de force dans le systeˆme pratique dans lequel ne devroient eˆtre introduites que des ve´rite´s reconnues, il faut, non pas s’efforcer de faire reculer la ve´rite´, mais de l’entourer au plus vite de l’e´vidence qu’elle n’a pas encore acquise, et que ne savent pas lui donner tous ces fougueux re´volutionnaires qui ne sont arrive´s a` elle que par l’instinct.〉 c’est ainsi a` coˆte´ de ces derniers mots, dans la marge, un signe de renvoi non explique´ qui ressemble a` un grand X LA 1 2 3 4 5

Le meˆme texte se trouve sous le nume´ro 33. Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700). Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 693). Addition au chap. 6, livre XVIII (ci-dessus, p. 707). Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 693). Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 684). Copie du texte no 1117 de N.

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doit. Si au contraire chacun se disoit : quand meˆme les autres ne rempliraient pas leur devoir, je dois remplir le mien, il arriveroit que tout le monde ferait ce qu’il doit. on cre´e l’impossibilite´ du Bien en s’y re´signant.

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XVIII.

ch. 5.

Le fanatisme politique se bat pour la cause plus que pour l’effet.

312 C’est ainsi que tous les amis de la liberte´ en france auroient du se re´unir autour des institutions libres qu’on vouloit fonder, parce que la raison e´toit du cote´ de ces institutions. au lieu de ce´der a` l’humeur qu’ils avoient concue contre des hommes qu’un instinct grossier avoit conduits a` de grandes ve´rite´s, Ils auroient du supple´er a` l’ignorance de ces homes, et apporter en faveur de ces ve´rite´s, toutes les preuves, toute l’e´vidence qui auroient, dans une marche plus sage, du pre´ce´der leur mise en pratique. En meˆme tems, il ne faut pas condamner se´ve´rement ceux qui ne suivent pas cette ligne de conduite, surtout lorsque l’e´tablissement pre´mature´ d’une ve´rite´ encore trop peu de´montre´e a e´te´ accompagne´ de violences et de crimes, ce qui arrive d’ordinaires parce que, la` ou le raisonement n’est pas, la violence y supple´e. Il faut, au contraire, en agissant avec plus de fermete´ et de sagesse que ces homes, leur savoir gre´ de leurs scrupules, car les scrupules, quoiqu’on en dise, sont une chose rare et pre´cieuse, et les attirer a` nous, en apportant tant de raison et en ramenant tellement la justice a` l’appui de notre cause, qu’ils oublient les premie´res taches dont on a pu la souiller, et qu’ils reconnoissent en elle, la cause qu’ils ont toujours che´rie, et longtems de´fendue, seulement plus complete et plus e´tendue qu’ils n’avoient ose´ l’espe´rer. 323 que les amis de la liberte´ n’oublient jamais que si le crime ou la perse´cution pe´ne´tre dans leur arme´e, l’arreˆt est prononce´ contr’elle, et que tot ou tard les innocens porteront la peine des coupables qu’ils ont reconnu pour leurs allie´s. Ceux qui parloient de liberte´ religieuse e´toient appele´s fanatiques. 334 ceux qui parloient de persecution s’appeloient philosophes. Lacretelle.

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Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700). Texte programmatique non repris. Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700). Voir ci-dessus, a` la p. pre´ce´dente, le texte no 25.

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341 Il y a des e´poques ou toutes les aspe´rite´s de la liberte´ servent au despotisme. le malheur consiste moins dans la souffrance mate´rielle, que dans les 352 passions que l’injustice excite, et qui sont contagieuses, la vengeance, la terreur, le vil mensonge, les espe´rances coupables, les honteux calculs. ces passions, filles de l’injustice, vous les avez e´voque´es. elles accourent a` votre voix. elles se re´pandent sur le sol de´vaste´ de votre patrie. elles re´digent leurs cris de fureur en impassibles arreˆts. elles reveˆtent leur rage de formes abstraites. perse´cuteurs, perse´cute´s, tous s’agitent, se haissent, souffrent. celui que le hazard pre´serve d’une douleur personnelle est fle´tri par la vue du crime ou de´vore´ par l’indignation, et tel est l’e´tat de ce peuple dont le bonheur ge´ne´ral occupoit seul vos conceptions vastes et legitimoit vos attentats. fo 153ro

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Les re´volutions de´truisent l’e´quilibre entre les obligations et les sa363 crifices. ce qui n’est, dans les tems calmes, qu’un devoir simple et facile, devient un effort de courage, un acte he´roique de de´vouement. Dans une tempeˆte qui menace de la mort quiconque ne saisit pas une planche, un e´goı¨sme furieux s’empare de chacun ; chaque infortune´ luttant contre les flots, craint qu’un de ses associe´s d’infortune, en s’attachant a` lui, ne l’entraine au fond des mers. de meˆme, dans les dangers imminens des convulsions politiques, les hommes se de´lient de tout ce qui les unissoit jadis. Ils ont peur qu’une main amie, en s’appuyant sur eux, ne les ralentisse ; Ils isolent leur sort pour le de´fendre plus aise´ment. La richesse de´vient le seul moyen d’inde´pendance, le premier bonheur, l’unique espoir de salut. on se flatte d’appaiser la tyrannie par la fortune, ou de de´sarmer ses agens. on ne cherche plus l’estime ; il n’existe ni gloire pour les puissans, ni Interet pour les victimes. la fortune est pre´cieuse pour quitter un pays ou l’on craint chaque jour un[e] crise publique ou une proscription individuelle. Il vaut mieux racheter sa vie que prouver son innocence, se concilier l’avidite´ de ses juges que convaincre leur justice. Il ne s’agit plus de raisons, mais de motifs ; il ne s’agit plus de ve´rite´s, mais de calcul. l’absence de se´curite´ de´tache a` la fois de toute Sympathie pour les autres, et de toute confiance en sa propre existence. on repousse l’attendrissement en Stoicien : on se pre´cipite dans les volupte´s en Sybarite. 374 pour faire triompher une opinion, Il ne suffit pas de la faire adopter aveugle´ment. elle peut eˆtre adopte´e de telle manie´re que son adoption meˆme tourne contr’elle. C’est le cas du fanatisme pour la liberte´. 1 2 3 4

Addition au chap. 4, livre XVIII (ci-dessus, p. 693). Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700). Note du chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, pp. 698–699). Addition au chap. 5, livre XVIII (ci-dessus, p. 700).

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381 la souffrance n’entre plus en ligne de compte dans nos discussions ni dans nos loix. lors du projet de de´portation des nobles, l’on a point alle´gue´ la douleur physique et morale dont cette mesure auroit accable´ la caste proscrite. dans l’exe´cution des loix sur la conscription, l’on foule aux pieds le malheur des vieillards perdant a` la fois les derniers objets de leurs affections et la dernie`re ressource de leur mise´rable vie : et ceux meˆmes qui raisonnoient contre l’atroce loi des otages, n’alle´guoient la souffrance des victimes que comme une conside´ration secondaire. l’esprit de parti fortifie beaucoup cette disposition fe´roce. tout interet pour des adversaires parait aux associe´s une trahison. la pitie´ semble se´ditieuse et la sympathie conspiratrice. le sang, que les re´volutions font re´pandre ne sont pas le plus grand 392 mal qu’elles causent. la mort en elle meˆme est peut eˆtre la plus le´ge´re des calamite´s humaines. Un tremblement de terre qui engloutit a` la fois cent mille Individus, n’est de´plorable que par la douleur de ceux qui survivent. Mais lorsque l’home pe´rit par la main de l’homme, la mort a des effets bien diffe´rens et bien plus terribles. la de´pravation des assassins, l’angoisse des victimes, le regret, l’indignation, la fureur de ceux qui sont prive´s des objets les plus chers de leurs affections, les ressentimens qui s’accumulent, la De´fiance qui se re´pand, les vengeances qui e´clatent, le de´chirement des liens, les forfaits qui appe`llent d’autres forfaits, voila les ve´ritables malheurs.

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Addition au chap. 5, livre Addition au chap. 5, livre

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(ci-dessus, pp. 700–701). (ci-dessus, p. 701).

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15. Le f° 4v° des Additions aux Principes de politique, manuscrit de Lausanne, contenant OD¿QGXWH[WHGHODQRWHODQRWHB, le début du texte 17 et le texte 9C. On voit que les numéros d’ordre ont été ajoutés après coup dans la marge, qu’ils ont été corrigés en partie et que la distribution des morceaux sur la page fait penser qu’on lit un brouillon. La croix sous forme d’un X est répétée à la page suivante pour indiquer la suite du texte 17.

Instruments bibliographiques

Abre´viations

ABC : Annales Benjamin Constant, 1, 1980 (se continue). Bentham, Traite´s de le´gislation : Je´re´mie BENTHAM, Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, pre´ce´de´s de Principes ge´ne´raux de Le´gislation et d’une Vue d’un Corps complet de Droit, termine´s par un Essai sur l’influence des Tems et des Lieux relativement aux Lois, publie´s en franc¸ais par E´t[ienne] Dumont, d’apre`s les Manuscrits confie´s par l’Auteur, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X (1802), 3 vol. Courtney, Bibliography : Cecil Patrick COURTNEY, A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, London : Modern Humanities Research Association, 1981. Courtney, Bibliography, Supplement : Cecil Patrick COURTNEY, A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, A Supplement, second Edition revised, Cambridge : privately printed, 1985. Courtney, Guide : Cecil Patrick COURTNEY, A Guide to the published Works of Benjamin Constant, Oxford : Voltaire Foundation, 1980. Dictionnaire de la Re´volution franc¸aise : Albert SOBOUL, Dictionnaire historique de la Re´volution franc¸aise, publie´ sous la direction de Jean-Rene´ Suratteau et Franc¸ois Gendron, Paris : PUF, 1989. FEW : Walther von WARTBURG, Französisches etymologisches Wörterbuch, eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Basel : R. G. Zbinden, 1928–2002, 25 tomes. Histoire du Christianime : Histoire du Christianisme des origines a` nos jours, sous la direction de Jean-Marie Mayeur, Charles (†) et Luc Pietri, Andre´ Vauchez, Marc Venard, Paris : Descle´e, 1997. Hofmann : Benjamin Constant, Principes de politique applicables a` tous les gouvernements, texte e´tabli par E´tienne Hofmann, Gene`ve : Droz, 1980, t. II. Hofmann, Catalogue : E´tienne HOFMANN, Catalogue raisonne´ de l’œuvre manuscrite de Benjamin Constant, e´tabli a` partir des originaux avec une pre´face, une introduction et des index, Gene`ve : Slatkine, 1992. Hofmann, Gene`se : E´tienne HOFMANN, Les «Principes de politique» de Benjamin Constant. La gene`se d’une œuvre et l’e´volution de la pense´e de leur auteur (1789–1806), Gene`ve : Droz, 1980, 2 vol.

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Bibliographie

Sous les noms des auteurs, cite´s dans l’ordre alphabe´tique, les publications, volumes d’abord, articles de revues et contributions a` des collectifs ensuite, sont classe´es dans l’ordre chronologique de leur parution ; les diffe´rentes e´ditions d’un meˆme texte sont regroupe´es sous la premie`re d’entre elles.

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Bibliographie

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– Œuvres comple`tes, Principes de politique, et autres e´crits (juin 1814-juillet 1815), Liberte´ de la presse, Responsabilite´ des ministres, Me´moires de Juliette, Acte additionnel etc., volumes dirige´s par Olivier Devaux et Kurt Kloocke, e´tablissement des textes, notes et notices par Andre´ Cabanis, Olivier Devaux, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Claude Reymond et Garth Thomas, OCBC, Œuvres, t. IX, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2001, 2 vol. – Œuvres comple`tes, Journaux intimes (1804–1807) suivis de Affaire de mon Pe`re (1811), volume dirige´ par Paul Delbouille et Kurt Kloocke, e´tablissement des textes, introductions, notes et notices par Simone Balaye´, Axel Blaeschke, Paul Delbouille, Pascale de Mulinen, Kurt Kloocke, Jean-Pierre Perchellet, Claude Reymond et Martine Willems, OCBC, Œuvres, t. VI, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2002. – Œuvres comple`tes, Discours au Tribunat. De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine dans un grand pays (1799–1803), volume dirige´ par Marı´a Luisa Sa´nchez-Mejı´a et Kurt Kloocke, e´tablissement des textes, introductions, notes et notices par Ana Portuondo, Marı´a Luisa Sa´nchezMejı´a, Roswitha Schatzer, Boris Anelli, Paul Delbouille, Anne Hofmann, Kurt Kloocke et Alain Laquie`ze, OCBC, Œuvres, t. IV, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2005. – Œuvres comple`tes, Florestan, De l’esprit de conqueˆte et de l’usurpation, Re´flexions sur les constitutions (1813–1814), volumes dirige´s par Kurt Kloocke et Be´atrice Fink, e´tablissement des textes, introductions, notes et notices par Andre´ Cabanis, Be´atrice Fink, Moritz Geisel, Kurt Kloocke, Alain Laquie`ze et Jean-Marie Roulin, OCBC, Œuvres, t. VIII, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2005, 2 vol. – Œuvres comple`tes, Principes de politique et autres e´crits (juin 1814 – juillet 1815). Liberte´ de la presse, Responsabilite´ des ministres, Me´moires de Juliette, Acte additionnel etc., volumes dirige´s par Olivier Devaux et, e´tablissement des textes, introductions, notes et notices par Andre´ Cabanis, Olivier Devaux, Lucien Jaume, Kurt Kloocke et Claude Reymond, OCBC, Œuvres, t. IX, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2005, 2 vol. – Principi di politica applicabili a tutte le forme di governo : versione del 1806, a cura di Stefano De Luca, prefazione di E´tienne Hofmann, Soveria Mannelli : Rubbettino, 2007. – Œuvres comple`tes, Textes politiques de 1815 a` 1817, Articles du «Mercure de France», Annales de la session de 1817 a` 1818, volumes dirige´s par Kurt Kloocke, e´tablissement des textes, introductions, notes et notices par Francis Balance, Andre´ Cabanis, Paul Delbouille, Olivier Devaux, Roger Francillon, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Cathe´rine Lanneau, Mi-

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chel Lutfalla, Jean-Pierre Perchellet, Claude Reymond et Laura Wilfinger, OCBC, Œuvres, t. X, Tübingen : De Gruyter, 2010, 2 vol. – Œuvres comple`tes, Correspondance 1800–1802, volume dirige´ par Cecil P. Courtney, textes e´tablis et annote´s par Dennis Wood et Adrianne Tooke, avec la collaboration de Peter Rickard, OCBC, Correspondance ge´ne´rale, t. IV, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2006. COURTNEY, Cecil Patrick, A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, London : Modern Humanities Research Association, 1981. – A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, A Supplement, second Edition revised, Cambridge : privately printed, 1985. – A Guide to the published Works of Benjamin Constant, Oxford : Voltaire Foundation, 1980. DE´ MOSTHE` NE, Plaidoyers civils, t. I, texte e´tabli et traduit par Louis Gernet, Paris : Belles Lettres, 1954, pp. 32–52. DESTUTT DE TRACY, Antoine-Louis-Claude, Projet d’e´le´ments d’ide´ologie, a` l’usage des e´coles centrales de la Re´publique franc¸aise, Paris : P. Didot l’aıˆne´, F. Didot et Debray, an IX (1800/01). Dictionnaire historique de la Re´volution franc¸aise, voir SOBOUL. DIERAUER, Johannes, Histoire de la Confe´de´ration suisse, ouvrage traduit de l’allemand par Auguste Reymond, t. IV : De 1648 a` 1798, Lausanne : Payot, 1929. DIOGE` NE LAE¨ RCE, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, traduction, notice et notes par Robert Genaille, Paris : Garnier-Flammarion, 1965, 2 vol. DU HALDE, Jean-Baptiste, Description ge´ographique, historique, chronologique, politique, et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, enrichie des cartes ge´ne´rales et particulie`res de ces Pays, de la Carte ge´ne´rale & des Cartes particulie`res du Thibet, & de la Core´e, & orne´e d’un grand nombre de Figures & de Vignettes grave´es en Tailledouce, par le P. J. B. Du Halde, de la Compagnie de Je´sus, Paris : P. G. Lemercier, 1735, 4 vol. FE´ RAUD, Jean-Franc¸ois, Dictionnaire critique de la langue franc¸aise, par M. l’abbe´ Fe´raud, Auteur du Dictionaire Gramatical, t. II, Marseille : Jean Mossy, pe`re et fils, 1787. FERRAND, Antoine, L’esprit de l’histoire ou lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France, Paris : Vve Nyon, 41805. FILANGIERI, Gaetano, Œuvres de G. Filangieri, traduit de l’italien [par J.Ant. Gauvain Gallois], nouvelle e´dition, accompagne´e d’un commentaire par M. Benjamin Constant et de l’e´loge de Filangieri par M. Salfi, Paris : Dufart, 1822–1824, 6 vol.

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Instruments bibliographiques

– Catalogue raisonne´ de l’œuvre manuscrite de Benjamin Constant, e´tabli a` partir des originaux avec une pre´face, une introduction et des index, Gene`ve : Slatkine, 1992. – Supple´ment au Catalogue raisonne´ des œuvres manuscrites de Benjamin Constant. Consultable sur le site de l’Institut Benjamin Constant. – Une erreur judiciaire oublie´e : L’Affaire Wilfrid Regnault (1817–1818), Gene`ve : E´ditions Slatkine, 2009. – «Les Principes de politique de 1806 comme ’re´servoir’ de textes pour les publications de Constant sous la Restauration. Une description sche´matique du proble`me», ABC, 33, 2008, pp. 25–61. HOLMES, Stephen, Benjamin Constant et la gene`se du libe´ralisme moderne, Paris : PUF, 1994. HUME, David, Traite´ de la nature humaine, essai pour introduire la me´thode expe´rimentale dans les sujets moraux, Paris : Aubier, 1946. JAUME, Lucien, Le discours jacobin et la de´mocratie, Paris : Fayard, 1989. – L’individu efface´ ou le paradoxe du libe´ralisme franc¸ais, Paris : Fayard, 1997. – Qu’est-ce que l’esprit europe´en ?, Paris : Flammarion, 2010. JURIEU, Pierre, Dix-huitie`me lettre pastorale. Justification du Prince d’Orange & de la Nation Angloise, 15 mai 1689, dans Lettres pastorales adresse´es aux fide`les de France, qui ge´missent sous la captivite´ de Babylon, troisie`me anne´e, Rotterdam : Abraham Acher, 1688, p. 140a (Reprint : Hildesheim, Zürich, New York : Georg Olms Verlag, 1988). KANT, Immanuel, Zum ewigen Frieden. Ein philosophischer Entwurf, Königsberg : F. Nicolovius, 1795 (Traduction franc¸aise : Projet de paix perpe´tuelle. Essai philosophique, par Emanuel Kant, traduit de l’allemand, avec un nouveau supple´ment de l’auteur, Königsberg : F. Nicolovius, 1796). – Die Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft. Die Metaphysik der Sitten, dans Kant’s gesammelte Schriften, hrsg. von der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften, Abt. 1 : Kants Werke, Bd. VI, Berlin : Reimer, 1907. – Ideen zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher Absicht, dans Kleinere Schriften zur Geschichtsphilosophie, Ethik und Politik, hrsg. von Karl Vorländer, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1973. – Projet de paix perpe´tuelle, dans Œuvres philosophiques, e´dition publie´e sous la direction de Ferdinand Alquie´, avec la collaboration d’Alexandre J.-L. Delamare, Luc Ferry, Pierre Jalabert et al., t. III : Les derniers e´crits de 1792–1793, Paris : Gallimard, 1986 (Ple´iade). KELLY, George Armstrong, «Constant and his interpreters : a second visit», ABC, 6, 1986, pp. 81–89.

Bibliographie

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KLOOCKE, Kurt, Benjamin Constant : une biographie intellectuelle, Gene`ve : Droz, 1984. – «Benjamin Constant et l’Allemagne. Individualite´ – Religion – Politique», ABC, 27, 2003, pp. 127–171. – «L’ide´e de l’individualite´ dans les e´crits politiques de Benjamin Constant», ABC, 29, 2005, pp. 143–158. LA HARPE, Fre´de´ric-Ce´sar de, Correspondance ge´ne´rale, t. I :, Correspondance de Fre´de´ric-Ce´sar de La Harpe et Alexandre I er, suivie de la correspondance de F.-C. de La Harpe avec les membres de la famille impe´riale de Russie, publie´e par Jean-Charles Biaudet et Franc¸oise Nicod, Neuchaˆtel : A la Baconnie`re, 1978. LA LOUBE` RE, Simon de, Du royaume de Siam, par M. de La Loube`re, envoye´ extraordinaire du Roy aupre`s du Roy de Siam en 1687 et 1688, Amsterdam : A. Wolfgang, 1691, 2 vol. LAQUIE` ZE, Alain, «Autorite´ sociale, droits individuels et garanties dans les Principes de politique de 1806», ABC, 33, 2008, pp. 63–76. LEFEBVRE, Georges, La France sous le Directoire (1795–1799), e´dition inte´grale du cours «Le Directoire» pre´sente´e par Jean-Rene´ Suratteau, avant-propos d’Albert Soboul, controverse entre Georges Lefebvre et Albert Meynier a` propos du 18 fructidor, mise a` jour, bibliographie et e´tat des questions par Jean-Rene´ Suratteau, Paris : E´ditions sociales, 1977. LUCAIN, La guerre civile, texte e´tabli et traduit par A. Bourgery, t. I, Paris : Les Belles Lettres, 1926. LYSIAS, The Orations of Lysias and Isocrates, translated from the Greek, with some Account of their Lives, and a Discourse on the History, Manner, and Character of the Greeks, from the Conclusion of the Peloponnesian War, to the Battle of Chæronea, by John Gillies, London : John Murray, Edinburgh : John Bell, 1778. – Discours, texte e´tabli et traduit par Louis Gernet et Marcel Bizos, t. I, Paris : Les Belles Lettres, 1924. MABLY, Gabriel de, Du Gouvernement et des loix de Pologne. A M. le comte de Wielhorski, dans Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. VIII, Lyon : J. B. Delamollie`re, 1792. MACHIAVEL, Œuvres comple`tes, introduction par Jean Giono, texte pre´sente´ et annote´ par Edmond Barincou, Paris : Gallimard, 1992 (Ple´iade). MAINE DE BIRAN, Influence de l’habitude sur la faculte´ de penser, par P. Maine Biran, Paris : Henrichs, an XI (1803). MANENT, Pierre, Histoire intellectuelle du libe´ralisme : dix lec¸ons, Paris : Calmann Le´vy, 1987. MARION, Marcel, Dictionnaire des institutions de la France au XVII e et XVIII e sie`cles, Paris : Auguste Picard, 1923.

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Instruments bibliographiques

[MIRABEAU, Honore´-Gabriel Riqueti, comte de,], Lettres amicales du comte de Mirabeau a` M. Mauvillon a` Brunsuic, e´crites entre les anne´es 1786–90 et pre´ce´de´es d’une notice sur ses liaisons litte´raires en Allemagne, Hambourg : Pierre-Franc¸ois Fauche, 1794. MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat, De l’esprit des lois, dans Œuvres comple`tes, pre´sentation et notes de Daniel Oster, Paris : E´ditions du Seuil, 1964. MORELLY, E´tienne-Gabriel, Code de la nature, ou le ve´ritable esprit de ses lois de tout temps ne´glige´ ou me´connu, Partout : chez le vrai sage, 1755. NECKER, Jacques, De l’administration des finances de la France (1784), dans Œuvres comple`tes de M. Necker, publie´s par M. le Baron de Stae¨l, t. IV, Paris : Treuttel et Würtz, 1820–1821. NYROP, Kristoffer, Grammaire historique de la langue franc¸aise, t. III : Formation des mots , Copenhague : Gyldendal, 1908 (Reprint : Gene`ve : Slatkine, 1979). ORLE´ ANS, Charlotte-E´lisabeth de Bavie`re, duchesse d’, Lettres de Madame, duchesse d’Orle´ans, ne´e princesse palatine, pre´face de Pierre Gascar, e´dition e´tablie et annote´e par Olivier Amiel, Paris : Mercure de France, 1981. PAOLETTI, Giovanni, «Constant selon l’ordre des raisons. Structure, style et argumentation dans les Principes de politique de 1806», ABC, 33, 2008, pp. 77–119. PAULET-GRANDGUILLOT, Emmanuelle, Libe´ralisme et de´mocratie. De Sismondi a` Constant, a` partir du Contrat social (1801–1806), pre´face de Bertrand Binoche, Gene`ve : Slatkine, 2010 (Travaux et recherches de l’Institut Benjamin Constant, 12). Paulys Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, unter Mitwirkung zahlreicher Fachgenossen hrsg. von Georg Wissowa, Supplement VI : Abretten – Thunudromon cholonia, mit Nachträgen, Stuttgart : Metzler, 1935. PE´ TRONE, Satyricon, texte e´tabli et traduit par Alfred Ernout, Paris : Les Belles Lettres, 1922. PIERREHUMBERT, William, Dictionnaire historique du parler neuchaˆtelois et suisse romand, par W. Pierrehumbert, Neuchaˆtel : V. Attinger, 1926. PIGUET, Marie-France, «Benjamin Constant et la naissance du mot ’individualisme’», ABC, 29, 2005, pp. 101–124. Proce`s-verbaux du Conseil d’E´tat contenant la discussion du projet de Code civil, re´dige´s par Jean-Guillaume Locre´, t. II, Paris : de l’Imprimerie de la Re´publique, an XI (1803/04). Religion in Geschichte und Gegenwart, Tübingen : Mohr-Siebeck, 42003. ROTTECK, Carl von et WELCKER, Carl, Staats-Lexicon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, in Verbindung mit vielen der angesehensten

Bibliographie

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Publicisten Deutschlands, hrsg. von Carl von Rotteck und Carl Welcker, t. VIII : Historisches Recht – Hamburg, Altona : Johann Friedrich Hammerich, 1839. ROUSSEAU, Jean-Jacques, Œuvres comple`tes, e´dition publie´e sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, t. III : Du contrat social. E´crits politiques, [Paris :] Gallimard, 1979 (Ple´iade). SA´ NCHEZ-MEJI´A, Marı´a Luisa et KLOOCKE, Kurt, «Le dossier de l’Inquisition espagnole relatif a` l’ouvrage de Benjamin Constant Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens repre´sentatifs», ABC, 35, 2010, a` paraıˆtre. SARTORIUS VON WALTERSHAUSEN, Georg Friedrich Christoph, Versuch einer Geschichte des Deutschen Bauernkrieges oder der Empörung in Deutschland zu Anfang des sechzehnten Jahrhunderts, Berlin : Unger, 1795. SAVARY DES BRUSLONS, Jacques, Dictionnaire universel de Commerce, d’Histoire naturelle, & des Arts & Me´tiers, t. IV, Paris : Vve Estienne, 6 1750. SCHLEIERMACHER, Friedrich, Zwei unvorgreifliche Gutachten in Sachen des protestantischen Kirchenwesens zunächst in Beziehung auf den preußischen Staat, Berlin : In der Realschulbuchhandlung, 1804 ; et KGA, I, t. IV, pp. 359–460. SINCLAIR, John, The History of the Public Revenue of the British Empire, London : T. Cadell and W. Davies, 31803. SISMONDI, Jean Charles Le´onard Simonde de, Histoire des re´publiques italiennes au Moyen Age, Bruxelles : Socie´te´ typographique belge, 51838, 8 vol. – Recherches sur les constitutions des peuples libres, e´d. et introd. de Marco Minerbi, Gene`ve : Droz, 1965. SMITH, Adam, The´orie des sentimens moraux ou essai analytique sur les principes des jugemens que portent naturellement les hommes, d’abord sur les actions des autres, et ensuite sur leur propres actions ; suivi d’une dissertation sur l’origine des langues, par Adam Smith, traduit de l’Anglais sur la dernie`re e´dition par S. Grouchy, Ve Condocet. Elle a joint huit Lettres sur la sympathie, Paris : Buisson, 1798. – Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction de Germain Garnier, revue par Adolphe Blanqui, introduction et index par Daniel Diatkine, Paris : Garnier-Flammarion, 1991, 2 vol. SOBOUL, Albert, Dictionnaire historique de la Re´volution franc¸aise, publie´ sous la direction de Jean-Rene´ Suratteau et Franc¸ois Gendron, Paris : PUF, 1989. SPINOZA, Baruch, Politischer Traktat – Tractatus politicus. LateinischDeutsch, neu übersetzt, hrsg., mit Einleitung und Anmerkungen versehen von Wolfgang Bartuschat, Hamburg : F. Meiner, 1994 (Baruch de Spinoza, Sämtliche Werke 5,2).

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Instruments bibliographiques

Staats-Lexicon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, voir ROTTECK. STAE¨ L-HOLSTEIN, Anne-Louise-Germaine de, Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Re´volution et des principes qui doivent fonder la re´publique en France, e´d. par Lucia Omacini, Paris et Gene`ve : Droz, 1979. – De la litte´rature conside´re´e dans ses rapports avec les institutions sociales, nouvelle e´dition critique, e´tablie, pre´sente´e et annote´e par Axel Blaeschke, Paris : Classiques Garnier, 1998. SUE´ TONE, Les douze Ce´sars, traduits du latin de Sue´tone, avec des notes et des re´flexions par M. de La Harpe, Paris : Lacombe, 1805 et Paris : Gabriel Ware´e, 1805, 2 vol. Theologische Realenzyklopädie, herausgegeben von Gerhard Krause und Gerhard Müller, Berlin : De Gruyter, 1976–2006, 36 vol. TIEDEMANN, Dietrich, Geist der spekulativen Philosophie, Marburg : Akademische Buchhandlung, 1791–1797, 6 vol. TITE-LIVE, Histoire romaine, texte e´tabli par Jean Bayet, traduit par Gaston Baillet, appendice re´dige´ par Raymond Bloch, Paris : Les Belles Lettres, 2003. TRAVERS, E´meric, Benjamin Constant, les Principes et l’Histoire, Paris : Champion, 2005. Tre´sor de la langue franc¸aise. Dictionnaire de la langue du XIX e et du XX e sie`cle (1789–1960), publie´ sous la direction de Paul Imbs, Paris : E´ditions du CNRS (t. 1–10) ; Paris : Gallimard (t. 11–16), 1971–1988. VAUGELAS, Claude Favre de, Remarques sur la langue franc¸oise, utiles a` ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris : Vve J. Camusat et P. Le Petit, 1647 (Reprint : Gene`ve : Slatkine, 2000). VOLTAIRE, L’Affaire Calas et autres affaires, e´dition pre´sente´e, e´tablie et annote´e par Jacques Van den Heuvel, Paris : Gallimard, 1975 (Collection Folio, 672). VUILLEMIN, Jules, «On Lying : Kant and Benjamin Constant», Kant-Studien, 73, 1982, pp. 413–424. WARTBURG, Walther von, Französisches etymologisches Wörterbuch, eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, t. IV : G, H, I, Basel : R. G. Zbinden, 1952.

Ouvrages cite´s par Constant

ANDOCIDE, Des myste`res – De mysteriis. ANONYME, «Letters of Junius», Public Advertiser, 21 janvier 1769–21 janvier 1772. ARISTOTE, La Politique – Πολιτει α. Arreˆt de la Cour du Parlement portant de´fense a` toutes personnes de faire transporter hors du royaume, les bleds, grains et le´gumes, n’y d’en faire magazins, a` peine de vie, Paris : F. Morel, P. Mettayez,et A. Estienne, 1626. BABEUF, Gracchus, «Manifeste des ple´be´iens», Tribun du peuple, 9 frimaire an IV [30 novembre 1795]. BACON, Francis, De dignitate et augmentis scientiarum (1623). BAERT-DUHOLANT, Alexandre-Balthazar de Paule, baron de, Tableau de la Grande Bretagne, de l’Irlande et des possessions angloises dans les quatre parties du monde, Paris : Maradan, 1802. BARROW, John, Voyage en Chine, formant le comple´ment du voyage de Lord Macartney, Contenant des Observations et des Descriptions faites pendant le se´jour de l’Auteur dans le Palais Impe´rial de Yuen-min-yuen, et en traversant l’Empire Chinois, de Peking a` Canton, suivi De la Relation de l’Ambassade envoye´e en 1719 a` Peking par Pierre Premier, Empereur de Russie, traduits de l’anglais, avec des notes, par J. Caste´ra, Paris : Buisson, an XIII (1805), 3 vol. [BARTHE´ LEMY, Jean-Jacques], Voyage du jeune Anacharsis en Gre`ce, dans le milieu du quatrie`me sie`cle avant l’e`re vulgaire, Paris et Venise : Jacques Storti, 1790, 7 vol. BECCARIA, Cesare Bonesano de, Traite´ des de´lits et des peines, par Beccaria, traduit de l’italien par Andre´ Morellet, nouvelle e´dition corrige´e, pre´ce´de´e d’une correspondance de l’auteur avec le traducteur, accompagne´e de notes de Diderot, et suivie d’une the´orie des lois pe´nales, par Je´re´mie Bentham, traduite de l’anglais par Saint-Aubin, Paris : Impr. du Journal d’e´conomie publique, de morale et de politique, 1797. BEEKE, Henry, Observations on the Produce of Income Tax, and on its Proportion to the whole Income of Great Britain, a new and corrected Edition with considerable Additions respecting the Extent, Commerce, Population, Division of Income, and Capital of this Kingdom, London : J. Wright, 21800.

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Instruments bibliographiques

BENTHAM, Je´re´mie, Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, pre´ce´de´s de Principes ge´ne´raux de Le´gislation et d’une Vue d’un Corps complet de Droit, termine´s par un Essai sur l’influence des Tems et des Lieux relativement aux Lois, publie´s en franc¸ais par E´t[ienne] Dumont, d’apre`s les Manuscrits confie´s par l’Auteur, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X (1802), 3 vol. BLACKSTONE, William, Commentaires sur les lois angloises de M. Blackstone, traduits de l’anglois par M. D. G. (Damiens de Gomicourt), sur la quatrie`me e´dition d’Oxford, Bruxelles : J. L. de Boubers, 1774–1776, 6 vol. – Commentaries on the Laws of England, by William Blackstone, Knt., one of the Justices of his Majesty’s Court of Common Pleas, new Edition with the last Corrections of the Author, also containing Analyses and Epitome of the whole Work with Notes by John Frederick Archbold, Esq., London : William Reed, 1811, 4 vol. BONALD, Louis-Gabriel-Ambroise de, The´orie du pouvoir politique et religieux dans la socie´te´ civile, de´montre´e par le raisonnement et par l’histoire, par M. de B***, Constance [Paris ?] : s.e´d., 1796, 3 vol. BRUEYS, David-Augustin de, L’Avocat Patelin (1706). BUFFON, Georges-Louis Leclerc, comte de, Histoire naturelle ge´ne´rale et particulie`re, avec la description du Cabinet du roi, par Buffon, Daubenton, Gue´neau de Montbeillard, l’abbe´ Bexon et Lace´pe`de, [Paris ?] : Impr. royale, 1749–1782, 36 vol. BURKE, Edmund, Re´flexions sur la Re´volution de France et sur les proce´de´s de certaines socie´te´s a` Londres relatifs a` cet e´ve´nement, en forme d’une lettre qui avait duˆ eˆtre envoye´e d’abord a` un jeune homme a` Paris, par le right honourable Edmund Burke, traduit de l’anglais, Paris : Laurent et Londres : Edward, [1791]. BURNET, Gilbert, Bishop Burnet’s History of his own Time, from the Restoration of K. Charles II. to the Conclusion of the Treaty of Peace at Utrecht, in the Reign of Queen Anne, to which is prefixed a summery Recapitulation of Affairs in Church and State, from King James I. to the Restoration in the Year 1660, together with the Author’s Life and some explanatory Notes by the Editor, his Son, late one the Judges of his Majesty’s Court of Common Pleas, the whole revised and corrected by him, London : T. Davies, 31766, 4 vol. CABANIS, Pierre-Jean-Georges, Corps le´gislatif. Commission du Conseil des Cinq-Cents. Quelques conside´rations sur l’organisation sociale en ge´ne´ral et particulie`rement sur la nouvelle constitution [Se´ance du 25 frimaire an VIII], Paris : Imprimerie nationale, an VIII (1799/1800).

Ouvrages cite´s par Constant

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CANARD, Nicolas-Franc¸ois, Principes d’e´conomie politique, ouvrage couronne´ par l’Institut national, dans sa se´ance du 15 nivoˆse an IX [5 janvier 1801], et depuis revu, corrige´ et augmente´ par l’auteur, par N.-F. Canard, Paris : F. Buisson, an X (1801). CASTEL DE SAINT-PIERRE, Charles-Ire´ne´e, Projet pour rendre la paix perpe´tuelle en Europe, Utrecht : A. Schouten, 1713, 2 vol. CHAMFORT, Se´bastien-Roch-Nicolas de, Maximes et pense´es, dans Œuvres de Chamfort, recueillies et publie´es par un de ses amis, t. IX, Paris : Impr. des sciences et des arts, an III (1794/95). CICE´ RON, Marcus Tullius, M. Tullii Ciceronis Opera, cum delectu commentariorum edidit Josephus Olivetus, Parisiis : apud Coignard, H. L. Gue´rin, J. Desaint et J. Gue´rin, 1740–1742, 9 vol. CLERMONT-TONNERRE, Stanislas-Marie de, Opinion sur la proprie´te´ des biens du clerge´, novembre 1789, dans Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, t. II, Paris : Migneret, 1791. – Opinion sur une motion de M. Mirabeau, combattue par M. Barnave, dans Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, t. II, Paris : Migneret, 1791. – Re´flexions sur le fanatisme, dans Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, t. IV, Paris : Migneret, 1791. CONDILLAC, E´tienne Bonnot de, Introduction a` l’e´tude de l’histoire ancienne dans Cours d’e´tude pour l’instruction du prince de Parme, aujourd’hui S. A. R. l’Infant D. Ferdinand, duc de Parme, Plaisance, Guastalle etc. etc. etc., t. V, Gene`ve : Du Villard et Nouffer, 1780. CONDORCET, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de, Essai sur l’application de l’analyse a` la probabilite´ des de´cisions rendues a` la pluralite´ des voix, par M. le Mis de Condorcet, Paris : Impr. royale, 1785. – Me´moires sur l’instruction publique, dans Bibliothe`que de l’homme public, ou analyse raisonne´e des principaux ouvrages franc¸ois et e´trangers, sur la politique en ge´ne´ral, la le´gislation, les finances, la police, l’agriculture et le commerce en particulier, et sur le droit naturel et public, par M. Condorcet, Paris : Buisson, 1791 («Nature et objet de l’instruction publique», t. I, 1791, pp. 3–80 ; «De l’instruction commune pour les enfans», t. II, 1791, pp. 3–128 ; «Sur l’instruction commune pour les hommes», t. III, 1791, pp. 3–74 ; «Sur l’instruction relative aux professions», t. IX, 1791, pp. 3–48 ; «Sur l’instruction relative aux sciences», t. IX, 1791, pp. 49–83). COUTHON, Georges, Discours prononce´ a` la se´ance des Jacobins du premier pluvioˆse, an deuxie`me de la Re´publique, [20 janvier 1794], une et indivisible, par le citoyen Couthon, repre´sentant du Peuple, Paris : Impr des 86 de´partements, [1794].

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Instruments bibliographiques

DE PAUW, Corne´lius, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois, Berlin : G. J. Decker, 1773, 2 vol. – Recherches philosophiques sur les Grecs, Berlin : G. J. Decker & Fils, 1788, 2 vol. De´claration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen, Paris : Fournier, [1795]. DENYS D’HALICARNASSE, Les antiquite´s romaines – ’ΡωμαιÈκη ’Αρχαιολογι α. DIODORE DE SICILE, Bibliothe`que historique – Ιστορικη Βιβλιοθη κη. DIOGE` NE LAE¨ RCE, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres – Diogenis Laertii de vitis, dogmatibus et apophthegmatibus clarorum philosophorum. DUPONT DE NEMOURS, Pierre-Samuel, «De la le´gislation des grains depuis 1692. Analyse historique a` laquelle on a donne´ la forme d’un rapport a` l’Assemble´e nationale», Bibliothe`que de l’homme public, t. XII, Paris : Buisson, 1790, pp. 105–243. E´LIEN LE SOPHISTE, Claudii Aeliani Sophistae Varia historia et fragmenta, cum integro commentario Iacobi Perizonii aliorumque virorum doctorum notis Gronoviana nondum comprehensis editione, curavit editionem indicemque graecitatis adiecit Carolus Gottlob Kuehn, Lipsiae : Sumtibus Engelh. Beniam. Svikerti, 1780, 2 vol. FERRAND, Antoine, L’esprit de l’histoire ou lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France, Paris : Vve Nyon, 1802, 21803. FERRIER, Franc¸ois-Louis-Auguste, Du gouvernement conside´re´ dans ses rapports avec le commerce, par Franc¸ois-Louis-Auguste Ferrier, Paris : A. E´gron, Perlet, an XIII (1805). FILANGIERI, Gaetano, La science de la le´gislation, ouvrage traduit de l’Italien, d’apre`s l’e´dition de Naples de 1784. Seconde e´dition, revue et corrige´e. Paris : Dufart, an VII, 7 vol . FISCHER, Friedrich Christoph Jonathan, Geschichte Friedrichs des Zweiten, Königs von Preussen, Halle : Friedrich Daniel Francke, 1787, 2 vol. GACH, Jean-Joseph, Des vices de l’Institution du jury en France, par M. Gach, Pre´sident du Tribunal de Premie`re Instance de l’arrondissement de Figeac, Paris : Petit, an XIII (1804). GALIANI, Ferdinando, Dialogues sur le commerce des bleds, par l’abbe´ Galiani, revus par Grimm et Diderot, London [i.e. Paris] : Merlin, 1770. GANILH, Charles, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquite´, du Moyen-aˆge, des sie`cles modernes et spe´cialement de la France et de l’Angleterre, depuis le milieu du XVe sie`cle jusqu’au XIXe, Paris : Giguet et Michaud, 1806, 2 vol.

Ouvrages cite´s par Constant

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GARNIER, Germain, Abre´ge´ e´le´mentaire des principes de l’e´conomie politique, Paris : H. Agasse, an IV (1796). GIBBON, Edward, Miscellaneous works of Edward Gibbon, Esq., with Memoirs of his Life and Writings composed by himself, illustrated from his Letters, with occasional Notes and Narrative, by John Lord Sheffield, London : printed for A. Strahan, Cadell Jun., W. Davies, 1796, 2 vol. (ou : Basil[ea] : J.-J. Tourneisen, 1796–1797, 7 vol.). GODWIN, William, An Enquiry concerning Political Justice and its Influence on general Virtue and Happiness, by William Godwin, London : G. G. J. and J. Robinson, 1793. [GUSTA, Francesco], Me´moires de Se´bastien-Joseph de Carvalho et Melo, comte d’Oeyras, marquis de Pombal, Secre´taire d’E´tat et Premier Ministre du Roi de Portugal Joseph I, Bruxelles : B. Le Franq, 1784, 4 vol. HELVE´ TIUS, Claude-Adrien, De l’esprit (1758). – De l’homme, de ses faculte´s intellectuelles et de son e´ducation, ouvrage posthume de M. Helve´tius, publie´ par le prince Galitzin, Londres : [chez la socie´te´ typographique], 1776. HOBBES, Thomas, The Elements of Law : Natural and Politic (1640). [HOLBACH, Paul-Henri-Dietrich d’], Syste`me de la nature ou des lois du monde physique et du monde moral, par M. Mirabaud, Londres : s.e´d., 1770, 2 vol. – La politique naturelle ou Discours sur les vrais principes du gouvernement, par un ancien magistrat (1773). HUME, David, The History of England from the Invasion of Julius Cæsar to the Revolution in1688, by D. H., a new Edition, Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1789, 12 vol. – Essays and Treaties on several Subjects, a new Edition, Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1793, 4 vol. ISOCRATE, Trape´zitique – Τραπεξιτικο ζ. – Pane´gyrique – Πανηγυρικο ζ. – Panathe´naı¨que – ΠαναθηναιÈκο ζ. IVERNOIS, Francis d’, Tableau historique et politique des pertes que la Re´volution et la guerre ont cause´es au peuple franc¸ais, dans sa population, son agriculture, ses colonies, ses manufactures et son commerce, Londres : Impr. de Baylis, 1799. JEFFERSON, Thomas, Speech of Thomas Jefferson, president of the United States, delivered at his instalment, March 4, 1801, with translations into the French, Italian and German tongues, Paris : the English Press, [1801]. JORDAN, Camille, Vrai sens du vote national sur le Consulat a` vie, par le citoyen Camille Jordan, Paris : Les Marchands des Nouveaute´s, [1802].

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Instruments bibliographiques

KANT, Immanuel, Über den Gemeinspruch : Das mag in der Theorie richtig sein, taugt aber nicht für die Praxis, dans Berlinische Monatsschrift, t. XXII, 1793, pp. 201–284. LA HARPE, Jean-Franc¸ois de, Lyce´e ou cours de litte´rature ancienne et moderne, par J.-F. Laharpe, t. II, Paris : H. Agasse, an VII (1799). LAUZE DE PE´ RET, Pierre-Joseph, Traite´ de la garantie individuelle, et des diverses preuves en matie`re criminelle, Paris : imprimerie de Caillot, 1805. LINGUET, Simon-Nicolas-Henri, The´orie des lois civiles ou principes fondamentaux de la socie´te´, Londres : s.e´d., 1767, 2 vol. LOUIS XIV, Me´moires de Louis XIV, e´crits par lui-meˆme, compose´s pour le Grand Dauphin, son fils, et adresse´s a` ce prince, suivis de plusieurs fragmens de me´moires militaires, de l’instruction donne´e a` Philippe V, de dix-sept lettres adresse´es a` ce monarque sur le gouvernement de ses E´tats, et de diverses autres pie`ces ine´dites, mis en ordre et publie´s par J. L. M. de Gain-Montagnac, Paris : Garnery, Nicolle, 1806, 2 vol. LUCAIN, La guerre civile – Bellum civile. LYSIAS, Au sujet d’une accusation pour blessures avec pre´me´ditation de meurtre – Περι τραυ ματοζ. MABLY, Gabriel de, Observations sur l’histoire de France, Gene`ve : par la Compagnie des libraires, 1765, 2 vol. – Entretiens de Phocion sur les rapports de la morale avec la politique, dans Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. IX, Lyon : J. B. Delamollie`re, 1792. – De la le´gislation ou principes des lois, dans Œuvres comple`tes de l’abbe´ de Mably, t. IX, Lyon : J. B. Delamollie`re, 1792. MACHIAVEL, Re´flexions de Machiavel sur la premie`re de´cade de Tite-Live, nouvelle traduction, pre´ce´de´e d’un discours pre´liminaire par M. D. M. M. D. R. [de Meng], Paris : Bachelier, Le Normant, 1806. MAISTRE, Joseph de, Conside´rations sur la France, Londres [Paris ?] : s.e´d., 1797. MAZZEI, Filippo, Recherches historiques et politiques sur les E´tats-Unis de l’Ame´rique septentrionale, par un citoyen de Virginie, avec quatre lettres d’un bourgeois de New-Heaven sur l’unite´ de la le´gislation, Colle et Paris : Froulle´, 1788, 4 vol. MIRABEAU, Honore´-Gabriel Riqueti, comte de, De la monarchie prussienne sous Fre´de´ric le Grand, avec un appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contre´es de l’Allemagne, par le comte de Mirabeau, Londres : s.e´d., 1788, 8 vol. – Collection complette des travaux de M. Mirabeau l’aıˆne´, a` l’Assemble´e nationale, pre´ce´de´e de tous les discours et ouvrages de l’auteur, pronon-

Ouvrages cite´s par Constant

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ce´s ou publie´s en Provence pendant le cours des e´lections, par M. E´tienne Me´jan, Paris : impr. de Vve Lejay et Devaux, 1791–1792, 5 vol. MIRABEAU, Victor Riqueti, marquis de, L’Ami des hommes ou traite´ de la population, Hambourg : Chre´tien He´rold, 31758, 3 vol. MOLE´ , Louis-Mathieu, Essais de morale et de politique, Paris : H. Nicolle, 1806. MOLIE` RE, Le Me´decin malgre´ lui (1666). MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat, De l’esprit des lois (1748). NECKER, Jacques, Sur la le´gislation et le commerce des grains, Paris : Pissot, 1776. – De l’administration des finances de la France, [Lausanne : J.-P. Heubach], 1784, 3 vol. – De l’importance des opinions religieuses, Londres et Paris : Hoˆtel de Thou, 1788. – Du pouvoir exe´cutif dans les grands E´tats, s.l. : s.e´d., 1792, 2 vol. – Cours de morale religieuse, Gene`ve : Grenets ou impr. de Bonnand, Paris : Maradan, an X (1801/02). – Dernie`res vues de politique et de finance, offertes a` la nation franc¸aise, s.l. : s.e´d., an X (1802). PAINE, Thomas, Common Sense, addressed to the Inhabitants of America, on the following interesting Subjects, I. Of the Origin and Design of Government in General, with concise Remarks on the English Constitution. II. Of Monarchy and hereditary Succession. III. Thoughts on the present State of American Affairs. IV. Of the present Ability of America, with some miscellaneous Reflections ; written by an Englishman, Philadelphia : R. Bell, 1776. PETIT, Samuel, Leges atticæ et commentarius, cum animadversionibus Jac. Plamerii a Grentemesnil, A. M. Salvinii, C. A. Dukeri, & P. Wesselingii, Lugduni Batavorum : apud Verbeek & Kallewier, 1741 (Iurisprudentia romana et attica, III). PE´ TRONE, Satyricon. PICTET DE ROCHEMONT, Charles, Tableau de la situation actuelle des E´tatsUnis d’Ame´rique, d’apre`s Jedihah Mosse et les meilleurs auteurs ame´ricains, Paris : Du Pont, an III (1795), 2 vol. PLATON, Hippias majeur – Ιππι ασ μει ζων. – La Re´publique – Πολιτει α. PLUTARQUE, Vies paralle`les des hommes illustres – Βι οι παρα λλελοι. POMPONIUS, Sextus, Ad Quintum Mucium, liber XXXVII, De captivis. QUINTILIEN, Institution rhe´torique – Institutio oratoria. [RAMSAY, Andrew Michael], Essai philosophique sur le gouvernement civil, ou` l’on traite de la ne´cessite´, de l’origine, des droits, des bornes, &

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Instruments bibliographiques

des diffe´rentes formes de la souverainete´, selon les principes de feu M. Franc¸ois de Salignac de la Mothe-Fenelon, Londres : s.e´d., 1722. ROSE, George, A Brief Examination into the Increase of the Revenue, Commerce and Navigation of Great Britain from 1792 to 1799, Dublin : Graisberry and Campbell, 1799, 21806. ROUBAUD, Pierre-Joseph-Andre´, Repre´sentations aux magistrats contenant l’exposition raisonne´e des faits relatifs a` la liberte´ du commerce des grains et les re´sultats respectifs des re´glements de la liberte´, [Paris. : Lacombe], 1769. ROUSSEAU, Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondemens de l’ine´galite´ parmi les hommes (1755). – Du contrat social (1762). – Conside´rations sur le gouvernement de Pologne et sur la re´formation projete´e (1770–71). RULHIE` RE, Claude-Carloman de, E´claircissemens historiques sur les causes de la re´vocation de l’e´dit de Nantes et sur l’e´tat des protestants en France, depuis le commencement du re`gne de Louis XIV jusqu’a` nos jours, tire´s des diffe´rentes archives du gouvernement, Gene`ve : F. Dufart, 1788. RUMFORD, Benjamin Thompson, count, Count Rumford’s Experimental essays, political, economical, and philososphical, London : T. Cadell jun. and W. Davies, 1795–1796, 4 vol. (Traduction allemande : Benj[amin] Grafen von Rumford kleine Schriften politischen, ökonomischen und philosophischen Inhalts, nach der zweiten Ausgabe aus dem Englischen übersetzt, und mit neuen Beylagen bereichert, t. I, Weimar : Im Verlage des Industrie-Comptoirs, 21800). SAVOYE DE ROLLIN, Jacques-Fortunat, baron, «Discours du 13 ventoˆse an IX [4 mars 1801]», Moniteur no 165, 15 ventoˆse an IX, p. 687a-c. SAY, Jean-Baptiste, Traite´ d’e´conomie politique ou simple exposition de la manie`re dont se forment, se distribuent et de consomment les richesses, Paris : Impr. de Crapelet, an XI (1803). SIEYE` S, Emmanuel-Joseph, Essai sur les privile`ges, s.l. : s.e´d., [1788]. – «Discours du 2 thermidor an III [20 juillet 1795] a` la Convention», Moniteur nos 307 et 308, 7–8 thermidor an III [25–26 juillet 1795], pp. 1236– 1239. SISMONDI, Jean Charles Le´onard Simonde de, Recherches sur les constitutions des peuples libres (1796). – De la richesse commerciale, ou Principes d’e´conomie politique, applique´s a` la le´gislation du commerce, Gene`ve : J. J. Paschoud, an XI (1803), 2 vol.

Ouvrages cite´s par Constant

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– Histoire des re´publiques italiennes au Moyen Age, t. IV, Zurich : H. Gessner, 1808. SMITH, Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction nouvelle avec des notes et observations par Germain Garnier, Paris : H. Agasse, an X (1802). SPINOZA, Baruch, Tractatus politicus (1677). STAE¨ L-HOLSTEIN, Anne-Louise-Germaine de, Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Re´volution et des principes qui doivent fonder la re´publique en France (1798). STANISLAS IER, La voix libre du citoyen, ou observations sur le gouvernement de Pologne, [Amsterdam :] s.e´d., 1749. STUART, James, Recherches des principes de l’e´conomie politique, ou essai sur la science de la police inte´rieure des nations libres, dans lequel on traite spe´cialement de la population, de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, du nume´raire, des espe`ces monnoye´es, de l’inte´reˆt de l’argent, de la circulation des banques, du change, du cre´dit public, et des impoˆts, Paris : Didot l’aıˆne´, 1789. SULLY, Maximilien de Be´thune, duc de, Me´moires de Maximilien de Bethune, duc de Sully, principal ministre de Henri le Grand, mis en ordre avec des remarques par Mr L. D. L. D. L., nouvelle e´dition revue, corrige´e et augmente´e, avec des observations sur les remarques jointes aux dits Me´moires, l’Esprit de Sully et celui d’Henri IV, t. V, Lie`ge : F.-J. Desoer, 1788. TALLEYRAND-PE´ RIGORD, Charles-Maurice de, Rapport sur l’instruction publique fait au nom du Comite´ de constitution, a` l’Assemble´e nationale, les 10, 11 et 19 septembre 1791, Pairs : Baudouin et Du Pont, 1791. TITE-LIVE, Histoire romaine – Ab urbe condita. TOULONGEON, Franc¸ois-Emmanuel d’Emskerque, vicomte de, De l’esprit publique, me´moire de´signe´ pour eˆtre lu a` la dernie`re se´ance de l’Institut national, par le C. F.-Emmanuel Toulongeon, Paris : Du Pont, 1797. TURGOT, Anne-Robert-Jacques, Lettres sur les grains, e´crites a` M. l’abbe´ Terray, controˆleur ge´ne´ral, par M. Turgot, intendant de Limoges, s.l.n.d. [1788]. USTA´ RIZ, Gero´nimo de, The´orie et pratique du commerce et de la marine, traduction libre sur l’espagnol de don Geronymo de Usta´riz, sur la seconde e´dition de ce livre a` Madrid en 1742, Paris : Vve Estienne et Fils, 1753. VAUBAN, Se´bastien Le Prestre, Projet d’une dixme royale, qui supprimant La Taille, Les Aydes, les Doüanes d’une Province a` l’autre, les De´cimes du Clerge´, les Affaires extraordinaires ; & tous autres Impoˆts onereux & non volontaires : et diminuant le prix du Sel de moitie´ & plus, produiroit

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au Roy un Revenu certain et suffisant, sans frais ; & sans eˆtre a` charge a` l’un de ses Sujets plus qu’a` l’autre, qui s’augmenteroit considerablement par le meilleure Culture des Terres, par Mons.r le Mare´chal de Vauban, s.l. : s.e´d., 1707. VOLTAIRE, Le Fanatisme ou Mahomet le prophe`te (1736). XE´ NOPHON, Hie´ron – Ιε ρων. – La Constitution des Lace´de´moniens – Λακεδαιμονι ων πολιτει α. – (recte : PSEUDO-XE´ NOPHON), La Re´publique des Athe´niens – Αθηναι ων πολιτει α. WALCKENAER, Charles-Athanase, Essai sur l’histoire de l’espe`ce humaine, Paris : Dupont, 1798. WEBBE, John, «On government», Pennsylvania Gazette, 1er et 8 avril 1736.

Re´pertoire

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Re´pertoire des auteurs et des personnages historiques mentionne´s dans l’ouvrage

On trouvera dans ce re´pertoire une notice sur chacune des personnes cite´es nomme´ment par BC dans le corps de son ouvrage, ainsi que dans ses notes et additions. On y lira e´galement des renseignements sur les personnes auxquelles il fait allusion sans re´ellement les nommer et qui ont e´te´ identifie´es dans une note de l’e´diteur.

AGRIPPINE LA JEUNE, ne´e a` Colonia Agrippinensis (aujourd’hui Cologne), en 16, morte a` Baı¨es, en 59. Fille de Germanicus et d’Agrippine l’Aıˆne´e, et sœur de Caligula, elle e´pousa Domitius Ahenobarbus et fut me`re de Ne´ron. Veuve, elle e´pousa alors l’empereur Claude, son oncle, a` qui elle fit adopter Ne´ron, qu’elle maria a` Octavie, fille de Claude. Elle e´carta Britannicus, fils de Claude, du troˆne, puis empoisonna son mari. Elle fut elle-meˆme assassine´e par Ne´ron, qui e´tait exce´de´ de la tutelle qu’elle lui faisait subir. ALEMBERT, Jean Le Rond d’ (1717–1783), fils ille´gitime de Mme de Tencin et du chevalier Destouches, il fut abandonne´ sur les marches de la chapelle de Saint-Jean-le-Rond et fut e´leve´ par la femme d’un vitrier qui e´tait devenue sa nourrice. Il fit de brillantes e´tudes de physique et de mathe´matiques et se re´ve´la tre`s toˆt remarquable philosophe. Il collabora avec Diderot a` l’Encyclope´die, dont il re´digea le «Discours pre´liminaire». Il fut bientoˆt reconnu comme l’un des plus grands savants de son e´poque. ALEXANDRE LE GRAND (356–323 avant J.-C.), roi de Mace´doine, fils de Philippe II et d’Olympias. Il fut e´le`ve d’Aristote. De´signe´ comme chef de la confe´de´ration helle´nique par le congre`s de Corinthe, il de´truisit The`bes et soumit Athe`nes avant d’entreprendre la conqueˆte de l’Asie. Sa vie et ses conqueˆtes sont raconte´es par les grands historiens de l’Antiquite´, par Plutarque notamment. ALEXANDRE IER (1777–1825), empereur de Russie, fils de Paul Ier et petit-fils de Catherine II. Son pre´cepteur, le suisse Fre´de´ric-Ce´sar de La Harpe, le forma aux ide´es libe´rales. Il abolit la torture et la censure et re´organisa l’enseignement, fit la paix avec la Grande-Bretagne et participa avec elle a` la troisie`me coalition contre Napole´on. Battu a` Austerlitz, a` Eylau et a` Friedland, il fut contraint de signer le traite´ de Tilsit. Il de´clara la guerre a` la Grande-Bretagne mais, geˆne´ par le Blocus continental, renoua avec son ancienne allie´e, ce qui entraıˆna Napole´on a` entreprendre la campagne de Russie.

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ANACHARSIS, philosophe grecque d’origine scythe. Il est le he´ros du roman de l’abbe´ Jean-Jacques Barthe´lemy, Voyage du jeune Anacharsis en Gre`ce vers le milieu du IVe sie`cle avant l’e`re vulgaire (1788), qui est un ouvrage a` valeur didactique parmi les plus lus a` l’e´poque des Lumie`res. ANDOCIDE, orateur et homme d’E´tat athe´nien (vers 340–391). Il fut accuse´, comme Alcibiade, de la mutilation des statues d’Herme`s et s’exila a` Chypre. On a de lui des discours, dont l’un Sur les myste`res. ANDROMAQUE, he´roı¨ne de la trage´die d’Euripide comme de celle de Racine, et que Virgile met en sce`ne dans l’E´ne´ide, ou` une rencontre a lieu au cours de laquelle E´ne´e est interpelle´ par Andromaque, qui lui demande : «Hector ubi est» [Hector, ou` est-il ?] (E´ne´ide, III, 312). Mme de Stae¨l compare Racine, chez qui Andromaque pense a` se suicider si elle est contrainte d’e´pouser Pyrrhus, a` Virgile, qui lui donne deux maris, Pyrrhus et He´le´nus, apre`s la mort d’Hector, «sans penser que cette circonstance puisse nuire en rien a` l’inte´reˆt qu’elle doit inspirer» et entend montrer qu’ainsi l’e´crivain moderne peint «l’amour avec une sorte de de´licatesse, de culte, de me´lancolie et de de´vouement qui devait eˆtre tout a` fait e´trange`re aux mœurs, aux loix et aux caracte`res des anciens». ANTOINE ou MARC ANTOINE (83 – 30 avant J.-C.), homme politique romain. Maıˆtre de Rome apre`s l’assassinat de Ce´sar, il dut faire face a` Octave (le futur Auguste, voir a` ce nom) : il se rapprocha de lui et ils forme`rent avec Le´pide le deuxie`me triumvirat, qui e´limina le parti re´publicain par des proscriptions et des mises a` mort, avant de se partager l’empire. Antoine obtint l’Orient et e´pousa Octavie, la sœur d’Auguste. Cependant, soumis a` l’E´gypte par la passion qu’il avait conc¸u pour Cle´opaˆtre, il trahit Rome, qui s’indigna. La guerre e´clata et Octave gagna la bataille d’Actium (31 avant J.-C.), Antoine et Cle´opaˆtre regagnant l’Afrique. Un peu plus tard, Octave assie´gea Alexandrie, ou` Antoine se donna la mort, a` l’annonce de la fausse nouvelle du suicide de Cle´opaˆtre. APHOBE, tuteur de De´mosthe`ne, cousin de son pe`re, a` qui celui-ci l’avait confie´ a` sa mort, ainsi qu’a` De´mophon et The´rippide. De´mosthe`ne leur intenta plus tard un proce`s pour avoir dilapide´ sa fortune et ne´glige´ sa formation. Il est toutefois difficile de se faire une ide´e exacte de la re´alite´ car, dans son discours Sur la couronne, il affirme au contraire avoir rec¸u une excellente e´ducation. APOLLON, dieu grec de la lumie`re dont une des statutes, l’Apollon du Belve´de`re, visible aujourd’hui a` Rome, au muse´e du Vatican, est la copie romaine en marbre d’une statue de bronze attribue´e a` Le´ophare`s (IVe sie`cle avant J.-C.). ARIMANE, AHRIMAN ou AHRIMANE, principe du mal et des te´ne`bres chez les anciens Perses, qui est, dans la religion de Zoroastre, l’ennemi d’Ormuzd (Oromaze, pour BC), principe du bien et de la lumie`re.

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ARISTOPHANE (vers 450 –386 avant J.-C.), auteur grec de come´dies, qui a fonde´ le genre et l’a illustre´ de maıˆtresse manie`re. Il a e´crit 44 pie`ces, dont 11 seulement nous sont parvenues, parmi lesquelles Les Nue´es (423 avant J.-C.), mais aussi Les Cavaliers, Les Gueˆpes ou Les Grenouilles. ARISTOTE (384–322 avant J.-C.), philosophe grec. Disciple de Platon, il fut le pre´cepteur et l’ami d’Alexandre le Grand. Il est conside´re´ comme le pe`re de la logique, mais est aussi naturaliste, physicien, me´taphysicien et a e´crit des traite´s de morale, de politique, de poe´tique et de rhe´torique. AUGUSTE (63 avant J.-C. – 14 apre`s J.-C.), empereur romain. Petit-neveu de Ce´sar, il forma d’abord, sous son nom d’Octave, avec Antoine (voir ci-dessus) et Le´pide, le deuxie`me triumvirat, qui e´limina l’opposition re´publicaine. Lorsqu’ils se partage`rent le monde romain, Octave rec¸ut l’Occident et Le´pide l’Afrique. Avec l’aide d’Agrippa, Octave battit Sextus Pompe´e en Sicile et mit la main sur les possessions africaines de Le´pide, alors qu’Antoine abandonnait a` Cle´opaˆtre ses possessions romaines. Battant Antoine et Cle´opatre a` Actium, Octave annexa l’E´gypte et refit l’unite´ du monde romain en Me´diterrane´e, ce qui lui valu le titre d’empereur : il devint ainsi Auguste, titre qui lui reconnaissait une mission divine. Il entreprit alors de re´organiser l’empire, mais e´galement de prote´ger les arts, ce qui fit son re`gne «le sie`cle d’Auguste». BACON, Francis (1561–1626), homme d’e´tat et philosophe anglais. Apre`s des e´tudes juridiques, il devint membre de la Chambre des communes et acce´da, sous Jacques 1er, aux plus hautes charges judiciaires. Cela ne l’empeˆcha pas de poursuivre son œuvre de re´forme des sciences, l’Instauration Magna, qu’il ne put achever mais qui lui permit, d’une certaine manie`re, d’eˆtre l’initiateur des sciences modernes, ne´cessaires au perfectionnement de la morale et de la politique. BACON, Roger (vers 1214–1294), the´ologien et philosophe anglais. Sous l’influence de son maıˆtre Robert Grosseteste, il s’orienta vers les sciences mathe´matiques et naturelles et devint l’un des grands savants de son e´poque. C’est sous le pontificat de Cle´ment IV (1265–1268), qui avait e´te´ son e´le`ve, qu’il e´crivit ses œuvres les plus importantes, Opus majus, Opus minus et Opus tertium, avant qu’en 1277 ses the`ses philosophiques et astrologiques soient condamne´es. Il fut emprisonne´ jusqu’en 1292. On lui doit de grandes de´couvertes, notamment en acoustique et en optique. C’est lui aussi qui s’aperc¸ut que le calendrier julien e´tait errone´. Il est aujourd’hui conside´re´ comme un pre´curseur de la pense´e moderne. BAERT-DUHOLANT, Alexandre, baron de (vers 1750–1825), voyageur, puis de´pute´ du Pas-de-Calais a` l’Assemble´e le´gislative. Royaliste constitutionnel, il gagna les E´tats-Unis et ne revint en France qu’apre`s le 18 Brumaire. De´pute´ en 1815, il s’opposera aux exce`s de la Chambre introu-

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vable. Il a publie´ un ouvrage remarquable sur l’empire britannique, que BC cite souvent, le Tableau de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et des possessions anglaises dans les quatre parties du monde, 4 vol., Paris : H. I. Jansen, An VIII. BARANTE, Amable-Guillaume-Prosper Brugie`re, baron de (1782–1866). Fils du pre´fet du Le´man, il a 21 ans quand BC fait sa connaissance. Fascine´ par Coppet, il tombe amoureux de Germaine de Stae¨l et veut l’e´pouser, projet que son pe`re n’approuve pas. Nomme´ auditeur au Conseil d’E´tat, il est envoye´ en mission a` Madrid puis en Allemagne, ou` il est affecte´ a` l’intendance ge´ne´rale des arme´es. Choque´ par les horreurs de la guerre, il rentre en France pour devenir sous-pre´fet a` Bressuire (1807). Il entame alors sa carrie`re litte´raire, faisant du journalisme au Publiciste et re´digeant son Tableau de la litte´rature franc¸aise au XVIIIe sie`cle, qui le fait connaıˆtre. Napole´on le nomme pre´fet de la Vende´e (a` Napole´onVende´e, aujourd’hui La Roche-sur-Yon). En mars 1813, il deviendra pre´fet de la Loire-Infe´rieure et conservera son poste jusqu’au 20 mars 1815. ` la Seconde Restauration, il sera secre´taire ge´ne´ral du ministe`re de A l’Inte´rieur. BARTHE´ LEMY, Jean-Jacques : voir ANACHARSIS BECCARIA, Cesare (1738–1794), juriste italien. Auteur du traite´ Des de´lits et des peines (1764), traduit en franc¸ais par l’abbe´ Morellet, dans lequel il de´nonce a` la fois la torture et la peine de mort. L’ouvrage, qui renouvelle le droit pe´nal, fut tre`s critique´ dans certains milieux, mais connut un tre`s grand succe`s dans tous les pays d’Europe et fut commente´ par Voltaire et par Diderot. BEEKE, Henry, auteur d’un ouvrage intitule´ Observation on the produce of the income tax and on its proportion to the whole income of Great Britain, London : J. Wright, 1800. BC confond en re´alite´ ce travail avec un autre, de Georg Rose (voir sous ce nom). BELLA, Giano della, noble florentin de la fin du 13e sie`cle qui renonc¸a a` sa condition pour se mettre a` la teˆte du peuple. Il e´tablit un gouvernement de´mocratique, mais une re´action eut lieu et il dut quitter Florence (1294) et alla mourir l’anne´e suivante en exil. BC en parle d’apre`s Sismondi (voir sous ce nom). BENTHAM, Jeremy (1748–1832), Philosophe et jurisconsulte britannique, disciple de Hobbes et d’Helvetius. Ses ide´es eurent une influence conside´rable sur la vie politique de Grande-Bretagne dans le courant du dixneuvie`me sie`cle. Ses œuvres principales, qui furent traduites en franc¸ais et commente´es par son secre´taire E´tienne Dumont, ont pour titre Introduction aux principes de la morale et de la le´gislation (1789), Traite´ des peines et des re´compenses (1811) et De´ontologie (1834).

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BIOT, Jean-Baptiste (1774–1862), physicien franc¸ais. Il s’inte´ressa aux me´te´orites, e´tudia la conduction et fit les premie`res mesures pre´cises de la densite´ des gaz, en collaboration avec Arago. Il attacha aussi son nom a` l’e´tude de l’interaction entre le courant e´lectrique et le champ magne´tique. BLACKSTONE, William (1780–1823), juriste anglais enseignant a` Oxford. Il s’inte´ressa a` l’origine des lois et a` leur infuence sur les mœurs. De´pute´ a` la Chambre des communes, il occupa e´galement des fonctions juridiques importantes. Son ouvrage le plus connu s’intitule Commentaries of the law of England. BC utilise aussi les Traite´s de le´gislation civiles et pe´nales, pre´ce´de´es de principes ge´ne´raux de le´gislation et d’une vue d’un corps complet de droit, publie´s en franc¸ais par E´tienne Dumont, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X (1802). BOECE (480–524), philosophe et homme politique latin. Son œuvre principale, De la consolation de la philosophie, a e´te´ e´crite en prison, avant que son auteur ne soit exe´cute´ pour cause de complot et de magie. Boece occupe une place importante dans l’histoire de la logique, entre Aristote et les stoı¨ciens d’un coˆte´, le Moyen-aˆge de l’autre. BONALD, Louis-Ambroise de (1754–1840), e´crivain politique franc¸ais. Grand de´fenseur de la monarchie et du catholicisme, il incarne re´ellement la pense´e anti-re´volutionnaire. Il attaque avec violence, dans la presse, le mate´rialisme, l’athe´isme et les principes de´mocratique mais il est aussi, notamment, l’auteur de The´orie du pouvoir politique et religieux (1796), d’un Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social (1800) et de Le´gislation primitive (1802). E´lu de´pute´ en 1815, il contribua a` faire abolir le divorce (1816) et ne cessa de combattre la liberte´ de la presse. Entre´ a` l’Acade´mie franc¸aise sur ordonnance royale en 1816, il fut fait pair de France en 1823, mais se de´mit volontairement de cette dignite´ en 1830. BOSSUET, Jacques-Be´nigne (1627–1704), pre´lat, the´ologien et e´crivain. Pre´cepteur du Grand Dauphin avant de devenir e´veˆque de Meaux, il avait e´te´ oriente´ vers la pre´dication par Saint-Vincent de Paul et s’est rendu ce´le`bre notamment par ses sermons. Il est e´galement bien connu comme philosophe et historien, graˆce a` son Discours sur l’histoire universelle (1681). BOUGAINVILLE, Louis-Antoine, comte de (1729–1811), mathe´maticien et juriste, il fit carrie`re dans l’arme´e avant de s’illustrer comme navigateur. Il est l’auteur d’un Voyage autour du monde e´crit a` l’issue d’une expe´dition qui dura trois ans (1766–1769). BC fait peut-eˆtre allusion a` Bougainville la` ou` il parle des Phe´niciens et de leur richesse due au commerce. L’explorateur avait en effet publie´ un «Me´moire sur les de´cou-

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vertes et les e´tablissements faits le long des coˆtes d’Afrique par Hanon, amiral de Carthage» dans les Me´moires de l’Acade´mie des inscriptions et belles-lettres (1761). BOULAY, Antoine-Jacques, comte Boulay de la Meurthe (1761–1840), avait e´te´ pre´sident du tribunal de Nancy, accusateur public du de´partement et de´pute´ de la Meurthe au Conseil des Cinq-Cents. Devenu l’une des e´minences grises de Napole´on de`s avant Brumaire, il prit une grande part a` l’e´laboration du Code civil et e´tait e´galement directeur du contentieux des domaines nationaux. Il sera fait comte d’Empire en 1808 et frappe´ d’exil par Louis XVIII, a` la Seconde Restauration, comme complice du retour de l’Empereur. C’est lui qui avait propose´ la de´portation des nobles en 1797, apre`s le coup d’E´tat du 18 fructidor. BRILLAT-SAVARIN, Anthelme (1755–1826), magistrat, gastronome et e´crivain. De´pute´ a` l’Assemble´e constituante, il e´migra en Suisse puis aux E´tats-Unis, dont il ne revint que sous le Directoire. Il sera, sous le Con` l’Assemble´e, en 1791, il s’e´tait sulat, conseiller a` la Cour de cassation. A exprime´ en faveur de la peine de mort. Il est reste´ ce´le`bre surtout comme l’auteur de la Physiologie du gouˆt (1825). BRUNE, Guillaume (1763–1815), mare´chal de l’Empire. Il s’e´tait illustre´ a` Arcole et est l’un des chefs de la guerre mene´e par la France contre Berne en vue de l’e´mancipation du Pays de Vaud. Charge´ par le Directoire de commander l’arme´e franc¸aise en Suisse, il jouera un roˆle important dans une ope´ration de´licate comme le sont toutes les ope´rations militaire en terre e´trange`re. Accueillies tre`s favorablement par les Vaudois qui souhaitaient la fin du re´gime bernois, les troupes franc¸aises sont e´videmment tre`s mal vues par les tenants du meˆme re´gime. Brune est un personnage qui retient ne´cessairement l’attention de BC en raison de son attachement a` son pays natal, mais il faut noter que, devenu parisien, il fait preuve d’une grande prudence a` l’e´gard des affaires suisses sous le Directoire. Il faut aussi savoir que le mare´chal Brune quittera bientoˆt la Suisse pour la Hollande, ou` son devoir l’appelle. Sur l’attitude de BC a` cette e´poque, on verra Marie-Claude Jequier, «Fre´de´ric-Ce´sar La Harpe, Benjamin Constant et Mme de Stae¨l face a` la Suisse (1797–1814)», dans Revue historique vaudoise, 86e anne´e, 1978, pp. 39–56. BRUTUS, Lucius Junius Brutus, dit BRUTUS L’ANCIEN (VIe sie`cle avant J.-C.), he´ros romain dont la le´gende veut qu’il feignit la folie pour e´chapper a` la violence de Tarquin le Superbe, dont il e´tait le neveu. Il souleva le peuple contre Sextus, fils de Tarquin, et fit de´cre´ter l’abolition de la royaute´. Le pouvoir fut confie´ a` deux pre´teurs, dont Brutus lui-meˆme. Une conjuration se forma pour re´tablir les Tarquins et les deux fils de Brutus y prirent part. Les conjure´s furent condamne´s et Brutus, comme

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magistrat, dut pre´sider a` l’exe´cution de ses fils. Le fait donna lieu a` diverses illustrations, tant en peinture (Lethie`re, 1812) qu’en litte´rature (Voltaire et Alfie´ri). BRUTUS, Marcus Junius (vers 86–42 avant J.-C.), l’un des meurtriers de ` la bataille de Philippes, qui fit suite a` l’assassinat, Brutus et Ce´sar. A Cassius commandaient les re´publicains tandis qu’Octave et Antoine conduisaient les ce´sariens. Cassius, vaincu, se donna la mort tandis que Brutus, d’abord vainqueur, dut finalement se retirer et n’eut d’autre solution que de se jeter sur son e´pe´e. Orateur brillant, Brutus est l’un des personnages pris pour mode`le par Cice´ron dans ses traite´s sur l’art oratoire. BUFFON, George-Louis Leclerc, comte de (1707–1788), naturaliste et e´crivain. Intendant du Jardin du roi, il est surtout connu pour son Histoire naturelle, qu’il re´digea avec de nombreux collaborateurs et qui parut a` partir de 1749. BURKE, Edmund (1729–1797), e´crivain et homme politique britannique. Il fut l’un des chefs du parti des whigs et de´saprouvait vigoureusement la Re´volution franc¸aise qui, selon lui, ne pouvait conduire qu’a` la tyrannie. BC avait e´videmment lu ses Reflexions on the Revolution in France (1790), ou` se manifeste une brillante rhe´torique, et il avait meˆme entrepris d’en e´crire une re´futation (voir OCBC, i, p. 239). BURNET, Gilbert (1643–1715), historien et the´ologien anglais. Eveˆque de Salisbury, il est l’auteur de The History of my Own Times (1724), dont une traduction franc¸aise a e´te´ procure´e par La Pillonnie`re (1727), ainsi que de nombreux autres ouvrages, parmi lesquels The History of the Reformation of the Church of England, publie´e en trois parties (1679, 1681, 1714). Il est l’une des sources fre´quentes de BC sur l’histoire de la Grande-Bretagne. CABANIS, Pierre-Jean-Georges (1757–1808), me´decin et philosophe. Il vint a` la me´decine et a` la philosophie apre`s s’eˆtre cru destine´ a` une carrie`re poe´tique. Il soigna Mirabeau, dont il devint l’ami, et fut un familier du salon de Mme Helve´tius. Apre`s avoir aide´ Bonaparte a` conque´rir le pouvoir en jouant un roˆle de´terminant au Conseil des Cinq-Cents, il osa le de´savouer. Membre du groupe des Ide´ologues, il s’opposa ne´anmoins sur certains points a` Condillac dans le plus ce´le`bre de ses ouvrages, le Rapports du moral et du physique de l’homme (1802). Il avait e´pouse´ Charlotte de Grouchy, la sœur de Sophie de Condorcet, qui e´tait devenue, elle, apre`s son veuvage, la compagne de Claude Fauriel, un ami de BC. CALAS, Jean (1698–1762), ne´gociant calviniste de Toulouse. Ayant dissimule´ le suicide de son fils, il fut accuse´ de l’avoir assassine´ pour empeˆcher sa conversion au catholicisme. Il fut condamne´, supplicie´ et exe´cute´. Graˆce a` Voltaire, qui intervint a` la demande de la famille, l’erreur

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judiciaire furt e´tablie et Calas fut re´habilite´ (1765). C’est a` cette occasion que Voltaire e´crivit son Traite´ sur la tole´rance (1763). CAMILLE, Marcus Furius (IVe sie`cle avant J.-C.), ge´ne´ral et homme d’E´tat romain. Il s’illustra dans la lutte contre les E´trusques, a` qui il prit Ve´ies – l’une de leurs villes importantes, situe´e au Nord-ouest de Rome – apre`s un sie`ge de dix ans (405–395 avant J.-C.) mais de´plut par son faste de triomphateur et sa parcimonie dans le partage du butin. Parti pour l’exil, il fut rappele´ par les Romains lorsque la ville fut conquise par les Gaulois, a` l’exclusion du Capitole. Nomme´ alors dictateur, il tailla l’envahisseur en pie`ces et entreprit de rendre a` Rome sa puissance et sa prospe´rite´. Il cessa de s’opposer aux lois de´mocratiques. Il mourut fort aˆge´ et fut appele´ le Second fondateur de Rome. CAMILLE, Lucius Furius (IVe sie`cle avant J.-C.), ge´ne´ral et dictateur romain, fils de Marcus Furius (voir sous ces pre´noms). Il battit les Gaulois (349 avant J.-C.) et s’empara d’Antium (337 avant J.-C.), d’ou` il ramena comme trophe´es toutes les proues d’airain (les rostres) des gale`res qui se trouvaient dans le port. CANARD, Nicolas-Franc¸ois (1754–1833), mathe´maticien et publiciste. Professeur de mathe´matique et de physique au lyce´e de Moulins, ses Principes d’e´conomie politique (1802) furent couronne´s par l’Institut, Il e´crivit aussi, entre autres ouvrages, un Me´moire sur le perfectionnement du jury (1802) – ouvrage sur un sujet qui inte´ressait BC (voir sous Gach), mais dont nous ignorons s’il l’a lu – et un Traite´ e´le´mentaire des e´quations (1808). CAPET, surnom donne´ a` Hugues 1er de France (vers 938–996), fils de Hugues le Grand, et qui devint le nom de sa descendance. L’origine du surnom reste discute´e, mais les Cape´tiens sont les membres de la dynastie issue de lui en ligne directe, jusqu’a` Charles IV le Bel. CARACALLA, Marcus Aurelius Antonius BASSIANIUS, dit (188–217), empereur romain, fils de Septime Se´ve`re. En 212, il assassina son fre`re Geta, proclame´ empereur en meˆme temps que lui l’anne´e pre´ce´dente. Il tenta d’unifier l’empire en accordant la nationalite´ romaine a` tous ses sujets libres. Il fit construire a` Rome des thermes gigantesques qui portent son nom. Empereur guerrier, il fit des conqueˆtes en Gaule, sur le Danube, en E´gypte et en Syrie, ou` il mourut assassine´ par Macrin, qui e´tait alors pre´fet du pre´toire (chef de la garde pre´torienne) et devint empereur a` son tour. CARNE´ ADE (vers 215-vers 129 avant J.-C.), philosophe grec de la Nouvelle Acade´mie fonde´e par Arce´cilas (IIIe sie`cle avant J.-C.). Il est le repre´sentant le plus marquant de la philosophie qu’on a appele´e probabiliste. Il s’agissait, en refusant le dogmatisme, de donner un fondement stable a`

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nos connaissances, la meilleure «cre´dibilite´» ou la plus grande probabilite´. Carne´ade s’attache a` montrer quels sont les degre´s de la probabilite´ et a` quels signes on reconnaıˆt le probable. Cette philosophie exerc¸a une influence profonde sur la culture romaine. CARTOUCHE, Louis-Dominique (1693–1721), bandit parisien. Chef d’une bande de malfaiteurs qui terrorisa Paris au de´but du XVIIIe sie`cle. Il e´chappa longtemps a` la police mais finit par eˆtre arreˆte´, juge´ et roue´ vif en place de Gre`ve. CATHERINE II (1729–1796), impe´ratrice de Russie. D’origine allemande, ne´e Sophie d’Anhalt-Zerbst, convertie a` la religion orthodoxe, elle fut rebaptise´e Catherine Alexeievna avant d’e´pouser le futur Pierre III. Amie de Diderot, de Voltaire, de Grimm et de d’Alembert, c’e´tait une femme d’une intelligence supe´rieure alors que son mari e´tait aux limites de la de´bilite´ mentale. Comme il la menac¸ait de la re´pudier en raison de ses mœurs dissolues, elle prit le pouvoir par un coup d’E´tat militaire. Voulant re´gner en despote e´claire´, elle s’attacha surtout a` renforcer son pouvoir au de´triment des liberte´s. En revanche, elle encouragea les arts et les lettres, embellit Saint-Pe´tersbourg et assura la prospe´rite´ e´conomique de son pays en favorisant le de´veloppement industriel. La Russie devint sous son re`gne une grande puissance europe´enne. CATILINA, Lucius Sergius (vers 108–62 avant J.-C.), homme politique romain. De famille patricienne, mais ruine´, il tenta, aide´ de complices, d’assassiner deux consuls puis, deux ans plus tard, brigua lui-meˆme le consulat. Il fut interpelle´ en plein Se´nat par Cice´ron et dut quitter Rome. C’est au total un personnage myste´rieux, qui ne nous est connu que par les e´crits de ses deux grands adversaires, Cice´ron (auteur des Catilinaires) et Salluste (auteur de la Conjuration de Catilina). CATON L’ANCIEN (234 –149 avant J.-C.), homme politique romain. Censeur, il lutta contre le luxe et l’influence grecques qui portaient atteinte a` ses yeux aux vertus traditionnelles de Rome. Envoye´ comme ambassadeur a` Carthage, il encouragea pas ses discours la troisie`me guerre punique et la formule par laquelle il concluait ses discours, Delenda quoque Carthago (et, de plus, il faut de´truire Carthage) est reste´e fameuse. Il est le mode`le meˆme du vieux romain, auste`re, e´conome sinon avare, et attache´ aux traditions d’un peuple agricole. Il a du reste consacre´ a` l’agriculture un traite´ reste´ ce´le`bre, De agri cultura. ´ CECROPS, premier roi mythique de l’Attique et fondateur d’Athe`nes (de´nomme´e d’abord Ce´cropia), est parfois repre´sente´ comme mi-homme mi-serpent. On dit aussi qu’il serait venu d’E´gypte a` la teˆte de colons. On lui attribue la paternite´ de nombreuses choses qui feront la gloire d’Athe´nes : l’enseignement de l’agriculture et de l’e´criture, l’organisation ad-

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ministrative du pays, l’abolition de l’esclavage, etc.. La ville devrait son nom a` l’arbitrage qu’il dut faire entre Poseidon et Athe´na, cette dernie`re ayant offert au pays l’olivier. CE´ SAR, Caı¨us-Julius (101–44 avant J.-C.), dictateur romain. Avocat, il e´tait pre´teur de´signe´ quand e´clata la conjuration de Catilina. Il tenta de sauver les conjure´s. Il fut ensuite envoye´ comme gouverneur en Espagne. Il rendit sa province prospe`re et s’enrichit personnellement. Revenu a` Rome, il forma avec Crassus et Pompe´e le premier triumvirat. Il rec¸ut le gouvernement des Gaules cisalpine et transalpine. Il assit son prestige par la conqueˆte des Gaules, de 59 a` 51. Sa popularite´ e´tant devenue de´mesure´e, le se´nat lui retira son commandement. Il posa alors un ultimatum : que Pompe´e abandonne aussi son commandement ou qu’on lui laisse le sien. Le se´nat ayant refuse´, Ce´sar marcha sur Rome en triomphateur. Apre`s la de´faite de Pharsale et la mort de Pompe´e, il fut, en 48, proclame´ empereur, pour dix ans d’abord, a` vie ensuite. CHAMFORT, Nicolas de, pseudonyme de Se´bastien Roch Nicolas (1740– 1794), moraliste franc¸ais. Tre`s appre´cie´ par l’aristocratie pour son esprit, il approuva cependant la Re´volution, puis condamna la terreur, fut emprisonne´ et se suicida. Spirituel et tre`s caustique, il est l’auteur de diffe´rents e´crits publie´s de son vivant, mais ses Maximes, pense´es, caracte`res et anecdotes sont posthumes (1795). Il se moque autant de l’Ancien Re´gime, qui est en de´composition, que des travers du pouvoir re´volutionnaire. CHARDIN, Jean (1643–1713), voyageur franc¸ais. Il visita les Indes et la Perse, puis regagna l’Europe et e´crivit Les Re´cit du couronnement du roi de Perse Soliman III (1670) avant de faire un nouveau se´jour dans les meˆmes pays et de re´diger Voyages en Perse et aux Indes orientales (1686). E´tant protestant, il s’installa a` son retour en Angleterre, puis devint agent de la «Compagnie anglaise des Indes» en Hollande, ou` il fut e´galement ple´nipotentiaire du roi aupre`s des E´tats-Ge´ne´raux. CHARLEMAGNE (742–814), empereur d’Occident. A la mort de son pe`re, Pe´pin le Bref, il avait rec¸u la Neustrie, l’Austrasie et une partie de l’Aquitaine, son fre`re Carloman recevant, lui, le reste de l’Aquitaine, l’Ale´manie, l’Alsace, la Bourgogne et la Septimanie. Les deux fre`res s’oppose`rent et, a` la mort de Carloman, Charlemagne fit main basse sur ses proprie´te´s. Il fut couronne´ empereur par le pape Le´on III en l’an 800. Homme de guerre, il a e´galement la re´putation d’un grand administrateur, soucieux aussi de de´velopper les arts et les lettres. CHARLES IER (1600–1649), roi d’Angleterre, d’E´cosse et d’Irlande. D’abord bien vu, il s’alie´na rapidement l’opinion par ses maladresses et son intransigeance politique et religieuse. Il se mit en guerre avec le Parlement

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pour une question d’impoˆts et le renvoya. Il gouverna seul pendant plus de dix ans. En 1640, l’E´cosse s’e´tant souleve´e, il fut cependant oblige´ de convoquer le Parlement. Apre`s diverses pe´ripe´ties, la guerre civile e´clata, opposant «cavaliers» et «teˆtes rondes» sur des questions politiques et religieuses. L’arme´e commande´e par Olivier Cromwell e´crasa celle du roi a` Naseby (1645). Charles Ier, re´fugie´ en E´cosse, fut livre´, mais s’e´vada. Son arme´e fut a` nouveu vaincue, il fut arreˆte´, juge´ et en fin de compte exe´cute´. CHARLES II (1630–1685), roi d’Angleterre, fils du pre´ce´dent. Re´fugie´ en France, il fut proclame´ roi d’E´cosse apre`s la mort de son pe`re. Il crut pouvoir envahir l’Angleterre mais, battu par Cromwell a` Worcester, il dut a` nouveau s’exiler en France puis aux Pays-Bas. Rappele´ graˆce a` Monk, la restauration commenc¸a mal, par le supplice des re´gicides et des perse´cutions religieuses, mais le Parlement tint bon et les partis s’organise`rent. Le roi fit alors preuve d’une certaine habilete´ en acceptant de revoir ses positions tant religieuses que politiques. Son re`gne fut cependant assombri par la peste et par l’incendie de Londres (1666). Il entretenait une cour brillante et encouragea la vie intellectuelle et artistique, ce qui rendit un certain lustre a` la Grande-Bretagne. Au total, Charles II apparait a` la fois comme un prince e´goı¨ste, frivole et de´bauche´, mais qui a pour lui une grande popularite´, entretenue par un esprit a` la fois retors et spirituel. CHARLES QUINT (1500–1558), empereur du Saint-Empire germanique. Parmi les nombreuses difficulte´s qu’il eut a` affronter tout au long de son re`gne, l’une des plus de´licates est sans doute la re´forme religieuse voulue par Luther, qui entraıˆna durant des anne´es une ve´ritable anarchie en Allemagne. En 1541, Charles-Quint fit une premie`re tentative pacificatrice en confiant a` une commission de trois preˆtres catholiques et de trois preˆtres protestants la mission d’e´laborer un document provisoire qui dicterait la marche a` suivre en attendant qu’un concile ge´ne´ral eut re´gle´ de´finitivement les questions litigieuses. Cet essai, fait a` Ratisbonne, e´choua. En 1548, apre`s le transfert du concile de Trente a` Bologne, Charles fit une nouvelle tentative en demandant a` trois the´ologiens de se re´unir pour re´diger a` leur tour un re`glement, ce qui fut fait en vingt-six articles portant sur tous les points controverse´s. Ce re`glement, devenu constitution impe´riale, fut appele´ l’Interim d’Augsbourg et publie´ le 15 mai 1548. Il autorisait la communion sous les deux espe`ces, abolisait le ce´libat des preˆtres, mais maintenait les sept sacrements, le culte des saints et la juridiction e´piscopale. De nombreux ministres protestants refuse`rent cet arrangement qui me´contenta e´galement les catholiques ainsi que le pape Paul III.

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CHARLES VI (1368–1422), roi de France, surnomme´ Le Bien-aime´ ou Le Fou. Le de´but de son re´gne ne fut pas trop catastrophique, graˆce a` la tutelle de ses oncles, meˆme s’ils eurent a` re´primer un certain nombre de re´voltes. Mais le roi connut en 1392 un ve´ritable acce`s de de´mence et les choses se gaˆte`rent. Le roi d’Angleterre, Henri V, profita de la situation et, s’alliant aux Bourguignons, battit les Franc¸ais a` Azincourt. Charles VI de´she´rita son fils (futur Charles VII), reconnut Henri V comme son successeur et lui confia la re´gence. CHARLES IX (1550–1574), roi de France. Second fils de Henri II et de Catherine de Me´dicis, il succe´da a` son fre`re Franc¸ois II, le pouvoir e´tant en fait exerce´ par sa me`re. Apre`s avoir essaye´ vainement d’une re´conciliation avec les huguenots (Saint-Germain-en-Laye), il ce´da a` la pression catholique et ordonna, malgre´ lui, le massacre de la Saint-Barthe´lemy. CHARLES XII (1682–1718), roi de Sue`de, ce´le`bre surtout pour les guerres qu’il mena au de´triment de la sante´ financie`re de son pays ainsi que pour son ge´nie militaire, e´voque´ par Voltaire dans son Histoire de Charles XII (1731). Tout jeune encore (1700) – il e´tait monte´ sur le troˆne a` quinze ans – il s’illustra par sa bravoure et son acharnement dans la guerre qui opposa la Sue`de a` la coalition de la Pologne, du Danemark et de la Russie. Il s’abandonna a` l’ivresse de la victoire et, contre l’avis de ses conseillers, envahit la Pologne, ou` il fit e´lire comme roi Stanislas Leszczinski (1703) et exe´cuter sur la roue le Livonien Patkul, ministre russe a` Dresde, geste qui scandalisa l’Europe entie`re. Le tzar ayant repris l’offensive, Charles entra en Russie (1707), voulant marcher sur Moscou, mais la rigueur du climat, la faim et la maladie affaiblirent son arme´e, qui fut e´crase´e a` Pultava (1709). Il s’enfuit alors en Turquie, ou` il resta cinq ans, incitant le sultan a` faire la guerre aux Russes. Les turcs ayant finalement de´cide´ de le livrer aux Polonais, Charles se de´fendit avec une poigne´e d’hommes dans un combat opiniaˆtre. Pris par les Turcs, il re´ussira a` s’enfuir, rentrera dans son pays et se fixera a` Lund (1715), essayant alors de se re´concilier avec le tzar. Il y re´ussit et une arme´ russo-sue´doise envahissait la Norve`ge lorsque Charles XII fut tue´, un peu myste´rieusement, d’un coup de feu. Sa jeunesse, sa bravoure et sa gloire militaire furent regrette´es, mais le roˆle de grande puissance de son pays e´tait termine´. Ce que BC retient surtout de lui, c’est son absolutisme, comparable a` ceux de Louis XIV ou de Louis XV, qui e´taient condamne´s de´ja` par une partie de l’opinion. CHATEAUBRIAND, Franc¸ois-Rene´, vicomte de (1768–1848), e´crivain et homme politique. Les allusions que BC fait a` Chateaubriand dans ses Principes de politique de 1806 sont relatives au Ge´nie du Christianisme,

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paru en 1802 et sur lequel il a tenu ailleurs des propos particulie`rement durs. Dans une lettre a` Fauriel, d’avril 1802, par exemple, il dit que «c’est la plupart du temps un galimatias double» et ajoute que «dans les plus beaux passages il y a un me´lange de mauvais gouˆt qui annonce l’absence de la sensibilite´ comme de bonne foi». Il reproche e´galement a` l’auteur d’avoir «pille´ les ide´es de l’ouvrage sur la litte´rature [de Germaine de Stae¨l]». Soulignons cependant que le jugement de BC sur l’auteur de Rene´ fluctuera sensiblement dans la suite. Voir notamment sur le sujet E´. Harpaz, «Benjamin Constant et Chateaubriand. Une inimitie´ amicale», dans Me´langes de langue, d’histoire et de litte´rature franc¸aises offerts a` Enea Balmas, Paris : Klincksieck, 1993, t. 2, pp. 1239–1251. CICERON, Marcus Tullius Cicero (106–43 avant J.-C.), homme politique et illustre orateur latin. Apre`s avoir de´joue´ la conspiration de Catilina et obtenu la condamnation de ses complices, il fut accuse´ d’avoir fait exe´cuter des citoyens sans jugement, et exile´ en Gre`ce par les triumvirs Ce´sar, Pompe´e et Crassus. On l’envoya comme consul en Gre`ce. De retour a` Rome, il obtint le pardon de Ce´sar mais, apre`s l’assassinat du dictateur, il s’en prit vigoureusement a` Antoine, qui favorisait outrageusement le jeune Octave. Les deux hommes s’unirent a` Le´pide dans un second triumvirat et Cice´ron fut proscrit, rejoint dans sa fuite et assassine´ sur ordre d’Antoine. Ambitieux certes, il e´tait e´galement un e´crivain de premier ordre et un brillant orateur. Il a du reste e´labore´ une the´orie de l’e´loquence et sa devise «docere (prouver), delectare (plaire) et movere (e´mouvoir)» a inspire´ apre`s lui toute la rhe´torique latine. BC cite souvent certains de ses ouvrages, et particulie`rement De officiis (Des offices ou, mieux, Des devoirs), dont il a en outre mis un extrait abre´ge´ en exergue au manuscrit de Paris de ses Principes. CINCINNATUS (Ve sie`cle avant J.-C.), he´ros national de la Rome antique. La le´gende veut qu’on vint a` diverses reprises l’arracher a` sa charrue pour le nommer dictateur et que, vainqueur, il refusa les honneurs et retourna a` sa charrue. Il est le mode`le meˆme du Romain, paysan, soldat et homme d’E´tat. CINEAS (mort en 279 avant J.-C.), homme politique grec. Ministre de Pyrrhus, il essaya de le dissuader d’entreprendre son expe´dition contre Rome au cours d’une conversation bien connue que Plutarque a rapporte´e dans ses Vies des hommes ce´le`bres. Le ministre ayant demande´ au roi ce qu’il ferait apre`s avoir conquis Rome, ce dernier lui re´pondit qu’il entreprendraitdenouvellesconqueˆtesjusqu’a` cequ’iln’yeutplusdepeuplea` soumettre. CLERMONT-TONNERRE, Stanislas-Marie, comte de (1757–1792), homme politique. De´pute´ de la noblesse aux E´tats-Ge´ne´raux, il fut d’abord favorable a` l’abolition des privile`ges, mais se rallia ensuite au groupe des mo-

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narchistes. Il fut assassine´ lors de la journe´e du 10 aouˆt 1792. CLOVIS Ier (vers 466–511), roi des Francs. Le fils de Childe´ric avait he´rite´ d’un petit royaume entre la mer du Nord, l’Escaut et le Cambre´sis. Ayant vaincu Syagrius, dernier repre´sentant de l’autorite´ romaine, a` la bataille de Soissons (486), il e´tendit ses e´tats jusqu’a` la Loire ; ayant vaincu les Alamans a` Tolbiac, il les porta jusqu’au Rhin ; s’e´tant converti au catholicisme sous l’influence de Clotilde, sa femme, et de Re´mi, e´veˆque de Reims, il s’assura l’appui de ses sujets gallo-romains ; il dut en de´coudre avec une coaliton des rois barbares ariens organise´e par The´odoric le Grand et battit Alaric, roi Wisigoth, a` Vouille´, puis conquit l’Aquitaine avant d’annexer quelques petits royaumes francs, comme celui de Cologne. Il fut, l’anne´e de sa mort, l’initiateur du concile d’Orle´ans. COLLATIN, Lucius Tarquinus (VIe sie`cle avant J.-C.), neveu de Tarquin le Superbe. Il fut, avec Brutus, l’un des deux premiers consuls de Rome. Il e´tait le mari de Lucre`ce (voir a` ce nom), qui fut de´shonore´e par le fils de Tarquin le Superbe et se donna la mort. CONDILLAC, E´tienne Bonnot de (1715–1780), philosophe franc¸ais. Apre`s avoir renonce´ au sacerdoce, il fre´quenta les philosophes (Fontenelle, Rousseau et Diderot) avant de devenir pre´cepteur puis de se retirer dans une abbaye. Il est passionne´ par divers sujets, comme l’e´conomie politique, la logique ou la linguistique, sur lesquels il e´crit des ouvrages d’un haut inte´reˆt : Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746), Traite´ des sensations (1755), Le commerce et le gouvernement conside´re´s relativement l’un a` l’autre (1776), Logique (1780), Langue des calculs (qui paraıˆtra en 1798). Ses conside´rations sur le langage pre´figurent certaines the´ories linguistiques modernes. CONDORCET, Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de (1743– 1794), philosophe, mathe´maticien et homme politique. Auteur tre`s jeune d’ouvrages scientifiques comme Essai sur le calcul inte´gral et Proble`me des trois corps, il fut e´lu a` l’Acade´mie des Sciences, dont il devint bientoˆt le secre´taire perpe´tuel. Ami de de Turgot, de Voltaire et de d’Alembert, il collabora a` l’Encyclope´die, prit parti contre la peine de mort, contre l’esclavage et en faveur de l’e´galite´ des droits. De´pute´ a` l’Assemble´e le´gislative et a` la Convention, il proposa une re´forme de l’instruction ` l’e´poque de la Terreur, il fut recherche´ comme Girondin et publique. A e´crivit clandestinement une Esquisse d’un tableau historique des progre`s de l’esprit humain, mais, condamne´ a` mort, il s’empoisonna pour e´chapper a` l’e´chafaud. COOK, James (1728–1779), navigateur anglais. Fils de paysan, il s’engagea comme mousse puis entra dans la marine royale. Apre`s avoir explore´ le

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Canada, il se lanc¸a dans la de´couverte de l’oce´an Pacifique, de la Nouvelle Ze´lande, de l’Australie, des Marquises, des Nouvelles He´brides et de la Nouvelle-Cale´donie. Au retour de sa troisie`me grande expe´dition, il parvint a` gagner l’Arctique par le de´troit de Be´ring, mais fut tue´ par les habitants de Hawaı¨. Les renseignements qu’il glana contribue`rent grandement a` la connaissance du Pacifique. COUTHON, Georges (1755–1794), homme politique. Avocat a` ClermontFerrand, puis pre´sident du tribunal de la ville (1789), ou` il avait grande re´putation. E´lu a` l’Assemble´e le´gislative, il sie´gea parmi la gauche de´mocrate. Re´e´lu a` la Convention parmi les montagnards, il fut membre du Comite´ de salut public ou`, avec Robespierre et Saint-Just, il s’occupa de politique ge´ne´rale. Il fit preuve d’une certaine mode´ration lors de l’insurrection royaliste de Lyon (1793), car il ne se re´solut pas a` de´truire la ville comme le voulait la Convention. En revanche, e´lu pre´sident de l’Assemble´e, il fut sans indulgence contre les he´bertistes et contre les dantonistes et voulut la loi du 22 Prairial (10 juin 1794), qui supprimait les de´fenseurs, les te´moins et l’instruction pre´alable dans le proce`s des suspects devant le Tribunal re´volutionnaire. Le 9 Thermidor, Couthon fut de´cre´te´ d’arrestation en meˆme temps que Robespierre et exe´cute´ le lendemain. Quand BC parle d’«un homme d’horrible me´moire», c’est Couthon, «dont le nom ne doit plus souiller aucun e´crit» ! CRITOLAU¨ S (200 avant J.-C.), ne´ en Lycie, a` Pase´lis et mort tre`s aˆge´ a` Athe`nes, c’est un philosophe grec de l’e´cole d’Aristote. Venu pour suivre les lec¸ons d’Ariston de Ce´os, il lui succe´da a` la teˆte de l’e´cole pe´ripate´ticienne. Il fut envoye´ en ambassade a` Rome en compagnie de Dioge`ne de Babylone (voir ce nom). Il donna lui aussi a` cette occasion des lec¸ons aux jeunes Romains et eut pour e´le`ves Scipion l’Africain, Lælius et Furius. Sa doctrine, comme celle de Dioge`ne, de´plut aux Romains traditionnalistes et il fut renvoye´, lui aussi, a` la demande de Caton. CROMWELL, Oliver (1599–1658), homme politique anglais. Il fut de´pute´ au Parlement, ou` il exprima son opposition au roi, mais c’est a` la guerre qu’il se re´ve´la fanatique a` l’e´tat pur. Apre`s avoir vaincu l’arme´e du roi, il fit purger le Parlement qui de´cida de faire juger Charles Ier par une Haute cour de justice dont Cromwell faisait partie. Le roi fut condamne´. Apre`s l’instauration de la re´publique, Cromwell reconquit l’Irlande et la soumit avec une cruaute´ sans pareille, puis s’en prit a` l’E´cosse qui avait reconnu le fils du roi exe´cute´ sous l’appellation de Charles II. Il e´crasa l’adversaire, mais ne re´ussit pas a` dompter le Parlement ; le renvoya donc afin d’en e´tablir un nouveau selon ses vœux. N’y parvenant pas, il instaura un ve´ritable re´gime dictatorial en se confe´rant le titre de Protecteur. Il s’en prit alors aux Provinces-Unies puis a` l’Espagne (en s’alliant avec les protestants et a` Mazarin). Lorsqu’il mourut, il e´tait

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aussi impopulaire que redoute´. DE´ MOSTHE` NE (384–322 avant J.-C.), orateur et homme politique athe´nien. Sa fortune ayant e´te´ dilapide´e par ses tuteurs, il eut a` soutenir divers proce`s contre eux (contre Aphobe, par exemple). La le´gende veut que, e´prouvant des difficulte´s d’e´locution, il s’entraıˆna a` parler en se mettant des cailloux dans la bouche. Ses talents d’orateur firent de lui, rapidement, un homme politique tre`s e´coute´. Partisan de´cide´ de la de´mocratie, il s’en prit a` Sparte, mais aussi et surtout a` l’expanson mace´donienne. Ses Philippiques notamment furent remarque´es, dirige´es contre Philippe II de Mace´done avec qui il eut alors a` ne´gocier. Implique´ plus tard dans un scandale financier, il dut s’exiler. Rentre´ a` Athe`nes, il fut condamne´ a` mort apre`s l’e´chec de la re´volte contre les Mace´doniens et dut fuir une fois encore. Re´fugie´ dans l’ıˆle de Calaurie, il s’y donna la mort. Son e´loquence, nourrie de re´flexion et de culture, a e´te´ loue´e par les plus grands de ses successeurs dans l’art oratoire, a` commencer par Cice´ron. DENYS L’ANCIEN (430–367 avant J.-C.), tyran de Syracuse. D’origine pauvre, il conquit le pouvoir graˆce au peuple auquel il distribua les terres des riches. Porte´ au pouvoir, il restaura la tyrannie. Sa lutte contre les Carthaginois, qu’il refoula a` l’extre´mite´ de l’ıˆle, et l’union des villes grecques de la Sicile qu’il re´alisa donne`rent a` sa ville une belle supre´matie maritime. Doue´ pour la politique et cultive´, il manquait en revanche de tout scrupule. Il se me´fiait de tout et de tous et portait constamment une cuirasse. Il est connu aussi pour avoir eu des pre´tentions litte´raires assez mal fonde´es. DENYS D’HALICARNASSE (Ier sie`cle avant J.-C.), historien et crtique grec installe´ a` Rome. Il y enseigna la rhe´torique et anima un cercle litte´raire. Sa connaissance des premiers temps de Rome est bonne, mais ses analyses politiques sont un peu courtes et ses jugements ge´ne´ralement mal fonde´s. Ses ouvrages de rhe´torique sont mieux inspire´s mais ne vont gue`re au-dela` des conside´rations techniques. DENYS DE SYRACUSE, dit aussi DENYS LE JEUNE (397–344 avant J.-C.), fils de Denys l’Ancien et lui aussi tyran de Syracuse. Libe´ral et ide´aliste, il fut un grand me´ce`ne. Ayant duˆ disputer le pouvoir a` son oncle Dion, qui occupa la ville durant deux ans, il dut encore ce´der le pouvoir a` Timole´on, qui re´tablit la de´mocratie, et il se retira a` Corinthe, ou` il mourut. DIODORE DE SICILE (90–20 avant J.-C.) historien grec. Il est l’auteur d’une Bibliothe`que historique en 40 livres qui va des origines jusqu’a` la conqueˆte de la Gaule par Ce´sar. Il ne nous en est parvenu que des parties (livres 1 a` 5, ante´rieurs a` la guerre de Troie ; livres 11 a` 20, de ’an 480 a` l’an 302 avant J.-C.) et des fragments e´pars. L’ouvrage est sans grande originalite´, mais les renseignements qu’il donne relativement a` la Rome antique sont pre´cieux.

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DIOGE` NE DE BABYLONE (200 avant J.-C.), philosophe stoı¨cien, ne´ a` Se´leucie, pre`s de Babylone. E´tudia la philosophie a` Athe`nes sous Chrysippe et Ze´non de Tarse. Sa re´putation d’e´loquence et de sagesse conduisit les Athe´niens a` l’envoyer a` Rome en compagnie de Critolau¨s et de Carne´ade (voir ces noms) en qualite´ d’ambassadeur pour obtenir l’exemption de l’amende qu’Athe`nes devait payer apre`s la destruction de la ville d’Orope. Pendant son se´jour, il enseigna la dialectique et donna aux Romains le gouˆt de la philosophie. Cice´ron le conside`re comme un homme e´minent et le cite a` diverses reprises. Sa doctrine de´plut toutefois aux Romains traditionnalistes et il fut renvoye´, avec ses compagnons, a` la demande de Caton. DIOGE` NE LAERCE (IIIe sie`cle avant J.-C.), e´crivain grec, auteur de la premie`re histoire de la philosohie grecque, en dix volumes. Il est conside´re´ aujourd’hui comme un vulgarisateur sans grande personnalite´, mais si ses expose´s sont ine´gaux et quelquefois douteux, son ouvrage est une mine d’informations et de de´tails quelquefois pre´cieux. DOMAT, Jean (1625–1696), juriste franc¸ais a` qui Pascal confia ses papiers a` sa mort. C’e´tait un janse´niste fervent. Il est l’auteur, entre autres, d’un ouvrage intitule´ Les Lois civiles dans leur ordre naturel (1689–1694) ou` sont pose´s les principes fondamentaux du droit franc¸ais graˆce a` une admirable connaissance du droit romain. DOMITIEN, Titus-Flavius-Domitianus (51–96), empereur romain. Fils de Vespasien, il est le dernier des douze Ce´sars dont Sue´tone a e´crit l’histoire. Intrigant et de´bauche´, il e´tait e´nergique et ami des lettres. Les de´buts de son re`gne furent cependant tre`s positifs, dans beaucoup de domaines, moraux, sociaux et culturels. Les dernie`res anne´es, en revanche, furent sombres : tyrannique, il voyait des complots partout et devint re´pressif et cruel. C’est un complot, a` la teˆte duquel se trouvait sa femme, Domitia, qui mit fin a` ses jours, un esclave le tuant de sept coups de couteau. DUMONT, E´tienne (1759–1829), publiciste, descendant de bourguignons re´fugie´s a` Gene`ve pour raisons de religion au 16e sie`cle. Destine´ a` la carrie`re eccle´siastique, ordonne´ en 1781, il changea d’orientation quand il prit conscience que le pays e´tait conduit par une oligarchie tracassie`re. Il partit pour Saint-Pe´tersbourg ou` il devint pasteur de l’e´glise franc¸aise, et s’y fit remarquer comme orateur. Pourtant, ayant eu l’occasion de devenir pre´cepteur des enfants de Lord Landsdowne, il gagna Londres. Bientoˆt, il fut de´charge´ de sa mission strictement pe´dagogique pour prendre en mains la formation intellectuelle ge´ne´rale des enfants de Lord Landsdowne, qui lui confia e´galement la gestion de sa superbe bibliothe`que, l’une des plus riches d’Angleterre. C’est alors qu’il se lia avec Romilly et

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Bentham. Il se re´jouit de la Re´volution franc¸aise et accourut a` Paris, ou` il se lia avec Mirabeau, dont il devint l’un des plus proches collaborateurs. Effraye´ pourtant de la tournure que prenaient les choses, il quitta la France peu avant la mort de Mirabeau et regagna Gene`ve. Quand la ville fut annexe´e par la France, Dumont repartit pour Londres ou` il retrouva Bentham, avec lequel il collabora alors tre`s e´troitement, l’assistant dans la re´daction de ce qui devint le Traite´ de la le´gislation civile et pe´nale, la The´orie des peines et des re´compenses, la Tactique des assemble´es le´gislatives, etc. Il semble bien que Bentham e´mettait les ide´es et que Dumont en assurait la re´daction. Il faut savoir qu’en 1802, anne´e de la publication a` Paris du Traite´ de le´gislation, Dumont, qui e´tait en se´jour a` Gene`ve, devint un familier de Coppet, ou` il eut l’occasion d’exposer ses ide´es et celles de Bentham devant Germaine de Stae¨l, mais aussi devant Necker, Sismondi et Constant (voir, sur ces contacts et plus largement sur la manie`re dont, a` Coppet, on voit les the´ories libe´rales anglaises, N. King, The airy form of things forgotten» : Madame de Stae¨l, l’utilitarisme et l’impulsion libe´rale», dans Cahiers stae¨liens, 11, de´cembre 1970). Dumont quittera l’Angleterre pour regagner Gene`ve apre`s que la ville aura obtenu son inde´pendance, en 1814, et il y jouera un roˆle en vue jusqu’a` sa mort. E´lien le Sophiste, Claudius (fin du IIe sie`cle-vers 260), compilateur. Bien que citoyen romain, il e´tudia de manie`re approfondie la langue et la litte´rature grecques. De ses nombreux ouvrages, seules nous sont parvenues ses Histoires varie´es (en 14 livres), dont l’inte´reˆt re´side principalement dans les extraits qu’il donne d’ouvrages disparus et une Histoire des animaux (en 17 livres) qui, a coˆte´ de fables ridicules, contient un certain nombre de particularite´s curieuses. Les Histoires varie´es ont e´te´ traduites en franc¸ais par Dacier en 1772. ELISABETH Ire (1533–1603), reine d’Angleterre, fille de Henri VIII. Cette reine qui fut a` la base d’une des pe´riodes les plus brillantes de l’histoire d’Angleterre ne retient l’attention de BC dans ses Principes de politique que pour le pouvoir absolu qu’elle de´tint et dont elle abusa, selon lui, dans les domaines e´conomiques et sociaux. EURIPIDE (480–406 avant J.-C.), poe`te tragique grec. Sa vie est mal connue et a donne´ lieu a` des le´gendes. Cet ami de Socrate avait e´te´ l’e´le`ve des philosophes avant de s’adonner a` la litte´rature (poe´sie et the´aˆtre). Peu appre´cie´ de son vivant, il ne connut la gloire qu’apre`s sa mort, mais elle s’e´tendit a` tout le monde grec. Des 92 pie`ces qu’il e´crivit, seules 18 nous sont parvenues et la date de leur composition est souvent mal connue. De´crivant avec justesse les passions humaines, Euripide se trouva en accord avec la pense´e des ge´ne´rations nouvelles et connut une tre`s grande gloire posthume.

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FAURIEL, Claude (1772–1844), officier, puis secre´taire particulier de Fouche´ au ministe`re de la police. Il renonc¸a a` sa charge en 1802 par attachement a` l’ide´al re´publicain, s’adonna a` des travaux d’e´rudition qui lui vaudront de devenir, en 1830, titulaire d’une chaire de langues et litte´ratures me´ridionales et d’entrer, en 1836, a` l’Acade´mie des inscriptions et belles-lettres. Il avait la re´putation d’un homme d’une curiosite´ universelle et d’une pre´cision rares. On lui doit des travaux sur la croisade contre les Albigeois, sur la poe´sie provenc¸ale, sur Dante, etc. Germaine de Stae¨l s’e´tait lie´e d’amitie´ avec lui de`s 1800, a` la suite des trois comptes rendus que Fauriel avait consacre´s a` De la litte´rature dans la De´cade philosophique. A l’e´poque, il e´tait encore au service de Fouche´, et elle avait eu recours a` lui en faveur de Narbonne (Corr. ge´n., t. IV, 2, p. 348). Fauriel e´tait le compagnon de Sophie de Condorcet, la veuve du philosophe, et le couple entretenait des relations amicales avec BC. FELETZ, Charles-Marie Dorimond de (1767–1850), abbe´ et journaliste. Arreˆte´ lors de la Re´volution, il entra, apre`s le 18 Brumaire, au Journal des De´bats, fonde´ par les fre`res Bertin. Partisan acharne´ du classicisme, il fut un adversaire re´solu des romantiques et e´crira, le 9 juillet 1816, un article se´ve`re sur Adolphe, critiquant les personnages autant que l’auteur qui n’est qu’un «faible romancier» et «n’est pas toujours un e´crivain pur et naturel». ´ FENELON, Franc¸ois de Salignac de la Mothe (1651–1715), pre´lat franc¸ais. Prote´ge´ par Bossuet, il devint le pre´cepteur du duc de Bourgogne, pour qui il e´crivit des Fables en prose, les Dialogues des morts et, surtout, Les aventures de Te´le´maque, qui assure`rent sa gloire litte´raire. Chre´tien scrupuleux, il s’adonna au quie´tisme de Mme Guyon et il fut de´savoue´ par Bossuet et condamne´ pr l’E´glise. Il se donna alors tout entier a` l’administration de son archeveˆche´ de Cambrai. Il apparaıˆt sur certains plans comme un pre´curseur des utopistes du XVIIIe sie`cle. Il fut e´lu a` l’Acade´mie franc¸aise en 1693. Fe´nelon est un auteur que BC cite fre´quemment. FERRAND, comte Antoine-Franc¸ois-Claude (1751–1825), issu d’une vieille famille parlementaire, devint conseiller au parlement de Paris a` l’aˆge de dix-sept ans. E´migre´ en 1789, il rentra en 1800 et s’occupa de litte´rature. Il est l’auteur d’un Re´tablissement de la monarchie qui a fait l’objet d’un e´change d’opinions entre BC et Mme de Charrie`re de`s 1793 (voir CG, II, lettres 191, 192, 193, 198, 199, 201 et 205). L’anne´e suivante, il fit paraıˆtre des Conside´rations sur la re´volution sociale (Londres, 1794), que BC trouvait «plus mauvais encore que son Re´tablissement de la monarchie, ce qui assure´ment n’est pas peu dire» (CG, II, p. 478). Depuis lors, il avait encore publie´ L’esprit de l’histoire (4 vol., 1802), que BC

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n’e´tait pas presse´ de lire en fe´vrier 1803. Les choses n’en resteront pas la` puisqu’en 1817, Ferrand ayant publie´ une The´orie des re´volutions, BC lui consacrera, dans le Mercure de France, un compte rendu en deux parties qui, pour eˆtre plein de me´nagements, n’en est pas moins se´ve`re (voir OCBC, X, pp. 579–591). FERRIER, Franc¸ois-Louis-Auguste (1777–1861) e´conomiste au service des douanes. Il fit carrie`re essentiellement en province et a` l’e´tranger (a` Dunkerque, a` Bayonne, a` Worms, a` Livourne, a` Rome et a` Hambourg), n’e´tant parisien qu’a` quelques reprises et peu de temps, la premie`re fois de 1800 a` 1802, alors qu’il e´tait sous-chef de bureau, et la seconde fois de 1812 a` 1814, e´poque ou, ayant gravi les e´chelons, il fut Directeur ge´ne´ral des douanes avant d’eˆtre re´trograde´ lors de la Premie`re Restauration et renvoye´ comme Directeur a` Dunkerque, ou` il terminera sa carrie`re (apre`s un nouveau et bref retour a` Paris aux Cent-Jours), en 1842. Ajoutons toutefois que lorsqu’il meurt en 1861, il est Pair de France. Il a publie´ un ouvrage intitule´ Du gouvernement conside´re´ dans ses rapports avec le commerce (Paris : Egron, an XIII (1805)), que BC a e´videmment lu. C’e´tait un ami de Fie´ve´e, avec qui il a beaucoup correspondu (voir E´. Hofmann, Correspondance de Joseph Fie´ve´e et de Franc¸ois Ferrier – 1803–1837, Berne, Peter Lang, 1994). FIE´ VE´ E, Joseph (1767–1839), imprimeur, e´crivain, journaliste. Attache´ a` la monarchie, il joua un roˆle dans les mouvements contre-re´volutionnaires avant de devenir pamphle´taire aux gages de Bonaparte, qui l’envoya en mission en Angleterre. Censeur puis maıˆtre des requeˆtes au Conseil d’E´tat, il deviendra en 1813 pre´fet de la Nie`vre. Sous la Restauration, il sera l’un des doctrinaires du parti ultra. Devenu ne´anmoins de´fenseur de la liberte´ de la presse, il subira l’hostilite´ du ministe`re Decazes, la 11e livraison de sa Correspondance politique sera saisie et il sera condamne´ a` une amende et a` trois mois de prison a` la Conciergerie. Cela lui vaudra une certaine estime de la part des libe´raux et BC prendra sa de´fense dans divers e´crits et notamment dans une brochure intitule´e Du discours de M. de Marchangy, avocat du Roi, devant le tribunal correctionnel dans la cause de M. Fie´ve´e et parue en avril 1818. Fie´ve´e nourrira a` partir de sa condamnation une grande rancœur a` l’e´gard de Decazes et s’en prendra ouvertement a` son ministe`re dans les colonnes du Conservateur. Il rompra ensuite avec les royalistes et se rapprochera des libe´raux en 1823, en condamnant l’intervention militaire en Espagne dans De l’Espagne et des conse´quences de l’intervention arme´e. FONTANES, Louis de (1757–1821), litte´rateur et homme d’E´tat. Son œuvre litte´raire n’est pas particulie`rement brillante, constitue´e de pie`ces de vers publie´es dans l’Almanach des Muses et le Mercure de France, ainsi que

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d’une traduction en vers de l’Essai sur l’homme, de Pope. En revanche, apre`s avoir e´te´, lors de la Re´volution, exile´ en Angleterre, il y devint l’ami de Chateaubriand et, a` son retour en France, gagna la confiance de Bonaparte. Il fut membre du Corps le´gisatif (1802), membre de l’Institut (1803), pre´sident du Corps le´gislatif (1804), Grand Maıˆtre de l’Universite´ (1808) et Se´nateur (1810). Sa carrie`re ne s’arreˆta pas apre`s Waterloo, puisque Louis XVIII le fit marquis, ministre et membre du Conseil prive´. FILANGIERI, Gaetano (1752–1788), juriste italien. Sa renomme´e est grande a` son e´poque car il est l’auteur de deux ouvrages (Re´flexions politique, 1774 ; et Science de la le´gislation, 1780) qui ont e´te´ rapidement traduits en allemand, en anglais et en franc¸ais. C’est de ce second ouvrage que B.C. e´crira un Commentaire qui sera publie´ en 1822–1824, trouvant la` l’occasion non tellement de re´futer les ide´es maıˆtresses du the´oricien italien que d’exposer ses propres conceptions, nettement plus libe´rales. Ce Commentaire est un des e´crits les plus e´clairants de BC sur le libe´ralisme tel qu’il le conc¸oit, faisant apparaıˆtre tout a` la fois ce qu’il doit a` ses pre´de´cesseurs, un Turgot ou un Adam Smith, et a` ses contemporains, comme un Say ou un Sismondi, mais en quoi aussi il s’e´carte d’eux pour annoncer des ide´es qui se de´velopperont plus tard en s’e´cartant de diverses manie`res du libe´ralisme profonde´ment humain qu’il essayait, lui, de de´finir. FLACCUS, Lucius Valerius (Ier sie`cle avant J.-C.), se´nateur romain, qui fut l’interrex de Sylla. C’est lui qui fit passer la loi dite Valeria, qui nommait Sylla dictateur a` vie et ratifait ses actes, meˆme les plus discutables. En remerciement, il devint le chef de la cavalerie. FRANCIS, sir Philip (1740–1818), fonctionnaire et homme politique anglais. Apre`s avoir occupe´ un certain nombre de fonctions, il devint conseiller du Gouverneur ge´ne´ral des Indes en 1773. A la suite de profonds de´saccords avec Warren Hastings, qui occupait le poste, il regagna l’Angleterre en 1781, ou` il soutint Burke dans le proce`s qui fut intente´ contre Hastings pour cruaute´ et corruption. En 1784, il entra au Parlement. On l’a souvent conside´re´ comme l’auteur des ce´le`bres Lettres de Junius qui parurent dans The Public Advertiser dirige´ par son ancien condisciple Henry Sampson Woodfall. Ce dernier nia cependant le fait et il faut admettre que plusieurs amis de Francis sont malmene´s dans les lettres en cause. FRANKLIN, Benjamin (1706–1790), BC fait allusion a` une brochure qui pourrait avoir pour source deux articles de la Pennsylvania Gazette (1er et 8 avril 1736) publie´s sous le titre «On government» et longtemps attribue´s a` Franklin, juqu’a` eˆtre repris dans ses œuvres comple`tes (1887). En fait, ces articles sont de John Webbe (voir a` ce nom), qui a reconnu la chose dans le meˆme journal le 28 juillet 1737.

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FREDERIC II (1712–1786), roi de Prusse. Le Grand Fre´de´ric, comme on l’appelle souvent. Correspondant de Voltaire, grand lecteur des philosophes de France et d’Angleterre, initie´ a` la franc-mac¸onnerie, il e´labora une the´orie personnelle du pouvoir, qui n’e´tait plus de droit divin, mais relevait d’un contrat. Ne´anmoins, ses mode`les e´tant Louis XIV et Charles XII, il de´veloppa une politique de grandeur, maintenant les privile`ges. Il fut un tre`s bon administrateur, en ame´liorant la fiscalite´ et en e´tablissant le monopole de l’E´tat. Il favorisa l’industrie et le commerce. En revanche, en politique e´trange`re, il ne manifesta aucun scrupule, et commit de graves maladresses qui faillirent conduire la Prusse au de´sastre. C’est sans doute ce qui explique, au moins en partie, l’effondrement de la Prusse devant Napole´on. FREDERIC-GUILLAUME ier, dit le Roi-Sergent (1688–1740), roi de Prusse. Fils de Frederic Ier et pe`re de Frederic II, il poussa l’e´conomie jusqu’a` l’avarice mais re´forma utilement l’administraton, favorisa l’e´conomie et ame´liora l’agriculture. C’est pourtant sur l’arme´e qu’il fit porter l’essentiel de ses efforts, constituant une ve´ritable caste militaire qui devint l’assise de l’E´tat. Il laissa toutefois a` son fils le soin d’utiliser la puissance militaire qu’il avait cre´e´e. FURTADO, Abraham (1756–1817), savant israe´lite d’origine portugaise. Installe´ a` Bordeaux, il fit du commerce, s’attira la conside´ration ge´ne´rale et devint en 1787 membre de la comission charge´ d’indiquer les moyens ` la Re´volution, qu’il approuvait, il devint d’ame´liorer le sort des juifs. A officier municipal. En 1793, il fut proscrit comme girondin, mais e´chappa a` la mort. En 1806, par la volonte´ de Napole´on, une assemble´e des de´le´gue´s de tous les Juifs de France, de´signe´s par les pre´fets, fut convoque´e a` Paris pour le 15 juillet. Le 26 juillet, Furtado en devint le pre´sident. La re´union avait pour but de donner au gouvernement une se´rie de questions en vue de l’e´tablissement d’une nouvelle le´gislation (voir surtout, sur la question juive sous l’Empire, l’article «Juifs» du Dictionnaire Napole´on). Ce sont sans doute les re´ponses formule´es a` cette occasion qui parurent en septembre. En 1807, Furtado fut appele´ a` faire partie du grand sanhe´drin convoque´ a` Paris. Il se fit remarquer en ces diffe´rentes occasions par son e´loquence ainsi que par sa sagesse. Il fut ensuite nomme´ secre´taire d’un des consistoires israe´lites de Bordeaux et il remplit des fonctions municipales apre`s les Cent-Jours. GACH, Jean-Joseph (1762– ?), Pre´sident du tribunal de premie`re instance du de´partement du Lot, a` Figeac. L’inte´resse´, dont le nom et la qualite´s sont donne´s par BC, est l’auteur d’une brochure intitule´e Des vices de l’institution du jury en France, Paris, Petit, an XIII (1804). C’est sans doute

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cet ouvrage que BC demande dans deux lettres a` Prosper de Barante, l’une du 18 avril et l’autre du 16 mai 1806 (voir OCBC, CG, lettres 1303 et 1314, ou` l’allusion est, sans doute, dans les deux cas, interpre´te´e errone´ment d’une autre manie`re), ce qui expliquerait, comme le dit E´. Hofmann, que BC n’en fasse e´tat que dans les Additions et non dans le Livre IX des Principes. Selon le Dictionnaire historique et biographique de la Re´volution et de l’Empire de Robinet, Robert et Chapelain (Paris, 2 vol. 1899), Gach e´tait pre´sident du tribunal de Figeac lorsqu’il fut e´lu au Corps le´gislatif en 1809, sans eˆtre appele´ a` y sie´ger. BC a lu Gach avec beaucoup d’attention et en parle a` diverses reprises dans ses Principes en disant clairement en quoi il s’en e´carte. GALIANI, Ferdinando (1728–1787), abbe´, e´conomiste, diplomate et e´crivain talien. Secre´taire d’ambassade du roi de Naples a` Paris, il fre´quente les Encyclope´distes. Il est l’auteur de La Monnaie, de Dialogue sur le commerce du ble´ (1770 ; contre les physiocrates), d’un E´loge du pape Benoıˆt XIV et d’un Dialogue sur les femmes. Il a laisse´ e´galement une importante correspondance avec Mme d’E´pinay. GALILE´ E, Galileo Galilei, dit (1564–1642), Astronome et physicien italien. L’un des savants les plus illustres, non seulement de son e´poque, mais de l’histoire des sciences. Ses de´couvertes, tant en physique expe´rimentale qu’en physique mathe´matique, l’ont rendu ce´le`bre, mais nul n’ignore non plus ses de´meˆle´s avec les autorite´s religieuses de son temps. GANILH, Charles (1758–1836), avocat et homme politique. Il e´tait avocat avant la Re´volution. Arreˆte´ et emprisonne´ sous la Terreur, il ne sera libe´re´ qu’apre`s Thermidor. Nomme´ au Tribunat, il y parlera contre les re´formes financie`res, ce qui lui vaudra d’eˆtre exclu au meˆme moment que BC, qui connaissait e´videmment ses e´crits et ses opinions. Il ne reprendra des activite´s politiques qu’a` la Seconde Restauration. GARNIER, Germain (1754–1821), e´conomiste, il est surtout cite´ par BC comme traducteur et commentateur d’Adam Smith. Royaliste constitutionnel sous la Re´volution, il refusa d’eˆtre ministre de Louis XVI, et fit ensuite une belle carrie`re apre`s le 18 Brumaire. Il servira du reste Louis XVIII avec le meˆme de´vouement qui a fait de lui un comte de l’Empire. Il deviendra pair de France et ministre d’E´tat. Outre ses traductions d’Adam Smith, il est l’auteur de plusieurs ouvrages : une Histoire des banques d’escompte (1806) et trois Me´moires sur la valeur des monnaies de compte chez les peuples de l’antiquite´ (1817–1818) qui seront refondus sous le titre Histoire de la monnaie depuis les temps de la plus haute antiquite´ jusqu’au re`gne de Charlemagne (2 vol. 1819). GIBBON, Edward (1737–1794), historien britannique. Il avait ve´cu dans sa

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jeunesse a` Lausanne, ou` son pe`re l’avait envoye´ chez le pasteur Pavillard dans l’espoir que celui-ci parviendrait a` lui faire abandonner la religion catholique qu’il avait embrasse´e a` Oxford. Le re´sultat ne fut pas ce qu’on attendait : le jeune homme renonc¸a, en fait, a` toute religion. Mais a` Lausanne, Gibbon rencontra une jeune fille de son aˆge, qui e´tait a` la fois tre`s jolie et savante sans pe´danterie. Elle s’appelait Suzanne Curchod et devait e´pouser plus tard un certain Jacques Necker, a` qui elle donna une fille qui se fit connaıˆtre sous le nom de Germaine de Stae¨l. Les jeunes gens se plurent et e´taient presque fiance´s quand Gibbon pe`re rappela son fils sans discussion possible. Gibbon s’illustra, un peu plus tard, comme historien, spe´cialiste reconnu de la de´cadence romaine (The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, 3 vol., 1776–1781) a` laquelle il donna une suite consacre´e a` l’Empire byzantin, re´dige´e apre`s un retour a` Lausanne en 1783. L’ouvrage connut un vif succe`s et fut traduit en franc¸ais et annote´ largement par Franc¸ois Guizot (Histoire du de´clin et de la chute de l’Empire romain, 1810–1812). GLUCK, Christoph Willibald von (1714–1787), compositeur allemand. Le renouvellement qu’il apporta a` l’ope´ra italien provoqua une vive re´action des partisans de la tradition, qui lui oppose`rent Niccolo Piccinni (voir a` ce nom). A Paris notamment la querelle se prolongea durant plusieurs anne´es. Les deux musiciens, pourtant, s’estimaient et si Gluck finalement l’emporta aux yeux du public, on ne peut nier que son rival a joue´ un roˆe important dans le renouvellement de l’ope´ra classqiue franc¸ais. Parmi les œuvres nombreuses et diverses de Gluck (outre ses nombreux ope´ras, il composa de la musique instrumentale ainsi que des lieder sur des poe`mes de Klopstock et de la musique sacre´e), on retiendra notamment Orfeo ed Euridice (Orphe´e et Eurydice), Alceste, Iphige´nie en Aulide, Iphige´nie en Tauride, et Armide. GODWIN, William (1756–1836), publiciste et romancier anglais. Ce pasteur devenu athe´e sous l’influence des philosophes franc¸ais des Lumie`res, s’est consacre´ essentiellement a` l’e´tude des questions sociales. Son ouvrage majeur, Enquiry Concerning Political Justice (1791–1793) a fait l’objet d’une traduction par BC (voir OCBC, t. II, ou` l’on trouve a` la fois le texte original anglais et son adaptation franc¸aise). Godwin a e´galement e´crit des Recherches sur la population qui sont une critique des the´ories de Malthus, ainsi que divers romans, dont Caleb Williams. Ayant e´pouse´ Mary Wollstonecraft, qui mourut quelques jours apre`s la naissance de leur fille – la future Mary Shelley, e´pouse du poe`te et auteur elle-meˆme du ce´le`bre Frankenstein –, il publia les Œuvres posthumes (Posthumous Works) de sa femme ainsi qu’un ouvrage qu’il lui a consacre´ sous le titre

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Memoirs of the Author of the Vindication of the Rights of Woman (Me´moires de l’auteur de la revendication des droits de la femme). GOGUET, Antoine-Yves (1716–1758), e´rudit et juriste. Conseiller au parlement de Paris, il se passionna pour l’histoire du droit et il e´crrvit, en collaoration avec Alexandre Fuge`re, un ouvrage intitule´ De l’origine des arts, des lois et des sciences, et de leurs progre`s chez les anciens peuples (3 vol., 1758), qui fut plusieurs fois re´e´dite´. C’est un ouvrage plein d’e´rudition mais aussi d’analyses attentives et judicieuses. GOURNAY, J.-Cl.-M.-Vincent (1712–1759) e´conomiste. Apre`s avoir parcouru l’Europe en commerc¸ant, il ramena en France de pre´cieux documents sur la situationt du ne´goce et de l’e´conomie des diffe´rents pays, il entreprit d’e´tudier les diffe´rentes provinces pour de´celer les raisons du mauvais de´ve´loppement des manufactures. Il de´nonc¸a les monopoles des compagnies, les privile`ges des corporations et, surtout, les re`glements prohibitifs. Tout cela est explique´ dans son E´loge publie´ par Turgot. Il n’e´tait pas ve´ritablement un physiocrate, donnant le pas a` l’industrie sur l’agriculture comme productrice de la richesse nationale. C’est lui qui aurait invente´ la ce´le`bre devise «laissez faire, laissez passer». Il a traduit le traite´ de Josias Child et Thomas Culpeper : Traite´s sur le commerce et sur les avantages qui re´sultent de la re´duction de l’inte´reˆt de l’argent (Amsterdam et Paris : J. Ne´aulme, 1754, XII–483 p.). GRACQUES, LES, Tiberius Sempronius et Caı¨us Sempronius Gracchus (162– 133 et 154–121 avant J.-C.), tribuns du peuple romain. Ils tente`rent de faire accepter une re´forme agraire qui aurait retire´ aux grandes familles une part de l’«ager publicus» (le domaine public) pour le redistribuer aux pauvres. Tiberius se heurta au veto de son colle`gue Cneius Octavius, qu’il fit de´poser. Son texte fut vote´, mais, abandonne´ par la ple`be, Tiberius fut massacre´ au cours d’une e´meute provoque´e par les patriciens. Caius reprit le projet de son fre`re, et s’assura l’alliance des chevaliers, du prole´tariat et des villes fe´de´re´es d’Italie. Pour donner des terres aux citoyens et restaurer l’e´conomie, il fonda des colonies a` Tarente, Capoue, Carthage et Corinthe, fit vendre le ble´ a` bas prix et voulut accorder la citoyennete´ romaine a` tous les Italiens. Ces projets, qui pre´figuraient la mise en place d’une vaste de´mocratie, a` la fois e´conomique et politique, effraya et Caı¨us n’obtint pas sa re´e´lection. Une bataille eut lieu sur l’Aventin au cours de laquelle il mourut avec 3.000 de ses partisans. Les lois des Gracques furent abolies. GUISE, La maison de : de´signe dans l’histoire de France, l’ensemble de la branche cadette de la maison de Lorraine. Sous la plume de BC, dans ses Principes de 1806, il s’agit plus pre´cise´ment des membres de la famille qui anime`rent les guerres de religion et agite`rent par la` le re`gne de Henri

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entre 1574 et 1589. Henri Ier de Lorraine, duc de Guise (1550–1588), e´tait le fils de Franc¸ois ier de Lorraine, prince de Joinville, duc d’Aumale et de Guise (1519–1563), dit parfois «le Premier Balafre´» en raison d’une blessure subie au sie`ge de Boulogne (1545). Il avait re´prime´ la conjuration d’Amboise fomente´e par les huguenots ; on le tenait en outre pour responsable du massacre de Vassy (ou Wassy), signal de la premie`re guerre de Religion, avant d’eˆtre assassine´ par Jean Poltrot de Me´re´ (trois balles de pistolet lui traversent le dos et sortent par la poitrine). Son fils, Henri de Guise, personnage de belle prestance et de forte personnalite´, nourrissait une grande hostilite´ contre les protestants, avive´e par la mort de son pe`re. Apre`s avoir mis son e´pe´e au service de l’Empereur Maximilien II contre les Turcs, il regagna la France, ou` la guerre de religion se de´veloppait. Il sera pre´sent au service du duc d’Anjou (le futur Henri III), a` Jarnac (mars 1567) et a` Moncontour (en octobre), avant de de´fendre Poitiers. La bataille d’Arnay-le-Duc a, en revanche, marque´ un ressaisissement des forces huguenotes et la paix de Saint-Germain (1570) va irriter d’autant plus Henri de Guise qu’elle consacre l’influence, aupre`s du roi Charles IX et de la re´gente Catherine de Me´dicis, de son plus coriace adversaire, l’amiral de Coligny, qu’il accuse d’avoir arme´ le bras de Poltrot de Me´re´. Ce n’est e´videmment pas par hasard que l’amiral, deux jours apre`s avoir e´chappe´ a` un attentat, sera la premie`re victime de la Saint-Barthe´lemy (24 aouˆt 1572). En 1574, Charles IX meurt et son fre`re Henri III est sacre´ a` Reims en fe´vrier 1575. Apre`s quelques anne´es de calme relatif au cours desquelles le nouveau roi e´chappe avec adresse au pouvoir des grandes familles, dont les Guise, et me`ne une politique aux aspects positifs, sa sante´ de´cline et il ne peut re´sister aux manœuvres du duc Henri – qu’on appelle maintenant le Balafre´, comme son pe`re, en raison d’une blessure rec¸ue a` Dormans, sur la Marne, le 10 octobre 1575 – ainsi que de ses fre`res, Charles II, duc de Mayenne, et Louis II dit le cardinal de Lorraine, qui sont les maıˆtres de la Ligue. Le roi fera assassiner le Balafre´ le 23 de´cembre 1588, et ordonnera l’exe´cution du cardinal de Lorrraine, qui aura lieu le lendemain, son corps e´tant jete´ dans la Loire. Quant au duc de Mayenne, il deviendra le chef de la Ligue et, apre`s l’assassinat de Henri III, attaquera Henri IV et son arme´e, qui mon` la suite de bien des pe´ripe´ties, en 1596, il recontent vers la capitale. A naıˆtra Henri IV comme roi de France et, apre`s l’assassinat de ce dernier par Ravaillac, sie`gera au conseil intime de Marie de Me´dicis. GULLIVER : voir SWIFT HELVETIUS, Claude-Adrien (1715–1771), fermier ge´ne´ral et philosophe franc¸ais. Il collabora a` l’Encyclope´die et est l’auteur de De l’esprit (1758), ouvrage qui fut condamne´ a` la fois par le roi, le parlement, la III,

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Sorbonne et le pape, et dont le censeur qui en avait autorise´ la publication fut re´voque´. Helve´tius commentera son ouvrage en le de´veloppant dans De l’homme, de ses faculte´s intellectuelles et de son e´ducation, qui ne paraıˆtra qu’apre`s sa mort (1773). Il est a` la fois mate´rialiste, sensualiste et athe´e. Sa femme, installe´e a` Auteuil, y a tenu un salon que fre´quente`rent Turgot, Franklin, Chamfort et Cabanis et ou` s’est forge´e la pense´e des Ide´ologues. BC avouera, dans Ma Vie, e´voquant le de´but de ses re´flexions sur les religions : « Nourri des principes de la philosophie du XVIIIe sie`cle et surtout des ouvrages d’Helve´tius, je n’avais d’autre pense´e que de contribuer pour ma part a` la destruction de ce que j’appelais les pre´juge´s » (OCBC, III, p. 314). HENRI III (1551–1589), roi de France. Duc d’Orle´ans puis d’Anjou, il s’illustra aux batailles de Jarnac et de Moncontour avant d’eˆtre e´lu roi de Pologne (1573) sous l’influence de Catherine de Me´dicis, sa me`re. Il revient bientoˆt en France pour succe´der a` son fre`re Charles IX (1574). De caracte`re inde´cis, il eut a` ge´rer un pays agite´ par les guerres de religions et se heurta a` la Ligue qui, sous la conduite de Henri de Guise (voir sous ce nom), lui fit suivre une conduite qu’il n’approuvait pas. Ce fut alors la «guerre des trois Henri», qui l’opposa a` Henri de Guise d’une part, a` Henri de Navarre (futur Henri IV) de l’autre. Apre`s l’assassinat de Guise, il se rapprocha de Henri de Navarre et fut lui-meˆme assassine´ (1589) par le moine ligueur Jacques Cle´ment. HENRI IV (1553–1610), roi de France. Alors qu’il e´tait roi de Navarre depuis la mort de sa me`re Jeanne III d’Albret (en 1572), qui avait e´pouse´ Antoine de Bourbon, son pe`re, il monta sur le troˆne de France lorsqu’il fut vacant apre`s la mort du duc d’Alenc¸on, fre`re d’Henri III (voir a` ce nom) en 1784. Ce n’est pourtant qu’apre`s sa conversion au catholicisme que Henri IV sera sacre´ roi de France a` Chartres, le 25 fe´vrier 1794. Il s’employa a` relever les ruines laisse´es par les guerres de religion et y re´ussit admirablement, graˆce a` sa ge´ne´rosite´ naturelle et a` son adresse. Le commerce, l’industrie et l’agriculture redevinrent florissantes. Son ministre Sully l’y aida grandement. HENRI VIII (1491–1547), roi d’Angleterre. Il est reste´ ce´le`bre par l’e´tablissement de la religion anglicane, qu’il assura pour faire pie`ce au refus du pape d’anuller son premier mariage, avec Catherine d’Aragon. Il contracta ensuite cinq autres unions, avec Ann Boleyn et quatre autres dames. Il e´tablit un pouvoir absolu qui lui surve´cut, mais on doit souligner qu’il fit de son pays une grande puissance e´conomique. HERCULE, demi-dieu romain dont le nom vient du grec He´racle`s. Sa le´gende n’est qu’un de´calque de celle de son mode`le. Les colonnes d’Hercule, caps montagneux qui marquent l’entre´e du de´troit de Gibraltar du coˆte´ de

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la Me´diterranne´e, s’appellent ainsi car on y voyait le lieu extreˆme des travaux d’Hercule. HIE´ RON Ier (Ve sie`cle avant J.-C.), tyran de Syracuse. Il e´tendit son pouvoir sur presque toute la Sicile, de´fendit Cumes contre les Carthaginois et les E´trusques et, aimant les lettres, attira a` Syracuse, entre autres e´crivains, Eschyle, Pindare et Simonide (voir sous ce nom). BC cite son nom au sujet d’un texte ce´le`bre de Xe´nophon (voir sous ce nom). HOBBES, Thomas (1588–1679), philosophe anglais. Diploˆme´ d’Oxford, il devint pre´cepteur. Il se lia a` Paris avec Mersenne. Apre`s avoir publie´ plusieurs ouvrages (E´le´ments de la loi naturelle et politique, 1640 ; De cive, 1642 ; Le´viathan, 1654, qui est une de´fense du pouvoir absolu, ou` l’on vit une flatterie a` l’e´gard de Cromwell), il fut victime d’une disposition prise par la Chambre des Communes contre les athe´es mais fut de´fendu par le roi a` la condition de ne plus publier. Il e´crivit ensuite, mais sans les e´diter, une histoire des causes de la guerre civile en Angleterre (Behemoth), une Histoire eccle´siastique et, en vers latins, son Autobiographie. Il a, a` la meˆme e´poque, de vives discussions avec les mathe´maticiens. BC est surtout attentif a` ce que Hobbes e´crit, dans Le´viathan, au sujet de l’e´tat de nature et du contrat social, et qui sera vivement critique´ par Rousseau. HOLBACH, Paul-Henri Dietrich, baron d’ (1723–1789), philosophe franc¸ais. Collaborateur de l’Encyclope´die, son salon fut fre´quente´ par Rousseau et par Diderot. Apre`s avoir de´veloppe´ des conceptions antireligieuses dans Le Christianisme de´voile´ (1767), il publia son ce´le`bre Syste`me de la nature (1770), ou` il expose ses conceptions mate´rialistes et son athe´isme. C’est l’ouvrage qui retient surtout l’attention de BC, avec La politique naturelle ou discours sur les vrais principes du gouvernement (1773). HUME, David (1711–1776), philosophe britannique. C’est en France, ou` il re´sida de 1734 a` 1737, qu’il re´digea son Traite´ de la nature humaine. De retour en Angleterre, il fut secre´taire du ge´ne´ral de Saint-Clair, avec qui il fut en mission a` Vienne et a` Turin, avant de devenir bibliothe´caire des avocats d’E´dimbourg, puis de revenir en France en qualite´ de secre´taire d’ambassade de 1763 a` 1766. Il rencontra Rousseau mais les deux hommes se brouille`rent. Hume fut ensuite sous-secre´taire d’E´tat a` Londres puis se retira a` E´dimbourg. C’est un empiriste, qui critique le rationalisme dogmatique du XVIIe sie`cle et est conduit par la` au scepticisme. On lui doit des Essais philosophiques sur l’entendement humain (1748), des Enqueˆtes sur les principes de la morale (1751), des Discours politiques (1752), une Histoire naturelle de la religion (1757) et une Histoire de la GrandeBretagne (1754–1759).

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ISOCRATE (436–338 avant J.-C.), orateur athe´nien. Ele`ve de Gorgias, il fut le rival de Lysias dans le domaine de la rhe´torique judiciaire. Il se consacra ensuite a` former des e´le`ves, parmi lesquels Hype´ride, Lycurgue et Xe´nophon. Son chef-d’œuvre est assure´ment le Pane´gyrique, auquel BC fait re´fe´rence, et dans lequel Isocrate exhortait les Grecs a` s’unir contre les barbares. IVERNOIS, Sir Francis d’ (1757–1842), homme politique et e´conomiste suisse. Bien que libe´ral, il prit parti contre la Re´volution franc¸aise et dut s’exiler en 1792. Installe´ en Angleterre et naturalise´, il fut charge´ de missions diplomatiques diverses. Il ne rentra a` Gene`ve qu’en 1814, fut conseiller d’E´tat et repre´senta la Suisse au congre`s de Vienne. Il obtint l’e´largissement du canton de Gene`ve et son rattachement a` la Confe´de´ration. Il est l’auteur de diverses publications, dont un Tableau historique et politique des pertes que la Re´volution et la guerre ont cause´es au peuple franc¸ais, dans sa population, son agriculture, ses colonies, ses manufactures et son commerce. BC se montre parfois critique a` l’e´gard de ses the´ories (voir OCBC, XI, a` paraıˆtre). JACQUES II (1633–1701), roi d’Angleterre, d’Irlande et d’E´cosse. Fils de Charles Ier, il succe´da a` son fre`re Charles II, sous le re`gne duquel il s’e´tait illustre´ comme grand amiral. Sa conversion au catholicisme lui valut l’hostilite´ des whigs qui tente`rent de l’e´carter de la succession au troˆne. Devenu roi, il vainquit la re´bellion de Monmouth mais se rendit impopulaire par sa maladresse. Oblige´ de s’enfuir, il passa en France ou` il mourut. JEFFREYS, George (1645–1689), homme politique anglais. Nomme´ lord chancelier par Jacques II (1685) apre`s une carrie`re particulie`rement rapide, il se montra inique et cruel, notamment lors du proce`s des partisans de Monmouth. La re´volution de 1688 marqua la fin de son itine´raire. Apre`s avoir tente´ de fuir, il fut incarce´re´ et mourut a` la Tour de Londres. JEFFERSON, Thomas (1743–1826), e´crivain politique et homme d’E´tat ame´ricain. Troisie`me pre´sident des E´tats-Unis (1801–1809). L’un de ses grands me´rites fut d’e´viter a` son pays la guerre qui ensanglantait l’Europe. Il fut aussi a` la base de l’abolition de l’esclavage et fit preuve de beaucoup d’habilete´ a` l’occasion de l’acquisition de la Louisiane. L’ensemble de sa politique lui attirait la confiance de son e´lectorat. JOSEPH II (1741–1790), empereur germanique. Grand admirateur de Fre´de´ric II, il fut une sorte de mode`le du despote e´claire´ et entreprit des re´formes importantes, pratiquant une politique sociale hardie et faisant preuve d’une belle tole´rance religieuse, e´tablissant le mariage civil et rejetant l’autorite´ pontificale sauf en matie`re de dogme. Il re´organisa e´galement l’admnistration et supprima les barrie`res douanie`res. Pourtant,

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un certain nombre de maladresses vinrent non seulement ternir son image, mais aussi provoquer un grand me´contentement, comme par exemple aux Pays-Bas autrichiens, ou` e´clata la re´volution brabanc¸onne, ` la fin de ou en Hongrie, ou` sa politique e´trange`re ne fut pas accepte´e. A son re`gne, Joseph II laissa ses e´tats dans une situation critique et en e´tait parfaitement conscient. C’est sur le contraste entre sa bonne volonte´ et les re´sultats obtenus que BC met l’accent a` chaque fois qu’il e´voque la personnalite´ de cet empereur. JUNIUS, voir sous Philip FRANCIS JURIEU, Pierre (1637–1713), pasteur calviniste franc¸ais. Professeur a` l’acade´mie protestante de Sedan puis, apre`s sa fermeture, a` celle de Rotterdam, il pole´miqua avec Arnauld (Apologie pour la morale des re´forme´s), avec Bossuet (Pre´servatif contre le changement de religion), avec le pe`re Louis Maimbourg. Il fut conseiller de Guillaume d’Orange et, apre`s la re´vocation de l’e´dit de Nantes, le chef de la re´sistance a` Louis XIV (Lettres pastorales aux fide`les de France qui ge´missent sous la captivite´ de Babylone). JUVE´ NAL (vers 55-vers 140), poe`te latin. Auteur de seize Satires dans lesquelles il s’en prend violemment aux de´fauts de son e´poque, qu’il oppose a` la Rome de Cice´ron et de Tite-Live, qui e´tait, selon lui, forte et pure. LA BARRE, Jean-Franc¸ois Lefebvre, chevalier de (1747–1766). Ce gentilhomme franc¸ais, condamne´ par le tribunal d’Abbeville pour ne pas avoir salue´ une procession a` avoir un poing coupe´, la langue arrache´e et a` eˆtre bruˆle´ vif, fut finalement de´capite´ avant d’eˆtre bruˆle´, graˆce a` la cle´mence du parlement de Paris. La re´vision de son proce`s fut vainement re´clame´e par Voltaire, et le jeune homme ne fut re´habilite´ qu’en 1793 par la Convention. LACRITE (IVe sie`cle avant J.-C.) sophiste grec, e´le`ve d’Isocrate. Il est surtout connu parce que De´mosthe`ne fit un discours dirige´ contre lui. LA HARPE, Jean-Franc¸ois de (1739–1803), poe`te dramatique et critique. Si aucune de ses trage´dies n’a eu un succe`s durable, son Cours de litte´rature anciene et moderne (1799) est connu, malgre´ les variations d’appre´ciation de l’auteur qui, apre`s avoir de´fendu la liberte´ du the´aˆtre, s’est fait, apre`s la Re´volution, un de´fenseur re´solu des re`gles classiques. LALOUBE` RE, Simon de (1642–1729), diplomate franc¸ais. Ambassadeur au Siam, il a laisse´ une Description du royaume de Siam. Il est connu aussi pour avoir contribue´ a` la restauration de l’Acade´mie des Jeux floraux de Toulouse (concours de poe´sie occitane cre´e´ en 1323) et est devenu en 1693 membre de l’Acade´mie franc¸aise. LAUZE DE PERET, Pierre-Joseph (?–?), avocat, chef de bureau au ministe`re de la Police ge´ne´rale. Il est l’auteur d’un Traite´ de la garantie individuelle et des diverses preuves en matie`re criminelle (Paris : Caillot, 1805).

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LAW, John (1671–1729), financier e´cossais. Dans ses Conside´rations sur le nume´raire et le commerce (1705), il pre´conise la cre´ation d’une banque d’E´tat, avec un syste`me de cre´dit et la circulation de papier-monnaie. Il mit ses ide´es en application en France, sous la Re´gence. Apre`s avoir cre´e´ une banque prive´e, il obtint le droit d’e´mettre des billets, fonda la Compagnie d’Occident, puis, pour rembourser la dette publique, cre´a un «syste`me», unissant la banque, la Compagnie et l’E´tat, qui eut le controˆle du commerce exte´rieur et des grandes entreprises franc¸aises. Le commerce et le cre´dit public furent ainsi relance´s et d’autres pays imite`rent la France. Pourtant, l’imprudence des responsables et le jeu des spe´culateurs ainsi que l’action de´cide´e des ennemis du syste`me provoque`rent une terrible banqueroute. Law, qui e´tait devenu surintendant des finances, dut finalement s’enfuir (1720). LINGUET, Simon-Nicolas-Henri (1736–1794), avocat et journaliste. Il fonda le Journal de politique et de litte´rature, qui plaida la cause du despotisme e´claire´. Apre`s l’interdiction de son journal, Linguet s’installa a` Londres, ou` il avait publie´ sa The´orie des lois civiles ou principes fondamentaux de la socie´te´ (1767), et il fit paraıˆtre des Annales politiques, civiles et litte´raires avec la collaboration de Mallet du Pan. Rentre´ en France en 1779, il fut embastille´, ce qui lui inspira des Me´moires sur la Bastille. LOCKE, John (1632–1704), philosophe anglais. Ce que BC retient essentiellement de lui, c’est qu’il fut suspect aux Stuarts dans son pays, en raison de ses accointances avec le comte de Schaftesbury, et qu’il partit pour la Fance, puis la Hollande, et e´crivit alors son Essai sur l’entendement humain. On ne peut ne´gliger non plus le fait que, dans sa Lettre sur la tole´rance (1689) et dans son Traite´ sur le gouvernement civil (1690), il apparaıˆt comme un de´fenseur du libe´ralisme lorsqu’il affirme que le pacte social ne fait pas ne´cessairement tort aux droits naturels des individus. LOUIS Ier, LE DE´ BONNAIRE OU LE PIEUX (778–840), roi de France et empereur d’occident, troisie`me fils de Charlemagne. Il mit fin a` la monarchie absolue e´tablie par son pe`re en ope´rant, pour sauvegarder l’unite´ de l’empire, plusieurs distributions successives entre ses descendants qui aboutirent, en fin de compte, a` la tripartition du terrritoire entre Lothaire, he´ritier de la dignite´ impe´riale, Louis le Germanique et Charles le Chauve. LOUIS XI (1423–1483), roi de France. BC a retenu de lui son abus des lois, son gouˆt de l’oppression et sa cruaute´, ce qui re´sume bien, meˆme si c’est ne´gativement, tout le re`gne. Aujourd’hu, les historiens tendent a` rendre le tableau moins noir, en faisant apparaıˆtre ce que ce roi cruel mais habile a apporte´ a` la France en e´tablissant l’ordre, en de´veloppant le commerce et

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l’industrie, en assurant la se´curite´ des routes, en cre´ant la poste, en introduisant l’imprimerie, en imposant la discipline a` ses arme´es. LOUIS XIII (1601–1643), roi de France, fils de Henri IV. BC voit en lui celui qui a re´tabli l’autorite´ royale, mais aussi l’un de ceux qui, par leur manie`re d’agir, ont donne´ naissance a` ce qu’il appelle «l’esprit de 1789». Son re`gne fut aussi et surtout celui de Richelieu, a` qui il e´tait entie`rement soumis et, apre`s sa disparition, il appela Mazarin, que son pre´de´ceseur avait de´signe´. LOUIS XIV (1643–1715), roi de France. Le de´but de son re`gne, sous la re´gence d’Anne d’Autriche seconde´e par Mazarin, fut marque´ par la Fronde, ce qui lui inspira un grand de´sir d’absolutisme en meˆme temps que la crainte de re´sider a` Paris. A la mort de Mazarin, il prit re´solument le pouvoir, faisant arreˆter Fouquet et ne voulant plus de premier ministre. Il tint sa famille a` l’e´cart du pouvoir, re´solu a` eˆtre le seul maıˆtre et a` ne se laisser influencer par personne, meˆme pas par ses maıˆtresses. Les ministres n’e´taient que des exe´cutants et la noblesse faisait, au mieux, de la figuration. L’e´conomie florissante, graˆce notamment a` Colbert, permit au roi de pratiquer une politique de grandeur agressive a` l’e´gard de l’e´tranger. La fin du re`gne fut cependant moins glorieuse en raison de la convergence d’e´le´ments divers : une opposition aristocratique autour de Fe´nelon et de Saint-Simon ; des luttes religieuses de plus en plus dures : contre le protestantisme, contre le quie´tisme, contre le janse´nisme. En outre, le roi sous-estimait la puissance grandissante de l’Angleterre, e´tait indiffe´rent a` l’e´gard des questions financie`res et ne se pre´occupait pas du sort des colonies. A son de´ce`s, et pour toutes ces raisons, il laissa un royaume affaibli, aux prises avec des difficulte´s e´conomiques et politiques. BC soulignait notamment qu’il avait mene´ des guerres hasardeuses et inutiles qui avaient entraıˆne´ une de´cadence du re´gime. LOUIS XV, dit le Bien-Aime´ (1710–1774), roi de France. Arrie`re petit-fils de Louis XIV, il acce´da au troˆne a` l’aˆge de cinq ans, le pays e´tant gouverne´ par le Re´gent Philippe d’Orle´ans, par le duc de Bourbon puis par le cardinal Fleury, avant que le roi ne de´cide, en 1741, de gouverner lui-meˆme. Velle´itaire, il eut alors une politique versatile, inspire´e par ses favoris et par ses maıˆtresses. Tout le re`gne connut des proble`mes financiers, bien que la France soit prospe`re. C’est la politique e´trange`re surtout qui couˆta cher, malgre´ les victoires militaires. Les parlements pratique`rent l’opposition mais, en fait, bien que soutenus par le mouvement philosophique et l’Encyclope´die, ils de´fendirent les privile`ges plutoˆt que de s’attaquer aux vrais proble`mes. Le renvoi des parlements par Maupeou, Terray et d’Aiguilon intervint trop tard et a` la mort du roi, le pays, bien que prospe`re, n’avait plus a` sa teˆte qu’une royaute´ affaiblie.

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LOUIS XVI (1754–1793), roi de France. Petit-fils de Louis XV, il e´tait assez mal pre´pare´ a` monter sur le troˆne par une e´ducation religieuse stricte et un gouˆt du savoir limite´ aux sciences naturelles, a` la ge´ographie et, surtout, a` la serrurerie. Ses loisirs furent surtout la chasse et les plaisirs de la table. Ni Turgot ni Malesherbes ne re´ussirent a` faire aboutir leurs re´formes et de´missionne`rent. La guerre d’inde´pendance ame´ricaine rehaussa le prestige de la France, mais contribua aussi a` ruiner un pays que les de´penses inconside´re´es de la Cour avait appauvri. Ni Necker, ni Calonne, ni Lome´nie de Brienne, qui s’attaque`rent aux proble`mes financiers, ne re´ussirent dans leur taˆche. La re´action des nobles me´contents de l’absolutisme royal et la situation sociale difficile conduisirent a` la convocation des E´tats-Ge´ne´raux, pre´lude a` une Re´volution a` laquelle Louis XVI fit face avec une insigne maladresse due a` une totale incompre´hension. LOUVOIS, Franc¸ois Michel Le Tellier, marquis de (1639–1691), secre´taire a` la Guerre de Louis XIV. Fils de Michel Le Tellier, qui avait exerce´ lui-meˆme la charge et la laissa a` son fils lorsqu’il devint a` son tour Chancelier. La re´organisation de l’arme´e, entreprise par le pe`re fut poursivie par le fils, qui, empie´tant sans cesse sur les autres domaines, mena une ve´ritable lutte contre Colbert. Ayant la confiance du roi, dont il flattait le de´sir de gloire, il est responsable, entre autres exploits, de la de´vastation du Palatinat, du bombardement de Geˆnes et des dragonnades, ces perse´cutions contre les protestants qui pre´ce´de`rent et suivirent la re´vocation de l’e´dit de Nantes, et qui consistaient a` loger chez eux des dragons a` qui l’on permettait d’exercer les pires se´vices. LUCAIN, Marcus Annaeus Lucanus (39–65), poe`te latin, neveu de Se´ne`que. Il fut compromis dans la conjuration de Pison et contraint par Ne´ron de se donner la mort. Il est l’auteur de la Pharsale, re´cit de la guerre civile entre Ce´sar et Pompe´e. LUCRE` CE (morte en 510 avant J.-C.), femme de Tarquin Collatin (voir a` ce nom). Elle est ce´le`bre par sa mort tragique. Les princes de la famille royale, occupe´s au sie`ge d’Ardee et inquiets du comportement de leur femme en leur absence, se rendirent de nuit a` Rome, et les trouve`rent menant joyeuse vie, a` l’exception de Lucre`ce, qui filait la laine. Sa beaute´ fit impression sur Sextus Tarquin, qui revint un peu plus tard a` Rome, s’introduisit chez elle et la viola. Lucre`ce fit venir le lendemain son pe`re (Spurius Lucrecius) et son mari, qui vinrent chacun avec un ami – Spurius avec Publius Valerius Publicola et Collatin avec Lucius Junius Brutus – leur raconta l’outrage et se tua d’un coup de poignard. Junius Brutus, secouant le poignard ensanglante´, appella le peuple a` la re´volte et la de´che´ance des Tarquins fut proclame´e. La mort de Lucre´ce est le sujet d’un grand nombre de tableaux (par Giordano, Andrea del Sarto, le Titien, Ve´rone`se, Dürer, Cranach, etc.).

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LYCURGUE, le´gislateur mythique de Sparte qui aurait ve´cu au IXe sie`cle avant J.-C. ou meˆme plus toˆt. Les mode`les de ses lois seraient cre´tois, e´gyptiens ou asiatiques ; une autre tradition veut que la constitution de Sparte lui ait e´te´ dicte´e par l’oracle de Delphes (qui lui est pourtant poste´rieur). Avant de disparaıˆtre, Lycurgue aurait fait jurer a` ses concitoyens de ne jamais modifier la Constitution. Manifestement, cette le´gende, propage´e par l’aristocratie spartiate, avait pour but de donner une origine prestigieuse aux re`gles qui e´taient les siennes. LYSIAS (440–380 avant J.-C.), orateur athe´nien. Ce rival d’Isocrate (voir sous ce nom) composa plusieurs centaines de discours dont on a conserve´ une trentaine. Il est conside´re´ aujourd’hui comme le meilleur orateur judiciaire de son temps. Sa langue est remarquablement pure et son habilete´ rhe´torique exceptionnelle. MABLY, Honore´-Gabriel Bonnot de (1709–1785), philosophe et historien franc¸ais. Fre`re de Condillac, il fit ses e´tudes chez les je´suites puis au se´minaire de Saint-Sulpice avant de renoncer a` l’e´tat eccle´siastique. Charge´ de missions diplomatiques, il est l’auteur de Paralle`les des Romains et des Franc¸ais (1740) du Droit public de l’Europe fonde´ sur les traite´s (1748) puis d’Observations sur l’histoire de France (1765). Il e´tait l’adversaire des physiocrates et a plaide´ pour une re´forme, notamment agraire, qui e´tablisse davantage de justice sociale et d’e´galite´ dans une socie´te´ ou` les biens seraient mis en commun. Pre´curseur du socialisme et du communisme, il est conside´re´ par BC, qui a cependant de l’estime pour lui, comme l’un des pires ennemis de la liberte´ individuelle. MACHIAVEL, Nicolas (1469–1527), homme d’E´tat et e´crivain florentin. A coˆte´ d’œuvres litte´raires qui sont remarquables, e´crites dans une prose sobre et forte, il a laisse´ des ouvrages nourris de son expe´rience politique et de la re´flexion qu’elle lui inspira aux e´poques ou` il e´tait tenu a` l’e´cart du pouvoir. Ses ouvrages les plus ce´le`bres dans ce domaine sont Le Prince (1513, publie´ en 1531) et l’Art de la guerre (1516–1520). Sa doctrine ne se re´sume pas a` ce qu’on appelle le «machiave´lisme», fruit d’une interpre´tation sommaire et largement fausse de ses conceptions. Elle est fonde´e sur un re´el patriotisme et sur une observation intelligente des re´alite´s de son e´poque. On doit en outre souligner que, d’origine pauvre, Machiavel n’e´tait pas plus riche apre`s avoir e´te´ aux affaires. MACPHERSON, James (1736–1796), professeur, poe`te et traducteur anglais. Sa parfaite connaissance de la poe´sie gae´lique le conduisit, apre`s avoir publie´ des Fragments of Ancient Poetry Collected in the Highlands of Scotland and Translated from the Gaelic or Erse Language (1760), a` faire paraıˆtre Fingal : An Ancient Poem (1762) suivi bientoˆt par Temora : An Ancient Epic Poem (1763), dont il attribua bientoˆt (1765) les textes

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orginaux a` un poe`te gae´lique du nom d’Ossian. Ces poe`mes, dont l’origine fut rapidement controverse´e, connurent ne´anmoins un extraordinaire succe`s, non seulement en Grande-Bretagne, mais encore dans toute l’Europe, jouant un roˆle majeur a` la source du romantisme. Macpherson est e´galement l’auteur d’ouvrages historiques et d’une traduction en prose de l’Iliade. Il fut e´lu au Parlement britannique en 1780. MAHOMET (570 ?–632), prophe`te de l’Islam. Orphelin recueilli par son oncle, il se consacra au commerce jusqu’au jour ou` il se crut appele´ a` restaurer en Arabie la religion monothe´iste. Les Arabes, attache´s a` leur polithe´isme, virent l’entreprise de Mahomet d’un mauvais œil. Il quitta La Mecque, ou` il e´tait devenu inde´sirable, pour gagner Me´dine, qui l’accueillit. Ce fut alors la lutte entre les deux villes. Apre`s bien des pe´ripe´ties, une treˆve intervint. Ayant soumis l’Arabie, Mahomet entreprit la conqueˆte de l’E´gypte, de l’empire grec et de la Perse. Il s’empara en outre de La Mecque, et c’est en revenant d’un pe´lerinage dans cette ville qu’il fut saisi d’une fie`vre violente et qu’il mourut en quinze jours. Voltaire lui a consacre´ une trage´die : Du fanatisme ou Mahomet le prophe`te, qui fut repre´sente´e sur le the´aˆtre de Germaine de Stae¨l, avec BC dans le roˆle de Zopire (voir a` ce nom). MAINTENON, Franc¸oise d’Aubigne´, marquise de (1635–1719), favorite de Louis XIV que le roi e´pousa secre`tement. La petite-fille d’Agrippa d’Aubigne´, alors qu’elle e´tait veuve du poe`te Scarron, fut engage´e comme gouvernante des enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan, s’acquitta parfaitement de sa taˆche et succe´da a` la me`re de ses e´le`ves dans les faveurs du roi, qui l’e´pousa apre`s son veuvage a` lui (1683). BC ne cite pas la source de son te´moignage relatif a` des e´crits offensants «a` Dieu et au Roi», mais on peut penser a` La Beaumelle, Me´moires pour servir a` l’histoire de madame de Maintenon. MAMERCUS, Aemilius (Ve sie`cle avant J.-C.), consul et dictateur romain. C’est lui qui, pendant sa seconde dictature, fit re´duire de cinq ans a` dix-huit mois la dure´e de la censure, c’est-a`-dire de la dignite´ et de la fonction des deux censeurs, magistrats qui e´tablissaient le cens et surveillaient les mœurs des citoyens. Leur pouvoir e´tait d’importance, puisqu’ils e´taient charge´s de l’e´valuation des fortunes en vue de la re´partition en classes, du paiement de l’impoˆt et de la de´limitation des devoirs militaires de chacun. Cette re´duction indisposa les censeurs, qui lui interdirent l’acce`s au Se´nat, sanction que ni le Se´nat lui-meˆme, ni le peuple n’approuve`rent. MANLIUS, Titus Torquatus, consul romain (340 avant J.-C.), avait e´tabli dans l’arme´e une discipline tellement rigoureuse que, son fils ayant combattu sans son ordre, il lui fit couper la teˆte.

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MARC ANTOINE : voir ANTOINE. MARC-AURE` LE (121–180), empereur et philosophe romain. Re´novateur de l’administration financie`re et judiciaire, son re`gne fut trouble´ par plu` la fin de sa vie, il sieurs guerres contre les Parthes et les Germains. A re´digea des Pense´es qui sont un te´moignage tardif sur le stoı¨cisme antique. MARIE-THE´ RE` SE, (1717–1780), impe´ratrice d’Autriche, me`re de Joseph II. Devenue impe´ratrice par la volonte´ de son pe`re, qui n’avait pas eu de fils et l’avait impose´e par la Pragmatique Sanction, la guerre dite «de la succession d’Autriche» e´clata a` la disparition de Joseph II, car tous les E´tats qui l’avaient approuve´e la de´nonce`rent. Marie-The´re`se re´ussit cependant, graˆce a` son habilete´ et a` ses alliances avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, a` faire finalement reconnaıˆtre ses droits. La suite de son re`gne fut encore trouble´e par de nombreuses guerres, ce qui ne l’empeˆcha pas de gouverner avec sagesse selon les principes du despotisme e´claire´ et d’acque´rir ainsi une ve´ritable popularite´. MARIUS, Caius (157–86 avant J.-C.), ge´ne´ral et homme politique romain. Sa re´putation de fe´rocite´ a` laquelle BC fait e´cho est bien re´elle. Il fut sans doute un excellent homme de guerre, mais ses capacite´s d’homme politique e´taient des plus limite´es. MAUVILLON, Jakob (1743–1794), appartenait a` une famille de huguenots franc¸ais e´migre´s. Il avait e´te´ officier dans l’arme´e du Hanovre d’abord (1760–1766), du Brunswick ensuite, dans laquelle il devint major, et enseigna les Sciences Polytechniques au Carolineum (e´cole militaire) de Brunswick. C’e´tait un fin lettre´, bon e´crivain, et il avait e´te´ l’ami et le collaborateur de Mirabeau, qu’il avait connu a` l’e´poque du se´jour allemand de celui-ci. Ils avaient e´crit ensemble De la Monarchie prussienne sous Fre´de´ric le Grand (8 vol., 1792). BC le rencontra a` Bruswick en 1788 et les deux hommes s’appre´cie`rent et se rapproche`rent tre`s vite, jusqu’a` devenir des amis intimes, le plus aˆge´ exerc¸ant sur le plus jeune une influence de´terminante. Au de´ce`s de Mauvillon, en 1794. Benjamin concevra le projet d’e´crire sa biographie, mais le projet restera sans suite. ME´ DE´ E, magicienne dont la le´gende appartient au cycle des Argonautes, qui partent avec Jason a` la recherche de la Toison d’or. C’est graˆce a` Me´de´e que Jason re´ussira a` s’emparer de celle-ci, et ils s’enfuiront ensemble. Elle incite ensuite les filles de Pe´lias – le roi qui avait envoye´ Jason conque´rir la Toison – a` de´pecer leur pe`re et a` jeter ses morceaux dans un chaudron d’eau bouillante, sous pre´texte de le rajeunir. ME´ DICIS, les (XVe-XVIIe sie`cle), famille florentine de marchands et de banquiers qui joue`rent un roˆle capital en Toscane, a` Florence, et dans toute l’Europe, aussi bien en politique que dans les arts et les lettres. Son

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histoire est raconte´e par Jean-Charles-Le´onard Sismondi, l’ami de BC, dans son Histoire des re´publiques italiennes du moyen-aˆge, t. II, qui paraıˆtra a` Paris, chez Nicolle, MIRABEAU, Victor Riqueti, marquis de (1715–1789), e´conomiste franc¸ais. Appartient au groupe des physiocrates. Auteur de L’Ami des hommes ou Traite´ de la population (1756), que BC avait lu et approuvait sur plus d’un point. Le marquis avait e´galement pris parti contre les fermiers ge´ne´raux dans la The´orie de l’impoˆt (1760). MIRABEAU, Honore´-Gabriel Riqueti, comte de (1749–1791), fils du pre´ce´dent, orateur et homme politique. Apre`s une mission diplomatique a` la cour de Berlin, il publia, en collaboration avec Jacob Mauvillon (voir a` ce nom), De la monarchie prussienne sous Fre´de´ric le Grand (1787) et Histoire secre`te sur la cour a` Berlin. BC cite en l’approuvant le premier de ces ouvrages. Acquis aux ide´aux de la Re´volution, Mirabeau e´tait partisan d’une monarchie constitutionnelle. Il sie´gea aux E´tats ge´ne´raux, non comme repre´sentant de la noblesse, qui avait rejete´ sa candidature, mais e´lu par le tiers e´tat d’Aix. Il fut ensuite membre de l’Assemble´e nationale constituante. Dans les deux cas, il se fit remarquer par sa brillante e´loquence. Il se rendit ce´le`bre par sa re´ponse fameuse au repre´sentant du roi qui voulait faire exe´cuter l’ordre donne´ a` l’assemble´e de se se´parer sur le champ, le 23 juin 1789 : «nous ne quitterons nos places que par la puissance des baı¨onnettes». Il de´fendit brillament les principes re´volutionnaires, participa a` la re´daction de la De´claration des droits de l’homme et du citoyen et proposa a` l’Assemble´e la mise a` disposition de la nation des biens du clerge´, mais se de´solidarisera progressivement des patriotes pour de´fendre les pre´rogatives royales. On de´couvrira apre`s sa mort, survenue a` l’issue d’une bre`ve maladie, qu’il avait joue´ le roˆle de conseiller secret de Louis XVI et rec¸u de l’argent pour de´fendre a` la tribune les inte´reˆts royaux, tout en continuant de rester attache´ aux principes re´volutionnaires. MOLE´ , Louis-Mathieu, comte (1781–1855), homme politique. Il assura de nombreuses fonctions sous l’empire et e´tait l’auteur d’Essais de morale et de politique (1806) auxquels BC renvoie a` diverses reprises. Rallie´ aux Bourbons, il sera ministre de la Marine avant de se ranger dans l’opposition libe´rale. Il poursuivra une grande carrie`re ministe´rielle sous la Monarchie de Juillet. MOLIE` RE, Jean-Baptiste Poquelin, dit (1622–1673), auteur dramatique et come´dien. Il arrive assez souvent a` BC de renvoyer a` ses œuvres, qu’il connaissait e´videmment fort bien. MONTESQUIEU, Charles de Secondat, marquis de (1689–1755), magistrat et philosophe. Non seulement BC connaissait fort bien son œuvre, mais il y fait tre`s souvent re´fe´rence, notamment a` De l’esprit des lois (1748).

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MORELLET, Andre´ (1727–1819), e´crivain et philosophe. Cet abbe´ philosophe qui ve´cut fort vieux est l’auteur de nombreux ouvrages sur des sujets divers, parmi lesquels un Dialogue sur le commerce des ble´s qui est une re´futation de l’e´conomiste italien et abbe´ lui aussi, Ferdinando Galiani, qui s’en e´tait pris aux physiocrates dans un e´crit portant le meˆme titre (1770). Peu avant sa mort, Morellet publiera des Me´langes de litte´rature et de philosophie au dix-huitie`me sie`cle (1818). NAPOLE´ ON IER, Napole´on Bonaparte (1769–1821), ge´ne´ral, Premier Consul puis Empereur des Franc¸ais. Si les relations entre l’empereur et BC ont fluctue´, elles n’ont jamais e´te´ parfaitement bonnes. BC se me´fia tre`s vite de celui qu’on conside´rait comme le sauveur de la Re´volution, mettant notamment Sieye`s en garde contre le gouˆt du pouvoir qu’il affichait. Bonaparte, de son coˆte´, apre`s avoir accepte´ de faire de BC un membre du Tribunat, l’exclut rapidement de cette assemble´e pour crime d’opposition. Les deux hommes se tinrent alors a` distance durant plus de dix ans, et s’ils se rapproche`rent au moment des Cent-Jours, c’est en fonction de la volonte´ affiche´e par Napole´on de libe´raliser l’empire. On ne peut que souligner combien, dans les Principes de 1806, les allusions de BC a` Napole´on sont rares et feutre´es. NECKER, Jacques (1732–1804), banquier et homme politique genevois, ministre des finances sous Louis XVI. BC avait beaucoup d’estime pour le pe`re de celle qui e´tait devenue Germaine de Stae¨l. Non seulement il avait appris a` le connaıˆtre et a` l’appre´cier sur la plan humain (les deux hommes s’estimaient mutuellement), mais il avait lu ses ouvrages et y fait fre´quemment re´fe´rence, qu’il s’agisse de Sur la le´gislation et le commerce des grains (1776), Du pouvoir exe´cutif dans les grands e´tats (1792), ou des Dernie`res vues de politique et de finance, offertes a` la nation franc¸aise (1802). ´ NERON (37–68), empereur romain. Meurtrier de sa me`re Agrippine, qui avait tout fait pour qu’il acce`de au pouvoir, il est le symbole meˆme du despotisme sanglant. Poe`te et acteur, mais de´se´quilibre´, il fut tenu pour responsable du grand incendie de Rome (en 64) et pour se mettre hors de cause accusa les chre´tiens, de´clenchant contre eux une terrible perse´cution. S’appuyant sur le peuple auquel il offrait des spectacles et des jeux, il s’en prit a` l’aristocratie, dont il confisqua les biens a` son profit. Il dut finalement s’enfuir et fut tue´ par un de ses serviteurs en s’e´criant, selon Se´ne`que, «Quel artiste meurt avec moi !» NEWTON, Isaac (1642–1727) mathe´maticien, physicien et astronome anglais. L’un des grands initiateurs de la science moderne dans diffe´rents domaines : l’optique, la me´canique et les mathe´matiques applique´es.

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NUMA POMPILIUS (VIIIe-VIIe sie`cles avant J.-C.), second roi le´gendaire de Rome apre`s Romulus. Inspire´ par la nymphe E´ge´rie et tre`s pacifique, a` l’inverse de son pre´de´cesseur, c’est lui qui aurait organise´ la vie religieuse romaine et fonde´ les colle`ges religieux des vestales et des pontifes. Il aurait e´galement divise´ l’anne´e en 12 mois et distingue´ les jours fastes et les jours ne´fastes. OCTAVE : voir AUGUSTE OLIVET, Pierre-Joseph Thoulier, abbe´ d’ (1682–1768), grammairien franc¸ais. Il a traduit Ciceron, e´crit une Histoire de l’Acade´mie qui fait suite a` celle de Pellisson, ainsi que des Essais de grammaire. OROMAZE : voir sous ARIMANE OSSIAN, poe`mes d’ : voir sous MACPHERSON. PAINE, Thomas (1737–1809), homme politique et pamphle´taire britannique. E´migre´ en Ame´rique, il fit carrie`re dans le journalisme en militant en faveur de la De´claration d’inde´pendance. Auteur d’un essai, Le Bien public (1780), il s’en prend directement aux monarchies et aux re´gimes d’aristocratie he´re´ditaire. L’ouvrage eut un succe`s conside´rable et une grande influence sur la conscience politique ame´ricaine. Son e´crit suivant, Le Sens commun (Common Sense, 1776), fut un des de´clencheurs de la re´volution ame´ricaine et c’est a` lui que BC fait le plus souvent re´fe´rence. D’un caracte`re impulsif, Paine se brouilla avec les autorite´s ame´ricaines et rentra en Angleterre, ou` il fut accuse´ de haute trahison pour avoir e´crit Les Droits de l’homme (1791), re´futation de ce qu’e´crivait Burke dans ses Re´flexions sur la Re´volution franc¸aise. Il devint alors franc¸ais et fut envoye´ a` la Convention comme de´pute´ girondin. Enferme´ dans la prison du Luxembourg par Robespierre, il y e´crivit Le Sie`cle de Raison (1794–1796), avec, pour sous-titre «Recherches sur la vraie the´ologie et sur la the´ologie fabuleuse». Il e´crivit encore une Dissertation sur les premiers principes du gouvernement (1795), qui de´finit la doctrine de´mocratique, avant de retourner aux E´tats-Unis en 1802. PASCAL, Blaise (1623–1662), mathe´maticien, physicien et philosophe. C’est e´videmment au philosophe et plus pre´cise´ment a` l’auteur des Pense´es que BC fait quelquefois allusion, souvent pour le critiquer. PAUSANIAS (mort vers 470 avant J.-C.), ge´ne´ral spartiate. Commandant l’arme´e grecque, il battit les Perses a` la bataille de Plate´es et leur enleva ensuite une grande partie de Chypre et Byzance. Son ambition le rendit suspect de complicite´ avec Xerxe`s. Acquitte´, il s’installa a` Byzance mais s’y rendit insupportable par un excessif gouˆt du luxe. Chasse´ par les Athe´niens, il s’enfuit en Troade mais fut rappele´ a` Sparte sous la menace. Il fut une nouvelle fois juge´. La preuve de sa trahison ayant e´te´ e´tablie, il s’enfuit et se re´fugia dans le temple d’Athe´na. C’est alors que, selon la

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le´gende, sa me`re, convaincue de sa culpabilite´, l’y fit emmurer. Il y mourut de faim. PAUW, Cornelius de (1739–1749), savant, e´crivain et philosophe hollandais. Ses travaux, Recherches philosophiques sur les E´gyptiens et les Chinois (1773) et Recherches philosophiques sur les Grecs (1788) sont de ve´ritables livres de chevet pour BC dans ses travaux sur les religions, mais aussi dans ses re´flexions politiques. PE´ RICLE` S (495–429 avant J.-C.), homme politique athe´nien. Bien que le re`gne de Pe´ricle`s soit particulie`rement brillant en ce qui concerne le pouvoir politique et la civilisation grecque, ce que retient BC est d’un tout autre ordre dans le seul passage ou` il cite ce nom prestigieux, puisqu’il s’agit de la vente par les autorite´s athe`niennes d’hommes re´duits en esclavage parce qu’ils e´taient ne´s d’une me`re e´trange`re. Son information sur ce point lui vient d’un passage des Recherches sur les constitutions des peuples libres de son ami Sismondi. PETIT, Samuel (1594–1643), orientaliste franc¸ais. Fils d’un pasteur protestant, il fut envoye´ a` Gene`ve pour y faire ses e´tudes et y apprit le grec, l’he´breu, le chalde´en, le syriaque et l’arabe en meˆme temps que la the´ologie. Rentre´ en France, il consacra sa vie a` l’enseignement et a` la recherche. Sa re´putation fut rapidement internationale. Ses ouvrages sont admirables de clarte´ et de rigueur. Son chef-d’œuvre est sans doute son commentaire des lois de la Gre`ce antique (Leges Atticae) publie´ a` Paris en 1635 et re´e´dite´ a` diverses reprises PE´ TRONE, Caius Petronius (mort en 65) e´crivain latin. Ce grand seigneur e´picurien qui e´tait un ami de Ne´ron fut compromis dans la conjuration de Pison et se suicida. Il est selon toute vraisemblance l’auteur du Satiricon, roman en prose et en vers qui raconte les aventures de trois jeunes amis, dont on n’a ni le de´but ni la fin mais d’importants fragments. Il s’agit d’une œuvre licencieuse qui a notamment inspire´ La Fontaine dans ses Contes. PHILIPPE AUGUSTE (1165–1223), roi de France. C’est au de´but de son re`gne que s’engagea la guerre contre les Plantageneˆts, qui posse´daient l’Angleterre et une partie de la France. C’est aussi sous son re`gne que se firent l’accroissement et l’embellissement de Paris (avec la construction du Louvre et d’une nouvelle enceinte). En fait, BC ne mentionne pas le nom de ce roi pour la simple raison qu’il situe le Concile de Paris, qui condamna la philosophie d’Aristote en 1210, sous le re`gne de Philippe le Bel (voir a` ce nom). PHILIPPE LE BEL (1268–1314), roi de France. De ce re`gne qui renforc¸a grandement l’autorite´ royale et s’illustra par de nombreux faits d’armes

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ainsi que des de´meˆle´s avec la papaute´, BC ne mentionne ici, par erreur, que le Concile de Paris, qui s’e´tait tenu, en fait, en 1210, sous Philippe Auguste (voir a` ce nom). PHILIPPE, Lucius, Marcus, Philippus (IIe-Ier sie`cle avant J.-C.), tribun romain dont l’e´loquence e´tait appre´cie´e par Cice´ron. PHOCION (vers 402–318 avant J.-C.) ge´ne´ral et orateur athe´nien du parti aristocratique. Adversaire de De´mosthe`ne, de qui e´tait il e´tait ne´anmoins estime´. Combattant valeureux et ambassadeur efficace, il fut pourtant condamne´ a` boire la cigue¨. BC cite son nom a` propos de Mably (voir ci-dessus), a` qui on doit des Entretiens de Phocion sur les rapports de la morale avec la politique. PICCINNI ou PICCINI, Niccolo (1728–1800), compositeur italien. C’est au the´aˆtre qu’il connut ses premiers succe`s, puis il se consacra a` l’ope´ra. Apre`s en avoir e´crit une cinquantaine, il gagna Paris, ou` il fut professeur de chant de la reine puis directeur du The´aˆtre-Italien. Ses admirateurs l’oppose`rent a` Gluck (voir a` ce nom), en quelque sorte malgre´ lui car il avait de l’estime pour le compositeur allemand et e´tait en outre d’un tempe´rament peu combatif. Chasse´ de France par la Re´volution, il y revint et fut nomme´ inspecteur au Conservatoire. S’il n’a pas la puissance de Gluck, on ne peut nier ni ses qualite´s ni sa capacite´ a` s’adapter au gouˆt franc¸ais. PICTET DE ROCHEMONT, Charles (1755–1824), agronome et diplomate genevois. Officier, il quitta l’arme´e pour se consacrer a` l’agriculture avant d’entrer dans la diplomatie. S’il est connu d’abord pour ses ouvrages d’agriculture, comme par exemple Cours d’agriculture anglaise (1807– 1810), ou Traite´ des assolements (1801), il jouera e´galement un roˆle important au moment du Congre`s de Vienne, ou` il repre´sentera Gene`ve, ville dont il avait e´te´ membre du Conseil d’E´tat. Ce qui retient le plus BC, c’est l’ouvrage que Pictet avait publie´, de`s 1795–1796, sous le titre Tableau de la situation actuelle des E´tats-Unis d’Ame´rique. Charles Pictet e´tait le fre`re de Marc Auguste Pictet, qui avait ne´gocie´ le rattachement de Gene`ve a` la France et avait e´te´ membre du Tribunat. PIERRE Ier, dit PIERRE LE GRAND (1672–1725), empereur de Russie. Il avait visite´ l’Europe avant de re´former son pays. Sa politique autoritaire donna de tre`s bons re´sultats et sa personnalite´ fut reconnue par le dix-huitie`me sie`cle : Voltaire e´crit une Histoire de la Russie sous Pierre le Grand qui en te´moigne. Ceci n’empeˆche pas BC de trouver certaines de ses mesures tyranniques. PLATON (428–348 avant J.-C.), philosophe grec. Il fut l’e´le`ve de Socrate et, bien que d’origine aristocratique, n’he´sita pas a` repenser les the´ories

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politiques de son temps. BC a du respect pour sa pense´e, mais est loin de le suivre sur tous les points, quand il de´nonce la richesse en soi ou lorsqu’il condamne l’athe´isme, par exemple. PLUTARQUE (vers 47-vers 12(), biographe et moraliste grec. De tous les e´crits de Plutarque, il ne nous est parvenu qu’une partie. Les uns sont regroupe´s sous le titre Vies paralle`les, les autres sous le titre Œuvres morales. Il a e´te´ rede´couvert a` la Renaissance et ce qu’on appre´cie le plus chez lui est sa capacite´ a` de´crire des caracte`res en respectant a` la fois la ve´rite´ historique et la ve´rite´ psychologique. Sa notorie´te´ est surtout due, en France, a` la traduction de J. Amyot (1559). POLLUX, Julius (IIe sie`cle apre`s J.-C.), orateur et grammairien grec qui ouvrit une e´cole a` Rome sous Antonin ou Marc-Aure`le. On n’a pas conserve´ ses discours, mais on posse`de son Onomasticon (Lexique), qui contient les mots utiles a` l’orateur, avec des explications et des citations pre´cieuses. C’est sans doute a` lui que BC renvoie pour une information sur Athe`nes. POMBAL, Sebastien-Joseph de Carvalho e Mello, marquis de (1699–1782), homme d’E´tat portugais. Premier ministre intraitable durant de longues anne´es, il prit des mesures absurdes et redoutables apre`s le tremblement de terre de Lisbonne (1755), fit condamner de nombreux suspects a` mort apre`s un attentat contre le roi (1758) et chassa les je´suites (1759). Il est aux yeux de BC l’exemple meˆme du pouvoir aveugle et excessif. POMPONIUS, Sextus (IIe sie`cle apre`s J.-C.), jurisconsulte romain, auteur de nombreux traite´s, parmi lesquels Ad Q. Mucium, que cite BC. PRASINI, les ; famille de l’empire grec, qui selon Hume, cite´ par BC, aurait e´te´ en guerre contre les Veneti pour une question de couleur porte´e par des chars dans le cirque de Constantinople. La dispute aurait de´ge´ne´re´ en massacre et aurait entraıˆne´ la perte du gouvernement. PUBLICOLA, Publius Valerius Publicola (? – vers 503 avant J.-C.), homme politique romain. Il est, selon la tradition, l’un des fondateurs de la re´publique. Ami du peuple, il fit distribuer les biens des Tarquins et accorda aux citoyens le droit de faire appel des sentences des consuls. PYRRHUS (318–272 avant J.-C.), roi d’E´pire. Alors qu’il envisageait d’entreprendre son expe´dition contre Rome, le ministre Cine´as essaya de l’en dissuader. Leur conversation est rapporte´e par Plutarque (voir sous Cine´as). QUESNAY, Franc¸ois (1694–1774), me´decin et e´conomiste. Il appartient au groupe des physiocrates depuis l’origine et a collabore´ a` l’Encyclope´die. Bien que BC ne cite pas son nom, il y a des chances pour que certaines allusions le concernent. Il est convaincu de l’importance de l’agriculture, encourage son de´veloppement et de`s lors souhaite la libre circulation des grains.

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QUINTILIEN (vers 30-vers 100 apre`s J.-C.), rhe´teur latin. Il e´tait conside´re´ comme le repre´sentant de l’e´loquence. Auteur de l’Institution oratoire, il de´fendait les the´ories de Cice´ron et non celles, innovantes, de Se´ne`que. RACINE, Jean (1639–1699), poe`te dramatique franc¸ais. BC connaissait e´videmment tre`s bien le the´aˆtre de Racine. Il se reporte, a` son sujet, a` ce que dit Germaine de Stae¨l (De la litte´rature), qui compare son Andromaque a` celle de Virgile pour montrer la supe´riorite´ du the´aˆtre classique franc¸ais sur la litte´rature romaine. L’allusion qu’il fait a` cette occasion a` Chateaubriand (voir sous ce nom), qui aurait en quelque sorte plagie´ Germaine de Stae¨l sans la nommer, a quelque chose d’un peu injuste car l’auteur du Ge´nie du christianisme se contente de reprendre l’ide´e d’une comparaison, sans aller au-dela`. RAPHAE¨ L, Raffaello Sanzio, dit (1483–1520), peintre italien. C’est a` Goethe que BC fait allusion dans un propos sur un «homme de ge´nie» qu’il ne nomme pas et qui parle de la peinture de Raphae¨l pour souligner l’effet psychologique profond de l’e´motion esthe´tique. RICHARD III (1452–1485), roi d’Angleterre. C’est dans un propos sur la nature diverse et quelquefois condamnable de la loi que BC cite le roi d’Angleterre qui s’est illustre´ a` la fois par le meurtre de son propre fre`re, E´douard IV, puis des deux fils de celui-ci, afin de s’assurer un pouvoir dans l’exercice duquel il s’illustrera par ses crimes et ses infamies. RICHELIEU, Armand Jean Du Plessis, cardinal de (1585–1642). C’est l’artisan de la toute puissance royale que BC voit en lui, c’est-a`-dire quelqu’un qui aura, a` long terme, rendu la Re´volution ine´luctable. ROBESPIERRE, Maximilien (1758–1794), homme politique. Pour BC, qui est arrive´ a` Paris a` sa chute, il est essentiellement l’homme de la Terreur, le repre´sentant de la Re´volution dans tous ses exce`s. S’il se trouve eˆtre quelquefois d’accord avec certaines de ses ide´es, il est en revanche toujours en de´saccord avec son action. ROMILLY, sir Samuel (1757–1818), jurisconsulte anglais. D’origine franc¸aise, sa famille ayant e´migre´ a` l’e´poque des guerres de religion, il e´tait se´duit par la philosophie des Lumie`res et partisan de la Re´volution. Il sera membre de la Chambre des Communes et s’attachera a` la re´forme judiciaire inspire´e par Rousseau, Beccaria et Bentham. Il a laisse´ des Discours et des Me´moires (Memoirs of the life of sir Samuel Romilly, written by himself) (1840). BC e´crira un Eloge de Sir Samuel Romilly, qu’il prononcera a` l’Athe´ne´e Royal de Paris, le 26 de´cembre 1818 (Paris : Be´chet, 1819). ROSE, George (1744–1818), homme d’E´tat anglais. Tout de´voue´ a` Pitt, qui fit sa carrie`re, il devint l’homme de confiance de George III, dont il fut membre du conseil prive´. Il est l’auteur d’un ouvrage intitule´ A brief

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examination into the increase of the revenue, commerce and navigation of Great Britain from 1792 to 1799 (1799), que BC a consulte´ mais qu’il attribue par erreur a` M. Beeke. ROUBAUD, Pierre-Joseph-Andre´ (1730–1792), abbe´ et litte´rateur. Passionne´ d’e´conomie politique, il collabora successivement au Journal du Commerce (1759–1962), a` la Gazette d’Agriculture (1770) et au Journal d’Agriculture. Exile´ en Normandie (1775), il fut rappele´ par Necker. Il re´digea Les nouveaux Synonymes franc¸ais, ouvrage couronne´ par l’Acade´mie. Au de´but de a Re´volution, il collabora aux Nouvelles e´phe´me´rides du citoyen. C’est lui qui re´digea les Repre´sentations aux magistrats contenant l’exposition raisonne´e des faits relatifs a` la liberte´ du commerce des grains et les re´glements respectifs de la liberte´ (1769) que BC attribue a` Morellet, qui avait effectivement e´crit sur le meˆme sujet (voir sous Morellet). ROUSSEAU, Jean-Jacques (1712–1778), e´crivain et philosophe. BC, qui renvoie fre´quemment a` lui, n’est pas toujours tendre pour ses conceptions. Le Contrat social fait a` plus d’une reprise l’objet de ses critiques au point qu’il lui consacre plusieurs chapitres. Il n’empeˆche qu’il voit en lui l’un des e´crivains qui ont eu le plus d’influence sur la Re´volution, ce dont on ne peut e´videmment s’e´tonner. Il reconnaıˆt aussi que Rousseau soutenait l’ide´e de liberte´, mais il voit la` une sorte de paradoxe. RULHIE` RES, Claude Carloman de (1735–1791), historien et poe`te. A la fin d’une carrie`re de militaire, de diplomate et de fonctionnaire au ministe`re des Affaires e´trange`res, il entreprit d’e´crire, a` la demande de son ministre, le baron de Breteuil, des E´claircissements historiques sur les causes de la re´vocation de l’e´dit de Nantes et sur l’e´tat des protestants en France depuis le commencement du re`gne de Louis XIV (1788). Il est aussi l’auteur d’Histoires ou anecdotes sur la re´volution de Russie (1797) et d’une Histoire de l’anarchie de Pologne et du de´membrement de cette re´publique (1807, 4 vol.). Rulhie`res est entre´ a` l’Acade´mie franc¸aise en 1787. RUMFORD, Benjamin Thompson, comte (1753–1814), physicien ame´ricain, d’origine modeste. Pendant la guerre de l’Inde´pendance, il s’engagea dans l’arme´e anglaise, ce qui l’obligea a` quitter l’Ame´rique et de s’installer d’abord en Angleterre. Ce grand savant fut aussi un homme politique au service de la Bavie`re. Il e´tait, despuis 1795, responsable comme lieutenant ge´ne´ral de la restructuration de l’arme´e, ministre de la guerre et de la police (1788), membre de l’Acade´mie des Sciences de la Bavie`re, organisateur efficace de re´formes en faveur des pauvres, et re´ussit, en 1798, de sauver la re´sidence de l’E´lecteur de Bavie`re des de´structions de la guerre. En 1804, il s’installa de´finitivement a` Paris jusqu’a` la fin de sa

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vie. Il a laisse´ des Essais politiques e´conomiques et philosophiques qui parurent, traduits en franc¸ais par Pictet, dans la Bibliothe`que britannique de Gene`ve avant d’eˆtre publie´s en volumes. C’est a` ces Essais que BC fait allusion dan ses Principes. Rumford a fait paraıˆtre e´galement, dans un autre ordre d’ide´es, des Me´moires sur la chaleur (Paris : 1804–1813). SAINT-JUST, Louis-Antoine-Le´on (1767–1794), homme politique. Membre du Comite´ de salut public, pre´sident de la Convention, membre du triumvirat avec Robespierre et Couthon. BC se contente de citer son nom une fois, la` ou` il esquisse la diffe´rence entre la liberte´ des anciens et celle des modernes et examine l’art oratoire du plus spirituel des de´magogues franc¸ais. Il dit que les modernes ont besoin de repos et de jouissances et met en e´vidence la brie`vete´ de la phrase chez Saint-Just, qui est apte a` re´veiller les aˆmes use´es. SALMONE´ E, personnage de la mythologie grecque. Fils d’Eole et fre`re de Sisyphe, il re´gna en Thessalie puis en Elide. Audacieux et impie, il voulut s’e´galer a` Zeus en contrefaisant le tonnerre et les e´clairs. Zeus le foudroya et le jeta aux Enfers. SAVARY, Jacques dit SAVARY DES BRUˆ LONS (1657–1716), inspecteur ge´ne´ral des manufactures et de la douane. Il est l’auteur, avec son fre`re LouisPhile´mon Savary, chanoine de Saint-Maur, d’un Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, d’art et de me´tiers (1723). SAVOYE DE ROLLIN, Jacques-Fortunat (1754–1823), homme politique. Avocat ge´ne´ral au Parlement du Dauphine´, il s’opposa au pouvoir royal jusqu’a` la Re´volution. Il vint a` Paris sous le Directoire et, apre`s le 18 Brumaire, fut membre du Tribunat. Favorable a` la cre´ation de l’Empire, il fera une grande carrie`re pre´fectorale graˆce a` Napole´on. Refusant cependant de se rallier aux Cent-Jours, il acquerra la confiance du pouvoir royal et sera membre de la Chambre, ou` il sie´gera cependant a` gauche, sous la Restauration. Le discours que BC cite de lui a e´te´ prononce´ au Corps le´gislatif le 4 mars 1801 sur le Projet de loi relatif a` la formation des listes d’e´ligibilite´. SAY, Jean-Baptiste (1767–1832), e´conomiste et industriel. Influence´ par les the´ories d’Adam Smith, il publia en 1803 un Traite´ d’e´conomie politique ou simple exposition de la manie`re dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses, que BC cite abondamment. SE´ LIM III, sultan (1761–1808) ottoman dont le re`gne fut catastrophique en raison des guerres qu’il dut soutenir (contre l’Autriche et contre la Russie avant la France de Bonaparte) ainsi que des re´voltes auxquelles il dut faire face. Il sera de´troˆne´ avant d’avoir pu mener a` bien les re´formes auxquelles il songeait.

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SE´ NE` QUE, (4 avant J.-C.–65 apre`s), homme politique, e´crivain et philosophe. Pre´cepteur de Ne´ron, il fut contraint par celui-ci au suicide. Le texte que BC mentionne est les Lettres a` Lucilius, assure´ment son œuvre la plus connue, e´crite apre`s sa dernie`re disgraˆce. On y trouve toute la morale du stoı¨cien, avec l’identite´ du bonheur et de la vertu, le de´tachement du sage et son impassibilite´ face a` la mort. SERVIUS TULLIUS (578–534 avant J.-C.), sixie`me roi de Rome. La le´gende lui attribue diverses re´formes, comme la division de la cite´ en quartiers, du pays en re´gions, de la population en classes, etc. Il a aussi fait construire une nouvelle enceinte de la cite´. SIEYE` S, Emmanuel-Joseph, dit l’abbe´ Sieye`s (1748–1836), homme politique. Grand lecteur des philosophes et entre´ dans les ordres sans vocation, il fut vicaire ge´ne´ral de Chartres en 1787 puis, installe´ a` Paris, publia un Essai sur les privile`ges et une brochure Qu’est-ce que le tierse´tat ? qui connurent un vif succe`s. Il joua un roˆle majeur sous la Re´volution. BC l’avait lu et le connaissait. Il le mit du reste en garde contre l’autoritarisme de Bonaparte au lendemain du 18 Brumaire. BC a e´crit, a` une e´poque mal de´finie (sans doute vers 1814–1815), un portrait de Sieye`s qui, pour n’eˆtre pas flatte´, est respectueux d’un homme qu’il a toujours admire´. Ce portrait a paru Dans Paris ou le livre des Cent-et-un, t. VII, Paris : Ladvocat, 1832 (voir OCBC, VII, pp. 585–587). SIMONIDE DE CE´ OS (Ve sie`cle avant J.-C.), poe`te lyrique grec. Il est ce´le`bre pour l’avoir emporte´ sur Eschyle, lors d’un concours, avec une e´le´gie sur la victoire de Marathon. Il fut aussi un rival de Pindare. BC cite son nom au sujet d’un texte de Xe´nophon relatif a` Hie´ron (voir sous ce nom). SINCLAIR, John (1754–1835), e´conomiste britannique. L’auteur de The History of the Public Revenue of the British Empire (1803) est l’un des fondateurs du bureau d’agriculture (1793), dont il fut le pre´sident. Il a e´te´ e´galement membre du Conseil prive´ (1810) et est conside´re´ comme l’un des the´oricens de la statistique, discipline dont les fondements sont anciens mais qui connut de grands de´veloppements a` l’e´poque moderne dans divers pays d’Europe. SIRVEN, Pierre-Paul (1709–1777), protestant franc¸ais qui fut accuse´ d’avoir tue´ l’une de ses filles qui s’e´tait suicide´e. Il se re´fugia en Suisse et fut condamne´ a` mort par contumace. Il fut re´habilite´ graˆce a` Voltaire par le parlement de Toulouse en 1771. SISMONDI, Jean-Charles-Le´onard Simonde de (1773–1842), historien et e´conomiste genevois dont la famille e´tait originaire de Pescia (Toscane). C’e´tait un familier de Coppet. Il est l’auteur d’ouvrages importants dans les domaines de l’e´conomie, de la litte´rature et de l’histoire d’Italie et de France (De la Litte´rature du Midi de l’Europe, 1813). Pour ses relations

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avec BC, voir notamment N. King et J.-D. Candaux, «La correspondance de BC et de Sismondi (1801–1830)», ou` on lira une introduction qui commente les appre´ciations que BC porte sur son ami dans ses journaux intimes. SMITH, Adam (1723–1790), philosophe et e´conomiste e´cossais. Ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) est l’ouvrage en quelque sorte fondateur du capitalisme libe´ral. Il le publia apre`s un se´jour en France au cours duquel il fre´quenta Quesnay et Turgot. Il croit aux vertus du marche´, son optimisme foncier le conduisant a` penser que le me´canisme des prix assure l’e´quilibre entre l’offre et la demande et a` croire a` la convergence des inte´reˆts individuels vers l’inte´reˆt ge´ne´ral. Il influenc¸a profonde´ment la pense´e de Jean-Baptiste Say (voir sous ce nom). SOCRATE (470–399 avant J.-C.), philosophe grec. Il a e´te´ accuse´ a` tort pour diverses raisons, notamment politique, de corrompre la jeunesse. Ses ennemis, pour BC, sortent de la populace aveugle, qui se laisse abuser. Dans ses Principes, il voit surtout en Socrate le penseur condamne´ par incompre´hension a` boire la cigue¨. SOLON (VIe-Ve sie`cles avant J.-C.), le´gislateur et poe`te athe´nien. Tre`s estime´ par ses compatriotes pour son patriotisme et son honneˆtete´, il fut e´lu archonte et obtint des pouvoirs tre`s importants a` une e´poque ou` la guerre civile e´tait iminente. Il ramena le calme par des mesures e´quilibre´es et efficaces. Son nom est reste´ attache´ a` une re´forme politique et sociale qui assura le de´veloppement futur d’Athe`nes et l’installation de sa de´mocratie. SOPHOCLE (496–406 avant J.-C.), poe`te tragique grec. Il ve´cut a` la pe´riode la plus billante de l’histoire athe´nienne. Celui que BC appelle le de´magogue, a` partir d’une anecdote rapporte´e par Cornelius de Pauw, est re´pute´ pour sa largesse d’esprit, accueillant les ide´es morales, politiques et religieuses qui avaient cours de son temps dans Athe´nes en les interpre´tant mais sans les contester. On a conserve´ de lui sept trage´dies. SPINOZA, Baruch (1632–1677), philosophe hollandais. Il est l’auteur d’un Traite´ de l’autorite´ politique ou` l’on trouve l’ide´e exprime´e par BC, mais en des termes qui ne sont pas ceux qu’il utilise (selon E´H). STAE¨ L, Germaine (1766–1817), fille de Jacques Necker et e´pouse de l’ambassadeur de Sue`de a` Paris. Sa liaison avec BC, qui datait de 1794, se poursuivait tant bien que mal en 1806. Elle ne cessera qu’apre`s le mariage avec Charlotte de Hardenberg (1808). Assez vite pourtant des relations e´pistolaires se re´tabliront pour ne cesser qu’au de´ce`s de Germaine de Stae¨l. Il va de soi que BC connaissait a` la perfection les œuvres de son amie et il n’est pas surprenant qu’il cite fre´quemment un ouvrage comme

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Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la re´volution et des principes qui doivent fonder la re´publique, a` la naissance duquel il avait assiste´, sinon participe´. STEUART ou STEUART-DENHAM (parfois STEWART), Sir James (1712–1780), e´conomiste e´cossais. Il est l’auteur d’un ouvrage intitule´ An Inquiry into the Principles of Political Economy (1767) qui annonce les the´ories d’Adam Smith. STRATOCLE` S, marchand dont le nom est cite´ par Isocrate (voir a` ce nom) dans Trape´zitique, l’un de ses Discours. Les «trape´sites» (ou «trape´zites») e´taient les banquiers qui changeaient les monnaies sur les marche´s d’Athe`nes. STUARTS (les), famille royale d’E´cosse, puis d’Angleterre, qui re´gna de 1371 a` 1714. SULLY, Maximilien de Be´thune, baron de Rosny (1560–1641), homme politique franc¸ais, conseiller du roi Henri IV. Il est ce´le`bre pour son action dans le domaine des finances, qu’il re´tablit, et pour son roˆle dans l’ame´lioration des voies de communication, qui favorisa le commerce dans l’ensemble du royaume. BC renvoie aux Me´moires de Maximilien de Be´thune, duc de Sully (1788). SYLLA, Lucius Cornelius (IIe-Ier sie`cles avant J.-C.), ge´ne´ral et homme politique romain. Il avait le titre et l’aˆme d’un dictateur et sa re´putation doit autant a` ses cruaute´s qu’a` ses victoires. SWIFT, Jonathan (1667–1745), e´crivain satirique et poe`te. Son œuvre la plus ce´le`bre est assure´ment Gulliver’s Travels (Les voyages de Gulliver), une satire en prose publie´e anonymement en 1726, et l’une des œuvres les plus souvent re´e´dite´es de la litte´rature anglaise. Il s’agit d’une certaine manie`re d’une satire de la litte´rature de voyage et plus pre´cise´ment sans doute du Robinson Crusoe de Daniel Defoe. On y de´couvre les aventures du narrateur, un certain Lemuel Gulliver, me´decin de marine, qui est naufrage´ sur l’ıˆle de Lilliput, habite´e par des hommes de tre`s petite taille (environ six pouces). On y lit une satire des disputes de l’e´poque, dont notamment les querelles religieuses. Dans un second volume, le meˆme Gulliver accostera a` Brobdingnac, pays des ge´ants. Il y est interroge´ par le roi, qui porte un jugement tre`s ne´gatif sur l’invention de la poudre a` canon et sur le fonctionnement de la justice, concluant que les humains qu’on lui de´crit sont la pire des vermines. Le troisie`me voyage se passe a` Laputa, une ˆıle qui vole dans les nuages et ou` les habitants, historiens, philosophes et savants ont des allures d’hurluberlus. Gulliver visite encore l’ıˆle de Glubdubdrib, ou` il apprend que l’humanite´ a e´te´ trompe´e sur son passe´ par des e´crivains a` la fois menteurs et corrompus. La quatrie`me partie est assure´ment la plus intellectuelle, Gulliver visitant la patrie des

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Houyhnhnm, sortes de chevaux qui se conduisent d’une manie`re parfaitement rationnelle, tenant les humains, repre´sente´s par les Yahoo, eˆtres re´pugnants et de´ge´ne´re´s, sous leur de´pendance. L’œuvre dans son ensemble est a` la fois sombre et puissante, pleine d’un pessimisme qui n’a cependant rien de re´signe´. On notera toutefois que BC ne fait allusion dans ses Principes qu’a` un bref e´pisode de la premie`re partie. TACITE, Publius Cornelius Tacitus (vers 55-vers 120), historien latin. Son ouvrage sur les mœurs des Germains (Germanie), auquel BC fait allusion, n’est pas le plus fameux de ses e´crits. Les Annales, re´cit de l’histoire de Rome de la mort d’Auguste a` celle de Ne´ron, et les Histoires, histoire de Rome de la mort de Ne´ron a` celle de Domitien, ont contribue´s davantage a` sa gloire. TALLEYRAND, Charles-Maurice de Talleyrand Pe´rigord (1754–1838), homme politique franc¸ais. Bien que de´pourvu de vocation religieuse, il e´tudia au se´minaire de Saint-Sulpice. Devenu e´veˆque d’Autun, il fut de´le´gue´ aux E´tats ge´ne´raux et, grand lecteur des philosophes, il y fut favorable a` la re´union des trois ordres. Il joua ensuite un roˆle e´minent a` la Constituante, ou` il vota la mise a` disposition de la nation des biens du clerge´. Il ce´le´bra la messe au Champs de Mars lors de la Feˆte de la fe´de´ration. Condamne´ par le pape apre`s avoir preˆte´ le serment a` la Constitution civile du clerge´, il se se´para de l’E´glise pour entrer dans la diplomatie. Envoye´ en Grande-Bretagne pour obtenir sa neutralite´, on l’accusa d’avoir intrigue´ en faveur du duc d’Orle´ans. Incapable de se disculper, il repartit en 1792 et fut de`s lors conside´re´ comme ayant e´migre´. Apre`s un se´jour aux Etats-Unis, il revint en France a` la chute de Robespierre. Barras en fit un ministre des Relations exte´rieures, et il le resta jusqu’au lendemain du 18 Brumaire. Il fut l’inspirateur du Concordat. Il se brouilla avec Napole´on et perdit son ministe`re en 1807, avant d’eˆtre accuse´ d’avoir intrigue´ avec Fouche´ et d’eˆtre disgraˆcie´ en 1809. Sa carrie`re connaıˆtra de nouveaux succe`s, mais aussi de nouveaux revers, sous la Restauration. Ses relations avec Constant furent fluctuantes, mais jamais vraiment bonnes, ce qui explique la place re´duite que l’«e´veˆque d’Autun» occupe dans les e´crits de 1806. BC e´crira, en 1814–1815 un portrait de Talleyrand qui paraıˆtra, comme celui de Sieye`s dans Paris ou le livre des Cent-et-un, t. 7, Paris : Ladvocat, 1832, pp. 151–154 (voir OCBC, VII, pp. 585–587) (voir OCBC, VII, pp. 589–591). Le mode en est plaisant et laisse passer comme une pointe de tendresse, mais la se´ve´rite´ du jugement est sans appel et montre que les choses ont bien change´ entre les deux anciens amis, si on peut vraiment utiliser ce terme. TARQUINS, les (VIe sie`cle avant Je´sus-Christ). Il s’agit de Tarquin le Su-

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perbe, dernier roi de Rome, et de son fils Sextus. Le pe`re, qui e´tait monte´ sur le troˆne apre`s avoir assassine´ son beau-pe`re Servius Tullius (voir a` ce nom), s’y maintint par la violence, abolissant la constitution de son pre´de´cesseur, mais achevant de grands travaux et remportant des victoires militaires. Le fils, amoureux fou de Lucre`ce (voir a` ce nom), la femme de Tarquin Collatin (voir a` ce nom), la violenta. Collatin, aide´ de Brutus, souleva le peuple et les Tarquin furent chasse´s de Rome, la Re´publique y e´tant alors instaure´e (en 509 avant J.-C.). TERRAY, Joseph-Marie, dit l’abbe´ (1715–1778), homme politique franc¸ais. Devenu controˆleur des finances en 1769, graˆce a` Mme de Pompadour, il forma un triumvirat avec Maupeou et d’Aiguillon. Il re´ussit a` re´duire la dette graˆce a` des mesures autoritaires qui le rendirent tre`s impopulaire, a` tel point qu’on l’accusa de spe´culer sur les grains. De`s son ave`nement (1774), Louis XVI le remplac¸a par Turgot (voir a` ce nom), qui publia, en 1788, ses Lettres sur les grains, e´crites a` M. l’abbe´ Terray, que BC cite. THE´ MISTOCLE (vers 525-vers 460 avant J.-C.), homme d’E´tat athe´nien. Artisan de la puissance maritime d’Athe´nes, dont Plutarque parle longuement dans le t. II de ses Vies des hommes illustres. THE´ ODORIC LE GRAND (vers 455–526), roi des Ostrogoths. S’e´tant entoure´ de conseillers romains il eut parmi eux Boe`ce (voir a` ce nom), qui fut ensuite accuse´ de complot, emprisonne´e´ puis exe´cute´. THE´ OPHRASTE (vers 372-vers 287), philosophe grec. BC fait re´fe´rence a` sa biographie par Dioge`ne Lae¨rce dans son ouvrage intitule´ Vie, doctrines et sentences de philosophes illustres a` propos de la proposition qui avait e´te´ faite de subordonner l’enseignement des philosophes a` l’autorite´ du Se´nat. TIBE` RE, Tiberius Claudius Nero (42–37) empereur romain. Il succe´da a` l’empereur Auguste alors qu’il avait cinquante-six ans et n’avait jamais aspire´ au pouvoir. Il poursuivit l’œuvre de son pre´de´cesseur, attache´ a` la politique de paix et s’occupant essentiellement des finances, de la justice et de l’administration des provinces. Il se retira en 37, fatigue´ des intrigues de la cour et laissa gouverner son ministre Se´jan, s’efforc¸ant toutefois de prote´ger Caligula, qu’il avait de´signe´ comme son successeur, des intrigues. Il mourut vraisemblablement assassine´. TITE-LIVE (vers 60 avant J.-C.- vers 10 apre`s), historien romain. Auteur d’une Histoire de Rome qui l’occupa jusqu’a` sa mort, il interrompait le re´cit, strictement chronologique, par des e´pisodes dramatiques et des discours qui tendaient a` trouver les causes de la grandeur de Rome dans la morale qui y avait cours. Profonde´ment patriote, il a largement contribue´ a` la diffusion d’une image exaltante de l’e´tat romain.

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TOULONGEON, Franc¸ois-Emmanuel, comte de (1748–1812), militaire, homme politique et e´crivain. Il est effectivement l’auteur d’un me´moire intitule´ De l’esprit public. Me´moire de´signe´ pour eˆtre lu a` la dernie`re se´ance de l’Institut national (1797). TRASEAS ou THRASEAS, Lucius Poetus (? – 66), se´nateur romain. Il jouissait d’une grande conside´ration, s’e´tant distingue´ dans la carrie`re militaire avant d’embrasser la politique. Il fut le seul a` s’opposer a` Ne´ron quand celui-ci se comporta en tyran, et condamna l’apologie que Se´ne`que fit du meurtre d’Agrippine. Thraseas savait qu’en agissant ainsi il courait a` sa perte. Comme le dit Tacite, Ne´ron choisit «de tuer la vertu meˆme en faisant pe´rir Thraseas». Ce dernier fut donc condamne´ a` la peine capitale et mourut en se faisant ouvrir les veines. TREILHARD, Jean-Baptiste (1742–1810), homme politique franc¸ais. Avocat, membre de l’Assemble´e constituante, il participa a` la re´daction de la Constitution civile du clerge´. Membre de la Convention et du premier Comite´ de salut public, il participera au congre`s de Rastadt et sera membre du Directoire. Apre`s le 18 Brumaire, il sera conseiller d’E´tat et collaborera a` la re´daction du Code civil. C’est vraisemblablement lui que BC cite au sujet du droit d’aubaine (droit selon lequel la succession d’un e´tranger non naturalise´ revient au seigneur, au roi, etc.), partiellement re´tabli dans le Code civil apre`s avoir e´te´ aboli en 1789. TRONCHET, Franc¸ois-Denis (1726–1806), juriste et homme politique. Baˆtonnier des avocats, membre du tiers E´tat, membre de la commission de re´forme de la jurisprudence criminelle, il de´fendit Louis XVI devant la Convention et e´chappa a` la Terreur. Il fit partie de la commission qui pre´para le Code civil mais fut adversaire du consulat a` vie. TURGOT, Anne-Robert-Jacques (1727–1781), e´conomiste et homme politique. Fre´quenta les philosophes, e´crivit une Lettre sur la Tole´rance (1754) et collabora a` l’Encyclope´die (son article E´tymologie est remarquable). Intendant du Limousin, il re´digea des Re´flexions sur la formation et la distribution des richesses (1766). Il devint controleur ge´ne´ral des finances sous Louis XVI, succe´dant a` l’abbe´ Terray (voir a` ce nom), et institua la liberte´ du commerce et de la circulation des grains (1774) et supprima les corporations, les maıˆtrises et les jurandes. Il fut disgracie´ en 1776, s’e´tant attire´ l’hostilite´ des privile´gie´s. ULLOA, Antonio d’ (1716–1795), marin et savant espagnol. Il accompagna au Pe´rou en 1735 les astronomes franc¸ais Godin, Bouguer et La Con` son retour d’Ame´rique, il fut pris par un corsaire anglais, mais damine. A fut bien accueilli par la Socie´te´ royale de Londres qui en fit un de ses membres. En 1766, chef d’escadre, il prit possession de la Louisiane, ce´de´e par la France a` l’Espagne. Il est l’auteur d’un Voyage historique

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de l’Ame´rique me´ridionale fait par ordre du roi ... (1752) dont BC a trouve´ la re´fe´rence chez Adam Smith. USTARITZ, Don Geronymo de (fin du 18e s.-vers 1750), e´conomiste espagnol. Il est ce´le`bre pour son livre intitule´ The´orie et pratique du commerce et de la marine (1724), qui a e´te´ traduit en anglais (1751) et en franc¸ais (1753). BC le connait, semble-t-il, a` travers Charles Ganilh et Adam Smith. VALE` RE MAXIME (Ier sie`cle avant et Ier sie`cle apre`s J.-C.), historien latin. Il est l’auteur de plusieurs livres de Faits et dits me´morables, qui re´unissent de brefs re´cits. Ils ont eu un grand succe`s dans l’Antiquite´ et au Moyen aˆge. VALERIUS PUBLICOLA : voir sous PUBLICOLA VAUBAN, Se´bastien Le Prestre de (1633–1707), mare´chal de France. BC ne cite pas son nom en sa qualite´ de grand constructeur de fortifications, mais pour avoir e´crit La Dıˆme royale, ouvrage qui fut interdit et valut la disgraˆce a` son auteur. C’est l’ide´e selon laquelle l’impoˆt est un «mal ne´cessaire» qui plait a` BC, Vauban insistant sur le fait que tout impoˆt est, par nature en quelque sorte, nocif a` l’e´conomie. VAUCANSON, Jacques de (1709–1782), inge´nieur me´canicien franc¸ais. Inventeur de machines automatiques (pompe, me´tier a` tisser) puis d’automates (le joueur de flute en 1737, le joueur de tambourin, le canard en 1738). BC compare certaines institutions a` du «me´canisme» comme celui de Vaucanson. VENETI, les : faction grecque (voir ci-dessus les Prasini). VESPASIEN (9–79), empereur romain. Il fut proclame´ empereur a` l’issue d’une longue carrie`re militaire. Il quitta son arme´e et rentra a` Rome, ou` il re´tablit l’ordre apre`s les guerres civiles, et il s’acquit ainsi la reconnaissance populaire. Il entreprit de grands travaux et restaura les finances publiques en e´tablissant de nombreuses taxes. Monarque absolu, Vespasien instaura le syste`me de la succession dynastique en choisissant son fils Titus comme successeur. VILLERS, Charles de (1765–1815), officier d’artillerie e´migre´ sous la Re´volution. Il a contribue´, avant Germaine de Stäel elle-meˆme, dont il e´tait l’ami, a` faire connaıˆtre la litte´rature et la philosophie allemandes en France (voir ses articles dans Le Spectateur du Nord, ainsi que De la philosophie de Kant, 1801 et l’Essai sur l’esprit et l’influence de la re´formation de Luther, 1803). BC a fait sa connaissance le 8 novembre 1803 a` Metz. Villers sera nomme´ professeur a` l’universite´ de Göttingen par le gouvernement du royaume de Westphalie et s’y installera avec son amie Dorothea von Rodde, e´chappant enfin ainsi, espe´rait-il, aux perse´cutions de Davout, qui ne pouvait supporter son inde´pendance d’esprit. Il

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sera pourtant destitue´ en mars 1814, et ne devra sa re´inte´gration tardive (en novembre), qu’aux de´marches conjointes de BC, de Germaine de Stae¨l et de Stapfer. Sa correspondance avec Germaine de Stäel et BC a e´te´ publie´e par K. Kloocke (Mme de Stae¨l, Charles de Villers, BC, Correspondance). VIRGILE (vers 70–19 avant J.-C.) poe`te latin. L’auteur des Bucoliques, des Ge´orgiques et de l’E´ne´ide est conside´re´ comme le plus sensible des «anciens poe`tes» par BC, qui rappelle le paralle`le que Germaine de Stae¨l e´tablit entre son Andromaque et celle de Racine (voir sous ce nom). VITELLIUS (15–69), empereur romain. Commandant de l’arme´e de Germanie infe´rieure, il e´tait populaire aupre`s de ses soldats, qui le proclame`rent empereur a` la mort de Galba, alors qu’Othon e´tait reconnu comme empereur dans le reste de l’empire. Ayant battu Othon, Vitellius marcha sur Rome, mais l’arme´e d’Orient, qui avait de son coˆte´ proclame´ empereur son chef Vespasien, battit Vitellius a` Cre´mone. Vitellius fut e´gorge´ par la populace sur le forum. VOLTAIRE, Franc¸ois-Marie Arouet, dit (1694–1778), e´crivain. BC connaissait Voltaire pour l’avoir beaucoup lu, comme on s’en doute, mais encore parce que son oncle Constant d’Hermenches e´tait un ami de l’e´crivain, avec lequel il avait correspondu. Ajoutons que le Mahomet de Voltaire avait e´te´ joue´ sur le the´aˆtre de Mme de Stae¨l, avec BC dans le roˆle de Zopire (voir a` ce nom) en de´cembre 1805. On notera cependant que l’attitude de BC a` l’e´gard de Voltaire a e´volue´ sensiblement au long de son existence (voir a` ce sujet, par exemple, P. Delbouille et B. Demoulin, «Le Voltaire de Benjamin Constant», dans Voltaire et ses combats, pp. 1117–1128). WALCKENAER, Charles-Athanase, baron (1771–1852), savant franc¸ais. Il a e´crit des ouvrages d’histoire naturelle, de ge´ographie et de critique litte´raire et il fut l’un des fondateurs de la Socie´te´ ge´ographique de Paris. Il a e´te´ aussi pre´fet (de la Nie`vre, puis de l’Aisne) avant d’eˆtre re´voque´, et tre´sorier de la Bibliothe`que royale et conservateur des Cartes ge´ographiques. Outre l’Essai sur l’histoire de l’espe`ce humaine (1798), dont BC e´voque un Livre VI, pp. 251–368, intitule´ «Des peuples cultivateurs, apre`s l’introduction des manufactures et du commerce et la se´paration des professions», Wakenaer a e´crit quantite´ d’ouvrages sur les sujets les plus divers : Faune parisienne (1802), Histoire naturelle des arane´ides (1805–1808), Tableau ge´ographique et historique de la Polyne´sie et de l’Australie (1819), mais aussi Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine (1820), Lettres sur les contes de fe´es (1826), Histoire de la vie et des poe´sies d’Horace (1840), Me´moires sur Mme de Se´vigne´ (1844– 1852), etc., etc.

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WEBBE, John : auteur de deux articles auxquels BC fait allusion en les attribuant a` Franklin (voir ci-dessus, sous Franklin). WOODFALL, Henry Sampson est l’e´diteur de The Public Advertiser, le journal qui publia en 1772 les Lettres de Junius (voir sous Philip Francis). XE´ NOPHON (vers 430-vers 355 avant J.-C.), historien, e´crivain et chef militaire grec. Il fut l’e´le`ve de Socrate, fit une carrie`re militaire et se mit ensuite a` la litte´rature. BC renvoie au texte bien connu de Xe´nophon ou` il est question des confidences de Hie´ron a` Simonide sur le pouvoir (Hie´ron ou De la tyrranie), mais on n’y trouve pas le passage dont il est mention ici. Il s’agit sans doute d’une confusion due a` de Pauw, dont BC s’inspire. En revanche, la citation de La re´publique des Lace´de´moniens et celle de La re´publique des Athe´niens sont conformes.

Index

Index des noms de personnes Cet index contient les noms des personnes re´elles ou fictives mentionne´es dans les textes et dans les notes, a` l’exclusion de ceux des critiques modernes et de celui de Benjamin Constant lui-meˆme. Les graphies ont e´te´ uniformise´es, en principe sous la forme franc¸aise la plus usite´e aujourd’hui. Les noms ne sont suivis de la profession ou de la fonction que lorsqu’il faut distinguer des homonymes ou pre´ciser une identification. L’absence de toute pre´cision signifie, soit que la personne est parfaitement connue, soit au contraire qu’elle n’a pu eˆtre identifie´e.

Agnelet, personnage de la come´die L’Avocat patelin 219 Agrippine la Jeune 578, 893 Alembert, Jean le Rond d’ 531, 893 Alexandre le Grand 370, 588, 893 Alexandre Ier, tsar de Russie 177, 530, 604, 615, 893 Amphikleides 549 Anacharsis 677, 853, 881, 894 Andocide 677, 894 Andromaque, personnage d’une trage´die d’Euripide et de Racine 619, 894 Antoine ou Marc Antoine 213, 894 Aphobe 614, 894 Apollon 269, 894 Arche´silas 528 Arimane 278, 894 Aristide 33 Aristophane 334, 534, 817, 895 Aristote 144, 229, 340, 360, 363, 524, 530, 615, 815, 819, 839, 895 Audouin, Joseph 73–75, 85, 319 Auguste, empereur 213, 256, 487, 704, 709, 895 Babeuf, Gracchus 325, 356 Bacon, Francis 534, 590, 667–668, 817, 895 Bacon, Roger 895 Baert-Duholant, Charles-Alexandre-Balthazar-Franc¸ois de Paule, baron de 431, 459, 468, 895 Barante, Amable-Guillaume-Prosper Brugie`re, baron de 896 Barrow, John 253, 259–260, 757 Barry, E´tienne, 670 Barthe´le´my, Jean-Jacques 677, 896 Beccaria, Cesare Bonesano de 109, 311, 384, 896 Beeke, Henry 347, 896

Bella, Giano della 360, 896 Bentham, Je´re´mie 41, 44, 49, 52, 55, 79, 92, 119, 147–150, 153–154, 160, 222, 243– 244, 254, 259, 284, 286, 311, 313, 315, 378, 383–384, 430–431, 447, 521, 523, 540, 551, 556, 643–644, 669–673, 680, 716, 728, 731–733, 738, 753, 755, 758– 760, 769, 774, 780, 798, 819, 822, 827, 843, 845, 854, 896 Biot, Jean-Baptiste 531, 897 Blackstone, William 430, 794, 800, 897 Boe`ce 704, 897 Bonald, Louis-Gabriel-Ambroise de 50, 102, 121, 897 Bonaparte voir Napole´on Ier Boniface VIII, pape 361 Bossuet, Jacques-Be´nigne 52, 285–286, 288, 897 Bougainville, Louis-Antoine, conte de 897 Boulay de la Meurthe, Antoine 700, 898 Brillat-Savarin, Anthelme 311, 898 Brissot-Thivars, Louis-Saturnin 678 Brueys, David-Augustin 219 Brune, Guillaume 898 Brutus, Lucius Junius, dit l’ancien 234, 856, 899 Brutus, Marcus Junius 704, 899 Buffon, Georges-Louis Leclerc, comte de 486–487, 899 Buisson, Franc¸ois 260 Burke, Edmund 43, 50, 557, 646, 899 Burnet, Gilbert 235, 899 Cabanis, Pierre-Jean-Georges 531, 566, 899 Calas, Jean 299–300, 899 Caligula 135 Camille, Lucius et Marcius 501, 900 Canard, Nicolas-Franc¸ois 398, 411, 785–786, 900

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Principes de politique

Capet, Hugues 851, 900 Caracalla 223, 666, 900 Carne´ade 528–529, 823, 900 Cartouche, Louis-Dominique 666, 901 Catherine II, impe´ratrice de Russie 312, 472, 901 Catilina 211–213, 901 Caton l’ancien 338, 528, 730, 901 Caton le jeune 134–135 Ce´crops 160, 901 Cenencin 475 Ce´sar, Jules 213, 258, 261, 501, 528, 756, 822, 902 Chamfort, Nicolas-Se´bastien Roch, dit de 589, 687, 902 Chardin, Jean 471, 805, 902 Charlemagne 155, 559, 592, 831, 851, 902 Charles d’Anjou 195 Charles Ie˙r, roi d’Angleterre 307, 704, 707, 902 Charles II, roi d’Angleterre 234–236, 459, 703, 707, 793, 903 Charles Quint 200, 289, 530, 756, 761, 817, 903 Charles VI, roi de France 575, 904 Charles IX, roi de France 709, 904 Charles XII, roi de Sue`de 416, 495–496, 788, 904 Charrie`re, Isabelle de 678 Chateaubriand, Franc¸ois-Rene´ de 285–286, 619, 904 Cice´ron 89, 211–213, 217, 332, 610, 616, 704, 720, 773, 835, 905 Cincinnatus, L. Quinctius 334, 501, 905 Cine´as ou Cyne´as 604, 932, 905 Cle´ment, Jacques 214 Clermont-Tonnerre, Stanislas-Marie de 99– 100, 205, 292–293, 719, 748, 905 Clodius Thrasea Paetus 656 Clovis Ier, roi des Francs 258, 850–851, 906 Collatin 245, 906 Collin d’Harleville 101, 721 Condillac, E´tienne Bonnot de 32, 121, 255, 360, 906 Condorcet, Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de 32, 35, 43, 45, 109, 136, 163, 261, 448, 531, 541, 545, 547– 548, 599, 906 Cook, James 708, 724, 906 Couthon, Georges 100, 907 Critolau¨s de Phaselis 528, 907 Cromwell, Oliver 307, 501, 575, 680, 704, 907

Damiens, Robert-Franc¸ois 300 Demosthe`ne 455, 614, 792, 839, 908 Denys l’Ancien, tyran de Syracuse 234, 535, 653, 709, 817, 908 Denys d’Halicarnasse 620, 908 Denys de Syracuse, dit aussi Denys le Jeune 908 Diderot, Denis 311 Diodore de Sicile 535, 908 Dioge`ne de Babylone 528, 909 Dioge`ne Lae¨rce 549, 909 Domat, Jean 53, 909 Domitien, Titus Flavius Domitianus 709, 909 Dresch, Leonard von 549 Dumont, Etienne 41, 147, 149, 150, 521, 909 Dupont de Nemours, Pierre-Samuel 583 E´ge´rie 160 Elien le Sophiste 534–535, 817, 910 Elisabeth Ie, reine d’Angleterre 430, 459, 656, 793–794, 800, 910 Euripide 695, 910 Fauriel, Claude 39, 41, 58, 504, 911 Feletz, Charles-Marie Dorimond de 911 Fe´nelon, Franc¸ois de Salignac de la Mothe 153, 285–286, 911 Ferrand, Antoine 52, 83, 107, 127, 153, 211– 212, 234, 260, 539, 582, 632, 650, 652– 656, 660, 729, 732, 749, 756, 814, 842, 847, 851, 911 Ferrier, Franc¸ois-Louis-Auguste 438, 797, 912 Fie´ve´e 912 Filangieri, Gaetano 94, 162, 258, 474, 573, 636, 721, 913 Fischer, Emanuel Friedrich von 121 Fischer, Friedrich Christoph Jonathan 241 Fontanes, Louis de 912 Fouche´, Joseph, duc d’Otrante 101 Fourier, Charles 325 Fox, Charles James 578 Francis, Sir Philip 241, 913 Franklin, Benjamin 109, 913 Fre´de´ric II, roi de Prusse 45, 158, 241–242, 248, 252, 257, 290, 307, 416, 452, 472, 533–535, 761, 788, 794, 801, 805, 816, 914 Fre´de´ric Guillaume Ier, roi de Prusse 242, 252, 290, 452, 761, 794, 801, 914 Furtado, Abraham 914

Index des noms de personnes Gach, Jean-Joseph 79, 83, 301–303, 764– 766, 914 Galba 609 Gale, Thomas 622 Galiani, Ferdinando, abbe´ 177, 183, 448, 524, 740, 915 Galile´e, Galileo Galilei, dit 534, 817, 915 Ganilh, Charles 327, 383, 397, 400, 402–403, 405, 409, 414, 465, 493, 608–611, 626, 716, 770, 780–781, 851, 915 Garnier, Germain 277, 349, 353, 432, 451, 458, 466, 479, 486–487, 551, 807, 821, 915 George III 577 Ge´ronte 433 Gianno della Bella 360 Gibbon, Edward 635, 841, 915 Gluck, Christoph Willibald 238, 916 Godwin, William 31–32, 169, 214, 316, 325, 525, 736, 814, 916 Goethe, Johann Wolfgang 269, 336 Goguet, Antoine-Yves 836, 917 Gracques, les fre`res 211, 213, 917 Grafton, Augustus Henry Fitzroy, duc de 241 Grotius, Hugo 325 Guise, duc de 213 Guise, la famille de 211, 213, 917 Gulliver 703, 918 Gusta, Francesco 458 Habermas, Jürgen 491 Haendel, Georg Friedrich 238 Halde, du, missionnaire 461 Hampdon, John 307 Hegel, Friedrich 52 Helfenstein, Ludwig von 335 Helve´tius, Claude-Adrien 45, 124, 542, 918 Henri III, roi de France 211, 213–214, 919 Henri IV, roi de France 213–214, 465, 857, 919 Henri VIII, roi d’Angleterre 578, 656, 919 Hercule 835, 919 Heyne, Christian Gottlieb 35 Hie´ron 613, 920 Hippias 633 Hobbes, Thomas 45, 50, 123–126, 153, 491, 669, 920 Hochet, Claude 19, 161, 632 Holbach, Paul-Henri-Dietrich, baron d’ 271, 920 Hubbard 270 Huber, Ferdinand 241

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Hume, David 112, 125, 235–236, 238, 279, 414, 679, 753, 760, 858, 920 Inge´nieur non identifie´, qui a invente´ le me´tier pour faire des bas 456 Isocrate 612–613, 633, 837, 921 Ivernois, Francis, chevalier d’ 486, 921 Jacques II, roi d’Angleterre 307, 921 Jean V, roi du Portugal 586 Jefferys, George 307, 921 Jefferson, Thomas 95–96, 574, 726, 921 Johann Sigismund, E´lecteur de Brandebourg 291 Johnson, Arabella 270 Joseph Ier, empereur germanique 586 Joseph II, empereur germanique 289, 312, 586–587, 678, 921 Junius, pseudonyme d’un e´crivain anglais non identifie´ 241, 922 Jurieu, Pierre 121, 922 Juve´nal 614, 839, 922 Kant, Immanuel 43, 49, 52, 104, 117, 158, 275, 325, 491, 539, 622, 644, 669, 672 La Barre, Jean-Franc¸ois Lefebvre, chevalier de 299–300, 922 Lacretelle, Pierre-Louis de 700, 861–862 Lacrite 455, 792, 922 Lagarde, P. 101, 721 La Harpe, Fre´de´ric-Ce´sar de 370 La Harpe, Jean-Franc¸ois de 100, 271, 659, 852, 922 Laloube`re, Simon de 471, 805, 922 Lauze de Pe´ret, Pierre-Joseph 302, 765, 922 Law, John 479, 808, 923 Le Chapelier, Isaac-Rene´-Guy 541 Lee, Willliam 456 Le´lius 501 Leszczinski, Stanislas 137, 902 Lincoln, comte de 270 Linguet, Simon-Nicoals-Henri 444, 923 Locke, John 29, 53, 325, 534, 667, 923 Louis Ier, le De´bonnaire 851, 923 Louis XI 655, 673, 709, 851, 923 Louis XIII 851, 857, 924 Louis XIV 45, 102, 161, 234, 236, 243, 249– 250, 261, 280–281, 384, 416, 496, 655, 660–661, 727, 756–757, 783, 788, 849– 852, 857, 924 Louis XV 300, 924 Louis XVI 120, 243, 678, 925

952

Principes de politique

Louvois, Franc¸ois-Michel Le Tellier, sieur de Chaˆville, puis marquis de 261, 757, 925 Lucain 704, 925 Lucius Valerius Flaccus voir Valerius Lucius Marcius Philippus voir Marcius Lucre`ce 245, 925 Luther, Martin 336 Lycurgue 133–134, 155, 623, 630, 729, 836, 926 Lysias 455, 616–617, 792, 926 Mably, Honore´-Gabriel Bonnot de 47, 107, 137, 153, 327, 356, 360, 629–634, 643, 837, 841–842, 926 Machiavel 46, 52, 161–162, 330, 360, 498, 637, 688, 810, 926 Macpherson, James , 270, 926 Mahomet 160, 455, 585, 623, 927 Maine de Biran, Marie-Franc¸ois-Pierre Gonthier de Biran, dit 99 Maintenon, Franc¸oise d’Aubigne´, marquise de 281, 927 Maistre, Joseph de 50, 102 Mamercus, Aemilius 637, 927 Manlius 856, 927 Marat, Jean-Paul 678 Marc-Aure`le 223, 928 Marcius : Lucius Marcius Philippus 332, 773, 933 Marie-The´re`se d’Autriche 586, 928 Marius, Caius 211–212, 928 Marsyas 234 Mauvillon, Jacob 285, 441, 928 Maxime 839 Me´de´e 859, 928 Me´dicis, famille des 798, 928 Me´nard 197 Minucius Rufus 211 Mirabeau, Honore´-Gabriel Riqueti, comte de 172, 441, 456, 555, 715, 791, 815, 846, 929 Mirabeau, Victor Riqueti, marquis de 165, 172, 476, 482–484, 493, 538, 591, 733, 771, 805, 808, 810, 830, 929 Mole´, Louis-Mathieu 19, 100, 632, 929 Molie`re, Jean-Baptiste Poquelin, dit 433, 929 Monmouth, Jacques Scott, duc de 307 Montalte, Louis de 669 Montesquieu, Charles de Secondat, baron de 28–29, 39, 46, 48, 50, 52–53, 79, 94, 101, 107–109, 153, 161–162, 188, 193–194, 203–204, 234, 297–298, 305, 311, 339, 345, 356, 363, 383, 411–412, 452, 456–

457, 466–467, 485–486, 494, 503, 524, 543, 559, 565, 568, 573, 612, 615, 622, 629, 643–644, 657, 716, 721, 725, 745– 746, 763–764, 767, 780–781, 787, 790, 793, 800, 804, 815, 834, 837, 839, 845, 848, 929 Morellet, Andre´ 311, 427–428, 443, 930 Morelly, E´tienne-Gabriel 356 Napole´on Ier 23, 34, 49, 58, 101, 126, 242– 243, 930 Necker, Jacques 154, 285–286, 346, 348, 406–407, 412–413, 444, 448, 452–453, 457–458, 510, 572, 706, 930 Ne´ron 578, 609, 656–657, 666, 704, 850, 930 Newton, Sir Isaac 178, 743, 930 Nicole, Pierre 53 North, Frederick, lord 241, 577–578 Numa Pompilius 155, 160, 623, 930 Octave voir Auguste Olivet, Pierre-Joseph Thoulier, abbe´ d’ 332, 773, 931 Orle´ans, duchesse d’ 281 Oromaze 278 Ossian 270, 931 Othon, Marcus Salvius, empereur romain 609 Paine ou Payne, Thomas 109, 931 Parrenin, missionnaire 475 Pascal 54, 667–669, 931 Patkul 902 Pausanias 856, 931 Pauw, Cornelius de 52, 128, 202, 254, 455, 461, 471, 475, 534–535, 543, 549, 535, 538, 564, 560, 564, 608, 610, 612–614, 616, 622–624, 633, 757–758, 767–768, 792–793, 798, 802, 805–806, 817–818, 836–837, 839, 932 Pe´ricle`s 133–134, 202, 729, 932 Petit, Samuel 612–613, 677, 792, 932 Pe´trone 730, 932 Peyssonnel, Charles de 541 Philippe Auguste (Philippe II), roi de France 530, 932 Philippe II, roi d’Espagne 200, 756 Philippe IV, le Bel, roi de France 530, 819, 933 Philippe V, roi d’Espagne 103 Philon d’Alexandrie 549 Phocion 631, 933

Index des noms de personnes Piccini, Nicola` 238, 933 Pictet de Rochemont, Charles 459–460, 550, 791, 802, 820, 933 Pierre Ie˙r, empereur de Russie 134, 587–588, 634, 729, 933 Platon 144, 528, 622, 628, 633, 933 Plutarque 234, 604, 612–613, 653, 934 Pollux, Julius 608–609, 934 Pombal, Sebastiao Jose´ de Carvalho e Melo, marquis de 184, 458, 586, 743, 934 Pompe´e 501 Pomponius Sextus 611, 839 Poppoea 487 Prasini 238, 753, 934 Pre´vost-Paradol, Lucien-Anatole 655 Priestley, Joseph 35 Pym, John 307 Pyrrhus 604, 934 Quintilien 535, 817, 935 Racine, Jean 619, 935 Raphae¨l 269, 935 Ramsay, Andre´-Michel, dit chevalier Ramsay 153 Richard III, roi d’Angleterre 673, 935 Richelieu, Armand-Jean du Plessis, cardinal de 249, 655, 851, 935 Robespierre, Maximilien de 135, 307, 311, 582–583, 630, 666, 935 Romain ce´le`bre, non identifie´ 167 Romilly, sir Samuel 935 Roscius Sextus 616 Rose, George 347, 935 Rotteck, Carl von 587 Roubaud, Pierre-Joseph-Andre´ 443, 936 Rousseau, Jean-Jacques 32, 39, 45, 50, 52– 54, 101–102, 106–107, 109–111, 115–121, 125–130, 133–134, 153, 186, 214, 274, 356, 370, 411, 629, 633, 643, 653, 727– 729, 842–843, 848, 936 Rulhie`res, Claude-Carloman 235–236, 936 Rumford, Benjamin, comte de 417, 789, 936 Saint-Aubin 311 Saint-Just, Louis de 621, 937 Saint-Pierre, abbe´ Charles-Ire´ne´e de 491 Salmone´e 714, 816, 823, 937 Sartorius, Georg Friedrich 335 Savary des Bruslons, Jacques 428, 796, 937 Savoye de Rollin, Jacques-Fortunat 565, 937 Say, Jean-Baptiste 52, 348, 380, 394, 410– 412, 421, 426, 433–434, 439, 442–443,

953

451–452, 455–456, 465–466, 475, 479– 481, 497, 550, 610, 716, 771, 777, 781, 790, 798–800, 803, 820, 840, 937 Schlegel, August Wilhelm 503 Schleiermacher, Friedrich 282, 291 Schmidt, Carlo 228 Scipion Nascia, P. 211 Seı¨de, personnage du Fanatisme ou Mahomet le prophe`te 585 Seleucos 615 Se´lim III, sultan 105, 937 Se´ne`que 656–657, 704, 813, 824, 850, 938 Servius Tullius 608–609, 938 Sextus Tarquinius 245 Sganarelle 433 Sie´ye`s, Emmanuel 54, 109–110, 360, 938 Simonide de Ce´os 613, 938 Sinclair, John 397, 405, 938 Sirven, Pierre-Paul 299–300 Sismondi, Jean-Charles-Le´onard Simonde de 52, 134, 137, 241, 360–361, 397, 403, 426, 428–429, 434–435, 437–439, 446, 454, 463, 479, 714, 773, 785–786, 795, 798–801, 804, 806–807, 837, 938 Smith, Adam 29, 32, 52, 55, 94, 134, 164– 165, 277, 279, 337–339, 344, 348, 351, 353, 368, 371, 400–402, 406, 410, 426– 428, 431–432, 434, 437–439, 442–443, 445–446, 449, 451–452, 455, 458–460, 462–466, 468–469, 475, 479–481, 485– 486, 545–547, 551, 570, 595, 607, 611, 713–714, 721, 725, 729, 737, 760, 771, 782, 786, 790–791, 793–794, 797, 799– 800, 802, 804–809, 821, 836, 939 Socrate 534, 623, 633, 704, 817, 836, 939 Solon 155, 202, 455, 612–613, 623, 677, 792–793, 836, 843, 853, 939 Sophocle 548–549, 939 Spinoza, Baruch 652, 939 Stae¨l, Germaine de 20, 31–33, 35, 39, 43–44, 48, 54, 197, 329, 504, 619, 669, 939 Stewart 461, 806, 940 Stratocle 613, 940 Stuart, James 461 Stuart, famille des 236, 678, 685, 940 Sua´rez, Francisco 52 Sue´tone 578, 609 Sulla ou Sylla, Lucius 212–213, 940 Sully, Maximilien de Be´thune, duc de 235, 384, 465, 479, 807, 940 Swift, Jonathan 703, 940

954

Principes de politique

Tacite 542, 709, 941 Talleyrand-Pe´rigord, Charles-Maurice de 228, 941 Tarquin le Superbe 245, 942 Terray, Joseph-Marie, abbe´ 441, 449, 942 The´mistocle 33, 942 The´odoric le Grand 704, 942 The´omneste 455, 792 The´ophraste 549, 942 Thompson, Benjamin 417 Tibe`re 188, 223, 196, 578, 942 Tiedemann, Dietrich 622 Tite-Live 46, 162, 217, 245, 360, 573, 688, 942 Tocqueville, Alexis Cle´rel de 48 Toulongeon, Franc¸ois-Emmanuel d’Emskerque, vicomte de 623, 943 Trase´as 657, 850, 943 Treilhard, Jean-Baptiste 436, 943 Turgot, Anne-Robert-Jacques 35, 337, 441, 449, 943 Ulloa, Antonio d’ 406, 943 Ustariz, Geronymo de 400, 406, 944

Vale`re Maxime 614, 839, 944 Valerius : Lucius Valerius Flaccus 212–213, 913 Valerius Publicola 217, 360, 944 Valois-Angouleˆme, famille des 213 Vauban, Se´bastien Le Prestre de 410, 944 Vaucanson, Jacques de 594, 944 Veneti 238, 753, 944 Vespasien 609, 944 Villers, Charles de 944 Virgile 619, 945 Vitellius 609, 656–657, 666, 850, 945 Voltaire, Franc¸ois-Marie Arouet 100, 189, 272, 299, 533, 585, 743, 945 Walckenaer, Charles-Athanase 612, 945 Webbe, John 109, 946 Welcker, Carl 587 Wöllner, Johann Christoph de 241, 291 Woodfall, Henry Sampson, 241, 946 Xe´nophon 334, 573, 612–614, 616, 624, 838–840, 946 Zoroastre 278